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du noir !
La cécité est souvent incomprise. Les aveugles
ont un souhait : s’intégrer dans la société.
Nice a posé une première pierre dans ce sens.
Edito
Voir avec le coeur... Sommaire
Par Fabien Morin
A l’heure actuelle,
plus personne ne
conteste ce fait : nous
Ouvrons les yeux 3
4
objectif : promouvoir électronique, logiciels force de continuer à Et c’est là le problème.
le torball dans les- Zoomtext et Talks, ma- vivre. « Ils pensent que Le milieu associatif
collèges et lycées. chine Perkins…) n’exis- la vie s’arrête mais ce souffre d’un manque
te quasiment pas pour n’est pas vrai. C’est d’exposition médiati-
les particuliers. Des une autre vie », résume que. C’est donc notre
« Le luxe de la frais exorbitants qui Jacqueline Dicharry. rôle à nous, jeunes
cécité » ne sont pas à la portée Pour sa part, elle pense journalistes, de com-
Dans le milieu éducatif, de tous. Comme si être que c’est la musique bler ce vide. Les as-
le Collège Port-Lympia aveugle était un luxe. qui l’a sauvé. Pianiste, sociations comme les
de Nice accueille des La médecine s’inté- répétitrice, juriste et an- aveugles ont besoin
élèves déficients vi- resse au côté ophtal- cienne directrice d’éco- d’un intermédiaire pour
suels. L’établissement mologique et délaisse le de musique, «Mada- leur donner la parole
permet à ces jeunes la partie psychologique me culture» a consacré et les sortir de l’ombre.
d’évoluer dans un cadre pourtant essentielle. La sa vie entière à sa pas- Ils ont besoin d’une
scolaire ordinaire. Ils cécité est un handicap sion. Une échappatoi- écoute et d’une prise
apprivoisent leur han- propre à chacun (p.7). re pour tous ses sou- en compte particulière.
dicap et se préparent à cis et ses angoisses Après six mois d’inves-
leur vie future (p.16). Ils du noir. Mais encore tigation, nous avons
ont à leur disposition un « Sans vue mais faut-il que la culture découvert un monde
matériel onéreux finan- pas sans vie » s’ouvre aux aveugles. authentique, pas si diffé-
cé par le Conseil Géné- Certains refusent la ma- Certains musées com- rent du nôtre. Des gens
ral des Alpes-Maritimes. ladie et se referme sur mencent à prendre cons- qui n’ont qu’une en-
Cette prise en charge eux-mêmes. D’autres, cience de ce public, trop vie, s’ouvrir au monde.
des appareils (loupe au contraire, ont la souvent oublié. (p 21).
- L’outil le plus simple est formé d’une tablette munie de guides normali-
sés avec des lignes de six points et d’un poinçon. Cet outil nécessite une
adaptation particulière. Il faut complètement inversé le sens d’écriture. On
poinçonne le dos de la feuille.
- La machine Perkins, sorte de machine à écrire, est composée de sept
touches en Braille.
- L’embosseuse est une imprimante qui transcrit un texte informatique en
texte Braille.
- La loupe électronique permet de grossir des textes dactylographiés sur
un écran d’ordinateur.
- La synthèse vocale est une technique informatique de synthèse sonore. Elle permet de créer de la
parole artificielle à partir de n’importe quel texte.
- Le scaner avec la reconnaissance de caractères permet de photogra-
phier un document de manière électronique. Grâce à un logiciel d’agrandis-
sement, d’une synthèse vocale ou d’une barrette Braille, le déficient visuel
peut prendre connaissance du document écrit.
- Les barrettes Brailles est un dispositif qui transforme les informations
numériques en caractère Braille sur un clavier (voir ci-contre).
C’ est le malheur du temps que les fous guident les aveugles, William Shakespeare 5
Vivre à l’aveugle
Des aveugles dans la ville
L e premier feu sonore a été installé à Nice en 1997. Destiné à faciliter le déplacement des dé-
ficients visuels, ce projet est le premier d’une longue série. Depuis, d’autres aménagements
spécifiques ont été intégrés au décor citadin. Pourtant, les bâtiments publics restent pour la
plupart inaccessibles aux handicapés. La loi du 11 février 2005 tend à faire évoluer la situation.
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Un handicap, des maladies
I l n’existe pas une malvoyance mais des malvoyances. Les maladies de l’œil et leurs cau-
ses sont multiples et aboutissent souvent à la cécité (voir encadrés). Chaque malade de-
mande des soins appropriés, propres à son handicap. Ses soins purement médicaux sont pris
en charge par les hôpitaux et autres ophtalmologues. Le ressenti psychologique du patient
tout simplement ignoré. Pour accepter le handicap, les déficients visuels doivent entamer
une démarche personnelle vers les associations. A l’hôpital St Roch de Nice, juste une affi-
che dans la salle d’attente les informe de l’existence de l’Association Valentin Haüy. Encore
faut-il avoir le courage de faire le pas. Pour apprendre à vivre avec ce nouvel handicap, seuls
deux centres de rééducation fonctionnelle pour déficients visuels existent : l’institut ARAMAV
de Nîmes (voir encadré) et le Centre de rééducation aveugles et malvoyants de Marly le Roi.
Institut ARAMAV
(association pour
dicaux, psychologiques
et sociaux. L ’œil est un organe fragile, complexe et per-
fectionné. Par ces caractéristiques, il est sujet
L’unité d’orthoptie est à de nombreuses maladies. Elles peuvent frapper
la réinsertion des dédiée aux patients bé- n’importe qui, n’importe quand. Mais les person-
aveugles et mal- néficiant d’un potentiel nes âgées sont les plus menacées. La médecine
voyants) visuel réduit, suscepti- fait des progrès. La population des déficients vi-
ble d’être amélioré. Elle suels vieillit. En effet, les jeunes aveugles sont de
L a clinique de réédu- consiste en une stimu- plus en plus rares du fait d’opérations à succès.
cation fonctionnelle lation visuelle et permet
pour déficients visuels de mettre en place de
La cataracte :
est ouverte depuis nouvelles stratégies de Maladie touchant gé-
1989. Elle est gérée par compensation au défi- néralement les person-
l’association ARAMAV cit. nes âgées. La vision de-
créée à l’initiative de son vient progressivement
président Denis Brillard L’unité d’ergothérapie floue du fait de l’opacité
en 1984. Agréée par le développe les sens com- du cristallin. Le patient
Ministère de la santé, pensatoire de la vision. éprouve la sensation
et conventionnée par Au menu, des activités de voir comme s’il se trouvait derrière une
les caisses d’assurance de mise en situation chute d’eau. Sans opération, la cataracte
maladie, elle accueille : mosaïque, peinture, peut conduire à une cécité partielle ou totale.
des déficients visuels menuiserie et activités Le décollement de rétine :
de la vie journalière. Le Apparition d’éclairs, d’une mouche volante ou d’un
module propose aussi voile noir, sont les signes d’un décollement de la ré-
des activités de commu- tine. Si les symptômes ne sont pas repérés suffisam-
nication. Comme l’ap- ment tôt, la cécité est inévitable. Même une bonne
prentissage du Braille opération peut laisser des séquelles sous forme
et de l’informatique. d’une amputation d’une partie du champ visuel.
