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Notes sur des manuscrits patristiques latins I. Fragments patristiques dans le ms. Strashourg 3762 Sous la cote 3762, la Bibliothéque Nationale et Universitaire de Stras- bourg conserve une collection de fragments de manuscrits, Un grand nombre de textes ont été identifiés dans le catalogue d’E. Wickersheimer', mais il reste tout de méme des terrae incogmitae. C’est ainsi que, faisant une vérification sur les ff. 15-16%, j'ai ett l’attention attirée par la bréve description des ff. 17-25 : « Theologica. — x et x1® sidcles », Un des textes s'étant révélé comme une rareté, il ne m’a pas semblé inutile d’étudier tous ces fragments patristiques et d’en donner une description assez pré- cise pour permettre une éventuelle réunion de membra disiecta. 1. Folios 17-18. Passion de S, Sébastien, 6-7 (B.H.L., 7343). Présentation. Deux fragments qui mis bout a bout (18 au-dessous de 17) reconstituent un folio entier, de dimensions 403 x 281 mm. Parche- min de belle qualité, non endommagé. Mise on page, Réglure A la pointe séche sur le cété poil (voir Je schéma A, p. 12). Pigfres exécutées avec un canif (entailles allongées), en haut et en bas, et dans la marge extérieure droite. Le folio se trou- vait dans la moitié droite d'un cahier. Ecritwre. Minuscule caroline du xt® siécle, sans dowte italienne. Encre brane, assez claire. Quelques majuscules sont détachées 4 gauche du texte ; celui-ci déborde parfois A droite du cadre. Provenance. Inconnue (on notera tout de méme l’indication portée au crayon au bas du f. 18¥ : £ 15). 1, Catalogue général des manuscrits des bibliothiques publiques de France, Dépar- tements, t. 47, 1923, pp. 653-655. Tous les fragments sont en parchemin, 2. Ces fragments du De oratove de Cicéron datent, me semble-t-il, du xv? et non du x° siécle. 4 PIERRE PETITMENGIN Contenu. Inc. (f. 17") : compensaltionem delitiarum eternarum (P.L., t. 17, ¢. 1030, A. 13) Des. (£. 18%) : ab angelis septem (ib., c. 1031, C. 1) 2. Folio 19. 8. Inte, Adversus haereses, II, 18, 6 - 19, 1 (Harvey) Présentation. Fragment d’un folio, utilisé jadis pour recouvrir un livre ou un dossier. On voit nettement la trace des pliages et l’écriture est presque effacée dans le milieu du f, 19%, A 'emplacement du dos de la reliure. Dimensions actuelles : 213 x 175 mm; le folio est mutilé en bas et A droite (perte de une a trois lettres dans certaines lignes particuliare- ment longues). z Mise en page. Aucune trace visible de piqtire ni de réglure. Le folio n’a sans doute jamais été réglé, comme ie montre la sinuosité de cer- taines lignes et la différence entre le recto (18 lignes sur tne hauteur de 145 mm) et le verso (20 1., 152 mm). La longueur des lignes oscille entre 179 et 192 mm. Pour une reconstitution de la page originale, voir plus bas la rubrique “contenu”. Ecriture, Minuscule caroline, x1® siécle. Abréviations trés fréquentes (on notera Ialternance eritre les abréviations dites continentales et insulaires :€ / +, & | 7). Encre brun foneé, par endroits presque noire. Le R initial du chapitre 19° est détaché dans la marge et rehaussé d’un rouge orangé. Provenance. Inconnue. Contenu. A (recto). Inc. : cognouerunt elsi quidem II, 18, 6 (éd. Harvey, t. I, P- 299, 1. 13) Des. : per humanas affe[ctiones II, 18, 7 (ib., p. 301, 1. 1) B (verso). Inc. : similiter aconis I, 18, 7 (ib., p. 302, 1. 4) Des, : talia delirant II, 19, x (#b., p. 303, 1 13) Il est maintenant possible d’évaluer, par une simple régfe de trois, le nombre de lignes que devait remplir dans le manuscrit la partie manquante A’. On prendra pour terme de référence Pédition princeps d’Erasme (Bale, 1526), car elle est d'une typographie trés régulire et elle offre un texte voisin de celui de notre témoin. 3. ILn’y a pas de sommaire intercalé, et rien ne laisse supposer qu'il y ait méme eu un numéro de chapitre ; on ne peut donc pas faire figurer notre témoin dans le tableau de F. Loors, Die Handschriften der lateinischen Ubersetsung des Irenaeus und thre Kapitelteilung, dans Kirchengeschichlliche Studien H. Reuter... gewidniel, Leip- zig, 1890, pp. 31 et 80 (le ch. 19 de Harvey correspond auch. 23 des manusctits CV), FRAGMENTS DU MS. DE STRASBOURG 3762 5 édition d’Erasme mantscrit A | 19 lignes 2/5 (28 lettres) | 18 lignes B 22 lignes 1/5 (13 lettres) 20 lignes A’ | 16 Tignes 4/5 (54 lettres) | 15 lignes Le recto devait donc comporter 33 lignes, et si l'on admet que dans la partie perdue espacement des lignes était le méme que dans celle conser- vée, on peut méme calculer Ja hauteur de la surface écrite, Elle devait étre de: 145mm X 33 ——————. = 265,8, soit 266 mm. 18 Place de ce témoin dans la tradition manuscrite. La traduction latine de saint Irénée est conservée dans 9 manuscrits, mais les éditeurs ne retiennent que cinq d’entre eux, auxquels vient s'ajouter I’édition princeps qui est fondée sur des manuscrits de la deuxiéme famille disparus aujourd’hui‘. Famille « irlandaise » C Berlin (Est), Deutsche Staatsbibliothek, Phillips 1669; rx® sidcle, origine : Corbie [notre passage se trouve aux ff. 55¥-56¥]. V Leyde, Bibliothaque de l'Université, Vossianus Latinus Folio 33; écrit vraisemblablement en 1494, en Angleterre [f. 3r*]. Famille « lyonnaise » A British Museum, Arundel 87 ; xm sidcle, origine : Allemagne [ff, 38, col, a - 39%, col. al. Q Bibliotheque Vaticane, Latin 187 ; début du xv? siécle [ff, 32°-33"]. S Salamanque, Bibliothéque de 1’Université, 202 ; milieu du xv® siacle [ff. 25%-267]. E Ydition princeps d’Erasme ; Bale, J. Froben, 1526 [pp. 88-89]. 4. On se reportera aux introductions de B. HEMMERDINGER, Livre IV (Sources Chrétiennes, t. Loo, 1965), vol. I, pp. 16-37 et de L. DovtRELEav, Livre V, vol, 1 (i0,, t. 152, 1969), pp. 51-63. 6 PIERRE PETITMENGIN J’ai comparé le texte du nouveau fragment (sigle T) avec celui de ces six témoins, Il serait trop long, et d’ailleurs inutile, de publier la collation compléte, of abondent les variantes orthographiques et les fautes propres a un seul témoin, Il suffira de présenter ici un choix de variantes signifi- catives. TABLEAU DES VARTANTES Ne |Référence|Texte de Harvey| Support Variantes ordre manuserit 1} 209,725 Jan CV AQS T |om. E 2 | 299,16 |hominibus cv in hominibus 4QS T in omnibus hominibus E 8 | 299,19 |gloriamini quam |CE gloriam iniquam 7 AS gloriam in quem QT 4 | 300, 6 Jenarrant AQSET |erant CV 5 | 300, 6 |intelligantur |SET intelligentur CV AQ 6 | 302, 7 lautem CV AQSE |om.T 7 | 302, 7 |passiones cv passionis 4QS T passionem E 8 | 302, 21 [libro ST liber CV AQE 9 | 302, 16 |confusio JAQSE T__|contessio C¥ 10 | 302, 16 |fictae CV AQSE Tlalias, ficta E in margine 11 | 303, 9 |igitur CV AQSE |agitur T 12 |303, 1r-r2let diem... aeonas |CV om. AQSE T 18 |” 303, 12 {quae cv AgE |qui ST Les fautes propres @ CV (4, 9) et A AQST (2, 7, 12) confirment, si besoin était, la division en deux familles et prouvent 4 l’évidence que T appar- tient A la seconde, dont il est le témoin le plus ancien, Bien qu’assez banales, les fautes qui lui sont propres (6, 11) empéchent qu'il soit la source unique et directe d’aucun manuserit conservé. Tl a une faute com- mune avec Q (8), ce qui est peu probant ; en revanche, par trois fois, il présente un texte banalisé qu’on retrouve dans S (85, 13 et 5, oft l’on ne peut douter que la lecon de l'archétype’, garantie par l'accord CV AQ, ait été : intelligentur). Tl peut s'agir de «corrections » faites indépendam- ment, mais je serais plutdt tenté de voir 14 un indice qui confirme sinon la valeur, du moins l’ancienneté de certaines lecons de S’. 5. Il faut lire in eo gui est ante hunc liber, comme le montre S. LUNDSTROM, Studion aur lateimischen Irendusitbersetsung, Lund, 1943, pp. 88-89. Le méme auteur suppose (pp. 88 et 85) que le traducteur latin, friand de variation stylistique, a écrit en 300, 3 agnoutsse (CV : cognouisse AQSE T) et en 302, 17 asonis (CV : aconibus AQSE T). 6, Et pent-étre méme de I'original, car l'emploi de Lindicatif aprés ut conséeutif est fréquent en latin tardif ; cf. J. B, HORMANN, A. SZANTYR, Lateinische Syntax und Stitistih, Munich, 1964, p. 369. 7. Sur le crédit qu'il faut apporter A ce témoin difficile & juger ,on yerra L, DourRE- LEAU, 4 propos d’Irénde, Adversus Haereses, livre IV, dans Rec. S.R., t. 53, 1965, Pp. 589-593. FRAGMENTS DU. MS. DE STRASBOURG 3762 7 Le problame le plus amusant est celui de découvrir si Brasme s'est servi de T. On sait qu’il a utilisé un manuscrit romain, copie du Vaticanus lat. 188 (Iui-méme descendant du Vaticanus lat, 1878) et deux autres ¢ monas- teriis commodato praebit(i)® : un Hirsaugiensis et un autre de provenance non déterminée. “On pense & juste titre qtie ces témoins appartenaient tous 4 la deuxiéme famille (cf. 4, 9, 12). Toutefois Erasme se singularise 4 l'occasion : on soupgonnerait volontiers une conjecture brillante en 8, et une autre tmoins heureuse en 7, mais pour expliquer les variantes 1, 2, et en tout cas 10, il fant swpposer une source manuscrite différente de toutes celles conser- vées, y compris 7, On peut en conclure que, au moins pour le passage étudié, T n’a pas fourni 4 Rrasme son texte de base, et l’'absence de toute indication A I’usage des typographes" confirme cette opinion ; cependant il est possible de supposer, avec un peu d’imagination, que notre fragment provient de l'autre manuscrit monastique consulté par Frasme!, L’exem- ple tout A fait similaire de 1'Hersfeldensis d’Ammien Marcellin nous montre le manque de respect avec lequel on traitait un manuscrit, méme vénérable, dont le texte venait d’étre diffusé par l’imprimerie. 3. Folios 20-21. Vitae Patrum, V, 5, 27-35 (Verba Seniorum) Présentation. Bifolio jadis utilisé pour recouvrir un dossier. Mutila- tions dans 1a partie inférieure et dans les angles ; les traces des pliages sont trés apparentes. Dimensions maximum du bifolio : hauteur, 261 mm ; largeur, 395 mm. . Mise en page. Réglure a la pointe séche sur le cété poil, (voir le schéma B, p. 12). Aucune trace visible de piqttre. Le texte étant continu, le bifolio se trouvait au centre d'un cahier. 8. Voir la belle étude ‘de J. RuysscuanRt, Le manuscrit « Romae descriptum » de I'édition érasmienne d'Ivénée de Lyon, dans Scrinium Evasmianum, t. I, Leyde, 1969, Pp. 263-276. 9. Opus eruditissimum diui Irenae D. Evasmi, t. 6, 1926, n° 1738, 1, 113). 10, Comme on en voit dans d'autres manuscrits préparés & cette époque pour les presses des Froben, par exemple Bale, AN. IV. 1 et 4 (Nouveau Testament d’Erasme, 1516), Sélestat, 88 (Tertullien de Beatus Rhenanus, 1521), Paris, B.N., Lat. 6880 (Marcellus, De medicamentis, édition de Janus Cornarius, 1536). 11, Notre fragment, si petsonnel d’appatence, peut-il étre attribué A un scripto- sium de I'Allemagne du Sud ? Tl faudrait en tout cas le comparer aux manuscrits d'Hirschau qui ont survécu, comme Sélestat, 16 et 99 (tous deux plus récents d'ailleurs), : 32, Utilisé pat Sigismond Gelen. pour son édition de 1533 (parue elle-aussi & Bale, chez H. Froben et N. Episcopius), il disparut jusqu’en 1875, date of l’on en retrouva dans les Archives de Marbourg six folios plus on moins mutilés, qui avaicnt servi & recouvrir des dossiers. Bale, 1526, f. a3¥ (= Opus epistolarum 8 PIERRE PETITMENGIN Ecriture. Minuscule caroline, x1® siécle, d’origine germanique. L,’écriture, trés réguliére, ne déborde qu’exceptionnellement le cadre intérieur, Encre brun foncé ; une initiale est rehaussée d'argent, une autre écrite avec une encre rouge orange. Un reviseur plus tardif (xm siécle) a corrigé Je texte et porté des adjonctions dans la marge du f. 217. Un titre courant a été ajouté au xve sitcle : de impugnacione fornicationis patrum (ff. 20%- 2zt), Provenance. Ce fragment a été acheté en 1879 au libraire Karl Triibner, & Strasbourg. Le dossier qu’il contenait auparavant concernait d’ailleurs cette ville, si je lis bien un titre tras effacé, en haut du f. 21” : Oratoria opuscula. De petitione consulatus Argent{inensi[s]... Contenu. Inc. (f. 20%) : pac]nitentiam agebat (P.L., t. 73, c. 880, D.7) Des. (f. arv) : alli autem non crede[bant (éb.; c. 883, C. 2) (quelques mots sont tombés a la fin du £. 20, une ligne a celle du f. 21) 4. Folios 22-25, IstporE DE SEVILLE, Synonyma, Eprre, De compunctione cordis\8, Présentation. Deux bifolios (A = ff. 22-23, B = ff. 24-25) qui ont été taillés pour recouvrir les plats d’une reliure ; ce fait, explique leurs dimen- sions trés voisines (A, 223 x 307 mm ; B, 228 X 310 mm), leurs mutila- tions identiques, — perte d’un demi-folio sectionné de haut en bas (if, 22 et 24) et de quelques lignes en bas de page —, enfin le trés mauvais état de conservation des faces qui ont été collées contre le plat (ff. 22¥-23" et 24?-25%). Mise on page. Réglure & la pointe s8che sur le e6té chair (voir le schéma C, p. 12). Le fragment B est un peu plus épargné que A (hauteur de la surface écrite : A, I9r mm pour 19 /20 lignes ; B, 206 mm pour 20 1. et un interligne). Quelques piqdres visibles dans les marges extérieures, En haut des ff, 22? et 239, le scribe a commencé et fini ses lignes avant les traits verticaux du cadre : la page écrite paratt de guingois par rapport a celui-ci. D’aprés I’analyse du contenu (voir plus bas), il est clair que les deux fragments appartenaient A des cahiers différents : le texte @ Ephrem, continu, se trouvait au centre d’un cahier, et ne pouvait étre encadré par les extraits d’Isidore. Eoriture. Minuscule bénéventaine, .x-x1° siécle. La syllabe -tur est abrégée constamment au moyen d'un petit «2» placé au-dessus du t, ce qui, d’aprés E. A. Lowe, est une caractéristique du x1° siéclel4, Provenance. Inconnue. Le nombre 40 inscrit verticalement en haut du f. 257 est peut-étre une ancienne cote. 13. Bréve notice dans B.A. Lown, 4 New List of Beneventan Manuscripts, dans Collectanea... Albareda, t. 11 (Studi e Testi, t, 220, 1962), p. 235 : 4 Text recalls Ephrem latinus (4. Wilmarl). « Saee. x-x1» (B. Bischoff)». 14. CE The Beneventan Script, Oxford, 1914, pp. 217-218. FRAGMENTS DU MS. DE STRASBOURG 3762 9 Contenw. Fracment A (ff. 22-23). Isidore de Séville, extraits des Synonyma, I, 34-78 (Clavis, 1203). f, 23° (entier, pew lisible) Inc. : ...te compremit nihil (P.L., t. 83, c. 835, C. 9) Des. : dies ultima appropin[quat (c. 838, B. 1) f. 23” (entier, lisible) Inc. : abscon]ditus est (c. 838, B. 10). Timeanvus ne dies illa (ib., B. 15) Des. : indul[gentiae locus (c. 839, A. To) £, 22° (mutilé, lisible) Inc. : clalmoris confitentis (c. 843, C. 2) Des. : ab hfac uita (c, 844, C. 1) f. 22% (mutilé, peu lisible) Inc. : ...pecces, exue culpas (cf. c. 844, D. 2-3) Des. : hic saluus erit (c. 846, A. 11) Il est difficile de raisonner avec précision sur des extraits ; on peut tout de méme supposer que ceux correspondant a la partie manquante (de la c, 839, A. ro A la c. 843, C. 2) devaient remplir un bifolio intercalé jadis entre nos ff. 23 et 22. Fracment B (ff. 24-25). Ephrem, extraits du De compunctione cordis, 1, 12-13 et m1, 5 (Clavts, 1143, vi) Les références sont données a 1’édition 1a plus accessible, qui est encore Yincunable publié 4 Fribourg par Kilian Fischer (pas aprés r4gr} cf. Gesamtkatalog der Wiegendrucke, n° 9334)*, £, 24? (mutilé, peu lisible). - I, r2-13. Inc, : neque... uirtutes retinere (cf, #, B 2%, 2° col., 1. 7 a fine) Des, : amatori hominum deo g[ui (f. B 2¥, 1° col., 1. 22) £. 24¥ (mutilé, lisible). - I, 12. Inc. : ...et inlumina (ib., 1. 25) Des. : spinas et trifbulos (éb., 1. 43) £. 25? (entier, lisible).- I, 13. Inc. : multipliloa quasi bonus (ib., 1. 46) Des. : ef eos qui in ewm ambulant (f. B av, 2° col., 1. x2 ; I’édition a : in ipso nauigant) 4, 25¥ (entier, peu lisible). - II, 5. Ine. : ...et nos de tenebris (£. B 4t, 2° col., 1. 13 a fine) Des. : fluctus inun{dationis (f. B 4%, r* col., 1. 4) 15. Ilse trouve a Paris & la Bibliotheque Nationale, & Sainte-Geneviéve et A la Mazarine, Il y a eu an moins trois autres éditions de l’Hphrem latin, une sans lien ni date (Hain, 1° 8305), une parue & Cologne en 1547 et une autre A Dilligen en 1563 ; cf. A. WriMARt, Rev. Asc, Myst, t. 3, 1922, p. 4i4. 0. 16, ro PIERRE PETITMENGIN On se demandera peut-étre s'il n'y a pas quelques stulta diligentia & donner des références aussi compliquées, alors qu'il suffirait bien de renvoyer aux textes grecs!® publiés par J. $. Assemani, — S. Ephraem opera (graece et latine), t. I, Rome, 1732, p. 63, C. 5 - 64, E. 5 pour les ff. 24-25", et pour le second passage, 7b., t. II, 1743, p. 375, D. 8 - 376, A. r (voir aussi le doublet en I, p. 69, C. 6 - E. 5). Elles me semblent tout de méme justifiées, car r, elles permettent d’apprécier l’importance de la lacune en bas de page (ce qui n’était pas possible dans le cas des extraits d’Isidore). Grace Aun calcul analogue celui fait p. 5, on peut évaluer la partie manquante a trois lignes ; une page du manuscrit devait donc comporter 23 lignes. 2. par leur incongruité méme, elles rappellent combien il serait urgent}? de procurer une édition moderne de cette traduction latine d’Ephrem qui a joué un si grand réle dans l'histoire de la piété médiévale’®. 3. enfin elles soulévent un petit probléme d'histoire des textes : dans la tradition latine, le De compunctione cordis forme-t-il un seul ouvrage, un ouvrage en deux livres comme le veut l’incunable, ou deux ouvrages séparés ? Autrement dit, la collection des ceuvres d’Ephrem compte-t-elle six ou sept unités ? Lédition Assemani, qui présente justement 1a de nombreux doublets!®, ne nous permet pas de savoir comment se présentait le manuscrit grec sur lequel a été faite la traduction. Les témoins latins les plus anciens que j’aie pu atteindre présentent le traité sous forme d’un ouvrage unique, qu’ils intitulent Liber de conpunctione cordis (Berlin, Lat. theol. fol. 355, ff. 4-31¥; rxe sidcle®), Liber de conpunctione cordis et contricione spiritus (Laon, x21, ff. 1-26 ; 1x° siécle) ou Institutio data ad monachos (Paris, B.N,, Lat. 12634, ff. 78-142" ; vite siécle, C.L.A., n° 646). Ce fait explique que les catalogues de bibliothéques ne signalent, au maximum, que six traités d’Ephrem : libri Effrem diaconi VI de diversis causis, volumen I 16. La traduction latine qui les accompagne est, comme on sait, moderne, 17. Cf. D, HEMMERDINGER-IrraDoU, Dictionnaire de Spiritualité, t. IV, 1, 1960, art. « Rphrem latin », c, 816, Tl est regrettable que le Supplément de la Patrologie Latine, qui consacre un long article & Ephrem (t. 4, c. 604-648), n’ait pas republié, en attendant mieux, le texte d’une des éditions de la Renaissance. -8.-CE, D, HEMMERDINGER-InIADoU, Vers une nouvelle édition de! Ephrem grec, Studia Patristica, 3 (Texte und Untersuchungen, t. 78, 1961), p. 72- 19. Id., Les doublets de Védition de Ephrem grec par Assemani, dans Orient, Christ. Per., t. 24, 1958, p. 372. 20. CE. V. Rose, Verzeichnis der lateimischen Handschriften..., II, 1, Berlin, 1901, p. 89, Au ¢deuxiéme » traité fait enite, sans solution de continuité, un centon tiré des ceuvres de S. Grégoire le Grand (P.L.S., t. 4, c. 641-648), qu’on retrouve souvent dans les manuscrits (par exemple, Laon, 23-26 ; Paris, B.N., Latin, 1713, ff, 26- 29, ete), az. Cf. A, GENESTOUT, Soriptorinm, t. 1, 1946-47, p. 139, & propos de la jonction des deux parties au f, 129” ; le manuscrit de Laon (f. 19) ne présente, Iui non plus, aucun signe graphique d’interruption. FRAGMENTS DU MS, DE STRASBOURG 3762 Ir (Saint-Gall, milieu du rx® sicle”) ou Effrem diaconi lib. VI, vol. I (Lobbes, 5049?) ; méme Vincent de Beauvais qui annonce hujus septem opuscula extant ne donne que six titres*4, Il serait intéressant de savoir sila deuxiéme partie a jamais regu un titre séparé®, Quoi qu’il en soit, nous pouvons ajouter un numéro aux listes, déja copieuses, des manuscrits anciens des Synonyma®® et d’Rphrem?’. Il est peu probable que nos modestes fragments apportent des lecons trés nou- velles ; leur intérét est de nous faire entrevoir la constitution d'un flo- rilége spirituel, qu'il vaudrait peut-étre la peine de rapprocher de deux manuscrits contemporains, eux aussi en écriture bénéventaine, le Casi- nensis 226 (Ephrem, Admonitio S. Basilii ad filium spiritalem, etc.) et surtout le Casinensis 321, ot sont réunis des extraits des Sententiae et des Synonima d’'Isidore de Séville®’, Pierre PRITTMENGIN Les schémas de réglure se trouvent & la page suivante, 22, Mittelalterliche Bibliothehshataloge Deutschlands und dey Schweiz, t. 1, 1918, p+ 76, 1. 25-26, 23, Revue des Bibliothdques, t. x, 1891, p. 13 (n° 142). 24. Speculum historiale, xtv, 87 (éd. de Dousi, t. 4, 1624, p. 573) 25. Dans le Barbevinianus latinus 671 (vrut sigcle, C.L.A., n° 64), oi ne figure pas Ja premiére partie du traité, om trouve aux ff, 148-150" un fragment de la seconde (chap. 1-3, jusqu’a et retributio iustorum est ; 6d. citée, f. B 4F, 18 col., 1, 24) sous le titre : sententia de conpunctione cordis. 26, M. C. Diaz v Diaz, Index Scriptorum Latinorum Medi Aevi Hispanorum, t. 1, Salamanque, 1958, p. 31 (n° 105). a7. A, SmoMUND, Die Uberlieferung der griechischen christlichen Literatur... Miinchen - Pasing, 1949, pp. 69-71, complété par D, HEMMERDINGER-IIIADOU, Dict. Spir., o, 818, On peut ajouter Troyes, 898( 1x¢ siecle), Poitiers, 69 (xI-XI® sidcle). 