HISTOIRES de Questions internationales
“Yves
cst professauragregé et doctour an
hhstoe des reations rteraionaes,
la publeLe Qua/d' Orsay imperial.
Histoire du ministre dex Affras
‘anges sous Napoléon
(feitions A. Padone, 2012)
> Napoléon II et ’unité italienne
rule
Yves Bruley *
Malgré Ia « Iégende noire », opinion a toujours su gré
& Napoléon If d’avoir aidé Italie, En réalité, rien ne s'est
passé comme prévu, Moteur incontestable qu’aux jours
décisifs de 1859, le Second Empire a ensuite perdu
le contréle des événements. Mais comment « faire
quelque chose pour I'Italie » sans fragiliser tout
Péquilibre européen ?
Une « expression eéographique » : dans
I'Burope de Metternich, I'Italie n’existe pas,
du moins comme nation. En mars 1848, le
« Printemps des peuples » démontre le contraire
et contraint ancien maitre du congrés de
Vienne a quitter le pouvoir. Une dizaine de mois
plus tard, les Frangais élisent président de la
Republique au suffrage universel un homme qui
est a priori « anti-Metternich > par excellence.
Louis-Napoléon Bonaparte est un ancien
combattant de la cause italienne. En 1831, ila
pris part & un soulévement dans les Etats por
caux, oi son frére aing est mort. Dans son essai
paru en 1839 sous le titre Des Idées napoléo-
niennes, le futur Napoléon III a mis au crédit de.
Empire napoléonien le réveil « du nom si beau
d'Italie [qui] renferme en lui seul tout un ayenir
indgpendance ». Son projet est de poursuivre
Voeuyre dont il préte audacieusement I’intention
son onele : « fonder une association européenne
solide, en faisant reposer son systéme sur des
nationalités completes! ». Pensée prophétique
si l'on se situe au temps de I’ Union européenne,
‘mais pensée subversive dans I Europe de 1840.
Vingt ans apres, pourtant, Munité de
lltalie sera faite, et le réle décisif qu’a jous
Napoléon II est resté l'un des aspects jugés
positifs de son bilan, nonobstant la « légende
* Louis Napoléon Bonaparte, Des Idées napoléonicnnes,rSSi-
tion dans Yves Brule. Napoleon Il L'empereur mal aime,
(Gare, Pars. 2012, p. 176.
noire » qui a longtemps prévalu dans Mhistorio-
graphie républicaine. En reprenant les faits plus
froidement que jadis, il convient aujourd'hui de
se demander si Napoléon III a été un moteur ou
un frein pour I'unification italienne.
Des ambitions contrariées
Louis-Napoléon Bonaparte arrive au
pouvoir dans la plus dramatique des situatio
quelques jours & peine avant I’élection
présidentielle de décembre 1848, la révolution:
a éclaté a Rome. Aprés I’assassinat de son
Premier ministre laic, Pellegrino Rossi *, Pie IX,
fuit Rome et se réfugie dans le royaume de
‘Naples. La république est alors proclamée dans
’Urbs. A Paris, Louis-Napoléon est élu par
75% des suffrages comme candidat du « parti
de l'ordre ».
Contre les révolutionnaires
ix mois plus tard, Parmée frangaise
se la République romaine de Mazzini et de
Garibaldi. La gauche républicaine frangaise
dénonce l'ancien conspirateur qui achete avec
é ins romains, en Europe
2 Universitaire lbsral ng en Italie en 1787 et nturalisg frangai
profeseurd'économie politique au Colle de France ot acadé™
ficien, ambassadeur de France & Rome en 1845, il avceple
fen 1848 de drigr le gouvernement romain, sur la base us
Programme de reforms. Il est assassins par un evoutonnae
‘questions Intemational
oo mewceres @HISTO|RES de Questions internationales
cen France le soutien de l’opinion conservatrice.
Victor Hugo a toujours considéré que le crime
parisien du 2 décembre 1851, péche originel du
Second Empire, avait &té précédé dun péché
originel romain des 1849. « Qu’est-ce que le
coup d’Btat ? éerit-il dans Histoire d'un crime.
