La Voie Du Bonheur

Robert Kientz
satipahna
la voie du bonheur
dhammadna
dhammadna
Satipahna la voie du bonheur
2
3
Robert Kientz
satipahna
la voie du bonheur
dhammadna
4
5
ma femme, avec toute ma gratitude,
mon admiration et mon amour.
6
dition dorigine : 1979 (ditions du Rocher)
dition prsente : 15 novembre 2006, version 1
Maquette et mise en forme : Moine Dhamma Smi
Saisie du texte : Mme Marinette Salom Kandakoff
Les droits de ce livre sont dfinis par la licence Creative Commons
Paternit Pas d'Utilisation Commerciale Partage des Conditions
Initiales l'Identique 2.0
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/
Ce livre est disponible sur Internet : http://dhammadana.org/livres.htm
7
Introduction
Il y aura bientt trente ans que jài eu la bonne fortune de connatre
Iènseignement du satipahna. J`tais atteint, l`poque, dùne maladie
nerveuse soi-disant incurable qui me causait de vritables tortures.
En apprenant que la mthode de satipahna constituait la seule et
unique voie menant la libration de la souffrance, et quèlle tait
ouverte tout homme qui dsirait ardemment lùtiliser, je fus, bien sr,
intress. Quoique sceptique quant la vracit de ce quèlle avanait, je
fus impatient de commencer la pratiquer.
Nanmoins, lorsquòn me dcrivit la mthode de travail, je fus
extrmement du, et je la rejetai aussitt. J`tais incapable de la
prendre au srieux. Elle tait si simple ! Sa simplicit mme me
convainquit quòn ne pouvait retirer aucun avantage pratiquer ce
genre dèntranement - certainement pas la cessation de la souffrance.
Je ne savais rien du couple simplicit-sagesse.
Aussi trange que cela puisse paratre, en dpit du fait que je jugeai la
technique de travail de lèntranement satipahna sans valeur,
enfantine et absurde, je me sentis pourtant pouss commencer sa
pratique. Par simple curiosit, peut- tre. Et, mon grand tonnement,
jènregistrai des rsultats immdiats - des rsultats rels et durables. Je
fus stupfait ! Inutile de dire que làttitude ngative et le scepticisme
dont jàvais dàbord fait preuve s`vanouirent. Ils taient mal fonds et
laissrent place lèspoir et au courage. Jàvais, enfin, trouv la voie qui
allait me permettre de sortir dùne situation dsespre.
mesure que les jours passrent, lèsprit et le corps sàmliorrent, se
modifirent, pour retrouver enfin la fonction harmonieuse quìls avaient
depuis longtemps perdue. Le rsultat fut une vie nouvelle de joie, de
bonheur et de paix, insouponne jusquàlors. Finalement, au cours de
mes annes de pratique, je dcouvris avec surprise, comme bien dàutres
avant moi ont d le dcouvrir, que satipahna reprsentait le systme
le plus rvolutionnaire et le plus efficace parmi tous les systmes connus
dèntranement de lèsprit. satipahna constitue, sans aucun doute, une
voie suprieure menant la matrise du malheur et de la misre,
I`limination de la douleur et de la peine, lànnihilation de lìgnorance,
et enfin lòbtention du Bonheur Suprme, ici et maintenant, dans cette
vie prsente. Une telle ralisation nèst-elle pas ce que toute personne
qui raisonne sainement l`heure actuelle recherche, et quìl est si
difficile de trouver ?
8
strictement parler, satipahna est la voix de la Perfection, une ralit
et non un rve utopique. Vous tes peut-tre sceptiques. Les rsultats
mentionns semblent peut-tre exagrs, mais je suis en mesure de
tmoigner quìls sont vrais, tous les gards. En fait il est quasiment
impossible d`valuer dans quelle mesure exacte la pratique de
satipahna transforme le caractre, le comportement et làpparence
dùne personne. Elle provoque une profonde volution spirituelle qui
commence, comme pour le voyage aux mille kilomtres, au point le plus
proche de nous - dans notre propre esprit. Cèst l prcisment, dans le
sombre territoire inconnu de lèsprit, que se trouvent le sentier et le but
de la tentative la plus haute quìl soit. Il nèst jamais trop tard pour
commencer dvelopper la lueur directrice de la comprhension, et de
la suivre, pour merger triomphant dans un futur plus clatant et plus
heureux.
satipahna nèst pas nouveau. En ralit sa pratique est aussi vieille
que le monde. Il y a toujours eu des hommes qui ont cherch
comprendre eux- mmes et le monde dans lequel ils vivaient et
satipahna a t la mthode quìls ont employe - quoique sous un
nom diffrent. Le Bouddha là redcouvert et là enseign en Inde, il y a
deux mille cinq cents ans. Cela ne veuille pas dire bien sr, quìl faille
ncessairement devenir bouddhiste pour entreprendre lèntranement
satipahna.
satipahna nèst pas une religion au sens o on entend ce mot en
Occident. satipahna, ou la pratique de la prsence de lèsprit, est
essentiellement un mode de vie, une mthode pratique dont
Iàpplication est aussi valable aujourd`hui quèlle l`tait jadis.
strictement parler, satipahna constitue une certaine faon de vivre
notre vie quotidienne destine mettre un terme au mal, faire ce qui
est bon et juste, et purifier lèsprit de ses impurets manifestes et
latentes. Cèst un auto-traitement psychophysiologique sain que chacun
dèntre nous doit ventuellement effectuer sìl sèst fix comme objectif
dans lèxistence de s`manciper des tnbres de lìgnorance, et de
s`lever vers la lumire de la comprhension, la sagesse des anciens.
satipahna est lòrdre du jour !
La socit actuelle, de plus en plus mcanise avec son rythme acclr,
ses rivalits, ses comptitions, son gosme toujours croissant nous
soumet malgr nous, un tat perptuel de tension mentale,
motionnelle et physique.
9
Chez la plupart dèntre nous l`nergie vitale qui assure la sant et le
bien- tre, s`puise dùn manire catastrophique qui entrane
invitablement une dvitalisation du systme nerveux perturbant
I`quilibre des mcanismes internes de lèsprit.
Il nèst pas ncessaire de s`tendre sur les terribles ravages
psychosomatiques que provoquent la disharmonie de lèsprit et du corps,
car nous ne les connaissons que trop bien.
`homme dàujourd`hui se demande : Que puis-je faire pour chapper
ce flau moderne, cette dcadence qui svit actuellement un peu
partout dans le monde ? Existe-t-il un moyen autre que la drogue, les
somnifres, les tranquillisants, làlcool, qui faute de mieux soulagent les
symptmes mais laissent la source profonde de problme intacte ? Puis-
je devenir une personne relle et saine, capable dàimer ?
satipahna rpond oui.
èxprience dmontre sans aucun doute que le gaspillage strile de
I`nergie vitale est d en grande partie làbus de làctivit crbrale.
èxcs de penser qui nous amne tout juger et analyser, rver et
imaginer, toute cette agitation mentale incessante est un tat dsastreux.
Il est dàutant plus dangereux quìl est inconscient. Cette disharmonie a
atteint notre poque une phase aigu, et cèst prcisment elle quìl
convient dàbord de porter remde.
Il suffit de commencer vivre selon le premier principe de satipahna
pour se rendre compte immdiatement quìl sàgit l de làntidote par
excellence contre le mal du sicle.
une poque comme la ntre, o se manifeste une telle tendance
manipuler la pense et le comportement des gens par des mots et des
images, satipahna est dùne importance capitale.
satipahna est un message dèspoir pour notre monde gravement
malade, car il prouve que nous sommes tous perfectibles. Il est la
porte de tous, jeunes ou vieux, croyants ou athes.
Rveillez-vous ! Commencez ds aujourd`hui. Demain, il sera peut-tre
trop tard.
Robert Kientz
10
11
Prface
Par le Vnrable Mahs Saydaw,
Bhadanta Sobhana Mahthera,
Ssan dhaja siri pavara Dhammacariya,
Agga Mah Pandita, Chattha Sangiti Pucchaka.
Sur la recommandation du Vnrable Nyanaponika Mahthera, le
clbre auteur de lòuvrage The Heart of Buddhist Meditation (Le cur
de la mditation bouddhiste), M. Robert Kientz a t admis, en 1962,
notre Centre de Mditation Mahs Ssan Yeikth. Dàbord en tant que
laque, puis plus tard en tant que moine, il a pass chez nous sept mois
ininterrompus. Il a suivi avec succs le cours complet dèntranement
la Mditation satipahna vipassan, et nous le considrons comme lùn
de nos meilleurs lves venus de l`tranger.
Cèst avec beaucoup de joie que nous avons lu le manuscrit du livre quìl
se propose de publier, car cet ouvrage traite non seulement des
expriences quìl a personnellement vcues au cours de son
entranement mais aussi des caractristiques fondamentales du
Bouddhisme. Nous pensons que son livre peut permettre au lecteur
dàpprcier avec justesse lìmportance et la valeur de la formation
religieuse bouddhique, en gnral, et de la Mditation satipahna
vipassan en particulier.
Nous recommandons ce livre tous ceux qui sont en qute du Bonheur,
de la Paix et de la Vrit.
Mahs Saydaw
Mahs Ssan Yeiktha
16, Ssan Yeiktha Road
Yangon, Birmanie
12
13
Attestation
Par le Vnrable Mahthera,
Agga Mah Pandita, Mahs Saydaw.
Jàtteste que M. Robert Kientz a suivi, sous ma direction personnelle, le
cours complet dèntranement la Mditation satipahna vipassan,
au Centre de Mditation Mahs Ssan Yeikth de Yangon (Birmanie)
Non seulement est-il all jusquàu bout de la priode de pratique
prescrite, avec des rsultats digne d`loges, mais encore a-t-il reu la
formation qui làutorise enseigner la mthode pratique de Mditation
satipahna vipassan.
Mahs Saydaw
14
15
NAMO BUDDHASA...
Hommage au Tout-veilll
Chapitre premier
AIDE-TOI TOI-MME...
Apprendre se connatre Soi-mme,
Par la Vision Intrieure,
Est bien plus utile et important
Que de connatre toutes les sciences.
Un moment de Vision Intrieure suffit
Pour quùn HOMME soit n sur cette terre
Rflexion dune lve satipahna
Pour parcourir mille lis,
Il faut commencer par
Faire le premier pas
Proverbe chinois
Cèst en forgeant
Quòn devient forgeron
Proverbe alsacien
16
òpration de la colonne vertbrale dont jàvais besoin ne russissait
pas toujours. Cèst ce que me dit le chirurgien, et je mìmaginais aussitt
clou dans un fauteuil roulant, inutile et misrable, jusqu` la fin de mes
jours. Je ne pouvais pourtant pas continuer encore longtemps comme a,
pas avec cette douleur qui me tenaillait. Il fallait que je prenne une
dcision. Je ne voulais pas penser làvenir.
Sans que rien ne le laisst prvoir, tous les muscles situs le long de ma
colonne vertbrale, de la nuque au bas de l`pine dorsale, se tendaient et
devenaient aussi durs que le roc. La douleur tait insupportable. J`tais
oblig de rester immobile, impuissant, en attendant que le spasme
disparaisse. Chaque spasme, quoique bref, semblait durer une ternit.
Je n`tais plus capable de conduire ou de sortir seul de chez moi. Il
fallait que quelquùn màccompagne.
J`tais atteint dùne maladie nerveuse qui empirait avec les annes. Les
divers traitements que jàvais essays ne laissaient entrevoir aucun
espoir de gurison. Les attaques devenaient plus violentes et plus
frquentes. Aprs les attaques, la douleur subsistait. J`tais affect de
tremblements, je ressentais une immense fatigue, jàvais perdu
compltement làpptit. Seule, la prire aidait soulager le dsespoir et
le dcouragement profonds qui s`taient empars de moi.
Puis une amie màppela au tlphone ; Il y a en ville un moine
bouddhiste qui donne une confrence sur la souffrance et le moyen de
faire cesser la souffrance. me dit-elle. Jài pens qu`tant donn votre
tat, cela vous intresserait dàller l`couter. Je passe tout de suite vous
prendre avec ma voiture. Tchez d`tre prt. Elle raccrocha.
Jàllais la remercier de màvoir appel et refuser poliment, mais elle ne
mèn laissa pas le temps. Sa manire brusque màvait contrari. En outre
17
Iìde mme dàssister une confrence donne par un moine
bouddhiste me faisait un peu peur. J`tais catholique et incapable de
prendre en considration une religion autre que la mienne, le
Bouddhisme moins que tout autre. Mais mon amie arrivait, dbordante
de jeunesse, de joie de vivre et dòptimisme, belle et lgante, comme
toujours : plaisant contraste avec ma morne existence. Ma rsistance
fondit et je me disposai sortir.
Nous arrivmes tt mais nous emes, nanmoins, de la difficult
trouver deux places cte cte tant làssistance tait nombreuse. Le
moine bouddhiste sàvana sur la scne, et je fus impressionn par
I`harmonie de ses mouvements. Il se tint immobile quelques instants,
face au public, sans dire un mot. Il joignit ses mains aux longs doigts,
comme pour prier, et ferma les yeux. Puis il laissa tomber ses mains,
rouvrit les yeux et dit : Le sujet de la confrence de ce soir est la
douleur et le moyen de faire cesser la douleur. Il sourit. Bien quìl
parlt de la douleur, son visage gardait une expression enjoue. Il
sèxprimait distinctement et avec lenteur, sa voix tait vibrante et grave.
Dans sa longue robe safran, il paraissait plus grand quìl n`tait en
ralit. L`clat brillant de ses grands yeux noisette faisait ressortir la
teinte cuivre de sa figure. Sa tte rase rvlait le haut de son crne qui
ressemblait une calotte.
Pour la premire fois de ma vie, j`coutai exposer les fondements de la
doctrine bouddhiste : comment renoncer au mal, comment pratiquer le
bien, comment purifier lèsprit. Ainsi je pouvais me librer de mes
souffrances et de mes peines, je pouvais connatre le vrai bonheur et la
vraie paix ici-bas et dans làu-del.
Le moine expliqua les lois qui rgissent lùnivers telles que le Bouddha
les a enseignes. Une action entrane une raction. Tout effet a une
cause. Ceci sàpplique non seulement au domaine des causes physiques,
comment le dmontrent nos savants aujourd`hui, mais aussi au domaine
de la morale. Chacun de nous est responsable de ce qui lui arrive. Nos
actes - kamma en pali ; Karma en sanscrit - dclenchent des rsultats.
Nous naissons riches ou pauvres, beaux ou laids, et ce, en raison de nos
actions passes. Il nèxiste pas de lgislateur divin qui juge de nos
actions ou qui dcide des rcompenses et des punitions. Le Bouddha nà
pas propos de thorie philosophique. Il sàgit dùne loi naturelle.
Chacun peut en vrifier le bien-fond par lui-mme.
18
Le Bouddha a expliqu que notre souffrance rsulte dàctions passes
errones, ou, plus exactement, nuisibles. Ces actions ont pu tre dòrdre
mental, verbal ou physique. Chaque homme ou chaque femme est le
propre artisan de sa souffrance. Chacun de nous est li par le rsultat de
ses actes et en subit ventuellement les consquences, plaisantes ou
dplaisantes, dans cette vie ou dans une autre.
Le corps humain dtient tous les lments qui sont lòrigine de notre
souffrance. Dans le corps humain se trouve aussi la solution de notre
problme. Cèst ici que se cache le monde de la souffrance, dans notre
corps. Si nous faisons usage de notre libre arbitre en choisissant des
actions bonnes, justes, et en vitant des actions mauvaises, nous
pouvons mettre un terme notre souffrance. Notre plus grand ennemi
est lìgnorance, lìgnorance qui reste inaccessible lìntellect puisque le
mental fonctionne sous lìnfluence de cette ignorance.
Le Bouddha a enseign comment par la mditation nous pouvons sortir
de notre ignorance. La mditation bouddhique est un entranement
systmatique de lèsprit qui mne la purification de celui-ci. Cette
mthode rvle par le Bouddha il y a quelque 2 500 ans est toujours
enseigne dans certains centres dÒrient.
Le moine conclut son expos en spcifiant quìl nous avait indiqu
quelques uns des jalons marquant la voie vers le bonheur et vers la paix,
mais que nous ne devions pas confondre jalons et destination.
Puissiez-vous tous vivre dans le bonheur et dans la paix ! , dit-il.
J`tais mdus. Je nàvais de ma vie entendu quelque chose dàussi
encourageant. Le Bouddha n`tait pas une sorte dÈntit vivant l-haut
dans les cieux. On ne me demandait pas de croire ou dàvoir foi en lui.
Le moine nàvait mme pas parl de prier le Bouddha. On me disait de
ne dpendre que de moi-mme. Le Bouddha avait montr la voie, mais il
ne pouvait pas faire le travail ma place.
La mditation bouddhique, la mditation bouddhique, il fallait que jèn
sache davantage sur la mditation bouddhique. Je sentais que la
solution mon problme se trouvait l. La loi universelle de cause effet
fut pour moi une rvlation. La loi universelle de cause effet fut pour
moi une rvlation. L`lment de justice que cette loi impliquait me
redonna espoir. Je tenais dans mes mains la possibilit dùne existence
nouvelle et dùn nouvel avenir. Tout dpendait de moi. On ne peut
attendre de Dieu quìl garde les chevaux dans le pr lorsque la barrire
19
est brise , disait un vieux paysan alsacien qui rparait la barrire de
son champ au prtre qui passait par l.
Avec lenteur, je me levai pniblement de mon sige pour aller saluer le
moine. Je lui parlai de ma souffrance. Il m`couta avec attention puis il
me suggra de commencer aussitt la pratique de la mditation. Sans
que jài eu le lui demander, il me dcrivit les premiers pas suivre : je
devrai me lever làube, tous les matins, màsseoir sur une chaise face
Ièst, le plus confortablement possible. Ensuite, je devrai diriger mon
attention sur la pointe de mon nez en observant le va-et-vient de làir
dans mes narines. Je ne devrai pas perturber le rythme naturel de la
respiration du corps. La respiration tait simplement lòbjet de ma
concentration. Compter mes respirations pouvait màider si làttention
se relchait.
C`tait tout.
Je nèn crus pas mes oreilles. Parlait-il srieusement ? Je lui demandai
de rpter ses instructions. Il mìndiqua la mme procdure. Comment
cela tait-il possible ? Pensai-je. Jàvais toujours cru que la mditation
tait quelque chose de spirituel, de religieux. Se concentrer sur la
respiration la pointe de son nez nàvait vraiment rien de spirituel.
Comment un exercice aussi enfantin pouvait-il entraner la cessation de
la douleur ? J`tais extrmement du. Tout le bel enthousiasme que
jàvais ressenti au cours de lèxpos s`vanouit. Je fis semblant dàvoir
compris les instructions, je remerciai le moine et je partis ? Chez moi, la
nuit, je me sentis plus dprim et plus dcourag que jamais.
Le lendemain matin, mon grand tonnement, je m`veillai làube ! Je
nàvais jamais t un lve-tt mme avant de tomber malade. Malgr la
douleur dans mon dos, je sortis du lit, me demandant bien ce qui me
faisait agir ainsi. Jìnstallai des oreillers moelleux dans un fauteuil
confortable et je màssis face lèst. Je fermai les yeux et me concentrai
sur la respiration la pointe de mon nez. J`tais convaincu quìl ne
sortirait rien de tout cela.
Je sentis distinctement sur les muqueuses làir frais du matin qui
pntrait dans mes narines... dehors... dedans... dehors... Je màperus
soudain que je dormais veill. Beaucoup de temps s`tait coul. un
moment donn mes penses vagabondes s`taient empares de mon
esprit. Jàvais compltement oubli ce que j`tais en train de faire. Je me
rappelais clairement les trois ou quatre premires respirations, mais
20
partir de l, j`tais rest longtemps tout fait inconscient. Je ne gardais
aucun souvenir du temps qui s`tait pass. Est-ce que jàvais dormi ?
Non, de cela j`tais sr. C`tait vraiment trange.
Incroyable. Jàvais toujours cru que c`tait moi qui dirigeais mes penses
lorsque j`tais veill. Je dcouvris pourtant quèlles surgissaient dans
mon esprit de leur propre chef, contre ma volont mme, comme des
rves pendant mon sommeil. Je dcidai dèssayer de nouveau. Cette fois,
je ne me laisserai pas distraire de la pointe de mon nez. Je voulais tre
pleinement conscient de la respiration. Malgr ma ferme rsolution, je
voguai encore dans un ocan de penses. J`tais abasourdi. Je consultai
ma montre : 4 h 15. J`tais assis depuis quinze minutes. La douleur dans
mon dos tait lancinante et je dus me recoucherJe ne russis pas
trouver le sommeil. Je pensai au moine et je fus honteux du jugement
irrvrencieux que jàvais port sur lui la nuit dernire. Ses directives
n`taient pas aussi faciles suivre que je làurai cru. Je nàvais aucun
contrle sur mon esprit agit. Je nèn nàvais pas eu conscience jusqu`
ce jour. Le souvenir dùn homme que je connaissais et qui tait afflig
dùn tic nerveux, incontrlable de la tte, me revint en mmoire. C`tait
un horrible spectacle. Je ralisai alors quèn ce qui concernait mes
penses, une absence de contrle comparable la sienne existait dans
mon esprit. Cèst peut-tre lorsque le mental chappe notre contrle
que la folie se manifeste. Je crois que cèst cette pense dsagrable qui
màiguillonna. En tout cas, le lendemain matin, j`tais nouveau dans
mon fauteuil. Et le matin suivant. Ainsi pendant une semaine environ,
jusqu` ce que jènregistre quelque progrs sensible.
Au dbut de la deuxime semaine de pratique, je russis me concentrer
sur la respiration suffisamment longtemps avant que des penses ne
viennent me perturber. Lorsquèlles se manifestaient, elles n`taient plus
capables de crer en moi un tat dìnconscience. la place làttention
dtectait instantanment les envahisseuses. Je me concentrai sur la
respiration, et le processus involontaire de la pense cessait. La pense
est un obstacle majeur quìl convient d`liminer. Lorsquòn pratique la
mditation, làpaisement mental est videmment une mesure vitale. Un
mental agit nèst pas capable de percevoir clairement.
Jàppris quìl n`tait pas possible d`tre conscient de deux choses en
mme temps. La conscience dpend de làttention. Làttention est
dirige sur un objet. Attention plus objet gale conscience. Si je perdais
conscience de ma respiration cèst que làttention tait relche. Ce qui
se produisit frquemment au cours de la premire semaine. Ds que
21
Iàttention faiblissait, les penses sèmparaient de lèsprit. Si je nèn
prenais pas conscience, les penses investissaient la place sans que je
puisse les contrler, brlant pour rien la prcieuse nergie psychique, et
tt ou tard le corps payait la dette. Lìmpuissance contrler le mental
est donc mortelle. Elle va toujours de pair avec un dveloppement
insuffisant de làttention. Plus on laisse la bride au mental, plus
Iàttention est faible. Cèst un cercle vicieux. ceux qui ont il sera
donn, mais ceux qui nònt pas, il sera t jusqu` la moindre chose
quìls possdent. (J. C). Le Dura lex, sed lex, des Anciens a toujours
cours.
`nergie est une chose prcieuse. Il faut soigneusement lùtiliser, et on
ne doit pas la gaspiller. Comme là dit le Bouddha : L`nergie est le
chemin qui mne au Royaume de la Vie ; lòisivet et lìndolence le
sombre chemin qui mne au Royaume de la mort. Je compris que tout
dpendait du dveloppement de ma facult dàttention. Pour le moment
la mienne tait encore bien faible. Jàvais dcouvert, nanmoins, que
son dveloppement tait fonction du temps de pratique que je voulais
bien lui consacrer. J`tais fascin !
Je pris la ferme rsolution de màsseoir dans mon fauteuil trois fois par
jour : le matin làube, en fin de matine, et dans la soire. La dure de
chaque sance dpendait de ma capacit me concentrer. Celle-ci variait
dùn jour làutre. Je pratiquais ainsi quelques semaines. Je progressais
lentement mais srement, et jèn tirais plus de courage, de patience, de
persvrance.
la fin de la quatrime semaine, je commenai pratiquer la mthode
du comptage que le moine bouddhiste màvait dcrite. Comme pour les
prcdents exercices, je me concentrai sur la respiration la pointe du
nez. Lorsque làir entrait dans mes narines, je comptais mentalement
un , lorsquìl sortait deux , lorsquìl entrait, trois , - et ainsi
jusqu` dix , considr comme un compte rond. Cette mthode
permettait de vrifier si l`tat de conscience avait t perdu en cours de
route. Si dix , par exemple, correspondait une inspiration au lieu
dùne expiration, cela voulait dire que lòn avait manqu un chiffre
quelque part. Ce fut difficile au dbut, de ne pas en sauter un. Pourtant
avec de la pratique, je russis effectuer plusieurs tours dàffile, sans
en manquer un seul. Je constatai quìl tait plus facile dèndiguer le flot
des penses en comptant les respirations, car ainsi lèsprit pouvait
mieux se concentrer.
22
Mes amis furent stupfaits du changement remarquable qui s`tait fait
en moi au cours des premires semaines. Jàpprciais ma nourriture et
je retrouvais làpptit. Je me sentais plus solide ; je reprenais du poids ;
j`tais moins tendu nerveusement et, de faon gnrale, j`tais plus
satisfait de mon sort. Je dormais dùn sommeil profond toute la nuit
sans avoir ces horribles cauchemars qui, dòrdinaire, me rveillaient en
pleine nuit, le corps couvert de transpiration et tremblant dàngoisse.
Les violents battements de cour, les vertiges et les tremblements de mes
membres avaient disparu. Ma colonne vertbrale s`tait
considrablement redresse. Mes mouvements taient plus dtendus et
je me sentais dans lènsemble moins surmen. Mon dos me faisait
encore souffrir mais j`tais mieux arm pour le supporter sans trop
mìrriter. Vers la fin des premires semaines, les horribles attaques
spasmodiques cessrent.
Je me surpris souvent, dans la journe, màpitoyer sur mon sort.
C`tait une habitude que jàvais contracte au cours des annes, bien loin
de souponner les consquences catastrophiques que celle- ci pouvait
avoir sur lèsprit et sur le corps. prsent ce processus mental
dangereux cessait lìnstant mme o il se manifestait lèsprit. Le seul
fait de prendre conscience de mon apitoiement l`liminait. Làttention se
comportait en vritable gardien de lèsprit en làidant tenir distance
les activits mentales empoisonnes. Jàvais pleinement conscience de la
valeur de cette prcieuse facult de làttention. Làttention ou prsence
dèsprit est un pouvoir mental qui vaut la peine d`tre cultiv. Sans elle,
Ièsprit reste incapable de se librer des mcanismes nfastes qui
Ièmpchent de fonctionner correctement.
23
Chapitre II
RCOMPENSE
Le conjugium Solis et Lunae
Est la lampe de ton corps.
Lorsque la lampe est allume,
Ton corps tout entier
Est dans la lumire.
auteur
Parvenir au calme lumineux,
Tel est lèspoir du sage.
Lao-Tzu
Toutes choses sont prcdes par lèsprit,
Cres par lèsprit et domines par lèsprit.
Si avec un esprit impur, on parle ou on agit,
La misre et la souffrance sont invitables.
Si avec un esprit pur, on parle ou on agit,
La joie et le bonheur nous accompagnent partout.
Le Dhammapada
24
Je constatai, avec surprise, que je pouvais màstreindre rgulirement
une discipline qui tait loin d`tre facile. Jàvais mon crdit plus de
cent heures de mditation. Jàvais conscience de ne pas perdre mon
temps. Le profit que je retirais de mon assiduit au travail tait vident,
et je regrettais un peu de ne pas avoir connu plus tt la mditation. Bien
sr, certains matins jèus les plus grandes difficults me sortir du lit
une heure aussi matinale - surtout avec ce dos qui me torturait. Bien
des fois, jèusse prfr rester couch. Heureusement, jàppris trs vite
matriser cette tentation. Dans lìncapacit de le faire, jàurais succomb
depuis longtemps. l`poque, je ne mèxpliquais pas ce qui se passait,
mais chaque fois que la tentation de rester au lit devenait trop forte je
Iòbservais simplement comme jòbservais la respiration la pointe du
