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LE VOCABULAIRE AUTOMOBILE D’OCTAVE MIRBEAU

À la fin du 19e siècle, l’automobile entra soudain dans la vie des Français,
d’abord comme une invention spectaculaire, fertile en manifestations populaires :
démonstration de modèles, courses automobiles, Salons de l’Auto... Puis la nouvelle
machine, véhicule triomphant, devint l’objet utilitaire, prestigieux, vite envahissant,
coûteux, mais indispensable.
En même temps, presque simultanément, elle nous enseigna son vocabulaire,
du volant au carburateur, du capot aux bandages, vite devenus pneus, des
dérapages aux pannes.
Octave Mirbeau était là pour participer à cette double acquisition ; il fut de
ceux qui en avaient les moyens, il en prit le temps, et y trouva son plaisir. D’où ce
livre au titre étrange, opaque et provocant, comme la machine qu’il veut rendre
familière. Un siècle plus tard, peut-on encore apprécier son aisance dans ce jeune
sport et avec ce nouveau vocabulaire ?
Comme toutes les inventions des deux derniers siècles, quand elles passent
dans la vie pratique, celle-ci imposa d’abord au public le nom de son produit :
l’automobile. Mais le sort de ces quatre syllabes dans l’usage fut surprenant.
Vers 1860, le mot était un adjectif inconnu, bricolé par quelques inventeurs,
pour qualifier des machines qui devraient se mouvoir d’elles-mêmes, sans apport
humain ou animal… La plupart de ces inventions ayant échoué, l’adjectif n’eut guère
d’occasions de se rendre utile. Dans son Supplément de 1877, Littré l’ajouta à sa
nomenclature, non sans observer qu’il est « hybride » (auto- est grec, mobile est
latin), donc d’origine obscure et de légitimité douteuse ; il lui juxtaposa un
autodynamique, probablement de son cru, d’honnête facture, lui ; toujours disponible,
mais sans emploi notable.
Soudain, vers 1890, la nouvelle se répand : en France, en Allemagne, en
Angleterre, des industriels mettent au point des « voitures sans chevaux ». Elles
utilisent, avec un « moteur à explosion », du pétrole, dont on sait que les ressources
souterraines sont inépuisables ; cela devient de l’essence, et on en vend. Et
l’expression se répand : la voiture automobile est née ; l’adjectif, désormais, ne
connaîtra plus d’autre emploi ; il ne s’appliquera plus qu’aux véhicules à quatre roues
et sans attelage..
Mais l’expression est trop longue. On allège : l’automobile devient un nom
féminin, aisément abrégé à son tour : ainsi naît l’auto (c’est l’époque où naissent le
métro, le ciné ou cinéma, le vélo, la moto, etc.). On va voir les automobiles dans des
courses de vitesse et de sécurité ; on les admire au Salon de l’Automobile ; on
s’inscrit à l’Automobile-Club ; et certains commencent à circuler « en auto ».
La surprise, c’est que le terme de voiture résiste, et va s‘appliquer aussi bien
aux nouveaux engins qu’aux véhicules d’antan – sans même qu’il soit besoin de
qualifier ceux-ci d’hippo(mobile)s. Dans la coexistence entre les deux rivaux, le vieux
mot résiste ; et, dans le langage, c’est lui qui gagne.
Il se crée ainsi une répartition subtile dans l’usage. L’automobile, c’est la
géniale invention, et l’industrie qui l’exploite ; l’auto, c’est le produit, l’engin nouveau
mis en circulation ; mais l’objet qu’on a choisi, qu’on entretient, qui vous obéit, auquel
on s’attache comme à un animal familier, cela s’appelle une voiture.
Mirbeau est tout à fait à l’aise, perché sur sa 628-E 8 ; car on « monte » en
voiture, et on en « descend », comme dans les calèches aux grandes roues. Il ne
conduit pas, mais observe son mécanicien , le malicieux Brossette ; c’est un
partenaire de conversations savoureuses et d’incidents pittoresques, qui permettent
au narrateur de mettre en jeu tout un vocabulaire qui sent fort les garages : du volant
au carburateur, du différentiel à l’embrayage, des dérapages aux pannes, une
néologie déferle, un bric-à-brac qu’un contemporain comme Marcel Proust dédaigne,
mais dont Mirbeau se régale, et dont il régale ses lecteurs.
Le hasard se joue des dates. Quand naît l’automobilisme, le dictionnaire de
Littré vient de s’achever – et il ne sera pas continué ; la 7e édition du dictionnaire de
l’Académie vient de paraître (1878). Aucun de ces termes n’y figure ou n’y est défini.
Il faudra attendre quelques décennies pour que ces emplois obtiennent la sanction
académique.
En attendant, la lexicographie privée pourrait déblayer le terrain. Le Grand
Larousse illustré est contemporain du récit de Mirbeau ; ses sept volumes se
succèdent entre 1897 et 1907. Le premier consacre une page illustrée à
l’automobile ; mais elle date déjà, mettant encore à égalité l’auto de l’avenir, qui
fonctionnera au « pétrole », et ses rivales à vapeur ou à l’électricité, déjà sur la voie
de l’échec. Les volumes suivants révèlent un surprenant retard sur le vocabulaire de
Mirbeau. Ainsi les articles CARBURATEUR, CARBURATION (tome 2), ESSENCE
(tome 4) ne parlent ni de moteurs, ni d’automobile. L’article PÉTROLE (tome 6) ne
note que brièvement l’utilisation de ce corps dans des moteurs, qui ont trouvé « une
utilisation particulière et féconde dans la locomotion automobile ». Le Petit Larousse
illustré, en 1914, s’oppose tranquillement à son grand frère en mettant l’automobile
au masculin, et en traitant les mots moteur, essence et volant sans mentionner leurs
nouveaux emplois concernant nos véhicules.
