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Introduction :
Aragon : (1897-1982)
Fils illégitime d’un haut fonctionnaire de la IIIe République, élevé dans la gêne
financière d’une bourgeoisie déclassée, Louis Aragon est reçu bachelier en 1915, puis
entreprend des études de médecine et fait la connaissance d’André Breton, avec qui il se
lie d’amitié. Mobilisé en 1917, il retrouve son ami pendant et après la guerre et participe
avec lui et Philippe Soupault à la création de la revue Littérature (1919). L’année suivante, il
publie un premier recueil de poèmes (Feu de joie), puis, après avoir pris part à quelques
manifestations de Dada, s’engage dans des recherches littéraires qui vont aboutir au
surréalisme, rédigeant successivement un texte ironique présenté sous la forme d’un
roman d'apprentissage (Anicet ou le Panorama, 1921), un pastiche du roman didactique de
Fénelon (les Aventures de Télémaque, 1922), composé en partie selon le principe de l’écriture
automatique, et un recueil de nouvelles (le Libertinage, 1924). L’année même où paraît le
premier Manifeste du surréalisme de Breton, Aragon expose sa propre conception du
surréalisme dans un texte théorique (Une vague de rêves, 1924), prônant le « merveilleux
quotidien », issu de la rencontre de l’imaginaire avec le réel, et se révélant spécialement
attentif au problème de la description littéraire, développé peu de temps après dans un
roman (le Paysan de Paris, 1926).
En 1927, Aragon adhère au Parti communiste, avec notamment Breton. Cette
adhésion marque pour lui le premier pas en direction d'un engagement profond, qui le
conduit à rompre avec le surréalisme et avec Breton en 1932. Le Traité du style (1928) porte
déjà les indices d’un doute qui ira croissant sur la capacité du mouvement à se renouveler.
La rencontre, en 1928, du poète avec l’écrivain d’origine russe Elsa Triolet est à cet égard
déterminante ; elle l’amène à se mettre au service de la révolution, renforce son orientation
esthétique vers le réalisme et contribue à l’éloigner de Breton.
Alors que le Roman inachevé (1956) est un recueil de poèmes d’inspiration
autobiographique où se lit un retour à certains traits de la poétique surréaliste, le Fou
d’Elsa (1963) et Il ne m’est Paris que d’Elsa (1964) s’inscrivent dans la continuité du thème de
la célébration de la femme, inauguré dans les poèmes engagés de la Résistance. son œuvre
se nourrit désormais d’une interrogation sur la création artistique et sur la conscience (la
Mise à mort, 1965 ; Blanche ou l’Oubli, 1967 et Théâtre / Roman, 1974). Correspondant à
la fois à un désir de communication sincère et à un goût prononcé pour le masque et les
énigmes, la diversité de sa création témoigne de la passion d’Aragon pour l’exploration de
l’inconnu, qui l’a amené, finalement, à assimiler l’écriture à une quête de soi. Les Œuvres
romanesques croisées d’Elsa Triolet et d’Aragon ont paru en quarante-deux volumes de
1964 à 1974.
– Le Fou d’Elsa fait écho aux images du Cantique des cantiques, et son projet peut être
mis en regard de celui de la Légende des siècles, de Hugo ; la marque du modèle
romantique est présente dans l’inscription d’un rapport d’intertextualité avec
Chateaubriand (Aventures du dernier Abencérage) ou Barrès, mais il permet surtout
de voir apparaître la conception de l’histoire d’Aragon.
Eluard : (1895-1952)
Paul Eugène Grindel, dit Paul Éluard, voit le jour à Saint-Denis, dans la banlieue
parisienne. Obligé d’interrompre ses études pour rétablir une santé gravement menacée
par la tuberculose (1912), il est néanmoins mobilisé en 1914, au tout début de la Première
Guerre mondiale : il devient alors infirmier militaire. Si les premiers poèmes d’Éluard sont
encore influencés par la littérature de Jules Romains, ils révèlent surtout les sentiments
d’horreur et de pitié qu’ont pu inspirer à un poète désormais en quête de pacifisme les
spectacles quotidiens de la guerre (le Devoir et l’Inquiétude, 1917 ; Poèmes pour la paix, 1918).
