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Notre époque
Accidents de circoncision
" L'accident est très fréquent, mais c'est loin d'être le plus grave ", souligne le Dr Lotfi Jelloul,
spécialiste en chirurgie et urologie pédiatrique, qui précise que l'hémorragie, si elle est sévère,
peut carrément menacer la vie de l'enfant. Il recense pas moins de sept accidents de gravités
diverses dus à des circoncisions opérées par des personnes non expérimentées et non outillées.
Le cas extrême est celui d'Ali que nous avons rencontré à Ras Jbel, un village à 60 kilomètres au
Nord-Est de Tunis. Le jeune homme de 23 ans a refusé, poliment mais sèchement, de nous parler
de son cas. Il ne veut plus en entendre parler et préfère l'oublier. Comme s'il tenait à souffrir en
silence et en solitaire si l'on juge par la tristesse qu'on lit clairement dans ses yeux. Il y a 17-18
ans, pour sa circoncision, son père a fait appel à un médecin généraliste. Il a le matériel adéquat,
leur a-t-il déclaré. Au moment de l'opération, suite à une erreur de manipulation d'un appareil, il y
a eu une amputation presque totale de la verge. A tel point qu'on a dû intervenir chirurgicalement
sur l'enfant pour lui permettre d'uriner.
" Malgré les avancées de la médecine, rien ne pourra plus redevenir comme avant ", avoue, amer,
le Dr Jelloul, comme si toute erreur dans ces parties génitales peut être fatale. Ali ne peut pas
accomplir d'actes sexuels, il ne peut pas procréer et ne peut pas uriner debout. On n'imaginera
jamais assez le mal subi. Physique au moment de l'ablation, psychologique éternellement.
Le médecin ? Il a écopé de quatre mois de prison et n'en a fait que trois grâce à une amnistie. Il
est retourné, par la suite, opérer dans le même village qu'avant et serait responsable de trois
accidents de gravité moindre. Finalement, il a été "poussé dehors" par un pharmacien du coin,
mais continue, paraît-il, à exercer jusqu'à aujourd'hui à Hammamet. Le tribunal l'a condamné à
payer 23.000 dinars dont il ne s'est jamais acquitté, faute de moyens. Le père d'Ali a fini par
abandonner les poursuites. " A quoi cela sert de remuer le couteau dans la plaie ? dit-il. Ce n'est
pas l'argent qui va remettre les choses en place ". Il est nerveux lui aussi, il s'excuse et demande
d'arrêter l'entretien. Il ne veut plus parler de cette histoire.
Son cadet, il l'a circoncis chez le coiffeur d'en face, Am Hammadi, circonciseur de père en fils.
Plus question d'aller voir un médecin. Chez Am Hammadi, l'opération a été réussie. Aucun
accident depuis 50 ans ! Il a souvent réparé des accidents de circoncision opérée par des "
traditionnels " ou des médecins (voir interview).
M. Abdallah Ahmadi :
Il est grand temps de réglementer !
N'importe qui circoncit aujourd'hui ! Il suffit d'être médecin ou
coiffeur réputé pour prendre les ciseaux et s' " atteler " sur le
prépuce. Or, au ministère de la Santé on souligne clairement
que la circoncision est un acte médical qui ne peut être exercé
que par un médecin. La réalité est toute autre.
Me Abdallah Ahmadi, maître de conférences agrégé en droit
privé et sciences criminelles, s'indigne qu'une telle opération
aussi délicate, touchant à des organes vitaux et nobles, ne soit
pas réglementée.
Rappelant qu'il existe actuellement un nombre de procès liés à
des accidents de circoncision, Me Ahmadi lance un véritable cri
d'alarme invitant à ce qu'on fixe des critères objectifs de telle
sorte que seuls les médecins spécialisés fassent cette
opération délicate. " Il est grand temps de réglementer le
secteur puisque même des analphabètes circoncisent
aujourd'hui ", dit-il.
Sur le plan pénal, en cas d'accident, le responsable est condamné pour préjudice à
autrui. On le poursuit pour "coups et blessures involontaires " selon l'article 225 du Code
pénal tunisien. Il encourt une peine de prison d'un an maximum en plus d'une amende.
En cas de grave accident, il peut encourir des sanctions disciplinaires, mais ceci est
l'affaire du Conseil de l'Ordre des Médecins et non de la justice. Mais s'il ne s'agit pas
d'un médecin, peut-on le punir pour exercice illégal d'une activité médicale ?
Sur le plan civil, celui qui a fait l'opération et causé un accident est obligé de payer pour
le préjudice moral subi, calculé sur la base du taux de l'incapacité permanente qui a
frappé la victime.
Toujours est-il que, quelle que soit la gravité du préjudice causé, la justice prend
toujours en considération que le délit est involontaire, dû à l'imprudence et à la
négligence.
N.B.
Toutes les amputations ne sont pas fatales, cependant. C'est le cas de cet enfant originaire
d'Ezzahrouni (cité populaire de Tunis), opéré à l'âge de deux ans à domicile par un circonciseur
non médecin. L'enfant souffre jusqu'à aujourd'hui d'une incapacité partielle permanente. Elle serait
réparable, en partie, selon son médecin, mais le père, nécessiteux, cherche à récolter d'abord un
maximum d'argent en dommages et intérêts. Le procès qu'il a intenté lui a donné droit à 20.000
dinars. Mais que vaut cette somme, même multipliée par cent, devant une pareille incapacité ?