28; D’apras le Codicum Casinensium... Catalogus; t.2, p. 159, les extraits semblent se présenter différemment, mais il faudrait comparer les textes mémes, Cette petite recherche a pu étre menée bien grace aux facilités de travail qu’olfre Vnstitut de Recherche et d'Histoire des Textes, et & la collaboration de plusieurs collégues et amis, en particulier Mile T,, Greiner, Conservateur- de la Réserve de la B.N.U. de Strasbourg, le R. P. Folliet (§ qui est due identification du texte @Ephrem), M, I'abbé L, Duval-Arnould, MM, J, Vezin et J. Jouanna; je les prie de trouver ici l'expression de ma gratitude, : PIERRE PETITMENGIN 12 APPENDICE SCHEMAS DE RiIGLURE N.B. Toutes les dimensions sont données en millimétres. A (ff. 17-18) B (ff, 20-21) C (ff. 22-25) ie 4 aml Z Si on adopte le mode de présentation préconisé par 1, Gilissen dans”son article Un élément codicologique trop peu exploité : la réglure, Mélanges Lyna (Scriptorium, 23, 1969), Pp. 152-153, om obtient les formules suivantes pour les deux réglures intégralement conservées : A: 2 C(olonnes) 34 (lignes) 7.76.19.76.7 (185) x 278 7 ‘Unité de) R(églure) 8,176 P(ointe) S(éche) B : Lfongues) L(ignes) 29 9.1529 (x70) x 221 += UR 7,620 PS Celse, source et adversaire de Minucius Felix L’avocat paien, Caecilius Natalis, qui, dans Octavius de Minucius Felix, prononce un vigoureux plaidoyer en faveur du paganisme et sen prend résolument a la religion nouvelle, est & considérer, ainsi que V'a montré M. Jean Beaujeu?, comme une réplique du philosophe sceptique Caius Aurelius Cotta mis en scéne par Cicéron dans le De Natura deorum. I1n’en reste pas moins que ce n’est pas en recourant a I’ouvrage cicé- ronien que lapologiste pouvait fournir A son personnage matigre a polémiquer contre la religion nouvelle. Aussi, se fondant sur une remarque de Cécilius®, les commentateurs font-ils généralement de ce nouveau Cotta un lecteur assidu de l’ouvrage de Fronton contre les chrétiens®, Mais cela ne suffit pas encore pour rendre compte de tout Je contenu du discours. Car ce n'est certainement pas en lisant Fronton, rhéteur A Yesprit superficiel’, que Cécilius pouvait trouver de quoi alimenter la seconde partie de sa polémique, & savoir sa critique du dogme chré- tien en tant que tel. Force est donc de chercher ici une autre source et aller voir du cOté des écrivains que V’avocat paien — et les milieux qu'il représente5 — pouvaient, a la fin du second ou aut début du troisitme siécle, choisir comme maftres & penser en ce domaine difficile. Or, parmi les renvois les plus fréquents auxquels procédent ici Ies commentateurs, il y a ceux qui ont pour objet le Conire Celse. Et comme, d'une part, aucun philosophe paién, si ce n'est Vadversaire d’Origane, 1, J, Bravyeu, Minucius Felix, Octavius, Paris, 1964, pp. LXXxI A TXXxv. 2. Oct, 1x, 6 : Id etiam Cirtensis nostri testatur oratio. 3. Sur cet ouvrage, voir P. FRASSINETT, L'orazione di Frontone contro i Christiani dans Giorn. Ital, Filol, II, 1949, p. 238 saq. 4 CE P. de Laparorre, La Réaction patenne, Paris, 1955, r0® €d., pp. 90-94. 5. Cf J. Beauywu, Les constantes veligicuses du sceplicisme dans Hommmages & Marcel Renard, t. 2, Braxelles, 1969, p. 68. 14 JM. VERMANDER ne s’en est, jusque-la, pris de fagon systématique A la doctrine chrétienne ; comme, d’autre part, le Discours Véritable semble bien avoir été connu de Tertullien®, le probléme des rapports entre Celse et Minucius Felix se pose tout naturellement. Point ne sera d’ailleurs besoin, pour chercher @ le résoudre, de longues et difficiles recherches. Car, si des liens existent entre les deux ou- vrages, ils figureront nécessairement — et principalement — 1a of les thémes de la polémique antichrétienne de Celse ont leur place toute marquée dans le réquisitoire de Cécilius, c’est-a-dire aux chapitres x a x1I de l'Octavius. Quant a I'analyse de la partie restante de l’apologie, elle devrait n’apporter qu'une confirmation a ce qui aura pu étre découvert. * ae Pour démontrer la dépendance de Minucius Felix par rapport a Celse, il faut, on s’en doute, avoir d’abord procédé a une minutieuse comparaison entre les textes écrits par ces deux auteurs. Et, pour procéder a cette compataison, 1¢ mieux est, semble-t-il, de prendre les chapitres x a x1 de V’Octavius au fur et A mesure qu’ils se présentent, tout en faisant, chaque fois que cela sera possible, le rapprochement qui s’impose’. Considérons donc, pour commencer, les paragraphes 1 et 2 du cha- pitre x, et notons qu’en cet endroit, le travail est déja réalisé, les commen- tateurs étant d'accord pour souligner qu’ici le rapprochement avec Youvrage de Celse s'impose obligatoirement’, Examinons néanmoins ces divers passages de prés, Accus¢ d’aveuglement en matiére religieuse®, Cécilius, piqué au vif, souligne le secret dont s’entoure la religion a laquelle adhérent ses interlocuteurs : « Pourquoi, s’écrie-t-il, n’ont-ils pas d’autels, pas de temples, pas d’effigies divines connues ? Pourquoi ne veulent-ils jamais prendre la parole en public ni s'assembler librement”®.., ? », Or, si a cette seconde phrase correspondent, sans doute, quelques expressions 6. Cf. mion article dans Revue des dudes augustiniennes, XVI, 1970, pp. 205- 225 : De quelques répliques 4 Celse dans l'Apologeticum de Tertullien, 7. Ici, se pose, bien entendu, le probléme de I’honnéteté d’Orig’ne. A’ ce propos, citons seulement deux extraits du Contre Celse : «Je fais de mon micux pour ne Jaisser. sans examen aucun de ses propos » (V, 1) ; «Autant que possible, je n'ai laissé aucune objection sans la passer au crible d’un examen rigoureux ni omis de Ini faire la réponse dont j’étais capable » (VIT, 1). Il y a eu plusieurs tentatives de reconstitution du Discours Véritable (voir mon article, p. 215, n. 54). Le texte qui nous servira ici est celui mis au point par M. BoRRET (Origine, Contre Celse, Paris, Sources chrétiennes, vol. 132, 136, 147 et 150, 1967-1969). 8. CE M. Prrcecrivo, M, Minucii Felicis Octavius, Turin, 1947, p. 99; éd. Beaujeu, p. 89. 9, Oct, 1, 1: Now boni iri est, Marce frater, hominem domi forisque lateri tuo inhacrentem sio in hac imperitiae uulgaris caccitate deserere (propos adressés par Octavius \A Minucius et désignant Cécilius). to, Ibid. x, 2: Cur wullas aras haben templa walla, nulla nota simulacra, numguam palam logui, numquam libere congregari... ? i CELSE ET MINUCIUS FELIX 15 du rhéteur Fronton™ et, certainement, un passage de la correspondance de Pline le Jeune", force est de constater que, nulle part dans la littérature paienne contemporaine — si ce n’est dans I'ceuvre de Celse — le grief qu'elle contient n’apparait en méme temps que l'autre, celui qui concerne Tabsence d’édifices cultuels chrétiens. Le seul Celse, 4 notre connaissance, raisonnait done comme Cécilius. Et nous avons ld-dessus le témoignage formet d’Origéne. Celui-ci écrit en effet : « Celse déclare que nous évitons dédifier des autels, des statues et des temples »'; et auteur chrétien poursuit immédiatement : « Car il croit que c’est le mot d’ordre convenu de notre association secréte et mystérieuse »4, I/identité des themes et leur voisinage dans les deux ccuvres étant ainsi reconnus, il reste seulement a noter un détail saillant : la présence, dans les deux ceuvres, d’un groupe de trois termes identiques (autels, temples, statues). La fagon dont Cécilius poursuit ensuite son réquisitoire peut également faire penser A Celse, Sans ménager de transition, le paien s'écrie : « Au fait, d’od vient-il, qui est-il et ot réside-t-il, ce-dieu unique, solitaire, abandonné a Iui-méme, que ne connaissent ni peuples libres, ni royaumes, ni & coup stir Ja religion romaine »'5. Qualifiant de « brusquerie » cette maniére de passer directement du culte aux croyances chrétiennes!®, les commentateurs — qui venaient pourtant de rapprocher |’Octavius du Discours Véritable quelques lignes plus haut — n’ont pas remarqué que Celse semblait procéder de la méme manidre. Or, lisant Origéne, ils pouvaient noter qu'aprés avoir parlé du culte chrétien et de son mystare, l'auteur du Discours Véritable abordait immédiatement, non sans une certaine maladresse, le probléme du Deus christianorwnt!? A cet indice s’en ajoute un autre, plus apparent, Cécilius poursuit, en effet, son exposé en faisant a la théodicée chrétienne un second reproche : celui de proposer A I’'adoration de ses fidéles une divinité vaincue et prisonniére des Romains, et qui n’est rien d’autre que le dieu du misérable peuple juif : « Seule 1a mis¢rable communauté juive, s'exclamele paien, vénére elie aussi ce dieu unique... D’ailleurs, il est a ce point dépourvu de force et de pouvoir qu'il est prisonnier des Romains avec son propre peuple »!8, Or, telle était également opinion exposée par l’auteur 11. Ce grief est déja exprimé en Oct, vir, 4. M. J. Beanjeu pense quiil dérive de Fronton (09. cit., p, 86). 12, Ep. X, 96 (97), 7 : quod essent soliti stato die ante lucem conuenire, 13. Rapporté par Onrciwn, Contre Celse, VIIL, 17. 14. [bid, 15. Oct. x, 3: Vnde autem uel quis ille aut ubi deus unicus, solitarius, destitutis, quem non gans libera, non regna, non saltem romana superstitio nowérunt ? 16, Cf éd. Beaujen, p. 89, 17. Aux paragraphes 18, 19 et 20 de son livre VIII, Origtne s'emploie & réfuter les griefs dont il a fait mention au paragraphe 17 (cf, notes 13 et 14). Au paragraphe 21, il commence ainsi : « Voyons encore ce que Celse dit mNsurté de Dieu » (c'est nous qui soulignons). 18. Oct. X, 4: Iudasorum, sola et misera gentil nulla wis nec potestas est ut sit romanis hominibus cum sua sibt mn itas unum et ipsi dewm... ewius: adeo 2 captinus, 16 J.-M. VERMANDER du Discours Véritable. En effet, comparant la misére ot croupissaient Jes Juifs A la puissance dont jouissaient les Romains, il remarquait, lui aussi, combien faible paraissait le Dieu de la tradition judéo-chrétienne et tenait a son lecteur chrétien un raisonnement assez proche de celui que nous venons de lire : « Tu ne vas certes pas dire que si les Romains, convaincus par toi, négligeaient leurs rites habituels de piété envers les dieux et les hommes pour mieux invoquer ton Trés-Haut ou qui tu voudras, il descendrait combattre pour eux, et qu’il ne leur faudrait pas d’autre force que la sienne. Jadis, le méme Dieu promettait 4 ses dévots cela et méme davantage, comme vous-mémes en convenez, et voyez les services qu'il a rendus soit & eux, soit A vous-mémes ! Eux, loin de dominer toute la terre, n’ont plus ni feu ni lieu ; de vous, ce qui reste A errer en cachette, on le traque pour Je conduire a la mort »!9, Mais il ne faudrait pas, pour avoir relevé a présence, dans les deux ceuvres, du théme de l'impuissance du Deus christianorum, oublier que Cécilius s'est, comme nous l’avons vu, précédemment scandalisé de la solitude & laquelle un diew unique était, selon lui, nécessairement condamné. Car cette réaction laisse deviner la fagon dont notre paien imagine I’Etre divin, & savoir comme un souverain entouré d’une cour et qui, du coup, n’a rien 4 craindre de l’ennui. Or, c’est le moment de remarquer que, comme beaucoup de paiens de son temps, Celse se faisait, lui aussi, une semblable conception de la divinité°. Tl y a done, peut- étre, a faire, ici aussi, un certain rapprochement. On ne peut pas ensuite ne pas noter une certaine similitude entre les critiques adressées par Cécilius 4 l'invisibilité du dieu chrétien® et certains propos tenus par le philosophe grec A son lecteur chrétien : «Comment done puis-je connaitre Dieu ?... Comment me le montres- tu2® ? » Force est aussi de constater que la polémique antiprovidentialiste ot se lance ensuite notre nouveau Cotta ferait, paradoxalement, plutét songer 4 celle d’un épicurien®’, et constitue ainsi, elle aussi, une sorte de renvoi au philosophe grec®4, Notons enfinsque ce n’est pas seulement dans VYOctavius mais également dans le Discours Véritable que voisinent polémique antiprovidentialiste et polémique contre l’invisibilité du dieu chrétien®®, Et 1’on aura, de 1a sorte, fait le tour de tous les rapprochements que suggére I'examen du chapitre x. 19, Rapporté par OR1ckNE, Contre Celse, VIII, 69. 20, Ibid. VIII, 35. Origtne y mentionne que Ceise parlait des « satrapes, gouver- neurs, généraux du Dieu supréme » 21. Oct. X, 5 : Deum illum suum quem nec ostendere possunt nec uidere. 22, Rappotté par ORIGENE, Conive Celse, VI, 66. 23. Cette polémique est généralement rapprochée de celle de I’épicurien Velleius du De natura deorum (IIT, 39, 93). Cf. éd. Pellegrino, p. ror et éd. Beaujeu, p. 90. 24. Voir, & ce sujet, J. Scuwantz, Biographie de Lucien de Samosate, Bruxelles, 1965, p. 24, pour qui Celse est certainement un disciple d’Epicure. 25. La polémique antiprovidentialiste de Celse est rapportée au livre VI, chapitre 7%, du Contre Celse, La polémique contre l'invisibilité du Dieu des chrétiens figure dans le méme livre au cliapitre 66, CELSE ET MINUCIUS FELIX 17 * ae Aux non négligables indices qu’il nous a été ainsi permis de rassem- bler, vient maitenant s’ajouter la constatation que voici : 4 chacun des six premiers paragraphes du chapitre xr on trouve, dans l'ceuvre de Celse, un passage qui correspond assez exactement. Ainsi, l'on voit la doctrine chrétienne de l’embrasement universel, combattue par Cécilius au paragraphe 1°, étre également combattue dans le Discours V éritable®” ; au paragraphe 2, on s'apergoit que l’expres- sion « sornettes de vieille femme » se retrouve a peu prés identique dans Poeuvre de Celse® ; ensuite, on constate que le dogme de ja résurrection de la chair, tourné en dérision au paragraphe 3, se trouve pareillement traité par le philosophe grec®® ; il apparait, d’ailleurs, que ce dogme est interprété aussi mal par I’un et l'autre paien, chacun semblant croire qu'il s'agit 14 d’une sorte de métensomatose®? ; aprés cela, on découvre que Cécilius, en se scandalisant du refus des chrétiens de vénérer les astres, réagit exactement de la méme fagon que l’adversaire d’Origgne*! ; au paragraphe 4, on dirait que le Latin sous-entend ce que le Gree dit tout haut de la trop grande estime qu’A son avis les chrétiens portent a leur corps® ; au paragraphe 5, Ja manigre dont Cécilius se représente les conceptions chrétiennes au sujet de l’au-dela ressemble, par son simplisme, & celle que l’auteur du Contre Celse attribue a celui qu’il combat®® ; 26, Oct. x1, 1 : Quid quod toto orbi et ipsi mundo cum sideribus suis minantur jncendium. 27. CE, ORtGkNE, Contre Celse, V, 15 : + Vois donc tont d’ebord comme Celse tourne en ridicule dans ce passage l’embrasement du monde, admis méme par des philosophes grecs de valeur, lorsqu’il prétend qu’en admettant 1a doctrine de l'em- ‘rasement, nous faisons de Dieu un cuisinier », 28. Oct. x1, 2 : aniles fabulas adstruuné. Comparer an fragment rapporté par Orrckywx (Contre Celse, VI, 34) : « Quelle vieille femme prise de vin, fredoanant une fable pour endormir un bébé, n’aurait honte de chuchoter pareilles sornettes ? » 29, Cécilins se moque de la croyance de ses adversaires : cf. sa réflexion en Oct. XI, 2: pules cos iam rewixisse | Celse faisait la méme chose. Cf. la réflexion d’Origdne : « Celse a longuement raillé la résurrection de la chair qui est préchée dans les églises » (Contre Celse, V, 18). 30. Comparer la réflexion de Cécilius ci-dessus rapportée & la remarque d’ Origine en Conire Celse, VII, 32 (1 ce n’est pas, comme le croit Celse, pour avoir compris de travers la doctrine de la métensomatose que nous parlons de résuzrection »). 31. Comparer Oot. x1, 3 (caclo et asiris... interitum denuntiare) et Contre Celse, V, "13 (« Celse suppose que nous tenons pour rien le soleil, la lune et les étoiles »). 32. En Oct. x1, 4, Cécilius reproche aux chrétiens leur trop grande vénération pour te corps (c'est ainsi qu'il interprate leur refus de I’incinération). Comparer aux pro- pos de Celse que nous a conservés Origéne (Contre Celse, VIII, 49) : « N’est-ce pas de votre part une conduite absurde : d'une part, de désizer le corps et d’espérer que ce méme corps ressuscitera, comme s'il n'y avait pour vous RIEN DE MELLWUR mi de plus précieux que cela... », C’est nous qui soulignons. 33. Oct. Xt, 5 1 Beatam sibi, ut bonis, et perpetem uitam mortui pollicentur, ceteris, ut iniustis, poenam sempiternam. Comparer aux propos d’Origéne (Contre Calse, HL, 5) : «Ensuite son Juif déprécie, comme vieilleries, enseignement sur 1a résur- 18 J-M. VERMANDER enfin, au paragraphe 6, figure une critique adressée au Deus christianorum et qui trouve également sa place dans le Discours Véritable : celle de ne pas respecter la liberté des hommes*™. Mais il y a davantage. Dans la seconde partie du chapitre, Cécilius s'en prend en effet au dogme de Ja résurrection du Christ d’une maniére qui fait inévitablement songer A l’auteur du Discours Véritable. De fait, aprés quelques critiques analogues A celles du patagraphe 2°5, Yavocat paien en arrive au dogme central de la fides christiana. Sur ce point capital, on le sait, Tertullien s’était déja expliqué, et ce, rappelons-le, pour tenter de combattre les objections celsiennes**, Interrogeant et accusant a la fois, Cécilius s’écrie : « ¥ il un seul individu qui soit revenu des enfers, ffit-ce dans la condition de Protésilas, avec une per- mission limitée a quelques heures... ? ‘Toutes ces fictions d’une imagination dérangée, toutes ces consolations niaises auxquelles s’amusent les pottes imposteurs pour donner du charme a leurs vers, entrainés évidemment par votre crédulité, vous les avez honteusement adaptées 4 votre dieu »87, On notera d’abord qu'il s’agit bien, dans ce texte, du probléme de la résurrection de Jésus et non du dogme de la résurrection de la chair : Yallusion 4 un seul individu, Protésilas, et l’expression « fictions... adap- tées A votre dieu» le montrent clairement. On admettra ensuite qu'il est facile de constater que, dans un seul et méme passage d’ailleurs, Celse évoquait, Ini aussi, le mythe de Protésilas — et ce pour le comparer au mystére chrétien®® —, posait, lui aussi, une question a la manitre de Cécilius : « ce qu'il faut examiner, c’est si un homme réellement mort est jamais ressuscité avec le méme corps »**, et accusait également les chrétiens d’avoir ét¢ les victimes d’une imposture*?. rection des morts et le jugement de Dieu, la récompense pour les justes et le feu pour les injustes 2, On notera que dans son exposé, Cécilius refuse ensuite de considérer Jes chrétiens comme des justes : « Qu’ils sont enx-mémes injustes plus que les autres, je ne m’en occupe plus, je l'ai déja montré » (trad. Beaujeu). 34. Oct, Xt, 6 : Quicquid agimus, ut alii fato, ita uos deo dicitis, Comparer & 1a fagon dont Celse imagine que Dieu a imposé sa volonté aux apétres, faisant de ces’ der- niers de vétitables marionettes (Contre Celse, II, 20 : « Celse croit que ce qui est prédit par quelque prescience arrive parce que c'est prédit »). 35. Oct. x1, 7 : Vellem tamen sciscitari utrumne cum corporibus et corporibus qui- bus, ipsisne an innouatis, resurgatur. 36. Cf. mon article sur Tertullien dans Rev. ét, augustin. XVI, 1970, pp. 210-212. 37. Oct. X1, 8-9 : Quis unus ullus ab inferis uel Protesilai sorte remeauii, horarum saltem pormisso commeatu... ? Omnia ista figmenta male sanas opinionis et inepta solacia a poetis jallacibus in dulcedine carminis lusa a uobis nimirum credulis in deum uestrum turpiter reformiata sunt, 38. Rapporté par ORIGHNE, Contre Celse, II, 55 : + Combien d’autres usent de ces contes merveilleux pour persuader leurs auditeurs naifs et tirer profit de l’impos- ture | Ce fut le cas, dit-on, en Scythie de Zamotxis... Ainsi encore Orphée chez les Odryses, Protésilas en ‘Thessalie, Héraclés a Ténare, ct Thésée 1, 39. Zbid., immédiatement aprés le passage cité ci-dessus. 40. Ibid. : « Quia vu cela ? Une exaltée, dites-vous, et peut-étre quelque autre victime du méme ensorcellement, soit que par suite d'une certaine disposition il ait CELSE ET MINUCIUS FELIX 19 A ces trois rapprochements on ajoutera encore trois remarques : la premitre, c’est que le mépris de Cécilius pour les fictions des podtes n'est pas sans ressemblance avec celui que nous voyons Celse afficher, non loin ailleurs du texte ci-dessus mentionné, pour les « histoires grecques » des « conteurs de merveilles »{1 ; la seconde, c’est que l’accusation de plagiat est lancée par nos deux intellectuels contre 1a secte qu’ils com- battent, Cécilius affirmant, comme on le voit, que les mythes paiens ont servi A faconner la figure de Jésus, et Celse ne cessant, tout au long de son ceuvre, de proclamer que le christianisme est un amalgame de diverses religions et philosophies® ; la troisigme, c’est que les chrétiens se voient, dans les deux ceuvres, accusés de faire preuve de beaucoup de crédulitéss, La liste des rapprochements n’est pas close. I,/examen du chapitre x1 va nous révéler Pexistence d'une liaison entre chaque paragraphe et un fragment du Discours Véritable. C’est ainsi que le théme de la vanité des espérances chrétiennes en une vie future, développé au paragraphe 1 par Cécilius*4, se retrouve aisément dans l’ouvrage grec, Son auteur y proclame en effet : « J’affirme que les chrétiens offensent et insultent Dieu pour attirer des gens pervers par des ESPHRANCES VAINES »45, et cela aut beau milieu d’un texte relatif 4 l’au-dela. Mais il convient ici de préter encore plus d’attention 4 l’indice qui est, peut-étre, le plus révélateur : une parenté entre le texte grec et le texte latin ; cassa uota semble, en effet, le décalque de kobpang &Antor!®. L’examen des paragraphes 2 et 7 nous améne dailleurs 4 semblable remarque. Nous constatons, en effet, non seulement que le theme développé par Cécilius — A savoir la présence d'une majorité d’Aumiliores dans les eu un songe..., soit plutét qu'il ait voulu frapper esprit des autres par ce conte merveilleux, et, par cette IMPosTURE, frayer la voie & d’autres charlatans » (c'est nons qui soulignons). 