Les Annales des Ponts et Chaussées. Deux moments essentiels de leur histoire. par Jean Michel, Chef du Centre pédagogique de documentation. et de communication de I’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées Commémorer, aujourd'hui, la création on 1831 dos Annales des Ponts et Chaussées pourrait étre, a bien y regarder qu'une mascarade ou comme le considére Baudrillard, qu'un ‘csimulacre », sil'on ne retient dans 'événement que la magic et Fobsession du nombre. 150. Cent cinquante, mais pourquoi pas cent vingt-sept ou deux cont tente-trois ? Célébrer un anniverssire lorsque celui-ci couronne cent cinquante années d'une existence reléve effectivement du sacté et & ce tite il importe que a liturgie soit réussie et opérante, Ce numéro spécial des Annales des Ponts et ‘Chaussées rest donc bien que la juste offrande fait 8 quel- ‘ques divinités qui ont permis, et lenfantoment, ewe & cot Age «béni » do cent cinquante ans. Mais au-dela de la magie du nombre, et outre la sacralisa tion de Févénement que reste-t-il 8 découvrir et 2 dire sur le couple 1831-19817 De quelle maniére le rédacteur duno notice introductive, dite historique doit-il s'y prendre pour donner un sens a un cent cinquantenaite ? Par chance — mais cela renvoie peut-étre aussi la sphére du sacré — Ie point d'aboutissement n'est pas sans significa- tion, non pas tant du point de vue de l'évolution de la société francaise contemporaina, que de celui de histoire récente de la revue les Annales des Ponts et Chaussées elle-méme, Aprts avoir passé six années en purgatoire (ou en enter selon les x théologions »), la revue ressuscite en 1977 et eprend séricusement vie. Et heureusement, sinon comment aurions-nous célébrer le cent cinquantiéme anniversaire ? Cotte circonstance facilite das lors grandement le travail de auteur de la notice, Celle-ci pout désormais so présenter sous |a forme (elle-méme sacrée) d'un point & deux piles : a pile de ‘gauche datée de 1831 que l'on peut baptiser « Naissance » et ue précéde une demi-travée elle-méme baptisée « Gesta- tion 9; a pile de droite datée de 1977 qu'une petite erreur de calcul ou de configuration a déplacée de quatre cent cinquan- tiémes a gauche de la position idéale et que je propose de boptiser «Renaissance » ou « Résurrection », Ainsi la notice prond-clle un sens, dds lors qu'elle s'accroche sur les deux points nodaux de ce cent cinquantenaire. I n’ast point utilo de roprondre dans ce texte les détails ‘objectifs de la vie des Annales, ce qui a &té deja maintes fois fait dans le passé, en particulier par Suquet dans le numéro Spécial des Annales de mars-avril 1931 (centenaire de la fondation des Annales), Par contie un nouveau regard porté sur la ctéstion des Annales, sur les origines de la revue, lévolution, et sur les Grandes composantes du phénoméne Annales des Ponts ot Chaussées me sembla plus justfié. A cotte analyse viendra ‘ensuite se succéder, se juxtaposer et s’opposer comme dans un Annales des Ponts et Chaussées - 3° trim, 1981 ontrepoint examen des faits pour la demiére décennie 1971 1981 Une compréhension des origines ot du point d'aboutisse ment, tel est lobjectif qui s'assigne la présente notice sur Irhistoire des Annales des Ponts et Chaussées. Regard sur leurs origines. Les trente premiéres années du XIX° siécle. Vest tentant pour une organisation quelconque de n’appré- ender son histoire qu’d travers les faits objects dont témoi: {gne sa production. En quelque sorte ne rechercher qu’en soi méme les raisons de son existence et de son activité. Les corporations diingénieurs, tout au long des deux deriers sié~ cles ont souvent cédé & la tentation, ce que reflétent de nombreux écrits sur l'histoire de ces institutions. Une approche désormais plus sociologique de histoire permet de décrire les événements et les situations dans un contexte ol la rolativité des idées et des faits et lours interela tions deviennont essentieles Pour l'histoire des Annales des Ponts ot Chaussées, une telle approche parait nécessaire, méme si elle est plus difficile @ ‘adapter qu'une démarche qui ne serait que descriptive Que signifie la création on 1831 des Annales des Ponts et Chaussées ? S'agit-l d'un épiphénomane, ou d'une péripétie 7 Pourquoi crée-t-on une telle revue ? Quel courant idéologique Constitue le soubassement d'une telle décision ? Cot ensemble de questions mérite quelques débuts de ré. ponses, sous forme d’hypothéses qu'll conviendrait de confi ‘mer ou dinfirmer par de plus amples travaux do recherche. 4, LA PRE-HISTOIRE DES ANNALES ET LA PERIODE DE « GESTATION ». ‘Tout au long de cette notice, doux grands thémes constitue. ront le squelette de l'argumentation — apparition av début du XIX*siécle des sciences de ‘ingénieur et surtout le développement assez impresionnant du systéme de diffusion du savoir: revues, écoles...; = organisation d'une institution, le Corps des Ingénieurs des Ponts ot Chaussées, qui sous Influence de certains cou: rants didée ot notamment du socialisme frangais, va se doter diun certain nombre de moyens lui permettant de défendre la cause de la Communauté.1.1. De la Révolution frangaise a la Chute de Napoléon: un bond en avant de lédition et de Ia diffusion du savoir. La douxidme moitié du XVII* siécle, avait vu, sous influon- ce des philosophes, Ia réalisation dun travail gigantesque, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences et Arts et Métiors qui sera publiée entre 1751 et 1780. Cette premidre Eneyclopédie est suivie de Encyclopédie Méthodi- que de Panckoucke publiée entie 1782 et 1832. Vers 1760, Voltaire recense déjé 173 journaux en Europe, Mais c'est surtout entre 1790 et 1810 que Ia diffusion du savoir par Fédition va connaitre un important développement. ‘Queiques titres et quelques dates doivent étre mentionnés : * 1783 Transactions of the Society for Encourag ments of Arts (Londres) ‘¢ 1791 Journal du