Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
Telles peintures et tableaux portent plus de nuisance1 à une ame fragile qu’on ne pense ;
comme en estoit un là mesme2, d’une Venus toute nuë, couchée et regardée de son fils Cupi-
don3 ; l’autre, d’un Mars couché avec sa Venus ; l’autre, d’une Læda4 couchée avec son signe5.
Tant d’autres y a-il et là et ailleurs, qui sont un peu plus modestement6 peints et voilez
mieux que les figures de lAretin ; mais quasy tout vient à un7, et en approchant de nostre
coupe dont je viens de parler, laquelle avoit quasi quelque simpatie, par antinomie8, de la
couppe que trouva Renault de Montauban en ce chasteau dont parle l’Arioste9, laquelle à
plein10 descouvroit11 les pauvres cocus, et cette-cy les faisoit ; mais l’une portoit un peu trop
de scandale12 aux cocus et leurs femmes infideles, et cette-cy point.
1 « tort, préjudice »
2 « au même endroit », dans l’hôtel d’Adjacet
3 ce tableau (et les suivants ?) était d’Alessandro Allori [1535-1607]
4 la forme grecque étant Λήδα, son adaptation en latin ne pouvait être que Lēda ; la gra-
phie Læda, bien qu’erronée, a été très répandue : “Læda’s a fable, but I here presume To jus-
tifie, that Jove descends in plume” Matthew Stevenson, 1645.
5 « cygne » la forme la plus ancienne est cisne (qui est passée en castillan et en portu-
gais) ; la prononciation /sin/ est encore dans Ronsard (poème à Jean Dorat, maître de
Ronsard au collège de Coqueret) :
Aurat, apres ta mort la terre n’est pas digne
Pourrir si docte cor, comme est vraiment le tien.
Les Dieux le changeront en quelque vois : ou bien,
Si Echon* ne sufist, le changeront en cigne, * « Écho » (accusatif latin Echōnem)
voir la remarque ci-dessous
Ou, en ce cors* qui vit de rosée divine, * (la cigale)
Ou, en mouche* qui fait le miel hymetïen, * mouche à miel = « abeille »
Ou, en l’oiseau qui chante*, & le crime ancïen * (le rossignol)
De Terée au printemps redit sur une espine ;
Remarque à propos de la nymphe Echon (malgré « Echo parlant quand bruit on mene ») : on
comparera le huitain Des passions d’Amour, de Jean de La Gessée, secrétaire de François
d’Anjou :
Vn bon peintre a bien l’industrie Qui de les bien peindre aura cure
De pourtraire ce Dieu sans yeus, Nous tire au vif la Nymphe Echon
Non les pensers, ni la furie, Ou les Atomes d’Epicure
Qu’esprouue vn Amant soucieus : Ou les Idées de Platon.
Le héros comprend que l’enjeu préalable est la confiance qu’il accorde à la femme qu’il aime
et refuse de se soumettre à l’épreuve, évitant le piège.
10 à plain « nettement »
11 « révélait, exposait »
12 « opprobre, perte de réputation »
Aujourd’huy n’en est besoin13 de ces livres ny de ces peintures, car les marys leur en ap-
prennent prou14 : et voilà que servent telles escholes de marys15 !
13 « nul besoin »
14 « beaucoup »
15 « à quoi servent de tels maris qui font école, qui jouent les instructeurs, les forma-
teurs, les "coach" » (les francophones ont un peu de mal avec “coaches” ; de toute façon,
c’est une impropriété de terme) ‖ Le schéma [Dét N1 de N2] est celui de notre grand flan-
drin de vicomte. Brantôme en fait un emploi curieux, évoquant (dans un autre Discours)
une femme qui veut « donner la venuë au gallant de son mary », c’est-à-dire jouer un mau-
vais tour et se venger de son mari, qualifié — par antiphrase — de "galant" : on se serait
attendu à **son galant de mari**.
J’ay cogneu un bon imprimeur venetien16 à Paris, qui s’appeloit messer17 Bernardo,
parent de ce grand Aldus Manutius18 de Venise, qui tenoit sa boutique en la ruë de Sainct-
Jacques19, qui me dit et me jura une fois qu’en moins d’un an il avoit vendu plus de cin-
quante paires20 de livres de l’Aretin21 à force gens mariés et non mariés, et à des femmes,
dont il m’en nomma trois de par le monde, grandes, que je ne nommeray point, et les leur
bailla à elles mesmes et trés-bien reliez, sous serment presté qu’il n’en sonneroit mot22, mais
pour-tant il me le dist ; et me dist davantage23 qu’une autre dame luy en ayant demandé, au
bout de quelque temps, s’il en avoit point un pareil comme un qu’elle avoit veu entre les
mains d’une de ces trois, il luy respondit : « Signora, si, e peggio24 » ; et soudain argent en
campagne25, les acheptant tous au poids de l’or26. Voilà une folle curiosité27 pour envoyer
son mary faire un voyage à Cornette prés de Civita-Vecchia28.
Dans sa Dissertation critique sur l’aventure de Joconde, Boileau dit (à propos de l’adaptation
qu’en a fait La Fontaine dans ses Contes) tout le mal qu’il pense de cette plaisanterie de
l’Arioste. Dans une édition de 1747 le titre égare le lecteur :
Toutes ces formes29 et postures sont odieuses à Dieu, si bien que sainct Hierosme30 dit :
« Qui se monstre plustost desbordé 31 amoureux de sa femme que mary est adultere et pèche.32 » Et,
parce qu’aucuns docteurs ecclesiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement en mots
latins, d’autant qu’eux-mesmes ne l’ont voulu dire en françois : Excessus, disent-ils, conjugum
fit quando uxor cognoscitur ante, retro stando, sedendo in latere, et mulier super virum33 ; comme un
petit colibet34 que j’ay leu d’autresfois, qui dit :
In prato viridi monialem ludere vidi
Cum monacho leviter, ille sub, illa super. 35
29 « positions »
30 Jérôme ; Ἱερώνυμος (« dont le nom est sacré »), Hieronymus, italien Girolamo, castil-
lan Jerónimo, catalan Jeroni, néerlandais Jeroen…
31 « débauché, dissolu »
32 voir « Les Dames galantes » au fil des mots 003, note 106.
33 « Les relations conjugales vont au-delà de ce qui est permis quand le rapport avec
l’épouse a lieu par devant ou par derrière alors qu’elle est debout, de côté alors qu’elle
est assise, et quand la femme se trouve sur l’homme »
34 le point de départ est du latin scolastique, disputationes de quolibet « débats [en
forme] sur un sujet libre » (par opposition à ceux portant sur une question de cours).