L’unité de psychomotri- Le glaucome :
cité permet un travail
Le centre offre un suivi médical
corporel. Ceci vise à pal- Maladie insidieuse et progressive, le glau-
approprié lier les difficultés engen- come est systématiquement dépisté lors de
drées par la perte de la l’examen ophtalmologique par la prise de ten-
majeurs venant de la vue (troubles de l’équili- sion oculaire. La vue n’est pas directement
France entière. Seuls bre, de l’espace…). affectée. C’est le champ de vision qui rétré-
vingt lits sont à dispo- Enfin, l’unité des éduca- cit peu à peu jusqu’à disparaître totalement.
sition pour des séjours teurs est présente pour La dégénérescence oculaire :
allant de 6 semaines à entourer le patient. Et Maladie liée à l’âge, la dégénérescence oculaire
6 mois. l’aider à vivre différem- est une perte de vision centrale qui empêche de lire
L’objectif est de coller ment. Ils sont à l’écoute même avec un système grossissant. Le patient ne
au mieux aux besoins de chacun et les aident sera jamais aveugle. Il continuera à voir sur les côtés
de chaque patient dans à se réinscrire dans une La rétinopathie diabétique :
le but de lui (re)donner réalité sociale. Il s’agit d’infections de la rétine liées au diabète.
un maximum d’autono- Ainsi apparaissent des hémorragies, des micros
mie. Pour cela, quatre Institut ARAMAV, 12 chemin du anévrismes et exsudats qui altèrent considérable-
unités de rééducation Belvédère, 30900 Nîmes ment la vision. Cette maladie doit être dépistée
sont mises en place, tél : 0466234855 par angiographie de la rétine et traitée au laser.
dans les domaines mé-
Il existe deux sortes de cécité sur cette terre : les aveugles de la vue et les aveugles de la vie, Ahmadou Kourouma 7
Associations
Des associations, des actions
N ice compte sept grosses structures associatives dédiées aux déficients visuels. Cours de
Braille, randonnée, torball, lecture, cinéma, dessin, sculpture, insertions professionnelle
et sociale, les aveugles niçois ont l’embarras du choix. Toutes agissent dans un seul but : sortir
les mal et non-voyants de l’isolement. Mais des rivalités existent et troublent la communication.
L ’Association Valentin Une indifférence mu- du torball et à l’ensei- cadré) plutôt que vers
Haüy (AVH) (p. ) et tuelle se ressent de gnement du Braille. Arrimage ou l’AVH.
l’Association des Chiens la part des dirigeants. A l’initiative de la créa- Parmi ces associations,
guides d’aveugles (p. ) Pourtant des liens se tion d’Horus (p. ) et d’Ar- les Donneurs de voix de
font figures de leaders sont tissés avec des co- rimage, une autre figure la bibliothèque sonore
dans le milieu associatif mités plus modestes. forte : Claude Garran- se sentent relativement
niçois. La première jouit L’AVH n’hésite pas à dès (p. ). Sa person- isolés. Seule l’AVH, dont
de son rayonnement soutenir les ambitions nalité les unie même les bureaux sont dans le
national, et la seconde de ses membres. Le si elles œuvrent dans même immeuble, orien-
est incontournable par couple Filippini (p17), différents domaines. te les personnes en trop
son activité spécifique. dans sa volonté de En matière culturel- grande difficulté morale
Peut-être en raison de s’investir, a créé l’As- le, les Chiens guides vers cette structure. La
leur renommée respec- sociation niçoise d’ini- d’aveugles orientent « lecture » leur permet
tive, il existe une rela- tiatives culturelles et plus facilement leurs de briser leur solitude.
tive mésentente entre sportives (A.N.I.C.E.S), adhérents vers l’Union Et pourquoi pas de faire
ces deux organisations. dédiée à la pratique des Aveugles (voir en- un pas vers l’extérieur ?
8
Association Valentin Haüy :
« pour oser de nouveau sortir de chez soi »
A pporter la bonne humeur. Proposer des activités. Permettre de rester socia-
bilisé. Des enjeux pour les bénévoles de l’association Valentin Haüy. Ins-
tallés à Nice depuis plus de 70 ans, ils oeuvrent pour les déficients visuels.
D ’ampleur nationale,
l’association Va-
lentin Haüy s’organise
toutes sortes d’activités
culturelles et physiques.
L’important est de per-
lonté possède toujours ment) notamment. Ceci
un impact plus impor- par un travail de repré-
tant auprès des handi-
autour de son siège pa- mettre aux personnes capés visuels qui se re-
risien. Dans 85 régions, aveugles et malvoyantes ferment sur eux-mêmes.
des comités se sont mis de rester sociabilisées. « Il n’y a que quelqu’un
en place grâce à l’impli- De l’enseignement du comme moi pour pou-
cation de bénévoles. Les braille au cours d’infor- voir dire ces choses-là ».
Alpes-maritimes, et plus matique. Du cyclisme
particulièrement Nice, au tir à la carabine en Au-delà du mal Pour le tir à la carabine : plus le vi-
sont le berceau d’un passant par la randon- seur se rapproche de la cible, plus
comité des plus actifs. née en montagne. Ces « Rien n’est plus comme les bips sonores s’intensifient
L’association y est bien avant lorsqu’on devient sentation au sein de la
implantée et réussit à aveugle du jour au len- cellule d’accessibilité
proposer divers servi- demain » explique Daniel de la mairie de Nice. Le
ces et activités aux per- Santin. « La moindre ac- but : prévoir l’aménage-
sonnes aveugles et mal- tivité prend des allures ment des lieux publics.
voyantes. Ceci grâce à de parcours du combat-
tant». Et les démarches Mais il faut aussi lutter
une équipe dynamique. contre ceux qui profitent
Quelques trois cents administratives de véri-
tables casse-têtes. Les du handicap. Max Bou-
adhérents bénéficient vy y travaille en collabo-
donc régulièrement des membres de l’associa-
tion le savent bien. Les ration avec Paris. Il a ra-
activités mises en place. mené dans ses bagages,
Avenue Henri Barbusse, bénévoles endossent
donc fréquemment un lors de son dernier voya-
l’accueil est chaleureux. ge, un livre en Braille
Il y a toujours quelqu’un rôle d’assistante sociale
afin de permettre aux qui décrit les couleurs
pour recevoir, guider, à l’aide de textes poé-
conseiller, écouter. déficients visuels de ve-
nir à bout de ces formali- tiques et de dessins en
tés ou de remplir les pa- relief. L’ouvrage suscite
De l’insertion à piers nécessaires…Pour une interrogation quant
l’enseignement Une bénévole guide les pas oser de nouveau sortir et à la qualité du papier.
