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GEORGES RODENBACH

M. Georges Rodenbach nous a livré le secret de son âme. Il raconte que, enfant, au collège,
chez les jésuites, une fois par semaine, on le menait à la promenade, dans la campagne, autour de la
ville. Mais quelle campagne ! Et quelle promenade aussi, en tête de laquelle marchait un homme
noir qui marmottait son bréviaire et dont chaque pas se rythmait d’un bruit de chapelet. C’était sur
des routes où s’espaçaient, ça et là, entre de mornes champs et de rachitiques bois, des cimetières !
Avec les pauvres végétations des maigres banlieues, il ne voyait jamais que des végétations
funéraires : cyprès noirs, ifs noirs et raides comme des pierres tombales, seules pleurant
éternellement sur des croix aux bras chargés de couronnes mortuaires, fleurs pâles des deuils
gardées par de petites grilles, icônes de pierre grise, où des larmes s’incrustent, s’élevant d’un
parterre exigu que les pensées tapissent de petites têtes de mort. Et des ombres, voilées de noir, des
ombres courbées, agenouillées au bord des trous frais creusés, penchées sur des dalles déjà
moussues, des silhouettes de douleur glissant entre ces choses irréparables. Il ne connut pas, enfant,
alors que les impressions s’installent dans le cerveau, la joie des libres prairies qui exaltent de leur
fécondité merveilleuse la puissance de la vie, ni la forte et grisante odeur de la terre où grondent les
sèves et s’élaborent les germinations splendides. Quand il sortait de la ville, de la vieille ville,
silencieuse elle-même comme un cimetière – un cimetière de vivants – et dont les maisons, les
ruelles, les églises, les êtres aussi, conservaient les apparences, presque fantomales, d’une histoire
morte, et dont les canaux, aux eaux recluses, ne réfléchissaient, pour ainsi dire, que du passé, ce
n’était jamais que pour heurter sa jeune âme à des spectacles qui ne lui renvoyaient que les images
et les voix de la mort.
Dans cet esprit d’enfant songeur, d’une sensibilité si précocement réceptive, et poussée déjà
jusqu’à la souffrance, on conçoit combien profonde dut être l’empreinte de ces premières
impressions, et à quelles durables blessures elles prédisposaient son être intime, son être pensant,
dont l’éveil à la vie n’eut pour horizon que ces paysages de la mort. M. Georges Rodenbach nous a
dit que la terre ne lui apparut que comme l’immense champ de la mort. Il ne pouvait voir un paysan
remuer le sol de sa bêche, sans qu’aussitôt l’idée lui vînt que cet homme creusait une fosse, et que
c’était là, parmi ces mottes, qu’il viendrait, un jour, dormir son dernier sommeil. Les fleurs, les
arbres lui faisaient peur, parce qu’il les sentait nourris, gorgés de la décomposition des corps, et que
ce lui était insupportable de penser que leurs racines plongeaient dans le fumier des cercueils. Alors,
il eut de la campagne une sorte de terreur ; et, pour éloigner l’obsession douloureuse, il s’habitua,
tout petit, à vivre en soi-même. Dans le silence, plein de muettes musiques, où son âme se complut,
il s’ingénia à créer en lui et autour de lui des vies multiples et charmantes, à ne plus voir qu’en
reflets attendris dans les choses la nature, dont le spectacle direct l’offusquait par les évolutions
incessantes qu’elle lui faisait du meurtre et de la mort.
L’âge, les voyages, Paris, n’ont pu effacer complètement cette impression d’enfance qui
survit dans l’homme, mais agrandie en pensées philosophiques, épurée en quelque sorte par la
conscience du grand artiste qu’est M. Georges Rodenbach, et transmuée en une résignation
mélancolique qui donne à ses poèmes un caractère si poignant et si doux à la fois, unique, peut-être,
dans notre littérature.
Les Vies encloses, que M. Georges Rodenbach vient de publier, sont la suite logique du
Règne du silence. Les deux poèmes procèdent de la même pensée d’art, de la même philosophie, et
s’enchaînent l’un à l’autre, rigoureusement, harmonieusement.
Dans Le Règne du silence, M. Georges Rodenbach nous avait montré l’âme qui est dans les
choses familières. Avec quelle intensité exquise, par quelles nuances de sensibilité, et quel prodige
de création aussi, il avait animé les objets que l’on croit inertes et à qui nous communiquons
quelque chose de nos pensées, de nos inquiétudes, de nos rêves, de notre souffrance, et qui finissent
par nous parler comme les confidents les plus attentifs et les mieux avertis de notre existence
intime ! Je me souviens de tout ce qu’ils disaient de tendre, de plaintif et de profond, et les lustres
de cristal qu’envahit le crépuscule, et les rideaux aux fenêtres où meurt le soleil couchant, et les
glaces des miroirs, et les grands fauteuils somnolents et tristes comme des valétudinaires. Et comme
le poète avait su leur inspirer, à ces êtres de sa dilection, vivant de ses rêves à lui et de leurs reflets à
eux, la crainte, la méfiance, la terreur du monde extérieur, c’est-à-dire de la mort !
Avec Les Vies encloses, M. Georges Rodenbach nous montre toutes les choses qui sont dans
l’âme, et de quelles vies invisibles l’âme se multiplie. Dans un admirable apologue, il explique son
œuvre. Mes lecteurs me sauront gré de le citer tout entier.
Ici, toute une vie invisible est enclose
Qui n’a laissé voir d’elle et d’un muet tourment
Que ce que laisse voir une eau d’aspect dormant
Où la lune mélancoliquement se pose.