Voici comment l’expose Philippe Robert-Demontrond, Rennes I, dans une communica-
tion de 2005 à la Conférence Internationale des Dirigeants des institutions d’Enseignement et de
recherche de Gestion d’Expression Française :
La quaestio de quodlibet
C’est, pense-t-on, durant les années de la grève de l’université parisienne (1229-1231) et devant le succès
de la disputatio que l’on innova encore, avec la question quodlibétique — laquelle était alors annuellement
donnée deux fois, seulement, vers la deuxième semaine de l’Avent (in Natali) ou les semaines séparant le
troisième dimanche de Carême des Rameaux (in Pascha).
Dans ce nouvel exercice, le maître et son étudiant acceptaient le premier jour — et tout le jour : ces
disputes quodlibetiques s’étalaient souvent de six heures du matin à six heures du soir, avec seulement
une heure d’interruption au déjeuner —, de répondre à n’importe quelle question, venant de n’importe
qui présent dans la salle. Le second jour, sur le modèle exactement de la disputatio classique, le maître
proposait une synthèse théorique, développant une structure d’ensemble des réponses, qui concluait
l’exercice.
Ne pouvant rien anticiper, ne pouvant savoir à l’avance quelles questions seraient posées, l’épreuve
impliquait une réelle force morale. Les questions fusaient de manière imprévisible, sans ordre, sans lien
logique, sans suivre aucun enchaînement rationnel d’idées, épuisant tant physiquement qu’intellectu-
ellement les répondants. Il leur fallait un esprit constamment mobile, devant couvrir tous les savoirs
possibles, et courir incessamment d’un champ à l’autre de ces savoirs, bondir d’un extrême à l’autre. Les
questions pouvaient effectivement porter sur tous les sujets, y compris ceux d’actualité. Ce caractère
éminemment disparate des questions traitées — environ vingt à vingt-cinq questions durant la séance
— et la gymnastique intellectuelle qu’elles imposaient, la fluidité, l’agilité de la pensée requise, mais
aussi la subtilité réclamée, l’esprit d’impromptu, d’improvisation, le sens de la répartie, ont très forte-
ment marqué les contemporains. Il s’agissait là d’un exercice périlleux, de « haute voltige » (…). Les
adversaires déclarés de l’étudiant et de son maître avaient ici la possibilité de mettre sérieusement en
difficulté l’un et l’autre, de mettre à jour, au grand jour, leur défaut de science, leur manque de connais-
sances, sinon même leurs insuffisances ou déficiences intellectuelles.
« En quoi cette gymnastique profite-t-elle aux intérêts de la religion ? C’est le secret de Dieu » devait alors écrire
Jean de Jandun — dans son De laudibus parisius. Toujours est-il que le quodlibet fascina l’Occident tout
entier. La popularité de l’exercice était alors telle que le mot, en français, passa rapidement dans le
langage courant, au sens de « conversation à bâtons rompus ». L’exercice même diffusa rapidement, de
la Sorbonne vers les autres universités d’Europe. Jean Peckham, qui fut maître régent franciscain à Paris
avant d’être nommé archevêque de Canterbury, l’introduisit à Oxford, dès la fin du XIIIe siècle. Gérard
d’Abbeville en organisa jusqu’à vingt. Thomas d’Aquin conduisit pour sa part douze exercices —conclu-
ant l’un deux, en 1271, par ces mots consignés par écrit et donc passés dans l’histoire : « Si nous résolvons
les problèmes de la foi par seule voie d’autorité, nous posséderons certes la vérité, mais dans une tête vide ».
Ainsi qu’on peut le voir par l’axiome Ex falso sequitur quodlibet « Du faux découle ce que
l’on veut », toutes les formes fléchies de quilibet « tout ce qui vous plaît, tout ce qui vous
agrée » étaient mises à profit.
Le sens de « conversation à bâtons rompus » remonte à 1306, chez Joinville :
Quand nous estions priveement leans, il [Louis IX] s’asseoit aus piés de son lit ; et quand les preescheurs et
les cordeliers qui là estoient li ramentevoient aucun livre qu’il oyst volentiers [mentionnaient un livre
qu'il se serait volontiers fait lire], il lor disoit : « Vous ne me lirez point [je ne veux pas que vous me
fassiez la lecture] ; car il n’est si bon livre après manger, comme quolibez » : c’est à dire, que chascun die
ce que il veut.
L’acception « propos trivial, plaisanterie de mauvais goût », qui convient ici, date du début
du XVIe siècle.
Il me souvient qu’aprés la prise de Belys et son Pignon [Peñón de Vélez de la Gomera, sur la côte du
Maroc, en septembre 1564], il y eut environ quelque trois ou quatre cens soldats qui, de tous ces terces
[tercios, régiments] d’Italie, se desbaucherent et se desembarquerent à Mallegua [Málaga] et se desbande-
rent, mal contents et demy mutinez ; et, soubs ombre de voir leurs parens, disoient-ils, vindrent à la cour à
Madrid, et, sans faire le petit semblant, appertement [ouvertement] commencerent à crier qu’ils vouloient
leurs payes qu’on leur devoit ; et se pourmenans quadrilles par quadrilles [cuadrillas, bataillons] par les
ruës, braves [richement vêtus] et en point [parés] comme princes, portans leurs espées hautes, les mous-
taches relevées, les bras aux costez [le poing sur la hanche], bravoient et menassoient tout le monde, ne
craignans ny justice ni inquisition ; pour la justice, qu’elle n’avoit esgard [juridiction] sur eux, qui estoient
gens de guerre ; pour l’inquisition, il n’y avoit ni moines ny prestres que les rencontrant par les ruës ils ne
dissent leur colibet : Señor frayle, ¿adonde esta la puta? [Monsieur le moine, où est votre putain ?]
à l’autre : Señor clerigo, ¿como va la puta? [Monsieur le prêtre, comment va votre putain ?] et autres
petits mots pareils, scandaleux pour gens d’eglise. Tout cela fut raporté au roy [Philippe II], de leurs mena-
ces et de leurs insolences, et pour ce les falloit chastier. Le roy d’Espaigne ne le voulut point…
En musique, quolibet a désigné un pot-pourri, sens conservé par l’anglais quodlibet, “a light-
hearted medley of well-known tunes”.