Point Centrat des Arts ot Métiors ‘© 1792 Journal des Scionces, Arts ot Métiors * 1794 Création de I'Ecole Polytechnique et du Conserva: toire National des Arts et Métiers '* 1794 Journal des Mines (puis Annales des Mines) 1795 Journal des Arts et Manufactures © 1795 Journal de I'Ecole Polytechnique ‘© 1800 Journal des Batiments Civils ot des Arts © 1800 Journal des Batiments Civils, des Monuments ot des Arts ¢ 1801 Bulletin de la Société d’Encouragement pour Mndustrie Nationale © 1807 Code de commerce francais ‘© 1808 Bibliothéque Universelle des Voyages # 1810 Bibliographie agronomique ‘© 1811 Institution do la procédure des brevets, avec rappel depuis 1791 © 1816 Revue L'industrie de Saint-Simon * 1820 Polytechniches Journal (Berlin) © 1823 Mechanics Magazine (Londres). Ce mouvement de diffusion du savoir qui prend deux formes. ‘ossentialles —I'édition de revues et la création d’€coles — ne out pas laisser indifférents les Ingéniours des Ponts et Chaus- ‘s6es qui, durant cette période, manifestent clairement et & de ombreuses reprises leur ouverture sur le monde (campagnes napoléoniennes, liens avec les Académies étrangéres, etc...). Quolles sont les preuves de cette participation de IInstitu- tion «Ponts et Chaussées » 8 ce grand mouvement de diffu sion dos idées sciontifiques ot techniques ? 1.2. La diffusion du savoir de dos Ponts et Chaussées diverses tentatives, mais les Annales se font attondre. Ing Le baron Riche de Prony est depuis 1798 a la t8te de I'Ecole dos Ponts et Chausstes, rénovée en 1794. Lesage qui 2 616 depuis 1776 Inspecteur (Sous-Ditecteur) de Ecole a ceuveé ‘avec Perronot pour enrichir les collections do documents de Ecole et va, avec de Prony, achever une couvre personnolle fort utile aujourd'hui LLécole accumule de nombreux documents a roccasion des ‘wavaux réalisés par los Ingéniours et lors des campagnes napoléoniennes. Los promidres traces d'un effort de complication de ce savoir pratique, prémisses d'une revue sur les travaux des Ponts et Chaussées apparaissent vers 1806, 8 Les recusils de mémoires de Lesage c'est en premier liou |g publication par Lesage en 1806 do son premier recueil de mémoires. Cet ouvrage, imprimé par Bernard, comporte ditts. rents mémoires consacrés pour lessentiel 8 Perronnet et & ses, travaux, mais reprend aussi des mémoires déja anciens soit inédits (Mémoice do Tresaguet sur la construction dos chaus. sées), soit d6ja publiés (Mémoire de Massuet sur les vers, publié dans le Journal des Arts et Manufactures en 1801). Ce premier recueil donne également & connaitre des expé.. fiences britanniques (suite aux voyages de Perronet et de Lesage en Angletorre) ot diffuse différentes tables: Ouvregos historiques et mémoites de |’Académia des Sciences; Machi: nes de la Galerie des Modeéles; Textes, Mémoires et Machines des Sociétés Académique et Royale de Londres, etc... Déj, pour ce premier recuell, seize planches gravées servent 8 éclairer les descriptions des différents mémoires. Lesage fait paratte on 1808, choz d'Hacquart, un deuxidme recusil de mémoires. Le discours prononcé par M. Jubie, mem- bre du Corps Législatit, lors de la stance du 5 décembre 1808 donne une idée de image que V'on se fait alors de cet ouvrage (les deux recueils). «M. Lesage... fait hommage au Corps Législatit de deux volumes de recueils concernant ce qu'il peut y avoir de plus utile et de plus curieux dans les travaux des Ponts et Chaus- sées Dans la letwe qu'il adresse par précise leurs & Lesage, Jubie ‘Je lrai, Monsieur, avec plaisir la collection de vos Mémoi: res et je les Ligue & un de mes fils, éléve 4 Ecole Polytechni: ‘que, et qui va se livrer & étude des connaissances nécessaires our suive la méme caniére que vous, ou celle du Génie Militaire ». Le douxidme recueil comporte des docume: notamment = la Table Lythologiau au Corps Impérial des. Pont P.C. Lesage: — le Précis historique de la construction du phare d'Edystone, par J. Smeaton, en 1759, ingénieur, membre de la Société Royale de Londres: ‘Smeaton sora 'animatour de ce qu'il est convenu dappeler la Smeatonian Society ot créera en 1818 l'institution of Civil Engineors dont le r6le sera prépondérant en Grande Bretagne: les Recherches expérimentales sur la meilleure composition des ciments propres aux constructions hydrauliques, par Smeaton; — le Mémoire sur un nouveau systéme de navigation intérioure, par M. de Botancourt qui développe les idées do américain Fulton sur les écluses @ plongeur et les epplique aux plans inclinés, essentials ot adressée 8 MM. les Ingénieurs ‘et Chaussées de France, par La Collection Recueils de Mémoires : Outre fos deux recueils de mémoires de Lesage qui seront publiés ot diffusés tels quels, Il faut, mentionner la collection intitulé Recueil de Mémoires que Ecole des Ponts et Chaus- séos 2 rassomblée & partir des années 1805/1806 et qui reprond des textes publiés & partir de 1793. Cotte collection de mémoires, dont la finalité est essentiele ment pédagogique, sere poursuivie jusqu’en 1834/1836 (il est difficile de dater précisément cette collection). La citer, ici, n’a de sens que pour montrer la preoccupation des responsables des Ponts et Chaussbes a cette dpoque Annales des Ponts et Chaussées 3° trim, 1981Sp na laces rassembler des documents sur les travaux réalisés par les ingénieurs ot en faire connaitte leur teneur @ des fins de + formation, celle des éléves de I'Ecole, mais aussi (Recueils de Lesage) celle des ingénieurs en poste Les Actes des Ponts et Chaussées. En 1805 une premiére tentative est envisagée de création ‘dun journal ou dune revue qui surait pour nom: Les Actes des Ponts et Chaussées. Le baron de Prony communique 3 Assemblée Générale des Ponts et Chaussées, le 10 Pluviose AnXill, une lettre du Ministre de IIntérieur demandant 1a | formation dune Commission spéciale et permanente pour la tédaction des Actes du Corps des Ponts et Chaussées ot