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Claude Romano « Lidée d’antisémitisme philosophique est un non-sens » Spéctaliste de ta pensée phénoménologique, Claude Romano, né en 1967, fait partie d'une génération de philosophes qui a renouvelé ces derniéres années la lecture et les usages de Heidegger. En travaillant de Jagon créative @ partir et au-dela de t ‘quelle facon la notion d’événement, curieuse- ‘ment délaissée dans Etre et Temps, oblige d'emblée a penser "homme comme advenant plut6t que comme sujet, au prix dun bouleverse- ‘ment de notre compréhension usuelle de la temporalité. Maitre de conférences a untversité Paris-Sorbonne, Claude Romano a dirigé la Philosophie pendant pres de dix ans. ‘Trois essals pour introduire 4 herméneatique 2010), au cceur de la raison, la phénoménologie (Gal plus récemment de Linachévement d'Etre et Temy dirigé un oworage collect consaeré a Wittgenstein (Witgenstein. Ed. ‘du Cerf 2013). On lul dott également un roman : Lumiere (Ed. des Surtes, 1990 Claudia Serban. - En cette rentrée 2014, nous assistons & une nouvelle éclosion de publications autour des Cahiers noirs de Heidegger (parus en Allemagne au printemps der- nier et ayant déja suscité de vives réactions avant été), Wabord par les traductions rapides des travaux de Peter Trawny (Heidegger et Vantisémitisme au Seuil, La Liberté derrer avec Heidegger chez Indigéne éditions, et article « Heidegger et les Cahiers noirs » dans le n° 8-9 (2014) de ENTRETIENS 1009 la revue Esprit), puls par de nouvelles réactions virulentes dans ta presse (par exemple dans Le Canard enchainé du 17 septembre, Le Monde du 26 septembre et du 1" octobre). Comment avez-vous réagi face @ toutes ces publications ? Claude RoMANo. ~ Je pense quill faut commencer par parler du fond. Pour ma part, je crois qu'on ne saurait exa- gérer la gravité de ce qui se passe dans les Cahiers noirs. Ce quon y lit dans un certain nombre de passages extréme- ment clairs et nullement isolés ne peut qu’inspirer le dégoat et la consternation. Non seulement Heidegger reprend & son compte les stéréotypes antisémites les plus odieux, Tidée d'un complot juif international sur le modéle des Protocoles des sages de Sion, et qui. en outre, serait a Vorigine de la guerre, mais il intégre ces idées & sa propre construction ‘ontologico-historiale pour faire de la Weltjudentum, de la jui- verie mondiale, le principal agent historique d'une « machi- autre nom du nihilisme, qui aurait pour conséquence la « déracialisation [Entrassung] radicale des peuples », et donc un déracinement, une perte du sol ‘qui menacerait 'humanité entiére, mais, bien sr, au premier rang les Allemands. Nous avons donc clairement ~ et cela assez tard, en 1939, bien aprés ce qu’on a appelé longtemps « 'épisode du rectorat » - tous les éléments d'un antisémi- tisme nourri des principaux motifs idéologiques et raciaux du national-socialisme, et qui se trouve intégré, moyennant certaines modifications, et notamment une sorte d’ ontolo- gisation » de la notion de race, @ une construction qui se veut philosophique. Naturellement, ce complot juif interna- onal tel que le présente Heidegger ourdit moins des actions concrétes qu'll ne participe a l'accomplissement abstrait d'un destin de 'Occident qui se caractérise par la prédominance de Fétant sur étre dont il menace vest- ce que cela change ? En un sens, cst pire. Car on assiste ici a lenrdlement sous la banniére de cet antisémitisme d'un certain nombre de concepts qui deviendront les concepts clés du dernier Heidegger, par exemple celui d'une pensée « cal- culante » et déracinée, par opposition & une pensée « médi- tante » solidaire de la possibilité d'un « habiter ». Les Cahlers noirs mentionnent la « rationalité vide » et « aptitude pour le calcul » comme étant des caractéristiques de la judéité ; lls 1010 CRITIQUE font ainsi du « juif » lopérateur sans visage de tout ce dont la pensée du dernier Heidegger appelle le surmontement. Parce que ces déclarations antisémites touchent a ce qui constitue le centre