35 « Dedans un pré, je vis une moniale* * religieuse contemplative, ayant prononcé des
Avec un tonsuré gaiment batifoler, vœux solennels et vivant généralement cloîtrée (TLFi)
Lui étant la monture, elle le cavalier. »
D’autres disent quand ils s’accommodent autrement que la femme ne puisse concevoir36.
Toutesfois, il y a aucunes femmes qui disent qu’elles conçoivent mieux par les postures mon-
strueuses et surnaturelles37 et estranges que naturelles et communes, d’autant qu’elles y
prennent plaisir davantage, et, comme dit le poete, quand elles s’accommodent more canino38,
ce qui est odieux ; toutesfois les femmes grosses39, au moins aucunes, en usent ainsi, de peur
de se gaster par le devant40.
D’autres docteurs disent que quelque forme que ce soit est bonne, mais que semen ejaculetur
in matricem mulieris, et quomodocumque uxor cognoscatur, si vir ejaculetur semen in matricem, no
est peccatum mortale41.
36 « D’autres disent [que les relations conjugales vont au-delà de ce qui est permis] quand mari
et femme s’unissent autrement = en n’observant pas le mode qui convient pour l’union sexu-
elle [debitus modus concumbendi], au risque que la femme ne puisse concevoir. »
37 « contre nature »
38 « à la façon des chiens = en levrette »
(La Dialectique, dans le « Jardin des délices » [Hortus deliciarum], est représentée tenant
de la main gauche une tête de chien aboyant avec son nom, et a pour devise : Argumenta
sino concurrere more canino, je laisse les arguments se battre comme des chiens.)
39 « les femmes enceintes »
40 se gaster peut vouloir dire, dans ce contexte, soit « se salir », soit « se blesser » ; le
second sens paraissant s’imposer ici, il s’agit pour les femmes en question d’éviter de provo-
quer une fausse couche. À titre de comparaison : « Madame la duchesse de Berry, qui se blessa
l’année passée à Fontainebleau, ayant peur de se blesser encore dans cette grossesse-ci, s’est mise au
lit pour trois mois. » (Dangeau, 1712 ; Saint-Simon, en 1711, à propos du premier accident :
« Comme ce n’étoit qu’une fille, on s’en consola… »)
41 mais que « à condition que » ; donc : « pourvu que le sperme soit éjaculé dans la
matrice de la femme, et abstraction faite de la façon dont ont lieu les rapports avec l’épouse,
si le mari éjacule son sperme dans la matrice, il n’y a pas péché mortel »
Vous trouverez ces disputes dans Summa Benedicti42, qui est un cordelier docteur qui a trés-
bien escrit de tous les pechez et monstré qu’il a beaucoup veu et leu. Qui voudra lire ce pas-
sage y verra beaucoup d’abus que commettent les marys à l’endroit de leurs femmes. Aussi43
dit-il que, quando mulier est ita pinguis ut non possit aliter coire que par telles postures, non est
peccatum mortale, modo vir ejaculetur semen in vas naturale44. Dont disent aucuns qu’il vaudroit
mieux que les marys s’abstinssent de leurs femmes quand elles sont pleines, comme font les
animaux, que de souiller le mariage par de telles vilainies45.
42 Jean Benedicti, La Somme des Pechez et le remède d’iceux. Comprenant tous les cas de consci-
ence, & la resolution des douttes touchant les pechez, simonies, usures, charges, commerces, censures,
restitutions, absolutions, & tout ce qui concerne la reparation de l’ame pecheresse par le sacrement de
pénitence, selon la doctrine des saincts Conciles, Theologiens, Canonistes & Iurisconsultes, Hebrieux,
Grecs & Latins, Lyon, 1584.
Voir « Les Dames galantes » au fil des mots 003, note 106.
Détail frappant : « parce qu’aucuns docteurs ecclesiastiques en ont parlé, je diray ce mot briefvement
en mots latins, d’autant qu’eux-mesmes ne l’ont voulu dire en françois »
Mais Benedicti écrit La Somme des Pechez et Brantôme cite Summa Benedicti…
43 « ainsi »
44 « quand la femme est si grasse qu’il lui est impossible d’avoir des rapports sexuels
autrement que par telles postures, il n’y a pas péché mortel, pourvu que le mari éjacule son
sperme dans le réceptacle naturel »
45 « outrages » ; vilainie est une des formes anciennes de « vilenie »
J’ay cogneu une fameuse courtisanne à Rome, dicte la Grecque, qu’un grand seigneur de
France avoit là entretenuë. Au bout de quelque temps, il luy prit envie de venir voir la France,
par le moyen du seigneur Bonvisi46, banquier de Lion, Lucquois trés-riche, de laquelle il estoit
amoureux ; où estant, elle s’enquit fort de ce seigneur et de sa femme, et, entr’autres choses,
si elle ne le faisoit point cocu, « d’autant, disoit-elle, que j’ay dressé son mary de si bel air 47, et luy
ay appris de si bonnes leçons, que luy les ayant montrées et pratiquées avec sa femme, il n’est possible
qu’elle ne les ait voulu monstrer à d’autres : car nostre mestier est si chaud, quand il est bien appris,
qu’on prend cent fois plus de plaisir de le monstrer et pratiquer avec plusieurs qu’avec un. » Et disoit
bien plus que cette dame lui devoit faire un beau present et condigne de48 sa peine et de son
sallaire, parce que, quand son mary vint à son escholle premierement, il n’y sçavoit rien49, et
estoit en cela le plus sot, neuf et apprentif 50 qu’elle vist jamais ; mais elle l’avoit si bien dressé
et façonné que sa femme s’en devoit trouver cent fois mieux. Et, de fait, cette dame, la voulant
voir, alla chez elle en habit dissimulé51 ; dont la courtisanne s’en douta et lui tint tous les pro-
pos que je viens de dire, et pires encore et plus desbordez, car elle estoit courtizanne fort
débordée. Et voilà comment les marys se forgent les couteaux pour se couper la gorge52 ; cela
s’entend53 des cornes. Par ainsi, abusant54 du saint mariage, Dieu les punit ; et puis veulent
avoir leurs revanches sur leurs femmes, en quoy ils sont cent fois plus punissables. Aussi ne
m’étonné-je pas si ce saint docteur disoit que le maryage estoit quasi une vraye espece d’adul-
tere : cela vouloit-il entendre quand on en abusoit de cette sorte que je viens de dire.
« dépravée »
46 sur les B(u)onvisi, cf. Bayard Françoise. Les Bonvisi, marchands banquiers à Lyon,
1575-1629. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 26e année, N. 6, 1971. pp. 1234-1269.
