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Empédocle et les Agrigentins,

« luxe, calme et volupté »

Rappel liminaire : Empédocle était natif d’Agrigente (colonie dorienne de Sicile).


Selon une des légendes qui entourent la mort d’Empédocle, le philosophe se serait jeté dans l’Etna
pour faire croire qu’ayant disparu sans laisser de trace, il avait pris place parmi les dieux, mais le
volcan aurait rejeté une de ses sandales. Détail souvent omis par ceux qui rapportent la légende en
question : Empédocle portait des sandales en bronze, χαλκᾶς [κρηπῖδας] γὰρ εἴθιστο ὑποδεῖσθαι.

Diogène Laërce (Βίοι καὶ γνῶμαι τῶν ἐν φιλοσοφίᾳ εὐδοκιμησάντων, Vies et doctrines des
philosophes illustres), VIII, 63 :

[Μέγαν δὲ τὸν Ἀκράγαντα εἰπεῖν φησιν [ποταμὸν ἄλλα] ἐπεὶ μυριάδες αὐτὸν κατῴ-
κουν ὀγδοήκοντα·] ὅθεν τὸν Ἐμπεδοκλέα εἰπεῖν, τρυφώντων αὐτῶν, « Ἀκραγαντῖ-
νοι τρυφῶσι μὲν ὡς αὔριον ἀποθανούμενοι, οἰκίας δὲ κατασκευάζονται ὡς πάντα
τὸν χρόνον βιωσόμενοι. »

On dit qu’Agrigente s’appelait la grande ‹texte altéré› parce qu’elle comptait quatre-
vingt mille habitants. Empédocle a dit, faisant allusion à leur vie luxueuse : « Les Agri-
gentins s’amusent comme s’ils devaient mourir le lendemain, mais ils ornent leurs maisons luxu-
eusement  , comme s’ils devaient vivre éternellement. »
traduction Robert Genaille (1933) —
NB : μυριάδες ὀγδοήκοντα = 80 fois dix mille ; αὔριον « demain » ; luxueusement ne
correspond à rien dans l’original ; κατασκευαζέσθαι associe à la fois « (faire) construire,
meubler, équiper, aménager, décorer »

[Héraclide explique qu’il qualifie Agrigente de « vaste », étant donné que huit cent
mille personnes vivaient dans cette ville ; de là vient qu’]Empédocle disait, parce qu’ils
étaient voluptueux, « les Agrigentins vivent dans la volupté comme s’ils devaient mourir de-
main, mais ils aménagent leurs maisons comme s’ils devaient vivre à tout jamais ».
Jean-François Balaudé (1999), Pochothèque p. 989 qui indique en note que le mot ici
attribué à Empédocle l’est à Platon dans Élien, Hist. var. XII 29.

[And he says that Agrigentum was a very large city, since it had eight hundred thou-
sand inhabitants ;] on which account Empedocles, seeing the people immersed in
luxury, said, “The men of Agrigentum devote themselves wholly to luxury as if they were to
die to-morrow, but they furnish their houses as if they were to live for ever.”
C. D. Yonge (1853)

J’ignore si nous avons tous quelque chose en nous de Tennessee [ou : de Michael Jackson, si j’ai
bien entendu ; à qui le tour ?], mais bon nombre d’entre nous sont dignes d’être faits
citoyens d’honneur d’Agrigente.


Les divergences entre les traductions citées tiennent à l’interprétation de τρυφᾶν, dé-
nominatif de τρυφή, apparenté à θρύπτειν/θρύπτεσθαι (et à θραύειν). On peut postuler
« briser, fracasser » → « fragile » → « délicat, mou, efféminé, sensuel, voluptueux ».

Il me semble difficile de souscrire à « s’amusent » pour τρυφῶσι, écho de τρυφώντων


αὐτῶν « leur vie luxueuse » : ce n’est pas le sens et c’est incohérent.

Autant que le luxe, τρυφή désigne les plaisirs sensuels considérés comme liés à la ri-
chesse et perçus comme autant de facteurs de relâchement physique et moral. La conno-
tation est, à l’évidence, très négative.

