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Le sujet et la connaissance du réel

Que puis-je connaı̂tre de moi et du monde ?


Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Introduction : Recherche d’une


définition de la conscience
1 Recherche d’expressions concernant la conscience
– avoir la conscience tranquille = morale
– avoir un meurtre sur la conscience = morale
– être totalement inconscient = morale + capacité de réflexion
– ne pas avoir conscience de ses actes = ne pas se rendre compte, ne pas
agir en connaissance de cause, capacité de réflexion
– en son âme et conscience (pour le juge qui doit juger de manière
honnête et impartiale) = morale
– perdre conscience (s’évanouir) = ne plus avoir de perception du monde
– conscience politique
– avoir bonne / mauvaise conscience = morale
– conscience professionnelle (celui qui travaille avec application) = valeur
morale

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perdre conscience être totalement inconscient avoir la conscience tranquille
ne pas avoir conscience de ses actes avoir un meurtre sur la conscience
conscience politique en son âme et conscience
avoir bonne / mauvaise conscience
conscience professionnelle

2 Les différents sens de la conscience


1. La capacité à éprouver quelque chose ou à percevoir le monde extérieur :
sensation et perception. N’est pas véritablement la conscience.
2. Capacité de se rendre compte de ce qu’on sent, perçoit ou fait : réflexion
= retour sur ce qu’on vit, on rapporte la chose à soi, comme la réflexion
en maths, effet de miroir, on ressent ou on fait quelque chose et on en
a une image, une représentation, on sait qu’on le fait. Implique la
conscience de soi. Conscience au sens psychologique.
3. Capacité de percevoir ce qui est bien ou mal = conscience morale.
Suppose la conscience au sens 2 = il faut avoir un retour réflexif sur ce
qu’on fait ou perçoit pour savoir si c’est bien ou mal, il faut pouvoir
se représenter quelque chose et pas seulement le vivre dans l’immédiat
⇒ la conscience permet de se détacher de l’immédiateté, d’avoir une
relation au temps par la mémoire de ce qui s’est déjà passé et l’antici-
pation de ce qui va se passer ou de ce qu’on veut faire : pour agir, on se

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projette dans l’avenir. Mémoire et anticipation, c’est la définition


que donne Bergson (fin xixe – début xx e ) de la conscience. Conscience
au sens moral.

3 Qui possède la conscience ?


3.1 Distinction inerte / vivant
• L’inerte n’a aucune conscience du monde qui l’entoure : ne perçoit
pas le monde qui l’entoure et ne peut pas agir sur lui.
• Dans le vivant, on peut distinguer plusieurs degrés :
– Les végétaux, la bactérie ou le mollusque qui n’ont pas de
système nerveux central, réagissent à leur environnement, à des
stimuli, changent leur comportement en fonction de l’environnement
extérieur, mais ne semblent pas en avoir de représentation, réaction
chimique pour les bactéries et réflexe pour les mollusques. Ils sont
simplement en interaction avec le milieu.
– Les mammifères : on a l’impression qu’ils perçoivent le monde
extérieur, qu’ils en ont une représentation et agissent en fonction de
cette représentation et non par simple réflexe. On peut considérer
cette représentation comme le 1er degré de la conscience.

3.2 Distinction homme / animal


L’homme ajoute à cela la réflexion, en plus de la simple perception ou
représentation. En même temps qu’il perçoit, il sait qu’il perçoit, en même
temps qu’il agit, il sait qu’il agit. C’est le sens véritable de « conscience » :
cum-scire, savoir avec ⇒ conscientia = « accompagné de savoir ». La con-
science proprement dite est donc la capacité à ajouter une connaissance, un
savoir à un fait : je ne me contente pas de voir, mais je sais que je vois, etc.

Bilan à noter On distingue 3 sens de la conscience : la conscience comme


sensation et perception, la conscience psychologique ou conscience comme
réflexion et la conscience morale ou conscience du bien et du mal. La con-
science au 1er sens est possédée par les hommes et certains animaux et la
conscience aux 2 autres sens seulement par les hommes.

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Première partie
La conscience est-elle la source de
toutes nos connaissances ?
1 La conscience comme représentation du monde
extérieur
1.1 Le 1er degré de la conscience : perception et sensation
est indispensable à la connaissance du monde qui nous
entoure
1.1.1 Être en relation avec le monde extérieur
On peut déjà dire que les plantes ou animaux « inférieurs » sont en rela-
tion avec le monde extérieur au sens où ils apportent une réponse aux vari-
ations du monde extérieur qui leur permet de subsister. Il s’agit de ressentir
un stimulus et de réagir en conséquence, mais on ne parlera pas encore de
perception ni d’action, mais simplement de réaction réflexe. Ils sont simple-
ment en contact avec leur environnement, avec lequel ils sont en interaction.
Toutefois, cette relation au monde extérieur, si elle est indispensable à
sa connaissance, puisqu’elle est ce qui nous permet d’être en relation avec
lui, d’être en contact avec lui, ne suffit pas à le connaı̂tre (elle est nécessaire
mais pas suffisante pour la connaissance). Il s’agit d’un rapport immédiat 1
(direct, sans médiation) au monde, qui ne permet pas de le connaı̂tre : on
se contente d’adhérer au monde, de se confondre avec lui, sans la prise de
distance nécessaire à la connaissance.

1.1.2 La sensation et la perception permettent de franchir un


degré de plus dans la connaissance
L’aigle voit sa proie, l’objet lui est présenté, et l’aigle agit en fonction de
ce qu’il voit, en fonction de l’objet qui lui est présenté et qui n’a pas d’action
directe sur lui. Il y a donc une distance entre l’objet et l’aigle, l’objet n’agit
pas directement sur l’aigle et l’aigle peut attendre le moment propice pour
fondre sur sa proie. Il y a donc un début de mise à distance de l’objet.
L’aigle n’est cependant pas à proprement parler conscient d’être en train
de chasser pour manger : il agit par instinct, il est tout entier à son action
et a donc encore un rapport immédiat au monde, qui ne passe pas par une
re-présentation de l’objet, qui lui est simplement présenté, et encore moins
par une représentation de cet objet comme étant distinct de lui. L’aigle
est encore dans l’immédiateté de l’action, ce qui lui permet d’ailleurs de
1
Repères : médiat / immédiat.

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gagner en rapidité et en efficacité. On peut comparer cette situation à celle


dans laquelle on se trouve quand on joue à des jeux répétitifs : exemple,
on doit tirer sur les soldats mais pas sur les civils, au début on est lent
parce qu’on réfléchit à chaque fois, et au bout d’un moment, dès que le
personnage apparaı̂t, on tire, on a presque l’impression que ça ne passe plus
par le cerveau, parce qu’on est dans une action de type réflexe.

1.2 Mais seule la rélfexion permet de le connaı̂tre vraiment


Sensation et perception sont nécessaires à la connaissance mais ne sont
pas suffisantes. Pour connaı̂tre, au contraire, il faut une re-présentation
de l’objet, càd non seulement sa présentation, mais sa reconnaissance con-
sciente, il faut un retour réflexif sur cet objet, qui crée un rapport médiat
entre moi et le monde. Je ne réagis pas de manière immédiate à une percep-
tion, mais je forme dans mon esprit une image de ce que je perçois, image
qui peut rester dans mon esprit une fois que la perception a disparu. Je me
représente l’objet perçu comme étant quelque chose qui est distinct de moi,
et par là, je me connais nécessairement en même temps moi comme étant
distinct de cet objet et comme étant celui qui perçoit cet objet. Comme nous
le verrons avec la phénoménologie, la conscience est en effet toujours con-
science de quelque chose, et la conscience naı̂t de la visée de quelque chose
qui n’est pas elle, qui lui est transcendant, cette visée de ce qui n’est pas elle,
c’est ce qu’on appelle l’intentionnalité de la conscience, qui est nécessaire à
la conscience de soi. Je prends en effet conscience de moi comme étant celui
qui vise cet objet qui n’est pas moi et qui m’est extérieur, transcendant.
La connaissance du monde extérieur suppose donc le passage par la
médiation de la représentation et, de manière liée, la réflexion : càd le fait
non seulement de voir mais de savoir que je vois, et par là, de savoir en
même temps qu’il y a un “je” qui voit et qui est distinct de ce qu’il voit. La
connaissance du monde suppose donc en même temps la conscience de soi.
Elle suppose également une mise à distance, à la fois spatiale et tem-
porelle. Spatiale : l’objet perçu ne se confond pas avec moi, il est placé devant
moi, en face de moi. Temporelle : je ne suis pas obligé d’agir immédiatement
en réponse à ma perception, mais je peux prendre le temps de réfléchir, et,
par exemple, de me souvenir de situations passées qui ressemblent à celle
à laquelle je suis confronté. La mémoire est en effet caractéristique de la
conscience, qui peut garder l’image, la représentation, de ce qui n’est plus
présent.
La conscience est même fondamentalement liée à la temporalité. Comme
le fait remarquer Bergson dans la conférence “La Conscience et la Vie” de
L’Énergie spirituelle (cf. manuel Nathan p. 36), une conscience qui ne con-
serverait rien de son passé, càd qui s’oublierait elle-même à chaque instant,
ne ferait en fait que périr et renaı̂tre à chaque instant et ne serait donc
pas une conscience. Elle ne se connaı̂trait pas elle-même et ne pourrait rien

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connaı̂tre, puisqu’elle oublierait immédiatement. Elle ne pourrait rien faire


non plus, car une action consciente a toujours commencé dans le passé et
envisage toujours l’avenir. Quand je prononce une phrase, par exemple, la
phrase, dont je dis que je la prononce au présent, est en fait constituée des
sons que j’ai déjà prononcés et de ceux que je n’ai pas encore prononcés.
Une fois que j’ai terminé de la prononcer, elle est déjà entièrement passée.
C’est en ce sens que Bergson caractérise la conscience comme mémoire et
anticipation, mémoire du passé et anticipation de l’avenir.
C’est cette capacité de mémoire qui permet la véritable connaissance, car
connaı̂tre, c’est aussi se souvenir et être capable de reconnaı̂tre. Je connais
un poème parce que je suis capable de le réciter, de m’en souvenir, je connais
quelqu’un quand je suis capable de parler de lui même quand il n’est pas là
et de le reconnaı̂tre quand je le vois. Dès que j’oublie, je ne sais plus.
Comme nous l’avons vu avec le texte de Pascal, la mémoire est aussi ce
qui garantit l’identité d’une personne par la continuité de sa conscience : je
sais que je suis le même parce que je me souviens de ce que j’ai vécu dans
le passé. Si la conscience périssait et renaissait à chaque instant, je pourrais
être sans cesse quelqu’un de différent. Je ne connaı̂trais donc ni le monde ni
moi-même.

