Sunteți pe pagina 1din 732

¶ 37-200-A-20

Approche psychopathologique
et psychanalytique des enfants surdoués
G. Bleandonu, O. Revol

Les enfants surdoués sont l’objet d’un intérêt grandissant. Alors qu’ils sont destinés à faire partie des élites
intellectuelles, un tiers d’entre eux se retrouvent en grandes difficultés scolaires ou en échec si on ne leur
vient pas en aide. Le diagnostic ne peut être établi avec certitude sans la passation de tests d’intelligence.
On insiste de nos jours moins sur les performances que sur la particularité du profil intellectuel. Les
surdoués peuvent être atteints par n’importe quel trouble mental, mais la fréquence des troubles n’est pas
la même que pour les autres enfants. En outre, ces troubles sont nuancés par les caractéristiques affectives
et intellectuelles de ces enfants. On rencontre surtout des difficultés scolaires et des troubles des
apprentissages, de l’hyperactivité et de l’opposition, des troubles émotionnels (anxiété et dépression). La
psychanalyse classique ne s’est guère intéressée à ce genre d’enfants. Mais la notion de mentalisation
permet de renouveler une compréhension en passe d’être dominée par les sciences cognitives. Il faut
insister sur le fait que de nombreux enfants surdoués sont en bonne santé mentale et qu’ils tirent profit de
leur haut potentiel intellectuel pour réussir brillamment leurs études. Les professionnels sont
indispensables lorsque la douance s’associe à d’autres troubles. La combinaison avec des pathologies
limites ou narcissiques alimente les débats sur l’origine organique ou psychique des troubles. La meilleure
approche est multifactorielle. Les professionnels disposent ainsi de réponses, soit thérapeutiques : conseil,
guidance, psychothérapies ou rééducations, soit pédagogiques : saut de classe, enrichissement des
programmes ou classes spéciales. Encore faut-il appréhender l’enfant dans sa globalité et ne pas se
contenter de la seule évaluation du quotient intellectuel.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Surdoué ; Définition ; Repérage ; Psychopathologie ; Psychanalyse ; Aide

Plan continuum qui nous fait passer insensiblement vers le besoin


d’un diagnostic et d’une aide spécialisée. Les enfants surdoués
ont été essentiellement étudiés par des psychologues [1] .
¶ Introduction 1
L’identification de la douance nécessite la passation de tests
¶ Historique 1 psychologiques. Les sciences cognitives se sont naturellement
¶ Définition et qualification 2 intéressées aux enfants surdoués qui offrent une sorte d’effet
¶ Repérage de la douance 2 grossissant pour certains aspects de la cognition. La psychana-
lyse a aussi son mot à dire car les motivations et l’organisation
¶ Tests psychologiques 3
de la personnalité jouent un rôle dans la cognition. Un intérêt
¶ Motifs de consultation spécifiques 3 marqué pour les enfants surdoués s’est manifesté en France ces
Difficultés et retards scolaires 3 dernières années. Il est dû d’abord à l’action militante d’asso-
Hyperactivité et opposition 4 ciations constituées par les parents de ces enfants. Elles sont peu
Troubles émotionnels 4 représentatives par leur nombre d’adhérents, mais elles sont
Anorexie mentale 4 arrivées à se faire entendre des pouvoirs publics. Les médias
Troubles du sommeil 4 (surtout les magazines et la télévision) ont fourni ces dernières
¶ Approche psychanalytique 4 années des dossiers et des témoignages. Cette effervescence
médiatique contraste avec la quasi-absence de travaux scientifi-
¶ Comment aider les surdoués en difficulté ? 5
ques sur le sujet [2].
¶ Conclusion 6

■ Historique
■ Introduction Il n’en va pas de même dans d’autres pays. On peut faire
Les professionnels de la santé mentale s’intéressent aux remonter les débuts de cette notion au XIXe siècle lorsque
enfants surdoués pour plusieurs raisons. Ceux-ci peuvent Galton entreprit une étude scientifique des individus excep-
connaître de sérieuses difficultés à l’école alors qu’ils paraissent tionnels qu’on qualifie de « génies ». Il s’aperçut qu’il y avait
destinés par leurs capacités intellectuelles à fournir les meilleurs beaucoup de personnes remarquables dans la famille des génies.
élèves. Ces difficultés nécessitent une démarche psychopatholo- Il en conclut que le génie était héréditaire. Galton fit aussi un
gique relativement nouvelle puisque nous sommes face à un apport décisif aux mesures quantitatives. Il rendit possible

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-200-A-20 ¶ Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués

l’étude statistique des corrélations entre les différences indivi- en se servant d’un néologisme : « douance ». En pratique, on
duelles L’intérêt pour les génies a laissé place à celui pour les peut dire aussi bien : doué, surdoué intellectuellement précoce
enfants surdoués au début du XXe siècle. Tout a commencé avec ou à haut potentiel. Il convient de différencier les enfants
la mise au point en France par Binet et Simon d’une échelle surdoués des enfants prodiges qui disposent d’un niveau
pour mesurer l’intelligence. Terman, un psychologue américain, d’aptitude exceptionnel, mais dans un seul domaine. Les
révisa le test et l’adapta pour son pays sous l’appellation surdoués ne sont pas des génies qui, grâce à des capacités
« Stanford-Binet ». Lorsque les États-Unis se lancèrent dans la extraordinaires, réalisent des inventions, des créations ou des
Première Guerre mondiale, Terman réussit à faire utiliser le test entreprises bénéficiant d’une reconnaissance universelle.
à très grande échelle pour sélectionner les combattants. Terman Notons que l’opinion américaine rassemble les talentueux et
entreprit ensuite une fabuleuse recherche sur les enfants les surdoués dans une même catégorie [7]. Le surdoué américain
surdoués [3] . Il sélectionna une importante cohorte (1 500) doit disposer d’un QI très élevé et faire preuve d’un talent dans
d’enfants dont le quotient intellectuel (QI) atteignait ou un ou plusieurs domaines. La notion d’intelligence multiple
dépassait 140. Il la compara à un groupe témoin. Les premiers avancée par Gardner amène à considérer aussi les performances
résultats furent publiés en 1925. Les sujets furent de nouveau et les talents en matière sociale, émotive et pratique. Cela nous
testés à plusieurs reprises jusqu’en 1947. L’étude se poursuivit conduit à insister sur la distinction entre créatif et créateur. Si
après le départ à la retraite de Terman et même après son décès. les surdoués se révèlent souvent créatifs, ils se contentent en
La dernière collecte qui date de 1994 concernait des sujets âgés général de devenir des experts à l’âge adulte (la cohorte de
en moyenne de 78 ans. Terman n’a comporté presque aucun créateur).
Des enseignants et des pédagogues en Europe comme aux On insiste sur le fait que l’enfant surdoué n’est pas un enfant
États-Unis n’avaient pas attendu les résultats de la recherche forcé. La précocité intellectuelle peut être l’indice d’un don
scientifique pour venir en aide aux surdoués en difficulté. Une naturel, mais aussi le signe d’un forçage (le forçage désigne la
nouvelle étape fut franchie avec la création d’associations culture des plantes que l’on fait pousser hors saison ou en
nationales en faveur de ces enfants. La consécration vint en dehors de leur lieu naturel). On a souvent suspecté les parents
1947 avec l’apparition d’une association internationale baptisée d’enfants surdoués ou prodiges d’avoir « forcé » l’enfant par leur
Mensa et dont le siège se situe en Grande-Bretagne. Elle éducation. La question est complexe car des travaux ont montré
regroupe des personnes ayant un QI égal ou supérieur à 132 au qu’il existe un lien entre la réussite de l’enfant et l’investisse-
test de Wechsler. L’inspiration se déclare généreuse : « détecter ment des parents. Mais les enfants auxquels on ne laisse aucune
l’intelligence et favoriser son développement pour le bénéfice de autonomie dans leur domaine de prédilection cessent de
l’humanité ». Les deux guerres mondiales au XXe siècle ont poursuivre l’excellence dès qu’ils peuvent se soustraire à
suscité ou favorisé des recherches et des innovations en faveur l’emprise parentale.
des surdoués. On a voulu, soit répondre au désir de justice On admet que le seul critère indiscutable pour qualifier ce
sociale dans les masses, soit compenser les pertes en dirigeants genre d’enfant se situe dans le QI. La notion de surdoué implique
et en chercheurs. On a établi un parallèle entre la manière de l’idée qu’à partir d’un seuil, l’augmentation produit un changement
traiter les surdoués et celle de traiter les élites. Toutes les qualitatif. Mais la fixation de ce seuil reste affaire de convention.
époques ont besoin d’élites et les jeunes surdoués apparaissent La limite la plus souvent retenue est celle de 130. La fixation de
comme un vivier [4]. ce seuil détermine la taille de la population et, par conséquent,
La fin de l’historique nous ramène en France. Julian de l’ampleur du recrutement pour les associations. Étant donné
Ajuriaguerra, qui termina sa carrière de psychiatre au collège de que la scolarité est obligatoire en France pour les enfants de 6 à
France, semble avoir été le premier à utiliser le mot « surdoué » 16 ans, l’effectif concerné serait de 200 000 enfants et adoles-
dans son Manuel de psychiatrie de l’enfant publié en 1970. Il avait cents [8]. Les associations en revendiquent plus du double [9].
trouvé son inspiration chez Terman et il avait adapté en français
l’expression « highly gifted ». Le terme fut connu du grand public
quand Chauvin publia en 1975 un livre de vulgarisation [5]. Par
la suite, l’intérêt pour les surdoués a surtout été entretenu par
■ Repérage de la douance
les associations qu’animent leurs parents et quelques profes- Il est difficile de présenter une liste de signes reconnus par
sionnels cooptés. La plus ancienne association fut fondée en tous. Les signes les plus en évidence viennent de la précocité
1971 à l’initiative de Terrassier, un conseiller d’orientation intellectuelle. Le repérage repose moins sur la présence de tel ou
scolaire et professionnelle [6]. tel symptôme car ils sont souvent banals, que sur leur coexis-
tence et sur la chronologie de leur apparition. Une anamnèse
■ Définition et qualification bien conduite permet généralement de retrouver les caractéris-
tiques du développement de l’enfant précoce. Le repérage peut
L‘abondance des appellations signale la complexité du sujet. être utile tout au long de la croissance. Il permet de prévenir la
L’Europe a préféré l’expression « high ability » qui signifie survenue de troubles du comportement en proposant aux
« aptitude élevée ». Une société savante dédiée à son étude parents de jeunes enfants difficiles des stratégies éducatives
s’intitule ainsi : « European Council for High Ability ». Le mot simples. La découverte de la précocité peut apporter une
« gifted » a été proposé aux États-Unis dans les années 1920 et explication à certains troubles d’adaptation rencontrés par des
il reste d’un usage bien plus répandu. C’est lui dont on se sert élèves en difficultés. Enfin, l’identification des profils intellec-
avec les moteurs de recherche sur internet et il figure dans le tuels propres aux enfants précoces permet aux enseignants et
titre de plusieurs revues spécialisées (Gifted Child Quaterly, Gifted aux parents de tenir compte de leurs particularités cognitives et
Child Today, Roeper Rewiew, Gifted Education International, Journal affectives [10].
for the Education of the Gifted, High Ability studies, etc.). En En parcourant la littérature, on dispose de plus de vingt
France, on l’a traduit par « surdoué ». L’adjectif désigne un critères pour repérer et identifier les surdoués. Ils n’ont pas tous
enfant dont l’efficience intellectuelle évaluée par des tests est la même pertinence. Il n’y pas de signe pathognomonique, de
supérieure à celle obtenue par la majorité des enfants de son liste sélective permettant d’affirmer avec certitude que tel enfant
âge. Certains ont jugé par la suite le terme « politiquement est surdoué. Mais le regroupement de plusieurs signes peut faire
incorrect » parce qu’il ferait état d’une supériorité et qu’il envisager un bilan psychologique. Toutefois, la confirmation de
produirait une confusion avec les enfants prodiges. Ils ont la douance n’est pas nécessaire si l’enfant va bien. Il devient
préféré mettre en avant la précocité intellectuelle d’où le sigle indispensable en cas d’échec scolaire remédiable, de détresse
« EIP ». L’intelligence de ces enfants se développe plus vite que affective ou de pathologie associée.
celle de la majorité des enfants de leur âge. On n’a pas manqué Plus l’enfant avance en âge, plus la douance devient recon-
de critiquer ce point de vue. En effet, rien ne garantit qu’à l’âge naissable. Voici les signes qui caractérisent plutôt l’enfant qui
adulte, ces individus conserveront des capacités supérieures à la commence le cycle primaire, en général vers l’âge de 6 ans :
moyenne. D’autres préfèrent la neutralité et parlent d’ « enfant • une grande énergie qui fait passer d’une activité à une autre
à haut potentiel ». Les Québécois ont évité toute connotation ou à mener de front deux activités ;

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués ¶ 37-200-A-20

• une grande curiosité qui pousse à poser beaucoup de ques- prévoir ce que l’enfant sera capable de faire par la suite. Il
tions, des questions souvent variées et originales ; pourra brillamment réussir, comme il pourra s’effondrer de
• une préférence pour le dialogue avec les adultes et le choix façon surprenante. Une autre indication peut être fournie par la
de camarades plus âgés ; comparaison entre le verbal et la performance. Il arrive que l’un
• un grand intérêt pour les livres et les encyclopédies, un attrait soit bien plus élevé que l’autre. La différence devient statisti-
pour les jeux compliqués, notamment ceux de stratégies ; quement significative lorsqu’elle est supérieure à 12. Plus l’écart
• le sens de l’humour ; se révèle important, plus le clinicien est amené à s’interroger sur
• l’apprentissage de la lecture seul (beaucoup le tiennent pour l’intégration de la personnalité.
le signe le plus important). Bien que l’évaluation du QI fasse l’objet d’un relatif consen-
On a proposé plus récemment des signes apparaissant dès la sus, on ne manque pas de rappeler son caractère relatif et
petite enfance : arbitraire. Les tests d’intelligence ne procèdent pas à de vérita-
• l’acquisition précoce des premiers mots et des premières bles mesures. Ils permettent seulement de situer les résultats
phrases (18 mois). À l’inverse, l’absence de parole jusqu’à d’un individu à l’intérieur de l’étalonnage d’une population. Le
2 ans et l’apparition soudaine de phrases bien construites ont psychologue qui pratique les tests peut faire varier les résultats
la même valeur. L’expérience du professionnel se révèle de 10 à 20 points de QI selon qu’il a mis l’enfant en confiance
surtout indispensable pour ce qui se situe à la limite entre la ou qu’il l’a stimulé. Il n’aboutit pas aux mêmes résultats en se
normalité et le pathologique ; servant de tests différents. Par ailleurs, on parle d’un « effet de
• une extrême sensibilité qui peut donner l’impression d’une tassement » pour les zones extrêmes, notamment pour les
immaturité affective. Elle provient d’un fonctionnement chiffres les plus élevés du QI.
intuitif renforcé par une étonnante mémoire qui permet de Ces dernières années, on a mis l’accent sur le fait que le
faire des observations perspicaces et profondes sur les états surdoué pense de façon différente au lieu d’insister sur ses
d’âme de l’entourage ; performances élevées [11]. Un nouveau test d’intelligence a été
• les troubles du comportement, notamment l’opposition ; mis au point par les Kaufmann aux États-Unis. Il a été construit
• les troubles émotionnels tels que l’anxiété et la dépression. à partir de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive.
Il distingue deux grands types de processus mentaux : les
■ Tests psychologiques séquentiels et les simultanés au lieu de faire reposer les résultats
sur l’évaluation du verbal et de la performance. Les concepteurs
Le diagnostic ne peut être établi avec certitude sans la ont su innover sans rompre avec une tradition bien établie. Les
passation de tests d’intelligence. Il en existe plusieurs centaines, notes standards de leur échelle peuvent être transformées en QI
mais les plus utilisés se comptent sur les doigts d’une main. En de la même façon qu’avec l’échelle de Wechsler. Il existe une
pratique, on se sert des échelles d’intelligence de Wechsler : assez bonne corrélation entre le QI obtenu au K-ABC et celui
l’enfant passe un WISC entre 6 et 16 ans, un WIPSI entre 4 et obtenu au WISC.
6 ans et l’adulte un WAIS, parfois les matrices de Raven. Les L’enfant précoce privilégie une vision globale, simultanée au
résultats comportent trois chiffres : détriment d’une démarche séquentielle, analytique. Ceci
• le QI verbal ; explique le contraste entre l’extrême rapidité à trouver certaines
• le QI performance ; réponses et l’impossibilité à expliquer comment le bon résultat
• le QI total. a été obtenu. Le surdoué dispose de plus de capacités intellec-
Le QI total n’est pas la moyenne arithmétique des deux tuelles que la moyenne. Mais il pense surtout d’une autre
précédents, mais le résultat de leur combinaison. manière. Ses idées s’enchaînent à grande vitesse, ce qui engen-
La construction statistique donne 100 pour valeur moyenne dre de nombreuses associations. Cela aboutit à la création de
du QI. Si l’on représente la distribution du QI dans la popula- nombreux réseaux et le surdoué arrive à mener plusieurs lignes
tion générale, on obtient une courbe de Gauss ou courbe en de pensée à la fois. L’enfant surdoué dispose ainsi d’une
« cloche ». On considère l’intelligence comme moyenne ou mémoire de travail impressionnante. Il arrive à emmagasiner
normale entre 85 et 115. Cela concerne 68 % de la population deux fois plus de données qu’un enfant d’intelligence moyenne.
mais on sélectionne seulement 2,3 % de cette population avec Un clinicien averti ne fait pas reposer le diagnostic sur le seul
un QI égal ou supérieur à 130. Nous avons vu que c’est le seuil chiffre du QI. Il sait apprécier ce chiffre en tenant compte du
le plus souvent admis pour la douance. tableau clinique et du milieu dans lequel vit l’enfant. Il sait
Il faut signaler que nous pouvons disposer depuis juillet aussi que plus le tableau est complexe, plus il faut disposer des
2005 de la quatrième version du WISC. Il n’y aura pas de résultats d’un bilan psychologique complet. L’énoncé du chiffre
changement majeur puisque le QI total est conservé. Mais ne suffit pas. Il faut profiter de la rencontre pour clarifier et
l’introduction de nouveaux indices permettra de rendre ce déculpabiliser les relations entre les parents et l’enfant, entre les
calcul plus précis et de détailler, davantage le profil de l’enfant. enseignants et l’enfant.
Le WISC-IV repose sur 15 subtests : 10 sont conservés du
précédent et 5 sont nouveaux. Le grand changement se situe
dans l’abandon de la division en verbal et performance au profit ■ Motifs de consultation
de 4 indices :
• indice de compréhension ;
spécifiques
• indice de raisonnement perceptif ; Les surdoués peuvent être atteints par n’importe quel trouble
• indice de mémoire de travail ; psychiatrique. Mais la fréquence des troubles rencontrés n’est
• indice de traitement de vitesse. pas la même que chez les autres enfants. En outre, les patholo-
Il ne suffit pas de situer l’enfant sur une échelle d’intelligence gies sont nuancées par les caractéristiques affectives et intellec-
parce que des enfants avec des fonctionnements intellectuels tuelles de ces enfants. Le plus délicat consiste à départager ce
bien différents peuvent occuper la même place sur cette échelle. qui provient de la douance et ce qui est provoqué par des
Une indication de base tient à l’homogénéité ou l’hétérogénéité troubles associés.
des résultats. Le WISC comporte une dizaine d’épreuves.
L’enfant peut obtenir des résultats homogènes à toutes ces
épreuves (par exemple bien au-dessus de la moyenne) ou des
Difficultés et retards scolaires
résultats hétérogènes (par exemple une partie nettement C’est au sujet de l’école que le consultant est le plus souvent
au-dessus et une autre partie nettement au-dessous de la sollicité. On vient volontiers lui demander son avis sur un saut
moyenne). C’est tout à fait possible puisque le QI n’est pas une de classe. L’enfant a-t-il bien une intelligence supérieure à la
moyenne arithmétique. moyenne ? Une procédure a été proposée par Terrassier : le QI
Le QI signale un fonctionnement intellectuel d’autant mieux compensé. Un calcul simple permet de voir de quelles réserves
établi qu’il est homogène. Cela reflète une bonne intégration de intellectuelles l’enfant disposerait s’il se trouvait dans la classe
la personnalité. À l’inverse, un QI hétérogène ne permet pas de supérieure. Un autre cas de consultation : l’enfant a un bon

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-200-A-20 ¶ Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués

fonctionnement intellectuel, mais l’enseignant le trouve un peu Anorexie mentale


immature. Arrivera-t-il à s’adapter au changement s’il saute une
classe ? La proportion des difficultés et des retards scolaires L’anorexie mentale survient surtout à l’adolescence. Les
augmente avec l’âge. Bien des enfants surdoués n’arrivent pas à anorexiques sont bien connues pour être de bonnes élèves parce
utiliser leur haut potentiel intellectuel à l’école et un tiers qu’elles surinvestissent la sphère intellectuelle. Mais la plupart
d’entre eux environ se retrouvent en situation d’échec en fin de des anorexiques ne doivent pas leur excellence scolaire à la
troisième. Ces difficultés relèvent de plusieurs causes qui douance, mais à leur travail scolaire acharné. Il arrive que des
peuvent s’entremêler et se renforcer [12] . La cause la plus surdouées fassent un épisode anorexique mais celui-ci fait suite
spécifique vient du décalage entre l’attente des enseignants qui en général à un épisode dépressif.
sont formés pour répondre aux besoins des élèves moyens et le
profil intellectuel particulier des surdoués. Les enseignants sont Troubles du sommeil
conduits à signaler un manque de méthode, une difficulté à
Il est rare que la douance soit évoquée à propos de troubles
soutenir l’effort dans les exercices proposés, un manque
du sommeil. Ils sont pourtant très fréquents. Diverses causes se
d’attention (pour les matières peu stimulantes). Une autre cause
succèdent avec l’âge. Chez le jeune enfant, l’anxiété qu’amplifie
se situe dans la plus grande fréquence chez les surdoués des
la surdouance peut rendre difficile la séparation nocturne. Plus
troubles des apprentissages tels que la dyslexie, la dysorthogra-
tard, l’enfant refuse d’aller au lit parce qu’il veut continuer à
phie ou une difficulté pour écrire. Enfin, les troubles du
explorer et à apprendre. Certains pensent que les phases du
comportement à type d’opposition et les troubles émotionnels
sommeil paradoxal seraient plus longues chez les surdoués que
comme l’anxiété rendent l’enfant plus difficile à supporter et à
dans la population générale.
gérer [13].

Hyperactivité et opposition ■ Approche psychanalytique


L’instabilité psychomotrice, qui a été médiatisée sous le label La psychanalyse s’est plutôt intéressée au fonctionnement
« hyperactivité », constitue aussi un motif fréquent de consulta- intellectuel global plutôt qu’à telle ou telle faculté, comme
tion. Dans le cas des surdoués, on insiste sur le fait que ce genre l’intelligence par exemple. En outre, les psychanalystes ont
d’enfant est très actif par nature, qu’il peut devenir hyperactif longtemps envisagé la pensée en tant que scène où pouvaient
s’il s’ennuie en classe. Il arrive à faire preuve d’une attention se manifester des pathologies mentales. Ils étudiaient seulement
forte et soutenue s’il est passionné par un sujet alors qu’il peut l’influence des pulsions et des conflits névrotiques sur les
devenir inactif si on l’oblige à participer. On envisagera la aberrations de la pensée. Ils ont insisté plus tard sur la résistance
douance comme une cause d’instabilité motrice si l’enfant est qu’elle apportait à l’intégration par le moi des fantasmes sexuels
devenu hyperactif à l’entrée en maternelle ou encore plus au et agressifs.
cours préparatoire alors qu’il reste calme à la maison. Cet aspect On ne trouve dans l’œuvre de Freud que des apports partiels
sélectif du trouble est facilement confirmé par les échelles de sur la pensée et l’intelligence. Il a d’abord situé l’origine de la
Conners. L’enfant obtient des chiffres voisins de la normale à curiosité intellectuelle dans une recherche concernant la
la maison alors qu’ils sont franchement anormaux à l’école. sexualité. C’est la sublimation des pulsions sexuelles qui fournit
L’opposition est un symptôme qui s’associe volontiers au l’énergie dont l’intelligence a besoin pour se développer. Par la
précédent. Elle peut s’exprimer dans le comportement avant suite, Freud a établi des fondements pour un art de penser qui
l’apparition du langage. L’aisance verbale peut se traduire par ne relevait plus seulement de la sublimation. Il a décrit les
une argumentation aussi serrée qu’irritante. Cette conduite se conséquences de la substitution du principe de réalité au
rencontre beaucoup plus souvent chez le garçon alors que la principe de plaisir. L’opposition entre principe de plaisir et
fille se plie de façon excessive aux attentes de l’entourage. principe de réalité se trouve en corrélation avec celle entre
processus primaire et processus secondaire. C’est ainsi que la
Troubles émotionnels plupart des activités intellectuelles se situent du côté du
processus secondaire et du principe de réalité.
On distingue, pour faciliter l’exposé, l’anxiété et les troubles L’intelligence joue un rôle dans toutes les étapes du dévelop-
de l’humeur, bien qu’ils soient fréquemment liés entre eux chez pement de l’enfant. Il n’est pas étonnant que les deux fonda-
l’enfant. trices de la psychanalyse des enfants aient enrichi la
L’anxiété semble présente chez tous les enfants surdoués. Une connaissance psychanalytique de l’intellect. Anna Freud, qui
grande intelligence accroît l’inquiétude parce qu’elle impose des avait d’abord travaillé comme institutrice, anima des groupes de
questionnements excessifs pour l’âge. Cela se traduit dès 3 ans recherches sur l’apport de la psychanalyse à la pédagogie. Par la
par des interrogations démesurées concernant la vie et la mort. suite, son école de pensée a localisé l’intelligence dans les
Plus tard, les préoccupations se saisissent des maladies, des fonctions autonomes du moi, dans la zone échappant au conflit
catastrophes planétaires, comme des drames familiaux. L’enfant psychique. À l’inverse, Melanie Klein a postulé l’existence d’une
garde le plus souvent ses craintes secrètes parce qu’il craint de pulsion épistémophilique et elle l’a liée à la symbolisation. Cela
paraître ridicule aux yeux des autres enfants ou d’inquiéter ses permit bien plus tard à Bion de proposer une théorie de la
parents. Un risque sérieux tient à la survenue d’idées obsédantes pensée où l’affect lié à la connaissance joue un rôle aussi
et de rituels. L’enfant sera soulagé de pouvoir parler de son important que l’amour et la haine [14].
trouble obsessionnel compulsif (TOC) à une personne qui ne le Les psychanalystes ne pouvaient ignorer la magistrale des-
juge pas et ne se moque pas de lui. cription faite par Piaget du développement de la pensée logique
Les troubles de l’humeur, notamment la dépression, se rencon- chez l’enfant. Ils devaient se situer vis-à-vis de la théorie de
trent souvent chez les surdoués. On sait depuis longtemps que l’apprentissage soutenue par le behaviorisme, puis des théories
l’ennui peut être un signe annonciateur ou le premier degré cognitivistes. On vit dans les années 1950 et 1960 apparaître
d’une dépression. Il faut être attentif à la dépression car les deux théories psychanalytiques de la pensée : celle de la
adultes hésitent encore à admettre ce vécu déroutant chez un psychologie du moi, en filiation avec Anna Freud, et celle de
enfant. La dépression peut prendre deux aspects à l’adolescence Melanie Klein et ses élèves reposant sur les relations d’objet.
du fait de la surdouance. Un adolescent surdoué se met à La psychologie du moi a conçu la pensée comme faisant
désinvestir l’école alors qu’il avait de bonnes notes jusque-là. À partie des fonctions autonomes du moi. Selon celle-ci, la pensée
l’inverse, un adolescent, bien que déprimé, arrive à maintenir subit assez peu l’influence des pulsions, et par conséquent, du
son investissement et il poursuit une assez bonne scolarité. conflit. Elle a décrit parmi les instruments de pensée : d’une
Enfin, l’hypomanie peut évoquer la douance par ses effets sur part, la régression contrôlée temporaire qui permet de conserver
l’intellect : capacité à se polariser, rapidité de la pensée. Mais l’épreuve de réalité et la fonction synthétique du moi, d’autre
cette impression ne dure pas et la souffrance dépressive sous- part, un style sélectif de pensée comme le traitement mathéma-
jacente réapparaît. tique. L’épreuve de réalité est conçue comme une action d’essai

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués ¶ 37-200-A-20

permettant d’économiser de l’énergie psychique. Au fur et à individu et la vitesse moyenne de croissance mentale de son
mesure que ces actions expérimentales sont internalisées, les groupe d’âge. Le débile mental ne se développe pas de la même
contradictions logiques sont éliminées [15-17]. manière que l’enfant normal. De façon plus précise, il se
L’école kleinienne a pris un tournant lorsque des élèves développe à des vitesses différentes selon les secteurs psycho-
éminents ont cherché à traiter des troubles de la pensée, biologiques. Il existe ainsi une hétérochronie entre la croissance
notamment chez des schizophrènes. Bion a réussi à élaborer une du corps et celle de l’esprit. Terrrassier a repris plus tard cette
théorie de la pensée qui a été adoptée par tous les kleiniens. Le notion pour la transposer aux surdoués. Il a changé l’appella-
devenir de la pensée dépend de la capacité du bébé à supporter tion et il a parlé d’un « syndrome de dyssynchronie ». [18]
la frustration. S’il ne la supporte pas du tout, il se contente Celle-ci se manifeste sous deux aspects : au sein de la personne
d’évacuer son vécu insupportable par identification projective. surdouée et dans ses relations sociales avec l’environnement. En
Le bébé n’arrive à développer un appareil à penser que si ses ce qui concerne le décalage interne, il apparaît le plus souvent
projections sont transformées en partie par son entourage,
entre le développement psychomoteur et le développement
notamment grâce à la « rêverie maternelle ». Il réussit ainsi à
intellectuel de l’enfant surdoué. Grossièrement, la tête avance
intérioriser un objet capable de contenir ses projections, de leur
plus vite que le corps. Ainsi l’enfant se met-il à parler avant de
donner sens et de les modifier avant de les retourner. Bion a
fourni la notion de contenant psychique. Il a aussi fait place, marcher ou apprend-il très vite à lire alors qu’il peine à
dans les affects de base, à la connaissance à côté de l’amour et apprendre à écrire. Un autre décalage bien connu concerne
de la haine. l’intellect et l’affectif. Autrement dit, l’immaturité affective fait
On a fait un rapprochement entre le psychisme de certains le pendant à la brillance de l’intelligence. Le même raisonne-
surdoués et des mécanismes de défense comme l’intellectualisa- ment sert à expliquer les difficultés de la vie sociale mais il
tion et la rationalisation. Lorsque le sujet parle de son vécu et paraît moins convaincant. L’esprit de l’enfant surdoué se
des ses conflits, il cherche à maîtriser ses émotions et ses développe plus vite que celui de la moyenne des autres enfants.
sentiments. La pensée abstraite prend le pas sur l’émergence et Il subirait un préjudice par rapport à cette moyenne plus
la reconnaissance des affects, elle peut ainsi les tenir à distance appréciée par les enseignants. L’enfant surdoué serait ainsi
ou leur attribuer une justification d’ordre rationnel et moral à contraint à la distraction pour se défendre contre l’ennui
la place du jeu de l’inconscient. De nos jours, la mentalisation engendré par une ambiance peu stimulante.
permet de renouveler la donne et d’apporter un contrepoids à Terrassier a décrit un « syndrome », c’est-à-dire un ensemble
l’approche cognitiviste. Elle désigne l’activité mise en œuvre de symptômes pouvant s’observer dans plusieurs états patholo-
pour transformer les excitations venues du corps en un contenu giques. Il n’en soutient pas moins que la dyssynchronie ne
mental symbolisé. Elle constitue une tâche complexe et perma- semble pas faire partie de la psychopathologie. Il rejette toute
nente pour produire et entretenir des contenus psychiques parenté avec la « dysharmonie évolutive » qui implique un
préconscients. Certains ont cherché à combiner la mentalisation trouble profond de la personnalité. Cela mérite discussion. La
avec la théorie de l’esprit, c’est-à-dire le fait d’attribuer des états
notion de dysharmonie d’évolution provient d’Anna Freud qui
mentaux à autrui et de leur donner un sens. Une grande
avait mis en évidence chez certains enfants des lignes de
intelligence ne s’accompagne pas automatiquement d’une
développement non harmonisées. Cette notion a été reprise en
bonne mentalisation. Elle peut même conduire à son contraire :
France par Misès afin d’insister sur le dynamisme et la com-
la pensée opératoire. Alors même qu’elle paraît avoir réussi à
maîtriser la vie intérieure, des manifestations psychosomatiques plexité des états limites dans l’enfance. La question reste
viennent attester des carences dans l’intégration de la psyché ouverte puisque les enfants surdoués nous confrontent au
avec le soma. paradoxe de l’élite fragile.
Lors des consultations psychiatriques, on rencontre beaucoup
plus de troubles dans le registre névrotique avec les enfants qui
paraissent surdoués. Il est malaisé d’expliquer ce constat. Si les ■ Comment aider les surdoués
surdoués paraissent mieux armés que la moyenne pour éviter les
troubles psychotiques, les plus perturbés d’entre eux se situent en difficulté ?
à la limite entre névrose et psychose. Il semble que les difficul-
tés d’adaptation augmentent au fur et à mesure que le niveau Il est difficile de traiter ce sujet sans soulever la passion car,
intellectuel s’élève. Les enfants dont le QI atteint 160 ont soit on se sent personnellement concerné et on prend le parti
tendance à s’isoler des autres enfants et à moins bien s’adapter de ce genre d’enfant, soit on conserve un certain recul et on
socialement. La situation la plus délicate à apprécier se produit risque l’opprobre des militants. Nombre d’enfants surdoués sont
lorsqu’un enfant à haut potentiel développe un trouble de la en bonne santé mentale et tirent avantage de leur haut poten-
personnalité. L’enfant utilise sa grande intelligence pour mettre tiel dans leurs études. En ce qui concerne la scolarité, il semble
en jeu des stratégies destinées à éviter l’impact de la souffrance qu’on puisse distinguer leur destinée en trois tiers : un tiers de
psychique ou l’effet des pulsions destructrices. Le surdoué peut réussite, un tiers de résultats moyens et un tiers de difficultés
arriver à masquer sa perturbation profonde en devenant une sérieuses et d’échecs.
personnalité « comme si », surtout si l’entourage est rassuré ou Nous ne disposons pas de statistiques concernant l’ensemble
valorisé par ce type de personnalité d’emprunt. Lorsque l’enfant de la population. Il existe un biais pour les extrapolations
est testé, il conserve souvent un QI verbal impressionnant face puisque les associations recrutent de façon presque exclusive du
à un QI performance bien moyen ou à la limite de la normale. côté des précoces dont le psychisme est perturbé et qui peinent
Certains enfants, en raison de leur vive sensibilité et de leur ou ne suivent pas en classe. Ce biais se retrouve aussi chez les
intelligence suractivée, ressentent tôt les besoins et les failles de
professionnels de la santé car une proportion notable d’entre
leurs parents. Ils s’y adaptent un peu trop, à leurs dépens. Ils
eux ont des enfants précoces ou ont été eux-mêmes des enfants
apprennent à dissimuler des sentiments intenses mais réprouvés
précoces.
comme la colère, le désespoir, la jalousie ou la peur. Ces
sentiments pourront ressurgir si des circonstances éprouvantes Notons la relative nouveauté de ce genre de consultations. Il
se produisent parce qu’ils ne sont pas intégrés à leur ne sera jamais question de guérir un enfant de sa douance. En
personnalité. revanche, il sera peut-être utile de proposer des conseils aux
En terminant, il nous reste à aborder la notion de dyssynchro- parents, des mesures thérapeutiques comme une psychothérapie
nie parce qu’elle est avancée comme explication unique des ou une rééducation ou de favoriser des réponses pédagogiques.
difficultés rencontrées par les associations en faveur des En ce qui concerne la scolarité, les réponses se résument à une
surdoués. De quoi s’agit-il ? Au début des années 1960, Zazzo triade dont on a usé de toutes les combinaisons :
avait rafraîchi l’approche de la débilité mentale. Il avait proposé • accélération du cursus ;
de considérer le QI, non plus comme un quotient d’âge, mais • enrichissement des programmes ;
comme le rapport entre la vitesse de croissance mentale d’un • regroupement des élèves dans des classes spéciales.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-200-A-20 ¶ Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués

■ Conclusion ■ Références
.

Insistons en terminant sur les caractéristiques paradoxales de [1] Bleandonu G. Les enfants intellectuellement précoces. « Que sais-je? ».
cette petite partie de la population. Il ne fait pas de doute Paris: PUF; 2004.
qu’elle est destinée à faire partie des élites intellectuelles. Mais, [2] Lautrey J. Étude de la recherche sur la précocité intellectuelle. Psychol
pendant ce temps, les associations réclament en leur faveur des Fr 2004;49(n°3).
[3] Terman LM. Genetic studies of genius. Vol. I-II-III-IV-V. Stanford
mesures pédagogiques analogues à celles dont bénéficient les
University Press; 2000.
débiles mentaux, les handicapés. Par ailleurs, la coexistence de
[4] de Craecker R. Les enfants intellectuellement doués. Paris: PUF; 1951.
la douance avec des pathologies limites ou narcissiques nous [5] Chauvin R. Les surdoués. Paris: Stock; 1975.
ramène au cœur d’un débat qui agite la pédopsychiatrie à [6] Terrassier JC, Gouillou P. Le guide pratique de l’enfant surdoué. Paris:
l’époque des classifications internationales, notamment du ESF; 2001.
DSM-IV : le « tout organique » ou le « tout psychique ». [7] Winner E. Surdoués : mythes et réalités. Paris: Aubier; 1997.
Il semble que sur trois demandes adressées pour motif de [8] Delaubier JP. « La scolarisation des élèves intellectuellement préco-
précocité intellectuelle, une seule correspondrait bien à cette ces ». Rapport à M. le Ministre de l’Éducation Nationale, Janvier 2002.
cause. Il est plus facile pour des parents et, parfois pour des [9] Cote S. Doué, surdoué, précoce. L’enfant prometteur et l’école. Paris:
enseignants, de croire que les difficultés de l’enfant sont liées à Albin Michel; 2002.
quelque chose qu’il aurait en plus de la moyenne, à quelque [10] Revol O, Louis J, Fourneret P. L’enfant précoce : signes particuliers.
chose apportée par la distribution génétique, plutôt qu’à une Neuropsychiatr Enf Adolesc 2004;52:148-53.
souffrance psychique, à une problématique relationnelle [11] Siaud-Facchin J. L’enfant surdoué. L’aider à grandir, à réussir. Paris:
provoquée ou favorisée par une caractéristique innée [19]. Un Odile Jacob; 2002.
haut potentiel intellectuel va souvent de pair avec une fragilité [12] Ada A. Le livre de l’enfant doué. Paris: Solar; 1999.
narcissique. [13] Revol O, Louis J, Fourneret P. Les troubles du comportement de
Les professionnels sont utiles lorsque la précocité intellec- l’enfant précoce. ANAE 2002;67:1-4.
tuelle s’accompagne de difficultés affectives et cognitives. Ils [14] Despinoy M. Comprendre et soigner l’enfant en échec scolaire. Paris:
Dunod; 2004.
apparaissent indispensables quand la douance s’associe à
[15] Rosen V. Abstract thinking and objects relations. J Am Psychoanal
d’autres difficultés : troubles des apprentissages, troubles
Assoc 1958;6:653.
émotionnels et troubles du comportement. En cas de troubles [16] Szekely L. Symposium: the psychoanalytic study of thinking. Int
légers, l’identification de la douance permet de sensibiliser les J Psychoanal 1962;43:297.
parents et les enseignants au profil particulier de chaque enfant. [17] Silverman M. Intelligence and adaptation. Psychoanal Q 1983;52:452.
Cela permet aussi d’utiliser de façon adéquate la panoplie [18] Terrassier JC. Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante.
thérapeutique existante. Un premier centre de références pour Paris: ESF; 1999.
les enfants surdoués est disponible depuis peu à Rennes. Il faut [19] Grubar JC, Duyme M, Cote S. La précocité intellectuelle : de la mytho-
espérer qu’il y en aura d’autres. L’objectif est que les différences logie à la génétique. Liège: Mardaga; 1997.
de ces enfants soient une source de richesse et d’épanouisse- [20] Tordjman S. Enfants surdoués en diffıculté. Rennes: Presses Universi-
ment et non d’échec et de rejet [20]. taires de Rennes; 2005.

G. Bleandonu, Pédopsychiatre (gbleandonu@caramail.com).


18, allée du Vallon, 69570 Dardilly, France.
O. Revol, Pédopsychiatre.
Hôpital neurologique, Service de psychiatrie de l’enfant, 59, boulevard Pinel, 69003 Lyon, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bleandonu G., Revol O. Approche psychopathologique et psychanalytique des enfants surdoués. EMC
(Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-A-20, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-200-A-17

Aspects développementaux
et neurocognitifs des enfants
à « hautes potentialités » (surdoués)
L. Vaivre-Douret

À travers la littérature, il apparaît que les critères diagnostiques retenus pour l’identification des enfants à
« hautes potentialités » ne sont pas consensuels avec un seuil de quotient intellectuel qui peut être
variable. Les études développementales mettent en évidence une avance des acquisitions
posturolocomotrices et langagières au cours de la première enfance. Cependant si certains parents ne
retiennent que l’avance de l’enfant sur le plan intellectuel, dans une sorte de sublimation, cela pourrait
conduire l’enfant à hypertrophier son idéal du moi pour ne pas décevoir son entourage et entraîner des
troubles de la personnalité pouvant le mettre à l’écart d’une bonne adaptation sociale et scolaire. Les
travaux sur le fonctionnement cognitif montrent des aptitudes supérieures de vitesse de traitement de
l’information impliquant des capacités spécifiques d’apprentissage et une plasticité cérébrale. En effet,
des travaux récents en imagerie cérébrale tendent à montrer une équipotentialité hémisphérique du
traitement et une maturation avancée du cortex préfrontal.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : « Hautes potentialités » ; Enfants surdoués ; Développement ; Maturation ; Cerveau ;


Fonctionnement cognitif

Plan caractéristiques communes à ces sujets. L’objectif était de définir


de meilleures connaissances de cette population dans la pers-
¶ Introduction 1 pective de mesures éducatives. Depuis cette époque, l’identifica-
tion des enfants à « hautes potentialités » ouvre différents
¶ Terminologie 1 champs de recherche autour de l’intelligence supérieure.
¶ Identification des enfants à « hautes potentialités » 2 Cependant, peu de travaux prennent en compte le développe-
Quotient intellectuel 2 ment neuropsychomoteur, des études plus nombreuses tentent
Intelligences 2 de comprendre le fonctionnement cognitif de ces enfants à l’âge
Variabilité intra-individuelle et évaluations complémentaires 2 scolaire. Plus récemment, les recherches en neuropsychologie
¶ Aspects développementaux 3 développementale qui rendent compte des activations cérébrales
Avant-propos 3 en jeu lors de tâches intellectuelles ouvrent un champ
Données développementales 3 intéressant.
Troubles d’apprentissage 6
¶ Fonctionnement de l’enfant à « hautes potentialités »
et aspects neurocognitifs 6 ■ Terminologie
¶ Conclusion 7 Différents termes sont utilisés pour évoquer l’enfant « sur-
doué » qui est traduit par les Anglo-Saxons par « gifted » :
« enfants bien doués », « enfants précoces », « enfants intellec-
tuellement précoces », « à haut potentiel », « à haut potentiel
■ Introduction intellectuel », enfants talentueux, prodiges et génies.
Tous ces termes ne sont pas forcément synonymes et font
Depuis le XIXe siècle, les enfants à « hautes potentialités », dits appel à des connotations et des conceptions théoriques diffé-
« surdoués », ont intéressé différents auteurs comme Lom- rentes. En effet, « précoce », qui en outre impose une datation
broso [1] sur le plan des rapports du génie et de la folie et développementale dès le début de la vie, réserve cette notion à
Galton [2] sur le plan de la psychologie différentielle. l’enfant en excluant la prise en compte chez l’adulte. Quant aux
Dès 1909, Alfred Binet, inventeur de la notion d’âge mental, termes « haut potentiel », ou « haut potentiel intellectuel » et
avait remarqué des écoliers « trop intelligents » qui ne profi- « intellectuellement précoce », ils ne mettent en valeur que le
taient pas de l’enseignement. secteur intellectuel au détriment des autres fonctions corporel-
Ainsi au XXe siècle, différents psychiatres et psychologues se les, praxiques et affectives. L’appellation « surdoué » donne
sont intéressés particulièrement à ces enfants surdoués, notam- l’image de celui qui a réponse à tout, de « surhomme » ou de
ment Lewis Madison Terman [3] qui a mené une étude longitu- « superman » auquel on ne laisse aucune chance d’avoir droit à
dinale sur 35 ans, débutée en 1922. Il étudia 1528 sujets l’erreur ou de ne pas réussir, et encore moins être porteur de
(671 filles et 857 garçons) dont le quotient intellectuel (QI) difficultés d’apprentissage. Ce terme « surdoué » peut référer
moyen de l’échantillon était de 150 (QI de 135 à 200) avec un aussi à une certaine idéologie assez dangereuse et susciter des
âge moyen de 11 ans au début de l’étude. Il a pu identifier des polémiques ou des passions. C’est pourquoi, nous préférons

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-200-A-17 ¶ Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués)

employer le terme d’enfants à « hautes potentialités ». En effet, (un ou deux par classe). Au-delà de 145 (0,13 % de la popula-
l’enfant étant doté d’aptitudes naturelles, elles ne sont pas liées tion avec environ 1 enfant sur 1000), il s’agit véritablement de
à l’apprentissage ou à l’éducation et elles différencient nette- sujets d’exception, trop rares pour constituer un « groupe »
ment l’enfant à « hautes potentialités », sur un plan quantitatif susceptible d’une description statistique ou de modalités de
et qualitatif de la moyenne des enfants du même âge. Ainsi, les scolarisation communes. Le seuil de 130 (ce qui représenterait
potentialités renvoient à une diversité de dispositions en autour de 2,28 % de la population, soit 1 enfant repéré sur 40)
puissance, susceptibles de recevoir dans certaines conditions est le repère le plus communément admis pour considérer
d’exercices et de motivations, les impulsions nécessaires à leurs qu’un enfant est surdoué. Sur cette base, toujours selon le
développements [4, 5]. rapport Delaubier [11], on peut estimer l’effectif concerné à
environ 200 000 élèves entre 6 et 16 ans, période de la scolarité
obligatoire.
■ Identification des enfants Cependant, la mesure de l’intelligence ne peut à elle seule
servir pleinement à prédire une réussite sociale ou intellectuelle
à « hautes potentialités » ultérieure, ou l’élaboration d’une œuvre créatrice [12].

Quotient intellectuel Intelligences


Si diverses approches sont utilisées pour repérer des indices de Sternberg [13, 14] propose une théorie triangulaire de l’intelli-
précocité intellectuelle (observations des parents sur le dévelop- gence de l’enfant « surdoué » définie par trois aspects de
pement et le comportement de leur enfant, performances l’intelligence : l’intelligence analytique (mesurée par le QI),
scolaires, constat des enseignants...), le seul outil communément l’intelligence pratique (capter des règles implicites par rapport à
admis pour délimiter ce groupe d’enfants est le quotient une situation) et l’intelligence créative (réaliser des productions
intellectuel (QI) déterminé à partir de batteries de tests tels que originales).
le WPPSI (Wechsler Preschool and Primary School Scale Intelli- Ainsi, la limitation du terme « surdoué » aux enfants qui
gence) ou le WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children). obtiennent une notation déterminée par le QI apparaît très
Aucun autre critère objectif n’est utilisé de manière suffisam- arbitraire et réductrice.
ment large pour servir de référence. Un enfant est donc consi- En complément de l’utilisation d’une batterie de tests d’intel-
déré comme appartenant à la population « surdouée », si son ligence de Wechsler, des tests plus ciblés de facteur « g » [15, 16]
quotient intellectuel a été reconnu exceptionnellement élevé à sont utilisés afin d’éliminer le registre culturel, tel que le test des
l’issue d’une évaluation rigoureuse conduite par un psychologue matrices progressives de Raven, le test des dominos d’Antsey.
clinicien. Certaines définitions sur la précocité intellectuelle, comme
Les premiers tests d’intelligence ont été mis au point en celles du rapport Marland [17] aux États-Unis, mettent en
1905 par deux psychologues français, Binet et Simon, avec la évidence les aptitudes reflétant des traits qui peuvent être isolés
création de la première « échelle métrique de l’intelligence ». ou associés, telles que l’aptitude intellectuelle générale, l’apti-
Cette échelle fut adaptée en 1916 par Terman, psychologue tude à commander, l’aptitude psychomotrice, etc. D’après ce
californien à qui l’on doit, dès 1922, la plus grande étude rapport, les enfants doués et talentueux sont ceux qui sont
longitudinale sur les enfants surdoués. En 1911 Stern [6] , reconnus par des personnes professionnellement qualifiées, et,
psychologue allemand, introduit la notion de QI qui est le en vertu d’aptitudes hors pair, capables de grandes
rapport d’un âge mental sur un âge chronologique multiplié par performances.
100. Or, pour l’enfant se pose le problème d’âge mental ; c’est Alors que les tests classiques, comme le Wechsler (exemple du
ainsi qu’en 1930, Wechsler, un psychologue américain, a eu Wisc III) ne mesurent que trois types d’intelligence : langagière,
recours à une méthode et une normalisation statistique permet- spatiale, logicomathématique, Gardner [18] dans sa théorie des
tant de classer les résultats d’un individu non pas en âge mental intelligences multiples a décrit sept types d’intelligences
mais à un rang donné par rapport aux résultats de la population indépendantes les unes des autres : langagière, logicomathéma-
générale du même âge ; il a créé ainsi le QI standard (moyenne tique, visuospatiale, musicale, somatokinesthésique, interindivi-
= 100 ; écart-type = 15) pour différents tests WPPSI, WISC, WAIS duelle, introspective. Cependant, cette approche modulaire
(Wechsler Intelligence Scale for Adults). découle d’études portant sur des patients cérébrolésés. De plus,
Ces échelles [7-9] ont été récemment réactualisées en France il a élaboré de façon non quantifiable le concept de quotient
avec le WPPSI-III (2 ans 6 mois à 7 ans 3 mois) en 2004, le émotionnel (QE). Le QE représente la prise en compte de la vie
WISC-IV (6 ans à 16 ans 11 mois) en 2005 et la WAIS-III (16 ans émotionnelle et affective de l’individu à travers des tests
à 99 ans) en 2000. Le classement par le « QI » constitue, en spécifiques.
France, la seule échelle acceptée par l’ensemble des partenaires Bien que la méthodologie employée par Gardner soit criti-
(médicaux, paramédicaux, psychologues, enseignants) ; les avis quable, sa démarche est assez récente et encourage à ne pas
sont plus partagés pour fixer le seuil au-delà duquel il sera isoler le seul QI mais à le confronter à la mesure d’autres tests
possible de parler de « précocité » ou de « surdoué » : le niveau abordant la sphère psychoaffective. Ainsi, des investigations
pris en compte pour établir ce seuil varie, selon les points de complémentaires systématiques devraient inclure des tests de
vue, de 120 à 140, voire au-delà. Il est, par exemple, fixé à personnalité, et, en fonction des difficultés à certains subtests,
135 par Terman (International Encyclopaedia of Education, p. des évaluations neuropsychologiques plus fines [19]. En effet, des
2492), à 120 dans certains états américains (cf. Encyclopaedia déficits de certaines fonctions peuvent entraîner l’individu à
Britannica), ou encore à 125 par le psychologue Jean-Charles surinvestir les fonctions indemnes par surcompensation, voire
Terrassier (1991/1999), fondateur de l’ANPEIP (Association par surstimulation.
nationale pour les enfants intellectuellement précoces). Selon Une autre dimension apparaît dans la littérature scientifique
Ajuriaguerra [10] , on appelle enfant « surdoué », celui qui consacrée à la précocité et au talent, c’est la créativité [20] avec
possède des aptitudes supérieures qui dépassent nettement la quelques tests qui existent [21, 22]. Cette créativité peut être
moyenne des capacités des enfants de son âge ; est « surdoué » définie comme la capacité de réaliser des productions originales
celui qui obtient un quotient intellectuel supérieur à 140 et adaptées aux contraintes d’une situation, d’une tâche ou d’un
(notions quantitatives) et qui présente des traits de personnalité problème [23].
exceptionnels du point de vue qualitatif (talent créateur dans
un ou plusieurs domaines). Il est évident que selon le niveau Variabilité intra-individuelle et évaluations
considéré, la population de référence n’est pas du tout la même.
Selon le rapport récent de Delaubier [11], à la demande du
complémentaires
Ministère de l’éducation nationale française, si l’on adopte le Outre les tests d’intelligence et de performance couramment
seuil de 120, on prend en compte un grand nombre d’élèves utilisés pour identifier les enfants à « hautes potentialités »,

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués) ¶ 37-200-A-17

l’entretien et des questionnaires sont souvent utilisés mais n’ont depuis l’ovulation. Pendant la période de gestation sont déjà
fait l’objet que d’une validation empirique en France [24], alors mis en œuvre des séquences de mouvements neuromoteurs et
qu’il existe aux États-Unis des échelles standardisées dont sensitivosensoriels tout à fait opérationnels. Ceux-ci permettent
notamment une des plus connues est la SRBCS (Scale for Rating chez le nouveau-né et le nourrisson la mise en place de boucles
the Behavioural Characteristics of Superior Students) [25]. ou de schémas sensorimoteurs plus finalisés qui s’intégreront
Il a été souvent observé dans les recherches intra-individuelles progressivement en fonction de l’évolution de la myélinisation
sur les enfants à « hautes potentialités » à partir des scores des voies motrices, la motricité se développant en interdépen-
obtenus aux échelles de Wechsler, des différences entre le dance avec l’affectivité en interaction avec l’environnement.
quotient intellectuel verbal (QIV) et le quotient intellectuel L’intégration sensorimotrice se construit ainsi dès le début de la
performance (QIP) (12 points), sans pour autant que l’écart soit vie in utero et de façon graduelle et exponentielle, à tous les
significatif [26] avec une variabilité interindividuelle qui est niveaux des fonctions cérébrales, en réseaux neuronaux,
retrouvée à travers différentes études où le QIV peut être constituant un enrichissement et aussi une réorganisation du
significativement supérieur au QIP [27] ou inversement [28]. Vai- répertoire des compétences de l’humain [5, 45, 46].
vre-Douret [4, 5] s’interroge sur l’hétérogénéité entre QIV et QIP, La notion de plasticité fonctionnelle cérébrale prend dès le
qui selon elle, ne doit pas être considéré comme une caractéris- début de la vie toute son importance : il existe une plasticité
tique propre à ces enfants. En effet, cette différence significative fonctionnelle individuelle, garante de capacités d’adaptation et
en faveur du QIV est d’autant plus marquée par les hautes de régulation, rendant unique chaque individu. À cet égard,
performances verbales (vite saturées) de ces enfants lorsqu’ils s’ouvrirait pour l’enfant à « hautes potentialités » tout un
sont plus en difficulté sur les épreuves de performance. Chez un champ de potentialités qui pourrait s’avérer directement lié à
enfant moyen, la différence est moins marquée entre QIV et l’organisation de ces réseaux neuronaux et à la vitesse de
QIP en cas de difficulté à l’échelle de performance car le QIV conduction.
n’atteint pas une note aussi élevée que celle des enfants à
« hautes potentialités ». Ainsi, il existe des différences de biais Données développementales
méthodologiques entre les études qui recrutent leurs popula-
tions d’enfants à « hautes potentialités » essentiellement dans Les données développementales psychomotrices restent très
des cabinets de psychologues [27, 29] et non dans une population rares car les enfants à « hautes potentialités » sont souvent
générale. Il y a dans ce dernier cas, moins de risque de trouver dépistés vers la fin de leur scolarité primaire par la mesure du
quantitativement des enfants en difficulté et donc de signifier QI (quotient intellectuel). Nos recherches récentes longitudina-
de grandes différences entre QIV et QIP. les rétrospectives apportent des données néonatales concernant
Seules des évaluations complémentaires neuropsychologiques le développement psychomoteur du jeune enfant à « hautes
encore trop rares permettront de comprendre cette différence potentialités » [4, 5, 47]. Il résulte de ces données qu’il existe un
qui affecte certains subtests. À travers la littérature, il apparaît développement maturatif propre aux enfants à « hautes poten-
donc que les critères diagnostiques retenus pour l’identification tialités » qui ne présentent dès la naissance aucun souci de santé
ne sont pas consensuels avec un seuil de QI qui peut être ni de pathologie avérée. En effet, leur maturation spécifique
variable. De plus, hormis la mesure du QI, il existe une grande neuromotrice et neurosensorielle et du tonus actif, permet des
variabilité dans l’utilisation des évaluations complémentaires. Il émergences précoces des acquisitions posturolocomotrices et de
est aussi important de prendre en compte « l’effet Flynn » [30, 31] la coordination visuomanuelle, celles du langage et des proces-
qui affecte aussi des enfants à « hautes potentialités », « l’effet sus cognitifs, ce qui ne préjuge d’ailleurs aucunement du
Flynn » étant une augmentation régulière annuelle d’un tiers de devenir de ces fonctions à l’âge scolaire. Une des plus anciennes
point de QI séparant la date de construction de l’étalonnage de études longitudinales [3] a mis en évidence un pourcentage
la date de l’examen. supérieur de garçons, une fréquence élevée d’aînés, un milieu
Si d’après la littérature scientifique différents facteurs inter- socioculturel supérieur des familles, un poids corporel moyen
viennent dans l’émergence du « haut potentiel » ou du très nettement supérieur à la moyenne, un allaitement au sein
« talent », il est mis en évidence que la performance est sensible plus fréquent que dans les familles d’enfants à niveau moyen,
aux caractéristiques du milieu socioéconomique [32-35], notam- un développement psychomoteur avancé (dont l’acquisition de
ment au contexte environnemental apporté par le soutien des la marche qui est de 1 mois à l’avance par rapport à la
parents [36, 37]. Ces enfants sont plus rarement repérés dans les moyenne, apprentissage du langage qui est de 3 mois et demi
milieux défavorisés [4]. Selon les différentes études, les autres en avance par rapport à la moyenne et apprentissage précoce de
facteurs sont liés à des variables à la fois cognitives, conatives la lecture).
ainsi qu’à des aspects de la créativité [38-44]. Les données d’autres études récentes découlant d’enquêtes
rétrospectives retrouvent, pour certaines d’entre elles, l’avance
de l’acquisition de la marche et du langage [48, 49], alors que
■ Aspects développementaux dans l’étude de Louis et al. [29], il n’existerait pas de différence
significative entre un échantillon d’enfants précoces et une
population témoin. Cependant, il semble exister des biais
Avant-propos méthodologiques de recueil des données dans cette étude [29].
Nos propres données longitudinales [5] mettent en évidence
Dès la naissance, une activité biologique et maturative existe un rythme spécifique des acquisitions développementales de ces
de façon continue. Dans le milieu intra-utérin, la vitesse de enfants à « hautes potentialités ». Nous relevons, dès la nais-
maturation physiologique des systèmes nerveux et neuromus- sance, une possibilité d’éveil calme durable (supérieur à
culaires peut se modifier sous l’influence de l’environnement, 8 minutes) comparée à une durée moyenne d’enfants nouveau-
du milieu interne et externe, des facteurs génétiques et environ- nés tout-venant qui est autour de 4 à 5 minutes [50]. La réponse
nementaux extracellulaires pouvant interagir. Ces processus se à la fixation du regard est rapide et la poursuite oculaire est
prolongent à partir de la naissance, en fonction de l’expérience performante sur 90 degrés de chaque côté s’apparentant déjà à
propre qui s’exerce à l’intérieur d’un environnement donné, des une poursuite continue entraînant à la fois les yeux et la tête.
contraintes du milieu, ainsi que des attitudes éducatives de Cette mobilité d’exploration très active par le regard confère à
l’entourage [4]. ces nouveau-nés « un état d’alerte » qui s’associe à une certaine
Dès la naissance, les systèmes sensoriels et moteurs sont sensibilité de toutes les perceptions sensorielles dans leur
fonctionnels à différents degrés, avec un certain ordre de mise environnement (auditif, visuel, olfactif, etc.). Lorsque le regard
en jeu (sensibilités cutanée, vestibulaire, gustative, olfactive, est recherché par l’observateur, il existe une sorte d’aimantation
auditive, visuelle) avant même que la maturation du système du regard particulièrement soutenue, qui semble suggérer de
nerveux ne soit terminée. De même, l’origine des comporte- hautes capacités d’éveil et de focalisation attentionnelle
ments moteurs du nouveau-né s’inscrit dans une continuité (sollicitant la substance réticulée).

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-200-A-17 ¶ Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués)

Tableau 1.
Comparaison entre les items observés du développement moteur d’un échantillon d’enfants à « hautes potentialités » suivis en longitudinal (N = 60) et les
normes développementales françaises sur les deux premières années de vie [51].
Items observés Échantillon n = 60. En moyenne Normes Dev-Mot (ECPA 1997). Moyenne Normes Brunet-Lézine révisé
d’âge et écart-type* (mois, semaines) d’âge et écart-type (mois, jours) (EAP, 1997). Réussite à 50-
90 % (mois)
Tient sa tête dans l’axe 1 m ± 1 sem 2m4j±1m1j 3m
Préhension volontaire 3 m ± 1 sem 4 m 10 j ± 1 m 2 j 4m
Retournements 4 m ± 4 sem 6 m 10 j ± 1 m 9 j 8m
Station assise sans soutien 6 m ± 3 sem 8m6j±1m2j 10 m
Se met assis seul 7 m ± 3 sem 8 m 24 j ± 1 m 6 j 10 m
Se hisse debout avec appui 8 m ± 4 sem 10 m 18 j ± 1 m 18 j 10 m
Quatre pattes 8 m ± 3 sem 10 m 12 j ± 1 m 3 j 9 m (rampé ou 4 pattes)
Saisit la perle entre le pouce 8 m ± 2 sem 9 m 10 j ± 1 m 6 j 9m
et l’index
Marche autonome 12 m ± 4 sem 14 m 20 j ± 2 m 6 j 14 m
Commence à manger seul 12 m ± 2 sem 18 m 14 j ± 1 m 2 j 17 m
à la cuillère
Monte et 15 m ± 2 sem 17 m 4 j ± 1 m 10 j –
Descend un escalier avec aide 16 m ± 3 sem 19 m 1 j ± 1 m 2 j –
sans changer de pied
Tour d’au moins 8 cubes 23 m ± 4 sem 29 m 1 j ± 1 m 2 j 30 m
Monte seul sans support 24 m ± 1 sem 34 m 1 j ± 2 m 1 j –
en changeant de pied
Met ses chaussons seul 24 m ± 3 sem 30 m 8 j ± 1 m 5 j 30 m
Fait du tricycle ou du vélo 24 m ± 3 sem 36 m 3 j ± 1 m 1 j –
(avec stabilisateurs)
*Items significatifs (t de Student, ddl = 118), p < .001, comparé aux normes Dev-Mot.

Développement neuro-posturo-locomoteur par le contexte et les pratiques culturelles de soins et d’appren-


tissages moteurs spécifiques en fonction des normes culturelles
Les réponses posturales néonatales obtenues [5] montrent une attendues [53-58].
maturité neuromotrice affirmée sur le plan de la synergie entre
muscles extenseurs (sous contrôle sous-cortical) et fléchisseurs
Développement cognitif
(sous contrôle cortical) du tonus de l’axe, permettant d’emblée
à l’enfant de tenir sa tête au moins 2 secondes dans l’axe à la Avant 4 ans
naissance et très rapidement par la suite autour du premier
mois. Cette maturation notable des voies de la motricité Sur le plan cognitif [5], la précocité du langage est notable
volontaire en cours de myélinisation est attestée par d’autres (Tableau 2) avec un babillage en moyenne vers 4 mois et
indicateurs néonatals au cours des premiers mois de vie, comme l’imitation de bruits d’animaux autour de 22 mois soulignant
le relâchement des membres supérieurs selon la loi de dévelop- des capacités praxiques buccales. La première phrase apparaît
pement proximodistal, une réponse active aux premières autour de 18 mois (association de deux mots). Ils éprouvent
sollicitations de retournement (coordination des membres), la visiblement une jouissance à préciser des mots par des séries de
disparition précoce des réflexes archaïques (réflexes de Moro, synonymes, ou des contraires, ou à créer plus tard des formes
marche automatique autour de 1 mois) et du réflexe de Babinski transitoires de néologismes, par exemple, par analogie ou par
(autour de 12 mois). Cette avance de maturation neuromotrice jeu à l’intérieur d’un concept. La maîtrise du langage s’exprime
axiale céphalocaudale et de la maturation proximodistale par une aisance d’utilisation des mots tout à fait ajustée donc
continue au cours des premières années de vie de l’enfant, lui recherchée, impliquant l’acquisition des notions de structura-
permettant rapidement d’acquérir des niveaux de coordination tion spatiale (dedans/dehors, dessus/dessous, etc.) et des notions
qui lui donneront une certaine autonomie de mouvements. De de structuration temporelle (vite/doucement, hier/demain, etc.)
façon générale, sur le plan posturolocomoteur, nous notons une amenant précisément à utiliser à bon escient les adverbes, la
avance d’au moins 1 à 2 mois, ou d’un à deux écarts-types conjugaison des temps (entre passé, futur, présent). Par la suite,
au-dessus de la moyenne (Tableau 1), résultats que nous
ces mêmes enfants accèdent à la curiosité et au désir d’identifier
retrouvons dans une enquête nationale récente sur plus de
des lettres précocement dans leur environnement. Ils les
700 enfants à « hautes potentialités » [47]. Cependant, il peut
reconnaissent à l’écrit sur des affiches, journaux... Ils sont
exister une variabilité autour de la moyenne qui n’exclut pas
des cas particuliers de déviations du développement liées à des d’emblée intéressés par le sens du mot et l’envie de reproduire
anomalies sensorielles ou motrices associées [4]. des lettres pour déjà produire vers 34 mois, des simulacres
L’interprétation de ces avances de maturation motrice chez d’écriture élaborés spontanément sans pour autant connaître les
ces enfants nécessite de prendre en compte à la fois la motiva- lettres [5].
tion propre de l’enfant, son désir de se mouvoir, de se déplacer, La latéralité est précocement mise en place en moyenne
d’acquérir une autonomie ou un pouvoir sur l’environnement autour de 30 à 46 mois avec une prédominance tonique et
et l’environnement de l’enfant qui peut encourager, inciter ou fonctionnelle de l’hémicorps droit. Il semble y avoir un lien
au contraire mettre des contraintes [19]. étroit entre prédominance hémisphérique gauche de cette mise
Cette avance développementale neuro-posturo-locomotrice en place de la latéralité à droite et la précocité du langage.
est à distinguer de l’avance sensorimotrice [52] des enfants Les résultats concernant des épreuves cognitives telles que le
africains, celle-ci concernant seulement quelques items valorisés Casati-Lézine [59] montrent que les enfants atteignent les stades

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués) ¶ 37-200-A-17

Tableau 2. objet et épuisant leur entourage, d’autant plus qu’ils se désinté-


Moyennes d’âge obtenues sur le développement du langage oral et écrit ressent des activités routinières, recherchant plutôt les jeux
dans un échantillon d’enfants à « hautes potentialités », au cours des trois compliqués et plus tard les défis intellectuels, « aimant se
premières années de vie comparées aux normes existantes du Brunet- prendre la tête ». Toujours prêts à expérimenter et à innover, ils
Lézine [51]. ont des facilités pour la créativité dans les jeux de construction
Moyennes d’âge obtenues Référence notamment. Ils s’intéressent aussi dès 2 ans aux sciences de la
aux divers items observés Brunet-Lézine vie, de la terre, à l’astronomie, aux questions de métaphysique
(vie et mort) et portent de plus un grand intérêt aux livres.
EAP 1951 Révisé 1997
Babillage (consonne) : moyenne 4 mois ± 7 mois 8 mois Après 4 ans
3 semaines
Premiers mots (au moins trois) : moyenne 12 mois 10-17 mois Si les étapes de l’intelligence sensorimotrice semblent suivre
9 mois ± 1 semaine un développement rapide, l’accès aux épreuves opératoires et
Répétition de mots de façon exponentielle 18 mois 17 mois formelles de type piagétiennes (de conservation, de classifica-
à partir de 12 mois ± 4 semaines tion, de sériation et de représentation spatiale) demanderait un
Première phrase (association 2 mots) : 21 mois 20 mois rythme de développement plus proche de l’âge chronologique
moyenne 18 mois ± 2 semaines que de l’âge mental des enfants à « hautes potentialités »,
Imitation de bruits d’animaux : moyenne – – d’après des recherches menées autour des années 1980 [61-69].
22 mois ± 2 semaines Ainsi, il apparaît que le rythme d’acquisition de différentes
Vocabulaire précis. Pas de langage bébé. – – étapes nécessaires à l’acquisition d’un stade peut être accéléré
Langage mature, aisé avec bonne utilisation pour les enfants à « hautes potentialités » par des capacités
des temps des verbes : moyenne 22 mois ± d’apprentissage et par une réorganisation structurale, sans pour
2 semaines autant que l’accès au stade suivant soit chronologiquement
Identification précoce spontanée des lettres – – accéléré. Les néopiagétiens [70-73] évoquent d’autres processus
et chiffres dans l’environnement : moyenne mentaux au niveau du contrôle de l’activité cognitive. Ceci
24 mois ± 4 semaines apparaît évident lorsqu’il faut prendre en compte des critères
Jouissance à préciser des synonymes ou des – – perceptifs non familiers nécessitant des processus d’élaboration
contraires : moyenne 28 mois ± 4 semaines des rapports à l’espace en partant de l’expérience vécue. Selon
Utilisation du « je » : moyenne 30 mois ± 30 mois 30 mois Lautrey [74], il peut exister une variabilité interindividuelle dans
2 semaines les processus cognitifs utilisés au cours d’une tâche piagétienne,
Simulacres d’écriture : moyenne 34 mois ± – – variabilité qui semblerait liée à l’environnement culturel
2 semaines socioéconomique et éducatif.
(–) aucune donnée des auteurs. Ceci nous amène à nous interroger sur cette possible discon-
tinuité entre des stades sensorimoteurs acquis assez rapidement
pour ces enfants et la nécessité d’atteindre un âge chronologi-
que pour accéder à un niveau opératoire. C’est autour de
maximum de l’intelligence sensorimotrice (0-24 mois) précoce- 5-6 ans que semble se jouer cette hétérogénéité qui peut être
ment, avec au moins 2 mois d’avance en moyenne. De même, liée à des surinvestissements de type intellectuel, au détriment
les activités visuospatiales perceptives (loto d’images, encastre- de sollicitations corporelles ou d’activités manuelles dans
ment...) sont très performantes chez ces enfants. l’environnement physique notamment ; ceci étant renforcé par
Au niveau des fonctions exécutives, il existe aussi une avance le fait que l’enfant se trouve à un âge scolaire où le milieu
de 1 à 2 années d’âge en moyenne sur les capacités de
familial peut être plus préoccupé par des investissements
planification [60].
intellectuels (lecture...).
Il est frappant que, sur le plan perceptif et cognitif, toutes les
De plus, d’après nos données développementales [4, 5], nous
sensorialités et perceptions (épidermiques, tactiles, gustatives,
constatons, en bas âge, une synchronie relative des fonctions du
olfactives, auditives et visuelles) apparaissent à fleur de peau, et
développement psychomoteur et psychologique (motricité,
iraient dans le sens de mécanismes endogènes très développés
langage, socioaffectif, cognitif). C’est sur cette base que nous
et d’une réceptivité importante, alimentant la réactivité sensi-
mettons en question la notion de « dyssynchronie » de dévelop-
tive, émotionnelle et affective, ainsi qu’un sens de l’intuition
pement [24, 75] en tant que fait de développement chez l’enfant
fonctionnant comme sixième sens.
surdoué (dyssynchronie/intelligence/psychomotricité/affectivité/
Du point de vue de leur fonctionnement cognitif, on peut
remarquer de hautes capacités de traitement de l’information sociabilité). En effet, si une dyssynchronie peut être décrite, elle
(détection, discrimination perceptive, stockage et rappel). Les n’apparaîtrait que plus tardivement à l’âge scolaire alors qu’anté-
processus analytiques sont puissants (comparaisons et mises en rieurement le développement psychomoteur a été constaté sans
relation de traits, configurations mentales). Ces capacités retard. Elle révélerait alors plutôt une dégradation ou une
entraînent une facilité et une rapidité de compréhension qui détérioration des fonctions non exercées et non reconnues
facilitent la mémoire de travail, la mémoire immédiate étant (socialement par la famille ou/et par l’école ou/et par les pairs) ou
importante et utilisée au quotidien dans ce qu’ils observent bien elle serait le résultat d’une focalisation du fonctionnement
(marques de voitures...). Tout cela leur confère une « mémoire sur un seul domaine hyperinvesti comme le domaine cognitif, au
d’éléphant » et un « œil de lynx » [4]. détriment du domaine moteur et corporel. Des périodes criti-
De notre point de vue, ces enfants recherchent très tôt des ques [76] ou bien fertiles aux désirs d’apprentissage peuvent alors
stratégies pour comprendre les situations, sorte d’autoémulation plus ou moins être masquées. Ainsi les fonctions non utilisées
fonctionnant à l’intérieur de leur processus de traitement de risquent de se développer insuffisamment sur le plan neuro-
l’information et nécessaire à leur investissement personnel qui physio-psycho-social et induire des dysfonctionnements avec
lui-même permet ou facilite la réalisation du fonctionnement d’éventuels retentissements sur l’efficience intellectuelle et sur le
orienté vers un but. C’est ainsi, qu’en bas âge, au cours de leur comportement social et émotionnel de l’enfant. D’après nos
développement psychomoteur, ils passent par les acquisitions études sur les enfants à « hautes potentialités », lorsque le QI de
transitoires de niveau de coordination en découvrant par eux- performance (subtests en rapport avec schéma corporel, percep-
mêmes les stratégies pour y arriver, sans même que l’entourage tion et structuration de l’espace, motricité fine, latéralisation) ne
ne s’en aperçoive, et accédant très rapidement au redressement montre pas de différence significative avec le quotient verbal, ces
et à la marche. enfants montrent de meilleures capacités d’adaptation scolaire et
Ils peuvent alors très tôt apparaître comme des touche-à- sociale. L’homogénéité du quotient de performance avec le verbal
tout, avides, curieux, allant par exemple jusqu’à démonter tout apparaîtrait comme un indicateur de « facteur protecteur ».

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-200-A-17 ¶ Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués)

Développement psychoaffectif et comportement Certains enfants s’installent dans une sorte de renoncement ou
d’inhibition au jeu (activité ludique) développant chez eux une
Chez les enfants à « hautes potentialités », les premières culpabilité entraînant des angoisses insurmontables. C’est ainsi
étapes du développement psychoaffectif, si nous nous référons que l’enfant peut organiser sa propre névrose pour se défendre,
aux principaux repères freudiens, vont se succéder rapidement ce que nous retracent les épreuves projectives (Rorschach).
avec une certaine avance en fonction des réponses et attitudes Lebovici et Braunschweig [80] mentionnant l’accumulation d’un
du milieu [4, 77]. Il existe une prise de conscience précoce de la savoir encyclopédique stérile chez certains de ces enfants,
différence des sexes et de la différence des générations autour de étaient surpris de trouver chez eux des mécanismes obsession-
30 mois. Si l’enfant se trouve seul, face à ses questionnements, nels déjà très structurés et sans angoisse réelle. L’étude de Revol
il risque d’être envahi au niveau de sa pensée par un désarroi et al. [81] met en évidence des troubles anxieux importants dans
allant jusqu’à l’anxiété, qui peut engendrer un aspect dépressif une population d’enfants intellectuellement précoces, consul-
ou un déni de ses propres sentiments. Du fait de leur fonction- tant en pédopsychiatrie, en observant des phobies et jusqu’à des
nement cognitif, ces enfants dès l’âge de 3 ans ont un sens troubles obsessionnels et compulsifs (TOC).
critique et autocritique pertinent pouvant même gêner ou les
faire passer pour impertinents. De plus, ils ont un sens de
l’humour, significatif d’un plaisir intellectuel. Ils développent Troubles d’apprentissage
aussi une certaine générosité envers l’autre, fondée sur l’empa-
Les capacités cognitives peuvent aussi masquer des troubles
thie et sur leur désir d’être acceptés en faisant partager [4, 5].
d’apprentissage d’origine neuropsychologique ou psychopatho-
Sur le plan du sommeil, nous n’avons pas relevé de troubles
logique [4, 5, 45], les garçons étant plus touchés que les filles,
significatifs d’altérations du cycle éveil-sommeil. Cependant,
rendant cependant plus vulnérable leur précocité mais avec un
lorsqu’il y a un lien avec des troubles d’apprentissage d’origine
atout considérable qui concernerait leur plasticité cérébrale avec
attentionnelle ou de type psychoaffectif d’anxiété, nous avons
des capacités de traitement de l’information leur permettant
noté chez ces enfants des difficultés d’endormissement, de réveil
d’utiliser des moyens de compensation ou des stratégies de
nocturne, etc. Dans une enquête nationale [47] que nous avons
récupération de façon efficace.
en cours de traitement, nous mettons de façon très significative
Il n’a d’ailleurs pas été démontré de prévalence de troubles
en évidence un lien statistique entre troubles de l’attention et
neuropsychologiques ou psychopathologiques chez les enfants
troubles du sommeil. Des auteurs [78] ont relevé des troubles du
à « hautes potentialités » [82, 83]. Mais toute la difficulté est
sommeil dans un échantillon d’enfants précoces pouvant être
d’évaluer les limites du normal et du pathologique, étant donné
mis en relation avec des troubles scolaires d’après leurs données.
les hautes capacités de fonctionnement cognitif (traitement)
Il est important de souligner que ces enfants à « hautes
avec les stratégies mises en œuvre qui peuvent masquer la
potentialités » ont un imaginaire grandiose qui peut devenir
réalité des troubles existants.
vite source d’angoisse s’ils ne sont pas rassurés par l’entourage
et si des limites ne sont pas posées.
Si le milieu familial et/ou scolaire, ou bien une personne
extérieure n’est pas réceptive aux attentes personnelles de ■ Fonctionnement de l’enfant
l’enfant, qui peuvent être tout à fait en décalage avec les
demandes « standards », ce dernier manifeste son mal-être ou
à « hautes potentialités »
ses angoisses par des troubles du comportement ou des troubles et aspects neurocognitifs
psychosomatiques ainsi qu’un désintérêt pour l’apprentissage
allant parfois jusqu’à l’inhibition intellectuelle et la perte du Nous nous appuyons sur un certain nombre de travaux
goût de l’effort. Tout cela induit une souffrance psychique neurophysiologiques, neuropsychologiques et anatomiques qui
d’ordre psychoaffective suscitée par l’impossibilité de se réaliser nous permettent de mieux comprendre le fonctionnement
et de produire. Si le milieu ne retient que l’avance de l’enfant neurocognitif des enfants à « hautes potentialités ».
sur le plan intellectuel, dans une sorte de sublimation, l’entraî- La vitesse de conduction de l’influx nerveux a été étudiée à
nant en ce sens et l’alimentant exclusivement sur ce plan, l’aide de potentiels évoqués auditifs et il a été mis en évidence
l’enfant devient d’autant plus « boulimique » que ses capacités une transmission plus rapide pour les enfants précoces compa-
peuvent répondre à cette stimulation qui intervient alors avec rés à des témoins [84].
un plaisir de fonctionnement, lui-même renforcé par la fascina- D’après des travaux, le taux et la durée de sommeil paradoxal
tion ainsi que par l’image positive du plaisir éprouvé par seraient plus élevés chez les enfants à « hautes potentialités »
l’entourage. Ceci au détriment de préserver ses capacités que chez des témoins [85, 86]. De plus, il a été démontré une
psychomotrices et ses capacités de réalisations créatives, ce qui fréquence plus élevée d’activités oculomotrices pendant le
l’amène à s’isoler dans sa bulle intellectuelle, laissant la place sommeil paradoxal [87, 88]. L’ensemble de ces données sur le
royale à son imaginaire en toute-puissance dans une sorte de sommeil paradoxal souligne une grande plasticité cérébrale et
dysharmonie cognitive, terme utilisé par Gibello [79]. une facilitation de la mémoire. Par ailleurs, une grande capacité
L’ensemble des données avancées d’un point de vue dévelop- de mémoire de travail a été mise en évidence à travers les
pemental souligne l’intérêt de mener une guidance prophylac- études [89-92].
tique du développement des enfants à « hautes potentialités » Un lien a été démontré entre le quotient intellectuel et le
sur un plan psychomoteur et psychologique. En effet, la facteur « g » de l’intelligence [93-97]. Cependant, plusieurs études
guidance précoce peut éviter un repli narcissique, des déviations sur la vitesse des opérations mentales, en lien avec l’intelligence,
de comportement, voire de la personnalité (troubles des suggèrent que la performance liée à une tâche de temps de
conduites) ou des décompensations ultérieures, notamment à réaction met en jeu des capacités cognitives, telles que les
l’adolescence, avec un mode agressif vers la délinquance ou capacités attentionnelles [56, 98, 99] et la mémoire de travail [90-
dépressif avec une attitude suicidaire [5, 45]. 92]. L’utilisation optimale de ces capacités permet de meilleures

L’enfant porte un moi idéalisé à partir des images parentales, performances en ce qui concerne le raisonnement [100, 101]. Des
mais l’enfant à « hautes potentialités », très empathique, peut études sur l’activité cérébrale à l’aide de l’électro-
être poussé à hypertrophier son « idéal du moi » pour ne pas encéphalogramme suggèrent une maturation physiologique plus
décevoir son entourage, et à sublimer dans l’intellectualisation. avancée [102] avec un rythme alpha moins élevé [103, 104].
Cette sublimation devient un mécanisme de défense contre Un certain nombre d’études en neuropsychologie appuyées
l’angoisse de l’échec, face à une négligence parentale consciente d’études en imagerie cérébrale permettent de mieux comprendre
ou inconsciente. Ainsi, l’enfant va renoncer à ses pulsions la spécificité du fonctionnement cognitif de ces enfants à
émotionnelles (colère, angoisse) et à ses plaisirs et ses fantasmes « hautes potentialités » : les réponses aux tâches d’habituation
en une sorte de sacrifice. Il se réfugie dans l’échec ou dans sont plus rapides [105, 106]. De plus, ils présentent des capacités
l’ennui, le conduisant éventuellement vers la dépression. attentionnelles spécifiques [56, 98, 99] avec des compétences pour

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués) ¶ 37-200-A-17

inhiber l’information inadéquate afin d’éviter une perturbation et au niveau de la synapse, et par la myéline qui entoure les
par des distracteurs perceptifs [107-109]. Il en résulte dans un axones, favorisant ainsi la vitesse de propagation du signal
certain nombre de travaux que les enfants à « hautes potentia- électrique [5].
lités » utiliseraient un mode de traitement de l’information de On peut faire l’hypothèse que ces propriétés temporelles
type analogique permettant d’établir des liens entre les situa- spécifiques jouent un rôle important dans l’encodage pour la
tions [63, 65, 67, 110, 111]. Ainsi, ces enfants ont un fonctionne- mémoire (« mémoire d’éléphant » chez ces enfants) et per-
ment qualitativement différent de celui des enfants moyens mettent ainsi des capacités spécifiques d’apprentissage et de
avec une vitesse de traitement plus rapide sur les tâches plasticité cérébrale. Ces capacités d’apprentissage étant en lien
cognitives de résolution de problème [112-114], ainsi que des avec les processus d’intégrations sensorielles, comme le
capacités d’apprentissage et de transfert d’une méthode de soulignent les travaux de Planche [65] et de Geary et
résolution à une nouvelle situation hautement supérieures [65, Brown [128].
67] . De plus, cela soulignerait des capacités métacognitives La gaine de myéline est un excellent isolant pour la conduc-
(connaissance de son fonctionnement mental) au niveau de la tion, évitant les déperditions de l’influx nerveux, et permettant
mémoire à long terme (métamémoire) qui permettraient une ainsi de concentrer les dépenses énergétiques, ce qui explique-
base de connaissances plus riche que celle des enfants moyens rait une consommation de glucose plus faible. L’activité
en facilitant l’encodage [111, 114-116]. cérébrale serait alors plus ciblée, ne sollicitant que les régions
Certains auteurs [112] avancent une supériorité de la vitesse nécessaires au traitement de la tâche, diminuant ainsi la
de traitement qui semble cependant liée aux facteurs qualita- dépense énergétique au niveau du métabolisme cérébral d’après
tifs mis en œuvre dans le traitement de l’information (réper- Neubauer [129]. Cette spécificité de conductance rend compte
toire langagier riche, capacités attentionnelles, mémoire, des hautes performances perceptives de ces enfants (notamment
mobilité cognitive, stratégie de raisonnement). Le cortex « l’œil de lynx » ou écoute fine) dans le fait que cela active des
préfrontal (fonctions exécutives) est en partie responsable de connexions plus nombreuses entre les neurones (opérations
la mise en œuvre de ces fonctions qui sont matures comme neuronales) sur les deux hémisphères cérébraux qui eux-mêmes
le montrent les capacités élevées des enfants à « hautes font appel à des réseaux de neurones spécifiques configurés en
potentialités » dans les tâches de planification, au test de populations de neurones (architecture fonctionnelle) selon le
classement du Wisconsin [117] et à la réalisation des tâches de modèle des travaux en neuroscience [130].
la tour de Hanoi [65, 111]. Cette mise en jeu du cortex préfron- L’enfant à « hautes potentialités » disposerait donc d’un
tal est valorisée par des travaux de tomographie par émission fonctionnement cérébral spécifique avec de hautes capacités de
de positons (TEP). Ainsi l’étude de Duncan et al. [118], montre traitement de l’information à son service, ce qui lui donne une
dans des tâches verbales et non verbales d’un test de QI grande flexibilité et des atouts considérables sur le plan des
(saturées en facteur « g » non verbal) l’activation de l’aire capacités d’apprentissage avec une plus grande plasticité
frontale latérale dans les deux hémisphères cérébraux. De cérébrale que chez l’enfant moyen. D’ailleurs nos travaux de
même certains [109] montrent l’activation du cortex préfrontal recherche en cours montrent une avance de la croissance
inférieur gauche en TEP lors de la mise en relation de néonatale (poids, taille, PC) des enfants à « hautes potentiali-
capacités linguistiques et de déduction logique. De plus, des tés » nés prématurés quel que soit l’âge gestationnel (ils sont
études récentes sur la spécialisation hémisphérique (écoute majoritairement hypertrophiques).
dichotique, rotation mentale et imagerie par résonance L’apport de l’ensemble de ces travaux que nous avons exposé
magnétique [IRM] fonctionnelle avec stimuli hiérarchiques conduit à la nécessité d’analyser finement les profils cognitifs
verbaux) ont montré une certaine équipotentialité hémisphé- hétérogènes des enfants à « hautes potentialités » dès le plus
rique du traitement de l’information des enfants à « hautes jeune âge et à s’interroger sur l’importance de préserver une
potentialités » par rapport à des sujets contrôles [51, 119, 120], continuité développementale des différentes fonctions, qui
bien que d’autres travaux tendent à montrer une implication peuvent être très vulnérables avec le risque de se dissocier
plus importante de l’hémisphère droit chez des sujets sur- ultérieurement, du fait même d’une plasticité spécifique et des
doués en mathématiques [121-123]. Par ailleurs, il existerait une conditions d’environnements favorables ou défavorables
influence génétique déterminant le taux de matière grise (famille, pairs, école) ou du fait de troubles neuropsychologi-
corrélé au QI, voire au taux de substance blanche d’après ques ou psychopathologiques avérés. Cependant, il est impor-
Posthuma et al. [124]. Des mesures de volume cérébral en IRM tant de tenir compte, pour un bon épanouissement, des hautes
anatomique confirment cette corrélation entre QI et volume potentialités, et de veiller à ce que les conditions d’investisse-
de substance grise [125]. ment de la connaissance de la part de l’enfant soient réalisées
D’autres études en imagerie fonctionnelle cérébrale de TEP avec une utilisation pulsionnelle adéquate et avec des identifi-
mettent en évidence une consommation de glucose plus cations à un autre Moi que celui idéalisé par les images
faible lors de la réalisation de tâches verbales et non verba- parentales.
les [126, 127]. Nous pouvons faire l’hypothèse qu’il en résulterait Si une supériorité biologique apparaît chez les enfants à
moins d’énergie dépensée, moins d’activation des circuits « hautes potentialités », de bonnes conditions de milieu (socio-
neuronaux, et ainsi moins d’effort dans la réalisation de culturel, éducatif, socioaffectif...) et une bonne santé physique
tâches cognitives. et mentale sont favorables pour faire fructifier les « hautes
potentialités », avec un épanouissement de la personnalité. Un
environnement socioprofessionnel parental élevé est largement
■ Conclusion souligné dans les études sur les hauts QI [131, 132]. En effet, la
supériorité intellectuelle, comme le disait Ajuriaguerra [10] ,
L’apport des données développementales met en évidence n’entraîne pas nécessairement la réussite. Réussite dont on peut
l’avance de la maturation neurosensorimotrice des enfants à attendre qu’elle s’étende au niveau social, scolaire ou profes-
« hautes potentialités » à la fois sur le plan posturomoteur et sionnel et affectif.
locomoteur et sur l’organisation oculomotrice et les capacités
attentionnelles. Ces résultats soulignent d’une part une subs-
tance réticulée opérante précocement sur le plan de l’éveil
attentionnel, et d’autre part une vitesse de transmission rapide ■ Références
de l’influx nerveux, attestée par différents travaux [84], entraî-
nant certaines vitesses de traitement [65, 112, 113]. La vitesse de [1] Lombroso C. The man of genius. London: Scott; 1891.
conduction de l’influx nerveux pourrait être liée à une conduc- [2] Galton F. Hereditary genius. New York: Horizon Press; 1952.
tance spécifique s’expliquant à la fois par des caractéristiques [3] Terman LM. Mental and physical tralis of a thousand gifted children:
temporelles des charges neuronales, liées à des propriétés genetic studies of genius. Vol I. Standfort, CA: Standfort University
membranaires neuronales au niveau des canaux membranaires Press; 1925.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-200-A-17 ¶ Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués)

[4] Vaivre-Douret L. Le développement de l’enfant aux « aptitudes hau- [32] Gottfried AW, Gottfried AE, Bathurst K, Wright-Guerin D. Gifted IQ.
tement performantes » (surdoués) : importance des fonctions neuro- Early developmental aspects, the Fullerton longitudinal study. New
psychomotrices. ANAE 2002;67:10-95. York: Plenum Press; 1994.
[5] Vaivre-Douret L. Les caractéristiques développementales d’un échan- [33] Schiff M, Duyme M, Dumaret A, Stewart J, Tomkiewicz S, Feingold J.
tillon d’enfants tout venant à « hautes potentialités » (surdoués) : suivi Intellectual status of working class children adopted early in upper-
prophylactique. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 2004;52:129-41. class families. Science 1978;200:1503-4.
[6] Stern W. The supernormal child. J Educ Psychol 1911;2:143-9. [34] Tuma JM, Appelbaum AS, Bee DE. Comparability of the WISC and the
[7] WPPSI. Échelle d’intelligence de Wechsler pour la période pré- WISC-R in normal children of divergent socioeconomic backgrounds.
scolaire et primaire. Paris: Centre de Psychologie Appliquée; 2004. Psychol Schools 1978;15:339-46.
[8] WISC-IV. Échelle d’intelligence de Wechsler pour enfants et adoles- [35] Vallot F. Enquête nationale sur le niveau intellectuel des enfants d’âge
cents. Paris: Centre de Psychologie Appliquée; 2005. scolaire. Travaux et Documents, Cahier n° 64. Paris: PUF; 1973.
[9] WAIS-III. Échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes. Paris: [36] Bloom BS. Developing talent in young people. New York: Ballantine;
Centre de Psychologie Appliquée; 2000. 1985.
[10] Ajuriaguerra de J. Problèmes psychosociologiques posés par les [37] Feldman DH, Goldsmith LT. Nature’s gambit: child prodigies and the
enfants « surdoués ». In: Ajuriaguerra de J, editor. Psychiatrie de development of human potential. New York: Teachers College Press;
l’enfant. Paris: Masson; 1974. p. 929-30. 1991.
[11] Delaubier JP. La scolarisation des enfants intellectuellement précoces. [38] Feldman DH. A developmental framework for research with gifted
Rapport à Monsieur le Ministre de l’Education Nationale. 2002, children. New Dir Child Dev 1982;17:31-45.
Rapport téléchargeable sur le site : http://www.education.gouv.fr [39] Feldman DH. The theory of co-incidence: how giftedness develops in
/rapport/delaubier.pdf. extreme and less extreme cases. In: Peters W, Monks F, editors. Talent
[12] Cox-Miles C. Les enfants bien doués. In: Carmichael L, editor. Manuel for the future: proceedings of the ninth world conference on gifted and
de psychologie de l’enfant, Tome III. Les déficients mentaux et les bien- talented children. Assen: Van Gorcum. 1992. p. 10-22.
doués psychologie différentielle des sexes. PUF: Paris; 1952 (p. 1401). [40] Renzulli JS. What makes giftedness? Re-examining a definition. Phi
[13] Sternberg RJ. The triarchicmind: a new theory of human intelligence. Delta Kappan 1978;60:180-4 (261).
New York: Viking-Penguin; 1988. [41] Renzulli JS. Emerging conceptions of giftedness: Building a bridge to
[14] Sternberg RJ. The theory of successful intelligence. Rev Gen Psychol the new century. Exceptionality 2002;10:67-75.
1999;3:292-316. [42] Sternberg RJ. Giftedness as developing expertise: A theory of the
[15] Spearman C. General intelligence objectively measured and interface between high abilities and achieved excellence. High Ability
determined. Am J Psychol 1904;15:201-9. Stud 2001;12:159-79.
[16] Spearman C. The abilities of man: their nature and measurement. New [43] Sternberg RJ. WICS as a model of giftedness. High Ability Stud 2003;
York: The MacMillan; 1927. 14:109-37.
[17] Marland Jr. S. Education of gifted and talented. Washington DC: US [44] Tannenbaum AJ. Giftedness: a psychosocial approach. In:
Government Printing Office; 1972. Sternberg RJ, Davidson JE, editors. Conceptions of giftedness. New
[18] Gardner H. Frame of mind: the theory of multiple intelligences. New York: Cambridge University Press; 1986. p. 21-51.
York: Basic Book; 1983. [45] Vaivre-Douret L. Point de vue développemental sur l’enfant à « hautes
[19] Vaivre-Douret L. Les surdoués. Rev Haut Comité Santé Publique 1999; potentialités » (surdoué). J Pédiatr Puéricult 2004;17:254-61.
26:34. [46] Vaivre-Douret L. Précis théorique et pratique du développement
[20] Lubart TI. Georgsdottir AS. Créativité, haut potentiel et talent. Psychol moteur. Paris: Centre de Psychologie Appliquée; 2004.
Fr 2004;49:277-91. [47] Vaivre-Douret L. Developmental characteristics of ″high-level
[21] Guilford JP. Varieties of creative giftedness: their measure and potentialities children″ (gifted). Actes du Congrès international de la
société française de psychologues et de psychologie sur l’intelligence
development. Gifted Child Quarterly 1975;19:107-21.
de l’enfant, Paris, 2005. p. 14.
[22] Torrance EP. Tests de pensée créative. Paris: Centre de Psychologie [48] BessouA, Yziquel M. Enquête auprès de l’association d’aide à la recon-
Appliquée; 1972. naissance des enfants intellectuellement précoces (AAREIP). ANAE
[23] Lubart TI, Mouchiroud C, Tordjman S, Zenasni F. Psychologie de la 2002;67:125-31.
créativité. Paris: Colin; 2003. [49] D’Agostino F, Bammatter CH, Hubeaux M. L’enfant à haut potentiel
[24] Terrassier JC. Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante. intellectuel : du dépistage aux reconnaissances de la famille et à l’école.
Paris: Expansion Scientifique Française; 1999. Actes du deuxième congrès de l’association suisse des enfants préco-
[25] Renzulli JS. A pratical system for identifying gifted and talented ces, ASEP, 2001.
students. In: Renzulli JS, Smith LH, White AJ, Callahan CM, [50] Monod N, Curzi-Dascalova L. Les états transitionnels de sommeil chez
Hartman RK, Westberg KL, editors. Scale for rating behavioural le nouveau-né à terme. Rev EEG Neurophysiol 1973;3:87-96.
characteristics of superior students (revised edition). Technical and [51] O’Boyle MW, Vaughan D, Cunnington R, Puce A, Syngeniotis S,
administration manual. Mansfield Center: Creative Learning Press; Egan G. 3-Dimensional rotation in mathematically gifted adolescents:
1997. an fMRI investigation. Neuroimage 2002;16:S673.
[26] Mueller HH, Dash UN, Matheson DW, Short RH. WISC-R subtest [52] Vaivre-Douret L. Les caractéristiques précoces des enfants à hautes
patterning of below average, average, and above average IQ children: a potentialités. J Fr Psychiatr 2003;18:33.
meta-analysis. Alberta J Educ Res 1984;30:68-85. [53] Bril B, Lehalle H. Le développement psychologique est-il univer-
[27] Bessou A, Montlahuc C, Louis J, Fourneret P, Révol O. Profil sel? Approches interculturelles. Paris: PUF; 1988.
psychométrique de 245 enfants intellectuellement précoces au WISC- [54] Kilbride PL. Sensori-motor behaviour of Baganda and Samia infants: a
III. ANAE 2005;81:23-8. controlled comparison. J Cross-Cultural Psychol 1980;11:131-52.
[28] Hollinger CL, Kosek S. Beyond the use of full scale IQ scores. Gifted [55] Super CM. Environment effect on motor development: the case of
Child Quarterly 1986;30:74-7. African infant precocity. Dev Med Child Neurol 1976;18:561-7.
[29] Louis J, Révol O, Nemoz C, Dulac RM, Fourneret P. Les facteurs [56] Super CM. Behavioural development in infancy. In: Munroe RH,
psychophysiologiques de la précocité intellectuelle : résultats d’une Munroe RL, Whiting BB, editors. Handbook of cross-cultural human
enquête comparative chez l’enfant entre 8 ans et 11 ans. Arch Pediatr development. New York: Garland; 1981.
2005;12:520-5. [57] Warren N, Parkin JM. A neurological and behavioural comparison of
[30] Flynn JR. The mean IQ of Americans: a massive gains 1932 to 1978. African and European newborn in Uganda. Child Dev 1974;45:966-71.
Psychol Bull 1984;95:29-51. [58] Werner EE. Infant around the world: cross-cultural studies of
[31] Flynn JR. Massive IQ gains 14 nations: what intelligence tests psychomotor development from birth to two years. J Cross-Cultural
measure? Psychol Bull 1987;101:171-91. Psychol 1972;3:111-34.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués) ¶ 37-200-A-17

[59] Casati I, Lézine I. Les étapes de l’intelligence sensori-motrice. Paris: [88] Pètre-Quadens O. Sleep in mental retardation. In: Purpura DP,
Centre de Psychologie Appliquée; 1968. Mayer FE, editors. Sleep and the maturing nervous system. New York:
[60] Porteus SD. Test des labyrinthes. Paris: Centre de Psychologie Academic Press; 1972. p. 229-49.
Appliquée; 1952. [89] De Groot. ″Statistiche Redundanzbildungsprocesse″. In: Ihrer
[61] Brown AI. Conservation of number and continuous quantity in normal, Beziehung Zu Intelligenz. Diplomarbeit am psychomogischen Institut
bright and retarded children. Child Dev 1973;44:376-9. von Universität Erlangen; 1974.
[62] Devries R. Relationship among piagetian, IQ and achievement [90] Dempster FN. Inhibitory processes: A neglected dimension of intelli-
assessments. Child Dev 1974;45:746-56. gence. Intelligence 1991;15:157-73.
[63] Ferretti RP, Butterfield EC. Intelligence-related differences in the [91] Just MA, Carpenter PA. A capacity theory of comprehension:
learning, maintenance, and transfer of problem-solving strategies. Individual differences in working memory. Psychol Rev 1992;99:
Intelligence 1992;16:207-23. 122-49.
[64] Little A. A longitudinal study of cognitive development in young [92] Kail R. Processing time declines exponentially during childhood and
children. Child Dev 1972;43:1025-34. adolescence. Dev Psychol 1991;27:259-66.
[65] Planche P. Modalités fonctionnelles et conduites de résolution de pro- [93] Davis H, Anderson M. Developmental and individual differences in
blème chez des enfants précoces de cinq, six et sept ans d’âge chrono- fluid intelligence: evidence against the unidimensional hypothesis. Br
logique. Arch Psychol (Frankf) 1985;53:411-5. J Dev Psychol 2001;19:181-206.
[66] Planche P. Précocité intellectuelle : fonctionnement cognitif et [94] Jensen AR. The chronometry of intelligence. In: Stenberg RJ, editor.
dysharmonie. Actes du XXVIe Congrès International de Psychologie à Advances in research on intelligence. Hillsdale, NJ: Erlbaum; 1982.
Montréal. Int J Psychol 1996;31:371. p. 242-67.
[67] Planche P. Étude comparative d’enfants « précoces » et d’enfants [95] Jensen AR. The suppressed relationship between IQ and the reaction
« moyens » face à une épreuve de décentration spatio-cognitive. In: time slope parameter of the hick function. Intelligence 1998;26:
Juhel J, Marivain T, Roussel G, editors. Psychologie et différences indi- 43-52.
viduelles : questions actuelles. Rennes: Presses Universitaires de [96] Nettlebeck T. Jensen’s chronometric research: neither simple nor
Rennes; 1997. p. 133-8. sufficient but a good place to start. Intelligence 1998;26:233-41.
[68] Planche P. La construction des notions spatiales chez les enfants [97] Neubauer AC, Knorr E. Three paper-and-pencil tests for speed infor-
intellectuellement précoces, âgés de 6 à 8 ans. Enfance 1998;2:159-71. mation processing: psychometric properties and correlations with intel-
[69] Webb RA. Concrete and formal operation in very bright 6 to 11 years ligence. Intelligence 1998;26:123-51.
old. Hum Dev 1974;17:292-300. [98] Anderson M. Inspection time and IQ in young children. Person Individ
[70] Case R. Neo-piagetian theory: retrospect and prospect. Int J Psychol Differ 1986;7:677-86.
1987;22:773-91. [99] Baddeley AD, Hitch G. Working memory. In: Bower GH, editor. The
[71] Fischer KW. A theory of cognitive development: the control and cons- psychology of learning and motivation, 8. New York: Academic Press;
truction of hierarchies of skills. Psychol Rev 1980;87:431-77. 1974. p. 47-90.
[72] Pascual-Leone J. A mathematical model for the transition rule in [100] Fry AF, Hale S. Processing speed, working memory, and fluid
Piaget’s developmental stage. Acta Psychol (Amst) 1970;32:301-45. intelligence: evidence for a developmental cascade. Am Psychol Soc
[73] Pascual-Leone J. Organismic processes for neo-piagetian theories: a 1996;7:237-41.
dialectical causal account of cognitive development. Int J Psychol [101] Fry AF, Hale S. Relationships among processing speed, working
1987;22:531-70. memory and fluid intelligence in children. Biol Psychol 2000;54:1-34.
[74] Lautrey J. Classe sociale, milieu familial, intelligence. Paris: PUF; [102] Alexander JE, O’Boyle MW, Benbow CP. Developmentally advanced
1980. EEG alpha power in gifted male and female adolescents. Int
[75] Terrassier JC. Le syndrome de dyssynchronie. Neuropsychiatrie Enf J Psychophysiol 1996;23:25-31.
Adolesc 1979;27:445-50. [103] Jausovec N. Differences in EEG alpha activity related to giftedness.
[76] Changeux JP. L’inné et l’acquis dans la structure du cerveau. La recher- Intelligence 1996;23:159-73.
che en neurobiologie. Paris: Le Seuil; 1977. [104] Joel EA, O’Boyle MW, Benbow CP. Developmentally advanced EEG
[77] Adda A. Le livre de l’enfant doué. Paris: éditions Solar; 1999. alpha power in gifted male and female adolescents. Int J Psychophysiol
[78] Louis J, Révol O, Noir F, De Magneval F, Amato MT, Fourneret P. 1996;23:25-31.
Sommeil et précocité. ANAE 2003;73:151-8. [105] Bornstein MH, Sigman MD. Le développement de l’intelligence chez
[79] Gibello B. L’enfant à l’intelligence troublée. Paris: Païdos le Centurion; les enfants : Nouvelles recherches sur la « continuité ». Annee Psychol
1984. 1985;85:383-94.
[80] Lebovici S, Braunschweig D. À propos de la névrose infantile. Psy- [106] Bornstein MH, Sigman MD. Continuity in mental development from
chiatrie Enf 1967;10:43-122. infancy. Child Dev 1986;57:251-74.
[81] Revol O, Louis J, Fourneret P. Les troubles du comportement de [107] Harnishfeger KK, Bjorklung DF. A developmental perspective on
l’enfant précoce. ANAE 2002;67:120-4. individual differences in inhibition. Learn Indiv Differ 1994;6:331-55.
[82] Prat G. Vingt ans de psychopathologie de l’enfant doué et surdoué en [108] Houdé O. Rationalité, développement et inhibition. Un nouveau cadre
internat psychothérapique. Neuropsychiatrie Enf 1979;27:467-74. d’analyse. Paris: PUF; 1995.
[83] Roux-Dufort L. À propos des surdoués. Psychiatrie Enf 1982;21: [109] Houdé O, Zago L, Mellet E, Moutier S, Pineau A, Mazoyer B, et al.
26-149. Shifting from the perceptual brain to the logical brain. The neural
[84] Eysenck HJ. ″The psychophysiology of intelligence″. In: impact of cognitive inhibition training. J Cogn Sci 2000;12:721-8.
Spielberger CD, Butcher JN, editors. Advances on personality [110] Lautrey J, De Ribaupierre A, Riben I. Les différences dans la forme du
assessment, vol 1. Hillsdale: Lawrence Erlbaum; 1982. développement cognitif évalué avec les épreuves piagétiennes : une
[85] Grubar JC. Sommeil et efficience mentale : sommeil et précocité intel- application de l’analyse des correspondances. Cah Psychol Cogn 1986;
lectuelle. In: Grubar JC, Duyme M, Côte S, editors. La précocité intel- 6:575-613.
lectuelle, de la mythologie à la génétique. Liège: Pierre Mardaga; 1997. [111] Planche P. Le fonctionnement et le développement cognitif de l’enfant
p. 83-90. intellectuellement précoce. Annee Psychol 2000;100:503-25.
[86] Huon J. Le sommeil des sujets à quotient intellectuel élevé. [112] Bjorklund DF, Shneider W, Cassel WS, Ashley E. Training and exten-
Electroencephalogr Clin Neurophysiol 1981;52(suppl):128. sion of memory strategy: Evidence for utilization deficiencies in the
[87] Pètre-Quadens O. Contribution à l’étude de la phase dite paradoxale du acquisition of an organizational strategy in high and low-IQ children.
sommeil. Acta Neurol Psychiatr Belg 1969;69:769-98. Child Dev 1994;65:951-65.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-200-A-17 ¶ Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités » (surdoués)

[113] Cohn SJ, Carlson JS, Jensen AR. Speed of information processing in [123] O’Boyle MW. A new millennium in cognitive neuropsychologic
academically gifted youth. Person Indiv Differ 1985;6:621-9. research: the era of individual differences? Brain Cogn 2000;42:135-8.
[114] Gaultney JF, Bjorklund DF, Goldstein D. To be young, gifted and [124] Posthuma D, De Geus EJ, Baare WF, Hulshoff Pol HE, Kahn RS. The
strategy: advantages for memory performance. J Exp Child Psychol association between brain volume and intelligence is of genetic origin.
1996;6:43-66. Nat Neurosci 2002;5:83-4.
[115] Schneider W, Korkel J, Weinert FE. The effect of intelligence self- [125] Wilke M, Sohn JH, Byars AW, Holland SK. Bright spots: correlations
concept and attributional style on metamemory and memory behaviour. of gray matter volume qith IQ in a normal pediatric population.
Int J Behav Dev 1987;10:281-99. Neurolmage 2003;20:202-15.
[116] Swanson HL. The relationship between metacognition and problem- [126] Haier RJ, Siegel BV, Neuchterlein KN, Hazlett E, Wu JC, Paek J, et al.
solving in gifted children. Roeper Rev 1992;15:43-8. Cortical glucose metabolic rate correlates of abstract reasoning and
[117] Arffa S, Lovell M, Poddel K, Goldberg E. Wisconsin card sorting test attention studied with positron emission tomography. Intelligence
performance in above and superior school children: relationship to 1988;12:199-217.
intelligence and age. Arch Clin Neuropsychol 1998;13:713-20. [127] Parks RW, Loewenstein DA, Dodrill KL, Barker WW, Yoshii F,
[118] Duncan J, Seitz RJ, Kolodny J, Bor D, Herzog H, Ahmed A, et al. A Chang JY, et al. Cerebral metabolic effects of a verbal fluency task: a pet
neural basis for general intelligence. Science 2000;289:457-60. scan study. J Clin Exp Neuropsychol 1988;10:565-75.
[119] O’Boyle MW, Benbow CP. Enhanced right hemisphere during [128] Geary DC, Brown SC. Cognitive addition: Strategy choice and speed of
cognitive processing may relate to intellectual precocity. processing differences in gifted, normal and mathematically disabled
Neuropsychologia 1990;28:211-6. children. Dev Psychol 1991;27:398-406.
[120] Singh H, O’Boyle MW. Interhemispheric interaction during global- [129] Neubauer A. Les clés de l’intelligence. Cerveau Psycho 2003;1:51-3.
local processing in mathematically gifted adolescents, average-ability [130] Baraduc P, Guignon E. Population computation of vectorial transfor-
youth and colleges students. Neuropsychology 2004;18:371-7. mations. Neural Comput 2002;14:845-71.
[121] Benbow CP. Physiological correlates of extreme intellectual precocity.. [131] Turkheimer E. Individual and group differences in adoption studies of
Neuropsychologia 1986;24:719-25. IQ. Psychol Bull 1991;110:392-405.
[122] Benbow CP. Sex differences in mathematical reasoning ability in [132] Turkheimer E, Haley A, Waldrom M, D’Onofrio B, Gottesman II.
itellectual talented preadolescents: Their nature, effects, and possible Socioeconomic status modifies heritability of QI in young children.
causes.. Brain Behav Sci 1988;11:132-69. Psychol Sci 2003;14:623-8.

L. Vaivre-Douret, Professeur de psychologie du développement (laurence.vaivre@nck.ap-hop-paris.fr).


Université Paris 10, 200, avenue de la République, 92001 Nanterre cedex, France.
Inserm Unité 669, Université Paris Sud et Université Paris Descartes, UMR-S0669, Maison de Solenn, 97, boulevard de Port-Royal, 75679 Paris cedex 14,
France.
Hôpital Necker-Enfants Malades, Service de pédopsychiatrie, 149, rue de Sèvres, 78743 Paris cedex 15, France.
Groupe hospitalier Cochin-St-Vincent de Paul-La Roche Guyon, Maternité Port-Royal et Protection maternelle infantile, 123, boulevard de Port-Royal, 75679
Paris cedex 14, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Vaivre-Douret L. Aspects développementaux et neurocognitifs des enfants à « hautes potentialités »
(surdoués). EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-A-17, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-200-B-35

Attachement et développement
F. Atger, A. Guedeney

Ce travail décrit la théorie de l’attachement, proposée par John Bowlby, et qui fait du besoin de proximité,
puis du besoin de sécurité, un besoin primaire, dans la petite enfance, mais aussi dans l’adolescence et
l’âge adulte. La dimension de l’attachement reconnaît un développement chez l’homme, décrit par les
études de Mary Ainsworth. La sécurité de l’attachement est un facteur favorisant du développement
psychologique normal, en particulier dans les relations affectives et sociales, et pour l’estime de soi. À
l’inverse, l’insécurité de l’attachement s’associe à un niveau plus élevé de psychopathologie. Les études
longitudinales ont montré la transmission intergénérationnelle de l’attachement, et la valeur prédictive
de la sécurité de l’attachement sur le développement, même si cette prédictibilité est moins nette que ce
que Bowlby escomptait. L’attachement et le besoin de sécurité sont donc une dimension importante des
motivations humaines, et jouent un rôle dans le développement psychologique précoce et ultérieur, et
dans les capacités de résilience.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Attachement ; Sécurité ; Proximité ; Sensibilité aux signaux de l’enfant ;


Développement psychologique ; Résilience ; Psychopathologie

Plan Il est intéressant de remarquer qu’historiquement, le mot


« développement » a un sens spatial, décrivant « l’action de
¶ Introduction 1
dérouler, de déplier ce qui est enveloppé sur soi-même ». Ce
n’est que dans un second temps qu’il a pris une valeur tempo-
¶ Attachement et développement 2 relle désignant « l’action d’évoluer, de s’épanouir ». La théorie
Développement, comportement instinctif et fonction de de l’attachement est bien une théorie spatiale : quand je suis
l’attachement 2 près de celui ou celle auquel je suis attaché, je me sens bien ;
Organisation de l’attachement et développement 3 quand je suis loin je me sens anxieux ou triste. L’attachement
Sélection des figures d’attachement 4 passe par la vue, l’ouïe, le toucher, qui procurent l’apaisement,
Facteurs d’activation et de terminaison du système d’attachement 5 le sentiment de sécurité, et c’est ce sentiment qui permet
Relations avec les autres systèmes comportementaux au cours ensuite de s’éloigner, pour explorer.
du développement 5
Bowlby a bâti sa théorie à partir du lien mère-enfant, à la
¶ Ontogenèse 6 suite de ses observations sur la réaction du petit enfant à la
Première phase : orientation et signaux sans discrimination de séparation et en s’appuyant sur celles de Mary Ainsworth. [1, 2]
figure 6 Les théories de l’étayage qui prévalaient au début de ses travaux,
Deuxième phase : orientation et signaux vers une figure discriminée 7 qu’elles soient issues de la psychanalyse ou de la théorie de
Troisième phase : maintien de la proximité avec une figure l’apprentissage, décrivaient le développement du lien comme
discriminée au moyen de la locomotion aussi bien que des signaux 7 une conséquence des gratifications maternelles, d’abord orales.
Quatrième phase : formation d’un partenariat corrigé quant au but 7 Dans ces conceptions, les seuls besoins primaires étaient ceux
Adolescence 8 du corps. Les travaux des éthologues, en particulier ceux de
Attachement chez l’adulte 8 Lorenz [3] sur l’empreinte, ont conduit Bowlby à faire l’hypo-
¶ Conclusion 8 thèse d’un comportement primaire d’attachement, actif dès la
naissance, capable de lier l’enfant à sa mère, et qui serait une
composante fondamentale de la nature humaine. Il a par la
■ Introduction suite progressivement élaboré une théorie des systèmes compor-
tementaux, et plus particulièrement du système comportemen-
Le développement psychologique peut être décrit sous tal d’attachement. [4] Celle-ci vise à expliquer la constitution des
différents aspects : moteur, perceptif, cognitif, affectif, ou liens affectifs en rapport avec le sentiment de sécurité tout au
intersubjectif. Ces différents aspects sont étroitement intriqués long du développement, non seulement entre la mère et son
et interactifs. La théorie de l’attachement porte sur les relations enfant mais aussi entre adultes.
affectives, et plus précisément, sur les aspects de ces relations Cette élaboration théorique doit beaucoup à la psychanalyse
qui touchent au besoin de sécurité. L’étude de l’ontogenèse du et à l’éthologie, mais elle est d’un grand éclectisme et fait
comportement d’attachement suppose donc d’envisager simul- également appel à des concepts issus de la théorie cybernétique
tanément l’impact de l’évolution des liens d’attachement sur les de la régulation, de la théorie des systèmes, de la neurophysio-
autres aspects du développement, et celui des transformations logie, de la psychologie du développement et de la psychologie
développementales sur les relations d’attachement. cognitive.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-200-B-35 ¶ Attachement et développement

De l’éthologie viennent les arguments indiquant que les modelé par l’attitude de ses parents et a ensuite tendance à
comportements sociaux ont une dimension instinctive, et des persister, en devenant une qualité propre à cet individu, et en
outils qui permettent d’observer les relations de façon expéri- imprégnant ses nouvelles relations.
mentale. De la théorie psychanalytique (et plus particulièrement Pour rendre compte de la persistance d’un schème d’attache-
de la théorie de la relation d’objet) provient la notion d’un ment chez un individu donné, Bowlby a recours au concept de
monde interne avec des représentations de soi, des autres, et des MIO, modèles de soi et des parents. Ce sont des modèles
relations entre soi et les autres, et l’idée que ces représentations mentaux construits au cours des premières années, à partir de
peuvent être déformées par l’immaturité ou les fantasmes. la généralisation des expériences réelles du sujet avec ses figures
Pour Bowlby, l’attachement serait devenu la caractéristique d’attachement, qui vont persister même lorsque les circonstan-
d’un grand nombre d’espèces, et de l’espèce humaine en ces seront modifiées.
particulier, au cours de l’évolution, du fait de sa fonction Nombre des émotions parmi les plus intenses seraient en
biologique de protection (adaptation ontogénique). Le maintien rapport avec le devenir de ce lien d’attachement. Son maintien
de la proximité par rapport à la figure d’attachement réduit les ou son renouvellement entraînent joie et sensation de sécurité,
risques existant dans l’environnement, essentiellement ceux sa rupture entraîne l’angoisse, si elle est temporaire, le chagrin
représentés par les prédateurs, et contribue donc à la survie. Les si elle est définitive.
liens d’attachement existent ainsi pour eux-mêmes, mais se Selon Bowlby, [7, 8] la pathologie résulte d’un cheminement
trouvent cependant en interaction avec les liens créés par le déviant du comportement d’attachement, qui le plus souvent
nourrissage et la sexualité. est à l’origine d’une activation trop fréquente de ce comporte-
ment, réalisant ce qu’il appelle l’attachement angoissé. Les
S’appuyant sur une théorie cybernétique du comportement
formes les plus puissantes du comportement d’attachement
instinctif issue des travaux d’éthologues, principalement
surviennent alors fréquemment. La protestation réalisant des
Harlow [5] et Hinde, [6] Bowlby suggère que le comportement
pathologies anxieuses telles que la phobie scolaire ou l’agora-
d’attachement, comme tous les comportements instinctifs, fait
phobie. Le désespoir apparaîtra sous forme de dépression, qui
rapidement intervenir au cours du développement des systèmes
pourra de la même façon survenir de façon plus facile et plus
autoadaptatifs reposant sur des mécanismes de rétrocontrôle.
prolongée chez certains sujets confrontés à des situations de
C’est le concept d’homéostasie comportementale. Ces systèmes
perte, du fait de leurs troubles antérieurs d’attachement.
comportementaux homéostatiques maintiennent en perma-
nence la distance, réelle ou symbolique selon les étapes du
développement, par rapport à la figure d’attachement entre
certaines limites. Bowlby a proposé l’analogie avec la régulation
■ Attachement et développement
de la température par un thermostat.
Ainsi, l’une des principales hypothèses de Bowlby est que Développement, comportement instinctif
l’attachement est organisé au sein du système nerveux central et fonction de l’attachement
par un système de contrôle, analogue à ceux qui régulent des
paramètres physiologiques tels que la température ou la tension Classiquement, un comportement est qualifié d’instinctif
artérielle. quand il est constitué d’une séquence de comportements
analogues chez tous les membres d’une même espèce, qu’il
Le système comportemental d’attachement regroupe et
apparaît sans qu’il y ait eu possibilité d’apprentissage, et qu’il a
organise l’ensemble des comportements de signal et d’approche
une valeur de survie pour cette espèce.
dont le résultat est d’obtenir ou de maintenir une proximité vis-
L’opposition entre l’instinctif et l’inné d’une part, l’appris et
à-vis d’un individu donné, individu pour lequel il existe une
l’acquis d’autre part, paraît toutefois trop simpliste. Tout
préférence, et qui est le plus souvent la mère pendant les années
caractère biologique, qu’il soit morphologique, physiologique ou
de dépendance majeure.
comportemental, est le produit de l’interaction du matériel
Ce système se développe dès les premiers mois de la vie. Dès
génétique avec l’environnement. Il existe donc un continuum
sa naissance le bébé est capable d’entrer dans une interaction
allant de ce qui est entièrement inné à ce qui est uniquement
sociale, et montre beaucoup de plaisir à le faire. Au cours des acquis, les deux positions extrêmes étant également rares.
premières semaines, il manifeste déjà un grand nombre des Bowlby, reprenant la terminologie de Hinde, [6] préfère donc
réactions constitutives de ce qui deviendra le comportement parler du degré de stabilité au regard de l’environnement, les
d’attachement. Toutefois, ce comportement ne peut réellement caractères habituellement qualifiés d’innés étant les plus stables.
s’organiser en système, par rapport à une figure discriminée, que Le comportement instinctif est caractérisé par une grande
lorsque l’enfant a la capacité cognitive de conserver sa mère à stabilité, mais il n’est pas pour autant entièrement hérité : ce
l’esprit lorsqu’elle est absente, capacité qui se développe au qui est hérité, c’est le potentiel qui permet de développer
cours du second semestre de la vie. C’est donc à partir de l’âge certains systèmes de comportement.
de 9 mois environ que le système organisé se met en place pour Les espèces les plus évoluées dans la phylogenèse telles que
atteindre une forme typique dans le cours de la deuxième l’espèce humaine sont celles où le champ des modifications
année. Il est alors activé par le départ de la mère ou par toute possibles des programmes comportementaux hérités, sous
situation alarmante, et il cesse d’intervenir lorsque l’enfant peut l’influence de l’environnement, est le plus grand. Si cela leur
voir, entendre ou toucher sa mère. Après l’âge de 3 ans, confère une grande souplesse, les contreparties sont la longueur
l’activation de ce système comportemental est de moins en et le risque de déviations de leur développement.
moins fréquente et sa désactivation est rendue possible par une Le comportement instinctif peut être compris en référence à
gamme de plus en plus large de conditions, parfois purement la contribution qu’il apporte à la survie de l’espèce (ou à la
symboliques. L’enfant exige de moins en moins souvent la survie des gènes dans une formulation tenant compte des
proximité physique, en dehors des situations de stress. progrès des théories de l’évolution) dans son habitat naturel,
Ainsi progressivement, plus que la présence effective de la que Bowlby [4] appelle « environnement d’adaptétude évolu-
figure d’attachement, ce sont les prévisions quant à la disponi- tionniste ». Pour l’homme, c’est l’environnement naturel
bilité de cette figure, intégrées sous forme de représentations primitif qui a opéré comme agent de sélection. Seule la contri-
mentales (les modèles internes opérants : MIO), qui vont jouer bution à la conservation de la population dans cet environne-
le rôle principal de régulation du sentiment de sécurité. Compte ment peut donc permettre de comprendre les systèmes
tenu de ces modifications, le comportement d’attachement va comportementaux tels qu’ils se manifestent chez l’homme
persister tout au long de l’existence. moderne.
Ce sont les expériences vécues avec les figures d’attachement Dans cette perspective, la fonction principale du comporte-
de la première enfance, jusqu’à l’adolescence, qui déterminent ment d’attachement chez l’homme, dont la période d’immatu-
la forme que prend le comportement d’attachement de l’adulte. rité est prolongée, serait la protection par rapport aux
Il s’agit là d’un point essentiel de la théorie de Bowlby, qui prédateurs. Pour soutenir cette hypothèse, Bowlby s’appuie sur
considère que le schème d’attachement d’un individu est trois arguments : un animal isolé a plus de risques d’être attaqué

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Attachement et développement ¶ 37-200-B-35

par un prédateur qu’un animal qui reste avec ses congénères ; naturelle entre l’attachement précoce et le fonctionnement
le comportement d’attachement s’intensifie chez les animaux ultérieur du fait de la stabilité des MOI. [16] Comprendre
qui, en raison de leur âge ou de leur condition, sont plus comment les représentations d’attachement se complexifient et
vulnérables : petits, malades et femelles grosses ; enfin, ce se consolident est essentiel pour saisir en quoi la sécurité de
comportement est particulièrement activé dans les situations où l’attachement prédit le fonctionnement ultérieur. D’autre part,
un prédateur est redouté. la sécurité de l’attachement peut avoir des conséquences
Il faut noter que la proximité avec le parent a de nombreux différentes à différents âges, et son importance peut varier en
autres aspects bénéfiques pour la survie et le développement de fonction des âges où la sécurité est critique.
l’enfant, puisqu’elle permet le nourrissage, l’apprentissage de Un autre aspect important est celui de l’adaptétude évolu-
l’environnement, et l’apprentissage des interactions sociales. tionniste, qui perçoit le comportement d’attachement comme
Actuellement les hypothèses de Fonagy, [9] de Trevarthen, [10] et un système spécifique à l’espèce qui promeut la survie des
de Stern [11] montrent également le rôle fondamental du enfants. Cette vision de la sécurité de l’attachement comme
maintien actif de la proximité dans le développement de la adaptation ontogénique donne un autre point de vue sur
mentalisation et de l’intersubjectivité du bébé. Il semble l’association entre l’attachement du bébé et le développement
également que le comportement d’attachement joue un rôle ultérieur. Mais dans la mesure où beaucoup d’influences
majeur dans un certain nombre de régulations physiologiques, intermédiaires peuvent jouer dans cette relation, des développe-
qui ne peuvent être assurées de façon autonome dès la nais- ments théoriques sont nécessaires avant de pouvoir tester la
sance, comme la température, le rythme cardiaque. [12] Ceci valeur réelle de l’attachement comme adaptation ontogénique.
explique pourquoi l’expression somatique est privilégiée chez le Les études longitudinales sur l’attachement tendent à mon-
bébé, qui dépend de l’autre pour sa régulation, et construit un trer l’intérêt de la sécurité pour les relations entre pairs, l’estime
lien entre ses sensations physiques, le sens de soi et ses relations de soi, la capacité de concentration. Elles ont donné lieu à l’idée
à l’autre, sans indiquer toutefois le pourquoi des formes qu’elle que l’attachement sécure était en relation directe et puissante
prend. [13, 14] avec une grande variété de conséquences psychologiques sur le
L’importance de ces différentes transactions favorisées par la développement, [17] mais l’impact entre la sécurité de l’attache-
proximité est évidemment variable selon la période du dévelop- ment et le fonctionnement ultérieur est modeste, quand on
pement. Le rôle de protection physique par exemple est sans l’évalue de façon empirique et longitudinale, et le devenir de
doute moins prépondérant à partir de l’adolescence, alors même l’attachement sécure dépend plus de la stabilité des conditions
que les parents continuent de jouer un rôle majeur dans ce extérieures que l’on ne le pensait. La sécurité de l’attachement
qu’on pourrait appeler la protection psychique de leur enfant, prédit effectivement un certain nombre d’aspects positifs du
la régulation de ses émotions et l’affinement de ses capacités de développement, mais surtout quand les relations parents-
mentalisation. enfant restent stables et en milieu à faible risque. [18] La sécurité
En dernière analyse cependant, c’est la protection vis-à-vis des de l’attachement prédit avant tout de bonnes relations parents-
prédateurs qui paraît donner le principal avantage en termes de enfant, ce qui instille la compétence dans les relations intimes,
survie. Sans cette protection, le nourrissage n’est pas nécessaire mais pas nécessairement de façon durable. Ces deux aspects de
et l’apprentissage ne peut se mettre en place. continuité et de plasticité sont compatibles avec la plasticité des
Une question essentielle concerne les effets de l’attachement processus de l’attachement dans la première enfance, avant la
sur le développement. La théorie psychanalytique a insisté sur consolidation des MIO à l’adolescence, mais les corrélations les
l’effet durable sur le développement mental des relations plus fortes entre l’attachement sécure précoce sont trouvées
précoces. De la même façon que Freud avait pensé la relation à avec l’état actuel des relations intimes, ou dans le court terme.
la mère comme « unique, sans pareille, et apparaissant comme Il faut donc préciser les domaines dans lesquels l’influence de
le prototype de toutes les relations ultérieures », [4, 15] une l’attachement semble la plus forte, porter attention aux influen-
relation proche et chaleureuse avec les parents favorise la santé ces intermédiaires, déterminer à quelle période l’influence de
mentale et le bien-être la vie durant. Les différences dans la l’attachement est la plus nette parmi les autres types d’influence
sécurité de l’attachement mère-enfant auraient ainsi des parentale, pour préciser ce que la sécurité de l’attachement
conséquences à long terme sur la capacité à mener des relations prédit ou pas dans le développement.
affectives intimes, pour la capacité à se connaître soi-même, et
même pour la survenue d’une psychopathologie. Avec le
développement de l’évaluation de la sécurité de l’attachement Organisation de l’attachement
par la situation étrange de Ainsworth, [2] cette assertion a été et développement
testée dans une série d’études longitudinales, débutant dans les
années 1970, avec l’idée que la sécurité de l’attachement prédise Le comportement d’attachement se réfère à ce qui est obser-
un meilleur fonctionnement dans divers domaines. La théorie vable. Il est défini comme toute forme de comportement dont
de l’attachement offre plusieurs raisons de penser que la sécurité le résultat est d’obtenir ou de regagner la proximité avec une
joue un rôle dans le développement ultérieur. La première tient figure différenciée, pour laquelle il existe une préférence.
à la nature même des MIO : les MIO sont des représentations en Deux classes de comportements favorisent la proximité de la
développement, ou plutôt, ils sont un réseau de représentations mère : le comportement de signal, qui amène la mère à l’enfant,
qui émergent successivement et interactivement en fonction de et le comportement d’approche, qui amène l’enfant à la mère.
l’âge. [16] Ce concept de modèle interne de travail implique une Le système d’attachement regroupe et organise l’ensemble de
prédiction : les individus sécures tendent à s’attendre à ce qu’on ces comportements. Il ne constitue pas un ensemble qui
les traite avec sensibilité et respect, et leurs expériences passées fonctionnerait constamment et uniformément. Il existe au
les font se comporter avec les autres d’une manière ouverte et contraire une équivalence fonctionnelle, c’est-à-dire que des
positive. En revanche, les individus insécures anticipent moins comportements variés peuvent servir la même fonction. Qu’un
d’aide et de support de la part de l’autre, et peuvent se sentir enfant rampe, marche ou court est secondaire par rapport au
indignes de soins attentifs. Ces MIO sont donc selon Bowlby but assigné du mouvement, à savoir maintenir la proximité
des filtres, inconscients pour la plupart, et qui modèlent les avec la mère quand elle est nécessaire. Les comportements
relations, les expériences sociales et le sens de soi. Ils procurent choisis dans un contexte spécifique sont ceux que l’enfant
des modes implicites de décision dans les relations aux autres trouve les plus adéquats à un moment donné. Cette perspective
qui vont confirmer, pour le meilleur ou pour le pire, les attentes permet de rendre compte de la stabilité du système de l’attache-
de l’individu. Ces représentations ont tendance à se perpétuer, ment, malgré les énormes changements développementaux de
à cause de biais inhérents à leur fonctionnement, et parce que la petite enfance. Un enfant peut ainsi maintenir une stabilité
ces attentes déclenchent chez le parent ou l’autre des modes de de son système comportemental d’attachement en relation avec
réponse complémentaires qui vont l’ancrer et le perpétuer, de la sa mère aux différentes étapes de son développement, en
même façon que se confirme le tempérament d’un enfant en utilisant différents types de comportements spécifiques. Par
fonction des soins qu’il reçoit. Il y a donc une continuité exemple, tandis qu’un enfant sans mobilité sera susceptible de

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-200-B-35 ¶ Attachement et développement

pleurer et d’ouvrir les bras pour établir le contact, un enfant modèles qui détermine la confiance dans la disponibilité de la
plus âgé et plus mobile pourra atteindre le même objectif en figure d’attachement. Dans un premier temps, ces modèles sont
rampant vers elle. directement liés à la proximité effective de la figure d’attache-
L’organisation des systèmes comportementaux médiatisant ment, mais au-delà de la troisième année, ce sont surtout les
l’attachement se fait selon deux modes distincts : selon qu’ils prévisions quant à sa disponibilité qui interviennent dans le
sont modifiés ou pas en fonction du but à atteindre. Le mode sentiment de sécurité.
d’organisation le plus simple, « non rectifié quant au but », est La régularité des comportements des figures d’attachement
typiquement représenté par ce qu’on appelle un schème permet d’organiser peu à peu les expériences d’interactions en
d’action stéréotypé (fixed action pattern). Il s’agit d’une séquence « Schémas d’être avec » [11] qui permettent de construire des
plus ou moins complexe de mouvements, qui lorsqu’elle est attentes par rapport à la nature des interactions avec la figure
d’attachement. Par exemple, l’expérience répétée d’être pris
activée, suit un cours typique jusqu’à son achèvement sans
dans les bras sans intrusion après une chute conduit à attendre
pouvoir être modifiée par une action en retour de l’environne-
que la détresse suscite réconfort et réassurance de la part de la
ment. Bien qu’analogue à un réflexe, le schème d’action
figure d’attachement (caregiver). Ces attentes sont intégrées dans
stéréotypé en diffère fondamentalement par le fait que son seuil
des représentations mentales, les MIO, qui synthétisent en les
d’activation est variable suivant l’état de l’organisme. Ce type de généralisant les expériences relationnelles antérieures. Ces
système dépendrait essentiellement d’un programme préexistant modèles construits au cours des premières années à partir
dans le système nerveux central. Parmi les comportements d’expériences réelles portent à la fois sur la figure d’attachement
médiatisant l’attachement, le cri et le sourire, par exemple, et sur la manière dont elle répond lorsqu’elle est sollicitée ; ils
apparaissent comme des schèmes d’action stéréotypés. portent aussi sur le sujet lui-même et sur sa capacité à susciter
Plus complexes, et surtout plus souples, les systèmes « rectifiés l’attention de la figure d’attachement. Il s’agit donc de modèles
quant au but » sont organisés de telle sorte qu’ils tiennent de soi et des autres. Un enfant sécure va construire un modèle
continuellement compte, par un mécanisme de rétrocontrôle, d’une mère sensible, aimante et fiable et un modèle de lui-
de l’écart entre le résultat provisoire de l’action en cours et le même qui mérite cet amour et cette attention. Ensuite, il
but assigné, jusqu’à ce que celui-ci soit atteint. Ainsi, à partir exportera ces attentes sur la plupart des relations importantes
d’un répertoire de comportements, le système choisit, à chaque pour lui. À l’inverse, un enfant insécure percevra le monde
moment, le plus approprié d’entre eux pour s’approcher du but comme un endroit dangereux ou instable, imprévisible dans
assigné. Bowlby utilisait la métaphore du missile autoguidé par lequel les gens doivent être traités avec précautions, et se
une source de chaleur pour illustrer ce type de mécanisme. Ces percevra lui-même comme impuissant et ne méritant pas d’être
systèmes sont la résultante de processus épigénétiques, issus de aimé.
l’interaction entre génome et environnement, et aussi des Ainsi vont se constituer tout au long du développement des
processus d’apprentissage. Parmi les comportements médiatisant modèles de représentation de soi et des autres résultant de
l’attachement, l’appel ou le comportement locomoteur, par l’intériorisation des relations précoces. [19] Pour Stern (1985), [11]
exemple, fonctionnent sur un mode rectifié quant au but. les émotions associées aux expériences d’interactions sont non
seulement intégrées aux attentes qui en émergent mais auraient
Les séquences de comportement qui constituent chaque
même un rôle dynamique dans cette intégration.
système rectifié quant au but peuvent être organisées selon
L’originalité chez l’homme des systèmes comportementaux
plusieurs niveaux de complexité : soit en chaîne stéréotypée,
hiérarchisés et des MIO auxquels ils sont reliés est de pouvoir
soit en hiérarchie de causalité, soit en hiérarchie de stratégie.
être organisés par le langage à partir de l’âge de 2 ans, ce qui
Dans un système en chaîne, lorsqu’une séquence est correc- leur confère un degré d’élaboration très grand. Il existe toutefois
tement réalisée, un mécanisme de rétrocontrôle la termine et au sein de ces organisations hiérarchiques complexes, qui sont
active la suivante. Chacune des séquences est rectifiée quant au loin du comportement instinctif, des systèmes plus simples et
but, mais pas le système dans son ensemble. plus stables au regard de l’environnement.
Dans un système organisé par hiérarchie de causalité, la mise Selon Bowlby : [4] « Dans la petite enfance de l’homme, la
en œuvre d’une séquence est déterminée par l’importance des plupart des systèmes comportementaux en ordre de marche
facteurs d’activation présents à un moment donné. La séquence sont des systèmes simples qui s’intègrent en chaînes. Au fur et
qui en réunit le plus grand nombre ou ceux ayant la plus à mesure du développement, les systèmes rectifiés quant au but
grande intensité sera activée. Dans ce mode d’organisation, c’est deviennent plus apparents, le modèle de l’environnement et le
encore chaque séquence qui est rectifiée quant au but et non le modèle de l’organisme s’élaborent et les systèmes s’organisent
système en entier. en hiérarchies de stratégies. »
Au contraire, dans les systèmes organisés en hiérarchie de
stratégie, c’est l’ensemble de la structure comportementale, au Sélection des figures d’attachement
sein de laquelle sont intégrées les différentes séquences, qui est
rectifié quant au but. Le comportement d’attachement est orienté vers une figure
Ces différentes organisations ne sont pas incompatibles entre particulière : c’est la notion de figure d’attachement. Toute
elles, et le plus souvent elles sont associées. Une progression de personne qui s’engage dans une interaction sociale animée et
l’organisation en chaîne à l’organisation en hiérarchie de durable avec le bébé dans les premiers mois de sa vie, qui
stratégie apparaît au cours du développement. répond facilement et de façon sensible à ses signaux de détresse
Pour que les systèmes organisés selon une hiérarchie de et à ses approches pour être réconforté, est susceptible de
devenir une figure d’attachement. Si c’est le plus souvent la
stratégie puissent parvenir au but assigné, il est nécessaire que
mère qui devient la première et principale figure d’attachement,
l’individu ait une connaissance à la fois du monde qui l’entoure
cela n’est pas exclusif, toute autre personne se trouvant dans ce
et de ses propres capacités. Ceci implique que la sécurité repose
type d’interaction avec l’enfant peut également le devenir.
autant sur l’exploration et l’extraction de l’information que sur
L’enfant a une tendance innée à s’attacher plus spécialement à
la possibilité de retour à la base sûre. Des modèles plus ou une figure, ce qui signifie que dans un groupe stable d’adultes,
moins complexes sont progressivement élaborés pour transmet- une figure et une seule deviendra la figure d’attachement
tre, mémoriser, et manipuler les informations qui permettent de privilégiée : c’est le concept de monotropisme. Initialement,
faire des prévisions sur la façon de réaliser des buts assignés. Bowlby a expliqué cette orientation vers une figure précise en
C’est une autre fonction de ce que Bowlby appelle les MIO. faisant l’analogie avec le phénomène de l’empreinte chez les
L’individu va donc constamment construire et remanier au oiseaux, selon le modèle proposé par Lorenz. [3] Les études chez
cours de son développement des modèles expérimentaux qui lui les primates, toutefois, suggèrent que l’attachement, au lieu
permettent de prévoir la disponibilité de la figure d’attache- d’être un phénomène en tout ou rien, soit chez les mammifères
ment, de dresser des plans pour l’obtenir, et d’explorer son le résultat d’un processus graduel associant un développement
environnement à partir de celle-ci. C’est la structure de ces génétiquement programmé à un apprentissage social. S’il

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Attachement et développement ¶ 37-200-B-35

n’existe donc pas de « période sensible » comme dans le processus de mentalisation de Fonagy [9] s’en rapprochent, et
phénomène de l’empreinte, toutefois c’est cependant entre s’en sont d’ailleurs directement inspirées.
8 semaines et 6 mois que se situe la période la plus favorable Le sentiment de sécurité est le fruit au niveau émotionnel de
pour la création des liens d’attachement primaire. Ceci a l’obtention de la proximité ou de la disponibilité de la figure
d’importantes conséquences, en particulier pour l’adoption. d’attachement.
En lien avec la notion de système lié au contexte, la notion
Facteurs d’activation et de terminaison de motivation inhérente est également très importante. Elle
correspond au fait qu’il existe une tendance inhérente au
du système d’attachement système à poursuivre son action à partir du moment où il est
Il existe différents modes d’activation et de terminaison du activé. Cela signifie par exemple que les enfants s’attacheront à
système d’attachement. Il ne s’agit pas, comme dans la théorie ceux qui s’occupent d’eux, qu’ils remplissent ou non leurs
freudienne, d’un modèle pulsionnel, mais d’un modèle contex- fonctions de façon adéquate.
tuel, et la théorie de la motivation sous-jacente au comporte-
ment est donc très différente. Le système d’attachement Relations avec les autres systèmes
n’appartient pas à l’enfant en propre, il est activé et désactivé comportementaux au cours
par des contextes spécifiques. Dans la conception de Bowlby :
« La terminaison n’est pas due à l’épuisement de quelque
du développement
mécanisme d’horlogerie ou de quelque énergie psychique, mais La théorie de l’attachement suggère qu’il existe chez chaque
à un signal spécifique ; un flot de voitures s’arrête parce qu’il y individu un certain nombre de systèmes comportementaux
a un feu rouge, pas parce que les véhicules sont à court caractéristiques d’une espèce. Chaque système utilise un
d’essence ». [4] ensemble de comportements fonctionnellement équivalents, et
Parmi les facteurs spécifiques d’activation du comportement chaque comportement peut être intégré dans plusieurs systèmes.
d’attachement chez un enfant de 2 ans on distingue : Les travaux des chercheurs sur l’attachement ont essentielle-
• des facteurs d’environnement : la distance d’avec la mère, le ment porté sur les systèmes comportementaux d’exploration, de
temps écoulé en son absence et l’apparition d’événements peur/vigilance et de sociabilité, tous systèmes qui sont intime-
alarmants ; ment liés avec le système d’attachement.
• des facteurs liés à l’état de l’enfant : fatigue, faim, maladie, La fonction biologique du système d’attachement et du
douleur, froid. système de peur est la protection contre une large gamme de
La distance d’avec la mère ne signifie pas seulement la dangers. La fonction biologique des systèmes d’exploration et de
distance physique. La façon dont elle se comporte en présence sociabilité est de permettre l’apprentissage des capacités néces-
de l’enfant peut déclencher le comportement d’attachement en saires pour assurer sa survie par soi-même, que ce soit en termes
dehors de tout éloignement. Si la mère repousse son enfant, ou de capacités individuelles ou d’intégration harmonieuse dans le
si l’enfant sent que sa mère va partir, ou qu’elle a une attitude groupe social.
de retrait, ou encore s’il la voit s’occuper d’un autre enfant, il Ces quatre systèmes entretiennent des relations étroites :
aura tendance à s’agripper à elle. chacun possède ses contextes spécifiques d’activation, il existe
À partir du troisième anniversaire, le comportement d’atta- cependant des équilibres dynamiques entre leurs fonctionne-
chement s’active de façon moins fréquente et avec une plus ments, et ces équilibres évoluent au cours du développement.
faible intensité, du moins chez l’enfant sécure. Ce changement Nous nous limiterons à aborder les plus importants en termes
est lié à l’expérience, qui rend familières beaucoup de situations de développement : l’équilibre attachement/exploration d’une
qui provoquent initialement l’alarme. Une des caractéristiques part, l’équilibre attachement/peur d’autre part.
du développement du système d’attachement est donc la
restriction de la gamme des stimuli susceptibles de l’activer. Attachement et exploration
Les conditions de terminaison varient en fonction de l’inten- Les liens entre le système d’attachement et le système
sité de l’activation. Ainsi seul le contact physique avec la mère d’exploration sont particulièrement étroits. Pour Bowlby, le
sera à même de mettre fin à une activation intense, tandis que système d’exploration procure un avantage en termes de survie
lorsqu’elle est moins forte, entendre ou voir la mère peut suffire. car il permet l’acquisition d’informations sur la façon dont
Les conditions de terminaison évoluent également avec l’âge : la « marche le monde ».
gamme des stimuli mettant fin aux comportements d’attache- La fonction du comportement exploratoire est d’extraire
ment s’élargit progressivement, en particulier à des conditions l’information de l’environnement. Les systèmes comportemen-
symboliques telles que des photographies, des lettres, des taux qui le constituent sont activés par la nouveauté et terminés
conversations téléphoniques. Un très jeune bébé en détresse ne par des stimuli liés avec la familiarité ; l’originalité de ce
sera calmé que par le bercement dans les bras et la voix ; un système de comportement est de transformer le nouveau en
enfant de plus de 3 ans peut l’être par un coup de téléphone de familier, et donc les stimuli d’activation en stimuli de terminai-
sa mère. son. Il faut remarquer que ce sont presque les mêmes stimuli
En lien avec ces conditions de terminaison, on parle de « but qui suscitent le comportement d’exploration dans certains cas et
assigné » (ou set-goal) du comportement d’attachement. Ce but qui dans d’autres cas déclenchent l’alarme, et le comportement
est donc le maintien de la proximité, mais en tenant compte du de retour à la « base sûre ».
fait que la notion de proximité s’élargit avec le développement Selon Ainsworth, [1] l’équilibre dynamique entre ces deux
cognitif. Il s’agit de proximité physique dans les premières systèmes comportementaux est encore plus déterminant, en
années, alors que chez l’enfant âgé de plus de 3 ans, chez termes de survie, que chacun d’entre eux pris isolément. Le
l’adolescent puis l’adulte, c’est la disponibilité de la figure concept de « base sûre » initialement formulé par Ainsworth
d’attachement qui devient le « but assigné » du système. Cette rend compte de cet équilibre. L’enfant utilise sa figure d’atta-
notion de disponibilité correspond au fait que le sujet : chement comme « base sûre » à partir de laquelle il peut se
• a confiance dans le fait que les lignes de communications lancer dans l’exploration de son environnement. La plupart des
avec la figure d’attachement sont et resteront ouvertes ; enfants répondent de manière souple à des situations spécifi-
• a confiance dans le fait que l’accessibilité physique est ques, après avoir évalué les caractéristiques de l’environnement
possible ; et la disponibilité de la figure d’attachement. Quand le système
• a confiance dans le fait que la figure répondra si elle est d’attachement est activé (que ce soit parce que l’enfant est
appelée à l’aide. C’est la notion de « responsiveness », intradui- séparé de sa figure d’attachement, fatigué, dans un environne-
sible autrement que par une périphrase : capacité à répondre. ment inconnu ou dans lequel se trouvent des étrangers) le jeu
Elle correspond à l’accessibilité psychologique. C’est une et l’exploration diminuent. Réciproquement, quand le système
notion plus dynamique que celle de sensibilité puisqu’elle d’attachement n’est pas activé (quand il n’est pas malade, qu’il
implique une réciprocité, et une activité de la figure d’atta- est reposé, dans un environnement connu, pas trop loin de sa
chement. Les notions telles que l’accordage de Stern [11] ou le figure d’attachement), l’exploration est augmentée. Ainsi

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-200-B-35 ¶ Attachement et développement

l’attachement, bien loin de restreindre l’exploration, la stimule. que lorsque se produit, devant nous, quelque chose qui nous
Bowlby considérait que, grâce au développement cognitif et épouvante et nous incite à la retraite. De la même façon, le
émotionnel de l’enfant, c’est la confiance de l’enfant dans la sentiment de peur peut être déclenché aussi bien lorsqu’un
disponibilité de la figure d’attachement plus que sa proximité individu se sent « coupé des lignes de communications avec sa
physique qui permet l’exploration, et que cela restait ensuite base », c’est-à-dire éloigné de sa figure d’attachement, que
valable tout au long de la vie. Ainsi à tout âge avoir une base lorsqu’il se produit devant lui quelque chose qui l’épouvante et
sûre c’est avoir confiance dans le fait qu’une personne précise « l’incite à la retraite ». Ainsi toute défection de la part de la
sera disponible pour offrir soutien, réconfort et protection en figure d’attachement, qu’elle soit réelle ou seulement redoutée,
cas de détresse. De très nombreux travaux depuis, dans lesquels peut provoquer une angoisse intense. Si un individu qui n’a pas
on a manipulé expérimentalement la présence physique ou confiance dans la disponibilité de sa figure d’attachement doit
psychologique de la mère, ont confirmé l’association entre la de plus affronter une autre source d’alarme, il ressentira une
disponibilité de la figure d’attachement et l’exploration. [20] frayeur des plus intenses.
Certaines stratégies d’attachement, dites évitantes ou détachées, La séparation, au cours de laquelle la mère est inaccessible,
consistent à recourir régulièrement à cette hyperactivation de peut être considérée comme un indice naturel du danger. Le
l’exploration pour désactiver l’attachement. comportement de peur qu’elle provoque pourrait donc être
considéré comme un comportement instinctif, qu’il soit le
Attachement/Peur-vigilance produit de la seule ontogenèse ou qu’il résulte de processus
Pour Bowlby, la peur du danger fait partie de l’équipement simples d’apprentissage dont l’occasion est toujours présente
comportemental de base produit par l’effet de la sélection dans l’environnement. L’intervention de phénomènes
naturelle. d’apprentissage dans la réaction à la séparation est suggérée par
Bowlby [7] oppose la peur, qui englobe à la fois ce qui est l’étude des différences individuelles. On peut supposer que le
classiquement recouvert par les termes de peur et d’angoisse, au nouveau-né, ayant ressenti un état de détresse en l’absence de
sentiment de sécurité. sa mère, associe ces deux événements, ou bien qu’ayant éprouvé
Comme il existe des indices de sécurité, il existerait des une peur plus intense devant une menace survenue en l’absence
indices naturels de danger, reconnus comme tels du fait de de sa mère, ressente par la suite cette absence en elle-même
prédispositions génétiques et non de leur dangerosité intrinsè- comme une cause de peur.
que. Notons que le critère de la « réalité du danger » n’est pas
pertinent pour distinguer l’angoisse de la peur. Les principaux
indices naturels de danger sont l’étrangeté, un changement ■ Ontogenèse
brusque de stimulation, une approche brusque, le fait d’être
seul. Des peurs telles que la peur des animaux ou la peur du Le comportement d’attachement se développe progressive-
noir résulteraient de la présence simultanée de plusieurs de ces ment, et ce développement se caractérise par :
indices naturels. • la restriction de la gamme des stimuli qui déclenchent le
À ces indices naturels, parfois modifiés par l’apprentissage, comportement d’attachement ;
s’ajoutent rapidement au cours du développement des indices • la mise en place de systèmes de plus en plus complexes
culturels que l’enfant découvre à partir de l’observation du d’organisation ;
comportement des adultes, l’enfant imitant leur comportement • l’intégration de systèmes non fonctionnels au début dans des
de peur sans toujours comprendre la nature du danger évité. ensembles fonctionnels.
Au cours de son développement, l’enfant reconnaît d’abord Bien que ces différentes lignes de l’ontogenèse soient conti-
les indices naturels, puis il intègre les indices culturels, enfin il nues, Bowlby [4] décrit schématiquement quatre phases de
parvient à une évaluation individuelle de la réalité du danger développement pendant l’enfance, dont les trois premières ont
dans différentes situations. Cette évolution suit celle des lieu au cours de la première année de la vie et la quatrième
capacités cognitives, permet une estimation de plus en plus commence autour du troisième anniversaire. L’adolescence est
réaliste du danger, mais n’entraîne pas la disparition de l’effica- ensuite l’occasion de remaniements importants des liens
cité des indices « indirects », naturels ou culturels, dans le d’attachement, qui se stabilisent à l’âge adulte.
déclenchement du comportement de peur.
Face au danger, le repli, la fuite ou l’évitement permettent Première phase : orientation et signaux
d’augmenter la distance séparant le sujet de l’objet menaçant. sans discrimination de figure
Le comportement d’attachement réduit, lui, la distance avec
l’objet protecteur, la figure d’attachement représentant un Elle va de la naissance à 8-12 semaines.
« havre de sécurité ». Dès la naissance, l’enfant s’oriente et réagit préférentiellement
Ainsi comportement de repli et comportement d’attachement aux stimuli provenant des êtres humains. Réciproquement, les
constituent deux composantes essentielles et distinctes du signaux de l’enfant suscitent l’intérêt et les soins des personnes
comportement indiquant la peur, avec la même fonction de autour de lui, et qui lui procurent proximité, contact physique,
protection et des stimuli semblables. Les états émotionnels en chaleur et aliments. Le comportement d’attachement de l’enfant
rapport avec l’activation de ces deux comportements, bien que ne peut donc être compris que dans le contexte des réponses de
similaires, sont eux aussi distincts. Le terme d’ « alarme » est ceux qui s’occupent de lui. Pour paraphraser Winnicott : le
proposé par Bowlby pour décrire le sentiment qui accompagne comportement d’attachement d’un enfant tout seul, ça n’existe
la fuite, celui d’ « angoisse » pour décrire le sentiment qui pas.
accompagne la recherche infructueuse de la figure d’attache- La capacité du bébé à discriminer quelqu’un en particulier est
ment. Le sentiment de peur comporterait donc à la fois alarme très limitée ; il n’est pas capable de distinguer le comportement
et angoisse dans des proportions qui varient en fonction de d’une personne de celui d’une autre, et se conduit de la même
l’intensité de l’activation de l’un ou l’autre des comportements manière envers deux personnes qui interagissent de la même
par la situation de danger. manière avec lui. Dès la naissance, les systèmes sensoriels sont
Bowlby [7] propose une analogie pour illustrer la relation opérants, particulièrement l’audition, et leur fonctionnement va
entre alarme et angoisse dans le sentiment de peur, en utilisant continuellement s’améliorer. Ainsi des phénomènes partiels
la situation d’une armée en campagne. « Le salut d’une armée d’orientation à la voix humaine apparaissent-ils très précoce-
ne dépend pas uniquement de ses moyens de défense contre ment. La vue va rapidement jouer un rôle majeur dans le
une attaque directe mais aussi de son libre accès à sa base comportement d’attachement. Dès la naissance, le nouveau-né
(l’intendance). Tout commandement militaire qui négligerait est capable d’orientation visuelle et de poursuite oculaire ; à
d’accorder autant d’importance à la liaison avec sa base qu’à ses 4 semaines, la plupart des enfants montrent une préférence
lignes de front ne tarderait pas à encourir une défaite. » La thèse pour les visages humains par rapport à d’autres objets. À 4 mois,
avancée ici est qu’il n’est pas moins naturel de se sentir effrayé la vision du bébé est proche de celle d’un adulte de près et de
lorsque les lignes de communication avec la base sont coupées loin.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Attachement et développement ¶ 37-200-B-35

Pendant cette première phase, chaque système sensoriel a ses rechercher sa mère, et quatre comportements qui jouent un rôle
propres facteurs d’activation et de terminaison, et il n’y a pas fondamental dans le système d’attachement vont apparaître à
d’interconnexions entre les différents systèmes. cette période :
Le comportement du nouveau-né vis-à-vis d’une personne • l’approche différentielle spécifique de la mère lors de retrou-
familière se caractérise par : l’orientation vers cette personne, la vailles ou de situations de détresse (28 semaines) ;
suivre des yeux, essayer de l’atteindre ou de l’attraper, sourire, • la poursuite spécifique différentielle de la mère lorsqu’elle
babiller. Souvent, le bébé cesse de pleurer lorsqu’il entend une quitte la pièce où se trouve l’enfant (24 semaines), par ces
voix, ou aperçoit un visage. Au cours de cette phase comme de deux types de comportements l’enfant maintient la proximité
la suivante, c’est principalement l’entourage qui assure la avec la figure d’attachement ;
proximité. • l’utilisation de la mère comme « base sûre » pour l’explora-
Les MIO n’existent pas encore à proprement parler au cours tion (28 semaines) ;
de cette phase, ou alors sous une forme rudimentaire. Ils ne • l’utilisation de la mère comme havre de sécurité : l’enfant
sont pas distincts des comportements réels et se limitent à des retourne vers sa mère quand il est alarmé pour rechercher
« encore » ou des « stop » internes, en lien avec l’activation ou réconfort et soutien (34 semaines).
la terminaison des comportements. [19] Certains de ces comportements locomoteurs, de même que
les comportements d’appel, s’organisent sur un mode corrigé
quant au but, ce qui n’était pas le cas jusqu’alors. L’enfant peut
Deuxième phase : orientation et signaux manipuler mentalement des représentations et choisir dans son
vers une figure discriminée répertoire comportemental les actions qui lui permettront
d’obtenir ce qu’il souhaite. Toutefois, ces systèmes corrigés
Elle va de 8 semaines à 6 mois environ, et se distingue quant au but sont encore organisés simplement et utilisent une
progressivement de la phase précédente. Dans cette seconde représentation primitive de la figure maternelle, conçue comme
phase, les comportements élémentaires d’attachement com-
un objet indépendant qui persiste dans l’espace et dans le temps
mencent à s’organiser entre eux, dans des systèmes simples, en
(cette permanence de la personne précède la permanence de
chaîne. Deuxième changement, les capacités de discrimination
l’objet au sens de Piaget), mais dont les buts assignés restent
de l’enfant s’affinent et il développe une préférence pour une
inconnus. En effet, si les MIO sont maintenant capables de
figure particulière, le plus souvent la figure maternelle, vers
différencier nettement des représentations de la figure d’atta-
laquelle est dirigé le comportement d’attachement. Les réponses
chement et du soi, ils ne portent que sur des comportements.
différentielles à la voix maternelle sont de plus en plus nettes ;
L’enfant ne peut encore concevoir que l’autre, au-delà de son
la discrimination visuelle des visages commence vers la 10e
comportement, ait des perceptions et des objectifs qui sont
semaine et dès 14 semaines, il est clair que l’enfant préfère
différents des siens.
regarder celui de sa mère. Ces réponses différentielles à une
C’est au début de cette phase, lorsque l’enfant discrimine
figure particulière sont tout à fait évidentes dans un grand
bien la figure d’attachement, qu’apparaissent, dans le dévelop-
nombre de situations, à partir de la 16e semaine. L’orientation
pement normal, l’angoisse de séparation d’abord, puis la peur
préférentielle du comportement est donc un aspect essentiel de
de l’étranger ensuite. Pour Bowlby, il s’agit là de deux phéno-
ce qui définit cette deuxième phase, rendue possible par
mènes distincts, bien que reliés, mais qui participent tous les
l’amélioration des capacités de discrimination et probablement
deux à la consolidation du lien spécifique à une figure donnée.
déterminée par la répétition des interactions avec une même
Bowlby critique la position de Spitz [21] qui donne comme
personne, on l’a vu, il n’existe pas chez l’homme de processus
strictement en rapport avec l’empreinte. Il y a donc une premier indice de la relation d’objet l’apparition de l’angoisse de
restriction progressive des signaux d’activation et de terminai- l’étranger, dite du 8e mois, en soulignant que la peur de la
son du comportement d’attachement vers ceux qui sont les plus séparation la précède et qu’elle est plus précoce que Spitz ne
fréquents, familiers dans le cadre des interactions avec les l’indique. [4]
parents. C’est donc au cours de cette période que, pour la plupart des
Troisième caractéristique : l’enfant prend de plus en plus auteurs, le lien d’attachement se noue véritablement ; Bowlby a
souvent l’initiative du comportement d’attachement et des parlé de période sensible. Il considérait que la capacité à
interactions sociales au sens large. s’attacher rapidement restait intacte jusqu’à la fin de la première
Dès cette phase, dans le premier quart de la première année, année, bien que des travaux plus récents indiquent qu’elle se
peuvent commencer à apparaître des différences interindivi- prolongerait même au-delà. [22]
duelles dans les stratégies comportementales. Du fait de ses
capacités à différencier les figures de son entourage, l’enfant sait
qui s’occupe de lui. Cependant, il ne peut encore construire des Quatrième phase : formation
représentations globales de ses figures d’attachement comme
disposant d’une existence séparée de ses expériences à lui. La
d’un partenariat corrigé quant au but
structure de ces MIO est encore rudimentaire, analogue à la Elle commence au plus tôt au début de la troisième année.
structure en chaîne de son comportement. Il n’a pas encore la L’enfant apprend à élaborer des stratégies qui tiennent
capacité d’expérimentation ou de manipulation interne des compte des buts assignés par sa mère, et ces buts sont nom-
images, des buts ou des intentions, pour faire des plans afin breux et contradictoires. L’enfant tente de les influencer. Le
d’atteindre des objectifs. développement de ses capacités cognitives lui permet d’acquérir
une compréhension des intentions de l’autre, ce qu’après
Bowlby, on a appelé la théorie de l’esprit (theory of mind). Une
Troisième phase : maintien de la proximité interaction complexe se développe alors, dans laquelle les deux
avec une figure discriminée au moyen partenaires ont une compréhension intuitive des sentiments et
des motivations de l’autre, ce que Bowlby appelle un partena-
de la locomotion aussi bien que des signaux riat. La capacité de l’enfant à intégrer les objectifs et les désirs
Elle commence vers 6 mois (entre 6 et 9 mois) et se prolonge de ses partenaires et à les modifier par son propre comporte-
jusqu’au début de la troisième année. ment en fonction de ses besoins va s’affiner progressivement,
Tandis que la discrimination est de plus en plus marquée, mais dès l’âge de 3-4 ans, elle va jouer un rôle clé dans la
c’est surtout l’élargissement et la sophistication du répertoire de capacité à négocier les conflits.
réponses qui caractérise cette période. L’enfant a un rôle plus C’est au cours de cette phase que le comportement d’attache-
actif dans le maintien de la proximité. Le changement le plus ment de l’enfant devient prépondérant dans le maintien de la
important est l’acquisition de la motricité qui lui permet d’avoir proximité avec la mère.
un contrôle beaucoup plus important de la proximité de la Les modèles de représentation de soi et de l’environnement
figure d’attachement. Il commence à s’approcher, à suivre ou à jouent un rôle de plus en plus important, et l’enfant, pour se

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-200-B-35 ¶ Attachement et développement

sentir sécurisé, n’a plus besoin de la présence physique de sa Par exemple, l’activité professionnelle et les différents
mère. De plus, des figures d’attachement secondaires prennent investissements sociaux à l’âge adulte sont plus riches grâce à la
le relais et permettent d’affronter des milieux étrangers. balance entre le système d’attachement proprement dit et le
système exploratoire comme aux autres âges de la vie.

Adolescence
Les modalités des liens d’attachement construits pendant la ■ Conclusion
petite enfance sont stables en dehors de la survenue d’événe-
ments particuliers susceptibles de les remanier. Avant le passage La théorie de l’attachement considère que l’enfant et sa mère
à l’âge adulte, l’adolescence est toutefois une occasion de sont psychologiquement distincts dès la naissance. Elle met
remaniements importants. l’accent sur la façon dont le monde interne se construit en
C’est une période de profondes transformations physiques et interaction avec l’environnement. La relation d’attachement se
psychologiques au cours de laquelle ont lieu : construit progressivement : le schème d’attachement, généti-
• une mise à distance des figures d’attachement primaires ; quement programmé chez les partenaires, parents et enfant, est
• la création de nouveaux liens d’attachement ; modelé par l’environnement social. Il est donc beaucoup plus
• l’émergence des systèmes comportementaux de reproduction complexe et moins immédiat que le comportement d’empreinte
et de caregiving, mais aussi la sexualisation des liens. des éthologues. Le petit se tourne de manière préférentielle vers
Ainsworth suggère que les changements cognitifs sont des figures discriminées pour chercher des apports (nurturance),
également très importants du point de vue de l’attachement à du confort, du soutien et de la protection, en même temps
cette période, permettant l’apparition d’un fonctionnement plus qu’apparaissent l’angoisse vis-à-vis de l’étranger et la protesta-
mature. C’est le stade piagétien dit des opérations formelles. La tion en cas de séparation, deux indices de l’existence d’un
pensée se libère du concret, l’adolescent devient capable de attachement préférentiel.
raisonner de façon formellement correcte sur des hypothèses, Quelle que soit l’étape du développement, les relations
sans soutien du concret. Paradoxalement, l’adolescence n’est pas d’attachement peuvent être définies par quatre caractéristiques
une période très favorable à l’autoréflexion, probablement du qui les distinguent des autres relations affectives : recherche de
fait de la sexualisation des liens et du fonctionnement intellec- proximité vis-à-vis d’une figure préférentielle, utilisation de la
tuel. [23] Ce mode de pensée permet cependant une échappa- figure d’attachement comme base de sécurité (c’est-à-dire
toire vers la théorisation, l’intellectualisation, et le maintien de exploration plus libre en présence de la figure d’attachement),
l’estime de soi et du sentiment de prise sur la réalité par le comportement de refuge (c’est-à-dire retour vers la figure
fonctionnement intellectuel. Cette période est donc l’occasion d’attachement lorsque le sujet fait face à une menace perçue) et
de remaniements importants des MIO, et de leur intégration en enfin réactions de protestation marquées lors de la séparation
un ensemble unifié et cohérent. involontaire.
Tout au long du développement, la sécurité de l’attachement
dépend de trois facteurs :
Attachement chez l’adulte • la survenue de ruptures ou de menaces de rupture actuelles
dans les relations d’attachement, que ce soit à la suite de
À partir de la fin de l’adolescence, le système d’attachement conflits chroniques, d’une séparation prolongée, d’un divorce
devient un système symétrique, équilibré, entre individus ayant ou d’un deuil ;
atteint le même stade adulte de développement psychologique. • la nature de la communication affective dans la relation
Les liens d’attachement s’établissent dans la réciprocité. Chaque d’attachement ;
partenaire est, en effet, à la fois donneur et receveur de soutien, • les stratégies d’attachement, autrement dit les MIO que le
d’attention, de sécurité, devenant pour l’autre une figure sujet a développés au cours de son enfance pour s’adapter à
d’attachement et utilisant son partenaire comme une figure l’attitude de ses parents.
d’attachement pour lui-même. La théorie de l’attachement a ainsi profondément bouleversé
Au sein de ces relations adultes, des différences importantes la manière d’envisager le développement précoce, de façon
existent entre les relations amicales et affiliatives, qui représen- compatible avec les données des sciences cognitives et des
tent des figures d’attachement auxiliaires, et le partenaire neurosciences. Elle s’est aussi révélée remarquablement féconde
amoureux, qui représente, après un certain temps de relation sur le plan scientifique et clinique. [24-26] La sécurité de l’atta-
qui semble se situer après une durée de 2 ou 3 ans, la figure chement semble bien prédictive d’un certain nombre d’aspects
d’attachement principale. positifs du développement, en particulier sur le plan interper-
Les relations amoureuses, et surtout la relation de couple, de sonnel, mais cette capacité de prédiction doit encore être
même que le comportement de soins aux jeunes enfants, vont confirmée et précisée.
être imprégnés par les MOI construits pendant l’enfance.
Les fonctions des liens d’attachement à l’âge adulte ne
peuvent pas être identiques à celles des enfants ni des adoles-
cents puisque les sujets adultes ont acquis une autonomie leur
■ Références
permettant de subvenir par eux-mêmes à leur survie. [1] Ainsworth MD, Bell SM. Attachment, exploration, and separation:
Leur importance se situe à un niveau qui, pour les théoriciens illustrated by the behaviour of one-year-olds in a strange situation.
de l’attachement à l’âge adulte, pourrait être lié à la survie de Child Dev 1970;41:49-67.
l’espèce, à la transmission des gènes, en particulier dans l’apport [2] Ainsworth M, Blehar M, Waters E. Patterns of attachment. A
à la qualité de l’ « élevage » des bébés. En effet, la dépendance psychological study of the strange situation. Hillsdale: Erlbaum; 1978.
des bébés à la naissance les rend dépendants, pour leur survie [3] Lorenz KZ. Instinctive behaviour. New York: International
et la qualité de leur développement ultérieur, de la qualité des Universities Press; 1957.
soins parentaux. [4] Bolwby J. Attachement et perte. Vol 1. L’attachement. Paris: PUF;
1978.
Le lien d’attachement créé entre les deux partenaires sexuels
[5] Harlow HF. The nature of love. Am Psychol 1958;13:673-85.
contribuerait à maintenir le plus longtemps possible ensemble
[6] Hinde RA. Biological basis of human social behaviour. New York:
le couple parental et ainsi de mieux assurer cette fonction des McGraw-Hill; 1974.
soins parentaux en assumant conjointement l’investissement [7] Bolwby J. Attachement et perte. Vol 2. La séparation : angoisse et
nécessaire aux soins précoces et ensuite à l’ensemble de l’édu- colère. Paris: PUF; 1978.
cation jusqu’à la fin de l’adolescence. [8] Bolwby J. Attachement et perte. Vol 3. La perte : tristesse et dépression.
La continuité des liens d’attachements, en offrant un support Paris: PUF; 1984.
affectivoémotionnel, permet le maintien d’une base de sécurité [9] Fonagy P, Steele H, Moran G. The capacity for understanding mental
que chaque partenaire donne à l’autre, et des activités d’explo- states: the reflective self in parent and child and its significance for
ration plus développées. security of attachment. Infant Ment Health J 1991;13:200-17.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Attachement et développement ¶ 37-200-B-35

[10] Trevarthen C. Intrinsic motives for companionship in understanding: [19] Bretherton I, Munholland KA. Internal working models in attachment
their origin, development and significance for infant mental health. relationships. In: Cassidy J, Shaver PR, editors. Handbook of
Infant Ment Health J 2001;22:95-131. attachment. Theory, research and clinical applications. New York: The
[11] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris: PUF; 1989. Guilford Press; 1999. p. 89-111.
[12] Hoffer MA. Hidden regulators: implications for a new understanding of [20] Grossmann KE, Grossmann K, Zimmermann P. A wider view of
attachment, separation and loss. In: Goldberg S, Muir R, Kerr J, editors. attachment and exploration. In: Cassidy J, Shaver PR, editors.
Attachment theory: social, developmental and clinical perspectives.
Handbook of attachment. Theory, research and clinical applications.
Hillsdale: The Analytic Press; 1995. p. 203-32.
New York: The Guilford Press; 1999. p. 760-86.
[13] Guedeney A. Psychosomatique et développement. In: Psychanalyse et
sciences du vivant, editor. Paris: Eshel éditions et MIRE; 1994. [21] Spitz RA. The first year of life. New York: International Universities
p. 225-57. Press; 1999 (1965).
[14] Guedeney A, Grasso F. Attachement et psychosomatique de l’enfant. [22] Marvin RS, Britner PA. Normative development. The ontogeny of
Perspect Psychiatr 2003;4:55-64. attachment. In: Cassidy J, Shaver PR, editors. Handbook of attachment.
[15] Freud S. Introduction à la psychanalyse. Paris: Payot; 1973 (1916). Theory, research and clinical applications. New York: The Guilford
[16] Thompson RA. Early attachment and later development. In: Cassidy J, Press; 1999. p. 44-67.
Shaver PR, editors. Handbook of attachment. Theory, research and [23] Kestemberg E. L’adolescence à vif. Paris: PUF; 1999.
clinical applications. New York: The Guilford Press; 1999. p. 265-86.
[24] Guedeney N, Guedeney A. L’attachement : concepts et applications.
[17] Sroufe LA. Emotional development. Cambridge: Cambridge
University Press; 1996. Paris: Masson; 2002.
[18] Belsky J, Cassidy J. Attachment: theory and evidence. In: Rutter M, [25] Miljkovitch R. L’attachement au cours de la vie. Paris: PUF; 2001.
Day D, editors. Developement through life. Blackwell Scientific; 1994. [26] Pierrehumbert B. Le premier lien, la théorie de l’attachement. Paris:
p. 373-402. Odile Jacob; 2003.

F. Atger, Pédopsychiatre, praticien hospitalier.


Service du Professeur Jeammet, Institut Mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 750014 Paris, France.
A. Guedeney, Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service (antoine.guedeney@bch.ap-hop-paris.fr).
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Bichat-Claude Bernard, 124, boulevard Ney, 75018 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Atger F., Guedeney A. Attachement et développement. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-B-35, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-200-B-10
37-200-B-10

Classifications en psychiatrie de l’enfant


C Bursztejn
B Golse
R Misès
Résumé. – Depuis les années 1980, les différents systèmes de classification psychiatrique ont connu de
nombreux remaniements qui ont affecté la terminologie et, plus encore, la manière de concevoir et de
regrouper les entités qui constituent le champ de la psychiatrie. La psychiatrie de l’enfant, elle-même en
pleine évolution, n’a pas été épargnée par ces multiples changements terminologiques et conceptuels.
Cet article se propose de comparer la présentation de la psychatrie de l’enfant dans : la CIM-10, le DSM-IV et
la CFTMEA.
© 2003 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : classifications psychiatriques, nosographie, CIM 10, DSM-IV, CFTMEA, psychopathologie de


l’enfant.

Introduction d’un diagnostic contribue à fixer des processus pathologiques


encore peu structurés. Les inconvénients potentiels, ou même les
La question des classifications est aussi ancienne que la psychiatrie dangers de « l’étiquetage », existent bien réellement. On cite
elle-même. Comme dans d’autres domaines, la démarche de souvent, à ce sujet, les études sur l’effet « Pygmalion », biais positif
connaissance des premiers aliénistes a en effet débuté par un ou négatif du jugement sur le comportement ou les performances
regroupement et un classement des individus placés sous leur d’un sujet quel que soit son âge, lorsque l’examinateur possède
responsabilité. Par la suite, c’est souvent à travers de nouvelles une information préalable sur lui [1, 17]. Ce risque est accru par la
propositions nosographiques que différents auteurs ont cherché à situation clinique en psychiatrie de l’enfant : même s’il présente
traduire leurs conceptions de la pathologie mentale. Parallèlement, des symptômes témoignant d’une évidente souffrance, l’enfant est
dès la fin du XIXe siècle s’est manifesté le souci de disposer d’une rarement lui-même porteur d’une plainte ou d’une demande. En
classification unifiée [11]. C’est de ce double mouvement que résulte fait, c’est en grande partie à travers le discours de l’entourage que
la complexité de la situation actuelle. Nous allons l’envisager, en le praticien va former son jugement clinique et c’est toujours à un
ayant en vue les problèmes spécifiques que pose la nosographie en groupe familial qu’il est confronté. Les exemples abondent de
psychiatrie de l’enfant. situations dans lesquelles l’attribution d’une étiquette plus ou
Parler de classification, implique une réflexion épistémologique sur moins sophistiquée à un comportement a pu empêcher tout accès
le statut des signes (sémiologie) et de leurs groupements (syndrome, à une compréhension de sa signification psychologique, par
maladie) dans le champ de la psychiatrie. Il faut rappeler aussi l’entourage.
qu’aucune classification et même aucune sémiologie ne saurait être Les critiques à l’égard des classifications doivent donc être
indemne de préconceptions théoriques et idéologiques. Certains sérieusement prises en considération et être rappelées pour mettre
auteurs adoptent, sans arrière-pensée, un modèle médical et
en garde contre les possibles mésusages qu’on peut en faire.
défendent une approche supposée objective, reposant sur
Cependant, une forme ou une autre de classification apparaît
l’observation du comportement ; ceux pour qui, au contraire, la
incontournable dès lors que l’on cherche à regrouper son expérience
clinique inclut la prise en compte de l’inconscient et de ses effets,
insistent sur les dimensions subjectives et intersubjectives de toute clinique et théoriser sa propre pratique, et plus encore, si l’on a
clinique. l’intention de communiquer avec d’autres collègues. De plus, la
psychiatrie de l’enfant, autant que la psychiatrie de l’adulte, a besoin
En deçà même de cette réflexion, développée dans d’autres articles
de développer sa recherche et, pour cela, des regroupements et des
de cet ouvrage [9, 16], il faut s’arrêter un instant sur la question
définitions précises des cas sont indispensables.
préalable de l’intérêt, mais aussi des éventuels effets négatifs d’une
classification psychiatrique chez l’enfant. L’utilité d’une approche
nosographique est, en effet, mise en doute par nombre de
psychiatres d’enfants qui y voient même le risque que l’attribution Classifications et leur évolution

Il existe plusieurs systèmes de classifications psychiatriques qui ont,


jusqu’à une époque récente, connu des évolutions parallèles et
Claude Bursztejn : Professeur, service psychothérapique pour enfants et adolescents, unité de soins de
l’Elsau, 15, rue Cranach, 67200 Strasbourg, France.
indépendantes. Cependant, on note depuis quelques années des
Bernard Golse : Professeur, unité de psychiatrie de l’enfant, hôpital Necker-Enfants malades, 149-161, rue influences réciproques entre la classification américaine et celle de
de Sèvres, 75015 Paris, France.
Roger Misès : Professeur de psychiatrie de l’enfance et de l’adolescent. Université Paris-Sud (UFR Kremlin-
l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui tendent à se
Bicêtre), Fondation vallée, 7, rue Benserade, 94257 Gentilly cedex, France. rapprocher.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bursztejn C, Golse B et Misès R. Classifications en psychiatrie de l’enfant. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-B-10, 2003, 9 p.

150 573 EMC [295]


37-200-B-10 Classifications en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

DSM-III ET IV
Tableau I. – DSM-IV. Troubles diagnostiqués habituellement au cours
Jusqu’à sa troisième édition, le Manuel Diagnostique et Statistique de l’enfance ou de l’adolescence.
des Troubles Mentaux édité par l’Association psychiatrique
américaine n’était qu’un simple glossaire, peu diffusé en dehors des Retard mental
États-Unis. Le DSM [ 2 ] -III a fait rupture par rapport aux - Léger
classifications antérieures en introduisant deux changements - Moyen
fondamentaux : - Grave
- Profond
– d’une part, chaque entité pathologique décrite a été définie par
un ensemble de critères exprimés en termes de comportement, dans Troubles des acquisitions scolaires
l’intention d’améliorer la fidélité interjuges ; - Trouble de la lecture
– d’autre part, la terminologie a été modifiée dans plusieurs - Trouble des mathématiques
- Trouble de l’écriture
domaines. Le changement le plus connu est l’élimination des notions
de névrose, de psychose et de troubles réactionnels qui constituaient, Troubles moteurs
jusque-là, les axes de référence de la psychopathologie.
- Trouble du développement de la coordination
Ces changements terminologiques ont concerné le champ de la
pédopsychiatrie : des termes nouveaux ont été introduits : « troubles Troubles de la communication
globaux du développement » (pervasive developmental disorders, - Trouble expressif du langage
mieux traduit ultérieurement par troubles envahissants du - Trouble du langage mixte réceptif-expressif
développement) désignant les psychoses spécifiques de l’enfance ; - Trouble phonologique
« trouble déficitaire de l’attention », correspondant à l’instabilité - Bégaiement
psychomotrice des auteurs français ; « angoisse de séparation », Troubles envahissants du développement
jusque-là concept psychopathologique, repris en tant que syndrome.
- Trouble autistique
Après une édition réussie (DSM-III R 1987) une quatrième édition - Syndrome de Rett
plus profondément modifiée a été publiée en 1994. - Trouble désintégratif de l’enfance
- Syndrome d’Asperger
¶ Psychopathologie de l’enfant dans le DSM-IV [4, 18]
Déficit de l’attention et comportement perturbateur
Le DSM-III et IV consacre à l’enfant un chapitre « troubles, - Trouble du déficit de l’attention et hyperactivité :
habituellement diagnostiqués au cours de l’enfance et de - type combiné ;
l’adolescence » ; celui-ci comporte dix sections (tableau I). Par - type inattentif ;
rapport au DSM-III, les différences sont nombreuses. Les troubles - type hyperactif-impulsif.
- Trouble de la conduite :
de l’identité sexuelle qui figuraient dans les chapitres consacrés à
- trouble opposition-provocation
l’enfant du DSM-III sont désormais regroupés avec l’ensemble des
troubles sexuels de l’adulte. La plupart des autres changements vont Troubles de l’alimentation
dans le sens d’un rapprochement avec la classification de l’OMS - Pica
CIM-10. C’est le cas notamment pour les troubles envahissants du - Trouble rumination
développement : ce chapitre reprend à quelques détails près, la - Trouble de l’alimentation du nourrisson
CIM-10 et les critères sont formulés de façon très similaire. En
Tics
revanche, il persiste encore des différences notables dans la
description des troubles des conduites et des troubles du déficit de - Syndrome de Tourette
l’attention. - Tic moteur ou vocal chronique
- Tic transitoire
En dehors de ces catégories spécifiques, les autres chapitres du DSM
s’appliquent indépendamment de l’âge (des indications sur les Troubles de l’élimination
modifications des critères en fonction de l’âge sont données pour - Encoprésie
certains syndromes, par exemple les troubles dépressifs). - Énurésie
Le DSM-III a apporté une autre innovation : un système multiaxial
Autres troubles de l’enfance et de l’adolescence
dont le développement s’est poursuivi dans les versions suivantes.
Dans le DSM-IV les cinq axes sont formulés ainsi : - Trouble de l’anxiété de séparation

- Mutisme sélectif
– axe I :
- Trouble réactionnel de l’attachement
• troubles cliniques ;
- Trouble mouvements stéréotypés
• autres situations pouvant faire l’objet d’un examen clinique ;
– axe II : CIM-10 [7, 18]

• troubles de la personnalité ; La Classification Internationale des Maladies de l’OMS (CIM [en


• retard mental ; anglais : International Classification of Diseases] ou ICD) est
l’héritière de l’ancien projet de classification « universelle ».
– axe III : affections médicales générales ; Rappelons que, la CIM-9 (1975) avait introduit quelques nouvelles
– axe IV : problèmes psychosociaux et environnementaux ; entités pour la psychiatrie de l’enfant :
– axe V : évaluation globale du fonctionnement. – les psychoses spécifiques de l’enfance (dont l’autisme infantile) ;
L’accent est ainsi mis sur la nécessité de prendre en considération – les troubles de l’affectivité spécifiques de l’enfance ;
d’autres aspects que le diagnostic catégoriel pour évaluer la situation
d’un patient. C’est important aussi pour l’enfant, chez qui les – l’instabilité de l’enfance.
caractéristiques de l’environnement familial et social comme les Le chapitre 5 de la dixième version de la classification de l’OMS
pathologies médicales sont particulièrement importantes à (CIM-10), tout en tenant compte des classifications en usage dans
considérer. D’autres classifications ont d’ailleurs suivi cette différents pays, a été visiblement très influencée par les innovations
démarche multiaxiale. terminologiques et la conception générale du DSM-III. Cependant,

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Classifications en psychiatrie de l’enfant 37-200-B-10

seule la version destinée à la recherche comporte des critères


analogues à ceux du DSM. Dans la version de base, pour chaque Tableau II. – CIM-10. Chapitre V (extraits).
item sont données des descriptions cliniques accompagnées de Retard mental
directives pour le diagnostic.
F 70 Retard mental léger
F 71 Retard mental modéré
¶ Psychopathologie de l’enfant dans la CIM-10 F 72 Retard mental sévère
F 73 Retard mental profond
Il faut rappeler que la classification psychiatrique de l’OMS
correspond en fait au chapitre V « Troubles mentaux et troubles du Troubles du développement psychologique
comportement » d’une classification générale de l’ensemble des
F 80 Troubles spécifiques du dévelop- - Trouble spécifique de l’articula- F 80.0
pathologies et causes de mortalité. pement de la parole et du langage tion
Le chapitre 5 de la CIM-10 ne comporte que deux sections - Trouble du langage type F 80.1
expressif
spécifiquement dédiées à l’enfant : les « troubles du développement
- Trouble du langage type réceptif F 80.2
psychologique » et les « troubles du comportement et troubles - Aphasie acquise avec épilepsie F 80.3
émotionnels apparaissant habituellement dans l’enfance » – le retard
F 81 Troubles spécifiques des acquisi- - Trouble spécifique de la lecture F 81.0
mental étant traité dans un chapitre autonome (tableau II). tions scolaires - Trouble spécifique de l’ortho- F 81.1
Les troubles du développement psychologique incluent les troubles graphe
envahissants du développement. Pour ce dernier chapitre, la CIM-10 - Trouble spécifique de l’arithmé- F 81.2
tique
a repris la terminologie et la conception d’ensemble du DSM-III et
- Trouble mixte F 81.3
du DSM-III R. Cependant, alors que le DSM-III-R ne différenciait
que le trouble autistique et le trouble envahissant du développement F 82 Troubles spécifiques du dévelop-
pement moteur
non spécifié, la CIM-10 a introduit, à côté du trouble autistique,
plusieurs catégories qui ne figuraient dans aucune classification F 83 Troubles spécifiques mixtes du
psychiatrique jusque-là : le trouble hyperkinétique avec retard développement
mental et mouvements stéréotypés, le syndrome de Rett, ainsi que F 84 Troubles envahissants du dévelop- - Trouble autistique F 84.0
le syndrome d’Asperger. Ces deux derniers items ont été repris par pement - Trouble autistique atypique F 84.1
les DSM-IV. - Syndrome de Rett F 84.2
- Autre trouble désintégratif de F 84.3
Le chapitre « Troubles du comportement et troubles émotionnels l’enfance
apparaissant habituellement dans l’enfance », reprend, avec des - Trouble hyperkinétique avec F 84.4
regroupements différents, une grande partie des items du DSM-III retard mental et mouvements
stéréotypés
et du DSM-III R. Cependant, si on retrouve le « trouble hyperactif
- Syndrome d’Asperger F 84.5
avec déficit de l’attention », la CIM-10 introduit une catégorie
spécifique pour les « troubles hyperkinétiques associés à des troubles Troubles du comportement et troubles émotionnels apparaissant habituellement
des conduites ». dans l’enfance

Les « troubles des conduites » sont subdivisés d’une manière F 90 Troubles hyperkinétiques - Perturbation de l’activité et de F 90.0
l’attention
différente de celle adoptée dans le DSM-IV ; en outre, la CIM-10 a
- Trouble hyperkinétique et F 90.1
introduit un groupe supplémentaire : les « troubles mixtes des trouble des conduites
conduites et des émotions » dans lesquels sont individualisés, en
F 91 Troubles des conduites - Limité au milieu familial F 91.0
particulier, les « troubles des conduites avec dépression », catégorie
- Type mal socialisé F 91.1
qui n’est pas reprise dans le DSM-IV. - Type socialisé F 91.2
On peut noter aussi qu’on ne retrouve ni les « troubles de - Trouble oppositionnel avec pro- F 91.3
l’alimentation », ni les « troubles du sommeil » dans les chapitres vocation
consacrés à l’enfance (ils sont situés dans d’autres chapitres de la F 92 Troubles mixtes des conduites et - Trouble des conduites avec F 92.0
classification). des émotions dépression
- Autres F 92.8
Enfin, la CIM-10 maintient, contrairement au DSM-IV, un chapitre
traitant les aspects particuliers des troubles anxieux au cours de F 93 Troubles émotionnels débutant - Angoisse de séparation F 93.0
spécifiquement dans l’enfance - Trouble anxieux phobique de F 93.1
l’enfance sous le terme de « troubles émotionnels apparaissant l’enfance
spécifiquement dans l’enfance ». - Anxiété sociale F 93.2
Bien que cela apparaisse moins explicite que pour les DSM-III et IV, - Rivalité fraternelle F 93.3
la CIM-10 peut faire l’objet d’une utilisation multiaxiale, dans la F 94 Troubles du fonctionnement social - Mutisme électif F 94.0
mesure où les systèmes de recueil permettent d’associer plusieurs - Trouble réactionnel de l’attache- F 94.1
codes y compris s’ils figurent dans différents chapitres. Il est ainsi ment
possible d’utiliser des codes correspondant à des pathologies - Trouble de l’attachement avec F 94.2
désinhibition
somatiques ainsi que les « codes Z » du chapitre XXI : « Facteurs
influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services de F 95 Tics - Tic transitoire F 95.0
santé », parmi lesquels sont citées des situations psychosociales, - Tic moteur ou vocal chronique F 95.1
- Syndrome de Gilles de Tourette F 95.2
importantes pour la pédopsychiatrie.
F 98 Autres troubles du comportement - Énurésie non organique F 98.0
et troubles émotionnels apparais- - Encoprésie non organique F 98.1
CLASSIFICATION FRANCOPHONE DES TROUBLES sant habituellement dans l’enfance - Trouble de l’alimentation F 98.2
MENTAUX DE L’ENFANT ET DE L’ADOLESCENT - Pica F 98.3
- Mouvements stéréotypés F 98.4
Seule classification spécifique à l’enfant et à l’adolescent, la - Bégaiement F 98.5
Classification Francophone des Troubles Mentaux de l’Enfant et de - Bredouillement F 98.6
l’Adolescent (CFTMEA) – publiée en 1988 sous la direction de
R. Misès – correspond à la mise en forme d’une tradition La liste des termes proposés est assortie d’un glossaire donnant une
nosographique qui s’est élaborée au cours du développement de la brève description de chaque catégorie, ainsi que des équivalences
pédopsychiatrie dans notre pays au cours des années 1960-1970, et avec les termes de la CIM-10.
qu’on trouvait déjà représentée dans la classification développée par La CFTMEA, classification de référence pour le recueil des
le centre Alfred Binet à Paris. statistiques des secteurs de psychiatrie infantojuvénile, fait l’objet

3
37-200-B-10 Classifications en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau III. – Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA).

CFTMEA 2000 Correspondance CIM-10


• 1.00 Autisme infantile précoce - type Kanner F 84.0
• 1.01 Autres formes de l’autisme F 84.1
• 1.02 Psychose précoce déficitaire. Retard mental avec troubles autis- F 84.1 - F 84.8
tiques ou psychotiques
• 1.03 Syndrome d’Asperger F 84.5
1.0 Psychose précoces (troubles enva-
hissants du développement) • 1.04 Dysharmonies psychotiques F 84.8
• 1.05 Troubles désintégratifs de l’enfance F 84.3 - F 84.2
• 1.08 Autres psychoses précoces ou autres Troubles envahissants du F 84.8
développement
• 1.09 Psychoses précoces ou Troubles envahissants du développe- F 84.9
ment non spécifiés

• 1.10 Schizophrénie de l’enfant F 20


• 1.11 Troubles schizophréniques à l’adolescence F 20
1.1 Schizophrénies
1. Autisme et troubles 1.110 Aspects prodromiques
psychotiques 1.111 Schizophrénie avérée F20

1.2 Troubles délirants F 22

• 1.30 Trouble psychotique aigu polymorphe sans symptômes schi- F 23


zophréniques
1.3 Troubles psychotiques aigus • 1.31 Troubles psychotique aigu polymorphe avec symptômes schi- F 23
zophréniques
• 1.38 Autres

• 1.40 Psychoses dysthymiques de l’enfant F 25 - F 30 à 39


• 1.41 Troubles thymiques de l’adolescent F30 - F 31.0 à F 31.3 - F 31.6
1.4 Troubles thymiques
1.410 Épisode maniaque
1.411 Épisode dépressif

1.5 États dépressifs après épisode psychotique F 20.4

1.8 Autres troubles psychotiques

1.9 Troubles psychotiques non spécifiés

2.0 Troubles névrotiques à dominante anxieuse F 41

2.1 Troubles névrotiques à dominante hystérique F 44 - F 48.8

2.2 Troubles névrotiques à dominante phobique F 40 - F 93.1

2.3 Troubles névrotiques à dominante obsessionnelle F 42


2. Troubles névrotiques
2.4 Troubles névrotiques avec prédominance des inhibitions

2.5 Dépression névrotique F 32 - F 33

2.6 Caractères névrotiques, pathologies névrotiques de la personnalité F 60.9

2.7 Troubles névrotiques avec perturbations prédominantes des fonctions instrumentales

2.8 Autres

2.9 Troubles névrotiques non spécifiés F 49.9

3.0 Dysharmonies évolutives F 93 - F 94

3.1 Pathologies limites avec dominance des troubles de la personnalité F 94.2 - F 60.3

3.2 Pathologies limites avec dominance schizotypique F 21


3. Pathologies limites
3.3 Pathologies limites à dominante comportementale F 91 - F 60.2
Troubles de la personnalité
3.8 Autres pathologies limites

3.9 Pathologies limites non spécifiées

3.4 Dépressions liées à une pathologie limite F 92.20

d’un large consensus dans notre pays, comme l’ont montré plusieurs situent les symptômes. Il est demandé au clinicien de repérer, dans
enquêtes. Elle a été admise, conjointement à la CIM-10, comme la mesure du possible, les troubles présentés par l’enfant dans l’une
référence pour l’enregistrement du diagnostic longitudinal, dans le de ces catégories qui sont exclusives les unes des autres ; il peut
cadre du projet d’application du PMSI à la psychiatrie. ainsi considérer qu’il s’agit de variations de la normale.
La CFTMEA est également une classification multiaxale : à côté de Les autres catégories servent à noter des éléments descriptifs
l’axe I qui regroupe les catégories cliniques, elle propose sur l’axe II (troubles fonctionnels ou symptômes) qui peuvent s’inscrire dans
de coder des pathologies somatiques ou des situations familiales l’une des organisations structurales.
fréquemment associées aux troubles rencontrés chez l’enfant. L’axe 1 de la CFTMEA vient de connaître une révision importante
La CFTMEA s’appuie sur une réflexion psychopathologique inspirée [14]
; elle vise à une meilleure prise en compte de la pathologie du
de la psychanalyse. Elle privilégie la notion de structure bébé ainsi que de celle de l’adolescent, en même temps qu’une
psychopathologique. meilleure compatibilité avec la CIM-10.
Les quatre premiers chapitres (psychoses, troubles névrotiques, Cette quatrième révision dénommée CFTMEAR 2000 introduit
pathologies de la personnalité, troubles réactionnels) correspondent d’importantes innovations qui portent exclusivement sur l’axe I
au contexte d’organisation psychopathologique dans lequel se (tableau III).

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Classifications en psychiatrie de l’enfant 37-200-B-10

Tableau III. – (Suite) Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA).

CFTMEA 2000 Correspondance CIM-10


4.0 Dépression réactionnelle F 43.2

4. Troubles réactionnels 4.1 Manifestations réactionnelles F 43.2

4.2 Syndrome de stress post-traumatique F 43.1 - F 43.2

5.0 QI 50-69 • Déficiences harmoniques F 70


5.1 QI 35-49 • Déficiences dysharmoniques F 71
5. Déficiences mentales 5.2 QI 20-34 • Déficience avec polyhandicap sensoriel et/ou moteur F 72
5.3 QI < 20 • Démences F 73
5.4 QI non spécifié • Non spécifiée F 79

• 6.00 Troubles isolés de l’articulation F 80.0


• 6.01 Troubles du développement du langage F 80.1
6.010 Retard de parole
6.011 Retard (simple) de langage F 80.1
6.012 Dysphasie F 80.2
6.018 Autres troubles du développement du langage
6.0 Troubles de la parole
• 6.02 Aphasie acquise F 80.3
et du langage
6.020 Aphasie acquise avec épilepsie
6.028 Autres aphasies acquises
• 6.03 Mutisme F 94.0
6.030 Mutisme total
6.031 Mutisme sélectif
• 6.04 Bégaiement F 98.6
6. Troubles spécifiques du • 6.10 Troubles lexicographiques
développement et des fonctions
6.100 Dyslexie isolée F 81.0
instrumentales
6.101 Troubles de l’orthographe sans trouble de la lecture
6.1 Troubles cognitifs et des acquisi- 6.108 Autres troubles lexicographiques
tions scolaires • 6.11 Troubles spécifiques de l’arithmétique (dyscalculie) F 81.1
• 6.12 Troubles du raisonnement (dysharmonies cognitives)
• 6.13 Troubles de l’attention sans hyperkinésie
6.18 Autres troubles cognitifs et des acquisitions scolaires
6.19 Troubles cognitifs et des acquisitions scolaires non spécifiés

• 6.20 Retard psychomoteur (troubles spécifiques du développement F 82


moteur)
• 6.21 Tics F 95.2
6.2 Troubles psychomoteurs 6.210 Tics isolés
6.211 Maladie de Gilles de Tourette F 95.2
• 6.28 Autres troubles psychomoteurs
• 6.29 Troubles psychomoteurs non spécifiques

• 7.00 Hyperkinésie avec troubles de l’attention F 90


7.0 Troubles hyperkinétiques
• 7.08 Autres troubles hyperkinétiques F 90.8

• 7.10 Anorexie mentale F 50.0


7.100 Anorexie mentale restrictive
7.101 Anorexie mentale boulimique
• 7.11 Anorexie mentale atypique F 50.1
7.1 Troubles des conduites alimen- • 7.12 Boulimie F 50.2
taires • 7.13 Boulimie atypique F 50.3
• 7.14 Troubles des conduites alimentaires du nourrisson et de l’enfant F 98.2
• 7.15 Troubles alimentaires du nouveau-né F 98.2
• 7.18 Autres troubles des conduites alimentaires F 98.2
• 7.19 Troubles des conduites alimentaires non spécifiés

7.2 Conduites suicidaires

7.3 Troubles liés à l’usage de drogues ou d’alcool


7. Troubles des conduites et des
comportements 7.4 Troubles de l’angoisse de séparation F 93.0

• 7.50 Troubles de l’identité sexuelle F 64.2


• 7.51 Troubles de la préférence sexuelle F 65
7.5 Troubles de l’identité et des
conduites sexuelles • 7.52 Manifestations en rapport avec des préoccupations excessives
concernant le développement sexuel et son orientation
• 7.58 Autres troubles des conduites sexuelles

7.6 Phobies scolaires

• 7.70 Pyromanie F 63.1


• 7.71 Kleptomanie F 63.2
• 7.72 Trichotillomanie F 63.3
7.7 Autres troubles caractérisés des • 7.73 Fugues F 91.2
conduites • 7.74 Violence contre les personnes F 91.1
• 7.75 Conduites à risques
• 7.76 Errance
• 7.78 Autres troubles caractérisés des conduites F 91.8

5
37-200-B-10 Classifications en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau III. – (Suite) Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA).

CFTMEA 2000 Correspondance CIM-10


8.0 Affections psychosomatiques F 45.0 - F 45.1 - F 45.9

8.1 Troubles psychofonctionnels F 45.3 - F 45.4 - F 45.8

8.2 Troubles hypocondriaques F 45.2

8.3 Énurésie F 98.0


8. Troubles à expression
8.4 Encoprésie F 98.1
somatique
8.5 Troubles du sommeil F 51

8.6 Retard de croissance psychogène

8.8 Autres troubles à expression somatique

8.9 Troubles à expression somatique non spécifiés

9.0 Angoisses, rituels, peurs

9.1 Moments dépressifs

9.2 Conduites d’opposition

9.3 Conduites d’isolement

9. Variations de la normale 9.4 Difficultés scolaires non classables dans les catégories précédentes

9.5 Retards ou régressions transitoires

9.6 Aspects originaux de la personnalité

9.8 Autres

9.9 Non spécifiés

Au chapitre 1, l’intitulé de la catégorie psychoses précoces porte Il s’agit en effet de permettre au clinicien un repérage clinique plus
désormais la mention conjointe Troubles envahissants du facile et plus congruent, compte tenu de l’évolution des
développement ; cela souligne la similitude des cas recouvrant ces connaissances dans ce champ et de rendre possible le classement
deux dénominations ; mais cela sans modifier la perspective d’un certain nombre de situations qui ne trouvent pas leur place au
multifactorielle offerte, du point de vue étiologique, par la sein de l’axe général.
classification française. Figurent aussi, dans la nouvelle version, le La psychiatrie du bébé et la psychopathologie précoce ont ceci de
syndrome d’Asperger et les troubles désintégratifs de l’enfance. particulier qu’elles imposent de centrer le regard sémiologique
Dans le cadre des schizophrénies, d’importantes précisions simultanément sur le bébé lui-même, mais aussi sur la nature du
concernent ces troubles à l’adolescence. Enfin, une sous-catégorie lien entre le bébé et l’adulte qui dispense les soins et enfin sur
détaillée des troubles thymiques apparaît, dans la mesure où ces l’adulte de référence (soit sur l’environnement relationnel de
derniers obèrent temporairement le rapport au réel et s’associent, l’enfant).
souvent chez l’adolescent, à des manifestations psychotiques. Alors que la clinique du bébé et du lien nécessitent une codification
Le chapitre 3 introduit une sous-catégorie à dominante spécifique en axe I (axe I bébé), les particularités de l’environnement
comportementale : elle est destinée aux nombreux cas où peuvent être codées en se servant de l’axe II de la classification
l’organisation limite s’exprime, surtout chez l’adolescent, par des générale dans la mesure où les notions de stress traumatique, de
troubles des conduites. carence, de maltraitance et de parents en grande souffrance par
Le chapitre 4 se voit doté d’une sous-catégorie : syndrome de stress exemple s’y trouvent déjà prises en compte.
post-traumatique. Certaines situations pourront nécessiter un double codage, voire
Le chapitre 7 répond aux orientations, de plus en plus répandues, plus, pour l’enfant (en axe I bébé), ainsi qu’une cotation (en axe I
qui valorisent les expressions comportementales. Cependant, la général) correspondant à la problématique des adultes qui lui
classification française impose de n’utiliser cette rubrique, en dispensent les soins (« caregivers »).
catégorie principale, que dans les cas où l’étude clinique permet On remarque que la notion de stress apparaît à la fois en axe I bébé
d’écarter une pathologie sous-jacente qui commande le classement (en tant que possible facteur étiologique principal) et en axe II
prioritaire dans l’une des quatre premières catégories de l’axe I : (comme facteur associé).
dans cette éventualité, l’expression comportementale apparaît en Certains chapitres de la psychopathologie du bébé ne font pas
catégorie complémentaire. encore l’objet d’un consensus absolu entre les différents cliniciens et
D’autres innovations concernent les correspondances entre la les propositions énoncées ci-dessous ne constituent donc qu’un
CFTMEA et la CIM-10 : elles figurent désormais dans le glossaire matériau initial qui demande à être progressivement affiné, voire
avec chacune des sous-catégories de l’axe I. Les conceptions remanié, en fonction des avancées qui ne pourront manquer d’avoir
différentes qui spécifient respectivement la CIM-10 et la CFTMEA lieu dans ce domaine au cours des années à venir.
2000 n’ont pas toujours permis de strictes équivalences, néanmoins
des progrès importants ont été réalisés dans les correspondances Deux remarques à propos de l’axe I
proposées. Les troubles de l’attachement n’ont pas été retenus comme rubrique
classificatoire.
¶ Axe I bébé (compléments de l’axe I général) On sait en effet qu’en dépit du profond renouveau théorique qu’a
Un certain nombre de situations psychopathologiques concernant le apporté la théorie de Bowlby, les différents types de schémas
très jeune enfant sont déjà répertoriées et donc classables au sein d’attachement qui ont été décrits (attachement secure, attachement
des différents chapitres de la classification générale, mais les insecure, attachement évitant, attachement désorganisé) apparaissent
développements récents de la psychiatrie du bébé rendent nécessaire davantage comme des catégories expérimentales que comme des
la création d’une section spécifique pour les troubles du très jeune catégories étroitement corrélées avec tel ou tel profil
enfant (0 à 3 ans). psychopathologique.

6
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Classifications en psychiatrie de l’enfant 37-200-B-10

Autrement dit encore, certains enfants à l’attachement secure nombre d’experts. La compétence de ces spécialistes n’empêche pas
peuvent fort bien présenter des troubles du développement l’influence de facteurs idéologiques, culturels ou des modalités
psychique alors que certains enfants insecure ou évitants en situation d’exercice professionnel qui diffèrent d’un pays à l’autre : on n’a
d’évaluation peuvent fort bien fonctionner de manière cliniquement probablement pas la même perception des troubles psychotiques ou
satisfaisante. autistiques selon que l’on voit les patients ponctuellement dans le
Seul le schéma de type désorganisé semble actuellement témoigner cadre d’un examen d’évaluation, qu’on les suit en psychothérapie
d’un risque potentiel de dysfonctionnement clinique. ou qu’on les voit quotidiennement dans le cadre d’un hôpital de
jour. La validation proprement dite des catégories est, comme le
Les troubles de l’identité de genre n’ont pas non plus été retenus, étant
rappellent Dugas et Zann [8], une démarche complexe qui fait appel
donné la difficulté pour les repérer avant l’âge de 3 ans.
à la fois à une validation interne (cohérence des symptômes –
En dépit des résultats énoncés par certaines études, la majorité des appréciée, notamment, à l’aide de méthodes statistiques – analyse
cliniciens actuels met en effet en doute la possibilité même de parler de cluster – qui étudient la corrélation des symptômes sur de grands
de troubles de l’identité de genre chez l’enfant préœdipien. groupes) et à une validation externe (données épidémiologiques,
À cette époque de la vie, seuls seraient déjà repérables d’éventuels études longitudinales, études génétiques des agrégats familiaux,
facteurs de risque dont la description et la valeur prédictive sont, à études biologiques etc). Les recherches de ce type restent encore peu
l’heure actuelle encore, fortement sujets à caution. nombreuses.
On signale dans l’axe I de la classification générale, au niveau de la
rubrique « troubles de l’identité de genre », que des précurseurs PERSPECTIVE CATÉGORIELLE OU DIMENSIONNELLE
peuvent éventuellement être pris en compte et cotés avant l’âge de
3 ans cf Annexe. Les classifications actuelles privilégient la catégorisation de
syndromes, c’est-à-dire qu’elles considèrent le champ de la
psychopathologie comme formé d’entités cohérentes, exclusives les
unes des autres, selon le modèle médical des entités morbides
Problèmes posés par les classifications (maladies). Or, le point de vue dimensionnel, autre alternative de la
actuelles réflexion nosographique [11, 15] est particulièrement important à
prendre en considération pour l’enfant. La plupart des troubles
décrits impliquent la référence au développement : soit que le
INSTABILITÉ DES SYSTÈMES CLASSIFICATOIRES symptôme ne prenne valeur qu’à la condition de tenir compte du
En 15 ans, trois versions du DSM et une version de la classification développement normal (par exemple les manifestations phobiques),
de l’OMS ont été publiées, avec des différences portant sur la soit que ce que l’on considère comme symptôme corresponde à un
terminologie, ainsi que sur l’extension des catégories (modifications écart, par rapport à une norme développementale. Il en est ainsi, en
des critères). Ainsi dans une étude de Volkmar et al [19] les critères particulier, pour les troubles du développement du langage oral ou
du DSM-III, du DSM-III R et de la CIM-10 ont été appliqués à un écrit, ou pour le trouble hyperkinétique dont les différents
même groupe de patients présentant des troubles envahissants du symptômes (inattention, hyperactivité, impulsivité) sont à évaluer,
développement : le DSM-III-R attribuait le diagnostic d’autisme à en tenant compte de l’âge. L’utilisation, comme critère diagnostique,
25 % de sujets de plus que les deux autres classifications. On d’un écart statistique par rapport à la moyenne, n’est qu’une
comprend que de telles différences rendent difficiles la comparaison convention transformant un paramètre dimensionnel, se situant
de recherches faites à quelques années de distance. donc dans un continuum, en un critère catégoriel créant, plus ou
moins artificiellement, une discontinuité.

PRISE EN COMPTE PARTIELLE DES ASPECTS


SPÉCIFIQUES DE LA PSYCHOPATHOLOGIE DE L’ENFANT PROBLÈME DE LA COMORBIDITÉ
La position de principe du DSM comme de la CIM-10, qui L’axe dimensionnel de la psychopathologie amène aussi à évoquer
recommandent d’utiliser, chaque fois que possible, les mêmes la notion de pluridimensionnalité de certaines pathologies, dont la
catégories et les mêmes critères chez l’enfant et chez l’adulte, va à notion de comorbidité – conçue comme la juxtaposition de
contre-courant des travaux visant à individualiser les aspects les phénomènes pathologiques indépendants – ne rend que
plus spécifiques de la psychopathologie de l’enfant. Elle conduit à partiellement compte. Lorsque l’on constate qu’un retard mental
n’envisager la pathologie de l’enfant qu’à travers la pathologie coexiste dans deux tiers des cas d’autisme infantile, ne doit-on pas
adulte : ainsi, dans les travaux récents, la dépression, les troubles considérer que l’on a affaire à une pathologie pluridimensionnelle
obsessionnels, les troubles anxieux sont abordés chez l’enfant à plutôt que de se contenter de signaler l’association de deux
partir de critères adultes. Cette approche tend à privilégier les syndromes (autisme et retard mental) ?
manifestations cliniques qui, au cours de l’enfance, annoncent une De même, les études épidémiologiques montrent que dans un grand
pathologie au long cours, au détriment d’autres aspects non moins nombre de cas, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité
importants, qui sont liés au développement. est associé à d’autres symptômes :
Parmi les domaines propres à l’enfance, la pathologie du nourrisson – des troubles des apprentissages (retard de langage, dysphasie) ou
est particulièrement mal étudiée par l’ensemble des classifications du langage écrit, retrouvés dans près 50 % des cas ;
actuelles. De nouvelles classifications ont été proposées pour cet âge
(voir proposition sur l’axe 1 bébé). – des troubles du comportement, notamment le trouble
oppositionnel, ainsi que des troubles des conduites. Dans l’étude de
Les spécificités de la pathologie à l’adolescence étaient également
Biederman et al [5] la coexistence de troubles oppositionnels atteint
insuffisamment envisagées par les classifications disponibles
65 % de cas ;
jusqu’ici. Les modifications introduites dans la version révisée de la
CFTMEA visent à corriger cette insuffisance. – enfin, dans 25 % à 30 % des cas, on signale l’association de
troubles émotionnels : troubles anxieux (anxiété généralisée ou
phobie) ou troubles dépressifs.
VALIDITÉ DES DIAGNOSTICS Ces données posent la question de l’homogénéité du syndrome
Comme le rappellent Pull et al [16], la construction des DSM-III et IV hyperkinétique tel que le délimitent les classifications actuelles. En
a privilégié l’établissement de critères assurant une amélioration de d’autres termes, est-il justifié de considérer le syndrome
la fidélité interjuges. Mais cela ne résout pas la question de la hyperkinétique comme une entité spécifique et cohérente,
validité des critères ni celle des catégories définies par cette susceptible d’être associée à d’autres pathologies supposées
classification. Celle-ci repose avant tout sur le consensus d’un certain indépendantes, comme le suggère la présentation issue du DSM ?

7
37-200-B-10 Classifications en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

N’est-il pas plus pertinent du point de vue clinique de considérer De nombreuses recherches sont actuellement en cours pour préciser
qu’à côté des cas d’hyperactivité « pure », relativement minoritaires, ou affiner les limites de ces groupes d’enfants dont le devenir ne
il existe d’autres cas dans lesquels une agitation instable vient peut bien sûr être prédit ou figé dans une annonce qui ne viendrait
s’intégrer à un tableau clinique de troubles du comportement ou de que cristalliser le risque évoqué.
troubles anxieux, voire dépressifs ? Un certain nombre de symptômes – dont les regroupements peuvent
être variables d’un enfant à un autre – doivent ici avoir valeur
d’appel.
HÉTÉROGÉNÉITÉ DE LA PATHOLOGIE PSYCHIATRIQUE
À titre d’exemples, on cite :
Le DSM-IV comme la CIM-10 sont des classifications dites
syndromiques, c’est-à dire qu’en les rangeant sous le même terme – l’évitement ou la perte du regard. Les conduites de détournement
« trouble » (disorder), elles tendent à mettre sur le même plan des du regard peuvent avoir la même valeur en privilégiant l’utilisation
manifestations de nature très hétérogène : du regard périphérique au détriment du regard central (angoisse
d’être pénétré par le regard d’autrui) ;
– des organisations pathologiques comme l’autisme ou la – le maintien au-delà de plusieurs semaines d’un regard adhésif en
schizophrénie ; bidimensionalité sans acquisition stable d’un regard pénétrant en
– des déficiences des acquisitions scolaires dans lesquelles il reste tridimensionalité ;
difficile de dissocier la part de retard de développement, de – une insomnie précoce, parfois massive en temps et calme (sans
pathologies, et de facteurs socioculturels ou pédagogiques ; appel vis-à-vis de la présence de l’adulte) ;
– des situations relationnelles comme la rivalité fraternelle (item de – une anorexie primaire grave ;
la CIM-10) ; – des phénomènes cliniques de pseudosurdité. Des cris monotones,
– des conduites déviantes, pour lesquelles intervient une monocordes et sans valeur relationnelle ou significative repérable ;
multiplicité de facteurs relationnels et sociaux. – l’absence d’instauration de l’angoisse de l’étranger autour du 8e
Ces catégories, juxtaposées et critérisées toutes sur le même mode, mois de vie ;
sont implicitement abordées selon un modèle médical dont la – des phobies multiples, variables, insolites et parfois intenses ;
pertinence est à discuter. – un évitement ou un retrait relationnel (en excluant les évitements
Il faut noter, cependant, l’innovation intéressante apportée par le ou les retraits observés en cas de dépression, d’asthénie ou de
DSM-IV qui propose des codes supplémentaires, non critérisés, pour douleur physique) ;
un certain nombre de « situations pouvant faire l’objet d’un examen – des troubles du tonus (en hyper- ou en hypo-) sans cause
clinique » (par exemple, les abus sexuels, les maltraitances, les neuropédiatrique reconnue.
conduites antisociales, les problèmes scolaires, les problèmes
C’est le regroupement et le maintien conjoint dans le temps d’un
relationnels, etc).
certain nombre de ces symptômes qui doivent attirer l’attention du
clinicien.
Conclusion Dépressions du bébé
« Les dépressions du bébé peuvent être liées à des situations de
Les classifications constituent un cadre dont dépendent nos capacités de carence relationnelle quantitative ou qualitative » (M Ainsworth).
perception et de discrimination : le clinicien – particulièrement s’il est
En cas de carence relationnelle qualitative, on inclut ici les situations
débutant – tend à ne retenir de la réalité clinique que ce qu’il peut
de « syndrome du comportement vide » et celles de « dépression
nommer et à négliger ce qu’il ne peut placer sous une étiquette
blanche » décrites par L Kreisler en fonction de la date de survenue
préexistante. En d’autres termes, la nosographie tend à créer les objets
et de la durée de la situation carentielle.
de la clinique.
Le DSM-III et IV énoncent dans leur préambule des mises en garde. Il Parmi les symptômes devant faire évoquer une organisation
est souligné, notamment, que l’usage approprié de cette classification dépressive chez le bébé, on peut citer :
nécessite une formation clinique spécialisée. Cette mise en garde paraît – l’atonie psychique : manque du tonus vital qui imprègne
plus que jamais nécessaire, surtout dans le domaine de la psychiatrie de normalement le fonctionnement psychique du bébé avec absence de
l’enfant dont l’enseignement, variable d’un pays à l’autre – et même curiosité et d’ouverture envers le monde des objets et envers le corps
dans notre pays d’une faculté à l’autre – reste assez limité. Des propre (absence d’instauration ou extinction progressive des
professionnels insuffisamment expérimentés (médecins généralistes, autoérotismes) ;
pédiatres ou autres acteurs « primaires » de santé) risquent de délivrer – le retrait interactif qui correspond à une absence d’engagement
des diagnostics et des traitements, à partir de l’application mécanique dans l’échange relationnel ;
des critères du DSM ou de la CIM. On peut d’ailleurs observer que la
– le ralentissement psychomoteur avec mouvements répétitifs et
CIM-10, comme le DSM depuis sa troisième édition, sont présentés
partiels, s’interrompant avant d’avoir atteint leur but et avec une
sous forme de manuels très complets sans doute promis à devenir des
lenteur prédominant sur les racines tandis que les extrémités
supports majeurs de l’enseignement et de la pratique clinique.
conservent une motricité déliée (à la différence du ralentissement
On peut donc conclure que les classifications sont un outil utile sans
asthénique) ;
doute, mais peut-être à ne pas mettre entre toutes les mains et dont
l’abus pourrait être dangereux pour la santé ! – des troubles psychosomatiques d’appel ou d’épuisement : au
début de l’épisode dépressif, on a le sentiment que les divers
troubles fonctionnels de l’enfant visent à réanimer l’environnement
Annexe : et à solliciter son attention tandis qu’à l’issue d’une certaine période
d’évolution, les défenses recrutées sont débordées et les troubles
Propositions pour l’axe I bébé fonctionnels de l’enfant traduisent alors un débordement et un
effondrement de son équilibre psychosomatique;
Bébés à risque autistique ou psychotique
– l’absence de structuration de l’angoisse de l’étranger.
Il s’agit de bébés dont le repérage précoce est essentiel pour les
activités de prévention dans la mesure où ce sont des enfants dont Bébés à risque d’évolution dysharmonique
le développement semble présenter des zones de vulnérabilité ou À l’heure actuelle, il s’agit ici d’un cadre d’attente dont la pertinence
de fragilité susceptibles de les faire s’engager dans un est encore sujette à caution puisqu’il paraît difficile d’affirmer la
fonctionnement ou une organisation de type autistique ou filiation nosologique entre ces tableaux cliniques et le groupe des
psychotique. pathologies limites ultérieures.