► Chez Ésope, dans l’ancêtre de « Le rat des villes et le rat des champs » [La Fontaine, I, 9]
(Μῦς ἀρουραῖος καὶ μῦς ἀστικός, dans l’ordre inverse), la morale des deux versions de
Chambry — que j’emprunte à l’excellent site de Laura Gibbs — souligne « Ὅτι λιτῶς διά-
γειν καὶ ζῆν ἀταράχως μᾶλλον συμφέρει ἢ ἐν φόϐῳ καὶ κινδύνῳ δαψιλῶς τρυφᾶν » : il
vaut bien mieux vivre dans la simplicité/frugalité (λιτῶς) et la sérénité (ἀταράχως — je
n’ai pas osé dans l’ataraxie) que profiter de l’abondance (δαψιλῶς τρυφᾶν) au milieu de la
peur du danger.

► LSJ offre une courte ressource épigraphique, très rythmée et très rabat-joie :
« Παῖσον, τρύφησον, ζῆσον· ἀποθανεῖν σε δεῖ »
« Divertis-toi, goûte les plaisirs, profite de la vie : il te faut mourir/ta mort est iné-
luctable. »
(Peut-être pourrait-on chercher à rendre l’aoriste par « à chaque instant, pleinement, à
cœur joie, sans frein ». Vous reprendrez bien un peu de carpe diem…)

► Athénée de Naucratis prend τρυφή comme leitmotiv du livre XII de son Banquet des
sages (ou des sophistes : Δειπνοσοφισταί) ; voir le développement consacré aux Sybarites
(auxquels nous serions redevables du pot de chambre, ἀμίς ; j’en étais resté à λάσανα, à
cause du lasanophore de Rabelais, Quart livre, LX, in fine, tiré de Plutarque : « …le roy Anti-
gonus premier de ce nom respondit à un nommé Hermodotus (lequel en ses poesies l’appelloit Dieu,
et filz du Soleil) disant. Mon Lasanophore le nie [Οὐ ταῦτά μοι σύνοιδεν ὁ λασανοφόρος].
Lasanon estoit une terrine et vaisseau approprié à recepvoir les excremens du ventre… »).

► Pour clore ce chapitre, un exemple néo-testamentaire : Luc, VII, 24-26.

Ἀπελθόντων δὲ τῶν ἀγγέλων Ἰωάννου ἤρξατο λέγειν πρὸς τοὺς ὄχλους περὶ Ἰωάν-
νου, Τί ἐξήλθατε εἰς τὴν ἔρημον θεάσασθαι ; κάλαμον ὑπὸ ἀνέμου σαλευόμενον ;
Lorsque les envoyés de Jean furent partis, Jésus se mit à dire à la foule, au sujet de
Jean : Qu’êtes-vous allés voir au désert ? un roseau agité par le vent ?

ἀλλὰ τί ἐξήλθατε ἰδεῖν ; ἄνθρωπον ἐν μαλακοῖς ἱματίοις ἠμφιεσμένον ; ἰδοὺ οἱ ἐν


ἱματισμῷ ἐνδόξῳ καὶ τρυφῇ ὑπάρχοντες ἐν τοῖς βασιλείοις εἰσίν. [le texte de Matt.
XI, 8 est différent]
Mais, qu’êtes-vous allés voir ? un homme vêtu d’habits précieux ? Voici, ceux qui portent des
habits magnifiques, et qui vivent dans les délices, sont dans les maisons des rois.

ἀλλὰ τί ἐξήλθατε ἰδεῖν ; προφήτην ; ναί, λέγω ὑμῖν, καὶ περισσότερον προφήτου.
Qu’êtes-vous donc allés voir ? un prophète ? Oui, vous dis-je, et plus qu’un prophète.
[trad. Louis Segond]

Et cum discessissent nuntii Ioannis, cœpit dicere de Ioanne ad turbas : « Quid existis
in desertum uidere ? Arundinem uento moueri ?
Sed quid existis uidere ? Hominem mollibus uestimentis indutum? Ecce, qui in ueste pre-
tiosa sunt et deliciis, in domibus regum sunt.
Sed quid existis uidere ? Prophetam ? Utique, dico uobis, et plus quam prophetam. »

Les textes grec et latin contiennent un beau spécimen de zeugme ou attelage, tout à fait
comparable à l’hugolien « vêtu de probité candide et de lin blanc ».



