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Mme A. Englebert
ULB 2005-2006
(Texte 13)
LA FOLIE TRISTAN DE BERNE
A. Traduction
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72. Que l’amour, qui vainc toutes choses,
73. Me donne encore qu’il arrive,
74. Qu’il la tienne à ma volonté !
75. Et je le ferai, vraiment, s’il plaît à Dieu ;
76. Je prie Dieu qu’il ne me laisse pas
77. Mourir avant que je ne l’aie.
78. Elle a guéri ma plaie de manière très douce ;
79. Et que Dieu me donne encore tellement à vivre
80. Que je la voie saine et libre !
81. Encore j’apprécierais beaucoup
82. Si je pouvais me joindre à elle.
83. Et que Dieu lui donne joie et santé,
84. S’Il veut par sa douce bonté,
85. Et qu’Il me donne honneur et joie
86. Qu’Il me dirige vers ce chemin de sorte
87. Que je puisse encore la regarder
88. La voir et la rencontrer ! […]
B. Préparation formelle
Il s’agit d’un texte en vers et rimé ; les rimes sont plates et vont par paires. Nous en
trouvons des féminines et des masculines, mais aucune suite logique n’est établie. Chaque
vers comprend huit pieds, ce sont donc des octosyllabiques.
La versification de ce poème est assez négligée comme nous le laisse entrevoir les vers
38-39 où riment savoir et non savoir. Nous remarquons par ailleurs que les vers unis par une
rime ne sont pas toujours liés par le sens (corage – mesage aux vv.36-37) et nous trouvons
une « faiblesse » aux vers 64-66 qui font rimés par trois fois la finale -ui (anui - sui - fui) au
lieu de deux.
L’ordre des mots de cet extrait est correct dans l’ensemble, excepté aux vers 45 et 52
qui commencent par le verbe. Dans tous les autres cas, il y a toujours un groupe topicalisé en
première position, comme il se doit en règle générale.
Fort proche du Tristan de Béroul, ce manuscrit est écrit suivant la même langue, les
mêmes procédés de narration, les mêmes allures de style et globalement la même technique
que ce premier. D’après les observations de Joseph Bédier, comme Béroul, le Folie Tristan de
Berne « sépare à la rime les mots en a nasal et les mots en e nasal ; - il ne fait pas rimer les
mots terminés par z avec les mots terminés par s ». Nous en trouvons un très bel exemple aux
vers 42-43 du texte : « Par envie est aperceüz ; / Mout e a esté deceüz. ».
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Joseph Bédier continue en écrivant que le poète – au singulier ? – « ne réduit pas à -ie
la triphtongue -iée ». En effet, pensons notamment aux vers 50-51 (« Ysiaut a il, mais nen a
mie / Celi qui primes fu s’amie. ») et aux vers 62-63 (« Nenil, qant celë ai laissiee / Qui a por
moi tant de hachiee, ») : dans chacun des deux cas, ces rimes ne sont nullement mêlées.
Nous trouvons toutefois trace d’une différence avec le texte de Béroul : alors que nous
trouvons aux vers 85-86 une rime en oie (joie – voie), Béroul, lui, ne fait rimer la diphtongue
ei qu’avec elle-même.
Cette différence nous mène à considérer la question des dialectes. Béroul serait, selon
M. Muret, un Normand tandis que notre poète serait issu d’une région plus à l’est dans le nord
de la France. Différents termes puisés dans ce court extrait appartenant à la langue d’oïl nous
conforte dans cette hypothèse. Nous distinguons par exemple les mots cuer (v.35), poise
(v.36), mesage (v.37), repairier (v.46), molt (v.48), dialt (v.48), porpense (v.52), sofert
(v.56), onques (v.57), et bien d’autres encore.