Remarqué par Jean Paulhan, futur directeur de la NRF, Éluard est présenté par son
intermédiaire à Benjamin Péret, puis à André Breton, à Louis Aragon et à Philippe
Soupault. Il lie ensuite connaissance avec Tristan Tzara, René Magritte, mais aussi Man
Ray et Joan Miró. Il participe dans un premier temps au mouvement Dada (les Animaux et
leurs hommes, les hommes et leurs animaux, 1920 ; les Nécessités de la vie et les conséquences des
rêves, 1921). En 1919, il entre dans le groupe réuni autour de la revue Littérature, puis se
lance dans l’aventure surréaliste. Il écrit ainsi Mourir de ne pas mourir qui paraît la même
année que le Manifeste du surréalisme d’André Breton (1924). Éluard s’engage sans réserve
dans les activités du groupe surréaliste et sur la voie de l’expérimentation littéraire. Avec
Benjamin Péret, il compose 152 Proverbes mis au goût du jour (1925). Durant l’année 1930, il
écrit Ralentir travaux, en collaboration avec René Char et André Breton, puis rédige avec ce
dernier l’Immaculée Conception.
Son adhésion au groupe ne l’empêche cependant jamais d’affirmer son goût et son
respect pour la poésie du passé — à laquelle il dédie plusieurs anthologies (Première
Anthologie vivante de la poésie du passé, 1951) —, ni de défendre son esthétique propre,
marquée par une grande clarté et une grande simplicité d’expression, mais aussi par un
classicisme — parfaitement assumé — sur le plan formel. Pour Éluard, le poème d’amour
n’est ni un exercice de style ni un simple hommage amoureux ; il est une célébration du
rôle intercesseur de la Femme, cet être qui constitue pour le poète un lien entre le monde
et l’univers poétique : son inspiratrice.
Choqué par le massacre de Guernica en 1937, il prend position en faveur de
l’Espagne républicaine (« la Victoire de Guernica », Cours naturel, 1938), puis s’engage
dans la Résistance. Membre d’un réseau clandestin, animateur du Comité national des
écrivains (CNE), il fait de la poésie l’instrument d’un combat contre la barbarie en publiant
plusieurs ouvrages dans la clandestinité. Tout d’abord Poésie et Vérité (1942), qui
comprend le célèbre poème « Liberté », largué par les avions de la RAF en milliers de tracts
sur la France occupée. On peut aussi citer les Sept Poèmes d’amour en guerre (1943) et Au
rendez-vous allemand (1944). Après la guerre, il poursuit dans la voie de la poésie politique
procommuniste (Poèmes politiques, 1948).
Dans ces écrits politiques, comme dans les autres recueils poétiques de cette période
(Poésie ininterrompue I, 1946 ; Corps mémorable, 1947 ; Poésie ininterrompue II, posthume,
1953), Éluard continue à utiliser une écriture tout à la fois simple et empreinte
d’éblouissantes métaphores (« La terre est bleue comme une orange ») et à revendiquer
une philosophie où se marient humanisme et aspirations révolutionnaires.
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Écrit en collaboration avec André Breton et René Char.
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Écrit en collaboration avec André Breton.
Jouve : (1887-1976)
Contemporain de Saint-John Perse, Pierre-jean Jouve dut, comme lui, attendre les
années 40 pour trouver sa place exacte dans la poésie; mais là s'arrête leur ressemblance.
Jouve, en effet, après avoir subi des influences symbolistes et après avoir longuement
cherché sa voie originale, découve à quarante ans sa vocation prophétique. La guerre lui
est l'occasion de ressentir encore plus profondément l'accord de sa sensibilité avec la
dimension du drame : Mort et ressurection, les Chevaliers de l'Apocalyspe, le Christ et
l'Antéchrist, la Nuit obscure, de saint jean de la Croix, l'Amour et la Connaissance, tels
sont les thèmes et réalités dont la parolepoétique entreprend de peupler « L'Absence du
Monde ».