autorisant la publication de ces Actes. Lidée sous-jacente est colle que les ingénieurs sont des «coopérateurs » et la lettre du Ministre demande que soit précists le mode de rédaction et la distribution du travail entre | les coopératours. Matheureusement, et pour des raisons non encore élucidées, cette revue les Actes des Ponts et Chaussées ne verra pas le jour Annales des Ponts et Chaussées - 9 trim. 1981 — Lt Dun lout e-Aaatiel ANNUATRE DU CORPS IMPERIAL “DES PONTS ET CHAUSSKES, poun Wan 1806; Pdsouté do Mo fe Conseitles ¥Crat, Counaridaune de foo Légign a Horeus, Dizecfpuv glubat. dea Powter ex Chawsséen , puntié pan GOEURY, ninnaine, seul Editeur autorisé, OE ats, a A PARIS, Cher Gonvn, Libraite des Ingénieurs et de Meate inpdvite des Pons et Chausses, qua dus Avgustina, a’ A Les traités ot les collections lithographiques. Outre les mémoires, il n'est pas inutile de mentionner les premiers traités techniques et ouvrages qui paraissent pendant ces trente premiées années du XIXe sigcle — Kuve de Perronnet, le Traité des Constructions de Gauthey en 1809, — les Etudes relatives @ l'art des constructions de Bruyére (1822-1829) Das 1821, Ecole des Ponts et Chaussées est autorisée & téaliser une premiére collection lithogrephique, représentant ddes ouvrages d'art, des machines, dos outils, Cette collection qui sera rééditée en 1826 est distibuée aux éléves et aux ingénieurs des Ponts et Chaussées. 1.3. La communauté des Ingénieurs a travers l'Annuaire des Ponts et Chaussées. Siles Actes des Ponts et Chaussées ne voient pes le jour, par contre en 1804 parait Annuaire des Ponts et Chaussées qui deviant en 1806 I’Annuaire du Corps Impérial (puis Royal) dos Ponts et Chaussées et des Mines. 9Cot Annuaire permet & la communauté des Ingénieurs de prendre conscience de ce qu'elle représente, L’Annwaire, dif- fus6 auprés de tous les ingénieurs offre la possiblité 8 chacun de connaitre organisation du Service des Ponts at Chaussées, au sein du Ministére de Iintérieur LAnnuaire sora édité et ditfusé jusqu‘en 1829-1830 puis- u'en 1831 les Annales des Ponts ot Chaussées reprendront dans leur partie administrative les informations de l’Annuaire, 2. LA CREATION DES ANNALES. Pendant la Restauration, 8 inverse de ce qui s'est passé sous I'Empire le Service des Ponts et Chaussées n’évolue ‘uére. Depuis 1815, la Direction Générale des Mines a rejoint a Direction Générale des Ponts et Chaussées au sein du Ministére de Iintérieur. D’abord sous la Direction de Mole puis 8 partir de 1817 jusqu'en 1830, sous celle de Becquey, les Ponts et Chaussées vont «digéror » les mutations dues 8 la tourmente révolutionnaire et les innovations de ta dynamique impériale Mais en 1830, de nouveaux changements apparaissent non sans liens avec les mouvements sociaux et la Révolution de juillet: En mai 1830 est créé pour la premidre fois un Ministére des Travaux Publics comprenant administration des Ponts et Chaussées et des Mines. La Direction Générale des Ponts et Chaussées et dos Mines ost supprimée Aprés juillet, le Ministére nouvellemant eréé est supprimé et la Direction Générale est rétablie au sein du Ministére de intériour, Mais 1831 voit la création d'un Ministére du Commerce et des Travaux Publics. Das lors, et pendant la décennie des années 30 ce ne seront que fluctuations et transformations administratives successives (retour & un Ministére de IIntérieur ‘on 34, attribution du Ministére du Commerce en 36, etc..). Les Ponts et Chaussées, par adaptations successives, cherchent leur juste place dans la société industrielle naissante. C'est dailleurs & cote époque qu’est décidé la transfert do province & Paris des inspecteurs divisionnaires, qui diffusaient antéreurement les meilleuros pratiques observées dans ces services, Cos transformations, ces fluctuations fournissent néanmoins occasion aux administrations et aux hommes qui les dirigent de formuler de nouveaux objectis, de préciser leurs program: ‘mes et de s’engager dans dos actions dont certaines ont un Caractére démonstrati évident (par exemple aide apportée A la création des premidres lignes de chemin de fer) La création des Annales des Ponts et Chaussées se situe dans ce contexte de transformations du début des années 30. Dans une lettre du 1° février 1831, le Directeur Général des Ponts et Chaussées Berard, reconnalt «la nécessité de publier Un recueil périodique sous le tive dAnnales des Ponts et Chaussées », et propose Ia constitution dune Commission chargée de tout ce qui se rapporte Ia publication de ce cull Borard souhaite que cette Commission se réunisse tes vi ce qui sera fait sous lautorité de De Prony, qui vieisemblable pent veut éviter T'échec de la non-patution des Actes des Ponts et Chaussées, I est difficile d'affirmer aujourd'hui qui de Berard ou de De Prony doit assumer la paternité de idée des Annales et de 10 {a décision de les créer, ‘autant plus qu’en arriéxe plan d'autres hommes jouent un rdle important et notamment Legrand qui de 1830 a 1832 est Secrétaire du Conseil das Ponts et Chaussées, et sera a partir de 1832 Directeur Général des Ponts et Chaus. ‘st0s et soutiendra tés activemont les Annales (en créant en 1836 les récompenses et les médailles, En tout cas, cing séances de la Commission se tiennent fontre le 11 février 1831 ot le 1°" avril 1831 et le premier numéro sort le 1#* mai 1831. I n’est pas utile de reprend ict la description de la revue, & ses débuts, ce qui est trés bien expliqué par Suquet. Por contre il convient do souligner a la fois la volonté et la détermination des Ingénieurs qui ont pris part & cette création, ainsi que l'extiéme rapidité avec laquelle les choses se sont assées. Ce point mériterait certainement une étude en soi ourauoi, aussi subitement, aussi promptement crée-t-on une nouvelle revue «Les Annales des Ponts et Chaussées »? Uhypothése selon laquelle il falaitrattraper le retard pris par rapport