4x. Rapprocher Oct. x1, 9 (poetis fallacibus) de Contre Celse, II, 58 (p histoires grecques de ces conteurs de merveilles »), i 42. Oct. Xt, 9 : « Vous les avez hentensement adaptées A votre dien > ; le théme du plagiat est I'un de ceux que l’on rencontre le plus souvent dans le Discours Véritable (voir note 74). 43. Comparer Oct. 1, 9 (credulis) et Contre Celse, T, 9, od Origdne rapporte que les chrétiens sont assimilés par Celse ¢ 4 ceux qui croient sans raison auxr prétres mendiants de Cybéle et aux devins ». Voir aussi II, 38. 44. Oct. xt, x: Nec saliem de praesentibus capitis experimentum, quam wos invitas pollicitationis ‘casa uota decipiant | 45. Rapporté par Orrin, Contre Celse, IIT, 78. 46. Cassus et Kodpog signifient tous deux « vide », « vain », 20 J-M. VERMANDER rangs chrétiens!? — figure aussi dans le Discours Véritable'®, mais égale- ment qu'il y a une curieuse correspondance entre les termes utilisés de part et d’antre : dmawevtordtovg et dyporKkotétoug d’un cbté4®, indoctis et agrestibus de Vautre®°. Et l'on voudra bien remarquer que, nulle part dans la polémique pagano-chrétienne de ce temps, on ne trouve une telle ressemblance entre termes appartenant A des passages de méme inspiration et écrits I'un par un paien, autre par un chrétien, Au paragraphe 3, Cécilius, s'adressant & un chrétien qui est censé devoir prochainement subir le martyre, cherche lui parler le langage de Ja raison : « Toi, lui dit-il, qui réves d’immortalité posthume, dis-moi, quand tu es secoué par les épreuves, brilé par la fitvre, déchiré par la souffrance, ne vois-tu pas encore ta condition ? Ne reconnais-tu pas encore ta fragilité®! ? » ; et, au paragraphe suivant, s’adressant, cette fois, 4 tous les chrétiens, il invite ceux-ci a prendre également conscience de Vabsurdité du martyre : « Vous voila, s’écrie-t-il, aux prises avec les menaces, les SUPPLICES, lestortures, et les croix qu’il ne s’agit plus d’ado- rer mais de subir, et méme les flammes que vous prédisez et que vous redoutez : ott est-il, ce dieu capable de secourir ceux qui reviennent 4 la vie, mais non ceux qui sont en vie? ? » Or, il est certain que Celse argumentait de fagon 4 peu prés semblable. Origéne rapporte, en effet, que son adversaire affirmait, lui aussi, que les chrétiens livraient en vain leur corps A la torture et au supplice®, et cite, non loin de 1a, une phrase du Discours Véritable : « N’est-ce point, de votre part, une conduite ABSURDE : d’une part de désirer le corps et d’espérer que ce méme corps ressuscitera, comme s’il n’y avait rien de meilleur ni de plus précieux que cela, et en revanche de l’exposer aux SUPPLICES comme une chose méprisable®4 ? » Le théme de l'absurdité du martyre figurait donc égale- ment dans l’ouvrage de Celse. Notons d’ailleurs qu’il se trouve — ainsi que tous les thames que Cécilius va maintenant développer — rapporté par Orig&ne en son livre VIII. 47. Oot. x11, 2: Ecce pars uestrum et maior... egetis algetis, opere fame laboratis. 48. Cf. Conirve Colse, IIL, 55 : ¢ Voici encore, dans les maisons particuliéres, des cardeurs, des cordonniers, des foulons, les gens les plus incultes et les plus grossiers 9 ; voir aussi IIT, 73. 49. Contre Colse, IIT, 35. 50. Oct. XI, 7. . 5%, Oct, xu, 3: Tu, qui immortalitatem postumam somnias, cum periculo quateris, cum febribus ureris, cum dolore laceraris, nondum condicionem tuam sentis ? Nondum adgnoscis fragititatem ? 52. OM, xm, 4: Eoce uobis minae, supplicia, tormenta, ot iam non adorandae sed subeundae cruces, ignes etiam quos ot praedicitis et timetis : ubi deus ille qui subwenire veuiuescentibus potest, uiventibus non potest ?C’est nous qui soulignons, 53. Contre Celse, VIII, 54: ¢ I n'est pas vrai non plus que nous livrons en vain notre corps & la torture et au supplice ». 54. Ibid. VIII, 49 (c'est nous qui soulignons). CELSE ET MINUCIUS FELIX ar Dans le méme livre est, en effet, citée argumentation par laquelle Celse tentait de prouver que les Romains n’avaient nul besoin de prier le dieu des Juifs et des chrétiens pour dominer l'univers. Nous connaissons d'ailleurs déja ce texte et pouvons ainsi voir immédiatement combien il est proche, de par son inspiration, de ce que dit Cécilius : « Ne voit-on pas les Romains, sans l’aide de votre Dieu, commander et régner, exploiter Tunivers entier et vous dicter leur loi®5 ? ». Figurent également au livre VIII du Conve Celse®® les deux reproches importants — désertion de la vie civique et refus de participer aux fétes religieuses de la cité — sur lesquels se termine pratiquement la dia- tribe de Cécilius, Sur un mode image, le paien lance, en effet, a ses adver- saires plusieurs griefs qui se résument, A vrai dire, en ceux que nous venons d’évoquer. « Vous, dit-il aux chrétiens, vous n’allez pas au spec- tacle, vous n’assistez pas aux processions, les banquets publics ont lien sans vous ; vous fuyez avec horreur les concours sacrés, les aliments rituellement entamés et le reste des boissons versées sur les autels® », On ne peut décidément étre plus celsien, surtout lorsque, pour terminer, on invite les disciples de Jésus a faire preuve d’un peu plus de sagesse® | * ak Une fois admis que la polémique de Cécilius contre le christianisme semble, souvent, une copie de celle que développait Vauteur du Discours Véritable, on est tout naturellement tenté d’aller chercher dans le reste de !’Octavius une confirmation & ce qui vient d’étre découvert. Et Von s'apercoit, peu A peu, que cet admirable mosaiste qu’était Minucius Felix a encore, en plusieurs autres endroits de son cuvre, manifesté, ‘par des reprises ou des répliques, une connaissance précise de la pensée celsienne. Pour en revenir brigvement au réquisitoire de Cécilius, notons que l’on y trouve — aux chapitres vir, vit et x1 — plusieurs autres thémes qui ont également leur pendant dans le Discours Véritable. Ce sont les sui- vants : mépris des chrétiens pour Jes temples paiens®®, réduction du 55. Oct. XIt, 5: Nonne Romani sine uestro deo imperant, regnant, jruuntur orbe toto westrique dominantur ? Voir n. 19. 56. Chapitre 2 : ¢ C'est 1a, pour Ini (= Celse), un cri de révolte de gens qui se retranchent en enx-mémes et rompent avec le reste du genre humain » ; chapitre ar (c'est Celse qui parle) : ¢ Assurément Dieu est commun a tous, est bon, n’a pesoin de rien, ignore l'envie, Qu’est-ce done qui empéche ceux qui Ini sont le plus dévoués de prendre part aux fétes publiques ? » ; voir aussi VIII, 30-31. 57. Oct, xtt, 5: Vos uero... non spectacula uisitis, non pompis interestis, conuiuia publica absque uobis ; sacra certamina, praecerptos cibos et delibatos altaribus potus abhorretis, 458. Oct, xt, 7: Si quid sapientiae uobis... est. Comparer A Contre Calse, I, 9 (¢ Celse soutlent que les chrétiens disent : La sagesse dans ce sidcle est un mal, et la folie un bien ») et VI, 12-14. 59. Oct. vit, 4 ; Contre Celse, VIII, x9. 22 J-M. VERMANDER christianisme A une vile superstition®®, éoge des oracles en honneur dans les religions paiennes!, Quant au discours du chrétien Octavius, signalons, a la suite des commentateurs®, qu'il présente, sur le réle des démons dans la divi- nation, des conceptions extrémement voisines de celles développées par Celse®, Notons aussi que l'on y trouve, comme dans le Discours V éritable, un renvoi A Platon et un rappel du passage ott Pauteur du Timée enseigne combien difficile est la quéte de Dieu, En outre, il convient de préter une particuligre attention a la maniére dont Cécilius présente le personnage de Jésus. Selon I’intellectuel paien, celui-ci n’avait été qu’« un homme puni, pour un forfait, du dernier des supplices »®5, Malgré sa briaveté, cette formule, on le voit, contient deux idées importantes : la premiére, c’est qu’en réalité, celui que vénérent Jes chrétiens fut un criminel condamné A I’infamant supplice de la croix® ; la seconde, c'est que cet homme ne possédait rien d’autre que fa seule nature humaine®?, Or, ces deux points sont également soulignés dans le Discours Véritable, En effet, Origéne nous rapporte que son adversaire n’hésitait aucunement A comparer Jésus 4 un brigand'®, et il cite, par ailleurs, un texte montrant, de la fagon Ja plus claire, qu’aux yeux de Celse, le fondateur du christianisme n’était rien d’autre qu’un homme comme les autres : « Cet homme, il y a bien peu d’années, inaugura cet enseignement et Jes chrétiens ont cru qu'il était Fils de Dieu »®9. Et A qui viendrait objecter ici que Lucien disait 2 peu prés la méme chose”?, et qu'il pourrait donc, tui aussi, étre considéré comme ayant inspiré la formule employée par Cécilius, on pourrait répliquer qu’en 60. Oct. xi, 5; Contre Celse, III, 79. 6x. Oct, vit, 6; Contre Celse, VIL, 3 et VIIL, 45. 62. Hd, Pellegrino, pp. 206-207, et éd. Beanjeu, pp. 134-135. 63. Oct. xvi, 1-2; Comte Celse, IIL, 37 ; IV, 92; VI, 42; VI, 45; VIL, 3 et 5-65 VI, 62. 64. Oct. xxx, 14 ; Contre Celse, VII, 42. Il s'agit de Timée 28 c. 65. Oct. 1X, 4 : hominem summo supplicio pro facinore punitum. 66. On comprend mieux Ja position de Cécilius si on la rapproche de ce que répond le chrétien Octavius : Nam quod religioni nostyae hominem NOXIVM... adscribitis, longa de uicinia weritatis evratis (Oct. xx1X, 2). C’est nous qui soulignons, 67. On comprend mieux la position de Cécilius si on la rapproche de ce que répond le chrétien Octavius : longe de wicinia ucritatis, qui putalis deum credi aut meruisse noxium aut potuisse TERRENVM (Oct. xxrx, 2). C’est nous qui soulignons. 68. ORIGHNE, Conire Celse, II, 44 : « Et le Juif de Celse, assimilant Jésus aux brigands, déclare : on pourrait dire avec une égale impudence d’un brigand et d'un assassin mis au supplice : ce n’était pas un brigand mais un Dien... ». Voir aussi II, 12 et IIT, 59. 69. Ibid. I, 26. On comprend mieux 1a position de Celse si on 1a rapproche de ce que répond Origéne : ¢ Un examen des faits montre que Jésus osa une entreprise qui dépasse Ja nature humaine » (I, 27). 70. De morte Peregy. 13. Le rapprochement avec 1’ Octavius est fait par les commen- tateurs (éd. Pellegrino, p. 95 ; éd, Beaujeu, p. 88). CELSE ET MINUCIUS FELIX 23 fait, Lucien dépend Ini-méme de Celse —— comme 1’a si bien montré J. Schwartz”! — et qu’en conséquence, un auteur qui dépendrait ici de Lucien dépendrait nécessairement de Celse. Ht a qui viendrait soutenir que les propos de Cécilius viennent de la premigre apologie de Justin Martyr — of I’auteur les attribue a des paiens de son entourage™® — on pourrait répliquer que les paiens cités par l'apologiste expriment seulement leur scandale devant Yadoration dont est l'objet un crucifié mais ne font aucunement mention de I’accu- sation explicite de brigandage que nous avons vu Cécilius porter contre le dieu chrétien. Enfin, il semble bien que ce soit I'un des plus virulents et des plus fréquents arguments de la polémique celsienne que vise le dernier passage qui nous retiendra, Tmmédiatement aprés avoir évoqué plusieurs théories philosophiques et, notamment, le platonisme, Octavius dit a Cécilins : «Pu constates que les philosophes soutiennent les mémes idées que nots, NON PAS QUE NOUS AYONS SUIVI LEURS racks? », Or, de toute évidence, ce dernier membre de phrase ne peut étre dirigé que contre wane théorie visant A faire du christianisme une sorte d’amalgame, voire de synerétisme. Et force est de constater que c’était bien 1 l'opinion de Gelse, qui reprochait aux chrétiens d’avoir emprunté des éléments au stoicisme et surtout au platonisme’4, On notera atissi que, jusqu’au moment o& Minucius Felix rédige son apologie, nul, sinon Celse, n’avait encore soutenu pareille opinion. Il y a done toutes chances pour que Je membre de plirase qui nous a retenu soit, en fait, une réplique & un adversaire dont nous connaissons maintenant le nom, De cet adversaire, il semble méme que Minucius ait eu l’ouvrage sous Jes yeux lorsqu’il rédigeait son apologie. Sinon, on ne s’expliquerait pas le phénoméne suivant : que trois paragraphes du chapitre x renvoient 71. J. SCHWARTZ, op. cit, surtout pp. 23-24. 72. Ie Apol. 22, 3 : « Nous objectera-t-on qu'il (= Jésus) a été crucifié ? 9; allusion analogue en 13, 4. Le rapprochement avec V'Octavius est également fait par les commentateurs (éd. Pellegrino, p. 95; éd. Beaujen, p. 88). 73. Oct. XXXIV, 5: Animaduerlis philosophos eadem disputare quae dicimus, NON QVOD NOS SIMVS EORVM VESTIGIA SVBSECVTI... (c'est nous qui soulignons). 74. Voir Contre Celse, VI, 71 (conception de la Providence commune aut stofcisme et au christianisme) ; VII, 28 (motion d’nne autre terre « empruntée A certains hommes des anciens temps»); VI, 12, 13, 15, 19 (platonisme et christianisme, le second étant, selon Celse, une contrefagon du premier). Celse reprochait égale- ment ax chrétiens leurs emprunts aux mystéres de Mithra et des Cabires (Ibid, ‘YI, 23). 24 J-M. VERMANDER a des arguments cités par Origéne au livre VIII du Contre Celse?® ; que les paragraphes 1 & 3 du chapitre x1 renyoient A des arguments cités au livre V7 ; que les paragraphes 5 2.9 du méme chapitre sont, eux, A relier avec des fragments rapportés au livre II’ ; et enfin que le chapitre xu renvoie, pour l’essentiel, 4 des arguments également cités au livre VIII", La présence, dans I’Octavius, de groupements d’objections antichrétiennes qui voisinent également dans l’ouvrage de Celse ne peut pas ne pas étre un indice révélateur de la fagon dont notre mosaiste a travaillé79, Tirons, A présent, quelques enseignements de ce que nous avons décou- vert, En premier lien, notons que Minucius Felix entreprit non seulement @imiter Tertullien mais également de le compléter. L’auteur de I’ Apo- Jogeticum n’ayant tetenu qu'une partie des objections de Celse — celles qui figurent principalement aux livres I et II du Contre Celse?? —, il apparait maintenant que l’auteur de 1’ Octavius songea a en relever et donc a en combattre d'autres : celles qui figurent principalement aux livres V et VIII du Contre Celse. En second lieu, il devient plus difficile de faire passer cet apologiste pour un stratége qui livra bataille A Yennemi de la veille (entendez : le paganisme du bon vieux temps) et non a celui du jour (entendez les cultes 4 mystéres). Car le paganisme du jour, c’est, en vérité, celuide Celse, le maitre a penser des intellectuels paiens de l’époque et le plus dangereux adversaire du christianisme en ce temps-la®. IL convient ensuite de se demander si Yon peut toujours faire passer Vauteur de V'Octavius pour un chrétien assez tidde, voire pour un héré- tique®, Or, il semble que l'on puisse maintenant conclure définitivement par la négative. Car enfin les divers articles du Credo chrétien figurent bel et bien dans Youvrage que nous venons d’examiner : existence et unicité de Dieu, Providence, divinité de Jésus (cf. le refus de I'adjectif «terrestre »), conséquemment, résurrection de Jésus (discrétement certes, mais suffisamment pour que les initiés comprennent), résurrection de 75. Paragraphe 2 = C. Cels. VIII, 17; paragraphe 4 = C. Cels. VIII, 69, Sont 1a évoqués des arguments essentiels (semi-clandestinité de la secte chrétienne ; impuissance du Dien des chrétiens et identité avec celni du misérable peuple juif). 76. x = C. Cels, V, 14-15; 2 = C. Cels. V, 18; 3 = C. Cals, V, 13. Ces fragments celsiens tiennent en la seule p, 33 de I’éd, Gléckner (ion art., p. 215). 77. Paragraphe 5 = C. Cels. I, 5 ; paragraphe 6 = C, Cels. II, 20; paragraphes 8 et 9 = C. Cols. I, 55. 78. Paragraphes 3 et 4 = C. Cels. VIII, 49 et 54 ; paragraphe 5 = C. Cels. VIII, 69 ; le méme paragraphe correspond a C. Gels. VIII, 2, 21, 30 et 31 ; le paragraphe 7 présente des expressions analogues a celles qui se trouvent en C. Cels VIII, 49. 79. «Une admirable mosaique » (J.-P. WALTZING dans son édition, Louvain, 1903, p. 216). 80. Voir, & ce propos, les références figurant dans mon article, pp. 209-215. 81, Labriolle (op. cif., p. x11 sq.) a bien montré le danger que représentait la pensée celsienne pour le christianisme contemporain, 82, Voir les références rassemblées par M, Beaujen dans son édition, p. xvi. CELSE ET MINUCIUS FELIX 25 la chair, vie éternelle, Certes, 1’Incarnation ne figure pas dans cette liste, et certains en ont profité pour souligner le caractére élémentaire de la christologie de notre auteur. ‘Toutefois, il faut se rappeler que Minucius était au courant des efforts de ‘lertullien pour explorer ce domaine difficile. Notre auteur pouvait donc légitimement penser qu'il n’avait rien A ajouter A ce qu’avait dit son illustre prédécesseur. Et ce n’est pas parce qu’il passait un point du dogme sous silence qu'il Vignorait ou le refusait nécessairement. Mais c’est surtout du cdté de l’ceuvre que les choses peuvent, a présent, devenir plus nettes. Car il est évident que le personnage de Cécilius, en particulier, acquiert plus. de vraisemblance. N’est-ce pas tout a fait conforme A la logique et a V’histoire qu’affronté A la religion nouvelle, un intellectuel paien de ce temps ait cherché des lumiégres dans l'ouvrage de Celse ? Du méme coup, la réalité du dialogue semble moins contestable, Non qu'il faille penser que les choses se soient déroulées exactement comme Minucius Felix les a rapportées. Mais on peut, sans risque d’erreur, admettre qu'il arriva, parfois, A des intellectuels des deux bords de se rencontrer — surtout lorsque des liens d’amitié les unissaient, comme c’est le cas ici — et de se mettre 4 discuter des théses religieuses de la philosophie alors en honneur 4 Rome, des accusations lancées contre les chrétiens par un théteur encore célébre en ce temps-la, et des themes de la polémique antichrétienne contenue dans le Discours V éritable. C’est un préjugé que de considérer la communauté chrétienne primitive comme vivant en vase clos. Et peut-étre n'était-il pas inutile, pour aider Ale dissiper, de montrer que, bien avant Origéne, Tertullien et Minucius Felix ont, l'un et l'autre, osé se mesurer avec le plus grand représentant de la pensée antichrétienne de leur époque. Gageons d’ailleurs qu’ils ne furent pas les seuls & se Jancer dans pareille aventure®, Jean-Marie VERMANDER Nanterre, 2 décembre 1970. 83. CE. M. Murut, Zum Problem der Chyistologie im Octavius des Minucius Felix dans Rheinisches Museum, CXI, 1968, pp. 69-78. 84. J. ScuwaRtz (L'Epttve 4 Diognéte dans Revue d'Histoire at de Philosophie religieuses, XLVIII, 1968, pp. 46-53) & montré que l'anteur de l'A Diognéte a com- battu Celse, C, ANDRESEN (Logos und Nomos. Die polemik des Kelsos wider das Christentum, Berlin, 1955, pp. 387-392) a tenté de montrer la méme chose pour Hippolyte de Rome (cette opinion est combattue par N. BRox, Kelsos und Hip- polytos zur frihchvisilichen Geschichtspolemik dans Vigiliae christianae, XX, 1966, Pp. 150-158). Il conviendrait peut-étre d’étudier les cenvres d’Athénagore, de Théophile d’Antioche et de Clément d’Alexandrie du point de yue qui vient de nous retenir. Version inédite du sermon “ Ad neophytos ” de S. Jean Chrysostome, utilisée par S. Augustin Le sermon Ad neophytos, qui traduit un discours de saint Jean Chrysostome?, est bien connu en Occident. L’antiquité de cette version est attestée par une longue citation qu’en fait Julien d’Iclane, vers 419- 420, dans la dernigre partie de son quatriéme livre Ad Turbantium*, en pensant y trouver un témoignage favorable A la théorie pélagienne du péché originel ; saint Augustin discute, textes 4 l’appui, l’interprétation donnée par Julien de la pensée du « saint évéque Jean »3, Ce sermon est entré dans l’ancienne collection des « 38 homélies de saint Jean Chrysostome »4, conservée par de nombreux manuscrits, connue de x, Le texte grec est resté longtemps inconnu, Dom B. de Montfancon en avait déconvert un manuscrit (Paris, B.N. gr. 700, X* s.) mais ne ’avait pas édité, jugeant que cette piéce n’appartenait pas & Jean Chrysostome. 8, Haidacher, sans connaitre Je manuscrit de Paris, retrouva quelques fragments du sermon Ad neophytos dans divers floriléges grees, et s’appliqna avec succés 4 en prouver l’authenticité (voir Jes références dans J.A. Di ALDAMA, Repertorium pseudochrysostomicum, Paris 1965, P. 71, n° 192). La premidte édition intégeale fut procurée par A, PAPADOPOULOS- Keramuws, Varia gracca sacra, Saint-Pétersbourg roog, d’aprés un manuscrit de Moscow (ix°-x¢ s,), mais passa presque inapergue. La découverte du manuserit 6 de Stavronikita (début x1° s.), dans lequel le sermon Ad neophytos, apres deux catéchases baptismales, vient en téte d'une série de discours pour la semaine de Paques (voir les remarques de H. Chirat, dans Rev. des Sc. vel. 36 (1962), fase. 1, P. 90; également V.-S. Januras, En quels jours Jurent prononcées les homélies catéchétiques de Théodore de Mopsueste, dans Mémorial Mgr Gabriel Khouri-Sarkis, Louvain 1969, pp. 121-133) donna au Pére A. Wenger l'occasion d’en procurer la Premidre édition critique, d’apras tous les témoins connus : Sources chrétiennes, vol. 50, Paris 1957, pp. 151-167. 2, CE Augustin, Contra Tulianum Lyvt, 2x ; Pl. 44, 654-655. 3+ Contra Tulianum I,v1, 22 et 26 ; P.L. 44, 655-56 ; 658. 4, Dom A. WiLMaRt, La collection des 38 homdlies Latines de s. Jean Chrysostome, dans Journal of Theol, Studies 19 (r918), pp. 305-327. Cette collection se présente sous plusieurs formes dont quelques unes séloignent beaucoup de I’snalyse donnée par A. Wilmart (additions ; omissions ; organisation différente), 28 J.