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DU MEME AUTEUR Les philosophies pluvalistes d!Angletere et a’ Amérique (Alcan, 1020). Le réle de Vinstant dans ta philosophie de Descartes (Alean 1920; deuaieme “dition, Vrin 1053). Etude sur le« Purménide » de Platon (Vrin, 28 Edition 1952). Le matheur de ta conscience dans 1a Philosophie de Hegel (29 &dition, ‘Presses Universitaizes, 2951). Vers te concret (Vsin, 1932) Etudes bierkegaardiennes (2° édition, Vein, 195; Existence humaine ef transcendance (La. Baconnisre, Neuchatel, 1944). Poames (0% édition, L’Arbre, Montréal, 1 mann-Lévy, 193%): Tableau de Ia philosophic frangaize (Fontaine, 2946). Petite histoire de Vexistentiatisme (L’ Arche, 1950). The philosophers’ way (Oxford University Press, New-York, 1948). Poési, pensée, perception (Calmann-Lévy, 1048). Jules Lequier's Morceauce choisis précédés. d'une introduction (Bsitions des Trois-Collines, Genéve, 2948). La pensée de existence (Flammarion, 1952). Se erie METAPHYSIQUE I. LE DEVENIR — GENBSE DES PERMANENCES — LES ESSENCES QUALITATIVES — VERS L’HOMME Ml, LES MONDES OUVERTS A L'HOMME — IMMANENCE ET TRANSCENDANCE Cours professés en Sorbonne PAYOT, PARIS 106, Boulevard Saint-Germain e 1957 ‘Tou drole de tadaclon, de reproduction ot adaptation rere post tow pay, Commas 195 by Payot, Pare AVANT-PROPOS Sans doute un traité révolutionnaire est quelque chose d’incon- cevable, puisque la fonction d'un traité est de donnier auix pro- blémes classiques des solutions ordonnées, et qu'une révolution rendrajt unc telle entseprise tmpossible. De.plus, il est extreme ment difficile de parler d’une révolution philosophique qui se fait sous nos yeux. Cette entreprise d'un « traité révolutionnaire » ne pourrait pas ous satisfaire pour une autre raison : c'est qu'il ya une tradition Philosophique ; et qui ne connait pas cette tradition ne peut comprendre 1a révolution. C’est une de nos tiches essentielles de rév6ler la continuité de la pensée depuis les anté socratiques Jusqu’a notre gpoque malgré les révolutions. Nous devons etre conscients du fait que nous sommes les. héritiers d'une trés ancienne culture qui, en philosophie, commence avec Thalés et Anaximandre. Ti s‘agira du moins pour nous & la fois de donner le sentiment de cette révolution dans les concepts a laquelle nous avons fait allusion, et de donner le sentiment de cette longue tradition dont nous venons de parler. II faudra & ta fois mettre en relief ce quill y a de nouveau dans les conceptions contemporaines et ce quill y a en elles d'identiqite avec les plus anciennes spéeu- lations. Et cela d’autant plus que nous assistons comme 2 un retour, un retour qui est révolutionnaire dans son essence, 2 ces anciennes conceptions. Notons aussi que I'attention que noiss devons donner a I'his- toire quand nous étudions la philosophie est d'un genre parti- Culier ; a chose importante est la philosophie, dont nous étudions Thistoire, plntit que Thistoire en tant que succession dans le temps des pensées des hommes. Pourtant nous devons dire en meme temps que c'est en relation avec Ia révolution philoso- Phique actuelle ou future aussi bien que dans leurs relations avec leur arriére-plan historique que nous considérerons les problémes Philosophiques, Cela ne signifie pas nécessairement qu’ y ait progrés en philo- sophie. En un sens du moins, il n'y a pas de progrés. Platon ne sera jamais dépassé, Mais il y aura‘des changements de perspec: 6 AVANT-PROPOS . tive, des apercus particuliers sur les problémes étemnels, et il-y aura aussi une certaine sorte de mouvement. Que ce mouvement constitue un progrés, cela ne peut pas étre décidé dés le début. Sans doute pour certaines questions, les termes des problémes ont été plus clairement définis, quelques problémes se sont éva- nouis, d'autres ont émergé. Dans T'ensembie, cependant, c'est plutét une bonne chose‘de croire que les grands penseurs du passé: avaient au moins autant de pénétration que nous. Ls philosophes grecs ont vu les problémes avec une simplicité et une naiveté. vers laquelle il est toujours bon de revenir ; chez Descartes il y une audace qui a été rarement égalée ; Kant a pesé les termes des problémes avec plus de soin que n'importe quel autre philo- sophe. Platon, Descartes et Kant, et nous pourrions peut-ttre ajouter Hegel, sont probablement les plus importants points de repre dans toute V'histoire de la philosophie. Ine fait pas de doute quele besoin de voir les liens qui unissent Ja culture de I'Occident et celle de 1Orient est de plus en plus manifeste. Il y a eu toujours d’ailleurs des relations entre ces dewx cultures depuis les philosophes d’Tonie, depuis Platon, Pysrhon et Plotin jusqu’a saint Jean, jusqu’a Spinoza, Male- Dranche, Leibniz, puis jusqu' Schopenhauer. Ajoutons que Yétude des ressemblances entre les éléments des traditions de TOccident et de "Orient ne doit pas nous faire oublier tes diffé ences et n’oublions surtout pas le fait que probablement tout ce qui est exprimé dans I'une de ces traditions est représenté sous tune forme ou sous une autre dans l'autre tradition, a son équi- valent dans l'autre. C'est ainsi que dans le néo-platonisme nous trouvons des affirmations semblables & celles des grands livres de Yinde et que, sans avoir recours aux traductions, aux commen- taires des spécialistes, nous pouvons étudier directement. Les plus hauts moments de la mystique orientale ont leurs Equivalents dans quelques-uns des plus hauts moments de Ia philosophie néo-platonicienne et de ce que l'on a appelé Ia théo- logie négative Nous devons tenir compte aussi du fait que la tradition dela Philosophia perennis a peut-ttre laissé & 'arriére-plan quelques traits fondamentaux de la nature humaine, a détruit dans une certaine mesure le sentiment de notre parenté avec I'univers, que la poésie a miewx conservé. La grande valeur de ceuvre de ‘Whitehead consiste en son effort pour unir l'homme avec le monde AVANT-PROFOS, 7 grace A une critique des conceptions cartésienne et kantienne et & une transformation de nos idées de cause et de substance, espace et de temps, conformément aux résultats des découvertes scientifiques et par des modes de penser parfois plus subtils et parfois plus compacts que ceux qui nous ont été transmis & partir des idées des Grecs, de celles du moyen age, et de celles de la Renaissance. Nous sommes & la veille d'une révolution de pensée analogue & celle quia eu Iiew quand "homme a aban- donné Ia conception antique du monde avec sa méfiance envers Yinfini, qui apparaissait surtout sous aspect de I'indéfini, envers Je temps, envers la matiére, ‘pour un monde nouveau, infini et ‘temporel, et.oli la matiére était réduite & rétendue connaissabl Et maintenant, nous avons a donner une forme nouvelle, moins conceptuelle & ces idées d’infinité, de temps et de matitre. Peut- étre méme cette révolution sera-t-elle plus grande que la précé- dente. Ses dangers, les possibilités d’erreurs et d'interprétations fausses qu'elle renferme, déja illustrées dans quelques éléments dela pensée de Nietzsche, ne doivent pas nous faire perdre de vue sa nécessité. Mais cette nécessité ne fait que rendre plus essen- tielle pour nous la nécessité de comprendre les schémes de pensée qui se trouvent dans Hobbes, Locke et Hume, aussi bien que dans Platon, Descartes et Kant, Dans exposé des différents systimes, Ia tiche nous sera rendue difficile par les simplifications et les confusions qui résultent des termes philosophiques traditionnels, II n'y a pas de termes plus dangereux pour !a pensée philosophique queceux de « réalisme », a’ «idéatisme », de « rationalisme », a’ « empirisme » et les termes analogues. Et pourtant, celui qui recommande & ses étudiants de ne pas les employer se rend compte que Iui-méme est forcé d’en user ; nous essaierons du moins toujours de préciser Ie sens dans lequel nous les employons. Notons simplement pour le moment, que le mot réalisme a deitx significations. différentes, Yune quand on oppose réalisme 2 nominalisme, Y'autre quand on Loppose a idéalisme, de telle fagon que Platon par exemple est tun réaliste dans le premier