Pour que le handicap
d’une non-voyante
devenir autonome mal- Le président de l’asso-
ne triomphe pas, Max gré le handicap, il faut ciation sollicite Denise,
activités diverses et l’une des adhérentes
Bouvy et Daniel Santin, variées remportent un un emploi. L’association
respectivement presi- propose son aide en tra- niçoises. «C’est notre
succès certain. Elles spécialiste ». Aveugle de
dent et vice-président ne sont possibles que vaillant avec des orga-
de l’AVH oeuvrent parmi naissance, elle accepte
Pour oser
grâce aux innovations avec ravissement de
les nombreux bénévoles technologiques coû-
niçois. « Et ça marche se rendre utile pour
teuses acquises par lutter contre l’escro-
bien ». Ils travaillent en
collaboration avec leur
siège à Paris. Test de
l’association. Seuls
les dons permettent de nouveau querie. Il s’avère qu’el-
le ne sent pas le relief
de telles actions. Outre et ne réussit pas à lire
nouvelles technologies ces ouvertures sur la nismes en partenariat
adaptées et travail pour avec l’ANPE (Handijob le texte soumis à son ex-
vie sociale, l’AVH joue pertise. Verdict : «bon à
une amélioration du un rôle d’écoute. Daniel ou la maison départe-
quotidien font partis de mentale des personnes jeter». Le doigté délicat
Santin est directement de Denise a jugé. Paris
leurs préoccupations de concerné. Malvoyant handicapées). L’asso-
chaque jour. Dans cette ciation milite auprès de sera informé par Max
lui-même, il assure que Bouvy et se chargera
optique, l’association son discours empreint la DDE (Direction dépar-
propose régulièrement tementale de l’équip- de faire le nécessaire.
de joie de vivre et de vo-
Seule l’obscurité a le pouvoir d’ouvrir au monde le coeur d’un homme, Paul Auster 9
Associations
L’association Valentin La communica- l’alphabet permettant comités régionaux.
Haüy, au-delà de soula- tion, vecteur d’ac- aux aveugles de s’infor- Une rubrique consacrée
ger et de divertir, s’inscrit ceptation mer par la lecture, et de à l’accessibilité, une
dans une démarche de L’association Valentin communiquer, il paraît rubrique culture mais
protection et de valorisa- Haüy s’attelle à la publi- en deux versions. Une également des articles
tion des aveugles et de cation de deux journaux. version Braille et une ver- consacrés à la santé,
ce qui leur est proposé. sion imprimée en gros au sport ou encore à la
Sensibiliser les voyants caractères. Le contenu lecture en font sa spéci-
fait partie intégrante est relatif à l’actualité ficité. Un exemplaire de
de ce processus. Dans sociale, aux nouvelles ce bimensuel est sys-
cette optique, l’associa- technologies adaptées tématiquement envoyé
tion organise chaque pour les déficients vi- gratuitement aux oph-
année un repas dans le suels, à la recherche talmologues de France.
noir. Et même si un va- mais aussi au sport. C’est d’ailleurs par ce
lide ne ressent jamais Le deuxième titre publié biais que des patients
exactement les choses par l’association porte nouvellement atteints
comme un non-voyant, le nom de cette der- de cécité commencent
il prend conscience des Tout d’abord, le Louis nière. Le Valentin Haüy à être orientés par leurs
difficultés que ce dernier Braille. Ce premier jour- paraît tous les deux médecins vers l’asso-
rencontre au quotidien. nal est un mensuel. Du mois. Il contient l’ac- ciation. Un pas en avant
4 avenue Henri Barbusse 06100 nom de l’inventeur de tualité des différents dans la communication.
Nice tél: 04 93 52 54 54.
L a déficience visuelle dicap et l’entourage déclic est arrivé diffé- m’a permis de revalo-
que vous partagez
fait de vous un couple
aussi. J’ai dû arrêter le remment. Au lycée, je riser mon handicap et
lycée Hôtelier dans le- n’acceptais pas ma dé- de le surmonter. Il faut
atypique. Pouvez-vous quel j’étais et c’est dur ficience visuelle, j’avais décider un jour de se
nous expliquer le degré de devoir réapprendre à honte et très peur du prendre en charge. Soit
de votre handicap res- vivre. J’ai pratiqué beau- regard des autres. Je on sombre et on ne voit
pectif ? personne. Soit on se dit
Sandrine : On peut me : « Je prends tout ce qui
considérer comme très est à ma portée, je fon-
malvoyante. Je ne peux ce et je vis ! » J’ai choisi
distinguer que le jour la deuxième solution !
et la nuit. A dix-sept
mois, je souffrais d’une J’ai appris les cou-
forte myopie. A l’âge de leurs à mon fils
seize ans, j’ai eu plu- Comment avez-vous
sieurs maladies (décol- réussi à bâtir votre
lement de la rétine, ca- couple ?
taracte, glaucome). J’ai
été énuclée d’un œil, Sandrine : La chose es-
mais sans résultat po- sentielle, c’est que nous
sitif. Depuis, je vis avec nous refusons d’être tri-
tous mes autres sens. butaires l’un de l’autre.
Il est indispensable que
Sébastien : Pour ma nous ayons chacun no-
part, je suis malvoyant. tre jardin secret. Si on
J’aperçois des ombres, perd notre liberté, le cou-
des masses et certai- ple ne peut pas tenir. La
nes couleurs vives. cécité ne change pas la
Je souffre de la mala- donne. Notre autonomie
die Leber. Ca m’a pris est la richesse de notre
à l’âge de seize ans couple. Quand on ar-
et demi. Auparavant, rive à cela, c’est gagné.
j’avais dix sur dix à cha-
que œil et j’ai perdu la Sébastien et Sandrine Filippini, la joie d’être parents
vue en trois semaines. Thibault, votre petit
coup de sport pour me n’osais pas utiliser ma garçon, va bientôt avoir
défouler, pour essayer canne qui m’étiquetait cinq ans. Comment
Comment, à cet âge-là, de penser à autre cho- automatiquement. Je êtes-vous parvenus à
avez-vous réussi à faire se. L’AVH m’a beaucoup me cognais très sou- concilier votre déficien-
face à la maladie ? aidé dans ce sens. Elle vent, mais je refusais ce visuelle et votre rôle
Sébastien : Il y a tou- m’a fait sortir de ma une aide matérielle de parents ?