névralgique de linterprétation heideggerienne de Yhistoire de Tétre, le nthilisme ici entendu comme « machi- nation » et qui deviendra par la suite le Gestell, le disposi- tif, elles jettent un éclat sinistre sur ensemble de la pensée du second Heidegger, et pas seulement sur certains de ses themes. Ils obligent a reconsidérer 4 nouveaux frais la Kehre, cette volte qui toucherait a la « chose méme » de la pensée, et A sinterroger sur sa dimension politique et idéologique bien plus qu’on ne Ia fait jusqu’a présent!. Ce qu’on peut lire dans ces textes est, je crois, tout a fait nouveau par rapport a ce dont on disposait jusque-la. On connait depuis longtemps Yengagement nazi de Heldegger en 1933. On sait que Hetdegger n'a jamais exprimé le moindre repentir a l'égard de son attitude au moment de 'accession au pouvoir de Hitler et durant toute cette période, aucune condamnation morale ou politique des crimes nazis, et que, pour toute défense, tla parlé d'une « grosse bétise » quiil aurait commise en 1933 ; on sait qu’en 1949, il pouvait évoquer des victimes des camps d'extermination sans employer une seule fois le mot « juif », et comparer les Vernichtungslager 4 la motorisation de l'agriculture et aux famines organisées dans les campagnes chinoises. Tout cela laissait déja présa- ger que la rupture avec le nazisme jamais été totale. Par exemple, lorsqu'll édite en 1953 l'introduction a la méta- physique, Heidegger y laisse telle quelle une phrase qui parle de «la vérité interne » et de la « grandeur » du national-socia- lisme?, alors quil aurait pu facilement la faire disparaitre. |. Die Kehre (le « tournant ») désigne généralement la réorientation snnue la philosophic heideggerienne au milieu des années 1930. Cette inflexion se marque dans son ceuvre par le renoncement au primat de la subjectivité originaire dont témoigne, dans Etre et Temps. la place occupée par analytique du Dasein. Elle se traduit notamment isode dans son propre trajet intellectuel [NAR]. 4 la métaphysique, trad. G. Kahn, ENTRETIENS 10 On pouvait done penser que, malgré des attaques de plus en plus fréquentes & partir de 1934-1935 a rencontre de certains aspects de la politique nazie (par exemple de son biologisme, de son « impérialisme », et parfois méme de son « nationa- lisme »), ces prises de distance demeuraient fondamentale- ment ambigués et opéraient plutot une forme de banalisation du phénoméne, puisque le nazisme y apparaissait aux cdtés autres « -ismes » (le bolchevisme, ie lbéralisme, 'américa- nisme) comme une simple figure parmi d'autres d'un nihi- lisme aux traits et aux contours d’autant plus flous quil était censé constituer lachévement de toute l'histoire occidentale, une critique si vague et globale qu'elle finissait par opérer sur tous ces concepts une sorte de nivellement généralisé, et par Ja une suspension de tout jugement. Il était beaucoup moins évident de repérer des traces dantisémitisme dans les propos ou les écrits de Heidegger. Des indices ont commencé a se faire jour, il est vrai, avec Ja publication de nouveaux volumes de la Gesamtausgabe : par exemple dans un cours de 1932, juste l'année précédant Je rectorat et l'inseription officielle au NSDAP on peut lire que Je judaisme - mais aussi le christianisme et la « romanité » ~ ont totalement perverti la philosophie, qui est grecque en son essence®, Mais on a la un antisémitisme, hélas, assez répandu dans la philosophie allemande, du romantisme a 'idéalisme allemand et a Nietzsche inclus, lidée ou plutot le phantasme d'une correspondance historique, d'une co-génialité de I'Alle- Grece, comme unique origine « pure », non adultérée, ¢ non contaminée par I'élément juif, a Torigine vétérotestamentaire. On trouve aussi des traces ‘antisémitisme dans la correspondance de Heidegger, et cela trés tt, dés 1916, dans une lettre a sa future femme Elfride 1 Il se plaint de « enjutvement » de la culture et des uni- versités allemandes*, Mais cela n’a rien a voir avec la philo- sophie. A moins d’étre naif, on pouvait se douter quill