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Le plan :
Présentation
A - La communication politique
B - La télévision
C - Internet
D - Le téléphone portable
E - le cinéma
Conclusion
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Présentation
Le terme de « média », pluriel de « medium », désigne à l’origine tout moyen de
communication, naturel ou technique, permettant de transmettre un « message ». Son usage
courant renvoie désormais aux « médias de mass » (mass-media en anglais), c’est-à-dire aux
moyens de diffusion collective qui permettent d’atteindre des publics vastes et hétérogènes.
On écrit aujourd’hui « média » au singulier et « médias » au pluriel tandis que « medium » ne
comporte pas d’accent. Les principaux médias aujourd’hui sont : la radio, le cinéma, la
télévision, la presse écrite, les opérateurs téléphoniques et Internet.
L’analyse des médias a été impulsée au départ pas la philosophie anglo-saxonne. À partir
de la moitié du XXe siècle, elle est investie par la psychologie sociale et prétend au statut de
« science ». La question initiale posée par les premiers chercheurs (Carl Hovland - 1912-1961,
Paul Lazarsfeld - 1901-1976, Harold Laswell - 1902-1972) est la suivante : « Qui dit quoi, par
quel canal, à qui, et avec quel effet » ? Les sociologues français (Jean Stoetsel - 1910-1987,
Edgar Morin, né en 1921) insistent de leur côté sur les bouleversements sociaux induits par les
nouveaux médias, tandis que l’américain Marshall Mc Luhan (1911-1980) montre que les « mass
media » produisent une « contraction de l’espace et du temps », constituant désormais une
extension physique et mentale de l’activité humaine. Mais c’est la question de l’exposition aux
médias, de leur impact et de leurs effets induits ou pervers, qui a suscité le plus grand nombre
de travaux.
Les médias ont toujours existé, même avant l’invention de l’imprimerie et du codex. La
statuaire antique, les icônes religieuses, les œuvres picturales et divers autres modes
d’expression furent les « médias » originels de nos aînés, comme le rappellent, entre autres,
Régis Debray (Vie et mort de l’image) et André Bazin (Qu’est-ce que le cinéma ?). Toutefois,
l’apparition et la divulgation généralisée d’une presse libre constituent un tournant décisif,
« progrès » moral salué par la philosophie des Lumières (Kant, Benjamin Constant etc..). Les
nouveaux médias de masse, apparus dès la fin du XIXe siècle, notamment avec la radio et le
cinéma, changent la donne. Le pouvoir qu’ils confèrent à ceux qui en tirent les ficelles atteint
des dimensions désormais vertigineuses - que l’on songe aujourd’hui par exemple aux tout-
puissants maîtres de Hollywood et aux jeunes patrons de Microsoft et de Google. Mais les
médias les plus accessibles à tous (Internet, les portables et…) ont également un impact
considérable sur notre mode de vie, et comportent des effets indirects multiples, bien difficiles
à cerner. Anthropologues, sociologues et philosophes nous aident donc à porter un regard
critique sur la révolution technologique sociale, politique mais aussi mentale que les nouveaux
médias ont enclenchée depuis maintenant plus d’un siècle.
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I. L’écrit
Communication et libre pensée
Texte 1
Texte 2
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Texte 3
On pourrait croire que la démocratie étant par nature le régime de la liberté de tous, la
communication et l’expression libre des idées lui sont consubstantielles. Tocqueville montre ici
au contraire que la menace de conformisme et de tyrannie (de la majorité sur les minorités)
dans toute démocratie, est permanente. C’est la raison pour laquelle la présence et la protection
d’une presse libre y sont vitales :
« Un journal est un conseiller qu'on n'a pas besoin d'aller chercher, mais qui se présente de
lui-même et qui vous parle tous les jours et brièvement de l'affaire commune, sans vous
déranger de vos affaires particulières. Les journaux deviennent donc plus nécessaires à mesure
que les hommes sont plus égaux et l'individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur
importance que de croire qu'ils ne servent qu'à garantir la liberté ; ils maintiennent la
civilisation. Je ne nierai point que, dans les pays démocratiques, les journaux ne portent
souvent les citoyens à faire en commun des entreprises fort inconsidérées ; mais, s'il n'y avait
pas de journaux, il n'y aurait presque pas d'action commune. Le mal qu'ils produisent est donc
bien moindre que celui qu'ils guérissent. »
Alexis de Tocqueville, « Du rapport des associations et des journaux », De la démocratie en Amérique
(1835-1840), Livre II, deuxième partie, chapitre VI, Éd. « Folio-Histoire », 1961.