au Journal (Annales) des Mines ne parait pas pleine. ‘ment satistaisante (méme si elle est avancée dans la lettre de Berard) et dune certaine facon refléte pis lexpression de Confitsinter-corps plus tardifs et contemporains des personnes Qui ne retiennent que cette hypothase. existence, sous Finfuence du courent Saint-Simonien, d'un développement sans pareil de la science et de celui de la diffusion de ce nouveau savoir doit étre analysée plus en profondeur, au méme titre que I’énonciation de nouvelles ides privilégiant un certain socialisme a la frangaise dans lequel la ‘notion de Communauté prend.un sens trés concret, notamment chez ces Ingénieurs o'Etat. 3. LES ANNALES DES PONTS ET CHAUSSEES, MIROIR DE LA SOCIETE DES ANNEES 1830. Comme déjd mentionné plus haut, la création en 1831 des Annales des Ponts et Chaussées, refléte parfaitement certai- ‘nos évolutions de la société industrielle naissante Deux hypothéses explicatives doivent retenir notre atten- tion — le développement des sciences de ringénieur et celui concomitant des pratiques de 'ingénieur avec en arriére-plan Vidée que ce savoir théorique et pratique, doit étre largement itfusé — Ie forte influence d'un courant frangais pronant un socia- lisme humaniste avec la diffusion des idées de Fourier et do Saint-Simon. 3.1. Les Annalas et les sciences i et pratiques de |'ingéniour. En 1831, les Annales des Ponts et Chaussées sont on phase avec les idées que l'on se fait 8l'époque de la science et de la technique et participent du mouvement de diffusion des idées qui prend un nouveeu souffle autour des années 30. Des dictionnaires des inventions et des découvertes appa- raissent vers 1830: un dictionnaire technologique publib 2 Londres en 1831, le Nouveau Dictionnaire Universel des Arts et Métiers en 1836, En 1829, Ecole Centrale des Arts et Manufactures voit !@ jour, & initiative de savants, d’industriels et de financiers, Son ‘organisation et ses programmes s'inspirent profondément de c2 ‘Annales des Ponts et Chaussées -3€ trim. 1981qui se fait depuis 1794 a Ecole Polytechnique, notamment dans le formation «scientifique » des ingénieurs année 1831 voit également Ia parution du premier numéro des Proceedings of the Royal Society, alors qu’en 1837 seront publiés, 3 initiative d'Arago, les Comptes rendus de Académie des Sciences. (Avago, professeur 8 I'Ecole Poly- technique, sidgere comme député de gauche de 1830 1848), ‘Autre manifestation de cette volonté de mieux diffuser le savoir, il faut citor apparition en 1830 du tout premier bulletin, de résumés (bulletin bibliographique) : le Chemisches Zen- tralblatt. Enfin il foudrait aussi mentionner la parution en 1833 du ‘Magasin Pittoresque comportant des gravures sur bois et la | fin en 1832 de la publication de |'Encyclopédie Méthadique de Panckoucke. Sans faite Voxdgése do tous es textes pars sous la signaty | 1w dingénieurs des Ponts ot Chausséos dans les années 1830 | (erincipalomont coux de De Prony, Navier, Bresse, Polonceau, Coriolis, Legrand, Vicat et dauies) et sans énumérer les travaux oxtrémement intéressants qui sont fits 2 Iépoque | (iments, chemins de fer, route, pont.) on pout sfattacher 8 nolysor comment ls txtes dirsctementessociés& la paution| dos Annales des Ponts et Chaussées abordent cette question du savoir des ingénieurs et de sa diffusion La lett do Berard donne le ton «Destinés & faire connaitre une foule do travaux d'un grand, intérét(..), consacrées aux sciences et particuldrement a Fart des constructions (les Annales..)(..) les bonnes méthodes, seront plus connues et deviendront plus générales Le Prospectus, édité, en vue de recueillr des souscripteurs, poursuit: «Les études et les faits qui intéressent la théorie ou la pratique de Fart des constructions, les notions administratives | nécessaires & la profession d'ingéniaur, tol est le cércle dans | lequel se renfermeront les Annales »(.:). Embrassor dans cette publication tous les renseignements tachniques et administatifs qui peuvent éte utiles a lingé- erfectionnements de toute nature, mémoires et rap- ports inédits, dessins nécessaires a Intelligence du text; ‘analyses ou annonces des principaux ouvrages publiés en France et a rétranger, etc... (..) art de construire repose sur des fats, sur des procédés, sur dos théories. : Les ingénieurs en publiant dans los Annates, leurs nombrou Ses obsorvations, en discutant les méthodes en échangeant leurs solutions diverses, sinstuiront réciproquement et laisse: ont apiés eux dutiles traditions », Aisi on voit & travers ces déclarations combien la préoc- Ccupation est grande de constituer un savoir collactif 3 partir das ees individuelles de chacun des membres de ta Communauté. Les Annales sont tout la fois, un dictionnaire, tune «banque de données », un outil de communication et une Pédagoaie Il importe de bien garder en mémoire ces déclarations. Lévolution de la revue pendant 150 ans et surtout le XX sidcle t plus patticulidrement areét de la revue entre 1971 et 1977 euvent trouver un éclairage particulier & la lecture des textos ‘riginels : quels objectifs a-t-on abandonné dans ce program- me ambitieux de 1831 (qui ost, en 1981, particuligrement dactualité lorsquon parle de politique d'information scientit ‘que ot tachnique). Les Annales ne constituent pas un point singulier, nous avons suffisamment démontré précédemment. Les response: bles de la perution des Annales ont tout de suite vu le rélo do ‘evecteur » d'information et de contact que pouvait jouer la revue avec le monde extérieur (aux Ponts et Chaussées). Dans une lettre qu’il adresse le 18juin 1831 8 Berard, De Prony souligne Iavantage qu'il y aurait 8 échanger les Annales des Ponts et Chaussées avec d'autres écrits périodi- ques. En réponse Berard (lettre du 7 juillet) approuve cette idée d'échanges, avec la soule réserve que la charge en soit parta- ‘fe ene Editeur et Administration. A