8
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Classifications en psychiatrie de l’enfant 37-200-B-10

Ces enfants se voient rangés sous la rubrique « MultiSystem de manière globale. Elles peuvent être ou non une réponse à une
Developmental Disorders » (MSDD) dans la classification « 0 to 3». psychopathologie parentale. Dans le premier cas, elles ont une
On y inclut les enfants présentant des atteintes sévères, mais non valeur conflictuelle, dans le second cas un fondement
totales, de la capacité à engager une relation émotionnelle ou sociale, développemental.
des atteintes marquées de la faculté d’établir, de maintenir ou de
développer certaines formes de communication (gestuelle, Retards d’acquisition divers (dans le champ du développement
symbolique et verbale), des dysfonctionnements significatifs dans le psychomoteur, langagier, cognitif...)
traitement des diverses informations sensorielles (auditives, Se reporter à la catégorie 6 de l’axe I général.
visuospatiales, tactiles, proprioceptives ou vestibulaires par
exemple). Troubles des grandes fonctions psychosomatiques (sommeil,
alimentation)
États de stress
Rubrique à prendre en compte quand les troubles fonctionnels
Dans le cadre de l’axe I (bébé), on prend ici en considération les considérés ne s’intègrent pas dans un tableau dépressif caractérisé.
états de stress semblant intervenir en tant que facteur étiologique
principal et non pas seulement en tant que facteur associé (alors Distorsions du lien
codé sur l’axe II).
Suspectés devant des remémorations plus ou moins angoissées, des On ne peut pas décrire, dans l’absolu, une qualité du lien qui serait
cauchemars répétitifs, un comportement de détresse à l’occasion dite « normale ». Seuls comptent en fait les aspects dynamique,
d’un rappel du traumatisme ou des reviviscences imprévisibles, on ouvert et créatif du lien parent-enfant et notamment du lien mère-
prend en compte comme critère d’inclusion une baisse de réactivité enfant dont il importe ainsi de prendre en compte de nombreuses
ou une entrave au rythme du développement sur l’un au moins des possibilités de variations de la normale.
critères suivants : accentuation du retrait social, restriction du champ La pathologie du lien renvoie à un double registre, qualitatif et
des affects, régressions temporaires diverses, diminution ou quantitatif.
réduction des activités ludiques habituelles. Le registre quantitatif des distorsions du lien implique l’idée qu’une
Sont également considérés comme critères d’inclusion, différents modalité particulière du lien devient prévalente, répétitive et
symptômes d’augmentation de la vigilance (terreurs nocturnes, monotone, imprégnant la relation adulte-enfant de telle sorte que
difficultés d’endormissement, réveils nocturnes, troubles de celle-ci se fige en perdant alors tout degré de souplesse et de liberté.
l’attention et de la concentration, hypervigilance et réactions de À titre d’exemples, on retiend pour l’instant les rubriques suivantes :
sursaut), ainsi que l’apparition soudaine ou progressive de
symptômes qui n’existaient pas avant l’événement traumatique – variations de la normale ;
(agressivité, peurs, angoisses...). – contrôle intrusif ;
– relation adhésive ;
Hypermaturité et hyperprécocité pathologiques
Celles-ci peuvent concerner tout ou partie des registres cognitif, – troubles de la régulation (hypersensible, sous-réactive, impulsive,
émotionnel ou social du développement de l’enfant. Elles peuvent autre) ;
se développer en secteurs (problèmes des surdons) ou, au contraire, – relation chaotique (désorganisée, inclassable).

Références
[1] Abella A, Dufresne P, Gex-Fabry M, Matthews R, Waelti- [7] CIM-10 / ICD 10. Classification internationale des troubles [14] Misès R, Quemada N. Classification française des troubles
Baume N, Manzano J. L’effet Pygmalion en pédopsychia- mentaux et des troubles du comportement. Paris : Masson, mentaux de l’enfant et de l’adolescent. R 2000. Paris :
trie : relations entre les prédictions des cliniciens et les rup- 1993 CTNERHI, 2002
tures de traitement. Une étude prospective. Neuropsychiatr [8] Dugas M, Zann M. Historique et évolution des idées sur la
Enf Adolesc 2000 ; 48 : 14-24 maladie dépressive de l’enfant et de l’adolescent. In : [15] Pull CB. Le DSM IV. Encéphale 1995 ; 21 : 15-20
[2] American psychiatric association. Diagnostic and statistical Mouren-Siméoni MC éd. La maladie dépressive chez
manual of mental disorders (DSM III). Washington, 1980 l’enfant et l’adolescent. Ciba -Geigy, 1986 [16] Pull CB, Guelfi JD, Pull MC. Critères diagnostiques en psy-
[3] DSM-III-R Manuel diagnostique et statistique des troubles [9] Guilé JM, Bilbeau G. Discussion critique des grilles sémio- chiatrie. Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et Médica-
mentaux. Paris : Masson, 1989 logiques et nosographiques. Encycl Méd Chir (Éditions les Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-102-15, 1995 : 1-8
[4] American psychiatric association. Diagnostic and statistical Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie,
manual of mental disorders - revised (DSM IV). Washing- 37-715-A-30, 1995 : 1-4 [17] Rosenthal R, Jacobson L. Pygmalion in the classroom.
ton, 1994 [10] Herzog DB, Rathbun JM. Childhhod depression: develop- Teacher expectation and and pupil’s intellectual develop-
[5] Biederman J, Faraone SV, Hatch M, Mennin D, Taylor A, mental considerations. Am J Dis Child 1982 ; 136 : 115-120 ment. New York : Holt Rinehart and Winston, 1968
George P. Conduct disorder with and without mania in a [11] Lempérière T. L’intérêt des classifications en psychiatrie.
referred sample of ADHD children. J Affect Disord 1997 ; 44 : Encéphale 1995 ; 21 : 5-7 [18] Sartorius N. Classification des troubles mentaux selon la
177-188 [12] Lesur A, Féline A. Systèmes de critères diagnostiques : vali- CIM-10. Encéphale 1995 ; 21 : 9-13
[6] Bursztejn C, Mazet PH. Nouvelles classifications en psychia- dité et fidélité. Psychiatr Psychobiol 1987 ; 2 : 8-16
trie de l’enfant. Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et [13] Misès R, Quemada N. Classification française des troubles [19] Volkmar F. Three diagnostic systems for autism: DSM-III,
Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-200-B-10, mentaux de l’enfant et de l’adolescent. CTNERHI, Vanves, DSM-III-R and ICD-10. J Autism Dev Disord 1992 ; 22 :
1991 : 1-6 1993 483-492

9
¶ 37-200-B-25

De la psychiatrie périnatale
à la psychiatrie néonatale
N. Garret-Gloanec, Y. Gloanec

Nous essaierons de définir, dans cet article, l’état actuel de la psychiatrie néonatale en France au sein de
la psychiatrie périnatale. Cette description nous est bien spécifique car elle n’a pas d’équivalence dans les
autres pays. La pédopsychiatrie de secteur a construit un corpus théorique et pratique riche, issu, sans
aucun doute, de son histoire faite de collaborations avec les professionnels de divers horizons (pédiatres,
psychomotriciens, infirmières puéricultrices, assistantes sociales...). Les outils qu’elle utilise empruntent
aux différentes théories de l’attachement, psychanalytique, systémique, des interactions, des
compétences du bébé, des neurosciences. Après avoir défini notre objet, nous ferons un tour rapide des
théories et nous privilégierons l’approche corporelle de la construction psychique du bébé dans la relation
à ses parents. Nous ferons une place importante aux identifications intracorporelles pour comprendre et
soutenir les relations avec le bébé. Nous aborderons les pathologies ou troubles relationnels les plus
fréquents (dépression, psychose, carences, maltraitance) et présenterons les voies actuelles de traitement
possibles (sans aborder les traitements médicamenteux des mères). Le traitement privilégié sera celui de
l’observation thérapeutique ou attention soutenante, souvent à domicile ou sur le lieu de vie du bébé. La
fonction tiers, de pare-excitation entre la mère et le bébé (attention portée à l’interaction), est une
composante thérapeutique à laquelle nous ajoutons une préoccupation particulière pour créer un espace
soutenant le développement du bébé fait d’un espace psychique particulier chez la mère (attention à la
mère) et d’un espace de sécurité, pour l’enfant, favorable aux expériences (attention au bébé). Enfin,
nous donnerons quelques pistes à explorer pour les années à venir : l’amélioration de nos connaissances
du bébé de moins de 2 mois, l’utilisation de l’autonomie libre comme base de sécurité interne, la création
de crèches thérapeutiques pour prévenir les effets des dysfonctionnements interactifs.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Psychiatrie néonatale ; Psychiatrie périnatale ; Activité motrice autonome ; Interaction ;
Carence ; Dépression ; Psychose ; Observation participante

Plan ¶ Traitement 6
Grossesse 6
¶ Définition 1 Période postnatale 6
Observation thérapeutique 6
¶ Histoire et contexte 2
Familles carencées 7
¶ Objet de la psychiatrie périnatale et moyens thérapeutiques 2 Mère psychotique 7
Cadre 2 Dépression maternelle 7
Premiers outils thérapeutiques 2 Relations parents-bébé pathogènes 7
Clinique des pédopsychiatres 3 Souffrance du bébé 8
Rôle du pédopsychiatre 3 Placement provisoire 8
Présence parentale 3 Travail sur la stabilité 8
¶ Théories 3 Émotions 9
Attachement 3 Fonction contenante 9
Interaction 3 ¶ Conclusion 9
¶ Pathologies 4
Dépression maternelle 5
Dépression du bébé 5
Mère psychotique 5 ■ Définition
Carences de maternage 5
Maltraitance 6 La psychiatrie périnatale (PPN) est un champ d’activité
relativement large, ouvert aux pédopsychiatres depuis le début
des années 1980. En 1983, le deuxième congrès mondial de la
psychiatrie du nourrisson s’était déroulé à Cannes. Tous les
grands noms (pédiatres, pédopsychiatres, psychanalystes) étaient

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-200-B-25 ¶ De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale

présents ; les pédopsychiatres français y découvraient des pistes La psychopathologie maternelle et paternelle présente une
intéressantes et pouvaient exposer les travaux qu’ils spécificité qui est à l’origine d’interrogations, de recherches
entreprenaient. centrées sur ce temps de la vie. Le lien fort qui existe entre
Par la suite, un lien conceptuel et pratique s’est fait entre devenir parent et être bébé, les capacités de remaniement
l’abord des pathologies maternelles autour de la naissance et observées, la grande fragilité mais aussi la richesse de cette
leur impact perçu sur le développement du bébé. L’intérêt période ont mobilisé les psychiatres afin d’apporter un soin qui
suscité, dans la suite des travaux de Brazelton [1] , sur les tienne compte de ces facteurs. Mais le trouble du parent, s’il
compétences du nourrisson a permis de redécouvrir les théories englobe son histoire d’enfant, présente aussi une force considé-
de l’attachement de Bowlby [2], puis d’élaborer avec Stern les rable pour le bébé, impact dont il serait réducteur de penser
théories de l’interaction entre le nouveau-né et son entourage. qu’il est direct, systématique, linéaire, unicausal. En regard de
Les psychanalystes postkleiniens se formaient à l’observation du cette complexité, nous retrouvons sur ce temps de la vie un
nourrisson selon la méthode de Bick [3] et peu à peu se cons- grand nombre de professionnels qui sont de véritables partenai-
truisait une psychopathologie du bébé. Les pédopsychiatres res des psychiatres de bébés. Sont conviés autour du berceau
français, à la suite de Lebovici [4], ont enraciné leur pratique ceux qui entourent la femme devenant mère, ceux qui atten-
dans cette découverte du monde psychique de l’enfant au sein dent le bébé, professionnels du soma, du psychisme, représen-
de son histoire familiale (le mandat transgénérationnel) en tants de la société. La PPN est le lieu d’une transdisciplinarité
même temps qu’ils s’intéressaient au phénomène de intense et indispensable.
parentalisation. Les confrontations d’approches très diverses sont à l’image de
La PPN s’est ainsi créée et le terme fut consacré lors de celles qui se jouent chez le bébé et les parents où tout ce qui
colloques pour enfin prendre ses lettres de noblesse avec le titre est psychique s’exprime préférentiellement par le corps, obli-
« Psychiatrie périnatale » du livre de Lebovici et de Mazet publié geant chacun à un retour sur son propre corps et à ses propres
aux PUF en 1998 [5]. émotions. La compréhension de ce qui se construit s’appuie sur
Le champ de la PPN s’étend de la grossesse à la fin de la l’observation et l’appréhension des éprouvés avant même
première année de l’enfant. L’évolution des connaissances pose l’utilisation de la parole.
aujourd’hui la question de la nécessité de se pencher encore
plus précisément mais aussi avec plus d’acuité et de continuité
sur les 6 premières semaines de vie qui constitueraient, en ■ Objet de la psychiatrie périnatale
quelque sorte, le temps d’une psychiatrie néonatale. Cette
période reste encore inconnue et mystérieuse. Nous pensons et moyens thérapeutiques
qu’elle est à prendre en considération sans pour autant la
détacher de l’avant et de l’après. Cadre
Pour les pédiatres et les gynéco-obstétriciens, le temps de la
La PPN a pour objet les modifications que vit un couple
périnatalité est divisé en une période prénatale qui couvre la
lorsque le projet de devenir parent se réalise : les transforma-
phase préconceptionnelle jusqu’à la naissance (hors interruption
tions vécues par la future mère et le futur père durant la
volontaire de grossesse) et d’une période postnatale à 28 jours
grossesse, les représentations durant cette période et la relation
ou jusqu’à la fin de l’hospitalisation lorsque les nouveau-nés
qui se vit avec le fœtus, le moment de la naissance et les
sont hospitalisés.
bouleversements qui ont lieu à ce moment-là, enfin la cons-
truction psychique du bébé incluant la dimension somatique,
■ Histoire et contexte dans une dimension développementale et psychodynamique en
relation avec l’environnement. Elle considère qu’il y a une
La psychiatrie s’est penchée sur ce temps de la vie par continuité entre ces différentes étapes et en tient compte dans
l’intermédiaire des pathologies mentales des mères [6] qui sont les réponses préventives, thérapeutiques qu’elle met en œuvre.
apparues comme spécifiques : la psychose puerpérale, la dépres- Elle a développé des outils d’appréhension et de compréhension
sion du post-partum. Si dans les autres pays et en particulier au en référence à diverses théories : expérimentales, des neuro-
Royaume-Uni ce sont les psychiatres d’adultes qui ont maintenu sciences, des compétences du bébé, de l’attachement, de la
cet intérêt et qui sont responsables d’unités mère-bébé, en psychanalyse et des théories systémiques pour l’étude de
France en revanche (comme en Suisse et en Belgique) ce sont l’interrelation et des interactions.
les pédopsychiatres qui ont repris ce champ à leur compte La PPN intervient lors de la présomption de risques pour le
mettant ainsi l’accent sur la relation et sur les effets de la bébé lorsqu’une pathologie parentale existe ainsi qu’une
pathologie maternelle sur le bébé. Le regard s’est déplacé de la pathologie ou une souffrance du bébé. Sa fonction est préven-
mère sur l’entre-deux (mère-bébé, parents-bébé) pour remonter tive et thérapeutique.
dans la lignée transgénérationnelle puis redescendre à nouveau Nous nous centrons, dans ce travail, sur la période immédiate
pour vraiment découvrir le bébé. Nous pouvons dire qu’en après la naissance, période que nous appellerons néonatale et
France nous en sommes à cette étape et qu’elle est, comparée à l’envisageons jusqu’à la fin de la première année faute de
la PPN internationale, particulièrement originale. Le regard du données actuelles suffisantes concernant les 6 premières
soignant rebrousse chemin, du bébé vers les parents et à travers semaines de vie. Nous n’abordons pas la question des problèmes
eux vers les grands-parents. La PPN amorce également une somatiques, des pathologies de la grossesse, de l’accouchement,
remontée dans le temps de la vie. En effet, depuis une à deux du bébé, qui à eux seuls mériteraient l’élaboration d’un article,
décennies elle s’est familiarisée avec le beau bébé de 9 mois, a en sachant que la PPN y apporte sa contribution. Enfin, nous
découvert celui de 3 mois et commence à s’interroger sur celui ne traitons pas la prescription médicamenteuse dont les carac-
de moins de 40 jours, temps qui correspond en partie à celui du téristiques sont particulières durant la grossesse et lors de
congé maternité pour la mère et durant lequel elle est chez elle, l’allaitement.
souvent seule avec lui. Le profond désarroi dans lequel sont
plongés la mère et le père face à ce nourrisson aux manifesta-
tions déroutantes est trop méconnu. Il serait désormais souhai-
Premiers outils thérapeutiques
table (et nous nous y employons) de se pencher sur cette Ce sont ceux qui passent par les parents et plus particulière-
souffrance familiale périnatale constituante qui peine à ment par la mère [5, 7], ceux qui portent et enveloppent les
s’appuyer sur les ressources des familles dispersées. Ces souf- interrelations parents-bébé sont issus de l’observation selon
frances trouvent normalement une résolution mais elles peu- Bick [3, 8], ceux qui envisagent plus encore le bébé sont dans la
vent devenir pathogènes dans cette période vécue sous tension, lignée de Pikler [9-11].
confuse, envahie par le corps et ses productions, soumise à un Ainsi, la PPN est transdisciplinaire, le bébé et ses parents sont
sentiment de « vidange » psychique et d’un épuisement dans le lieu de rencontre des sages-femmes, puéricultrices, gynéco-
lequel le temps et l’espace, les limites psychiques et corporelles obstétriciens, pédiatres, psychiatres... qui se posent la question
se diluent. du comment s’effectue le mystère de la vie et du comment

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale ¶ 37-200-B-25

surviennent les « avatars » dans la relation. Ce modèle polyfac- parents pour cet enfant-là. Pour beaucoup de nos consultants,
toriel, jamais clos, s’appuie sur une confiance indispensable ce « simple » fait est trop complexe, demande une structuration
entre professionnels afin que chacun interroge l’autre, non pour des liens sous une autre forme que l’identification adhésive.
se renvoyer l’énigme mais pour la dénouer ensemble. Cette Une partie des parents, qui nous consultent, ont une altération
mutualité est une condition pour créer une alliance thérapeuti- des possibilités de solidarité qui malheureusement rencontre nos
que avec les parents et leur bébé afin d’entrer dans leur monde difficultés institutionnelles à prendre en compte le père et la
interpersonnel. mère dans leur individualité et leur complémentarité autour du
berceau. Le psychiatre se pose la question de sa position à la
Clinique des pédopsychiatres fois ouverte à la créativité spécifique de chaque constellation
tout en tenant compte des dysfonctionnements et des voies à
C’est celle du récit, du discours et du corps en relation, alliant trouver pour leur résolution.
description, témoignage et remémoration. Comment faire pour L’observation participante inclut la perception des diverses
que cette clinique ne soit pas engloutie par le récit parental si interactions (biologique, comportementale, affective, fantasma-
riche à ce moment de la vie, récit qui masque l’observation et tique, symbolique) et des compétences du bébé [17]. Le souci est
altère les capacités de description de l’interrelation et encore celui de sa construction psychoaffective, dans ses bases et ses
plus celles de la perception de l’expression corporelle du bébé ? différentes fonctions, ou lieux d’expression, que sont les
La PPN est certes celle du passé qui se représente dans cette développements psychomoteur, cognitif et le langage. Les
nouvelle histoire en présence d’un bébé, elle l’est également mécanismes en jeu sont nombreux et nous parvenons à les
dans la mise en route d’une nouvelle histoire qui ne peut se appréhender en observant le bébé, certes dans son environne-
dire qu’à travers le corps de l’enfant, d’autant plus qu’il est ment immédiat, mais en étant aussi sensible à son histoire à
jeune. Dans ce corps se déroule l’histoire de sa construction, il travers celle de ses parents [18]. Nous considérons les interrela-
est le théâtre du vécu psychique du bébé. tions précoces, l’importance des mécanismes projectif, intersub-
La richesse de la PPN vient de l’obligation faite, devant le jectif et intrapsychique qui se manifestent par le corps, les
berceau, d’intégrer ces différentes approches. La pédopsychiatrie phénomènes de transmissions transgénérationnelles, l’étude de
se doit de développer des outils d’approche où la clinique est la psychopathologie parentale et son retentissement, les repré-
essentielle. L’enseignement de Bick transmis par des collègues sentations d’attachement des parents (ou modèles internes
comme Geneviève et Michel Haag repose très clairement sur opérants) et leur effet sur l’attachement en cours du bébé [19].
cette base. L’observation du nourrisson en est le nœud, elle se
comprend comme une attention contenante [12], porte d’entrée
pour une compréhension et une action soignante respectueuses ■ Théories
des capacités et des sensibilités de chacun. L’étude des interac-
tions et l’analyse des formes d’attachement ne sont pas exclues Nous ne reprenons pas en détail les théories concernant les
de cette observation qui tient compte également du ressenti et compétences interactives précoces, ni de l’accordage, ni enfin de
des éprouvés de l’observateur [13]. Celui-ci est en position de l’attachement et de sa représentation chez l’adulte. Elles sont
témoin participant à un moment de vie où le bébé comme ses toutes essentielles et complémentaires. Leur intérêt actuel se
parents sont dans des mécanismes de projection et de régression situe dans les ponts entre elles, les liens entre ces concepts
puissants qui l’englobent lui aussi. ouvrant à une meilleure compréhension du fonctionnement du
bébé.
Rôle du pédopsychiatre Les grands points à retenir sont l’étroite relation entre le bébé
et l’adulte qui lui prodigue des soins, leurs compétences
Le pédopsychiatre, face aux futurs parents, est attentif à leur réciproques, la capacité d’y avoir accès et d’engager un accor-
état psychique. Il se préoccupe de leur devenir avec le sentiment dage qui soutient la transmission transgénérationnelle. Les
d’un risque encouru et, simultanément, d’une chance de questions qui se posent devant un bébé sont : comment s’opère
mobilisation possible [14]. Il connaît les facteurs de décompen- le passage d’un monde représentationnel d’un adulte à celui
sation mais aussi les promesses d’une reprise des capacités d’un enfant, par quel génie le monde du bébé s’organise et
structurales [15]. Il est également attentif pour le fœtus (encore prend sens dans cette histoire qu’il prolonge ? [20].
trop négligé car pensé comme relativement protégé), puis pour
le bébé compte tenu de la richesse des échanges et leur impact Attachement
sur le développement à cet âge. Les effets du bébé sur la
pathologie maternelle sont, sans doute, sous-estimés car ils Il se réfère aux cinq critères de Bowlby [21] : échange de
s’expriment de préférence soit en présence du bébé, soit sourire, solidité du portage, chaleur de l’étreinte, douceur du
lorsqu’on s’adresse à la partie maternelle de la femme. Cette toucher et interaction lors de l’allaitement auxquels Anzieu
dimension pathologique reste souvent méconnue de nos ajoute la concordance des rythmes [22, 23]. Ce besoin d’attache-
collègues psychiatres d’adultes lorsqu’elle n’envahit pas entière- ment du bébé réactive chez la mère ses expériences précoces de
ment le champ psychique. En revanche, le pédopsychiatre y est lien avec sa propre mère et les représentations qu’elle s’en est
particulièrement sensible car il reste en relation avec le bébé et faite. C’est sur cet arrière-plan qu’elle s’appuie pour offrir à
la partie bébé de la mère [7]. Il est attentif aux conséquences de l’enfant une base de sécurité propre à laisser se créer des
la pathologie maternelle sur la construction psychique du bébé modalités d’interaction comportant un style personnel fait
dans une sorte de boucle interactive pathologique. Sa position d’invariants et d’écarts [19].
est cependant ouverte, réceptive pour devenir descriptive
(comme il pourrait l’être lors de la contemplation d’un pay- Interaction
sage), mettant de côté les théories afin d’approcher chaque
dyade dans la richesse et la nouveauté créative des premières Elle a un support bien physique, il est sensoriel et moteur
relations. L’attitude descriptive met de côté, dans un premier (tonique). Bullinger [9] montre comment, à travers le concept de
temps, le repérage d’indices, c’est-à-dire le repérage de critères régulation tonique, un sens est donné aux états tonicoémotion-
négatifs (signes ou symptômes) base de l’enseignement en nels, qui va constituer la face externe de l’enveloppe corporelle.
médecine. La PPN a pour but de laisser chaque bébé et ses Il cite Wallon pour qui l’activité de répétition permet l’élabora-
parents découvrir leurs propres modalités d’échanges, leurs tion de noyaux représentatifs, points d’appui pour de nouvelles
appuis [16], leur place dans l’histoire familiale afin qu’il puisse se émotions qui vont progressivement se diversifier. Ces apports
construire harmonieusement dans sa double lignée. concernant les aspects toniques et émotionnels, comme celui
d’équilibre sensoritonique, reliant les dimensions biologiques,
physiques, sociales et cognitives sont indispensables pour
Présence parentale comprendre le bébé. Ajuriaguerra [24] a décrit le « dialogue
Une des composantes majeures serait la possibilité pour le tonique », interaction entre le bébé et la personne qui le porte,
père et la mère d’être ensemble autour du berceau, de devenir conception que nous retrouvons chez Winnicott et qui est

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-200-B-25 ¶ De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale

manifestement primordiale, ce dont nous faisons l’expérience peut, en la présence de la mère, vivre les échanges à travers son
quotidiennement dans les unités mère-bébé. Dans cette situa- corps par le mécanisme d’identifications intracorporelles décrites
tion, les échanges, qui prolongent ceux perçus par le fœtus par Haag [33].
pendant la grossesse, sollicitent les flux vestibulaires, tactiles,
olfactifs, auditifs et visuels. Les modulations produites par Régulation tonicoposturale
l’adulte donnent sens aux variations inévitables. Le bébé a la La régulation tonicoposturale selon Bullinger intègre parfaite-
capacité, dans une situation d’accordage affectif, de reproduire ment les théorisations de Haag [34]. Il décrit la nécessité de
l’état émotionnel de l’adulte transmis suivant un mode sensoriel l’objet d’arrière-plan primaire introjecté par le bébé pour
en le transposant en une autre modalité sensorielle : c’est ce que constituer les premiers marqueurs de solidité interne. Celle-ci
Stern appelle la transmodalité [25] . La perception amodale s’associe à l’interpénétration des regards et à la liaison visuoma-
contribue à former un sens du soi et de l’autre émergent [26]. nuelle [35]. Le jeune enfant, pour lancer la main vers l’objet et
Piaget insiste sur cette continuité entre le biologique et le maintenir son attention vers celui-ci, a besoin de cette solidité
psychologique [27, 28]. Nous pensons le comprendre comme un interne. Le tonus de la mère soutient celui de l’enfant grâce à
matériau sur lequel la subjectivité se construit. Ajuriaguerra s’est un ajustement postural et un dialogue tonique harmonieux.
appuyé sur cette double compréhension du développement Cette harmonie est vite atteinte par des altérations thymiques
enraciné sur des bases physiologiques mais aussi sur les notions de la mère ; on comprend alors comment la thymie maternelle
d’émotion et de tonus [24]. s’exprime par son corps et ses modulations posturales et
toniques. Par ce canal, le bébé perçoit la nature des variations
Psychomotricité thymiques et les intériorise.
Elle s’est ainsi développée en reposant sa théorie sur les
articulations entre le corps et le développement du psychisme Relation mère-bébé
comme première expression cognitive et fondement indispen- Chaque relation entre une mère et son bébé est spécifique,
sable à l’intelligence. La sensorimotricité tient une place centrale comporte ses propres structures rythmiques détachables par
en PPN et les psychomotriciens sont des partenaires clés. l’enfant au milieu de toutes les perceptions sensitivosensorielles
Winnicott situe le développement du bébé dans la relation à la dans un contexte émotionnel particulier. Les soins maternels
mère (celle donneuse de soins), celle qui assure trois fonctions : tissent ce langage corporel interactif permettant de construire
de holding comme facilitateur de l’intégration sensorimotrice ; un sentiment d’« appartenance mutuelle ». Le bébé en bonne
de handling facilitateur de l’autonomie ; de personnalisation et santé, dans une relation suffisamment satisfaisante, grâce à la
de relation d’objet comme base de toute relation humaine [29]. maturation de son système sensitivomoteur, se lance à la
C’est la préoccupation maternelle primaire qui confère à la mère « conquête des capacités actuelles et nouvelles » [36]. Il apprend
une sensibilité accrue au corps du bébé et au sien propre. Nous par lui-même, montre le chemin à l’adulte, initie des échanges
retrouvons la sensorimotricité, le dialogue tonique, à la base de intéressants. Ses activités motrices sont à la source de son
l’attachement et de la relation d’objet qui se manifestent dans activité mentale, elles en sont le reflet, langage qui se construit
les interactions. L’un s’origine dans l’autre sans que nous au même rythme que le développement sensorimoteur. On
puissions les séparer. Winnicott met l’accent sur l’importance de observe une spirale entre l’activité motrice, la différenciation
soins parentaux appropriés [29]. La qualité sensorimotrice de progressive des sensations et l’activité mentale [37]. Au milieu
l’enveloppe, la qualité tonique du portage assurent un senti- d’un apparent magma de tensions internes, d’affects confus,
ment de continuité à l’enfant d’où peu à peu émergera le d’angoisses primitives et de désorganisations apparaissent peu à
sentiment de la séparation du « soi ». Cette dernière phase exige peu des attitudes diversifiées. L’enfant se les répète, les exprime
l’instauration d’une sécurité interne fondatrice d’un narcissisme seul et dans l’interaction, semble en devenir maître et en faire
de qualité. sa coloration personnelle. Cette maîtrise progressive associée à
Le corps sert de vecteur relationnel entre l’adulte et le bébé. une forme d’émergence de prise de conscience est très subtile,
Ce dernier éprouve ses ressentis suivant des rythmes, des elle demande de la part de l’observateur une grande connais-
variations de ces rythmes, des répétitions associées à des sance de cet enfant (de ses parents et de la relation qu’ils ont
éprouvés. Il en détache des structures sous forme d’éléments entre eux) obtenue grâce à une attention et une observation
invariants mais aussi des différences auxquelles il raccorde des respectueuses des modalités relationnelles et de son climat [38].
éprouvés de tonalités variées. Pour qu’il parvienne à cette L’enfant construit, élabore son espace mental à travers son
performance, il faut certaines conditions de sécurité, de prévisi- corps : « à cet âge tout passe par le corps pour être peu à peu
bilité. L’adulte maternant joue cette fonction en puisant en lui élaboré dans un espace mental ; toutes les grandes fonctions,
une sensibilité à la hauteur de celle du nourrisson. Entre la mère cognitives, affectives, relationnelles, prennent racine et se
et le bébé, l’accordage affectif se dote d’un style, coloration de construisent à partir de ce fonctionnement comportemental
la communication émotionnelle entre eux deux. Ces interrela- sensorimoteur préverbal du bébé » [36].
tions ont en premier une représentation et une expression L’existence de la PPN vient de la prise en compte des aléas
motrice. Les liens de connaissance sont des liens émotionnels survenant dans ces processus. Aléas d’origines multiples et dont
exprimés à travers le corps. Selon Fonagy [30], la concordance l’importance modifie fondamentalement la construction du
des états entre le donneur de soin et l’enfant permet une bébé mais pas irrémédiablement. La PPN s’appuie sur ces
internalisation de l’état mental de l’adulte dans le contexte où nouvelles connaissances pour créer des réponses souples,
cela se produit. Sur cette base, il peut progressivement com- diversifiées et multidisciplinaires afin de répondre aux besoins
prendre les états mentaux (thymiques et cognitifs) de l’interlo- des enfants et de leurs parents. Le projet est de modifier le cours
cuteur et développer ce que Fonagy appelle une fonction des évènements, non pas vers une histoire normée ou norma-
réflexive qui caractérise l’accès à l’intersubjectivité [30]. tive, mais vers une histoire personnelle structurante. Les formes
Cet aspect en PPN est passionnant car il est source de de réponses thérapeutiques qui se sont mises en place se
fascination devant la beauté de ce qui se déroule dès lors que fondent sur l’expérience des secteurs de pédopsychiatrie et
nous acceptons de nous situer dans une attention observante. tiennent compte des facteurs particuliers liés à l’âge des enfants.
Nous découvrons simultanément les possibilités thérapeutiques
qui s’ouvrent à partir de cette présence attentive. Cet émer-
veillement [31] ne va pas sans douleur muette face aux ruptures ■ Pathologies
d’accordage, au non-respect des besoins et des éprouvés archaï-
ques que nous observons et qui font écho fortement en nous À quels types de pathologies s’adressent ces soins ? Comment
compte tenu de l’état de réceptivité dans lequel nous sommes. s’inscrivent dans le bébé les dysfonctionnements interactionnels
Le bébé a besoin de cette fonction maternelle contenante de pathologiques ? Bullinger nous éclaire sur ces processus chez le
l’objet primaire, fonction qui maintient une continuité indis- tout-petit lorsqu’il nous décrit le fonctionnement d’une « boucle
pensable grâce à la présence d’une mère physiquement présente archaïque » [9]. Lors de dysfonctionnements interactionnels, que
et malgré ses absences ou distances relationnelles [32]. Le bébé ce soit dû à la mère, au bébé ou aux deux, nous percevons une

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale ¶ 37-200-B-25

atteinte des capacités de dialogue qui s’exprime dans la syn- demandes plus grandes d’interactions révèlent de nombreuses
chronisation tonicoémotionnelle. L’équilibre entre la régularité perturbations : réponse inadéquate et inversée de la mère aux
(de la vigilance, des flux sensoriels, du milieu humain, des sollicitations de l’enfant, projection du délire ou des fantasmes
représentations), la régulation tonique (dans les échanges maternels, séduction primaire, excitation, intrusion psychique
physiques) et le fonctionnement de ces capacités de dialogue et ou retrait [7]. L’enfant exprime sa souffrance par un évitement
de synchronisation tonicoémotionnelle constituent ce que du regard, une hyper- ou hypotonie, une vigilance visuelle, une
Bullinger appelle la « boucle archaïque » sur laquelle (et à recherche d’appui sur le soignant (dans un cadre thérapeutique).
laquelle) s’appuie (s’intrique) la boucle cognitive. Les aspects L’enfant « apprend » à connaître les états maternels et à s’y
tonicoémotionnels et cognitifs sont entièrement liés [9]. adapter. Il exprime ou réprime ses besoins en fonction de l’état
psychique de sa mère. Il devient « économe », « hypermature »
Dépression maternelle si la relation n’est pas trop désorganisante, intrusive, imprévisi-
ble. L’enfant dans ce dernier cas est en danger, les angoisses
Ainsi, la dépression maternelle peut rendre inadéquate la deviennent inaménageables lors des rapprochés intrusifs ou des
synchronisation de l’accordage qui s’appuie sur le dialogue lâchages successifs. Ces perturbations sont parfois compensées
tonique. Le partage émotionnel est pauvre dans ces cas et le par la relation au père s’il parvient à reconnaître la pathologie
bébé ne peut développer l’attention conjointe nécessaire au de la mère et l’impact que celle-ci a sur son bébé. Il n’est pas
développement cognitif. Il ne peut être indifférent à la thymie rare cependant que, malgré un discours sur la réalité de la
maternelle qui s’exprime autant à travers le tonus utilisé dans maladie maternelle, le père la dénie au quotidien et laisse, trop
l’ajustement postural que dans les échanges de mimiques et de volontiers, l’enfant seul avec elle.
sons [18]. Le dialogue tonique, associé à un échange de regard Les perturbations des relations entre les parents et le bébé, les
pauvre, non centré sur la fovea, dessine une interaction défauts de stimulation, les carences, ont un impact sur le
spécifique. Un des premiers signes de souffrance chez le bébé est fonctionnement des enfants. Ce sont les plus fréquentes et pas
son expression tonique associée à un évitement fréquent du les moins complexes à soutenir et à traiter.
regard (signe de retrait affectif avant d’être signe d’un ensemble
diagnostique) [39]. Cette question de la dépression maternelle est Carences de maternage
tout à fait centrale en PPN, même si la question de la carence,
Quand nous parlons de carences de maternage, nous regrou-
des négligences et de la discontinuité est finalement plus
pons les carences affectives et les carences de stimulation. Elles
problématique et plus délicate encore dans son approche
ne sont jamais seules, l’enfant peu stimulé peut être dans une
thérapeutique (cf. infra).
relation fusionnelle narcissique à la mère qui ne perçoit pas son
L’inadéquation maternelle aux besoins psychiques du bébé
existence en dehors d’elle ou être, à l’inverse, dans une carence
dans cette constellation dépressive crée des dysfonctionnements
d’amour.
dans l’accordage affectif. Le retrait émotionnel dans les échan-
L’objet maternant est absent ici, non pas par dépression mais
ges, l’absence de plaisir partagé, la dimension opératoire,
faute d’être investi souvent par des parents eux-mêmes carencés,
« figée », des soins, prenant une dimension technique, n’ali-
sans appui sur des expériences infantiles affectives personnelles.
mentent pas la psyché naissante de l’enfant. Le portage est
Ils ne peuvent puiser dans des images parentales suffisamment
souvent inadéquat, les interactions pauvres, les mimiques
bonnes pour s’identifier à leurs parties bébé qui ouvriraient la
succinctes, la parole non seulement réduite mais dotée de
voie vers leur bébé réel.
caractéristiques mélodiques et rythmiques qui ne permettent
Plus fréquemment, associées à ces carences, se retrouvent les
pas de soutenir les échanges, si bien que le bébé s’en détourne
inadéquations, l’absence de continuité, la surstimulation et la
fréquemment. Ces mères réagissent peu ou douloureusement
submersion du bébé par les projections parentales qui provo-
aux manifestations de leur bébé qu’elles ne peuvent consoler
quent nombre de manifestations corporelles et somatiques [10].
puisque rien en elles ne les console. La mère est présente mais
Les parents ne peuvent respecter le rythme du bébé dans
son objet intérieur est mortifère, l’enfant s’en détourne ou se
l’interaction, durant ses retraits cycliques. Le jeune enfant
l’approprie, ce qui met en danger réel son potentiel de vie
répond également à ces débordements ou à ces dyschronies par
psychique [40].
des retraits, un vide psychique, un désinvestissement de la
fonction motrice d’exploration.
Dépression du bébé Le bébé ne peut anticiper les modalités relationnelles, les
Le bébé peut être lui aussi déprimé, cette expression peut être soins qui lui seront donnés. La capacité maternelle de pare-
le résultat de la dépression maternelle (ce qui n’en est pas excitation ne lui est que rarement offerte, si bien qu’il ne peut
l’unique issue cependant) [41]. Le retrait interactif et la perte du réellement l’intégrer [38]. Cette fonction habituelle de pare-
plaisir s’expriment à travers une pauvreté psychomotrice qui, excitation s’appuie sur la capacité qu’a la mère de régresser
avec les troubles somatiques et les troubles de l’attachement, durant cette période néonatale, sous la forme d’une crise
sont les manifestations premières dont la nature peut être d’identité précoce nécessaire qui lui permet d’avoir accès aux
relevée grâce à une observation descriptive fine s’appuyant parties enfouies de son psychisme en lien avec sa propre petite
également sur le contre-transfert de l’observateur [39]. Les assises enfance et à ses relations à sa mère. Cette régression, qui n’est
narcissiques de l’enfant sont profondément touchées et mena- cependant pas totale, la rend apte à offrir son appareil psychi-
cent son développement ultérieur. que comme contenant capable de métaboliser les émotions, le
vécu du bébé et d’y répondre de façon adéquate.
Ce qui caractérise ces interactions, c’est l’imprévisibilité dans
Mère psychotique la discontinuité, laissant l’enfant en état d’insécurité. Cette
Dans les situations où la mère est psychotique, malgré une discontinuité est souvent marquée par une proximité corporelle
prégnance forte des mécanismes psychotiques dans les interac- alliée à des lâchages sans qu’une bonne distance ne soit trouvée
tions, nous pouvons constater dans un premier temps (1 à pour des échanges de regard soutenus par un « bon portage ».
2 mois) un maintien de la fonction maternelle apparemment Les soins corporels sont défaillants, non enveloppants, parfois
bénéfique pour le bébé [42]. La dépendance totale du bébé et la ils évitent les zones sexualisées dans une attitude phobique ou
relation fusionnelle qu’il établit rencontrent des capacités au contraire trop insistants donnant le sentiment d’une fascina-
maternelles adéquates à ses besoins. C’est parfois une insuffi- tion par une sexualisation crue.
sance de notre connaissance clinique du bébé durant cette Les échanges verbaux suivent les états émotionnels des
période qui nous laisse le penser. Nous avons encore à travailler parents, de la relation du couple. Ils peuvent devenir crus et
sur ce temps spécifique des 40 premiers jours du bébé. Dès que violents.
le bébé commence à manifester une ébauche d’individualisation Le bébé a à se construire au milieu de ce qui ressemble à un
(lors de l’apparition du sourire, du décollement de la tête du chaos, il peut paraître très attaché à sa mère, cherchant à lui
corps de la mère, de l’augmentation des plages d’éveil) appa- plaire et développant des stratégies pour survivre. Rapidement,
raissent des perturbations. L’individuation (son ébauche), les il retourne l’agressivité contre lui et met en place des rythmies

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-200-B-25 ¶ De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale

pour y faire face. Fréquemment, l’observation révèle des enfants Les traitements sont le plus souvent ambulatoires, en colla-
atoniques, avec une activité exploratoire particulièrement boration avec les partenaires concernés et choisis par le couple.
pauvre, une absence d’investissement du corps qui semble sans Les sages-femmes doivent adapter leur suivi à ces futures
perception de l’inconfort et de la douleur dans lesquels il est. mamans en tenant compte de leurs angoisses, de leur représen-
Les troubles de l’attachement signent plus objectivement tation de la grossesse, du bébé, de la projection possible ou non
l’installation de ces modalités relationnelles. L’attachement dans le futur, des angoisses de mort et dans le troisième
insécure-évitant qui se dessine révèle la pauvreté du développe- trimestre de l’anticipation de l’après-naissance avec présentation
ment de la pensée, des affects, du récit, de la capacité de rêverie, des professionnels de la petite enfance (infirmière puéricultrice
de celle d’être seul à côté d’un adulte [13]. Le nourrisson annule de protection médicale et infantile [PMI] par exemple). Vers
parfois ses mouvements créatifs dans ce type de relation à des 6-7 mois de grossesse et parfois avant, nous réalisons des
parents préoccupés où l’environnement fait défaut. indications d’hospitalisation (temps plein, de jour, partielle)
dans les unités mères-bébés où une sage-femme intervient. Ces
Maltraitance hospitalisations permettent à certaines femmes de calmer une
angoisse massive, de retrouver le sommeil, de s’apaiser, de voir
L’enfant maltraité n’a pas de sécurité interne, si bien qu’il ne leurs douleurs diminuer. La relation de confiance qui se
peut se fier à son ressenti interne lors d’interactions comportant construit alors facilite grandement la préparation à la naissance,
des messages rassurants. Il reste vigilant, surveillant le monde le retour à la maison ou une hospitalisation mère-bébé à la
physique, il ne peut ainsi se laisser aller au jeu et plus tard au sortie de la maternité. Les résultats sont nettement meilleurs
faire semblant, et lorsqu’il l’ébauche, il laisse découvrir un dans ces cas en comparaison avec les hospitalisations décidées
monde interne terrifiant. Lors de violence parentale, l’enfant est lors du séjour à la maternité. Elles permettent une continuité et
sous une double emprise, celle de la violence de l’un et celle de une cohérence dans les soins, le soutien dans l’avant et l’après
la terreur de l’autre. Le monde est alors doublement effrayant. qui concerne la périnatalité.
La maltraitance, la violence atteignent la possibilité de jouer,
de mettre en scène ses émotions et ses idées, de les relier avec Période postnatale
les évènements extérieurs. Avec une mentalisation pauvre,
l’enfant a tendance de ce fait à la répétition. Après la naissance, l’intervention la plus classique est celle
Très souvent, nous percevons chez ces très jeunes enfants des entretiens psychothérapeutiques développés par Palacio-
l’ébauche de représentations, mais elles sont inadéquates, Espasa [7]. Si le processus thérapeutique vise l’espace entre la
globales, sans souplesse et vite court-circuitées. La vie psychique mère et le bébé, c’est par l’intermédiaire de la mère qu’il est
interne est restreinte, l’expérience de soi est discontinue. atteint. Il s’agit de modifier les investissements de la mère sur
L’observation de ces bébés est difficile car les parents pren- le bébé uniquement dans ce secteur et non tout le fonctionne-
nent le devant de la scène, leur histoire « fascine », fait écran à ment psychique de la mère. Les représentations mentales de la
l’attention que nous devons porter à ces jeunes enfants. Une mère, de sa relation à sa propre mère et de celle au bébé sont
observation très soigneuse et continue permet une évaluation de touchées. Très fréquemment, ce travail thérapeutique sur la
ses atteintes et de ses besoins. L’illusion serait de croire qu’un relation ne donne pas lieu à interprétation sur le transfert. Le
simple changement de l’environnement pourrait modifier et thérapeute aide la mère à reconnaître les manifestations, les
faire disparaître les manifestations. Mais l’enfant s’est construit expressions de l’enfant et leur retentissement en elle-même tant
avec ces formes relationnelles, il les a déjà intériorisées. La au niveau de ses perceptions, de ses émotions que de ses
pathologie du lien demande de l’attention contenante, un représentations mentales. Il atteint alors la question des
soutien des capacités parentales (même si elles sont succinctes), identifications maternelles et des projections dont le bébé est le
une continuité sécurisante afin que des modifications puissent support dans une dynamique transgénérationnelle. Cette notion
voir le jour. d’identification est particulièrement sensible à cette période de
la vie où la préoccupation maternelle primaire est le reflet de
ces identifications régressives indispensables qui touchent
■ Traitement d’ailleurs aussi les soignants, mais dans une moindre mesure.
Le système dyadique est malléable, il permet un jeu entre
Le soin en PPN a plusieurs axes d’intervention. réception des projections du bébé et leur transformation grâce
à une ouverture suffisante de la mère. Cette ouverture est
Grossesse maintenue par l’identification régressive et cette transformation
est possible grâce au lien conservé, chez la mère, entre processus
Pour les femmes enceintes (chapitre que nous traiterons primaire et processus secondaire. La mère joue une fonction
rapidement et qui pourrait donner lieu à un autre travail), organisatrice du monde interne de l’enfant à partir de l’atten-
l’approche est diverse, et fonction des symptômes et des tion qu’elle lui porte [44]. Elle donne ainsi une figuration aux
pathologies. Les sages-femmes sont les premiers interlocuteurs éprouvés infantiles, elle dessine les contours de l’affect dans la
avec les médecins généralistes, les gynéco-obstétriciens. Les relation qu’elle crée, processus ancré dans la relation corpo-
psychiatres et les pédopsychiatres interviennent soit en conti- relle [11]. Lorsque la mère ne peut remplir cette fonction soit par
nuité des soins antérieurs (femme déjà suivie par un psychiatre), défense contre une régression trop risquée, soit par identifica-
soit indirectement par l’intermédiaire de reprise ou analyse de tion projective pathologique, soit par absence de capacité de
pratique, soit en second à la demande des professionnels mise en relation, c’est le soignant qui prête à la dyade cette
concernés par la grossesse. fonction d’attention. Il met en marche une fonction de filtre
Lorsque la grossesse se déroule sans aggravation ou sans entre les deux ayant pour but de protéger la mère des projec-
perturbation du déroulement habituel, les sages-femmes sont à tions et des pulsions infantiles en lui offrant les éprouvés
même de soutenir la femme et le couple. En revanche, dès que infantiles sous des formes plus nuancées et d’autre part proté-
des inquiétudes particulières apparaissent, il n’est pas rare que geant l’enfant des retours non transformés des émotions
les psychiatres soient interrogés, consultés. C’est le cas lors maternelles [45]. Le soignant vient comme un réceptacle aidant
d’insomnies précoces non résolutives, associées à une dimension au transcodage de l’histoire qui s’écrit. Le partage des affects
obsessionnelle vis-à-vis du symptôme, lors de fatigues ou passe par le soignant qui aide les deux partenaires à intérioriser
douleurs somatiques envahissantes en particulier musculaire. Il cette fonction grâce à une reconnaissance commune
en est de même lors de dépression, de délire, de troubles de progressive.
l’identité, de dépersonnalisation, toutes manifestations psycho-
tiques qui s’aggravent, d’addiction que les futurs parents ne
parviennent pas avec les sages-femmes à contrôler suffisam-
Observation thérapeutique
ment. Enfin, les situations de grande vulnérabilité demandent En PPN, suivant le courant de l’observation psychanalytique
un étayage supplémentaire afin de faciliter le lien avec le futur du bébé de Bick et les effets thérapeutiques de la méthode qui
bébé [43]. ont été constatés puis théorisés par Houzel [8], l’observation

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale ¶ 37-200-B-25

thérapeutique s’est développée comme un instrument privilégié vie de l’enfant, il n’est pas rare que la mère offre un contenant
d’approche chez le nourrisson [46]. Cette technique demande de qualité en fournissant une fusion qui satisfait les deux
beaucoup de qualités chez le soignant et en particulier celles de partenaires. Les signes commencent à apparaître dès que le bébé
l’attente, de l’attention, de la capacité à tolérer les projections commence à s’éveiller, à entrer dans une relation avec une
et à ne pas se protéger systématiquement par les défenses liées ébauche d’individuation.
au savoir qui justifierait une explicitation trop rapide, trop Les observateurs montrent que les interactions visuelles sont
immédiate. Elle nécessite la capacité à se laisser imprégner par difficiles dans ces cas. La mère n’entre pas dans l’échange de
l’ambiance fortement émotionnelle de ces moments de la vie regard ou son regard est ailleurs, le bébé répond alors rapide-
sans intervention brutale pour en sortir. ment par l’évitement afin de se protéger du monde interne
L’espace ouvert par la présence bienveillante et respectueuse maternel. Nous constatons et favorisons le fait que le bébé
du soignant atténue les projections sur le bébé, dévie sur le s’appuie sur le regard du soignant familier lors des hospitalisa-
soignant les éléments négatifs et agressifs, soutient le parent tions ou lors des entretiens thérapeutiques. À l’absence
dans sa fonction grâce à une identification du parent à cette d’échange mutuel s’associent des paroles dont la modulation
personne. De même, on constate que le bébé s’appuie sur n’est pas liée au contexte, elle est souvent répétitive et ne
l’attention psychique de celle-ci. L’observateur fait le tri, s’accorde pas aux échanges qui passent par d’autres canaux. Le
atténue, transforme et clarifie le contenu des interactions, plus souvent, les interactions vocales sont pauvres. Le portage,
rendant ainsi la relation plus harmonieuse [31]. les interactions corporelles ne sont pas en harmonie avec les
Les soins diffèrent suivant les pathologies interactionnelles et autres interactions dès lors qu’il s’agit d’autre chose que d’avoir
leur origine. En PPN, les réponses sont majoritairement ambu- le bébé contre soi. Le bébé glisse sur les genoux maternels, la
latoires, réalisées sous forme d’entretiens thérapeutiques, de tête bascule hors des bras. L’enfant doit s’adapter et souvent il
consultations conjointes, d’observation thérapeutique à domi- le fait. Il sait attendre, être passif, se mouler à sa mère, ne pas
cile ou sur le lieu de vie de l’enfant, de travail en réseau direct être intrusif à son égard mais à quel prix ! Le soignant déploie
et indirect avec les professionnels de la petite enfance, de soins sa fonction d’arrière-plan ou d’enveloppe afin d’atténuer ces
en psychomotricité. Les hospitalisations mères-bébés se sont phénomènes. Parfois, à l’inverse, le rapproché est intolérable et
multipliées ces dernières années à temps plein, à la semaine et le bébé est mis à distance. Dans ce cas, l’alerte est plus rapide
à la journée. et mène à une décision de soins plus intense, de relais ou à
l’extrême de placement.
Familles carencées La question qui se pose alors est celle de la reconnaissance
ultérieure des émotions par le bébé et le travail des soignants se
La dynamique interactionnelle diffère suivant les difficultés fait autour de ce dialogue des émotions au moyen de l’attention
parentales. Dans le cas des familles carencées, la défaillance psychique portée dans l’observation thérapeutique.
parentale est au premier plan, avec une parentalité mal intégrée L’élaboration des représentations des pulsions, l’organisation
qui s’exprime par une discontinuité des échanges, une trop des affects et la mise en sens des émotions sont la base de
grande proximité lors des interactions ne respectant pas les l’action thérapeutique. Lors des hospitalisations mère-bébé, les
besoins émotionnels et le rythme du bébé, enfin une défaillance soignants s’attachent à cette fonction contenante autour du
des soins corporels. Les nourrissons sont en insécurité, vivent bébé et de sa mère afin qu’il développe ses compétences et que
dans un monde chaotique et développent des stratégies pour s’organise son fonctionnement mental à travers les échanges
survivre, mais ces défenses altèrent leur développement. Ils sont corporels [32]. Le psychomotricien fait un travail conjoint avec
atoniques ou hypertoniques, vigilants, ont peu d’activité une infirmière puéricultrice ou une infirmière référente de la
exploratoire du monde des objets et de leur corps (cf. supra). dyade pour un travail progressif de reconnaissance et de soutien
Rapidement, ils manifestent des troubles de l’attachement bien à l’individuation du bébé à travers des ateliers massages ou des
observés dans les troubles de la régulation des affects [2]. ateliers « bébé » avec les mamans. Le père, quand il peut être
Le traitement, très bien décrit par Lamour, se situe en premier présent, participe à ces efforts de triangulation.
dans l’accompagnement des parents : travail à domicile, obser-
vation thérapeutique [10]. La stabilité du cadre, le maintien du
lien, l’appui sur les compétences parentales, l’aide parallèlement
Dépression maternelle
apportée sur le plan social et quotidien (intervenantes sociofa- Lorsque les mamans sont plongées dans une dépression, le
miliales par exemple) rendent possibles des modifications premier temps est celui de la protection du bébé et de sa
relationnelles. « revitalisation » narcissique par les soignants référents. La
Durant les 2 premiers mois, des dispositifs liés à la PMI, maman demande le plus souvent un relais que le bébé cherche
comme celui mis en place par Rochette à Lyon, peuvent être d’ailleurs. Toute la délicatesse réside dans le fait de restituer le
préventifs d’une évolution apparemment répétitive et inélucta- lien aux deux partenaires. La mère est dans un retrait parfois
ble. Il s’agit de ritualiser ce passage et de soutenir ainsi ce travail complet vis-à-vis de son bébé, « au mieux » l’accordage affectif
de naissance par une métabolisation-transformation du vécu est discordant. L’enfant se contente du minimum et se retire de
complexe du post-partum grâce au groupe. « Ces groupes l’interaction, comme il se retire de son corps en devenant atone.
soutiennent le travail psychique de la mère et la croissance Lorsque nous intervenons précocement ou qu’un relais a été
psychique du bébé en créant les conditions d’une relance fourni par la famille, le bébé montre vite des compétences, se
fantasmatique et identificatoire via le groupe notamment à réanime avec plaisir et il est souvent prêt à renouer avec sa
travers les phénomènes de départicularisation du vécu, de mère dès que l’état de celle-ci s’améliore [47].
diffusion des anxiétés et de diffraction sur les soignants » [38].
Il est cependant très difficile de faire face aux fréquentes Relations parents-bébé pathogènes
crises que ces familles traversent. Elles mettent à mal le travail
en réseau, et la cohérence est toujours à maintenir et même à Enfin, nous avons à faire face à des relations parents-bébés
rétablir, aidés par l’analyse des projections et des clivages vécus qui restent pathogènes quoi que nous fassions et sans place-
puis agis par les professionnels ; ceci pour prévenir les lâchages, ment possible ou souhaitable de l’enfant. Le travail sur la
les ruptures et les séparations répétitives infligées à ces enfants. relation se poursuit mais ne suffit manifestement pas. Une
Toutes les autres formes de soins peuvent être envisagées action directe auprès du bébé parallèlement au travail thérapeu-
suivant les manifestations constatées : groupes mères-bébés, tique sur la relation, aux soins portés à la mère, s’avère alors
suivi psychomoteur... nécessaire. Dans ce domaine, l’évaluation du fonctionnement
du bébé est une composante essentielle du travail thérapeutique
et préventif. Le bébé est notre baromètre de la relation, nous
Mère psychotique sommes à son écoute, nous lui portons attention. Cette évalua-
Les bébés dont la mère est psychotique et qui n’ont pas de tion exige une clinique très précise afin de ne pas perdre de vue
suppléances intrafamiliales (père, grand-mère...) sont soumis à l’objectif premier qu’est le développement du bébé. L’état
une autre forme d’interaction. Durant les 40 premiers jours de maternel, le discours de la femme, des adultes autour et leur

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-200-B-25 ¶ De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale

comportement font trop souvent écran à ce qui se passe entre sur les enfants plus grands en pédopsychiatrie) du maintien de
les parents (la mère) et le bébé. Notre regard et notre attention certaines relations de mères envahies par des mécanismes
sont souvent détournés, notre évaluation faussée et le travail psychotiques sur leur bébé. Nous avons mis en place une
thérapeutique mis à mal. modalité de rencontres que nous appelons « médiations théra-
peutiques » qui se déroulent dans l’unité mère-bébé en présence
Souffrance du bébé d’une infirmière. Ces médiations thérapeutiques offrent un
contenant et une fonction de pare-excitation à la relation
Les signes de souffrance du bébé sont d’autant plus subtils mère(père)-bébé. L’enfant prend appui sur le soignant dans la
que le bébé est jeune. Durant les 2 premiers mois, période rencontre avec le parent. Le soignant restitue les manifestations
fusionnelle, il est rare d’appréhender des signes du nourrisson du bébé aux parents sous forme accessible et reconnaissable par
et de la relation qui nous est peu accessible. Nous avons à eux, et en retour atténue les projections parentales.
construire une clinique des 2 premiers mois afin d’assurer une Ce travail s’est développé suivant des indications thérapeuti-
meilleure prévention. ques précises en accord avec la justice ou l’ASE. Il a une double
Le corps et le langage corporel du bébé sont les véritables fonction : permettre la rencontre entre le(s) parent(s) et le bébé
voix de cette souffrance possible vécue dans la relation. L’éva- en atténuant au maximum les effets pathogènes, poursuivre les
luation des signes repose sur la lecture des observations avant soins à la relation afin que la représentation parentale ne soit
toute appréciation, toute critériologie. Dans ces observations, pas, chez l’enfant, source d’une angoisse ou d’un processus
nous puisons autant d’éléments propres à nous inquiéter que pathogène qui se poursuit bien au-delà du temps de la
propres à soutenir la relation et le bébé dans leurs ressources et rencontre [40].
leurs compétences. C’est pourquoi, nous préférons privilégier le Pour certaines situations, le placement n’a pas de raisons
récit aux échelles d’évaluation qui obturent parfois les capacités objectives et pourtant les préoccupations sont bien là ; elles sont
de chacun. Évaluer les capacités du nourrisson, les relations développementales pour le bébé, actuelles ou préventives face à
qu’il a avec ses parents et son environnement, évaluer la des négligences, des discontinuités graves et des risques forts de
parentalité font partie intégrante de la PPN, évaluer-soigner- maltraitance. Nous envisageons une formule innovante que
prévenir est une triade qui fonctionne simultanément et dont nous nommons « crèche thérapeutique » qui s’appuie sur
les termes ne peuvent être facilement dissociés. une élaboration de notre pratique (projet bipartite, pédopsy-
Nous souhaitons que l’approche thérapeutique qui s’appuie chiatrie–PMI).
sur le développement du bébé suivant ses propres ressources soit Les jeunes enfants qui profiteraient de cette formule sont
renforcé en PPN. L’institut de Loczy a montré combien l’activité dans des situations suffisamment fréquentes de troubles rela-
motrice autonome du bébé est importante pour l’évolution, et tionnels, de discontinuité dans l’accordage, de dysfonctionne-
combien l’intrication psyché et soma s’impose à nous à cet âge ments dans la mise en place des processus d’attachement, de
de la vie [48]. Nous n’isolons pas ces bébés qui consultent ou carences de soins, de microruptures de l’attention, d’inadapta-
sont hospitalisés avec leur mère (leurs parents), mais nous leur tion. Ces inadéquations dans les réponses provoquent des
offrons des temps pour des interactions respectueuses de cette troubles chez l’enfant qui apparaissent a minima à partir de
activité motrice libre sous l’attention de leur mère et/ou sous 2-3 mois, mis en évidence par une observation descriptive et
l’attention du soignant [49]. Cet intérêt que nous portons très tôt participante très fine, en deçà des signes alimentaires habituels,
à son activité motrice autonome, à ses temps et ses rythmes, à des reflux gastro-œsophagiens, des pleurs excessifs, des insom-
une présentation adaptée des objets, à l’environnement propice nies et des tensions corporelles. Dès son quatrième mois, le bébé
à susciter une sécurité interne de qualité est fait pour l’aider à présente des signes que seule l’observation dans l’unité d’hos-
son développement sensorimoteur, source de sa construction pitalisation mère-bébé permet : absence de rassemblement des
psychique. deux hémicorps, pauvreté de l’investissement des objets,
L’observation du bébé favorise son activité libre sur laquelle évitement dans les échanges et plus clairement à partir de
s’élaboreront ses sensations et ses émotions, se différencieront 6-8 mois absence d’investissement du bas du corps. Ces enfants
des invariants d’où émergeront des représentations. Le bébé est n’ont pu construire un sentiment de sécurité, bloqués dans leur
intéressé par ses propres expériences, il perçoit sa capacité à les exploration par un autoagrippement, ils n’ont pas de jeu avec
maîtriser et intériorise cette confiance dans la sécurité qui lui est leurs pieds, ni de bascule, ni de possibilité de rester à se
offerte. Il pourra s’appuyer secondairement sur cette confiance mouvoir sur un tapis, ils sont ligotés dans un siège et déjà dans
dans ses capacités émergeantes. des phénomènes excessifs de projections. La relation d’objet est
Dans le cas de désordres, de désorganisations relationnelles pauvre, nous constatons une hypo- ou hypertonicité, une
mère-bébé, l’expérience de Pikler à Loczy est à prendre en passivité, des troubles alimentaires, du sommeil, des pleurs
considération [50]. Des relais qui s’appuient sur ces capacités du incessants ou au contraire une absence d’expression. Vers
nourrisson peuvent être mis en place de façon séquentielle soit 9-12 mois, l’enfant se présente déjà avec un retard des acquisi-
dans les unités mères-bébés, soit en ambulatoire sur des temps tions ou une hyperactivité préjudiciable à la découverte des
de prise en charge en psychomotricité par exemple, mais aussi objets et au développement cognitif, un retard psychomoteur
sous la forme de crèches thérapeutiques dont le concept serait touchant souvent la partie inférieure du corps.
à développer [51]. Il est cependant clair que le but du soin et son Ces situations surviennent alors même qu’un soin est ins-
terme ne sont pas d’établir une relation idéale mais de permet- tauré mais insuffisant soit en ambulatoire ou sur des périodes
tre une relation viable pour les deux partenaires, fût-elle séquentielles. Le bébé se retrouve avec ses parents sur des durées
atypique. assez longues sans médiateurs. Ces soins seraient à poursuivre
en crèche thérapeutique afin de protéger le bébé sur des temps
Placement provisoire plus longs, dans un contexte l’autorisant à effectuer sa propre
Lors de désordres trop graves dans la relation parentale, les expérience de la motricité, à construire des liens substitutifs
unités mères-bébés sont amenées à travailler dans le cadre continus de qualité et sécures. Pour poursuivre la construction
d’ordonnances de placement provisoire prononcées par le juge du lien avec les parents, au-delà des visites à domicile par le
pour enfant. La mesure est souvent confiée à l’Aide sociale à professionnel référent, il est prévu que les parents soient
l’enfance (ASE). Elle contient parfois une forme d’injonction de présents une demi-journée par semaine dans la crèche pour
soin dans ces unités fixant ainsi un cadre précis de travail. Mais partager la vie avec leur enfant et l’équipe dans une expérience
c’est parfois après un temps d’hospitalisation dans ces mêmes qui se vit en commun.
unités que la dimension pathogène de la relation et ses effets
sur le bébé deviennent manifestes, obligeant à un signalement Travail sur la stabilité
par le pédopsychiatre et éventuellement une décision de Le travail sur la stabilité se réalise en permettant à l’enfant
placement par le juge. d’expérimenter l’équilibre et le déséquilibre sans danger [49].
Une fois le placement effectué, nous nous sommes interrogés Pour ces bébés qui ont souvent vécu des tensions comme
sur les effets particulièrement toxiques (et que nous constations inhérentes à leurs sensations corporelles (portage inadéquat,

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale ¶ 37-200-B-25

soins discordants non conformes aux besoins du moment...), il La PPN est complexe, elle est confrontée à la reconnaissance
est intéressant de susciter chez eux la capacité de se faire du et aux soins portés à la relation qui se noue entre un bébé et
bien, de rater un peu sans punition ou sans conséquence grave, ses parents, et parfois à la nécessité de tenir compte de la
réparer la déception, la douleur ou le chagrin produits, la sensibilité du bébé, de ses angoisses qu’il exprime à travers son
capacité de faire pour soi plutôt que pour égayer l’autre ou corps. Il faut pouvoir apporter à ce bébé un sentiment de bien-
atténuer son agressivité. L’organisation d’une telle crèche tient être, restaurer sa sécurité, soutenir ses capacités et les restituer à
compte de ces objectifs : l’environnement doit être stable, on ses parents pour qu’ils puissent se sentir soutenus par leur
doit pouvoir y tomber sans se faire mal, expérimenter la enfant.
motricité sans danger. Des zones de « solitude » sous le regard Alimenter la relation et trouver une place à l’activité libre
bienveillant des adultes, aménagées afin de favoriser le travail demandent à s’appuyer sur une observation attentive et respec-
de pensée en particulier par l’usage des capacités motrices pour tueuse de la part du soignant qui acquiert une connaissance du
soi (mobilité, jeu moteur, manipulations, expérimenta- fonctionnement intime de la dyade dont il a la charge. Donner
tions...) [52] . Les apprentissages ne sont que secondaires et à l’enfant les possibilités d’un attachement sécure à ses parents,
n’interviennent pas dans leurs formes premières, les enfants soutenir les parents pour qu’ils puissent recevoir cet enfant,
sont là sans idée d’activités d’éveil pour accumuler sous forme favoriser la relation dans ses modalités créatives seraient le pari
éducative des capacités cognitives ou des savoirs anticipés. de la PPN.

Émotions
L’attention aux émotions de l’enfant, que ce soit sous forme
de retrait, de colère, de manifestations digestives, de troubles du
sommeil etc. permet de les atténuer et de les transformer en ■ Références
élément pensable mais sans interprétation, uniquement dans [1] Brazelton TB. Échelle d’évaluation du comportement néonatal.
une capacité de les recevoir, de ne pas s’en éloigner, d’accueillir Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1983;31:61-96.
le chagrin, la dépression, le manque comme dans la vraie [2] Bowlby J. La théorie de l’attachement. In: Lebovici S, Weil-Hapern F,
vie [37]. Le chant, la respiration, la voix humaine peuvent être editors. Psychopathologie du bébé. Paris: PUF; 1989. p. 165-70.
des médiateurs pour dire les émotions ensemble, découvrir, [3] Haag M. La méthode d’Esther Bick pour l’observation régulière et
ressentir la beauté. prolongée du tout-petit au sein de sa famille. Paris: Autoédité; 2002.
[4] Lebovici S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Paris: Le
Fonction contenante Centurion; 1991.
[5] Lebovici S, Mazet P. Psychiatrie périnatale. Paris: PUF; 1998.
La fonction contenante de la crèche est tout à fait essen-
[6] Marcé LV. Traité de la folie des femmes enceintes. Paris: L’Harmattan;
tielle [32] pour ces enfants au vécu douloureux (dont ils ne
2002.
reconnaissent pas même la douleur). Ils sont souvent dans la [7] Cramer B, Palacio-Espasa F. La pratique des psychothérapies mère-
discontinuité, suspendus dans un vide psychique et parfois bébé. Paris: PUF; 1993.
physique à travers le portage en sachant que ce qui se passe sur [8] Houzel D. Les applications thérapeutiques de l’observation directe
le plan psychique s’exprime par le corps et vice versa. Réguler dans le champ de la psychiatrie. Devenir 1994;6:79-86.
les tensions, les successions d’évènements, lutter contre la dis- [9] Bullinger A. Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses
continuité demandent le déploiement d’une fonction de avatars. Ramonville: Erès; 2004.
contenance de qualité et celle-ci se met en place par la présence, [10] Lamour M, Barraco M. Souffrances autour du berceau. Paris: Gaëtan
la continuité, l’offre de point d’appui, le quotidien corporel : Morin; 1998.
explorer le dedans et le dehors physique, c’est explorer les [11] Trevarthen C, Aitken KJ. Intersubjectivité chez le nourrisson : recher-
éprouvés, les émotions, le lâchage. S’installer dans les lieux est che, théorie et application clinique. Devenir 2003;15:309-428.
possible dans la durée et la répétition rassurante offrant un [12] Sandri R. L’observation du nourrisson selon Esther Bick et ses appli-
investissement stable, c’est enfin appréhender le déroulement cations. Lyon: Cesura; 1994.
du temps dans sa prévisibilité [48]. Avant d’incorporer psychi- [13] Guedeney N. L’attachement. Paris: Masson; 2002.
quement une expérience, il faut la vivre dans un environne- [14] Picco M, Carel A. Évitement relationnel du nourrisson et dépistage
ment sécurisant, qui favorise l’expérimentation, les allers- précoce. Psychiatrie Enf 2002;45:171-205.
retours, les hypothèses, la non-destructivité des faits et des [15] Ciccone A, Lhopital M. Naissance à la vie psychique. Paris: Dunod;
émotions, s’autoriser des mouvements entre savoir et ne pas 2001 (1991).
savoir sans être anéanti. Cette fonction de contenance aura [16] Brazelton TB, Cramer B, Kreisler L. La dynamique du nourrisson.
Paris: ESF; 1982.
besoin de temps pour agir positivement afin d’éviter que les
[17] Brazelton TB. Points forts. Paris: Stock-Laurence Pernoud; 1994.
bébés tiennent à leur vécu antérieur comme seul possible,
[18] Delion P. La souffrance psychique du bébé. Paris: ESF; 2002.
comme seul vécu auquel ils s’accrochent dans la répétition, [19] Golse B. L’être-bébé. Paris: PUF; 2006.
dans la nécessité qu’ils éprouvent à s’agripper sur du connu [20] Golse B. Du corps à la pensée. Paris: PUF; 1999.
même destructeur pour leur épanouissement. L’utilisation des [21] Bowlby J. Attachement et perte. Tome 1, L’Attachement. Paris: PUF;
défenses rigides, de la répétition des schémas d’attachement, du 1989 (1969).
gel des capacités sensorielles et motrices est un des obstacles [22] Anzieu D. Le Moi-Peau. Paris: Dunod; 1985.
majeurs, qui ne peut être modifié que dans ce contexte et avec [23] Anzieu D. Les contenants de pensée. Paris: Dunod; 1993.
la participation des parents afin qu’ils reconnaissent leur enfant [24] Ajuriaguerra J. Manuel de psychiatrie de l’enfant. Paris: Masson; 1974.
comme le leur dans cette nouvelle modalité relationnelle. [25] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris: PUF; 2003.
[26] Stern D. La constellation maternelle. Paris: Calmann Lévy; 1995.
■ Conclusion
[27] Piaget J. La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Paris: Delachaux
et Niestlé; 1948.
[28] Piaget J. Le langage et la pensée de l’enfant. Paris: Delachaux et
La PPN en est au début de son essor, elle doit poursuivre
Niestlé; 1959.
l’exploration du champ de la connaissance du bébé, en particu-
[29] Winnicott D. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot; 1969.
lier sur ses 40 premiers jours. L’interaction affective s’exprime à [30] Fonagy P. Théorie de l’attachement et psychanalyse (2001). Toulouse:
travers des signaux minimes, perçus uniquement grâce à une Èrès; 2004.
observation effectuée par des professionnels particulièrement [31] Lacroix MB, Monmayrant M. Les liens d’émerveillement. L’observa-
bien formés à cette technique. À chaque dyade, un langage tion du nourrisson selon Esther Bick et ses applications. Toulouse:
corporel particulier et une découverte pour le professionnel. À Érès; 1995.
chaque fois se pose la question de ce qui se passe pour ce [32] Mellier D. La fonction contenante, une revue de littérature. Perspect
bébé-là avec cette maman, ce papa, cet environnement précis. Psy 2005;44:303-10.
Comment soutenir le parent dans sa relation au bébé, comment [33] Haag G. Contributions à la compréhension des identifications en jeu
donner confiance au bébé en ses propres compétences ? dans le moi corporel. J Psychanal Enf 1997;20:111-31.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-200-B-25 ¶ De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale

[34] Haag G. La mère et le bébé dans les deux moitiés du corps. [45] Garret N, Gloanec Y, Guillemot F. Une expérience de psychiatrie
Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1985;33:107-14. périnatale, le centre nantais de la parentalité. Inf Psychiatrique 2004;
[35] Marcelli D. Les yeux dans les yeux. Paris: Albin Michel; 2006. 80:659-66.
[36] David M. Pour une meilleure connaissance du bébé. Contributions de [46] Rochette J, Mellier D. Prévention et soin dans le post-partum immé-
l’Institut Emmi-Pikler. In: Szanto-Feder A, editor. Loczy : un nouveau diat : un dispositif de collaboration inter-institutionnelle entre psychia-
paradigme? L’Institut Pikler dans un miroir à facettes multiples. Paris: trie périnatale et protection maternelle et infantile (PMI). Inf Psychia-
PUF; 2002. trique 2004;80:651-8.
[37] Golse B. Le développement affectif et intellectuel de l’enfant. Paris: [47] Bydlowski M. La dette de vie; Itinéraire psychanalytique de la mater-
Masson; 2003. nité. Paris: PUF; 1997.
[38] Rochette J, Mellier D. Chasse aux papillons dans le post-partum immé- [48] Szanto-Feder A. Loczy : un nouveau paradigme? L’Institut Pikler dans
diat. L’observation d’Esther Bick comme armature d’un dispositif de un miroir à facettes multiples. Paris: PUF; 2002.
soin inter-institutionnel. Perspect Psy 2005;44:394-9. [49] Pikler E. Se mouvoir en liberté dès le premier âge. Paris: PUF; 1979.
[39] Guedeney A. De la réaction précoce et durable de retrait à la dépression [50] David M, Appell G. Loczy ou le maternage insolite. Paris: CEMEA
chez le jeune enfant. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1999;47:63-71. SCARABEE; 1973.
[40] Fraiberg S. Fantômes dans la chambre d’enfants. Paris: PUF; 1989. [51] Tendron F, Dupont F, Garret-Gloanec N. Projet d’établissement 2007-
[41] Dayan J. Psychopathologie en périnatalité. Paris: Masson; 1999. 2011, CHU Nantes. Conseil Général, Une crèche et un jardin d’enfant
[42] Cazas O. Les troubles psychiques au cours de la puerpéralité. Inf Psy- thérapeutiques.
chiatrique 2004;80:627-33. [52] Tardos A. Les différentes formes d’attention du nourrisson au cours de
[43] Molenat F. Mères vulnérables. Paris: Stock-Laurence Pernoud; 1992. son activité autonome et pendant ses interactions avec l’adulte. Spirale
[44] Sandri R. La maman et son bébé : un regard. Lyon: De Césura; 1994. 1999;9:15-22.

N. Garret-Gloanec, Pédopsychiatre (nicole.garret@wanadoo.fr).


CNP-HOME, Centre hospitalier universitaire de Nantes, 27, square La Pérouse, 44000 Nantes, France.
Y. Gloanec, Pédopsychiatre, chef de service.
Centre psychothérapique pour jeunes enfants, Centre hospitalier universitaire de Nantes, 11, rue du Douet-Garnier, 44000 Nantes, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Garret-Gloanec N., Gloanec Y. De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale. EMC (Elsevier
Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-B-25, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-190-A-30

Épidémiologie des troubles


psychiatriques en pédopsychiatrie
E. Fombonne

Cet article fait la synthèse des résultats des enquêtes épidémiologiques des troubles psychiatriques chez
l’enfant et l’adolescent. Nous donnons les estimations des taux de prévalence, les tendances liées à l’âge
et au sexe, et, lorsqu’ils sont disponibles, les taux d’incidence. Nous commençons avec une revue des
enquêtes qui donnent une estimation de la morbidité globale liée aux troubles psychiatriques. Nous
résumons ensuite les résultats des enquêtes épidémiologiques pour des troubles spécifiques comprenant :
l’autisme et les troubles envahissants du développement, le trouble déficitaire de l’attention, les troubles
anxieux et obsessif compulsif, les troubles affectifs comportant la dépression majeure et la dysthymie, les
troubles des conduites alimentaires, la schizophrénie et le trouble bipolaire. Nous concluons en donnant
des estimations du nombre d’enfants affectés en France aujourd’hui par chacun de ces troubles. On
estime de manière conservatrice qu’un enfant sur huit souffre d’un trouble psychiatrique à n’importe quel
moment.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Autisme ; Trouble déficitaire de l’attention ; Anxiété ; Trouble obsessif compulsif ; Dépression ;
Trouble des conduites alimentaires ; Schizophrénie ; Trouble bipolaire

Plan ¶ Abus de substances, comportements suicidaires 15


Abus de substances 15
¶ Épidémiologie et santé mentale de l’enfant et de l’adolescent 1 Comportements suicidaires 16
¶ Autisme et troubles envahissants du développement 3 ¶ Estimations pour la population française 16
Définition et concepts diagnostiques 3
Données épidémiologiques sur l’autisme 4
Données épidémiologiques sur les troubles apparentés
à l’autisme
Conclusion
4
4
■ Épidémiologie et santé mentale
¶ Troubles déficitaires de l’attention (TDA) de l’enfant et de l’adolescent
(syndrome hyperkinétique) 4
Définition et concepts diagnostiques 4 L’épidémiologie consiste en l’étude de la distribution des
Données épidémiologiques 6 maladies dans les populations humaines et des facteurs qui
Conclusion 6 influencent cette distribution. Les protocoles d’étude les plus
couramment utilisés sont les études prospectives (où les sujets
¶ Troubles anxieux 6
sont sélectionnés selon qu’ils sont exposés ou non à un facteur
Définition et concepts diagnostiques 6
Données épidémiologiques 6
de risque dont on veut étudier l’impact sur l’incidence d’une ou
Conclusion 9 plusieurs maladies) et les études cas-témoins (où des sujets
malades sont comparés à des sujets contrôles pour leur exposi-
¶ Troubles obsessifs-compulsifs (TOC) 9 tion passée à un ou plusieurs facteurs de risque). Les études
Définition et concepts diagnostiques 9
transversales, ou études de prévalence, sont une variante
Données épidémiologiques 9
d’enquête où l’état de santé des sujets et leur exposition à des
Conclusion 9
facteurs de risque sont mesurés simultanément. [1] La majeure
¶ Troubles dépressifs 9 partie des enquêtes épidémiologiques conduites de 1960 à
Définition et concepts diagnostiques 9 1990 en psychiatrie infantojuvénile correspond à ce type
Données épidémiologiques 9 d’enquête. Toutefois, la tendance récente est de recourir aux
Conclusion 12 études longitudinales qui seules permettent d’examiner le rôle
¶ Troubles des conduites alimentaires (anorexie et boulimie) 12 étiologique des facteurs de risque et d’identifier les mécanismes
Définition et concepts diagnostiques 12 psychopathologiques.
Données épidémiologiques 12 La plupart des études épidémiologiques visent à obtenir des
Conclusion 14 estimations non biaisées de la fréquence de survenue des
¶ Schizophrénie et troubles bipolaires de l’enfant maladies dans les populations concernées. Parmi les indicateurs
et de l’adolescent 14 épidémiologiques les plus couramment utilisés, figurent les taux
Définition et concepts diagnostiques 14 de prévalence et les taux d’incidence. La prévalence d’une
Données épidémiologiques 15 maladie représente la proportion de sujets dans une population
Conclusion 15 qui est atteinte de la maladie à un instant donné ; ce taux

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 1.
Étude épidémiologique de Chartres : prévalence des troubles psychiatriques chez les enfants de 8-11 ans. [8]

Taux de prévalence a (erreur standard)


Troubles du comportement b Troubles émotionnels Tous les troubles
Sexe
garçons 9,3 (2,1) 5,6 (3,4) 15,0 (4,6)
filles 3,2 (1,4) 6,3 (1,9) 9,5 (2,8)
Type d’école
publique 6,6 (2,1) 5,9 (2,8) 12,5 (4,3)
privée 4,1 (1,1) 6,6 (0,8) 10,7 (1,4)
classes spéciales 16,8 (4,8) 3,4 (4,0) 20,2 (5,8)
Âge
8-9 ans 7,4 (2,3) 5,7 (2,7) 13,1 (3,2)
10-11 ans 5,3 (2,3) 6,3 (2,9) 11,6 (4,7)
Sévérité
mineur (CGAS ≥ 61) 3,7 (1,6) 2,8 (0,9) 6,6 (2,2)
sévère (CGAS < 61) 2,8 (0,6) 3,1 (1,5) 5,9 (1,5)
Total 6,5 (0,8) 5,9 (1,8) 12,4 (2,8)
a
Les taux de prévalence se rapportent aux 3 derniers mois.
b
Comprend les troubles mixtes (à la fois émotionnels et comportementaux).

s’exprime comme une proportion et est sans unité. Les taux de reprises ensuite dans les études ultérieures. Depuis lors, les
prévalence sont souvent calculés pour une période de temps protocoles d’études épidémiologiques chez l’enfant ont reposé
qui, en psychiatrie, varie typiquement de 1 à 12 mois ; par sur l’investigation des troubles psychiatriques par des moyens
exemple, on calcule le taux de prévalence au cours des 6 der- d’évaluation standardisés (questionnaires de dépistage et
niers mois comme étant la proportion de sujets dans une entretiens diagnostiques) de validité et fiabilité connues, sur
enquête ayant souffert du trouble considéré à n’importe quel l’utilisation de plusieurs sources d’informations (enfant, parent,
moment au cours des 6 derniers mois, même s’ils n’en souffrent professeur), sur le recours à un protocole en deux phases
plus au moment précis de leur participation à l’enquête. Un comportant une phase de dépistage par questionnaires sur
type de période de prévalence utilisé très souvent en épidémio- l’ensemble de la population étudiée, suivie d’une deuxième
logie psychiatrique est la prévalence sur la vie, qui représente la phase d’évaluations approfondies sur des groupes d’enfants
proportion de sujets dans une population qui rapportent avoir sélectionnés d’après les résultats du dépistage, sur le choix d’une
eu à n’importe quel moment de leur vie le trouble investigué. définition diagnostique reposant à la fois sur la présence de
Cette mesure est utilisée en épidémiologie psychiatrique car elle symptômes et sur une diminution de l’adaptation et un reten-
ne dépend pas d’une datation précise du début des troubles tissement sur le fonctionnement psychologique et social. Une
(particulièrement difficile à obtenir pour la plupart des troubles étude épidémiologique similaire à l’enquête de l’île de Wight a
psychiatriques), ni de la durée des troubles. En effet, pour les été menée en France dans la région de Chartres chez des
périodes plus courtes, les taux sont proportionnels à la durée de enfants d’âge scolaire. [6-8] Ses principaux résultats sont résumés
la maladie et reflètent du même coup non seulement l’inci- dans le Tableau 1.
dence de la maladie dans la population mais aussi des caracté- Le Tableau 2 [8-23] présente les résultats de quelques grandes
ristiques évolutives de la maladie, ou liées à son traitement et à enquêtes récentes, en fournissant le taux de prévalence pour
sa prévention. Un autre indicateur est l’incidence, une mesure l’ensemble des troubles psychiatriques et, parfois, une estima-
dynamique qui reflète la force de la morbidité d’une maladie tion séparée pour la morbidité attribuable aux troubles émo-
dans les populations humaines. L’incidence est calculée en tionnels (troubles anxieux et affectifs) et aux troubles
rapportant le nombre de nouveaux cas survenus au cours d’une comportementaux (troubles oppositionnels et des conduites, et
période d’observation donnée au nombre de personnes indem- troubles hyperkinétiques). Ces taux reflètent la morbidité
nes de troubles au début de la période d’observation. L’inci- psychiatrique globale attribuable aux troubles psychiatriques
dence s’exprime soit sous forme d’un taux par personne et par communs, mais ils n’incluent généralement pas celle liée à des
unité de temps, soit sous la forme d’un risque. La plupart des troubles plus rares (par exemple, l’autisme) qui ne peuvent être
données épidémiologiques en psychiatrie sont des données de étudiés qu’avec d’autres méthodes d’enquêtes. Des revues
prévalence ; il existe quelques estimations de l’incidence, par détaillées des enquêtes générales de santé mentale de l’enfant
exemple pour l’anorexie mentale et la boulimie, l’autisme, la apparaissent régulièrement dans la littérature. [24-26] Dans son
dépression ou la schizophrénie. Afin de mesurer la prévalence analyse détaillée de 49 études épidémiologiques menées de 1965
ou l’incidence des troubles psychiatriques, une définition de la à 1993, Verhulst a conclu qu’un taux de prévalence moyen de
maladie et un mode d’évaluation de l’état de santé des indivi- 12,3 % pouvait être retenu pour tous les troubles psychiatriques
dus est nécessaire. Depuis 30 ans, les progrès dans la recherche communs confondus. Le taux obtenu dans la seule étude
en psychiatrie ont été rendus possibles notamment par le française (12,4 %, cf. Tableau 1) [8] est concordant avec cette
raffinement de la nosologie, par le développement de critères estimation. Les taux globaux varient assez peu avec l’âge, avec
diagnostiques opérationnels, par l’analyse empirique de leur une tendance à une légère augmentation à l’adolescence dans
performance, par l’évaluation systématique de la fiabilité inter- certains travaux. Cependant, l’analyse des taux spécifiques à
juges et l’identification progressive des sources d’erreur ou certains troubles psychiatriques montre des effets plus marqués
d’imprécision dans le processus diagnostique, et par la valida- de l’âge. Par exemple, la dépression et l’anorexie mentale sont
tion systématique des entités diagnostiques à l’aide d’études rares chez l’enfant et leur incidence augmente massivement
familiales, biologiques, génétiques, psychologiques, longitudi- au cours de l’adolescence. Les troubles hyperkinétiques ou
nales et thérapeutiques. Les classifications actuellement utilisées l’autisme infantile ont, au contraire, un âge précoce d’appari-
par les chercheurs sont la CIM-10 [2, 3] et le DSM-IV [4], qui, tion. Dans l’ensemble, les troubles psychiatriques impliquant
pour la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, présentent peu des perturbations du développement des fonctions psychologi-
de différences substantielles. ques de base sont plus fréquents chez les garçons, de même que
L’épidémiologie en psychiatrie de l’enfant a commencé avec les troubles extériorisés du comportement. À l’inverse, les
les études menées dans l’île de Wight, en Angleterre, au milieu perturbations affectives et émotionnelles sont plus fréquentes
des années 1960 [5] dont les avancées méthodologiques ont été chez les filles. Ces différences sont robustes et ont été mises en

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

Tableau 2.
Prévalence des troubles psychiatriques communs dans des enquêtes épidémiologiques récentes.
Auteurs Site Âge Nbre Instruments / Prévalence
de patients diagnostic
Période Au moins Au moins un N’importe
un trouble trouble du quel trouble
émotionnel comportement
Costello et al. [9] Great Smoky Mountains, 9,11,13 4,500 CAPA / DSM-III-R 3 mois 6,8 6,6 20,3
Caroline du Nord
Verhulst et al. [10] National, Pays-Bas 13-18 780 DISC-C et -P / 6 mois 7,9 E ou P 35,5 E ou P
DSM-III-R 0,9 E et P
4,0 E et P
Fombonne [8] Chartres, France 6-11 2 441 ICD-9/ Île de Wight 3 mois 5,9 6,5 12,4
module
Steinhausen et Zurich, Suisse 7-16 1 964 DISC-P / DSM-III-R 6 mois 6,5 22,5
al. [11]
Simonoff et al. [12] Virginie, États-Unis 8-16 2 762 CAPA/ DSM-III-R 3 mois 8,9 7,1 14,2
Esser et al. [13] Mannheim, Allemagne 8 1 444 Entretien clinique / 6 mois 6,0 6,0 16,2
ICD-9
Anderson et al [14] Dunedin, 11 925 DISC-C / DSM-III 1 an 7,3 11,6 17,6
Nouvelle-Zélande
Offord et al. [15] Ontario, Canada 4-16 2 679 Entretien structure 18,1
/ DSM-III like
Bird et al. [16] Porto Rico 4-16 777 DISC/ DSM-III 17,9
Fergusson et al. [17] Christchurch, 15 986 DISC/ DSM-III-R 27,3
Nouvelle-Zélande
Ford et al. [18] Angleterre 5-15 10 438 DAWBA/ ICD-10 3 mois 4,3 5,8 9,5
et Pays de Galles
Morita et al. [19] Gunma prefecture, Japon 12-15 1 999 Île de Wight 3 mois 15,0
interview/ICD-9
Vikan [20] Troendelag Nord, 10 1 510 Île de Wight 3 mois 5,4
Norvège interview/ICD-9
Lewinsohn et al. [21] Oregon, États-Unis 16-18 1 710 K-SADS/ DSM-III-R Actuelle 1,8 9,6
Jeffers et Dublin, Irlande 9-12 2 029 Île de Wight 3 mois 25,4
Fitzgerald [22] interview/ICD-9
Breton et al. [23] Québec, Canada 6-14 2 400 Dominique-DISC2/ 6 mois 19,9P
DSM-III-R 15,8E
E P
: Enfant comme source d’information ; : Parent comme source d’information.

évidence dans plusieurs pays à un niveau symptomatique [7, 27] des domaines différents (biologique, social, génétique, etc.). [36]
et diagnostique. Les études mettent généralement en évidence L’adoption de plus en plus fréquente de protocoles d’étude
une association positive avec les classes sociales les plus basses. longitudinaux a permis de mettre en évidence des facteurs de
Des comparaisons régionales et entre zones rurales et urbaines risque impliqués causalement dans la genèse de troubles
ont aussi montré que les taux de symptômes et troubles psychiatriques ainsi que des facteurs protecteurs qui réduisent
psychiatriques sont plus élevés dans les villes que dans les l’impact de facteurs de risques connus, d’identifier les facteurs
campagnes, reflétant la concentration dans les zones urbaines associés à la persistance des troubles (souvent distincts de ceux
de facteurs ou situations à risque pour le développement de la impliqués dans la genèse des troubles), et d’examiner les liens
psychopathologie. Des études transculturelles comparant des (continuités et discontinuités) entre pathologie de l’enfant et
enfants/adolescents de pays différents et évalués au moyen celle de l’adulte. [36, 37] Combinés à l’étude d’échantillons
d’instruments rigoureusement identiques ont montré un certain informatifs au plan génétique (études de jumeaux ou d’enfants
nombre d’invariants dans l’expression des troubles psychopa- adoptés), ces protocoles permettent de mieux apprécier l’effet de
thologiques ainsi que certaines différences culturelles dans leur facteurs génétiques, d’environnement et de leurs interactions
appréciation par les adultes. [28-30] Par exemple, dans une dans le développement des états psychopathologiques. Plutôt
comparaison de deux grandes enquêtes menées dans la popula- que d’être un moyen de recensement ou de comptage adminis-
tion générale avec le même questionnaire, les parents français, tratif des troubles psychiatriques des enfants, les méthodes
comparés aux parents américains, trouvent plus de problèmes épidémiologiques sont désormais devenues un outil indispensa-
chez leurs enfants, notamment de nature émotionnelle, et ble pour tester des hypothèses sur les modèles psycho-
évaluent leurs enfants comme étant moins socialement pathologiques.
compétents. [28]
Les travaux épidémiologiques récents ont été caractérisés par
des techniques d’échantillonnage et des méthodes d’analyse des ■ Autisme et troubles envahissants
données plus complexes. [31] De nombreux instruments d’éva- du développement
luation ont été développés au cours des 20 dernières années,
qu’il s’agisse de questionnaires, d’entretiens diagnostiques ou
des moyens de mesure des facteurs de risque (événements de
Définition et concepts diagnostiques
vie, relations intrafamiliales ou avec les pairs, attributs psycho- Les troubles envahissants du développement sont une classe
logiques, etc...). [32] L’accent a aussi été mis sur la fréquence de de troubles définis par un début précoce (les premiers symptô-
la comorbidité entre différents troubles psychiatriques et la mes sont observés par les parents avant l’âge de 3 ans), et une
nécessité d’élucider mieux ce phénomène, [27, 33-35] sur l’impor- altération profonde du développement dans trois domaines : le
tance de développer des études sur des tranches d’âge particu- langage et la communication, les interactions sociales, et les
lières (adolescence, âge préscolaire) et sur l’importance d’exa- activités, le jeu et les intérêts qui tendent à être stéréotypés,
miner simultanément l’effet de facteurs de risque mesurés dans répétitifs, ritualisés, et manquant d’imagination. Les symptômes

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

associés varient en fonction de l’âge et de la présence et sévérité L’augmentation des taux de prévalence depuis 20 ans a
d’un retard mental associé. Ainsi, le langage peut être complè- alimenté un débat sur l’existence d’une véritable épidémie
tement absent ou réduit à quelques mots sans utilisation d’autisme. [70, 71] En fait, il est vraisemblable que cette augmen-
compensatoire de gestes pour communiquer avec autrui, ou tation reflète surtout un élargissement de la définition de
bien il peut être bien développé mais marqué par des anomalies l’autisme et une meilleure reconnaissance de l’autisme par les
de la pragmatique, c’est-à-dire de la capacité à utiliser le langage professionnels et le public. Les données actuelles ne permettent
pour communiquer dans des situations sociales. Chez le même pas de conclure à une augmentation séculaire de l’incidence de
individu, la présentation clinique change avec la maturation, et l’autisme. Il est néanmoins souhaitable que les pays modernes
un jeune enfant sans langage, sans contact oculaire ni intérêt se dotent de moyens de surveillance épidémiologique de
pour les autres, continuellement fasciné par la lumière et ses l’autisme dans les années à venir.
reflets, peut devenir plus tard un enfant au langage bien
développé, démontrant son affection à ses parents et cherchant Données épidémiologiques sur les troubles
à jouer avec d’autres enfants, et intéressé par une gamme plus
diversifiée d’activités et de jeux. Le trouble autistique, ou
apparentés à l’autisme
autisme infantile, est la forme la plus typique et la plus sévère La prévalence du trouble désintégratif (une forme d’autisme
des troubles envahissants du développement. Le syndrome avec retard mental sévère survenant après une période de
d’Asperger correspond à une forme d’autisme où le développe- développement normal) est négligeable comparée à celle de
ment du langage et les fonctions cognitives sont préservés. l’autisme, et a été estimée à environ 2/100 000 dans une analyse
L’autisme atypique, ou trouble envahissant du développement de quatre études. [71] Des estimations de la prévalence du
non spécifié, est diagnostiqué chez les enfants qui ne remplis- syndrome d’Asperger ont été fournies dans quelques études [62,
72] mais ces taux, fondés sur des études très imprécises, sont
sent pas tous les critères diagnostiques de l’autisme au complet.
Une forme très rare d’autisme avec retard mental sévère, le difficiles à retenir. Dans d’autres enquêtes récentes de plus
trouble désintégratif de l’enfance, est diagnostiquée chez les grande envergure, la prévalence du syndrome d’Asperger
enfants dont l’autisme apparaît après le deuxième anniversaire, apparaît être environ quatre fois moindre que celle de l’autisme
par une perte brutale des acquisitions et des compétences classique. [73] Enfin, dans la plupart des études, les auteurs ont
suivant une période de développement normal. L’autisme décrit de nombreux enfants ne remplissant pas exactement tous
touche quatre fois plus de garçons que de filles, est associé à un les critères diagnostiques de l’autisme mais présentant des
retard intellectuel dans environ 70 % des cas, et survient dans troubles développementaux analogues et ne requérant certaine-
toutes les classes sociales. Des facteurs génétiques encore mal ment pas moins d’aide. La prévalence de ce groupe (trouble
connus sont impliqués dans l’étiologie. envahissant du développement non spécifié : TEDNS ; aussi
appelé autisme atypique) est en général supérieure à celle de
l’autisme et est estimée à environ 1,5 fois celle de l’autisme. [71]
Données épidémiologiques sur l’autisme Dans une étude française conduite par l’INSERM, des résultats
Les premières études épidémiologiques de l’autisme ont semblables ont été obtenus. [57]
débuté dans le milieu des années 1960 en Angleterre [38] et,
depuis lors, des études ont été conduites dans la plupart des Conclusion
pays occidentaux (dont trois en France). Les résultats de 32 Un taux minimal de 10/10 000 pour la prévalence de
études publiées dans la littérature internationale sont résumés l’autisme peut être actuellement retenu. On peut provisoirement
dans le Tableau 3 [38-69] où les études apparaissent par ordre de estimer la prévalence du syndrome d’Asperger à 2,5/10 000 et
publication. L’âge des enfants étudiés varie mais la plupart des celle des TEDNS à 15/10 000. La prévalence de toutes les formes
études sont concentrées sur l’âge scolaire (âge médian : 8,3 ans). de troubles envahissants du développement est donc au mini-
La taille des populations varie également (étendue : 826 – mum 27,5/10 000. Cette estimation est basée sur les études les
899 750 ; médiane : 65 700). Le protocole de la plupart des plus récentes et sur une analyse conservatrice des résultats
enquêtes consiste en plusieurs phases de dépistage des cas, par publiés. En fait, depuis 3 ans, plusieurs études de meilleure
l’envoi de lettres ou questionnaires aux professionnels de santé qualité méthodologique ont montré des taux voisins de
et de l’éducation de terrain, ou par l’inspection de registres 60/10 000 pour tous les TED, [71] et ce taux apparaît de plus en
administratifs de l’éducation spécialisée ou de dossiers hospita- plus celui qui devrait être retenu pour la planification des
liers. Les enfants sélectionnés par ce dépistage sont, dans une services.
deuxième étape, soumis à une investigation plus détaillée visant
à confirmer le diagnostic. Les taux de participation à ces études,
tant des professionnels de terrain sollicités que des familles, sont ■ Troubles déficitaires
très élevés. Les moyens d’évaluation et critères diagnostiques
utilisés varient d’une étude à l’autre, avec le passage progressif de l’attention (TDA)
des critères de Lotter et de Rutter dans les années 1960-1970,
aux critères diagnostiques du DSM-III dans les années 1980, puis
(syndrome hyperkinétique)
à ceux du DSM-IV et de la CIM-10 depuis 1995. Parce que la
méthodologie des enquêtes varie considérablement pour des
Définition et concepts diagnostiques
facteurs critiques autres que les critères diagnostiques, il est Le terme hyperactivité fait partie du langage courant des
difficile d’évaluer l’impact spécifique des critères diagnostiques adultes pour désigner un ensemble très vaste de comportements
sur les estimations des taux de prévalence. allant de la simple exubérance aux comportements opposition-
Les taux de prévalence varient de 0,7/10 000 à 72,6/10 000 nels variés. En psychiatrie, ce terme est utilisé dans un sens très
(médiane : 8,6/10 000). La précision obtenue dans l’estimation précis et beaucoup plus étroit pour désigner un syndrome
des taux de prévalence est très variable, comme l’indiquent les associant hyperactivité motrice, inattention et impulsivité. Les
intervalles de confiance associés aux estimations ponctuelles. caractéristiques comportementales qui définissent le syndrome
Des études de très petite taille donnent souvent des taux élevés. sont distribuées normalement dans la population et, par
Il existe une corrélation significative positive entre l’année de conséquent, un certain degré d’arbitraire existe dans la sépara-
publication et le taux de prévalence (r = 0,70). Pour retenir un tion entre hyperactivité normale et syndrome hyperkinétique.
taux de prévalence moyen actuel, nous avons donc exclu deux En Europe, la tradition psychiatrique a été conservatrice, le
études de taille trop petite (population < 10 000) ainsi que celles terme de syndrome hyperkinétique étant typiquement réservé à
conduites avant 1987 pour tenir compte des changements un petit groupe d’enfants (0,1 %) présentant des symptômes à
intervenus depuis 15 ans dans les conceptions de l’autisme. la fois précoces et très sévères. [74] La conception américaine a
Pour les 19 études restantes, le taux moyen de prévalence est de été typiquement beaucoup plus large avec les définitions
11,1/10 000 (médiane : 9,5/10 000). De manière conservatrice, originelles du DSM-III (ADDH : troubles déficitaires de l’atten-
un taux de 10/10 000 peut être retenu pour l’autisme. tion avec hyperactivité) associées à une prévalence beaucoup

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Tableau 3.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Prévalence de l’autisme.
Année de Auteurs Pays Région Nombre Nombre de sujets % QI normal Sex-ratio Prévalence / 95% IC
publication de patients autistes (M:F) 10 000
1966 Lotter [38] Gde-Bretagne Middlesex 78 000 32 15,6 2,6 (23/9) 4,1 2,7 ; 5,5
1972 Brask [39] Danemark Aarhus County 46 500 20 - 1,4 (12/7) 4,3 2,4 ; 6,2
1970 Treffert [40] États-Unis Wisconsin 899 750 69 - 3,06 (52/17) 0,7 0,6 ; 0,9
1976 Wing et al. [41] Gde-Bretagne Camberwell 25 000 17 a 30 16 (16/1) 4,8 b 2,1 ; 7,5
1982 Hoshino et al. [42] Japon Fukushima-Ken 609 848 142 - 9,9 (129/13) 2,33 1,9 ; 2,7
1983 Bohman et al. [43] Suède County of Västerbotten 69 000 39 20,5 1,6 (24/15) 5,6 3,9 ; 7,4
1984 McCarthy et al. [44] Irlande Est 65 000 28 - 1,33 (16/12) 4,3 2,7 ; 5,9
1986 Steinhausen et al. [45] Allemagne Berlin-Ouest 279 616 52 55,8 2,25 (36/16) 1,9 1,4 ; 2,4
1987 Burd et al. [46] États-Unis Nord Dakota 180 986 59 - 2,7 (43/16) 3,26 2,4 ; 4,1
1987 Matsuishi et al. [47] Japon Kurume City 32 834 51 - 4,7 (42/9) 15,5 11,3 ;
19,8
1988 Tanoue et al. [48] Japon Sud Ibaraki 95 394 132 - 4,07 (106/26) 13,8 11,5 ;
16,2
1988 Bryson et al. [49] Canada Part de Nova Scotia 20 800 21 23,8 2,5 (15/6) 10,1 5,8 ; 14,4
1989 Sugiyama et Japon Nagoya 12 263 16 - - 13,0 6,7 ; 19,4
Abe [50]
1989 Cialdella et Mamelle [51] France 1 département (Rhône) 135 180 61 - 2,3 4,5 3,4 ; 5,6
1989 Ritvo et al. [52] États-Unis Utah 769 620 241 34 3,73 (190/51) 2,47 2,1 ; 2,8
1991 Gillberg et al. [53] Suède Göteborg S.O. + Bohuslän County 78 106 74 18 2,7 (54/20) 9,5 7,3 ; 11,6
1992 Fombonne et du Mazaubrun [54] France 4 régions 274 816 154 13,3 2,1 (105/49) 4,9 4,1 ; 5,7
14 départements
1992 Wignyosumarto et al. [55] Indonésie Yogyakarita (SE de Jakarta) 5 120 6 0 2,0 (4/2) 11,7 2,3 ; 21,1
1996 Honda et al. [56] Japon Yokohama 8 537 18 50,0 2,6 (13,5) 21,08 11,4 ;
30,8

Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30


1997 Fombonne et al. [57] France 3 départements 325 347 174 12,1 1,81 (112/62) 5,35 4,6 ; 6,1
1997 Webb et al. [58] Gde-Bretagne Glamorgan, Sud Pays de Galles 73 301 53 - 6,57 (46/7) 7,2 5,3 ; 9,3
1997 Arvidsson et al. [59] Suède (côte O) Mölnlycke 1 941 9 22,2 3,5 (7/2) 46,4 16,1 ;
76,6
1998 Sponheim & Skjeldal [60] Norvège Akershus County 65 688 34 47,1 c 2,09 (23/11) 5,2 3,4 ; 6,9
[61] de
1999 Taylor et al. G -Bretagne Tamise Nord 490 000 427 - - 8,7 7,9 ; 9,5
1999 Kadesjö et al. [62] Suède (Centre) Karlstad 826 6 50,0 5,0 (5/1) 72,6 14,7 ;
130,6
2000 Baird et al. [63] Gde-Bretagne Tamise S.E. 16 235 50 60 15,7 (47/3) 30,8 22,9 ;
40,6
2000 Powell et al. [64] Gde-Bretagne Gde-Bretagne 25 377 62 - - 7,8 5,8 ; 10,5
2000 Kielinen et al. [65] Finlande Nord (Oulu et Lapland) 152 732 187 49,8 4,12 (156/50) 12,2
2001 Bertrand et al. [66] États-Unis Brick Township, New Jersey 8 896 36 36,7 2,2 (25/11) 40,5
2001 Fombonne et al. [67] Gde-Bretagne Angleterre et Pays de Galles 10 438 27 55,5 8,0 (24/3) 26,1 16,2 ;
36,0
2001 Magnússon and Saemundsen [68] Islande Île entière 43 153 57 15,8 4,2 (46/11) 13,2 9,8 ; 16,6
2001 Chakrabarti et al. [69] Gde-Bretagne Staffordshire 15 500 26 29,2 3,3 (20/6) 16,8 10,3 ;
(Midlands) 23,2 d
a
Ce nombre correspond à l’échantillon décrit dans Wing et Gould (1979).
b
Ce taux correspond au premier rapport sur cette enquête et est basé sur 12 sujets parmi les enfants âgés de 5 à 14 ans.
c
Dans cette étude, le retard intellectuel mineur était combiné au QI normal, tandis que les niveaux modéré et sévère de retard mental étaient groupés ensemble.
d
Pour les études de Goteborg menées par Gillberg et al. (Gillberg, 1984; Steffenburg and Gillberg, 1986; Gillberg et al., 1991) un examen détaillé montre qu’il y a un recouvrement des échantillons inclus dans chacune des 3 enquêtes; par
5

conséquent, seule la dernière enquête a été retenue ici.


37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

plus élevée dans les études de population. Les travaux très sur leur adaptation et/ou qui persistent anormalement long-
nombreux sur ce syndrome ont progressivement conduit à le temps et bien après l’âge auquel ces symptômes disparaissent
valider par des études longitudinales, familiales, thérapeutiques, dans le développement normal. Dans le passé, la notion de
neuropsychologiques et génétiques ; actuellement, les concep- troubles émotionnels (ou celle de trouble névrotique) incluait
tions du DSM-IV et de la CIM-10 sont très voisines, à la toutes les formes d’anxiété et de perturbations affectives
terminologie près (ADHD ou syndrome hyperkinétique). Les considérées comme une seule catégorie. Actuellement, les
deux classifications requièrent la présence d’un nombre suffisant troubles anxieux sont séparés des troubles affectifs ou de
de symptômes d’inattention et d’hyperactivité/impulsivité, non l’humeur et sont étudiés séparément. Parmi les troubles
congruents avec le niveau de développement général et persis- anxieux, les nosographies distinguent plusieurs variantes.
tant depuis plusieurs mois, et ces symptômes doivent être L’anxiété de séparation (ADS) est caractérisée par une peur
observables dans plusieurs contextes (par ex. à la maison et à intense d’être séparé des figures parentales pour des raisons
l’école) et être associés à des troubles de l’adaptation et du aussi variées qu’improbables. Les phobies spécifiques (P) sont
fonctionnement social. des peurs de stimuli circonscrits (qui changent avec l’âge : le
noir, les animaux, les fantômes...) associées à un évitement des
situations anxiogènes pour l’enfant et/ou une gêne psychologi-
Données épidémiologiques que marquée. Les troubles anxieux généralisés (TAG) consistent
Des analyses partielles de la littérature ont été présentées par en anxiété persistante, diffuse et portant sur l’avenir, les
Danckaerts et Taylor, [75] Swanson et al., [76] et Sandberg. [77] Les performances passées ou le sentiment d’incompétence person-
études fondées sur des questionnaires seulement donnent des nelle, généralement accompagnée de signes physiques (tension
taux généralement élevés de comportements d’hyperactivité, musculaire, difficultés de concentration et de sommeil, plaintes
impulsivité et inattention qui varient de 10 % à 30 %. Cepen- somatiques diverses). La phobie sociale (PS) consiste en une
dant, la validité des scores élevés sur des questionnaires par peur d’être observé et humilié par les autres dans des situations
rapport au diagnostic clinique est insuffisante. En conséquence, sociales (parler en public, manger devant les autres, ...).
seules les études ayant utilisé des méthodes diagnostiques pour L’agoraphobie (A) consiste en une peur d’être éloigné de son
évaluer les TDA ont été retenues. Le Tableau 4 [8-18, 20-23, 78-85] domicile ou de situations (par ex. foules) dont il peut être
présente les résultats de 23 enquêtes donnant des estimations de difficile de s’échapper, ces symptômes étant ou non accompa-
taux de prévalence des TDA définis par des critères diagnosti- gnés d’attaques de panique (AP), une autre forme de trouble
ques. La variabilité méthodologique dans les instruments, les anxieux. Chacun de ces troubles est décrit en détail dans la
modes d’échantillonnage, la taille des échantillons doivent être littérature. [86, 87]
gardées à l’esprit. La plupart des études se sont concentrées sur
l’âge de l’école primaire qui est celui où le diagnostic est
habituellement fait et où les troubles sont les plus gênants pour Données épidémiologiques
l’enfant. L’influence de la classification retenue pour définir les Le Tableau 5 [8-10, 12-18, 21-23, 45, 82, 83, 88-96] résume les résultats
cas est évidente. Les études utilisant le DSM produisent des taux de 25 études épidémiologiques pour lesquelles des estimations
variant de 0,4 % à 16,6 % et le plus souvent compris entre 5 et de la prévalence des troubles anxieux sont disponibles. Ces
10 %. À l’inverse, les études reposant sur les définitions du études ont été réalisées au cours des 20 dernières années et ont
syndrome hyperkinétique de la CIM donnent des résultats reposé sur des instruments et des concepts diagnostiques
beaucoup plus bas, les taux variant de 0,4 % à 4,2 % avec une changeants. Les nosographies ont été largement modifiées au
moyenne de 2 % environ. Cette variation est particulièrement cours de cette période pour la définition des troubles anxieux
nette lorsque l’on compare, dans une enquête donnée, les taux chez l’enfant et l’adolescent. Par exemple, le passage du DSM-
obtenus selon que les auteurs ont appliqué l’une ou l’autre des III-R au DSM-IV s’est traduit par le maintien d’une seule des
définitions, toutes choses étant égales par ailleurs. Dans les deux trois catégories diagnostiques de troubles anxieux de l’enfant,
études où cela a été fait, [84, 85] les taux varient d’un facteur 10. celle d’anxiété de séparation (bien que la durée requise pour le
Dans toutes les études où des taux sont fournis séparément par diagnostic de ce trouble ait été augmentée de 2 à 4 semaines).
sexe, les taux sont 3 ou 4 fois plus élevés chez le garçon, ce qui La catégorie de trouble anxieux généralisé de l’enfance a disparu
montre que la surreprésentation des garçons observée dans les et ces troubles sont désormais diagnostiqués avec les mêmes
centres de consultation ne reflète pas un biais de sélection. critères que ceux utilisés chez l’adulte. Enfin, le trouble d’évite-
Enfin, les données à l’adolescence sont plus rares. Il semble ment a disparu et est maintenant implicitement inclus dans la
néanmoins que, dans les études où plusieurs groupes d’âge ont catégorie de phobie sociale. Ces changements importants dans
été étudiés simultanément [15, 83], les taux chez l’adolescent les définitions sont sans doute à l’origine d’une fluctuation
soient plus bas. importante des estimations qu’il est difficile d’interpréter.
Deuxièmement, les instruments diagnostiques utilisés dans
Conclusion chacune de ces enquêtes varient dans leur couverture des
troubles anxieux et dans leurs propriétés psychométriques. En
Si l’on retient les conceptions strictes utilisées dans la CIM- général, la fiabilité test-retest pour les troubles anxieux est
10 et qui sont associées aux formes les plus sévères de TDA (et médiocre, particulièrement chez les enfants jeunes, ce qui
à celles qui bénéficieront le plus d’interventions) et qui sont souligne les problèmes inhérents à l’évaluation de ces troubles,
proches des conceptions cliniques européennes, un taux de particulièrement dans un contexte épidémiologique. Troisième-
prévalence de 2 % pour la période de l’âge scolaire peut être ment, des écarts importants dans les taux de prévalence
avancé. Ce taux s’applique aux deux sexes et la prévalence chez surgissent en fonction du type d’informant utilisé (parent ou
les garçons est plus voisine de 3-4 %, et celle chez la fille de enfant) et de la façon dont les chercheurs ont résolu (ou pas)
1 %. Ce taux semble fléchir à l’adolescence. ces écarts. Par exemple, une variation de 1 à 10 dans la préva-
lence est observée dans une étude [10] selon qu’un trouble est
considéré comme présent s’il est rapporté à la fois par le parent
■ Troubles anxieux et l’enfant ou bien par l’un ou l’autre seulement. Quatrième-
ment, pour les troubles anxieux encore plus que pour les autres
Définition et concepts diagnostiques troubles, l’incorporation ou non, dans l’évaluation diagnostique,
d’un critère de retentissement sur le fonctionnement général
Les peurs, les inquiétudes et les phobies sont extrêmement pour définir les « cas » explique également des variations
fréquentes chez l’enfant se développant normalement mais la importantes dans les résultats. Les phobies spécifiques sont un
majorité d’entre elles n’interfèrent pas significativement avec le bon exemple de cela ; de nombreux enfants ont des peurs
fonctionnement de l’enfant et disparaissent avec la maturation. circonscrites (peur des araignées ou des serpents, etc.) qui ne
Cependant, certains enfants éprouvent des troubles anxieux sont pas nécessairement associées à des comportements d’évite-
constitués de symptômes qui sont très intenses et retentissent ment marqués ou à un handicap majeur. Illustrant l’impact sur

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

Tableau 4.
Prévalence des troubles déficitaires de l’attention.
Auteurs Site Âge Nbre Instruments Diagnostic Prévalence %
de patients
Schachar et al. [78] Gde-Bretagne, Île de Wight 10-11 2 193 Échelles et interviews de Rutter et ICD-9 2
Graham
Gillberg et al. [79] Suède, Göteborg 7-8 3 448 questionnaire de Carey-MacDevitt ICD-9 2,2
Vikan [20] Troendelag Nord, Norvège 10 1 510 Échelles et interviews de Rutter et ICD-9 0,4
Graham
Shekim et al. [80] États-Unis, Midwest 9 114 DISC-C et P DSM-III 14
Satin [81] États-Unis, Long Island 6-9 94 Échelle de Conners DSM-III 7,6
Anderson et al. [14] Nouvelle-Zélande, Dunedin 11 782 Échelles de Rutter DSM-III 6,7
DISC-C 10,8G
2,1F
McGee et al. [82] Nouvelle-Zélande, Dunedin 15 943 RBPC DSM-III 2,1
DISC-C
Offord et al. [15] Canada, Ontario 4-16 2 679 CBCL DSM-III 4-11 ans : 10,1G - 3,3F
Survey Instrument 12-16 ans : 7,3G - 3,4F
Bird et al. [16] Porto Rico 4-16 777 CBCL,TRF DSM-III et 9,9
DISC-C et P CGAS
Velez et al. [83] États-Unis, État de New York 9-18 776 DISC-C et P DSM-III-R et 9-12 ans : 16;6
sévérité 11-14 ans : 12,8
13-18 ans : 9,9
15-20 ans : 6,8
Esser et al. [13] Allemagne, Mannheim 8 1 444 Entretiens parents et enfant ICD-9 4,2
8,3 G
13 ICD-9 1,6
3G
Taylor et al. [84] Gde-Bretagne, Newham 6-7 3 215 Échelles de Rutter et Conners, DSM-III 16,6
PACS CIM-10 1,7
Fergusson et al. [17] Nouvelle-Zélande, 15 986 RBPC DSM-III-R 2,8 E
Christchurch DISC 3,0 P
Lewinsohn et al. [21] États-Unis, Oregon 16-18 1 710 CES-D DSM-III-R 0,41
0,49 G
K-SADS
0,34 F
Fombonne [8] France, Chartres 6-11 2 550 CBCL, échelle B2 de Rutter ICD-9 1
Interview Île de Wight
Leung et al. [85] Hong Kong 7 3 069 Échelles de Rutter et Conners DSM-III-R 8,9 G
PACS CIM-10 0,78 G
Verhulst et al. [10] Hollande 13-18 853 CBCL, YSR DSM-III-R Parent : 1,8
Enfant : 1,3
DISC-C et -P et CGAS L’un ou l’autre : 2,6
Les deux : 0,4
Costello et al. [9] États-Unis, Caroline du Nord 9,11,13 4 500 CBCL DSM-III-R 1,94
2,90G
CAPA
0,95F
Steinhausen et al. [11] Suisse, Zürich 7-16 1 964 CBCL, YSR DSM-III-R 5,2
DISC-P

Breton et al. [23] Canada, Québec 6-14 2 400 Dominique DSM-III-R 6-8 ans : 3,8 E - 5,5 P
9-11 ans: 4,3 E - 4,0 P
DISC-2 12-14 ans: 1,8 E - 2,5 P
6-14 ans: 3,3 E - 4,0 P
Simonoff et al. [12] États-Unis, Virginie 8-16 2 636 CAPA DSM-III-R 2,4
avec sévérité : 1,4
Jeffers et Irlande, Dublin 9-12 2 029 Échelles de Rutter, entretiens ICD-9 2,1
Fitzgerald [22] diagnostiques Île de Wight
Ford et al. [18] Angleterre et Pays de Galles 5-15 10 438 SDQ, DAWBA DSM-IV 5-10 ans :
2,6G - 0,4 F
1,5 G+F
11-15 ans :
2,3G - 0,5 F
1,4 G+F
E
: enfant comme source d’information ; P : parents comme source d’information ; G : garçons ; F : filles.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 5.
Prévalence des troubles anxieux.
Auteurs Site Nbre de Âge Prévalence a (%)
patients
ADS P PS TAG A AP ANX
Anderson et al. [14] Nouvelle-Zélande, Dunedin 792 11 3,5 2,4 0,9 2,9 7,4
Kashani et Orvaschel [88] États-Unis, Missouri 150 14 - 16 0,7 4,7 7,3 8,7
Offord et al. [15] Canada, Ontario 2 679 4 - 16 9,9 c
Bird et al. [16] Porto Rico 777 4 - 16 4,7 2,6
Velez et al. [83] États-Unis, État de New York 776 9-12 25,6 19,1 14,1
11-14 15,3 9,7
13-18 6,8 12,7
15-20 4,4 8,6
Bowen et al. [89] Canada, Ontario 1 869 12-16 3,6 2,4
Esser et al. [13] Allemagne, Mannheim 1 444 13 8,2 c

McGee et al. [82] Nouvelle-Zélande Dunedin 943 15 2,0 3,6 1,1 5,9 10,7
Whitaker et al. [90] États-Unis, New Jersey 5 108 14-17 3,7 0,6
Kashani et Orvaschel [91] États-Unis, Missouri 210 8 18,6 2,9 0 8,6 21
12 8,6 2,9 1,4 11,4 (13,8) b

17 11,4 4,3 1,4 17,1


Jeffers et Fitzgerald [22] Irlande, Dublin 2029 9-12 4,7 c

Fergusson et al. [17] b Nouvelle-Zélande, 986 15 0,5 5,1 1,7 4,2 10,8
Christchurch (0,1) (1,3) (0,7) (1,7) (3,9)
Lewinsohn et al. [21] i États-Unis, Oregon 1 710 15-18 0,18 1,4 0,94 0,47 0,41 0,35 3,16
4,21 1,99 1,46 1,29 0,70 0,82 8,77
Reinherz et al. [92] e États-Unis, Boston 386 18 11,2 14,6
Zohar et al. [93] e Israël, Recrues Armée 861 16-17 16,8 e 0,9 e 0,2 e

Feehan et al. [94] Nouvelle-Zélande, Dunedin 930 18 6,1 11,1 1,8 4,0 0,8 12,4
Fombonne [8] France, Chartres 2 158 6 - 11 5,9 c

Costello et al. [9] États-Unis, Caroline du Nord 4 500 9,11,13 3,49 0,27 0,58 1,67 0,07 0,03 5,69
Canals et al. [95] f Espagne, Catalogne 290 18 1,7 0 0,7 0,3 2,7
5,5 2,4 0,3 0 9
Simonoff et al. [12] j États-Unis, Virginie 2 762 8-16 7,2 21,2 8,4 10,8 2,7 35,8 c

1,5 4,4 2,5 4,4 1,1 8,9 c

Verhulst et al. [10] h Hollande 853 13-18 0,2 0,9 0,7 0,2 - - 1,9
1,8 12,7 9,2 3,1 2,6 0,4 23,5
Steinhausen et al. [45] Suisse, Zürich 1 964 7-16 0,8 5,8 4,7 2,1 1,9 11,4
Wittchen et al. [96] g Allemagne, Munich 3 021 14-24 1,8 2,6 0,5 1,6 1,2 9,3
2,3 3,5 0,8 2,6 1,6 14,4
Breton et al. [23] d Canada, Québec 2 400 6-14 2,6 4,9 3,1 9,1
0,9 1,9 2,8 4,8
Ford et al. [18] Angleterre et Pays de Galles 10 438 5-10 1,0 1,1 0,3 0,4 - - 3,1
11-15 0,5 0,9 0,4 0,9 0,2 0,3 4,6
a
ADS : anxiété de séparation ; P : phobie ; PS : phobie sociale; TAG : trouble anxieux généralisé ; A : agoraphobie ; AP : attaques de panique ; ANX : trouble anxieux.
b
Le premier taux est basé sur les interviews avec les enfants, le taux entre parenthèses sur celui avec les parents.
c
Troubles émotionnels (anxieux et affectifs).
d
La première ligne correspond aux taux basés sur les entretiens avec l’enfant, la deuxième à ceux basés sur les entretiens avec les parents et avec un critère supplémentaire de
sévérité.
e
Dans cette étude, les taux rapportés sont pour la vie entière.
f
La première ligne correspond au DSM-III-R, la deuxième à la CIM-10.
g
La première ligne correspond à la prévalence annuelle, la deuxième à la prévalence sur la vie.
h
La première ligne correspond aux troubles identifiés par les deux informants, la deuxième ligne à ceux identifiés par l’un ou l’autre des deux informants (parent ou adolescent).
i
La première ligne correspond à la prévalence actuelle, la deuxième à la prévalence sur la vie.
j
La première ligne correspond aux taux sans critères de sévérité, la deuxième avec un critère de sévérité.

les taux de critères de sévérité, les taux de prévalence varient de estimation de la prévalence de tous les troubles anxieux
1 à 5 pour l’anxiété de séparation et les phobies, et de 1 à confondus ensemble. Certains auteurs ont néanmoins rapporté
3 pour les phobies sociales et les troubles anxieux généralisés cette estimation séparément, ce qui est particulièrement utile
dans l’étude de Virginie. [12] Finalement, une dernière difficulté pour faire la synthèse des études.
dans l’analyse des résultats tient au fait que très peu d’études Dans l’ensemble, les taux de prévalence ponctuels (excluant
ont estimé l’ensemble des troubles anxieux simultanément, ce les taux rapportés sur la vie entière) sont plus élevés pour
qui reflète en particulier les différences d’âge dans les échan- l’anxiété de séparation (étendue : 0,1 %-25,6 %), les phobies
tillons (l’agoraphobie et les phobies sociales n’étant générale- spécifiques (étendue : 0,3 %-21,2 %) et les troubles anxieux
ment étudiées que chez les adolescents). Lorsque plusieurs généralisés (étendue : 0,2 %-19,1 %). Les taux sont dans
troubles anxieux sont étudiés, les taux de comorbidité entre les l’ensemble moins élevés pour la phobie sociale (étendue : 0,3 %-
différents types de troubles anxieux ne sont pas toujours 11,1 %), l’agoraphobie (étendue : 0,07 %-4 %) et le trouble
rapportés par les auteurs et, pour cette raison, il serait erroné de attaques de panique (étendue : 0,03 %-1,2 %). Quelques études
simplement faire la somme des taux de prévalence obtenus pour permettent d’observer les tendances liées à l’âge dans la même
chacun des troubles anxieux spécifiques pour obtenir une enquête [18, 83, 91] qui montrent une décroissance des taux de

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

prévalence avec l’âge pour l’anxiété de séparation. Les autres de risque associés à ce trouble. Les quelques études portant sur
tendances sont peu marquées et varient d’une étude à l’autre. des échantillons de jeunes adolescents ou d’enfants d’âge
Dans 14 études, les auteurs ont estimé la prévalence des scolaire donnent des estimations plus basses des taux de
troubles anxieux, tous types confondus, et les taux varient de prévalence qui ne dépassent pas 0,2 % en dessous de 12 ans.
1,9 % [10] à 21 %, [91] la majorité des études donnant des taux Une étude anglaise récente d’un grand échantillon représentatif
compris entre 5 et 10 %. Dans cinq autres études, les estima- des enfants de 5 à 15 ans [102] permet d’examiner les tendances
tions globales portent sur les troubles émotionnels en général liées à l’âge dans la même étude et montre une croissance
(c’est-à-dire incluant aussi les troubles de l’humeur) et les exponentielle des taux entre les tranches d’âge 5-7 ans et
estimations varient de 4,7 % [22] à 9,9 %. [15] Les études portant 13-15 ans. Les études montrent aussi qu’une proportion relati-
sur de grands échantillons et utilisant des méthodes rigoureuses vement faible de jeunes souffrant d’un TOC sont en contact
et conservatrices pour le diagnostic des troubles anxieux avec des services, spécialisés ou non, alors que des traitements
donnent des résultats plus proches de 5 %. [9, 12, 18, 23] Dans efficaces sont désormais disponibles.
l’étude de Chartres, [8] le taux de prévalence des troubles
émotionnels était de 5,9 % (Tableau 1) ; comme la prévalence
des troubles dépressifs était de 0,5 %, le taux de troubles
Conclusion
anxieux peut être estimé dans cette étude à un peu plus de 5 %, Les TOC sont des troubles relativement rares et qui sont plus
une estimation qui est parallèle à celles des autres études. typiques de la seconde partie de l’adolescence. Un taux de
prévalence de 1 % peut être retenu pour les adolescents de 13 à
Conclusion 18 ans tandis qu’un taux beaucoup plus bas (0,15 %) paraît
s’appliquer aux enfants de 8 à 12 ans. La prévalence chez les
La prévalence des troubles anxieux spécifiques est difficile à enfants plus jeunes est négligeable.
estimer avec précision. Pour les enfants d’âge scolaire, l’anxiété
de séparation, les troubles anxieux généralisés et les phobies
spécifiques sont responsables d’une morbidité non négligeable. ■ Troubles dépressifs
Ces troubles diminuent un peu de fréquence à l’adolescence
mais d’autres troubles anxieux plus typiques de l’âge adulte
(attaques de panique, phobie sociale, agoraphobie) apparaissent Définition et concepts diagnostiques
à cette période de la vie. Si l’on combine ensemble tous les Le terme de dépression est utilisé de manière polysémique
troubles anxieux, une prévalence globale de 5 % peut être tant dans la littérature générale que dans les journaux profes-
retenue entre les âges de 5 et 18 ans. sionnels. Au moins trois usages techniques du terme dépression
sont repérables. Le premier est celui d’humeur dépressive, un
état psychologique non pathologique, qui fait partie de l’expé-
■ Troubles obsessifs-compulsifs rience commune et est particulièrement fréquent au cours de
(TOC) l’adolescence. La deuxième définition est celle d’un syndrome
dépressif consistant en une constellation de symptômes
(humeur dépressive, troubles du sommeil, fatigue, etc.) qui
Définition et concepts diagnostiques tendent à être rapportés simultanément par certains sujets,
Les troubles obsessifs-compulsifs consistent en la présence notamment lorsqu’ils remplissent des autoquestionnaires. Les
intrusive d’obsessions sous la forme d’idées, de pensées, analyses factorielles de questionnaires généraux portant sur la
d’images ou d’impulsions qui sont persistantes, récurrentes, et psychopathologie identifient ces syndromes ou « facteurs »
produisent une anxiété et une gêne marquées chez le sujet qui dépressifs sur la plupart des instruments disponibles. Un score
en reconnaît souvent le caractère incongru. Les obsessions les élevé sur ces facteurs permet de définir ce syndrome et d’iden-
plus fréquentes concernent la contamination par les germes, la tifier des sujets présentant un niveau élevé de symptomatologie
symétrie ou les catastrophes. Elles sont souvent accompagnées dépressive. Cependant, cette définition est fondée sur la
de compulsions qui sont des actes destinés à réduire l’anxiété présence de symptômes seulement ; en outre, la différenciation
engendrée par les obsessions (si l’obsession consiste à penser entre symptômes dépressifs et symptômes anxieux n’est géné-
qu’une porte n’est pas fermée, la vérification itérative qui ralement pas bonne. Le troisième niveau de définition est celui
s’ensuit aide à réduire l’anxiété associée à la pensée obsédante). de la dépression clinique au sens du diagnostic psychiatrique.
Les compulsions les plus fréquentes consistent en rituels de Cette définition repose sur trois éléments : la présence d’une
lavage, de vérification, de comptage ou de toucher. Les symp- constellation de symptômes dépressifs, leur persistance sur
tômes des TOC sont remarquablement similaires chez l’adulte et plusieurs semaines (au moins 2 semaines) et un retentissement
chez l’enfant ou l’adolescent. Chez le jeune toutefois, la associé sur le fonctionnement social général (baisse de rende-
perception du caractère inapproprié des symptômes (égodysto- ment, difficultés relationnelles, isolement, incapacité à remplir
nie) peut manquer. son rôle habituel, etc...). Les formes cliniques les plus commu-
nes de dépression sont la dépression majeure et le trouble
dysthymique. Les critères diagnostiques pour ces formes
Données épidémiologiques cliniques de troubles de l’humeur chez l’enfant sont les mêmes
L’incidence des TOC a été évaluée dans une étude longitudi- que ceux utilisés chez l’adulte à des modifications mineures
nale [97] et des risques de 0,7 % (IC à 95 % : 0,12-1,34) pour les près.
TOC et de 8,4 % (IC à 95 % : 4,99-11,77) pour les TOC infra-
cliniques sur 1 an ont été estimés ; cependant, la petite taille de Données épidémiologiques
l’échantillon et la durée très courte de l’étude rendent ces
estimations difficilement utilisables. Les résultats de 17 études épidémiologiques récentes menées
Les autres données épidémiologiques viennent de 14 études chez des adolescents sont résumés dans le Tableau 7 [9-12, 17, 21,
de prévalence dont les résultats sont résumés dans le Tableau 23, 90, 92, 94, 95, 103-108] et ceux de cinq études menées chez des

6. [9-11, 21, 92, 93, 95-102] La plupart de ces études se sont concen- enfants dans le Tableau 8 [8, 23, 107, 109, 110]. En analysant ces
trées sur les adolescents âgés de 13 ans ou plus. Les taux varient études, plusieurs aspects méthodologiques doivent être gardés à
de 6/10 000 à 4 % pour la prévalence actuelle, et une valeur l’esprit. En dépit de la variabilité des instruments et critères
moyenne de 1 % peut être retenue. Les taux sont très voisins diagnostiques utilisés, les définitions des troubles dépressifs sont
chez les garçons et chez les filles. En général, le nombre de relativement stables d’une étude à l’autre. En revanche, les
sujets identifiés dans les enquêtes comme ayant un TOC études ayant adopté un protocole en deux phases ont reposé,
dépasse rarement la vingtaine, ce qui empêche d’étudier plus pour la phase de dépistage, sur des instruments différents dont
finement les variations des taux en fonction de l’âge et du sexe, les qualités (sensibilité notamment) varient énormément d’un
et limite considérablement la possibilité d’examiner les facteurs instrument à l’autre. Relativement peu d’études ont utilisé des

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 6.
Prévalence des troubles obsessifs-compulsifs.
Auteurs Site Nbre de patients Âge Instrument et diagnostic Prévalence % G/F (N ou
prévalence)
Flament et al. [98] États-Unis, 5 108 14-18 Leyton Inventory, 1,0 11 G – 9 F
New Jersey DICA/DSM-III 1,9 LT

Zohar et al. [93] Israël, 562 16-17 STOBS 3,56 LT 4,5 LT,G - 1,63 LT,F
Sélection armée DSM-III-R infraclinique : 1,25
Zohar et al. [99] Israël, 861 16-17 STOBS 2,3 LT 2,4 LT,G - 2,4 LT,F
Sélection armée DSM-III-R infraclinique : 4,0 LT infraclinique 4,1 LT,G
3,8 LT,F
Reinherz et al. [92] États-Unis, 384 17-18 YSR, Rosenberg 1,3 2G–6F
LT
Nord-Est DIS/DSM-III-R 2,1
Lewinsohn et al. [21] États-Unis, 1 710 14-18 CES-D,BDI, K-SADS/DSM- 0,06 0,0 G - 0,11 F
Oregon III-R 0,53 LT 0,73 G - 0,34 F
Valleni-Basile et al. [97] États-Unis, 3 283 12-14 CES-D,K-SADS,CGAS/ DSM- 2,95 3,26G - 2,64 F
Sud-Est III infraclinique : 19,28 18,83G - 19,72 F
Douglass et al. [100] Nouvelle-Zélande, 930 18 DIS, DSM-III-R 3,98 15 G - 22 F
Dunedin
Costello et al. [9] États-Unis, 4 500 9, 11, 13 CBCL, CAPA 0,17 0,20 G - 0,14 F
Caroline du Nord DSM-III-R
Verhulst et al. [10] Hollande, 853 13-18 CBCL,YSR 1,0 adolescent ou parent
4 régions DISC-C et -P 0,9 adolescent
DSM-III-R 0,2 parent
Canals et al. [95] Espagne, 290 18 SCAN/ICD-10 et DSM-III-R 0,7 DSM-III-R 1,4 G - 0,0 F
Catalogne 1,4 ICD-10 2,1 G - 0,6 F
Steinhausen et al. [11] Suisse, Zurich 1 964 7-16 CBCL, YSR 0,21
DISC-P
Wittchen et al. [96] Allemagne, 3 021 14-24 CIDI-M 0,6 0,4 G - 0,8 F
LT
Munich DSM-IV 0,7 0,5 LT,G - 0,9 LT,F
Maina et al. [101] Italie, Piémont 1 883 17 DIS/DSM-III 2,0 2,0 G
LT
2,6 2,6LT,G
infraclinique : 12,3 G
Heyman et al. [102] Angleterre et Pays de 10 438 5–15 DAWBA/ICD-10 0,25 0,26 G - 0,24 F
Galles 5-7 0,026
8-10 0,14
11-12 0,21
13-15 0,63
1
Les taux de prévalence sont pour la période actuelle sauf mention contraire. LT : taux pour la vie entière ; G : garçons ; F : filles.

instruments de dépistage spécifiques des troubles dépressifs 3 derniers mois, de 0,4 % à 3,6 % [10] pour les 6 derniers mois,
(CES-D, BDI ou CDI, MFQ, etc.) ; ces études aboutissent en et de 2,2 % [17] à 16,7 % [94] pour les 12 derniers mois. Les taux
général à des taux de prévalence supérieurs, comme dans le cas de prévalence sur la vie varient, eux, de 4 % [90] à 18,5 %. [21]
de la seule étude française disponible qui fournit un taux de Ces derniers taux sont cependant difficiles à interpréter en
4,4 %. [106] Les autres études ont utilisé des instruments de l’absence de validité démontrée chez les adolescents de la
dépistage généralistes dont les performances sont souvent possibilité de mesurer rétrospectivement, sur de longues
meilleures pour les troubles du comportement que pour les périodes, l’incidence de manifestations psychopathologiques de
troubles émotionnels. En conséquence, il est possible que les ce genre. En fait, certaines études montrent que le souvenir des
taux de dépression soient ainsi sous-estimés et que les taux de épisodes symptomatiques antérieurs est très flou chez les jeunes
comorbidité observés, notamment avec les troubles externalisés, (et aussi chez les adultes) quand on remonte à plus de 3 mois
soient surévalués. Par ailleurs, les taux de prévalence sont avant la date de l’entretien. [34] Si l’on s’en tient aux prévalences
rapportés pour des périodes très différentes, allant des 3 derniers
estimées au cours des 3-12 derniers mois, les taux fluctuent
mois à la vie entière. Évidemment, compte tenu de la nature
autour d’une valeur moyenne de 3 %. L’analyse des taux par
épisodique de la dépression et de sa durée moyenne relative-
sexe (Tableau 7, colonne de droite) confirme la prépondérance
ment brève, le choix de la période de prévalence a une
des filles à l’adolescence ; tous les odds ratio sont supérieurs à
influence considérable sur les estimations. Enfin, comme pour
les troubles anxieux, il existe une différence importante entre 1, et indiquent un risque en moyenne deux fois plus élevé chez
les taux selon la source d’information utilisée. Lorsque les sujets les filles.
jeunes eux-mêmes sont interrogés, les taux sont en général plus Les études faites chez l’enfant d’âge scolaire sont plus rares
élevés que ceux dérivant des entretiens avec les parents. La (Tableau 8). Les taux de prévalence pour la dépression majeure
nature subjective de plusieurs symptômes dépressifs (humeur varient de 0,2 % à 1,1 % ou 3,4 % selon que l’on retient les
dépressive, pessimisme, idées suicidaires) ainsi que la distance taux calculés d’après les entretiens avec les parents ou avec les
émotionnelle croissante séparant les adolescents de leurs enfants. Dans tous les cas, le taux médian est de 0,5 % dans
parents, expliquent ces écarts. La combinaison des deux sources cette série d’enquêtes. Contrairement aux tendances observées
d’information entre elles conduit à des taux plus élevés mais la chez l’adolescent, les rapports filles/garçons semblent indiquer
validité d’estimations obtenues de la sorte reste incertaine. une légère tendance à avoir un peu plus de garçons atteints ; les
La prévalence de la dépression majeure chez l’adolescent échantillons sont néanmoins de très petite taille et l’interpréta-
(Tableau 7) varie de 0,03 % [9] à 4,4 % [106] pour la période des tion de ce rapport filles/garçons est donc incertaine.

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Tableau 7.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Dépression majeure à l’adolescence.


Étude Pays Âge Nombre Échantillonnage Année Protocole Instruments Informants Taux Prévalence Par sexe
de sujets de refus
<3-m 6-m 12-m LT Pm Pf OR
Feehan et al. [94] Nouvelle- 18 930 Cohorte de 1990-91 entretiens DIS / C 9 3,4 16,7 2,94 3,96 1,4
Zélande, naissance systématiques DSM-III-R 12,0 21,8 2,1
Dunedin
Garrison et al. [103] États-Unis, SC 12-14 3 283 Écoles 1986-88 deux-phases CES-D/K-SADS, C,P 2,0 4,7C 7,2C --
CGAS , DSM-III 27,0 5,1P 2,3P
9,0C,P 8,9C,P
Whitaker et al. [90] États-Unis, NJ 14-17 5 108 Écoles 1984-85 deux-phases BDI,LOI,EAT,ESI/ C 9,0 4,0 2,9 4,5 2,9
CCI,CGAS,DSM-III
Verhulst et al. [10] Pays-Bas 13-18 853 Foyers 1993 deux-phases CBCL,YSR,TRF/ C,P,T 16,8 2,8C Ns
DISC-C et -P, 1,3P
DSM-III-R, CGAS 3,6C ou P
0,4C et P
Monck et al. [104] Angleterre, 15-20 529 GP registres 1985 deux-phases EAT,GOSMQ/ C, P 18,0 10,6 -- 10,6 --
Londres CIS
Cooper et Angleterre, 11-16 1 060 Écoles --- deux-phases MFQ,BSQ/ C 0,5 3,6 6,0 -- 3,6 --
Goodyer [105] Cambridge EDE, DISC,DSM- 2,0 -- 6,0 --
III-R
Fergusson et al. [17] Nouvelle- 15 986 Cohorte de 1992 entretiens SREF,RAPI / C, P 12,0 0,7C 4,2C 3,2 11,1 3,0
Zélande, naissance systématiques DISC,DSM-III-R 0,5P 2,2P
Christchurch
Reinherz et al. [92] États-Unis, 18 385 Panel 1990 entretiens Rosenberg,YSR/ C 4,0 2,9 6,0 9,4 5,1 13,7 2,9
Boston systématiques DIS, DSM-III-R
Bailly et al. [106] France 14-23 744 Écoles --- deux-phases CES-D/ C 2,5 4,4 4,1 4,7 Ns
Clinical,DSM-III-R
Lewinsohn et al. [21] États-Unis, 15-18 1 710 Lycées 1987-89 entretiens CES-D, BDI/ C 39,0 2,6 18,5 1,7 3,4 2,0
Oregon systématiques K-SADS, DSM-III-R

Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30


11,6 24,8
Costello et al. [9] États-Unis, NC 9-13 4 067 Overlapping cohorts - - - deux-phases abb CBCL/ C, P 4,2 0,03 0 0,07
CAPA, DSM-III-R 20,4
Simonoff et al. [12] États-Unis, Va 8-16 2 741 Jumeaux, --- entretiens CAPA , DSM-III-R C, P 25,4 1,2 1,2 1,2 Ns
longitudinal systématiques
Steinhausen et al. [11] Suisse, Zurich 7-16 1 964 Écoles 1995 deux-phases CBCL, YSR, P ? 0,66
DISC-P, DSM-III-R
Canals et al. [95] b Espagne, 18 290 Écoles longitudinal SCAN C 50,0 2,4 1,4 3,3
Catalogne DSM-III-R et 3,4 2,9 3,9
ICD-10
Breton et al. [23] Québec 12-14 825 Foyers 1992 entretiens DISC-2 / C, P 16,5 3,4 C 0,9 2,9 6,6
systématiques DSM-III-R 2,7 P
Fombonne et al. [107] a Angleterre 13-15 2 624 Foyers 1999 entretiens SDQ,MFQ,DAWBA, C,P,T - 1,9 - - - 1,5 2,2 1,5
systématiques ICD-10 2,5 2,2 2,8 1,3
Oldehinkel et al. [108] Allemagne, 14-17 1 395 Registre des 1995 longitudinal M-CIDI, DSM-IV C 25,7 3,4 6,7 2,4 4,5
Munich 1 228 habitants baseline
6,8 12,2 5,4 8,0
12,0 4,7 8,9
16-19
follow-up
9,1 15,4
C = enfant ; P = parent ; LT = prévalence sur la vie ; OR = odds-ratio.
a
le deuxième taux inclut les dépressions NOS dans la définition.
b
le premier taux correspond au DSM-III-R et le deuxième à la CIM-10.
11
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 8.
Dépression majeure chez l’enfant (DME).
Auteurs Année Pays Nbre Âge Échantillonnage Protocole Instruments Taux Informants Prévalence F/M
de sujets de refus de DME ratio
3 mois
Polaino-Lorente et 1993 Espagne 6 432 8-11 Écoles deux-phases CDI,CBCL,DSST 0,6 % C,P,T, pairs 1,8 % C ?
Domenech [109] CDRS-R/DSM-III 9,7 % 0,6 % M
Breton et al. [23] b 1993 Québec 1 575 6-11 Foyers entretiens Dominique -- C,P,T 3,4 % C 0,66
systématiques DSM-III-R 1,1 % P 0,76
Fombonne [8] 1994 France 2 550 6-11 Écoles deux-phases CBCL, Rutter-B 11,5% P,T 0,5 %P 0
IOW interview
Puura et al. [110] 1997 Finlande 5 813 8-9 Écoles deux-phases CDI, Rutter A2 2,2% C,P 0,48 % ?
et B2
DISC1-C,
entretiens Île de
Wight/DSM-III
Fombonne et 2004 Angleterre 7 814 5-12 Foyers entretiens SDQ, MFQ C,P,T 0,19 0,83
al. [107] a systématiques DAWBA/ICD-10 (0,23) (1,33)b
C = enfant ; P = parent ; M = plusieurs informants.
a
Le deuxième taux inclut les dépressions non majeures dans la définition.
b
La prévalence est pour les 6 derniers mois dans cette étude.

Plusieurs analyses de la littérature épidémiologique ont large du DSM-III ne requérait pas le critère de fréquence des
conclu que l’incidence des troubles dépressifs a augmenté chez épisodes de fringale introduit depuis lors dans le DSM-III-R et le
les jeunes depuis 50 ans bien que les mécanismes sous-tendant DSM-IV. En outre, la validité de ces critères diagnostiques n’a
cette augmentation restent mal connus. [111, 112] pas été fermement établie dans les pays non occidentaux.

Conclusion Données épidémiologiques


La dépression reste rare chez l’enfant de moins de 12 ans et Plusieurs revues des données épidémiologiques sur les trou-
sa prévalence peut être estimée à 0,5 %. Les taux de dépression
bles des conduites alimentaires peuvent être consultées. [113-118]
augmentent à l’adolescence et une prévalence moyenne de 3 %
Les données épidémiologiques sur l’anorexie mentale viennent
pour les adolescents de 12 à 18 ans peut être avancée.
principalement de deux sources. En premier lieu, des études ont
été faites à partir de registres psychiatriques ou de données
d’admission dans des hôpitaux. L’avantage de cette approche est
■ Troubles des conduites qu’elle permet de calculer des taux d’incidence et d’en surveiller
alimentaires (anorexie et boulimie) les changements dans le temps (pour le détail des études, voir
INSERM [119] et Fombonne [114]). Chez les jeunes femmes, les
taux varient de 0,117/100 000/année chez les adolescentes
australiennes [120] à 69,4/100 000/année dans l’étude de la Mayo
Définition et concepts diagnostiques Clinic. [121] Les taux d’incidence sont de manière constante plus
Les troubles des conduites alimentaires (TCA) peuvent être élevés dans la tranche d’âge des 15-19 ans et les taux sont dix
définis de façon catégorielle comme l’illustrent les diagnostics fois supérieurs chez les femmes que chez les hommes.
d’anorexie mentale et de boulimie trouvés dans les nosographies Le deuxième type d’étude consiste en études de prévalence.
actuelles. L’autre approche, dimensionnelle, considère les Le Tableau 9 [10, 11, 21, 90, 95, 96, 122-148] donne les résultats de 35
symptômes constitutifs des TCA comme faisant partie d’un études de prévalence. Les taux varient de 0 % [137] à 1,3 %. [145]
continuum de comportements allant du normal jusqu’au Les deux études avec les taux les plus élevés sont basées sur de
pathologique, dont ils représentent des déviations quantitatives très petits nombres (3 cas dans Rathner et Messner [145] et 23 cas
extrêmes. dans Gillberg et Rastam, [134] ces auteurs ayant en outre inclus
L’anorexie mentale est définie par un refus de maintenir le des cas « partiels » dans la définition). Le taux médian des 35
poids au-dessus d’un certain seuil minimum normal pour l’âge études incluses dans le Tableau 9 est de 1,8/1000, en ne
et la taille, par une peur intense de gagner du poids ou de retenant que les taux de prévalence pour la période actuelle et
devenir gros(se), une distorsion de l’image corporelle et de la pour le groupe d’âge 15-19 ans. Ce taux varie peu entre les
forme du corps et, chez les filles, par la présence d’une aménor- études publiées au début ou à la fin de la période considérée
rhée pendant au moins trois cycles consécutifs. La boulimie est
(1976-2000), de nouveau indiquant que la fréquence de l’ano-
définie par des épisodes récurrents de fringale alimentaire au
rexie est stable. Les taux chez les hommes, lorsqu’ils sont
moins deux fois par semaine pour une durée de 3 mois, par un
disponibles, sont quasi nuls.
sentiment de perte de contrôle sur le comportement alimentaire
au cours des épisodes de fringale, par l’utilisation régulière de Pour la boulimie (voir INSERM [119]), les études conduisent à
laxatifs ou de diurétiques, de vomissements induits, de régimes une estimation de la prévalence moyenne de l’ordre de 1 %
ou jeûnes stricts, ou d’exercice physique intense pour lutter pour la définition restreinte du DSM-III-R et de 2,6 % pour les
contre la prise de poids, et par une préoccupation persistante études par autoquestionnaires. [113] Une étude française réalisée
sur la forme et le poids du corps. Dans 30 à 50 % des cas, la sur 3 287 adolescentes âgées de 12 à 19 ans de la Haute-Marne
boulimie survient pendant ou après une période d’anorexie. Les a conduit à une estimation de 1 % également. [149] La préva-
critères diagnostiques des TCA ont changé au cours de la lence des symptômes isolés constitutifs de la boulimie est très
récente décennie et la comparaison des résultats d’une étude à élevée dans les populations d’adultes jeunes. Avec une défini-
l’autre doit en tenir compte. Ainsi, le critère de perte de poids tion relativement stricte, la prévalence des fringales alimentaires
était de 25 % dans le DSM-III et de 15 % dans le DSM-III-R pour (binge eating) est en moyenne estimée à 15,7 %, celle des
le diagnostic d’anorexie. Pour la boulimie, la définition plus vomissements induits à 2,4 % et celle de l’utilisation de laxatifs

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

Tableau 9.
Études de prévalence de l’anorexie mentale.
Auteurs Année de Période Lieu Âge Taille de Critères Taux
publication l’échantillon diagnostiques pour 100
Crisp et al. [122] 1976 1967-74 Angleterre Tous âges ? (écoles privées) Clinique F 0,2150 e

(7 écoles de filles) 16+ 2 786 (écoles Clinique F 0,0360 a

publiques)
Nielsen [123] 1990 1973-87 Danemark Tous 300 000 ICD-8 F 0,0067
15-19 F 0,0347
10-24 F 0,0237
Lucas et al. [124] 1988 1980 États-Unis Tous âges F 30 628 DSM-III-R F 0,204 f

Rochester 15-19 F 2 654 F 0,330


Minnesota
Whitehouse et Button [125] 1988 1980 Angleterre 16-19 F 446 Feighner/ F 0,220
(Chichester) Russell F 0,450
DSM-III
Robins et al. [126] 1984 1981-82 États-Unis, New Heaven 18-65 3 058 DSM-III 0,030
Robins et al. [126] 1984 1981-82 États-Unis, Baltimore 18-65 3 481 DSM-III 0,100
Robins et al. [126] 1984 1981-82 États-Unis, St. Louis 18-65 3 004 DSM-III 0,100
Mann et al. [127] 1983 1982 Angleterre (2 école de 15 F 262 Clinique F 0,000
Londres)
Szmukler [128] 1983 1982 Angleterre
(6 écoles privées de 14-19 F 1 331 Clinique F 0,830
filles) (écoles publiques) 16-18 Clinique F 1,110
16+ Clinique F 0,140
Joergensen [129] 1992 1977-86 Danemark (Fyn County) Tous 450 000 DSM-III-R F 0,026
10-14 F 0,070
15-19 F 0,120
20-24 F 0,060
Cullberg et Engström- 1988 1984-85 Suède (sud-est 16-24 F 4 651 DSM-III modifié F 0,258
Lindberg [130] Stockholm)
Whitaker et al. [90] 1990 1984 États-Unis New Jersey 14-17 F 2 544 DSM-III F 0,200
Lee et al. [131] 1987 1984 Corée du Sud (Séoul et 18-65 5 100 DSM-III F 0,038 a

zone rurale)
Hwu et al. [132] 1989 1982-86 Taiwan (national) 18+ 11 004 DSM-III0,000
Rastam et al. [133] 1989 1985 Suède (Göteborg) 15 F 2 136 DSM-III and F 0,70 b

DSM-III-R F 0,84 b,g

Rastam et Gillberg [134] 1992 1987 Suède (Göteborg) 17 modifié F 0,94 b

DSM-III-R F 1,08 b,g

Bland et al. [135] 1988 1983-86 Canada (Edmonton) 18+ 3 258 DSM-III 0,100
Lucas et al. [121] 1991 1985 États-Unis Tous F 32 353 DSM-III-R F 0,270 f

Rochester
15-19 F 0,480
Minnesota
Hoek [136] 1991 1985-86 Pays-Bas Tous 151 781 DSM-III 0,0184
(58 cabinets de GP)
Suzuki et al. [137] 1990 1986-87 Japon 12-15 1 992 Clinique 0,000
(5 collèges, Gunma
préfecture)
Wells et al. [138] 1989 1986 Nouvelle-Zélande 18-64 1 498 DSM-III 0,100 d

(Christchurch) 25-44 F 0,3004


Ben-Tovim & Morton [120] 1990 1987 Australie 12-18 F 5 705 DSM-III F 0,105
(Sud)
Johnson-Sabine et al. [139] 1988 Angleterre 14-16 F 1 010 Clinique F 0.000
Patton et al. [140] 1990 (8 écoles de Londres)
15-17 F 176 Russell F 0,2 d,b
Angleterre
0,000
(8 écoles de Londres)
Lewinsohn et al. [21] 1993 1987-89 États-Unis 15-18 1 710 DSM-III-R 0,000 c

(Oregon) F 891 F 0,450 d

F : taux pour les filles ; M : taux pour les garçons ; Ni F ni M signifie les deux sexes ensemble.
a
Taux calculés par nous.
b
Taux calculés pour tenir compte des informations sur les non-participants.
c
Prévalence actuelle.
d
Prévalence sur la vie.
e
Des taux bien plus élevés (1%) sont parfois rapportés pour cette étude mais des erreurs ont été commises par les auteurs dans les calculs (voir Fombonne, 1995 pour plus de
précisions).
f
Taux standardisé sur l’âge de la population féminine blanche des États-Unis en 1970.
g
Ce taux prend en compte les syndromes « partiels ».

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 9.
(Suite) Études de prévalence de l’anorexie mentale.
Auteurs Année de Période Lieu Âge Taille de Critères Taux
publication l’échantillon diagnostiques pour 100
Scheinberg et al. [141] 1992 1989 Israël 18 F 1 112 DSM-III-R F 0,180
(recrues féminines de
l’armée)
Begling et Fairburn [142] 1992 Angleterre 16-35 F 285 DSM-III-R F 0,23 b,c

(2 cabinets médicaux) F 1,40 b,d

Whitehouse et al. [143] 1992 1987 Angleterre 16-35 F 540 DSM-III-R F 0,18 a,b,c

(3 cabinets médicaux) 0,37 a,b,d9.

de Azevedo et Ferreira [144] 1992 1987 Portugal 12-20 F 654 DSM-III 0,00
(lycées des Açores) 0,767
Rathner et Messner [145] 1993 1988 (?) Italie 11-20 F 517 DSM-III-R DSM- 0,58
(4 écoles 11-14 F 286 III-RDSM-III-R
0,00
germanophones du 15-20 F 231
Tyrol Sud) 1,30
Götestam et Agras [146] 1995 1992 Norvège 18-59 1 849 DSM-III-RDSM- 0,27 c

18-29 556 III-R 0,43 d

0,36 c

0,90 d

Santonastaso et al. [147] 1996 Italie, Padoue 15-20 F 359 DSM-IV 0,0
0,5 d

Steinhausen et al. [11] 1998 1995 Suisse, Zürich 14-17 607 DSM-III-R F 0,7 c

Cotrufo et al. [148] 1998 ? Italie, Sud 13-19 F 919 DSM-IV F 0,2 c

Wittchen et al. [96] 1998 1995 Allemagne, Munich 14-24 3 021 DSM-IV F 0,3
F 1,0 d
M 0,0
M 0,1 d
Verhulst et al. [10] 1997 1993 Hollande 13-18 853 DSM-III-R 0,2
Cannals et al. [95] 1997 ? Espagne, Catalogne 18 F 152 DSM-III-R F 0,6
F : taux pour les filles ; M : taux pour les garçons ; Ni F ni M signifie les deux sexes ensemble.
a
Taux calculés par nous.
b
Taux calculés pour tenir compte des informations sur les non-participants.
c
Prévalence actuelle.
d
Prévalence sur la vie.
e
Des taux bien plus élevés (1%) sont parfois rapportés pour cette étude mais des erreurs ont été commises par les auteurs dans les calculs (voir Fombonne, 1995 pour plus de
précisions).
f
Taux standardisé sur l’âge de la population féminine blanche des États-Unis en 1970.
g
Ce taux prend en compte les syndromes « partiels ».

à 2,7 %. En outre, dans huit études publiées, 29 % des sujets au chez l’enfant n’a été vraiment possible qu’à partir de la fin des
jour de l’enquête suivaient un régime strict ou jeûnaient années 1970. Dans les décennies antérieures, la schizophrénie
régulièrement pour contrôler leur poids. Les données permet- de l’enfant était en effet incluse, dans la plupart des classifica-
tant d’examiner de possibles changements séculaires dans tions rudimentaires de l’époque, dans une catégorie unique
l’incidence de la boulimie sont réduites et de qualité souvent « psychose infantile » qui confondait les troubles du développe-
médiocre. Une précédente analyse de cette hypothèse nous a ment (dont l’autisme), les schizophrénies et les autres psychoses
fait conclure que les donnés épidémiologiques n’étaient pas de l’enfant. À la suite d’études cliniques détaillées, [150] il
adéquates et que les données existantes ne suggéraient pas apparut que l’autisme et la schizophrénie étaient des troubles
nécessairement que l’incidence de ce trouble récemment défini distincts, et que la schizophrénie de l’enfant et celle de l’adulte
soit en augmentation. avaient en commun la plupart de leurs caractéristiques phéno-
ménologiques, évolutives, familiales et thérapeutiques. Le
Conclusion diagnostic de la schizophrénie de l’enfant et de l’adolescent est
L’anorexie mentale est rare chez la jeune femme et son taux depuis lors fondé sur les mêmes critères diagnostiques que chez
peut être estimé à 1,8/1000 jeunes filles dans le groupe des l’adulte. Le critères diagnostiques consistent en trois points
jeunes femmes de 15 à 19 ans. Les taux sont négligeables chez principaux : la présence de symptômes psychotiques (idées
les filles plus jeunes, et chez les hommes. La boulimie est plus délirantes, hallucinations, catatonie, troubles du cours de la
fréquente et a un début plus tardif, et sa prévalence est, en pensée, symptômes négatifs [pauvreté idéique et des affects]),
moyenne, voisine de 1 %. Des changements séculaires dans une détérioration globale du comportement et de l’adaptation
l’incidence sont peu vraisemblables pour l’anorexie tandis que par rapport à la période prémorbide, et une durée des troubles
les données sur la boulimie sont trop limitées pour avancer des qui persistent au minimum 6 mois durant lesquels se succèdent
conclusions. souvent une phase de prodrome, une phase active et une phase
résiduelle.
■ Schizophrénie et troubles Les troubles bipolaires sont définis par une succession chez le
même individu d’épisodes dépressifs et d’états maniaques ou
bipolaires de l’enfant hypomaniaques. Ces derniers états sont caractérisés par une
irritabilité, une élévation de l’humeur allant parfois jusqu’à
et de l’adolescent l’euphorie, une fuite des idées et une accélération du débit
vocal, des idées de grandeur, une diminution du sommeil, une
Définition et concepts diagnostiques distractibilité, et des comportements agités et pouvant mettre le
Bien qu’il fût reconnu très tôt que la schizophrénie peut sujet en danger (dépenses sans compter, comportements sexuels
survenir chez l’enfant et l’adolescent, l’étude de cette maladie inappropriés, etc.). Les états maniaques alternent avec les états

14 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

dépressifs à des rythmes et selon des séquences variées qui de partir des données épidémiologiques chez l’adulte et d’esti-
dépendent du sujet. Chez les jeunes, les états maniaques et mer indirectement la prévalence chez les jeunes de moins de
dépressifs s’enchaînent souvent vite, donnant lieu à des 18 ans en fonction de l’âge de début des troubles rapportés par
présentations mixtes ou à cycle rapide. En outre, les idées ces patients adultes. Le risque morbide des troubles bipolaires
délirantes et symptômes psychotiques sont fréquents chez les est estimé à environ 0,5 % et la prévalence sur la vie est estimée
adolescents, ce qui crée des difficultés particulières pour le à 0,7 %-0,8 % dans les enquêtes épidémiologiques. [161, 162]
diagnostic différentiel avec la schizophrénie. Depuis les descriptions de Kraepelin en 1921, il est connu que
dans des cas très rares (de 0,5 % à 1 % des troubles bipolaires),
la maladie peut se déclarer avant l’âge de 13 ans. Cette estima-
tion correspond à un taux de prévalence d’environ 3/100 000
Données épidémiologiques chez l’enfant de moins de 13 ans, soit un phénomène rare. En
revanche, un nombre important des patients bipolaires adultes
Il y a très peu d’études épidémiologiques sur ces deux
rapportent avoir eu leurs premiers symptômes entre l’âge de
pathologies pour la période de l’enfance et de l’adolescence, en
15 et 20 ans. L’âge moyen de début des troubles bipolaires varie
raison de leur rareté et du fait que ces maladies psychotiques de
d’une étude à l’autre et se situe actuellement entre 20 et
l’adolescence sont essentiellement les mêmes maladies que
30 ans. [162] Dans une série récente de 210 patients bipolaires
celles observées chez les adultes jeunes, dont elles représentent
adultes, 58 sujets (soit 27,6 %) avaient eu un début des troubles
probablement une forme plus sévère. [151] En outre, les confu- avant l’âge de 18 ans. [151] On peut donc estimer que les
sions nosologiques qui ont régné longtemps avec l’emploi du premiers troubles se manifestent avant l’âge de 20 ans dans
terme de psychose infantile font que la plupart des études environ un tiers des cas. Pour les jeunes de 15 à 19 ans, le
conduites avant 1980 incluaient des enfants autistiques et risque de développer un trouble bipolaire peut donc être
schizophréniques dans les mêmes échantillons ; [152] de même, indirectement estimé à environ 0,25 %.
les difficultés de diagnostic différentiel entre schizophrénie et
trouble bipolaire font que certains auteurs ont inclus dans leurs
études d’enfants schizophréniques des sujets dont la réévalua- Conclusion
tion ultérieure a montré qu’ils avaient en fait un trouble
Chez les enfants de 12 ans ou moins, ces maladies (à la fois
bipolaire. [153-155]
schizophrénie et troubles bipolaires) sont très rares avec un taux
Concernant la schizophrénie, de rares études sur la schizo-
de prévalence combiné de 4/100 000. L’incidence de ces
phrénie à début très précoce montrent que sa prévalence est très
maladies augmente ensuite rapidement à l’adolescence avec un
faible. Les taux rapportés dans deux études sont de
taux d’environ 0,50 % pour les jeunes de 15 à 19 ans. Pour les
1,6/100 000 [156, 157] et de 1,9/100 00046 chez les enfants de
adolescents de 13-14 ans, le taux est intermédiaire, de l’ordre de
moins de 12 ans. Ces taux sont compatibles avec d’autres études 0,1 %. Ces estimations sont parallèles à celles obtenues dans
portant sur des échantillons de jeunes adultes ou adolescents une étude suédoise [156] où la prévalence cumulée pour toutes
atteints de schizophrénie ; l’examen de la distribution de l’âge les psychoses a été estimée à 54/10 000 (soit 0,54 %) chez les
de début des premiers troubles montre qu’environ 1 % seule- jeunes de 13 à 19 ans.
ment des troubles schizophréniques débutent avant l’âge de
10 ans. [158] De même, une étude de 312 patients jeunes
souffrant de schizophrénie et identifiés dans le registre
danois [159] montre que seulement quatre sujets ont été dia-
■ Abus de substances,
gnostiqués avant l’âge de 13 ans, et seulement 28 de 13 à comportements suicidaires
15 ans. L’incidence et la prévalence de la schizophrénie aug-
mentent nettement à partir de 14-15 ans. L’incidence dans cette Ces comportements à risque sont l’objet de revues détaillées
tranche d’âge a été estimée dans une étude écossaise à disponibles dans la littérature et seuls quelques résultats
1-2/10000/an. [160] En Suède, la prévalence cumulée des troubles essentiels sont résumés ici. Ces comportements à risque sont
schizophréniques était de 0,23 % à l’âge de 20 ans ; en d’autres particulièrement importants comme facteurs de risque des
termes, 0,23 % des adultes de 20 ans dans cette population troubles psychiatriques de l’adolescence dont ils sont également
avaient été hospitalisés avec un diagnostic de schizophrénie une complication fréquente.
entre l’âge de 13 et 19 ans [156, 157]. Ce taux est également
compatible avec les études sur l’âge de début des schizophrénies
chez les adultes qui montrent un début avant 18 ans dans une Abus de substances
forte minorité des cas. L’abus de substances licites ou illicites augmente à la période
Les données sur les troubles bipolaires sont encore plus rares. de l’adolescence. Bien que ces comportements n’entraînent pas,
Une étude dans la population générale a estimé leur prévalence dans la plupart des cas, de dépendances, l’utilisation de ces
sur la vie à 0,58 % chez des adolescents âgés de 16 à 18 ans, substances est un facteur de risque pour plusieurs des troubles
mais la plupart des cas étaient des troubles bipolaires II et cette psychiatriques évoqués auparavant. Le Tableau 10 résume les
enquête est généralement atypique par les taux très élevés résultats de quelques enquêtes récentes menées auprès d’échan-
rapportés pour de nombreux troubles. [21] Il est donc nécessaire tillons de jeunes âgés de 15 à 19 ans dans la population

Tableau 10.
Prévalence annuelle de l’usage de substances illicites chez les 15 à 19 ans.
CFES 97/98 N = 2675 CADIS 97 N = 9919 INRP 98 N = 875 GAZEL 99 N = 528
Cannabis 22,8 29,8 34,4 29,1
Cocaïne 0,1 1,9 0,8 0,2
Héroïne 0,0 1,7 0,2 0
Ecstasy 0,5 -- 1,5 0,4
Amphétamines -- 2,1 -- 0,2
Hallucinogènes 0,7 -- 0,9 0,2
Médicaments pour se droguer 0,1 -- -- 0,2
Produits à inhaler 0,3 5,7 1,0 3,7
Toutes substances 22,8 33,5 35,3 29,9

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 15
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

Tableau 11.
Nombre d’enfants et d’adolescents souffrant d’un trouble psychiatrique.
Âges Total Autisme ADHD c Anxiété d TOC e Dépression f Anorexie g Boulimie h Schizophrénie
population a et PDD b et trouble
bipolaire i
0 à 2 ans 2 175 326 2 969
3 à 5 ans 2 154 419 5 882 14 296 35 740
6 à 10 ans 3 736 596 10 201 74 732 186 830 3 432 15 143 121
11 à 14 ans 3 110 095 8 491 62 202 155 505 17 939 34 995 1 624
15 à 19 ans 3 967 703 10 832 39 677 198 385 39 677 127 703 3 571 12 218 19 839
Total 15 144 139 38 374 190 907 576 459 61 048 177 841 3 571 12 218 21 583
a
Population au 1er janvier 2000 (http://www.ined.fr/population-en-chiffres/france/population/tabpyr2000.htm).
b
Le taux retenu est de 27,3/10 000 ; ce taux a été divisé par deux pour les 0-2 ans pour rendre compte de la manifestation progressive des troubles autistiques avant l’âge de 3 ans.
c
Le taux est de 2 % à l’âge scolaire et au début de l’adolescence. Le taux a été fixé à 0 chez les 0-3 ans, à 1 % chez les 4-5 ans, puis à 1 % de nouveau à partir de 15 ans.
d
Le taux a été fixé à 2,5 % pour les 4 et 5 ans, et à 5 % pour 6 ans et au-delà.
e
Le taux est de 0,15 % pour les enfants de 8 à 12 ans, et de 1 % pour les jeunes de 13 ans et plus.
f
Le taux est de 0,5 % pour les enfants de 7 à 11 ans, de 1 % pour les enfants de 12 et 13 ans, de 2 % pour les jeunes de 14 et 15 ans, de 3 % pour les jeunes de 16 et 17 ans, et de 4 %
pour les jeunes de 18 et 19 ans.
g
Le taux est de 0,9/1000 (correspondant à un taux de 1,8/1000 chez les jeunes filles).
h
Le taux est de 0,5 % (correspondant à un taux de 1 % chez les jeunes filles) à partir de 17 ans.
i
Le taux est de 4/100 000 pour les enfants de 7 à 12 ans ; de 1/1000 pour les enfants de 13 et 14 ans ; et de 0,5 % à partir de 15 ans.

générale. Les résultats de ces quatre enquêtes sont remarquable- nombre de sujets affectés. Il est important de réaliser que la
ment convergents. Selon l’étude, un jeune sur 3 ou sur 5 rap- plupart de ces taux dérivent d’études internationales mais, en
porte avoir consommé au moins une drogue dans la dernière l’absence d’études françaises pour la plupart des problèmes
année. Dans la majorité des cas, le cannabis est la substance étudiés, ces estimations sont les meilleures dont on dispose. Les
utilisée. Le recours aux drogues dures est beaucoup plus rare. estimations ont été faites de manière conservatrice, en privilé-
Des études plus récentes (enquête Escapad 2003) ont reproduit giant les études méthodologiquement les plus correctes et celles
ces mêmes résultats (voir http://www.ofdt.fr). qui ont adopté une définition stricte des « cas » fondée notam-
ment sur un retentissement substantiel des symptômes psychia-
triques sur le fonctionnement général du jeune. Les estimations
obtenues dans les sections précédentes étaient généralement
Comportements suicidaires restreintes à une tranche d’âge précise et les estimations du
Tableau 11 ont été en conséquence calibrées pour chaque
L’incidence du suicide est très basse dans l’enfance, avant groupe d’âge. Par exemple, les taux de prévalence de l’anorexie
la puberté. Elle augmente de manière importante à l’adoles- et de la boulimie s’appliquent aux adolescents les plus âgés
cence et au début de l’âge adulte. Le suicide est une des (> 15 ans) et aucune estimation de la prévalence n’existe pour
premières causes de décès chez les jeunes âgés de 15 à 24 ans, les tranches d’âge des plus jeunes chez lesquels le phénomène
particulièrement chez les hommes. Les taux de suicide ont est considéré comme très rare. Un taux nul a donc été appliqué
augmenté dans la plupart des pays au cours des années aux jeunes de moins de 15 ans. Dans certains cas, le taux de
1960 et 1970. [163] Depuis quelques années, cependant, les prévalence semble varier avec l’âge de manière importante, et
taux sont demeurés stables ou ont baissé. Les raisons de ceci a été pris en compte dans les estimations. Cependant, il
l’augmentation séculaire sont mal connues. Certaines études existe des changements brusques dans des catégories d’âge
ont établi des liens entre une augmentation des comporte- contiguës qui reflètent probablement mal la réalité et sont peu
ments suicidaires et l’utilisation croissante de drogues et compatibles avec les phénomènes biologiques ; ceci reflète
d’alcool chez les jeunes. [164] simplement les lacunes dans les données épidémiologiques
Les idées ou actes suicidaires sont très communs chez les existantes. Le Tableau 11 donne les résultats de ces calculs, et
adolescents. Ainsi, 24 % des lycéens participant à l’enquête les notes de bas de tableau expliquent comment les résultats ont
annuelle Youth Risk Behavior Surveillance System (YRBSS) du été obtenus. Parce que les troubles psychiatriques surviennent
CDC aux États-Unis rapportent avoir éprouvé des idées suicidai- souvent simultanément chez les mêmes individus, on ne peut
res au cours des 12 derniers mois. [165] En outre, 19 % ont fait pas faire de somme par ligne dans le tableau ; les données
des plans précis, 8,6 % ont fait une tentative, et 2,7 % ont fait actuelles sur la comorbidité entre différents troubles ne sont pas
une tentative aboutissant à une consultation médicale. Des assez précises pour en tenir compte dans ce type de calcul.
données similaires ont été rapportées pour la France dans Néanmoins, les données du Tableau 11 montrent l’importante
plusieurs enquêtes. [166] morbidité liée aux troubles psychiatriques (et qui ne tient pas
compte de l’ensemble des troubles psychiatriques de l’enfant et
de l’adolescent). Elles sont un guide pour estimer l’impact
potentiel pour la santé publique des problèmes de santé
■ Estimations pour la population mentale chez les jeunes.
française
On peut essayer d’estimer le nombre d’enfants de la popula-
tion française âgés de 0 à 19 ans et souffrant de l’un des .

troubles psychiatriques passés en revue ci-dessus (excluant les


comportements d’abus de substance et suicidaires). Pour cela, ■ Références
nous avons utilisé les données sur la structure par âge de la [1] Rothman K, Greenland S. Modern epidemiology. Philadelphia:
population fournies par l’Institut National des Études Démogra- Lippincott-Raven; 1998.
phiques (INED) pour l’année 2000. Les meilleures estimations [2] Organisation Mondiale de la Santé. The ICD-10 Classification of
des taux de prévalence retenues dans les analyses précédentes Mental and Behavioural Disorders: clinical descriptions and diagnos-
ont été utilisées pour calculer pour chaque tranche d’âge le tic guidelines. Geneva: World Health Organization; 1992.

16 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

[3] Organisation Mondiale de la Santé. The ICD-10 Classification of [28] Stanger C, Achenbach TM, McConaughy SH. Three-year course of
Mental and Behavioural Disorders: diagnostic criteria for research. behavioral/emotional problems in a national sample of 4- to 16-year-
Geneva: World Health Organisation; 1993. olds: 3. Predictors of signs of disturbance. J Consult Clin Psychol 1993;
[4] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual 61:839-48.
of mental disorders DSM-IV. Washington DC: American Psychiatric [29] Weisz J, Eastman K. Cross-national research on child and adolescent
Association; 1994. psychopathology. In: Verhulst F, Koot H, editors. The epidemiology of
[5] Rutter M, Tizard J, Whitmore K. Education, health and behaviour. child and adolescent psychopathology. Oxford: Oxford University
London: Longmans; 1970. Press; 1995. p. 42-65.
[6] Fombonne E. The child behaviour checklist and the rutter parental [30] Crijnen AA, Achenbach TM, Verhulst FC. Problems reported by
questionnaire: a comparison between two screening instruments. parents of children in multiple cultures: The Child Behavior Checklist
Psychol Med 1989;19:777-85. syndrome constructs. Am J Psychiatry 1999;156:569-74.
[7] Fombonne E. Parent reports on behaviour and competencies among [31] Dunn G, Pickles A, Tansella M, Vazquez-Barquero J. Two-phase
6-21-year-old French children. Eur Child Adolesc Psychiatry 1992;1: epidemiological surveys in psychiatric research. Br J Psychiatry 1999;
233-43. 174:95-100.
[8] Fombonne E. The Chartres study: I Prevalence of psychiatric disorders
[32] Shaffer D, Lucas C, Richters J. Diagnostic assessment in child and
among French school-aged children. Br J Psychiatry 1994;164:69-79.
adolescent psychopathology. New York: Guilford; 1999.
[9] Costello E, Angold A, Burns B, Kerkanli A, Stangl D, Tweed D. The
Great Smoky Mountains Study of Youth: functional impairment and [33] Caron C, Rutter M. Comorbidity in child psychopathology: concepts,
serious emotional disturbance. Arch Gen Psychiatry 1996;53:1137-43. issues and research strategies. J Child Psychol Psychiatry 1991;32:
[10] Verhulst F, Ende J, Ferdinand R, Kasius M. The prevalence of DSM- 1063-80.
III-R diagnosis in a national sample of Dutch adolescents. Arch Gen [34] Angold A, Erkanli A, Costello EJ, Rutter M. Precision, reliability and
Psychiatry 1997;54:329-36. accuracy in the dating of symptom onsets in child and adolescent
[11] Steinhausen H-C, Metzke CW, Meier M, Kannenberg R. Prevalence of psychopathology. J Child Psychol Psychiatry 1996;37:657-64.
child and adolescent psychiatric disorders: the Zurich Epidemiological [35] Nottelmann E, Jensen P. Current issues in childhood bipolarity. J Affect
Study. Acta Psychiatr Scand 1998;98:262-71. Disord 1998;51:77-80.
[12] Simonoff E, Pickles A, Meyer JJ, Silberg JL, Maes HH, Loeber R, et al. [36] Fombonne E. Le rôle de l’épidémiologie dans la recherche étiologique
The Virginia Twin Study of Adolescent Behavioral Development en psychiatrie : des facteurs aux mécanismes de risque. Rev Epidemiol
Influences of age, sex, and impairment on rates of disorder. Arch Gen Santé Publique 1993;41:263-76.
Psychiatry 1997;54:801-8. [37] Rutter M. Resilience: some conceptual considerations. J Adolesc
[13] Esser G, Schmidt MH, Woerner W. Epidemiology and course of Health 1993;14:626-31 (690-6).
psychiatric disorders in school-age children - results of a longitudinal [38] Lotter V. Epidemiology of autistic conditions in young children: I
study. J Child Psychol Psychiatry 1990;31:243-63. Prevalence. Soc Psychiatry 1966;1:124-37.
[14] Anderson JC, Franz CP, Williams S, McGee R, Silva PA. DSM-III [39] Brask BH. A prevalence investigation of childhood psychoses. In:
disorders in preadolescent children. Arch Gen Psychiatry 1987;44: Nordic symposium on the care of psychotic children. Oslo:
69-76. Barnepsychiatrist Forening; 1972.
[15] Offord DR, Boyle MH, Szatmari P, Rae-Grant NI, Links PS, [40] Treffert DA. Epidemiology of infantile autism. Arch Gen Psychiatry
Cadman DT, et al. Ontario Child Health Study. II. Six-month 1970;22:431-8.
prevalence of disorder and rates of service utilization. Arch Gen [41] Wing L, Yeates SR, Brierly LM, Gould J. The prevalence of early
Psychiatry 1987;44:832-6. childhood autism: comparison of administrative and epidemiological
[16] Bird HR, Canino G, Rubio-Stipec M, Gould MS, Ribera J, Sesman M, studies. Psychol Med 1976;6:89-100.
et al. Estimates of the prevalence of childhood maladjustment in a
[42] Hoshino Y, Yashima Y, Ishige K, Tachibana R, Watanabe M, Kancki M,
community survey in Puerto Rico: The use of combined measures
et al. The epidemiological study of autism in FukushimaKen. Folia
[published erratum appears in Arch Gen Psychiatry 1994];51:429. Arch
Psychiatr Neurol Jpn 1982;36:115-24.
Gen Psychiatry 1988;45:1120-6.
[17] Fergusson D, Horwood L, Lynskey M. Prevalence and comorbidity of [43] Bohman M, Bohman IL, Björck PO, Sjöholm E. Childhood psychosis
DSM-III-R diagnoses in a birth cohort of 15-year olds. J Am Acad Child in a northern Swedish county: some preliminary findings from an
Adolesc Psychiatry 1993;32:1127-34. epidemiological survey. In: Schmidt MH, Remschmidt H, editors.
[18] Ford T, Goodman R, Meltzer H. The British Child and Adolescent Epidemiological approaches in child psychiatry. Stuttgart: Georg
Mental Health Survey 1999: the prevalence of DSM-IV disorders. J Am Thieme Verlag; 1983. p. 164-73.
Acad Child Adolesc Psychiatry 2003;42:1203-11. [44] McCarthy P, Fitzgerald M, Smith MA. Prevalence of childhood autism
[19] Morita H, Suzuki M, Kamoshita S. Screening measures for detecting in Ireland. Ir Med J 1983;77:129-30.
psychiatric disorders in Japanese secondary school children. J Child [45] Steinhausen HC, Göbel D, Breinlinger M, Wohlloben B. A community
Psychol Psychiatry 1990;31:603-17. survey of infantile autism. J Am Acad Child Psychiatry 1986;25:
[20] Vikan A. Psychiatric epidemiology in a sample of 1510 ten-year-old 186-9.
children: I. Prevalence. J Child Psychol Psychiatry Allied Discipl 1985; [46] Burd L, Fisher W, Kerbeshan J. A prevalence study of pervasive
26:55-75. developmental disorders in North Dakota. J Am Acad Child Adolesc
[21] Lewinsohn PM, Hops H, Roberts RE, Seeley JR, Andrews JA. Adoles- Psychiatry 1987;26:700-3.
cent psychopathology: I Prevalence and incidence of depression and [47] Matsuishi T, Shiotsuki M, Yoshimura K, Shoji H, Imuta F, Yamashita F.
other DSM-III-R disorders in high school students. J Abnorm Psychol High prevalence of infantile autism in Kurume City, Japan. J Child
1993;102:133-44. Neurol 1987;2:268-71.
[22] Jeffers A, Fitzgerald M. Irish families under stress. Dublin: Eastern [48] Tanoue Y, Oda S, Asano F, Kawashima K. Epidemiology of infantile
Health Board; 1991. autism in Southern Ibaraki, Japan: differences in prevalence in birth
[23] Breton J, Bergeron L, Valla J, Berthiaume C, Gaudet N, Lambert J, et al. cohorts. J Autism Dev Disord 1988;18:155-66.
Quebec child mental health survey: prevalence of DSM-III-R mental [49] Bryson SE, Clark BS, Smith IM. First report of a Canadian
health disorders. J Child Psychol Psychiatry 1999;40:375-84.
epidemiological study of autistic syndromes. J Child Psychol
[24] Bird HR. Epidemiology of childhood disorders in a cross-cultural
Psychiatry 1988;29:433-45.
context. J Child Psychol Psychiatry 1996;37:35-49.
[25] Verhulst F, Koot H. The epidemiology of child and adolescent [50] Sugiyama T, Abe T. The prevalence of autism in Nagoya, Japan: a total
psychopathology. Oxford: Oxford University Press; 1995. population study. J Autism Dev Disord 1989;19:87-96.
[26] Roberts RE, Attkisson CC, Rosenblatt A. Prevalence of [51] Cialdella P, Mamelle N.An epidemiological study of infantile autism in
psychopathology among children and adolescents. Am J Psychiatry a French department. J Child Psychol Psychiatry 1989;30:165-75.
1998;155:715-25. [52] Ritvo ER, Freeman BJ, Pingree C, Mason-Brothers A, Jorde L,
[27] Achenbach TM, Howell CT, Quay HC, Conners CK. National survey Jenson WR, et al. The UCLA-University of Utah epidemiologic survey
of problems and competencies among four- to sixteen-year-olds: of autism: prevalence. Am J Psychiatry 1989;146:194-9.
parents’ reports for normative and clinical samples. Monogr Soc Res [53] Gillberg C, Steffenburg S, Schaumann H. Is autism more common now
Child Dev 1991;56:1-31. than ten years ago? Br J Psychiatry 1991;158:403-9.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 17
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

[54] Fombonne E, du Mazaubrun C. Prevalence of infantile autism in 4 [79] Gillberg C, Carlstrom G, Rasmussen P. Hyperkinetic disorders in
French regions. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1992;27: seven-year-old children with perceptual, motor and attentional deficits.
203-10. J Child Psychol Psychiatry Allied Discipl 1983;24:233-46.
[55] Wignyosumarto S, Mukhlas M, Shirataki S. Epidemiological and [80] Shekim WO, Kashani J, Beck N, Cantwell DP, Martin J, Rosenberg J,
clinical study of autistic children in Yogyakarta, Indonesia. Kobe J Med et al. The prevalence of attention deficit disorders in a rural midwestern
Sci 1992;38:1-9. community sample of nine-year-old children. J Am Acad Child
[56] Honda H, Shimizu Y, Misumi K, Niimi M, Ohashi Y. Cumulative inci- Psychiatry 1985;24:765-70.
dence and prevalence of childhood autism in children in Japan. Br [81] Satin MS, Winsberg BG, Monetti CH, Sverd J, Foss DA. A general
J Psychiatry 1996;169:228-35. population screen for attention deficit disorder with hyperactivity. J Am
[57] Fombonne E, du Mazaubrun C, Cans C, Grandjean H. Autism and Acad Child Psychiatry 1985;24:756-64.
associated medical disorders in a large French epidemiological sample. [82] McGee R, Feehan M, Williams S, Partridge F, Silva P, Kelly J. DSM-III
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1997;36:1561-9. disorders in a large sample of adolescents. J Am Acad Child Adolesc
[58] Webb EV, Lobo S, Hervas A, Scourfield J, Fraser WI. The changing Psychiatry 1990;29:611-9.
prevalence of autistic disorder in a Welsh health district. Dev Med Child [83] Velez CN, Johnson J, Cohen P. A longitudinal analysis of selected risk
Neurol 1997;39:150-2. factors for childhood psychopathology. J Am Acad Child Adolesc
[59] Arvidsson T, Danielsson B, Forsberg P, Gillberg C, Johansson M, Psychiatry 1989;28:861-4.
Kjellgren G. Autism in 3-6 year-old children in a suburb of Goteborg, [84] Taylor E, Sandberg S, Thorley G, Giles S. The epidemiology of
Sweden. Autism 1997;2:163-73. childhood hyperactivity. Maudsley Monographs (number 33). Oxford:
Oxford University Press; 1991.
[60] Sponheim E, Skjeldal O.Autism and related disorders: epidemiological
[85] Leung PW, Luk SL, Ho TP, Taylor E, Mak FL, Bacon-Shone J. The
findings in a Norwegian study using ICD-10 diagnostic criteria.
diagnosis and prevalence of hyperactivity in Chinese schoolboys. Br
J Autism Dev Disord 1998;28:217-27.
J Psychiatry 1996;168:486-96.
[61] Taylor B, Miller E, Farrington CP, Petropoulos MC, Favot-Mayaud I,
[86] Bernstein GA, Borchardt CM, Perwien AR. Anxiety disorders in
Li J, et al. Autism and measles, mumps, and rubella vaccine: no children and adolescents: a review of the past 10 years. J Am Acad Child
epidemiological evidence for a causal association. Lancet 1999;353: Adolesc Psychiatry 1996;35:1110-9.
2026-9. [87] March J. Anxiety disorders in child and adolescents. New York:
[62] Kadesjö B, Gillberg C, Hagberg B. Autism and Asperger syndrome in Guilford Press; 1995.
seven-year old children. A total population study. J Autism Dev Disord [88] Kashani JH, Orvaschel H. Anxiety disorders in mid-adolescence: a
1999;29:327-31. community sample. Am J Psychiatry 1988;145:960-4.
[63] Baird G, Charman T, Baron-Cohen S, Cox A, Swettenham J, [89] Bowen RC, Offord DR, Boyle MH. The prevalence of overanxious
Wheelwright S, et al. A screening instrument for autism at 18 months of disorder and separation anxiety disorder: results from the Ontario Child
age: a 6-year follow-up study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry Health Study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1990;29:753-8.
2000;39:694-702. [90] Whitaker A, Johnson J, Shaffer D, Rapoport J, Kalikow K, Walsh BT,
[64] Powell J, Edwards A, Edwards M, Pandit B, Sungum-Paliwal S, et al. Uncommon troubles in young people: prevalence estimates of
Whitehouse W. Changes in the incidence of childhood autism and other selected psychiatric disorders in a non-referred adolescent population.
autistic spectrum disorders in preschool children from two areas of the Arch Gen Psychiatry 1990;47:487-96.
West Midlands, UK. Dev Med Child Neurol 2000;42:624-8. [91] Kashani JH, Orvaschel HA. A community study of anxiety in children
[65] Kielinen M, Linna SL, Moilanen I. Autism in northern Finland. Eur and adolescents. Am J Psychiatry 1990;147:313-8.
Child Adolesc Psychiatry 2000;9:162-7. [92] Reinherz H, Giaconia R, Lefkowitz E, Pakiz B, Frost A. Prevalence of
[66] Bertrand J, Mars A, Boyle C, Bove F, Yeargin-Allsopp M, Decoufle P. psychiatric disorders in a community population of older adolescents.
Prevalence of autism in a United States population: the Brick Township, J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1993;32:369-77.
New Jersey, investigation. Pediatrics 2001;108:1155-61. [93] Zohar AH, Ratzoni G, Pauls DL, Apter A, Bleich A, Kron S, et al. An
[67] Fombonne E, Ford T, Goodman R, Simmons H, Meltzer H. Prevalence epidemiological study of obsessive-compulsive disorder and related
of pervasive developmental disorders in the British nationwide survey disorders in Israeli adolescents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
of child mental health. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2001;40: 1992;31:1057-61.
820-7. [94] Feehan M, McGee R, Raja S, Williams S. DSM-111-R disorders in
[68] Magnússon P, Saemundsen E. Prevalence of autism in Iceland. J Autism New Zealand 18-year olds. Aust N Z J Psychiatry 1994;28:87-99.
Dev Disord 2001;31:153-63. [95] Canals J, Domenech E, Carbajo G, Blade J. Prevalence of DSM-III-R
[69] Chakrabarti S, Fombonne E. Pervasive developmental disorders in and ICD-10 psychiatry disorders in a Spanish population of 18-year
preschool children. JAMA 2001;285:3093-9. olds. Acta Psychiatr Scand 1997;96:287-94.
[70] Fombonne E. Is there an epidemic of autism? Pediatrics 2001;117: [96] Wittchen H, Nelson C, Lachner G. Prevalence of mental disorders and
411-3. psychosocial impairments in adolescents and young adults. Psychol
[71] Fombonne E. Epidemiological surveys of autism and other pervasive Med 1998;28:109-26.
developmental disorders: an update. J Autism Dev Disord 2003;33: [97] Valleni-Basile LA, Garrison CZ, Jackson KL, Waller JL,
365-82. McKeown RE, Addy CL, et al. Frequency of obsessive-compulsive
disorder in a community sample of young adolescents. J Am Acad Child
[72] Ehlers S, Gillberg C. The epidemiology of Asperger syndrome: a total
Adolesc Psychiatry 1994;33:782-91 [published erratum appears in J
population study. J Child Psychol Psychiatry 1993;34:1327-50.
Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:128-9].
[73] Fombonne E, Tidmarsh L. Epidemiologic data on Asperger disorder. [98] Flament MF, WhitakerA, Rapoport JL, Davies M, Berg CZ, Kalikow K,
Child Adolesc Psychiatr Clin N Am 2003;12:15-21. et al. Obsessive compulsive disorder in adolescence: an epidemio-
[74] Taylor E, Sergeant J, Doepfner M, Gunning B, Overmeyer S, logical study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1988;27:764-71.
Mobius HJ, et al. Clinical guidelines for hyperkinetic disorder. Eur [99] ZoharAH, Ratzoni G, Binder M.An epidemiological study of obsessive
Child Adolesc Psychiatry 1998;7:184-200. compulsive disorder and anxiety disorders in Israëli adolescent.
[75] Danckaerts M, Taylor E. The epidemiology of childhood hyperactivity. Psychiatr Genet 1993;3:184.
In: Verhulst F, Koot H, editors. The epidemiology of child and adoles- [100] Douglass HM, Moffitt TE, Dar R, McGee R, Silva P. Obsessive-
cent psychopathology. Oxford: Oxford University Press; 1995. compulsive disorder in a birth cohort of 18-year-olds: prevalence and
p. 178-209. predictors. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:1424-31.
[76] Swanson JM, Sergeant JA, Taylor E, Sonuga-Barke EJ, Jensen PS, [101] Maina G, Albert U, Bogetto F, Ravizza L. Obsessive-compulsive syn-
Cantwell DP. Attention-deficit hyperactivity disorder and hyperkinetic dromes in older adolescents. Acta Psychiatr Scand 1999;100:447-50.
disorder. Lancet 1998;351:429-33. [102] Heyman I, Fombonne E, Simmons H, Ford T, Goodman R. Prevalence
[77] Sandberg S. Hyperkinetic or attention deficit disorder. Br J Psychiatry of obsessive compulsive disorders in the British national survey of child
1996;169:10-7. mental health. Br J Psychiatry 2001;179:324-9.
[78] Schachar R, Rutter M, Smith A. Characteristics of situationally and [103] Garrison C, Addy C, Jackson K, McKeown R, Waller J. Major
pervasively hyperactive children: implications in syndrome definition. depressive disorder and dysthymia in young adolescents. Am
J Child Psychol Psychiatry 1981;22:375-92. J Epidemiol 1992;135:792-802.

18 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie ¶ 37-190-A-30

[104] Monck E, Graham P, Richman N, Dobbs R. Adolescent girls I: Self- [131] Lee CK, Kwak YS, Rhee H, Kim YS, Han JH, Choi JO, et al. The
reported mood disturbance in a community population. Br J Psychiatry nationwide epidemiological study of mental disorders in Korea.
1994;165:760-9. J Korean Med Sci 1987;2:19-34.
[105] Cooper P, Goodyer I. A community study of depression in adolescent [132] Hwu HG, Yeh EK, Chang LY. Prevalence of psychiatric disorders in
girls 1: estimates of symptom and syndrome prevalence. Br Taiwan defined by the Chinese diagnostic interview schedule. Acta
J Psychiatry 1993;163:369-74. Psychiatr Scand 1989;79:136-47.
[106] Bailly D, Beuscart R, Collinet C, Alexandre J, Parquet P. Sex [133] Rastam M, Gillberg C, Garton M. Anorexia nervosa in a Swedish urban
differences in the manifestations of depression in young people.Astudy region: a population-based study. Br J Psychiatry 1989;155:642-6.
of French high school students Part 1: Prevalence and clinical data. Eur [134] Rastam M, Gillberg C. Background factors in anorexia nervosa: a
Child Adolesc Psychiatry 1992;1:135-45. controlled study of 51 teenage cases including a population sample. Eur
[107] Chakrabarti S, Fombonne E. Pervasive developmental disorders in Child Adolesc Psychiatry 1992;1:54-65.
[135] Bland RC, Orn H, Newman SC. Lifetime prevalence of psychiatric
preschool children: high prevalence confirmed. Am J Psychiatry 2005
disorders in Edmonton. Acta Psychiatr Scand 1988;338(suppl):24-32.
(in press).
[136] Hoek HW. The incidence and prevalence of anorexia nervosa and
[108] Oldehinkel A, Wittchen H, Schuster P. Prevalence, 20-month incidence
bulimia nervosa in primary care. Psychol Med 1991;21:455-60.
and outcome of unipolar depressive disorders in a community sample [137] Suzuki M, Morita H, Kamoshita S. Epidemiological survey of
of adolescents. Psychol Med 1999;29:655-68. psychiatric disorders in Japanese school children Part III: Prevalence of
[109] Polaino-Lorente A, Domenech E. Prevalence of childhood depression: psychiatric disorders in junior high school children. Nippon Koshu
results of the first study in Spain. J Child Psychol Psychiatry 1993;34: Eisei Zasshi 1990;37:991-1000.
1007-17. [138] Wells JE, Bushnell JA, Hornblow AR, Joyce PR, Oakley-Browne MA.
[110] Puura K, Tamminen T, Almqvist F, Kresanov K, Kumpulainen K, Christchurch psychiatric epidemiology study, part I: Methodology and
Moilanen I, et al. Should depression in young children be diagnosed lifetime prevalence for specific psychiatric disorders. Aust N Z
with different criteria?. Eur Child Adolesc Psychiatry 1997;6:12-9. J Psychiatry 1989;23:315-26.
[111] Fombonne E. Depressive disorders: time trends and possible [139] Johnson-Sabine E, Wood K, Patton G, Mann A, Wakeling A. Abnormal
explanatory mechanisms. In: Rutter M, Smith DJ, editors. Psychosocial eating attitudes in London schoolgirls: a prospective epidemiological
disorders in young people: time trends and their causes. Chichester: study: factors associated with abnormal response on screening ques-
Wiley; 1995. p. 544-615. tionnaires. Psychol Med 1988;18:615-22.
[112] Fombonne E. Time trends in affective disorders. In: Cohen P, [140] Patton GC, Johnson-Sabine E, Wood K, Mann AH, Wakeling A.
Slomkowski C, Robins L, editors. Historical and geographical influen- Abnormal eating attitudes in London schoolgirls: a prospective
ces on psychopathology Mahway: Lawrence Erlbaum. 1999. p. 115-39. epidemiological study: outcome at twelve month follow-up. Psychol
[113] Fairburn CG, Beglin SJ. Studies of the epidemiology of bulimia Med 1990;20:383-94.
nervosa. Am J Psychiatry 1990;147:401-8. [141] Scheinberg Z, Bleich A, Koslovsky M, Apter A, Mark M, Kotler BM,
[114] Fombonne E. Eating disorders: time trends and explanatory et al. Prevalence of eating disorders among female Israel defence force
mechanisms. In: Rutter M, Smith DJ, editors. Psychosocial disorders recruits. Harefuah 1992;123:73-8.
in young people: time trends and their causes. Chichester: Wiley; 1995. [142] Begling SJ, Fairburn CG. Women who choose not to participate in
p. 616-85. surveys on eating disorders. Int J Eat Disord 1992;12:113-6.
[115] Fombonne E. Anorexia nervosa: no evidence of an increase. Br [143] Whitehouse AM, Cooper PJ, Vize CV, Hill C, Vogel L. Prevalence of
J Psychiatry 1995;166:462-71. eating disorders in three Cambridge general practices: hidden and
conspicuous morbidity. Br J Med Pract 1992;42:57-60.
[116] Hsu LKG. Eating disorders. New York: The Guilford Press; 1990.
[144] de Azevedo MH, Ferreira CP. Anorexia nervosa and bulimia: a
[117] King M. The epidemiology of eating disorders. Epidemiol Psichiatria
prevalence study. Acta Psychiatr Scand 1992;86:432-6.
Soc 1998;7:32-41 [editorial].
[145] Rathner G, Messner K. Detection of eating disorders in a small rural
[118] Flament M, Jeammet P. La boulimie : réalités et perspectives. Paris: town: an epidemiological study. Psychol Med 1993;23:175-84.
Masson; 2000. [146] Gotestam KG, Agras WS. General population-based epidemiological
[119] INSERM. Troubles mentaux : dépistage et prévention chez l’enfant et study of eating disorders in Norway. Int J Eat Disord 1995;18:119-26.
l’adolescent. Paris: Éditions Inserm; 2002. [147] Santonastaso P, Zanetti T, Sala A, Favaretto G, Vidotto G, Favaro A.
[120] Ben-Tovim DI, Morton J. The epidemiology of anorexia nervosa in Prevalence of eating disorders in Italy: a survey on a sample of 16-year
South Australia. Aust N Z J Psychiatry 1990;24:182-6. old female students. Psychother Psychosom 1996;65:158-62.
[121] Lucas AR, Beard CM, O’Fallon WM, Kurland LT. 50-year trends in the [148] Cotrufo P, Barretta V, Monteleone P, Maj M. Full syndrome, partial
incidence of anorexia nervosa in Rochester, Minnesota: a population- syndrome and subclinical eating disorders: an epidemiological study of
based study. Am J Psychiatry 1991;148:917-22. female students in Southern Italy. Acta Psychiatr Scand 1998;98:112-5.
[122] Crisp AH, Palmer RL, Kalucy RS. How common is anorexia nervosa? [149] Ledoux S, Choquet M, Flament M. Eating disorders among adolescents
A prevalence study. Br J Psychiatry 1976;128:549-54. in an unselected French population. Int J Eat Disord 1991;10:81-9.
[123] Nielsen S. The epidemiology of anorexia nervosa in Denmark from [150] Kolvin I. Studies in the childhood psychoses. Br J Psychiatry 1971;
1973 to 1987: a nationwide register study of psychiatric admission. 118:381-419.
Acta Psychiatr Scand 1990;81:507-14. [151] Schurhoff F, Bellivier F, Jouvent R, Mouren-Simeoni MC, Bouvard M,
[124] Lucas AR, Beard CM, O’Fallon WM, Kurland LT. Anorexia nervosa in Alilaire JF, et al. Early and late onset bipolar disorders: two different
Rochester, Minnesota: a 45-year study. Mayo Clin Proc 1988;63: forms of manic depressive illness? J Affect Disord 2000;58:215-21.
433-42. [152] Werry J. Child and adolescent (early onset) schizophrenia: a review in
[125] Whitehouse AM, Button EJ. The prevalence of eating disorders in a UK light of DSM-III-R. J Autism Dev Disord 1992;22:601-24.
college population: a reclassification of an earlier study. Int J Eat Disord [153] Kydd RR, Weary JS. Schizophrenia in children under 16 years. J Autism
1988;7:393-7. Dev Disord 1982;12:343-57.
[126] Robins LN, Helzer JE, Weissman MM, Orvaschel H, Gruenberg E, [154] Werry JS, McClellan JM, Chard L. Childhood and adolescent
schizophrenic, bipolar, and schizoaffective disorders: a clinical and
Burke JD, et al. Lifetime prevalence of specific psychiatric disorders in
outcome study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991;30:457-65.
three sites. Arch Gen Psychiatry 1984;41:949-58.
[155] Eggers C. Course and prognosis of childhood schizophrenia. J Autism
[127] Mann AH, Wakeling A, Wood K, Monck E, Dobbs R, Szmukler G.
Child Schizophr 1978;8:21-36.
Screening for abnormal eating attitudes and psychiatric morbidity in an [156] Gillberg C, Wahlstrom J, Forsman A, Hellgren L, Gillberg IC. Teenage
unselected population of 15-year-old schoolgirls. Psychol Med 1983; psychoses: epidemiology, classification and reduced optimality in the
13:573-80. pre-,peri- and neonatal periods. J Child Psychol Psychiatry 1986;27:
[128] Szmukler GI. Weight and food preoccupation in a population of English 87-98.
schoolgirls. In: Bargman GJ, editor. Understanding anorexia nervosa [157] Gillbert C. Epidemiology of early onset schizophrenia. In:
and bulimia. Columbus: Ross Laboratories; 1983. p. 21-7. Remschmidt H, editor. Schizophrenia in children and adolescents.
[129] Joergensen J. The epidemiology of eating disorders in Fyn County, Cambridge: University Press; 2001. p. 43-59.
Denmark, 1977-1986. Acta Psychiatr Scand 1992;85:30-4. [158] Remschmidt HE, Schulz E, Martin M, Warnke A, Trott GE. Childhood-
[130] Cullberg J, Engström-Lindberg M. Prevalence and incidence of eating onset schizophrenia: history of the concept and recent studies.
disorders in a suburban area. Acta Psychiatr Scand 1988;78:314-9. Schizophr Bull 1994;20:727-45.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 19
37-190-A-30 ¶ Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie

[159] Thomsen PH. Schizophrenia with childhood and adolescent onset--a [163] Fombonne E. Increased rates of psychosocial disorders in youth. Eur
nationwide register-based study. Acta Psychiatr Scand 1996;94: Arch Psychiatry Clin Neurosci 1998;248:14-21.
187-93. [164] Fombonne E. Suicidal behaviors in vulnerable adolescents: time trends
[160] Takei N, Lewis G, Sham PC, Murray RM. Age-period-cohort analysis and their correlates. Br J Psychiatry 1998;173:154-9.
of the incidence of schizophrenia in Scotland. Psychol Med 1996;26: [165] Kann L, Warren CW, Harris WA, Collins JL, Douglas KA, Collins ME,
963-73. et al. Youth risk behavior surveillance-United States, 1993. MMWR
[161] Bland R. Epidemiology of affective disorders: a review. Can Morb Mortal Wkly Rep 1995;44:1-57.
J Psychiatry 1997;42:367-77. [166] Choquet M, Menke H. Suicidal thoughts during early adolescence:
[162] Bebbington P, Ramana R. The epidemiology of bipolar affective prevalence, associated troubles and help-seeking behavior. Acta
disorder. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol 1995;30:279-92. Psychiatr Scand 1990;81:170-7.

E. Fombonne, Professeur* (eric.fombonne@mcgill.ca).


McGill University, Canada Research Chair in Child and Adolescent Psychiatry, Montreal Children’s Hospital, 4018 Ste-Catherine West, Montreal, QC H3Z
1P2, Canada.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Fombonne E. Épidémiologie des troubles psychiatriques en pédopsychiatrie. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-190-A-30, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

20 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
37-200-E-30
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-200-E-30

Examen psychologique de l’enfant :


approche clinique des processus mentaux
A Andronikof
G Lemmel

Résumé. – L’examen psychologique est un acte que le psychologue clinicien peut poser en fonction de la
demande qui lui est adressée et de l’analyse qu’il en a faite. Le praticien dispose d’un certains nombre
d’instruments d’investigation qui lui permettent de tester des hypothèses à propos du sujet qui fait appel à ses
compétences professionnelles. Les différentes batteries proposées permettent de comparer les performances
de l’enfant au groupe de référence constitué par l’étalonnage. L’interprétation des résultats de chaque enfant
se fait sur le plan quantitatif (combien ?) et sur le plan qualitatif (comment ?).
Dans une perspective de diagnostic intégré, le psychologue clinicien s’attache à effectuer une synthèse de ses
différentes observations dans un double mouvement de généralisation et d’individualisation permettant de
dégager les caractéristiques spécifiques et uniques d’un sujet singulier.
L’objectif final de l’examen psychologique de l’enfant est de comprendre le fonctionnement psychique, la
nature des troubles, de poser un diagnostic psychologique à valeur pronostique et de proposer les modalités
d’intervention appropriées.
Cet article aborde ces différents aspects en mettant l’accent sur la théorie et la pratique des tests
principalement en ce qui concerne l’efficience intellectuelle, les processus de pensée et la maturation
cognitive. Après un rappel de quelques notions de base en psychométrie, chaque instrument est situé dans le
contexte théorique sur lequel est fondée sa conception. Une description détaillée de l’instrument est suivie des
principaux éléments d’interprétation des résultats. Enfin, quelques recherches sur les troubles d’apprentissage
sont évoquées à titre d’illustrations cliniques.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : examen psychologique de l’enfant, QI, tests psychométriques, efficience intellectuelle.

Introduction nullement comme l’administration d’une batterie de tests, ni comme


une évaluation de compétences, ni comme une mesure de
Aujourd’hui, l’examen psychologique ne peut être réduit, comme il perturbations. L’examen psychologique est plutôt à définir comme
l’a parfois été, à l’évaluation – ou la mesure – de telle ou telle une démarche diagnostique intégrative qui utilise l’ensemble des
fonction, compétence ou performance de l’enfant. Le psychologue outils disponibles au psychologue (et par outils nous entendons
clinicien qui travaille dans le champ de l’enfance n’a plus besoin aussi l’entretien) pour tenter de cerner la nature des troubles dont
d’asseoir son identité de clinicien sur le rejet des tests, par peur souffre l’enfant, en comprendre la dynamique, en déterminer la
d’être réduit à un statut de technicien. portée, en évaluer la gravité, et, au-delà des troubles eux-mêmes,
pour repérer les secteurs d’activité psychique et les processus
Au contraire, le summum de la profession de psychologue clinicien
potentiellement inscrits dans une dynamique de santé.
réside dans une parfaite maîtrise de l’examen psychologique, même
pour ceux des psychologues qui ne le pratiquent pas eux-mêmes. À Cette démarche diagnostique est forcément complexe et difficile et
ceux-ci, une bonne connaissance de l’examen psychologique permet, elle engage la pleine responsabilité du psychologue.
à la lecture d’un compte rendu, d’en comprendre la portée, et d’en L’examen psychologique doit permettre au psychologue de donner
tirer des enseignements pertinents pour l’orientation et la conduite un avis éclairé aux personnes responsables de l’enfant, dans des
de l’action thérapeutique éventuellement à mettre en place. C’est termes qui leur sont compréhensibles, et en tenant compte des
aussi une bonne connaissance des tests eux-mêmes et de leurs réalités psychologiques, financières, géographiques mais aussi
champs d’application qui va permettre au psychologue de savoir si parfois légales, qui participent à la définition de la situation de
un examen psychologique va, ou non, être utile à la compréhension l’enfant.
de l’enfant et de ses troubles. Autant dire que la difficulté de l’examen psychologique réside non
Dans une perspective clinique, la maîtrise de l’examen pas tant dans l’administration et le dépouillement des tests, mais
psychologique de l’enfant ne se réduit pas à une bonne connaissance bien dans la décision que l’on prendra de le pratiquer et dans
des techniques elles-mêmes. L’examen psychologique ne se définit l’interprétation que l’on fera des résultats obtenus.
Le cadre de cet article ne nous permettra pas de présenter les
différents aspects de l’interprétation ni d’en développer la dimension
diagnostique, toutes choses qui mériteraient un traité. Nous nous
Anne Andronikof : Docteur en psychologie, professeur des Universités. limiterons ici à présenter les outils conceptuels et techniques les plus
Gilles Lemmel : Docteur en psychologie, psychologue à l’Éducation nationale.
Laboratoire IPSÉ, CLIPSY EA 3460, Université Paris X, 200, avenue de la République, 92001
actuels et les plus couramment utilisés par les cliniciens qui
Nanterre, France. pratiquent l’examen psychologique de l’enfant.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Andronikof A et Lemmel G. Examen psychologique de l’enfant : approche clinique des processus mentaux. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-E-30, 2003, 20 p.

150 621 EMC [295]


Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
La pratique de l’examen psychologique et la recherche dans ce Quant à l’éthique, elle renvoie à des règles morales générales et à ce
domaine connaissent aujourd’hui un renouveau considérable dans qu’on appelle la conscience professionnelle. Celle-ci, dans son
le monde, renouveau qui est dû à l’apport de nouveaux modèles en application à la situation d’examen psychologique, implique pour le
psychologie, à l’amélioration des techniques, et à l’évolution des psychologue une conscience claire de son cadre d’exercice, c’est-à-
concepts de la psychologie clinique. dire de son statut, de sa place dans la chaîne des intervenants, ainsi
Les nouveaux modèles sont issus de la recherche dans les domaines qu’une conscience critique de ses compétences et limites propres
cognitif et psychanalytique d’une part, de la prolifération des (voir constat critique de Navelet) [37]. Ce dernier point renvoie au
techniques d’intervention psychologique d’autre part. souci que tout psychologue devrait avoir de se former en
L’amélioration des techniques permet au psychologue de disposer permanence et de se maintenir au courant des avancées de sa
d’instruments d’évaluation qui sont plus sensibles, plus fidèles et profession.
mieux validés que par le passé. Enfin, l’évolution des conceptions La déontologie comme l’éthique sont fondées sur – et fondent à leur
de la psychologie clinique lui a permis de se dégager et de se tour – la responsabilité professionnelle et morale du psychologue
démarquer d’un côté de son empreinte psychiatrique et de l’autre clinicien, tout particulièrement dans l’exercice de l’examen
de son empreinte psychanalytique, après en avoir intégré les psychologique. Celui-ci reste fondamentalement une évaluation,
apports. La littérature internationale fait une large place à l’examen c’est-à-dire une parole (écrite ou non) prononcée sur une personne,
psychologique et de nombreux pays produisent des revues qui lui qui va la qualifier (avec aussi le risque de la disqualifier). Cette
sont entièrement consacrées. parole a un impact d’autant plus grand qu’elle est prononcée par un
Une revue de la littérature portant sur l’enseignement et la pratique « spécialiste » qui aura utilisé des instruments réputés
de l’examen psychologique aux États-Unis (Watkins) [60] a permis de « scientifiques ». Poser un diagnostic, décrire une personnalité,
mettre en évidence la place importante qu’y tient l’examen qualifier une personne et l’orienter vers une prise en charge sont
psychologique dans les pratiques professionnelles. On estime des actes graves qui exigent la connaissance de la pertinence, de la
qu’environ 75 % de tous les psychologues nord-américains, dans les fiabilité comme des limites des outils utilisés.
champs de la psychologie clinique et du conseil pratiquent
régulièrement l’évaluation psychologique et qu’ils lui consacrent en
moyenne 10 % de leur temps. Dans le champ de la clinique infantile,
Diagnostic et diagnostic
les tests les plus utilisés sont : le WISC-III, le Bender-Gestalt, les L’examen psychologique est, comme son nom l’indique, tout autre
dessins, le Rorschach, le CAT (Children Apperception Test) et le TAT chose qu’un examen psychiatrique, et il va permettre d’établir un
(Thematic Apperception Test). Il semble que cette liste n’ait pas changé diagnostic psychologique (et non psychiatrique).
depuis une trentaine d’années, et on peut se demander si cette Si le diagnostic psychiatrique relève d’une approche médicale et
remarquable constance est due à la validité toujours éprouvée de consiste à mettre un nom sur des troubles dont souffre l’enfant, c’est-
ces tests et à leur pertinence pour le diagnostic, ou plutôt à à-dire à les faire entrer dans une catégorie ou une classe de maladie
l’immobilisme de l’enseignement en cette matière. D’après cette dont on connaît les mécanismes évolutifs et parfois l’étiologie, le
étude, les tests nouveaux et prometteurs auraient ainsi du mal à se diagnostic psychologique, lui, va s’attacher à individualiser le sujet
faire une place dans les pratiques. Il serait intéressant de faire une au sein de cette catégorie. Le diagnostic psychiatrique recherche le
enquête auprès des psychologues français. D’ores et déjà, les général, le diagnostic psychologique, le particulier. Ce sont deux
résultats d’un questionnaire envoyé aux membres de la section démarches complémentaires qui devraient toujours être associées.
clinique de la Société française de psychologie [10] nous permettent
En effet, une chose est de repérer que tel enfant est psychotique, par
de penser que les tests les plus employés dans l’examen
exemple, et autre chose de décrire la manière particulière, toujours
psychologique sont les mêmes qu’aux États-unis. Cette situation
singulière, dont cette psychose affecte le fonctionnement psychique
témoigne certes d’un consensus professionnel dont on ne peut que
de l’enfant, de mettre en évidence ses talents propres, ses secteurs
se réjouir, mais elle risque de porter préjudice à l’évolution
de vulnérabilité, ses potentialités de développement etc.
nécessaire des pratiques qui devraient peu à peu pouvoir intégrer
les nouveaux concepts, et refléter les progrès de la psychopathologie L’examen psychologique permet de :
et de la psychologie de la personnalité. Il serait dommage que les – cerner la nature des troubles, c’est-à-dire spécifier la manière dont
praticiens fussent prisonniers de leurs techniques, et qu’un fossé se ils se présentent, repérer les points d’achoppement, explorer
creusât entre le monde conceptuel et celui des applications. l’opérationnalité de chacune des grandes fonctions (attention,
En conséquence, aujourd’hui, le psychologue clinicien a acquis une mémoire, motricité, langage etc) ;
identité sociale originale reconnue à la fois par la loi (cf loi n° 85-772 – comprendre la dynamique, c’est-à-dire s’intéresser à l’articulation
du 25 juillet 1985, décrets n° 90-255 du 22 mars 1990 ; n° 93-530 du interne de ces fonctions, leurs influences réciproques, les
27 mars 1993 ; et n° 96-288 du 29 mars 1996), par les institutions et mouvements d’investissement et de désinvestissement, leur
par le public, et qu’il ne craint plus d’intégrer l’évaluation à sa potentiel évolutif, les rapports dialectiques entre le cognitif et
pratique. Le rôle du psychologue clinicien dans le champ de la santé l’affectif ;
mentale s’est considérablement accru en raison des compétences qui
– déterminer la portée, c’est-à-dire apprécier la souffrance causée
lui sont propres. À cet égard, on peut considérer l’examen
par ces troubles, à l’enfant lui-même et à son entourage, tenter de
psychologique comme l’une des compétences princeps du
comprendre comment ils s’agencent dans la dynamique familiale,
psychologue clinicien qui est seul apte et habilité à en interpréter les
quelle est leur fonction protectrice ;
résultats.
– évaluer la gravité, c’est-à-dire se faire une opinion sur le caractère
pathologique ou non des troubles présentés par l’enfant. En effet,
Préalables un même trouble, une même difficulté apparente n’a pas toujours le
L’examen psychologique faisant partie des attributions spécifiques même destin chez l’enfant. Il peut s’agir d’une perturbation
du psychologue, le cadre de son exercice est soumis à des règles passagère – quand bien même elle serait intense – ou au contraire
déontologiques et éthiques précises. Le code de déontologie met en de la manifestation d’un processus proprement pathologique, pris
avant trois principes fondamentaux qui sont l’intérêt du client (toute dans une dynamique morbide et handicapante.
action entreprise doit se faire dans l’intérêt exclusif du client, et non
dans celle de tiers), le secret professionnel (c’est au client lui-même Normal ou pathologique ?
ou à ses responsables légaux que sont communiqués les résultats et
le contenu même des entretiens reste confidentiel – sauf dans La question de savoir si un trouble présente un caractère bénin ou
certains contextes judiciaires), et la transparence des buts, des grave est un aspect essentiel de la démarche de l’examen
moyens, et des résultats vis-à-vis du client. psychologique. Le déroulement même de l’examen, l’observation

2
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
clinique des procédures et du comportement de l’enfant, ses qualités instruments et leur fonctionnement, comprendre les interactions qui
relationnelles, son contact avec la réalité et les rapports qu’il modèlent la dynamique psychique et les interférences qui la
entretient avec son monde interne, tout comme les qualités du paralysent.
milieu où il vit doivent permettre au psychologue d’apprécier le Le diagnostic psychologique fait la part entre les « troubles » liés
devenir évolutif spontané des troubles, d’évaluer la qualité des aux processus de développement et de maturation psychologique,
ressources internes et des contenants de pensée de l’enfant. et les perturbations proprement dites qui sont engagées dans un
En effet, si ces qualités sont estimées bonnes, et si le milieu familial processus pathologique. Il fait la part entre les éléments qui relèvent
est sain, une intervention ponctuelle et minimum, voire pas du tempérament, ou du caractère de l’enfant, et ceux qui relèvent de
d’intervention du tout, vont permettre aux processus de santé de son organisation défensive. Il fait la part des causes éducatives,
reprendre leur cours. instrumentales ou conflictuelles à l’origine des difficultés de l’enfant.
En revanche, si les chances de reprise sont faibles, ou si le processus Le diagnostic psychologique met en évidence le potentiel évolutif
est jugé comme relevant de la pathologie, l’analyse doit permettre de l’enfant, ses secteurs de compétence, ses modes privilégiés
d’élaborer un projet thérapeutique spécifique. Faut-il aménager à d’expression et de créativité, ses composantes saines, ses repères
identitaires.
l’enfant un lieu de parole, ou d’élaboration fantasmatique, ou plutôt
commencer par consolider les acquis instrumentaux, ou tenter de Enfin, et pour toutes ces raisons, le diagnostic psychologique
faire céder un symptôme quitte à ce qu’il soit remplacé constitue l’élément clé de la prise de décision concernant un enfant,
temporairement par un autre, moins bruyant ou moins handicapant, tant sur le plan des éventuelles indications thérapeutiques,
ou encore faut-il travailler à faire évoluer les structures cognitives, pédagogiques ou éducatives que sur celui des orientations à donner
ou améliorer les capacités relationnelles de l’enfant, ou intervenir aux entretiens avec l’enfant, les parents et/ou avec les instances de
sur le contexte familial ? décision.
En effet, chez l’enfant, tout comme chez l’adulte d’ailleurs, s’il est
vrai que tout se tient et que les différents aspects que nous avons Théorie et pratique des tests
évoqués sont en étroite interdépendance, il n’en est pas moins vrai
que tout n’est pas également atteint (ou perturbé) et qu’en vertu
même de cette étroite interdépendance, l’amélioration d’un secteur CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES
a des retombées sur l’ensemble du fonctionnement. Toutefois, cela La pratique des tests en psychologie repose sur l’idée que le
ne veut pas dire que les modalités thérapeutiques ou éducatives sont « fonctionnement » d’un sujet peut être décomposé en un certain
équivalentes ni qu’elles aboutiront au même résultat, et dans le nombre d’éléments (fonctions, facultés, secteurs, dimensions ou
même temps. processus) que l’on peut repérer et décrire, voire mesurer.
Chez l’enfant, les enjeux développementaux sont tels, que La pratique de l’examen psychologique ajoute à cette idée celle que
l’intervention thérapeutique doit être rapidement efficace, c’est-à- ces différents éléments sont en interaction dynamique au sein de la
dire permettre une reprise des mouvements de construction de la personne, la résultante n’étant jamais égale à une simple somme des
personnalité et des apprentissages et une mobilisation des ressources parties, et que l’enfant lui-même est en interaction avec son
propres du sujet. environnement affectif, culturel et social, environnement dans lequel
son potentiel va prendre forme.
Chez l’enfant, le recours au diagnostic psychologique est d’autant
Les tests impliquent nécessairement une référence normative, que
plus important qu’il s’agit d’une personnalité non achevée dont les
cette norme soit fournie par la statistique (distribution des résultats
différentes composantes ne sont ni aussi délimitées ni aussi fixées
aux différents âges) ou par un modèle théorique (psycho-
que chez l’adulte. Le clinicien sait et constate tous les jours dans sa
pathologique, cognitif, psychanalytique, comportemental ou autre).
pratique qu’une même difficulté, un même symptôme, peuvent
C’est en référence à ces normes empirique et théorique que les
avoir des origines très variées, prendre des sens différents et,
résultats des tests et les faits d’observation sont interprétés, en
partant, nécessiter des modalités d’intervention diversifiées.
termes de distance à la moyenne ou de variation par rapport au
Nous prendrons l’exemple très fréquent des symptômes modèle.
obsessionnels (conduites de vérification anxieuse, méticulosité, Toutefois, les tests eux-mêmes n’impliquent rien quant à la structure
doute, tics, etc). Tout d’abord, il est des âges, la période de latence et à la psychogenèse de l’individu : ce sont des instruments
en particulier, où ces types de comportement sont favorisés par les d’évaluation ou de mesure qui n’ont de valeur que descriptive. En
particularités du développement psychologique nécessaires à cette tant que tels, ils peuvent être utilisés dans des contextes variés et
période. Ils sont alors généralement transitoires et se résorbent « interprétés » à la lumière de différents modèles. C’est quand on
spontanément, sans intervention psychologique d’aucune sorte. Une confond l’instrument avec son utilisation que l’on en arrive parfois
intervention intempestive risquerait alors de fixer les symptômes, à stigmatiser les tests, comme cela a pu se passer pour des raisons
en leur conférant un sens qu’ils n’ont pas. idéologiques avec les tests d’efficience intellectuelle, ou pseudo-
Mais il y a aussi d’autres cas de figure : il peut arriver qu’un enfant scientifiques avec les épreuves projectives.
adopte ce type de comportement par identification à l’un ou l’autre Le bon usage des tests est conditionné par une bonne connaissance
de ses parents. Le comportement incriminé aura alors la forme d’une de la spécificité de chacun d’eux. Par spécificité nous entendons ses
obsessionnalité mais ne sera pas lié au type de problématique propriétés conceptuelles, ses principes de construction, ses qualités
spécifique des états obsessionnels. métrologiques et sa population d’étalonnage.
Plus subtilement, nous avons constaté qu’une configuration
obsessionnelle de la personnalité chez l’enfant (symptômes et CONTEXTE DE L’EXAMEN PSYCHOLOGIQUE
mécanismes de défense privilégiés) pouvait être induite par des L’examen psychologique proprement dit, au sens restreint du terme,
conduites éducatives parentales très rigides, ces conduites étant s’inscrit dans une démarche diagnostique globale dont il n’est qu’un
souvent liées à des convictions et des pratiques religieuses bien aspect et une étape. Le psychologue qui va procéder à un examen
établies dans la famille. Une intervention n’est alors justifiée, sur le psychologique doit prendre le temps de comprendre les motifs de la
plan déontologique, que si l’enfant souffre manifestement de la demande (les arguments avancés par le demandeur) et les
situation et/ou s’il est bloqué dans son évolution ou ses motivations de celle-ci (les intentions sous-jacentes, les attentes
apprentissages, mais cette intervention ne pourra se faire sans la implicites des personnes concernées). Il doit aussi expliciter
participation des parents. clairement, tant aux demandeurs qu’à l’enfant lui-même, les buts et
L’examen psychologique permet de sonder simultanément le cadre de l’examen psychologique, les réponses que l’on peut en
différentes dimensions de la personnalité pour évaluer la qualité des attendre.