Transition : Pour connaı̂tre, il faut donc une conscience au sens 2 :


conscience comme réflexion, qui consiste en une représentation du monde
extérieur, càd en un retour réflexif sur ce que nous sentons et percevons,
assorti de la capacité de se souvenir. Cela pose cependant deux problèmes :
1. Nos sensations et perceptions sont-elles fidèles à la réalité du monde
extérieur ? Autrement dit, nos sens peuvent-ils nous tromper sur le
monde.
2. Les représentations que nous nous faisons à partir de ces sensations
et perceptions leur sont-elles fidèles ? N’interprétons-nous pas ce que
nous percevons, au risque de transformer la réalité objective ?

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2 La conscience que j’ai du monde extérieur et de


moi-même peut-elle constituer une connaissance
fiable ?
Pb : qu’est-ce qui me garantit que je ne me trompe pas en croyant
connaı̂tre le monde extérieur, qu’est-ce qui me garantit que j’en ai une vision
juste ?

2.1 Pourquoi douter ?


Descartes, dans les Méditations métaphysiques (1641), part du constat
selon lequel il a « reçu quantité de fausses opinions pour véritables » depuis
ses 1res années. Opposition croire / savoir.
Descartes, mathématicien, physicien et philosophe, xviie siècle. Physique :
loi de la réfraction, loi de Snell-Descartes n1 sin(i) = n2 sin(r), avec i an-
gle d’incidence et r angle réfracté, n est l’indice du milieu dans lequel se
propage la lumière. Maths : il invente la géométrie analytique au même mo-
ment que Fermat = application des méthodes de l’algèbre à la géométrie =
vecteurs et équations qui portent sur les composantes des vecteurs (systèmes
d’équations). y = ax + b = équation cartésienne d’une droite, décrit par
l’algèbre quelque chose de géométrique : une droite.
Problème du fait d’avoir certaines opinions fausses : ce qu’il a fondé sur
de tels principes doit être faux et s’il sait que certaines de ses opinions sont
fausses, il y en a probablement d’autres qui le sont sans qu’il le sache.
Comment se défaire de l’erreur ? Comment être sûr que tout ce qu’il
tient pour vrai l’est effectivement ? Il faudra ne plus avoir le moindre doute
sur ses opinions et donc rejeter comme fausses toutes les opinions dont il
doute. Pour rejeter une opinion, il n’est pas nécessaire de savoir qu’elle est
fausse, il suffit de ne pas avoir la certitude qu’elle est vraie : le moindre petit
doute suffira à la rejeter. C’est ce qu’on appelle le doute hyperbolique
cartésien : pour être sûr, mieux vaut trop douter que pas assez, le moindre
soupçon doit faire abandonner une opinion, il faut tenir pour faux ce qui
n’est en fait que douteux, et on va voir que ça peut mener très loin. Pb :
s’il faut passer toutes ses opinions en revue, ça va prendre des siècles. Pas
la peine : il suffit de commencer par celles sur lesquelles les autres reposent,
en commençant par les fondements, on fera écrouler tout l’édifice qui repose
sur ces fondations.
Origine / fondement : ici, le fondement, c’est ce sur quoi repose le
reste, c’est d’un point de vue logique et non chronologique, contraire-
ment à l’origine. Le but de Descartes va être précisément de montrer que
si nos connaissances, ou du moins nos opinions ont bien leur source dans la
sensation, et donc la sensation est à leur origine, elles naissent de la sen-
sation, la sensation n’est pas un fondement fiable pour la connaissance :

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on ne peut pas déduire logiquement la connaissance de la sensation, on ne


peut pas en être certain. Fondement = base logique solide ; origine =
source chronologique pas forcément justifiée. On a la même opposi-
tion en politique, concernant par exemple le fondement d’une loi : on peut
comprendre comment on en est arrivé à adopter une loi, mais se demander
si cette loi est fondée. Ça rejoint alors la question de la légitimité. Exemple
du manuel : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi
les hommes, Rousseau (xviiie siècle) ⇒ l’inégalité est un fait, on peut re-
monter à son origine, mais est-elle pour autant fondée, c’est-à-dire y a-t-il
des raisons pour qu’une telle inégalité existe, est-ce sinon juste, du moins
profitable.

Bilan à noter Descartes s’est aperçu que certaines de ses opinions, qu’il
croyait parfaitement assurées, étaient fausses. Si certaines de ses opinions
étaient fausses, il se peut que d’autres le soient aussi, voire qu’elles le soient
toutes. Pour se défaire de l’erreur et être absolument certain de ce qu’il tient
pour vrai, il va alors falloir qu’il considère tout ce qui est douteux comme
faux. Il va falloir qu’il abandonne toutes les opinions douteuses comme si
elles étaient fausses.

2.2 De quoi faut-il douter ?


2.2.1 Les sens sont trompeurs
• Tout ce que je considère avoir appris de plus vrai, je l’ai reçu des sens.
(On pourra donc penser que s’il remet en doute le témoignage des sens,
il remet toutes ses connaissances en doute, puisque les plus assurées
d’entre elles seront déjà douteuses).
• Or ces sens m’ont quelquefois trompé, et il ne faut jamais se fier
entièrement à ceux qui nous ont trompé une fois ⇒ il faut donc douter
de ce que j’ai appris par la perception et la sensation.
• Objection possible : nos sens nous trompent pour les « choses peu
sensibles et fort éloignées », mais il y a peut-être d’autre choses que
nous recevons par nos sens et dont nous ne pouvons pas raisonnable-
ment douter. Parmi ces choses, le fait que ces mains et ce corps-ci
soient à moi.
• D’après cette objection, que se fait Descartes à lui-même, en anticipant
une objection qu’on pourrait lui faire, s’il semble acceptable de mettre
en doute la conscience que j’ai du monde par la perception et la sensa-
tion, il ne semble pas possible de mettre en doute la conscience
que j’ai de moi-même, et en particulier de mon corps, car j’en
ai une conscience intime et immédiate (bien qu’immédiate, elle
est conscience, parce qu’elle est réflexive). Il ne semble pas possible de
se tromper là-dessus, car il n’y a aucune distance de moi à moi-même,

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contrairement au cas des objets, pour lesquels il y a une distance entre


moi et mes sens et les objets perçus par les sens. J’ai conscience non
seulement que ce corps m’appartient, mais que je suis ce corps.
• Or, pour Descartes, même cette conscience que j’ai de moi-même, de
mon corps, doit être mise en doute. (Cf. sujet : « Suis-je ce que j’ai
conscience d’être ? »).
• Réponses que donne Descartes à l’objection de la connais-
sance intime :
1. Les fous croient être rois quand ils sont très pauvres. Réponse
rejetée, car il serait extravagant que je me règle sur leur exemple.
2. Argument du rêve : quand je rêve, je me représente des choses
insensées, par exemple que je suis habillé près du feu alors que je
suis nu dans mon lit. Contre-argument : je sens maintenant les
choses clairement, je n’ai pas l’impression d’être assoupi. Rejet
du contre-argument : j’ai souvent eu de telles illusions quand
je dormais. Conclusion : il n’y a pas d’indices concluants pour
« distinguer nettement la veille d’avec le sommeil ». Admettons
donc que nous soyons endormis.
3. Cependant, ce que nous nous représentons dans notre sommeil
ne peut être formé qu’à la ressemblance de choses réelles. Par
exemple, on peut mélanger et recomposer des têtes, des mains,
etc., mais ces éléments au moins représentent des choses réelles,
comme dans les tableaux des peintres. Passage à la limite : un
peintre d’une grande imagination pourrait peut-être inventer quelque
chose que nous n’ayons absolument jamais vu auparavant, mais
au moins, les couleurs dont le tableau est composé doivent être
véritables.
Les choses ne sont donc pas forcément comme j’ai conscience qu’elles
sont. Je ne suis pas non plus forcément moi-même ce que j’ai conscience
d’être. Mais il semble y avoir au moins certaines choses dont j’ai conscience
et qui sont véritables, ces choses étant peut-être à l’origine de toute connais-
sance possible. Puis-je faire reposer toute ma connaissance sur ces quelques
éléments dont j’ai conscience et dont il ne semble pas possible de douter ?

Bilan à noter Mes sens m’ont déjà trompé. Si on applique le doute hy-
perbolique, on peut donc dire qu’il est possible qu’ils me trompent toujours.
Je ne peux donc pas tenir pour vrai ce qui me vient de la sensation et de la
perception. Mais lorsque j’imagine, je ne peux pas tout inventer de A à Z :
il faut au moins que certains éléments me viennent de choses réelles que j’ai
perçues. Ces éléments-là ne seraient pas douteux, ils pourraient être la base
d’une connaissance certaine.

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2.2.2 Je peux me tromper sur tout ce que je crois savoir


• Il doit donc y avoir des choses plus simples et plus universelles
qu’une tête ou une main, qui, tout comme les couleurs, permettent
de former, par leur mélange, les images qui sont dans notre pensée,
les représentations qui sont dans notre conscience. Ces choses seraient
l’étendue (le fait qu’une chose se situe dans l’espace), la figure (=
la forme), le nombre, la grandeur, le lieu, la durée et autres choses
semblables. Les sciences qui dépendent de la considération de choses
composées, comme la physique ou l’astronomie seraient alors dou-
teuses, parce qu’il pourrait y avoir une erreur sur la composition, mais
pas l’arithmétique ou la géométrie, immédiatement constituées de ces
éléments simples. Elles traitent en effet de choses très générales et ne
cherchent pas à savoir si elles existent dans la nature. Deux et
trois feront toujours cinq, « soit que je veille ou que je dorme ».
• Objection : « J’ai en mon esprit depuis bien longtemps qu’il y a un
Dieu qui peut tout ». Dieu est donc peut-être trompeur, c’est-à-dire
il peut n’avoir pas fait qu’il y ait de l’étendue, de la figure, etc., mais
avoir fait que j’aie les sentiments de toutes ces choses. Il peut avoir fait
que je me trompe chaque fois que je fais l’addition de deux et de trois.
Je sais en effet que je me trompe parfois, dès lors, pourquoi est-ce que
je ne pourrais pas me tromper toujours ? Et s’il n’y avait pas un Dieu
tout puissant, mais que j’aie été formé par quelque chose de moins
parfait, le hasard, par exemple, il serait d’autant plus probable que je
sois imparfait et que je me trompe.
• Il se pourrait qu’un Dieu trompeur mette dans ma conscience des idées
fausses, des opinions qui ne sont pas des connaissances, même pour les
choses qui ne relèvent que de l’esprit et pas d’une confrontation avec
la réalité.