jours une phase d’ac- solitude et m’a fait dé- connotée. Un jour, des Sandrine : Thibault
ceptation difficile. C’est couvrir que la vie était amies m’ont encoura- vit comme tous les
un passage obligé. On possible sans la vue. gée à l’utiliser. J’ai pris enfants de son âge.
doit accepter son han- Sandrine : Pour moi, le sur moi et le lendemain,
j’ai franchi le cap. Ca
14
La différence ré- Vous êtes très impli- j’avais pris la parole lors rain ! Je ne dois pas me
side peut-être qués dans la vie niçoi- d’une convention. Il m’a couper de la réalité !
dans le fait que nous lui se. Parlez-nous de votre dit avoir eu le coup de
imposons une certaine rôle ? foudre pour moi ! (rires) Vos vies semblent avoir
rigueur que d’autres en- Sébastien : Je suis pré- J’ai accepté parce que été marquées par une
fants n’ont pas. Remet- sident de l’association c’était une opportunité succession d’opportu-
tre les choses à leur pla- ANICES. Je l’ai créé il y a incroyable, mais, à pré- nités que vous n’avez
ce notamment, pour que moins d’un an pour es- sent, je suis adjointe jamais voulu laisser
nous gardions nos repè- sayer de valoriser le tor- au maire, en charge du passer. Pourrait-on les
res. Mais jamais le han- ball. Le but est de redon- handicap et c’est une résumer à cela ?
dicap n’est au cœur des ner une valeur à notre tâche très lourde ! C’est
en tout cas une preuve Sandrine : Oui, c’est
interdits. Je veux rem- handicap. Nous avons vrai. Avec mon mari,
plir mon rôle de mère. déjà réussi à mettre ce de la volonté politique
de mettre le handicap on ne s’est jamais pro-
Grâce au Braille, j’ai pu sport dans trois écoles. jeté, on a laissé libre-
apprendre l’alphabet et Nous continuons de fai- au cœur de la ville.
Mais je n’ai pas de ba- court au destin. Dans
les couleurs à mon fils ! re des démonstrations la vie, quand on a une
Sébastien : Ce que cer- et je dois reconnaître guettes magiques, je ne
pourrai pas tout faire. chance, il faut la saisir.
taines personnes ont que le succès est au ren- Il faut aussi se donner
du mal à comprendre dez-vous. Ce que je sou- les moyens. C’est ce
aussi, c’est que nous haite, c’est transmettre Ce nouveau statut vous qu’a montré Sébastien
n’avons pas fait un aux autres ce qu ‘on m’a confère-t-il certains en créant ANICES. On
enfant pour avoir des transmis par le passé. privilèges ? a la vie qu’on a envie
yeux dans le foyer. On Sandrine : Je ne veux de se donner, c’est ce
a fait un enfant pour Depuis fin mars, San- pas être une élue pri- que j’ai toujours pensé.
connaître la joie d’être drine, c’est par le biais vilégiée. La mairie m’a Et la vie nous a souri !
parents. Ce n’est pas de la politique que vous mis une voiture et un Sébastien : Bien sûr, cer-
une tierce personne. menez votre combat ? chauffeur à disposition taines étapes ont été dif-
Il est protecteur avec Sandrine : Ce n’était pour mes rendez-vous, ficiles, on nous a parfois
nous par instinct, mais pas prévu, croyez-moi mais je ne l’utilise pas mis des bâtons dans les
il reste un petit garçon. ! Christian Estrosi m’a tout le temps. Je veux roues mais, on s’est tou-
C’est nous qui sommes proposé d’être sur sa préserver mon autono- jours attaché à suivre
responsables de lui, liste en décembre, sim- mie et palper du doigt notre philosophie : celle
pas l’inverse. plement parce que les difficultés du ter- de s’ouvrir aux autres.
IAssis
ls s’appellent Hiba,
Aude, Jean-Luc et Elia.
au premier rang,
Elle se sert d’un logi-
ciel et d’une police 36
pour lire correctement.
lescents. Il paye notam-
ment les frais des taxis
qui conduisent chaque
les adapter à la vie qui
les attend, même si par-
fois nous sommes trop
au fond de la classe ou Son cas pose problè- élève au collège. Il n’est gentils. Après le collège,
près du radiateur, ces me à son professeur : donc pas rare de voir c’est la jungle. Nous
quatre collégiens écou- « L’enregistrement des Hiba ou Elia fatiguer tentons de ne pas trop
tent avec plus ou moins fichiers prend du temps. plus vite que leurs ca- les assister pour qu’ils
d’attention le cours sur Aude est toujours en marades. Véronique puissent être autono-
les vecteurs et transla- retard par rapport aux Garrandès, en charge mes dans l’avenir ».
tions de Mme Pouvesle. autres. Elle refuse d’ap- de l’accueil des élèves L’intégration n’est ja-
Comme leurs camara- prendre le Braille parce non-voyants, le justifie mais facile pour ces col-
des de classe, ils pas- qu’elle refuse de recon- : « Les enfants n’arri- légiens. Elle ne l’est pas
sent leur brevet en fin naître son handicap ». vent parfois chez eux non plus pour leur pro-
d’année. A une différen- Des efforts ré- qu’après 18h et doivent fesseur. A Port-Lympia,
ce près. Ils auront droit c o m p e n s é s faire leurs devoirs. Sans tous les enseignants
à un tiers temps sup- La difficulté est là. Cha- compter qu’ils sont obli- ont un jour ou l’autre
plémentaire du fait de que enfant est différent. gés de se lever plus tôt eu en charge une clas-
leur déficience visuelle. Chaque han- que les autres. Du fait se dans laquelle se
dicap, aussi. de leur handicap, le trouvaient des élèves
Si Aude cu- bruit et leurs efforts de déficients visuels. Une
mule à sa concentration les fati- formation préalable de
malvoyance guent encore plus vite ». deux ans est nécessai-
des problè- re. Mme Pouvesle ex-
mes psycho- plique : « C’est lourd de
logiques. Après le collège, gérer le handicap à cet
Hiba, de son la jungle âge. On met souvent les
côté, ne se meilleurs élèves avec eux
Si la classe a été allé- pour les motiver, mais
repère pas gée en nombre d’élèves
dans l’es- ça ne change pas vrai-
pour faciliter l’écoute de ment leurs résultats ! ».
