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Octave MIRBEAU

LE SALON

M. Bonnat a pendu un homme. Comme il l'a pendu à une croix, cela fait un Christ,
mais ce n'est pas un Christ, ce n'est qu'un pendu, ce n'est qu'un criminel vulgaire odieusement
torturé suivant un rite barbare.
Si M. Bonnat était un élève, et si son tableau pouvait passer pour une étude, nous
crierions sur les toits qu'il a peint une "académie", supérieurement étudiée.
Mais M. Bonnat est un maître, ou du moins il fait école, il a des disciples et des
imitateurs ; il est en train d'influencer quelques uns de ceux qui, comme on dit, cherchent leur
voie, et il les conduit tout droit à leur perte.
Son Christ produit au Salon une sensation contre laquelle nous tenons à protester.
C'est un "sujet" d'amphithéâtre attaché à une croix jaune.
La croix et le crucifié sont extraordinairement éclairés et tout ruisselants de soleil, et
cela se détache avec un relief prodigieux sur un fond brun qui a l'intention de figurer le ciel.
Comment se peut-il faire que le ciel soit si sombre quand la "figure" est si éclairée ? Un
miracle, probablement ! Mais sachez bien que ce miracle n'est ici qu'un procédé de peinture,
et que l'artiste ne l'a produit, de son autorité privée, que pour obtenir un puissant effet
d'opposition.
Le corps humain peint à midi, qui ressort sur ce ciel de minuit, est d'ailleurs vrai à
faire illusion. L'artiste croyait peut-être passer un examen d'anatomie : craignant qu'on ne le
soupçonnât d'avoir oublié un muscle, une veine, une artère, il a trouvé bon de les exagérer, et
les a fait saillir comme des cordes.
Et tout cela est convulsé, frémissant de la fièvre de l'agonie. On s'imagine voir les
nerfs tressauter, les chairs palpiter. Le sang coule sur les pieds, et, si l'on osait y toucher, il
semble qu'il en resterait aux doigts. Les mains sont contractées, et, sans les clous qui les
retiennent, on croirait que ce corps va se détacher de la toile et tomber.
Alors beaucoup sont pris, et s'arrêtent étonnés, convaincus qu'ils admirent. On
s'éloigne, on se place à droite, à gauche, en face, on improvise des abat-jour, et l'on murmure :
« Quelle pâte solide ! Quelle science ! »
Et voilà tout ! On s'en va bien tranquille. On a vu un pendu, rien autre chose.
Oh ! ce n'est pas ce crucifié-là qui ressuscitera jamais. Il agonise et va mourir. Qu'on le
mette ensuite au tombeau : les saintes femmes pourront venir, elles trouveront le cadavre. Il
n'y a pas un dieu sous cette figure ; cette poitrine, qui se soulève, ne fait que râler ; cette tête,
qui se rejette en arrière, n'indique que la douleur horrible ; ce cou roidi est d'un malheureux
qui souffre ; ce torse et ces jambes communes sont du premier venu.

* * *

M. Bonnat a peint souvent des scènes religieuses ; c'est même à ses tableaux religieux
qu'il a dû ses plus grands succès, mais il n'est point un peintre religieux.
M. Bonnat est un réaliste qui déteste les banalités. Les sujets prosaïques lui répugnent.
Qu'il peigne des Pasqua-Maria ou des Saint Vincent-de-Paul, ou des Intérieurs de Saint-
Pierre de Rome, il est et reste toujours réaliste par l'exécution.
C'est là ce qui lui vaut d'avoir des imitateurs. Il se trouve aujourd'hui un des chefs de
cette école qui voudrait tout à la fois copier absolument la nature et ne pas tomber dans les
brutalités grossières. Ceci serait parfaitement dans les cordes modernes. On aimerait assez une
façon de juste milieu entre l'idéal pur et les vulgarités de parti-pris.
M. Bonnat n'est pas vulgaire de parti-pris, mais il l'est malgré lui. Il lui est arrivé de
rencontrer la grandeur, presque le style : malheureusement ce n'est pas cette année. Son Christ
est dangereux à étudier, et d'autant plus dangereux qu'il est magistralement peint ; cette
merveilleuse exécution séduit trop : c'est une oeuvre toute matérielle, sans élévation, une
étude, une académie, le portrait consciencieux d'un cadavre.