nez. mon grand plaisir je constatai que la force de cette tentation
s`vanouissait. Je pus me lever sans difficult.
Un matin quelque chose de tout fait imprvu se produisit. J`tais assis
les yeux ferms, concentr sur ma respiration, comme d`habitude. Je vis
alors devant moi une petite lueur blanche, ronde et brillante. Elle se
dplaait rapidement dans ma direction. mesure quèlle se rapprochait
de moi, elle augmentait de volume. J`tais convaincu que cette norme
boule de lumire existait objectivement. Jèus peur quèlle ne me
renverst de mon sige et jòuvris aussitt les yeux. mon grand
tonnement, je ne vis de lumire nulle part. Le soleil n`tait pas encore
lev. Dehors, c`tait la nuit.
J`tais dsorient. Je nàrrivais pas comprendre ce qui s`tait pass.
Cette lumire brillante, dò venait-elle ? Je ne làvais pas imagine, jèn
tais sr. Au moment mme o jàvais pris conscience de son existence,
j`tais compltement rveill, concentr sur ma respiration.
Le phnomne ne s`tait pas produit dans un moment dìnconscience,
I`tat de transe tait donc exclu. Je ne trouvai pas dèxplication
satisfaisante. Je tchai dòublier la lumire et je me rassis. Il me fut
difficile de fixer mon attention sur la respiration. Des penses du
phnomne lumineux se succdaient rapidement, agitant mon esprit.
Jàbandonnai au bout dùn moment, et je retournai me coucher.
Le lendemain matin, je màssis dans mon fauteuil comme d`habitude. Je
me concentrai sur la respiration et un tat serein de concentration
s`tablit progressivement. Et soudain la mme lumire fut l. Cette fois,
je dcidai de garder les yeux bien clos. Il me fallut du courage, je mèn
souviens. Sans crainte, jòbservai làpproche rapide de la brillante boule
25
de lumire. Lorsquèn fait elle entra en contact avec mon corps et quèlle
le pntra de toute part, sa taille tait considrable. Jèus lìmpression
d`tre absorb par elle, de ne plus faire quùn avec elle. Je nàvais plus
conscience de mon corps ni de sa respiration. Seule la lumire existait.
Infini de splendeur et de paix, beaut indescriptible. Je nòublierai
jamais cette exprience.
Jìgnore combien de temps dura cet extraordinaire phnomne. Je ne
puis dire si la lumire disparut dùn seul coup ou si elle s`vanouit
progressivement. Tout ce que je sais cèst que lèxprience chappa
entirement mon contrle. Elle se produisit sans que je lèusse cherch.
Aprs que la lumire eut disparu, jèus la sensation de baigner dans une
mer de batitude. Quelque chose que je nàvais encore jamais vcu.
Beaucoup de temps passa avant que je reprenne conscience du corps et
de la respiration. Cèst alors que je ralisai que la douleur dans mon dos
avait disparu. Je constatai avec surprise que ma colonne vertbrale tait
droite. Elle avait d se redresser involontairement au cours de mon
exprience avec la lumire.
Pas de douleur... plus de douleur , me rptais-je silencieusement.
Alors des larmes tides de joie et de gratitude se mirent couler le long
de mes joues. Un miracle , pensai-je. Dàbord, je nòsai pas bouger. Je
craignais que la douleur ne revienne. Je voulais jouir de cette absence de
douleur, de cet immense bonheur, tat que je nàvais pas connu depuis
des annes. Je restai donc assis une heure entire, dans une parfaite
immobilit. Je dcidai enfin de plier le buste lentement vers làvant pour
voir ce qui allait se passer. Pas de douleur. Vers làrrire. Toujours pas
de douleur. C`tait incroyable ! Mme si ces mouvements ne me
causaient plus de douleur, jòbservai avec intrt la mmoire de la
souffrance qui restait associe eux. Je me levai avec prcaution de mon
fauteuil, je restai debout un instant, puis le fis quelques pas. Je retournai
màsseoir. je ne ressentis aucune douleur.
J`tais sr dàvoir atteint la cessation de la douleur. C`tait a dont le
moine bouddhiste avait parl. J`tais loin de savoir que la cessation de la
souffrance ordinaire, commune tous les hommes, n`tait que le sous-
produit agrable de la mditation bouddhique. Lèxtinction de ce type de
souffrance nèst pas le but auquel elle vise. Ce nèst que des annes plus
tard, alors que je pratiquai un entranement intensif sous la surveillance
de matres de la mditation bouddhique, en Birmanie, que jàppris par
exprience personnelle quel tait lòbjectif vritable de la mditation
26
bouddhique. Jèntends par l la Noble Vrit de la Souffrance. Une
souffrance qui nà rien de commun avec la souffrance ordinaire, quoique
toute souffrance naisse de lìgnorance de cette Noble Vrit.
Le lendemain matin, je m`veillai làube comme de coutume. Je sortis
du lit avec prudence, je me tins debout, j`tirai lentement mon dos et
jèux làgrable surprise de ne sentir aucune douleur dans le corps.
La douleur avait t si longtemps ma compagne que cela me faisait tout
drle dèn tre priv. Je n`tais pas encore tout fait habitu bouger
mon corps sans souffrir, particulirement le long de la colonne
vertbrale. J`hsitai vraiment me tenir debout ou màsseoir, car je ne
savais que trop combien de spasmes jàvais endurs, et comme il tait
facile de les dclencher simplement en changeant de position.
Plus tard, ce matin l, je me promenai dans le jardin o je pratiquais
habituellement la contemplation. Je ne pus quàdmirer les toiles
innombrables qui scintillaient dans le ciel pur. Un spectacle grandiose !
Je pris plaisir respirer làir pur et embaum, satur du parfum des
fleurs de citronniers et dòrangers. Au loin lòiseau moqueur chantait.
Les autres oiseaux dormaient encore, car quatre heures du matin il
faisait toujours nuit ; mais lèst l`horizon se teintait dj des premires
lueurs roses du soleil levant. cette heure de la journe, la nature
exerait un effet apaisant sur lèsprit et sur le corps, qui trouvait un cho
au plus profond de moi. Je connus un bien-tre dfiant toute description.
Pendant des annes, jàvais vcu dans cet environnement sans jamais
tre conscient de sa beaut naturelle. Quel bonheur d`tre pleinement
vivant !
Cette vie c`tait la vie plus abondante , me disais-je. Mais l encore je
me trompais. Des annes plus tard, en Birmanie, je russis
transcender lèsprit de ce monde, cèst--dire le niveau de lèxistence
sensorielle-intellectuelle-motive pour raliser les demeures clestes o
rgnent la srnit, la batitude, le bonheur, la joie, ineffables. Cèst
alors seulement que je compris la vraie signification de la vie plus
abondante , implique dans Je vous donnerai ce que lòil nà pas vu,
ce que lòreille nà pas entendu, ce que la main nà pas touch et ce qui
nèst pas mont au cour de l`homme. (J. C).
Jìnstallai mes habituels oreillers dans le fauteuil et je màssis
confortablement. Je fermai les yeux, fixai mon attention sur la pointe du
nez et observai scrupuleusement le va-et-vient de làir dans mes narines.
27
Jàtteignis trs vite un tat de profonde concentration. Au bout de
quelque temps, je pris conscience que làttention allait spontanment se
fixer sur les muscles situs le long de la colonne vertbrale. Toute
tension superflue tait en voie de relchement. Stupfait, je sentis cette
suractivit nerveuse inutile dans la structure musculaire de l`pine
dorsale disparatre dèlle-mme. Tout ce que jèus faire fut seulement
de me concentrer. Une fois la tension relche, la colonne vertbrale
resta droite, sans aucun effort. Je ressentis dans mon corps une
sensation de lgret bien agrable.
Je fixai nouveau mon attention sur la respiration. Bien vite, cependant,
je sentis les muscles de mon dos se dtendre encore. Je me demandais
qui provoquait la tension. Comment celle-ci pouvait-elle sìnstaller dans
mon dos sans que jèn sois conscient ? Je fis une nouvelle tentative. Je
pris la ferme rsolution de maintenir tous les muscles du dos en parfait
tat de relaxation. Si la tension se manifestait, jèn aurai conscience.
Je finis par comprendre que mon systme nerveux fonctionnait en
aveugle. Il suivait le schma de vieilles habitudes qui avaient trouv un
terrain de dveloppement favorable d lìndigence de ma conscience.
Cela, je ne compris quàprs avoir tent plusieurs fois, sans succs, de
prendre conscience de la tension de mes muscles, le jour mme et les
jours suivants. Il fallait que je rduque entirement mon systme
nerveux dlabr. Je nèn tais quàu premier stade de la matrise du
systme nerveux, comme lorsque jàvais commenc dvelopper ma
facult dàttention. Des mois plus tard, je russis vaincre la dficience
de mon systme nerveux, en dveloppant davantage encore ma
conscience. Le fait que mes efforts aient t couronns de succs prouve
que la mditation bouddhique est une mthode pratique qui permet de
rtablir l`harmonie perdue du couple esprit-corps.
Je nàvais pas revu mon amie depuis le soir de la confrence, car elle
avait pris cinq semaines de vacances. Ds son retour, elle vint en voiture
prendre de mes nouvelles et demander si elle pouvait faire quelque
chose pour moi. Elle ignorait tout de l`vnement miraculeux qui avait
boulevers mon existence, mais en passant le seuil de ma porte elle
s`cria : Vous n`tes plus le mme. Vous avez le visage lisse et radieux.
Votre dos est droit. Vous n`tes plus vot comme avant. Vous tes
mtamorphos. Que vous est-il arriv ?
28
Je luis racontai ce qui s`tait pass. Elle resta silencieuse un bon
moment. Puis soudain elle fondit en larmes. mon Dieu ! Cèst
merveilleux ! dit-elle.
Oui , dis-je et cèst vous que je le dois. Si ce nàvait t de vous, je
ne serais jamais all entendre la confrence du moine bouddhiste. Cette
nuit a marqu un tournant dans mon existence.
Quelques semaines plus tard, je me retrouvais en train de donner ma
premire confrence publique devant un groupe de femmes runies
dans la maison de mon amie. Le sujet, bien sr, tait la mditation
bouddhique. Mon amie connaissait ma grande timidit et mon
inexprience parler devant un groupe de gens que je ne connaissais
pas. Elle fut surprise de ma gaiet, de mon assurance, et de làisance
parfaite avec laquelle je mèxprimais. la fin de lèxpos, on dcida,
Iùnanimit, de crer un groupe de mditation, sous ma direction.
Pendant des annes, nous nous runmes chaque matin pour pratiquer
la mditation, jusquàu moment o je partis pour la Birmanie. Au cours
de ces annes, nous tudimes, outre la mditation, diverses mthodes
de dveloppement physique et spirituel. En Californie, le choix ne
manquait pas.
Jèus la possibilit d`tudier et de pratiquer diffrents systmes de
mditation, ce qui me permit de constater que la mditation bouddhique
satipahna repose sur le plus sain et le plus complet des principes.
èntranement bouddhique commence par le corps et non par lèsprit,
Iìnverse de la plupart des autres systmes. Ce nèst que lorsque lòn
comprend clairement les processus corporels que lòn commence saisir
les rouages de lèsprit. Lorsque les mcanismes mentaux se manifestent
sous leur vritable jour, ce moment seulement une transformation
radicale de lèsprit peut se produire. Commencer par le corps est une
mthode sre et saine qui vite de se trouver aux prises avec de graves
dangers dòrdre psychique. Comme nous làvons dj dit, nous avons
tout gagner observer notre corps.
èxprience dmontre que toute dperdition de l`nergie vitale prend sa
source dans la dispersion de lèsprit. La perturbation intrieure peut
atteindre un tel niveau que le corps perd tout quilibre et coordination,
lments indispensables pour vivre sainement. Ce manque tait
effectivement le cas chez certains lves. Notre groupe sàdjoignit par la
suite un cours bas exclusivement sur la position couche grce
29
laquelle on peut rapprendre le lien entre l`quilibre et la coordination
des mouvements corporels. En fait le grand secret du satipahna - ce
principe de vie par excellence - rside dans le rtablissement de la
simultanit de deux principes complmentaires : laction et linaction.
Tant que cette union fait dfaut, on ne peut parler dùn esprit sain dans
un corps sain. Lèxercice de la position couche nàvait donc rien de
commun avec un systme de relaxation tellement en vogue de nos jours ;
il ne reposait pas sur la suggestion ou la volont de relcher la tension
musculaire, qui entranent une sorte dàuto-hypnose. Au contraire, le
travail dans la position couche prconisait un processus non verbal
impliquant simplement d`tre pleinement attentif au corps lorsquìl
prenait la position couche sur le ventre ou sur le dos, quìl allongeait les
bras et les jambes, quìl pousait le sol sans crainte, quìl se mouvait ou
retournait dùn tat dàction dans un tat dìnaction, etc.
Un travail qui a pour base la contemplation pure ne peut sàpprendre
correctement dans un livre, malheureusement. Ce type dèntranement
requiert un guide comptent sinon la vraie maturation du couple esprit-
corps nòpre pas.
30
31
Chapitre III
SATIPATTHNA
Quìl soit debout, quìl marche,
Quìl soit assis, quìl repose couch,
Aussi longtemps quìl reste veill,
Il doit dvelopper son attention.
Cèst la faon la plus noble
De vivre sur cette terre.
Le karanya mett sutta
La vigilance est la voie de lìmmortalit.
La nonchalance le chemin de la mort.
Le Bouddha
Attentif au milieu des tourdis,
veill au milieu des endormis,
`homme intelligent marche,
Laissant les autres aussi loin
Derrire lui quùn coursier
Distance des btes de charge ?
Celui qui marche ainsi
Vivra heureux dans ce monde
Et dans tous les autres.
Le Dhammapada
32
Un livre sur la mditation bouddhique aida considrablement notre
groupe dans son travail. The heart of buddhist meditation par le
Vnrable Nyanaponika Mahthera màvait t offert par mon ami le
Vnrable Lowe, fondateur et prsident de la Universal Buddhist
Fellowship of America. Le Vnrable Lowe avait particip au Concile de
la Fraternit mondiale du Bouddhisme, Yangon, en Birmanie. L, il
avait rencontr làuteur qui lui avait donn plusieurs exemplaires de son
livre qui venait juste de sortir.
Le livre de Nyanaponika Mahthera vint en son temps : des annes
d`tude et de pratique nous avaient prpars le recevoir. Nous le
lisions et le relisions sans cesse. Il nous donna une comprhension claire
et correcte de la mditation bouddhique. Nyanaponika Mahthera y
avait inclus la traduction du texte pali qui constitue la base de
Ièntranement, le satipahna sutta.
satipahna , signifie Le dveloppement de làttention : làttention
ou la contemplation du corps, làttention aux sensations, làttention aux
penses, et làttention aux objets mentaux ou au contenu des penses.
En rsum, cèst un entranement complet la contemplation de tout ce
qui peut surgir dans lèsprit ou dans le corps. Selon les paroles du
Bouddha, satipahna a pour but de purifier lèsprit, de vaincre le
chagrin, la misre, la douleur et la dsolation, dàtteindre la voie juste
qui mne vers la dlivrance de la souffrance. Nèst-ce pas cela que nous
cherchons tous ?
Nyanaponika Mahthera a galement inclus des directives en matire de
mditation conformes lènseignement du Vnrable Mahs Saydaw,
au Centre de Mditation Ssan Yeikth de Yangon en Birmanie. La
concentration ou la contemplation sur la respiration que nous avions
pratique, ne constituait quùn aspect seulement de la mditation
bouddhique ; Elle nous aida dvelopper et cultiver la Srnit
(samatha-bhvan). L`tape suivante tait le dveloppement de la Vision
Intrieure (vipassan-bhvan). Le but ultime de la Dlivrance, nibbna
(sanscrit : nirvna), ne peut tre atteint quàu moyen de la Vision
Intrieure (vipassan).
Notre groupe constata que la mthode dòbservation de la respiration
prconise par le Mahs Saydaw tait plus facile et plus efficace que la
pratique de la concentration sur la respiration la pointe du nez. Le
matre (Saydaw en birman) recommande de fixer làttention sur
33
Iàbdomen. L`tudiant observe làbdomen qui monte et qui descend. Si
au dbut, il ne russit pas percevoir clairement ce mouvement, il peut
placer une main, ou les deux mains, sur son ventre, pour mieux sentir le
mouvement ascendant qui rsulte dùne inspiration, et le mouvement
descendant qui rsulte dùne expiration. L`tudiant doit noter
mentalement chaque mouvement. Monter... descendre... par exemple.
Le but de cet exercice est d`tre attentif la sensation lgre du contact
caus par les mouvements de làbdomen. Il ne doit pas y avoir
dòbservation visuelle. Au lieu de penser aux mouvements, on doit tre
conscient du processus physique, de la rgularit de son mouvement
ascendant et descendant, et de rien dàutre. On ne doit pas modifier
volontairement le rythme de la respiration naturelle, car il ne sàgit pas
l dùn exercice respiratoire. On doit galement viter de respirer
profondment ou de manire acclre pour tenter de sentir plus
distinctement les mouvements.
Le travail des dbutants sera peut-tre plus facile sìls prennent la
position couche pour rendre leurs mouvements respiratoires plus
perceptibles. De temps autre, si cela peut aider, on peut passer de la
position couche la position assise. Les dbutants trouveront peut-tre
galement plus facile d`tre assis sur une chaise dossier droit plutt
que sur le sol, la manire du Yoga. Quelle que soit la position que lòn
adopte, ce qui est important cèst de garder la partie suprieure du corps
parfaitement droite mais sans raideur.
Chacun de nous, dans le groupe, avait appris sàsseoir sur le plancher.
Les uns adoptaient la Posture du Lotus, les autres, la Posture Aise o
les jambes ne sont pas croises mais poses sur le sol ; on place le talon
du pied gauche la jointure des cuisses, les orteils entre le genou repli
de la jambe droite qui encadre extrieurement la jambe gauche. LA
Posture Aise est confortable et on peut la maintenir plus longtemps
quùne posture o les jambes sont croises, car il n`y a pas de pression
sur les genoux. Avec de la pratique, on russit placer fermement les
deux genoux sur le sol, sans aucun effort. Les mains doivent tre
lgrement en coupelle, les paumes orientes vers le haut. Le dos de la
main gauche repose sur la cheville droite, le dos de la main droite sur la
paume de la main gauche. Les bouts des pouces se touchent. On doit
sàssurer que les jambes, les mains, les bras, les paules, le cou, le dos, la
figure et les yeux sont au repos et parfaitement dtendus.
34
Les postures assises du Yoga ne sont pas absolument indispensables
pour pratiquer la mditation ; elles exercent, nanmoins, un effet
apaisant sur lèsprit et sur le corps. On commence prendre conscience
que lòn a matris les postures, lorsque les jambes et le bassin sont
libres de tension. Les personnes dont la cinquime lombaire et
Iàrticulation du sacrum sont bloqus, celles dont la cambrure de la
partie infrieure de la colonne est trop accentue, celles dont les
articulations des hanches, des genoux et des chevilles sont raides, se
heurteront des difficults. Une pratique constante permettra de
corriger toutes ces imperfections, et le profit qui en rsultera justifiera
pleinement que lòn fasse des efforts.
En prenant conscience de notre abdomen, nous constatmes que notre
faon courante de respirer n`tait pas normale. Nous ne sentions pas les
mouvements - làbdomen tait bloqu : ce qui voulait dire que la
majeure partie de nos poumons ne recevait jamais dàir frais, privant
ainsi le sang de lòxygne qui lui faisait dfaut. Nous fmes tous la
dcouverte qu`tre conscient de nos mouvements abdominaux tait
important pour notre sant et notre bien-tre physique et mental. Un
organisme vivant respire toujours, làbdomen monte et descend sans
cesse ; nous devrions donc fixer notre attention sur lui au cours de la
journe, lorsque nous en avons le loisir. Mme une courte pause
consacre, de temps autre, diriger lèsprit sur làbdomen, permettait
de connatre un tat indicible de bien-tre et de quitude mentale. En
pratiquant rgulirement, la respiration retrouvait son rythme naturel.
Elle devenait plus calme, plus gale, plus profonde, et elle menait un
apaisement et un approfondissement du rythme de vie tout entier.
àgitation mentale et la tension nerveuse disparurent.
Le but final, nanmoins, se situe bien au-del de lòbtention de l`tat de
sant. Grce la description du livre du Vnrable Nyanaponika sur la
mditation bouddhique que lòn enseigne en Birmanie, un lment
nouveau vint enrichir notre pratique. Le nouvel exercice consistait
marcher en tant attentif. Nous tions dj familiariss avec le type de
marche utilise par certains groupes bouddhistes Zen. Mais marcher en
tant attentif, conformment lènseignement du Vnrable Mahs
Saydaw, tait un exercice diffrent. Il avait autant dìmportance que la
fixation de làttention sur la respiration. Au moment de se mettre
marcher, on doit soutenir làttention de lèsprit lorsquòn passe de la
position assise la position debout. En abandonnant le mouvement de
Iàbdomen, nous maintenions la continuit en choisissant le mouvement
des pieds comme objet de notre attention. Cèst ainsi que nous avons
35
dcouvert lùn des facteurs les plus vitaux de la mditation : làttention
ininterrompue.
Plusieurs tudiants du groupe, moi y compris, sàperurent avec surprise
quìls tournaient un pied ou les deux pieds vers lìntrieur ou lèxtrieur
en marchant, au lieu de poser les pieds droits. Dàutres dcouvraient
quìls courbaient lgrement le buste vers làvant ou vers làrrire,
occasionnant ainsi un dplacement du centre de gravit et une tension
dans les muscles du dos, du cou, des paules, des bras et des mains.
Nous constatmes que nos pieds n`taient pas vraiment dtendus
lorsque nous les levions pour faire un nouveau pas. Ils restaient tendus
comme si le poids du corps tait toujours sur eux.
La marche et la station debout conscientes jourent pour nous le rle de
miroir ; ce qui eut pour consquence de nous apprendre marcher et
nous tenir debout sans effort, sans raideur et sans tension du corps. Le
fait d`tre conscient de la station debout, par exemple, nous apprt
rpartir quitablement le poids du corps sur les pieds. Le profit que nous
tirions nous tenir correctement debout se rpercuta sur lènsemble du
corps. Les pieds, les jambes et le dos retrouvaient leur forme, leur
flexibilit, leur souplesse naturelle. Non seulement nous conomisions
ainsi de l`nergie mais encore nous gagnions en grce et en quilibre ;
nous ressentions une sensation interne de bien-tre et de joie.
Tous ces bienfaits ne sont pourtant quùn -ct utile et pratique de
Ièntranement. objectif principal de celui-ci est de dvelopper la
conscience
Voici une description succincte de la technique de la marche. La fixation
de làttention commence avec la station debout. L`tudiant doit tre
conscient de la position de son corps et la noter mentalement, par
exemple : debout... debout... Vient ensuite lìntention de se dplacer
vers làvant : intention de marcher... intention de marcher... chaque
pas on note mentalement marcher... marcher... ou pied gauche...
pied droit. Il faut tre pleinement conscient de chaque mouvement du
commencement la fin de chaque pas.
En fin de parcours on note mentalement : debout... debout... Au
moment de tourner : tourner... tourner... . Puis, comme plus haut, on
avance avec lìntention de se dplacer vers làvant.
36
Plus tard on peut dcomposer chaque pas. On observe mentalement
deux phases du mouvement : lever... poser... , lever... poser... Avec
de la pratique on peut observer trois phases : lever... tendre...
poser...
La marche consciente doit se pratiquer trs, trs lentement : ceci afin de
permettre lèsprit de suivre clairement les mouvements du corps et du
mental. L`tudiant doit apprendre bien distinguer ce quèst lèsprit et
ce quèst la matire. Làction dàvoir lìntention de marcher, par exemple
est un mouvement de lèsprit, un processus mental. Se tenir debout,
tourner et marcher sont des processus physiques, des mouvements du
corps. Le premier degr de la Vision Intrieure nèst atteint que lorsque
les deux processus, celui de lèsprit et celui du corps, sont clairement
distingus.
La premire fois que je lus toutes ces instructions, je les trouvai
rebutantes et ennuyeuses. La pratique sàvra bien diffrente ! Lènnui,
la lassitude, le manque dìntrt, la fatigue, etc., (toutes choses qui
brlent notre nergie inutilement), les exercices de contemplation les
balayent. Ils laissent place une joie de vivre et un bien -tre inconnus
jusquàlors.
Celui, amis, qui a dvelopp et pratiqu assidment la Conscience du
Corps, celui-l trouvera dans cette pratique tous les lments salutaires
qui mnent la sagesse ; si le corps nèst pas matris (par la
mditation), lèsprit ne sera pas matris. Chacun de nous dans le
groupe parvint comprendre la vrit de ces paroles du Bouddha.
Pendant plusieurs annes, je pratiquai la position assise et la marche
conscientes huit heures par jour : trois heures tt le matin, deux heures
en fin de matine, et trois heures le soir. Je dveloppai ma facult de
concentration un degr tel que je fus capable de rester assis ou de
marcher une heure entire sans que ma conscience se relcht un seul
instant, sans quàucune perturbation mentale nìntervint. Dans cet tat,
Ièsprit sòuvre sans rserve. Il ne rejette rien. Il ne sàttache rien.
Chaque chose qui se prsente devant la conscience est perue telle quelle
est dans sa manifestation totale.
Il ne sàgit plus du moi par lequel lègo sèxprime avec ses catgories
de jugement, mais dùn niveau suprieur dèsprit qui se situe au-del de
la division ordinaire : subjectif/objectif, observateur/observ. La
conscience se comporte avec impartialit et quanimit. Les choses
37
plaisantes et dplaisantes, dsirables et indsirables, sont perues sans
quèlles entranent de raction.
Les Bouddhistes nomment ce type de perception ressentie dans le
prsent immdiat lÀttention Juste ou lÀttention Pure. LÀttention Pure
est la conscience claire et unique de ce qui est peru vraiment, des
moments suivis de perception. Elle est appele pure ou juste parce
quèlle ne sàttache quàux faits purs dùne perception se manifestant
soit par lìntermdiaire des cinq sens physiques soit par lìntermdiaire
du mental, qui, dans la pense bouddhique, constitue le sixime sens.
Elle est appele pure parce quèlle nèst pas pollue par lègo.
Àttention veille nèst pas une affaire de volont. On lòbtient en
dveloppant son esprit. Elle se manifeste au cours dùne pratique
assidue. LÀttention Pure signifie vivre totalement dans le prsent
immdiat, lìci et maintenant o la notion de temps et dègo sèstompe.
Un sentiment de scurit et de confiance pntre dans la conscience.
òn ressent une sorte de joie rsultant de la libration du mental et de
Ièsclavage de lègo. On ne peut le comprendre quàu travers de
Ièxprience.
Obscurment, je sentis que jàvais fait un pas dcisif dans le
dveloppement de lèsprit. Je commenai faire des projets pour me
rendre Ceylan auprs du Vnrable Nyanaponika afin dèn apprendre
davantage sur la mditation bouddhique. J`crivis celui-ci pour
Iìnformer de mes progrs ainsi que de mon intention dàller Ceylan ; il