pace. Pour ces ados, les cours sont
Elia, ses en- les mêmes. Le rythme, A Port-Lympia, certains
Une élève écrit en Braille sur sa machine nemis sont aussi. Pour Véronique ont trouvé quelque cho-
Perkins les couleurs. se de plus précieux que
Pour leur permettre de Elle ne les voit pas. Cela Garrandès, « quand on
ne veut pas, on ne veut les notes. « Des amis !
suivre le cours, chaque oblige ses professeurs Avant, j’étais à Paris et
élève utilise l’appareil à n’utiliser que du bleu pas. Si un élève n’a pas
envie de réussir et de se c’était difficile ! A Nice,
avec lequel il se sent le ou du noir au tableau j’ai trouvé mes meilleurs
plus à l’aise. Ce choix et que très rarement forcer, nous ne pouvons
rien faire pour lui ! » Les amis ! » confie Elia, sou-
est souvent orienté par les rétroprojecteurs. rire aux lèvres. C’est jus-
le degré d’importance S’adapter à chacun sans élèves ont chacun leur
personnalité. Jean-Luc tement ses compères
de leur handicap. Hiba pénaliser les autres. Voi- qu’Elia part retrouver
a opté pour la tradition- là la devise du collège. traverse sa crise d’ado-
lescence et paraît moins pour un cours de sport.
nelle machine Perkins Les efforts auprès des Ces jeunes préfèrent le
qui lui permet d’écrire élèves déficients visuels studieux. Hiba préfère
bavarder avec sa voi- sport aux maths, la ré-
en Braille. Jean-Luc semblent récompensés. cré à la dictée et la mu-
utilise un monoculaire Le Conseil Général des sine. Pourtant, chacun
sait qu’après le collège, sique à la physique. Par-
pour grossir les inscrip- Alpes-Maritimes prend ce qu’ils sont des ados
tions du tableau. Aude en charge le coût de le lycée ne leur appor-
tera pas le même con- comme les autres. Des
est restée, quant à elle, l’intégration de ces ado- ados avant tout. Avant
au stade informatique. fort. « Nous essayons de
même leur handicap.
16
Insertion professionnelle
Association Horus : l’écrit à destination
des déficients visuels
D epuis 1987, sous l’impulsion de Claude Garrandès (p. ) l’Association Horus facilite l’accès
des déficients visuels aux écrits. Toutes les personnes gênées dans la lecture d’un document
peuvent faire appel à cette structure. Insertions sociale et professionnelle font aussi partie
de son champ d’action. Dans ce « petit monde » associatif, Horus occupe une place essentielle.
aussi se faire traduire les études supérieures, de plus en plus appel
des documents : « On Cellule handicap, dédiée à nos services », cons-
n’y pense pas, mais les à tous les handicapés, tate Muriel Petit. Face
L a vitrine de l’avenue aveugles ne peuvent centralise les produc- à cette activité grandis-
Ernest Lairolle est pas lire leurs factures ! tions grâce au finan- sante, Horus emploie
modeste. Mais à l’inté- Horus se charge de les cement de l’université. deux personnes à temps
rieur, les membres de plein affectés à l’adap-
l’Association Horus se
sont fixés une noble tâ- Egalité des tation des documents.
droits et Pour les personnes qui
che : permettre aux défi- souhaitent se (re)lancer
cients visuels d’accéder des chan-
ces dans la vie active, l’as-
à l’écrit. La première
mission est l’adaptation Depuis la loi sociation se mobilise
de documents. Muriel de 2005 sur pour l’adaptation des
Petit, membre de l’asso- « l’égalité des postes de travail avec
ciation, explique : « Ici, droits et des le concours de l’Age-
on adapte le document chances, la fiph (Association de
participation et gestion de fonds pour
selon le handicap de traduite
Un membre d’Horus envoie une facture
sur une imprimante en Braille l’insertion profession-
chacun, en Braille ou la citoyenneté
nelle des handicapés).
en gros caractères. Et retranscrire en Braille. des personnes handica- Horus évalue les capa-
même en relief pour les Mais tout ça coûte de pées », les services pu- cités de chacun, le sou-
cartes géographiques ». l’argent », ajoute Muriel blics ont l’obligation de tient peut lui proposer
Au quotidien, ce sont Petit. Dans un coin du traduire les documents une formation adaptée.
une trentaine d’écoliers, bureau, on traduit juste- pour les déficients vi- Grâce à ces actions, les
collégiens, lycéens et ment une facture EDF. suels. « Nous sommes déficients visuels voient
étudiants qui font appel Grâce aux aides des sollicités par les grosses s’effacer la différence.
aux techniques exploi- Conseils Régional et Gé- structures. Les offices de 13rue Ernest Lairolle 06100
tées par Horus pour pou- néral, l’association peut tourisme, intéressés par tel : 0492090348
Nice
voir suivre leurs études. mener son action. Pour le « label handicap », et
Les particuliers peuvent le Conseil Général font
La MDPH pour un retour à l’emploi
La Maison Départemen- Par la suite, chaque par-
tale pour les Personnes ticipant remplie un for-
Handicapées, s’occupe mulaire renseignant sur
notamment de la réin- ses facultés, ses exigen-
sertion profession- ces… Ce dossier va être
nelle des personnes examiné par un comité
mal ou non-voyantes. pluridisciplinaire. Enfin,
Le processus est sim- aux vues des conclu-
ple. La démarche doit sions de ce comité, la
venir du demandeur. La personne sera, ou non,
personne souffrant de redirigée vers un orga-
handicap fait la démar- nisme chargé de lui trou-
che. Elle va ainsi être ver un travail adapté.
conviée à participer à 66-68 route de Grenoble
06201 Nice cedex 3
une première réunion. Tel : 0805560580
Cette réunion d’infor-
mation est collective.
Un aveugle vit dans un monde où les instants sont chargés d’éternité, Yann Queffélec 17
Insertion professionnelle
Antoine Beninati :
«Je me bats pour garder ma liberté»
A tteint d’une dégénérescence de la rétine (rétinopathie pigmentaire), Antoine Beninati, ne
voit quasiment plus. Son champ de vision est diminué, mais il peut encore lire. Il ne bais-
se pas les bras. Derrière ses lunettes, se cache un doux regard. Son allure discrète et sa
mine rayonnante témoignent de sa ténacité. Selon lui, l’handicap visuel se résume en deux
phrases : « Il ne faut pas voir ce que l’on ne peut plus faire. Mais voir ce que l’on peut en-
core faire.» Il se bat tous les jours pour garder sa liberté. Actuellement Gestionnaire Tech-
nicien Conseil, il travaille à la Caf, Caisse d’allocation familiale, depuis 1979. A cinquan-
te ans, Antoine ne veut pas être mis à l’écart de la société, et mise tout sur l’intégration.