fallait « Ma chére petite ame 4M. EYfride, 1915-1970, Paris, Bd. du Seull, 2007. p. 51 1012 CRITIQUE bien partager une bonne dose de 'antisémitisme ambiant Pour faire allégeance au part! national-socialiste en 1933, Elfride est connue pour son antisémitisme virulent, Mais de 12 tmaginer que Fantisémitisme serait a ce point amalgamé a des philosophémes centraux de la pensée heideggerienne apres la Kehre, il y avait quand méme un pas. Cet pour cela que je ne suis pas d'accord avec ce quia soutenu récemment Jean-Luc Nancy*, a savoir quon nap. rend rien de nouveau dans les Cahiers noirs et done quien lun ‘sens ca ne change rien. Je crois au contraire que ca ‘change tout : car cet antisémitisme rest pas un a est un aspect central de la caractérisation du nil tant que déplotement sans partage de la pensée calculante telle quelle triomphe notamment dans la science moderne (Binstein, Bohr, Pauli : des « Juifs »), laquelle, on le sait, « Re Pense pas ». On est bien au-dela des accointances que dénongait Karl Lowith entre le « décisionnisme » historial de Sein und Zeit, qui serait issu de la sécularisation de motifs eschatologiques chrétiens, tel... Léwith pouvait eroire spres-guerre que «le probléme juif et racial » ne « joulait] aucun role » dans la pensée de Heidegger®, Nous ne le pouvons plus. Claudia Serban. ~ La publication des Cahiers noirs en Allemagne s'est accompagnée du livre exégétique et de la rise de position personnelle de leur éditeur, Peter Trawny (Heidegger und der Mythos der jtidischen Weltverschworung, traduit en francais sous le titre Heidegger et lantisemitisme), qul a avancé la these d'un « antisémitisme onto-histortal » ou. Inserit dans Uhistoire de Vétre (seinsgeschichtlicher Antisemi. tismus). Comment comprendre cette these et, surtout. quelle lumiére jette-t-elle sur URistoire de Vétre heideggerienne ? Claude Romano. ~ Le livre de Peter Trawny me semble Précieux a bien des égards. Et d'abord parce que je le trouve 5. JL. Nancy, « Lantisémitisme d'Heldegger minvalide pas son ceuvre », Le Monde, 25 septembre 2014. 6. K- Léwith, « Implications politiques de la philosophic de existence chez Heldegger », trad. J. Rovan, Les Temps Modermnes. 1n* 650, jullletoctobre 2008, p. 22. ENTRETIENS 1013 d'une grande honnéteté intellectuelle, méme si Je ne par- tage pas forcément toutes ses conclusions. Trawny prend la mesure du probléme, et c'est tout A son honneur. Il n’évacue aucune question, jusquia celle de savoir s'il faut continuer de lire Heidegger. Ce qui me parait important et juste dans l'expression dantisémitisme ontologico-historial, c'est qu’ qu'un antisémitisme support ture que Heidegger projette sur l'histoire de létre et sur Fhis- toire de la pensée occidentale a cette époque. C'est cela que cette dénomination est censée exprimer. En méme temps, je ‘ne vous cacheral pas que Je suls embarrassé par cette expres- sion, car il me semble qu’elle dit objectivement autre chose que ce que Peter Trawny veut lut faire dire. En effet, si on commence a parler d'un antisémi vulgaire (comme Heidegger le fait lui-méme’), et par consé quent d'un autre qui ne le serait pas, mais qui serait philoso- phique ou du moins susceptible d’étre intégré a un discours philosophique, qui serait en quelque sorte un antisémitisme €levé au plan du concept (car « ontologique » ou « historial » sont des concepts), on fait une distinction qui me semble tout a fait irrecevable et méme insupportable. Car on laisse entendre ~ et, Je le répate, je suis sir que ce nest pas T'in- tention de Peter Trawny pourrait y avoir une pensée, tune philosophie antisém: crois quil ny a rien de tel lorsque l’antisémitisme, qui n'est qu'une expression de haine fondée sur des fantasmes. le témoignage le plus achevé de Tabsence de pensée, est intégré au discours philosophique, nous nlavons pas une philosophie antisémite, nous avons Yeffondrement complet de toute possibilité d'une philoso- phie. Cela détruit de I'intérieur tout le propos : nous n'avons plus qu'une machinerie verbale qui tourne a vide, un pathos creux qu'il est impossible de prendre au séricux. 