sens, un idéaliste dans le second. histoire de Ia pensée philosophique, comme celle de I'huma- nité dans Yensemble, a été une histoire glorieuse mais malheu- reuse, Nous devons 8 Ia fois rester conscients.de.ce que les grands ‘pensentsont accompli, et chércher. ailleurs que chez eux une uision plus adéquate et plus riche de la réalité. Mais le passage 8 AVANT-PROFOS ' -de-nos esprits & travers les grandes philosophies nous apportera toujours des gains inappréciables. Nous devons nous. familia- Tiser_avec.elles, les conserver dans nos mémoires, et les saluer Avant deleuradresserun adieu plein de respect. Nous ne devons as les oublier. Ajoutons que méme Platon, comme on I'a montré xécemment plus d'une fois, n'est pas si éloigné qu'on pourrait, Ie croire de théories trés modernes. Conscients de ta révotntion an miliew de laquelle mous ous trouvons, prétant attention aussi & la tradition de notre culture philosophique, aux paroles éternelles de la philosophie, aussi bien qu'aux certitudes de Ia science, nous devons entreprendre ce ‘voyage & travers les concepts philosophiques en gardant présents a notre esprit les conflits entre nos différentes tendances ét nos différents sentiments. Un étudiant auquel les sophismes de Zénoa a'Biée étaient présentés en méme temps qu'un essai de solution des questions soulevées par eux, disait : « Je voisla solution, mais je ne vois pas le probiéme. » Nous ne serons pas trop malheureux si, sans arriver complétement & voir la solution, nous voyons du moins le probléme et, cheminant sur la voie des philosophes, maintenons notre foi dans notre entreprise humaine, TRAITE DE METAPHYSIQUE INTRODUCTION ‘Nous voudrions surtout, dans cette introduction, examiner la question de savoir s'il y a lieu ou non de changer les principaux concepts philosophiques, et voir, au cas oit ils devraient étre changés, de quelle facon ils pourraient 1’étre. En fait ily a des concepts qui ont changé dans Ie cours de I'his- toire de la philosophic. D'autres sont restés presque sans change- ment depuis Platon jusqu’a notre époque. Que certains aient changé peut nous permettre de penser que de nouveaux chan- ‘gements seront possibles. Mais la permanence.de certains autres n'est pas forcément preuve ou signe qu’ils n’aient pas A changer ; il se peut qu'il y ait nécessité de réviser des concepts demeurés jusqu‘ici permanents. Ainsi, aussi bien le fait de la permanence de certains concepts qui doivent étre soumis & critique que le fait du changement de certains autres. peuvent étre considésés éga- Jement comme les signes de la possibilité d'une révision des concepts, Les changements de concepts n'indiquent pas forcément un rogrés. C’est seulement a Ia fin de Vouvrage que nous serons & méme de résoudre la question du progrés en philosophie. Afin d’étudier la formation des principaux concepts qui ont dominé Ia philosophie occidentale, nous pouvons partir de 1a méditation de Socrate et de Platon, c’est-2-dire de la théorie des Idées. Hille a une triple origine, D’abord une origine éthique. Socrate se demande & quelles conditions nous pouvons dire qu'un acte est bon, quelles sont Ies conditions de tout jugement de valeur, et il les découvre dans I'existence d'Idées absolues : Tdée du Bien, du Beau, du Juste, etc. (on voit que nous admettons la thése de Burnet et de Taylor : la théorie des Idées a été d’abord tune théorie socratique avant d’étre une théorie platonicienne). En dewxime lieu elle a une origine mathématique. Dans le Phédon et le Ménon, Platon s'appuie sur I'idée de propositions ou d’étres mathématiques pour dire qu’il y a des choses qui sont éternellement vraies, indépendamment de lexpérience. Sa troi- sitme origine est la considération des ceuvres d'art et des objets fabriqués. L/artiste se reporte vers un modéle ; le sculpteur par one INTRODUCTION exemple (la sculpture a joué un réle important dans la vie intél- tectuelle de la Gréce) se reporte vers un modéle qu'il essaie de représenter par le marbre ou le bronze ; il a dans son esprit une forme qu'il essaie de réaliser. ‘elles sont les trois principales origines des Idées : Ethique, Mathématique, Esthétique ou Méca- nique. IL est. assez curiewx de noter que vers Ia fin de sa vie Platon, d’aprés ce que nous dit Aristote, a affirmé qu’il n'y a pas A'Idées, ‘objets artificiels.; il semble effacer par 18 et couvrir comme d'un voile une des origines de la théorie des Idées. Rete- nons en tout cas que Platon part de la considération de trois créations de l'homme : les mathématiques, I’éthique et l'art, our nous montrer comment Innivers est constitué. Naturelle- ment, un platonicien pourrait répondre que ce ne sont pas réel- iement des créations de l'homme, que ces créations supposent éja des 1dées. Constatons simplement que ce sont trois créations de l'homme, trois créations admirables qui permettent & Platon la conception de I'Idée. Mais y a-t-il une raison pour que I'ani vers soit constitué & Ia fagon d'une ceuvre d'art, ou qu'il se plie aux lois morales ou mathématiques que notre esprit invente ou consacre ? Retnarquons aussi que les platoniciens admettent une chose qui échappe a I'explication par la participation aux Idées, est la matiére. Remarquons en troisigme lieu, que les mots par lesquels Platon désigne I'Idée sont eidos ou idea, d’une racine dont le sens est une idée apparentée a 'idée de voir, et signifient sans doute quelque chose comme : les aspects de la choses. Nous pouvons découvrir dans ce fait limportance du sens de la vue our Jes concepts de la philosophie occidentale, importance sou- lignée et critiquée par Berkeley, par Maine de Biran, par Bergson et par Whitehead. Une des grandes dificultés du platonisme résultera du probléme qui se pose quand on veut comprendre comment le monde sen- sible, multiple paressence, peut participer & !ldée, dont la carac- téristique est I'unité. Nul philosophe n'a mieux vu cette difficulté ‘que Platon Iui-méme. Nous pouvons dire dune fagon générale que nul philosophe n'a mieux vu les difficultés du platonisme que Platons. Disons méme qu'il est le premier et Je plus grand des philosophes qui ont réfuté le platonisme tel qu’on le congoit @ordinaire. Dans le Parménide, il pose la question de savoir comment, si les Idées sont absolues, le monde sensible peut avoir tun rapport avec elles, et surtout comment elles peuvent avoir BTRODUCTION, Bea ‘an rapport avec le monde sensible. A partir du Parménide, 1a pensée de Platon a évolué vers un systime assez différent de ce qu’on appelle le platonisme. D’une part dans le Parménide lui- méme, il montre comment il ne peut y avoir d'unité que du multiple ; de Ja il pourra aller & la théotie du P/il2be suivant: Iaquelle les @tres se forment par une action de ce que Platon appellela Himite sur ce qu’il appelle F'ilimité, De a aussi, puisqu’il my a d’unité que du multiple, il pourra aller i'idée de nombre, et effectuer un retour certaines doctrines pythagoriciennes. Diautre part, dans le Sophisteil montre que le mouvement, I'Ame et Ia vie, ce qu'il y a de meilleur au monde, ne peuvent pas étre exclus de Ia sphére des Idées ; par un enseignement inverse, il insiste dans le Pisl2be sure ait que, ati sein du devenir lui-méme, se forment des réalités, et qu’ainsi, de méme que le mouvement est dans la réalité idéale, une réalité se forme dans le monde sen- sible. De toutes ces fagons, il esquisse une théorie du réel beau- coup plus une que celle qui était sienne au début. ‘Nous découvrons chez Aristote des éléments semblables & ceux qui étaient chez Platon. Quand il veut faire comprendre la diffé- rence entre Ia forme et la matiére, ou les quatre causes, Aristote optre sur exemple d'une statue, montrant ainsi & son tour Timportance de l'art dans la constitution de 1a pensée grecque. Mais il ajoute deux éléments nouveaux. D'abord la biologie-a pour lai beancoup plus d'importance que chez son maitre: Yiiomme existe parce qu'il est engendré par l'homme et non parce qu'il participe a une 1dée qui serait I'Idée d’homme. La deuxiéme considération nouvelle est d'ordre logique, ou au fond gramma- tical. IL y a-tune substance parce