Texte 4
L’homme n’est pas fait pour la solitude. Isolé, privé de toute communication avec ses
semblables, il s’étiole et, souvent, s’assombrit. Car c’est notre propre substance qui se forme et
s’alimente au contact des autres :
« La communication a donc une vertu créatrice. Elle donne à chacun la révélation de soi
dans la réciprocité avec l'autre. C'est dans le monde de la parole que se réalise l'édification de
la vie personnelle, la communion des personnes se présentant toujours sous la forme d'une
explicitation de valeur. La grâce de la communication, où l'on donne en recevant, où l'on
reçoit en donnant, c'est la découverte du semblable, du prochain, - de l'autre moi-même, dans
l'amitié ou dans l'amour, plus valable que moi parce qu'il s'identifie avec la valeur dont la
rencontre m'a permis la découverte. Chacun donne à l'autre l'hospitalité essentielle, dans le
meilleur de soi ; chacun reconnaît l'autre et reçoit de lui cette même reconnaissance sans
laquelle l'existence humaine est impossible. Car, réduit à lui-même, l'homme est beaucoup
moins que lui-même ; au lieu que, dans la lumière de l'accueil, s'offre à lui la possibilité d'une
expansion sans limite ».
Georges Gusdorf, La parole, P.U.F., 2008, p. 66-67.
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Texte 5
L’agir communicationnel
Le philosophe Habermas a consacré une grande partie de son œuvre à établir que la
communication possède par elle-même une dimension éthique. Non seulement l’« agir
communicationnel » est au fondement de toute action collective, mais il est - réciproquement -
lui-même fondé sur une demande rationnelle motivée et bienveillante à l’égard de tous nos
interlocuteurs potentiels :
« L'acte de langage de l'un ne réussit que si l'autre accepte l'offre qu'il contient, en prenant
(implicitement) position pour oui ou non à l'égard d'une prétention à la validité,
fondamentalement critiquable. Aussi bien Ego dont l'expression élève une prétention à la
validité, que Alter, qui reconnaît ou rejette cette prétention, appuient leurs décisions sur des
raisons potentielles. (...) Si nous ne pouvions pas nous référer au modèle du discours, nous ne
serions pas en mesure d'analyser si peut que ce soit ce que cela veut dire, que deux sujets
s'entendent l'un l'autre ».
Jürgen Habermas, Théorie de l'agir communicationnel (1981), trad. J.-M. Ferry et J.-L. Schlegel, Fayard,
1987, p. 295-297.
Texte 6
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II. Les masses médias
Texte 7
Texte 8
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Texte 9
La culture de masse est accusée par les intellectuels ou les « élites » de promouvoir et de
flatter les idées « moyennes ». Ce n’est pas faux, mais il est vain et anti-démocratique de s’en
indigner ou même de le déplorer. Car si la démocratie banalise la culture, elle ne la met pas en
péril pour autant :
« […] Une démocratie authentique n'est pas seulement une démocratie politique, mais
aussi une démocratie culturelle […]. Et l'économie de consommation de masse, à laquelle
appartiennent tout aussi bien la presse que l'édition, le cinéma et la télévision, est venue ici au
secours du projet politique culturel démocratique. En offrant, par l'intermédiaire d'une
économie et d'une consommation de masse, des produits et des services bon marché
accessibles à tous, elle a permis de réaliser concrètement l'idéal démocratique culturel. La
télévision a joué un rôle considérable dans ce projet, d'ailleurs bien vu par tous ceux qui l'ont
soutenue, aux États-Unis comme en Europe. Et si la conception de la culture de masse était
sensiblement différente des deux côtés de l'Atlantique, la même idée a présidé : se servir de la
télévision pour rendre plus égales les chances culturelles des différents publics ».
Dominique Wolton, chapitre IX, « Culture : les limites de la communication », Éloge du grand public,
p. 191-192, Éd. Champs-Flammarion, 1990.