11 faudrait pouvoir décrire dans le détail, avec toute la précision souhai- table, la maniére dont Heidegger, en mettant certains de ses concepts au service du nazisme, les a complétement vidés de leur sens. On assiste déja a ce phénoméne, bien sir, dans les 7. M. Heldegger. GA 97, op. clt p. 77 ; elté par R Trawny, Heldegger et Lantisémitisme. trad. J, Christ et J.-C. Monod, Paris, Ed. du Seuil, 1994. p. 147-148. aoe CRITIQUE discours politiques de 1933-1934. Un autre exemple serait le concept de « race ». He ‘ments précis et argumentés a l’époque de expliquer pourquoi le Dasein est neutre différence sexuelle et ne posséde aucune détermination bio. n) est toujours Tétre faudrait préserver une tre (cette fois Seyn) menacée par la domina- tion de l'étant ? Le pathos de rantisémitisme broie tous les concepts quill s'annexe et finit dans une emphase vide qu Tend en fait impossible tout jugement sur ce qui se passe a lépoque, et est destiné, je crois, a rendre impossible tout Jugement. Ily a deux autres points sur lesquels je serais en désac- cord avec les conclusions du livre de Trawny. Le premier est Texplication quil donne du geste de Heidegger. de sa pro- grammation de la publication de ces carnets a la toute fin de Ses ceuvres complétes. Trawny fait Ihypothese quill y aurait 1a de la part du philosophe une intention de montrer a quel Point sa pensée a pu s’égarer. Sur la base du peu de dispo- sitions que Heidegger a montrées a l'autocritique ~ c'est un cuphémisme ~ je ne vois guére comment on pourrait croire & lune interprétation aussi irénique. Je crains que la seule inter. ue comme un «je persist Je sine = Je suis aussi moins persuadé que Peter Trawny que la Beste de Heeger. dans les wentedemntressnnees i sa fe, auraltatfein¢une «mesure » gu ullaigieaéinn la période de Fhubris politique. de crols que oa ahibene iat ne Set jamasremise de cele rane quil sera désormais impossible de rele dermics Hemoage sans garder a esprit les declarations des Cahiers Claudia Serban. ~ Le ltvre de Peter Trawny comporte un chapitre consacré au rapport entre Husserl et Heidegger et ENTRETIENS 1015 en avant un extrait des Cahiers noirs® oit le désaccord philosophique avec Husserl apparait comme un désaccord Joncier avec la « rattonalité julve ». Que penser de ce prisme censé réévaluer le rapport de Heidegger @ son maitre ? Claude Romano. - Les raisons du désaccord entre Heidegger et Husserl sont bien connues, et depuis long: temps : elles tiennent a une argumentation précise, forte, et len des points, convaincante, que Heidegger développe dans les années 1920 ; elles nront rien a voir avec des ques- tions raciales. Mais ce que nous avons dans les Cahiers notrs est une réinterprétation rétrospective de la nature du diffé- rend, qui invoque en effet une « rationalité vide » de la judéité ~ expression consternante, pas seulement parce quielle est antisémite, mais parce que l'idée d'une rationalité juive n’a pas plus de sens que celle d'une rationalité chinoise ou berri- chonne. Ce passage est une illustration de ce dont s'est plaint Husserl a la fin de sa vie, de 'antisémitisme croissant de Heidegger qui a détrutt leur relation bien plus que I'« hétéro- doxie » phénoménologique de I’éléve par rapport au maitre. Claudia Serban. - Sur tes trois volumes de presque 1300 pages, seules quelques pages (moins d'une ving- taine ?) fournissent des éléments et des arguments en Javeur de cette these d'un « antisémitisme onto-historial ». Le reste mérite-til d’étre disqualifié avec toute la produc- tion philosophique de Heidegger dans les années 1930, ou bien peut-on parler d'une « contribution a la philosophte » des Cahiers noirs ? Claude RomANo. - Laissons de c6té les questions quanti- tatives. Elles sont sans objet. Je m‘abstiendrai d'un jugement drensemble sur les Cahiers noirs, tout simplement parce que J'ai été incapable de lire toutes ces pages, aprés y avoir découvert les passages incriminés. Je n'ai pu que parcou- rir des extraits des volumes parus jusqu‘ici a la bibliotheque des Archives Husserl, car il était pour moi hors de question acheter ces livres et de les conserver chez moi. Il se trouve y a deux ans J'ai mis un terme a ma souscription a la &. Ibid, p. 47. 