qu'il y a des attributs. Aristote voit que toute phrase est constituée par un sujet et un attribut, et il pense que le sujet est une substance. La théorie de 1a sub- stance est une objectivation du sujet et une facon dese représenter Ie monde comme un ensemble de propositions ayant sujet et attribut, Laissons de cété pour Je moment ce fait que les logiciens modernes admettent l'existence de propositions, propositions de position, et propositions de relation, qui ne se réduisent pas au schéme aristotélicien, En tout cas ce que nous avons dit des mathématiques se rapporte & plus forte raison & la logique : il n'y a pas de raison pour dire que le monde se soumet aux lois de notre logique. Cependant, deux grands philosophes, les deux mo + neropuction philosophes qui peuvent étre considérés spécialement comme les théoriciens de Ia substance, Aristote et Leibniz, ont fondé Jeur théorie dela’ substance sur la logique. ‘Nous aurons & reyenir sur toutes les questions que pose lidée de substance chez Aristote. Qu’est-ce que la substance ? Est-ce la forme ? Noa, car cela le ferait tomber dans le platonisme qu'il a si fortement critiqué. Est-ce la matidre ? Certainement non, sauf en un sens inférieur de Iidée de substance. C’est done union de la forme et de la matiére, mais c'est dire que la substance Socrate est ce composé de forme et de matiére qui est Socrate ‘Nous ne sommes pas trés avancés. On pourrait dire que la différence entre Platon et Aristote consiste ence quela substance, Iétre, doit pour Platon étre cherché dans 'attribut, et pour Aristote dansle sujet, auquel est ailleurs i'n attribut essentiel. Mais ni Platon ni Aristote n'ont résolu les problémes qui se posaient & eux, ya dans|a philosophie antique d’autres courants. Hest assez frappant de voir que I'tin des termes par lesquels Démocrite désigne I'élément fondatnental de univers, l'atome, est le méme terme d'Fidos qu’emploient Platon et Aristote. Mais il n'existe as moins de difficultés dans le systme de Démocrite que dans ceux de Platon ou d’Aristote. On ne sait pas s'il croit & 1a pesan- ‘eur des atomes. Nous ne trouvons pas de solution plus simple dans cette philosophie que dans celles que nous avons vues jusqu'ici. ‘Si nous jetons un coup d’ceil sur l'ensemble de la philosophie de Vantiquité, nous voyons l'importance des mathématiques, de Véthique, de I'art, de la grammaire, d'une certaine biologie, et du sens de Ia vue. Ces caractéres vont dominer toute I'histoire de la philosophie, A certains caractéres particuliers de la pensée antique vont S'opposer certains caractires de la pensée moderne. Nous le ver- rons pour le temps, pour le fini et 'imfini, la qualité et1a quant pour le mal et pour I'dme. I y a Ja une premiéze grande révolu ‘tion de la pensée philosophique. Nous pourrons en conclure qu'une autre est possible. Pour les Anciens les idées esthétiques, morales, mathématiques sont au-dessus du temps ; elles sont intemporelles; et ce qui est éternel est par essence supérieur & ce qui est temporel. C’est un point sur lequel ont insisté les pragmatistes anglais ou américains, et que Bergson a bien mis en Iumiére a la fin de L'évolution BvTRODUCTION “13 créatrice : il y a tin certain mépris du temps dans I'Antiquité, le temps est un moindre étre. Et le temps a une tendance Iui-méme a dtre sans cesse en décadence, de sorte qu'on peut dire qu'il n'y a pas dans I'Antiquité l'idée de progrés. Sans doute, chez Eschyle ou chez Laeréce oi peut trouver une certaine forme de cette idée, mais dans Eschyle il s'agit d'um progrés situé dans le passé, depuis Prométhée jusqu’a nous; dans Lueréce le veeu que l'homme soit libéré par Epicure de ta crainte des dieux reste & I'état de veeu. Dans ensemble, pour les Anciens, fe temps est une déca- dence de I'étemité, et est Ini-méme en croissante décadence. II faut done nous tourner vers un passé éermel, vers un éternel passé. Ce qui le marque bien, c'est la théorie de la réininiscence, puisque Platon nous dit que nous avons autrefois vu les Idées, et que nous devons en retrouver Ia vision rétrospective. En deuxiéme liew, le fini est considéré comme supérieur. Le Gree aime voir des clartés nettes se découper sur les choses et le fini est préféré par lui & ce qui est infini ou indéfini. Tl y a des exceptions, comme Anaximandre, qui a mis au principe de sa philosophie l'apeivon, comme Métissos, quia transformé la: de Parménide en disant que le tout n'est pas fini. Mais il suffit de voir le mépZis avec lequel Aristote parle de ces deux philosophes pour comprendre que le sens commun philosophique n’était pas de leur cété. On pourrait sans doute aussi parler du néo-plato- nisme et de Plotin, mais, méme si on admet finalement que le néo- platonisme est le résultat de l'ensemble de ia pensée hellénique, onse trouve cependant d’abord devant la question desavoir daus quelle mesure il a été influence par Ia tradition orientale. A cette supériorité du fini peut se rattacher celle de la qualité surla quantité. Pour Platon, la quantité est quelque chose d’indé- fini ; elle va toujours vers le plus ou le moins ; elle n'est jamais quelque chose de stable, tandis que si je dis que tel acte est bon west Ia quelque chose de précis. Un troisiéme point sur lequel il y aura une opposition entre la pensée antique et Ia pensée moderne dans leur ensemble (car il y @ toujours des exceptions), c'est I'existence du mal et du péché. Pour Socrate, le Bien est une science, et le Mal n'est qu’ignorance. Un quatriéme, signalé par Bergson, est que tandis que les ‘dées sont en quelque sorte supérieures i I'dme chez Platon, ily a dans la philosophic moderne une tendance & hausser, & exalter ame au-dessus des Idées. 4 INTRODUCTION : Si f'on considére ces différences entre 1a pensée antique et 1a pensée moderne : importance du temps, hiérarchie & établir entre le fini et Finfini, entre Ia qualité et Ia quantité, réalité du mal, rapport entre lame et I'Idée, il faut dire que ce changement s'est opéré tout d’abord sous l'influence du Christianisme, en ce qui concerne le temps, I'nfini, le mal. En_effet, tandis que pour les Anciens, il faut se tourner vers fe passé, tandis que pour eux le ‘temps est probablement d’essence circulaire et leur apparait comme une sorte d’éternel retour; pour les Chrétiens il y a un moment du temps qui est tout particulier. C'est le moment de Mncamnation. Le temps s‘oriente, se courbe vers le moment oi Yinfini devient fini. 11 y a pour le Chrétien un instant privilégié qui est le moment de l'apparition de linfini dans le fini. On voit ainsi toute importance du temps & partir du Christianisme et toute importance de Vinfini. L'infini est Diew lui-méme. Sans doute le probléme du temps avait été vu parfois par les Anciens, par Pindare et les Tragiques ; et Platon dans le Parménide avait insisté sur Tinstant. Néanmoins le premier penseur qui ait consi- déxé le temps en lui-méme et dans sa profondeur est saint Augus- tin, Pour Platon le temps est image fuyante de I'éternité ; pour Asistote le nombre du mouvement. Pour saint Augustin aucune formule ne résout le probléme. I écrit : «Sije ne me demande pas cce qu’est le temps, je sais ce qu'il est ; mais & partir du moment ‘0 je me demande ce qu’ilest, je ne sais plus. » De saint Augustia & Pascal et & Kierkegaard, on suit une évolution par laquelle fa pensée approfondit Ia réalité du temps. Nous avons vi une des raisons de la différence entre les conceptions moderes et celles del'Antiquité, Maisil faut tenir compte aussi de l'influence de la science. Sur certains points Yinfluence du Christianisme et celle de Ia science vont dans Je méme sens ; sur d'autres, elles sont en lutte !'une contre l'autre La science attribue au mouvement et au temps une réalité que ne Jui attribuait pas Ia science ancienne. Les idées de Hobbes et celles de Leibniz, un des créateurs du calcul infinitésimal, repr sentent dans la métaphysique cette importance duu mouvement, ‘enméme temps que celle de 'infini, C'est aussi sous l'influence de a science que la quantité conquiert une place qu'elle n’avait pas dans !’Antiquité. Pour Platon, la quantité était le domaine