giciel, zoomtext, soin de quelqu’un. Dès
qui réalise toutes que je sors seul, je suis
les modifications angoissé. Quand on est
possibles pour malvoyant, on est tou-
optimiser ma per- jours obligé d’être con-
ception. Je chan- centré sur le pas que l’on
ge les couleurs, fait et que l’on va faire.
la police, le fond On n’est jamais vrai-
d’écran... Je pos- ment libre. Les voyants,
sède aussi un eux, s’ils veulent
clavier avec des avoir une maîtresse,
caractères agran- ils peuvent! (Rires)
dis. Je peux tra-
vailler comme tout
le monde, même Pourtant vous avez un
si je mets un peu chien guide, et puis
plus de temps. les associations à Nice
vous proposent un
panel d’activités. Sous
Comment avez entendez-vous qu’il n’y
vous été accueilli a pas de réelle autono-
Q uelles sont les
C laude Garrandès est «gens bêtes». Il explique d’enseigner à la faculté, de documents, vous la
Niçois. Il a la chaleur en souriant : « On se dit mais il a fait le choix preniez et vous vous
de son pays. Cet épicu- que si on va plus loin, de travailler auprès débrouilliez. J’ai donc
rien a le sourire facile on va finir par compren- d’élèves déficients vi- épuisé toute la famille
et le sens du partage. Il dre et au bout… il n’y a suels. « Je pourrais : ils enregistraient les
a très vite compris que rien à comprendre ! » Il beaucoup moins bos- documents sur ma-
sa cécité ne devait pas a étudié le droit et ob- ser et toucher le dou- gnétophone. J’ai eu
l’empêcher de vivre. Il tenu un doctorat en psy- ble, mais aujourd’hui, de la chance d’avoir
est devenu un boulimi- chologie, doublé d’une je me rends compte que des parents qui se
que de la vie. Sportif, ar- formation de psychana- j’ai fait le bon choix ». sont battus pour moi ».
tiste, l’homme est aussi lyste. Cet érudit affiche Claude Garrandès est
et surtout professeur. un palmarès impres- aussi investi dans le pay- « Ma passion c’est
«Mon boulot, c’est d’en- sionnant de diplômes, sage associatif niçois. l’image »
seigner le Braille et mais ne comptez pas En 1987, il crée l’asso- Après ce combat pour
l’informatique adaptée sur lui pour s’en vanter. ciation Horus (page ). « l’écrit, Claude Garran-
aux déficients visuels». Professeur dès l’âge de A l’époque ce qui m’inté- dès se bat aujourd’hui
Claude Garrandès tra- vingt ans, il occupait un ressait, c’était de mener pour l’accès à l’image.
vaille à mi-temps au poste très précaire mais, une grosse bataille sur « Nous sommes dans
collège Port-Lympia de «nul au niveau carrière». l’écrit. Aujourd’hui, je ne une société de l’image
Nice. Mais comme il C’est pour et les non-voyants aussi
l’avoue avec une douce occuper un ». Au sein de son asso-
ironie, « ce statut n’exis- poste plus ciation Arrimage, l’ar-
te pas dans notre bon sûr qu’il a tiste a aussi développé
système scolaire fran- décidé de une maison d’édition
çais ». Le reste de son passer un qui produit des images
temps, il le passe au Capes en en relief. « J’essaye de
service du recteur pour économie, trouver des techniques
tout ce qui concerne même s’il et de faire en sorte que
les problèmes d’inté- « d é t e s t e les images existent ».
gration des déficients cette scien- Mais il avoue : « Les
visuels sur l’académie. ce». Le fu- outils ne remplacent
Un emploi du temps qu’il tur profes- pas tout, surtout pas
consacre également seur a fait le temps et le travail ».
à son association Arri- ce choix, « J’adore le traitement de
mage. Dans un atelier car il con- l’image, sous toutes ses
pittoresque, il accueille sidère que l’économie suis plus dans l’asso- formes » confie Claude
des handicapés visuels se rapproche le plus de ciation, mais je ne suis Garrandès derrière
dans le but de les initier ses formations initiales. jamais bien loin d’eux son sourire. C’est pour
à l’art. Une ambition ». La première fonction
cela qu’il préfère aller
qui témoigne de l’éner- Une vie au service de l’association était de au cinéma entre amis
gie du personnage et de des aveugles créer des documents
plutôt qu’au sein d’une
sa démarche volontaire. Même si Claude Garran- pour les personnes association spéciali-
Avant d’embrasser cette dès fait figure de bat- handicapées visuelles. sée, « une fois de plus
carrière, Claude Garran- tant, derrière ses lunet- Il se souvient : « A mon on se retrouve entre bi-
dès a « beaucoup cru tes noires, il déplore de époque, c’était très gleux, c’est dommage ».
aux études ». Non sans «ne pas être reconnu sportif ! Il n’y avait pas www.claude.garrandes.com
humour, il assigne cet- dans [sa] vraie matiè- grand-chose. On vous
te caractéristique aux re». Il avait l’opportunité balançait une tonne
Je suis aveugle, mais on trouve toujours plus malheureux que soi. J’aurais pu être noir, Ray Charles 19
Culture
Le point culture de «Madame culture»
E lle vit à Nice depuis 2004, mais sa réputation n’est déjà plus à faire. Dès qu’on parle
d’accessibilité culturelle pour les déficients visuels, c’est vers elle qu’on se tourne. Jac-
queline Dicharry fait l’inventaire des difficultés rencontrées et de ce qui reste à faire à Nice.
P rofesseur de musi- motiv ! La volonté de La liste est longue. Nice de Patricia Grimmaud,
que, répétitrice de Jacqueline Dicharry : n’est pas une exception. attachée au conserva-
piano, et aussi juriste, qu’aucune porte ne soit Mais la situation s’amé- toire, les non-voyants
Jacqueline Dicharry s’in- fermée aux personnes liore. peuvent, à l’occasion
téresse à la culture en handicapées. L’audio- de visites spécialement
général. C’est de part description est la base. organisées, se rendre
son état de non-voyante Les musées et les sal- Voir avec les mains au musée Chéret. Une
et un passé de direc- les de spectacle de- Au niveau des enfants, occasion de «voir» par
trice d’école de musi- vraient en être équipés. l’accessibilité des con- eux-mêmes en tou-
que qu’elle peut juger «Malheureusement, ce servatoires reste un chant les sculptures.
des efforts nécessaires n’est pas le cas pour véritable point négatif. A u d i o d e s c r i p t i o n ,
à réaliser. Mais aussi l’instant». Elle déplore Pourtant, l’ancienne Braille, possibilité de
grâce à une véritable que ce procédé ne soit directrice d’école de toucher, adaptation des
volonté de se cultiver que très ponctuelle- musique affirme avoir locaux. Des petites cho-
envers et contre tous. ment utilisé par la télé- réussi à intégrer par- ses qui changent la vie.