1016 CRITIQUE Gesamtausgabe, ce qui m'a évité de recevoir ces ouvrages mon nom. Mais votre question me semble étre plus générale. Est-ce que la philosophie de Heidegger conserve un intérét malgré les stigmates ineffacables de cet antisémitisme ? Comme beau. coup d'autres, je répondrat sans hésiter que oui. D'abord, parce que cette ceuvre commence bien avant le nazisme et Parvient a ce que je considére personnellement comme son sommet avec Sein und Zeit, dont la gestation remonte au début des années 1920. Ensuite, parce quill serait ridicule de vouloir identifier chaque élément de cette pensée au nazisme ou a lantisémitisme. Mais ces nouvelles découvertes exigent, comme le disait encore récemment un excellent spécialiste de Heidegger, Thomas Sheehan, que l'on reprenne linterpré- lation de cette ceuvre « from scratch », notamment pour tout e qui se situe aprés la Kehre. La pensée de Heidegger res- tera a la fois une pensée majeure du xx* siécle et une pensée qui s‘identifiera en partie avec ce quill y a eu de pire dans ce siécle. Claudia Serban. - Vous pensez donc qu'fire et Temps, anté- Fleur @ la montée au pouvoir du national-soctallame et a engagement de Heidegger. ne présente aucun risque de contamination par rapport aux dérives antisémites des années 1930 alors que tout ce que Heidegger écrit apres 1932-1933 est foncterement suspect ? Claude Romano. - Sil y a un arriére-plan idéologico- politique de Sein und Zeit - et il y en a un - on ne peut absolument pas Identifier a celui de 'engagement de 1933. Heldegger était probablement dans les années 1920 un phi. losophe politiquement plus engagé qu’on ne Ta cru pen. dant longtemps, et notamment que ne lont cru certains de ses éléves, mais il se situait dans le courant de la révolu. tion conservatrice. Or tous ceux qui ont appartenu a cette mouvance ne se sont pas ralliés au national-socialisme. On he saurait donc prétendre que tout est dans tout, et que 6 dés le départ. pourquoi pas laborer une philosophie nazic, ou une philo- sophie antisémite, ou les deux. C'est la these d'Emmanuel Faye et, aujourd'hui, de Francois Raster. lls ne s’épargnent ENTRETIENS 1017 aucune peine pour le démontrer. Rastier prétend que das Man, le « On » dans Etre et Temps est un concept foncié- rement antisémite*. Cela n'a aucun sens. Sion veut revenir aux sources de ces analyses du « On », elles sont a recher- cher dans « Un compte rendu littéraire » de Kierkegaard, et dans la pensée chrétienne : le bavardage, la vaine curiosité, Vaffairement comme amour des choses du monde. Heidegger s‘est longtemps défint lui-méme comme un « théologien chré- en ». Cela n’empéche pas que des concepts comme ceux du «On », de fauthenticité et de Finauthenticité alent pu ~ seule- ment ultérieurement ~ étre embrigadés a leur tour au service d'une propagande politique, notamment dans les discours de 1933-1934, mais c'est un autre probleme. Des lectures aussi ouvértement réductrices ne font avancer ni le débat ni intelligence des textes. Elles voudraient nous enfermer dans une alternative mortifere : ou bien nous reconnaissons que le nazisme de Heidegger péndtre toute sa pensée du premier au dernier mot, et il faudrait alors consent dans la section « études nazies » des bi le voudrait Emmanuel Faye. ou bien, si nous disons que son I minimise la gravité des faits. ment parce que la pensée de Heidegger fut une pensée phi- losophique forte que son enrdlement dans le nazisme reste un fait déconcertant et monstrueux, et que ce travail de des- truction auquel Heidegger a soumis ses propres concepts & partir de 1932-1933 pour les couler dans le moule de T'idéo- logie est un phénomene sans précédent dans l'histoire de la philosophie. En second lieu, parce que les présupposés qui Sous-tendent la démonstration de Faye et Rastier semblent d'une ingénuité