— À Lucques, on emploie encore paraît-il l’expression « L’han finiti anco i Bonvisi », même les
Bonvisi n’en ont ont plus [de sous], ce qui montre combien la famille et sa déconfiture de 1629
ont marqué les esprits.
47 « si habilement »
48 « exactement proportionné à » ; en anglais, ‘condign’ se dit surtout d’un châtiment
« sévère et bien mérité ». Ce sont des emprunts directs au latin.
49 croisement entre il n’en sçavoit rien et il n’y cognoissoit rien
50 aprentif = aprentis avec changement de suffixe. Au féminin, on pouvait donc avoir
soit aprentive, soit aprentisse ; cette dernière forme explique l’anglais ‘apprentice’.
51 « sous un déguisement (et en se faisant passer pour quelqu’un d’autre) »
52 « donnent des verges pour se faire battre »
53 « il faut comprendre, je veux dire »
54 « parce qu’ils font mauvais usage »
Aussi a-on defendu le mariage à nos prestres : car, venant de coucher avec leurs femmes,
et s’estre bien souillez avec elles, il n’y a point de propos55 de venir à un sacré autel. Car, ma
foy, ainsy que j’ay oüy dire, aucuns bourdellent56 plus avec leurs femmes que non pas les
ruffiens57 avec les putains des bourdeaux, qui, craignans prendre mal58, ne s’acharnent59 et ne
s’eschauffent avec elles comme les marys avec leurs femmes, qui sont nettes60 et ne peuvent
donner mal, au moins aucunes et non pas toutes : car j’en ay bien cogneu qui leur en donnent,
aussi bien que leurs marys à elles.
Les marys abusants de leurs femmes sont fort punissables, comme j’ay oüy dire à de grands
docteurs, que les marys, ne se gouvernants61 avec leurs femmes modestement62 dans leur lict
comme ils doivent, paillardent avec elles comme avec concubines, n’estant le mariage intro-
duit que pour la necessité et procreation, et non pour le plaisir desordonné et paillardise. Ce
que trés-bien nous sceut representer l’empereur Sejanus Commodus, dit autrement Anchus
Verus, lorsqu’il dit à sa femme Domitia Calvilla, qui se plaignoit à luy de quoy il portoit à des
putains et courtisannes et autres ce qu’à elle appartenoit en son lict, et luy ostoit ses menuës
et petites pratiques : « Supportez, ma femme, luy dit-il, qu’avec les autres je saoule mes desirs, d’au-
tant que le nom de femme et de consorte est un nom de dignité et d’honneur, et non de plaisir et paillar-
dise. » 63 Je n’ay point encore leu ny trouvé la response que luy fit là-dessus madame sa femme
l’imperatrice ; mais il ne faut douter que, ne se contentant de ceste sentence dorée64, elle ne
luy respondist de bon cœur, et par la voix de la pluspart, voire de toutes les femmes mariées :
« Fy 65 de cet honneur, et vive le plaisir ! nous vivons mieux de l’un que de l’autre. »
61 « ne se comportant pas »
62 « avec pudeur, avec retenue »
63 Ælius Spartianus :
Idem uxori conquerenti de extraneis uoluptatibus, dixisse fertur : « Patere me per alias exercere cupiditates
meas : uxor enim dignitatis nomen est, non uoluptatis. »
À son épouse lui reprochant un jour le plaisir qu’il prenait avec d’autres qu’elle, il aurait dit : « Permets
que j’assouvisse ailleurs mes désirs ; épouse est le nom d’une dignité, non une marque de plaisir. »
Brantôme s’appuie sur un des maillons faibles de l’Historia Augusta, y ajoutant ses propres
erreurs et confusions. — Saouler ses désirs, c’est les rassasier.
64 la référence est aux préceptes et maximes des plus célèbres penseurs de l’antiquité
grecque, les Χρυσαὶ γνώμαι ou Γνώμαι χρυσαί de Démocrite, Pythagore…, appelés aureæ sen-
tentiæ ; mais sententia, contrairement à ce qu’on pourrait attendre au vu de « sentence », veut
dire « avis, opinion, façon de voir », sans plus. — Lucrèce applique aux præcepta d’Épicure l’ex-
pression aurea dicta :
floriferis ut apes in saltibus omnia libant,
omnia nos itidem depascimur aurea dicta.
Gabriel Meurier avait publié en 1577 un Tresor de sentences dorées…
65 comme « pouah ! », onomatopée exprimant le mépris ou le dégoût, attestée depuis
le Roman de Renart :
Tybert, sail outre, dist Renart, saillir « sortir » ; outre « dehors » — « sors donc ! »
Fi ! merde, con tu es cöart ! « comme tu es couard ! »
Devenu ‘fie’ en anglais, p. ex. dans un des monologues les plus connus d’Hamlet (I, 2):
How weary, stale, flat and unprofitable,
Seem to me all the uses of this world !
Fie on’t ! ah fie ! ’tis an unweeded garden,
That grows to seed…
Il ne faut non plus douter aussi que la pluspart de nos mariés aujourd’huy et de tout temps,
qui ont de belles femmes, ne disent pas ainsi : car ilz ne se maryent et lient66, ny ne prennent
leurs femmes, sinon pour bien passer leur temps et bien paillarder en toutes façons, et leur
enseigner des preceptes et pour le mouvement de leur corps et pour les debordées et lascives
paroles de leurs bouches, afin que leur dormante Venus en soit mieux esveillée et excitée ; et,
aprés les avoir bien ainsi instruites et debauschées, si elles vont ailleurs, ilz les punissent, les
battent, les assomment et les font mourir.
« obscènes »
66 « et ne se lient » (cf. le(s) lien(s) du mariage)
Il y a aussi peu de raison en cela, comme67 si quelqu’un avoit debausché une pauvre fille
d’entre les bras de sa mere, et luy eust fait perdre l’honneur et sa virginité, et puis, aprés en
avoir fait sa volonté, la battre et la contraindre à vivre autrement, en toute chasteté : vraye-
ment ! car il en est bien temps, et bien à propos ! Qui68 est celuy qui ne le condamne pour
homme sans raison et digne d’estre chastié ? L’on en deust dire de mesmes de plusieurs
marys, lesquels, quand tout est dit69, debauschent plus leurs femmes, et leur apprennent plus
de preceptes pour tomber en paillardise, que ne font leurs propres amoureux : car ilz en ont
plus de temps et loisir que les amants ; et, venants à discontinuer70 leurs exercices, elles chan-
gent de main71 et de maistre, à mode d’un bon cavalcadour72, qui prend plus de plaisir cent
fois de monter à cheval qu’un qui n’y entend73 rien. « Et de malheur 74, ce disoit cette courtizan-
ne, il n’y a nul mestier au monde qui soit plus coquin75 ny qui desire tant de continuë76 que celui de
Venus. » En quoy ces marys doivent estre advertis de ne faire tels enseignemens à leurs fem-
mes, car ils leur sont par trop prejudiciables ; ou bien, s’ils voyent leurs femmes leur joüer un
faux-bon77, qu’ilz ne les punissent point, puisque s’ont78 esté eux qui leur ont ouvert le che-
min.