Bilan à noter Même les éléments simples sans lesquels je ne peux pas
penser sont peut-être faux. Il peut en effet y avoir un Dieu trompeur qui
s’amusent à mettre dans mon esprit des idées fausses.

Transition : Ce n’est donc pas la conscience comme perception et sen-


sation qui pourra être la source de toutes nos connaissances, parce que ma
sensation peut ne pas refléter la réalité, mais même pas non plus les idées
qui sont directement dans ma conscience sans avoir besoin de me venir de
l’extérieur. Comment fonder alors toutes mes connaissances ? Est-il possible
de savoir quelque chose de certain ?

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3 Que puis-je savoir indubitablement ? Conscience


et connaissance du moi
2e Méditation.
On a établi à la méditation 1 qu’il fallait faire comme si ce qui est seule-
ment douteux était absolument faux. Ça nous a conduits à rejeter comme
douteux non seulement tous les objets extérieurs, mais même notre propre
corps ou tout ce que nous pensons. En me persuadant qu’il n’y avait rien
dans le monde et que je n’avais ni sens ni corps, est-ce que je me suis
aussi persuadé que je n’étais pas ?

3.1 Je suis
• Si je me suis persuadé ou seulement si j’ai pensé quelque chose, c’est
que, assurément, j’étais, sans quoi je n’aurais pas pu penser.
• S’il y a un mauvais génie qui me trompe, alors il n’y a pas de doute
que je suis : le mauvais génie ne peut donc pas être une objection à
mon existence.
• D’où « il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je
suis, j’existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce
ou que je la conçois en mon esprit ».
Descartes, Méditations métaphysiques, 2e méditation, manuel p. 25.

3.2 Que suis-je ?


• Je sais donc indubitablement que je suis, mais que suis-je ?
• La seule chose que je ne puisse détacher de moi est la pensée.
• « Je suis, j’existe : cela est certain ; mais combien de temps ? À savoir
autant de temps que je pense ; car peut-être même qu’il se pourrait
faire, si je cessais de penser, que je cesserais en même temps d’être ou
d’exister ».
• Cela signifie que je ne suis sûr d’exister que tant que je pense.
• Il n’y a donc qu’une chose qui soit nécessairement vraie : je suis
« une chose qui pense, c’est-à-dire un esprit, un entendement ou
une raison ».
• Au passage, on remarquera le passage du « je pense » à la « chose qui
pense » : Descartes fait de la conscience une substance, c’est-
à-dire quelque chose qui existe par soi-même et indépendamment de
toute autre chose, ce qui n’a rien d’évident et n’est pas vraiment jus-
tifié par ce qu’il a dit précédemment. Substance, étymologiquement,
signifie « ce qui se tient dessous ». La substance est quelque chose
qui existe par soi-même, qui n’a pas besoin d’autre chose pour exister,
mais est au contraire le support des qualités. La couleur blanche, par
exemple, n’est pas une substance parce qu’elle ne peut pas exister par

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elle-même, il lui faut quelque chose pour exister : une table, un mur,
etc., il lui faut un support, et ce support, c’est la substance. En ce sens,
la substance est un sujet, c’est-à-dire quelque chose de constant,
de permanent, à quoi on rapporte des qualités qui, elles peuvent être
changeantes. Le sujet, c’est ce qui supporte des qualités, c’est un sup-
port. Quant à ces qualités, on les appelle des « accidents », l’accident
étant ce qui existe non par soi-même, mais grâce à une autre chose et
par suite ce qui peut être modifié sans que la chose elle-même change
de nature ou disparaisse. Rapport avec ce qu’on appelle aujourd’hui
l’accident ? L’accident est ce qui peut être ou ne pas être, ce qui aurait
pu être autre sans changer la chose : l’accident est contingent tandis
que la substance appartient à l’essence de la chose, à sa na-
ture profonde, à ce qu’elle est fondamentalement (quand on cherche
ce que je suis, on cherche mon essence). [Essentiel / accidentel] Exem-
ple : il fait partie de l’essence d’un triangle d’avoir 3 côtés, mais il est
accidentel que ce triangle soit rectangle ou isocèle.
• « Qu’est-ce qu’une chose qui pense ? C’est-à-dire qui doute, qui conçoit,
qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi et qui
sent. » Tout cela ne peut pas être distingué de ma pensée, c’est-à-dire
séparé de moi-même.
• Pour l’instant, je sais seulement que je suis un esprit, rien de plus.
Je ne sais en particulier pas si j’ai (ou si je suis) aussi un corps.
Cette possibilité de penser l’esprit (ou la conscience) comme substance
indépendamment de tout corps est à l’origine du dualisme cartésien :
il y a pour Descartes 2 substances distinctes et séparées, le corps et
l’esprit.

Bilan à noter Puisque je pense, je sais indubitablement que je suis, et


tout ce que je sais de moi, c’est que je suis une chose qui pense, une substance
pensante. Cette substance pensante, je peux me la représenter indépendante
de toute substance corporelle, de toute matière.

3.3 Le morceau de cire


• Je ne peux cependant pas m’empêcher de croire que je connais mieux
les choses corporelles, les choses matérielles, que mon esprit, parce
que je peux me les représenter dans mon imagination, alors que je
ne peux pas imaginer mon esprit. Qu’en est-il alors de ces choses
corporelles ? Que puis-je en connaı̂tre ?
• Ce que nous croyons connaı̂tre le mieux, ce sont les corps que nous
touchons et que nous voyons. Par exemple un morceau de cire.
• Mais que connaissons-nous en réalité du morceau de cire ?
• Cas du morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche. Il a
encore la douceur du miel qu’il contenait, l’odeur des fleurs dont il a

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été recueilli. Sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes, il est


dur, il est froid, on le touche, si on le frappe, il rend un son.
• Mais si je l’approche du feu, il perd sa saveur, son odeur, sa couleur
change, sa figure se perd, sa grandeur augmente, il devient liquide, il
s’échauffe, à peine peut-on le toucher, et si on le frappe, il ne rendra
aucun son.
• Pourtant, c’est la même cire qui demeure.
• Mais si aucune de ces qualités sensibles ne fait la cire, qu’est-ce que je
connaissait de ce morceau de cire avec tant de distinction ?
• Peut-être seulement que c’est un corps qui me paraissait avant sous
certaines formes et me paraı̂t maintenant sous d’autres.
• Tout ce qui reste de la cire qui ne soit pas changeant, c’est quelque
chose d’étendu, de flexible et de muable, c’est-à-dire capable d’une
infinité de changements.
• Mais je ne peux pas percevoir une infinité de changements. Ce n’est
donc pas par la sensation que je peux connaı̂tre le morceau de cire.
Ce n’est que par mon esprit que je le connais, par une introspection
de l’esprit : je ne vois pas de la cire, mais je juge que c’est de la cire,
tout comme quand je vois des chapeaux passer dans la rue, je juge que
ce sont des hommes, mais je ne vois pas que ce sont des hommes.
• C’est donc de ma conscience que me vient la connaissance des choses
matérielles. Je me connais moi-même par une introspection de la con-
science, mais je connais aussi les choses extérieures à moi par une
introspection de la conscience.

Bilan à noter C’est de ma conscience que me vient la connaissance des


choses matérielles. Je me connais moi-même par une introspection de la
conscience, mais je connais aussi les choses extérieures à moi par une intro-
spection de la conscience. La sensation, en effet, ne me permet pas de dire
qu’un faisceau de sensations est une seule et même chose ni qu’une chose est
identique à elle-même dans ses changements.

Transition Y a-t-il une réalité du monde que je juge être le monde extérieur
en dehors de ma conscience ?

3.4 Redécouverte du monde à partir de la conscience


À partir de la conscience, Descartes retrouve tout le reste : dans la 3e
méditation, il déduit du cogito l’existence de Dieu, défini comme un être
parfait (qui est la cause de l’idée d’infini et de perfection que nous avons en
notre esprit), dans la 4e , que « les choses que nous concevons fort clairement
et fort distinctement sont toujours vraies », dans le 6e (exemple d’idée claire
et distincte : un triangle est une figure à 3 côtés, elle est forcément vraie, ce

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

qui ne signifie pas qu’il existe en dehors de moi un tel triangle), il apporte
« les raisons desquelles on peut conclure l’existence des choses matérielles ».
Raisons de l’existence des choses matérielles :
– Différence entre concevoir et imaginer. L’imagination, contraire-
ment à l’entendement, n’est pas uniquement spirituelle : elle a besoin
de se tourner vers la nature corporelle, elle est à la fois spirituelle et
corporelle. L’existence de l’imagination rend donc très probable une
existence de la nature corporelle, dont je fais l’expérience comme unie
à ma pensée.
– J’attribue naturellement mes sensations à l’action de corps extérieurs
sur moi. Cette inclination naturelle ne peut pas être tout le temps
illusoire sans quoi ça voudrait dire que Dieu m’a créé de sorte que
je me trompe tout le temps, ce qui est impossible, puisqu’il est
parfait et bon.
Mais Descartes admet que l’existence des choses extérieures n’est
pas aussi certaine que celle de mon esprit, de Dieu et de mon âme. Par
ailleurs, savoir qu’il existe des choses matérielles en dehors de nous ne nous
garantit pas que nous ne nous trompons pas sur ce qu’elles sont. L’existence
des choses matérielles reste donc un point faible de la pensée de Descartes.