-P. BOUHOT saint Augustin et utilisée dans les homéliaires du moyen Age. Par contre, dans le manuscrit Paris, B.N. lat. 10 593, fol. ro-17, écrit vers la fin du sixitme siécle ou au début du septiéme, en Italie sans doute®, d’aprés un modéle constitué 4 Rome au début du ve siécle’, le texte du sermon Ad neophytos ne dérive pas de 1a collection de 38 homélies, qui semble avoir été formée en Afrique. Avec toute la collection dont il faisait partie, ce sermon fut imprimé pour Ia premiére fois en 1483-85 A Urach, grace a Conrad Fyner®; de 14 il passa dans les nombreuses éditions latines des ceuvres de Jean Chrysostome, qui se succédérent durant le xvi® et le xvir® siécle. Mais, parce que Voriginal grec demeurait inconnu, ou parce que Vauthenticité chrysostomienne était rejetée, il n’apparait pas dans les grandes éditions de Savile (Eton 1612) et de B. de Montiaucon (Paris 1718-1738). Le Pére A. Wenger‘, enfin, a reproduit le texte de I’édition latine des ceuvres de Jean Chrysostome, publiée A Venise en 1549, en Vaccompagnant des principales variantes de deux manuscrits de Paris, B.N. lat 12 140 (tx® siécle, Saint-Maur-des-Fossés), fol. 181-187 ; et 2651 (xre-xr® siécles, Saint-Martial de Limoges), fol. rorv.-ro5v. Cette derniére publication attire l’attention sur un fait curiewx : le texte reproduit par le P, Wenger remonte a l’editio princeps de 1483-85 et finale- ment 4 un manuscrit de la collection de 38 homélies!” ; or les deux manus- crits de Paris collationnés sont également des témoins de Ja méme collec- tion ; comment se fait-il qu’ils présentent plusieurs lecons trés diffé- rentes ? Le P. Wenger"! admet simplement « qu'il y a au moins deux familles parmi les témoins latins », Mais dans les premiéres éditions des ceuvres de Jean Chrysostome jusqu’a celle de Bale en 1530, ces divergences 5. Le serinon Ad neophylos se trouve, par exemple, dans Vatic. lat. 3835 (début vite s.), fol. 120-127V. ; cf. R. GRécorrn, L’homéliaire romain d'Agimond, dans Ephem. liturg. 82 (1968), pp. 257-305 ; dans Mont-Cassin rrr (r¥¢ moitié du x1° s.), PD. 45-48, et dans Vatic, lat. 1270 (xx* s., Rome), fol. 47. 6. Ce manuscrit a été étudié par Dom D. Amanp, Une ancienne version latine inédite de deux homélies de saint Basile, dans Rev. Bén. 57 (1947), pp. 12-81. Ci, P. Courcerte, Les lettres grecques on Occident. De Macrobe a Cassiodore, Paris r948%, P. T9r, note 4. 7. CE M. Huaro, Les anciennes versions latines des hamélies de saint Basile, dans Rev, Ben. 64 (1954), pp. 129-132 ; et les remarques de M. Rrcwanp, Testimonia S. Basilii, dans Rev. d’Hist. eccl. 33 (1937), pp. 794-796 ; Notes sur les floriléges dogmatiques du v® et du vi sidcle, dans Actes du VI° Congrés intern. a’Et. Byzant., +. 1 (Paris 1951), pp. 307-318, voir surtout p. 312. 8. HAIN, Repertorium bibliographioum n® 5028 ; cf. Dom Chr. Baur, Saint Jean Chrysostome et ses euures dans l'histoire littéraire, Louvain-Paris 1907, p. 140, 0° 3 ; A. WiiMAR?, a.c., p. 307, note Tr. 9. Sources chrétiennes, vol, 50, pp. 168-18x. En outre (cf. p. 181, note t), A. Wenger 2 collationné Vatic. lat. 3835, qui fournit un texte semblable & celui des deux manus- crits de Paris, To, Dom A. Wimmary, 4.c., p. 307, note x, « présumait que Fyner s'est servi de Yun des manuscrits déposés maintenant & Munich », 11. Op.c., p. 168, note 1. SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J. CHRYSOSTOME 29 entre le texte imprimé et les manuscrits de la collection de 38 homélies n’existent pas, Il s'ensuit donc qu’au cours des nombreuses réimpressions du xvi? siécle, le texte du sermon Ad neophytos a été « corrigé » : cette forme nouvelle apparait pour Ja premiére fois dans l’édition de Paris'® en 1536. Ces « corrections » sont-elles I'ceuvre de ’éditeur, ou empruntées aun manuscrit ? Il n’était pas facile de répondre a cette question avant la découverte d’une seconde version du sermon Ad neophytos, a laquelle Pédition de 1536 a manifestement emprunte ses « variantes ». C’est le texte de cette seconde version que nous allons publier ; il mérite en effet d’étre connu, car il semble avoir été utilisé par saint Augustin, A notre connais- sance, deux manuscrits de Paris, Arsenal 173 et B.N, lat. 1769, ont conservé cette traduction jusqu’ici non-identifiée. Le manuscrit Paris, Arsenal 175, écrit au xur° siécle, provient del’abbaye de Fontenay (Cote d'Or), et contient essentiellement un recueil d’homélies et de sermons attribués a Jean Chrysostome, dont il faut signaler les points de contact et les divergences avec la collection de 38 homélies, par une brave analyse". F. rrv. : Table. F, 2-27v. : W. nn, 3-9 ; 16-17 ; 10-13. F. azv-29v. : Omelia ad baptizatos et illuminatos die sancto paschae. — Benedictus deus. Ecce stellae de terra emicuerunt, Version du sermon Ad neophytos éditée infra, a laquelle CHRY 1536, t. 5, fol. 206 I-207 M a emprunteé plusieurs « variantes », F, 29v.-33v. : Omelia ad baptizandos. Sacramentorum waditio quae catechu- menis astantibus.. — O quam dulcis ista fratrum, Traduction de la catéchése r de Jean Chrysostome, P. G. 49, 223-232, éditée pour la premiére fois dans CHRV 1536, t. 5, fol. 208 A-209 M. F. 33v.-75 v. : W. nn. 18-38. FE. 75v.-76v. : Omelia de ieiunio — Adest nobis splendidius dies. (A joindre au suivant). F. 76v.-78v. : Omelia de iona, — Factum est uerbum domini ad ionam. Traduction, partagée ici en deux fragments, du 5° discours de Jean Chrysostome sur la Pénitence, P.G. 49, 305-312, éditée pour la premiére fois dans CHRY 1536, t. 5, fol. 176 M-177 D (De ieiwnio) et t. 1, fol. ar E-212 EF (De iona), Ces deux fragments se retrouvent dans Paris, B.N. lat. 3794 (xt siécle), le premier, fol. 90-91, le second, fol. 84v.-88, mais il fant noter surtout la présence de cette version — sans la division en deux homélies — dans Paris, B.N. lat. 10 593 12. Diui Ioannis Chrysostomi... opera omnia..., Uutetiae Parisiorum (ap. Cl. Cheuallonium), 5 tomes in-fol. ; le sermon Ad neophytos se trouve t. 5, fol. 206 I-207 M 13. Nous désignerons par la lettre W snivie de uuméros, les différentes pieces de la collection décrite par Dom Wilmart ; et par CHRY 1536, l'édition des convres de Jean Chrysostome publiée 4 Paris en 1536 (cf. note précédente), avec laquelle notre manuscrit entretient un rapport particulier. 30 J-P. BOUHOT (vre-vire siécles), fol. 2-10 ; Dom D. Amand, a.c., p. 16, n’avait pas identifié Poriginal grec de cette version, ni remarqué que la seconde partie du texte était imprimée comme sermon sur Jonas. F. 78v.-87 : De eo quod scripium est in epistula ad thimotheum .I. uino modico utere propler stomachum et frequentes tuas infirmitates. — Audistis apostolicam uocem tubam coelorum. Traduction inédite, semble-t-il, de l"homélie I De statwis de Jean Chrysostome, P.G. 49, 15-34. ¥. 87-95 v. ; Incipit epistola eiusdem iohannis ad olimpiam. — Bt corpora quae cum ualidis luctata. Traduction de la lettre 3 de Jean Chrysostome 4 Olympias, P.G. 52, 572-590, ou lettre 10 de I’édition A.-M. Malingrey dans Sources chrétiennes, vol. 138 (Paris 1968), pp. 242-305 ; cette traduction a été imprimée pour la premiére fois dans CHRY 1536, t. 5, fol, 368 D- 372 D. F, 95v.-108 : Incipiunt sermones sancti iohannis episcopi. Ce titre introduit une série de 15 sermons latins, analysée dans P.L.S. 4, col. 651-652, et éditée pour la premiére fois dans CHRY 1536, t. 3, fol. 113 G-116 I ; 118 M-x19 E; 126 1-129 G. D’aprés cette analyse, le manuscrit de I’Arsenal reprend presque en totalité4 la collection de 38 homélies, mais organisée d’une autre maniére et augmentée de fagon considérable. Différents indices laissent penser que la composition de ce recueil est ancienne. — Mest vraisemblable que les 15 sermons latins ont été ajoutés par leur auteur lui-méme, a Ja collection d’homélies qui les précédent, car en plusieurs cas ils utilisent ces homélies ; ce n’est pas par hasard que deux séries homilétiques, dont l'une dépend de l'autre, sont copiées a la suite. Or les 15 sermons!® ne sont pas postérieurs au milien du ve siacle, I] est done possible que tout le recueil chrysostomien du manuscrit de TArsenal remonte a cette date. r4. Manquent les nn, 1-2, et 14-15 ; les titres de ces deux dernigres homélies sont cependant mentionnés daus la table initiale (fol. 1) : De ascensione ; De pentecosien, mais ils sont exponctués, et les textes correspondants ne paraissent pas dans le manuscrit. 15. Ces sermons n'ont pas encore fait l'objet d’une étude précise, mais comme ils ont été publiés sous le nom de saint Augustin par A.-B. Caillau et A. Mai, on peut se référer aux jugements portés par Dom G. Morin, Miscellanea Agostiniana, t. r (Rome 1930), p. 721 sqq. — Selon Dom A. Olivar, deux d’entre eux auraient pour auteur Pierre Chrysologue : Der hi, Petrus Chrysologus als Verjasser der Pseudo- Augustinischen Predigten Mai 80, 32 und 99 (§ 2-3), dans Colligere Fragmenta, Festschrift Alban Dold, Bewron 1952, pp. 113-123 ; étude reprise dans Los sermones de san Pedvo Crisologo. Estudio critico (Scripta et Documenta 13), Abadia de Mont- serrat 1962, pp. 357-365 ; ef. Clavis un. 938-939 ; d’aprés V. Saxer, le douziéme de ces sermons (Mai 35 : Maria ueniens ad Christi domini monumentum) serait Voeuvre d’Optat de Miléve : Un sermon mdédidval sur la Madeleine. Reprise d'une homélie antique pour Paques aliribuable @ Optal de Mildve, dans Rev. Bén. 80 (1970), Pp. 17-50. Il est trés peu vraisemblable que ces différentes attributions soient exactes. SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J. CHRYSOSTOME 3r — Comme la traduction de la lettre A Olympias a été citée par Augustin¥® vers 420, il semblerait que '’évéque d’Hippone a connu 1a collection de 38 homélies plutét sous la forme présentée par le manuscrit de l’Arsenal, que sous la forme décrite par Dom Wilmart, of manque cette lettre. — En outre, Ja traduction du discours de Jean Chrysostome sur la Pénitence (De ieiunio, et De Iona) est attestée par l'ancien recueil romain, conservé dans Paris, B.N. lat. 10 593, duquel Ja collection de 38 homélies a déja regu le sermon Ad neophyios. Par suite, le manuscrit de l’Arsenal présenterait une forme de cette collection plus proche de l'une de ses sources, que les manuscrits dont le contenu correspond a l’analyse de Dom Wilmart, L/analyse du manuscrit de l'Arsenal met en évidence un autre point intéressant, Pour enrichir le corpus des ceuvres chrysostomiennes, CHRY 1536 a puisé dans quatre manuscrits de 'abbaye de Saint-Denis‘? aujour- hui disparus ; 1'un d’entre eux était sans aucun doute trés semblable au manuscrit de 1’Arsenal, ott se retrouvent dix-neuf textes!8 édités pour Ja premigre fois dans CHRY 1536. Comme les retouches att sermon Ad neophytos, d’aprés la seconde version, apparaissent également dans cette édition, il est probable que le manuscrit perdu de Saint-Denis contenait, comme Arsenal 175, le texte de cette seconde version. Le manuscrit Paris, B.N. lat. 1769 réunit plusieurs ouvrages ; les folios 26-102, qui seuls nous intéressent, formaient un volume indépendant comme l'atteste leur ancienne numérotation de I A LX XVII. L’écriture date de la fin du x1Vv® siécle ; il s’agit encore d’un témoin de la collection de 38 homélies avec son sttpplément!® de 4 traités (= W. mn. 39-42). F. 26-86v. : W. nn. 1-11 ; 16-41. (La lacune entre W. 11 et W. 16 est accidentelle, car les titres des textes intermédiaires sont donnés dans Ja table du fol, 102). F. 86v.-87v. : Incipit ad baptizatos et illuminatos die paschae dominicae vesurrectionis. Rubrica (sic), — Benedictus deus. Ecce stellae de terra emicuerunt. Version inédite du sermon Ad neophytos ; cf. Arsenal 175, fol. 27v.- 2gv. F. 87v.-92 : ‘Traduction de l'homélie x De statuis. Cf. Arsenal 175, fol. 78v.-87. 16. Contra Iulianum Lvz, 24; PL. 44, 656; Opus imperfectuin contra Iulianum T, 52; VI, 7, 9, 26, 42; P.L. 45, £075, 1523, T5E6, 1564, 1606. 17. Cf. CHRY 1536, t. 1, fol. Iv. x8, On notera que Arsenal 175 est jusqu’d présent le seul manuscrit counu de VOmelia ad baptizatos (fol. 2ov.-33v.), du texte latin de la lettre & Olympias, et de V'attribution & Jean Chrysostome des 15 sermons latins. 79. Ch A. WHMARM, a.¢., pp. 325-327. 32 J-P, BOUHOT F, g2-roiv. : W. n° 42. F. roar. : Table. (Fol. rozv. : non-écrit). Manifestement, Paris, B.N. lat. 1769 ne dépend pas du méme modéle que le manuscrit de l’Arsenal, et il ne parait pas possible de déterminer Vorigine des deux textes ajoutés, peut-étre tardivement, a la collection de 38 (42) homélies, Gutre les deux manuscrits parisiens, il faut encore signaler une attes- tation probable de la version inédite du sermon Ad neophytos dans Rome, Bibl, Naz. V. Em. 1524 (Sess. 94). Ce manuscrit®®, qui date du rxe sidcle et qti provient de Nonantola, a conservé aux folios 174v.- r76v. une table en dix-huit Capitula, et le début du premier texte d’une collection d’homélies attribuées A Jean Chrysostome. Nous reproduisons d’aprés G. Gullotta®! l’analyse de ces folios, en indiquant l’identification® probable des textes dont il ne reste que les titres. F, r74v. : Inctpit iractatus s. iohannis ep. — Capitula. I ; De ieiuniis et geneseos W. n° 26 Il. De ieiunio et ionam Paris, Ars. 175, f. 75v.-78v. II. De natale domini W. n° 16 Iv. De proditione iudae W. n° 10 v. De cruce et latrone W, n° 12 ou 12 VIL De ascensione saluatoris Wz n° 14 VIL. De cruce dominica W, n° 13 VIII. De pentecosten W. n° 15 IX. De baptizandis Paris, Ars. 175, f. 29v.-33v. x. De baptizatos et hiluminatos Thid., £. 27v.-29v. XI. De iob W.n°5 XIL De heliam W. n° 6 XII. De superscriptione W. nx XIV. De psalmo Imo W. 12 XV. ‘De turture W. n° 35 XVI. De cruce et latrone W. n° IT on 12 XVII... De psalmo CXXIL W. n° 3 XVIII. De psalmo centesimo L, W. n° 4 F. 175v, — Iucundum quidem... (fol. x76v.)... requiras forsitan cur non prius : Homélie W. n° 26 ; CHRY 1536, t. 1, fol. 135 B-H. Si les identifications proposées sont admises, la présence de la version inédite du sermon Ad neophytos (n° X) serait attestée au rx® siécle, dans 20. Voir : C. Guitorra, Gli antichi cataloghi e é codici della abbasia di Nonantola (Studi e testi 182), Citta del Vaticano 1955, pp. 114-117 ; J. RUYSSCHAER', Les manuserits ds Vabbaye de Nonantola. Table de concordance annolée et index des manusorits (Studi e testi 182 bis), Cittd del Vaticang 1955, pp. 30-31. 21. Op.c., pp. 115-116. 22. Dom A, WIEMART a.c., p. 306 note x, retenait cette table du Sess. 94 comme témoin de la collection qu'il a décrite ; cette identification est admise par J. Ruyss- chaert 0.c., p. 31, note x. La comparaison avec le manuscrit Paris Arsenal 175, permet, semble-t-il, les identifications précises que nous proposons. SERMON «AD NEOPHYTOS » DE J. CHRYSOSTOME 33 une collection qui n'est pas originale et dont tes éléments sont certaine- ment plus anciens. Pour !’édition de la seconde version du sermon Ad neophytos nous avons pris pour base le texte du manuscrit de l’Arsenal, et nous avons adopté la division en paragraphes de A. Wenger. A = Paris, Arsenal 175 (xm® siécle, Fontenay), fol. 27v.-29v. P = Paris, B.N. lat. 1769 (fin x1v* sicle), fol. 86v.-87v. OMELIA AD BAPTIZATOS ET ILLUMINATOS. DIE SANCTO PASCHAE 1, Benedictus deus | Ecce stellae de terra emicuernnt, stellae clariores quam in coelis sunt, stellae in terta propter cum qui de coelis in tetram 5 apparuit, stellae pet diem fulgentes, in quibus nulla est nox. Ilae euim, sole apparente, obscurantur ; istae autem, sole insticiae resplendente, clariores inuenitntur. Vidistis stellas aliquando cum sole fulgentes ? 2. Ht illae quidem in fine consummationts mundi dissipabuntar ; istae autem, fine adueniente, magis clatescunt, Et de illis quidem scriptura dicit quoniam stellae coeli cadent sicut jolia de uite ; de his autem : julgebunt, inquit, iusti sicut stellae coeli. 3. Quid sibi uult quod dixit : cadent sicut folia de uite ? Sicut enim uitis quousque nutrit uuam necessariam habet protectionem foliormm, cum autem deposuerit fructum, necesse est ut comam deponat, sic est et hoc 15 sectlum ; quamdin habuetit in se humanum genus, tenebit et coclum stellas sicut et uitis folia. Tune enim nocte cessante nec stellae iam neces- satiae erunt, 4; Jgnea,quippe est illarum natura stellarum ; ignea et haruns stellarum, Sed ibi quidem ignis corporalis ; hic autem ‘gals Intelligibilis. ase enim, inguit, baptizabil in spiritu sancto et igni. Vis et nomina uttorumgue addiscere ? In illis quidem stellis nomina haec sunt, orion, mazaroth, Pliades, antifer, Iucifer; hic autem: antifer nullus, sed ommes Inciferi. I 3 2 8 5. Benedicus deus, iterum dicamus, qui facit mirabilia magna solus, et uera mirabilia, Qui enim ante captiui eramus, nunc liberi sumus et ciues effecti ecclesiae, qui antea in confusione peccatorum, mune in fide iusticiae, non solummodo liberi sed et sancti, non solum’ sancti sed et insti, non solum insti sed et filii, non solum filii sed et heredes, non solum hetedes sed et fratres christi, non solum fratres christi sed et’ coheredes, non solum coheredes sed et membra, non solum membra sed et templum, 30 non solum templum sed et organa spiritus. 2, & 18. ignea et harum stellaram om P 24. et wera om A 25. confusione] confusionem P 10, 12. Mt 24, 29 et Is 34, 4. ro-rt, Mt 13, 43 et Dn 12, 3. 19-20. Mé 3, rr. 23. Ps 71, 18. 34 JjJ-P. BOUHOT 6. Benedictus deus, qui facit mirabilia magna solus. Vidisti qualis et quanta baptismi gratia, Et multi putant remissionem esse solummodo peccatorum, nos autem decem enumerauimus gratias. Ideoque et infan- tulos baptizamms, certe non habentes peccata, ut adiciatur sanctificatio 35 iusticiae, filiorum adoptio, hereditas, fraternitas, christi membra esse, habitationem fieri spititus’ sancti, 7. Sed, o desiderantissimi fratres, si tamen licet mihi uocare uos fratres, quia tegenerationem quidem uobiscum communicaui, sed postea per negligentiam et ignauiam, alacrem et unanimem perdidi parentelam, 4o tamen permittite mihi wos uocare frattes, propter multam caritatem, et consdlari uos, ut quanto amplius gloriae et honoris accepimus, tanto maiorem demonstremius celeritatem instantiae. 8, Transacti enim temporis cursus palaestra quaedam et exercitatio erat et lapsus habebat ueniam, Ab hodiena autem die stadium apertum 45 est, agonis cettamen imminet, theatrum repletum est, non hominum solummodo, sed et angelorum exercitus uestrum intuetur certamen. Theatrum, inquit beatus apostolus, facti sumus mundo, non solum homi- nibus sed et angelis. Angeli spectant, angelorum dominus praestat ago- nem, Hoe non solum honor, sed et cautela est, ubi qui animam posuit 50 pro nobis, ipse athletas diiudicat. 9. Et in olympiacis quidem certaminibus medins athletarum stat qui palmam tenet, neque huic, neque illi adulans, sed rei sustinet finem : ideo medius stat, Inter nos autem et diabolum non medius stat christus, sed noster est totus. Et ut scias uerum esse quod dico, ex temetipso consi- 55 deta quomodo in agonem intrantem oleo te exultationis perunxerit, illum autem insolubilibus uinculis alligarit, ut impediretur ad certamina, Quod si potueris elidere eum, calcabis, inquit, super eum. xo. Bt ili quidem post uictoriam gehennae intenminatus est poenam, tu wero si uiceris coronaberis. Et ut cognoscas quia tunc maxime cru- ciabitur cum obtinuerit quemquam, uicit quidem adam et supplantauit. Sed uide quae merces uictoriam subsecuta est. Super pectus, inquit, hum et uentrem gradievis et terram manducabis omnibus diebus witae tuae. Si autem serpentem corporalem sub tali sertentia deteliquit, quibus putas formentis incentorem maloram puniet ? Si talis pocna organo, inulto 65 maior poena manebit artifici, Sicut enim pater uiscera_pietatis plenus cum inuenerit eum qui suum filium interfecit, non homicidam solummodo puniet, sed et ipsunt curnabit gladium, sic et christus inueniens diabolum Gceidisse hominem, non solum illum poenae tradidit, sed et aculeum mor- tis confregit. 70 21. Audenter igitur nosmetinsos ad certamiua praepatemis. Seuto enim nos circumdedit ueritas eius, omni auro pretiosiore, omni adamante fortiore, omni igne calidiore ct uehementioré, ommi aere leuiore. Nec enim granat genua nostra scuti huius natuta, quia fides cum infidelitate congreditur, et iusticia cum iniquitate confligit, et homo cum angelis a 8 34. adiciatur] adicitur P 43. exercitatio] exercitio 4 56. impediretur] impediret P 63. dereliquit] derelinquit,P 73. scuti A post corr, sicuti PA ante corr. 74. angelis] angelo P 47-48. I Co 4, 9- 57. Cf. Le 10, 19. 61-62. Gn 3, 14. SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J. CHRYSOSTOME 35 75 pugnat. Tanta enim homini a deo data potestas est, ut cum daemone proelie- tur, et carne indutus aduersum incorporales uirtutes dimicet. Propterea mihi loricam non de ferro deus sed de iusticia fecit, propterea mihi cassi- dem non de aere sed de fide fabricatus est, Habeo et gladium acutum, spiritus sancti gratiam, Ile sagittas habet, ego gladium ; ille lanceam, 80 ego scutum. Et ex hoc addisce quemadmodum te metuat : sagittarius enim iuxta uenire non andet, sed de longe stans iactlatur. 12. Et forsitan putas quod scuta solummodo dederit nobis deus, et Jaborem proelii sine refrigerio fecerit ? Praeparauit et mensam omni anmatura ualidiotem, dicente dauid : Pavasti in conspectu meo mensam, 85 aduersus cos qui tribulant me, ut in certamine positus non lacescas, sed deliciose repugnes, Si enim uiderit te a cena dominica exeuntem, tanquam leonem inspiciet flammam in ore portantem et uento citius fugict. Quod si ostendetis ei linguam sanguine dominico tinctam, nec stare poterit. 13. Vis addiscere san; huius uirtutem ? Recurre ad historias uetéris testamenti, considera quid aegypto factum sit, cum ex ea educere uellet deus populum suum, quomodo primogenita percusserit aegyptioram, quia primitinum eius tenebat populim. Addisce in figura uctitatem, et cognoscas in ueritate uirtutem : aegyptii et indaei uno tenebantur loco, et plaga ueniens, aliis parcebat, alios interficiebat. 