Le rapprochement s’impose entre la formule attribuée à Empédocle et la citation que l’on


peut lire dans Wikipédia sur la page [Dernière modification le 3 janvier 2010 à 02:31] consacrée à la
ville de Mégare :

Jérôme de Stridon rapporte dans l’une de ses lettres le proverbe suivant sur les
Mégariens : « Ils bâtissent comme s’ils devaient vivre éternellement, et ils vivent comme s’ils
devaient mourir le lendemain. »
Sur la viduité, III.

(Je ne crois pas m’avancer beaucoup en écrivant que Jérôme de Stridon est mieux connu
sous le nom de saint Jérôme.)

Voici le contexte :

Nos uero ardemus auaritia, et contra pecunias disputantes, auro sinum expandimus ;
nihilque nobis satis est. Et illud, quod de Megarensibus dicitur, iure miseris coaptari
potest : Ædificant quasi sempre uicturi : uiuunt quasi altera die morituri.

Quant à nous, nous sommes en proie au feu de la cupidité, et tout en nous élevant
hautement contre la richesse, nous ouvrons notre cœur à l’or ; nous sommes insa-
tiables. Et l’on peut à bon droit appliquer aux malheureux que nous sommes ce qu’on
dit des Mégariens : ils bâtissent comme s’ils avaient la vie éternelle devant eux ; ils vivent
comme si leur mort était pour demain.
On voit que, par rapport au texte de Diogène Laërce, les cibles ne sont pas les Agrigentins
mais les Mégariens et l’ordre des termes de l’opposition est inversé. Le thème est le même.

Les Agrigentins… les Mégariens… — À Zeus ne plaise que j’oublie les Rhodiens :

Tοὺς μὲν οὖν Ῥοδίους ὁ Στρατόνικος ἐπέσκωπτεν εἰς πολυτέλειαν, οἰκοδομεῖν μὲν
ὡς ἀθανάτους λέγων, ὀψωνεῖν δὲ ὡς ὀλιγοχρονίους.
Plutarque, Περὶ φιλοπλουτίας : De Auaritia / De Cupiditate diuitiarum 525b

Stratonicus anciennement se mocquoit de la superfluité des Rhodiens, disant qu’ils bastissoyent


comme s’ils eussent esté immortels, et ruoyent en cuisine comme s’ils eussent eu bien peu de
temps à vivre.
Amyot
ruer en cuisine « manger avidement, se gaver/gorger (de victuailles), goinfrer » cf. Gargantua qui
« ruoit tresbien en cuisine » (de même, dans le Quart livre, Panigon « rue en cuisine », au dire de frère Jean,
qui s’y entend) ou encore chez Noël du Fail, Propos rustiques et facétieux, III, Banquet rustique : « Or bien,
fit alors Pasquier, nous savons peu près qu’ils pouvoient dire. Je vous prie poursuivre la fin de ce ban-
quet, et comment ils se gouvernoient après avoir rué si brusquement en cuisine. »

Stratonicus raillait les Rhodiens sur leur manie de dépenser, disant qu’ils bâtissaient
comme s’ils eussent été immortels et qu’ils se nourrissaient comme s’ils n’avaient que
peu de temps à vivre.
Victor Bétolaud (1870)

(Stratonicos d’Athènes (entre 400 et 350 av. J.-C.), musicien : instrumentiste (cithare), chanteur, théo-
ricien et enseignant ; ses bons mots, saillies et sarcasmes sont cités par Athénée qui, pourtant, ne
mentionne pas celui-là.)

Dans son Apologétique, Tertullien rapporte un propos analogue, qu’il attribue à Diogène :

Quid ergo mirum si tanta caritas conuiuatur ? Nam et cœnulas nostras præterquam
sceleris infames, ut prodigas sugillatis. De nobis scilicet Diogenis dictum est : Mega-
renses obsonant, quasi crastina die morituri ; ædificant uero quasi nunquam morituri. Sed
stipulam quis in alieno oculo facilius perspicit, quam in suo trabem.