* * *

Quel que soit le sujet qu'il traite, M. Bonnat cherche toujours à atteindre ses effets au
moyen du même procédé : un fond sombre sur lequel il enlève ses personnages en vigueur
lumineuse. Il a pour système de n'éclairer que les figures. C'est pour elles qu'il réserve tous
ses soins, toute sa science, tout son réalisme ; il les étudie, il les modèle avec un zèle infini.
Pour le reste, il le sacrifie. Le fond n'existe pas : c'est du brun, c'est du repoussoir. Il arrive
ainsi à obtenir des reliefs saisissants, et c'est ce qu'admirent le plus les bons bourgeois, qui se
figurent que le dernier mot de l'art consiste à donner une forte saillie aux objets.
Aussi s'extasie-t-on fort devant la petite toile que M. Bonnat a appelée Les Premiers
pas.
Cela représente une jeune mère italienne, laquelle fait marcher son bébé.
La femme, vue en pleine face, est courbée dans une pose qui n'a rien de fort agréable ;
elle ressort fortement, suivant la recette ordinaire du peintre, sur le fond brun de rigueur, et
son bébé, de face comme elle, est tout nu pour se bien détacher à son tour sur la jupe
maternelle.
La troisième toile de M. Bonnat est exécutée d'après la même méthode. Trois petites
fillettes, rangées sur une même ligne, sont plantées au beau milieu d'une toile absolument
nocturne.
Elles sont costumées en Japonaises de couleurs voyantes, et ont l'air assez ennuyé :
est-ce leur déguisement qui les chagrine, ou bien ont-elles peur parce qu'il n'y a derrière elles
que du brun ? Ce sont des portraits, à ce que nous apprend le livret, et chacune de ces petites
têtes est finement traitée ; - mais comme c'est triste de s'habiller en Japonaises pour ressortir
sur un fond brun !

* * *

Un artiste qui fait tout aussi vrai que M. Bonnat et qui n'a pas recours, lui, à des
repoussoirs que rien ne justifie, c'est M. Jules Breton.
M. Jules Breton n'a exposé qu'un seul tableau ; mais quelle chose superbe !
Cela se nomme La Falaise.
La mer s'étend à perte de vue sous un ciel bleuâtre, un peu gris, largement brossé. Pas
de vagues terribles ; il y a seulement comme des festons d'écume qui s'approchent, l'un
poussant l'autre, jusqu'aux galets du rivage. Sur la falaise qui s'élève à gauche du tableau, une
jeune fille est étendue et regarde.
Sa grosse jupe de laine, son corsage d'un bleu éteint, toutes les pièces de son simple
costume ont des tons qui se marient comme naturellement aux tons de la mer : c'est fait
exactement pour cette falaise.
Et la Bretonne s'est couchée là, sans souci de la pose, les pieds nus – des pieds forts,
bien attachés, superbes – placée au hasard, et la tête tournée du côté de l'océan. Elle regarde
devant elle, là-bas à l'horizon, le menton appuyé sur sa main ; elle regarde sans savoir quoi ;
elle n'attend personne, elle n'est préoccupée de rien, elle est tranquille pour elle et les siens ;
elle ne sait point certainement si elle pense à quelque chose. Elle est en face de la mer et elle
regarde, voilà tout.
Or, ce tableau si peu compliqué, si peu cherché, est pourtant une des plus grandes
choses du Salon.
C'est de la poésie et du réalisme tout ensemble, et l'on passerait des heures et des
heures à considérer cette mer lointaine et cette fille qui l'admire naïvement.
À quoi bon chercher des sujets nouveaux et des drames saisissants ? Il n'en faut pas
tant, et le moindre coin de nature suffit à qui sait les voir et le comprendre.
M. Jules Breton a peint sa Falaise telle qu'il la connaît, telle qu'elle existe ; il a fait le
portrait de la première fille de la côte qu'il a rencontrée ; mais, par exemple, il a peint cela en
maître qu'il est, avec un style d'une justesse et d'une harmonie parfaites, avec un style d'une
ampleur admirable, avec un dessin pur et ferme.
Et vraiment, c'est une tout autre œuvre, cette Falaise, que le Christ de M. Bonnat !
R. V.
L'Ordre de Paris, 12 mai 1874

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