95 14. Quid ergo moyses ? Immolate, inquit, agnum ad wesperam per singulas domos et sanguine eius linite posies westyos, Quid sibi uult quod dicit ? Sanguis muti animalis saluare homtines rationabiles potest ? Potest, inquit, quia in figura praecessit dominici sanguinis, Si enim regum statuae sine spiritu, sine sensu, confugientes ad se et spiritum et sensim habentes roo saluant, non quod aetamentum aliquam illis conferat gratiam, sed quia imago est regis, sic et sanguis ille insensibilis saluabat homines, super quorum postibus taliter tingebatur, non quia sanguis erat, sed quia sanguis ille crucem domini praeferebat. 15. Et tunc quidem uidens interemptor sanguine agni postes esse depic- ro5 tos, non est atsus inferre supplicium ; nunc autem si uiderit diabolus communionem fidei uestrae firmissimam, et non sanguine postes depictos, sed ore fidelium relucentem ct crucem in fronte depictam, mox aulupiet, 16. Vis scire et aliam sanguinis huius uirtutem ? Perspice unde manauerit prius, De cruce uidelicet laucea dominico percusso pectore : Morluo, x10 inquit, ikesu ef adhuc in cruce posilo, accessit miles et lancea laius eius aperuit et exiuit aqua et sanguis, Quod quidem baptismi symbolum praefe- rebat et mysterii rationem. Propterea non dixit : exiuit sanguis et aqua, sed : exiuit aqua primum, et sic sanguis, quia prinmm est baptisma, et sic mysteriorum traditio. Aperuit quidem ille’ miles latus et effodit 115 sancti templi parietem, sed ego thesaurum et magnas inueni diuitias. Sic et in agno factum est, Indaei occiderunt aguum, et ego de hoc sacti- ficio salutem sum consecutus. 17. De latere manauit sanguis et aqua. Ne simpliciter hoc mysterium transeas, catissime. Habeo enim et aliud mysterium dicere. Audisti enim 3 9% 81. audet] audebit P 90. aegypto praem in P 97. dicit] dicitur P ro2, tingebatur] tinguebatur P x06. depictos om P 109. pectore] corpore P 84-85. Ps 22, 5. 90. Ad historias ueteris testamenti, ef. Ex. 11, 1-11; 12, 1-20. 95-96. Cf. Ex 12, 3, 6-7. tog-rrr, 118. Cf, To. 19, 33-34. 36 J-P. BOUHOT 120 quia aqua’ baptismi symbolum tenet et sanguis sacramenti figuram. je utrisque autem istis ecclesia procreatur, et sicut de latere adae eua formata est, sic de latere christi processit ecclesia, quae pet lauacri tegenera- tionem et communionem mysterii per singulos dies aedificatur et crescit. 18. Propterea, inquit paulus, de carne eius et de assibus eius sumus. 125 Sicut enim tunc de latere adae sumpsit partem et plasmanit mulierem, sic et nobis dedit aquam et sanguinem de latere suo, quos plasmauit eccle- siam et acqttisiuit sanguine suo. Et sicut tunc in exstasi factus obdormiuit adam et una ex costis eis sumpta est, sic nunc post mortem suam sangui- nem et aquam dedit. Et quod tunc exstasis et soporatio fuit, hoc nunc 130 mots ostendit ut discas quoniam mors dormitio est. 19. Vidistis quomodo sibi christus coniunxit ecclesiam, uidistis quali uos nutriuit esca, Sicut enim mulier quem peperit proprio lacte nutrit et sanguine, sic et christus quos genuit ipse proprio nutrit sanguine et carne saginat. Sciunt qui participes sunt sacramenti huius mysterio, 135 _ 20. Quoniam etgo tali ac tanto fruimur dono, multam ostendamus cele- britatis sollertiam et reminiscamur pollicitationis nostrae, quam illi in pacto promisimus. Vobis dico qui nunc renouati estis, et ‘qui ante hoc, et qui ante multos annos. Communis enim ad ommes uos sermo est, quia comes spopondimus in baptismo et uerba nostra in pacti fide conscripta 140 sunt, quod non attamento scriptum est sed spiritu, non calamo sed lingua. Tali’ enim calamo ad deum pacta scribuntur fidei. Proptetea et danid dicit : Lingua mea calamus scribae uelociter soribentis. Coniessi sumus dominationem eius in nobis, diabolicam negauimus tyrannidem. Haec cautio facta est, hoc pactum fidei roboratum est. 145 2x. Vide ne iterum debitores efficiamur et praeuaricationis teneamur obnoxii. Venit christus dominus, inuenit paternum nostrum chirographum, quod scripserat adam, Ile initium huius introduxit debiti, nos post haec addidimms cumulum ‘peccatorum, Maledictio erat ibi et peccatum et mors, et pracuaricatio legis et condemmatio, sed uniuersa haec miseri- 150 cordia saluatoris indulsit, beato paulo testante et dicente : Chirographum peccatorum nostyorum, quod evat contrarium nobis, et ipsum tulit de medio, ajfigens illud cruci, Ut nec uestigium eius maneret, nec delenit, sed conci- dit. Claui enim crucis diruperunt illud et dissipauerunt, ut de eetero inutile esset. 155 22. Et hoc non occulte aut in angulo, sed in medio orbe, in eminentiore loco et in aere salutem operatus est. Videant angeli, inquit, uideant super- nae uirtutes, uideant et maligni dacmones, et ipse uideat diabolus, qui nos debiti fecit obnoxios ad feneratores. Dirumpitur chirographum, ut post hoc calumuiandi locum non habeant. 129. quod om A 133. quos] quem 4 139. omnes add si P 141, pacta,,, fidei] pacti scribitur fides P 146, nostrum] uestrum 4 147. Dos] non omnes P 151. peccatorum... nobis] quod erat contrarium nobis peccatorum nostrorum P 156-157. wideant (3 fois)] uiderant P 158, ad] ac AP dirumpitur praem ad feneratores P 124, Eph 5, 30. 142, Ps 44, 2. 150-152. Col 2, 14. SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J, CHRYSOSTOME 37 160 165 170 175 180 185 190 195, 23. Quoniam ergo diruptum est chitographum, quod ex pattis debito conttaxeramus, operam demus et satis agamus ofantes deum, ne quando aliud chirographum conscribamus, Secunda enim crux non etit, neque secunda remissio peccatorum, neque secundum baptisma. Remissio qui- dem est, sed non fit per lauacrum secunda remissio, Attamen, catissimi, non efficiamur segnes et desides, Propterea existi de aegypto, 0 homo, hoc est, abrenuntiasti seculo. Noli iam de cetero aegyptum cogitare et aegypti quaerere mala, neque ollas carnium, caspe ei alia, pepones et cucumeres aegypti desiderare, quae omnia ad uitia corporis referuntur, neque ineipias Zuo ef lateri deseruire, hoc est, praesentis uitae negotiis oceupari, ut ad nuptias enangelii inuitatus ire non possis. 24. Vidisti miabilia et nunc multo clatiora quam in exitu idaeorum de aegypto. Tune enim pharaonem cum exercitn suo metgi non uidetas, sed nune uidisti cum uiftute sua diabolum esse submetsum. Transicrunt ili pelagus, et tu euasisti mortem. Illi ad aegyptiis sunt liberati, et tu es de seruitio daemonum liberatus. Deposuerunt iudaei barbaticam tribu- lationem, tu autem multo maiorem deposnisti peccatum. 25, Vis ct aliunde addiscere quomodo ad maiora uocatus sis ? Indaei tune’ non poterant uidere faciem moysi, quae glorifipata iuerat et hoc conserui et fratris sui, tu autem faciem uidisti chtisti in gloria sua. Clamat quippe paulus dicens : Omnes nos reuelata facie gloriam domini coniempla- muy. Habebant ili christum tune consequentem, sed multo magis nos mune habemus protegentem, Et illos quidem tune christus propter merit moysi sequebatur, nos autem propter uniuscuiusque nostrum meritum inhabitantem habemus, Et illis post aegyptum heremus data est serpenti- bus plena, nobis autem post aegyptum regnum coelornm diuersis mansio- nibus plenum, TMi habebant ducem moysen, nos dominum saluatorem. 26, Et moyses quidem prac ceteris hominibus milissimus fuit super ter- vam, et dominus meus tanguam ouis ad uictimam ducius, et sicut agnus covam tondente se non aperuit os swum. Ad pteces moysi manta de coclo uenit et panis angelorum iudaeis datus est, moyses autem meus extendit manus siias ad coelum et panem uitae dedit, Ille petcussit pettam et fluxerunt aquae, hic tangit mensam et fontes fluunt gratiae spititalis. 27. Quoniam ergo talis quidem hic fons talis etiam uita et iunumerabi- libus bonis repleta est mensa, et undique nobis fluunt dona spiritalia, in uetitate cordis accedamus cum conscientia pura, ut gratiam et miseri- cordiam consequi mereamur in tempore oportuno, Per christum dominum nostrum cum quo est deo patti gloria, una cum spiritu sancto per immor- talia secula seculorum, Amen. 162-163. neque (2 fois)] nec P 171-172. iudaeorum de aegypto] de aegypto iudacorum P 192, mensam] mentem 4 montem P 198, amen add explicit omelia XIIII A Explicit ad baptizatos et illuminatos die paschae dominicae resurrectionis P 167-168, Cf. Nm 11, 5. 169, Cf. Ew 1, 14, 180-181, II Co 3, 18. 181. Consequentem, ct. I Co ro, 4, 187-188. Nm 12, 3. 188-189. Is 53, 7+ 38 J-P. BOUHOT Julien d’Ficlane, comme d’autres partisans de Pélage, croyait trouver en Jean Chrysostome une autorité favorable a sa doctrine®®, Augustin n’a, cependant, relevé dans les livres Ad Turbantium qu’une citation du sermon Ad neophytos, qu'il transcrit intégralement dans sa réfutation®4, Cette citation fournissait 4 Julien non seulement une preuve de sa doc- trine, mais lui permettait d’opposer a la théorie augustinienne l'enseigne- ment d'un évéque, dont l’orthodoxie et I'autorité étaient partout recon- nues. Augustin saisit l’enjeu du probléme et consacre les deux livres préliminaires du Contya Iulianum A « V’argument de Tradition », pour prouver que son enseignement — et non celui de Julien — est celui de toute I'Bglise, depuis toujours. Dans cette perspective, il était urgent de retirer aux Pélagiens l’appui qu’ils pouvaient trouver dans les textes de Jean Chrysostome ; dans le cas présent, il s’agissait de donner une inter- prétation orthodoxe du passage cité du sermon Ad neophytos. Julien, en effet, arguait de l'emploi au singulier du mot peccatum dans la phrase etiam infantes baptizamus, cum non sint coinguinati peccato (§ 6), pour Vinterpréter du péché originel, et affirmer que d’aprés Pévéque de Constantinople, les enfants étaient baptisés bien qu’ils ne soient aucune- ment atteints par Ja souillure du péché originel. En faisant remarquer qtte Jean Chrysostome emploie en réalité, non le singulier, mais le pluriel, Augustin rejette ['exégése de Julien, car le pluriel, pense-t-il, ne peut désigner que les péchés personnels ; Augustin explique en effet : Par comparaison avec Jes adultes, dont les péchés personnels sont remis au Daptéme, Jean (de Constantinople) a dit que ¢ les enfants n’ont pas de péchés », et non, selon ce que tu rapportes comme ses patoles : « qu’ils ne sont souillés dauenn péché » en faisant entendre quis ne sont pas souillés par le péché du remier homme, Cependant, je ne te mets pas en cause, mais le traducteur, ien qu’on lise en d'autres manuscrits de la méme version non pas : « par le péché», mais : « par les péchés », Toutefois, je ne serais pas étoané que quel- jwun des vétres ait préféré mettre ce mot an singulier, pour qu’on I'entende Iu seul (péché) dont parle P’Apétre : « Car aprés un seul (péché) vient le juge- ment de condamnation, mais aprés beaucoup de fautes vient la grace pour la justification » (Rm 5, 16), Certes, il ne peut s'agir ici que de ce seul péché dont vous ne voulez pas que Yon croie les enfants souillés, et vous préférez dire, non pas : « qwils n’ont pas de péchés », comme le dit Jean (de Constantinople), afin que I’on ne pense pas aux péchés personnels, ou: ¢ qu’ils ne sont pas souill par Jes péchés , selon d'autres manusctits de la méme version, mais : « qu’ils ne sont pas souillés par le péché », afin de faire croire qu’il s’agit de cet unique péché du premier homme. Mais ne nous lancons pas dans les soupgons, cat il n'y a pent-étre IA qu’erreur de copiste ou vafiante de traducteur. Quant’& moi, je'vais donner le texte grec de Jean (de Constantinople)'*. 23. CE. H.-J. THonwarn, Saint Jean Chrysostome et saint Augustin dans la contro~ verse pélagienne, dans Rev. des Et, Byzant, 25 (Mél. V. Grumel 2), 1967, pp. 189-218. 24. Contra Iulianum Lvt, at; Pl, 44, 654-655. C'est un extrait de l'ancienne version latine, qui figure habituellement dans la collection de 38 homélies. 25. Contva Iukianum I,vr, 22; Pl. 44, 655-656 : Comparans ergo eos Ioannes maioribus, quorum propria peccata dimittuntur in baptismo, dixit illos «non habere peccata » ; non sicut uerba eius ipse posuisti, « non coinquinatos esse peccato », dum uis utique intelligi, non eos peccato primi hominis inquinatos. Verum hoe SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J. CHRYSOSTOME 39 Au texte cité par Julien d’Helane (non sint coinguinati peccato), Augustin oppose celui que portent certains manuscrits de la méme version (non sint coinguinati peccatis), et une traduction littérale du texte de Jean Chrysostome (Seccaia non habere), ‘Toutefois les deux premiéres formules appartiennent 4 une méme version®® (eadem interpretatio), dont les différentes copies comportent des variantes, intentionnelles ou non, et s’opposent toutes les deux a la traduction littérale, qui exprime avec exactitude la pensée de Jean de Constantinople (Ioannes dixit ; quod ait Toannes). Ici, Augustin semble traduire Ini-méme le texte de Jean Chrysostome, mais ne citerait-il pas, en réalité, la version du sermon Ad neophytos que nous venons d’éditer, et dans laquelle se retrouve (ligne 34) la méme expression : non habentes peccata ? Deux autres fragments de « traduction augustinienne » offrent heureusement un champ de comparaison un peut plus étendu. Augustin, en effet, 2 deux reprises, cite en grec le sermon Ad neophytos et fournit immédiatement pour ces passages une traduction, que nous allons maintenant comparer avec les deux versions du sermon de Jean Chrysostome. (On trouvera pour les deux fragments du sermon’ Ad neophytos : 1) le texte grec de P'édition Wenger, 2) l’ancienne version latine (I. t) d’aprés Védition Wenger, 3) la version latine (I, 2) d’aprés notre édition, 4) le texte grec cité par Augustin, 3) la version latine d’Augustin, On souligne les termes identiques dans la version augustinienne et dans I, 2 par des caractéres italiques, et les termes identiques dans L 1 en les interlettrant.) FRAGMENT T Fed. A. Wenger, c. 6, lig. 4-5 Ms, 8): Atd tobto yotv Kal 16 masta Banttopev xainep Gpaptiag odk Eyovta. non tibi tribuerim, sed interpreti : quanquam in aliis codicibus eamdem interpre- tationem habentibus, non ¢ peccato », sed ¢ peccatis » legatur. Unde miror si on aliquis ex numero uestro singularem maluit numerum seribere, ut illud acciperetur unum, unde dicit apostolus, Nam iudicium quidem ex uno in condemnationem, gratia autem ox multis delictis in iustificationem, Tbi quippe unum, non nisi delictum, uult intelligi ; quo nolentes credi paruulos inquinatos, lon eos peecata non habere, quod ait Iohannes, ne intelligerentur propria ; uel peccatis, sicut habet in aliis codicibus eadem interpretatio, sed « peccato non inquinatos » dicere maluistis, ut unum primi hominis peccatum ueniret in mentem. Sed suspicionibus non agamus, et hic uel scriptoris error, uel uarietas putetur interpretis. Ego ipsa uerba graeca quae a Iohanne dicta sunt ponam. 26. On peut s’en assurer en comparant la citation du sermon Ad neophytos par Julien-d'Belane, avec celle qui termine le Libelius fidei de 418 (P.1. 45, 1732-36 ou P.L, 48, 519-526) : pour dix lignes de textes, Ia seule différence notable est la substitution, dans le Libellus, de peccatis 4 peccato. — Cette remarque n'est pas favorable & I'hypothése, bien fragile, qui fait de Julien le rédacteur de ce Libellus ; cf. PLS. 1, 1571; CLAVIS 2° 778, 40 J-P. BOUHOT Version I, r, éd. Wenger, p. 170 : Hac de causa etiam infantulos baptizamus ut(*) non sint coinquinati peccato. (*) ut] cum Julien d’ Eclane dans Contra Iulianum I, vt, 21. Version I, 2, lig. 33-34 : Ideoque e¢ infantulos baptizamus certe non habentes peccata. Texte grec cité par saint Augustin, Contra Iul. I, vt, 22 ; P.L. 44, 656, lig. ro-11, et mss. MP : Até toto Kai td nadia Bartigopev Katto. Gpaptipata odk éyovta. Version de saint Augustin : Ideo ef infantes baptizamus quamuis peccata non habentes, FRAGMENT 2 Wad. A. Wenger, c. 21, lig. 2-5 (Mss. SMP) : "HAOev dnaké 6 Xmiotdc, edpev FLO yeLpdynagov natpHov Snep Eypayev 6 "Addy. ’Exeivog tiv dpyiv slotveyke tot ypéovc, Hnsts to Sdverov ndgfoupev taig peta tata Gpaptiatc. Version I, x, éd. Wenger, p. 178 : Venit semel christus et paternis nos cautionibus inuenit adstrictos quas conscripsit Adam. Ile initium obligationis ostendit, peccatis nostris foenus accreuit, Version L 2, lig. 146-148 : Venit christus dominus, inuenit paternum nostrum chirographum guod sctipserat Adam, Ile initium huiusintroduxit debiti, nos post haec addidimus cumulum peccatorum. ‘Texte grec cité par saint Augustin, Contra Iul. I, vt, 26; PL. 44, 658, lig. 44-47 "Epyxetat Gnat 6 Xprords, sbpev hudv yeipdypagov natpGov 6 1 Eypagev 6 "Addu. "Exeivos thy dpyny sionyays to} xpéoug, hpets tov Savetspov ndEoopey taic Hetayeveotépas dpaptiatc. Version de saint Augustin : Venit semel Christus, inuenit nostrum chirographum paternum quod scripsit Adam. Ille initium induxit debi- #i, nos foenus auximus posterioribus peceatis. En comparant ces textes on peut constater : 1 — Le texte grec du manuscrit S (Stavronikita 6) n'est pas celui qui a été connu en Occident ; le P, Wenger®? avait déja remarqué que la version L i correspondait a la recension M P (mss, de Moscou et de Paris) ; il en va de méme pour I, 2, (par exemple, dans le premier fragment, corte traduit xaltor et non xainep) ; Augustin cite un texte grec qui appartient a la recension MP (cf, fragment 1), mais revisée (cf. les cing variantes du fragment 2). 2 — La version I, 2 n'est pas faite sur le texte grec que connatt saint Augustin ; celui-ci ne peut donc en étre l'auteur ; d’ailleurs Augustin traduit d’une maniére plus littérale que I, 2. 27. OP.c., Pp, 106, SERMON «AD NEOPHYTOS» DE J. CHRYSOSTOME 4r 3 — La version augustinienne n’ignore pas L 1 : l'emploi de part et d’autre du mot foenus (fin du 2° fragment) suffirait ale prouver. Avec L 2, les paralléles sont nombreux, mais ne pourrait-on pas les expliquer par le souci de littéralisme commun aux deux traducteurs ? Toutefois, Augus- tin qui traduit toujours mot & mot, aurait-il rendu 814 tobto par ideo, s'il n’avait pas été influencé par L, 2 ? Cet exemple précis rend probable utilisation de L, 2 par Augustin ; en outre, dans cette version on rencontre Vexpression non habentes peccata, qu’Augustin cite avant d’avoir proposé sa traduction®, Les manusctits qui transmettent fa version I, 2 (surtout Paris, Ars, 175) suggéraient qu'elle pouvait étre ancienne ; I’étude du Contra Ivlia- num I, V1, 22 a montré qu'il existait vers 420 plusieurs versions du sermon Ad neophylos ; Augustin, enfin, pour traduire deux courts passages de ce sermon parait utiliser L 2°°, Ces différents indices conduisent 4 dater de 415 environ la version I, 2, que nous avons éditée, et a la considérer comme une révision de I, 1, dont les inexactitudes et les fautes favorisaient les Pélagiens®®, J.-P. Bounor, Lyon 28. On remarquera que le traduction d'Augustin parait en un endroit an moins influencée pat la polémique anti-pélagienne : tandis que I, 2 traduit exactement kaizor (premier fragment) par certe, Augustin, qui a le méme texte grec, traduit par qua- muis, affirmant ainsi avec plus de force que ’absence de péchés chez les petits enfants n’empéche nullement qu’ils soient baptisés. 29, Ces fragments sont trop brefs pour permettre une conclusion certaine. 30. L’enistence de 1, 2 pourrait conduire a reconsidérer la question de la con- naissauce qu’Augnstin avait du grec. On tire en effet argument, pour affirmer les progrés d’Augustin dans la connaissance de cette langue, de la traduction des deux Passages du sermon Ad neophytos, car elle différe de la version jusqu'ici connue ; mais s'il est vrai qu’Augustin a utilisé I, 2, force est de constater que méme en 420, Vévéque d’Hippone, ici comme ailleurs, ne traduit pas quelques phrases de gree Sans aucun secours, Sur Augustin et le grec, voir : P. Courcniim, Les letives grecques en Occident, De Macrobe & Cassiodore (Paris 19484), pp. 137-209; H.-I. MARROU, Saint Augustin et la fin de la culture antique (Paris 1938), pp. 27-37 ; 14., Retractatio (Patis 1949), pp. 631-637 ; bref Status questionis par A. Solignac dans Bibliotheque augustinienne, Oewves de saint Augustin 13. Les Confessions (Paris 1962), p. 662. La vieillesse chez 5. Jéréme Lorsqu’on atteint la vieillesse, il arrive qu’on réfléchisse sur elle. D’autres ont pu noter ses aspects, la dépeindre du dehors. Le vieillard ta juge en connaisseur, du dedans. Jéréme 4 Bethléem! n’a pas écrit un De senectute, mais il a noté, souvent en marge de la Bible, ses idées sur cet Age de la vie. Son christianisme l’invitait 4 une vue optimiste des choses. C’est un fait cependant qu’avec des auteurs de 1’Ancien Testament et plusieurs écrivains paiens? il a des réflexions améres. Mais quelle connais- sance eut-il de la caducité ? Sa santé médiocre le prédisposait A une sénilité précoce®. La légende, Viconographie, nous ont accoutumés & un Jérdme chenu et (pas toujours dans T'iconographie) débile. « Paradis est plus vieuwx que saint Jérome » écrivait Péguy4 & Lotte le dimanche 22 janvier rg11. Le Pére Cavaller: dans son beau Saint Jéréme, t. 2, a proposé une chronologie courte qui lui donne quelque 72 ans seulement 4 sa mort en 419 ou 420. A quoi le Pére Peeters? objecta opinion commune des contemporains, par exemple 1, Ot iuxta Domini sui pracsepe uenturae senectuti sedem delegit : Was, Exim Dosctoris Hicronyms Stridon. Vita, Cologne 1517, B. N, Paris, Rés, H. 2204 fol. d= Opera, Bale 1537, t. I, fol, BB4 ve, — Les Ep, de Jtromm dans P.L. 22; CS.E.L. 54 456; éd. J. Lanour’ (coll. Budé). 2. Maesta sonectus | practeritique memor flebat metuensque juturi. Lvcarn, Phars. 