de nombrouses reprises, 1a Commission des Annales so penchera sur les propositions déchanges des Annales contre des revues francaises et étrengéres, qui seront alors déposées & la Bibliotheque de I'Ecole. Lo réle du dessin : les planches gravées. Une des caractéristiques, originale ot essentielle, des Anna. les des Ponts ot Chaussées, est 8 n’en point douter, adjone: tion de planches gravées et cola dés le début de la collection Nous avons vu plus haut que des les Recueils de Mémoires de Lesage, de tolles planches gravées avaient ét8 considérées: ‘comme indispensables 8 la diffusion du savoir La publication et Io diffusion aux élaves de I'Ecole et aux ingénieurs des Ponts ot Chaussées des Collections lithographi- ‘ques en 1821 et en 1826 témoignont de cotte volonté de «donner 2 voir» oeuvre de Mingénieur. Ces planches gravées sont la continuation stricte des des: sins (tat, avis, aquarelle) techniques de la deuxiéme moitié du XVillesidcle Los Annales comporteront donc les planches grevées (des: sins nécessaires & lintelligonce du toxto »). Le Prospectus ‘mentionne trés clairement cette disposition: «dos planches teproduicont les dessins que les auteurs auront joint & leur travail (..). Un cahior se composera de dix & douze feuiles in-8 ‘et de deux & wois planches gravées ». Les marchés passes avec les éditours successits précisont la nature de ces gravuros — cuivre (puis acier) et bois — leurs dimensions —35 x 24m — les conditions tarifaires (tiragos supplémentaires, et... Les planches et bois seront la propriété de l'administration et seront déposés 8 I'Ecole des Ponts et Chaussées, La crdation des Annales en 1831 avec l'adjonction de planches gravées, va interrompre la publication des collections: lithographiques de I'Ecole. Toutefois, les Annales ne peuvent romplacer complétement et surtout pour les éléves, ces colle tions lithographiques dont los dessins sont faits 8 une plus large échelle que les planches des Annales. Aussi on 1853, sera décidée la continuation du portefeuille de dessins dont la diffusion sera faite & tous les ingéniours. On peut s'interroger, avant de clore cette partic consacrbe 8 la diffusion du savoir et précisément au rdle du dessin, sur es faits suivants — une illustation, en pleine page, dans le cours du texte Slapparait que tardivement (et exceptionnelloment) on 1871 (gravure de Perot présentant le Laboratoit de I’Atelier expéri- mental): photogravure n’apparait dans les Annales qu’en 1897, alors que das le milieu du XIX® siécle Ecole des Ponts et Chaussées disposait d'un Atelier photographique, donnait un "RECUEIL DE DIVERS MEMOIRES, EXTRAITS DE LA BIBLIOTHEQUE DES PONTS ET CHAUSSEES, 4 WUSAGE BES ubvEs INGéNIEURS, Pablié par P. C. LESAGE, Iogénieur en chet do premitro classe, Tospeccur de Ifzole lnpésiale dos Pons et Chavssées, Membre de TAcadnie dos Sciences et Arte de Turin, de elle des Arcades de ome et de Dijon. A PARIS, ‘et BENNAND, Lie de oe Impl Aegan yo 8, 1806. enssignement de photographie ot rassomblait de remarquables collections photographiques; — il faut attendre 1965 pour voir une photographie en couverture (lo Phare des pierres noires) Cos «anomalies » ou « paradoxes » ne pouvent-ils pas &tre Cconsidérés comme des signes des diffcultés d'adaptation ou d'évolution de la revue, au moment ot de nouvelles revues font leur apparition (Le Génie Civil, le Bulletin du PCM on 1904.) 3.2. Les Annales dans le contexte du socialise humaniste, La douxidme approche possible pour une compréhension plus solide de circonstances de Ia création des Annales en 1831 réside dans l'examen des relations entre le monde des ingénieurs des Ponts et Chaussées avec celui des socialistes utopistes frangais, Fourier et Saint-Simon notamment, Une premise famille de ponsée a vraisemblablement in- {luencé de nombreux ingénieurs au cours de la premisre moitié du XIX sidcle : Saint-Simon et ses disciples. Rappelons sommairement quelques dates et quelques faits © 1807 Introduction aux travaux scientifiques du XIX sigele (Saint-Simon); 2 ‘ 1816 Création par Saint-Simon de la revue L'industrie;, # 1819-20 LOrganisateur (Saint-Simon et Augusto Comte ot 10-22 Le systéme industriel (Saint-Simon) Parmi los. prae de Saint-Simon citons ‘* des ingéniours, comme Enfantin qui tente de constituer tune société’pour le percement du Canal de Suez et qui va ‘administrey' la compagnie de la Ligne de Lyon; ‘¢ des hommes d’atfaires, comme Pereite qui se consacre dans les années 30 a la construction, l'exploiration et 'adminis tration ides premiéres lignes de chemin de fer (Paris-St- Germaih, Lignes de Lyon, du Nord, du Midi) et qui publie en 1832 les Lecons sur industrie ot les Finances): * des économistes comme Michel Chevalier qui en 1832 publie le Systéme de la Méditerranée, ouvrage introduisent "idée d'une politique des Travaux Publies en France (en 1838, i publie Des Intéréts Matériels); ‘# et encore des philosophes comme Leroux, qui admis & Ecole Polytechnique, doit y renoncer en raison de difficultés matérielles; Leroux devient collaborateur au Journal Le Globe. efi 1824 et se rallie au groupe des Saint-Simoniens en 1831 Une place 8 part doit re faite au sein de co courant didéos ‘Auguste Comte, qui aprés éure passé par Ecole Polytechni- ue en 1814-16, devient proche collaborateur de Seint-Simon ‘partir de 1817. Le pére du positivisme qui préne observation ft le raisonnement pour découvrir des lois effectives et introduit une classification linéaire des sciences ne manquer bas diinfluencer de nombreux polytechniciens et ingénieurs ‘entre 1819/1829 seront publiés ses Opuscules de Philoso- phie sociale. La deuxidme famille de pensée socialste sera également tres infuente sur le comportement des ingbniours autour des an- inées 1830; Fourier ot los socialistes utopistes ‘* 1822: Traité de I'Association Domestique et Agricole (Fourier) ‘¢ 1829: Le Nouveau Monde Industrie! et