Problème : Est-il possible de sortir de ma conscience pour connaı̂tre,


depuis ma conscience, le monde extérieur. C’est le problème qui se pose si
on ne peut pas faire confiance aux sens. Une fois qu’on a détaché les choses
matérielles des choses spirituelles, qu’on a adopté une position dualiste, le
problème est de pouvoir relier les deux, matière et esprit pour comprendre
comment il peut nous être possible de connaı̂tre le monde extérieur. Nous y
reviendrons dans le cours sur la matière et l’esprit.
Il nous faudra aussi nous demander si nous ne sommes que notre con-
science et que ce que nous avons conscience d’être ou si une partie de nous-
mêmes n’échappe pas à notre connaissance. Nous y reviendrons dans le
cours sur l’inconscient.

14
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Deuxième partie
e
2 cours : Peut-on dépasser la
séparation entre l’esprit et la
matière ?
1 Puis-je sortir de ma conscience pour connaı̂tre
le monde objectivement ?
1.1 L’idéalisme
Pb qui se pose = si je ne peux pas avoir d’accès au monde en dehors
de ma propre conscience, il ne m’est donc jamais possible de comparer un
monde extérieur qui serait objectif 2 à la représentation subjective que
j’en ai. Comment puis-je alors savoir que je ne transforme pas le monde,
comment savoir si le monde est bien conforme à la représentation que je
m’en fais ? Il ne m’est pas possible d’avoir accès au monde tel qu’il est en
dehors de ma conscience.
C’est déjà ce qu’on peut comprendre de l’analyse de Kant, dans la
Critique de la raison pure, qui explique qu’on ne peut avoir accès qu’aux
phénomènes, càd aux choses telles qu’elles nous apparaissent et non aux
choses en soi (noumènes), càd telles qu’elles sont en dehors des cadres que
nos capacités cognitives projettent sur le monde. Le but de Kant est de
déterminer les conditions de possibilité de notre connaissance. Notre pensée
a certaines structures et c’est à partir de ces structures que nous connais-
sons le monde, elles fonctionnent un peu comme un filtre qui met en ordre
le monde. Kant dit que la connaissance des objets dépend des “structures a
priori [càd avant expérience] de la sensibilité et de l’entendement”. L’espace
et le temps n’appartiennent pas au monde extérieur mais sont des “formes a
priori de la sensibilité”. Les catégories de l’entendement sont des concepts
comme l’unité, la causaité, etc.
C’est ce qu’on appelle un idéalisme (= affirme la prééminence des idées,
des représentations mentales abstraites, sur la réalité concrète et matérielle).
Chez Kant, on parle d’idéalisme transcendantal (= ce qui rend possible
la connaissance indépendamment de toute expérience). Cet idéalisme n’ex-
clut pas l’existence des choses extérieures, ne la remet même pas en cause,
mais dit qu’il serait vain de vouloir connaı̂tre les choses telles qu’elles sont
indépendamment de la manière dont elles nous apparaissent.
La forme la plus extrême de l’idéalisme est l’immatérialisme de Berkeley.
2
Objectif / subjectif. Est subjectif ce qui relève d’une perception personnelle, ce qui
est relatif au point de vue d’un sujet et objectif un fait, ce qui est réellement, les qualités
réelles d’un objet, indépendamment du jugement d’un sujet.

15
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Berkeley, philosophe irlandais du début du xviiie siècle, dans les Principes


de la connaissance humaine, 1710, §1–33, trouve absurde de remettre en
question, comme le fait Descartes, l’existence des choses sensibles alors qu’il
est assez évident qu’un morceau de pain nous rassasie (Kant ne la remet pas
en question non plus). Berkeley ne voit pas comment une chose peut être
réellement perçue par les sens sans exister réellement.
Mais ce qu’il nie, c’est que les objets de notre perception soient en dehors
de nous, en dehors de notre esprit, de notre conscience. C’est ce qu’on appelle
l’immatérialisme. Si ce qui prouve l’existence de la chose que je perçois est
précisément le fait que je la perçoive, on ne peut pas séparer l’existence du
fait d’être perçu. On ne peut pas séparer la chose qu’on perçoit du fait de
la percevoir. “Esse est percepi ” (être, c’est être perçu).
Or la perception est une idée. Comme nous l’avons vu, la perception
consciente et réfléchie, qui est la base de la connaissance du monde extérieur
consiste en fait en une représentation. C’est donc dans notre idée, dans
notre pensée, dans notre conscience, que la chose existe, et non en dehors de
nous. C’est en ce sens qu’on peut dire que l’immatérialisme est un idéalisme,
c’est même le cas extrême de l’idéalisme, puisqu’il supprime totalement la
matière en disant que ce que nous prenons pour le monde extérieur n’existe
en fait que dans notre pensée. Il n’existe pas de matière considérée comme
une substance extérieure à mon esprit, transcendante (6= immanente), d’où
proviendraient mes perceptions. Pour Berkeley, il n’existe rien en dehors de
ma conscience.
Principe d’économie (= Dieu ou la nature ne fait rien en vain) : s’il
y avait des choses en dehors de notre esprit, nous n’aurions aucun moyen
de le savoir, puisque nous pourrions être affectés de toutes les idées que
nous avons maintenant même s’il n’existait aucun corps qui leur ressemble.
Supposer qu’il y a des choses en dehors de nous, c’est donc supposer que
que Dieu a fait des choses inutiles.
On peut comparer cela avec les cerveaux dans une cuve de Putnam,
nathan p. 375 : finalement, si le monde extérieur n’existe pas vraiment en
dehors de notre cerveau, ça ne change pas grand chose pour nous.
Expérience de pensée : essayez de vous représenter quelque chose qui
existerait en dehors de votre pensée, en dehors de votre perception. Les
tables dans la salle d’à côté ou des arbres dans un parc où il n’y a personne.
Est-ce que c’est possible d’imaginer ça ? À partir du moment où je l’imagine,
c’est que je le pense, et je ne peux pas séparer l’objet pensé de la pensée
de l’objet. De la même manière que je ne peux pas séparer le blanc de son
support : la table blanche, le mur blanc, etc.
Il n’y a pas d’objet en dehors de notre esprit, mais ces objets, nous les
connaissons bien, nous les connaissons d’autant mieux qu’ils ne sont rien
d’autre que notre perception. En ce sens, la perception que nous en avons
est nécessairement fiable. Nous percevons nécessairement l’objet tel qu’il est,
puisque l’existence de l’objet consiste à être perçu.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Pourtant, nous avons bien l’impression que nos idées, nos imaginations,
etc., ne sont pas la même chose que ce que nous percevons comme des objets
en dehors de nous.

Bilan Puisque nous ne pouvons jamais sortir de notre esprit, nous ne pou-
vons pas savoir s’il existe des objets en dehors de nous, s’il existe un monde
extérieur, ou si tout n’est fait que des idées qui sont dans notre esprit. Il
se pourrait que le monde que nous considérons comme nous étant extérieur
soit en fait intégralement inclus dans notre esprit. Pourtant, nous faisons
spontanément la différence entre ce qui relève uniquement de la fiction de
notre esprit ou des pensées abstraites et ce que nous considérons comme
existant à l’extérieur de nous.

1.2 La phénoménologie
• Comme nous l’avons vu, la phénoménologie considère que la conscience
se caractérise par son intentionnalité, càd que la conscience est tou-
jours conscience de quelque chose. [Phénoménologie principalement
représentée par Husserl, allemand, fin xixe – début xxe ]
• Contrairement à Kant, la phénoménologie considère qu’il n’y a pas
d’essence de choses, de choses en soi, en dehors des apparences, au-delà
des phénomènes. Il n’y a rien d’autre que des phénomènes. L’essence
des choses, c’est l’apparence.
• Est-ce que cela suppose l’existence de quelque chose en dehors de la
conscience, de transcendant à la conscience, qui serait à l’origine de
ces apparences ?
• La réponse n’est pas évidente, car on pourrait penser, comme le fait
Berkeley, que si la conscience est bien conscience de quelque chose, elle
pourrait très bien viser quelque chose qui est inclus en elle.
• Pourtant, ce que nous montre la phénoménologie, c’est que nous ne
nous rapportons pas de la même manière à ce que nous percevons
comme nous étant extérieur et à ce que nous imaginons, à ce dont
nous nous souvenons ou à ce que nous pensons, et dont nous con-
sidérons que cela se situe dans notre conscience, et non à l’extérieur
de nous.
• La phénoménologie considère que la conscience est toujours conscience
de qch et étudie les différentes formes que peut prendre ce qch (imag-
ination, perception, etc.) pour étudier les différentes forme de con-
science qui en résultent.
• L’imagination considère son objet comme absent, tandis que la per-
ception considère son objet comme présent et extérieur à la conscience.
Husserl, dans Chose et Espace, parle d’un objet qui se tient là sur le
mode de la présence-en-chair-et-en-os.

17
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

• Mais là encore, tout cela pourrait venir de nous. C’est nous qui con-
sidèrons l’objet perçu comme présent.
• Il y a cependant d’autres différences entre ce que je perçois et ce
que j’imagine ou ce que je pense : Textes de Husserl et de Sartre
(français, xxe siècle).
• Lorsque je conçois une chose dans mon esprit, je la connais immédia-
tement tout entière, j’appréhende toutes ses facettes, toutes ses pro-
priétés d’un seul coup. Rien ne peut m’échapper puisque l’objet n’est
que ce que j’en pense, il n’a donc aucune autre propriété que celles
que je lui attribue.
• Lorsque, au contraire, j’ai conscience d’une chose comme perçue, lorsque
je la vise comme étant extérieure à ma conscience, je dois en faire le
tour, c’est-à-dire percevoir successivement ses différentes facettes. Il
me faut alors unifier par la conscience ces différentes facettes que je
vise comme étant les différentes facettes d’un seul et même objet per-
manent, il me faut en faire la synthèse (poly analyse/synthèse). Du
point de vue de la connaissance, un certain nombre de problèmes peu-
vent se poser dans le cas de la perception :
– Je n’ai accès qu’à une succession d’impression mais je considère l’ob-
jet comme constant, comme permanent. Je pourrais me tromper : il
pourrait être changeant.
– Je pourrais également me tromper en groupant les sensations. Qu’est-
ce qui me prouvent en effet qu’elles vont bien ensemble, qu’elle provi-
ennent d’un même objet qui a une unité ?
– Je n’ai que des aperçus de l’objet, que des points de vue sur lui.
Par exemple, quand on regarde un cube, les côtés n’apparaissent
pas égaux. Il m’en faudrait une infinité pour être sûr de bien avoir
cerné l’objet, de lui attribuer les bonnes propriétés.
– Pour la même raison, on ne peut pas connaı̂tre tous les détails de
l’objet, soit parce qu’ils sont trop nombreux, soit parce qu’ils nous
sont inaccessibles (trop petits par exemple).