me rpondit rapidement, me conseillant de me rendre directement
Yangon pour y suivre le cours du Vnrable Mahs Saydaw.
Le Vnrable Nyanaponika devait visiter prochainement le Centre de
Mditation Mahs Ssan Yeikth, et me proposait dèffectuer les
formalits ncessaires mon admission. Je lui rpondis par làffirmative.
Deux semaines plus tard, environ, je reus une lettre de lÙnion of
Burma Buddha Ssana Council mìnvitant me rendre en Birmanie
pour suivre lèntranement la mditation vipassan. Làmbassade de
Birmanie avait reu les instructions ncessaires pour me dlivrer un visa.
Je reus galement les renseignements destins ceux qui se proposent
de suivre un cours de Mditation satipahna vipassan. Le cours au
Centre de mditation durait de six dix semaines selon les progrs de
I`lve. La nourriture n`tait pas strictement vgtarienne, mais on
pouvait obtenir des repas vgtariens si on le dsirait.
38
Pendant leur sjour au Centre, les lves devaient observer les rgles
suivantes :
1. Respecter les huit prceptes ;
2. Suivre inconditionnellement les directives du Matre ;
3. Consacrer vingt heures par jour la pratique de la mditation, et
quatre heures au sommeil (viter de lire, d`crire, de parler sans
motif, et, de manire implicite, sàbstenir de recevoir des visites) ;
4. Pratiquer six semaines au minimum.
C`tait tout.
La pense de dormir seulement quatre heures par nuit mèffrayait.
Comment pouvait-on rsister ? Un psychiatre qui participait de temps
autre aux exercices du groupe me conseilla d`tre prudent. Une
psychologue qui venait rgulirement, estima quùn tel programme
dèntranement pouvait crer un surmenage susceptible d`tre
dangereux. Comme Jung, ils pensaient que les Occidentaux pratiquant
des philosophies transcendantales orientales pouvaient rencontrer de
srieuses difficults, nuisibles pour leur sant physique et mentale.
J`tais contrari dàvoir pris ma dcision sans rflchir. Jàurais
volontiers fait marche arrire si cela avait t possible. Je me consolai en
me jurant d`tre extrmement prudent et vigilant, et de ne pas suivre
aveuglment les directives que ma raison nàpprouverait pas.
Je fis un rve qui me rassura un peu. Aprs avoir pes le pour et le
contre de la mthode intensive de mditation, en compagnie du
psychiatre et de la psychologue, jèus, la nuit, un rve en couleurs
brillantes dùne beaut et dùne puret inhabituelles. Aussi loin quìl
mèn souvienne, je nàvais jamais rv en couleurs. Il y avait dàbord
Ièspace : vide, infini, jaune. Je ressentis un immense bonheur
contempler cette couleur. Puis, un point noir comme du charbon se
dessina au loin. Il grossissait en se rapprochant. Il prit une forme
distincte : une salamandre grasse et laide, la peau noire et luisante. Ses
horribles yeux noirs me tenaient en leur pouvoir, tandis que se tordant
comme un reptile, elle sàpprochait pour me mordre. Je plongeai un
poignard dàrgent dans le gras de son ventre. Un sang rouge vif en jaillit
se mlant lìnfini de jaune jusqu` ce quìl devienne orange clair.
mesure que le sang coulait, la bte diminuait, elle finit par disparatre.
èspace infini, de couleur orange, retourna bientt au jaune dòrigine.
Ce fut la fin du rve.
39
Mon ami le psychiatre me dit le lendemain que ce rve tait un bon
prsage. Je repris courage. Au fond de moi, en ralit, jàvais vraiment
envie de partir quelque temps, confiant en ce que lòn me demanderait
de faire. Superficiellement pourtant, je partageais parfois làpprhension
de mes amis. Aprs tout c`taient des spcialistes de lèsprit humain qui
me recommandaient la prudence. Jàvais encore des doutes et des
craintes.
Une semaine environ aprs lìnvitation, un encouragement me parvint
sous la forme dùne brochure crite par le Vnrable Mahs Saydaw
lui-mme : Discours sur la pratique de base du satipahna Vipassana.
Cèst une description de la mthode et du profit que lòn peut tirer la
pratiquer. Le plus important, nanmoins, cèst ce que le matre expose
concernant le vritable but de la mditation : dmasquer lègo ou le moi.
Cèst la seule mthode que je connaisse qui se donne comme objectif de
dmasquer lègo.
Aussi longtemps que lòn nèst pas libr de la fausse croyance ou du
faux concept que lègo existe (sakkya-ditthi, en pali), on ne peut esprer
chapper au risque de renatre misrablement en enfer, ou dans une
forme animale, ou l`tat de fantme aprs la mort. Cèst pour cette
raison que le Seigneur Bouddha a recommand quiconque vient
connatre cette mthode de sàppliquer dans toute la mesure du possible
liminer de lui-mme sakkya-ditthi.
Le moment vint enfin dànnoncer mon dpart au groupe. Celui-ci
sàttendait ce que jàille suivre un entranement la mditation plus
intensif. Avant de mìnitier aux techniques de mditation pratiques en
Birmanie, jàvais eu lìntention de me rendre au Japon pour suivre un
entranement la mditation Zen.
Nous fmes un grand dner dàdieu au cours duquel quelquùn dàutre
fut choisi pour diriger le groupe pendant mon sjour en Asie. Je
recommandai instamment au groupe de rester uni et de continuer
pratiquer rgulirement les exercices. Nous avions tous les larmes aux
yeux au moment de nous dire au revoir.
40
41
Chapitre IV
RENCONTRE AVEC LE MATRE
Mettre un terme au mal ;
Apprendre faire le bien ;
Purifier lèsprit ;
Tel est lÈnseignement
De tous les Bouddhas.
Apprendre beaucoup
Nènseigne pas comprendre
Hraclite
Les bonnes actions
Et un esprit pur
Vont de pair.
Sans hygine de lèsprit,
La moralit est un vain mot.
Mahs Saydaw
42
La nuit tait dj avance lorsque làvion dcolla de Karachi. Il n`y avait
que cinq passagers qui allaient Yangon et Bangkok. Une sduisante
htesse chinoise me prpara un lit avec des couvertures : Demain
matin nous atterrirons Yangon , me dit-elle. Nous bavardmes
quelques instants et je lui dis que je me rendais dans un Centre de
Mditation bouddhiste ; puis, je me disposai dormir. En raison du
dcalage horaire, je nàvais que quelques heures consacrer au sommeil.
mon rveil, le soleil tait dj haut dans le ciel. Je màperus que le
pilote avait ralenti les moteurs et que làvion de la KLM perdait
rapidement de làltitude. Nous glissions bas au-dessus de plantations
dànanas, de canne sucre, de fermes isoles, de rizires, de terres
boises de palmiers rondiers et de cocotiers, voisinant avec des huttes de
bambou recouvertes de nattes. L`clat du soleil, le ciel bleu des tropiques,
le vert de la vgtation luxuriante me rappela les les du pacifique,
Hawa et Guam, o jàvais servi dans la U.S. Navy (C.I.N.C.P.A.C.
Commander in Chief of the Pacific), pendant la seconde guerre
mondiale.
mesure que la piste dàtterrissage se rapprochait, lÌrawady, le grand
fleuve qui ressemble au Mississipi, se dessinait dans le lointain. Sur
notre droite, le point marquant le plus connu de Yangon : la grandiose
Pagode Shwedagon. Son dme dòr en forme de cloche tincelait dans le
soleil matinal. Il n`y avait pas dèrreur, maintenant nous tions bien en
territoire bouddhiste. De nìmporte quel endroit de Yangon et de la
campagne environnante, on apercevait la Pagode. J`tais enfin arriv
dans la ville dont le nom signifiait : fin de la lutte . Le roi Alaungpaya
lui donna ce nom en 1755, la suite de sa victoire sur les Mn de
Birmanie du Sud. J`tais venu chercher la fin dùne autre lutte.
la descente de làvion, l`htesse me toucha la main avec gentillesse et
me murmura lòreille : sìl vous plat, priez pour moi. Elle croyait
43
que je me rendais un Centre de Mditation pour prier. Jìnclinai la tte
en souriant.
Je foulai le sol birman pour la premire fois, dix heures prcises, un
dimanche matin de la mi-janvier. Je repensai au temps o j`tais enfant
de chour en Alsace. Qui màurait dit alors quùn jour lointain jìrai
chercher la cl de la Ralit dans une contre aussi loigne, au lieu
dàssister la grand-messe de dix heures, le dimanche matin !
Quel contraste avec Paris ! Ici le soleil tait chaud - clatant et joyeux
comme le cour du peuple birman. En quittant Paris deux jours plus tt,
le ciel tait sombre et gris. Les Parisiens semblaient tristes et maussades.
àtmosphre tait morne. Il neigeait sur le chemin de làroport.
Je transpirais grosses gouttes lorsque je rencontrai l`homme que le
Buddha Ssana Council màvait envoy. Je compris pourquoi le
Vnrable Nyanaponika màvait conseill de commencer lèntranement
en janvier, au plus tard. Si tel tait le climat l`hiver, les mois chauds
seraient trop durs pour quùn Europen puisse pratiquer la mditation
avec efficacit. L`homme qui màccueillait làroport portait ce qui me
sembla tre une jupe. Je fus assez surpris ne connaissant pas ce genre de
costume. Jàppris bientt que la plupart des Birmans, hommes ou
femmes, portent le longyi qui ressemble une jupe. Jàdoptai trs vite
ce vtement car le longyi est beaucoup plus frais et plus agrable
porter lorsquìl fait trs chaud.
Il fallait une heure de voiture, environ, pour se rendre au Centre de
Mditation ; l, le Vnrable Mahs Saydaw màttendait. On dt me
dire d`ter mes chaussures avant dèntrer dans la maison du Matre. Je
n`tais pas particulirement làise de marcher en chaussettes, mais la
fracheur du linolum, dùne propret mticuleuse, tait agrable aux
pieds.
Une atmosphre de srnit baignait la grande pice. Les fentres qui la
ceinturaient lui donnaient beaucoup de luminosit. Assis dans un vaste
fauteuil club de style anglais, le Saydaw lisait un livre. Le Vnrable
Mahs Saydaw ne me parut pas tranger car le Vnrable
Nyanaponika màvait envoy sa photographie et màvait longuement
parl de lui. Lorsque je màpprochai de lui, je sentis la joie et lèsprance
mènvahir.
44
Ce nèst que lorsque nous fmes pratiquement en face de lui que le
Saydaw posa son livre et quìl me regarda. Il me sourit avec
bienveillance. Son regard tait ferme et pntrant. Jàvais connu en
Californie des matres de Yoga indien, dont les yeux taient immenses ;
ce n`tait pas le cas du Saydaw.
Impulsivement je voulus serrer la main du Saydaw, la manire des
occidentaux. Mais ce nèst pas ainsi quòn aborde un bhikkhu (moine
en pali). Jàppris par la suite quùn moine bouddhiste ne serre jamais la
main dùne autre personne. Prsenter ses respects un Matre de
mditation bouddhique est une chose bien plus complexe quùne simple
poigne de main. On doit sàgenouiller sur le sol portant son front les
mains jointes comme pour la prire. Puis on incline le buste jusqu` ce
que les mains touchent le sol, les paumes tournes vers le bas, le front
pos sur le dos des mains. On se redresse ensuite, toujours genoux, les
mains au front comme au dbut. Lorsque lòn rencontre ou que lòn
quitte un Matre, on doit procder ainsi trois fois. Tourner le dos un
Matre est une impolitesse, aussi, lorsquìl sèn va, l`tudiant doit-il aller
reculons. L`tudiant ne se retourne pas avant dàvoir atteint la porte.
Cela peut nous paratre exagr nous, Occidentaux, qui sommes plus
habitus faire des courbettes et des rvrences devant des personnes
illustres. Pourtant, une fois que lòn connat la valeur inestimable de la
mthode bouddhique de dveloppement de lèsprit, et le nombre
restreint de personnes capables de lènseigner, cette forme de respect
parat toute naturelle.
Tandis que je lui prsentais mes respects pour la premire fois, je
remarquai que le Saydaw tudiait mes mouvements en me scrutant des
yeux. Plus tard, je compris que l`tat dèsprit dùne personne distraite ou
concentre, est rvl au Matre par la faon dont celle-ci bouge son
corps. Une fois mes hommages rendus, nous nous assmes sur le
plancher, les jambes replies du ct droit. Sàsseoir les jambes croises
devant un Matre est impoli.
Le Saydaw est trs heureux de vous rencontrer et vous souhaite la
bienvenue au Centre de Mditation . Lìnterprte traduisait ce que le
Matre avait dit en Birman. Il dsire que vous commenciez votre
entranement ds le dbut de la semaine prochaine. En rgle gnrale le
Centre assure le logement aux tudiants trangers, mais le Matre dsire
que vous logiez chez Yogi U Tin
45
Je refusai catgoriquement. Pour moi le mot Yogi voulait dire
professeur de Yoga. J`tais en Birmanie pour apprendre la mditation,
pas le Yoga ! Ni le Matre ni lìnterprte ne comprirent le pourquoi de
mon refus. Je refusai une seconde fois. Lìnterprte me dit alors avec
ddain : Vous devez obir lòrdre du Matre . Jòbtemprai contre
cour, et, trs du, je saluai et quittai le pice.
èndroit o je me rendis sàppelait Garden Hermitage . Il tait situ
vingt minutes en auto du Centre de Mditation, dans la banlieue de
Yangon, loin du bruit et de la rumeur de la route principale. La proprit
tait vaste et belle. On y voyait des pelouses vertes et nombreuses, des
fleurs de toute sorte, un bosquet de bambous, un tang couvert de lotus,
des manguiers, des tamariniers et mme des frangipaniers dpourvus de
feuilles en janvier, mais couverts de fleurs odorantes dùn blanc
immacul. Un vrai paradis pensai-je. Une seule chose troublait le
calme : des centaines de gros corbeaux noirs, perchs sur les arbres ou
sautillant sur les pelouses, emplissaient làir de leurs cris incessants et
rauques.
Le chauffeur sàrrta devant une grande maison couverte de tle ondule.
J`tai mes chaussures avant dèntrer. On entendait le toit de tle craquer
sous le chaud soleil de làprs-midi, car le salon nàvait pas de plafond.
Nous fmes accueillis par un homme lunettes de haute taille, qui
parlait lànglais. Cet homme tranquille et amical tait le matre de
maison, Yogi U Tin. ma grande surprise il n`tait pas du tout yogi ,.
Il tait simplement le gnreux laque que le Vnrable Mahs Saydaw,
dans sa grande sagesse, avait choisi pour màssurer logement et
nourriture pendant ma priode dèntranement. La gentillesse et la
gnrosit de Yogi U Tin sàvra bien au-dessus de tout ce que jàvais
connu en occident.
On me mena dans une magnifique maison de style europen, proche de
celle de Yogi U Tin. Elle comportait un salon spacieux, une salle
manger, trois chambres et deux salles de bain avec tub, douche et lavabo.
Toutes les pices taient munies de grands ventilateurs lectriques fixs
au plafond, qui maintenaient la maison frache. Je choisis une chambre,
pris une douche et m`tendis sur le lit (protg par une moustiquaire),
afin de me dtendre avant le repas.
Lorsque jèntrai dans la salle manger pour djeuner, je nèn crus pas
mes yeux. La table tait littralement couverte de nourriture. Il devait
bien y avoir au moins trente petits plats de poisson, volaille, riz :
46
plusieurs sortes de lgumes verts, des salades, des fruits et des desserts
birmans base de riz et de miel. Je gotai de plusieurs plats, certains
europens, dàutres typiquement birmans, agrments d`pices, de
condiments et de piments. Je mangeai peu car je nàvais pas vraiment
faim.
Dans la soire, jàllai faire un tour dehors. La nuit tait belle, làir tait
frais, clair et parfum. Le ciel tait clout de millions d`toiles brillantes.
Tout tait calme, car les corbeaux avaient regagn leurs nids pour la nuit.
Le jour suivant, je remarquai quìls sènvolaient vers la mer, le soir, au
coucher du soleil pour ne revenir qu` làube recommencer leur concert
rocailleux.
Je rencontrai une femme d`ge moyen qui venait dÀustralie ; comme
moi, elle se promenait le long du lac. Elle tait, elle aussi, venue en
Birmanie pour pratiquer la mditation au centre, et elle logeait chez Yogi
U Tin. Aprs la premire semaine elle avait t atteinte dùne dysenterie
si maligne quòn avait d l`hospitaliser pendant trois semaines : Vous
aussi vous làttraperez , me elle, en garde. Tous les occidentaux
Iàttrapent. Jìgnore vraiment quoi cela est d, la nourriture, le climat
peut-tre , Elle part surprise que je loge chez Yogi U Tin plutt quàu
Centre. Vous serez oblig de faire la navette tous les jours pour vos
entretiens quotidiens avec le Saydaw , me dit-elle. a ne marchera
pas. Je lài fait. Je vous dis que a ne marchera pas. Puis elle ajouta de
manire assez incongrue, Je vous souhaite bonne chance. Je pars
demain pour lÀustralie.
Je regagnai lentement la maison, lgrement dprim et assailli de
doutes. Je mis les ventilateurs en marche, je pris une douche pour me
rafrachir, et je màssis sur mon lit. Jàrrimai soigneusement la
moustiquaire sous le matelas et je tentai de mditer. Des penses de
dysenterie couraient dans ma tte et je commenai craindre pour ma
sant. Il me revint en mmoire que le Vnrable Nyanaponika avait
mentionn que la nourriture birmane pice pouvait ne pas convenir
mon estomac dÈuropen. Il màvait conseill de ne pas manger de fruits
sans les avoir pels, et de ne boire sous aucun prtexte lèau du robinet.
Je me jurai d`tre extrmement prudent en matire de nourriture et de
boisson, ce qui me calma un peu lèsprit.
Des cris stridents se firent soudain entendre prs du lit. J`tais mort de
peur. Une bte sauvage tait srement entre dans ma chambre, pensai-
je. Et j`tais l, tout seul, dans cette immense maison, en pleine nuit.
47
Jòuvris les yeux mais nòsai faire un geste. L`clat de la pleine lune
clairait la pice. Je ne vis pourtant rien en regardant travers la
moustiquaire transparente. Je màperus alors que les cris provenaient
dùn des quatre poteaux qui maintenaient la moustiquaire au-dessus du
lit. Je lui dcochai un violent coup de pied. Je fus tout surpris de voir
tomber sur le plancher un lzard qui sènfuit rapidement. Tout tait
calme. Comment des cris aussi puissants avaient-ils pu sortir dùn lzard
aussi petit ?
Tard dans la nuit, jèntendis des bruits identiques qui provenaient des
autres pices de la maison. Je sortis courageusement du lit, arm dùne
chaussure et jàllai voir. Dans le salon, des petits lzards couraient le
long des murs et au plafond, emplissant la maison de leur cri infernal.
Jènvoyai mon soulier au plafond et contre les murs pour les chasser.
Pendant trois nuits, je fis la chasse aux lzards puis je capitulai. Aprs
tout, la maison tait la leur autant que la mienne. Petit petit, je
m`habituai la prsence de ces htes nocturnes que les Birmans
nomment lzards domestiques, et quìls estiment utiles pour dbarrasser
leurs maisons des insectes qui s`y aventurent la nuit
Ma premire nuit fut mauvaise, cèst le moins que lòn puisse dire.
èxcitation du voyage combine au changement brutal de climat, les
lzards domestiques, c`tait plus que suffisant. Il fallait, en outre, que je
m`habitue au lit. Le fond du lit servait ranger les vtements et sòuvrait
sous un matelas mince, garni de paille. Le lit tait plutt dur pour
quelquùn habitu comme moi, un bon matelas ressorts.
Une jeune Birmane, lùne des nombreuses servantes que Yogi U Tin
employait, me servit le petit djeuner six heures. Il se composait dùn
grand bol de bouillie dàvoine, de th, de pain grill, de confiture
dòranges, de mangues peles, de bananes de couleur rouge, et de
dlicieuses bananes vertes mais bien mres. Jàchevais peine de
djeuner lorsque je reus la visite dùn jeune Europen.
Mon visiteur tait Belge. Il avait parcouru lÌnde en tous sens pour
tudier le Yoga, avant de venir en Birmanie. Il pratiquait la mditation
au Centre depuis trois semaines. Cèst une perte de temps , me dit-il.
Il avait dcid de retourner en Inde. L-bas, il connaissait de grands
matres. Il tenta de me persuader de venir avec lui, mais je dclinai
poliment son offre. C`tait le deuxime coup quòn portait mon
enthousiasme. Aprs quìl mèut quitt, je commenai douter
48
srieusement de lèntranement et de ses rsultats. Jàvais peut-tre
commis une erreur colossale en venant en Birmanie.
Je nòsai pas confier mes sentiments Yogi U Tin qui entra juste aprs
que le Belge mèut quitt. Il venait me dire de me prparer aller voir le
Saydaw. Nous nous rendmes au Centre dans la nouvelle Chevrolet de
Yogi U Tin. Ce dernier possdait plusieurs voitures et rservait celle-ci
aux occasions particulires. En chemin, Yogi U Tin sortit un petit
chapelet bouddhiste de sa poche et se mit l`grener lentement tout en
murmurant un Mantra. Le spectacle lèxtrieur de la voiture
mìntressa davantage.
La route qui menait au Centre passait devant plusieurs rsidences et de
nombreux chalets de bambou autour desquels de jeunes enfants
couraient, nus, dans la chaleur du soleil. un moment donn, je vis des
femmes qui marchaient sur le bord de la route portant sur leur tte huit
dix briques, quèlles donnrent aux hommes qui rparaient la route.
Lorsque lòn empilait les briques sur leur tte ou quòn les dchargeait,
elles se baissaient et sàccroupissaient dans une position couramment
utilise par les femmes et les hommes birmans lorsquìls attendent
Iàutobus. Les genoux sont flchis de manire que les fesses reposent sur
les talons. Nullement besoin de chaises ou de bancs. Aussi bizarre que
cette posture puisse paratre un Occidental, elle est trs confortable, et
elle permet de se dtendre. Elle est salutaire pour le bas du dos
hypertendu.
La route longea un lac o de jeunes Birmanes prenaient leur bain
matinal. Elles relevaient leur longyi au-dessus de leur poitrine avant
dèntrer dans lèau. Aprs s`tre baignes, elles glissaient simplement un
longyi sec sur le longyi mouill quèlles retiraient par en dessous. Je vis
aussi des femmes qui vendaient du poisson, le la volaille, des lgumes et
des fruits, leur marchandise tale sur le sol, le long de la route
principale.
Juste avant que làuto ne franchisse lèntre principale du Centre de
Mditation, nous dpassmes des moines bouddhistes qui allaient nu-
pieds en file indienne. Chacun portait un grand bol laqu de noir
contenant leur unique gros repas de la journe. Ils revenaient de rcolter
leurs aumnes du matin. Le moine bouddhiste ne prend que deux repas
par jour : Le petit djeuner qui se compose gnralement de gruau de riz,
de th, de noix et de fruits, se prend gnralement au monastre cinq
heures. Puis les moines, nu-pieds, vont de maison en maison, acceptant
49
la nourriture quòn leur donne lorsquòn leur en donne. Ils ne
demandent jamais rien et ne disent jamais merci, car on estime que
celui qui donne reoit, cèst--dire quìl gagne du mrite - sa bonne
action devant ventuellement lui tre profitable. La nourriture ainsi
gagne constitue le repas principal que le moine doit consommer avant
midi. Il accepte nìmporte quelle nourriture, poisson, volaille et viande y
compris. Les moines birmans ne sont donc pas vgtariens.
Ce nest pas manger de la viande, du poisson ou de la volaille qui rend
impur, cest se complaire dans lillusion du moi avec ses facteurs
nuisibles tels que : la haine, la colre, lenvie, lintemprance,
hypocrisie, la dloyaut, lgosme, la vanit, lostentation, lorgueil, la
jalousie, lavarice. dit làmaghanda sutta.
En entrant dans le Centre, je souhaitai pouvoir faire part de mes doutes
quelquùn. Le Vnrable Nyanaponika màvait suggr d`crire
Myanaung U Tin qui sòccupait bnvolement des occidentaux qui
sèntranaient au Centre. Myanaung U Tin avait fait ses tudes Yangon
et lÙniversit de Londres. une certaine poque il avait t Ministre
de la Sant en Birmanie, et chef de la dlgation birmane aux Mations
Unies. Il parlait bien lànglais et les coutumes occidentales lui taient
familires. Depuis quìl s`tait retir de la vie publique, il s`tait consacr
l`tude et la pratique des enseignements du Bouddha. Juste avant
que jàrrive en Birmanie, il avait termin avec succs le cours intensif de
Mditation satipahna vipassan, sous la direction personnelle du
Vnrable Mahs Saydaw. Myanaung U Tin tait la personne que
j`tais le plus dsireux de rencontrer.
Jèntrai dans la chambre du Saydaw et je vis un homme d`ge moyen,
assis sur le plancher, qui parlait en birman avec le Matre. Je rendis mes
respects au Saydaw et màssis ct du visiteur. Nous nous
regardmes en souriant.
C`tait un bel homme dont la figure n`tait pas arrondie et pleine comme
Ièst, gnralement, celle du Birman typique, mais fine et harmonieuse.
Ses traits taient doux, dtendus, amicaux, et dpourvus de rides. Je
ressentis une sympathie immdiate pour cet homme. Jèus lìmpression
de làvoir toujours connu bien que nous ne nous fussions jamais
rencontrs.
Les deux hommes poursuivirent leur conversation sans me prter
attention. Ils prononcrent plusieurs fois le nom de Nyanaponika Thera,
50
et jèn dduisis quìls parlaient de moi. Finalement l`homme se tourna
vers moi et dit :
Je màppelle Myanaung U Tin, ou U Tin, cèst plus court. Jài reu
votre lettre et je suis venu pour vous rencontrer. Le Vnrable
Nyanaponika que je connais trs bien, mà crit pour me parler de vous,
et je suis prt vous aider dans toute la mesure du possible pour que
votre entranement soit couronn de succs. Le matre dsire que vous
veniez vous entretenir quotidiennement avec lui, tous les matins huit
heures, sauf les jours de pleine lune qui sont ici des jours fris, comme
vos dimanches en occident. Comme le Saydaw ne parle pas
couramment lànglais, je serai ici chaque matin pour vous servir
dìnterprte .
Je fus enchant ! Je nàpprciai pas toute ma chance l`poque, mais au
cours de lèntranement, je me rendis compte quel point il aurait t
difficile, sinon impossible, pour quiconque, de traduire les expriences
des mditations sans les avoir soigneusement vcues avant.
Myanaung U Tin sèxprimait avec une telle conviction et une telle
confiance que mes doutes et mes apprhensions sènvolrent aussitt.
Jèus lìmpression que lòn m`tait un gros poids de la poitrine. Je ne
pensai mme pas quìl ft ncessaire de mentionner les conversations
dprimantes que jàvais eues avec la jeune femme australienne et le
jeune homme belge. la place, je leur racontai mon aventure avec les
lzards domestiques la nuit dàvant. Le Saydaw sourit et U Tin rit de
bon cour.
Ils me demandrent si la maison de Yogi U Tin me convenait et si j`tais
satisfait de la nourriture. Je compris alors pourquoi le Saydaw avait
tellement insist pour que je loge chez Yogi U Tin plutt quàu Centre.
Le genre de nourriture que me donna Yogi U Tin, et bien dàutres
services quìl me rendit, me permirent de suivre lèntranement malgr
toutes les difficults quìl comportait.
Lorsque je me prsentai huit heures, le second matin, U Tin tait dj
arriv et parlait avec le Saydaw. Ils cessrent leur conversation. U Tin
me demanda alors combien de temps j`tais capable de rester assis.
Une heure , lui rpondis-je. Il me dit de pratiquer les exercices de
marche et la position assise et de consacrer approximativement le mme
temps chacun. Je devrai pratiquer ces exercices de base pendant toute
la journe. Il me rappela la rgle du silence, que je ne devais dormir que
51
quatre heures par nuit, et que je ne devais ni lire ni crire. U Tin
mèxpliqua ensuite pourquoi il tait important dòbserver les huit rgles
de conduite.
Les progrs pratiques de la Concentration Juste : (samm samdi)
dpendent de la Moralit : (sla). Sans moralit il n`y a pas de
Concentration Juste. La Concentration juste est indispensable
Iòbtention de la Sagesse : (pa). Ces prceptes ne sont pas des