C. Préparation grammaticale
34. Dinas li senechax sopire, Dinas : nom masc. sing., cas sujet car sujet de la
proposition, avec –s
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ire : nom fém. sing., cas régime car COD du
verbe a, = la colère
an = en
38. Par cui a fait Tritan savoir par cui : pron. rel. masc. sing., ant. = un
mesage, cui est une variante graphique de qui
39. Com a perdu par non savoir com : adv. interrogatif, = comment
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savoir : infinitif substantivé masc. sing., cas
régime car compl. de cause de a perdu, = la
savoir, la sagesse
40. L’amor del roi, qui l’et de mort. l’amor : nom masc. sing., cas régime car COD du
verbe a perdu (vers précédent), = l’amitié,
l’estime
del = de + le
41. Mar vit Tristanz son bel deport. mar : adv. = pour son malheur
42. Par envie est aperceüz ; envie : nom fém. sing., cas régime car
complément d’agent, = la jalousie
e = et, aussi
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a esté : verbe à l’ind. passé composé actif, 3
pers. sing., sujet non répété (Tristanz), < estre :
être
45. Sachiez ne li fu mie bele sachiez : verbe à l’ind. prés. actif, 2 pers. pl.,
sujet non exprimé, < savoir
ne : morphème négatif
ou : < en + le
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païs : nom masc. sing., cas régime car
complément circonstanciel de lieu, = la région
48. Sovant sopire et molt se dialt sopire : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet non exprimé (Tristanz), < sopirer :
soupirer
et : coordonnant
o = avec
nen : adv., = ne
50. Ysiaut a il, mais nen a mie Ysiaut : nom fém. sing., cas régime car COD du
verbe a, variante graphique de Yseut
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mais : conjonction de coordination marquant
l’opposition
nen : adv., = ne
51. Celi qui primes fu s’amie. celi : pron. déictique fém. sing., cas régime 2 car
COI du verbe a (v. 50), < cel : celui
52. Porpense soi qu’il porra faire, porpense : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers.
sing., sujet non exprimé (Tristanz), variante
graphique de porpanse, < porpanser : délibérer,
se demander
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la : pron. pers. représentant fém. sing., cas
régime atone 1 car COD de l’infinitif atraire,
reprend Ysaut (v. 49)
n’ : morphème négatif
en = dans
56. C’ai je sofert en tel amor ! c’ = que, élidé devant une voyelle (ai), adv.
exclamatif
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ai sofert : verbe à l’ind. passé composé actif, 3
pers. sing., sujet = il (Tristanz), < sofrir :
souffrir
57. Onques de li ne fis clamor onques : adv., = à quelque moment que ce soit
dans le passé
de = à cause de
ne : morphème négatif
ne : morphème négatif
59. Por quoi m’asaut ? por quoi me blece ? por quoi = pourquoi
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blece : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet non exprimé (= amor), < blecier : blesser
60. Dex ! ce que doi ? et qui me sanble ?… Dex : nom masc. sing., cas sujet (x = us) pour
nom en apostrophe
ne : morphème négatif
62. Nenil, quant cële ai laissiee nenil = non + il, morphème négatif
originellement utilisé dans un contexte de 3
pers., par opposition à nail (= non+je)
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ai laissiee : verbe à l’ind. passé composé actif, 1
pers. sing., sujet non exprimé (=je), accord du
participe passé au fém. sing. avec le COD placé
devant (cële), < laissier : laisser
63. Qui a por moi tant de hachiee, qui : pron. rel. fém. sing., cas sujet car sujet du
verbe a, a pour antécédent le pronom cële
tant : adv.
65. Las, fait il, hé las, com je sui (hé) las : interjection marquant le chagrin, le
regret, = hélas
66. Maläurox, et com mar fui !… maläurox : adj. masc. sing., cas sujet car attribut
du sujet je exprimé au vers précédent
et : conjonction de coordination
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67. …Soferte et tante poine aüe ? soferte : nom fém. sing. conçu à partir du
participe passé de sofrir (souffrir), cas régime
(lacune du texte, impossible d’analyser)
ne = morphème négatif
69. Ja n’an soit mais nul jor amez, ja…mais : adv. explétif car redondant avec nul
jor, = n’importe quand dans le futur
70. Ainz soit tot jorz failliz clamez ainz : coord., = mais, au contraire, plutôt
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de la volonté, accord du participe passé avec le
sujet masc. sing., -z variante graphique de –s,
< clamer : appeler, déclarer, reconnaître
71. Qui de lui amer ja se faint ! qui : pron. rel. masc. sing. sans antécédent
exprimé, cas sujet car sujet du verbe se faint
72. Amors, qui totes choses vaint, amors : nom masc. sing., cas sujet car sujet du
verbe doint, = l’amour
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73. Me doint encor quë il avaigne me : pron. pers. pur, 1 pers. sing., cas régime
atone, COI du verbe doint
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76. A Deu pri ge qu’il ne me lait pri : verbe à l’ind. prés. actif, 1 pers. sing., sujet
= ge, < prier
ne = morphème négatif
77. Morir devant ce que je l’aie. morir : inf. prés. actif compl. de lait, = mourir
devant ce que : subordonnant, = avant que
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doint : verbe au subj. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet = Dex, subj. car marque la volonté, le
souhait, < doner : donner
tant : adv.