2, 232, 3. A. S. PEASE, Medical Allusions in the Works of St. Jerome, dans Harvard Studies in Classical Philology, 25, 1914, pp. 73-86 ; Dp. 83-84 sur sa santé, Cf. F. Cavatlers, S. [éréme, Louvain 1922, t. 2, p. 113 fin. D. Gorcxt, La Lectio divina. thése de Poitiers, Paris 1925, p. 169 et 1. 5. 4. Lettres et entretions, Paris 1954, t. I, p. 88. 5. Anal, Boll., 42, 1924, pp, 181-183. Cf. ANTIN, Retouches au « Saint Jéréme » de Ferdinand Cavalera, dans Bull. de lilt. ecclés., 70, 1969, p. 266, Texte d’AUGUSTIN, P.L. 44, 665. — J&ROME, In Hiovem, 6, 11 b, CS.E.L. 59, pp. 85, 10 = CC. 74, p. 67 : Senectus non est astas ultima, sed eorum qui sunt « pleni dierum », quos nostro Sermone appellamus depositos siue decrepitos, Ep. 112, 18, 2 LABouRr 6, p. 38, 13 : me aetatis ultimae ot pacne decrepitum (on voit oh Augustin a pris son mot cité plus haut : d’une lettre de Jéronte a lui adressée en 404). Ep, 140, 9, 4 LABOURT 8, p. 85, 26: 44 PAUL ANTIN Augustin Contra Iulianum I, 34 qui dit de Jéréme : Usque ad decrepitam wixit actatem, Mais il faut tenir compte de la mentalité de nos auteurs, qui transforme en patriarches, en Péres du désert, ou méme en Sages de la Gréce, tous macrobites, les personnages qu’ils veulent honorer. Dans sa correspondance avec Augustin, Jéréme se préte de bonne grace a cette vénération : acetate fili, dit-il 4 l’évéque en terminant IEA. 105. Il présente sa joute avec Rufin comme une gérontomachie® (le mot est de nous), Il est aux antipodes de la douairigre qui joue a la fillette’. C’est plutét inverse, Quoi qu'il en soit de sa longévité réelle, Jéréme nous a laissé dans son Prologue 2 sur Amos’ un crayon de la Vieillesse ot les ombres ne manquent point ; « J’ai Iu dans une controverse : La faiblesse du corps entraine le déclin de I'énergie spirituelle®, Au contraire, l'apotre Paul déclare : Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort (2 Cor. 12, 10), et : La force se déploie dans la faiblesse (I id. 9). Lesprit est contre la chair, et la chair contre l'esprit; ils se combattent, en sorte quenousne faisons pas ce que nous voulons (Gal, 5, 17). Aussi est-il dit dans l'évangile : L’esprit est ptompt, mais la chair est faible (Mi. 26, 41). La vieillesse amane nombre de biens et de maux. Des biens, car elle nous libére de ces si impudentes maitresses, les voluptés : elle freine la gourmandise, brise 1’élan de Ia extremam et decrepitam senectutem, Dans le De wiris 53, Tertullien fertur wixisse usque ad decrepitam aciatem, et Phoebadius wiuit usque hodie decrepita senectute, 80, Lactance extrema senectute, 105, Grégoire de Bétique exiremam senectutem... superesse dicitur. 126, Ambroise d’Alexandrie superest, 106, Pacien ullima senectuie. 9, Jean confectus senio, 103, Damase prope octogenarius. (Rd. E. C. Ricwarpson, T. U. 14/1, ow P.L. 23.) — Apud Iudaeos senes esse... quos usque ad decrepitam senectutem saepe uenive conspicimus, et inueteratos dierum malorum duos presbyteros iuxta Theodotionem in Danielis principio legimus : In Is. 3, 2, C.C. 73, p. 43, 31 sut Dan. 13, 8. 28. 52 ou Susanna Rania t. 2, p. 865 et 868. — Saint Francors px Sars écrira dans une lettre du 24-t0-1617, Oeuvyes, t. 18, Antecy 1912, p, 108 : «...pas seulement viel, ains decrepite. » 6. C, Ruf, 2, 2 P.L, 23 VaLLarsr 492 A: senex ; 3, 2 col. 532 B : uetustissime ; 3, 3 col. 533 D : de sene senex ; 3, 9 col. 539 D : duos Sones, Est-ce simplentent parce qu'on s’appelle « mon views » entre cantarades ? Au reste, Ep. 125, 19, 5 LABOURT 7, P. 132, 5: Non est facile de perfecta astate credendum, quam et uita practerita defendit et honorat uocabulum dignitatis... quia homines sumus et interdum contra annorum maturitatem pusrorum uitiis labimur, Jérome parle de ses cheyeux blanes Ep. 58, r ; 84, 3 ol dam canis spargebatur caput en 386 auprés de Didymie en Hgypte. Ce « poivre et sel » rappelle OvIDE, Trist. 4, 8, 2: 4, fo, 93. — En 406, In Amos prol. 2, Jérdnie est cano capite, 7. Ep. 38, 3, 2. Im Tit, 2, 3 PL, 26 VauLarst 717 B, In Is. 47, 1 C.C. 73 A, P. 521, 26. 8, En 406. P.L.. 25 /2 Vartarst 263. Cf. GoRcE, Lectio..., p. 38 et note. CAVALTERA, saint JérOme, t. T, p. 309, a traduit ce passage avec quelques coupures, Pour nudi gengiuis dentes, il met : «les gencives privées de leurs dents, »— A. PENNA, S. Gero- Jamo, Turin 1949, p. 314, rappelle l'Ef, 22, 7 sur le tenace péril d’iimpureté, ‘Traduc- tion savourense du texte de In Amos sur la vielllesse dans J. de Lavarpin, Episives Jamilieres de S. Hievosme, liv. I, ep. 30, Paris 1596, fol. 38 v°, ou Paris 1625, p. 67. 9, Mais In Amos 5, 9 VaLLARst 291 B : Fortitudo corporis imbecillitas animae est, ef ruysum anima fortitudo imbecillitas corporis est, LA VIEILLESSE CHEZ S. JEROME 45 passion, accroit la sagesse, donne la maturité aux conseils ; le corps se refroidissant, elle peut coucher avec la Sunamite qui reste toujours vierge!. Méprisant le luxe avec Berzellai, elle le laisse & son jeune fils Chamaham (2 Sam. 19, 38) ; elle se refuse & passer Je Jourdain pour émigrer de son pays dans une terre étrangére. Mais voici les maux que lon attribue A la vieillesse : les infirmités fréquentes (crebrae), la pituite trés désa- gréable, que les Grecs appellent les uns coryza les autres phlegma, les yeux qui s’obscurcissent, 1a nourriture qui tourne en aigreurs, la main qui tremble tout le temps (interdum) ; les dents déchaussées qui tombent en mangeant. Ajoutons souvent les tortures d’un estomac aux tourments lancinants, les douleurs de la goutte aux mains et aux pieds, si bien qu’on ne peut méme pas tenir un stylet, un calame, qu’on est incapable de marcher : une grande partie de Ja vie semble retranchée, morte déja dans plusieurs membres!!, Dans ces conditions, s’il faut choisir entre les maux, je supporterai comme plus tolérables les maladies, pourvu seulement que je sois débarrass¢ de cette maitresse si assommante, la sensualité (libido). La vieillesse, il est vrai, souffre parfois des incitations des vices. Nul, sans doute, selon le saint martyr Cyprien”, n'est longtemps Al'abri au bord du péril. Mais il y a une différence entre étre taquiné et étre accablé par les voluptés. Ici, la jeunesse, connaissant ses liens 4 un corps plein de séve, dit avec I’Apdtre : je ne fais pas ce bien que je veux, mais je fais ce mal que je ne veux pas (Rom. 7,15), et : Malheurenx homme que je suis | Qui me délivrera du corps de cette mort ? (Rom. 7, 24). Tandis que 1a, c'est rarement que parmi les cendres mortes une étincelle a la faible lueur tente de revivre, et en tout cas elle ne peut susciter des incendies. Aussi, cher Pammaque chent comme moi, obtiens-moi du Seigneur que je mérite pour compagne la Sagesse. D’elle il est écrit ; Aime-ta, elle te sauvera, honore-la, elle te retiendra (Prov. 4, 8 ) (amplexabitur) ». Comme certains auteurs anciens, des Péres de I’Eglise considérent les Ages de la vie. En voici une liste, par Augustin! : senes, twwenes, adoles- centes, pueri, infantes. Augustin note la fuite, le télescopage, I’éclipse des Ages : infantia, pueritia, adolescentia ; quazris iuuznem, et non inusnis, et senex moritur’; quaeris senem, et non inuenis'4, Bonne raison, pense Hilaire 10, Et frigescente corpore, dormit cum perpetua wirgine Sunamite, BARBILU Oeuvres complites de saint Jéréme, trad,, t, 8, Paris 1879, p. 404 : « Le corps se refroi dissant, il s'endort dans ia perpétuelle virginité de la Sunamite. » Autre perle de Bareille dans nton Recueil sur saint JérOme, Bruxelles 1968, p. 212 (coll. Latomus, 95). Cf. 3 Reg. 1, 4 et Jerome Ep. 52, 2-3. 11, CE, JUVENAL, Saf, ro, 188-272, 32, Ep. 4, 2, 2, t. 1, p. 9 Bavarp, Cyprien dit Nemo.,,, Jéromte Nullus... 13. In Ps, 64, 5 P.L. 36, 776. 14. In Ps, 62, 6 col. 752 ou C.C. 39, p. 798, 56. Le thémte est réorchestré Ps, 65, 12 P.L. col, 795 : « Voyez si quelque Age demeure stable. Les enfants veulent grandir. pour se passer de la dontination des grands ; voild, ils grandissent, c’est vite fait, ils passent jeunes gens... La vieillesse succéde... elle est emportée par la mort, C’est done un fleuve, la chair qui vient de naitre, ergo fluwius est carnis nascentis, Ce flewve... on le passe facilement si I’on est hunible, c’est-a-dire sl on le passe & pied, avec pour 46 PAUL EANTIN de Poitiers, pour ne pas rester oisifis: Senes sumus, nox mortis insistit: ne ad undecimam saltem uitae nostrae horam procedimus'® | (cf. Mt. 20, 6). Ailleurs le Picton offre ces rapprochements : uel aetatis flore uel senectutis maturitate ; infantium mortes et senum uitas'®, Augustin a esquissé les inconvénients des jours tardifs : curua membra, frontem rugatam, caput canis albatum, imbecillitatem undique querelis plenam... Verba wix plena enuntiat lapsis dentibus... Mais en dépit de ces miséres, la sainteté est belle et attrayantel”, Irénde de Lyon voulait que Jésus ait connu tous nos ages, y compris lage magistral par excellence, la vieillesse!’, Jéréme lui aussi parle des Ages de la vie. Dans ses conférences a ses moines de Bethléem, il dit?® : « Pendant l'adolescence et l'age adulte nous avons fleuri, durant la vieillesse nous sommes tombés, la fleur de notre force a passé. Qui de nous sait comment notre vie s'en va ? Presque a notre insu, la vieillesse nous prend par derriére.‘ Au soir, la plante s’affaisse, durcit et séche ’. Au soir, pour nous, c’est la vieillesse, la fleur de jouvence disparait, elle endure I’horreur des maladies variées... Nous vivons encore, et une partie de nous a déja péri dans la vieillesse. Bien que Yesprit demeure le méme, nous qui sentons avoir perdu la vigueur et la jeunesse d’antan, nous sommes autres en quelque sorte. » Et un peu plus Join, sur le verset 10 de ce Ps. 89 : «‘ Leur surplus, peine et douleur’... Ce que nots pensons étre un gain dans notre vie, nots trotvons que c’est dommage et incommodité, Augmentation d’années, c'est vieillesse ; vieillesse, c’est maladies ; maladies, c’est tourments ; tourments, c’est désir de la mort. » Ailleurs, autre commentaire du Ps. 89, 6 : « Vous avez vu, ily a plus de dix ans, un jeune homme : rien de plus beau, il courait de tous les cétés, Si vous le regardez maintenant, il semble, dans la vieillesse, guide celui qui passa le prentier, qui sur la route but au torrent jusqu’a en ntourir : alors il releva la téte (Ps. 109, 7). »— J. DE GHRLLINCK a étudié les ages de la vie dans les indications chronologiques du nloyen age : Iuventus, gravitas, senectus, p. 38 A 59 de Studia mediaevalia in honorem adm..R.P. Raymundi J. Martin O. P., Bruges 1948, Méthode qui servit A Cavallera pour sa chronologie de Jéréme. Mais les appa- rences peuvent étre trompeuses, Crassus (PrUTARQUE, Cr. 17) pataissait plus viewx que son age. Vinbra senis maesti (LUCAIN, Phays. 8, 432) pent &tre un peu imagi- naire. Et les fantaisies de I'Histoire Auguste | Dans la Vie de Tacite, au procés-verbal de la séance du sénat ot Tacite est proclanté emtperenr, Traianus ad imperium senex wenit, De miéme pour Hadrien, Or le premier avait 45 ans & son avénement, le second 42. — On parle de l'amour ¢ sénile » de Henri IV pour Charlotte de Montmorency (56 ans et 16 ans). Cf. L. Homo dans Rev. histor. t. 151, p. 179 ; H, Hauser, ibid. t, 150, p. 206 n, 5.— Les ages de l'honinte sont indiqués dans Lampert, Liber floridus, Gand 1968, fol. 20 ve ; les Ages du monde fol. 232 v®, 15. In Ps, 29, 11 CS.E.L. 22, p, 656, 21, — Dans Pravin, Mercator, 544, 985, le vieux Démiphon veut s'amuser, 16. In Ps. 149, © p. 866, 23 ; In Ps. 129, 1 pp. 648, 24. 17. In Ps, 64, 8 P.L.. 36, 780. 18. C, Haores, 2, 22, 4-5 P.G. 7, 783-784. G. BARDY et A. Hamman, La vie spiri- tuclle d'aprds les Paves des trois premiers sidcles, t. I, Towrnai 1968", p. Tor. 19. In Ps, 89, 6 C.C. 78, p. 416. — 89, 10 pp. 418, 136. — 89, 6 pp. 121, 83, — 128, 2p. 270, 14 et p, KNIT n. 3. LA VIEILLESSE CHEZ S. JEROME 47 comme mort, Sa vieillesse a beau vivre, son adolescence est morte... Comme I’araignée lance ses fils, court ¢a et 1a, tisse toute la journée, et c’est sans doute un grand travail, mais le résultat est nul: ainsi la vie des hommes court ga et 14. Nous cherchons des possessions, nous préparons des richesses, nous procréons des fils, nous travaillons, nous sommes élevés @ la royauté, et tout, et tout ; et nous ne comprenons pas que nous tissons une toile d’araignée. » Sur le Ps. 128, 2: « ‘ Souvent ils m’ont combattu dés ma jeunesse’. Pour dire ce verset, il faut une vierge du Seigneur, un moine qui a commencé dfs le bas Age A servir le Seigneur. Mais moi, qui ai commencé quadragénaire, quinquagénaire, comment puis-je dire :* Souvent ils m’ont combattu dés ma jeunesse ?’ » D’aprés TEP. 108, 25, 2, « la diversité des Ages ne change pas nos corps véritables, » Ce qui compte, c'est l'homme parfait de la résurrection (Eph. 4, 13). Dans l'Ep. 140 (414 ?) Jérome revient A ce Ps, 89 qui Pobséde. « Vraiment a considérer la fragilité de la chair, la courte durée des heures nous faisant croftre et décroitre, sans rester dans le méme état (tandis que nous parlons, dictons et qu’on écrit, s'envole une part de notre vie), on n’a pas hésité a dire que la chair est du foin, que sa gloire est comme la gloire de I'herbe ou des prés champétres*®, Naguére bébé, tout d'un coup gargonnet ; garconnet, tout d’un coup jeune homme ; et jusqu’a la vieillesse on change, au cours de trajets incertains, On s'apetgoit qu'on est vieux avant méme qu'on s'étonne de n’étre plus jeune homme.., C’est ce qu’ écrit le grand orateur grec : la heauté physique tombe avec le temps, ot est rongée par la maladie"... La chair s'est desséchée, la beauté est tombée, car un vent furieux de Dieu, sa sentence, a soufflé sur elle. Pour revenir d’une dissertation générale au texte de I’Ecriture : celui qui porte Vimage du terrestre et sert les vices et la Iuxure est foin et fleur passagére. Celui qui a et garde l'image du céleste, celui-la est la chair qui voit le salut de Dieu, qui se renouvelle chaque jour en conuaissance selon l'image du créateur (Col. 3, 10), et recevant un corps incorruptible et immortel, change en gloire, non en nature. Car le Verbe de N.S. et ceux qui lui sont unis demeurent pour 1’éternité®, » Jéréme a deux muses : celle-ci, exaltante, et celle de I’Eeclésiaste, dépri- mante, Iva modestie chrétienne trouve son compte avec cette demniare. A Fabiola, en 400 (Ep. 77, 12), il envoie un «cadeau sénile », Il parle volontiers de sa paruitas®®, Cette expression de politesse stéréotypée signifiera-t-elle sur le tard qu’il n’est plus qu’un petit vieux ? Ses derniéres lettres sentent Je découragement : « Ce que nous voulons, souvent nous ne le pouvons pas, et la faiblesse sénile a raison de l'esprit ardent » (Ep. 151, 2 fin). « Tu m’exhortes a écrite, tu vas mettre un lourd fardeau sur un vieux bourricot, 20. Ch, Recueil Ed. Dhorme, Paris 1951, p. jor, un paralléle babylonien, 21, Isocraty, @ Demonicos, 6, t. I, p. 124 (coll, Bude), 22. In Is. 40, 6-8 CC. 73 p. 457. 23, Ep. at, 42 ; 62, 2, t ; 138, 3; 142, 1, Cf Bp. 51, 1, 35 5%, 2, td’ Gpiphane traduite par Jérome, i fe 48 PAUL ANTIN car la vigueur de lesprit et les forces du corps nous ont complatement abandonné, minées continuellement par des maladies débilitantes » (Ep. 152, 3). « Accablé par le chagrin et le grand Age, brisé par de iré- quentes maladies, j’ai eu peiné A exprimer ces quelques mots » (Ep. 154, 3). C’est le temps ot « toutes les tristesses se succédent™ », Mais écoutons I’Ficclésiaste commenté par Jéréme. «' Au jour oft auront été ébranlés les gardiens de 1a maison, ott auront péri les hommes forts ’... “ Les gardiens ’ : ceux qui rapportent au corps humain tout ce qui est écrit, pensent qu’il s'agit des cdtes, défense des viscéres, protection de tout ce qu'il y a de mou dans le ventre.‘ Les hommes forts’ sont, pense-t-il, les jambes ; le soleil, la lune, les étoiles se référent aux yeux, aux narines, ‘aux oreilles, a tous les sens de la téte. ‘ Quand les femmes cesseront de moudre, car elles ont diminué, et que s'obscurciront celles qui regardent par les ouvertures ’... Il s'agit de dents, croit-on. Quand arrive l’extréme vieillesse, les dents sont usées, ou tombent... ‘ Celles qui regardent aux ouvertures s'enténébrent ’ : ce sont les yeux, pense-t-on. Pour les gens agés l'acuité du regard se brouille et sa pénétration s’obscurcit®®...‘ Et on fermera les portes sur la place ’ (12, 4. C.C. pp. 354, 184). On veut y voir les pas chancelants du vieillard, parce qu'il est toujours assis et ne peut marcher. La faiblesse du bruit dela meule s’interpréte des machoires qui ne peuvent broyer la nourriture, et comme le souffle est haletant, la voix s'entend a peine. Le lever au chant du coq montre que le sang est refroidi, les humeurs desséchées, ces matiéres alimentant le sommeil. Le vieillard s’éveille A un léger bruit, et en pleine nuit, si le coq a chanté, il se lave en hate : il n’a pas le got de se retourner plus souvent sur sa couche. Les filles du chant deviennent muettes, ou, comme porte I’hébreu, qui est meilleur, deviennent sourdes : cela vise les oreilles. L’ouie des vieillards devient plus pesante, ne peut plus discerner les intervalles entre les sons, ni prendre plaisir aux chants. C’est précisément ce que dit Berzellai a David en refusant de passer le Jourdain, ‘ Quand on redoutera les hauteurs et qu’on aura peur sur les chemins’. (12,5). C’est-A-dire qu’on ne pourra aborder les raidillons et qu'on aura peur d'achopper pour les genoux fati- gués et les pieds tremblants, car on vacillera méme sur un chemin uni. ‘Et Vamandier fleurira, et la sauterelle grossira, et la cApre perdra toute saveur, car l'homme ira dans sa maison d’éternité, et les pleureuses cir- 24. In Eccl, 12, 1 C.C. 72, p. 351, 96. Jérome vers 387 (ceuvre de jeunesse, relative ment!) a comimenté Qohélet, et’ en 12, 3-7 (médiocre traduction francaise de BAREILE, t. 4, 1878, p. 95 [p. 97, ¢ dit David A Berzellai » : c’est I'inverse !] ; de Dont Jean MARTIANAY, Traifé des vanitez du siecle, Paris 1715, p. 399, fade para- phrase reproduite dans B. Maroucuns [ou B. de M.], Ocwures de saint Jéréme, Paris 1838, pp. 14r-21r) souligne les allégories qui peuvent concerner la Vieillesse. 25. CE. Ep, 140, 13, 2 : caligantibus ocutis, dotentibus wel cadentibus durissimis prius dentibus, Plus loin, les molentes sont paucae, au lieu de imminuta, de C.C. 72 B. 353, 154. 26. CE. Ep. 105, 3, 3: Berzellai.., ostendit senectutem haec (= delicias) appeteve non debere, nec oblain suscipere (ce que Labourt, t. 5, p. 102, traduit : « ...ni les refuser (sic) s‘ils sont offerts »). LA VIEILLESSE CHEZ S. JEROME 49 ctlleront sur Ja place’. Ici encore par allégorie I’Ecclésiaste parle du corps humain. Avec la vieillesse, les cheveux blanchiront, les pieds enfleront, le désir refroidira, et I’>homme sera décomposé par la mort. Alors il revien- dra a sa terre, 4 la maison de son éternité, le tombeau, une fois les obséques célébrées rituellement, la foule des pleureuses précédant le corps. La fleur de I'amandier, qui pour notre thése a été la chevelure blanche, certains l’interprétent du sacrum, car lorsque les fesses se ratatinent, le sacrum y gagne et fleurit... Un mot ambigu par son étymologie indique les jambes des vieillards enflées et alourdies par des humeurs du podagre. Non que cela soit chez tous les vieillards, mais cela arrive quelquefois (plerumque, en latin tardif), par synecdoque on prend la partie pour le tout. Oi nous avons capre, I’hébreu a abiona, mot lui-méme ambigu, traduit « amour, désir, concupiscence », ou «capre ». Cela signifie, comme on I’a dit plus haut, que le désir refroidit chez les vieillards, et que les organes du coit se perdent... * Avant que rompe le fil d’argent, que remonte 1a cordelette d'or, que se brise la cruche sur la fontaine, que casse la poulie sur le puits. Et que la poussiére retourne A sa terre comme elle était, et que le souffle revienne a Dieu qui le donna. Vanité des vanités, dit I'Rcclésiaste, tout est vanité * (z2, 6-8)... Le fil d'argent vise cette vie blanche et le souffle qui nous est départi du ciel. La remontée (recursus) de la cordelette d'or signifie l’4me qui remonte 1a d’ot elle était descendue. Puis les deux comparaisons qui suivent.., sont, par analogie, des symboles (acnigmata) de la mort2?, » ‘Tristesse avec Qohélet, espérance avec le Christ : ce sont les deux aspects de la pensée de Jéréme, Par exemple In Ps, 89, 10. C.C. 78 p, 122, 113: selon le dicton grec, la vieillesse méme est maladie, Mais (In Ps, 91, 12 P. 140, 207) la lumigre de ma vieillesse peut croftre avec I'huile de la miséricorde divine. Mais seule « la sagesse grandit, tandis que décline tout le reste » (Ep. 52, 3, 2 citée par Alcuin®). Le baton est le soutien de la vieillesse. Nous le trouvons dans la Vita Pauli, 7 (PI, 23, Vallarsi 6 B), vers 377 : infirmos artus baculo regente sustentans® ; In Zac. 8, 4 (B.1y. 25-2, Val. 839 B), en 406 : senilis aetas 27. Ck. D. Buzy, Le portrait de la vieillesse, dans Revue biblique, 41, 1932, pp. 320- 340. — Jewish Encyclopedia, 4, 162 sur 1a maison du corps, et 5, 267 sur les euphé niismes pour la mort et le cimetire. — Cahiers Laénnec, t, 24, déc. 1964, La vieillesse ; dans la coll, « Que sais-je ? » Paris, P.U.F,, les n° 754, J. GumieRME, La longdvitd ; 919, I., BINEY, Gérontologie et gériatrie ; 1046, P, PAILLAT, Sociologie de la vieillesse, & éclairer par l'ouvrage collectif Politique de la vicillesse, Paris 1963. — P. RrcHAUD, Le Seigneur est proche, Bruges - Paris, Descléc De Brouwer, 1937. M, PHILIBERt, Liécholle des dges, Paris, Ed, du Seuil, 1968, A. REQUET, Survie, impensé et finitude, dans Esprit, sept. 1969, pp. 269-282, A.M. CouvREUR, Pour une spivitualité de la vieillesse, dans Vie spirituelle, 116, 1067, pp. 78-90 ; Queiques livres sur la vieillesse, ibid., 120, 1969, pp. 228-230, 8. DE Brauvor, La vicillesse, Paris, Gallimard, 28. Ep, rar A Charlemagne, M.G.H. Ep, Karol, aevi, t. 2, p. 178, 5. 