Transition : Je fais bien la différence entre des objets qui seraient à


l’extérieur de moi, ou plutôt des choses que je peux percevoir, et ce que
j’imagine ou ce à quoi je pense. Il semble donc bien qu’il y ait quelque chose
en dehors de moi, à quoi je ne me rapporte pas de la même manière qu’à ce
qui est uniquement dans mon esprit. Mais qu’est-ce qui me garantit que ce
que je perçois correspond bien à la réalité, qu’il y a bien dans la réalité cet
objet tel que je le perçois ?

18
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

2 Peut-on connaı̂tre la réalité telle qu’elle est ou


l’interprète-t-on toujours ?
Définition de l’interprétation : vient du latin interpretari = expliquer,
traduire, prendre dans tel ou tel sens. D’où les sens suivants :
1. rendre clair, trouver un sens caché, donner une signification ;
2. jouer une œuvre pour en exprimer le sens ;
3. déformer.
Ces sens sont souvent liés :
– interpréter, c’est comprendre de façon que ça fasse sens pour nous,
que quelque chose dont le sens n’est pas imédiatement évident (même
si parfois il peut nous le paraı̂tre) prenne sens pour nous
– ⇒ volonté qu’a l’esprit de donner un sens à ce qui paraı̂t équivoque,
confus ou qui n’a pas de sens pas soi-même (marc de café) ;
– ⇒ il peut y avoir une part d’invention (cf. interpréter une partition)
ou de trahison ;
– → il y a pourtant l’idée de la justesse d’une interprétation : n’importe
quelle interprétation n’est pas acceptable.
Sujet : Interpréter, est-ce trahir ?
Ici, pour la question qui concerne ce cours, on se demande si on ne voit
pas la réalité autre qu’elle n’est, au sens où on la trahirait.

2.1 Les sens sont-ils un intermédiaire fiable entre mon esprit


et le monde extérieur ?
• Idée de la phénoménologie = je n’ai accès qu’à un faisceau de sensa-
tions, et c’est moi qui unifie ces sensations pour en faire un objet. Je
dis par exemple que toutes les sensations que j’ai : tâches de couleur,
forme, reflet, et même douceur, dureté, etc., se rapportent à un seul
et même objet qui est un table.
• Mais est-ce que je ne peux pas me tromper en associant des
sensations à un unique objet ? À un objet déterminé ? Est-ce que
je ne peux pas me tromper d’objet ?
1. Me tromper d’objet : le mirage. L’oasis dans le désert, mais
aussi la flaque sur le goudron quand il fait chaud. La chaleur du
sol dévie les rayons lumineux ⇒ les rayons provenant de l’objet
réel (le ciel dans notre cas) qui auraient dû être arrêtés par le sol
et qu’on n’aurait donc pas dû voir, qui n’auraient pas dû arriver
à notre œil, sont déviés par l’air chaud au niveau du sol (plus
chaud près du sol, la chaleur varie en fonction de la hauteur, donc
l’indice de réfraction varie en fonction de la hauteur — gradient
de température — et une variation d’indice dévie les rayons) et
du coup arrivent à notre œil et on a l’impression de voir l’objet

19
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

au niveau du sol, alors qu’il s’agit en réalité du ciel. Conclusion :


on croit voir une flaque d’eau au sol, alors que ce qu’on voit, c’est
le ciel. Nos sens nous font croire qu’on voit un certain objet, alors
que c’est un autre objet qu’on devrait voir ⇒ on croit voir un
objet qui n’existe pas dans la réalité. C’est à cause de sensations
bien réelles qu’on croit voir un objet qui lui n’est pas réel : c’est
une erreur d’interprétation portant sur ce à quoi il faut rapporter
nos sensations.
2. Me tromper sur l’objet, sur ce qu’est l’objet : l’illusion
d’optique. Bâton rompu. Quand on a un bâton à moitié dans
l’air et à moitié dans l’eau, c’est pas le même indice de réfraction
de la lumière. Du coup, le bâton nous apparaı̂t rompu alors qu’il
est en réalité droit. On voit bien le bon objet au bon endroit, mais
on ne le voit pas comme il est, parce qu’on interprète l’image
qu’on reçoit comme étant celle d’un bâton rompu, parce qu’on
n’est pas capable de déterminer d’où viennent les rayons.
• Dans tous les cas, c’est nous qui constituons l’objet à partir de sen-
sations. Dans le cas de la table, rien ne nous garantit qu’il y a un
objet « table » qui se détache du reste de la réalité : c’est nous qui la
détachons.

Bilan La perception sensorielle consiste dans une somme d’impressions


sensorielles. Notre esprit regroupe certaines d’entre elles pour les rapporter
à ce qu’il considère être un seul et même objet. C’est de cette manière que
nous pouvons dire que nous percevons différents objets. Mais qu’est-ce qui
nous garantit que nous ne nous trompons pas en affirmant que telle ou
telle sensation provient de tel ou tel objet, et donc que telle ou telle qualité
appartient réellement à tel ou tel objet ? Les illusions nous montrent que
nous pouvons nous tromper en jugeant des caractéristiques d’un objet à
partir de nos sensations.

Transition : L’illusion est cependant l’exception et non la norme. On peut


se demander si elle n’est pas un cas limite d’un rapport de l’esprit au monde
extérieur qui fonctionne généralement bien. L’illusion ne montre-t-elle pas
justement par son caractère exceptionnel que nous avons d’habitude des
perceptions conformes à la réalité ? Notre esprit est habitué à certaines lois
optiques, notamment à celle selon laquelle la lumière se transmet de manière
rectiligne, et ce n’est que quand on s’éloigne du cas habituel qu’il peut
mal interpréter des sensations qui sont habituellement fiables. On pourrait
penser que d’habitude, l’esprit n’a pas à rétablir la réalité, que d’habitude,
la perception est l’exact reflet de la réalité et que l’esprit n’a pas besoin
d’interpréter mais que la perception est immédiate dans le cas général.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

2.2 L’inévitable interprétation


• Si on revient sur les exemples de Descartes, le morceau de cire et
les chapeaux et les manteaux, on a pourtant l’impression que l’in-
terprétation est le cas général, qu’on juge plus qu’on ne perçoit. Mais
peut-être est-ce parce que ce sont des cas complexes. Ne peut-on pas
en effet percevoir tout simplement un chapeau ou un manteau ?
? Figure 1 : Exemple d’Alan Chalmers (xxe siècle) dans Qu’est-ce que
la science ? Qu’est-ce qu’on voit ? Est-ce que tout le monde voit la même
chose ?
– On pense généralement que la vue nous donne un accès direct à cer-
taines propriétés du monde extérieur et que deux observateurs humains
qui regardent la même chose depuis le même endroit verront la même
chose.
– La figure 1 a pour but de montrer que ce n’est pas le cas.
– La plupart d’entre nous voyons un escalier qui nous présente la face
supérieure de ses marches. Mais on peut aussi voir un escalier qui
présente la face inférieure de ses marches. Or l’objet vu reste le même,
donc l’image rétinienne est la même qu’on voie l’escalier d’une façon
ou d’une autre.
– Et surtout, des membres de nombreuses tribus africaines qui ne con-
naissent pas dans leur culture la perspective bidimensionnelle d’objets
tridimensionnels ont indiqué qu’ils ne voyaient pas un escalier, mais
un arrangement bidimensionnel de lignes.
– Idée que ce qu’on voit est immédiatement influencé par ce qu’on sait
et ce qu’on attend, immédiatement interprété. Nous ne pouvons pas
nous empêcher de voir un escalier dans la 1re figure.
– L’image que nous avons sur notre rétine est la même, et pourtant,
nous ne voyons pas la même chose.
– ⇒ Ce que voit un observateur dépend donc en partie de son expérience
passée, de ses connaissances et de ses attentes, et pas seulement de
l’image qui se forme sur sa rétine.
? Figure 2 : le canard-lapin. Célèbre dessin du psychologue américain
Joseph Jastrow (fin xixe –début xxe ), commentée par Ludwig Wittgenstein
(1re moitié du xxe ) dans les Recherches philosophiques (ou Investigations
philosophiques) et l’historien de l’art Ernst Gombrich (xxe ).

Bilan Il nous est impossible de seulement voir ou percevoir sans immédiatement


interpréter ce que nous voyons ou percevons. Plus exactement, ce que nous
percevons est déjà interprété : il n’existe pas de perception non interprétée.
Percevoir, c’est déjà interpréter. Dans ces conditions, nous ne pouvons pas
séparer la réalité perçue de l’esprit qui la perçoit, et nous n’avons pas d’as-
surance que notre interprétation de la réalité ne déforme pas cette réalité.
Nous ne pouvons pas savoir si ce que nous percevons correspond à quelque

21
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

chose qui existe réellement de cette manière hors de nous. Lorsque nous
percevons la matière, nous ne pouvons pas séparer totalement la matière
perçue de l’esprit qui la perçoit.

Transition : Il s’agit cependant là de perception ou d’observation ordi-


naire, spontanée. Nous pouvons nous demander si la science ne peut pas
venir à notre secours en nous donnant accès à la réalité telle qu’elle est.
La science peut en effet nous dire que ce que nous voyons est un mirage et
nous expliquer à quelle réalité correspond ce mirage, et même pourquoi nous
voyons le mirage comme nous le voyons au lieu de voir la réalité telle qu’elle
est. Pourrons-nous donc, par la science, avoir accès au monde extérieur à
notre esprit tel qu’il est, sans l’interpréter et sans risquer par là de le modi-
fier ?