de Yindéterminé, était ce qui peut aller vers le plus ot vers Je moins. Avec la science modeme, elle devient quelque chose de trés précis, ByrRoDUCTION 35 et méme la seule chose qu'on puisse étudier de fagon précise. Au contraire la qualité devient quelque chose de flou (surtout les qualités secondes) ; il ya donc a un renversement complet des ‘termes. ‘Si nous voulons nous représenter la hiérarchie du monde pour Jes modernes (Descartes, Spinoza, Leibniz) nous dirons que tout en hautil ya un Rtre supréme, quiest infini; ensuite il y a lesidées claires et distinctes ; chez Malebranche elles se réduisent a I’éten- due, et par 12 méme a la quantité. Au-dessousily a les qualités, ‘qui sont elles-mémes indéfinies. On voit que l'idée d'infini s'est comme dédoubiée. II y a tn infini supérieur qui est Diew, et un infini inférieur que sont les qualités. Hegel appellera l'un le bon infini, infini de plénitude, etT’autre, le mauvaisinfini, infini de constante inadéquation. ‘Telle est dans son ensemble ‘opposition de la philosophie ancienne et de la philosophie moderne. Il'y a eu au mioyen age deus grandes tentatives pour concilier la premiére et 'une des origines de la seconde, le Christianisme ; I'nne de ces tentatives était fondée sur Platon, l'autre sur Aristote. D’aprés ‘ce que nous avons vu, ni I'une ni I’autre ne pouvaient donner de solution bien satisfaisante. On pourrait dans tune certaine mesure considérer que Descartes a.voulu concilier le platonisme et Ia science. Tl emprunte bien des choses & Platon, en particulier la conception de I'Idée en tant que Glaire et distincte quand il formule la preuve ontologique, il cexplicite une présupposition qui était au fond de la théorie plato- nicienne. Descartes a été un purificateur. Il a débarrassé Ia philosophie es ambigués, et c'est en s'inspirant de Descartes que Pascal a dit qu'il ne faut pas parler des choses spirituelles matériel- Jement, ni des choses matérielles spirituellement. Descartes a permis lessor de la science, et il a pu maintenir en méme temps esprit et la liberté. Il a constitué dewx domaines séparés, et il a rendu possible & lesprit qui constitue a science et & la science dexister I'un & cdté de l'autre. Mais on peut se demander si, en méme temps qu'il achevait cette tiche importante de Ia libération de I'esprit, il n'a pas introduit des concepts qui rendaient sa solution inapplicable et d'autres qui ne peuvent plus étre appliqués & notre science. Ii suflit de revarder Vhistoire du cartésianisme pour se rendre 16 INTRODUCTION compte des difficultés qui se trouvent dansla pensée de Descartes, particuliérement au sujet de1'union del’ame et du corps. De plus, comme I’a fait remarquer Whitehead, le temps et V'espace'tels que les congoit Descartes, faits, I'un de points, l'autre d’instants, ne répondent plus aux exigences de la physique moderne..D'abord on ne peut plus séparer 'espace et le temps: Ensuite il n'est plus possible de séparer des points qui seraient commie juxtaposés. Ii n'y a que des événements dont chacim est présent partout. De sorte que les conceptions de Descartes et de Newton, utiles a leur époque, demandent a étre révisées aujourd'hui. L/échec de la philosophie du moyen age avait conduit & la philosophie de Descartes ; I'échec de la philosophie de Descartes et de ses disciples, et méme de ses adversaires, explique la nais- sance de la philosophie de Kant. Mais nous pouvons redire ici ‘ce que nous avions dit pour Descartes : en méme temps que Kant accomplit sa grande eenvre, il y a dans sa philosophie des présup- positions qui doivent étre examinées. Il nous dit par exemple que ‘du moment qu’il ya des phénoménes, il y a des nouménes, que du momient qu'il y a des apparences, il y a des choses qui appa raissent. Pour lui ce sont 18 des axiomes de la pensée. On ne peut évidemment pas dire qu'il y ait 14 une application du principe de causalité, puisque celui-ci ne s'applique qu’a V'intérieur des phénoménes. C'est done par une présupposition fondamentale qui ne doit pas étre rattachée au principe de causalité que Kant affirme existence des nouménes. Mais il n’arrive pas 2 nous prouver cette présupposition fondamentale qu'il ne peut y avoir apparence que s'il y a des choses qui apparaissent. Nous pourrions poser des questions semblables au sujet de la distinction de la forme et de la matidre, qui existe aussi bien ‘chez Kant que cher, Aristote et chez Platon. Pour Kant, la matiére des sensations est inconnaissable sla forme est la structure méme de Vactivité de lesprit, et par 1& méme est concevable par I'esprit. Ces deux distinctions, entre les phénoménes et les nouménes, et entre la forne et Ia matigre, ont été critiquées par les'post- kantiens, Fichte, Schelling, Hegel d'une part, Renouvier d’autre part, qui ont essayé de se débarrasser de la distinction, en parti- culier, entre les phénoménes et les nouménes. Renouvier fait de toutes choses des phénoménes, comme Hegel fait de toutes choses des nouménes. Des interprétes plus récents du kantisme comme Cassirer ou Brunschvicg ont pensé qu’il ne fallait pas . EvTRODUCTION 7 suivie Kant dans son affirmation de la chose en séi. Dautre-part on peut montrer que 1a psychologie de 1a forme, quand elle insiste sur T'idée que les choses ont toutes une forme, qu'il n'est rien qui soit sans forme, est aussi une réfutation du kantisme. Nous avons: parlé des courants rationalistes des temps modernes. Mais il faut tenir compte aussi de la tendance empi- riste telle qu'elle se voit particulidrement chez Locke et’ chez Hume. ‘Trouverons-nous 1a plus de satisfaction ? Comme I'a dit William James, ce que I'on peut reprocher & 'empirisme, c'est dene jamais avoir 8 jusqu’ici assez radical. Locke et Hume font attention aux sensations, qu'ils considérent comme se succédant dans notre esprit les unes aux autres ; c'est-A-dire qu’ils font attention aux termes. Mais dans Vesprit il y a aussi les relations entre les sensations ; il y a non seulement cette sensation, puis cette sensation, mais il y a encore des relations comme avec, dans, et méme ce puis que nous venons de mentionner ; iy a des ‘quantités de petits mots dans la phrase, qui ne sont pas moins importants que les termes ; ce sont les mouvements mémes de esprit, ce sont les relations. Le tort de Vempirisme, quand il est compris d’une fagon rudimentaire;est de considérer les sensations” comme discontinues ; et cela rend Ia tiche de la réfutation de Yempirisme assez facile. Le rationaliste se fera fort de montrer qu'il n'y a pas seulement les objets, mais la liaison entre les objets. Et comme I'empiriste a semblé reconnaftre que ces rela~ tions ne sont pas dans l'expérience, le rationaliste soutiendra gu'elles sont imposées du dehors par lesprit. Mais si on était allé plus profondément dans le sens de I'empirisme 1, om aurait découvert les relations dans 'expérience elle-méme, et on n’aurait plus eu besoin de recourir & des formes imposées de lextérieur. Les relations auraient été vues entre et dans les choses ; si du’ moins les mots enire et dans peuvent ici conserver un sens. La lutte entre le rationalisme et lempirisme est une lutte qui peut se continuer sans fin. Examinons quelques-uns des argu- ments du rationalisme. Les principes de la raison, disent les rationalistes, ont une universalité et une nécessité qui ne peut pas étre dérivée de expérience. L’expérience, ajoutera Hegel, ne peut nous donner que des ici et des maintenant, c'est-a-dire des 1, Notons que la philosophie de Hume, avee sa théorie de la croyance, du sentiment, de Vhabitude ne peut pas étre réduite un atomisme et admet existence de relations immanentes d 'expérience. ‘Traité de métaphysique 2 8 , INtmopvcrIon , abstraits sans cesse évanouiséants. Enfin, et ce serait Ié troisi¢me Ge ces arguments fondamentaux, lmparfait et le fini présup. Posent le parfait et Vinfini. Mais le premier de’ ces arguments Suppose qu’on ait prouvé l'absence dans esprit d'une faculté Propre, & vrai dite dffcilement explicable, parlaquélle elle irait da Particulier et du contingent & l'universel et au nécessaire. Le deu. Sime argument, celui de