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La justice de Pilate
I. La compétence de Pilate.
Pilate n’est pas à l’initiative du procès du Christ. Les autorités du Sanhedrin semblent
craindre ce Christ entré à Jérusalem le dimanche précédent, acclamé comme un sauveur,
comme le libérateur d’Israël. Cette manifestation par acclamation populaire lui apparaît
comme une possible et dangereuse restauration monarchique.
Jésus arrêté est conduit devant la grand prêtre. Depuis l’an 18, un certain Kaiphe
occupe cette fonction. Il a été nommé par le prédécesseur de Ponce Pilate. L’autorité romaine
est en effet effective sur les autorités locales religieuses juives. Cependant en pratique, ces
autorités ont une grande indépendance.
Le sanhedrin se réunit en séance plénière et l’instruction commence par la recherche de
témoignages pouvant condamner le Christ à mort.
La règle impérative posée dans la Bible veut que personne ne puisse être condamné sur un
seul témoignage « un témoin ne se présentera pas seul contre un homme qui aura commis un
crime, un péché ou une faute, quelqu’il soit. Il faut nécessairement 2 ou 3 témoins pour que
l’affaire puisse être instruite. Il faut également que ces témoignages concordent entre eux.
Parmi les motifs d’accusation alors lancés, certains attestent qu’ils ont entendu le
Christ dire qu’il pourrait défaire le sanctuaire et en 3 jours le rebâtir. Et cette déclaration de
profanation contre le sanctuaire national juif constitue un blasphème.
Marc relève cependant, à ce stade de la procédure, qu’aucun des témoignages n’est
concordant et la question décisive vient du grand prêtre : « est ce toi le Christ, le fils du Dieu
béni ? » Jésus répond « je le suis ».
Cette courte réponse est suffisante pour constituer dans la loi mosaique un blasphème car
Jésus reprend pour se qualifier le « je suis » c'est-à-dire le nom que Dieu lui-même se donne
dans l’Ancien testament. Le grand prêtre considère donc qu’il est passible de mort. Mais les
membres du Sanhendrin ne prononce là qu’un arrêt de mise en accusation et une décision de
prise de corps. La condamnation à mort n’est pas prononcée. Le châtiment contre les
blasphémateurs de la loi mosaique est la lapidation et si la condamnation à la lapidation avait
été prise, les 4 évangélistes en auraient parlé. Or ils ne disent rien sur ça et jean ne rend même
pas compte de cette comparution devant le Sanhendrin.
La condamnation n’est pas décidée car les autorités juives n’ont pas le pouvoir de faire
exécuter une sentence de mort, c’est pourquoi la compétence de Pilate le préfet romain est une
nécessité.
Ponce Pilate est envoyé par l’empereur Tibère comme préfet en Judée en l’an 26 et il reste
à ce poste jusqu’en 36. La Judée constitue une province impériale confiée à un gouverneur de
l’ordre Equestre. La Syrie, puissante province voisine est confiée elle à un léga de l’empereur
sénateur qui dispose de troupes importantes dont le gouverneur de Judée peut faire appel.
Les prérogatives d’un gouverneur de rang équestre comme Pilate autonome en dépit de son
puissant voisin, équivalent aux pleins pouvoirs : Pilate dispose de l’imperium, pouvoir
administratif suprême qui comprend la justice criminelle, droit de vie et droit de mort.
C’est donc à la résidence officielle de Pilate que Kaiphe fait conduire Jésus. Les débats
ont lieu devant cette résidence, dans la cour probablement. Le sein Sanhendrin n’entre pas
dans la demeure d’un idolâtre comme Pilate, c’est un lieu impie.
La foule, en revanche est présente. L’acclamation populaire fait d’ailleurs partie des mises en
accusation publiques en orient ainsi que des usages de procédure criminelle romaine. Mais le
rôle de la foule s’arrête là. Il serait abusif de lui reconnaître une importance et une
responsabilité plus grande au niveau judiciaire.