Oeuvres principales de Jouve : les Noces (1931), qui allient le lyrisme et la spiritualité ;
Sueur de sang (1935) ; la Vierge de Paris (1944), transfiguration mystique et visionnaire de
l'esprit de la Résistance. Dans la création jouvienne, où s'entremêlent l'amour et la faute, le
désir et la mort, la figure féminine est parfois élevée à la dimension du mythe. C'est le cas
dans Matière céleste (1937) et dans Kyrie (1938). Toujours plus voué à la solitude et à
l'expérience intérieure, Jouve publia ensuite Diadème (1949) ; Mélodrame (1957) ; Moires
(1962), dernier regard porté sur son enfance. En visant à transformer « la matière d'en bas
» en « matière d'en haut », à la manière de Novalis, de Nerval ou d'Hölderlin, il a élevé à la
dimension spirituelle les lieux et les êtres qu'il a connus. Il a également publié plusieurs
essais sur l'art, la littérature (Défense et illustration, 1943 ; Tombeau de Baudelaire, 1958) et
la musique (le Don Juan de Mozart, 1942).
Hélène
Poète français qui décrit dans son œuvre la grandeur et la misère de la destinée
humaine. fervent admirateur de Rimbaud, choisit d’être avant tout poète. En 1943, il fait
publier son recueil le plus important, les Rois mages. S’il est salué par Seghers et Aragon,
son itinéraire d’écrivain reste singulier. Au cœur de la poésie d’André Frénaud se trouve
une méditation pessimiste sur la condition humaine. Le poète offre en effet la vision d’un
monde dépourvu de sens et abandonné de Dieu, où l’Homme doit lutter, sans cesse
renvoyé à sa solitude et à l’énigme de sa destinée. Dans ce chaos indéchiffrable, seules les
possibilités ouvertes par le langage permettent une échappée, précaire mais précieuse,
vers l’absolu et vers la paix — ce que Frénaud appelle le « passage de la Visitation ». Le
poète traduit cette lutte en des termes brutaux, affectifs, trouvant un souffle épique dans
ses premiers recueils, une tonalité plus intime par la suite, mais manifestant toujours le
même souci de rigueur formelle. Parmi ses principaux recueils, outre les Rois mages, citons
Soleil irréductible (1946), Il n’y a pas de paradis (1962), la Sainte Face (1968), la Sorcière de Rome
(1973), Haeres (1982), Nul ne s’égare, la Vie comme elle tourne et par exemple, et Comme un
serpent remonte les rivières (1986 pour ces trois titres).
Ponge : (1899-1988)
Poète français, auteur du Parti pris des choses, qui dans sa poésie tenta d’abolir la
distance entre le mot et la chose qu’il désigne.
La publication, en 1942, du Parti pris des choses le révèle comme un écrivain de
grand talent. Ce recueil pose les principaux éléments de son projet poétique et le place dès
lors en marge : en marge de la poésie convulsive et de l’écriture automatique prônées
par les surréalistes, en marge aussi de la dimension épique d’un Saint-John Perse ou
encore de cette forme de sacré qu’on peut trouver chez René Char. Dans ce recueil, Ponge
choisit en effet d’être le poète du quotidien, du matériel, des objets et des choses («
l’Huître », « le Savon », « l’Orange », « la Cruche », « l'Appareil du téléphone »). Loin de
percevoir et de montrer le monde à travers sa subjectivité de poète, Ponge « prend le parti
des choses », et cherche ainsi à leur donner par les mots la possibilité d’une expression,
d’une existence.
Le poème, sorte d’équivalent neutre de l’objet, devient alors un véritable objet
littéraire, un « objeu ». Par une savante et complexe utilisation de l’étymologie, de la
graphie, des sons, des jeux de mots, des figures, la poésie de Ponge devient une sorte de
redoublement du réel, qui cherche à abolir la distinction entre le mot et la chose.