et : conjonction de coordination
81. Encor avroie je mout chier avroie : verbe au cond. prés. actif, 1 pers. sing.,
sujet = je, < avoir
82. S’a li me pooie acointier. s’ : adv. hypothétique, = si, élidé devant une
voyelle
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pooie : verbe à l’ind. imparfait actif, 1 pers.
sing., sujet non répété (je), < pooir : pouvoir
por = par
85. Et il me doint enor et joie il : pron. pers. pur, 3 pers. masc. sing., cas sujet
car sujet du verbe doint, reprend Dex (v.83)
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86. Et si me tor en itel voie si = de telle façon
87. Q’ancore la puisse aviser la : pron. pers. représentant, 3 pers. fém. sing.,
cas régime atone 1, COD du verbe aviser,
reprend Ysiaut
88. Et li veoir et encontrer ! […] li : pron. pers. représentant, 3 pers. fém. sing.,
cas régime tonique, COD du verbe veoir, reprend
Ysiaut
D. Bibliographie
- BAUMGARTNER Emmanuèle, Tristan & Iseut, Paris, Presses Universitaires de France, 1987,
p.116-121
- BEDIER Joseph, Les deux poèmes de la Folie Tristan, [s.l.], Johnson reprint corporation, 1965,
p. 81-126
- BOS Alphonse, Glossaire de la langue d’oïl (XI-XIV ème siècles), Paris, J. Maisonneuve, 1891
20
- GODEFROY Frédéric, Dictionnaire de l’Ancienne langue française et de ses dialectes du IX au
ème
XV siècle, Paris, Librairie des sciences et des arts, 1938, vol. 1 à 10
- -, Lexique de l’Ancien français, Paris, Librairie Honoré Champion, 1965
- GREIMAS A. Julien, Dictionnaire de l’ancien français, le Moyen Age, 2ème éd., Paris, Larousse,
1992
- -, KEANE Teresa M., Dictionnaire de l’ancien français, la Renaissance, Paris, Larousse, 1992
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(Texte 66)
LE ROMAN DE TRISTAN EN PROSE
A. Traduction
Quand ils eurent bu le filtre amoureux dont je vous ai parlé, Gouvernal, qui découvre le
récipient, fut tout stupéfait ; il est tellement malheureux qu’il voudrait être mort, car à partir de
maintenant il sait bien que Tristan aime Iseult et Iseult Tristan, et il sait bien qu’ils en seront
inculpés, lui et Brangien. Alors il appelle Brangien et lui dit qu’ils ont été trompés sans le savoir.
« Comment ? » fait Brangien. « Par ma foi ! », fait Gouvernal, « nous avons donné à Tristan et à
Iseult à boire un filtre d’amour, et il faut forcément qu’ils s’aiment l’un l’autre. » Alors il lui
montre le récipient où le filtre était. Et quand Brangien voit que c’est vrai, il dit tout en
pleurant : « Nous avons mal agi ; de cette chose ne peut venir que le mal. – Pour l’heure, nous
souffrons », dit Gouvernal, « et nous verrons comment aboutira cette affaire. » Gouvernal et
Brangien en sont tristes, mais ceux qui ont bu le filtre d’amour sont heureux. Tristan regarde
attentivement Iseult, il s’éprend et s’enflamme si fort d’amour qu’il ne désire qu’Iseult, et Iseult
ne désire que Tristan. Tristan lui ouvre son cœur et dit qu’il l’aime plus que tout au monde, et
Iseut lui dit qu’elle aussi fait de même pour lui.
B. Préparation formelle
Le texte étudié à présent est un texte en prose qui ne dispose d’aucun trait dialectal
particulier.