78 = ç’ont esté forme élidée correspondant à ce ont esté, que voici chez Montaigne :
Si faut-il que je face cette digression d’une femme mariée, belle et honneste et d’estoffe79,
que je sçay, qui s’abandonna à un honneste gentilhomme, aussi plus par jalousie qu’elle por-
toit à une honneste dame que ce gentilhomme aimoit et entretenoit80, que par amour. Par-
quoy, ainsi qu’il en joüyssoit, la dame luy dit : « A cette heure81, à mon grand contentement,
triomphé-je de vous et de l’amour que portez à une telle82. » Le gentilhomme luy respondit : « Une
personne abattuë83, subjuguée et foulée84, ne sauroit bien triompher. » Elle prend pied à cette res-
ponse85, comme touchant à son honneur, et luy replique aussitost : « Vous avez raison. » Et
tout à coup s’advise de desarçonner86 subitement son homme, et se desrober87 de dessous
luy ; et, changeant de forme88, prestement et agilement monte sur luy et le met sous soy89.
Jamais jadis chevallier ou gendarme romain ne fut si prompt et adextre90 de monter et re-
monter sur ses chevaux desultoires91, comme fut ce coup92 cette dame avec son homme ; et
le manie de mesme en luy disant : « A st’heure donc puis-je bien dire qu’à bon escient93 je triomphe
de vous, puisque je vous tiens abattu sous moy. » Voilà une dame d’une plaisante et paillarde
ambition, et d’une façon estrange, comment elle la traitta94 !
J’ay oüy parler d’une fort belle et honneste dame de par le monde, sujette fort à l’amour et
à la lubricité, qui pourtant fut si arrogante et si fiere et si brave de cœur95 que, quand ce
venoit là96, ne vouloit jamais souffrir97 que son homme la montast et la mit sous soy et l’abat-
tit98, pensant faire un grand tort à la generosité de son cœur, et attribuant à une grande
lascheté d’estre ainsi subjuguée et sousmise, en mode99 d’une triomphante conqueste ou escla-
vitude100, mais vouloit tousjours garder le dessus et la preeminence. Et ce qui faisoit bon pour
elle101 en cela, c’est que jamais ne voulut s’adonner102 à un plus grand que soy103, de peur
qu’usant de son autorité et puissance, luy pust donner la loy, et la pust tourner, virer et fou-
ler, ainsi qu’il luy eust pleu ; mais, en cela, choisissoit ses egaux et inferieurs, auxquels elle or-
donnoit leur rang, leur assiete104, leur ordre et forme de combat amoureux, ne plus ne moins105
qu’un sergent majour106 à ses gens le jour d’une bataille ; et leur commandoit de ne l’outre-
passer107, sur peine108 de perdre leurs pratiques109, aux uns son amour, et aux autres la vie ; si
que debout ou assis, ou couchez, jamais ne se purent prevaloir sur elle de la moindre humilia-
tion, ny submission110, ny inclination111, qu’elle leur eust rendu et presté. Je m’en rapporte au
dire et au songer112 de ceux et celles qui ont traitté telles amours, telles postures, assietes et
formes.
95 il ne s’agit pas, on s’en doute, de sentiment (le cœur, c’est le « courage » [mot qui
en vient] et, par extension, « l’âme, l’esprit »), mais de l’idée que la dame a d’elle-même :
« amour-propre » vient à l’esprit, mais le terme n’apparaîtra qu’en 1613.
96 venir là : euphémisme pour « faire l’amour »
97 (endurer, supporter, d’où :) « permettre, tolérer »
98 montast mais mit, abattit (on attendrait mist, abattist)
99 « à l’instar »
100 « Malherbe avoit inventé ce mot », écrit Furetière : comme on voit, il n’en est rien. Le
substantif se trouve déjà chez Gaspard de Saulx-Tavannes, en 1551. Emprunt probable à l’es-
pagnol esclavitud.
101 « Et ce qui, dans cette situation, constituait sa garantie » ; Dictionnaire de l’Académie,
re
1 éd. (1694) : « Faire bon pour quelqu’un, pour Cautionner quelqu’un. Et, Faire bon, absolu-
ment, pour dire, qu’On payera. Je fais bon. »
102 « s’abandonner »
103 « qu’elle » cf. note 89
104 en équitation, l’assiette désigne la « situation du cavalier sur la selle », sa stabilité,
son équilibre (d’où : « ne pas être dans son assiette ») ; cf. Montaigne :
Cette dame pouvoit ordonner ainsi sans qu’il y allast rien de son honneur pretendu, ny de
son cœur genereux offensé113 : car, à ce que j’ay oüy dire à aucuns praticqs114, il y avoit assez
de moyens pour faire telles ordonnances et pratiques.
113 « sans mettre en jeu ce qu’elle prétendait être son honneur, ni porter atteinte à son
âme noble »
114 (pratiquer « être habile, expérimenté » →) « certains de ceux qui l’avaient fréquentée » ;
É. Vaucheret : « connaisseurs »
Voilà une terrible et plaisante humeur de femme, et bizarre scrupule de conscience gene-
reuse. Si avoit-elle raison pourtant ; car c’est une fascheuse souffrance que destre subjuguée,
ployée115, foullée, et mesmes quand l’on pense quelquesfois à part soy116, et qu’on dit : « Un tel
m’a mis sous luy et foulé », par maniere de dire117, sinon aux pieds118, mais autrement : cela va
autant à dire119.
115 « pliée » au figuré, donc « courbée → soumise »
116 « en son for intérieur »
117 « façon de parler »
118 « fouler aux pieds » est une image biblique (συμπατεῖν, conculcare), empruntée à des
civilisations antérieures :
Beauregard Ollivier. La caricature il y a quatre mille ans. In: Bulletins de la Société d’anthropologie
de Paris, IIIe Série. Tome 12, 1889. p. 72.