2.3 Science et interprétation


2.3.1 La science n’est pas dénuée d’interprétation
• La science, en découvrant les lois de la nature, nous permet de nous
défaire des erreurs de nos sens. Elle nous explique, grâce aux lois de
l’optique, pourquoi nous voyons un mirage, elle nous montre que bien
que nous voyions le Soleil tourner autour de la Terre, c’est la Terre
qui tourne en réalité autour du Soleil. Connaı̂tre en sciences, c’est
connaı̂tre les causes des phénomènes, les lois qui les régissent.
• Nous pouvons alors nous demander si la science nous permet cet accès
direct à la réalité que la perception ordinaire ne permet pas.
• Mais dire que je comprends les phénomènes par les lois qui les régissent,
c’est dire que ce sont mes connaissances théoriques qui me permet-
tent de guider l’interprétation de mes observations. Si la science est à
nouveau interprétation, peut-on avoir confiance dans les observations
scientifiques ?
• En fait, l’observation scientifique, parce qu’elle prend appui sur des
expérimentations 3 est encore moins dénuée d’interprétation que dans
l’expérience ordinaire, pour 3 raisons :
1. L’utilisation d’instruments.
2. La production d’énoncés d’observation qui présupposent des théories.
3. L’observation est guidée par la théorie.
• Étudions ces 3 points :
3
On distingue généralement l’expérimentation de la simple observation. L’-
expérimentation repose sur la mise en place de protocoles expérimentaux, sur l’intervention
sur la nature, par opposition à la simple observation qui consiste à observer la nature sans
la modifier, sans intervenir.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

1. L’utilisation d’instruments. Exemple de Polanyi (repris par Chalmers


dans Qu’est-ce que la science ? : établir un diagnostic à par-
tir d’une radiographie X. Un étudiant en médecine regarde des
traces obscures sur un écran fluorescent et entend le radiologue
commenter à ses assistants dans un langage technique les car-
actéristiques de ces zones d’ombre. L’étudiant est d’abord complè-
tement perdu, car il ne voit dans la radio d’une poitrine que les
ombres du cœur et des côtes et entre elles quelques taches en
forme d’araignée. L’étudiant ne voit rien de ce dont parle le ra-
diologue, qui semble tout droit sorti de son imagination. Mais en
assistant à plusieurs séances de ce genre et en regardant atten-
tivement, il finira par réussir à distinguer les poumons, puis, en
persévérant, quantité de détails significatifs. Même s’il ne voit en-
core qu’une fraction de ce que voient les experts, il commencera
à voir beaucoup plus de choses qu’avant. Sa perception est donc
changée par ce qu’il a appris. Il lui a fallu apprendre à voir, de
même qu’il faut apprendre à voir au microscope, à ne pas tenir
compte des aberrations, par exemple, or considérer les aberra-
tions comme non significatives, ce n’est pas évident, il faut l’avoir
appris. Il faut avoir appris à faire la différence entre ce qui est sig-
nificatif et ce qui ne l’est pas (d’après Hacking, pas en apprenant
les théories, mais par l’expérience, par la manipulation). Or faire
confiance à ses instruments, c’est faire confiance aux théories qui
ont présidé à leur fabrication et à celles qui règlent leur usage. Il
se peut toujours qu’on prenne un artefact pour une réalité.
2. La production d’énoncés d’observation qui présupposent des théo-
ries. Pour communiquer à la communauté scientifique ce qu’il
voit, le scientifique est obligé non seulement de voir, mais de
formuler ce qu’il voit, de mettre des mots dessus pour le commu-
niquer dans un langage compréhensible par tous. Quand on dit
tout simplement « Voici un morceau de craie », on suppose que les
bâtons blancs trouvés dans les salles de classe sont des bâtons de
craie. On peut vérifier en montrant qu’il laisse une trace blanche
sur le tableau, mais c’est supposer que la craie laisse des traces
blanches sur les tableaux, si on plonge la craie dans de l’acide
pour voir s’il s’échappe du dioxyde de carbone, et qu’on vérifie
en mettant le gaz dans de l’eau de chaux, on s’appuie encore plus
sur une théorie. Dans la science, les énoncés sont souvent plus
complexes : on va dire par exemple que « Le faisceau d’électrons
est repoussé par le pôle magnétique de l’aimant ».
3. L’observation est guidée par la théorie. En science, il n’y a pas
d’observation sans préjugé possible, car il faut toujours sélectionner
les critères que l’on considère comme pertinents. Exemple de

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Hertz et de la découverte des ondes radio. S’il voulait n’avoir au-


cun préjugé quant à son observation, il aurait dû noter non seule-
ment les dimensions du circuit, la présence ou non d’étincelles,
etc., mais aussi la couleur de la table sur laquelle il travaillait, les
dimensions du laboratoire ou encore la pointure de ses chaussures.
Or il faut bien sélectionner les éléments pertinents. La blague,
c’est que les dimensions du laboratoire comptaient : les ondes ra-
dios se réfléchissant sur les murs interféraient avec ses mesures !
La théorie testée avait pour conséquence que les ondes radio de-
vaient avoir la même vitesse que la lumière, ce qui n’était pas le
cas dans les mesures de Hertz.
• Comme nos théories peuvent être fausses, les observations qui se fondent
sur les théories peuvent l’être aussi, et on peut croire voir des phénomènes
qui ne correspondent en fait pas à la réalité.

Bilan La science, pas plus que la perception ordinaire, ne nous garantit un


accès certain à la réalité. Les observations scientifiques, qui reposent sur des
expérimentations, supposent en effet des théories qui peuvent s’avérer être
fausses. Il n’existe pas d’observation brute, dénuée de toute interprétation.
Il ne faut pas en déduire pour autant que la science n’aurait aucun
accès à la vérité ou ne serait d’aucune utilité. D’une part, elle fonctionne
et d’autre part, on espère que la confrontation et rectification des théories
et des expériences nous amène vers une image de plus en plus fidèle de la
réalité.

2.3.2 Mais on peut grâce à la science espérer connaı̂tre de mieux


en mieux la réalité, ou du moins les phénomènes (= la
réalité telle qu’elle nous apparaı̂t)
Les théories influencent nos observations et nos expérimentations, mais
nous avons des raisons de croire dans nos théories, parce qu’elles nous
permettent d’expliquer les causes de ce que nous percevons. La théorie
est capable de me dire que je ne devrais pas voir le mirage ou que
l’arc-en-ciel n’est pas un objet réel. Or, en me déplaçant, je peux voir que le
mirage ou l’arc-en-ciel n’existent pas. J’ai alors envie de faire confiance à la
théorie. De plus, elle m’explique pourquoi je vois ce que je vois au lieu
de voir la réalité telle qu’elle est. On pourrait penser qu’elle a été faite
de manière ad hoc, parce que je cherchais précisément à expliquer pourquoi
je voyais cela. Mais ce qui va me donner confiance dans la théorie, c’est
qu’elle va aussi être en mesure d’expliquer un grand nombre d’autres
phénomènes et surtout d’en prédire. Elle me permet de dire pourquoi
quand je regarde une préparation au microscope, je vois des arc-en-ciel au
bord de la préparation (à cause des aberrations des lentilles).

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Ce qui fait que j’ai confiance dans mes théories, c’est qu’on n’a pas un
système isolé constitué d’un ensemble d’observations et d’une théorie qui a
la fois les explique et et permet de les interpréter, ce qui risquerait de mener
à une circularité : j’observe le phénomène grâce à la théorie qui l’explique et
le phénomène ne peut donc jamais être en contradiction avec elle, mais une
imbrication de plusieurs théories et plusieurs observations. C’est de
la cohérence de toutes nos théories avec toutes nos observations que résulte
notre confiance dans la science. Exemple de Hertz : on a pu rectifier l’er-
reur parce que la théorie électromagnétique de Maxwell fonctionnait dans de
nombreux domaines et qu’on n’était pas prêt à l’abandonner si facilement.
En comprenant que les ondes radios pouvaient se refléter sur les murs du
laboratoire et interférer entre elles, on a pu compléter nos connaissances
théoriques tout en expliquant le phénomène qui se produisait dans le lab-
oratoire de Hertz. Cela montre qu’en adaptant mutuellement nos théories
et nos observations, i.e. en interprétant mieux nos observations grâce à nos
théories et en modifiant nos théories grâce à nos observations, on peut se
situer non pas dans un cercle vicieux où l’observation est forcément en ac-
cord avec la théorie, puisque c’est la théorie qui permet d’interpréter l’ob-
servation, mais dans un cercle vertueux où théorie et interprétation des
observations s’améliorent mutuellement en se modifiant quand elles sont en
désaccord. Pour que cela fonctionne, il faut qu’une observation mette en
jeu plusieurs théories et qu’une théorie puisse expliquer plusieurs
sortes d’observations. C’est en effet dans la confrontation, et en ne faisant
varier à chaque fois qu’une théorie ou qu’une interprétation d’observation
qu’on pourra trouver où réside l’erreur. Exemple pour Hertz, on ne remet
pas en cause toute la théorie électromagnétique, mais seulement le fait que
les ondes radios ne se réfléchissent pas sur les murs du laboratoire.
On a d’autant plus confiance dans les théories qu’elle prédisent un
grand nombre de phénomènes en dehors de ceux pour l’explication
desquels elles ont été élaborées. Plus une théorie permet d’expliquer de
phénomènes, plus on a confiance en elle, mais aussi et surtout, plus elle
peut en prédire qu’on n’a encore jamais testés, plus on va avoir confiance,
car on ne pourra pas dire qu’on a « bidouillé » la théorie pour qu’elle ex-
plique des phénomènes qu’on constatait. Relativité générale prédisait que les
rayons lumineux qui viennent des étoiles sont déviés par le soleil. On n’avait
jamais pensé à regarder ça avant la relativité générale, et ensuite, on ne
l’avait jamais vérifié parce qu’on ne voit pas les étoiles en même temps que
le soleil. L’éclipse de 1919 a permis d’observer cette déviation des rayons
lumineux issus d’étoiles lointaines et cela a été considéré comme une impor-
tant confirmation de l’ensemble des hypothèses rassemblées dans la théorie
de la relativité générale. Elle a conduit un grand nombre des physiciens de
l’époque à accorder leur confiance à cette théorie.
Le fait qu’on ait plus confiance dans des théories qui prédisent plus de
phénomènes explique qu’on applique le principe d’économie et qu’on préfère

25
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

les théories qui expliquent le plus de phénomènes. Plus elle explique de


phénomènes, plus elle prend de risques d’être contredite, et donc
plus on lui fait confiance quand elle ne l’a pas été. On peut penser avoir
progressé vers plus de vérité en passant de la mécanique newtonienne à
la mécanique quantique, puisque la seconde non seulement rend compte
de plus de phénomènes, mais explique pourquoi la mécanique newtonienne
fonctionne bien pour les objets macroscopiques (elle est une bonne approx-
imation).