3
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
Il est en effet des aspects du problème présenté que l’examen Il existe aujourd’hui un grand nombre de tests dans chaque domaine
psychologique ne peut (ou ne doit) pas résoudre, parce que les d’exploration, mais ceux-ci ne sont pas tout à fait équivalents. Un
questions sortent de la compétence du psychologue (par exemple, WISC III et un K. ABC, par exemple, abordent l’efficience
évaluer « l’organicité » d’un trouble) ou parce qu’elles apparaissent intellectuelle sous des angles différents, font appel à des activités
contraires à sa déontologie (par exemple : désigner le « coupable » mentales qui ne se recouvrent que partiellement et produisent des
dans la famille ; dire à quel parent il faut confier l’enfant en cas de résultats chiffrés qui n’ont pas d’interprétation univoque.
divorce ou encore décider si des allégations d’abus sexuel sont vraies Du côté des tests projectifs, un Rorschach, un CAT ou un Patte Noire
ou non). ne mobilisent pas les affects et les fantasmes de la même manière,
ne font pas appel au même niveau de fluidité langagière et ne
sollicitent pas dans les mêmes proportions les activités perceptives
CONDUITE DE L’EXAMEN PSYCHOLOGIQUE
et imaginatives.
¶ Entretien préalable Comme il a déjà été dit, le choix des tests utilisés incombe au
psychologue, qui tient compte de quelques règles directrices :
Un examen psychologique ne peut être prévu pour un enfant sans
un entretien préalable avec ses parents ou la personne qui en est – ne pas multiplier les tests : outre la fatigue que cela peut entraîner
responsable. Cette première rencontre a pour objectif de préciser les chez l’enfant, une profusion de données est souvent préjudiciable à
motifs de la demande, comprendre le contexte dans lequel elle se la qualité de l’information fournie. Mieux vaut restreindre la
situe, et indiquer la réponse qui peut être apportée – éventuellement quantité au profit de la qualité ;
un examen psychologique. Si tel est le cas, on explique la démarche – choisir les tests en fonction des questions qui se posent, mais aussi
envisagée : rencontres avec l’enfant pour la passation des différentes en fonction du degré de familiarité que le psychologue a développé
épreuves, et nouveau rendez-vous avec la famille pour rendre avec telle ou telle technique. Lorsqu’un psychologue est à l’aise avec
compte des observations effectuées et discuter de la suite à donner à un matériel, il en utilise toutes les ressources, accumule une
ces investigations. expérience considérable au fil des passations et devient de plus en
Avec l’enfant lui-même, le psychologue va s’attacher à comprendre plus libre et pertinent dans son observation clinique ;
comment l’enfant voit ses difficultés, comment il en parle (ou – se maintenir au courant des nouvelles approches, des nouvelles
comment il les nie), quelle importance elles ont dans sa vie, et techniques et des nouveaux étalonnages, afin d’assurer au client le
comment il pense qu’on pourrait l’aider. Il doit aussi lui expliquer, meilleur service possible. Cela est vrai à l’évidence dans le domaine
simplement mais honnêtement, comment va se dérouler l’examen des tests eux-mêmes, mais cela l’est aussi dans le domaine
psychologique et quels en sont les objectifs. conceptuel et théorique. Ainsi le psychologue doit-il suivre
Au cours de cet entretien préliminaire, le psychologue établit le l’évolution des modalités thérapeutiques et rééducatives, afin de
contact avec l’enfant, fait une première appréciation de son mode poser des indications de prise en charge en connaissance de cause
relationnel et s’assure de sa volonté de collaboration, ainsi que de (et non selon des habitudes personnelles, des traditions ou des
ses capacités à accomplir les tâches qui lui seront proposées. Enfin, idéologies).
l’entretien préliminaire permet au psychologue de se formuler à lui- En France, deux maisons d’éditions assurent la diffusion des tests
même les questions qui se posent à propos de cet enfant et de disponibles à leurs catalogues remis à jour chaque année :
composer les grandes lignes de son examen psychologique.
– ECPA (Les Éditions du Centre de Psychologie Appliquée) 25, rue
¶ Phase de test de la Plaine 75980 Paris cedex 20 www.ecpa.fr.

Sur le plan pratique, il est recommandé de disposer d’une table – EAP (Éditions et Applications Psychologiques), 95, bd de
réservée à la passation des tests, différente de celle qui sert aux Sébastopol 75002 Paris www.editionseap.fr
entretiens, où le psychologue et l’enfant pourront être assis côte à Conformément au code de déontologie des psychologues, ces
côte pendant le déroulement des tests. En effet, la position côte à maisons d’éditions s’assurent que toute personne leur adressant une
côte permet à l’enfant de mieux se concentrer sur les tâches à commande de matériel peut faire usage du titre de psychologue.
accomplir et elle induit une relation étayante/contenante, tout en Les nouveaux clients doivent donc produire une attestation de leur
estompant la dimension évaluative, voire intrusive, du regard du diplôme pour commander les tests réservés aux psychologues.
psychologue en position de face à face. On sait aussi que la position
côte à côte neutralise les effets de suggestibilité, de renforcement ou
d’inhibition qui sont inévitables en situation de face à face. Présentation des différentes approches
¶ Choix des tests et déroulement Nous distinguerons les approches en termes de niveau intellectuel,
de processus intellectuels et de fonctions instrumentales, qui mettent
Théoriquement, les tests doivent couvrir les champs cognitifs et
l’accent sur la mesure, et les approches en termes de fonctionnement
affectifs, permettre la mesure comme l’observation clinique, et les
(cognitif et affectif) qui mettent l’accent sur les aspects qualitatifs,
activités doivent comprendre des moments de détente et de jeu, tout
dynamiques et développementaux.
comme des moments de travail proprement dit.
Habituellement, on commence par proposer des situations souples,
puis un test de niveau intellectuel, puis, après un temps de détente, QUANTIFICATION DE L’INTELLIGENCE
un test dit projectif. On réserve une seconde séance pour explorer Le principe républicain de l’instruction obligatoire pour tous, et les
de manière plus pointue tel ou tel aspect encore problématique (les difficultés auxquelles il s’est heurté dès son application a suscité le
fonctions instrumentales, les contenus fantasmatiques, les capacités besoin de quantifier l’intelligence des enfants en difficulté scolaire
d’apprentissage…). afin, théoriquement, de les orienter vers un enseignement plus
Le déroulement de l’examen psychologique n’est toutefois pas fixé adapté à leurs capacités. Or « l’intelligence » est une faculté humaine
d’avance, chaque situation clinique nécessitant des réajustements en difficile à définir car elle est la résultante d’un grand nombre de
fonction de l’âge de l’enfant, de ses capacités d’attention, de sa composantes, tant cognitives qu’affectives et motivationnelles, qui
fatigabilité, mais aussi en fonction des questions particulières qui se constituent un système de fonctionnement très complexe. Les
posent. Le choix des tests qui serviront à explorer ces grands psychologues ont approché ce problème de manières très diverses.
domaines que sont le fonctionnement cognitif, le fonctionnement Tantôt, comme Binet et Simon [6, 8], en choisissant de mettre de côté
affectif, l’efficience et les connaissances, reste à l’appréciation du la question théorique pour s’attacher à mesurer son efficacité dans
clinicien. l’exécution de tâches diverses en lien étroit avec les apprentissages

4
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
scolaires, et tantôt, comme Spearman [53] et Thurstone [54, 55], en âge mental de 12 ans, le QI est aussi de 120. Or, le premier enfant
cherchant à isoler et mesurer des facultés de base dont l’addition est n’a qu’un an « d’avance », et le second en a deux...
censée correspondre à l’intelligence générale du sujet (facteur g). Une dernière critique de l’âge mental porte sur le système de
L’évolution des idées en matière de mesure de l’intelligence est notation lui-même. Il est en effet totalement arbitraire d’attribuer
étroitement liée au développement des techniques statistiques et à des mois à des subtests (telle épreuve réussie donne droit à tant de
l’émergence de nouveaux modèles en psychologie, en particulier mois). En totalisant les « mois », on obtient alors un âge mental qui
ceux issus de la cybernétique et des neurosciences. ne correspond plus à la note moyenne d’un âge réel, ce qui est
contradictoire avec la définition même de l’âge mental.
La conception de l’intelligence expérimentée par Alfred Binet est
ÉVOLUTION DES IDÉES
aujourd’hui largement dépassée (voir l’article lumineux de Jean-
À partir de ce que nous avons dit, nous distinguerons l’approche François Richard [50]
empirique de l’approche conceptuelle.
Conception de Wechsler
¶ Approche empirique C’est aux États-unis, dans les années 1950, que David Wechsler [61, 62,
63]
a introduit une conception nouvelle de la mesure de l’intelligence,
L’approche empirique, représentée par Binet [5, 7, 8], Zazzo [66, 67] et
qui permettait de sortir de l’impasse du QI de type Stern. Cette
Wechsler [61], consiste à construire, par approximations successives,
nouvelle mesure découle d’une conception large de l’intelligence
des échelles qui rendent compte de la performance des enfants dans
comme étant non pas une « aptitude » particulière, mais plutôt un
différents domaines nécessaires aux acquisitions scolaires (savoir
ensemble composite : « la capacité globale d’un individu à
dessiner un carré, raconter une histoire, lire et comprendre un texte,
comprendre ce qui l’entoure et à réagir de façon adéquate » (p 14 du
enfiler des perles etc). Dans ce type d’approche, la mesure de
Manuel du WISC-R) [64], ou encore « la capacité d’un individu d’agir
l’intelligence se fait en terme de quotient intellectuel (QI). Il convient
dans un but, de penser de manière rationnelle et de traiter de
toutefois de faire la différence entre le QI de type Stern dérivé des
manière efficace avec son environnement » (Wechsler, 1944, p 3,
échelles de Binet, étroitement lié à la notion d’âge mental, et le QI
traduction personnelle) [61].
moderne, conceptuellement très différent, obtenu aux échelles de
Wechsler. « L’intelligence » est conçue par Wechsler comme la manifestation –
et la résultante – d’une multitude d’aptitudes qui se déclinent
Âge mental et quotient intellectuel de type Stern toujours différemment d’un sujet à l’autre. La mesure de
l’intelligence ainsi comprise porte donc nécessairement sur une
Si la notion d’âge mental n’est plus guère utilisée aujourd’hui, il variété de compétences et/ou de savoir-faire, sans qu’une hiérarchie
convient cependant d’en rappeler la définition et d’en souligner les puisse être établie entre eux (des capacités de raisonnement ne sont
écueils, tant méthodologiques que conceptuels, qui ont amené à pas « plus importantes » que des aptitudes mnésiques ou praxiques,
abandonner cette notion au profit de celle de quotient intellectuel. etc).
La notion d’âge mental a été opérationnalisée avec les tests En outre, il a été montré que les enfants ne réussissaient
d’intelligence de Binet, lorsque celui-ci cherchait un moyen généralement pas les différents subtests de manière homogène, mais
« objectif » de dépister les enfants susceptibles d’être confrontés à présentaient au contraire une grande variabilité de résultats. On voit
des difficultés d’apprentissage et nécessitant une éducation par là que les enfants ont de multiples façons de développer leur
spécialisée. Des travaux de Binet et de la façon dont il a construit intelligence et présentent des « profils » variés.
ses échelles entre 1905 et 1911, on peut tirer la définition suivante de Avec la révision de l’échelle pour enfants (WISC-R), Wechsler s’est
l’âge mental. tourné vers la recherche conceptuelle : en soumettant les résultats à
L’âge mental est le type de tâches que le sujet est capable une analyse factorielle, il a dégagé plusieurs facteurs. La dernière
d’accomplir correspondant à des capacités habituellement acquises version de cette échelle, le WISC-III permet de calculer, en plus des
par la majorité des sujets d’une tranche d’âge déterminée. QI classiques, trois indices, ou scores factoriels (compréhension
verbale, organisation perceptive et vitesse de traitement).
Tant que l’âge mental est interprété conformément à cette définition
stricte, il présente l’intérêt d’indiquer aux pédagogues et éducateurs ¶ Approche conceptuelle
le niveau de compétence acquise d’un enfant.
Malheureusement, on a pensé pouvoir extrapoler de l’âge mental au Aptitudes mentales
type d’intelligence, et on a longtemps considéré qu’un « âge mental Spearman (1927) [53] – école anglaise –, puis Thurstone (1947) [55] –
de 6 ans », par exemple, indiquait que le sujet possédait un type école américaine –, ont aussi utilisé des analyses factorielles pour
d’intelligence, ou des capacités intellectuelles d’un enfant de 6 ans, tenter d’isoler les différentes composantes de l’intelligence.
quel que soit son âge réel. Spearman avait développé une théorie bifactorielle de l’intelligence
Or, la clinique, comme les conceptions actuelles de l’intelligence, et décrivait un facteur d’intelligence générale, appelé facteur g, qui
montrent à l’évidence que c’est une extrapolation erronée : un enfant désigne la composante générale de tous les tests d’intelligence et
de 5 ans d’âge réel qui obtiendrait un âge mental de 6 ans ne renvoie à une aptitude générale. Thurstone était partisan d’une
présente pas du tout le même type d’intelligence, les mêmes structure multifactorielle et il a dégagé un certain nombre de
capacités intellectuelles, qu’un enfant de 10 ans qui obtiendrait facteurs de premier ordre ou « aptitudes mentales primaires »
également au test un âge mental de 6 ans. En effet, ces deux enfants (rapidité perceptive, orientation spatiale, mémoire associative,
ne s’inscriraient pas dans la même dynamique intellectuelle, et leur compréhension verbale, fluidité verbale, raisonnement décomposé
potentiel évolutif serait bien différent. en pensée inductive et déductive). Après avoir énergiquement
combattu la notion de « facteur g », Thurstone a été amené à
Historiquement, on a pensé pallier cette difficulté en rapportant l’âge
réintroduire une notion similaire, nommée facteur de second ordre.
mental à l’âge réel de l’enfant : c’est le « quotient intellectuel » de
type Stern (du nom de son inventeur), qui s’établit de la manière Ces travaux ont débouché sur la construction de plusieurs échelles
suivante : de mesure de l’intelligence (le PMA, test d’aptitudes mentales
primaires de Thurstone et Thurstone, les Progressive Matrices [47], le
QI = âge mental/âge réel × 100 test de raisonnement de F Kourovsky et P Rennes) [29].
Toutefois, ce type de QI s’est montré trompeur, car un même QI
peut correspondre à des réalités différentes, en termes de profil Processus mentaux
d’intelligence et de capacités intellectuelles. Par exemple, avec un À la suite des travaux des cognitivistes et des neuropsychologues,
âge réel (appelé aussi « âge chronologique ») de 5 ans et un âge Alan et Nadeen Kaufman [26] ont mis l’accent sur les aspects
mental de 6 ans, le QI est de 120, et avec un âge réel de 10 ans et un processuels de l’intelligence et les stratégies de pensée. Ils

5
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux

Tableau I. – Quelques tests instrumentaux d’utilisation courante.

Auteur(s) Type Principe Âges Secteur concerné


Bender Test moteur de structuration visuelle Figures géométriques à reproduire À partir de 4 ans Troubles perceptifs, graphomoteurs,
psychotiques

Daurat-Meljac, Bergès, Stambak Schéma corporel Pièces à placer sur une planche : repré- À partir de 4 ans Troubles du schéma corporel
sentation du corps de face et de profil

Benton Test de rétention visuelle Figures géométriques simples à repro- À partir de 8 ans Mémoire visuelle immédiate et différée ;
duire après visualisation du modèle sensible aux troubles d’origine orga-
nique

Rey Test de la figure complexe de Rey Figure géométrique complexe à repro- À partir de 6 ans Organisation de l’espace ; procédures
duire avec puis sans modèle cognitives ; rétention visuelle ; coordi-
nation visuomotrice ; sensible aux trou-
bles neurologiques

décomposent l’intelligence en deux processus fondamentaux, le ailleurs ? Deuxièmement, dans quelle mesure et jusqu’à quel point
séquentiel et le simultané, qui seraient activés dans des proportions le développement d’une fonction se fait-il de manière autonome ?
variables dans les tâches de résolution de problème et dans le Ces questions fondamentales ont été traitées de manière
traitement de l’information. En regroupant les épreuves de leur radicalement différente selon les prises de positions théoriques ou
batterie (K. ABC), les enfants obtiennent des profils différents selon les idéologies, et selon les époques.
qu’ils utilisent plus volontiers l’une ou l’autre de ces modalités. Les
D’un côté, on trouvait les tenants du « tout psychique », de l’autre
processus séquentiels renvoient à la temporalité, les processus
les partisans du « tout instrumental ». Dans le premier cas, un
simultanés à la spatialité. En fait, les épreuves séquentielles mettent
trouble instrumental est compris comme le résultat d’un
en jeu la mémorisation d’une séquence (motrice, numérique ou
aménagement défensif chez un sujet considéré comme avant tout
verbale) et sa reproduction, alors que les épreuves simultanées
affectif/relationnel et confronté à un conflit particulier. Dans cette
testent les rapports de la partie et du tout (se représenter le tout à
perspective, le trouble instrumental n’a pas de valeur en soi et le
partir d’une partie, reconnaître une partie dans un tout ou
traitement vise à restaurer le fonctionnement psychique global de
reconstituer un tout à partir de plusieurs parties). Ces auteurs visent
l’enfant, généralement par une technique psychanalytique. Dans le
à mesurer non pas l’intelligence en tant que telle, mais « un style
second cas, le trouble instrumental est compris comme un déficit,
cognitif », qualitativement et quantitativement.
un défaut, un dysfonctionnement mécanique et isolé d’une faculté
En outre, cet outil permet de différencier et de comparer particulière, chez un sujet considéré comme avant tout
l’intelligence fluide (processus mentaux) et l’intelligence cristallisée neuronal/individuel. On cherche alors à réparer, compenser,
(connaissances acquises générales et scolaires). entraîner, la faculté défectueuse, généralement par l’éducation, la
rééducation ou l’appareillage.
¶ QI et intelligence Aujourd’hui, la psychopathologie de l’enfant semble pouvoir
David Wechsler, clinicien averti, met en garde les utilisateurs de ses intégrer plus harmonieusement qu’auparavant ces deux points de
tests contre l’assimilation hâtive – et erronée – entre QI et vue (Misès [36], Gibello [21, 22]).
intelligence. D’une part, parce qu’il ne prétend pas que les quelques
tâches choisies pour ses échelles couvrent de manière exhaustive ¶ Tests instrumentaux
toutes les aptitudes qui concourent à la capacité intellectuelle, ou à L’exploration instrumentale se fait à l’aide d’épreuves considérées
l’exercice de l’intelligence. D’autre part, parce qu’il est persuadé que comme plus cliniques que psychométriques. Il s’agit de tâches
l’intelligence ne se limite pas au domaine cognitif (au sens étroit du motrices, visuomotrices, praxiques ou verbales relativement simples
terme), mais s’étend aux aspects conatifs (ou motivationnels) et et rapides à faire passer, neutres sur le plan affectif, dont le niveau
affectifs (persévérance, enthousiasme, contrôle des impulsions...). de réalisation est étroitement corrélé à la maturation neurologique,
David Wechsler a développé ce point de vue dans son ouvrage : motrice et cognitive de l’enfant. Ces épreuves ont, en outre, le grand
Cognitive, Conative, and Non-intellective Intelligence [62]. intérêt de se montrer très sensibles aux troubles neurologiques et
psychotiques et c’est généralement dans ces contextes pathologiques
EXPLORATION DES FONCTIONS INSTRUMENTALES qu’elles ont été élaborées.
Le tableau I présente les tests instrumentaux les plus utilisés dans
On appelle exploration « instrumentale » la démarche qui consiste à
l’examen psychologique de l’enfant.
tester, mettre à l’épreuve, des fonctions mentales spécifiques au
moyen de tâches très ciblées. Le langage, les praxies, les mémoires, Nous ne détaillerons pas ici les nombreuses épreuves destinées à
les représentations du temps et de l’espace, ou encore le schéma évaluer les troubles du langage, de la lecture et de l’écriture qui sont
corporel sont considérés comme autant d’« instruments » qui nous exposés ailleurs. Ces outils sont principalement utilisés par des
sont nécessaires pour penser le monde et nous y repérer. praticiens ayant une formation spécifique dans ce domaine et à qui
un bilan complémentaire est souvent demandé (orthophonistes par
Chez les enfants en difficulté, on est parfois surpris de constater des
exemple). En revanche, nous nous attarderons quelque peu sur la
lacunes ou des dysfonctionnements très spécifiques dans tel ou tel
figure de Rey, étant donné l’intérêt toujours vif que cette épreuve
domaine instrumental, qui constituent un frein au développement
suscite chez les psychologues, et les controverses qui entourent son
global. Dans le cas de trouble instrumental spécifique, en effet, les
interprétation.
enfants mettent en place toute une série de stratégies compensatoires
qui sont coûteuses en terme d’économie psychique.
Figure de Rey
Toutefois, la notion de trouble instrumental est parfois contestée :
une faculté (le langage, la motricité etc) qui ne se développe pas C’est en 1942 que le grand clinicien suisse André Rey [48] inventait
normalement peut-elle être isolée de l’ensemble du fonctionnement ? tout une série d’épreuves, dont la célèbre figure complexe [49], qui
Y a-t-il chez l’enfant des troubles spécifiques ? Cette question est visaient à explorer les particularités cognitives des traumatisés
double. Premièrement, un trouble isolé, ou l’atteinte d’une fonction crâniens.
particulière ont-ils toujours une signification psychique, sont-ils à Un premier essai d’étalonnage chez l’enfant a été réalisé en 1945 en
considérer comme le symptôme de quelque chose qui serait situé collaboration avec Osterrieth [41], sur un petit nombre de sujets.

6
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
Aucun étalonnage sérieux n’ayant été réalisé depuis, les Pour plus de détails, nous renvoyons à l’article de l’Encyclopédie
psychologues français continuent à se référer à des données Médico-Chirurgicale consacré aux techniques projectives chez
normatives incomplètes et obsolètes, avec toutes les erreurs l’enfant [15].
d’interprétation qu’une telle situation ne peut manquer d’entraîner.
Peut-être est-ce en raison même de la carence en données normatives
fiables que ce test, tout comme celui du Rorschach – autre clinicien
Tests d’efficience
suisse – est utilisé en France à des fins multiples et dans des
contextes variés. ÉCHELLES DE WECHSLER
Certains pensent que la figure de Rey pourrait tester, outre la Depuis leur première version, en 1939 aux États-unis et en 1956 en
coordination visuomotrice et les procédures cognitives France, la Wechsler-Bellevue intelligence scale, les échelles de Wechsler
d’organisation de l’espace, pêle-mêle : l’image du corps, les ont été traduites et adaptées dans beaucoup de pays. Elles ont aussi
enveloppes psychiques, la qualité du rapport dedans/dehors, le été régulièrement réétalonnées pour tenir compte des évolutions
devenir scolaire, les structures de personnalité, les troubles du culturelles et éducatives. Les échelles pour enfants et adolescents –
caractère, les troubles lexicographiques, voire le fonctionnement Wechsler intelligence scale for children (WPPSI pour la période
hypothalamique… On trouve une présentation de ces différents préscolaire et WISC pour l’école élémentaire) – ont été tout
points de vue, étayés par des recherches, dans le livre collectif dirigé récemment remaniées et réétalonnées en France par les Éditions du
par Philippe Wallon et Claude Mesmin (2002) [59]. Centre de psychologie appliquée. La nouvelle version qui concerne
les enfants de 6 à 17 ans prend le nom de WISC-III.
APPROCHE PROJECTIVE ¶ WISC-III
Elle consiste à mettre l’enfant dans des situations de créativité où il
Ce test a été étalonné sur 1 120 enfants de 6 ans à 16 ans [65].
sera relativement libre de s’exprimer, à l’intérieur d’un cadre
standardisé. Celui-ci est représenté par le matériel des tests et les Les principes de base des versions précédentes ont été conservés ;
consignes, identiques pour tous les enfants. on peut les résumer de la manière suivante :
On distingue les tests thématiques, composés d’images représentant – c’est une échelle composite qui fait appel à des aptitudes variées ;
des personnages (humains ou animaux) dans diverses situations, et – les épreuves sont regroupées sous deux grandes rubriques,
le test du Rorschach, composé de dix planches présentant des taches l’échelle verbale et l’échelle performance. En effet, une littérature
d’encre. abondante d’études cliniques et statistiques (analyse factorielle)
Le modus operandi des tests thématiques, dont les plus connus en démontre la cohérence de cette répartition. Les échelles permettent
France sont le CAT, le Patte Noire (PN) et le TAT, est que chaque de calculer un quotient intellectuel (QI) total, et deux QI partiels (QI
situation renvoie à des conflits intrapsychiques, des angoisses ou verbal et QI performance). Pour les consignes et les règles de
des fantasmes, qui président classiquement au développement notation, nous renvoyons le lecteur au manuel [65] ;
affectif de l’enfant (exemples : planches 5 et 6 du CAT, planches Nuit – le principe de construction fait que les trois QI ont, pour tous les
du Patte Noire qui renvoient à la scène primitive ; planches 2 du âges, une moyenne de 100 et un écart-type de 15. C’est cette
TAT, planche Baiser du PN qui renvoient à la triangulation caractéristique psychométrique que Wechsler a appelée la constance
œdipienne, etc) du QI. C’est à tort qu’on a cru pouvoir en déduire que l’efficience
L’interprétation des histoires élaborées par l’enfant se fait en d’un sujet n’était pas susceptible de changer au cours de son
référence à différents modèles du développement (libidinal, cognitif, développement ;
représentation de soi, etc), par comparaison avec le type de récits
– les points obtenus à chaque subtest (note brute) sont convertis en
fournis par des enfants non consultants du même âge. L’approche
« note standard » dont la moyenne est 10 et l’écart-type 3, à tous les
très spécifique des tests projectifs thématiques est de mettre en
âges ;
évidence les nœuds conflictuels de l’enfant ainsi que les modalités
défensives qu’il met en place. Ils doivent permettre d’évaluer leur – la conséquence de ces principes de construction est que les QI
caractère plus ou moins économique et souple. indiquent toujours le niveau d’efficience d’un enfant par rapport aux
La grande variabilité des compétences linguistiques chez l’enfant enfants de son groupe d’âge.
rend l’interprétation des récits sur image particulièrement difficile.
Lecture des résultats (fig 1)
En effet, le niveau d’expression verbale de l’enfant est parfois en
décalage par rapport à son développement cognitivo-affectif. Pour Pour bien comprendre ce qu’indique un QI, il faut se rappeler que
pallier cette difficulté, le psychologue peut utiliser des épreuves la distribution des QI est gaussienne. Cela veut dire que :
projectives non verbales telles le test du Monde, du Village, le Scéno- – 68 % des enfants d’une classe d’âge ont un QI situé entre 85 et 115
test etc. (50 %, soit un enfant sur deux seulement, entre 90 et 109) ;
Le principe du Rorschach est tout autre : les taches d’encre, qui au – 2,2 % ont un QI de 130 et plus ;
premier abord paraissent n’avoir pas de signification, sont en fait
construites de manière non aléatoire. Chaque planche contient des – 2,2 % un QI inférieur à 70.
formes déterminées qui évoquent plus ou moins directement des Autrement dit, un QI de 90 s’interprète de la même façon qu’un QI
classes d’objets précises (animal ailé, personnage humain, de 109. En règle générale, il n’est pas inutile de posséder des notions
quadrupède, nuages, etc). psychométriques de base, qui sont bien exposées dans un fascicule
Toutefois, la perception et la reconnaissance de ces objets est rendue publié en 1994 par les Éditions du Centre de psychologie
complexe du fait des interférences introduites par la présence appliquée [4].
simultanée d’informations divergentes (ex : forme d’ours mais La classification des niveaux d’intelligence s’établit comme il est
couleur rose, zone douce et étalée associée à des détails pointus et présenté sur le tableau II.
agressifs, etc). Le test confronte donc le sujet à des situations de Dans la zone de retard mental, la Classification internationale des
conflit cognitif et affectif qu’il va devoir résoudre en puisant dans troubles mentaux et des troubles du comportement (CIM-10) [40]
ses ressources internes et en s’appuyant sur ses modalités habituelles établit la nomenclature présentée dans le tableau III.
de résolution des conflits.
Chez l’enfant, la difficulté d’interprétation des protocoles de Interprétation des différences
Rorschach tient à l’extrême variété des modalités de réponse au Il arrive souvent que les résultats d’un enfant ne soient pas
même âge, et à l’absence de références normatives fiables (travail en homogènes parce que les QI verbal et performance sont différents,
cours). ou bien parce que les notes standards à l’intérieur des sous-échelles

7
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux

1 Représentation graphique des pourcentages théoriques,


des répartitions des notes et des classifications au WISC-III
et au K.ABC.

Pourcentage théorique 2,2 6,7 16,1 50% 16,1 6,7 2,2

Notes standards ≤ 69 70-79 80-89 90-109 110-119 120-129 ≥ 130


m = 100 σ = 15

Notes d’échelles ≤2 4-5 6-7 8-11 12-13 14-15 16-19


m = 10 σ = 3

Classification WISC III Retard Limite Normal Moyen Normal Supérieur Très
mental Faible Fort supérieur

Catégories descriptives Extrêmement Très inférieur Inférieur Moyen Supérieur à Très Extrêmement
K.ABC faible à la à la la moyenne supérieur fort
moyenne moyenne à la moyenne

de 10 points entre QI V et QI P, ce qui en fait donc un phénomène


Tableau II. – Classification des niveaux d’intelligence. banal. Ces informations permettent de relativiser l’importance des
QI Classification Pourcentage théorique écarts éventuellement rencontrés.
130 et plus Très supérieur 2,2 En tout état de cause, David Wechsler a toujours considéré qu’une
120-129 Supérieur 6,7 différence de 15 points entre QI V et QI P nécessitait une
110-119 Normal fort 16,1 investigation complémentaire.
90-109 Moyen 50,00
89-89 Normal faible 16,1
• Différences entre les notes standards aux subtests
70-79 Limite 6,7
69 et moins Retard mental 2,2 Il n’est pas rare que les notes (il s’agira toujours ici des notes
standards) à l’intérieur d’une échelle accusent des différences
notables. Pour savoir comment interpréter ces différences, il faut
Tableau III. – Classement international des catégories de retard d’abord bien comprendre qu’une note n’est pas une mesure exacte ;
mental. une note est toujours une approximation et comporte une certaine
marge d’erreur (tableaux des erreurs-types 5.2 p 180 du manuel du
QI Retard mental Catégorie
WISC-III).
50-69 Léger F70
35-49 Moyen F71
La deuxième notion importante à retenir est que les différents
20-34 Grave F72 subtests n’ont pas forcément des coefficients de corrélation très
En dessous de 20 Profond F73 élevés, même à l’intérieur d’une échelle (verbale ou performance).
Cela veut dire qu’une différence de 3 points entre deux subtests n’est
pas toujours significative. Au tableau B4 p 265, on constate par
sont très variées. Se pose alors la question de l’interprétation de ces exemple que, au seuil de signification de 0,15, une différence entre
différences. Pour ce faire, on dispose de deux critères : celui des Arrangement d’Images et Assemblage d’Objets nécessite au moins
seuils de significativité (critère psychométrique) et celui des 3,37 points d’écart pour être interprétable, et qu’au seuil de 0,05, la
fréquences d’apparition (critère clinique) [23]. différence minimum doit être de 4,59 points !
La troisième notion à retenir est que la variabilité des notes est la
• Différence QI verbal/QI performance règle. Il est rarissime que toutes les notes d’un sujet soient au même
niveau. À cet égard, le tableau B.5 (p 266 du Manuel) est très
La première notion à retenir est qu’on trouve aussi fréquemment
instructif. On y constate en effet que, par exemple, 80 % des sujets
des QI V > QI P que des QI P > QI V dans la population
de la population d’étalonnage présentent un scatter d’au moins
d’étalonnage.
6 points sur les 10 subtests servant à calculer le QI total. (le scatter
Sur le plan psychométrique, une différence de 9 points entre QI V et exprime la différence de points entre la note la plus élevée et la note
QI P (quel que soit le sens de la différence) est significative à 0,15 la plus basse aux subtests.) Pour un QI Verbal établi à partir de
(c’est-à-dire qu’il y a 15 % de chances que la différence soit due au 5 subtests, un scatter d’au moins 4 points est constaté dans 68,1 %
hasard, et 85 % de chances que la différence indique un déséquilibre de la population.
réel entre aptitudes verbales et de performance). Une différence de Ces trois notions (marge d’erreur d’une note, seuils de signification
12 points est significative à 0,05 (le risque d’erreur d’interprétation des différences entre deux subtests et fréquence des scatters élevés)
est donc moindre). forcent le clinicien à faire preuve de la plus grande prudence dans
Sur le plan clinique (fréquence d’apparition des différences entre QI l’interprétation des différences entre les notes et désamorcent en
V et QI P dans la population générale), il est utile de consulter le quelque sorte la tentation de raisonner en termes de « profil
tableau B2 p 262 du manuel du WISC-III. On y voit par exemple d’aptitudes » au vu de la dispersion des notes. Beaucoup plus
que 46 % des enfants ont un écart de 11 points entre les QI, et que pertinente est l’approche qui consiste à comparer chaque note
14 % d’entre eux ont un écart de 21 points. On remarque aussi que standard d’une échelle à la moyenne des notes standards obtenues
plus de 50 % de la population d’étalonnage a obtenu une différence par le sujet à cette échelle.

8
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
• Comparaison d’une note à la moyenne Illustration clinique : WISC-III et apprentissages
Pour faire cette comparaison, on commence par calculer la moyenne Les tests d’efficience intellectuelle ou de maturation cognitive sont
des notes standards obtenues par le sujet (attention à bien tenir souvent utilisés dans les recherches sur les difficultés
compte du nombre exact de subtests passés). Lorsque les QI sont d’apprentissage. Ces études visent à mettre en relation les troubles
relativement proches, on calcule la moyenne générale sur l’ensemble d’acquisition et les potentialités des élèves, l’échec scolaire et
des subtests. Dans le cas contraire, on calcule deux moyennes, l’une l’intelligence. C’est souvent à travers les performances en lecture
pour les subtests verbaux et l’autre pour les subtests performance. qu’est apprécié le niveau de l’élève ; ainsi on étudie les corrélations
On calcule ensuite la différence entre le score à chaque subtest et entre capacités intellectuelles et « dyslexie ». À noter d’ailleurs que,
cette moyenne. pour ce trouble d’apprentissage, le niveau intellectuel constitue un
Pour interpréter les différences, on se reporte au tableau B.3 p 263- critère diagnostique. Nous évoquerons pour chacun des instruments
264 qui donne les valeurs significatives des différences aux seuils de présentés quelques recherches mettant en rapport le profil clinique
0,15 (.15) et 0,05 (.05). obtenu avec un outil, et les difficultés d’apprentissage.
Par exemple, si on calcule la moyenne sur 10 subtests, une valeur En ce qui concerne le WISC, des recherches déjà anciennes, datant
supérieure à 3 points est requise pour que la différence entre des années 1960, ont montré une infériorité significative du QIV sur
Assemblage d’Objets ou Complètement d’Images et la moyenne soit le QIP chez les enfants présentant des difficultés dans le domaine de
significative au seuil de 0,15. En revanche, si on compare Cubes ou la lecture, le QIV étant très corrélé au niveau de lecture alors que le
Vocabulaire à la moyenne du sujet, une différence de 2,6 points est QIP et le QIT ne le sont pas.
suffisante. Le modèle de Bannatyne (1974-1978) [2, 3] constitue une des études
Pour qui ne souhaiterait pas se reporter à chaque fois au tableau princeps mettant en relation les scores au WISC et le niveau de
B.3, on peut retenir qu’une différence doit être de 3 points minimum lecture.
(valeur d’un écart-type) entre une note au subtest et la moyenne du Ce modèle repris par Rugel (1974) [51], Vance, Gaynor et Coleman
sujet (moyenne à 10 subtests en cas d’homogénéité, et moyenne à 5 (1976) [57], Smith, Coleman, Dockecki et Davis (1977) [52], Vance et
subtests en cas d’hétérogénéité inter-échelles). Singer (1979) [58] regroupe les subtests du WISC de façon à faire
Lorsqu’une différence apparaît comme significative, elle signale un apparaître un score spatial (Complètement d’Images – Cubes –
domaine de compétence particulier ou une difficulté spécifique chez Assemblage d’Objets), un score conceptuel ou verbal
l’enfant. Quand on sait qu’une faiblesse dans un domaine constitue (Compréhension - Similitudes – Vocabulaire), un score séquentiel
généralement un frein au développement de l’enfant, et qu’au (Code – Arrangement d’Images), un score de connaissances acquises
contraire une compétence particulière peut constituer un point (Information – Arithmétique – Vocabulaire).
d’appui, ces informations sont particulièrement intéressantes. Différents profils apparaissent chez les enfants éprouvant de
Ajoutons que l’enfant lui-même, tout comme les adultes qui sérieuses difficultés de lecture. Sans vouloir entrer dans les détails,
l’entourent, est généralement plus conscient de ses difficultés que de les plus marquants sont les suivants : le score de connaissances
ses compétences. Il est donc très important de pouvoir repérer ces acquises est toujours le moins élevé et les épreuves constituant le
dernières, et de les communiquer tant à l’enfant lui-même qu’à ceux score séquentiel sont très souvent les moins bien réussies.
qui, le cas échéant, ont à le prendre en charge. Kaufman (1981) [26] a également identifié au WISC chez les enfants
présentant des difficultés d’apprentissage de la lecture, un profil
• Indices factoriels appelé « ACID ». Cette dénomination fait référence aux épreuves
Des analyses factorielles sur les 13 subtests ont permis de montrer électivement chutées (différence statistiquement significative) :
que 10 d’entre eux se regroupaient en trois facteurs, que l’on a Arithmétique, Code, Information et Mémoire de Chiffres
appelés Compréhension verbale, Organisation perceptive et Vitesse (Digit-Span).
de traitement. Le facteur Compréhension verbale regroupe (par Kossanyi, Grasseli et Rebolledo (1994) [28], dans leur analyse de
ordre de saturation) les subtests Vocabulaire, Information, l’organisation intellectuelle des enfants non lecteurs à partir du
Similitudes et Compréhension ; le facteur Organisation perceptive WISC-R, soulignent les points suivants : 1) il n’y a pas de liaison
regroupe les subtests Cubes, Assemblage d’objets, Complètement évidente entre non-lecture et niveau d’intelligence générale ; 2) en
d’images et Arrangement d’images et le facteur Vitesse de revanche, le développement des aptitudes verbales est corrélé avec
traitement, les subtests Code et Symboles (ce dernier indice, établi à la lecture ; 3) les non-lecteurs n’ont pas de difficulté d’ordre spatial ;
partir de deux subtests seulement, dont un facultatif, a une valeur 4) les difficultés des non-lecteurs se caractérisent par un profil
très relative). On note que les subtests Mémoire de Chiffres, mettant en évidence un échec significatif aux subtests d’Information,
Arithmétique et Labyrinthes ne se rangent nulle part. Arithmétique, Code et des scores décroissants sur les facteurs
Il est à remarquer toutefois que cette répartition des subtests en trois spatial, conceptuel, séquentiel et connaissances acquises.
facteurs n’est pas confirmée pour les enfants de 8 à 10 ans de La quasi-impossibilité de lire est associée à un déficit :
l’échantillon. Dans ce groupe d’âge, en effet, le troisième facteur est
composé de Similitudes et Mémoire des Chiffres, et les subtests – en mémoire à long terme (peu de connaissances déclaratives) ;
Code et Symboles se rangent dans l’Organisation perceptive. – en mémoire à court terme (échec au Code) ;
Pour information, il nous paraît intéressant de signaler que la
– en score séquentiel (organisation des séquences temporelles) ;
version américaine du WISC-III a pu dégager quatre facteurs (et non
trois comme dans la version française) : – dans la gestion de certaines procédures (Arithmétique, Code).
– Compréhension verbale - Information, similitudes, Vocabulaire,
Logiciels de correction
Compréhension ;
– Organisation perceptive - Complètement d’images, Arrangement Depuis quelques années, on trouve chez les éditeurs de tests des
d’images, Cubes, Assemblage d’objets et Labyrinthes ; logiciels informatiques de cotation pour les grandes batteries
d’évaluation de l’efficience intellectuelle (WISC-III et K.ABC
– Attention/Concentration -Arithmétique et Mémoire des Chiffres ; notamment).
– Vitesse de Traitement - Code et Symboles. Il suffit au praticien d’entrer sur l’ordinateur les données d’état civil
Les facteurs sont exprimés sous forme d’indices dont la moyenne ainsi que les notes brutes aux différents subtests pour que le logiciel
est de 100 et l’écart-type de 15 (comme les QI). On les calcule en calcule l’âge du sujet, les différents QI, les indices, les différences
additionnant les notes standards des subtests concernés et en significatives entre les échelles, les points forts et les points faibles
convertissant cette somme en indice à l’aide des tableaux A.5 à A.7 du protocole, les âges de développement, etc. Le logiciel permet
(p 255-257 du manuel). aussi d’obtenir une représentation graphique des résultats obtenus.

9
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
Si ce progrès technologique permet un gain de temps pour effectuer langage est en effet un stimulus séquentiel par nature. Le processus
des calculs fastidieux et peut servir à les vérifier ou à éviter des séquentiel est donc le processus privilégié pour permettre le
erreurs, il va de soi que le praticien doit savoir, avant d’utiliser décodage et l’encodage des sons du langage à travers la lecture et
l’ordinateur, comment est réalisé le traitement des données chiffrées. l’écriture. »
Il doit avoir appris comment tirer le meilleur bénéfice des Trois subtests composent l’échelle de processus mentaux
informations fournies et les utiliser dans une perspective clinique. séquentiels :
L’interprétation, exigeant parfois le retour à des éléments qualitatifs
du protocole, ne peut être réalisée par une machine et reste, à part – mouvements de main : l’enfant doit exécuter une série de
entière, la tâche du psychologue clinicien. mouvements de main dans le même ordre que la démonstration du
psychologue ;
En outre, il est évident que le psychologue doit se garder de livrer
des résultats sous forme de « sortie d’ordinateur ». Il est tenu – mémoire immédiate des chiffres : l’enfant doit répéter une série
d’adapter à chacun de ses interlocuteurs (enfant, famille, médecin, de chiffres dans l’ordre donné par le psychologue ;
collègues psychologues, institutions, etc) la transmission éventuelle – suites de mots : l’enfant doit montrer du doigt une série de dessins
des données recueillies. familiers en suivant l’ordre dans lequel le psychologue les a
nommés.
K.ABC
« Le processus simultané repose sur une intégration le plus souvent
visuelle et spatiale d’une information que le sujet doit traiter dans
¶ Présentation son ensemble » – on peut dire aussi : tout à la fois, parallèle,
gestaltique, synthétique, spatial, global, intégratif. « Le processus
À côté des échelles de Wechsler, le psychologue dispose aujourd’hui simultané est ainsi l’outil privilégié de l’élève qui doit saisir un
d’un autre type de tests pour mesurer l’efficience intellectuelle énoncé mathématique ou faire un résumé ou une explication de
actuelle, référencé dans les classifications internationales (CIM- texte. C’est donc le processus qui permet l’utilisation intelligente des
10 [40], DSM-IV [1].) connaissances acquises et la généralisation de ces connaissances. »
Le K.ABC (Kaufman Assessment Batterie for Children) [25], mis au point Les deux processus paraissent non hiérarchisés et également
au États-unis en 1983 par Alan S Kaufman et Nadeen L Kaufman et importants pour le fonctionnement intellectuel.
disponible en France depuis 1993 sous le nom de « Batterie pour Sept subtests composent l’échelle de processus mentaux simultanés :
l’examen psychologique de l’enfant » peut, d’après son auteur,
remplir cette fonction. Cependant, Kaufman, longtemps – fenêtre magique : l’enfant doit identifier une image que le
collaborateur de David Wechsler, a voulu se démarquer de ses psychologue fait défiler à travers une étroite fenêtre pendant cinq
prédécesseurs dans le domaine de l’évaluation de l’efficience secondes (subtest réservé aux enfants de moins de 5 ans) ;
intellectuelle, en ce qui concerne les référents théoriques, la – reconnaissance de personnes : sur une photo de groupe, l’enfant
conception de l’instrument, sa présentation, son mode de passation, doit reconnaître une ou deux personnes dont la photo a été
son exploitation. présentée auparavant pendant 5 secondes (subtest réservé aux
enfants de moins de 5 ans) ;
Originalité dans les référents théoriques – reconnaissance de formes : l’enfant doit identifier un objet
A et N Kaufman (1993) [25] insistent sur le fait que l’échelle présenté sous forme d’une image lacunaire ;
d’évaluation psychologique qu’ils ont mise au point est fondée sur – triangles : l’enfant doit assembler plusieurs triangles identiques
des bases théoriques précises et non sur une approche empirique pour reproduire un modèle ;
plus ou moins floue comme les échelles de Wechsler.
– matrices analogiques : l’enfant doit choisir le bon dessin (signifiant
Deux grands courants théoriques ont servi de fondement à la puis abstrait) pour compléter une matrice par analogie ;
construction du K.ABC. D’une part les travaux menés en
neuropsychologie (Bogen [9] ; Gazzaniga [19] ; Nebes [38] ) et en – séries de photos : l’enfant doit ranger les photos racontant une
particulier ceux de Luria [32, 33] portant principalement sur des histoire dans un ordre chronologique (à partir de 6 ans).
adultes cérébrolésés. D’autre part, les recherches des psychologues A et N Kaufman ont aussi voulu distinguer dans leur test ce qui est
cognitivistes nord-américains (Das, Kirby, Jarman, 1975, 1979) [16, 17] du domaine, selon le point de vue de Cattell [11], Horn et Cattell [24]
et plus précisément les travaux portant sur le traitement de de l’intelligence fluide, c’est-à-dire des aptitudes à résoudre des
l’information (Neisser) [39]. problèmes nouveaux indépendamment de ce qui a été appris, et ce
qui constitue l’intelligence cristallisée, faisant référence à toutes les
Originalité dans la conception de l’instrument connaissances scolaires ou de culture générale. Étalonnées selon les
mêmes principes, les échelles globales de processus mentaux et
Ces deux grandes sources théoriques ont permis aux auteurs de l’échelle de connaissances peuvent être comparées.
mettre au point un outil d’une conception nouvelle. Ils ont, en effet,
L’échelle de connaissances comporte six subtests :
abandonné la distinction entre échelle verbale et échelle de
performance du WISC-III, fondée sur le contenu de la tâche et sur – vocabulaire courant : l’enfant doit dire le nom de l’objet dont on
les modalités de la réponse. Ils y ont substitué une dichotomie dans présente la photo (réservé aux enfants de moins de 5 ans) ;
les processus mentaux impliqués dans la résolution d’une tâche, en – personnages et lieux connus : l’enfant doit nommer un personnage
opposant le traitement séquentiel au traitement simultané de connu ou un lieu dont on présente la photo ;
l’information. Chaque subtest de l’échelle des processus mentaux
est donc rangé, après une analyse factorielle sophistiquée, dans l’une – arithmétique : on évalue le niveau scolaire de l’enfant en ce qui
ou l’autre de ces catégories. concerne la numération, la comparaison des nombres, le sens des
opérations et la compréhension de certains concepts
Janine Flessas [18] donne des définitions claires de ces deux catégories
mathématiques ;
de processus dans la Revue Québécoise de Psychologie (vol 9, n° 1,
1988) : – devinettes : l’enfant doit trouver le nom d’un objet ou d’un
concept à partir d’une liste de ses caractéristiques ;
« Le processus séquentiel renvoie en fait à la façon ordonnée dont le
sujet traite l’information qu’il reçoit » – on dit parfois, à la place de – lecture et déchiffrement : l’enfant doit identifier des lettres ou lire
séquentiel : étape par étape, linéaire, chronologique, analytique, des mots de difficulté croissante ;
temporel, sériel, consécutif. – lecture et compréhension : l’enfant doit montrer qu’il a compris ce
« Le processus séquentiel est le processus privilégié de qu’il a lu en mimant les énoncés (réservé aux élèves à partir de
l’apprentissage scolaire classique des toutes premières années. Le 7 ans).

10
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux

Tableau IV. – Catégories descriptives du niveau d’efficience au K.ABC.

Notes standards d’échelles Catégorie descriptive Pourcentage théorique


130 et plus Extrêmement fort 2,2
120-129 Très supérieur à la moyenne 6,7
110-119 Supérieur à la moyenne 16,1
90-109 Moyen 50
80-89 Inférieur à la moyenne 16,1
70-79 Très inférieur à la moyenne 6,7
69 et moins Extrêmement faible 2,2

Originalité dans sa présentation son niveau de réussite. Par exemple, l’échec à tous les items (4 ou 5)
d’une même unité entraîne l’arrêt de la passation du subtest et le
Le K.ABC comporte trois chevalets qui sont disposés tour à tour
passage au suivant.
entre le psychologue et l’enfant. L’enfant voit des stimuli sur une
face du chevalet, le psychologue dispose des consignes et des Les subtests sont regroupés en échelles globales étalonnées en
bonnes réponses sur l’autre. moyenne 100 et écart-type 15.
Le psychologue n’est pas installé en face de l’enfant mais en position A et N Kaufman [27] ont voulu éviter d’employer le terme de QI pour
trois quarts. marquer une rupture avec le passé. Ils ont pensé que ce serait une
erreur de perpétuer un terme qui était devenu désobligeant. De plus,
Originalité dans son mode de passation leur conception du fonctionnement intellectuel diffère des
conceptions traditionnelles qui y incluent les connaissances
Les auteurs ont également voulu qu’il n’y ait pas d’ambiguïté dans acquises ; l’exclusion des processus mentaux de tout ce qui est
la compréhension des consignes, simplifiées au maximum, réduites connaissances acquises représente une démarcation de la tradition.
sur le plan verbal, et ils ont prévu, pour tous les subtests de
Cependant, les notes aux différentes échelles font sérieusement
processus mentaux, un item d’exemple et éventuellement deux items
penser à un QI, surtout quand les auteurs regroupent les échelles de
servant d’apprentissage à l’issue desquels le psychologue est
processus mentaux séquentiels et simultanés pour exprimer une
convaincu qu’il mesure bien les compétences sollicitées par la tâche
note globale de Processus mentaux composites (PMC). A et
proposée.
N Kaufman préconisent de préciser pour chaque note d’échelle
globale et pour chaque score des subtests de l’échelle de
Originalité dans son exploitation
connaissances (également étalonnés en moyenne 100 et écart-type
Un traitement statistique très fin et la mise à disposition de 15) une bande d’erreur. Sa valeur est lue dans une table, à partir du
nombreuses tables d’étalonnage permettent au clinicien de comparer seuil de confiance que choisit le psychologue (90 % en général dans
les différentes données recueillies en s’appuyant sur des bases la pratique clinique). Ainsi, on ne peut plus dire qu’un enfant
statistiques qui autorisent à dire, par exemple, si les résultats obtient, par exemple, une note de 98 en processus mentaux
diffèrent d’une manière statistiquement significative ou si la séquentiels mais de 98 ± 10 à 7 ans, c’est-à-dire variant entre 88 et
différence entre les résultats obtenus à deux échelles est simplement 108. Cette conception de l’utilisation scientifique et déontologique
aléatoire. des chiffres en psychologie a été reprise dans le WISC-III.
L’échelle de connaissances générales et scolaires traitées
statistiquement de la même façon permet de comparer les processus ¶ Analyse et interprétation
et les acquisitions. Une feuille de dépouillement (Lemmel) [30] a été mise au point pour
Enfin, après une analyse précise du protocole faisant ressortir les faciliter la tâche du psychologue qui doit suivre les étapes suivantes.
points forts et les points faibles d’un sujet, ses aptitudes ainsi que
les facteurs qui ont eu une influence sur ses réussites ou ses échecs, Notes d’échelles : comparaison du sujet par rapport à la population
l’ambition de cet outil est de pouvoir définir un programme de de référence
remédiation efficace et véritablement centré sur les difficultés de À l’issue de l’examen, la première tâche du psychologue consiste à
l’enfant. situer les performances de l’enfant dans les catégories descriptives
qui reprennent les « tranches » classiques de la courbe de Gauss mais
¶ Application du K.ABC qui ont une dénomination différente de celle utilisée dans les
Le K.ABC s’adresse à des enfants âgés de 2 ; 6 à 12 ; 6 ans. Sa échelles de Wechsler (tableau IV).
passation dure entre 45 et 90 minutes et peut être fractionnée. Comparaison des échelles : style cognitif global de l’enfant
Le test comporte 16 subtests (13 au maximum pour une passation),
En second lieu, le praticien doit comparer, à l’aide des tables
répartis de la manière suivante :
adéquates, les scores des échelles globales pour savoir, par exemple
– échelles de processus mentaux : 10 ; dans le cas d’enfants en échec, si une catégorie de traitement de
– processus mentaux séquentiels : 3 ; l’information est nettement moins aisée que l’autre ou si l’acquisition
des connaissances est très faible, malgré des possibilités moyennes.
– processus mentaux simultanés : 7 ; La table 8 (p 187 du Manuel d’administration et de cotation) permet
– échelle de connaissances : 6. de dire, pour chaque âge, si les variations de scores sont uniquement
Le type et le nombre de subtests présentés aux enfants varient selon aléatoires ou si les différences sont significatives et à quel seuil (0,05
les âges : et 0,01).

– 3 ans : 9 subtests ; Points forts et points faibles


– 4 ans : 11 subtests ; Enfin le repérage des points forts et des points faibles du protocole
– 6 ans : 12 subtests ; permettra d’identifier les aptitudes du sujet dans de nombreux
domaines (mémoires, analyse, raisonnement, etc) et de repérer les
– 7 ans : 13 subtests (maximum). facteurs qui ont une influence sur ses performances (distractibilité,
Chaque subtest est étalonné en moyenne 10 et écart-type 3. dépendance-indépendance à l’égard du champ, anxiété, etc).
Il est composé d’items notés 0 ou 1 point, regroupés en unités qui On calcule séparément la moyenne (arrondie) des notes aux subtests
définissent les critères de départ ou d’arrêt selon l’âge de l’enfant ou de processus mentaux et celle des notes de connaissances. En

11
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
comparant la note de chaque subtest à cette moyenne, on calcule Par ailleurs, on peut retrouver toutes les difficultés de l’enfant en
l’écart à la moyenne du sujet. On lit dans les différentes parties de la suivant la même démarche d’analyse.
table 9 (p 189 du Manuel d’administration et de cotation) si, suivant Enfin, on indique éventuellement les données qui ont un statut
l’âge de l’enfant, la différence de la note à chaque subtest par rapport intermédiaire. Une analyse extérieure au K.ABC peut être menée
à sa moyenne est significativement inférieure (à 0,05 ou 0,01) et pour lever certaines ambiguïtés.
constitue un point faible, ou significativement supérieure et
constitue un point fort du profil. Autres examens pratiqués
Commence alors la démarche d’interprétation pas à pas préconisée Avant de rédiger ses conclusions, le psychologue doit tenir compte
par A Kaufman. Il s’agit de formuler des hypothèses à partir de des autres épreuves pratiquées lors de l’examen psychologique
chaque point fort et de chaque point faible et de chercher à les multidimensionnel et de leurs résultats, le K.ABC ne constituant pas,
confirmer. selon les auteurs, un instrument exhaustif, mais devant s’inscrire
parmi toutes les autres données recueillies.
On dispose d’un tableau à double entrée que l’on peut lire de la
façon suivante. Indications
Sur la marge verticalement, en tête de chaque colonne, figurent les Les conclusions élaborées à partir de l’analyse précédemment
dix subtests de processus mentaux et les six subtests de effectuée permettent éventuellement d’envisager des indications de
connaissances, une colonne supplémentaire étant destinée à inscrire prise en charge.
les signes +, – ou ±. Ayant repéré le style cognitif de l’enfant, on peut ainsi mettre en
Sur la marge horizontalement, en tête de chaque ligne, on trouve les place des apprentissages dont les techniques ne sont pas
26 aptitudes que sollicitent les différentes tâches du K.ABC ainsi que diamétralement opposées à son style mais s’appuient sur ses points
les dix facteurs qui influencent la performance. À l’intérieur du forts. On tente aussi de renforcer les points faibles indispensables à
tableau, les cases blanches indiquent quelle aptitude ou facteur est certaines acquisitions de connaissances.
en cause. Cela suppose, bien entendu, que le pédagogue ou le rééducateur ait
Il est ainsi aisé de reporter dans toutes les cases blanches de chaque à sa disposition des méthodes et des techniques différentes selon les
colonne (correspondant à tous les subtests présentés) des flèches élèves et qu’il s’adapte aux besoins de chacun en dispensant un
dirigées vers le haut pour les points forts et des flèches dirigées vers enseignement personnalisé ou en abordant les prises en charge de
le bas pour les points faibles. On notera également l’écart à la manière différenciée selon les caractéristiques de l’enfant.
moyenne pour chaque note même si la différence n’est pas
Illustration clinique
significative.
Nous pouvons prendre ici l’exemple des enfants dits non-lecteurs
Nous avons ainsi repéré, pour certains subtests, toutes les aptitudes
(Préneron, Meljac, Netchine, 1994) [46].
en cause particulièrement développées ou au contraire très
insuffisantes ainsi que les facteurs qui contribuent à un bon résultat Âgés de 9 ans et plus, les enfants non lecteurs ont un QI supérieur
ou au contraire à un échec massif (influences). ou égal à 85 à une des échelles du WISC et un niveau
logicomathématique normal. Leur performance en lecture
La lecture horizontale du tableau, qui reprend la démarche « étape correspond, au mieux, à celle des enfants en milieu de CP. On note
par étape » préconisée par A et N Kaufman [25] dans le chapitre 6 une absence de trouble majeur du langage oral spontané ; une
(consacré à l’interprétation par l’exploration des fluctuations des absence de signes cliniques pathologiques ; une absence de lésion
profils), nous permet de synthétiser les données recueillies. cérébrale à l’examen neurologique ; une absence de perturbation
Nous notons, à l’extrémité de chaque ligne : grave de la personnalité (psychose). L’environnement familial n’est
– le signe (+) quand l’enfant montre des aptitudes particulières dans pas générateur de graves déprivations socio-économiques et
tel ou tel domaine ; culturelles et on constate une motivation et des interventions
convenables des parents attestées par leur demande et leur présence
– le signe (–) quand il subit des échecs massifs dans la plupart des aux consultations. Enfin, la scolarité de ces enfants a été suivie en
épreuves mettant en jeu une aptitude ou très sensibles à une français depuis la maternelle.
influence particulière ; Dans ce groupe, d’apparence banale, on obtient, au K.ABC, des
– nous laissons une case vide quand une hypothèse a été résultats caractéristiques d’un profil particulier.
abandonnée (par exemple un point fort à un subtest et un point En premier lieu, on observe une forte hétérogénéité des résultats entre
faible à un autre subtest exigeant la même aptitude) ; les deux échelles de processus mentaux au détriment de l’échelle des
processus mentaux séquentiels. On remarque, par ailleurs, une liaison
– le signe ± en cas de doute.
assez claire entre les résultats à l’échelle des processus séquentiels et
les résultats aux subtests de connaissances d’une part et une liaison
Facteurs spécifiques
entre les résultats à l’échelle des processus simultanés et les résultats
L’utilisation du tableau 6.6 (p 191 du Manuel d’interprétation) de tous les subtests non verbaux d’autre part. À l’intérieur de chacune
« Aptitudes ou domaines spécifiques liés à chaque subtest » ne doit des échelles, on constate également certaines différences entre les
intervenir que si toute la démarche précédente a été suivie et, subtests. C’est ainsi que, parmi les subtests de processus mentaux
comme le rappellent les auteurs du K.ABC, jamais en premier lieu. séquentiels auxquels le sujet a échoué le plus massivement, on
On peut ainsi identifier tous les domaines spécifiques où l’enfant est remarque des résultats encore plus mauvais si la tâche nécessite le
particulièrement à l’aise en notant le signe (+), et ceux où il est en recours à du matériel verbal (Mémoire immédiate des chiffres, Suite
grande difficulté, repérés par le signe (–). de mots). Le subtest le moins massivement chuté de l’échelle de
processus mentaux séquentiels, Mouvements de main, est celui qui
Synthèse des données ne comporte pas du tout de langage.
Dans l’échelle des processus mentaux simultanés, les scores sont en
Il suffit de reporter toutes les réussites : majorité supérieurs à ceux de l’échelle des processus mentaux
– la catégorie de processus avec laquelle l’enfant est le plus à l’aise ; séquentiels. On y observe toutefois une bipartition de résultats. Tous
les non-lecteurs sont particulièrement à l’aise au subtest de
– le domaine de connaissances le plus investi ; Triangles ; ils montrent par là que leur habileté dans l’utilisation de
– les aptitudes particulièrement développées chez le sujet ; l’ordre spatial ne fait aucun doute, fait confirmé au subtest de
Reconnaissance de formes. Cependant, ils ont un peu plus de
– les facteurs qui influencent positivement les résultats ;
difficulté avec les Matrices analogiques, au subtest de Mémoire
– les domaines spécifiques. spatiale et à celui de Séries de photos.

12
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
En ce qui concerne les subtests de Connaissances, les résultats se Des résultats faibles aux échelles du K.ABC révéleraient les secteurs
divisent en deux parties délimitées, comme on pouvait s’en douter, spécifiques particulièrement déficients. Le K.ABC serait plus en
par l’accès à la lecture. Les non-lecteurs obtiennent en effet des rapport avec le discours de l’école – « et pourtant, il ne parvient pas
résultats honorables dans les trois premières épreuves proposées : à apprendre ».
Personnages et lieux connus, Arithmétique et Devinettes. En Le K.ABC aiderait à mieux comprendre et à analyser finement la
revanche, leurs résultats sont très médiocres au subtest de Lecture survenue d’échecs inattendus, tout en contribuant à préciser les
et déchiffrement et catastrophiques à celui de Lecture et voies d’un programme de remédiation.
Compréhension, d’ailleurs souvent interrompu avant le critère
d’arrêt.
En résumé, les résultats montrent, pour cette population TESTS DE FACTEUR « G » : « PROGRESSIVE MATRICES »
particulière : de meilleures capacités dans l’utilisation des processus Des différentes recherches fondées sur les théories factorielles et en
mentaux simultanés et une certaine aisance dans le domaine spatial ; particulier sur l’existence d’un facteur « g », sont issus des tests
en revanche, des difficultés très importantes dans l’utilisation des comme le CPM (ex PM 47) et le SPM (ex PM 38) [47].
processus séquentiels, encore accentuées au cours des tâches où des Ces épreuves sont censées évaluer l’intelligence d’un sujet,
facteurs verbaux interviennent. Ce style ne semble pas sans liaison indépendamment de tous les déterminants socioculturels. Bien que
avec des performances très basses en lecture alors que d’autres ne présentant plus autant d’intérêt que le prétendaient leurs auteurs,
domaines de connaissances semblent préservés. les Progressive Matrices peuvent fort bien trouver leur place dans un
Des carences dans le domaine spatial, qui ont longtemps alimenté examen psychologique.
les théories explicatives dominantes, ne sont absolument pas Les Progressive Matrices ont été conçues pour mesurer, de manière
vérifiées. En revanche, l’axe temporel, qui mérite, certes, d’être simple et dénuée d’ambiguïté, l’aptitude à l’éduction de relations.
analysé avec finesse et envisagé selon plusieurs perspectives, nous L’aptitude éductive exige l’identification du problème, la
semble particulièrement pertinent pour comprendre certaines reconceptualisation de l’ensemble des données et l’examen des
stratégies qu’utilisent les non-lecteurs face à l’acte de lire. solutions disponibles en accord avec toutes les informations
Bien entendu, du chemin reste à parcourir pour trouver les moyens présentes.
pédagogiques et rééducatifs qui, s’appuyant sur les secteurs qui
Chaque planche des Progressive Matrices présente un tableau croisé
fonctionnent bien au lieu d’attaquer de front ceux qui résistent,
de 4 ou 9 figures abstraites dont la dernière a été omise. L’enfant
permettraient de mettre en mouvement des processus délaissés et
doit découvrir la loi qui définit les rapports des éléments du tableau
d’instaurer dans le fonctionnement une souplesse qui garantirait une
pour choisir le dessin manquant parmi tous ceux qu’on lui propose
bonne adaptation face à des situations diverses.
en bas de la page.
Le style cognitif des non-lecteurs que nous venons de décrire, s’il
Cette loi peut être une simple identité (choisir le même dessin) ; un
était repéré en amont de l’apprentissage de la lecture, devrait
rapport de complémentarité (trouver le quart du rond pour
permettre de conduire des actions préventives visant à améliorer les
compléter le cercle ; ou une représentation de transformations (le
secteurs déficients ou les compétences insuffisamment développées.
carré vide se transforme en rond plein - changement de forme et
changement de couleur), etc.
¶ Conclusion
Les Progressive Matrices comportent des séries de 12 planches
Utiliser le K.ABC plutôt que le WISC-III entraîne des différences hiérarchisées par ordre de difficulté croissante à l’intérieur de chaque
d’évaluation peu importantes chez les enfants tout-venant dont le série et d’une série à la suivante.
développement s’opère sur tous les plans en même temps (cf
Le Progressive Matrices Couleur (CPM ex PM 47), en couleur, est
validation externe du K.ABC avec le WISC-III). En revanche, ces
réservé aux enfants entre 4 ans et 11 ; 6 ans.
différences sont plus accentuées s’il s’agit d’enfants en grande
difficulté. Le Progressive Matrices Standard (SPM ex PM 38) a été étalonné sur
un groupe de 670 enfants âgés de 7 ans à 11 ; 6 ans. Cette forme peut
Ces disparités constituent autant d’occasions de réflexion, et la
aussi être proposée aux adolescents et aux adultes avec l’étalonnage
confrontation des résultats du WISC-III et du K.ABC permet leur
approprié.
interprétation réciproque.
Ces deux tests peuvent être appliqués individuellement ou
Le WISC-III met en lumière les aspects les plus en rapport avec des
collectivement, en temps libre ou limité à 20 minutes. La passation
capacités d’adaptation et des acquis généraux (ceux qui permettent
n’implique pas l’utilisation du langage. La correction, effectuée à
de se repérer dans des situations bien connues renvoyant d’ailleurs,
l’aide d’une grille, permet d’obtenir une note représentant la somme
selon l’objectif de Wechsler à la vie quotidienne et sociale).
des choix corrects.
Le QIT du WISC-III semble exprimer ce qui fonctionne bien. Les
résultats du WISC-III donnent bien une image du discours des On lit ensuite sur le tableau d’étalonnage, exprimé en centilage, le
parents et de l’entourage - « dans la vie quotidienne, il se débrouille niveau d’un enfant en se référant à sa classe d’âge (de 6 mois en
plutôt bien ». Le WISC-III répondrait donc davantage à des 6 mois).
demandes d’orientation où le facteur d’adaptation global est Par exemple, un enfant de 7 ; 4 ans ayant obtenu 30 points sur 36 au
déterminant et permettrait d’étayer certaines impressions cliniques. CPM (ex PM 47) se situe au percentile 75 de la classe d’âge 7 ans et
Les échelles de processus mentaux du K.ABC testeraient, en demi (allant de 7 ; 3 ans à 7 ; 8 ans). C’est-à-dire que, dans une série
revanche, à travers la résolution de problèmes beaucoup moins de 100 sujets classés en ordre croissant du plus faible au meilleur,
familiers, un type de fonctionnement cognitif exigeant, en plus d’une cet enfant occupe le rang 75 ; 74 sujets ont un résultat inférieur au
bonne appréhension des situations proposées, une forte mobilisation sien, 25 ont un résultat supérieur.
intellectuelle, indispensable au cours d’apprentissages nouveaux. On peut également lire le tableau différemment. Toujours pour le
Ces deux aspects du fonctionnement sont en relation très étroite même enfant, le score de 30 points correspond au médian (centile
chez les enfants tout-venant qui sont capables tout à la fois de se 50) de 9 ans. Cet enfant a donc obtenu une performance équivalente
concentrer, de s’intéresser à des sujets variés, d’acquérir rapidement à celle d’un enfant moyen de 1 an et demi son aîné.
des connaissances, de se décider promptement à bon escient, d’être Notons que le CPM (ex PM 47) et le SPM (ex PM 38) ont fait l’objet
motivés par la nouveauté. d’un réétalonnage sur un échantillon représentatif de la population
Mais on peut comprendre que les exigences très strictes du K.ABC des enfants français en 1998.
soient susceptibles de pénaliser certains enfants en difficulté L’intérêt principal des Progressive Matrices est la rapidité
d’apprentissage qui, justement, se trouvent désorientés lorsqu’il leur d’application et de correction et la possibilité d’une administration
est demandé de se plier à une discipline précise. collective. C’est une des raisons pour lesquelles ces épreuves sont

13
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
souvent utilisées dans des recherches qui veulent disposer d’une d’autre part, d’insister sur les éléments théoriques qui se rapportent
estimation du niveau d’efficience globale en faisant l’économie de la plus précisément à l’outil d’investigation du développement de la
passation d’une batterie complète présentée individuellement. pensée opératoire, l’UDN II.
Les Progressive Matrices peuvent aussi présenter de l’intérêt pour La notion de stade permet de fixer quelques points de repère. La
des enfants dépourvus de langage ou très opposants, instables, pensée de l’enfant par rapport au monde des objets de la réalité
impulsifs ou trop réticents pour se soumettre à des épreuves où la extérieure connaît une lente maturation. Piaget a décrit cette
communication avec le psychologue est importante. Elles peuvent évolution en termes de stades successifs que l’on peut repérer chez
aussi être proposées comme une sorte d’« avant-goût » de l’examen l’enfant par les modalités de pensée très caractéristiques de chacun
psychologique et servir à introduire la situation très particulière de d’entre eux.
testing. Nous ne ferons qu’évoquer le stade sensorimoteur qui précède
L’inconvénient majeur de ces épreuves est, bien entendu, leur l’acquisition du langage et au cours duquel l’enfant expérimente en
caractère limité et leur faible corrélation avec des instruments actes les catégories fondamentales de la pensée : le temps, l’espace,
beaucoup plus élaborés. En aucun cas le psychologue clinicien, la causalité, la permanence des objets.
pratiquant un examen psychologique complet, ne peut se contenter Vient ensuite le stade de la pensée préopératoire lorsque l’enfant n’a
de cette approche pour évaluer la dimension intellectuelle dans le pas encore accès au stade des opérations concrètes. Il ne maîtrise
fonctionnement psychique d’un enfant. pas les invariants quantitatifs (le nombre des éléments d’une
Enfin, précisons qu’il est souvent judicieux d’effectuer, quand cela collection varie si on change leur disposition). L’enfant ne peut
est possible, une enquête à l’issue de la passation du test. On dégager des critères solides pour opérer une classification ; il ne peut
demande alors à l’enfant de justifier ses choix et d’expliquer les ordonner des séries. L’enfant du stade préopératoire ne parvient pas
raisonnements qui ont déterminé ses réponses. On observe encore à se représenter mentalement que toute transformation est
éventuellement s’il peut, a posteriori, critiquer un choix et apporter susceptible d’être inversée et, qu’à partir de l’état final, l’état initial
une réponse plus adéquate. peut être retrouvé. La pensée préopératoire se manifeste également
N’intervenant pas dans la notation, effectuée seulement à partir de sur le plan du langage : l’enfant éprouve des difficultés à utiliser à
la production spontanée, l’enquête permet de comprendre les bon escient le vocabulaire des quantités ou des comparaisons :
modalités de raisonnement de l’enfant. On peut mettre en évidence « plus... que », « autant », « un de plus », « aussi long » etc.
de précieux indices sur les illusions perceptives, l’inhibition La pensée préopératoire est une étape transitoire du développement
intellectuelle, les défaillances électives ou les formes archaïques du du raisonnement tout à fait normale et elle n’acquiert un statut
raisonnement, voire les constructions délirantes. pathologique que si elle persiste au-delà d’un certain âge.
L’évolution du stade suivant, dit des opérations concrètes, s’étale à
¶ Intelligence catégorielle : EDEI-R peu près sur toute la durée de scolarisation à l’école élémentaire.
Les Échelles Différentielles d’Efficiences Intellectuelles, construites C’est au cours de cette période, qui correspond aussi à la phase de
par M Perron-Borelli [ 4 3 ] autour de la notion d’intelligence latence, décrite par la psychanalyse, que l’enfant met en place tout
catégorielle, occupent une place un peu à part. Récemment ce qui restait encore inorganisé au stade précédent. L’« âge de
réétalonnées, les EDEI-R sont utilisées par beaucoup de raison » est aussi celui du raisonnement dans différents domaines.
psychologues de l’enfant en France. L’enfant devient capable de se représenter et de coordonner
Il s’agit d’une batterie de sept épreuves indépendantes et mentalement les divers aspects d’une situation ; il peut en percevoir
complémentaires ; d’une part, les épreuves verbales - Vocabulaire, et en comprendre tous les liens logiques. Ainsi, il se lance à la
Connaissances, Compréhension sociale, Conceptualisation - d’autres conquête progressive des invariants de plus en plus complexes ; il
part, les épreuves non verbales - Classifications, Analyse catégorielle, accède aux notions logiques de relation d’ordre avec la maîtrise de
Adaptation pratique. la sériation et de relation d’équivalence avec le concept de classe qui
lui permettent de construire le nombre et de l’utiliser d’une manière
Quatre notes rendent compte du fonctionnement intellectuel : opérationnelle. Puis l’enfant maîtrise les notions d’inclusion, de
efficience globale, efficience verbale, efficience non verbale, efficience transitivité ; il est capable de transformer mentalement un énoncé.
catégorielle (calculée à partir des épreuves de Conceptualisation, de
Classifications et d’Analyse catégorielle). L’acquisition de tous ces concepts va de pair avec les connaissances
académiques qu’il acquiert progressivement au cours de sa scolarité
La comparaison entre ces différentes notes (moyenne 100, écart-type en ce qui concerne la numération, la technique et le sens des quatre
15) permet la mise en évidence des dysharmonies cognitives. opérations arithmétiques lui permettant de résoudre des problèmes
Les EDEI-R sont principalement destinées à l’évaluation des enfants mathématiques de plus en plus compliqués.
jeunes, entre 3 ans et 9 ans. Cependant, la validité conceptuelle des Progressivement, après avoir traversé un stade intermédiaire
épreuves et la possibilité de transformer les scores obtenus en âge préformel, l’enfant accède à la pensée formelle. Devenu adolescent,
de développement permettent de proposer cette batterie à des sujets il se détache peu à peu de la pensée concrète, relative à des contenus
déficients intellectuels plus âgés. et parvient à élaborer un système de pensée général de plus en plus
abstrait. L’étayage du raisonnement sur un substrat matériel n’est
plus indispensable. Le collégien est capable de raisonner dans
Approche piagétienne l’abstraction et accède à la pensée adulte : le maniement des
différentes combinaisons possibles entre des éléments sans qu’aucun
En abordant l’évaluation des processus cognitifs à travers l’approche cas de figure ne soit oublié est une bonne illustration de la pensée
piagétienne, nous changeons encore de registre par rapport aux formelle.
deux outils décrits précédemment (WISC-III et K.ABC).
Nous présenterons l’évaluation du développement de la maturation
UNE MÉTHODE : LA CLINIQUE PIAGÉTIENNE
cognitive chez l’enfant selon trois axes : une théorie, une méthode,
un outil. Piaget [44] l’a remarquablement définie, en 1926, dans l’introduction
de « La représentation du monde chez l’enfant » et rappelée, en 1927 [45],
dans « La causalité physique chez l’enfant ».
UNE THÉORIE : LES APPORTS DE PIAGET Équidistante entre la situation de testing classique et celle de
En ce qui concerne la théorie piagétienne, nous n’avons pas l’observation libre, la méthode clinique piagétienne repose sur la
l’intention d’être exhaustifs mais de rappeler, d’une part, les grandes richesse des interactions entre un adulte et un enfant. Ils dialoguent
lignes générales de l’évolution du raisonnement de l’enfant et, tous deux dans ce qu’on pourrait appeler une « conversation libre ».

14
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
L’adulte, cependant, garde constamment présent à l’esprit un cadre sous-évalués en raison d’un niveau de langage insuffisant. En effet,
théorique qui oriente ses propos. Les questions sont volontairement la méthode clinique mise au point par Piaget permet au psychologue
ouvertes, éventuellement floues, adaptées à la situation et d’observer de manière précise les démarches du sujet, leur évolution
réinventées en fonction des réponses obtenues. La technique au cours d’essais répétés et la qualité de l’argumentation qu’il
principale utilisée par le psychologue repose sur la contre- fournit lors des diverses sollicitations. Les caractéristiques
argumentation ainsi que sur des demandes systématiques d’organisation du raisonnement, la possibilité ou non de profiter
d’explication et de justification adressées au sujet. d’un étayage, la façon de progresser dans le déroulement d’une
Cette méthode trouve une illustration éloquente dans les épreuves pensée constituent autant d’éléments qui jouent un rôle essentiel
de conservation. dans la compréhension du fonctionnement du sujet par le
psychologue.
Le principe de toutes les épreuves piagétiennes de conservation peut
se schématiser en trois temps :
¶ Passation
– premier temps : on présente à l’enfant deux éléments (ce seront
des collections, des objets de différente nature – baguettes de bois, L’UDN II est présentée sous deux formes : une pour les jeunes
boule de pâte à modeler, etc) dans des conditions favorables qui enfants scolarisés en maternelle, l’autre pour les plus âgés
suggèrent tout naturellement des jugements d’identité, d’égalité, fréquentant l’école élémentaire, voire le début du collège.
d’équivalence, de conformité, etc ; L’UDN II peut être administrée dès 3 ; 6 ans dans des cas de
développements intellectuellement précoces. Cette batterie est aussi
– deuxième temps : on fait subir à un de ces éléments des
susceptible de fournir des renseignements pertinents dans l’examen
transformations telles que le recours à la seule perception ne permet
d’adolescents, y compris les plus grands (jusqu’à 16 ans),
plus l’affirmation directe de l’identité, l’égalité, l’équivalence, la
rencontrant de sérieuses difficultés dans le domaine des
conformité, etc ;
apprentissages. Cependant, sa plage d’application optimum
– troisième temps : on sollicite de l’enfant l’expression d’un nouveau recouvre l’âge de fréquentation de l’école élémentaire soit de 6 à
jugement et on l’invite à élaborer des justifications suffisamment 11 ans.
solides pour résister ou même s’enrichir quand on le confronte à La passation, forcément individuelle, dure environ 1 heure 30 et peut
des contre-argumentations. être fractionnée.
Pour continuer à affirmer l’équivalence des deux ensembles, il doit
abandonner le recours direct à l’impression perceptive et se référer, ¶ Description des différentes épreuves
s’il les possède, à des convictions « rationnelles ». Par exemple la
collection, quoique modifiée dans son apparence est restée la même. L’UDN II comporte cinq catégories d’épreuves : Conservations ;
On n’a rien ajouté, rien enlevé. Si on la disposait comme avant, on Logique élémentaire, Utilisation du Nombre ; Origine ;
obtiendrait le même résultat, etc. Connaissances scolaires.
Le psychologue ne doit donc pas se contenter d’un rôle
d’enregistrement sommatif de résultats de type binaire (réponse Conservations
exacte ou erronée). Sa préoccupation première doit être d’agir La période des opérations concrètes se caractérise par la variabilité
comme un professionnel ayant véritablement assimilé la formation du statut opératoire des conservations selon les situations et les
spécifique qu’il a suivie et donc capable de repérer comme contenus à propos desquels un jugement est demandé. Plusieurs
d’analyser d’une manière experte, dans une démarche années s’écouleront entre l’acquisition de la conservation des
d’identification distanciée, les processus de pensée complexes du quantités discontinues disposées en terme à terme et celle de la
sujet. conservation du poids.
Cinq épreuves de conservation sont proposées dans l’UDN II :
UN INSTRUMENT : L’UDN II
• Conservation Terme à Terme : Bouteilles et Bouchons (conservation
¶ Présentation des quantités discontinues ou discrètes)
L’UDN II [34] constitue un outil d’investigation qualitative du L’acquisition de cette conservation est un indice précieux dans
raisonnement et des conduites logicomathématiques. Son objectif est l’étude du développement. Il permet, en effet, ainsi que d’autres
d’aider à comprendre la façon dont se comporte un enfant vis-à-vis épreuves, de repérer le passage de la pensée préopératoire
de certains problèmes, en rapport avec la construction et l’utilisation dépendante des impressions fluctuantes du moment et de l’illusion
des premières notions mathématiques, le nombre en particulier. perceptive, au registre des opérations concrètes dont les
coordinations s’enrichiront progressivement.
Cet instrument regroupe seize épreuves inspirées, pour une bonne
part, des travaux de l’école de Genève (Piaget et Gréco) ; d’autres
épreuves originales ont été spécifiquement conçues dans le cadre de • Conservation des longueurs
cette batterie. L’épreuve de conservation des longueurs se décompose en deux
parties.
¶ Application La partie du choix - trouver deux baguettes identiques parmi dix
On utilisera l’UDN II pour répondre à une demande explicite autres – constitue une des tâches originales de l’UDN II. Elle explore
concernant un enfant présentant des difficultés dans le domaine les stratégies pratiques des enfants et la façon dont ils constituent
logico-mathématique ou encore lorsque certains signes allant dans un espace homogène, indispensable à l’organisation d’une mesure
ce sens ont été repérés dans les résultats qu’il a obtenus à d’autres commune.
tests. Par exemple : chute au subtest Arithmétique du K.ABC ; échec En effet, pour être sûr d’extraire les deux baguettes de même
à certains items du subtest Complètement d’image du WISC-III ; longueur, il faut disposer de coordonnées d’ensemble rendant
score, au subtest d’Arithmétique du WISC-III, significativement opérationnelles et générales des comparaisons qui, faute de ces
inférieur aux autres résultats ; incompréhension, après 7 ans, du références, ne peuvent que demeurer locales et, étant donné le
terme « autant », etc. nombre important des éléments, forcément vouées à l’échec.
L’UDN II fournit aussi des renseignements complémentaires La mise à l’épreuve classique, dans l’œuvre piagétienne, de
importants au psychologue qui désire vérifier « une intuition l’invariance des longueurs semble être, dans le développement de
générale » tendant à lui suggérer que les résultats d’un enfant à des l’enfant, une étape très importante inaugurant l’entrée dans les
tests quantifiés ne reflètent pas ses possibilités réelles ou ont été apprentissages de la géométrie et des mesures.

15
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
• Conservation de la Substance Les trois principes de classification que nous avons retenus dans
On aborde, à travers cette épreuve, la notion d’une permanence des l’épreuve présentée sont : la nature (forme), la couleur, et la taille.
quantités physiques à proprement parler – et, de ce fait, tout Puisque nous avons privilégié, par les consignes et leur
naturellement, la quantification des grandeurs non discrètes (ou renforcement, l’organisation séquentielle des classifications, l’enfant
continues). est confronté à ce qu’on appelle classiquement une opération de
shifting : avec le même matériel, il doit abandonner un premier
• Conservation du Poids principe de rangement puis un deuxième, pour, à chaque fois, en
choisir un nouveau.
La question ne se distingue de celle posée à l’épreuve de
conservation de la substance que par un mot : on ne parle plus de Le psychologue doit être particulièrement vigilant et porter plus
quantité de pâte mais du poids de celle-ci. spécifiquement son attention sur tous les indices indiquant ou non
la souplesse mentale et les capacités de changement d’un sujet
Il paraît intéressant de souligner que la qualité poids –
donné : comment profite-t-il de l’aide éventuellement apportée ?
correspondant à une sensation physique faisant partie du répertoire
Comment s’adapte-t-il aux diverses phases de la consigne l’incitant
des expériences quotidiennes de l’enfant – est, à première vue du
chaque fois à organiser autrement la même chose ?
moins, plus concrète que la référence à l’idée, beaucoup plus vague,
de substance, de « quantité » de pâte à modeler. Piaget a pourtant
toujours décrit cette dernière comme génétiquement plus précoce.
• Inclusion
L’opération d’inclusion, c’est-à-dire l’établissement de liens entre
• Dissociation poids-volume une classe d’une part et les éléments qui la composent, formant
éventuellement des sous-classes distinctes d’autre part, est une
Cette épreuve, qui fait partie des nouvelles tâches proposées par
opération mentale constitutive de la logique des classes.
l’UDN II prolonge les possibilités d’application de cette batterie
jusqu’à la fin de l’école élémentaire. Elle s’adapte, de ce fait, à des
Utilisation du nombre
enfants pouvant accéder au stade des opérations préformelles (et
formelles éventuellement). Nous avons distingué deux modalités de recours au nombre. Il peut
Pour l’enfant, la tâche exige de prévoir que le déplacement de l’eau s’agir de tâches de type opérationnel, c’est-à-dire au cours desquelles
s’effectuera non pas en fonction du poids du corps immergé, mais le nombre est utilisé pour résoudre une situation problème ; ou bien
bien de son volume : la poussée vers le haut reste identique qu’il encore de constats, de descriptions (dans ce dernier cas, le nombre
s’agisse d’un cylindre d’aluminium ou d’un cylindre de laiton de apparaît pour caractériser des collections à partir de leurs aspects
mêmes dimensions mais plus lourd. quantitatifs « objectifs »).
Cette capacité à traiter des lois physiques en établissant des
distinctions entre divers types de phénomènes et de déterminismes • Cartes de jetons : épreuve de constat
est un aspect important du développement de la pensée. Les questions de base auxquelles cette épreuve permet de répondre
La maîtrise de la Dissociation Poids-Volume peut, en tout état de sont les suivantes : quand, pour quelles quantités et comment
cause, constituer une des composantes d’un pronostic favorable l’enfant intégrera-t-il l’évaluation numérique dans la description de
avant l’entrée au collège : il ne s’agit pas tant de la connaissance collections ?
scolaire d’une loi physique que de l’attitude mentale à l’œuvre dans Il convient également d’observer si le recours au dénombrement se
la prévision, les corrections, l’ajustement progressif aux données de fait spontanément ou bien sur ordre.
l’expérience. Cette épreuve permet, en outre, de vérifier la maîtrise de quatre des
cinq principes relatifs au nombre mis en évidence par Gelman et
Logique élémentaire Gallistel (1978) [20] : bijection, suite stable, principe cardinal, principe
On sait que, pour Piaget, les principales opérations logiques de non-pertinence de l’ordre ou d’ordre indifférent.
élémentaires sont constituées, d’une part par celles portant sur les
classes et, d’autre part par celles portant sur la construction des • Comparaisons : épreuve de constat et épreuve opérationnelle
séries. La première partie (épreuve de constat-description) consiste à
Alors que la classe fait travailler la ressemblance (tous les éléments présenter sous trois variations deux collections séparées dont les
de la classe sont identiques sous un aspect qui la définit), cardinaux et les relations varient. Dans quelle mesure le contraste
l’organisation de la série, implique, elle, la prise en considération entre les cardinaux des collections entraîne-t-il le dénombrement et
des différences. quels termes de relation sont employés pour rendre compte des
C’est la coordination de ces deux concepts qui, pour Piaget, rend comparaisons effectuées ?
possible l’élaboration de la notion de nombre. Celle-ci repose, en La deuxième partie (Modification des collections - épreuve
effet, dans son système, sur la coordination de ces deux opérations opérationnelle) explore les procédures dont l’enfant dispose pour
(relation d’équivalence et relation d’ordre). Précisons enfin que, modifier le sens des relations entre deux collections inégales.
selon cet auteur, on ne peut parler de la constitution de classes Possède-t-il dans son répertoire plusieurs stratégies aboutissant à
indépendamment de l’organisation de hiérarchies entre classes et un résultat final de même ordre ?
sous-classes (concept d’inclusion).
Dans la troisième partie (transformation d’un énoncé-épreuve
Trois épreuves de logique élémentaire sont proposées dans l’UDN II. opérationnelle) on présente des collections de cardinal identique que
l’enfant doit modifier en agissant non sur celle des deux qui est
• Sériation spécifiée (et que l’on interdit de transformer dans la consigne) mais
L’épreuve de Sériation porte sur la construction de séries d’éléments en intervenant sur l’autre dont il n’est pas explicitement fait
variant par leur longueur. L’enfant doit les ranger en privilégiant mention. Pour résoudre la situation (plus de A équivalant à moins
l’ordre. de B, puis l’inverse), il est donc indispensable de procéder sur
l’énoncé à une transformation de type algébrique.
• Classification
La maîtrise du concept de classe permet de dégager un caractère • Épreuve E : épreuve opérationnelle
commun rassemblant des éléments qui peuvent se présenter comme Le problème posé à l’enfant consiste à lui faire reproduire une
fortement dissemblables. Cette capacité implique l’abandon, tout du collection numérique en présence du modèle et à analyser ses
moins provisoire, d’aspects considérés, à un moment donné, comme démarches. La difficulté consiste justement à se libérer de la
secondaires. configuration, spécifique à la collection modèle.

16
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
• Poupées : utilisation opérationnelle du nombre sans référence
Tableau V. – Population d’étalonnage de l’UDN II.
Dans l’épreuve des Poupées, il s’agit d’explorer la façon dont
l’enfant se comporte lorsqu’il doit trouver une solution à un Âge (ans) Effectif Âge (ans) Effectif
problème qui ne peut être rapidement et à coup sûr résolu que par 4;0-4;11 49 8;0-8;11 53
le recours au nombre, outil mathématique culturellement transmis. 5;0-5;11 49 9;0-9;11 50
L’enfant se trouve dans l’obligation de recourir à une notion dont 6;0 54 10;0-10;11 53
l’utilisation ne lui est pas explicitement prescrite dans la consigne. Il 7;0-7;11 55 11;0-11;11 57
sait simplement qu’il existe un moyen pour résoudre le problème
mais il lui faut découvrir lequel : c’est tout l’intérêt de cette épreuve.
Pour l’étalonnage, il a été possible de retenir 420 protocoles d’enfants
• Tomates-Carottes : inférence quantitative de 4 à 11 ans (221 garçons et 199 filles), qui se répartissent comme il
est présenté dans le tableau V.
La tâche d’inférence quantitative proposée explore plus
Le psychologue relativisera l’analyse du protocole en tenant compte
particulièrement les activités de mise en relation de deux collections
de trois éléments de compréhension.
préalablement disposées en terme à terme, certains éléments de
l’une d’entre elles ayant été soustraits selon des modalités variées. Piaget lui-même et plus encore ses successeurs (néopiagétiens) ont
Elle aide à comprendre la façon dont l’enfant a construit la relation insisté sur l’existence de décalages éventuels selon les contenus ou
de bijection et s’en sert dans des situations impliquant des selon les concepts utilisés ; de légers écarts à la moyenne d’un âge
configurations de plus en plus complexes. donné ne doivent pas susciter d’interprétations abusives.
Nous avons distingué dans l’analyse des réponses à l’UDN II trois
Origine spatiale niveaux : échec, intermédiaire, réussite. Il est évident que c’est la
Les épreuves d’origine spatiale peuvent être classées dans le cadre phase intermédiaire qui doit être le plus soigneusement analysée
théorique des tâches de type infralogique ; il faut entendre par par le psychologue en fonction de la totalité des échanges qui ont
« terrain infralogique » celui des opérations constitutives de l’espace, pu s’établir au cours de la passation.
du temps et de la vitesse. La notion de nombre est, dans tous les Les épreuves « dynamiques » de l’UDN II (supposant une
cas, remplacée par celle de mesure. interaction entre le sujet et le praticien), permettent d’étudier
l’étendue des possibilités d’évolution en cours d’examen, par
• Ficelle exemple, les différentes modulations provoquées par les aides ou
L’épreuve de la Ficelle joue sur une seule dimension. La tâche les amorces à l’épreuve de classification et l’éventualité
consiste à découper (dans une pelote) un morceau de ficelle dont la d’apprentissages dans beaucoup d’autres (poupées, bandes de
longueur soit exactement identique à celle d’un témoin. papier, inclusion, etc).
Pour interpréter le protocole de l’UDN II, le psychologue utilisera la
• Bandes de papier démarche suivante en sept étapes :
Tandis que dans l’épreuve de la Ficelle l’enfant n’était confronté qu’à – 1. Noter le degré d’adéquation de chaque réponse consignée dans
une seule dimension de l’objet, il s’agit ici d’observer les procédures le cahier de relevé des conduites : AD (conduite adéquate), AP
dont le sujet dispose pour construire un objet bidimensionnel (défini (conduite approximative), NA (conduite non adéquate). Les
par sa longueur et sa largeur). « cotations » AD, AP ou NA sont indiquées pour chaque item des
La seconde partie de l’épreuve des Bandes de papier relève d’un différentes épreuves dans le Cahier de relevé des conduites.
domaine différent : celui de la logique. Elle rend possible l’examen – 2. Repérer le niveau de conduite par épreuve : E (échec) ; I (niveau
du raisonnement par transitivité, c’est-à-dire d’observer comment intermédiaire) ; R (réussite). Les critères précisément définis pour
l’enfant, sachant que A = B et B = C, puisqu’il a effectué lui-même la noter E, I ou R sont indiqués dans le manuel pour chaque épreuve.
tâche de découpage, parvient à formuler des conclusions sur la
relation unissant A et C. – 3. Après avoir repéré l’âge de l’enfant, positionner la performance
de l’enfant par rapport à l’âge clé : âge-clé atteint ou âge-clé non
Connaissances scolaires atteint. On a défini comme « âge-clé » l’âge à partir duquel on
observe plus de 75 % de réussites à une épreuve et moins de 10 %
Ce sont les compétences de l’enfant dans ce domaine que cette d’échecs.
épreuve cherche plus particulièrement à évaluer à l’aide de plusieurs
rubriques : – 4. Apprécier la valeur de l’écart par rapport à un « développement
standard ». On note :
– connaissances des termes de comparaison ; récitation de la suite
numérique ; connaissance des signes des opérations arithmétiques ; = conduite conforme au niveau attendu pour l’âge
lecture, transcription des nombres ; Attention : Un cas particulier se présente quand un enfant est plus
âgé que « l’âge clé » correspondant à une épreuve. Si, par exemple,
– connaissance des quatre opérations arithmétiques : mémorisation
un enfant de 9 ans réussit à l’épreuve des quantités discontinues
des faits numériques (aspect déclaratif) ; manipulation de bûchettes
(âge-clé = 7 ans) on en conclura que sa performance, qui se situe
pour démontrer la signification même des opérations (aspect
dans une zone égale ou supérieure à 7 ans, est attendue à 9 ans (il
procédural) ; utilisation des doigts qui constitue le seul moyen de
faut, dans ce cas, bien évidemment, poursuivre l’examen en
vérification accessible à l’enfant en l’absence d’autre matériel.
proposant des épreuves plus exigeantes dans la même famille).
¶ Exploitation des données (+) conduite correspondant à 1 ou 2 ans d’avance (une ou deux cases
de décalage entre l’âge clé et l’âge de l’enfant, dans ce cas inférieur
La démarche mise en œuvre diffère sensiblement de celle des tests à l’âge clé).
classiques qui attribuent aux performances des enfants un certain
(+ +) trois ans d’avance et plus (trois cases de décalage ou plus :
nombre de points. L’UDN II garde une présentation résolument
réussite exceptionnelle).
qualitative, dans l’esprit de la méthode piagétienne.
Ce choix d’une procédure d’analyse centrée sur les différents aspects (-) un ou deux ans de retard (une ou deux cases de décalage entre
de la conduite d’un sujet n’est pas contradictoire avec une étape l’âge clé et l’âge de l’enfant dans le cas où celui-ci est supérieur à
comparative (mise en rapport des conduites de l’enfant examiné l’âge clé).
avec celles observées chez d’autres enfants, du même âge ou d’âges (- -) trois ans de retard et plus (trois cases de décalage et plus : échec
différents). massif préoccupant).

17
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux
– 5. Commentaires qualitatifs. Écrire les remarques par familles Les non-lecteurs réussissent facilement l’épreuve de Sériation. En
d’épreuves ou pour une épreuve spécifique dont les résultats revanche, ils échouent massivement à celle de Classification. Alors
apparaissent surprenants. qu’ils repèrent très rapidement les différents critères, ils sont
– 6. Synthèse. Rédiger une conclusion synthétique de l’examen. incapables de réaliser successivement les trois classements. La
réalisation des tris combinant deux ou trois critères est très
– 7. Il convient, enfin, bien entendu, de rapporter toutes les données
laborieuse et les propositions de regroupement introduites par
recueillies à l’aide de l’UDN II aux autres résultats des différentes
l’adulte sont fermement refusées. Le caractère totalement verrouillé
épreuves de l’examen psychologique (efficience intellectuelle,
de ce refus obstiné semble renvoyer à une impossibilité totale
épreuves projectives, tests spécifiques, etc). On tiendra également
d’abandon des critères, de remaniement des données et
compte du contact, de la relation avec l’enfant et de son adaptation
d’élimination de spécificités figuratives. Toutes ces opérations
aux épreuves. Les entretiens avec les parents sont également à
paraissent indispensables à la mise en place du décodage d’une
intégrer comme données éclairantes (anamnèse, etc), ainsi que les
écriture alphabétique comme le français, qui présente à cet égard
échanges avec tous les professionnels concernés par l’enfant.
une très grande complexité (lettres supplémentaires obligatoires
¶ Extension de l’UDN II mais non lues, terminaisons marquant seulement le pluriel, etc).
Il arrive souvent que le psychologue ait besoin de compléter Le niveau de Conservation des non-lecteurs est franchement bon
l’examen logico-mathématique avec des épreuves qui ne figurent pas malgré l’insuffisance des justifications.
dans l’UDN II, soit parce que l’enfant manifeste en cours de Les non-lecteurs opèrent aisément des prises de repère et sont
passation des difficultés spécifiques qu’il faut approfondir, soit parce parfaitement capables de poser une origine spatiale.
que son niveau de réussite ou son âge exigent que l’examinateur lui Les connaissance scolaires sont médiocres ; les difficultés des non-
propose des épreuves un peu plus difficiles. lecteurs lors de la lecture et de la transcription des nombres sont
Le praticien trouvera dans les Inventaires piagétiens (1977) [42] évidentes (en particulier quand il s’agit des dizaines dites
quantité de situations qu’il peut soumettre à l’enfant ; nous ne complexes : 70, 80, 90). Par ailleurs ils ne disposent d’aucun stock de
citerons que les plus connues : règles apprises, de choses sues, de mémoire déclarative.
– épreuve du Lac et des îles (construire sur une île de surface plus Les non-lecteurs ont certes compris à quoi le nombre pouvait être
grande ou plus petite que l’île modèle un bâtiment où il y aura utile dans une tâche pratique. Ils ne l’emploient cependant pas
autant de place) ; volontiers quand la tâche proposée ne l’exige pas explicitement.
– épreuve spatiale : rotation de perles : représenter des perles et leur À égale distance du sujet épistémique, le tableau présenté par les
trajet après rotation de 180 ou 360 degrés ; enfants dyspraxiques s’oppose point par point à celui des
non-lecteurs.
– horizontalité des liquides : tracer le niveau de liquide après
inclinaison du récipient selon plusieurs directions ; Les enfants dyspraxiques maîtrisent les classifications mais
rencontrent des difficultés quasi insurmontables à l’épreuve de
– perspective : représentation d’un paysage à partir de plusieurs
sériation.
points de vue.
Leur niveau de conservation est particulièrement bas, toujours
Pour des enfants plus âgés et/ou pouvant aborder le stade formel, il
inférieur à ce qui est attendu à leur âge. Ils sont incapables de poser
est utile de recourir aux épreuves papier-crayon de Longeot,
une origine spatiale.
destinées à des adolescents ayant atteint le stade des opérations
formelles : Logique des propositions, Combinatoire, Probabilités En ce qui concerne les connaissances scolaires, le niveau des élèves
(CNAM-INETOP,1993) [14] ainsi qu’à l’EPL (Longeot) [31] comportant dyspraxiques peut être considéré comme normal. Les dyspraxiques
cinq subtests : conservation du poids et du volume et dissociation comptent à tout bout de champ, sans savoir toujours pourquoi et ne
poids-volume, permutations, quantification des probabilités, pensent plus à dénombrer quand le nombre apparaît indispensable
oscillation du pendule et courbes mécaniques. Bien que le manuel à la résolution d’un problème.
précise un âge d’application allant de 9 à 16 ans, il nous paraît Les conduites observées par ces deux catégories opposées de
opportun de réserver cette échelle de développement à des enfants population peuvent pratiquement constituer un caractère prédictif,
fréquentant déjà le collège. et, si possible, susciter une démarche préventive à leurs difficultés.
Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, il s’agira pour le
praticien d’être en mesure d’évaluer le niveau scolaire atteint par le ¶ Conclusion
sujet en mathématique. Un certain nombre d’épreuves standardisées
L’UDN II ne prétend pas remplacer des outils classiques et bien
sont éditées pour répondre à cette attente ; nous citerons par
connus comme le WISC ou encore le K.ABC. Elle ne fournira jamais
exemple : TCN, TAS, TCEM (Éditions du Centre de Psychologie
un « chiffre-résumé » semblable à celui produit par d’autres
Appliquée), Bat-Elem, EQS 64 (Éditions et Applications
techniques : QI pour le WISC-III ou notes standards d’échelles de
Psychologiques), etc.
processus mentaux et de connaissances pour le K.ABC. L’objectif du
D’autres épreuves, se présentant elles aussi sous un aspect scolaire
psychologue utilisant cet outil est d’établir un profil « de maturation
permettent des analyses cliniques fines des résultats obtenus en
cognitive » (plus ou moins homogène) à rapporter toujours à
conditions quasi scolaires ; il en est ainsi de l’épreuve ECPN (groupe
l’ensemble du développement et à la singularité de l’histoire d’un
CIMETE,1995) [13] applicable à de très jeunes enfants (Camilo
sujet unique.
Charron) [12] ou de l’épreuve TEDI-MATH (Van Nieuwenhoven,
Noël, Grégoire, 2001) [56]. Signalons aussi l’intérêt de l’épreuve de Chaque fois que les résultats obtenus sont trop complexes pour faire
Mialaret (Mialaret) [35] qui joue sur différentes formulations l’objet d’une interprétation immédiate après l’application d’une
conduisant au choix d’une même opération. épreuve rapide, ou quand se pose la question d’une prise en charge
appropriée, l’UDN II est susceptible de répondre à ces questions
En fait, le clinicien dispose d’une panoplie d’épreuves qui lui
très spécifiques. Contribuant à définir les grands axes de la
permettent de moduler l’évaluation du développement logico-
remédiation, voire à guider la prise en charge, elle devient une pièce
mathématique ; c’est à lui de sélectionner celles qui conviennent le
importante du dispositif de soutien.
mieux à la problématique actuelle du sujet.
Le « kit » de passation, c’est-à-dire le contenu de la mallette et même
¶ Illustration clinique celui des feuilles de notation, est destiné à s’effacer derrière un
Nous reprendrons le groupe des enfants non lecteurs, population appareil à penser qui en est le véritable contenant.
dont nous avons défini les critères à propos du K.ABC, pour L’UDN II appartient à un mouvement d’études qui s’interroge non
expliquer les conduites qu’ils adoptent le plus fréquemment à seulement sur les propriétés de tel ou tel instrument mais sur la
l’UDN II. pensée qui le manie, à laquelle il fournit des occasions de

18
Examen psychologique de l’enfant :
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-E-30
approche clinique des processus mentaux
stimulation : d’abord, bien sûr, celle de l’enfant en développement – la nature du trouble ou de la difficulté. Cette étape constitue sans
pour qui il a été conçu. Un concept, produit de l’activité de l’esprit doute le moment le plus délicat de l’évaluation psychologique : le
humain, n’a, toutefois, pas de sens en soi ; il n’en acquiert que décrit psychologue doit prendre position, aller au cœur du problème, poser
et analysé par un autre esprit qui se sert de ses propres cadres son diagnostic. D’où vient, en fait, le problème de l’enfant ? Quel
mentaux pour tenter de mieux appréhender ceux de son aspect, quel secteur de son fonctionnement est le plus atteint, le plus
interlocuteur. Il nous semble que rares sont les épreuves vulnérable, le plus en retard dans son développement ?
psychologiques mettant au premier rang de leurs caractéristiques
Il s’agit ici non pas de proposer des hypothèses étiologiques, qui ne
l’analyse critique de ce type d’interaction. L’UDN II ne peut être
relèvent pas, stricto sensu, de l’examen psychologique, mais bien de
appliquée à bon escient si le praticien qui s’en sert omet de tenir
cerner au plus près les modalités d’expression du trouble et
compte de cette opération de questionnement au cours d’un travail
l’agencement de celui-ci au sein de la personnalité totale.
d’autoévaluation permanente, même s’il n’est parfois qu’implicite.
On sait que chaque symptôme, chaque dysfonctionnement, chaque
difficulté, fussent-ils typiques et classiques, auront une expression,
Rendre compte de l’examen une dynamique et un sens tout à fait originaux pour chaque enfant,
psychologique de l’enfant uniques dans leur configuration.

La dernière étape de l’examen psychologique, après la passation des Le psychologue est donc amené à opérer un double mouvement de
épreuves, l’analyse des données, l’interprétation des résultats, est généralisation et d’individuation, sachant reconnaître – et nommer –
constituée par le compte rendu des observations. d’éventuelles entités cliniques ou psychopathologiques, tout en
s’efforçant de particulariser – et de décrire – les caractéristiques
Ce compte rendu peut prendre des formes différentes selon les
spécifiques et uniques du sujet.
modalités de la transmission, orale ou écrite, et selon la personne à
qui il est destiné : l’enfant, les parents, les autres demandeurs de – La remise en situation des difficultés. C’est à cette étape – et seulement
l’examen psychologique (institution - DPASS, Justice, Éducation à celle-ci –, que le psychologue pourra tenter d’expliquer comment, à
nationale, etc -, médecin traitant, chef de service dans un centre de son avis, les difficultés de l’enfant s’inscrivent dans son contexte de vie.
consultation, collègue psychologue). Quelle fonction remplissent-elles dans la dynamique familiale et dans la
Il semble généralement préférable d’éviter un compte rendu écrit à dynamique scolaire ? Quels sont les éléments qui les renforcent ?
destination des familles, dans la mesure où celui-ci risque de L’enfant est-il pris dans un réseau relationnel pathologique ? S’agit-il
transformer une évaluation actuelle et dynamique en des d’une réaction de santé ou d’un processus morbide, est-ce une crise
caractéristiques souvent considérées à tort comme fixées et sans maturante ou une manifestation pathologique ?
évolution possible. Un des inconvénients de l’écrit, dans certaines Enfin, le compte rendu aborde la question du mode d’intervention
situations, est la possibilité d’une utilisation inappropriée par son recommandé. Il s’agit alors, en le justifiant par les éléments analysés,
destinataire. par le rappel des points d’ancrage possibles et des zones de
Quels qu’en soient les destinataires et la forme, le compte rendu de vulnérabilité, de proposer un programme d’intervention, et/ou une
l’examen psychologique doit toujours respecter les différents articles indication thérapeutique. Cette partie, essentielle, du compte rendu,
du code de déontologie des psychologues. Il doit être rédigé dans et son point culminant, exige du psychologue qu’il ait atteint à une
un langage clair. Il reprend et interprète tous les éléments de la bonne compréhension de l’enfant et qu’il dispose de sérieuses
démarche depuis la demande jusqu’à l’indication. connaissances sur l’ensemble des modalités d’intervention
Le but du compte rendu est double : disponibles dans la région où il exerce.
– rendre accessible à une tierce personne les données recueillies avec Il se peut aussi, et il ne faut pas en oublier l’éventualité, que la
leur interprétation ; meilleure chose à conseiller soit … de ne rien faire.
– constituer un point de référence fiable pour toute investigation
ultérieure.
Le compte rendu type (ou de base) commence par un rappel du Conclusion générale
motif de l’examen, puis donne une description de l’enfant, de son
mode de contact avec le psychologue, de son opinion sur les
circonstances qui l’ont amené là, de la qualité de sa participation à Un examen psychologique bien conçu est le moyen par excellence dont
l’examen psychologique. Suivent les résultats aux différents tests, dispose le psychologue pour rendre au sujet sa dimension propre, en lui
exposés un à un et assortis des commentaires du psychologue. donnant l’occasion d’objectiver son fonctionnement, de manifester son
dynamisme, d’exprimer ses désirs et besoins, et de formuler son
L’ensemble débouche sur une synthèse qui doit faire apparaître les
éventuelle souffrance, en dehors de tout a priori.
aspects suivants :
Sa formation générale et spécialisée d’une part, son adhésion au code de
– une juste évaluation de l’ampleur, ou de la gravité, du trouble ou déontologie de sa profession d’autre part, permettent au psychologue de
de la difficulté présentée. Il n’est pas rare en effet que les difficultés tenir le cap entre deux écueils, deux dérives qui menacent l’exercice de
d’un enfant soient globalement surestimées, ce qui peut avoir la profession. L’une consiste à se contenter de procéder à une simple
diverses causes. Les plus courantes sont liées soit à des dynamiques analyse de l’anamnèse de l’enfant, telle que reconstruite à partir des
institutionnelles qui font parfois percevoir un enfant comme plus dires des parents et/ou d’autres intervenants, ou à se limiter à quelques
perturbé qu’il n’est en réalité, soit à des attentes parentales entretiens, sans procéder à un examen proprement dit. L’autre consiste
excessives et non satisfaites, soit encore à des phénomènes de à conférer aux tests un statut de vérité scientifique et à rabattre la
dynamique familiale. réalité d’un sujet à quelques chiffres, quelque profil, ou quelque
À l’inverse, il arrive que les difficultés d’un enfant soient description structurale. Ces deux dérives ont invariablement pour effet
dramatiquement sous-estimées, qu’on attribue à la paresse ou à la d’occulter l’enfant réel par des constructions imaginaires, conceptuelles
mauvaise volonté ce qui en fait n’est que la conséquence d’une ou mécaniques qui sont au service de théories, d’idéologies et du
perturbation grave, ou d’une difficulté réelle très spécifique et non narcissisme du clinicien plutôt qu’au service de l’enfant.
reconnue. La souffrance personnelle d’un enfant n’est pas toujours C’est par une bonne maîtrise de ses outils, une juste connaissance de leur
perçue, et il incombe au psychologue, le cas échéant, d’attirer cadre d’application et de la nature des informations qu’ils lui procurent,
l’attention sur cet aspect de la situation ; que le psychologue clinicien reste et doit rester le garant du sujet.

Références ➤
19
Examen psychologique de l’enfant :
37-200-E-30 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
approche clinique des processus mentaux

Références
[1] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statisti- [21] Gibello B. L’enfant à l’intelligence troublée. Paris : Le Cen- [45] Piaget J. La causalité physique chez l’enfant. Paris : Alcan,
cal Manual of Mental Disorders – Revised (DSM IV). turion, 1984 1927
Washington 1994. [22] Gibello B. La pensée décontenancée. Essai sur la pensée et [46] Préneron C, Meljac C, Netchine S. Des enfants hors du lire.
[2] Bannatyne A. Diagnosis : A note on recategorization of the ses perturbations. Paris : Bayard, 1995 Paris : Bayard, 1994
WISC scaled scores. J Learn Disabil 1974 ; 7 : 272-274 [23] Grégoire J. L’évaluation clinique de l’intelligence de [47] Raven J. Progressive Matrices. Paris : EAP, 1998
[3] Bannatyne A. Diagnosing learning disabilities and writing l’enfant. Liège : Mardaga, 2000
[48] Rey A. L’examen psychologique dans les cas d’encéphalo-
prescriptions. J Learn Disabil 1978 ; 1 : 242-249 [24] Horn JL, Cattell RB. Refinement and test of the theory of pathie traumatique. Arch Psychol 1942 ; 28 : 2-56
[4] Beech R, Harding L. Tests, mode d’emploi. Guide de psy- fluid and crystallized intelligence. J Educ Psychol 1966 ; 57 :
253-270 [49] Rey A. Test de copie d’une figure complexe d’A. Rey.
chométrie. Paris : ECPA, 1994
Manuel. Paris : éditions du CPA, 1959
[5] Binet A. Nouvelles recherches sur la mesure du développe- [25] Kaufman AS, Kaufman NL. Batterie pour l’examen psycho-
ment intellectuel chez les enfants des écoles. L’Année Psy- logique de l’enfant. Manuel d’interprétation. Paris : ECPA, [50] Richard JF. L’étude expérimentale de l’intelligence d’Alfred
chologique 1911 ; 17 : 145-201 1993 Binet : cent ans après. Psychol Fr 2000 ; 45 (1) : 25-33
[6] Binet A, Simon T. Méthodes nouvelles pour le diagnostic [26] Kaufman AS. The WISC-R and learning disabilities assess- [51] Rugel RP. WISC-R scores of disabled readers : a review with
du niveau intellectuel des anormaux. L’Année Psychologi- ment : state of the art. J Learn Disabil 1981 ; 14 : 520-526 respect to Bannatyne’s recategorization. J Learn Disabil
que 1905 ; 11 : 191-244 1974 ; 7 : 48-64
[27] Kaufman AS et al. K.ABC. Pratique et fondements
[7] Binet A, Simon T. Le développement de l’intelligence chez théoriques. Grenoble : La Pensée Sauvage, 1994 [52] Smith MD, Coleman JM, Dokecki PR, Davis EE. Intellectual
les enfants. L’Année Psychologique 1908 ; 14 : 1-94 characteristics of schools labeled learning disabled chil-
[28] Kossanyi P, Grasseli A, Rebolledo RM. Analyse de l’organi- dren. Exceptional Children 1977 ; 43 : 352-357
[8] Binet A, Simon T. Sur la nécessité d’établir un diagnostic sation intellectuelle à partir du WISC-R. In : Préneron C,
scientifique des états inférieurs de l’intelligence. L’Année Meljac C, Netchine S eds. Des enfants hors du lire. Paris : [53] Spearman C. The abilities of man. New York : Macmillan,
Psychologique 1905 ; 11 : 163-190 Bayard, 1994 : 249-270 1927
[9] Bogen JE. The other side of the brain : Parts I, II, III. Bull Los [29] Kourovsky F, Rennes P. Test D 70. Paris : ECPA, 1970 [54] Thurstone LL. Primary mental abilities. Chicago : University
Angeles Neurological Soc 1969 ; 34 : 73-105, 135-62 ; of Chicago Press, 1938
[30] Lemmel G. Feuille de dépouillement du K. ABC. Paris :
191-203 ECPA, 1995 [55] Thurstone LL. Multiple-factor analysis. Chicago : University
[10] Castro D, Meljac C, Joubert B. Pratiques et outils des psy- [31] Longeot F. L’Échelle de développement de la pensée of Chicago Press, 1947
chologues cliniciens français. Les enseignements d’une logique. Issy-les-Moulineaux : EAP, 1979 [56] Van Nieuwenhoven C, Noël MP, Grégoire J. Le TEDIMAT.
enquête. Pratiques Psychologiques 1996 ; 4 : 73-80 Test diagnostique des compétences de base en mathéma-
[32] Luria AR. The working brain : An introduction to neuropsy-
[11] Cattell RB. La théorie de l’intelligence fluide et cristallisée, chology. London : Penguin Books, 1973 tiques. Paris : ECPA, 2001
sa relation avec les tests « culture fair » et sa vérification chez [57] Vance HB, Gaymor F, Coleman M. Analysis of cognitive
[33] Luria AR. Les fonctions corticales supérieures de l’homme.
les enfants de 9 à 12 ans. Revue de Psychologie Appliquée abilities for learning disabled children. Psychology in the
Paris : PUF, 1978
1967 ; 17 : 135-154 schools 1976 ; 4 : 477-482
[34] Meljac C, Lemmel G. Manuel de l’UDN II. Construction et
[12] Charron C, Duquesne F, Marchand MH, Meljac C. L’éva- [58] Vance HB, Singer MG. Recategorization of the WISC-R sub-
utilisation du nombre. Paris : ECPA, 1999
luation des conduites numériques des enfants en grande tests, Scaled scores for learning disabled children. J Learn
difficulté. In : Van Hout A, Meljac C eds. Troubles du calcul [35] Mialaret G. Éléments pour une pédagogie du calcul. Neu- Disabil 1979 ; 12 : 487-491
et dyscalculies chez l’enfant. Paris : Masson, 2001 châtel-Paris : Delachaux et Niestlé, 1957
[59] Wallon P, Mesmin C. La figure de Rey : une approche de la
[13] Cimete. Compétences et incompétences en arithmétique. [36] Misès R. L’enfant déficient mental. Approche psychodyna-
complexité. Paris : Érès, 2002
In : Van Hout A ed. Les dyscalculies. Paris : ANAE, 1995 : mique. Paris : PUF, 1975
58-63 [37] Navelet C, Guérin-Carnelle B. Psychologues au risque des [60] Watkins CE. What have surveys taught us about the teach-
institutions : les enjeux d’un métier. Paris : Frison Roche, ing and practice of psychological assessment? J Personal
[14] CNAM-INETOP. Opérations Formelles - Logique des Pro- Assess 1991 ; 56 (3) : 426-437
positions. Issy-les-Moulineaux : EAP, 1993 1999
[38] Nebes RD. Hemispheric specialization in commissuroto- [61] Wechsler D. The measurement of adult intelligence. Balti-
[15] Costes MC, Andronikof-Sanglade A. Rorschach et épreu- more : Williams and Wilkins company, 1944
ves projectives en clinique Infantile. Encycl Méd Chir mized man. Psychol Bull 1974 ; 81 : 1-14
(Éditions Médicales et Scientifiques Elsevier, Paris), Psychia- [39] Neisser U. Cognitive Psychology. New-York : Appleton- [62] Wechsler D. Cognitive, Conative and Non-intellective
trie, 37-190-B, 1996 : 1-10 Century Crofts, 1967 Intelligence. Am Psychol 1950 ; 5 : 78-83
[16] Das JP, Kirby JR, Jarman RF. Simultaneous and successive [40] Organisation Mondiale de la Santé. Classification Interna- [63] Wechsler D. La mesure de l’intelligence de l’adulte. Paris :
syntheses : An alternative model for cognitive abilities. tionale des Troubles Mentaux et des Troubles du Compor- PUF, 1956
Psychol Bull 1975 ; 82 : 87-103 tement. Paris : Masson, 1994 [64] Wechsler D. Échelle d’intelligence de Wechsler pour
[17] Das JP, Kirby JR, Jarman RF. Simultaneous and successive [41] Osterrieth PA. Le test de copie d’une figure complexe. Arch enfants, forme révisée. Paris : ECPA, 1981
cognitive processes. New York : Academic Press, 1979 Psychol 1945 ; XXX : 205-353 [65] Wechsler D. Manuel de l’Echelle d’intelligence de Wechsler
[18] Flessas J. Les tests : Kaufman Assessment Battery for Chil- [42] Pauli L, Nathan H, Droz R, Grize JB. Inventaires piagétiens. pour enfants - Troisième édition. Paris : ECPA, 1996
dren. Revue québécoise de Psychologie 1988 ; 9/1 : 145-151 Les expériences de Jean Piaget. Paris : OCDE, 1977 [66] Zazzo R, Gallifret-Granjon N, Hurtig M, Mathon T, Cheux
[19] Gazzaniga MS. Recent research on hemispheric lateraliza- [43] Perron-Borelli M. EDEI-R. Échelles Différentielles P, Santucci MG, Stambak H. Manuel pour l’examen psy-
tion of the human brain : Review of the split brain. UCLA d’Efficiences Intellectuelles. Forme Révisée. Paris : EAP, chologique de l’enfant. Tomes I et II.Paris : Delachaux et
Educator 1975 ; 17 : 9-12 1996 Niestlé, 1960
[20] Gelman R, Gallistel C. The child’s understanding of [44] Piaget J. La représentation du monde chez l’enfant. [67] Zazzo R, Gilly M, Verba-Rad M. Nouvelle échelle métrique
number. Cambridge, MA : Harvard University Press, 1978 Neuchâtel-Paris, Delachaux et Niestlé, 1926 de l’intelligence. Tomes I et II. Paris : Armand Colin, 1966

20
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-190-A-40 (2004)
37-190-A-40

Génétique des pathologies psychiatriques


de l’enfant et de l’adolescent
P. Gorwood
M. Wohl
D. Purper
Résumé. – L’approche génétique a récemment pris une envergure certaine dans les recherches portant sur
les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Trois pathologies sont particulièrement évaluées pour les
aspects génétiques du fait de leur forte héritabilité. En effet, 90 % des facteurs de vulnérabilité dans l’autisme
passent par les facteurs génétiques, pour 80 % dans l’hyperactivité et 70 % dans l’anorexie mentale.
Néanmoins, le poids majeur de l’héritabilité est loin de signifier la découverte de gène majeur. Il est
vraisemblable que de nombreux gènes interviennent (dans l’autisme notamment), et que ceux-ci soient en
interaction avec des facteurs environnementaux encore mal connus (dans l’hyperactivité par exemple). De
plus, les troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent constituent des entités logiques et cohérentes au
niveau clinique et/ou thérapeutique, mais cette validité clinique n’est pas opérante pour l’approche
génétique, du fait d’une très vraisemblable hétérogénéité de ces pathologies, tant génétique que
phénotypique. L’analyse de gènes candidats, la focalisation sur des régions génomiques d’intérêt et les
criblages du génome commencent à porter leurs fruits, permettant d’espérer d’une part finir par repérer des
facteurs de risque explicites, et d’autre part de comprendre les interactions complexes entre l’environnement
et le génome dans le déterminisme de ces pathologies multifactorielles.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Héritabilité ; Anorexie mentale ; Hyperactivité-déficit de l’attention ; Autisme ; Gènes ;


Agrégation familiale ; Jumeaux ; Vulnérabilité

Introduction : quelques concepts des interactions entre distorsion communicative chez les parents
adoptifs et schizophrénie chez des enfants à risque.
de psychiatrie génétique
L’autre conséquence de la notion de vulnérabilité est la possibilité
L’utilisation des données de la recherche en génétique pour mieux d’intervenir de manière environnementale et/ou familiale sur une
appréhender les facteurs de vulnérabilité des troubles mentaux de pathologie dont le déterminisme est essentiellement génétique, ce
l’enfant et de l’adolescent doit amener à prendre en considération qui peut paraître étonnant. On peut prendre l’exemple de la
plusieurs concepts. « maladie des os de verre » (l’Ehler-Danlos est une maladie
monogénique) pour illustration. En effet, il s’agit d’une maladie
exclusivement génétique mais ce sont des événements de vie
NOTION DE DÉTERMINISME GÉNÉTIQUE spécifiques (traumatismes accidentels) qui révèlent la pathologie
La notion de déterminisme génétique ne s’applique qu’aux (fractures). De plus, ce sont des facteurs environnementaux
pathologies polyfactorielles que représente la grande majorité des (traitement des fractures, rééducation adaptée) et des facteurs
troubles mentaux de l’enfant. Les facteurs génétiques actuellement éducatifs (prévention des traumatismes) qui forment l’essentiel des
incriminés peuvent donc augmenter un risque, favoriser l’expression aides thérapeutiques, et non une intervention (jusqu’à ce jour)
d’un trouble, modifier l’expression de cette maladie, mais non directe sur les facteurs génétiques. La prévention de ce type de
l’expliquer totalement ou la provoquer. On parle dorénavant de maladie par « sélection génétique » aurait empêché de bénéficier du
susceptibilité génétique, de vulnérabilité génétique, de facteurs talent d’un Toulouse-Lautrec…
génétiques interagissant avec les autres facteurs impliqués
(interaction environnement x gènes). Il en découle que la génétique
TERMES D’« HÉRITABILITÉ »
est une voie de recherche dans la compréhension des facteurs
étiologiques en cause, et nécessite donc une confrontation avec les Les termes d’« héritabilité », de « poids des facteurs génétiques », de
autres voies de recherche. Ainsi, les troubles de la communication l’importance de la « variance expliquée par les facteurs génétiques »
apparentés à l’autisme ont permis de mieux comprendre le rôle des renvoient à des concepts théoriques assez éloignés de ce qui est
facteurs génétiques en cause. Il en est de même pour l’importance généralement compris. Ainsi l’héritabilité correspond au
pourcentage d’explication de la maladie due aux différences
(polymorphismes) interindividuelles du génome (ensemble des
30 000 gènes qui nous constituent). On considère en général
P. Gorwood (praticien hospitalier) l’héritabilité au sens large, c’est-à-dire comprenant les facteurs
Adresse e-mail: philip.gorwood@lmr.ap-hop-paris.fr
Service de psychiatrie, Hôpital Louis Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, France. génétiques additifs (le poids de un ou plusieurs gènes, y compris
Cnrs UMR 7593- Paris VII, Personnalité et conduites adaptatives, 75013 Paris, France. leurs interactions). Cette distinction est importante car
M. Wohl (interne DES)
Service de psychiatrie, Hôpital Louis Mourier, 178, rue des Renouillers, 92700 Colombes, France. l’informativité apportée par les gènes en cause est inférieure à
D. Purper (chef de clinique) l’héritabilité totale. Ainsi, une forte héritabilité ne signifie pas
Cnrs UMR 7593- Paris VII, Personnalité et conduites adaptatives, 75013 Paris, France.
Hôpital Robert Debré (Université Paris VII), Psychopathologie de l’enfant, 48, boulevard Sérurier, 75019
forcément qu’un gène candidat (actuellement étudié) ait un poids
Paris, France. considérable.
37-190-A-40 Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau 1. – Études d’agrégation familiale de l’autisme

1er auteur Année Nombre d’atteints Nombre et fréquence d’atteinte Nombre d’atteints Fréquence d’atteinte
des apparentés d’enfants autistes des apparentés de sujets contrôles

August 1981 41 autistes 15 trisomies 21 (0 %)


(3,00 %)
Tsai 1981 102 autistes
(2,00 %)
Baird 1985 29 autistes
(5,90 %)
Delong 1988 51 autistes 8/1 929
(0,40 %)
Ritvo 1989 233 autistes 48/554
(8,60 %)
Piven 1990 37 autistes 2/67
(3,00 %)
Jorde 1991 209 autistes 1/754
(0,13 %)
Gillberg 1992 35 autistes 51 sains (0 %)
(5,90 %)
Szatmari 1993 52 autistes 13 trisomies 21 (0 %)
(5,30 %)
Bolton 1994 99 autistes 36 trisomies 21 (0 %)
(5,80 %)
Pickles 1995 99 autistes 0/731 36 trisomies 21 0/138 (0 %)
(0,00 %)
Szatmari 1995 52 autistes 4/987 13 trisomies 21 (0 %)
(0,40 %)
Boutin 1997 49 autistes 1/156 16 MR (0 %)
(2,00 %)

Par exemple, l’anorexie mentale a une héritabilité estimée autour de ÉTUDES FAMILIALES DE L’AUTISME
70 %, mais l’allèle de vulnérabilité le plus impliqué à l’heure actuelle Le risque dans la fratrie de sujets atteints est extrêmement élevé, de
n’augmente le risque d’anorexie mentale que de 1,8 (risque relatif). 40 à 100 fois supérieur à celui de la population générale (pour
L’héritabilité doit donc plutôt être considérée comme le seuil revue [40]). Néanmoins, étant donné qu’il s’agit d’une pathologie
maximal de ce que la génétique peut apporter plutôt que la portée à relativement rare (2-5/10 000), la fréquence d’atteinte de la fratrie
venir des gènes candidats révélés. reste relativement modeste, proche de 3 % comme on le voit dans le
Tableau 1.
ÉTUDES D’AGRÉGATION FAMILIALE, DE JUMEAUX
La fréquence moyenne d’atteinte des apparentés dans cette somme
ET D’ADOPTION d’études (Tableau 1) est exactement de 3,26 % pour 0 % dans les
différentes populations contrôles. L’absence d’atteinte dans la
Les études d’agrégation familiale, de jumeaux et d’adoption population contrôle ne permet pas de donner de risque relatif, mais
permettent de repérer le poids des facteurs « génétiques », si l’on prend en considération la prévalence sur la vie de l’autisme,
« familiaux » et « environnementaux » avec une bonne précision. le risque pour les apparentés est bien augmenté d’environ 100 fois
Néanmoins cette séparation reste artificielle. En effet, si la définition pour la même maladie. La proximité familiale des apparentés [42] a
des facteurs génétiques est intuitivement aisée (ressemblance entre aussi un impact puisque le risque d’autisme est de 2,2 % pour la
apparentés due à l’importance des facteurs génétiques en commun), fratrie, 0,18 % pour les apparentés au deuxième degré, et enfin de
cela est plus complexe pour les facteurs familiaux et 0,12 % pour les apparentés au troisième degré. Une décroissance
environnementaux. De fait, les facteurs familiaux correspondent aux aussi brutale dans le risque des apparentés est en général en faveur
facteurs partagés dans la même cellule familiale éducative des de l’existence de plusieurs gènes impliqués dans la pathologie.
apparentés étudiés. Il s’agit donc plutôt de facteurs dits « partagés ». L’agrégation familiale pourrait être due à l’importance des facteurs
Par exemple, le milieu socioprofessionnel est un facteur familial génétiques impliqués, ce dont témoignent les études de jumeaux.
partagé, de même que le fait d’être élevé dans une famille
Les études de jumeaux permettent une estimation intéressante de
monoparentale, d’avoir un parent atteint de telle ou telle pathologie.
l’héritabilité du trouble (Tableau 2) et donnent des indications
Pour les facteurs environnementaux, il s’agit des facteurs
importantes. L’autisme pourrait se définir par un trait complexe plus
« spécifiques » à l’individu. Cela comprend les événements de vie
que par une entité unique, impliquant plusieurs loci [38]. Cette
spécifiques à un individu et vécus en dehors de la cellule familiale,
hypothèse est assez étayée par l’augmentation majeure du risque
la relation avec des pairs… mais aussi les interactions familiales
d’autisme chez les apparentés (fratrie ou jumeaux dizygotes) de
spécifiques avec l’un de ses deux parents.
sujets atteints, ce qui est plus proche d’un modèle multifactoriel
Les pathologies mentales de l’enfant et de l’adolescent, ici passées (plusieurs types de facteurs impliqués) que d’un modèle Mendelien
en revue, se focalisent sur les trois troubles à la plus forte héritabilité, (explication de la maladie par un seul gène). De plus, le fait que la
c’est-à-dire l’autisme, l’hyperactivité-déficit de l’attention et prévalence de l’autisme dans la fratrie des sujets atteints augmente
l’anorexie mentale. en même temps que la sévérité du trouble du proposant est en
faveur d’une pathologie à plusieurs loci (donc de plusieurs gènes
impliqués). Enfin, la différence considérable de concordance entre
Autisme monozygotes et dizygotes est en faveur d’un modèle épistatique,
c’est-à-dire avec de nombreuses interactions (les monozygotes
L’autisme est une pathologie neuropsychiatrique sévère qui se partageant tous les gènes et donc toutes les interactions entre ces
caractérise par des anomalies perdurantes des relations sociales et gènes, les dizygotes partagent 50 % des gènes et donc beaucoup
du langage, souvent associées à des comportements répétitifs et moins d’interactions).
stéréotypés. L’autisme est trois fois plus fréquent chez le garçon que L’ensemble de ces données doit donc amener à la conclusion que,
chez la fille. malgré les scores d’héritabilité considérable de l’autisme (autour de

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent 37-190-A-40

Tableau 2. – Études de jumeaux dans l’autisme

1er auteur Phénotype Jumeaux MZ Jumeaux DZ


Effectifs Concordance Effectifs Concordance

Folstein, 1977 Autisme n = 11 36 % n = 10 0%


Trouble cognitif 82 % 10 %
Steffenburg, 1989 Autisme n = 11 91 % n = 10 0%
Trouble cognitif 91 % 30 %
Bailey, 1995 * Autisme n = 17 69 % n = 11 0%
Trouble cognitif 88 % 9%

*Échantillon original uniquement.

90 %), il ne s’agit pas d’une entité homogène, et plusieurs gènes (en intéressante puisqu’on la sait impliquée dans les syndromes de
interaction) sont impliqués. Ce concept oligogénique renvoie à un Willi-Prader et d’Angelman, maladies neurodégénératives associées
nombre de gènes compris entre 2-3 et jusqu’à 20-50. à l’autisme. Les anomalies du chromosome 15 semblent bien les plus
La fréquence des troubles psychiatriques chez les apparentés a ainsi fréquentes (4 %), touchant essentiellement la partie centromérique
amené à poser la question du lien entre l’autisme et les autres du bras long [39]. Les sujets ayant cette anomalie caryotypique se
pathologies psychiatriques. Ont été analysés, la phobie sociale, le distinguent néanmoins du reste de la population de malades par un
trouble obsessionnel compulsif (TOC), la maladie maniacodépressive retard mental plus sévère et des crises d’épilepsie. Dans une
(trouble bipolaire), la schizophrénie, l’alcoolodépendance, les tics et approche inverse (partant du caryotype vers le phénotype), la revue
l’anorexie mentale. Malgré de nombreuses études positives, peu de de la littérature montre que l’autisme est présent chez 7 % des
ces comorbidités peuvent être imputées à une réelle coagrégation enfants ayant une duplication inversée du chromosome 15 [39].
(cotransmission d’une vulnérabilité croisée), en dehors peut-être de Parmi les régions candidates se fondant sur les analyses
la dépression, même en se focalisant sur les dépressions primaires caryotypiques d’enfants autistes, un travail [46] a montré que les deux
arrivant chez les apparentés avant la naissance d’une enfant autiste. enfants autistes qui avaient en commun une translocation du
chromosome 7 impliquaient une cassure localisée en 7q31.3. Des
GÈNES CANDIDATS IMPLIQUÉS DANS L’AUTISME auteurs se sont penchés sur cette région. De fait, le gène à la base de
la cassure sur le 7 intitulé RAY1 [45] ne semble pas révéler de
À l’instar des résultats inauguraux sur l’HRAS (codant pour une
polymorphismes spécifiquement présents dans une série de
guianosine triphosphate (GTP)ase intracellulaire, et donc impliqué
27 autistes.
dans la transmission du signal des récepteurs couplés à la
protéine G), plusieurs gènes candidats ont été impliqués dans
l’autisme, sans réplication ultérieure. Tel fut le cas du NF1 (impliqué CRIBLAGE DU GÉNOME DANS L’AUTISME
dans les neurofibromatoses de type 1, pathologie retrouvée en excès
chez les enfants autistes), l’allèle court du transporteur de la Une approche consiste à cribler le génome avec des marqueurs
sérotonine [33], ou certains polymorphismes du human leucocyte régulièrement espacés pour repérer un excès de transmission des
antigen (HLA) (antigènes tissulaires). Dans ce type de travail, le parents à l’enfant atteint d’un segment chromosomique (haplotype).
risque qu’il s’agisse d’un résultat par chance est important. La première du genre fut publiée par le Consortium international
sur l’étude de génétique moléculaire de l’autisme [28] à partir de
100 familles ayant (pour la plupart) plusieurs atteints, et une carte
RÉGIONS CANDIDATES POUR L’AUTISME assez dense. Sur cet échantillon de fratrie avec deux atteints, seules
Si les gènes candidats sont peu nombreux et faiblement étayés, la deux régions étaient compatibles avec un excès de transmission aux
recherche de régions candidates peut orienter les recherches sur sujets atteints, le bras long du chromosome 7 (7q), ainsi que le bras
certaines parties du génome. La sur-représentation des garçons dans court du chromosome 16 (16p). Ces deux régions contiennent
l’autisme a tout naturellement orienté les études sur les certains gènes candidats, mais le plus important reste la recherche
chromosomes sexuels, bien que, pour certaines familles, une d’une réplication indépendante. Un travail français [36] sur une
transmission par un gène unique localisé sur ce chromosome soit cinquantaine de familles multiplex européennes utilisait aussi la
exclue (passage par le père à un garçon atteint) [27]. Une revue technique des sibpairs (si des sujets de la même fratrie se ressemblent
systématique de la littérature sur le X-fragile entre 1983 et 1994 [16] pour la maladie, alors se ressemblent-ils aussi plus souvent que ne
montre que la fréquence de cette anomalie est relativement rare le voudrait le hasard pour le génotype incriminé ?). Plusieurs
(4 %) chez les enfants autistes. Réciproquement, on trouve un régions semblent potentiellement impliquées, mais il est intéressant
diagnostic d’autisme chez 5 à 60 % des enfants ayant un syndrome de constater que les régions du 7q, 15q et 16p semblent aussi liées
de l’X-fragile, le diagnostic d’autisme étant difficile du fait du retard au phénotype autisme, quoique ce lien soit de faible intensité.
mental associé à l’X-fragile [19]. Les deux criblages des différents D’autres criblages du génome ont été publiés depuis [4, 5, 6, 38], les
marqueurs du chromosome X ont éliminé l’hypothèse d’un gène différentes régions incriminées étant le plus souvent non identiques.
majeur situé sur cette région du génome [26, 27]. En revanche, un Un certain nombre d’études ont pourtant impliqué, à différents
criblage spécifique de la région du Xp22.3 a localisé un gène niveaux, le chromosome 7q (Tableau 3). Cette partie du chromosome
candidat potentiellement intéressant, le NLGN4, de la famille des 7 devient une région des plus intéressantes puisque plusieurs études
neuroligines qui sont des molécules servant à l’adhésion cellulaire, y ont trouvé des éléments en faveur d’une implication dans
notamment interneuronales. L’équipe du PARIS (Paris Autisme l’autisme [44].
Research International Sibpair Study) a alors séquencé 150 enfants
souffrant d’autisme pour révéler deux mutations rares sur le NLG4
et le NLGN3 publiées dans Nature Genetics [29]. Du fait qu’il s’agisse
de gènes candidats, dans une région candidate, distinguant les Hyperactivité-déficit de l’attention
enfants autistes d’une large série de sujets contrôles, on peut dire
qu’il s’agit vraisemblablement de la première série de gènes de Le trouble hyperactivité-déficit de l’attention (THADA) touche de
vulnérabilité découverts dans l’autisme. 2 à 9 % des enfants en âge scolaire à travers le monde [1] et représente
Plusieurs auteurs ont repéré la fréquence des anomalies du une altération des processus attentionnels, de l’activité motrice, du
chomosome 15 chez des enfants autistes [20] . Cette région est contrôle des impulsions et de la distractibilité.

3
37-190-A-40 Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau 3. – Les régions du chromosome 7 incriminées dans l’autisme

cM Marqueur MLS Auteurs

104,0 D7S1813 2,20 CLSA


125,8 CFTR*
130,8 D7S2527 1,77 Ashley-Koch et al.
135,3 0,83 Philippe et al.
137,7 D7S640 2,01 Ashley-Koch et al.
139,3 D7S1804 0,93 Risch et al.
139,3 D7S1804 0,00 Auranen
144,7 2,53 IMGSAC
149,6 D7S684 0,63 Risch et al.
150,0 GATA32C12 0,80 CLSA

*Gène régulateur de la conductance trans-membranaire dans la mucoviscidose, gène impliqué dans les troubles du langage (Fisher et al., 1998). cM = centimorgan, MLS = maximum lodscore.

Tableau 4. – Études d’agrégation familiale dans l’hyperactivité

1er auteur Malades Contrôles Apparentés du groupe des malades Apparentés du groupe des contrôles
n (%) n (%)

Morrison et Stewart n = 50 n = 41 12/118 (20,0) 2/82 (5,0)


(1971)
Cantwell (1972) n = 50 n = 50 61/966 (6,3) 6/931 (0,6)
Welner (1977) n = 43 n = 38 11/42 (26,0) 5/54 (9,0)
Biederman (1986) n = 22 n = 20 24/73 (31,5) 4/ 70 (5,7)
Biederman (1992) n = 73 n = 26 66/264 (25,1) 4/92 (4,6)
Faraone (1997) n = 140 n = 120 85/428 (19,9) 14/304 (4,6)
Faraone (1994) n = 140 n = 120 63/1201 (5,2) 28/959 (3,0)
Faraone (2001) n = 280 n = 242 174/871 (20,0) 35/737 (5,0)

Tableau 5. – Études de jumeaux dans l’hyperactivité

1er auteur Effectifs des jumeaux Taux de concordance Héritabilité


MZ DZ MZ DZ

Lopez (1965) n=4 n=6 100 % 17 %


Goodman (1989) n = 29 n = 45 51 % 33 % h2 = 50 %
Stevenson (1992) n = 31 n = 47 NA NA h2 = 75 %
Gillis (1992) n = 37 n = 37 79 % 32 % h2 = 91 %
Gilger (1992) n = 71 n = 48 81 % 29 %
Thapar (1995) n=9 n = 20 44,4 % 10,0 %
Levy (1997) n = 583 82,7 % 46,8 % h2 = 91 %

ÉTUDES FAMILIALES DU TROUBLE HYPERACTIVITÉ- conclure non seulement que les facteurs biologiques sont plus
DÉFICIT DE L’ATTENTION déterminants que les facteurs éducatifs, mais aussi qu’il existe une
Les études d’agrégations familiales sont nombreuses, et montrent certaine stabilité dans la fréquence d’atteinte des apparentés de
de manière convergente un excès d’atteinte chez les apparentés de malades malgré les degrés de parentés plus élevés, élément en
sujets hyperactifs par rapport aux apparentés de sujets contrôles faveur de l’existence de gène(s) majeur(s). Ces données sont
(Tableau 4). La revue de ces études montre que 12,5 % des confirmées par l’étude élégante de Plomin [37] qui différencie les
apparentés au premier degré de sujets atteints souffrent de la même enfants élevés par des parents biologiques de ceux élevés par un
pathologie contre 3 % des apparentés de sujets contrôles. Cela beau-parent (remariage précoce). Opposant ainsi l’impact de la
revient à dire que les apparentés au premier degré (par exemple les pathologie chez les parents adoptifs et parents éducateurs non
autres membres de la fratrie) sont quatre fois plus à risque de biologiques, Plomin a pu montrer une héritabilité de 74 % si l’on se
présenter la maladie. fonde sur la cotation des instituteurs, et de 39 % si l’on se fonde sur
Les études d’adoption sont difficiles pour l’hyperactivité. Le travail le jugement des cliniciens.
de Cadoret [9], le plus souvent cité en référence, démontre un lien Les études de jumeaux (Tableau 5) sont particulièrement
explicite entre délinquance et criminalité chez les parents informatives, puisque les jumeaux ne se distinguent pas de la
biologiques (n’élevant pas leurs enfants) et hyperactivité chez population générale pour la grande majorité des paramètres évalués
l’enfant (adopté) (Odds-ratio = 2,1). Néanmoins, ce type d’études (concernant les processus attentionnels et l’activité) [22].
repère la sémiologie des parents biologiques sur des registres légaux
sans dossier médical, et l’hyperactivité des parents biologiques n’est
pas repérable. L’étude méthodologiquement la plus rigoureuse est GÈNES CANDIDATS DANS L’HYPERACTIVITÉ
celle de Cantwell [10] portant sur deux échantillons d’enfants Les gènes candidats se sont tournés rapidement vers la voie
hyperactifs. Un groupe contrôle de 50 enfants hyperactifs (et leurs dopaminergique. L’efficacité des amphétaminiques est en faveur de
parents biologiques) a été comparé à 39 enfants hyperactifs (et leurs l’implication des voies dopaminergiques dans la physiopathologie
parents adoptifs), l’adoption étant mise en place à moins de 1 mois du THADA [8]. Des études en imagerie cérébrale ont montré que les
après la naissance. Les parents ont tous été évalués à l’aide d’un circuits de régulations dopaminergiques dans les aires préfrontales
entretien structuré en face-à-face. Si l’on se limite aux hommes, on et dans les ganglions de la base sont réduites de 10 % chez les
remarque que les parents biologiques des enfants hyperactifs ont, enfants hyperactifs [11, 41]. Plus précisément, le gène codant pour le
dans 16 % des cas, une hyperactivité (présente ou passée), contre récepteur dopaminergique D4 a été étudié dans l’hyperactivité, avec
3 % des pères adoptifs et 2 % des sujets contrôles. On peut en de nombreuses études positives (pour revue [18]). Ce marqueur est

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent 37-190-A-40

Tableau 6. – Fréquence de l’anorexie mentale chez les apparentés de sujets anorexiques à partir des études contrôlées

Morbidité parmi les apparentés au premier degré de


Anorexiques Contrôles
1er auteur Année Proposants Apparentés Atteints Proposants Apparentés Atteints
n n (%) n n (%)

Gershon 1983 24 2/99 (2,0) 43 0/265 (0,0)


Herpertz 1988 42 3/69 (4,0) 37 0/61 (0,0)
Logue 1989 17 0/132 (0,0) 13 0/107 (0,0)
Stern 1992 34 2/153 (1,3) 34 0/140 (0,0)
Strober 1985 60 6/60 (10,0) 95 3/95 (3,2)
Strober 1990 97 16/387 (2,1) 107 0/738 (0,0)
Lilenfeld 1998 26 1/93 (1,1) 44 0/190 (0,0)
Strober 2000 152 10/290 (3,4) 181 1/318 (0,3)

d’autant plus intéressant qu’il a fait l’objet de travaux chez le sujet d’une maladie sévère puisque le taux de mortalité est entre 10 et
sain, avec une association entre l’allèle « 7 répétitions » et le trait 15 %, touchant, qui plus est, des femmes jeunes.
« recherche de nouveauté » [7], trait associé à l’hyperactivité de
l’adulte [8]. Une association de cet allèle avec la dépendance à FACTEURS FAMILIAUX DE L’ANOREXIE MENTALE
l’héroïne a aussi été montré, le THADA étant un facteur de risque
connu pour les dépendances [35]. Les données épidémiologiques sont en faveur de la participation de
facteurs familiaux dans le risque d’anorexie mentale. Ainsi, de
Le rôle exact de la mutation analysée est encore inconnu, mais
nombreuses études ont montré que le risque de développer une
l’allèle « 7 répétitions » pourrait être associé à une différence
anorexie mentale est d’autant plus important qu’il existe un sujet
d’affinité de ce récepteur pour la dopamine [ 2 , 3 ] ou à une
proche atteint dans la famille [43] , la fréquence d’atteinte des
modification du signal intracellulaire [4].
apparentés variant entre 1 et 10 % dans les études non contrôlées [14]
Les études sont maintenant très nombreuses sur le D4 dans contre une fréquence théorique attendue de 0,1 %. De plus, les huit
l’hyperactivité, avec un taux d’études positives rarement (jamais ?) études contrôlées (Tableau 6) montrent une fréquence de 3,12 % chez
atteint en psychiatrie génétique. La méta-analyse des études publiées les apparentés au premier degré de femmes anorexiques (40/1 283)
sur le D4 est extrêmement positive (p < 0,0001), il est donc pour 0,2 % chez les apparentés au premier degré de femmes
maintenant bien admis que les polymorphismes génétiques du D4 contrôles (4/1 914), c’est-à-dire un risque multiplié par 16 chez les
ont un lien avec la vulnérabilité à l’hyperactivité. Néanmoins, dans apparentés d’un sujet souffrant d’anorexie mentale.
quelle proportion cet allèle participe au THADA, pour quel Les données de concentration familiale ont aussi permis de mettre
phénotype exact, et en interaction avec quels autres facteurs en question le phénotype considéré. En effet, la concentration
étiologiques restent encore inconnus. familiale [43] est d’autant plus forte chez les femmes anorexiques, et
Les données semblent nettement moins claires pour le gène qui code la concordance pour la maladie est d’autant plus fréquente chez les
pour le transporteur de la dopamine (DAT), avec quelques études jumelles anorexiques, que l’on considère l’anorexie mentale avec une
modérément positives mais de nombreuses études négatives. Le perte de poids majeure (moins de 15 kg/m [2]) et un début précoce
troisième gène candidat testé dans l’hypothèse dopaminergique est (avant 17 ans). On a montré de plus que c’est l’anorexie restrictive
le gène codant pour l’enzyme catéchol-O-méthyltranférase (COMT), (et non l’anorexie avec comportements boulimiques et vomissements
enzyme qui participe à la dégradation des catécholamines, dont la provoqués) qui augmente significativement le risque d’anorexie
dopamine. Nous manquons de recul pour l’intérêt de gène, comme mentale chez les apparentés [ 2 1 ] . Enfin, des troubles du
pour le gène codant pour la monoamine-oxydase, et la comportement alimentaire infracliniques sont souvent retrouvés
dopamine-bêta-hydroxylase. chez les apparentés féminins des femmes anorexiques [34].
Un des problèmes qui peut être abordé dans les études de
concentration familiale concerne la spécificité du spectre
Conclusions sur le trouble phénotypique, notamment pour ce qui concerne les liens entre
hyperactivité-déficit de l’attention anorexie mentale, TOC, boulimie, dépression, psychose et
alcoolisme. Seuls TOC et personnalité obsessionnelle
L’hyperactivité-déficit de l’attention est une pathologie à forte (essentiellement via le trait tempéramental « perfectionnisme »)
héritabilité (autour de 80 %), et vraisemblablement paucigénique d’une part et boulimie (dans le spectre des troubles du
(quelques gènes en cause et non une multitude). De plus, un des comportement alimentaire) d’autre part pourraient être liés à
gènes participant (modestement) à la vulnérabilité du trouble semble l’anorexie mentale.
à peu près unanimement admis comme réellement impliqué En reprenant, de la manière la plus exhaustive possible, l’ensemble
(DRD4). Si la prédictibilité des polymorphismes incriminés est faible des cas uniques (ou de petites séries de recrutement non
(risque relatif = 3), et l’existence d’ancétédents familiaux systématique) de jumeaux publiés dans la littérature (soit
modestement informatives (risque relatif = 4), il est à parier que la 55 références mondiales, représentant 90 paires de jumeaux), on
meilleure connaissance du phénotype hyperactivité et des note [30] un taux de concordance plus élevé chez les jumeaux
dimensions tempéramentales qui lui sont liées et l’existence de monozygotes (44 %, soit 29 paires concordantes pour un total de 66)
recherche sur l’interaction gène-environnement permettront une que chez les jumeaux dizygotes (12,5 %, soit trois paires
réelle utilisation de la génétique dans la reconnaissance et la concordantes pour un total de 24). Les études portant sur des séries
compréhension du trouble… dans un avenir plus ou moins lointain. de jumeaux de recrutement systématique sont plus représentatives.
L’ensemble de ces études montre que sur 95 paires de jumeaux
monozygotes, 54 sont concordantes pour la maladie (soit 57 %), alors
Anorexie mentale que sur les 79 paires de jumeaux dizygotes, seules deux sont
concordantes pour la maladie (soit 3 %).
Les troubles du comportement alimentaire sont de fréquence et de L’analyse des différentes études de jumeaux permet d’évaluer le
gravité variables. La prévalence de l’anorexie mentale dans les pays poids de ces facteurs génétiques [32]. Ainsi la cotransmission à un
dits « développés » est généralement autour de 1/1 000, avec dix fois jumeau de l’anorexie mentale est évaluée dépendante pour 19 % de
plus de femmes que d’hommes souffrant de cette pathologie. Il s’agit facteurs environnementaux communs, et pour 76 % de facteurs

5
37-190-A-40 Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

génétiques. Ces derniers semblent donc prédominer par rapport aux CONCLUSIONS SUR L’ANOREXIE MENTALE
facteurs familiaux. Sur l’ensemble des cas publiés à ce jour et repris Les études sur la génétique de l’anorexie mentale sont très récentes
dans les Tableaux 4 et 5 (avec les limitations précitées en ce qui et largement étayées par les études d’agrégation familiale et de
concerne leur validité et surtout leur représentativité), on peut jumeaux. Les données sont néanmoins limitées par la rareté de la
estimer aux environ de 70 % l’héritabilité de l’anorexie mentale, si maladie. Il est vraisemblable que le groupe des troubles du
l’on considère une prévalence globale autour de 0,1 % dans la comportement alimentaire fournisse un groupe hétérogène et
population générale [30]. complexe, les facteurs génétiques ne jouant un rôle que sur certains
troubles (au moins pour l’anorexie mentale restrictive) et plus
spécifiquement certaines dimensions qui y sont rattachées (par
ANOREXIE MENTALE ET GÈNES CANDIDATS exemple le perfectionnisme). Avec 70 % d’héritabilité, un début
précoce, un retentissement sévère, et de nombreuses données
L’avancée des connaissances sur les monoamines et d’autres
expérimentales et animales, il est vraisemblable que les données de
neuromédiateurs permet de suspecter plusieurs pistes explorant les
la génétique moléculaire apporteront une participation non
mécanismes physiopathologiques de l’anorexie mentale [24]. Peuvent négligeable à la compréhension des processus morbides en cause.
ainsi être considérés comme des gènes candidats ceux ayant un rôle
dans l’appétit et la satiété, la gestion du stress, et certains
tempéraments spécifiques. Cholecystokinine, sérotonine, dopamine
Conclusions
et endorphines ont été particulièrement analysés. Une des pistes les Ce que l’on peut attendre de la recherche en génétique pour la
plus souvent envisagées pour la physiopathologie de l’anorexie pédopsychiatrie est de quatre ordres. Tout d’abord (1) une aide à la
mentale est celle de la sérotonine. La libération neuronale de compréhension des facteurs génétiques. En effet, mieux comprendre le
sérotonine induite par la d-fenfluramine diminue à la fois l’appétit rôle des facteurs génétiques facilite la compréhension du rôle des autres
et le seuil de satiété [15] . De plus, l’anorexie induite par la facteurs, familiaux et environnementaux. Les études portant sur les
fenfluramine peut être neutralisée chez l’homme par la metergoline, interactions gènes-environnement débutent d’ailleurs dans différentes
antagoniste non selectif des récepteurs des classes 5-HT1 et 5-HT2 pathologies avec des résultats particulièrement intéressants. Ensuite,
de la sérotonine, et la ritansérine, qui bloque les récepteurs 5-HT2A des modèles intégratifs (2) des troubles mentaux chez l’enfant seront
vraisemblablement proposés à partir d’une meilleure connaissance des
et 5-HT 2 C [ 2 3 ] . Cowen et al. [ 1 3 ] ont montré qu’un régime
différents gènes impliqués. En cela, une vision plus complexe et
hypocalorique (même modéré) provoquait une hypersensibilité des
dynamique des facteurs étiopathologiques des maladies mentales de
récepteurs postsynaptiques 5-HT2C, probablement via une baisse de l’enfant amènera probablement à abandonner des explications
concentration sanguine du tryptophane, précurseur de la sérotonine. réductrices fréquemment proposées. De manière plus pragmatique, la
L’hypothèse du rôle majeur de la sérotonine dans l’anorexie mentale révélation de gènes impliqués donne surtout l’occasion de repérer
est d’autant plus intéressante que beaucoup de circuits quelles sont les protéines déficientes impliquées, et donc d’envisager de
sérotoninergiques montrent des variations selon le sexe («gender nouvelles stratégies thérapeutiques (3) jusque-là ignorées. Loin du
dimorphism »), notamment quant aux effets sur l’appétit. Une fantasme de la « thérapie génique », le but est surtout de connaître
première association significative entre l’anorexie mentale et un quels sont les gènes mutés, donc les protéines déficientes, et par
polymorphisme du gène codant pour le récepteur sérotoninergique conséquent cibler une aide thérapeutique spécifique à l’individu (en
5-HT2A a été publiée en 1997 [12]. Ce résultat promoteur a été répliqué fonction de son patrimoine génétique). Enfin, et cela intéresse
plusieurs fois, et semble particulièrement significatif dans un sous- spécifiquement le clinicien, il est vraisemblable que la nosologie
groupe de sujets anorexiques avec une forte dimension actuellement proposée soit refondée (4) suite à la connaissance des
obsessionnelle. Cependant, association (fréquence d’un allèle facteurs (génétiques et autres) impliqués. En effet, il semble que les
supérieur chez des sujets atteints par rapport à des sujets contrôles) analyses dimensionnelles et non catégorielles aient plus de validité, et
n’est pas liaison (transmission d’un allèle des parents hétérozygotes que les regroupements par types de syndromes (dépression versus
à l’enfant atteint). Une large étude européenne a ainsi montré, à troubles anxieux par exemple) n’aient pas beaucoup de cohérence si l’on
se fonde sur les facteurs étiopathologiques potentiellement en cause.
partir de plus de 300 familles nucléaires, que l’allèle A n’était pas
Les aspects génétiques des différents troubles psychiatriques de l’enfant
plus souvent transmis aux patients souffrant d’anorexie que ne le
et l’adolescent sont donnés par ordre décroissant du poids des facteurs
voudrait le hasard [25]. Une hypothèse a donc été que cet allèle A ait génétiques impliqués (héritabilité), c’est-à-dire débutant par l’autisme
un rôle uniquement dans un sous-groupe de patients (hétérogénéité (90 % d’héritabilité), puis l’hyperactivité avec déficit de l’attention
phénotypique de l’anorexie mentale), puisque l’allèle A est associé à (80 %), et enfin l’anorexie mentale (70 %). Les facteurs génétiques des
un âge de début tardif, rôle cette fois mis en évidence sur le mode troubles de l’humeur, des troubles anxieux et de la schizophrénie sont
associatif (en moyenne, les patientes ayant l’allèle A ont un âge de plus fréquemment étudiés chez l’adulte, même si certaines de ces
début plus tardif) et de liaison (lorsque l’allèle A est transmis d’un pathologies peuvent avoir de fortes spécificités lorsqu’elles débutent
parent à l’enfant atteint, celui-ci a en moyenne un âge de début avant l’âge adulte (pour revue, voir l’expertise collective de
moins précoce) [31]. l’Inserm [17]).

6
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Génétique des pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent 37-190-A-40

Références
[1] Anderson J, Williams S, McGee R, Silva P. DSM-III disorders [17] Expertise collective Troubles mentaux : dépistage et pré- [32] McGuffin P, Katz R. Nature, nurture and affective disorder.
in preadolescent children: prevalence in a large sample vention chez l’enfant et l’adolescent. Paris: Éditions Deakin JF ed. The biology of depression London: Gaskell
from the general population. Arch Gen Psychiatry 1987; 44: INSERM, 2002; 1-8871-887 Press, 1986
69-76 [18] Faraone SV, Doyle AE, Mick E, Biederman J. Meta-analysis [33] Maestrini E, Lai C, Marlow A, Matthews N, Wallace S, Bailey
[2] Asghari V, Sanyal S, Buchwaldt S, Paterson A, Jovanovic V, of the association between the 7-repeat allele of the dopa- A et al. Serotonin transporter (5-HTT) and gamma-
Van Tol H. Modulation of intracellular cyclic AMP levels by mine D(4) receptor gene and attention deficit hyperacti- aminobutyric acid receptor subunit beta3 (GABRB3) gene
different human dopamine D4 receptor variants. J Neuro- vity disorder. Am J Psychiatry 2001; 158: 1052-1057 polymorphisms are not associated with autism in the
chem 1995; 65: 1157-1165 IMGSA families. The International Molecular Genetic Study
[19] Feinstein C, Reiss A. Autism: the point of view from fragile X of Autism Consortium. Am J Med Genet 1999; 88: 492-496
[3] Asghari V, Shoots O, Van Kats S, Ohara K, Jovanovic V, Guan studies. J Autism Dev Disord 1998; 28: 393-405
H et al. Dopamine D4 receptor repeat: analysis of different [34] Maloney MJ, Shepahrd-Spiro P. Eating attitudes and beha-
[20] Flejter W, Bennet-Baker P, Ghazioddin M, McDonald M, viours of anorexia nervosa patients and their sisters. Gen
native and mutant forms of the human and rat genes. Mol Sheldon S, Gorski J. Cytogenetic and molecular analysis of
Pharmacol 1994; 46: 364-373 Hosp Psychiatry 1983; 5: 285-288
inv dup(15) chromosomes observed in two patients with [35] Mel H, Horowitz R, Ohel N, Kramer I, Kotler M, Cohen H et
[4] Ashley-Koch A, Wolpert CM, Menold MM, Zaeem L, Basu autistic disorder and mental retardation. Am J Med Genet al. Addictional evidence for an association between the
S, Donnelly SL et al. Genetic studies of autistic disorder and 1996; 61: 182-187 dopamine D4 receptor (DRD4) exon III seven-repeat allele
chromosome 7. Genomics 1999; 61: 227-236
[21] Gershon ES, Schreiber JL, Hamovit JR, Dibble ED, Kaye W, and substance abuse in opioid dependent subjects: rela-
[5] Barrett S, Beck JC, Bernier R, Bisson E, Braun TA, Casavant Nurnberger JL et al. Clinical findings in patients with ano- tionship of treatment retention to genotype and persona-
TL et al. An autosomal genomic screen for autism. Am J Med rexia nervosa and affective illness in their relatives. Am J lity. Addict Biol 1998; 3: 473-481
Genet 1999; 88: 609-615 Psychiatry 1984; 141: 1419-1422 [36] Philippe A, Martinez M, Guilloud-Bataille M, Gillberg C,
[6] Bass MP, Menold MM, Wolpert CM, Donnelly SL, Ravan [22] Gjone H, Novik TS. Parental ratings of behaviour problems: Rastam M, Sponheim E et al. Genome-wide scan for autism
SA, Hauser ER et al. Genetic studies in autistic disorder and a twin and general population comparison. J Child Psychol susceptibility genes. Paris Autism Research International
chromosome 15. Neurogenet 2000; 4: 219-226 Psychiatry 1995; 36: 1213-1224 Sibpair Study. Hum Mol Genet 1999; 8: 805-812
[7] Benjamin J, Li L, Patterson C, Greenberg BD, Murphy DL, [23] Goodall E, Silverstone T. Differential effect of d-fenflu- [37] Plomin R, Coon H, Carey G, DeFries J, Fulker D. Parent-
Hamer DH. Population and familial association between ramine and metergoline on food intake in human subjects. offspring and sibling adoption analysis of parental ratings
the D4 dopamine receptor gene and measures of Novelty Appetite 1988; 11: 215-228 of temperament in infancy and childhood. J Person 1991;
Seeking. Nat Genet 1996; 12: 81-84 59: 705-732
[24] Gorwood P, Bouvard M, Mouren-Siméoni MC, Kipman A, [38] Risch N, Spiker D, Lotspeich L, Nouri N, Hinds D, Hallmayer
[8] Biederman J. Attention-deficit/hyperactivity disorder: a Feingold J, Adès J. Genetics of anorexia nervosa: a review of
life-span perspective. J Clin Psychiatry 1998; 59 suppl 7: J et al. A genomic screen of autism: evidence for a multilo-
candidate genes. Psychiatr Genet 1998; 8: 1-12 cus etiology. Am J Hum Genet 1999; 65: 493-507
4-16
[25] Gorwood P, Adès J, Bellodi L, Cellini E, Collier D, Di Bella D [39] Schroer RJ, Phelan MC, Michaelis RC, Crawford EC, Skinner
[9] Cadoret RJ, Stewart MA. An adoption study of attention et al. The 5-HT2A –1438G/A polymorphism in anorexia SA, Cuccaro M et al. Autism and maternally derived aber-
deficit/hyperactivity/aggression and their relationship to nervosa: a combined analysis of 316 trios from six Euro- rations of chromosome 15q. Am J Med Genet 1998; 76:
adult antisocial personality. Compr Psychiatry 1991; 32: pean centers. Mol Psychiatry 2002; 7: 90-94 327-336
73-82
[26] Hallmayer J, Pintado E, Lotspeich L, Spiker D, McMahon W, [40] Smalley SL, Asarnow RF, Spence MA. Autism and genetics.
[10] Cantwell DP. Genetic studies of hyperactive children: psy- Petersen PB et al. Molecular analysis and test of linkage A decade of research. Arch Gen Psychiatry 1988; 45:
chiatric illness in biologic and adopting parents. Proc Annu between the FMR-1 gene and infantile autism in multiplex 953-961
Meet Am Psychopathol Assoc 1975; 63: 273-280 families. Am J Hum Genet 1994; 55: 951-959 [41] Swanson J, Sunohara G, Kennedy J, Regino R, Fineberg E,
[11] Castellanos FX. Toward a pathophysiology of attention- [27] Hallmayer J, Spiker D, Lotspeich L, McMahon WM, Peter- Wigal T et al. Association of the dopamine receptor D4
deficit/hyperactivity disorder. Clin Pediatr 1997; 36: sen PB, Nicholas P, Pingree C, Ciaranello RD. Male-to-male (DRD4) gene with a refined phenotype of attention deficit
381-393 transmission in extended pedigrees with multiple cases of hyperactivity disorder (ADHD): a family-based approach.
[12] Collier DA, Arranz MJ, Li T, Mupita D, Brown N, Treasure J. autism. Am J Med Genet 1996; 67: 13-18 Mol Psychiatry 1998; 3: 38-41
Association between the 5-HT2A gene promoter polymor- [42] Szatmari P, Jones M, Zwaigenbaum L, MacLean J. Genetics
[28] International molecular genetic study of autism consor-
phism and anorexia nervosa. Lancet 1997; 350: 412 of autism: overview and new directions. J Autism Dev Disord
tium. A full linkage screen for autism with evidence for
1998; 28: 351-368
[13] Cowen PJ, Clifford EM, Walsh AE, Williams C, Fairburn CG. linkage to a region on chromosome 7q Hum Mol Genet
Moderate dieting causes 5-HT2c receptor supersensitivity. 1998; 7: 571-578 [43] Treasure JL, Holland J. Genes and the aetiology of eating
Psychol Med 1996; 26: 1155-1159 disorders. The new genetics of mental illness 1990; 198-211
[29] Jamain S, Quach H, Betancur C, Rastam M, Colineaux C, [44] Turner M, Barnby G, Bailey A. Genetic clues to the biologi-
[14] Crisp AH, Hsu LF, Harding B, Hartshorn J. Clinical features Gillberg IC et al. Mutations of the X-linked genes encoding cal basis of autism. Mol Med Today 2000; 6: 238-244
of anorexia nervosa. A study of a consecutive series of neuroligins NLGN3 and NLGN4 are associated with
102 female patients. J Psychosom Res 1980; 24: 179-191 autism. Nat Genet 2003; 34: 27-29 [45] Vincent J, Herbrick JA, Gurling H, Bolton P, Roberts W,
Scherer S. Identification of a novel gene on chromosome
[15] Curzon G. Serotonin and eating disorders: pharmacologi- [30] Kipman A, Gorwood P, Mouren-Siméoni MC, Adès J. 7q31 that is interrupted by a translocation breakpoint in an
cal relationships. International academy of biomedical Genetic factors in anorexia nervosa. Eur Psychiatry 1999; autistic individual. Am J Hum Genet 2000; 67: 510-514
drug research, 1992 14: 189-198 [46] Warburton P, Baird G, Chen W, Morris K, Jacobs B,
[16] Dykens E, Volkmar F. Medical conditions associated with [31] Kipman A, Bruins-Slot L, Hanoun N, Adès J, Blot P, Hamon Hodgson S et al. Support for linkage of autism and specific
autism. Cohen DJ, Volkmar FR, eds. Handbook of autism and M et al. 5-HT2A gene promoter polymorphism as a modi- language impairment to 7q3 from two chromosome rear-
pervasive developmental disorders New York: Wiley, 1997; fying rather than a vulnerability factor in anorexia nervosa. rangements involving band 7q31. Am J Med Genet 2000;
388-410 Eur Psychiatry 2002; 17: 227-229 96: 228-234

7
ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 37-196-A-10

37-196-A-10

Interventions psychothérapeutiques
brèves parents-enfant
B Cramer R é s u m é. – Les thérapies brèves parents-enfant sont indiquées dans le plus grand
nombre de pathologies de la première enfance. Elles se focalisent sur une relation
pathologique et mettent en évidence les projections parentales ainsi que les interactions
symptomatiques. L’évaluation des effets de ces thérapies démontre une très bonne efficacité
sur les symptômes fonctionnels, moins sur les troubles du comportement et sur les
interactions.

Introduction Il s’agit de déchiffrer ces éléments préconscients ou inconscients chez les


parents en termes de leur activation de projections sur l’enfant.
Les psychothérapies analytiques brèves chez l’enfant ont été relativement peu Les critères d’indication de thérapies brèves dépendent de la nature de ces
décrites. On trouvera des revues de ce domaine dans quelques articles projections et identifications projectives, du type d’angoisse attenante, et du
spécialisés [1, 2, 3, 9, 10, 12, 13, 14, 15]. Ces thérapies sont souvent employées dans la degré de focalisation des conflits qui animent la relation. Lorsque le
consultation de psychiatrie infantile. thérapeute arrive rapidement à saisir une configuration centrale de ces
éléments, il y a de bonnes chances qu’il puisse s’acheminer vers une thérapie
brève.
Indication des thérapies brèves
Prétransfert et précontretransfert
Le processus de décision entraînant le thérapeute vers la sélection d’une
thérapie brève est le plus révélateur de la dynamique qui la caractérise. Dès le tout premier contact, le clinicien saisit la prédisposition animant le
Les indications sont avant tout basées sur l’évaluation du fonctionnement parent à chercher et à accepter de l’aide sous forme d’insight.
psychique des parents et de l’enfant, et particulièrement sur la nature des
interactions fantasmatiques et réelles qui les relient. Le prétransfert positif [13] tient en partie à l’idéalisation dont le thérapeute est
investi d’emblée, mais révèle également les aspects positifs de la relation des
parents à leurs propres parents comme soutien, complément, et source de
Demande force.
Son évaluation se base surtout sur la réaction du parent aux premières
Ce n’est pas a priori, mais bien au cours de la démarche diagnostique que se interventions du thérapeute : si elles entraînent une relance associative et un
précisera l’indication d’une thérapie brève. Le déroulement de la première ébranlement affectif, c’est que le parent est prêt à intégrer et employer les
séance joue là un rôle décisif. On peut la considérer comme un microcosme, interventions du thérapeute favorisant une approche brève.
révélateur de tous les éléments (en puissance) qui déterminent la relation
parents-enfant. Il s’agit donc de profiter de la dynamique de la première Le précontretransfert également doit être à prédominance positive : le
séance qui fera surgir en relief les éléments principaux du scénario conflictuel. thérapeute doit pouvoir assumer son désir d’être thérapeutique rapidement,
L’intensification liée à la première séance, qui provoque une « minicrise », va sans céder aux tentations d’activisme, de manipulation et d’autres
permettre d’évaluer les paramètres suivants, base de sélection d’une thérapie satisfactions magiques liées aux cures rapides. Il doit pouvoir se mobiliser en
brève : favorisant les associations sur un mode plus engagé qu’en séance d’analyse.
– formulation des plaintes ; La capacité de s’engager de manière active, sans tomber dans la manipulation,
– prétransfert et contre-transfert ; et d’établir une théorie en foyer, sans exclure l’apport de thèmes latéraux,
demande une personnalité particulière, ainsi qu’une formation ad hoc.
– projections et identifications liant les parents à l’enfant.

Évaluation du fonctionnement psychique des parents


Formulation des plaintes et de l’interaction parent-enfant
Les parents commencent toujours par décrire les problèmes et symptômes de
l’enfant. Les termes employés, les analogies évoquées, les associations Les thérapies brèves s’adressent aux conflits marquant la relation parent-
égrenées et la survenue d’affects intenses doivent être scrutés de près : enfant (plutôt qu’à la symptomatologie spécifique de l’enfant), c’est à ce
derrière leur justification objective apparaissent toujours - plus ou moins en niveau que se dessinera l’opportunité d’une thérapie brève.
filigrane - des contenus fantasmatiques reliés à des conflits, des objets et des Au cours de la première séance, le thérapeute devra pouvoir évaluer assez
événements de l’histoire des parents. précisément la nature des investissements objectaux et narcissiques qui sous-
tendent la relation à l’enfant.
Il faut qu’un investissement à prédominance positive (libidinale) soit présent
Bertrand Cramer : Professeur, université de Genève, clinique de psychiatrie infantile, 41, et que l’enfant soit perçu, du moins potentiellement, comme un individu
Crêts-de-Champel, 1206 Genève, Suisse. différent des parents, échappant à un emprisonnement trop étroit dans une
© Elsevier, Paris

thématique du « double », ou de la reproduction identique.


Toute référence à cet article doit porter la mention : Cramer B. Interventions L’étude des projections, des identifications, puis des interactions réelles qui
psychothérapeutiques brèves parents-enfant. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris),
Psychiatrie, 37-196-A-10, 1998, 3 p.
les actualisent, vont orienter de manière essentielle la sélection vers un genre
particulier de thérapie.
37-196-A-10 INTERVENTIONS PSYCHOTHÉRAPEUTIQUES BRÈVES PARENTS-ENFANT Psychiatrie

Transfert sur l’enfant En fin de séance, il annonce qui il désire revoir à la prochaine séance et
propose une série d’entretiens qu’il estime à moins de 10 séances. Si seuls les
On peut décrire comme un transfert sur l’enfant l’investissement qu’en fait le parents ou l’enfant ont été convoqués pour la première séance, c’est à la fin de
parent comme dépositaire d’objets de son passé, ou d’aspects de lui-même la deuxième séance, quand tous les protagonistes auront été entendus que se
refoulés (ou clivés).
fait cette annonce.
Une des constellations les plus typiques dans les thérapies brèves qui
réussissent, consiste dans le transfert d’un parent du parent. Lorsque cette L’annonce du nombre limité de séances permet d’éviter l’établissement d’un
forme peut être comprise selon une dynamique de deuil « mal fait », la transfert régressif et d’une stance contre-transférentielle d’attente qui
projection d’un attachement ambivalent, reporté sur l’enfant, peut être favoriserait cette régression.
interprétée relativement rapidement. Lorsque cette interprétation peut être La terminaison s’impose d’elle-même : elle procède d’un sentiment de
faite en entraînant un affect dépressif sans régression importante, on assiste soulagement de l’angoisse des membres consultants, d’une rémission des
généralement à un dégagement de l’enfant de l’« ombre reportée » de l’objet symptômes d’appel et, surtout, d’un réaménagement des investissements
original. Cette intervention entraîne souvent une rémission symptomatique réciproques : lorsque le parent parvient à réintégrer les projections faites sur
de l’enfant et une reprise du travail de deuil du parent, révélant la l’enfant, il « découvre » son enfant sous un nouveau jour, ce qu’il traduit
prédominance de l’aspect « réactionnel » de la pathogénie [12]. souvent par un sentiment de surprise ; ce réaménagement entraîne
Le parent peut également (ou simultanément) projeter sur l’enfant des aspects simultanément une modification des interactions réelles qui maintenaient le
de lui-même qui sont désavoués et refoulés. Si ces aspects ne sont pas trop symptôme, et une modification de la représentation qu’a l’enfant de ses
clivés et peuvent être réintégrés (ce qu’on peut juger au cours des premières relations à ses parents.
tentatives d’interprétation de la projection), une thérapie brève peut être À la dernière séance, un rendez-vous de contrôle est fixé à 6 mois.
envisagée.

Évaluation de l’interaction Évaluation des effets des thérapies conjointes


Lorsque le thérapeute peut rapidement saisir une homologie entre le conflit brèves
central et son actualisation dans un scénario interactif symptomatique, et que
le parent reconnaît le lien entre son vécu conflictuel et sa participation à Alors qu’il existe une vaste littérature concernant les effets des
l’interaction symptomatique, on peut espérer qu’une thérapie brève suffira psychothérapies chez les adultes, il en existe beaucoup moins en thérapie
pour débrancher le système interactif pathogène. d’enfants ; nos études [17] sont les premières à évaluer les thérapies conjointes
brèves. Des études évaluant les effets d’interventions reliées à la théorie de
l’attachement ont été également publiées [18].
Contre-indications
Nos études portent sur 75 dyades ; l’âge moyen des enfants est de 16 mois ; le
Ce qui précède indique, en négatif, les contre-indications. Lorsque la relation nombre moyen de séances est de six. Les motifs de consultation sont : les
à l’enfant est marquée d’une prédominance agressive, une thérapie brève est troubles du sommeil (52 %), les troubles du comportement (21 %), les
contre-indiquée. conflits parents-enfants (15 %), les troubles alimentaires (12 %).
Lorsque les projections sont trop rigides et massives (touchant plus qu’un Au lieu de prendre un groupe contrôle, non traité, ce qui est difficile à accepter
secteur du fonctionnement de l’enfant), entraînant une prise en bloc de
dans un service de psychiatrie, nous avons décidé d’employer un groupe de
l’enfant dans une matérialisation trop réaliste d’objets ou de parties du self
comparaison : alors que la forme de thérapie typique du service était de nature
clivées des parents, l’approche brève est exclue.
psychodynamique, un nombre égal de dyades a été traité par une thérapie
Lorsque le thérapeute ne peut esquisser de théorie focalisante au début des appelée « Guidance Interactive ». Ce traitement a été développé aux États-
contacts et que la confusion ou la sidération de l’intelligibilité de la Unis par McDonough [11]. Il consiste dans l’observation par la mère et le
dynamique parent-enfant s’imposent, le thérapeute sait qu’il ne pourra pas thérapeute d’épisodes de jeux mère-enfant enregistrés en vidéo. On demande
compter sur les parents pour éclairer le cas ; il s’achemine alors vers une à la mère comment elle se perçoit sur la vidéo et comment elle explique ses
approche conventionnelle, généralement centrée exclusivement sur la
motivations. Puis, le thérapeute souligne ce que la mère a fait de positif, afin
psychothérapie de l’enfant.
de mettre en évidence les ressources et les compétences maternelles.
Les pathologies lourdes de l’enfant et du parent (psychose, troubles graves de
la personnalité, états borderline, troubles graves du caractère) sont des contre-
indications aux traitements brefs. Mode d’évaluation des effets thérapeutiques
Trois domaines ont été employés pour mesurer les changements :
Symptomatologie et âge de l’enfant
– les symptômes ;
Bien que les consultations thérapeutiques conjointes puissent se pratiquer à – les représentations maternelles ;
tout âge [4, 5, 7, 14] et dans de nombreuses pathologies, c’est surtout dans les
troubles à composantes réactionnelles importantes, chez le jeune enfant, que – les interactions.
s’impose la thérapie brève. Les symptômes. Une liste de symptômes [16] est employée pour mesurer la
fréquence, la durée et l’intensité des perturbations dans les domaines
suivants : les fonctions corporelles (telles que l’alimentation, le sommeil,
Setting l’élimination, etc), les troubles du comportement (crises, agressions, etc),
Le setting des thérapies brèves est caractérisé par la désignation des les peurs, les problèmes de séparation. Un score « symptôme » est
partenaires du thérapeute et par la limite chronologique. quantifié.
Les représentations maternelles. On entend par là les représentations
Membres de la famille conscientes par lesquelles les mères qualifient l’enfant, leur mari, leur
On ne peut pas d’emblée désigner qui seront les membres de la famille mère, elle-même, etc. Les mères répondent aux 28 questions en inscrivant
participant à la thérapie. Cela dépend des opportunités thérapeutiques, une marque sur une droite qui représente une échelle bipolaire : à droite,
déterminées par l’engagement des divers membres, leur capacité d’insight, le qualificatif le plus positif (par exemple : affectueux), à gauche le
leurs contributions à la pathogenèse. Il s’agit d’établir à chaque fois quels sont qualificatif le plus négatif (par exemple : absolument pas affectueux). Les
les membres qui seront à même de contribuer au changement. Certains scores sont obtenus en mesurant la distance par rapport à chaque
parents s’excluent d’emblée, d’autres exigent de participer. Parfois, c’est au extrémité.
thérapeute de solliciter une rencontre avec tel parent, ou de créer une situation Les interactions mère-enfant. La mère et l’enfant sont enregistrés en vidéo
d’échange entre les deux parents et l’enfant. Parfois, il doit choisir de pendant 20 minutes, alors qu’ils interagissent en plusieurs épisodes : jeu avec
travailler alternativement avec les parents, puis l’enfant. objet, jeu sans objet, enseignement d’une tâche, ignorer l’enfant, séparation,
Chez l’enfant préscolaire, les thérapies sont toujours conjointes. retrouvailles. On code les interactions en remplissant une échelle de
sensibilité matérielle et suivant le Crittenden Experimental Index of Adult
Temps Infant Relationship [8].
À l’encontre des théories des psychothérapies brèves de l’adulte (Malan, L’étude de ces dimensions se fait avant la thérapie, juste après la thérapie,
Sifneos, Gilliéron), la limite dans le temps n’est pas présentée a priori, comme puis 6 et 12 mois plus tard. Le but est, évidemment, de constater si la
un ressort qui doit dynamiser le processus de changement. thérapie a amené des changements, et s’ils durent. Puis il s’agit de voir dans
Au cours du premier entretien, le déroulement du processus associatif et quels domaines les changements ont lieu, et, finalement, s’il y a des
l’évaluation des critères d’indication reportés plus haut, va orienter le différences dans les changements obtenus selon les deux différentes formes
thérapeute vers la possibilité d’une thérapie conjointe brève. de thérapie.

page 2
Psychiatrie INTERVENTIONS PSYCHOTHÉRAPEUTIQUES BRÈVES PARENTS-ENFANT 37-196-A-10

Résultats principaux Les thérapies conjointes brèves sont particulièrement efficaces dans les
troubles fonctionnels et dans ceux où l’on détecte un conflit central entre
Les effets les plus significatifs de la thérapie concernent la diminution ou la parents et enfant.
cessation des symptômes dits « fonctionnels » (troubles du sommeil et troubles
alimentaires). Les troubles du comportement et les peurs de séparation Les effets thérapeutiques sont obtenus simultanément par une mise en
diminuent de façon non significative. Les interactions mère-enfant sont toutes confiance de la mère concernant ses capacités, et par une modification de sa
améliorées, particulièrement en ce qui concerne la sensibilité maternelle aux perception préconsciente-inconsciente de son enfant.
signaux de l’enfant. Le contrôle maternel intrusif diminue et les enfants Dans la thérapie psychodynamique, cet effet est obtenu par la réduction de la
deviennent plus coopérants, plus faciles ; leurs affects sont plus souvent distorsion projective que la mère attachait à sa représentation de l’enfant.
positifs. Les représentations maternelles sont modifiées positivement, mais de Dans la guidance interactive, l’autoscopie par vidéo interposée joue un rôle
manière moins significative. D’une façon générale, les mères se perçoivent « objectivant » de la perception de l’enfant et rassure la mère sur ses
comme meilleures, plus compétentes, moins tristes. Leur estime d’elle-même compétences.
augmente. L’enfant est aussi perçu de manière plus positive.
Catamnèse
Durée des améliorations
Vu qu’une théorie soutient qu’à la cessation d’un symptôme succède Un certain nombre de ces cas reviennent spontanément pour d’autres
l’avènement d’un autre, nous avons recherché quelle symptomatologie consultations lors de nouvelles difficultés. On est à chaque fois impressionné
pouvait apparaître 6 à 12 mois plus tard. Non seulement il n’y a pas eu de de constater la permanence des thèmes fantasmatiques principaux des
symptôme de remplacement, mais les changements des interactions se sont parents. Mais une aide brève permet de réduire à nouveau l’effet pathogène
encore améliorés après la fin du traitement. des projections et la soumission de l’enfant à cette image projetée. Parfois, ce
Globalement, on ne perçoit pas de différences entre les effets des deux nouveau contact est l’occasion d’indiquer une thérapie sans limitation dans le
thérapies : la guidance interactive obtient des scores légèrement supérieurs temps, soit pour la mère, soit pour l’enfant.
au niveau des interactions, les psychodynamiques ont plus d’effets au niveau
du relèvement de l’estime de soi des mères.
Formation
Quelques conclusions Ces interventions brèves exigent une formation particulière touchant à la fois
Les thérapies conjointes mère-bébé, ou mère-père-bébé, sont le traitement de le développement de l’enfant et ce qu’on peut appeler les pathologies de la
choix dans la majorité des troubles de la petite enfance. Il est bien connu que parentalité. Il s’agit donc d’obtenir une formation concernant l’enfant et
la plupart des troubles des enfants jeunes sont de nature interrelationnelle. La l’adulte. Il est recommandable d’enseigner deux formes de thérapies
brièveté du traitement est contre-indiquée lorsqu’il y a une pathologie lourde différentes dans les services s’occupant d’enfants. Nous avons fait
(dépressive, borderline, psychotique) chez la mère, ou si l’enfant présente un l’expérience que si on offre le choix de la thérapie aux parents, ils ont des
grave trouble du développement. Nous avons été étonnés de constater que, préférences assez nettes, qui corrèlent assez bien avec l’indication proposée
dans un bon nombre de cas de mères en dépression post-partum, les résultats par les cliniciens. Par ailleurs, certaines formes de pathologies répondent
ont affecté positivement la relation, les symptômes de l’enfant et même la mieux à une approche interprétative, alors que d’autres réagissent mieux à la
thymie de la mère [6]. guidance interactive.

Références
[1] Berlin IN. Crisis intervention and short-term therapy : an ap- [8] Crittenden PM. Abusing, neglecting, problematic, and ad- [15] Palacio-Espasa F, Manzano J. Intra-psychic conflicts and
proach in a child psychiatric clinic. J Am Acad Child Psy- equate dyads differentiating by patterns of interaction. parent-child interactions in brief therapeutic interventions. In-
chiatr 1970 : 9 ; 595-607 Merrill-Palmer Quarterly, 1981 : 201-218 fant Mental Health J 1987 ; 8
[9] Debray R. Un cas de « cris paroxystiques » chez un bébé
[2] Bonamino V, Caratelli T. La psychothérapie psychanalytique
de quatre mois traité par une psychothérapie conjointe
brève pour enfant. Psychiatr Enfant 1988 ; 31 : 375-412 [16] Robert-Tissot C et al. Le questionnaire « Symptom Check-
mère-enfant. Neuropsychiatr Enfant 1985 ; 33 : 135-137
List » : évaluation des troubles psychofonctionnels de la pe-
[3] Cramer B. Interventions thérapeutiques brèves avec parents [10] Lester EP. La psychothérapie brève chez l’enfant en période tite enfance. In : Lebovici S, Mazet P, Visier JP eds. L’évalua-
et enfants. Psychiatr Enfant 1974 ; 17 : 53-117 de latence. Psychiatr Enfant 1967 ; 10 : 199-235 tion des interactions précoces entre le bébé et ses
[4] Cramer B. Vicissitudes de l’investissement du corps : symp- [11] McDonough SC. Promoting positive early parent-infant rela- partenaires. Paris, Genève : Eshel, Médecine et Hygiène,
tômes de conversion en période pubertaire. Psychiatr En- tionships through interaction guidance. Child Adolesc Psy- 1989 : 179-215
chiatr Clin North Am 1995 ; 4 : 661-672
fant 1977 ; 20 : 111-127
[12] Palacio-Espasa F. Diverses interventions psychothérapeuti-
[5] Cramer B. Psychothérapie du nourrisson. In : Lebovici S, ques en psychiatrie infantile. Psychotherapie 1984 ; 3 : [17] Robert-Tissot C et al. Outcome evaluation in brief mother-
Diatkine R, Soulé M eds. Traité de psychiatrie de l’enfant et 195-201 infant psychotherapies: report on 75 cases. Infant Mental
de l’adolescent. Paris : PUF, 1985 Health J 1996 ; 17 : 97-114
[13] Palacio-Espasa F. Indications et contre-indications des ap-
[6] Cramer B. Are post-partum depression a mother-infant rela- proches psychothérapeutiques brèves des enfants d’âge
préscolaire et de leurs parents. Étude faite à partir de [18] Van Ijzendoorn MH, Juffer F, Duyvesteyn MG et al. Breaking
tionship disorder? Infant Mental Health J 1993 ; 14 : 283-297
65 cas. Neuropsychiatr Enfance 1984 ; 32 : 591-609 the intergenerational cycle of insecure attachment: a review
[7] Cramer B, Palacio-Espasa F, Dufour R et al. Trente-six en- [14] Palacio-Espasa F, Manzano J. La consultation thérapeuti- of the effects of attachment-based interventions on maternal
coprétiques en thérapie. Psychiatr Enfant 1983 ; 26 : que des très jeunes enfants et de leurs mères. Psychiatr sensitivity and infant security. J Child Psychol Psychiatry
309-410 Enfant 1982 ; 15 : 5-25 1995 ; 36 : 225-248

page 3
Pédopsychiatrie
[37-200-B-40]

Modèles d'examen psychiatrique de l'enfant

Jacques Constant : Psychiatre des Hôpitaux, médecin-chef de l'intersecteur de Chartres


CH de Chartres, 1, rue Saint-Martin-au-Val, 28000 Chartres France
François Comiti : Psychiatre des Hôpitaux, directeur médical du CMPP de Bourges
7, place Louis-Lacombe, 18000 Bourges France

Résumé

" A la fois point de départ et point de référence de tout traitement " (Houzel [22]),
l'examen psychiatrique de l'enfant et l'entretien avec sa famille garantissent la légitimité
de toutes les pratiques qui seront proposées.

Dans sa " double dimension informative et interactive " (Mazet [29]), l'examen se déroule
" tout naturellement " et le débutant s'étonnera de la sobriété avec laquelle les maîtres
expérimentés pratiquent (Winnicott [45], Cramer [12], Diatkine [14], Chiland [9], Mises
[31]
). Cette virtuosité suppose l'intégration sous-jacente d'un grand nombre de variables
qui se complexifient du seul fait qu'il s'agit d'un enfant.

Pour rendre compte des processus qui permettent ce savoir-faire nous décrirons le travail
spécifique du pédopsychiatre après avoir énoncé des préalables méthodologiques. Nous
présenterons un modèle de description générale selon une chronologie pratique : avant la
consultation, avec les parents, avec l'enfant, la synthèse. La rigidité de cette présentation
contraste avec la souplesse nécessaire à l'exercice quotidien où le praticien se laissera
guider par la singularité de chaque cas. Quelles que soient les techniques choisies pour
recueillir l'information et même lorsqu'elles utilisent des outils standardisés, tout examen
d'enfant par un pédopsychiatre est d'abord une relation qui peut accéder à une dimension
thérapeutique (Winnicott [45]).

Nous passerons en revue d'autres modèles selon l'âge, selon les modalités d'exercice, et
selon certaines pratiques spécifiques.

© 1993 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page
PRÉ ALABLES MÉ THODOLOGIQUES

Particularités imposées par l'examen d'un enfant

Demande d'examen

Elle ne provient jamais de l'enfant lui-même. Personne mineure, dépendante dans ses
dimensions bio-psycho-sociales, l'enfant est amené par ses parents à la consultation. Cette
évidence condamne les pédopsychiatres à décliner une éternelle interrogation : qui
demande quoi à qui et pour quoi ? (Dolto [15], Hayez [21], Ody [32], Perrin [35]).

Un travail d'articulation entre les éléments venant des parents (les motifs de consultation)
et ceux recueillis directement auprès de l'enfant (la sémiologie psychiatrique) est donc
indispensable (Widlocher [43]) ; l'écart entre l'enfant décrit par les parents et l'enfant
observé par le psychiatre pèsera dans les orientations thérapeutiques, irréalisables sans
mandat de soins délivrés au médecin par la famille (Constant [11]).

L'enfance s'inscrit dans une évolution

Evidence du développement

Il complique toutes les opérations qu'effectue le pédopsychiatre ! Isoler un élément


sémiologique ne suffit pas. Il faut lui donner une double signification synchronique et
diachronique. La dialectique entre normal et pathologique se double de la nécessité
d'apprécier la valeur de la conduite repérée dans une perspective prédictive autant que
dans une dimension structurelle (Robins [36]). Cette inscription de l'enfance dans un
processus d'épigenèse que Marcelli [1] définit comme " une construction dépendant à la
fois du programme génétique et des matériaux et informations mis à la disposition par
l'environnement " oblige à la vigilance sur l'axe étiologique où des simplifications hâtives
peuvent vite faire confondre causes et conséquences.

Référence à une théorie du développement

C'est un outil méthodologique indispensable car les signes recueillis prennent leur valeur
en fonction de l'âge du sujet. Ce truisme (une conduite énurétique à 2, 8 et 12 ans n'a pas
même signification) introduit un débat compliqué. Il n'existe pas de théorie synthétique
rendant compte de tous les aspects du développement (Ajuriaguerra et Marcelli [1]).
Savoir sur quel modèle on fonctionne, en percevoir l'intérêt et les limites selon les cas,
sont donc des conditions méthodologiques à énoncer... même si, en pratique, on sera
amené à juxtaposer des éléments du tableau clinique éclairés par des conceptions non
congruentes.

Souffrance psychiatrique de l'enfant : des formes variées

Certes, il est possible d'être invité par l'enfant dans son jardin secret, et de l'entendre
évoquer ses émotions et ses conflits. Mais, le plus souvent, le pédopsychiatre devra
interpréter des conduites qui, à ses yeux, expriment des difficultés intrapsychiques et
intersubjectives (Skurnik [39]). Les manifestations dans le registre du corps, dans
l'utilisation des fonctions, dans le comportement, peuvent traduire une souffrance
psychiatrique chez l'enfant. Mais, devant, par exemple, les oppositions et désobéissances
de tous ordres, il faudra faire la part entre le désarroi personnel de l'enfant et celui de ses
parents, disqualifiés et culpabilisés. On n'oubliera pas pour autant que la souffrance
mentale des adultes, ou plus simplement leur mode d'organisation personnelle, peuvent
aussi se traduire par des troubles chez l'enfant (Arveiller [3]).
Référence à une conception de la pathologie infantile

Elle est indispensable pour recueillir la sémiologie. Comme dans toute élaboration
médicale, le travail consiste à coder des phénomènes repérés selon leur signification par
rapport à un corpus de savoir. En pédopsychiatrie, ce corpus n'est pas consensuel et les
oppositions entre les écoles se traduisent, entre autres, par l'existence de plusieurs
systèmes de classifications.

Divers modèles conceptuels orientent le regard du clinicien. En étudiant ce lien entre la


clinique et l'épistémologie, Marcelli et Ferrari [27] proposent cinq types de références : le
modèle sémiologique descriptif, le modèle lésionnel, le modèle onto- ou épigénétique, le
modèle environnemental, le modèle structurel.

En l'état actuel de notre discipline, ces auteurs constatent que " confrontés à un enfant
dans sa singularité, le clinicien utilise de façon préférentielle le ou les modèles qui lui
paraissent le plus pertinent pour sa compréhension ". Il en est de même pour le choix des
classifications qui seront, de préférence, multiaxiales et distingueront : l'axe
symptomatique descriptif, l'axe étiologique, l'axe pronostique, et, si possible, l'axe
psychodynamique (Pelsser [34]).

L'enfant s'inscrit dans une éducation

Ses parents doivent lui transmettre un système de valeurs et considèrent " l'intérêt
de l'enfant " selon des configurations culturelles et idéologiques variées. Le
conforme ou le déviant y servent de repères autant que le normal ou le
pathologique. A l'opposé, l'éthique médicale oblige le pédopsychiatre à ne pas
porter de jugement moral au cours de l'examen. Cette difficulté impose l'abandon
de toute attitude de savoir dogmatique et oblige le prescripteur à devenir
négociateur. A l'extrême, le devoir d'ingérence vient s'opposer au respect de la
singularité dans les cas où la souffrance psychiatrique de l'enfant est niée par son
entourage (Pariset [33]).
Pour se repérer dans cette complexité, chaque praticien devrait tendre à expliciter
ses points de vue référentiels en sociologie, anthropologie, éducation, politique...
En pratique, on apprendra à reconnaître ses propres limites de tolérance, on
s'habituera à repérer, dans le discours des familles, des travailleurs sociaux, des
enseignants, la place attribuée à l'enfant et au psychiatre. La démarche
pédopsychiatrique doit s'enrichir aussi de la connaissance du monde de l'enfance,
de ses rites, ses usages, ses modes.

Conditions imposées par l'examen psychiatrique

Conditions techniques

Dans les descriptions de la plupart des auteurs français, les modalités du recueil de
l'information sont influencées par l'expérience des cures psychanalytiques (Marcelli [1],
Mazet [28], Houzel [22], Chiland [9]). La technique d'écoute repère, dans le discours
spontané, des signes auxquels les examinateurs prêtent une signification
psychodynamique. La disponibilité du pédopsychiatre au climat affectif de l'examen forme
le noyau de cette technique et donne à chaque rencontre un aspect singulier.

Ce modèle se distingue toutefois radicalement des situations psychothérapiques. La


souplesse relationnelle de l'examinateur n'est pas neutralité. Son intention investigatrice
structure la rencontre. Cette attitude rejoint la tradition médicale en s'adaptant à la
singularité de sa recherche : l'enfant en difficulté psychiatrique. Le praticien cherche
autant à mesurer ses niveaux de performance dans le domaine du développement et de
l'apprentissage qu'à situer ses intérêts et son organisation mentale. Le clinicien apprécie la
sémiologie pédopsychiatrique et pose des hypothèses sur les mécanismes mis en jeu
lorsque l'enfant est sollicité dans ce cadre relationnel imposé (Constant, Comiti, Amour
[10]
).
Cette technique exclut la quête systématique du détail qui risque de faire perdre l'essentiel
d'une démarche où ne pas trop apprendre permet parfois de mieux comprendre. Elle
n'interdit pas au médecin de focaliser son attention sur un secteur du fonctionnement
psychique, comme s'il examinait à la loupe le détail d'une fresque.

Le matériel ainsi recueilli répond au besoin de la clinique quotidienne. Cependant, il peut


être nécessaire de définir des cibles symptomatiques - pour l'expérimentation
pharmacologique, par exemple - (Lachal [23]) ou de limiter l'investigation clinique à un
domaine de recherche particulier : autisme, dépression etc. Il faut alors une plus grande
rigueur formelle dans l'examen et surtout dans la présentation de ses résultats,
éventuellement sous forme de dossier informatisé. Pour répondre à ces critères, se
développent depuis une vingtaine d'années des techniques d'entretien semi-structurées
qui utilisent des listes de symptômes (check-list) ainsi que des entretiens structurés avec
inventaires et questionnaires. Un chapitre de cet ouvrage sera consacré à ces échelles
d'appréciation évaluatives (" rating-scales "). On trouvera des mises au point récentes en
anglais (Angold, 1984 [2]) et en français (Barthélémy, Lelord, 1991 [7]).

L'usage de grilles symptomatiques ne dispense pas le clinicien d'un travail spécifique


pendant la consultation. Les auteurs français s'accordent sur la place de ces instruments "
qui ne font, en fait, que compléter l'examen clinique et ne peuvent en aucun cas se
substituer à lui " (Barthélémy [6]).

Conditions matérielles

On disposera d'abord du temps nécessaire pour rencontrer la famille avec l'enfant et


rédiger le dossier (une à deux heures pour un premier entretien) ainsi que d'un espace
accueillant, différent du cabinet médical traditionnel. La table d'examen physique semble
de moins en moins utilisée (Beauchesne, Gibello [8]). Quelques jouets (des petites
voitures, une dînette, des poupées, des figurines voire des marionnettes), des livres pour
enfants, du papier pour dessiner, éventuellement un tableau pour " jouer à la maîtresse ",
des crayons de couleur ou des feutres, résument les accessoires.

Certains auteurs organisent une pièce d'observation, surtout pour les jeunes enfants, qu'ils
regardent ainsi à travers une glace sans tain ou qu'ils enregistrent au magnétoscope. On
peut également demander aux parents d'apporter des films de famille.

Conditions relationnelles

Nécessité de s'inscrire dans le phénomène observé

Comme dans toute science, l'observateur est dans la nécessité de s'inscrire lui-même dans
le phénomène observé. Hayez se compare ainsi " à un bon photographe avec cette
complexité supplémentaire que je dois aussi essayer de comprendre, où je suis, moi, sur
les photos " [21].

Concrètement, il faudra se laisser aller sans perdre de vue ses intentions investigatrices ;
écouter sans être neutre, être capable de percevoir ses propres attitudes et contre-
attitudes. On attachera de l'importance aux échanges infraverbaux (souvent mieux
observés a posteriori en vidéo). Peu à peu, l'examinateur apprendra à utiliser sa propre
personnalité comme un des instruments les plus fiables pour mesurer les situations
émotionnelles et affectives.

Relation avec les parents

Elle permet le recueil d'une partie des informations. Dans le modèle descriptif, les parents
sont considérés comme des co-observateurs avec le médecin. Dans les modèles
d'entretien systématique, les parents sont écoutés comme des éléments interactifs en jeu
dans le système familial. Dans le modèle psychodynamique, c'est plutôt le discours tenu
par les parents sur l'enfant qui va constituer un des objets de la recherche clinique.
Dans tous les cas, cela suppose de la part de l'examinateur une sorte d'écoute
polyphonique qui garde simultanément présente à l'esprit le fil de chacun des motifs qui
s'entrecroisent et le tableau d'ensemble qui se constitue à mesure.

Relation avec l'enfant

En entrant en contact avec l'enfant, en s'introduisant peu à peu dans les activités qu'il
entreprend dans le bureau, le pédopsychiatre va rechercher les données qu'il estimera
significatives selon le modèle référentiel qui guide son regard. La position de l'ethnologue
enquêtant sur le monde de l'enfance illustre cette situation commune à tous les praticiens.
Il s'agit de savoir comment cet enfant voit le monde où il vit, comment il fonctionne
psychiquement, de s'interroger sur les moyens dont il dispose et sur les procédures qu'il
emploie pour interagir avec son environnement.

Cet objectif d'investigation ne fait pas oublier au médecin-psychiatre les effets


mobilisateurs de l'examen sur le psychisme de l'enfant. En pratique habituelle, la
dimension potentiellement thérapeutique de cette situation peut représenter le premier
temps du traitement et prendre la priorité par rapport à l'investigation dans le travail du
pédopsychiatre.

Haut de page

PREMIER EXAMEN D'UN ENFANT SCOLARISÉ EN É COLE


PRIMAIRE

Modèle de description générale

Nous choisissons une situation courante : une mère vient seule présenter son enfant à un
pédopsychiatre. La consultation peut avoir lieu dans un cabinet d'exercice libéral, dans un
CMPP, dans un secteur public de psychiatrie infanto-juvénile.

L'âge choisi pour ce modèle de description correspond à une réalité statistique : sur les
230 000 enfants consultant en 1988 dans le secteur public (exploitation des rapports
annuels, DGS de juin 1991) on constate " une sur-représentation des enfants âgés de 5 à
9 ans (45 % des enfants suivis alors qu'en population générale, cette tranche d'âge
représente 23 % des 0-19 ans) ".

Ces données ne permettent toutefois pas de préjuger de la morbidité selon l'âge : " Il est
maintenant bien établi que les enfants vus dans les centres de consultations
pédopsychiatriques ne sont pas représentatifs des enfants ayant des difficultés
psychologiques dans la population " (Fombonne [18]).

Premier temps : avant la consultation

Décision de consulter

Elle fait suite à une mobilisation psychologique des ressources de la famille qui recherche
d'abord ses propres solutions, et qui ne consulte qu'en " désespoir de cause éducative "
(Constant, Comiti, Amour [10]). Dans le discours des parents, on saura repérer la petite
anecdote qui restitue, à ce temps du conseil ou de la pression, sa signification dans la
dynamique familiale. Winnicott [45] remarque la fréquence avec laquelle les enfants qui
venaient le consulter rêvaient de lui la veille du premier examen, preuve, pour cet auteur,
du travail élaboratif inconscient à l'oeuvre dans leur rencontre.
Origines de la consultation

Elles dépendent de la renommée du praticien et de l'implantation des services.

En 1989, Dazord [13] étudiant 366 enfants venus pour la première fois en consultation
note que 43 % des enfants sont adressés par l'école, 26 % par les familles, 19 % par les
médecins.

En 1991, sur 3 901 enfants, une enquête de l'INSERM (Thévenot, Quemada [42]) confirme
cette répartition : milieu scolaire 41 %, famille et proches 20 %, médecins libéraux 18 %,
services médico-sociaux 16 %, institutions et services administratifs 5 %.

Sémiologie de la réception

Elle peut être décrite à partir des modalités de prises de rendez-vous : au téléphone, la
qualité d'écoute des secrétaires permet déjà d'intégrer des informations utilisables dans
l'évaluation diagnostique. Dans la salle d'attente où l'on ira chercher l'enfant, on
remarquera des détails comme l'avance ou le retard sur l'heure du rendez-vous, être sur
les genoux de la mère ou assis à l'opposé, la présence plus ou moins bruyante de la
fratrie, des attitudes éducatives que les parents - se sachant observés - se croiront obligés
de prendre.

Deuxième temps : le psychiatre avec les parents

Motifs de consultation

Dans les études déjà citées (Dazord [13], Thévenot et Quemada [42]) les auteurs
retrouvent respectivement 48 % et 43 % de problèmes concernant l'enfant à l'école, 20 %
et 14 % de problèmes concernant l'enfant dans sa famille pour seulement 12 % de
demandes spécifiées de soins et 15 % de demandes d'avis spécialisés.

Dans les modèles psychodynamiques, les auteurs soulignent que les motifs de consultation
sont dans le registre parental, et ne peuvent être considérés comme exactement
superposables aux symptômes dont souffre l'enfant. L'énoncé de ces motifs peut
représenter les difficultés des parents autant que celles de l'enfant, et témoigner de la
qualité de leurs relations. Une inquiétude maternelle, par exemple, peut traduire la gravité
réelle d'un trouble chez l'enfant, mais cette inquiétude peut avoir aussi participé à la
constitution du tableau clinique.

Présence de l'enfant à l'entretien

Elle est diversement appréciée. S'entretenir préalablement seul avec le médecin permet
aux parents de s'exprimer plus librement. Au contraire, faire participer l'enfant l'associe
plus encore à la démarche centrée sur lui, et permet d'observer les interactions familiales.
Lui demander de quitter la pièce quand les motifs d'examen ont été exposés devant lui est
une modalité moyenne possible. D'autres conseillent plusieurs premiers entretiens (Houzel
[22]
) en séparant les rendez-vous des parents et de l'enfant. Les premiers instants sont
consacrés par le psychiatre à décliner son identité et à expliquer brièvement le
déroulement de la consultation. Cette présentation montre au jeune patient la
considération qu'on lui accorde et constitue une première réassurance. Les modalités de
séparation, pour que l'enfant reste seul avec l'examinateur, sont à considérer : certaines
mères manifestent leur désarroi, d'autres démontrent leur capacité d'ajustement en
favorisant la transition. Enfin, la tenue vestimentaire de l'enfant revêt souvent des
particularités éclairantes.
Premières formulations

A l'entrée dans le bureau, parfois la première phrase prononcée peut annoncer toute la
problématique. Ce moment rappelle les règles de la symphonie classique où le premier
mouvement se doit d'introduire tous les thèmes qui seront ensuite développés dans
l'oeuvre. Toutes les variations existent... depuis les mères cultivées, lectrices d'ouvrages
psychologisants, jusqu'aux mères muettes, tendant sans un mot la lettre du médecin
généraliste ou de l'institutrice qui les a poussées à consulter.

Recueil des éléments concernant l'enfant

Recherche synchronique : vers un portrait actuel de l'enfant

Le portrait de l'enfant dans le giron maternel. L'examinateur peut structurer


l'entretien en faisant préciser le déroulement d'une journée. On suivra ainsi
l'intimité familiale dans la chambre, la cuisine, la table, aux toilettes, au lever, au
coucher. Par ce biais, on abordera l'état des grandes fonctions (sommeil,
alimentation, défécation, motricité) ; les symptômes qui s'y réfèrent (inappétence,
rites du coucher, phobies de situation, maladresse) ; le style habituel de l'enfant,
ses modalités interactionnelles de base, sa position dans la progression vers
l'indépendance (Constant, Comiti, Amour [10]).
Le portrait de l'enfant dans la maison, par sa richesse ou sa pauvreté, témoigne de
l'intérêt qu'on lui porte. Ses relations avec les autres membres de la fratrie ou de
la famille, ses manières de table (si souvent source de conflits, ainsi que la façon
dont se passent les devoirs et les leçons), son attitude chez sa nourrice, ses jeux
habituels, ses émissions préférées de télévision, les activités qu'il partage avec ses
parents, sont quelques-uns des points utiles à faire préciser.
Le portrait de l'enfant au dehors est l'occasion de s'intéresser à l'école, mais aussi
aux activités culturelles et sportives (clubs, centres aérés), ainsi qu'aux
séparations plus longues (classes de neige, colonies de vacances, hospitalisations).
A travers ces cercles de familles, le psychiatre reconstitue un tableau, non
seulement de l'enfant, mais aussi de la relation mère-enfant. Les dimensions
éventuellement psychiatriques du tableau clinique s'esquissent dès ce moment.

Recherche diachronique : vers les antécédents de l'enfant

C'est la partie la plus classiquement médicale de l'entretien. Certaines mères dévident


elles-mêmes les repères usuels du développement et évoquent les événements de
l'histoire pathologique éventuelle de leur enfant.

Ce temps de l'entretien peut se structurer en s'appuyant sur le carnet de santé pour suivre
les antécédents pré- et périnataux, les diverses affections somatiques et leur gravité, la
croissance générale, le développement posturomoteur, les acquisitions fonctionnelles et la
maturation des diverses fonctions neurophysiologiques.

Le pédopsychiatre, par des questions ouvertes, qui éviteront d'être inductrices et de fixer
l'attention maternelle en raison du risque iatrogène, accordera toute leur valeur aux
acquisitions précoces ou dysharmonieuses. On explorera ainsi l'évolution de chaque
secteur du développement : maturation psychomotrice, du langage, intellectuelle et
cognitive, émotionnelle et affective, sociale. L'écoute saura rester psychiatrique en
repérant les associations du discours maternel qui peuvent servir de guide, aussi sûrement
qu'un questionnaire, pour replacer les repères évolutifs de l'enfant dans le contexte des
particularités de chaque famille : précocité comparée à celle d'un frère, signification du
rang dans la fratrie, retentissement d'une maladie pédiatrique dans le système familial,
résonance des avatars scolaires, séparation d'avec un parent, etc. L'importance concrète
des antécédents se double de la valeur fantasmatique que leur attribue chaque famille.

Recueil des éléments concernant les parents


Sauf cas de pathologie mentale manifeste, il importe de rappeler que l'entretien avec les
adultes n'est pas un examen psychiatrique de ceux-ci. C'est en leur qualité de parents que
le psychiatre les écoute. Les modèles psychodynamiques ont bien montré toute l'ambiguïté
de cette situation (Drossart [17]).

L'exploration des antécédents familiaux permet parfois de s'orienter vers des affections à
caractère génétique, pour lesquelles on trace un génogramme devant les parents
(MacGoldriek [26]). Ce procédé autorise, de toute façon, des digressions sur la place de
l'enfant dans sa famille. Des événements pertinents dans l'histoire des parents, voire des
grands-parents, se répètent parfois chez l'enfant dans une véritable transmission
intergénérationnelle.

Exploration de l'histoire de la relation parents-enfant

Elle permet de mieux comprendre la façon dont le père et la mère conçoivent cet enfant
particulier ; de relativiser la valeur des symptômes qu'en conséquence ils privilégient ou
occultent ; de prévoir le sens que les traitements prendront, pour eux, avec les
conséquences que l'on devine sur le suivi thérapeutique. Quelques points nodaux
émergent de cette histoire, souvent spontanément : souvenirs de la grossesse, vécu de
l'accouchement, prédictions de la sage-femme, jugement des grands-parents, modes de
garde de l'enfant... La place de l'autre parent dans cette histoire est riche d'enseignement.

Troisième temps : le temps avec l'enfant

La plupart des auteurs (Diatkine [14], Houzel et Mazet [28], Lang [25]) conseillent aux
pédopsychiatres de se laisser guider par le plaisir pris par l'enfant à manier le matériel
existant, à explorer l'espace de la pièce. Les éléments surgissent dans le désordre et tout
l'art de l'examinateur consiste à s'adapter. L'autorité tranquille du praticien constitue une
limite aux inquiétudes de la plupart des enfants qui s'absorbent, sans faire plus de façon,
dans un dessin ou un jeu.

La place de l'examen somatique, centrale chez les premiers pédopsychiatres, tend


aujourd'hui à décroître avec le développement de la médecine préventive et de la
pédiatrie. Certains pratiquent encore systématiquement une exploration somatique.
D'autres préfèrent orienter, au moindre doute, l'enfant vers un pédiatre. De toute façon, le
pédopsychiatre est d'abord un médecin : il veillera à rechercher le poids des facteurs
somatiques et en particulier les déficits sensoriels partiels qui ont pu demeurer inaperçus
jusque-là.

Cinq verbes à l'infinitif : parler, dessiner, jouer, bouger, apprendre, représentent les
formes d'expressions et d'actions enfantines qui servent de médiations à la rencontre
pédopsychiatrique (Constant, Comiti, Amour [10]). Toutes les nuances de la
communication pourront s'épanouir à travers les interactions que ces médiations
permettront. Selon la singularité de chaque cas, on insistera sur les modalités de contact
ou d'expression, on oscillera entre la compréhension et l'exploration, on se focalisera sur
une seule médiation. Il faudra savoir prendre son temps, ne pas chercher à séduire
l'enfant ni à faire effraction dans son fonctionnement psychique, s'efforcer de le mettre en
possession de tous ses moyens.