De retour à Paris après la guerre, Ponge se met à enseigner tout en poursuivant son
œuvre poétique (Proêmes, 1948 ; la Rage de l’expression, 1952 ; le Grand Recueil, 1961 ;
Nouveau Recueil, 1967). Il écrit également des essais qui éclairent sa pratique poétique :
Pour un Malherbe (1965), la Fabrique du pré (1971), Comment une figue de paroles et
pourquoi (1977).
En 1963, dans un « poème-art poétique » il définissait la fonction du poète dans le
sens d'une sorte de poésie de l'objectivité : A chaque instant- J'entends- Et, lorsque m'en est
donné le loisir- j'écoute-Le monde comme symphonie etc... » Il est clair, dès lors, que se
trouvent ainsi radicalement contestées la poétique, d'origine baudelairienne et
mallarméenne, d'un pouvoir créateur du langage, et, du même coup, l'hypothèse d'une
éventuelle rédemption poétique ou esthétique. Il y a là au contraire, une soumission
absolue de la poésie à l'objet, caractéristique d'un des grands courants de la littérature
contemporaine, et, en même temps, une définition de la poésie comme enregistrement
verbal d'existences pures qui n'est pas sans relation avec l'existentialisme. Aussi donne t-il
volontiers sa préférence, du point de vue technique, à la forme du poème en prose. Il
fabriquera le néologisme « Proèmes » qui servira de titre, à un recueil de 1948 : le mot
résulte de la contamination de « prose » et de « poème ». Il s'agit bien de la mise en jeu de
procédés objectifs d'enregistrement qui, d'ordinaire, relèvent de la prose; mais la poésie
n'en est pas moins présente, qui, en poussant l'objectivité du langage jusqu'à ses extrêmes
limites, dégage de l'objet toute sa charge poétique de mystère ou d'insolite.
Les textes poétiques de Prévert, composés en vers libres, restent longtemps non
publiés. Le recueil Paroles (1946) fait découvrir au grand public ces compositions au
langage et au merveilleux empruntés à la vie de tous les jours, où le rêve se mêle à
l’humour. C’est le succès. Nombre d’entre eux, sur la musique de Joseph Kosma,
deviendront des chansons très populaires interprétées par Juliette Gréco, Yves Montand
ou encore les Frères Jacques. « Les Feuilles mortes », chanson du film les Portes de la nuit,
est peut-être la plus célèbre d’entre elles.
Ayant pris ses distances avec les débats théoriques et directement politiques,
Prévert n’en reste pas moins le défenseur des pauvres et des opprimés, avec une
générosité sans faille. Son hostilité à toutes les forces d’oppression sociale se traduit dans
ses attaques pleines d’humour autant que de vigueur contre les hommes de pouvoir et les
institutions en général. Son sens de l’image insolite et sa gouaille populaire lui inspirent
une poésie sortie de sa tour d’ivoire, destinée à tous les publics et ancrée dans les
sentiments de la vie quotidienne. Elle invite le lecteur à se fier au pouvoir de la « parole »
pour accéder au bonheur, individuel et collectif. Histoires (1946), Spectacle (1951), la Pluie
et le Beau Temps (1955) sont autant de recueils où l’amour, la liberté, l’imagination sont
des thèmes récurrents. Il pratique aussi des collages (Fatras, 1966 ; Choses et autres, 1972 ;
Hebdromadaires, 1972), où le mot-valise joue un rôle essentiel. Il continue, à la fin de sa
vie, à se consacrer à son activité de parolier (Cinquante chansons Prévert-Kosma,
posthume, 1977). Il a également laissé des textes pour les enfants (Contes pour enfants pas
sages, posthume, 1977 ; Chanson pour chanter à tue-tête et à cloche-pied, posthume, 1985).