C’etait “T'expédition de Rome, & Vintéricur” qui
se faisait®, » Méme idée dans Les Chatiments, en
vers cette fois, et sans craindre de reprendre une
rime un peu usée
« Ils ont supprimé Rome ; ils auraient
Sparte :
dati
Ces droles sont charmés de monsieur
Bonaparte’ »
puissan
contexte oit, partout, Ia réaction emporte en
Europe. Dans le cas de Poccupation de Rome
en 1849, il sagit toutefois plus d’ une concur-
rence entre la France et I’ Autriche que d”une
complicité : la question est de savoir laquelle
des deux grandes puissances catholiques
rétablira le pape sur son tr6ne et s'imposera en
Iualie centrale, D’un point de vue stratégique, la
politique de Louis-Napoléon se défend : c’est
Ja France et non a I’Autriche de protéger la
papauté a Rome méme, ear en aucun cas I'inté
de Ia France n’est de laisser Frangois-Joseph.
dominer toute la péninsule.
Lautre motif de hostilité de Louis-
Napoléon aux répul Js est plus,
profond encore. Pour lui, de grands change-
ments sont inévitables en Europe, mais ces
changements doivent s’opeérer, pew A peu, par
action des Etats et non par celle de révolution-
naires incontrilables. La révolution doit ven
«en haut, des souverains eux-mémes, dans leur
propre intérét.
Les premitres années du Second Empire,
dans la continuité de 1a I République, sont
celles de l'alliance franco-romaine. Napoléon I
s’appuie sur IEglise en France et apparait en
Europe comme le principal facteur de stabilité et
de conservation. Il est aussi convaincu que seuls
* Victor Hugo, Histoire d'un crime, Oleadout et Imprimerie
nationale, Pars, 1907, tome 1.339.
5 Chatiments, Geneve ct New York, 1853.19.
a
les Frangais pourront persuader le pape d’intro~
duire dans ses Etats les réformes administra-
tives nécessaires 2 leur survie. Ce sera, en fait,
le rocher de Sisyphe de la diplomatic francaise
pendant tout le Second Empize et la cause de
bien des désillusions.
Le tournant du congrés de Paris (1856)
Le germe d'une nouvelle pol
italienne apparait lors de la guerre de Crimeée.
En lutte contre la Russie, Frangais et Anglais
invitent les puissances secondaires a se joindre
aeux, Le Piémont s'engouffre aussitét dans la
bréche et envoie des hommes en Crimée. C'est
‘un coup de maitre : en février 1856, le comte de
Cavour est done invité & sigger au congrés de
Paris, sous les lambris flambant neufs du salon
des ambassadeurs au Quai d’ Orsay, avec les
plénipotentiaires des cing grandes puissances du
Concert européen, $'il ne joue qu'un rile limité
dans la négociation du traité du 30 mars 1856,
qui conceme I’ Orient, il profite néanmoins de sa
présence & Paris pour nouer des liens avec P'élite
politique de I’ Empire.
Avec le ministre des Affaires Gtrangtres, le
comte Walewski, président du congres de Paris,
les relations sont froides. Mais une complicité
se noue avec le numéro deux du Quai d’Orsay,
Vincent Benedetti, directeur des Affaires
politiques, qui sera plus tard un défenseur de la
cause italienne. C'est surtout aux Tuileries que
Cavour trouve des appuis. Le 8 avril, alors que le
traité de paix est signé, le Congres doit tenir une
séance supplémentaire pour un tour @’horizon
des questions diplomatiques de "Europe
occidentale. Le Piémontais saisit I" occasion
et prend la parole en faveur de 'indépendance
italienne, intervention parait avoir été désinée
par Napoléon IIL, et c”est ainsi que 'interpretent
les grandes puissances, en premier lieu les
Autrichiens, fort mécontents,
Pour autant, Pheure n'est pas encore
venue dune alliance franco-piémontaise, Mai
Cavour en a posé les bases. Depuis Turin, le
duc de Gramont, représentant frangais aupr
du roi de Piémont-Sardaigne, écrit dans une
letire privée & son ministre Walewski, & propos
de cet épisode inattendu au congrés de Paris« Tot ou tard nous en verrons les effets et je
pense qu’avant trois ans nous serons en pleine
guerre’, » On ne pouvait Gtre prophate avec
plus de justesse ~ disons méme avee plus de
précision chronologique.
Du cété des révolutionnaires, les progres
esquissés au Congrés sont vus avee méfiance.