«Je suis toujours allée vision. « Si ça dérange faitement des enfants Ne pas s’imposer aux
au cinéma, à l’opéra et les gens, il faut utili- souffrant de handicap. autres mais pouvoir par-
au musée». Un état d’es- ser un canal spécial ». Elle ne comprend donc tager la culture. Une de-
prit qui lui permet de sa- Jacqueline Dicharry met pas pourquoi les aveu- mande simple qui passe
voir exactement ce qu’il l’accent sur un autre pro- gles et les handicapés par une autonomisation.
manque, aujourd’hui, blème. « Les bâtiments en général, sont tenus à Reste à pouvoir accé-
pour que les gens «com- ne sont pas adaptés ». l’écart. Un constat qui lui der aux lieux dédiés à
me elle» puisse avoir Trop de marches, des est difficile à admettre. l’art. Le chemin de la
«le droit à la culture». obstacles sur le chemi- Aujourd’hui, les culture est semé d’em-
Faire en sorte que le nement, une mauvaise mentalités sem- bûches. Le challenge
«handicap soit mis de signalisation des es- blent vouloir évoluer. pour Nice : éclairer la
côté». Un véritable leit- caliers, pas de rampe. Grâce à l’intervention route des non-voyants.
Des images grâce aux mots
L e plaisir de l’image. Le plaisir du cinéma. Un loisir interdit aux personnes souffrant
de déficit visuel. Interdit jusqu’en 1989. Depuis, grâce à l’invention d’Auguste Cop-
pola et au soutien de l’AVH, ce public peut goûter aux joies que procure le septième
art. Cette évolution réside dans l’audiovision, une bande son riche en descriptions.
La voie du bonheur
U n livre se lit. Mais s’écoute aussi. L’association « Donneurs de voix » met tout en œuvre pour
favoriser l’accès des déficients visuels à la littérature. Et compte bien se faire entendre.
C Inégalité culturelle
réée en 1976, l’as-
sociation niçoise les
«Donneurs de voix» rend
lais de trois mois qui pri- versent une cotisation.
vent ainsi les adhérents Puis, chacun se crée
d’une découverte simul- une fiche de préféren-
la lecture possible aux Les actions sont dif- tanée des nouveautés ces. Cette liste permet
déficients visuels. Elle ficiles. L’association littéraires. La Fnac offre aux bénévoles de mieux
transforme les supports manque de fonds et de des livres à écouter, ap- connaître ses membres.
écrits en supports sono- communication. Seul le pelés « Audiolib ». Situés L’esprit familial règne
res. L’handicapé n’est bouche à oreilles fonc- en bas de rayon, les CD dans ces «Donneurs
plus dépendant d’une tionne véritablement. et cassettes ne sont pas de voix». Raymonde,
tierce personne. L’auto- «Les ophtalmologues à la portée des person- Claudine ou Robert tra-
nomie est trop souvent et les pharmaciens ne nes handicapées. Et vaillent ensemble pour
la cause de problème jouent pas le jeu». La pour cause, ils s’adres- répertorier et classer
d’intégration. Une so- présidente a tenté plu- sent aussi et avant tout les livres. Le plus dur
lution : la bibliothèque sieurs prospections aux valides. reste l’enregistrement.
sonore. Nadine, prési- chez ces professionnels. « On ne prend pas n’im-
dente de l’association, Sans résultat. Alors Bénévoles au ren- porte quelle voix » com-
accompagnée de dix bé- les «Donneurs de voix » dez-vous mente Nadine. «Il faut
névoles, s’investit pour comptent sur le soutien qu’elle corresponde au
offrir le maximum de des autres associations Source d’imagination, livre. Cela demande du
livres sonores aux ad- tel que l’AVH. Au-delà la littérature devient temps. Mais la passion
hérents. Ouvert le mardi de ces problèmes, l’as- une échappatoire. Nom- fait vite disparaître ces
et le jeudi, la bibliothè- sociation est obligée breux sont les retraités petits désagréments».
que propose toute sorte de se soumettre aux di- à Nice, qui, atteints de Nadine a toujours vou-
d’œuvres littéraires, de rectives liées aux droits dégradation de la vue, lu aider les aveugles.
Ludlum à Nothomb. El- d’auteurs. Les maisons commandent ou vien- «C’est un plaisir d’agir
les sont enregistrées par d’éditions imposent des nent se procurer des ro- pour les autres et de leur
des bénévoles ou par délais d’enregistrement mans et polars. Pour ad- procurer du bonheur».
les auteurs eux-mêmes. par rapport à la date de hérer à la bibliothèque 06100 4 avenue Henri Barbusse
sortie des livres. Des dé- sonore, les «lecteurs» Nice
La voix est un second visage, Gérard Bauër 20
Ressenti
Comment voient les aveugles
U n aveugle de naissance ne connaît pas la notion de distance, de profondeur. Il ne rêve pas
en couleur. Il ne connaît pas le relief. La perception d’un déficient visuel, quel qu’il soit, est
forcément différente de celle des voyants. Si scientifiquement ils ne voient pas, leur imagina-
tion prend le relais. Jacqueline Dicharry et Julien, tous les deux atteints de cécité, expliquent
leur vision des choses.
C heveux blancs, lunet- baissé les bras. « Si tu que que chez les aveu- nera
tes noires, son appa- fonces pas maintenant, gles, les autres sens se
rence est celle d’un roc- tu fonceras jamais». développent.
la
keur. Un air narquois, Comme un guide, cette ment le toucher et l’ouïe. ble
une voix assurée, il dé- phrase l’a escortée sur La cécité l’a ébranlée
à l’âge de 18 ans. Elle Comment expliquer
avoue qu’il y a des cho- qu’un non-voyant de
ses dont elle ne se sou- naissance aime le rou-
vient pas. Son imagina- ge ? Dans l’obscurité ou
tion a pris le relais. Une dans la grisaille, la cou-
« imagination différente leur n’est qu’un mot abs-
de la votre. Il y a des trait. Pourtant, le vert,
choses qu’on voit en l’orange, le bleu ont une
tant que non-voyant et signification en rapport
que vous, vous ne voyez avec une émotion, un
pas ». Primordiale chez souvenir. Les aveugles
les handicapés visuels ressentent les couleurs.