commandements, ils servent de guide et de soutien. Chacun est libre
dènfreindre le code moral sìl le dsire ou sìl ne peut sèmpcher dàgir
ainsi. Mais le bouddhiste sait quìl enfreint les rgles ses risques et
prils. Une fois quòn a compris le fonctionnement de la loi de causalit :
(kamma), on constate que lòn souffre invitablement des consquences
de ses actes.
Les huit prceptes sont les suivants :
1. Ne tuer aucun tre vivant.
2. Ne pas sàpproprier ce qui ne nous appartient pas.
3. Sàbstenir de toute activit sexuelle.
4. Sàbstenir de mentir ou de parler faussement, insultes, calomnies et
critiques acerbes y compris.
5. Sàbstenir de drogues ou de boissons enivrantes qui abaissent la
facult dàttention.
6. Sàbstenir de toute nourriture de quelque sorte que ce soit, aprs
midi.
7. Sàbstenir de danser, de chanter, de faire de la musique, dàssister
des spectacles, de faire usage de fleurs, de parfums, dònguents, et
de se parer pour sèmbellir.
8. Ne pas sìnstaller des places plus hautes ou rserves des
personnes de rang suprieur.
U Tin mèxpliqua que ces prceptes ne constituaient pas de dogme rigide
mais quìls reposent plutt sur des motifs clairs et prcis. Derrire eux se
cache un but, celui de surmonter le dsir insatiable que notre ego
engendre. Ce dsir obsdant est lùn des plus grands maux qui nous
affligent. Mauvais veut dire ce qui nous rend esclave de notre moi
trompeur, ce qui nous condamne au cycle des renaissances et de mort
(samsra). Il faut bien comprendre que la convoitise, lènvie, la jalousie,
la colre, le mcontentement, les dsirs lascifs, etc. sont des pollutions
de lèsprit, de vritables chanes qui maintiennent lèsprit prisonnier
dans un tat infrieur o rgne la confusion. Elles sont cres par
52
Iìllusion du moi. Cèst dire que tant que lìllusion du moi nèst pas
rsolue, lèsprit continue de penser le mal, de dire le mal, et le corps fait
le mal.
òbjectif principal de lèntranement la mditation que jèntreprenais
tait de dtruire cette illusion.
Parmi les rgles, une seule me causait quelque souci : ne pas manger
aprs-midi. Depuis ma maladie nerveuse, je nàvais jamais retrouv on
poids normal, et je craignais, en supprimant le repas du soir, de perdre
encore plus de poids. Le Saydaw comprit mes craintes et màutorisa
maintenir le repas du soir.
Le Matre me demanda ensuite si je connaissais les Trois Joyaux Sacrs.
Je lui rpondis que non. Il me recommanda dàpprendre ce Triple
Refuge, et de le rciter souvent, car sa bndiction me prserverait du
danger.
Le triple refuge
buddha sarana gacchmi
dhamma sarana gacchmi
sagha sarana gacchmi
(Je cherche refuge dans le Bouddha,
Je cherche refuge dans le dhamma
Je cherche refuge dans le sagha.)
On rcite ces Trois Joyaux Sacrs, trois fois. La seconde fois on
commence chaque phrase par dutiyam pi (Pour la deuxime fois), et
la troisime fois par tatiyam pi (Pour la troisime fois).
Le sens du Triple Refuge sèxplique de la manire suivante :
le Bouddha, l`veill ou lÌllumin, est mon refuge, mon principe
directeur, ma protection contre le mal et ma providence. Cèst lui que
je viens, il est mon recours.
En tant que lùn des Trois Joyaux Sacrs, le dhamma signifie le Noble
Sentier Octuple qui mne au nibbna, la paix supra mondaine.
53
Le sagha est form par la communaut de ceux qui ont la Vue Juste et
la Vertu Parfaite - La Vue Juste qui voit la vritable ralit des choses, la
Vertu Parfaite qui prvient le remords.
la fin de lèntretien, et en commenant mon travail, je rcitai les
Prceptes et le Triple Refuge, en rptant en pali aprs le Saydaw.
Vous pouvez aller maintenant , me dit U Tin en souriant, et
commencez votre noble travail. Je rendis mes respects et je sortis.
54
55
Chapitre V
OBSTACLES SUR LE SENTIER
Il existe une sorte d`lment matriel
Dans le corps, appel kya-pasda
Qui reoit chaque impression de toucher,
Alors se manifeste un kya-viana,
Qui sent et qui connat la sensation.
La peur, ou tout autre motion ngative,
Se manifeste toujours en fonction du moi.
`motion ngative est un mcanisme de
Dfense dont lòbjectif est de voiler la ralit.
Mahs Saydaw
Dans de qui est vu, il doit y
Avoir seulement ce qui est vu ;
Dans ce qui est entendu,
Seulement ce qui est entendu ;
Dans ce qui est senti,
Seulement ce qui est senti ;
Dans ce qui est pens,
Seulement ce qui est pens.
Le Bouddha
56
La pratique de la mditation vingt heures sur vingt-quatre heures, jour
aprs jour, fit surgir des choses qui ne seraient jamais remontes en
surface en mditant comme je le faisais en Californie. Trs vite, je me
heurtai de puissants obstacles mentaux qui rsistaient en me barrant
la route. Certains furent trs difficiles surmonter. Ils taient pourtant
un signe de progrs, et lòn me demanda de les affronter avec courage.
Ces obstacles surgissent dans lèsprit en fonction directe avec
Iàccroissement et le dveloppement de la conscience. Ce qui veut dire
que si des problmes bien enracins se prsentent, le mditant dispose
des outils qui lui permettent de les rsoudre.
Le premier obstacle fut le manque de sommeil. Frquemment, au cours
des exercices assis, je màssoupissais quelques instants. Je me rveillais
chaque fois en sursaut. La tentation de dormir tait surtout forte et
incontrlable aprs le repas de midi, lorsquìl faisait chaud dans la
chambre, et la nuit, entre dix et onze heures, heures auxquelles je me
couchais ordinairement.
Le Saydaw mèxpliqua que lènvie de dormir pendant la journe est
gnralement, due la paresse. Tous les tudiants la connaissent.
Dàutre part, le corps peut vraiment avoir besoin de rcuprer et de se
reposer. On doit respecter ses besoins. Il est difficile au dbut, d`tablir
la distinction entre lènvie de dormir cause par les besoins du corps et
Iènvie de dormir cause par la paresse. La paresse constitue un des cinq
obstacles principaux, les quatre autres tant làttachement, la rpulsion,
la distraction et le doute. Chacun dèux entravent les progrs car ils
maintiennent lèsprit enchan aux niveaux infrieurs de la conscience,
le polluant de leurs souillures et de leurs impurets.
57
La paresse, poursuivit le Matre, se manifeste toujours quand la
diffrence entre la puissance de la facult de concentration et la facult
d`nergie est trop grande.
Forte capacit de concentration plus faible nergie gale paresse. Pour
vaincre la paresse, il suffit d`quilibrer la concentration et l`nergie. On
doit dvelopper l`nergie. On y parvient en augmentant le nombre
dòbjets observer. Par exemple, aprs avoir pris note de la position
assise : ( assis... assis... ) trois ou quatre fois, on doit diriger làttention
sur un point du corps o lòn peroit une sensation de contact. On doit
alors en prendre note mentalement : (par exemple, contact...
contact... ). Nìmporte quel endroit de la jambe, de la main ou de la
hanche fait làffaire condition d`y dceler une sensation de contact. On
peut choisir plusieurs endroits comme objets de la concentration, pour
les noter successivement lùn aprs làutre.
La contemplation ne peut pas se pratiquer pendant le sommeil, dit le
Saydaw. Le sommeil est un tat de subconscience permanent
(bhavanga). Cet tat est faible et ne permet donc pas de connatre un
objet. Il est semblable au premier tat de conscience au moment de la
renaissance, et au dernier tat de conscience au moment de la mort.
I`tat de veille, quotidiennement, l`tat de bhavanga se produit
rgulirement entre les moments o nous voyons, entendons, pensons
etc. Mais sa dure est si brve quòn ne le dtecte gnralement pas. Ce
nèst que pendant le sommeil, o cet tat se prolonge, quìl devient
apparent.
En un jour ou deux, jàppris quilibrer l`nergie et la concentration
afin de tenir le sommeil et la paresse en chec au cours de la journe.
C`tait bien autre chose encore de rsister au sommeil entre dix et onze
heures du soir. Jàvais beau jongler avec l`nergie et la concentration, je
mèndormais toujours avant minuit.
Je dcidai de màsseoir sur le plancher dur au lieu du lit, afin de rester
veill jusqu` minuit. Je demandai une autre moustiquaire que
jìnstallai au milieu de ma chambre. Yogi U Tin a d certainement se
demander ce que faisait ce filet qui pendait au centre de la pice, mais il
ne posa jamais de question ce sujet, me laissant libre de faire ce que
bon me semblait. La premire nuit, je màssis mme le plancher, sans
couverture ni coussin. Je tournai le dos au lit pour laisser la tentation
derrire moi. Je fus convaincu dàvoir gagn la bataille. Je pratiquai
monter... descendre... jusqu` minuit sans mèndormir. J`tais aussi
58
heureux que làthlte qui a remport une mdaille dòr aux Jeux
Olympiques.
La seconde nuit sur le plancher, aux heures critiques, je basculai sur le
ct sans en avoir conscience. Je dormis une heure dans cette posture
bizarre. Mon sommeil fut profond car au rveil je me sentis ragaillardi
comme aprs une douche frache un jour de chaleur - tout surpris de me
retrouver dans cette position.
Je fis un compte rendu complet au Saydaw. Il me suggra de changer
mes heures de travail. Au lieu de dormir entre minuit et quatre heures
du matin, je ferais mieux de dormir entre dix heures et deux heures du
matin. En fait, me dit-il, ce nèst pas quand on prend les quatre heures
de sommeil qui compte, ce qui est important, cèst de ne pas dormir plus
de quatre heures. Lìdal est de dormir moins de quatre heures mais je
n`tais pas encore prt pour a. Cela viendrait plus tard, mesure que je
progresserai sur le sentier. Pour lutter contre làssoupissement, le
Saydaw me recommanda galement de garder porte de la main un
bol dèau froide pour m`humecter les yeux, le cas chant.
Je rsolus mon problme en changeant les heures de sommeil. De plus,
je gagnai travailler pendant les heures calmes du jour : de deux heures
cinq heures du matin. On nèntendait aucun bruit. Humains, animaux
et oiseaux, tous dormaient dùn profond sommeil.
àube en Birmanie tait quelque chose de spcial. Quatre heures du
matin, le son argentin des cloches et des gongs des monastres et des
temples bouddhistes rsonnait dans làir. Ces sons mlodieux appelaient
moines, nonnes et laques, rciter ou chanter les paritta ou les pirit
sutta. On utilise ces sutta pour se protger du danger. Quatre heures de
matin tat aussi pour le mditant l`heure de reprendre son travail.
Mes nouvelles heures de travail faisaient que j`tais dj lev et que je
pratiquais lèxercice assis. C`tait un bon moment pour suivre les
instructions du bouddha :
Dans ce qui est vu, il doit y avoir seulement ce qui est vu ;
Dans ce qui est entendu, seulement ce qui est entendu ;
Dans ce qui est peru (comme lòdorat, le got et le toucher),
seulement ce qui est peru ;
Dans ce qui est pens, seulement ce qui est pens.
59
Je choisis le tintement des gongs et des cloches comme objet de ma
contemplation. Je pratiquai entendre... entendre... Lorsque mon
attention fut fixe fermement et calmement sur le son peru, lìntellect
contrl par lègo fut dans lìncapacit de se manifester avec ses
associations habituelles, ses antagonistes : (attraction - rpulsion) et
(agitation - indolence), o culmine le doute. Ainsi làctivit des sens
fonctionnait dans sa puret primordiale dans laquelle est une joie sans
pareille.
cinq heures du matin, il faisait encore nuit, mais les premiers rayons
du soleil peraient dj. Aussi je pratiquai voir... voir... La couleur du
ciel tait un mlange mouvant de rouge et de jaune. Pendant quelques
instants ce fut encore le calme total.
Mais bientt le calme s`vanouit. De noirs vols de corbeaux venaient de
quitter leur quartier de nuit. Leurs cris rauques taient le premier gros
bruit de la journe. Je russis continuer de pratiquer entendre...
entendre... Mais dj dàutres bruits sàjoutaient au charivari :
aboiements et hurlements de chiens, bruits de voitures proches ou
lointaines, avions, voix humaines, cris dènfants, et musique stridente de
haut- parleurs se faisaient concurrence. Cèn tait trop pour moi. Je ne
pus en supporter davantage.
Je màttendais au bruit. Jàvais lu des rcits cris par des Occidentaux
qui taient venus en Birmanie pour y mditer. Mme prvenu, je
nàrrivais pas comprendre comment quiconque pouvait tre capable de
fixer son attention sur monter... descendre... , ou sur lever...
tendre... poser... , avec tout ce vacarme. De toute vidence, les bruits
forts et irritants simultans n`taient pas tellement propices la
pratique de entendre... entendre... Pour bien faire cet exercice il
fallait se fixer sur un son isol.
Je màttendais ce que le Saydaw sàpitoie sur mon sort en sèxcusant
que les conditions idales nèxistent point en Birmanie. Au contraire, le
Matre prsenta les choses comme une occasion unique, quelque chose
dont il fallait que je profite. Ce n`tait pas en fuyant ou en vitant les
cueils que je russirai les vaincre. La seule faon de les surmonter
tait de leur faire face calmement. Cela exigeait beaucoup
dèntranement.
Un obstacle nà besoin d`tre surmont quùne seule fois, mèxpliqua le
Saydaw. Quelle que soit sa nature ou sa puissance, il ne se reprsentera
60
plus jamais. Des obstacles sont toujours susceptibles de surgir dans un
esprit sous-dvelopp. La faute en est, non pas aux choses qui nous
entourent, mais lèsprit lui-mme. Mon problme, ce n`tait pas les
bruits du matin, c`tait mon contrle mental.
Le Matre me donna une nouvelle formule qui sàppliquait aux
distractions de lèsprit. Elle tait lìnverse de la formule concernant la
paresse. Energie forte plus concentration faible gale distraction.
La seule faon de matriser le facteur mental ngatif de la distraction est
de dvelopper la facult de concentration. C`tait lorsque les bruits
extrieurs dtournaient mon attention que je devais redoubler lèffort de
concentration. Le Saydaw me dit quèn pratiquant avec assiduit, je
vaincrai la distraction.
mesure que les jours passrent, je fis des progrs. En fait, aprs deux
semaines de pratique, je fus frapp par la limpidit tonnante de mon
mental. En dpit des bruits du dehors, je russis le maintenir
fermement ancr sur son objet. Les impressions sensorielles taient l,
isoles et aussi distinctes que làrbre unique qui se dresse sur la colline
dnude dans la pleine lumire du jour. Plus important encore, les
ractions qui faisaient immdiatement suite ces impressions taient
perues au moment mme o elles commenaient se manifester. On
pouvait ainsi les dvitaliser sans avoir leur rsister. Ne rsistez pas au
mal .
Ce sont les ractions aux activits des sens qui garent lèsprit de sa
route. Ce sont elles qui le confinent un niveau de dveloppement
infrieur. Nous sommes esclaves de ces ractions dont l`homme non
entran nà mme pas conscience. Je compris pourquoi toute activit du
mental autre que lènregistrement des impressions sensorielles doit tre
sacrifie , abandonne. Le renoncement nà donc rien voir avec la
volont
Jàvais atteint le stade o j`tais capable de pratiquer la contemplation
pendant vingt heures dàffile, sans mèndormir. Jèn ressentis un grand
rconfort et une grande joie. Je ne m`tais jamais senti aussi bien. Si lòn
tient compte des repas copieux et dlicieux quòn prparait spcialement
pour moi, ne pas cder au sommeil me parut une incomparable victoire.
Jàvais faim malgr la chaleur, et je mangeais avec beaucoup dàpptit.
Je pratiquai lèxercice assis aprs un gros djeuner, l`heure la plus
chaude, sans ressentir le besoin de dormir.
61
Je dcidai de rduire mes heures de sommeil ; je dormirai trois heures.
Mais un soir, entre neuf et dix heures, je fus saisi dùne profonde envie
de dormir. Je tentai de la matriser au moyen de la technique que jàvais
dj utilise, sans succs. Je sentis soudain une douleur atroce,
insupportable, agripper mon esprit. Son intensit dfie toute description.
Le Saydaw màvait mis en garde : Nàllez pas trop vite . Je fus forc
de comprendre la sagesse de son avertissement. Je vis ce qui arrivait
Ièsprit si on ne respecte pas la quantit de sommeil dont le corps a
besoin.
Je cessai aussitt de rsister au sommeil, la douleur disparut, et jàllai
me recoucher. On mà dit que dans certains pays dits civiliss, on torture
les gens en les privant de sommeil. Aprs lèxprience que jài vcue, je
ne suis pas surpris quùn homme avoue nìmporte quoi, mme si cèst
faux, si on le soumet ce genre de souffrance.
peine avais-je limin un obstacle quùn autre dressait sa tte hideuse.
Cela pouvait sembler dcourageant, lèffet tait pourtant inverse. Les
obstacles taient perus comme des occasions dàffter l`pe de sagesse,
celle qui permet de trancher les liens de lèsclavage.
Voici un autre exemple dòbstacle auquel je dus faire face. J`tais assis,
pratiquant monter... descendre... , depuis un bon moment
suffisamment longtemps pour que la conscience ait atteint un certain
niveau. Soudain, une chose tout fait terrifiante màrriva. Jèus la
sensation de tomber dans un abme sans fond. Je ragis immdiatement
par la peur. La peur tait une sorte de fuite qui fit que je bougeai
lgrement le corps. Lèxprience cessa aussitt. La sensation de chute
avait disparu mais je ne làvais pas matrise.
Etrange. J`tais l, assis sur la terre ferme, sans risque de ne tomber
nulle part. Et pourtant lèxprience de la chute avait t bien relle. La
sensation de tomber dans un espace vide revint plusieurs fois. chaque
fois, une peur intense me saisit.
Le lendemain matin, je contai ma msaventure au Saydaw et je lui
demandai conseil. Il me dit dàpprendre observer la sensation de chute
sans y ragir de quelque manire que ce ft. Regardez-la sans crainte,
simplement, me dit-il. Plus facile dire qu` faire ! Le Saydaw
mèxpliqua que la peur, ou toute autre motion ngative, se manifeste
toujours en fonction du moi. L`motion ngative est un mcanisme de
dfense dont lòbjectif est de voiler la ralit. En fait, seule la sensation
62
de chute dans le vide existe, personne ne tombe vraiment. Lorsquòn a
bien peru cela, la peur ne se manifeste plus jamais et la bataille est
gagne.
Il nèxiste quùne faon dèmpcher une motion ngative de se
manifester, dit le Saydaw. Il suffit de bien se concentrer sur la
sensation pour empcher lèsprit de vaciller. Lorsquìl y a Concentration
Juste, la fausse notion du je ou du mien ou du moi ne se
manifeste pas. Le rsultat est une contemplation sereine. Ainsi la
sensation disparat et elle ne revient plus jamais. Deux jours de travail,
environ, me prouvrent que ce que le Saydaw màvait dit tait vrai.
Nanmoins, je devais connatre des sensations encore plus dplaisantes.
Quelques jours aprs avoir vaincu la sensation de chute, jèus
Iìmpression que de petits insectes me couraient par tout le corps,
piquant et mordant ma peau tendre. Je bondis de ma position assise et
tentai de faire tomber les insectes. ma grande stupeur, il n`y avait pas
dìnsectes. Je me rassis, et je repris mon travail. Trs vite, une nouvelle
sensation trange surgit.
Cette fois d`tait une douleur insupportable dans les cuisses ; comme si
on y enfonait un fer rouge. Jòuvris les yeux et je regardai mes cuisses.
La sensation cessa. Encore une fois, je me demandai ce qui se passait.
Jèus beaucoup de sensations tranges ce jour l - sensation de froid,
dèxtrme chaleur, comme si mon corps tait en feu, douleurs aigus,
comme si on me plantait un poignard ou un bton pointu dans le corps,
piqres, comme si on mènfonait des milliers dàiguilles, etc. Toutes ces
sensations douloureuses alternaient, sèstompaient, puis revenaient avec
plus dìntensit encore.
Le matin, je mèmpressai de rapporter toutes ces sensations au Saydaw.
Celui-ci màssura que je nàvais aucune raison de màlarmer. Au
contraire, je devais me rjouir car ce genre dèxprience tait le signe
certain que la contemplation tait en voie de dveloppement et que je
progressais. Les sensations n`taient ni graves, ni la manifestation dùne
maladie quelconque. C`taient des phnomnes courants, toujours
prsents dans le corps. Lèsprit est en gnral occup par des objets qui
Iàttirent davantage, aussi ces sensations restent-elles dans lòmbre. La
facult mentale de la perception sàiguise mesure que la contemplation
se dveloppe, et lòn peroit alors ces sensations.
63
Lorsquìl atteint le stade o il prend conscience de ces sensations
douloureuses ou dplaisantes, l`lve, parfaitement impassible, doit
rsolument les contempler pour les vaincre. Si lòn nèst pas capable de
contempler ces sensations douloureuses avec srnit, on a tendance
bouger le corps, ce qui provoque un changement de conscience, et la
sensation cesse ; dans ce cas, les sensations reviennent toujours.
La mthode pour les surmonter est de noter mentalement, par exemple :
douloureux... douloureux... , mordant... mordant... , ou irritant...
irritant... . La note mentale doit se faire de faon rgulire, ni trop
lentement, ni trop vite. On maintient ainsi lèsprit orient sur lèndroit
o la sensation, dplaisante ou douloureuse, se manifeste. Il se peut que
la douleur augmente ou quèlle disparaisse. Lorsquòn prend conscience
quèlle augmente, on ne doit pas sàlarmer. Il est important de continuer
observer impassiblement. En procdant ainsi, la douleur gnralement
disparat pour ne plus jamais revenir : Ne rsistez pas au mal .
Grce mes efforts soutenus, je russis vaincre ces sensations. Le
Saydaw me conseilla de prendre un jour de repos. U Tin offrit de me
faire visiter la ville, et le Matre acquiesa. Nous allmes chez U Tin o je
fis connaissance de son pouse et acceptai une invitation djeuner.
Nous fmes brler un btonnet dèncens et mditmes dans lòratoire de
U Tin, endroit sacr de la maison que lòn trouve dans la plupart des
foyers birmans. Je pensai la statue du Christ que ma mre avait dans
sa chambre, et devant laquelle elle avait coutume de prier. U Tin me
montra les costumes quìl avait achets New York, mais quìl ne portait
jamais Yangon. Puis il me prta un longyi en soie que je mis pour
sortir, et nous partmes.
Nous visitmes dàbord le monument le plus remarquable Yangon, la
Pagode Shwedagon dont la construction remonte 505 av. J.C. environ.
Nous laissmes nos sandales dans la voiture et nous marchmes nu-
pieds entre deux gigantesques ogres mythiques, cratures roses et
lonines, qui gardent lèntre. Des quatre points cardinaux, quatre
escaliers monumentaux couverts, permettent dàccder la plate-forme
du sanctuaire. En gravissant les marches, nous passmes devant des
marchands dòffrandes de fleurs, de cierges, de cymbales, de
reprsentations du Bouddha, en albtre et en cuivre. lùn des stands,
nous achetmes un paquet de fines feuilles dòr battu, de la taille dùne
carte postale. Elles sont destines tre fixes la base de la pagode.
Nous achetmes galement des fleurs au parfum odorant, et des cierges.
64
Nous atteignmes enfin la vaste plate-forme pave de marbre, que
garnissaient un nombre imposant de petits sanctuaires. Je grimpai une
chelle de bois pour fixer mes feuilles dòr, et ajouter ainsi un infime
clat la gloire du sanctuaire. La pagode dore se dressait 300 mtres
environ, au-dessus de la plate-forme ; des pierres prcieuses et des
diamants ornaient se cime.
Nous visitmes les sanctuaires qui contenaient les statues du Bouddha
dans les quatre postures conventionnelles : assis, les mains jointes
indiquant la mditation ; assis, la main gauche ouverte pose sur la
cuisse, la main droite sur le genou droit, les doigts orients vers le bas -
la posture de lìllumination ; le Bouddha enseignant, debout, la main
droite leve ; le Bouddha atteignant lÙltime Ralit, allong sur le ct
droit, la tte reposant sur la main droite, le bras gauche sur la jambe
gauche. Nous disposmes nos fleurs dans un vase, nous allummes nos
cierges, et nous mditmes devant lui. Nous versmes de lèau, symbole
de purification, sur une autre statue du Bouddha. Nous mditmes dans
plusieurs sanctuaires. Puis U Tin me demanda de frapper trois fois sur
une grosse cloche en faisant un vou.
Notre seconde visite fut pour Kaba Aye. Cèst une pagode moderne qui
possde en son centre une gigantesque statue du Bouddha dans la
posture de lìllumination. Kaba Aye veut dire Paix Mondiale. Prs dèlle
se trouve la Grande Grotte. Elle fut construite pour abriter le Sixime
Grand Concile Bouddhiste en 1954. Cèst une grotte artificielle dont
Ièxtrieur est couvert de rochers, et lìntrieur une immense salle de
runion. Elle est surmonte dùne coupole soutenue par six colonnes de
bton et elle possde six entres qui symbolisent les six portes des sens
de l`homme, et lèsprit qui habite la grotte. U Tin mìndiqua o feu le
Rvrend Leslie Lowe, de Los Angeles, tait assis pendant le concile. U
Tin me dit quìl làvait reconnu facilement, car c`tait le seul moine en
habit civil.
La grotte tait agrablement frache. Dehors, le soleil tait si chaud que
nous courmes la voiture, comme on court pour chapper la pluie.
Chez U Tin, un repas dlicieux et exotique nous attendait. Je dcouvris
les mangoustans et autres fruits tropicaux. Une jeune femme se tenait
derrire ma chaise et m`ventait avec un grand ventail.
Puis ce ft l`heure de rentrer. Sur le chemin du retour nous achetmes
des fruits pour les offrir au Saydaw. Vers quatre heures, environ, on me
ramena chez Yogi U Tin et je repris mon travail de contemplation.
65
Chapitre VI
SAMDHI
La conscience pleinement veille et concentre sur le corps,
Surmonte la passion et lìnsatisfaction, la peur et làngoisse.
Ainsi est-on capable dèndurer le froid et la chaleur, La soif et la faim ;
Le vent, la pluie et le soleil brlant ;
Patiemment on subit les paroles dsagrables et dplaisantes,
Les douleurs physiques qui sont aigus, dsagrables, dplaisantes...
Visuddhimagga
Celui qui,
Dans làction voit lìnaction,
Et dans lìnaction, làction,
Est un sage parmi les hommes.
Lao-Tzu
Je ne connais, amis, rien qui,
Non frein, non contrl, non surveill, non dompt,
Conduise une aussi grande ruine que la pense ;
Et je ne connais rien qui,
Frein, contrl, surveill, dompt,
Produise autant de bienfaits que la pense.
Le Bouddha
66
Aprs cette journe de vacances, je commenai une nouvelle phase de
Ièntranement. Le Saydaw me suggra de ne prendre quùn repas lger
dans la soire, et de tenter par la suite de màbstenir totalement de
nourriture aprs le repas de midi. Il me recommanda d`tendre deux
heures la priode de temps que je concentrais aux exercices assis et la
marche, et d`largir le champ de ma conscience de manire couvrir
toutes mes activits diurnes et nocturnes. Ceci tait conforme aux
instructions donnes par le Bouddha pour agir en pleine conscience : en
sortant ou en entrant, en regardant devant soi ou en regardant autour de
soi, en pliant ou en redressant les parties du corps, en mangeant ou en
s`habillant, en dfquant ou en urinant, en marchant ou en se tenant
debout, en sàsseyant ou en sàllongeant, en se reposant ou en tant
veill, en parlant ou en se taisant.