L’eau songe, elle miroite ; et l’on dirait un ciel


Tant elle s’orne d’étoiles silencieuses,
Ô leurre de ce miroir artificiel !
Apparences ! sérénités fallacieuses !

Sous la blanche surface, immobile, cette eau


Souffre : d’anciens chagrins la font glacée et noire ;
Qu’on imagine, sous de l’herbe, un vieux tombeau
De qui leur mort, mal mort, garderait la mémoire.

Ô mémoire, par qui même les clairs instants


Sont douloureux et comme assombris d’une vase ;
L’eau se dore de ciel ; le chœur des roseaux jase ;
Mais le manque de joie a duré trop longtemps.

Et cette eau qu’est mon âme, en vain pacifiée,


Frémit d’une douleur qu’on dirait un secret,
Voix suprême d’une race qui disparaît
Et plainte, au fond de l’eau, d’une cloche noyée !

M. Georges Rodenbach imagine l’âme comme une eau enfermée par des cloisons de verre,
un « Aquarium mental ». Il nous en montre la surface tranquille, les reflets fugaces et trompeurs qui
s’y mirent, et les profondeurs où la vue lentement se pose. Tout ce qui grouille et fleurit dans cette
eau s’anime en paysages merveilleux ou terribles, et nous voyons tour à tour les êtres qui les
habitent, poissons cuirassés d’or et de pourpre qui passent comme des pensées, âmes flottant
comme des rêves dans des transparences glauques et nacrées, actinies étranges incrustées aux
rochers et qui ouvrent, semblables à des péchés, leur fleur de chair au calice rétractile, clartés
fluides, rocs sombres, végétations monstrueuses, vases remuées par d’aveugles poissons et
desquelles montent à la surface des bulles qui crèvent en larmes, formes madréporiques, coraux
rouges de la luxure. Oui, c’est bien l’image de l’âme humaine, et rendue avec une extraordinaire
puissance.
On a dit de M. Georges Rodenbach qu’il était le poète de l’eau. Je ne connais personne, en
effet, qui ait traduit, dans une langue transparente, fluide, nuancée, onduleuse, avec plus de force,
plus de charme, tous les mystères, toutes les manies, toutes les mélancolies de cette eau symbolique,
où tous nous retrouvons notre âme, avec ses rêves, ses espérances, ses croyances, et les tares aussi,
de qui nous viennent les remords et les sanglots.
Le livre se poursuit par des évocations analogues, et dont il me suffira de dire les titres pour
en fixer l’esprit : le « Soir dans les vitres », les « Malades aux fenêtres » ; vitres et fenêtres, de l’eau
encore, de l’eau symbolique figée dans du verre, et à travers laquelle on aperçoit le monde extérieur,
en transparences, en reflets, en mornes végétations, qui ondulent sous les courants et les remous ; le
« Voyage dans les yeux » : les yeux, de l’eau toujours, où toute l’âme affleure. Mais ce que je ne
saurais dire, c’est la beauté absolue de ce poème, l’originalité de son invention, la clarté et
l’harmonie des rythmes, et cette sensation de profondeur dans l’infini qu’il vous donne jusqu’au
vertige.
Je n’ai pas la prétention que ces quelques lignes soient un portrait littéraire de M. Georges
Rodenbach, ni une étude raisonnée de ses œuvres. J’ai voulu seulement – car, quand je parle d’un
poète, j’ai toujours la terreur d’en mal parler – j’ai voulu que ce livre nouveau me soit une occasion
d’affirmer toute mon admiration pour celui que je considère comme un des plus grands poètes de
notre temps. Et, peut-être, n’est-il pas inutile – dussent quelques patriotes s’alarmer de cette
constatation – de redire que M. Georges Rodenbach nous vint de Belgique, de cette Belgique
décriée, et qui, pourtant, avec l’auteur des Vies encloses, nous donna M. Maurice Maeterlinck et M.
Émile Verhaeren, c’est-à-dire les trois noms les plus purs, et les plus retentissants, et les plus
définitifs de la jeune poésie française.

Le Journal, 15 mars 1896

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