déconcertante : on ne pourrait done pas étre ala fois un génte philosophique et un salaud ? Devant les faits, qui sont indéniables, 1I faut savoir gar- der son sang froid, son sens de la mesure et surtout sa capa- cité & opérer des distinctions : ce sont les meilleures armes auon puisse opposer aux idéologies fascistes, celles d'hier 9. F Rastier, « Heidegger aujourd'hui - ou le Mouvement réaffirmé », Labyrinthe, n° 33, 2009. el CRITIQUE comme celles d'aujourd’hul. Ce quil faudrait, pour ceux qui auront le courage de se lancer dans ce travail (je com= prends parfaitement qu’a titre individuel on ne veuille plus lire Heidegger), c'est justement lire cette ceuvre, a chaque fois que nous pouvons le faire, comme une ceuvre philosophique, en repérant les motifs idéologiques qui y font surface comme nous le ferions pour d'autres penseurs, et, 1a of ce n'est plus Possible, comme c'est exemplairement le cas dans des pans entlers des Cahiers noirs, de le reconnaitte. Du reste, avons-nous le choix ? Si nous voulons com- prendre la philosophie du x siécle, nous devons lire Heidegger pour les mémes raisons que nous devons lire Frege (un autre antisémite notoire) : parce que si nous cessons de lire Frege, nous devons cesser du méme coup de lire la philo- sophie analytique dans son ensemble qui dérive tout entire de sa réforme de la logique. Tout ce qui s'est fait d'important aulué siécle, au moins sur le Continent, provient d'une prise de position implicite ou explicite a l'égard de Heidegger. Si nous devions donner raison aux censeurs et, par exemple, comme ils le voudraient, dter Heidegger de tout programme scolaire, nous rendrions inintelligible une grande partie de notre propre héritage de pensée. Il nly a qu'une conclusion possi lous devons vivre avec cela, avec le nazisme et maintenant l'antisémitisme de Heidegger, nous qui faisons de la philosophie. Mais il y a aussi, fort heureusement, d'autres étalons de mesure et d'autres critéres pour juger de intérét ou de la portée d'une pensée que ceux de sa proximité avec le nazisme : heureusement, car, dans le cas contraire, cela équivaudrait a consacrer le triomphe rétrospectif du nazisme sur la pensée. Cet entretien a été réalisé pour Critique n octobre 2014 par Claudia Serban. Une subtile trahison : Vhistorien et les siens Stéphane Audoin-Rouzeau Pars, ‘Quelle histoire Ed, de YEHESS / Gallimard / Un récit de futation (1914-2014) } fd. du Seull, 2014, 160 p. Certains-tivres avancent masqués. La surprise quils recélent se laisse découvrir progressivement. Ainsi le lecteur qui ouvre Quelle histoire peutil se croire, de prime abord, en pays familier. Le livre quiil tient entre les mains se présente comme le récit de quelques vies bouleversées par la Grande Guerre. Pour qui connait le travail de Stéphane Audoin- Rouzeau, spécialiste reconnu de la Premiére Guerre mon- diale, dont toute l'ceuvre vise a « retrouver la guerre » et .com- prendre au plus prés Texpérience des combats, ce nouveau livre parait s'inscrire dans une évidente continuité. Certes, le projet a ceci de particulier que les combatants en question sont ses propres grands-parents et que les sources sur les- quelles il s'appuie appartiennent a ses archives familiales. Voici assurément qui sort des sentiers battus, auralt-on dit ily a quelques années, lorsque les historiens professionnels ‘mettaient un point d’honneur a ne pas mélanger la grande his- toire et leurs histoires de famille. Mais, aujourd'hui, le geste semble moins audacieux, presque convenu, puisque d'autres historiens nous ont habitué, ces dernigres années, a de telles enquétes sur leur passé familial’. Lauteur s'empresse ailleurs de nous rassurer : Cest bien un livre d'histoire que Jablonka, Histotre des grands-parents que Je nal pas eus, res, Vie et mort de Paul Gény, Parts, professionnels ne sont pas seuls & , récit familial et réflexion person: ‘Mendelsohn a montré magnifiquement les possibilités de ce genre mixte dans Les Disparus, Paris, Flammarion, 2007.

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