On me dit de prendre note mentalement dàbord de mon intention de
changer la position de mon corps ou de mes membres, et de continuer
ensuite par chaque phase du mouvement. Ceci devait sèffectuer trs
lentement afin d`tre pleinement conscient du mouvement. Lorsque je
me mettais debout, par exemple, je devais noter lìntention de me mettre
debout : intention de me tenir debout... intention de me tenir
debout . Ensuite, je devais noter mentalement chaque action que le
mouvement comportait au moment mme o je me disposais me tenir
debout. Je devais alors maintenir mon esprit concentr sur làction de
me tenir debout, et noter mentalement debout... debout... Si je
voulais màsseoir, je devais suivre la mme procdure : intention dàller
màsseoir, marcher vers lèndroit choisi, atteindre lèndroit, intention de
màsseoir, le mouvement vers le bas en màsseyant, le mouvement
consistant placer mes jambes et mes mains en position. Une fois assis,
je devais effectuer ma contemplation habituelle de monter...
descendre...
67
La nuit, lorsque jàllais me coucher, je devais noter chacun de mes
mouvements. Ds que j`tais en position couche, je devais reporter ma
concentration sur le mouvement ascendant et descendant de la paroi
abdominale. Le matin, la premire chose que je devais faire en
m`veillant, tait d`tre conscient de me rveiller, de faire mon lit,
dòuvrir ou de fermer une porte - tout ceci devant tre effectu avec le
mme souci dàttention. Chaque dtail de làction de manger devait tre
not : regarder la nourriture, porter la nourriture la bouche, la
nourriture touchant la bouche, retirer la main, goter, avaler.
Ce type dàttention me permettait de poursuivre mon intense
contemplation du mouvement ascendant et descendant de làbdomen et
de lever... tendre... poser... de lèxercice de la marche. Je ne devais
pas màppesantir sur làction de voir ou dèntendre dàutres gens lorsque
je mèn tenais la note mentale voir ou entendre . En màbstenant
de ce type de rflexion, mon esprit ne nourrirait plus les passions (kiles
en pali) qui le souillaient. Si ce type de pense surgissait cependant, je
devais aussitt faire une note mentale : ( rflchir par exemple), deux
ou trois fois, et poursuivre ensuite ma contemplation habituelle.
La conscience ininterrompue au cours de chaque moment du rveil,
pratique dans la Mditation vipassan est semblable làction
dàllumer un feu avec deux baguettes. On doit frotter celles-ci
constamment lùne contre làutre, jusquàu moment o la premire
tincelle jaillit. mesure que les baguettes s`chauffent, on doit
redoubler dèfforts. Ce nèst que lorsque le feu est allum que lòn peut
se reposer. Le mditant doit travailler dur pour viter les interruptions
entre le moment o il note une chose, et le moment o il note celle qui
suit.
Chaque moment mental devait tre observ tel quìl se prsentait - quìl
soit bon ou mauvais, agrable ou dsagrable. De mme, en ce qui
concernait les impressions sensorielles, chacune devait tre note telle
quèlle se prsentait, bonne ou mauvaise. Si rien de particulier ne se
produisait dans ce domaine, je devais revenir monter... descendre... ,
ou la marche.
Le Matre ajouta quìl y aurait de nombreuses omissions, mais que je ne
devais pas me dcourager, et persvrer. En pratiquant avec assiduit, il
y aurait de moins en moins dòmissions, et jàpprendrais noter un
nombre de dtails plus grand que celui mentionn dans les instructions.
Le Bouddhisme dclare, ajouta le Saydaw, que la patience mne
68
nibbna (absolu). La patience joue un rle important dans
Ièntranement la contemplation. Si le mditant nèst pas capable de
supporter avec patience les sensations dplaisantes, par exemple, et quìl
change souvent de position au cours de sa contemplation, il ne peut
dàttendre obtenir la concentration parfaite de lèsprit : (samdhi).
Sans samdhi, on ne peut esprer acqurir la Connaissance par la Vision
Intrieure (vipassan-a), et sans vipassan-a, on ne peut pas
atteindre la Voie et le Fruit (magga phala) et nibbna.
Cela faisait maintenant trois semaines, environ, que je pratiquais.
Pendant toute cette priode, jamais je n`prouvai le moindre
dcouragement. Je ne fus jamais fatigu. Au contraire, je ressentis
constamment de lòptimisme, une relle joie de vivre jusquàlors
inconnue. samdhi sàmliora considrablement. Le calme et la lucidit
parfaite que lòn atteint une fois que samdhi a t suffisamment
dvelopp ne sont pas transmissibles par des mots. Une certitude, un
rythme, un quilibre et une srnit indescriptibles s`tablissent.
Nanmoins, la rsignation nèst pas la source de ce calme. Il ne sàgit
nullement dùn abandon ou dùn renoncement la lutte, mais plutt
dùne mystrieuse certitude qui envahit obligatoirement tous ceux qui
russissent faire taire le vieil homme lìntrieur dèux-mmes. La
certitude, au sens o je lèntends, est tout fait diffrente de ce que lòn
appelle gnralement la confiance en soi, qui est cre par le prince des
tnbres lorsque celui-ci se sent sr de lui et puissant.
Cèst grce samdhi que jài compris pourquoi on nous a conseill de
jener au monde, de ne pas juger, de ne pas laisser la main gauche
savoir ce que fait la main droite, de ne pas verser du vin nouveau dans
du vin vieux, de ne pas coudre un morceau de tissu neuf sur un vieux
pantalon .
samdhi est form de dhi tre ferme , stable , inbranlable ,
immobile , rsolu etc., et de sam juste , bon , salutaire . On
ne peut le comprendre quàu cours dèxercices de concentration
prolongs. Il se manifeste seulement lorsque le mditant a russi
maintenir son corps et son esprit parfaitement immobiles - cèst--dire
lorsquìl a atteint la matrise parfaite du corps et de lèsprit.
samdhi est caractris par la perception directe ou pure . Ce qui
veut dire que lòbjet de la concentration est illumin , en quelque sorte,
et rflchi dans sa puret primordiale, comme dans un miroir. Lèsprit
est en situation dèxaminer et d` assimiler minutieusement lòbjet. De
69
cette manire, une connaissance surgit, que lòn ne peut rduire nos
catgories ordinaires de jugement - une connaissance qui ne peut tre
dcrite.
samdhi permet au mditant de garder son autonomie vis--vis du
monde extrieur. Il s`lve au-dessus du mode dèxistence ordinaire.
Toutes les impressions sensorielles peuvent tre contemples sans quòn
leur donne un nom ou quòn les convertisse en penses, sans que lòn
porte de jugement sur elles. Ce qui veut dire que la chaleur ou le froid, la
faim ou la soif, le confort ou lìnconfort, ne peuvent plus agir ou
perturber la srnit mentale de làspirant. Les objets attrayants ou
dtestables qui viennent entrer en contact avec lèsprit ne peuvent pas
troubler son impassibilit.
samdhi peut se dfinir comme la conscience pure qui observe. Cet un
niveau de conscience, absente de toute pense discursive et de toutes
formations verbales. Il nèst donc pas conditionn par des expriences
antrieures. Cèst le type de conscience indispensable la pratique de la
Mditation de la Vision Intrieure. Puisquìl constitue un moyen
dàtteindre au but (la connaissance ultime ou la plus haute connaissance
par la Vision Intrieure), il est considr comme l`tat de concentration
dàccs ou concentration de voisinage (Upacra- samdhi). Au Moyen
Age, le parvis des cathdrales tait l`quivalent, la reprsentation
symbolique de cet tat de concentration dàccs : toute personne qui s`y
rfugiait bnficiait du droit dàsile, droit inviolable accord ce lieu
sacr en raison de la possibilit dèntrer dans la maison de Dieu .
Une fois que lòn a dvelopp samdhi, la conscience est maintenue
I`cart des rsidus subconscients impurs, susceptibles de lènvahir et de
la contaminer. Avec samdhi, on parvient lùnit primordiale de
conscience, inaccessible aux stimuli subliminaux. Le mditant ne court
pas le risque de sombrer dans un tat dàuto-hypnose, ou de tomber
dans une transe caractre hypnotique. L`hypnose nèst possible que
dans un esprit divis - l`tat de conscience humaine ordinaire avec sa
double division en sujet/objet, prsent/pass, etc., le rsultat de
Iìgnorance. Avec samdhi, cette division est totalement abolie.
Ds que lòn a matris la division de lèsprit au moyen de samdhi, la
peur nèxiste plus, pas mme la peur de la mort. Cèst par lèxprience
que je le compris.
70
Je commenais maintenant pratiquer une heure du matin, ayant
rduit mes heures de sommeil trois heures. Un matin, aux environs de
deux heures, je vis un gros chien noir, trs loin devant moi. La clart de
la lune illuminait la nuit. Je vis briller les yeux verts et phosphorescents
de lànimal qui venait en courant dans ma direction.
Depuis ma plus tendre enfance, jàvais toujours eu peur des chiens. Je
me rappelle en avoir tourment un qui me mordit cruellement la
jambe, me causant une souffrance terrible. Le chien noir sàrrta
soudain en face de moi et gronda avec colre. Je demeurai parfaitement
immobile, et contemplai la lumire verte qui jaillissait de ses yeux. Mon
attention fut galement attire par ses dents blanches que jòbservai un
long moment. Finalement le chien fit demi -tour et repartit
tranquillement. Je repris mon exercice de marche comme si rien ne
s`tait pass.
Ce nèst quùne fois rentr la maison, au moment de me mettre en
position assise, que je me mis rflchir ce qui tait arriv. J`tais trs
surpris par ma totale absence de crainte. En fait, lèsprit et le corps
taient demeurs calmes et imperturbables, comme si rien dìnhabituel
ne s`tait produit. Je me demandais pour quelle raison j`tais rest calme
et sans crainte devant ce chien trange qui me grognait aprs, comme
sìl avait voulu me mordre.
Je racontai lìncident au Saydaw le lendemain matin, et il mèxpliqua
ce qui s`tait pass dans mon esprit : Lorsque lèsprit est en tat de
samdhi, me dit-il, lòbjet peru nèst plus connu au moyen des
associations verbales ou logiques, car la mmoire cesse de fonctionner.
èsprit en samdhi saisit lòbjet directement, sans làide de catgories,
de lìmagination, de la mmoire ou du jugement. Làction cognitive est
dpourvue dàpptits et des trois racines nfastes, la base de lègo, qui
influent sur les apptits : la convoitise (lobha), les dsirs mauvais
motivs par la haine (dosa), et la stupidit engendre par les tnbres de
Iìllusion (moha).
En tat de samdhi, toutes les illusions disparaissent compltement. La
conscience nèst plus en contact avec les anciennes expriences
emmagasines dans les rgions subliminales de lèsprit. Le prsent ne
rencontre pas le pass qui le conditionne, contrairement ce sui se
passe au niveau de la conscience ordinaire. Le processus habituel
dàbstraction qui caractrise la pense ordinaire cesse de fonctionner.
Cela explique pourquoi mon esprit ne put pas reproduire de pense
71
crant la peur : Jài t mordu par un chien, une fois ; je sais trs bien
comme cela est douloureux. Ce chien va maintenant me mordre et je
vais ressentir une douleur identique .
Lorsque lèsprit est en tat de samdhi, non seulement il connat
pleinement lòbjet de làttention, mais encore il sait sans faute et avec
une extraordinaire spontanit quelle action il doit entreprendre, le cas
chant. Le couple esprit/corps tombe sous lìnfluence de ce que lòn
peut au mieux dfinir comme le soutien de la protection divine. Aucune
action nuisible ou aucune faute nèst possible. Jài connu plusieurs
expriences qui peuvent servir illustrer ce que je veux dire. En voici
deux :
Tt le matin, lorsque personne n`tait encore lev, jàrais frquemment
mon corps. La salle de bains, la chambre, le salon et la salle manger,
me procuraient suffisamment dèspace pour pratiquer lèxercice de la
marche que jèffectuai nu. Un matin, alors que je me tenais debout,
immobile et sur le point de tourner dans la salle de bain, un animal
sauta sur mon dos. Je sentis distinctement ses griffes acres qui me
peraient la peau. La bte s`tait solidement agrippe mon dos. Je
chassai aussitt lànimal avec ma main, en me demandant quoi il
ressemblait. Au moment o celui-ci tomba sur le plancher, je levai le
pied pour l`craser. Mais je ne pus aller plus loin. Une force trange
empcha mon pied de bouger. Je fus incapable d`craser la minuscule
grenouille qui me regardait de ses petits yeux noirs, tranquillement
assise sur le plancher. C`tait un gentil petit animal, et qui nàvait pas du
tout peur de moi.
Je ressentis une gratitude immense pour cette force mystrieuse qui
màvait empch de tuer stupidement la grenouille. Avec le temps, jèn
vins aimer cette petite grenouille qui màidait nettoyer la maison des
insectes, tout comme les lzards domestiques. Tous les soirs, je la voyais,
assise sur le mme tuyau de la salle de bains, me contemplant pendant
que je prenais ma douche. Parfois, comme si elle avait voulu mèxprimer
sa reconnaissance pour làvoir pargne, elle sautait sur mes pieds, mais
jamais elle ne revint sur mon dos. Les Birmans nomment ces
grenouilles : grenouilles volantes , me dit U Tin, parce quèlles sont
capables de sauter dùn mur làutre, avec la plus grande aisance.
Plusieurs jours plus tard, le mme pouvoir mystrieux se manifesta
encore. Je marchais dans la maison, totalement concentr sur lever...
tendre... poser... , lorsque jèus lìmpression que quelquùn me tirait en
72
arrire pour mèmpcher dèntrer dans la salle manger. Jèus une
vague sensation de danger, mais sans aucun sentiment de peur. Sans
manifester la moindre curiosit pour ce qui pouvait se passer dans la
salle manger, cette nuit l, j`vitai cette pice, et je continuai lèxercice
de marche, comme de coutume. Cette surprenante attitude de
dsintressement est caractristique dùn esprit parfaitement concentr.
Le matin suivant, je pntrai dans la salle manger, ayant oubli ce qui
s`tait pass durant la nuit, et je vis alors la peau dùn grand serpent,
derrire la porte. Une fois de plus, je remerciai la force bnfique qui
màvait protg de graves dangers diffrentes reprises.
73
Chapitre VII
RAVISSEMENT INFINI
Que ses penses dàmour sans frontires
Pntrent lùnivers tout entier,
En haut, en bas et travers, sans obstacles,
Sans haine, sans inimit.
Connais -toi
Et tu connatras
Ùnivers et les Dieux
Inscription du Temple de Delphes
Allge, disciple, cette barque pesante,
Vide, elle voguera lgrement.
Quand tu seras affranchi du joug difficile
secouer, tu sauras que nul bonheur nèst
Aussi grand que la paix de lèsprit.
Le dhammapada
74
Jèntrai dans la salle manger un matin, et j`y trouvai un grand bol de
sauce de poisson avec des tranches dòufs durs, et une copieuse assiette
de nouilles de riz, frites. Je pensai que ce matin l, la servante birmane
avait peut-tre confondu les ordres, et quèlle màvait servi le djeuner
la place du petit djeuner. Non pas , me dit Yogi U Tin, qui entrait
comme la servante sortait, ceci est un petit djeuner de fte
typiquement birman, appel monhinga. Cèst en l`honneur de lùn des
moines allemands qui part demain pour lÀllemagne, aprs un sjour de
cinq ans parmi nous .
J`hsitai, dàbord, manger une nourriture aussi riche, tt le matin.
Mais lorsque je gotai au plat, je le trouvai si dlicieux, que je le mangeai
de bon apptit. J`tais toujours affam l`heure du petit djeuner ;
jusqu` prsent jàvais suivi le conseil du Saydaw de prendre un verre
de jus de fruit en guise de repas du soir. Yogi U Tin fut content de ma
voir manger dùn tel apptit.
Il ne venait pas souvent me voir ces derniers temps, car il ne voulait pas
perturber mon entranement intensif de la mditation. Il profita de
Iòccasion pour me demander si je progressais. Puis il dit une chose
surprenante. Si seulement vous pouviez en arriver au stade de la
souffrance , me dit-il, une expression grave sur le visage. Quèntendait-
il par l ? me demandai-je. Je fus tent de rpondre que j`tais anim
dùn plus grand zle encore, que je ressentais plus de dlices, plus de
satisfaction, plus de joie et plus de bonheur, mais je mèn abstins.
Vous tiez beaucoup trop maigre pour votre taille lorsque vous tes
arriv chez nous , dit Yogi U Tin, en souriant ? Maintenant, regardez,
vous avez grossi rcemment. Il me complimenta alors sur lèxpression
radieuse qui manait de ma figure, et il sortit en me souhaitant bonne
chance.
75
Le fait dàvoir pris du poids en consommant moins de nourriture peut
sembler illogique, mais cèst pourtant ce qui se passa pour moi. En ne
mangeant plus rien aprs le repas de midi jusquàu matin suivant, je
retrouvai mon poids normal, celui qui tait le mien avant que je tombe
malade. Ma capacit de concentration sàmliora elle aussi, comme je
pus mèn rendre compte la suite de l`vnement suivant :
Un des tuyaux de la salle de bains fuyait. Un jour, le plombier entra pour
le rparer, juste au moment o je pratiquai lèxercice assis aprs le
djeuner. Toute la maison rsonnait de ses coups de marteau. Je tentai
de me rfugier dans la salle manger, mais le bruit y parvenait avec
autant de force que dans ma chambre. Un instant, je me demandai si je
ne ferai pas mieux dàller pratiquer la marche dehors. Non, me dis-je,
bruit ou pas bruit, lèxercice assis est lèxercice que je dois pratiquer. Je
dcidai de redoubler dèffort pour fixer mon attention sur le mouvement
de mon abdomen, et de l`y maintenir avec une telle intensit que le
vacarme nàurait aucune chance de disperser mon esprit.
Aprs avoir pratiqu avec ardeur pendant quelque temps, la conscience
commena ne plus faire quùn avec le mouvement ascendant et
descendant de làbdomen. Le rsultat fut une extraordinaire sensation
de ralit, et un sentiment indescriptible de contentement. J`mergeai
de cet tat de flicit au bout de deux heures environ. Ce fut alors
seulement que je ralisai que le sens de lòue avait t totalement
suspendu pendant que j`tais assis. Ce qui voulait dire que la conscience
nàvait pas t affecte par les bruits extrieurs. En revenant un niveau
de conscience ordinaire, le mouvement monter... descendre avait t
peru comme sìl avait t fait de coton - c'est--dire quìl n`y avait eu
aucun sentiment de ralit le concernant. mesure que cette sensation
de ralit sèstompait, je ressentais un manque immense. Je compris
alors quùn esprit unifi tait une joie en soi ; c`tait peut-tre a la
conscience paradisiaque que l`homme a perdue en laissant lèsprit se
diviser en sujet/objet.
Je me levai pour pratiquer lèxercice de la marche, et je constatai avec
surprise que le plombier avait termin son travail, et quìl tait parti. La
grille en fer de lèntre principale tait ferme, mais je ne làvais pas
entendue grincer. J`tais stupfait. Quelques jours plus tard je connus
une exprience encore plus surprenante :
Un aprs-midi que je pratiquais lèxercice assis, je sentis une telle
nergie en moi que la concentration devint aise, presque automatique,
76
ce qui permit la conscience de voir son objet de contemplation -
monter... descendre... , et de suivre le mouvement avec acuit et
prcision. Il n`y eut aucune distraction venant soit du dedans soit du
dehors, et aucun vacillement En poursuivant ma contemplation, je
sentis l`nergie sàccrotre considrablement et perfectionner la
concentration jusqu` ce que celle-ci atteigne son point culminant.
Je pris soudain conscience que mon buste s`tait inclin presque
toucher mes cuisses. Je fus surpris que làction de sìncliner se soit
produite sans que jèn aie t conscient. Je me redressai aussitt. Peu
aprs je me retrouvai nouveau dans la mme position bizarre, sans
mèn tre rendu compte. Cela se rpta trois fois de suite, de faon
relativement rapproche. Je pense que làction de se pencher vers làvant
doit avoir t due la perte de tonus des muscles extenseurs du dos,
processus que lòn ne peroit ordinairement pas.
La colonne vertbrale parut ensuite rester droite, il n`y eut plus
dìnclinaison vers làvant, et je pus reprendre la contemplation de
Iàbdomen sans quìl y et de perturbation. Alors les muscles extenseurs
du dos commencrent spontanment se raidir. En lèspace dùn clair,
la colonne vertbrale devint aussi raide quùn bton, sans que jàie
ressenti de douleur. Au mme moment, jèus la sensation que mon corps
tout entier tait fait de vapeur ou dàir. La sensation habituelle de
solidit et de substantialit qui sàttache gnralement au corps de chair
et dòs s`vanouit. Je sentis le poids de mon corps disparatre
compltement. C`tait curieux et agrable la fois. La sensation d`tre
libr de ce corps encombrant tait plaisante. On pouvait encore
distinguer clairement la forme corporelle dans son ensemble, et celle de
ses parties - bras, jambes, tronc et tte. Làcuit, la nettet et la clart de
la perception du mouvement de la paroi abdominale, restait, elle aussi,
inchange.
Nanmoins, cet tat vaporeux ne dura pas longtemps. Le corps tout
entier commena se dissoudre et sèstomper. cet instant, je me
sentis soudain violemment aspir, tir vigoureusement vers le haut.
Cette sensation dàbsorption se produit trs vite et de faon inopine. La
force tait si brutale et si violente que je pris peur. Au cours de
Iàbsorption, dont la dure ft extrmement brve, jèus le sentiment
poignant de rencontrer un tre , une entit, que je ressentis la fois
comme un total tranger et comme tant moi-mme. Cela peut sembler
paradoxal, je le sais, mais jèssaye de relater lìncident tel que je lài vcu.
77
Les mots ne peuvent exprimer combien cet tre tait gnant,
dsagrable et dplaisant.
` tre ou le gardien du seuil , comme làppelle Rudolf Steiner, fut
crois et laiss derrire. Au mme instant, jèntrai et demeurai dans une
nouvelle dimension, un nouveau plan dèxistence qui dfie toute
description. C`tait un plan mental totalement isol du plan terrestre, o
tous les sens, la notion du temps, la volont et la capacit former des
mots et des penses, nèxistaient plus. Cèst l que se situent les rgions
suprieures de la Perfection - les plans Divins dont parlent toutes les
religions.
Je vais tenter de dcrire le Royaume tel que je lài vcu, tout en
sachant que les mots sont impuissants transmettre une telle
exprience. Du fait que le niveau sensoriel et le niveau verbal de lèsprit,
Iìntellect, sont toujours conditionns, aucun de ces deux tats de
conscience ne peut saisir ce qui est impliqu dans un tat de conscience
Divin qui est toujours inconditionn, c'est--dire qui existe en soi. De l
les termes : Ravissement, Perfection, Divin, Paix, Bonheur, Joie,
Equanimit.
Une Paix Indicible fut le premier tat de ravissement. Cet tat de paix
tait si profond et si parfait, quìl transcendait toute comprhension ;
ce qui dit bien lìmpossibilit de dcrire une exprience de cet ordre.
Etant donn que la notion de temps nèxiste plus, il est impossible de
dterminer combien de temps on demeure dans cet tat de Ravissement.
Mais la disparition dùn tat mystique est toujours marque par une
secousse subtile qui indique quùn plan suprieur sèst ralis. L`tat
situ au-dessus de la Paix, est le Bonheur. Une autre petite secousse,
et lòn accde la Joie. son tour, cet tat de Ravissement disparat, et
Iòn demeure dans l`tat dÈquanimit. Chaque tat Divin est
inconditionn, il existe en soi.
Oui, jài compris ce jour l quìl fallait effectivement tre n deux fois ,
sinon les demeures clestes restent incomprhensibles. Pourtant, le
Royaume est accessible, ici et maintenant, tout homme vivant sur
cette terre. Il suffit de se mettre au travail pour purifier lèsprit.
Pour la premire fois de ma vie, jài compris ce que lòn entendait par
IÙnit de Conscience (Unio Mystica) qui caractrise tous les Plans
Divins. N`tant en aucune faon dòrdre sensoriel, motionnel ou
78
intellectuel, le raffinement extrme, la puret intrinsque, la beaut,
Ièxaltation, la stabilit, lìndpendance, et la vie plus abondante
quìmpliquent les tats Divins de conscience, sont inconcevables pour
ceux qui ne connaissent que la sphre des sens. Mais le mditant qui a
franchi la frontire du monde sensoriel pour accder aux mondes
Divins comprend quìl sàgit l dùn vnement vcu, rare et
extraordinaire, une ralisation bnie qui imprgne son cour dùne
Prsence indlbile.
La redescente sur le plan ordinaire dèxistence, le monde des sens, et la
rintgration dans le corps, se produisirent sans -coup. Elles
sèffecturent si doucement quèlles restrent totalement imperceptibles.
Il y eut soudain la conscience des sons qui frappaient lòreille : le cri
rauque des corbeaux, une voiture qui passait, des voix humaines,
quelquùn qui marchait sur làlle de ciment avec des sandales de bois.
òue est donc la premire reprise de contact du mditant avec le
monde ordinaire, lorsquìl revient des rgions clestes. Quelle
dception ! Quel esclavage ! Quelle agitation !
ùnivers quotidien des six sens et de leur activit incessante parat
extrmement agit, irritant, et trs dcevant, compar au monde Divin
de Paix et de Batitude. Heureusement, le mditant qui a subi une
mtamorphose profonde est maintenant capable dèndurer les
vicissitudes de la vie quotidienne avec patience et srnit. En outre il
ramne avec lui le don inestimable dÀmour et bien dàutres bienfaits.
Faisant suite aussitt la perception des sons, le corps fur senti. La
position assise put tre clairement perue. Avec lenteur, une lenteur
surprenante, les paupires commencrent sòuvrir, et il y eut
perception de la lumire du jour. Je nèn crus pas mes yeux lorsque je
consultai le rveil en face de moi - trois heures moins le quart. Cela
voulait dire que j`tais rest prs de trois heures assis, et pourtant tout
ce temps nàvait sembl durer que quelques minutes. Entre-temps le
soleil s`tait dplac, et je baignais dans ses rayons. Mon corps tait
couvert de transpiration, et je la sentis couler le long de ma colonne
vertbrale. Mais la chaleur brlante du soleil de làprs midi -
auparavant si dsagrable - semblait ne plus me dranger du tout. Je
me sentais trs confortable et làise.
Soudain, une vague de gratitude mènvahit, et je fondis en larmes.
Celles-ci tombaient dans le creux de mes mains, toujours dans la
79
position de la mditation. Mon cour dbordait dùn amour que je
pouvais diriger sur tous ceux auxquels je dsirais lènvoyer. Je pensai
dàbord ceux qui avaient tellement contribu au succs de ma
mditation : le Vnrable Mahs Saydaw, le Vnrable Nyanaponika,
Myanaung U Tin, et Yogi U Tin. Je pensai mes amis et mes lves
aux tats-Unis, aux membres de ma famille et mes amis en Alsace. Je
pensai aussi ceux qui souffrent et mme ceux qui font le mal. Aprs
avoir t baptis dans les Eaux Divines, on est absolument incapable
de har ou mme de ne pas aimer, ou de faire le moindre mal
quelquùn, que ce soit un animal ou un homme.
Je dcidai de me mettre debout et de faire mon exercice de marche. Je
commenai lentement bouger mes jambes et je constatai avec stupeur
que je ne ressentais pas la moindre raideur. Quelle merveille ! Mes
jambes taient aussi lgres quùne plume. Il ne semblait pas y avoir de
rsistance lorsque je les bougeais. La mme condition agrable prvalut