Transition : Notre esprit a donc, par l’intermédiaire des sens, un accès à


la matière, qu’il cherche à connaı̂tre le plus fidèlement possible. Mais en se
rapportant à la matière, l’esprit se projette toujours en partie sur elle, de
sorte qu’il n’a pas la certitude d’avoir accès au monde tel qu’il est. En cher-
chant à connaı̂tre le monde extérieur, c’est aussi un peu lui-même que l’esprit
connaı̂t, de sorte que matière et esprit, loin d’être irréductiblement séparés
sont au contraire difficiles à démêler l’un de l’autre. Existe-t-il d’ailleurs
quelque chose comme un esprit qui ne serait pas intimement lié à la matière ?
Le cerveau est-il le seul support de l’esprit ou y a-t-il un esprit qui existe
indépendamment de la matière ?

26
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

3 Existe-t-il un esprit séparé de la matière ?


3.1 Retour sur le problème du dualisme
• On a vu que Descartes, par l’exercice du doute, en venait à découvrir
une conscience qui peut être pensée indépendamment de tout corps,
de toute matière, et on a vu les problème que ça nous posait quant à
la possibilité de sortir ensuite de sa conscience pour connaı̂tre le réel.
• Mais nous avons réussi à surmonter ce pb notamment grâce à la
phénoménologie et à l’idée que la conscience est toujours conscience
de quelque chose et se place donc toujours dans un rapport au monde.
Le problème qui se pose à nous est alors de démêler ce qui relève de
l’esprit et ce qui relève de la matière.
• C’est un problème auquel Descartes est également confronté. Il con-
state que nous faisons l’expérience en nous-mêmes, en l’homme, de
l’union de l’âme et du corps, de l’esprit et de la matière. Nous sommes
en effet un composé d’esprit et de matière, or, après avoir posé un
dualisme, c’est cette union qui devient difficile à comprendre : com-
ment quelque chose qui est de l’ordre du spirituel peut-il être uni à
quelque chose qui est de l’ordre du matériel ? Quelles sont les relations
entre les deux, quel est le type de relation qui est en jeu ? Nous faisons
l’expérience de l’union par le fait que l’âme fait se mouvoir le corps et
que le corps agit sur l’âme en causant des sentiments et des passions.
Descartes dit qu’on fait l’expérience de l’union en allant au bal : quand
on danse, c’est l’esprit qui fait bouger le corps. Lettres à Élizabeth du
21 mai et du 28 juin 1643. Autrement dit, l’esprit a une efficace sur la
matière.
• En termes plus modernes, il s’agit de comprendre comment la pensée
peut être reliée au cerveau, quel est le type de relation entre l’esprit et
le cerveau. Est-ce que l’esprit est quelque chose de plus que le cerveau.
Ce qui peut conduire à se demander, par exemple, si les ordinateurs
pourront un jour penser.
• Qu’est-ce qui se passe quand on est dans le coma ou qu’on est dans
un état végétatif ? Qu’est-ce qui fait la différence entre un cadavre et
l’être humain qu’il était quelques minutes auparavant ?
• Il se pose le même type de problème pour le passage du physique au
biologique, de l’inerte au vivant que pour le passage du biologique au
psychologique, de la vie à la pensée. L’exemple du cadavre regroupe
les deux. Les problèmes qui se sont posés à la biologie pourront donc
peut-être nous éclairer.

Bilan à noter Les hommes ayant un corps et un esprit, il s’agit de com-


prendre comment les deux sont reliés entre eux. Y a-t-il un esprit qui serait
dans le corps en plus de la matière et qui aurait des propriétés autres que

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

celles de la matière, ou l’esprit n’est-il que de la matière, se réduit-il aux


propriétés de la matière ?

3.2 Les deux positions extrêmes : tout est esprit ou tout est
matière
3.2.1 Tout est esprit
Idéalisme, que nous avons déjà vu.

3.2.2 Tout est-il matière ? Vitalisme et réductionnisme


Le vitalisme
• Le vitalisme est une tradition philosophique qui remonte à Aristote et
pour laquelle il est incompréhensible de réduire la vie à du physico-
chimique, de dire que la vie n’est rien d’autre que de la matière.
• Pour le vitalisme, il est donc impossible de dire que tout est matière.
• Pour les vitalistes, pour comprendre le vivant, il faut supposer un
principe vital qui donne vie à la matière. Un peu comme si en rajoutant
ce principe vital, on pouvait donner vie à une statue, par exemple.
• Exemples. Grâce à la fée, Pinocchio prend vie : quelque chose qui
se rajoute à la matière, quelque chose d’un peu mystérieux, d’un peu
magique. Ou la déesse Aphrodite qui donne vie à Galatée, la statue
de Pygmalion dont ce dernier était tombé amoureux.
• Le principe vital est une âme, un souffle de vie, qui s’ajoute à la
matière. Chez Aristote, dans le De anima, la nature de cette âme
permet même de faire la différence entre les différents vivants, entre
les différentes formes de vie (âme végétative, sensitive, intellective).
• Ce principe permet d’expliquer la différence incompréhensible entre
l’inerte et le vivant.
• Mais le vitalisme est pratiquement totalement abandonné au xix e
siècle, parce qu’on essaie d’enlever les entités mystérieuses de la science
et qu’on fait de plus en plus de découvertes, qui se poursuivent par
la suite, sur les compositions chimiques, les cellules, les protéines, la
génétique, etc.

Le mécanisme et le réductionnisme
• La position inverse, le mécanisme, consiste à dire qu’on peut ramener
tous les phénomènes vitaux à des phénomènes mécaniques et qu’il est
inutile de postuler des principes occultes, mystiques, comme le principe
vital.
• Descartes, animal-machine, Discours de la méthode, 5 e partie. L’or-
ganisme vivant serait constitué sur le modèle de l’horloge, avec un
agencement de parties, de pièces mécaniques, de rouages, et une ex-
plication de tous les phénomènes par contact.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

• Il n’y aurait rien de plus dans le vivant que dans l’inerte. Le vivant
suivrait totalement les lois de la mécanique. Quelle différence alors
entre le vivant et la machine ? Simplement la complexité.
Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant
combien de divers automates, ou machines mouvantes, l’in-
dustrie des hommes peut faire , sans y employer que fort peu
de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des
muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les
autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, con-
sidéreront ce corps comme une machine qui, ayant été faite
des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée,
et a en soi des mouvements plus admirables, qu’aucunes de
celles qui peuvent être inventées par l’homme.
Descartes, Discours de la méthode, 5 e partie.
• Pour Descartes, il serait impossible de faire la différence entre une
machine compliquée et un animal. La frontière ne se situe pas entre
l’animal et la machine, entre le vivant et l’inerte, mais entre l’animal
sans raison et l’homme qui possède la raison. On comprend bien que
pour lui, l’esprit n’est pas réductible à la matière, puisque, comme
nous l’avons vu, il distingue la substance spirituelle de la substance
corporelle. Deux arguments pour séparer l’homme, qui possède la rai-
son, de l’animal :
1. On peut bien concevoir une machine qui parle, mais pas une
machine qui serait capable d’arranger à l’infini ses paroles pour
les adapter à tout ce qui se dira en sa présence, pour déclarer aux
autres ses pensées.
2. Les machines font certaines choses beaucoup mieux que nous,
comme l’horloge qui compte le temps beaucoup mieux que nous,
mais elles ne peuvent pas s’adapter à l’infini, pour faire face à
toutes les occurrences de la vie.
• Pourtant, le réductionnisme, qui hérite du mécanisme cartésien, va
consister à vouloir réduire non seulement le vivant, mais aussi l’esprit
au physico-chimique, aux lois et propriétés de la physique et de la
chimie. Le réductionnisme est une position qui consiste à dire qu’on
peut ramener les phénomènes d’un niveau de complexité supérieur
aux lois et phénomènes du niveau inférieur. La sociologie se réduit à
la psychologie, qui se réduit à la biologie, qui se réduit à la chimie,
qui se réduit à la physique. Ce qui signifie que, en définitive, les lois,
processus et entités de la physique permettent de tout expliquer.
• Tenir une telle position, c’est défendre l’idée selon laquelle la pensée
se réduit à des interactions physiques et chimiques dans le cerveau.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Bilan à noter Pour comprendre la relation entre l’esprit et la matière,


deux positions sont possibles : considérer qu’il y a quelque chose de non
matériel qu’on appelle esprit et qui vient s’ajouter à la matière pour en faire
un être pensant ou considérer qu’il n’existe rien de mystérieux qu’on appelle
« esprit » mais que la pensée est le résultat d’interactions physico-chimiques
qui se produisent dans le cerveau. Ces deux positions peuvent être pensées
par analogie 4 avec l’opposition entre le vitalisme et le mécanisme pour ce
qui concerne les phénomènes vitaux. Le vitalisme suppose un principe vital
tandis que le mécanisme considère que les lois de la physique suffisent à
expliquer la vie. Or nous avons vu que le vitalisme avait été progressivement
abandonné : cela signifie-t-il que la biologie a été totalement réduite à la
physique ? Si c’est le cas, pourquoi existe-t-il encore une science biologique
distincte de la physique ?