Hegel, sefondesurtne certaine concep. tion du langage ; Hegel voudrait que lies et le maintenant exc priment, pleinement les portions du-réel; A supposer qu'il existe Ge telles portions, auxquelles ils veulent correspond ; of, Viet ote maintenantne sont nullement faits pour exprimer des réalités, ‘mais pour les désigner. ILy.a donc chez Hegel une erreur, semble. ‘i, sur la conception méme que Ton doit se faire du langage, fi Sette conception de Tici et du maintenant chez Hegel, qui ics fait évanouir parce qu'il ne veut pas se rendre compte que dans notre discours ils ne constituent que des indications et Comme des gestes vocaux vers ce qui est donné en dehors d'eiix, nous Pouvons opposer la conception de Husser! quand i insiste Sar ce quill appelle lélément « déictique », Yément de désigna- tion quiest dans le langage. Ea troisiéme leu, sur la question de savoir lequel vient en premier, le parfait ou I'imparfait, la lutte Se perpétuera toujours entre empiristes et rationalistes, Mais si nous avons vu ainsi les insufisances du rationalisme, celles de l'empirisme ne sont pas moins évidentes ; et nous avons dit quill ne tient pas compte de la réalité des relations, ons pourtions méme nous detainder si les deux doctrines, $3.SPParence opposées, ne tombent pas sous le coup de critiques ‘dentiques. Nous venons de voir que toutes deux zeposent sur lune négation dela présence, au sein de I'expérience, des relations, Pe plas, toutes deux se meuvent dans ce que Whitehead a appelé Ja région de «l'immédiation représentationnelle », Cela méme est é & ce que nous avons dit de la prééminence de la vue dans la Philosophie occidentale. Si Hume, en particulier, a tant de peine découvrir quel pouvoir lie le choc d'une premiére bille an mou. Nement dune seconde, c'est qu'il considére les faits du dehors ; c'est seulement en nous tournant vers une autre xégion, vers uous-mémes, que nous pourrons trouver cette « efficacite cau, sale » qui nous domnera l'accts 8 ce qu'il a de mouvant dans luni. vers. Du reste, ces deux premigres critiques sont liées dans une certaine mesure I'une A V'autre ; clest faute de ne pas avoir INTRODUCTION 9 dépassé le domaine de « limmédiation représentationnelle » que Yona pas vu la réalité des relations. Ce que nous venons de dire ous permet daller vers ume troisiéme idée, étroitement lige & son tour aux précédentes, qui a été mise en lumitre par les phéno- ménologues. An-dessous du domaine du jugement est le domaine du pré-prédicatif ; tout jugement porte sur une réalité antérieure au jugement ; et c'est vers cette réalité primitivement donnée qu'il s‘agira pour la philosophie, entendue ici, suivant une indi- cation de Heidegger, moins comme amour de la sagesse que comme entente de Ja communion avec les choses, de nous faire aller, de nous faire descendre. ‘Nous n‘insisterons pas sur d'autres caract2res communs entre Je rationalisme et empirisme, comme la théorie des idées repré- sentatives qui s'est développée dans V'école cartésienne et est allée de la & Locke et aux empiristes ; mais nous pouvons insister sar la négation, impliquée dans es deux doctrines, de ce que nous pourrions appeler un acte de transeendance de esprit par Iequel il_va, comme nous le disions, du contingent et du particulier & Tuniversel et au nécessaire, forgeant et formant ces derniers par cet acte méme. C'est parce qu'ls nient tous deux cet acte que Vempirisme conclut qu'il n'y a pas d'uiversel et dé nécessaire et que le rationalisme conclut que I'universel et le nécessaire ne ent. que de lesprit. “Notons que dans le rationalisme méme des tendances différentes doivent étre distinguées. Nous le voyons aisément si nous com- ppatons es théories de Leibniz et Kant sur espace. Pour Leibniz espace est un ordre rationnel. Pour Kant, il y a dans espace tun élément d'irréductible sensbiité, qui est marqué visblement dans la dissymétrie entre le droit et le gauche. Ainsi I'un insiste sur le fait que Vespace est ordre et abstraction, l'autre sur le fait que Vespace est irrémédiablement lié & de Tirrationnel sensible, Et sans doute, chacnne de ces visions de I'espace contient sa part de vérité ;mais est seulement par un dépassement des deux doc- trines que Y'on pourra apercevoir quelle doit étze leur place et quels doivent étre leurs rapports mutuels. : Nous avions vu comment la pensée moderne se sépare de la pensée de I'Antiquité par la place quelle donne aus idées d'infi- nité, de temps, de matitre. Mais peut-Etres'agira-t-il maintenant, dans une nouvelle phase de Ja pensée, de donner en particulier a ces trois idées une forme moins conceptuelle. Nous arrivons 20 INTRODUCTION cen effet & un point od nous voyons que des idées fondamentales comme espace, Ie temps et Ia cause sont mises en. question. et débattues parles physiciens, par les psychologues de la forme, par. certainsaspects dela psychanalyse. Ledéveloppementdelascience ‘a montré inadéquation des schémes antérieurs.de Vespace, du ‘temps et dela cause. Comme''a dit un physicien, Edmond Bauer, Jes mots de particule ou de corpuscule sont, comme tous les mots, des symboles. Ce que nous interprétons par le mot de corpuscules, ce sont des suites discrétes de phénoménes. Le rationalisme s'est assoupli ; et il est trés caractéristique de voir les formesnouvelles qu'il prend chez. un Cassirer, chez un Brunschvieg, pis chez. un Bachelard. Dans le livre de Brunschvieg, L’expérience humaine ef Ja causalité physique, on voit que pour luile principe de causalité, a force de se généraliser et de se modeler sur I'expérience, se réduit finalement a affirmation qu'il y @ wn univers. On sait~ la richesse, la multiplicité du rationalisme, ou plutét de sur- rationalisme de Bachelard. D'autre part, la psychologie de la forme nous montre comment la distinction entre forme et matiéze tend a s'évanouir. La phénoménologie nous enseigne & ne pas prendre la pensée & part des choses ; et c'est la théorie de inten tionnalité. Elle dirige notre regard vers un espace concret, anté- sieur & espace mathématique et & partir duquel celui-ci a pu se former. Elle est soucieuse de ce que Husserl appelle la corporéité des choses ; cet espace qu’elle nous présente, ce n’est pas I'espace homogtne dela science, c'est espace véeu et concret, vers lequel aussi Bergson dans certains passages et Minkovski tournent notre regard. La. philosophie de Heidegger insiste sur le fait que homme est essentiellement ‘étre-dans-le-monde, qu'il ne; peut pas étre séparé du monde. Nous voyons ainsi tout un en- semble detendances qui vont versune transformation desconcepts lassiques. De nouvelles maniéres de penser doivent surgir, Les physiciens quand ils nous parlent d'indétermination, les psycha- nalystes quand ils parlent de sur-détermination mettent en cause, si nous pouvons ainsi parler, le principe de causalité Iui-méme. Beaucoup des principes classiques se sont dissous ; les cadres dans lesquels on enfermait les choses ont disparu ? ; et, du moins 2. Rappelons ici les idées que Nietzsche a esquissées dans certaines notes qu’il destinait & la Volonté de puissance. D'aprés lui les concepts espace vide et d’atomes sont inutilisables. Il n’y a pas essence ;ce sont les relations qui constituent Vessence, La causalité et la finalité sim- Pliquent I'une Vautre et sont toutes déux de simples interprétations. « It INTRODUCTION ar du point de vue de 1a science, les choses qui étaient-dans ces cadres se sont évanouies (en méme temps que d’autre part Iidée de chose est étudiée avec plus de soin que jamais dans la phéno- miénologie de Hissserl). Peut-étre convient-il & ce moment de nous tourner vers d'autres, activités humaines que I'activité philosophiue proprement dite? Peut-étre pourrions-nous faire appel & certains peintres et a certains podtes ? Un philosophe comme Heidegger s'est souvent appuyé sur les intuitions d'un Rilke et plus encore sur les visions d'un Holderlin, Whitehead aime & citer Wordsworth et Shelley. La méditation de Wordsworth nous permet de sentir Ia durée, non pas au sens bergsonien du mot, mais le fait que les choses durent, la permanence obstinée de certains aspects de la nature