lorsque je bougeai les autres parties du corps. Lorsque je marchai, par
exemple, comme ce fut plaisant et facile de mouvoir mes jambes ! Jèus
Iìmpression quèlles se dplaaient toutes seules. Lorsque mes pieds
touchaient le sol, c`tait peine perceptible, tellement mon corps
semblait lger et souple.
Ce jour l, jài compris que la conscience conditionne le corps, et quìl y a
une diffrence entre une exprience motionnelle et une exprience
mystique vritable. Un tat motif peut tre une merveille vous couper
le souffle mais ne transforme pas la matire du corps. Par contre, aprs
une exprience mystique vritable, lèsprit purifi ne ressent plus le
corps comme une matire encombrante, mais comme un assemblage de
qualits telles que la lgret, la souplesse, la docilit, la flexibilit, la
mallabilit, làdaptation, etc.
Cet aprs- midi l, je marchai trois heures sans màrrter. Je ne ressentis
aucun sentiment de fatigue ou dìnconfort en dpit du soleil brlant.
Tout me paraissait beau, merveilleux, parfait et agrable. partir de ce
jour, je consacrai des priodes de trois heures aux exercices habituels de
marche et de position assise.
Je nàvais jamais t aussi heureux. Une joie dùne rare qualit inondait
mon esprit et mon corps. Une extraordinaire nergie pulsait dans tout
mon corps, un sentiment exubrant de vitalit, une joie de vivre
indescriptible qui allgeaient le poids du corps. Le Royaume du Pre
est rpandu sur la terre mais les hommes aveugles ne le voient point.
80
Inutile de dire, je travaillai toute la nuit sans dormir. Je nèn prouvais
pas le moindre besoin. J`tais certain dàvoir atteint le but ultime de
Ièntranement. Jàttendais avec ferveur l`heure de lèntretien avec le
Saydaw, le matin suivant. J`tais convaincu quìl serait dàccord avec
moi, et que, peut-tre, il me dirait de cesser lèntranement et de rentrer
chez moi.
Jamais le Saydaw et U Tin ne màvaient regard avec une telle intensit
lorsque le matin suivant jèntrai dans la pice, et que je màpprochai du
Matre pour lui prsenter mes respects. Avant que jàie ouvert la bouche
pour parler, tous deux savaient dj ce que je màpprtais leur dire. Ils
me dirent plus tard quìls làvaient compris la faon dont je marchais,
prsentais mes respects, et l`clat radieux de mon visage. Ignorant cela,
je pris grand soin de donner une description dtaille et prcise de ma
premire exprience transcendantale.
Le Saydaw couta, comme toujours avec une extrme attention, la
traduction de U Tin. Mais mon grand dsappointement, il ne
manifesta aucun enthousiasme. Il resta aussi calme, aussi compos et
imperturbable que si je lui avais rapport quelque chose dìmportance
mineure.
Le Saydaw me dit de continuer lèntranement comme de coutume.
Jèus peine croire ce que jèntendais. Je souponnai immdiatement U
Tin de ne pas avoir tout fait compris ce que jàvais dit. Aussi rptai-je
tout nouveau, y compris mon opinion dàvoir atteint le but ultime,
tant donn quìl ne pouvait en exister un plus grand. En m`coutant
parler U Tin clata de rire. Lorsque le Matre entendit sa traduction, il
eut un sourire radieux. Quèst-ce qui leur arrivait aujourd`hui ? Pensai-je
trs dsappoint.
Le Saydaw mèxpliqua que lèxprience de la Joie suprme (sukka) et
de lèxtase (pti), si elle transformait la vie et entranait des
consquences importantes, n`tait pas le but ultime de la mditation
bouddhique. Ce que je prenais pour lòbjectif final n`tait que l`tape
prliminaire de prparation de lèsprit la ralisation finale et dcisive
de la Vue Juste ou de la Comprhension Juste (samm ditthi). Pour
atteindre la Comprhension Juste, la vision intuitive des trois
caractristiques de lèxistence phnomnale - lÌmpermanence (anicca),
la souffrance (dukkha), et le non soi, (anatt) est indispensable. Ceci
demande encore beaucoup dèntranement. De plus, en cheminant vers
ce but, je dcouvrirais bientt que le sentier qui mne au nibbna,
81
IÌnconditionn, lÌndestructible, lÀbsolu etc., est tout fait diffrent de
celui qui mne au Royaume Sublime des dieux (brahm-vihra).
Le sentier qui mne au nibbna est trs ardu, dit le Saydaw. Ceux qui le
parcourent jusquàu bout sont peu nombreux. Celui qui sèst engag sur
la voie suprme du Yoga, et qui pour une raison ou pour une autre, fait
demi-tour, porte une lourde responsabilit.
Pour terminer lèntretien, le Matre me recommanda de poursuivre mon
entranement, et il màssura que se je travaillais avec assiduit, mes
efforts seraient couronns de succs.
82
83
Chapitre VIII
LE FEU INFINI
Ce corps qui est le ntre
Nèst fondamentalement rien dàutre
Quùn monceau de souffrance et de misre.
Le Bouddha
Ce monde, il fut toujours,
Il est maintenant et il sera toujours
Un Feu ternel dont les lments
Naissent et meurent perptuellement.
Hraclite
La route est montante et tortueuse,
Oui, jusquàu sommet rocailleux.
De grises brumes se suspendront
ses hauteurs rudes et pierreuses
Et tout sera trs sombre au-del.
mesure que le disciple avance,
Le chant dèspoir sonne faible dans son cour.
Le frisson du doute est maintenant sur lui ;
Son pas devient moins assur...
La voix du silence, Krisnamurti
84
Tandis que lòn me reconduisait Garden Hermitage, je ne pus
mèmpcher de mìnterroger sur ce que le Saydaw avait voulu dire par
ces paroles graves : Le sentier qui mne au nibbna est trs ardu. Ceux
qui le parcourent jusquàu bout sont peu nombreux . Je ne russissais
pas prendre ces mots au srieux car mon corps baignait dans un bien-
tre surhumain. J`tais plein dènthousiasme lìde de poursuivre
Ièntranement, comme la Matre me làvait conseill, mais non parce
que le but ultime nàvait pas encore t atteint. Jàvais lèxtrme dsir de
rpter lèxprience du jour prcdent. Je ne parvenais pas
comprendre ce que le Saydaw entendait par : vision intuitive de
Iìmpermanence, de la souffrance et du non-moi . Ce matin l, une seule
chose importait, rentrer la maison aussi vite que possible, pour
atteindre les tats de batitudes clestes.
Hlas ! Je demeurai assis deux heures. Puis ce fut l`heure de djeuner.
Mais je ne parvins pas atteindre les tats transcendantaux de
conscience. Jèssayai bien de me dire que deux heures ne suffisaient pas.
Lentement, attentif, je mangeai mon djeuner. Puis je fis une nouvelle
tentative. Je restai assis de midi jusqu` trois heures, mais rien
dìntressant ne se produisit. Il y avait une trs profonde quitude de
Ièsprit, mais cela me parut assez maigre comparativement ce que
jàvais connu le jour dàvant.
Mes doutes et mon dsappointement se changrent en amre tristesse et
en chagrin, mesure que je poursuivais les exercices assis sans grand
rsultat. Je pratiquai toute la nuit, tantt assis, tantt marchant, trois
heures chaque fois - toujours avec lèspoir que mon vou se raliserait
au cours de lèxercice assis suivant. Làube pointa, misrable. Quel
contraste avec la nuit dàvant ! Plus clatante est la lumire, plus
sombre est la nuit , comme dit le proverbe chinois.
85
Le Saydaw et U Tin sourirent avec comprhension lorsquìls me virent
entrer dans la chambre, pour mon entretien. Une fois encore, ils
savaient avant que jàie prononc une parole, ce que jàllais leur dire.
Mon comportement physique rvlait ce que j`tais en train de vivre,
mais aussi les expriences majeures que lòn connat dans un cours
intensif de mditation sont identiques pour tout le monde, quelles que
soient la race, la croyance, et la nationalit. Les diffrents niveaux que
Iòn atteint se succdent les uns aux autres dans un ordre parfait, aussi
le Matre de mditation, qui est pass par les mmes expriences, sait-il
toujours par avance ce que l`lve va dire, rien quèn lui jetant un coup
dòil.
Le Saydaw couta mon triste rapport, que je lui exposai mi-voix. En
un instant il mit le doigt sur la cause de mon chec. La convoitise ,
(lobha), dit-il avec force. Vous avez t sduit par Mra, le diable
bouddhiste. Jàvais succomb lÈnnemi, au tentateur, au moi avec ses
dsirs et ses aversions (tanh).
Dans les traditions juives et chrtiennes, le diable est le chef des dmons,
une sorte dèntit lascive toujours avide d`mes pour les prcipiter dans
Iènfer, alors que pour le bouddhiste cèst la division de lèsprit. Cèst
aussi le sens que les Grecs donnaient ce terme : diable du gr. diabolos
qui dsunit . Donc rtablir l`tat de conscience unifi, ou faire des
deux un , est le seul remde contre le diable .
Il en est de mme pour le sens que les Anciens donnaient au mot
personne (en latin) : persona masque , que le mditant dcouvre au
bout de la noble voie bouddhique. La dperdition de làntique sagesse
grecque, dont nous sommes les hritiers, ne se reflte pas moins dans les
paroles de Paul Claudel, lìllustre crivain franais : Le Diable, le Malin
qui est le Mal, tel que nous le dcrivent les prophtes, est
essentiellement celui qui dit Non l`tre. Mais est-ce que toutes les
religions de lÌnde, et singulirement le Bouddhisme, ne consistent pas
dans lènseignement pratique dùne mthode pour dire Non l`tre,
pour anantir en nous la personne, tout cela en nous qui est lìmage dùn
Dieu personnel et bon ?
Le Saydaw poursuivit en expliquant que le souvenir agrable des tats
de conscience mystiques que jàvais atteints le jour dàvant avait cr en
moi le dsir ardent de les atteindre nouveau. Mais le dsir, quelle que
soit la forme sous laquelle il se manifeste, constitue lùne des principales
entraves la mditation. Le dsir ne peut pas mener làbsorption ni
86
aux tats Divins de conscience que celle-ci entrane. Ceux ci se
manifestent librement lorsque lòn parcourt le sentier inaccessible au
dsir et la rpulsion, et lorsque les facteurs d`veil, tels que làttention,
Iìnvestigation, la concentration, la tranquillit, et surtout l`nergie, sont
puissants.
Si lèsprit est fermement concentr sur les processus corporels,
poursuivit le Saydaw, les tendances mentales des souvenirs mentaux et
physiques, et les habitudes acquise sont arrtes, mme si elles se sont
manifestes frquemment dans le pass. Avec la conscience unifie, les
fonctions dialectiques de lèsprit deviennent inoprantes. La conscience
veille est incompatible avec le dsir et la rpulsion, cette pe double
tranchant de lègo. Il est donc impratif dàppliquer la conscience
veille lòbjet de mditation choisi - que ce soit le mouvement des
jambes lorsqu'on marche, ou le mouvement de la paroi abdominale
lorsquòn est assis. Cèst lùnique faon de matriser lègo. La pratique
consiste maintenir constamment la conscience au-dessus du niveau du
dsir (tanh), cèst--dire dans l`tat de concentration dàccs o
Iàdversaire est parfaitement silencieux, dans un tat dànimation
suspendu.
Le Saydaw mèxpliqua aussi que les tats transcendantaux de la
conscience - quìls appartiennent au monde de la matire fine (rpa
Loka) ou aux mondes immatriels (arpa loka) - sont appels jhna
dans le Bouddhisme. Ces types de conscience sont ainsi nomms en
raison de la manire dont ils se manifestent. Par exemple, l`tat jhna
peut apparatre seulement par lìntermdiaire du processus de la
concentration, extrmement intense et maintenu pendant une dure de
temps relativement longue. Ce qui veut dire que ces types de conscience
se manifestent lorsque lòn concentre lèsprit sur un objet choisi, si
fermement et si rsolument, que lìmage rflchie de lòbjet occupe
entirement lèsprit. Celui-ci doit tre totalement concentr sur lòbjet,
et ne doit, en aucune manire, tre distrait. En se concentrant avec une
telle intensit sur un objet choisi, on parvient faire cesser les
phnomnes destructeurs des cinq obstacles : la convoitise, la haine, la
torpeur et lìndolence, la distraction et le doute. Ceux-ci sont
videmment nuisibles au processus de la concentration.
En termes prcis, la conscience jhna nèst pas une exprience mais
une ralisation dit le Matre. En fait la sensation d`tre aspir vers le
haut, nomme absorption dans le Bouddhisme, constitue la dernire
exprience. Toute exprience implique un esprit cognitif et un objet
87
connu. Dans l`tat de jhna, il n`y a pas dòbjet ni dèsprit connaissant,
comme cèst le cas au niveau sensoriel dèxistence. Cèst par la
ralisation de jhna que lòn parvient comprendre la diffrence entre
connaissance et tat , entre connatre et tre . Lèxpression
tre ne doit surtout pas tre confondue avec la notion ordinaire que
Iòn a de ce mot. Ce nèst pas pour rien que Matre Eckhart sèst vu dans
Iòbligation de crer un mot allemand Istikeit caractrisant le monde
Divin. Dàilleurs notre mot existence dsigne bien quìl sàgit l dùne
existence , dùn esprit dtach de sa source cleste.
Sur le plan de lèxistence sensorielle, la conscience cognitive se
manifeste lorsquùn organe des sens entre en contact avec un objet
sensoriel. Avec le contact comme condition, une sensation surgit. Ce que
Iòn sent, on le peroit. Ce que lòn peroit, on y rflchit ou on le
transforme. On a tendance penser : Je vois ou Je sens . Cette vision
errone mne inluctablement des actions, sous la forme de paroles ou
dàctes. Ces actions sont essentiellement conditionnes par des actions
prcdentes, et elles crent des tendances qui incitent de nouvelles
actions dans le futur. Des actions de cet ordre sont toujours soumises
la convoitise ou la rpulsion (tanh), et elles rsultent en esclavage et
en renaissances dans les sphres du mal. Ainsi le cercle vicieux qui
caractrise le processus du cycle des renaissances et de la mort,
(samsra), ne sìnterrompt jamais. Rompre ce cercle vicieux est
Iàpanage de la contemplation.
èxplication du Saydaw me permit de retrouver le droit chemin. Les
jours et les semaines passrent, et je perdis presque totalement la notion
du temps. Chaque jour, je russissais raliser les tats transcendantaux
de conscience o je me maintenais pendant des heures. Quelle paix !
Quel bonheur ! Quelle perfection ! Il n`y a pas de mots pour transmettre
la beaut et la puret de cristal de ces tats de conscience.
Un jour, le Saydaw màvertit quìl nèn serait pas toujours ainsi. Son
avertissement me surprit, mais je ne le pris pas au srieux. Pour moi la
ralisation du Royaume tait le Summum bonum.
Comme le matre devait quitter Yangon, il dcida que lùn de ses
assistants, le Vnrable U Javana, le remplacerait en son absence. U
Javana n`tait pas pour moi un tranger, car il avait assist un grand
nombre de mes entretiens avec le Saydaw. Il savait donc exactement o
jèn tais de mon entranement.
88
U Javana tait un homme trapu, la figure ronde, typiquement birman.
Il tait d`ge moyen, et, comme le Saydaw, toujours gai et souriant,
quand il ne riait pas de bon cour en m`coutant raconter certaines de
mes expriences.
Ma tournure occidentale de pense a d choquer U Javana dans les
dbuts. Au cours des premires semaines de mon entranement, j`tais
encore dàvis que la connaissance et la comprhension ne pouvaient
sòbtenir quàu moyen de la mthode socratique des questions et des
rponses. Je n`hsitais pas bombarder le Saydaw dìnnombrables
questions. Celles-ci prolongeaient toujours les entretiens bien au-del de
la priode de temps prescrite. Un matin, alors que je quittais le Matre
aprs une longue conversation, U Javana màccompagna. Il marcha en
silence un bon moment, puis il dit : Ce nèst pas ncessaire de poser
autant de questions. Lorsque votre esprit sera purifi et votre conscience
dveloppe, vous atteindrez l` veil , alors vous comprendrez toutes
ces choses.
Le mot veil ne peut avoir de signification pour celui qui est bouffi
dòrgueil et de vanit, car il est perdu dans lùnivers des mots et des
ides quìl considre comme la seule connaissance qui vaille d`tre
possde. Encore moins peut-il comprendre lìmportance de la
contemplation silencieuse, essentielle la purification et au
dveloppement de la conscience. Sans eux, il ne peut jamais y avoir de
Connaissance Juste et de Comprhension Juste au sens bouddhiste du
terme. Mais jàppris, et lorsque U Javana remplaa le Matre, je n`tais
plus le mme homme.
Peu aprs que U Javana eut remplac le Saydaw, je commenai sentir
une tension dans la rgion du cour. Je ne le rapportai que quelques
jours plus tard, lorsque la tension se fut transforme en srieuse douleur.
èsprit a pour base le cour qui a la forme dùn bourgeon renvers.
Celui-ci sòuvre lgrement au cours du dveloppement de la conscience,
dò la douleur. Mais je nàppris cela quàprs lèntranement. Pour le
moment, U Javana ne voulut me donner aucune explication. Il tenta
simplement de calmer mon apprhension en me rptant que je nàvais
pas de raison de màlarmer : Prenez-en simplement note
mentalement , me il, et poursuivez votre pratique de la contemplation
habituelle . Nanmoins la douleur augmentait graduellement.
Jèxprimai mon profond souci U Javana, mais il rpta quìl sàgissait
uniquement dùne souffrance dòrdre physique que je devais noter, et
89
qui disparatrait en temps voulu. IL avait raison, la douleur s`vanouit
soudainement deux semaines plus tard environ.
Alors je dus faire face un obstacle dont làmpleur et lìntensit furent si
colossales que je faillis succomber. Le feu atomique ! dont je nàvais
jamais entendu parler.
Dàbord je ne le pris pas au srieux. Le feu se manifesta par une chaleur
ardente dans le corps. Je supposai quìl tait d la chaleur accablante
et au soleil brlant de Birmanie ; nous approchions du mois dàvril - le
mois le plus chaud de lànne. La sensation de chaleur extrme tait
particulirement perceptible en position assise, dans les parties du corps
o la pression la plus forte sèxerait : le bas de la colonne vertbrale, la
rgion lombaire, les fesses, les jambes et les pieds.
Je pensai alors que la chaleur intense qui affectait ces parties du corps
tait due lèxcs de pression. Aussi demandai-je Yogi U Tin des
oreillers de duvet doux et confortables, quìl me donna aussitt.
Jèmpilai les oreillers dans un coin de la chambre, et je màssis, dos
appuy contre le coin du mur. Le sige tait moelleux et confortable.
Toutes les pressions ressenties prcdemment avaient disparu, et il n`y
avait plus aucune chaleur. Je fus convaincu dàvoir rsolu mon problme.
Un jour ou deux plus tard, jèus une dsagrable surprise. La chaleur
dans mon corps devint soudain si intense que je fis un bond, persuad
que j`tais en feu. Je racontai enfin ce qui se passait U Javana, en lui
demandant une explication logique. Mais jamais je ne reus
dèxplication logique, quelle que soit lèxprience vcue. Faites
simplement une note mentale me rptait inlassablement U Javana,
et poursuivez vos exercices habituels de contemplation.
U Javana me dit maintes reprises de ne pas reculer, ni de me drober
au feu pour lui chapper, car en agissant de la sorte je le retrouverais
encore et encore. Vous devez lui faire face , me dit-il un jour,
contemplez- le sans passion pour le transcender. En ce qui concerne la
Comprhension Juste, on ne fait aucun progrs si lèsprit ne cesse pas
son mouvement au moment de lòbservation initiale de lòbjet de
perception pur. Làttraction et la rpulsion ne doivent pas interfrer -
ou tout autre jugement dòrdre motionnel ou intellectuel - en ce qui
touche lòbstacle quòn rencontre. La pratique exige une contemplation
constante - que ce soit plaisant ou dplaisant - et cèst ainsi seulement
que lòn fera cesser la douleur, en la transcendant. Je comprends que
90
vous aimeriez recevoir une explication intellectuelle de ce qui se produit,
mais cela ne pourrait, en aucune manire, vous aider vous en dlivrer.
Au contraire, lìntellect ne connat que la nature extrieure trompeuse. Il
connat le monde des formes transitoires, en perptuelle mutation, qui
abrite la souffrance et la misre interminables, et dont il cherche
s`vader. Il ne sait rien de la voie qui mne au-del de cet ocan de
souffrance, lòbstacle le plus virulent. Seule la sagesse possde cette
qualit unique. Car la Sagesse est suprieure lìntellect, et si vous
dsirez que celle-ci se ralise, vous devez laisser lìntellect derrire
vous .
Dans lìntervalle , conclut-il, il serait bon que vous vous rappeliez
que la contemplation pure vous aidera endurer la douleur ardente,
avec calme et patience. Aucune passion nàffecte celui qui est pleinement
conscient.
Lorsque je quittai U Javana, ce matin l, la phrase : aucune passion
nàffecte celui qui est pleinement conscient , ne cessa de mòccuper
Ièsprit. Mme si je savais cela du fait de mes expriences prcdentes,
j`tais oblig de me le remmorer sans cesse. Surtout lorsque je devais
faire face aux obstacles qui se prsentaient alors moi, presque
totalement dsarm.
Contemplation pure, cèst--dire dpourvue de passion : plus facile
dire qu` faire ! Des jours, des semaines passrent, sans que je nèusse
rien dàutre rapporter quùne chaleur extrme et un feu ardent. Quelle
souffrance ! Quelle misre ! Jèus souvent la tentation dàbandonner.
Jèus maintes fois envie de dire U Javana que je venais de recevoir une
lettre me rappelant dùrgence chez moi pour affaire importante, ce qui
tait, bien sr, un mensonge. Lènnemi intrieur attaquait de toute sa
puissance. Un dcouragement profond, des doutes graves, une
souffrance et une misre sans nom màssaillirent jour aprs jour.
ènnemi rus et habile sìntroduisait en silence, comme un serpent,
semblable un pais brouillard recouvrant la mer par une sombre nuit.
Mon cour tait voil de tnbres paisses qui obscurcissaient la petite
lueur nanmoins persistante, le courage et la force de continuer.
Cèst au cours de semblables priodes de lèntranement que l`tudiant
doit faire ses preuves. Sìl vacille ou perd courage, il est
irrmdiablement perdu. En dpit des coups violents ports par
Iènnemi, le disciple doit poursuivre son chemin, sans se laisser vaincre
91
par les forces du mal qui ont surgi maintenant pour livrer leur dernire
bataille de survie.
Triste, dcourag, le cour bris, malheureux, les larmes coulant le long
de mes joues, je màsseyais en face de U Javana pour faire le compte-
rendu de lèxprience atroce du feu qui me dvorait le corps. U Javana
m`coutait avec gravit. la fin de mon triste rapport, il mèncourageait
du mieux quìl pouvait, me pressant de poursuivre, avec vhmence : Si
vous continuez pratiquer comme vous làvez fait jusquìci , disait U
Javana, vous remporterez la victoire. La victoire finale sera vtre pour
toujours .
J`coutais ses conseils, mais làrrire-plan de mon esprit, jènvisageais
dàbandonner et de rentrer chez moi. Je prenais fermement cette
dcision chaque fois que je pntrais dans le petit bungalow sur pilotis
o vivait U Javana. Mais la fin de chaque entretien, je ressentais une
impression trange, comme si quelque rayon mystrieux rechargeait
mon cour dùn courage, dùne confiance et dùne nergie nouvelle. Pour
cette raison, je nèxprimai jamais mon dsir dàbandonner. Ainsi je
russissais maintenir le cruel adversaire distance, du moins
temporairement, ce qui me permettait de continuer avancer sur la voie.
Grce aux sages conseils de U Javana, grce sa bont, sa patience et
son amour, je russis enfin faire face au feu atomique sans crainte.
partir de cet instant, le terrible monstre nèut plus jamais dèmprise sur
moi. Je fus capable de rester ferme et de lòbserver calmement sans le
fuir, lorsque la souffrance devenait insupportable, ce que je nàvais pu
faire avant. Je ressentis aussitt cet accomplissement comme un pas
dcisif vers làvant. La contemplation du feu devint non seulement
supportable, mais aussi intressante.
Elle me permit de percer sa surface, de plonger, pour ainsi dire, jusqu`
sa racine, et dòbserver son trange comportement.
Il y eut des moments o la chaleur augmentait et diminuait brutalement
dìntensit. Le mouvement du feu changeait constamment. Son
comportement tait semblable celui dùne coule de lave brlante qui
jaillit soudainement dùn volcan, se projetant haut dans le ciel, pour
retomber sur le sol en claboussures, puis qui s`coule lentement le long
du versant de la montagne. En sàcheminant vers làval, le ruisseau de
feu dbordait, ralentissait, et cessait finalement sa course. Tout de suite
aprs, la masse ardente se soulevait et retombait lentement. Elle s`talait
92
alors, et se divisait en plusieurs courants extrmement rapides, qui
partaient sauvagement dans toutes les directions, se mlangeant les uns
aux autres. Soudain les courants cessaient leur mouvement pendant un
bref instant. Puis celui-ci reprenait, coulant de droite et de gauche, se
soulevant, retombant, acclrant, ralentissant, se divisant, se runissant,
cessant de bouger. Il n`y avait pas un moment de repos.
Le Bouddha nà pas exagr lorsquìl a dit : ce corps qui est le ntre
nèst fondamentalement rien dàutre quùn monceau de souffrance et de
misre . Une fois quòn a connu ce feu, il est difficile de concevoir
Iùtrus dùne femme comme un abri bni auquel on aspire retourner
pour chapper aux difficults et aux vicissitudes de lèxistence. Car
Iùtrus est le lieu mme o le fotus fait lèxprience de sa premire
prise de conscience de la matire qui continue ce feu. Si, par la suite, on
ne peroit plus le feu atomique, ce nèst pas parce quìl sèst teint. Loin
de l. Le feu reste ncessairement prsent dans la matire qui compose
le corps, mais l`veil des sens, la naissance, domine et voile la
perception de sa prsence douloureuse.
Cela peut tre difficile croire pour celui qui nà pas connu lèxprience
de ce feu, mais la technique bouddhique de la Vision Intrieure :
(vipassan), montre quìl est possible de remonter le cours du Devenir
pour atteindre la source de lèxistence humaine. Celui qui doit affronter
le processus mystrieux qui engendre et qui maintient lèxistence de
I`homme dans ce monde doit percer la muraille du feu atomique dans le
corps. En dàutres termes, il doit transcender la conscience primordiale
de la matire pour finalement pntrer dans les domaines des
dimensions infra-atomiques. Cèst l que le mditant dcouvre la
Materia Prima dò l`homme est issu, fait mentionn par Mose dans la
Gense.
Le Bouddha a dit : Dans ce corps long dùne brasse, amis, quip
des facults mentales de la sensation, de la perception, de la volition et
de la conscience, je vous dclare que se trouve le monde, lòrigine du
monde, la cessation du monde, et le sentier qui mne sa cessation .
Celles-ci sont les quatre Nobles Vrits : la souffrance (Dukkha),
Iòrigine de la souffrance (Samudaya), la cessation de la souffrance
(Nirodha), et le sentier qui mne la cessation de la souffrance (magga).
La condition humaine sur cette terre est essentiellement faite de douleur
et de souffrance. La pleine comprhension des Quatre Nobles Vrits
permet la ralisation de lÌnconditionn, lÌncompos, lÌmmuable,
93
IÀbsolu, appel nibbna dans le Bouddhisme. Ainsi peut-on saisir la
porte immense de la mthode dèntranement de lèsprit, dite Vision
Intrieure dans le Bouddhisme original, qui seule, permet de
comprendre pleinement notre corps - cèst--dire le rsum de lùnivers
- et dàbolir la cause de l`humaine condition de souffrance et de misre.