Pour les chrétiens, il n’est pas étonnant que, s’aimant si tendrement, ils aient des
repas communs. Vous cherchez à décrier nos petites agapes, non seulement comme
criminelles, mais comme trop somptueuses. C’est apparemment pour nous que Dio-
gène disait : « Les Mégariens mangent comme s’ils devaient mourir le lendemain, et bâtis-
sent comme s’ils étaient immortels. » On voit plutôt un fétu dans l’œil d’autrui qu’une
poutre dans le sien.
d’après l’abbé François-Antoine-Étienne de Gourcy (1780)

Au total, un personnage (Platon, Empédocle, Diogène… ?) fait une remarque bien tour-
née, frappante, spirituelle, avec un balancement opposant deux termes doubles. Des imi-
tateurs ou continuateurs, comme on voudra dire, se servent du même bois pour déco-
cher la même flèche sur une cible de leur choix. L’opération se répétant, des remodela-
ges s’opèrent, au gré de la mémoire, de la situation ou de la fantaisie : la formule tombe
en quelque sorte dans le domaine public, chaque utilisateur choisissant de se réclamer
d’une autorité réelle ou supposée, à moins qu’il n’ose s’attribuer le mérite de l’invention.

Jérôme est donc natif de Stridon comme Léonard l’est de Vinci (dans la province de Flo-
rence). Mais sait-on où se trouvait cette localité ?
Selon Wikipédia, « à la frontière entre la Pannonie et la Dalmatie (actuelle Croatie) » et un hyper-
lien conduit à la page de Štrigova (dans le comitat de Međimurje), où le fait n’est pas men-
tionné.
Ayant constaté que les collaborateurs de la version française de l’encyclopédie libre n’hési-
tent pas — c’est une litote — à s’inspirer de textes publiés dans la version mère en langue
anglaise, j’ai consulté cette dernière et appris ainsi qu’il y avait trois autres possibilités :

Stridon (Latin: Strido Dalmatiae) was a town in the Roman province of Dalmatia. Its
exact location is unknown. The town is especially known as the birthplace of Saint
Jerome. From Stridon also came Domnus of Stridon, a bishop who took part in the First
Council of Nicaea, and priest Lupicinus of Stridon. In 379 the town was destroyed by
the Goths. Jerome wrote about it in his work De viris illustribus : Hieronymus patre Eusebio
natus, oppido Stridonis, quod a Gothis eversum, Dalmatiae quondam Pannoniaeque confinium
fuit.

It is possible Stridon was located either in today’s Croatian or Slovenian territory.


Possible locations are : Sdrin [la forme croate est Zrin], Štrigova, Zrenj (Croatia), Starod
(Slovenia).
[Dernière modification le 6 janvier 2010 à 02:10]

 Il n’y a pas eu de 'Domnus de Stridon' : « Le représentant de la Pannonie au concile de


Nicée est appelé [dans l’Histoire générale de l’Église, de l’abbé Auguste Boulenger] Domnus de
Stridon, d’après des listes défectueuses, alors qu’il ne peut s’agir que de l’évêque de la métro-
pole provinciale, Domnus de Sirmium », écrivait Jacques Zeiller, dans un compte-rendu
paru en 1932 et accessible sur Persée. (Sirmium : Sremska Mitrovica = Сремска Митровица,
en Voïvodine.)
 C’est dans sa correspondance (Ad Chromatium, Iouinum, Eusebium) que Jérôme esquis-
se un portrait de Lupicinus :

In mea enim patria rusticitatis uernacula deus uenter est et de die uiuitur : sanctior est
ille, qui ditior est. Accessit huic patellæ iuxta tritum populi sermone prouerbium dig-
num operculum. Lupicinus sacerdos — secundum illud quoque, de quo semel in uita
Crassum ait risisse Lucilius : « Similem habent labra lactucam asino carduos comedente » —,
uidelicet ut perforatam nauem debilis gubernator regat, et cæcus cæcos ducat in foue-
am talisque sit rector, quales illi qui reguntur.