tels que les rochers ou les montagues, Shelley, au coritraire, nous fait percevoir la fuidité des choses et leur transformation per- pétuelle ; et pourtant d’autre part il reste platonicien ; les trans- formations de la flamme ou de la vague ne les empéchent pas de rester telle flamme et telle vague. Whitehead veut nous indiquer que nous aurons & essayer d’unir la vision de Wordsworth et celle de Shelley. Nous ponvons nous rappeler que Plain disait que te philosophe est comme les enfants qui veulent en méme temps deux choses contraires : le repos et le mouvement. De méme, Whitehead veut que le philosophe conserve a Ia fois ces deux constituants du monde que sont le repos et le mouvement. Claudel et Valéry, de fagon trés difiérente, peuvent tous les deux indiquer au philosophe d'aujourd’hui des chemins dans lesquels il pourra s'engager. Claudel nous fait sentir ce qu'on ‘pourrait appeler une sorte de substructure des choses une densité, tune épaisseur. Valéry, d'autre part, se meut dans ce qu'il y a de plus subtil, dans les possibilités les plus aériennes ; et il pense aque la science en dissolvant les choses en une réseau de relations nous permet d’atteindre ce qu'il y a & la fois de plus réel et de plus évanouissant. Voila deux écrivains dont chacun nous montre ‘une voie opposée. Or, bien souvent, ce qu’on appelle le sens commun a négligé ces voies extrémes afin de batir des syst#mes n'y a pas de : un aprés Vautre, mais seulement un : un dans Vautre, wa processus dans lequel les moments séparés qui se succédent ne se condi Hionment pas ies nsles autres a fagon de causes ot deifets. Le sujet est tune fiction. I!n'y aque réarrangement de forces et changement de quanta de puissance. La nécessité et la loi disparaissent, Les chosessont également tune fiction, Tout «atome » affecte tout etre. » aa nyTRODUCTION de concepts plus faciles & comprendre, Mais peut-étre, l'on veut cheicher la vétité, fautil s'engager soit avec Claudel dans une miéditation qui'va vers Vextréme épaisseur soit avec Valéry dans une réflexion qui va vers I'extréme subtilité. Nous verrons que, sur la plupart des problémes, il faut aller soit vers tne conception pré-prédicative et pré-relationnelle, soit vers une ‘conception’ ott Te’ monde: nous apparait, sous T'influence de la science, comme tissé de relations. ‘Nous pourrons aussi recourir & la méditation sur les peintres. Un Cézanne nous montre la substructure spatiale et nous fait saisir certains aspects de repos ; un Van Gogh nous montre Textréme agitation de la nature. ‘Sans doute, on nous rappellera que la science a son mot & dire ; ‘et nous le recomnaissons bien volontiers. Ne venons-nous pas Aerize que c'est dans la voie de la méditation scientifique que nous oriente un Valéry ? Aussi convient-il peut-tre que nous apportions un largissement & ce que nous disions quand nous insistions uniquement sur le pré-prédicatif et le pré-relationnel, Mais cependant il convient de faire ici quelques observations, Diabord la science part du monde du sens commun, Le savant forme une théorie de la couleur, mais c'est d'abord parce qu'il ala sensation de couleur. Le monde du sens commun est Ie point de départ du monde de la science. Ilse peut que le monde du sens commun apparaisse parfois comme nié, duu moins dans sa“valeu, Par le développement de ta science ; mais nous pouvons toujours rappeler que sans le monde du sens commun la science n’aurait pas de point de départ ni méme de signification. En deuxiéme liew, du point de vue du sens commun, nous voyons les objets d'une certaine fagon ; sans doute, a l'aide d'instruments Phomme a Ia possibilité de se mettre pour ainsi dire & an niveau différent de son niveau ordinaire et de voir, aprés une analyse, les objets dune fagon plus précise. Mais il ne faut pas que cela Iui fasse erdre la conscience du fait qu'il voit les objets du monde sensible commeil les voit. On pourrait dire que le point de vue de a science ‘est un point de vue qui est réel pour un étze qui serait autre que Thomme et en lequel I'homme se transforme par le fait méme de J science. Mais nous ne sommes pas naturellement des savants ; Ie point de vue du sens commun est le point de vue de "homme Placé danssa condition ;1e point de vue du savant celui de l'homme en tant qu'il peut se placer hors de-sa condition ordinaire. . INTROQUCTION 23 En troisitme leu, nous pouvons dire que a science nous donne comme esqutette dela nature Nous rapelnttontefos que décompose les choses en relations mouvantes, nos pouvons voir Se ee ppourrions-nous dire, si nous osions cette comparaison, qu'il s'agit, d'un squelette mouvant. : En quatritme lieu, a science est certainement une des plus hhautes eréations de esprit humain. Mais en quoi consiste cette activité ? Comme nous venons de Vindiquer, elle consiste a chercher ce qui est la substructure des choses. Ain la science, ‘qui appartient la superstructure de notre esprit, chercheI'infra- re'des choses. apis ce que nous avons dit, on peut voi ate ta philosophite est pour nous recherche de lmmédiat. L'idée d'une recherche de Fmt peat semble surprenante a premier shod; mals ondition de homme que Vimmédiat n'est pas donné Sa wee ee pea ene eee eee immédiates de la conscience. Mais on voit méme dans cet ouvrage que Pimmédict n'est pas une donnée, et qu'il faut un effort pour Tacquérir. "Ce serait ic Te eu de nous rappeler encore une fois la critique aque Hegel a fate de Vimeédiat ; mais le Hiew aussi de nous sou- venir que lorsque nous pensons I'ici et Je maintenant nous dit geons,orientons notre pensée vers les choses, et n'avons pas dit tout Fidée que nous pouvons les exprimer complétement. En ce sens nous pourrions dire que Husserl a raison contre Hegel. Sans, doate Te positiviame logique pense que la philosophie doit tout, entitre se réduire & une sorte étude du langage ; mais Ia réduire cela, ce serait pour nous lanier. o ee tasers ce Cade ae snes dans son caractére concret, non pas seulement Je monde de qualités pre- initres ausxquelles Descartes pense que doivent étze réduits les corps, mais un monde doué de qualités secondes, comme le eee aes et, pour prendre expression d’ Alexander, doué de qualités ter” tisires, cest-A-dire de valeurs. Un tel monde n'est pas décom- posable en éléments homogines, en atomes ou en électrons, mais ex centres conrets, est ire en des parteles vas comme lités. Ici activité primitive de esprit n'est pas une sya tials putt une analyse par aguel Te tontimmediatement sent 24 . INTRODUCTION ‘est décotnposé. Noiss'avons insisté sur Iéxistence de relations ; mais aprés avoir mis en lumiére l'importance de l'idée de relation, sans.doute-faut-il aller an deli vers une critique des relations elles-mémes, faité d’un point de vue analogue a ceux de Bradley et de Bergson; sisdifférents que paraissent étre au premier abord ces detix’philosophes: C'est aussi le moment de rappeler que la vue ne doit:pasiétre notre unique mode d’acets aux phénoménes, et que les-autres sens peuvent nous donner des indications aussi précieused: (Cette idée que la:philosophie est recherche de I'immédiat peut nous faire: comprendre comment plusieurs des grands mouve- ments modernes'de la pensée philosophique sont des réactions contre Hegel, contre cet tniversel médiat dans lequel il voulait voir la fin de'la pensée humaine. Des penseurs aussi différents ‘que Kierkegaard, que William James et Bergson, veulent nous faire revenir vers le paradis perdu de Vimmédiat, ‘Crestlascience qui nousindique elle-mémeses limites. Le savant se rend compte mieux que jamais qu'il y a des bornes & son investigation, que la recherche de la précision dans une direction ‘améne dans l'autre direction une vision floue. C’est la un des sens que Yon peut donner eu principe d'indétermination. Par 1a méme quela science nous dit cela, elle contribue & ren- forcer la position réaliste. Il y a quelque chose qui est autre que notre esprit et sur lequel notre esprit a prise, mais jusqu’a un certain point seulement. z ‘Nous nous sommes placés jusqu’ici surtout au point de vue du monde extérieur et de notre rapport avec lui. Mais & qui ce monde est-il présent ? A nous-mémes en tant qu'étres existants. Un des caractéres de la philosophie contemporaine est som insistance sur cette idée d’existence qui permet de ne pas poser dés I'abord la ‘question de savoir siJ"homme est une ame ou un corps ou les deux, et dele voir dans tne totalité qui n'est réductible & aucune idée de substance. Cette existence est lige essentiellement & ce qui est autre qu'elle; et tel est le sens del'idée de transcendance dans la philosophie contemporaine, Cette transcendance, qui pour Kier- kegaard était notre relation & Dieu, est devenue notre relation au monde. A partir de ce que nous avons dit, nous pouvons voir comment, sunedesambitions dela philosophiesera de dépasser lesséparations, les dichotomies, ou. pour prendre le mot de Whitehead, les bifur- myTRaDUCTION ; 25 ‘cations’ que ‘es~philosophes ont tracées dans l'expérience. 