N.B.
Nizar BAHLOUL
Les photos illustrant la circoncision sont tirées du livre "Histoire de la circoncision des origines à nos jours" - Edition
Cérès Productions - Tunis 1993.
Si Hammadi nous parle de sa technique, de ses amis, de sa belle époque qu'il passait
avec les dignitaires de la région dont Si M'hammed Nacef dont les enfants ont tous été
circoncis chez lui. Aucune plainte ; il a réussi contrairement à beaucoup d'autres,
contrairement à des médecins, notamment un qui a causé pas moins de quatre
accidents dans la région. Si Hammadi, un soir de Ramadan, a été surpris par une
coupure d'électricité au moment même où il opérait. La coupure du prépuce a eu lieu,
accidentellement, en pleine obscurité ! Réussie ! Cela lui a valu d'entrer dans la légende,
car on ne manque plus de souligner que le bonhomme est tellement performant qu'il n'a
pas besoin de lumière pour circoncire !
Il nous montre ses carnets jaunis datant des années 50. Une centaine de circoncisions
par an. Parfois beaucoup plus. En 2001, il n'en a enregistré que 14. Cinq pour l'année en
cours. " Les parents préfèrent les médecins, ce qui est normal, dit-il, bon joueur.
D'ailleurs, s'ils se sentent plus rassurés, je les oriente moi-même vers un médecin, qui a
un équipement plus performant que le mien ".
Que faut-il pour un être un bon circonciseur ? " Etre intelligent, très calme, précis et
connaisseur de son métier et des règles d'hygiène et de santé à respecter", répond Si
Hammadi. Or tout le monde n'a pas ces qualités, même si l'on est médecin. Tout le
monde ne doit donc pas s'amuser à circoncire, car tout le monde n'a pas le calme
nécessaire. " C'est comme en chirurgie, tout le monde ne peut pas être chirurgien,
même s'il a toute la science requise ", confirme le fils de Si M'hammed Nacef qui a gardé
encore le contact avec son circonciseur.
Sa première circoncision date du début des années 50. Avant, il ne faisait
qu'accompagner son père pour les cérémonies. Un jour, celui-ci était absent quand un
père est venu le voir au salon de coiffure pour une circoncision le soir. Face à la
contrariété du client de ne pas trouver le circonciseur, Si Hammadi se propose et ment
sur son expérience. Le père accepte et la première circoncision se déroule dans les
meilleures conditions. En rentrant chez lui, Si Hammadi avoue tout à son père. Ce
dernier, le lendemain, court chez le jeune circoncis pour vérifier l'ouvrage de l' "
inexpérimenté ". Rien à signaler. Il est fier de cet " apprenti " de 23 ans ! Il est clair qu'il
faut un début à tout et qu'il est très difficile de convaincre un parent d'accepter que son
enfant soit circoncis par un apprenti inexpérimenté !
D'où vient la mauvaise réputation ? Des charlatans, des incapables et des intrus !
s'exclame Si Hammadi.
A-t-il fait face à des accidents de circoncision opérée par des confrères ? " Souvent ",
répond-il. Il a même opéré après des médecins. Il se rappelle encore de ce cas
d'amputation partielle avec une grave hémorragie. Les médecins allaient greffer une
peau sur la verge de l'enfant, mais il est arrivé à convaincre les parents de l'accidenté
d'une meilleure solution. Avec un mélange de cire d'abeille, d'huile d'olive, de camphre et
de gomme arabique qu'il a appliqué sur le pénis de l'enfant, il est arrivé à nourrir la peau
pendant des semaines et à l'amputation. L'enfant est sauvé et ne souffre d'aucun mal.
Des cas irrécupérables, il en connaît et il souffre de ne rien pouvoir. Fatalité ? Non,
bêtise des entêtements des hommes à vouloir s'immiscer dans ce qu'ils ne comprennent
pas ! Il en veut même à ces médecins qui, sous prétexte de connaître toute la théorie,
veulent passer systématiquement à la pratique. Il ne cesse de répéter qu'il ne faut pas
être nerveux pour pratiquer la circoncision et qu'on doit connaître son métier.
Le métier ? C'est distinguer un enfant qui a un sang chaud d'un enfant normal ; c'est
rassurer un enfant paniqué ; c'est distinguer une érection d'un grand organe ; c'est
savoir qu'il n'y a pas de standard et que chaque cas est unique. Comme l'on ne trouve
pas deux oreilles ou deux nez identiques, il en est de même pour les sexes.
Les accidents les plus fréquents ? Il en a vu de toute sorte, mais celui qui revient à la
charge est qu'on n'a pas suffisamment circoncis (ce qui nécessite une deuxième
intervention) ou qu'on a circoncis plus qu'il ne le faut et l'hémorragie. Si Hammadi sourit,
tout le monde n'a pas le doigté ! Il nous montre, pour finir l'entretien, le doctorat en
chimie de son fils Nizar Belakhal, accroché au mur. On réussit les circoncisions, on
réussit l'éducation des siens. Qui dit mieux en matière de faire le bonheur des enfants ?
N.B
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