Parler

La vérité sort de la bouche des enfants

Encore faut-il ne pas interrompre, par des questions intempestives, le discours enfantin. Le
pédopsychiatre adopte une formulation correspondant au niveau de compréhension de son
interlocuteur. L'enfant invite l'adulte jusque dans son jardin intérieur ; il évoque ses
rêveries diurnes, relate ses rêves nocturnes, exprime ses peurs secrètes. L'attention que
lui porte l'adulte l'incite à profiter de l'occasion.
Qualité du langage

Dans sa progressive acquisition, elle peut être étudiée pour elle-même. Le langage est-il le
problème, l'un des problèmes, la conséquence ou le masque d'un autre problème ? En tant
qu'instrument fonctionnel, il pourra faire l'objet d'une évaluation structurée : audition et
organes phonatoires, niveau gnosopraxique et phonologique (étudiant les sons en tant
qu'unités significatives élémentaires), niveau linguistique (avec le vocabulaire, la syntaxe,
la grammaire, le récit). Une telle étude, que l'on demandera à l'orthophoniste, portera non
seulement sur l'expression mais aussi sur la compréhension, souvent surestimée, et
s'intéressera au langage écrit. En pratique, les troubles majeurs seront largement cernés
au cours de l'examen médical : bégaiement, simples troubles d'articulation, retard de
parole, retard de langage plus sévère, et, à l'extrême, dysphasie.

Dans ses rapports avec l'intelligence et l'affectivité, l'utilisation et l'investissement du


langage par le sujet orientent parfois déjà vers le diagnostic psychiatrique : propos
indigents témoignant d'une déficience intellectuelle, loquacité attirant l'attention vers une
hypomanie défensive, mutisme ayant valeur d'évitement relationnel, etc. L'écoute
psychiatrique saura, par ailleurs, donner toute sa valeur à un silence au milieu d'une
phrase, à une réorientation inopinée des dires, à un désaccord entre l'expression et le
contenu du discours, à des contradictions dans les propos ou à une formulation régressive
en cours d'entretien.

Dessiner

Activité spontanée, le dessin est généralement accepté sans difficulté entre 4 et 10 ans.
C'est un document souvent évocateur que l'on peut joindre au dossier et comparer aux
productions antérieures.

Laisser dessiner

On laisse dessiner en suivant attentivement l'élaboration. On prêtera attention à la


posture, à la façon de tenir le crayon, au plaisir manifesté par l'enfant, aux commentaires
verbaux. On peut aussi intervenir de façon plus active, demander la signification des
détails de l'oeuvre. De façon ludique, on remarque certains oublis en ménageant le petit
artiste. Le dessin peut être spontané, suggéré ou imposé : un bonhomme, une maison,
une famille. Il ne s'agit pas tant d'un dessin que d'un enfant en train de dessiner, dont se
dégage une impression générale qui s'approfondit et se diversifie au cours de la réalisation
de l'oeuvre. Toute sa personnalité y est engagée, au point que dans l'opinion publique il
n'est pas rare de se représenter tout l'examen psychiatrique de l'enfant comme contenu
dans la seule épreuve du dessin.

Richesse de cette médiation

Elle a fait l'objet de nombreux travaux. Le développement génétique a été étudié par
Luquet et plus récemment par Lurcat et Wallon (évolution graphique du dessin d'enfant à
partir du thème de l'animal). Widlocher [44] considère le dessin comme un système
particulier de signes et y retrouve une valeur expressive (chaque détail portant la marque
de la vie émotionnelle de l'enfant) ; une valeur projective générale (comparable à celle
attribuée aux tests) ; une valeur narrative (s'appuyant sur les objets figurés et les scènes
qu'il représente) ; une dimension inconsciente, au sens psychanalytique.

Médiation par le dessin

Elle permet alors de repérer :

des troubles neuro- ou psychomoteurs, soupçonnés sur une maladresse graphique,


un tremblement, des difficultés spatiales dans l'espace de la feuille ;
des troubles cognitivo-intellectuels se manifestant par la pauvreté évocatrice de la
facture et des thèmes que l'on pourra mesurer par des épreuves standardisées :
bonhomme de Goudenough, dame de Fay, etc. ;
des troubles relationnels et de la personnalité que l'on pourra percevoir en
observant comment l'enfant utilise le dessin dans la relation (pour l'éviter ou pour
se rapprocher), son plaisir à dessiner, la verbalisation d'accompagnement, la
facture formelle où se manifestent souvent de façon lisible les symptômes et
parfois même les mécanismes psychopathologiques, leur enchaînement ainsi que
la symbolique des représentations. Winnicott [45], à partir d'échanges de gribouillis
(technique du " squiggle "), orientait ainsi le dessin vers une activité
psychothérapique.

Jouer

Le jeu : une des affaires les plus sérieuses du monde de l'enfance

Outre le matériel (figurines bien identifiables, de valeurs affectives variées, clôtures,


poupées, dînettes), le pédopsychiatre comprendra le jeu d'autant plus aisément qu'il se
tiendra informé des modes enfantines : dessins animés, films à succès, héros du jour...,
toutes formes servant de support aux activités ludiques.

A travers son intérêt pour le matériel, son maniement, sa capacité à raconter les histoires,
il devient possible, avec l'expérience, de se faire une opinion sur les capacités
intellectuelles et fonctionnelles de l'enfant, sur le stade de développement où il se trouve,
sur son état émotionnel et même - en se méfiant des interprétations trop simplistes - sur
les lignes d'organisation de sa personnalité, les points conflictuels qu'il met, en général, en
scène, de façon assez transparente.

Le jeu : un moyen d'investigation

Il permet d'explorer la sphère relationnelle et même la structure de la personnalité. Le


choix des données pertinentes est lié aux options théoriques de l'examinateur. Dans le
domaine psychodynamique, la sémiologie du jeu permet de cerner la nature de l'angoisse,
les processus de défense, les capacités symboliques, les fixations et régressions, les
caractéristiques de l'agressivité. On notera ainsi le plaisir global à jouer (menacé lors des
inhibitions), les modalités de début (l'enfant peut sortir chaque figurine au hasard, les
choisir une à une, les renverser en vrac, les ordonner ou les dénommer à mesure), les
capacités à organiser le jeu. On observera les thèmes, leur nature, leur enchaînement, leur
bizarreries éventuelles, le monde de relation entre les figurines (indistinction, appareillage
par deux, rapports plus complexes), le mode d'organisation et le déroulement de l'action
dramatique. Plutôt riche ou pauvre, répétitif ou inventif, parfois cru et incohérent, le style
du jeu rappellera le style de la personnalité : évitement phobique, ordonnancement
obsessionnel, etc. On notera le contexte thymique avec ses variations (anxiété, détente,
excitation, tristesse, dévitalisation), la place conférée à l'examinateur (convié à jouer,
ignoré ou mis à distance, recherché pour soutenir le fonctionnement ludique de l'enfant
lui-même). Certains auteurs s'appuient sur des techniques plus précises : psychodrame
d'évaluation, jeux de rôle parfois dévolu à des marionnettes.

D'autres éléments de la personnalité se laissent appréhender à travers le jeu : la


psychomotricité (stabilité, préférence manuelle, qualité de la motricité fine, coordination,
dystonie, mouvements anormaux), la sphère intellectuelle qui donne sa physionomie à
toute l'activité ludique : attention ou dispersion, richesse des connaissances se manifestant
dans des séquences, ou au contraire morne alignement répétitif de figurines.

Bouger

Développement de la posture et de la motricité


selon des points de vue complémentaires pour apprécier, compte tenu de l'état des
structures anatomiques de base et de leur organisation : la qualité et l'adéquation de
l'action à son but (départ et déroulement du geste, ajustement à sa finalité, etc.) ; la
dimension relationnelle du corps (posture, mimique, manière d'être) engagé dans cette
action, puisque celle-ci se déroule précisément dans une relation à l'autre, sous le regard
de l'examinateur.

Les parents

Ils font pratiquement souvent état de troubles psychomoteurs chez leur enfant :
instabilité, inhibition, maladresse, voire rythmies motrices comme les balancements,
succion du pouce, etc. Leur description est nuancée et enrichie par ce que l'on apprend de
la place conférée aux mouvements de l'enfant dans sa famille : espace qui lui est alloué
dans la maison pour s'ébattre, tolérance à ses mouvements spontanés et à son libre
exercice moteur, incitation à des activités sportives, conduites éducatives restrictives et
contraignantes pour des raisons diverses (goût excessif de l'ordre, crainte phobique d'un
accident). Des regards interdicteurs ou des injonctions superflues d'immobilité peuvent
orienter le médecin au cours de la consultation.

Observation du comportement spontané de l'enfant en examen

Elle fournit déjà une riche moisson sur le plan sémiologique et permet de demander si
besoin un bilan psychomoteur spécialisé. Peuvent être aussi évocatrices : une maladresse
à la manipulation des figurines, une attitude guindée qui persiste après les premiers
moments, une instabilité qui fait effraction malgré les efforts pour se contenir, ou une
difficulté graphique dans l'espace de la feuille.

Certains troubles renvoient d'emblée à une pathologie psychiatrique (stéréotypie motrice


d'une psychose, ou symptôme d'une conversion hystérique), ou à une pathologie
organique nécessitant un bilan neurologique pratiqué par un spécialiste.

Examen psychomoteur

Demandé à un psychorééducateur, il étudiera le comportement moteur général, la


motricité fine et la qualité du geste, le tonus de fond et d'action, les différents aspects de
la latéralisation, le schéma corporel, l'organisation dans le temps et dans l'espace. Au
terme du bilan spécialisé, des troubles psychomoteurs variés et de divers niveaux sont
ainsi mis en évidence : maladresses, dysgraphies, paratonies, syncinésies, latéralités
pathologiques, troubles du schéma corporel, troubles de l'organisation temporo-spatiale,
instabilités, troubles de l'initiative motrice, etc. On cherchera leur groupement éventuel
dans des tableaux individualisés (" retards psychomoteurs ", dyspraxies, etc.) ou leur
association avec des troubles d'un autre registre (retard de langage, par exemple).

A signaler les échelles de Conners (CTRS, CPRS) où enseignants et parents sont invités à
évaluer, selon leur intensité, l'évolution des troubles moteurs et de l'attention pour suivre
les effets des thérapeutiques prescrites à l'enfant hyperkinétique.

Apprendre

Résultats et adaptation à l'école

Recherchés dans l'entretien avec les parents, ils permettent de se faire une idée des
valeurs culturelles et des aspirations de la famille. L'examen des cahiers, si souvent
apportés, gagne à être fait en présence de l'écolier. Encore faut-il connaître les principaux
repères des programmes d'enseignement.
Proposer à l'enfant une courte tâche scolaire

Une petite dictée de quelques phrases, quelques problèmes simples, donnent des
indications qui dépassent l'évaluation des apprentissages. On pourra demander un bilan
spécialisé : épreuve psychométrique standardisée, bilan psychopédagogique classique,
bilans cognitifs.

Examen clinique

Il permet d'avoir une première idée des capacités du sujet et de sa position face aux
apprentissages. On portera, pour cela, le regard sur la curiosité générale de l'enfant, son
plaisir à apprendre, le maniement des symboles et des codes, la maturité et la cohérence
logique du déroulement de sa pensée, la façon dont il s'évalue et dont il perçoit les
exigences de ses parents ainsi que leurs réactions à ses résultats. L'examen cherchera
aussi à évaluer son opinion sur la cause de ses difficultés scolaires, sa demande d'aide ou
sa résignation voire sa si fréquente opposition, souvent étayée par des jugements
expéditifs portés par lui sur l'enseignant ou sur ses dispositions à son égard.

En complément, certains auteurs sollicitent la participation directe des enseignants en leur


demandant de remplir des échelles d'évaluation, plus ciblées que les classiques bilans
scolaires ou les lettres que les parents ont parfois demandées au maître d'école. A cette
fin, peuvent être utilisées des traductions françaises de l'échelle " Devereux Elementary
School Behavior Rating Scale " (Spivack-Swift, 1983) et de la grille d'analyse du
comportement (Gac, Hontared 1976).

Quatrième temps. Temps de la synthèse : vers les options thérapeutiques

Fin de la consultation

C'est un moment délicat : la mère revient dans le bureau, s'inquiète autant que son enfant
de l'opinion du " docteur ", demande avis et conseils. C'est le " médecin " qui répond,
évitant tout jugement, orientant la consultation vers un processus de soin, négociant une
alliance thérapeutique plutôt que prescrivant une conduite à tenir. Les réponses que le
praticien peut envisager dépendent des équipements dont il dispose. En pratique de
pédopsychiatrie généraliste, tout l'art consiste à terminer par une ouverture permettant le
choix d'une thérapeutique appropriée et acceptée. Selon les cas, on considérera que la
consultation a été thérapeutique en elle-même, on adressera pour éclairage
complémentaire à des collaborateurs, on proposera de se revoir pour de " nouveaux
premiers entretiens ", on attendra une réunion de synthèse pour décider d'une prise en
charge.

Opérations mentales du pédopsychiatre

A ce moment, elles peuvent prendre l'aspect hypothético-déductif d'un arbre de décision.


Mais la rationalisation risque de faire rater l'essentiel. En fait, tout au long de l'examen, le
praticien a déjà opéré des regroupements et des sélections. Tatossian parle de " modèle
perceptif " pour définir cette activité clinique qui " naît par une perception vivante et
efficace, dynamique et même dialectique..dans et avec les symptômes plutôt que par et
après les symptômes " [40]. Même s'il faut se garder du risque d'un diagnostic trop
grossier (qui ne serait peut-être que la preuve de la contre-attitude du clinicien), ce qu'a
ressenti le psychiatre au cours de la consultation prend ici une valeur scientifique. " Dans
notre domaine, contrairement aux sciences objectivantes, ce qui est le plus objectif
consiste d'abord à rendre intelligible la subjectivité " (API [4]). L'effort intellectuel de
synthèse n'en reste pas moins indispensable pour ne pas confondre l'activité clinique avec
une rencontre phénoménologique, et réduire l'observation psychiatrique à une
sténographie journalistique. Ce travail d'élaboration sera rarement possible en présence de
la famille. C'est après, à distance du climat émotionnel de la consultation, que le
pédopsychiatre rédigera le dossier écrit.
Synthétiser au niveau de l'enfant

Les éléments recueillis doivent maintenant devenir des informations utilisables. Le modèle
de référence choisi par le praticien oriente autant cette synthèse que la réalité du tableau
clinique et du contexte de l'exercice.

Dans les modèles descriptifs et lésionnels

On isolera d'abord les facteurs étiologiques notamment neurophysiologiques. La sémiologie


précisera les troubles manifestés par l'enfant ou signalés par ses parents. Le diagnostic
consistera à identifier des syndromes à partir de comportements décrits avec précision.
Les praticiens qui orientent leurs regards dans cette perspective ont souvent utilisé, pour
le recueil de l'information, des échelles d'évaluation qui leur ont permis de sérier la
symptomatologie et qui orienteront leur synthèse vers une classification descriptive.

[25]
Dans les modèles structurels psychopathologiques (Lang )

On posera d'abord, comme préalable à toute compréhension, qu'il existe un


appareil psychique structurant l'organisation mentale. Les diverses conduites
avec leur versant comportemental manifeste et leur versant mental interne
(imaginaire conscient ou fantasmatique inconscient) s'articulent entre elles au
sein de ce fonctionnement psychique. Cette hypothèse permet de tenter une
compréhension de la signification des conduites en rapport avec les mécanismes
qui régissent le fonctionnement de l'appareil psychique. La théorie pulsionnelle
est commune à toutes les applications - au demeurant très diversifiées - de ce
principe.

Anna Freud explicite cette démarche : " Dans l'esprit de l'analyste, l'ensemble du
matériel collecté durant l'étape diagnostique s'organise de lui-même en ce que
nous pouvons appeler un profil métapsychologique global de l'enfant, à savoir en
un tableau qui comprend les données dynamiques, génétiques, économiques,
structurales et adaptatives " [19].

Dans cette perspective, le repérage d'un ou plusieurs symptômes ne prend de


signification diagnostique et pronostique que par rapport à l'ensemble de
l'organisation mentale. Diatkine, cité par Houzel [22], distingue deux éventualités
:

le ou les symptômes n'entraînent qu'une gêne minime dans l'activité du


sujet et il faut alors apprécier " la mobilité des investissements et en
particulier la capacité à trouver du plaisir dans le fonctionnement même
des opérations mentales ", la possibilité pour l'enfant de s'attacher à des
tâches nouvelles, de transférer sur des personnages substitutifs ses désirs
oedipiens, son goût pour les histoires, qu'il s'agisse de fantaisie ou de
lecture, enfin l'intensité de son désir de connaître, de comprendre, son
appétit pour l'abstraction ;
l'organisation mentale de l'enfant entraîne une restriction de son activité.
Il faut alors évaluer non pas tant l'intensité de sa souffrance, qui peut être
masquée par des bénéfices secondaires, ni son inadaptation à l'entourage,
qui ne dépend pas que de lui, mais surtout le caractère, réversible ou non,
de la structure qui s'organise.

Synthétiser au niveau des parents et de l'ensemble familial

Le praticien tiendra compte du style culturel et transactionnel de la famille. Les


éléments de réalité (conditions de vie, configurations de la famille) interfèrent
portent l'accent sur les processus fantasmatiques jusqu'à faire de l'enfant
l'incarnation de la parole de ses parents. Dans une perspective psychiatrique plus
classique, on appréciera le profil psychologique de chaque parent dans les cas où
cela apparaîtra nécessaire.

Dossier écrit

La rédaction d'un document nécessite un temps complémentaire à celui de la


consultation et oblige le praticien à classifier les éléments recueillis.

La plupart des auteurs français conseillent la rédaction d'un compte rendu qui, en
s'assurant de la confidentialité du document, décrira d'abord le climat général de
l'examen et se centrera sur " ce qui fait la dimension spécifiquement
psychiatrique des faits : les affects, le mode de contact, la façon de communiquer
ou de ne pas communiquer de l'enfant " (Houzel [22]).

Le rédacteur mettra ensuite les données en forme selon les objectifs qu'il se fixe
dans le contexte de sa pratique. La tendance actuelle à informatiser les dossiers
médicaux (Thévenot, Quemada [41]) ne fera pas oublier la dimension interactive
de toute rencontre pédopsychiatrique. En précisant la sémiologie, le praticien
acceptera de classer les phénomènes observés et ressentis selon des axes de
cohérence, des éclairages théoriques. Ceci implique d'oser trier et hiérarchiser
les signes considérés comme pertinents et à articuler entre elles des données
parfois contradictoires.

Les praticiens disposent de diverses classifications : la CIM 10 de l'Organisation


mondiale de la santé, le DSM III R de l'Association de psychiatrie américaine, la
classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent dont
l'utilisation est recommandée par le ministère de la Santé en France (Misès [31]).

Si les informations ont été recueillies par des techniques standardisées, le choix
d'une classification dépend, en fait, des instruments mis en oeuvre. Ainsi,
l'emploi du " Kiddie SADS " (" Schedule for Affective Disorder and Schizophrenia
") de Puig-Antich, outil couramment utilisé aux États-Unis et conseillé par
certains auteurs français (Dugas [16]), aboutit à directement remplir l'axe I du
DSM III R, ce qui aide au traitement informatique des données.

Haut de page

MODÈLES D'EXAMENS SELON L'Â GE

Examen du nourrisson

Présence simultanée de l'enfant et de la mère

Elle permet une observation directe et concrète de leurs interactions. L'usage


d'un magnétoscope, facilement accepté si l'examinateur n'en est pas gêné,
permet de revoir certaines séquences passées inaperçues ou de revisionner la
bande avec la mère (Mazet [30]).

La relative plasticité à cet âge confère une dimension potentiellement


thérapeutique à tout entretien. La rapidité développement lors des deux
premières années rend nécessaire une bonne connaissance de la succession des
étapes, sous peine d'interprétation sémiologique erronée parce qu'anachronique.

On tiendra compte de l'écart entre les performances et les compétences de


l'enfant.

La méthode est peu directive. L'examen du bébé consiste en une observation de


son comportement spontané et en réponses aux sollicitations. Certains préfèrent
maintenir une distance vis-à-vis du bébé alors que d'autres cherchent à entrer
directement en contact avec lui. Le bébé, par son comportement, oriente les
propos de la mère et permet d'aborder naturellement les attitudes parentales
qu'il suscite.

Observation des interactions

Sans entrer dans les détails d'une microanalyse des types de dysfonctionnements
(Rosenfeld [37]) on appréciera notamment : la quantité, la fréquence et la
régularité des échanges interactifs ; leur forme : chaînes interactives courtes, ou
longues ou entrecoupées ; leur mode : corporel, visuel, vocal, gestuel ou
complexe ; leur contingence : adéquation réciproque, et l'enrichissement mutuel
de leurs configurations. On étudie aussi les interactions affectives entre la mère
et l'enfant et les interactions fantasmatiques (Lamour, Lebovici [24]).

Evaluations plus structurées

Elles peuvent compléter l'appréciation clinique :

les tests de Brunet-Lézine, appréciant un rythme de développement,


donnant un quotient global de développement composé de quotients de
développement partiels ; les échelles mentales et motrices de
développement du nourrisson de Bailey, utilisées surtout dans les pays
anglo-saxons ;
les tests inspirés des travaux de Piaget évaluant le développement
cognitif : test de Casati-Lézine en France, et les échelles de
développement cognitif d'Uzgiris-Hunt, dans les pays de langue anglaise ;
l'échelle de Seibert-Hogan permettant de déterminer le niveau de
développement de la communication (États-Unis).

Examen de l'enfant à l'âge de l'école maternelle

Avant la consultation

Consulter un psychiatre pour un enfant de 3 à 5 ans n'est pas encore rentré dans
la représentation commune du public alors que les professionnels, désormais
informés, sont demandeurs d'un avis spécialisé. 25 % des consultants adressés
aux secteurs de psychiatrie infanto-juvénile ont de 3 à 5 ans (Thévenot,
Quemada [42]). La sémiologie de la réception montre bien l'importance des
contradictions entre les opinions des tiers : certains s'inquiètent en projetant leur
croyance d'autant plus facilement que l'enfant est jeune et, à l'opposé, d'autres
s'obstinent souvent à espérer que " ça va s'arranger en grandissant ".

Technique d'examen

Séparation de l'enfant d'avec ses parents

Elle est souvent difficile, et l'aspect plus ou moins fusionnel de la relation mère-
enfant est au centre de la problématique. L'examen conjoint de ces deux acteurs
est d'autant plus fréquent que l'enfant est plus jeune.
Dialogue du pédopsychiatre avec la mère tout en examinant l'enfant

C'est une gymnastique particulière où le praticien commentera à voix haute ses


propres démarches investigatrices. Le médecin traitera l'enfant comme une
personne à part entière, attachant l'importance qu'il convient aux manifestations
agies de son jeune patient, parfois en écho au discours maternel. On adressera
directement la parole à l'enfant même si ses performances langagières sont
encore faibles.

Médiations techniques

Elles s'adapteront à l'âge. A travers le jeu spontané, on appréciera : la position de


l'enfant par rapport aux outils d'expression : langage, mais aussi dessin parfois
déjà investi alors que le graphisme n'est pas dominé ; la capacité de s'intéresser
aux jeux éducatifs, c'est-à-dire au matériel nécessitant des opérations logiques ;
le choix ou l'évitement des jeux symboliques : poupées, dînettes, préférables
chez les plus jeunes à des figurines trop petites.

Techniques complémentaires : les échelles standardisées

A cet âge, il peut être intéressant de suivre le développement de façon


quantitative. Certains auteurs (Barthélémy, Lelord [7]) conseillent : le premier
inventaire des progrès du développement social (PPAC de Gunzburg) ;
l'évaluation relationnelle précoce (traduction par Stoleru du " Early Relational
Assessment " de Clark 1985) ; l'échelle de Izard pour le développement
émotionnel ; l'échelle du comportement socioadaptatif (" Vineland Adaptative
Behavior Scale ") ; l'évaluation " Résumé des facteurs psycho-sociaux " (ERPS
1988) [20].

Synthèse

Elle ne se contentera pas d'énoncer les facteurs étiologiques que l'on classera
pourtant avec soin : facteurs somatiques, neurobiologiques, d'environnement. On
évaluera les capacités actuelles de l'enfant : témoignent-elles d'un retard dans
l'axe du développement, ou déjà d'un déficit fixé dans les possibilités
fonctionnelles ? En raison de la plasticité évolutive à cet âge, on sera
particulièrement attentif aux effets iatrogènes d'un étiquetage définitif. La
priorité sera donnée au facteur de prédictivité : potentialités et émergences dans
l'axe du développement cognitif, mobilisation possible dans l'axe du
développement psychoaffectif et relationnel.

Haut de page

MODÈLES D'EXAMEN SELON LES MODALITÉ S D'EXERCICE

En pratique libérale

La difficulté naît d'une asymétrie fréquente entre la demande parentale et la


position de l'enfant. Plusieurs consultations sont nécessaires avant de proposer
un contrat de prise en charge. Le pédopsychiatre se dégagera de la pression
normalisante de la famille dont il dépend directement pour ses honoraires.
En pratique institutionnelle

Dans les CMPP*, les intersecteurs (CMP**)

Les équipes s'organisent autour du travail de consultation et de l'évaluation


multidisciplinaire. Dans le cas d'équipes diversifiées, l'acte relationnel est
paradoxalement personnel et absolument collectif car, même seul à seul avec
l'enfant, les autres membres de l'équipe sont présents symboliquement dans la
rencontre " (Constant [11]). Le pédopsychiatre ne devra pas se laisser déporter
vers l'écoute exclusive des parents en confiant à la psychologue et aux autres
spécialistes le soin d'évaluer seuls le fonctionnement de l'enfant. Le regard du
clinicien est certes orienté par la confiance qu'il peut mettre dans le savoir-faire
de ses collaborateurs mais il devra se garder la possibilité d'une compréhension
globale de l'enfant, ne serait-ce que pour conduire les réunions de synthèses en
équipe.

Dans les institutions médico-éducatives (EMP***, IMP****) et dans les


institutions psychiatriques

Il convient de préciser le contexte dans lequel se situe l'examen demandé au


psychiatre. La prudence est de mise en amont de cet examen : qui demande quoi
à qui et pourquoi ? trouve ici toute sa pertinence. En aval, que va devenir la
parole ou le rapport écrit du psychiatre dans la dynamique institutionnelle ? Les
résonances entre les effets de la pathologie de l'enfant et les problématiques
institutionnelles sont à considérer. En écoutant les éducateurs et les soignants
parler de l'enfant, on évitera de se placer en juge de leur travail ou de donner des
conseils hors de son champ de compétence. Dans le bureau du praticien, le mode
relationnel proposé par l'enfant sera souvent très différent de celui décrit par les
adultes de l'institution. Il ne sera pas aisé de faire la part entre l'appel
manipulatoire et l'expression de la souffrance psychologique. Dans cette
rencontre avec l'enfant, on fera la place à l'évocation de ses parents naturels. La
synthèse est aussi nécessaire qu'ailleurs en sachant l'importance de ses effets
sur les attitudes des adultes dans toute l'institution. Pour sauvegarder la
confidentialité des entretiens entre l'enfant et le psychiatre et faire participer
l'équipe au processus d'évaluation du diagnostic et du suivi thérapeutique,
l'usage se répand des questionnaires remplis par les équipes soignantes et les
éducateurs.

Dans le cadre d'une expertise de justice

L'ordonnance judiciaire précise les objectifs de la mission, ce qui crée une


situation radicalement différente de l'exercice clinique habituel.

L'enfant peut être : victime de son environnement (mauvais traitements, inceste,


viol), psychiquement atteint après un accident, enjeu d'un conflit entre adultes
(divorce), délinquant (ce qui est rare avant l'adolescence). Le magistrat demande
l'avis de l'expert pour décider d'éventuels contrôles sociaux ou interventions
éducatives, pour quantifier un dysfonctionnement par rapport à un état antérieur
qu'il faudra reconstituer de façon hypothétique, ou pour apprécier " l'intérêt de
l'enfant " au regard des modes de garde et de l'autorité parentale. De plus en
plus souvent, l'expert doit se faire l'interprète de la parole de l'enfant en termes
audibles à l'audience.

Dans l'entretien avec les adultes auxquels on aura demandé d'apporter des
documents, l'expert se garde de prendre parti tout en créant un climat
suffisamment authentique. Bien souvent, les modalités des réticences dans le
contexte procédurier fourniront le matériel de l'analyse sémiologique.

L'entretien avec l'enfant débute par l'exposé de la mission judiciaire de l'expert


en termes tels que l'enfant puisse la comprendre. Tout l'art consiste à ne pas
acculer l'enfant dans des questionnements intrusifs en abordant, toutefois, le
point brûlant. A condition de faire preuve de tact et d'user d'une formulation
adaptée aux capacités de l'âge, la parole enfantine est d'une grande pertinence
phénoménologique pour autant que la charge affective ne déborde pas les
possibilités de contrôle du sujet.

Dans le rapport écrit, la prudence devra s'allier à la clarté. Pour répondre à


certaines questions (fixer le taux de réparation, par exemple), il faudra, en
connaissant la jurisprudence, oser des affirmations simples aux frontières du
péremptoire, style bien peu usuel dans l'exercice de notre art (Rufo, Golse [38]).

En situation d'enseignement, de contrôle, de recherche

Méthodes d'enseignements

Elles ont été les premières, en France, à bénéficier de la vidéoscopie (Houzel


[22]
), techniques aujourd'hui diffusées dans tous les registres de la pratique.
Dans la tradition des présentations de malade héritée de la psychiatrie adulte,
l'examen didactique reste un élément principal de formation des futurs
pédopsychiatres, et permet aux maîtres d'illustrer leurs options théoriques à
travers leurs techniques d'investigation clinique.

Dans les consultations effectuées pour contrôler l'évolution d'une


thérapeutique (suivi d'une chimiothérapie, d'une rééducation ou d'une
psychothérapie)

L'évaluation des modifications constatées sous traitement prend la priorité sur la


relation avec l'examinateur qui doit se garder d'entrer en concurrence avec les
équipes et les praticiens assurant les prises en charge.

Dans le domaine de la recherche

Chaque étude forge des outils spécifiques.

Recherche pharmacologique

Elle a besoin de sérier la sémiologie et de suivre l'évolution de la


symptomatologie sous traitement de façon quantitative. L'investigation clinique
s'orientera vers des symptômes cibles que l'on identifiera à l'aide d'entretiens
structurés avec des quotations quantitatives. Dans ce domaine, se justifie
l'untilisation d'échelles d'auto-évaluations et des questionnaires remplis par des
tiers : soignants, parents, enseignants. La dépression de l'enfant, par exemple, a
permis la mise au point de techniques spécifiques : échelle de Birleson, "
Children's Depression Inventory " de Kovacs (1982), " Interview Schedule for
Children " (ISC) traduit en français par Mack et Moor en 1982. De telles
techniques de recueil d'information facilitent la publication d'observations
informatisées.

Recherche épidémiologique

Elle s'appuie sur des examens menés par des enquêteurs qui ne sont pas toujours
l'épidémiologie : la " Child Behavior Check-List " (CBCL, Achenbach 1981)
traduite et adaptée par Fombonne [18], la " Behavior Problem Check-List " (BPC,
Quay 1977) et les échelles de Conners. Ces techniques d'investigations
permettent d'identifier, dans une population, des enfants présentant des
manifestations extériorisées. Elles ne dispensent pas d'un examen psychiatrique
réalisé par un clinicien pour apprécier les troubles intériorisés.

Recherche clinique

Elle utilise les mêmes outils que la recherche épidémiologique mais construit
également des instruments d'investigation pour focaliser l'étude dans un
domaine pathologique particulier. L'autisme, par exemple, est un terrain
privilégié pour les recherches qui s'appuient sur des examens structurés où le
traitement des informations peut être informatisé. De nombreux travaux anglo-
saxons ont été traduits : échelle E2 (adaptation de l'échelle de Rimland) qui peut
être remplie par les parents, donner des informations sur les antécédents et qui
permet le calcul d'un score d'autisme. D'autres ont été conçues pour la recherche
: l'échelle de Bretonneau, par exemple, ECA III (1985) demande la participation
du personnel infirmier, ce qui autorise une bonne discrimination des
comportements autistiques (Barthélémy, Lelord [7]).

Peu à peu, divers registres de la pathologie, souvent identifiés selon les


classifications nord-américaines du DSM III R, bénéficient ainsi d'examens
s'appuyant sur des recueils d'information standardisés : panique anxieuse,
instabilité, etc. (Lachal [23]).

Pratiques spécifiques

De nombreuses parmi elles se dotent d'outils d'investigation propres à leurs


méthodes et leurs objectifs. Il en sera ainsi des examens cliniques en
ethnopsychiatrie mais surtout des innombrables méthodes psychothérapiques,
éducatives ou rééducatives. Chacune s'essaie à formuler, codifier, parfois
quantifier, une clinique abordée sous un éclairage bien différent du modèle que
nous avons décrit en pédopsychiatrie généraliste.

Ainsi, dans les thérapies comportementales, l'interrogatoire précise les


circonstances d'apparition des comportements, ce qui les renforce ou les
entretient. Des questionnaires servent à remplir des échelles de comportement
afin d'établir des contrats à court et moyen termes entre thérapeute, famille et
enfant. Par ce procédé, on pourra faire participer l'enfant et ses parents à la
quotation de l'évaluation des résultats lors d'examens répétés.

Dans les thérapies systémiques, la notion même de l'examen de l'enfant seul est
contradictoire avec la théorie qui considère la famille comme un système
régissant l'évolution de ses membres. Il n'est pas exceptionnel que des équipes
spécialisées fassent précéder la prise en charge familiale par une évaluation
individuelle de l'enfant. L'influence de ces conceptions, parfois articulées avec
des références psychanalytiques, se constate chez de nombreux auteurs.

Ce rapide survol des divers modèles d'entretien démontre que l'examen


pédopsychiatrique ne renseigne pas seulement sur l'enfant examiné : il révèle
aussi, via les techniques utilisées pour recueillir les informations et les classer, la
position et les " présupposés de base " qui animent l'examinateur.

Les descriptions que les divers auteurs ont données de leur technique d'examen
depuis que la pratique pédopsychiatrique s'est autonomisée illustrent ainsi les
travaux historiques. L'exercice médical pédopsychiatrique s'y dégage
progressivement des modèles d'entretien psychiatrique avec des adultes, de
l'examen somatique pédiatrique, du bilan social, éducatif et scolaire, des séances
de psychothérapie et des tests psychologiques. Cette évolution n'est pas linéaire
et prouve combien les auteurs sont dépendants du contexte culturel de leur
époque et des conditions matérielles de leur exercice.
Les instruments que les praticiens utilisent pour découper dans le réel ce qui va
leur sembler pertinent pour organiser un tableau clinique, apparaissent comme
des " théories matérialisées " (Bachelard [5]). Quels que soient ses choix, le
pédopsychiatre évitera la prétention scientiste autant que le laxisme
méthodologique.

Finalement, au cours de l'examen, les exigences qui pèsent sur le clinicien sont
comparables à celles que connaît un musicien : de même qu'une virtuosité
instrumentale est nécessaire pour interpréter une oeuvre et partager l'essentiel
de la musique, un travail répété sur la technique de recueil de l'information est
indispensable pour que le médecin soit disponible aux émotions de la relation.

Le praticien ayant intégré ce savoir-faire conduira son jeune patient et sa famille


à oublier l'aspect laborieux et systématique de l'investigation sans en négliger la
nécessité. De tout ce que nous venons de décrire, n'émergeront plus que la
présence et le savoir-être du pédopsychiatre. Sans perdre la rigueur d'une
consultation médicale, l'examen peut alors se transformer en une rencontre où la
relation deviendra un authentique processus thérapeutique.

Bibliographie

[1] AJURIAGUERRA J DE, MARCELLI D. L'examen de l'enfant. In : Psychopathologie de l'enfant


(3o ed). Masson. Paris. 1989 ; 528 p
[2] ANGOLD A. Structured assessments of psychopathology in children and adolescents. In :
Thompson C ed. The instruments of Psychiatric Research. John Wiley. Chichester, New York.
1984 ; pp 271-304
[3] ARVEILLER J Etat et usages de la sémiologie dans la consultation de pédopsychiatrie. Evol
Psychiatr 1983 ; 48 : 397-422
[4] ASSOCIATION DES PSYCHIATRES D'INTERSECTEUR. Cahier des charges des psychiatres du
service public de santé mentale pour enfants et adolescents (2° ed). Galliena. Paris. 1991 ;
36 p
[5] BACHELARD G. Le nouvel esprit scientifique. PUF. Paris. 1966
[6] BARTHELEMY C Evaluations cliniques quantitatives en pédopsychiatrie. Neuropsychiatr
Enfance 1986 ; 34 : 63-91
[7] BARTHELEMY C, LELORD G. Les échelles d'évaluation clinique en psychiatrie de l'enfant.
Expansion Scientifique Français. Paris. 1991 ; 166 p
[8] BEAUCHESNE H, GIBELLO B. L'examen clinique. In : Traité de psychopathologie infantile.
PUF. Paris. 1991 ; pp 57-89
[9] CHILAND C. L'entretien avec l'enfant. In : L'Entretien clinique (3° ed). PUF. Paris. 1989 ; 176
p
[10] CONSTANT J, COMITI F, AMOUR JP. La consultation médicale en psychiatrie infanto-juvénile.
Doin. Paris. 1983 ; 284 p
[11] CONSTANT J La clinique de l'évaluation psychopathologique en équipe multi-
disciplinaire. Neuropsychiatr Enfance 1986 ; 34 : 99-110
[12] CRAMER JB. Examination of the child. In : Kaplan H, Freedman M, Sadock J eds.
Comprehensive Textbook of Psychiatry. Williams Wilkins. Baltimore. 1980 ; vol 3, 2453-2461
[13] DAZORD A, GERIN P, MANIFICAT S, BEYER H, PECHINE C Enquête sur la pratique
pédopsychiatrique de secteur. Les consultants et leurs motifs de consultation Neuropsychiatr
Enfance 1989 ; 37 : 581-590
[14] DIATKINE R. Connaissance et méconnaissance des parents. In : Parents. Les textes du
Centre Alfred Binet, Revue de Centre Alfred Binet. Juin 1984 ; pp 27-45
[15] DOLTO F. Au jeu du désir. Le Seuil. Paris. 1987 ; 346 p
[16] DUGAS M, LE HEUZEY MF Nosologies et systèmes de recueil des données en psychiatrie de
l'enfant et de l'adolescent. Psychiatr Enfant 1988 ; XXXI : 5-47
[17] DROSSART F Imaginaire et réalité de la consultation. Neuropsychiatr
Enfance 1990 ; 38 : 489-491
[18] FOMBONNE E The child behaviour checklist and the Rutter parental questionnaire : a
comparaison between two screening instruments. Psychol Med 1989 ; 19 : 777-785
[19] FREUD A. Evaluation du pathologique. In : Le normal et le pathologique chez l'Enfant.
Gallimard. Paris. 1968 ; pp 86-170
[20] HAMEURY L, PERROT A, ADRIEN JL, LENOIR P, SAUVAGE D, LELORD G L'échelle ERPS
d'évaluation résumé des facteurs psychosociaux : intérêt de l'analyse descriptive de
l'environnement en psychiatrie de l'enfant. Neuropsychiatr Enfance 1990 ; 38 : 444-452
[21] HAYEZ JY Les premiers entretiens. Neuropsychiatr Enfance 1984 ; 32 : 1-9
[22] HOUZEL D. L'examen psychiatrique. In : Traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent,
PUF. Paris. 1985 ; tome 1 : pp 351-364
[23] LACHAL C Du symptôme cible à la psychopathologie. Synapse 1989 ; 54 : 49-54
[24] LAMOUR M, LEBOVICI S Les interactions du nourrisson avec ses partenaires. In: Encycl Med
Chir (Ed.) Psychiatrie, 37-190-B60 Paris Elsevier: 1989; 22 p [interref]
[25] LANG JL. Introduction à la psychopathologie infantile, méthodologie, études théoriques et
cliniques. Dunod. Paris. 1982 ; 397 p
[26] MacGOLDRIEK, GERSON R. Génogrammes et entretien familial. ESF. Paris. 1990 ; 199 p
[27] MARCELLI D, FERRARI P Du lien entre la clinique et l'épistémologie. Quelques réflexions sur
les modèles utilisés en psychiatrie de l'enfant Evol Psychiatr 1988 ; 53 : 93-114
[28] MAZET P, HOUZEL D. La consultation psychiatrique. In : Psychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent (2e ed). Maloine. Paris. 1979 ; Tome 1 : pp 93-108
[29] MAZET P De l'interaction à l'information. A propos de la notion d'évaluation en
psychopathologie dynamique de l'enfant et de l'adolescent Neuropsychiatr
Enfance 1986 ; 34 : 111-118
[30] MAZET P, STOLERU L. Psychopathologie du nourrisson et du jeune enfant. Masson. Paris.
1988 ; 278 p
[31] MISES R Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent.
Présentation générale Neuropsychiatr Enfance 1990 ; 38 : 523-539
[32] ODY M. Le langage dans la rencontre entre l'enfant et le psychanalyste. Revue Française de
psychanalyse, PUF. Paris. 1988 ; pp 303-366
[33] PARISET O. Le travail de la consultation. Sauv Enf 1989 ; no 3 : 199-206
[34] PELSSER R. Manuel de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent. G Morin. Boucherville,
Québec. 1989 ; 520 p
[35] PERRIN EC, WEST PD, CULLEY BS Is my chid normal yet ? Correlates of
vulnerability Pediatrics 1989 ; 83 : 355-363
[36] ROBINS LN, PRICE RK Adult disorders predicted by child hood conduct problems : results
from the NIMH Epidemiologic Catchment Area project (19 482
cas). Psychiatry 1991 ; 54 : 116-132
[37] ROSENFELD J La dynamique des dysfonctionnements interactifs précoces et les psychoses de
l'enfant. Neuropsychiatr Enfance 1990 ; 38 : 407-411
[38] RUFO M, GOLSE B Les expertises difficiles. Neuropsychiatr Enfance 1991 ; 39 : 238-243
[39] SKURNIK N, ROSTAIN B, NORDMANN F L'examen psychiatrique chez l'enfant. Actual
Psychiatr 1985 ; 15 : 46-48
[40] TATOSSIAN A Qu'est-ce que la clinique. Confront Psychiatr 1989 ; 30 : 55-59
[41] THEVENOT JP, QUEMADA N Procédure d'élaboration d'un dossier informatisé : la morbidité
psychiatrique de secteur infanto-juvénile. Neuropsychiatr Enfance 1989 ; 37 : 557-564
[42] THEVENOT JP, QUEMADA N Les nouveaux consultants dans treize secteurs de psychiatrie
infantile. Etude épidémiologique Inform Psychiatr 1991 ; 67 : 558-564
[43] WIDLOCHER D L'examen de l'enfant en pédopsychiatrie. Psychiatries 1972 ; 3 : 57-61
[44] WIDLOCHER D, ENGELHART D Dessin et psychopathologie de l'enfant. Psychiatr
Enfant 1975 ; 18 : 315-400
[45] WINNICOTT DW. La consultation thérapeutique et l'enfant. Gallimard. Paris. 1971 ; 411 p

© 1993 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.

* Centre médico-psycho-pédagogique
** Centre médico-psychologique
*** Externat médico-pédagogique
**** Internat médico-pédagogique
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-200-B-30
37-200-B-30

Psychiatrie périnatale : spécificités


et apports
N Guedeney

Résumé. – L’auteur analyse les principales contributions et spécificités de la psychiatrie périnatale, discipline
récente de la psychiatrie qui étudie les troubles mentaux survenant chez l’un ou l’autre des parents lors de la
période périnatale. Le développement historique et scientifique permet de comprendre les apports réciproques
des différentes disciplines qui la constituent. Les problèmes du contexte jouent au niveau de la compréhension
étiopathogénique, de la détection et de la prise en charge des différents troubles dont les plus
paradigmatiques sont les dépressions postnatales et les psychoses du post-partum. La prise en compte de la
complexité de tout syndrome survenant dans cette période fait coexister des approches théoriques multiples
(biologiques, psychodynamiques, socio-anthropologiques, développementales) et inscrit résolument la
discipline dans la pratique de soins spécifiques au pays considéré.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : psychiatrie périnatale, dépressions postnatales, psychoses du post-partum.

Introduction se centre sur la spécificité de la discipline qui n’a été individualisée


en tant que telle que très récemment. Nous ne ferons qu’effleurer le
La psychiatrie périnatale représente une discipline de la psychiatrie problème des parents malades mentaux, en particulier celui de
qui étudie les troubles psychiques observés chez un adulte dans la parents psychotiques [15].
période périnatale. Cette dernière déborde largement la période Le premier poste de chaire de psychiatrie périnatale a été créé à
périnatale telle que définie par les gynécologues-obstétriciens et qui Londres, en 1980, au Maudsley Institute pour le professeur Kumar,
s’arrête à 16 semaines après l’accouchement [31]. Dans le champ qui un des pionniers de la discipline ; la Société Marcé est créée la même
nous intéresse, la période d’étude s’étend du début de la grossesse année par un groupe de psychiatres anglais, traduisant l’avance de
jusqu’à la fin de la première année du post-partum. l’Angleterre dans ce domaine. Pour le courant anglo-saxon, la porte
Comme le soulignent Mazet et Lebovici [29] dans leur ouvrage sur la d’entrée du système est le trouble psychiatrique du parent. Le bébé
psychiatrie périnatale, premier ouvrage paru en France avec la ou la relation parent-bébé ne sont envisagés que du point de vue
référence explicite à cette nouvelle discipline, il existe une double des conséquences du trouble initial ou comme facteur contribuant
approche qui en fait la particularité première. La mise en évidence au déclenchement du trouble. Cette discipline connaît actuellement
de la spécificité éventuelle de la pathologie mentale survenant à cette un développement fulgurant dont témoignent par exemple en
période de la vie renvoie au registre médical. La prise en compte de France la parution récente de nombreux ouvrages, en particulier
la continuité développementale du sujet renvoie aux processus pédagogiques [11, 16], et l’activité des sociétés scientifiques de la
psychiques et interpersonnels caractéristiques du fait de devenir discipline (Marcé Society, société Marcé Francophone). Le point de
parent et de devoir élever un bébé. Ce registre renvoie davantage à vue français privilégie davantage la dialectique qui existe entre
la psychologie développementale et à l’approche psychodynamique. troubles des parents et ceux de l’enfant dans une perspective quasi
On définit des syndromes au sens psychiatrique, c’est-à-dire avec exclusivement psychodynamique et le groupe WAIHM (World
des critères d’intensité, de durée, de retentissement et de consensus Association of Infant Mental Health) francophone, c’est-à-dire le
sur la nature des symptômes observés. Cette double approche groupe francophone de l’Association mondiale de santé mentale du
conditionne une autre particularité de la psychiatrie périnatale : bébé se donne aussi comme objectif d’étude la psychiatrie périnatale
l’abord thérapeutique est complexe associant un objectif curatif à envisager sous l’angle de la psychopathologie de l’enfant.
(soigner le parent malade) et un objectif préventif (prévenir le risque
de dysfonctionnement dans le processus de parentalisation et dans
les relations parents-enfants). La psychiatrie périnatale aura donc Généralités
deux grandes cibles [21] : l’adulte souffrant et le lien parent-enfant à
risque. Une autre des spécificités de la psychiatrie périnatale est HISTORIQUE DU DÉVELOPPEMENT
l’intégration de différentes approches scientifiques aboutissant à une DE LA PSYCHIATRIE PÉRINATALE
compréhension multifactorielle des troubles. Ce chapitre se veut C’est au XIXe siècle, en France, que l’attention se porte pour la
complémentaire d’autres articles portant sur le même sujet [10, 22] et première fois sur les troubles spécifiques de cette période : Esquirol
(1838) et surtout Louis Victor Marcé, dont le livre pionnier, paru en
1858, vient d’être réédité [27] : le Traité de la folie des femmes enceintes,
des nouvelles accouchées et des nourrices et considérations médicolégales.
Nicole Guedeney : Pédopsychiatre, praticien hospitalier, département de psychiatrie de l’adolescent et de
l’adulte jeune (professeur Jeammet), centre médicopsychologique, institut mutualiste Montsouris, 45, rue de
L’intérêt porté à ces troubles ne réapparaîtra que beaucoup plus
la Harpe, 75005 Paris, France. tardivement et essentiellement dans les pays anglo-saxons, à

Toute référence à cet article doit porter la mention : Guedeney N. Psychiatrie périnatale : spécificités et apports. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-B-30, 2002, 5 p.

150 582 EMC [295]


37-200-B-30 Psychiatrie périnatale : spécificités et apports Psychiatrie
Pédopsychiatrie
l’occasion du développement des premières unités mère-enfant dans définition de la parentalité selon le contexte culturel. La notion de
les troubles graves du post-partum [42]. La discipline se développe conflit de rôle, la compréhension de l’accession à la parentalité
surtout à partir de la fin des années 1970 sous l’impulsion quasi comme un changement de rôle, c’est-à-dire un ajustement
exclusive de psychiatres d’adultes anglo-saxons [4]. En France, à part obligatoire dans un temps limité [40] est plus ou moins facilité par le
les travaux de Racamier et al [37] sur l’abord psychanalytique et contexte sociologique [43]. Ce contexte sociologique contribue aux
psychothérapeutique des psychoses du post-partum, et l’intérêt questions de reconnaissance et d’acceptation par les parents eux-
beaucoup plus tardif de quelques psychiatres d’adultes [25], la mêmes, la famille et de manière plus large les professionnels et la
discipline se limite surtout au développement des unités mère- société, de la coexistence de l’arrivée d’un bébé et de l’apparition
enfant, dont la particularité française est d’être surtout tenue par d’une souffrance psychique. La réflexion sur la spécificité de la
des psychiatres d’enfants [13, 42]. Cette différence si radicale de notion de filtre d’accès aux soins et de difficulté de détection des
l’approche, tantôt du côté des adultes (tradition anglaise) tantôt du problèmes et d’acceptation d’une prise en charge [7, 45] représente un
côté du bébé exposé (tradition française) traduit combien le autre courant scientifique particulièrement actif dans la psychiatrie
développement de la psychiatrie périnatale est, de manière très périnatale.
spécifique, ancré dans le système de santé publique du pays Dès les années 1985, du fait de la tradition clinique de la psychiatrie
considéré : sont particulièrement pertinents le système de protection périnatale en Angleterre et en Europe du Nord, se développe un
de la santé de la mère et de l’enfant, celui des filières de soins et courant très actif de collaboration entre scientifiques et travailleurs
enfin le statut et la spécificité professionnelles accordés à ceux qui de santé primaire. Les psychiatres ont rarement un accès direct aux
ont en charge ce rôle de contact auprès des femmes enceintes ou des femmes présentant un trouble mental en période périnatale. Celles-ci
jeunes mères [21]. sont, en revanche, en contact de manière obligatoire avec les « non-
psy ». Ce travail de réseau unit de nombreuses disciplines médicales
DÉVELOPPEMENT SCIENTIFIQUE (gynécologues, pédiatres, généralistes), paramédicales (sages-
DE LA PSYCHIATRIE PÉRINATALE femmes, puéricultrices, psychologues), travailleurs sociaux et
C’est à partir des années 1980 qu’apparaissent les travaux fondateurs professionnels des lieux de garde. L’élaboration d’outils aidant au
de la discipline et jusqu’aux années 1995, on peut dire que deux repérage, dont le paradigme est l’Edinburgh Postnatal Depression
grands types de pathologie représentent les paradigmes de la Scale (EPDS6), est au centre des préoccupations des chercheurs.
psychiatrie périnatale [6] : les psychoses du post-partum et les Depuis les années 2000, un certain nombre de travaux sur la prise
dépressions du post-partum. Ces deux troubles mentaux qui en charge possible des troubles mentaux périnataux se développe et
apparaissent après la naissance semblent contenir la promesse de complète la palette des prises en charge possibles qui, jusque-là,
comprendre enfin le déterminisme biologique de la maladie mentale. pour leur dimension spécifique, se limitaient aux unités
Les recherches sont quasi exclusivement menées par des psychiatres mère-enfant. [3]
ou psychologues d’adultes. Seul l’événement « somatique » Ce bref résumé du développement scientifique de la discipline en
naissance est pris en compte ; le bébé ou le contexte psychologique montre la transdisciplinarité. La porte d’entrée dans ce système est
qui est l’accession à la parentalité sont laissés de côté, et seule la par définition le parent [4]. Or, en France, du fait des systèmes de
pathologie des mères est étudiée. L’étude de O’Hara et al [35] marque soins, ce sont avant tout les psychiatres ou les psychologues du bébé
un tournant épistémologique pour la discipline : elle montre qu’il qui voient les parents avec troubles psychiatriques périnataux
n’y a pas plus de femmes déprimées dans la première année du (lorsqu’il ne s’agit pas de troubles graves tels que les psychoses
post-partum que dans une population générale de femmes sévères du post-partum ou les mélancolies du post-partum) [21]. La
comparables mais en dehors de la période périnatale. L’abord psychiatrie périnatale oblige les professionnels de la petite enfance
étiopathogénique des troubles mentaux du post-partum se confrontés à une telle situation à considérer le parent comme une
diversifie [6] : le poids des facteurs biologiques est considéré comme cible de soins à part entière ; le parent est la victime de la logique
plus important dans les psychoses du post-partum que dans les propre du syndrome dont il est atteint et qui altère inexorablement
dépressions postnatales. Les facteurs biologiques sont davantage ses capacités parentales. Le lien parent-enfant n’est pas considéré
séparés des facteurs déclenchants ou précipitants de la maladie au comme la cause a priori du trouble du parent, même si, dans
sein d’autres vulnérabilités. À cette tradition médicale vont s’ajouter certains cas, il peut y contribuer, et le bébé n’est pas considéré au
progressivement d’autres influences scientifiques qui témoigneront moment de la détection des troubles chez le parent comme un bébé
de la complexité de cette discipline. À partir des années 1985, les malade ou en difficulté a priori, mais comme un bébé dont le
psychiatres et psychologues qui s’intéressent au développement du développement est à risque. La logique d’intervention est davantage
bébé découvrent la valeur heuristique du paradigme de la centrée sur les moyens à mettre en œuvre pour permettre au parent
dépression postnatale maternelle pour mieux comprendre les en difficulté de développer, autant que faire se peut, ses capacités
caractéristiques des relations précoces mère-nourrisson. Une parentales ou à les préserver [24]. Cette logique comprend donc une
nouvelle spécificité de la discipline apparaît : le trouble mental du évaluation obligatoire du trouble mental afin de déterminer les
parent peut interférer avec les qualités de son « comportement éventuels traitements spécifiques pour le parent. L’apport des
parental » et sur les interactions avec le bébé. L’apport spécifique de psychiatres développementalistes a permis la prise en compte de la
la psychiatrie périnatale est plus de comprendre l’impact des dimension interactive des troubles psychiatriques périnataux
syndromes psychiatriques maternels survenus dans la première considérés comme des phénomènes dyadiques, position très
année de l’enfant. La question de la transmission différente de la position classificatoire syndromique de la psychiatrie
transgénérationnelle et des avatars de la parentalisation appartient de l’adulte telle que la résument les principales classifications
plus au domaine de la psychiatrie du bébé même si, bien sûr, les internationales en santé mentale (CIM et DSM).
deux disciplines sont complémentaires. À partir des années 1990 se
développe un modèle de compréhension de la psychiatrie périnatale
plurifactoriel, particulièrement élaboré pour la dépression du post- Illustrations des spécificités
partum et qui associe facteurs de vulnérabilité individuelle de la psychiatrie périnatale
(génétiques, biologiques, intrapsychiques), vulnérabilité
environnementale (événements de vie négatifs, contexte culturel), la
naissance étant désormais considérée comme un facteur de stress a NOUVELLE COMPRÉHENSION
priori [34], et interpersonnelle avec la mise en évidence des facteurs DE CERTAINS SYNDROMES PSYCHIATRIQUES
liés au bébé dans l’aggravation de la vulnérabilité parentale, et
surtout maternelle [33]. ¶ État de stress post-traumatique lié à l’accouchement
Dans les années 1995, un autre courant scientifique, Actuellement, l’événement naissance est reconnu comme pouvant
socioanthropologique et psychosociologique, s’intéresse à la être à l’origine d’un véritable état de stress post-traumatique : il peut

2
Psychiatrie Psychiatrie périnatale : spécificités et apports 37-200-B-30
Pédopsychiatrie
associer une douleur extrême à un événement traumatique extrême, symbolisation, troubles du développement psychomoteur, troubles
c’est-à-dire qui implique une expérience directe personnelle de des conduites et troubles dépressifs. L’impact du trouble est
menace vitale sur soi ou une personne chère (ici le futur bébé). Le particulièrement difficile à étudier pour les psychoses du post-
risque est d’autant plus grand que le travail est long et compliqué et partum : comment différencier ce qui est lié à l’impact per se du
que la parturiente expérimente un sentiment de perte de contrôle trouble mental de l’impact lié aux circonstances associées ? Le
sur la situation [9]. Ryley [39] souligne combien ce facteur potentiel de trouble mental a également différentes dimensions qui toutes
risque extrême agit comme un révélateur ou un déclencheur si la peuvent avoir un impact : comorbidité du trouble maternel qui peut
femme présente un certain nombre de facteurs de vulnérabilité : associer des perturbations du fonctionnement mental, un trouble de
antécédents personnels d’abus sexuels, état anxieux. L’absence du la personnalité, l’usage de drogue ; la symptomatologie maternelle
partenaire représente un facteur de vulnérabilité à plusieurs qui peut présenter des oscillations thymiques et/ou des idées
niveaux : absence de soutien au moment de l’accouchement, délirantes. La question de la prise en charge est essentielle car elle a
impossibilité à aider la mère en pouvant réévoquer ensemble ce qui un impact par elle-même sur le bébé : la nature du traitement donné,
a pu se vivre, absence révélatrice d’autres dysfonctionnements dans les éventuelles hospitalisations, les effets des psychotropes, des
la relation du couple parental. L’environnement psychologique séparations éventuelles mère-bébé plus ou moins durables. Le
obstétrical contribue à accentuer le risque de survenue d’un état de contexte interpersonnel maternel a également son influence propre
stress post-traumatique lorsqu’il n’y a pas d’informations suffisantes sur le développement d’un bébé : son environnement familial et
données et de soutien émotionnel, voire s’il y a une ambiance de marital, les conditions sociales dans lesquelles elle vit. Enfin, les
critique ou de blâme de la parturiente [9]. L’état de stress est souvent caractéristiques du bébé jouent un rôle de diminution de l’impact
difficile à évaluer parce que les professionnels n’y pensent pas. Il ou au contraire d’aggravation de l’impact : caractéristiques
peut pourtant persister plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et tempéramentales, problèmes éventuels de santé ou syndrome de
peut augmenter le risque de dépression et d’anxiété postnatales ou sevrage [23, 33]. Le problème de l’impact de la maladie maternelle sur
perturber la relation parent-enfant du fait de réminiscences le développement du bébé et sur le développement du lien
traumatiques réveillées par la présence du bébé [39]. d’attachement nécessite une évaluation soigneuse pour chaque
dyade de l’état du bébé et du lien [24, 32].
¶ Infanticide La question en psychiatrie périnatale est d’intégrer tout le corpus
Le meurtre du nouveau-né par sa mère reste rare (71 par an en des connaissances acquises de la recherche dans une perspective
France) [44]. Il est rarement lié à un contexte psychiatrique sévère d’aide préventive, en nous informant sur la nature des clignotants à
(psychose du post-partum, mélancolie du post-partum, état risques que nous devons évaluer et rechercher en situation clinique
psychotique chronique, en tout moins de 10 % des cas). Il s’observe individuelle. Le projet thérapeutique adapté à la situation observée
davantage dans un contexte à risque associant : le jeune âge de la passe par le soutien au développement ou au maintien des capacités
mère (moins de 25 ans), l’isolement (au sein de la famille et en parentales de la mère. Cette question est illustrée par le paragraphe
général), l’absence de père, une grossesse non désirée, la primarité, suivant.
des antécédents de violences ou de traumatismes dans l’enfance [4].
Le déni de la grossesse est fréquent. ¶ Évaluation de la possibilité (et de la capacité)
de s’occuper de son enfant comme parent : exemple
des psychoses du post-partum et des parents
PSYCHIATRIE PÉRINATALE : CONTEXTE DYADIQUE. psychotiques
DÉPRESSIONS DU POST-PARTUM
ET PSYCHOSES DU POST-PARTUM Une des questions spécifiques de la psychiatrie périnatale porte
Nous traitons ensemble ces deux syndromes habituellement particulièrement sur les parents ayant une psychose grave du post-
présentés de manière séparée et largement décrits ailleurs [10, 22] car partum ou présentant des troubles psychiatriques chroniques graves
ils représentent probablement le paradigme de la psychiatrie comme une schizophrénie : quelles sont leurs capacités réelles à
périnatale. Nous ne traitons ici que de leur illustration des donner les soins parentaux à leur bébé ? Cette question amène
spécificités de cette discipline. Les dépressions du post-partum sont inéluctablement à la question de l’évaluation de la nécessité de
à elles seules la source d’un très grand nombre de travaux (revue de séparer un bébé de sa mère ou au contraire de pouvoir le laisser à sa
la littérature) [18]. Elles ont largement contribué, du fait de leur mère. Le concept de parenting vient d’Angleterre, dans le contexte
fréquence (13 % de la population des jeunes mères) [35], à faire de la très spécifique du children act de 1989 : il consiste en l’élaboration
psychiatrie périnatale un problème de santé publique. Si les d’éléments d’évaluation clinique qui contribuent à aider les
psychoses du post-partum sont plus rares (une à deux pour instances judiciaires à prendre les décisions concernant le bien-être
1 000 naissances), leur aspect bruyant, leur déterminisme thymique, de l’enfant [38]. Cette évaluation comporte plusieurs dimensions.
la spécificité des réponses à apporter justifient leur importance La relation du parent au rôle de parent : le parent fournit-il les soins
épistémologique et clinique : elles sont finalement le seul syndrome physiques essentiels ? Fournit-il les soins émotionnels appropriés à
de psychiatrie périnatale à être individualisé dans le DSM (revue de l’âge ? Encourage-t-il le développement de la dynamique de
la littérature) [4, 11]. Leur spécificité tient à deux questions communes. l’attachement ? Quelle attitude a le parent envers les tâches de
parent ? En accepte-t-il la responsabilité ? Attend-on de l’enfant qu’il
¶ Impact des syndromes psychiatriques sur le bébé soit lui aussi responsable de sa propre protection ? Reconnaît-il qu’il
exposé existe des problèmes en tant que parent lorsqu’il y en a ?
Un certain nombre de faits sont actuellement reconnus concernant La deuxième dimension est la relation du parent avec l’enfant : quels
les effets à court terme sur les bébés exposés à une dépression du sentiments le parent a-t-il envers l’enfant ? Peut-il témoigner de
post-partum [17, 19, 32] ou à une psychose du post-partum [23]. Ces l’empathie au bébé ? Le bébé est-il vu comme une personne
risques sont surtout connus à court terme ou moyen terme. On ne séparée ? Les besoins essentiels de l’enfant sont-ils prioritaires par
sait pas encore quels facteurs jouent, à un niveau individuel, un rôle rapport aux désirs du parent ?
de protection ou au contraire d’aggravation du risque. Le risque de La troisième dimension est celle des influences familiales : quels
retentissement est surtout observé dans le cas de troubles sévères conscience et sentiments-positions a le parent concernant ses propres
(psychoses du post-partum, dépressions du post-partum d’intensité expériences des soins parentaux qu’il a reçus ? Le parent est-il
moyenne ou sévère), durables (au moins 4 mois) et/ou associés à capable d’une relation de soutien et de « maintien » avec le
un contexte environnemental à risque (socioéconomique et partenaire ? Le bébé est-il surimpliqué ou concerné par le
interpersonnel) [ 2 3 , 3 2 ] . Les troubles possibles ne sont guère dysfonctionnement ou la discordance des relations ? Comment la
spécifiques : troubles du développement cognitif, troubles de famille est-elle sensible au stress pouvant peser sur la relation ? Que
l’attachement de type insécure, troubles de la mentalisation et de la représente l’enfant pour le parent ? Quelle est la contribution de

3
37-200-B-30 Psychiatrie périnatale : spécificités et apports Psychiatrie
Pédopsychiatrie
l’enfant à la relation parentale ? Quelle attitude a le bébé vis-à-vis cognitivocomportementale prend en compte la dépression
de ses figures parentales ? Les interactions avec le monde extérieur maternelle et les soins parentaux au bébé [1, 30]. Le maternage et les
sont essentielles à évaluer : quels réseaux de soutien sont tâches de la parentalité sont considérés dans leur potentialité
disponibles ? Quelle est la modalité de relation du parent avec les dépressiogène. La thérapie essaie de dégager les mères déprimées
travailleurs de santé ? Le potentiel de changement de la situation d’une position intenable entre les effets de la dépression et les
représente le dernier volet de l’évaluation : quelle est la possibilité exigences du maternage. L’autre courant est la thérapie
de bénéficier d’une aide thérapeutique ? Quelles réponses ont déjà interpersonnelle [36] qui se centre sur l’état dépressif des mères.
été obtenues aux essais d’aide antérieurs ? Ce guide de l’évaluation L’amélioration des compétences maternelles est estimée comme
concrétise la spécificité de l’évaluation en psychiatrie périnatale qui allant de soi dès l’amélioration de l’état maternel.
est toujours dyadique et transactionnelle [21]. Une des questions Indépendamment de cette double approche psychiatrique et
spécifiques de la psychiatrie périnatale est de pouvoir effectivement psychologique, les prises en charge en psychiatrie périnatale ont des
répondre à la question suivante : le parent est-il ou non, du fait du points communs : le soin par des professionnels en santé mentale
trouble mental qui l’atteint, de manière aiguë ou chronique, capable n’est nécessaire que dans les cas sévères. Il est toujours le
ou non de donner à son bébé tous les soins parentaux que les complément d’une aide « primaire », concrète et émotionnelle,
besoins de son développement exigent ? Ceci introduit une autre fournie par les professionnels de santé primaires au sein d’une
spécificité fondamentale de la psychiatrie périnatale : il s’agit de la pratique de réseau.
question éthique lorsque l’existence de troubles psychiatriques chez Une autre des spécificités de la psychiatrie périnatale est la prise en
le parent oblige à se poser la question de la séparation éventuelle du compte des choix des mères dans le traitement qui leur est proposé [3].
bébé ? Quels sont les standards d’une bonne relation parentale ? Pour permettre ce choix, condition nécessaire d’une bonne alliance
Quels sont les facteurs qui rendent l’issue imprévisible du point de thérapeutique et d’une bonne compliance, des travaux récents [1, 36]
vue de l’interaction parent-enfant ? ont montré l’efficacité égale des approches psychothérapeutiques
et/ou chimiothérapeutiques dans la prise en charge des dépressions
TRAITEMENTS DES SYNDROMES PSYCHIATRIQUES du post-partum, d’intensité légère ou modérée.

¶ Traitements psychotropes NOTION DE RÉSEAUX DE SOINS


La psychiatrie périnatale est indissociable de la pratique en
Le problème est surtout lié aux risques de passage, lors des échanges
réseau [31] : les troubles éventuels parentaux sont repérés d’abord par
placentaires ou de l’allaitement, des psychotropes au bébé. Selon les
les professionnels « non-psy » des circuits de soins gynéco-
pays, le rapport bénéfices/risques est posé différemment [41]. Dans
obstétricaux, pédiatrique et médicosociaux. La période périnatale est
les pays à tradition anglo-saxonne, la prescription, tout en respectant
un moment de rencontre et de dépistage de facteurs de risques
les règles de précaution, est beaucoup plus large [3, 46] qu’en France
éventuels pour le développement optimal de l’enfant et de ses
où l’attitude est plus prudente [14]. Un certain consensus émerge
parents, développement physique et émotionnel, à l’occasion de
cependant sur la nécessité de l’information soigneuse de la patiente
temps institutionnalisés : par exemple, les protections maternelles et
des bénéfices et des risques. Pendant la grossesse, les éléments pour
infantiles (PMI), les maternités, les staffs de parentologie, les
la décision sont : le risque de rechute pour la mère, le risque
commissions techniques et enfance : ces points de rencontre
tératogène pour le bébé avec certains produits, le risque de sevrage
réunissent professionnels de champs différents (psychiatrie de
pour le bébé à la naissance. On recommande le choix des
l’adulte et de l’enfant, judiciaire, protection de l’enfance, PMI,
médicaments les plus anciennement connus, prescrits aux doses
travailleurs sociaux). Il existe également des moments obligatoires
minimales, une surveillance minutieuse de la grossesse
de contact que sont les examens de santé obligatoires pour la mère
(échographie) du bébé à la naissance (syndrome de sevrage). Si la
et le bébé (par exemple 8 jours, premier mois, neuvième mois) avec
mère allaite, en postnatal, les éléments d’évaluation sont : les
les médecins de la femme et de l’enfant. Enfin, les lieux de garde,
bienfaits de l’allaitement, lorsqu’il est désiré, pour la mère et les
les kinésithérapeutes, les sages-femmes à domicile sont en contact
relations avec le bébé, le risque sur le bébé, à court terme, de
avec les futures mères ou les jeunes mères. La psychiatrie périnatale
retentissement sur la vigilance, l’absence de données sur les
en France pose de manière spécifique le problème de la détection
éventuels effets à long terme. Les caractéristiques du bébé entrent
des pathologies périnatales. Les professionnels doivent non
en compte : le bébé doit être en bonne santé ; la prématurité, les
seulement aider à la détection des ces pathologies périnatales
dysfonctionnements hépatiques ou rénaux sont des contre-
psychiatriques mais aussi prendre des décisions d’adresse qui sont
indications. La prescription doit s’accompagner d’une surveillance
difficiles dans un pays où il existe une liberté totale de choix dans
clinique minutieuse du bébé et d’une surveillance soigneuse des
les filières de soins : faut-il adresser ou non à un psy ? et si oui à
dosages biologiques maternels.
quelle structure ? Le problème de l’adresse est une des questions
difficiles de la psychiatrie périnatale [1, 21].
¶ Traitements psychothérapeutiques
Ils sont proposés de manière différente selon les pays. PÈRES
Les objectifs sont doubles et plus ou moins prioritaires selon les La psychiatrie périnatale ne commence que depuis peu à étudier les
traditions de psychiatrie périnatale du pays considéré et les troubles éventuels présentés par les pères. Jusqu’aux années 1990 [18],
traditions psychothérapeutiques, psychanalytiques ou pas. En le père est surtout étudié comme facteur de soutien ou de
France, l’approche d’inspiration psychanalytique centrée sur le lien vulnérabilité pour sa partenaire malade. Cependant, les études de
mère-bébé est la plus fréquente : les traitements psychothéra- Ballard et al [2] montrent que les partenaires de femmes présentant
peutiques mère-enfant psychodynamiques sont les plus une dépression périnatale ont plus de risques d’être déprimés eux
développés [8], les unités mère-enfant le plus souvent tenues par des aussi. Lovestone et Kumar [26] montrent que la moitié des partenaires
pédopsychiatres-psychanalystes [42]. Les objectifs du traitement de mères présentant un trouble grave du post-partum de type
peuvent être : l’amélioration des dysfonctionnements du lien en psychose puerpérale qui sont vues en unité mère-enfant présentent
prenant en compte le niveau fantasmatique, le développement du un diagnostic psychiatrique. Les études récentes [12, 28] montrent que
lien d’attachement entre la mère et son bébé, une guidance 9 % des pères présentent un épisode dépressif dans les 3 mois du
développementale pour aider la mère à exprimer ses capacités post-partum. De nouveau se posent plusieurs questions non encore
parentales. L’objectif du soin est surtout préventif des troubles du résolues : quelle est la spécificité de cette pathologie ? Comment
lien mère-bébé. Le soin à la mère est indirect [5]. Dans les pays anglo- résoudre les difficultés de sa détection ? Le risque supplémentaire
saxons, les approches sont essentiellement centrées sur la mère et qu’elle induit pour le soutien de la mère et les prises en charge
non psychanalytiques. Nous prendrons l’exemple des dépressions éventuelles ainsi que sur les interactions parents-enfants et donc le
postnatales. Deux courants principaux émergent. L’approche développement des bébés.

4
Psychiatrie Psychiatrie périnatale : spécificités et apports 37-200-B-30
Pédopsychiatrie

Conclusion développementales et sociologiques, la psychiatrie périnatale réimpose


l’idée qu’aucun trouble mental ne peut être considéré en dehors du
La psychiatrie périnatale représente un champ récent de la psychiatrie. contexte de survenue et des liens avec la continuité psychique du sujet.
Ses multiples spécificités en font le paradigme de la complexité du Par sa compréhension multifactorielle des troubles, elle oblige à une
syndrome psychiatrique. En ramenant à l’ordre du jour la notion prise en compte des logiques multiples d’une situation et conduit au
d’interpersonnel, en prenant en compte les perspectives développement de projets de soins multifocaux élaborés avec la famille.

Références
[1] Appleby L. le traitement de la dépression post-natale. [17] Guedeney N. À propos des mères déprimées : l’impact de [32] Murray L, Cooper PJ. Postpartum depression and child-
Devenir 2001 ; 13 : 21-26 la dépression sur les interactions précoces. Ann Pédiatr hood development. New York : Guildford Press, 1997 :
[2] Ballard C, Davis R, Cullen PC, Mohan RN, Dean C. Preva- 1993 ; 40 : 496-502 265-294
lence of postnatal psychiatric morbidity in mothers and [18] Guedeney N. Les dépressions du post-partum : sémiologie [33] Murray L, Stanley C, Hooper R, King F, Fiori-Cowley A. The
fathers. Br J Psychiatry 1994 ; 164 : 782-788 et diagnostic. In : Guedeney A, Allillaire JF éd. Interventions role of infant factors in postnatal depression and mother-
[3] Boath E, Henshaw C. The treatment of postnatal depres- psychologiques en périnatalité. Paris : Masson, 2001 : infant interactions. Dev Med Child Neurol 1996 ; 38 :
sion: a comprehensive literature review. J Reprod Inf Psychol 73-92 109-119
2001 ; 19 : 215-248 [19] Guedeney N. Mères déprimées et nourrissons. In : Houzel [34] O’Hara MW. The nature of post partum disorders. In :
[4] Brockington I. Motherhood and mental health. Oxford : D, Emmanuelli M, Moggio F éd. Dictionnaire de psychopa- Murray L, Cooper PJ eds. Postpartum depression and child-
Oxford University Press, 1996 thologie de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF, 2000 hood development. New York : Guildford Press, 1997 :
[20] Guedeney N, Jacquemain F, Glangeau MC. Le rôle des fac- 3-31
[5] Cooper PJ, Murray L. The impact of psychological treat-
teurs environnementaux, de la vulnérabilité individuelle et [35] O’Hara MW, Schlechte JA, Lewis DA, Warner MW. Con-
ments of postpartum depression on maternal mood and
du support social dans le risque de survenue des dépres- trolled prospective study of postpartum mood disorders:
infant development. In : Murray L, Cooper PJ eds. Postpar-
sions du post-partum. Devenir 2000 ; 12 : 13-33 psychological, environmental and hormonal variables.
tum depression and childhood development. New York :
Guildford Press, 1997 : 201-220 [21] Guedeney N, Jeammet P. Dépressions maternelles postna- J Abnorm Psychol 1991 ; 100 : 63-73
tales : orientations thérapeutiques. Devenir 2001 ; 13 : [36] O’Hara MW, Stuart S, Gorman L, Wenzel A. Efficacy of inter-
[6] Cox J. Troubles psychiatriques du post-partum : aspects
27-50 personal psychotherapy for postpartum depression. Arch
socioculturels de la « maladie mentale sévère ». In : Mazet
P, Lebovici S éd. Psychiatrie périnatale. Paris : PUF, 1998 [22] Heim A, Heim N, Philippe HJ, Nuss P, Ferreri M. Troubles Gen Psychiatry 2000 ; 57 : 1039-1045
psychiatriques du post-partum. Encycl Méd Chir (Éditions [37] Racamier PC, Sens C, Carretier L. La mère et l’enfant dans
[7] Cox J, Holden J. Perinatal psychiatry. Use and misuse of the Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Obstétrique,
Edinburgh postnatal depression scale. London : Gaskell, les psychoses du post-partum. Evol Psychiatr 1961 ; 26 :
5-110-B-10, 2000 : 1-7 525-570
The royal college of psychiatrists, 1994
[23] Hipwell AE, Kumar RC. The impact of postpartum affective [38] Reder P, Lucey C. Significant issues in the assessment of
[8] Cramer B. Psychodynamic perspectives on the treatment psychosis on the child. In : Murray L, Cooper PJ eds. Post-
of postpartum depression. In : Murray L, Cooper PJ eds. parenting. In : Reder P, Lucey C eds. Assessment of parent-
partum depression and childhood development. New ing. Psychiatric and psychological contributions. London :
Postpartum depression and childhood development. New York : Guildford Press, 1997 : 265-294
York : Guildford Press, 1997 : 237-264 Routledge, 1995 : 3-17
[24] Kumar RC. Maladie mentale de la mère et troubles sévères
[9] Czarnocka J, Slade P. Prevalence and predictors of post- [39] Ryley D. Perinatal mental health : a sourcebook for health
de l’attachement mère-nourrisson « l’enfant de n’importe
traumatic stress symptoms following childbirth. Br J Clin professionals. Oxford : Radcliffe Medical Press, 1995 :
qui ». Devenir 2001 ; 13 : 47-75
Psychol 2000 ; 39 : 35-51 1-248
[25] Lemperière T, Rouillon F, Lepine JP. Troubles psychiques
[10] Darves-Bornoz JM, Gaillard P, Degiovanni A. Psychiatrie et liés à la puerpéralité. Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques [40] Stern G, Kruckman L. Multi-disciplinary perspectives on
grossesse : la mère et l’enfant. Encycl Méd Chir (Éditions et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-660-A-10, postpartum depression : an anthropological critique. Soc
Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 1984 : 1-12 Sci Med 1983 ; 17 : 1027-1041
37-660-A-10, 2001 : 1-7 [41] Sutter AL. Médicaments pendant la grossesse. In : Guede-
[26] Lovestone S, Kumar R. Postnatal psychiatric illness: the
[11] Dayan J, Andro G, Dugnat M. Psychopathologie de la péri- impact on partners. Br J Psychiatry 1993 ; 163 : 210-206 ney A, Allillaire JF éd. Interventions psychologiques en péri-
natalité. Paris : Masson, 1999 natalité. Paris : Masson, 2001 : 241-244
[27] Marcé LV. Traité de la folie des femmes enceintes, des nou-
[12] Dudley M, Roy K, Kelk N, Bernard D. Psychological corre- velles accouchées et des nourrices. Paris : L’Harmattan, [42] Sutter AL, Bourgeois M. Unités mère-enfant en psychiatrie
lates of depression in fathers and mothers in the first post- 1858 (réédition 2002) périnatale. Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et Médi-
natal year. J Reprod Inf Psychol 2001 ; 19 : 187-202 cales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-204-L-10, 1998 :
[28] Matthey S, Barnett B, Kavanagh DJ, Howie P. Validation of 1-6
[13] Durand B, Amzallag C. Quinze ans de pratique d’hospita- Edinburgh postnatal depression scale for men, and com-
lisation conjointe mère-enfant. In : Mazet P, Lebovici S éd. parison of item endorsement with their partners. J Affect [43] Thurtle V. Post-natal depression: the relevance of sociologi-
Psychiatrie périnatale. Paris : PUF, 1998 : 365-375 Disord 2001 ; 64 : 175-184 cal approaches. J Adv Nurs 1995 ; 22 : 416-424
[14] Elefant E, Bavoux F, Vauzelle-Gardier C, Cournot MP, [29] Mazet P, Lebovici S. Psychiatrie périnatale. Paris : PUF, [44] Welniarz B, Barral A. L’infanticide commis par la mère. In :
Assari-Merabtene F. Psychotropes et grossesses. J Gynécol 1998 : 1-522 Guedeney A, Allillaire JF éd. Interventions psychologiques
Obst Biol Reprod 2000 ; 29 : 43-51 [30] Milgrom J, Martin PR, Negri L. Treating postnatal depres- en périnatalité. Paris : Masson, 2001 : 241-244
[15] Fava Vizziello G, Disnan G, Colucci MR. Parents psychoti- sion. A psychological approach for health care practition- [45] Whitton A, Warner E, Appleby L. Maternal thinkings and
ques. Genève : Médecine & Hygiène, 1995 [trad française, ners. Chichester : Wiley, 1999 the treatment of postnatal depression. Int Rev Psychiatry
2001] [31] Missonier S. Psychiatrie périnatale. In : Houzel D, Emma- 1996 ; 8 : 73-78
[16] Guedeney A, Allillaire JF. Interventions psychologiques en nuelli M, Moggio F éd. Dictionnaire de psychopathologie [46] Wisner KL, Stowe ZN. Psychobiology of postpartum mood
périnatalité. Paris : Masson, 2001 de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF, 2000 : 562-565 disorders. Semin Reprod Endocrinol 1997 ; 15 : 77-89

5
¶ 37-195-A-20

Risques développementaux
chez le nourrisson de la naissance
à 18 mois
A. Guedeney, A.-S. Mintz, R. Dugravier

Le développement précoce est l’un des risques les plus importants sinon le plus important de la vie dans les
trois premières années, et surtout dans les 18 premiers mois. Il faut donc porter une attention particulière
aux mécanismes de ce développement dans ses différents aspects (affectif, attachement, cognition,
développement moteur, du langage et de la communication) et à ses troubles possibles, de façon à
intervenir plus tôt, voire à les prévenir. Ce travail rappelle brièvement les théories de ce développement, les
notions de facteurs de risque cumulatifs, de résilience, de maturation et d’interaction gène-
environnement. Les risques pour le développement peuvent être de nature prénatale, ou postnatale, et
sont alors surtout liés aux relations parents-enfant. Ils peuvent être liés à des situations particulières
(abus, carences, dépression postnatale, psychopathologie parentale, etc.), ou représenter les premiers
signes d’un trouble : autisme, retard mental ou attachement désorganisé.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Facteurs de risques ; Développement précoce ; Résilience ; Signes d’alarme ;


Début des troubles précoces ; Prévention

Plan développement psychologique précoce est l’effet d’un processus


de maturation, mais aussi et surtout l’effet des interactions entre
l’enfant et son environnement. La maturation désigne l’ensem-
¶ Introduction 1
ble des facteurs endogènes du développement, qui se déroulent
Développement : forces, risques et résilience 1
dans chaque espèce d’une façon assez semblable. Chez
Résilience 2
l’homme, une part plutôt restreinte de ce développement
Accumulation des facteurs de risque 2
revient à la pure maturation, sous l’influence directe du code
Modèles de la psychopathologie, modèles du risque, accessibilité
génétique, et une partie beaucoup plus importante est l’effet de
des facteurs 2
la résultante des facteurs génétiques et des facteurs environne-
¶ Signes du début de la pathologie : les signes d’alarme 2 mentaux. Parmi ces éléments, l’interaction parents-enfant est un
Attachement : risques de l’attachement insécure et désorganisé ; facteur essentiel du développement, d’une façon directe, mais
résilience et attachement sécure 2 aussi par l’effet de l’interaction gène-environnement. Certains
Troubles du spectre autistique : le « bébé à risque autistique » 3 facteurs agissent aussi dans les périodes prénatales et postnatales
Dépistage précoce 4 de même que la culture, comme facteur majeur du développe-
Intervention précoce et autisme 4 ment précoce. Le rôle de l’interaction entre le génome et
Retrait relationnel et échelle « Alarme détresse bébé » (ADBB) 4 l’environnement semble donc de plus en plus manifeste dans le
¶ Situations à risque 5 développement précoce et dans ses troubles, l’environnement
ayant la capacité d’allumer ou d’éteindre l’action de certains
¶ Prévention 5
gènes [3]. On doit donc renoncer à l’explication de la pathologie
¶ Conclusion 5 précoce en termes de « tout génétique », comme de lien direct
entre un gène et un comportement humain.

■ Introduction Développement : forces, risques


Les trois premières années de la vie représentent la période et résilience
majeure du développement moteur, cognitif, émotionnel, Le terme épigénétique, introduit en 1956 par Waddington [2]
interpersonnel et du lien d’attachement [1, 2]. Aucune autre décrit l’ensemble des interactions existant entre les gènes et leur
période de la vie ne réalise une transformation aussi étendue, environnement, et qui conduisent à leur expression phénotypi-
dans un laps de temps aussi réduit, aboutissant à la constitution que. Le développement psychologique se sépare de façon
d’un être humain sociable, capable d’apprentissage, de jeu, et artificielle en diverses dimensions : développement moteur,
doté de langage. À l’intérieur de cette période, l’intervalle entre développement perceptif, développement cognitif, acquisition
la naissance et les 18 premiers mois est particulièrement riche : des connaissances, apprentissage, développement du langage et
le bébé passe de la période fœtale à la vie extra-utérine et, en de la communication, développement de l’échange affectif,
18 mois, il rentre en relation avec l’autre sur un mode très vite développement de l’attachement, stades de l’élaboration
élaboré. Ensuite, il devient un participant très actif de l’interac- psychique interne, comme le stade oral, anal, phallique puis
tion, développe un attachement préférentiel, montre un génital. Ces divers aspects sont en fait interdépendants : le
développement cognitif impressionnant avec, à 18 mois, la développement du mouvement est aussi celui de la pensée,
capacité de faire semblant et d’avoir une attention conjointe. Le comme l’ont souligné Wallon et Winnicott, mais quelles sont

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-195-A-20 ¶ Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18 mois

les forces qui concourent au développement précoce ? On peut repérage de signaux d’alarme, qui permettent la mise en œuvre
en décrire trois principales [4] : la première est l’existence, chez d’un diagnostic et d’une intervention précoce, et qui s’appuient
le bébé, de capacités innées qui lui permettent de comprendre, sur la connaissance des variations du développement et de ses
d’appréhender le monde en formant des catégories et, plus tard, points sensibles. Cela suppose que l’on ne confonde pas la
de développer le langage. Ce sont les capacités transmodales et notion de facteur de risque (facteur identifié comme étant
les capacités de catégorisation précoces qui permettent au bébé associé à un risque accru d’une pathologie) et la notion de
de classer les objets et les personnes en catégories. Ces capacités facteur étiologique, ou encore de ne pas penser que l’existence
précoces se développent au sein des relations parent-enfant car d’un facteur de risque entraîne nécessairement un destin
celles-ci les mettent en œuvre, et ce contexte relationnel pathologique. Le point important est le lien entre l’accumula-
constitue donc la deuxième force sur laquelle s’appuie le tion des facteurs de risque et la survenue de la psychopatholo-
développement précoce. La troisième puissante incitation au gie. Plusieurs études ont montré cette relation. La plus célèbre
développement est la curiosité propre de l’enfant et son désir est l’étude longitudinale de Rochester, en 1983, par Sameroff et
intense de maîtriser les choses. Ce sont ces trois forces, agissant Seifer [11] : les enfants avec quatre facteurs de risques ou plus
ensemble ou de façon opposée, qui concourent à rendre le avaient 12,3 fois plus de chances d’avoir des troubles mentaux.
développement si puissant et tellement capable Le quotient intellectuel (QI) de ceux qui ont huit ou neuf
d’autocorrection. facteurs de risque est inférieur à celui de ceux qui en ont moins
de deux.

Modèles de la psychopathologie, modèles


“ Point important du risque, accessibilité des facteurs
Notre modèle de la psychopathologie s’est ainsi modifié, à la
Le développement précoce est intense entre la naissance lumière des études longitudinales et contrôlées portant sur les
et 18 mois. Il a une tendance autocorrectrice et résiliente, différents facteurs de risque du développement. On est passé
ce qui explique que l’intervention précoce puisse être très d’un modèle causal liant directement l’attitude consciente et
efficace. Le revers de la médaille est que ce qui s’exprime inconsciente de la mère au symptôme ou au trouble de l’enfant
tôt risque d’avoir un impact fort sur le développement à un modèle en cascade : tempérament de l’enfant, qui rentre
ultérieur. Si un trouble effectif du développement en interaction avec l’attitude parentale, développement dans
une spirale transactionnelle d’un style d’interaction, effet de ces
apparaît, et non pas une variation normale, l’attentisme
interactions sur l’activité du génome (interactions gène-
n’est pas de mise : il faut le déceler et l’évaluer tôt : les environnement), ce que Fonagy appelle le mystérieux déroule-
choses ne s’arrangeront pas d’elles-mêmes. ment de la trame de la psychopathologie [12]. Sur cette trame
vont intervenir les facteurs liés aux périodes sensibles. L’absence
ou le trouble d’une séquence clé du développement (langage,
Résilience attachement, marche) peuvent avoir, à un moment donné, une
La petite enfance, entre 0 et 3 ans, est bien l’âge où le influence plus forte qu’à un autre. Les facteurs d’environnement
développement peut opérer des rattrapages impressionnants. peuvent agir dans le sens du trouble ou dans celui de la
C’est le phénomène de la résilience, c’est-à-dire la capacité à résilience.
maintenir un développement normal dans des conditions
d’environnement défavorables [5]. Ce phénomène pourrait avoir
aussi des déterminants génétiques, comme le montrent certains
■ Signes du début
modèles animaux, en particulier chez le singe Rhésus, chez qui de la pathologie : les signes
le comportement d’attachement médiatise l’effet de certains
gènes : les femelles Rhésus porteuses d’un allèle 5-HIAA qui les d’alarme
expose au risque de dépendance à l’alcool n’expriment pas ce Les signes du risque chez le bébé sont d’abord ceux du début
risque si leur attachement à leur mère est « sécure » [6, 7]. Cela de la psychopathologie, c’est-à-dire l’organisation d’un mode
existe aussi chez l’homme, comme le montrent les études assez stable et généralisé de rapport à l’autre. Parmi ces organi-
longitudinales de Caspi. [8] Des études menées depuis plus de sations pathologiques, on décrira d’abord les perturbations de la
25 ans, chez de jeunes hommes de Nouvelle-Zélande, montrent sécurité de l’attachement, et particulièrement l’attachement
que certains gènes peuvent jouer un rôle dans la résilience face désorganisé, avant d’aborder les aspects du risque vis-à-vis de
à l’abus et à la violence. l’autisme, et de proposer l’intérêt de la notion de retrait
relationnel.
Accumulation des facteurs de risque
Mais le phénomène de la résilience a ses limites. C’est bien Attachement : risques de l’attachement
l’accumulation des facteurs de risque qui met en échec les insécure et désorganisé ; résilience
capacités de résilience. Comme l’indique Rutter [9], plus il y a de
risques, plus le résultat est mauvais en termes de développe- et attachement sécure
ment. Par ailleurs les risques apparaissent non spécifiques vis-à- À partir de l’étude des effets des séparations précoces, et de
vis des conséquences développementales : différents facteurs de modèles théoriques issus de l’éthologie et de la cybernétique,
risque peuvent donner le même effet, un même ensemble de Bowlby [13] propose que l’attachement soit un instinct primaire,
facteurs de risque peut donner des troubles de nature différente. qu’il ne soit pas lié à la satisfaction des besoins. Le bébé cherche
Enfin, les risques isolés produisent de faibles effets : il n’y a pas la proximité de sa mère, par besoin de sécurité, et pour aug-
de risque développemental qui soit lié seulement à la monopa- menter ses chances de survie. Le bébé marque progressivement
rentalité ou au faible revenu, ou au niveau socioéconomique, une préférence pour sa mère, son père et pour ses quelques
par exemple ; les facteurs de risque sont souvent spécifiques proches qui est nette à partir de l’âge de 7 mois, avec une
d’un échantillon de population, et on ne peut donc établir une angoisse vis-à-vis de l’étranger et une peur de la séparation.
liste de facteurs de risques valides quel que soit le contexte. Dans les situations stressantes, de séparation, de douleur,
Selon Roth et Fonagy, une conséquence de cela est qu’il faut des d’anxiété, l’enfant se retourne vers sa mère comme vers une
interventions multiples pour faire face à des risques « base de sécurité ». La socialisation se constitue par l’explora-
multiples [10]. tion du bébé « sécure », à partir de cette base de sécurité. À
Dès lors, il ne sert à rien de prendre une attitude d’attente, partir de 3 ans, la recherche de proximité s’efface au profit de
en comptant sur la force d’autocorrection du développement la coopération dans le jeu, l’apprentissage, et les tâches en
(« Ca s’arrangera tout seul »), dès qu’il existe une déviation général. Dès l’âge de 1 an, l’enfant est capable de généraliser ses
nette par rapport à la moyenne dans un domaine important du expériences de relations affectives ; il a construit un modèle
développement (contact, langage, affectivité). Ceci justifie le interne qui guide ses attentes, le modèle interne opérant de ses

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18 mois ¶ 37-195-A-20

relations. Si l’on s’est occupé de lui avec sensibilité, il s’attend


à ce que l’on réponde rapidement et efficacement à ses deman-
des. Il développe alors le sentiment de sa propre valeur, et il
peut avec confiance rechercher le contact avec l’autre. C’est
“ Point important
l’attachement dit « sécure », de type B, qui concerne 60 % des Les types d’attachement sont les suivants :
enfants dans une population non clinique. En revanche, si la • sécure, B : 60 % maternage sensible, protestations à la
réponse a été imprévisible, l’enfant développe les stratégies dans
lesquelles il réagit avec colère (attachement dit résistant, type
séparation, recherche de contact lors du stress ;
C). Si la réponse que reçoit l’enfant indique qu’il vaudrait • insécures :
mieux qu’il se débrouille seul, sans faire appel, il aura tendance A : évitant : 10 % : maternage évitant : pas de
à minimiser ses propres besoins affectifs (attachement dit protestation à la séparation, évitement du contact aux
évitant, type A). La fréquence globale des attachements insécu- retrouvailles ;
res (C et A) est d’environ 30 % en population tout-venant. C : résistant : 5 % : maternage variable : protestation
Enfin, si l’enfant est soumis à des relations violentes, sous forme intense à la séparation, colère aux retrouvailles ;
d’effroi et d’abus ou bien s’il est exposé à des parents figés dans D : désorganisé : 10-15 % : maternage violent ou
un deuil ou une dépression majeure, ou encore absorbés dans
imprévisible ou absent : figement, attitudes
leur propre imagerie mentale, sans lien avec lui, alors l’enfant
ne peut plus élaborer de stratégie, coincé entre sa peur et contradictoires (recherche de réconfort/fuite).
l’activation de son besoin d’attachement, sans possibilité de
terminaison de l’activation du comportement d’attachement, et
son attachement se désorganise (attachement désorganisé, type a montré aussi l’importance des attitudes motrices spécifiques
D, 10 à 15 %). Pour Salomon et George [14], le jeune enfant du bébé qui deviendra autiste, et qui sont au cœur de la notion
dans une situation violente est dans une situation paradoxale, de « bébé à risque autistique ». La bizarrerie des attitudes
celle d’être agressé par celui ou celle qui devrait le protéger, et motrices sans lien avec les échanges affectifs apparaît comme un
à qui il est attaché. D’où ses attitudes désorganisées. L’enfant
trait caractéristique de ces bébés. Ces éléments ont été confir-
oscille alors entre rapprochement et éloignement de la figure
més par les études récentes à propos des films familiaux, pris en
d’attachement, se fige et essaie de prévoir ce qui va se passer en
vidéo de façon précoce. Sandra Maestro [19] montre ainsi
restant vigilant. Ainsi, si un enfant montre un comportement
l’importance de la passivité, de l’irritabilité, de l’absence de
de figement en présence d’un parent, s’il se montre agressif vis-
à-vis des autres et anxieux, et s’il n’existe pas de troubles réponse à la voix, de l’absence d’harmonisation affective, de jeu
psychologiques propres à l’enfant pouvant expliquer ce com- et d’interactions. Elle propose trois grands types de modes de
portement, alors il faut penser aux effets d’une violence subie début : progressif, régressif ou fluctuant [20]. Il est donc devenu
par l’enfant. L’attachement désorganisé est ainsi un signal clair habituel de demander aux parents les vidéos de leur bébé, et de
de « maltraitance émotionnelle », quand il se produit en les regarder avec eux. Les anomalies entre l’activité d’organisa-
situation d’activation de l’attachement, même s’il faut se tion du geste et du regard apparaissent pour Adrien [21] comme
souvenir que certaines désorganisations peuvent tenir à des un indicateur précoce du diagnostic, et ceux de l’oralisation et
facteurs propres à l’enfant. du geste pour Bernard et al. [21] Pour autant, peut-on empêcher
La théorie de l’attachement a conduit à de nombreuses études l’évolution vers l’autisme confirmé en intervenant dès le début
longitudinales, qui ont montré une capacité prédictive de de ces manifestations ? Certains le croient, et ont mis en place
l’attachement sécure pour l’adaptation sociale et pour l’absence des modalités d’observation thérapeutiques à domicile (Hou-
de troubles du comportement (voir Grossmann et Grossmann zel [22]). Carel [23] suggère la notion d’évitement relationnel
pour une revue de ces travaux [15-17]). Elle a conduit aussi à la (ERN) comme signal d’alarme et propose une grille d’évaluation
mise en évidence d’une sémiologie spécifique des situations de pour dépister les troubles précoces à risque d’autisme. Ce
stress, en présence de la figure d’attachement, et dans laquelle concept lui paraît préférable à celui de préautisme. Si l’on
apparaît la stratégie de recherche de réconfort du bébé. L’atta- s’accorde donc à penser que l’autisme n’a pas d’étiologie
chement dit « sécure » s’associe à de meilleures performances relationnelle, il n’empêche que certaines formes peuvent avoir
sociales, à une affectivité plus ouverte et positive, à une capacité des modes de début où le poids des situations relationnelles
accrue d’interprétation des intentions de l’autre et aussi à une peut être plus fort que d’autres. Il est reconnu, depuis une
plus grande capacité de réflexion sur soi-même et sur ses quinzaine d’années, que les enfants autistes peuvent avoir un
propres sentiments [15]. Dans cette perspective, le bébé sécure attachement sécure avec leurs parents malgré la difficulté que
bénéficie d’une meilleure capacité de résilience face au trauma- ceux-ci peuvent avoir à comprendre leurs signaux de
tisme. Les bébés « insécures » ne sont pas « à risque » en soi, détresse [24]. Par ailleurs, la force de l’attachement qui peut se
puisqu’il s’agit d’une stratégie adaptative face à des modes développer avec des soignants est évidente lors des séparations,
interactifs moins sensibles, mais ils semblent bien être plus pour les vacances, à l’école ou dans une institution. Les travaux
exposés à la psychopathologie, troubles anxieux pour les bébés récents ont permis de confirmer la différence entre la sémiologie
de type résistant et troubles plutôt sous une forme externalisée, autistique et celle de l’attachement désorganisé. Willemsen-
de type troubles des conduites pour les « évitants ». Cependant, Swinkels et al. ont confirmé, dans une étude récente, que l’on
la désorganisation de l’attachement se situe bien plus clairement pouvait séparer la sémiologie du retrait autistique de celle, plus
dans la vulnérabilité, même si 10 à 15 % des enfants d’une
fluctuante, plus contextuelle et transitoire, liée à la désorgani-
population non clinique en sont porteurs.
sation de l’attachement [25]. L’attachement et la sémiologie
autistique sont bien différents mais peuvent donc s’associer,
Troubles du spectre autistique : même s’ils ont des aspects grossièrement semblables (figement
le « bébé à risque autistique » détournement, bizarrerie). Le suivi des cohortes d’enfants issus
Pour le clinicien, les choses se sont profondément modifiées des orphelinats roumains [26] avait déjà mis en évidence
depuis une dizaine d’années en matière d’autisme. Si la physio- l’importance de la résilience, même devant des tableaux initiaux
pathologie du trouble reste mystérieuse, on en sait plus sur d’allure autistique. Pour Rutter [26, 27], 6 % d’un groupe de
l’incidence, sur la sémiologie des modes de début, sur la 11 enfants adoptés roumains présentaient un autisme caracté-
possibilité de dépistage précoce dès 18 mois, sur la fréquence ristique « quasi autistic-like pattern ». Cependant, la sémiologie
des troubles neurologiques et génétiques associés, sur l’intérêt de cet autisme est particulière avec des recherches intenses de
d’un traitement précoce, même si le pronostic reste toujours sensations surtout tactiles, et le comportement autistique est
aussi difficile à préciser. Sauvage, en 1986, fut le premier en plus facilement mobile au cours de l’adoption ; enfin le sex-
France à attirer l’attention sur l’intérêt des films familiaux pour ratio est de 1 pour 1. C’est cette sémiologie de l’attachement
comprendre le mode de début [18, 19]. Sa description du bébé qui semble expliquer des changements thérapeutiques impor-
trop calme, indifférent, donnant l’apparence de la surdité, tants, que l’on obtient malheureusement trop rarement en
dormant beaucoup est maintenant bien connue. Cependant, il matière d’autisme. Il est donc possible que certaines formes

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-195-A-20 ¶ Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18 mois

d’autisme donnent lieu à des interactions gène-environnements Retrait relationnel et échelle


particulières, comme il est probable que certaines formes de
désorganisation de l’attachement aient une base génétique [28]. « Alarme détresse bébé » (ADBB)
Suivant ce mode de réflexion, nous avons proposé l’échelle
Dépistage précoce de retrait relationnel du bébé comme instrument de dépistage
Fondé sur la théorie de l’esprit, le Checklist for Autism in précoce, du retrait non spécifique. Il permet de ne pas s’enfer-
Toddlers (CHAT), proposé sur la base d’un trouble de la théorie mer dans la hantise de l’autisme et de tirer un signal d’alarme
de l’esprit chez les autistes [29], est un questionnaire simple sur pour déclencher l’intervention précoce. Les mécanismes préco-
le comportement de l’enfant, qui s’associe à une période ces d’aménagement face aux aléas de la relation sont donc très
d’observation. Il explore la curiosité sociale, la capacité de faire importants à repérer et à décrire dans leur développement car
semblant, l’attention conjointe, les capacités de communica- ils nous indiquent quels mécanismes sont en place, et à quel
tion. Ces dimensions sont mélangées avec d’autres items non âge. Si l’on parcourt le continuum du normal au pathologique,
spécifiques concernant l’activité motrice, le jeu, la prise de la et en suivant le développement, le premier mode de défense est
main pour obtenir quelque chose. L’échec à plus de deux des le microretrait, décrit par Brazelton, Yogman, Als et Tronick [33]
quatre dimensions pertinentes indique un risque d’autisme. La comme une composante de l’interaction normale, et comme un
validation, avec plus de 30 000 enfants en Angleterre, a montré mode de contrôle du rythme de cette interaction par le bébé. À
une bonne sensibilité mais une faible spécificité (38 %), ce qui un stade plus avancé, on trouve la réaction de protestation, et
n’est pas rédhibitoire pour un instrument de dépistage [30]. Cette ensuite de retrait qui s’observe dans l’expérience du visage
spécificité est meilleure en utilisant le M CHAT américain [31], immobile, le « still face », ou visage immobile de Tronick [34] et
mais celui-ci est plus long est moins facile d’utilisation. La Field [35] et qui est confirmée par les expériences de désynchro-
capacité du CHAT à dépister la pathologie autistique par rapport nisation de Trevarthen et Murray [36]. Le retrait est donc un
à celle du retard est bien meilleure si on répète l’évaluation à mécanisme physiologique, qui devient apparent dans le mode
1 mois. forcé du visage immobile, et qui est un mode d’aménagement
du bébé face aux violations des règles de l’interaction, règles
dont il dépend si étroitement au début de sa vie. Trevarthen [36]

“ Point important
propose que le retrait fasse partie intégrante du système fierté/
honte, spécifique à l’homme, inné, et dont la fonction est de
permettre le développement des états de conscience partagés.
Sur un plan pathologique, Spitz [37] avait décrit le retrait comme
Le CHAT aurait donc toute sa place en protection un élément central de la dépression anaclitique, mais sans le
maternelle et infantile (PMI) et dans les centres de bilan de définir plus avant. Engel et Schmale ont décrit le mécanisme de
santé de la Caisse primaire de l’assurance maladie conservation-retrait, avec le cas célèbre de Monica [38]. Selma
(CPAM), dans la mesure où il est utilisé comme instrument Fraiberg [39] a décrit les aménagements défensifs précoces, avec
d’alarme, avec deux évaluations successives à 18 et d’abord le figement (freezing) que l’on observe surtout dans les
19 mois, et non pas comme instrument diagnostique. La modes interactifs violents (attachement désorganisé), puis le
sensibilité du CHAT devient alors bien meilleure. Quoi renversement en son contraire de l’affect et enfin l’identifica-
qu’il en soit, répétons qu’il s’agit de dépister et non de tion à l’agresseur, plus tardif et qui est, lui, un mécanisme de
défense au sens propre. On a donc, avec le retrait, une position
diagnostiquer les enfants à risque, le plus tôt possible, et
complexe d’emblée, loin du réflexe, mais avec un mécanisme
de les adresser alors dans un centre de référence ou dans biologique isolé et un versant psychique. Nous avons ainsi
un centre médicopsychologique (CMP) pour confirmer le construit une échelle de dépistage du retrait relationnel précoce,
diagnostic. qui puisse être utilisée en dépistage et en pratique clinique. Elle
est issue des instruments utilisés par les pédiatres pour distin-
guer le retard de croissance organique du retard psychogène, et
Intervention précoce et autisme qui, en fait, ressemblaient beaucoup à une échelle de dépression
Le dépistage précoce n’a de sens que s’il est relié à un réseau du bébé. Nous avons choisi huit items qui ne sont pas liés au
d’intervention. Une étude récente associant plusieurs centres de développement et qui sont évaluables de façon aisée par les
ressources concernant l’autisme montre que le délai avant professionnels : le changement d’expression, les mouvements et
l’identification des premiers troubles et la date de la première leur fréquence, la vivacité de réaction, et le sentiment de plus
consultation restent encore longs en France (Bagdahli et al. [32]). ou moins grande attractivité du bébé. Le retrait ne se conçoit
Fondé sur 193 enfants vus dans 49 centres différents entre qu’en regard d’une stimulation, et l’examen pédiatrique en PMI
1997 et 1998, cette étude montre une moyenne de 17 mois apparaît comme une « set situation » riche en stimuli de toutes
pour l’identification du premier trouble, et de 32 mois pour le sortes, dans une période de temps assez brève, et dans un ordre
premier avis spécialisé. Ce délai n’est pas lié au sexe de l’enfant, assez identique. Nous avons été surpris de voir que l’échelle
ni à son rang dans la fratrie, ni au niveau socio-économique des permettait, lors d’un essai en PMI sur 60 enfants nouveaux
parents ni, et cela est plus surprenant, avec l’intensité des signes consultants, d’obtenir un accord de bon niveau entre les
autistiques. Le diagnostic apparaît plus précoce si le déficit professionnels sur l’état de retrait du bébé, et que cet accord
cognitif est important, s’il existe une surdité ou un trouble était meilleur avec l’échelle qu’avec une appréciation globale [40-
42]. La comparaison de la note de retrait avec les facteurs de
neurologique associé. Le délai avant le diagnostic et surtout le
début de l’intervention est donc encore important. Il peut bien risque de la famille a permis de proposer une note seuil dans
sûr tenir aux craintes des parents de voir infliger à leur enfant cette population, qui s’est révélée assez basse (supérieure à 5).
un diagnostic aussi lourd, quand ils s’aperçoivent de quelque Plusieurs études sont en cours pour vérifier la validité de ce
chose assez tôt. Cependant, surtout lorsqu’il s’agit d’un premier dépistage sur des populations différentes et face à différents
enfant, c’est la pathologie autistique même qui rend difficile sa indicateurs. L’échelle n’est en fait qu’une aide à l’observation
reconnaissance, puisqu’il s’agit de repérer essentiellement un des réactions de l’enfant dans une situation qui active nombre
défaut d’interactions affectives, et de réactions à l’environne- de procédures. Elle vise à permettre de réaliser plus tôt qu’un
ment social. Les médecins pédiatres ou généralistes peuvent être enfant n’a eu d’autre solution que la mise en retrait, et d’en
réticents à porter un diagnostic aussi lourd, s’ils n’ont pas une chercher la cause. Or, les modalités défensives du bébé sont au
idée de l’intérêt d’un diagnostic précoce et des possibilités début assez limitées : il s’agit d’abord de la protestation, puis du
d’évolution, et s’ils ne sont pas reliés un réseau actif de retrait. La protestation a l’avantage d’être visible et bruyante. Le
dépistage d’évaluation et d’intervention. D’où l’importance de retrait a l’inconvénient d’être silencieux et d’écarter l’observa-
la représentation de l’autisme, de la connaissance de sa sémio- teur, donc le diagnostic précoce et l’aide potentielle, mais
logie, des éléments connus de son étiologie et de son traitement surtout, le retrait relationnel est en lui-même un obstacle au
chez les professionnels de santé, si l’on veut que les outils de développement, dans la mesure où il prive le bébé de la
dépistage soient effectivement utilisés en pratique. curiosité qui lui fait rechercher ce dont il a besoin. Le retrait est

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18 mois ¶ 37-195-A-20

fréquent dans la psychopathologie précoce, dans le cas de amener une amélioration nette de l’attachement parent-enfant,
l’autisme, bien sûr, mais aussi dans l’attachement désorganisé et par le biais d’une guidance interactive à domicile. L’effet est
la dépression, le handicap sensoriel et la douleur intense et important et stable. Les études de Olds, aux États-Unis [48, 49],
durable, comme dans le retard mental. Le retard mental ont montré l’effet préventif sur les troubles du comportement
imprime sa trace tôt sur le développement : un décalage du de visites à domicile débutées pendant la grossesse et poursui-
développement moteur, de l’apparition du langage peut être un vies jusqu’aux 2 ans de l’enfant. Lyons-Ruth montre que cet
signe d’alarme. L’encadré ci-dessous donne la liste des signaux effet de prévention des troubles externalisés précoces est
d’alarme du développement psychologique précoce. directement dépendant de l’intensité de l’intervention pré-
coce [50]. Fonagy rappelle les conditions requises pour que de
tels programmes fonctionnent effectivement et soient

“ Point important
pérennisables [51].

Les signes d’alarme du développement ■ Conclusion


psychologique précoce sont les suivants : Nombreuses sont les situations qui peuvent mettre le déve-
• pas de sourire à 3 mois ; loppement mental, affectif et cognitif du bébé en danger,
• retrait relationnel durable (> 2 semaines) ; malgré sa résistance et sa capacité de résilience. Le bébé normal
• trop sage, dort trop ; est un être de relation, très sensible aux violations de ses
• pas de babil ; attentes en matière d’interaction. Il est donc important de les
• pas d’angoisse de l’étranger à 7 mois ; connaître et de se préparer à évaluer sa réponse. À l’inverse, il
• absence de curiosité ; est important de savoir repérer les signaux de souffrance du
• porte les choses constamment à la bouche ; bébé, ses signaux d’alarme qui témoignent de sa difficulté dans
une situation relationnelle, quelles qu’en soient les raisons, et
• manque d’imitation ;
de connaître les troubles qui peuvent affecter sa capacité de
• difficultés dans les transitions entre les états ; relation et de communication, de façon à intervenir aussi tôt
• difficultés à se calmer seul ; que possible.
• colères intenses et répétées ;
• pas de pointage protodéclaratif à 18 mois ;
• pas de faire semblant à 18 mois ;
• toute interruption du développement du langage et de
■ Références
la communication. [1] Nadel J, Muir D. Emotional development. Cambridge: Oxford
University Press; 2005.
[2] Guedeney A, Rabouam C, Moralès-Huet M. Développement précoce.
■ Situations à risque Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie,
37-200-B-05, 2001:8p.
Les situations qui mettent sérieusement le développement [3] Rutter M. Environmentally mediated risks for psychopathology:
mental et cognitif du bébé en risque sont donc nombreuses. On research strategies and findings. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
ne peut que mentionner ici les familles dites à difficultés 2005;44:13-8.
[4] Gopnik A, Meltzoff A, Kuhl P. Comment pensent les bébés ?. Paris: Le
multiples, la grande pauvreté, les violences conjugales, mais
Pommier; 2005.
aussi la psychopathologie parentale. Une des situations les plus [5] GuedeneyA. Les déterminants précoces de la résilience. In: Cyrulnik B,
graves pour le développement est sans doute l’abus, la situation editor. Ces enfants qui tiennent le coup. Paris: Hommes et perspectives;
de violence physique, et l’abus sexuel. Nous avons vu que la 1998. p. 13-26.
situation dans laquelle un jeune enfant est terrifié par sa figure [6] Barr C, Newman TK, Lindell S, Champoux M, Lesch KP, Suomi S,
d’attachement produit une désorganisation de l’attachement et et al. Interaction between serotonin transporter gene variation and
représente pour lui une situation sans issue. Cette désorganisa- rearing condition in alcohol preference and consumption in female
tion réalise un clivage de l’organisation défensive, et conduit à primates. Arch Gen Psychiatry 2004;61:1146-52.
des séquelles dans l’organisation émotionnelle. Les situations [7] Suomi S.Attachment in rhesus monkey. In: Cassidy J, Shaver P, editors.
d’abus sont fréquemment retrouvées dans les antécédents des Handbook of attachment: theory, research and clinical applications.
patients adultes limites (borderline). Les parents malades men- New York: Guilford Press; 1999. p. 181-97.
taux, psychotiques ou schizophrènes peuvent également désor- [8] Caspi A, McClay J, Moffitt T, Mill J, Martin J, Craig I, et al. Role of
ganiser l’attachement de leurs enfants, quand ils apparaissent genotype in the cycle of violence in maltreated children. Science 2002;
présents et absents à la fois, habités par un délire dans lequel 297:851-4.
l’enfant peut se trouver pris [43]. Le tableau de l’enfant de parent [9] Rutter M. Resilience reconsidered: conceptual considerations,
empirical findings, and policy implications. In: Shonkoff JP, Meiseils S,
malade mental traduisait déjà cette « parentification » et ce
editors. Handbook of early intervention. Cambridge: Cambridge
renversement de l’attachement. La dépression maternelle
University Press; 2000.
postnatale, quand elle est précoce et importante, peut d’abord [10] Roth A, Fonagy P. What works for whom? A critical review of
sidérer l’enfant jeune, comme on le voit dans la situation du psychotherapy research. New York: The Guilford Press; 1996.
visage immobile [35, 36, 44, 45]. Les dépressions les plus ralenties [11] Sameroff AJ, Seifer R. Familial risk and child competence. Child Dev
sont celles qui peuvent le plus donner lieu à cet effet. Les 1983;54:1254-68.
formes plus impulsives et irritables peuvent conduire à des abus [12] Fonagy P. The development of psychopathology from infancy to
physiques, en dehors de tout antécédent de séparation ou adulthood: the mysterious unfolding of disturbance in time. Infant Ment
d’abus chez la mère, si elle est isolée et sans ressources. À Health J 2003;24:212-40.
l’inverse, certaines mères déprimées arrivent à se mobiliser et [13] Bowlby J. Attachment and Loss: vol. 1. Attachment. New York: Basic
épargnent à leur enfant les troubles interactifs liés à la dépres- Books; 1969.
sion postnatale durable, et les séquelles cognitives que l’on [14] Salomon J, George C. Attachment disorganization. New York: Guilford
observe. Press; 1999.
[15] Grossmann K, Grossmann K, Waters E. Attachment from infancy to
adulthood. New York: Guilford Press; 2005.
■ Prévention [16] Main M, Hesse E. Is fear linked between infant disorganized attachment
status and maternal unresolved loss? In: Greenberg M, Ciccetti D,
Plusieurs études ont mis en évidence la possibilité de préven- Cummings M, editors. Attachment in the preschool years. Chicago:
tion précoce effective. La première est celle de van den University of Chicago Press; 1990. p. 161-82.
Boom [46], qui montre qu’une intervention brève auprès de [17] Greenberg MT. Attachment and psychopathology in childhood. In:
mères de faible niveau socioéconomique, avec des bébés de Cassidy J, Shaver P, editors. Handbook of attachment: theory, research
tempérament irritable [47] , mais demandeuses d’aide peut and clinical applications. New York: Guilford Press; 1999.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-195-A-20 ¶ Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18 mois

[18] Sauvage D. Autisme du nourrisson et du jeune enfant : signes précoces [35] Field T. Early interactions between infants and their post partum
et diagnostic. Extraits du compte rendu du Congrès de Psychiatrie et de depressed mothers. Infant Behav Dev 1984;7:532-7.
Neurologie de Langue Française. LXXXIIe session; 2 au 6 juillet 1984; [36] Trevarthen C, Aitken KJ. Infant inter subjectivity: research, theory and
Luxembourg. Paris: Masson; 1984. clinical applications. J Child Psychol Psychiatry 2001;42:3-48.
[19] Maestro S, Casella C, Milone A, Muratori F, Palacio-Espassa F. Study [37] Spitz RA. Anaclitic depression. Psychoanal Study Child 1946;23:
of the onset of autism through home movies. Psychopathology 1999; 14-31.
32:292-300. [38] Engel GL, Schmale AH. Conservation withdrawal: a primary
[20] Malvy J, Barthelemy C, Damie D, Lenoir P, Bodier C, Roux S. regulatory process for organismic homeostasis. In: Physiology, emotion
Behaviour profiles in a population of infants later diagnosed as having and psychosomatic illness. Ciba Foundation, symposium 8 (New
autistic disorder. Eur Child Adolesc Psychiatry 2004;13:115-22.
series). Amsterdam: Excerpa Medica; 1972. p. 57-85.
[21] Bernard J, Adrien J, Roux S, Barthelemy C. Étude du complexe
[39] Fraiberg S. Clinical studies in infant mental health. The first year of life.
relationnel Geste-Regard-Oralisation chez des enfants autistes âgés de
12 à 36 mois par analyse de films familiaux. Devenir 2005;17:105-22. Paris: PUF; 1999.
[22] Houzel D, Mazet P, Dardenne P, Haag G, Buffet V. Dépistage et traite- [40] Guedeney A. Dépression et retrait relationnel chez le jeune enfant :
ment précoce des psychoses précoces. Neuropsychiatr Enf Adolesc analyse critique de la littérature et propositions. Psychiatr Enf 1999;
1980;1:17-26. 42:299-322.
[23] Carel A. L’évitement relationnel du nourrisson et les dysharmonies [41] Guedeney A, Charron J, Delour M, Fermanian J. L’évaluation du com-
interactives. Neuropsychiatr Enf Adolesc 2000;48:375-87. portement de retrait relationnel du jeune enfant lors de l’examen
[24] Rogers S, Ozonoff S, Maslin-Cole C. A comparative study of pédiatrique par l’échelle d’alarme détresse bébé (ADBB). Psychiatr
attachment behavior in young children with autism or other psychiatric Enf 2001;44:211-31.
disorders. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991;30:483-8. [42] GuedeneyA, Fermanian J.Avalidity and reliability study of assessment
[25] Willemsen-Swinkels S, Bakerman-Kranenburg M, Buitelaar J, Van and screening for sustained withdrawal reaction in infancy: the alarm
IJzendoorn M, Van Engeland H. Insecure and disorganised attachment distress baby scale. Infant Ment Health J 2001;22:559-75.
in children with a pervasive developmental disorder: relationship with [43] David M, Castex E, Léger EM, Merlet AM. Danger de la relation
social interaction and heart rate. J Child Psychol Psychiatry 2000;41: précoce entre le nourrisson et sa mère psychotique. Une tentative de
759-67. réponse. Psychiatr Enf 1981;24:151-96.
[26] Rutter M,Andersen-Wood L, Beckett C, and the English and Romanian [44] Cox JL, Holden JM, Sagovsky R. Detection of postnatal depression.
Adoptee Study Team. Quasi autistic patterns following severe early Development of the 10 items Edinburgh Post natal depression scale. Br
global deprivation. J Child Psychol Psychiatry 1999;40:537-49. J Psychiatr 1987;150:782-6.
[27] O’Connor T, Rutter M, The English and Romanian Adoptee Study
[45] Guedeney N, Fermanian J, Guelfi D, Delour M. Premiers résultats de la
Team.. Attachment disorder behaviour following early severe
traduction de l’Edinburgh Post natal Depression Scale (EPDS) sur une
deprivation: extension and longitudinal follow-up. J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 2000;39:703-12. population parisienne. Devenir 1995;7:69-92.
[28] Gervai J, Nemoda Z, Lakatos K, Ronai Z, Toth I, Ney K, et al. Trans- [46] van den Boom D. Do first year intervention effects endure? Follow-up
mission disequilibrium tests confirm the link between DRD4 gene during toddler hood of a sample of Dutch irritable infants. Child Dev
polymorphism and infant attachment. Am J Med Genet B 1995;66:1798-810.
Neuropsychiatr Genet 2005;132:126-30. [47] Larroque B, N’Guyen The Tich S, Guedeney A, Marchand L,
[29] Baron-Cohen S, Allen J, Gillberg C. Can autism be detected at 18 Burguet A. Temperament at 8 months of very preterm infants born at
months? The Needle, the Haystack, and the CHAT. Br J Psychiatry less than 29 weeks’ gestation: The Epipage Study. J Dev Behav Pediatr
1992;161:839-43. 2005;26:48-55.
[30] Rimland B. CHAT passes large-scale U.K. test. Autism Res Rev Int [48] Olds D, Eckenrode J, Henderson C, Kitzman H, Powers J, Cole R, et al.
1996;10:1-9. Long-term effects of nurse home visitation on children’s criminal and
[31] Robins D, Fein D, Barton M, Green J. The Modified Checklist for antisocial behavior. 15-year follow-up of a randomized controlled trial.
Autism in Toddlers: an initial study investigating the early detection of JAMA 1998;280:1238-44.
autism and pervasive developmental disorders. J Autism Dev Disord [49] Olds DL, Kitzman H, Cole R, Robinson J, Sidora K, Luckey DW, et al.
2001;31:131-44. Effects of nurse home-visiting on maternal life course and child
[32] Aussilloux C, Boghdadli A, Bursztejn C, Hochmann J, Lazartigues A. development: age 6 follow-up results of a randomized trial. Pediatrics
Recherche sur les facteurs d’évolution de l’autisme : caractéristiques
2004;114:1550-9.
initiales d’une cohorte de 193 enfants autistes de moins de 7 ans. Rev
Neuropsychiatr Enf Adolesc 2001;49:96-107. [50] Lyons-Ruth K, Melnick S. Dose-response effect of mother-infant
[33] Brazelton TB, Yogman M, Als H, Tronick E. Joint regulation of clinical home visiting on aggressive behavior problems in kindergarten.
neonate-parent behavior. In: Tronick E, editor. Social interchange in J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2004;43:697-9.
infancy. Baltimore: University Park Press; 1979. p. 7-22. [51] Fonagy P. Quelles preuves pour une prévention fondée sur la preuve ?
[34] Tronick EZ, Cohn J. Infant mother face to face interaction: age and In: Haddad A, Guedeney A, Greacen T, editors. Santé mentale du jeune
gender differences in coordination and the occurrence of enfant : prévenir et intervenir. Ramouville-Saint-Agne: Érès; 2004.
miscoordinations. Child Dev 1989;60:85-91. p. 48-68.

A. Guedeney, Professeur des Universités, praticien hospitalier (antoine.guedeney@bch.aphp.fr).


A.-S. Mintz, Praticien hospitalier.
R. Dugravier, Chef de clinique-assistant.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Bichat-Claude Bernard, AP-HP, CMP René Binet, 64, rue René-Binet, 75018 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Guedeney A., Mintz A.-S., Dugravier R. Risques développementaux chez le nourrisson de la naissance à 18
mois. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-195-A-20, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Pédopsychiatrie
[37-190-B-10]

Rorschach et épreuves projectives en clinique infantile

Marie-Claire Costes : Psychologue clinicienne, service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (Pr


Mouren-Siméoni)
hôpital Necker-Enfants malades, chargée de cours à l'Ecole de psychologues praticiens, 23, rue de
Montparnasse, 75006 Paris France
Anne Andronikof-Sanglade
Professeur de psychopathologie à l'Université Paris X, Nanterre France

© 1996 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

INTRODUCTION

Le test de Rorschach et les épreuves dites projectives font partie de la démarche globale
d'investigation psychologique. Ils sont utilisés en complément d'autres test
(instrumentaux, de niveau intellectuel, de développement, de fonctionnement cognitif...)
dans le cadre de l'examen psychologique.

Ils visent à saisir, au-delà des compétences, aptitudes et acquisitions, le fonctionnement


psychique global du sujet, c'est-à-dire la dynamique des rapports entre les mondes
interne et externe. Ils permettent de répondre aux questions suivantes : quelle est la
nature et la qualité des instruments psychiques dont le sujet dispose pour appréhender et
penser le monde et lui-même, comment s'articulent les affects et les représentations, quel
degré de liberté le sujet a-t-il pour exprimer sa créativité, quel rôle jouent les fantasmes
dans son organisation psychique ?

Dans tous les cas où un enfant présente des difficultés, qu'elles soient d'ordre relationnel,
comportemental ou d'apprentissage, une compréhension approfondie de son
fonctionnement psychique sera nécessaire.

Cette compréhension, que permet l'utilisation éclairée de l'examen psychologique et en


particulier du Rorschach et des épreuves projectives, une fois resituée dans l'histoire et le
contexte environnemental de l'enfant, débouche sur l'élaboration de stratégies
thérapeutiques et/ou éducatives les plus pertinentes possibles.

Le Rorschach et les épreuves projectives sont aujourd'hui très couramment pratiqués par
les psychologues qui interviennent dans le champ de l'évaluation psychologique. La
pratique de ces tests exige un haut niveau de formation et elle est l'apanage exclusif des
psychologues.

L'interprétation " bien tempérée " de ces tests est en effet une opération délicate qui
repose sur des connaissances théoriques approfondies, une expérience clinique bien
intégrée, et une déontologie bien comprise.

Il existe aujourd'hui, de par le monde, une multiplicité d'écoles d'interprétation du


Rorschach et des épreuves projectives, et il n'est pas toujours facile de s'y retrouver. Ce
sont des épreuves " caméléon ", qui semblent avoir la faculté de s'adapter à n'importe
quelle théorie de la personnalité et être utilisées dans des cadres épistémologiques variés.
Dans cet article, nous aborderons les principales écoles d'interprétation du Rorschach et
des épreuves projectives en les resituant dans leur cadre théorique et épistémologique,
puis nous présenterons quelques-unes des épreuves les plus couramment utilisées en
France. Dans cet article, nous avons délibérément choisi d'exposer plus particulièrement
les techniques et les conceptions les plus modernes dans la mesure où l'interprétation dite
classique, mieux connue en France, comporte une abondante littérature [28].

Haut de page

RAPPEL HISTORIQUE

Il convient tout d'abord de rappeler que l'appellation technique, méthodes ou épreuves "
projectives " est postérieure à la création par Rorschach de son test (1921). Ce n'est en
effet que dans les années 1939 à 1943 que naquit cette notion, proposée par Frank [35],
pour rendre compte de la spécificité des tests censés capter la personnalité propre des
individus et non pas seulement telle ou telle de leurs fonctions, traits ou dimensions, d'une
manière qui en permette l'expression idiosyncrasique, sans référence à des normes
extérieures (sociales, culturelles). En organisant un stimulus dit " ambigu ", le sujet va "
projeter " sa personnalité, qui vient en quelque sorte s'imprimer sur un support
relativement neutre (en tous cas dépourvu de signification a priori). Dans cette acception
large du terme de " projection ", tous les tests dont les stimuli laissent une certaine liberté
de réponse (et le Rorschach en fait partie) vont évidemment révéler certains aspects de
l'organisation psychologique du sujet et, à ce titre, peuvent être appelés " projectifs ".

La " projection " dont il est question dans ce type de tests n'a, en fait, que peu de rapport
avec le concept psychanalytique de projection comme mécanisme de défense.
L'homonymie de ces deux termes semble avoir entraîné beaucoup de confusion et de
controverses.

Nous ne traiterons pas ici de l'historique du concept de projection, ni des débats auxquels
il a donné lieu. Nous l'aborderons à travers l'étude des épreuves projectives qui ont
contribué à le forger.

Le terme de " test projectif " est plus directement associé aux épreuves dites thématiques
(TAT - thematic apperception test -, CAT - children apperception test -, PN - le Patte Noire
- et Scéno-test) qui visent explicitement à explorer la dynamique des conflits
intrapsychiques et l'organisation défensive. En effet, tous les tests thématiques ont été
conçus dans le cadre de la théorie psychanalytique, dans le but de faciliter au sujet
l'expression de ses conflits, de ses défenses et de ses fantasmes. En demandant au sujet
d'imaginer une histoire (de produire un récit) autour de situations prédéterminées dans
leur structure (situation de relation adulte-enfant, de conflit entre pairs, d'interdits etc), on
amène le sujet à prendre position dans la situation qu'il doit nouer et dénouer à son gré.
Chaque " situation " (chaque planche de test thématique) est explicitement référée à des
conflits ou des fantasmes spécifiques. De par leur origine et leur mode de construction, les
tests thématiques sont ontologiquement liés à la théorie psychanalytique et c'est tout
naturellement dans le cadre de cette théorie que s'en fera l'interprétation. Les différentes
écoles d'interprétation des tests thématiques sont liées aux nuances théoriques qui
différencient les courants psychanalytiques. Toute autre est l'origine, plus ancienne, du
test du Rorschach. Hermann Rorschach avait conçu son test pour étudier les processus et
modalités de la perception de sujets schizophrènes, qu'il comparait à la perception de
sujets non malades. Il avait découvert de manière empirique que l'on pouvait établir une
correspondance entre la façon dont les sujets " interprétaient " (c'est-à-dire percevaient)
des taches d'encre et les caractéristiques de leur personnalité, en termes de caractère, de
tendances, de contrôle émotionnel, de capacités créatrices, d'empathie etc, dans le
contexte de la psychologie et de la psychiatrie de l'époque.

Autrement dit, le Rorschach a été conçu comme un test de perception (et non de
projection) et il repose sur l'idée que les modalités particulières de la perception reflètent
certains aspects de l'organisation psychologique propre à chaque individu. À partir du
moment où les formes à percevoir ne sont ni univoques ni évidentes à reconnaître, elles
déclenchent un travail de recherche, de tâtonnement, de choix éminemment personnel et
révélateur de la personnalité. De la façon dont chaque auteur va conceptualiser ce travail
de recherche et de choix de la réponse, du poids relatif qui sera donné aux différents
processus impliqués dans la réponse, dépendra le mode d'interprétation proposé.

Le travail mental impliqué dans le test, qui consiste, selon Rorschach, à " associer " un
engramme interne (une représentation de mot ou de chose) au percept externe (les
taches d'encre) est-il assimilable à un processus d'association libre tel qu'effectué par un
patient en cure, au travail du rêve [22], à la création d'un objet transitionnel [58], ou
encore à un processus d'identification et de sélection [30, 33] ? Plus de 70 ans après la
création du test, le débat est toujours ouvert et la controverse, vive. Toutefois, il ne fait
pas de doute que le Rorschach possède une spécificité intrinsèque à sa structure qui lui
confère un statut particulier au sein des tests de personnalité et le situe en marge des
techniques projectives proprement dites.

Haut de page

INTERPRÉ TATION DES É PREUVES PROJECTIVES

Si les tests thématiques se prêtent aisément à une lecture inspirée de la théorie


psychanalytique, il n'en est pas de même pour le Rorschach qui peut légitimement être
interprété en référence à divers modèles de personnalité.

Lecture psychanalytique

En France, la référence privilégiée par les psychanalystes pratiquant les méthodes


projectives est l'ensemble du corpus métapsychologique freudien, en ses remaniements
actuels.

Toutes les interprétations des projectifs issues de ce courant de pensée reposent sur un
postulat d'identité ou d'analogie entre la formulation verbale des réponses aux tests
projectifs et le matériel verbal livré au cours d'une séance d'analyse. Lagache a comparé
en effet l'activité mentale du sujet dans un test projectif à une " rêverie-imageante " [43].
Face au test, un laisser-aller régressif suscite la projection et le retour du refoulé selon les
lois qui régissent le rêve. Cette comparaison est développée par Shentoub dans ce qu'elle
dénomme le processus-TAT (1990) [56].

Le récit projectif est considéré comme la réduction du paradoxe de la consigne entre


imaginer un récit et respecter la réalité du stimulus, entre les sollicitations du monde
interne et externe. Sa nature devient celle d'un " compromis " entre réel et imaginaire se
développant dans un espace psychique que les analystes [15, 22] comparent à l'aire
transitionnelle de Winnicott [61]. Cette analogie confère au récit une appartenance
suffisante au monde interne pour que l'histoire apparaisse comme une voie d'accès
privilégiée au monde interne, à la condition de suivre le fil des processus de pensée qui
organisent ou désorganisent le discours. Par sa construction, la réponse verbalisée du
sujet témoigne de la solution apportée à l'injonction de respecter " les impératifs
conscients (liés à la consigne) et les impératifs inconscients " (liés aux sollicitations
latentes du matériel) [56].

On appelle sollicitation latente (ou contenu latent) du matériel le type spécifique de conflit
auquel chaque planche renvoie, soit, pour les tests thématiques, en vertu de leur
construction, soit pour le Rorschach, par extrapolation théorique. Il s'agit des conflits
universels que chaque sujet a abordé dans son histoire avec ses fantasmes et ses
mécanismes de défense propres. Ainsi sollicité par le " contenu latent " des planches et
contraint par leur contenu manifeste, le sujet produit un récit qui porte la trace des aléas
de son développement libidinal, de ses fixations, de ses conflits.

À partir de ces axiomes, le travail du projectiviste a été rapproché du travail de l'analyste


formé à l'écoute du discours. Dans les deux cas, " il ne s'agit plus de dégager des
intentionnalités conscientes ni de décoder les intentionnalités inconscientes d'attitudes, de
comportements, d'activités de parole et de pensée ". Il s'agit en revanche " d'objectiver
des enchaînements significatifs dans leurs ratés, leurs détours, leurs répétitions, dans les
contraintes qui les asservissent ou les limitent. L'activité psychique dans toutes ses
dimensions est constituée en objet d'investigation et d'une investigation qui privilégie le
dire " [20].

La tâche de l'interprète consiste donc à déchiffrer les transformations du discours qui


témoignent de l'activité mentale en cours, les procédés formels constituant les reflets,
élémentaires et fidèles, des opérations psychiques et, par delà, de l'organisation psychique
elle-même.

L'achèvement de cette démarche aboutit à des hypothèses sur le fonctionnement


psychique d'un sujet et à une interprétation synthétique situant ce fonctionnement
individuel en référence à la psychopathologie psychanalytique.

Cette démarche générale est proposée avec des applications modulées selon chacune des
épreuves projectives.

La divergence des développements de la psychanalyse dans les pays anglophones et


francophones a entraîné des différences notables dans les modes d'interprétation des tests
thématiques. Les Anglais et les Américains sont restés plus fidèles à l'oeuvre de Freud,
plus pragmatiques dans leurs conceptions, plus littéraux dans leurs interprétations, et plus
influencés par la psychologie du Moi [40].

L'interprétation porte davantage sur les mécanismes d'adaptation à la réalité, et les


conflits mis en scène par le sujet sont plus directement traduits en termes de conduites
psychologiques. Dans un test thématique, on cherche à quel personnage le sujet
s'identifie, et on déduit ses modes de réaction du comportement qu'il attribue au
personnage, et son type de relation d'objet du mode relationnel qu'il projette sur la
planche.

La question de la symbolique des planches au Rorschach

En se fondant sur leur expérience clinique et dans le cadre d'une lecture psychanalytique
du Rorschach, certains auteurs ont attribué aux planches un symbolisme intrinsèque.

Ainsi, par exemple, la planche II symboliserait l'agressivité [44], la mère prégénitale [45],
ou encore le traumatisme de la naissance [46]. Bolzinger effectue une revue critique de
ces conceptions [16].

S'il semble difficile de contester que chaque planche du test " évoque " quelque chose de
spécifique, on s'oriente aujourd'hui vers des notions de " halo sémantique " ou de "
connotation émotionnelle " plutôt que vers celle de " symbolisme ". Une application parfois
trop littérale du symbolisme des planches a d'ailleurs entraîné des dérives dans
l'interprétation du Rorschach. L'illustration la plus caricaturale en est le mythe des
planches IV et VII censées symboliser respectivement l'image du " père " et l'image de la "
mère ".

Plus prudentes, Rausch de Traubenberg et Boizou [52] considèrent que, si les planches
renvoient bien à des fantasmes fondamentaux, ceux-ci sont cependant ressentis et traités
de manière différente par chaque enfant, en fonction de son mode d'organisation et de sa
problématique propre. Ainsi, plutôt que de parler de " planche paternelle ", ces auteurs
préfèrent parler de la planche IV comme d'un symbole phallique, représentant la
puissance au sens large, celle-ci pouvant être associée par l'enfant aussi bien au fantasme
de mère prégénitale dévoratrice ou castratrice qu'à la représentation du père oedipien.

Toutefois, rappelons-le, le " symbolisme " n'est pas constitutif des planches du Rorschach,
contrairement à ce qui caractérise le matériel des tests thématiques, et il n'est rien de
plus qu'une hypothèse de travail qui ne reste valable que dans le cadre d'une
interprétation inspirée de la psychanalyse.

Haut de page

LECTURE PSYCHOLOGIQUE

Les tests projectifs se prêtent aussi à une lecture que nous appelons " psychologique ",
c'est-à-dire qui se réfère à l'ensemble des connaissances propres à la psychologie
(processus cognitifs, mémoire, émotions, stress etc). C'est dans ce cadre qu'a été
développée une méthode d'interprétation du Rorschach (le système intégré) qui connaît
aujourd'hui un développement considérable dans le monde entier.

Élaborée par Exner (1976, 1994) [32], cette méthode repose sur une validation
systématique des variables et de leur interprétation, en référence à un modèle
dimensionnel de personnalité qui prend en compte les aspects cognitifs, émotionnels et
relationnels du fonctionnement de la personnalité. Outre l'apport considérable qu'il
représente pour la recherche, le système intégré permet d'aborder les difficultés d'un sujet
et de décrire son fonctionnement psychique dans une perspective autre que
psychogénétique (en termes de développement libidinal et d'économie pulsionnelle), et
dans un autre langage que celui de la psychanalyse.

Cette approche établit un pont conceptuel entre les modèles cognitifs et psychosociaux et
la psychologie clinique, et permet d'affiner les diagnostics en les diversifiant. Le système
intégré est particulièrement opérant dans le champ des indications de prises en charge, et
les procédures de test/retest permettent d'évaluer l'évolution des sujets suivis [7, 60].

Haut de page

UTILISATION DES É PREUVES PROJECTIVES EN


RECHERCHE

Le Rorschach et les épreuves projectives sont des outils très appropriés à la recherche
dans le champ de la psychologie clinique. En effet, ils sont suffisamment codifiés pour
permettre des études comparatives, et suffisamment souples pour permettre des études
qualitatives approfondies. Ils peuvent être utilisés pour étudier les caractéristiques de
l'organisation psychique de sujets dans des contextes psychopathologiques précis (par
exemple pour différencier diverses modalités dépressives), mais ils peuvent aussi fournir
de précieux renseignements sur des dimensions psychologiques particulières. C'est dans
ce but que des grilles expérimentales d'analyse ont été développées, en France comme à
l'étranger.

Pour le Rorschach, dans une perspective psychanalytique, citons la " Grille de


représentation de soi " mise au point en 1984 par Rausch de Traubenberg et
Sanglade [53] et la " Grille d'analyse de la dynamique affective " (1990) [50]. Dans
la perspective du système intégré, on trouve aussi bien des études de cas [51] que
des études de groupes. La possibilité d'établir des liens conceptuels avec les
classifications des troubles mentaux DSM III révisé [2] et DSM IV rend le système
intégré particulièrement apte à s'insérer dans des programmes de recherche
clinique.
Pour le TAT, de nombreuses échelles ont été développées aux États-Unis (échelle
d'affiliation, échelle de relation d'objet etc) qui ont été réunies en un ouvrage par
Smith [58]. Il serait intéressant de développer des échelles similaires pour les
autres épreuves thématiques utilisées chez l'enfant.

Il existe aujourd'hui, deux courants d'interprétation du Rorschach et des épreuves


projectives, qui reflètent les orientations actuelles de la psychologie clinique, partagée
entre la théorie psychanalytique d'une part, les autres théories psychologique d'autre part.
Les deux approches comportent chacune leurs qualités et leurs limites et permettent
chacune de répondre à des questions spécifiques dans des contextes différents.

Haut de page

PRÉ SENTATION DES É PREUVES : MATÉ RIEL ET THÉ ORIES

Les tests devenus classiques du TAT, du CAT, du Patte Noire, auxquels s'ajoute parfois le
Scéno-test, demeurent les techniques projectives essentielles d'usage courant chez
l'enfant.

Leur utilisation dépend de l'âge, des capacités de verbalisation, du support offert à la


créativité du sujet, de la consigne et de la question posée au psychologue. Leur mise en
jeu dépend des motifs de consultation et s'applique à la plupart des catégories
diagnostiques, à l'exclusion de celles qui altèrent profondément la communication verbale
: l'incompétence verbale (quelle que soit l'étiologie), les handicaps visuels, et les déficits
notables de l'attention représentent des incompatibilités difficilement contournables. A ces
réserves près, il est des indications préférentielles qui définissent le choix en fonction du
but poursuivi, étude individuelle ou étude comparative parmi les épreuves adaptées à
l'âge du sujet. Le Scéno-test et le CAT sont proposés à partir d'environ 4 ans, le Patte
Noire, le TAT et le Rorschach sont réservés aux sujets d'au moins 6 ans, tandis que
l'Histoire d'une gomme requiert la maîtrise de l'écriture.

CAT

C'est en 1948 que Bellak publie le CAT [12] qui paraît en France en 1954. C'est aussi en
1954 que Bellak publie la première édition de son livre de référence The TAT and CAT in
clinical use, dont la quatrième édition revue et augmentée paraît en 1986 [11].

Le CAT est présenté comme l'équivalent du TAT, dans une version plus appropriée au
monde infantile, dans la mesure où les enfants sont censés s'identifier plus aisément à des
représentations d'animaux qu'à des personnages adultes. Les mêmes principes de
construction ont été suivis à savoir représenter des situations qui évoquent un certain
nombre de conflits typiques et fondamentaux et demander au sujet de raconter une
histoire à partir des thèmes. Les mêmes principes d'interprétation s'appliquent au TAT
chez l'adulte et au CAT chez l'enfant. L'une ou l'autre des épreuves " révèle la dynamique
des relations interpersonnelles, des constellations pulsionnelles, et la nature des défenses
mises en place " (Bellak, ibidem).

En 1952, Bellak présente le CAT-S (supplément), dix nouvelles planches représentant des
animaux dans des situations plus spécifiques, moins universelles que celles du CAT
original. N'importe quelle planche de cette série est à utiliser en complément de la série
originale, pour éclairer des thèmes spécifiques ; par exemple, la planche V présente un
kangourou dont la queue et une patte sont entourés de bandages, qui s'appuie sur des
béquilles. La planche VII présente un chat se regardant dans un miroir. Le CAT-S est aussi
publié en France aux éditions du Centre de psychologie appliquée (CPA). Constatant que
certains enfants, surtout à partir de 7 ans, répugnent à s'identifier à des animaux, ce qu'ils
considèrent comme infantilisant, Bellak publie en 1965 une nouvelle version, le CAT-H
(human), qui reproduit les situations des dix planches originales en substituant aux
animaux des personnages humains. Cette version n'est pas disponible en France.

Le CAT peut être utilisé avec tous les enfants possédant un minimum d'aisance verbale. La
série originale est plutôt destinée aux enfants jusqu'à 7-8 ans. Entre 8 et 10 ans, Bellak
préconise l'utilisation de la forme H. Pour les préadolescents et les adolescents, le
Symond's picture story test (publié aux éditions du CPA) convient mieux. De toute
évidence, le clinicien choisira le test qui lui paraît le mieux adapté à la maturité de
l'enfant, quel que soit son âge réel.

Matériel

Structure des planches

Le test est constitué de dix planches qui présentent des animaux dans diverses situations
illustrant les grandes étapes du développement libidinal. L'intention de Bellak est de
couvrir les champs suivants :

problèmes autour de la nourriture et de manière générale de l'oralité ;


problèmes concernant la rivalité dans la fratrie ;
attitude envers les figures parentales et façon dont celles-ci sont " aperçues "
(c'est-à-dire interprétées) par les enfants ;
relation de l'enfant à ses parents en tant que couple (complexe d'Oedipe avec son
point culminant : la scène primitive) ;
scénarios fantasmatiques à propos de l'agressivité intra- et extrapsychique ;
acceptation par le monde des adultes ;
crainte d'être seul la nuit, éventuellement liée à la masturbation ;
conduites de propreté et attitude des parents dans ce domaine.

Comme c'est le cas pour tous les tests, il est essentiel de savoir comment les sujets non
pathologiques (ou en tous cas non consultants) réagissent aux planches. Cela constitue en
quelque sorte une épreuve de réalité qui permet à l'interprète de ne pas se fourvoyer dans
des interprétations erronées.

De nombreuses études ont été réalisées aux États-Unis, en particulier par Haworth [41, 42],
Witherspoon [63], Moriarty [47] et Rabin [48]. En France, l'étude la plus systématique a été
réalisée par Boulanger-Balleyguier [17] (113 enfants de 4 à 7 ans).

En Belgique, Guinand et al [37] et Bradfer-Blomart [19] ont étudié les récits au CAT de 100
filles et garçons de 8 ans. L'intérêt de ces études est de mettre en évidence les thèmes
principaux évoqués par les enfants à chaque planche, la manière dont ils traitent les
situations et les modalités différentielles des aménagements psychiques entre filles et
garçons à différents âges.

Consigne

Bellak préconise de présenter le test comme un jeu, afin de faciliter la coopération de


l'enfant et stimuler son imagination. " Un jeu où il devra raconter des histoires sur des
images, en disant ce qui se passe, ce que les animaux sont en train de faire. À certains
moments, on peut demander à l'enfant ce qui s'est passé avant, et ce qui va se passer
après. " (ibidem). L'auteur suggère une procédure d'enquête en fin de test, afin de faire
élaborer l'enfant autour de points précis de ses histoires (exemple : pourquoi a-t-il donné
tel nom à tel personnage ? des précisions sur les lieux, les âges, les sexes des
personnages...). En France, on préfère généralement en première approche une consigne
moins directive (" raconte une histoire ") qui permet au récit spontané de l'enfant de se
développer. On encourage ensuite l'enfant à élaborer par des questions appropriées.

Interprétation du CAT

Selon Bellak

Pour l'interprétation du CAT, Bellak construit une grille d'analyse composée de dix
variables.

Thème principal. Il s'agit de dégager de l'ensemble des histoires un dénominateur


commun. " Par exemple ", écrit Bellak, " si le héros principal de plusieurs récits a
faim et se met à voler de la nourriture, il n'est pas déraisonnable d'en conclure
que cet enfant est préoccupé par un sentiment de manque - littéralement de
nourriture ou plus généralement de gratification - et qu'il désire le combler en le
prenant aux autres " (Bellak, ibidem).
Héros principal. Il s'agit de repérer le(s) personnage(s) qui, dans chaque récit,
représente le sujet. Cela est très délicat à déterminer car les identifications
peuvent être multiples au sein d'une même histoire. En outre " les intérêts, désirs,
défauts, talents et compétences attribuées au sujet peuvent correspondre à ceux
que le sujet possède, veut posséder, ou craint d'avoir ". On s'attachera à repérer
la cohérence et le caractère plus ou moins adéquat des comportements du héros.
Besoins et pulsions principales du héros. Il s'agit de repérer les besoins exprimés
par le héros, puis de se référer au reste du matériel clinique disponible
(anamnèse, observation) pour en comprendre le sens : est-ce l'expression directe
du comportement manifeste du sujet, ou au contraire une fantaisie compensatoire
? Les modalités des récits eux-mêmes fournissent des clés, par l'analyse des
vicissitudes des pulsions dans le déroulement de l'histoire et de leur caractère plus
ou moins affirmé. On analysera aussi le sens des éventuelles introductions de
personnages ou d'objets ou des omissions flagrantes, ces deux phénomènes étant
très significatifs de " la nature du monde où l'enfant croit vivre " et des lieux de
conflits.
Conception de l'environnement (du monde). Cette conception est le produit du "
mélange complexe entre la perception de soi inconsciente et la déformation
aperceptive des stimuli par les images mémorisées " (Belak, ibidem). On peut
résumer ici la conception que l'enfant a de son environnement en deux ou trois
mots (bienveillant, hostile, exploiteur, amical, dangereux etc). Il est aussi
important de déterminer avec quel membre de la famille l'enfant s'identifie (quel
frère et soeur, quel parent etc).
Personnages vus comme... Il s'agit là de repérer la façon dont l'enfant perçoit les
personnages qui l'entourent et comment il y réagit. On aura ainsi l'idée de la
qualité symbiotique, anaclitique, de dépendance orale etc, de sa relation d'objet.
Conflits significatifs. On analyse la nature des conflits ainsi que les défenses mises
en place contre l'angoisse qu'ils engendrent. C'est l'occasion idéale pour étudier la
formation précoce du caractère et en dégager quelques notions de pronostic. Mais
il est très important de se référer à l'âge de l'enfant pour apprécier la qualité
normale ou pathologique des conflits exprimés.
Nature des angoisses. On étudie ici la nature des angoisses et les modalités
défensives. Par exemple, angoisses liées à des dommages physiques, à la
punition, la peur de perdre l'amour et d'être abandonné. Exemple de défenses :
fuite, passivité, agressivité, oralité, affirmation, renonciation, régression etc.
Défenses principales contre les conflits et les craintes. L'étude de l'organisation
défensive est souvent plus parlante que celle du contenu pulsionnel, et plus proche
du comportement manifeste de l'enfant. Notons que Bellak entend les mécanismes
de défense dans le sens très large de coping, c'est-à-dire " capacité générale et
façon d'entrer en contact avec les stimuli externes et internes " et de les traiter
(ibidem). À cet égard, on s'intéressera non seulement à la nature des manoeuvres
défensives mais aussi à leur succès et/ou aux sacrifices qu'elles imposent au
fonctionnement de la personnalité " (ibidem).
Adéquation du Sur-moi : rapport du " châtiment " au " crime ". Le rapport entre la
punition évoquée et la nature de la faute commise nous donne une idée de la
sévérité du sur-moi.
Intégration du Moi. Cette dernière variable nous révèle le niveau général de
fonctionnement : dans quelle mesure l'enfant est-il capable d'établir un compromis
entre d'une part les pulsions et les exigences de la réalité et d'autre part les ordres
du Sur-moi ? Deux critères sont ici à prendre en compte : l'adéquation du héros à
traiter les problèmes auxquels le narrateur le confronte et les aspects formels du
récit. On s'intéresse ici aux processus de dégagement. Ces différents aspects de
l'analyse peuvent être notés sur la feuille de dépouillement proposée par Bellak et
publiée par le CPA.

Autres approches

Une autre approche a été proposée en France par Chabert [21] qui analyse de manière
plus théorique les conflits et fantasmes auxquels renvoie chaque planche (ce qu'elle
appelle le " contenu latent " des planches) et oriente l'interprétation des récits vers le
repérage des " aléas de la relation d'objet " qui nous donne une notion de " l'individuation
et de la construction d'une identité stable ". Le niveau des conflits est repéré à travers la
façon dont l'enfant identifie ou non la différence des sexes et des générations. L'autre
élément important de l'interprétation est l'appréciation des quantités d'énergie mobilisées
qui nous permet " de saisir l'intégration plus ou moins harmonieuse des représentants
pulsionnels ou leur impact perturbant et éventuellement désorganisant " (ibidem).

Cette approche est reprise par Boekholt [15]. Cet auteur développe un point de vue
particulier, qui consiste à transposer à tous les tests thématiques pour enfant les principes
d'analyse et la grille de dépouillement élaborés par Shentoub [56] pour le TAT chez
l'adulte, centrés sur le repérage des procédés du discours. L'auteur systématise cette
approche en proposant une grille composée de 39 items regroupés en six catégories :

" procédés traduisant le recours à la sphère motrice et corporelle " (quatre items)
;
" procédés traduisant le recours à la relation avec le clinicien " (quatre items) ;
" procédés traduisant le recours à la réalité extérieure " (cinq items) ;
" procédés traduisant le recours à l'évitement et à l'inhibition " (trois items) ;
" procédés traduisant le recours à l'affect " (quatre items) ;
" procédés traduisant le recours à l'imaginaire et au fantasme " (neuf items) ;
" procédés traduisant le recours à l'objectivité et au contrôle " (dix items).

Cette approche est très éloignée de celle de Belak qui fait explicitement porter
l'interprétation sur le contenu des récits et non leur forme, jugée trop dépendante des
aléas de l'acquisition du langage chez l'enfant.

D'après l'auteur, cette grille d'analyse est applicable à toute épreuve thématique pour
l'enfant (CAT, PN et Scéno-test). Elle permet en particulier d'explorer trois problématiques
:

le fondement de l'identité ;
l'élaboration de la position dépressive du sujet ;
la mise en place de l'axe oedipien (Boekholt ibidem).

La synthèse finale consiste à passer, par analogie, de ces procédés apparents aux
configurations défensives prédominantes du sujet.

L'articulation entre la réactivation des problématiques d'ordre oral, anal, phallique,


oedipien, génital et les modalités défensives est le point délicat de ce mode
d'interprétation ainsi que de l'évaluation de l'aspect économique (plus ou moins grande
modulation pulsionnelle à travers le langage). Tout repose sur la perception, par le
projectiviste, du traitement des problématiques dans le discours du sujet.

L'étude de cette dynamique de la personnalité aboutit donc à l'évaluation du


fonctionnement psychique en termes d'organisations plus ou moins précises de la
personnalité, en référence à une nosographie spécifiquement psychanalytique.

Test du Patte Noire (PN) (fig 1)

Inspiré par l'épreuve américaine Blacky pictures test (1950) de Blum [14], le test
a été créé en 1961 par le docteur Corman [23, 24, 25]. Son organisation et son
interprétation sont fondées sur le référentiel analytique freudien, ce qui
contribue au durable succès de ce test.

Matériel

Il est composé de 19 images. L'une, appelée " frontispice ", introduit le thème ("
les aventures de Patte Noire ") et les personnages (une famille de cochons ou,
pour les contextes culturels dans lesquels le cochon est un animal impur, une
famille de moutons). Dans la famille animale, PN est l'un des enfants, repéré par
une tache noire sur la patte). Les planches ne sont pas numérotées et ne sont
pas rangées dans un ordre spécifique.

Les thèmes de chaque planche, inspirés par la perspective génétique du


développement libidinal, reconstituent les étapes de celui-ci, par une succession
d'images orales, anales et oedipiennes, complétés par des images
d'indépendance, de solitude, d'agressivité et de culpabilité.

Consigne

On présente d'abord le " frontispice " en demandant à l'enfant d'identifier les


personnages et de préciser leur rôle, leur sexe, et leur âge. Au cours de
l'épreuve, le sujet est libre d'éviter certains thèmes et d'en privilégier d'autres

en choisissant les images supports de son récit. Ensuite, les consignes peuvent
être résumées en deux parties qui lancent, puis cadencent le récit projectif : on
montre à l'enfant les 18 autres planches et on l'invite à raconter une histoire à
partir des planches de son choix. On note l'intégralité de ces récits spontanés.

La seconde partie de l'épreuve (" préférences-identifications ") consiste à


demander à l'enfant de trier les planches selon qu'il les aime ou ne les aime pas.
Il doit ensuite tenter d'exprimer les motifs de ses attractions et de ses rejets,
indiquer le choix de son identification et éclaircir ses refus. Un canevas semi-
directif guide les questions finales sur les affinités des protagonistes, les
alliances ou les rejets et l'avenir du héros. Enfin, les voeux adressés à la fée
(grâce à cette image supplémentaire alors dévoilée) viennent clore la passation.

Le contraste entre le récit spontané et la moisson de l'enquête constitue


l'originalité et la richesse de l'épreuve. Cette méthode, dite des préférences-
identifications, la démarque du test américain Blacky de Blum [14]. Elle fonde son
interprétation initiale.

Interprétation

Méthode dynamique de Corman

La passation a été conçue pour saisir l'expression de la vie psychique modulée


successivement dans le récit puis l'enquête. " Tandis que le choix affectif et les
attendus qui le justifient sont en grande partie inconscients, en revanche l'appel
à l'identification éveille le Moi conscient et fait entrer en action les défenses de
celui-ci. On a donc, par la comparaison des préférences et des identifications, un
bon moyen de déterminer les deux termes du conflit psychique : les pulsions
inconscientes et les mécanismes de défense du Moi " dans leur efficacité relative
(Corman [26]). Cette lutte se déchiffre autant dans la trame de l'anecdote, avec
ses dérobades devant les thèmes et les identifications, que dans la forme de
l'histoire émaillée de refus, censures et ruptures significatives des associations.

Le repérage de la force ou de la faiblesse du Moi, de ses mécanismes


d'adaptation et de dégagement fonde l'interprétation classique du protocole,
nettement influencée par les conceptions des analystes anglo-saxons. De plus,
l'interprétation originelle de l'épreuve est organisée autour de grands thèmes :
oralité, analité, sexualité, thèmes agressifs, thème conflictuel dépendance ou
indépendance, thème de culpabilité, thème de sexes inversés, thème du père
nourricier, thème de la mère idéale (Corman [23]). On analyse aussi les thèmes
oedipiens ainsi que l'angoisse, la dépression, la régression et le repli narcissique.
Enfin le thème de l'imago paternelle est renforcé par l'image " courte échelle "
ainsi que par l'image " Sur-papa " (non publiée à ce jour). En s'appuyant sur la
comparaison récit/enquête, Corman vise à dévoiler le sens caché et à " découvrir
les motivations intérieures de conduites pathologiques ou de conflits névrotiques
qui ne nous étaient connus jusque-là que par leurs manifestations cliniques
apparentes " (Corman, ibidem). À titre d'exemple, la dimension anale de la
relation d'objet d'un jeune garçon de 13 ans est mise au jour par la projection,
après une scène ludique, de ses désirs de saccage, de souillure et de régression
attribués au héros animal (présent sur l'image " hésitation ") : " il est dans le
champ avec sa mère en train de boire et son frère et son père sont en train de
boire. Il se dit qu'il aimerait bien sauter dans l'eau, pour se baigner, s'amuser
dedans, alors que, eux, ils sont en train de boire, mais lui, il voudrait bien en
faire comme une piscine et ils ne pourraient plus boire, ils seraient pas contents
".

Lors de l'enquête, la faiblesse de son Moi laisse échapper l'agressivité de son


désir : " salir cette eau pour qu'elle soit toute noire, on pourrait plus boire
dedans... " ainsi que son souhait d'entraîner son frère dans une régression
partagée : " il voudrait empêcher son frère de boire, il voudrait que son frère se
mette en rogne et alors à ce moment ils se battraient ". L'épreuve permet de la
sorte de décrire la personnalité dans ses instances et de comprendre " les
conflits de l'âme enfantine " schématisés ici selon deux grands thèmes : rivalité
fraternelle et rivalité oedipienne.

Le Tableau panoramique [27] propose au correcteur une représentation


permettant un relevé de l'ordre des choix des stimuli, de la place des thèmes
francs et des refoulements significatifs. Cette représentation illustrée n'existe
pas pour les autres épreuves thématiques, dans lesquelles l'ordre des stimuli est
imposé au sujet. La notice d'utilisation permet de récapituler les thèmes
dominants ainsi que le traitement dont ils ont fait l'objet. Les contenus des récits
ont aussi suscité des recherches par analyses statistiques de contenu. Les
travaux de Bachs (1990) [9] visent, pour chaque image, à recenser et à coder
pour le traitement informatique les thèmes abordés et les motifs de choix
préférentiels. Le relevé porte actuellement sur 500 protocoles (200 enfants, 200
adolescents et 100 adultes) et permet d'établir des " normes " en termes de
fréquence. Les premières normes publiées concernent une population d'enfants
catalans non consultants, les résultats complémentaires seront publiés
ultérieurement.

De telles études rendront possibles des recherches de corrélation entre les


données cliniques (objets d'évaluations quantifiées) et des réponses hors
normes. Si des correspondances entre certaines réponses liées à des traits
psychologiques peuvent être établies avec des données cliniques, il en résultera
un progrès dans la connaissance des fondements psychoaffectifs du trouble, ce
qui améliorerait la stratégie thérapeutique. Le PN est connu et utilisé France, en
Belgique, en Suisse, au Canada et dans les pays africains francophones, en
Espagne et en Amérique latine, en Allemagne, en Italie et en Finlande où un
abrégé du volume I du PN vient de paraître.

Autre méthode d'interprétation

Comme il a été exposé plus haut, une nouvelle méthode d'interprétation se


développe aujourd'hui (Boekholt [15]) qui consiste à transposer à tous les tests
projectifs et à tous les âges les principes d'analyse et la méthode de
dépouillement du TAT développés par Shentoub et Debray pour les adultes.

Scéno-test

Klein, puis Winnicott [62] ont employé des jouets dans l'examen de jeunes sujets,
car ils apportent " un progrès par rapport à l'échange de paroles et aux dessins
".

En 1939, Von Staabs [59] reprend l'idée en créant le Scéno-test dans une
perspective de psychothérapie, avec la préoccupation de proposer un matériel
varié pour faciliter l'expression des enfants dont le langage n'est pas achevé. Elle
systématise le matériel, sa présentation, les consignes et la passation. Mais elle
ne développe pas d'expérimentations conférant au Scéno-test de véritables
qualités métrologiques (fidélité, sensibilité, validité). Elle se contentera
d'indiquer l'étroite relation entre la production scénique et la vie du sujet. Celui-
ci donne à voir dans le microcosme permis par le matériel offert, ses conflits, ses
angoisses, ses défenses ou ses désirs.

Le manuel de l'épreuve donne des indications sur les cinq grands secteurs à
observer dans la conduite du jeu pour le dépouillement du protocole. Des
exemples d'enfant et d'adulte issus de sa pratique clinique appliquent des
principes d'interprétation analytiques.

L'usage actuel du Scéno-test est celui d'une épreuve projective thématique qui
permet, soit une observation ponctuelle incluse dans un examen psychologique
complet, soit une séance à répéter dans une thérapie engagée dans la durée. Le
matériel à manipuler rend possible une activité de jeu et permet au sujet de
s'exprimer autant par l'agir que par la verbalisation. Cela permet une
observation des comportements dès 2 ans et demi et une exploration du
psychisme jusqu'à la préadolescence. Actuellement, il n'est plus utilisé au-delà.

Les indications fréquentes du Scéno-test sont les explorations des insuffisances


verbales quelles que soient les hypothèses étiologiques : déficit auditif simple,
retard simple de parole, retard du langage, retard global du développement,
mutisme, inhibition, troubles envahissants du développement, autisme.

Le Scéno-test s'applique également quand la verbalisation est normalement


développée. Il représente un matériel très adéquat à l'exploration d'un large
éventail de difficultés instrumentales ou comportementales, dans lesquelles
l'aspect relationnel est dominant. Il permet de contourner les difficultés de
communication verbale dues à un simple bilinguisme ou à une maîtrise
insuffisante de la langue. Toutefois, le Scéno-test n'a pas fait l'objet d'une
version véritablement aculturelle. Par exemple, son utilisation, sans adaptation,
comme projectif dans les cultures coraniques, dans lesquelles la représentation
de l'être humain est interdite, est d'une validité contestable, ainsi que tout usage
dans des populations d'origines ethniques ou culturelles très différentes.

Par ses contraintes modérées : aire de jeu délimitée, durée libre et cependant
mesurée, matériel réaliste, ce test fait apparaître les modalités d'adaptation du
sujet. Celles-ci sont à apprécier en fonction des types de jeu dont le
développement suit une évolution génétique connue [38].

Matériel

Le matériel réunit des éléments figuratifs et non figuratifs, choisis pour leurs
aspects familiers et symboliques. Les premiers comportent :

des personnages nombreux, (16 marionnettes flexibles habillées


représentent des hommes, des femmes et des enfants d'âges différents et
très typés) ;
des personnages irréels : ange, gnome, bonhomme de neige ;
des animaux constituant un bestiaire abondant choisi en fonction d'un
symbolisme traditionnel assez élémentaire : chien (affectueux), renard
(rusé), jars (agressif), vache (nourricière) ;
des éléments de décor champêtre (arbre, pelouse, fleurs, fruits) ou urbain
(colonne Morris) des meubles très abondants, une dînette, un tapis, des
toilettes, etc ;
des accessoires : tableau scolaire sur son trépied, une escarboucle
scintillante, etc ;
une locomotive, des wagons, des voitures.

Les éléments non figuratifs sont essentiellement des pièces de bois colorées, de
formes et de tailles très diverses, qui permettent des constructions au gré de
l'utilisateur. Leur utilisation représente la marge de liberté laissée au sujet,
limité par la précision du matériel figuratif qui miniaturise le réel.

La présentation du matériel est fortement standardisée : rangement standard,


place des personnages à portée de main dominante, couvercle devant le sujet. La
consigne proposée au sujet est plus libérale dans ses formulations adaptées à
son âge, à son comportement et au contexte de l'examen. Elle invite à "
construire quelque chose ", et à prendre les éléments nécessaires pour " faire
une histoire " à raconter ensuite. Elle demande au sujet d'indiquer le moment où
il aura terminé afin d'éviter des explorations sans fin. Enfin, elle limite l'aire du
jeu au couvercle de la boîte ouverte devant le sujet. La consigne demande aux
préadolescents " de créer une scène, un peu comme un metteur en scène " et de
la raconter.

À la fin de l'épreuve, le sujet est invité à replacer le matériel dans sa boîte,


nouvelle occasion d'observer et de faciliter la rupture de l'activité imaginaire et
de la relation interpersonnelle. Tout le déroulement du Scéno-test est noté dans
ses phases, ses éléments, ses thèmes ainsi que le comportement. Un schéma de
la disposition finale des éléments sur le plateau est également requis.

Dépouillement de l'épreuve et interprétation

L'interprétation du Scéno-test, activité ludique, situe nécessairement le jeu


observé dans une perspective développementale. Différents types de jeu
s'élaborent selon le développement psychomoteur de l'enfant et l'émergence de
la pensée symbolique (Gutton, ibidem) : jeu sensorimoteur des tout jeunes
enfants qui vise la décharge tensionnelle, jeu d'exploration et jeu d'exercice, jeu
de faire-semblant, tandis que le jeu de règles est plus mature. L'observation
clinique participe donc largement à l'interprétation classique du Scéno-test en
identifiant les différents types d'activités ludiques, y compris les retours
régressifs éventuels. Elle porte également sur les aspects comportementaux, la
manipulation et le choix du matériel ainsi que sur la relation interpersonnelle.
L'expérience du clinicien permet de repérer les thèmes dominants et de les
mettre en relation avec la clinique. L'interprétation porte aussi sur la, dynamique
du déroulement du jeu, avec ses mouvements constructifs et déconstructifs, ses
investissements et désinvestissements alternés de certains personnages et/ou
éléments, et l'aménagement de l'espace opéré par l'enfant, plus ou moins
structuré, plus ou moins relationnel, plus ou moins conflictuel.

Exemple : un extrait de Scéno-test de Pierre, 5 ans 8 mois

Il développe un jeu silencieux, qui s'élabore autour du thème d'un garçonnet qui
ne veut pas rester enfermé au sein d'une construction symbolisant sa maison. "
Il veut être dehors parce que, à l'intérieur, il est pas content, il veut pas être tout
seul... "

Deux personnages antagonistes, une fée gentille qui sait voleter et une sorcière
méchante incarnée par le gnome rouge interviennent dans le jeu. " La sorcière
est très méchante, elle risque de s'envoler et de le prendre, elle le lâcherait dans
le ciel et le laisserait tomber. La sorcière, j'y pense pas. Sinon, je me lèverai, je
joue. De temps en temps, je m'habille et je vais jouer " dit l'enfant faisant
référence à son comportement nocturne, en un brusque passage au mode
personnel induit par l'émergence d'angoisse phobique. Le protocole donne sens
aux troubles du sommeil de l'enfant ainsi qu'à sa tyrannie à l'égard de ses
parents qui sont utilisés comme objets contraphobiques. De plus, le thème du
lâcher aérien qui alimente l'angoisse est induit par la phobie des avions dont
souffre la mère et par les propos de celle-ci. La présence de deux représentations
féminines, l'une positive, l'autre négative, l'oscillation entre leurs dominances,
l'absence de figure masculine sont également des éléments significatifs ainsi que
les techniques de défense mises en place par l'enfant pour évacuer les tensions
pulsionnelles.

Rorschach

Hermann Rorschach est né à Zurich en 1884 et mort en 1922. Son oeuvre


modestement sous-titrée " Méthode et résultats d'une expérience diagnostique
de perception (interprétation libre de formes fortuites) " a été publiée en 1921
sous le titre plus publicitaire voulu par l'éditeur Psychodiagnostic [54]. Le test
s'est imposé lentement et sa renommée est mondiale.

L'historique du test, ainsi que les diverses influences qui ont formé Rorschach,
sont exposés dans l'article consacré aux méthodes projectives chez l'adulte [28].
Matériel

Le matériel du Rorschach est composé de dix taches d'encre de tonalités noire,


blanche et grise pour les planches I,IV,V,VI et VII, de tonalités noire, blanche et
rouge pour les planches II et III, et enfin de nuances pastel pour les trois
dernières planches. Il est non figuratif mais sa création à partir de taches d'encre
confère à chaque planche une structure autour d'un axe de symétrie.

Consignes et procédures

Après une facilitation par le dialogue et des encouragements, la consigne donnée


est : " qu'est-ce que cela pourrait être ? " [49].

La prise du protocole est intégrale : tout est noté des réactions et de l'expression
verbale du sujet depuis le moment d'offre de la planche jusqu'au moment où il la
repose, ainsi que les temps. " Exclamations, commentaires qualitatifs, réponses,
hésitations doivent être notés aussi précisément que possible ainsi que les
changements de position de la planche " (Rausch de Traubenberg, ibidem). Ce
relevé constitue le protocole brut.

Enquête

Après la passation des dix planches, on procède à une enquête en reprenant les
réponses du sujet à chaque planche. L'enquête vise à faire préciser les différents
aspects de la perception (localisations, déterminants). Chez l'enfant, souvent lui-
même peu conscient des facteurs qui ont déterminé sa réponse et moins à même
de les formuler spontanément, elle s'avère plus délicate que chez l'adulte.

Cotation

La cotation consiste à coder les réponses en condensant dans un symbole


conventionnel les composantes de la réponse : l'aire concernée, les déterminants
qui inspirent son contenu et ses particularités éventuelles. C'est la même
cotation que celle utilisée chez les adultes.

Rorschach en clinique infantile

L'utilisation du Rorschach en clinique infantile remonte à l'origine du test,


Rorschach ayant lui-même entamé une importante étude de validation auprès
d'enfants. Par la suite, de nombreux travaux on été réalisés dans ce champ,
tantôt pour établir des données normatives, tantôt pour développer l'aspect
diagnostique du test, tantôt dans une perspectives d'investigation
psychodynamique de la personnalité. Les principaux auteurs en sont : en
Angleterre, Alcock [1] dans les années 1941 à 1963, aux États-Unis Ford [34],
Ames [3, 4], Halpern [39], en France Beizmann [10], Rausch de Traubenberg [52], en
Suisse Dworetski [29]. Ces travaux, s'ils ont permis d'approfondir la
psychopathologie infantile, ont aussi eu un impact considérable sur la
compréhension des mécanismes du Rorschach. En particulier, la remarquable
étude génétique réalisée par la psychologue suisse Meili Dworetski [29] a permis
de mettre en évidence l'étroite dépendance entre le niveau de développement
cognitif de l'enfant et certaines caractéristiques formelles des réponses au
Rorschach. C'est aussi dans une perspective génétique que Beizmann [10] a
travaillé, pour montrer en finesse comment la sensibilité enfantine se reflète de
manière différentielle dans les réponses au Rorschach. Tout aussi majeur est
l'apport de Rausch de Traubenberg [51] qui a décrit différents modes
d'interaction entre monde fantasmatique et monde perceptif chez l'enfant et mis
en évidence, de manière originale, le rôle souvent organisateur (et non pas
toujours perturbateur) de l'activité fantasmatique de l'enfant.

L'application du Rorschach en clinique infantile a aussi ouvert un champ de


réflexion très actuelle concernant les rapports entre l'image du corps et les
réponses au Rorschach, celui-ci étant alors directement conceptualisé comme
lieu de projection de la représentation de soi [6, 55], chez l'enfant comme chez
l'adulte.

Aujourd'hui, le Rorschach est très largement employé en clinique infantile, mais


l'absence de données normatives en rend l'utilisation incertaine et laisse le
champ libre à des interprétations intuitives, pour ne pas dire sauvages.

Le jeune enfant se situe dans l'expression directe, la référence à des expériences


personnelles plaisantes ou déplaisantes, le ressenti sans se montrer très
soucieux des contraintes du réel. Il est encore soumis à la force de ses désirs, la
séduction de ses fantaisies, l'influence de ses peurs ainsi que la puissance de la
pensée magique. À partir de 7-8 ans, l'enfant acquiert les moyens cognitifs et la
maturation émotionnelle qui le font passer du besoin d'expression de soi dans le
hic et nunc, à une capacité de projection et d'expression plus symbolique. La
confrontation au matériel du Rorschach devient fructueuse en tant qu'épreuve
structurale de la personnalité comparable à l'usage du Rorschach chez l'adulte.
L'interprétation du protocole peut être réalisée selon une lecture
psychanalytique, dont les principes généraux ont été rappelés et telle qu'elle se
trouve exposée en détail dans l'article de l'Encyclopédie médico-chirurgicale
consacré au Rorschach dans la pratique psychiatrique adulte (Debiesse [28]), ou
bien selon la méthode du Système Intégré présentée ci-après.

Système Intégré d'interprétation du Rorschach

Le système intégré constitue la révision la plus considérable de cette épreuve.


Son extension, depuis 20 ans aux États-Unis, est notable. Sa diffusion en France
dans sa forme la plus achevée est accélérée par la traduction par Andronikof-
Sanglade (1993) du Manuel de base de Exner [31]. La mise en oeuvre des deux
logiciels RIAP et RSP, destinés à établir les résumés formels des protocoles,
facilite la pratique et permet la collecte des données. Les banques américaines
de données, qui rassemblent 162 000 réponses, permettent d'affiner les
connaissances et de valider le test. Il n'existe pas actuellement de données
normatives françaises : une banque de données européenne est en voie de
constitution au sein de l'association européenne du Rorschach (ERA).

Fondements théoriques

La conception du processus de la réponse, propre au système intégré, prend en


compte les aspects perceptifs et décisionnels en plus du phénomène projectif.

Plus le caractère du stimulus est ambigu, plus l'activité perceptive opère en


mobilisant le sujet dans des opérations de jugement, de tri, de choix pour
déterminer la réponse finale. De nombreuses expérimentations ont exploré ces
différentes phases. Elles prouvent que la sélection, opérée par le sujet parmi les
nombreuses réponses potentielles, est déterminée par plusieurs facteurs (pour la
plupart inconscients). Le sujet donne ainsi à voir l'ensemble de ses conduites
mentales devant la situation spécifique du test qui agit comme un révélateur.

L'appréhension du monde extérieur, révélée par le protocole, est constituée


d'habitudes mentales, d'affects et d'éléments liés aux assises narcissiques du
sujet telles qu'elles se sont constituées.

Procédure et cotation

La procédure fait parfois l'objet d'une adaptation particulière aux jeunes enfants,
en raison de l'instabilité de leur attention. La consigne et l'enquête sont alors
contractées en une demande formulée ainsi : " je voudrais que tu regardes ces
planches et que tu me dises ce que cela pourrait être et que tu me le montres
pour que je puisse bien le voir comme toi ". L'expérience, sur plus de 4 000
enfants consultants et non consultants, prouve que seuls 5 % de ceux-ci
nécessiteraient l'aménagement de la procédure.

La cotation repose sur des critères d'inclusion et d'exclusion très précis qui
assurent une grande fidélité intercorrecteurs. La cotation est complexe et permet
de coder de manière raffinée, à la fois exhaustive et fidèle, les informations
contenues dans les réponses. Le Système Intègre aussi certains aspects plus
qualitatifs et cliniques des réponses. Il représente une synthèse des
connaissances et des cotations élaborées par les principaux auteurs qui ont
précédé aux États-Unis (Klopfer, Beck, Rapaport, Schafer, Piotrowski, Hertz). La
cotation requiert donc un apprentissage spécifique (Manuel ibidem).

Méthodologie de l'interprétation selon le système intégré

Dans le fonctionnement psychique, conçu comme un ensemble composite, un


certain nombre d'aspects ou de " fonctions " sont suffisamment distincts, malgré
leurs chevauchements, pour qu'on puisse les cerner et les décrire en terme
d'Ensemble de facteurs.

L'interprétation tire parti de la différenciation établie par Exner entre deux types
de facteurs manifestes dans le Rorschach. Les premiers facteurs sont dits
structuraux " parce que très stables dans le temps chez un même individu et peu
sensibles aux états d'humeur, de stress et de tension ". Les facteurs
situationnels sont " plus volatils, instables dans le temps chez un même individu,
conditionnés par des états momentanés " [7].

Cette différence entre facteurs structuraux et situationnels est moins nette chez
l'enfant dont la personnalité est encore malléable.

Démarche d'interprétation
Après le recueil du protocole, la cotation, et la condensation dans le
résumé formel (sous la forme de fréquences, rapports, pourcentages et
dérivations numériques), les ensembles peuvent être identifiés et
interprétés à partir de leurs configurations. Les différents champs
investigués par les groupements de facteurs sont groupés en six
rubriques :
l'étude de la complexité cognitive est particulièrement
intéressante chez l'enfant, car elle permet d'analyser séparément
sa manière d'aborder une tâche (ensemble traitement de
l'information), sa façon de traduire une perception (ensemble
médiation cognitive) et ses procédés idéationnels (ensemble
idéation) marqués de ses affects ; ces trois ensembles de variables
constituent la triade cognitive ;
le fonctionnement affectif est saisi à partir de l'adaptation aux
couleurs des stimuli qui activent les affects ; la modulation et
l'intégration des affects se décèlent dans la gamme de couleurs,
intenses ou pastel, repérées par le sujet et dans la priorité
accordée aux couleurs ou aux formes ;
la capacité de contrôle et de tolérance au stress résulte du degré
d'équilibre entre les ressources dont dispose le sujet et les
diverses pressions internes ou situationnelles auxquelles il est
soumis ;
un ensemble de nature structurale concerne le style de
fonctionnement du sujet : plus ou moins riche, plus ou moins
défendu, tourné plutôt vers l'idéation ou vers l'affect ; les trois
premières variables (introversivité, ambiéqualité, extratensivité)
correspondent aux types de Résonance Intime du Rorschach
traditionnel ; le calcul du quatrième (Lambda par rapport à 99 %)
est l'équivalent du F % classique ;
complétant l'étude de l'affectivité, les aspects relatifs à l'image de
Soi, à celle d'Autrui et les relations humaines font l'objet d'une
étude séparée ; toute une série de facteurs se réfèrent à la qualité
des assises narcissiques et à la relation d'objet ;
la perception sociale des autres ainsi que la tendance d'un sujet à
l'isolement peuvent être mises en évidence par les groupes de la
perception de Soi et de la perception d'Autrui.

Les autres secteurs explorés, particulièrement utiles chez l'enfant,


concernent l'appréciation du développement cognitif avec les
interférences éventuelles des aspects fantasmatiques.
En outre, il existe un certain nombre d'indices et de " constellations " qui
permettent de repérer des secteurs de fonctionnement particulièrement
perturbés (existence d'une dépression, perturbations cognitives franches,
tendances à l'obsessionnalité). Les possibilités d'ajustement du sujet aux
exigences et conditions de l'environnement social font l'objet d'un coping
deficit index (CDI) qui présente un intérêt particulier chez l'enfant. Cet
index résume les ressources dont dispose l'individu pour s'adapter aux
conditions de son environnement, augmentées de son endurance à la
frustration et de son contrôle par rapport à celle-ci. L'indice prend en
compte un aspect relationnel qui s'ajoute à la capacité de tolérance au
stress. Les résultats s'apprécient par rapport aux données normatives
mais, rappelons-le, les normes françaises n'ont pas encore été établies.
Les jeunes enfants ont souvent un CDI positif qui rend compte de leur
immaturité tandis que, chez les adolescents, ce CDI permet de repérer un
éventuel manque d'autonomie psychique et de capacités à faire face aux
exigences de la vie en société (concernant les adultes, un CDI positif
indique des individus pathologiquement dépendants des institutions
sociales en général).

Formulation des résultats du Système Intégré


La méthode Exner aboutit à décrire les caractéristiques du
fonctionnement d'ensemble de la personnalité ainsi que celles de ses
stratégies défensives habituelles. La notion de stratégie défensive, selon
le Système Intégré, n'est pas liée au conflit psychique, elle renvoie à des
procédures ou manières de faire habituelles du sujet, non conscientes et
stables. La stratégie défensive apparaît au travers de ses effets, ses
manifestations extérieures, ou " traits " de la personnalité. Tous les
modes défensifs peuvent ainsi donner à voir des signes repérables dans le
protocole, depuis ceux qui s'expriment par l'inhibition, le mode de pensée
opératoire et le refoulement, jusqu'à la projection à l'extérieur et
l'exacerbation du narcissisme.

Le répertoire des stratégies défensives est ainsi exploré à la recherche de


manifestations qui prennent sens dans des indices, des styles, des "
constellations ", des " ensembles " dont la significativité a été éprouvée sur le
plan statistique. Les échecs des stratégies défensives se manifestent lorsque les
ressources du sujet sont submergées par les facteurs de stress. Le renforcement
de la rigidification comme type de fonctionnement ou la prédominance
d'idéations très négatives associées ou non à des affects dépressifs, ou la perte
de l'intégration idéationnelle sont des modalités fréquentes de l'échec des
stratégies défensives chez l'enfant. Les dérapages cognitifs multiples, l'isolement
social sont d'autres effets observables de l'envahissement par le stress du jeune
sujet dont les capacités de tolérance et d'adaptation sont débordées.

Les possibilités de traitement de l'information ainsi que les capacités de synthèse


ont des caractéristiques enfantines résumées dans des normes génétiques de
développement. Les recherches de Exner [30] recoupent les découvertes de
Piaget sur la progression des fonctions cognitives et leurs étapes de
l'appréhension syncrétique à une saisie synthétique. Les troubles peuvent être
décelés à chaque étape du fonctionnement cognitif.

Les résultats sont formulés en un contexte théorique qui est celui d'une
psychologie clinique non analytique.

Le modèle du Système Intégré ne prend en compte ni la notion de structure, ni


l'aspect psychogénétique des étapes libidinales. Le protocole du Rorschach
révèle le fonctionnement psychique global et actuel du sujet, pensé en termes de
ressources, de modes habituels d'adaptation et de stratégies. Ce point de vue
s'avère essentiel chez l'enfant. En effet, son développement psychique inachevé
permet les restructurations cognitives, les modifications des procédures
habituelles par de nouveaux apprentissages et une remobilisation des ressources
vers un fonctionnement mental plus intégré, plus souple et adapté.

En permettant un diagnostic très précis des difficultés présentées par un sujet, le


Système Intégré introduit à une diversification des indications de prise en charge
des enfants en difficulté, et offre un moyen d'évaluer objectivement leur
évolution.

Test " Histoire d'une gomme "

Origines

Une épreuve projective thématique répondant au besoin de modèles nouveaux


est constituée par le test intitulé " Histoire d'une gomme " crée en 1984 par
Guillarme et Poux [36]. Le référentiel théorique du concept de l'adaptation est
emprunté aux travaux de Bowlby (1969) [18]. Les mécanismes psychologiques de
l'adaptation renvoient aux notions de contrôle de la situation, de systèmes
d'équilibre, de mobilisation des ressources et de leurs constitutions aux cours
des expériences précoces du sujet. L'originalité du test est double : utilisation de
l'informatique dans la construction de l'épreuve et dans la correction des
protocoles (et ce dès 1984), et utilisation de la méthode de l'analyse factorielle
des correspondances issue de l'épidémiologie [13].

Le test, créé dans le cadre d'un Centre d'Adaptation Psychopédagogique, reprend


l'idée de la rédaction par l'enfant au cours de l'examen psychologique d'un texte
(dit paradoxalement libre) à partir d'un thème.

Consigne

Conçue comme un défi mettant à l'épreuve les capacités de réalisation d'un


sujet, elle requiert simplement de l'enfant de " raconter une histoire (par écrit)...
par exemple l'histoire d'une gomme ". Le temps d'arrêt dans la formulation de la
demande le renvoie à une brève interrogation personnelle. Les auteurs ont fait
l'expérience que la rédaction de l'histoire d'une gomme sur une feuille blanche
(de format A4), ouvre des voies multiples à une projection très personnelle.
Cette pratique les a amenés à formaliser les conditions d'application et
d'exploitation de cette nouvelle épreuve thématique. Outre l'écriture, les deux
limites d'utilisation sont : un âge chronologique d'au moins 8 ans et un quotient
intellectuel (QI) verbal de 80 minimum.

Le thème de l'objet-gomme est retenu pour sa valeur d'objet symbolique lié à la


notion de faute et de réparation, voire de propreté. Effaçant la trace, il évoque la
possibilité de revenir en arrière ou d'annuler et engage le sujet dans sa relation à
la performance, à la faute et à l'échec. Mais au-delà de cette résonance évidente,
la gomme familière représente un stimulus chargé de potentialités plus larges.
Elle revêt des formes multiples et sous ses nouveaux aspects constitue une invite
à la fantaisie et à l'imagination. La gomme choisie rend compte du désir
d'anonymat ou de vedettariat, du " rapport personnel qui peut se nouer entre le
sujet qui agit et l'objet qui subit ". Dans la dualité qui oppose parfois la gomme
au scripteur et à la trace, le sujet s'exprime également sur sa position par
rapport à l'autorité.

" Nous constatons qu'à leur insu, les sujets racontent alors l'histoire de leur
propre histoire, mieux celle de leurs déceptions et de leurs désirs ".
L'expérimentation de cette épreuve thématique sur des populations variées, y
compris adultes, a confirmé l'intuition des auteurs et la richesse de ce test.

Interprétation des résultats


L'évaluation de chaque individu en termes de traits psychologiques et la
description de sa personnalité et des troubles éventuels qu'il présente, sont
formulées en étroite corrélation avec la classification du DSM III. Les variables
sont extraites du protocole par l'analyse formelle et thématique de l'épreuve, au
moyen d'un dépouillement manuel ou informatisé, selon des lexiques très
simples d'application. L'établissement du profil des résultats visualise les
mécanismes d'adaptation de la personnalité ainsi que leur importance relative.
Ils sont présentés autour de trois axes dégagés par le recoupement des données
du texte avec les données cliniques : axe adaptatif, axe thymique et axe des
mécanismes défensifs.

Exemple du récit d'un garçon de 10 ans dont le motif de consultation est un


échec scolaire global, malgré une efficience intellectuelle au-dessus de la
moyenne (fig 2).

Un graphique individuel fait apparaître des mécanismes de l'adaptation qui se


réalisent par une prise en compte satisfaisante du réel. La relation à autrui est
marquée par une inhibition de toute agressivité, et par une dépendance affective
à l'adulte très importantes et une anxiété majeure de type phobique. Ce sujet
n'entrevoit pas sa réalisation personnelle ni de solution et il laisse le scénario
s'achever sur cette annulation de l'agressivité.

Les auteurs estiment que l'épreuve de la gomme satisfait aux deux objectifs
suivants : décrire la dynamique des relations du sujet, et décrire le
fonctionnement économique de la personnalité articulé autour de conflits, de
défenses et de processus d'adaptation. Les résultats sont formulés autour des
principaux mécanismes d'adaptation.

Haut de page

CONCLUSION

L'utilisation du Rorschach et des épreuves thématiques chez l'enfant est d'un


grand apport dans l'évaluation de la personnalité globale de l'enfant. Elle
n'exclut pas, bien au contraire, l'emploi d'autres modalités d'investigation,
qu'elles soient cliniques ou quantifiées. Elles apportent une compréhension
dynamique de l'enfant, tant dans une perspective relationnelle et/ou
métapsychologique que développementale.

Les tests projectifs de personnalité chez l'enfant font l'objet d'une pluralité
d'approche qui se départagent selon l'articulation adoptée entre projection et
perception ainsi qu'en fonction de la définition de la nature du protocole produit
et de la place accordée à la conflictualité. La mobilisation contemporaine autour
de l'énigme du cognitif, la pression des progrès de l'informatique, le souci de
valider les hypothèses issues des pratiques empiriques ou des postulats
théoriques sont les principaux facteurs de l'évolution des idées sur l'évaluation
projective de la personnalité enfantine. Les différents modèles d'interprétation
ne s'excluent pas. Le constat des fonctionnements psychiques en termes de
ressources, de stress, de gestion et de styles d'adaptation n'est pas antinomique
des modèles psychodynamiques issus de la psychanalyse, qui se situent dans une
perspective psychogénétique. À partir d'une analyse individuelle, les tests de
projection de la personnalité permettent de préciser une stratégie thérapeutique
et de mesurer les résultats à différents temps.

Par ailleurs, l'application des tests projectifs à de larges populations permet de


développer des recherches originales sur le cognitif et l'affectif et d'explorer des
cohortes particulières pour améliorer les connaissances de certains troubles et
leur prévention. Ces recherches systématiques sont favorisées par l'évolution
parallèle de la psychiatrie de l'enfant qui prend de la distance par rapport aux
concepts structuraux de la psychopathologie classique pour se tourner vers :
des classifications formalisées des troubles mentaux (type DSM IV ou ICD
10) ;
le développement de l'étude de la métacognition ;
le développement des techniques d'évaluation, quelles que soient leurs
formes (échelles d'évaluation d'une symptomatologie, entretiens
standardisés).

Pour répondre aux nécessités de la recherche et des échanges scientifiques, le


Rorschach et les épreuves projectives de la personnalité devront sans doute
prendre en compte ces nouveaux cadres et ces nouveaux codes.

Références

[1] Alcock AT. The Rorschach in practice. London, Tavistock Publications, 1963
[2] American Psychiatric Association. DSM III-R. Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux. Traduction française Guelfi JD. Paris : Masson, 1989
[3] Ames LB, Learned J, Metraux RW, Walker RN. Child Rorschach response. New York : Hoeber-
Harper, 1952
[4] Ames LB, Metraux RW, Walker RN. Adolescent Rorschach responses. New York :
Brunner/Mazel, 1971
[5] Andronikof-Sanglade A L'abstraction au Rorschach comme mécanisme d'antisymbolisation :
réflexion autour du protocole d'une adolescente suicidaire. Bull Soc Rorschach Methodes
Project Langue Fr 1993 ; 37 : 71-91
[6] Andronikof-Sanglade A La représentation de soi : un concept fécond pour la psychologie
clinique et projective. Bull Soc Rorschach Methodes Project Langues 1990 ; 34 : 9-15
[7] Andronikof-Sanglade A, Exner JE. Évaluation des changements à court et long terme après
thérapies brèves. In : Rausch de Traubenberg N, Andronikof-Sanglade A eds. Rorschachiana
XVII. XIIIe congrès international du Rorschach et des méthodes projectives (Paris, juillet
1990). Berne : Verlag Hans Hubert Berne et Paris : ECPA, 1991 pp 112-118
[8] Anzieu D. Les méthodes projectives. Paris : PUF, 1960
[9] Bachs J. Communication au XIIIe congrès international du Rorschach et des méthodes
projectives. Paris, 1990
[10] Beizmann C. Le Rorschach chez l'enfant de 3 à 10 ans : le Rorschach de l'enfant à l'adulte :
étude génétique et clinique (2e ed). Neufchâtel : Delachaux et Niestlé, 1961
[11] Bellak L. The TAT, CAT and SAT in clinical use (4th ed). Orlando : Grune and Stratton, 1986
[12] Bellak L, Bellak SS. The CATCPS company. New York, 1948 ; Paris : ECPA, 1954
[13] Benzecri JP. L'analyse factorielle des correspondances. Paris : Dunod, 1973
[14] Blum GS. The Blacky pictures : manual of instructions. NY Psychological Corporation : 1950
[15] Boekholt M. Épreuves thématiques en clinique infantile : approche psychanalytique. Paris :
Dunod : 1993
[16] Bolzinger A Pour un diagnostic des structures latentes du test de Rorschach. Bull
Psychol 1973 ; 26 : 570-581
[17] Boulanger-Balleyguier G. La personnalité des enfants normaux et caractériels à travers le test
d'aperception CAT. Paris : CNRS, 1960
[18] Bowlby J. Attachment and loss. Tome I : Attachment. Londres, Hogarth Press : 1969 (tr fr
Kalmanovitch J. L'attachement). Paris : PUF, 1978)
[19] Bradfer-Blomart J Analyse des thèmes fournis au CAT par des garçons de 8
ans. Enfance 1970 ; 2 : 215-234
[20] Brusset B Le diagnostic psychiatrique et la différence du normal et du
pathologique. In: Encycl Med Chir (Ed.) Psychiatrie, 37-102-E20 Paris Elsevier: 1988; 12
p [interref]
[21] Chabert C Contenu manifeste et contenu latent au. Children apperception test (CAT). Psychol
Fr 1980 ; 25 : 115-124
[22] Chabert C. Le Rorschach en clinique adulte : approche psychanalytique. Paris : Dunod, 1983
[23] Corman L. Le test PN, tome 1 : manuel. Paris : PUF, 1961
[24] Corman L. Le test PN, tome 2 : le complexe d'Oedipe. Paris. PUF, 1972
[25] Corman L. Le test PN, tome 3 : la règle d'investissement. Paris : PUF, 1976
[26] Corman L Les identifications dans les tests projectifs, leur signification. Bull
Psychol 1976 ; XXIX : 120-128
[27] Costes MC. Tableau d'analyse panoramique des aventures de Patte Noire, notice d'utilisation.
Paris : ECPA : 1981
[28] Debiesse N, Haddou-Spitzer M, Imbert D. Tests de projection de la personnalité chez l'adulte.
Encycl Med Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-190-A-10, 1994
[29] Dworetski M Le test de Rorschach et l'évolution de la perception. Arch
Psychiatr 1959 ; XXVII : 234-395
[30] Exner JE Searching for projection in the Rorschach. J Person Assess 1989 ; 53 : 520-536
[31] Exner JE. Rorschach Workbook for the comprehensive system (3rd ed). 1990 (tr fr
Andronikof-Sanglade A). Paris : Frison-Roche, 1993
[32] Exner JE. The Rorschach : a comprehensive system (4th ed). New York : John Wiley and
Sons, 1994
[33] Exner JE, Armbruster GL, Mittman B The Rorschach response process. J Person
Assess 1978 ; 42 : 27-38
[34] Ford M. The application of the Rorschach test to young children. University of Minnesota Child
Welfare monographs. 23, 1946
[35] Frank LK Projective methods for the study of personality. J Psychol 1939 ; 8 : 389-413
[36] Guillarme JJ, Poux J. Le test " histoire d'une gomme ". Établissements d'applications
psychotechniques. Issy-les-Moulineaux, 1984
[37] Guinand F, Delfosse F, Bradfer-Blomart J Utilisation de la notion de banalité et d'originalité
dans l'interprétation de récits fournis au test CAT par des filles de 8
ans. Enfance 1969 ; 5 : 215-234
[38] Gutton P. Le jeu chez l'enfant (2ed). Paris, GREUPP : 1988
[39] Halpern F. A clinical approach to children's Rorschachs. New York : Grune and Stratton, 1953
[40] Hartman H, Kris E, Loewenstein R. Comments on the formation of psychic structure. Papers
on psychanalytic psychology-psychological issues. Monograph 14. New York : International
University Press, 1964
[41] Haworth MR A schedule for the analysis of CAT responses. J Person Assess 1963 ; 27 : 181-
184
[42] Haworth MR. The CAT : facts about fantasy. New York : Grune and Stratton, 1966
[43] Lagache D La rêverie imageante, conduite adaptative au test de Rorschach. Bull Group Fr
Rorschach 1957 ; 9 : 3-11
[44] Loosli-Usteri M. Manuel pratique du test de Rorschach. Paris : Hermann, 1958
[45] Monod M Le symbolisme des planches et leur succession dans l'interprétation du
Rorschach. Bull Psychol 1963 ; 17 : 155-157
[46] Morali-Daninos A, Cerf F Étude thématique du test du Rorschach. Bull Soc Fr
Rorschach 1972 ; 27 : 5-14
[47] Moriarty AE Normal preschoolers' reactions to the CAT : some implications for later
development. J Person Assess 1968 ; 32 : 413-419
[48] Rabin AI Children's apperception test findings with kibbutz and non-kibbutz preschoolers. J
Person Assess 1968 ; 32 : 420-423
[49] Rausch de Traubenberg N. La pratique du Rorschach (6e ed). Paris : PUF, 1990
[50] Rausch de Traubenberg N, Bloch-Lainé F, Boizou MF , et al. Modalités d'analyse de la
dynamique affective au Rorschach. Grille d'analyse de la dynamique affective Rev Psychol
Appl 1990 ; 40 : 245-258
[51] Rausch de Traubenberg N, Boizou MF Interférences entre activité perceptive et activité
fantasmatique dans le Rorschach d'enfant. Psychol Fr 1978 ; 23 : 127-141
[52] Rausch de Traubenberg N, Boizou MF. Le Rorschach en clinique infantile : l'imaginaire et le
réel chez l'enfant. Paris : Dunod, 1977
[53] Rausch DE, Traubenberg N, Sanglade A Représentation de soi et relation d'objet au
Rorschach : grille de représentation de soi. Rev Psychol Appl 1984 ; 34 : 41-57
[54] Rorschach H. 1921 psychodiagnostic. Paris : PUF, 1962
[55] Sanglade A Image du corps et image de soi au Rorschach. Psychol Fr 1983 ; 28 : 104-111
[56] Shentoub V. Manuel d'utilisation du TAT : approche psychanalytique. Paris : Dunod, 1990
[57] Smith BL. The theoretical matrix of interpretation : an objet relations perspective. In :
Rausch de Traubenberg N, Andronikof-Sanglade A eds. Rorschachiana XVII. XIIIe congrès
international du Rorschach et des méthodes projectives (Paris, juillet 1990). Berne : Verlag
Hans Huber et Paris : ECPA, 1991 : pp 73-77
[58] Smith CP. Motivation and personality : handbook of thematic content analysis. Cambridge
University Press, 1985
[59] Staabs (von) G. Der Scenotest. Berne, Verlag Hans Huber (tr fr Le Scéno-test). Neufchâtel :
Delachaux et Niestlé, 1973
[60] Weiner IB, Exner JE Rorschach changes in long-term and short-term psychotherapy. J Person
Assess 1991 ; 56 : 453-465
[61] Winnicott DW. Playing and reality. Londres, Hogarth Press, 1971 (tr fr Jeu et réalité). Paris :
Gallimard, 1975
[62] Winnicott DW. The maturational processes and the facilitating environment. Londres, Hogarth
Press, 1965 (tr fr Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et
environnement). Paris : Payot, 1969
[63] Witherspoon RL Development of objective scoring methods for longitudinal CAT data. J
Person Assess 1968 ; 32 : 407-411

© 1996 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.


Fig 1 :

Fig 1 :

[27]
Test de Patte Noire (Corman). Classement thématique réalisé par MC Costes .

Fig 2 :

Fig 2 :

Raconter l'histoire d'une gomme.


Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-200-B-06 (2004)
37-200-B-06

Traumatismes psychiques
dans la première enfance.
Sémiologie, diagnostic et traitement
T. Baubet
O. Taïeb
J. Pradère
Résumé. – On a longtemps pensé que les syndromes psychotraumatiques n’existaient pas chez le très jeune
M.-R. Moro
enfant. Les travaux de différentes équipes conduisent à infirmer cette idée. L’état de stress traumatique (EST)
existe bien chez le bébé et le nourrisson, mais il est sous-diagnostiqué du fait de l’emploi trop fréquent de
critères diagnostiques adultomorphes. Son apparition et son évolution sont corrélées à des facteurs tenant à
l’événement lui-même, à l’enfant, et à la réaction familiale. Reconnaître l’EST chez le jeune enfant –
démarche qui a été facilitée par l’introduction de critères diagnostiques adaptés dans la classification CD :
0-3 est important dans la mesure où des interventions thérapeutiques précoces auprès de l’enfant et de ses
parents sont nécessaires afin d’éviter l’apparition de conséquences durables.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Enfants d’âge préscolaire ; Traumatisme psychique ; État de stress traumatique ; Interactions
parents-enfant ; CD : 0-3

Introduction EST (selon les critères de la CD : 0-3), 50 % présentaient des


symptômes nouveaux aspécifiques, tandis que 19 % étaient
L’intérêt pour les syndromes psychotraumatiques du jeune enfant asymptomatiques.
s’est récemment développé, après que cette souffrance ait été
longtemps déniée. Les travaux de plusieurs équipes à travers le Clinique
monde, ainsi que l’intérêt que suscite cette question dans le champ
humanitaire [7, 13, 18, 19, 20, 25] ont confirmé l’existence de tels tableaux
cliniques qui sont aujourd’hui mieux reconnus et traités. Nous CLINIQUE DE L’ÉVÉNEMENT
traiterons ici des enfants d’âge préscolaire (0 à 3 ans), en évitant les Différents types de situations peuvent être à l’origine d’un
terme d’«infant » (non-accès au langage), «toddler » (non-accès traumatisme psychique : il peut s’agir d’un événement unique,
complet à la marche), de nourrisson ou de bébé (qui doit être d’une série d’événements connexes ou d’un stress chronique. Le
nourri). Ces différentes dénominations reflètent cependant bien jeune enfant peut y avoir été directement confronté ou en avoir été
l’hétérogénéité de cette classe d’âge. le témoin. Il est question de mort réelle ou de menace de mort, de
blessure ou d’atteinte à l’intégrité physique ou psychologique de
l’enfant ou d’autres personnes. L’événement traumatique est
Épidémiologie généralement décrit comme faisant encourir au sujet un risque de
mort ; mais la notion d’irréversibilité de la mort n’est pas acquise
L’état de stress traumatique (EST) du très jeune enfant, tel que défini avant 7 ans. Différents facteurs développementaux vont médiatiser
dans la classification diagnostique de 0 à 3 ans (CD : 0-3) [42] a été l’impact de l’événement, contribuant ou non à lui conférer un effet
décrit dans des contextes très variés : accidents, violences traumatique [4] : le développement des organes sensoriels (la vision
interpersonnelles physiques ou sexuelles, catastrophes, guerres, mais n’est d’abord possible qu’à faible distance), psychomoteur (qui
aussi dans des situations de maladie somatique comme des conditionne la capacité à se mouvoir, à fuir, à écarter le danger), le
cancers [28]. Les publications disponibles concernent des cas isolés ou développement du langage dans son versant réceptif (conditionnant
de petites séries, mais il n’existe pas pour l’instant de données sur la la compréhension de ce qui est dit) ou expressif (permettant l’appel,
prévalence du trouble en population générale. Chez les victimes puis la verbalisation). L’impact traumatique d’un événement est
d’événements potentiellement traumatiques, seule une étude a été donc en partie lié à l’âge, ce qui a conduit certains auteurs à
publiée [26] concernant une population de 300 enfants kosovars de proposer de définir comme traumatique tout événement capable de
0 à 6 ans ayant subi des événements traumatiques (déplacement submerger les capacités défensives de l’enfant [8]. Pour Bailly, un
forcé des familles sous des menaces de mort) : 31 % présentaient un événement peut se révéler traumatogène non seulement en raison
de l’effroi perçu par l’enfant mais aussi du fait de la destruction
brutale de sa croyance en l’invulnérabilité de ses parents et en
l’infaillibilité de leur protection [4].
T. Baubet (Praticien hospitalier) Pour Winnicott « le traumatisme est une destruction de la pureté de
Adresse e-mail: tbaubet@wanadoo.fr l’expérience individuelle par une intrusion trop soudaine et trop
Service de psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de psychiatrie générale, hôpital Avicenne (AP-
HP), 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, université Paris 13, Médecins sans frontières, France. imprévisible d’un fait réel, et par l’apparition de la haine chez
O. Taïeb (Chef de clinique-assistant) l’individu, haine du bon objet, éprouvée non pas comme de la haine,
J. Pradère (Chef de clinique-assistant)
Service de psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de psychiatrie générale, hôpital Avicenne (AP- mais sur le mode délirant d’être haï » [41]. L’environnement empiète
HP), 125 rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, université Paris 13, France. sur le nourrisson, mettant à mal sa continuité d’existence, et faisant
M.-R. Moro (Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, chef de service)
Service de psychopathologie de l’enfant, de l’adolescent et de psychiatrie générale, hôpital Avicenne (AP-
peser sur lui un risque d’anihilation à l’origine d’angoisses
HP), 125, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex, université Paris 13, Médecins sans frontières, France. disséquantes primitives [40].
Traumatismes psychiques dans la première enfance.
37-200-B-06 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Sémiologie, diagnostic et traitement
EXPRESSION CLINIQUE incessants, une irritabilité, des peurs, des troubles du sommeil et de
Le tableau clinique s’organise le plus fréquemment autour de quatre l’alimentation, des manifestations psychosomatiques (notamment
axes. dermatologiques), des difficultés de séparation.
Autour de 18 mois apparaît l’accès à la pensée et au jeu
¶ Symptômes de reviviscence symbolique [36]. Cette étape évolutive pourrait conditionner la
Les symptômes de reviviscence constituent les différentes modalités possibilité d’enregistrer, d’exprimer, et de ré-expérimenter des
selon lesquelles l’événement est revécu : souvenirs traumatiques. Les symptômes de reviviscence sont plus
fréquents lorsque le trauma a eu lieu après 18 mois, cependant, la
– détresse lors de l’exposition à des indices rappelant l’événement ; remise en acte et les comportements répétitifs ont été rapportés pour
– épisodes de flash-back, de dissociation : l’enfant semble revivre des enfants ayant vécu un événement traumatique avant l’âge de
l’événement sans qu’il n’y ait eu de rappel particulier, comme si son 1 an et ce, en l’absence de toute mémoire verbale, ce qui fait
comportement était dissocié de sa finalité ou de son intentionnalité ; supposer l’existence d’une « mémoire comportementale » [31].
– cauchemars : soit liés à l’événement, soit augmentés en fréquence ; La proposition de Terr [37] selon laquelle l’enfant n’aurait pas la
– jeu post-traumatique : un aspect de l’événement traumatique est possibilité de verbaliser pleinement le trauma lorsque celui-ci est
répété sans cesse, de manière monotone et compulsive, sans survenu avant l’âge de 28 à 36 mois est contredite par certaines
élaboration et sans effet apaisant sur l’angoisse ; observations cliniques puisque des enfants ont pu verbaliser des
souvenirs traumatiques pour des événements survenus à l’âge de
– reconstitution (re-enactment) par le jeu : reprenant également un 1 an [11] . Récemment, Gaensbauer a rapporté une série de cas
aspect de l’événement mais sans le caractère répétitif ni les autres d’enfants ayant vécus des traumatismes dans la période préverbale,
caractéristiques du jeu post-traumatique ; et chez lesquels des souvenirs de ces événements ont pu être mis en
– souvenirs récurrents (fascination, propos ou questions répétés, évidence ultérieurement [ 3 4 ] . Cela signifie qu’une forme de
sans que l’angoisse ne soit forcément apparente). représentation interne pourrait s’installer et persister pour des
événements traumatiques chez des enfants n’ayant pas encore accès
¶ Baisse de la réactivité et émoussement au langage, et pose des questions intéressantes tant en termes de
Il s’agit de : thérapeutique, que sur un plan théorique [10].
– l’accentuation du retrait social ;
TRAUMATISMES ET INTERACTIONS PARENTS-ENFANT
– la restriction du champ des affects ;
La question des interactions parents-enfant en situation de
– la régression développementale ; traumatisme psychique doit être analysée selon trois axes que nous
– la diminution du jeu « imaginatif » (n’excluant pas l’existence de envisagerons successivement : l’effet du traumatisme d’un parent
jeu post- traumatique). sur sa fonction parentale, l’effet du traumatisme d’un enfant sur ses
parents, les conséquences de cet effet sur l’enfant en retour [3].
¶ Symptômes d’hyperéveil Les effets des troubles post-traumatiques des mères sur leurs bébés
Il s’agit : commencent à être spécifiquement étudiés [3]. Certains arguments
conduisent à penser que ceux-ci pourraient perturber
– des terreurs nocturnes ;
considérablement la relation mère-enfant [16, 19].
– du refus d’aller au lit, de protestation au moment de Les modifications comportementales induites par la sympto-
l’endormissement ; matologie psychotraumatique chez le bébé (que ce soit à type
– des réveils nocturnes fréquents en dehors des cauchemars et des d’excitation ou, au contraire, d’évitement et de retrait) peuvent
terreurs nocturnes ; contribuer à la mise en place d’interactions dysfonctionnelles dans
– de la diminution des capacités d’attention et de concentration ; la dyade mère-bébé pouvant être au premier plan. Dans les contextes
de guerre et de catastrophe, où on observe des dyades mère-bébé
– de l’hypervigilance, de réaction de sursaut exagérée. traumatisées, des troubles graves de l’interaction ont été décrits : il
¶ Apparition de nouveaux symptômes peut s’agir de malnutritions sévères et résistant au traitement
médical, de réactions de rejet maternel, etc. [16, 19, 22]. Dans notre
Tout nouveau symptôme peut entrer dans ce cadre mais on observe expérience sur les terrains de conflits graves comme par exemple au
particulièrement : Kosovo, nous avons fréquemment observé des tableaux de spasme
– une agressivité envers les pairs, les adultes, les animaux ; du sanglot, particulièrement lorsque plusieurs membres de la famille
ont été traumatisés. Ce symptôme dramatique, conduisant à une
– une angoisse de séparation et réactions d’agrippement ; apparence de mort de l’enfant peut devenir un véritable symptôme
– une peur/refus d’aller seul aux toilettes, peur de l’obscurité, familial, suscitant une reviviscence collective.
autres peurs nouvelles ; L’expression « état de stress post-traumatique à deux » a été
– des modifications relationnelles : attitudes masochistes proposée [8] pour qualifier les situations au cours desquelles la
provocatrices (appelant des réponses violentes ou de rejet), attitudes réponse traumatique du parent au traumatisme subi par l’enfant
manipulatrices dans des tentatives de maîtrise ; crée un système d’interactions complexes qui pérennise les troubles
– des affects dépressifs, propos et comportements autodépréciatifs ; chez les deux partenaires de l’interaction. Pour certains [14], cela
pourrait être lié à la réactivation de traumatismes antérieurs non
– des comportements sexuels inappropriés pour l’âge ; élaborés chez la mère. Le concept d’« état de stress post-traumatique
– des symptômes psychosomatiques, notamment cutanés, relationnel » développé par Scheering [33] qualifie les situations de
algiques [8, 22, 31, 39, 42]. co-occurrence d’une symptomatologie psychotraumatique chez le
L’expression clinique de la souffrance des jeunes enfants est bébé et l’adulte qui en prend soin, au cours desquelles la
cependant liée au niveau du développement psychomoteur et à symptomatologie de l’un des deux partenaires exacerbe celle du
certains aspects de la dynamique familiale. second. Ils précisent que les parents peuvent avoir été absents au
moment de l’événement traumatique, et décrivent trois modalités
EFFETS DU DÉVELOPPEMENT d’état de stress post-traumatique relationnel :
SUR L’EXPRESSION CLINIQUE – retrait/non-réceptivité/indisponibilité : les parents sont
Avant 18 à 24 mois, on observe principalement des troubles du psychiquement indisponibles pour l’enfant, cette situation est
développement psychomoteur, la perte d’acquisitions, des états souvent rencontrée lorsque les parents ont eux-même subis des
d’apathie avec passivité, ou bien une agitation avec pleurs et cris traumas antérieurs ;

2
Traumatismes psychiques dans la première enfance.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-B-06
Sémiologie, diagnostic et traitement
– surprotection/constriction : les parents sont préoccupés par la peur passer par une hétéroévaluation pose problème : l’effet de distorsion
de voir un nouveau trauma survenir et par la culpabilité de ne pas induit par l’état affectif de la mère sur l’évaluation du comportement
avoir su protéger leur enfant du traumatisme ; de son enfant a été bien démontré en contexte de guerre [35].
– reconstitution de la scène traumatique/mise en danger/effroi : le Différents instruments d’évaluation ont été proposés, tous fondés
trauma de l’enfant est réactivé par des questions incessantes sur sur les critères du DSM-IV [ 2 ] et qui n’ont pas été étudiés
l’événement ou des allusions répétées à celui-ci, l’enfant est placé spécifiquement chez le petit enfant [29]. Un guide d’interview semi-
dans des situations où de nouveaux traumas peuvent survenir. structuré «Post traumatic stress disorder semi structured interview and
Selon ces auteurs, l’effet de la réaction parentale au trauma de observational record for infant and young children 0-48 months » a été
l’enfant sur l’enfant lui-même peut prendre différentes formes : élaboré par Scheeringa et son équipe, mais n’a pas été publié à ce
jour [32].
– minimal : l’enfant n’est pas affecté de manière notable par Des cas de stress traumatique de durée limitée ont été rapportés [28]
l’événement ; faisant discuter l’intérêt d’introduire dans la CD : 0-3 une catégorie
– médiateur : l’enfant ne ressent pas l’effet direct de l’événement qui correspondrait au stress traumatique aigu du DSM-IV,
mais plutôt les conséquences de l’impact traumatique de différenciée de l’état de stress traumatique par un critère de durée.
l’événement sur sa mère ;
– modérateur : les réponses de la mère affectent l’évolution de l’état Critères diagnostiques
de l’enfant ;
– combiné : les deux partenaires sont traumatisés et leurs En 1995, un groupe d’auteurs démontra que les critères du DSM-IV
manifestations émotionnelles s’exacerbent mutuellement. pour l’état de stress post-traumatique n’étaient pas adaptés au très
jeune enfant [30]. La raison principale était l’impossibilité pour ces
enfants de rendre compte verbalement de leur expérience subjective,
Facteurs de protection ce qui est nécessaire pour 8 des 18 critères diagnostiques du DSM-
et de vulnérabilité IV. Le clinicien se trouve ainsi conduit à inférer les pensées et
sentiments de l’enfant, ce qui ouvre la voie à de nombreux biais. Le
critère A2 du DSM-IV qui désignait le vécu subjectif de l’événement
FACTEURS LIÉS À L’ÉVÉNEMENT traumatique est supprimé. Les symptômes sont répartis en quatre
Leur rôle est établi chez l’enfant plus grand : la proximité avec clusters correspondant aux trois premiers clusters du DSM-IV
l’événement, le degré de violence, l’origine humaine (surtout s’il (reviviscence, émoussement de la réactivité et hyperéveil) auquel est
s’agit d’une figure protectrice) pourraient être des éléments ajouté un nouveau cluster : « peurs et agressivité nouvelles ». Après
aggravants [39]. un événement traumatique, un symptôme au moins de chaque
cluster doit être présent durant plus de 1 mois pour que le diagnostic
FACTEURS LIÉS À L’ENFANT
soit porté. D’autres travaux récents émanant de la même équipe
soutiennent la validité de ces critères [32, 34]. Les critères alternatifs
De nombreux facteurs sont bien documentés chez l’enfant plus proposés furent à la base des critères retenus par la CD : 0-3
grand (sexe, quotient intellectuel, existence de traumas antérieurs) (Tableau 1).
mais n’ont pas été démontrés chez le très jeune enfant [39]. Le niveau
La classification diagnostique de 0 a 3 ans (CD : 0-3) publiée aux États-
de développement conditionne surtout les modalités d’expression
Unis en 1994 et traduite en français en 1998 [42] propose un système
symptomatiques mais ne « protège » pas du trauma.
Tableau 1. – Critères diagnostiques de l’état de stress traumatique se-
FACTEURS FAMILIAUX lon la classification diagnostique de 0 à 3 ans [42]
Anna Freud [9] a souligné très tôt l’importance de la réaction
État de stress traumatique – CD : 0-3
parentale en mettant en évidence que les parents qui manifestaient
bruyamment leur angoisse pouvaient transmettre leur terreur à leurs Continuum de symptômes liés à un seul événement, une série d’événements trau-
matiques connexes ou un stress chronique, durable. Le clinicien devrait rechercher
enfants. L’importance de la réaction maternelle a été bien démontrée l’existence de tels événements et des aspects énumérés ci-dessous.
chez l’enfant plus grand en contexte de guerre : l’état psychologique A. Reviviscence du traumatisme, qui se révèle par :
de la mère et le niveau d’exposition au trauma sont les deux a. Jeu post-traumatique.
principaux facteurs prédictifs des capacités d’ajustement de b. Souvenirs fréquents de l’événement traumatique en dehors du jeu.
l’enfant [35]. Selon Bailly [4], c’est entre 1 et 3 ans que la terreur des c. Cauchemars répétés.
parents serait la plus troublante pour l’enfant : « l’adulte qu’il croyait d. Détresse aux rappels du traumatisme.
omnipotent et porteur de sagesse se trouve soudain impuissant et e. Reviviscence ou conscience dissociée.
sans ressource ». Scheeringa a montré que le fait que le caregiver ait B. Engourdissement de la sensibilité ou interférence avec l’élan du développement :
a. Retrait social accru.
été lui aussi exposé à l’événement traumatique augmentait la
b. Registre émotionnel limité.
probabilité que le bébé développe un état de stress traumatique ainsi c. Perte momentanée de capacités développementales acquises auparavant.
que les phénomènes de reviviscence [31]. Cependant, la présence d’un d. Diminution du jeu.
parent lors de l’événement, en permettant, dans une certaine C. Symptômes d’éveil augmentés :
mesure, la protection physique et par le langage, serait un facteur a. Terreurs nocturnes.
de protection [4]. Selon une étude réalisée en Macédoine, être aîné de b. Difficultés à s’endormir.
fratrie ou enfant unique représenterait un facteur de vulnérabilité c. Réveils nocturnes répétés.
pour le développement d’un état de stress traumatique chez les d. Troubles significatifs de l’attention.
e. Hypervigilance.
enfants de 0 à 6 ans dans un contexte de guerre [26]. Winnicott a f. Réaction de sursaut exagérée.
souligné l’importance majeure de la famille dans la protection de D. Symptômes non présents antérieurement :
l’enfant ayant vécu un événement traumatique, ainsi que pour le a. Agression envers les pairs, les adultes ou les animaux.
processus thérapeutique chez les enfants affectés [41]. b. Angoisse de séparation.
c. Peur d’aller seul aux toilettes.
d. Peur du noir.
Diagnostic e. Autres peurs nouvelles.
f. Comportement défaitiste ou provocation masochiste.
La procédure diagnostique est nécessairement complexe puisqu’elle g. Comportements de nature sexuelle et agressive.
fait appel à l’observation directe de l’enfant, de la dyade mère- h. Autres réactions non verbales, par exemple symptômes somatiques, reviviscences
motrices, stigmates cutanés, souffrance ou maintien de positions douloureuses.
enfant et à l’entretien avec la mère ou le caregiver. La nécessité de

3
Traumatismes psychiques dans la première enfance.
37-200-B-06 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Sémiologie, diagnostic et traitement
provisoire de classification multiaxiale des troubles de l’enfant de comme la crainte de l’effondrement (fear of breakdown), de la mort, du
0 à 3 ans. Le système comporte cinq axes : I : diagnostics primaires ; vide. Ces symptômes traduiraient la crainte de la survenue d’un
II : classification de la relation ; III : condition physique ; IV : stress effondrement qui est, en fait, déjà advenu, qui a déjà été éprouvé
psychosocial ; V : niveau de fonctionnement du développement sous la forme d’angoisses disséquantes primitives [40].
émotionnel. La CD : 0-3, centrée sur le développement et prenant en
compte les processus dynamiques et interactionnels, apparaît
particulièrement pertinente à un grand nombre de spécialistes de la Traitement
petite enfance. Selon la CD : 0-3, lorsque les critères diagnostiques
sont présents et qu’un événement traumatique s’est produit, le
diagnostic d’EST l’emporte sur les autres diagnostics primaires [42]. Les traitements font appel à des interventions psychothérapiques
Certains autres diagnostics posent cependant des problèmes parents-bébés, permettant à la fois un travail direct avec l’enfant et
particuliers. un travail sur les interactions familiales [3, 21, 22, 25, 4]. Le dispositif
psychothérapique est cependant à aménager selon les situations.
Lorsque les parents présentent eux-mêmes une pathologie post-
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
traumatique, il faut garder à l’esprit que le rôle protecteur du parent
Parmi les troubles de l’affect, le trouble de l’humeur : deuil face à la détresse de l’enfant doit être soutenu et étayé. Dans ces cas,
prolongé/réaction de perte peut être délicat à distinguer de l’EST. La le traitement devrait éviter la catharsis et le surgissement de
tendance y est moins à la reviviscence anxieuse et compulsive qu’à reviviscences traumatiques chez le parent en présence de l’enfant, et
la dépression, à l’apathie et au détachement, après une phase initiale il est nécessaire de prévoir un espace de soins individuels pour le
de protestation. parent affecté. À partir de 2 à 3 ans, un espace individuel peut être
Autre trouble de l’affect, le trouble de l’attachement réactionnel aux proposé pour l’enfant. Dans les thérapies de jeunes enfants
situations de carence ou de maltraitance dans la première enfance (CD : présentant des troubles liés à un traumatisme psychique, les
0-3), très similaire au trouble réactionnel de l’attachement de la première relations transférentielles et contre-transférentielles apparaissent
enfance décrit dans le DSM-IV est caractérisé par la survenue chez le fréquemment intenses et violentes. Les premières peuvent être
bébé de difficultés à mettre en place des interactions sociales marquées par un attachement immédiat et total à un thérapeute
harmonieuses. Celles-ci pourront être ambivalentes, contradictoires, tout-puissant ou bien au contraire à l’opposition totale, passive ou
inhibées ou inappropriées. Les symptômes s’améliorent en partie active. Les secondes exposent au risque de rejet et à la rage de
avec l’environnement de l’enfant. l’impuissance ou à l’élation de la toute-puissance du thérapeute [5,
Enfin, le trouble de l’ajustement (CD : 0-3), équivalent au trouble de 17]
. En clinique, il importe donc de travailler sur les effets directs des
l’adaptation (DSM-IV) est caractérisé par des symptômes émotionnels événements traumatiques sur le bébé, sur les conséquences sur lui
et/ou comportementaux survenant après une modification nette de des syndromes post-traumatiques parentaux et sur les conséquences
l’environnement de manière transitoire (de quelques jours à 4 mois). des ruptures de l’environnement, ruptures qui entraînent un
L’EST peut être confondu avec le trouble hyperactivité avec déficit de sentiment d’insécurité et de discontinuité pour lui bien au-delà de
l’attention (THADA), surtout lorsqu’il s’agit de stress chronique ou l’événement traumatique lui-même [18, 40]. En situation transculturelle
de traumas répétés. Les symptômes d’hyperéveil, souvent au et dans les situations de violence organisée telles qu’on peut les
premier plan, sont à l’origine d’un excès de diagnostics de THADA, rencontrer dans le cadre d’interventions humanitaires, ou auprès de
surtout lorsque les critères du DSM-IV sont utilisés [38]. familles migrantes en France, une attention particulière doit être
portée aux facteurs culturels (la langue, les représentations
concernant l’enfant et les troubles qu’il présente, les possibilités
Évolution d’affiliation à une communauté ou à un groupe, etc.) [6, 7, 15, 22, 23, 24, 25]
ainsi qu’à la dimension collective de la violence vécue [7, 16, 17, 18, 19, 20,
Il n’y a pas d’étude prospective disponible. Les réactions 22, 21, 25]
.
traumatiques pourraient persister en l’absence d’intervention
Enfin, se pose actuellement la question des mécanismes de
thérapeutique [42]. D’un point de vue neurodéveloppemental, certains
transmission directe et indirecte des événements traumatiques vécus
auteurs estiment que les réactions initiales qui associent de manière
par les parents et en particulier par la mère, sur les enfants ; effets
diverse des symptômes d’hyperéveil et de dissociation et qui
qui s’expriment ici et maintenant et tout au long de la vie de
constituent un « état » pourraient, lorsqu’elles surviennent lors des
l’enfant. Le traitement doit donc concerner ce qui est observé sur
premières phases du développement cérébral, conduire à
l’enfant et qui s’exprime dans le corps de l’enfant ou dans les
l’apparition de « traits » de personnalité [27]. Gaensbauer a insisté sur
interactions et ce qui est projeté [22, 23].
les conséquences des événements traumatiques sur les étapes du
développement de l’enfant [ 1 2 ] . Ainsi les conséquences, qui Peu d’études structurées, en dehors de monographies [19, 23], sont
dépendent de l’âge, seraient majeures sur la mise en place des actuellement disponibles sur l’évaluation de tels traitements. Une
patterns d’attachement et des processus de régulation équipe a publié récemment les résultats d’un programme de soins
psychophysiologiques lors de la première année de vie, puis, lorsque psychothérapiques de dyades mères-enfants d’âge préscolaire
l’événement traumatique survient entre 2 et 3 ans sur les processus victimes de violences domestiques. Ceux-ci mettent en évidence une
de séparation/individuation, de régulation de l’agressivité, de amélioration significative de l’interaction, des performances
développement de l’identité de genre et des capacités de cognitives de l’enfant, une diminution des troubles du
socialisation. L’achoppement de tels processus précoces est comportement de l’enfant et de la symptomatologie post-
susceptible de conduire à des troubles ultérieurs, lorsque ceux-ci traumatique de la mère [21].
seront remobilisés lors de phases plus tardives du développement, Il n’y a pas d’indication aux traitements pharmacologiques. Dans
notamment à l’adolescence [15]. certains cas extrêmes, un traitement sédatif peut être envisagé de
Winnicott a eu l’intuition des conséquences possibles des traumas manière très ponctuelle, à visée purement symptomatique et de
de la petite enfance sur la vie des adultes, à travers des symptômes manière très limitée [1, 12].