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C. Préparation grammaticale
qui recongnoist le vaissel, qui : pr. rel. masc. sing., ant. = Goubvernal, cas
sujet, sujet de recongnoist
fut tout esbahi ; fut : verbe à l’ind. parfait passif, 3 pers. sing.,
sujet = Goubvernal, fut sans -t normalement
car or sceit il bien que Tristan aimme car : ligateur explicatif (pas de valeur causale)
Yseul, et Yseult Tristan,
or : adv., à partir de maintenant
Lors appelle Brangien et lui dit qu’ilz ont lors : adv., = alors
esté decheus par mescongnoissance.
appelle : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet non exprimé (= Goubvernal), < appeler
« Comment ? » fait Brangien. fait : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet placé derrière (= Brangien), < faire
« Par foy », fait Gouvernal, « nous avon par foy : par ma foi !
donné a Tristan et a Yseult a boire du boire
amoureux, fait : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet placé derrière (= Gouvernal), < faire
ou : pron. rel., = où
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Brangien : nom masc. sing, cas régime mais
sujet de voit
tout : adv.
en : préposition
de ceste chose ne peult venir se mal non. ceste : dét. démonstratif, fém. sing., cas régime,
détermine chose, < cest : cette
ne…se…non = ne…que
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souffron : verbe à l’ind. prés., 1 pers. pl., sans –s
par analogie avec le singulier, sujet = nous,
< sofrir : souffrir, patienter
Gouvernal et Brangien son es tristece, Gouvernal : nom masc. sing, cas régime en
fonction sujet
es : < en + la
Mais ceulx qui ont beu le boire amoureux ceulx : pron. dém. masc. plur., cas régime en
son en liesse. fonction sujet du verbe son, reprend Tristan et
Iseult, < cel : celui
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qui : pron. rel. masc. plur., ant. = « ceulx » (Tristan
et Yseult), cas sujet, sujet de ont beu
Tristant regarde Yseult, Tristant : nom masc. sing., cas régime en fonction
sujet, présence d’un –t, variante graphique de
Tristan
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Yseult : nom fém. sing., cas régime car COD de
desire
et Yseult ne desire fors que Tristan. Yseult : nom fém. sing., cas sujet, sujet de désire
Tristan lui descoeuvre son courage Tristan : nom masc. sing., cas régime en fonction
sujet
et dit qu’il l’aimme plus que rien nee, dit : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing., sujet
non répété (= Tristan), < dire : dire
et Yseult lui dit que aussi fait elle lui. Yseult : nom fém. sing., cas sujet car sujet du
verbe dit
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fait : verbe à l’ind. prés. actif, 3 pers. sing.,
sujet = elle (Yseult), < faire
D. Bibliographie :
BOS Alphonse, Glossaire de la langue d’oïl (XI-XIV ème siècles), Paris, J. Maisonneuve, 1891
CURTIS Renée L., Le roman de Tristan en prose, München, Max Hueber Verlag, 1963, p.5-28
GODEFROY Frédéric, Dictionnaire de l’Ancienne langue française et de ses dialectes du IX au
ème
XV siècle, Paris, Librairie des sciences et des arts, 1938, vol. 1 à 10
-, Lexique de l’Ancien français, Paris, Librairie Honoré Champion, 1965
GREIMAS A. Julien, Dictionnaire de l’ancien français, le Moyen Age, 2ème éd., Paris, Larousse,
1992
-, KEANE Teresa M., Dictionnaire de l’ancien français, la Renaissance, Paris, Larousse, 1992
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Annexes
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Qui de lui amer ja se faint !
Amors, qui totes choses vaint, 72
Me doint encor quë il avaigne
Quë a ma volanté la taigne !
Si ferai je, voir, se Deu plait ;
A Deu pri ge qu’il ne me lait 76
Morir devant ce que je l’aie.
Mout me gari soëf ma plaie ;
Et Dex me doint encor tant vivre
Que la voie saine et delivre ! 80
Encor avroie je mout chier
S’a li me pooie acointier.
Et Dex li doint joie et santé,
S’il vialt, por sa douce bonté, 84
Et il me doint enor et joie
Et si me tor en itel voie
Q’ancore la puisse aviser
Et li veoir et encontrer ! [<] » 88
« La folie Tristan de Berne », Tristan et Iseut. Les poèmes français. La saga norroise, Paris,
Livre de Poche (« Lettres Gothiques »), vv. 34-88
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