29, OvIDE, met, 6, 27 : infirmos baculo quoque sustinet artus, cité par I, 'Kozrk, The First Desert Horo, St, Jerome's Vita Pauli, chez l’Auteur, Salesian High School, 5° PAUL ANTIN ... et trementes arius baculo regente sustentent ; in Amos x, 8 Val. 23x D, en 406 : ultimae... aetatis hominum qui trementes artus baculo regente sustentent, La régle de la Congrégation de Qumran (col. 2 1. 7) n’admettait pas les vieillards chancelants®°, Jéréme note que Jacob écrasé par la vieillesse avait son lit disposé pour que 1a position allongée pit sans difficultés se préter a la priére®!, Le vieillard refroidi®® comme David (3 R. 1, 1-4 et Jérome Ep. 52, 2-3) a besoin d’aliments chauds et de vin vieux (Ep. 54, 9, 4), ce qui n’empéche pas un moine zélé comme Hilarion de se passer de pain entre 64 et 80 ans (Vita Hil, 11. P.L, 23, Val. 17-18). Il avait ’'ardeur du novice & lage ot d'autres s’abandonnent. Jéréme est sensible au drame de la vieillesse qui détruit la beauté fémi- nine, « Une belle qui trainait aprés elle des troupeaux de jeunes gens®? a son front labouré de rides : celle qu’on aimait dégofite. » Et dans Ep. 140, 9, 4: « Le visage, d’abord si beau, des femmes en vient 4 une telle laideur que l'amour se change en haine. » Il note, Ep. 117, 10, 2: « Elles vieillissent vite, surtout celles qui sont auprés des hommes, » La légende nous le montre se soulevant de son lit a l'aide d’une corde pendue ati dessus de lui, pour suivre l’observance monastique autant que possible, malgré son age, Lp. 31, 2 pseudépigraphe De observatione uigiliarum (P.1,. 30, 1846, col. 233 C) déclare que le religieux vieilli doit essayer de veiiler. Le prologue de la Regula monacharum met en scéne un fondateur au front ridé, naturae pene portentum (P.L,. 30, 391-2) et I’ul- time chapitre 41, col. 424 D, évoque le centenarius in aetate. La vie peut devenir si pénible que la mort serait la bienvenue defecto actate et cui de omnibus cura est, et incredibili qui perdidit patientiam (Eccli. 4, 2. L’éd. critique procurée par I’'abbaye Saint-Jérdme, A Rome, t. 12 p. 325 de la Vulgate, a : qui perdit sapientiam, J. Hadot, Bible de la Pléiade, t. 2, p. 1847, traduit, a peu prés comme la Bible de Jérusalem : «....qui se révolte et a perdu patience », en notant qu'il s’agirait de celui qui mérite bien une sentence de mort). Et pourtant, chez Lucien par exemple, Dialogues des moris, 27, 9, I, un vieux mendiant misérable montre encore de ‘New Rochelle N. ¥, 10802, 1968, p. 29. Cf, T.L.L., artus 718, 28 ; SISENNA, hist, 103 trementibus artubus ; Lj0CR., 6, 1190 tremere artus, 30. J. CARMIGNAC..., Les extes de Qumran, Paris, Letouzey, t. 2, 1963, p. 22. 32. Quaest. hebr. in Gen. 47, 31 C.C. 72, p. 51. 32. Le vieil homme frileux se retrouvera dans la représentation médiévale de Vhonime qui se chauffe devant un feu, intage pour janvier dans les calendriers illustrés. Les anciens rappelaient le sactifice du début de l'année, W. ENDREI, Mutation d'une alldgorie : Vhivey et ls sacrifice du Nouvel-An, dans Annales, £.S.C., 21, 1966, pp. 982-989, ill. 33. In Is, 40, 6-8 CC. 73, p. 457, 33. Le P, ABEL, dans Revue biblique, x3, 1916, p. 2or'traduit & tort adolescentulorum par « enfants». Jérome voit dans ce theme dela vieillesse excellente matiére A generalis disputatio (pp. 457, 38). De méme, Ep. & Népotien sur le prétre gonevalis de witiis disputatio est (Ep. 52 fin), 34. BAHL. 3870, P.L. 22, 6d, 1845, 213-214, — Rappelons le « vigilant » de Dan, 4 10. LA VIEILLESSE CHEZ 8, JEROME 5r Yattachement a la vie. Jéréme n’a pas trop d’illusions. Im Is. prol. 14, CC. 73 A, p. 552, il nous confie : « Par de fréquentes maladies, le Seigneur fait trembler aussi ma terre (Ps. 103, 32, Gen. 3, 19) Alaquelle il a été dit : Tu es terre, et tu retourneras en terre. Et si j’oubliais ma condition humaine, il m’avertit souvent que je suis homme, et 4gé, et devant bient6t mourir : je dois en étre certain. » Malgré cela, Jéréme constate (Ep. 123, 14 fin = a peu prés Ep. 140, 16, 3) : « IL n'y a personne, pour décrépite que soit sa vieillesse, qui ne se donne encore wn an a vivre. » Au reste, une vie humaine est bien peu en comparaison de l’éternité (EP. 140, 10, 2 citant Géorgiques 3, 284 et Endide 10, 861). Ce n’est pas ici le lieu d’exposer les beaux et les mauvais cétés de la vieillesse d’aprés les auteurs pafens, Notons quelques traits pour situer la verve higronymienne. Pour Serenus (11° s.), called senium arte bibendi®® « vieillesse est endurcie A art de beuverie », Priam, dégagé par l'Age de toute obligation militaire, est un brillant parleur : on dirait une char- mante cigale (Iliade 3, 150). Héléne le trouve vénérable et redoutable (3, 172). Sa sagesse saura obtenir d'Achille le corps d'Hector (24, 674). Selon Eupolis, un vieillard est deux fois enfant (fragm. 35 Meineke). Le dyscole de Ménandre a tout d’un vieil atrabilaire, dur aux dienx comme aux hommes, voisin hargneux méme pour le dieu Pan. Sa misan- thropie illustre le conflit ville-campagne que seule pourrait résoudre la philanthropia®®, Lucien (Hermotimos, 84) suggere que, sur le tard, il faut vivre une vie plus sensée. Volontiers, dans ses opuscules, ce railleur se gausse des travers séniles. Cicéron est touchant d’entrain, d’énergie pour exorciser les spectres déprimants des vieux jours. Foin de l'eggérama, de Yoceupation pour retraité (Atticus 12, 25 fin) | C’est le divertissement pascalien qui méne le jeu. Jeu plein de noblesse, de philanthropie, quand il inspire le Cato8? maior de senectute, en 44, & Cicéron Agé de 63 ans, Mais les confidences mélancoliques forcent le barrage : « Le masque de la vieillesse n'est pas peur dégotitant » (Att, TS, 1, 1). « Ia vieillesse me rend plus amer. Tout me met en colére » (Ad. 14, 21). Bternel déplaisir du viewx & qui le jeune veut faire la leon ! C'est le sujet de la ménippée de Varton, Gerontodidaskalos®, Mais 1a vieillesse est-elle un mal en soi ? Pas forcé- 35. Fragm, 13 BARMRENS ou Mork, Traduction de H. BARDON, La littérature latine inconnue, t. 2, Paris, Klincksieck, 1956, p. 238. Jéréme le nomtme & coté de Catulle, Ep. 53, 8, 17. 36. 8, Errrum, dans Symbolae Osloenses, 41, 1966, pp. 75-77 ; H. RaMaGE, dans Philologus, 1x0, 1966, pp. 116-119, R. FLacwiey et Ent, Cuamsry rapprochent le ayscole de Caton I'Ancien (Prutargus, Vies, coll, Budé, t, 5, p. 62 n, 2). 37. Ch. W. Forwara, Sources of Plutarch's An seni sit gerenda res publica, dans Phiilologus, x10, 1966, pp. t19-127, pense qu’Ariston de Céos n'a inspiré ni Plutarque ni Cicéron, Cato, Dans son traité, Plutarque s'inspire pent-étre du Peri gérds de Demetrius de Phalére et va contre une thése de dissuasion attribuable & Ariston de Chios, 38. P. Lunxerr, Varros Menippea « Gerontodidaskalos ». Inaug.-Diss,, Cologne 1966. at te 52 PAUL ANTIN ment, d’aprés un courant de la diatribe. Mauvaise, elle doit étre combattue, dit un autre courant®?, Le point de vue du juif piewx sur I’age avancé n’est pas étranger 4 horizon hiéronymien. Tous les métiers du monde ne valent pas la Tora, selon R, Nehoray*®. En vieillissant, on ne peut plus les exercer, mais la Tora donne des garanties et de l’espérance dans la vieillesse (Is. 40, 31 et Ps. heb. 92, 15). Abraham était vieux et Dieu le bénit (Gen. 24, 1). Philon d’ Alexandrie note que le sage est appelé « ancien » parce que, comme Abraham, il est capable de raisonner justement (De sobrietate, 17-18, t. 11-12 des Oewwres, Paris, Cerf, 1962, p. 136). Une belle vieillesse est promise au sage, couronnement des quatre Ages de l’Ame (Quis rerum divin. heres sit, 291-299, t. 15, 1966, p. 314. La notion de belle vieillesse est aristotélicienne et stoicienne). Mais vieillir parmi les arts libéraux loin de la philosophie est le plus lamentable des pourrissements (De congressu eruditionis gratia, 777, t. 16, 1967, p. 156 et n. 2). Il n’est pas surprenant, vu leur milieu géographique, ce rapport que Yon peut déceler entre Philon et Origéne. Chez Abraham, « ancien » ne souligne pas la situation physique de son corps, mais une plénitude du coeur! Saint Grégoire de Nysse offre le théme de l'enfant vieillard par sa sagesse qui lui vient de Dieu, Et saint Augustin parle magnifiquement de Ja montée grandissante de Dieu dans le déclin des forces a la fin de la viet, Ce rapide excursus & travers paganisme, judaisme et patristique ne nous a pas dloigné de Jéréme, qui a réfléchi Ini aussi sur le theme sapientia et canities* exprimé dans le livre de la Sagesse, 4,8 (édition critique de la Vulgate par l'abbaye de Saint-Jérdme, t. 12, 1964, au verset 8 : Cami sunt 39. A. Orrnamare, Les ovigines de la diatribe antique, Geneve 1927, Contre : cretron, Cato 11, 35. 40. J. BONSRVEN, Testes rabbiniques des deux premiers sidcles pour servir @ l’intelli- gence du N.T., Rome, Inst, Biblique, 1955, n° 1589, et Table p. 779 sur le vieillard & Honorer, 41. Cordis maturitas, In Gen, hom. 3, 3 G.CS, 29, Werke t. 6, pp. 42, 12 BARHRENS, CE hom. 4, 4p. 54, 21, trad, des « Sources Chrétiennes » 7, pp. 114 et 130. Im Josue hom. 16, 1 t. 7 p. 394 Bannnmns. Le corps peut s'aitérer, et I’Ame se renouveler : In Ez, hom. 13, 2 t. 8, p. 447. Ch. Julien GREEx, Vers invisible, Paris 1967, p. 90, au 1-3-1959 : Cocteau « me dit qu'il est heureux d’étre vieux, de n’avoir pas 20 ans aujourd'hui, Ses cheveux sont tout blancs, sa voix est celle d’un jeune homme » et Pp. 9r: ila des gestes d'illusionniste, les mains volant cominte des oiseaux, » 42. De wirg., 23, 6 éd. et trad. M. AvBmvEAu, S.C. 119, 1966, pp. 549 et 575. 43. In Ps. 70, 9 P.L.. 36, 881 : ego duco, in me duco, ad me duco, 70, 11 col, 882 : in te erit wirtus eius quando defecerit uirlus tua, 44. In Is, 3, 2 CC. 73, p. 43, 38. Im Osee 7, 9 P.L. 25/2 Vattarst 75 C. In Zac. 8, 4-5 VAILARSI 839 DE. Ci. L. SANDERS, Etudes sur saint Jéréme, Bruxelles-Paris 1903, p. 225.— In Is, : Canities hominum prudentia est ; In Osee : Cani hominis sapientia eius ; In Zac, : méme texte. JérOme citait de mémoire ce qu'il n’avait pas traduit personnellement. LA VIEILLESSE CHEZ S. JEROME 53 autem sensus hominibus) ; cité Ep. 58, 1, 2: Cani hominis prudentia eius, et In Is, 24, 23. C.C. 73, Dp. 324, 81 : Cani enim hominis sapientia eius, La pensée de I’Ecclésiaste fut comme un accompagnement, au sens musical, pour Jéréme sur le théme du grand age. Elle n’est pas toujours déprimante. Ainsi 11, 6-8, C.C. 72, p. 347.' Au matin, seme ta semence, et au soit, ne relache pas ta main’... Jéréme commente : « Dans ta jeunesse comme dans ta vieillesse, que ton travail soit proportionné (aequus). Ne dis pas : Tant que j’ai pu, j’ai travaillé ; je dois, dans la vieillesse, me reposer. Tu ignores si c’est dans la jeunesse ou dans un age avancé que tu peux plaire a Dieu. Une jeunesse frugale ne sert & rien, si la vieillesse se passe dans l’intempérance... Mais si... tu as toujours bien fait, d’un train. égal (cursum aequalem) & tout Age, tt verras Dieu le Pére, la trés douce lumigre, tu verras le Christ, soleil de justice (Mal. 4, 2 ou 3, 20 héb.). Au surplus, si tu vis pendant bien des années, si tu acquiers tous les biens, si tt accomplis de bonnes ceuvres, et si tu sais que tu es toujours destiné 4 mourir, si devant tes yeux se présente la venue des ténébres, tu mépriseras le présent comme fluent, fragile, caduc... Si l’on voit de nom- breuses années, on sera dans la plus grande joie et délectation, pourva qu'on ait la science des Ecritures... » On pourra gofiter une certaine douceur intellectuelle, «La vieillesse, pour ceux qui ont muni leur jeunesse d’une culture d’homme libre et qui ont médité la loi du Seigneur jour et nuit (Ps. x, 2), devient avec lage plus docte, avec l’usage plus expérimentée, avec le progrés du temps plus sage, et elle cueille les fruits trés doux#® de ses anciennes études » (Ep. 52, 3, 4). Et Jéréme d’évoquer d’illustres vieillards grecs, et Caton le censeur, qui sur le tard apprit le grec (Ef. 52, 3, 5). Parmi ces longues performances, Jérdme distingue celle d’Isocrate, achevant ses 99 ans dans Je travail de l’enseignement et de la rédaction*®, Ii ne faut donc pas envisager seulement le vieil homme plenus pituitis, {felle, stercoribus*?, et post paululum uermibus exarandus. Ii ne faut pas mépriser ce corps ruiné que suivra une transfiguration®®, 45. Dulcissimos fructus. 'T.1,.I,, dulcis, 2190, 38 : VARRO, Crc,, Quivr. Trad. de LavaRDIn (supra n. 8), liv. 2, ep. 2.— Jénduis, Ep, 125, 12, 2 : « D’une semence amiére, je cueille les doux fruits littéraires », Cf, AUSON. 322, 72. A. O10, Die Sprich- wérter.., der Romer, Hildeshetm rééd, 1962, n° 963. 46. Le vieil orateur se plaignait de sa complexion (coll. Budé, t. 4 p. 89m, 2: ila 94 ans p. 87 § 3; p. 1840.1; p, 188 § 2; p, 201 m. 7), 47. PAscat, Pensée 143 BRUNSCHVICG : « creux et plein d/ordure », J&ROME In Ex, 18, 5 CC. 75, p. 237, 338. Ch. . Pelag. 3, 11 Vattanst 794 DE. — Des bar- hares dévorent leurs viewx parents pour devancer les vers : ¢. Tov. 2, 7 P.L,. 23 VALLARSE 335 C. 48. Non despicio lutum quod excoctum im testam purissimam regnat in caelo, Ep. 84, 9, 4. Au lieu de purissimam, on pourrait penser A durissimam, car le c, Ruf. 1, 25 fin P.L,, 23 VaLLARSt 482 a testam solidissimam, et 'Ep. 140, 13, 2 a durissimis dentibus, J’al trouvé ailleurs huit autres cas de durus au superlatif, et il doit y en avoir autres, Tl est vrai que j'ai compté aussi huit exeniples de purus au superlatif, te 54 PAUL ANTIN Paul de Concordia est, pour Jéréme alors jeune, un modéle delongévité docte et amine : il est centenaire et toujours vigoureux. Le Seigneur préfi- gure en lui la force de la résurrection (Ef. to, 2, 3). A ce « Paul trés Agé, Jéréme envoie un Paul encore plus Agé » — cette page d’épopée immortelle dans la littérature monastique*®. — Plus réalistes, plus pratiques, sont les impératifs destinés au pére de la jeune veuve Furia (Ep. 54, 14 fin en 395) : « Déja la téte a blanchi, les genoux tremblent, les dents tombent, * le front sinistre se laboure de rides ’ (Enéide, 7, 417), la mort est proche, aux portes ; on prévoit un biicher 4 proximité : bon gré mal gré, nous voila vieux | Qu’il se prépare un viatique nécessaire par long voyage ; qu'il emporte avec Ini ce qu'il devra lacher A regret, ou plutét qu'il expédie davance au ciel ce que la terre, s'il n’y prend garde, doit saisir. » Paul Anrin Cet article était terminé quand je recus le fase. 4 du t. 28, 1969, de Latomus : P. Hamprenne, La longévité de Jéréme : Prosper avait-il vaison ? pp. To8r-1119. C'est un mémoire trés sérieux qui se prononce pp. 1113 et 117 aprés mar examen, 'contre la chronologie courte construite hypothétiquement par Cavallera, en faveur de Ja chronologie longue basée sur la Chronique de Prosper (M, G.H.A.A.,t. 9, Berlin, 1882, p. 451 et 459 Mommsen) : né en 330 (ms V, plutét que 331), mort en 420 nonagé- naire, Ce qui corrobore le « décrépit » d’Augustin renseigné par Alype (Hamblenne p. 1114), et revalorise les objections de P. Peeters 4 ¥. Cavalera (Anal. Boll, 42, 1924, 180-4), Ce travail fait honneur son jeune auteur. — Un lapsus, d’ailleurs sans importance pour la thése soutentie, p. 1090 milieu : quinquagenarius signifie ici princeps super quinquaginta, pentécontarque. Cf. In Is. 2, 3, 3 C.C. 73 p. 44. —Ilya des coquilles dans les chiffres de la p. 1115. 49. JérOmte ne s’arréte pas au souvenir du vieillard de Tarente (Georg. 4, 134, 143). Un bel exemple de stabilité serait le vieux de Vérone qui n’était jantais sorti de son suburbium (CLauDIEN, Epigr. 20 (52) M.G.H., A.A. t. 10, pp. 296-297, ot coll, Nisard p. 735, Panckoucke t, 2, p. 420). L’octogénaire de La Fontaine est préfiguré dana Cauctrtus Statrus ; serit arbores quae alteri saeclo prosint (fragm, cité Crc, Cato, 24), Una possibile presenza lucreziana in Agostino (Conf., VIL, 21, 27) Ii nome di Itcrezio non compare di norma accanto a quello di Agostino, al quale molto pit frequentemente si accostano, tra gli autori classici, quelli di Virgilio e di Cicerone’, Eppure si sa, per stessa affermazione dell’Ipponense, che egli amava la poesia latina fino alle lacrime® : e quindi si poteva presumere come a lui probabilmente noto, assieme al prediletto Virgilio, Y'autore del De rerum natura’, A questo proposito vorrei qui fermare I’attenzione sulla lettura parallela del noto passo agostiniano di Conf., VIL, 21, 27 € del forse ancor pitt celebre proemio del 1. II del poema Iucreziano : quello cio’ che introduce il motivo dei templa serena*, Nel sottostante accostamento sinottico dei due passi, useremo il corsivo per i termini simili, perché risalti anche visivamente Ia compresenza : x, Cir. i classici H-I, MARROU, Saint Augustin et la fin do la culture antique, Paris 1949; M. THSYARD, Saint Augustin ef Cicéron, 2 vol., Paris r958 ; P. COURCELIE, Les Confessions de Saini Augustin dans la tradition littéraive, Antécédents et Postérité, Paris 1963. 2, Chr. Conf., I, 13, 20-21. 3. In H. HAGENDAUL, Augustine and the Latin Classics (Studia graeca et latina gothoburgensia », XX, 1-2), 2 vol, Gdteborg 1967, in effetti compaiono alcuni accostamenti tra Lucrezio ed Agostino, peraltro assai poco significativi (cfr. pp. 2x15.). 4. Sappiamo che c’é chi attribnisce serena non a templa, ma a doctrina, come ad es. E, Parators - U. Pizzanr nella loro edizione commentata del De rerum natura (Roma 1960, pp. 194 5.). Ma la maggior parte dei commentatoti unisce serena a templa, 56 AGosto Nemo ibi audit vocantem : « venite ad me, qui laboratis, » dedignantur ab eo discere, «quoniam mitis » est « et humilis corde ». « abscondisti » enim «haec a sapientibus et pruden- tibus ‘et “revelasti ea parvulis n, et aliud est de silvestri cacumine videre atriam pacis et iter ad eam non venire et frustra conari per invia circum obsidentibus et insidiantibus fugitivis desertoribus cum_ principe suo leone et dracone, et alitid tenere LUIGI FRANCO PIZZOLATO Lucrezio Sed nil dulcius est bene quam munita tenere/edita doctrina sapientum tem~ pla serena, /despicere unde queas alios passimque videre ferrare, atque viam palantis quaerere vitae, /ceriare inge- nio, contendere nobilitate, /noctes at- que dies niti pracstante) Zabore jad summas emergere opes rerumque potiri, /O miseras hominum mentes, © pectora caeca ! /Qualibus in tenebris vitae quantisque periclis /degitur hoc aevi quodcumquest | viam illuc ducentem cura caelestis imperatoris munitam, ubi non latro- cinantur... (Conj., VII, 21, 27. SKUTELLA, pp. 451, 23 ~ 152, 4). (De rer. nat., I, 7-16. Ernovr, e éd., p. 42). Al di 1a degli accostamenti verbali qui segnalati, ci sono anche altre somiglianze, non letterali, ma, per cosi dire, di situazione, che possiamo ora rilevare : « patriam pacis »— « templa serena » ; «iter... non invenire » —« viam... quaerere » ; « obsidentibus et insidiantibus... » — « quantisque periclis», Proseguendo ancora oltre questi influssi di situazione, possiamo cogliere, alla lettura, una chiara affinitaé tematica tra i due passi, Ma, nello stesso momento in cui laccostamento ci rivelerebbe una possibile concordanza, la interpretazione dei due testi ci avverte che siamo di fronte a prese di posizione affatto contrastanti. E che pertanto !'impre- stito Iucreziano non sarebbe solo eco letteraria, viva nella memoria di Agostino, che di esso si servirebbe per esprimere un analogo stato spirituale, Esso @ bensi solo uno spunto e, come tale, Agostino intenzionalmente lo elabora. Anzi : pur servendosi di esso — a nostro avviso — in quanto ad aspetto letterario, coscientemente lo confuta, in nome di un atteggia~ mento polemico, che potremmo definire genericamente antignostico, Cid risultera chiato, se si individueranno i personaggi ‘nell’un passo e nell’altro. In Lucrezio, evidentemente, chi s'accampa nei fempla serena sono i filosofi, grazie alla loro capacita speculativa, che si traduce in vita beata, «cura semota metuque’ ». Gli altri, cio® gli uomini immersi nelle cure mondane, sono i non-filosofi, « misera(e)... mentes », « pectora caeca , che non trovano la via per artivare alla felicita, a causa di carenze intellettuali. 