: la représentation men- « J’aime le rouge ». Julie
tale. Le mécanisme est est enthousiaste lors-
identique à celui d’une qu’elle reçoit en cadeau
personne valide. La vue un nouveau fauteuil. La
en moins. Ce facteur est première question qui
remplacé par la person- lui vient à l’esprit est
nalité et les acquis. Ain- d’en demander la cou-
clare «moi, un éléphant, le chemin de la vie. Une si naissent des images leur. Rouge. Une cou-
je lui pisserais dessus». vie bien remplie qu’el- intérieures. Elles n’ont leur qu’elle associe à
Non, ce n’est pas de le mène avec entrain. pas forcément les cri- quelque chose d’agréa-
la provocation. Julien Même si elle n’oublie tères de la réalité. Mais ble. Ce n’est pas parce
est aveugle. Du jour au jamais son handicap. pour l’aveugle, l’impor- qu’ils ne voient plus,
lendemain, à l’âge de «On te rappelle toujours tant est d’avoir ses re- qu’ils ne vivent plus.
19 ans, sa maladie l’a que tu es aveugle ». Elle pères et de s’y retrouver.
plongée dans le noir. estime que les enfants Quand il est
«Quand tu perds la vue sont plus sociables que impossible de
comme ça, pendant 3 à les adultes. Ces derniers toucher, l’ima-
4 ans, tu bouffes tes tri- ont peur. En effet, dans gination est le
pes ». Aujourd’hui retrai- l’inconscient collectif, seul recours.
té, l’homme prend son lorsque l’œil est atteint, C’est par as-
handicap en dérision. c’est la vie qui s’éteint. s o c i a t i o n
Il aime en rire même si «Les gens s’adressent d’idées que
une pointe de mélanco- à la personne qui est la représenta-
lie se cache derrière son à côté de moi, mais tion mentale
humour noir. Sa devise : pas à moi ». Un cons- prend forme.
« il faut bouger, être dans tat amer qui ne l’a pas Par exemple,
l’action, être positif ». empêché de persévérer. le pingouin
Un credo identique à est un oiseau.
celui de Jacqueline La vue en moins Il aura donc
Dicharry. «On s’accro- Pour elle, elle voit tou- les caracté-
che quand ça va mal». jours. Mais d’une autre ristiques de
Lorsqu’elle est devenue manière. « Je m’imagine cet animal
aveugle la jeune femme les gens d’après leur et les attri-
buts propres Les aveugles ont un autre sens très développé,
n’a jamais vraiment façon d’être ». Elle expli- le sens de l’humour.
que lui don-
22
On a testé
L a visite de l’exposition dédiée au photographe Plossu débute au son du violoncelle. Premier
arrêt devant une photographie. « N’avance plus il y a quelqu’un devant toi. C’est bon ? Je
peux te lâcher la main ? » Les visiteurs qui ont voulu se prêter au jeu sont perturbés. Ils ont
besoin de cette main amicale qui les guide. La douce voix de la soprano retentit. Le conteur
débute son récit. Il improvise et décrit les œuvres. Les voyants envient presque ceux qui ont
les yeux bandés. Ceux qui jouent le jeu paraissent perdus dans leur imagination. Ils tentent
de se figurer les photos dans leur esprit. Un chuchotement réussit même à les déconcentrer.
Dans l’esprit de ces voyants, tous les objets et les couleurs se dessinent. A la fin de la visite,
c’est avec plaisir, et étonnement parfois, que ce public découvre enfin ce qu’il a passé tant de
temps à s’imaginer.
« C’est dans une Cadillac Une initiative de Sylvie
le noir qu’on bleue, un Lefebvre, avec les élèves du
Conservatoire
voit le mieux peu de paille,
la bougie, le un tee-shirt « Yeux bandés. Noir com-
cœur du mon- j a u n e … E n - plet. Dans les premiers
de ». Des mots fin, le dernier instants tous mes repè-
qui se pour- mot intervient res étaient bouleversés.
voient d’une comme un Chaque pas, chaque
toute autre soulagement. respiration, chaque mot
signification Le noir, vous dérangent. Il est difficile
les yeux ban- ne le con- de se repérer dans l’es-
dés. Visiter un naissiez pas. pace. Mais après quel-
musée dans Vous venez de ques minutes d’adap-
le noir. Une l’approcher. tation, l’imagination se
drôle d’idée. De tenter de met en marche et on
Pourtant, lors- Audrey et Cécilia n’ont pas l’air sereines l ’ a p p r i v o i - apprivoise nos sens.
que vous vous ser. Pourtant, Les descriptions du con-
privez de voir, les autres de votre imagination. c’est avec empresse- teur permettent d’imagi-
sens prennent rapide- Les stigmates d’une ment que vous quittez ner les photos. Même
ment le relais. Soudain, perte de repères qui in- ce bandeau qui obstrue si l’image est abstraite,
vous entendez le moin- fluence votre équilibre. votre vue. Comment elle prend forme dans
dre chuchotement, le Et votre nez ! Lui aussi s’acclimatent les aveu- mon esprit. Grâce à mon
cliquetis d’un appareil donne l’impression de gles ? Avec le temps… attention, mes sens j’ai
photo, le grincement du décupler ses facultés. Vous avez la chance retrouvé mes repères.
parquet sous des semel- Un parfum pique les de voir les images Mon inquiétude s’est
les plastifiées avec une narines. Une odeur de avec les yeux. La vision dissipée et j’ai visité
ampleur déroutante. La transpiration, de cuir, de imagée était proche. l’exposition avec mon
voix du comédien rem- bois vous parviennent. L’expérience est con- imagination, guidée par
plie l’espace. Vos oreilles Vous n’aviez pourtant cluante. Et déroutante. la voix du conteur. Une
semblent munis de tym- rien senti lorsque vous Par Cécilia Duvert expérience déroutante »
pans ultras puissants. aviez les yeux ouverts. Par Audrey Gibaux
Rapidement, il faut se La voix du comédien
déplacer. Avoir un guide vous surprend. D’ins-
et lui faire confiance tinct vous la suivez. A
devient indispensable. gauche, à droite, der-
Le sens de l’orientation rière. Vos repères dans
vous abandonne. Il y a l’espace commencent à
cinq minutes, tout était s’améliorer. Guidés par
si facile. L’obscurité cette voix bienveillante
change la donne. Où et par celle de votre
êtes-vous ? Une ques- guide. Le comédien dé-
tion qui vous obsède. Le crit les images. Curieux,
sol semble se dérober vous aimeriez faire
par endroit. Une pente, tomber ce bandeau qui
une bosse s’insinuent vous oppresse. Mais,
sous vos pieds. Ils ne vous jouez le jeu. Vous
sont pourtant que le fruit imaginez. Une femme, Le conteur improvise et envoute son public
Les vérités de l’obscur ne se formulent pas, Pierre Gascar 23
Ecole du Journalisme Nouvelles. Nice 2008