119 « cela revient au même »
Cette dame aussi ne voulut jamais permettre que ses inferieurs la baisassent120 jamais à la
bouche, « d’autant, disoit-elle, que le toucher et le tact121 de bouche à bouche est le plus sensible et
precieux de tous les autres touchers, fust122 de la main et autres membres », et, pour ce, ne vouloit
estre alleinée123, ny sentir à la sienne une bouche salle, orde124 et nonpareille125 à la sienne.
120 chez Brantôme, le verbe baiser veut dire « donner un baiser, embrasser [au sens actuel
du terme] », voilà tout.
121 « le contact »
122 « que ce soit de la main ou »
123 Ludovic Lalanne : « halenée » ; exposée au souffle, à l’haleine d’un tiers
124 nous avons conservé « ordure », mais l’adjectif qui en est le point de départ : ord
« d’une saleté repoussante », est sorti de l’usage ; il provenait du latin horrĭdus « hérissé », d’où
« qui fait dresser les cheveux sur la tête, donne la chair de poule, affreux »
125 « qui ne supporte pas la comparaison avec la sienne » ; le sens initial était « impair »,
d’où (il n’y en a pas deux comme lui/elle →) « inégalable, incomparable, unique »
Or, sur cecy, c’est une autre question que j’ay veu traitter à aucuns : quel advantage de
gloire a plus grand126 sur son compagnon, ou l’homme ou la femme, quand ils sont en ces
escarmouches ou victoires veneriennes ?
L’homme allegue pour soy la raison precedente : que la victoire est bien plus grande quand
l’on tient sa douce ennemie sous soy, et qu’il127 la subjugue, la suppedite128 et la dompte à son
aise et comme il luy plaist ; car il n’y a si grande princesse ou dame, que129, quand elle est là,
fust-ce avec son inferieur ou inegal, qu’elle n’en souffre la loy et la domination qu’en a ordon-
né Venus parmi ses statuts130 ; et, pour ce, la gloire et l’honneur en demeure trés-grande131 à
l’homme.
La femme dit : « Oüy, je le confesse, que vous vous devez sentir glorieux quand vous me tenez sous
vous et me suppeditez ; mais aussi, quand il me plaist, s’il ne tient qu’à tenir le dessus, je le tiens par
gayeté et une gentille volonté qui m’en prend, et non pour une contrainte. D’avantage, quand ce dessus
me deplaist, je me fais servir à132 vous comme d’un esclave ou forçat133 de gallere, ou pour mieux dire,
vous fais tirer au collier134 comme un vray cheval de charrette, et vous, travaillant135, peinant, suant,
halletant, efforçant à faire les courvées136 et efforts que je veux tirer de vous. Cependant, moy, je suis
couchée à mon aise, je vois venir vos coups ; quelquesfois j’en ris et en tire mon plaisir à vous voir en
telles alteres137 ; quelquesfois aussi je vous plains, selon ce qui me plaist ou que j’en ay de volonté ou
pitié ; et, aprés en avoir en cela trés-bien passé ma fantaisie, je laisse là mon gallant, las, recreu138,
debilité139, enervé140, qu’il n’en peut plus, et n’a besoin que d’un bon repos et de quelque bon repas,
d’un coulis141, d’un restaurent142 ou de quelque bon bouillon confortatif 143. Moy, pour telles courvées et
tels efforts, je ne m’en sens144 nullement, sinon que trés-bien servie à vos despens, monsieur le gallant,
et n’ay autre mal sinon de souhaiter quelque autre qui m’en donnast autant, à peine de le faire ren-
dre145 comme vous ; et, par ainsi, ne me rendant jamais, mais faisant rendre mon doux ennemy, je
rapporte146 la vraye victoire et la vraye gloire, d’autant qu’en un duel celuy qui se rend est deshonnoré,
et non pas celuy qui combat jusques au dernier poinct de la mort. »
132 « par »
133 forçat est attesté depuis 1528, galérien depuis 1568
134 il s’agit du collier d’épaule, adapté au garrot d’une bête de somme (cf. les expressions :
être franc du collier, donner un coup de collier, reprendre le collier).
Dans le 53e des Arrests d’amour (1re éd. : 1587), Frigalet fait valoir que « comme ainſi fuſt que par
leurs propos meſmes [selon leurs propres dires] ilz [les maris] ne puiſſent journellement pour leur
deffaillance naturelle [en raison de l’insuffisance qui tient à leur nature] tirer au collier, & au
contraire les femmes ayent touſjours exequution prompte… » ; l’image érotique est plus ancienne et
a été suggérée par la forme de cet élément du harnais.
Brantôme, dans un autre Discours, écrira : « …il est impossible à l’homme, tant vigoureux
soit-il, de tirer au collier et labourer tousjours » : Frigalet serait-il l’inspirateur du propos ?
135 « vous donnant du mal, faisant des efforts »
136 le Dictionnaire de Trévoux accepte encore « courvée ou corvée »
137 altere « trouble, agitation, émotion, angoisse, anxiété »
138 « à bout de forces, harassé » cf. recreant « qui renonce, qui se déclare vaincu » (d’où
« faible, lâche »), adjectif passé en anglais. [« Quant ert il recreanz d’osteier ? » Quand Charle-
magne se lassera-t-il de guerroyer ? ou bien renoncera-t-il à guerroyer ?]
139 dēbĭlis « faible », donc debilité « affaibli »
140 « apathique, incapable de réaction » comme les condamnés sur lesquels on avait
pratiqué l’énervation ; voir la légende des Énervés de Jumièges (et le tableau de ce nom au
musée de Rouen, composition d’Évariste-Vital Luminais, 1880).
141 pour couler chez Littré, voir « Les Dames galantes » au fil des mots 001, note 87.