Texte 10
La société du spectacle
Pour Guy Debord, notre société tout entière a été contaminée par l’univers capitaliste de la
publicité et du marketing. Plus rien, dans notre vie sensible, n’échappe aux normes que nous
imposent les médias de masse. Notre aliénation est d’autant plus redoutable qu’elle est
inaperçue, tandis que divertissements et spectacles ne donnent à nos existences qu’une
consistance et une unité purement illusoires :
« L’aliénation du spectateur au profit de l'objet contemplé (qui est le résultat de sa propre
activité inconsciente) s'exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se
reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et
son propre désir. L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme agissant apparaît en ce que
ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C'est pourquoi le
spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. »
[…]
33 « 'homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous
les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde. D'autant plus
sa vie est maintenant son produit, d'autant plus il est séparé de sa vie ».
Guy Debord, La société du spectacle, (1967), Éd. « Le livre de poche », 2008, p. 30-31.
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Texte 11
L’efficacité de l’image, nous explique ici, Régis Debray, est liée à son mutisme. C’est
précisément parce qu’elle est « idiote » (incapable de s’exprimer clairement ?) que l’image
présente une telle puissance affective et symbolique :
« Il fallait mentionner la sauvagerie ou l'idiotie de l'image, car c'est elle qui fait sa
supériorité médiologique. Une figure est plus proche de, et plus propre au passage à l'acte
qu'un discours. La plus-value figurative est dans le déficit de code. C'est son mutisme pré-
sémantique qui confère à l'image ces pouvoirs exceptionnels si chichement dévolus au texte :
accessibilité, crédibilité, affectivité, motricité, à des taux défiant toute concurrence. L'analogie
n'est pas un sens pauvre, comme le craignait Barthes. C'est un sens généreux ».
Régis Debray, « Vie et mort de l’image », Revue Esprit, février 2004.
Texte 12
La « mythologie » médiatique
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III. A propos de…
A - La communication politique
Texte 13
« Certains candidats-députés ornent d'un portrait leur prospectus électoral. C'est supposer à
la photographie un pouvoir de conversion qu'il faut analyser. D'abord, l'effigie du candidat
établit un lien personnel entre lui et les électeurs ; le candidat ne donne pas à juger seulement
un programme, il propose un climat physique, un ensemble de choix quotidiens exprimés dans
une morphologie, un habillement, une pose. […] La photographie électorale est donc avant
tout reconnaissance d'une profondeur, d'un irrationnel extensif à la politique. Ce qui passe
dans la photographie du candidat, ce ne sont pas ses projets, ce sont ses mobiles, toutes les
circonstances familiales, mentales, voire érotiques, tout ce style d'être, dont il est à la fois le
produit, l'exemple et l'appât. »
Roland Barthes, Mythologies, ibid., p. 150-151.
B - La télévision
Texte 14
Dans la lignée de Roland Barthes et de Lévi-Strauss, l’anthropologue Marc Augé montre ici
que le « 20 heures » n’est pas un récit, mais un mythe. En d’autres termes, son efficacité
symbolique ne garantit nullement son adéquation à la réalité. L’adhésion l’emporte ici
largement sur le jugement ; « vous savez tout, dormez en paix » :
Le 20 heures
« Tout rite est sous-tendu par un mythe. Le mythe du journal télévisé, c'est le récit du
monde, un récit sans fin où les mêmes personnages ne cessent de se manifester. Un mythe n'est
pas simplement un récit. Il suppose l'existence d'un univers dont les fondements ne se discutent
pas. Le récit du journal télévisé est le fait du "présentateur", qui a dans le monde des
représentants de divers ordres, envoyés spéciaux ou enquêteurs. Entre le monde et nous, il se
présente comme un médiateur. J'existe et le monde existe parce que le médiateur existe, et
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réciproquement. […]Il en résulte que le spectateur s'habitue à croire qu'il connaît parce qu'il
reconnaît. Quant au présentateur, en se rendant de temps en temps "sur place" ou en
interviewant l'une ou l'autre des figures de l'actualité, il cautionne l'existence du monde ».
Marc Augé, Nouvelles mythologies, sous la direction de Jérôme Garcin, Seuil, 2007.
Texte 15
L’obsession de l’immédiateté
Ce ne sont pas les hommes politiques qui imposent leur agenda aux médias. C’est l’inverse.