94
95
Chapitre IX
NIBBANA
Ce qui mà le plus frapp,
Dans le Bouddhisme du Bouddha,
Cèst la Vision Intrieure
Qui seule permet la dcouverte
Et lànnihilation de lÌgnorance.
auteur
Si tu ne connais pas
Ce meurt-et-devenir,
Alors tu nès quùn triste convive
Sur cette sombre terre.
Goethe
La tche ardue est accomplie,
Ton labeur est fini.
Le large abme qui sòuvrit devant tes yeux
Pour tèngloutir est franchi.
Tu as nettoy ton cour de la souillure de lìllusion.
Tu connais le sentier
De la pure Connaissance.
Tu connais la vie, tu connais la mort.
La Voix du silence, Krisnamurti
96
Le jour enfin arriva o le feu atomique disparut, o il s`vanouit
compltement, sans laisser de trace. Quel soulagement ! Quelle
bndiction ! Personne ne peut le comprendre sans làvoir vcu.
Quoique le franchissement de cette tape puisse tre considr comme
un grand accomplissement, la fin de l`preuve reste lointaine. Au
contraire l`preuve semble commencer srieusement.
àspirant ignore encore cela. Aprs avoir travers et transcend le feu
atomique dans le corps, il fait maintenant face au voile de tnbres
quìl tranchera bientt grce l`pe de la sagesse, bien affile sur la
pierre de la concentration. Bien sr, il ne se tient plus qu` quelques pas
du Mysterium Tremendum . La raison pour laquelle il lìgnore est due
au fait que la connaissance verbale ou la comprhension intellectuelle
sont considres comme sans valeur, comme nous làvons dj vu, dans
Ièntranement mditatif. Elles ne mnent nullement la catharsis
profonde, essentielle la Comprhension Juste ou la Vue Juste, dò
rsulte lòbtention de la dlivrance et la souffrance. Cèst pour cette
raison que le matre de mditation vite gnralement les discussions
intellectuelles concernant les expriences vcues par le mditant. Toute
conscience crbrale bloque la Voie.
Immdiatement aprs la cessation de la conscience primordiale de la
matire (le feu atomique), un nouveau type de conscience se manifesta.
C`tait une conscience aigu, nette et lucide, un flux rapide fait dèsprit
et de matire ; un courant de formations instantanes, vanescentes,
phmres, qui apparaissaient et disparaissaient les unes aprs les
autres, en succession extrmement rapide.
la lumire de la sagesse, le corps physique auparavant peru comme
tant compact, solide, et permanent dans sa forme, est maintenant vu
de manire tout a fait diffrente. Le mouvement de la main, par exemple,
97
nèst plus peru comme un mouvement continu o la main est toujours
prsente. Ce mouvement est plutt un processus dòscillations
extrmement rapides nes de làctivit mentale (volition), qui fait que la
main prend forme et disparat aussitt pour laisser la place de
nouvelles formations. Le processus est identique lorsquòn contemple
les autres parties du corps en mouvement : La paroi abdominale au
cours de la respiration, par exemple.
La manifestation et la disparition des processus mentaux et physiques
sont lùne et làutre comparables un film qui nous donne lìllusion du
mouvement de la main. Lorsquòn projette un film sur un cran, il y a un
effet de continuit et de mouvement. En fait le film est constitu par une
srie dìmages fixes se succdant rapidement les unes aux autres (24
images par secondes), qui apparaissent et disparaissent sur l`cran. Un
processus semblable existe dans un courant lectrique alternatif. Celui-
ci apparat et disparat sans fin : (50 fois par secondes). Le mme
phnomne peut tre observ lorsquòn verse du sable dans lèau. Les
particules individuelles et spares se combinent pour crer lìllusion
dùn flot continu. Cèst ainsi que les concepts de mouvement, de forme,
de compacit, de solidit et de permanence, cachent la vrit ultime.
On sait que le philosophe grec de l`cole dÈle, Znon, disciple de
Parmnide, tenta de prouver lìmpossibilit du mouvement dont
Iàrgument le plus connu est celui de la flche. Faut-il supposer par l
que le niveau de la conscience infra-atomique tait une connaissance
exprimentale pour le disciple de Parmnide ?
Ce nèst qu` ce niveau de la vision intrieure que les caractristiques
inhrentes aux phnomnes mentaux et physiques rvlent leur
vritable nature. Les phnomnes mentaux et physiques sont alors vus
comme se renouvelant eux-mmes constamment. Ils sont aussi
phmres quùne goutte de rose au lever du soleil. Ils sont semblables
une bulle dèau ou un clair. Toutes les formations (sankhra) sont
impermanentes (anicca). Elles sont transitoires, limites par le fait
quèlles apparaissent et disparaissent. Ce sont des choses composantes
et conditionnes, ingouvernables, prissables, fluctuantes, fragiles,
instables, des choses sans existence relle, des choses fabriques,
assujetties la mort, etc.
Lorsque le mditant prend conscience quìl nèst essentiellement rien
dàutres quùn courant incontrlable de formations mentales et
physiques conditionnes, qui apparaissent et disparaissent, il est frapp
98
dùne souffrance psychique indescriptible, il ressent avec acuit
Iìmpermanence et la souffrance qui en rsultent (anicca et Dukkha).
la suite de cette prise de conscience, lèsprit du mditant manifeste un
mouvement profond pour tre libr de cette condition infernale. cet
effet la concentration se dirige spontanment vers la phase de
dissolution des formations. Le Vide (Sunna) apparat. cet instant un
tat de terreur incommensurable domine lèsprit du mditant.
La puissance et làmpleur de l`horreur libre alors frappent le mditant
dsarm, comme un coup de tonnerre. Cèst cela soulever le masque de
Iègo. Contempler le Vide universel insondable constitue une exprience
dùne horreur sans nom. Lèssence immortelle et immuable du moi, de
I`tre, de l`me dans le sens o ces termes sont gnralement compris est
un mythe. L`me dans le sens o on lèntend ordinairement est donc une
illusion.
Tout ceci peut sembler bien difficile croire, et pourtant lèxprience
vcue dmontre que le terrible mystre qui entoure lèxistence humaine
doit tre affront SEUL. Aucun tre divin ne vient notre rescousse. Il
ne peut y avoir de recours extrieur car nous sommes les artisans de
notre propre cration, fait qui s`claircira bientt. Tout tre sensoriel
vivant dans le monde phnomnal est galement assujetti
Iìmpermanence, la souffrance et làbsence dùne essence intrinsque
ou dùn principe permanent (Self-Essence).
Ce que lòn mà enseign jadis, savoir que tout tre humain ici-bas
possde une me immortelle, tout cela nèst que fable, de vaines
spculations appuyes sur des opinions fausses. En vrit nous ne
sommes quùn ensemble complexe de phnomnes en perptuel
changement dans lequel il n`y a absolument rien de stable ni de durable.
Aristote, qui croyait la ralit substantielle des cratures, que la
doctrine chrtienne a accepte, a commis une erreur colossale. Les
progrs rcents les plus remarquables de la physique moderne affirment
franchement que lìntrieur de làtome est vide.
Une fois que cette phase de lèntranement est atteinte, il n`y a plus de
doute ou de scepticisme concernant les vrits ultimes qui portent sur
Ièsprit et sur la matire (nma-rpa) - les lments constituants de
I`homme. Toutes les formations mentales et physiques se manifestent et
existent pour une dure de temps extrmement brve, puis se dissolvent.
Il nèxiste pas de rserve ou dèmmagasinement des formations
99
(sankhra), avant que celles-ci apparaissent. Elles ne sont pas stockes ;
elles ne vont pas dans une direction particulire. Elles surgissent de
nulle part, ne se dirigent nulle part, et sont uniquement des apparitions
totalement dpourvues dèssence ou de nature ayant une substance
durable. Lìde de lègo, du moi, du soi etc. est donc une illusion.
Le sentier de la purification lèxprime ainsi :
Nul Dieu, nul Brahm ne peut tre trouv ;
Nul ouvrier de cette roue de lèxistence ;
Nul artisan de làcte nèst trouv ;
Aucun tre qui rcolte les fruits.
Les phnomnes vides continuent de tourner,
Tous esclaves des conditions.
Ceci est la seule Vue Juste.
Le terme pali anatt signifie non-me, non-ego, non-moi, non-soi . La
vision intrieure (vipassan) dmontre quìl n`y a pas d`lment
permanent, constant, durable, immuable, dans le processus dèxistence.
Il y a lèxprience, mais pas dèxprimentateur ; la mmoire, mais pas de
mmorisateur ; les mots, mais pas dòrateur ; les penses, mais pas de
penseur ; la volont, mais pas quelquùn qui veuille ; les actions, mais
pas dàcteur ; la souffrance, mais personne qui souffre ; la cration, mais
pas de crateur ; la loi qui rgit lòrdre ternel, mais pas de lgislateur,
etc. Cèst cela la Vrit ultime, qui distingue la Noble Voie de tous les
autres systmes de mditation connus.
La grande signification pratique de la connaissance de la Vacuit
(Suat), se trouve dans le fait que lòn peut, par elle affirmer : l o il
y a la vie phnomnale, il y a forcment le Vide, le domaine de la
dissolution des formations. Toute apparition est inexorablement voue
la disparition. Elles vont de pair. Ce nèst pas la vie qui est une illusion,
mais la notion commune de substance relle, et le sentiment de
permanence que nous lui accordons. Lìde dùn Sauveur, le cogito
ergo sum de Descartes, ainsi que le fameux JE SUIS sont des
spculations dangereuses qui engendrent la souffrance et dont il faut se
garder.
Nanmoins, làpprhension du Vide et l`tat d`horreur dclench par elle,
furent trs brefs, car tout de suite aprs apparut l`tat dÈquanimit. La
ralisation de l`tat dÈquanimit permet de voir , sans participer : ce
qui permet de contempler le flux incessant sans aucune frayeur. En fait
100
lHorror Vacui peut tre contemple en toute tranquillit grce
IÈquanimit. De plus lÈquanimit rendit làction de contempler
extrmement stable, pntrante et lucide, harmonieuse et automatique,
cèst--dire sans aucun effort. Cet tat extraordinaire de contemplation
dura longtemps. Plus il durait, plus il sàffinait.
Sans quìl le sache, làspirant se rapproche de plus en plus du terme de
son entranement. Bientt, trs bientt, il ralisera le But suprme. Dans
Iìntervalle, il poursuit son chemin. Avec courage, avec fermet et sans
crainte, avec patience et calme, tonnamment lucide et concentr, le
vaillant mditant sàchemine invitablement vers la Vrit libratrice.
àction de contempler les formations (sankhra) acclra son rythme,
prparant le mditant la dcouverte de lòrigine du monde , dont la
connaissance culmine dans la cessation du monde . Celui qui voit
le commencement voit aussi la fin, car le commencement est la fin. Il
est certain que le fait que les formations aient t vues grce
IÈquanimit acclra le processus de libration. En dàutres termes,
celle-ci aida parvenir plus rapidement la gense profonde mme, la
source de lèxistence humaine, qui subitement se rvla.
Une nergie volitive, inconsciente lèsprit ordinaire, mais clairement
perceptible lòil de la Sagesse, apparut comme lùnique origine de la
manifestation du processus de vie, ainsi que du maintien de son courant
en perptuel mouvement, le continuum de vie (bhava). Chose curieuse
et tonnante, cette nergie volitive, quoique inconsciente auparavant, fut
violemment ressentie comme tant ma propre cration. Ds que cette
force aveugle fut rvle et contemple, elle cessa immdiatement de
fonctionner. Dans la Lumire, lÈmpire des tnbres se dissipe
inexorablement.
Voil le mystre de Shakti, dÌsis, de la Vierge noire, de la Femme
Eternelle, connu en Orient depuis la nuit des temps. Ma mre mà
engendr, mais ma vritable Mre mà donn la vie. vrai dire nous
nèxistons que par la Femme Eternelle, toujours reprsente nue et
terrible, entoure de feu et de flammes ondoyantes, tissant
inconsciemment le voile dìllusion ternellement suspendu devant
Iìneffable gouffre de la dissolution - lèffroyable Horror Vacui.
Ex nihilo nihil (rien ne vient de rien) est une vrit.
101
lìnstant o cette volont aveugle cessa, la structure des trois mondes
tout entire s`croula, cessa d`tre compltement - entranant la
cessation de la conscience. Ceci tait bien la Cessation du Monde, la
Cessation de la Souffrance.
La Mythologie Germanique rapporte que le dieu Wodan dpouilla
Brunehilde de son caractre divin, parce quèlle enfreignit un de ses
ordres. Le dieu la plongea dans un profond sommeil, puis il lènferma
dans une demeure souterraine encercle par un mur de flammes. Seul le
hros sans crainte qui osera traverser les hautes flammes - Siegfried -
pourra un jour la dlivrer.
àntique tradition gyptienne connaissait ce que la nature humaine a de
plus profond et de plus mystrieux. On dit que lèntre des cryptes
souterraines tait barre par une statue dÌsis, lÈternel fminin. Son
visage tait voil. Sous la statue on lisait :
Aucun mortel nà soulev mon voile.
Selon la tragdie de Sophocle, ds quÒedipe apprend, par le berger
(symbole de vigilance), lìllusion dans laquelle il vivait et lòrigine de sa
vie, il se crve les yeux (symbole de la cessation de la conscience). Cèst
dire que le mystre de la vie humaine tait connu en Grce du temps de
Sophocle.
Dans le cadre de la mditation bouddhique, la cessation de la conscience
ne correspond nullement un tat de transe ; ce qui veut dire que tous
les tats de conscience disparaissent totalement, y compris
Iìnconscience, la subconscience, la conscience sensorielle-intellectuelle,
et la conscience Divine. la place, la conscience Supramondaine
(lokuttara) apparat. Pour cette raison, le mditant connat, et se
rappelle ensuite, ce qui a suivi la Cessation de la Conscience.
Cèst par la cessation de la Conscience que l`hritage maudit, latent dans
Ièsprit du mditant, est totalement dtruit. Cet hritage maudit tait
susceptible de porter ses fruits dans un avenir proche ou lointain. Il
pouvait entraner le mditant sur des plans dèxistence infrieurs au
plan humain. Grce cette catharsis profonde, l`homme ordinaire
(puthujjana en pali) est transform et purifi. Il devient un tre Noble
(ariy).
Tout de suite aprs la Cessation de la Conscience, la Voie
Supramondaine (magga) et le Fruit (phala) apparaissent. magga
102
dsigne le moment o lòn accde lùn des quatre tats de Saintet.
phala est le moment qui suit làccession lùn des quatre tats de
Saintet. Ceci constitue la ralisation que lòn appelle en pali nibbna .
La ralisation est telle que celui qui est parvenu ce stade sait sans
quivoque quìl a atteint le Summum Bonum. Il nà donc pas besoin
que son matre le lui dise.
Heureux qui a travers les Mystres ;
Il connat la source et la fin de la vie.
Pindare
nibbna se situe en dehors du ciel, de la terre et du monde infrieur.
IL se situe au-del du processus temporel de cration et de destruction.
Il ne possde pas dàttribut, de ressemblance, ou de forme quelconque.
On ne peut pas le concevoir. Aucune parole humaine ne peut dcrire ce
quoi il ressemble. Par consquent, rien de substantiel ne peut tre dit
son sujet. Il est cependant possible de dire ce quìl nèst pas. Pour
reprendre les paroles du Bouddha : Ni terre, ni eau, ni feu, ni vent, ni
soleil, ni lune. Il nèst pas de ce monde-ci, ni làutre. Cela frres, je ne
Iàppelle ni venir, ni partir, ni rester, ni transiter, ni se manifester. Sans
support ou continuit, ou base, Il est. Ceci est la cessation de la
souffrance.
On merge de nibbna sans -coup ni secousse, et lòn revient
imperceptiblement au niveau de lèxistence humaine - lùnivers
compos des phnomnes, le monde quotidien des mille choses .
Revenir de nibbna est comme revenir des tats Divins de conscience.
Il y eut dàbord la conscience de lòue, et la perception de nombreux
sons extrieurs et des bruits de la journe. Puis la sensation globale du
corps et de sa forme. Les paupires commencrent ensuite trs
lentement sòuvrir. Ds que le fonctionnement normal des sens eut t
rtabli, lèsprit retrouva sa perception et son interprtation ordinaire des
donnes des sens.
Aprs avoir ralis les demeures clestes pour la premire fois, jàvais
pleur de joie et de gratitude. Maintenant, je ris doucement un long
moment. Je ne me rappelle pas avoir dj ri aussi spontanment, aussi
librement, ou dàussi bon cour. Cela peut surprendre que lòn ragisse
de cette manire au monde de la peine et de la misre. Mais lorsquòn a
pleinement compris la nature de la vie humaine et le cosmos dans lequel
elle volue sans fin, on est libr de la peur et du doute l`gard de lùne
et de làutre. On se sent libre et làise, comme soulag dùn immense
103
fardeau. Malheureusement, il est impossible dèxprimer la libert issue
de la Comprhension Juste et de la Vue Juste. Tout ce que lòn peut dire,
cèst que lòn se sent le cour envahi dùne mystrieuse sensation de
dlice, de srnit, de confiance, de scurit, de batitude, et de
compassion pour toute l`humanit. Et ce sentiment, il nèxiste rien en ce
monde qui puisse le procurer, je vous làssure. L rside, peut-tre, la
raison de ce besoin spontan de rire.
Lorsque mon envie de rire eut cess, je ne pus mèmpcher de
mìnterroger sur ce qui s`tait produit. Je pris conscience dùne
modification prcise de mon temprament et de mon attitude mentale.
Puis je pensai la mort. Je ralisai soudain que j`tais libr de la peur
de mourir. La connaissance que la vision intrieure màvait apporte me
fit comprendre que la mort nèst quùn moment de transition dùn plan
dèxistence un autre. Le nouveau plan doit ncessairement tre en
harmonie avec l`tat de conscience qui prvaut lìnstant de la transition.
Si par exemple, le facteur mental ngatif de la peur est prsent, lèsprit
est confus et violemment agit. De l rsulte un tat de conscience
nàyant aucune affinit avec les mondes clestes o rgnent la Paix, la
Joie, la Flicit incommensurables.
Pour la premire fois de ma vie, je compris ce que lòn entendait par
victoire sur la mort - le leitmotiv de la religion et de la philosophie (au
vrai sens du terme). En ce qui concerne la conqute de la mort, le
Bouddha a dit dans le dhammapada : Si le Yogi pouvait matriser son
esprit, il serait libr de làffreux esclavage de la mort.
Je fus, de plus, merveill par la comprhension claire des trois
caractristiques de lèxistence (anicca-dukkha-anatt) ; des Quatre
Nobles Vrits (ariy sacca), et de la loi de Dpendance de lÒrigine.
Pour la premire fois, je compris ce que le Bouddha voulait dire par
Iìgnorance qui est la condition de la manifestation des formations, elles
mmes lòrigine de la conscience. Cèst cette conscience mme qui
dtermine la conception de la naissance dùn tre. L`vidence dmontre
que la conscience qui prcde làpparition de l`homme est incapable de
comprendre son origine, pas plus quùn couteau ne peut trancher sa
propre lame.
Celui qui comprend lòrigine de la vie et celle de la conscience sait
pourquoi làction de se suicider ne peut jamais mettre un terme la vie.
En fait lèxprience de la vision intrieure (vipassan), montre quìl est
tout fait impossible d`chapper lèxistence phnomnale par la
104
volont qui est conditionne par la conscience. Seule la connaissance
ultime de la Vrit dtient le pouvoir de libration, comme nous làvons
dj dit. Connais la Vrit et la Vrit tàffranchira.
Selon la Gense du prtre gyptien Mose, l`homme fut cr partir
dùne matire premire inerte la Materia Prima. Cette matire inerte
reut le Rouah, le souffle de vie ou la conscience, seulement aprs avoir
t forme. Cette Sagesse millnaire immuable, la Gense, ne diffre
donc nullement de la Loi de Dpendance de lÒrigine (paticca-
samuppda).
Celui qui connat les trois mondes : kma, rpa et arpa et qui a ralis
la conscience supramondaine (lokuttara), celui-l seul peut comprendre
que nibbna est lànnihilation de lÌgnorance et non lànnihilation de la
volont de vivre , comme certains lettrs occidentaux lònt cru. La
doctrine du Bouddha, comme toute Sagesse, ne peut pas tre comprise
par lìntellect. Le Bouddha nous a mis en garde ce sujet : Profonde,
ami, est cette doctrine, obscure, et de comprhension difficile, bonne,
excellente, et impossible pntrer par le simple raisonnement, subtile,
et intelligible aux seuls sages.
Si les mots pouvaient parvenir faire comprendre lìncomparable
richesse contenue dans ce type de connaissance et de comprhension,
personne n`hsiterait plus entreprendre lèntranement bouddhique
la vision intrieure : (vipassan).
Je me levai et sortis me promener. Le corps tait lger et tonnamment
souple et mallable. La nuit tait trs avance. Le ciel au-dessus de moi
tait constell dùne infinit d`toiles tincelantes. Le jardin tout entier
baignait dans la clart lunaire. Je restai l, fascin, contempler la lune
brillante qui se refltait dans les eaux calmes du lac. Làir tait doux,
tide et parfum. C`tait une trs belle nuit. Mais loin d`tre paisible !
Les servantes de Yogi U Tin se poursuivaient en courant et
s`claboussaient avec lèau. Les rires et les cris durrent jusquàu matin
- La fte birmane de lÈau battait son plein.
Le nouvel an birman (Thingyan) tombe gnralement pendant la
deuxime semaine dàvril, et il est clbr quatre jours durant. Aprs
trois journes consacres se jeter de lèau, parader en groupes ou
dcorer gaiement les voitures et les chars, chanter et danser, la
Nouvelle Anne est installe le quatrime jour, en lavant, en grande
crmonie, les statues du Bouddha, et en ftant les moines bouddhistes.
105
Je suis sr que U Javana comprit ce qui m`tait arriv ds quìl me vit
gravir les escaliers qui menaient son petit bungalow. Il sourit
joyeusement. peine avais-je termin mon rapport, que U Javana se
leva et dit en souriant : Maintenant, nous devons aller voir le Matre
sur le champ. Nous partmes chez le Vnrable Mahs Saydaw dont
la maison se trouvait proximit. Le Matre ne nous attendait pas bien
sr, et parut surpris de nous voir. Il posa son livre et sourit en me
regardant. Je suis convaincu quìl sut alors la raison de notre prsence.
Nous lui prsentmes nos respects, et U Javana entra aussitt en longue
discussion, en birman, avec le Saydaw. Je russis saisir le mot pali
nibbna , plusieurs fois au cours de leur conversation. Finalement U
Javana se tourna vers moi et dit : Le Matre est trs heureux de savoir
que vous avez atteint le terme de votre cours de mditation. Demain
matin, vous entendrez le sermon final que U Tin traduira pour vous.
Cèst tout. Je prsentai nouveau mes respects et me retirai.
Le lendemain matin, je me prsentai huit heures, et je trouvai le
Saydaw, U Javana, U Visuddhacra et U Tin qui màttendaient. Je
saluai respectueusement les Vnrables. Alors U Tin se tourna vers moi
et leva les mains, paumes jointes, comme on le fait en Inde en geste de
salutation respectueuse. : Vous tes maintenant un Noble Disciple du
Bouddha , dit-il en souriant, et digne de respect . Je fus surpris de
constater quìl n`y eut pas la moindre raction dòrgueil ou de suffisance
devant le geste inattendu de U Tin. Simplement une acceptation calme,
comme si jàvais toujours t salu de cette manire. Celui qui a acquis
la Vue Juste est libr des facteurs nuisibles tels que la vanit, lòrgueil,
Iènvie, la jalousie, la convoitise et làttachement.
Le sermon final, destin ceux qui ont achev le cours complet de
dveloppement moral et mental en vue dòbtenir la Vue et la
Comprhension Juste, est un expos dtaill des sept stades de puret
mentale (visuddhi) et les dix-sept stades de la connaissance par la Vision
Intrieure (vipassan-a) dveloppe au cours de lèntranement. En
coutant cet expos, le disciple peut tablir des comparaisons avec sa
propre exprience vcue, et dcider pour lui-mme du stade de maturit
quìl a atteint au cours de lèntranement. Le Saydaw mèxpliqua aussi
les quatre stades de la saintet que lòn doit atteindre avant lèntre
finale dans le nibbna, ainsi que les divers bienfaits que lòn retire
chaque stade.
106
Lorsquùn homme ordinaire (Puthujjana) atteint la Connaissance
suprme de la Vrit, il devient un homme noble (Ariya). Une fois que le
portail dàccs au nibbna a t ouvert, il ne se referme jamais
compltement. L` entre dans le nibbna se renouvellera
frquemment, et sa dure se prolongera. La libration totale suivra
ventuellement.
Il n`y a quùn seul nibbna, mais quatre tapes menant l` entre
finale dans le nibbna. chaque tape le mditant surmonte un nombre
dèntraves ou dòbstacles lìllumination, toujours plus grand.
Le Bouddha a dress la liste des dix entraves ayant le pouvoir de nous
maintenir enchans aux mondes de la souffrance et du malheur. Ce sont
les suivantes :
1. ìllusion du moi.
2. Le doute ou le scepticisme.
3. àdhsion aux rites et aux rituels.
4. Le dsir des sens.
5. La malveillance ou la colre.
6. La convoitise de lèxistence de la matire fine.
7. La convoitise de lèxistence de lèxistence immatrielle.
8. La vanit ou lòrgueil.
9. àgitation ou lìnsatisfaction.
10. ìgnorance.
Le premier noble stade est appel celui-qui-est-entr-dans-le-Courant
(sotpanna). partir de l, le mditant est assur dàtteindre la
libration finale de la souffrance et du malheur. Il est important de
comprendre quùne fois cette premire tape Noble franchie, il est
absolument impossible de tomber nouveau dans la catgorie ordinaire
des humains, ici-bas. Selon la doctrine du Bouddha, le noble vainqueur
du courant renat sept fois au plus, et jamais sur un plan infrieur celui
de la sphre humaine.
Le Saydaw donna une explication claire de la grande diffrence qui
existe entre la ralisation de la conscience jhna, et le stade de
sotpanna. Avec la ralisation des tats transcendantaux de conscience
ou tats de conscience jhna, I`hritage nuisible latent dans lèsprit du
mditant nèst pas dtruit, mais simplement maintenu distance . Ce
qui veut dire en fait, quìl existe l`tat latent pendant une priode de
temps considrable, alors quàu stade du sotpanna, il est jamais
107
dtruit. Cèst pourquoi, il est impossible pour celui qui est entr dans le
courant, de tomber aux horribles niveaux infrieurs lèxistence
humaine, au cours de sa vie ou au moment de sa mort.
En rsum, dit le Matre, l`homme Noble qui a atteint le premier stade
de la dlivrance est libr des entraves suivantes : il ne confondra plus
jamais les agrgats des processus mentaux et physiques avec lègo ou le
moi. Il nàura plus jamais de doute concernant le Bouddha, le dhamma
et le sagha.
Il sait et il comprend que la pratique des qualits du Noble Sentier
Octuple et le dveloppement de la vision intrieure des Quatre Nobles
Vrits, constituent la seule voie qui mne la Paix absolue. Le noble
sotpanna est ainsi affranchi des vues errones (dihi), des doutes
engendrs par le scepticisme (vicikicch), de la croyance en lèfficacit
des rites et des rituels (silabbata-paramaga), de lènvie (iss) et de la
jalousie.
Il est quasiment impossible d`valuer la porte et la profondeur de
I`volution spirituelle qui se manifeste lorsquòn atteint le stade de
celui-qui-est-entr-dans-le-Courant. ce sujet le Bouddha nous a
dclar :
Bien que lòn puisse vaincre mille fois des milliers d`hommes,
Celui qui se vainc lui-mme
Est le plus grand parmi les guerriers.