Glossaire de De Laborde (II, 238 ; 1853) : « cuiller percée ou passoire avec laquelle on évitait
de laisser entrer dans le calice aucune impureté. On désigne celle-ci sous le nom de Colum
et Colatorium » [cf. italien colatoio, castillan colador ; c’est l’étymon du nom de la commune
de Coulours, dans l’Yonne : le sens doit être « passage » (couloir)]
142 « un reconstituant, fortifiant »
143 « revigorant » ; aphrodisiaque ? ‖ Raynouard, Dictionnaire de la langue des troubadours,
III (1840), p. 376, donne l’exemple « Aquest pimens es tan confortatieus » (Épître de Matfre Ermen-
gaud à sa sœur, v. 75) et traduit « Ce piment est tellement confortatif » (l’auteur : moine biter-
rois, mort en 1322)
144 « je ne m’en ressens »
145 « capituler »
146 « remporte »
Ainsi que j’ay oüy conter d’une belle et honneste femme, qui une fois, son mary l’ayant es-
veillée d’un profond sommeil et repos qu’elle prenoit, pour faire cela147, aprés qu’il eut fait148
elle luy dit : « Vous avez fait et moi non. » Et, parce qu’elle estoit dessus luy, elle le lia si bien149
de bras, de mains, de pieds et de ses jambes entrelassées : « Je vous apprendray à ne m’esveiller
une autre fois » ; et, le demenant150, secouant et remuant à toute outrance151, son mary qui
estoit dessous, qui ne s’en pouvoit defaire et qui suoit, ahannoit152 et se lassoit153, et criyoit
mercy154, elle le luy fit faire une autre fois en depit de luy155, et le rendit si las, si atenué156 et
flac157, qu’il en devint hors d’aleine et luy jura un bon coup qu’une autre fois il la prendroit à
son heure, à son humeur et apetit158. Ce conte est meilleur à se l’imaginer et representer qu’à
l’escrire.
Voilà donc les raisons de la dame avec plusieurs autres qu’elle put alleguer.
147 euphémisme traditionnel pour « faire l’amour », comme le faire (voir « Les Dames
galantes » au fil des mots 001, note 219 ; Messaline qui « ne se contentoit pas de le faire
avec l’un et l’autre » ; « le singe, qui tant plus il le fait, tant plus il le veut faire … le cerf, que tant
plus il est vieux, tant mieux il le fait ») ; de même, 6 lignes plus bas, elle le luy fit faire une autre
fois. Cf. Gaston Zink, Morphosyntaxe du pronom personnel (non réfléchi) en moyen français (XIVe-
XVe siècles), Droz, 1997, p. 372 : Emplois euphémiques.
148 « fini, terminé » ; même sens dans « Vous avez fait et moi non. »
149 « elle s’accrocha si bien à lui »
150 « l’agitant, le bousculant, le malmenant » ; cf. Marot :
En liberté maintenant me pourmaine,
Mais en prison pourtant ie fuz cloué :
Voyla comment fortune me demaine.
C’est bien, & mal. Dieu soit du tout loué.
151 « jusqu’à l’extrême, avec violence »
152 « fournissait un effort, peinait »
153 « était gagné par la fatigue » (et non pas **se lassait**)
154 « demandait grâce »
155 « une seconde fois malgré lui »
156 « exténué »
157 « mou, sans ressort, flasque »
158 « désir »
Encore l’homme replicque là-dessus : « Je n’ay point aucun vaisseau159 ni baschot160 comme
vous avez le vostre, dans lequel je jette un gassoüil161 de pollution162 et d’ordure (si ordure se doit
appeler la semence humaine jettée par mariage et paillardise, qui vous salit et vous y pisse comme
dans un pot163. — Oüy, dit la dame ; mais aussitost ce beau sperme, que vous autres dites estre le
sang le plus pur et net que vous avez, je le vous vais pisser164 incontinent165 et jetter, ou dans un
pot ou bassin, ou en un retrait166, et le mesler avec une autre ordure trés-puante et salle et vilaine :
car de cinq cens coups que l’on nous touchera, de mille, deux mille, trois mille, voire d’une infinité,
voire de nul, nous n’engroissons que d’un coup, et la matrice ne retient qu’une fois : car, si le
sperme y entre bien et y est bien retenu, celuy-là est bien logé, mais les autres fort sallaudement
nous les logeons comme je viens de dire. Voilà pourquoi il ne faut se vanter de nous gazoüiller de
vos ordures de sperme : car, outre167 celuy-là que nous concevons, nous le jettons et rendons pour
n’en faire plus de cas168 aussitost que l’avons receu et qu’il ne nous donne plus de plaisir, et en
sommes quittes169 en disant : « Monsieur le potagier170, voilà vostre broüet171 que je vous rends, et
le vous claque172 là ; il a perdu le bon goust que vous m’en avez donné premierement 173. » Et notez
que la moindre bagasse174 en peut dire autant à un grand roy ou prince, s’il l’a repassée175 ; qui176
est un grand mespris, d’autant que l’on tient le sang royal pour le plus precieux qui soit point.
Vrayment il est bien gardé et logé bien precieusement plus que d’un autre177 ! »
159 « récipient » ‖ pour le sens initial de vase « récipient », cf. transvaser (1564)
160 (bachot) cf. bac [Olivier de La Marche, détail des festivités lors du 3e mariage du
Téméraire, le 3 juillet 1468, à Damme : « et tous lesdicts vins tomboyent en deux grans bacs de
pierre » donc cuves], baquet, bassin(e), bassinet
161 « mare, bourbier, flaque et par extension, amas d’ordure » [d’où, 8 lignes plus bas,
gazoüiller « salir, souiller »] ; cf. (Godefroy) gacel, gacelet, gaçueil « marais, marécage » : Aunis,
Poitou, gassouil, du côté de Saint-Maixent, gacouail, flaque deau grasse, et par extension les
terres qui retiennent l’eau, où il se forme des gassouils. Ouest, Normandie, garsouille malpro-
pre. — Brantôme, parlant de Roger de Saint-Lary de Bellegarde :
Ce ne fut pas tout : pour l’oster de la court, le roy [Henri III] luy donna la charge d’aller assieger Livron en
Dauphiné [en 1574], car, puisqu’il estoit faict M. le mareschal, il falloit bien l’envoyer pour luy [au roi]
faciliter son passage d’Avignon ; charge certes qui fut fort fascheuse et ruineuse, dont il s’en fust bien passé,
venant d’une fontaine [source] claire de fortune, s’aller baigner dans un’ eau bourbeuse et toute gassouillée
de disgrâce et deffaveur.
Alphonse Trémeau de Rochebrune et Alexandre Savatier (Catalogue raisonné des plantes
phanérogames qui croissent spontanément dans le département de la Charente, 1860, p. 140) :
Miserable à mon gré, qui n’a ches soi où estre à soy, où se faire particulierement la court, où se cacher.
L’ambition païe bien ses gens de les tenir tousiours en montre, come la statue d’un marché : Magna
servitus est magna fortuna. Ils n’ont pas sulemant leur retret pour retrete. Ie n’ai rien iugé de si rude en
l’austerité de vie que nos religieus affectent, que ce que ie vois en quelcune de leurs compaignies,
avoir pour regle une perpetuelle societé de lieu, et assistance nombreuse entre eux, en quelque action
que ce soit. Et treuue aucunemant plus supportable d’estre tousiours seul, que ne le pouuoir iamais
estre.