4
Traumatismes psychiques dans la première enfance.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-200-B-06
Sémiologie, diagnostic et traitement

Références
[1] American Academy of Child and Adolescent Psychiatry, [15] Hakobdjanian H, Lignieres B, Baubet T. Du trauma familial [28] Roy CA, Russell RC. Case study: a possible traumatic stress
AACAP Official Action: Practice parameters for the assess- au placement des enfants en institution. Regard rétrospec- disorder in an infant with cancer. J Am Acad Child Adolesc
ment and treatment of children and adolescents with post- tif sur les effets lointains du séisme de 1988 en Arménie. Psychiatry 2000; 39: 257-260
traumatic stress disorder J Am Acad Child Adolesc Psychiatry Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR, eds. Soigner malgré [29] Saigh PA, Yasik AE, Oberfield RA, Green BL, Halamandaris
1998; 37 suppl10: 4S-26S tout. Vol 2: Bébés, enfants et adolescents dans la violence Gre- PV, Rubenstein H et al. The Children’s PTSD Inventory:
[2] American Psychiatric Association Diagnostic and statistical noble: La Pensée Sauvage, 2003 development and reliability. J Trauma Stress 2000; 13:
manual of mental disorders. Washington: American Psy- [16] Lachal C. Le comportement de privation hostile. L’autre Cli- 369-380
chiatric Association, 1994 niques Cultures Sociétés 2000; 1: 77-89 [30] Scheeringa MS, Zeanah CH, Drell MJ, Larrieu JA. Two
[3] Appleyard K, Osofsky JD. Parenting after trauma: suppor- [17] Lachal C. Soigner les bébés, qu’est-ce que cela suscite?. approaches to the diagnosis of posttraumatic stress disor-
ting parents and caregivers in the treatment of children Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR, eds. Soigner malgré der in infancy and early childhood. J Am Acad Child Adolesc
impacted by violence. Infant Ment Health J 2003; 24: tout. Vol 2: Bébés, enfants et adolescents dans la violence Gre- Psychiatry 1995; 34: 191-200
111-125 noble: La Pensée Sauvage, 2003 [31] Scheeringa MS, Zeanah CH. Symptom expression and
trauma variables in children under 48 months of age. Infant
[4] Bailly L. Psychotraumatisme de l’enfant : avancées clini- [18] Lachal C, Moro MR. Traumatisme psychique en situation Ment Health J 1995; 16: 259-270
ques et théoriques. Nervure 1999; 12: 20-25 de guerre: l’exemple de la Palestine. Lachal C, Ouss-
Ryngaert L, Moro MR, eds. Comprendre et soigner le trauma [32] Scheeringa MS, Peebles CD, Cook CA, Zeanah CH. Toward
[5] Bailly L. Les syndromes psychotraumatiques chez l’enfant. en situation humanitaire Paris: Dunod, 2003; 221-242 establishing procedural, criterion, and discriminant vali-
Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro MR, eds. Comprendre et dity for PTSD in early childhood. J Am Acad Child Adolesc
soigner le trauma en situation humanitaire Paris: Dunod, [19] Lachal C, Moro MR, Fernandez S. Les bébés de Hebron. Psychiatry 2001; 40: 52-60
2003; 193-202 Effets des traumatismes précoces sur le développement. [33] Scheeringa MS, Zeanah CH. A relational perspective on
Rev Fr Psychiatr Psychol Méd 1997; 12: 8-12 PTSD in early childhood. J Trauma Stress 2001; 14: 799-815
[6] Baubet T, Moro MR. Cultures et soins du trauma en situa-
tion humanitaire. Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR, [20] Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro MR. Comprendre et [34] Scheeringa MS, Zeanah CH, Myers L, Putnam FW. New
eds. Soigner malgré tout. Vol 1 : Trauma, cultures et soin Gre- soigner le trauma en situation humanitaire. Paris: Dunod, findings on alternative criteria for PTSD in preschool chil-
noble: La Pensée Sauvage, 2003; 71-95 2003 dren. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2003; 42: 561-570
[7] Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. Soigner malgré [21] Lieberman AF, Van Horn P, Grandison CM, Pearsky JH. [35] Smith P, Perrin S, Yule W, Rabe-Hesketh S. War exposure
tout. Vol 2: Bébés, enfants et adolescents dans la violence. Mental health assessment of infants, toddlers, and pres- and maternal reactions in the psychological adjustment of
Grenoble: La Pensée Sauvage, 2003 choolers in a service program and a treatment outcome children from Bosnia-Hercegovina. J Child Psychol Psychiat
research program. Infant Ment Health J 1997; 18: 158-170 2001; 42: 395-404
[8] Drell MJ, Siegel CH, Gaensbauer TJ. Post-traumatic stress
disorder. Zeanah CH ed. Handbook of infant mental health [22] Moro MR. Comment les bébés survivent dans les pays en [36] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris:
New-York: Guilford Press, 1993; 291-304 crise?. Première analyse des conséquences psychologiques PUF, 1989
du tremblement de terre arménien sur les enfants Devenir [37] Terr L. What happens to early memories of traumatism? A
[9] Freud A. War and children. California: Greenwood 1991; 3: 113-122 study of twenty children under age five at the time of docu-
Publishing Group, 1973 mented traumatic events. J Am Acad Child Adolesc Psy-
[23] Moro MR. Tremblement de terre en Arménie : le psychiatre
[10] Gaensbauer TJ. Representations of trauma in infancy: clini- et le réanimateur. Moro MR, Lebovici S, eds. Psychiatrie chiatry 1988; 27: 96-104
cal and theoretical implications for the understanding of humanitaire en ex-Yougoslavie et en Arménie Paris: PUF, [38] Thomas JM. Traumatic stress disorder presents as hyperac-
early memory. Infant Ment Health J 2002; 23: 259-277 1995; 129-151 tivity and disruptive behavior: case presentation, diagno-
[11] Gaensbauer TJ, Chatoor I, Drell M, Siegel H, Zeanah CH. ses, and treatment. Infant Ment Health J 1995; 16: 306-317
[24] Moro MR. Enfants d’ici venus d’ailleurs. Paris: La Décou-
Traumatic loss in a one-year-old girl. J Am Acad Child Adolesc verte, 2002 [39] Vila G, Mouren-Simeoni MC. États de stress post-
Psychiatry 1995; 34: 520-528 traumatiques chez le jeune enfant: mythe ou réalité?. Ann
[25] Moro MR, Lebovici S. Psychiatrie humanitaire en Méd-Psychol 1999; 157: 456-469
[12] Gaensbauer TJ, Siegel H. Therapeutic approaches to post- ex-Yougoslavie et en Arménie. Paris: PUF, 1995 [40] Winnicott DW. La crainte de l’effondrement. La crainte de
traumatic stress disorder in infants and toddlers. Infant
[26] Mouchenik Y, Baubet T, Belanger F, Godain G, Moro MR. l’effondrement et autres situations cliniques Paris: NRF, 1989;
Ment Health J 1995; 16: 292-305
Évaluer les troubles psychologiques post-traumatiques 205-216
[13] Grappe M. La guerre en ex-yougoslavie : un regard sur les chez les enfants de moins de 6 ans: à propos d’une étude [41] Winnicott DW. Le concept de traumatisme par rapport au
enfants réfugiés. Moro MR, Lebovici S, eds. Psychiatrie réalisée à Debar (Macédoine). L’autre Cliniques Cultures développement de l’individu au sein de la famille. In: La
humanitaire en ex-Yougoslavie et en Arménie Paris: PUF, Sociétés 2001; 2: 359-366 crainte de l’effondrement et autres situations cliniques. Paris:
1995; 89-106 [27] Perry BD, Pollard RA, Blakley TL, Baker WL, Vigilante D. NRF; 1989. p. 292–312 (Texte original 1965)
[14] Green AH, Coupe P, Fernandez R, Stevens B. Incest revisi- Childhood trauma, the neurobiology of adaptation, and [42] Zero to Three/National Center for Infants, Toddlers and
ted: delayed post-traumatic stress disorder in case of child « use-dependant » development of the brain: How states Families. Classification Diagnostique de 0 à 3 ans Genève:
maltreatment. Child Abuse Neglect 1995; 19: 292-305 become traits. Infant Ment Health J 1995; 16: 271-291 Éditions Médecine et Hygiène, 1998

5
¶ 37-201-A-40

Anorexie mentale de l’enfant prépubère


M.-F. Le Heuzey, E. Acquaviva

Située entre deux domaines connus de longue date, c’est-à-dire les troubles du comportement
alimentaire du bébé d’une part et ceux de l’adolescent d’autre part, l’anorexie mentale prépubère est
encore mal élucidée : les critères diagnostiques et les systèmes de classification internationaux ne sont pas
adaptés à cet âge de la vie, et beaucoup d’inconnues demeurent quant à l’épidémiologie, l’étiologie, la
pathogénie, l’évolution. La prépondérance féminine est moins nette qu’à l’adolescence, puisque 30 % des
cas concernent des garçons. Le tri alimentaire, la peur de la graisse et la distorsion de la perception du
corps sont comme chez l’adolescent ; mais un symptôme est particulier à l’enfant : le refus d’hydratation.
Une complication grave et spécifique à cet âge est le ralentissement voire l’arrêt de croissance staturale.
Le traitement est conditionné par l’alliance thérapeutique établie avec la famille ; il associe suivi médical,
prise en charge nutritionnelle, psychothérapie individuelle et familiale. Le traitement ambulatoire est
privilégié ; l’hospitalisation est indiquée en fonction d’indices de gravité somatique ou psychiatrique, ou
en cas d’échec du traitement ambulatoire. Les conditions d’hospitalisation sont adaptées au jeune âge de
l’enfant (pas de séparation familiale, scolarité).
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Anorexie prépubère ; Troubles du comportement alimentaire ; Croissance

Plan ¶ Traitement 6
Traitement médical 6
¶ Introduction 1 Traitement nutritionnel 6
Prise en charge familiale 6
¶ Historique 1
Suivi psychiatrique 6
¶ Définitions et classifications 2 Organisation des soins 6
Difficultés 2
¶ Conclusion 6
CIM10 2
DSMIV-TR 2
GOS (Great Ormond Street) 2
Classification de Chatoor 3 ■ Introduction
¶ Symptomatologie 3
Chez la fille 3 L’anorexie mentale est considérée comme une pathologie
Chez le garçon 3 psychiatrique ; pourtant, ses complications somatiques sont
¶ Diagnostics différentiels et formes frontières 3
multiples, et parmi celles-ci certaines peuvent être fatales [1].
Troubles alimentaires apparus dans la petite enfance 3
Depuis des décennies, la forme classique est celle de la jeune
Troubles liés à un autre trouble psychopathologique 4
fille ou jeune femme, caucasienne, issue d’un milieu aisé, vivant
Troubles après un événement traumatique 4
en milieu citadin, dans un pays de culture occidentale [2, 3].
Troubles complexes 4
Pourtant, les études épidémiologiques récentes soulignent
l’augmentation de prévalence des troubles du comportement
¶ Hypothèses étiologiques et pathogéniques 4 alimentaire, leur extension à travers les classes sociales, dans des
Pathologie multifactorielle 4 cultures et ethnies variées, dans le sexe masculin et à des âges
Facteurs de risque familiaux 4 différents, et en particulier chez l’enfant avant la puberté [4, 5].
Thème du rajeunissement 5
Aspects socioculturels 5
¶ Évolution 5 ■ Historique
Complications somatiques 5
Complications à moyen et long termes 5 Après Morton [6] qui en 1689 distinguait déjà les amaigrisse-
Pronostic 5 ments type « consomption » et ceux dus à des cause médicales,

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-201-A-40 ¶ Anorexie mentale de l’enfant prépubère

Marcé [7, 8] (1860), Lasègue [9] (1873) en France et Gull [10] diagnostic de type « autres troubles alimentaires, troubles
(1874) en Angleterre décrivent précisément l’anorexie mentale alimentaires non spécifiés » qui sont des diagnostics d’exclusion
de la jeune fille. ou n’ont pu être classés [24].
Et seulement 20 ans plus tard, Collins [11] (1894) décrit le
premier cas d’anorexie prépubère : une fillette de 7 ans et demi
maigrit par refus de nourriture. DSMIV-TR
L’année suivante, c’est Marshal [12] qui rapporte un cas fatal
d’amaigrissement chez une fille de 11 ans et sans lésion Dans la classification DSMIV-TR, il existe trois grandes
explicative. catégories : « anorexie mentale », « boulimie » et « troubles des
D’autres cas sont publiés ensuite, mais les difficultés de conduites alimentaires non spécifiés » ; c’est cette dernière
spécification du caractère prépubère, et les flous de définition catégorie qui représente entre 44,4 % et 58 % des enfants pour
entre anorexie et autres troubles alimentaires de l’enfant, lesquels un trouble du comportement alimentaire a été mis en
suscitent des interrogations. évidence par un spécialiste et 7,4 % à 14,8 % de ces patients
Différents travaux ont marqué l’étude de l’anorexie prépubère n’étaient rattachés à aucune des catégories ci-dessus [24].
dans les années 1980.
D’abord, la revue d’Irwin [13] (1984), portant sur 23 séries
Critères diagnostiques
correspondant à 893 cas d’anorexie mentale, dénombre 49 % de
cas chez des moins de 13 ans ; parmi ceux-ci, 29 sujets ont Les critères diagnostiques de l’anorexie mentale selon le DSM
entre 8 et 11 ans et paraissent donc probablement prépubères. IV-TR sont :
Irwin souligne la rareté du trouble, mais aussi son authentique • le refus de maintenir un poids corporel au niveau ou
existence, et sa présentation à la fois proche et différente des au-dessus d’un poids minimal pour l’âge et la taille (perte de
anorexies mentales postpubères. poids conduisant au maintien du poids à moins de 85 % du
Jacob et Isaacs [14] (1986) comparent 20 anorexiques prépu- poids attendu, ou incapacité à prendre du poids pendant la
bères à 20 anorexiques postpubères et à 20 patients prépubères période de croissance conduisant à un poids inférieur à 85 %
névrotiques ; les anorexiques prépubères ont plus d’antécédents du poids attendu) ;
personnels et familiaux de troubles alimentaires de la petite • une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros,
enfance que les deux autres groupes ; les anorexiques prépubères alors que le poids est inférieur à la normale ;
ont perdu plus de 25 % de leur poids ; en revanche, il n’y a pas • une altération de la perception du poids ou de la forme de
de différence entre anorexiques pré- et postpubères en ce qui son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme
concerne les signes cliniques, l’anxiété sexuelle, le fonctionne- corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la
ment familial. Ces auteurs soulèvent alors la question des maigreur actuelle ;
facteurs étiologiques et pathogéniques de cette maladie que l’on • chez les femmes postpubères, aménorrhée.
affirmait en rapport avec le processus pubertaire ...
En France, Jeammet [15, 16] différencie les formes immédiate-
ment prépubertaires voisines des formes cliniques de l’adoles- Sous-types
cence mais avec une aménorrhée primaire, et des formes Il existe deux sous-types :
strictement prépubères (8-10 ans) dont le déclenchement • type avec crise de boulimie/vomissements ou prise de purga-
semble indépendant de la puberté et qui s’accompagnent d’un tifs : pendant l’épisode actuel d’anorexie mentale, le sujet a,
arrêt de croissance. de manière régulière, présenté des crises de boulimie et/ou
Parallèlement, l’analyse des cas de la littérature paraît de plus recouru aux vomissements provoqués ou à la prise de purga-
en plus difficile car les publications rapportent des cas à « début tifs (laxatifs, diurétiques, lavements) ;
précoce », des cas de l’enfance, sans précision sur le statut • type restrictif : dans le cas contraire.
pubertaire exact, avec au mieux une définition selon l’existence
ou non de règles (préménarchale/postménarchale), et au pire
une définition par l’âge (moins de 13 ans et plus de 13 ans par Imprécisions
exemple) [17-21].
Chez l’enfant, l’aménorrhée est un critère inadapté, les
La nécessité aussi de définir ce qui est et ce qui n’est pas
aspects cognitifs ne sont pas évidents, il y a retentissement sur
anorexie mentale chez ces sujets jeunes devient indispensable.
la croissance, et le diagnostic peut être celui d’anorexie même
si le poids ne descend pas à 85 %.
Deux équipes ont donc proposé d’autres classifications.
■ Définitions et classifications

Difficultés GOS (Great Ormond Street)


Aucun système de classification ne paraît actuellement La classification établie par l’équipe londonienne dirigée par
satisfaisant et les critères diagnostiques dans les classifications Lask porte le nom de GOS (Great Ormond Street) [25-27]. Elle
internationales, soit Diagnostic and Statistical Manual of Mental donne une meilleure information puisque le pourcentage de
Disorders (DSM) [22], soit la classification internationale des patients qui n’appartiennent à aucune catégorie clinique passe
maladies (CIM) de l’Organisation mondiale de la santé [23] ont de 7-15 % à 3-5 % avec la GOS [24]. Dans cette classification, les
été établis à partir de populations adultes et adolescentes. Dans catégories sont : l’anorexie mentale, la boulimie, la restriction
les versions les plus récentes, il est indiqué une extension des alimentaire liée à un désordre émotionnel, le syndrome d’ali-
catégories aux enfants prépubères mais sans plus de mentation sélective, le syndrome de restriction alimentaire, la
spécifications. dysphagie fonctionnelle, le syndrome de refus global, la perte
d’appétit liée à une dépression, le refus alimentaire
oppositionnel.
CIM10 La définition de l’anorexie mentale de l’enfant est :
• une perte de poids significative (par évitement alimentaire,
Il existe huit catégories diagnostiques de « troubles du vomissements, exercice excessif, abus de laxatifs) ;
comportement alimentaire » au sein de la classification CIM10. • préoccupations excessives concernant le poids ou les formes ;
Si on considère une population d’enfants pour lesquels un • et un ou plusieurs de signes suivants : peur d’avaler et/ou de
diagnostic de trouble du comportement alimentaire a été porté vomir ; douleurs abdominales pendant le repas ou en dehors ;
par un pédopsychiatre, de 35,9 % à 44,3 % d’entre eux ont un restrictions des apports hydriques ; intérêt pour les calories.

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Anorexie mentale de l’enfant prépubère ¶ 37-201-A-40

Classification de Chatoor du métro, en s’imposant des heures de bicyclette ou de nata-


tion. Elle s’assoit le moins possible (fait ses devoirs debout) et
L’autre classification est celle de Chatoor [28] en trois groupes réduit son temps de sommeil. Elle augmente aussi son activité
en fonction de l’âge : intellectuelle et scolaire en passant de plus en plus de temps sur
• les troubles apparaissant dans la petite enfance et qui peuvent les devoirs, avec des conduites de perfectionnisme excessif.
perdurer durant l’enfance (anorexie infantile, néophobies La vie relationnelle se rétrécit : elle refuse les invitations, se
alimentaires, petits mangeurs) ; replie sur elle-même, s’éloigne de ses relations amicales et
• les troubles commençant durant l’enfance elle- devient de plus en plus dépendante de sa famille.
même (anorexie mentale et boulimie) ; Cette dépendance s’accompagne néanmoins d’une agressivité
• les troubles alimentaires post-traumatiques qui peuvent croissante envers son entourage familial qu’elle accuse d’être
survenir à tout âge. trop intrusif et persécutoire à table.
Enfin, dans la définition des troubles du comportement Elle se refuse tout plaisir, est fière de la maîtrise qu’elle
alimentaire, nous soulignons l’inadéquation du chiffre « brut » impose à son corps ; elle se sent toute-puissante, et cherche à
d’indice de masse corporelle pour apprécier la dénutrition étendre son pouvoir à l’ensemble de son entourage qu’elle
compte tenu de l’évolution en fonction de l’âge et du sexe, et tyrannise et qu’elle contrôle.
du retentissement du trouble alimentaire lui-même sur la C’est ainsi que le diagnostic peut être porté tardivement car
croissance staturale. elle garde son tonus ; les parents et les médecins ont du mal à
imaginer qu’une enfant aussi jeune connaisse la valeur calorique
des aliments et se préoccupe de son poids [29].
■ Symptomatologie Quand l’amaigrissement devient patent, parents et médecins
se tournent en priorité vers des causes somatiques d’amaigrisse-
Chez la fille ment (qui certes doivent être écartées) qui n’ont pas la même
symptomatologie : l’enfant « malade » mange peu mais ne trie
L’anorexie mentale prépubère est un trouble du comporte- pas les aliments, il n’a pas une image corporelle distordue alors
ment alimentaire : l’amaigrissement n’est pas lié à une diminu- que l’enfant anorexique trouve qu’elle a de grosses joues, de
tion ou à une perte d’appétit ; la patiente lutte activement grosses cuisses ou un gros ventre (alors qu’elle est fluette, voire
contre la faim. L’enfant réduit activement son alimentation squelettique) et son comportement est caractérisé par une
quantitativement et qualitativement, en éliminant peu à peu les poursuite fanatique de la minceur.
aliments réputés les plus caloriques : les graisses et les sucres.
Les quantités ingérées des aliments acceptés sont de plus en
plus limitées, et les conduites de tri sont très envahissantes : elle Chez le garçon
enlève le moindre soupçon de gras d’une demi-tranche de
jambon, essuie les haricots verts un à un dans la crainte que du Alors que dans l’anorexie mentale postpubère, le sex-ratio est
beurre ait été rajouté à son insu ... Au bout de quelques de neuf filles pour un garçon, dans l’anorexie prépubère on
semaines ou mois d’évolution, les aliments acceptés sont en estime que 19 à 30 % des cas concernent des garçons [28]. Les
nombre limité : crudités « nature », pommes (surtout vertes), un symptômes sont les mêmes que chez les filles au plan alimen-
peu de poisson « vapeur », éventuellement yaourt et fromage taire avec rejet du gras. En revanche, les préoccupations sont
blanc à 0 %. Ces aliments très sélectionnés sont ingérés en différentes, avec idéalisation des corps des athlètes et des
petites quantités, coupés en menus morceaux. Tout le reste a été culturistes, et hyperactivité physique par admiration de leur
éliminé (pain, viande, œufs, fromages, féculents, pâtisseries, musculation [30]. Contrairement à ce qui a pu être écrit autre-
glaces ...), et la patiente connaît par cœur les tables de calories fois, le pronostic n’est pas plus grave chez le garçon que chez
et vérifie sur les emballages la valeur énergétique du moindre la fille [30, 31]. L’existence d’une obésité ou d’un surpoids ayant
yaourt maigre, du moindre minipain au lait. Elle évite les repas entraîné des moqueries de la part des pairs du fait de son
collectifs, se débrouille pour se faire ses « repas » elle-même et manque d’agilité et de son côté lourdaud est un facteur plus
utilise de nombreux prétextes pour qu’on ne la voie pas aux souvent signalé chez le garçon lors du démarrage de la restric-
repas : elle dit avoir pris son petit déjeuner avant le lever des tion alimentaire.
parents ; elle prétend avoir mangé des féculents à midi à la
cantine pour avoir des haricots verts le soir ; elle supprime le
goûter ; elle dit avoir déjà mangé le soir quand les parents
rentrent tard ...
■ Diagnostics différentiels
Elle donne bien le change car elle affiche un intérêt certain et formes frontières
pour la nourriture et les recettes de cuisine, et il n’est pas rare
qu’elle confectionne des gâteaux ou des mets délicieux pour les
frères et sœurs et parents, mais elle prend bien soin de ne pas y Troubles alimentaires apparus dans la petite
goûter. enfance
La perte de poids atteint facilement plusieurs kilos en
quelques semaines, généralement à l’insu de l’entourage. En De 1 à 2 % des bébés et jeunes enfants [28, 32, 33] présentent
dépit de cette perte de poids, la patiente ressent continuelle- des difficultés alimentaires durant la première année de vie ;
ment la peur d’être trop grosse ou de devenir obèse si on la 70 % d’entre eux conservent des problèmes alimentaires
force à manger. Cachectique, elle se voit obèse. ultérieurement.
À l’opposé des adolescents qui peuvent ingérer de grandes
quantités de liquides pour tromper leur faim et se remplir Anorexie infantile [34, 35]
l’estomac d’eau et de thé, l’enfant anorexique prépubère réduit
ses apports liquidiens, et pendant ou en dehors des repas elle Atteignant filles comme garçons, elle débute dans les pre-
ingère de très petites quantités d’eau ; toute autre boisson est miers mois de vie, essentiellement entre 9 et 18 mois : l’enfant
exclue. n’ouvre pas la bouche, mange de très petites quantités, préfère
Si on essaie de la forcer à manger, elle se plaint de douleurs jouer au lieu de manger, ne manifestant jamais sa faim. Ce
abdominales, de nausées, de « blocage » l’empêchant d’avaler ou comportement de restriction peut durer de nombreuses années
au contraire de sensation de trop-plein et de régurgitations. avec retentissement sur la croissance staturale ; plus petits et
Dans certains cas, l’enfant en cachette se fait vomir ; il est plus minces que les autres enfants de leur âge, ils paraissent à
rare en revanche à cet âge de recourir aux laxatifs et diurétiques. 10 ans en avoir 7. Les garçons souffrent de l’exclusion par les
En parallèle, elle augmente son activité physique en multi- pairs, alors que les filles semblent moins souffrir de leur petite
pliant les heures de sport, de danse, en courant dans les couloirs taille et mais expriment peu à peu des préoccupations corporel-

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-201-A-40 ¶ Anorexie mentale de l’enfant prépubère

les, craignant l’obésité et contrôlant leur alimentation. Les ressent une peur croissante, une anxiété anticipatrice, parfois
relations précises entre ce type d’anorexie infantile « vieillie » et des tremblements, une tachycardie ; il pleure, dit qu’il risque de
l’anorexie mentale ne sont pas encore éclaircies. s’étrangler à nouveau et de mourir étouffé. Il sélectionne les
aliments, les mâche longuement, les filtre à travers les dents et
Petits mangeurs et néophobies alimentaires [36-40] met de longues minutes pour chaque bouchée. Le retentisse-
ment pondéral n’est jamais important ; le plus souvent, le poids
Le tableau de restriction alimentaire commence dans le jeune est en rapport avec la taille ou très légèrement inférieur.
âge : quand au moment de la diversification alimentaire un La séquence « traumatisme/anxiété anticipatrice/évitement »
aliment est présenté, une réaction de rejet se manifeste et peut rappelle le phénomène de syndrome de stress post-traumatique,
se généraliser aux autres aliments de la même catégorie. Les où les enfant soumis à un stress violent développent des
refus d’aliments se font en fonction du goût, de la texture, de manifestations anxieuses, avec troubles du sommeil, évitement
la couleur, de l’odeur, de l’apparence de l’aliment. L’enfant des situations rappelant le traumatisme, anxiété anticipatrice
mange mieux si on lui présente ses aliments préférés... Le s’ils sont confrontés au même type de stress. On peut analyser
phénomène peut donc être analysé comme une néophobie ce trouble comme un trouble du comportement alimentaire
alimentaire : l’enfant craint les aliments nouveaux et les refuse. post-traumatique en assimilation au syndrome de stress post-
Les parents, souhaitant que l’enfant mange, lui proposent peu traumatique tout en reconnaissant que le stress est non pas hors
à peu exclusivement les aliments aimés, et le répertoire d’ali- du commun mais mineur. La phobie de la déglutition et la peur
ments reste très restreint. de s’étrangler représentent un équivalent d’anxiété de
Ces sélections alimentaires peuvent entraîner des carences séparation.
nutritionnelles spécifiques en fonction des aliments éliminés
(parfois au contraire des surpoids si l’enfant n’accepte que des
féculents, et aucun fruit ni légume). Troubles complexes
Si certains auteurs évoquent une prédisposition génétique, le
rôle de l’environnement familial est primordial [41, 42] ; les mères Les troubles sus-nommés peuvent s’intriquer les uns aux
d’enfants néophobiques souffrent souvent de difficultés alimen- autres.
taires : néophobies alimentaires, manque de plaisir, tendance au La comorbidité anorexie et dépression est fréquente chez
grignotage, manque de variété, et les pères ont des difficultés à l’enfant, et il est parfois difficile de déterminer quel est le
contrôler leur poids. Ces enfants, effrayés par la nouveauté et le trouble principal et lequel a précédé l’autre.
non-connu, sont des enfants anxieux, qui ressentent une L’enfant anorexique est perfectionniste ; son alimentation suit
sensation d’insécurité, et dont l’anxiété est accentuée par certains rituels ; dans certains cas, il existe une authentique
l’anxiété maternelle. Le suivi des petits mangeurs dès les symptomatologie obsessive compulsive portant sur d’autres
premiers mois de vie montre que ce comportement est un domaines que l’alimentation.
facteur de risque ultérieur de trouble du comportement alimen- Certains enfants ont une histoire de petits mangeurs et
taire, en particulier chez les filles. évoluent vers une vraie anorexie mentale. Une phobie de la
déglutition peut s’associer à un tableau anorexique, etc.
Il est donc important dans l’évaluation de déterminer les
Troubles liés à un autre trouble chronologies des troubles et leurs particularités : solides/
psychopathologique [43] liquides, gras, etc [47].

Trouble obsessif-compulsif
Les aliments sont sélectionnés par crainte des contamina- ■ Hypothèses étiologiques
tions, et la déglutition est altérée par des rituels et des
compulsions.
et pathogéniques
L’enfant ou adolescent refuse de manger, car il a peur que les
aliments aient été contaminés par quelqu’un de malade ou que L’anorexie mentale n’est pas une maladie nouvelle et sa cause
les ustensiles aient été mal lavés, et il exige d’assister à la est inconnue, et, même si le trouble commence à l’occasion
préparation, il vérifie les emballages, etc. d’un événement familial ou lors de moquerie par un pair,
l’hypothèse d’une cause unique a été abandonnée depuis
longtemps.
États dépressifs
Dans la dépression, de la même façon que l’enfant n’a plus
envie de jouer, ne s’intéresse plus à rien, il n’a plus d’appétit, Pathologie multifactorielle
ni pour les aliments, ni pour la vie en général, et il y a rupture
entre le comportement antérieur et le comportement actuel. Il L’anorexie mentale est multifactorielle et multidimension-
y a restriction alimentaire par réelle perte d’appétit et il n’y a nelle. Selon le modèle bio-psycho-social souvent cité [1, 30, 46],
pas de préoccupation corporelle. on peut dire qu’il existe :
• des facteurs de risque : biologiques et génétiques, facteurs
psychologiques individuels et familiaux, des facteurs socio-
Troubles après un événement culturels ;
traumatique [44-46] • des facteurs précipitants : événements familiaux, interven-
tions de l’environnement (familiales, amicales, sociales ...) et
Nommés selon les auteurs dysphagie psychogène, dysphagie parfois les premiers signes de puberté ... ;
fonctionnelle, phagophobie, phobie de déglutition, ils sont • des facteurs de maintien : ainsi, par exemple, la dénutrition
caractérisés par une exclusion alimentaire portant de façon elle-même entraîne des modifications psychologiques, l’envi-
totale ou incomplète sur les aliments solides ; l’enfant a une ronnement se réaménage autour de la maladie, etc.
alimentation liquide ou semi-liquide exclusive : il ne se nourrit
plus que d’aliments liquides, mixés, de laitages et de jus de
fruits. Le déroulement symptomatique est assez univoque. Facteurs de risque familiaux
L’enfant fait une fausse route (« il s’étrangle ») avec un bonbon
ou un morceau d’aliment solide ; éventuellement, il n’est pas Parmi les facteurs de risque familiaux, il est important de
victime lui-même mais assiste à cet événement chez un proche. souligner le rôle de l’existence de troubles du comportement
L’enfant ressent une peur intense ; il a l’impression d’étouffer, alimentaire chez les parents [48-50], d’autant que l’on a décrit
parfois de mourir. Lorsque le repas suivant s’annonce, l’enfant une continuité entre troubles de l’enfant, de l’adolescent [51] et

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Anorexie mentale de l’enfant prépubère ¶ 37-201-A-40

de l’adulte. Les difficultés alimentaires durant l’enfance et À court terme, banales sont la frilosité, l’hypothermie,
l’adolescence sont prédictives d’un trouble du comportement l’acrocyanose, le lanugo, la perte des cheveux devenus ternes et
alimentaire chez l’adulte [52, 53]. cassants.
Banales aussi la bradycardie et l’hypotension, et même les
épanchements péricardiques, mais c’est le plus souvent par le
Thème du rajeunissement biais de complications cardiaques que les décès surviennent
On peut également s’interroger sur l’augmentation de préva- dans l’anorexie mentale, et c’est pourquoi il faut être attentif à
lence des troubles du comportement alimentaire à la fin du XXe la survenue de troubles du rythme et de la conduction, avec
siècle et sur le thème du rajeunissement. une surveillance particulière sur un éventuel allongement du
Les enfants sont dès le jeune âge soucieux de leur QTc compte tenu du risque de mort subite. Au plan digestif,
apparence [54-57]. Dès l’age de 3 ou 4 ans, les enfants expriment au-delà de la constipation très banale, occlusion, hémorragies
une préférence pour les corps minces ; dès 5 ans, ils expriment digestives peuvent survenir.
leur crainte de devenir gros et n’aiment pas jouer avec les De nombreuses modifications électrolytiques et métaboliques
enfants obèses qu’ils décrivent comme « paresseux, sales, sont possibles, et pour certaines potentiellement dangereuses :
stupides, laids, tricheurs, menteurs ». Les fillettes de 5 ans sont hypokaliémie, hypophosphorémie, hypoglycémie, hypercholes-
préoccupées par leur poids, ont peur de grossir et surtout leur térolémie ... Les complications neurologiques sont également
estime de soi est directement liée à leur poids : plus elles sont fréquentes : convulsions, neuropathies périphériques.
rondes moins elles s’aiment et moins elles se trouvent En imagerie, les importantes dénutritions s’accompagnent
intelligentes. d’atrophie cérébrale, incomplètement réversible lors de la
Les filles, dès l’âge de 10 ans, ont tendance à trouver leur renutrition [69].
ventre trop gros. En imagerie fonctionnelle, l’équipe de Lask [70] a décrit chez
Le corps de référence idéalisé est pour l’enfant un corps 75 % d’un échantillon de patients anorexiques âgés de 8 à
jeune, beau, mince, musclé ; « calories, minceur, forme physi- 15 ans une hypoperfusion unilatérale dans la région temporale
que » font partie de leur vocabulaire. Dans ces domaines, ils s’accompagnant d’une baisse des capacités visuospatiales, de la
sont influencés par leur entourage (parents surtout, copains mémoire visuelle et de la vitesse de traitement de l’information.
ensuite) et par les médias. Déjà en 1989, une étude [58] sur un Actuellement, il n’est pas possible de déterminer s’il s’agit d’un
échantillon de 356 enfants âgés de 7 à 13 ans décrivait un phénomène primaire ou si cette hypoperfusion est la consé-
souhait d’être plus mince pour 45 %, des tentatives d’amaigris- quence de la dénutrition et, dans ce cas, si elle est lentement
sement pour 37 %, des vomissements provoqués pour 1,3 %. réversible ou irréversible.
Enfin, même si les études sont limitées, il apparaît que le
traitement du surpoids chez l’enfant puisse induire secondaire-
ment l’apparition d’un trouble du comportement
alimentaire [59]. Complications à moyen et long termes
Enfin, certains groupes d’enfants, soumis à des pressions
importantes de la part de leur entourage autour de leur minceur L’ostéopénie [71, 72] et donc l’ostéoporose précoce sont une
et de leur forme physique, présentent des risques accrus de complication majeure ; le meilleur moyen pour augmenter la
troubles du comportement alimentaire : danseurs classiques, densité osseuse est la restauration du poids, car les supplémen-
gymnastes, patineurs et autres jeunes athlètes. tations calciques, vitaminiques et hormonales n’ont pas
démontré leur efficacité.
Ralentissement ou arrêt de croissance [73-75] : survenant en
Aspects socioculturels période prépubertaire, l’anorexie entraîne un ralentissement de
la vitesse de croissance staturale qui peut être important en
Ils ont également évolué ces dernières années.
intensité et en durée, avec ralentissement de l’évolution
Jusque dans les années 1970, on disait ne pas connaître de
pubertaire.
cas dans la race noire.
Puis vinrent des publications décrivant des cas au sein de La dénutrition entraîne une résistance à la growth hormone et
minorités ethniques des pays de culture occidentale et surtout à des anomalies de contrôle neuroendocrinien avec augmenta-
dans des pays de cultures non occidentales : Afrique, Moyen- tion de la growth hormone releasing hormone et diminution de la
Orient, Inde et pays asiatiques, etc. suggérant un rôle de somatostatine, et un effondrement de l’insulin growth factor 1 et
la pénétration des valeurs occidentales (culte de la minceur, BP3, et de la growth hormone binding protein.
mode, etc.) dans ces pays, soit par le biais de l’occidentalisation, On a également constaté des taux abaissés de leptine, et des
soit par le biais d’une confrontation au choc entre valeurs taux de ghréline et d’adiponectine élevés. D’après l’étude de
traditionnelles et nouvelles valeurs [60] . Les publications Swenn et Thurfjell [76], portant sur des troubles alimentaires
concernant les pays asiatiques attirent l’attention sur des restrictifs diagnostiqués en période préménarchale, le retard de
nuances symptomatologiques [61, 62], sur le rôle de l’urbanisa- croissance précède même la perte de poids, parfois de plusieurs
tion, sur la recherche de la minceur, y compris dans les popu- années.
lations d’âge scolaire [63]. De plus, dans un pays comme la La croissance staturale s’améliore avec la renutrition, mais le
Chine où règne la politique de l’enfant unique, on assiste à une rattrapage est souvent incomplet [77].
modification des rapports familiaux ; le garçon enfant-roi,
exposé à l’obésité, peut aussi présenter une anorexie [64] et
l’anorexie peut être analysée non seulement comme une façon
de maîtriser le corps, mais aussi de punir la famille [65]. Pronostic
Le pronostic [78] de l’anorexie prépubère est mal connu car

■ Évolution [66]
peu d’études portent spécifiquement sur la catégorie prépu-
bère. Globalement, on peut dire qu’il obéit à la « règle des trois
tiers » [1] : un tiers des patients guérit totalement, un tiers
Complications somatiques [67, 68] s’améliore significativement au prix de quelques séquelles, et un
tiers évolue sur un mode chronique avec continuité à l’adoles-
Elles sont multiples, atteignant tous les organes et le corps en cence et l’âge adulte, avec de nombreuses réhospitalisations.
développement ; leur gravité est variable, mais si la plupart sont C’est au sein de ce dernier groupe que l’on observe les cas de
réversibles sous traitement, certaines sont irréversibles, et décès. La mortalité est estimée à 20 % sur 20 ans, liée à la
quelques-unes sont fatales. dénutrition, au suicide et à la mort subite d’origine cardiaque.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-201-A-40 ¶ Anorexie mentale de l’enfant prépubère

■ Traitement d’établir l’indication et la modalité du traitement psychothéra-


pique. Les modalités pratiques et les références théoriques des
Le traitement associe idéalement quatre types d’interven- psychothérapies sont si variées et si peu évaluées chez l’enfant
tions : un suivi médical, un suivi nutritionnel, un suivi psychia- qu’il est impossible d’en comparer les résultats.
trique et une prise en charge familiale [79-81]. L’enfant anorexique se situe plutôt dans le déni ; il est donc
Référer un enfant dénutri à un seul spécialiste de la santé souvent peu accessible aux psychothérapies d’inspiration
mentale est une mauvaise pratique médicale ; on ne peut pas psychanalytique et les psychothérapies les plus répandues sont
s’occuper de l’aspect psychologique sans s’occuper de l’aspect les psychothérapies de soutien [3].
pédiatrique. Les enfants peuvent aussi être accessibles aux thérapies
comportementales qui fixent des objectifs dans la réalité, à
Traitement médical court terme, avec progression dans ces objectifs et résultats
rapidement visibles.
Assuré par un médecin pédiatre ou généraliste, il a pour but Les traitements médicamenteux psychotropes n’ont pas
d’effectuer une surveillance médicale du poids, de la croissance, d’indications reconnues dans l’anorexie de l’enfant.
de l’état général physique, de dépister les complications, de
prescrire les examens nécessaires compte tenu de la dénutrition
et de prescrire les traitements correcteurs éventuels.
Organisation des soins
Traitement nutritionnel Dans l’idéal, les soins en ambulatoires sont recommandés [89,
90] ,soit sous forme de consultations, soit en regroupant les
Il est assuré par un(e) diététicien(ne) ou un médecin
interventions thérapeutiques dans un système d’hôpital de jour.
nutritionniste.
Il est des cas où l’hospitalisation temps plein s’avère néces-
Le patient bénéficie de consultations, durant lesquelles une
saire ou « vitale » :
alliance doit s’établir : les deux participants se mettent d’accord
• si le traitement ambulatoire ou en hôpital de jour a échoué,
sur un programme de réalimentation progressive. Le diététicien
et que l’enfant continue de perdre du poids ou n’en prend
explique les nécessités de l’alimentation, l’enfant dit quels
pas ;
aliments il accepte et quels aliments il refuse absolument. Les
consultations sont des négociations portant sur la variété des • si la dénutrition de l’enfant est trop sévère et met sa vie en
aliments, les quantités, le nombre des prises alimentaires. jeu ;
Le but est à terme que l’enfant puisse atteindre une alimen- • s’il existe des complications médicales graves ;
tation diversifiée, « normale » pour son âge et sa taille, et qui lui • s’il existe des complications psychiatriques « à risque » :
permette d’assurer une prise de poids régulière avec en parallèle dépression grave par exemple, idées de mort ;
une reprise de la croissance staturale. • si la famille est défaillante ou trop éloignée.
Le (la) diététicien(ne) fait participer la famille à ces consulta- L’hospitalisation temps plein propose les différentes appro-
tions afin que les achats et les préparations culinaires soient ches intégrées avec en parallèle la prise en charge institution-
faits en accord avec le contrat établi avec l’enfant. nelle, scolaire, etc. Ces procédures maintiennent une meilleure
Il peut être proposé des repas thérapeutiques, dits repas adaptation sociale, une plus grande implication des parents, et
accompagnés où le (la) diététicien(ne) déjeune avec l’enfant afin exposent à moins de chronicité et de iatrogénie. L’assistance
de lui apprendre à savoir se servir en quantités et en diversité. nutritionnelle, par nutrition entérale, est selon les cas soit
Ces repas accompagnés peuvent intégrer également un parent proposée dans les cas graves ou résistants, soit assurée de
(voire les deux) dans un but à la fois éducatif mais aussi manière systématique pour obtenir une prise de poids plus
psychologique pour les aider à gérer leur anxiété réciproque. rapide. Elle peut être répartie sur 24 heures ou en période
nocturne avec la prise de collations dans la journée aux heures
des repas [91].
Prise en charge familiale L’hospitalisation est alors de durée variable (souvent plusieurs
Historiquement, le traitement de l’anorexie mentale en semaines ou mois), puis le suivi pluridisciplinaire se poursuit en
France reposait sur la séparation de l’enfant et de sa famille [82, ambulatoire.
83] ; pourtant, le bien-fondé de ce traitement n’a jamais été

démontré et, s’il peut éventuellement se justifier chez certains


adolescents afin de travailler en psychothérapie sur le processus
de séparation/individuation, il n’est pas étayé chez l’enfant. ■ Conclusion
C’est pourquoi, dans les prises en charge récentes, selon un
modèle intégratif, les parents sont associés dans une véritable L’anorexie mentale existe chez l’enfant même avant la
alliance et deviennent cothérapeutes de leur enfant. puberté. Bien que sa prévalence augmente, les études sont
Selon différentes études, la psychothérapie familiale est le encore parcellaires, tant pour définir réellement le concept et ses
traitement de choix des anorexies jeunes [84, 85] et, selon limites avec les autres troubles du comportement alimentaire de
l’analyse de l’expertise collective Inserm [86], l’efficacité des l’enfance, ses points communs et ses divergences avec l’anorexie
psychothérapies familiales est démontrée jusqu’à 5 ans de suivi, de l’adolescence que pour connaître mieux les trajectoires
à condition que les patients soient jeunes et que la maladie ait évolutives aux plans psychopathologique et somatique.
moins de 3 ans d’évolution. La dernière étude de Le Grange et .

al. [87] confirme les résultats positifs des sessions de thérapies


familiales, en suivi ambulatoire, dans le traitement de ■ Références
45 enfants et adolescents âgés de 9 à 18 ans. [1] Silber TJ. Anorexia nervosa among children and adolescents. Adv
Dans ses formules actuelles, la prise en charge familiale a Pediatr 2005;52:49-76.
abandonné la vision d’une famille pathogène qu’il faudrait [2] Leonard T, Foulon C, Guelfi JD. Troubles du comportement alimen-
réparer pour tendre vers la vision d’une famille pouvant taire chez l’adulte. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie,
contribuer à l’amélioration du trouble en mobilisant ses 37-105-d-10, 2005 : 21p.
ressources et ses compétences [88]. [3] Corcos M, Agman G, Bochereau D, Chambry J, Jeammet P. Troubles
des conduites alimentaires à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Elsevier
Suivi psychiatrique SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-215-B-65, 2002 : 6p.
[4] Le Heuzey MF. Anorexie mentale : chez l’enfant aussi. Rev Prat Méd
Il a pour but d’évaluer l’état psychique de l’enfant, de Gén 2001;15:333-6.
rechercher d’éventuels autres troubles psychopathologiques, et [5] Le Heuzey MF. L’enfant anorexique. Paris: Odile Jacob; 2003.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Anorexie mentale de l’enfant prépubère ¶ 37-201-A-40

[6] Morton R. Phthisiologia or a treatise of consumptions, wherein the [39] Galloway AT, Lee Y, Birch LL. Predictors and consequences of food
difference, nature, causes, signs and cure of all sorts of consumptions neophobia and pickiness in young girls. J Am Diet Assoc 2003;103:
are explained. London: Sam, Smith and Walford; 1694. 692-8.
[7] Marcé LV. Note sur une forme de délire hypochondriaque consécutive [40] Jacobi C, Agras WS, Bryson S, Hammer LD. Behavioral validation,
aux dyspepsies et caractérisée principalement par le refus d’aliments. precursors, and concomitants of picky eating in childhood. J Am Acad
Ann Med Psychol (Paris) 1860;6:15-22. Child Adolesc Psychiatry 2003;42:76-84.
[8] Silverman J. Louis Victor Marcé 1828-1864: anorexia nervosa’s [41] Benton D. Role of parents in the determination of the food preferences
forgotten man. Psychol Med 1989;19:833-5. of children and the development of obesity. Int J Obes 2004;28:858-69.
[9] Lasègue C. De l’anorexie hystérique. Arch Gén Méd 1873;1:385-403. [42] Skinner JD, Carruth BR, Bounds W, Ziegler PJ. Children’s food
[10] Gull WW. Anorexia nervosa (apepsia hysterica, anorexia hysterica). preferences: a longitudinal analysis. J Am Diet Assoc 2002;102:
Trans Clin Soc London 1874;7:22-8. 1638-47.
[11] Collins WJ. Anorexia nervosa. Lancet 1894;1:202-3. [43] Le Heuzey MF. Troubles du comportement alimentaire chez l’enfant.
[12] Marshall CF. Fatal case in a girl of 11 years. Lancet 1895;1:817. In: Pédopsychiatrie de liaison, vers une collaboration entre pédiatres
[13] Irwin M. Early onset anorexia nervosa. South Med J 1984;77:611-4. et psychiatres. Progrès en pédiatrie. Paris: Doin; 2005. p. 76-82.
[14] Jacobs BW, Isaacs S. Prepubertal anorexia nervosa: a retrospective [44] Chatoor I, Conley C, Dickson L. Food refusal after an incident of
controlled study. J Child Psychol Psychiatry 1986;27:237-50. chocking: a posttraumatic eating disorder. J Am Acad Child Adolesc
[15] Jeammet P. Les maigreurs psychogènes et l’anorexie mentale. Rev Prat Psychiatry 1988;27:105-10.
1982;32:257-70. [45] Chatoor I, Ganiban J, Harrison J, Hirsch R. Observation of feeding in
[16] Jeammet P, Henry D, Rabreau JP, Picard-Gauvain A, Flavigny H. the diagnosis of posttraumatic feeding disorder in infancy. J Am Acad
Anorexie mentale et retard de croissance. Neuropsychiatr Enf Adolesc Child Adolesc Psychiatry 2001;40:595-602.
1984;32:221-39. [46] Le Heuzey MF, Vera L, Mouren-Simeoni MC. Trouble de la déglutition
[17] Nielsen GB, Lausch B, Thomsen PH. Three cases of severe early-onset d’origine psychogène chez l’enfant et son traitement cognitivo-
eating disorders: are they cases of anorexia nervosa? Psychopathology comportemental. In: Bailly D, editor. Progrès en pédiatrie. Psychiatrie
1997;30:49-52. de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Doin; 2002. p. 21-33.
[18] DiNicola VF, Roberts N, Oke L. Eating and mood disorders in young [47] Sigman GS. Eating disorders in children and adolescents. Pediatr Clin
children. Psychiatr Clin North Am 1989;12:873-93. North Am 2003;50:1139-77.
[19] Gowers SG, Crisp AH, Joughin N, Bhat A. Premenarcheal anorexia [48] Agras S, Hammer L, McNicholas F.Aprospective study of the influence
nervosa. J Child Psychol Psychiatry 1991;32:512-24. of eating-disordered mothers on their children. Int J Eat Disord 1999;
[20] Mouren–Simeoni MC, Fontanon M, Bouvard MP, Dugas M. Anorexia 25:253-62.
nervosa in a prepubescent child. Can J Psychiatry 1993;38:51-5. [49] Saarilehto S, Keskinen S, Lapinleimu H, Helenius H, Simell O.
[21] Bostic JQ, Muriel AC, Hack S, Weinstein S, Herzog D. Anorexia Connections between parental eating attitudes and children’meagre
nervosa in a 7-year-old girl. J Dev Behav Pediatr 1997;18:331-3. eating: questionnaire findings. Acta Paediatr 2001;90:333-8.
[22] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual [50] Patel P, Wheatcroft R, Park RJ, Stein A. The children of mothers with
of Mental Disorders, text revision (DSMIV TR). Washington DC: eating disorders. Clin Child Fam Psychol Rev 2002;5:1-9.
American Psychiatric Association; 2000. [51] Marchi M, Cohen P. Early childhood eating behaviors and adolescent
[23] CIM10. Classification internationale des maladies. Troubles mentaux eating disorders. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1990;29:112-7.
et troubles du comportement. Traduction de l’anglais par CB Bull. 1993 [52] Kotler LA, Cohen P, Davies M, Walsh BT. Longitudinal relationships
(336 p). between childhood, adolescent and adult eating disorders. J Am Acad
[24] Nicholls D, Chater R, Lask B. Children into DSM don’t go: a Child Adolesc Psychiatry 2001;40:1434-40.
comparison of classification systems for eating disorders in childhood [53] Calam R, Waller G. Are eating and psychosocial characteristics in early
and early adolescence. Int J Eat Disord 2000;28:317-24. teenage years useful predictors of eating characteristics in early
[25] Lask B, Bryant-Waugh R. Early onset anorexia nervosa and related adulthood? Int J Eat Disord 1998;24:351-62.
eating disorders. J Child Psychol Psychiatry 1992;33:281-300. [54] Gardner R, Friedman B, Stark K, Jackson N. Body-size estimations in
[26] Lask B, Bryant-Waugh R. Anorexia nervosa and related eating children six through fourteen: a longitudinal study. Percept Mot Skills
disorders in childhood and adolescence. London: Psychology Press 1999;88:541-55.
Hove; 2000 (382p). [55] Davison KK, Markey CN, Birch LL. A longitudinal examination of
[27] Cooper PJ, Watkins B, Bryant-Waugh R, Lask B. The nosological status patterns in girls’ weight concerns and body dissatisfaction from ages 5
of early anorexia nervosa. Psychol Med 2002;32:873-80. to 9 years. Int J Eat Disord 2003;33:320-32.
[28] Chatoor I, Surles J. Eating disorders in mid-childhood. Prim Psychiatry [56] Davison KK, Markey CN, Birch LL. Etiology of body dissatisfaction
2004;11:34-9. and weight concerns among 5 year old girl. Appetite 2000;35:143-51.
[29] Bryant-Waugh R, Lask B, Shafran R, Fosson A. Do doctors recognise [57] Vander Wal JS, Thelen MH. Predictors of body image disatisfaction in
eating disorders in children? Arch Dis Child 1992;67:103-5. elementary-age school girls. Eat Behav 2000;1:105-22.
[30] Watkins B, Lask B. Eating disorders in school-aged children. Child [58] Maloney MJ, McGuire J, Daniels RS, Speckers B. Dieting behavior
Adolesc Psychiatr Clin N Am 2002;11:185-99. and eating attitudes in children. Pediatrics 1989;84:482-9.
[31] Halfon O. L’anorexie mentale du garçon. Rev Méd Suisse Normande [59] Butryn ML, Wadden TA. Treatment of overweight in children and
1994;114:975-80. adolescents: does dieting increase the risk of eating disorders? Int J Eat
[32] Dahl M, Sundelin C. Feeding problems in an affluent society: follow up Disord 2005;37:285-93.
at four years of age in children with early refusal to eat. Acta Paediatr [60] Tsai G. Eating disorders in the Far East. Eat Weight Disord 2000;5:183-
Scand 1992;81:575-9. 97.
[33] Dahl M, Rydell AM, Sundelin C. Children with early refusal to eat: [61] Lee S, Lee AM, Ngai E, Lee DT, Wing YK. Rationales for food refusal
follow up during primary school. Acta Paediatr Scand 1994;83:54-8. in chinese patients with anorexia nervosa. Int J Eat Disord 2001;29:
[34] Chatoor I, Hirsch R, Ganiban J, Persinger M, Hamburger E. Diagnosing 224-9.
infantile anorexia: the observation of mother-infants interactions. J Am [62] Lee HY, Lee EL, Pathy P, Chan YH. Anorexia in Singapore: an eight-
Acad Child Adolesc Psychiatry 1998;37:959-67. year retrospective study. Singapore Med J 2005;46:275-81.
[35] Chatoor I, Ganiban J, Hirsch R, Borman-Spurell E, Mrazek D. Maternal [63] Zalilah MS, Zaidah MY. Correlates of children’s eating attitude test
characteristics and toddler temperament in infantile anorexia. J Am scores (CHEAT) among a sample of female primary school children.
Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:743-51. Asia Pac J Clin Nutr 2004;13(suppl):S124.
[36] Timimi S, Douglas J, Tsiftsopoulou K. Selective eaters: a retrospective [64] Lai KY, Pang AH, Wong CK. Case study: early onset anorexia nervosa
case note study. Child Care Health Dev 1997;23:265-78. in a chinese boy. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:383-6.
[37] Rydell AM, Dahl M, Sundenlin C. Characteristics of school children [65] Chan ZC, Ma JL. Family themes of food refusal: disciplining the body
who are choosy eaters. J Genet Psychol 1995;156:217-29. and punishing the family. Health Care Women Int 2002;23:49-58.
[38] Carruth BR, Skinner JD. Revisiting the picky eater phenomenon: [66] Bryant Waugh R, Knibbs J, Fosson A, Kaminski Z, Lask B. Long-term
neophobic behaviours of young children. J Am Coll Nutr 2000;19: follow-up of patients with early onset anorexia nervosa. Arch Dis Child
771-80. 1988;63:5-9.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-201-A-40 ¶ Anorexie mentale de l’enfant prépubère

[67] Katzman D. Medical complications in adolescents with anorexia [80] Doyen C, Le Heuzey MF, Cook S, Fleho F, Mouren-Simeoni MC.
nervosa: a review of the literature. Int J Eat Disord 2005;37(suppl): Anorexie mentale de l’enfant et de l’adolescent. Nouvelles approches
S52-S59. thérapeutiques. Arch Pediatr 1999;6:1217-23.
[68] Steiner H, Lock J. Anorexia nervosa and bulimia nervosa in children [81] Gowers S, Bryant-Waugh R. Management of child and adolescent
and adolescents: a review of the past 10 years. J Am Acad Child Adolesc eating disorders: the current evidence base and future directions.
Psychiatry 1998;37:352-9. J Child Psychol Psychiatry 2004;45:63-85.
[69] Hendren RL, De Backer I, Pandina GJ. Review of neuroimaging studies [82] Le Heuzey MF. Faut-il encore isoler les jeunes anorexiques mentales?
of child and adolescent psychiatric disorders from the past 10 years. Ann Med Psychol (Paris) 2002;160:327-31.
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:815-28. [83] Silverman J. Charcot’s comments on the therapeutic role of isolation in
[70] Lask B, Gordon I, Chrisrie D, Frampton I, Chowdhury U, Watkins B. the treatment of anorexia nervosa. Int J Eat Disord 1997;21:295-8.
Functional neuroimaging in early onset anorexia nervosa. Int J Eat [84] Crisp AH, Norton KW, Gowers SG. A controlled study of the effects of
Disord 2005;37(suppl):S49. therapies aimed at adolescent and family psychopathology in anorexia
[71] Brihaye Abadie I, De Tournemire R, Alvin P. Anorexia nervosa: impact nervosa. Br J Psychiatry 1991;159:325-33.
on growth and bone mineral density. Arch Pediatr 2003;10:836-40. [85] Eisler I, Dare C, Russell GF, Szmukler G, Le Grange D, Dodge E.
[72] Munoz MT, Argente J. Anorexia nervosa in female adolescents: endo- Family and individual therapy in anorexia nervosa. A 5-year follow-up.
crine and bone mineral density disturbances. Eur J Endocrinol 2002;
Arch Gen Psychiatry 1997;54:1025-30.
147:275-86.
[86] INSERM. Psychothérapies : trois approches évaluées. Expertise col-
[73] Pfeiffer RJ, LucasAR, Ilstrup DM. Effects of anorexia nervosa on linear
lective Paris: INSERM; 2004.
growth. Clin Pediatr 1986;25:7-10.
[87] Le Grange D, Binford R, Loeb KL. Manualized family-based treatment
[74] Danziger Y, Mukamel M, Zeharia A, Dinari G, Mimouni M. Stunting of
growth in anorexia nervosa during the prepubertal and pubertal period. for anorexia nervosa: a case series. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
Isr J Med Sci 1994;30:151-6. 2005;44:41-6.
[75] Modan-Moses D, Yarolavsky A, Novikov I, Segev S, Toledano A, [88] Cook-Darzens S. La thérapie familiale : de la multiplicité à l’intégra-
Miterany E, et al. Stunting of growth as a major feature of anorexia tion. Prat Psychol 2005;11:169-83.
nervosa in male adolescents. Pediatrics 2003;111:270-6. [89] De Filippo E, Signorini A, Bracale R, Pasanisi F, Contaldo F. Hospital
[76] Swenne I, Thurfjell B. Clinical onset and diagnosis of eating disorders admission and mortality rates in anorexia nervosa: an experience from
in premenarcheal girls is preceded by inadequate weight gain and an integrated medical-psychiatric outpatient treatment. Eat Weight
growth retardation. Acta Paediatr 2003;92:1133-7. Disord 2000;5:211-6.
[77] Lantzouni E, Frank GR, Golden NH. Reversibility of growth stunting [90] Gowers SG, Weetman J, Shore A, Hossain F, Elvins R. Impact of
in early onset anorexia nervosa: a prospective study. J Adolesc Health hospitalisation on the outcome of adolescent anorexia nervosa. Br
2002;31:162-5. J Psychiatry 2000;176:138-41.
[78] Sokol MS, Steinberg D, Topeka KS. Childhood eating disorders. Curr [91] Robb AS, Silber TJ, Orrell-Valente JK, Ellis N, Dadson MJ, Chatoor I.
Opin Pediatr 1998;10:369-77. Supplemental nocturnal nasogastric refeeding for better short term
[79] Robin AL, Gilroy M, Dennis AB. Treatment of eating disorders in outcome in hospitalized adolescent girls with anorexia nervosa. Am
children and adolescents. Clin Psychol Rev 1998;18:421-46. J Psychiatry 2002;159:1347-53.

M.-F. Le Heuzey (marie-france.leheuzey@rdb.ap-hop-paris.fr).


E. Acquaviva.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Le Heuzey M.-F., Acquaviva E. Anorexie mentale de l’enfant prépubère. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-201-A-40, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
37-201-G-10
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-201-G-10

Autisme infantile et psychoses précoces


de l’enfant
P Mazet
D Houzel
C Burzstejn
Résumé. – Depuis la description initiale de Kanner en 1943 et 1944, voilà plus de 50 ans, l’intérêt pour le
syndrome d’autisme infantile n’a fait que s’accroître. On peut même dire que, lors de ces dernières années, la
situation s’est radicalement modifiée dans la mesure où cet intérêt et les débats, tant au plan thérapeutique
qu’à celui de la recherche des facteurs et des mécanismes des troubles, ont quitté le seul domaine des
professionnels pour devenir plus larges, se manifestant au sein d’associations de parents et des pouvoirs
publics mais aussi dans le grand public. Les connaissances et l’efficacité des actions thérapeutiques ont-elles
progressé de manière aussi nette ? C’est ce qui est abordé dans ce texte rédigé dans l’esprit d’une revue
générale et qui s’efforce de décrire d’une part l’état des connaissances dans ce vaste domaine, mais aussi
d’autre part les points de vue qui guident à la fois les actions thérapeutiques, médicosociales ou pédagogiques
et les recherches. Ainsi, sont envisagés successivement, en sept chapitres, l’évolution des concepts d’autisme
et de psychose infantile précoce, l’épidémiologie, l’étude clinique, les aspects psychopathologiques, les études
cognitives, les résultats des recherches biologiques et génétiques et enfin la thérapeutique.
© 2000 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction nombre impressionnant des travaux et des publications sur ce sujet,


il ne peut à certains moments que renvoyer le lecteur aux nombreux
ouvrages, revues et articles cités en références bibliographiques.
Depuis la description initiale de Kanner en 1943 [97] et en 1944 [98],
Chemin faisant, un certain nombre de questions vont peut-être
voilà plus de 50 ans, l’intérêt pour le syndrome d’autisme infantile
cependant trouver des éléments de réponse : l’autisme infantile,
n’a fait que s’accroître. On peut même dire que, lors de ces dernières
syndrome ou maladie ? Handicap fixé ou processus évolutif ?
années, la situation s’est radicalement modifiée dans la mesure où Trouble du développement ou trouble de l’organisation de la
cet intérêt et les débats, tant au plan thérapeutique qu’à celui de la personnalité ? Trouble mental, trouble neurologique, trouble
recherche des facteurs, des mécanismes et de la nature des troubles, cognitif ? Abord thérapeutique ou éducatif ? Quel avenir pour les
ont quitté le seul domaine des professionnels, pour devenir patients ? Quelles pistes prometteuses pour les recherches actuelles ?
beaucoup plus larges. Le grand public, à travers le cinéma et les Ceci en référence aux points de vue et aux hypothèses avancés
médias, notamment la télévision et la grande presse, est largement depuis Kanner (Berquez [21]) jusqu’à nos jours.
sensibilisé, voire passionné. Des associations de parents d’enfants
Nous allons ainsi envisager successivement, en sept chapitres,
autistes ont vu le jour, jouant un rôle de plus en plus actif vis-à-vis l’évolution des concepts d’autisme et de psychose infantile précoce,
des professionnels et des pouvoirs publics. Ces derniers, notamment l’épidémiologie, l’étude clinique, les aspects psychopathologiques,
en France, se sentent concernés et sont à l’origine de rapports sur la les études cognitives, les résultats des recherches biologiques et
situation de l’autisme [2, 93], de la prise en charge des autistes et aussi génétiques et enfin la thérapeutique.
de mesures spécifiques [37] traduisant leur intérêt dans ce domaine.
Des patients autistes (Grandin [65]) apportent leurs témoignages et
leurs points de vue ; parents, patients, professionnels et responsables
dialoguent et échangent des informations sur Internet.
Concepts d’autisme infantile
Nos connaissances et l’efficacité de nos actions thérapeutiques ont-
et de psychose de l’enfant : données
elles progressé de manière aussi nette ? C’est ce que nous allons historiques
aborder dans ce texte rédigé dans l’esprit d’une revue générale et
qui va s’efforcer de décrire d’une part l’état des connaissances dans La notion de formes de psychoses spécifiques à l’enfant s’est
ce vaste domaine, mais aussi d’autre part les points de vue qui précisée progressivement par rapport aux psychoses
guident à la fois les actions thérapeutiques, médicosociales ou schizophréniques de l’adulte et aux arriérations mentales -
pédagogiques et les recherches. Il va de soi qu’étant donné le auxquelles on tendait à rattacher, jusqu’au début du XXe siècle tous
les troubles psychiques graves de l’enfant (Lebovici et Duché [115]).
En 1908, à la suite de la description par Kraepelin de la démence
Philippe Mazet : Chef de service, clinique de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital précoce, De Sanctis décrit, sous le terme de « démence précocis-
Pitié-Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75005 Paris, professeur de psychiatrie de l’enfant et de sime », des cas de troubles psychotiques observés chez des enfants
l’adolescent, université Paris VI, 4, place Jussieu, 75005 Paris, France.
Didier Houzel : Chef de service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, professeur de psychiatrie de
de 4 à 10 ans.
l’enfant et de l’adolescent, hôpital Georges-Clemenceau, avenue Georges-Clemenceau, 14033 Caen cedex, Après les remaniements apportés par Bleuler (1911) à la conception
France.
Claude Burzstejn : Chef de service de psychothérapie, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent,
des psychoses, plusieurs auteurs (Potter, Lutz, Heuyer) décrivent la
hôpital universitaire de l’Eslau, 67000 Strasbourg, France. schizophrénie de l’enfant, dont ils précisent les formes cliniques et

Toute référence à cet article doit porter la mention : Mazet P, Houzel D et Burzstejn C. Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie, 37-201-G-10, 2000, 28 p.
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

Tableau I.

CIM 9 1975 DSM III 1980 DSM III-R 1987

Psychoses spécifiques de l’enfance Troubles globaux du développement Troubles envahissants du développement

Autisme infantile Autisme infantile Troubles autistiques


- syndrome complet
- syndrome résiduel

Psychose désintégrative (syndrome schizophrénique de Troubles globaux du développement débutant dans Troubles envahissants du développement non spécifiés
l’enfance l’enfance
- syndrome complet
- syndrome résiduel

Autres psychoses Troubles globaux du développement atypiques

les aspects spécifiques (Duché [52]). L’importance des troubles du Ainsi, la très riche réflexion psychopathologique qui s’est
contact et des troubles relationnels et, au contraire, la rareté du délire développée autour de ces pathologies a eu pour résultat une
sont relevés chez l’enfant. Despert, et plus tard Bender, abordent ces multiplication de descriptions et de termes. Malgré des tentatives
pathologies d’un point de vue psychodynamique. Aux États-Unis, pour définir des critères communs – notamment celle de Creak, en
de même qu’en psychiatrie de l’adulte, le terme de schizophrénie Angleterre (Duché [52]) – il en est résulté une certaine confusion. À
connaît une grande extension pour l’enfant. Un critère persiste de la partir des années 1970, un intérêt croissant s’est manifesté pour
conception de Kraepelin : la nécessité d’une période de l’autisme infantile dans plusieurs pays et le terme a été introduit
développement normal d’au moins 2 ans pour porter ce diagnostic. dans la classification internationale des maladies de l’Organisation
C’est en 1943 que Kanner décrit un syndrome qui se différencie par mondiale de la santé (OMS) (CIM 9). C’est vers cette époque aussi
son apparition précoce [97]. Les 11 cas de « troubles autistiques du qu’on a commencé à utiliser ce diagnostic de manière extensive aux
contact affectif » qu’il rapporte se singularisent, en effet, par États-Unis, y compris en association avec des états déficitaires, voire
l’existence dès le début de la vie d’une « inaptitude à établir des des encéphalopathies avérées.
relations normales avec les personnes et à réagir normalement aux La parution, en 1981, de la troisième édition de la classification de
situations ». Dans une description où l’on retrouve tous les éléments l’Association psychiatrique américaine [4] – le DSM III – a confirmé
fondamentaux qui caractérisent encore aujourd’hui les syndromes cette focalisation de l’intérêt pour l’autisme et relancé les débats
autistiques, il insiste particulièrement sur le désir intense que nosographiques dans ce domaine. La révision radicale des termes,
montrent ces enfants de s’isoler et de maintenir leur environnement mais aussi des concepts fondamentaux de la nosographie qu’il a
constant. opérée (Bursztejn et Mazet [32]) a tout particulièrement concerné le
Il note aussi les caractéristiques qui les différencient des retards domaine des psychoses infantiles. Le DSM III (tableau I) a fait
mentaux : leur physionomie intelligente et leurs bonnes capacités disparaître la notion de psychose de l’enfant, abandon justifié par
cognitives dont témoigne leur maniement des objets, ainsi que des les auteurs du DSM III par la rareté de l’évolution des pathologies
aptitudes particulières dans certains domaines (mémoire, précoces de l’enfant vers les formes de psychoses connues chez
vocabulaire). Il est à noter que le langage de la majorité de ces l’adulte. En fait, ce changement terminologique traduit surtout le
enfants, s’il n’a pas, selon Kanner, de valeur communicative, s’est rejet de l’opposition entre névrose et psychose qui, pour un grand
développé normalement. nombre d’auteurs, structurait le champ de la psychopathologie. Les
Tout en défendant la spécificité de ce syndrome, il maintient son affections classées jusque-là parmi les psychoses infantiles ont été
rattachement à la schizophrénie. Le terme d’autisme avait d’ailleurs regroupées sous le terme de pervasive developmental disorders (traduit
été introduit 30 ans plus tôt par Bleuler pour désigner la en français d’abord par « troubles globaux » puis par « troubles
prédominance de la vie intérieure sur la réalité externe et la envahissants du développement ») et décrites comme des
tendance au retrait, qui caractérisent la schizophrénie. « déviations du développement de nombreuses fonctions
psychologiques fondamentales impliquées dans l’acquisition des
Tout le monde s’accorde à reconnaître que Kanner a identifié une
aptitudes sociales et du langage ». Le « trouble autistique »
pathologie que nul avant lui n’avait décrite, bien qu’on puisse en
correspond – selon le DSM III – environ au tiers de l’ensemble des
rapprocher les cas d’« enfants-loups » rapportés dans différents pays
troubles envahissants du développement.
(dont Victor – l’enfant sauvage de l’Aveyron – qu’Itard tenta
d’éduquer). Il faut signaler cependant que 1 an plus tard, mais de La notion de troubles envahissants du développement, focalisée sur
façon apparemment indépendante, un pédiatre viennois, H l’autisme infantile, s’est imposée dans la littérature internationale,
Asperger [7], a rapporté sous le terme « psychopathie autistique » notamment dans les publications de langue anglaise. Cependant, la
des cas qui présentent de grandes analogies avec ceux de Kanner : réduction par le DSM III du champ des troubles envahissants du
cette publication, peu diffusée à son époque, a été récemment reprise développement à une dichotomie entre l’autisme et un « reste » mal
sous la dénomination de « syndrome d’Asperger ». défini a été critiquée. Certains auteurs ont proposé que soient
différenciées d’autres formes cliniques. Ainsi Cohen et Volkmar [39]
Aux États-Unis, la description de Kanner a été longtemps été
ont défendu la notion de « troubles complexes de la personnalité »
considérée comme un syndrome clinique spécifique mais rattaché à
dont la description rejoint celle des dysharmonies évolutives [152].
la schizophrénie infantile, seul diagnostic officiellement admis par
D’autres auteurs ont proposé de réserver le terme « syndrome
la classification psychiatrique américaine jusque dans les années
d’Asperger » aux cas d’autisme indemnes de retard mental. De
1980. En France, où le terme « schizophrénie infantile » a été utilisé
nouveaux systèmes de classification ont résulté de ces débats.
de façon plus restrictive que dans les pays anglo-saxons, on s’est
particulièrement attaché à l’étude du concept de psychose de La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
l’enfant et de ses variantes évolutives. C’est dans le cadre de ces l’adolescent (CFTMEA), publiée en 1988 [155], a repris les travaux
réflexions psychopathologiques que l’autisme infantile a été rattaché français antérieurs évoqués. Elle répartit les psychoses infantiles en
aux psychoses précoces dont il a été considéré comme une des cinq grandes catégories. À côté de l’autisme de Kanner et de ses
formes cliniques. Les travaux français se sont particulièrement formes atypiques, elle individualise les psychoses déficitaires
centrés sur les intrications des processus psychotiques ou autistiques (intrication de troubles autistiques ou psychotiques et de déficience
avec les déficiences mentales ou instrumentales. De ces recherches mentale) et les dysharmonies psychotiques (tableau II).
sont issues les notions de psychoses déficitaires et de dysharmonies Contrairement au DSM III qui délimite des entités fixes, strictement
évolutives (Mises et Moniot [157]). exclusives les unes des autres, stables au cours du temps, la

2
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

Tableau II.

CFTMEA 1988 CIM 10 1993 DSM IV 1994

Psychoses Troubles envahissants du développement Troubles envahissants du développement

- Autisme infantile - Autisme infantile - Troubles autistiques


- Autres formes de l’autisme infantile - Autisme atypique

- Psychoses précoces déficitaires - Syndrome de Rett - Syndrome de Rett


- Dysharmonies psychotiques - Autres troubles désintégratifs - Troubles désintégratifs de l’enfance
- Schizophrénie de l’enfant - Syndrome d’Asperger - Syndrome d’Asperger
- Psychose non spécifiée - Troubles hyperactifs avec retard mental et stéréotypies
- Autres troubles envahissants du développement - Troubles envahissants du développement non spécifiés
- Troubles envahissants du développement non spécifiés

CFTMEA : classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent ; CIM : classification internationale des maladies ; DSM : diagnostic and statistical manual of mental disorder.

classification française vise à identifier des modes d’organisation des travaux entre eux (B Siverts et al [193]). Ce problème se pose
psychopathologique, susceptibles éventuellement d’évoluer et de se même pour les travaux publiés sous l’étiquette « autisme ». Tout en
transformer les uns dans les autres. Ainsi, tout en maintenant la établissant ce diagnostic sur la base de critères comportementaux, il
notion d’une structure psychotique qui s’oppose à la structure semble bien, en effet, que le DSM III ait élargi notablement le cadre
névrotique, elle évite de fixer l’enfant psychotique à l’intérieur d’un du syndrome décrit par Kanner (Cohen et Volkmar [ 3 9 ] ) en
processus univoque et considéré, a priori, comme irrémédiable. assouplissant la description des critères et surtout en considérant
La CIM 10, dixième édition de la classification internationale des qu’il peut être associé en toute proportion à la déficience mentale.
maladies de l’OMS, parue en 1993 [161], a adopté une position En dépit de définitions en apparence similaires, les différences des
intermédiaire vis-à-vis de la nosographie dans ce domaine clinique. critères entre les versions successives du DSM et de l’ICD 10 ont
Bien qu’elle se rallie à la notion de troubles envahissants du pour effet des variations du champ de l’autisme, comme le montre
développement et que la description qu’elle en donne soit proche une étude de l’équipe de Yale (Volkmar et al [214]) dans laquelle les
de celle du DSM III, elle maintient, pour l’autisme, le critère d’âge critères du DSM III, du DSM III R et de l’ICD 10 ont été appliqués à
(début des troubles avant 30 mois) ; elle introduit la catégorie un même groupe de patients : le diagnostic d’autisme est attribué à
« autisme atypique » faisant notamment référence aux cas associés à 25 % de sujets de plus avec le DSM III R qu’avec les deux autres
un retard mental profond ; elle introduit aussi la notion de syndrome classifications.
d’Asperger correspondant à des cas de troubles autistiques dans De même, une étude comparant l’application des classifications
lesquels il n’y a aucune déficience mentale. La CIM 10 propose ainsi américaine et française à une même population montre que les
un tableau plus diversifié du champ des troubles envahissants du critères du DSM III pour l’autisme incluent une partie des patients
développement, dans lequel la notion d’autisme redevient plus correspondant aux psychoses déficitaires et même aux dysharmonies
limitée et sans doute plus spécifique. psychotiques de la CFTMEA (Bursztejn et al [33]).
Enfin, le DSM IV paru en 1994 [6] subdivise désormais les troubles On est ainsi amené à se demander si l’élargissement du concept
envahissants du développement en cinq catégories, qui reprennent d’autisme opéré par le DSM III n’a pas « dilué » le syndrome décrit
la plupart des items de la CIM 10 (tableau II). par Kanner dans un ensemble hétérogène de cas où un tableau
Par-delà les querelles sur la terminologie, ces changements analogue est associé à un retard mental important.
nosographiques traduisent des transformations importantes de la Ce problème est un des obstacles majeurs à la généralisation des
conception de l’autisme infantile. résultats des travaux publiés.
Il faut noter, d’abord, que ce syndrome, initialement considéré
comme très rare, occupe, depuis le DSM III, une place centrale et
prototypique parmi les troubles psychotiques de l’enfant. Sans doute Épidémiologie
les recherches sur l’autisme ont-elles été, de ce fait, stimulées mais,
en même temps, on a eu tendance à négliger les autres formes de De nombreuses questions continuent de se poser à propos de
psychoses de l’enfant pourtant plus nombreuses et qui justifieraient l’épidémiologie de l’autisme et des psychoses infantiles. Les données
un effort de recherche et de réflexion au moins équivalent. de la littérature concernent surtout la prévalence de l’autisme
Du point de vue psychopathologique, la question des rapports avec infantile. Mais les chiffres avancés varient dans une très large
la schizophrénie reste à discuter ; même si l’évolution vers la proportion : entre 2 et 13/10 000. La prévalence des autres formes
schizophrénie à l’âge adulte n’est pas le mode évolutif le plus de psychose infantile reste mal connue.
fréquent, de tels cas existent cependant. Ces variations doivent être interprétées en tenant compte des
Du point de vue évolutif, doit-on considérer l’autisme comme une discussions qui persistent sur les références nosographiques
affection, par définition irréversible, comme le suggère le DSM III ? (cf supra). C’est d’elles, en effet, que dépend la définition des cas ;
Certains auteurs soutiennent que la réversibilité est possible dans elles sont importantes à prendre en considération dans l’analyse des
des cas très précocement traités, alors que pour d’autres, il ne peut études épidémiologiques.
s’agir que d’erreurs de diagnostic. Des études longitudinales (Mises, Il est ainsi intéressant de considérer les résultats des études de
Perron [158] ) montrent la possibilité de passage de syndromes prévalence sur l’autisme en fonction de leur date de publication.
autistiques vers d’autres modes d’organisations psychotiques. Il faut Jusqu’au début des années 1980, c’est-à-dire avant que le DSM III
rappeler enfin que la littérature rapporte de rares cas de « guéri- soit utilisé comme référence diagnostique, la prévalence de
son ». « l’autisme de Kanner » ou « autisme classique », ou encore
Les changements de la conception de l’autisme sont surtout « autisme nucléaire », se situe autour de 2/10 000 ; plusieurs auteurs
importants pour l’interprétation des travaux de recherche. La indiquent, en outre, un autre chiffre de prévalence, incluant des
référence nosographique conditionne, en effet, les caractéristiques formes moins typiques de syndrome autistique qui atteignent alors
de la population impliquée. Or, depuis quelques années, la 2 à 5/10 000.
multiplicité des systèmes de classification qui découpent le domaine Après la diffusion du DSM III, la plupart des chiffres de prévalence
clinique des psychoses infantiles (ou des troubles envahissants du donnés pour l’autisme atteignent ou dépassent 4/10 000. Ceci
développement) de façon différente, rend difficile la comparaison suggère un élargissement des critères diagnostiques incluant

3
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

notamment des cas auparavant considérés comme des formes SYNDROME D’AUTISME INFANTILE PRÉCOCE
atypiques. Un certain nombre d’études font état de chiffres de ¶ Description clinique
prévalence nettement plus élevés : 10/10 000 et plus. Il s’agit d’une
part de l’étude canadienne de S Bryson et al [27] qui utilise en fait Il est utile de rappeler que pour Kanner le désordre fondamental de
une définition encore plus large des syndromes autistiques, et de l’autisme est « l’inaptitude des enfants à établir des relations
trois études japonaises qui se réfèrent au DSM III. Il est difficile de normales avec les personnes et à réagir normalement aux situations,
donner une explication de ces taux de prévalence très élevés depuis le début de la vie » [97]. Il a été amené, d’ailleurs, à distinguer
rapportés au Japon : sont-ils dus à des conditions particulières progressivement deux symptômes primaires, l’autisme (aloness) et
favorisant le développement des troubles autistiques ou ces résultats l’immuabilité (sameness).
s’expliquent-ils par une utilisation particulière des critères du DSM Ce syndrome clinique décrit par Kanner (chez des enfants qui
III, ce qui confirmerait, comme cela a été suggéré, que, malgré leur avaient d’ailleurs 3 ans ou plus) correspond à des évolutions
apparente rigueur, les critères du DSM III laissent place à une marge pathologiques déjà bien avancées que l’on rencontre à partir de la
notable d’interprétation. troisième année environ. En voici le tableau en se référant aux
Trois études ont été menées en Suède par la même équipe (Gillberg descriptions de Kanner et à plusieurs travaux ultérieurs [148, 154, 157].
et al [63]). Une première étude, réalisée en 1980, fait état d’une Le comportement spontané est caractérisé par l’isolement extrême
prévalence de 2/10 000 pour l’autisme et de 2/10 000 pour les autres de l’enfant. Le terme d’autisme, emprunté à Bleuler et à la
psychoses (ultérieurement désignées par le terme « troubles de type psychiatrie des adultes, marque bien ici l’intensité du repli sur soi.
autistique »). En 1984, la même équipe, utilisant le DSM III, observe Qu’il reste immobile pendant des heures ou qu’il déambule dans
une prévalence de 4,7 pour le trouble autistique et de 2,8 pour les des circuits très organisés, l’enfant frappe par son aspect
« troubles de type autistique ». Une nouvelle étude, elle aussi d’indifférence à ce qui l’entoure. Il semble ne pas entendre ni voir,
réalisée avec le DSM III en 1988, semble indiquer une augmentation ou voir à travers les personnes.
de la prévalence. Cependant, il apparaît que cette augmentation de Quand on fait une observation plus fine des particularités
la prévalence concerne essentiellement les zones urbaines et qu’elle spécifiques de ce retrait autistique, on note, dans le registre visuel,
est due essentiellement à des enfants issus de familles immigrantes. l’importance de l’évitement du regard, la fixation sur un point
Selon les auteurs, ceci pourrait être lié à l’existence d’une arbitraire mais précis, périphérique ; de temps en temps, de furtifs
augmentation des facteurs de risque d’ordre somatique parmi ces coups d’œil en direction de l’adulte (ou la disparition momentanée
populations migrantes. du strabisme) témoignent d’une prise de connaissance de la
Trois études françaises ont été publiées à ce jour (Cialdella et présence d’autrui (à condition qu’on ne le regarde pas).
N Mamelle en 1989 [36] ; Aussilloux et al en 1989 [12] ; Fombonne et Dans le registre auditif, la même indifférence active peut parfois
du Mazaubrun en 1992 [58]). Bien que ces trois études utilisent évoquer une surdité. Cliniquement, la discordance est souvent nette
chacune des critères diagnostiques différents (critères personnels entre l’absence de réaction aux appels ou aux bruits violents, alors
dans l’étude de Cialdella et Mamelle, DSM III dans l’étude de qu’un bruit discret, à la limite de l’audition normale, fait retourner
Aussilloux, CFTMEA dans l’étude de Fombonne), elles donnent des l’enfant. Par ailleurs, celui-ci s’intéresse généralement à certains
résultats voisins : entre 4,5 et 4,9/10 000. bruits qu’il provoque de manière répétée et, sur un autre plan, à la
Une prépondérance des sujets de sexe masculin est retrouvée dans musique.
toutes les études, ce qui donne un sex-ratio habituellement de 3, soit Alors que, spontanément, il se laisse souvent guider par l’adulte,
un peu moins, voire un peu plus. sans participer vraiment, si l’on tente de forcer le contact, il réagit
Une autre question concerne la comorbidité : de nombreuses brutalement comme à une intrusion intolérable par une
publications ont rapporté l’association de troubles autistiques avec augmentation des stéréotypies, de l’agitation avec impulsion, voire
diverses affections, telles que la sclérose tubéreuse de Bourneville, la automutilation.
phénylcétonurie, la rubéole congénitale, le syndrome de l’X fragile De même, le contact corporel est volontiers refusé et vécu très
ou d’autres anomalies chromosomiques. Par ailleurs, certaines négativement s’il est imposé à l’enfant. Parfois, celui-ci approche
enquêtes ont observé une fréquence élevée d’anomalies de la l’adulte de manière très progressive et complexe et, par ailleurs, il
période périnatale ou de la grossesse. Nous reviendrons sur les semble le faire comme si la personne n’était pas reconnue dans sa
problèmes posés par ces troubles associés (cf infra). totalité mais comme un objet partiel qu’il investit dans une partie
Cependant, peu d’études ont tenté d’évaluer globalement la de son corps ou dans un détail de ses vêtements. Parfois encore, il
comorbidité, que ce soit chez des sujets porteurs de troubles peut prendre la main de l’autre pour lui déléguer le soin de réaliser
autistiques ou chez des patients présentant d’autres formes de une action. Cette conduite très caractéristique de l’enfant autiste est
troubles psychotiques. à rapprocher de l’absence chez celui-ci de pointing, c’est-à-dire de la
capacité de montrer du doigt un objet sur lequel il voudrait attirer
l’attention, comme l’ont montré plusieurs travaux d’orientation
Étude clinique cognitiviste [16, 192] ou éthologique [178].
Depuis qu’en 1943 Kanner a caractérisé comme « autistiques » les Les objets sont manipulés d’une manière très inhabituelle : l’enfant
troubles du contact présentés par 11 enfants, individualisant ainsi les effleure, les flaire, les tripote, les fait rouler, tomber de manière
un type de psychopathologie du jeune enfant qui jusqu’alors n’était souvent très répétitive. Parfois, on observe une curieuse conduite
pas différencié de l’arriération mentale et de la schizophrénie, notre (appelée « signe du cube brûlant ») : il avance sa main vers l’objet
connaissance des troubles graves du développement psychique de surtout lorsqu’il est inconnu, puis la retire brusquement ; en fait on
l’enfant s’est progressivement approfondie et bien d’autres aspects a le sentiment qu’il n’y a pas de jeu possible avec les objets ni la
cliniques ont été décrits. Ainsi en France, on a tendance à regrouper, découverte d’une nouveauté mais la répétition d’expériences
comme le fait notamment la CFTMEA (1988), l’autisme infantile et sensorielles ou motrices. Ceci est évidemment à rapprocher aussi de
les troubles sévères de l’évolution psychique, dans les 3-4 premières l’absence de jeux de faire-semblant sur lequel insistent les
années, sous l’expression de « psychose précoce ». On a vu (cf supra) cognitivistes. Tustin parle « d’objet autistique » [205] à propos de ces
que le concept de psychose n’était pas présent aussi bien dans la objets que l’enfant manipule sans cesse, tient fermement dans les
CIM 10 (1993) que dans le DSM IV (1994) où figure la notion de mains, refusant de les lâcher, ou encore de « formes autistiques » à
trouble envahissant du développement (en dehors du retard propos des impressions sensorielles qu’il recherche
mental). préférentiellement dans son propre corps par des activités
Ce sont les différents aspects cliniques que nous allons décrire ici, y inapparentes, secrètes, comme se mordre l’intérieur des joues,
compris dans leur dimension évolutive. De même, nous allons remuer ses fèces dans son rectum, etc.
envisager les problèmes de l’évaluation initiale et lors de l’évolution Un aspect essentiel de la vie de l’enfant autiste est son exigence
des troubles. d’immuabilité de l’environnement, son besoin impérieux de

4
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

maintenir la stabilité des repères, s’exprimant dans des vérifications autistiques évalués par des moyens appropriés présentent une
diverses ou des conduites telles que le fait de s’isoler toujours dans efficience intellectuelle non verbale inférieure à 70 et globale encore
le même coin ou de rechercher toujours le même objet. Toute moins importante [135], et selon Rutter seulement un quart, semble-t-
tentative pour introduire une modification de cet espace peut il, des enfants autistes ont un niveau intellectuel pouvant être
déclencher des réactions d’angoisse majeure, voire un véritable état considéré comme normal [184]. En fait, il existe des fonctionnements
d’effondrement. cognitifs de bas et de haut niveaux, avec différents intermédiaires.
Les stéréotypies et les rituels sont à rapprocher des manifestations En général, les performances lors des capacités visiospatiales et/ou
précédentes. On observe ainsi des gestes stéréotypés assez étranges : de la mémoire sont d’un niveau plus élevé que celles requérant la
remuer les doigts devant le visage, agiter les bras comme un réflexion, en particulier dans un contexte relationnel interpersonnel.
battement d’ailes, tournoyer sur soi-même, marcher sur la plante Quelques enfants réalisent des performances remarquables dans
des pieds ; ceci à côté de gestes moins inhabituels mais ici certaines manipulations (construction, puzzles, jeux de patience)
particulièrement insistants et fréquents : balancement, bercement, mais il s’agit d’activités très circonscrites. Certains autistes appelés
etc. « autistes savants » développent même des capacités exceptionnelles
Chez d’autres enfants s’organisent des activités ritualisées dans des domaines bien particuliers et restreints, notamment comme
complexes, tantôt à travers les vérifications concernant l’immobilité on vient de le voir, en matière de mémorisation, perceptions
du cadre de vie, tantôt dans la manipulation étrange de certains visiospatiales ou musicales (« oreille parfaite »).
objets, tantôt dans les échanges qu’ils ont au sein de la relation Ainsi décrit, ce tableau d’autisme infantile précoce est bien trop
privilégiée qu’ils entretiennent avec une personne de l’entourage. général et ne tient pas compte par exemple de l’existence, à côté des
Ces phénomènes peuvent déboucher sur une ritualisation de formes calmes, les plus habituelles, de formes agitées où les troubles
l’alimentation, de l’habillement, du lavage, des conduites très importants de la communication sont alors recouverts par un
sphinctériennes, etc. À propos de ces activités, on n’observe pas le comportement d’allure ludique, par une instabilité et une
climat de plaisir qui est le stimulant habituel dans leur réalisation hyperactivité majeures.
ou dans les apprentissages, mais plutôt une répétition quasi Il y a lieu encore de souligner que ce syndrome autistique peut
mécanique ou bien alors parfois opposition et refus, ou encore s’observer dans des conditions d’apparition bien différentes, soit
absence totale de retenue, par exemple dans certaines conduites progressivement et précocement (c’est l’autisme primaire de
alimentaires de « goinfrerie » ou sexuelles de masturbation. Kanner), soit dans un deuxième temps (autisme secondaire) au cours
Les troubles du langage sont constants et très importants. Le plus de l’évolution de dysharmonies précoces du développement, soit
souvent, il s’agit d’une absence de langage. Des cris monotones, même de manière rapide (voire brutale) dans quelques observations
monocordes, « sans intention sociale » apparente, sont parfois notés. où l’on note alors un événement marquant dans la vie de l’enfant
Cependant, les parents disent souvent que, s’il ne parle pas, l’enfant (épisode somatique précoce, modification brutale de
comprend fort bien ce qu’on lui dit, même sans accompagnement l’environnement, etc).
gestuel explicitant le sens de la demande. Sans doute y-a-t-il aussi, à Tous ces troubles sont regroupés dans la CIM 10 en trois rubriques
côté des entraves au développement du langage, une dimension de (les interactions sociales, la communication, le comportement),
refus de parler, de mutisme ; il est certain à cet égard que les l’autisme étant défini comme un trouble envahissant du
premières paroles d’un enfant autiste ont de quoi surprendre parfois développement manifeste avant l’âge de 3 ans et caractérisé par une
par leur complexité et leur aspect inattendu. perturbation caractéristique du fonctionnement, précisément dans
Dans le cas où le langage apparaît, le plus souvent avec retard au- chacun de ces trois domaines.
delà de 2 ans, il n’a pas pour autant valeur de communication, tout On sait d’ailleurs que c’est dans la même formulation qu’est
au moins en première analyse. Il est fait de mots isolés, déformés, présenté le « trouble autistique » dans le DSM IV (1994) :
inventés, d’écholalie simple ou différée. L’incapacité à manier les
pronoms personnels est très caractéristique, avec soit confusion – altération qualitative des interactions sociales ;
complète, soit utilisation de la troisième personne, du « tu » pour le – altération qualitative de la communication, notamment dans le
« je » dont on sait que la maîtrise de son utilisation se met en place domaine du langage ;
normalement dans la troisième année.
– caractère restreint répétitif et stéréotypé des comportements, des
La voix est souvent particulière : voix « off » ; l’enfant semble ne pas
intérêts et des activités.
être la source de sa parole.
Lors de la description des conduites de l’enfant autiste, on a été Ces altérations sont bien mises en évidence aussi dans les travaux
amené à souligner l’existence, à un certain moment, d’émergences d’orientation éthologique. Les comportements d’évitement
anxieuses importantes, s’extériorisant dans des accès de colère ou relationnel, dit encore social, sont particulièrement nets au niveau
de rage pouvant entraîner des conduites autoagressives du regard : les enfants autistes évitent le contact visuel mais en
particulièrement difficiles à tolérer pour l’entourage. De manière même temps, en présence d’un médecin examinateur, ils se tiennent
plus courante, mais cela nécessite une observation suffisamment fine plus près de lui, ont plus de contacts physiques avec lui que dans la
et une bonne connaissance de l’enfant, on peut repérer l’angoisse de population témoin (enfants ayant un retard mental ou
celui-ci lors du croisement de son regard ou à travers certaines de hyperkinétiques). Mais ces derniers ne paraissent pas vraiment
ses attitudes lorsque l’on essaie de forcer le contact ou lorsqu’il y a adéquats (Pedersen et al [166]). Il faut noter aussi que la situation en
une modification de l’environnement. face-à-face leur paraît insupportable et qu’ils se laissent plus
volontiers approcher et toucher par le dos (Soulayrol [195]). Vidal [212]
D’autres troubles sont à mentionner. Des troubles alimentaires
souligne la très grande difficulté des autistes à tolérer les relations
divers, des troubles du sommeil (insomnie rebelle ou silencieuse,
triadiques et à y négocier leur place. Avec Badiche et Dardenne, il a
réveils nocturnes fréquents et agités) sont parfois présents.
construit à partir de cette constatation un type de rencontres
La question du fonctionnement intellectuel et cognitif est essentielle. thérapeutiques triadiques où il s’agit d’amener progressivement le
Si Kanner a décrit en 1943 ces enfants comme « intelligents », des sujet autiste à accepter d’entrer en relation au sein de la relation
observations ultérieures plus complexes et de nombreux travaux duelle thérapeutique avec un tiers. Nous avons déjà souligné par
amènent à constater que les performances cognitives sont très ailleurs l’absence de pointer du doigt dans certains travaux
variables. Notons d’abord l’importance des problèmes éthologiques.
méthodologiques dans l’évaluation de la vie intellectuelle et
cognitive de tels enfants ; ainsi, certains des outils existants sont ¶ Problèmes diagnostiques
particulièrement chargés en facteur verbal et risquent de sous-
estimer le potentiel réel des enfants ayant un déficit plus marqué du Ils sont de plusieurs ordres. Il y a lieu, en effet, de différencier
développement du langage. Ceci dit, une majorité d’enfants d’abord les manifestations de l’autisme avec, d’une part, les

5
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

perturbations liées à une surdité, à un état dépressif ou à un tableau sociale puissent se développer ultérieurement. De même, un bon
de carence relationnelle majeure précoce et prolongée et, d’autre contact par le regard est souvent décrit dans le syndrome de Rett.
part, avec un retard mental ou une déficience mentale (sans trouble
psychotique associé) lié à une atteinte cérébrale, ou bien encore avec ¶ Premières manifestations
une dysphasie du développement. Avant la constitution du syndrome autistique caractéristique vers
Il y a lieu encore de bien distinguer les troubles autistiques précoces 2-3 ans environ, il existe des manifestations plus précoces, des
proprement dits de certains comportements de retrait d’allure perturbations de la communication et du développement psychique
autistique, plus ou moins précoces, plus ou moins transitoires, mais des enfants que l’on peut retrouver lors de l’étude anamnestique
non organisés de manière aussi prévalente et stable, que l’on peut recueillie au cours des entretiens avec les parents ou de consultations
voir par exemple dans certaines dysharmonies précoces du précoces. On peut, selon Houzel et Abgrall (communication citée en
développement ou lors d’hospitalismes sévères. Le pronostic n’est 148), les regrouper en six rubriques :
pas le même ; l’évolution de tels comportements pseudoautistiques
– une attitude de sagesse particulière ; elle est repérée par les parents
est bien plus favorable, parfois même de manière très spectaculaire,
dès les premiers mois de la vie de l’enfant et s’accompagne d’un
lors de l’abord thérapeutique de l’enfant et la prise en compte du
certain degré d’indifférence à l’égard du monde extérieur, tant à
contexte familial, ceci en raison de la dimension encore en partie
l’égard des personnes (notamment absence de pleurs lorsqu’on
réactionnelle des troubles et de la non-structuration de l’ensemble
quitte l’enfant) qu’à l’égard des jouets ;
de la vie psychique de l’enfant autour du retrait (Mazet et
Stoleru [148]). Il en est de même lors de comportements d’allure – des troubles tonicoposturaux et psychomoteurs ; on note une absence
autistique accompagnant certains déficits sensoriels (audition et ou un retard de l’attitude anticipatrice du bébé lors de l’approche
vue), certaines dysphasies graves ou des troubles neurologiques de la mère, un défaut d’ajustement postural, voire une hypotonie
(spasmes en flexion). Cependant, la pratique clinique confronte qu’on perçoit bien lorsqu’on prend l’enfant dans les bras. Un
parfois à l’existence de cas complexes où l’on constate la coexistence éventuel retard psychomoteur marqué par une acquisition tardive
de troubles autistiques et d’un passé de grande carence relationnelle de la position assise et de la marche peut avoir lieu. Les stéréotypies
particulièrement prolongée ou d’un déficit auditif, ou bien encore motrices sont importantes à signaler, car dès les premiers mois,
d’une affection convulsivante grave, ce qui pose évidemment la l’enfant peut avoir des jeux stéréotypés avec ses mains qu’il
question de l’association possible et des rapports entre les deux contemple de manière très répétitive ;
types de troubles. – des anomalies du regard : comportement d’évitement du regard
Dans un certain nombre de cas se pose la question d’éventuels d’autrui, absence de poursuite oculaire, regard périphérique ou par
troubles associés à des tableaux cliniques où les troubles autistiques coup d’œil, voire strabisme. Ces anomalies, notamment l’évitement
paraissent au premier plan, dans certaines formes du regard, privent la relation mère-enfant du contact œil à œil dont
d’encéphalopathies métaboliques (de la phénylcétonurie par on connaît bien l’importance aujourd’hui ;
exemple) ou bien encore certains retards mentaux d’origine – la non-apparition des organisateurs de R Spitz : absence de sourire-
génétique tels que le syndrome d’X fragile. La question des troubles réponse aux visages humains, absence d’angoisse de l’étranger vers
associés et des rapports avec l’autisme sera abordée (cf infra). le huitième mois ;
Le syndrome de Rett, décrit dans le DSM IV comme une autre forme
– des phobies massives et mal organisées ; elles apparaissent surtout
de trouble envahissant du développement, mérite, par les problèmes
au cours de la deuxième année : phobies des bruits et plus
diagnostiques difficiles avec l’autisme, d’être bien connu. Il est lié à
précisément ceux faits par les instruments ménagers (aspirateur,
une encéphalopathie dégénérative responsable d’un handicap
machine à laver, etc) ;
profond et d’une infirmité motrice progressive. De cause inconnue,
atteignant de façon quasi exclusive les filles (1/10 000 à 15 000 – des troubles somatiques fonctionnels marqués par :
naissances féminines), ce syndrome, décrit pour la première fois en – des troubles oroalimentaires (défaut de succion de la tétine ou
1966 par Rett, redécouvert récemment par divers auteurs, est du mamelon, mauvaise coordination des mouvements de succion
caractérisé par les points suivants : et de déglutition, régurgitations postprandiales, anorexie très
– déroulement apparemment normal de la période prénatale et précoce, plus tardivement diversification alimentaire très difficile
périnatale ; et refus de mastication) ;
– des troubles sphinctériens (constipation fonctionnelle très
– développement psychomoteur apparemment normal durant les 6
précoce due à une rétention des matières fécales) ;
premiers mois de la vie ;
– des troubles du sommeil (deux types d’insomnie précoce décrits
– ralentissement de la croissance du périmètre crânien entre l’âge
par L Kreisler et M Soulé, et cités in [148] : l’insomnie agitée avec
de 5 mois et 4 ans ;
réveils en hurlant et manifestations autoagressives, plus rarement
– perte de l’usage volontaire des mains (acquis antérieurement) insomnie silencieuse grave).
entre 6 et 30 mois, suivie de l’apparition de stéréotypies manuelles à Les troubles précédemment mentionnés apparaissent et s’associent
type de torsion ; de façon variable en fonction de l’âge de l’enfant. Il y a lieu de
– accrochage, applaudissement, lavage, mise à la bouche des mains ; souligner la prudence avec laquelle il faut interpréter l’apparition
de ces perturbations initiales chez le très jeune enfant. Il faut insister
– développement très perturbé du langage, tant pour la sur le fait que ces troubles précoces ne sont ni constants, ni
compréhension que l’expression ; spécifiques d’une évolution autistique ultérieure. Un certain nombre
– présence d’un retard psychomoteur progressif d’allure sévère ; d’enfants présentant des troubles identiques ne sont pas pour autant
– survenue d’une ataxie du tronc entre l’âge de 1 à 4 ans ; devenus autistes. De même, dans de nombreux cas, les
manifestations significatives de l’évolution autistique sont présentes
– crises d’épilepsie (inconstantes). un peu plus tardivement sans que des anomalies notables aient pu
Ce tableau clinique d’installation progressive peut tout à fait être être repérées auparavant. Il y a donc lieu d’être circonspect vis-à-vis
confondu, notamment dans son deuxième stade de régression rapide des diagnostics infantiles très précoces car plus l’enfant est jeune,
entre 1 et 3 ans, avec un syndrome d’autisme infantile précoce, car plus le diagnostic est difficile à établir rapidement. Cette démarche
la fillette, outre sa régression psychomotrice, la disparition du nécessite en effet une longue période d’observation pour permettre
langage, les stéréotypies manuelles, manifeste des troubles du une évaluation clinique précise, compte tenu de la gravité du
comportement et relationnels marqués volontiers par un certain syndrome autistique, des conséquences de l’annonce de ce
degré de désintérêt à l’égard des objets et des personnes, voire un diagnostic pour l’enfant et sa famille et de nos incertitudes quant à
certain degré de retrait, bien que certaines formes d’interaction l’évolution des troubles au cours des 6 premières années de l’enfant.

6
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

Par ailleurs, doit-on parler de signes précocissimes d’autisme ou Un autre ensemble de recherches menées par l’équipe de Tours
plutôt de perturbations précoces évocatrices d’un risque d’évolution (Sauvage, Adrien, Malvy et al [124, 136, 185]) est également d’un grand
autistique ? Cette question, formulée par Mazet [144] , amène à intérêt, bien que n’étudiant pas directement la question des troubles
envisager deux points de vue différents : interactifs précoces. Dans une évaluation de 13 enfants pour lesquels
le diagnostic d’autisme infantile a été porté, l’étude repose sur
– dans le premier cas, on se réfère à un modèle médical de la l’analyse de documents filmés réalisés par les parents concernant
maladie avec ses signes de début, sa phase d’état et son évolution ; leur enfant au cours des 2 premières années de vie. Un groupe de
– dans le second cas, le problème est envisagé en termes de contrôle est constitué avec des films d’enfants normaux réalisés dans
modalités évolutives variables de troubles très précoces du les mêmes conditions. Les conclusions de ce travail confirment que
développement et aussi d’un certain point de vue à une conception des troubles précoces apparaissent sur les films, dans les premiers
syndromique de l’autisme infantile précoce, conception de Kanner mois de la vie de l’enfant, bien avant que les parents et les médecins
d’ailleurs, qui en fait un syndrome clinique pouvant renvoyer à des ne soient alertés. De plus, l’examen des films confrontés à
situations différentes relevant de contextes divers. l’observation clinique (examen clinique et entretien avec les parents)
sont complémentaires et permettent une meilleure analyse
L’apport des recherches sur les interactions précoces parents-
sémiologique des troubles les plus précoces du syndrome d’autisme
nourrisson est à mentionner ici. En effet, tant dans le domaine
infantile.
clinique que dans celui de l’étude naturaliste ou expérimentale du
développement précoce, l’introduction de l’observation directe des L’équipe de Bobigny (Mazet, Lebovici, Rosenfeld, Polytarides et al)
interactions a donné lieu à des travaux contribuant à introduire une s’est efforcée, à partir de l’étude de films familiaux d’enfants
nouvelle sémiologie des échanges et de la communication entre le autistes, de mettre en évidence des dysfonctionnements interactifs
bébé et ses partenaires. Cette observation approfondie des précoces précurseurs d’une évolution autistique ultérieure, ceci dans
interactions comportementales, mais aussi affectives et une perspective purement descriptive et non étiopathogénique.
fantasmatiques entre le bébé et sa mère, peut aider à saisir les Cette étude, dont il n’est pas possible ici de préciser les conditions
perturbations qui affectent leurs échanges, parfois véritables cercles méthodologiques, a permis de montrer [144, 170, 180, 181] qu’il est possible
vicieux dans lesquels sont enfermés à la fois mère et enfant. Mais on de repérer des dysfonctionnements interactifs très précoces
devine les problèmes multiples et complexes (par exemple la précédant l’apparition d’autisme infantile. Ces troubles interactifs
réalisation d’une étude longitudinale prospective d’une population sont caractérisés par des distorsions des articulations entre le regard
de bébés, en sachant que le risque statistique d’autisme est de 3 à et la motricité, des contradictions dans les variations de répartition
4/10 000) qui se posent quand on essaie d’articuler, même dans une des tensions corporelles (expressions mimiques et motrices, tonus
perspective purement descriptive, les perturbations les plus précoces proximal et distal du bébé et de sa mère par exemple), des
des interactions et une évolution autistique ultérieure. perturbations de l’attention conjointe (visuelle), des modifications
des rythmes et de la synchronie des engagements interactifs (absence
À cet égard, l’observation privilégiée de Kubicek [109] est une d’incitation interactive du bébé-sollicitation persistante de son
situation idéale (bien qu’exceptionnellement réalisée) de la mise en partenaire, inversement sollicitation du bébé-absence de
évidence d’un lien entre le dysfonctionnement interactif très précoce reconnaissance des informations par le partenaire), une
et le diagnostic ultérieur d’autisme infantile. En effet, lors d’une dyssynchronie des interactions mimiques. De plus, ont été relevées
recherche sur des jumeaux de 4 mois, il constata une interaction une diminution des transformations d’un mode interactif en un
perturbée sur le mode de l’évitement du regard d’un des deux autre et une invariabilité d’une configuration au cours d’un scénario
jumeaux à l’égard de sa mère mais aussi des comportements de interactif répétitif persistant, l’impression de bizarrerie subjective
poursuite intrusive de la mère. L’auteur a appris plus tard vécue par l’observateur. Signalons que ces dysfonctionnements
incidemment qu’on avait fait, à propos de ce jumeau âgé de 2 ans, interactifs apparaissent tous durant la première année de vie des
le diagnostic d’autisme. Ceci dit, comme le note Stern [199], le pattern enfants ; on repère une continuité entre les dysfonctionnements
interactif général de « la mère qui poursuit son bébé qui s’esquive » précoces lors des première et deuxième années de vie. Dans une
est relativement banal, voire même peut avoir une dimension recherche en cours, il apparaît qu’un des dysfonctionnements
ludique. Cependant, selon lui, ce type d’interactions peut, dans interactifs les plus notables semble être l’évitement insistant de
certaines situations, devenir tout à fait inquiétant du fait de son l’interaction, notamment dans la situation de face-à-face (Mazet [146])
importance et des effets négatifs sur les deux partenaires. au point que, dans bon nombre de cas, cette situation de face-à-face
L’étude de documents audiovisuels familiaux (films, vidéos) réalisés n’apparaît pas, comme si elle était quasi impossible (vécu d’intrusion
par les parents pour eux-mêmes au cours des premières semaines et du nourrisson ? adaptation des partenaires ?).
mois de la vie de l’enfant et confiés ultérieurement à la demande du Il y a lieu, bien entendu, d’évoquer là l’apport des études des
clinicien lorsqu’ils viennent le voir plus tard en consultation est un cognitivistes et des développementalistes concernant l’apparition de
moyen d’investigation très précieux. L’utilisation des films familiaux la théorie de l’esprit et des précurseurs de celle-ci, ainsi que l’accès à
permet d’une part d’affiner la sémiologie initiale du syndrome l’intersubjectivité chez le jeune enfant. Ainsi en témoignent
autistique et d’autre part rend possible l’observation et la l’apparition progressive du jeu de « faire semblant », le
compréhension des interactions précoces entre le jeune enfant et ses comportement d’attention conjointe et le pointer protodéclaratif
partenaires. (cf infra, les études cognitives), présents normalement dès l’âge de
À cet égard, la recherche conduite aux États-Unis par Massie [142], 15 mois et qui, chez l’enfant autiste, sont absents ou marqués par
ayant pour objectif l’étude de l’attachement entre l’enfant et sa mère des troubles majeurs de mise en place dans la deuxième année [16],
mais aussi celle de leurs interactions, a pu montrer que cette outre les perturbations de l’interaction sociale, du jeu social et de
méthode apporte des données plus objectives, non soumises à l’imitation.
l’influence du temps ou à la distorsion du souvenir. Cette recherche
américaine a été la première à utiliser des films familiaux. Elle a ¶ Problèmes de l’évaluation de l’autisme infantile
porté sur une population de dix enfants dont trois présentaient un Les objectifs d’une telle évaluation, bien décrits par Aussilloux [11],
syndrome d’autisme infantile. Les données recueillies étaient sont de permettre :
comparées à celles d’un groupe d’enfants-témoins. Massie et
Rosenthal [143] constatent chez les enfants autistes la présence – le diagnostic des troubles autistiques et psychotiques précoces ;
évidente de difficultés touchant les échanges de regard, ces – le diagnostic des troubles dits associés, notamment de la
difficultés n’étant pas rapportées par les parents car non dimension déficitaire et de l’existence de troubles somatiques ;
remémorées, et l’existence manifeste de symptômes chez des enfants
âgés de moins de 1 an, non repérés par des professionnels de santé, – l’analyse des capacités de l’enfant ;
conduisant à un retard de diagnostic de plusieurs années. – l’analyse des ressources du milieu ;

7
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

– le choix des moyens thérapeutiques et d’éducation spéciale. sont décrits par Tordjman [202]. Ainsi, l’échelle PL-ADOS offre au
Quelle est la méthode et quels sont les moyens et les outils de cette clinicien la possibilité d’observer chez un enfant, dès l’âge de 18
évaluation initiale ? mois, les capacités d’attention conjointe, de symbolisation (au
travers des jeux de « faire semblant ») et de pointage référencé
Bien entendu, une telle évaluation est variable selon les cliniciens et
(l’enfant désigne à l’évaluateur un objet à distance en le pointant du
les équipes en fonction de nombreux paramètres, comme on a pu le
doigt).
constater lors d’un colloque récent centré sur ce sujet [10] qui a réuni
plusieurs équipes françaises travaillant dans ce domaine. Ces échelles d’évaluation permettent d’introduire une médiation et
ce aussi bien par rapport à l’enfant autiste, à sa famille ou à l’équipe
Les différents moyens d’observation (en consultation, en groupe), soignante. Ainsi, l’enfant n’est pas placé en relation dyadique de
en utilisant éventuellement la vidéo et les films familiaux, face-à-face avec le clinicien (il est d’ailleurs spécifié de proscrire les
permettent l’évaluation des interactions comportementales et approches physiques de face) et celui-ci interagit avec lui à partir de
affectives de l’enfant et de ses conduites en s’intéressant notamment l’utilisation de jouets, d’objets précis (faisant partie d’un kit supposé
à leur déroulement temporel (comment s’enchaînent-elles ? dans être identique pour chaque évaluateur) et dont le choix a été fait sur
quelles conditions surviennent-elles, disparaissent-elles, se l’intérêt habituel qu’ils suscitent chez l’enfant autiste (intérêts
modifient-elles ?) et au-delà, le repérage des modalités de relations sensoriels, activités se prêtant à une utilisation stéréotypée, etc).
et d’attachement enfant-parents (avec la mère notamment), par
exemple lors de la séparation et des retrouvailles de l’enfant avec sa Bien d’autres instruments ont été élaborés. Ce sont, par exemple,
mère lors d’une séance d’observation en groupe d’enfants. l’échelle de Vineland [198] qui évalue les compétences dites sociales
de l’enfant et qui présente l’intérêt de distinguer les scores de
Ce bilan initial s’effectue sur une durée variable, certes limitée dans socialisation des scores d’aptitude de la vie quotidienne et qui peut
le temps, mais portant en général sur plusieurs semaines, dans la être remplie par l’infirmier ou l’éducateur.
mesure où le plus souvent au moins trois consultations (par exemple
à 10 ou 15 jours d’intervalle) et une observation répétée sont La CARS (children autistic rating scale), utilisée par certaines équipes,
volontiers nécessaires. La stabilité des troubles ou d’éventuels est une échelle d’intensité des troubles en 15 items élaborée par
changements représentent un élément important pour permettre de Schopler et al [189].
confirmer ou d’infirmer l’impression initiale. En ce qui concerne le jeune enfant dans sa deuxième année, on a vu
l’intérêt de la PL-ADOS, mais il faut aussi citer l’intérêt de l’échelle
L’éventuelle pratique d’un bilan psychomoteur, psychologique,
élaborée par l’équipe de Tours, avec notamment Adrien, Barthelemy,
orthophonique, peut apporter des données tout à fait importantes,
Sauvage, l’ECA-N et l’intérêt du CHAT, élaboré par Baron-Cohen et
complémentaires de l’observation clinique de l’enfant. Le bilan
son équipe [16].
somatique, en cas de forte suspicion d’autisme, comporte quasi
systématiquement pour beaucoup de cliniciens, un Il y a lieu bien entendu de souligner qu’il ne faut pas oublier qu’il
électroencéphalogramme, un scanner ou une imagerie par résonance s’agit, quelles que soient les modalités de cette évaluation, d’une
magnétique (IRM), un caryotype avec plus spécifiquement la rencontre clinique interpersonnelle particulièrement importante
recherche d’un X fragile, une chromatographie des acides aminés dans l’immédiat et pour la suite. L’empathie et le respect d’autrui
urinaires et un dosage de lactate et pyruvate plasmatiques. Ce bilan doivent être au cœur de nos démarches d’évaluation, même et
somatique, assez lourd, est évidemment lié à la première impression surtout lorsque nous utilisons des échelles et des questionnaires
diagnostique. Les objectifs et les moyens de ce bilan sont développés standardisés, dans une perspective de recherche clinique ; attention
par Isnard et Mouren-Simeoni au cours du colloque déjà cité [95]. à une démarche d’inventaire exclusive. Il y a lieu même de bien
différencier les objectifs de la pratique clinique (répondre à une
Un certain nombre d’instruments utilisés dans le processus
demande d’avis diagnostique et de soins pour un enfant et d’aide
diagnostique et dans cette évaluation peuvent être utilisés.
pour les parents) et ceux de la recherche clinique (faire progresser
Ce sont des échelles comme l’ADI (autism diagnostic interview)-R, notre connaissance dans le domaine de l’autisme infantile précoce)
l’ADOS (autism diagnostic observation schedule), ou le PL et de ne pas perdre de vue les premiers, si l’on est amené aussi à se
(prelinguistic)-ADOS, adaptées spécifiquement à la pathologie situer dans le champ de la recherche (Mazet [146]). La dimension
autistique. Elles recouvrent les critères diagnostiques internationaux potentiellement thérapeutique de l’observation et de cette évaluation
d’autisme et permettent d’affiner le repérage clinique. initiale est à souligner ici.
L’ADI a été élaboré par Rutter, Lord et Le Couteur en 1989 [120].
L’ADI est un entretien mené dans le cadre d’une rencontre avec un ¶ Quelle annonce du diagnostic ?
parent, ou tout au moins avec une personne qui connaît bien
Il s’agit évidemment d’une situation difficile et complexe, compte
l’enfant. Il ne peut être utilisé que par des personnes qui ont une
tenu de plusieurs facteurs :
très bonne connaissance clinique et qui sont entraînées à ce type
d’entretien. L’entretien comporte six sections : – la connotation très lourde et péjorative du diagnostic d’autisme ;
– la première est une section d’orientation générale qui permet – les difficultés diagnostiques chez l’enfant jeune, nos incertitudes
d’obtenir des informations de base concernant l’enfant et la quant au pronostic et à l’évolution ;
configuration familiale ; – et bien entendu la complexité de ce champ, notre ignorance dans
– la deuxième section porte sur l’histoire du développement ; beaucoup de domaines concernant l’autisme et les troubles précoces
sévères et envahissants du développement.
– les trois sections suivantes s’orientent vers la recherche des signes
actuels et dans les années antérieures dans trois domaines : Il est évident que notre conception des troubles autistiques ne peut
communication et langage, développement social (c’est-à-dire pas ne pas être présente dans ce que nous allons transmettre aux
interpersonnel et jeux), intérêts et comportements inhabituels ; parents, comme à l’enfant, de ce que nous pensons de l’évaluation
qui vient d’être faite, comme le souligne Lemay [126].
– la sixième et dernière section concerne les difficultés de
Ceci dit, l’« annonce » ne peut être qu’adaptée à la capacité qu’on
comportement non spécifiques et les éventuelles aptitudes
perçoit chez les parents d’y être confrontés. On peut dire que le
particulières.
processus de révélation du diagnostic est en fait la dynamique d’un
La place de l’ADI, utilisée actuellement dans sa forme révisée [94], échange entre deux histoires à propos de l’enfant, celle des parents
dans l’évaluation de l’autisme et des informations à son sujet est d’une part et celle des soignants d’autre part. C’est un processus
précisée par Rogé [179]. animé par le doute et l’attente active ou passive par les parents
L’ADOS et le PL-ADOS (pour les plus jeunes enfants) sont des d’une certaine vérité capable de mettre fin à leur dépendance à
échelles utilisées par le clinicien lors de son observation et élaborées l’égard de la parole médicale. Il est utile d’évoquer très brièvement
par Lord, Rutter [128], Dilavore et al [50]. Leur intérêt et leurs limites le travail fait par Corbet et Greco [43] sur les représentations et la

8
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

réalité de l’annonce du handicap dont on peut voir les éventuelles l’auteur insiste sur le fait qu’elle lui semble souvent située nettement
implications dans la situation de l’autisme. Ces auteurs, dans leur au-dessus de la moyenne ; l’originalité de la pensée et de la
enquête, sont amenés à proposer une modélisation du processus de production verbale des enfants le surprend parfois par sa maturité.
révélation du handicap et ainsi de définir à la fois des fonctions, des Il existe parfois des compétences tout à fait remarquables et
rôles professionnels et des rôles correspondants du parent. particulières, soit sur le plan de la mémoire, soit sur le plan des
Trois fonctions d’assertion, apocryptique et performative du connaissances et du raisonnement mathématique ;
processus de révélation, sont ainsi définies. On voit bien là – une vie émotionnelle : expression dans tous les cas anormale, quelle
l’importance de pouvoir d’une certaine manière, dans le temps, soit émoussée ou inappropriée ; par exemple, on peut observer un
assurer ces trois fonctions à la fois d’information, mais aussi de désintérêt total pour la sexualité à la puberté ou au contraire des
réduction du caractère inexorable de la vérité médicale permettant compulsions masturbatoires en public, exhibitionnistes. Le manque
de « donner espoir », puis une attitude de mise en compétence des d’empathie de ces enfants, leur indifférence vis-à-vis de certaines
parents leur donnant un rôle actif, et de repérage des ressources de conventions sociales, leur égocentrisme, leur absence de sens de
l’enfant. L’aide et l’accompagnement des parents dès cette phase l’humour rendent leur intégration sociale très problématique.
initiale sont évidemment essentiels, compte tenu de leur souffrance
En 1979, Asperger [8] a évoqué les limites de son syndrome en le
et des malentendus qui peuvent s’instaurer entre eux et les soignants
comparant à l’autisme de Kanner. L’enfant ayant un syndrome
ainsi que le rappelle Hochmann [84].
d’Asperger est, selon lui, moins gravement atteint, très intelligent,
AUTRES ASPECTS CLINIQUES doué de talents spéciaux ; les premiers symptômes apparaissent
pendant la troisième année de vie ; l’enfant développe une syntaxe
¶ Syndrome d’Asperger
élaborée très tôt.
C’est en 1944, que le psychiatre autrichien Asperger a publié un
article de langue allemande à Berlin sur « Les psychopathes ¶ Psychoses précoces déficitaires
autistiques pendant leur enfance » traduit en français récemment [7].
À partir de quatre cas, il décrit de manière très fine, les troubles de Sous ce terme sont décrites en France, à la suite (Mises [157] et
ces enfants atteints de formes d’autisme d’intensité variable et dont Lang [110] ), des formes où, comme le décrit le glossaire de la
les capacités intellectuelles – différentes pour chacun d’entre eux – CFTMEA, sont intriqués les traits et mécanismes de la psychose et
se situent globalement au-dessus de celles des cas décrits par des troubles graves dans l’organisation des fonctions cognitives et
Kanner ; il y affirme la constance des traits autistiques, met l’accent instrumentales, sans qu’on puisse établir une prééminence d’ordre
par ailleurs sur l’importance des troubles psychomoteurs, étiopathogénique ou clinique de l’un des versants sur l’autre.
notamment au niveau de la gestualité, de la mimique et du regard. Ainsi, dans un tableau dominé par le retard mental et la
Passé d’abord inaperçu, le syndrome d’Asperger apparaît dans la dysharmonie des acquisitions, le diagnostic repose principalement
littérature internationale en 1981 grâce à un article de L Wing [218]. Le sur la mise en valeur d’un noyau psychotique dont les expressions
statut nosologique du syndrome d’Asperger est actuellement varient selon les sujets et selon l’évolution. « Le retrait est moins
discuté. Un certain nombre d’auteurs en ont fait une forme massif que dans le syndrome de Kanner et les difficultés de
spécifique de troubles envahissants du développement, distincte de communication sont d’origine complexe (au repli de fond s’associent
l’autisme, alors que d’autres le considèrent comme une forme les déficits intellectuels, les troubles gnosopraxiques et du langage).
clinique d’autisme à début plus tardif, sans retard de langage ni Les angoisses psychotiques s’extériorisent surtout à l’occasion
retard intellectuel, en le rapprochant notamment de la notion d’accès qui entraînent des phases de repli plus accentué, des
d’autisme de haut niveau de fonctionnement. régressions sévères, des comportements impulsifs notamment
Voici, d’après le travail de C Vernier [211], une présentation résumée autoagressifs. » (CFTMEA [38] ) Au cours de l’évolution, des
de la description d’Asperger. décompensations d’allure dissociative ou des épisodes délirants
Il s’agit d’enfants ayant : polymorphes peuvent survenir, en particulier autour de la puberté.
Il est essentiel d’évaluer cette dimension psychotique d’un tableau
– des troubles de la communication non verbale : contact visuel absent présentant un retard mental car l’attitude thérapeutique doit la
ou de mauvaise qualité ; mimiques ou gestes pauvres ou anormaux prendre en considération au cours de la prise en charge, notamment
qualitativement ; postures inadaptées ; en hôpital de jour.
– des troubles de la communication verbale, malgré un développement
du langage généralement normal, voire précoce : pas de trouble ¶ Dysharmonies psychotiques
phonétique, ni phonologique, ni syntaxique ; mais il existe des
troubles sémantiques : choix des mots singulier, parfois Ces formes sont bien décrites dans la classification française des
spectaculairement original ; parfois des néologismes. La prosodie est troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent, notamment à la suite
volontiers anormale tant dans le volume que dans l’intonation. Il y des travaux de R Mises sur les dysharmonies évolutives de structure
a aussi des anomalies pragmatiques du langage : le langage est psychotique [152], mais elles recouvrent certains tableaux décrits aussi
volontiers digressif, tenant peu compte de l’interlocuteur et du parfois sous les formulations de prépsychose, parapsychose,
contexte ; impression d’un langage pédant, manquant de naturel ; psychose pseudonévrotique, ou bien encore de troubles atypiques
sévères ou schizoïdes.
– des troubles des interactions interpersonnelles : relations
Elles ont une expression manifeste à partir de l’âge de 3 ou 4 ans. La
interpersonnelles (dites sociales) restreintes : l’enfant est isolé au sein
symptomatologie varie d’un cas à l’autre et, pour le même enfant,
de sa famille ou de sa fratrie comme au sein des autres enfants, il ne
elle se modifie au cours de l’évolution. À vrai dire, les motifs de
participe pas à des activités de groupe. Son originalité explique qu’il
consultation sont très divers, polymorphes :
soit volontiers la cible des moqueries des autres enfants. Les troubles
du comportement, l’opposition, voire l’agressivité, l’inattention font – manifestations d’angoisse diverses ;
que ces enfants sont généralement jugés comme ne pouvant pas être
– inhibition sévère ;
intégrés dans un milieu scolaire normal ;
– des troubles psychomoteurs : la gaucherie de la posture est souvent – grande instabilité ;
manifeste ; on note des difficultés dans l’apprentissage des gestes – troubles relationnels importants ;
simples du quotidien ; la maladresse apparaît aussi bien dans la
– dysharmonie dans l’émergence du langage et des fonctions
coordination globale que dans la motricité fine ; les stéréotypies
cognitives ;
motrices et les activités stéréotypées sont fréquentes ;
– échec scolaire ;
– un niveau intellectuel, bien que l’efficience intellectuelle des cas
d’Asperger n’ait pu être évaluée au moyen de tests standardisés, – etc.

9
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

Au-delà de cette symptomatologie variable, les traits et mécanismes interactions avec ses pairs ; limitation importante de la capacité
de la dysharmonie psychotique peuvent être repérés, comme le note d’empathie et de compréhension correcte des affects d’autrui.
le glossaire de la CFTMEA [38] :
– menace de rupture avec le réel, absence ou mauvaise organisation ÉVOLUTION ET PRONOSTIC
du sentiment de soi et des rapports avec la réalité ; Des écarts importants apparaissent dans les résultats observés et
rapportés : certains auteurs ont une opinion très péjorative, d’autres
– tendance au débordement de la pensée par des représentations
font état d’améliorations remarquables. Ces divergences
très crues ;
d’appréciation sont particulièrement nettes en ce qui concerne
– angoisses de types divers : angoisse de néantisation, angoisse l’autisme infantile et les psychoses déficitaires considérées
dépressive et de séparation, parfois attaque de panique ; généralement comme ayant le moins bon pronostic parmi les états
– dominance d’une relation duelle avec incapacité d’accès aux psychotiques précoces.
conflits et aux modes d’identification les plus évolués ; Ainsi Kanner lui-même et après lui de nombreux cliniciens ont
souligné le fâcheux pronostic attaché aux troubles autistiques
– prédominance de positions et d’intérêts très archaïques. lorsqu’à l’âge de 5 ans on note un défaut de langage et un sévère
Cependant, en dépit de ces traits, les capacités d’adaptation et de déficit intellectuel. De même, pour les psychoses déficitaires, sont
contrôle assurent parfois une protection contre des risques de volontiers retenus comme éléments inquiétants l’existence d’une
désorganisation. Cette adaptation repose alors sur la mise en œuvre atteinte encéphalopathique de base avec défauts d’intégration
de modalités défensives contraignantes impliquant des restrictions d’ordre perceptif et moteur et troubles primaires du langage.
notables dans les échanges avec autrui. D’autres cliniciens, à l’inverse, font état de résultats thérapeutiques
Certains aspects symbiotiques d’évolutions psychotiques précoces très positifs, y compris dans la cure d’enfants autistes déjà âgés,
peuvent être rapprochés de ce cadre des dysharmonies privés de langage et intestables au premier bilan – voire même dont
psychotiques ; ils ont été bien décrits par Mahler (1952) qui les les troubles sont nés sur une base encéphalopathique. Parmi eux,
distingue des aspects autistiques ; ils représentent selon elle « une dans l’autisme, Bettelheim [22] fait état (à partir d’un traitement
fixation, une régression à un stade plus différencié de la personna- institutionnel et psychothérapique intensif avec séparation du milieu
lité ». Elle est ainsi amenée à décrire un syndrome symbiotique [134] familial), chez 40 sujets traités, de huit échecs, de 15 résultats
fait, par exemple : moyens permettant une adaptation et de 17 guérisons laissant
subsister seulement de discrètes bizarreries.
– d’une irrégularité du développement, une vulnérabilité frappante
Une telle divergence est liée au fait que les facteurs de cette
du Moi, en voie d’éclosion, à toute frustration minime ;
évolution sont très nombreux et interactifs. On peut en distinguer
– de réactions extrêmes aux échecs mineurs qui adviennent deux grands types :
normalement au cours de la période dite « des expériences » ; par
– les particularités des troubles chez un enfant donné : précocité
exemple, ce sont des enfants qui abandonnent la marche pendant
d’apparition, intensité de la symptomatologie, existence de troubles
des mois parce qu’ils sont tombés une fois ;
associés (retard mental, épilepsie, maladies organiques diverses),
– d’une angoisse massive de séparation et d’annihilation en réponse nature des mécanismes psychopathologiques, particularités de
à des expériences aussi courantes que l’entrée en maternelle, une l’équipement encore mal définies ;
hospitalisation, etc. – les facteurs d’environnement : caractéristiques familiales sur les
Ces troubles deviennent patents soit progressivement à partir de plans psychologique et social, mais aussi ressources communautaires
3 ou 4 ans ou un peu moins, soit soudainement à certains moments (scolarité, loisirs, etc) et moyens de prise en charge spécifique, tant
clés du développement de la personnalité où l’enfant doit se thérapeutiques qu’éducatifs, des troubles.
confronter à une séparation de la mère, souvent à l’occasion d’un De nombreux travaux se sont efforcés de décrire une telle évolution,
événement précis. On peut voir alors, selon M Mahler : mais les populations étudiées ne sont pas toujours superposables.
– une perte des frontières du Self ; Notons en effet que beaucoup d’auteurs envisagent sous la
dénomination d’autisme l’ensemble des troubles envahissants du
– une réaction excessive à tout échec, geste magique et échopraxie ; développement : autisme proprement dit et psychoses précoces.
– des préoccupations psychotiques pour un objet inanimé tel qu’un En se référant notamment à la synthèse récente faite par Aussilloux
ventilateur, un électrophone, un bocal de bébé et même du fil que et Mises [13], il apparaît que la position d’isolement observée le plus
l’on peut enrouler autour du doigt, bref le « fétiche psychotique ». nettement chez l’enfant de 3-4 ans va se modifier et laisser la place à
Le multiplex developmental disorder (MDD) (Cohen et al, Klin et al des signes d’attachement différencié envers les adultes et
[39, 107]
) recouvre aussi sur certains points les aspects décrits en France d’interactions limitées avec des pairs. Ainsi, Wing et Attwood (cités
dans l’expression de dysharmonie psychotique (Tordjman et al [203]). en [13]) décrivent deux positions qui peuvent succéder au retrait
Voici les caractéristiques de ce syndrome : autistique : la position passive, où l’enfant accepte les relations mais
n’en prend pas l’initiative, la position active mais étrange où l’enfant
– expression manifeste vers 3-4 ans ; peut être à l’origine des interactions mais le fait de manière
– troubles complexes et multiples du développement (retrouvés atypique.
dans trois principaux domaines : émotionnel, cognitif et social) ; Sur le plan du langage, l’écholalie tend à diminuer à l’âge dit
scolaire et à laisser la place à un langage plus spontané. Dans
– variabilité émotionnelle avec troubles de la régulation des affects
plusieurs études, environ la moitié des enfants qui ne parlaient pas
et anxiété, à travers des épisodes de désorganisation
dans la période scolaire acquièrent par la suite un langage.
comportementale, une anxiété ou une tension intense et généralisée
avec de fréquentes réactions anxieuses, idiosyncrasiques et bizarres, Les enfants qui n’ont pas de déficience intellectuelle associée
une anxiété fluctuante ou des épisodes répétitifs d’attaque de peuvent acquérir des connaissances scolaires, avec davantage de
panique, enfin des peurs et des phobies ; difficultés dans la compréhension de ce qu’ils lisent et dans le
repérage des relations interpersonnelles.
– des troubles de la pensée : confusion entre la réalité et le monde Ils acquièrent des habitudes, des performances pratiques dans la vie
intérieur, irrationalité, pensée magique, hyperinvestissement du quotidienne et sont mieux adaptés aux attentes d’autrui à leur égard.
sujet dans des personnages imaginaires ; Cependant, ils restent souvent gênés par des comportements
– troubles des comportements dits sociaux et des interactions : avec obsessionnels et par une résistance aux changements.
évitement, détachement et désintérêt relationnel du sujet ou retrait À l’adolescence, l’évolution peut être très différente selon les
malgré une évidente compétence ou encore troubles sévères des individus. Un petit nombre d’entre eux effectue des progrès

10
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

importants. Pour d’autres au contraire, il existe une régression sur On peut remarquer que les études les plus récentes font état, pour
une période prolongée mais qui peut être suivie d’une phase de les cas comparables, d’une meilleure adaptation sociale par rapport
légère amélioration jusqu’à l’âge adulte. Il peut exister à cette à ce qui avait été observé il y a une quinzaine ou une vingtaine
période des éléments dépressifs qui passent souvent inaperçus et d’années auparavant. Ainsi, les connaissances actuelles sur
rendent compte de certaines régressions, sans que celles-ci aient une l’évolution doivent tempérer les excès de pessimisme qui sont
valeur péjorative sur l’évolution au long cours. fréquents quand parents ou professionnels sont confrontés à
À l’âge adulte, les troubles et l’adaptation sociale des sujets sont l’autisme, comme les excès d’optimisme liés en général abusivement
donc variables. à quelques cas de très bonne évolution que l’on peut constater. La
variété des évolutions laisse encore beaucoup d’inconnues. Des
En 1971, Kanner a réalisé une étude du suivi pour les 11 enfants qui
études multicentriques comparatives sont indispensables pour nous
avaient été à l’origine de sa publication princeps [99]. D’emblée est
permettre d’avancer dans le domaine.
démontrée la grande diversité de la qualité des évolutions : alors
que deux adultes ont pu faire des études secondaires, ont un emploi
salarié et même une vie autonome tout en résidant chez leurs
parents, un seul a une activité que l’on pourrait appeler « emploi Aspects psychopathologiques
protégé » et six sont en service hospitalier sans activité structurée,
sans programme de soins spécifique. Il y a eu un décès subit et il a Nous envisageons ici ce qui a trait au sens des symptômes et à la
été impossible d’avoir des nouvelles précises du onzième patient. souffrance psychique qu’ils révèlent. Si l’on veut essayer d’y voir
Sur le plan du langage, sur les neuf personnes suivies, il n’y a pas clair dans les débats actuels, il faut faire une franche distinction entre
de langage verbal chez trois d’entre elles ; il est limité et non utilisé les approches qui visent à mettre en évidence les facteurs
dans son usage social chez quatre autres. étiologiques d’une affection mentale, celles qui visent à décrire les
Mais bien d’autres études ont suivi depuis ce travail initial de mécanismes impliqués dans des dysfonctionnements pathologiques
Kanner. On peut citer [13] celles de Creak en 1963, Bender en 1970, et celles qui visent à comprendre le sens des productions
Rutter en 1970, Goldfard en 1974, Rivière en 1980, et plus récemment pathologiques en se référant à un modèle du fonctionnement mental.
celles de Manzano en 1986 [139] dont les très bons résultats dans Dans ce dernier cas, il ne s’agit pas de remonter du symptôme à son
l’évolution des enfants sont à noter, Gilberg et al en 1987 [62], étiologie, mais de partir du symptôme pour chercher en aval de lui
Fombonne en 1989 [57], Lucas [132] en 1990, Aussilloux et Roques en ce qu’il vise, quel est son sens. Il est clair que ce point de vue n’est
1991 [13]. On peut retenir, sur des critères d’adaptation sociale, que en rien exclusif des autres points de vue. L’important est de situer
5 à 20 % des adultes ont une vie sociale normale ou proche de la chaque point de vue dans son champ de validité.
normale, avec un fonctionnement satisfaisant pour une activité Dans le sens qui vient d’être défini, les modèles psycho-
professionnelle. Quinze à 30 % ont une adaptation moyenne avec pathologiques de l’autisme infantile et de psychoses précoces
une autonomie personnelle et des activités de production dans un appartiennent aux différents courants de la psychanalyse. Il existe
cadre protégé. Quarante à 60 % sont limités dans leur vie sociale, ne des approches psychopathologiques non psychanalytiques, les
peuvent effectuer d’activités et doivent vivre dans un cadre protégé, approches systémiques et phénoménologiques, mais jusqu’à ce jour
avec des degrés différents dans leur limitation d’autonomie elles n’ont guère été appliquées à ce domaine de la pathologie. Les
personnelle. La vie psychique est décrite de manière diverse, allant modèles psychanalytiques dont nous allons parler peuvent se classer
de la normalité pour un pourcentage de 2 à 5 %, à des troubles de la en trois rubriques, selon le point de vue prévalent qu’ils adoptent :
personnalité associés ou non à un retard mental léger et comportant génétique, dynamique, structural.
des aspects obsessionnels et compulsifs, des troubles phobiques ou
une personnalité schizoïde ; il existe surtout aussi des aspects
déficitaires sur le plan intellectuel avec ou non effacement des traits MODÈLES GÉNÉTIQUES
autistiques. Enfin, la réalité d’évolution vers un tableau proche de la Du point de vue génétique, l’autisme et les psychoses précoces
schizophrénie, pour un faible pourcentage de cas, est discutée par correspondent à des stades du développement psychique. La
de nombreux auteurs. signification d’un état psychotique y est tantôt celle d’une fixation à
Il y a lieu de citer deux travaux récents : un stade du développement qui n’a pu être dépassé, tantôt celle
d’une régression à un stade antérieur.
– l’un de Mises et Perron [158] qui porte sur une population dans
laquelle se retrouvent des facteurs défavorables par l’association ¶ Modèle de Mahler
prédominante de déficience intellectuelle et de difficultés
d’environnement ; M Mahler situe les psychoses infantiles sur un axe qui conduit
l’enfant d’un état d’autisme normal à la séparation-individuation.
– l’autre de Venter, Lord et Schopler [210]
qui s’intéresse
La phase d’autisme normal correspond aux toutes premières
exclusivement au devenir des enfants sans troubles importants du
semaines de l’existence extra-utérine. Pendant cette phase, l’enfant
langage.
ne perçoit pas sa mère comme étant la source de la satisfaction de
Le premier montre de façon claire l’intérêt des prises en charge sur ses besoins. Il est « dans un état de désorientation hallucinatoire
une longue période en utilisant des supports institutionnels primaire » [134] dans lequel la satisfaction de ses besoins relève de sa
diversifiés, en faisant leur place aux structures médicoéducatives. propre sphère autistique toute-puissante. Les investissements de
Par exemple, pour l’ensemble des 41 enfants, 58 % à la fin de l’enfant sont quasi exclusivement orientés vers ses perceptions
l’adolescence parviennent à une insertion professionnelle, en grande intéroceptives. Il n’a pas encore les moyens d’intégrer les stimuli
majorité en milieu protégé ; 11 % souffrent de perturbations extéroceptifs, dont il est normalement protégé. La phase symbiotique
évolutives sévères et sont hospitalisés en psychiatrie pour adultes et du développement débute dans le courant du troisième mois,
l’aspect déficitaire des 31 % autres les a fait orienter dans des lorsque l’enfant commence à avoir une perception confuse de sa
structures médicosociales pour adultes. mère comme source extérieure de satisfaction, mais à l’intérieur
La seconde étude (Venter et al) souligne le fait que l’âge d’apparition d’une membrane symbiotique qui les réunit tous les deux et qui
d’un langage communicatif avant 5 ans est un bon élément leur délimite un espace commun séparé du monde environnant où
prédicteur pour l’ensemble du pronostic ; que le quotient intellectuel le bébé projette ses mauvais objets. Des rudiments du Moi
(QI) initial est aussi un élément important, de même que l’intensité commencent à s’organiser. Les investissements se déplacent des
des troubles autistiques décrits par les parents dans l’ADI ; les sensations intéroceptives vers le sensorium et l’enfant s’oriente vers
anomalies du langage sont bien corrélées au score d’adaptation la perception du monde extérieur en recourant à ce que Mahler
sociale ultérieure, le domaine des comportements stéréotypés étant, appelle le « schème de la contre-épreuve », c’est-à-dire qu’il oriente
lui, corrélé au degré de réussite dans les apprentissages scolaires. sa perception vers un élément du monde extérieur, puis vers le

11
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

visage de sa mère qui lui sert de référence. La troisième phase, dite – ne pas avoir de relation avec son corps ;
de séparation-individuation, commence vers 9 mois et s’achève vers – ne pas avoir d’orientation.
la fin de la troisième année. Progressivement, grâce à l’intériorisation
de l’objet maternant, l’enfant peut se séparer de sa mère et se Il fait remarquer qu’elles constituent l’essence des angoisses
différencier d’elle. psychotiques. Il existe alors les fonctions maternelles qui visent à
contrecarrer l’émergence de ces angoisses et à permettre
Dans un premier temps, Mahler a établi une correspondance précise
l’organisation du Moi de l’enfant : le holding, façon qu’a la mère de
entre les deux premières phases de développement qu’elle avait
porter physiquement et psychiquement son bébé, qui permet
décrites et les psychoses infantiles : à la phase d’autisme normal
l’intégration du Moi ; le handling, qui correspond à la façon dont la
correspondait par un mécanisme de fixation la psychose autistique,
mère manipule physiquement et psychiquement l’enfant, qui
à la phase symbiotique la psychose symbiotique. Une troisième
favorise la personnalisation, c’est-à-dire le sentiment d’habiter son
possibilité était la régression à partir d’une phase symbiotique
propre corps ; la « présentation de l’objet », qui est la façon dont la
instable à un autisme secondaire. Après 1951, elle a nuancé cette
mère laisse l’enfant trouver l’objet de sa satisfaction et s’en
classification et relativisé les mécanismes de fixation et de régression
accommoder pour lui permettre d’avoir l’illusion d’avoir créé l’objet.
qu’elle avait rendu responsables des évolutions psychotiques. Au
Ce sont donc les défaillances de ces fonctions maternelles que
lieu d’opposer psychose autistique et psychose symbiotique, elle en
Winnicott rend responsables d’éventuelles évolutions psychotiques.
est venue à considérer que les organisations psychotiques de
l’enfance comportaient les deux types de mécanismes, autistique et Par la suite, il a repris cette hypothèse en l’enrichissant de quelques
symbiotique, avec une prédominance de l’un des types sur éléments nouveaux. Dans La schizophrénie infantile en termes d’échec
l’autre [134]. Par ailleurs, elle s’est éloignée de l’hypothèse de purs d’adaptation [222], il introduit le concept de haine inconsciente refoulée
mécanismes de fixation ou de régression. Elle a décrit des de la mère, qui gêne l’adaptation de celle-ci aux besoins profonds
mécanismes actifs qui s’opposent à la reprise du développement et du bébé. Dans La crainte de l’effondrement [223], il introduit deux
qu’elle appelle des « mécanismes de maintien ». Dans les psychoses concepts essentiels :
autistiques, le mécanisme de maintien principal est une conduite – le premier est que la psychose n’est pas à considérer comme un
hallucinatoire négative qui annule la perception de la mère et la effondrement du psychisme, mais comme une organisation
représentation du monde extérieur. L’enfant n’investit pas sa mère défensive liée à ce qu’il appelle une primitive agony et qui a été rendu
comme « référence émotionnelle extérieure » [134]. Cette absence dans la traduction française par « agonie primitive » ; les
d’investissement du personnage maternant ne permet pas le « angoisses primitives » sont les angoisses (cf supra) dues à une
déplacement de ses investissements des sensations intéroceptives défaillance précoce de l’environnement maternel ; la psychose est
vers le sensorium, ce qui entraîne un défaut profond de la donc une organisation défensive, dont le but est d’empêcher le
constitution de son image du corps. Dans les psychoses retour de l’effondrement lié à l’une ou l’autre des agonies
symbiotiques, la représentation de la mère existe, tout au moins en primitives ;
tant qu’objet partiel que Mahler appelle le « principe mater-
nant » [134]. Le mécanisme de maintien essentiel est la fusion entre le – le second concept est que l’effondrement redouté a déjà eu lieu
Self et le bon objet partiel avec « l’illusion délirante d’une frontière mais qu’il n’a pas été éprouvé ; l’espoir thérapeutique est qu’il
commune à deux individus réellement et physiquement dis- puisse être éprouvé dans la cure et reconnu comme ayant déjà eu
tincts » [ 1 3 4 ] . Toute expérience de séparation d’avec l’objet lieu ; cela suppose, de la part du thérapeute, une capacité de recevoir
symbiotique est vécue de manière catastrophique et est l’occasion dans son contre-transfert les messages psychotiques et de les relier
de l’émergence de nombreux troubles. aux agonies primitives qui les sous-tendent.
Les hypothèses de Mahler ont été en partie contredites par les Par ailleurs, Winnicott a décrit en 1958 ce qu’il a appelé la
recherches sur les compétences du nouveau-né, qui s’inscrivent en « dépression psychotique » [219] qui survient lorsque la « mère-
faux contre une période d’autisme normale. En revanche, sa environnement » fait défaut à un stade très primitif du
référence au processus de séparation-individuation reste très utile développement de l’enfant, antérieur à toute possibilité de
pour la compréhension de la pathologie psychotique du jeune symbolisation. L’enfant ressent la perte de sa mère sur un mode très
enfant. concret comme une perte d’une partie de sa propre substance
corporelle. Tustin [205] a, par la suite, développé ce concept
¶ Modèle de Winnicott fondamental.
C’est par rapport au problème de la constitution d’une personnalité
saine et du rôle des soins maternels que Winnicott situe la question ¶ Modèle de Bettelheim
de la psychose chez l’enfant. Il considère que « la santé mentale
s’édifie au cours des stades les plus primitifs, lorsque le nourrisson Bruno Bettelheim a comparé l’autisme infantile à ce qu’il a observé
est exposé petit à petit à la réalité extérieure » [220]. Sa première chez certains détenus des camps de concentration où il a été lui-
conception de la psychose infantile s’articule autour du processus même interné en tant qu’opposant au régime nazi. Ces détenus
d’intégration du Self. Au tout début de son existence, le nourrisson semblaient se résigner à leur mort prochaine et inéluctable, avec le
ne constitue pas à lui seul une unité ; l’unité est constituée par ce sentiment que toute action de leur part ne pouvait qu’aggraver leur
qu’il appelle la « structure individu-environnement » [ 2 2 0 ] . sort au lieu de l’améliorer. Bettelheim a donné le nom de « situation
L’environnement dont il parle est un environnement humain, extrême » aux situations de ce type, caractérisées par le fait que la
essentiellement la mère qui a pour tâche de s’adapter aux besoins victime a le sentiment qu’elle ne peut agir d’une manière favorable
de l’enfant de façon à lui permettre d’avoir l’illusion de créer pour elle-même, mais que toute action de sa part ne peut que lui
l’environnement qui lui convient. Cette illusion n’a qu’un temps, être défavorable. Par ailleurs, il attribue une grande importance à
après viendra le temps de la désillusion, mais ce premier temps est l’activité du bébé dans sa relation à sa mère. Il a été l’un des
nécessaire pour que l’enfant puisse avoir un « sentiment continu premiers auteurs à souligner l’importance de cette part active de
d’exister » et qu’il puisse se constituer un vrai Self. La nécessité l’enfant dans ce qu’il appelle la mutualité entre la mère et lui. Il fait
d’une adaptation trop précoce à l’environnement l’amènerait au l’hypothèse que c’est un échec de cette mutualité qui est la base de
contraire à la constitution d’un faux Self ou, pire, à organiser une l’autisme infantile, l’enfant ayant le sentiment que toute tentative
psychose comme mode de défense contre un environnement active de sa part pour rencontrer sa mère ne peut qu’aboutir à un
persécuteur. En 1962, il introduit l’idée que la « mère-environne- échec et, par là même, à une aggravation de sa situation, car rien
ment » a pour fonction de protéger l’enfant contre des angoisses n’est plus douloureux qu’une tentative de communication qui
inimaginables [221]. Il cite quatre types d’angoisses inimaginables : n’aboutit pas. Confronté à cette situation, il désinvestirait le monde
extérieur et éviterait autant que possible toute action sur lui, mais
– se morceler ; parallèlement son monde intérieur s’appauvrirait faute d’échanges
– ne pas cesser de tomber ; avec le monde extérieur. L’enfant désinvestirait ce monde interne

12
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

appauvri pour limiter la souffrance et la déception qu’il lui procure. duquel s’articule sa pensée, concept qui lui permet d’intégrer, dans
Il se produirait donc un cercle vicieux dans lequel le monde interne un même modèle, les facteurs organogénétiques et les facteurs
de l’enfant ne peut que s’appauvrir, tout en se barricadant contre le psychogénétiques. L’existence d’éventuels facteurs organiques dans
monde extérieur, d’où le titre de son célèbre livre La forteresse vide [22]. la genèse d’une psychose ne peut être écartée, mais elle ne doit pas
Les pratiques thérapeutiques que Bettelheim a déduites de son être comprise dans le sens d’un déterminisme linéaire dans lequel
analyse de l’autisme ont fait l’objet de vives critiques. Son hypothèse les troubles psychotiques seraient la conséquence directe de lésions
l’a conduit à proposer un retrait systématique des enfants autistes neurologiques. La psychose, en effet, est une organisation
de leur milieu familial pour les traiter dans une institution conçue d’ensemble de la personnalité et du fonctionnement mental dont les
comme un lieu indemne de tous les dangers attribués au milieu seuls facteurs organiques ne peuvent être responsables. Il faut plutôt
familial [23], un lieu où les expériences de l’enfant puissent être comprendre leur rôle comme celui de facteurs favorisant des
ressenties comme favorables et où les tentatives de communication remaniements psychopathologiques globaux, à côté des événements
aient les meilleures chances d’aboutir. Cette idéalisation de traumatiques et des dysfonctionnements interactifs. Mises a étendu
l’institution opposée à un milieu familial jugé pathogène a été à ce concept de dysharmonie évolutive au-delà de la pathologie
l’origine de violentes réactions des parents et de certains thérapeutes psychotique, si bien qu’il a été amené à spécifier une dysharmonie
qui ont rejeté en bloc, non seulement les apports indiscutables de B évolutive à versant psychotique [152]. Elle se caractérise par un échec
Bettelheim dans la compréhension de la pathologie autistique, mais des mécanismes de défense du Moi à colmater l’angoisse, une
encore tous les apports psychanalytiques. S’il est clair que précarité de l’équilibre entre processus primaires et processus
Bettelheim est tombé dans le piège d’une idéalisation de l’institution, secondaires, une non-intégration des fantasmes prégénitaux dans un
il est juste de dire qu’il n’a pas décrit les parents comme
fonctionnement œdipien génital. Son évolution peut se faire vers une
objectivement pathogènes pour l’enfant, mais qu’il a attribué à la
forme franche de psychose infantile, mais elle peut aussi se faire
subjectivité de l’enfant l’expérience de la situation extrême
vers un colmatage grâce à des mécanismes obsessionnels serrés
pathogène. Autrement dit, c’est dans la réalité psychique de l’enfant
réussissant à contrôler les fantasmes primaires et les angoisses
et non dans la réalité extérieure qu’il faut resituer les hypothèses
qu’il propose. archaïques. Toutefois, Mises conçoit la dysharmonie évolutive à
versant psychotique comme une structure de personnalité
autonome.
¶ Autres modèles génétiques
Lang décrit les psychoses franches comme liées à des conflits
En France, plusieurs psychiatres d’orientation psychanalytique ont archaïques non élaborés, correspondant à des phases prégénitales
proposé des modèles de la psychose infantile qui se réfèrent, de de l’évolution libidinale et à des mécanismes de défense primitifs,
manière préférentielle mais non exclusive, au point de vue repli narcissique, clivage du Moi et de l’Objet, défenses maniaques,
génétique. À côté du point de vue génétique, ces auteurs font une etc. À côté des formes franches de psychose infantile, il s’est
place aux autres points de vue métapsychologiques et font aussi une intéressé aux formes frontières, auxquelles il a donné le nom de
place à d’éventuels facteurs biologiques dans la genèse de l’autisme parapsychoses, de préférence à celui de prépsychoses [110], pour en
et des psychoses infantiles précoces. Une bonne mise au point sur
souligner la parenté avec les psychoses franches avec lesquelles elles
ces travaux est représentée par le livre que Ledoux a consacré aux
partagent des similitudes et leur autonomie, les parapsychoses étant
Conceptions psychanalytiques de la psychose infantile [121]. Nous ne
à concevoir comme des structures de personnalité en soi, pas
pouvons ici que les résumer.
nécessairement préalables à une évolution psychotique franche.
Ainsi, la psychose infantile est décrite par Lebovici et Diatkine, qui
ont publié certains travaux en commun [114], à la fois en référence à C’est un défaut d’identification primaire à la mère au cours d’une
l’évolution libidinale et notamment aux repères proposés par Spitz, période symbiotique normale du développement qui, selon
et au développement de la relation d’objet. Elle est, pour eux, une Widlöcher, serait responsable du noyau pathologique que l’on
tentative d’adaptation à la persistance de modes archaïques rencontre à la fois dans les psychoses franches de l’enfant comme
d’investissements libidinaux et de relation objectale, qui n’ont pu de l’adulte et dans des structures frontières. Ce défaut dans
évoluer et s’intégrer dans un fonctionnement mental plus généralisé, l’organisation du Moi entraînerait un manque de « sens du réel »,
faute des transactions adéquates avec les objets externes. Les une non-familiarité avec la réalité conçue, non comme opposée au
mécanismes de défense du Moi sont impuissants à endiguer un monde du fantasme, mais comme le lieu de réalisation des désirs,
fonctionnement en processus primaires. Les capacités de moyennant la médiation du Moi. Or, la mère de la phase
symbolisation restent insuffisantes pour transformer les fantasmes symbiotique normale remplit à ce stade, selon lui, ce rôle de
primitifs qui restent d’une grande crudité et sont projetés dans la médiation permettant la réalisation des désirs. L’identification à cette
réalité extérieure. L’angoisse sous-jacente est une angoisse de imago maternelle permettrait le maintien du sentiment
néantisation ou de morcellement. d’omnipotence infantile, fondement du sentiment de familiarité avec
Tout en reconnaissant la prééminence des conflits prégénitaux, la réalité [216]. Faute de cette identification, le psychotique manquerait
Lebovici admet que l’évolution de la relation d’objet amène de ce sentiment de familiarité et serait contraint à un clivage du Moi
inévitablement une forme de triangulation pseudo-œdipienne à qui ne serait plus isomorphe au réel. Le monde du fantasme ne
laquelle il a donné le nom d’œdipification [116]. pourrait plus rencontrer le réel et préparer cette rencontre, mais il
Diatkine s’est particulièrement intéressé à des états fonctionnerait parallèlement à lui. Widlöcher reconnaît un noyau
psychopathologiques frontières de la psychose auxquels il a donné, commun à plusieurs structures psychopathologiques, depuis les
de même que d’autres auteurs, le nom de prépsychose [49], tableau psychoses franches jusqu’à des formes de transition ou des formes
syndromique plus nuancé que celui des psychoses avec un moindre inachevées ; il est caractérisé par :
envahissement du fonctionnement mental par les mécanismes – une appréhension altérée du monde extérieur ;
psychotiques et une moins grande prévalence des fantasmes
archaïques. Il décrit la prépsychose d’un point de vue à la fois – l’expression immédiate et sans défense d’un registre
génétique et économique, c’est-à-dire comme une forme frontière qui fantasmatique ;
peut évoluer vers une décompensation psychotique à l’occasion – l’archaïsme des formes d’organisation de la vie pulsionnelle ;
d’une hémorragie libidinale due à une perte d’objet.
– la prédominance d’une angoisse de morcellement et de
R Mises s’est surtout attaché à différencier les différentes formes de
psychose infantile et à les classer dans un ensemble nosographique destruction.
cohérent. Ses repères classificatoires sont fondés sur une approche Mais il reconnaît une autonomie aux formes frontières qu’il appelle
psychanalytique. C’est le concept de dysharmonie évolutive autour prépsychose [217].

13
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

MODÈLES DYNAMIQUES comme ayant un intérieur. Seules ses qualités de surface, qualités
Le point de vue dynamique fait appel à la notion de force psychique sensorielles, sont investies. L’identification adhésive résulte de la
et à l’hypothèse de conflits entre forces psychiques. Pour construire bidimensionnalité. Le Self s’identifie à l’objet tout en surface et, pas
un modèle dynamique, il est nécessaire de se référer au transfert et plus que l’objet, il ne possède d’espace interne. L’identification
au contre-transfert, tels qu’ils se déploient dans une cure, car c’est adhésive empêche le mécanisme de communication primitif, décrit
dans la dynamique transféro-contre-transférentielle que s’expriment par Bion, fondé sur l’identification projective : l’enfant projette dans
les forces psychiques et les conflits qui les opposent. S Freud n’avait sa mère une partie de lui qui contient sa détresse infantile ; la mère
pas reconnu l’existence d’un transfert chez les patients psychotiques. a pour fonction de désintoxiquer cette partie projetée et de la
C’est Abraham qui, le premier, en a admis l’existence et a tenté des renvoyer à l’enfant sous une forme assimilable psychiquement. Cette
cures de patients psychotiques. communication n’est pas possible tant que le Self est en
identification adhésive avec l’objet ; il n’y a pas d’espace interne à
Mélanie Klein, élève de Abraham, a considérablement approfondi
l’objet dans lequel la projection pourrait se faire. L’enfant autiste ne
l’exploration des niveaux psychotiques de la psyché. Dès 1930 [102],
peut développer ni sa communication ni sa pensée.
elle assignait à la psychanalyse la tâche de traiter les psychoses
infantiles. Par ailleurs, elle a reconnu l’existence de modes de Le second modèle proposé par Meltzer est issu de sa théorie du
fonctionnement mental dans la petite enfance qu’elle a rapprochés conflit esthétique [150]. Cette théorie lui a été suggérée par des
de fonctionnements psychotiques. Elle leur a donné le nom de hypothèses de Bion qui pensait qu’en fin de grossesse la matrice
« position » pour éviter de les localiser de manière exclusive à une utérine devenait pour le fœtus un lieu d’inconfort dont il était pressé
période d’âge donnée. Elle a décrit deux positions : de se libérer, tout se passant comme s’il avait une pulsion à naître.
Meltzer suppose, en outre, que le fœtus a hâte d’exercer ses sens qui
– la position schizoparanoïde [100] qui correspond au mode de sont parvenus à maturité et qui ne reçoivent, à l’intérieur de l’utérus,
fonctionnement des 4 premiers mois de l’existence ; elle est que des stimuli tamisés. La naissance serait donc vécue comme une
caractérisée par le clivage du Moi et de l’objet en bons et mauvais libération et comme un émerveillement dû à l’abondance de
aspects, par la projection à l’extérieur des mauvais aspects du Moi stimulations sensorielles qui assaillent le bébé. Meltzer suppose que
et l’idéalisation des bons aspects de l’objet auxquels le Moi l’impact de ces stimulations est ressenti sur le mode d’un sentiment
s’identifie ; c’est le mode de fonctionnement que l’on retrouve dans esthétique intense. Le premier objet investi par l’enfant est sa mère
les psychoses schizophréniques avec des angoisses de persécution et plus spécifiquement le sein maternel. Meltzer l’a nommé objet
par les mauvais aspects de l’objet et de fragmentation du Moi ; esthétique, car il est la source de cette expérience esthétique
– la position dépressive [103, 104] qui débute quand l’enfant prend primordiale.
conscience qu’il n’a pas affaire à deux objets maternels, l’un bon, Mais il est aussi la source d’une angoisse due au fait qu’il y a un
l’autre mauvais, mais à un seul et même objet ; l’angoisse se contraste total entre la connaissance surabondante qu’a l’enfant de
transforme alors, elle devient celle d’endommager, voire de détruire ses qualités de surface et la méconnaissance complète qui est la
l’objet aimé par des attaques destructrices ; elle peut donner issue à sienne de ses qualités intérieures. C’est ce gradient d’inconnu que
trois types de mécanismes de défense : des défenses maniaques Meltzer a appelé conflit esthétique. L’angoisse qui en résulte serait à
marquées par le déni de la valeur de l’objet et le renversement de la l’origine du désir de connaître, afin d’explorer les qualités intérieures
culpabilité en sentiment de triomphe sur l’objet ; des défenses de l’objet. Meltzer suppose que parfois l’impact de l’objet esthétique
obsessionnelles, caractérisées par un contrôle des aspects dangereux est tel qu’il pousse l’enfant à se retrancher dans l’une ou l’autre des
du Moi et de l’objet ; la formation du symbole, qui conduit à la quatre psychoses suivantes :
réparation de l’objet dans le monde intrapsychique. La position – l’autisme proprement dit, dans lequel les mécanismes de défense
dépressive correspond au mode de fonctionnement mental que l’on autistiques se mettent en place très tôt pour lutter contre la
rencontre dans les psychoses dysthymiques. souffrance due au conflit esthétique. Peut lui succéder un état
Malgré ces apports, Klein n’a pas proposé de modèle théorique des postautistique, dans lequel s’établit une relation d’objet
psychoses infantiles. C’est à certains de ses élèves qu’il allait revenir tridimensionnelle ; des processus d’intériorisation prennent place
de le faire, notamment Meltzer et Tustin. mais les objets internes qui en résultent sont cloisonnés entre eux,
de sorte qu’ils ne peuvent communiquer les uns avec les autres car
¶ Modèles de Meltzer leur rencontre serait ressentie comme une menace de destruction
catastrophique ; cette absence de communication entre les objets
D Meltzer a successivement proposé deux modèles, le premier ne internes empêche toute pensée créatrice ;
concerne que l’autisme infantile, le second s’étend aux autres formes
de psychose infantile. – l’échec de l’ajustement postnatal qui est lié à l’état de souffrance
organique rendant le bébé insensible à la beauté du monde et le
Dans un livre paru en 1975 [149], Meltzer et al ont proposé un modèle
poussant à s’isoler dans les sensations que lui procurent ses états
de l’autisme infantile articulé autour des trois concepts suivants :
physiologiques et ses propres sécrétions ;
– le démantèlement du Moi ; – l’échec primaire du développement mental lié à l’incapacité de
– la bidimensionnalité de la relation d’objet ; l’objet maternel à jouer un rôle de contenant pour les projections de
l’enfant, ce qui conduit ce dernier à se retirer dans un monde
– l’identification adhésive. bimensionnel ;
Le démantèlement du Moi est un clivage du Moi qui suit les plans
– la psychose géographique confusionnelle, caractérisée par une
d’articulation des différentes modalités sensorielles, si bien que
intrusion fantasmatique de l’enfant dans un des espaces internes de
l’autiste ne concentre jamais ses sens sur un même objet. Soit il
la mère, espace de la tête et des seins, espace vaginal, espace anal,
oriente tous ses investissements sur une même modalité sensorielle,
avec dans certains cas passage alternatif d’un des espaces à un autre.
soit chacun de ses sens investit un objet différent, son regard saisit
Ce dernier type de psychose correspond aux psychoses infantiles
un stimulus venant d’une source, son ouïe capte un stimulus venant
non autistiques et non déficitaires.
d’une autre source, ses doigts palpent un objet indépendant des
deux premières sources, etc. Rien ne vient faire la synthèse des
¶ Modèle de Tustin
différents stimuli qu’il reçoit, il n’y a pas de « sens commun ». Le
monde ainsi perçu est sans relief, sans perspective, sans volume, il F Tustin a personnellement traité par la psychanalyse une dizaine
se réduit à une juxtaposition de sensations. La bidimensionnalité de la d’enfants autistiques et psychotiques et elle a supervisé un grand
relation d’objet est le mode de relation à l’objet libidinal qui s’établit nombre de cures faites par d’autres thérapeutes. Cette expérience
dans ce monde sans profondeur. C’est une relation de surface à lui a permis des découvertes essentielles qui ont considérablement
surface, de collage avec un objet qui n’est pas ressenti renouvelé la compréhension psychopathologique de ces états

14
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

morbides. Elle a exposé ses découvertes dans une série de livres ¶ Autres modèles dynamiques
dont la publication s’étend de 1972 à 1990 [205 à 208]. Elle a mis en
évidence un fantasme de discontinuité que l’enfant autiste ressent Plusieurs psychanalystes français ont apporté des compléments
d’une manière très corporelle comme un arrachement d’une partie intéressants aux découvertes de Meltzer et de Tustin.
de sa propre substance. Tout se passe comme si le bébé avait besoin Haag s’est intéressée aux anomalies de l’image du corps chez les
de l’illusion d’une continuité entre son corps et son objet de enfants psychotiques [70]. Elle a montré que les toutes premières
satisfaction pulsionnelle, tant qu’il n’a pas acquis des possibilités identifications s’inscrivaient dans le corps et dans son
suffisantes d’intériorisation et de symbolisation. L’enfant autiste a le fonctionnement et elle a baptisé identifications intracorporelles [71]
fantasme d’une rupture catastrophique de cette continuité, rupture ces identifications archaïques. Elles sont la traduction dans le corps
qui prend la forme d’un fantasme de discontinuité bouche-langue- des premiers liens libidinaux établis par l’enfant. Elle a montré, par
mamelon-sein et qui conduit au fantasme d’un sein au mamelon exemple, que le lien entre le bébé et sa mère donnait lieu à une
cassé et d’un arrachement à l’emporte-pièce du mamelon, partition de l’image du corps en deux moitiés droite et gauche [68],
arrachement qui laisse un trou noir habité d’objets persécuteurs. l’une représentant la partie-bébé et l’autre la partie-maman du Self.
C’est le petit John, dont elle a rapporté la cure dans son premier Normalement, ces deux moitiés sont ressenties comme solidement
livre [205], qui l’a mise sur la voie de cette découverte en lui parlant liées l’une à l’autre par des liens de nature paternelle. Les autistes
d’un « trou noir avec un méchant piquant » localisé dans sa bouche. sont clivés en ces deux moitiés verticales qui n’ont plus de liens
Tustin a rapproché ce fantasme autistique de la dépression entre elles et ils vivent des angoisses de cassure. D’autres
psychotique décrite par Winnicott en 1958 (cf supra). Tout se passe identifications intracorporelles s’inscrivent dans les jonctions
comme si un défaut massif de communication avec la mère à un âge articulaires et peuvent rendre compte d’anomalies de la gestuelle
antérieur aux possibilités d’intériorisation et de symbolisation avait d’enfants psychotiques, en particulier de certaines rigidités motrices,
provoqué cette expérience catastrophique de discontinuité et de retard du développement psychomoteur et d’attaques
d’arrachement. Il ne s’agit pas, comme on l’a souvent interprété, autoagressives contre les plis articulaires [73]. Elles sont liées aux
d’une expérience de séparation d’avec la mère qui serait vécue sur communications primitives fondées sur des mécanismes de
un mode traumatique. Il s’agit de la prise de conscience prématurée projection et de retour du projeté, qui est de nature essentiellement
de la séparation entre Soi et objet, ou comme Houzel a proposé de émotionnelle. Le pli représente cet aller et retour émotionnel que
l’appeler, de séparabilité de l’objet [89]. Tustin a parlé de naissance l’enfant autiste ne peut tolérer [73]. D’autres encore ont trait à ce que
psychique prématurée pour décrire cette prise de conscience Grotstein a appelé d’abord « objet d’identification d’arrière-
prématurée de la séparation corporelle d’avec la mère. Pour se plan » [66], puis « présence d’arrière-plan ». Il désigne par là
protéger de la souffrance due au trou noir, l’autiste construit ce que l’appui narcissique sur un objet d’étayage qui est représenté dans
Tustin a appelé un délire autistique, délire de fusion avec les fantasmes par un appui dorsal. Haag a montré le lien entre cette
l’environnement qui annule toute séparation, tout écart, toute présence d’arrière-plan et le contact par le regard [73], tout se passant
différence, toute altérité. Il se sert, pour entretenir ce délire, de comme si l’enfant allait coller les parties de lui qu’il projette au fond
fusions d’objets autistiques, objets concrets qu’il ne manipule ni pour de la tête de son interlocuteur, fond qui en vient à représenter la
leur usage, ni pour leur valeur symbolique, mais seulement pour les présence d’arrière-plan servant d’appui narcissique au Self naissant.
sensations de surface qu’ils lui procurent et qui lui donnent l’illusion Ce contact par le regard est le véhicule d’une expérience de
d’une continuité entre son corps et l’environnement représenté par rencontre relationnelle avec l’objet qui réduit au minimum l’écart
l’objet autistique : « Les objets autistiques », dit Tustin, « sont : entre le Self et l’objet et permet ainsi de faire l’expérience d’une
– des parties du corps de l’enfant ; membrane commune à partir de laquelle l’enveloppe psychique
individuelle va pouvoir se former. L’objet ou la présence d’arrière-
– des parties du monde extérieur, vécues par l’enfant comme plan est le lieu où s’origine ce processus. L’enfant autiste manque
appartenant à son corps » [205]. cette expérience fondatrice et ne peut constituer ni présence
Grâce à ses propres sécrétions (larmes, salive, urine, fèces) et aux d’arrière-plan, ni enveloppe psychique.
objets autistiques, l’enfant crée ce que Tustin a appelé des formes
Le processus de constitution de l’enveloppe psychique et son échec
autistiques, qui sont des sensations cutanées ou muqueuses aux
chez l’enfant autiste sont un autre aspect des recherches de Haag.
contours flous, instables, que l’autiste se procure à lui-même pour
Elle suppose, comme il vient d’être dit, que c’est à partir de
servir d’onguent afin d’atténuer sa souffrance et de se créer une
l’expérience d’une membrane commune avec l’objet, dans la
protection contre le monde extérieur. Mais ces formes autistiques,
constitution de laquelle elle situe des composantes adhésives
du fait même de leur aspect flou et de leur instabilité, ne peuvent
normales, que, par un processus de séparation en deux feuillets, se
être partagées avec autrui, ni être identifiées à des objets du monde
constitue l’enveloppe psychique individuelle de l’enfant [72].
extérieur. Elles n’aboutissent pas à la formation de percepts qui sont
eux-mêmes nécessaires à la constitution des concepts. L’enfant Houzel a proposé une interprétation de la bidimensionnalité et de
normal utilise son autosensualité pour créer des formes partageables l’identification adhésive qui fait appel au concept topologique
et correspondant à des formes du monde extérieur. L’enfant utilise, d’orientabilité [87]. Une surface est orientable lorsqu’un déplacement
pour se protéger du monde extérieur, pour se construire, une quelconque d’un repère (c’est-à-dire d’axes de coordonnées) ne
coquille qui l’en isole. Tustin parle d’autosensualité perverse. modifie pas l’orientation des axes du repère les uns par rapport aux
Les mécanismes qui viennent d’être décrits sont spécifiques d’une autres. Dans le cas contraire, on dit qu’elle est non orientable. La
forme de psychose infantile que Tustin appelle « autisme à cara- plus connue des surfaces non orientables est le ruban de Moebius,
pace ». Elle en distingue deux formes : obtenu en recourbant sur elle-même une bande rectangulaire et en
collant l’un à l’autre les deux petits côtés du rectangle après cette
– une forme primaire, dite « crustacée », qui englobe la totalité de la torsion. On ne peut plus alors distinguer une face externe et une
personnalité de l’enfant et qui correspond à l’autisme de Kanner ; face interne, un bord supérieur et un bord inférieur, puisque l’on
– une forme secondaire, dite « à segments », forme partielle passe sans discontinuité et sans angulation de l’un à l’autre. C’est ce
englobant seulement des segments de la personnalité. qui semble se passer dans le monde de l’autiste. La référence à la
À côté de l’autisme à « carapace », elle a décrit ce qu’elle a appelé notion d’orientabilité a l’avantage de mieux faire comprendre
l’autisme confusionnel, qui correspond aux formes de psychoses comment l’enfant autiste peut, grâce à l’aide thérapeutique, passer
infantiles généralement décrites comme non autistiques et qu’elle d’un monde en apparence bidimensionnel à un monde
rapproche des schizophrénies infantiles. Leur mécanisme de défense tridimensionnel. Il est possible d’envisager que c’est par détorsion
principal est un enchevêtrement entre Moi et non-Moi. Elle en décrit d’un monde qui s’était recourbé sur lui-même et qui, de ce fait,
également une forme primaire, globale, qu’elle appelle « type n’était plus orientable, l’interprétation venant en quelque sorte jouer
engouffrement » et une forme secondaire qu’elle appelle « type le rôle des ciseaux qui découpent un ruban de Moebius là où les
fragmenté ». deux petits côtés du rectangle d’origine avaient été collés et qui

15
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

redonnent alors à la surface son orientabilité. Houzel attribue combler son manque, l’enfant est le phallus de la mère. À la place
essentiellement à l’objet paternel cette fonction d’orientabilité. du signifiant paternel forclos il n’y a rien, un trou, une béance que
D’autre part, il a proposé une interprétation dynamique du conflit rien ne peut réparer.
esthétique [88] décrit par Meltzer. Il fait l’hypothèse que toute relation Aulagnier et Mannoni ont appliqué ce modèle lacanien à la psychose
d’objet suppose un gradient d’énergie psychique entre le Self et de l’enfant en considérant qu’elle était inscrite dans l’inconscient
l’objet. Le gradient d’énergie qui se crée entre l’enfant et sa mère du maternel. L’enfant est exclu de toute relation triangulaire et, de ce
fait de la césure de la naissance serait ressenti en première intention fait, n’est pas reconnu comme sujet désirant.
comme un précipice infranchissable et en même temps attirant Aulagnier [9] admet que, dès avant sa naissance, l’enfant est inscrit
jusqu’au vertige. Il en résulterait ce que Houzel appelle des dans un mythe familial qui va structurer sa psyché. L’enfant
angoisses de précipitation contre lesquelles l’enfant autiste serait psychotique est pris dans le fantasme de sa mère qui l’investit
amené à lutter. C’est la communication avec l’objet qui rend comme un complément d’elle-même, au niveau du fonctionnel et
franchissable ce gradient en créant des paliers de stabilité qui peu à non au niveau du désir. Elle distingue le corps imaginé de l’enfant,
peu façonnent le précipice de départ en un paysage aux inflexions investi par la mère comme complet, unifié, autonome, et le corps
multiples et complexes où il est intéressant et agréable de cheminer. phantasmé, image de son corps tel qu’il est vu par l’Autre, castré,
Dans cette hypothèse, ce n’est pas tant l’objet que la rencontre avec incapable de soutenir un désir. Elle reconnaît au stade du miroir
l’objet qui serait la source d’un sentiment d’esthétique et l’angoisse une valeur structurante, l’ego spéculaire investi par la libido
ne serait pas seulement liée à l’inconnu portant sur l’intérieur de maternelle se transformant en Moi-idéal. C’est justement l’appui
l’objet, mais à sa puissance d’attraction et de séduction non encore libidinal qui manque au psychotique.
amortie par des communications rassurantes. Mannoni [137, 138] situe elle aussi dans l’inconscient maternel le source
L’hypothèse d’une position autistique proposée par Marcelli [140] de la psychose de l’enfant, mais en attribuant à celui-ci une place de
suppose que cette position peut être mise au service d’une stratégie mort qui l’exclut de la structure triangulaire et de la place d’un sujet
d’ensemble du développement psychique ou devenir un enjeu en désirant.
soi et alors engager le sujet sur une voie pathologique. La position
autistique normale permettrait au bébé d’écarter les stimuli trop Jouissance
violents qu’il ne serait pas en mesure d’intégrer dans son psychisme,
à partir de sa capacité à détourner son attention et à éviter des Plusieurs analystes lacaniens ont appliqué à la psychose infantile le
afférences inadéquates en vue de privilégier des objets proximaux concept de la jouissance introduit par Lacan. C’est le cas notamment
investis comme des objets partiels distinguables de l’environnement, de Laurent [113]. Selon Lacan, le mouvement libidinal qui pousse un
qu’il rassemblerait dans un second temps dans une enveloppe être humain vers un objet se fait au prix d’une soustraction préalable
commune. Dans la position autistique pathologique, l’identification qui doit être symbolisée par le sujet. Le signifiant phallique est
adhésive ne peut être dépassée, ce qui se traduit par une absence de l’opérateur de cette soustraction, soustraction de jouissance opérée
pointage des objets concrets et par l’usage de la main de l’adulte par la castration symbolique qui fonde la libido comme vecteur du
comme instrument, ceci en référence à la théorisation de Vigotski sujet vers l’objet. Selon Laurent, c’est cette soustraction de jouissance
sur le pointing. Vigotski, en effet, a décrit [213] le pointing comme un qui ne s’opérerait pas chez l’enfant autiste, tout son corps serait alors
précurseur intermental (c’est-à-dire dans la relation entre l’enfant et transformé en objet de jouissance.
son entourage) de ce qui deviendra le symbole intramental.
Topologie du sujet
R et R Lefort [122, 123] se sont appuyés sur ce que Lacan a décrit comme
POINT DE VUE STRUCTURAL
une topologie du sujet en se référant à des concepts de topologie,
Il s’agit du point de vue développé par Jacques Lacan et ses élèves. notamment celui de non-orientabilité déjà évoqué plus haut. Selon
Lacan s’est inspiré du structuralisme linguistique et du ces auteurs, il y aurait chez l’enfant autiste des discontinuités
structuralisme anthropologique. Le concept central du topologiques sous forme de trous venant interrompre la continuité
structuralisme est que l’on ne peut comprendre les phénomènes que du sujet et de l’objet. Normalement, la séparation d’avec l’objet est
l’on étudie qu’en les considérant comme les éléments d’une structure symbolisée par le jeu de la métaphore paternelle et du langage afin
dans laquelle chaque élément dépend de tous les autres et que l’enfant puisse passer du registre de la satisfaction à celui du
réciproquement. Il est à noter que dans la pensée de Lacan ce qui, désir. Chez l’enfant autiste, ce passage ne se fait pas, la perte de
ailleurs, était méthode d’analyse des phénomènes, devient loi qui l’objet ne peut pour lui que s’inscrire dans le Réel sous forme de
les régit. La structure, pour lui, n’est pas seulement ce que nous trous. L’Autre ne fonctionne pas comme lieu d’une inscription
pouvons comprendre des phénomènes psychiques, mais ce qui les signifiante, il se réduit à une absence.
fonde. Le psychisme d’un individu est régi par telle ou telle
structure sans possibilité de passage de l’une à l’autre. Les points de
vue génétique et dynamique sont, sinon méconnus, tout au moins Recherches cognitives
extérieurs à ses préoccupations théoriques. Lacan lui-même n’a pas
proposé de modèle de l’autisme et des psychoses de l’enfant. Ce Un très grand nombre de recherches ont été menées au cours de ces
sont ses élèves qui ont proposé des modèles en faisant des emprunts 25 dernières années pour tenter d’identifier un ou des déficits
à différents termes de l’œuvre lacanienne : certains modèles se cognitifs à la base du syndrome autistique.
réfèrent essentiellement au concept de forclusion, d’autres au
concept de jouissance, d’autres enfin à la topologie du sujet qu’a
développée Lacan à la fin de son œuvre. DÉFICIT DES CAPACITÉS DE SYMBOLISATION
ET DE REPRÉSENTATION
Forclusion Contrairement à des hypothèses initialement émises, on n’a pas
Dans la conception lacanienne, le problème de la psychose s’articule démontré d’anomalies du traitement des informations sensorielles
autour du concept de forclusion, traduction qu’il donne du terme élémentaires chez les sujets autistes (Prior [171]). Il semble, de même,
allemand Verwerfung qu’utilise Freud et que l’on traduit que les performances des enfants autistes sont équivalentes, voire
habituellement par « rejet ». La forclusion est le rejet hors de l’ordre supérieures, à celles d’enfants déficients mentaux indemnes
symbolique d’un signifiant, elle barre l’élément forclos qui n’est d’autisme, dans les tâches de discriminations simples portant, par
inscrit dans aucun réseau de signifiants. Le signifiant forclos dans la exemple, sur la longueur ou la position d’un stimulus.
psychose est le signifiant paternel que Lacan désigne par Hermelin et O’Connor [79] ont étudié les performances mnésiques
l’expression « le nom du père ». L’enfant psychotique est dans une face à différents types de stimuli (liste de mots, séquences de
relation imaginaire à sa mère, qui a besoin de cette relation pour chiffres). Normalement, les résultats sont meilleurs si la séquence à

16
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

mémoriser comporte une structure (par exemple, une liste de mots focalisation commune de l’attention visuelle avec une autre
formant une phrase est mieux retenue que le même nombre de mots personne. Selon Sigman, l’enfant autiste paraît considérer autrui
ne formant aucun ensemble significatif ; de même, une séquence de comme agent d’une action mais ne semble pas réaliser que les autres
chiffres telle que 9991234 est mieux retenue que 9429193). Chez les personnes ont un point de vue, une idée qui puisse être partagée ou
sujets autistes, au contraire, la performance mnésique n’est pas dirigée.
améliorée par la structuration du stimulus. Symétriquement, Shah
et Frith [190] ont montré que les sujets autistes réussissent mieux que
des témoins appariés pour le QI, dans une épreuve consistant à DÉFAUT DE « THÉORIE DE L’ESPRIT »
repérer une forme géométrique incluse dans une forme complexe Baron-Cohen, Frith et Leslie (1985) [18] ont avancé l’hypothèse que
représentant schématiquement un objet. Ces résultats semblent l’essentiel des troubles de l’autisme pourrait s’expliquer par un
indiquer que les autistes négligent la valeur représentative déficit de la capacité à se représenter les états mentaux d’autrui et à
d’ensemble de la figure complexe et ne tiennent compte que des imputer intentions et désirs à un interlocuteur. Cette capacité
unités élémentaires qui la constituent. dénommée « théorie de l’esprit » par Premack et Woodruff, deux
Sigman et Ungerer [191] ont évalué, comparativement à des enfants éthologues, correspond, selon Leslie, à un mécanisme cognitif inné
déficients mentaux, les capacités de symbolisation manifestées par assurant la constitution d’un type particulier de représentations (les
des enfants autistes en situation de jeu. Ces auteurs classent les représentations des états mentaux) se développant normalement
conduites ludiques en quatre catégories : chez l’enfant entre l’âge de 2 et 4 ans. Ce mécanisme intervient
notamment dans le jeu de « faire semblant » dont on a vu qu’il était
– jeux stéréotypiques (agiter ou tripoter un objet) ; le plus souvent absent chez les sujets autistes.
– jeux relationnels (association simultanée de deux objets ou plus Cette hypothèse a été testée à l’aide d’épreuves dans lesquelles une
de manière non fonctionnelle) ; « croyance », différente de ce que perçoit l’enfant examiné, doit être
– jeux fonctionnels (utilisation conventionnelle ou fonctionnelle attribuée à un personnage(1). La majorité des sujets autistes échoue
d’un jouet réaliste) ; dans cette épreuve, alors que des sujets d’âge mental équivalent ont
une réussite significativement meilleure.
– jeux symboliques (utilisation d’un objet pour représenter un autre
objet différent ; acte dans lequel une poupée est l’agent de l’action ; Si ces données expérimentales, reproduites par d’autres équipes,
acte impliquant l’existence d’objets imaginaires). paraissent incontestables, leur signification reste encore discutée. Le
fait qu’environ 20 % d’enfants autistes réussissent les épreuves de
Les différences relevées par ces auteurs entre les deux groupes
« théorie de l’esprit » met en question la valeur étiologique attribuée
d’enfants sont essentiellement quantitatives : le temps passé en
à ce déficit.
manipulations d’objets, en jeux relationnels et en jeux fonctionnels
est à peu près équivalent chez les sujets autistes, alors que chez des D’autres auteurs ont proposé des interprétations alternatives des
enfants déficients mentaux de même âge mental ou chez des enfants résultats expérimentaux : il pourrait s’agir d’un trouble de
normaux, les formes les plus complexes de jeux, (jeux fonctionnels l’utilisation des représentations d’ordre supérieur et non de leur
et jeux symboliques), tendent à prédominer et à remplacer les acquisition (Boucher [24]). Pour Hughes et Russel [91], l’échec des
conduites de jeux de niveau inférieur. Pour Sigman et al [192], le enfants autistes dans les épreuves d’attribution de « fausses
dysfonctionnement cognitif essentiel semble se situer dans croyances » s’expliquerait par leurs difficultés à se détacher de
l’extraction de l’information nécessaire pour ordonner le matériel réponses automatiques induites par le contexte. À partir d’autres
perçu et dans la transformation de cette information en tests, ces auteurs avancent l’hypothèse que la difficulté de
représentations symboliques. l’attribution d’états mentaux à autrui ne serait qu’un aspect de
troubles métacognitifs plus larges.
Ce déficit de jeux symboliques, notamment de jeux de « faire
semblant », normalement présents dès l’âge de 12-15 mois, qui a été Pour Hobson [82] enfin, la « théorie de l’esprit » ne serait pas un
souligné par de nombreux auteurs et est d’ailleurs habituellement mécanisme entièrement inné : il se constituerait au cours du
constaté en situation clinique, semble persister à l’âge adulte, y développement, à travers les échanges émotionnels et affectifs. Son
compris chez des autistes de « haut niveau » (Baron-Cohen et al [18]). déficit n’est, par ailleurs, qu’un effet d’une anomalie plus profonde
et plus précoce de l’intersubjectivité (ou relatedness, terminologie
plus récemment utilisée par cet auteur), comme le note bien
DÉFICIT DES CONDUITES D’IMITATION Guillemot [67] ; cette anomalie s’exprime particulièrement dans les
La plupart des auteurs soulignent le déficit de l’imitation gestuelle, situations d’attention conjointe et plus spécifiquement dans la
surtout spontanée, chez les enfants autistes (Meltzoff et circulation de l’attention et de l’émotion dans la situation
Gopnick [151]). Nadel [159] souligne cependant que la plupart des triangulaire enfant-adulte-objet. Hobson étaie son hypothèse sur des
études portent sur l’imitation différée – qui fait intervenir le travaux expérimentaux chez l’autiste, mettant en évidence un déficit
développement des capacités de représentation. Cet auteur montre de la perception et de l’expression des émotions, ainsi qu’un usage
qu’en situation d’interaction avec d’autres enfants, des de stratégie anormale de perception de la mimique [83] . Ces
comportements d’imitation immédiate s’observent chez certains expériences de reconnaissance des émotions sur les visages ont
autistes et constituent alors un support d’interactions avec le montré que, contrairement aux sujets témoins, les sujets autistes
partenaire. obtenaient les mêmes scores, que les visages leur soient présentés
dans le sens habituel ou dans le sens inverse.

DÉFICIT DES CONDUITES D’ATTENTION CONJOINTE


Le pointage « protodéclaratif », qui apparaît généralement entre 9 et (1)
L’expérience Sally-Anne est la plus connue [60]. Elle consiste à mettre en scène deux
12 mois, fait défaut chez les enfants autistes. Ce déficit des conduites poupées, Sally et Anne, de la façon suivante : Sally a un panier et Anne a une boîte ; Sally a une
visant à partager et à diriger l’attention d’autrui a été étudié bille, qu’elle met dans son panier. Ensuite, Sally sort. En son absence, Anne prend la bille de
systématiquement par plusieurs auteurs (Sigman et al [191] ; Wetherby Sally et la place dans la boîte. À présent, Sally revient et veut jouer avec sa bille. C’est à ce
et Prutting [215] ; Baron-Cohen [16]). moment qu’est posée la question cruciale à l’enfant : « Où est-ce que Sally ira chercher sa
Comparativement à des sujets normaux et déficients mentaux, les bille ? » La réponse est, bien entendu, « dans le panier » puisque Sally a mis la bille dans le
résultats montrent un déficit significatif de tous les comportements panier et qu’elle n’a pas vu Anne la changer de place. Elle croit donc que la bille se trouve
d’attention conjointe chez les enfants autistes. Les jeunes autistes toujours là où elle l’a laissée ; par conséquent, elle ira la chercher dans le panier, même si la bille
paraissent capables de comprendre des demandes en relation avec ne s’y trouve plus. La plupart des enfants non autistes fournissent la bonne réponse, alors
un objet, mais il répondent moins souvent que des enfants déficients qu’en revanche, à l’exception de quelques-uns, les enfants autistes se trompent : ils indiquent la
mentaux lorsque l’objectif de l’acte de référence est d’aboutir à une boîte.

17
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

L’une des critiques formulées à l’encontre de la notion de déficit de Mazet et Duché [54] sont amenés à discuter la part respective des
« théorie de l’esprit » comme facteur explicatif de l’autisme est le facteurs organiques possibles (éventuellement transitoires) et celle
fait que cette capacité ne se manifeste qu’assez tardivement vers des aspects relationnels, tout cela dans une interaction et une
l’âge de 3-4 ans. On vient de voir la réponse d’Hobson. Face à cette intrication complexes interdisant des points de vue trop exclusifs et
objection, Baron-Cohen a proposé le modèle d’un système cognitif réducteurs quant à une étiologie unique.
de « lecture des pensées » (mind-reading system), l’attention conjointe
apparaissant comme un précurseur de la « théorie de l’esprit » ¶ Pathologies périnatales
proprement dite [15] . Ce même auteur a montré que l’absence
d’apparition des comportements d’attention conjointe et du jeu de « Plusieurs publications ont signalé la fréquence des pathologies de la
faire semblant » permettait de dépister l’autisme dès l’âge de 18 grossesse et de la période périnatale (hémorragie du deuxième
mois avec un haut degré de sensibilité et de spécificité trimestre, toxémie, faible poids de naissance, prématurité) dans les
[16, 17]
. antécédents d’enfants autistes (Lotter [129] ; Knobloch et
Pasamanick [108]). Une telle notion est retrouvée dans l’anamnèse
Parmi les autres hypothèses cognitives avancées, celle d’un déficit
d’environ 40 % des patients, qu’ils présentent un syndrome
des fonctions exécutives, opérations mentales permettant le contrôle
autistique ou d’autres formes de troubles psychotiques
et l’exécution d’activités finalisées, rattachées essentiellement au
(Bursztejn [33] ). Il faut signaler, cependant, que deux études
cortex frontal, fait actuellement l’objet de nombreux travaux (Plumet
contrôlées (De Myer [48] et Torrey et al cités en [14, 28]) n’ont pas trouvé
et al [ 1 6 9 ] ). Les sujets autistes produisent de nombreuses
de différence significative entre les sujets autistes et des témoins
persévérations au Wisconsin card sort test ; des déficits ont été
normaux.
constatés dans des tâches impliquant la flexibilité attentionnelle ou
mettant en jeu la mémoire de travail.
¶ Infections congénitales
Quoi qu’il en soit et de manière générale, on peut dire que dans
cette perspective sociocognitive développementale est souligné le Des cas d’autisme infantile, faisant suite à des infections virales au
fait que « mal communiquer, c’est mal comprendre les personnes », cours de la grossesse, ont été rapportés (rubéole : Chess ;
quels que soient les modes d’appréhension psychologique cytomégalovirus : Stubbs, Markowitz). Cependant, le diagnostic
(cognitive, affective, motivationnelle, etc). d’autisme paraît discutable dans ces travaux [14, 28].
Une dernière remarque concerne le statut des théories cognitivistes.
Une démarche psychopathologique tente de répondre à la question ¶ Maladies métaboliques
du « comment ? » d’un phénomène, ce qui est à différencier L’association de la phénylcétonurie (non traitée) avec l’autisme
clairement d’une démarche étiologique qui se donne comme objectif (Knobloch et Pasamanick [108] ; Lowe et al [131]) ainsi qu’avec d’autres
la question du « pourquoi ? », de la cause ultime de ce phénomène. formes de troubles psychotiques apparaît mieux établie (Hackney et
Les hypothèses « cognitivistes » s’inscrivent de toute évidence dans al ; Friedman ; Rapoport et al cités en [14, 28] ), encore qu’elle
le champ de la psychopathologie. Pourtant, elles sont souvent n’apparaisse pas très fréquente, compte tenu du dépistage
accompagnées de postulats implicites ou explicites concernant le systématique dont cette affection fait l’objet.
caractère inné et organique de tel ou tel déficit cognitif qui serait, in
fine, la cause de l’autisme. S’il est indispensable de prendre en
¶ Affections chromosomiques
considération les données neurobiochimiques et génétiques (cf
infra), ceci n’implique nullement qu’il faille confondre les plans de Des observations anecdotiques ont rapporté l’association de
réflexion. l’autisme avec la trisomie 21, ainsi qu’avec d’autres aberrations
chromosomiques, notamment celle portant sur les chromosomes
sexuels : syndrome XXX, syndrome de Klinefelter Golden (cités en
Recherches biologiques [14, 28]
).
Le syndrome de l’X-fragile a fait l’objet de plusieurs études, depuis
Une grande partie des recherches dites biologiques réalisées en les premiers cas signalés par Brown en 1982 (Le Louarn et al [125]). Il
psychiatrie de l’enfant, au cours des 20 dernières années, a été s’agit d’une mutation génétique associée à un retard mental de
centrée sur les psychoses de l’enfant et plus particulièrement sur niveau variable et qui se traduit, lorsque les cultures cellulaires sont
l’autisme infantile où elles s’efforcent de mettre en évidence des faites en milieu pauvre en folates, par une image de site fragile sur
anomalies de l’équipement neurobiologique. Elles se situent en le bras long du chromosome X. Les premières publications faisaient
pratique au niveau de trois grands axes : génétique, biochimique et état d’une fréquence de 10 à 15 % d’X-fragile dans l’autisme. Des
neurophysiologique. Mais auparavant, il y a lieu d’aborder les études récentes, fondées sur des critères cliniques et biologiques plus
problèmes soulevés par l’association de l’autisme avec des affections stricts, situent ce taux entre 2,5 et 5 % (Bailey et al [14]). À nouveau,
organiques. la question des critères diagnostiques doit être soulevée : le
syndrome de l’X-fragile semble, en effet, plus souvent associé à des
« troubles autistiques » – dans la conception élargie du DSM III –
PATHOLOGIES ORGANIQUES ASSOCIÉES
qu’avec « l’autisme classique » correspondant plus strictement à la
La fréquence de son association avec des troubles neurologiques ou description de Kanner (Bursztejn et al [29] ). Actuellement, la
des encéphalopathies est un des arguments avancés à l’appui d’une spécificité de l’association X-fragile/autisme apparaît douteuse
étiologie neurobiologique de l’autisme. Cette notion s’appuie en fait (Fisch [55]).
sur des travaux de nature très diverse (Bursztejn et al [31]) : si certains
portent sur l’étude de groupes importants, d’autres rapportent des ¶ Autres affections génétiques
observations anecdotiques(2). Par ailleurs, dans l’interprétation des
résultats de leur travail portant sur 144 enfants autistes ou ayant Les cas d’association de l’autisme avec la sclérose tubéreuse de
des troubles psychotiques précoces et montrant des pathologies Bourneville se sont accumulés. Cette affection autosomique
sévères de la grossesse dans 7 % des cas, des altérations importantes dominante a une prévalence de 1/7 000 dans la population générale.
de l’état du nouveau-né dans 14 %, des troubles somatiques Elle est caractérisée par des lésions cutanées (taches achromiques) et
postnataux divers avec notamment la notion de convulsions répétées des tumeurs disséminées dans le système nerveux et dans d’autres
(d’étiologie variée) et d’épilepsie dans 21,2 % des cas, Dardenne, organes ; les manifestations cliniques sont variables d’un cas à
l’autre. Une étude systématique (Hunt et Sheperd [92]) a mis en
évidence 24 % de cas répondant aux critères DSM III-R de l’autisme ;
(2)
Pour les références complètes des travaux cités dans ce chapitre et ne figurant pas dans la des « traits autistiques » sont encore retrouvés chez 19 % des
bibliographie se reporter à Bailey et al [14] et à Bursztejn [28]. patients. À l’inverse, la fréquence de la sclérose tubéreuse parmi les

18
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

autistes est estimée entre 3 et 9 %. Compte tenu des prévalences


respectives des deux affections, cette comorbidité ne peut être Tableau III. – Taux de concordance pour l’autisme chez les jumeaux.
attribuée au seul hasard. Cependant, la question de la spécificité de Jumeaux MZ Jumeaux DZ
l’association reste là aussi posée. Elle pourrait être liée à la déficience [56]
mentale : c’est surtout dans les cas de sclérose tubéreuse avec retard Folstein et Rutter 36 % 0%
mental que des troubles autistiques ont été observés. Ritvo et al [174] 96 % 17 %

¶ Épilepsie Steffenburg et al [62] 86 % 25 %


[14]
Bailey et al 69 % 0%
Il est maintenant bien établi que la fréquence des crises convulsives
est plus élevée chez les autistes que dans la population générale : DZ : dizygote ; MZ : monozygote.
plusieurs études systématiques ont montré qu’elle est d’environ 20
à 35 % (Bailey et al [14]).
Un fait particulier à signaler est la haute fréquence d’apparition de Dans toutes les études de jumeaux publiées, le taux de concordance
crises épileptiques tardivement au cours de l’adolescence ou à l’âge pour l’autisme est très supérieur chez les jumeaux monozygotes
adulte. Un autre groupe important est constitué par les sujets (MZ) (tableau III).
autistes chez lesquels l’épilepsie apparaît dans la petite enfance. Selon Hallmayer et al (cité en Tordjmann [201] ), les taux de
Dans ce groupe, on a signalé la fréquence de l’apparition de troubles concordance dans les études de jumeaux suggèrent l’implication de
autistiques dans les suites de spasmes en flexion. Contrairement aux plusieurs loci et non d’un gène unique. D’autres auteurs
premières études, le risque de survenue d’une comitialité n’apparaît (Tordjmann [201]) suggèrent l’interaction de facteurs génétiques.
pas corrélé au QI. Le taux de 69 % de concordance observé dans l’étude la plus récente
En résumé, en dépit des questions méthodologiques soulevées par (Bailey et al [14]) suggère la possibilité de l’interaction d’une forte
un grand nombre des travaux cités, il est établi aujourd’hui que composante génétique avec des facteurs environnementaux (Bailey
l’autisme, au moins dans la conception élargie du DSM III, est et al [14]). Ces auteurs relèvent cependant, que, dans la majorité des
associé à d’autres affections somatiques dans une proportion paires MZ non concordantes, le jumeau non autiste présente des
significative de cas ; sur le plan pratique, ces données justifient des « déficits sociaux et cognitifs de type autistique bien que de degré
examens neuropédiatriques systématiques lors de la découverte de mineur ». Ils en concluent que le phénotype correspondant au
troubles autistiques. facteur génétique révélé par ces recherches s’étend bien au-delà du
syndrome autistique classique et inclut d’autres formes de troubles
DONNÉES NEUROANATOMIQUES du développement, voire des troubles de l’humeur, des syndromes
ET NEURORADIOLOGIQUES de Gilles de la Tourette et même des cas d’anorexie mentale, tous
De nombreuses recherches ont été menées avec différentes ces troubles retrouvés avec une prévalence plus élevée dans les
techniques de neuro-imagerie ; elles ont donné des résultats peu familles de sujets autistes que dans la population générale (Bailey et
cohérents. al [14]). Une telle extension pose la question de la spécificité du
Des publications (Bailey et al [14]) ont rapporté diverses anomalies facteur génétique invoqué.
(élargissement des ventricules latéraux ou du troisième ventricule, Actuellement, les recherches génétiques se tournent vers la méthode
zone de porencéphalie, augmentation du volume cérébral, etc) que des « gènes candidats » (gènes en rapport contrôlant le
d’autres équipes n’ont pas confirmées. développement du système nerveux central [SNC]), ou des fonctions
Plusieurs études récentes, utilisant l’IRM, ont signalé une hypoplasie métaboliques susceptibles d’être impliquées dans l’autisme).
du vermis cérébelleux (Courchesne [44]), ce qui va dans le même sens Jusqu’ici, une seule recherche relevant de ce type d’approche s’est
que quelques cas d’études post mortem dans lesquelles une révélée positive, montrant l’association de l’autisme avec un
raréfaction des cellules de Purkinje a été observée dans ces mêmes marqueur situé sur le chromosome 11, à proximité du gène de la
régions (Bauman et Kemper [20]). Selon Courchesne et al [44], les tyrosine hydroxylase (Herault et al [78]). Ce résultat n’a pas encore
anomalies observées traduiraient un trouble du développement été confirmé par d’autres études, même si actuellement de
neuronal. Il en résulterait un déficit des processus contrôlant nombreuses études s’appuyant sur les ressources de la génétique
l’attention et l’intégration de certaines informations sensorielles, moléculaire s’efforcent de mettre en évidence des facteurs de
fonctions dans lesquelles le cervelet et le cortex temporal auraient susceptibilité génétique dans l’autisme infantile [118].
un rôle clé. Mais, là aussi, des données contradictoires ont été
publiées et la fréquence exacte, la signification et la spécificité de
RECHERCHES BIOCHIMIQUES
l’hypoplasie vermienne restent discutées ; celle-ci pourrait être la
conséquence de crises épileptiques (Bailey et al [14]). Le métabolisme des monoamines a été particulièrement étudié à la
Les techniques d’imagerie fonctionnelle ont été encore peu utilisées suite de recherches analogues réalisées dans la schizophrénie et dans
dans l’autisme. Deux études utilisant la tomographie à émission d’autres affections psychiatriques de l’adulte.
photon (SPECT) ont montré une diminution du flux sanguin
cérébral des lobes temporaux chez des enfants et adolescents ¶ Sérotonine
porteurs de troubles autistiques ou apparentés (George et al, C’est dans ce domaine que les résultats les plus cohérents ont été
Gillberg et al cités en [14]) ; de leur côté, Zilbovicius et al [224], avec la recueillis en ce qui concerne l’autisme infantile. En effet, la plupart
même technique, ont rapporté une diminution du flux sanguin du des équipes qui se sont intéressées à cette question ont trouvé une
lobe frontal chez cinq enfants autistes de 3 à 4 ans. Il n’y avait plus augmentation de la sérotoninémie – en fait de la sérotonine
de différence avec les témoins lorsque les mêmes enfants étaient plaquettaire – chez 30 à 50 % des enfants autistes (Schain et al [186] ;
revus 3 ans plus tard, ce qui suggère un retard de la maturation Ritvo et al [177] ; Ferrari et al [54] ; Hanley et al, Cohen et al, Hoshino
métabolique de cette partie du cerveau. et al, de Villard et al, Minderaa et al, cités en [28] ; Tordjmann [201]). Il
semble exister une corrélation positive entre le taux de sérotonine et
ÉTUDES GÉNÉTIQUES l’intensité des symptômes autistiques (Ferrari et al [54]). Cependant,
Le taux de récurrence familiale de l’autisme est estimé entre 3 et 7 % les valeurs individuelles observées chez les autistes recouvrent celles
selon qu’on ne considère que les cas d’autisme typique ou qu’on des témoins, de sorte que ce marqueur biologique ne peut être utilisé
prend en compte des cas atypiques ou même l’ensemble des troubles comme un critère diagnostique (Bursztejn et al [ 3 0 ] ).
envahissants du développement chez les collatéraux. Bien qu’assez L’hypersérotoninémie n’est pas spécifique à l’autisme : elle a
faible en valeur absolue, ce taux représente une augmentation du également été rapportée chez les enfants hyperkinétiques, ainsi que
risque de 50 à 100 (Bailey et al [14]). chez des sujets déficients mentaux sans traits autistiques.

19
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

La signification de cette anomalie biochimique reste incertaine : il Il apparaît établi (cf supra) que des syndromes autistiques puissent
n’y a pas d’indice, en particulier, d’une augmentation du turn over apparaître chez des enfants porteurs de différentes atteintes
de la sérotonine cérébrale. D’autre part, les effets favorables de la cérébrales ou d’autres facteurs neurobiologiques ; cependant, les
fenfluramine – qui diminue la sérotonine sanguine et modifie le bilans spécialisés pratiqués systématiquement ne mettent en
métabolisme cérébral de la sérotonine –, signalés par quelques évidence une étiologie précise que dans une minorité de cas.
auteurs, n’ont pas été confirmés. Néanmoins, dans une partie importante de la littérature sur
l’autisme s’est imposée la notion d’une origine organique ou, plus
¶ Autres monoamines largement, neurobiologique de ce syndrome, dans une perspective
Les recherches menées sur les catécholamines ont donné des neurodéveloppementale actuellement très présente.
résultats divergents et difficiles à interpréter (Bursztejn [28] et Plusieurs remarques doivent pourtant être faites :
Tordjmann [201]) et aucun résultat décisif n’a été apporté à l’appui de – les troubles biologiques et les pathologies associées au syndrome
l’hypothèse dopaminergique avancée par Young et al cités en [28]. autistique se voient aussi en association avec des déficiences
L’élévation du taux plasmatique de la noradrénaline, constatée dans mentales sans troubles psychotiques ; leur relation avec l’autisme
certaines études (Launay et al [111, 112] ), pourrait indiquer une n’est donc pas spécifique ;
hyperactivité sympathique reflétant une augmentation des réactions
au stress, comme le suggère aussi l’augmentation des taux d’adreno- – aucun de ces facteurs ne paraît concerner la totalité des sujets
corticotropic hormone (ACTH), de cortisol et de β-endorphines autistes ; il faut rappeler que ces données ont été établies, pour
plasmatiques (Tordjmann [204]). l’essentiel, à partir de la définition élargie du DSM III de l’autisme ;
la fréquence de tels facteurs dans des cas « d’autisme pur » sans
¶ Autres recherches biochimiques retard mental reste discutée ;
– la diversité des étiologies avancées, que ne relie aucun mécanisme
L’hypothèse qu’une hyperactivité de systèmes opioïdes endogènes
physiopathologique connu, doit être relevée ; il apparaît ainsi
pourrait expliquer certains symptômes autistiques (retrait,
difficile de mettre en correspondance les différents résultats
insensibilité apparente à la douleur, trouble de l’attention, etc) a
rapportés et de les intégrer dans une conception d’ensemble ;
également été avancée (Panksepp [164]). Les dosages dans le plasma
et le liquide céphalorachidien (LCR) de la métenképhaline et de la – enfin, si ces travaux montrent le poids des facteurs d’ordre
β-endorphine ont donné des résultats variables d’une étude à l’autre neurobiologique à l’origine des troubles autistiques et psychotiques
(Tordjmann [201]). Cependant, une amélioration symptomatique – précoces, ils n’éliminent pas l’intervention possible d’autres facteurs,
notamment la réduction des conduites automutilatrices – a été tels que l’impact d’événements traumatiques durant les premières
rapportée chez des enfants autistes traités par un antagoniste des années et/ou des altérations des processus interactifs précoces.
opiacés : la naltrexone (Campbell et al [34] ; Bouvard et al [26] ; Dugas Il apparaît ainsi de plus en plus probable que l’étiologie de l’autisme
et al [53]). et des troubles psychotiques précoces de l’enfant fait intervenir
l’interaction complexe de facteurs multiples, plutôt qu’une cause
RECHERCHES NEUROPHYSIOLOGIQUES
unique.
Selon Ornitz et Ritvo [162, 163], la plupart des symptômes autistiques
pourrait s’expliquer par une incapacité à réguler les « entrées » Abords thérapeutiques et éducatifs
(input) sensorielles et les « sorties » (output) motrices. De
nombreuses recherches ont tenté de démontrer cette hypothèse. Mais L’orientation, les modalités et les résultats des traitements et des
les données publiées sont peu cohérentes et il est parfois difficile de méthodes éducatives ont fait et font encore régulièrement l’objet de
comparer les résultats obtenus avec des techniques différentes. controverses vives. Là aussi, les débats ont surtout concerné
L’étude des potentiels évoqués auditifs du tronc cérébral a donné l’autisme infantile. L’Agence nationale pour le développement de
des résultats divergents. Cependant, il semble que dans 30 à 60 % l’évaluation médicale (ANDEM) a publié en 1994 [2] un rapport
des cas, le temps de transmission dans le tronc cérébral soit prolongé s’appuyant sur une importante revue de la littérature.
(Tanguay et al [200]). Mais, au-delà des grands types d’action thérapeutique et éducative
Plusieurs études ont trouvé une diminution de l’onde P300 – ou pédagogique, il y a lieu de souligner l’importance de tout ce qui
réponse évoquée corticale tardive – (Niwa et al [160] ; Courchesne et concerne les problèmes de l’annonce du diagnostic et de tout ce qui
al [45]), ce qui indiquerait une anomalie du traitement cognitif du se passe depuis les premiers moments de la rencontre de l’enfant
stimulus sensoriel. autiste et de ses parents avec des professionnels et tout au long du
Selon d’autres travaux (tests d’écoute dichotique, suivi, comme ceux de la vie quotidienne depuis le début et tout au
électroencéphalographie quantitative), on ne retrouverait pas, chez long de l’évolution pendant l’enfance, l’adolescence et
les sujets autistes, la prédominance normale de l’hémisphère gauche éventuellement l’âge adulte. De la même façon, l’aide aux parents
(Prior et Bradshaw [172]). représente un des éléments essentiels de la situation.