Plus grand que le titre dèmpereur,
Que l`tat de divinit,
Que la suprmatie sur les mondes.
Tel est le premier stade de la Saintet.
Celui qui atteint le deuxime stade est appel : celui-qui-revient-Une-
fois (sakadgmi). ce stade le mditant ne renatra plus quùne seule
fois dans le monde humain. La quatrime et la cinquime entrave ont
presque disparu, aussi le mditant est-il quasiment libr du dsir des
sens et de la malveillance.
Celui qui atteint le troisime stade est appel celui-qui-Ne-revient-
pas (angmi). L`homme noble qui franchit cette tape renatra
uniquement dans les cinq sphres dèxistence de la matire fine
(suddhvsa-bhumi). partir de ces plans, il accdera la libration
108
finale. Il est entirement libr de la quatrime et de la cinquime
entrave : le dsir des sens et la malveillance.
Le quatrime stade est celui de la saintet (arahanta). Le noble arahanta
entrera dfinitivement en nibbna au moment de sa mort. Il est
totalement libr des dix entraves.
Cèst le vou le plus cher de tous les matres, ainsi que le mien, que
vous deveniez moine bouddhiste, et que vous poursuiviez lèntranement
de manire pouvoir enseigner dàutres la mthode pratique de la
Mditation Satipahna vipassan dit le Saydaw aprs le sermon
final. Lìde de devenir matre de la mditation bouddhique ne m`tait
pas tout fait trangre. Mais la perspective de devenir moine ne
màvait jamais effleur ! Le Saydaw me faisait un grand honneur en
mòffrant de devenir moine, et quoique pris au dpourvu, jàcceptai.
Mon absence d`hsitation me surprit, mais maintenant que le temps
tait venu, il me semble que le port de la robe jaune bouddhiste tait
Iìnvitable mesure prendre aprs le succs de mon entranement la
mditation.
Yogi U Tin fut le bienfaiteur laque qui me parraina. Il me procura les
quelques objets indispensables que le moine possde : les deux robes, le
bol aumnes, les sandales, etc. U Javana mènseigna les 227 rgles de
discipline (Vinaya) rgissant la conduite des moines. U Pandita màpprit
psalmodier en pali le ratana sutta, le mahmangala sutta et le karinya
mett sutta. Ce sont les principaux paritta sutta que les moines rcitent
chaque jour pour le bnfice dàutrui, et pour sàttirer bndiction et
protection contre le danger. Les bndictions et la protection contre les
dangers se sont manifestes moi de la plus tonnante faon, comme je
Iài constat maintes reprises.
En tant que moine, je devais recevoir un nouveau nom. Le Saydaw me
dit que bien que le nom soit gnralement attribu en fonction du jour
de la semaine o le moine est n, dans mon cas, je recevrai le nom de
Paaloka, (Lumire de la Sagesse), en raison de ce que jàvais accompli
au cours de mon entranement.
Et ainsi, le mercredi 25 avril 1962, huit heures quarante huit, je fus
solennellement ordonn moine. La robe jaune du moine bouddhiste,
symbole de son renoncement lui-mme, devint mon nouveau costume.
La crmonie de lòrdination fut clbre dans la Salle des Ordinations
du Centre de Mditation Mahs Ssan Yeikth. Làssistance tait
109
nombreuse. Les photographes de presse prirent des photos qui parurent
en premire page des journaux birmans, le matin suivant. Yogi U Tin
offrit un djeuner somptueux chacun, dans le rfectoire du Centre. Je
màssis sur le plancher avec les matres, autour dùne table basse. Il n`y
avait ni assiettes, ni fourchettes, ni couteaux sur la table. Le moine
bouddhiste mange le principal repas de la journe dans son bol
aumnes. Il se sert des cinq doigts de la main droite pour prendre ses
aliments, car il est considr comme inconvenant quùn moine touche sa
nourriture avec sa main gauche. Mon voisin de table, U Javana, me
montra comment prendre le riz avec les doigts, comment le tremper
dans la sauce et le porter la bouche, sans en faire tomber un seul grain.
Aprs le repas, U Javana me demanda de làccompagner. Arriv chez lui,
il mìnvita màsseoir, non pas avec les jambes replies sur le ct, mais
comme lui, dans la position aise. Il me regarda avec un air grave un
long moment, sans dire un mot. Puis il dit : Maintenant vous tes un
homme . Dans le silence profond qui suivit, je saisis lìmmuable
mystre du Sphinx gyptien : transmuter l`homme-animal en Homme.
Tout est l ! Un accomplissement autre que celui-ci nèst que vanitas
vanitum, et omnia vanitas.
Pour tre plus prs des Matres au cours de mon entranement, je quittai
la maison de Yogi U Tin, et je vins vivre au Centre. On me donna
Iùnique cellule du btiment disposant de moustiquaires. Je prenais mon
petit djeuner avec les Matres dans le rfectoire. Yogi U Tin me faisait
parvenir mon djeuner, et je nàvais pas sortir pour rcolter ma
nourriture.
Je consacrais essentiellement mon temps couter les nombreux
entretiens, noter les conseils du Matre. Il y avait beaucoup
apprendre et tudier, mais les pauses taient frquentes et agrables.
Chaque fois que les Matres taient les htes des riches propritaires de
Yangon ou des personnes importantes, j`tais galement invit. En plus,
les ftes bouddhistes taient nombreuses, et jàssistai une fois un
service funraire bouddhique. Les moines psalmodiaient en pali :
Hlas ! tout est impermanent dans lèxistence !
La croissance est sa vraie nature, et la dcrpitude.
Les choses se manifestent et disparaissent nouveau.
Heureux celui qui les domine et qui connat la Paix Suprme.
110
Occasionnellement, on me demanda de faire une confrence sur la
mditation bouddhique des tudiants amricains qui, en route pour un
voyage autour du monde, faisaient une escale Yangon. Le consul des
tats-Unis me demanda de faire un enregistrement des avantages
dòrdre pratique que lòn retire de lèntranement bouddhiste de lèsprit,
qui fut diffus dans le monde entier par V.O.A., la voix de lÀmrique .
Des Birmans de tous rangs màpportrent des prsents. Leur manire
dòffrir - typiquement birmane - me toucha profondment.
Au dbut du mois dàot, je commenai sentir que je nàvais plus rien
faire en Birmanie. Je dcidai de retourner dans lÒuest pour y enseigner
la mditation. Chacun parut surpris de ma dcision. On me demanda si
je ne voulais pas rester pour assurer lìnstruction des anglophones qui
tudiaient et pratiquaient la mditation, mais je dclinai lòffre poliment.
Yogi U Tin vint me dire adieu et me prsenter ses respects une dernire
fois, avant que je retourne la vie laque. Nous nous regardmes un long
moment sans rien dire. Finalement, je lui dis : Je veux que vous
sachiez que si je nàvais pas eu le soutien de votre gnrosit et de votre
bont sans gales, je nàurais jamais t capable de rester ici pour
terminer le cours dèntranement. Je suis votre dbiteur, et jìgnore
quand ou comment je serai en position de màcquitter de ma dette
envers vous. Dans lìntervalle, soyez assur de mon immense gratitude
pour tout ce que vous avez fait pour moi. Soyez bnis, vous, votre
charmante pouse, et vos enfants. !
Yogi U Tin ne rpondit pas tout de suite. Nous continumes nous
regarder. Je suis trs heureux de vous avoir t de quelque service ,
dit-il enfin. Votre noble travail auprs de nous a t couronn du plus
grand succs. Cèst tout ce qui compte vraiment. Puissiez-vous faire un
agrable voyage et arriver bon port chez vous.
Aprs avoir distribu mes offrandes aux matres, je fis une dernire
promenade autour de la maison, en commenant par l`norme banyan
Iòmbre duquel jàvais si souvent mdit. C`tait l que jàvais appris
chanter les paritta sutta. Je dis sukito hotu. (Puissiez-vous tre
heureux) trois fois ; pas làrbre, mais lèsprit bienveillant qui
I`habitait. Auparavant je nàvais jamais cru des choses comme les
esprits de la nature. Je dois dire cependant, que jài peru lèsprit
bienveillant de làrbre maintes reprises.
111
Le lendemain matin, huit heures, je gravis les escaliers et entrai dans
la maison du Saydaw. La pice tait extrmement calme et paisible. Le
Matre, U Javana, U Pandita, U Visuddhacra, et U Tin m`y attendaient.
Je demandai au Saydaw la permission de frotter mon front sur ses
pieds nus. Je pensais que ce geste exprimerait ma profonde dvotion et
mon immense gratitude mieux que des mots. Les larmes aux yeux et
voix basse, je demandai tre relev de mon tat de moine. Le Saydaw
pronona une courte phrase en pali, puis U Javana se leva et m`ta mes
robes bouddhistes orange.
Un instant la sensation de me retrouver en habits civils me parut
trange. Les pantalons en particulier taient chauds et inconfortables
compars la robe de moine et au longyi birman auquel j`tais habitu.
En me voyant dans mes habits civils, le Matre sourit et dit en anglais :
Nous avons t heureux de vous avoir parmi nous, et nous regrettons
que vous nous quittiez. Votre remarquable russite en matire de
mditation sera dùn grand bnfice pour vous et pour ceux que vous
instruirez làvenir. Nous souhaitons que vous enseigniez le noble
travail de la mditation bouddhique dans lÒuest. Nous vous donnons
notre bndiction. Sìl vous plat restez en contact avec nous aprs votre
dpart, et tenez-nous au courant de vos activits. Puissiez-vous tre
heureux et connatre la Paix jamais.
En larmes, je rendis mes respects, me levai, et marchai reculons,
jusqu` la porte. Tous les Vnrables et U Tin quittrent la pice aprs
moi. Dehors, je mìnclinai lgrement devant chaque matre, en tenant
mes mains serres mon front. Puis je saisis la main droite de U Tin et
la serrai dans les miennes. Aucun de nous ne pronona un mot. Attentif,
je marchai vers la voiture. Juste avant de m`y engouffrer, je me retournai
pour contempler ces hommes rares et merveilleux, que jài toujours
ressentis comme mes nobles amis. Je les avais dj connus dans un
pass lointain, et je vivrai nouveau en leur compagnie. Lorsque la
voiture franchit la grille dàccs au Centre, je sentis dans mon cour
quèn quelque sorte il ne sàgissait pas dùn adieu mais dùn au revoir.
112
113
Annexes
Satipahna en France et ltranger
Le premier groupe dèntranement satipahna en Occident a t form,
en 1950, Hollywood, en Californie. Paralllement ce groupe, il y avait
des lves qui se donnaient pour tche d`tudier et mme de pratiquer
diverses autres mthodes. Cèst ainsi que le satipahna sèst rvl
absolument incomparable par rapport tous les systmes de mditation
connus.
Il n`y a pad de doute, satipahna vipassan est la seule voie qui mne
dans les grandes profondeurs de lèsprit. Cèst l prcisment que lègo
peut tre dmasqu.
àction thrapeutique sur lèsprit et le corps est sans doute la raison de
son succs aux Etats-Unis, en Angleterre, en Allemagne, en Hollande et
en Suisse o de nombreux Centres de Mditation satipahna vipassan
fonctionnent depuis plusieurs annes.
En France, lèntranement satipahna est rest quasiment inconnu.
Lyon, Vienne, Valence et Annonay sont les seules villes o le
satipahna est enseign aux enfants, aux adultes et des personnes
avances en ge. Il est un fait que nous manquons dìnstructeurs des
deux sexes et que nous avons grand besoin dùn Centre situ dans le
calme de la campagne.
Rcemment, il a t fond une Association satipahna vipassan, dont
le but est de former des instructeurs, et des groupes d`tude et de
pratique.
(attention : datant des annes 1970, le texte de cette page nest plus
actualit ; les lieux denseignement ont compltement chang)
114
Les parritta sutta
Le karanya mett sutta (Discours sur la Bont et lÀmour), le
mahmangala sutta (Discours sur le plus grand Accomplissement), et le
Ratana sutta (Discours sur le Prcieux Joyau), sont connus comme les
principaux Parritta sutta (Discours sur la protection contre le mal).
La rcitation quotidienne de ces sutta, et la contemplation dirige sur
leur signification, ont un effet psychologique. Ils sont destins loigner
Iìnfluence du mal, et ils apportent mrite et profit celui qui les utilise
avec ferveur. De l, la grande importance attache leur rcitation.
115
1. Celui qui sait faire bon usage de son esprit,
Qui aspire cet tat serein,
Celui-l doit agir ainsi :
Il doit tre droit, trs droit,
Il doit tre doux et humble,
Et sèxprimer avec noblesse.
2. Satisfait de son sort,
Dùn commerce agrable,
Sans trop dòbligations,
Il doit vivre honntement.
Matre de ses sens,
Discret, sans arrogance,
Sans attachement passionnel
Aux liens familiaux.
3. Il ne doit pas rechercher les futilits
Pour ne pas encourir le blme des hommes sages.
Puissent tous les tres connatre le bonheur et la scurit ;
Puisse leur cour connatre la plnitude !
4. Quels que soient les tres vivants,
Forts ou faibles, grands, corpulents ou moyens,
Petits, minces ou larges, sans aucune exception,
5. Visibles ou invisibles,
Ceux dont la demeure est proche ou lointaine,
Ceux qui naissent, ou qui vont natre,
Puissent tous les tres connatre le bonheur !
6. Quàucun homme ne trompe un autre homme,
Quìl ne mprise personne, en aucun lieu,
Quìl ne souhaite aucun mal un autre,
Sous lèmpire de la colre ou de la malveillance.
116
7. Tout comme une mre protge son unique enfant
Au pril de sa vie,
De mme quìl cultive un cour sans limites
l`gard de tous les tres.
8. Que ses penses dàmour sans frontire
Pntrent lùnivers entier,
En haut, en bas et travers,
Sans obstacles,
Sans haine, sans inimiti.
9. Quìl soit debout, quìl marche,
Quìl soit assis, quìl repose couch,
Aussi longtemps quìl reste veill
Il doit dvelopper son attention.
Cèst la faon la plus noble
De vivre sur cette terre.
10. Se gardant de tomber dans lìllusion du moi,
Vertueux et dou de la Vision Intrieure,
Evitant làttachement aux dsirs des sens,
Plus jamais il ne reviendra
Pour tre conu dans le sein dùne femme.
117
Le mahmangala sutta
Ainsi ai-je entendu :
Un jour, le Bienheureux demeurait dans le monastre dÀnthapindika
dans le Parc Jeta proche de Svatthi. Alors, làube, un dieu (Deva)
illuminant le Parc dùne splendeur sans pareille, apparut au
Bienheureux, et l, le salua, et avec respect il se tint debout prs de lui,
puis il sàdressa en vers au Bienheureux :
1. Nombreux sont les dieux et les hommes,
Qui la recherche du bonheur, se sont
Interrogs sur les accomplissements bnfiques.
Dites-nous quel est le meilleur accomplissement bnfique.
Et le Bouddha rpondit :
2. Eviter de frquenter les fous,
Mais sàssocier aux Sages,
Honorer ceux qui sont dignes d`tre honors :
Ceci est le plus grand accomplissement bnfique.
3. Vivre en un endroit appropri,
Ayant accompli de bonnes actions
Au cours de naissances antrieures,
Orientant son esprit dans la direction juste :
4. Matriser le savoir et les arts manuels,
Bien connatre les convenances
Et prononcer les paroles justes :
5. tre le soutien de son pre et de sa mre,
Veiller tendrement sur sa femme et sur ses enfants,
tre libre des attachements :
118
6. Pratiquer la charit, avoir une conduite honnte,
Aider sa famille,
Avoir un comportement irrprochable :
7. Sàbstenir et se garder des actions mauvaises,
Sàbstenir de prendre des boissons intoxicantes,
Veiller nàccomplir que des actions justes :
8. tre respectueux, humble, satisfait de son sort,
tre reconnaissant, et couter la Doctrine
Au moment opportun :
9. tre indulgent, sèxprimer courtoisement,
Rendre visite aux sages,
Parler de la Doctrine lorsque cèst appropri :
10. Avoir de l`nergie et mener une vie pure ;
Avoir la vision intrieure des Quatre Nobles Vrits,
Avoir la comprhension totale de nibbna :
11. Garder son esprit ferme
Lorsquòn est en contact avec les conditions du monde,
Et que lèsprit reste inbranlable,
tre sans chagrin, pur et certain :
12. Accomplir toutes ces choses,
Ne pas tre vaincus
Et aller en tous lieux en se gardant du mal :
Toutes ces choses sont les plus grands accomplissements
bnfiques.
119
Le ratana sutta
1. Quels que soient les esprits ici assembls,
Quìls soient de la terre, ou quìls soient du ciel,
Quìls coutent avec attention ces paroles.
Puissent tous les esprits tre heureux !
2. Or donc, vous tous esprits, coutez avec soin.
Soyez compatissants avec tous les hommes,
Et protgez-les avec diligence.
3. Quelle que soit la richesse trouve ici-bas
Ou dans làutre monde,
Quel que soit le prcieux joyau dans les cieux,
Rien n`gale Celui-qui-a-trouv-la-Vrit.
En vrit, dans le Bouddha repose
Ce prcieux joyau.
Que cette vrit apporte le bonheur !
4. La destruction des passions, le dtachement,
La suprme Immortalit que le Sage Sakya obtint
Par sa noble Concentration, il nèst rien qui leur soit gal.
En vrit, dans lÈnseignement repose
Ce prcieux joyau.
5. La mditation pure loue par le Bouddha Suprme
Cette mditation aux rsultats immdiats,
Aucune mditation ne l`gale.
En vrit, dans lÈnseignement repose
Ce prcieux joyau.
6. Ceux qui sont lous par Celui-qui-est-Juste
Constituent les disciples.
Ces disciples du Bienheureux sont dignes dòffrandes,
Ce qui leur est offert produit des fruits abondants.
En vrit, dans la Communaut des Justes
Repose ce prcieux joyau.
120
7. Ceux qui, librs du dsir,
Se sont appliqus avec un esprit ferme,
pratiquer les Enseignements de Gotama :
Ceux-l ont atteint ce qui doit tre atteint,
Ayant plong dans lÌmmortalit,
Ils jouissent de la Paix qui nà pas de prix.
8. De mme que les piliers des portes de la ville,
Enfoncs dans le sol, demeurent inbranlables
Sous làssaut des quatre vents ;
De mme je proclame quìl est un homme juste et respectable,
Celui qui en profondeur peroit les Nobles Vrits.
9. Ceux qui comprennent clairement les Quatre Nobles Vrits,
Bien enseignes par la Sagesse Suprme,
Quelle que soit leur ngligence,
Ceux-l ne renatront pas une huitime fois
Sur cette terre.
10. Trois obstacles lÌllumination sont surmonts
Par celui qui est dou de la Vision Intrieure Juste
savoir, la croyance en lègo, le doute,
Et làdhsion aux rites et aux crmonies fausses.
Cet homme sèst dfinitivement affranchi des quatre enfers
Et il est incapable de commettre les six crimes mortels.
121
11. Quelle que soit làction errone quìl commette,
Soit par le corps, la parole ou lèsprit,
Cet homme est incapable de la cacher.
Une telle action est impossible pour celui qui a vu nibbna.
12. Semblable au bosquet aux arbres en pleine floraison
Dans la premire chaleur de la saison d`t,
Telle est la sublime Doctrine qui mne au nibbna,
Prche par Lui pour le bien le plus grand.
En vrit dans le Bouddha repose ce prcieux joyau.
13. Celui-qui-est-la Perfection,
Celui-qui-connat-le-nibbna-parfait,
Le Dispensateur de la Perfection,
Celui qui apporte la Perfection,
A prch la Parfaite Doctrine.
En vrit dans le Bouddha repose ce prcieux joyau.
14. Leur pass est dtruit, leur devenir nèxiste plus,
Leur esprit est dtach dùne naissance future.
Les sages qui ont dtruit la semence de leur existence,
Et ont fait cesser le dsir,
S`teignent comme une lampe.
Quìls soient de la terre ou du ciel,
Vnrons le Bouddha.
Celui-qui-a-trouv-la Vrit, ador des Dieux et des hommes.
Que le bonheur rgne !
122
Vnrons lÈnseignement,
Vnrons la Communaut des Justes,
123
Glossaire des termes palis
abhidhamma : la philosophie bouddhiste expose dans la Troisime
Partie du Canon pali, qu traite des ralits absolues.
npna : la respiration.
agga mah pandita : titre honorifique signifiant trs grand savant .
anicca : lìmpermanence.
aniccanupassan-a : contemplation de la vision intrieure de
IÌmpermanence.
att : me, soi, tre, personne, entit, ego.
anatt : non-me, non-soi, non-ego, impersonnalit.
anattnupassan-a : contemplation de la vision intrieure de
IÌmpersonnalit.
apo : lèau (lment de cohsion).
arahanta : l`homme Noble qui a atteint la quatrime et dernire tape de
la ralisation de nibbna.
arahatta : le dernier stade de nibbna dsignait la libert totale de toutes
les renaissances.
ariy : l`homme noble qui a ralis nibbna dans cette vie terrestre.
Ayant transcend lìgnorance, il est sanctifi.
anarammana dhamma : chose ou phnomne incorporel.
ariy magga : la Noble Voie.
arpa loka : monde immatriel.
angmi : troisime stade de la Saintet (nibbna) ; littralement
celui-qui-ne-revient-plus dans ce monde.
bhavanga : le subconscient.
124
bhvan : dveloppement.
bhikkhu : moine.
bhvan-maya-pa : connaissance base sur le dveloppement de
Ièsprit.
buddha : l`veill, le Parfait, aussi nomm tathgata en pali.
brahm : un dieu.
cint-maya-pa : connaissance par le raisonnement, la logique.
cakkhu : matire palpable.
citta : esprit, conscience, mental, facult de connatre.
cittanupassan : la vision intrieure de lèsprit.
dhtu : lment.
dhamma : lÈnseignement du Bouddha, la Loi, tat, chose, objet mental,
phnomne.
dosa : aversion.
dukkha : souffrance, douleur, tout ce qui est indsirable.
dukkanupassan-a : contemplation de la vision intrieure de la
souffrance.
iriya-patha : la posture corporelle.
jhna : tat dèsprit cleste ou transcendantal, la conscience des dieux.
kamma : action (morale ou immorale), la Loi de cause et dèffet. Toute
action mentale, verbale et corporelle laisse sa trace dans lèsprit latent
(karma en sanskrit).
kasina : objet de concentration.
kma loka : monde sensoriel.
kya-pasda : lment sensoriel dans le corps.
125
kya-viana : lment qui connat la sensation, facult de ressentir.
khant : la patience.
khantsavara : la discipline de la patience.
kiles : impuret, souillure, lien, obstacle de lèsprit produit par
Iìgnorance.
loba : avidit.
lokiya : mondain.
lokuttara : supra mondain. (nibbna).
magga : voie, sentier, chemin.
magga a : connaissance de la Voie.
mah : grand, majeur.
mah-bhta : les quatre lments : terre, eau, feu, air.
mah-parinibbna : lèxtinction totale.
mett : amour, bienveillance.
moha : ignorance.
nma : lèsprit, le mental (plutt làction du mental).
nma-rpa : le couple esprit-corps.
nma-rpa pariccheda-a : La connaissance distincte de lèsprit et du
corps par la vision intrieure.
a : la connaissance, la comprhension, la vision intuitive.
nibbna : lÀbsolu, lÌnconditionn, le Supramondain.
nicca : permanence.
pa : sagesse, connaissance ultime.
126
peta : fantme.
prami : les perfections, les vertus et facults essentielles pour atteindre
le but ultime de la Voie. Celles-ci peuvent avoir t acquises soit dans
cette vie, soit dans des existences antrieures.
parinibbna : terme qui signifie entirement teint ; Il caractrise la
mort dùn Bouddha ou dùn arahanta.
pathavi : matire, terre, (lment dèxtension).
paribbaje : sans jugement et commentaire.
phala : fruit (noble).
phala a : connaissance du noble fruit.
rpa : le corps, la forme visible, plutt l`lment mouvant.
rpa loka : monde de la matire fine.
rpa-jhna : les quatre tats de conscience des mondes suprieurs.
samdhi : concentration de lèsprit.
samatha : srnit, tranquillit de lèsprit.
sagha : communaut des moines.
sati : attention, prsence dèsprit.
satipahna : làpplication de làttention.
sakkya : lìndividualit, le couple esprit-corps.
sakkya-ditthi : la vue errone de lìndividualit.
sarammana dhamma : chose ou phnomne corporel.
sankhra : les formations, activits volitives produisant des effets
Karmiques, les tendances ou inclinations, le caractre.
ssana : lÈnseignement du Bouddha.
127
Saydaw (birman) : matre.
sato : observer, contempler, noter.
sla : moralit.
samsra : le cycle mort-renaissance, la roue de lèxistence.
sukha : plaisir, agrable, aimable, bon, dsirable.
sutta : discours.
sutta-maya-pann : connaissance par la lecture et l`tude.
saghayana : concile bouddhique.
sakadgmi : littralement : celui-qui-ne-revient-quùne-fois sur
cette terre. La deuxime tape de nibbna.
sotpanna : littralement : celui-qui-est-entr-dans-le-courant .Le
premier stade de nibbna.
tejo : feu (lment maturant).
thina-middha : raideur-torpeur-paresse, soit physique ou psychique.
upda-rpa : matire drive, subtile.
vyo : air, vent, mouvement, extension-contraction-raidissement
(lment soutenant, rsistant).
vicikiccha : le doute, lìncertitude, le scepticisme.
viriya : nergie, virilit.
vedan : sensation, sensibilit, sentiment.
vedan-nupassan : la vision intrieure des sensations.
vipassan : la vision intrieure, pntrante, immacule qui rvle la
souffrance, lìmpermanence et le vide de lèxistence phnomnale.
vipassan ne doit pas tre confondue avec un exercice dìntrospection,
qui implique un moi qui cherche se connatre pour des raisons
gostes.
128
yeikth (birman) : lieu de srnit, de repos, de tranquillit, de bien-tre,
de scurit. ssan yeikth : centre de mditation.
Yogi (pali et birman) : littralement celui-qui-fait-des-deux-un , c'est-
-dire qui ne vit pas dans la division intrieure sujet-objet, acteur-action,
penseur-pense, observateur-observ, etc. La division est synonyme
dìgnorance, de conflit, etc.
129
Table des matires
Introduction ................................................................................ 7
Prface du Vnrable Mahs Saydaw..................................... 11
Attestation du Vnrable Mahs Saydaw................................ 13
Chapitre premier : Aide-toi toi-mme........................................ 15
Chapitre II : Rcompense .......................................................... 23
Chapitre III : satipahna......................................................... 31
Chapitre IV : Rencontre avec le matre...................................... 41
Chapitre V : Obstacles sur le sentier.......................................... 55
Chapitre VI : samdhi ............................................................... 65
Chapitre VII : Ravissement infini .............................................. 73
Chapitre VIII : Le feu infini ...................................................... 83
Chapitre IX : nibbna................................................................ 95
Annexes.................................................................................. 113
Glossaire pali .......................................................................... 123
130
131
132
Robert Kientz
satipahna la voie du bonheur
satipahna , cest le dveloppement de lattention
enseign par le Bouddha il y a 2500 ans.
Cette mthode prsente la voie de lantique Sagesse,
presque perdue travers les sicles, mais redcouverte
depuis peu. Elle se caractrise par le dpassement de
intelligence raisonnante et du subconscient pour aboutir
la connaissance de la cause premire de la souffrance.
Cette voie troite affranchit ltre pour atteindre la
Sagesse orientale , qui seule confre la libert.
auteur : Originaire dAlsace,
Robert Kientz, terrass par la
souffrance cause par une trs
grave maladie nerveuse,
rencontre un moine bouddhiste
de passage en Californie. Il
reoit son enseignement et les
premires directives de la
Noble Vrit.
http://dhammadana.org/livres.htm

La Voie Du Bonheur

Încărcat de

Informații document

Titlu original

Drepturi de autor

Formate disponibile

Partajați acest document

Partajați sau inserați document

Opțiuni de partajare

Vi se pare util acest document?

Este necorespunzător acest conținut?

Drepturi de autor:

Formate disponibile

La Voie Du Bonheur

Încărcat de

Drepturi de autor:

Formate disponibile

Robert Kientz

S-ar putea să vă placă și