Elle [la sœur de Jérôme] habite un pays qui est comme le centre de la barbarie ; on n’y
connaît point d’autre Dieu que la table ; on ne s’y occupe que du présent, sans penser à
l’avenir : et le plus riche y passe pour le plus saint. Ajoutez à cela que ces peuples gros-
siers sont dirigés par le prêtre Lupicinus qui ne l’est pas moins qu’eux ; « tel vase, tel
couvercle, » comme dit le proverbe ; ou pour me servir du mot qui, au rapport de Luci-
lius, est le seul dont Crassus ait jamais ri, et qui fut dit en sa présence à l’occasion d’un
âne qui mangeait des chardons : « Telles lèvres, telles laitues.» C’est-à-dire que Lupicinus
est un pilote faible et ignorant qui se mêle de gouverner un vaisseau à demi brisé et
faisant eau de tous côtés ; que c’est un aveugle qui conduit d’autres aveugles dans le
précipice ; en un mot, que le pasteur ressemble au troupeau.
Louis Aimé-Martin, Benoît Matougues (1838)

The fact is that my native land is a prey to barbarism, that in it men’s only God is
their belly, that they live only for the present, and that the richer a man is the
holier he is held to be. Moreover, to use a well-worn proverb, the dish has a cover
worthy of it ; for Lupicinus is their priest. Like lips like lettuce, as the saying goes—
the only one, as Lucilius tells us, at which Crassus ever laughed—the reference being
to a donkey eating thistles. What I mean is that an unstable pilot steers a leaking
ship, and that the blind is leading the blind straight to the pit. The ruler is like the
ruled.
Note : Sacerdos. In the letters this word generally denotes a bishop. Lupicinus held
the see of Stridon.
trad. de W.H. Fremantle, G. Lewis et W.G. Martley (1893)

Car dans la région où je suis né et où la mentalité paysanne est chez elle, c’est la panse qui est Dieu et
on vit avec aujourd’hui pour seul horizon : plus on est riche, plus on est révéré. À cela s’ajoute le fait
que, comme dit le proverbe courant dans l’usage populaire, tel pot, tel couvercle. L’évêque Lupicinus —
voir la remarque qui, selon Lucilius, a fait rire Crassus pour la seule fois de sa vie, à propos d’un âne
mangeant des chardons : « Pour ces babines, ce sont des laitues » — est comme le faible timonier d’un
navire qui a des voies d’eau, un aveugle menant des aveugles à l’abîme ; tel berger, tel troupeau.

 Le texte est mal coupé :


Hieronymus, patre Eusebio natus, oppido Stridonis, quod a Gothis euersum, Dalmatiæ quon-
dam Pannoniæque confinium fuit, usque in præsentem annum, id est, Theodosii principis deci-
mum quartum, hæc scripsi : […].

Moi, Jérôme, fils d’Eusèbe et natif de Stridon, localité fortifiée détruite par les Goths,
située aux confins de ce qui était alors la Dalmatie et la Pannonie, jusqu’à cette an-
née qui est la quatorzième du règne de Théodose, voici les ouvrages que j’ai écrits :
[…].
La lettre dans laquelle Jérôme cite le proverbe visant les Mégariens fait partie d’un argu-
mentaire contre le remariage des veuves (De Monogamia, titre décidé par Jérôme) et la
destinataire de ce volet, écrit en 409, est une jeune femme gallo-romaine du nom d’Age-
ruchia (Aguéroukia, si l’on veut). Voici le début du texte, où il la présente :
In uetere uia, nouam semitam quærimus, et in antiqua detritaque materia, rudem artis exco-
gitamus elegantiam, ut nec eadem sint, et eadem sint. Unum iter, et perueniendi quo cupias,
multa compendia. Sæpe ad uiduas scripsimus, et in exhortationem eadum multa de Scriptu-
ris sanctis exempla repetentes, uarios testimoniorum flores in unam pudicitiæ coronam texui-
mus. Nunc ad Ageruchiam nobis sermo est, quæ quodam uaticinio futurorum, ac Dei præsi-
dentis auxilio, nomen accepit.
Je cherche un sentier tout nouveau dans un chemin que j’ai déjà fait plusieurs fois : je
pense à donner une nouvelle forme à une matière que j’ai traitée souvent et presque
épuisée ; je veux parler d’un même sujet sans dire les mêmes choses, et je vais prendre
plusieurs détours pour arriver au terme que je me propose, sans néanmoins m’écarter
du chemin qui y conduit. J’ai souvent écrit aux veuves, et, cherchant dans les saintes
Écritures plusieurs exemples pour les animer à la pratique de la vertu, j’ai ramassé dif-
férents passages, comme autant de fleurs pour couronner la chasteté. Je parle main-
tenant à Agéruchia, à qui, par une conduite particulière de la divine Providence, l’on
donna un nom qui marquait ce qu’elle devait être un jour […].
Louis Aimé-Martin, Benoît Matougues (1838)
I must look for a new track on the old road and devise a natural treatment, the same
yet not the same, for a hackneyed and well-worn theme. It is true that there is but one
road ; yet one can often reach one’s goal by striking across country. I have several
times written letters to widows in which for their instruction I have sought out exam-
ples from Scripture, weaving its varied flowers into a single garland of chastity. On the
present occasion I address myself to Ageruchia ; whose very name (allotted to her by
the divine guidance) has proved a prophecy of her after-life.
trad. de W.H. Fremantle, G. Lewis et W.G. Martley (1893)