Sociétaire. Victor Considérant, ancien polytechnicion, abandonne la carrie militaire en 1831 pour se consacrer & la diffusion de la pensée de Fourier «1832 'l prond la direction de hebdomadaire La Phalan- 9, ‘© 1834/35: publication de Destinées sociales. Ce socialisme frangais rend hommage aux «Abeilles indus- \wieuses » (Saint-Simon) et fonde une religion positive sur la science, la farternité ot la paix entre les peupies. Association devient un idéal, une utopie (phalanstace). Le re do Etat est renforcé, dans la puro tradition du jacobinisme et le @technocratisme », alors, ne fait pas peur. Sans qu'il soit possible daffirmer si Berard, De Prony ou Legrand ont adhéré aux théses socialistes de I'époque; il est néanmoins intéressant de souligner certains influences de celles-ci, au moment de la création des Annale La lettre du te février 1831 de Berard donne un cortain ombee dindications — «consacrées aux sciences et particuliérement & art des Constructions, elles établiront parmi eux (les Ingéniours) une sorte de Communauté... »; «Les Annales des Ponts et Chaussées, seront on grande pattie, 'ouvrage des ingéniours eux-mémes, et alles doivent trouver dans la coopération de tant d’hommes éclairés les premiers éléments, comme le gage le plus assuré de leur succes ». Annales des Ponts et Chaussées - 3° trim, 1981Le Prospectus, établi par la Commission des Annales, sous "ja Présidence de ‘De Prony accentue certains de ces termes dans le sens du Positivisme et du Socialisme humaniste. Le Prospectus introduit une notion égalemont trds impor- tante, non sans lien, avec le débat d'idées de répoque | — ales connaissances spéciales (de l'Ingénieur) l'appel- Jent & devenir tant6t le Controleur, tantot le Conseil des Compagnies exécutantes (..) Les Annales rendront 4 cet @gard, un nouveau service aux ingénieurs, en publiant leurs ‘meilleurs moddles, en concourant ainsi & la simplicité das Geritures, & la netteté des calculs, 8 la clarté des comptes; en | [es tenant au courant de la jurisprudence du Conseil d'état; en leur indiquant la marche 8 suivre en matigre contenticuse ». Une précision est donnée dans le Prospectus, qui mérite dre rolovéo «Les éorits politiques et purement litéraires n’sntrent point dans le cade des Annales. Les polémiques individuelles, les réponses personnelles 3 d'autres journaux n'y seront point insérés ». Dans lesprit douverture et d'élargissement de la commu nauté scientifique et technique, il n’est pas sans intérét que soit retenu pour le premiar mémoire qui parait dans les Annales, un texte traduit de l'anglais, sur les Chemins de Fer (Chemin de f de Liverpool 8 Manchester. Notice historique par M. Henty Booth) De méme la décision de procéder 3 des échanges avec dauttes revues ou périodiques attoste de ce souci d'universa~ lisme dans un contoxte positivist. La circulaice du 28 janvier 1836 du Directour Général des ~ Ponts et Chaussées ot des Mines, de Legrand, est également Intéressante analyser. Elle institue les prix et médailles en favour des meilleurs mémoites qui seront publiés chaque année — «J'ai wu avec plaisir, u'll avait été possible & un assez ‘grand nombre diingénieurs, malgré les exigences de leur servi | ce, de rédiger des mémoires ou des notices sur diverses ‘questions qui se rattachent & Fart de l'ingénieur (...) Un aussi Jouable exemple trouvera sans doute dans l'avenir de nom- breux imitateurs (..) Les ingénieurs qui n’ont encore rien communiqué (..) s'empresseront de contribuer (..) & enrichr du fruit de leurs tavaux un recueil qui, on établissant entre tous 18 membres du corps de nouveaux liens de confraternite, doit rendre profitables & tous les travaux de chacun, et favoriser par es utes cormmunizetions, fe développement ot lee arogrds fe la science ». Pour récampenser ces ingéniours zélés (« zéle qui n'a pas besoin dans aucune circonstance d’étre stimulé par espoir des récompenses »), Legrand annonce qu'il se « fait un plaisir de lour adresser quelques-uns des ouvrages de sciences et de construction dont 'administetion peut disposer chaque an. ‘née », Il compte aussi faire plus en instituant des Prix annuels, consistant en médailles (trois en 1835, une de 600 F et deux de 300 F) | _Le processus datribution de ces prix est intéressant «Les médailles seront données au concours entre tous les ingéniours qui auront fourni des mémoires (..). Chacun des Ingénieurs souscripteurs désignera dans un bulletin cacheté QU'l mvadressera, le nom des auteurs des trois mémoires qui lui Pataitiont mérité la peéférence ». Sane aller plus loin dans l'étude des rappports entre le monde des Ponts et Chaussées (au moment de la création des Annales en 1831) et celui des socialists et des positivistes i ‘Annales des Ponts et Chaussées -3° trim, 1981 ANNALES PONTS ET CHAUSSEES. MEMOIRES ET DOCUMENS A LART DES CONSTRUCTIONS BT AU SERVICE DE VINGENTEUR, LOIS, ORDONNANCES ET AUTRES ACTES LADMINISTRATION DES PONTS BT CHAUSSERS. A PARIS, OURZ CARILIAN-GOBURY, LIBRAIRE-EDITEUR, ‘quat ues auGustins, we francais, on peut aisément affimer qu'une réele influence @ pu jover, ce qui conduit & souligner, une fois encore, que la parution des Annales en 1831 ne constitue en aucune facon Un «accident », ou une péripétie anocdotique. Cotte étude de la epré-histoire » des Annales, des modali- tés de leur création en 1831 et de lours relations avec un environnement scientifique, technique et socio-politique, pourrait &tre prolongé par 'analyse de ce qui se passe ent 1860 ot 1970. Nous ne le ferons pas ic en raison de importance du travail de détail & faire & ce nivoau ote texte de Suquet donne déja de nombrouses pistes, Toutefois quelques questions importantes mériteraient d'etre approfondies — calle du développement trds important de Ia Revue dans, les années 1860/1900: doublement, triplement du volume: accroissement du tirage: séparation des parties « Mémoires et documents et « Lois, ordonnances et autres actes concernant administration des Ponts et Chaussées »; ... pourquoi un tel développement de la revue a cette époque ? — celle de la création en juillet 1904 du Bulletin du PCM, ‘Association des Ingéniours des Ponts et Chaussées et des 3Mines : cette revue qui paralta jusqu’en 1914 pour reprendie fen 1919 ne vient-olle pas faire concurrence aux Annales ? Ces derniéres ne donnent-elles plus satisfaction ? Dautres aspects de la vie des Annales pourri tre mentionnés et approfondis — le débat sur la diffusion des Annales auprés des «Conducteurs », — es critiques faites 8 la Commission, en ce qui concerne tune certaine forme de censure (Tarbe); etc. it 6galemont Mais ossayons plutét de faire un grand bond dans le temps pour nous retrouver au début des années 1970, au moment oo les Annales vont connaitre une crise qui leur sera fatale, Les annales des Ponts et Chaussées dans la société contemporaine. Dix années pour mourir et renaitre. La période de développement industiel accéléré des années 1960 porte en elle-méme les germes d'une destabilisation & venir, qui aura des effets tant sur les hommes que sur les ‘groupes sociaux ot la société elle-méme. Le monde de la science et de la technique ne sera pas & labri du surprenant cchoc en retour de Mai 1968. La crise que va connaitre Ia revue les Annales des Ponts et Chaussées reléve, au-dola des données purement factuelles et circonstancielles, de ce grand ‘questionnement que la société contemporaine va connaiire & partir de 1968, pour plusiours années. 1, LARRET DE LA PUBLICATION DES ANNALES EN 1971, La Commission des Annales, dans ¢a réunion du 25 juin 1970, aborde le probléme des difficultés de la revue. Si entre 1880 et 1900, les Annales ont connu un prod. gieux développement, le XXe sidcle n'a marqué que le déctin progressif de la revue qui par ailleurs subit deux chutes brus- ques en 1914-1Bet en 1939-48, sans possibilité de « emonter la pente » aprds la fin dos hosts, Une des premidres raisons invoquées pour expliquer ce déclin est apparition de nouvollos revues mieux adaptées & leurs cibles. Rappelons-nous que le Bulletin du PCM existe depuis juillet 1904. Mais d’sutres revues, plus récentes, permettent do diffuser des informations scientifiques, techniques ou adminis: tratives aux ingénieurs : la revue Le Génie Civil le Bulletin du Laboratoire des Ponts ot Chaussées, le Bulletin du Minis- tare de I'Equipement, le Moniteur des Travaux Publics et du Batiment, otc Nest certain que I'existence au sein d'un méme Ministre de revues tres concurrentes va avoir des conséquenees graves pour les Annales et la Commission le soulignera : «Les publications spécialisées concurrentes ont continué & se développer en nombre; elles ont retiré progressivemant aux Annales leur clientele d'auteurs, ne leur laissant que les ai cles de haut niveau scientifique élevé de présentation souvent {ts mathématique. Les Annales sont devenues, dit-on parfois, les comptas rendus de I/Académio des Sciences pour lo Génie 4 Civil. Cela ne sutfit pas pour faire vivre une publication pétiog que ». La Commission des Annales est essisie depuis longtemps par le Secrétatiat des difficultés de constitution des numéro successifs des Annales par apport insuffisant de textes vala bles », Malgré des efforts faits dans les années 1960 pour ouvir plus largement la revue (rubrique «Tribune Ouverte » par exemple), les articles ne viennent pas ov plutot vont & des publications plus jeunes (Bulletin du PCM, Bulletin de VEquipement) La Commission ne peut que constater que «A diversas époques, des appels officels ont 6t8 émis sous signature soit du Ministe, soit du Président de le Commission des Annales, pour inviter les ingénieurs des services 4 collabo ror plus efficacement aux Annales (..) sans effet appréci ble », On est loin, ts loin, de Tengouement du XIXe siécle esprit, ‘communautaire ne souffe plus... au moins pour les Annales, La concurrence des revues, le pou d'ardeur dos ingénieurs & crire dans les Annales vont avoir des conséquences désas — difficultés de constitution des numéros successits — retard ou déphasage (trois mois pour le Ne I de 1870) — absence de périodicité, du reste incompatible avec un financement par la publicité Des romades sont suggérés, certains visant organisation du travail de la Commission et la clarification des responsabiltés d'autres concernant le «cadrage » de la revue (sen tenir pat exemple & un rie d'enregistrement des idées neuves 8 'image des comptas rendus de I’Académie des Sciences). La transtor mation de la revue dans sa périodicité (4 numéros par an seraient acceptables, bien que cela puisse « é1re dangereux par la suite ») est également envisage, Une idée ost émise, consistant 8 rechercher une fusion avec autres revues : les publications de ‘Association Internationa le des Ponts et Charpentes, mais plus encore le Bulletin du PCM (une fusion avec le Bulletin de I'Equipement est consi dérée comme «inconcevable ). Faute de décision opérationnolle et devant Ia gravité difficultés financiéres les Annales des Ponts et Chaussées ccesseront de pareitre en 1971 2. QUELQUES CAUSES PROFONDES. DE LA CRISE DES ANNALES. i west guére possible de développer ici une analyse appro: fondie des causes réellas de la crise des Annales. Nous ne donnerons que quelques pistes. La Société francaise (la société contemporaine du début des ‘années 70) est on crise. Mai 1968 a ébranié Ia société, ses structures ot les mentalités. La contestation et le desir de Participation en ont été des composantes essentelies Dans le méme temps, la croissance est remise on question Le rapport Meadows du Club de Rome (« Halte & la croissan: ce ») sera en 1972 largement commenté ot engendrera chet certains responsables et dans le grand public un mouvement de «repli » et de remise en question de certaines pratiques La société est « bloquée », proclame en 1970 