Pour résumer ces travaux, on voit qu’en dépit du nombre


TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX
considérable de travaux réalisés depuis plus de 30 ans dans les
domaines les plus divers, peu de résultats sont vraiment assurés et Différents types de médicaments ont été proposés comme
aucune des hypothèses envisagées ne paraît pouvoir rendre compte traitements de l’autisme infantile. Les éléments suivants s’appuient
de l’ensemble des données cliniques. Les résultats, souvent sur deux études récentes (Leboyer [117] ; M Bouvard [25]).
contradictoires, reflètent sans doute des insuffisances Les neuroleptiques sont sans doute les psychotropes les plus
méthodologiques. Il est possible qu’ils soient liés aussi à l’existence prescrits chez les enfants autistes. Selon plusieurs études contrôlées,
de sous-groupes à l’intérieur du syndrome autistique : il est sans l’Haldolt a des effets positifs, avec notamment une diminution des
doute souhaitable, à l’avenir, que les recherches portent sur des conduites agressives, des stéréotypies et de l’agitation et, dans
groupes de patients plus homogènes, définis sur la base de critères certains cas, une diminution du retrait. On a souligné cependant le
plus précis que ceux des classifications. Il est, en particulier, risque lié aux effets secondaires, notamment les dyskinésies tardives
indispensable de tenir compte du retard mental associé et de son qu’il est parfois difficile de différencier des stéréotypies.
niveau. Plus récemment, des résultats positifs ont été signalés avec
Au vu des données cliniques biologiques et étiologiques actuelles, l’amisulpride (Dolfuss [ 5 1 ] ). Les autres neuroleptiques
l’autisme infantile – tel qu’il est défini par le DSM III – apparaît (lévomépromazine, thioridazine, chlorpromazine) sont également
ainsi de plus en plus comme un syndrome hétérogène, plutôt qu’une utilisés, surtout pour diminuer l’agitation ou l’agressivité, mais n’ont
maladie spécifique. pas fait l’objet d’études contrôlées.

20
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

La fenfluramine – anorexigène ayant la particularité de diminuer les cadre concret, qui sont nécessaires pour que celui-ci réponde à cette
taux de sérotonine sanguine – a soulevé beaucoup d’intérêt à partir fonction contenante. Sa régularité : elle conseille de mettre les
d’un premier essai ouvert faisant état de résultats très positifs. Mais séances toujours à la même heure. Son étanchéité : elle recommande
les études contrôlées ultérieures ont apporté des résultats la technique de Klein [106], qui consiste à attribuer à chaque enfant
contradictoires. un tiroir fermant à clé, dans lequel se trouvent les jouets et le
La naltrexone est un antagoniste opiacé actif par voie orale. Son matériel de dessin ou de peinture destiné à l’enfant, tiroir qui est
utilisation dans l’autisme infantile fait suite à l’hypothèse d’un rangé dans un meuble à la fin de chaque séance. Elle déconseille de
dysfonctionnement des systèmes endorphiniques. Des essais laisser l’enfant apporter des jouets de chez lui ou en emporter de la
contrôlés contre placebo ont montré que ce médicament entraînait, salle de traitement. Elle recommande de ne pas laisser l’enfant sortir
chez certains sujets, une diminution des automutilations et de de la salle de traitement en cours de séance. Les jouets doivent être
l’hyperactivité, ainsi qu’une amélioration du contact et des simples, animaux sauvages et domestiques, figurines, petites autos,
apprentissages. Cependant, certains autistes semblent ne pas pont de bois, peinture, crayons, eau. La pièce doit toujours être
répondre à ce médicament. D’autre part, il semble exister un effet disposée de la même façon. À côté de ces qualités concrètes, elle
biphasique selon la dose : les effets positifs sont observés à faible décrit l’attitude du thérapeute comme devant être suffisamment
dose (0,5 à 1 mg/kg/j), alors qu’à plus forte dose (2 mg/kg/j) une ferme pour donner à l’enfant le sentiment « qu’il est entre des mains
aggravation des automutilations a été observée. solides et compréhensives, suffisamment fortes pour que des
Association en vitamine B 6-magnésium : la vitamine B 6 est le structures intérieures puissent commencer à se développer en
cofacteur de la dopamine bétahydroxilase. Une étude en double lui » [206]. Elle condamne les attitudes trop permissives qui sont
aveugle (Martineau et al [141]), dans laquelle cette vitamine était souvent utilisées avec ces enfants et qui sont fondées sur l’illusion
associée à du magnésium, a montré une amélioration clinique d’une possibilité d’effacer les traumatismes psychiques subis par
significative. l’enfant par des expériences dans la réalité, alors qu’il s’agit de
réparer sa réalité psychique, c’est-à-dire de l’aider à élaborer ses
D’autres médicaments (lithium, bêtabloquant, clomipramine, angoisses à un niveau symbolique. Elle va jusqu’à conseiller
méthylphénidate) ont été proposés, le plus souvent à la suite d’insister sur les règles élémentaires de politesse, sur la nécessité
d’études ouvertes. Leur intérêt n’est pas démontré. parfois de le maintenir physiquement, non pour le réprimer, mais
En définitive, l’utilisation de médicaments dans le traitement des pour contenir son excès d’excitation, contention physique qu’elle
syndromes autistiques reste encore du domaine de la recherche. accompagne d’une interprétation [206].
Leur efficacité, lorsqu’elle existe, reste limitée à certains symptômes :
Une fréquence élevée de séances est très souhaitable. L’habitude,
aucun médicament n’a actuellement d’efficacité curative démontrée
fréquente en France, de ne voir les enfants qu’à une fréquence
vis-à-vis des troubles autistiques (ANDEM, 1994).
hebdomadaire est regrettable. Il est rare qu’à cette fréquence un réel
travail analytique soit possible et cela explique sans doute une
PSYCHOTHÉRAPIES ET PSYCHANALYSE certaine perplexité qui s’est emparée de beaucoup d’analystes au
sujet du traitement psychanalytique des psychoses infantiles et de
Dès 1930, Klein affirmait « qu’une des tâches principales de la
l’autisme. Plusieurs séances par semaine sont en général nécessaires
psychanalyse des enfants consiste à dépister et à soigner les
pour permettre un repérage des mouvements transférentiels, pour
psychoses de l’enfance » [102]. Cette idée pourtant a mis longtemps à
laisser le temps à une perception et à une élaboration du contre-
faire son chemin. Cela se comprend, eu égard à la difficulté des
transfert et pour décoder le matériel si énigmatique et si ténu de
traitements psychanalytiques d’enfants autistes et psychotiques.
l’enfant.
L’accent quasi exclusif mis par certains psychanalystes, notamment
en France, sur le langage a longtemps freiné le développement des L’attention du psychothérapeute fait partie du cadre, c’en est même
cures d’enfants psychotiques mutiques ou au langage très un élément essentiel. Il est crucial qu’il puisse soutenir son attention
pathologique. On suggérait d’orienter ces enfants vers des thérapies avec la plus grande énergie, malgré la monotonie du déroulement
corporelles, en attendant qu’ils aient éventuellement développé leur de nombreuses séances et malgré les véritables attaques qu’il subit
langage et qu’un abord psychothérapeutique puisse relayer contre sa capacité à penser.
l’approche corporelle de leurs troubles. Cet espoir était
malheureusement souvent illusoire, tant il est vrai que la pathologie ¶ Interprétation
du développement du langage est un des modes d’expression de la
Si étonnant que cela paraisse, l’enfant autiste est accessible à des
souffrance psychotique. L’expérience des psychanalystes qui se sont
interprétations verbales, pourvu qu’elles soient brèves, utilisent des
consacrés au traitement de ces enfants a fait la preuve de la
mots que l’enfant est censé connaître et qu’il faut demander aux
possibilité de les aider, parfois même de les guérir, par la
parents et surtout qu’elle portent sur le niveau adéquat d’angoisse.
psychanalyse, à la condition d’avoir une technique rigoureuse et
C’est évidemment cette dernière exigence qui est la plus difficile à
pourvu que le thérapeute soit à même d’être en contact avec des
satisfaire. Elle exige une grande concentration de l’attention du
niveaux d’angoisse très archaïques.
thérapeute, une absence d’a priori théorique et de placage
Le traitement psychanalytique des enfants psychotiques, plus que interprétatif. Tustin insiste sur l’importance de n’interpréter que ce
tout autre, nécessite une rigueur technique. Aussi allons-nous décrire qui paraît clair dans le matériel, sans se livrer à des hypothèses
les différents aspects de la technique psychanalytique adaptée à ce théoriques complexes et hasardeuses, de répéter les interprétations
type de cure. Nous passerons en revue successivement les problèmes et d’utiliser avant tout son intuition pour les construire. La
du cadre, de l’interprétation, du processus, du transfert et du contre- participation, dans la formulation de l’interprétation, d’intonations
transfert. Enfin, nous évoquerons le nécessaire travail que le émotionnelles, voire de gestes, de mimes, est souvent très utile pour
psychothérapeute doit faire avec les parents de l’enfant. améliorer la qualité de la communication avec l’enfant. Alvarez a
récemment insisté sur l’importance de ce contact vivant du
¶ Cadre thérapeute avec l’enfant [3]. Il ne faut pas, toutefois, que cela aille
Le cadre de la psychothérapie doit être rigoureusement établi pour jusqu’à une excitation ou à une érotisation du contact.
répondre aux besoins fondamentaux de l’enfant qui est habité par L’interprétation, au sens psychanalytique, est toujours une
une souffrance intense, mais aussi par une grande violence interprétation dans le transfert. Certes, l’analyste peut faire des
pulsionnelle qui demande à être contenue : « Le premier besoin de commentaires qui ne se réfèrent pas directement au transfert. Il faut,
l’enfant psychotique, écrit Tustin, et le plus urgent, c’est de sentir avec les enfants psychotiques, beaucoup verbaliser. Il est rarement
que la violence explosive qui est en lui et qui menace de faire tout utile d’inviter l’enfant à associer car il ne le fait pas et souvent cette
éclater, peut être contenue et endiguée à l’intérieur d’un cadre assez demande l’angoisse. En revanche, la verbalisation, quelque intuitive
solide pour la supporter. » [205] Elle insiste sur plusieurs aspects du et hypothétique qu’elle soit, sert de contenant aux angoisses de

21
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

l’enfant. Par ailleurs, elle aide l’analyste à penser le matériel, qui ne agressivement sont des objets partiels localisés fantasmatiquement
peut souvent être compris qu’à mesure qu’on le commente. dans le corps de la mère : sein, pénis, bébés, fèces, etc. L’élaboration
Le moment venu, cependant, il faut interpréter dans le transfert. du transfert infantile repose essentiellement sur l’interprétation des
L’interprétation ne doit jamais porter sur les personnages extérieurs mécanismes de clivage et de projection, d’idéalisation, de déni, qui
à la situation thérapeutique. C’est une erreur qui est fréquemment sont à l’œuvre à ce niveau de fonctionnement de la psyché, ce que
faite de croire que d’interpréter la vie extérieure, les relations l’on voit remarquablement illustré par le célèbre « cas Richard »
supposées aux parents, permet au processus thérapeutique de publié par Klein [105]. Cette élaboration conduit à travers la position
prendre place. En fait, la référence aux personnages de la vie dépressive et la réparation vers la constitution d’objets totaux.
extérieure de l’enfant ne doit venir qu’en contrepoint de La névrose de transfert est un réseau complexe d’investissements
l’interprétation de transfert. On pourrait dire qu’une telle référence libidinaux et agressifs qui a pour support les objets parentaux, mais
est utile pour éclairer le transfert. Isolée, elle est sans efficacité, elle qui s’actualise dans la relation au thérapeute. Ce sont les conflits
peut même être dangereuse en créant chez l’enfant une blessure œdipiens qui en forment la trame, articulés autour de l’angoisse de
narcissique ou en renforçant ses mécanismes projectifs. castration.
La cure analytique, d’une manière générale, passe par le langage. Ces différents niveaux de transfert se rencontrent plus ou moins
Les cures d’enfants autistes et psychotiques n’échappent pas à cette dans toute cure. La particularité des cures d’enfants autistes et
règle. Il est utile de le rappeler car ces enfants sont particulièrement psychotiques est d’abord que la phase de transfert sur le cadre est
habiles à utiliser le corps du thérapeute pour parvenir à leurs fins et très longue ; longtemps, c’est le seul transfert analysable.
sont parfois extrêmement séducteurs. C’est une erreur de les laisser L’intrication de ces trois types de transfert est importante et colore
utiliser à leur guise le contact corporel et de se laisser séduire par d’une façon particulière les étapes successives de la cure. Lorsque
eux. Le thérapeute doit veiller à garder au maximum sa capacité à l’enfant accède enfin à un niveau œdipien de ses fantasmes et de
penser et toujours s’efforcer de transformer en pensées et en mots son transfert, il s’y mêle des aspects de transfert infantile qui
les messages que lui adresse l’enfant : « Le thérapeute, écrit Tustin, donnent à ces fantasmes une violence et une crudité inhabituelles.
par son intervention, semble lui dire (à l’enfant) : “Plutôt que de te D’une manière générale, ces enfants ont tendance à avoir longtemps
prêter la main comme s’il s’agissait d’une partie de ton corps, je vais une grande instabilité dans leurs niveaux de fonctionnement les plus
te prêter mes pensées″, qui t’aideront à distinguer progressivement évolués. Réduire peu à peu cette instabilité exige de la part du
ton corps du mien et à développer tes propres “pensées”. » [205] thérapeute une grande ténacité.
Le concept de contre-transfert a également connu une évolution
¶ Transfert et contre-transfert importante depuis Freud. Il a tout d’abord été défini comme ce qui,
Ce sont des phénomènes dynamiques qui se produisent dans la dans le psychisme de l’analyste, pouvait faire obstacle à la réception
relation thérapeutique entre le patient et le thérapeute. Freud a et à la compréhension des messages inconscients venant du patient,
montré que c’est dans cette dynamique que peut s’inscrire un les taches aveugles de l’analyste correspondant à des conflits
processus thérapeutique favorisant l’élaboration des conflits intrapsychiques non ou insuffisamment élaborés en lui. Cette
psychiques et la résolution des angoisses qui en résultent. Pour lui, définition reste toujours valable, mais s’y est ajoutée celle donnée
le transfert était la répétition dans la cure et sur la personne de par Heimann en 1950 [77]. Cet auteur a élargi la notion de contre-
l’analyste des relations libidinales et agressives qui s’étaient nouées transfert à la réaction émotionnelle de l’analyste à son patient à
dans l’enfance du patient avec les personnages clés de son l’intérieur de la situation analytique et, surtout, elle en a fait un
entourage, essentiellement sa mère et son père. Cela reste vrai, mais instrument privilégié de l’exploration de l’inconscient du patient.
on ne peut limiter le transfert à ce seul aspect. Le transfert inclut En se fondant sur le concept d’identification projective défini par
tous les phénomènes dynamiques qui se déroulent dans la relation Klein, elle montre que le patient projette dans le psychisme de son
thérapeutique. Bien souvent, au début d’une cure avec un enfant analyste des parties de sa propre psyché, dont l’analyste ne peut
psychotique, il n’y a pas de transfert au sens de Freud, l’analyste avoir connaissance qu’à travers ce qu’il éprouve dans la relation
n’est pas perçu par l’enfant comme une personne entière sur laquelle analytique. Au total, le contre-transfert apparaît comme un mélange
il puisse transférer ses investissements libidinaux et agressifs. Et des défenses de l’analyste et des projections du patient, mélange
pourtant, il y a une dynamique psychique qui s’installe séance après que l’analyste doit s’efforcer de démêler pour en extraire les
séance. On peut y distinguer trois étapes : messages inconscients du patient. Dans les cures d’enfants autistes
et psychotiques, la part de l’élaboration du contre-transfert est
– transfert sur le cadre ; considérable. Le matériel apporté par l’enfant est au début très
– transfert infantile ; pauvre, souvent répétitif, mais le thérapeute se sent envahi de
sentiments divers, parfois violents. Il est essentiel qu’il puisse
– névrose de transfert.
prendre conscience de ces sentiments pour faire la part de ce qui lui
Le transfert sur le cadre se manifeste dès le début de la cure par un revient en propre et de ce qui est projeté en lui par l’enfant, afin
investissement du cadre même des séances, la pièce de traitement, qu’il puisse les relier au matériel et en éclairer ainsi le sens
le matériel de jeu et de dessin mis à sa disposition, le rythme et la inconscient. La difficulté de ce travail sur le contre-transfert suppose
durée des séances. Ce qui révèle le mieux ce transfert sur le cadre, que le thérapeute puisse être régulièrement aidé, soit par une
ce sont les manifestations de l’enfant dès qu’il y a le moindre supervision, soit par un travail avec d’autres collègues
changement, la moindre discontinuité. L’espacement entre les psychothérapeutes.
séances, l’interruption du week-end, une absence de l’analyste, quel
qu’en soit le motif et même si l’absence est annoncée, sont des ¶ Processus
occasions de vives réactions émotionnelles chez l’enfant. Il faut
savoir décoder ces réactions à travers les manifestations autistiques Le processus thérapeutique est un processus de changement qui
ou psychotiques de l’enfant, bouffées de stéréotypies motrices, permet à l’enfant de prendre peu à peu conscience des fantasmes
recrudescence délirante, etc. Il est essentiel de relier ces inconscients qui organisent son psychisme et sa relation au monde.
manifestations aux affects qu’elles expriment et aux circonstances Ce n’est que par une élaboration très progressive des angoisses qui
de la cure qui les ont suscités. Le cadre a une fonction contenante. l’habitent que cette prise de conscience est possible. La
C’est l’élaboration du transfert sur le cadre qui permet que, peu à transformation de parties impensables de la psyché en pensées grâce
peu, l’enfant intériorise un contenant dans lequel sa vie psychique à la formation du symbole est le mécanisme de base de cette prise
va pouvoir prendre place. de conscience.
Le transfert infantile correspond à un niveau où les objets investis Chez les enfants autistes et psychotiques, le processus est
sont qualifiés d’objets partiels. C’est le niveau de transfert découvert imprévisible. Tantôt on a affaire à de longues périodes d’apparente
pas Mélanie Klein, dans lequel les objets investis libidinalement ou stagnation ; tantôt, au contraire, on voit l’enfant franchir des étapes

22
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

à vive allure, tout se passant comme si un nouveau palier était long processus thérapeutique qu’ils ont des chances d’y accéder,
devenu soudain accessible. On peut repérer dans ces cures les étapes encore que sous une forme un peu particulière, marquée par la
suivantes du processus analytique : violence et la crudité des fantasmes œdipiens et l’intensité de
l’angoisse de castration. Cela est à rapprocher de l’extrême
– la constitution d’un contenant psychique ;
sensibilité de ces enfants au processus de la puberté et de
– l’élaboration de la dépression psychotique ; l’adolescence, qui peut être une occasion de décompensation, mais
– l’élaboration du transfert infantile ; qui peut être aussi, pour autant que l’on n’aie pas renoncé à l’action
thérapeutique, une occasion de progrès importants.
– l’élaboration de la névrose de transfert ;
Le processus de fin de cure est toujours un processus délicat. Il l’est
– le processus de fin de cure. plus encore chez les enfants autistes et psychotiques. En effet, il est
La constitution d’un contenant psychique correspond à la phase que chez eux une occasion de réactivation des angoisses du départ et de
Tustin a appelé « la création de liens » [206] . Elle insiste sur la dépression psychotique. L’important est que l’enfant ait acquis au
l’importance d’aider les enfants autistes à constituer des liens entre cours de sa cure des possibilités d’élaboration suffisantes pour, non
leurs expériences sensorielles opposées qu’ils ont clivées et qui pas n’être plus jamais confronté à ses angoisses, mais être capable
correspondent aux éléments de la bisexualité psychique : le dur et le de les élaborer et de retrouver, par ses propres moyens, un niveau
mou, le sec et le mouillé, le rugueux et le doux, etc. L’intégration de fonctionnement mental satisfaisant lorsqu’il a été ébranlé par un
des éléments de la bisexualité psychique est en effet essentielle pour traumatisme affectif. D’une manière générale, plus une cure
donner au contenant psychique les qualités requises, il doit être à la analytique aura permis d’aborder ces niveaux d’angoisse,
fois réceptif aux parties de la psyché de l’enfant projetées en lui et probablement potentiellement présents chez tout être humain, plus
posséder pour cela une certaine élasticité, mais en même temps les résultats obtenus seront satisfaisants et stables. Tustin affirme
résistant, consistant, non effractable, pour ne pas être détruit sous la que, bien souvent, ce n’est qu’après la fin de la cure que l’élaboration
pression même de ces projections. Le pôle réceptif correspond à des de telles angoisses est possible, lorsque l’analysant doit affronter sa
qualités féminines, maternelles du contenant psychique ; le pôle solitude et se reconnaître séparé de son objet transférentiel [209].
consistant à des qualités masculines, paternelles. La constitution et
l’intériorisation d’un contenant psychique permettent à l’enfant ¶ Travail avec les parents
d’abandonner sa coquille autistique ou de sortir de l’entremêlement
dans lequel il est avec son objet maternel. Il est nécessaire d’associer d’une certaine manière les parents au
traitement de leur enfant et il est indispensable de les aider à
L’élaboration de la dépression psychotique devient possible quand
affronter leur propre souffrance psychique sans se laisser emporter
l’enfant a commencé à intérioriser un contenant psychique. Il prend
par le découragement. Il faut donc que, soit le thérapeute lui-même,
alors conscience de la distance physique et psychique qui le sépare
soit un psychiatre consultant, rencontre les parents régulièrement.
de son thérapeute, mais il revit le traumatisme de cette première
On peut attribuer à ces rencontres les buts suivants :
prise de conscience dénommée, par Winnicott puis par Tustin,
« dépression psychotique ». Cette prise de conscience est vécue – nouer et renforcer avec eux une alliance thérapeutique ;
comme la menace d’une perte de sa propre substance corporelle.
– prendre en compte leur souffrance psychique ;
Les séparations effectives d’avec le thérapeute ravivent cette
souffrance. La tâche de l’analyste est d’élaborer patiemment cette – évaluer avec eux l’évolution de l’enfant ;
souffrance en aidant l’enfant, parfois avec la fermeté nécessaire, à ne – les aider à décoder ses expressions émotionnelles ;
pas retomber dans ses manœuvres autistiques. À cette phase, on
peut voir apparaître des mécanismes hallucinatoires [205] qu’il ne faut – décider ensemble des orientations thérapeutiques, scolaires ou
pas prendre pour une aggravation de l’état de l’enfant, mais au institutionnelles.
contraire comme les premières manifestations de sa pensée qu’il ne La souffrance psychique des parents est toujours présente, mais
peut encore localiser clairement dans son monde intrapsychique parfois elle se manifeste d’une manière paradoxale, avec une
distingué du monde perceptif extérieur. Houzel [89] a décrit un mode particulière intensité, au moment où l’on constate les premiers
particulier d’expression des états intérieurs de l’enfant, qu’il a appelé progrès de l’enfant. Il faut comprendre alors, et le dire aux parents,
« mise en scène », tout se passant comme si l’enfant donnait à voir à qu’ils se sentent accablés par le sentiment de la longueur et de la
l’analyste, par son comportement, les états internes de son lourdeur de la tâche à accomplir pour accompagner l’enfant tout au
psychisme qu’il ne peut encore penser et verbaliser. L’émergence de long de son développement. C’est une forme de dépression qui les
la dépression psychotique s’accompagne toujours d’une phase atteint, dépression primaire, peu mentalisée, qui se manifeste plus
maniacodépressive qui a été décrite par Tustin [206]. G Haag [74] a sous la forme d’un sentiment d’épuisement physique que sous celle
récemment insisté sur le versant maniaque de cette phase. d’une plainte dépressive. Il est essentiel que, dans ces moments, les
L’élaboration du transfert infantile a déjà été évoquée (cf supra). Ce parents sentent la sympathie et la compréhension du thérapeute ou
dernier correspond à la découverte et à l’acceptation de la du consultant. Il faut aussi qu’ils se sentent assurés qu’on ne les
dépendance vis-à-vis du thérapeute, ce qui entraîne des fantasmes laissera pas tomber en cours de route, car c’est souvent une de leurs
d’exclusion et de persécution par des rivaux internes situés dans le secrètes angoisses.
corps fantasmatique de la mère. Tustin a décrit un fantasme du L’évaluation de l’évolution de l’enfant n’est pas facile, tout au moins
« nid aux bébés » [205] qui correspond à la conviction de l’enfant qu’il en début de cure. On attend, et c’est bien légitime, qu’il fasse des
y a des bébés spéciaux dans la mère, qui reçoivent une nourriture progrès visibles, que ses performances s’améliorent, qu’il acquiert
spéciale ; il s’associe à des sentiments de déception, de colère et de telle ou telle compétence qui lui faisait défaut. Or, au début de la
rivalité. Plus récemment [208], elle a décrit ces rivaux archaïques cure, ses progrès sont ailleurs. Ils se manifestent dans la relation, dans
comme des bouches affamées et menaçantes ou comme un essaim la capacité à exprimer ses émotions et à décoder celles d’autrui. Il est
de guêpes qui assaillent l’enfant, d’où sa terreur d’entrer en relation très important d’aider les parents à reconnaître ces progrès et à leur
avec autrui sur qui il projette ces fantasmes. À ce stade, le père est donner leur pleine valeur. Il faut aussi les inciter à la patience en ce
ressenti comme le plus gros des rivaux persécuteurs, ce qui crée un qui concerne les performances de l’enfant, d’autant plus que l’attente
solide obstacle à l’émergence de l’œdipe. de l’autre est pour un enfant psychotique une source d’angoisse
L’élaboration de la névrose de transfert correspond justement au souvent très intense qui freine ses progrès au lieu de les favoriser.
conflit œdipien, auquel l’enfant psychotique a tant de mal à accéder. Le décodage des expression émotionnelles de l’enfant est une tâche
L’œdipe signe la reconnaissance de la différence, y compris la qu’il faut partager avec les parents. Le thérapeute et les parents ont
différence des sexes. Il suppose la possibilité de tolérer l’écart, la besoin de s’entraider dans cette tâche particulièrement difficile.
frustration, l’altérité et le partage, toutes choses que les enfants Repérer qu’une recrudescence soudaine de symptômes soit liée à
autistes et psychotiques ne peuvent faire. Ce n’est qu’au terme d’un telle ou telle circonstance, qui provoque sans doute chez l’enfant

23
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

une intense réaction émotionnelle, tel est le problème. Ce repérage la synthèse aujourd’hui. Même parmi les auteurs se réclamant de la
est important à un double titre : d’une part, il aide les parents à psychanalyse, on observe des différences importantes quant à la part
beaucoup mieux supporter les symptômes psychotiques de l’enfant, et aux modalités du cadre institutionnel lui-même.
à se sentir moins persécutés par eux ; d’autre part, il permet à
l’enfant de verbaliser l’émotion que lui-même ne peut qu’évacuer à ¶ Cadre : prise en charge résidentielle
travers ses symptômes tant il se sent submergé par son intensité. ou à temps partiel ?
Cette verbalisation des émotions est d’une grande aide pour l’enfant, S’il faut reconnaître à B Bettelheim un rôle historique certain, il n’est
qui se sent moins envahi et désorganisé par ses vécus émotionnels guère d’auteur qui se réclame aujourd’hui encore de sa conception.
dès lors qu’ils sont nommables. On sait en effet que la séparation d’avec la famille et la prise en
Traiter des enfants autistes et psychotiques par la psychothérapie charge complète par un milieu dans lequel chaque activité devait
est une tâche difficile. Cependant, grâce au travail acharné de pouvoir prendre un sens thérapeutique, étaient pour lui
quelques pionniers, il est maintenant possible d’affirmer que si la indispensables.
tâche est menée avec rigueur, elle est toujours bénéfique et que Actuellement, la part de la prise en charge résidentielle apparaît très
souvent elle transforme radicalement le pronostic. Cela est d’autant variable d’un pays à l’autre ; elle est fonction aussi de la demande
plus vrai que l’enfant est jeune au début du traitement, ce qui des familles et aussi de l’âge des enfants.
renvoie à la nécessité d’un dépistage précoce de ces syndromes Pour ce qui concerne les enfants pris en charge dans les services de
psychopathologiques. Il n’est pas exceptionnel qu’un enfant autiste psychiatrie infantojuvénile – dans notre pays – l’hospitalisation à
ou psychotique, dépisté tôt et traité par une psychothérapie plein temps ne concernait, en 1988, que 20 % des enfants et
intensive et rigoureuse puisse se passer de prise en charge adolescents autistes et psychotiques. De plus en plus souvent, la prise
institutionnelle et même de classe spécialisée. Cela suppose la en charge se fait sur le mode de l’hospitalisation de jour ou de prise
collaboration de tous, parents, enseignant, consultant, thérapeute. en charge ambulatoire associée à une intégration en milieu scolaire.
À côté et en complément de la psychothérapie individuelle de Cependant, un nombre probablement équivalent d’enfants autistes
l’enfant, certaines techniques thérapeutiques peuvent être d’un et psychotiques est pris en charge par les établissements médico-
grand secours : éducatifs, dont un certain nombre en internat, complet ou de
– les interventions à domicile préconisées par certains auteurs semaine. Mais on dispose de peu de précisions à ce sujet (rapport
(Houzel [90], Geissmann et al [61]) ; de l’inspection générale des affaires sociales [IGAS] de 1994 [93]).

– les traitements de groupe tels que les a décrits Haag [69] ; ¶ Moyens mis en œuvre
– les psychothérapies mère/enfant ou parents/enfant ; La plupart des auteurs s’accordent sur la nature pluridimensionnelle
– les psychothérapies familiales ; de la prise en charge thérapeutique. Elle s’appuie en effet sur des
moyens éducatifs et thérapeutiques diversifiés, utilisant, à côté de la
– et bien sûr les traitements institutionnels. psychothérapie individuelle, des activités manuelles, éducatives,
Toutes ces formes de traitement peuvent concourir au même but : ludiques, susceptibles de fournir une médiation, un support au
sortir l’enfant de ses terreurs paralysantes pour l’aider à entrer dans développement de la communication à l’enfant, des étayages face à
le monde de la communication humaine. Les actions éducatives, la fragilité de son organisation psychique et notamment de son
notamment celles des parents, les actions pédagogiques sont système pare-excitation, en même temps qu’elles doivent être le
également indispensables pour atteindre ce but. L’éventail de toutes support au développement de processus de symbolisation.
ces modalités d’intervention est longuement abordé et discuté dans Mises a précisé les conditions de la cure institutionnelle, qui s’appuie
l’ouvrage de Soulé et Golse [197]. Les meilleures chances de succès à la fois sur des activités éducatives et sur la compréhension et
sont réunies si chacun agit dans son domaine de compétence en l’élaboration des investissements mutuels entre l’enfant et les
complément des autres et dans le respect des différents rôles et des intervenants, à l’occasion de ces activités et de la vie quotidienne.
différentes responsabilités, sans qu’aucun prétende détenir la clé du Dans cette perspective, chaque membre de l’équipe soignante et
mystère de l’autisme et de la psychose infantile. éducative participe au processus psychothérapique et les échanges
éducatifs et pédagogiques constituent des médiations
TRAITEMENTS COMPORTEMENTAUX
psychothérapiques, qui font l’objet d’une réflexion institutionnelle.
Des traitements comportementaux visant à réduire les L’accent est mis notamment sur la recherche des significations, la
comportements indésirables (stéréotypies, autostimulations ou compréhension et la mobilisation des facteurs dynamiques.
automutilations) et à obtenir l’apprentissage de certaines
Cette approche s’appuie sur le cadre référentiel apporté par la
compétences élémentaires ou complexes, ont été proposés.
psychanalyse mais elle peut intégrer des concepts issus d’apports
Lovaas [130] utilise des techniques s’appuyant sur le conditionnement
systémiques ou des théories de la communication.
opérant. Selon cet auteur, l’emploi précoce et intensif de cette
méthode permettrait à certains sujets de sortir de l’autisme. De son Hochmann, s’appuyant notamment sur les travaux de Bion, insiste
côté, Mac Eachin [133] rapporte une évolution favorable du point de sur la signification du cadre institutionnel. À travers un maternage
vue du développement intellectuel et de l’intégration scolaire chez symbolique, qui reproduit les activités d’une mère avec son petit
neuf enfants sur 19 ayant reçu un traitement comportemental enfant, s’appuyant sur une mise en récit (le conte), les soins donnés
intensif entre 3 et 4 ans. à l’enfant consistent en une série d’échanges qui visent à l’aider à
« réinvestir positivement son activité mentale ». Hochmann [85]
En définitive, selon l’ANDEM, il y a peu de travaux évaluant insiste aussi particulièrement sur la nécessité du travail sur les
rigoureusement l’efficacité du traitement comportemental dans contre-attitudes des soignants soumis aux effets destructeurs des
l’autisme infantile. « Si ce traitement présente un certain intérêt pour processus autistiques et psychotiques sur la pensée et la vie
la réhabilitation comportementale de certains enfants autistes, il psychique de l’entourage.
présente également, d’après ces travaux, des limites quant à son
Tous les auteurs insistent aussi sur l’importance du travail avec les
efficacité à long terme. » Par ailleurs, on a souligné le risque que ces
parents. Ce travail doit viser avant tout à assurer et à maintenir une
méthodes induisent chez les parents et les professionnels une vision
alliance thérapeutique qui doit tenir compte du sentiment de
trop mécaniciste des enfants autistes (ANDEM, 1994 [2]).
culpabilité latent, presque toujours présent ; cette aide offerte ne
PRISE EN CHARGE INSTITUTIONNELLE saurait constituer cependant une obligation pour les parents à
La prise en charge des enfants autistiques et psychotiques a été et s’engager dans l’une ou l’autre forme de psychothérapie pour
est encore l’objet de nombreux débats. De nombreux modèles ont eux-mêmes.
été proposés, s’inspirant d’approche psychanalytique ou davantage Au cours de ces dernières années, l’accent a été mis de plus en plus
inspirés par des approches éducatives. Il est très difficile d’en faire sur l’intérêt d’activités pédagogiques, et dans tous les cas où cela a

24
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

été possible, d’une intégration en milieu scolaire normal. De facilitée (procédé qui permet à des personnes privées de parole ou
nombreux hôpitaux de jour bénéficient de la présence d’instituteurs parlant mal d’apprendre à s’exprimer en tapant à la machine avec
détachés par l’Éducation nationale, dont les actions sont complétées un doigt ; un partenaire appelé facilitateur soutenant la main du
par l’intervention d’éducateurs spécialisés, soit en relation patient aussi longtemps qu’il en a besoin ; les enfants autistes
individuelle avec l’enfant, soit en petits groupes. apprennent à désigner des images ou des mots écrits pour faire des
L’intégration en milieu scolaire, en parallèle à une prise en charge à choix, répondant en désignant « oui » ou « non » sur une case, à
temps partiel en hôpital de jour, se fait soit dans les classes pouvoir choisir leurs aliments, leurs activités, les personnes avec qui
spécialisées accueillant d’autres types d’enfants soit, pour certaines ils désirent aller (Vexiau [156]).
expériences, dans des classes adaptées (CLIS) pour lesquelles une Ces différents types d’approches, qui ne sont malheureusement que
convention spécifique est établie entre l’hôpital de jour et l’école. cités ici, sont abordés et discutés dans un ouvrage récent auquel ont
collaboré parents et professionnels (Grand, Mises [156]).
APPROCHE ÉDUCATIVE On voit que les approches proposées sont multiples et apparaissent
Certaines approches privilégient exclusivement la dimension opposées dans leurs principes et leurs visées ; peut-être d’ailleurs
éducative. L’une des plus connues est le programme TEACCH les pratiques sont-elles moins opposées qu’il n’y paraît, à lire les
(treatment and education of autistic and related communication prises de positions et les polémiques. En tout cas, quelles que soient
handicapped children), développé par Schopler en Caroline du Nord les méthodes proposées, on peut regretter la rareté des documents
aux États-Unis [188]. Il s’agit d’une approche individualisée mettant sur les résultats, notamment en ce qui concerne l’influence de ces
l’accent sur le développement de compétences sociales, sur la différentes approches sur l’évolution à long terme.
structuration du temps et de l’environnement de l’enfant. Une Quelle que soit la nature des actions thérapeutiques et/ou édu-
grande importance est donnée à la collaboration avec les parents catives proposées, la prise en charge volontiers multidimensionnelle
considérés comme des « cothérapeutes ». À partir d’une évaluation doit être envisagée dans une perspective à long terme, l’orientation
détaillée des compétences acquises ou en « émergence » de l’enfant prévalente des approches proposées pouvant d’ailleurs évoluer en
(test de profil psychoéducatif [PEP]), un programme d’activités fonction de l’âge et de l’évolution.
pédagogiques élémentaires est mis en place. Ceci se traduit le plus souvent par une trajectoire faisant appel à
Dans la « philosophie TEACCH », il convient d’avoir annoncé différents types d’institution. Ceci amène à souligner la nécessité de
clairement le diagnostic aux parents et, en même temps, les développer un travail en réseau, permettant d’associer les
conséquences handicapantes pour la vie à venir. compétences complémentaires de différentes structures (équipes de
Contrairement aux approches purement comportementalistes, il psychiatrie infantojuvénile, établissements médicoéducatifs, écoles)
n’est pas fait appel au conditionnement opérant et les et des professionnels pouvant travailler aussi en pratique libérale,
« renforçateurs comportementaux » restent du domaine courant tout en assurant la continuité de la prise en charge.
(encouragements, voire friandises). Conclusion
Bien entendu, les modalités d’application du programme TEACCH
peuvent être diverses et variables selon le contexte où il est entrepris Pour conclure cette revue des connaissances et des points de vue
et la « culture générale » de l’équipe. J Constant a montré guidant les actions thérapeutiques et/ou éducatives concernant les
récemment [40], à propos d’une expérience concrète, l’apport de la enfants autistes et psychotiques, ainsi que des données et des
méthode TEACCH dans un hôpital de jour public dont les orientations actuelles des recherches dans ce domaine, nous voudrions
références sont par ailleurs psychodynamiques. Ainsi, cette équipe faire trois remarques.
s’est appuyée sur certaines procédures TEACCH : partenariat La première concerne la pratique clinique. Il s’agit d’insister à nouveau
parents-professionnels, prise en charge généraliste et individualisée sur la nécessité pour les professionnels de développer un travail en
reposant sur des évaluations répétées, enseignements structurés et réseau facilitant d’une part l’évaluation diagnostique et la prise en
même dirigés, ritualisation de l’emploi du temps, gestion des charge des enfants et l’aide aux parents, d’autre part permettant un
comportements gênants. Mais en même temps, les ressources plus travail de réflexion sur sa propre pratique. Nous rejoignons volontiers
générales du centre sont utilisées : échanges entre l’unité TEACCH par ailleurs Lemay [126] lorsqu’il souligne que le fait de pouvoir évaluer
et les autres structures du dispositif de soins, appui sur les activités et s’occuper d’un nombre important d’enfants autistes conduit à des
sociales de la communauté, intégration scolaire, activités sportives réflexions profondément différentes de celles que nous avons lorsque
extérieures, séjours en lieu de vie. De la même façon, l’équipe nous examinons ou nous occupons seulement d’un tout petit nombre de
s’efforce d’articuler les références psychodynamiques qui forment la cas : « Quand on se limite à l’évaluation et au traitement d’un petit
culture de base de l’institution avec ces procédures TEACCH, en nombre de cas, on prend le risque d’aboutir à des généralisations
permettant par exemple à certains enfants d’être suivis en étiopathogéniques, diagnostiques et thérapeutiques qui ne tiennent plus
psychothérapie à partir de cette unité, en investissant des réunions devant l’éventail d’une grande population... »
qui sont l’occasion d’un travail de liaison et de compréhension Le deuxième point concerne la nécessité de développer les recherches à la
portant sur l’enfant, et aussi sur les interactions entre cet enfant et
fois dans le domaine clinique – et pas seulement dans le secteur de
les adultes. Constant illustre remarquablement, par plusieurs
l’évaluation de nos actions thérapeutiques, évidemment
exemples cliniques concrets, l’apport de procédures TEACCH dans
particulièrement essentielle, mais aussi dans celui de la réflexion
psychopathologique et des modalités de la pratique et de la prise en
un tel contexte. Il souligne aussi en même temps les paradoxes de
charge des enfants autistes – et dans le domaine des neurosciences et des
cette technique TEACCH et la nécessité des qualités professionnelles
sciences cognitives ensuite. On ne peut alors que souligner l’intérêt des
des éducatrices, à la fois sur le plan de la finesse de l’observation de
recherches multidisciplinaires et multicentriques ; la formule des
l’enfant, de l’inventivité et de la créativité nécessaires dans les
programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) peut y aider.
activités quotidiennes avec l’enfant.
La troisième remarque concerne la nécessité de maintenir un niveau de
Les thérapies d’échange et de développement (Lelord, Barthelemy, réflexion suffisamment critique sur notre pratique comme sur nos
Hameury [19, 124]) développées par l’équipe de Tours se rapprochent recherches pour ne pas retomber dans des positions figées et des débats
du programme TEACCH et du traitement comportemental. dépassés liés à des abords simplificateurs et réducteurs des problèmes
concernant l’autisme et les psychoses précoces. Il y a lieu, sur un plan
AUTRES APPROCHES THÉRAPEUTIQUES, ÉDUCATIVES général, de ne pas perdre de vue la complexité des phénomènes et des
ET PÉDAGOGIQUES facteurs intervenant dans le développement psychologique, qu’ils soient
Parmi les multiples propositions thérapeutiques, éducatives et dans le registre neurobiologique, psychologique et social. Nous ne
pédagogiques, il faut signaler l’intérêt de l’approche corporelle pouvons qu’aller dans le sens de Franc [59] quand elle écrit que « c’est à
(Coq [42]) et de certaines médiations dans ce registre (holding ou cause de la tentation des parents d’aller toujours vers l’irréalisable que
« ferme maintien ») (Soulayrol [195]) ainsi que de la communication chercheurs et soignants se dépasseront... ».

25
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

Références
[1] Adrien JL, Barthelemy C, Perrot A, Roux S, Lenoir P, [33] Bursztejn C, Rohmer JG, Nobelis P. CFTMEA. et psychoses [63] Gillberg C, Steffenburg S, Schaumann H. Is autism more
Hameury L et al. The infant behavioral summarized evalu- de l’enfant : résultats d’une étude sur 144 cas. Neuropsy- common now than 10 years ago? Br J Psychiatry 1991 ; 158 :
ation (IBSE). A rating scale for the assessment of young chil- chiatr Enf Adolesc 1990 ; 38 : 548-558 403-409
dren with autism and developmental disorders. Validity [34] Campbell M, Adams P, Small AM, McVeigh Tesch L, Curren [64] Gillberg C, Svendsen P. Childhood psychosis and com-
and reliabily. J Autism Dev Disord 1992 ; 22 : 375-392 EL. Naltrexone in infantile autism. Psychopharmacol Bull puted tomographic brain scan findings. J Autism Dev Disord
[2] Agence nationale pour le développement de l’évaluation 1988 ; 24 : 135-139 1983 ; 13 : 19-32
médicale. L’autisme, 1994 : 1-60 [35] Chabane N, Mouren-Simeoni MC. L’évaluation de l’enfant [65] Grandin T. Ma vie d’autiste (1986). Paris : Odile Jacob,
[3] Alvarez A. Life Company, London : Routledge, 1992 autiste : expérience de la consultation spécialisée dans 1994 : 1-201
[4] American Psychiatric Association DSM III (Washington, l’autisme infantile de l’hôpital Robert-Debré. In : Aussilloux [66] Grotstein J. Splitting and projective identification. New
1980). Manuel diagnostique et statistique des troubles C éd. Évaluation de l’autisme infantile. France Telecom York : Jason Aronson, 1981
mentaux. Paris : Masson, 1983 : 1-535 Fondation, 1997 : 70-75
[67] Guillemot P. Approches cognitives de l’autisme. Perspect
[5] American Psychiatric Association. Diagnostic and statisti- [36] Cialdella P, Mamelle N. An epidemiological study of infan- Psychiatr 1996 ; 35 : 28-32
cal manual of mental disorders - Revised (DSM III-R), tile autism in a French department. J Child Psychol Psychiatry
1989 ; 30 : 165-175 [68] Haag G. La mère et le bébé dans les deux moitiés du corps.
Washington, 1987 : 1-567 Neuropsychiatr Enf Adolesc 1985 ; 33 : 107-114
[6] American Psychiatric Association, MINI DSM-IV. Critères [37] Circulaire AS-EN n° 95-12 du 27 avril 1995 relative à la prise
en charge thérapeutique, pédagogique et éducative et à [69] Haag G. Petits groupes analytiques d’enfants autistes et
diagnostiques (Washington DC, 1994). Paris : Masson,
l’insertion sociale des enfants, adolescents ou adultes psychotiques avec ou sans troubles organiques. Rev Psycho-
1996 : 1-394
atteints d’un syndrome autistique. thér Psychanal Groupe 1987 ; 7-8 : 73-87
[7] Asperger H. (1944) Les psychopathies autistiques pendant
[38] Classification française des troubles mentaux de l’enfant et [70] Haag G. Les troubles de l’image du corps dans les psycho-
l’enfance. Paris : Synthélabo, 1998 : 1-148
de l’adolescent. Paris : CTNERHI, 1993 ses infantiles. Thér Psychomotr 1990 ; 86 : 50-65
[8] Asperger H. Problems of infantile autism. Communication
1979 ; 13 : 45-52 [71] Haag G. Approche psychanalytique de l’autisme et des psy-
[39] Cohen DJ, Paul R, Volkmar FR. La classification des troubles
choses de l’enfan. In Mazet P, Lebovici S éd. Autisme et psy-
[9] Aulagnier P. Remarques sur la structure psychotique. Psy- globaux du développement et de divers autres troubles :
choses de l’enfant. Paris : PUF, 1990 : 143-155
chanalyse 1963 ; n° 8 vers le DSM IV. Psychiatr Enf 1988 ; 31 : 151-172
[72] Haag G. Identifications intracorporelles et capacités de
[10] Aussilloux C. Évaluation de l’autisme infantile (colloque des [40] Constant J. La méthode TEACCH dans un hôpital de jour
séparation. Neuropsychiatr Enf 1990 ; 38 : 245-248
2 et 3 juin 1997 à Montpellier). France Telecom Fondation, public. À propos d’une expérience concrète. In : Mises R,
1997 : 1-126 Grand P éd. Parents et professionnels devant l’autisme. [73] Haag G. Nature de quelques identifications dans l’image
Paris : CTNERHI, 1997 : 209-230 du corps. J Psychanal Enf 1991 ; 10 : 73-92
[11] Aussilloux C. Évaluation de l’autisme et des psychoses pré-
coces. In : Mises R, Grand P éd. Parents et professionnels [41] Constant J. Les psychopathies autistiques pendant [74] Haag G. Rencontres avec Frances Tustin. In : Monographie
devant l’autisme. Paris : CTNERHI, 1997 : 57-74 l’enfance (1944). Paris : Synthelabo, 1998 : 9-36 de la revue française de psychanalyse, 1994 : 69-90
[12] Aussilloux C, Collery F, Roy J. Épidémiologie de l’autisme [42] Coq JM. Autisme : soins psychiques et approche corporelle. [75] Hauser SL, Delong GR, Rosman P. Pneumographic findings
infantile dans le département de l’Hérault. Rev Fr Psychiatrie Évol Psychomotr 1996 ; 8 : 175-179 in the infantile autism syndrom. A correlation with tempo-
1989 ; 7 : 24-28 ral lobe disease. Brain1975 ; 98 : 667-688
[43] Corbet E, Greco J. Représentations et réalité de l’annonce
[13] Aussilloux C, Mises R. Évolution de l’enfance à l’âge adulte, du handicap. Handicaps et inadaptations. Cah CTNERHI [76] Heh CW, Smith R, Wu J, Hazlett E, Russell A, Asrnow R et al.
In : Mises R, Grand P éd. Parents et professionnels devant 1994 ; 63 : 17-28 Positron emission tomography of the cerebellum in autism.
l’autisme. Paris : CTNERHI, 1997 : 109-124 Am J Psychiatry 1989 ; 146 : 242-245
[44] Courchesne E. Neuroanatomic imaging in autism. Pedia-
[14] Bailey A, Phillips M, Rutter M. Autism: towards an integra- trics 1991 ; 87 (suppl) : 781-790 [77] Heimann P. Le contre-transfert. Paris : Navarin, 1987
tion of clinical, genetic, neuropsychological and neurobio- [45] Courchesne E, Kilman BA, Galambos R, Lincoln AJ. Autism: [78] Herault J, Perrot A, Barthelemy C, Buchler M, Cherpi C,
logical perspectives. J Child Psychol Psychiatry 1996 ; 37 : processing of novel auditory information assessed by Leboyer M et al. Possible association of C-Harvey-RAS-1
89-129 event-related brain potentials. Encephalogr Clin Neurophy- (HRAS-1) marker in autism. Psychiatry Res 1993 ; 46 :
[15] Baron-Cohen S. La cécité mentale. Un essai sur l’autisme et siol 1984 ; 59 : 238-248 261-267
la théorie de l’esprit. Grenoble : Presses Universitaires de [46] Damasio H, Maurer RG, Damasio AR, Chui HC. Computer- [79] Hermelin B, O’Connor N. Psychological experiments with
Grenoble, 1998 ized tomographic scan findings in patients with autistic autistic children. Oxford : Pergamon, 1970
[16] Baron-Cohen S, Allen J, Gillberg C. Can autism be detected behavior. Arch Neurol 1980 ; 37 : 504-510 [80] Hier DE, Lemay M, Rosenberger PB. Autism: association
at 18 months? The needle, the haystack and the CHAT, Br J with reversed cerebral asymetry. Neurology 1978 ; 28 : 348
[47] Dardenne PH, Mazet P, Duché DJ. Discussion de la place
Psychiatry 1992 ; 161 : 839-843 [81] Hobson RP. On acquiring knowledge about people and the
des épisodes somatiques au cours des psychoses infantiles.
[17] Baron-Cohen S, Cox A, Baird G, Swettenham J, Nightingale À propos de 144 cas. Rev Neuropsychiatr Infant 1975 ; 23 : capacity to pretend: response to Leslie (1987). Psychol Rev
N, Morgan K et al. Psychological markers in the detection 139-160 1990 ; 97 : 114-121
of autism in infancy in a large population. Br J Psychiatry, [82] Hobson RP. Understanding persons: the role of affects. In :
1996 ; 168 : 158-163 [48] Demyer MK, Barton S, Demyer WE, Norton JA, Allen J, Steel
R. Prognosis in autism: a follow-up study. J Autism Child Baron-Cohen S, Tiger-Fluchberg H, Cohen D eds. Under-
[18] Baron-Cohen S, Leslie AM, Frith U. Does the autistic child Schizophr 1973 ; 3 : 199-246 standind other minds: perspectives from autism. Oxford
have a “Theory of mind”? Cognition 1985 ; 21 : 37-46 University Press, 1993 : 204-227
[49] Diatkine R. L’enfant prépsychotique. Psychiatr Enf 1969 ;
[19] Barthelemy C, Hameury L, Lelord G. Exchange and deve- 12 : 413-446 [83] Hobson RP, Ouston J, Lee A. What’s in face? The case of
lopment therapies (EDT) for children with autism: a treat- autism. Br J Dev Psychol 1988 ; 79 : 441-453
ment program for Tours. In : Gillberg C ed. Diagnosis and [50] Dilavore P, Lord C, Rutter M. Prelinguistic autism diagnos-
tic observation schedule (PL-ADOS). J Autism Dev Disord [84] Hochmann J. De quelques malentendus dans le partenariat
treatment of autism. New York : Plenum Press, 1989 : avec les parents chez le très jeune enfant. In : Mises R, Grand
263-264 1995 ; 25 : 355-379
P éd. Parents et professionnels devant l’autisme. Paris :
[20] Bauman M, Kemper TL. Histoanatomic observations of the [51] Dolfuss S, Petit M, Menard JF. Étude pharmacoclinique CTNERHI, 1995 : 339-344
brain in early infantile autism. Neurology 1985 ; 35 : d’un agoniste et d’un antagoniste de la dopamine dans
l’autisme infantile précoce. Neuropsychiatr Enf 1992 ; 40 : [85] Hochmann J. Pour soigner l’enfant autiste. Paris : Odile
866-874 Jacob, 1997 : 1-348
300-309
[21] Berquez G. L’autisme infantile. Introduction à une clinique [86] Holttum JR, Minshew NJ, Sanders RS, Phillips NE. Magnetic
relationnelle selon Kanner. Paris : PUF, 1983 : 1-270 [52] Duché DJ. Histoire de la psychiatrie de l’enfant. Paris : PUF,
1990 resonance imaging of the posterior fossa in autism. Biol
[22] Bettelheim B. La forteresse vide (1967). Paris : Gallimard, Psychiatry 1992 ; 32 : 1091-1101
1969 : 1-585 [53] Dugas M, Kerdelhue B, Lensing P, Panksepp J. Brief report:
a double-blind study of Naltrexone in infantile autism. J [87] Houzel D. Le monde tourbillonnaire de l’autisme. Lieux Enf
[23] Bettelheim B. Un lieu où renaître. Paris : Laffont, 1975 1985 ; 3 : 169-183
Autism Dev Disord 1992 ; 22 : 309-319
[24] Boucher J. The theory of mind hypothesis of autism: expla- [88] Houzel D. Autisme et conflit esthétique. J Psychanal Enf
nation, evidence and assessment. Br J Dis Comm 1989 ; 24 : [54] Ferrari P, Launay JM, Bursztejn C, Moulias R, Dreux C, Bra-
connier A et al. Étude clinique, biochimique et immunolo- 1988 ; 5 : 98-115
181-198
gique de l’autisme infantile. In : Congrès de psychiatrie et [89] Houzel D. Aspects spécifiques du transfert dans les cures
[25] Bouvard M. Place des traitements médicamenteux dans les de neurologie de langue française (LXXXII e session), d’enfants autistes, In : Hommage à Frances Tustin, Saint-
stratégies thérapeutiques chez l’enfant autiste. In : Aus- Luxembourg. Paris : Masson, 1984 : 104-119 André-de-Cruzières. Audit, 1993
silloux C, Livoir-Petersen MF éd. L’autisme cinquante ans
[55] Fisch GS. Is autism associated with fragile X syndrome? Am [90] Houzel D. Les applications thérapeutiques de l’observation
après Kanner. Ramonville : Eres, 1994 : 93-106
J Genet 1992 ; 43 : 46-55 directe dans le champ de la psychiatrie. Devenir 1994 ; 6 :
[26] Bouvard M, Leboyer M, Le Heuzey MF, Villa G, Dugas M. 79-86
Effets cliniques de naltrexone chez des enfants autistiques [56] Folstein S, Rutter M. Infantile autism: a genetic study of 21
twin pairs. J Child Psychol Psychiatry 1977 ; 18 : 297-321 [91] Hughes C, Russel J. The autistic child’s difficulty in disen-
présentant des comportements d’automutilation. Théra-
gaging from a salient object: its implications for theories of
pie 1988 ; 73 : 511 [57] Fombonne E. Follow-up study of childhood psychosis. Acta autism. Dev Psychol 1993 ; 29 : 498-510
[27] Bryson SE, Clark BS, Smith LM. First report of canadian epi- Paedopsychiatr 1989 ; 52 : 12-25
[92] Hunt A, Sheperd C. A prevalence study of autism in tuber-
demiological studies of autistic syndromes. J Child Psychol [58] Fombonne E, du Mazaubrun C. Prevalence of infantile ous sclerosis. J Autism Dev Disord 1993 ; 23 : 329-339
Psychiatry 1988 ; 29 : 433-445 autism in four french regions. Soc Psychiatry Psychiatr Epi-
[28] Bursztejn C. Les recherches biologiques dans l’autisme et demiol 1992 ; 27 : 202-210 [93] Inspection générale des affaires sociales. La prise en charge
les psychoses infantiles. In : Lebovici S, Soulé M, Diatkine R des enfants et des adolescents autistes. Rapport présenté
[59] Franc B. Les attentes des parents. In : Mises R, Grand P éd. par Vivies J et Varet F, 1994 : 1-133
éd. Traité de psychiatrie de l’enfant. Paris : PUF, 1995 : Parents et professionnels devant l’autisme. Paris : CTNERHI,
1187-1200 1997 : 435-442 [94] Interview pour le Diagnostic de l’Autisme. Recherche (3e
[29] Bursztejn C, Alembik Y, Stoll G, Poupier G, Feller L, Hamon éd révisée 1991), traduction française de L’ADIR. Par
[60] Frith U. L’énigme de l’autisme (1989). Paris : Odile Jacob, Plumet MT, Recassens C, Waller D, LEBOYER M. Paris :
J, Tribout JC et al. Chromosome X-fragile dans l’autisme et 1992 : 1-318
les psychoses infantiles. Arch Fr Pédiatr 1992 ; 49 : 99-103 INSERM, 1993 : 1-91
[61] Geissmann CL, Duhamel P, Sutter AL, Geissmann P. Quel- [95] Isnard P. Les examens somatiques dans l’autisme. In : Aus-
[30] Bursztejn C, Ferrari P, Dreux C, Braconnier A, Lancrenon S. ques réflexions à propos d’une forme de traitement
Métabolisme de la sérotonine dans l’autisme infantile. silloux C éd. Évaluation de l’autisme infantile. France
précoce de l’autisme et des psychoses infantiles : l’hospita- Telecom Fondation, 1997 : 46-55
Encéphale 1988 ; 14 : 413-419 lisation à domicile, In : Hommage à Frances Tustin, Saint
[31] Bursztejn C, Golse B, Danion-Grilliat A. Autisme infantile et André de Cruzières. Audit, 1993 [96] Jacobson JW, Janick MP. Observed prevalence of multiple
pathologie organique. Ann Pédiatr 1986 ; 33 : 679-685 developmental disabilities. Ment Retard 1983 ; 21 : 87-94
[62] Gillberg C, Steffenburg S. Outcome and prognostic factors
[32] Bursztejn C, Mazet P. Nouvelles classifications en psychia- infantile autism and similars conditions: populations based [97] Kanner L. Autistic disturbances of affective contact. Nerv
trie de l’enfant. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, study of 46 cases followed through puberty. J Autism Dev Child 1943 ; 2 : 217-230
37-200-B-10, 1991 : 1-6 Disord 1987 ; 17 : 273-287 [98] Kanner L. Early infantile autism. J Pediatr 1944 ; 25 : 211-217

26
Psychiatrie Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant 37-201-G-10

[99] Kanner L. Follow-up study of eleven autistic children origi- [132] Lucas G. Points de vue sur les études catamnestiques. Le [163] Ornitz ER. Neurophysiologic studies of infantile autism.
nally reported in 1943. J Autism Child Schizophr 1971 ; 1 : devenir des psychoses de l’enfant traités en hôpital de In : Cohen DF, Donellan AM eds. Handbook of autism
119-145 jour. In : Mazet P, Lebovici S éd. Autisme et psychoses and pervasive developmental disorders. New York : J
de l’enfant. Les points de vue actuels. Paris : PUF, 1990 : Wiley, 1987 : 148-165
[100] Klein M. Notes sur quelques mécanismes schizoïdes 179-201
(1946). In : Klein M, Heimann P, Isaacs S, Riviere J éd. [164] Panskepp J. A neurochemical theory of autism. Trends
Développements de la psychanalyse. Paris : PUF, 1966 [133] MacEachin JJ, Smith T, Lovaas OI. Long-term outcome Neurosci 1979 ; 2 : 174-177
for children with autism who received early intensive [165] Parquet P, Bursztejn C, Golse B. Soigner, éduquer
[101] Klein M. L’importance de la formation du symbole dans behavioral treatment. Am J Ment Retard 1993 ; 97 :
le développement du Moi (1930). In : Essais de l’enfant autiste ? Paris : Masson, 1990 : 1-222
359-372
psychanalyse. Paris : Payot, 1967 : 263-278 [166] Pedersen J, Livoir-Petersen MF, Schelde JT. An ethological
[134] Mahler M. Psychose infantile. Symbiose humaine et aproch to autism: an analysis of visual behaviour and
[102] Klein M. La psychothérapie des psychoses (1930). In : individuation (1968). Paris : Payot, 1973 : 1-252
Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 1967 : 279-282 interpersonal contact in child versus interaction. Acta
[135] Malvy J, Adrien JL, Rouby P, Roux S, Sauvage D. Signes Psychiatr Scand 1989 ; 80 : 346-355
[103] Klein M. Contribution à l’étude de la psychogenèse des précoces de l’autisme et retard mental. Devenir 1996 ; 8 :
états maniaco-dépressifs (1934). In : Essais de [167] Perron R, Rybas D. Autismes de l’enfance. Paris : PUF,
39-58 1994
psychanalyse. Paris : Payot, 1967 : 311-340
[136] Malvy J, Rouby P, Receveur C, Sauvage D. Histoire [168] Plumet MH. L’autisme : un trouble de l’intelligence
[104] Klein M. Le deuil et ses rapports avec les états naturelle de l’autisme infantile. Encéphale 1997 ; 23 :
maniacodépressifs (1940). In : Essais de psychanalyse. sociale ? Des faits aux modèles. ANAE 1993 ; 5 : 129-135
28-33
Paris : Payot, 1967 : 341-369 [169] Plumet MH, Hughes C, Tardif C, Mouren-Simeoni MC.
[137] Mannoni M. L’enfant, « sa maladie » et les autres. Paris : L’hypothèse d’un déficit des fonctions exécutives dans
[105] Klein M. Psychanalyse d’un enfant (1961). Paris : Tchou, Le Seuil, 1967 : 1-252
1973 : 1-455 l’autisme. Psychol Fr 1998 ; 43 : 157-167
[138] Mannoni M. Éducation impossible. Paris : Le Seuil, 1973 [170] Polytarides V. Études à partir de films familiaux des
[106] Klein M. La technique psychanalytique du jeu (1953).
Psychiatr Enf 1981 ; 24 : 197-221 [139] Manzano J. L’enfant psychotique devenu adulte. Étude premières manifestations avant la constitution du
catamnestique de 20 années sur 100 cas. Rev syndrome d’autisme infantile précoce. [thèse], Dijon,
[107] Klin A, Miles LC, Vokmar FR, Cohen DJ. Multiplex Neuropsychiatr Enf Adolesc 1986 ; 35 : 429-443 1998 : 1-124
developmental disorders. Dev Behav Pediatr 1995 ; 16 :
7-11 [140] Marcelli D. Position autistique et naissance de la psyché. [171] Prior MR. Cognitive abilities and disabilities in infantile
Paris : PUF, 1986 : 1-194 autism: a review.J Abnorm Child Psychol 1979 ; 7 :
[108] Knobloch H, Pasamanick B. Some etiologic and 357-380
prognosis factors in early infantile autism and psychoses. [141] Martineau J, Barthelemy C, Muh JP, Jouve L, Lelord G.
Pediatrics 1975 ; 55 : 182-191 Évaluations cliniques et biochimiques des effets [172] Prior MR, Bradshaw JL. Hemisphere functioning in
thérapeutiques de l’association vitamine B6-Magnésium autistic children. Cortex 1979 ; 15 : 73-81
[109] Kubicek L. Organization in to mother-infant interactions chez l’enfant autiste. Psychol Méd 1986 ; 491-499
involving anormal infant and his fraternal twin mother [173] Prior MR, Tress B, Hoffman WL, Bolt D. Computed
who was later diagnosed as autistic. In : Field TM ed. [142] Massie H. The early natural history of childhood tomographic study in children with classic autism. Arch
High-risk infants and children. New York : Academic psychosis: 10 cases studied by analysis of family home Neurol 1984 ; 41 : 482-484
Press, 1980 : 99-110 movies of the infancies of the children. J Am Acad Child [174] Ritvo ER, Freeman BJ, Mason-Brothers A, Mo A, Rivto
Psychiatry 1978 ; 17 : 29-45 AM. Concordance for the syndrome of autism in 40 pairs
[110] Lang JL. Aux frontières de la psychose infantile. Paris :
PUF, 1978 : 1-279 [143] Massie H, Rosenthal J. Childhood psychosis in the first of afflicted twins. Am J Psychiatry 1985 ; 142 : 74-77
four years of live. New York : Mac Graw Hill, 1984 : [175] Ritvo ER, Freeman BJ, Scheibel AB, Duong T, Robinson H,
[111] Launay JM, Bursztejn C, Ferrari P, Dreux C, Braconnier A, 1-315
Zarifian E et al. Catecholamines metabolism in infantile Guthrie D et al. Lower purkinje cell counts in the
autism. A controlled study of 22 autistic children. J [144] Mazet P. Dysfonctionnements interactifs précoces et cerebella of four autistic subjects: initial findings of the
Autism Dev Disord 1987 ; 17 : 333-347 évolution autistique ultérieure. In : Mazet P, Lebovici S UCLA-NSAC autopsy research report. Am J Psychiatry
éd. Autisme et psychoses de l’enfant. Paris : PUF, 1990 : 1986 ; 143 : 862-866
[112] Launay JM, Ferrari JP, Haimart M, Bursztejn C, Tabuteau 165-178
F, Braconnier A et al. Serotonin metabolism and other [176] Ritvo ER, Spence MA, Freeman BJ, Mason-Brothers A, Mo
biochemical parameters in infantile autism. A controlled [145] Mazet P. Imitation, interaction et harmonisation A, Marazita ML. Evidence for autosomal recessive
study of 22 children. Neuropsychobiology 1988 ; 20 : affectives dans la première année. In : Hochmann J, inheritance in 46 families with multiple incidences of
1-11 Ferrari P éd. Imitation, identification chez l’enfant autiste. autism. Am J Psychiatry 1985 ; 142 : 187-192
Paris : Bayard, 1992 : 61-78 [177] Ritvo ER, Yuwiler A, Geller E, Ornitz EM, Saeger K, Plotkin
[113] Laurent E. La psychose de l’enfant dans l’enseignement
de Jacques Lacan, In quarto 1982 ; 9 [146] Mazet P. Quelle pratique de l’évaluation avec de jeunes S. Increased blood serotonin and platelets in early
enfants dans le domaine de l’autisme infantile ? In : infantile autism. Am J Psychiatry 1970 ; 23 : 566-572
[114] Lebovici S, Diatkine R, Lavondes V, Debray R, Shentoub Aussilloux C éd. Évaluation de l’autisme infantile. France
V. Éléments d’une recherche concernant l’avenir éloigné [178] Robichez-Dispa A, Cyrulnik B. Observation éthologique
Telecom Fondation, 1997 : 96-102 comparée du geste de pointer du doigt chez des enfants
des psychoses de l’enfant. Rev Neuropsychiatr Enf Adolesc
1967 : 1-2 [147] Mazet P, Lebovici S. Autisme et psychoses de l’enfant. normaux et des enfants psychotiques. Rev Neuropsychiatr
Paris : PUF, 1990 : 1-208 Enf Adolesc 1992 ; 40 : 292-299
[115] Lebovici S, Duché DJ. Les concepts d’autisme et de
psychose chez l’enfant. In : Mazet P, Lebovici S éd. [148] Mazet P, Stoleru S. Autisme infantile et troubles [179] Rogé B. Place de l’ADI dans l’évaluation de l’autisme. In :
Autisme et psychoses de l’enfant. Paris : PUF, 1990 : 9-18 psychotiques précoces. In : Mazet P, Stoleru S éd. Aussilloux C éd. Évaluation de l’autisme infantile. France
Psychopathologie du nourrisson et du jeune enfant. Telecom Fondation, 1997 : 15-19
[116] Lebovici S, MacDougall J. Un cas de psychose infantile. Paris : Masson, 1993 : 188-210
Paris : PUF, 1960 [180] Rosenfeld J. Les dysfonctionnements interactifs précoces.
[149] Meltzer D, Bremner J, Hoxter S, Weddell D, Wittenberg Méd Enf 1988 ; 22 : 363-365
[117] Leboyer M. Autisme infantile, faits et modèles. Paris : I. Explorations dans le monde de l’autisme (1975). Paris :
PUF, 1985 [181] Rosenfeld J, Korolitski E, Coyer G, Montes De Oca M.
Payot, 1980 : 1-266 Transformation, déformation, dysfonctionnements des
[118] Leboyer M, Philippe A. Facteurs de susceptibilité dans [150] Meltzer D, Sabatini Scolmati A. La maladie psychotique interactions précoces. Psychiatr Enf 1990 ; 33 : 479-520
l’autisme infantile. Inf Psychiatr 1994 ; 70 : 469-475 dans la petite enfance. Lieux Enf 1985 ; 3 : 93-110 [182] Rosenfeld J, Mazet PH. Les dysfonctionnements
[119] Leckman JF, Cohen DJ, Shaywitz BA, Caparulo BK, [151] Meltzoff A, Gopnick A. The role of imitation in interactifs précoces. In : Carel A, Hochmann J, Vermorel
Heninger GR, Bowers MB. CSF monoamine metabolites understanding persons and developing a theory of mind. H éd. Le nourrisson et sa famille. Lyon : Cesura, 1990 :
in child and adult psychiatric patients. Arch Gen In : Baron-Cohen S, Tiger-Fluchberg H, Cohen D eds. 191-202
Psychiatry 1980 ; 37 : 677-681 Understandind other minds: perspectives from autism. [183] Rutter M, Bartak L. Causes of infantile autism: some
[120] Le Couteur A, Rutter M, Lord C, Rios P, Robertson S, Oxford University Press, 1993 : 335-366. considerations from recent research. J Autism Dev Disord
Holdgrafer M et al. Autism diagnostic Interview: a [152] Mises R. Cinq études de psychopathologie de l’enfant. 1971 ; 1 : 20-22
standardized investigator-based instrument. J Autism Dev Toulouse : Privat, 1981 : 1-196
Disord 1989 ; 19 : 363-387 [184] Rutter M, Schopler E. L’autisme. Une réévaluation des
[153] Mises R. Les pathologies limites de l’enfance. Paris : PUF, concepts et du traitement (1978). Paris : PUF, 1991 :
[121] Ledoux M. Conceptions psychanalytiques de la psychose 1990 : 1-176 1-653
infantile. Paris : PUF, 1984 : 1-348
[154] Mises R. Principaux aspects cliniques de l’autisme et des [185] Sauvage D. Autisme du nourrisson et du jeune enfant.
[122] Lefort RR. Naissance de l’autre. Paris : Le Seuil, 1980 psychoses précoces. In : Mises R, Grand P éd. Parents et Paris : Masson, 1988 : 1-211
[123] Lefort RR. Les structures de la psychose. Paris : Seuil, professionnels devant l’autisme. Paris : CTNERHI, 1997 : [186] Schain RJ, Freedman DX. Studies on 5-hydroxy indole
1988 29-44 metabolism in autistic and other mentally retarded
[124] Lelord G, Sauvage D. L’autisme de l’enfant. Paris : [155] Mises R, Fortineau J, Jeammet P, Lang JL, Mazet P, children. J Pediatr 1961 ; 58 : 315-320
Masson, 1990 : 1-300 Plantade A et al. Classification française des troubles [187] Schain RJ, Yannet H. Infantile autism. J Pediatr 1960 ; 57 :
[125] Le Louarn P, Moraine C, Perrot A, Barthelemy C, Garreau mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Psychiatr Enf 560-567
B, Sauvage D. Autisme et syndrome de l’X-fragile. 1988 ; 31 : 67-134
[188] Schopler E. Naissance du programme TEACH : principe,
Aspects pédopsychiatriques. Arch Fr Pédiatr 1989 ; 46 : [156] Mises R, Grand PH. Parents et professionnels devant mise en pratique et évaluation. In : Mises R, Grand P éd.
211-216 l’autisme. Paris : CTNERHI, 1997 : 1-446 Parents et professionnels devant l’autisme. Paris :
[126] Lemay M. Approche pluridisciplinaire du diagnostic [157] Mises R, Moniot M. Les psychoses de l’enfant. Encycl Méd CTNERHI, 1997 : 191-208
d’autisme. Perspect Psychiatr 1996 ; 35 : 8-12 Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-299, 1970 : 1-4 [189] Schopler E, Richler RJ, De Vellis RF, Daly K. Échelle
[127] Lobascher M, Kingerlee P, Gubbay S. Childhood autism: [158] Mises R, Perron R. L’adolescence des enfants autistes et d’évaluation de l’autisme infantile. Issy-les-Moulineaux :
aetiological factors in 25 cases. Br J Psychiatry 1970 ; psychotiques. Une recherche. Rev Neuropsychiatr Enf EAP, 1989 : 213-224
117 : 525-529 Adolesc 1993 ; 41 : 36-50 [190] Shah A, Frith U. An islet of ability in autistic children: a
[128] Lord C, Rutter M, Goode S, Heemsbergen J, Jordan H, [159] Nadel J. Imitation et communication. Un abord research note. J Child Psychol Psychiatry 1983 ; 24 :
Mawhood L et al. Autism diagnostic observation comparatif de l’enfant prélangagier et de l’enfant autiste. 613-620
Schedule: A standardized observation of communicative In : Hochmann J, Ferrari P éd. Imitation, identification [191] Sigman M, Ungerer J. Sensorimotor skills and language
social behavior. J Autism Dev Disord 1989 ; 19 : 185-212 chez l’enfant autiste. Paris : Bayard-INSERM-CTNERHI, comprehension in autistic children. J Abnorm Child
[129] Lotter V. Epidemiology of autistic conditions in young 1992 : 79-106 Psychol 1981 ; 9 : 149-165
children: II. Some characteristics of the parents and [160] Niwa S, Ohta M, Yamazaki K. P300 and stimulus [192] Sigman M, Ungerer JA, Mundy P, Sherman T. Cognition
children. Soc Psychiatry 1967 ; 1 : 163-173 evaluation process in autistic subjects. J Autism Dev Disord in autistic children. In : Cohen DJ, Donnellan AM eds.
[130] Lovaas OI, Smith T. A comprehensive behavioral theory 1983 ; 13 : 33-42 Handbook of autism and pervasive developmental
of autistic children: paradigm for research and [161] Organisation Mondiale de la Santé. Classification disorders. New York : John Wiley, 1987 : 103-120
treatment. J Behav Ther Exp Psychiatry 1989 ; 20 : 17-29 internationale des troubles mentaux et des troubles du [193] Siverts BE, Jensen LL, Martinsen H, Sundet JM.
[131] Lowe T, Tanaka K, Seashore M, Young J, Cohen D. comportement. Paris : Masson, 1993 Differences in the use of diagnostic category “early
Detection of phenylketonuria in autistic and psychotic [162] Ornitz EM, Rivto ER. Perceptual inconstancy in early infantile autism”. Acta Paedopsychiatr 1982 ; 48 :
children. JAMA 1980 ; 243 : 126-128 infantile autism. Arch Gen Psychiatry 1968 ; 18 : 76-98 123-132

27
37-201-G-10 Autisme infantile et psychoses précoces de l’enfant Psychiatrie

[194] Smalley SL, Asarnow RF, Spence A. Autism and genetics. [204] Tordjmann S, Spitz E, Antoine C, Carlier M, Roubertoux [216] Widlöcher D. Traits psychotiques et organisation du Moi.
Arch Gen Psychiatry 1988 ; 45 : 953-961 P. Approche intégrée de l’autisme infantile. Psychol Fr In : Doucet P, Laurin C eds. Problems of psychosis.
[195] Soulayrol R, Sokolowsky M, Vion-Dury J, Moulinas C, 1998 ; 43 : 185-195 Amsterdam : Excerpta Medica, 1971
Cazes O. Le dos, un mode d’approche préférentielle chez [205] Tustin F. Autisme et psychose de l’enfant (1972). Paris :
l’enfant psychotique ? Rev Neuropsychiatr Enf Adolesc Le Seuil, 1977 : 1-200 [217] Widlöcher D. Étude psychopathologique des états
1987 ; 35 : 29-33 [206] Tustin F. Les états autistiques chez l’enfant (1981). Paris : prépsychotiques. Rev Neuropsychiatr Enf Adolesc 1973 ;
[196] Soulé M. L’enfant qui venait du froid. In : Soulé M éd. Le Seuil, 1986 : 1-325 21 : 735-744
Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée. Paris : [207] Tustin F. Le trou noir de la psyché (1986). Paris : Le Seuil,
ESF, 1978 : 79-109 1989 [218] Wing L. Asperger syndrome: a clinical account. Psychol
[197] Soulé M, Golse B. Les traitements des psychoses de [208] Tustin F. Autisme et protection (1990). Paris : Le Seuil, Med 1981 ; 11 : 115-129
l’enfant et de l’adolescent. Paris : Bayard-CTNERHI- 1992
INSERM, 1992 : 1-451 [209] Tustin F. Autistic children who are assessed as not brain- [219] Winnicott D. Collected papers. London : Tavistock, 1958
[198] Sparrow SS, Balla DA, Cichetti DV. Vineland adaptative damaged. J Child Psychother 1994 ; 20 : 103-131
behavior scale. Circles Pines : American Guidance [210] Venter A, Lord C, Schopler E. Follow-up study of [220] Winnicott D. Psychose et soins maternels (1952). In : De
Service, 1984 highfunctionning autistic children. J Child Psychol la pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969 :
[199] Stern D. Mère-enfant. Les premières relations. Bruxelles : Psychiatry 1992 ; 33 : 489-507 98-108
Pierre Mardaga, 1977 : 1-198 [211] Vernier C. Syndrome d’Asperger, aspects cliniques et
[200] Tanguay PE, Edwards RM, Buchwald J, Schwafel J, Allen nosologiques. [mémoire pour le DES de Psychiatrie], [221] Winnicott D. Intégration du Moi au cours du
V. Auditory brainstem response abdnormalities in autistic Université Paris Sud, 1997 : 1-188 développement de l’enfant (1962). In : Processus de
children. Arch Gen Psychiatry 1982 ; 39 : 174-188 [212] Vidal JM, Dardenne P, Badiche A. Rencontres diadiques maturation chez l’enfant. Paris : Payot, 1970 : 9-18
[201] Tordjmann S. Vers une approche intégrée clinico- et triadiques avec des autistes. Évaluation des effets de
biologique de l’autisme. Perspect Psychiatr 1996 ; 35 : leur alternance. Perspect Psychiatr 1996 ; 35 : 59-63 [222] Winnicott D. La schizophrénie infantile en termes
13-22 [213] Vigotski LS. Development of higher functions, In : d’adaptation (1967). Enfance Aliénée 1972 : 10-18
[202] Tordjmann S. Les échelles d’évaluation de l’autisme Psychological Research in the URSS, Moscou, 1966
infantile : quels intérêts ? Quelles limites ? In : Aussilloux [214] Volkmar F, Cichetti DV, Bregman J, Cohen DJ. [223] Winnicott D. La crainte de l’effondrement (1974). Nouv
C éd. Évaluation de l’autisme infantile. France Telecom Psychological markers in the detection of autism in Rev Psychanal 1975 ; 11 : 34-44
Fondation, 1997 : 20-27 infancy in a large population. Br J Psychiatry1996 ; 168 :
[203] Tordjmann S, Ferrari P, Golse B, Bursztejn C, Botbol M, 158-163 [224] Zilbovicius M, Garreau B, Samson Y, Remy P, Barthelemy
Lebovici S et al. « Dysharmonies psychotiques » et [215] Wetherby AM, Prutting CA. Profiles of communicative C, Syrota A et al. Delayed maturation of the frontal
« multiplex developmental disorder » : histoire d’une and cognitive-social abilities in autistic children. J Speech cortex in childhood autism. Am J Psychiatry 1995 ; 152 :
convergence. Psychiatr Enf 1997 ; 40 : 473-504 Hear Res 1984 ; 27 : 364-377 248-252

28
¶ 37-201-D-10

Dépistage des troubles du langage oral


chez l’enfant et leur classification
C. Billard

Le langage oral est essentiel à la communication. Il est également très prédictif des acquisitions en
langage écrit. Un dépistage précoce des troubles du développement du langage oral est donc une
condition essentielle à un développement harmonieux de l’enfant et à une lutte efficace contre l’échec
scolaire et ses conséquences sociales et psychoaffectives. Un réel effort de développement existe depuis
quelques années, tant en termes d’instruments de dépistage que de batteries d’évaluation diagnostique
précise. Mais, les troubles du langage n’ont pas une valeur univoque : ils peuvent s’inscrire dans une
autre pathologie primitive (troubles du langage secondaires à une surdité, une déficience mentale ou un
trouble envahissant du développement), ou bien être isolés, primitifs et spécifiques. Le développement du
langage oral est aussi très étroitement intriqué dans les relations de l’enfant avec son environnement
psychoaffectif et socioculturel. La distinction entre les troubles secondaires et primitifs ainsi que la prise en
compte du contexte environnemental dans lequel le trouble s’inscrit est essentielle pour l’orientation
thérapeutique. Une prise de conscience se profile chez les professionnels de la santé et de l’éducation
nationale sur l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour le diagnostic, le traitement et la pédagogie
appropriés aux enfants porteurs de troubles spécifiques du développement du langage oral.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Langage oral ; Enfant ; Dépistage ; Orthophonie ; Test

Plan dysphasiques étaient à 8 ans mauvais lecteurs, contre 25 % des


retards de langage et environ 10 % seulement pour les anciens
prématurés. Une enquête rétrospective [3] sur les compétences
¶ Introduction 1
en lecture de 24 enfants dysphasiques âgés de plus de 9 ans
¶ Développement normal du langage oral : quelques données 1 confirme la fréquence des troubles d’apprentissage du langage
¶ Quand et comment dépister un trouble du langage oral écrit dans cette population dysphasique (10/24 non-lecteurs,
chez l’enfant ? 2 10/24 avec un niveau de lecture inférieur à 7 ans et 4/24 seu-
¶ Classification des troubles du langage oral : lement lecteurs courants).
troubles secondaires et spécifiques 2 Les troubles du langage oral peuvent avoir diverses significa-
Troubles développementaux et acquis 3 tions. Les enfants qui en souffrent sont à risque de difficultés
Troubles secondaires et troubles spécifiques 3 d’apprentissage du langage écrit. Ces éléments sont à l’origine
Troubles spécifiques (ou primitifs) du langage oral (TSDLO) 3 des grands principes du dépistage et des actions de soins.
¶ Conclusion 4
■ Développement normal
du langage oral : quelques données
■ Introduction
La capacité d’un nouveau-né à apprendre sa langue mater-
L’enquête épidémiologique de Silva [1] souligne qu’environ nelle ne cesse d’étonner. En quelques années, il va pouvoir
7 % des enfants de 3 ans et demi ont un déficit du développe- maîtriser un système complexe de propriétés phonologiques,
ment du langage oral (- 2 écarts types) et près d’un enfant sur lexicales et syntaxiques, qui lui permettra de donner un sens à
deux avec un tel déficit aura, à 7 ans, la persistance d’un déficit son langage (sémantique) et d’entrer en communication (prag-
du langage oral et/ou un déficit en lecture ou une déficience matique). Ces capacités cognitives vont agir en interaction avec
mentale. Ceci souligne qu’un trouble du langage oral dès cet le développement psychoaffectif.
âge aura, près d’une fois sur deux, une signification de patho- Les techniques d’imagerie cérébrale apportent aujourd’hui
logie durable, et que sa signification peut être différente une conception plus claire sur plusieurs points : la spécialisation
puisqu’il peut évoluer soit vers une déficience mentale, soit vers hémisphérique gauche dans le traitement de la parole est très
une dyslexie, soit être transitoire. précoce [4], et le déroulement de l’acquisition du lexique et de
Enfin, les déficits du développement du langage oral sont très la morphosyntaxe est rapide avant 3 ans [5]. Dès les premiers
fortement prédictifs de déficit ultérieur en lecture. Menyuk [2] a mois, le bébé perçoit les sons de la parole et reconnaît les mots
suivi jusqu’à l’âge de 8 ans, trois populations d’enfants diagnos- grammaticaux de sa langue en s’appuyant sur le rythme de la
tiqués à 5 ans comme porteurs d’un retard de langage, ou d’une parole. Vers 7-8 mois, les bébés sont capables de reconnaître et
dysphasie de développement, en comparaison à une population de mémoriser des formes syllabiques de type « mot ». Vers
contrôle d’anciens prématurés. La quasi-totalité des enfants 9-10 mois, le babillage est considéré comme un moment clé du

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-201-D-10 ¶ Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification

développement langagier prédictif des troubles des apprentissa- À 4 ans et plus, il est possible de mettre l’enfant dans une
ges ultérieurs [6]. Puis l’explosion lexicale est l’un des phénomè- situation d’évaluation plus formelle. L’ERTL 4 permet d’explorer
nes les plus spectaculaires, dans toutes les langues du monde, rapidement (5 à 10 minutes) et globalement les compétences
marqué par un brusque accroissement du vocabulaire entre langagières dans la classe d’âge 3 ans 9 mois à 4 ans 6 mois
12 et 30 mois. L’adaptation française de l’inventaire du déve- (épreuves de repérage des troubles du langage, Roy B, Maeder,
loppement communicatif de Bates-Mac-Arthur (Communicative Com-Medic, Vandœuvre) [13]. Il ne permet pas de différencier les
Development Inventories, CDI), a permis d’obtenir des données déficits de compréhension ou d’expression du langage. Il ne
françaises sur la croissance très rapide du vocabulaire entre 16 et permet pas non plus de différencier les déficits spécifiques du
20 mois [7]. En ce qui concerne la prononciation des mots, les langage oral des déficits secondaires en particulier à une
enfants mettront ensuite plus de 2 ans à partir de leurs premiers déficience mentale du fait de l’absence d’épreuves non
mots pour que la coordination fine de plusieurs dizaines de langagières.
muscles, leur permette d’articuler l’inventaire complet des L’ERTL A6 (épreuves pour le repérage des troubles du langage
consonnes et des voyelles. Ce qui explique que les retards de et des apprentissages), conçue par les mêmes auteurs, permet en
parole 1 ne sont pas réellement pathologiques avant 4 ans. Les environ 30 minutes le dépistage des troubles du langage à 6 ans
assemblages de mots se mettent en place très rapidement entre (Com-Medic, Vandœuvre [14]).
24 et 36 mois, évoluant jusqu’à environ 4 mots par énoncé [8]. Le BSEDS, destiné aux enfants de 5-6 ans, mis au point par
L’enfant apprend à utiliser de manière appropriée les articles, Zorman et Jacquier-Roux (bilan de santé évaluation du dévelop-
prépositions, marques d’accord du genre et du pluriel, puis pement pour la scolarité 5-6 ans, Laboratoire Cogni-Sciences et
enrichit régulièrement sa production syntaxique pour produire Apprentissages, Grenoble) explore, en 15 à 30 minutes selon la
des histoires cohérentes. La richesse de leur langage continue version, les compétences des enfants de 5-6 ans en langage,
ensuite à se développer, en particulier l’élaboration des diffé- traitement phonologique et perception visuelle [15]. Cet outil,
rents sens du lexique et du langage métaphorique. Les varia- étalonné chez 1 076 enfants, a été mis en place avec l’objectif
tions individuelles sont très bien décrites dans les études de dépister, en grande section de maternelle, les signes prédictifs
longitudinales (cf. infra). de difficultés ultérieures d’acquisition du langage écrit, afin
Il est évident que ces étapes décrites concernent uniquement d’établir un programme préventif en faveur des enfants à risque
le développement au sens neurolinguistique du terme. Ce de dyslexie.
développement est aussi intriqué à l’environnement linguistique La BREV (batterie rapide d’évaluation des fonctions cogniti-
et relationnel de l’enfant. ves, Signes Edition, Paris) a été étalonnée chez 700 enfants [16]
et validée en comparaison à une batterie de référence en deux
phases [17, 18]. Son objectif est de fournir aux professionnels de
■ Quand et comment dépister la santé un outil clinique soigneusement étalonné pour leur
un trouble du langage oral permettre de réaliser chez les enfants de 4 à 9 ans suspects d’un
déficit cognitif un examen clinique de première intention. Ses
chez l’enfant ? 17 subtests explorant non seulement le langage oral, mais aussi
les fonctions non verbales, la mémoire et les apprentissages
Tout dépistage doit obéir à trois « règles d’or » : scolaires, permettent également de préciser le profil de leur
• révéler précocement un déficit seulement s’il nécessite une déficit avec un raisonnement neuropsychologique.
action afin d’en limiter les conséquences néfastes ; Dès 3 ans, tout trouble du langage oral nécessite un examen
• aboutir à une action spécifique immédiate consécutive aux médical pour différencier un trouble du langage secondaire d’un
résultats du dépistage ; trouble spécifique [9]. Cette classification est indispensable afin
• ne pas étiqueter de façon péjorative une population à risque de décider si l’enfant doit être pris en charge et vers quel
alors qu’une partie seulement de cette population se révèlera professionnel l’orienter [10].
ultérieurement en difficulté.
Tout trouble du langage oral dès 3 ans, 3 ans et demi doit
être pris en considération et amener à une consultation médi-
cale [9] . L’enquête de Silva [1] , soulignant qu’un trouble du
langage oral dès cet âge aura, près d’une fois sur deux, une
signification de pathologie durable, a contredit l’adage tradi-
“ Points essentiels
tionnel du « ça s’arrangera ». Le souci d’agir le plus tôt possible Recommandations
sur les troubles du langage a amené à la création de plusieurs La première démarche devant un trouble du langage est
batteries de dépistage. Elle ne s’adressent pas toutes aux mêmes de différencier :
acteurs, n’ont pas le même objectif, ni les mêmes validations et
• les troubles acquis (survenant alors que le langage se
ne concernent pas les mêmes âges (pour revue, Rapport de la
commission sur les outils 2 ). Les batteries décrites ci-dessous
développait de façon normale), des troubles
permettent la réalisation d’un tel dépistage, par exemple développementaux où le langage se développe
lorsqu’une plainte sur le développement du langage est formu- anormalement mais régulièrement ;
lée par leurs parents ou leurs instituteurs. • les troubles spécifiques, isolés et primitifs, des troubles
Les outils français permettent le dépistage des troubles du secondaires qui peuvent s’expliquer par une autre
langage oral chez l’enfant [10]. pathologie (surdité, retard mental, trouble envahissant du
Le repérage des troubles du langage oral chez l’enfant de développement...) ;
3 ans se réalise essentiellement par interview des parents ou • les troubles spécifiques sévères (dysphasies) qui
enseignants et deux questionnaires ont été conçus à cet usage. nécessitent une prise en charge précoce et intensive, des
Le questionnaire Langage et Communication de Chevrie-
troubles modérés (retard de langage et de parole) le plus
Müller [11] est destiné aux enseignants de petite section de
maternelle, et a bénéficié d’une validation rigoureuse. Le DPL 3
souvent transitoires.
(Dépistage et Prévention du Langage, Ortho éditions, Isbergues),
est un questionnaire plus simple, moins rigoureusement validé,
mis en place par Coquet [12].
■ Classification des troubles
1
La prononciation des mots requiert les capacités d’articuler correctement les du langage oral : troubles
sons isolément (articulation) et celle de réaliser correctement les séquences de secondaires et spécifiques
sons à l’intérieur du mot (phonologie).
2
Les outils de dépistage, rapport de la commission interministérielle, L Vallée Une fois la plainte sur le langage oral confirmée, il convient
et G Delatollas, 2005. de préciser si le trouble s’inscrit dans une autre pathologie ou

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification ¶ 37-201-D-10

bien s’il est isolé, primitif, spécifique. Deux caractéristiques associé du langage oral ou du langage écrit. Il a été décrit chez
permettent une classification des troubles du langage : les anciens prématurés des difficultés dans la précision du
• leur caractère développemental ou acquis ; vocabulaire, dans les hémiplégies cérébrales infantiles avec
• leur caractère secondaire ou spécifique. lésion de l’hémisphère gauche des déficits de la compréhension
et de l’expression syntaxique. Deux diagnostics sont particuliè-
Troubles développementaux et acquis rement à évoquer dans ce cadre de déficit articulatoire neurolo-
gique. Les syndromes bioperculaires ou les syndromes
Les troubles du langage développementaux, où le langage pseudobulbaires, où l’atteinte neurologique motrice est limitée
s’établit de façon déficitaire, mais sans jamais régresser, sont les aux muscles bucco-linguo-laryngés. Ils doivent être évoqués
plus fréquents. Les troubles acquis, appelés aphasie, sont plus devant un bavage persistant témoignant d’une apraxie buccofa-
rares. Ils sont le plus souvent liés à un accident neurologique
ciale. L’apraxie peut être d’intensité variable, gênant plus ou
aigu, traumatisme crânien, accident vasculaire cérébral, ou
moins l’intelligibilité de la parole. Lorsque le pronostic d’intel-
tumeur, et surviennent chez un enfant au langage antérieure-
ligibilité de la parole est défavorable, l’utilisation d’un code de
ment normal. Dans les troubles acquis, une place particulière
communication doit être discutée. Enfin, devant des signes
doit être faite au syndrome de Landau-Kleffner, car leur recon-
évoquant une insuffisance du voile du palais, rejet par le nez en
naissance est souvent retardée. Ce syndrome comporte une
dehors de tout vomissement en période périnatale ou nasonne-
aphasie touchant le plus souvent à la fois la compréhension et
ment persistant, associé à une discrète dysmorphie, une délétion
la production du langage, évoquant de premier abord une
du chromosome 22 (22q11) doit être recherchée en biologie
surdité acquise. Cette aphasie est liée à une épilepsie particulière
moléculaire.
du fait de la rareté des crises et de la fréquence des anomalies
paroxystiques électroencéphalographiques dans le sommeil. Les troubles de la communication, en particulier les troubles
Toute régression du langage oral et/ou trouble massif de la envahissants du développement, se présentent aussi comme un
compréhension doit faire évoquer le syndrome de Landau- trouble du développement du langage oral associé à un trouble
Kleffner et amener à une consultation spécialisée neuro- des autres communications visuelles et tactiles. Les troubles du
pédiatrique. langage sont en règle le symptôme d’alarme de l’autisme
infantile. Lorsqu’il existe un doute sur la communication de
l’enfant, un avis pédopsychiatrique s’impose pour confirmer ou
Troubles secondaires et troubles spécifiques non le diagnostic et établir le programme de soins [19]. Lorsqu’il
La première démarche devant un trouble du développement existe une atteinte à la fois de la communication et du langage,
du langage est de différencier les déficits secondaires et les la symptomatologie est infiniment différente d’un enfant à
déficits spécifiques. l’autre. Pour certains enfants, les troubles de communication
Dans les déficits secondaires, le trouble du développement du sont au premier plan et sont l’objectif thérapeutique prédomi-
langage oral peut être entièrement expliqué par la pathologie nant. Pour d’autres enfants, ils sont soit d’emblée, soit secon-
primitive. C’est cette pathologie qui guide les évaluations dairement après un travail thérapeutique sur la communication,
complémentaires et le pronostic. Le traitement orthophonique au second plan et l’analyse précise de l’atteinte langagière sera
doit s’inscrire dans un contexte pluridisciplinaire, coordonné indispensable pour diriger la rééducation. Des programmes de
par le spécialiste de la pathologie primitive. réhabilitation de la communication, de la sociabilité et de la
La surdité est la première cause à évoquer de trouble du cognition, ont été développés ces dernières années avec une
langage secondaire. Elle doit être recherchée devant tout déficit participation des familles.
du développement du langage, par au minimum les jouets La frontière la plus difficile est la frontière avec les troubles
sonores, un examen des tympans, la voix chuchotée hors de la du comportement ou émotionnels.
vue de l’enfant. Une audiométrie objective tonale ou des Les carences psychoaffectives et les troubles de la relation
potentiels évoqués s’imposent au moindre doute ou devant tout précoce peuvent s’accompagner d’un retard de développement
trouble de la compréhension ou tout trouble durable de la du langage oral [19]. Mais un déficit du langage entraîne aussi
perception des sons ou de la production phonologique. Toute souvent une perturbation des relations de l’enfant à autrui. De
pathologie ORL associée à un trouble du langage doit être sorte que l’association « trouble du langage » et « trouble du
activement traitée. La proportion de diagnostic tardif de surdité comportement ou de la relation » nécessite un double regard
profonde reste encore non négligeable. neurologique et pédopsychiatrique sans forcément chercher à
Le retard mental est la cause la plus fréquente des déficits définir le trouble initial ni un lien de causalité.
secondaires. La déficience mentale légère a pour signe essentiel La responsabilité d’un éventuel bilinguisme dans un trouble
un déficit du langage à l’âge préscolaire alors que la déficience du développement du langage oral est également un problème
mentale profonde se révèle par une hypotonie dans la première difficile. Le milieu socioculturel influe évidemment sur le
année de la vie. Le déficit du langage dans la déficience mentale développement du langage (en particulier la richesse du voca-
touche à la fois la compréhension et le lexique. Un déficit bulaire), comme en témoignent les expériences de l’ERTL 4 chez
intellectuel est suggéré en comparant les compétences verbales les enfants bilingues dont les résultats sont très souvent en
et non verbales, par exemple par une évaluation clinique à dessous du seuil pathologique. En même temps le bilinguisme
l’aide la BREV. Un doute sur les compétences non verbales ne rend pas compte à lui seul d’un trouble de production
impose la mesure par un psychologue d’un test psychométrique phonologique ou de production syntaxique. Il ne fait qu’aggra-
différenciant l’intelligence verbale et l’intelligence non verbale ver le déficit du langage. Un trouble du développement doit
(échelles de Wechsler : WPPSI ou WISC, par exemple). Certains donc être pris en compte comme tel, sur le plan des conseils
enfants présentent une déficience mentale associée à un trouble pédagogiques et de la rééducation, même chez un enfant
massif de la parole et/ou du langage. Par exemple dans certaines bilingue.
pathologies génétiques, le trouble du langage est bien plus
massif que le déficit des autres fonctions cognitives. Ces enfants
déficients mentaux ayant également un trouble massif et Troubles spécifiques (ou primitifs)
durable du langage oral nécessitent des prises en charge du langage oral (TSDLO)
spécifiques similaires à celles utilisées dans les dysphasies de
développement, mais leur déficience non verbale limite leur Ils se définissent, à la suite de la démarche diagnostique
possibilité d’acquisitions scolaires. précédente, comme les troubles qui ne peuvent pas s’expliquer
Une paralysie des organes de la voix retentit également sur le par un des grands cadres pathologiques précédemment évoqués.
développement de la parole et du langage oral. Le DSM IV [20] définit trois syndromes pour décrire les
Les enfants IMC (infirmité motrice cérébrale), lorsque leur troubles du langage et de la parole :
atteinte neurologique touche les muscles de la sphère buccofa- • les troubles de type expressif (prévalence 3 à 5 %). Ils se
ciale présentent un trouble de l’articulation gênant l’intelligibi- caractérisent par une expression orale aux épreuves standar-
lité. Ces enfants IMC peuvent également présenter un déficit disées nettement en dessous des scores d’intelligence non

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-201-D-10 ¶ Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification

verbale alors que la compréhension est relativement intacte ; dans les deux groupes. Cette étude évoque qu’il faut attendre
• les troubles de type mixte réceptif-expressif, plus rares, où les 5 ans pour que les caractéristiques de l’évaluation du langage
difficultés de compréhension s’associent aux difficultés permettent de différencier un trouble transitoire d’un trouble
d’expression ; persistant. Ces données concordent avec l’étude longitudinale
• les troubles phonologiques (prévalence 2 à 3 %), où les de Bishop [24] d’enfants avec trouble du langage oral suivis de
difficultés touchent essentiellement la capacité à produire les l’âge de 4 ans jusqu’à 5 ans 6 mois qui montrent que 37 % des
sons normalement acquis à chaque stade de développement, enfants n’ont plus aucun déficit à 5 ans. La revue systématique
compte tenu de l’âge de l’enfant. Ce trouble englobe aussi de Law [25] montre également que plus de 50 % des enfants
bien les défauts d’articulation (prononciation des sons détectés précocement comme présentant un trouble expressif du
isolément), que les difficultés purement phonologiques qui langage oral verront leur déficit disparaître à l’âge de 5-6 ans.
apparaissent dans la prononciation des sons à l’intérieur des Donc, même s’il est licite, au-delà du simple critère de gravité,
mots (substitutions [lavabo → tavalo], élisions [avabo]). de chercher les différences sémiologiques illustrant les phéno-
La classification de l’organisation mondiale de la santé ou mènes de déviances qui peuvent affecter les niveaux phonolo-
CIM-10 [21] se limite aux troubles développementaux clairement gique, syntaxique, sémantique, et pragmatique du langage oral
spécifiques, non attribuables à des anomalies neurologiques, des permettant définir le générique de « dysphasie » [26-28], il est
anomalies de l’appareil phonatoire, des troubles sensoriels, un souvent difficile de répondre précisément avant l’âge scolaire
retard mental ou des facteurs liés à l’environnement. La CIM- aux interrogations des parents sur le devenir. De sorte que la
10 décrit les trois mêmes syndromes/trouble du langage expres- conduite pragmatique est de suivre les recommandations
sif, ou bien mixte réceptif et expressif, ou enfin trouble d’indications de l’orthophonie dans ces troubles spécifiques sans
d’articulation. préjuger de l’avenir. Ces recommandations peuvent être résu-
Ces deux classifications se rapprochent de la littérature mées comme suit [9] : dès 3 ans et demi-4 ans un trouble
internationale qui définit sous le terme de « troubles spécifiques spécifique avec un ou plusieurs critères de gravité (inintelligibi-
du langage oral » (specific language impairment) les troubles du lité, agrammatisme, déficit en compréhension) nécessite une
développement du langage oral qui ne sont pas secondaires à évaluation orthophonique et une rééducation si l’enfant est
une autre pathologie [22]. Cette définition tient compte pure- coopérant. À partir de 5 ans tout trouble persistant de la parole
ment du caractère déficitaire du langage et de l’absence de ou du langage nécessite une évaluation orthophonique et une
pathologie primitive pouvant expliquer le déficit. Elle ne tient rééducation avec deux objectifs : l’amélioration du trouble du
pas compte du degré de gravité, ni du caractère déviant du langage oral et la préparation à l’acquisition du langage écrit. En
langage (ne respectant pas les étapes normales du développe- dépit d’études françaises évaluant précisément les effets des
ment) ou non déviant. Dans chacun des syndromes définis par soins dans les troubles du langage oral, la revue de littérature de
le DSM IV ou la CIM-10, il est décrit que « le trouble peut être Law et al. [29] concernant les effets des interventions thérapeu-
modéré et guérir, ou peut être sévère et persister à l’âge adulte ». tiques dans les troubles de parole et de langage, montre les
De nombreux auteurs ont donc dénoncé cette insuffisance effets bénéfiques sur les déficits phonologiques et lexicaux, tout
des critères diagnostiques du DSM IV et de la CIM-10, compte en soulignant le rôle que peuvent avoir les interventions
tenu de la différence massive sur le plan de la prise en charge réalisées par les parents sous la direction des professionnels.
et du pronostic. En France, il est classique, du fait du pronostic Enfin, les troubles du langage oral sont le facteur prédictif le
fondamentalement différent, de diviser les troubles spécifiques plus reconnu dans la littérature de difficultés ultérieures
du développement du langage en deux grandes pathologies : le d’acquisition de la lecture, particulièrement lorsqu’ils sont
retard simple de langage et les dysphasies. Dans le retard, le persistants [2, 30], donnant toute l’importance à leur dépistage et
langage se développe avec délai mais normalement, dans les prise en charge effective [9]. Ceci est d’autant plus important
dysphasies de développement, beaucoup plus rares, les troubles qu’avec une prise en charge pédagogique et rééducative adaptée,
sont structurels, sévères et durables, caractérisés par des altéra- le pronostic de lecture des enfants dysphasiques est trans-
tions particulières du langage oral avec des « déviances » formé [26, 31].
psycholinguistiques. Cette distinction est licite dans certains cas Il est clair que le diagnostic de « trouble spécifique du langage
portant peu à discussion : soit un trouble purement phonologi- oral » n’est pas toujours facile à établir, en particulier chez le
que expressif et modéré à 4 ans évoquant un retard simple, ou jeune enfant avant 5-6 ans. Il est difficile chez beaucoup
à l’inverse un trouble phonologique et syntaxique sévère avec d’enfants d’anticiper si le trouble sera transitoire ou bien
une inintelligibilité et une compréhension également modéré- persistant, si l’enfant aura ou non des difficultés d’apprentissage
ment altérée après 6 ans. Néanmoins dans de nombreux cas, de la lecture. Lorsque le trouble est sévère, il est plus souvent
entre 4 et 6 ans, il est extrêmement difficile de préjuger que associé à d’autres troubles principalement comportementaux et
l’évolution du trouble se fera soit vers la normalisation, soit vers émotionnels [32], d’intensité diverse, que parfaitement isolé. De
la durabilité des déficits. Il est également très difficile, dans ces sorte qu’il est indispensable de considérer les difficultés de
cas intermédiaires, d’anticiper si l’enfant va avoir ou non des l’enfant de façon pluridisciplinaire en s’appuyant sur l’évalua-
difficultés d’acquisition du langage écrit [2, 3] . Un certain tion précise en termes de profil et de gravité du trouble, sans
nombre d’arguments sémiologiques permettent de suggérer chez trop anticiper sur l’avenir. Le rôle du neuropédiatre dans le
un enfant d’âge préscolaire que son trouble aura ou n’aura pas diagnostic, l’indication et la coordination des soins orthopho-
l’évolution persistante d’un trouble structurel [22]. La richesse de niques et des conseils pédagogiques, et le rôle du psychiatre
production lexicale, la longueur moyenne des énoncés (phra- dans l’évaluation des troubles éventuels de communication,
ses), la diversité dans les productions des mots grammaticaux comportement ou de la relation, et l’indication des soins sont
(prépositions, pronoms...) et des verbes semblent pouvoir absolument complémentaires.
suggérer, sans certitude, la nature de l’évolution. Les études
longitudinales étrangères montrent également la difficulté
d’anticiper l’évolution d’un trouble du langage oral avant 5 ans. ■ Conclusion
Le suivi longitudinal de la grande cohorte de Lyytinen et al. [23]
a comparé l’évolution de deux groupes d’enfants de la naissance Les conséquences encore trop néfastes des troubles du
jusqu’à 6 ans, l’un formé de 107 enfants dits « à risque » car un développement du langage oral sur les apprentissages scolaires,
de leurs parents présentait un trouble du langage, versus un la vie sociale et professionnelle des enfants soulignent la
autre formé de 93 enfants dits « contrôles » sans antécédent nécessité absolue de construire des projets thérapeutiques et
familial. À 6 mois de vie, les potentiels évoqués montraient des pédagogiques efficaces pour les combattre. Ces troubles instru-
réponses statistiquement différentes dans les deux groupes. mentaux ne constituent qu’une faible partie des facteurs
Tandis que les évaluations de langage à 3 ans ne montraient responsables de l’illettrisme, à côté d’autres facteurs psychoaf-
aucune différence entre les deux groupes. Il fallait attendre l’âge fectifs et socioculturels, mais si ces derniers ont été jusqu’à
de 5 ans pour que les tests de compréhension, d’évocation maintenant l’objet de recherches pour leur prévention dans le
lexicale, et d’expression syntaxique montrent des différences monde pédagogique, psychanalytique et sociologique, en

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification ¶ 37-201-D-10

revanche les troubles instrumentaux au sens neuropsychologi- [12] Coquet F. Le DPL 3 (dépistage et prévention du langage à 3 ans). Pro-
que du terme sont trop longtemps restés en France insuffisam- position pour une utilisation en consultation médicale. Le Pédiatre
ment connus, reconnus et combattus. Or, tous les progrès de la 1999;35:130-3.
neuropsychologie et de la psychologie cognitive, qui ont fait [13] Alla F, Guillemein F, Colombo MC, Roy B, Maeder C. Valeur diagnos-
leurs preuves pour étudier les conséquences des lésions cérébra- tique de l’ERTL 4: Un test de repérage des troubles du langage chez
l’enfant de 4 ans. Arch Fr Pediatr 1998;5:1082-8.
les de l’adulte, commencent à porter leurs fruits dans les
[14] Roy B, Maeder C, Kipfer-PiquardA, Blanc JP. Projet de validation d’un
troubles développementaux de l’enfant. Ceci justifie une outil de repérage des troubles du langage et de l’apprentissage de
politique cohérente de dépistage, qui permette de mettre en l’enfant de 6 ans. Le Pédiatre 1999;171:58-60.
place des actions précoces, avant que les conséquences psy- [15] Zorman M, Jacquier-Roux M. Évaluation de la conscience
choaffectives de l’échec, incontournables chez l’enfant en phonologique et entraînement des capacités phonologiques en grande
difficulté quand on ne lui apporte pas de réponse appropriée, ne section de maternelle. Rééduc Orthophon 1999;197:139-57.
viennent compliquer considérablement, voire définitivement le [16] Billard C, Vol S, Livet MO, Motte J, Vallée L, Gillet P. The BREV
problème. Enfin, ce regard neuropsychologique et indispensable neuropsychological test. Part I. Results from 500 normally developing
ne doit en aucun cas faire oublier que la vie psychique des children. Dev Med Child Neurol 2002;44:391-8.
[17] Billard C, Motte J, Farmer M, Livet MO, Vallée L, Gillet P, et al. The
enfants interagit à tout moment, de façon souvent inextricable,
BREV neuropsychological test. Part II. Results of validation in children
avec les origines biologiques du fonctionnement cérébral sans with epilepsy. Dev Med Child Neurol 2002;44:398-404.
qu’aucun regard ne doive exclure l’autre. [18] Billard C, Ducot B, Pinton F, Coste-Zeitoun D, Picard S, Warszawski J.
.

BREV une batterie d’évaluation des fonctions cognitives : validation


dans les troubles des apprentissages. Ach Fr Pediatr 2006;13:23-31.
■ Références [19] Golse B. Le point de vue du psychiatre. Arch Pediatr 1999;6:389-91.
[20] DSM-IV-TR. Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux.
[1] Silva PA, McGee R, Williams SM. Developmental language delay from Paris: American Psychiatric Association-Masson; 2004.
3 to 7 years and its significance for low intelligence and reading [21] Classification Internationale des Maladies : troubles mentaux et trou-
difficulties at age 7. Dev Med Child Neurol 1983;25:783-93. bles du comportement. Critères de diagnostic pour la recherche. Paris:
[2] Menyuk P, Chesnik M, Liebergott JW. Predicting reading problems in OMS-Masson; 1994.
at-risk children. J Speech Hear Res 1991;34:893-903. [22] Le Normand MT. Le développement perturbé du langage : retard ou
[3] Billard C, Gillet P, Barthez MA. Du langage oral au langage écrit. Arch trouble spécifique? Nouv Rev AIS 2004;27:68-76.
Pediatr 1999;6(suppl2):387-8. [23] Lyytinen H,Ahonen T, Eklund K, Guttorm T, Kulju P, Laakso ML, et al.
[4] Dehaene-Lambertz G, Dehaene S, Hertz-Pannier L. Functional Early development of children at familial risk for dyslexia--follow-up
neuroimaging of speech perception in infants. Science 2002;298: from birth to school age. Dyslexia 2004;10:146-78.
2013-5. [24] Bishop DV, Edmundson A. Language-impaired 4-year-olds:
[5] Le Normand MT. Modèles Psycholinguistiques Du développement du distinguishing transient from persistent impairment. J Speech Hear
langage. In: Chevrie-Müller C, Narbona J, editors. Le langage de Disord 1987;52:156-73.
l’enfant, Aspects normaux et pathologiques. Paris: Masson; 1999. [25] Law J, Boyle J, Harris F, Harkness A, Nye C. Screening for primary
p. 27-42. speech and language delay: a systematic review of the literature. Int
[6] Bishop DV, Clarkson B. Written language as a window into residual J Lang Commun Disord 1998;33(suppl):21-3.
language deficits: a study of children with persistent and residual speech [26] Billard C, Duvelleroy-Hommet C, De Becque B, Gillet P. Dysphasie de
and language impairments. Cortex 2003;39:215-37. développement. Arch Pediatr 1996;3:580-7.
[7] Bovet F, Danjou G, Langue J, Morello M, Tockert E, Kern S. Les inven- [27] Gérard CL. Les dysphasies. Paris: Masson; 2002.
taires français du développement communicatif (IFDC) du nourrisson. [28] Rapin I. Developmental language disorders: nosologic considerations.
Med Enf 2005;25:327-32. In: Kirk U, editor. Neuropsychology of language, reading and spelling.
New York Academic Press; 2000. p. 155-81.
[8] Parisse C, Le Normand MT. How children build their morphosyntax:
[29] Law J, Garrett Z, Nye C. The efficacy of treatment for children with
The case of french. J Child Lang 2000;27:267-92.
developmental speech and language delay or disorder: a meta-analysis.
[9] Recommandations de L’orthophonie dans les Troubles Spécifiques du J Speech Lang Hear Res 2004;47:924-43.
Langage Oral de L’enfant De 3 A 6 Ans, ANAES (Agence Nationale [30] Bishop DV, Clarkson B. Written language as a window into residual
d’Accréditation et d’Évaluation De La Santé), 2001. Rééduc language deficits: a study of children with persistent and residual speech
Orthophon 2001;(n°spécial). and language impairments. Cortex 2003;39:215-37.
[10] Billard C. Le dépistage des troubles du langage chez l’enfant. Une [31] Coste-Zeïtoun D, Pinton F, Barondiot C, Ducot B, Warszawski J,
contribution à la prévention de l’illettrisme. Arch Pediatr 2001;8: Billard C. Évaluation ouverte de l’efficacité de la prise en charge en
86-91. milieu spécialisé de 31 enfants avec un trouble spécifique sévère du
[11] Chevrie-Muller C, Goujard J, Simon AM, Dufouil C. Questionnaire langage oral/écrit. Rev Neurol 2005;161:299-310.
« Langage et Communication »- Observation pour l’enseignant en [32] Noterdaene M, Amorosa H. Evaluation of emotional and behavioral
petite section de maternelle. Paris: Les Cahiers Pratiques d’ANAE- problems in language impaired children using the Child Behavior
PDG communication; 1994. Checklist. Eur Child Adolesc Psychiatry 1999;8:71-7.

C. Billard, Neurologue et pédiatre (catherine.billard@bct.ap-hop-paris.fr).


Centre de référence sur les troubles du langage de l’enfant, Hôpital Bicêtre, 78, rue du général Leclerc, 94275 Le Kremlin Bicêtre, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Billard C. Dépistage des troubles du langage oral chez l’enfant et leur classification. EMC (Elsevier Masson
SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-201-D-10, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
Pédopsychiatrie
[37-201-A-10]

Dépression chez le nourrisson

Bernard Golse : Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent (Paris V), psychanalyste,


responsable de l'Unité de psychiatrie infantile
hôpital Saint-Vincent-de-Paul, avenue Denfert-Rochereau, 75014 Paris France

© 1995 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

ANALYSE DESCRIPTIVE

Généralités

Il faut d'abord, rappeler une évidence métapsychologique à savoir que plus le bébé est
jeune et moins il est différencié et ceci aussi bien sur le plan intrapsychique
qu'extrapsychique.

De ce fait, dès que l'on parle de la dépression du bébé, la question de la dépression


maternelle (ou familiale) se profile ipso facto dans une sorte de réciprocité où cause et
conséquence se réverbèrent mutuellement au sein d'une boucle étiopathogénique parfois
très difficile à analyser et à interrompre.

En réalité, si la dépression maternelle est un des facteurs déterminants possibles de la


dépression du nourrisson - et même un facteur très important, nous y reviendrons - elle
mérite néanmoins d'être replacée dans le cadre plus général de la thématique carentielle.

Notion de carence

Elle est en fait fort complexe.

Tout d'abord, qui dit carence dit frustration mais ce dernier terme a été tellement
galvaudé qu'il a fini par perdre de sa précision.

Quand on évoque le registre de la frustration, il y a lieu de distinguer si elle porte sur des
besoins ou sur des désirs.

Etre frustré au niveau de désirs amène une déception, mais être frustré au niveau de
besoins entraîne un préjudice, ce qui, en fait, s'avère très différent.

Cette distinction pose d'emblée la question du modèle théorique, explicite ou implicite,


auquel on se réfère.

En effet, selon que l'on considère (dans l'optique de Freud) la relation à l'objet primaire
comme s'inscrivant dans la dynamique pulsionnelle, libidinale et agressive, qui s'étaye
secondairement sur les pulsions d'autoconservation, ou selon que l'on considère (dans
l'optique de Bowlby) cette relation précoce comme fondée sur l'existence d'un besoin
primaire d'attachement, alors ou bien dans le premier cas on envisagera la dépression du
bébé sous l'angle d'une entrave au désir, ou bien dans le second cas on l'envisagera sous
l'angle de la privation d'un besoin [10, 28].

La question engage ainsi d'emblée toute l'approche clinique et les stratégies


thérapeutiques qui en découlent.

Par ailleurs, on doit à Ainsworth une classification fort judicieuse des différents types
cliniques de carences maternelles [2].

Les carences quantitatives d'une part, où le bébé a à faire face à une absence
physique de son objet maternant de référence (ou mieux de son principal " care-
giver ").
Les carences qualitatives d'autre part où la mère est présente physiquement mais
psychiquement absente, ou inaccessible, en raison de son état psychique
personnel (angoisse, délire ou dépression par exemple).

A cette opposition centrale, doit maintenant être adjointe la question des discontinuités
interactives dont la nocivité est grande par le biais d'effets carentiels mixtes, à la fois
quantitatifs et qualitatifs.

Thématique du manque

Elle apparaît donc cruciale dans le domaine des dépressions du nourrisson.

Encore une fois, dans cette thématique, les dépressions maternelles ne représentent qu'un
des maillons possibles parmi d'autres, même s'il s'agit d'un maillon important et quelque
peu emblématique.

Analyse descriptive proprement dite des dépressions du nourrisson

Comme toujours dans le champ de la psychopathologie infantile, deux approches sont ici
possibles - et en fait complémentaires - selon que l'on prend en compte l'enfant observé
ou l'enfant reconstruit, débat autour duquel ont eu lieu des prises de position célèbres
(Green, 1979) et auquel plus récemment, Stern a apporté une contribution réflexive
intéressante [33, 54].

Cette polémique court, en fait, en filigrane de toutes les discussions sur les relations entre
développement et structure.

Analyse descriptive pédopsychiatrique

Descriptions classiques
Nous ne reprendrons pas ici l'exposé des descriptions classiques qui ont centré les travaux
princeps de Spitz comme ceux de Bowlby et Robertson [9, 10, 53].

Les tableaux de dépression anaclitique et d'hospitalisme sont désormais bien connus, et


on sait à quel point leur description a eu un effet fondateur dans le domaine de la
psychiatrie du premier âge, et ceci sur un triple plan : clinique, théorique et
thérapeutique.

Ces descriptions princeps renvoient essentiellement à des carences d'ordre


quantitatif où se jouaient des séparations effectives dans le champ de la réalité
extérieure, séparations prolongées dans les études de Spitz, plus brèves dans
celles de Bowlby, et ceci sans oublier de mentionner ici les noms d'Anna Freud
elle-même et de Burlingham qui firent aussi un énorme travail d'observation et de
soin auprès des enfants placés loin de leurs parents, à la pouponnière de
Hampstead, pendant les bombardements de Londres [26].
Il est devenu classique de dire que dans nos pays, fort heureusement les grands
tableaux d'hospitalisme ne se rencontreraient plus dans les institutions mais
seulement à domicile (à l'occasion de situations sociofamiliales extrêmement
défavorables).

Souhaitons que cet assainissement institutionnel soit partout effectif mais il faut sans
doute ici se garder d'un optimisme trop confiant et demeurer vigilant. Les soins aux
enfants jeunes induisent en effet - et l'observation directe des bébés selon la
méthodologie de Bick l'a bien montré - toute une série d'attitudes contre-transférentielles
visant à protéger l'adulte d'une reviviscence de ses propres angoisses archaïques [7].

De ce fait, les dispositifs institutionnels courent sans cesse le risque d'aménagements


défensifs parmi lesquels le délaissement plus ou moins déguisé de l'enfant menace
souvent de refaire surface. La réflexion institutionnelle doit ainsi être permanente et
menée sans relâche pour éviter de tels infléchissements.

En outre, si les choses vont mieux sous nos climats, il est évident qu'il n'en va pas de
même partout et certains documents récents, venus de Roumanie notamment, sont là
pour en témoigner.

Nombre d'enfants meurent en fait actuellement encore en Roumanie d'hospitalisme


typique face auquel le problème du SIDA, n'a sans doute joué que comme renforçateur
des conduites de délaissement.

Fort heureusement, grâce à la mobilisation internationale, la situation semble pouvoir être


un peu plus évolutive que prévu, mais cette tranche d'histoire confirme, s'il en était
besoin, que les grands marasmes dépressifs du bébé sont toujours prêts à surgir ou à
resurgir.

La séquence fameuse : détresse-désespoir-détachement, apparaît comme


véritablement prototypique de la dynamique dépressive ;
la première phase est en fait une phase d'angoisse, une phase active d'appel et de
recherche de l'objet anaclitique disparu ;
la deuxième phase réellement dépressive semble ensuite n'apparaître que lorsque
se trouvent débordés et épuisés les mécanismes de lutte contre l'angoisse qui ont
été recrutés lors de la phase précédente ;
la dernière phase enfin a valeur de déni, plus ou moins partiel, de la
problématique de manque.

Nous retrouverons, mutatis mutandis, cette séquence dans le cadre des carences
qualitatives et ceci constitue évidemment un point de réflexion fort intéressant.

Dgrave;es 1951, dans sa monographie de l'Organisation mondiale de la santé


(OMS) (soins maternels et santé mentale), Bowlby avait tenté de cerner le noyau
dépressif central de ces phénomènes en délimitant une sorte de symptomatologie
en creux qui a pu faire évoquer la dépression essentielle décrite par ailleurs chez
l'adulte (Marty) [8, 46, 47].
La question des autoérotismes paraît également devoir être approfondie.

Exacerbés au cours de la phase de détresse, ils s'estompent au contraire, voire


disparaissent totalement au cours de la phase du désespoir dépressif.

De ce fait, en fonction du type de séparation, de l'âge de l'enfant et du niveau évolutif de


ses relations d'objet, on doit se demander si les autoérotismes observés pendant la phase
anxieuse ont déjà valeur de repli substitutif sur une ébauche d'objet interne (ébauche
incluse dans la manoeuvre autoérotique car mentalement activée par celle-ci), ou s'il
s'agit seulement de conduites à valeur d'autoagrippements et se situant alors dans un
registre plus proche de l'autosensualité.

Selon les cas évidemment, la valence narcissique et la valence objectale des conduites
autoérotiques observées n'auront pas le même poids respectif.

Reste bien entendu que toutes les expériences de carence quantitative n'ont pas
les mêmes effets sur tous les enfants.
C'est l'intérêt de ces travaux historiques d'avoir attiré l'attention des cliniciens sur
le rôle majeur de l'âge du bébé au moment de l'expérience carentielle, sur la
gravité de la perte d'objet au cours du deuxième semestre, sur le poids
pronostique de la durée de la séparation et sur le rôle crucial des substituts offerts
ou non par l'environnement et acceptés ou non par l'enfant.
Ajoutons enfin que les assises théoriques que Spitz et Bowlby ont, chacun de leur
côté, donné de ces tableaux psychopathologiques, diffèrent essentiellement par la
place qu'elles ménagent ou non à la question des représentations mentales.

Toute la conception de Spitz s'appuie sur sa théorie de la genèse de l'objet, la dépression


anaclitique pouvant se comprendre schématiquement comme un retournement sur soi des
pulsions agressives désintriquées et en manque aussi bien d'objet externe (en raison
même de la séparation) que d'objet interne (encore insuffisamment instauré). On est là
dans le registre des avatars du désir et rappelons d'ailleurs que pour S. Freud, le
mécanisme du retournement sur soi est, avec le renversement en son contraire, un des
précurseurs très précoces du refoulement [30].

Toute la conception de Bowlby, en revanche, s'appuie sur le modèle éthologique de


l'attachement, la dépression anaclitique apparaissant au fond comme la conséquence d'un
désattachement brutal, véritable privation au niveau d'un besoin primaire, c'est-à-dire non
étayé.

On a ainsi pu reprocher à Bowlby d'avoir en quelque sorte courtcircuité la question de la


représentation mentale mais récemment - et surtout depuis sa mort - ces critiques se sont
quelque peu atténuées car il est apparu que Bowlby ne méconnaissait pas, en fait,
l'importance de la représentation psychique du lien d'attachement.

Un article récent de Bretherton a fait le point sur cette question et nous y reviendrons plus
loin [12].

Tableaux dépressifs d'un type différent

Plus récemment - et à Paris notamment, dans la mouvance de Kreisler - des tableaux


dépressifs d'un type différent, souvent moins spectaculaires, ont été décrits chez le bébé.

C'est évoquer ici, d'une part, la dépression dite blanche ou froide et, d'autre part, le
syndrome du comportement vide qui tous deux renvoient à une carence environnementale
(et principalement maternelle) plutôt qualitative [40, 41, 42].

Dépression blanche

Il s'agit d'un tableau clinique qui s'observe chez des enfants soudainement confrontés à
une rupture ou à une faillite du holding maternel au sens plein du terme.

Jusque-là, la dyade fonctionnait normalement, chaleureusement, et brutalement, pour une


raison ou pour une autre, la mère se déprime et ses interrelations avec l'enfant se
modifient, se dévitalisent.

La mère est donc là, il n'y a pas de séparation ni de carence quantitative, mais si elle
continue à s'occuper matériellement du bébé, d'une certaine manière " le coeur n'y est
plus ". Son style interactif se transforme, l'accordage affectif s'altère et très vite, le bébé
le ressent profondément.

Toutes les causes et tous les types de dépression maternelle peuvent bien entendu être en
jeu mais il va de soi que la situation ainsi créée est d'autant plus dangereuse qu'elle risque
de se prolonger en passant inaperçue. Autrement dit, si les grandes dépressions
mélancoliques sont facilement repérées, autant sont lourdes de menaces les dépressions
non mentalisées ou camouflées par un fonctionnement défensif de type opératoire
aboutissant à un surinvestissement inadapté de la relation matérielle, factuelle et concrète
avec le bébé, relation qui se vide progressivement de toute son épaisseur vivante et
empathique, sans que la mère ou son entourage puissent prendre vraiment conscience de
la thématique dépressive sous-jacente.

A cela s'ajoutent encore les éventuelles difficultés du fonctionnement psychique de la mère


liées à son type propre et préalable de personnalité, ce que jusqu'à maintenant, les études
consacrées au problème des dépressions maternelles semblent avoir encore
insuffisamment pris en compte. Les dépressions opératoires survenant chez des mères
préalablement borderline, semblent ainsi particulièrement dommageables.

En tout état de cause, face à cette modification radicale et incompréhensible pour lui de
son système interactif, le bébé va d'abord essayer de lutter contre la dérobade maternelle
et tenter de la ramener dans une interrelation chaleureuse et affective.

Tout se passe un peu alors comme s'il lui faisait signe qu'il existait encore et qu'elle ne
pouvait pas le laisser tomber en s'isolant dans son travail interne d'élaboration dépressive.

C'est ce qu'un auteur comme Lanouzière a désigné sous le terme de " sollicitude
thérapeutique " de l'enfant envers sa mère, fonction d'enfant-thérapeute qu'on
retrouverait à l'origine de nombre de vocations soignantes (dont peut-être celle de S.
Freud lui-même qui avait eu à se situer face à la dépression de sa mère lors de la mort de
son frère Julius) [42].

Cette phase de sauvetage de la mère par le bébé est une phase active, plus anxieuse que
dépressive au sens strict et correspondant à la phase de détresse que nous avons
mentionnée plus haut dans le cadre des carences quantitatives.

Pendant cette première phase, le bébé utilise tous " les moyens du bord ", c'est-à-dire
tous ceux qui sont à sa disposition et qui sont essentiellement corporels, compte tenu de
son niveau de développement puisque, avant le langage, c'est le corps qui représente le
principal facteur relationnel entre l'infans et son entourage.

On peut ainsi observer des phénomènes anorexiques, des troubles du sommeil, des cris ou
une hyperexcitabilité... tous signes ayant une valeur d'appel dans la perspective d'une
récupération maternelle telle que nous l'avons évoquée. A partir de là, de deux choses
l'une : ou bien le bébé réussit, ou bien il échoue.

S'il réussit à sortir sa mère de son mouvement d'isolation dépressive, les choses
reprennent alors leur cours antérieur et la dynamique psychopathologique se trouve
désarmorcée.

S'il échoue, il va en quelque sorte s'épuiser dans son effort thérapeutique et entrer lui-
même dans une phase dépressive dont le noyau a été minutieusement par Kreisler.

De sa description, on peut retenir quatre volets principaux : l'atonie thymique, l'inertie


motrice, le repli interactif, la désorganisation psychosomatique.

L'atonie thymique

" La dépression du bébé est une athymie globale, plus proche de l'indifférence que de la
tristesse ".

Il s'agit d'une indifférence morne, sans plainte, ni larmes, le propre de la sémiologie


dépressive du jeune enfant étant d'être une sémiologie en négatif, en creux, réduisant et
inversant toutes les appétences vitales de l'enfant en bonne santé : non seulement
l'appétit à se nourrir, mais aussi à regarder, à écouter, à sentir, à se mouvoir, à connaître,
à fonctionner, à progresser... et peut-être même à penser, nous y reviendrons.

C'est le plaisir à désirer qui se trouve altéré dans son ensemble.

L'inertie motrice

Il s'agit d'une lenteur et d'une monotonie des gestes et des attitudes qui ont pu faire
évoquer le ralentissement dépressif décrit chez l'adulte par Widlöcher et son équipe [57].

" La mimique est pauvre, la mobilité corporelle comme engluée, avec cette notation que le
figement touche davantage le tronc et la racine des membres que les extrémités
manuelles et digitales relativement plus mobiles ".

Cette notation très fine de Kreisler est parfois fort utile pour différencier un tableau
dépressif de certaines hypotonies préautistiques par exemple.

Cette inertie motrice est empreinte de passivité et marquée par une tendance répétitive
parfois très impressionnante qui infiltre les rares activités ludiques en fait dépourvues de
toute densité imaginaire et fantasmatique.

Sur le plan du diagnostic différentiel, cette tendance à la répétition se distingue très


facilement des stéréotypies psychotiques.

En revanche, l'atonie dépressive est parfois plus difficile à distinguer de l'asthénie et ceci
d'autant plus qu'il existe de véritables asthénies dépressives, à cet âge comme aux autres
périodes de la vie.

C'est ce fond d'inertie qui transparaît dans certaines anorexies dépressives ainsi que dans
l'abrasement plus ou moins complet des divers autoérotismes.

Le repli interactif

Marqué par l'appauvrissement progressif de la communication, le repli interactif se révèle


par une diminution des initiatives et des réponses aux sollicitations.

Au maximum, on observe parfois une fixité impressionnante du regard sans clignement


des paupières, le détournement fugitif à l'approche ou à la prise dans les bras, l'alternance
enfin entre des moments de vigilance gelée et des périodes de vacuité morne, étrange et
inquiétante.

La désorganisation psychosomatique

Comme à tout âge, mais peut-être plus nettement encore chez le nourrisson, la
dépression apparaît comme un élément essentiel de la désorganisation psychosomatique.

Les formes de la somatisation sont fort variées, allant des plus banales (rhinopharyngites,
bronchites, diarrhées) aux plus sévères qu'il n'est pas utile de détailler ici mais qui
peuvent toucher tous les appareils (troubles du sommeil et de l'alimentation surtout).

Nous reviendrons plus loin sur la question des désordres psychosomatiques et sur celle de
l'organisation éventuelle, à terme, d'une véritable personnalité de type psychosomatique
marquée par la faillite du fonctionnement préconscient.

Finalement, il nous faut insister :

sur la réversibilité spectaculaire des troubles sous l'effet des mesures


thérapeutiques (à la différence de l'enkystement rapide de la symptomatologie
psychotique) ;
sur la disparition de l'angoisse de l'étranger avec maintien d'un intérêt relatif pour
les objets inanimés au détriment du contact avec les personnes ;
sur la valeur sémiologique, surtout dans les formes frustes, de la modification
soudaine du comportement de l'enfant qui se démarque de son habitus antérieur.

Ajoutons que sur un plan métapsychologique, l'entrée de l'enfant dans ce type de


dépression froide semble se faire en écho de la rupture dépressive maternelle, et renvoyer
à une dynamique défensive complexe au sein de laquelle un auteur comme Green
envisage la mise en jeu concomitante d'un désinvestissement de la mère par le bébé
(mécanisme très dangereux mais visant à protéger l'enfant du désinvestissement maternel
primaire), d'une identification au fonctionnement dépressif de " la mère morte " elle-même
et d'une identification inconsciente à l'objet perdu par la mère [42].

Ces différents mécanismes engagent - de manière contradictoire mais coopérative -


certains niveaux d'identification primaire et peuvent dans l'après-coup, par un effet de
mise en sens, aboutir à une pseudooedipification de surface porteuse de réelles menaces
pour l'édification ultérieure de la personnalité de l'enfant.

Syndrome du comportement vide

Le syndrome du comportement vide s'observe chez des enfants peut-être un peu plus
âgés que ceux concernés par la dépression blanche que nous venons d'évoquer.

Comme celle-ci, le syndrome du comportement vide s'inscrit dans le cadre des carences
relationnelles qualitatives mais au lieu qu'il s'agisse d'enfants confrontés à une rupture
dépressive maternelle secondaire, il s'agit ici d'enfants qui vivent depuis longtemps et
chroniquement au contact d'un environnement déprimé, ayant affaire à ce que Kreisler
appelle une " relation désertique habituelle ".

Les grands traits sémiologiques sont comparables à ceux de la dépression blanche mais
avec une tonalité d'ennui, de vide et de morosité plus marquée ainsi qu'une instabilité
psychomotrice fréquente qui, précisément, paraît tourner " à vide ".

Sans doute faut-il voir dans cette instabilité la recherche par l'enfant d'une enveloppe
motrice substitutive face au défaut de contenant, l'agitation stérile - plus induite par
l'environnement perceptivomoteur que par les impulsions imaginaires ou fantasmatiques
internes - ayant pu également faire évoquer à certains auteurs l'hypothèse de défenses
maniaques recouvrant le noyau dépressif central.

La désorganisation psychosomatique apparaît ici aussi comme un grand risque et c'est par
exemple dans cette ambiance d'équivalent dépressif chronique qu'on peut voir
progressivement s'installer des retards de croissance psychogènes (ou nanismes
psychosociaux).

Même dans ces cas traînants, la réversibilité des troubles est un caractère essentiel de ces
tableaux pourtant parfois profonds. En l'absence de thérapeutique efficace cependant, ces
syndromes de comportement vide pourraient faire le lit, à long terme, de névroses non
mentalisées, autrefois dénommées " névroses de comportement ".

Discontinuités interactives

Actuellement, elles retiennent toute l'attention des cliniciens et des chercheurs.

Nous avons vu qu'elles peuvent conjuguer dangereusement des aspects de carence


relationnelle mixte, à la fois qualitative et quantitative.

L'impact pathogène de ces discontinuités relationnelles passe essentiellement par


l'imprévisibilité. L'enfant vit en effet alternativement, et sans aucune possibilité de
maîtrise, des moments d'engagement relationnel féconds et des périodes de
vidage interactif directement dommageables.
Selon la prévalence physique ou psychique des processus d'éloignement, le
tableau clinique constitué chez le bébé se rapproche plutôt des dépressions
anaclitiques ou des dépressions froides et des syndromes du comportement vide.
C'est dans ce cadre que prennent place les pathologies décrites il y a déjà
longtemps par Guex chez les " enfants-paquets " amenés à vivre de multiples
[35]
placements, déplacements et replacements .
Cet auteur avait d'abord choisi le terme de " névrose d'abandon " mais l'a ensuite
remplacé par celui de " syndrome d'abandon " pour tenir compte des difficultés
mêmes de la mentalisation des troubles dans lesquels elle voyait un germe
possible de structure psychopathique ultérieure.
De manière beaucoup plus discrète, l'observation des bébés en collectivité a
montré l'intensité du travail psychique que les bébés ont à assumer pour s'adapter
à la multiplicité des styles interactifs qui leur sont proposés ou plutôt imposés,
comme l'ont montré les travaux de Athanassiou et Jouvet par exemple, sur les
bébés en crèche [6].

Leurs travaux nous montrent d'une part à quel point varient, d'un enfant à l'autre, ces
capacités d'adaptation et d'autre part comment l'efficacité relative des " identifications
intracorporelles " peut aider ou non l'enfant à surmonter les véritables minimouvements
dépressifs qui se jouent pour lui au moment des différentes séparations ou des différents
passages de mains en mains.

Ces travaux ont l'intérêt d'attirer l'attention sur le seuil de tolérance et de sensibilité
propre à chaque enfant face aux expériences de séparation, et sur la ligne de partage
entre les nécessaires expériences à valeur constructive et celles qui au contraire, ne
peuvent qu'avoir un effet délétère sur la structuration psychique de l'enfant.

Pour conclure cette description pédopsychiatrique des phénomènes dépressifs observés "
en temps direct " chez l'enfant, nous ferons maintenant quelques remarques :

Première remarque

Les dépressions maternelles peuvent être impliquées dans le déterminisme de nombreux


tableaux psychopathologiques de l'enfant.

Autrement dit, les dépressions maternelles n'induisent pas que des dépressions chez le
bébé.

Mais en outre, toutes les dépressions du bébé ne sont pas dues à des dépressions
maternelles, ce que nous avons déjà entrevu.

Les dépressions maternelles ne sont donc ni nécessaires ni suffisantes et nous avons à


prendre en compte ici, comme toujours dans le registre de la psychopathologie, des "
séries complémentaires " (S. Freud) et non pas un simple déterminisme linéaire [27].

De plus, certains mécanismes peuvent protéger l'enfant de l'impact des difficultés


maternelles, ce que Jeammet avait fort bien formalisé dans ses concepts de " réalité-
étayage ", de " réalité-exorciste " et de " réalité-prothèse " [37].

- Deuxième remarque, nombre de ces études pédopsychiatriques paraissent avoir


minimisé quelque peu, dans la démarche diagnostique, la place du contre-transfert de
l'observateur. Celui-ci est pourtant d'autant plus important que plus l'enfant est jeune,
plus ses processus de projection vont être intenses, amenant l'adulte, à son contact, à
vivre par délégation et par procuration les affects que précisément le bébé n'est pas
encore à même de pouvoir mentaliser seul.

C'est tout le mérite des travaux d'un auteur comme Carel d'avoir inclus le contre-transfert
du clinicien au sein même de la démarche sémiologique [13]. A titre d'exemple, Carel
insiste sur l'importance mais aussi sur la subtilité de la différence des ressentis du clinicien
dans l'interaction avec un bébé déprimé ou avec un bébé préautiste.

Avec le premier, le vécu contre-transférentiel de souffrance s'accentue paradoxalement


lors des lâchages interactifs et des chutes du holding psychique alors qu'avec le second,
cette modification contre-transférentielle se joue surtout lors des forçages interactifs, un
peu comme si la problématique principale du bébé déprimé était une problématique de
crainte d'être abandonné alors que celle du bébé autiste ou préautiste était plutôt une
problématique d'angoisse d'instrusion.

- Troisième remarque, la dépression du bébé en tant que reflet d'un traumatisme


relationnel, fût-ce d'un traumatisme en creux, pose immanquablement la question
métapsychologique de l'après-coup. En effet, compte tenu de l'âge très précoce des
enfants concernés, doit-on dans ce cadre (comme dans celui des traumatismes ou des
deuils primaires en général) repenser la théorie freudienne du traumatisme en deux temps
ou au contraire y tenir bon ?

Si l'on y renonce, on est inévitablement conduit à n'envisager les traumatismes précoces


que sous un angle purement économique, c'est-à-dire sous l'angle d'un simple
débordement quantitatif des mécanismes de défense de l'enfant confronté à une situation
extrême. La plus ou moins grande tolérance de l'enfant face à des conditions données
renvoie alors surtout à son tempérament ou à sa constitution, au sens anglo-saxon actuel
du terme.

En revanche, si l'on veut s'en tenir à la théorie freudienne de l'après-coup, alors on est
contraint de modifier la chronologie des deux temps du traumatisme par rapport au
schéma qu'en avait donné S. Freud à propos de la névrose [31].

Rappelons que S. Freud situait aux alentours de la puberté le deuxième temps du


traumatisme même si, dans ses derniers écrits, il a admis la possibilité d'un deuxième
temps plus précoce.

Le point fondamental était pour lui qu'une maturation de l'appareil psychique du sujet
devait avoir eu le temps de prendre place entre les deux temps du traumatisme, car le
pouvoir pathogène du deuxième coup était lié, dans sa conception, à la reprise de certains
traits du premier coup mais sur un autre registre de fonctionnement psychique.

Dans le cas qui nous occupe ici, force est alors d'admettre soit une dilatation de ce temps
intermédiaire sur deux générations, soit une contraction de ce temps au sein même du
fonctionnement interactif.

Dans la première hypothèse - qui est une hypothèse transgénérationnelle -, le premier


coup au niveau de l'enfant a en fait valeur de deuxième coup au niveau des parents ou du
système familial dont le bébé est encore peu différencié.

Dans la deuxième hypothèse, il faut concevoir qu'au sein du système interactif, toute
répétition de procédure, de script ou de scénario s'inscrit d'emblée dans une dynamique
d'après-coup et de traductions successives sur des registres psychiques différents, et ceci
avec des effets de microtraumatismes cumulatifs (pour reprendre ici et autrement un
concept de Kahn [38]).

L'approfondissement de cette seconde hypothèse pourrait sans doute s'envisager en


recourant au concept de " séquence interactive symptomatique " proposé par Cramer et
Palacio [18].

Analyse reconstructive des dépressions du bébé

Nous dirons surtout que par une autre voie, elle confirme magnifiquement les observations
des cliniciens " en temps direct ".

Il s'agit ici de travaux analytiques qui, à partir du matériel issu de cures d'adultes et en
s'appuyant sur la dynamique transféro-contretransférentielle, reconstruisent a posteriori
l'histoire dépressive précoce des sujets en traitement.

Qu'on songe par exemple au travail magistral de Green sur la " dépression de
transfert " dans son article sur " le complexe de la mère morte " : la convergence
avec les travaux de Kreisler y est véritablement saisissante [34].
Qu'on pense aussi aux travaux de Cournut sur les effets transgénérationnels des "
deuils ratés " qui montrent comment l'emprunt par l'enfant à ses parents d'un
sentiment de culpabilité inconscient peut amener un sujet - à travers une
dépression précoce - à fixer des introjects pathologiques qui transparaîtront à long
terme sous les traits, par exemple, des deux stéréotypes chers à Cournut : les "
désertiques " et les " défoncés " [14].
On pourrait encore citer de nombreux autres travaux qui tous pistent les effets au
long cours de ces dépressions précoces reconstruites [49, 55].

Mentionnons seulement ceux de Tisseron qui, dans la perspective des " Visiteurs du Moi ",
de de Mijolla s'est penché sur l'étude psychanalytique de Tintin et des mandats
transgénérationnels du capitaine Haddock.

Mais Tisseron nous a aussi donné une étude très intéressante du concept technique de "
transfert inversé ", transfert particulier dans lequel le patient place l'analyste dans une
position infantile pour lui communiquer et lui faire vivre sur un mode préverbal prévalent
ce que lui, en tant qu'enfant, il a eu à vivre ou a cru vivre en face de ses instances
parentales.

Si l'on est attentif à ce mode de transfert, il y a sûrement là un moyen d'accès privilégié


aux mouvements dépressifs précoces du patient qui se rejouent ici dans la projection
transférentielle et qui peuvent, par exemple, s'actualiser chez l'analyste dans des
phénomènes de figement, d'inertie ou de somnolence rappelant ceux que nous avons
décrits plus haut chez les bébés déprimés observés.

Haut de page

DEVELOPPEMENT ET STRUCTURE

Au terme de cette analyse descriptive, que ce soit par le biais de l'observation ou de la


reconstruction, nous pouvons maintenant nous interroger sur les positions
développementales ou structuralistes qui sous-tendent les différentes descriptions.

Perspective développementale

Les auteurs qui envisagent la dépression du bébé comme une conséquence relativement
directe de la thématique carentielle, quantitative ou qualitative, se situent généralement
dans une perspective plutôt développementale.

Ceci est clair chez Spitz qui théorise la dépression anaclitique par rapport à la genèse de la
relation d'objet.

Ceci est également assez net dans les descriptions de la dépression froide et du syndrome
du comportement vide dans lesquels la dépression du bébé et la dépression maternelle
apparaissent au fond comme les deux faces d'un même processus dyadique.

La linéarité du schéma étiopathogénique est ici seulement affinée par la circularité


secondaire qui s'établit rapidement, nous l'avons dit, dans la mesure où la dépression
maternelle induit la dépression de l'enfant mais où cette dernière renforce la
psychopathologie maternelle puisque, rappelons-le, l'enfant déprimé ne répond plus aux
illusions anticipatrices parentales et ne peut plus servir de lieu de déflexion-projection ou
de ressourcement narcissique pour la mère.

De ce point de vue il apparaît, à la lecture de nombreux travaux actuels sur la dépression


maternelle, qu'on assiste souvent - sous leur couvert - à une réintroduction à bas bruit
d'une causalité linéaire au sein de la psychopathologie infantile, et ceci même de la part
d'auteurs se réclamant de la psychanalyse.

Point de vue structural

Les travaux qui abordent la dépression du bébé d'un point de vue plus structural sont
probablement ceux qui prennent en compte la question de la vulnérabilité dépressive de
l'enfant en fonction de son histoire et des répétitions qui s'y jouent.

Ainsi, c'est souvent sous l'angle reconstructif que seront appréhendées les failles
structurales susceptibles d'exposer ou d'avoir exposé particulièrement le bébé au risque
dépressif, et ceci par exemple en référence aux théorisations kleiniennes sur la position
dépressive, voire au concept meltzérien de " conflit esthétique " susceptible d'hypostasier
une problématique dépressive préalable à la position schizoparanoïde. Notons au passage
que cette élaboration de Meltzer met à mal, comme l'a bien montré Houzel, le dogme
kleinien de l'aspect primaire de la position schizoparanoïde [36, 48].

Opposition entre bébé observé et bébé reconstruit

Comme nous l'avions annoncé plus haut, cette opposition entre une approche
développementale et une approche plus structurale recouvre donc en partie l'opposition
entre bébé observé et bébé reconstruit.

- Bien entendu, observer le bébé n'impose pas d'être aveugle aux répétitions qui peuvent
prendre place dans le cadre de ses interrelations précoces. Tout dépend en réalité du
modèle théorique auquel l'observateur fait référence.

Force est cependant de remarquer que les travaux anglo-saxons actuels privilégient un
modèle continu du développement avec l'abandon relatif des notions de régression et de
fixation, qu'ils esquivent en partie la question de la sexualité infantile au profit des
concepts de maîtrise et d'estime de Soi, et qu'ils accordent une certaine préséance au
Principe de Réalité par rapport au Principe de Plaisir.

Ceci est clair dans l'ouvrage récent de Emde et Sameroff ainsi que dans l'article de
Zeanah, Anders, Seifer et Stern paru en 1989 dans le " Journal Américain de Psychiatrie
de l'Enfant et de l'Adolescent " et dont on trouvera une critique fort pertinente par
Diatkine dans un des récents numéros de la revue " Devenir " [22, 24, 58].

- En fait, on peut avancer l'idée que la théorie de Bowlby sur l'attachement et surtout son
concept " d'internal working models ", offre en quelque sorte la possibilité d'un pont entre
les points de vue développemental et structural. C'est ce qu'a bien montré Bretherton
dans un article récent [12].

Réexaminant les travaux de Bowlby, cet auteur montre en effet que la transmission des
modèles d'attachement se joue, en fait, à travers la transmission de la représentation des
liens d'attachement et que cette représentation engage non seulement les modalités
comportementales de l'attachement lui-même mais aussi la manière dont, toute sa vie,
l'adulte va se positionner par rapport au concept d'attachement.

Le paradigme de la " strange situation " ainsi que les contributions de Main sont ici
importants pour aborder la compréhension de la transmission intergénérationnelle des
patterns d'attachement, et ils donnent une base à ce que nous évoquions plus haut à
propos d'une diffraction transgénérationnelle de l'après-coup [45].

Dans ce schéma par exemple, la dépression du bébé viendrait s'inscrire comme la


conséquence actuelle de toute une série de dysattachements successifs, réels ou
fantasmes, au fil des générations successives nous renvoyant finalement au concept "
d'attachement (au) négatif " élaboré par Anzieu [3, 4, 5].

Au bout du compte, on voit que cette notion de " working models " permet de renouer
avec une historicité plus psychodynamique que strictement événementielle (Dayan) [19].

Haut de page

CONCLUSIONS

Nous évoquerons quelques problèmes posés par la dépression du bébé.


Première question : le terme même de dépression est-il légitime chez le
bébé ?

Il est certes commode et permet à l'évidence une certaine facilitation du dialogue entre
professionnels. Cependant, d'un point de vue métapsychologique il peut prêter à deux
types de malentendus au moins.

- Tout d'abord qui dit dépression dit perte d'objet et il est clair que le bébé, dans les
premiers mois de sa vie au moins, n'a pas encore clairement établi ses objets, pas plus
ses objets externes que ses objets internes.

Dans ces conditions, que peut-il d'ores et déjà perdre ?

Autrement dit, les schémas de K. Abraham et de S. Freud, quant au travail de deuil et à la


dynamique mélancolique, ne peuvent guère être appliqués au bébé, pas plus que le
modèle de Denis qui se fonde sur une paralysie des instances intrapsychiques par le biais
de " l'objet dépressif " [1, 21, 29].

Ces différentes conceptualisations supposent en effet un niveau de différenciation


nitrapsychique qui n'est pas d'emblée atteint, loin s'en faut.

- D'autre part, qui dit dépression et perte d'objet évoque la thématique de la séparation et
pas seulement de la différenciation, distinction qui vient d'être fort élégamment reprécisée
par Quinodoz dans son dernier ouvrage [51]. Or parler de séparation - et non pas de
différenciation - exige un certain niveau de différenciation extrapsychique cette fois qui
n'est pas, lui non plus, immédiatement instauré.

Alors qu'y a-t-il à perdre avant que soit atteint ce double niveau de différenciation ?

Rappelons qu'il y a maintenant plus de 30 ans, Lebovici indiquait que " l'objet est investi
avant d'être perçu " [44].

On peut penser que la dépression du bébé renvoie non pas à une perte d'objet au sens
strict mais plutôt à une situation de rupture d'investissement, c'est-à-dire à une perte des
repères qui conditionnent le mouvement d'investissement.

L'altération ou la modification des phénomènes d'accordage affectif en raison d'une


dépression maternelle fournit, nous l'avons vu, une illustration de cette situation de perte.

En tout état de cause, l'usage chez le bébé du terme de dépression demeure possible si
l'on y voit une commodité de langage mais si l'on garde en tête les différentes réserves
que nous venons d'évoquer, et en sachant que ce terme issu de la psychopathologie
adulte a été repris chez le bébé davantage en raison d'analogies cliniques qu'en raison
d'hypothèses psychodynamiques superposables.

Deuxième question : y a-t-il un équivalent maniaque chez le bébé ?

Question seulement évoquée ici mais qui est moins insolite qu'il n'y paraît puisque, on le
sait, M. Klein envisage l'influence de la thématique dépressive bien avant que l'enfant ait à
assumer et intégrer la position dépressive proprement dite [39].

Troisième question : comment situer la question des réponses dépressives


par rapport aux dépressions véritables ?

On sait qu'il existe des réponses dépressives du bébé face à la douleur ou à certaines
pathologies organiques comme l'intolérance au gluten, la malnutrition protéique ou la
carence martiale.

Ceci pose notamment la question de la douleur par rapport à l'angoisse et à la dépression,


question ouverte par S. Freud lui-même dès 1926 dans un addendum à " Inhibition,
Symptôme et Angoisse " [31].

On sait aussi que Sandler et Joffe ont tenté de décrire la dépression du bébé sous l'angle
d'une modalité de réponse primaire, basale, au même titre que l'angoisse [52].

Plus récemment, les expériences de " still-face " entre la mère et le bébé (Tronick et coll.)
ont pu faire penser à certains auteurs que la mimique dépressive observée chez le bébé
équivalait à une ébauche ultraprécoce de la réponse dépressive [54].

Quatrième question : quel lien existe-t-il entre la pathologie dépressive et la


décompensation psychosomatique ?

Beaucoup de choses ont été dites et écrites à ce sujet. L'école psychosomatique de la


société psychanalytique de Paris s'est attelée avec insistance à une réflexion sur ce thème
autour d'auteurs comme Fain, Marty, Kreisler, de M'Uzan, Debray [20, 25, 40, 41, 42, 46, 47, 50].

Il est impensable de résumer ici leurs nombreux travaux, mais deux idées-force émergent
:

d'une part, la problématique dépressive vient déséquilibrer l'économie relative des


deux grands groupes pulsionnels, de vie et de mort ;
d'autre part, la problématique dépressive vient favoriser l'issue corporelle des
affects, et ceci tout particulièrement chez le bébé qui ne dispose pas encore des
moyens de psychisation ou de mentalisation adéquats pour lier ses affects à des
représentations stables.

Ce modèle, certes fécond, soulève néanmoins toute une série de problèmes.

A titre d'exemples :

On sait que dans le registre psychosomatique, le choix de l'organecible ou de la fonction-


cible ne peut être interprété en termes symboliques comme dans le registre névrotique.

Peut-on imaginer alors, une influence du système interactif sur la localisation des troubles
chez l'enfant en fonction de la nature des représentations maternelles inconscientes, et
laquelle ?

L'enfant dépressif serait-il alors plus encore que tout autre bébé susceptible de
matérialiser dans son corps la dynamique fantasmatique maternelle, matérialisation qui a
été soigneusement décrite par Cramer [11, 15, 16, 17, 18].

Sachant depuis Green les liens étroits qui unissent les affects au processus
d'investissement corporel et prenant en compte depuis Emde l'importance de la continuité
des émotions comme témoin et comme fondateur du Self pré-représentationnel, peut-on
imaginer que la dépression sévère du bébé soit capable d'altérer les bases de l'identité
même de l'enfant [23] ?

Quand on parle d'affect corporel non mentalisé, peut-on penser (comme semble l'indiquer
un certain nombre d'observations directe de bébés), que par le biais de son système
projectif puissant, l'enfant soit capable de faire éprouver somatiquement à sa mère une
partie de ses propres affects dépressifs ?

Compte tenu enfin de la carence de mentalisation qui se situe au coeur même de la


pathologie psychosomatique, quelle est chez le bébé la place de celle-ci et des dépressions
qui la sous-tendent sur l'axe des troubles du développement ou des distorsions du Moi,
tels que les envisagent, par exemple, certains courants de pensée anglo-saxons et
notamment celui du Centre Anna Freud à Londres ?

Tout ceci, on le voit, confère à la dépression du bébé la place d'un paradigme essentiel
quant à la réflexion psychopathologique à propos du premier âge, et ce d'autant que
l'impact à long terme du processus dépressif sur les capacités de mentalisation et de
fantasmatisation de l'enfant demande encore à être approfondi avec soin.
Bibliographie

[1] ABRAHAM K. Esquisse d'une histoire du développement de la libido basée sur la psychanalyse
des troubles mentaux (1924). In : Abraham K ed. Oeuvres complètes, tome 2
(développement de la libido). Payot. Paris. 1966 ; pp 255-313
[2] AINSWORTH MD. Attachment : retrospect and prospect. In : Parkes CM, Stevenson-Hinde J
eds. The place of attachment in human behavior. Basic Books. New York. 1982 ; pp 3-30
[3] ANZIEU D. Le Moi-peau. Dunod. Paris. 1985
[4] ANZIEU D. Les signifiants formels et le Moi-peau, 1-22. In : Les enveloppes psychiques
(ouvrage collectif). Coll Inconscient et culture. Dunod. Paris. 1987 ; pp 1-22
[5] ANZIEU D. L'attachement au négatif. In : Anzieu D ed. L'épiderme nomade et la peau
psychique. Editions Aspygée. Paris. 1990 ; pp 115-129
[6] ATHANASSIOU C, JOUVET A. L'enfant et la crèche. Coll L'enfant. Césura Lyon Edition. 1987
[7] BICK E Notes on infant observation in psychoanalytic training. Int J
Psychoanal 1964 ; 45 : 558-566
[8] BOWLBY J. Soins maternels et santé mentale. OMS. Genève. 1951 ; monographie no 2
[9] BOWLBY J L'anxiété de la séparation. Trad Berman A ed Psychiatrie de
l'enfant 1962 ; 5 : 317-335
[10] BOWLBY J. Attachement et perte. Coll Le fil rouge. PUF. Paris. 1978 et 1984
[11] BRAZELTON TB, CRAMER B. Les premiers liens. L'attachement parents-bébé vu par un
pédiatre et un psychiatre. Calmann-Lévy. Paris. 1991
[12] BRETHERTON I Communication patterns, internal working models and the intergenerational
transmission of attachment relationships. Inf Mental Health 1990 ; 11 : 237-252
[13] CAREL A. Communication privée lors de la préparation du colloque organisé conjointement
par l'ARAPI, l'INSERM, le CNRS. MRT. Paris. 1985
[14] COURNUT J D'un reste qui fait lien. Nouv Rev Psychanal 1983 ; 28 : 129-149
[15] CRAMER B Sur quelques présupposés de l'observation directe de l'enfant. Nouv Rev
Psychanal 1979 ; 19 : 113-130
[16] CRAMER B. Profession Bébé. Calmann-Lévy. Paris. 1989
[17] CRAMER B, KREISLER L Sur les bases cliniques de la psychiatrie du nourrisson. Psychiatrie de
l'enfant 1981 ; 24 : 223-263
[18] CRAMER B, PALACIO-ESPASA F. La pratique des psychothérapies mères-bébés. Etudes
cliniques et techniques (1re éd). Coll Le fil rouge. PUF. Paris. 1993
[19] DYNAN M Le fantasme et l'événement. Psychanalyse à l'Université 1978 ; 13 : 5-58
[20] DEBRAY R. Bébés/mères en révolte. Traitements psychanalytiques conjoints des
déséquilibres psychosomatiques précoces. Coll Le Centurion. Païdos. Paris. 1987
[21] DENIS P La dépression chez l'enfant, réaction innée ou élaboration. Psychiatrie de
l'enfant 1987 ; 30 : 301-328
[22] DIATKINE G La recherche : ses effets sur la théorie et la pratique (notes de
lecture). Devenir 1991 ; 3 : 128-134
[23] EMDE RN. Réflexions sur les soins maternels et la réactualisation de l'expérience relationnelle
précoce, 23-30. In : Cramer B ed. Psychiatrie du bébé. Nouvelles Frontières. Eshel Médecine
et Hygiène. Paris, Genève. 1988
[24] EMDE RN, SAMEROFF AJ. Relationship disturbances in early childhood : a developmental
appraoch. Basic Books. New York. 1989
[25] FAIN M Prélude à la vie fantasmatique. Rev Fr Psychanal 1971 ; 35 : 291-364
[26] FREUD A, BURLINGHAM D. War and children (1942). Lehrman Ph ed. International
Universities Press. New York. 1943
[27] FREUD S. Lettre à Fliess no 69 (21/9/87), 190-193. In : Freud S (4e ed). La naissance de la
psychanalyse. Coll Bibliothèque de Psychanalyse. Paris. 1979
[28] FREUD S. Trois essais sur la théorie de la sexualité. Coll Idées. Gallimard. Paris. 1962
[29] FREUD S. Deuil et mélancolie. In : Freud S ed. Métapsychologie. Coll Idées. Gallimard. Paris.
1976 ; pp 147-174
[30] FREUD S. Inhibition, symptôme (5e ed). Coll Bibliothèque de Psychanalyse. PUF. Paris. 1975
[31] FREUD S, BREUER J. Etudes sur l'hystérie (4e ed). PUF Coll Bibliothèque de Psychanalyse.
1973
[32] GOLSE B. La dépression chez le nourrisson. In : Golse B, Bursztejn C eds. Dire : entre corps
et langage. Autour de la clinique de l'enfance. Coll Médecine et Psychothérapie. Masson.
Paris. 1993 ; pp 88-111
[33] GREEN A L'enfant modèle. Nouv Rev Psychanal 1979 ; 19 : 27-47
[34] GREEN A. La mère morte (1980). In : Green A ed. Narcissisme de vie, narcissisme de mort.
Editions de Minuit. Paris. 1983 ; pp 222-253
[35] GUEX G. La Névrose d'abandon (1re ed). Coll Bibliothèque de Psychanalyse. PUF. Paris. 1950
[36] HOUZEL D Présentation de l'article de Meltzer D (le transfert esthétique dans le processus
psychanalytique, pages 182 à 195 du même volume ci-dessous). Psychanal
Enfant 1987 ; 4 : 178-181
[37] JEAMMET N Faut-il être normal pour avoir des enfants normaux ? Psychiatrie de
l'enfant 1985 ; 28 : 221-258
[38] KHAN M. Le concept de traumatisme cumulatif. In : Kahan M ed. Le Soi caché. Coll
Connaissance de l'Inconscient. Gallimard. Paris. 1974 ; pp 69-87
[39] KLEIN M. Essais de psychanalyse. Payot. Paris. 1982
[40] KREISLER L. La pathologie psychosomatique, 423-443. In : Lebovici R, Diatkine R, Soulé M
eds. Traité de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent (tome 2) (1re ed). PUF. Paris. 1985
[41] KREISLER L. Le nouvel enfant du désordre psychosomatique. Education et culture. Privat.
Toulouse. 1987
[42] KREISLER L, FAIN M, SOULE M. L'enfant et son corps. Coll Le fil rouge. PUF. Paris. 1974
[43] LANOUZIERE J Une tache blanche et des cornets couverts d'escarres : du cancer comme
métaphore à la maladie cancéreuse. Topique 1983 ; 32 : 99-121
[44] LEBOVICI S La relation objectale chez l'enfant. Psychiatrie de l'enfant 1960 ; 8 : 147-226
[45] MAIN M, KAPLAN K, CASSIDY J. Security in infancy, childhood and adulthood : a move to the
level of representation. In : Bretherton I, Waters E eds. Growing points of attachment theory
and research. Monographs of the society for research in child development. 1985 ; 49, serial
209 : pp 66-104
[46] MARTY P. L'ordre psychosomatique. Payot. Paris. 1980
[47] MARTY P. Mentalisation et psychosomatique. Coll Les empêcheurs de penser en rond.
Laboratoire Delagrange. Paris. 1991
[48] MELTZER D. Explorations dans le monde de l'autisme. Payot. Paris. 1980
[49] De MIJOLLA A. Les visiteurs du Moi. Coll Confluents psychanalytiques. Les belles lettres.
Paris. 1986
[50] De M'UZAN M. De l'art à la mort. Coll Tel Gallimard. Paris. 1977
[51] QUINODOZ JM. La solitude apprivoisée. Coll Le fait psychanalytique. PUF. Paris. 1991
[52] SANDLER J, JOFFE MG Remarques sur la souffrance, la dépression et
l'individuation. Psychiatrie de l'enfant 1967 ; 10 : 123-156
[53] SPITZ R. De la naissance à la parole. La première année de la vie (6e ed). Coll Bibliothèque
de Psychanalyse. PUF. Paris. 1979
[54] STERN DN. Le monde interpersonnel du nourrisson (1re ed). Coll Le fil rouge. PUF. Paris.
1989
[55] TISSERON S. Tintin chez le psychanalyste. Aubier-Archimbaud. Paris. 1985
[56] TRONICK E, ALS H, ADAMSON L, WISE S, BRAZELTON TB The infant's response to
entrapment between contradictory messages in face-to-face interaction. J Child
Psychiatry 1978 ; 17 : 1-13
[57] WIDLÖCHER D. Les logiques de la dépression. Coll Pluriel Hachette. Paris. 1983
[58] ZEANAH CH, ANDERS TF, SEIFER R, STERN DN Implications of research on infant
development for psychodynamic theory and practice. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1989 ; 28 : 657-668

© 1995 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.


Pédopsychiatrie
[37-201-A-20]

Dépression chez l'enfant

Daniel Marcelli : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service, service universitaire
de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent
centre hospitalier Henri-Laborit, BP 587, 86021 Poitiers cedex France

Résumé

Dans ce travail sont présentés successivement la sémiologie de l'épisode dépressif chez


l'enfant, de la maladie dépressive avec la comorbidité qui l'accompagne. La prévalence
estimée entre 0,5 et 2 à 3 % chez l'enfant, dépend de la rigueur des critères
diagnostiques.

L'évolution à l'adolescence et à l'âge adulte montre l'impact durable de la dépression


infantile et la nécessité d'un repérage et d'un traitement précoces. Les événements de vie
sont fréquemment retrouvés. L'abord psychopathologique reste une composante
essentielle. La place de la maladie bipolaire et des théories neuroendocriniennes est
brièvement discutée.

© 1998 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

INTRODUCTION

Le statut de " la dépression chez l'enfant* " est pour le moins curieux. D'un côté, cette
question a été placée au centre de la réflexion développementale, psychodynamique et
psychopathologique dès les premiers travaux des psychanalystes d'enfants (M Klein [39], D
W Winnicott [69]...). D'un autre côté la réalité clinique de la dépression chez l'enfant
semble devoir être constamment réaffirmée comme si son existence n'allait pas de soi.
Est-il pensable de ne pas traiter la " dépression " dans un ouvrage de psychiatrie adulte ?
Inversement est-il pensable de ne pas traiter la question " psychose " dans un ouvrage de
psychiatrie d'enfant sous prétexte que cette question est aussi traitée chez l'adulte ? Enfin,
la " dépression anaclitique " décrite par Spitz dès 1946 [64] chez les nourrissons a, non
seulement été reconnue, mais a même pu servir de modèle " expérimental " pour
certaines conceptions théoriques de la dépression adulte (Widlöcher, 1983) [68]. Toutefois
la sémiologie et les circonstances de survenue de cette " dépression anaclitique " sont si
précises et particulières qu'elles ont peut-être empêché la différenciation (clinique et
psychopathologique) entre carence et dépression. Ainsi on pourrait aisément renvoyer dos
à dos la " position dépressive " de M Klein et " la dépression anaclitique " de Spitz : l'une
est un modèle théorique, l'autre un état clinique qui se situent aux deux extrêmes de la
problématique dépressive de l'enfant et qui ont fait fonction d'écran, dans les deux sens de
ce terme : écran de projection, propice à recevoir les constructions des théoriciens de
l'enfance, mais aussi écran masquant aux yeux des cliniciens la maladie dépressive dont
peut souffrir un enfant.

Dès 1971, au congrès de Stockholm (congrès de l'union européenne des pédopsychiatres)


des données chiffrées sur la dépression de l'enfant apparaissent renforçant le poids de
travaux préliminaires, descriptifs [8] ou psychopathologiques [60, 61].

À partir de cette date, si la réalité clinique de la dépression est acceptée chez l'enfant, en
revanche sa sémiologie continue à être l'objet de nombreux débats centrés sur deux
questions :

cette sémiologie est-elle spécifique de l'enfant ?


l'expression dépressive est-elle stable au cours des âges (tant chez des sujets
différents que chez le même sujet) ?

Les classifications diagnostiques internationale (CIM10) et américaine (DSM IV) adoptent


ce dernier point de vue même si elles reconnaissent quelques particularités. La
classification française (CFTMEA) retient l'idée d'une spécificité. En réalité, il semble exister
un relatif consensus sur la sémiologie de l'épisode dépressif proprement dit, tandis que les
questions restent nombreuses sur la sémiologie de la " maladie dépressive ", de la "
maladie dysthymique ", de la " maladie bipolaire " et a fortiori de la " double dépression "
(association épisode dépressif majeur + dysthymie selon les critères DSM IV) entité qui
commence à être décrite chez l'enfant [42]. Autrement formulée, cette opposition conduit à
s'interroger sur la place qu'occupe un éventuel état dépressif durable dans le cours du
développement et de la maturation d'un enfant, et sur les stratégies de lutte contre cette
dépression à travers les mécanismes de défense. C'est dans une telle perspective que,
d'un strict point de vue descriptif, on a pu assister à une multiplication et à une
accumulation de symptômes comme témoins possibles d'une maladie dépressive : presque
toute la sémiologie de l'enfant a ainsi pu être rattachée à la dépression, les auteurs
proposant des listes de symptômes particulièrement longues [1, 2, 3, 14, 34]. Le problème de
la spécificité symptomatique resurgit de nos jours à travers la question de la comorbidité
[4]
particulièrement importante et hétérogène. Toutefois la réalité clinique montre la
pertinence de certains regroupements syndromiques en particulier à travers la description
de l'épisode dépressif majeur tel que l'isole le DSM IV. Une " traduction " de cette
sémiologie dans le langage de l'enfant, son mode expressif particulier ou les perceptions
des parents et du clinicien apparaît cependant nécessaire pour que des concepts abstraits
tels que " perte d'estime de soi ", " anhédonie ", " autodépréciation ", prennent un
véritable sens clinique. C'est du moins la position qu'a adoptée la récente Conférence de
consensus sur les troubles dépressifs chez l'enfant [12].

Haut de page

EXPRESSION SÉ MIOLOGIQUE DE LA DÉ PRESSION

É pisode dépressif de l'enfant

Survenant volontiers au décours d'un événement ayant valeur de perte ou de deuil


(séparation des parents, décès d'un grand-parent, d'un membre de la fratrie ou d'un
parent) parfois événement qui peut, aux yeux des adultes, apparaître plus anodin
(déménagement, mort d'un animal domestique familier, éloignement d'un camarade...)
[48, 50, 51]
, cet épisode dépressif s'installe progressivement mais le comportement de
l'enfant apparaît nettement modifié par rapport à la situation antérieure.

Certes le ralentissement psychomoteur et l'inhibition motrice peuvent se voir, marqués par


une certaine lenteur, un aspect presque " petit vieux ", un visage peu expressif, peu
mobile et peu souriant. Parfois l'enfant est décrit comme sage et même " trop sage ",
presque indifférent, soumis à tout ce qui lui est proposé. Mais le plus souvent on constate
une certaine instabilité ou agitation surtout quand on demande à l'enfant certaines tâches
ou moments d'attention : " il ne peut pas rester en place ", " il bouge tout le temps ", "
c'est une vrai pile ", " il s'énerve pour un rien " disent les parents. Ces moments
d'agitation sont fréquemment entrecoupés de moments de quasi-repli ou inertie : enfant
installé sur le canapé devant la télévision mais paraissant " absent ", presque indifférent.
L'irritabilité prend souvent la forme de colère : " on ne peut rien lui dire ", " il est méchant,
coléreux, nerveux " ou d'opposition " il refuse tout ", " il dit toujours non ", " il n'est jamais
d'accord ". Si le manque d'intérêt se traduit souvent par l'interruption des activités
ludiques ou culturelles (" il ne s'intéresse à rien ", " on ne peut jamais lui faire plaisir "),
celui-ci est parfois directement exprimé : " j'm'ennuie ", " j'en ai marre ". La perte
d'estime de soi se traduit par des propos tels que " j'suis nul ", " j'suis bon à rien ", quasi
systématiques.

La dévalorisation s'exprime souvent à travers l'expression d'un doute immédiat face à une
question, une tâche demandée (dessin, jeu) : " j'sais pas ", " j'y arrive pas ", " j'peux pas
". Mention spéciale doit être faite de l'expression " mes parents ne m'aiment pas " et à un
moindre degré " on ne m'aime pas ", " mes copains ne m'aiment pas " toutes expressions
qui traduisent le sentiment de perte d'amour et qui en général masquent un sentiment de
dévalorisation et de culpabilité. L'expression consciente du sentiment de culpabilité prend
volontiers la forme de " j'suis méchant ", " j'suis pas gentil avec mes parents " mais peut
aussi s'exprimer directement par " c'est d'ma faute ".

La difficulté à penser, à être attentif au travail et à se concentrer entraîne souvent une


fuite, un évitement ou un refus du travail scolaire appelé volontiers " paresse " par les
parents mais aussi par l'enfant lui-même et aboutissant à l'échec scolaire. Dans quelques
cas, l'enfant passe au contraire de longues heures tous les soirs sur ses livres et cahiers
mais il est incapable d'apprendre et plus encore de mémoriser.

Les troubles de l'appétit peuvent s'observer, plutôt comportement anorectique dans la


petite enfance (pouvant parfois entraîner des stagnations pondérales) et comportement de
boulimie ou de grignotage chez le grand enfant ou le préadolescent. Le sommeil est
difficile à trouver avec souvent des oppositions au coucher, des refus qui amplifient le
conflit avec les parents, peuvent susciter des mesures punitives et accentuent l'irritabilité
des uns et des autres. Les cauchemars participent de la composante anxieuse de même
que les peurs fréquentes, en particulier les peurs d'accidents chez les parents. Maux de
ventre et maux de tête assez fréquents sont à la jonction de la problématique anxieuse et
de la problématique dépressive fréquemment associées.

Il n'est pas rare que les idées de mort ou de suicide soient exprimées par une lettre écrite
aux parents dans laquelle l'enfant déclare " qu'il n'est pas aimé et qu'il va mourir ou qu'il
va se tuer ". Cette lettre ou cet aveu est souvent le motif déclenchant la consultation.

Quand l'enfant déprimé est seul avec le consultant, il répète volontiers en particulier
devant la feuille blanche " j'sais pas ", " j'y arrive pas ", " j'peux pas ". L'ébauche d'un
dessin s'accompagne souvent de commentaires négatifs : " c'est raté ", " c'est pas bien ",
" c'est pas beau ". On note une sensibilité exacerbée aux imperfections ou aux objets
cassés dans l'utilisation des jouets : " c'est cassé "... Et bien entendu la thématique de
l'échec, de l'incapacité à réaliser le dessin, la tâche, le jeu entrepris, est au premier plan.

Ces constatations avec l'enfant seul renforcent les données de l'entretien avec les parents
et ceci confirme la probabilité diagnostique.

Bien évidemment chacun de ces signes pris isolément n'est pas nécessairement significatif
de l'épisode dépressif, mais leur conjonction (cinq à six de ces symptômes), leur
permanence dans le temps et la modification comportementale nette qu'ils induisent sont
très caractéristiques. Il n'est pas rare que cet ensemble symptomatique tout à fait typique
soit complètement ignoré (ou dénié ?) de l'entourage, des parents eux-mêmes, et que
l'enfant reste ainsi des semestres entiers dans cet état de souffrance dépressive.

Cette méconnaissance est grave car, outre la souffrance persistante de l'enfant, les
symptômes peuvent entraîner une désadaptation progressive, en particulier scolaire,
confirmant dans un temps second la dévalorisation de l'enfant (" j'suis nul ", " j'suis bon à
rien ", " j'y arrive pas ") et accentuant souvent la non-compréhension entre parent et
enfant. De plus ces symptômes se compliquent souvent de manifestations surajoutées,
qu'il s'agisse de manifestations anxieuses, de troubles du comportement exacerbés, de
conduites d'allure oppositionnelle ou délinquante. Ces manifestations peuvent peu à peu
installer l'enfant dans la " maladie dépressive " qui s'apparente souvent à un
réaménagement en forme de déni de la dépression.

Maladie dépressive : expression d'une souffrance dépressive ou défense


contre la position dépressive (déni de la dépression) ?

À côté de l'épisode dépressif, certains enfants présentent une symptomatologie soit plus
pauvre, soit plus floue mais surtout plus durable dans la mesure où elle est souvent
ignorée ou déniée, en premier lieu par les parents. Les manifestations d'agitation,
d'instabilité, d'irritabilité risquent de prendre peu à peu le devant de la scène aboutissant à
des tableaux d'allure caractérielle ou comportementale. Ceci explique la très fréquente "
comorbidité " telle qu'on la décrit dans la littérature anglo-saxonne. Ainsi Angold et
Costello [4] effectuent une méta-analyse des publications épidémiologiques sur la
dépression de l'enfant et sur la fréquence de la comorbidité : celle-ci va de 21 à 83 % pour
les troubles des conduites et l'opposition, de 30 à 75 % pour les troubles anxieux et de 0 à
57 % pour le trouble déficitaire de l'attention. Les auteurs concluent quand même leur
article par cette remarque : " les mécanismes par lesquels la comorbidité apparaît restent,
à ce jour, obscurs " !

La principale " complication " de la dépression durable réside dans le retentissement


scolaire. L'échec scolaire et, dans une moindre mesure, le désintérêt ou le
désinvestissement scolaires sont très fréquents : longue série d'échecs qui contrastent par
rapport à un bon niveau d'efficience, ou plus caractéristique encore chute brutale du
rendement scolaire. Les conduites phobiques, en particulier la phobie scolaire, peuvent
traduire la crainte de l'éloignement du foyer familial ou de l'abandon et recouvrir un état
dépressif.

Au niveau du corps ou de l'apparence physique, on note parfois une attitude permanente


de débraillé, un aspect clochard, comme si l'enfant était incapable d'investir positivement
son corps et son apparence. Très proches en sont les enfants qui perdent sans arrêt leurs
affaires personnelles (habits, clefs, jouets).

Au maximum certains comportements apparaissent comme les témoins directs d'un


sentiment de culpabilité ou d'un besoin de punition dont le lien au moins temporel avec un
épisode dépressif est évident : blessures répétées, attitudes dangereuses, punitions
incessantes à l'école, etc. L'apparition ou la réapparition de conduites directement
autoagressives est également possible.

Nous citerons enfin, sans les développer, les tentatives de suicide de l'enfant, et surtout de
l'adolescent, en soulignant toutefois qu'il ne faut pas établir une équivalence trop directe
entre dépression et tentative de suicide.

En outre certains symptômes peuvent être analysés comme une défense contre la "
position dépressive ". Ils sont de nature très diverse. En réalité c'est soit l'évaluation
psychopathologique pendant l'entretien clinique ou grâce aux tests projectifs, soit la
reconstruction psychogénétique qui permettent de les rattacher au " noyau dépressif ".
L'attitude de compréhension empathique prend ici le pas sur le décryptage sémiologique
[53]
. Il faut toutefois souligner le risque d'abus de langage qui peut en résulter. Certaines
conduites semblent s'inscrire directement dans le registre de ce que M Klein [39] appelle
les défenses maniaques comme pour dénier tout affect dépressif ou pour en triompher. On
peut citer ici la turbulence extrême qui peut devenir une véritable instabilité, soit motrice,
soit psychique avec une logorrhée évoquant directement la fuite maniaque des idées. Ces
états posent la question de l'existence de la maladie bipolaire chez l'enfant. D'autres
conduites apparaissent comme des conduites de protestation ou de revendication face à
l'état de souffrance. Citons ainsi :

les conduites d'opposition, de bouderie, de colère ou même de rage ;


les manifestations agressives (crises clastiques, violence avec les autres enfants)
et même autoagressives ;
les troubles du comportement, vols, fugues, conduites délinquantes, conduites
toxicomaniaques.

Au total, si la sémiologie de l'épisode dépressif est assez aisément repérable, il n'en va pas
de même de la dépression au long cours, les critères diagnostiques des classifications les
plus utilisées, en particulier DSM IV, ne solutionnent pas cette difficulté. Ainsi en 1992, un
travail de Papazian et al [56] montrait la complexité du concept de dépression chez l'enfant
en comparant les résultats d'une triple démarche : entretien clinique libre, échelle
d'évaluation (CDRS-R de Poznanski) et les critères du DSM III. Ces auteurs isolaient deux
types de dépression, l'une inscrite dans une structure de personnalité type névrotique,
l'autre associée à des troubles de la personnalité. La première reliée souvent à la perte "
d'un être cher ou d'un animal domestique " apparaît typiquement comme un " épisode
dépressif ". Les symptômes de tristesse, de peur de perdre un parent, de maux de ventre
ou de tête, de peur de l'échec et de sentiment d'être nul, d'être une charge pour les
parents, les problèmes d'endormissement dominent alors le tableau clinique. À l'opposé,
les enfants présentant des troubles de la personnalité souffraient " d'une histoire
dramatique, plus durable " et la sémiologie était dominée, outre le sentiment d'être nul,
par l'agressivité, un sentiment d'injustice, de ne pas être aimé, une agitation, des
difficultés à s'endormir. La concordance entre l'évaluation clinique, l'évaluation par la
CDRS-R et celle par le DSM III était faible, peut-être encore un peu plus avec les critères
DSM III. Cette concordance était encore plus faible lorsqu'il s'agissait d'état dépressif avec
troubles de la personnalité.

Il est probable que les conclusions seraient identiques avec les critères du DSM IV.

Haut de page

DIAGNOSTIC DIFFÉ RENTIEL

La " dépression " chez l'enfant est plus souvent sous-évaluée que diagnostiquée par excès.
Il s'agit d'abord d'intégrer cette éventualité diagnostique dans les hypothèses "
syndromiques " du clinicien. Le diagnostic de dépression, a fortiori d'épisode dépressif, ne
préjuge pas de l'organisation structurelle sous-jacente.

Toutefois chez le jeune enfant (avant 5-6 ans), un diagnostic différentiel doit être évoqué :
l'existence d'une douleur, en particulier d'une douleur chronique. Le tableau clinique de
l'enfant douloureux présente de nombreux points communs avec celui de la dépression. De
plus, état douloureux chronique et réaction dépressive peuvent s'associer chez un même
enfant. Il est donc nécessaire d'envisager une telle éventualité surtout si la situation
clinique de l'enfant est évocatrice d'un tel contexte.

Quand un état douloureux est repéré, son traitement préalable s'impose.

Haut de page

FRÉ QUENCE-É TUDES É PIDÉ MIOLOGIQUES

Les enquêtes épidémiologiques se sont récemment multipliées pour évaluer la fréquence


de la dépression de l'enfant. Toutes ces enquêtes utilisent soit des entretiens standardisés
(s'inscrivant dans une perspective catégorielle : DISC et DISC-R, DICA, KSADS...) soit des
échelles d'évaluation (construites dans une perspective dimensionnelle qui quantifie et
donne des seuils : CDI, CES-DC, DSRS, etc) ou se réfèrent aux critères des classifications,
en particulier DSM IV. Bien évidemment, la fréquence de la dépression chez l'enfant dans
la population générale (prévalence) dépend de la définition et de l'outil d'évaluation utilisés
[40]
.

Ainsi dans leur enquête en Ontario, Flemming et al (1989) [19] chez l'enfant de 6 à 11 ans
évaluent respectivement l'incidence à 0,6 % avec une forte certitude (score élevé aux
échelles et aux entretiens), 2,7 % avec une certitude moyenne, et 17 % avec une
certitude diagnostique faible.

Toutefois les études les plus récentes (Mouren-Simeoni, Les dépressions chez l'enfant et
l'adolescent. Faits et questions. Paris ; ESP, 1997), utilisant des critères rigoureux
évaluent toutes cette prévalence (épisode dépressif majeur) entre 0,5 et 2 à 3 % de la
population ( [6, 7, 18, 20, 28, 52, 67]. Lorsque c'est l'enfant lui-même qui est l'informateur, cette
prévalence est légèrement supérieure à celle qu'on observe quand les parents sont les
informateurs.

En population clinique (enfants consultants, hospitalisés), la fréquence est plus élevée


pouvant atteindre 20 à 25 % de la population, souvent plus importante pour les garçons
que pour les filles [40] (garçons 39 %, filles 18 % : enfants de 9 à 12 ans).

La prévalence en population générale est donc sensiblement inférieure à ce qu'on observe


chez l'adolescent (prévalence dépressive de 3 à 7 % pour l'épisode dépressif majeur, dans
la plupart des enquêtes).

Haut de page

DEVENIR À L'ADOLESCENCE ET À L'Â GE ADULTE

Les données épidémiologiques s'accumulent qui montrent un risque évolutif non


négligeable [55].

Tout d'abord ces manifestations sont durables : l'épisode dépressif dure en moyenne 9
mois, tandis que l'état dysthymique se prolonge pendant presque 4 ans dans une étude de
Kovacs et al (1977) [43, 47] sur 112 enfants déprimés de 8 à 13 ans. La tendance à la
récidive est également élevée (47 % de récidives à 1 an, 70 % à 2 ans sur une population
de 70 enfants et adolescents hospitalisés pour trouble dépressif majeur suivis pendant 1 à
5 ans [15]). La persistance des troubles est fonction de leur ancienneté au moment du
diagnostic (plus les troubles sont anciens, plus l'épisode est durable) et de l'existence
d'une " comorbidité " (en particulier trouble obsessionnel-compulsif, ou comportement
d'opposition) [24].

Par ailleurs, on peut signaler le risque évolutif en termes de suicide (ce risque serait onze
fois plus élevé chez les enfants qui présentent un trouble dépressif par rapport aux enfants
présentant un autre type de trouble mental [46] et d'apparition de troubles des conduites,
de consommations toxicomaniaques de produits [63]. Ces risques apparaissent en général
à la préadolescence (11-13 ans) et surtout à l'adolescence.

Le risque dépressif à l'adolescence et à l'âge adulte est plus difficile à évaluer. De rares
études catamnestiques sur de longues années ont décrit l'évolution de quelques cas. Penot
[57]
sur 17 enfants de 5 à 11 ans, montrait non seulement la diversité des structures
psychopathologiques sous-jacente à l'état dépressif mais, en cas de persistance de cet
état, " la tendance remarquablement constante à se structurer sur un mode caractériel ou
psychopathique ". Ces constatations cliniques déjà anciennes sont tout à fait corroborées
par les enquêtes épidémiologiques actuelles qui montrent la fréquente comorbidité
associée ou apparaissant (cf supra) peu à peu. Chess et al [11] ont également suivi, sur
une durée de 18 à 22 ans, six sujets ayant présenté un épisode dépressif dans l'enfance.
Dans les cas observés, la continuité entre un trouble de l'enfance et un trouble dépressif
de l'adolescence est évidente surtout pour deux d'entre eux qui, enfants, avaient présenté
des épisodes dépressifs majeurs à répétition.

Les enquêtes épidémiologiques les plus récentes ne sont pas toujours d'interprétation
facile dans la mesure où le devenir de la dépression chez l'enfant est souvent confondu
avec celui de la dépression chez l'adolescent. Si la corrélation paraît assez forte entre les
troubles dépressifs de l'adolescent et ceux de l'adulte [21, 37, 45, 44, 49], la corrélation semble
plus discutable quand on ne considère que l'enfant prépubère. Ainsi l'étude de Harrington
et al [32] fournit d'intéressants renseignements sur la continuité de la dépression à l'âge
adulte. Si, d'une façon générale, la dépression chez l'enfant et l'adolescent augmente le
risque de dépression à l'âge adulte, la corrélation entre épisode dépressif majeur à l'âge
adulte et antécédent dépressif dans l'enfance est beaucoup plus forte quand l'épisode
dépressif est apparu après la puberté. Seul un enfant prépubère sur cinq présentera à
l'âge adulte un épisode dépressif majeur (proportion : 20 %), alors qu'après la puberté,
huit jeunes postpubères déprimés sur treize feront un épisode dépressif majeur à l'âge
adulte (proportion : 60 %).

Les mêmes auteurs (Harrington et al, 1991) [33] analysent le suivi sur 18 ans d'une
cohorte d'enfants et d'adolescents déprimés (63 cas) comparés à un groupe témoin
apparié (68 cas) ; 21 % présentaient des " troubles du comportement " associés au
syndrome dépressif. Les enfants " déprimés avec troubles du comportement " ont eu une
évolution à l'âge adulte marquée par un risque élevé de conduites antisociales et
délinquantes, et un risque plus faible d'évolution dépressive. En revanche, le groupe
d'enfants " déprimés sans troubles des conduites " a présenté un risque légèrement plus
élevé d'évolution dépressive à l'âge adulte.

À partir du même suivi sur 18 ans (60 enfants et adolescents déprimés, 67 enfants et
adolescents témoins appariés), Harrington et al (1994) [31] ont également étudié le risque
de survenue d'une tentative de suicide : 32 % (19/60) des enfants et adolescents
déprimés ont fait au moins une tentative de suicide, et 20 % (12/60) en ont fait plusieurs.
Il y a deux décès par suicide dans cette population. Dans les cas dits contrôles, 12 %
(8/67) ont effectué une tentative de suicide avec un suicide.

Le fait d'avoir effectué une tentative de suicide dans l'enfance ou l'adolescence augmente
sensiblement la probabilité de survenue d'une tentative de suicide à l'âge adulte, mais
cette probabilité est plus liée à l'existence des troubles du comportement associés qu'à la
dépression elle-même.

Enfin, le problème de la continuité dépressive à travers les âges apparaît fondamental. En


effet, les sujets déprimés à l'âge adulte (20 cas sur l'ensemble de la cohorte : 60+67) ont
un risque suicidaire d'autant plus grand qu'ils ont déjà souffert de dépression dans
l'enfance ou l'adolescence : sur ces 20 cas, 16 étaient dans la cohorte déprimée et 13 ont
effectué une tentative de suicide (13/16 : 81 %) ; quatre étaient dans la cohorte non
déprimée, un a effectué une tentative de suicide (1/4 : 25 %). En revanche, pour les
sujets non déprimés à l'âge adulte (107/127) le risque de tentative de suicide n'est pas
différent qu'il y ait eu ou non une dépression infantile ou juvénile.

Ceci montre indirectement l'importance de repérer et, si possible, de traiter la dépression


d'un enfant ou d'un adolescent, et de ne pas les laisser s'installer dans une maladie
dépressive (dysthymie) durable.

[33, 31]
Cependant dans les deux dernières études d'Harrington les cas des enfants
prépubères et ceux des adolescents ne sont pas distingués.

En conclusion, si la continuité d'une souffrance psychique apparaît évidente depuis l'enfant


déprimé jusqu'à l'adulte, la continuité dépressive proprement dite reste à affirmer par des
études plus rigoureuses.

Haut de page

É VÉ NEMENTS DE VIE ET ENVIRONNEMENT FAMILIAL

Il nous paraît préférable de parler ici d'un contexte favorisant plutôt que d'évoquer une
étiologie précise. En effet, le risque, déjà signalé, est de relier dans une causalité linéaire
les événements observés et la conduite présente de l'enfant. Cette attitude conduit par
exemple à baptiser " dépression " toute manifestation secondaire à une perte, la
symptomatologie clinique et la cause supposée formant une sorte d'explication
globalisante, réductrice...et parfois fausse.

Toutefois, certains contextes, certaines circonstances traumatiques se retrouvent avec une


grande fréquence dans les antécédents d'enfants qui présentent la sémiologie décrite ci-
dessus. Parmi ces facteurs nous isolerons la situation de perte, puis le contexte familial.

Existence de perte ou de séparation

Elle est très fréquente sinon constante dans l'histoire d'enfants dépressifs ou déprimés. La
perte peut être réelle et avoir des effets durables : décès d'un ou des parents [26], d'un
membre de la fratrie, d'un adulte proche de l'enfant (grand-parent, nourrice...), séparation
brutale et complète soit par disparition de l'un des proches (séparation parentale, départ
d'un frère...) soit par éloignement de l'enfant lui-même (hospitalisation, placement
nourricier ou institutionnel non préparé...).

L'événement apparaît d'autant plus traumatisant que l'enfant a un âge critique (6 mois à
4-5 ans) et qu'aucun repère permanent ne persiste (changement de cadre, disparition de
la fratrie).

La séparation peut être temporaire (maladie, brève hospitalisation, absence momentanée


d'un des parents), mais susciter une angoisse d'abandon qui persiste bien au-delà du
retour à la situation normale. Elle est parfois purement fantasmatique : sentiment de ne
plus être aimé, d'avoir perdu la possibilité de contact avec un proche. La perte peut être
uniquement " interactive " : parent qui n'est plus disponible au plan psychique, accaparé
par un conflit conjugal ou par un deuil par exemple. Signalons que pour l'enfant, surtout
s'il est jeune, la perte d'un proche, en particulier d'un membre de la fratrie, se redouble
souvent de la " perte interactive " du ou des parents qui sont eux-mêmes plongés dans un
travail de deuil ou un véritable état dépressif. Ces facteurs doivent être rapprochés du
contexte familial habituellement décrit.

Cependant la " perte " est parfois plus banale en apparence, du moins pour l'adulte.
Signalons ainsi la mort d'un animal domestique familial (en particulier l'animal qui était
présent à la maison depuis la naissance de l'enfant), un déménagement, la perte ou
l'éloignement d'un camarade.

Environnement familial

De l'ensemble des études sur le milieu familial, plusieurs points ressortent régulièrement
[17, 27]
.

La fréquence d'antécédents de dépression ou de pathologie associée (alcoolisme [66] chez


les parents, en particulier chez la mère [43]). Deux mécanismes ont été avancés pour
expliquer cette fréquence : un mécanisme d'identification au parent déprimé ; un
sentiment que la mère est à la fois inaccessible et indisponible et qu'en même temps
l'enfant est lui-même incapable de la consoler, de la gratifier ou de la satisfaire. L'enfant
est donc confronté à un double mouvement de frustration et de culpabilité. On conçoit
dans une telle situation que l'agressivité ne puisse trouver une cible externe d'expression.

La fréquence de la carence parentale, surtout maternelle : médiocre contact parent-enfant,


peu sinon pas de stimulation affective, verbale ou éducative. Un parent est parfois
ouvertement rejetant : dévalorisation, agressivité, hostilité ou indifférence totale envers
l'enfant, pouvant aller jusqu'au rejet complet.

Plus rarement ont été décrites d'autres composantes parentales, en particulier une
excessive sévérité éducative [57] suscitant chez l'enfant la constitution d'une instance
surmoïque particulièrement sévère et impitoyable.

Certaines conditions particulières favorisent le développement de cette instance surmoïque


impitoyable et participent au développement d'un état dépressif. Ainsi les enfants victimes
de sévices présentent souvent des traits dépressifs ou une véritable dépression. Dans une
population de 56 enfants de 7 à 12 ans victimes de mauvais traitements, J Kaufman [38]
note que 27 % des enfants présentent un épisode dépressif majeur ou une dysthymie
(critères DSM III-R). Les enfants victimes de sévices développent souvent le sentiment
que si leurs parents les battent c'est parce qu'ils ont fait des bêtises et qu'ils sont "
méchants ". En clair, ils se sentent coupables des coups qu'ils reçoivent.
En revanche, qu'il s'agisse de l'environnement familial ou des événements de vie, en
dehors du rôle néfaste de leur cumul, il ne semble pas exister de corrélations particulières
entre ces événements, leur succession et l'évolution de l'épisode dépressif [25].

Haut de page

ABORD PSYCHOPATHOLOGIQUE

Nous ne pouvons reprendre ici les travaux d'auteurs comme M Klein [39] (la position
dépressive) ou Winnicott [69] (la compassion ou la sollicitude), travaux qui touchent au
développement normal et qui concernent des enfants souvent plus jeunes.

D'un point de vue psychopathologique, il nous paraît nécessaire de différencier de la façon


la plus nette deux types de dépression chez l'enfant :

celles qui sont consécutives à une déprivation précoce et massive, une carence :
figures du vide qui altèrent l'équilibre psychosomatique et obèrent les conditions
de la maturation et du développement ;
celles qui sont consécutives à une absence, une perte ou un manque secondaire :
l'image de l'objet manquant est intériorisée et c'est cette représentation de l'objet
perdu qui provoque le " travail dépressif ".

Il n'y a pas de continuité psychopathologique d'un état à l'autre. Au contraire, ces deux
états qu'on pourrait nommer l'un " figure du vide et de l'irreprésentable ", l'autre " figure
du plein de l'objet manquant " paraissent fonctionner comme des attracteurs organisant
l'un et l'autre des " complexes psychopathologiques " aux logiques différentes.

Nous ne nous étendrons pas sur le premier, renvoyant le lecteur aux théories de Spitz et
Bowlby et à la description de la dépression ou plus exactement de la carence affective chez
le nourrisson.

Concernant les états dépressifs liés à la représentation de la perte du lien à l'objet, la


problématique n'est pas fondamentalement différente de ce qui est observé chez l'adulte,
à la condition expresse que l'enfant, de façon consciente ou inconsciente puisse se
représenter ce manque. Ceci pose indirectement la question du langage, même si l'enfant
utilise des expressions qui lui sont propres. C'est la raison pour laquelle nous avons décrit
ces " mots de l'enfant ".

Une question théorique se pose : l'expression de la culpabilité et la place du surmoi dans le


développement de l'enfant.

La théorie kleinienne situe presque à la naissance l'émergence du sentiment de culpabilité


et du surmoi archaïque. Mais M Klein propose plus une interprétation psychodynamique
qu'une description sémiologique : de ce point de vue, toutes les manifestations d'allure
psychotique du jeune enfant peuvent être analysées comme l'expression d'angoisse
archaïque liée à une culpabilité elle aussi archaïque, avec la crainte d'une rétorsion de la
part d'un surmoi intransigeant et archaïque.

Plus classiquement dans la perspective freudienne, au décours de la période oedipienne,


l'intériorisation des imagos parentales et l'organisation du surmoi ouvrent la voie à la
culpabilité névrotique. La survenue d'une perte dans l'entourage de l'enfant renvoie ce
dernier à l'inéluctable ambivalence de ses sentiments, suscite sa culpabilité et entraîne la
spirale dépressive. Ceci est particulièrement net par exemple en cas de décès d'un
membre de la fratrie pour lequel l'enfant survivant s'estime coupable, méchant ou en cas
de maladie grave d'un proche surtout si la maladie mobilise l'attention et les soins des
parents.

Au plan psychopathologique, il existe alors un gradient allant de l'état dépressif tout à fait
typique, aux manifestations plus névrotiques sous forme de conduites d'échec ou de
punitions à répétition jusqu'aux pathologies de la personnalité dominées par le clivage.
Initialement, la dynamique névrotique est prévalente mais l'évolution sera fonction de la
reconnaissance ou non de la souffrance dépressive. Si cette dernière est reconnue en
particulier par les parents (ce qui n'implique pas nécessairement une demande de soin), le
tableau de la dépression peut s'organiser voire se fixer (par exemple identification à la
figure d'un parent ou d'un grand-parent déprimé). Si la souffrance dépressive est
méconnue, l'organisation progressive de la personnalité risque alors de se faire autour du
déni des affects et des émotions avec une accumulation progressive de conduites
déviantes appelées comorbidité dans la nosographie du DSM : instabilité ou hyperactivité,
trouble déficitaire de l'attention, comportement d'opposition, échec scolaire, consommation
de produits, etc. Au plan nosographique cette pathologie " comorbide " finit par dominer le
tableau clinique. D'un point de vue psychodynamique, le développement de la personnalité
s'organise autour du clivage conduisant aux pathologies dites " limites ".

Au total dans cette dynamique de la culpabilité, si le surmoi oedipien menace l'enfant d'un
retrait d'amour et d'estime comme " punition " d'une faute accomplie, pensée ou
fantasmée, le surmoi archaïque menace le jeune enfant d'un retrait d'étayage, d'un
effondrement et d'une réplique implacable commandée par la loi du Talion. Dans ces
conditions, tout ce qui alimente les fantaisies et fantasmes agressifs peut subir une
répression sévère surtout si un événement de la réalité vient leur donner un semblant de
confirmation. Lorsque l'enfant subit la pression de son surmoi oedipien il cherchera à "
réparer " sa faute réelle ou imaginaire par les voies de la sublimation. Lorsque le jeune
enfant subit la pression du surmoi archaïque, il n'a d'autre issue que d'accroître sa
vigilance persécutive, de projeter sur l'extérieur ses pulsions agressives et d'accroître sa
crainte de rétorsion. On est confronté ici à deux figures opposées de la dépression selon
que la " position dépressive " aura ou non été élaborée. D'un point de vue structural, cette
ligne de partage sépare ce qui serait d'un côté les " dépressions névrotiques " et de l'autre
les " dépressions " que l'on pourrait appeler " prénévrotiques " au sens développemental
génétique, ou " prépsychotiques " au sens économique-dynamique.

Haut de page

MALADIE MANIACODÉ PRESSIVE ET/OU BIPOLAIRE CHEZ


L'ENFANT ET RECHERCHES ORGANIQUES

Maladie bipolaire

Le débat sur l'existence d'une maladie maniacodépressive dans l'enfance a fait couler
beaucoup d'encre depuis les premières publications de Campbell [8], puis d'Anthony et
Scott [5]. Ces derniers, sur les bases de la sémiologie décrite par Kraepelin, définissent dix
critères de reconnaissance d'une psychose maniacodépressive chez un enfant ; ils
effectuent une revue des cas cliniques publiés dans la littérature et constatent qu'aucun
des enfants avant l'adolescence ne réunit plus de sept critères ; seuls trois cas répondent à
plus de cinq critères.

Le concept de " psychose affective " proposé par Harms [30] avait certes ouvert la
perspective sémiologique reconnaissant la possibilité d'expressions symptomatiques
propres à l'enfant, mais avait rendu quelque peu confuses les limites nosographiques. Sous
l'expression de serious babies, Harms décrivait des enfants de 3 à 5 ans présentant des
moments de tristesse anormale, sans sourire, visage peu expressif, semblant ne
s'intéresser à rien, avec à d'autres moments des accès d'agitation, des moments
d'agressivité, des conduites de clowneries sans cause apparente. Ces moments se
succèdent de façon tranchée.

C'est à partir de cas cliniques similaires que Penot [57] propose, dès 1973, une
interprétation théorique en termes de déni de la position dépressive avec tous les
réaménagements secondaires au long cours, en particulier sur un mode caractériel ou
psychopathique.

La classification française des troubles mentaux de l'enfant et de l'adolescent [54] retient


pour ces enfants le terme de " psychose dysthymique ". Les formes répondant
rigoureusement aux critères définis restent rares parmi l'ensemble des psychoses
précoces.

Dans le cadre de la maladie maniacodépressive, l'existence de forme monopolaire et


bipolaire a été décrite chez l'enfant comme chez l'adulte. Ainsi Tomasson et Kuperman [65]
relatent le cas d'un garçon qui, à partir de l'âge de 7 ans, a présenté une alternance
d'épisodes de retrait et d'épisodes d'agitation, d'agressivité et de " clownerie ", en
particulier en classe. Ces épisodes survenaient brutalement. À l'adolescence, les inversions
d'humeur, en particulier sous traitement antidépresseur, se firent de plus en plus
fréquentes, aboutissant à un " état mixte ". Les auteurs notent l'importance des
antécédents psychiatriques dans la famille. La mère et deux tantes maternelles ont une
maladie maniacodépressive ; la grand-mère paternelle avait des " troubles affectifs
majeurs " (major affective disorder), le père des troubles organiques de la personnalité
(organic personality disorder).

Devant un épisode dépressif du grand enfant, Carlson et Strober [10] définissent les
critères qui doivent faire évoquer un épisode dépressif dans le cadre d'une maladie
maniacodépressive :

un début rapide des symptômes avec un ralentissement psychomoteur net et une


humeur congruente aux manifestations psychotiques ;
les antécédents familiaux ;
l'inversion de l'humeur induite par le traitement antidépressuer.

Bien que rares, ces cas doivent retenir l'attention, d'une part afin de ne pas les confondre
avec des troubles psychotiques, et d'autre part en raison de l'efficacité du traitement par le
lithium.

Cependant, tous les auteurs s'accordent sur la fréquente et quasi permanente "
comorbidité " en particulier avec les troubles des conduites. En outre, presque toutes les
publications incluent dans leur étude le cas des jeunes adolescents (11-13 ans), donc
d'individus déjà engagés dans le processus pubertaire physiologique. Pour tous les
auteurs, c'est une évidence que le diagnostic de maladie bipolaire devient plus facile à
l'adolescence.

Dans une récente mise au point, G Carlson [9] s'interroge sur la " manie prépubère ". Elle
note que chez l'enfant prépubère les troubles de l'humeur sont toujours associés aux
troubles des conduites et que ces derniers prennent très rarement la forme d'accès aigus
épisodiques ; ils sont en général durables.

En réalité ces constatations purement phénoménologiques veulent faire l'impasse sur une
analyse du " symptôme " dans le développement psychopathologique, en particulier les
symptômes agitation, opposition, crise de colère ou irritabilité. Ces conduites traduisent en
général un malaise et représentent le plus souvent une réponse à une interaction dont une
des caractéristiques les plus fréquentes est d'ignorer ou de dénier le malaise, la souffrance
de l'enfant. Un des ensembles symptomatiques les plus caractéristiques de la manie
adulte, l'accélération du cours de la pensée, la logorrhée, les jeux de mots, contrepèteries
et coqs à l'âne, ne sont sauf exception jamais décrits chez l'enfant prépubère. L'auteur des
présentes lignes n'a pas d'expérience clinique personnelle d'un tel cas et n'a retrouvé
qu'exceptionnellement dans la littérature une description pouvant s'en rapprocher.
L'actuelle situation où l'on accumule des cas cliniques d'enfants avec " troubles
dysthymiques et troubles des conduites associées " pour apporter la preuve de l'existence
d'une maladie bipolaire dans la continuité de l'enfant à l'adulte apparaît plus comme un
enjeu théorique et dogmatique que comme une réalité clinique.

On peut conclure ce bref paragraphe en constatant qu'une maladie maniacodépressive


dans sa forme monopolaire et plus encore dans sa forme bipolaire typique peut être
reconnue et isolée chez des enfants dès l'âge de 6-7 ans. Toutefois ces formes sont très
rares ; le diagnostic, toujours difficile, exige des critères rigoureux parmi lesquels les
antécédents familiaux indiscutables, un long suivi évolutif, et des moments nets et
soudains d'inversion de l'humeur qui sont l'élément le plus important. Les expressions de "
psychoses affectives " ou " dysthymiques ", aux critères diagnostiques moins rigoureux,
ont certes l'intérêt d'attirer l'attention du clinicien sur la sémiologie à prédominance
thymique de certaines psychoses infantiles précoces mais élargissent probablement le
cadre nosographique au-delà de la maladie maniacodépressive. L'évolution au long cours
de ces " psychoses dysthymiques " semble d'ailleurs s'effectuer sur un mode différent,
celui d'une pathologie du caractère ou des conduites (psychopathies).
Recherches organiques

Les recherches organiques, biochimiques, neuroendocriniennes,


électroencéphalographiques, génétiques se sont multipliées ces dernières années,
reprenant en grande partie les hypothèses formulées et les travaux entrepris dans le cadre
de la dépression de l'adulte.

Ces recherches donnent chez l'enfant des résultats qui ne sont pas toujours concordants
avec ce qu'on observe chez l'adulte. Cette constatation est également valable pour
l'adolescence.

Ainsi, Puig-Antich [58] retrouve chez l'enfant les mêmes modifications que chez l'adulte
pour ce qui concerne la concentration plasmatique de cortisol lors du test de freination à la
dexaméthasone. De même la réponse de sécrétion d'hormones de croissance (GH) à
l'hypoglycémie induite par l'insuline semble atténuée chez l'enfant déprimé [35]. En
revanche, MR Garcia [22], J Puig-Antich et al ne trouvent pas de différence dans la réponse
de la TSH (thyroid stimulating hormone) à la stimulation par la TRH (thyrotropine releasing
hormone) entre un groupe d'enfants prépubères avec une dépression majeure et un
groupe témoin.

La sécrétion nocturne de mélatonine [62] semble présenter un pic plus élevé chez les
enfants (8 à 17 ans) déprimés majeurs que chez les sujets témoins. Cette élévation du pic
n'est retrouvée qu'en cas d'épisode dépressif majeur isolé et n'est pas constatée quand
des manifestations psychotiques sont associées au trouble de l'humeur. De Bellis, Ryan et
al [13] étudient le taux nocturne d'ACTH (adrenocorticotrophic hormone), de cortisol, de
GH, et de prolactine chez 38 enfants avec dépression majeure comparés à 28 cas témoins
appariés. Si les concentrations d'ACTH plasmatiques ne semblent pas différentes chez les
déprimés par rapport aux témoins, en revanche chez les enfants déprimés hospitalisés, les
taux d'ACTH sont significativement abaissés alors qu'ils sont significativement plus élevés
chez les enfants déprimés non hospitalisés. De même, le pic de sécrétion du cortisol dans
les 4 premières heures du sommeil est moins élevé chez les déprimés que chez les
témoins, tandis que la concentration plasmatique moyenne du cortisol sur l'ensemble de la
nuit n'est pas différente dans les deux groupes.

Le pic des 4 premières heures de sommeil et la concentration plasmatique moyenne de GH


ne sont pas différents dans les deux groupes mais, si on compare les filles déprimées aux
témoins filles, seul le pic de GH est plus faible chez les premières, il n'y a pas de différence
pour la prolactine.

Les auteurs concluent que des éléments comme l'âge, le sexe et les événements de vie
avec stress (hospitalisation) peuvent sensiblement modifier le profil psychobiologique des
enfants déprimés majeurs et qu'il existe probablement plusieurs sous-types de profils en
fonction de l'évolution ultérieure (futur bipolaire ou unipolaire).

Les enregistrements électroencéphalographiques font, comme chez l'adulte, l'objet de


nombreux travaux. Les résultats chez l'enfant sont très souvent différents et/ou
contradictoires de ceux observés chez l'adulte. Ainsi Emslie et al [16] constatent sur
l'électroencéphalogramme (EEG) de nuit d'enfants hospitalisés présentant des épisodes
dépressifs majeurs (DSM Ill-R) des modifications semblables mais non identiques à ce que
l'on observe chez l'adulte déprimé. Il existe en particulier une diminution de la latence du
sommeil paradoxal chez les enfants déprimés par rapport aux témoins. Toutefois, par
rapport au groupe témoin, ces modifications semblent moins significatives que ce qui est
observé chez l'adulte.

Pour conclure, il nous semble que ces recherches apportent des résultats encore
fragmentaires et ne permettent pas d'élaborer un modèle organique qui réponde à une
théorie cohérente et explicative de la dépression chez l'enfant.

Haut de page

ABORD THÉ RAPEUTIQUE


Nous serons extrêmement brefs, ne dégageant ici que les axes essentiels du traitement.

La prévention paraît à l'évidence un abord essentiel : prévention au niveau de la relation


mère-enfant en évitant les ruptures par le travail de guidance, prévention sociale par
l'équipement en personnel, la formation et la sensibilisation correctes de celui-ci dans les
crèches, les services de pédiatrie, les institutions, prévention institutionnelle en répétant le
rôle néfaste des ruptures de placements nourriciers lorsqu'ils ne sont pas indispensables
ou inévitables, etc.

Devant l'enfant dépressif, l'abord thérapeutique peut porter sur l'enfant ou sur son
environnement, mais il est sensiblement différent d'une part selon qu'on est confronté à
un épisode dépressif d'allure réactionnelle ou à une maladie dépressive, et d'autre part
selon la capacité des parents à accepter l'idée que leur enfant puisse être déprimé.

Reconnaissance de la dépression et identification empathique à la


souffrance de l'enfant

Quand il s'agit d'un épisode dépressif et d'autant plus que celui-ci apparaît réactionnel (à
un deuil, un déménagement, une perte ou autre...), la simple reconnaissance de cette
dépression peut avoir une valeur thérapeutique : le médecin énonce " la dépression " et la
souffrance possible de l'enfant, les parents y sont sensibles et trouvent souvent eux-
mêmes des réponses sous forme d'une meilleure attention, d'une compréhension des
difficultés comportementales ou scolaires transitoires, etc. La valeur thérapeutique de
cette reconnaissance est, en effet, d'autant plus grande que les parents ne se sentent pas
accusés, mis en cause aussi bien par le consultant que par leur propre enfant. Dans ces
cas, l'énonciation du diagnostic, quelques consultations thérapeutiques, quelques
aménagements relationnels font rapidement évoluer puis disparaître les symptômes.

Maladie dépressive et déni de la souffrance dépressive

L'attitude thérapeutique doit être différente quand l'enfant est inscrit dans une " maladie
dépressive " telle qu'elle a été précédemment décrite, en particulier si les symptômes de
lutte et de déni de la dépression (instabilité, colère, agressivité, conduites déviantes
surajoutées...) sont au premier plan et plus encore quand la dynamique des relations
familiales est dominée par certaines formes de déni : déni de la souffrance de l'enfant, de
ses besoins, de l'évidente conflictualité sous-jacente. Dans ces conditions, il ne faut pas
attendre de changements positifs du seul fait de l'énoncé diagnostique. Parfois même
celui-ci peut entraîner une réaction parentale de désignation pathologique de l'enfant.
Dans les cas où la dépression menace l'organisation psychodynamique de l'enfant, le
recours à des approches psychothérapeutiques et/ou environnementales est nécessaire.

Thérapies relationnelles

La mise en place d'une psychothérapie est, bien entendu, fondamentale dans la mesure où
l'enfant lui-même, et surtout son entourage familial, l'accepte et paraît capable de la
stabilité suffisante pour conduire le traitement à son terme. La technique psychothérapique
elle-même est fonction de l'âge de l'enfant, du thérapeute, des conditions locales ;
thérapie analytique, psychodrame psychothérapie d'inspiration analytique ou de soutien.
L'aide apportée aux parents est d'autant plus important que l'enfant est jeune. La thérapie
couplée mère-enfant est particulièrement dynamique chez les petits (2 à 6 ans) comme
chez la mère elle-même (restauration narcissique).

Interventions sur l'environnement


parental, simple éloignement transitoire, angoisse d'abandon plus fantasmatique que
réelle, etc.

Ces interventions ont pour but soit de restaurer un lien mère-enfant plus satisfaisant
(guidance parentale, hospitalisations couplées mère-enfant pendant de brèves périodes),
soit d'instaurer un nouveau lien faute de pouvoir intervenir sur le précédent placement
nourricier : placement familial spécialisé pour les jeunes enfants, internats pour les plus
grands, etc. Entre les deux se situent les prises en charge à temps partiel (hôpital de jour,
externat médicopsychologique) quand la gravité des troubles du comportement ou la
massivité de la dépression interdit tout maintien dans le système pédagogique habituel.

Traitements médicamenteux

Leur rôle n'est pas négligeable quand l'abord relationnel paraît temporairement impossible
: les antidépresseurs tricycliques (imipramine : 10 mg/j de 2 à 4 ans, 30 mg/j de 4 à 8
ans, 50 à 75 mg/j entre 8 et 15 ans, clomipramine : 0.5 à 2mg/kg/j) peuvent améliorer
temporairement les conduites dépressives les plus manifestes (tristesse, abattement,
prostration mais aussi opposition, labilité affective).

Mais leur effet est souvent transitoire, un échappement après quelques semaines
d'utilisation s'observe habituellement.

Les plus récentes publications restent très réservées sur l'efficacité des antidépresseurs
chez l'enfant. La grande majorité des études en double aveugle randomisées et contrôlées
contre placebo [23, 59] ne font pas la preuve d'une efficacité démontrée des
antidépresseurs tricycliques contre le placebo. Cependant, ces études présentent de
nombreux défauts méthodologiques (faible taille des échantillons, durée insuffisante du
suivi dépassant rarement 4 à 6 semaines, instrument de mesure pas toujours adéquat ou
validé, etc).

Une récente étude d'Emslie et al (A double-blind, randomized, placebo-controlled. Trial of


fluoxetine in children and adolescents with depression. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 :
1031-1037), compare l'effet de la fluoxétine versus placebo chez 96 sujets âgés de 7 à 17
ans (48 enfants de 12 ans et moins et 48 adolescents de 13 ans et plus, 48 sujets
contrôlés placebo versus 48 sujets fluoxétine). Cette étude conclut que l'effet de la
fluoxétine est supérieur à celui du placebo dans l'épisode dépressif majeur mais note
toutefois que la rémission complète des symptômes est rare.

La règle actuelle tend à réserver la prescription d'antidépresseurs chez l'enfant aux formes
cliniques graves résistantes aux traitements psychothérapeutiques et relationnels et aux
aménagements de vie. Pour autant le recours à ces traitements ne doit pas être négligé
dans ces formes graves en utilisant une posologie à dose correcte et contrôlée.

Le carbonate de lithium (lithémie entre 0,60 et 1,2 mEq/L avec contrôle hebdomadaire
puis mensuel) a apporté quelques améliorations dans les psychoses maniacodépressives
de l'adolescence [14]. Dans l'enfance, les résultats sont médiocres ou inconstants, en
particulier dans les états d'instabilité psychomotrice. Les effets secondaires indésirables
semblent fréquents [29].

Là encore les études contrôlées, les suivis prolongés font cruellement défaut [36]. Les
autres thymorégulateurs (carbamézapine, valpromide) commencent a être utilisés, mais
de façon ponctuelle.