Ponce Pilate demande alors : « quelle est l’accusation portée contre le Christ ? » et la
réponse du Sanhendrin est embarrassée. Il lui faut en effet un motif d’accusation propre au
droit romain qui puisse mériter la mort. Le blasphème, qui pour le Sanhendrin, était le motif
d’accusation justifiant l’arrestation du Christ, n’est plus et ne sera plus soulevé devant Pilate.
Il ne peut pas servir car il n’est pas reconnu par le droit romain. Le Sanhedrin choisit alors
d’accuser pour crime politique passible de mort. Il trouve 3 argus à cette accusation :
- le Christ pervertit la nation
- le Christ empêche de payer l’impôt
- le Christ se fait passer pour un Roi
Sur les 3, l’accusation concernant l’impôt est insoutenable car Jésus a préconisé de rendre à
César ce qui était à César et à Dieu ce qui était à Dieu. En revanche, la première qui rejoint la
troisième inquiète Pilate qui demande au Christ : « es-tu le Roi des juifs ? ». Son
interrogatoire tient en cette seule question dans les 3 évangiles synoptiques. Chez Jean,
l’échange est plus long. C’est au cours de cet échange que Pilate écoute jésus lui dire qu’il est
là pour rendre témoignage à la vérité et Pilate demande alors « qu’est ce que la vérité ? » et le
Christ ne répond pas. C’est pourtant pour Pilate la question fondamentale, la question à
laquelle le juge doit toujours chercher à répondre.
Dans cet échange, jésus dit que son royaume n’est pas de ce monde. La conclusion
interrogative de Pilate aboutit au même point que les autres évangélistes « es tu le Roi des
juifs ? » mais l’appendice de l’évangile de jean permet de comprendre la réaction de Pilate à
ce stade du procès. En ne cherchant pas à instaurer une royauté en ce monde, le Christ ne
propose pas d’usurpation du pouvoir, ni même de tentative punissable et c’est pourquoi Pilate
déclare au grand prêtre qu’il ne trouve aucun motif de condamnation à l’accusé.
Pilate, maintenant seule autorité romaine face à sa responsabilité convoque les grands
prêtres et les chefs du peuple. Il leur dit qu’il ne trouve aucun motif de condamnation à mort.
Pilate veut libérer le Christ et pense même à associer la foule à sa décision en leur proposant
de le relâcher.
La fête de Pâques imminente offre l’occasion d’une telle amnistie. Cette décision de le
relâcher est cependant immédiatement contestée.
Cette décision ne s’inscrit pas dans une procédure d’exequatur rendant exécutoire le jugement
de Sanhendrin (elle consisterait à confirmer l’exécution d’un jugement antérieure fondée sur
les mêmes motifs et donc les mêmes chefs d’accusation). Or devant le Sanhedrin, jésus est
reconnu coupable de blasphème et Pilate ne tient pas compte de cette accusation. Il ne retient
que le crime de lèse-majesté. Et c’est bien la loi romaine qui est appliquée ici dans toute sa
rigueur. Le crime de lèse majesté formulé au Digeste se révèle assez large : c’est le crime qui
est commis contre le peuple romain ou contre sa sécurité. Plus loin, un fragment du Digeste
précise qu’est coupable de ce crime celui qui transforme en ennemis les amis du peuple
romain et comme le Christ avoue être Roi, il porte manifestement atteinte à la majesté
impériale. Et ce crime est sanctionné par des peines sévères énumérées par le juriste consulte
Paul qui a été retranscrit Digeste « les auteurs de séditions, ou de troubles ou bien sont portés
en croix ou sont jetés aux bêtes ou sont déportés dans une île suivant la classe sociale à
laquelle ils appartiennent ». La croix est le supplice de l’esclave (venu pour 30 deniers).
Une telle sentence doit être prononcée par le représentant local de l’empereur sans
qu’il soit possible d’interjeter appel auprès d’une autorité quelconque. La décision de Pilate a
donc toute autorité.