Jacques Prévert fut quelque peu lié avec les surréalistes; il en a surtout retenu, avec
une sensibilité souvent anarchisante, une attention systématique à tout ce qui, dans la
réalité la plus quotidienne recèle un ferment actif de liberté : les choses et les êtres parlent
un langage à la fois proche et inattendu. Il en retient aussi le naturel concerté de tout ce
qu'enferme de charme hétéroclite l'enregistrement verbal des choses, des êtres et des gens.
Etude sur le recueil « Paroles » :
PROSE OU POÉSIE ?
Prévert a répété que Paroles est un anagramme de « la prose ». De rares textes sont en
prose, entièrement (« Souvenirs de famille »), ou partiellement (« Tentative de description
d’un dîner de têtes à Paris-France ») ; il y a une brève scène dialoguée (« l’Accent grave »).
Mais en général, Prévert écrit en vers blancs, joue sur la typographie et n’emploie pas de
mètre rythmique régulier. Mais le travail poétique est présent, sous la forme de multiples
recherches sonores qui donnent à l’œuvre un caractère humoristique et ludique.
L’humour est parfois noir, surtout dans des textes tournant en dérision certains clichés
sociaux (« Dîner de têtes », « Souvenirs de famille », « Familiale »). Prévert, non sans
provocation, fait éclater son anticléricalisme et son antimilitarisme. Le recueil laisse
transparaître quelques allusions à la situation historique contemporaine (« la Crosse en
l’air », « Barbara »), se moque de héros nationaux (Louis XIV, Napoléon), mais prend vite
une portée plus générale pour dénoncer les horreurs de la guerre, les entraves à la liberté
individuelle ou exprimer la douleur de la condition humaine dans des poèmes d’une
concision parfois saisissante évoquant la souffrance humaine (« le Message »).
Poème « Le cancre » :
Tardieu : (1903-1995)
Originaire d'une famille d'artistes, Tardieu commença par publier des poèmes
(Accents, 1939 ; le Témoin invisible, 1943), mais son œuvre ne parvint à s'imposer
qu'après-guerre. En 1946, il prit en main le désormais prestigieux Club d'essai de la
Radiodiffusion française, alors que ses recueils de poésie renforçaient sa réputation
d'auteur tantôt secret et profond (Jours pétrifiés, 1948 ; Une voix sans personne, 1954),
tantôt burlesque et virtuose (Monsieur, Monsieur, 1951). Son théâtre, qui est avant tout
une réflexion sur le langage (Un mot pour un autre, 1951 ; les Amants du métro, 1952 ;
Théâtre de chambre, 1955 ; Poèmes à jouer, 1960 ; Conversation-sinfonietta, 1962), lui valut
d'être reconnu comme un des maîtres de la dramaturgie contemporaine.
Queneau : (1903-1976)
Dès ses premiers textes, s’affranchissant totalement des principes surréalistes comme de
tout autre courant littéraire, l’œuvre de Queneau va se constituer autour de deux principes
fondateurs : le rôle primordial accordé à la construction, d’une part, et, d’autre part,
l’attention particulière portée au langage, considéré non plus comme un vecteur
sémantique mais, au contraire, comme un outil quasi scientifique qu’il s’agit d’explorer.
De fait, le Chiendent (1933), son premier roman publié, obéit à des contraintes formelles et
à des règles élaborées de composition symboliques, chiffrées ou rythmiques : ainsi la
structure du livre, établie selon un plan rigoureusement fixé au préalable, et la division en
chapitres, commandée par le chiffre « sept », « image numérique » de l’auteur dont les
deux noms « Raymond » et « Queneau » sont composés chacun de sept lettres ; ainsi
encore la parfaite circularité du récit, qui se termine sur la phrase par laquelle il a
commencé. Frappé en outre par la distorsion croissante entre langage parlé et langage
écrit, Queneau inaugure avec le Chiendent ce qui deviendra une constante de son
écriture : la « mise en style » du langage parlé, créant alors d’heureuses trouvailles
phonétiques, orthographiques, lexicales. Né du projet de traduire en français parlé le
Discours de la méthode, de Descartes — projet dont, au final, il ne reste que peu de chose
—, cet ouvrage est également profondément imprégné de la philosophie d’Hegel, revue
par Alexandre Kojève qui a été le professeur de l’auteur, et comporte aussi dans un de ses
chapitres un petit résumé du Parménide de Platon. Mais la matière philosophique du
roman ne saurait en aucun cas être explicite ; elle se trouve au contraire mêlée à la matière
narrative sur un mode ludique, voire parodique, si l’on donne à ce terme son sens de mise
à distance critique. Dans ce roman enfin, phare incontournable dans l’évolution du roman
français, Queneau évoque la plupart des thèmes qui seront orchestrés dans l’œuvre à venir
: prédilection pour la banlieue parisienne, hantise de la guerre, mise en scène de gens
ordinaires d’un milieu populaire.