Références

[1] Achenbach TM, Verhulst FC, Baron GD, Althaus M A comparison of syndromes derived from
the child behavior checklist for American and Dutch boys aged 6-11 and 12-16. J Child
Psychol Psychiatry 1987 ; 28 : 437-457
[2] Angold A Childhood and adolescent depression. I. Epidemiological and aetiological aspects Br
J Psychiatry 1988 ; 152 : 601-617
[3] Angold A Childhood and adolescent depression. II. Research in clinical populations Br J
Psychiatry 1988 ; 153 : 476-492
[4] Angold A, Costello E Depressive comorbidity in children and adolescents : Empirical,
theoretical and methodological issues. Am J Psychiatry 1993 ; 150 : 1779-1791
[5] Anthony EJ, Scott P Mania depressive psychosis in childhood. J Child Psychol
Psychiatry 1960 ; 1 : 53-72
[6] Birmaher B, Ryan ND, Williamson DE, Brent DA, Kaufman J, Dahl RE , et al. Childhood and
adolescent depression : a review of the past 10 years. Part I J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1996 ; 35 : 1427-1439
[7] Birmaher B, Ryan ND, Williamson DE, Brent DA, Kaufman J Childhood and adolescent
depression : a review of the past 10 years. Part II J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1996 ; 35 : 1575-1583
[8] Campbell J Maniac depressive diseases in children. J Nerv Ment Dis 1952 ; 116 : 424-439
[9] Carlson GA Identifying prepubertal mania. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1995 ; 34 : 750-753
[10] Carlson GA Maniac depressive illness in early adolescence. J Am Acad Child
Psychiatry 1978 ; 17 : 138-153
[11] Chess S, Thomas A, Hassibi M Depression in childhood and adolescence : A prospective study
of six cases. J Nerv Ment Dis 1983 ; 171 : 411-420
[12] Conférence de consensus. Les troubles dépressifs chez l'enfant : reconnaître, soigner,
prévenir, devenir, Paris : Frison-Roche, 1997 : 1-331
[13] De Bellis MD, Dahl RE, Perel JM, Birmaher B, Al-Shabbout M, Williamson DE , et al. Nocturnal
ACTH, cortisol, growth hormone, and prolactin secretion in prebubertal depression. J Am
Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : 1130-1138
[14] Dugas M, Mouren-Simeoni MC. Les troubles de l'humeur chez l'enfant de moins de 13 ans.
Paris : PUF, 1980 : 1-258
[15] Emslie G, Rush AJ, Weinberg A, Guillion CM, Rintelmann J, Hughes CW Recurrence of major
depressive disorder in hospitalized children and adolescents. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1997 ; 36 : 785-792
[16] Emslie GJ, Rush AJ, Weinberg A, Rintelmann JW, Roffwarg HP Children with major depression
show reduced rapid eye movement latencies. Arch Gen Psychiatry 1990 ; 47 : 119-124
[17] Ferrari PB, Otbol M, Sibertin-Blanc D, Payant C, Lachal C, Presme N , et al. Etude
épidémiologique sur la dèpression maternelle comme facteur de risque dans la survenue
d'une psychose infantile précoce. Psychiatr Enf 1991 ; 34 : 35-97
[18] Fleming JE, Offord DR Epidemiology of childhood depressive disorders. A critical review J Am
Acad Child Adolesc Psychiatry 1990 ; 29 : 571-580
[19] Fleming JE, Offord DR, Boile MH The Ontario child health study : prevalence of childhood and
adolescent depression in the community. Br J Psychiatry 1989 ; 155 : 647-654
[20] Eombonne E The Chartres study : I. Prevalence of psychiatric disorders among French
school-age children Br J Psychiatry 1994 ; 164 : 69-79
[21] Garber J, Kriss MR, Koch M, Lindholm L Recurrent depression in adolescents : a follow-up
study. J Am Adad Child Adolesc Psychiatry 1988 ; 27 : 49-54
[22] Garcia MR, Ryan ND, Rabinovitch H, Ambrosini P, Twoney J, Iyengar S , et al. Thyroid
stimulating hormone response to thyrotropin in prepubertal depression. J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 1991 ; 30 : 398-406
[23] Geller B, Cooper T, Graham D , et al. Double blind placebo controlled study of nortriptyline in
depressive adolescents using a "fixed plasma level" design. Psychopharmacol
Bull 1990 ; 26 : 85-90
[24] Goodyer IM, Herbert J, Secher SM, Pearson J Short-term outcome of major depression : I.
Comorbidity and severity at presentation as predictors of persistent disorder J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 1997 ; 36 : 179-187
[25] Goodyer IM, Herbert J, Tamplin A, Secher SM, Pearson J Short-term outcome of major
depression : II. Life events, family dysfunction, and friendship difficulties as predictors of
persistent disorder J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1997 ; 36 : 474-480
[26] Gourdon-Hanus D, Hanus M, Jassaud R Le deuil chez l'enfant. Psychiatr Enf 1980 ; 23 : 319-
340
[27] Guedeney N Les enfants de parents déprimés. Psychiatr Enf 1989 ; 32 : 269-309
[28] Guillaud-Bataille JM, Cialdella PH Epidemiologie des troubles dépressifs chez l'enfant et
l'adolescent. Revue de la littérature Neuropsychiatr Enf Adolesc 1993 ; 41 : 175-184
[29] Hagino O, Weller E, Weller R, Washing D, Fristad M, Contras S Untoward effects of lithium
treatment in children aged four through six years. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1995 ; 34 : 1584-1590
[30] Harms I Differentiel pattern of manic depressive disease in childhood. J Nerv
Child 1952 ; 4 : 326-355
[31] Harrington R, Bredenkamp D, Groothues C, Rutter M, Fudge H, Pickles A Adult outcomes of
childhood and adolescent depression. III links with suicidal behaviours J Child Psychol
Psychiatry 1994 ; 37 : 1309-1319
[32] Harrington R, Fudge H, Rutter M, Pickles A, Hill J Adult outcomes of childhood and adolescent
depression. I : psychiatric status Arch Gen Psychiatry 1990 ; 47 : 465-473
[33] Harrington R, Fudge M, Rutter M, Pickles A, Hill J Adult outcomes of childhood and adolescent
depression. II : links with antisocial disorders J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1991 ; 30 : 434-439
[34] Hershberg SG, Carlson GA, Cantwell DR, Strober M Anxiety and depressive disorders in
psychiatrically disturbed children. J Clin Psychiatry 1982 ; 43 : 358-361
[35] Jensen JB, Garfinkel BD Growth hormone dysregulation in children with major depressive
disorder. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1990 ; 29 : 295-301 [crossref]
[36] Kafantaris V Treatment of bipolar disorder in children and adolescents. J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 1995 ; 34 : 732-741
[37] Kandel DB, Davies M Adult sequelae of adolescent depressive symptoms. Arch Gen
Psychiatry 1986 ; 43 : 255-262
[38] Kaufman J Depressive disorders in maltraited children. J Am Child Adolesc
Psychiatry 1991 ; 30 : 257-265
[39] Klein M. Contribution à l'étude de la psychogenèse des états maniaco-dépressifs. In : Essais
de Psychanalyse. Paris Payot, 1968 : 311-340
[40] Kolvin I, Barrett ML, Bhate SR, Berney TP, Famuyiawa OO, Fundusis T , et al. The newcastle
child depression project. Diagnosis and classification of depression Br J
Psychiatry 1991 ; 159 : 9-21
[41] Kovacs M Presentation and course of major depressive disorder during childhood and later
years of the life span. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : 705-715
[42] Kovacs M, Akiskal HS, Gatsonis C, Parrone PL Childhoodonset dysthymic disorder : clinical
features and prospective naturalistic outcome. Arch Gen Psychiatry 1994 ; 51 : 365-374
[43] Kovacs M, Devlin B, Pollock M, Richards C, Mukerji P A controlled family history study of
childhood-onset depressive disorder. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 : 613-623
[44] Kovacs M, Feinberg TL, Crouse-Novak MA, Paulauskas SL, Finkelstein R Depressive disorders
in childhood, II : a longitudinal study of the risk for a subsequent major depression. Arch Gen
Psychiatry 1984 ; 41 : 643-649
[45] Kovacs M, Feinberg TL, Crouse-Novak MA, Paulauskas SL, Pollok M, Finkelstein R Depressive
disorders in childhood : a longitudinal prospective study of characteristics and recovery. Arch
Gen Psychiatry 1984 ; 41 : 229-237
[46] Kovacs M, Goldston D, Gatsonis C Suicidal behaviors and childhood-onset depressive
disorders : a longitudinal investigation. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1993 ; 32 : 8-20
[47] Kovacs M, Obrosky DS, Gatsonis C, Richards C First-episode major depressive and dysthymic
disorder in childhood : clinical and sociodemographic factors in recovery. J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 1997 ; 36 : 777-784
[48] Marcelli D Clinique de la perte chez l'enfant el l'adolescent. Psychol Med 1993 ; 25 : 1092-
1095
[49] Marcelli D. La dépression chez l'enfant In : Lebovici S, Soulé M, Diatkine R eds. Nouveau
traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. Paris : PUF, 1995 : 1437-1461
[50] Marcelli D, Braconnier A. Enfance et psychopathologie. Paris : Masson, 1996
[51] Marcelli D. Quels sont les signes cliniques des troubles dépressifs chez l'enfant ? In :
Conférence de consensus : Les troubles dépressifs chez l'enfant : Reconnaître, Soigner,
Prévenir, Devenir. Paris : Frison-Roche, 1997 : 15-24
[52] Marcelli D. La dépression dans tous ses états du nourrisson à l'adolescent et après. Congrès
SFPEA, Poitiers, 1997
[53] Mises R. Les pathologies limites de l'enfance. Paris : PUF, 1990
[54] Mises R, Quemada N. Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de
l'adolescent (CFTMEA). Paris : PUF, 1993
[55] Neuman RJ, Geller B, Rice JP, Todd RD Increased prevalence and earlier onset of mood
disorders among relatives of prepubertal versus adult probands. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1997 ; 36 : 466-473
[56] Papazian B, Manzano J, Palacio F Les syndromes dépressifs chez l'enfant : fonction de la
source d'informations et du mode d'investigation. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1992 ; 40 : 1-
12
[57] Penot B Contribution à l'étude des dépressions infantiles. Psychiatr Enf 1973 ; 16 : 301-380
[58] Puig-Antich J. Psychobiological markers : effects of age and puberty. In : Rutter M, Izard CE,
Read PB eds. Depression in young people : developmental and clinical perspective. New York
: Guilford, 1986 : 341-381
[59] Puig-Antich J Sleep and neuroendocrine correlates of affective illness in childhood and
adolescence. J Adolesc Health Care 1987 ; 8 : 505-509
[60] Sandler J, Joffe WG Notes on childhood depression. Int J Psychoanal 1965 ; 46 : 46-88
[61] Sandler J, Joffe WG Remarques sur la souffrance, la dépression et l'individuation. Psychiatr
Enf 1967 ; 10 : 123-156
[62] Shafii M, Macmillan DR, Key MP, Mc Cue Derrick A, Kaufman N, Nahisky ID Nocturnal serum
melatonin profile in major depression in children and adolescents. Arch Gen
Psychiatry 1996 ; 53 : 1009-1013
[63] Spirito A, Brown L, Overholser J, Fritz G Attempted suicide in adolescence : a review and
critique of the literature. Clin Psychol Rev 1989 ; 9 : 335-363 [crossref]
[64] Spitz RA. De la naissance à la parole. La première année de vie. Paris : PUF, 1968
[65] Tomasson K, Kuperman S Bipolar disorder in a prepubescent child. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1990 ; 29 : 308-310
[66] Tood RD, Geller B, Rosalind M, Fox LW, Hickok J Increased prevalence of alcoholism in
relatives of depressed and bipolar children. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1996 ; 35 : 716-724
[67] Valla JP, Bergeron L. Quelles sont la fréquence et la distribution des troubles dépressifs et de
leurs complications chez l'enfant ? In : Conférence de consensus : Les troubles dépressifs
chez l'enfant : Reconnaître, Soigner, Prévenir, Devenir. Paris : Frison-Roche, 1997 : 77-93
[68] Widlöcher D. Les logiques de la dépression. Paris : Fayard, 1983 : 1-269
[69] Winnicott D. (1955) La position dépressive dans le développement affectif normal. In : De la
pédiatrie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1969 : 149-165

© 1998 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.

* Ne sont abordées dans ce texte ni la dépression du nourrisson et du jeune enfant


(avant 3-4 ans), ni la dépression de l'adolescent.
¶ 37-201-E-10

Dyslexie développementale
I. Soares-Boucaud, M.-L. Cheynel-Alberola, V. Herbillon, N. Georgieff

La dyslexie développementale est un trouble spécifique d’apprentissage de la lecture qui concerne environ
5 % de la population d’âge scolaire. Elle se caractérise essentiellement par un retard en lecture d’au moins
18 mois chez un sujet d’intelligence normale. Elle succède souvent à un trouble du langage oral
préexistant chez le jeune enfant. Ses étiologies restent encore imprécises, une forte composante génétique
étant admise. On décrit actuellement plusieurs formes cliniques de dyslexie développementale. Il est
important de les caractériser de manière précise, au moyen d’un bilan spécialisé et pluridisciplinaire, pour
pouvoir ensuite affiner le mieux possible la prise en charge. La dyslexie s’accompagne souvent de troubles
neuropsychologiques associés (tels que le trouble de l’attention avec hyperactivité). En se fondant sur les
modèles cognitifs de la lecture, qui distinguent deux voies de lecture (voie d’assemblage et voie
d’adressage), on différencie les dyslexies phonologiques, les dyslexies visuelles (ou de surface) et les
dyslexies mixtes, ces dernières étant souvent les plus sévères. Les conséquences psychopathologiques et
psychosociales de la dyslexie développementale ne doivent pas être négligées. En effet, il n’est pas rare
qu’un dyslexique non dépisté et/ou non pris en charge développe un tableau psychopathologique
pouvant être sévère, en particulier état dépressif, phobie scolaire, troubles du comportement pouvant
entraîner une déscolarisation. Des retards ou des erreurs diagnostiques peuvent avoir pour conséquence
l’exclusion du cycle scolaire ordinaire et l’orientation vers des établissements spécialisés. À l’heure
actuelle, la thérapeutique le plus couramment proposée reste la rééducation orthophonique. Dans les
années 2000, le cadre législatif pour la prise en charge des troubles spécifiques du langage oral et écrit a
été considérablement remanié, dans le but d’améliorer les conditions de dépistage et de prise en charge
de ces pathologies.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Dyslexie développementale ; Troubles spécifiques du langage oral ;


Troubles spécifiques du langage écrit ; Illettrisme ; Conscience phonologique ; Voies de lecture ;
Trouble de l’attention avec hyperactivité

Plan ¶ Démarche diagnostique et clinique 8


Particularités de l’entretien clinique 8
¶ Introduction 2 Avis médicaux complémentaires indispensables 8
Historique 2 Évaluation des aptitudes linguistiques et cognitives 9
Définition de la dyslexie 2 ¶ Pathologies associées. Dyslexie et précocité intellectuelle 10
Prévalence. Liens entre dyslexie et illettrisme 2 Syndromes dépressifs et troubles anxieux 10
¶ Étiologie. Pathogénie 2 Troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité 10
Recherches en neurobiologie : les travaux sur le cerveau du Association dyslexie-précocité intellectuelle 11
dyslexique 3 ¶ Interventions thérapeutiques 11
Facteurs génétiques 3
Rééducation orthophonique 11
Facteurs psychoaffectifs 3
Rééducation orthoptique 12
¶ Théories cognitives explicatives des dyslexies 4 Interventions psychothérapeutiques 12
Théorie phonologique 4
¶ Cadre social et législatif actuel pour la prise en charge
Théorie magnocellulaire 4
Théorie visuoattentionnelle 5 des troubles spécifiques du langage oral et écrit 12
Théorie cérébelleuse 5 Plan d’action ministériel (2001) 12
Rapport de l’inspection générale des Affaires sociales/inspection
¶ Typologie des dyslexies 5
générale de l’Éducation nationale (2002) 13
Cadre théorique actuel : le modèle de lecture dit
« modèle à double voie » 5 ¶ Perspectives 13
Dyslexies phonologiques 6 Devenir des dyslexiques 13
Dyslexies de surface (visuelles ou dyséidétiques) 6 Prévention 13
Dyslexies mixtes 7 Problèmes actuels 13
Dyslexies secondaires à un trouble spécifique du langage oral 8
Limites de la typologie 8

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

■ Introduction La classification américaine des troubles mentaux Diagnostic


and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) IV situe la
dyslexie dans les « troubles spécifiques des apprentissages ». Sous
L’acquisition du code écrit est une activité complexe nécessi-
cette appellation, le DSM IV regroupe les troubles de la lecture,
tant un apprentissage explicite des relations existant entre mots
les troubles du calcul et les troubles de l’écriture chez des sujets
écrits et mots parlés. Bien qu’une grande majorité des enfants
à quotient intellectuel (QI) normal et se situant au moins à
apprenne à lire avec du temps et un enseignement spécifique,
deux écarts-type entre performances scolaires et QI [6].
certains enfants rencontrent des difficultés importantes et
La dyslexie développementale est définie comme un trouble
durables dans cette acquisition : environ 25 % des enfants
significatif et persistant de l’apprentissage de la lecture se
scolarisés n’auraient pas une maîtrise suffisante de la lecture leur
manifestant en dépit d’une efficience intellectuelle normale,
permettant de bien comprendre les textes écrits et de dévelop-
d’un enseignement adapté, de conditions socioculturelles
per ainsi leurs connaissances [1]. Parmi ces lecteurs défaillants,
satisfaisantes et en l’absence de déficits sensoriels primaires
un petit nombre présente un trouble cognitif spécifique les
(visuels ou auditifs) ou de lésions neurologiques acquises
empêchant d’acquérir les mécanismes de déchiffrement néces-
avérées. Le niveau de lecture, estimé par le biais de tests
saires à la lecture. Ces enfants, qualifiés de dyslexiques, repré-
standardisés, doit être inférieur d’au moins 18 mois à l’âge réel
senteraient entre 3 % et 6 % des enfants scolarisés [2].
de l’enfant. Ce trouble est durable puisqu’il gêne l’enfant
pendant toute sa scolarité. Des séquelles sont encore générale-
Historique ment présentes à l’âge adulte.
De nombreux débats portant sur le caractère extrinsèque ou
Une des premières descriptions cliniques de la dyslexie intrinsèque de la dyslexie, voire sur son existence même, sont
développementale est due au médecin anglais Pringle- toujours d’actualité. La discussion porte sur le caractère bimodal
Morgan [3] ; l’un de ses patients était un garçon de 14 ans ou continu de la distribution des capacités lexiques d’une
d’intelligence brillante, mais dans l’incapacité totale de lire et population [7] . Le degré de sévérité des critères d’exclusion
d’écrire. Pringle-Morgan rapproche alors ce cas de ceux d’adultes (comme les troubles sensoriels ou les problèmes psychologiques,
atteints de troubles de lecture après lésion cérébrale et le publie voire la normalité des aptitudes intellectuelles) est également
dans le « British Medical Journal ». Par la suite, l’ophtalmolo- contesté par certains.
giste Hinshelwood se passionne pour ce problème et publie à
son tour en 1917 une monographie de cas similaires ; il qualifie
ces sujets de « porteurs de troubles dyslexiques ». Pour ces Prévalence.
pionniers, il s’agit d’un déficit sévère de l’apprentissage de la Liens entre dyslexie et illettrisme
lecture, survenant chez des enfants intelligents, et pour lequel
ils suspectent une origine organique neurologique.
C’est à Orton, neuropsychiatre et neuropathologiste améri-
cain, que l’on doit la prise en compte de la dyslexie dans
l’histoire médicale. Entre 1920 et 1940, Orton examine près de
3 000 dyslexiques de tous âges. Il parle le premier de « troubles ▲ Attention
spécifiques de la lecture » : il lui apparaît que, en dehors de la
lecture, la perception visuelle est excellente chez ces sujets. Il Ne pas confondre
introduit une notion de « déterminisme cérébral », du fait de • illettrisme : difficulté d’apprentissage de la lecture
constatations d’erreurs particulières (production en lecture aspécifique, d’origine multifactorielle
d’inversion de lettres) et d’une fréquence élevée de patients • dyslexie : trouble spécifique d’apprentissage de la
ayant une latéralité mixte ou croisée [4]. Orton formule pour la lecture
première fois l’hypothèse d’un trouble de la latéralisation
hémisphérique. Il souligne aussi la fréquence accrue de la
dyslexie chez les garçons ainsi que son caractère souvent
familial, ouvrant ainsi la voie à une piste génétique probable [5].
Orton s’était beaucoup consacré à la mise au point de Vingt-cinq pour cent de la population auraient des difficultés
méthodes de rééducation, aussi ses théories ont-elles reçu un d’apprentissage de la lecture ; mais seule une fraction pourrait
accueil favorable dans les milieux pédagogiques. L’impulsion être considérée comme dyslexique (environ 5 % de la
donnée par les travaux d’Orton se poursuit aux États-Unis. La population) [8].
Orton Dyslexia Society a permis, en particulier, le financement Certains donnent des chiffres encore plus sévères : sur
des recherches neuroanatomiques de Galaburda (cf. infra). 124 sujets d’âge moyen égal à 21 ans en difficulté d’insertion
sociale et professionnelle, 35 % présentaient des difficultés de
déchiffrement. Sur ces 35 %, pratiquement la moitié était
Définition de la dyslexie atteinte de dyslexie développementale. On pourrait donc
considérer qu’il existe une contribution non négligeable de la
En 1968, une définition de la dyslexie est proposée par un dyslexie au problème social de l’illettrisme [9].
collège d’experts de la World Federation of Neurology : « trouble Les dyslexies ne sont pas responsables pour autant de tous les
de l’apprentissage de la lecture, survenant en dépit d’une échecs en lecture dus (entre autres) à des problèmes sensoriels,
intelligence normale, de l’absence de troubles sensoriels ou un retard intellectuel plus global, des problèmes psychoaffectifs
neurologiques, d’une instruction scolaire adéquate, d’opportu- importants, un environnement socioculturel et pédagogique
nités socioculturelles suffisantes ». Ce trouble est opposé au défavorable, etc. [10].
retard simple en lecture : une étude longitudinale menée sur Les méthodes dites « semi-globales » d’apprentissage de la
l’île de Wight, dont la population est parfaitement homogène, lecture sont également mises en cause, au moins comme
met en évidence l’existence d’un groupe d’enfants intelligents, facteurs aggravants. Un retour à la méthode syllabique est
dont le retard en lecture est à moins deux déviations standards actuellement prôné dans plusieurs pays, dont la France.
par rapport aux enfants du même âge. L’incidence de ce groupe
est de 4 % chez les enfants de 10 ans [2].
En 1975, aux États-Unis, un comité national d’experts
souligne la possibilité de handicaps multiples et d’une coïnci- ■ Étiologie. Pathogénie
dence avec un milieu socioculturel peu favorable, ces circons-
tances ne devant toutefois pas être considérées comme étant de Il est actuellement admis que la dyslexie relève d’inaptitudes
caractère causal. cognitives qui ont fréquemment une origine constitutionnelle.

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

Ces enfants présentent une incapacité à développer certains Actuellement, les techniques de neuro-imagerie fonctionnelle
processus cognitifs nécessaires à l’activité de lecture, consécutive cérébrale couplées à une approche psycholinguistique des
à l’existence d’anomalies neurodéveloppementales [11]. Selon la fonctions du langage constituent une excellente méthodologie
chaîne causale de la dyslexie, la qualité des performances en pour explorer les corrélats cérébraux de la dyslexie et pour tester
lecture de ces enfants résulterait d’un dysfonctionnement la validité des hypothèses physiopathologiques [15]. Ces techni-
cognitif secondaire à une anomalie cérébrale ayant une origine ques ont permis en particulier de réaliser une étude internatio-
génétique. La dyslexie peut donc être caractérisée à trois nale sur des sujets dyslexiques français, anglais et italiens. On a
niveaux : comportemental (il n’existe pas encore à l’heure montré que les mêmes zones cérébrales étaient sous-activées
actuelle de marqueur biologique ou d’imagerie de la dyslexie chez les dyslexiques dans ces trois cas de figure [16].
développementale), cognitif et neurofonctionnel.

Recherches en neurobiologie : Facteurs génétiques


les travaux sur le cerveau du dyslexique L’incidence familiale de la dyslexie est incontestable. Au sein
Les travaux princeps dans le domaine de la dyslexie ont été d’une même famille, on peut retrouver plusieurs cas sur
réalisés par le neurologue américain Geshwind (1926-1984) qui plusieurs générations, avec des arguments en faveur d’une
a repris l’hypothèse d’un trouble de la latéralisation hémisphé- transmission autosomique dominante [17].
rique proposée un demi-siècle plus tôt par Orton. Il a montré Des enquêtes généalogiques menées dans les familles de sujets
l’existence d’une latéralisation fonctionnelle anormale chez le atteints, ainsi que des études sur les jumeaux, plaident en faveur
dyslexique, en particulier par les études réalisées au moyen du d’une composante héréditaire dans la dyslexie. Quand un sujet
test d’écoute dichotique. est atteint de dyslexie, un apparenté également atteint est
Les travaux princeps de Galaburda et Kemper (1979) ont mis retrouvé, dans une proportion avoisinant en moyenne 35 à
en évidence des particularités cérébrales chez les sujets dyslexi- 40 %. Une forte prédominance masculine est vérifiée (quatre
ques. Les études post-mortem ont révélé un cortex anormale- garçons pour une fille). Chez les jumeaux monozygotes, les
ment polymicrogyrique dans les aires du planum temporale études montrent une concordance de 70 %, et de 43 % seule-
gauche (correspondant aux aires du langage de Wernicke), ainsi ment chez les jumeaux dizygotes ; la comparaison de vrais et de
que des ectopies neuronales dans la couche 1 du cortex gauche. faux jumeaux permet de dissocier les contributions respectives
Des particularités morphologiques concernant l’absence d’asy- de l’environnement et des gènes [18]. Les études génétiques
métrie du planum temporale ont été décrites par Galaburda et récentes ont identifié au moins cinq régions chromosomiques
al. [12]. impliquées dans l’étiologie de la dyslexie [19].
À l’heure actuelle, les recherches en imagerie ont pris le relais Les recherches en biologie moléculaire s’orientent à l’heure
des recherches en neuropathologie [13]. Les dyslexiques ont été actuelle sur le chromosome 6. Il a pu être mis en évidence une
comparés à différents groupes contrôles (normaux, hyperactifs). mutation du bras court de ce chromosome touchant un gène
On a pu mettre en perspective les caractéristiques anatomiques qui pourrait être impliqué dans la migration neuronale lors du
et les caractéristiques fonctionnelles du cerveau des dyslexiques : développement cérébral. La mutation pourrait peut-être avoir
seuls les dyslexiques ayant des troubles phonologiques impor- des conséquences sur le fonctionnement des aires cérébrales
tants présenteraient cette particularité morphologique qu’est mises en jeu lors de la lecture et de l’écriture [20]. On a cherché
l’asymétrie du planum temporale. La signification de ces à mettre en parallèle certaines compétences ou certains dys-
asymétries reste obscure. Selon certains, ces anomalies pour- fonctionnements cognitifs avec les données de la biologie
raient être considérées comme un marqueur neurobiologique de moléculaire, ces résultats ayant par ailleurs été contestés [21, 22].
l’anomalie de maturation ayant mené au trouble dyslexique,
même si elles n’en représentent pas la cause directe [14].
Des anomalies microscopiques ont été mises en évidence à Facteurs psychoaffectifs
l’étage sous-cortical, notamment sur les noyaux relais thalami-
ques des voies visuelles (noyau géniculé latéral) et auditives Pour une lecture claire des phénomènes en jeu dans la
(noyau géniculé médian). Certaines données soulignent une dyslexie, nous faisons référence au modèle bio-psycho-social [23].
asymétrie dans la proportion de grandes cellules en faveur du Ce modèle propose une lecture tridimensionnelle de tout
côté gauche pour les sujets contrôles et du côté droit pour les phénomène pathologique comprenant une dimension objective,
dyslexiques [12]. une dimension subjective, une dimension intersubjective, ces
Comment interpréter la triade « dyslatéralité, troubles des trois dimensions étant en perpétuelle interaction chez l’enfant.
apprentissages, troubles immunitaires (en particulier une L’aspect perceptivocognitif du trouble en constitue sa dimen-
fréquence élevée d’allergies) » retrouvée chez ces patients dans sion objective. Ce dysfonctionnement se répercute sur l’organi-
la littérature ? Pour Geshwind, cette association n’est pas sation psychoaffective de l’enfant dès son plus jeune âge, c’est-
fortuite ; il a émis l’hypothèse que le taux d’hormones mâles à-dire bien avant l’âge de l’école primaire. Les difficultés
dans le sang du fœtus à certaines périodes de la croissance du d’apprentissage de la lecture au cours préparatoire gâchent le
cerveau pouvait causer des anomalies pour le développement de plaisir qu’éprouve l’enfant à se rendre à l’école, à rentrer dans
certaines zones critiques et de certaines fonctions cognitives, en les apprentissages, et commencent à ébranler sérieusement son
particulier celles liées au langage. L’hypothèse de Geshwind estime de lui-même [24] . La dimension subjective est donc
d’un lien entre taux de testostérone fœtal et survenue ultérieure également atteinte.
d’un trouble des apprentissages n’a jamais été démontrée (cité La déception éprouvée par les parents de cet enfant face à cet
par Habib [12]). échec, le renoncement à l’image idéalisée de la réussite de leur
Les principaux résultats d’imagerie dynamique ont montré enfant, la blessure narcissique qu’ils éprouvent, pour peu
des différences d’activation cérébrale entre des adultes normaux qu’eux-mêmes aient été confrontés à un échec scolaire (ou
et dyslexiques. Certaines asynchronies entre différentes zones parfois, a contrario, si leur scolarité a été brillante), tout cela
cérébrales ont pu être notées chez les sujets dyslexiques, constitue la dimension intersubjective. Cette blessure narcissi-
pouvant faire suspecter une dysconnexion fonctionnelle des que est d’ailleurs souvent reprise à son compte par l’enseignant.
aires du langage. D’autres études ont montré une hypoactiva- L’approche théorique psychodynamique insiste sur la prise en
tion des régions postérieures et une activation normale, voire compte de l’organisation psychique de l’enfant, dans le
une suractivation, des régions antérieures pendant des tâches de contexte pathologique qui est le sien. Les bénéfices secondaires
lecture et/ou de phonologie. L’hypoactivité des régions tempo- du trouble sont souvent présents : le maintien de l’immaturité
rales et postérieures observée chez les dyslexiques lors de tâches et du manque d’autonomie ; la persistance d’une relation
phonologiques sur entrée auditive renforce l’hypothèse d’un fusionnelle mère-fils, d’où le père est souvent exclu, avec des
déficit phonologique sous-jacent. heures tous les soirs passées autour des devoirs. Les associations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

entre manifestations psychopathologiques et dyslexie dévelop- niveau futur de lecture. Un entraînement métaphonologique
pementale sont multiples : la coexistence entre dyslexie et pratiqué chez des enfants d’âge préscolaire améliore leurs
troubles émotionnels renforce l’interaction entre ces deux capacités ultérieures en lecture [28]. De plus, l’hypothèse d’un
aspects et maintient le cercle vicieux de l’échec scolaire. trouble phonologique dans la dyslexie a été confirmée en
Certains patients dyslexiques pourraient rentrer dans le cadre utilisant des tâches métaphonologiques nécessitant pour le sujet
de pathologies-limites (ou « dysharmonies d’évolution »), avec une manipulation volontaire des phonèmes qui composent les
une personnalité peu structurée, une importante dépendance mots (épreuves de jugements de rimes, d’omissions de son, de
affective, une immaturité, et une difficulté à différencier réel et dénombrements phonémiques, de catégorisation de sons, de
imaginaire. contrepèteries, d’acronymes).
L’expérience clinique pourrait permettre de formuler l’hypo- Les enfants dyslexiques présentent notamment des difficultés
thèse, chez un enfant déjà à risque de dyslexie, d’une décom- en répétition, qui se manifestent lors de la répétition de mots
pensation d’une faiblesse neuropsychologique lors d’un choc et surtout de non-mots.
affectif survenu en dernière section de maternelle ou en
Les enfants dyslexiques présentent également des difficultés
première année d’école primaire (c’est-à-dire concomitant aux
d’accès à la forme phonologique des mots qui se traduisent par
premiers apprentissages de la lecture). À l’heure actuelle, on
des hésitations, un manque du mot ou des temps de latence
admet que les facteurs psychoaffectifs interviennent comme
élevés en dénomination de mots. Ces enfants ont également des
facteurs aggravants d’un trouble neuropsychologique
sous-jacent. performances déficitaires dans les épreuves d’évocation lexicale
Les caractéristiques de l’environnement psychosocial sont un et sont lents dans des épreuves de dénomination rapide auto-
important facteur prédictif de l’évolution des troubles. Les matique. Des difficultés sont aussi fréquentes dans des tâches de
altérations du fonctionnement familial sont fréquentes : les mémoire à court terme auditivoverbale. Ce déficit phonologique
troubles interfèrent dans le monde relationnel de l’enfant. est observable chez les enfants avant même l’apprentissage de
Il est délicat de décrire une typologie de la famille de l’enfant la lecture, et il est un excellent indicateur de difficultés futures
dyslexique. Il a quand même été souvent décrit des pères peu en lecture [29].
engagés (ou indifférents), voire tyranniques, et des mères Les données cliniques montrent par ailleurs qu’un grand
surimpliquées, avec des interactions extrêmement complexes et nombre d’enfants dyslexiques présente des difficultés d’acquisi-
de forts enjeux autour des devoirs et de l’école. tion du langage oral allant du retard simple à la dysphasie
Quelle que soit la typologie de la famille, l’évaluation de son développementale [30]..
fonctionnement s’avère fort utile pour orienter le suivi et Sur la base de ces observations, les difficultés de lecture
préciser les objectifs thérapeutiques. Ainsi, cinq types de familles (notamment des non-mots), le déficit de conscience phonémi-
ont pu être décrits (cette typologie n’étant bien évidemment pas que et les difficultés de langage des enfants dyslexiques ont été
limitée aux familles de dyslexiques) : les auteurs repèrent des interprétés comme résultant d’un déficit phonologique sous-
familles « saines, fragiles, désorganisées, rejetantes, divisées ». La jacent. Ce trouble de nature phonologique est actuellement très
« famille saine » est celle où les difficultés de l’enfant ne largement considéré dans les milieux scientifiques et cliniques
déstabilisent pas la famille. Dans la « famille fragile », la comme étant en grande partie à l’origine de la dyslexie déve-
communication est restreinte à l’intérieur du groupe familial, il loppementale. Pour les tenants de la théorie phonologique, ce
y a un moindre intérêt pour la scolarité. La « famille désorgani- trouble est toujours présent, même s’il peut être éventuellement
sée » vit de multiples problèmes, rendant difficile toute appro- associé à d’autres types de déficits cognitifs, visuels, moteurs,
che thérapeutique. Dans la « famille rejetante », l’enfant est attentionnels ou autres [27].
rendu responsable de toutes ses difficultés, est blâmé constam-
Parmi les techniques d’explorations auditives permettant de
ment, ce qui diminue encore son estime de lui-même. Le risque
mettre en évidence les troubles de la perception auditive, on
accru de maltraitance (en particulier de maltraitance psycholo-
peut citer principalement les épreuves de perception catégorielle
gique) n’est pas à négliger. Au sein de la « famille divisée », les
et les potentiels évoqués tardifs.
parents sont séparés, le problème de l’enfant fait partie inté-
grante des conflits des parents et contribue à les alimenter [25].
Théorie magnocellulaire

■ Théories cognitives explicatives Des troubles du traitement visuel ont été très tôt évoqués
comme pouvant être à l’origine des difficultés d’acquisition du
des dyslexies code écrit chez des enfants dyslexiques [30].
Actuellement, la théorie magnocellulaire unifie les hypothèses
auditives, visuelles et motrices : une anomalie neurologique
Théorie phonologique unique, concernant les magnocellules de toutes les voies
sensorielles, serait à l’origine de toute la symptomatologie,
Au cours des 25 dernières années, cette théorie s’est imposée
évoquant un syndrome sensorimoteur général [30, 31].
comme la théorie classique de la dyslexie. Les troubles d’appren-
Ici, un déficit d’intégration des informations temporelles
tissage de la lecture s’accompagnent fréquemment d’un déficit
phonologique. Ici, la dyslexie développementale serait la rapides serait à l’origine des difficultés de lecture des sujets
conséquence d’un déficit phonologique spécifique. La majorité dyslexiques. Ce déficit de l’intégration des informations rapides
des dyslexiques aurait un déficit cognitif de type phonologique, est considéré comme un trouble central amodal susceptible de
les autres troubles constatés faisant partie d’un « syndrome perturber les informations tant auditives que visuelles. Cette
sensorimoteur » plus global associé [26, 27]. hypothèse permet d’expliquer la concomitance des déficits
Le rôle de la « conscience phonologique » a été largement phonologiques et visuels observés au sein de cette population,
démontré dans l’acquisition de la lecture, suggérant une relation et plus particulièrement de la dyslexie phonologique [32].
de causalité réciproque entre ces deux compétences. On entend Des travaux expérimentaux montrent que les performances
par conscience phonologique la conscience qu’acquiert l’enfant des sujets dyslexiques se différencieraient de celles des sujets
que la parole est constituée de sons. L’enfant acquiert progres- contrôles sur des tâches de traitement visuel de bas niveau, avec
sivement la capacité d’identifier les sons, de les manipuler au des phénomènes de persistance visuelle anormalement rallon-
sein d’un mot, d’effectuer une segmentation de mots en syllabes gée, une sensibilité réduite aux contrastes de basse fréquence
et en sons. Les performances de prélecteurs ou de lecteurs spatiale et de haute fréquence temporelle, des troubles de la
débutants sur les tâches métaphonologiques sont prédictives du discrimination du mouvement.

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

Une baisse de résolution temporelle due à l’atteinte du


système magnocellulaire pourrait engendrer une superposition
■ Typologie des dyslexies
des informations extraites lors de chaque fixation oculaire
successive. Ce trouble du système magnocellulaire serait présent Cadre théorique actuel : le modèle
chez 75 % des enfants dyslexiques. de lecture dit « modèle à double voie »
Ce modèle (Fig. 1) constitue à l’heure actuelle la référence des
Théorie visuoattentionnelle différentes classifications cliniques de la dyslexie [38]. Il succède
au modèle du « logogène » de Frith [39] . Les limites de ces
Pour certains auteurs, les mécanismes visuoattentionnels modèles tiennent au fait qu’ils ont été conçus au départ dans
seraient également fondamentaux dans l’activité de lecture. On le cadre de la neuropsychologie adulte et qu’ils ne prennent pas
a montré que les capacités de traitement visuoattentionnel des en compte les facteurs développementaux.
enfants normolecteurs seraient corrélées à leur niveau de Le modèle « à double voie » distingue :
lecture : dans la lecture, les enfants présentant les performances • la voie directe de lecture (encore appelée voie d’adressage, ou
les plus faibles à une épreuve de recherche de lettres-cibles voie lexicale) ; il s’agit d’un mode de lecture par reconnais-
parmi des distracteurs lisent significativement moins vite et sance globale du mot ; cette voie permet la lecture rapide de
commettent un nombre d’erreurs visuelles plus élevé que les mots déjà connus, réguliers ou irréguliers (« femme », « cho-
enfants ayant obtenu de bonnes performances à cette tâche. rale »), déjà stockés dans le lexique interne ;
Ainsi, on a émis l’hypothèse d’un déficit d’attention sélectif à • la voie indirecte de lecture (encore appelée voie d’assemblage,
l’origine de cette différence entre bon et mauvais lecteur [33]. ou voie phonologique) ; elle permet la lecture de mots
Un déficit de répartition du focus attentionnel sur l’ensemble réguliers, de mots nouveaux ou de non-mots, par déchiffre-
d’une séquence de lettres (« réduction de la fenêtre attention- ment syllabique ; cette voie permet de déchiffrer les mots
nelle ») a été mis en évidence chez un enfant dyslexique. La inconnus par l’application des règles de correspondance
répartition partielle du focus attentionnel sur la partie gauche graphophonémiques.
du mot permettrait au patient de lire en utilisant la voie Un mot nouveau, rencontré et déchiffré plusieurs fois par la
d’assemblage par déplacement successif du focus attentionnel, voie phonologique, va devenir un mot connu, qui va pouvoir
l’altération de la répartition globale de l’attention rendant s’ajouter au stock lexical et être lu ensuite en reconnaissance
impossible la lecture par voie d’adressage. globale. Un lecteur compétent est censé utiliser efficacement les
deux voies de lecture, simultanément ou alternativement, selon
Les enfants dyslexiques présenteraient une supériorité du
la nature de la tâche de lecture.
traitement visuel périphérique et une infériorité du traitement
L’atteinte d’une des deux voies de lecture (ou des deux
visuel central, contrairement aux sujets contrôles chez qui on
simultanément) va déterminer la forme clinique de la dyslexie
observe un score maximal de reconnaissance des lettres en
(« phonologique », « de surface » ou mixte).
position centrale et une chute progressive des performances en
L’analyse des profils d’erreurs obtenue au cours des différentes
fonction du degré d’excentricité. Cette supériorité du traitement
évaluations permet d’identifier des sous-types bien différenciés
parafovéal pourrait suggérer un trouble de l’inhibition des
de dyslexie. Trois types principaux de dyslexie développemen-
informations périphériques. Au lieu de focaliser leur attention
tales ont été décrits dans la littérature :
en région fovéale en inhibant les informations issues de la
• les dyslexies phonologiques ;
périphérie, les enfants dyslexiques semblent particulièrement • les dyslexies « de surface » (encore appelées visuelles ou
sensibles aux stimuli environnants, qui peuvent ainsi interférer dyséidétiques) ;
avec le traitement en vision centrale [34]. • les dyslexies mixtes (combinaison des deux formes
Les difficultés visuoattentionnelles décrites ne concerneraient précédentes).
que certains sous-types de dyslexie développementale appelés La dyslexie phonologique et la dyslexie de surface se différen-
« dyslexies de surface » [35] (cf. infra). cient cliniquement par des profils d’erreurs opposés et se
Un déficit phonologique serait à l’origine de la dyslexie dite rencontrent le plus fréquemment chez les enfants présentant
« phonologique » (la forme la plus fréquente) ; un déficit des difficultés d’apprentissage de la lecture (Fig. 2).
visuoattentionnel serait plutôt à l’origine de la dyslexie « de
surface ». La présence d’un double déficit (phonologique et
visuoattentionnel) chez certains sujets pourrait alors correspon-
Mot écrit
dre aux formes de dyslexie dites « mixtes ». L’association de ces
Voie lexicale Voie phonologique
deux déficits ne devrait s’observer que chez un nombre plus
Voie d'adressage Voie d'assemblage
limité d’enfants dyslexiques [36], ces cas étant par ailleurs les Voie directe Voie indirecte
plus difficiles à traiter. Analyse visuelle

Théorie cérébelleuse Lexique orthographique Segmentation

Outre son rôle moteur, établi de longue date (rôle qui


pourrait être incriminé dans le trouble de la coordination), le
Conversion
cervelet a été récemment impliqué dans des fonctions cognitives Système sémantique graphèmes/phonèmes
générales : en particulier celles ayant trait à l’organisation
temporelle, non plus seulement du mouvement, mais aussi
d’activités plus complexes, dont divers apprentissages non
moteurs, l’automatisation de certaines procédures. La théorie Lexique phonologique Synthèse
cérébelleuse dans la dyslexie fait appel au rôle primordial de
l’articulation de la parole dans l’apprentissage de la langue. Il
existerait un déficit subtil des aptitudes articulatoires qui
provoquerait à la fois un défaut de la boucle articulatoire Buffer phonologique
(altérant la mémoire phonologique à court terme) et également
un trouble de la conscience phonologique, deux processus dont
l’intégrité est primordiale dans l’apprentissage de la lecture [37]. Prononciation
Actuellement, dans la pratique clinique, cette théorie n’a pas Figure 1. Modèle de lecture « à double voie » (d’après Harris et
encore débouché sur des épreuves spécifiques. Coltheart [38]).

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

« galdon »), soit par omission (« courlone » lu « coulone »), soit


Mots irréguliers Mots réguliers Pseudo-mots par déplacement (« panilotur » lu « palinotur ») ou soit par
seconde ordure gontra addition (« miscla » lu « miscala ») d’un ou de plusieurs phonè-
mes. En lecture de mots, on trouve des paralexies visuelles qui
monsieur poisson copage consistent à lire un mot à la place d’un autre sur la base d’une
similarité visuelle (« lame » lu « larme »), ainsi que des para-
million jardin bartin
lexies morphologiques (« spectateur » lu « spectacle »).
femme bille datoir En écriture sous dictée, on retrouve des difficultés similaires
à celles observées en lecture. On parle ici de dysorthographie
ville chapeau majon
phonologique. Les erreurs commises ne respectent pas la
fusil vigne nagule forme orale du mot (exemples : globule-clodule ; vigne-ving ;
gourdin-goutin). L’orthographe d’usage des mots familiers est
tabac frite savette préservée, mais des difficultés sont présentes lors de la dictée
galop gare bracho de mots longs peu fréquents. La dictée de non-mots est très
déficitaire, les erreurs commises étant fréquemment des
août verbe famire erreurs non phonologiquement plausibles. Dans ce cas, les
règles de correspondance phonème-graphème ne sont pas
parfum couleur poulan
respectées et le mot transcrit ne se prononce pas comme le
mot dicté (Fig. 3).
A
Dictée «courte » (CE2-CM1-CM2) Dyslexies de surface (visuelles
Un corbeau perché sur l'antenne d'un bâtiment tient dans son bec une ou dyséidétiques)
souris blessée. Rendus furieux par cet oiseau cruel, des enfants
lancent des cailloux pour l'obliger à s'envoler. Selon le modèle de lecture « à double voie », les dyslexies de
B surface correspondent à un déficit sélectif de la lecture et de
l’écriture par la voie d’adressage. Les dyslexies de surface se
Figure 2. Énoncés des dictées de mots, pseudo-mots et phrases présen- caractérisent par d’importantes difficultés en lecture de mots
tées dans les figures 3, 4 et 5. irréguliers. En revanche, la lecture de mots réguliers et de non-
A. Dictée de mots et pseudo-mots (d’après la batterie ODEDYS, labora- mots est relativement préservée. Les erreurs constatées en
toire Cogni-Sciences, IUFM de Grenoble). lecture de mots irréguliers sont principalement des régularisa-
B. Dictée d’un texte (« Le corbeau », extrait de la batterie L2MA de tions (« femme » lu « fème » ; « sept » lu « sepète »). Des
Chevrié-Muller). paralexies visuelles et plus rarement des paralexies phonémiques
sont aussi présentes.
Les erreurs de régularisation traduisent l’application systéma-
Dyslexies phonologiques tique des règles de correspondance graphophonémique en
lecture de mots : le sujet a ici recours à une lecture phonétique.
En référence au modèle « à double voie », la dyslexie phono- La compréhension du langage écrit peut être perturbée. En effet,
logique est interprétée comme un déficit sélectif de la lecture et les dyslexiques de surface ont parfois tendance à se baser sur la
de l’écriture par la voie d’assemblage. Cette voie de lecture, forme phonologique produite pour extraire le sens du mot.
grâce à la médiation phonologique et à l’application des Ainsi, des confusions de sens sont observées lors de la lecture
correspondances graphophonémiques, permet la lecture des de mots homophones non homographes. Par exemple, le mot
mots nouveaux, des pseudo-mots et des mots réguliers. « rhum » est régularisé [rym]. Le sens attribué est alors celui du
Les dyslexies phonologiques se caractérisent par une lecture mot « rhume ».
de mots connus (réguliers et irréguliers) préservée, et une La dyslexie de surface s’accompagne d’une dysorthographie
difficulté particulière en lecture de non-mots (mots sans dite « de surface ». Ici, les erreurs produites concernent l’écriture
signification). Les erreurs produites en lecture de non-mots des mots irréguliers, la séquence produite respectant la forme
correspondent soit à des lexicalisations, soit à des paralexies phonologique du mot mais non son orthographe (« femme »
phonémiques. Une erreur dite « de lexicalisation » consiste à écrit « fame » ; « monsieur » écrit « meusie » ; « paon » écrit
produire un mot, visuellement ou phonologiquement proche, à « pan » ; « examen » écrit « éqsamin »). Contrairement à la
la place d’un non-mot (exemple, « chein » lu « chien » ; « viala » dyslexie phonologique, les erreurs sont donc le plus souvent
lu « voilà »). Les paralexies phonémiques consistent à produire phonologiquement plausibles. N’ayant pas de trace visuo-
un autre non-mot obtenu soit par substitution (« caldon » lu orthographique des mots, ces enfants inventent l’orthographe

Figure 3. Dyslexie-dysorthographie phonologique sévère, avec des séquelles de troubles du langage oral. Alexandre, 9 ans 5 mois, CE2, âge de lecture de
6 ans 7 mois.
Les erreurs phonologiques sont nombreuses, la segmentation des mots n’est pas toujours respectée.
Source : documentation de Sophie Jery, orthophoniste, Centre de référence pour les troubles des apprentissages, hôpital Edouard Herriot, Lyon.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

Figure 4. Dyslexie-dysorthographie de surface sévère. Jean, 11 ans 10 mois, CM2, âge de lecture de 8 ans 3 mois.
La phonologie des mots est respectée, ainsi que leur segmentation.
Source : documentation de Sophie Jery, orthophoniste, Centre de référence pour les troubles des apprentissages, hôpital Edouard Herriot, Lyon.

Figure 5. Dyslexie-dysorthographie mixte sévère. Anthony, 10 ans 7 mois, CM1, âge de lecture de 6 ans 11 mois.
Le texte est pratiquement incompréhensible.
Source : documentation de Sophie Jery, orthophoniste, Centre de référence pour les troubles des apprentissages, hôpital Edouard Herriot, Lyon.

des mots irréguliers chaque fois qu’ils les écrivent et peuvent En dictée, les difficultés sont similaires. On parle de dysortho-
donc écrire successivement un même mot de différentes maniè- graphie mixte. L’orthographe est très altérée sur tous les types
res ; et ce parfois dans un même texte, voire dans une même de mots (Fig. 5).
phrase. Ce phénomène est extrêmement déroutant pour
l’entourage (Fig. 4).

Dyslexies mixtes
Lorsque les deux « voies de lecture » sont touchées, on parle
“ Point essentiel
de dyslexie mixte (environ 20 % des dyslexies). Ces cas sont les
plus sévères et les plus difficiles à traiter, car l’enfant associe les On distingue actuellement trois principaux types
problèmes des deux formes précédentes. Il ne peut s’appuyer sur de dyslexie :
aucune des deux voies de lecture pour développer des stratégies • dyslexie phonologique (la plus fréquente)
de compensation. Dans les cas les plus sévères, le tableau peut • dyslexie de surface
confiner à la dyslexie profonde, voire à l’alexie. • dyslexie mixte
En lecture, les erreurs sont massives sur tous les types de Leur degré de gravité peut aller de « léger » à « sévère »
mots, particulièrement sur les mots irréguliers et les non-mots.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

Dyslexies secondaires à un trouble Les recherches sur la classification des différents types de
dyslexie ont été menées essentiellement à travers des études des
spécifique du langage oral cas ; la fréquence des sous-types de dyslexie développementale
reste donc difficile à estimer de manière précise, notamment si
l’on se fonde uniquement sur les seules performances quantita-
tives en lecture de mots irréguliers et de non-mots. De plus,

▲ Attention cette prévalence peut varier d’un pays à l’autre compte tenu des
caractéristiques de la langue.
On a montré que, sur 53 enfants dyslexiques testés, 72 %
• Chez un enfant présentant une dyslexie mixte ou présentent un profil proche de celui de la dyslexie phonologi-
phonologique sévère, il faut penser à évoquer un trouble que ; dans cette étude, la proportion d’enfants dyslexiques de
spécifique sévère du langage oral (ou une dysphasie) qui surface s’élèverait à 19 % [41].
n’aurait pas été diagnostiqué et pris en charge dans la Bien que l’existence de sous-types de dyslexie développemen-
petite enfance. tale soit actuellement largement admise, la question de la
nature du ou des dysfonctionnement(s) cognitif(s) sous-jacents
• Devant tout enfant présentant des difficultés
à l’origine de différentes formes cliniques est encore en discus-
importantes en lecture, il est nécessaire de ne pas se
sion. La détermination du type de dyslexie doit reposer sur une
contenter d’une évaluation du langage écrit, mais analyse quantitative et qualitative des mécanismes de lecture
également demander un bilan de langage oral détaillé, efficients et déficitaires. L’âge de l’enfant, les méthodes pédago-
pour éviter de méconnaître une dysphasie [40]. giques et rééducatives engagées et les antécédents sont aussi à
• Dans certains cas, s’il existe des troubles de la prendre en compte. Le diagnostic précis, souvent délicat,
compréhension orale importants chez un dysphasique nécessite une pluridisciplinarité et de l’expérience. Il est
non diagnostiqué et en échec scolaire, il peut arriver qu’un important qu’il soit établi, car il est lourd de conséquences sur
diagnostic de déficience mentale soit porté à tort. le type de rééducation à mettre en jeu.

■ Démarche diagnostique
Un certain nombre d’enfants adressés tardivement pour un
retard sévère en lecture (par exemple à partir de l’âge de 9 ans)
et clinique
s’avère, dans un nombre non négligeable de cas, présenter un
trouble sévère spécifique du langage oral, encore appelé dys-
phasie développementale, dont la dyslexie est l’une des consé-
quences. Le trouble du langage oral n’est pas toujours compensé
lorsque l’enfant arrive en milieu de cycle primaire. L’enfant “ Point fort
présente alors une hypospontanéité du discours, des difficultés
syntaxiques, un manque du mot, des paraphasies sémantiques. Le bilan complet pour une dyslexie doit
Chez ces sujets, le bilan orthophonique ainsi que les tests comprendre au minimum :
psychométriques correspondent aux critères admis pour un • examen oto-rhino-laryngologique et audiométrique de
diagnostic de dyslexie : au moins 18 mois de retard en lecture base
chez un sujet ayant au moins un QI performance normal. Un • consultation d’ophtalmologie
examen plus approfondi montre que cet enfant présente un • bilan orthophonique détaillé (portant sur le langage
trouble important du langage oral qui est partiellement com- oral aussi bien que sur le langage écrit)
pensé, mais qui n’est plus du tout pris en compte, la prise en
• bilan orthoptique
charge orthophonique s’étant alors focalisée sur le langage écrit.
• tests d’efficience intellectuelle (et éventuellement tests
Dans certains cas, s’il existe des troubles de la compréhension
orale importants, un diagnostic de déficience mentale peut être de mémoire, d’attention)
porté de manière erronée. Il est utile d’y ajouter un avis psychologique ou
En conséquence, devant tout enfant présentant des difficultés pédopsychiatrique selon les cas.
en lecture, il est nécessaire de ne pas se contenter d’une
évaluation du langage écrit, mais également demander un bilan
de langage oral détaillé, pour éviter de méconnaître une
dysphasie [40]. Particularités de l’entretien clinique
Les antécédents de difficultés en lecture, ou de troubles
Limites de la typologie sévères du langage oral préexistant au trouble, ainsi qu’un
bilinguisme éventuel, doivent être précisés.
Les cas « purs » décrits dans la littérature sont assez rares. On Il est important de s’enquérir des troubles associés : troubles
a souvent des formes mixtes, les facteurs environnementaux du comportement ; troubles de l’attention ; difficultés en
et/ou les troubles associés rendant les formes « pures » peu calcul... Une éventuelle carence psychoaffective ou un manque
fréquentes. de stimulation sont à rechercher.
Une autre critique faite à cette typologie est qu’elle se situe à De même, il est utile de préciser la présence d’antécédents
un niveau purement descriptif et comportemental, et qu’elle ne familiaux de retard de parole et de langage, ou de
donne aucune information sur le niveau cognitif du trouble. Par dyslexie-dysorthographie.
ailleurs, le modèle à double voie est issu de la neuropsychologie
adulte et ne donne pas d’indication sur la trajectoire dévelop-
pementale. Il faut donc bien l’appréhender dans cette perspec- Avis médicaux complémentaires
tive, en gardant à l’esprit que les deux voies de lecture (par indispensables
adressage et par assemblage) interagissent. Du fait de cette
interaction, on conclut parfois hâtivement à une dyslexie- L’examen oto-rhino-laryngologique et audiométrique permet
dysorthographie mixte, alors qu’en fait l’une des deux voies de d’éliminer une surdité de transmission et une éventuelle
lecture est peut-être simplement sous-stimulée. Ces éléments atteinte cochléaire.
sont fondamentaux sur le plan de la rééducation et permettent L’examen ophtalmologique permet d’apporter une correction
de travailler réellement les aspects les plus touchés. visuelle souvent nécessaire.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

Si la dyslexie s’accompagne d’un retard de langage sévère, Évaluation de la compréhension orale. On teste ici la
voire d’un épisode de régression du langage oral, un examen capacité de discrimination phonétique, la compréhension du
neuropédiatrique peut s’avérer nécessaire. vocabulaire (ou stock lexical) par une tâche de désignation de
mots, les compétences de traitement syntaxicosémantique (qui
Évaluation des aptitudes linguistiques recouvrent les capacités de l’enfant à interpréter un message en
fonction de l’ordre des mots).
et cognitives Évaluation de l’expression orale. L’expression orale sponta-
L’évaluation de la dyslexie peut avoir en elle-même une née est comparée aux données recueillies lors des différentes
valeur thérapeutique importante, si, après concertation entre les épreuves.
différents intervenants, le temps nécessaire est pris pour Tout d’abord, de bonnes praxies buccofaciales sont un
restituer le contenu des différents bilans à l’enfant et à sa préalable à une expression orale correcte.
famille. Le fait de nommer le trouble a une importante valeur L’articulation est ensuite explorée en proposant à l’enfant de
symbolique ; la confirmation de capacités intellectuelles répéter des mots uni- ou plurisyllabiques dont la construction
normales, voire supérieures, revalorise le sujet à ses propres yeux est différente selon la position de la consonne. L’analyse des
et à ceux de son entourage, et peut aider à vaincre certains états productions articulatoires de l’enfant permet ainsi d’évaluer la
dépressifs. mise en place du système phonémique du point de vue de la
production.
Bilan orthophonique Les capacités d’encodage et de décodage audiophonatoire
sont évaluées par le biais de répétition de mots difficiles tels
Sur le plan théorique, cette démarche est effectuée en
que : « spectacle », « espiègle ».
référence aux modèles cognitifs et neurolinguistiques (cf. supra),
Les capacités d’accès au lexique interne sont explorées grâce
qui sont utiles pour analyser les erreurs et préciser le type de
à une dénomination d’images et comparées aux capacités
dyslexie.
obtenues en compréhension lexicale.
Les objectifs du bilan de langage dans le cadre d’une dyslexie
sont principalement de déterminer la nature de cette dyslexie Les épreuves de fluence verbale consistent à donner un
tout en évaluant, dans la mesure du possible, les carences sous- maximum de mots en un temps donné en respectant une
jacentes, leurs conséquences, mais aussi les potentialités comme contrainte sémantique (par exemple, donner des noms de
les stratégies de compensation émergentes ou déjà mises en métiers) ou une contrainte phonémique (par exemple, donner
place par le patient. des mots commençant par la lettre « f »). Elles permettent de
Le bilan se doit d’être précis et reproductible, car il sert de tester la rapidité d’accès au lexique.
point de départ à tout le suivi rééducatif, qui doit pouvoir être
Épreuves de lecture
régulièrement évalué. Il est par conséquent indispensable de
disposer de données chiffrées, et pour cela d’avoir recours à des Dans un premier temps, on évalue la lecture à haute voix.
tests étalonnés et standardisés. Toutefois, même si certaines L’évaluation de la vitesse de déchiffrement (c’est-à-dire la
épreuves s’avèrent être incontournables pour cette pathologie, il rapidité optimale qui permet de lire sans erreur) est une étape
ne peut exister de bilan type. En effet, les épreuves sélectionnées indispensable du bilan dans le cadre d’une dyslexie. L’épreuve
lors de la passation d’un bilan dépendent à la fois de l’âge du de référence actuelle est celle de l’Alouette ® [44, 45] . Cette
patient et de son niveau scolaire supposé. Cela implique qu’un épreuve permet de calculer un « âge de lecture » du patient en
bilan orthophonique dans le cadre d’une dyslexie doit compor- années et en mois. La comparaison de cet « âge de lecture » à
ter un certain nombre d’épreuves clés, mais que pour chaque l’âge chronologique du patient permet de déterminer s’il existe
patient une adaptation de la trame initiale est nécessaire [42]. ou non un « retard lexique » et de le mesurer précisément. Pour
Dans tous les cas, une anamnèse précède ce bilan. On analyse affirmer une dyslexie, il faut que ce retard lexique soit au moins
le développement du langage oral et écrit, l’apprentissage de la de 18 mois. On définit ainsi différents degrés de sévérité de la
lecture (ainsi que les méthodes de lecture mises en œuvre), le dyslexie : légère (retard inférieur à 2 ans), moyenne (entre 2 et
déroulement de la scolarité (saut de classe, redoublement, 4 ans de retard), sévère (plus de 4 ans de retard). Il est impor-
adaptation aux règles, relation avec les enseignants, les camara- tant de souligner que 2 ans de retard d’âge de lecture n’ont pas
des), les activités extrascolaires, les bilans et prises en charge la même signification ni le même degré de gravité à 9 ans qu’à
déjà effectués (orthophonique, psychologique et/ou pédopsy- 15 ans, dans le cadre d’une scolarité normale.
chiatrique, psychomotrice, orthoptique). Les données recueillies La lecture à haute voix permet aussi d’évaluer la prosodie et
au cours de cet entretien avec la famille, comme lors de le respect de la ponctuation. La lecture oralisée d’un jeune
l’observation du comportement du patient au cours du bilan, dyslexique est classiquement hésitante, lente, saccadée, mono-
sont riches d’enseignement. corde, syllabique avec des retours en arrière. Ces difficultés de
déchiffrement entraînent une fatigabilité et sont aussi sources
Langage oral d’erreurs en compréhension.
Un retard ou des séquelles d’un trouble du langage oral ont L’évaluation des stratégies de lecture se fait en référence au
des répercussions dans la maîtrise du langage écrit. En effet, au modèle de lecture à double voie : cette évaluation décrit les
fur et à mesure de la maturation des capacités cognitives et de mécanismes mis en jeu lors de la lecture d’un mot par un
la conscience linguistique, un enfant prend conscience que la lecteur ordinaire utilisant alternativement les deux voies de
parole est constituée de sons (cf. supra). Il s’agit de la « cons- lecture (par adressage ou par assemblage) selon la nature du mot
cience phonologique », qui permet de segmenter un mot en présenté (cf. supra). Il est ainsi possible de définir le type de
sons, de les identifier et de les compter, d’analyser leur séquence dyslexie dont souffre le patient et de lui proposer une prise en
au sein d’un mot. Or, il a été mis en évidence que les enfants charge adaptée de ses difficultés.
qui ont une conscience phonologique limitée ont très souvent Cette évaluation se fait au moyen de tâches de lecture à
des difficultés à apprendre à lire ; inversement, ceux qui ont haute voix de listes de non-mots (encore appelés pseudo-mots
acquis une conscience phonologique suffisamment développée ou logatomes), de listes de mots réguliers et irréguliers, plus ou
deviennent en général de bons lecteurs. La conscience phono- moins longs et plus ou moins complexes qui lui sont proposées.
logique est un bon prédicteur de la lecture et devient de plus La comparaison des temps de lecture et des scores d’exactitude
en plus performante au fur et à mesure de l’apprentissage de la pour ces différentes listes, ainsi que l’analyse des types d’erreurs
lecture [43]. commises, permettent de déterminer quelle est la voie de
Classiquement, les capacités de compréhension puis lecture déficitaire et celle préférentiellement utilisée par le
d’expression sont évaluées. Il convient tout d’abord de s’assurer patient.
au moindre doute que les capacités perceptives auditives du La compréhension de lecture est analysée au moyen d’une
patient sont satisfaisantes. épreuve de lecture silencieuse de textes, suivie de questions. Il

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

est fréquent d’observer des dissociations entre les compétences niveau doit être normal dans la dyslexie (> 85). Cet examen est
de lecture à voix haute et de lecture silencieuse, les résultats en nécessaire pour repérer une précocité intellectuelle associée ou,
lecture silencieuse étant souvent meilleurs. Toutefois, il n’est pas au contraire, un niveau limite, voire une déficience
rare qu’un dyslexique, même avec un bon niveau de compré- intellectuelle.
hension de lecture, soit pénalisé par sa lenteur. Certains sous-tests du WISC III (arithmétique, code, mémoire
des chiffres) permettent de repérer d’éventuels problèmes
Expression écrite d’attention. Au WISC IV, ces troubles peuvent également être
L’expression écrite est analysée (dictée, expression spontanée), dépistés par l’indice de mémoire de travail et l’indice de vitesse
en vue de rechercher : de traitement.
• une dysorthographie, ou trouble d’acquisition et de maîtrise L’analyse de la dissociation des résultats aux échelles verbale
de l’orthographe au sens large, très souvent associée à la et performance du WISC III peuvent révéler l’existence d’une
dyslexie ; ces difficultés peuvent être retrouvées à différents dysphasie (QI performance supérieur au QI verbal) ou d’une
niveaux, celui de la conversion phonème-graphème (aptitude dyspraxie (QI verbal supérieur au QI performance).
qui permet à l’enfant de transcrire des sons en lettres, mais Cet examen permet, grâce à ses sous-tests, de dresser un profil
qui en cas de déficience perceptive lui fait commettre des neuropsychologique de l’enfant. Ce test n’évalue pas les
erreurs telles que : « Il ne faut pas trop poire avant de capacités en lecture. La confirmation d’un bon niveau intellec-
conduire »), ou celui des compétences lexicales (en cas de tuel contribue beaucoup à redonner à l’enfant confiance en
difficultés, il peut exister des fautes d’homophones) ou lui-même.
grammaticales (ce sont des fautes d’accord) ; Des épreuves neuropsychologiques complémentaires sont
• une dysgraphie : il s’agit d’une atteinte du geste graphique, utiles pour rechercher les altérations des fonctions mentales
avec souvent maladresse, crispation, lenteur ; elle est très supérieures très souvent associées aux dyslexies, en particulier
souvent associée à la dyslexie-dysorthographie. dans les domaines de la mémoire, de l’attention, des aptitudes
visuoattentionnelles, des fonctions exécutives, des praxies [47, 48].
Exploration des processus cognitifs sous-jacents Le bilan neuropsychologique permet également d’approfondir
l’étude du fonctionnement cognitif, à la recherche de son
Le bilan orthophonique doit s’assurer que le patient dyslexi- origine cognitive, et également de préciser le type de dyslexie.
que dispose bien des compétences cognitives nécessaires à Les éléments recueillis, confrontés aux résultats des autres
l’apprentissage et à la maîtrise de la lecture. investigations, sont très utiles pour guider la prise en charge du
La conscience phonologique est explorée au moyen d’épreu- patient.
ves spécifiques de manipulation de syllabes et de phonèmes.
Les systèmes de mémoire comprennent :
• la mémoire auditive à court terme, qui s’évalue en faisant
répéter quelques chiffres à l’enfant (empan mnésique ■ Pathologies associées.
endroit) ; Dyslexie et précocité intellectuelle
• la mémoire de travail, qui s’évalue en faisant répéter ces
chiffres à l’envers (empan envers) ; Plusieurs syndromes psychopathologiques sont fréquemment
• la mémoire verbale à long terme, qui peut être rapidement retrouvés en association avec les troubles d’apprentissage de la
évaluée par le biais de répétition de phrases de longueur lecture [49] . Ce sont principalement les états dépressifs, les
croissante ou par le rappel immédiat, puis différé d’une troubles anxieux et phobiques, les troubles du comportement et
histoire ; la mémoire visuelle est évaluée par le biais de les troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH).
reproduction de séries de signes de plus en plus longues.
Les processus visuoattentionnels sont des aptitudes indispen-
sables pour le repérage et la compréhension spatiale des formes, Syndromes dépressifs et troubles anxieux
la mémorisation de leur succession, etc. Différentes sortes de
tests de barrage (figures, lettres) sont utilisés pour les évaluer. Certains des points d’appel du syndrome dépressif peuvent
Les aptitudes visuoperceptives sont évaluées d’une part par les être les troubles du sommeil ou de l’alimentation, la tristesse, le
capacités de discrimination visuelle, en faisant reconnaître par désintérêt et le refus scolaire. Il s’agit le plus souvent de troubles
exemple des dessins d’objets entremêlés sur une même image, dépressifs réactionnels. L’état dépressif diminue encore les
et d’autre part par le raisonnement visuospatial, avec une tâche capacités d’apprentissage. La faible estime de soi à l’origine de
de complétion de formes par exemple. cet état dépressif est souvent en rapport avec la représentation
que l’entourage se fait de l’enfant. À l’extrême, les tentatives de
Bilan orthoptique et neurovisuel suicide chez l’adolescent peuvent faire partie du tableau
clinique. Souvent, la souffrance psychique engendrée par les
Il complète utilement le bilan orthophonique, dans les cas où troubles des apprentissages tend à être sous-estimée et non
il existe un doute sur l’efficience du balayage visuel, en particu- traitée pour elle-même. La dépression et la perte d’estime de soi
lier dans les dyslexies « de surface ». Dans le cadre d’une peuvent également entraîner des troubles des conduites et du
dyslexie, le bilan orthoptique demandé est plus vaste qu’un comportement, surtout à l’adolescence. Ils aboutissent parfois à
bilan habituel de la fonction sensorielle et motrice des yeux des exclusions du milieu scolaire ordinaire et à des placements
dans le cadre d’une suspicion de strabisme ou d’un défaut de non justifiés dans des institutions spécialisées, les conséquences
convergence par exemple. de ces placements pouvant être désastreuses.
En effet, dans le cadre d’une dyslexie, une exploration Les manifestations d’anxiété s’accompagnent de culpabilité et
neurovisuelle spécifique des stratégies du regard est utile. On d’autoreproches ; parfois on arrive au stade du refus ou de la
explore alors les poursuites visuelles, les saccades oculaires, les phobie scolaire. Dans notre pratique, plusieurs cas de déscolari-
stratégies de recherche. sation ont pu être observés.
Ce bilan peut déboucher sur une rééducation spécifique afin
d’améliorer non seulement la vitesse de lecture, mais aussi la
construction spatiale et graphique. L’amélioration des stratégies
Troubles déficitaires de l’attention
visuelles a souvent des conséquences positives sur les qualités avec hyperactivité
attentionnelles du sujet dyslexique.
Ce trouble est classiquement constitué de l’association de
Bilan psychométrique et neuropsychologique trois symptômes : l’instabilité motrice ; l’impulsivité ; les
troubles attentionnels. Il existe différentes formes cliniques où
Les échelles de Weschler sont utilisées pour évaluer le niveau le tableau peut être plus ou moins complet. Les troubles
intellectuel de l’enfant, qui est un élément du diagnostic [46]. Ce attentionnels sont très fréquents dans les dyslexies, quel qu’en

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

soit le type. Ce trouble attentionnel se retrouve alors dans troubles associés : troubles du langage oral (voire dysphasie),
toutes les activités cognitives, et pas seulement en lecture. dysorthographie, mais aussi du niveau de scolarité et de la
Environ 25 % des dyslexiques présenteraient un TDAH [50]. La pression scolaire, du vécu de prises en charge antérieures (qui
part respective des troubles attentionnels et de l’hyperactivité conditionne la motivation actuelle), de l’existence d’autres
est variable. prises en charge simultanées (pédopsychiatrique, psychologique,
Si un TDAH est suspecté, une évaluation neuropsychologique psychomotrice, orthoptique). Dans l’idéal, une prise en charge
appropriée doit être proposée. initiale précoce et intensive, à raison de deux ou trois séances
hebdomadaires, est recommandée. Il est ainsi possible de créer
Association dyslexie-précocité intellectuelle de véritables automatismes et de redonner confiance au patient
quant à sa capacité à maîtriser le langage écrit. Lors du contrat
On considère qu’un enfant est précoce lorsqu’il fait preuve de établi à l’issue du bilan, on peut convenir que les séances seront
capacités intellectuelles nettement supérieures à la moyenne espacées dès que les objectifs fixés seront atteints, pour pouvoir
attendue pour l’âge (QI > 130). Cela concerne 2,5 % de la les arrêter lors de fenêtres thérapeutiques.
population. La précocité crée assez souvent chez l’enfant un
important décalage entre ses différentes aptitudes cognitives [51]. Objectifs
Chez le dyslexique, le retard en lecture aggrave encore ce L’objectif est de permettre au patient d’acquérir une maîtrise
décalage. Sur le plan de la prise en charge, on est souvent du langage écrit, indispensable pour tout apprentissage ultérieur.
confronté à des situations critiques, à une incompréhension des Cette maîtrise consiste à rendre d’une part la lecture fonction-
familles et du corps enseignant. nelle et d’autre part la transcription fluide. Une lecture fonc-
Des capacités intellectuelles élevées permettent à certains tionnelle est une lecture automatisée qui permet une prise
enfants dyslexiques de compenser leurs difficultés sans être d’indice efficace, rapide et avec un effort minime. Une trans-
vraiment aidés, grâce à des stratégies personnelles, et de passer cription fluide consiste à écrire sans craindre de commettre
ainsi au travers du dépistage et du diagnostic de la dyslexie d’erreurs de transcodage phonie-graphie, d’homophonie,
jusqu’à un âge relativement avancé. Les décompensations se d’usage ou d’erreur grammaticale, avec un graphisme de bonne
produisent alors au niveau du collège, en classe de 5ème ou de qualité.
4 ème , avec un effondrement des résultats scolaires et des
troubles dépressifs sévères. Ces adolescents font souvent l’objet Moyens
d’une demande de consultation urgente en pédopsychiatrie
suite à une déscolarisation, un renvoi de l’institution scolaire, Le plan de rééducation est établi en fonction des conclusions
des troubles du comportement graves, des fugues. du bilan et en référence au modèle théorique « à double voie ».
Schématiquement, on détermine deux grands axes de prises en
charge : travailler la voie phonologique et/ou travailler la voie
■ Interventions thérapeutiques lexicale. Au final, le normolecteur doit pouvoir utiliser les deux
voies de lecture de façon efficace en passant de l’une à l’autre
Ces dernières années, un grand nombre de « méthodes de selon les besoins de la tâche de lecture en cours.
rééducation » de la dyslexie ont été diffusées et mises sur le La restauration de la voie phonologique a pour objectif
marché. Ces méthodes sont en général le reflet des théories de d’obtenir une conversion phonème-graphème efficace. Pour
la dyslexie auxquelles adhèrent leurs auteurs [52]. À l’heure cela, il est utile d’une part d’entraîner la conscience phonologi-
actuelle, il est important de souligner qu’aucune méthode n’a que grâce à des tâches de manipulation de syllabes puis de
été scientifiquement validée. phonèmes (suppression, addition, segmentation, fusion, etc.),
Les interventions thérapeutiques classiques doivent se baser d’autre part de favoriser la segmentation graphémique en
sur une évaluation aussi précise que possible du cas de chaque proposant des exercices tels que des mots soudés, des mots
patient. Elles ont tout à gagner à être pluridisciplinaires. Le cachés, qui nécessitent de poser des hypothèses de lecture.
programme de soins de l’enfant devrait être réévalué chaque Le rétablissement de la voie lexicale nécessite l’augmentation
année. À l’heure actuelle, la pièce maîtresse du dispositif de du stock orthographique ou lexique interne. Pour que ce stock
soins est la rééducation orthophonique, souvent associée à soit constitué efficacement, il faut que l’image visuelle du mot
d’autres types d’interventions. soit associée à son sens. Ainsi, il est utile de faire lire un mot,
de le faire écrire sous dictée, l’épeler à l’endroit et à l’envers, de
le faire utiliser lors de la création de phrases spontanées ou dans
Rééducation orthophonique des exercices de phrases à trous. La lecture de mots visuellement
proches, comme la lecture rapide de mots (« lecture flash »),
constitue elle aussi un très bon entraînement.
En parallèle, la rééducation de la dysorthographie doit être

“ Point fort envisagée si elle est nécessaire. Comme précédemment, les


aspects phonologiques et lexicaux (c’est-à-dire les fonctions
phonographiques et sémiographiques de l’orthographe) doivent
Une rééducation orthophonique intensive (plusieurs fois être abordés simultanément. Il faut s’efforcer de combler au
par semaine) comportant des « fenêtres thérapeutiques », maximum le déficit en transcription phonème-graphème, tout
avec un contrat passé avec le patient, est préférable à une en renforçant l’orthographe d’usage. Libéré de cette double
rééducation hebdomadaire s’étalant parfois sur plusieurs interrogation, le patient peut alors réfléchir sur l’application des
années. règles d’orthographe grammaticale. De plus, pour que cet aspect
du langage écrit soit complètement maîtrisé et fonctionnel, il
est fondamental de faire travailler la mise en forme d’idées et
la production d’écrits. Accompagner le patient sur ce versant du
Principes généraux langage écrit est d’autant plus important qu’il existe très
souvent une très grande appréhension, doublée d’un sentiment
La rééducation d’une dyslexie, quel que soit son type, se d’infériorité qu’il faut combattre.
fonde sur le bilan réalisé précédemment, qui permet de déter- La mémoire à court terme et la mémoire de travail doivent
miner précisément la voie de lecture à travailler prioritairement, souvent être renforcées chez les dyslexiques. Des moyens
ainsi que les aptitudes sous-jacentes à entraîner (visuelles, simples peuvent être mis en œuvre (jeux de Kim, de memory,
auditives ou mnésiques). phrases à tiroirs, reproductions de séquences visuelles avec des
La fréquence des séances est un élément difficile à détermi- jetons, reproductions de séquences rythmiques). Cet entraîne-
ner, qui doit tenir compte de la sévérité de la dyslexie et des ment peut aussi se faire à l’aide d’exercices informatiques.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

L’attention visuelle doit aussi bénéficier d’un entraînement le trouble n’est pas suffisamment pris en compte par l’institu-
spécifique (exercices de barrage, recherche des sept erreurs, des tion scolaire et si le soutien familial est peu présent. On peut
discriminations fond-forme). L’attention auditive s’entraîne au déboucher sur une phobie scolaire grave, voire des cas de
moyen de tâches de loto sonore, de rythmes, de discrimination déscolarisation.
et d’identification de sons. Les soignants exerçant en pédopsychiatrie devraient garder à
Les progrès réalisés doivent être encouragés par les parents et l’esprit que les dyslexies sont des pathologies très fréquentes
soutenus par l’enseignant, qui doit être informé des conditions dans la clientèle des centres médicopsychologiques, mais
de la rééducation. Des conseils pratiques (lecture avec un cache, qu’elles sont souvent non repérées ou sous-évaluées, le motif de
aménagement de la notation, temps supplémentaire) peuvent
consultation principal n’étant le plus souvent pas la dyslexie,
considérablement simplifier la vie scolaire du patient dyslexique
mais l’un des tableaux psychopathologiques associés (troubles
et lui faire prendre conscience que ses efforts ont été payants.
anxieux, état dépressif, troubles du comportement, phobie
Par ailleurs, s’il peut être utile pour un dyslexique de lire à
haute voix chez soi, il lui est souvent insupportable de faire de scolaire, troubles du sommeil).
même à l’école devant ses pairs.
On se heurte au fait qu’il reste difficile d’obtenir une généra-
lisation des acquis faits en séance ainsi que leur automatisation.
Par ailleurs, comme pour d’autres thérapeutiques, les études
évaluatives de l’efficacité des rééducations orthophoniques
manquent cruellement. Toutefois, ces rééducations constituent
▲ Attention
à l’heure actuelle la pièce maîtresse du dispositif de soins dans
la dyslexie. Il faut penser à une dyslexie non diagnostiquée chez un
enfant de 8 ans et plus (souvent un garçon) venant
consulter en pédopsychiatrie pour :
Rééducation orthoptique • des symptômes dépressifs
• une phobie scolaire
Elle peut dans certains cas constituer un appoint non négli-
geable à la prise en charge (cf. supra).
• une agitation et des troubles du comportement,
particulièrement en classe

Interventions psychothérapeutiques
Elles visent un épanouissement global du sujet plutôt qu’un
traitement à tout prix du trouble dyslexique en lui-même.
L’orientation et la guidance des parents, souvent indispensa- ■ Cadre social et législatif actuel
bles, s’avèrent parfois suffisantes. Elles sont bien sûr différentes pour la prise en charge
selon le fonctionnement de la famille.
Le suivi thérapeutique individuel vise en particulier à renar- des troubles spécifiques du langage
cissiser et à déculpabiliser l’enfant. Celui-ci doit apprendre à
mieux gérer ses frustrations. Il a besoin qu’on l’aide à trouver oral et écrit
des activités de compensation. Il a également besoin de repren-
dre confiance en lui-même, en un lieu d’où le scolaire est Sous la pression en particulier des associations de parents et
absent. Dans notre expérience, des soins psychologiques variés de certains groupes de professionnels, un plan d’action minis-
peuvent être proposés : tériel [53] a vu le jour, et un rapport conjoint inspection générale
• la psychothérapie individuelle est indispensable quand les des Affaires sociales/inspection générale de l’Éducation nationale
conflits œdipiens sont au premier plan ; il peut être intéres- (IGAS/IGEN) [54] a été réalisé. Tous ces documents concernent
sant de passer par une médiation, en particulier chez les non seulement les troubles du langage écrit, mais également les
enfants porteurs de troubles sévères du langage oral, chez les troubles du langage oral qui très souvent préexistent.
enfants déprimés ou inhibés, ou encore dans les cas de
conflits familiaux surajoutés ;
• les prises en charge groupales présentent un intérêt plus Plan d’action ministériel (2001)
particulier chez les enfants présentant des troubles du
comportement, et en recherche de limites, ou au contraire Il s’agit d’une action conjointe des ministères de la Santé et
chez des enfants très inhibés. de l’Éducation nationale, pour contribuer « à une meilleure
Le soin psychique est parfois refusé par les parents, au motif prévention des troubles du langage quelle qu’en soit l’origine,
que la rééducation orthophonique plurihebdomadaire est déjà des troubles spécifiques, l’établissement d’un diagnostic plus
très lourde. Il est important de ne pas surcharger l’enfant, mais rapide et plus sûr, une meilleure prise en charge des 4 à 5 %
de voir ce qui est prioritaire à un moment donné. À d’autres d’enfants concernés (1 % présentant des troubles sévères) ». Ce
moments, au contraire, dans les périodes de découragement ou plan représente à la fois un élément de la politique nationale
de crise, ce sont les parents qui sont demandeurs. d’intégration et une priorité en matière de santé publique. Il
La période de l’adolescence présente quelques particularités :
propose plusieurs axes prioritaires, parmi lesquels on retiendra
des améliorations sur le plan psychopathologique sont souvent
principalement :
retrouvées. Le collège convient mieux aux dyslexiques que
• une meilleure prévention dès la maternelle : il s’agit ici de
l’école primaire ; l’élève n’est plus sous la férule toute-puissante
mieux identifier les sujets à risque (rôle des services de
d’une seule personne (l’instituteur) ou coincé entre le binôme
instituteur-parent. Le fait qu’il y ait plusieurs enseignants rend protection maternelle et infantile [PMI], de la médecine et de
paradoxalement l’élève plus indépendant ; il va pouvoir s’auto- la psychologie scolaires) ; le but est de prévenir l’apparition
riser une petite autonomie, alors qu’il était jusque là « sous des troubles du langage écrit par une prise en charge inten-
haute surveillance » et que le poids des relations interperson- sive précoce des troubles du langage oral ; des bilans médi-
nelles parent/enseignant était souvent trop prégnant. À ce caux obligatoires sont réalisés à 3-4 ans et à 5-6 ans, avant
binôme vient s’ajouter l’orthophoniste qui, souvent, l’a pris en l’entrée au cours préparatoire (première année d’école pri-
charge depuis plusieurs années. C’est souvent aussi le moment maire) [55, 56] ;
où l’adolescent demande à interrompre la rééducation ortho- • un repérage des élèves atteints et une meilleure prise en
phonique et où l’on sent une réelle volonté d’émancipation. À charge ; dans la plupart des cas, l’intégration en milieu
l’inverse, des décompensations sévères sont souvent observées si ordinaire est retenue ; pour les cas sévères (moins de 1 % des

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

élèves), une classe spécialisée peut être préconisée, qu’elle soit


en milieu ordinaire avec l’aide des services de soins ou en
■ Perspectives
établissement spécialisé ; la création ou l’augmentation du
nombre de classes d’intégration scolaire (CLIS) en primaire et Devenir des dyslexiques
d’unités pédagogiques d’intégration (UPI) en collège ou en
lycée, classes spécialisées pour enfants porteurs de troubles Dans les suivis à long terme, la persistance de symptômes à
sévères du langage, est également prévue. l’âge adulte est souvent relevée [5]. Parmi les facteurs de bon
pronostic, on peut noter en particulier un QI élevé, le soutien
familial, la bonne participation de l’environnement scolaire. La
sévérité de la dyslexie, son caractère mixte, l’importance des
troubles associés, le faible soutien familial ou éducatif, sont,
“ Point essentiel eux, de mauvais pronostic. La précocité du diagnostic et
l’instauration rapide d’une prise en charge adaptée améliorent
sensiblement l’évolution.
Lorsque le bilan de la dyslexie a été réalisé, il convient de le
Dans notre expérience, il arrive que des adultes dyslexiques
transmettre au médecin scolaire, avec l’accord de la
se saisissent à nouveau de leur problème (souvent lorsqu’il est
famille :
nécessaire de franchir une étape professionnelle) et entrepren-
• il joue le rôle d’interface avec le milieu enseignant nent une démarche de soins.
• il est le mieux à même de conseiller les équipes
pédagogiques
• il est le maître d’œuvre lorsqu’il faut mettre en place les Prévention
programmes spécialisés d’intégration prévus par
l’Éducation nationale. Le dépistage et le traitement des retards de parole et de
langage chez les jeunes enfants d’école maternelle contribuent
considérablement à diminuer la fréquence et la sévérité des
dyslexies-dysorthographies. Un entraînement intensif de la
conscience phonologique en grande section de maternelle est
Dans le cadre de ce plan se situe la création des centres de
un préalable indispensable à un apprentissage efficient de la
référence au sein des centres hospitaliers universitaires (CHU),
lecture [43].
ces structures ayant pour mission « d’élaborer des diagnostics
précis, de proposer des modes de prise en charge et d’envisager
des études ou des recherches sur l’évaluation de ces prises en Problèmes actuels
charge ».
Les méthodes d’apprentissage de la lecture dites « globales »
ou « semi-globales » en vigueur depuis quelques décennies et les
Rapport de l’inspection générale problèmes qu’elles engendrent ont considérablement contribué
des Affaires sociales/inspection générale à aggraver le problème de la dyslexie, surtout quand ces
de l’Éducation nationale (2002) méthodes s’appliquent à des enfants déjà « à risque » de
dyslexie (c’est-à-dire porteurs de retards de parole et de langage,
Ce rapport analyse l’ensemble du dispositif et prend en même traités).
compte tous les professionnels concernés, qu’ils appartiennent Les nouvelles mesures officielles ont eu certains effets
à la santé ou à l’éducation nationale. Les difficultés d’intégra- discutables : en effet, dans certaines académies, l’Éducation
tion en milieu ordinaire, articulées avec un suivi médical nationale tendrait à laisser la question du dépistage des troubles
extrascolaire, sont pointées. En ce qui concerne le dispositif du langage aux mains du secteur sanitaire, c’est-à-dire aux
sanitaire et médico-social, le faible effectif de spécialistes formés centres de référence et aux orthophonistes libéraux, au lieu de
(notamment neuropsychologues) est souligné. Les orthophonis- renforcer les effectifs de la médecine et de la psychologie
tes libéraux prennent en charge ces enfants dans la majorité des scolaire. Or, une partie importante du bilan (tests psychométri-
cas, et sont parfois insuffisamment formés. Le problème des cas ques, niveau de lecture) pourrait tout à fait être réalisée en
lourds et aussi des patients résidant en zone rurale se pose, ainsi milieu scolaire, comme c’est le cas dans plusieurs pays euro-
que celui des erreurs d’aiguillage (orientations erronées vers des péens, en particulier en Grande-Bretagne. Dans ce pays, le
instituts médicoéducatifs). La médecine scolaire a fait de gros diagnostic officiel est du ressort du psychologue scolaire, à partir
efforts de formation et de dépistage. Les services de psychiatrie de batteries de tests standardisées (tests de niveau intellectuel ou
infantojuvénile et les centres médicopsychologiques ne sont pas tests de langage-lecture-phonologie). Ce sont les enseignants ou
les interlocuteurs privilégiés pour l’instant, du fait de leur les parents qui sont les adresseurs. L’enfant dyslexique bénéficie
saturation par d’autres pathologies et également du manque de ensuite soit de soutien, soit d’une scolarité spécialisée, en
personnel formé. Les équipes hospitalières semblent faiblement fonction du degré de gravité et des structures disponibles.
impliquées, en dehors de quelques équipes de CHU. L’enfant bénéficie également d’aménagements personnalisés à
Les centres de référence, avec leur fonction de diagnostic, tous les examens : soit temps supplémentaire, soit examen passé
d’animation de réseaux, de recherche et d’enseignement, sont à part avec une personne qui lit l’énoncé, soit utilisation de
encore trop peu nombreux. Ils devraient s’intégrer dans un l’ordinateur et du correcteur orthographique [8].
réseau ville/institutions médicosociales/école/hôpital. Le Les consultations des centres de référence devraient être
manque d’équipes pluridisciplinaires formées est toujours réservées aux cas complexes et graves, mais en aucun cas servir
d’actualité. de lieu de dépistage, de plate-forme d’orientation ou de point
La mission IGAS/IGEN propose une enquête de prévalence de passage obligé pour obtenir un tiers-temps aux examens.
des troubles complexes du langage en population générale, et Dans ces consultations spécialisées, il n’est pas rare actuellement
également une enquête d’inadéquation recherchant les enfants de voir des élèves diagnostiqués très tardivement (parfois en fin
souffrants de troubles complexes du langage qui ne sont pas de scolarité primaire) et présentant 3 ans de retard d’âge de
dans les filières adaptées. Il est proposé une structuration lecture ou davantage. Il s’agit donc d’élèves de fin de scolarité
départementale qui devrait permettre à tous les enfants de primaire, sachant à peine (dans certains cas, pas du tout) lire et
trouver une solution au plus près de leur domicile. qui sont passés malgré tout dans les classes supérieures.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
37-201-E-10 ¶ Dyslexie développementale

Il est regrettable que l’enfant dyslexique ne bénéficie pas plus [21] Grigorenko E. Developmental dyslexia: an update on genes, brains and
souvent d’une adaptation de l’apprentissage de la lecture (par environments. J Child Psychol Psychiatry 2001;42:91-125.
exemple, utilisation de gestes), ou d’un soutien individuel ou en [22] Grigorenko E. Genetic bases of developmental dyslexia: a capsule
petit groupe. De même, les classes spécialisées sont en nombre review of heritability estimates. Rev Enf 2004;3:273-88 (n°spécial :
très insuffisant. Les associations de parents, qui ont joué un rôle approche neuropsychologique de la dyslexie développementale).
important dans les mesures prises ces dernières années par les [23] Serrano JA. Aspects psychoaffectifs dans la dyslexie. In: Van Hout A,
pouvoirs publics, sont souvent favorables à la création de ce Estienne F, editors. Les dyslexies : décrire, évaluer, expliquer, traiter.
type de classes spécialisées, car l’aspect globalisant des prises en 2e édition. Paris: Masson; 1998. p. 238-50.
charge institutionnelles intéressent des parents qui sont souvent [24] Mazet P. Estime de soi et apprentissages dans l’enfance. In: Penser,
apprendre; la cognition chez l’enfant, les troubles de l’apprentissage,
en difficulté pour assurer des accompagnements plurihebdoma-
la prise en charge. Les colloques de Bobigny. Université Paris-Nord;
daires aux différents soins. Cette création de structures spéciali-
1988. p. 223-31.
sées n’est pas sans risque : d’une part la marginalisation des
[25] Ziegler RG, Holden L. Family therapy for learning disabled and atten-
patients, d’autre part une tendance du corps enseignant en tion deficit disordered children. Am J Orthopsychiatry 1988;58:
classe « ordinaire » à se désengager par rapport aux enfants 196-210.
nécessitant une pédagogie spécifique. Les associations de [26] Ramus F. Dyslexia- Talk of the two theories. Nature 2001;412:393-5.
familles sont également préoccupées par la scolarité secondaire, [27] Ramus F. Developmental dyslexia: specific phonological deficit or
l’accompagnement et la formation professionnelle. general sensorimotor dysfunction? Curr Opin Neurobiol 2003;13:
212-8.
.
[28] Alegria J, Mousty P. Les troubles phonologiques et métaphonolo-
giques chez l’enfant dyslexique. Rev Enf 2004;3:259-71 (n°spécial :
■ Références approche neuropsychologique de la dyslexie développementale).
[29] Sprenger-Charolles L, Cole P, Lacert P, Serniclaes W. On subtypes of
[1] Inizan A. Et si la dyslexie n’existait pas? Psychol Educ 1998;35:33-49. developmental dyslexia: evidence from processing time and accuracy
[2] Rutter M, Tizard J, Yule W. Research report study: Isle of Wight study: scores. Can J Exp Psychol 2000;54:88-104.
1964-1974. Psychol Med 1976;6:313-32. [30] Stein J. The magnocellular theory of developmental dyslexia. Dyslexia
[3] Pringle-Morgan WA. A case of congenital word-blindness. BMJ 1896; 2001;7:12-36.
2:1378. [31] Stein JF, Fowler MS. Unstable binocular control in children with
[4] Orton S. Reading, writing and speech problems in children. New York: specific reading retardation. J Res Read 1993;16:30-45.
Norton; 1937. [32] Tallal P, Miller S, Jenkins B, Merzenich MM. The role of temporal
[5] Van Hout A, Estienne E. Les dyslexies : décrire, évaluer, expliquer, processing in developmental language-based learning disorders:
traiter. Paris: Masson; 1998. research and clinical implications. In: Blachman B, editor. Foundations
[6] APA. DSM IV: Diagnostic and Statistical Mental Disorders. Paris: of reading acquisition. New York: Laurence Erlbaum; 1997.
Masson; 1996 (384p). [33] Casco C, Tressoldi PE, Dellantonio A. Visual selective attention and
[7] Shaywitz SE, Escobar MD, Shaywitz BA, Fletcher JM, Makuch R. reading efficiency are related in children. Cortex 1998;34:531-46.
Evidence that dyslexia may represent the lower tail of a normal distri- [34] Marendaz C, Valdois S, Walch JP. Dyslexie développementale et atten-
bution of reading ability. N Engl J Med 1992;326:146-50. tion visuo-spatiale. Année Psychol 1996;96:193-224.
[8] Ramus F. De l’origine biologique de la dyslexie. Psychol Educ 2005; [35] Valdois S. Les sous-types de dyslexie développementale. In: Appren-
10:81-96. tissage de la lecture et dyslexies. Marseille: Solal; 2004. p. 171-98.
[9] Delahaie M, Billard C, Calvet C, Tichet J, Gillet P, Vol S. Dyslexie [36] Zorman M. La dyslexie de surface développementale : étude d’un cas.
développementale et illettrisme : quels marqueurs ? ANAE 2000; In : Les dyslexies, R. Cheminal, V. Brun, editors. Masson ; 2002.
11(n°57):43-9 (n°spécial : prévenir l’illettrisme : réflexions, pratiques p. 56–65.
et perspectives). [37] Nicolson RI, Fawcett AJ, Dean P. Dyslexia, development and the
[10] Messerschmitt P. L’illettrisme, entre victimologie sociale et responsa- cerebellum. Trends Neurosci 2001;24:515-6.
bilité culturelle. ANAE 2000;11(n°57):39-41 (n°spécial : prévenir [38] Harris M, Coltheart M. Language processing in children and adults: an
l’illettrisme - réflexions, pratiques et perspectives). introduction. London: Routledge and Kegan Paul; 1986.
[11] Habib M. Aspects étiologiques des dyslexies. In: Cheminal R, Brun V, [39] Frith U. Beneath the surface of developmental dyslexia. In: Patterson K,
editors. Les dyslexies. Paris: Masson; 2002. p. 4-21. Marshall JC, Coltheart M, editors. Surface dyslexia: neuropsycho-
[12] Habib M. Le cerveau singulier. Marseille: Solal; 1997. logical and cognitive studies of phonological reading. London:
[13] Vinckenbosch E, Eliez S. L’IRM cérébrale ; un outil pour la compré- Laurence Erlbaum; 1985.
hension de la dyslexie de développement. Une revue sélective. Rev Enf [40] Gérard CL. L’enfant dysphasique. Bruxelles: DeBoeck Université;
2004;3:311-22 (n°spécial : approche neuropsychologique de la dys- 1993 (138p).
lexie développementale). [41] Castles C, Coltheart M. Varieties of developmental dyslexia. Cognition
[14] Habib M. The neurological basis of developmental dyslexia: an 1993;47:149-80.
overview and working hypothesis. Brain 2000;123:2373-99. [42] Borel-Maisonny S, Figuet-Hekimoglou A, Schnaidt-Ziemba M. Le
[15] Demonet JF. Apport de la neuro-imagerie fonctionnelle à la compré- bilan orthophonique. Psycholologie Médicale 1980;12:1541-56.
hension des dysfonctionnements cérébraux dans les dyslexies [43] Wimmer H, Landerl K, Linortner R, Hummer P. The relationship of
développementales. In: Cheminal R, Brun V, editors. Les dyslexies. phonemic awareness to reading acquisition: more consequence than
Paris: Masson; 2002. p. 23-34. prediction, but still important. Cognition 1991;40:219-49.
[16] Paulesu E, Demonet JF, Fazio F, McCrory E, Chanoine V, Brunswick N, [44] Lefavrais P. Du diagnostic de la dyslexie à l’étude clinique de la lecture.
et al. Dyslexia: cultural diversity and biological unity. Science 2000; Un nouvel instrument : le test « l’Alouette ». Rev Psychol Appl 1963;
291:2165-7. 13:189-207.
[17] Lyytinen H, Eklund K, Erskine J. Development of children at familial [45] Debray P, Debray Q, Binoche T, Nebout MC. Un progrès en leximétrie :
risk of dyslexia before school age. Rev Enf 2004;3:289-309 (n°spécial : la cotation proportionnelle du test de l’Alouette. Rev Neuropsychiatr
approche neuropsychologique de la dyslexie développementale). Infant 1972;20:725-32.
[18] DeFries JC, Fulker DW, Labuda MC. Evidence for a genetic aetiology [46] Weschler D. WISC IV-Échelle d’intelligence de Weschler pour enfants.
in reading disability of twins. Nature 1987;329:537-9. Paris: ECPA; 2005.
[19] Fisher SE, DeFries JC. Developmental dyslexia: genetic dissection of a [47] Lussier F, Flessas J. Neuropsychologie de l’enfant. Paris: Dunod; 2001.
complex cognitive trait. Nat Rev Neurosci 2002(3):767-80. [48] Mazeaud M. La conduite de bilan neuropsychologique chez l’enfant.
[20] Meng H, Smith SD, Hager K, Held M, Liu J, Olson RK, et al. DCDC2 Paris: Masson; 2003.
is associated with reading disability and modulates neuronal [49] Willcut EG, Pennington BF. Psychiatric comorbidity in children and
development in the brain. Proc Natl Acad Sci USA 2005;102: adolescents with reading disability. J Child Psychol Psychiatry 2000;
17053-8. 41:1039-48.

14 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dyslexie développementale ¶ 37-201-E-10

[50] Touzin M. Hyperactivité et troubles des apprentissages. ANAE 2004; [56] Roy B, Alla F. ERTL4 et ERTL6 : des outils de repérage des troubles du
4(n°79):279-80 (n°spécial : TDAH : données actuelles à l’usage du langage et des apprentissages à l’usage des médecins. ANAE 2002;
clinicien). 14(n°66):58-62 (n°spécial : dépistage des troubles de l’apprentissage
[51] Vaivre-Douret L. Le développement de l’enfant aux aptitudes haute- scolaire : tests, bilans et batteries ; intérêt et limites).
ment performantes (surdoués) : importance des fonctions neuro-
psychomotrices. ANAE 2002;14(n°67):95-110 (n°spécial : l’enfant Pour en savoir plus
surdoué : détection et prise en charge).
http://www.apedys.org.
[52] Ramus F. Dyslexie : la cognition en désordre ? La Recherche 2002:66-8
http://www.coridys.asso.fr.
(n°9 hors série).
http://www.grenoble.iufm.fr/recherch/cognisciences/index.html.
[53] Veber F, Ringard JC. Plan d’action pour les enfants porteurs d’un
http://www.bda-dyslexia.org.uk/main/home/index.asp.
trouble spécifique du langage. Ministère de l’Éducation Nationale, http://www.bda-dyslexia.org.uk/main/information/extras/x07fame.asp.
Mars 2001. In: Cheminal R, Brun V, editors. Les dyslexies. Paris: http://www.sante.gouv.fr.
Masson; 2002. p. 107-30. Chevrié-Muller C, Narbona J. Le langage de l’enfant. Aspects normaux et
[54] IGAS/IGEN. Enquête sur le rôle des dispositifs médico-social, sani- pathologiques. Paris: Masson; 1996.
taire et pédagogique dans la prise en charge des troubles complexes du Mazeau M. Neuropsychologie et troubles des apprentissages. Du symptôme
langage, Janvier. 2002 (80p). à la rééducation. Paris: Masson; 2005.
[55] Zorman M, Jacquier-Roux M. BSDES 5-6 : un dépistage des difficultés Snowling MJ. Dyslexia. Oxford: Blackwell; 2000 (2nd ed.).
de langage oral et des risques de développer une dyslexie qui ne fait pas Grammaticos E, Klees M, Noterdaem A. Dyslexie, où est la différence ?
l’économie de la réflexion clinique. ANAE 2002;14(n°66):48-55 Belgique: Editions IPEJ-A.S.B.L.; 2000 [2ème édition (diffusion :
(n°spécial : dépistage des troubles de l’apprentissage scolaire : tests, association Coridys, 7 Av. Marcel Pagnol, 13090 – Aix-en-Provence)
bilans et batteries ; intérêt et limites). (bande dessinée avec des explications sur la dyslexie)].

I. Soares-Boucaud, Pédopsychiatre, Praticien hospitalier (isabelle.soares@ch-le-vinatier.fr).


Service universitaire de psychiatrie infanto-juvénile, ITTAC (Institut de traitement des troubles de l’affectivité et de la cognition), 9, rue des Teinturiers, BP
2116, 69616 Villeurbanne cedex, France.
Centre de référence pour les troubles des apprentissages, Hospices civils de Lyon, Service d’audiologie et d’explorations orofaciales (Pr Lionel Collet), place
d’Arsonval, 69003 Lyon, France.
M.-L. Cheynel-Alberola, Orthophoniste.
Service de neurologie, Centre hospitalier, BP 436, 69655 Villefranche-sur-Saône cedex, France.
V. Herbillon, Neuropsychologue.
Centre de référence pour les troubles des apprentissages, Hospices civils de Lyon, Service de neuropédiatrie (Pr Vincent Des Portes), Hôpital Debrousse, rue
Sœur Bouvier, 69005 Lyon, France.
N. Georgieff, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Praticien hospitalier.
Service universitaire de psychiatrie infanto-juvénile, ITTAC (Institut de traitement des troubles de l’affectivité et de la cognition), 9, rue des Teinturiers, BP
2116, 69616 Villeurbanne cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Soares-Boucaud I., Cheynel-Alberola M.-L., Herbillon V., Georgieff N. Dyslexie développementale. EMC
(Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-201-E-10, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 15
¶ 37-200-E-40

Environnement scolaire de l’enfant


et de l’adolescent
N. Catheline

L’école de par son organisation et sa finalité peut soit révéler des vulnérabilités affectives, relationnelles et
cognitives et être à ce titre le lieu de potentiels conflits entre les attentes de l’école, des parents et les
capacités de l’enfant, soit être l’objet du conflit en obligeant tous les enfants et adolescents à suivre la
même progression, à s’adapter aux mêmes exigences et au même mode d’enseignement. Elle peut à ce
titre créer une véritable pathologie. À l’école maternelle, les enjeux développementaux de cet âge
concernent la capacité à se séparer de ses parents pour s’ouvrir à l’extérieur. La mise à l’école sollicite ces
compétences. L’incapacité à investir son espace psychique pour supporter la séparation est à l’origine de
nombreux troubles en termes de comportement (agitation ou inhibition) ou d’apprentissages. Les
pathologies qu’il est nécessaire de repérer précocement et de traiter sont essentiellement l’anxiété de
séparation et les retards de parole et de langage. Le projet de l’école élémentaire consiste en l’acquisition
des connaissances de base : lire, écrire, compter. Toute situation empêchant l’enfant d’être disponible
pour les apprentissages peut générer des troubles des apprentissages (difficultés attentionnelles,
agitation, anxiété). Les difficultés sont en général vite repérées mais trop souvent encore mal analysées,
ne permettant pas la mise en place d’un soin efficace. Le plus grand danger est certainement représenté
par le recours à un axe unique de compréhension (axe psychodynamique, neurobiologique, pédagogique
ou social). L’échec scolaire est toujours multifactoriel. Au collège, les principales difficultés viennent du
désinvestissement relatif de la connaissance au profit des interrogations sur l’identité suscitées par
l’émergence de la puberté. Cette donnée est peu prise en compte par le système éducatif actuel d’autant
plus que le collège unique a permis à des jeunes d’accéder à cet enseignement alors qu’ils n’ont pas
toujours de goût pour le savoir livresque. La conjugaison du désintérêt des adolescents et du
découragement des enseignants risque d’aboutir à un décrochage scolaire à l’origine de nombreuses
conduites pathologiques : violences, consommations de produits, états dépressifs. La formation et
l’encadrement des enseignants constituent sans aucun doute l’un des enjeux majeurs de l’école du XXIe
siècle.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : École ; Troubles des apprentissages ; Décrochage scolaire ; Enseignants ; Accès à l’abstraction ;
Anxiété de séparation

Plan ■ Introduction
¶ Introduction 1 Les pathologies de la scolarité témoignent toujours de
dysfonctionnements préoccupants dans le développement
¶ Environnement scolaire de l’enfant en maternelle 2
psychique de l’enfant et de l’adolescent. Réussir sa scolarité
Enjeux développementaux, compétences et niveau de
n’engage pas seulement le statut social ultérieur mais a des
développement requis pour réussir sa scolarité en maternelle 2
conséquences immédiates sur la construction de la personnalité.
Pathologies repérables en maternelle 2
Au-delà de l’acquisition de connaissances, c’est tout l’enjeu de
¶ Environnement scolaire à l’école élémentaire 4 l’investissement du langage, de la pensée et du raisonnement
Enjeux développementaux, compétences et niveau de qui est en cause. Il n’est pas envisageable de concevoir les
développement requis pour réussir sa scolarité à l’école élémentaire 4 difficultés scolaires seulement en termes de troubles instrumen-
Pathologies repérées à l’école élémentaire 5 taux, et de considérer que l’approche psychologique doit
¶ Environnement scolaire au collège 7 permettre à l’enfant de vivre le mieux possible sa différence
Interactions réciproques de l’adolescence et de la scolarité 7 (enfant dyslexique par exemple). Découvrir le plaisir de com-
Pathologies repérées au collège 7 muniquer ses pensées, ses émotions, de connaître, de raisonner
organise la personnalité à la fois dans son narcissisme mais aussi
¶ Conclusion 10
dans ses relations à autrui. Lorsque tout va bien la conquête des
apprentissages fondamentaux renforce le narcissisme de
l’enfant. Outre le sentiment de disposer de bonnes compétences
personnelles, ce qui accroît l’estime de soi, l’enfant reçoit en

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-200-E-40 ¶ Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent

retour une valorisation de la part des adultes. À l’inverse, les l’objet d’attachement par le recours aux autoérotismes et à une
difficultés, une fois installées, affectent souvent de manière activité fantasmatique permet au jeune enfant d’investir son
durable l’estime de soi et le narcissisme. Mais surtout, elles corps propre et le rend réceptif à toute nouvelle source de
isolent progressivement l’enfant de la communauté des pairs de stimulations susceptibles d’enrichir ses représentations d’objet.
sa tranche d’âge, le contraignant à fréquenter des enfants plus Ainsi, la manière dont le jeune enfant utilise la motricité dans
jeunes et génèrent un retard de développement affectif et son rapport à l’environnement donne une bonne idée de
intellectuel qui peut en imposer pour un déficit cognitif. En l’investissement du corps propre : investissement libidinalisé
début d’adolescence, l’accès à l’abstraction opère un change- (plaisir à utiliser le corps dans les jeux moteurs) ou au contraire
ment radical dans les capacités de raisonnement et permet défensif, agressif (agitation stérile destinée à lutter contre des
d’accroître le champ de la pensée. Aucune scolarité secondaire affects mortifères, mise en danger).
n’est possible sans cette évolution, étroitement liée au narcis- Il en va de même pour le langage. Premier témoin social de
sisme. La scolarisation révèle donc les difficultés développe- l’activité de pensée, le langage se développe, lorsqu’il n’existe
mentales de l’enfant puis de l’adolescent. Tout l’enjeu pour aucune entrave neurophysiologique (antécédents anté- ou
l’école est de savoir comment elle se situe : est-elle un facteur périnataux), avec la capacité à supporter les manquements de
facilitant ou aggravant ? Pendant un siècle environ, elle ne s’est l’objet d’attachement. Parler renvoie à évoquer ce qui n’est pas,
pas posé la question, excluant les enfants et adolescents vers n’est plus mais aussi va revenir. Issu de l’activité fantasmatique
d’autres formes de socialisation. Culture et formation profes- des premiers mois de la vie, le langage par la capacité qu’il
sionnelle étaient alors dissociées. Il était possible de réussir donne à l’enfant d’agir sur son environnement enrichit à son
socialement sans diplôme. [1] Il faut se souvenir que l’école de tour les représentations d’objets et contribue à construire la vie
la République a été instituée (ce qui a donné lieu au terme intellectuelle. Lorsque l’enfant peut investir son corps et son
« d’instituteur ») pour ouvrir l’individu au savoir universel et langage de manière suffisamment libidinalisée, son sentiment
l’extraire de la simple transmission familiale. Ce but généreux continu d’existence n’est pas remis en cause par l’éloignement
s’est progressivement modifié sous l’influence des progrès du ou des objets d’attachement. Au contraire, l’exercice de ces
technologiques. Entre ouverture à la culture, acquisitions des nouvelles potentialités grâce aux activités qu’on lui propose
fondamentaux et formation professionnelle, l’école s’est pro- contribue à renforcer son narcissisme. Se séparer pour aller à
gressivement imposée des missions difficiles à réaliser auprès de l’école n’est alors pas source d’angoisse mais s’associe au
tous les enfants d’une même classe d’âge. Elle est devenue le contraire à l’exploration d’un nouveau champ de pensée et
passage obligé de l’enfance et de l’adolescence à tel point qu’on d’actions dans un enrichissement mutuel.
confond parfois l’enfant avec l’élève. L’importance ainsi prise Un dernier point concernant les parents reste à préciser
par la scolarité au cours de ces 20 dernières années constitue un cependant. L’action de séparation met obligatoirement en cause
facteur de stress important pour les enfants et leurs parents, deux termes. L’enfant ne pourra se séparer sans difficultés si les
mais aussi pour les enseignants. adultes eux-mêmes ont du mal à le lâcher. Or, la mise à l’école
Pour chacun des âges, enfance et adolescence, nous considé- maternelle active chez les parents un sentiment de perte en
rerons d’une part les pathologies révélées par l’école, c’est-à- termes de privilège. Désormais l’enfant va apprendre par une
dire inhérentes au développement même de l’enfant et d’autre autre personne que par eux-mêmes. Certains parents vivent cela
part le rôle de l’école selon qu’elle agit comme facteur facilitant comme une complémentarité, d’autres comme une rivalité (cela
ou aggravant. sera encore plus évident lors de l’acquisition de la lecture). Il est
nécessaire, comme préalable à toute scolarisation d’un jeune
enfant, de vérifier que les parents ne vivent pas ce partage
■ Environnement scolaire comme une perte. Le degré de confiance dans l’école et surtout
dans l’enseignant qui va le recevoir est également très impor-
de l’enfant en maternelle tant. Enfin, le passé scolaire des parents et leur communauté
culturelle interfèrent de manière notable. Leur appréhension
Enjeux développementaux, compétences variera en fonction de la qualité de leur propre vécu scolaire.
et niveau de développement requis
pour réussir sa scolarité en maternelle Pathologies repérables en maternelle
Ses objectifs, définis en 1986, [2] au nombre de trois, sont : Les troubles comportementaux sont les symptômes les plus
scolariser (« habituer l’enfant à une nouvelle vie, à un nouveau vite repérés en maternelle, or ce sont les plus difficiles à évaluer.
milieu, à des relations que sa famille ne lui permettait pas Ce sont aussi ceux pour lesquels l’école a le plus d’impact, soit
d’élargir »), socialiser (« apprendre à l’enfant à établir des dans le sens d’une aggravation, soit dans celui d’une améliora-
relations avec les autres, à devenir sociable ») faire apprendre et tion. Il n’est en effet pas souhaitable de tout expliquer par des
exercer (« il s’agit que l’enfant, par diverses activités, développe carences éducatives, tout comme il ne faut pas demander un
ses capacités de sentir, d’agir, de parler, de réfléchir et d’imagi- avis spécialisé de pédopsychiatrie dès le premier mois de
ner au travers d’activités physiques, de communication et scolarisation sous prétexte qu’il faut agir précocement. Les
d’expressions orales et écrites, des activités artistiques et difficultés les plus fréquentes se situent plutôt du côté du
esthétiques ou scientifiques et techniques »). comportement comme l’angoisse de séparation (pouvant
Ces recommandations sollicitent trois domaines développe- évoluer vers un tableau d’inhibition avec mutisme extrafami-
mentaux, la motricité, le langage, la capacité à se séparer. La lial), l’instabilité et l’agressivité. Mais il est également important
scolarisation prend de manière efficace le relais de la famille en de repérer les retards de langage et les retards psychomoteurs.
élargissant les expériences dans ces trois secteurs qui sont Nous insisterons tout particulièrement sur deux pathologies
précisément en plein essor entre 2-3 ans et 5-6 ans. Toutefois, dont l’évolution a d’importantes implications dans le dévelop-
pour profiter de ce nouveau lieu de développement qu’est pement de l’enfant : l’angoisse de séparation et les retards de
l’école, le jeune enfant doit déjà être engagé dans un processus langage.
évolutif et sans entrave, quel que soit par ailleurs son rythme
de développement (la scolarisation peut dans ce cas jouer un
Angoisse de séparation
rôle d’accélérateur). En aucun cas cependant elle ne peut, dans Il convient tout d’abord de distinguer l’angoisse de séparation
les conditions standards, impulser le développement du secteur. normale liée à la crainte de la première séparation de l’anxiété
Cela pose clairement la question du désir qui sous-tend tout de séparation pathologique (par convention on désigne par
apprentissage. Il s’enracine dans les interactions précoces mère- angoisse de séparation le processus évolutif normal et par
bébé (le « bain d’affects » [3] ou « l’accordage affectif » [4]) puis anxiété de séparation le symptôme pathologique). Une durée du
dans les relations intrafamiliales (parents mais aussi fratrie). symptôme ne dépassant pas 4 semaines, l’acceptation une fois
L’investissement des premiers objets d’amour conditionne le en classe de participer aux activités proposées par la maîtresse,
monde des perceptions. [5] La capacité à supporter le manque de la possibilité d’accepter la sollicitation des pairs sont autant de

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent ¶ 37-200-E-40

symptômes en faveur d’un processus d’adaptation. A contrario, correspond à un parlé en style « texto », sans utilisation correcte
la survenue des signes suivant (donnés par les classifications des règles grammaticales). En principe ces troubles disparaissent
internationales CIM 10 et DSM IV) [6, 7] marque l’existence spontanément avant l’âge de 6 ans. Ils sont fréquemment
d’une anxiété pathologique : détresse lors de la séparation améliorés par la scolarisation. Lorsqu’ils persistent au-delà de la
(impossibilité d’examiner l’enfant lors de la visite d’admission deuxième année de maternelle, une rééducation orthophonique
au cours préparatoire [CP] par exemple), des ruminations et permet à l’enfant de ne pas souffrir inutilement de cette
préoccupations morbides (l’enfant craint qu’il n’arrive un particularité.
accident à ses parents, il a une peur exagérée des voleurs ou des Dans la deuxième catégorie, on trouve les dysphasies, le
ravisseurs d’enfants) ou encore la nostalgie du chez-soi et le bégaiement et la pauvreté de l’expression verbale (en lien avec
désir intense de réunion familiale (les enfants se montrent une carence de stimulation langagière ou un déficit intellectuel).
tristes, apathiques et ne peuvent se concentrer sur aucune Le bégaiement n’a à ce jour reçu aucune étiologie précise mais
activité, travail ou jeu). il est certain que ce symptôme infléchit notablement le système
La mise à l’école maternelle sollicite les schèmes d’attache- relationnel du sujet. Les manifestations d’anxiété et d’émotivité
ment antérieurs à la fois du côté de l’enfant mais aussi de ses sont plus importantes chez ces sujets, ainsi que d’autres traits
parents : attachement sécure, attachement insécure ambivalent névrotiques du registre de l’obsessionnalité. Les dysphasies sont,
et attachement insécure évitant, [8] autant de styles possibles de elles, plus préoccupantes. On distingue les dysphasies réceptives,
relation entre parents et enfant. Les études prospectives [9] d’autant plus graves qu’elles touchent la compréhension de
montrent que le schème d’attachement de l’enfant évalué à l’enfant, des dysphasies d’expression dont le prototype est la
12 mois est hautement prédictif de son comportement à l’école dysphasie phonologicosyntaxique. Si beaucoup d’enfants
maternelle trois ans et demi plus tard. Du côté des parents, la dysphasiques deviendront des enfants dyslexiques (40 % des
scolarisation va réactiver leurs propres schèmes d’attachement. dyslexiques ont des antécédents de dysphasie), [14] en revanche
S’appuyant sur les travaux princeps de Bowlby [10] et d’autres tireront bénéfice de l’apprentissage du langage écrit qui
d’Ainsworth précédemment cités, [8] une équipe suisse [11] a fournit un support providentiel à la rééducation de sorte qu’à
tenté d’élaborer un autoquestionnaire d’attachement pour la fin du CP, leur langage sera amélioré de façon inattendue. [14]
adulte. Il permet de repérer chez l’adulte des modèles très L’approche thérapeutique des troubles du langage ne doit pas
proches de ceux du bébé exprimant l’état d’esprit de la per- balancer entre un attentisme souvent néfaste (« il est encore
sonne (autonome, détaché, préoccupé). bébé, ça va venir ») et des bilans orthophoniques systématiques
Il convient donc de disposer de repères essentiellement devant toute difficulté. L’école et les parents ont aussi un rôle
évolutifs et interactionnels : durée, possibilité ou non de faire déterminant dans leur évolution. En dehors de quelques
céder le symptôme lorsque l’enseignant se donne vraiment les dysphasies pour lesquelles une origine neurologique est forte-
moyens de s’intéresser à l’enfant, de véritablement « l’apprivoi- ment suspectée, la plupart des troubles du langage sont en lien
ser » dans ses nouvelles relations sociales (la présence d’un avec des défaillances de la stimulation langagière. Il est donc
agent territorial scolaire en école maternelle, l’ATSEM, appelée très important pour l’école de se mobiliser en insistant sur le
la « tata », permet à l’enseignant de consacrer un peu plus de développement du langage oral. Des linguistes considèrent à cet
temps aux enfants ayant du mal à se socialiser). Repérer égard que les conditions ne sont pas remplies à l’école mater-
précocement une anxiété de séparation chez un jeune enfant nelle pour favoriser le développement du langage oral. Ils
permet de la traiter avant que ne s’installent des conséquences critiquent sévèrement le mythe de la scolarisation à 2 ans pour
au plan du langage, de l’abstraction et plus tard de la capacité réduire les retards de langage chez les enfants en manque de
à nouer des relations interpersonnelles. On retrouve en effet des stimulation langagière dans leur famille. Bentolila [15] avance le
antécédents d’anxiété pathologique chez de nombreux enfants trop grand nombre d’enfants créant un brouhaha peu propice
et adolescents présentant une phobie scolaire. L’école en tant ainsi que le manque de disponibilité des adultes pour reprendre
que lieu tiers doit faciliter cette séparation, par exemple en correctement les fautes de chaque enfant, et de pouvoir associer
accueillant l’enfant et son parent jusqu’aux abords les plus les parents à toute forme d’aide et de suivi. Une attention toute
extrêmes de la classe ; en proposant à l’enfant qui s’isole des particulière doit être portée aux parents ayant eux-mêmes
activités pour le distraire et lui faire oublier un temps sa figure connu des difficultés langagières et ne maîtrisant pas totalement
d’attachement préférentielle, enfin en limitant, sans l’interrom- les subtilités de la langue. Leur attitude par rapport à l’écrit est
pre, la présence de l’enfant en ne le faisant venir à l’école que souvent maladroite : ils achètent des livres à leurs enfants mais
le matin par exemple, en cas de difficultés majeures. En ne prennent pas le temps de les leur lire. L’école doit en tenir
revanche, deux attitudes opposées sont à éviter : arracher compte et leur faciliter l’accès de l’école. La socialisation favorise
l’enfant des bras de sa mère et intimer à cette dernière de partir les progrès langagiers, de ce fait l’école permet de repérer les
sous prétexte qu’une fois hors de sa vue l’enfant se calme, ou enfants qui ne profitent pas de cette stimulation. Depuis mars
demander au parent de reprendre l’enfant et de ne le remettre 2001, les médecins scolaires ont en charge le dépistage des
à l’école qu’au trimestre suivant, voire à la rentrée prochaine. troubles du langage. Ils assurent un dépistage fin des troubles
De telles attitudes culpabilisent inutilement les parents et du langage à l’aide de tests spécifiques (les tests les plus utilisés
surtout leur donnent le sentiment que l’enseignant ne partage sont la « batterie rapide d’évaluation des fonctions cognitives »
pas le même regard sur leur enfant, ce qui génère de la défiance, [BREV], la BSDEDS ou Zorman et l’épreuve de repérage des
source d’inquiétude supplémentaire chez l’enfant. troubles du langage [ERTL]). Il s’agit de diminuer le taux
d’enfants qui n’accéderont pas ensuite à la lecture, une relation
Retards de langage forte étant établie entre antécédents de troubles du langage dans
« Le langage n’est pas un code qui traduit la pensée, il est un l’enfance et difficultés d’acquisition de la lecture. Ce dépistage
outil qui forge la pensée ». [12] Dans le même ordre d’idées, se fait à l’école maternelle, dès 5 ans. La mise en place de ce
Vygotski [13] postule que la pensée ne s’exprime pas mais se dispositif est encore trop récente pour que l’on puisse en
réalise et s’organise dans les mots. On peut ainsi concevoir mesurer l’impact.
qu’un trouble grave du développement langagier aura des Deux autres comportements sont particulièrement mal
répercussions non seulement sur la qualité de communication supportés par les adultes, l’agressivité et l’instabilité
et la vie relationnelle d’une part mais aussi sur l’évolution psychomotrice.
psychique de l’enfant. On distingue habituellement les troubles
ayant peu d’incidence sur la communication du sujet et sur
Agressivité
l’évolution psychique globale de ceux ayant d’importantes Les enseignants sont de plus en plus nombreux à souligner la
répercussions. fréquence croissante de ce symptôme. Or, l’inhibition de
Dans la première catégorie on classe les troubles articulatoires l’agressivité fait partie des contraintes que l’éducation impose au
(dits troubles phonologiques dans les classifications internatio- sujet pour qu’il puisse vivre en société. Les morsures que
nales), le retard de parole (maintien du parlé bébé au-delà de s’infligent les enfants sont à comprendre comme des ratés de la
l’âge autorisé) ou encore le retard dit simple de langage (qui socialisation. Si l’éducation de certains parents ne prépare pas

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-200-E-40 ¶ Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent

les enfants au partage ou au fait de supporter la frustration, latence que se constitue le « plaisir de pensée » : [17, 18] l’enfant
l’école ne doit pas pour autant rejeter ces derniers. L’école ne investit la connaissance pour s’identifier aux adultes, c’est-à-
peut pas tout corriger mais elle doit également jouer un rôle dire s’approprier un savoir lui permettant à terme de pouvoir
fondamental d’intégration sociale. rivaliser avec eux, mais il se prend ensuite au jeu et le plaisir
d’apprendre devient le moteur de l’apprentissage.
Instabilité psychomotrice Durant cette période, la quasi-totalité du travail psychique de
Avant 6-7 ans on ne parle pas d’hyperactivité au sens de l’enfant s’organise autour de ces processus identificatoires. Aussi
« trouble » car le jeune enfant contrôle mal sa motricité. On les relations entre enfants et adultes sont-elles assez faciles :
considère comme normale une certaine part d’instabilité l’enfant est attentif aux valeurs de l’adulte, désireux de l’imiter,
physiologique que la socialisation doit précisément s’appliquer de le « séduire », de lui faire plaisir pour s’attirer sa reconnais-
à réduire et à canaliser. De plus, le langage et la capacité de sance. Ce faisant, il renforce son Moi, c’est-à-dire la partie
mentalisation étant encore mal assurés, l’enfant aura tendance sociale et relationnelle de l’individu. L’investissement du plaisir
à recourir à une expression corporelle pour manifester son de pensée constituera une trace particulièrement importante à
malaise. Dans la conception psychodynamique, ce comporte- l’adolescence, véritable « bastion de sécurité » pour le sujet en
ment est avant tout considéré comme un symptôme, c’est-à- proie aux questions fondamentales de son identité. [19]
dire un compromis entre l’expression de la souffrance psychique Au-delà donc des méthodes et des apprentissages eux-
et de la lutte du sujet contre cette souffrance. Les hypothèses mêmes, la qualité de la relation à l’adulte permettant que
suivantes ont été développées (classées par ordre de fréquence s’installe ou non ce plaisir à penser est déterminante. C’est dire
décroissante en clinique) : l’enjeu en termes de développement de la personnalité de cette
• l’instabilité comme mode de réponse à une situation com- période en apparence tranquille.
portant des affects anxiodépressifs (chez le jeune enfant, Au plan du développement cognitif, l’école élémentaire peut
l’immaturité psychique ne lui permet pas de faire face à des être divisée en deux périodes : celle qui va du début de
affects dépressifs ou anxieux survenant par exemple à l’occa- l’apprentissage jusqu’à 9 ans environ (du cours préparatoire à la
sion de la naissance d’un cadet, la maladie d’un parent, une fin du 2 e cours élémentaire, c’est-à-dire les trois premières
crise familiale) ; années de la scolarité) et celle qui termine la scolarité primaire
• l’instabilité par carence éducative (ne pouvant faire confiance (les deux cours moyens, c’est-à-dire la 4 e et 5 e année). La
à personne, ces enfants n’acceptent pas de « baisser la garde », première période est marquée par l’acquisition des connaissan-
leur survie dépendant de leur hypervigilance et de leur ces (lecture, écriture, calcul) que l’on pourrait comparer à des
hyperactivité) ; briques de Lego dont l’enfant pourra au cours de la deuxième
• l’instabilité par surstimulation familiale et absence de période faire usage pour construire ses raisonnements et
contenant éducatif (l’enfant s’est développé dans les normes accroître son empan de compréhension des règles, accédant
parfois même un peu en avance et ses bonnes compétences ainsi à la généralisation. Sous réserve d’une normalité neurodé-
ont émerveillé les adultes qui selon leurs propres termes se veloppementale, l’entrée dans les apprentissages indique que
sont « amusés » de ses performances, sans pouvoir fixer des l’enfant a le désir de grandir et qu’il est soutenu dans ce projet
limites structurantes). Cette situation se rencontre de plus en par des parents qui ne craignent pas que l’enfant apprenne
plus fréquemment en raison d’un renversement dans les grâce à d’autres, et des enseignants bienveillants qui lui
relations parents-enfants dans ce que Marcelli [16] appelle proposent des méthodes adaptées à son développement. À partir
l’autorité de l’infantile ; de 9-10 ans, l’enfant perçoit que ces instruments ne sont que les
• l’instabilité psychomotrice comme manifestations de troubles outils pour penser. Il découvre alors la satisfaction à utiliser ces
de la personnalité (troubles envahissants du développement) ; instruments afin de répondre aux « problèmes » posés. L’enfant
• l’instabilité comme signe d’un déficit intellectuel (dans ce cas doit extraire les données pertinentes à partir de son raisonne-
l’instabilité s’accompagne de troubles caractériels liés à des ment, lequel s’appuie sur un système cohérent de pensée dont
difficultés de compréhension des situations : opposition, la technique opératoire n’est qu’un outil. La réussite aux
intolérance à la frustration, impulsivité, anxiété et hyperémo- premiers problèmes mathématiques donnés au cours de la
tivité) ; première année du cours moyen (4e année de scolarisation)
• l’instabilité psychomotrice conséquence d’un trouble de représente un bon indice de ce développement. L’environne-
l’audition (il est impératif devant tout enfant jeune présen- ment joue aussi son rôle car l’autonomisation est au cœur de
tant un comportement agité de vérifier ses capacités l’investissement de ces processus. Ainsi, toute entrave dans ce
auditives). début d’autonomisation risque de se solder par un échec
scolaire paradoxal : l’enfant dispose de bonnes compétences
cognitives mais il est dans l’impossibilité de les utiliser. Les
■ Environnement scolaire à l’école entraves à investir ce nouveau palier concernent tout ce qui
peut faire obstacle au sentiment de continuité dans la vie de
élémentaire l’enfant, car il lui est difficile de croire et donc d’investir dans
une logique immuable et prévisible si au plan affectif son cadre
Enjeux développementaux, compétences de vie qu’il tenait pour sûr fait tout à coup défaut (lien familial
et niveau de développement requis remis en cause par une séparation ou un divorce parental), si ce
pour réussir sa scolarité à l’école que l’on croyait acquis se dérobe (chômage des parents, maladie
d’un parent). Sans accès à cette capacité de généralisation,
élémentaire chaque événement n’existe que comme un cas isolé et ne peut
L’école élémentaire comme son nom l’indique doit permettre (en partie ou en totalité) être replacé dans un ensemble plus
aux enfants d’acquérir les éléments nécessaires à la connais- vaste d’événements identiques. L’intelligence s’organise autour
sance : lire, écrire, compter, c’est-à-dire le noyau dur des des activités de classement, de comparaison (faisant appel à la
apprentissages. De la réussite ou de l’insuccès de l’enfant à ce mémoire) et de mise en perspective (jugement). Toute entrave
niveau dépendra en grande partie l’avenir de sa scolarité. dans la mise en jeu de ces capacités aura nécessairement un
Au plan psychodynamique, l’enfant traverse entre 6 et 11 ans impact sur le développement des capacité intellectuelles.
la « période de latence » : il renonce pour un temps à la rivalité Mais l’école élémentaire n’est pas seulement organisée autour
et à la séduction des adultes pour s’organiser autour des des processus d’apprentissage. La vie en groupe constitue l’autre
processus d’identification : « Je suis encore trop petit pour grand axe développemental. Entre 6 et 11 ans, les progrès
disposer des pouvoirs des grands mais si je regarde bien réalisés par l’enfant sont très largement soutenus par son
comment ils font et si j’accède aux connaissances qu’ils sentiment d’appartenance à un groupe. Celui-ci offre à l’enfant
détiennent alors je pourrais être comme eux. » la capacité de se mesurer avec ses pairs. Le plaisir du jeu, de la
Période particulièrement importante au plan du renforcement camaraderie et de la rivalité fondent tout autant le groupe qu’ils
et de l’épanouissement du Moi, c’est en effet durant cette enrichissent au plan individuel chacun des enfants qui le

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent ¶ 37-200-E-40

constitue. Ainsi, toute situation qui isole l’enfant de ses rencontre des difficultés, les méthodes d’apprentissage et surtout
camarades de classe aura des répercussions importantes au plan la qualité de la relation à l’enseignant ainsi que les relations
du développement de l’estime de soi et surtout de la confiance parents-école renforcent leur potentiel bénéfique ou délétère.
en ses capacités intellectuelles (ceci justifie, si besoin était, Dans ce contexte, l’école peut aggraver ou atténuer les difficul-
l’importance de l’intégration des enfants présentant des patho- tés. La scolarisation ne peut cependant pas créer à elle seule (en
logies somatiques ou psychiques). dehors des situations de maltraitance) de la pathologie, c’est
pourquoi il est également important de repérer les signes en
Pathologies repérées à l’école élémentaire rapport avec une vulnérabilité développementale. Si un enfant
se trouve en échec scolaire une année, mais retrouve le plaisir à
Comme pour l’école maternelle, nous insisterons sur les fonctionner l’année suivante grâce à un enseignant attentif et
pathologies les plus fréquentes, c’est-à-dire les difficultés dévoué, il ne faut pas pour autant imaginer que les difficultés
académiques et les troubles du comportement et nous montre- de l’enfant sont résolues. L’importance de la variabilité du
rons combien l’approche doit être multicentrique. Elle doit en comportement en fonction de la figure de l’enseignant donne
effet tenir compte de l’aspect du développement individuel, des renseignements capitaux pour appréhender la personnalité
mais aussi du contexte familial (en particulier le rapport des
de l’enfant (lien anxieux). Les difficultés d’apprentissage se
parents à l’école et à leur propre scolarité) ainsi que de l’aspect
situent donc aux confins du développement individuel, des
pédagogique (méthodes employées, conditions d’apprentissage,
relations intrafamiliales et du champ social. À cet égard, il faut
relations avec l’enseignant).
souligner l’évolution des mentalités concernant les compétences
intellectuelles. Durant un siècle environ, la notion d’effort, de
Difficultés académiques
volonté, on pourrait dire de « labeur », a prévalu dans une
Les processus d’apprentissage sollicitent différents axes France encore profondément agricole. De nombreux enseignants
développementaux neurobiologique, affectif et relationnel. Pour et psychologues scolaires se sont élevés contre la constitution de
apprendre, il est nécessaire que l’enfant dispose d’instruments classes spécialisées regroupant les élèves qui ne pouvaient pas
cognitifs (langage, repères spatiotemporels, intelligence), suivre. Le travail et la volonté pouvaient, pensaient-ils, venir à
d’adultes bienveillants et susceptibles de s’adapter à son rythme bout de toute difficulté. Le bon élève était un élève « méritant ».
et à son style de développement, enfin qu’il ait été « arrosé » de On reconnaissait ainsi la volonté de s’extraire de conditions
libido pour envisager ces apprentissages comme un renforce- environnementales qui n’encourageaient pas le travail intellec-
ment de son narcissisme. Tous les spécialistes des difficultés tuel et la capacité de travail que cela supposait. La notion de
scolaires reconnaissent l’importance de ces trois facteurs, mais compétence disparaissait derrière celle de volonté et donc de
selon les modèles théoriques auxquels ils se réfèrent, l’un ou mérite. Actuellement, la connaissance des potentialités dévelop-
l’autre des axes est privilégié. Les psychanalystes ont essentiel- pementales précoces des bébés dont Brazelton [21] a été l’un des
lement développé l’importance de la libido, les neurobiologistes tout premiers porte-paroles a infléchi notablement le rapport
et les neuropsychologues celle de l’équipement neurobiologique aux apprentissages. La réussite n’est plus envisagée comme le
et les pédagogues et les sociologues surtout ont travaillé sur la résultat d’un effort mais comme la fructification de dons, de
relation maître-élève, en particulier autour des méthodes compétences initiales que le système scolaire est sommé de
d’apprentissage. Tout dépend donc de la référence théorique et
révéler. De plus en plus de parents, souvent à la suite de lectures
de l’angle sous lequel on réfléchit aux difficultés d’apprentis-
ou d’émissions de radio ou de télévision, interprètent les
sage. L’enjeu essentiel consiste à ne pas considérer un champ
troubles du comportement de leur enfant comme une consé-
théorique comme prévalent par rapport aux deux autres. Les
quence possible du surdouement de leur enfant. La notion de
rééducations ont leur place, tout comme les aménagements
performance [22] est au cœur de la représentation de la réussite
pédagogiques et les approches psychologiques. La gageure est de
scolaire.
les faire cohabiter à importance égale et non comme adjuvants
de l’axe considéré comme principal (par exemple la psychothé-
rapie ne peut pas seulement être mise en place pour compenser Troubles du comportement à l’école élémentaire
l’attaque du narcissisme de l’enfant produit par l’échec scolaire). Qu’il s’agisse d’instabilité (voire d’hyperactivité avec ou sans
Un autre écueil doit également être évité : celui de considérer troubles attentionnels), d’agressivité ou d’inhibition, ils doivent
que tous les échecs d’apprentissage relèvent de la même toujours alerter. Ils ne peuvent plus être appréhendés en termes
approche théorique. Il existe à l’évidence des enfants présentant de difficultés d’adaptation transitoires comme cela peut être le
des particularités neurobiologiques rendant quasi impossible
cas à l’école maternelle. L’instabilité et l’agressivité sont plus
l’accès à la lecture. Ainsi, pour les neurophysiologistes, la
facilement repérés du fait de la gêne qu’ils occasionnent, mais
dyslexie pourrait provenir d’un défaut de développement des
il est regrettable que l’inhibition soit si peu prise en compte.
systèmes cérébraux du langage, le partage des tâches entre les
D’ailleurs les classifications internationales (CIM 10 ou DSM
deux hémisphères ne serait pas strict, ce qui conduirait au fait
IV) [6, 7] ne la reconnaissent pas. Elle se retrouve en partie
que chacun des cerveaux ne parviendrait pas à se spécialiser
classée dans le « trouble anxiété généralisée » (F41.1), [300.02] et
suffisamment par défaut d’asymétrie ; ces enfants sont de notre
le « trouble phobie sociale » (40.1) dans le CIM 10 ou « anxiété
point de vue assez proches cliniquement des enfants dysphasi-
ques. De même, une récente étude italienne (Donfrancesco et sociale » [300.23] dans le DSM IV. L’inhibition est pourtant un
al.) [20] a mis en évidence le fait que certains enfants dyslexiques tableau clinique fréquent dont l’évolution torpide se fait le plus
se révélaient nettement plus impulsifs que les autres. Répondant souvent vers des attitudes phobiques et une limitation des
vite à toute sollicitation, ils ne prennent pas les repères capacités intellectuelles, relationnelles et d’adaptation du sujet
nécessaires à la lecture. D’autres enfants sont entravés par des devenu adulte. L’inhibition peut atteindre tous les secteurs de
secrets de famille et considèrent l’acquisition de la lecture la vie psychique :
comme une transgression et ne pourront libérer leur capacité • la motricité ; enfant hypercontrôlé, pris dans une véritable
d’apprendre qu’à l’aide d’une psychothérapie (celle-ci devra gangue tonique, ou au contraire amorphe et lymphatique,
l’aider à structurer sa pensée et lui permettre de trouver du sans envie ; [23]
plaisir à l’utiliser). Le malmenage pédagogique existe aussi et • les conduites sociales ; ces enfants sages et calmes, souvent
doit être reconnu comme facteur déclenchant de certaines bons écoliers, se révèlent être, lors d’une observation plus
difficultés relevant alors d’un « soin » pédagogique (psychopé- fine, d’une soumission anxieuse à l’entourage avec la crainte
dagogie). Il s’agit moins d’enseignants mal intentionnés à de décevoir ou de blesser pouvant aller jusqu’à la phobie
l’égard de l’élève (bien que cela puisse exister) que d’une sociale ;
inadéquation aux besoins de l’enfant. En règle générale, quand • les conduites mentalisées ; la dimension de plaisir, la force
un enfant est bien équilibré sur le plan affectif et jouit de créative et expressive de l’enfance – représenter, dire, jouer,
conditions de vie épanouissantes, il peut s’adapter à toutes les dessiner, lire ou inventer des histoires – se laissent gagner par
méthodes, chacune a son intérêt. En revanche, lorsque l’enfant le conformisme ambiant et s’appauvrissent, de sorte que

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-200-E-40 ¶ Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent

malgré de bonnes potentialités, ces enfants sans troubles du déficit attentionnel » (Bouvard et al. 2002) [29] : le trouble
affectifs apparents apprennent difficilement, faute de pouvoir hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA) est devenu
se concentrer ou surmonter l’ennui qui les gagne. « trouble de l’attention avec hyperactivité ».
Ce trouble du comportement passe volontiers inaperçu s’il ne La prévalence estimée d’abord à 3 % (critères du DSM III-R :
se double pas de difficulté d’apprentissage massive. L’école l’aspect troubles de l’attention étant moins pris en compte),
devrait pourtant savoir repérer ces enfants et favoriser leur atteint actuellement 5 % des enfants avec les critères du DSM IV
intégration dans le groupe en leur accordant des responsabilités qui insistent sur les troubles attentionnels, ce qui en fait un
adaptées. Il faut également encourager puis soutenir les parents problème de santé publique. Les conséquences en matière de
dans les démarches d’autonomisation qu’ils pourront mettre en troubles du langage d’abord, d’échec scolaire ensuite et donc de
œuvre pour leur enfant : inscription à des activités extrascolai- risque de marginalisation ont conduit les cliniciens et les
res, participation à des mini-camps, week-ends passés chez des chercheurs à mieux repérer puis traiter ce symptôme par la
oncles ou des tantes, aller dormir chez des camarades. Enfin, le prescription de psychostimulants (le méthylphénidate commer-
traitement à l’extérieur de l’école privilégie actuellement les cialisé en France sous le nom de Ritaline® est le seul psychosti-
groupes thérapeutiques. [24] La dimension groupale ainsi que la mulant a avoir reçu l’autorisation de mise sur le marché dès
temporalité (début et fin du groupe) sollicitent le travail de 1995 chez les enfants de 6 ans et plus ; il existe désormais une
séparation-individuation. Or c’est précisément cet axe de forme retard monoprise Concerta LP®). La prévalence aurait
développement qui est concerné dans la psychopathologie de tendance à diminuer dès l’adolescence puisque 20 % des formes
l’inhibition. de l’enfance disparaissent à cette période.
Pour les tenants d’une approche psychodynamique : l’insta-
Comportements agressifs bilité doit d’abord être comprise comme un état réactionnel à
Ils peuvent aussi bien être liés à l’expression d’un mal-être une situation traumatisante ou anxiogène pour l’enfant. La
que la manifestation de problèmes éducatifs. Qualifiés de fréquence de signes associés à ce symptôme : comorbidité entre
« troubles des conduites » dans la rubrique « troubles opposi- 47 et 93 avec les troubles oppositionnels ou des conduites, [30]
tionnels avec provocation », ces troubles sont bien décrits par avec la dépression à 15 %, [31] avec les troubles anxieux à
les classifications internationales (F91.3 dans la CIM 10 et 26 %, [32] le faible investissement du langage et la vulnérabilité
[313.81] dans le DSM IV). Ces enfants se mettent souvent en somatique (également mentionnés chez les tenants de l’hypo-
colère, contestent ce que disent les adultes, refusent de se plier thèse neurologique) soulignent l’importance des affects anxio-
aux règles, embêtent délibérément les autres et se montrent dépressifs inaménageables par l’enfant du fait de son immaturité
souvent méchants et vindicatifs. psychique (ceci correspondrait à la baisse progressive de ce type
Tous les auteurs s’accordent à reconnaître que ces troubles des de trouble observée entre l’enfance et l’âge adulte : ce chiffre
conduites apparaissent plus volontiers dans les familles où la diminuerait de 50 % tous les 5 ans à partir de l’âge de
continuité de l’éducation a été interrompue (succession de 20 ans. [29] Sans méconnaître les différences constitutionnelles
diverses personnes) ou dans lesquelles les pratiques éducatives propres à chaque individu, les pédopsychiatres psychodynami-
ont été dures, incohérentes et négligentes. Les mères déprimées ciens pensent que l’entourage n’a pas pu apporter de réponse
auraient plus de risque que les autres d’avoir un enfant présen- adaptée à des situations suscitant des affects dépressifs et/ou
tant un comportement oppositionnel (DSM IV, 1996). [7] Dans anxieux chez l’enfant.
les familles où existe un conflit conjugal grave, le trouble Pour les neuropsychiatres : la dimension impulsive, au
oppositionnel avec provocation serait plus fréquent. Tout ceci premier plan du tableau clinique, est expliquée par un défaut de
met en relief la dimension éducative et affective de ces troubles. contrôle des systèmes inhibiteurs de l’activité qui impliquent à
Il est important de faire un diagnostic précoce de ces troubles la fois certaines structures cérébrales : les ganglions de la base,
car leur évolution vers la constitution d’une personnalité c’est-à-dire les noyaux caudés et des lobes frontaux (il a été
antisociale est grande. [25, 26] En outre, les sujets répondant à ces retrouvé un volume diminué du cortex préfrontal droit chez les
critères seraient plus que d’autres exposés à des troubles de hyperactifs et une perte, voire une inversion, de l’asymétrie des
l’humeur, des troubles anxieux ou la consommation de sub- noyaux caudés) et les systèmes catécholaminergiques, en
stances psychoactives. [27] Si l’école ne peut en aucun cas régler particulier le système dopaminergique, encore appelé système de
des situations mettant en cause les relations intrafamiliales, elle l’apprentissage ou de la récompense.
peut dans une certaine mesure diminuer ou exacerber ces Les techniques d’imagerie fonctionnelle montrent une
troubles. Elle accentue les troubles en isolant systématiquement diminution de l’activation cérébrale dans les régions pariétales
l’enfant (par exemple refuser d’emmener un enfant en séjour droites et une augmentation dans les aires frontales. [29] Pour la
pédagogique), en anticipant de manière négative sa conduite majorité des auteurs anglo-saxons, [33] le THADA est avant tout
lors de manifestations sportives ou culturelles. A contrario, elle un désordre primaire résultant d’un défaut de maturation
les diminue en donnant des responsabilités à ces enfants, en les neuropsychologique chez des enfants présentant une prédispo-
valorisant comme le montrent les conclusions des programmes sition héréditaire (une influence génétique pourrait être retenue
de prévention mis en place dans les pays anglo-saxons. [28] Les dans l’état actuel des connaissances : les gènes impliquant le
comportements agressifs et opposants s’amendent avec l’aug- système dopaminergique, en particulier le gène transporteur de
mentation de l’estime de soi. À ce titre, le rôle des enseignants la dopamine [DA transporter-DAT] et un allèle [7-repeat] du gène
est primordial en aidant les enfants à développer des aptitudes du récepteur D4 [DRD4] seraient concernés). [29] Il est important
sociales, à résoudre des problèmes et à développer des stratégies dans un tel contexte de repérer précocement ces troubles dont
d’apprentissage. l’incidence sociale en matière d’inadaptation et de criminalité
serait grande.
Instabilité psychomotrice ou trouble hyperactivité En France, la plupart des auteurs [29] ne réfutent pas un aspect
avec trouble de l’attention associé (THADA) relationnel puisqu’ils insistent sur le caractère situationnel du
Récemment remise à la mode par la description d’un trouble trouble. En effet, le trouble apparaît ou s’accentue lorsqu’il est
de l’attention associé à une hyperactivité, l’instabilité psycho- demandé à l’enfant des activités requérant de la concentration.
motrice n’est plus envisagée dans les classifications internatio- L’enfant peut arriver à arrêter le trouble lorsqu’il est hypercon-
nales (CIM 10, DSM IV) comme un symptôme mais comme un trôlé, soit de lui-même (d’où l’intérêt des thérapies cognitivo-
trouble neurologique en lien avec un mauvais contrôle des comportementalistes), soit par le saisissement dû à une situation
systèmes de régulation de l’attention. nouvelle, ou le fait de n’être en relation qu’avec une seule
Depuis plusieurs années, on observe un glissement conceptuel personne. Selon ces auteurs, les facteurs environnementaux, en
de l’hyperactivité vers les troubles attentionnels (ce qui permet particulier psychosociaux, influencent la symptomatologie et le
de sauvegarder le modèle syndromique d’une atteinte cérébrale devenir du trouble, mais on constate que le THADA lui-même
corrigée par une médication spécifique). « L’hyperactivité est influence ces facteurs. Ils considèrent comme indispensable
retirée du champ de l’analyse de l’instabilité psychomotrice et tend à d’aider les parents à ne pas adopter des attitudes qui pourraient
devenir un symptôme non obligatoire d’un vaste trouble centré autour contrarier la bonne évolution.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent ¶ 37-200-E-40

La thérapeutique va dépendre bien évidemment de la dès la classe de 4e, suivre l’enseignement délivré car il repose sur
manière dont le « trouble » est envisagé : s’agit-il d’un symp- l’accès à l’abstraction. Tout adolescent qui ne s’est pas engagé
tôme ou d’une catégorie diagnostique spécifique ? dans ce processus de croissance, se trouve immanquablement en
Quant à l’école, les « programmes » cognitivocomportemen- échec scolaire dès la fin du collège et ne peut pas suivre des
talistes donnent des recommandations aux enseignants qui ne études dites « générales ». Or, l’accès à l’abstraction n’est pas
sont que des recommandations de bon sens et dont devraient seulement donné par la croissance, encore faut-il que l’adoles-
bénéficier tous les enfants, hyperactifs ou pas : établir une cent s’en empare, c’est-à-dire qu’il voit un intérêt (et non un
proximité avec l’enfant, faire des cours vivants et créatifs, risque) à changer et à élargir son point de vue. Certains
donner des périodes de travail courtes, permettre à l’enfant de adolescents voient dans ces changements une déstabilisation de
bouger s’il en éprouve le besoin, expliquer les sanctions. leur mode de fonctionnement antérieur et ne veulent pas
prendre le risque de compromettre un équilibre déjà fragile.

■ Environnement scolaire Comment les exigences scolaires exacerbent


au collège la problématique de l’adolescence
Le processus même de l’adolescence met l’individu dans une
Interactions réciproques de l’adolescence position de passivité. Celui-ci ne peut que subir les transforma-
tions qui l’affectent. Face à cette « passivation », le jeune
et de la scolarité adolescent réagit en tentant d’être le plus possible acteur dans
Impact de l’adolescence sur la scolarité son environnement. Contraint de vivre les métamorphoses que
lui impose la biologie, il prétend alors décider de ses actes. Or,
Devenir adolescent modifie radicalement le rapport au savoir la scolarité le met en position passive en permanence malgré le
d’une part et à la scolarité d’autre part. discours des adultes sur la nécessaire autonomisation dès
L’acquisition du savoir n’est plus considérée comme une l’entrée au collège. Écouter sans parler, se soumettre aux
tâche prioritaire. L’intérêt se porte de manière prévalente sur les consignes, rester tranquille 50 minutes durant peut constituer
transformations corporelles et relationnelles. Mesurer son capital pour certains adolescents une tâche particulièrement rebutante
de séduction ou de force, déterminer son degré de popularité et surtout antidéveloppementale. Les adolescents qui ont le plus
parmi ses pairs constituent désormais les préoccupations de mal à intégrer les transformations pubertaires vont très
essentielles de l’adolescent. En dépit des exhortations des rapidement considérer que l’école les met en difficulté parce que
adultes : « c’est pour toi que tu travailles », l’adolescent cherche le cadre scolaire sollicite cette capacité d’adaptation. La dégra-
d’abord à se dégager de tout ce qui lui rappelle une soumission dation du vécu des enseignants par rapport aux adolescents
infantile au désir parental. « Travailler quand je veux, comme je d’un côté, l’obligation de réussite scolaire de l’autre sans
veux » pourrait être sa nouvelle devise. Ce n’est plus en faisant possibilité d’orientation avant la fin du collège achèvent de
plaisir aux adultes et aux parents en particulier que l’adolescent crisper les rapports entre élèves, enseignants et parents. À ce
pourra déterminer qui il est. Il doit pour cela éprouver les titre, il existe une véritable pathologie fabriquée par l’école.
nouvelles conquêtes développementales que sont les change- L’enseignement tel qu’il est actuellement délivré par l’Éduca-
ments corporels, affectifs et cognitifs. L’appropriation du savoir tion Nationale repose exclusivement sur le verboconceptuel. Les
n’est plus, comme dans l’enfance, le moyen d’accéder à l’âge enfants mal à l’aise avec l’expression verbale (orale ou écrite)
adulte. La biologie indique désormais à l’adolescent un autre sont d’emblée pénalisés. Les retards de langage dans la petite
chemin qui délaisse pour un temps la curiosité intellectuelle et enfance et les difficultés d’acquisition de la lecture s’ils ne sont
réactive sa curiosité sexuelle. pas rapidement traités font le lit de difficultés scolaires ultérieu-
Au collège, la scolarité est clairement vécue par les jeunes res. Si les enfants n’apprennent pas à lire ils n’auront jamais
adolescents comme une prise d’autonomie par rapport à la l’aisance nécessaire pour l’utilisation de ce mode de communi-
surveillance parentale relativement étroite durant les années du cation. Exprimer son avis, lire, échanger avec autrui resteront à
primaire. Les manifestations d’affirmation de ce nouveau statut tout jamais pour ces enfants une tâche fastidieuse associée à la
sont nombreuses : mise au travail tardive à la maison, devoirs scolarité et porteuse de souvenirs douloureux. Au collège, a
non marqués sur le cahier de textes ou l’agenda, etc. Les fortiori au lycée, il n’est plus seulement question d’exercice de
manifestations d’opposition au cadre de travail sont courantes. lecture, il est demandé aux adolescents de s’exprimer, de mettre
Le jeune adolescent ne réalise pas vraiment les enjeux d’un en perspective des données complémentaires ou contradictoires.
échec scolaire tout occupé qu’il est à vivre et à intégrer les Il faut rédiger des textes, développer par écrit des raisonnements
changements qui l’affectent. mathématiques. Ces activités sont très difficiles pour les
Plus tard, au lycée, la scolarité est dominée par le choix de la adolescents ayant présenté des difficultés de langage dans
section et se trouve donc étroitement corrélée avec la projection l’enfance. Le collège les pénalise énormément. On repère
de son avenir professionnel, ce qui sous-entend une représenta- facilement ces élèves car ils échouent dans toutes les matières
tion de soi en termes de qualités, de compétences et de centres qui sollicitent le verbal (en majorité les matières dites principa-
d’intérêts. Ne pas réussir à obtenir la filière convoitée constitue les) et ils réussissent fort bien dans les autres telles que techno-
une blessure narcissique profonde. logie, arts plastiques, musique, éducation physique et sportive.
On mesure ainsi combien le processus d’adolescence interfère, Ces adolescents ne doivent pas être considérés comme man-
souvent de manière négative, sur l’investissement du savoir et quant de volonté pour travailler ou opposants au système
de la scolarité. scolaire, ils ne sont tout simplement pas capables de répondre
Mais l’adolescence n’apporte pas que désordres et turbulen- aux attentes du collège en dépit de capacités intellectuelles
ces, elle amène aussi son lot de progrès, tout particulièrement correctes. Lorsqu’un adolescent ne parvient pas à maîtriser en
dans le domaine de la cognition. Inhelder et Piaget, les premiers temps voulu ces deux instruments de pensée il se met rapide-
(1955), [34] ont décrit les changements cognitifs contemporains ment en échec scolaire. De nombreux troubles du comporte-
de la puberté. Après une phase de raisonnement dit « concret », ment à l’adolescence sont à comprendre comme des réactions
le grand enfant vers 10-11 ans s’engage dans un processus qui de souffrance et de colère face à une institution vécue non
va le mener à l’abstraction. Or, l’accès à la pensée abstraite seulement comme rejetante mais aussi contrecarrant des projets
constitue un formidable élargissement du champ de pensée. Il d’avenir professionnel.
permet en effet de penser en termes de généralisation, de
réutiliser un raisonnement dans un domaine différent de celui
où il est né, bref de « s’abstraire » du ponctuel, du singulier pour
Pathologies repérées au collège
élaborer des théories générales, des lois, façonnant ainsi une Elles sont en lien avec l’approche psychodynamique. Troubles
nouvelle compréhension du monde. du comportement et difficultés d’apprentissage se combinent
Si on peut acquérir les bases de la lecture, de l’écriture et des pour donner des tableaux cliniques polymorphes. Tout symp-
mathématiques grâce à une pensée concrète, on ne peut plus, tôme porte en lui à la fois la trace de la difficulté et déjà une

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-200-E-40 ¶ Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent

tentative de solution. À l’adolescence, le développement de la va à l’encontre du besoin d’ouverture et de découverte de


force physique, l’impulsivité, les variations de l’humeur colorent nouvelles relations et le conduit à renoncer à aller vers les
le tableau de manière particulièrement inquiétante pour les autres.
adultes. Souvent hélas, comme pour l’enfant plus jeune,
l’inhibition n’est pas suffisamment repérée. Difficultés de pensée
L’empêchement de la pensée [17] constitue un des motifs les
Troubles du comportement plus fréquents de consultation des collégiens. On peut distin-
Instabilité motrice, agitation guer :
• le renoncement à penser dans ses deux formes cliniques : le
Comme chez l’enfant plus jeune, l’instabilité signe un
lien anxieux et le lien d’opposition-excitation ; [36]
malaise, une difficulté d’adaptation à la situation. Elle peut être
• l’inhibition de pensée dont la forme mineure la plus classique
passagère et correspondre à la nécessaire adaptation aux
est constituée par le « fléchissement scolaire ».
contraintes du cadre scolaire (Cf. supra) ou traduire un malaise
plus profond. Celui-ci peut concerner soit l’histoire personnelle Renoncement à penser
du sujet, soit l’histoire de son rapport à l’école et au savoir. Une Le jeune adolescent refuse de se saisir de ce que la croissance
agitation survenant en classe doit toujours faire évoquer une lui offre, l’expansion de son champ de conscience et l’accès à
indisponibilité du jeune adolescent pour les apprentissages. Il l’abstraction, car ce changement fait vaciller les bases antérieu-
nous paraît important d’insister sur une étiologie inhérente aux res de son fonctionnement psychique. Incapable de supporter le
exigences scolaires : le sentiment de ne pas suivre en classe. En doute, conséquence de ce changement cognitif, le jeune
effet, le jeune adolescent peut ne pas comprendre les codes adolescent veut continuer à fonctionner comme dans l’enfance.
utilisés au collège : difficultés d’acquisition du langage dans Envisager toutes les solutions possibles lui « prend la tête » et il
l’enfance, non-accès à l’abstraction en classe de 4e, ou encore préfère s’en remettre à ses parents. Volontiers passif, il ne
intolérance à la passivité requise par la scolarité. Plus rarement, travaille que si on est derrière lui. Ses parents et ses professeurs
mais non exceptionnellement, surtout dans les banlieues des le qualifient « d’immature ».
grandes villes, il peut s’agir d’une agitation de la part d’un bon Dans sa forme clinique d’opposition-excitation, l’adolescent
élève mis dans une classe dissipée. Afin de ne pas être exclu du provoque les adultes par un refus ouvert de travailler, sélection-
groupe des pairs, l’adolescent adopte les comportements nant les professeurs ou les matières dans lesquelles il va donner
attendus par ses camarades. le change pour faire croire « qu’il pourrait s’il voulait ».
Comportements agressifs Dans les deux situations, il s’agit d’une situation de cram-
ponnement à un fonctionnement infantile où le seul objectif de
Très vite repérés, ces comportements font peur aux adultes en
l’adolescent est d’obtenir du parent un rapproché affectif qui
raison de la force physique des adolescents. Cette émotion est
apaise ses angoisses liées au changement des relations avec les
parfois à l’origine d’attitudes inadéquates chez les adultes. Dans
parents. Penser par soi-même constitue en effet une première
ces troubles du comportement on retrouve à la fois des facteurs
séparation symbolique avec les parents.
développementaux (inhérents à l’individu lui-même et aux
relations qu’il entretient avec ses parents) et des facteurs Inhibition de pensée
sociologiques (inhérents à la culture, aux conditions de vie et Phase transitoire traduisant le détournement de l’intérêt de
tout particulièrement aux situations d’anomie). Au plan psy- l’adolescent devenu pubère vers sa vie psychique plutôt que vers
chopathologique, un comportement agressif et/ou violent à les apprentissages, elle peut toutefois évoluer vers une fixation
l’adolescence traduit en général la tentative de maintenir une de ce mode de fonctionnement. Le sentiment de vide cérébral
position de toute-puissance, de faire l’économie du travail protège les adolescents d’affects ambigus, à la fois agressifs et
psychique de l’adolescent [35] et d’éviter ainsi la reviviscence du amoureux à l’égard de leurs parents. Dans sa forme mineure,
conflit œdipien. L’adolescent à la recherche d’identifications elle correspond à ce qu’il est convenu d’appeler le fléchissement
correspondant à son nouveau statut adhère de manière carica- scolaire, c’est-à-dire une contre-performance sur un ou deux
turale à des modèles valorisants pour lui (ne pas se laisser faire, trimestres qui peut même conduire parfois à un redoublement.
répondre aux attaques) au lieu de les nuancer (c’est-à-dire L’adolescent dit ne pas comprendre ce qui lui arrive, il recon-
répondre en fonction de la situation). Plus l’adolescent est naît ne pas travailler assez et pense sincèrement pouvoir se
vulnérable dans ses identifications plus il va tenter de se rattraper le trimestre suivant.
protéger en se donnant une stature de « dur ».
Troubles psychopathologiques
Inhibition relationnelle
Qu’il s’agisse de somatisations anxieuses, de phobie scolaire
Adolescent souvent seul en récréation, isolé dans la classe, il ou de dépression, tous ces troubles ont en commun le risque
passe tout son temps au CDI (centre de documentation et d’absentéisme scolaire d’abord, de décrochage scolaire ensuite.
d’information), il ne prend jamais la parole en classe, il est lent, Leur prise en charge doit de ce fait être rapide.
il ne s’entend (ou ne joue) qu’avec des plus jeunes. Trois
diagnostics peuvent être retenus : Troubles anxieux
• une inhibition familiale : le fonctionnement familial est lui- Habitués de l’infirmerie, fréquemment absents pour « mala-
même empreint de cette gêne en société. Les parents ne sont die », ces adolescents risquent de se trouver très vite exclus du
pas toujours en mesure d’apprendre à leur enfant les règles de système scolaire. L’absentéisme dû à des somatisations anxieuses
défense nécessaires à la vie en société. Dans leur enfance ils (maux de ventre, céphalées, vertiges, hypotension artérielle)
ont présenté les mêmes troubles et souffrent parfois encore de limite leurs performances scolaires qui peuvent être bonnes par
phobie sociale. Un frère ou une sœur présente la même ailleurs. Souffrant de troubles d’anxiété de séparation (CIM 10,
pathologie ; DSM IV), ces adolescents ont présenté d’autres épisodes identi-
• une pathologie obsessionnelle : 1 % (avec un écart de plus ou ques dans l’enfance, dès 6-7 ans. Trop souvent des raisons
moins 0,5 %) des adolescents entre 12 et 21 ans souffrent de extérieures sont mises en avant pour expliquer les difficultés.
cette pathologie. Qu’il existe ou non des rituels obsessionnels Or, ce symptôme peut évoluer vers une phobie scolaire surtout
(troubles obsessionnels compulsifs [TOC]), l’adolescent aux si l’un, et a fortiori les deux parents, présentent eux-mêmes des
prises avec l’investissement douloureux de sa pensée ne peut troubles anxieux. La survenue d’événements anxiogènes (voyage
aller vers les autres et a tendance à les fuir, ne se sentant scolaire, changement d’établissement scolaire ou de classe)
aucun point commun avec eux ; constitue un facteur de risque supplémentaire pour ces sujets
• une efficience intellectuelle dans les zones de la normale qui sont alors débordés dans leurs capacités d’adaptation.
selon les définitions de l’OMS (QI compris entre 75 et 85)
mais rendant les apprentissages laborieux. Lorsque le jeune Phobie scolaire
adolescent doit faire face à l’intégration dans un groupe de L’expression symptomatique est liée à l’école : lors du départ
pairs, le besoin de prédictibilité, de stabilité et de répétition au collège, l’adolescent manifeste une angoisse croissante. Si

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent ¶ 37-200-E-40

l’adolescent est forcé, des manifestations comportementales une rupture scolaire récente peut attirer l’attention. La démoti-
apparaissent : cris, agitation, violence, fuite, parfois coups portés vation induite par le cannabis peut en effet avoir très rapide-
sur les parents lorsque ces derniers insistent. Certains profèrent ment des effets délétères sur les capacités attentionnelles et
des menaces de suicide. Les rationalisations secondaires sont l’envie de travailler. La somnolence induite par l’alcool ou la
nombreuses pour justifier le refus d’aller à l’école (moqueries de consommation de cannabis, voire l’utilisation de psychotropes
camarades, difficultés relationnelles avec un enseignant, trop (parfois polyconsommation) génèrent elles aussi des troubles de
grand retard scolaire après une interruption pour maladie, etc.). l’éveil rendant difficile la scolarisation. L’absentéisme est alors
Parfois la phobie est accompagnée d’une symptomatologie un indice à prendre en compte et doit inciter à poser la
dépressive (crise de larmes, idées tristes persistantes, voire idées question de la consommation qui ne sera jamais avouée
de mort, dévalorisation de soi, repli sur soi, perte des centres spontanément.
d’intérêt, troubles du sommeil et de l’alimentation), mais parfois Violence à l’école
aussi, la phobie reste rigoureusement isolée, l’adolescent
n’éprouvant aucune difficulté pour sortir, se promener, aller voir Il paraît difficile de terminer ce panorama de l’environne-
des amis ou pratiquer des activités sportives ou culturelles. Il ment scolaire de l’enfant et du jeune adolescent sans aborder le
s’agit d’une pathologie en apparente augmentation en raison de problème de la violence à l’école, et tout particulièrement au
l’importance prise par la scolarité dans nos sociétés occidentales collège.
industrielles et des exigences que la scolarité impose à certains L’ensemble des pays européens est confronté au même
adolescents présentant des traits de caractères phobiques et/ou phénomène. Tous ont connu dès le milieu des années 1990 une
anxieux. En lien avec la fragilité de l’estime de soi, elle nécessite forte augmentation de la violence scolaire (+ 59 % en France).
d’être traitée rapidement en ce moment si vulnérable que Depuis la rentrée 2001, un observatoire de la violence a été mis
constitue l’adolescence dans la construction de la en place en France (logiciel Signa que renseignent désormais
personnalité. [37] 77 % des chefs d’établissements). Les comportements violents
atteignent sans doute leur maximum au collège en raison de la
Dépression rencontre entre deux problématiques, celle de l’adolescent aux
Dans sa forme caractéristique, elle est beaucoup plus fré- prises avec une pulsionnalité difficile à canaliser et celle du
système scolaire toujours susceptible de générer de la violence
quente à l’adolescence qu’il n’est habituel de le dire, pourtant,
comme le soulignent les sociologues. [40] Ceux-ci ont mis en
à cet âge c’est souvent en termes de dépression masquée ou
évidence le fait que les conditions dans lesquelles se déroule
d’équivalent dépressif que cette pathologie est abordée. Les
l’enseignement peuvent susciter de la violence qu’il s’agisse de
indéniables liens qu’entretient la dépression avec le suicide et
l’ennui, du niveau scolaire insuffisant de certains élèves, de
les tentatives de suicide font souvent confondre les deux
l’absence de surveillance de certains lieux (sur les 75,9 %
problématiques. De ce fait, la dépression est soit surévaluée au
d’incidents violents recensés à l’intérieur de l’établissement :
travers de certaines conduites qui peuvent en effet être associées
plus de 56 % surviennent dans la cour de récréation, dans les
à un syndrome dépressif (utilisations de produits pharmacodé-
espaces de circulation ou au self), ou de la démotivation de
pendants, conduites à risque par exemple), soit sous-évaluée certains enseignants (les enseignants doutent plus fortement de
avec une non-reconnaissance d’une authentique dépression. En l’école que les parents, 62 % des professeurs de collège remet-
effet, l’irritabilité vient souvent remplacer l’aboulie et la perte tent en question la croyance que l’école peut corriger les
d’élan vital, le ralentissement psychomoteur peut être remplacé inégalités sociales (enquête FSU-SOFRES). [41] Une fois la
au contraire par une agitation et par des conduites de provoca- violence installée dans un établissement, des études montrent
tion à l’adresse des règles édictées par les adultes, la colère peut que la violence engendre la violence [42, 43] : les actes de
aussi remplacer la tristesse et conduire à des comportements violence survenant dans un lieu déjà concerné par la violence
violents troublant encore un peu plus la reconnaissance du ont tendance à être dramatisés, ils sont jugés de manière plus
tableau clinique. objective lorsque le climat est plus serein.
La dépression a dans tous les cas des effets immédiats sur les Il existe en outre une spécificité de la violence scolaire :
capacités de concentration, ce qui génère très rapidement des « l’école est un univers fermé. En conséquence, une victime ne
difficultés pour suivre l’enseignement. Si l’adolescent est encore peut pas échapper à son agresseur sauf à pratiquer l’absen-
soumis à la scolarité obligatoire (cas le plus fréquent au collège), téisme ». [44] En effet, sans intervention de la part des adultes se
il risque alors de se voir proposer une sortie du système d’études crée une distribution des rôles : les agresseurs d’un côté, les
générales pour une orientation vers une voie professionnelle agressés de l’autre. Les agressés développent une psychologie de
courte. Certains acceptent d’ailleurs cet échec dans une dimen- victime, tandis que les agresseurs établissent des relations de
sion masochiste qui vient confirmer l’effondrement narcissique. domination à caractère souvent pervers.
Si, en revanche, il a atteint la limite d’âge de la scolarité Ce lien particulier d’avilissement et de victimisation est
obligatoire, l’adolescent risque dans la plus grande indifférence, dénommé dans la littérature anglo-saxonne « bullying », [45]
de décrocher définitivement de toute formation quelle qu’elle terme que l’on peut traduire en français par « harcèlement ».
soit. « Un élève est victime de bullying lorsqu’il est exposé de façon
Il est donc important de savoir reconnaître un tableau répétitive et constamment au cours de la journée scolaire à des
dépressif avant qu’il n’ait eu des effets délétères sur la scolarité. actions négatives et néfastes de la part d’un ou plusieurs autres
élèves. » [46] Le bullying peut être direct (insultes à caractère
Conduites antisociales raciste ou sexiste, coups ou menaces de représailles) ou indirect
Consommation de substances pharmacodépendantes (mise à l’écart systématique de toutes les relations sociales,
isolement de la victime pour en faire une proie désignée à
Leur impact sur la scolarité justifie leur abord dans cet article. l’ensemble du groupe, y compris pour les élèves au départ non
Les conduites de dépendances apparaissent avec prédilection à hostiles à la victime). La sidération générée par un tel compor-
l’adolescence. La consommation régulière d’alcool, de tabac, tement est à l’origine d’idées reçues : par exemple que les
cannabis et de médicaments psychotropes est plus souvent le agresseurs sont issus de milieux sociaux défavorisés et qu’ils
fait des lycéens que des collégiens (moyenne de consommation sont mauvais élèves. Or, la seule enquête actuellement disponi-
régulière autour de 15 ans), [38] toutefois on observe cependant ble [46] montre que les moyennes de performances scolaires des
un rajeunissement des premières expériences. Les jeunes agresseurs sont peu différentes de celles des autres élèves,
collégiens sont des consommateurs épisodiques mais excessifs certains sont même de très bons élèves et ils sont issus de tous
d’alcool, de drogue ou d’aliments sucrés ou excitants (caféine, les milieux sociaux ; en revanche, la variable la plus intéressante
Coca-Cola®, etc.). [39] Ces conduites n’excluent pas les adoles- est constituée par le style d’éducation reçue. Les contextes
cents du groupe de leurs pairs, au contraire ces consommations familiaux des agresseurs sont très souvent autoritaires ou au
se font en groupe. Pourtant, une dépendance peut déjà s’instal- contraire laxistes. Ceux des victimes sont très protecteurs : il
ler alors que seul le fléchissement scolaire est apparent. Parfois s’agit d’élèves timides, issus de familles bien structurées mais

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-200-E-40 ¶ Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent

n’apprenant pas les stratégies sociales de défense. Enfin, les L’entrée des familles à l’école est acceptée de façon ambiguë
victimes ne sont pas systématiquement de bons élèves, certains par les enseignants. À la fois ils voudraient garder leurs préro-
sont en grandes difficultés scolaires. gatives concernant la manière d’enseigner, mais en même
Deux conceptions s’affrontent dès lors : faut-il faire de l’école temps, ils voudraient que les parents fonctionnent sur le même
un sanctuaire ou au contraire inscrire encore plus l’école en modèle qu’eux à propos de l’éducation. Ainsi, les enseignants
général et le collège en particulier dans la vie de la cité (comme attendent en particulier des parents une préparation au code
tentent déjà de le faire les comités d’éducation à la santé et à la scolaire (savoir attendre pour prendre la parole, ne pas répondre
citoyenneté ou plus récemment les cellules de veille scolaire) à l’enseignant sur une réflexion, etc.), une aide pédagogi-
« puisque les écoles sont le reflet de ce qui se passe dans la ville et que (reprendre un raisonnement avec l’enfant, vérifier par des
que tout ce qui se passe à l’extérieur aura une influence sur applications qu’il a bien compris, reprendre les séquences
l’école » ? [47] Ce dernier choix a déjà été expérimenté avec pédagogiques que l’enseignant n’a pas eu le temps de faire en
succès en France dans les zones d’éducation prioritaires (ZEP) raison du trop grand nombre d’élèves ou d’un niveau de la
mais aussi dans d’autres pays européens (Pays-Bas). [48] En classe trop hétérogène). Mais trop compter sur la famille aggrave
France, ce dispositif « écoles ouvertes » fondé sur la base du les inégalités.
volontariat concerne tous les niveaux de la scolarité de l’école La formation des enseignants et la participation des parents
élémentaire au lycée. Il propose gratuitement aux élèves qui ne à l’éducation délivrée par l’école constituent à n’en point douter
partent pas en vacances des activités éducatives, scolaires ou les deux grands chantiers de ce début du XXIe siècle dans le
non dans l’école, le collège, le lycée qu’ils ont fréquenté – ou domaine de la scolarisation.
qu’ils fréquenteront à la rentrée suivante. En 2001 : 200 écoles
élémentaires, et plus de 450 lycées et collèges ont laissé leurs
portes ouvertes. Des effets positifs ont été constatés sur les .

violences verbales à l’encontre des adultes et des pairs.


L’expérience des classes-relais donne également des pistes
intéressantes pour tenter d’enrayer ce phénomène de violence
“ Points essentiels
au sein des établissements scolaires : classe à très petit effectif
(10 élèves maximum) encadrée par des adultes peu nombreux
• Le caractère multifactoriel des difficultés : elles sont
et en constant contact (réunions fréquentes) avec un projet à presque toujours la résultante de causes inhérentes à
court terme et des objectifs ancrés dans la réalité (mise en l’enfant ou l’adolescent et d’autres inhérentes à son
situation professionnelle par le biais de stages). environnement.
• Le traitement doit tenir compte des différents facteurs
■ Conclusion en jeu : rééducation et approche psychologique peuvent
cohabiter. Un dialogue avec les enseignants est toujours
L’école, de par son organisation et sa finalité peut soit révéler souhaitable.
des vulnérabilités affectives, relationnelles et cognitives et être • La nécessité de repérer et de traiter précocement les
à ce titre le lieu de potentiels conflits entre les attentes de difficultés : un échec provoque un rapide
l’école, des parents et les capacités de l’enfant, soit être l’objet désinvestissement de l’apprentissage.
du conflit en obligeant tous les enfants et adolescents à suivre • Les manifestations anxieuses (anxiété de séparation,
la même progression, à s’adapter aux mêmes exigences et au
phobie scolaire, somatisations dont la fréquence peut
même mode d’enseignement. Elle peut à ce titre créer une
véritable pathologie. [49]
conduire à l’absentéisme scolaire) doivent être traitées
La démocratisation de l’école depuis les lois Jules Ferry a rapidement sans espérer une amélioration avec le temps.
définitivement lié sa finalité avec l’évolution sociale. Nul ne Non prises en compte elles empêchent l’investissement
peut remettre en cause l’intérêt de l’accès du plus grand nombre d’un espace de pensée propre, ce qui limite les possibilités
au savoir même s’il y a encore beaucoup à faire pour l’accueil d’accès à l’abstraction et la poursuite d’études longues.
des handicapés à l’école. Ce sont plutôt les modalités de
l’enseignement et de l’encadrement qui doivent être réévaluées
et réajustées pour répondre aux besoins des élèves, des parents
et des enseignants.
Cherchant l’universalité, la formation des enseignants a ■ Références
quitté le champ de la transmission directe telle qu’elle se [1] Chiland C. La problématique de l’échec scolaire. Confront Psychiatry
pratiquait dans les écoles normales pour devenir universitaire. 1983;23:9-26.
De nombreuses critiques s’élèvent régulièrement contre les [2] Orientations pour l’école maternelle (1986). In: Les cycles à l’école
IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) [50] primaire. Centre National de Documentation Pédagogique. Paris:
dont l’enseignement par trop académique ne peut réellement Hachette; 1990. p. 79-94.
répondre aux besoins des jeunes enseignants. Trop peu d’heures [3] Lebovici S, Soule M. La connaissance de l’enfant par la psychanalyse.
sont consacrées à la psychologie du développement et aucune Paris: PUF; 1972.
à la dynamique de groupe alors que les enseignants s’expriment [4] Stern DN. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris: PUF; 1989.
toujours en termes de classe (bonne classe ou classe difficile). [5] Debray R. Environnement scolaire de l’enfant. Encycl Méd Chir
Du côté des parents, leur entrée à l’école, officiellement (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-216-C-10, 1997 : 6p.
consacrée en novembre 1968, est encore loin d’être réelle. [6] CIM-10 (classification internationale des maladies mentales) : des-
Toutes catégories sociales confondues, ils ont encore trop criptions cliniques et directives pour le diagnostic. Paris: Masson;
fréquemment l’impression que les enseignants refusent de leur 2000.
accorder la place que leur reconnaissent les textes de lois et les [7] DSM IV. (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux).
Paris: Masson; 1996.
circulaires rappelant l’importance de leur participation à la vie
[8] Ainsworth MD, Blehar MC, Waters E, Wall S. Patterns of attachment.
des établissements.
In: A psychological study of the strange situation. Hillsdale: Lawrence
Si les parents rêvent d’une école qui se comporterait comme Erlbaum; 1978.
une famille permettant aux enfants de s’y épanouir, l’école de [9] Guedney A, Guedney N. L’attachement. Paris: Masson; 2002.
son côté idéalise une organisation familiale qui n’existe plus. [10] Bowlby J. L’attachement. Paris: PUF; 1978.
Après avoir considéré que la réussite tenait à des dispositions [11] Pierrehumbert B, Karmaniola A, Sieye A, Meister C, Miljkovitch R,
personnelles (idéologie du don), puis à l’idéologie méritocrati- Halfon O. Les modèles de relations : développement d’un
que (le mérite prenant le pas sur la naissance), [51] ensuite à autoquestionnaire d’attachement pour adultes. Psychiatry Enf 1996;39:
l’idéologie des inégalités du capital culturel, [52] actuellement 161-206.
l’idéologie de la mobilisation parentale est censée expliquer [12] Blanchet A. Recherches sur le langage en psychologie clinique. Paris:
l’échec ou la réussite scolaire des enfants. Dunod; 1997.

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent ¶ 37-200-E-40

[13] Vygotski LS. Thought and language. Cambridge: MIT Press; 1962. [32] George G, Bouvard MP, Dugas M. Trouble déficitaire de l’attention et
[14] Habib M. Dyslexie : le cerveau singulier (1 vol). Marseille: Solal; 1997. troubles anxieux : étude de co-occurrence. Ann Pediatr (Paris) 1993;
[15] Bentolila A. L’école à deux ans est-ce bien raisonnable? J « Le Monde » 40:541-8.
3 Mai 2001. [33] Barkley RA. Attention deficit hyperactivity disorder: a handbook for
[16] Marcelli D. L’enfant chef de la famille, l’autorité de l’infantile. Paris: diagnosis and treatment. New York: Guilford Press; 2000.
Albin Michel; 2003. [34] Inhelder B, Piaget J. De la logique de l’enfant à la logique de l’adoles-
[17] Mijolla (de)-Mellor S. Le plaisir de pensée. Paris: PUF; 1992. cent. Paris: PUF; 1955.
[18] Catheline N. Quand penser devient douloureux. Intérêt du travail thé- [35] Marcelli D. L’adolescence : une épreuve psychique particulière. In: La
rapeutique de groupe en institution et avec médiateur dans la pathologie santé des adolescents: approche, soins. Lausanne-Paris-Montréal:
du jeune adolescent. Psychiatry Enf 2001;44:169-210. Payot-Doin-Presses Universitaires de Montréal; 1997. p. 44-54.
[19] Uribari R. Rapports entre les processus de la période de latence et la [36] Catheline N. In: La demande des parents autour de la scolarité. Les
psychopathologie dans l’adolescence, communication au 5e congrès parents aujourd’hui, Ouvertures Psy. Paris: Masson; 2003. p. 21-34.
international de l’ISAP (société internationale de psychiatrie), Aix-en [37] Revol L. La phobie scolaire chez le pré-adolescent et l’adolescent.
Provence, 4-7 Juillet 1999. Réflexions sur de nouvelles stratégies de prise en charge. [thèse de
[20] Donfrancesco R, Mugnaini D, Dell’uomo A. Cognitive impulsivity in doctorat en médecine], Poitiers, 2000.
specific learning disabilities. Eur Child Adolesc Psychiatry 2005;14: [38] Alvin P, Marcelli D. Médecine et santé des adolescents. Paris: Masson;
270-5. 2005.
[21] Brazelton TB. Comportement et compétences du nouveau-né. [39] Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris:
Psychiatry Enf 1981;24:375-96. Masson; 2004.
[22] Marcelli D. La performance à l’épreuve de la surprise et de l’autorité. [40] Debarbieux E. La violence en milieu scolaire. Paris: ESF; 2001.
In: La performance une nouvelle idéologie, critique et enjeux. Paris: La [41] FSU-SOFRES : enquête novembre 2002.
Découverte; 2004. p. 28-42.
[42] Tremblay RE, Vitato F, Bertrand L. Parent and child training to prevent
[23] Berges J. Troubles psychomoteurs chez l’enfant. Nouveau traité de psy-
early onset of delinquency: the Montreal longitudinal-experimental
chiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: PUF; 1995.
study. In: McCord J, Tremblay RE, editors. Preventing antisocial
[24] Chapelier JB, Privat P. De la constitution d’un espace thérapeutique
behaviors: intervention from birth through adolescence. New York:
groupal. Rev Psychothér Psychanal Groupe 1987(n°7-8):7-28.
Guilford; 1992. p. 117-38.
[25] White JL, Mofitt TE, Earls F, Robins L, Silva PA. How early can we
cell? Predictors of childhood conduct disorder and adolescent [43] Crick N, Dodge K. A review and reformulation of social information
delinquency. Criminology 1990;28:507-33. processing mechanisms in children’s social adjustment. Psychol Bull
[26] Farrington DP. Childhood, adolescent and adult features of violence 1994;115:74-101.
males. In: Huesmann LR, editor. Aggressive behaviour: current per- [44] Fontaine R. La violence scolaire : les faits, leurs causes, les solutions.
spectives. New York: Plenum Press; 1994. p. 215-40. In: Montagner H, editor. L’enfant la vraie question de l’école. Paris:
[27] Schweinhart LL, Barnes HV, Weikart DP. Significant benefits. The Odile Jacob; 2002.
High/scope Perry school study trough age 27. Ypsilanti MI: [45] Tattum D. Understanding and managing bullying. Oxford: Heinemann
High/scope; 1993. Educational; 1993.
[28] Hawkins JD, Catalano RF, Morrison DM, O’Donnell J, Abott RD, [46] Olweus D. Harcèlement et brutalités entre élèves. Paris: ESF; 1999.
Day LE. The Seattle social development project: effects of the first four [47] Hayden C, Blaya C. Violence et comportements agressifs dans les
years on protective factors and problem behaviors. In: McCord J, écoles anglaises. In: La violence en milieu scolaire. Dix approches en
Tremblay RE, editors. Preventing antisocial behaviors: intervention Europe. Paris: ESF; 2001. p. 43-70.
from birth through adolescence. New York: Guilford; 1992. p. 162-95. [48] Van Veen AF, Day CW, Walraven G. Multi-service schools; integrated
[29] Bouvard M, Le Heuzey MF, Mouren-Simeoni MC. L’hyperactivité, de services for children and youth at risk. Leuven/Apeldoorn: Garant
l’enfance à l’âge adulte. Paris: Doin; 2002. Publishers; 1998.
[30] Pliszka SR. Attention-deficit/hyperactivity disorder with psychiatric [49] Catheline N. Psychopathologie de la scolarité. Paris: Masson; 2003.
disorder: an overview. J Clin Psychiatry 1998;59:50-8. [50] Barthelemy F, CalagueA. Tribune du journal Le Monde, le 3 Septembre
[31] Quilan DM. Assessment of attention-deficit/hyperactivity disorder and 2002.
comorbidities. In: Brown T, editor. Attention-deficit disorders and [51] Londeix H. Structure factorielle de l’opinion des professeurs sur leurs
comorbidities in children adolescents and adults. Washington DC: élèves. Orient Scol Prof 1982(n°11).
American Psychiatric Press; 1999. p. 455-507. [52] Bourdieu P, Passeron JC. Les héritiers. Paris: édition de Minuit; 1964.

N. Catheline (ncatheline@wanadoo.fr).
Centre hospitalier Henri Laborit, 29, rue du Clos-de-l’Oie, BP 587, 86021 Poitiers cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Catheline N. Environnement scolaire de l’enfant et de l’adolescent. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-200-E-40, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-201-C-10 (2004)
37-201-C-10

Instabilité psychomotrice chez l’enfant.


Histoire des idées et réflexions actuelles
P. Delion
B. Golse

Résumé. – L’instabilité psychomotrice chez l’enfant est décrite aujourd’hui de deux manières différentes, non
pas tant sur le plan des signes cliniques qui, dans les deux types d’approches, présentent de nombreux points
communs, que sur le plan des perspectives nosographique et étiopathogénique qui les sous-tendent. Pour
mieux rendre compte de ces deux mouvements de pensée différents, une perspective classique historique de
l’instabilité psychomotrice est proposée, suivie d’une présentation de ce qu’il est convenu d’appeler
aujourd’hui l’hyperactivité avec déficit de l’attention. Les descriptions cliniques correspondant aux deux
perspectives sont rappelées, situant ainsi l’importance de la consultation du pédopsychiatre dans l’accueil et
dans l’élaboration de ces symptômes, ainsi que dans les indications de soins qui en résulteront
éventuellement. Enfin, quelques réflexions sur la problématique de l’instabilité psychomotrice et ses
référentiels actuels sont proposées pour permettre une meilleure représentation de la complexité de la
question et améliorer la qualité de la prise en charge des enfants présentant un telle psychopathologie.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Instabilité psychomotrice ; Hyperactivité avec troubles de l’attention ; Historicisation de


l’enfant ; Psychopathologie ; Symptôme psychomoteur

Introduction En 1898, Kraepelin décrit les psychopathes instables chez les adultes.
Cependant, 5 % d’entre eux sont âgés de 10 à 15 ans.
L’instabilité psychomotrice de l’enfant est décrite aujourd’hui de En 1901, Demoor décrit l’instabilité mentale infantile sous forme de
deux manières différentes, non pas tant sur le plan des signes « chorée mentale ». Elle peut exister avec ou sans arriération mentale
cliniques qui se retrouvent dans les deux types d’approche, que sur et elle « associe de façon variable un déséquilibre affectif, un excès
le plan de la perspective nosographique qui la sous-tend. Nous d’expression des émotions, une ambivalence des réactions, un
procéderons, afin de rendre compte de ces deux mouvements de manque d’inhibition et d’attention, un besoin incessant de
pensée différents, en commençant par la perspective classique mouvement et de changement, si bien que les paroles et les gestes
historique de l’instabilité psychomotrice, puis nous poursuivrons par sont saccadés »15.
l’abord de ce qu’il est convenu d’appeler l’hyperkinésie et les Dans leur livre paru en 1905, Les Anomalies mentales des écoliers,
troubles déficitaires de l’attention. J. Philippe et G. Paul-Boncour traitent un chapitre sur « les écoliers
instables ». Les « difficultés d’apprentissage de ces écoliers viennent
de leur incapacité à fixer leur attention. Brillants en certaines
Instabilité psychomotrice branches de l’enseignement, ils sont nuls dans certaines autres. Ils
montrent dans leurs aptitudes une déconcertante dysharmonie » [15].
Le syndrome d’hyperactivité de l’enfant est décrit pour la première Pour Dupré, l’instabilité est l’une des manifestations dues au
fois en 1854 par Hoffmann [20]. « déséquilibre moteur congénital » avec la débilité motrice qu’il
définit ainsi : « état pathologique congénital de la motilité, souvent
Bourneville décrit en 1897 les enfants débiles légers instables : « leur héréditaire et familial, caractérisé par l’exagération des réflexes
mobilité est exubérante, ils ne restent en place nulle part, se lèvent tendineux, la perturbation des réflexes plantaires, les syncinésies, la
de table à chaque instant sans motif. S’ils jouent, ils passent maladresse des mouvements volontaires et enfin par une variété
rapidement d’un jeu à l’autre. Dans le service, ils se font remarquer d’hypertonie musculaire diffuse, en rapport avec les mouvements
par l’indifférence aux observations, la désobéissance et l’indiscipline, intentionnels et aboutissant à l’impossibilité de réaliser
mais ils sont suggestibles et peuvent se soumettre aux personnes volontairement la résolution musculaire (paratonie) [16] », et cela, à
qu’ils aiment » [7]. C’est en s’intéressant particulièrement à une côté du tremblement essentiel, de la chorée, de l’épilepsie, du
pédagogie de l’enfant instable qu’il note les traits sémiologiques qui bégaiement, des tics et des stéréotypies. L’instabilité associe une
lui sont propres : « mobilité intellectuelle et physique extrême, « agitation motrice continue » et une « incapacité d’attention ». Pour
susceptibilité et irritabilité, penchant à la destructivité, besoin d’une lui, l’instabilité est constitutionnelle et « révèle l’étroite association
surveillance continuelle, insouciance et négligence, suggestibilité et étiologique et clinique des deux déséquilibres mentaux et
soumission aux personnes aimées » [7]. moteurs » [4].
Heuyer, dans sa thèse de 1914 sur « Les enfants anormaux et les
délinquants juvéniles », reprend les idées développées par Kraepelin
en insistant sur la fréquence des « troubles du caractère et des
P. Delion (Pédopsychiatre, chef de service)
CHRU, 2, avenue Oscar-Lambret 59307 Lille cedex, France. instincts moraux chez les enfants instables alors que la débilité
B. Golse (Pédopsychiatre, chef de service, professeur de pédopsychiatrie) mentale est, contrairement au point de vue de Bourneville, loin
Adresse e-mail: b.golse@svp.ap-hop-paris.fr
Unité de psychiatrie de l’enfant, hôpital Necker-Enfants malades, 149–161, rue de Sèvres, 75015 Paris,
d’être une constante chez ces enfants ». Heuyer est le premier auteur
France. français à parler de l’instabilité de l’enfant comme d’un syndrome
Instabilité psychomotrice chez l’enfant.
37-201-C-10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Histoire des idées et réflexions actuelles
en raison de l’association d’un certain nombre de symptômes : existe une instabilité normale et propre au jeune enfant (troisième
défaut d’attention ou instabilité mentale, hyperactivité, année), ainsi que des périodes d’instabilité normale au début de la
comportement pervers avec incorrigibilité [15]. scolarité et à la puberté.
En 1923, Vermeylen divise l’étude des débiles en deux catégories, En 1942, Chorus décrit l’instabilité chez l’enfant, cet « être
celle des harmoniques et des dysharmoniques. Dans cette seconde instantané », comme survenant sur une personnalité particulière
population, il distingue les instables, les émotifs et les sots. Il dont l’agitation motrice et l’attention labile sont, en réalité, deux
considère alors l’instabilité comme « une fixation à un stade expressions cliniques du même trouble basal.
archaïque du développement, conservant comme lui la mobilité des Puis, quelques années plus tard, Beley (1951), Bourrat, et Kiener
impressions et des désirs, la dispersion de l’attention, la (1954) vont proposer leurs contributions à ces recherches, en
discontinuité dans les pensées et dans l’action, la versatilité des insistant sur les oppositions acquises et constitutionnelles qu’ils
sentiments » [15]. retrouvent dans les histoires des enfants étudiés, et particulièrement
On peut dire avec Flavigny que Boncour, Heuyer et Vermeylen sur l’importance des conditions affectives et éducatives. Kiener
(1905, 1914 et 1923) amènent à formuler l’hypothèse d’une décrira quatre types de comportements : opposition, démission,
dysharmonie dans l’évolution des fonctions de l’enfant instable [19]. autoaccusation et autopunition, et tente de les différencier des autres
H. Wallo [29] fait paraître en 1925 son fameux ouvrage sur l’enfant formes de turbulence que l’on retrouve chez l’enfant épileptique,
turbulent. Il propose une différenciation sémiologique précise, hypomane ou pervers.
souligne le problème de la maturité et aborde l’instabilité en termes Toutes ces études ont ouvert la problématique du repérage
non pas statiques mais dynamiques, sur le plan de la personnalité nosographique et vont ainsi rendre possible l’approche
de l’enfant, suivi par Mâle et Abramson. Dans la reprise qu’il fait du psychodynamique.
problème de l’instabilité, Wallon, à partir de 214 histoires cliniques, C’est à partir de 1950 environ, que Lebovici aborde ces questions
va présenter une thèse principale portant sur les « stades et troubles avec une visée psychopathologique freudienne et l’instabilité devient
du développement psychomoteur et mental chez l’enfant », et une dès lors l’expression symptomatique d’un mode de fonctionnement
thèse complémentaire sur « L’enfant turbulent, recueil du psychisme de l’enfant en interaction avec son environnement
d’observations ». C’est dans cette seconde partie qu’il va se consacrer notamment familial, ou, à défaut justement, des carences
à l’étude des syndromes psychomoteurs, voie déjà ouverte par quantitatives ou qualitatives de cet environnement.
Dupré, Homburger, Gourevitch, etc.
Ajuriaguerra, dans son Manuel de psychiatrie de l’enfant [2], distingue
Son principe va consister à regrouper les divers troubles moteurs en deux formes : l’instabilité subchoréïque ou instabilité psychomotrice,
fonction des différents centres nerveux qui les produisent et à et l’instabilité affectivocaractérielle. La première se présente comme
chercher des corrélations entre ces différents groupes et les « un mode d’être moteur, consécutif à une incapacité de frein des
perturbations psychiques. Il retiendra quatre syndromes en référence mouvements avec tout ce que cela représente comme complaisance
à ces critères. Le premier, le syndrome d’asynergie motrice et mentale et comme contrainte. Ce mode d’être moteur, normal à une certaine
est en rapport avec des signes d’insuffisance cérébelleuse, et donne période de la vie, devient pathologique lorsqu’il persiste. On peut le
la motilité et la mentalité asynergiques. Le deuxième, ou syndrome considérer jusqu’à un certain point comme constitutionnel, soit qu’il
psychomoteur d’hypertonie, est en lien avec les pathologies sous- s’agisse d’un excès de besoin de mouvements, soit d’une incapacité
corticale et mésencéphalique, et produit la motilité et la mentalité à les inhiber ». La seconde concerne les enfants hyperactifs dont les
hypertonie-chorée. Le troisième, ou syndrome d’automatisme émotivo- attitudes sont plus structurées et organisées, car « elles sont
moteur, découle de la pathologie optostriée, et Wallon la met en davantage en relation avec les situations du milieu dans lequel ils
rapport avec la perversité, décrite pour une part comme vivent et le développement de leur personnalité. Ils feraient, plus
« conséquence psychique de la simple incontinence optostriée ». que les précédents, preuve d’intentionnalité et de direction dans leur
Enfin, le quatrième, soit le syndrome d’insuffisance frontale, souligne agressivité et leur impulsivité. Ce type d’instabilité doit être mis en
les liens cliniques entre « l’insuffisance frontale et le psychisme de rapport avec des désordres de l’organisation de la personnalité
l’enfant ». Ces quatre syndromes ont en commun de comporter une survenus à un âge précoce ». Dans les deux cas, il y a pour
instabilité importante. Puis quelques années plus tard, Wallon Ajuriaguerra un désordre de la capacité d’identification : désordre
retiendra trois classes d’enfants instables : les enfants instables secondaire chez les premiers, primitif chez les seconds mais, chez
asynergiques, épileptoïdes et subchoréïques. Pour cet auteur, l’enfant tous deux, la manifestation psychomotrice de l’instabilité empêche
instable se caractérise par un arrêt du développement psychomoteur ou perturbe les identifications ultérieures.
à un niveau variable suivant les cas. Le trouble psychomoteur
Pour Bergès, les instabilités sont sans doute « les manifestations de
n’épuise pas la psychopathologie infantile, mais dans la mesure où
troubles psychomoteurs les plus rencontrés en clinique, et leur
le développement psychomoteur est l’unique et le premier
description n’aurait guère d’intérêt si la sémiologie psychomotrice
instrument de l’enfant, sa signification en est d’autant plus
ne permettait d’apporter un éclairage sur leur sens, et donc le
importante. Tout en reconnaissant une grande importance aux
chemin à prendre pour aborder leur thérapeutique [5]. Pour lui, cette
facteurs de milieu dans ces différents syndromes, Wallon fonde
symptomatologie semble très liée à une quête identificatoire à la
toutefois sa classification sur un substratum neuroanatomique.
puissance de l’adulte, sous la présence permanente du regard
Au contraire, Mâle, en 1932, pense que « l’instabilité n’est pas le fait maternel.
d’un processus psychomoteur particulier. Selon lui, l’affectivité
Duga [17] étudie les différences entre l’hypomanie et l’hyperactivité
pathologique évoluerait à partir d’un état indifférencié fait chez l’enfant. Il s’agit pour lui de « deux entités différentes dans
d’instabilité et d’hyperémotivité vers des troubles de plus en plus lesquelles l’hyperactivité est présente dans les deux cas, tandis que
différenciés et fixés, comme dans les caractères paranoïaques ou les troubles de l’humeur (exaltation, euphorie, jovialité…) et les
pervers » [21]. troubles intellectuels (logorrhée, fuite des idées…) caractéristiques
En 1933, Sancte de Sanctis restreint le champ de l’instabilité à l’âge des états hypomaniaques, sont absents chez les enfants
infantile et la considère comme l’expression de conflits de la hyperactifs » [18].
personnalité en formation. Cependant, Diatkin [12] et Denis, dans leur contribution au Traité de
En 1940, Abramso [1] considère dans son ouvrage L’Enfant et psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, insistent sur les aspects
l’Adolescent instables, que l’instabilité est l’expression d’un déficit ou cliniques fréquents des instabilités psychomotrices dans l’étude des
d’un déséquilibre concernant les trois domaines des aptitudes psychoses infantiles. En rappelant les études de M. Klein, ils
intellectuelles, motrices et affectives. L’instabilité résulte de la reprennent les mécanismes de l’identification projective et des
dysharmonie entre ces trois registres. Elle décrit également qu’il défenses maniaques, et concluent que l’instabilité majeure ne peut

2
Instabilité psychomotrice chez l’enfant.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-201-C-10
Histoire des idées et réflexions actuelles
se distinguer de l’hypomanie facilement, sauf à perdre de vue comportement hyperactif ; 1960-1969 : le déclin du dysfonc-
l’importance des difficultés, voire des impossibilités à élaborer la tionnement cérébral mineur et l’âge d’or du syndrome de l’enfant
position dépressive de tels enfants. hyperactif ; 1970-1979 : l’émergence des déficits de l’attention
Il est à noter les résultats des études [24] sur les familles de l’enfant (Douglas, 1972) ; 1980-1989 : la création du syndrome « Trouble
instable avec « du côté maternel, une proximité des fantasmes de déficitaire de l’attention » (attention deficit disorder), puis du trouble
mort à l’égard du garçon, volontiers masqués derrière une attitude déficitaire de l’attention/hyperactivité (attention deficit hyperactivity
protectrice jouant alors comme une sollicitation incestueuse, et du disorder) » [19].
côté paternel, un évitement de la relation entre père et fils, favorisé Comme le constate Dopchie, « la genèse du concept de syndrome
par l’attitude de la mère ayant tendance à ne pas supporter hyperkinétique est donc indissolublement liée aux travaux sur les
l’interférence du père dans la relation entre elle et l’enfant » [19]. conséquences des lésions cérébrales chez l’enfant » [13].
Enfin, il est intéressant de se souvenir des recherches de Balin [3]
s’efforçant de formaliser le champ de cette relation duelle pré- ou Clinique
anobjectale qu’il appelle la « zone du défaut fondamental ». Se
fondant sur le couple d’opposés dégagé par Imre Hermann à partir
des observations des primates : « s’accrocher/partir à la recherche », CLASSIFICATIONS ACTUELLES
il crée deux néologismes pour désigner deux attitudes Nous disposons actuellement de trois grands systèmes de
fondamentales antinomiques : « le philobatisme et l’ocnophilie ». classifications : la Classification française des troubles mentaux de
L’investissement porte sur des modes de sentir et de se mouvoir. Si l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA), la Classification internationale
l’ocnophile aime s’accrocher, s’agripper, le philobate aime bouger, des maladies (CIM-10) et le diagnostic and statistical manual of mental
marcher à l’infini, il investit le mouvement. Un autre membre de disorders (DSM-IV).
l’école de Budapest, Leopold Szondi [27] dialectise ce « partir à la
recherche » avec les formes élémentaires du vecteur « contact » dans ¶ Classification française des troubles mentaux
le cadre plus général de ses recherches sur le « Destin des pulsions », de l’enfant et de l’adolescent [22]
pour en faire une variation de la structure dépressive.
Hyperkinésie, instabilités psychomotrices (6.08)
Cet ensemble est caractérisé par :
Hyperkinésie et troubles déficitaires – sur le versant psychique : des difficultés à fixer l’attention, un
de l’attention manque de constance dans les activités, et un certain degré
d’impulsivité ;
C’est en 1902 que Still propose d’expliquer les comportements – sur le plan moteur : une hyperactivité ou une agitation motrice
excessifs et socialement inappropriés comme résultant de incessante.
l’intervention d’un dysfonctionnement cérébral entraînant une perte Ces troubles, en décalage net par rapport à l’âge et au niveau de
de contrôle moral : le « Brain damage syndrom ». développement mental de l’enfant, sont plus importants dans les
« Hohmann-Kennedy emprunte le terme à la sémiologie situations nécessitant de l’application, en classe par exemple. Ils
neurologique de l’adulte en 1921 dans une étude sur les séquelles peuvent disparaître transitoirement dans certaines situations, par
des traumatismes crâniens et des encéphalites de l’épidémie de von exemple en relation duelle ou dans une situation nouvelle. Inclure :
Economo chez l’enfant. Mais c’est surtout dans les années 1930 que les troubles de l’attention sans hyperactivité motrice proprement
le terme apparaît appliqué spécifiquement à l’enfant : d’abord dite. Exclure : l’activité excessive adaptée à l’âge (chez les petits
Lereder et Ederer qui décrivent un syndrome d’hypermobility neurosis enfants notamment) ; l’instabilité psychomotrice liée à un déficit
of chilhood. Ils mettent l’accent sur l’examen neurologique qui met mental ou à des troubles de la personnalité ; les manifestations à
en évidence des signes extrapyramidaux » [25]. type d’excitation maniaque.
En 1937, « Bradley décrit un syndrome fait de troubles de l’attention,
d’hyperactivité et de labilité émotionnelle sans déficit de
¶ CIM-10 [10]

l’intelligence, qu’il met sur le compte d’une lésion cérébrale Troubles hyperkinétiques
probable. Il repère en outre un effet paradoxal de deux types de
drogues : le trouble est aggravé par les barbituriques qui sont C’est un ensemble de troubles caractérisés par :
habituellement sédatifs, alors qu’il est amélioré par les – un début précoce ;
amphétamines dont on aurait pu craindre qu’elles n’aggravent
– l’association d’une activité excessive et désorganisée, d’une
l’hyperactivité motrice [23] ».
inattention marquée et d’un manque de persévérance dans les
En 1947, Strauss et Lehtinen ajoutent aux troubles décrits par tâches ;
Bradley des désordres cognitifs et perceptivomoteurs, objectivés par
– la présence de ces caractéristiques comportementales dans de
des tests ainsi qu’une inadaptation scolaire et familiale, pour définir
nombreuses situations et leur caractère persistant (F. 90).
le syndrome de « minimal brain injury » ou « lésion cérébrale a
minima » [24]. Il existe quatre sous-groupes :
Eisenberg, en 1957, décrit l’hyperkinésie comme un symptôme, un – F.90.0 : perturbation de l’activité et de l’attention « quand
trouble du comportement qui se caractérise par une activité motrice l’ensemble des critères du trouble hyperkinétique (F. 90) sont réunis
exagérée et une dispersion de l’attention. alors que ceux de F. 91 (troubles des conduites) ne le sont pas » ;
En 1962, Prechtl cherche à isoler un syndrome neurologique – F. 90.1 : troubles hyperkinétiques et troubles des conduites
spécifique dans le groupe des enfants hyperkinétiques, le « quand l’ensemble des critères du trouble hyperkinétique (F. 90) et
« syndrome choréiforme », défini par des mouvements anormaux l’ensemble des critères d’un trouble des conduites (F. 91) sont
associés à des signes neurologiques à l’examen. C’est à cette époque simultanément présents » ;
que le Groupe d’études internationales d’Oxford propose de – F. 90.8 : autres troubles hyperkinétiques ;
substituer au terme de « lésion cérébrale a minima » celui de
« dysfonctionnement cérébral minime », ce qui permet de ne pas – F. 90.9 : troubles hyperkinétiques sans précisions.
disposer de preuves de lésions anatomiques. ¶ DSM-IV [14]

Avec Barkley, on peut résumer l’évolution des idées dominantes en


quatre périodes : « 1900-1960 : une lésion cérébrale (Brain damage) Troubles hyperactivité avec déficit de l’attention (THADA)
est responsable de troubles du comportement, et notamment du A. Présence soit de (1), soit de (2)

3
Instabilité psychomotrice chez l’enfant.
37-201-C-10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Histoire des idées et réflexions actuelles
– (1) Six des symptômes suivants d’inattention (ou plus) ont persisté ¶ Instabilité motrice
pendant au moins 6 mois, à un degré qui est inadapté et ne
correspond pas au niveau de développement de l’enfant : C’est un enfant qui a la bougeotte et dont le comportement moteur
est l’élément prévalent de la description qu’en font les parents et
– Inattention que constate le clinicien qui le reçoit dans son bureau de
(a) Souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou consultation. Il est très rapidement « en mouvement », conduit par
fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le une logique qu’il n’exprime pas habituellement avec le langage, et
travail ou d’autres activités. qui l’amène très vite à être non pas le sujet, mais l’objet de
(b) A souvent du mal à soutenir son attention au travail ou réprimandes de ses parents pendant la consultation. Son
dans les jeux. comportement est rapidement commenté comme celui qu’« il a tous
(c) Semble souvent ne pas écouter quand on lui parle les jours à la maison et à l’école » et pour lequel « il faut absolument
personnellement. faire quelque chose ». Sa fébrilité apparaît davantage lorsqu’on lui
(d) Souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient demande d’éxécuter quelques tâches pour entrer en contact avec lui
pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches ou mieux connaître son niveau. Le dessin est bâclé, les crayons sont
domestiques ou ses obligations professionnelles. abîmés, le papier froissé, les réponses inappropriées à ce qui est
(e) A souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités. demandé. Tout se passe comme si l’enfant avait continué à utiliser
(f) Souvent évite, a en aversion, ou fait à contre-cœur les tâches sa motricité comme un enfant qui vient d’acquérir la marche, avec
qui nécessitent un effort mental soutenu (comme le travail un plaisir évident à la découverte du monde. L’immobilité n’est pas
scolaire ou les devoirs à la maison). possible pour lui, et quand, à force de réprimandes et de discours
(g) Perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses moraux, les parents obtiennent un moment de répit, celui-ci ne dure
activités (jouets, cahiers de devoirs, crayons, livres ou que quelques instants, et le rythme effréné reprend ses droits ;
outils). l’enfant grimpe, saute sur les chaises, ouvre les tiroirs, claque les
(h) Souvent, se laisse facilement distraire par des stimuli portes, s’enfuit dans le couloir ou la salle d’attente, transformant
externes. dans certains cas la consultation en une séance de psychomotricité
(i) A des oublis fréquents dans la vie quotidienne. avant l’heure. Cet enfant envahit l’endroit où il est reçu par son
comportement moteur et sonore, et amène assez rapidement les
– (2) Six des symptômes suivants d’hyperactivité-impulsivité (ou plus) interlocuteurs directs et indirects à intervenir par des mesures agies
ont persisté pendant au moins 6 mois, à un degré qui est inadapté pour limiter ses débordements. Très souvent, cet enfant donne
et ne correspond pas au niveau de développement de l’enfant : l’impression, pour peu qu’on veuille bien observer avec attention
– Hyperactivité son comportement, d’être l’objet de deux tendances contradictoires,
(a) Remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille sur son dont l’une est nettement prédominante sur l’autre, l’emportant dans
siège. ses tourbillons incessants ; toutefois, lorsqu’il est possible d’obtenir
(b) Se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il un répit, et d’habiter quelque peu ce moment d’accalmie en relation
est supposé rester assis. avec lui, il n’est pas rare de constater qu’il peut montrer une autre
(c) Souvent, court ou grimpe partout, dans des situations où facette en lui que celle du personnage de l’instable psychomoteur,
cela est inapproprié. manifestant alors ainsi une demande d’aide pour obtenir un
(d) A souvent du mal à se tenir tranquille dans les jeux ou les apaisement, et nous montrant combien il souffre de cette instabilité.
activités de loisir. La consultation se termine fréquemment avec un sentiment
d’épuisement de la part des parents qui se demandent s’ils vont être
(e) Est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il
aidés pour leur enfant, et également de la part du clinicien qui a
était « monté sur ressorts ».
ainsi eu le sentiment de partager avec cet enfant et ses parents une
(f) Parle souvent trop.
expérience pénible, difficilement échangeable et pour laquelle toute
– Impulsivité son expérience est nécessaire pour savoir qu’une solution est
(g) Laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est envisageable, possible et à mettre en œuvre au plus tôt.
pas encore entièrement posée.
(h) A souvent du mal à attendre son tour. ¶ Instabilité psychique
(i) Interrompt souvent les autres ou impose sa présence.
L’enfant est en permanence sollicité par les stimuli qui lui
B. Certains des symptômes d’hyperactivité-impulsivité ou parviennent de l’extérieur ; tout est prétexte à découverte, mais dans
d’inattention ayant provoqué une gêne fonctionnelle étaient présents le même temps, tout est ainsi prétexte à changer en permanence
avant l’âge de 7 ans. d’investissement, dans un mouvement psychique ininterrompu. Son
C. Présence d’un certain degré de gêne fonctionnelle liée aux intérêt s’éparpille, son attention est labile et changeante, ses
symptômes dans deux types ou plus d’environnement différents. raisonnements intellectuels sont rendus difficiles par ces incessants
D. On doit mettre clairement en évidence une altération changements. La pensée logique est difficile, même si, à l’évidence,
cliniquement significative du fonctionnement social, scolaire ou cet enfant est souvent intelligent. Les activités qui demandent une
professionnel. continuité dans le déroulement des tâches sont interrompues avant
E. Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’un la fin, oubliées, perdues… Cette manière d’être au monde amène cet
trouble envahissant du développement, d’une schizophrénie ou enfant à de graves difficultés scolaires ; plusieurs de ses
d’un autre trouble psychotique, et ils ne sont pas mieux expliqués comportements vont résulter de son instabilité psychique,
par un autre trouble mental (trouble thymique, anxieux, dissociatif notamment en ce qui concerne ses rapports avec les autres qu’il va
ou de la personnalité). entraîner dans son mouvement perpétuel, selon une dynamique qui
devient rapidement conflictuelle avec ses pairs et avec les adultes,
l’amenant à se retrouver souvent en position de bouc émissaire.
DESCRIPTION CLINIQUE
Cette description clinique s’est inspirée des travaux de Christian ¶ Autres symptômes
Mille [26].
Angoisse dite psychomotrice
Comme on le sait, la clinique ne peut se réduire à cette description
photographique des symptômes apparents de l’enfant. Il est Dans les situations génératrices d’angoisse, d’insécurité, l’enfant va
nécessaire de l’aborder aussi d’une façon dynamique, avec l’idée que réagir par une augmentation de l’activité motrice, symptôme et
cette description doit permettre d’accéder en profondeur à cet enfant défense contre cette angoisse. Il peut s’agir de différentes situations :
en souffrance psychique. séparation, tensions ou conflits intrafamiliaux, survenue d’une

4
Instabilité psychomotrice chez l’enfant.
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-201-C-10
Histoire des idées et réflexions actuelles
maladie physique etc. En retour, le praticien expérimenté peut en général, à savoir une conception de type linéaire et plutôt
souvent inférer l’existence de ces différents problèmes encore neurodéveloppementale d’une part, une conception
inapparents lors de l’augmentation des angoisses psychomotrices. psychodynamique et polyfactorielle d’autre part.
Abondamment relayée par les différents médias, la polémique s’est
Affectivité : agressivité et irritabilité. Labilité émotionnelle progressivement enflammée et il importe, à vrai dire, de ne pas
et hyperémotivité négliger les enjeux de ces débats parfois excessifs, mais toujours
Le terme d’irritabilité est parfois employé. On peut le rapprocher de importants.
celui d’excitabilité et situer ces deux termes dans le registre du Nous citerons ici quelques-uns des principaux thèmes de discussion
réactionnel : ces enfants réagissent vivement sur le plan affectif. On encore très actuels.
parle également d’impulsivité, terme qui marque la tendance à
répondre immédiatement à une force intérieure, à l’opposé du
DÉFINITION DU CADRE NOSOLOGIQUE
réactionnel. La labilité de l’humeur peut faire passer l’enfant des
pleurs aux larmes très rapidement. Ces différentes perturbations de C’est d’abord la question de la définition de ce cadre nosologique
l’affectivité peuvent être regroupées dans la mesure où ce sont des qui a été discutée.
enfants dont l’affectivité, les émotions, l’humeur sont manifestement Comme on le sait, à l’heure actuelle, les entités nosologiques en
et immédiatement perceptibles pour l’examinateur. Ces enfants psychiatrie – et singulièrement en psychiatrie de l’enfant et de
« extériorisent immédiatement leurs émotions dans leur l’adolescent – ne reconnaissent pas de marqueurs biologiques
comportement [25] ». Une grande difficulté à établir des relations indiscutables et leur délimitation se fonde principalement sur des
stables avec les autres amène cet enfant à un vécu qui peut devenir consensus entre cliniciens, consensus dont témoignent les grandes
hostile et aboutir à des manifestations d’agressivité plus ou moins classifications internationales évoquées ci-dessus.
importantes. En tout état de cause, l’affect dépressif est un de ceux Par essence, tout consensus se révèle assez instable et, en tout cas,
qui sont souvent présents dans la vie psychique de ces enfants. transitoire d’où, d’ailleurs, la nécessité de révisions régulières des
dites classifications.
Faible investissement du langage
Certains symptômes, en effet, se trouvent relativement dépendants
L’investissement très prévalent du psychomoteur par l’enfant l’a du contexte socioculturel et tel est, nous semble-t-il, le cas de
amené au cours de son développement, à communiquer avec autrui l’hyperactivité, dans la mesure où chaque société, en fonction de
par le biais de messages comportementaux d’une façon quelquefois son histoire et du moment de son évolution, va se montrer plus ou
plus « efficace » que par le langage articulé dans une parole. On peut moins sensible à l’agitation des enfants et c’est alors toute la
se demander si le schéma interactif auquel il a abouti avec les autres question de la variabilité des normes éducatives qui se trouve ici
et notamment les adultes, être l’objet de paroles surmoïques en posée.
permanence, ne l’amène pas plus à contre-investir le langage qu’à Cela ne signifie en rien qu’il ne puisse pas exister d’authentiques
ne pas l’investir suffisamment. Ces éléments semblent très pathologies du contrôle moteur et des processus d’attention et de
importants pour poser les indications thérapeutiques en fonction de concentration, mais seulement que la ligne de démarcation entre le
la possibilité que le langage redevienne un moyen d’échanges pathologique et le normal se montre, dans ce domaine particulier,
envisageable ou non. éminemment fluctuante.
Vulnérabilité sur le plan somatique Ces quelques remarques doivent donc nous inciter, ici, à beaucoup
de modestie et de prudence dans l’établissement du diagnostic
Elle expliquerait la fréquence de l’énurésie, des épisodes infectieux, d’hyperactivité et dans l’affirmation du caractère intrinsèquement
des possibles retards de croissance et les accidents à répétition. pathologique des troubles observés ou motivant le recours au
pédopsychiatre.
EXAMEN PSYCHOMOTEUR En tout état de cause, dans la stratégie d’évaluation de la situation
Bucher insiste sur « d’une part, la dispersion des résultats d’habileté clinique, nous soulignons le fait que le recours aux enseignants en
manuelle, le caractère commun à toutes les épreuves qui sont faites tant qu’évaluateurs des troubles cliniques des enfants dont ils ont la
trop vite et par saccades, et d’autre part, sur le surcontrôle fréquent charge, ne peut pas aller sans soulever un certain nombre de
chez ces enfants qui, exigeant beaucoup d’énergie, ne peut le plus problèmes éthiques (par exemple en ce qui concerne la contribution
souvent se maintenir, et cède alors la place à plus ou moins brève des enseignants à la cotation des échelles de Conner [11]).
échéance, au comportement inverse [8] ».
J. Bergès distingue deux types d’enfants. QUESTION DE L’ÉTIOLOGIE
« Certains sont caractérisés par un état tensionnel : ils ont des C’est ensuite la question de l’étiologie qui a été l’objet de disputes
crampes fréquentes, des blocages respiratoires, un certain degré de théoriques intenses.
paratonie et un sentiment intérieur de tension qu’ils peuvent parfois Comme nous l’avons dit plus haut, la conception du déterminisme
exprimer. L’hyperactivité ou l’instabilité est alors considérée comme de l’hyperactivité de l’enfant renvoie en fait à deux conceptions
une irruption due à la faillite momentanée, ou plus durable, du différentes de la psychopathologie.
système tensionnel.
Soit on considère ce symptôme comme la conséquence directe d’un
Les autres, les plus nombreux, sont au contraire hypotoniques, pâles, trouble (éventuellement modulaire) des processus d’attention, de
présentent des tendances lipotymiques, une hypersudation, sont concentration et de régulation du contrôle moteur, soit on le
incapables d’une activité coordonnée dans les limites d’un cadre considère comme le fruit de la rencontre entre la part personnelle de
donné ». J. Bergès propose à leur sujet les termes de « déhiscence » l’enfant (soit son équipement personnel : neurobiologique,
ou d’« incontrôle émotionnel », et considère l’instabilité comme une génétique, psychologique, cognitif …) et de toute son histoire
quête incessante de limites, tant physiques que sociales chez cet relationnelle, ainsi que celle de son groupe familial et socioculturel.
enfant qui est toujours dans les jambes, qui se cogne aux objets et
Le premier modèle s’avère de type neurodéveloppemental et
dont le comportement appelle sans cesse la réprimande [5].
monofactoriel, le second – qui fonde la conception psycho-
dynamique de la psychopathologie – laisse une place aux effets
Réflexions actuelles d’après-coup et de reprises signifiantes, et s’affirme de ce fait comme
résolument polyfactoriel.
L’hyperactivité est devenue, au fil des dernières années, La différence n’est pas seulement académique en ce sens qu’elle a
emblématique de l’opposition entre deux conceptions de la des conséquences importantes et concrètes sur les options
psychopathologie de l’enfant et, peut-être, de la psychopathologie thérapeutiques qui seront ainsi retenues et choisies.