167 « sauf, à part, hormis, excepté » (le sperme grâce auquel nous concevons)
168 faire cas de « accorder de l’importance à »
169 « débarrassées »
170 un potagier est bien d’abord un « cuisinier qui prépare les potages » c’est-à-dire des
aliments cuits au pot, mais ici le pot est un récipient inhabituel
171 cf. l’anglais broth (‘Too many cooks’) et l’italien brodo
172 « flanque »
173 « au début, initialement »
174 « prostituée », emprunt à l’occitan
175 cf. « Romains, serrez bien vos femmes, car nous vous amenons ce grand paillard et adultere de
Cesar le chauve, qui vous les repassera toutes. »
176 « ce qui »
177 « il est gardé et logé bien plus précieusement que (le sperme) d’un autre »
Voilà le dire des femmes ; qui est un grand cas pourtant qu’un sang si precieux se
polluë et se contamine ainsi si sallaudement et vilainement ; ce qui estoit defendu en la
loy de Moyse, de ne le nullement prostituer en terre178 ; mais on fait bien pis quand on le
mesle avecques de l’ordure trés-orde et salle.
178 allusion à la Genèse et à Onan qui, lorsqu’il « s’approchait » de la veuve de son frère
« ἐξέχεεν ἐπὶ τὴν γῆν τοῦ μὴ δοῦναι σπέρμα τῷ ἀδελφῷ αὐτοῦ, semen fundebat in ter-
ram, ne proles fratris nomine nasceretur » répandait son sperme sur le sol pour ne pas donner de
descendance à son frère.
Encor si elles faisoyent comme un grand seigneur dont j’ay oüy parler, qui, en songeant
la nuict, s’estant corrompu179 parmy ses linceuls180, les fit enterrer, tant il estoit scrupuleux,
disant que c’estoit un petit enfant provenu de là qui estoit mort, et que c’estoit dommage181
et une trés-grande perte que ce sang n’eust esté mis dans la matrice de sa femme, dont pos-
sible182 l’enfant fust esté en vie.
Il se pouvoit bien tromper par là, d’autant que de mille habitations183 que le mary fait
avec sa femme l’année, possible, comme j’ay dit, n’en devient-elle grosse, non pas une fois
en la vie, voire jamais, pour aucunes femmes qui sont brehaignes184 et steriles, et ne conçoi-
vent jamais ; d’où est venu l’erreur185 d’aucuns mescreans186, que le mariage n’avoit esté
institué tant pour la procreation que pour le plaisir : ce qui est mal creu et mal parlé, car,
encor qu’une femme n’engroisse toutes les fois qu’on l’entreprend187, c’est pour quelque
volonté de Dieu à nous occulte188, et qu’il en veut punir et mary et femme, d’autant que la
plus grande benediction que Dieu nous puisse envoyer en mariage, c’est une bonne lignée,
et non par concubinage ; dont189 il y a plusieurs femmes qui prennent un grand plaisir d’en
avoir de leurs amants, et d’autres non ; lesquelles ne veulent permettre qu’on leur lasche
rien dedans, tant pour ne supposer190 des enfans à leurs marys qui ne sont à eux, que pour
leur sembler ne faire tort et ne les faire cocus si la rosée ne leur est entrée dedans, ny plus
ny moins qu’un estomach debile et mauvais ne peut estre offensé de sa personne pour pren-
dre de mauvais indigestifs morceaux, pour les mettre dans la bouche, les mascher et puis les
cracher en terre191.
183 Ludovic Lalande glose par « fréquentation, commerce », euphémismes pour « coït,
accouplement » ‖ mille habitations… l’année « l’an, par an »
184 « stérile » (en parlant d’une femme ou de la femelle d’un animal) ; sans étymologie
185 d’où est venu l’erreur : au XVIe siècle, erreur est fréquemment masculin —
On peut lire, dans le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce (1791) :
« cet erreur, si c’en est une ».
Dans la Double surprise de l’amour (III, VI), Lepeintre-Desroches fait ou laisse imprimer en
1823 les répliques de Marivaux sous la forme suivante :
Lélio — Ce n’est presque pas une erreur que cela ; la chose est si naturelle à penser !
La Comtesse — Mais, voudriez-vous que j’eusse cet erreur-là ?
Dans le Comte de Monte-Cristo (dans une édition de 1849) : « Un signe télégraphique mal inter-
prété à cause du brouillard a donné lieu à cet erreur ».
Ces exemples ne sont pas isolés.
186 Brantôme emploie concurremment mescreant et mescroyant : « mécréant » est le parti-
cipe présent de l’ancien mescroire, que l’écrivain paraphrase à la ligne suivante avec le
participe passé mal creu. Ludovic Lalanne glose par « qui a une mauvaise croyance », mais
tout porte à considérer qu’il s’agit plutôt de la personne qui manque de foi et est incrédule
en matière de religion : un incroyant.
187 « qu’un homme la possède »
188 « qui nous est cachée »
189 (le pronom a pour antécédent lignée)
190 supposer un enfant : vouloir le faire passer, le faire reconnaître pour fils ou fille de
ceux dont il n’est pas né. (Dictionnaire de l’Académie, cité par TLFi)
191 « tout comme un estomac fragile et dérangé ne peut de lui-même se ressentir de
ce que quelqu’un a pris de mauvais morceaux indigestes, les a mis dans sa bouche et les a
mâchés, pour enfin les recracher par terre »
Aussi, par le mot de cocu, porté par les oyseaux d’avril, qui sont ainsi appellez pour aller
pondre au nid des autres192, les hommes s’appellent cocus par antinomie193, quand les
autres viennent pondre dans leur nid, qui est dans le cas194 de leurs femmes, qui est autant à
dire195 leur jetter leur semence et leur faire des enfans.
Voilà comme plusieurs femmes ne pensent faire faute à leurs marys196 pour mettre de-
dans197 et s’esbaudir198 leur saoul199, mais qu’elles200 ne reçoivent point de leur semence ; ainsi
sont-elles conscientieuses de bonne façon201 : comme d’une grande dont j’ay oüy parler, qui
disoit à son serviteur : « Esbattez-vous tant que vous voudrez, et donnez-moy du plaisir ; mais, sur
vostre vie202, donnez-vous garde de ne m’arrouser rien là dedans, non d’une seule goutte, autrement il
vous y va de la vie. » Si bien qu’il falloit bien que l’autre fust sage, et qu’il espiast le temps du
mascaret203 quand il devoit venir.