Cette inversion de la chronologie est une illustration significative de la subordination des
événements à leur représentation : ce qui prime, ce n’est pas le fait, mais sa mise en scène
médiatique :
« De plus en plus souvent, les gouvernants en viennent à agir, à parler, à se montrer en
fonction du temps des médias au détriment du temps propre de la politique. La politique finit
par n'avoir plus d'autre calendrier que celui-là, ou presque. On retardera l'arrivée à
l'aérodrome de Villacoublay d'un otage libéré afin qu'elle puisse être retransmise « en direct »
dans les journaux du soir de la télévision. L'expression « en temps réel », si étrange quand on y
réfléchit, reflète cette obsession de l'immédiateté ».
Jacques Rigaud, Le Prince au miroir des médias, Machiavel 1513-2007, Éd. Arléa, 2007.
Texte 16
La réalité dilapidée
Les acteurs principaux des médias ont souvent été comparés aux manipulateurs de
marionnettes évoqués par Platon dans la célèbre « allégorie de la caverne ». Mais le monde des
ombres de Platon, s’il est un simulacre, renvoie néanmoins à une réalité à laquelle chacun peut
accéder par une conversion volontaire. La « caverne » constituée par les médias contemporains,
au contraire, ne comporte aucune extériorité. Le psychanalyste Roger Dadoun rejoint Jean
Baudrillard lorsque celui-ci nous explique que le virtuel a définitivement « liquidé » le réel (« Un
crime parfait », voir ci-dessous, texte 30) :
« Les médias se veulent reflets de la réalité sociale, politique, psychologique, historique,
voire métaphysique. Mais dans la vision platonicienne de la caverne que l'on cite toujours
avec force clins d’œil vers le petit écran, une substance de monde, un monde d'idées se
tenaient derrière le spectateur ; et l'on pouvait toujours à ce dernier proposer (c'est le principe
même de toute exacte philosophie) : "tourne-toi et regarde par toi-même" - fût-ce le néant que
l'on donne à voir. Au contraire, les médias renvoyant aux médias, se contemplant dans les
médias en cercles autarciques et jeux de miroirs, s'interpellant en échos répercutés à l'infini
[…], le monde en tant que réalité substantielle est dilapidé, mis en miettes, bric-à-brac livré à
la brocante médiatique ».
Roger Dadoun, La télé enchaînée, Éditions Hommisphères, p. 274-275.
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Texte 17
C - Internet
Texte 18
Même si toutes les objections et les critiques formulées par les intellectuels et les experts à
l’encontre d Internet (excès d’information, inflation mémorielle, approche chaotique etc..) sont
recevables, l’outil reste néanmoins, globalement, une « chance pour la culture » :
« Si la culture est caractérisée par la capacité à emmagasiner de nombreuses informations,
Internet est en effet un outil culturel parce que le nombre d'informations auquel il permet
d'accéder augmente de manière vertigineuse. […] Mais si l'on prend l'autre dimension de la
culture - celle de la durée -, les choses se compliquent. Il n'y a pas de culture sans permanence
et sans accumulation. Or le propre d'Internet et de la cyberculture est au contraire de se faire
et de se défaire constamment, de nier l'idée même d'accumulation. Il n'y a pas de stock, pas de
pérennité, il n'y a que des flux. Si ce côté mouvant a quelque chose de séduisant par rapport à
une certaine mode actuelle de la vitesse, de l'aléatoire, du virtuel et du contingent, on
comprend les problèmes que cela pose du point de vue d'une définition de la culture… »
Dominique Wolton, Internet et après, Champs-Flammarion, p. 152-155.
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Texte 19
Même si la « Toile » présente des avantages quasi illimités en terme d’accès à la culture, on
ne se méfiera jamais assez de tous les risques qu’elle nous fait courir dans le même temps. Sur
Internet, tout est fixé. Les employeurs, par exemple, peuvent en apprendre beaucoup sur notre
compte. Mais on peut imaginer des conséquences encore bien plus dramatiques :
« L'Internet permet la création d'un grenier de données où sont répertoriés, classés, fichés
les individus comme jamais auparavant. Une évaluation ininterrompue risque fort
d'accompagner notre évolution sur la Toile et avec elle un affinage constant, une perpétuelle
mise à jour de notre profil de citoyen ou de consommateur. Rien n'échappant à
l'enregistrement, il n'est rien non plus qui ne soit, d'une manière ou d'une autre, exploitable.
Alors c'en sera peut-être fini bientôt du droit de s'effacer ou d'exister sans laisser de traces.