5. De ver, nat., IL, 19. PRESENZA LUCREZIANA IN AGOSTINO : 57 Per Agostino la situazione muta radicalmente e la identita dei vocaboli, che ci ha fatto pensare a Lucrezio, non fa che accentuare, per contrasto, la diversita di condizione. Che é peraltro contrassegnata anche da alcune pregnanti diversificazioni verbali, che sarebhero perd sempre intenzionali, qualora si accetti Vesistenza dell imprestito. Quelli che « de silvestri cacumine » vedono bens) la patria, ma non conoscono la via per attivarvi, sono, per Agostino, proprio i sapienies, i filosofi : quei Neoplatonici di cui, al contatto con i testi paolini, aveva scoperto il limite precipuo nel loro senso borioso di autosuificienza : «non habent illae paginae vultum pietatis huius, lactimas confessionis, ‘ sacrificium ’ tuum, ‘ spiritum contribulatum, cor contritum et humilia. tum’, populi salutem, ‘sponsam civitatem, arram spiritus’ sancti, poculum pretii nostri. nemo ibi cantat ; ‘ nonne deo subdita erit anima mea ? ab ipso enim salutare meum : etenim ipse deus meus et salutaris mets, susceptor meus : non movebor amplius "6. » Invece i possessori della via diventano qui i non-filosofi, i parvuli, che accettano umilmente la dipendenza da Dio. Cost, mentre per Lacrezio i « templa serena » erano « munita... doctrina sapientum », in orgogliosa affermazione di potenza della mente umana, per Agostino invece la via é « cura caelestis imperatotis munitam ». Ul rifarsi a Lucrezio per colpire i limiti del Neoplatonismo sarebbe pertanto indicativo del fatto che Agostino ha attaccato quello che era, a suo avviso, il comune denominatore della cultura filosofica classica : la presunzione gnostica di autosufficienza. Ma che egli non deprezzi né annulli il valore di quella stessa cultura @, in questa prospettiva, altret- tanto rilevabile : infatti la dottrina dei sapienti @ pur sempre in grado di « videre patriam pacis ». Il limite di quella cultura & quindi, per Agostino, essenzialmente metodologico (in una accezione veramente pregnante), perch ad essa, appunto, manca Ja via, la possibilita di « iter... invenire » verso la veritd gid scorta, che in Agostino, mosso da preoceupazioni pid pienamente esistenziali che puramente conoscitive, assume il nome di « patria pacis ». Luigi Franco P1zzor.aTo. 6. Conf., VIL, 2x, 27 (x52, 14-23). “ Otiosa dignitas” Une réminiscence cicéronienne dans De nuptiis et coneupiscentia I, 2,2 On a beaucoup écrit sur l’'interprétation de la célébre formule cicéro- nienne ofiwm cum dignitate!, mais on n’a guére traité de sa survie, du moins 4 ma connaissance’. Elle n’a, en tout cas, pas été remar- 1, Principales études : E. REMY, Dignitas cum otio, dans Musée Belge, 32, 1928, PP. 133-127 ; M. WEGENAUPT, Die Bedeutung und Anwendung von dignitas in den Schriften der republihanischen Zeit, diss, Breslau, 1932 ; F. de Sanmvt-Dents, La théorie cicéronienne de la participation aux affaires publiques, dans Revue de phi- Tologie, 12, 1938, Dp. 193-215 ; M. KREISCHMAR, Otium, siudia Litterarum, Philoso- phie und Blog Sempntixds im Leden und Denken Ciceros, Leiprig-Wirzburg, 1938, 157 p.j P. BOvaNcs, « Cum dignitate ofium », dans Revue des études anciennes, 43, 1948, Pp. 5-22, repris dans Etudes sur Vhumanisme cicéronien, Bruxelles 1970, PP. 114-134; H, BERNERT, Ofium, dans Warzburger Juhrbucher f. die Allerlumswis- sonschajt, IV, 1949-1950, pp. 88-99 ; A. Gritz, Otium cum dignitate, dans Acme, t. 4, 195%, Pp. 227-240 ; Ch. WIRSZUBSKT, Cicero's cum dignitate otium, a reconside- ration, dans The Journal of Roman Studies, t. 44, 1954, Pp. 6-12 ; L.. ALFONSI, Tra Vosio ¢ Pinerzia, dans Aevum, 28, 1954, Pp. 375-376; R. Jou, Le thdme philoso- phique des genres de vie dans l'Antiquilé classique, Bruxelles 1956 ; J.-M, ANDRE, Otium chez Cicéron, ou le drame de la retraite impossible, Communication au Congrés de V’Association Guillaume Budé, Actes du Congrés, Paris 1960, pp. 300-304 ; A. Micwer, Rhdtorique et philosophie chez Cicéon, Paris 1960, surtout pp. 556-560 ; J.-M. Anprt, Recherches sur lotium romain, Annales Littéraires de l'Université de Besangon, vol. 52, 1962 ; J. CousIN, dans Introduction & son édition du Pro Sestio, dans col. Budé, Cictinon, Discours, t. XIV, Paris 1965, pp. 67-90 ; J.-M. ANDRE, Liotium dans la vie morale et intellectuelle romaine des origines @ U'époque augus- ienne, Paris 1966, surtout p. 295 et sv. 2, Le Thsaurus linguae latinas, V, col. 1134, 80 ne signale que deux références : ApuLiz, Métamorphoses, VI, 29 : «Sed nec inter cibos delicatos et offum profun- dum uitaeque totius beatitudinem deerit tibi dignitas gloriosa », éd. Robertson- Vallette, pp. 97-98 ; CassroporE, Variae I, 4, 13 : + Mox honorem illustratus, mox tedituum dona aequus arbiter offerebat. Sed ille potius nativa moderatione ditis- simus dignitatem suscipiens otiosam in remunerationis locum expetiit amoenissima 60 G, FOLLIET quée? dans un passage du De nuptiis et concupiscentia I, 2, 2 de saint Au- gustin ot elle se retrouve sous la forme : ofiosa dignitas*. Ce premier livre du De nuptiis et concupiscentia fut adressé, vers la fin de l'année 418 ou au début de 41g, a un haut fonctionnaire de la cour de Ravenne, le comte Valerius’. Ce personnage nous est encore connt par un second livre, portant le méme titre, qu’Augustin écrivit a son intention un ou deux ans plus tard, par les Lettres 200 et 206 que VEvéque d’Hippone iui adressa A peu prés dans les mémes années®, et par quelques allusions dans l’Opus imperfectum, dans les Retractationes IZ, 53, et dans la Lettre 207 d’Augustin qui accompagna V’envoi des Six livres contre Julien a l’évéque Claudius, Augustin ne tarit pas d’éloges lorsqu’il s’adresse & Valerius : il lui témoigne le plus profond respect’, il le loue tant pour sa grande droiture dans les affaires publiques et dans sa vie domestique que pour la foi profonde et pure dont il témoigne surtout dans son action pour empécher «qu’aucun des anciens et nouveaux ennemis du Christ, sous fe couvert de ce nom, ne dresse des piéges A ses membres », usant pour cela des pouvoirs inhérents a sa charge®. C’est pour ces raisons qu’ Augustin n’hésite Bruttiorum, » A remarquer I’expression dignifas otiosa que nous retrouvons chez Augustin, 3. Nous ne l’avons pas trouvé signalée dans les principales études consacrées anx sources cicéroniennes chez les Péres latins : H. HACENDAHL, Latin Fathers and the Classics, Goteborg, 1958 ; du méme, Augustine and the Latin Classics, 2 vol, Géteborg, 1967 ; M. TesraRn, Saint Augustin et Cicéron, 2 vol., Paris, 1958. 4. La formule cicéronienne apparatt dans Pro Sestio 98 et Ep. ad jam. I, 9, 2 sous la forme cum dignitate otium, dans De Oratore, I, 1, x : in otio cum dignitate, la forme otiosa dignitas se lit dans Pro Sestio 98, 5. Ce comte Valerius nous est surtout connn grace & Augustin; on Videntifie aussi avec le correspondant de Symmaque en 396, Epistolae VIII, 47 et 57, cf. ed. O. Seeck, Monumenta Germ. hist., Berlin 1883, pp. 228 et 231, et p. CXCIX. Voir Paulys. Real-Encyclopiidie, Bd VII, A 2, col. 2298, n, 20; A. CHASTAGNOL, Les jastes de la Préfecture de ‘Rome au Bas-Empire, p. 290. 6, Valerius et Augustin ont échangé plusieurs lettres dont il ne subsiste que deux lettres d’Augustin A Valére : Epist. 200 et 206. Dans la Leite 200 nous apprenons que l'Bivéque d’Hippone s'est adressé plusieurs fois 4 Valerius sans obtenir de réponse, et coup sur coup trois lettres de Valerius lui parvinrent, Ep. 200, 1: « Cum diu moleste haberem quod aliquoties scripserim, et nulla tuae Sublimitatis reseripta meruerim, repente epistolas tres tuae Benignitatis accepl... ». Cette lettre est 1a plus intéres- sante pour connaitre toute 1a considération qu’Angustin portait an comte Valerius, elle accompagna I’envoi du premier livre du De nuptiis et concupiscentia. Ta Lettre 206 n’est qu'une courte lettre de recommandation. 7. Augustin décerne & Valerins des titres honorifiques qui s'appliquent générale- ment aux personnages de trés haut rang : illusiris vir ou dominus (cf. Ep. 200, 1; Retr, IL, 53; De nupt. I, t, 2; Il, tj Ep. 206; Ep. 207) ; prasstantissimus vir ou dominus, praestantia tua (ct. Ep. 200, 1; Ep. 206 ; De nupt. IL, 2) ; sublimis vir, tua sublimitas (cf. Ep. 200, t ; Ep. 206 ; De nupt, I, 2 ; II, 1). Pour V'attribution de ces épithetes, voir J. HeLtecovanc’n, Le vocabulaire latin des relations ef des partis politiques sous la république, Paris, 1963, passim, 8, Epist. 200, 2. « OTIOSA DIGNITAS » 6r pas a écrire & Vintention de Valerius son premier livre du De nuptiis et concupiscentia, lorsqu’il apprend, probablement par les évéques Vinde- mialis et Firmus venus de Ravenne a Hippone, que les pélagiens ont adressé directement au Comte des accusations dirigées contre lui ; ceux-ci lui imputaient entre autres Ja condamnation du mariage®. S’il n’avait connu les qualités de Valerius et s'il n’avait eu quelques échos des dénonciations des nouveaux hérétiques, Augustin n’aurait jamais osé, avoue-t-il, s’adresser A tn personnage de son rang et dont il sait «quil ne jouit pas présentement d’une dignitas otiosa, mais qu’il est encore absorbé par des activités tant politiques que militaires » : «Nam mihi nunquam placuit cuiquam inlustri uiro et tanta quanta es ipse sublimitate conspictio, praesertim non otiosa dignitate iam jruenti, sed adhuc actibus publicis eisdemque militaribus occupato, aliquid meorum opusculorum legendumi non a me petenti ton tam diligenter quam impudenter impingere, Si quid ergo tale nunc feci, propter eas quas commemoravi causas dignanter ignosce, et beniuolum animum ad ea quae secuntur intende'. » Dans ce texte, Augustin ne met pas en cause la dignitas de Valerius ; mais & ses yeux, cette dignitas ne s’accompagne pas de !’otiwn auquel Valerius semblerait aspirer : ses fonctions qui sont d’ordre civil ou militaire, tout en le comblant d’honneurs", lui causent de tels soucis qu’il ne peut & la fois les remplir comme il se doit et bénéficier de loisirs. Tout en reprenant Ja formule cicéronienne otium cum dignitate, Augustin la nuance en I’appliquant au comte Valerius. Doit-on comprendre qu'il méconnait le programme de vie qu’elle définit ou seulement qu’un tel programme lui apparait comme un idéal difficilement réalisable, Autre- ment dit, y a-t-il accord entre Augustin et Cicéron sur le programme de vie d’un homme politique, plus largement de tout homme assumant une responsabilité dans I'Rtat comme dans I’Eglise. La confrontation de leur pensée nous permettra de saisir la portée de la formule cicéronienne dans le passage du De nuptiis. Les divers interprétes” de la formule otium cum dignitate sont d'accord. pour dire qu'elle concerne les hommes de gouvernement. La dignitas s'acquiert tant par le mérite personnel que par I’autorité que l'on exerce, elle se perd avec l’abandon du pouvoir et le retrait des honneurs ou des témoignages d’estime dus au rang que I’on occupait!®, L,’ofium qui lui 9. Retract, II, 53 : « Scripsi duos libros ad illustrem virum, comitem Valerinm, cum audissem Pelagianos ef nescio quid scripsisse de nobis, quod scilicet nuptias damnaremus asserendo originale peccatum », Cf. De nupt. I, 2, 2. 10. De nupt., I, 2, 2. 11. Epist. 200, 2: ¢ audivimus.,. quam non superbe sapias in excelsis honoribus » ; Jes titres honorifiques que lui décerne Augustin (cf, note 7) témoignent du haut rang que Valerius devait occuper A la cour de Ravenue. x2, Nous nous en tenons ici aux conclusions des auteurs sigualés a Ia note r, plus particulitrement a celles de MM. Boyancé, Michel et André, 13. Sur la double valeur morale et sociale de la dignitas, voir surtout J. HEtLn- GOUARC'H, 0p. cit., pp. 388-413 62 G, FOLLIET correspond comporte également un double aspect individuel et social : dans Ia pensée de Cicéron l’otiwm est d’une part le loisir intellectuel dont devrait bénéficier l’homme politique a I’égal des philosophes, il est aussi cette tranquillité d’4me ou cette possession de lui-méme que doit acquérir tout homme de gouvernement pour exercer celui-ci avec sagesse et pour apporter 4 I’Fitat ou a ses concitoyens Ia paix ou Ja tranquillité a laquelle aspirent les gouvernés. Suivant les textes oli la formule se retrouve, Laccent parait mis sur tel ou tel de ces aspects. Dans De oratore I, x, 1, Epist. ad fam. I, 9, 21 et I, 8, 3-4, par exemple, Cicéron viserait d’abord les avantages personnels en proposant l’otium cum dignitate comme programme de vie. Par contre dans le Pro Sestio 98, le contexte signifie clairement que ces deux biens auxquels aspire légitimement V’homme politique sont subordonnés 4 la dignitas et a Votium de I’Etat, 4 savoir au bon ordre ou A la juste hiérarchie comme A la tranquillité de la République. Pour une plus juste interprétation de la pensée cicéronienne on a proposé d’unir ces divers aspects de telle sorte qu’ambition personnelle et programme de gouvernement ne peuvent se disjoindre'4, L/’otiwm individuel du sage gouvernant demeure con- ditionné par la tranquillité de I’Ktat, de méme que sa dignitas est garantie par celle du pouvoir, et réciproquement. L/idéal pour l’homme politique est cette harmonie de la dignitas et de l’otium dans les affaires publiques comme dans sa propre vie. Il fut réalisé 4 l’Age d’or dela République! et, en mars 56, dans le Pro Sestio, Cicéron souhaite qu'il devienne 4 nou- veau réalité. En disciple d’Antiochus d’Ascalon'*, Cicéron manifeste donc sa préférence pour la vie mixte dans la conduite de la vie ; mais les démélés politiques lui feront prendre conscience de la perpétuelle tension entre le réve et la réalité, entre le juste équilibre de l’action et du loisir et la vie quotidienne ot ces deux biens se contrarient ou s'opposent plus qu’ils ne s’accordent, Quelques jours aprés cette apologie de Votium cum dignitate, les accords de Iucques, le 15 avril de la méme année, annulaient ce beau programme de vie politique. Si nous n’avons trouvé qu'une seule fois dans toute I'ceuvre de l’Rvéque d’Hippone la référence 4 la formule cicéronienne, avec les réserves qu'elle connote non otiosa dignitate fruenti, il faut reconnaitre que le programme de vie proposé par Cicéron, l’association de l’otiwm et de l’actio 14. Cette synthdse a été proposée par P. Boyancé, a7t. cité, note x. Voir également du méme Auteur, Cicéyon et la vie contemplative, daus Latomus, 26, 1967, Pp. 3-26, reptis dans Etudes sur l'humanisme cicéronien, Bruxelles, 1970, pp. 89-113. 15. CICéRON, De oraiore, I, x, 1. 16. Nous ne voulons pas entrer ici dans la discussion snr les sources de la pensée cicéronienne dont les auteurs signalés 4 la note r ont amplement parlé, les uns avangant le nom d’Aristote, d'autres insistant sur les Académiciens ou les Stoiciens, Augustin, De civ, Dei XIX, 3 aprés avoir énuméré les trois genres de vie avec la préférence marquée pour la vie mixte, ajoute : « Ce sont les opinions et l'enseigne- ment des anciens académiciens, tels que Varron les rapporte sur la foi d’Antiochus, le mattre de Cicéron et le sien, lequel d’ailleurs en bien des points, au jugement de Cicéron, semble avoir été stoicien plutét que disciple des anciens académiciens. » « OTIOSA DIGNITAS » 63 dans la conduite de Ia vie, ne sera pas désapprouvé pat Augustin, Jusqu’a son ordination (391), le converti de Milan voyait dans Yottwm un genre de vie supérieur & tout autre. Mais du jour ot devenu prétre puis évéque malgré lui, il sacrifia généreusement ses préférences personnelles a Faccomplissement de ses devoirs de pasteur, Dés 398-400, et donc beau- coup plus tét qu’on le dit!’, Augustin fait sien l’idéal d’une vie mixte ot priorité sera donnée au negotinm par la force des choses, tout en gardant au plus profond de Iui une prédilection pour le loisir consacré A ’étude et A Ja contemplation, En a-t-il emprunté la théorie 4 Cicéron plutét qu’a tel maitre de l’Académie ou du Néoplatonisme, il est difficile de ie dire. Toutes ces influences semblent avoir joug. Augustin donne en 400 une premiére description du genre de vie qu’est la vie mixte, dans le Contra Faustum, XXII, 56-58, of il commente allégoriquement le récit de Gendse 30, 14-16 relatif A l’échange d’époux entre Lia et Rachel au prix de mandragores. Ces fruits sont Je symbole de la bonne renommée"s, de la gloire populaire qui correspond a la dignitas cicéronienne et dont ont besoin les hommes de gouvernement pour le succes de leur action, gloire populaire qui rejaillit sur les hommes voués par profession & l’otium, puisque c'est parmi eux que seront choisis ceux qui sont utiles et prédispos¢s 4 la bonne marche de I’Etat ou de I'liglise. Ce texte malgré sa longueur mérite d’étre cité car il nous décrit le pro- gramme de vie d’Augustin au début de son apostolat!®, (iv1) «La mandragore figure ici la bonne réputation, — bonam famam —, non pas celle qui repose sur le suffrage de quelques hommes justes et sages, mais ce renom populaire — illam popularem — qui relve un personnage et le rend plus célébre, avantage qu'on ne doit pas rechercher pour Ini-méme mais absolument nécessaire aux getis de bien pour qu’ils puissent réaliser leurs vues Wintérét général... Or parmi tous ceux qui dans I’glise parviennent les pre- miers 4 cette gloire populaire — gloriam popularem — sont cenx qui ménent une vie d'action, de périls et de labeur — guicumgque in actionum periculis et labore versantur... Mais cette doctrine de sagesse qui, loin du bruit de la foule, reste fixée dans la contemplation et la douce jouissance de la vérité, n’obtiendrait pas méme au plus mince degré cette gloire’populaire, si ce n’était pat l'entremise de ceux qui gouvernent la multitude par action et par Ja parole, non pour commander mais pour étre utiles — per cos qui in mediis iurbis agendo ac suadendo populis praesunt, non ut praesint sed ut prosint —, parce que ces hommes actifs et absorbés par qui les intéréts de la foule sont gérés et dont Vautorité est chate aux peuples, rendent témoignage 4 la vie éloignée des affaires pour s‘appliquer & la recherche et & la contemplation de la vérité — isti actuosi et negotiost homines... testimonium perhibent etiam vitae propter studium conqui~ 37, A. Manpouzatt, Saint Augustin, L'avonture de la raison ef de la grace, p. 210, pense que saint Augustin a donné pour la premiare fois sa théorie de la vie mixte dans le livre XIX, 19 de la Cité de Diew, soit vers 425. 18. Sur l'interprétation allégorique de la mandragore, voir V'intéressant chapitre intitulé ¢ La mandragore, éternelle racine humaine », dauis le livre de Hugo RAHNER, Mythes gvecs et mystives chréiiens, Patis 1954, pp. 241-299. 19. Par souci de briaveté nous ne donnous ce texte que dans sa traduction fran- gaise, oA et 18 corrigée, de Vabbé Devoille, au t. XIV, des Oeuvres completes de saint Augustin, Bar-le-Duc, 1869. 64 G. FOLLIET vendae et contemplandae veritatis otiosae, Les mandragores sont procurées en quelque sorte Rachel par Léa ; mais elles sont procurées A Léa par son pre- mier-né, c’est-A-dire par V’honneur de la fécondité, laquelle renferme tout le fruit d'une activité laborieuse, s’exergant A travers les incertitudes des épreuves. Cette activité, la plupart des hommes doués d’un génie heureux et passi pour étude, fussent-ils propres d’ailleurs A gouverner les peuples, I’évitent Cependant & cause des occupations turbulentes et se portent de tout leur coeur vets les loisirs de la doctrine, — in doctrinae otium toto pectore — comme vers les embrassements de Rachel. (ym) Mais comme il est bon que cette vie soit miewx connue et obtienne aussi la gloire populaire, et qu'il ne serait pas juste qu'elle l’obtint, si elle rete- nait son amant dans le loisir quoiqu’il fit capable de s’occuper des affaires de TEglise — si amatorem suum administvandis ecclesiasticis curis aptum et ido- ‘neu in otio detinet — et qu’elle ne Ini donnat aucune part aux travaux d'un intérét général, voila pourquoi Léa dit & sa sceur : « Ce n’est pas assez pour vous de vous étre emparée de mon époux, vous voulez encore prendre les mandra- gores de mon fils ? » Par I'époux commun on entend tous ceux e i, bien qu’ils Soient aptes a l’action par leurs talents et dignes de gouvemer l’Riglise et de iui dispenser Je sacrement de la foi, enflammés qu’ils sont du désir de la doctrine, de la recherche et de la contemplation de la sagesse, veulent se soustraire & tous les inconvénients de la vie active et se renfermer dans le loisir pour s’ins- truire et enseigner — se ab omnibus actionum molestiis removere atque in otio discendi ac docendi condeve volunt. — Voila pourquoi ilest dit : «Ce n'est pas assez de vous étre emparée de mon mari, vous voulez encore prendre les mandragores de mon fils », Comme si l’on disait : ce n'est pas assez que vie d’étude retienne dans le loisir des hommes nécessaires pour les travaux de I’administration, elle exige encore la gloire populaire — parum est quod homines ad laborem rerum geren- darwm necessarios in oti detinet vita studiorwm, insuper et popularem gloriam vequirit. (tvm) Done pour qu'elle y ait droit, Rachel céde son épowx & sa sceur pour cette nuit, c’est-A-dire pour cewx que leur vertu rend aptes au laborienx gouver- nement des peuples, bien quils sient préféré s‘adonner A Ta science, se rést- ant cependiant A subir les épreuves ef & porter le fardean des soucis pour le en commun, de peur que ta doctrine de 1a sagesse, & laquelle ils ont résolu de s'adonner, ne soit blasphémée et qu'elle n’obtienne point, de la part des peuples trop peu instruits, cette bonne opinion figurée par la mandragore, et nécessaire pour exercer leur influence sur les auditeurs. Mais pour leur faire accepter cette charge, il faut leur faire violence, C'est ce que nous indique assez clairement Léa ailant au-devant de Jacob, qui revient de la campague, s'emperant de lal et Ini disant : « Vous viendrez vers moi, car je vous ai ohtenm pour les mandra- gores de mon fils ». C’est comme si l'on disait : Vous voulez faire estimer la doctrine que vous aimez ? Alors, ne vous soustrayez pas aux fonctions labo- rieuses. Avec un peu d’attention, chacun s’apercevra que c’est ainsi qu’on se conduit dans 1’Bglise. Nous appliquons dans la pratique ce que nous apprenons dans les livres. Qui ne voit cela dans toute I'étendue de l'univers : des hommes renongant aux oeuvres du siécle pour passer A l'étude et & la paisible contempla- tion de la vérité — quis non videat... venire homines ex operibus saeculi et ive in otium cognoscendas et contemplandae veritatis — c’est-A-dire aux embrassements de Rachel ; puis, pris en flane par les besoins de I’glise, et ordonnés pour le travail, comibe si béa lenr disaié : « Vous viendzer vers mol» Bt quand ils sont chastement occupés A dispenser les mystéres de Dieu pour engendrer dans la anuit de ce monde des enfants a la foi, les peuples louent le genre de vie dont ils sont épris jusqu’A renoncer A toutes les espérances du siécle, mais dont on les retire pour les employer aux ceuvres de miséricorde dans la direction des peuples. Car ils font tout, aii milieu de leurs travaux, pour qu’on glorifie au loin et au large la profession qu’ils avaient embrassée et qui donne de tels guides aux nations ».

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