11-~ S‘agira, commeéV'a montré Bradley, aller au dela de la séparation entre sujetet attribut, d’aller aussi au dela de la séparation entre te subjectif et Lobjectif. Cest sur ce point un effort analogue que nous trouverdnschez des philosophes comme Bergson, James, Heideggéz.“Tidée de Wétre-dans-le-monde, chez ce demier, est Vindication de cet effort par lequel, niant que le sujet soit enfermé fen noiis-mémes; il le met-de plain pied en communication avec ‘Je inonde ; méme il faudrait dire qu'il y a l& quelque chose qui est plus que communication, car ni le sujet ni le monde ne peuvent tre donnés & part I'un de 'autre. Kt il faut noter aussi qu'aucun, des mots employés dans cette formule n'est pleinement satis- faisant, ni le mot monde, puisqu'll n'y a jamais de monde & part de activité du sujet, ni méme le mot étve, ni le mot dans. Nous ne sommes pas dans le monde comme dans un contenant. Tous ces ‘mots nous orientent vers quelque chose plutdt qu'ils ne nous le font voir. Mais notons en méme temps que jamais autant qu’aujourd’hui les systémes ne se sont présentés sous des formes aussi absolues. Cest ainsi que le philosophe américain Seldom a pu parler d’un- cété d'un grand objectivisme et de autre cbté d'un grand subjec- ‘visme. Nous voyons en méme temps V'effort pour aiguiser les antithéses et pour les annibiler. : ‘Les idées que nous exposons ne sont pas tellement éloignées des idées de Hegel qu'il le semblerait d’abord. Comme le dit un ‘excellent commentateur, Georges Noél, « limmédiat que la réflexion avait nié est ramené par elle, Fille le raméne en tant qu'elle se supprime elle-méme. Elle 'implique comme condition de ses propres déterminations.... Il est post comme non-posé. 1 constitue ainsi la demniére détermination de 1a réflexion ; celle de la réflexion supprimée » (p. 62). Nous trouverions quelques “notations qui vont dans le méme sens dans le commentaire de Kojéve. Il reste une diflérence entre le sujet et l'objet dont ne peut rendre compte qu'un réalisme métaphysique. Citons également ce passage : « Si par impossible il n'y avait ‘pas ce qu'on appelle ontologiquement Négativité, métaphysi- quement Temps ou Histoire et anthropologiquement Action, Yidéalisme (= monisme) aurait raison : il serait superfiu d’oppo- ser ontologiquement I’étre & la pensée et on n'aurait done pas besoin de dépasser Parménide. En effet je ne crois pas qu’on 26 INTRODUCTION puisse définirle Réel autrement quie comme I'afait (entre aiitres) Maine de Biran : le réel, c'est ce qui résiste » (p.-432). Nous ne disons pas autre chose. Ce qui ici est appelé négativité, c'est ce que nous appelons dialectique ; ce qui est appelé réel, c'est ce que nous nommons également Ja réalité. Et tout le mouvement Philosophique consiste’a aller d'un réel apergu d’abord confu- sément A ce méme réel, tel qu'il sera apergu, sans doute dune fagon encore confuse, mais enrichie, aprés le mouvement dialec- tique, qui lui-méme est nécessité par la difficulté of nous’ nous trouvons d’approcher ce réel,. = ‘affirmation d’un réalisme et d'une inadéquation entre notre pensée et la xéalité peut expliquer que les doctrines se succédent en se contredisant. Il y a un processus dialectique dans 'histoire de ta philosophie par lequel le contraire engendre le contraire, ‘Nous puvons le voir trés clairement au début de cette histoire, quand & la philosophie d’Héraclite succéde celle de Parménide. Nous pouvons le voir tout prés de nous dans la fagon dont & Yidéalisme néo-hégétien ont succédé le néo-réalisme, puis le néo-éalisme critique. L'idéalisme d'un Bradley s'était fondé surtout sur l'idée quie les termes ne peuvent pas étre pensés & part des relations ; et la méme doctrine se trouvait chez le néo-hégélien américain Royce. Mais précisément parce que cette interdiction de penser les termes séparés des relations avait été édictée, les néo-réalistes, se fondant sur le fait que, si tout terme qui entre dans une relation est changé, par la méme la connaissance devient impossible, ont affirmé que pour qu'il y ait possibilité de connais- sance il fant penser précisément les termes comme pouvant étre A part des relations. D'autre part, peut-étre, parce que les néo-réalistes avaient mis si fortement accent sur un monisme épistémologique d'aprés lequel Ia chose et Tidée de la chose sont identiques, les réalistes critiques ont formulé & peu prés en méme temps une doctrine suivant laquelle il faut toujours les séparer, et méme toujours séparer dans un acte de connaissance trois termes : le sujet, objet, et I'essence que le sujet va cueillir ‘en quelque sorte pour l'appliquer & objet. Ainsi nous avons Ta en méme temps un exemple de la dialectique qui nous fait passer de Vidéalisme au réalisme, et un exemple de la dialectique inhé- rente au réalisme Iui-méme, par laquelle successivement il tend & unir puis & séparer le sujet percevant et Pobjet pergu. Ce n'est pas seulement dans I’istoire de ta philosophie, c'est nvrRoDUcTION, a7 dans 'histoire de la pensée en général que nous pourrions trouver ces successions antithétiques de conceptions. Par exemple, atx périodes od domine I'idée de continuité, succédent des périodes ot domine celle de discontinuité. Par opposition & Ia pensée du xaX* siécle, qui donnait partout la prééminence & I'idée de conti- nuité, nous voyons aujourd'hui, en physique, en biologie méme parfois, la discontinuité prendre le dessus. Cela ne veut pas dire que cette seconde idée soft plus satisfaisante que la premiére. Cela voudrait dire plutét que ni l'une ni l'autre n'est satisfaisante, que de chacune d’elles l'esprit humain se sert pour faire saillir un aspect du réel. ‘Sans doute aucune des deux n'est adéquate a la réalité, qui dépasse toutes nos idées. Ceque nous avonsdit dela recherche del'immédiat dela volonté duretour aux origines peut expliquerlarévolted’un grand nombre de philosophes contemporains importants, & partir de Nietzsche, contre les grandes philosophies classiques. II serait trop long d'énumérer tous les adversaires de Platon : Nietasche, Kierke- gaard, James, Bergson, en un sens Heidegger, sont du nombre. Ul serait long aussi d'énumérer les adversaires de Descartes : Kierkegaard, Jaspers, Whitehead, bien d'autres. Ce qu'un certain nombre de ces philosophes tel Nietzsche, tel le pragmatiste anglais Schiller, recommandent, c'est 1 retour aux sophistes. Mais la plupart, et Nietzsche Iui-méme, pensent & un retour aux pré- socratiques. Cette obsérvation doit étre complétée par une autre: ces philosophesreconnaissent!'importance des philosophesclassiques. Husserl a écrit des Méditations cartésiennes, Heidegger un livre sur Kant, Jaspers est influencé par Leibniz, par Kant, par Schelling, par Hegel, par bien d’autres. Bergson se référait souvent Plotin, & Berkeley, a Maine de Biran, Whitehead se réclame et d’Aristote et de Leibniz et de Locke. Chaque période de 'histoire a sa propre interprétation des grands philosophes. Cela est particuliérement visible pour Platon. Sous V'influence des découvertes du x1x* idcle relatives & la chronologie des Dialogues, sous I'infiuence aussi, croyons-nous, d'une méditation plus profonde du platonisme, on peut avoir aujourd'hui de cette philosophie une conception tout a fait différente de la conception