Michel Cro: ui propose de «secouer le carcan qui fait peser sur Annales des Ponts et Chaussées -3@ trim, 1987 oosociété francaise la passion de commandement, de contrdle et de logique simpliste qui anime les grands commis, les patrons, jes techniciens et mandarins divors qui nous gouvernent, tous trop brillants trop compétents, et trop également dépassés par | jes exigences de développement économique et social » administration aussi est saisie du malaise sociétel. Crozier designe par exemple opposition qui existe entre les « techni: ciens empiristes » et les « théoricions idéalistes » et qui « trou: vve son origine dans la conjonction qui s'est créée entre la situation de carrie at la situation de wavail ». Le numéro Spécial de la revue Esprit de janvier 1970 consacré & Admi nistration roprend quelques-uns des mots d'ordre du moment {pour Une administration négociée, contre les fEodalites publi ques ». Casamayor termine son préambule en sollcitent cha- {que citoyen impliqué dans un service public ou privé de faire fen sorte quill soit amon 8 so demander:: qu’est-ce qui me révolte dans ca que je fais ? » -_Enfin Je monde scientifique lui-méme est en crise et sinter. roge sur se finalités et ses pratiques. Un ouvrage collectif | paralt en 1973 sous le titre (Auto)-critique de la Science. I met l'accent sur de nombrousos questions abordées dans les cing années précédentes quill s‘agisse des relations de la science avec le «pouvoir », de la «révolte » des scientifiques ‘ou de la critique de la science et de son enseignement. Co «Malaise dans la Civilisation » — comme Tindique de maniére provocante le tite de la traduction publiée en 1971 dun des textes classiques de Froud paru en 1929 — nvest pas sans influence sur nos ingénieurs des Ponts et Chaussées et sur Venvironnement «Ponts et Chaussées » Ecole, méme, des Ponts et Chaussées subit de profondes: ‘mutations entre 1968 et 1971. De nouvelles structures, une nouvelle organisation de Venseignement vont étre décidées. Quant 8 Homme, ingéniour, il va pour un temps se ry sur lui-méme, attendant d'y voir clair dans la tourmente homme de science, oul, mais quélle science? homme de terrain, oui, mais sur quel terrain et avec qui ? En tout cas, il rest gudro en mesure ou ne se sent guére capable de prendre 3 ‘ce moment précis la parole ot de donner & connaitre de ses idéas ot de sas pratiques & travers une revue comme Les | Annales des Ponts et Chaussées. | _Colle-ci, comme d'autres publications scientifiques ou tech niques qui connaissent alors de graves difficultés, ne peut done que s'éteindre — provisoirement du moins —. 3, LA REPARUTION DES ANNALES EN 1977. La lame de fond une fois passée, esprit de ténacité propre ‘aux ingénieurs ne pouvait qu'inciter & la «résurrection » de la ewe. A initiative du Directeur do I'Ecole, André Pasquet et avec le soutien actif du Directeur-Adjoint Michel Bonnet, l'idée de faire reparaite los Annales fait son chemin et trouve un accueil favorable en 1976 auprés des responsables du Ministére de | V€quipement comme du Conseil Général des Ponts et Chaus- sées, ‘Annales des Ponts et Cheussées -3° trim. 1981 Bion entendu on tiendra compte de lexpérience du passé récent et l'on clatiiora las rales respectifs de la Commission et dd I'éditeur. Une Convention pour lédition de la revue intitulge les Annales des Ponts et Chaussées sera établic en 1976 enve la Direction de I'cole ot la Société des Editions Yves Colombot (Pye Edition). Un Rédactour en Chet, Professour a 'Ecole est désign’. La Commission fera par aillours appel au concours d'un certain nombre de membros du Comps Enssignant de I'écol Parmi es idées qui sont retenues pour orienter la conception de cette nouvelle série des Annales, on peut noter certains points importants, Les Annales 4 mutations. le développment récont de la Formation Continue qui joue désormais le rdle didactique imparti naguére aux Annales; — Vouverture de I'fcole a d’auties domaines d'enseigne- ment que le Génie Civil, & savoir les Transports, le Bétiment et le Logement, ’Aménagement Régional et Urbain et plus ré- ‘comment I'Environnement et Energi: — Vexistence, depuis quelques décennies, de revues fran- cases de grande qualité sous 'égide du Ministére de Equipe- ment et des orgenismes sciontifiques, techniques et profes- sionnels, wont ‘adapter & un certain nombre de Les Annales des Ponts et Chaussées ont-elles leur place au sein du systéme moderne de diffusion des connaissances ? Existe-t-il encore une place pour une revue de caractire assez général et de haut niveau ? Les responsables de la réparution des Annales ont fait le pari que des réponses positives peuvent éire apportées a ces questions. Depuis 1977, c'est-d-dire depuis bientbt cing ans, les Anna- las, nouvelle série, existent & raison de quatre numéros par an. La périodicité est rétablie. Les atticies viennent et peuvent étre publiés régulidrement, Los Annales sont désormais tiées & 1 000 exemplaires, dont plus de 600 destinés aux abonnés. Trente pour cent de ces abonnés sont étrangers, L'€cole de son c6té dispose de 160 exemplaires qu'elle diffuse @ tie gratuit ou en échange contre d'autres revues frangaises ou étrangéres. 11 parait probable aujourd'hui, que les Annales des Ponts et Chaussées, comme le souhaitait André Pasquet en 1976, sont ‘en tain de «réussir la conversion que requiertI'évolution de ‘notte administration et de nes structures professionnelles ». Mais la question du renforcement des liens entre les lecteurs et principalement entre les ingénieurs reste posée. «C'est & vous tous les lectours, disait André Pasquet, et 8 ‘vous surtout, auteurs chevronnés’ ou potentiels, que je fais ‘appel pour soutenie et animer cette revue qui doit, dans le prolongement d'une tradition séculsire, servi le progrés de nos techniques et promouvoir son rayennement pour une meilleur application au service du public. » . 16