Ala demande de Mazzini, Victor Hugo publie
alors un éloquent Appel aux Iraliens : « Italiens,
[..-] défiez-vous de ce que les congrés, les
cabinets et les diplomates semblent préparer
pour vous en ce moment. [...] Quelle que soit
Papparence, ne perdez pas de vue la réalité
Diplomate, c’est nuit. Ce qui se fait pour vous
se trame contre vous !* >
Valliance
franco-piémontaise
Conscient de son autorité morale au lende-
main du congrés de Paris, Napoléon IIT entend
utiliser cette position politique si nouvelle en
Europe pour favoriser la cause des Ttaliens tout
en étendant influence de la France dans la
Péninsule, TI lui faut toutefois assurer ses arrigres.
En septembre 1857, 'empereur des Fran
e le tsar de toutes les Russies a Stuttgart,
Russie contre I’ Autriche, Napoléon III parle de
sa sympathie pour le Pigémont et de limpossibi-
lité de ne pas aider ce royaume s'il était attagué
par ’Autriche, Alexandre IT fait bon accueil &
cotte idée. Il se peut que I'Ttalie moderne soit née
{cet instant précis, car Napoléon TIT comprend
que la Russie le lnissera faire en lai
tion qu'il mette fin aux querelles franco-russes
en Orient, Cet accord tacite contribue & forti-
+’ Empereur di
C'est aussi la preuve que la nouy
italienne
voyance qu'on ne
1s ses desseins e1
a parfois suppose.
> Lettre particuliére de Gramont 3 Walewski. Torin, le
23 avril 1856. Archives du minister des Affaires étrangires
(AMAB), Apiers Gramont, vol. 1 £94.
* Vietor Hugo, Actes et paroles, ome 2: Pendant exit (1852-
1870), Albin Mitel, Pars, 1938. 134
Napoléon Ill et 'unité Itatienne
Walewski a assisté aux entretiens
de Stuttgart rt
Tannée suivante, de l'entrevue de Plombidres.
Infervenant quelques mois aprés Vattentat du
patriote et révolutionnaire italien Orsini quia
faillicofter la vie & Vempercur, la rencontre entre
Napoléon Tet le comte de Cavour dans la station
thermale des Vosges, le 21 juillet 1858, nest pas
totalement secrete, On en connait existence
1x diplomatiques, mais Cavour fait
courir le bruit que Napoléon III I’a convoqué
Plombiéres pour lui faire a legon ! Le mensonge
prend : personne ne se doute, y compris dans
les bureaux du Quai d'Orsay, qu’une alliance
fe est en préparation entre ka France et le
Piémont. Que se sont
deux hommes ont env
il est en revanche tenu & Pc:
dans les mi
sagé une guerre contre
V’Autriche, que la France n’acceptera que si
les Autrichiens la déclarent, Dans Phypothese
une victoire frangaise, le Piémont s’agrandi-
rait jusqu’a I'Adriatique, En Italie centrale, un
royaume nouveau serait formé avee la Toseane,
Jes duchés et une partie des Etats pontificaux.
Rome resterait pontificale tandis que le pape
deviendrait le président d’une Confédération
italienne, sur le modele de la Confédérati
germanique. Le royaume de Naples, modernisé,
y entrerait aussi, La France gagnerait la Savoie
et Nice. Surtout, il n'est pas question de provo-
quer des révolutions : la nouvelle Ttalie naitra
des seuls effets d'une guerre victorieuse et des
nggociations qui suivront.
Un ensemble d’Ftats secondaires unifics
sous une présidence honoraire du pape, doming
cn fait par le Piémont et, plus discrétement,
par la France elle-méme : telle devrait étre la
future Italie. La conception de Napoléon IIT est
généreuse et conforme au principe des nations
lités, Elle nest pas exempte d’arritre-pensées.
Les événements de 1859 réaliseront-
sce projet politique ambitioux et, disons-Ie,
ire ? Tout commence selon les plans
de Napoléon HT et de Cavour, Lalliance entre
Paris et Turin est annoncée en janvier 1859
en méme temps que le mariage du prince
fapolgon, cousin de "Empereur, avec la fille deHISTO|RES de Questions internationales
Guerre ou congras ?
L’étape suivante doit étre la guerre. La
diplomatic européenne s'emploie néanmoins &