ordinaire ou méme opposée. A partir dela crise marquée par le Parménide, Platon élabore une nouvelle conception par laquelle I'essence du téel se voit dans la puissance 28 INTRODUCTION @action, par laquelle le mouvement n'est plus réservé au monde des choses sensibles, mais est présent aussi dans le monde des Tdées, par laquelle d’autre part au sein du sensible des substances se constituent. II y aurait ainsi dans-la-dernitre. période de la philosophie platonicienne une tendance vers I'uhification ‘des deux mondesqu’elle avait d’abord divisés. Or cette interprétation, qui est celle de Taylor, n’a été possible que’patce qu'il y au dans Ia philosophie contemporaine une -pensée, celle: de Whitehead, sur laquelle Taylor a pu s’appuyer pour interpréter Platon. ‘On pourrait de méme étudier les interprétations'récentes dé Kant, soit celle qui part de Opus postumum, pour voir en Kant tun précurseur de ce qui dans les post-kantiens allait au dela du Kantisme, soit celle qui, avec Heidegger, insiste avant tout sur Tidée de finitude chez Kant. De méme encore pour Descartes, lorsqu’on insiste on plus seulement sur l'idée distincte d’ame et sur 'idée distincte d’étendue, mais sur cette.union de I’ame et du corps, sur cette troisiéme substance que, stiivant les expres- sions de Descartes Iui-méme, nous ne pouvons vraiment saisir 4qu’en nous laissant aller aux conversations et au cours de la vie. Ainsi, de méme que nous avons vu un Platon anti-platonicien, ious découvrirons un Descartes anti-cartésien ‘Nous avions hasardé T'idée qu'il n'y a pas de progrés en philo- sophie ; nous voyons maintenant que les acquisitions. du passé semblent de plus en plus profondes & mesure que notre vue sur le présent et l'avenir de la philosophie devient plus ample. ‘Du cours de histoire de 1a philosophie se dégagent certaines vérités. C'est ainsi qu’on peut dire que Platon a prouvé, a vrai dire mieux que la théorie des idées, I'afirmation que la vérité se trouve dans le jugement, et aussi l'affirmation qu'il n'y a pas d'unité absolue, qu'il n’y a jamais qu'unités de pluralités, Kant a montré que Yexistence n’est pas un prédicat. Hegel a rendu manifeste, quill ne peut pas y avoir quelque chose qui soit enfermé en soi, saufl’Absolu, et surtout qu'il n'y a rien de statique dans I univers. + Rappelons ce que dit Heidegger sur le mot méme de philo- sophie, Il insiste sur le fait que sophia ne veut pas dire «sagesse » ; le sophos, clest celui qui a une certaine familiarité avec telle chose, c'est celui qui s'y connatt en quelque chose, D'autre part, Philia, c'est le sens de la communauté ou de la communion. Et 1a philosophie, ce n’est pas l'amour de la sagesse ; mais interver- tissant les termes de I'étymologie consacrée, Heidegger nous dit - INTRODUCTION 29, que est art des'y connaitre dans la communion avec les choses. Nous ne définirons pas la métaphysique et 1a philosophie comme le faisait Aristote, comme étant l'étude de l'étre en tait 4qu’étre. Ou comme la science des premiéres causes et des premiers principes. Nous ne savons en effet pour le moment ni ce qu’est. Tétre ni ce qu’est la cause. Nous verrons méme que nous avons des raisons de douter de la valeur de ces idées, telles qu'on les, expose d’ordinaire. ‘Nous ne dirons pas non plus que 1a philosophie est une science au sens ordinaire du mot. C’est tun ensemble d'études. Plus exac- tement encore c'est un ensemble de questions, c'est l'art de nous questioner nous-mémes au sujet de certaines idées qui appa- raissent trés générales. Cette généralité méme ne doit pas tre congue comme une généralité abstraite ; et le mot généralité est sans doute insuffisant pour noter ce que nous voulons dire Dans cette région métaphysique, le probléme, comme I'on dit Gabriel Marcel et Heidegger, empiéte sur nous-mémes ; en méme temps que les questions que le philosophe pose portent sur on horizon trés général, Hest pris Iniméme dane cet horizon 5 Je questionneur se met Iui-méme en question. De quelle fagon ce qu'il pourra dire sur horizon dans lequel il se trouve le fera comprendre Iui-méme & lui-méme, de quelle fagon des idées comme celles de comprésence avec les choses, pour prendre Yexpression d’Alexander, de préhension, pour prendre celle de Whitehead, ou d’étre-dans-le-monde, comme le dit Heidegger, peuvent ici nous éclairer, c'est ce que seule la suite de ces études pourra montrer. ‘Nous partirons de Ia ‘considération du devenir. C'est de la réflexion sur le changement que sont nés en grande partie les problmes philosophiques que homme s'est posés d'abord & lui-méme. Ce fut ensuite une des premiéres démarches de ta pensée humaine que de découvrir sous le devenir ou au-dessus du devenir des permanences. De la le probléme de la substance tel qu’ s'est posé d’abord aux pré-socratiques ; de IB les idées d’essence etde forme telles qu’elles se sont manifestées dansles philosophies de Platon et d’Aristote. De 1a I'idée d'étre. Mais ces différentes idées ne pouvaient étre constituées sans qu’en méme temps l'esprit humain prit garde & deux catégories didées différentes, les idées négatives d'une part, les idées rela- 30 INTRODUCTION : fives de Yautre ; alors que substance, essence, forme, étre appa ‘aissaient essenticllement comme des positions, n'y avaitil pas Gans la pensée humaine elle-méme un élément de négation néece. saire pour que ces idées mémes pussent étre définies ? Et n'y avaitdl pas lieu d’autre part de souligner, & e6té des termes welles étaient, les relations dont la pensée n'est pas moins ssentielle ? Les problémes du négatif et du relatif se posaient & Tintérieus du platonisme et de Iaristotélisme eux-mémes ; quelle Deut étre Ja relation des essences avec la réalité sensible ? C'est tout le probléme de la participation. Comment peavent se dénit tes relations entre les essences elles-mémes, c'est iei que T'idée de négation devait intervenir. : Mais il s‘agissait aussi, aprés avoir cherché dans intelligible les substances et les essences qui expliquaient le réel, de se rendre compte qu'il y a quelque chose de différent de ces essences et de es substances. Par couséquent, & mesure que se constituait le domaine des essences et des substances, se formait aussi Tidée Game matite, matitre informe, matitre rebelle, matiére presque inexistante, C'est par un acte complémentaire de!'acte constitatif ties idées qu'elle se constituait, Cette matiére était le domaine de Ta quantité ; cette quantité elleméme apparaissait dabord comme quelque chose d'indéterming. Mais, sous influence des Progris de la science, elle se déterminait. ‘Telle fut 'ceuvre en Particulier de Galige et de Descartes. La matitre deveriit la Auantité extensive, l’étendue. Mais comment comprendreles rela, ‘ons entre Jes évéuements matériels ? Crest iei que Tiidée de causalité, perdant la multiplicité de sens quelle avait cher Aristote, devient causalité efficiente ; et peu a peu, de T'idée de cause, Tesprit va a V'idée de loi quantitative Alais pouvaiteil se contenter de cette transformation du réel en ures relations quantitatives ? Par une réaction naturelle contre Son premier cfiort, esprit réintroduit la qualité, Sans doute quand 5 avait constitue substances, essences et formes, e'étaient des slits quillconstituait. Mais maintenant ise rend compte qu'il ta Pas seulement ces qualité intllgibles, mais aussi des qua- Uitéssensibies. A partir de Berkeley particulitrement, nous assie= tous 4 cette revanche de la pensée qualitative. Cest cet arriore. lan, cet arriére-fonds de qualités qui nous permettra le mieux dle comprendre que Vexpérience telle qu’elle nous est donnée Nest pas une expérience discontinue, fate d'éléments homogenes, nerropucnion 3 ee Seta Spnee eee anaes ooo ee eee SS ogee eee pee eee ee eee ee een eee ies ee des personnes, se découvrent nous les problémes relatifs & Tame et & Dieu, et se pose la question de savoir dans quelle ee ee Core al ee ee ee aoe ee ee Fe emer etree resend eee ce mouvement dialectique ne prend tout sens que parce qu'il y aun réel différent de nous, ce sont les problémes qué nous nous eo

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