Deux remarques à propos de la traduction en français :


1. il n’est nullement question de prendre « plusieurs détours », mais au contraire « de nombreux rac-
courcis » (cf. la traduction anglaise : ‘to strike across the country’ veut dire « couper à travers champs ») ;
compendium est l’étymon de Compiègne. Témoins : l’espagnol et l’italien ont compendio « un abrégé,
précis ; concentré, condensé ». D’où l’ironie dans l’emploi de l’adverbe par l’Intimé :
Je vais, sans rien omettre et sans prévariquer,
Compendieusement énoncer, expliquer,
Expliquer à vos yeux l’idée universelle
De ma cause, et des faits renfermés en icelle.
2. Jérôme se sert du « nous » auctorial (quærimus, excogitamus, scripsimus, texuimus, nobis), excepté dans
la deuxième phrase du passage où il recourt à l’emploi de la deuxième personne du singulier pour
exprimer une généralisation par l’impersonnel (notre « on ») : « Il n’y a qu’une seule voie, mais de nom-
breux raccourcis pour parvenir où on le voudrait. » Chez Aimé-Martin et Matougues, cette phrase donne
un galimatias (« je vais prendre plusieurs détours… sans néanmoins m’écarter du chemin »), et Unum iter
n’est même pas traduit.

Un aspect a retenu mon attention : Jérôme assure que le nom qui a été donné à sa corres-
pondante (nomen accepit) constituerait, par la volonté de Dieu (Dei præsidentis auxilio), en
quelque sorte une préfiguration de l’avenir réservé à la jeune femme (quodam uaticinio
futurorum). Il donne ainsi sa version du classique nomen omen (le nom est présage, signe
du destin) et, par conséquent, doit faire une lecture étymologique d’Ageruchia, ou plutôt
pseudo-étymologique, car nous ignorons à quelle langue appartient ce nom et rien ne
permet de savoir si Jérôme était plus avancé que nous en la matière.

Mais, s’il faut hasarder une hypothèse, le saint patron des traducteurs a interprété Ageruchia
comme s’il s’agissait d’un nom grec. Adoptons cette façon de voir, sans dissimuler qu’elle
s’apparente à une étymologie populaire.
La série γεραιός « vieux, âgé », γέρων « vieillard », γῆρας « vieillesse », γραῦς « vieille fem-
me » (cf. Géronte, gérontocratie, gériatrie) fournirait une grille de lecture de l’élément ger-,
élément qui serait précédé du préfixe privatif ἀ- (aboutissement de la négation au degré
zéro devant consonne, *n̥-), qu’on retrouve dans aboulie, apathie, etc. Au final, un sens
proche de ἀγήραος / ἀγήρως « qui ne vieillit pas », ἀγήρατος « impérissable, immortel ».

C’est donc un cas (isolé ?) d’onomatomancie — bien sûr, le mot se trouve chez Rabelais, au
Tiers livre — chez saint Jérôme.

Niclas Gerhaert van Leyden


(avant 1467)
au Musée de l’Œuvre de la Cathédrale
à Strasbourg.

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