À l’heure de La 628-E8, la situation du vocabulaire de l’automobile est
paradoxale. Inutile de chercher une norme : il n’y en a pas. Inutile de consulter les
arbitres : l’Académie et le Littré sont muets, les Larousse se dérobent ou se
contredisent… Ce n’est qu’en 1932-1935 que l’Académie publiera la 8 e édition de
son dictionnaire, qui devra intégrer non seulement l’automobile, mais l’aviation, le
cinéma, la radio, la guerre mondiale… Sans quitter cependant les mots du passé. On
aura d’amusantes surprises, et des rencontres inattendues : l’industrie n’avait
jusqu’alors connu de l’adjectif pneumatique qu’un emploi modeste : « Briquet
pneumatique, petit cylindre de métal ou de verre, dans lequel on allume de l'amadou,
en y comprimant l'air subitement » ; mais une nouvelle réalité a éclaté : « Bandage
pneumatique, Tube de caoutchouc, gonflé d'air ou d'un gaz comprimé, et qui est fixé
à la jante d'une roue pour amortir les chocs. Substantivement, Un pneumatique.
Gonfler un pneumatique. On dit par abréviation Pneu » – une prudence qui, en 1935,
aura quand même trente ans de retard.
En 1905, personne ne s’inquiète de ce nouveau vocabulaire. Un usage s’est
déjà établi ; il est très actif et bien assuré, tant dans la presse que dans les
conversations ; le langage a accueilli la nouvelle machine, et tous ses aspects. Un
monde très populaire se passionne pour cet engin prestigieux, et à cet intérêt
répondent des textes destinés au grand public. Ainsi le très familier Almanach
Hachette diffusait abondamment une bonne documentation sur tous les aspects du
véhicule de l’avenir ; dans celui de 1904, entre un chapitre sur la chasse et un autre
sur les échecs, on peut déjà étudier « L’Anatomie d’une Automobile », cinq pages
truffées de schémas et d’analyses, une documentation digne d’un bon manuel de
physique appliquée : le moteur à explosion, sa structure, son principe, ses quatre
temps, les mystères de la carburation, les mécanismes de l’embrayage et du
différentiel, la structure du châssis, l’équipement et le confort… une vulgarisation de
qualité.
Tous les lecteurs de La 628-E8 (et ils furent nombreux !) ont vu – et admiré –
des automobiles ; fort peu ont eu l’occasion d’en user, d’être invités à y monter, à y
vivre un trajet ; quant aux initiés, ce n’est point à cette minorité que s’adresse le
narrateur ! Les quatre pneus qui éclatent (« de rire », rigole le maître), que le
mécanicien remplace dans l’instant (sans cric ?) et dans la bonne humeur… les
pannes qui n’arrivent qu’aux autres… ce n’est pas vraiment l’expérience quotidienne
des premiers automobilistes ! Mais ce n’est pas le public du livre.
On le sait dès le début : le récit du voyage automobile va alterner avec l’éloge
de l’automobile, déjà devenue l’auto. Et la rhétorique de l’heureux propriétaire de la
628-E8 est bien construite. La pluie peut tomber sur les villes, et peut-être sur les
routes, mais jamais sur l’auto, ni sur ses occupants ; d’ailleurs, est-elle couverte ?
(« conduite intérieure », va-t-on dire bientôt) ; quel est son confort ? Ce n’est pas le
sujet !
Le sujet, c’est un voyage en auto, où l’attention se porte tantôt sur les pays
visités et les gens rencontrés, tantôt sur la machine, sur l’engin qui permet ces
errances, et sur les aspects, encore mal connus, du véhicule, ceux dont le
mécanicien révèle complaisamment les secrets.
Le sujet, ce n’est même pas d’opposer la nouvelle machine au cheval, fidèle
compagnon des générations, précieux acteur des civilisations… Dans le monde de
l’automobile, c’est un pauvre animal apeuré, impuissant, humilié... L’ennemi, le rival,
c’est le chemin de fer. Ne parlons pas de vitesse : certes, l’automobile a vite rattrapé
ce redoutable champion (100 km à l’heure ! un rêve !); mais les routes n’offrent pas
(pas encore ?) la régularité, la sécurité du rail. Alors insistons sur les servitudes du
train, et célébrons la totale indépendance de l’auto, qui va partout où la conduit la
fantaisie de son maître. Le récit de Mirbeau s’adresse, avec son contenu volontiers
fantaisiste, à un public prêt à l’accompagner dans sa découverte des routes, des
villes et des gens que la voiture (sans chevaux) commence à rendre accessibles,
dans sa bonne humeur d’explorateur des pays, des villes et des villages, mais aussi
dans sa familiarité avec l’anatomie et la physiologie de la merveilleuse et docile 628-
E8.
Charles MULLER
Professeur honoraire à l’Université Marc-Bloch de Strasbourg

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