Nous aurons conquis tous les droits et perdu le droit à la discrétion. »
Alain Finkielkraut et Paul Soriano, Internet, l’inquiétante extase, Éd. Mille et Une Nuits, 2001.
Texte 20
Le blog
D - Le téléphone portable
Texte 21
Alain Finkielkraut montre ici comment le téléphone portable peut modifier en profondeur
les relations entre les hommes. 0mniprésent, il semble nous rendre désormais comme aveugle et
sourd à la présence d'autrui.
« Même si mes voisins ou mes voisines (les nouvelles technologies sont strictement
paritaires) ne hurlent pas dans le minuscule et magique appareil qui les délocalise à volonté, ce
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déferlement de bla-bla m'est beaucoup plus douloureux que n'importe quelle conversation
entre passagers. Car, en l'occurrence, ce n'est pas mon confort qui est en cause, c'est ma réalité
même. Les rouspéteurs ou les roucouleurs à distance ne se contentent pas de me déranger, ils
me gomment. Je suis simultanément agressé et aboli par leur inanité sonore. Ils agissent
comme si je n'étais pas là, avec un naturel tellement confondant que j'ai envie de crier pour
faire acte de présence ».
Alain Finkielkraut, L'Imparfait du présent, Éd. Gallimard, 2002, p. 111-112.
Texte 22
Le SMS
Efficace, le SMS économise la pensée. C’est le langage de l’action pure qui convient à
l’homme pressé et rationnel, voire technologiquement dépendant :
« C'est la première fois qu'une langue se passe des mots les plus simples. Ainsi l'homme, par
le moyen de la technologie, retourne à l'homme, c'est-à-dire à la bête, pour expliquer qu'il est
à la station Maubert-Mutualité, ou qu'il a « rv dans 5 mn et kil rapl apré » […]. Cette parole
veut de l'efficacité, se nourrit d'immédiat pur. C'est du français qui parle au Français d'à côté.
Quant à sa grammaire : nada. […] Imagine-t-on Proust s'acharnant sur son Nokia pour
réduire, dans le modeste écran où tout doit tenir, les longs paragraphes à subrelatives qui ont
fait le charme suranné, décidément d'hier, de ses romans sans fin possible ? Un message
d'alerte, à chaque phrase, stipulerait que son envoi requiert la tarification d'au moins deux
SMS. Mais ni Proust, ni Tolstoï, ni même Beckett […] n'ont Dieu merci, connu ces appareils, ni
eu à se servir de ce mode de communication. Est-ce un hasard, au fait ? »
Didier Jacob, Nouvelles mythologies, ibid.
E - Le cinéma
Texte 23
Dans un texte devenu canonique datant de 1935, l’écrivain Walter Benjamin a montré que
les nouvelles technologies ont profondément modifié notre rapport à toutes les œuvres d’art. Le
cas du cinéma est à cet égard emblématique. La « valeur d’exposition » de l’œuvre, dans le cas
de ce nouveau medium, a progressivement remplacé toute valeur « rituelle ». Essentiellement
reproductible, et également éphémère, l’œuvre d’art a perdu toute dimension sacrée :
« La réception des œuvres d'art se fait avec divers accents, et deux d'entre eux, dans leur
polarité, se détachent des autres. L'un porte sur la valeur cultuelle de l'œuvre, l'autre sur sa
valeur d'exposition. La production artistique débute par des images qui servent au culte. On
peut admettre que la présence même de ces images a plus d'importance que le fait qu'elles
soient vues. L'élan que l'homme figure sur les parois d'une grotte, à l'âge de pierre, est un
instrument magique. On l'expose sans doute aux regards des autres hommes, mais il est destiné
avant tout à des esprits. Plus tard, c'est précisément cette valeur cultuelle, comme telle, qui
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pousse à garder l'œuvre d'art au secret ; certaines statues de dieux ne sont accessibles qu'au
prêtre dans la cella. »
W. Benjamin, Essais, (1935) traduction de Maurice de Gandillac, 1983, Bibliothèque Médiations,
Éditions Denoël-Gonthler, p. 98-99.