3.3 L’étude de différents niveaux de complexité


• De nos jours, tout le monde ou presque reconnaı̂t que les êtres vivants
sont presque exclusivement constitués de matière et obéissent aux lois
physiques.
• Pourtant, la biologie n’a pas disparu en tant que science séparée de
la physique ou de la chimie, bien au contraire, elle se développe.
Pourquoi ?
• Parce que les biologistes n’étudient pas les mêmes phénomènes que
les physiciens, ils ne se situent pas au même niveau de complexité.
Étudier l’évolution d’une espèce au niveau des interactions entre les
atomes n’aurait pas beaucoup de sens.
• On retrouve au sein même de la biologie des disciplines différentes en
fonction des objets d’étude considérés et des techniques utilisées pour
les étudier (thèse de François Jacob dans La Logique du vivant). Aux
deux extrémités de l’éventail, on a :
1. L’étude de l’aspect physico-chimique du vivant, notamment la
biochimie, qui étudie les réactions chimiques qui ont lieu au sein
4
Repères : ressemblance / analogie. Dans les deux cas, points communs entre deux
réalités. Mais la ressemblance est plus vague que l’analogie. Ressemblance = similitude
d’apparence ; analogie = similitude de structure ou de fonction. Identité de rapports entre
des termes différents et qui peuvent même n’avoir entre eux absolument rien de commun.
a/b = c/d : a est à b ce que c est à d. Exemple : “le stylo est à l’écrivain ce que le
fusil est au soldat” est une analogie, alors qu’on dira que le stylo de Pierre ressemble à
celui de Jean, mais pas que le stylo ressemble au fusil. Dans les deux cas, c’est l’outil
qui correspond au métier. Structure, exemple : Ici, l’esprit est à l’être vivant ce que le
principe vital est à la matière. La pensée est au vivant ce que la vie est à la matière. Dire
qu’un être vivant se comporte comme une machine, c’est aussi une analogie. L’analogie
permet de comprendre des choses compliquées. Exemple : un système hydraulique qui
fonctionne comme un système électrique, la résistance électrique est beaucoup plus facile
à comprendre que les frottements hydrauliques. Les équations se fondent sur des analogies :
on va représenter tout système oscillant comme un pendule. Le courant alternatif.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

des cellules, qui étudie les molécules. C’est une branche réductionniste
de la biologie. Seule différence : les méthodes, parce que se situe
dans des organismes vivants.
2. L’évolutionnisme, qui ne cherche pas à dissocier l’organisme en
ses constituants, mais au contraire à l’étudier dans son milieu
et comme élément d’une population. Il s’agit d’étudier les rela-
tions entre l’organisme et son milieu. Les organes ne sont par
exemple plus étudiés par leurs constituants mais par leurs fonc-
tions, en fonction de leur adaptation au milieu, plusieurs archi-
tectures physiques pouvant remplir la même fonction. Le rein des
dauphins n’a pas exemple pas du tout la même structure que le
rein d’un chimpanzé, mais il a la même fonction. Ou branchies vs
ou poumons.
• On ne comprendrait pas grand chose à l’évolution en restant au niveau
de la cellule, de même qu’on ne comprend pas grand chose au fonc-
tionnement d’un moteur de voiture en restant au niveau des molécules
métalliques.
• On doit avoir le même type de pb entre microéconomie et macroéconomie :
est-ce que en rester aux comportements des individus permet vraiment
de comprendre les phénomènes macroéconomiques ?
Nous connaissons beaucoup de faits sur ce qui se passe effec-
tivement dans le cerveau, mais nous n’avons toujours pas d’-
analyse théorique unifiée de la manière dont ce qui se passe au
niveau de la neurobiologie permet au cerveau de faire ce qu’il
fait, pour ce qui est de causer, de structurer, d’organiser notre
vie mentale. (...) Peut-être s’apercevra-t-on finalement qu’essayer
de comprendre le cerveau au niveau des neurones est aussi vain
qu’essayer de comprendre le moteur d’une voiture au niveau des
molécules métalliques du bloc-cylindres.
Searle, Le Mystère de la conscience, 1999.

Transition : Cela signifie-t-il pour autant que la biologie ne soit pas


réductible à la physique et que, par analogie, l’esprit ne soit pas réductible
aux phénomènes physiques à l’œuvre dans le cerveau ?

3.4 Organisation et émergence


• L’émergence désigne l’apparition de nouvelles propriétés à un certain
niveau de complexité, propriétés qui ne sont pas réductibles à une
somme de propriétés des éléments du niveau inférieur, des éléments
constituants. Exemple : la vie au niveau de la cellule ou l’effet de
groupe qu’on ne peut pas réduire à des comportements individuels
(bon exemple, euphorie collective lors d’une victoire à un match de

31
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

foot). Durkheim, dans Les règles de la méthode sociologique (p. 6),


parle des grands mouvements d’enthousiasme, d’indignation, de pitié
qui se produisent dans une assemblée et n’ont pour lieu aucune con-
science particulière. Ils nous viennent du dehors et nous entraı̂nent
malgré tout. Nous collaborons à l’émotion commune, mais l’impres-
sion que nous avons ressentie est tout autre que celle que nous aurions
éprouvée si nous avions été seul. Parfois même, une fois que nous
nous retrouvons seul, ces sentiments nous font l’effet de quelque chose
d’étranger où nous ne nous reconnaissons plus et qui peuvent même
nous faire horreur quand nous avons mal agi.
• On parle dans ce cas de propriétés émergentes.
• Autre exemple : on a du mal à penser que ce sont les molécules des
chats qui sont attirées par les souris. La cause doit en être cherchée
dans des structures plus complexes, organisées, comme la système
nerveux.
• Cela signifie-t-il que le niveau supérieur soit constitué d’autre chose
que des éléments du niveau inférieur, et, pour ce qui nous concerne,
que l’esprit est constitué d’autre chose que de matière, que d’éléments
physico-chimiques ?
• L’hypothèse actuellement la plus répandue est ce qu’on peut appeler le
physicalisme non réductionniste, qui consiste à affirmer deux choses :
1. Il n’existe rien d’autre dans le monde que les entités décrites par
la physique fondamentale et les agrégats formés à partir de ces
entités.
2. Cependant, l’agrégation des entités fondamentales conduit, à par-
tir d’un certain niveau de complexité, à des totalités gouvernées
par des lois d’un niveau différent de celui de la physique fonda-
mentale. C’est cette 2e raison qui explique qu’il faille une science
spécifique, la biologie, mais aussi que la physique ne nous suffise
pas à comprendre l’esprit.
• De même que la beauté d’un tableau est plus que l’ensemble de ses pro-
priétés physiques. Pourtant, il n’est constitué que d’éléments physiques,
et si on change par exemple les propriétés de la surface peinte, un col-
oris harmonieux cessera de l’être.
• C’est la notion d’organisation qui est ici fondamentale. C’est l’organi-
sation des éléments qui fait qu’émergent des propriétés qui n’existaient
pas au niveau des éléments.
• Pour comprendre l’esprit, il faudra donc s’intéresser au type d’organi-
sation biologique particulier qui donne lieu aux processus mentaux, à
la façon dont le cerveau est organisé. La biologie ne sera pas forcément
en mesure d’étudier cela avec ses outils propres. Ce sont les sciences
cognitives qui s’occupent actuellement de ce type problème (sciences
cognitives = domaine interdisciplinaire = neurosciences + psychologie,

32
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

mais aussi philosophie, linguistique, anthropologie, intelligence artifi-


cielle).
Nous voyons que les êtres qui semblent posséder un esprit sont
des organismes biologiques (et en particulier des animaux). Par
conséquent, il est naturel de supposer que c’est un type partic-
ulier d’organisation biologique qui donne lieu aux processus men-
taux. À l’évidence, donc, pour aborder le sujet de manière sci-
entifique, nous devons nous intéresser à la façon dont le cerveau
est organisé.
Edelman, Biologie de la conscience, 1992 (prix Nobel de
médecine, spécialiste en neurologie).

Bilan à noter Les deux positions que nous avons envisagées (considérer
que l’esprit est quelque chose qui vient s’ajouter à la matière ou considérer
qu’il n’est rien d’autre que le résultat d’interactions physico-chimiques qui
se produisent dans le cerveau) ne sont en réalité pas exclusives l’une de
l’autre. La science contemporaine nous permet de penser l’esprit comme un
phénomène émergent. De l’organisation complexe d’éléments physiques dans
le cerveau résultent des propriétés nouvelles qui n’existent pas au niveau des
éléments physiques.

Conclusion
Le fossé creusé entre l’esprit et la matière par le dualisme nous empêchait
de comprendre quelle pouvait être la relation entre l’esprit et la matière.
Nous nous sommes alors demandé s’il était possible de dépasser la séparation
entre l’esprit et la matière. Pour cela, il nous a d’abord fallu comprendre
comment nous pouvions, par notre esprit, connaı̂tre la matière extérieure à
l’esprit. Nous avons alors vu qu’il nous était possible de faire la différence
entre notre pensée, notre imagination, et le monde réel, matériel, qui nous
est extérieur. Notre connaissance de ce qui nous est extérieur n’est en effet
pas immédiate, mais nécessite de faire le tour l’objet, d’apprendre l’objet.
Nous avons donc bien accès au monde extérieur, mais avons-nous accès à
ce monde tel qu’il est ? Nous avons vu qu’il était impossible de séparer le
monde tel qu’il est de l’interprétation que nous en faisons. Notre problème
s’est alors transformé : il ne s’est plus agi de se demander comment dépasser
la séparation entre l’esprit et la matière, mais au contraire de se demander
comment démêler l’esprit et la matière. Existe-t-il quelque chose comme un
esprit qui serait différent de la matière, qui ne lui serait pas intimement lié ?
Le physicalisme non réductionniste semble pouvoir donner une réponse au
moins provisoire à ce problème. Il admet que l’esprit n’est bien composé
que des éléments physiques du cerveau, mais ajoute que la complexité de

33
Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

l’organisation du cerveau fait apparaı̂tre des propriétés émergentes qui n’ex-


istent pas au niveau des éléments physiques. L’esprit n’est bien fait que de
matière, mais il ne se réduit pas pour autant à la matière, aux propriétés de
la matière : il est une réalité d’ordre supérieur.

Ouverture : La matière fait-elle moins problème que l’esprit ? An-


imisme dépassé. Forces. Éther pour éviter l’action à distance. Forces, champs
magnétiques, énergie, et même le vide : concepts physiques qui semblent ne
pas être matériels au sens de ne pas reposer sur quelque chose de concret,
qui a une masse et une localisation. La matière ne serait pas une réalité
concrète, mais un domaine de recherche.

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Cours Le sujet et la raison et le réel
Mme Guernon Conscience, inconscient, matière et esprit

Troisième partie
e
4 cours : L’inconscient est-il ce qui
en moi m’échappe ?

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