À la suite du Chiendent, Queneau publie les romans Gueule de pierre (1933), les
Derniers jours (1936), Odile (1937) et le « roman en vers » Chêne et Chien (1937) à la
dimension autobiographique codée (« chêne » et « chien » sont deux racines probables du
nom de Queneau). Usant d’un langage volontairement banal qui met à nu une dimension
quasi biologique, Queneau tisse une poésie du quotidien, évoquant des souvenirs
d’enfance et de jeunesse, rapportant l’expérience d’une psychanalyse et racontant une fête
de village. Parallèlement, depuis 1929, l’auteur travaille à la rédaction d’une encyclopédie
des « fous littéraires » qui, ne trouvant pas d’éditeur, donnera naissance à un nouveau
roman, les Enfants du limon, en 1938.
René Char :
L’EXPÉRIENCE SURRÉALISTE
LA RÉSISTANCE
LE TEMPS DE LA MATURITÉ
Après la Libération, il renonce à toute carrière politique et fait paraître deux recueils
qui établissent définitivement sa renommée, Seuls demeurent (1945) et le Poème pulvérisé
(1947), bientôt réunis dans Fureur et Mystère (1948). Entre-temps paraissent les Feuillets
d'Hypnos (1946), un carnet d'aphorismes, de réflexions et d'extraits de lettres, fruit de son
engagement pendant la guerre. Ami d'Albert Camus, de Georges Braque, il publie alors
quelques-uns de ses plus beaux recueils : les Matinaux (1950), Recherche de la base et du
sommet (1955), la Parole en archipel, (1962), le Nu perdu (1971), Aromates chasseurs
(1976). En 1965, il s’engage encore en organisant une campagne de manifestations contre
l'implantation en Haute-Provence d'une base de lancement de fusées atomiques. En 1978,
il s'installe définitivement non loin de l'Isle-sur-la-Sorgue, dans sa maison des Busclats, où
il vit jusqu’à sa mort.
René Char a tenté des expériences dans les autres domaines artistiques. Les poèmes
dialogués de Trois coups sur les arbres (1967) relèvent du théâtre ou de l’argument de
ballet. En 1947, l’auteur tente de faire réaliser un film à partir de Soleil des eaux (1946). En
1952, Roger Planchon monte Claire, une pièce en dix tableaux, adaptée à la radio en 1955.
Le poète est sensible également à la peinture. La figure de Georges de La Tour traverse
l’œuvre entière. L’itinéraire de Van Gogh, auquel il a consacré Voisinages de Van Gogh
(1985), le fascine également. Il signe des textes de présentations d’expositions, rassemblés
dans Recherches de la base et du sommet (1955). Dans un mouvement inverse, de
nombreux peintres illustrent ses recueils, notamment Dalí, Kandinsky, Miró, Matisse,
Picasso, Giacometti, Nicolas de Staël, Braque. La Nuit talismatique, publié en 1972 dans la
collection « les Sentiers de la création » mêlant texte et illustrations, évoque les années
1955-1958 où il fait lui-même l’expérience du dessin, de la gravure et de la peinture sur
galets ou écorces de bouleau séchées. Pierre Boulez compose trois cantates sur trois de ses
recueils : le Soleil des eaux (1948), le Visage nuptial (1951) et le Marteau sans maître (1956).
Conclusion :