Texte 24
Le cinéma est-il un art ? Ou bien une industrie ? Comme tout ce qui relève de la « culture de
masse », la production cinématographique oscille constamment entre une approche
commerciale et une dimension créatrice. Edgar Morin insiste ici sur le fait que toute réalité est
pétrie d’imaginaire ; c’est la raison pour laquelle la production esthétique nourrit toutes nos
activités, même celles qui semblent les plus étrangères à l’art :
« L'étonnant, c'est que l'industrie et l'art sont conjugués dans une relation qui n'est pas
seulement antagoniste et concurrente, mais aussi complémentaire. Comme j'ai tenté de le
montrer, le cinéma, comme la culture de masse, vit sur le paradoxe que la production
(industrielle, capitaliste, étatique) a besoin à la fois d'exclure la création (qui est déviance,
marginalité, anomie4, déstandardisation) mais aussi de l'inclure (parce qu'elle est invention,
innovation, originalité, et que toute œuvre a besoin d'un minimum de singularité), et tout se
joue, humainement, aléatoirement, statistiquement, culturellement dans le jeu
création/production. »
Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie, Les Éditions de minuit, 1956.
Texte 25
Au cinéma, l’œil humain est destitué au profit l’« œil machinique ». C’est l’une des raisons
pour lesquelles l’art nous donne accès au point de vue - idéalement - d’une sorte de « sujet sans
conscience ». Le cinéma est, par excellence, ce medium qui a le pouvoir d’abolir l’opposition
entre le monde de l’esprit et le monde sensible :
« [...] C'est par cela que l'art cinématographique est plus qu'un art. Il est mode spécifique
du sensible. C'est ce mode que Godard appelle du nom mallarméen de mystère, corroborant
ainsi la nature « surnaturelle » ou « mystique » que le scientifique Jean Epstein et le nietzschéen
Élie Faure avaient attribuée au cinéma. Qu'est-ce donc que ce mode du mystère ou ce mode
mystique du sensible ? C'est simplement le mode qui abolit l'opposition entre un monde
intérieur et un monde extérieur, un monde de l'esprit et un monde des corps, qui abolit les
oppositions du sujet et de l'objet, de la nature scientifiquement connue et du sentiment
éprouvé. Le cinématographe, selon cette logique, est l'art « mystique » parce qu'il abolit toutes
ces oppositions. Il est la lumière qui écrit le mouvement, l'énergie spirituelle du sensible qui
révèle l'énergie sensible de l'esprit. »
Jacques Rancière, « L'historicité du cinéma », dans : Antoine de Baecque et Christian Delage (dir. publ.),
De l'histoire du cinéma, Éd. Complexe, 1998, p. 50-52.
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Texte 26
Dans ce texte délibérément provocateur, le philosophe Gilles Deleuze explique que le but du
cinéma n’est pas de communiquer. Le cinéma ne transmet pas des informations. En effet, le
cinéma dont nous parle ici Gilles Deleuze a une vocation esthétique . Or le but de l’art n’est pas
de fournir de l’information. L’art, tout au contraire, comme le souligne aussi Mac Luhan, doit
être l’antidote de l’univers écrasant du tout-communiquant :
« Quel est le rapport de l'art avec la communication ? Aucun. Aucun, l'œuvre d'art n'est pas
un instrument de communication. L'œuvre d'art n'a rien à faire avec la communication.
L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une
affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque
chose à faire avec l'information et la communication, oui, à titre d'acte de résistance. Quel est
ce rapport mystérieux entre une œuvre d'art et un acte de résistance ? […] Malraux dit une
chose très simple sur l'art, il dit " c'est la seule chose qui résiste à la mort " ».
Gilles Deleuze (Conférence prononcée à la FEMIS le 17 mai 1987).
Texte 27
Le « complexe de la momie »
Les hommes ont toujours créé et exploité des « médias » pour fixer leur image, la pérenniser,
et ainsi échapper au moins partiellement à l’emprise du temps. L’embaumement serait la vraie
raison d’être de l’art. Or le cinéma apparaît comme le mode le plus accompli de cette vocation
inhérente aux médias en général et à l’art en particulier :
Ontologie de l’image photographique5
« Une psychanalyse des arts plastiques pourrait considérer la pratique de l'embaumement
comme un fait fondamental de leur genèse. A l'origine de la peinture et de la sculpture, elle
trouverait le « complexe » de la momie. La religion égyptienne dirigée tout entière contre la
mort,-faisait dépendre la survie de la pérennité matérielle du corps. Elle satisfaisait par là à un
besoin fondamental de la psychologie humaine : la défense contre le temps. La mort n'est que
la victoire du temps. »
André Bazin « Ontologie de l’image photographique », in Qu’est-ce que le cinéma, 1985, Les éditions du
CERF, 1999, p. 9-10.