Cette formule a souvent été invoquée pour faire peser une responsabilité collective sur le
peuple juif. Cette phrase est en fait assez courante en Israël et chez les peuples voisins. Par
exemple, il est d’usage courant en Egypte pour les transactions commerciales.
De plus c’est le seul évangéliste à rapporter cette phrase et la décision de crucifier est une
décision romaine et pas juive. Ca relève spécifiquement du droit pénal romain, c’est un
supplice ignoré du droit pénal juif qui lui ne connaît que la lapidation. Et comme pour
marquer cette condamnation romaine ce sont des soldats romains, dirigés par un centurion qui
emmènent Jésus pour être mis en croix. De même selon l’usage romain, une plaquette de bois
attachée au dos du condamné puis accrochée à la croix porte la cause de la peine.
L’inscription dictée par Pilate en 3 langues (hébreux, latin et grec) est « Jésus le Nazaréen, roi
des juifs ». En latin, les initiales donnent INRI.
Les grands prêtres ont protesté auprès de Pilate contre cette inscription. Voulaient que l’on
ajoute qu’il avait dit qu’il était le roi de juifs, ce qui démontre peut être leur crainte de voir
commettre une hérésie. INRI correspond en hébreux au tétragramme de Yahvé qui correspond
au nom de Dieu. Mais Pilate ne cède pas, le motif public reste celui de la condamnation :
Jésus est condamné selon le droit romain pour s’être comme roi insurgé contre l’empire.
La crucifixion reste cependant la mise à mort la plus cruelle, la plus déshonorante et
les évangélistes ne cherchent pas à réduire ce scandale de la croix, le verbe crucifier est utilisé
8 fois par Marc dans le récit de la Passion. Et la décision prise par Ponce Pilate est pleinement
assumée par le monde judiciaire.
Le tableau de la crucifixion est une image qui a décorée les salles d’audience pendant de
longs siècles. Dès la fin de Moyen Age, le représentation est au cœur des prétoires, sur le mur
nord de la grand chambre du parlement de paris. Le retable qui surmonte le siège des
conseillers représente le Christ en croix. Ce retable du parlement correspond à un modèle
suivi dans tous les tribunaux et parlements provinciaux au point de devenir une composante
essentielle du décor judiciaire.
Cette image a survécue jusqu’à la séparation de l’Eglise et de l‘Etat où elle a été interdite.
Elle subsiste cependant dans les pays concordataires de l’Alsace Lorraine et dans quelques
salles comme la cour d’assise de Rouen ou les chambres civiles de la cour d’appel de
Bordeaux.
Les juristes justifient cette présence par l’impératif de certains rituels comme le serment des
justiciables qu’ils prennent paumes ouvertes face à cela.
Pourtant la crucifixion est le lieu où le christ est assimilé à l’humanité servile et criminelle, il
devient un modèle dangereux à exposer. L’humanité du Christ sur la croix se révèle ambiguë.
Elle crée une proximité entre le vrai et le faux crime, entre la justice parfaite et la justice
dévoyée.
Mais cette iconographie présente un risque encore plus grand pour la justice. En 1807,
dans le procès Zola, quand Clemenceau appelé à la barre prend la parole, il met en garde les
juges de l’erreur judiciaire qu’ils sont en train de commettre. Le président lui réplique que
l’erreur judiciaire n’existe pas et Clemenceau désigne alors le Christ en croix et lance « la
première erreur judiciaire de l’histoire, la voilà ».
La crucifixion du Christ n’est rien d’autre qu’un modèle d’erreur judiciaire. Les hommes
osent juger Dieu et le condamnent en plus à la mort la plus abjecte. La fragilité de la justice
humaine trouve ici sa plus remarquable expression. « Comme vous jugez, vous serez jugés »
matthieu.
Le tableau de la crucifixion met sous les yeux des juges le péril de leur devoir et le risque
toujours possible de leur défaillance. C’est un rappel qui doit servir d’avertissement et c’est là
sans doute que réside la leçon édifiante de la justice de Pilate.