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IV. Un nouveau rapport au monde
Texte 28
Le chercheur (CNRS) en communication Guillaume Soulez montre ici comment la presse est
amenée à troubler le jeu démocratique, parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Voici
comment le « public » peut muter en une « foule » :
Hypothèse de la scène médiatique comme scène morale [le « lynchage médiatique]
Texte 29
Le lynchage médiatique
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Texte 30
La construction médiatique d’un monde virtuel sinon parfait, du moins cohérent, présente
un bénéfice psychologique indéniable : il nous permet de fuir l’« objectivité terrifiante du
monde » :
« L'homme n'a de cesse d'expulser ce qu'il est, ce qu'il éprouve, ce qu'il signifie à ses propres
yeux. Que ce soit par le langage, qui a fonction d'exorcisme, ou par tous les artefacts
techniques qu'il a inventés, et à l'horizon desquels il est en voie de disparaître, dans un
processus irréversible de transfert et de substitution. Mac Luhan voyait dans les technologies
modernes des « extensions de l'homme », il faudrait y voir plutôt des « expulsions de
l'homme ».
Jean Baudrillard, Le crime parfait, Éditions Galilée, 1995.
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La démultiplication de soi
Texte 32
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capables. En tant que tel, le système de valeurs qui s'est construit autour de la communication
s'est progressivement affirmé comme une alternative possible aux idéologies et aux
représentations « classiques » de l'homme. Mais il n'est pas sûr que cette utopie ait un véritable
avenir et que les médias, par exemple, restent encore longtemps le pôle d'attraction crédible
qu'ils constituent aujourd'hui. »
Philippe Breton, L’utopie de la communication. Le mythe du village planétaire (1992), Éd. La
découverte, 1997, p. 165-167.
Texte 33
Il ne faut pas confondre le pouvoir et l’autorité. Le pouvoir est la capacité d’imposer des
normes et des interdits. L’autorité est l’aptitude à se faire respecter conformément à des
croyances et de traditions jugées légitimes. Le philosophe M.O. Padis déplore ici la capacité des
médias à imposer des normes sans réflexion ni discussion, par le seul biais du divertissement. De
ce point de vue, les nouveaux médias peuvent contredire frontalement les modèles transmis en
famille ou à l’école :
« Simultanément, une institution qui incarne une certaine autorité, comme l'école par
exemple, se considère comme démunie, sans pouvoir, face à la capacité d'influence de la
télévision. Ce que montrent les jeux télévisés, c'est l'efficacité de la pure et simple contrainte
fonctionnelle : un dispositif a été prévu pour vous, vous devez vous couler dedans. Il n'y a pas
besoin qu'une autorité soit reconnue pour cela. Si vous reprochez un excès de pouvoir à ces
jeux, les producteurs vous répondront qu'il ne s'agit après tout que d'un programme de
divertissement, qu'il ne faut pas prendre au tragique. C'est-à-dire que l'absence de prétention
du programme, en particulier de la prétention à représenter une source d'autorité, est avancée
comme un mode, très efficace, de défense contre le reproche d'une trop grande influence ».
M. Olivier Padis, « Les médias : déficit d’autorité, excès de pouvoir », Revue Esprit Mars-Avril 2005.
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Conclusion
Texte 34
L’art anti-dote
L’art a toujours été un moyen de prendre ses distances vis-à-vis de la culture dominante,
voire de la remettre en cause. Aujourd’hui, les médias eux-mêmes peuvent devenir objet d’étude
et « contre-poison » de l’idéologie ambiante :
« À mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux
milieux, les hommes se sont rendu compte que les arts sont des « contre-milieux » ou des
antidotes qui nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même. En effet […] les
hommes ne sont jamais conscients des règles fondamentales des systèmes et des cultures qui
constituent le milieu où ils vivent. Aujourd'hui, les technologies et les milieux qui en résultent
se succèdent les uns aux autres à un tel rythme qu'un milieu nous rend conscients du suivant.
Les technologies commencent à jouer le rôle que jouait l'art et à nous rendre conscients des
conséquences psychiques et sociales de la technologie ».
Mac Luhan, op. cité.
Texte 35
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