5
Instabilité psychomotrice chez l’enfant.
37-201-C-10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Histoire des idées et réflexions actuelles
Dans le premier modèle, l’abord thérapeutique privilégie très Quantitativement, il existe dans certains pays de culture médicale
naturellement la recherche de substances médicamenteuses anglo-saxonne un nombre très certainement excessif d’enfants traités
susceptibles de corriger le désordre invoqué, et tel est le cas du par des substances amphétamine-like.
traitement par les substances amphétamine-like considérées comme Initialement, les indications de ces traitements non dépourvus de
capables de venir boucher un « trou métabolique » au niveau des risques d’effets secondaires (troubles du sommeil, troubles de
équilibres entre les différents neuromédiateurs impliqués dans l’appétit, imprégnation des fibres myocardiques …) ne devaient
l’origine de la situation clinique d’instabilité. concerner que l’hyperactivité avec troubles de l’attention et de la
Dans le second modèle, on peut, par exemple, être amené à concentration mais sans co-morbidité aucune, soit sans aucun
considérer que l’hyperactivité de l’enfant est une réponse de type trouble psychopathologique associé.
« hypomaniaque » à l’insuffisance des capacités contenantes de L’expérience clinique nous apprend que ces cas sont, en fait,
l’environnement initial, en cas d’environnement carentiel ou de infiniment rares.
dépressions maternelles précoces, par exemple. Mais le poids de l’industrie pharmaceutique et le consensus plus ou
On sait en effet que face à certaines insuffisances du holding, le bébé moins tacite, généralisé et souvent étayé par les médias, visant à
peut en effet mettre en place des défenses parmi lesquelles exclure la complexité qui nous confronte toujours à la souffrance du
l’agitation et l’hyperactivité ont éventuellement valeur d’enveloppe sujet, à la sexualité et à la mort, a amené d’importantes dérives
motrice substitutive, cela étant dit dans la perspective des travaux rendant compte du fait qu’à l’heure actuelle, plus de cinq millions
de Bick [6] sur la notion de « peau psychique ». d’enfants se voient traités par les amphétamines aux États-Unis !
Dès lors, la reconstruction de l’histoire relationnelle précoce peut En France, fort heureusement, la situation n’est pas (encore ?) aussi
avoir, en elle-même, une certaine dimension thérapeutique et, en alarmante et nombre de parents cherchent à donner du sens à
outre, dans ces cas, un travail au niveau du corps par le biais de l’hyperactivité/instabilité de leur enfant sans la réduire à un
techniques de relaxation analytique, ou un travail au niveau de symptôme déconnecté de toute histoire relationnelle et qui ne
petits groupes thérapeutiques peuvent s’avérer très précieux en justifierait ainsi qu’une approche seulement médicamenteuse.
permettant de retravailler ces différents niveaux d’enveloppes Il y a là, en tout cas, un véritable problème de santé publique et,
corporelles et groupales. qualitativement, le principe de précaution devrait sans doute être
On veille, bien entendu, via la question des dépressions maternelles invoqué face à la prescription prolongée de psychotropes [9] à des
qui ne représentent qu’un facteur étiologique possible parmi bien enfants dont le cerveau et l’appareil psychique sont encore, à
d’autres, à ne pas revenir, subrepticement, à un modèle linéaire du l’évidence, en pleine structuration.
déterminisme étiopathogénique lequel, répétons-le, ne peut être que De ce point de vue, l’accès du public aux résultats des essais
polyfactoriel. thérapeutiques, positifs et négatifs, est aujourd’hui loin de ce qu’il
Pour qu’un enfant souffre de la psychopathologie maternelle, il est devrait être.
nécessaire, en effet, que tous les tiers qui auraient pu, ou qui Il nous semble donc que nous devons veiller soigneusement à ce
auraient dû, le protéger aient fait la preuve de leur faillite ce qui, en que les parents ne se fassent pas détourner de la réflexion
soi, exclut donc toute relation de cause à effet directe entre la psychopathologique à laquelle ils aspirent souvent, et cette remarque
dépression maternelle et l’hyperactivité de l’enfant. vaut même si, dans l’avenir, des substances non amphétaminiques
Le recours à une explication linéaire est donc forcément fallacieux et pourront être proposées avec une efficacité comparable.
toujours nocif, en compromettant toute alliance thérapeutique avec Ces substances de remplacement seront probablement de nature
les parents et en risquant de renforcer, dans l’après-coup, le fantasme antidépressive et cela ne fait d’ailleurs que renforcer l’hypothèse de
de l’enfant de n’avoir pas su rendre ses parents suffisamment bons la dimension antidépressive, signalée ci-dessus, du symptôme
(Searle [28]) d’« hyperactivité », dans un certain nombre de cas tout au moins.
La position d’un grand nombre de praticiens dans notre pays est
QUESTION DU TRAITEMENT AMPHÉTAMINIQUE que les traitements médicamenteux peuvent parfois être utiles mais,
C’est enfin la question du traitement amphétaminique qui s’est vue toujours, en association avec une approche historicisante du trouble
fortement conflictualisée [9]. et la mise en œuvre de techniques psychothérapeutiques
Nombre d’auteurs, en France tout au moins, considèrent que ce type (individuelles ou groupales), rééducatives ou corporelles.
de traitement ne va pas sans poser de réels problèmes qualitatifs et Tout ceci doit donc, nous semble-t-il, nous amener à la plus grande
quantitatifs. vigilance et à la poursuite d’études contrôlées et rigoureuses.

Références
[1] Abramson J. L’enfant et l’adolescent instables. Paris: Alcan, [10] CIM 10/ICD 10.Classification des troubles mentaux et des [20] Hoffmann H. Der Strunwelpeter: oder lustige Geschichten
1940 troubles du comportement Paris: Masson, 1993 und drollige Bilder. Leipzig: Verlag, 1854
[2] Ajuriaguerra J. Manuel de psychiatrie de l’enfant. Paris: [11] Conners CK. Symptom patterns in hyperkinetic, neurotic [21] Mâle P. La genèse des troubles du caractère chez l’enfant.
Masson, 1973; 279-280 and normal children. Child Dev 1970; 41: 667-682 Evol Psychiatry 1932; 3: 39-56
[3] Balint M. Notes critiques concernant la théorie des organi- [12] Diatkine R, Denis P. Les psychoses infantiles. Lebovici S, [22] Misès R, Quemada N. Classification française des troubles
sations prégénitales de la libido. Amour primaire et techni- Diatkine R, Soulé M, eds. Traité de psychiatrie de l’enfant et mentaux de l’enfant et de l’adolescent/Classification inter-
que psychanalytique. Paris: Payot, 1973 de l’adolescent Paris: PUF, 1985; 185-224 nationale des troubles mentaux et du comportement.
Paris: CTNERHI, 1993
[4] Bercherie P. Les fondements de la clinique. Paris: [13] Dopchie N. Le syndrome hyperkinétique. Psychiatrie Enf
Seuil/Ornicar, 1980 1968; 11: 589-629 [23] Malka J. Réflexion à partir de la notion d’instabilité chez
l’enfant. [thèse de médecine], Angers1999
[5] Bergès J. Les troubles psychomoteurs chez l’enfant. Lebo- [14] Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux
vici S, Diatkine R, Soulé M, eds. Traité de psychiatrie de Paris: Masson, 1996; DSM IV [24] Mallarive J, Bourgeois M. L’enfant hyperkinétique. Aspects
l’enfant et de l’adolescent Paris: PUF, 1985; 363-383 psychopathologiques. Ann Méd Psychol 1976; 1: 107-119
[15] Duché DJ. Histoire de la psychiatrie de l’enfant. Paris: PUF, [25] Micouin G, Boucris JC. L’enfant instable ou hyperkinétique.
[6] Bick E. The experience of the skin in early object relations. 1990
Int J Psychoanal 1968; 49: 484-486 Psychiatrie Enf 1988; 31: 473-507
[16] Dupré E. Les déséquilibres constitutionnels du système [26] Mille C. Instabilité psychomotrice. Psychiatrie de l’enfant et
[7] Bourneville DM. Le traitement médico-pédagogique des dif- nerveux. Paris: Baillères, 1919
férentes formes de l’idiotie. In: Duché DJ, Histoire de la psy de de l’adolescent Paris: Flammarion, 1994; 203-204
l’enfant. Paris: PUF; 1990. 216p [17] Dugas M. L’hyperactivité chez l’enfant. Paris: PUF, 1987 [27] Schotte J. De l’école hongroise de psychanalyse à Szondi et
[8] Bucher H. Les problèmes psychomoteurs chez l’enfant. [18] Dugas M. Hyperkinésie et troubles déficitaires de l’atten- à la psychiatrie d’aujourd’hui, Le contact. Bruxelles: De
Paris: Expansion Scientifique Française, 1980 tion. Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et de l’ado- Boeck, 1990
lescent Paris: PUF, 2000; 326-329 [28] Searles H. Le Contre-transfert. Paris: Gallimard, 1981
[9] Bursztejn C, Chanseau JC, Geissmann-Chambon C, Golse
B, Houzel D. Ne bourrez pas les enfants de psychotropes. Le [19] Flavigny C. Psychodynamique de l’enfant instable. Psychia- [29] Wallon H. L’enfant turbulent. Paris: PUF, collection Qua-
Monde Samedi 27 mai 2000; 56e année n °175211: trie Enf 1988; 31: 445-471 drige, 1984

6
ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 37-204-H-15

37-204-H-15

Maltraitance et sévices à enfant


(hors abus sexuels)
C Epelbaum R é s u m é. – La maltraitance à enfant est un problème de santé publique dont la fréquence
semble s’accroître. Le praticien se doit de reconnaître à la fois les signes d’alerte, de
vulnérabilité et les signes cliniques de tels tableaux dont le diagnostic reste complexe et
nécessite souvent une approche multidimensionnelle (médicale, psychiatrique, éducative,
sociale, judiciaire). Il doit aussi être au courant de ses devoirs en termes médicolégaux, ainsi
que des différentes stratégies possibles sur un plan thérapeutique.
© 1999, Elsevier, Paris.

Introduction conséquences graves sur son développement physique et psychologique. »


Dans le but de développer des actions préventives, elle définit aussi « l’enfant
à risque » : « Celui qui connaît des conditions d’existence qui risquent de
Historiquement, le concept de maltraitance à enfant n’apparaît que tard dans mettre en danger sa santé, sa sécurité, sa moralité, son éducation ou son
la littérature : alors que dans l’Antiquité gréco-romaine le père a droit de vie entretien mais qui n’est pas pour autant maltraité. »
et mort sur les enfants et que, au Moyen Âge, l’enfant reste conçu comme un
être totalement modelé par son éducation, ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle
que ses droits sont envisagés. C’est en 1860 qu’Ambroise Tardieu, professeur Type de maltraitance
de médecine légale à Paris, fait la première description clinique des enfants
battus, mais il faut attendre 1887 pour qu’une loi interdise les châtiments Violence physique
corporels des écoliers et 1889 pour qu’une protection des enfants maltraités
Elle peut entraîner des séquelles plus ou moins sévères, voire le décès de
soit établie (peine et déchéance des droits parentaux). L’État crée ensuite un
l’enfant, et se constate par l’existence de lésions (cutanées, viscérales, etc).
certain nombre d’institutions et de fonctions professionnelles propres à L’élimination d’un diagnostic différentiel (accident, maladie
protéger l’enfant (en 1912, les juges spéciaux pour mineurs ; en 1943, l’Aide constitutionnelle, etc) n’est souvent pas d’emblée évidente.
sociale à l’enfance [ASE] ; en 1945, les juges et tribunaux pour enfants et les
centres de protection maternelle et infantile [PMI]). Plus tard, la loi du Carences de soin et négligence
10 juillet 1989, relative à la prévention de mauvais traitements à l’égard de
mineurs et à la protection de l’enfance, rend les auteurs de sévices pénalement Il s’agit de la non-satisfaction des besoins physiologiques (boisson, nourriture
punissables, en même temps qu’une convention internationale sur les droits etc) et/ou affectif (amour parental, protection face au danger, etc) de l’enfant.
de l’enfant est rédigée par les Nations unies. Celle-ci souligne la nécessité de Elle peut entraîner des troubles du comportement ainsi que des troubles du
la protection physique et morale de l’enfant. Depuis 1994, l’aggravation des développement (nanisme psychogène, etc).
peines est prévue pour les personnes maltraitantes ayant autorité sur l’enfant.
Cliniquement, ce sont Kempe et Silverman [14] qui décrivent précisément le Cruauté mentale
syndrome des enfants battus en 1962. L’ODAS la définit comme « l’exposition répétée d’un enfant à des situations
dont l’impact émotionnel dépasse les capacités d’intégration psychologique :
humiliation, verbale ou non verbale, menace verbale répétée, marginalisation
Définitions systématique, dévalorisation systématique, exigence excessive
disproportionnée à l’âge de l’enfant, consignes et injonctions éducatives
Définitions générales contradictoires ou impossibles à respecter ». Elle provoque, la plupart du
temps, des troubles du développement. Cependant, peu de publications font
La loi ne définit pas les mauvais traitements à enfants, vraisemblablement état de cette maltraitance [21, 22] pourtant importante (11,7 % des maltraitances
parce qu’il existe une évolution dans le temps et des contrastes culturels en aux États-Unis en 1984) [13] sûrement parce qu’elle reste difficile à apprécier.
matière d’éducation. Il n’est alors pas toujours simple de marquer les limites Garbarino [10] en décrit cinq types : rejet, ignorance, isolement, terreur,
entre protection parentale (éducation) et maltraitance. L’Observatoire corruption.
national de l’action sociale décentralisée (ODAS) propose pourtant une
définition de la maltraitance : « L’enfant maltraité est celui qui est victime de
violence physique, cruauté mentale, abus sexuel, négligence lourde ayant des Épidémiologie

Fréquence
La fréquence des mauvais traitements reste difficile à évaluer du fait du flou
Catherine Epelbaum : Praticien hospitalier, fondation Vallée, 7, rue Bensérade, 94250 Gentilly
cedex, France.
des définitions. Les chiffres sont en augmentation, sans doute plus en raison
© Elsevier, Paris

du meilleur repérage de la maltraitance qu’à cause de sa réelle augmentation.


Ce meilleur repérage est lié à différents facteurs : d’abord, les droits de
Toute référence à cet article doit porter la mention : Epelbaum C. Maltraitance et sévices à l’enfant sont de plus en plus affirmés ; ensuite, la diminution de la morbidité
enfant (hors abus sexuels). Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-204-H-15,
1999, 7 p.
et de la mortalité par maladies somatiques, grâce aux progrès de la médecine,
a mis en lumière l’importance de la morbidité par maltraitance ; enfin,
37-204-H-15 MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) Psychiatrie

Tableau I. – Diagnostics différentiels [11] non reconnu, enfant de remplacement, jumeau non désiré). Enfin, en dehors
de la petite enfance, l’adolescence reste une période où la résurgence du
Année 1993 1994 1996
conflit œdipien et le vieillissement parental plus ou moins bien supporté
Enfants en danger 45 000 54 000 53 000 accentuent les risques de maltraitance.
Enfants maltraités 15 000 16 000 21 000
Fratrie
Signalement à l’autorité judiciaire 25 000 31 000
Les antécédents de mort suspecte ou de mort subite inexpliquée, de placement
Appels SNATEM 700 et/ou de mauvais traitements avérés dans la fratrie, sont aussi des facteurs de
Pourcentage de filles 49,6
vulnérabilité.
Pourcentage de garçons 50,4 Facteurs sociaux
Mauvais traitements physiques 7 000 On retrouve plus souvent des familles monoparentales, et/ou une mère très
Négligence 4 000 jeune, un milieu défavorisé (chômage, difficultés ou exiguïté de logement) et
un isolement familial plus ou moins absolu (pas de recours à un tiers
Cruauté mentale 1 000 extérieur). La transplantation récente, un deuil récent ainsi que l’abandon du
Abus sexuels 4 000 conjoint pendant la grossesse sont aussi plus fréquents dans les familles
d’enfants victimes de mauvais traitements.
Décès 300 à 600

Âge 40 % moins de 1 an
50 % moins de 3 ans Diagnostic clinique
SNATEM : service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée.
Le praticien devra récolter un ensemble de données, ce qui nécessite sa
l’officialisation du recueil des données par la loi de 1989 (publication annuelle participation à un réseau pluriprofessionnel (école, secteur social, PMI,
des rapports d’activité de l’ODAS) centralise les chiffres alors que la création secteur judiciaire, etc) [25]. Il reste cependant parfois difficile de faire la part
du Service national d’accueil téléphonique pour l’enfance maltraitée des choses entre punition « méritée » et maltraitance. Rappelons, à ce sujet,
(SNATEM), la mobilisation des professionnels et de la population permettent un sondage Institut français d’opinion publique (IFOP)/Journal du Dimanche
un diagnostic plus précoce. Les chiffres français récents sont donnés dans le (16 novembre 1994) qui montrait que les parents classaient les punitions
tableau I (sources : ODAS, Institut national de la santé et de la recherche éducatives méritées par les enfants selon l’ordre suivant : 73 %, interdiction
médicale [Inserm]). La maltraitance est aussi un phénomène dont l’ampleur télé ; 61 %, interdiction de sortir et de voir les amis ; 47 %, fessée ; 24 %,
est universelle : aux États-Unis, par exemple, le National Center on Child privation de dessert ; 14, % gifle. Ces chiffres montraient une augmentation
Abuse and Neglect a décompté, en 1994, 1 million d’enfants maltraités par nette des châtiments corporels par rapport à 1982 [19], surtout chez les mères,
leurs parents. Une situation particulière reste peu étudiée, celle des violences comme si, la loi paternelle faisant de plus en plus défaut, celles-ci rigidifiaient
en institution : elles représentaient pourtant, en 1996, 5 % des 20 000 appels leur attitude éducative. Or, si le diagnostic de maltraitance est fondamental
traités par le numéro vert de la Seine-et-Marne (tableau I) [26]. par l’urgence de protection de l’enfant qu’il implique, il reste dangereux de le
porter hâtivement, sans assez de données, ce qui peut aboutir à de véritables
catastrophes familiales (suicide parental, etc). Au Canada, pour tenter d’aider
Facteurs de vulnérabilité [23] le praticien, un outil diagnostique (Child Well-being Scale) [10] est utilisé
depuis 1986. Cette échelle a été validée et traduite en France (« Inventaire
Parents concernant le bien-être de l’enfant en lien avec l’exercice des responsabilités
La présence d’une déficience et/ou de pathologies psychiatriques parentales parentales ») [28, 29] : elle apparaît stable et fidèle. Elle fixe un profil de seuil
entraîne avec une fréquence accrue des violences ou des négligences à d’intervention en contexte légal et évalue la situation de l’enfant et de sa
enfants. Il peut s’agir de psychoses puerpérales ou de schizophrénies famille.
(négligence et violence liées au délire), de dépressions mélancoliques (suicide Il est important de voir l’enfant seul, de le laisser s’exprimer par le dessin si
altruiste), de délires paranoïaques (syndrome de Münchhausen by proxi, les mots sont trop difficiles, de le mettre en confiance, tout en restant très clair
violence liée au délire), de perversions, de personnalités psychopathiques sur le rôle de protection du médecin (il ne pourra pas garder le secret vis-à-vis
(violence par non-contrôle émotionnel n’entraînant pas de culpabilité). d’actes graves subis par l’enfant). Il est préférable d’éviter les expertises
L’alcoolisation ou la toxicomanie, associées ou non aux pathologies répétées durant lesquelles l’enfant finit par se sentir en position d’accusé, ainsi
précitées, accentuent encore le risque, comme la présence de problèmes que de limiter le nombre d’intervenants auprès de l’enfant. On doit lui signaler
médicaux graves. Cependant, la majeure partie des parents maltraitants ne qu’il peut être assisté d’un avocat.
présentent pas de pathologie psychiatrique avérée. En revanche, 30 % ont été
eux-mêmes maltraités dans l’enfance. Beaucoup ont subi des placements
multiples. Signes physiques des maltraitances actives [11]
Lésions cutanées
Grossesse et post-partum
Il s’agit d’atteintes visibles, souvent signe d’appel devant faire rechercher des
Il est reconnu qu’une grossesse non désirée (surtout en cas de demande lésions plus profondes. Le praticien doit corréler à ce qui est rapporté comme
d’interruption volontaire de grossesse [IVG] non satisfaite), mal investie cause (accident, etc), la nature, le type de lésion, l’âge et les possibilités
(présence de jumeaux non souhaités, par exemple), voire déniée, ou motrices de l’enfant (possibilité de déplacement, etc). Il doit ensuite établir
s’accompagnant de plaintes somatiques continues, reste un facteur de un compte rendu descriptif daté, documenté (photographies) et précis
vulnérabilité à venir pour le bébé. Il est également inquiétant de ne constater (localisation, forme, taille, couleur) qui servira de preuve pour les juges et les
aucune préparation matérielle à la venue de l’enfant (en dehors de motifs jurys éventuels (cf infra). Il peut s’agir :
culturels). Il faudra aussi particulièrement prêter attention aux mères
supportant mal le repos auquel une menace d’accouchement prématuré les a – de blessures liées au poids ou à la force avec laquelle on utilise un
contraintes et qui expriment, d’emblée, des propos négatifs vis-à-vis du bébé. instrument contondant (excoriation, ecchymose, hématome ou plaie contuse),
Bien sûr, tout épisode psychiatrique pendant la grossesse (tentative de suicide, la maltraitance étant d’emblée évoquée en cas de coexistence d’ecchymoses
épisode délirant ou dépressif) devra alerter, ainsi qu’un état dépressif d’âge différent avec des localisations (fesses, régions génitales, joues, cuisses,
prolongé en post-partum ou une fatigue liée à l’isolement maternel (à l’issue thorax, cou) ou des formes (reproduisant celle d’un instrument contondant)
d’une grossesse multiple peu assistée, par exemple). Les situations où la mère particulières ;
exprime rapidement une attente anormale par rapport au bébé, ou projette son – de plaies par instruments pointus (plaies souvent en forme de fente linéaire)
agressivité sur l’enfant dès que celui-ci pleure (« il ne m’aime pas »), sont ou tranchants (plaies linéaires à bords nets) ;
aussi des situations à plus grand risque. – d’absence de soins pendant une longue période (saleté générale,
ectoparasitose, infections cutanées à répétition, abcès, dermatoses
Enfant impétiginisées) ;
Dès les premiers mois de vie, le fait que l’enfant réel s’éloigne trop de l’enfant – d’alopécie par carence ou arrachement (qui, à la différence de la
imaginaire reste aussi un facteur de vulnérabilité : prématurité ; faible poids trichotillomanie, ne reste pas circonscrite aux régions temporopariétales) ;
(< 2 500 g) ; pathologies précoces entraînant des séparations mère-bébé ; – d’infections cutanées bactériennes provoquées par injections sous-
atteintes somatiques congénitales ou acquises et/ou psychiatriques ; enfant cutanées régulières de substances (matières fécales, etc) entrant dans le cadre
d’emblée différent à la naissance de l’enfant imaginaire (sexe, réactions d’un syndrome de Münchhausen par procuration (cf infra) ;
familiales, deuil pendant la grossesse). La place de l’enfant dans la famille – de brûlures par immersion, éclaboussement, flexion ou par contact (fer à
peut aussi le désigner comme persécuteur potentiel (enfant adultérin, enfant repasser, cigarette, etc). Ce type de lésion, dont il faut préciser la profondeur,

page 2
Psychiatrie MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) 37-204-H-15

concerne 10 % des enfants maltraités avec un âge moyen de 32 mois et garde médecins, comme si l’important était que leur enfant soit reconnu « malade ».
des localisations évocatrices (périnées, extrémités des membres, fesses, face Deux cents cas environ ont été recensés dans la littérature pédiatrique depuis
antérieure des hanches et paroi abdominale basse pour les flexions). 1977 (après l’isolement du syndrome chez l’adulte lui-même). Il s’agit
généralement d’enfant de moins de 5 ans, dont la mère, appartenant souvent
Traumatismes crâniens à une profession ayant un lien avec le monde médical, exerce activement le
sévice, le père le cautionnant plus ou moins passivement, le tolérant ou
Vingt à 25 % des enfants battus présentent des traumatismes crâniens graves l’ignorant. La pathologie de la personnalité parentale sous-jacente peut être
(10 % des enfants victimes de sévices ont une fracture du crâne, ce qui est la paranoïaque, perverse ou narcissique. Le diagnostic de ce syndrome reste
deuxième localisation après celle des membres). Ces traumatismes sont plus difficile et nécessite souvent une hospitalisation comprenant une séparation
fréquents dans les 2 premières années de vie. Ils représentent la cause la plus d’avec les parents, souvent difficile à négocier en l’absence de décision
importante de décès par traumatisme non accidentel (trois quarts) ce qui judiciaire.
pousse, en cas d’œdème, d’hématome ou de plaie du cuir chevelu suspect, à
pratiquer une radiographie du crâne et un scanner cérébral si des signes
neurologiques sont associés. Les lésions peuvent provenir de différents Signes physiques des négligences [11]
mécanismes (translation, rotation). Le « syndrome de l’enfant secoué »
(shaken baby syndrome), qui provient de forts mouvements de translation Dénutrition et déshydratation
imposés à l’enfant, associe des hémorragies sous-durales et/ou sous- La malnutrition et/ou la privation d’accès à l’eau peuvent provoquer une
arachnoïdiennes, avec des hémorragies rétiniennes, chez un enfant de moins carence protidovitaminique sévère avec retard de croissance, ou même
de 2 ans. Il n’y a généralement pas de lésions externes ni de fracture du crâne. aboutir au décès de l’enfant. En cas de malnutrition sévère, l’enfant présente
On retrouve parfois des ecchymoses, voire des fractures de côtes postérieures, une saillie des côtes, une protrusion abdominale avec apparente
là où l’enfant a été tenu, et des fractures des bras ou des jambes, en raison du hépatomégalie. Les phanères sont rares et cassants et une anémie carentielle
mouvement des membres. Le pronostic est redoutable (décès, séquelles existe souvent (souffle à l’auscultation, numération formule sanguine [NFS]
graves avec cécité, déficit moteur, retard psychomoteur). Il s’agit souvent anormale). En cas de déshydratation associée (plus fréquemment chez le
d’un épisode violent unique de perte de contrôle d’un parent. Dans toutes ces nourrisson), on constate un pli cutané, un creusement de la fontanelle, une
situations, scanner cérébral et imagerie par résonance magnétique (IRM) hypotonie des globes oculaires et une tension artérielle basse. La mesure du
devront être répétés pour mettre en évidence des lésions aiguës et subaiguës pli cutané tricipital peut permettre d’apprécier le panicule adipeux, les
(très évocatrices si des lésions d’âge différent coexistent). À noter que des examens biologiques chiffrant les différents retentissements des carences.
hématomes parenchymateux peuvent aboutir à des séquelles de Chez un nourrisson, il faut être vigilant dès que le poids, la taille et le
porencéphalies ou d’hydrocéphalie, voire d’atrophie cérébrale. périmètre crânien se trouvent en dessous de deux déviations standards de la
moyenne pour l’âge, ou en dessous du dixième de percentile. L’inadaptation
Traumatismes du thorax des dires des parents à l’état de l’enfant, leur manque d’inquiétude à propos
Chez l’enfant, les contusions, même violentes, provoquent peu de lésions de sa perte de poids chez un enfant décrit comme facile à nourrir, orientent le
intrathoraciques (pneumothorax, hémothorax, contusion pulmonaire ou diagnostic. La séparation de la famille (hospitalisation, placement) aboutit à
rupture d’organes médiastinaux par décélération) car ses côtes sont encore une reprise rapide du poids, puis de la croissance et enfin du périmètre crânien.
très flexibles. Une radiographie de thorax doit cependant être effectuée au
moindre doute, à la recherche de fractures costales. Négligence
La négligence doit être considérée comme une maltraitance quand ses
Traumatismes abdominaux conséquences peuvent créer un dommage pour l’enfant. Il s’agit souvent de
Les lésions intra-abdominales représentent la deuxième cause de décès des parents très jeunes, parfois alcooliques et/ou toxicomanes, parfois déficients
enfants battus (éclatement, écrasement ou contusion d’organe ; rupture des mentaux, la plupart du temps dans un grand isolement social. On peut
vaisseaux caves et mésentériques par décélération brutale comme en cas de envisager, comme négligence, un retard à consulter devant un symptôme de
défenestration) en raison de leur faible masse graisseuse et musculaire l’enfant (fièvre, douleurs, etc), un retard à l’administration d’un traitement en
abdominale. Ce sont le foie, la rate, puis les reins et le duodénum qui sont cas de maladie, une absence de surveillance dans des situations à risques en
touchés, par ordre de fréquence. fonction de l’âge de l’enfant (bébé laissé seul, enfant jeune laissé seul devant
un plan d’eau ; alcool, drogue ou médicaments laissés à la portée des enfants).
Lésions osseuses La répétition des intoxications ou des accidents chez un même enfant doit
faire évoquer le diagnostic.
Ving pour cent des sévices à enfants sont diagnostiqués par des radiographies
osseuses qui peuvent être utilisées comme preuve. Les lésions osseuses Intoxication volontaire pendant la grossesse
surviennent, dans 50 % des cas, chez des enfants de moins de 2 ans. Elles sont Elle peut poser le problème de la maltraitance directe (alcoolisme
produites par des mécanismes indirects (traction ou rotation forcée) ou directs maternofœtal avec bébé porteur d’une dysmorphie, d’une microcéphalie,
(contusion). Elles sont fortement évocatrices lorsqu’elles sont multiples, avec retard de croissance intra-utérin et malformations diverses, dont le
plurifocales, avec une consolidation osseuse à des stades différents (ce qui pronostic reste difficile) et de la vulnérabilité à la maltraitance future
signe la répétition des traumatismes). Elles touchent épiphyses, métaphyses (situation à risque).
(décollement épiphysaire, arrachement métaphysaire, décollement périosté)
ou, plus fréquemment, les diaphyses. Les côtes sont aussi fréquemment Refus de traitements médicaux
lésées, plus rarement les vertèbres. Le syndrome de Silverman associe lésions
osseuses et cutanées. Au moindre doute, une radiographie de squelette Il peut s’agir, par exemple, de refus de transfusion sanguine.
complet doit être réalisée.

Autres lésions Signes psychiques


Ils restent difficiles à décrire car ils sont loin d’être univoques ou
Il peut s’agir de morsures (forme ellipsoïde ou ovalaire), de fractures
pathognomoniques. Il faut les évaluer en fonction de la phase de
dentaires, de lésions endobuccales (brûlures) ou oculaires, repérées par un
développement de l’enfant. Plus la maltraitance est précoce, plus la
examen otorhinolaryngologique (ORL) et/ou ophtalmologique.
construction de la personnalité reste centrée par le traumatisme. En cas d’abus
sexuel, ces troubles peuvent avoir une tonalité particulière (déviance sexuelle,
Syndrome de Münchhausen par procuration (« by proxi ») [17, 24] perversions sexuelles, etc). De toute façon, ils participent du fait que l’enfant,
Il s’agit d’une maladie de l’enfant provoquée (anémie avec malaises par fragilisé, révèle tardivement les sévices et se rétracte souvent s’il n’est pas
saignées, malnutrition par vomissements induits, lésions cutanées par soutenu, particulièrement quand les parents exploitent sa pathologie mentale
injections locales de toxiques), inventée (crises épileptiques décrites par les (désignation de l’enfant comme fou ou incapable majeur, etc).
parents), ou simulée (septicémie par contamination d’un prélèvement En cas de maltraitance, le traumatisme fondamental que l’enfant subit sur un
sanguin, diarrhée par adjonction d’eau aux selles) par un parent. Il peut aussi plan affectif est celui d’une trahison par les personnes en qui il devrait avoir
s’agir d’une maladie réelle de l’enfant, aggravée par la conduite parentale totalement confiance, trahison doublée d’un sentiment d’impuissance et de
(traitement volontairement non donné, doses majorées). Les symptômes de perception négative de lui-même. Des troubles cognitifs sont souvent
l’enfant conduisent à son hospitalisation, mais les examens pratiqués ne constatés (inattention, déficit mnésique, retard intellectuel avec échec
retrouvent pas de cause « classique » à la pathologie. Les parents provoquent scolaire). Certaines études mettent en évidence des retards de développement
alors des hospitalisations répétées, généralement dans différents services, se (39 % des victimes d’âge préscolaires) [30], alors que d’autres évoquent des
présentant comme désireux de savoir ce qui arrive à leur enfant et se montrant modes relationnels particuliers associés à un déficit (des enfants de 12 à
très actifs durant l’hospitalisation et les soins. Ils ne semblent pas, en 18 mois victimes de maltraitances, comparés à des témoins, ont un
revanche, atterrés par la gravité éventuelle des diagnostics évoqués par les attachement angoissé à leur mère et des performances abaissées) [17].

page 3
37-204-H-15 MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) Psychiatrie

Chez le nourrisson, il faut rechercher un biais, un arrêt ou une régression dans Tableau II. – Diagnostics différentiels
le développement précoce, ces phénomènes s’amendant en cas de séparation
Lésions cutanées dermatoses ; localisations cutanées
(si celle-ci n’intervient pas trop tardivement). Ces pathologies de maladies systémiques (lupus, etc)
développementales peuvent aboutir à des tableaux d’allure autistique (retrait, hémophilie, maladie de Willebrand
arrêt de la communication), parfois à des tableaux plus partiels (méfiance, purpura thrombopénique idiopathique
thrombopathies, leucémies aiguës
motricité « gelée »). Dans d’autre cas, le bébé sombre dans un état dépressif purpura rhumatoïde
sévère avec apathie, balancement autostimulatoire, pathologies syndrome d’Ehlers-Danlos (pathologie
psychosomatiques variées. Certains nourrissons présentent une hypertonie et des tissus élastiques)
une hyperextension permanentes du tronc et des membres, secondaires à une dermatoses bulleuses
taches mongoloïdes
hyperexcitation durant les soins [18]. Enfin, une anorexie, un mérycisme œdème hémorragique aigu du nourrisson
(vomissements avec rumination), des troubles du sommeil (insomnies, (maladie de Finkelstein)
cauchemars, refuge dans l’hypersomnie) peuvent aussi alerter. Le travail angiomes plans et tubéreux
photodermatoses
essentiel est bien sûr préventif, dès qu’une inadaptation de la mère à son bébé réactions allergiques
est constatée (cf supra). comportements culturels thérapeutiques
(ecchymoses linéaires intercostales
Chez l’enfant plus âgé, les troubles comportementaux sont très divers en postérieures secondaires à la friction
fonction des critères utilisés par les études. Des troubles sphinctériens ou des par un objet chauffé (cao-gio asiatique)
plaintes somatiques (douleurs abdominales, céphalées) peuvent représenter
Lésions cérébrales en périodes néonatales, lésions
des messages envoyés plus ou moins consciemment par l’enfant pour qu’on secondaires à des traumatismes
l’aide. L’autoculpabilité avec anxiété d’intensité variable (angoisse de obstétricaux (bosse sérosanguine,
séparation, troubles paniques, état de stress post-traumatique avec hématome sous-cutané du cuir chevelu,
céphalhématome, fracture du crâne
reviviscence des violences sous forme de cauchemars) est quasi constante. en « bois vert »)
L’enfant peut aussi alerter par la perte d’intérêt pour les activités qu’il 15 % des nouveau-nés ont
affectionnait, un évitement ou au contraire un collage relationnel, une des hémorragies rétiniennes
hyperexcitabilité avec irritabilité, colères, impulsivité, des troubles du Traumatismes thoracoabdominaux accidents
sommeil, de la concentration.
Fractures osseuses accidents (obstétricaux, autres),
À l’adolescence, on constate souvent des fugues, des conduites addictives, ostéogenèse imparfaite, tumeur primitive
des tentatives de suicide, une fuite dans la délinquance ou la perversion ou secondaire, insensibilité à la douleur
(hétéroagressivité sadique) et/ou des troubles sexuels, particulièrement si les Malnutrition, déshydratation pathologies provoquant un retard
sévices ont été associés à des abus sexuels (prostitution, baisse du désir, de croissance (neurologiques, cardiaques,
inhibition de l’orgasme). rénales, digestives)

Signes d’alerte en post-partum


Enjeux psychopathologiques

Certains signes sont révélateurs d’un dysfonctionnement interactif précoce. Parents


Ils doivent être repérés précocement, car ils peuvent traduire une maltraitance.
Il peut s’agir d’une mère indifférente, voire hostile ou même sadique par Certaines situations de maltraitance apparaissent comme ponctuelles : il s’agit
rapport à son bébé, qui ne respecte pas ses besoins (le faire volontairement d’un parent brutalement dépassé par ses affects, épuisé, isolé, souvent
attendre pour le nourrir, par exemple) : celui-ci, rapidement, va présenter des déprimé. Il parle alors de son geste en se culpabilisant souvent intensément
colères, épisodes durant lesquels il a du mal à se calmer et sera décrit comme (risque suicidaire).
un tyran. La séparation avec une conduite adaptée du référent apaise ces Mais, dans la plupart des cas, la maltraitance est prolongée et reste liée à la
réactions. Dans d’autres cas, la mère, dont le besoin d’emprise vis-à-vis du qualité de l’investissement parental de l’enfant, lui-même étroitement lié à la
bébé s’exprime par des exigences inadaptées à l’âge de l’enfant, va entraîner place de l’enfant dans la famille (avec parfois le poids de « mandat
son bébé à avoir un comportement toujours en décalage avec elle (par transgénérationnel ») [16].
exemple, énervement important du bébé en raison de son besoin de sommeil, Goubier-Boula [12] isole différents types d’interaction parents/enfant :
alors que sa mère a décidé que c’était l’heure pour lui de manger ; le cercle – relation de maîtrise, d’emprise (mécanismes obsessionnels ou
vicieux s’installe vite : bébé de plus en plus énervé, mère de plus en plus paranoïaques) avec rigidité (les parents peuvent maltraiter « en toute bonne
exigeante). Après un temps de réaction active du bébé (pleurs, énervement, conscience », influencés par des modèles culturels et familiaux rigides,
etc), celui-ci peut se refermer, subir passivement les contraintes maternelles prônant la punition « forte » pour que l’enfant reste dans le droit chemin) ;
(risque de dépression, de retard du développement, d’évolution – inconséquence et instabilité du cadre parental (peu de différenciation
dysharmonique et/ou psychotique). parents/enfants) ;
– attente narcissique des parents (parentification précoce de l’enfant
réparateur) ;
Examens complémentaires – évitement et mise à distance car présence de pulsions agressives,
meurtrières ;
L’examen clinique peut être complété, en cas de lésions, par des
– perversité avec jouissance de la souffrance physique de l’enfant.
photographies ou des schémas descriptifs. Par ailleurs, les examens demandés
peuvent servir à confirmer le diagnostic de maltraitance directement ou Le couple parental peut être conflictuel, violent (conflits réglés par enfant
indirectement (élimination des diagnostics différentiels). interposé), instable, fusionnel (l’enfant devient alors un possible rival) ou
inexistant (mères seules).
Sur le plan radiologique, un squelette complet doit être effectué au moindre
doute. Chez le tout-petit, une échographie transfontanellaire peut aider dans
le diagnostic des lésions intracérébrales. Une échographie abdominale peut Enfant
orienter en cas de suspicion de lésions viscérales. Le scanner et l’IRM Il est victime d’un traumatisme physique mais aussi psychique au sens
complètent le bilan en cas de lésions cérébrales ou viscérales. psychanalytique du terme (Laplanche et Pontalis) : « Événement de la vie
Sur le plan biologique, une recherche de toxique doit être effectuée au psychique qui se définit par son intensité, l’incapacité où se trouve le sujet d’y
moindre doute, comme le dosage des transaminases. Dans tous les cas, une répondre adéquatement, le bouleversement et les effets pathogènes durables
NFS avec hémostase (temps de sédimentation [TS], taux de prothrombine qu’il provoque dans l’organisation psychique. En termes économiques, le
[TP], temps de céphaline activé [TCA], plaquettes) peut être utile (dépistage traumatisme se caractérise par un afflux d’excitation qui est excessif,
d’une anémie, élimination d’une pathologie de la coagulation). En cas de relativement à la tolérance du sujet et sa capacité de maîtriser et d’élaborer
dénutrition et/ou déshydratation, on effectue une NFS, un dosage de fer psychiquement ces excitations. » Plus l’enfant est jeune et plus sa faculté à
sérique avec ferritine, des folates (anémie carentielle), une protidémie avec gérer l’excitation (que celle-ci soit interne ou externe) reste dépendante du
électrophorèse des protides (carences d’apport), un lipidogramme, une vitesse soutien parental qui joue un rôle de pare-excitation [15]. En cas de maltraitance,
de sédimentation et un dosage de la C réactive protéine (pathologie non seulement cette fonction n’est pas remplie, mais le traumatisme est infligé
inflammatoire ou infectieuse sous-jacente). Dans les cas de doute persistant, par celui qui est censé protéger. De plus, toute souffrance psychique de
une hospitalisation peut aider à faire précisément et complètement le point l’enfant, pourtant proche de l’effroi, est généralement disqualifiée par
tout en protégeant l’enfant. l’agresseur, ce qui provoque une confusion entre ce qui est ressenti par
l’enfant et ce qui lui est explicitement dicté par l’adulte. Cette situation
paradoxale peut aboutir, secondairement, à une désorganisation des processus
Diagnostics différentiels (tableau II) [12] de symbolisation et d’autonomisation psychique.

page 4
Psychiatrie MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) 37-204-H-15

Par ailleurs, l’effraction du système de pare-excitation, cohabite avec Schématiquement, sur un plan psychopathologique, on se situe généralement
l’introjection de la culpabilité projetée de l’adulte, culpabilité se transformant loin de la névrose. La séquence décrite par Freud dans L’Homme Moïse et la
vite en honte haineuse. Il en résulte généralement une difficulté pour l’enfant religion monothéiste [7] est comme accélérée et biaisée ; on n’assiste pas à
à se représenter et à élaborer ce qui se passe. Il se trouve alors contraint à l’enchaînement : traumatisme précoce dans l’enfance - défense par
répéter [5], sur lui-même (masochisme) ou sur d’autres (identification à refoulement - phase de latence - mise en place de symptômes névrotiques avec
l’agresseur), ses expériences traumatiques (se faire rejeter, maltraiter ou retour partiel du refoulé ; mais davantage à la séquence suivante : traumatisme
maltraiter lui-même). Cette répétition est accentuée par le fait que la douleur précoce dans l’enfance - défenses archaïques (déni, clivage, etc) - mise en
physique entraîne simultanément une expérience d’effroi (où la fonction place de symptômes comportementaux en relation étroite avec le type de
« signal » de l’angoisse est largement dépassée) et une érotisation (toute autre mécanismes de défense mis en place dans l’enfance. On est alors plus souvent
excitation semblant désormais fade). Tout ceci peut aboutir à un dans le registre des pathologies limites, avec éléments narcissiques dominants
fonctionnement sadomasochiste prévalent, avec un masochisme plus érogène (baisse de l’estime de soi, dépression narcissique entraînant des tentatives de
que secondaire [6]. Pourtant, alors qu’il se noie dans la répétition, l’enfant suicide), ou dans celui des pathologies psychopathiques [2]. Dans les deux cas,
garde la certitude que ses décisions sont totalement liées à la situation présente les comportements antisociaux sont fréquents. L’analyse que propose
(les mécanismes répétitifs restent donc inconscients). En fait, il croit déverser Winnicott à leur propos semble ici tout à fait adaptée [31] : « Lorsqu’il y a une
et éliminer le surcroît d’excitation qu’il a eu à gérer par le passé : il pense tendance antisociale, c’est qu’il y a eu un véritable sevrage (pas seulement
reprendre la maîtrise en n’étant plus un acteur impuissant, alors qu’il une simple privation) ; c’est-à-dire qu’il y a eu perte de quelque chose de bon,
s’enferme dans une identification à l’agresseur. D’ailleurs, souvent, dès le qui a été positif dans l’expérience de l’enfant jusqu’à une certaine date et qui
début des sévices, l’enfant clive l’objet parental (la partie hostile s’éclipse lui a été retiré. Ce retrait a dépassé la durée pendant laquelle l’enfant est
sous l’effet de la dépendance et de la régression), ce qui favorise, plus tard, capable d’en maintenir le souvenir vivant... L’enfant est capable de percevoir
ces mécanismes d’identification à l’agresseur. Ceux-ci permettent à l’enfant que la cause du malheur réside dans la faillite de l’environnement. Le fait de
de jouer un rôle thérapeutique auprès de son parent maltraitant, tout en le savoir que la cause de la dépression ou de la désintégration est externe et non
rendant moins angoissant, un peu comme dans le syndrome de Stockholm interne entraîne la distorsion de la personnalité et le besoin de rechercher un
chez les victimes de prise d’otage [27]. remède dans les dispositions nouvelles que l’environnement peut lui offrir. »
D’autres mécanismes de défense sont aussi mis en place, témoins d’une Dans la plupart des cas, la difficulté à penser, à mentaliser, à se représenter, à
atteinte narcissique sévère [1] : clivage, déni, évitement, inhibition, besoin de symboliser, rivalise avec celle à pouvoir se référer à des objets internes non
maîtrise sur l’objet avec « addiction ou toxicomanie de l’objet », etc. Leur défaillants ou persécuteurs. Il en résulte généralement des difficultés dans la
utilisation prévalente, d’abord réactionnelle, devient peu à peu structurale et scolarité, des échecs répétés, qui ne font qu’enfermer davantage le jeune dans
c’est alors toute la capacité de l’appareil psychique à « lier les motions une mauvaise image de lui-même et dans le recours au passage à l’acte, de
pulsionnelles qui lui arrivent, de remplacer le processus primaire, auquel elles toute nature, pour se sentir exister. L’étude d’Egeland [3] comparant des
sont soumises, par le processus secondaire » [4], qui est remise en cause. Enfin, enfants victimes de maltraitances, entre 12 et 18 mois, avec des témoins,
l’enfant reste souvent pris de longues années dans le cercle vicieux qu’établit montre que, entre 42 et 56 mois, ces enfants présentent un manque de
la maltraitance. En effet, il ne peut pas se défendre par la révélation des persévérance, une distractibilité, des sentiments négatifs, des difficultés
violences qui lui sont infligées, car il craint de perdre la relation tendre et d’adaptabilité, ainsi qu’un manque de contrôle et d’enthousiasme. Certes, ce
proche qui le liait à l’adulte maltraitant (clivage de l’image parentale). Il peut tableau est lié à un enchevêtrement de facteurs (stress répété, conditions
aussi se sentir vide (perte de l’excitation) et abandonné (perte du statut sociales défavorables, mauvaise hygiène, etc) au sein desquels il reste difficile
particulier dont il bénéficiait en raison du rachat de la culpabilité parentale : d’évaluer le poids précis de la maltraitance.
cadeaux, liberté donnée, etc), en même temps qu’il est généralement soumis Handicapés de la sublimation et toxicomanes de l’agir, dépendants d’objets
à une forte pression par sa famille. Dans de rares cas, une façon de régler ce externes multipliés, jamais investis en tant que tels, mais uniquement en tant
problème est la réalisation du meurtre du parent maltraitant avant même sa que pourvoyeurs d’ersatz de bon lait narcissique, ces jeunes, s’ils ne sont pas
dénonciation (comme Freud l’évoque à propos des écrits de Dostoïewski), aidés de façon adaptée, sont des candidats privilégiés à la toxicomanie, à la
généralement à l’adolescence. délinquance, aux tentatives de suicide. Seuls, ils deviennent d’éternels globe-
trotters insatisfaits, toujours à la recherche de plaisirs narcissiques à la mesure
de l’excitation, pourtant folle et destructurante, que le passé leur a fait subir.
Risques évolutifs Parfois, la répétition de la violence et de la maîtrise [20] resurgit uniquement
lorsque les rôles s’inversent à la génération suivante. L’ancienne victime,
Après-coup de l’adolescence dont les identifications à l’agresseur se réactualisent alors, agit sa culpabilité
en l’évacuant sur de nouvelles victimes projectivement identifiées.
L’adolescence se situe parfois « après les coups » pour plusieurs raisons : le
parent maltraitant cesse ses sévices, craignant la dénonciation ou la force de
l’adolescent ; l’adolescent quitte sa famille ou dénonce les faits. Aspects thérapeutiques
Cependant, elle engendre aussi des après-coups symptomatiques, plus ou
moins comportementaux, notamment au niveau de la qualité du choix d’objet.
Ces après-coups sont sous-tendus par les mécanismes de défense prévalents Prévention
mis en place, eux, dans l’enfance (défaillance du système de pare-excitation Il semble fondamental de repérer précocement les situations « à risques » (cf
à l’origine de pathologies de l’agir, par besoin de retrouver un niveau supra) et notamment de développer la possibilité de soutien psychologique
d’excitation comparable à celui vécu dans l’enfance). durant les grossesses difficiles. Plus l’ambivalence vis-à-vis de l’enfant à
Il est aussi à noter que la dénonciation, quand la maltraitance touche plusieurs naître pourra être rapidement verbalisée, moins elle risque d’être agie plus
enfants d’une même fratrie, est souvent faite par le premier enfant devenu tard.
adolescent. Il énonce en général sa crainte de voir un de ses frères ou sœurs
subir les mêmes violences que lui-même. Ce mouvement de réparation mis
en avant reste aussi sous-tendu par un mouvement inconscient de rivalité avec Aspects médicolégaux
la jeune fratrie qui va « prendre la place » de l’adolescent, du fait même de
son passage à l’âge adulte. Le médecin peut se trouver dans différentes situations.

Signalement
Organisations pathologiques
Depuis 1995, le Nouveau Code pénal impose aux médecins l’obligation de
L’évolution psychopathologique des enfants victimes de maltraitance est signaler la maltraitance à enfant (il est délié du secret médical pour les sévices
influencée par différents facteurs liés directement au traumatisme. La qualité ou privations infligés à un mineur de moins de 15 ans ou à une personne qui
de la pathologie parentale (psychotique, perverse ou dépressive), les n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son état
circonstances de déroulement de la violence, la participation ou non d’autres psychique ou physique : article 226-14 du Code pénal) sauf circonstances
enfants de la fratrie, la révélation plus ou moins tardive, mais aussi l’âge particulières (il peut, sinon, tomber sous le coup de l’article 62 du Code pénal
auquel la maltraitance a débuté, sont autant d’éléments à prendre en compte. concernant la non-assistance à personne en danger). Il doit alerter les autorités
Cependant, il est fondamental, afin d’appréhender les répercussions, judiciaires (procureur de la République joignable téléphoniquement
d’envisager l’enfant dans sa globalité, c’est-à-dire d’évaluer l’ensemble des 24 heures/24), médicales (médecin-inspecteur de la Direction départementale
dynamiques en cause (dynamique familiale, nature de l’investissement des affaires sanitaires et sociales [DDASS]), et/ou administratives (médecin-
parental par rapport à cet enfant, histoire et mandat transgénérationnels chef de la PMI, inspecteur de l’Aide sociale à l’enfance [ASE], conseillère
éventuels, contexte éducatif général dans la famille, etc). Elles influencent technique du service social) [8, 9]. Il peut aussi avoir directement recours au
bien évidemment grandement les réaménagements en jeu. juge des enfants en cas de danger réel, actuel, certain et grave. Le Code de
Les risques évolutifs à plus long terme sont variés, même si certains éléments déontologie médicale (décret 79-506 du 28 juin 1979) indique que « lorsqu’un
apparaissent centraux, notamment l’intensité de la compulsion de répétition. médecin discerne qu’un mineur auprès duquel il est appelé est victime de

page 5
37-204-H-15 MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) Psychiatrie

sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats Conduite à tenir
pour le protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection, mais en
n’hésitant pas, si cela est nécessaire, à alerter les autorités compétentes s’il Elle est résumée dans le paragraphe ci-dessous.
s’agit d’un mineur de moins de 15 ans ». Évaluer degré d’urgence et risques
Expertise Si danger immédiat
Tout médecin peut être requis comme expert. Les autorités judiciaires (la Hospitalisation si :
brigade des mineurs généralement) enjoignent alors par écrit au médecin – risque vital, lésions traumatiques en dehors d’un contexte accidentel, retard
d’avoir à pratiquer une mission d’ordre médical ou médicolégal. Il effectue psychomoteur et/ou de croissance, tentative de suicide ou mise en danger
alors un examen et rédige un certificat où il note son identité, sa qualité, le répétée de l’enfant ;
texte précis de sa mission, sa qualité de requérant, la date de sa réquisition, – chercher d’abord à avoir l’accord des parents ;
l’heure et le lieu de l’examen, la déclaration de la personne examinée, les – si refus : faire un signalement.
données de l’examen médical détaillé ainsi que les photographies, les Signalement si :
schémas et la durée de l’incapacité totale transitoire (pour l’enfant, c’est
l’incapacité totale fonctionnelle d’accomplir les activités quotidiennes – situation où « la santé ou l’intégrité corporelle d’un mineur risque d’être
habituelles : se vêtir, faire sa toilette, aller à l’école, etc). comprise par le refus du traitement par le représentant légal du mineur »
(décret du 14 janvier 1974) ;
Témoignage – saisie du ministère public (le médecin n’y est pas obligé mais peut être
poursuivi pour défaut d’assistance s’il ne le fait pas) ;
Lors de procès, le médecin peut être amené à témoigner : il doit alors livrer les – danger immédiat de maltraitance ou lié aux séquelles de maltraitance
éléments qu’il détient ou invoquer le secret médical quand ceux-ci n’ont pas antérieure :
directement rapport avec la maltraitance. – signalement judiciaire en urgence auprès du procureur de la République
en cas de danger actuel et certain pour l’enfant ± demande d’ordonnance
Traitement de placement provisoire à l’hôpital (OPP) ;
– signalement administratif auprès de l’inspecteur de l’ASE en dehors de
La situation doit être envisagée de façon globale, ce qui fait généralement l’urgence ;
appel à une équipe pluridisciplinaire (médecin scolaire, médecin traitant, – certificat descriptif incluant l’évaluation de l’incapacité totale de travail
PMI, crèche, service hospitalier accueillant l’enfant, etc) dont les actions (incluant la durée d’hospitalisation s’il y en a une).
doivent être cohérentes et concertées. Le traitement doit être précoce, afin Dans tous les cas, il semble important d’exposer le signalement à l’enfant et à
d’éviter des séquelles aussi bien physiques que psychiques. Des évaluations la famille, en explicitant sa dimension d’aide.
répétées (par des équipes aux rôles différents : PMI, secteur social, secteur
pédopsychiatrique, etc) peuvent permettre de juger de l’efficacité des mesures Si pas de danger immédiat mais maltraitance certaine ou risque++
prises. – Joindre le secteur social et chercher un complément d’information auprès
Il n’y a pas de traitement univoque de la maltraitance. Dans certains cas, c’est de la PMI, du médecin scolaire, du médecin traitant.
le traitement médicochirurgical de l’enfant qui est au premier plan au moment – Faire un signalement auprès de l’inspecteur ASE, du médecin-chef de la
du diagnostic (réanimation pour dénutrition sévère, chirurgie d’un hématome PMI ou de la conseillère technique du service social.
sous-dural, etc). Dans d’autres, c’est au contraire l’aspect psychologique qui – Hospitalisation avec l’accord des parents pour faire le point (examens
paraît primordial (aspect autistique, épisodes dépressifs, etc). C’est parfois le complémentaires, mise en place d’un suivi psychologique, etc) ou
côté éducatif qui prime avec le besoin de poser des limites à l’enfant consultations rapprochées.
(conduites de délinquance). Enfin, parfois, un parent épuisé qui craint de
devenir maltraitant peut être rassuré par la visite régulière d’une puéricultrice
Action judiciaire
de secteur ; une mère dépassée, par l’aide d’une travailleuse familiale. Le
réaménagement du mode de garde de l’enfant (crèche, halte-garderie) peut Le procureur saisi délivre une mesure de protection (placement sous OPP ;
aussi permettre de désamorcer une situation potentiellement dangereuse. saisine du juge pour enfant ; enquête policière ; saisine du juge d’instruction).
Dans un certain nombre de cas, la protection de l’enfant semble devoir passer une procédure civile peut aussi avoir lieu (investigation d’orientation
par une séparation immédiate (placement en familles d’accueil, en internat, éducative [IOE]; aide éducative en milieu ouvert [AEMO] administrative ou
en foyer ; hospitalisation en pédiatrie, en service pédopsychiatrique). Mais judiciaire). Le juge entend l’enfant qui peut être assisté d’un avocat. Un
administrateur ad hoc peut être désigné quand, dans les procédures, les
cet éloignement ne suffit pas : le lien avec un parent, même maltraitant, reste
intérêts de l’enfant apparaissent en opposition par rapport à ceux des parents.
très fort et, si le maintien à tout prix en famille n’est pas de mise, il serait
illusoire de penser qu’on a résolu le problème uniquement en protégeant

l’enfant. Pour que chacun retrouve sa place, tout un travail avec l’enfant, et
avec ses parents quand cela est possible (remise en place des processus de • •
parentalité) [12], reste encore à faire (psychothérapie ou entretiens de soutien, La maltraitance à enfant représente une situation malheureusement
etc). La sanction de l’adulte maltraitant est sûrement fondamentale pour fréquemment rencontrée par le praticien. Il doit être à même de la
l’enfant qui se sent alors reconnu comme victime, mais le versement diagnostiquer, mais aussi être suffisamment averti de ses devoirs en
d’indemnité à la majorité de l’enfant reste souvent un moment difficile matière de signalement. Les actions thérapeutiques à envisager
(réactivation de la culpabilité et de la honte, impression de situation de doivent l’être au cas par cas, unissant les mesures de protection à un
prostitution, etc) qui nécessiterait la poursuite d’un suivi abord psychothérapeutique associant les parents, quand cela est
psychothérapeutique. possible.

page 6
Psychiatrie MALTRAITANCE ET SÉVICES À ENFANT (HORS ABUS SEXUELS) 37-204-H-15

Références
[1] Bokanowski T. Traumatisme sexuel : impact dans l’organisa- [12] Goubier-Boula MO. Travail avec les familles maltraitantes : [22] Papazian B. Mauvais traitements psychologiques, abus de
tion fantasmatique. Conférence de la Société Psychanaly- les souffrances qui restent invisibles. Neuropsychiatr Enf pouvoir ou abus de langage. Neuropsychiatr Enf Adolesc
tique de Paris, Grenoble,1993 Adolesc 1996 ; 44 : 140-148 1996 ; 44 : 149-157
[2] Diatkine G, Balier C. Psychopathie chez l’enfant et l’adoles- [13] Hart NH, Brassard MR. A major threat to children’s mental [23] Rouyer M, Drouet M. L’enfant violenté. Des mauvais traite-
cent. In : Lebovici S, Diatkine R, Soule M eds. Nouveau traité health. Psychological maltreatment. Am Psychol 1987 ; 42 : ments à l’inceste. Paris : Paidos, Le Centurion, 1986
de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris : PUF, 160-165 [24] Sigal M. Münchhausen syndrome by adult proxy: a perpetra-
1995 : 1363-1409 [14] Kempe CH, Silverman F, Steele B. The battered child syn- tor abusing two adults. J Nerv Ment Dis 1986 ; 174 : 696-698
[3] Egeland B, Sroufe A, Erickson M. The developmental conse- drome. JAMA 1962 ; 181 : 18-24 [25] Straus P, Manciaux M. L’enfant maltraité. Paris : Fleurus,
quence of different patterns of maltreatment. Child Abuse [15] Laperriere R. Traumatismes et répétition chez l’enfant en in- 1993
Neglect 1983 ; 7 : 459-469 ternat de réadaptation. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1997 ; [26]] Tomkiewicz S. Aimer mal, châtier bien : enquêtes sur les
[4] Freud S. Trois essais sur la théorie de la sexualité 1905. 45 : 282-289 violences dans les institutions pour enfants et adolescents.
Paris : Gallimard, 1980 [16] Lebovici S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les Paris : Le Seuil, 1991
[5] Freud S. Au-delà du principe de plaisir, 1920. In : Essais de interactions précoces. Paris : Le Centurion, 1983 [27] Tridon P, Marion V. L’attachement de l’enfant à l’agresseur :
Psychanalyse. Paris : Payot, 1984 : 41-116
[17] Mahieux F, Roullet E, Fenelon G, Amarenco P, Guillard A, du syndrome de Stockholm chez l’enfant. Ann Pediatr 1990 ;
[6] Freud S. Problème économique du masochisme, 1924. In : Marteau R. Syndrome de Münchhausen. Étude de 8 cas à 37 : 247-249
Névrose, psychose, perversion. Paris : PUF, 1985 : 287-298 expression neurologique. Rev Neurol 1991 ; 147 : 557-565 [28] Vezina A, Bradet R. Validation québécoise de l’inventaire
[7] Freud S. L’Homme Moïse et la religion monothéiste, 1939. [18] Mignot C, Straus P, Drouet M. Étude du devenir à long terme concernant le bien-être de l’enfant en relation avec l’exer-
Paris : Gallimard, 1986 d’une cohorte d’enfants maltraités dans leur enfance. Minis- cice des responsabilités parentales. Centre de recherche sur
[8] Gabel M. Évolution de la législation française concernant la tère de la Justice, AFIREM, Paris, 1991 les services communautaires. Université Laval, Québec,
maltraitance : l’obligation faite aux médecins. Neuropsy- [19] Ormezzano J. Quand et comment punir les enfants. Paris : 1990
chiatr Enf Adolesc 1996 ; 44 : 158-163 ESF, 1994 [29]] Vezina A, Lord M, Thibault M, Pelletier D, Bradet R. Diagnos-
[9] Gabel M, Lebovici S, Mazet PH. Maltraitance : maintien du [20] Papazian B. Bref essai d’analyse des mécanismes incons- tic et traitement de l’enfant en danger. Paris : L’Harmattan,
lien ? Paris : Fleurus, 1995 cients qui interviennent dans la répétition transgénération- collection Technologie de l’action sociale, 1995
[10] Garbarino J, Guttman E, Seeley J. The psychologically bat- nelle d’abus physiques ou sexuels. Psychiatr Enf 1994 ; 37 : [30] Wildin SR, Williamson WD, Wilson GS. Children of battered
tered child: strategies for identification, assesment and inter- 353-360 women: developmental and learning profils. Clin Pediat
vention. San Francisco : Jossey-Bass, 1986 [21] Papazian B. Les violences psychiques intrafamiliales : de 1991 ; 30 : 299-304
[11] Gosset D, Hedouin V, Revuelta E, Desurmont M. Mal- l’opportunité de leur judiciarisation. Ann Med Psychol 1993 ; [31] Winnicott DW. La tendance antisociale1956. In : De la pédia-
traitance à enfants. Paris : Masson, 1996 : 197 151 : 122-124 trie à la psychanalyse. Paris : Payot, 1987 : 175-184

page 7
Pédopsychiatrie
[37-201-A-60]

Névroses et troubles névrotiques chez l'enfant

Claude Bursztejn : Professeurs de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent


Service psychothérapique pour enfants et adolescents, hôpitaux universitaires de Strasbourg, 67091
Strasbourg cedex France
Anne Danion Grilliat : Professeurs de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent

© 1995 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

INTRODUCTION

Parler de névrose chez l'enfant soulève de nombreuses questions. Si tous les


auteurs s'accordent, en effet, à reconnaître l'existence chez l'enfant de
manifestations cliniques analogues à celles qui caractérisent les névroses à l'âge
adulte, la signification de ces symptômes reste discutée et variable. Considérés,
dans de nombreux cas, comme des aspects normaux, voire nécessaires du
développement, ils paraissent, dans d'autres cas, bien révélateurs d'un
processus pathologique.

Dans ce domaine, plus encore que dans d'autres, se pose, avec une particulière
acuité, la question des frontières incertaines du normal et du pathologique, et
ceci s'accompagne d'un certain flou de la terminologie habituellement utilisée. Le
terme de " névrose infantile " a été ainsi utilisé tantôt pour désigner un état
pathologique, tantôt pour désigner une étape du développement de la
personnalité, en référence à la théorie psychanalytique. La conceptualisation
d'ensemble des névroses est, en effet, étroitement liée à l'oeuvre de S Freud qui
a montré les rapports des symptômes avec les processus inconscients ainsi que
les analogies structurales entre les manifestations observées au cours de
l'enfance et celles rencontrées chez l'adulte.

C'est sans doute en raison de ce lien théorique et historique que le DSM III,
partiellement suivi par la dixième édition de la Classification internationale des
maladies, a pris le parti de renoncer au concept de névrose : les symptômes
correspondants sont décrits comme autant de comportements et conduites
indépendants les uns des autres. Une grande partie des publications de ces dix
dernières années se sont conformées à cette classification et une recherche
bibliographique, dans ce domaine, ne peut plus être faite à partir du seul terme
générique " névrose ", elle doit prendre en compte les différents items
correspondant à chacun des syndromes ou symptômes. Signe de cette évolution
terminologique, l'ouvrage de Jalenques, Lachal et Coudert (1992) [33] auquel
nous ferons souvent référence, envisage les problèmes posés par ce domaine de
la clinique de l'enfant sous l'angle de l'étude des états anxieux.

Dans cet article, tout en nous référant à la conception psychanalytique des


névroses, comme axe de compréhension psychopathologique, nous introduirons
les apports des travaux récents et les nouvelles entités nosographiques.

Haut de page

CONCEPTIONS THÉ ORIQUES

La notion de névrose a été introduite par Cullen, à la fin du XVIIIe siècle, pour désigner
des affections du système nerveux sans fièvre ni lésion décelable. Au cours du siècle
suivant, les écoles psychiatriques française et allemande ont précisé ses limites
nosologiques, tandis que leur origine psychogénétique était affirmée, notamment par
Charcot et Janet.

Approches psychanalytiques

L'apport décisif de S Freud a été de reconnaître aux symptômes névrotiques un sens, celui
d'un compromis résultant d'un conflit intrapsychique inconscient, et de montrer
l'importance des conflits infantiles refoulés dans le déterminisme des conduites
ultérieures. La notion de névrose infantile apparaît, ainsi, au centre de l'ensemble de la
théorie psychanalytique des névroses.

Les premières hypothèses sur la sexualité infantile, formulées dans les Trois essais sur la
théorie de la sexualité (1905), ont été confirmées ultérieurement, notamment lors de la
première psychanalyse d'enfant, " le petit Hans " (1909). L'étude de ce cas de phobie chez
un enfant de 5 ans, révèle les conflits typiques de la problématique oedipienne. Freud
souligne la grande fréquence de tels symptômes chez des enfants qui deviennent plus
tard, note-t-il, " un peu névrosés ou restent bien portants ".

Le concept de névrose infantile est repris dans " L'homme aux rats " (1909) et " L'homme
aux loups " (1918). Dans ce fragment de l'analyse d'un jeune adulte de 25 ans, dont
l'enfance, a été marquée par des symptômes multiples (phobies d'animaux, compulsions
et rituels obsessionnels), Freud insiste, en particulier, sur la notion " d'après-coup " : des
souvenirs infantiles à connotation sexuelle (la scène primitive), refoulés, prennent sens
dans un deuxième temps, en fonction de la poussée pulsionnelle pubertaire. La névrose
infantile, centrée sur les conflits oedipiens et l'angoisse de castration, constitue, ainsi, une
structure fondamentale de l'organisation psychique ultérieure.

Cette voie théorique, ouverte par Freud, a été poursuivie par les premiers psychanalystes
d'enfants. Anna Freud [25, 26], s'est attachée à décrire la mise en place, au cours du
développement de la névrose infantile, des mécanismes de défense du Moi. Pour elle, le
développement de la personnalité de l'enfant est intimement lié aux relations avec le
monde extérieur, et l'on ne peut parler d'organisation névrotique avant l'internalisation
des conflits. A sa suite, Nagera a cherché à préciser les facteurs qui modulent le cours de
la névrose infantile. Il propose de distinguer les conflits de développement (conflits entre
exigences pulsionnelles et exigences de la réalité), des immixtions dans le développement
(événements traumatiques, ou exigences excessives de l'environnement). Les menaces
extérieures sont d'une grande importance dans la formation du Surmoi, dont le rôle est
central dans la constitution des conflits névrotiques.

Pour les auteurs de l'école kleinienne, la névrose infantile doit être envisagée comme le
mode d'élaboration des angoisses précoces. Ainsi, pour Klein [38] et Segal, la névrose
infantile est liée à la position dépressive et à la réparation de la mère attaquée par
l'identification projective.

La place d'une névrose clinique chez l'enfant, reste discutée, du point de vue
psychopathologique.

Pour Bergeret et Lustin [5], on ne peut affirmer l'existence d'une structure névrotique
avant la fin de la période de latence, sinon de l'adolescence. Diatkine et Simon [16] font
intervenir des critères tels que l'internalisation des conflits et l'existence d'une angoisse
liée à des représentations objectales différenciées et sexuées [2].

Pour Lang [41], il est possible de parler d'une structure névrotique chez l'enfant lorsque se
trouvent reliés de manière cohérente et signifiante :

des symptômes caractéristiques ;


les mécanismes de défense spécifiques ;
les processus dynamiques liés à une problématique conflictuelle impliquant des
instances nettement différenciées et des relations triangulaires sur le mode
oedipien ;
la formation des symptômes doit, enfin, correspondre à un compromis névrotique
entre le Moi et le Ça ;
l'angoisse en jeu est l'angoisse de castration.

Lebovici [45] a proposé une synthèse qui prend en compte ces différents apports. Il
distingue nettement la névrose infantile et la névrose chez l'enfant.

La névrose infantile, concept métapsychologique, peut être définie, comme un moment


d'organisation et comme un modèle que reproduira la névrose de transfert. Elle est, écrit-
il, la métaphore de la sexualité infantile de l'enfant, au moment où le primat du phallique
intervient pour organiser les pulsions partielles. Elle peut cliniquement se manifester par
des symptômes ou rester tout à fait silencieuse.

A côté de la névrose infantile, ainsi délimitée, l'émergence d'une névrose de l'enfant


correspondrait à la non-intégration des symptômes de la névrose infantile et à
l'insuffisance des défenses, laissant persister des contradictions dangereuses pour le Moi.

Cette distinction apporte une clarification à une question restée longtemps confuse. Elle ne
résout cependant pas tous les problèmes, notamment ceux posés en clinique par le
repérage précoce, au moment de l'organisation de la névrose infantile, des cas qui
risquent d'évoluer vers une névrose pathologique.

Approches comportementalistes

Le " behaviorisme " considère les symptômes névrotiques comme des comportements
appris et fixés par des mécanismes de conditionnement. Très tôt cette approche a été
appliquée à l'enfant : en 1920, Watson publie l'induction expérimentale d'une phobie des
jouets en peluche (par association à un bruit violent), chez un enfant de 11 mois ; en
1924, Jones, réalise le premier déconditionnement d'une phobie animale chez un enfant
de 3 ans.

En 1937, Skinner introduit le modèle du conditionnement opérant, dans lequel le


comportement est contrôlé par ses conséquences (notion de renforcement positif ou
négatif) : un comportement non renforcé tend à disparaître. A côté des acquisitions par
contiguïté-répétition et par renforcement, Bandura (1977), souligne l'importance de
l'imitation dans les apprentissages sociaux.

A la suite de ces travaux, les thérapies comportementales des troubles névrotiques se sont
développées, notamment dans les pays anglo-saxons, plus tardivement en France.
Différentes techniques ont été utilisées : l'immersion (ou " flooding ") consiste à mettre le
sujet en présence du stimulus anxiogène, jusqu'à extinction de l'angoisse ; la
désensibilisation associe, en général, la relaxation à la confrontation progressive à la
situation ou à l'objet anxiogène. L'apprentissage par imitation à partir de modèles ("
modeling "), a également été utilisé en thérapie comportementale.
Approches biologiques

Les recherches dans ce domaine se sont surtout centrées sur les " troubles obsessionnels
compulsifs ", dont l'association avec des lésions organiques cérébrales a été relevée à
plusieurs reprises chez l'adulte. S'appuyant sur des arguments indirects (données
d'imagerie cérébrale obtenues chez des patients adultes, forte incidence des troubles
obsessionnels compulsifs chez des adolescents atteints de chorée de Sydenham) Swedo et
coll. [77] suggèrent l'implication d'un défaut de contrôle par le lobe frontal des ganglions
de la base. Ces structures subcorticales jouent un rôle essentiel, chez l'animal, dans
l'exécution de comportements " de routine ", qui présentent certaines analogies avec les
rituels compulsifs. La même équipe [76], a étudié les monoamines, différentes hormones
et neuropeptides, dans le liquide céphalo-rachidien de 43 enfants et adolescents
présentant des symptômes obsessionnels et compulsifs. Les résultats montrent des
corrélations entre les taux de 5-HIAA (acide 5-hydroxyindolacétique), d'arginine-
vasopressine et d'ocytocine, d'une part, et des indices de sévérité des troubles, d'autre
part.

Haut de page

CLASSIFICATIONS

[9]
Les trois systèmes classificatoires, actuellement utilisés en psychiatrie de l'enfant ,
abordent ce domaine avec des différences notables.

CFTMEA (tableau I)

Dans la Classification française des troubles mentaux de l'enfant et de


l'adolescent (Misès et Quemada [54]), qui privilégie une approche structurale, les
troubles névrotiques constituent l'une des quatre catégories diagnostiques
principales. 9 sous-catégories sont proposées, en fonction du mode d'expression
symptomatique prédominant (à dominante anxieuse, hystérique, obsessionnelle,
inhibition, dépressive, caractères névrotiques, autres, non spécifiés).

DSM IIIR (tableau II)

Cette classification ne fait aucune mention de la notion de névrose pour l'enfant.


Une partie des syndromes correspondants, sont décrits parmi les " troubles
anxieux de l'enfance et de l'adolescence ", subdivisés en trois catégories : le
trouble Angoisse de séparation, le trouble Evitement de l'enfance et de
l'adolescence (dont la description correspond à l'inhibition sociale), le trouble
Hyperanxiété (dont la description correspond à l'anxiété flottante). Mais il est
possible d'appliquer à un enfant d'autres catégories de troubles si les critères
sont remplis. Des publications anglo-saxonnes récentes sont ainsi consacrées à
un réexamen des manifestations observées dans l'enfance, en fonction des
critères de la pathologie adulte.

DSM IV (tableau III)

Le DSM IV, paru en 1995, remanie, à nouveau, la présentation des troubles


névrotiques de l'enfant. Le groupe des " Troubles anxieux de l'enfance et de
des troubles névrotiques et anxieux survenant dans l'enfance se trouve ramenée
au modèle psychopathologique adulte.

CIM 10 (tableau IV)

Cette classification présente des analogies avec le DSM IIIR dans sa conception
d'ensemble, mais elle en diffère dans le détail. La notion de trouble névrotique
est conservée, mais elle n'apparaît pas parmi les catégories spécifiques de
l'enfant. Parmi ces dernières, on trouve les " troubles émotionnels apparaissant
spécifiquement dans l'enfance ", qui regroupent l'angoisse de séparation, les
troubles anxieux phobiques, l'anxiété sociale et la rivalité dans la fratrie : les
descriptions tiennent compte des particularités liées au développement. Comme
pour le DSM IIIR, il est possible d'utiliser les catégories des autres sections, si
un enfant remplit les conditions du diagnostic.

Haut de page

EPIDÉ MIOLOGIE

Les résultats des différentes enquêtes sont difficiles à comparer en raison des
variations de la terminologie et des critères de diagnostic.

Dans les enquêtes françaises portant sur des cohortes d'enfants suivis par les
services de psychiatrie infantile [36, 64, 70], les troubles névrotiques constituent la
catégorie diagnostique la plus fréquente avec des prévalences allant de 24 à 37
%.

D'autres travaux ont évalué la prévalence des troubles anxieux dans la


population générale. Les taux observés vont de 2 à 7 % selon les symptômes pris
en considération [33]. Dans ces enquêtes, l'association de deux ou plusieurs
troubles anxieux chez un même sujet est fréquente ; la surreprésentation des
garçons, habituelle dans la plupart des domaines de la psychopathologie, ne se
retrouve pas pour tous les troubles névrotiques ou anxieux.

Des antécédents de troubles anxieux chez les parents (associés ou non à des
troubles de l'humeur) augmentent le risque de troubles anxieux chez l'enfant ; il
n'a pas été retrouvé d'association significative, en revanche, avec le statut socio-
économique ou l'appartenance ethnique.

Haut de page

ETUDE CLINIQUE

Nous décrirons dans un premier temps les principales manifestations


symptomatiques par lesquelles s'expriment les troubles névrotiques chez
l'enfant avant de regrouper leur modalité évolutive et leur signification,
notamment du point de vue pronostique.

L'angoisse et ses manifestations


Classifications

CFTMEA : troubles névrotiques évolutifs à dominante anxieuse ;


DSM IIIR : évitement de l'enfance, hyperanxiété, trouble panique, anxiété
généralisée ;
DSM IV : trouble panique, anxiété généralisée.
CIM 10 : anxiété sociale de l'enfance, trouble panique, anxiété
généralisée, trouble anxieux et dépressif mixte, autres troubles anxieux
mixtes, autres troubles anxieux spécifiés.

Clinique

L'angoisse est un affect pénible, comportant l'attente d'un danger ou une tension
menaçante, habituellement défini comme une peur sans objet dans la réalité. Elle
est toujours présente dans les troubles névrotiques, qu'elle se manifeste
directement ou à travers des symptômes élaborés par les mécanismes de
défense.

Manifestations précoces

Chez le nourrisson, on considère l'apparition soudaine de réactions


comportementales intenses (pleurs, cris à tonalité particulière, agitation
motrice) comme l'expression de l'angoisse. De tels épisodes s'observent
notamment, à partir du deuxième semestre, lors de séparations d'avec la mère.

Des symptômes somatiques observés chez le nourrisson dans le contexte de


difficultés relationnelles avec le milieu maternant (coliques idiopathiques,
spasme du sanglot) peuvent également être rattachés à l'angoisse.

L'enfant plus âgé exprime l'anxiété soit par des sensations de malaise physique,
soit par une hypervigilance inquiète soit encore par une agitation motrice.

L'angoisse peut se manifester sur un mode chronique ou paroxystique.

Anxiété chronique

L'enfant exprime, verbalement ou à travers ses jeux, des préoccupations


concernant sa santé ou celle des personnes de son entourage, redoute les
accidents, les situations de mise à l'épreuve (examen, sport, examens médicaux
de routine), demande sans cesse des réassurances à son entourage. Il exprime
souvent, aussi, des sentiments de culpabilité. Son comportement est en général
inhibé, avec des difficultés à organiser un jeu, une activité ; dans certains cas au
contraire l'anxiété peut être masquée par une attitude de bravade, une instabilité
motrice, voire des troubles du comportement ayant valeur d'acting-out. Des
plaintes somatiques sont fréquentes : sensation de boule dans la gorge,
céphalées, nausées, vertiges, douleurs abdominales, vomissements.

Ces manifestations d'anxiété chronique, apparaissent plus volontiers après l'âge


de 6 ans ; elles s'associent souvent à des épisodes paroxystiques ou encore à des
phobies. Il n'est pas rare qu'elles persistent à l'adolescence et même à l'âge
adulte.

Paroxysmes anxieux

Il s'agit d'épisodes aigus généralement déclenchés par un événement ou un


contexte spécifique : l'enfant apparaît terrorisé, hagard ou cherche à se débattre
associées. Une altération de la conscience (perte des repères spatiotemporaux,
discours confus suggérant parfois une activité hallucinatoire) n'est pas rare. La
fin de la crise, souvent brusque, est largement fonction des réactions de
l'entourage.

Attaques de panique

Certains épisodes d'anxiété aiguë, accompagnés de symptômes neurovégétatifs


intenses, survenant sans relation évidente avec un événement extérieur
déclenchant, répondent aux critères de cette entité introduite par le DSM III :
quelques cas ont été rapportés chez l'enfant. Herskowitz [31] a signalé que
certaines attaques de paniques de l'enfant pouvaient poser un problème
diagnostique avec des crises épileptiques temporales.

Manifestations anxieuses liées au sommeil

Elles sont particulièrement fréquentes.

Il peut s'agir de troubles de l'endormissement, souvent associés à des éléments


phobiques (voir ci-dessous) particulièrement fréquents entre 2 et 6 ans.

Le sommeil lui-même peut aussi être perturbé :

par des rêves d'angoisse (cauchemars) : l'enfant se réveille angoissé mais


il est possible de le rassurer et il est capable de raconter son cauchemar ;
ou, par des terreurs nocturnes - épisodes d'allure dramatique - où
l'angoisse paroxystique manifestée par des cris est accompagnée de
manifestations neurovégétatives intenses et d'un état confusionnel,
l'amnésie de l'épisode est habituelle.

Ces deux types d'épisodes nocturnes, qui s'observent surtout entre 2 et 6 ans, se
différencient également sur le plan des enregistrements polygraphiques : alors
que le cauchemar correspond habituellement à une période de sommeil
paradoxal, les terreurs nocturnes surviennent au cours du sommeil lent (stade
III ou IV).

Psychopathologie

Dans la conception freudienne [27] l'angoisse correspond à un signal d'un danger


pour le Moi confronté à une accumulation d'excitation, externe ou interne, qu'il
ne peut maîtriser. Avec une telle conception, on comprend aisément que
l'angoisse soit inhérente au processus même du développement puisque chaque
étape correspond à une modification des investissements libidinaux ; la
caractéristique même de l'enfant est la relative inadéquation de l'équipement
maturatif face, d'une part, à ces modifications de la dynamique pulsionnelle,
face, d'autre part, aux tensions issues des interactions avec l'environnement
relationnel.

Rappelons que pour Freud, le prototype de la situation de danger est la perte de


l'objet ; l'apparition de l'angoisse de l'enfant devant le visage d'un étranger, vers
le 8e mois, décrite par Spitz, est justement la marque que l'enfant a pu constituer
une relation à un objet total.

" Trouble angoisse de séparation "


cours du développement), par son âge de survenue plus tardif, sa persistance et
son retentissement [58]. Ce syndrome cité dans toutes les classifications,
comporte trois séries de signes :

la détresse lors de la séparation pouvant aller jusqu'à de véritables états


de panique ;
les ruminations et les préoccupations morbides qui tendent à parasiter le
contenu mental de l'enfant et qui portent sur l'intégrité de la famille ou de
l'enfant lui-même ;
la nostalgie du chez-soi et un désir intense de réunion familiale.

Ce trouble peut donner lieu à une phobie scolaire. Selon certaines études
longitudinales, il constituerait un facteur de risque pour le développement
ultérieur de l'agoraphobie chez le sexe féminin.

Phobies chez l'enfant

Classifications

CFTMEA : troubles névrotiques évolutifs à dominante phobique.


DSM IIIR : phobie sociale, phobie simple, trouble panique avec
agoraphobie.
DSM IV : trouble panique avec agoraphobie, agoraphobie sans trouble
panique, phobie spécifique, phobie sociale.
CIM 10 : trouble anxieux phobique de l'enfance, agoraphobie, phobies
sociales, phobies spécifiques, autres troubles anxieux phobiques.

Clinique

Les phobies sont définies comme des craintes éprouvées face à des objets ou
situations ne comportant pas de danger objectif, et dont le sujet reconnaît la
nature excessive ou irrationnelle ; elles s'accompagnent de conduites
d'évitement, ou de réassurance (présence d'une personne ou d'un objet).

Les manifestations répondant à cette définition sont d'une très grande fréquence
chez l'enfant ; mais elles sont d'une intensité très variable et leur signification
est très diverse ; notamment selon le moment de l'évolution auquel elles
surviennent.

Peurs archaïques et phobies

Il est classique, à la suite de Anna Freud, de distinguer des phobies, les peurs
transitoires sans signification symbolique, déclenchées à partir du 2e semestre
par les éléments naturels (vent, orages, obscurité) ou, plus simplement par des
situations imprévues.

Les comportements de crainte et d'évitement devant des personnes étrangères


(angoisse du 8e mois, décrite par Spitz) constituent en revanche, pour beaucoup
d'auteurs, le prototype des manifestations phobiques : cette réaction
normalement transitoire, peut cependant être suffisamment durable pour
perturber les premières tentatives de socialisation, notamment en milieu
scolaire.

Symptômes phobiques

Ils sont surtout fréquents entre 2 et 6 ans. Les objets ou situations phobogènes
évoluent avec l'âge ; il est, ainsi, habituel d'observer [80] :
à partir de 2 ans, des phobies de l'obscurité, avec souvent des difficultés
d'endormissement. La crainte peut s'étendre aux espaces obscurs ou
dissimulés à la vue de l'enfant ;
les phobies d'animaux apparaissent un peu plus tardivement vers 3-4 ans.
Elles sont souvent durables mais restent habituellement limitées à un ou
quelques animaux spécifiques : elles portent d'abord sur les gros puis sur
les petits animaux. Vis-à-vis des gros animaux, la crainte qui s'exprime
est essentiellement celle d'être mordu ou attaqué ; la crainte qui s'attache
aux petits animaux (araignées, insectes, souris) est plutôt celle d'un
contact tactile suscitant un sentiment de répulsion ;
les phobies de situations, analogues aux phobies observées chez l'adulte
(angoisse des rues, vertige d'altitude, agora- ou claustrophobie),
n'apparaissent généralement que vers 5 ans.

Une mention particulière doit être faite pour les phobies scolaires. Contrairement
aux autres phobies de situation, elles sont relativement fréquentes, et
surviennent de manière privilégiée lors de la préadolescence et de l'adolescence
[19]
. Elles se caractérisent par la survenue, le plus souvent brutale, d'accès
d'angoisse au moment du départ pour l'école avec un désir impérieux de rester à
la maison, malgré un intérêt apparemment conservé pour la scolarité (souvent
bonne voire brillante jusque-là). Ces éléments distinguent nettement ce trouble
du refus scolaire ou de l'école buissonnière dans lesquels il n'y a pas de
connotation anxieuse apparente. Des remarques humiliantes d'un professeur ou
d'un camarade, des plaintes hypocondriaques sont parfois mises en avant par
l'enfant pour différer le retour à l'école.

Ce type de phobie peut être transitoire, se manifestant de façon brusque,


souvent en relation avec un événement mettant en cause l'intégrité du cadre
familial (maladie d'un des parents, deuil, séparation) ; elle peut, alors, révéler un
état dépressif majeur [43].

D'autres cas, après un début brutal ou insidieux, se pérennisent, l'absentéisme


scolaire, parfois entrecoupé de brèves périodes de reprises, pouvant durer
plusieurs années. Certains auteurs [19] soulignent les particularités du
fonctionnement des familles de ces enfants (surprotection maternelle, incapacité
du père à tenir son rôle). Pour d'autres [47], ces phobies scolaires graves
correspondent à des troubles de la personnalité (état limite, psychose).

Psychopathologie

Les peurs et phobies de l'enfant peuvent être comprises en prenant en compte


les remaniements psychiques liés au processus du développement, notamment,
l'organisation progressive de la relation d'objet. Dans cette perspective, on peut
considérer qu'il y a une continuité entre les premières réactions négatives de
l'enfant vis-à-vis de " l'étranger " - témoin de la relation objectale en train de se
constituer - et les phobies les plus élaborées observées au moment de la période
oedipienne et au-delà.

Pour Mallet [50], les premières craintes phobiques - qu'il vaudrait mieux qualifier
de " préphobies ", dans la mesure où elles précèdent l'organisation oedipienne
(Lang [41]) - se rattachent à l'élaboration de l'angoisse de séparation ; la phobie
du noir, la lutte contre l'endormissement, apparaissent d'abord liées à la perte
objectale que représente le moment du coucher. Les rituels plus ou moins
compliqués, auxquels doivent se soumettre les parents, ont une valeur
contraphobique, l'objet transitionnel joue un rôle analogue.

Dans la 3e-4e année, s'élaborent chez certains enfants des phobies dans
lesquelles l'obscurité est peuplée de représentations fantasmatiques, sorcières
ou voleurs, personnages destructeurs et tout-puissants, figuration des aspects
négatifs des figures parentales archaïques, vestige de l'organisation orale. Une
évolution progressive de ce type de phobies, vers les phobies d'animaux est
possible.

Ces phobies d'animaux, très fréquentes, correspondent généralement à


l'élaboration de la relation génitalisée à l'objet. Les phobies des grands animaux,
se rattachent à l'angoisse de castration, les phobies des petits animaux,
évoquant la répulsion, renvoient plutôt à l'angoisse liée à la curiosité sexuelle
(attirance, répulsion pour les organes génitaux) et à des fantasmes de
pénétration. Diatkine [14] souligne, aussi, l'influence de l'apport culturel : il
intervient de façon évidente dans la peur du loup.

Si la compréhension du monde interne de l'enfant et de son évolution est un


éclairage essentiel des phobies, il faut aussi tenir compte de leur dimension
relationnelle.

Certaines phobies de l'enfant semblent, en effet, en relation étroite avec


l'angoisse de l'entourage, au point d'apparaître parfois davantage comme un
symptôme de l'un des parents - présentant lui-même des troubles phobiques -
que comme un symptôme propre à l'enfant.

D'autre part, il faut prendre en considération l'usage que fait l'enfant lui-même
de ses symptômes dans la relation à autrui. Si certains enfants gardent secrètes
des peurs très intenses, d'autres, au contraire les utilisent dans la relation à leur
mère, pour maintenir une relation privilégiée (bénéfices secondaires du
symptôme).

Evolution des phobies

La période où les phobies sont les plus fréquentes est la période de 3 à 5-6 ans.
Généralement transitoires, limitées, entravant peu les conduites sociales de
l'enfant, elles sont considérées comme faisant partie du développement normal,
leur absence devant même inquiéter, selon Winnicott.

Certaines phobies chez l'enfant ont cependant un caractère pathologique :

par leur intensité, leur caractère envahissant et invalidant ;


la survenue des thèmes phobiques multiples, associée en général à une
anxiété chronique ;
leur thème inhabituel (phobies d'objet piquant ou tranchant, phobies
d'empoisonnement...) ; comme on l'a vu plus haut, les phobies scolaires
(à l'exclusion des épisodes d'anxiété de séparation survenant chez de très
jeunes enfants) ont toujours une signification pathologique.

Des phobies apparaissant à l'adolescence peuvent évoluer d'un seul tenant vers
une névrose phobique.

Rituels et manifestations obsessionnelles

Classifications

CFTMEA : troubles névrotiques évolutifs à dominante obsessionnelle.


DSM IIIR : trouble obsessionnel-compulsif.
DSM IV : trouble obsessionnel-compulsif.
CIM 10 : trouble obsessionnel-compulsif.

Clinique

Des manifestations proches de celles de la névrose obsessionnelle de l'adulte


sont fréquentes chez l'enfant.

Manifestations obsessionnelles précoces


Au cours de la petite enfance, il est très banal d'observer des rituels plus ou
moins complexes (exigence de certains objets, de certains actes exécutés dans
un ordre précis) notamment au moment du coucher. Ces rituels, qui
correspondent à une lutte contre l'angoisse (ici l'angoisse de séparation) ont un
rapport structural certain avec les symptômes obsessionnels. Cependant, comme
le souligne Lucas [48], l'organisation conflictuelle qu'ils révèlent reste en grande
partie externalisée, impliquant fortement les parents réels. D'ailleurs la
contrainte éprouvée par l'enfant lui-même apparaît minime : les exigences
ritualisées prennent souvent une allure ludique.

Manifestations obsessionnelles à la période de latence

Chez les enfants d'âge scolaire (période de latence), s'observent des rituels plus
complexes (collections, vérifications, actes à valeur conjuratoire). Certains
enfants deviennent ainsi très méticuleux, organisent longuement leur emploi du
temps, vérifient ou recopient leurs devoirs. Des préoccupations concernant la
propreté, les maladies sont fréquentes [48].

Ces manifestations, dont le devenir à long terme est très variable, méritent une
évaluation psychopathologique attentive, prenant en compte l'intensité de la
compulsion, l'adhésion de l'enfant à ces rituels, leur tendance à l'extension, et
l'association à des pensées obsédantes ou à des phobies.

Dans beaucoup de cas, elles correspondent à la mise en place de traits de


caractère, résultant du processus oedipien ; on a aussi souligné l'importance des
exigences éducatives du milieu. Ces organisations caractérielles, de type
obsessionnel, sont souvent durables encore que des remaniements importants
soient possibles au moment de l'adolescence.

Mais dans certains cas, les traits obsessionnels peuvent devenir envahissants,
s'accompagnant d'une inhibition des conduites et des processus intellectuels. Le
risque d'évolution vers une névrose obsessionnelle à l'âge adulte existe.

Manifestations obsessionnelles à l'adolescence

Au moment de l'adolescence, s'observent souvent des idées obsédantes


transitoires : préoccupations métaphysiques, scrupules moraux excessifs,
préoccupations centrées sur la culpabilité de la masturbation.

Névroses obsessionnelles

De véritables névroses obsessionnelles peuvent aussi s'organiser au cours de la


période prépubertaire ou, plus fréquemment, au moment de l'adolescence. Selon
Flament et coll. [23], des antécédents familiaux de névrose obsessionnelle sont
retrouvés dans 25 % des cas.

On retrouve les manifestations et les mécanismes de défense (isolation,


annulation, déni) caractéristiques des névroses obsessionnelles de l'adulte :

des traits de caractère (perfectionnisme, besoin excessif d'ordre et de


propreté) accompagnés d'un sentiment de contrainte interne et de
souffrance psychique ;
des symptômes obsessionnels :
idées obsédantes touchant en général les questions métaphysiques
(le Bien, le Mal) ou des préoccupations centrées sur la maladie, la
mort ou plus banalement préoccupations anxieuses, envahissantes
concernant l'école ;
obsessions-impulsions : l'enfant est obsédé par la crainte de
commettre des actes agressifs ou grossiers ;
rituels compulsionnels plus ou moins complexes : arithomanie,
rituels de vérification, rituels de lavage (les plus fréquents).

L'inhibition intellectuelle dans les formes évolutives devient souvent importante,


entraînant des difficultés scolaires, d'autant plus douloureusement ressenties
que l'enfant investit beaucoup la scolarité.

Ces névroses obsessionnelles de l'enfant et de l'adolescent ne s'améliorent pas


spontanément : leur évolution serait même caractérisée, comme pour l'adulte,
par la chronicité : dans l'étude de Flament et coll. [23] ils persistent encore 2 à 7
ans après le diagnostic dans 75 % des cas, avec une scolarité, puis une insertion
professionnelle moins bonne que la population témoin. L'évolution d'un seul
tenant vers une névrose obsessionnelle à l'âge adulte est possible. Les auteurs
signalent d'autres risques évolutifs : dépression (50 %), suicide (20 % des cas),
et troubles anxieux (35 % des cas). Mais ces données pessimistes doivent être
nuancées en fonction du traitement : ces organisations névrotiques apparaissent,
en effet, plus sensibles aux thérapies analytiques que les névroses
obsessionnelles de l'adulte.

Tics et obsessions

Des tics s'observent, dans 10 % des cas, associés à de tels traits obsessionnels.
Certains tics (mais pas tous) paraissent ainsi avoir la valeur de conduites
compulsives avec un versant moteur associé à des idées obsédantes. Selon Pauls
et coll. [62], certaines formes de troubles obsessionnels auraient des facteurs
génétiques communs avec la " maladie des tics " de Gilles de la Tourette, dans
laquelle serait impliqué le système limbique. En revanche, Swedo et coll. [7] n'ont
trouvé aucun antécédent de tics dans les familles des 70 cas de troubles
obsessionnels compulsifs qu'ils ont rapportés.

Psychopathologie

On retrouve dans les manifestations obsessionnelles de l'enfant, les mécanismes


de défense typiques de la névrose obsessionnelle : déni, isolation, annulation,
intellectualisation, formation réactionnelle, etc.

A. Freud rattache l'apparition de manifestations obsessionnelles chez l'enfant à


une régression pulsionnelle vers des fixations prégénitales, face à l'intensité de
l'angoisse de castration liée à l'Oedipe [24, 25]. Pour Klein, le développement des
mécanismes obsessionnels, dans le cadre de la névrose infantile, correspond à la
lutte contre les angoisses archaïques [38].

A l'adolescence, l'émergence de manifestations obsessionnelles peut être


comprise comme ayant valeur défensive vis-à-vis de l'angoisse suscitée par des
transformations corporelles pubertaires et la poussée pulsionnelle qui leur est
contemporaine. Des rituels de lavage ou d'autres formes de compulsions
apparaissent en relation directe avec la culpabilité liée aux fantasmes
masturbatoires. La pression éducative du milieu, renforçant les exigences
surmoïques jouerait un rôle dans l'orientation vers une organisation névrotique
stable.

Hystérie chez l'enfant

Classification

CFTMEA : troubles névrotiques évolutifs à dominante hystérique ;


DSM IIIR : troubles somatoformes : trouble de conversion, troubles
dissociatifs (personnalité multiple, fugue et amnésie psychogènes,
dépersonnalisation) ;
DSM IV : troubles somatoformes : somatisation, conversions ; troubles
dissociatifs : amnésie, fugue ;
CIM 10 : troubles dissociatifs (de conversion) : amnésie, fugue, stupeur,
états de transe, troubles moteurs, convulsions, anesthésies dissociatives.

Clinique

L'existence de l'hystérie chez l'enfant fait depuis longtemps l'objet de


discussions. On décrit, sous ce terme, des manifestations cliniques somatiques
polymorphes, dont les limites avec la stimulation sont difficiles à préciser
(Lebovici [44, 45], Cramer [12]. A la limite, on tend à considérer comme hystérique
des symptômes qui ne font pas la preuve d'une origine organique. Leur
prévalence serait de 0,5 % chez l'enfant et l'adolescent, avec une nette
prédominance féminine [21, 79] ; ce diagnostic concernerait près de 17 % des
malades d'un service de pédiatrie [51].

La plupart des auteurs s'accordent sur l'absence de corrélation systématique


entre les phénomènes de conversion et la personnalité hystérique décrite
classiquement.

Symptômes de conversion

Rappelons que la conversion est un mécanisme de formation de symptômes qui


consiste en une tentative de résolution d'un conflit psychique par sa
transposition en des symptômes somatiques, prenant une signification
symbolique, et que des bénéfices secondaires contribuent à entretenir
(Laplanche et Pontalis).

Chez l'enfant, les manifestations cliniques correspondant à cette définition


s'observent surtout à la période pubertaire ou prépubertaire.

Elles touchent préférentiellement les fonctions de relation et l'appareil


locomoteur : aphonies, dysphonies, troubles de la marche, boiterie,
pseudoparalysies, astasie-abasie. L'absence de systématisation
neurologique, le caractère spectaculaire des symptômes, leur disparition
lorsque l'attention de l'enfant est détournée ou lorsqu'il se croit seul,
permettent d'éliminer une affection neurologique ; il y a cependant des
cas difficiles.
Les troubles de la sensibilité sont exceptionnels.
Plus fréquents sont les symptômes touchant l'appareil sensoriel :
hypoacousie, ou pseudocécité, peuvent parfois poser de difficiles
problèmes diagnostiques avec des affections neurologiques.
Des pertes de connaissance, des crises paroxystiques, d'allure convulsive
peuvent également s'observer ; parfois intriquées avec une épilepsie
authentique, elles peuvent poser également des problèmes diagnostiques
difficiles.
Des troubles des conduites alimentaires peuvent également relever d'un
mécanisme de conversion : dysphagies (avec sensation de " boule dans la
gorge "), certaines anorexies, certains vomissements psychogènes ; on
cite aussi souvent les douleurs abdominales, symptôme fréquent dans
l'enfance mais qui relève plus souvent d'un processus de somatisation de
l'angoisse, que d'un mécanisme de conversion stricto sensu.
A côté de ces symptômes " classiques ", d'autres manifestations sont
rattachées à l'hystérie par certains auteurs, bien qu'il ne soit pas toujours
possible d'affirmer l'intervention d'un mécanisme de conversion au sens
strict.
Certains cas de mutisme psychogène peuvent entrer dans ce cadre, s'ils
correspondent à l'expression symbolique d'une angoisse de castration.
Il en est de même pour l'inhibition intellectuelle lorsqu'elle traduit un
refoulement de la sexualité, déplacé sur l'activité mentale [52].
Des troubles du sommeil, une énurésie secondaire et certaines formes de
troubles des fonctions instrumentales ont pu également être considérés
comme étant de nature hystérique du point de vue psychopathologique
[68]
.
Il faut enfin signaler les fréquentes intrications entre conversion et
pathologie organique.

Personnalité hystérique

Il est habituel de noter que les traits caractéristiques de la personnalité


hystérique, sont d'observation fréquente chez l'enfant, surtout avant 7-8 ans. En
effet chez quel enfant ne pourrait-on rencontrer une tendance à la suggestibilité,
à la labilité émotionnelle, un certain égocentrisme, le désir de séduire ou du
moins de capter l'attention d'autrui. En fait, c'est la persistance de ces traits
infantiles, chez un adulte, qui a valeur de symptôme. Chez l'enfant c'est
l'intensité, la permanence et surtout la persistance au cours de la période de
latence, de ces traits qui est significative : elle témoigne de l'impossibilité pour
certains enfants d'établir d'autres modes de relation à autrui.

Cette évaluation n'est cependant pas indemne de subjectivité : il convient de


rappeler, que la suspicion d'hystérie, chez l'enfant, plus encore peut-être que
chez l'adulte, suscite des contre-attitudes négatives qui tendent à renforcer
l'identification hystérique du sujet.

Problèmes diagnostiques

Le caractère théâtral des troubles, le fait qu'ils ne respectent pas les données
anatomophysiologiques, leur variabilité en fonction du temps et des personnes
présentes, l'évidence des bénéfices primaires et secondaires permettent en
général le diagnostic. L'absence apparente d'angoisse de l'enfant vis-à-vis de ses
symptômes (classique " belle indifférence ") est de moindre valeur chez l'enfant.
Il est fréquent de relever la corrélation de l'apparition des troubles avec des
facteurs externes à valeur traumatique ; de même il n'est pas rare de noter
l'existence d'une pathologie ayant une analogie avec les symptômes présentés
par l'enfant dans l'entourage proche (phénomène d'imitation-identification).

Mais il faut encore insister sur la grande prudence à observer : les symptômes
faisant évoquer des troubles de nature hystérique nécessitent un examen
particulièrement attentif et justifient souvent une approche pédiatrique et
psychiatrique conjointe. En effet, des erreurs par excès comme par défaut ne
sont pas rares : qu'il s'agisse de la méconnaissance d'une affection organique ou
de la fixation " iatrogène " d'un symptôme de conversion par la multiplication
excessive d'examens, d'hospitalisations, voire d'interventions chirurgicales (il
est impossible de citer tous les diagnostics différentiels dans le cadre de cet
article).

La différenciation des symptômes de conversion d'avec les expressions


somatiques de l'angoisse et les pathologies psychosomatiques, est plus une
discussion théorique d'un diagnostic différentiel. Il est classique d'indiquer que
si les premiers touchent essentiellement le domaine de la vie de relation et de
l'activité volontaire, les autres formes de somatisations concernent surtout le
domaine du système nerveux autonome ; cette opposition n'a cependant rien
d'absolu et des formes de passages s'observent, notamment chez l'enfant jeune.
Quant à la différenciation de la simulation, si elle est bien claire sur le plan
théorique, celle-ci impliquant une intentionnalité consciente - et non un
processus inconscient comme la conversion - elle peut soulever dans la pratique
de grandes difficultés [44].

Psychopathologie

De nombreux travaux ont remis en question le modèle de l'hystérie comme


névrose typique, spécifiquement rattachée à la phase phallique-oedipienne :
l'importance des éléments prégénitaux et de la problématique narcissique a été
relevée chez des sujets réputés hystériques (Lebovici [44]) et, d'autre part, des
[12]
l'adulte comme chez l'adolescent .

Chez l'enfant, les phénomènes de conversion proprement dits, supposent un


certain niveau de structuration de la personnalité : la plupart des auteurs
excluent ce diagnostic avant 4 ans. Cramer, sans exclure la possibilité de
phénomènes de conversion précoces pense qu'il existe des liens spécifiques de la
conversion avec le processus pubertaire. L'échec relatif des mécanismes de
contre-investissement et de refoulement donnerait lieu à un clivage d'avec le
corps " hyperlibidinisé ", devenu le réceptacle de toute la vie pulsionnelle.

Dans d'autres cas - notamment lorsque des phénomènes de conversion se


greffent sur une maladie somatique - la conversion correspond à une régression
de la relation mère-enfant à un niveau symbiotique [12].

Inhibition

Classifications

CFTMEA : troubles névrotiques évolutifs avec prédominance des


inhibitions, troubles névrotiques évolutifs avec perturbations
prédominantes des fonctions instrumentales.
DSM IIIR : évitement de l'enfance ou de l'adolescence, phobie sociale.
DSM IV : phobie sociale.
CIM 10 : anxiété sociale de l'enfance, phobies sociales, personnalité
anxieuse.

Clinique

L'inhibition est un symptôme important bien que volontiers méconnu chez


l'enfant, lorsqu'il ne se traduit extérieurement que par un calme et une
soumission excessive (" névrose d'enfants sages " décrite par Male). Pour
Lebovici, c'est la manifestation la plus caractéristique de la vraie névrose de
l'enfant à la période de latence [45].

Elle peut se manifester sur un mode aigu ou chronique, et toucher différents


aspects du fonctionnement psychique et des conduites.

Inhibition aiguë

Jalenques, Lachal et Coudert [33] soulignent la fréquence du phénomène de " trac


" au cours de l'enfance : certains enfants présentent, lorsqu'ils sont confrontés à
des situations de mise à l'épreuve, un état d'inhibition massive qui perturbe
gravement voire empêche totalement la réalisation de la performance attendue.
Elle peut survenir brutalement, au moment de l'épreuve, en contraste avec le
comportement de l'enfant dans les moments précédents, ou être précédée dans
les heures, voire les jours qui précèdent d'une anticipation anxieuse avec
souvent des symptômes associés (troubles du sommeil, somatisations).
L'intensité de cette anticipation anxieuse tend souvent à s'accroître avec la
répétition d'épisodes similaires.

Des phénomènes analogues peuvent survenir, surtout au début de l'adolescence,


dans des situations d'interactions sociales, dans le cadre de petits groupes. La
crainte qu'éprouve le sujet de se conduire de façon embarrassante ou humiliante
paralyse toute action. L'inhibition peut s'intriquer avec des mécanismes
phobiques et obsessionnels, les craintes se focalisant alors sur des situations
particulières : crainte de manger en public, de parler à des personnes de sexe
opposé, de rougir, etc.).
Inhibition chronique

L'inhibition, apparue très précocement (généralement au cours de la seconde


enfance) peut être permanente, touchant l'ensemble de la communication de
l'enfant avec autrui. La restriction des échanges est maximale vis-à-vis des
étrangers, y compris ses pairs, qu'il cherche à éviter ; il s'y associe souvent un
mutisme. Mais l'inhibition peut s'observer aussi dans le cadre familial.

La relation de l'enfant avec son propre corps est affectée : l'hypercontrôle ou la


réduction de l'initiative motrice rendent l'expression mimique et gestuelle pauvre
et empruntée, et entraîne une maladresse rejoignant la classique débilité motrice
de Dupré.

L'inhibition concerne également les processus mentaux. Elle peut porter sur les
productions fantasmatiques : les jeux sont pauvres ou très conformistes, l'enfant
préfère recopier des dessins plutôt que d'en inventer.

Elle peut aussi atteindre les processus intellectuels : la crainte perpétuelle de se


tromper conduit ces enfants à des situations d'échec scolaire global ou touchant
préférentiellement les matières dans lesquelles initiative et réflexion personnelle
sont exigées.

Chez l'enfant jeune on peut ainsi se trouver devant un tableau de pseudodébilité


(un examen psychologique attentif permet en général de corriger l'impression
donnée par l'enfant). Chez l'adolescent, ce type d'inhibition peut s'organiser en
une névrose d'échec.

Psychopathologie

Widlöcher définit l'inhibition comme l'impossibilité de la réalisation d'une


conduite prévisible et attendue dans une situation donnée, bien qu'elle soit
instrumentalement réalisable.

Dès 1926, Freud introduisait cette notion et opposait l'inhibition - limitation


fonctionnelle du Moi, destinée à éviter un conflit pulsionnel - au symptôme qui
permet, lui, une satisfaction pulsionnelle substitutive [27]. La discussion des
rapports complexes entre inhibition, symptôme névrotique et angoisse a été
poursuivie depuis par d'autres auteurs se référant à la métapsychologie et/ou à
d'autres champs (neurophysiologie, psychologie comportementales) dans
lesquels ce concept est utilisé.

L'inhibition coexiste en fait souvent avec des mécanismes de défense


névrotiques, dont elle traduit l'échec relatif.

Danon-Boileau et Lab [13] ont distingué différents aspects de l'inhibition


intellectuelle en fonction des mécanismes névrotiques prévalents. Elle peut ainsi
se voir dans un contexte :

obsessionnel, liée à l'incertitude, à l'hésitation, ou à l'interférence de


pensées parasites ;
phobique, la mise à l'épreuve provoquant une véritable sidération des
possibilités intellectuelles, pouvant évoluer vers une phobie des examens.

L'inhibition peut également avoir, comme on l'a vu plus haut, valeur de


symptôme hystérique.

Haut de page

EVALUATION PSYCHOPATHOLOGIQUE ET PRONOSTIQUE


L'approche de la signification des manifestations névrotiques de l'enfant et de
leurs risques évolutifs nécessite une évaluation attentive.

Elle prend en compte les caractères propres des troubles présentés par l'enfant :
âge de survenue, fréquence, intensité, tendance évolutive des symptômes, leur
caractère invalidant par l'entrave apportée aux conduites sociales de l'enfant et à
l'ensemble de son développement. L'inhibition, notamment lorsqu'elle touche à
la curiosité, au plaisir pris dans les acquisitions nouvelles, ainsi que
l'hyperadaptation aux exigences éducatives peuvent constituer des incides plus
graves que certains comportements bruyants mais transitoires.

L'évaluation psychopathologique doit aussi tenter d'apprécier la rigidité des


mécanismes de défenses, qui se manifeste à travers les symptômes et les
modalités de la relation.

Elle nécessite enfin de prendre en considération l'ensemble du contexte


relationnel familial.

On peut schématiquement se trouver devant trois types de situations.

Les symptômes névrotiques, d'apparition récente, traduisent un moment


de crise du développement psychique : il s'agit le plus souvent de
manifestations d'angoisse nocturnes, de phobies ou de troubles d'allure
hystérique. Malgré leur caractère parfois spectaculaire, ces symptômes
ont peu de conséquence sur l'ensemble de la vie de l'enfant, sa capacité à
s'investir dans des activités de jeu ou d'apprentissage ; la part de
souffrance éprouvée par l'enfant, notamment dans l'intervalle des
manifestations symptomatiques paraît peu intense voire inexistante,
l'action sur l'entourage apparaît au contraire au premier plan, permettant
souvent de repérer le niveau des relations objectales et l'organisation
pulsionnelle en jeu.
Cette éventualité est surtout fréquente entre 4 et 6-7 ans, traduisant les
remaniements psychiques des phases oedipiennes et préoedipiennes,
ainsi qu'au début de l'adolescence.
Des symptômes névrotiques peuvent aussi survenir au décours d'un
événement extérieur, surtout s'il signifie, pour l'enfant, une perte ou un
bouleversement de ses repères de sécurité affective ou matérielle. Il n'est
pas rare ainsi de voir apparaître des troubles du sommeil, des phobies ou
des accès d'angoisse à la suite de deuils ou de maladie dans l'entourage
proche, de séparation des parents mais aussi d'accidents de voiture ou de
cambriolages.
La signification réactionnelle de tels troubles est confirmée par leur
évolution rapidement favorable. Il faut rappeler cependant, que les effets
de tels événements extérieurs, surtout lorsqu'ils touchent à la structure
de la famille, sont fonction du stade du développement de la personnalité
de l'enfant : des deuils, des séparations qui coïncident avec des aspects
négatifs dirigés vers les figures parentales peuvent avoir des
conséquences psychiques durables.
Mais des troubles névrotiques peuvent aussi, dès l'enfance, annoncer
l'engagement dans un processus pathologique au long cours ; des
manifestations névrotiques se répètent à des âges différents avec,
souvent, des variations dans l'expression symptomatique ; leur apparition
ou leur persistance lors de la phase de latence est particulièrement
significative d'une " névrose de l'enfant " [45]. En comparaison des
névroses de l'adulte, il faut noter que les symptômes sont beaucoup plus
polymorphes : il est fréquent d'observer, chez un même enfant la
succession ou même l'association de manifestations névrotiques de types
différents : phobiques et obsessionnels, hystériques et obsessionnels, par
exemple.

La plupart des études longitudinales [33] montrent que les enfants ayant
présenté des états anxieux ou des troubles névrotiques durables ont un risque
accru de présenter des troubles psychiatriques à l'âge adulte. Le type
d'organisation pathologique est rarement identique à celui observé dans
l'enfance : ce sont les troubles obsessionnels et compulsifs qui montrent la plus
remarquable continuité au cours du temps ; c'est aussi dans ce cadre que
l'évolution sur un mode chronique est le plus fréquent.

Plusieurs études indiquent aussi qu'une proportion importante des phobies


scolaires survenant à la préadolescence ou après, ont une évolution défavorable
(névrose de caractère, état limite).

D'autres études rétrospectives, menées chez des adultes présentant des troubles
anxieux, ont tenté d'en démontrer la continuité avec les phobies ou l'angoisse de
séparation au cours de l'enfance, mais leur méthodologie ne permet pas de
conclure de manière formelle [33].

Troubles névrotiques et milieu familial

La question du pronostic et de l'évolutivité des troubles névrotiques doit prendre


en considération l'entourage familial. On a vu en effet combien les parents
étaient impliqués dans les conduites symptomatiques elles-mêmes : Lebovici [45]
a souligné le rôle déterminant de leurs attitudes, et de leurs réponses aux
troubles de l'enfant, pour la résolution de la névrose infantile.

De nombreux arguments indiquent que le milieu familial influe sur le choix du


symptôme : on a souligné l'importance des exigences éducatives du milieu dans
l'apparition de troubles obsessionnels ; on a vu aussi le rôle des phénomènes
d'identification-imitation dans les manifestations hystériques. On peut en
rapprocher le fait que plusieurs études ont montré que l'existence de troubles
anxieux chez les parents constituait un facteur d'augmentation du risque de
troubles analogues chez l'enfant. L'observation de certaines dyades mère-enfant
montre que l'anxiété peut être quasi constitutive des échanges les plus précoces.

Enfin, il n'est guère besoin de souligner le rôle déterminant des parents dans le
processus thérapeutique.

Troubles d'apparence névrotique et psychoses

Le problème d'une évolution psychotique doit également être envisagé soit à


titre de diagnostic différentiel, soit à titre de risque évolutif.

Des manifestations d'allure phobique peuvent être révélatrices d'une


dysharmonie psychotique : il s'agit notamment, d'épisodes persistants
d'angoisses déclenchés par des bruits d'appareils ménagers ou peur d'être
englouti par les w-c. A l'inverse, l'apparition de phobies au cours du traitement
d'enfants psychotiques peut indiquer l'amorce d'une restructuration du Moi.

Des " pseudophobies " peuvent également être révélatrices de psychoses de type
schizophrénique : elles frappent généralement par leur caractère envahissant ou
bizarre, confinant parfois à un délire. L'angoisse qui s'y exprime est en général
massive reliée à des thèmes de morcellement ou de dépersonnalisation. Il en est
de même pour certaines dysmorphophobies ou certaines éreuthophobies (peur
de rougir) de l'adolescence, traduisant un vécu persécutif du regard d'autrui.

Des cas d'évolution schizophrénique ont également été signalés dans les études
longitudinales de phobies scolaires de la préadolescence.

Des symptômes d'allure obsessionnelle peuvent aussi se voir au cours d'états


psychotiques de l'enfant ou de l'adolescent. Il faut en fait distinguer :

les rituels d'enfants autistes ou présentant des dysharmonies


psychotiques, dont le rapprochement avec les manifestations
obsessionnelles est assez superficiel ;
les débuts pseudonévrotiques de schizophrénie de l'enfance et de
l'adolescence : la bizarrerie des idées obsédantes et des rituels, leur
caractère rapidement envahissant, l'importance de l'angoisse, joints aux
troubles du contact permettent en général rapidement le diagnostic ;
enfin des symptômes obsessionnels, qui apparaissent au cours du
traitement d'enfants dysharmoniques ou présentant des états-limites,
témoignent d'une évolution positive (névrotisation).

Troubles névrotiques et dépression

Les nombreuses études menées ces dernières années sur la dépression chez
l'enfant, ont mis en évidence l'association fréquente de manifestations anxieuses
et névrotiques : anxiété généralisée, phénomènes compulsifs notamment [33].
Plusieurs auteurs ont également souligné la fréquence de la dépression dans les
phobies scolaires.

Ces données doivent conduire à rechercher l'existence de signes dépressifs chez


les enfants présentant des troubles névrotiques d'apparition récente, ceci
pouvant conduire en effet à modifier la conduite thérapeutique.

Haut de page

APPROCHES THÉ RAPEUTIQUES

Pour la plupart des auteurs, l'approche psychothérapique occupe une place


prépondérante. Mais ses modalités dépendent plus de l'orientation des différents
auteurs que d'indications particulières.

Deux types d'approches sont actuellement proposés : celles qui se réfèrent à la


psychanalyse, et celles qui s'appuient sur le comportementalisme.

Thérapies psychanalytiques

Leurs modalités dépendent de l'évaluation psychopathologique évoquée


précédemment.

Consultation thérapeutique

Le processus thérapeutique commence en fait dès la première consultation : le


récit des troubles et des éléments de l'anamnèse donne l'occasion, lorsque la
pathologie n'est pas encore fixée, d'une mobilisation des affects et de la
dynamique relationnelle. Ce cadre souple de la consultation peut s'avérer le
mieux adapté à l'abord de cas dans lesquels les aspects réactionnels ou la
dimension de crise de développement sont au premier plan. Des effets de mise
en sens permettent aux parents de reconnaître à nouveau leur enfant qui leur
était devenu incompréhensible, voire anormal. En même temps, ils sont amenés
à prendre conscience de leur propre implication dans les symptômes.

Psychothérapie d'inspiration psychanalytique ou cure psychanalytique

Elle est indiquée dans des cas où les troubles névrotiques apparaissent plus
structurés. Nous n'en détaillerons pas ici les modalités. Rappelons qu'elles
impliquent qu'une alliance thérapeutique s'établisse non seulement avec l'enfant
mais aussi avec la famille. Un des risques - noté déjà par A Freud - est en effet
que le traitement soit prématurément interrompu dès les premières
améliorations symptomatiques.
Thérapies comportementales

Leurs applications chez l'enfant ont été analysées par Werry et Wollersheim [80].
Parmi les troubles anxieux, ce sont surtout les phobies simples pour lesquelles
ont été rapportés des résultats positifs de " désensibilisation systématique "
(exposition progressive à la situation phobogène). Des améliorations ont été
obtenues également dans des cas de phobie scolaire prépubertaires.

Selon Wolff et Rapoport [82] des techniques comportementales (injonction à


l'encontre des rituels et des pensées obsédantes) permettent d'atténuer les
troubles obsessionnels-compulsifs.

Traitement psychotrope

L'utilisation des psychotropes doit, elle aussi, tenir compte de l'évaluation


pronostique et psychopathologique. Sauf quelques indications spécifiques, elle
constitue une aide à court terme, que justifient surtout d'intenses manifestations
d'angoisse aiguës. Cet effet positif doit être mis en balance avec les possibles
effets secondaires (somnolence diurne, perturbations du sommeil à l'arrêt du
traitement) et surtout avec le risque que la famille recoure à ce traitement aux
moindres difficultés.

On utilise généralement des benzodiazépines, ainsi que des tranquillisants


antihistaminiques. Il faut noter que ces prescriptions, bien que classiques et
probablement fréquentes en pratique médicale courante, n'ont pas fait l'objet
d'études contrôlées. Rappelons que malgré la loi récente sur les recherches
biomédicales (Loi Huriez, 1988) les règles régissant les essais médicamenteux
chez l'enfant et l'adolescent demeurent encore très floues, notamment dans le
domaine du consentement éclairé et des groupes contrôles. Pour la majorité des
psychotropes, le psychiatre d'enfants ne dispose que de données de
pharmacologie animale ou d'essais réalisés chez l'adulte, sans autorisations
officielles de mise sur le marché spécifiques à l'enfance (Mouren-Simeoni [58]).

Les antidépresseurs tricycliques (clomipramine) ont été utilisés avec succès par
Flament et coll. [23] dans les troubles obsessionnels compulsifs de l'enfant et de
l'adolescent. Cet effet est considéré par les auteurs comme spécifique,
indépendant d'une action antidépressive ou anxiolytique.

Par analogie avec les résultats obtenus dans les attaques de panique de l'adulte,
l'imipramine a été essayée dans des cas de phobies scolaires mais les résultats
des essais contrôlés ont été contradictoires, et on ne saurait compter sur la seule
chimiothérapie pour traiter à elle seule ces situations pathologiques dont l'abord
est de toutes façons difficile [33]. Là encore, la prescription doit tenir compte des
risques non négligeables de ces médicaments (épilepsie, troubles tensionnels,
mort subite). Observés surtout avec de fortes doses, ils nécessitent une
surveillance attentive du traitement.

Bibliographie

[1] Adomnicai L, Amar M Des difficultés du diagnostic d'hystérie chez l'enfant. Neuropsychiatrie
de l'Enfance 1987 ; 35 : 1-8
[2] De AJURIAGUERRA J. Manuel de psychiatrie de l'enfant. 2e ed. Masson. Paris. 1977 ; 1116 p
[3] AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION. DSM-III-R Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux. Masson. Paris. 1989 ; 656 p
[4] BEGOIN J, BEGOIN F L'élaboration de la névrose infantile dans le transfert psychanalytique :
à la recherche d'un sens. Rev Franç Psychanal 1980 ; 44 : 865-872
[5] BERGERET J, LUSTIN JJ Les organisations névrotiques de l'enfant et leurs frontières :
hystérie, phobies, obsessions et dépression. Rev Pediatr 1980 ; 16 : 199-210
[6] BORNSTEIN B The analysis of a phobic child. Psychanal Study Child 1949 ; 3 : 181-226
[7] BOTELLA C Une réflexion sur la notion de névrose infantile dans l'oeuvre de Freud. Perspect
Psychiatr Case 1980 ; 18 (78) : 290-302
[8] BRUSSET B L'angoisse chez l'enfant. Perspect Psychiatr 1976 ; 14 (56) : 118-127
[9] BURSZTEJN C, MAZET P Nouvelles classifications en psychiatrie de l'enfant. In: Encycl Med
Chir (Ed.) Psychiatrie, 37-200-B10 Paris Elsevier: 1991; 6 p [interref]
[10] COOLIDGE JL, WILLER ML, TESSMAN E, WALDFOGEL S School phobia in adolescence : a
manifestation of severe charactere disturbance. Am J Orthopsychiatry 1960 ; 30 : 599-607
[11] COSNIER J. Les névroses expérimentales. Seuil. Paris. 1966
[12] CRAMER B Vicissitudes de l'investissement du corps : symptômes de conversion en période
pubertaire. Psychiatr Enfant 1977 ; XX : 12-127
[13] DANON-BOILEAU H, LAB P Inhibition intellectuelle. Psychiatr Enfant 1962 ; 5 : 43-173
[14] DIATKINE G. Obsessions et névrose obsessionnelle chez l'enfant. In : Lebovici S, Soule M,
Diatkine R eds. Traité de Psychiatrie de l'enfant. PUF. Paris. 1985
[15] DIATKINE R Du normal et du pathologique dans l'évolution mentale de l'enfant. Psychiatr
Enfant 1967 ; 10 : 1-42
[16] DIATKINE R, SIMON J Etude nosologique à propos de trois cas de phobies chez des
adolescentes. Psychiatr Enfant 1966 ; 9 : 289-339
[17] DIATKINE R, SIMON J. La psychanalyse précoce. PUF. Paris. 1972
[18] DUCHE DJ, WIDLÖCHER D, DIATKINE R, LUCAS G L'angoisse chez l'enfant. Rev
Neuropsychiatr Infant 1976 ; 24 : 89-101
[19] DUGAS M, GUERIOT C Les phobies scolaires : études clinique et
psychopathologique. Psychiatr Enfant 1977 ; 20 : 307-382
[20] DUGAS M, SMADJA B La sémiologie obsessionnelle chez l'enfant, description et
signification. Rev Prat 1980 ; 30 : 1085-1094
[21] EGGERS Ch Symptômes et syndromes de l'hystérie de conversion chez l'enfant et
l'adolescent. Neuropsychiatrie de l'Enfance 1987 ; 35 : 461-468
[22] EYSENCK HJ. Conditionnement et névrose. Gauthier-Villars. Paris. 1962
[23] FLAMENT MF, RAPOPORT JL, BERG CJ , et al. Clomipramine treatment of childhood obsessive-
compulsive disorder. Arch Gen Psychiatry 1985 ; 42 : 977-983
[24] FREUD A. Le normal et le pathologique chez l'enfant. Gallimard. Paris. 1968
[25] FREUD A. Le Moi et les mécanismes de défense. PUF. Paris. 1981
[26] FREUD S. Cinq psychanalyses. PUF. Paris. 1975
[27] FREUD S. Inhibition, symptôme et angoisse. Trad Tort M. PUF. Paris. 1965
[28] GAMMIL J, HAYWARD R Névrose infantile et position dépressive. Rev Franç
Psychanal 1980 ; 44 : 923-932
[29] GUERIOT , DUCHE DJ Hystérie de l'enfant. Bull Psychol 1971 ; 75 : 402-404
[30] HOUZEL D, CATOIRE G, HENRY A Troubles névrotiques chez l'enfant. Rev Prat 1990 ; 40 (24)
: 2291-2295
[31] HERSKOWITZ J. Neurological presentations of panic disorders in childhood and adolescence
[32] JACQUES E Le concept kleinien de névrose infantile et son impact sur la théorie et sur la
technique. Psychiatr Enfant 1972 ; XV : 5-29
[33] JALENQUES L, LACHAL C, COUDERT AJ. Les états anxieux de l'enfant. Masson. Paris. 1992
[34] JAMES M Incidence et effet de l'évolution des concepts de névrose infantile sur la théorie et
la technique. Psychiatr Enfant 1972 ; 15 : 21-29
[35] JOHNSON AM, FALSTEIN EL, SZUREK SA, SVENDSEN M School phobia. Am J
Orthopsychiatr 1941 ; 11 : 702-711
[36] JONGEN E, MOUVET G, WUIDAR A coll. Etude comparative des données cliniques des
cohortes de trois services de psychiatrie de l'enfant. Psychiatr Enfant 1972 ; 15 : 515-564
[37] KHAN MR La névrose infantile en tant que fausse organisation du " self ". Psychiatr
Enfant 1972 ; XV : 31-44
[38] KLEIN M. La psychanalyse des enfants. PUF. Paris. 1975
[39] KLEIN M. Essais de Psychanalyse. Payot. Paris. 1967
[40] KOHLER C, CLERE J, HOSTIN H Manifestations phobo-obsessionnelles chez l'enfant. Eléments
cliniques et thérapeutiques Psychiatr Enfant 1974 ; 17 : 341-411
[41] LANG JL. Introduction à la psychopathologie infantile. Dunod. Paris. 1979
[42] LAPLANCHE J, PONTALIS JB. Vocabulaire de la psychanalyse. PUF. Paris. 1971
[43] LAST CG, FRANCIS G, HERSEN M, KAZDIN AE, STRAUSS CC Separation anxiety and school
phobia : a comparison using DSM-III criteria. Am J Psychiatry 1987 ; 144 : 653-657
[44] LEBOVICI S. L'hystérie chez l'enfant et l'adolescent. In : Lebovici S, Soulé M, Diatkine R eds.
Traité de Psychiatrie de l'enfant. PUF. Paris. 1985
[45] LEBOVICI S L'expérience du psychanalyste chez l'enfant et chez l'adulte devant le modèle de
la névrose infantile et de la névrose de transfer. Rev Franç Psychan 1980 ; 14 : 733-743
[46] LEBOVICI S, BRAUNSCHWEIG D A propos de la névrose infantile. Psychiatr
Enfant 1967 ; 10 : 43-122
[47] LEBOVICI S, Le NESTOUR A A propos des phobies scolaires graves. Psychiatr
Enfant 1977 ; 20 : 383-432
[48] LUCAS G. La névrose obsessionnelle chez l'enfant et l'adolescent. In : Brusset B, Couvreur C
eds. La névrose obsessionnelle. PUF. 1993
[49] MALE P Les névroses infantiles. Rev Neuropsychiatr Infant 1966 ; 14 : 643-649
[50] MALLET J Contribution à l'étude des phobies. Rev Franç Psychanal 1955 ; 20 : 237-282
[51] MALONEY MJ Diagnosis hysterical conversion reactions in children. J
Pediatr 1980 ; 97 : 1016-1020
[52] MALONEY JP Pour situer la question de l'hystérie chez l'enfant. Neuropsychiatrie de
l'Enfance 1989 ; 37 : 179-186
[53] MISES R Les obsessions chez l'enfant. Psychiatr Enfant 1958 ; 1 : 513-522
[54] MISES R, QUEMADA N. Classification française des troubles mentaux et de l'adolescent.
CTNERHI. Vanves. 1993
[55] MOREAU D, WEISSMAN MM Panic disorder in children and adolescents : a review. Am J
Psychiatry 1992 ; 149 : 1306-1314
[56] MORON P et coll. Le phénomène de conversion somatique chez l'enfant. Congrès de
Psychiatrie et de Neurologie de langue française. Masson. Paris. 1974 ; 161 p
[57] MOUREN-SIMEONI MC. La psychopharmacologie chez l'enfant. Nodules. PUF. Paris. 1991
[58] MOUREN-SIMEONI MC, VERA L, VILA G L'angoisse de séparation : une nouvelle catégorie de
troubles anxieux chez l'enfant. Ann Med Psychol 1991 ; 149 : 755-765
[59] NAGERA H. Les troubles de la petite enfance : la névrose infantile et les troubles de l'âge
adulte. Trad J Kalmanovitch. PUF. Paris. 1969
[60] Organisation mondiale de la santé. Classification Internationale des Troubles Mentaux et des
Troubles du Comportement. Masson. Paris. 1993
[61] PALACIO ESPASA F, KNAUER D L'organisation " paranévrotique " chez le jeune
enfant. Psychiatr Enfant 1986 ; 29 : 277-317
[62] PAULS DL, TOWBIN KE, LECKMAN JF, ZAHNER GE, COHEN DJ Gilles de la Tourette's
syndrome and obsessive-compulsive disorder : evidence supporting a genetic
relationship. Arch Gen Psychiatry 1986 ; 43 : 1180-1182
[63] PERRIER F, CONTE C. Névrose phobique. Encycl Med Chir (Paris-France). Psychitrie. 37360
A10. 1964
[64] QUEMADA N L'utilisation de la classification française des troubles mentaux de l'enfant et de
l'adolescent dans une enquête nationale. Neuropsychiatrie de l'Enfance 1990 ; 38 : 540-545
[65] RITVO S Corrélation entre une névrose infantile et une névrose de l'adulte établie sur
l'analyse à l'âge adulte d'un cas rapporté d'analyse d'enfant. Rev Franç
Psychanal 1967 ; 31 : 545-572
[66] ROGNANT J. Thérapies comportementales. Encycl Med Chir (Paris-France). Psychiatrie. 37820
A10. 1974
[67] ROSS AO. Behavior therapy with children in handbook of psychotherapy and behavior
change. In : Garfield SL, Bergin AE eds. John Wiley. New York. 1978
[68] SICHEL JP L'hystérie de l'enfant. Rev Prat 1982 ; 32 : 947-954
[69] SIROL F Etude statistique des diagnostics cliniques en psychiatrie de l'enfant. Psychiatr
Enfant 1979 ; 22 : 531-584
[70] SIROL F Etude statistique des diagnostics cliniques en psychiatrie de l'enfant. Psychiatr
Enfant 1979 ; 22 : 531-584
[71] SMALL GW, NICHOLL AM Mass hysteria among schoolchildren early loss as a predisposing
factor. Arch Gen Psychiatry 1982 ; 39 : 721-724
[72] SMIRNOFF V. La psychanalyse de l'enfant. PUF. Paris. 1978
[73] SPERLING M School phobias classification, dynamics and treatment. Psychoanal Study
Child 1967 ; 22 : 375-401
[74] STRAUSS CC Behavioral assessment and treatment of overanxious disorder in children and
adolescents. Behav Modif 1988 ; 12 : 234-251
[75] STUCKI L'hystérie chez l'enfant. Psychiatr Enfant 1958 ; 8 : 605-622
[76] SWEDO SE, LEONARD HL, KRUESI MJ , et al. Cerebrospinal fluid neurochemistry in children
and adolescent with obsessive-compulsive disorder. Arch Gen Psychiatry 1992 ; 49 : 29-36
[77] SWEDO SE, RAPOPORT JL, LEONARD H, LENANE M, CHESLOW D Obsessive-compulsive
disorder in children and adolescents. Clinical phenomenology of 70 consecutive cases Arch
Gen Psychiatry 1989 ; 46 : 335-341
[78] VALENTIN E Les phobies chez l'enfant. Perspect Psychiatr 1980 ; 78 (4) : 265-289
[79] VOLKMAR FR, POLL J, LEWIS M Conversion reactions in childhood and adolescence. J Am
Acad Child Adolesc Psychiatry 1984 ; 23 : 424-430
[80] WERRY JS, WOLLERSHEIM JP Behavior therapy with children and adolescents : a twenty-year
overview. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1989 ; 28 : 1-18
[81] WIDLÖCHER D Le développement de la pensée obsessionnelle chez l'enfant. Rev
Neuropsychiatr Infant 1967 ; 15(suppl) : 9-13
[82] WOLFF R, RAPOPORT JL Behavioral treatment of childhood obsessive-compulsive
disorder. Behav Modif 1988 ; 12 : 252-266

© 1995 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.


Cet article ne contient pas d'images.

Tableaux

Tableau I.
Tableau I. - CFTMEA (classification fran�aise des troubles
mentaux de l'enfant et de l'adolescent).
Troubles n�vrotiques
- Evolutifs � dominante anxieuse.
- Evolutifs � dominante hyst�rique.
- Evolutifs � dominante phobique.
- Evolutifs � dominante obsessionnelle.
- Evolutifs avec pr�dominance des inhibitions.
- D�pression n�vrotique.
- Caract�res n�vrotiques avec pr�dominance des perturbations
des fonctions instrumentales.
Troubles � expression somatique et comportementale
[...]
- Angoisse de s�paration.
Variations de la normale
- Angoisses, rituels, peurs
[...]

Tableau II.
Tableau II. - DSM IIIR.
Troubles anxieux de l'enfance ou de l'adolescence
- Trouble : angoisse de s�paration.
- Trouble : �vitement de l'enfance ou de l'adolescence.
- Trouble : hyperanxi�t�.

Troubles anxieux (�tats n�vrotiques anxieux et phobiques)


- Trouble panique avec agoraphobie.
- Trouble panique sans agoraphobie.
- Agoraphobie sans ant�c�dents de trouble panique.
- Phobie sociale.
- Phobie simple.
- Trouble obsessionnel-compulsif (ou n�vrose obsessionnelle-
compulsive).
- Etat de stress post-traumatique (trouble).
- Anxi�t� g�n�ralis�e (trouble).
- Trouble anxieux non sp�cifi�.
Troubles somatoformes
- Trouble : peur d'une dysmorphie corporelle.
- Trouble de conversion (ou n�vrose hyst�rique de type conversif).
- Hypocondrie (ou n�vrose hypocondriaque).
- Somatisation (trouble).
- Trouble somatoforme douloureux.
- Trouble somatoforme indiff�renci�.
- Trouble somatoforme non sp�cifi�.

Troubles dissociatifs (ou n�vroses hyst�riques de type dissociatif)


- Personnalit� multiple.
- Fugue psychog�ne.
- Amn�sie psychog�ne.
- D�personnalisation (trouble ou n�vrose de d�personnalisation).
- Trouble dissociatif non sp�cifi�.

Tableau III.
Tableau III. - DSM IV.
Autres troubles du nourrisson, de l'enfant ou de l'adolescent
- Trouble : angoisse de s�paration.
- Mutisme s�lectif.
- Trouble r�actionnel de l'attachement du nourrisson ou de la petite enfance.
- Trouble : mouvement st�r�otyp�.
- Trouble du nourrisson de l'enfant ou de l'adolescent non sp�cifi�.
Troubles anxieux
- Trouble panique sans agoraphobie.
- Trouble panique avec agoraphobie.
- Agoraphobie sans ant�c�dents de trouble panique.
- Phobie sp�cifique.
- Phobie sociale.
- Trouble obsessionnel-compulsif.
- Etat de stress post-traumatique.
- Etat de stress aigu.
- Trouble : anxi�t� g�n�ralis�e.
- Trouble anxieux d� �... (affection m�dicale).
- Trouble anxieux non sp�cifi�.
Troubles somatoformes
- Trouble : somatisation.
- Trouble somatoforme indiff�renci�.
- Trouble : conversion.
- Trouble douleur.
- Hypocondrie.
- Trouble : dysmorphie corporelle.
- Trouble somatoforme non sp�cifi�.
Troubles dissociatifs
- Amn�sie dissociative.
- Fugue dissociative.
- Trouble dissociatif de l'identit�.
- Trouble : d�personnalisation.
- Trouble dissociatif non sp�cifi�.

Tableau IV.
Tableau IV. - CIM 10.
Troubles �motionnels d�butant sp�cifiquement dans l'enfance
- Angoisse de s�paration de l'enfance.
- Trouble anxieux phobique de l'enfance.
- Anxi�t� sociale de l'enfance.
- Rivalit� dans la fratrie.
- Autres troubles �motionnels de l'enfance.
- Trouble �motionnel de l'enfance, sans pr�cision.
Troubles anxieux phobiques
- Agoraphobie (sans trouble panique, avec trouble panique).
- Phobies sociales.
- Phobies sp�cifiques (isol�es).
- Autres troubles anxieux phobiques.
- Trouble anxieux phobique, sans pr�cision.
Autres troubles anxieux
- Trouble panique (anxi�t� �pisodique paroxystique).
- Anxi�t� g�n�ralis�e.
- Trouble anxieux et d�pressif mixte.
- Autres troubles anxieux mixtes.
- Autres troubles anxieux sp�cifi�s.
- Troubles anxieux, sans pr�cision.
Troubles somatoformes
- Somatisation.
- Trouble somatoforme indiff�renci�.
- Trouble hypocondriaque.
- Dysfonctionnement neurov�g�tatif somatoforme.
- Syndrome douloureux somatoforme persistant.
- Autres troubles somatoformes.
- Trouble somatoforme, sans pr�cision.
Troubles dissociatifs (de conversion)
- Amn�sie dissociative.
- Fugue dissociative.
- Stupeur dissociative.
- Etats de transe et de possession.
- Troubles moteurs dissociatifs.
- Convulsions dissociatives.
- Anesth�sie dissociative et atteintes sensorielles.
- Troubles dissociatifs (de conversion) mixtes.
- Autres troubles dissociatifs (de conversion).
- Trouble dissociatif (de conversion) : sans pr�cision.
¶ 37-204-G-40

Problématiques psychiques dans les aides


médicales à la procréation
P. Revidi, B. Beauquier-Maccotta

Cet article fait le point sur la situation actuelle des aides médicales à la procréation (AMP), qu’il replace
dans le cadre des lois de bioéthique qui les encadrent, et sur les problématiques psychiques qu’elles
engendrent. Après un rappel historique des origines, il décrit l’ensemble des techniques d’AMP, jusqu’au
très récent don d’embryons, s’appuyant notamment sur des données chiffrées, et permettant de prendre
conscience de l’importance réelle de ces questions très médiatisées. Il propose des axes de réflexion
théorique pour comprendre la construction du lien dans ces nouveaux modes de filiation totalement, ou
partiellement, non génétiques. Il aborde la souffrance psychique liée à la stérilité, dans ses aspects
psychologiques et cliniques. Le parcours difficile de stérilité est largement abordé : l’annonce diagnostique
traumatisante, l’angoisse de l’attente des AMP, le stress lié à chaque tentative, et très souvent l’échec
final, peu connu, moment critique pour les couples qui doivent alors renoncer à l’enfant ou se tourner vers
l’adoption. La fréquence des troubles dépressifs chez les femmes stériles est soulignée, ainsi que la
souffrance des personnes stériles confrontées à une réprobation sociale culpabilisante. La question des
stérilités psychogènes est abordée sous l’angle thérapeutique. Le développement psychologique des
enfants est discuté au travers des études internationales les plus récentes. Celles-ci sont relativement
rassurantes, mais encore insuffisantes et méthodologiquement discutables. Enfin, les nouvelles demandes
sociales sont abordées (femmes seules, couples homosexuels, transsexuels, etc.), ainsi que le débat sur le
secret des origines et la « mondialisation » des AMP. Ces évolutions questionnent le modèle français et
font entrer les AMP dans une nouvelle phase, difficile, complexe et incertaine.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : AMP ; Stérilité ; Bioéthique ; Lien ; Attachement ; Souffrance et AMP ;


Devenir psychologique des enfants AMP ; Deuil ; Séropositivité et AMP ; Transsexualisme et AMP

Plan ¶ Devenir des enfants nés par AMP 6


Incidence sur la santé des enfants 6
¶ Introduction 1 Interactions précoces et développement des enfants 6
Gémellité 7
¶ Bref historique des AMP 2
Adolescence des enfants nés par AMP 7
¶ Lois de bioéthique 2 Questions méthodologiques 7
¶ Différentes techniques d’AMP 2 ¶ AMP dans la tourmente ou nouvelles demandes sociales 7
AMP intraconjugales : les deux gamètes proviennent des parents 2 Demandes tardives 7
AMP avec un gamète extérieur au couple : insémination Insémination des femmes seules 7
avec donneur et don d’ovocyte 3 Couples sérodifférents 8
Don d’embryon : aucun lien biologique avec les parents 3 Couples homosexuels 8
¶ Filiation, attachement et parentalité 3 Couples où l’homme est transsexuel 8
Filiation ou lien de parenté 3 Essor du « bébé-business » et mondialisation 8
Attachement 3 ¶ Information ou révélation : quel débat sur le « secret
Parentalité 4 des origines » ? 8
¶ Souffrance psychique et stérilité 4 ¶ Conclusion 9
Que représente l’infertilité ? 4
Annonce diagnostique 4
¶ Stérilités psychogènes 5 ■ Introduction
¶ Souffrance psychique des couples liée aux techniques de AMP 5 Jamais, sans doute, le désir d’enfant n’a été autant exprimé
Stress lié au diagnostic et à l’attente 5 et revendiqué dans les préoccupations collectives. Jamais les
Stress lié à la technique 5 débats autour des aides médicales à la procréation (AMP) n’ont
Impact sur la sexualité et la stabilité du couple 5 été aussi aigus. Jamais les pressions sociales sur les acteurs des
Construction de la parentalité en dehors de la filiation génétique 5 AMP n’ont été aussi fortes. L’histoire semble à un tournant.
Inquiétudes quant au devenir de l’enfant 5 Les techniques d’AMP, destinées à l’origine à traiter ou à
Échec de l’AMP 5 pallier les troubles de la fertilité d’un couple, n’ont cessé de se

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-204-G-40 ¶ Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation

développer depuis les années 1970. Récemment, deux nouvelles irrévocables par rapport à l’enfant. Enfin, la loi interdit les
techniques sont venues s’ajouter : le don d’ovocytes et le don maternités de substitution, et l’accès aux AMP pour les couples
d’embryon, qui ont suscité de nombreux débats. Parallèlement, homosexuels et les femmes n’étant plus en âge de procréer. La
de nouvelles demandes sociales émergent assez violemment, loi de 2004 tient donc compte de l’expérience acquise pendant
conséquences du bouleversement de la famille traditionnelle ces dix années et, tout en maintenant le cadre de 1994, définit
(femmes seules, couples sérodifférents, etc.). clairement les conditions du don d’ovocytes, l’autoconservation
Les problématiques psychologiques liées aux AMP se posent dans les maladies graves y compris pour les mineurs, le recours
de façon de plus en plus insistante, soulignant l’importance à l’AMP lorsqu’il existe un risque de transmission d’une maladie
fondamentale de recherches méthodologiquement validées. grave à l’enfant ou au partenaire (il s’agit des couples sérodiffé-
rents, dont l’un des partenaires est séropositif pour le virus de
l’immunodéficience humaine [VIH]).
■ Bref historique des AMP Mais surtout, elle met en place un cadre précis concernant les
conditions de conception, de conservation et d’utilisation des
L’insémination artificielle (IA) humaine date de 1791 (Hun- embryons humains, permettant explicitement le don des
ter) ; l’IA avec sperme de donneur (IAD) de 1884. L’IA se embryons surnuméraires. Ainsi, les embryons ne peuvent être
développe rapidement pendant la première moitié du XIXe siè- conçus qu’en vue d’une AMP, avec au moins un gamète d’un
cle, puis tombe en disgrâce (interdiction papale et divers des partenaires du couple. Lequel couple, après tentatives de
jugements). Le renouveau de l’IA est possible grâce à la décou- FIV, a le choix entre quatre solutions pour ses embryons :
verte de la congélation du sperme. La première banque de poursuivre les réimplantations, les donner à des fins de recher-
sperme est créée en 1953 aux États-Unis. Les premiers centres che médicale, les détruire ou les donner à un autre couple, de
français apparaissent en 1973. Les IAD et les inséminations avec façon anonyme et gratuite. Le don des embryons est tout
autoconservation (IAC, cf. infra) peuvent débuter ; elles s’adres- spécialement encadré. Son autorisation ne dépend plus de
sent aux stérilités masculines. l’équipe médicale du centre agréé gérant les embryons, mais elle
Ces banques se multiplient et prennent le nom de centres est subordonnée à l’avis d’un juge, qui peut faire « procéder à
d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) [1]. toutes les investigations permettant d’apprécier les conditions
Sous l’impulsion du Pr David, les CECOS se constituent en d’accueil, sur les plans familial, éducatif et psychologique » de
fédération nationale et élaborent des règles éthiques rigoureuses l’enfant à naître. Le don est anonyme et gratuit, et doit rester
qui serviront de base aux futures lois de bioéthique. Parallèle- exceptionnel (article L.2141-5). Enfin, le texte insiste dans
ment, la recherche sur la stérilité féminine d’origine tubaire se toutes les AMP sur l’intérêt de l’enfant à naître (art. L. 2141-10)
développe et donne naissance à la fécondation in vitro et et pour ce faire, sur l’importance de l’évaluation du couple
transfert d’embryon (FIVETE) (Streptoe fut en 1978 l’auteur du demandeur par une équipe pluridisciplinaire, et de son infor-
premier « bébé éprouvette »). D’autres techniques apparaissent mation préalable sur les AMP et l’adoption. Cette équipe peut
rapidement : le gamete intrafallopian transfer (GIFT), transfert demander au couple un délai de réflexion supplémentaire s’il ne
direct d’ovocyte et de sperme dans la trompe, puis l’intracyto- lui semble pas prêt à se lancer dans cette démarche.
plasmic injection (ICSI) en 1993, injection directe d’un sperma-
tozoïde dans l’ovocyte, dont l’utilisation va croissante pour les
infertilités masculines. Suivent le don d’ovocytes, pour les
situations d’insuffisance ovarienne, et très récemment le don
■ Différentes techniques d’AMP
d’embryon provenant de couples ayant eu recours à une FIV et Dans ce domaine techniquement très riche, il nous paraît
acceptant ce don d’embryon « surnuméraire », indiqué pour les pertinent de partir du plan biologique : « De qui proviennent les
couples souffrant d’une double stérilité. gamètes qui servent à fabriquer l’enfant ? ». Car ce plan
Les techniques n’évoluent plus depuis quelques années. demeure le point de cristallisation des questions qui nous
Actuellement, les problématiques concernent les indications de .
préoccupent et nous fascinent tous (devenir des enfants,
ces différentes techniques, ainsi que les demandes dans des question du secret des origines, etc.). On distingue donc trois
situations de couples très différentes des années 1970. L’AMP a types de situations.
été étendue, au-delà de la stérilité, aux couples pour lesquels
existe un risque de transmission d’une maladie grave, génétique
ou virale. Les couples dont l’homme est transsexuel peuvent
AMP intraconjugales : les deux gamètes
aussi faire appel à un don. De nouvelles demandes émergent, proviennent des parents
afin d’étendre les indications aux couples homosexuels ou aux
femmes seules, comme dans d’autres pays. Mais l’ensemble des Inséminations avec le sperme du conjoint
AMP restent encadrées en France par les lois de bioéthique. Elles On distingue :
s’adressent donc aux couples hétérosexuels. • les inséminations intracervicales (IIC) : l’insémination se fait
avec le sperme du conjoint dans le col utérin, après une
stimulation ovarienne ;
■ Lois de bioéthique • les inséminations intra-utérines (IIU), effectuées directement
dans l’utérus avec le sperme du conjoint, après une stimula-
La pratique, les indications et la « philosophie » des AMP sont
tion ovarienne ; elles sont plus efficaces que les premières.
en France strictement encadrées par les lois de bioéthique de
Les indications des IIC sont un sperme « déficient » ou des
1994 et 2004 (loi n °2004-800 du 6 août 2004) [2]. Ces lois ont
problèmes d’impuissance masculine ; celles des IIU, un défaut
repris pour l’essentiel les principes édictés auparavant par la
de glaire cervicale, un sperme déficient et les stérilités inexpli-
Fédération nationale des CECOS. La loi de 1994 aujourd’hui
quées. Ces techniques sont les moins invasives, mais nécessitent
remplacée par celle de 2004 se plaçait nettement du côté de
une stimulation ovarienne qui n’est pas sans risques : hypersti-
l’intérêt de l’enfant né d’une AMP. Les grands principes en
mulation et grossesses multiples. Elles représentent 4 295
étaient : la gratuité du don et son anonymat, l’anonymat entre
naissances en 2003 (source : Agence de biomédecine, années
donneurs et receveurs, le don de couple à couple, et la sécurité
2002-2003) [3].
sanitaire. Cela implique de réserver ces pratiques à des établis-
sements agréés strictement encadrés. Ces principes excluent les
Insémination avec autoconservation du sperme
femmes seules (à la différence d’autres pays), l’insémination
post-mortem ou en cas de séparation du couple. Ils sont
du conjoint (IAC)
conservés dans la loi de 2004. Elle est rarement utilisée dans certains cas de vasectomie à
Par ailleurs, depuis 2004, les exigences concernant le consen- visée contraceptive, son indication majeure est devenue la
tement des couples receveurs sont renforcées. Celui-ci doit prévention des stérilités masculines iatrogènes, dues aux
désormais être fait devant un juge ou un notaire, pour garantir traitements d’une maladie grave (exemple : une chimiothérapie
aux futurs parents des droits et des devoirs équivalents et anticancéreuse). Le sperme congelé, s’il est de bonne qualité,

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation ¶ 37-204-G-40

peut être utilisé après la guérison, pour rétablir une filiation l’enfant. D’autre part, l’enfant n’a pas connu, même briève-
empêchée par la maladie. L’intérêt psychologique est grand [4] : ment, d’autres parents, il n’existe pas d’histoire commune ni de
réinscription dans la chaîne des générations, aide à la lutte vécu d’abandon. Cependant, elle s’en rapproche, car il existe
contre l’angoisse d’anéantissement par la maladie et le senti- malgré tout un autre couple détenteur de la filiation génétique.
ment de ségrégation inhérent aux maladies graves. L’enfant à naître sera issu d’un double désir, celui du couple
donneur qui a lui aussi connu des difficultés de procréation et
Fécondation in vitro avec sperme du conjoint, celui du couple receveur. Cette technique débutante ne
après stimulation ovarienne concerne actuellement qu’un tout petit nombre d’enfants
(moins d’une dizaine en France). Curieusement, le double don
Elle représente 4 247 naissances en 2003 (source : Agence de de gamètes n’est pas autorisé en France et le recours à une mère
biomédecine). Elle est utilisée dans les cas d’obturation tubaire, porteuse (grossesse pour autrui) est formellement et légalement
d’endométriose (difficultés d’implantation) et d’asthénospermie. interdit.
Sa technique est lourde. Après stimulation ovarienne, on prélève
plusieurs ovocytes qui sont fécondés par le sperme du mari, in
vitro. Deux ou trois embryons sont réimplantés dans l’utérus.
Les embryons non utilisés, dits surnuméraires, sont congelés en
■ Filiation, attachement
vue d’une utilisation ultérieure en cas d’échec ou d’un don à un et parentalité
autre couple. La principale complication réside dans les grosses-
ses multiples, avec leurs risques (prématurité, dépression Le temps de l’engouement pour ces nouvelles techniques et
maternelle, couple épuisé par la venue simultanée de plusieurs de l’inquiétude sur le devenir physiologique des « enfants
enfants). La FIV-D (avec donneur) a représenté 179 naissances AMP » est désormais passé.
en 2003. Les questions se centrent maintenant sur le développement
psychologique de ces enfants sur le long terme et sur l’adapta-
Micro-injection d’un spermatozoïde dans tion de ces nouvelles familles à ces modes de procréation, ce qui
l’ovocyte concerne aussi bien les enfants que leurs parents. Trois notions
sont importantes pour évaluer ces nouvelles situations et
À l’origine de 5 655 naissances en 2003, elle s’est imposée comprendre les débats actuels autour des AMP.
dans les hypofertilités masculines sévères. Les rares spermato-
zoïdes (parfois même les spermatides, cellules moins matures)
sont prélevés par biopsie testiculaire. Elle concerne maintenant
Filiation ou lien de parenté
40 % des AMP, et a fait fortement diminuer les indications Elle recouvre les règles d’attribution, dans une société
d’IAD. La crainte concerne ici l’enfant : risques de transmission donnée, d’un enfant à des parents, et réciproquement d’un
d’une stérilité ou d’une malformation. parent à un enfant. Dans nos sociétés, il s’agit d’une filiation
bilinéaire ou double, c’est-à-dire s’établissant à la fois par la
AMP avec un gamète extérieur au couple : mère et par le père.
Elle se décompose selon trois axes : biologique, narcissique et
insémination avec donneur institué.
et don d’ovocyte
Filiation biologique
Insémination avec donneur
Elle est basée sur la transmission des gamètes parentaux, et
Elle est utilisée dans les cas de stérilité masculine. Le sperme donc de leurs gènes. C’est le « lien du sang ».
provient d’un donneur. Le don est anonyme et gratuit. Le
donneur doit être âgé de moins de 45 ans, avoir au moins un Filiation narcissique
enfant et l’accord de sa compagne. Elle doit être pratiquée dans
Elle provient de la jouissance narcissique à se projeter dans
un centre agréé. Elle représente environ 1 000 naissances par an
un autre être. C’est l’introjection de l’autre (parent ou enfant)
en France. L’ICSI a réduit de moitié ses indications.
dans son propre idéal du moi, et l’identification à l’autre. Ces
mouvements bidirectionnels alimentent le narcissisme de
Don d’ovocyte
chaque protagoniste et permettent une reconnaissance affective
Il s’adresse aux femmes en situation de ménopause précoce, entre parents et enfant.
d’insuffisance ovarienne ou n’ayant plus d’ovaires. La technique
est plus lourde, nécessitant une FIV. Le don est également Filiation instituée
anonyme et gratuit, mais le prélèvement est beaucoup plus
Elle est basée sur les règles d’attribution de l’enfant, fixées par
contraignant pour la donneuse, impliquant une stimulation
la loi du groupe (règles juridiques).
ovarienne et un prélèvement des ovocytes par voie transvagi-
Il n’est cependant pas nécessaire que ces trois composantes
nale. Cette technique concerne actuellement un petit nombre
coexistent pour qu’une famille se sente exister et soit reconnue,
de femmes en France du fait de la rareté des donneuses, bien
même si le lien biologique garde une force toute particulière. La
que celles-ci soient en augmentation. Un nombre inconnu de
psychanalyse et d’autres disciplines ont montré l’importance
femmes vont en Espagne ou en Belgique, où les donneuses sont
d’autres dimensions dans la création du lien parents-enfant.
« dédommagées financièrement », et sont plus jeunes et plus
nombreuses, ce qui donne des chances de réussite supérieures
(environ 30 % en France contre 50 à 70 % en Espagne). Attachement
La théorie de l’attachement, élaborée par le psychanalyste
Don d’embryon : aucun lien biologique anglais Bowlby [5-7], à la suite de ses observations de pertes, de
avec les parents séparations précoces mère-enfant, et de carences de soins
maternels pendant la seconde guerre mondiale en Angleterre,
La loi de bioéthique autorise désormais le don des embryons constitue un modèle précieux pour comprendre la création du
surnuméraires ne faisant plus l’objet d’un projet parental à un lien parents-enfant dans ces nouvelles filiations, ce qui rend ces
autre couple. Cette AMP très récente concerne les cas de double relations, initialement artificielles, vivantes et aimantes. Très
stérilité homme-femme, et nécessite l’accord du couple donneur schématiquement, l’attachement se définit comme l’ensemble
et du couple receveur. des comportements de l’enfant destiné à établir et maintenir
Les tentatives de se représenter ce mode de procréation une proximité spatiale avec sa figure d’attachement (la mère ou
comme une adoption anténatale ne sont pas tout à fait satisfai- un substitut dit « cible d’attachement »), avec son corollaire, le
santes. Il existe des différences importantes : la grossesse et sentiment de sécurité. On distingue des comportements de
l’accouchement créent un authentique lien entre les parents et signalisation qui montrent à la mère l’appétence de l’enfant

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-204-G-40 ¶ Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation

pour l’interaction (sourires, vocalisations, cris, pleurs), et des les plus puissants de la création du lien, dans tous les cas. C’est
comportements d’approche (poursuite par le regard, puis la rencontre avec l’enfant qui crée le parent.
marche à quatre pattes pour s’accrocher à la mère.) Il s’agit Il existe donc une recherche importante et ancienne en
donc d’un comportement actif de l’enfant vers sa figure pédopsychiatrie pour tenter de comprendre les conditions
d’attachement, laquelle est spécifique pour lui et incarnée par nécessaires au bon épanouissement de l’enfant, qui devrait
l’adulte qui répond le mieux à ses signaux. Il se crée ainsi guider la réflexion théorique et éthique sur le devenir et l’intérêt
progressivement une relation d’attachement qui permet à de l’enfant dans les AMP.
l’enfant de rechercher auprès de l’adulte discriminé, confort,
soutien, protection, et sédation de l’anxiété, c’est à dire une
base de confort. Ce lien d’attachement [8] synthétise toutes les ■ Souffrance psychique et stérilité
relations émotionnelles avec les personnes en relation d’inti-
mité, ce que l’on peut appeler la composante psychodynamique Toutes les personnes stériles ne vivent pas nécessairement la
de l’attachement. stérilité comme un traumatisme. Cependant, toutes s’interro-
Tandis que le lien d’attachement est dirigé de l’enfant vers le gent à un moment ou un autre sur ce que la stérilité signifie
parent, le bond représente le sentiment affectif du parent qui pour elles et une grande majorité la vit dans une véritable
donne les soins (caregiver). Selon George et Solomon [9], il existe souffrance.
un comportement parental symétrique, le caregiving system, qui
est la réciproque du comportement d’attachement de l’enfant. Que représente l’infertilité ?
Il s’agit de « l’ensemble des comportements des parents visant
La stérilité frappe comme la mort. Elle nous inflige la
à promouvoir la proximité et le réconfort quand ils perçoivent
souffrance de notre propre finitude et rompt la chaîne des
que l’enfant se sent en danger ou en détresse ». Rejoindre,
générations dans laquelle le sujet ne peut plus s’inscrire. Elle
appeler, étreindre, retenir, consoler, bercer, etc. font partie de ces
nous prive de tout fantasme d’immortalité (se reproduire c’est
comportements. Ainsi, entre attachement et caregiving peut se
se « produire » une deuxième fois).
constituer un lien d’amour puissant entre enfant et parents,
Être stérile, c’est aussi renoncer à être parent et renoncer à
montrant que le lien biologique, même s’il est narcissiquement
l’enfant préinvesti au plan imaginaire. C’est aussi ne pas régler
très valorisé, ne suffit pas, en soi, à créer un lien de qualité. Par
sa propre dette de vie à ses parents. D’où un sentiment de cul-
ailleurs, les travaux de Winnicott, pendant la même période,
de-sac existentiel.
ont amené à prendre conscience de l’importance des qualités
Elle provoque une atteinte des identifications sexuées. La
maternelles et parentales dans le développement de l’enfant.
filiation fait passer le fils au statut de père, et la fille à celui de
Ces notions rejoignent très naturellement la notion de parenta-
mère. Elle produit un effet de maturation fondamentale qui
lité, à laquelle elles se superposent.
permet de sortir de l’enfance.
Par ailleurs, chaque sexe présente une réponse plus spécifique.
Parentalité L’homme se sent touché dans sa virilité, les troubles sexuels
secondaires ne sont pas rares. Il vit une atteinte dans sa capacité
Les trois axes de la parentalité à transmettre le nom familial. La femme vit une incapacité de
Il s’agit de l’ensemble des réaménagements psychiques et grossesse, qui lui aurait donné le statut social et fantasmatique
affectifs qui permettent à un sujet de devenir parent, c’est-à- de « vraie » femme et de mère. La grossesse est un symbole
dire de répondre aux besoins de son enfant, aux plans physique social fort, qui parfois peut passer avant le lien génétique. Dans
(soins physiques), psychique et affectif. On rejoint ici étroite- chaque sexe, il y a donc un échec des identifications sexuées.
ment la notion de caregiving. Houzel [10] décompose la parenta- La culture du sujet est là très importante.
lité selon trois axes : Le sujet stérile vit son corps comme altéré. Il doit renoncer à
• l’exercice de la parentalité : ce sont les droits et devoirs de cette partie « féconde » de son corps, qui peut produire d’autres
tout parent par rapport à un enfant (obligation de choix, de êtres.
surveillance, de protection quant à la santé et à l’éducation) ; Enfin, il faut insister sur l’importance de la réprobation
cet axe structure aussi au plan symbolique les places paren- sociale. Les sujets se sentent accusés de ne pas vouloir d’enfant,
tales, et les engage dans une filiation et une généalogie ; d’être égoïstes. Ils se sentent socialement mis à l’index, coupa-
• l’expérience de la parentalité : il s’agit du ressenti, de l’affectif, bles de désobéir à la loi du groupe qui exige des enfants. Ces
de l’imaginaire liés au fait de se sentir parent ; personnes souffrent beaucoup de cette réprobation collective et
• la pratique de la parentalité, qui comprend les actes concrets en ressentent une puissante culpabilité.
de la vie quotidienne : les soins (nourrir, soigner, laver, La stérilité impose donc un deuil long et douloureux, qui
garder, etc.), les interactions affectives avec l’enfant, l’éduca- parfois peut obérer toute une vie.
tion et la socialisation. Elle constitue une cause importante de souffrances psychi-
ques. Les civilisations, même les plus anciennes, ont toujours
Interactions vénéré la fécondité, même à des époques où les conditions
historiques et/ou socioéconomiques étaient beaucoup moins
Bien que ces théorisation soient d’époque, d’origine et de favorables qu’aujourd’hui. Le désir d’enfant a toujours été un
nature très différente, on peut penser que l’attachement, la moteur humain très puissant, probablement dans un sens
parentalité et la filiation narcissique entretiennent entre elles évolutionniste (conservation de l’espèce), mais aussi narcissique
une relation circulaire. L’attachement, par exemple, semble et social.
conditionner l’apparition des comportements et des émotions
comprises dans la notion de parentalité. De même, l’aspect
narcissique de la filiation joue un rôle important dans l’attache-
Annonce diagnostique
ment et la parentalité. Dans la majorité des cas, les réactions individuelles observées
Concernant les AMP, il est difficile de dire au cas par cas à l’annonce d’une stérilité sont semblables à celles décrites lors
lequel de ces aspects concourt à l’établissement profond du lien de l’annonce de toute nouvelle dramatique et traumatique,
parent-enfant, qui conditionne le succès de cette forme de maladie grave ou décès. Un enchaînement dynamique survient
filiation très particulière. Il est néanmoins probable que plus il alors, allant de l’étonnement (parfois même la sidération) au
y a de biologique dans ces filiations, plus l’investissement est déni, puis la recherche désespérée d’une cause, la révolte, la
facilité. Ainsi, le parent qui procrée avec un gamète provenant jalousie par rapport aux autres, et la culpabilité (qu’ai-je fait
de lui a sans doute plus de facilité (on le voit bien dans l’IAD pour mériter cela ?), pour finir, mais pas toujours, par une
ou le recours au don d’ovocyte) que celui qui est biologique- acceptation douloureuse.
ment « remplacé » par un donneur. Celui-là doit faire le deuil de Selon les études, l’infertilité constitue l’expérience la plus
sa filiation narcissique pour adopter l’enfant. Cependant, les difficile de leur vie pour 50 % des femmes et 15 % des hommes.
processus de l’attachement constituent évidemment les moteurs On trouve quatre fois plus de troubles dépressifs chez les

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation ¶ 37-204-G-40

femmes stériles que dans les groupes contrôle. Ces symptômes long (de 1 an pour l’IAD à plusieurs années pour le don
sont maximaux entre 2 et 3 ans d’infertilité et diminuent après d’ovocytes) et que l’âge de la femme est élevé, la quarantaine
6 ans. Pour les deux sexes, le stress est plus élevé lorsque le sujet provoquant une panique obsédante.
s’attribue cette infertilité à lui-même (autoreproches) ou s’il
tente de s’adapter par l’évitement. Chez l’homme, un âge élevé Stress lié à la technique
et la non-procréation aggravent le stress. Dans une étude sur
Les AMP nécessitent des techniques contraignantes, lourdes,
100 couples, Rogiers [11] estime que 50 % des femmes présentent
itératives sur plusieurs cycles et souvent invasives pour le corps
des signes dépressifs, tandis que 30 % des hommes ressentent
féminin (stimulation ovarienne, suivie d’une ponction d’ovocy-
leur virilité menacée, avec un questionnement sur leur rôle
tes par voie transvaginale pour une FIV) et/ou masculin (la
social (question de la transmission du nom, de la vie). Dans
biopsie testiculaire en vue d’une ICSI est très douloureuse). Ces
61 % des couples, un conjoint est déprimé et dans 11 % les
périodes sont vécues dans un climat tendu et anxieux (les
deux le sont.
patients évoquent un véritable parcours du combattant), avec
Globalement, 72 % des couples traversent une période
une grande angoisse de l’échec, lors de chaque tentative. Par
dépressive durant laquelle l’agressivité entre les deux partenaires
ailleurs, même si ces techniques se banalisent, les couples sont
peut être exprimée, ou au contraire très réprimée et accompa-
souvent inquiets quant à l’incidence de ces méthodes sur
gnée de sentiments de culpabilité. Des difficultés dans la vie
l’enfant (crainte d’une erreur de choix du sperme dans l’IAD, de
sexuelle du couple peuvent apparaîtrent. Les partenaires du
l’incidence du froid en cas de congélation d’embryons, etc.).
couple infertile peuvent ressentir une jalousie à l’égard des
couples normalement fertiles, qui peut se traduire par un
certain isolement social. Certains couples ne s’adaptent pas à Impact sur la sexualité et la stabilité
cette annonce traumatique et une séparation peut survenir. du couple
Les couples s’engageant dans une procédure d’AMP ont la Les couples se plaignent très souvent d’une sexualité déséro-
plupart du temps surmonté cette période et créé une nouvelle tisée, régie par les contraintes procréatiques et l’obsession de la
alliance dans leur fonctionnement. grossesse (la stimulation ovarienne impose par exemple le
meilleur moment pour le rapport fécondant), ce qui peut les
éloigner. Par ailleurs, le partenaire stérile se sent dévalué, ce qui
■ Stérilités psychogènes peut avoir une incidence sur sa sexualité. La sexualité ultérieure
du couple peut en être très altérée. Certains couples ne résistent
On appelle « stérilités psychogènes » les stérilités non expli-
pas à cette épreuve.
quées par des causes physiques. C’est un concept complexe qui
doit être appréhendé tant aux plans théorique et scientifique
qu’au plan thérapeutique.
Construction de la parentalité
En effet, si l’on connaît la participation psychogène de en dehors de la filiation génétique
certaines infertilités inexpliquées, comme le donnent à penser Malgré des études internationales rassurantes [12, 13], mais ne
les grossesses spontanées suivant une grossesse par FIV ou une décrivant que des comportements parentaux et non leur vécu
adoption, rien ne permet d’établir une causalité linéaire. intime, le taux de révélation à l’enfant, du recours à une IAD
Comme nous l’avons souligné, le stress engendré par une reste bas, plafonnant à 20 % (situation des Pays-Bas) ; par
infertilité vient rapidement se surajouter à tout autre élément crainte de perturber l’enfant, que le père ne parvienne pas à
psychodynamique. Il est important que les stérilités non trouver sa place, qu’il soit rejeté par l’enfant à l’adolescence, etc.
expliquées ne soient pas systématiquement qualifiées de Ceci semble moins vrai dans le don d’ovocyte, car la femme est
psychogènes. L’avancée des connaissances scientifiques dans ce enceinte et porte l’enfant, ce qui semble beaucoup la rassurer.
domaine laisse envisager que d’ici quelques années d’autres Serait-ce à dire qu’il n’est pas si simple de s’adapter à ces
explications viendront enrichir la réflexion. situations ? Qu’il n’est pas si simple de renoncer à la filiation
De plus, il est très important de se prémunir de toute attitude biologique ? La diminution des IAD au profit de l’ICSI, qui
contre-transférentielle délétère. préserve la filiation biologique, semble en attester.
En effet, adresser un couple ou plus souvent une femme vers
une prise en charge psychothérapeutique ne peut être entendu
par celle-ci que si l’on s’adresse à sa partie souffrante. Toute
Inquiétudes quant au devenir de l’enfant
attitude qui viendrait renforcer un sentiment de culpabilité Il semble persister chez les couples un fond d’inquiétude
fantasmatiquement inévitable risque d’entraver ce processus quant au devenir de l’enfant à long terme, comme si la techni-
thérapeutique pour un temps. que ferait toujours moins bien que la nature. Par ailleurs, le
La souffrance psychique induite par la stérilité doit être problème de la révélation à l’enfant demeure une question qui
entendue par les soignants sans théorie causaliste, et c’est ainsi inquiète les futurs parents (cf. infra).
qu’ils peuvent créer une alliance avec ces couples et les adresser,
à propos, vers un soutien psychologique. Échec de l’AMP
Les résultats des différentes techniques sont les suivants (ces
■ Souffrance psychique des couples résultats sont donnés en pourcentages de grossesses obtenues
pour chaque technique, source FIVNAT 2004 [14]). La littérature
liée aux techniques de AMP donne parfois les résultats par cycle, c’est-à-dire pour chaque
tentative ; parfois il s’agit de résultats globaux par technique,
Le recours à l’AMP constitue une épreuve pour les couples qui c’est le choix que nous avons fait, car la lisibilité des techniques
rencontrent alors des difficultés psychologiques d’intensité très est parfois difficile :
variable. • IIC (insémination directe dans le col utérin avec sperme du
conjoint) : 8 à 12 % de réussites (c’est-à-dire pour 100 cou-
ples) ;
Stress lié au diagnostic et à l’attente • IIU (insémination directe dans l’utérus avec sperme du
La période du diagnostic est souvent longue et anxiogène. conjoint) : 10 à 15 % de réussites ;
Celui-ci nécessite souvent de nombreux rendez-vous et examens • IAC (avec sperme du conjoint congelé avant traitement d’une
complémentaires, source d’attente et de tensions dans le couple, maladie grave et/ou stérilisante) : 15 % environ ;
avec au bout le choc de la découverte d’une stérilité doulou- • IAD : de 10 à 30 % de réussites en fonction de la technique,
reuse à intégrer, et des décisions difficiles à prendre (s’orienter les 30 % sont atteints lorsqu’on allie FIV et don de sperme ;
vers une AMP, une adoption, renoncer à un projet d’enfant ?). • FIV (fécondation in vitro avec stimulation ovarienne) : entre
Par ailleurs, l’attente du démarrage des tentatives d’AMP est 20 et 30 % de réussites par tentative (les résultats sont ici
source de tension et d’inquiétude, d’autant plus que le délai est évalués différemment) ;

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-204-G-40 ¶ Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation

• ICSI : entre 20 et 25 % de réussite par tentative (même transgression. Lorsqu’un enfant conçu par AMP est effective-
commentaire) ; ment porteur d’une malformation, ces fantasmes et ce senti-
• don d’ovocyte : environ 30 % de succès en France, contre 50 ment de culpabilité risquent de provoquer une résonance
à 70 % en Espagne où les donneuses sont plus jeunes et particulièrement douloureuse, qu’il faudra l’aider à élaborer.
rémunérées ;
• le transfert d’embryons est une pratique débutante, non
encore évaluable. Interactions précoces et développement
Ces chiffres démontrent que le succès est loin d’être la règle, des enfants
d’autant que les femmes se lancent de plus en plus tardivement
dans un projet d’enfant, ce qui diminue beaucoup leurs chances Dans notre expérience, la blessure narcissique de l’infertilité,
de réussite. Après 41 ans, on n’obtient plus aucune grossesse en le réaménagement profond de la représentation de la filiation
IAD. Les autres techniques ne s’appliquent plus guère après vont impacter profondément le travail psychique de parentali-
45 ans. Pour ces couples en échec définitif d’AMP, c’est un sation de ces couples. Les représentations qu’ils ont d’eux-
nouveau traumatisme. Les médecins ont alors un important rôle mêmes comme parents et de leurs enfants à venir vont en être
d’accompagnement, pour éviter que le couple ne s’enlise dans affectées. Les interactions parents-enfants sont en effet nourries
l’amertume ou la dépression. Le couple devra choisir entre des représentations parentales. Un certain nombre d’études se
l’adoption et le renoncement à l’enfant, forcément douloureux. sont attachées à étudier les relations précoces parent-enfants.
S’orienter vers l’adoption signifie faire le deuil de l’enfant Certaines, très descriptives, mettent en évidence une augmen-
biologique afin que l’enfant adopté trouve une vraie place et ne tation du stress durant la grossesse des femmes infertiles [16, 17],
soit pas qu’un enfant de remplacement, source d’une nostalgie une anticipation anxieuse accrue d’éventuels problèmes soma-
incurable. tiques et une crainte plus importante d’être séparée de
l’enfant [18] . Ces éléments pourraient avoir un impact sur
■ Devenir des enfants nés par AMP l’instauration des interactions précoces en générant une attitude
surprotectrice de ces familles à l’égard de leurs enfants.
Dès le démarrage des techniques d’AMP, la question du Greenfeld et al. [19] ont étudié l’adaptation à la parentalité
devenir médicopsychologique des enfants et des familles, et entre 2 et 9 mois après la naissance d’un enfant né par FIV ou
donc d’un suivi psychologique systématique, a été posée. On a par conception naturelle. À 2 mois, il n’existe pas de différence
hésité à l’époque, d’un point de vue éthique, entre la nécessité dans l’adaptation du couple, l’anxiété, la dépression, l’estime de
de cette évaluation, et la crainte d’une intrusion dont il fallait soi ou le stress des parents. En revanche, les FIV ont des
protéger ces enfants. Ces études n’ont donc pas été mises en résultats moins élevés en ce qui concerne la capacité d’apaise-
place à l’époque, ou très partiellement. ment de l’enfant, la fréquence des allaitements, les préoccupa-
Il faut bien comprendre que les circuits d’AMP sont très peu tions des mères sur leur propre sexualité et la participation du
propices pour organiser de tels suivis. En effet, les CECOS, qui père dans les tâches quotidiennes. À 9 mois, les différences
délivrent les gamètes, ou les services d’AMP qui réalisent les retrouvées concernent une moindre préoccupation des mères
gestes techniques, ne voient que les futurs parents, qu’ils FIV sur les conséquences de la grossesse, sur leur aspect physi-
perdent généralement de vue dès la conception, ou au mieux, que ou sur la restriction de leur autonomie depuis la naissance
dès la naissance. Il est extrêmement difficile de les retrouver par de l’enfant. Ces résultats semblent aller dans le sens d’une
la suite et d’obtenir leur consentement pour constituer des disponibilité plus grande de ces femmes à la maternité, avec ses
cohortes suffisantes et statistiquement valides, avec des groupes bons moments mais aussi ses contraintes.
témoins (poids du secret, réticences bien compréhensibles, Une étude a été menée chez des enfants de 1 an [20], évaluant
difficultés à retrouver les parents, déménagement, etc.). Par la qualité de l’attachement et de l’interaction mère-enfant, par
ailleurs, les équipes d’AMP ne disposent pas d’épidémiologistes, la strange situation de Ainsworth et une situation de jeu sponta-
et de psychiatres ou de psychologues en nombre suffisant. née. Les items évalués sont : sensibilité, « intrusivité » et
Pour toutes ces raisons, nous ne possédons pas de données hostilité maternelle ; capacité de réponse et engagement dans
indiscutables sur le devenir de ces enfants, ainsi que nous allons l’interaction de l’enfant. Les enfants nés par FIV sont secure
le montrer. La recherche d’éléments objectifs concernant leur pour 65 % d’entre eux, sans différences significatives par
développement est donc devenue une nécessité impérieuse, tant rapport à ceux d’une population contrôle (conçus
pour répondre aux questions souvent angoissées des futurs naturellement).
parents qu’à l’angoissante responsabilité des médecins tra- En ce qui concerne la qualité de l’interaction, aucune diffé-
vaillant dans les AMP. Ainsi, depuis une quinzaine d’années, les rence n’est mise en évidence entre les deux groupes. Mais il
publications se multiplient en ce sens. existe aussi une association significative entre une anticipation
des difficultés pendant la grossesse et un comportement
Incidence sur la santé des enfants maternel plus structurant.
Si les grossesses par don sont sans particularités sur le plan Comme si finalement toute l’anticipation et l’investissement
médical, les grossesses issues d’une ICSI posent encore des de la grossesse soutenaient les capacités d’identification de la
questionnements différents. Certaines études montrent une mère à son bébé.
augmentation de malformations congénitales chez ces enfants En 1995, Colpin et al. [21] ont pu observer directement
(15 % contre 3 % dans une population d’enfants nés par 31 enfants de 2 ans. Leur comportement envers leur mère
conception naturelle) [15]. n’était pas différent qu’ils soient nés par FIV ou par conception
D’autres études seraient nécessaires pour déterminer l’impact naturelle.
de cette technique. En effet, les hommes susceptibles d’avoir L’étude européenne multicentrique de Golombok et al. [12] a
recours à l’ICSI, c’est-à-dire présentant des oligotératosper- évalué des enfants de 4 à 8 ans à travers les observations des
mies ou des azoospermies présentent une incidence plus élevée parents et des enseignants, mais sans évaluation directe des
d’anomalies chromosomiques, incluant des délétions du chro- enfants, ce qui constitue un biais méthodologique. En ce qui
mosome Y, qui peuvent donc se transmettre à leurs enfants. concerne l’adaptation du comportement de l’enfant et la
De plus, cette technique en elle-même induit une rupture de perception des relations familiales, les trois groupes étudiés (FIV,
la membrane ovocytaire. Ce qui soulève la question d’éventuel- IAD, conception naturelle) sont équivalents. Les familles ayant
les conséquences sur le développement de l’embryon. Un bénéficié d’une AMP (FIV et IAD) développeraient plus de
conseil génétique est généralement préconisé. chaleur émotionnelle et plus d’interaction parent-enfant que les
Au-delà de leur survenue réelle, la crainte de malformations familles ayant eu des enfants par conception naturelle.
exprime parfois un sentiment de culpabilité, la malformation de Ainsi, les études portant sur les relations parents-enfants ainsi
l’enfant devenant une punition divine. Cette culpabilité peut que sur le développement de l’enfant conçu par AMP ne
être liée à des fantasmes concernant l’infertilité, à une réactua- montrent pas de différences très significatives par comparaison
lisation œdipienne ou encore à l’idée que l’AMP constitue une à des conceptions naturelles.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation ¶ 37-204-G-40

Gémellité L’étude la plus récente est celle de Golsombok [13]. Il s’agit


d’une étude européenne multicentrique réunissant les données
Les grossesses multiples sont un des effets possibles des AMP. d’Italie, d’Espagne, des Pays-Bas et de Grande-Bretagne. C’est
À l’heure actuelle, le nombre d’embryons réimplanté est limité, l’une des premières concernant les enfants nés d’AMP en début
en général à deux. d’adolescence.
Les grossesses gémellaires restent cependant plus fréquentes. Elle a rassemblé 102 familles ayant eu recours à une FIV, 94
De 1 % en population générale, leur fréquence passe à 25 % à une IAD, 102 familles ayant adopté un enfant et 102 familles
après une FIV. Les naissances de triplets, rares en population ayant eu des enfants conçus spontanément. Les enfants à cette
générale (1 %), sont de 4 % après une FIV. phase de l’étude sont âgés de 11 et 12 ans et sont tous issus de
Les grossesses gémellaires sont des grossesses à risques, en grossesse unique. Le taux de perdus de vue est inférieur à 15 %
particulier de prématurité, mais le risque serait encore plus dans chacun des quatre groupes. Ont été évalués : la dynamique
important dans les grossesses gémellaires issues d’AMP que dans du couple parental, l’anxiété et la dépression chez les parents et
les grossesses gémellaires spontanées. En effet, les taux de la qualité de la parentalité, le fonctionnement de l’enfant.
prématurité, les moyennes de poids de naissance, la fréquence Le degré de satisfaction dans la vie de couple, l’anxiété ou la
des très petit poids de naissance, ainsi que la mortalité et la dépression sont comparables dans les différents groupes.
morbidité néonatale seraient plus élevés parmi les jumeaux En ce qui concerne la relation mère-enfant, les femmes ayant
conçus par FIV que parmi les grossesses gémellaires conçues bénéficié d’une AMP sont significativement plus enjouées et
naturellement [22, 23]. satisfaites de leur maternité. Cependant, elles sont aussi plus
Comme dans toutes les familles où il y a une naissance protectrices et plus soucieuses pour leur enfant que les autres
gémellaire, on peut se préoccuper de l’adaptation des parents à mères. Il n’y a pas de différence en ce qui concerne la chaleur
cette situation. On sait par exemple que si le taux de dépression relationnelle entre la mère et son enfant.
maternelle post-natale est estimé à 15 à 20 % en population Du côté paternel, les pères AMP expriment plus de chaleur
générale, il est de 40 % à 50 % dans les grossesses gémellaires affective dans leur relation à l’enfant et sont plus enjoués dans
et de près de 90 % dans les grossesses avec des triplets. leur paternité que les autres. L’expression de l’autorité, l’exis-
On a voulu savoir si les grossesses gémellaires dans le cadre tence de conflits sont comparables dans les quatre groupes.
de l’AMP présentent des spécificités. Une étude [24] a comparé le L’évaluation des enfants eux-mêmes ne présente pas de diffé-
stress des parents (parental stress index) et leur bien-être psycho- rence significative.
logique (general health questionnaire) dans 54 familles ayant eu
une grossesse gémellaire par conception naturelle, versus
25 après stimulation ovarienne et 24 après FIV ou IAC. Aucune
Questions méthodologiques
différence n’a été retrouvée entre ces trois groupes. Le seul Ces études de devenir soulèvent quelques problèmes métho-
élément influent est l’existence d’un enfant plus âgé. En effet, dologiques car il s’agit le plus souvent de petits effectifs, l’étude
lorsque la grossesse gémellaire était la première grossesse, les européenne ne comptant que 102 sujets dans quatre pays. Les
mères subissaient plus de stress que celles ayant déjà élevé un perdus de vue sont un biais majeur de ces études à long terme.
enfant, et ce d’autant plus s’il s’agissait de femmes ayant connu D’autre part, les enfants sont rarement évalués directement,
une période d’infertilité. puisqu’ils sont rarement informés de leur mode de procréation.
Une autre publication souligne l’absence de différence en Ceci constitue aussi un biais majeur.
termes de comportement de l’enfant ou de qualité de la Ainsi, bien que les études disponibles restent encore incom-
fonction parentale, mais un sentiment de stress plus important plètes ou critiquables, elles nous apportent des éléments
dans les familles de jumeaux nés à la suite d’une AMP [25]. rassurants, ce que nous confirme notre expérience quotidienne,
Les grossesses gémellaires monozygotes (1 % des naissances ainsi que les retours venant de parents que nous revoyons au
par AMP) sont deux fois plus fréquentes qu’en population CECOS (l’activité de suivi des familles après AMP se développe
générale. Ceci serait lié à la stimulation ovarienne, plus qu’au au sein de notre équipe de Cochin pour aider les parents à
milieu in vitro ou à la micromanipulation [26]. Elles soulèvent aborder les problèmes qui peuvent les gêner).
des questions plus spécifiques. En effet, s’il existe une grande Une des problématiques fondamentales restant à évaluer sera
ressemblance entre les enfants, cela constitue pour les parents l’accession à la parentalité de ces enfants et les conflits ou
une atteinte narcissique, une souffrance de ne pas pouvoir questionnements que cette étape de leur développement
différencier leurs enfants. Lors de chaque naissance, la question pourraient raviver.
de la reconnaissance se pose et les fantasmes d’échanges
d’enfants peuvent être présents, mais ils sont ici majorés.
En ce qui concerne le développement des enfants, on rejoint ■ AMP dans la tourmente
ce qui est classiquement décrit pour les jumeaux : un effet
couple qui peut ralentir le développement mais est totalement
ou nouvelles demandes sociales
inaperçu après 6 ans. Pour les triplets, on décrit un fonctionne- Jusqu’à une période relativement récente (10-15 ans), seuls les
ment souvent opératoire de ces enfants, une absence de plaisir, couples hétérosexuels étaient demandeurs d’une AMP. Depuis
mais des systèmes d’alliance qui peuvent être plus souples et quelques années, accompagnant une profonde modification de
plus mobiles qu’entre jumeaux. structure de la famille [28-30] dans nos sociétés, de nouvelles
demandes sociales, souvent vigoureuses, sont apparues, associées
Adolescence des enfants nés par AMP à un sentiment général de droit à l’enfant pour tous, plaçant les
L’explosion pubertaire signant l’entrée dans une vie sexuelle acteurs des AMP dans des situations souvent extrêmement
active, le remaniement des relations parents-enfants, les inconfortables.
réaménagements narcissiques et objectaux de cette période
peuvent soulever des questions sur la nouvelle adaptation de ces Demandes tardives
familles. Les demandes tardives de femmes atteignant ou dépassant la
Colpin et Soenen [27] ont étudié le devenir des enfants âgés quarantaine sont en augmentation constante (le taux d’échec
de 8 à 10 ans. Cette étude concerne 31 familles FIV et très élevé rend souvent le projet impossible) ou de couples dont
31 familles ayant eu des enfants naturellement. Ces familles ont l’homme, vivant avec une femme plus jeune, est âgé parfois de
été incluses dans la recherche lorsque les enfants étaient âgés de 60 à 70 ans. Ces situations posent des problèmes humains et
2 ans. éthiques douloureux.
Ces enfants sont les premiers-nés issus de grossesses non
gémellaires. Chez les parents, aucune différence significative n’a
été relevée. Le comportement des enfants évalués selon la
Insémination des femmes seules
children behavior checklist est dans la limite de la normale pour Elle est interdite en France alors que la solitude touche un
les deux groupes. nombre croissant d’individus. Si l’on peut comprendre le désir

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-204-G-40 ¶ Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation

de ces femmes, que penser du devenir de ces enfants, privés dès conception, cette décision est de leur seule responsabilité. En
le début de tout roman familial et conçus dans la solitude ? La France, aucune étude prospective ne permet de connaître le
mondialisation touche aussi les AMP, puisque certains pays taux réel d’information de l’enfant. Un recueil de données
voisins (Belgique, Espagne notamment) autorisent ces pratiques. effectué auprès des couples consultant en vue de la conception
Nul doute que ces femmes, si elles le peuvent, vont y chercher d’un second enfant montre une intention d’information
une solution. inférieure à 50 % en moyenne 2 ans après la naissance du
premier enfant (données personnelles). Une étude euro-
Couples sérodifférents péenne [13] réalisée auprès de 94 familles ayant donné naissance
Depuis l’avènement de la trithérapie dans le traitement de à un enfant par don de gamètes montre que seulement 8,6 %
l’infection par VIH, cette maladie est vécue comme une maladie des enfants âgés de 11 à 12 ans ont été informés sur leur mode
chronique, si le patient parvient à être équilibré. D’où la de conception, avec des disparités selon les pays (taux de
demande de ces couples d’avoir recours à l’IAD, pour n’infecter révélation plus élevé au Nord qu’au Sud), 10 % des familles
ni la mère ni l’enfant. Après une phase d’études, basées sur un prévoient d’en parler un jour, 12 % sont indécises et 70 % se
protocole, la loi de 2004 a officialisé cette pratique. Elle est prononcent contre l’idée d’informer l’enfant. Ces chiffres sont
réservée toutefois aux patients équilibrés biologiquement et spécifiques à la question du don de gamètes ; en effet une
psychologiquement, ayant une sexualité stable et protégée, et comparaison avec des couples procédant à une FIV montre que
ayant renoncé à leur toxicomanie (ou à condition qu’ils se l’information à l’enfant n’est alors pas un problème.
limitent à un traitement de substitution). Une étude hollandaise auprès de 38 couples montre que 21 %
seulement des couples faisant appel à un don ont l’intention
Couples homosexuels d’en informer l’enfant (âgé de 4 à 8 ans) et ceux qui le font
Ils sont également très demandeurs d’un accès libre aux AMP. aimeraient avoir quelques informations à transmettre sur le
Ils se basent sur des études anglo-saxonnes qui sembleraient donneur [33].
démontrer le bon développement des enfants dans ces couples, Une étude californienne [34] auprès de 184 couples hétéro-
et sur deux arguments : d’une part, certains pays européens, la sexuels montre que la moitié d’entre eux ne pensent pas
Belgique, l’Espagne, autorisent ces pratiques ; d’autre part, il est informer l’enfant, un tiers souhaitent le faire et 16 % sont
peu discutable que les couples hétérosexuels ne sont pas encore hésitants.
toujours des parents irréprochables. Pour l’instant, la loi de Les raisons évoquées devant une réticence à informer l’enfant
2004 interdisant ces pratiques est toujours en vigueur, ce qui ne sont multiples. Il s’agit soit d’une volonté de protection de
préjuge pas de l’avenir. l’enfant face à des réactions négatives de l’entourage ou de la
société, pour que l’enfant ne soit pas regardé différemment, soit
Couples où l’homme est transsexuel de faciliter le positionnement paternel, certains pères craignant
Depuis que la loi reconnaît le transsexualisme et autorise un que la révélation de leur stérilité ne soit considérée comme une
changement d’état civil, ces hommes forment des couples faiblesse de leur masculinité ou de leur virilité, en écho avec la
souvent stables, avec des femmes en âge de procréer, et on blessure narcissique qu’ils expérimentent eux-mêmes. Cette
assiste à une demande croissante d’IAD de leur part. Considé- insécurité les conduit aussi à craindre une modification de leur
rant le transsexualisme comme une maladie d’origine inconnue, relation à l’enfant lorsqu’il apprendra cette absence de lien
ainsi que le chemin parcouru par ces hommes [31], le CECOS génétique. Ainsi, le taux d’information de l’enfant étant
Cochin à Paris, sous l’impulsion du Pr Jouannet, a décidé de relativement faible, on comprend la difficulté qu’il existe à
mettre en place un protocole d’études permettant à certains de mener des études prospectives à méthodologie fiable. L’étude de
ces couples d’accéder à l’IAD. Ces hommes ont impérativement Golombok [13] chez les enfants âgés de 12 ans ne montrait pas
été longuement suivis psychologiquement avant et pendant leur de différence dans la qualité affective des interactions familiales
parcours de transformation sexuelle (il ne s’agit que de cas de selon que les enfants étaient informés ou non. En revanche, sur
transsexualisme primaire bien équilibrés), ils sont évalués par des variables évaluant la dimension de contrôle au sein de la
deux psychiatres différents lors de leur demande, et les enfants famille, les enfants informés ont des interactions plus souples
issus de ces AMP sont suivis annuellement par l’équipe du avec leur mère (moins de disputes, moins intenses).
Pr Golse à Necker. Ainsi, si ces études quantitatives nous sont utiles, il reste
nécessaire de se questionner sur ce que représente pour un
couple le fait de pouvoir ou non transmettre cette information
Essor du « bébé-business » [32] à leur enfant. Ce choix représente souvent l’intégration du deuil
et mondialisation de leur fertilité, de leur relation à leur propres parents, de leur
L’encadrement de l’AMP par une loi de bioéthique est culpabilité.
quasiment devenu une exception française. Au plan mondial, C’est avec ces notions que la loi française a posé le cadre de
un véritable « marché » s’est développé (marché procréatique) l’anonymat du donneur. Même s’il existe un mouvement, relayé
sans aucune régulation, pour répondre aux demandes d’enfant par les médias, pour que ce point soit à nouveau discuté, on sait
des pays riches auxquelles répondent des offres dans des pays que les familles sont très rassurées par cet anonymat. Il protège
moins développés. le couple parental et lui permet de se construire avec un tiers
Les exemples foisonnent : aux États-Unis, on peut acheter du donneur qui reste très abstrait. En Suède, pays dans lequel
sperme (environ 275 dollars [USD] la dose), des ovocytes (de l’anonymat du donneur n’est pas la règle, seulement 11 % des
2 500 à 50 000 USD pièce, selon les critères morphologiques et familles informent leur enfant de ce mode de procréation.
raciaux de la « vendeuse ») ; en Ukraine, une mère porteuse loue Les couples stériles font face à une perte de liberté dans leur
son utérus entre 25 000 et 45 000 USD. Dans les pays de l’Est, capacité de procréation, source d’une grande souffrance.
en Grèce, aux États-Unis, des cliniques spécialisées extrêmement Lorsqu’une réponse médicale peut être apportée, il importe
lucratives vendent toutes les techniques possibles, au choix des qu’elle leur permette aussi de retrouver une certaine liberté,
futurs parents. Ce marché est estimé à 3 milliards USD par an facilitant la construction d’une fonction parentale paisible et
aux États-Unis, sans compter le reste du monde. cohérente avec leur histoire familiale. Une position trop
dogmatique ou juridique sur ces questions viendrait entraver
■ Information ou révélation : pour certains couples ce cheminement personnel.
Au plan de l’intérêt de l’enfant, il importe aussi que les
quel débat sur le « secret informations qui lui sont transmises le soient dans le cadre
d’une inscription dans la chaîne générationnelle de sa famille,
des origines » ? et donc en lien avec l’élaboration parentale. Et l’on peut
Si les lois de bioéthique se montrent favorables à une imaginer qu’une information « forcée » par une pression sociale
information de l’enfant, par ses parents, sur son mode de ou juridique pourrait être complexe à intégrer.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation ¶ 37-204-G-40

“ Points essentiels
• Les AMP ont débuté en France dans les années 1970 (premières inséminations avec sperme de donneur), ce qui donne un recul
d’environ 35 ans.
• Elles sont en France strictement encadrées par des lois de bioéthique, périodiquement révisées, ce qui interdit certaines pratiques :
insémination des femmes seules, des couples homosexuels, insémination post-mortem.
• La philosophie générale en est : gratuité du don, anonymat du donneur, don de couple à couple (le couple receveur ne connaît pas
l’identité du donneur).
• La stérilité provoque une véritable souffrance psychique générant des troubles dépressifs fréquents chez les femmes (dans 50 %
environ des cas), mais aussi chez les hommes. Deux moments sont très critiques : l’annonce diagnostique et l’échec de toutes les
tentatives d’AMP, signifiant l’impossibilité définitive d’avoir un enfant biologique. Les sujets stériles doivent, en plus de leur propre
souffrance, affronter une réprobation sociale culpabilisante.
• L’origine des stérilités psychogènes reste mal connue, mais, sur un plan thérapeutique, il importe de ne pas culpabiliser ces femmes
par des paroles ou une prise en charge psychologique trop focalisée sur le problème.
• Le recours à une AMP génère en soi des stress et une angoisse importante (lies aux techniques, à l’attente, à la crainte de mal
s’adapter à l’enfant ou l’inverse, et aux perturbations sexuelles majeures induites par les contraintes techniques).
• Le devenir psychologique des enfants issus d’AMP commence à être étudié avec une méthodologie standardisée. Les résultats
d’études internationales paraissent rassurants jusqu’à 12 ans, alors que nous avons 35 ans de recul pour l’IAD. Les méthodologies,
bien que sérieuses, comportent quelques biais.
• Le taux de gémellité dans les AMP est important et pose de multiples problèmes dans les FIV : faible poids de naissance,
augmentation du stress parental et des dépressions maternelles, parfois graves. Les triplets posent des problèmes encore plus
préoccupants.
De nouvelles demandes émergent, provenant de situations sociales non prévues à l’origine, et qui posent des questions nouvelles, par
rapport aux lois de bioéthique (prévues pour traiter la stérilité de couples hétérosexuels) : demandes tardives (femmes de 40 ans et
plus) ; couples homosexuels ; femmes seules ; couples sérodifférents pour le virus VIH ; couples dont l’homme est transsexuel.
• La mondialisation des AMP constitue un autre problème. Dans de nombreux pays, les gamètes, et toutes les techniques d’AMP se
vendent librement, constituant un marché de l’enfant, désormais mondialisé.
• La révélation du « secret des origines » fait l’objet d’un débat. Certains reprochent aux CECOS d’interdire aux enfants qui le
souhaiteraient d’accéder à l’identité du donneur de gamète dont ils sont biologiquement issus. Ce secret des origines serait à l’origine
de souffrances psychologiques. Or, les demandes de jeunes vis-à-vis des CECOS pour connaître l’identité du donneur sont très rares
(moins d’une dizaine à Paris). Le taux de révélation par les parents ne dépasse pas 20 % des enfants nés par IAD, pour protéger l’enfant
et la position du père. Enfin, le lien entre une difficulté psychologique et la non-connaissance de l’identité du donneur est difficile à
établir. Il se peut que la relation entre les parents et l’enfant soit à l’origine du problème. D’autres raisons peuvent également être
recherchées. Cette question mérite donc beaucoup de prudence.

■ Conclusion ■ Références
Si l’aspect purement technique des AMP paraît bien maîtrisé, [1] David D, Alnot MO, Granet P. L’insémination artificielle humaine : un
des lacunes persistent dans les connaissances du développement nouveau mode de filiation. Paris: ESF; 1984 (151p).
psychologique des enfants à l’adolescence et à l’age adulte, ce [2] Loi de bioéthique de 2004. Code de la santé publique. Lexis Nexis.
qui nécessite impérativement des études larges et méthodologi- Paris: Litec; 2007. p. 396-427. Loi n°94-654 du 29 juillet 1994 NOR
quement indiscutables. La question du droit aux origines et SPSX 9400032 L. www.Legifrance.gouv.fr.
bien d’autres qui agitent les médias et inquiètent les couples y [3] Activités biologiques et cliniques d’AMP en France. Résultats prélimi-
gagneraient sans doute en clarté et en sérénité. naires 2002-2003. Agence de la biomédecine. 24-02-2006. 1, avenue
Par ailleurs, l’accueil d’embryons constituera la nouvelle étape du stade de France,93212 Saint-Denis cedex. www.agence-
majeure, qu’il faudra évaluer. biomedecine.fr.
[4] David D, Revidi P, Alnot MO, Granet P. Impacts psychologiques de
Dans le même temps, de nouvelles « exigences » sociales
l’autoconservation du sperme dans les maladies graves. Sem Hop Paris
annoncent un avenir chargé de questions et de défis. À une
1984;60:3080-4.
époque où la majorité des Français considère l’enfant comme
[5] Bowlby J. Attachement et perte. 1. L’attachement. Paris: PUF; 1978
un droit ne relevant que de son propre désir, où « l’offre »
(539p).
internationale (Belgique, Espagne, Grèce, États-Unis, mais aussi [6] Bowlby J. Attachement et perte. 2. La séparation, angoisse et colère.
pays de l’Est, Russie, etc.) propose un modèle libéral d’AMP, sans Paris: PUF; 1978 (557p).
contraintes ni questions, et grâce auquel chacun peut acheter [7] Bowlby J. Attachement et perte. 3. La perte, tristesse et dépression.
les gamètes qui lui manquent, le modèle français encadré par les Paris: PUF; 1978 (605p).
lois de bioéthique, hier novateur, pétri d’éthique et soucieux [8] Guedeney N, Guedeney A. L’attachement : concepts et applications.
avant tout de l’intérêt de l’enfant, devient perçu comme Paris: Masson; 2006 (235p).
conservateur et obstacle à la liberté individuelle. [9] George C, Solomon J. Attachment and care giving: the care giving
Cette « exception française » pourra-t-elle résister aux pres- behavioral system. In: Cassidy J, Shaver PR, editors. Handbook of
sions de plus en plus fortes ? Faudra-t-il évoluer vers une attachment: theory, research and clinical applications. New York: The
approche intermédiaire alliant ouverture et un certain niveau de Guilford Press; 1999.
contrôle ? Ou basculer dans un modèle purement libéral d’offre [10] Houzel D. Les enjeux de la parentalité. Paris: ERES; 1999 (200p).
et de demande ? [11] Rogiers L. La grossesse incertaine. Paris: PUF; 2003.
Ces questions débordent finalement très largement le cadre [12] Golombok S, Brewaeys A, Cook R, Giavazzi MT, Guerra D,
de l’AMP pour déboucher sur la problématique de la liberté Mantovani A, et al. The European study of assisted reproduction
individuelle et de l’encadrement du désir d’enfant par une families: family functioning and child development. Hum Reprod 1996;
société donnée et par les autorités qui la représentent. 11:2324-31.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-204-G-40 ¶ Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation

[13] Golombok S, Brewaeys A, Giavazzi MT, Guerra D. The European [24] Colpin H, De MunterA, Nys K, Vandemeulebroecke L. Parenting stress
study of assisted reproduction families: the transition to adolescence. and psychosocial well-being among parents with twins conceived
Hum Reprod 2002;17:830-40. naturally or by reproductive technology. Hum Reprod 1999;14:3133-7.
[14] Dossier FIVNAT. Laboratoire Organon. Immeuble Optima: Puteaux: [25] Cook R, Bradley S, Golombok S. A preliminary study of parental stress
Groupe AKZO NOBEL; 2004. and child behaviour in families with twins conceived by in vitro
[15] Belva F, Henriet S, Liebaers I, Van Steirteghem A, Celestin- fertilization. Hum Reprod 1998;13:3244-6.
Westreich S, Bonduelle M. Medical outcome of 8-year-old singleton [26] Schachter M, Raziel A, Friedler S, Strassburger D, Bern O, Ron-El R.
ICSI children (born >=32 weeks’ gestation) and a spontaneously Monozygotic twinning after assisted reproduction techniques: a
conceived comparison group. Hum Reprod 2007;22:506-15. phenomenon independent of micromanipulation. Hum Reprod 2001;
[16] McMahon CA, Ungerer JA, Tennant C, Saunders D. Psychosocial 16:1264-9.
adjustment and the quality of the mother-child relationhip at four [27] Colpin H, Soenen S. Parenting and psychosocial development of IVF
months postpartum after conception by in vitro fertilization. Fertil
children: a follow-up study. Hum Reprod 2002;17:1116-23.
Steril 1997;68:492-500.
[28] Godelier M. Métamorphoses de la parenté. Paris: Fayard; 2005 (679p).
[17] McMahon CA, Ungerer JA, Beaurepaire J, Tennant C, Saunders D.
[29] Heritier F. L’exercice de la parenté. Paris: Gallimard-Seuil; 1981.
Anxiety during pregnancy and foetal attachment after in-vitro
fertilization conception. Hum Reprod 1997;12:176-82. [30] Roussel L. La famille incertaine. Paris: Odile Jacob; 1989 (283p).
[18] McMahon CA, Ungerer JA, Tennant C. Don’t count your chickens: a [31] Chiland C. Changer de sexe. Paris: Odile Jacob; 1997 (282p).
comparative study of the experience of pregnancy after IVF concep- [32] Il est né le divin enfant l’essor du bébé-business. Courrier International
tion. J Infant Reprod Psychol 1999;17:345-56. décembre 2006 2007;842–843(n°spécial): 42-51.
[19] Greenfeld D, Caruso Klock S. Transition to parenthood among in vitro [33] Brewaeys A, Golombok S, Naaktgeboren N, de Bruyn JK, Van Hall EV.
fertilization patients at 2 and 9 months postpartum. Fertil Steril 2001; Donor insemination: dutch parents’ opinions about confidentiality and
76:626-7. donor anonymity and the emotional adjustment of their children. Hum
[20] Gibson FL, Ungerer JA, McMahon CA, Leslie GI, Saunders DM. The Reprod 1997;12:1591-7.
mother-child relationship following in vitro fertilisation (IVF): infant [34] Nachtigall RD, Tschann JM, Quiroga SS, Pitcher L, Becker G. Stigma,
attachment, responsivity, and maternal sensitivity. J Child Psychol disclosure, and family functioning among parents of children
Psychiatry 2000;41:1015-23. conceived through donor insemination. Fertil Steril 1997;68:83-9.
[21] Colpin H, Demyttenaere K, Vandemeulebroecke L. New reproductive
technology and the family: the parent-child following in vitro
fertilization. J Child Psychol Psychiatry 1995;36:1429-41. Pour en savoir plus
[22] Moise J, Laor A, Armon Y, Gur I, Gale R. The outcome of twin
pregnancies after IVF. Hum Reprod 1998;13:1702-5. À propos de la proposition de loi relative à la possibilité de lever l’ano-
[23] Zuppa AA, Maragliano G, Scapillati ME, Crescimbini B, Tortolo G. nymat des donneurs de gamètes. www.academie-medecine.fr/
Neonatal outcome of spontaneous and assisted twin pregnancies. Eur detailPublication.cfm?idRub=27&idLigne=109.
J Obstet Gynecol Reprod Biol 2001;95:68-72. Loi de bioéthique. www.agence-biomedecine.fr/fr/juridique-loi.aspx.

P. Revidi, Pédopsychiatre (patrick.revidi@hotmail.fr).


CECOS Cochin, Hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France.
B. Beauquier-Maccotta, Pédopsychiatre.
Service du Pr Golse, Hôpital Necker-Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Revidi P., Beauquier-Maccotta B. Problématiques psychiques dans les aides médicales à la procréation.
EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-204-G-40, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-200-G-60 (2004)
37-200-G-60

Traumatismes psychiques chez l’enfant


et l’adolescent
O. Taïeb
T. Baubet
J. Pradère
Résumé. – Les enfants et les adolescents peuvent présenter, après de nombreux types d’événements violents
K. Lévy
(agressions physiques ou sexuelles, catastrophes, guerres…), des manifestations psychopathologiques
A. Revah-Lévy
variées et parfois sévères. L’état de stress post-traumatique avec sa triade symptomatique (répétition,
G. Serre
évitement et hyperactivité neurovégétative) n’en résume pas l’ensemble. Les modalités d’interventions
M.-R. Moro
thérapeutiques doivent tenir compte des dimensions individuelles, familiales et culturelles de chacune des
situations.
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Traumatismes psychiques ; Syndromes psychotraumatiques ; État de stress post-traumatique ;


Enfants ; Adolescents ; Psychiatrie transculturelle

Définitions, histoire du concept en un bref laps de temps, un accroissement de stimulation si fort


que la liquidation ou l’élaboration de celui-ci suivant les normes
et modèles théoriques habituelles échoue, d’où résultent nécessairement des perturbations
durables dans la gestion de l’énergie. » [19]. Dans les débuts de la
Trauma et traumatisme sont des termes initialement utilisés en psychanalyse, l’étiologie de la névrose est rapportée à des
médecine et en chirurgie. Un trauma est, le plus souvent, une expériences traumatiques infantiles. La théorie traumatique de la
blessure avec effraction ; le terme de traumatisme serait, lui, plutôt névrose se complexifie progressivement avec les notions de
réservé aux conséquences sur l’ensemble de l’organisme d’une lésion séduction et d’après-coup, les événements extérieurs traumatiques
résultant d’une violence externe. Par extension, le terme de ne tirant leur force que des fantasmes qu’ils activent et de l’afflux
traumatisme désigne également un événement soudain et violent d’excitation pulsionnelle qu’ils déclenchent. Le rôle étiologique du
qui menace brutalement l’intégrité physique ou mentale d’un traumatisme réel dans la névrose s’estompe peu à peu, mais la
individu. On tend aujourd’hui à parler d’événement
reconnaissance des névroses de guerre renouvelle l’intérêt de Freud
« potentiellement traumatique » ou « traumatogène ». En effet, parler
pour cette question [20]. Il reprend une approche économique du
d’événement traumatisant peut laisser supposer une action presque
traumatisme comme effraction du pare-excitation avec une mise
mécanique de l’événement sur l’individu, ne tenant pas compte de
hors-jeu du principe de plaisir, contraignant l’appareil psychique à
sa subjectivité. Or, un événement donné n’a pas d’effet traumatique
une compulsion de répétition. La notion de traumatisme prend plus
sur tous les individus qui y sont exposés, même si, comme le faisait
tardivement une place encore plus importante, notamment dans la
déjà remarquer Freud en 1920 [20], au-delà d’une certaine intensité de
théorie de l’angoisse dans Inhibition, symptôme et angoisse [21]. La
l’événement, les facteurs individuels comptent peu. Pour éviter toute
situation traumatique est alors définie par le surgissement de
confusion avec un traumatisme physique, le terme de traumatisme
l’angoisse automatique face à laquelle le moi est débordé et sans
psychique ou de psychotraumatisme est utilisé pour qualifier les
recours. Le moi peut donc être attaqué du dedans comme du
effets traumatiques de l’événement sur l’individu. Les syndromes
dehors ; une certaine symétrie est établie entre le danger interne et
ou troubles psychotraumatiques comprennent l’ensemble des
le danger externe.
manifestations psychopathologiques qui sont observables après un
événement potentiellement traumatique [14]. L’état de stress post- Les études sur les névroses traumatiques vont se poursuivre au
traumatique (ESPT) (en anglais : posttraumatic stress disorder [PTSD]), cours des deux guerres mondiales, notamment avec les travaux sur
défini par le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, les survivants de la Shoah [6, 14]. Anna Freud et Burlingham en
4 th edition (DSM-IV) [ 2 ] (Tableau 1) et par la Classification 1943 [18] sont les premières à s’intéresser aux psychotraumatismes
internationale des maladies, dixième révision (CIM-10) [33], ou le chez les enfants soumis aux bombardements de l’aviation allemande
syndrome de stress post-traumatique défini par la Classification à Londres. Elles constatent que les enfants font mieux face au
française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent traumatisme quand ils sont avec des parents calmes et supportant
(CFTMEA) [27] en constitue l’exemple le plus saillant et le mieux la situation, mais que, toutefois, l’aide de l’entourage ne prévient
connu, mais d’autres troubles sont également décrits. pas des perturbations tardives. Pour Anna Freud, le trauma est lié à
La notion de trauma occupe une place centrale en psychanalyse [26]. un événement soudain et inattendu de nature et d’intensité telles
Elle renvoie, pour Freud, à une conception économique : « Nous qu’il provoque un excès de stimulation et un débordement des
appelons ainsi une expérience vécue qui apporte à la vie psychique, capacités d’adaptation du moi qui ne permet pas d’attitudes
défensives. Ses effets visibles et immédiats sont des signes tangibles
de l’installation d’un trouble de l’équilibre du moi. Les premières
études systématiques sont faites dans les années 1970 et 1980 après
O. Taïeb, T. Baubet, J. Pradère, K. Lévy, A. Revah-Lévy, G. Serre, M.-R. Moro des catastrophes naturelles et accidentelles et des agressions, avec
Adresse e-mail: marie-rose.moro@avc.ap-hop-paris.fr notamment l’étude de Terr en 1976 aux États-Unis sur des enfants
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et de psychiatrie générale et transculturelle
(Pr M.R. Moro), hôpital Avicenne (AP-HP), Université Paris 13, 125, rue de Stalingrad, 93000
pris en otage dans leur autobus scolaire [44]. En 1980, l’ESPT est défini
Bobigny, France. chez l’adulte dans le DSM-III, parallèlement au retour des vétérans
37-200-G-60 Traumatismes psychiques chez l’enfant et l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau 1. – Définition de l’état de stress post-traumatique selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4th edition
(DSM-IV)2

A. Le sujet a été exposé à un événement traumatique dans lequel les deux éléments suivants étaient présents.
1. Le sujet a vécu, a été témoin ou a été confronté à un événement ou à des événements durant lesquels des individus ont pu mourir ou être très gravement blessés, ou bien ont
été menacés de mort ou de grave blessure, ou bien durant lesquels son intégrité physique ou celle d’autrui a pu être menacée.
2. La réaction du sujet à l’événement s’est traduite par une peur intense, un sentiment d’impuissance ou d’horreur. NB : Chez les enfants, un comportement désorganisé ou agité
peut se substituer à ces manifestations.
B. L’événement traumatique est constamment revécu, de l’une (ou de plusieurs) des façons suivantes.
1. Souvenirs répétitifs et envahissants de l’événement provoquant un sentiment de détresse et comprenant des images, des pensées ou des perceptions. NB : Chez les jeunes
enfants peut survenir un jeu répétitif exprimant des thèmes ou des aspects du traumatisme.
2. Rêves répétitifs de l’événement provoquant un sentiment de détresse. NB : Chez les enfants, il peut y avoir des rêves effrayants sans contenu reconnaissable.
3. Impression ou agissements soudains « comme si » l’événement traumatique allait se reproduire (incluant le sentiment de revivre l’événement, des illusions, des hallucinations,
et des épisodes dissociatifs [flash-back], y compris ceux qui surviennent au réveil ou au cours d’une intoxication). NB : Chez les jeunes enfants, les reconstitutions spécifiques de
traumatisme peuvent survenir.
4. Sentiment intense de détresse psychique lors de l’exposition à des indices internes ou externes évoquant ou ressemblant à un aspect de l’événement traumatique en cause.
5. Réactivité physiologique lors de l’exposition à des indices internes ou externes pouvant évoquer ou ressembler à un aspect de l’événement traumatique en cause.
C. Évitement persistant des stimulus associés au traumatisme et émoussement de la réactivité générale (ne préexistant pas au traumatisme), comme en témoigne la présence
d’au moins trois des manifestations suivantes.
1. Efforts pour éviter les pensées, les sentiments ou les conversations associés au traumatisme.
2. Efforts pour éviter les activités, les endroits ou les gens qui éveillent des souvenirs du traumatisme.
3. Incapacité de se rappeler un aspect important du traumatisme.
4. Réduction nette de l’intérêt pour des activités importantes ou bien réduction de la participation à ces mêmes activités.
5. Sentiment de détachement d’autrui ou bien de devenir étranger par rapport aux autres.
6. Restriction des affects (par exemple, incapacité à éprouver des sentiments tendres).
7. Sentiment d’avenir « bouché » (par exemple, pensée de ne pas pouvoir faire carrière, se marier, avoir des enfants, ou avoir un cours normal de la vie).
D. Présence de symptômes persistants traduisant une activation neurovégétative (ne préexistant pas au traumatisme) comme en témoigne la présence d’au moins deux des
manifestations suivantes.
1. Difficultés d’endormissement ou sommeil interrompu.
2. Irritabilité ou accès de colère.
3. Difficultés de concentration.
4. Hypervigilance.
5. Réaction de sursaut exagérée.
E. La perturbation (symptômes des critères B, C et D) dure plus de 1 mois.
F. La perturbation entraîne une souffrance cliniquement significative ou une altération du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.
Spécifier si :
Aigu : si la durée des symptômes est de moins de 3 mois.
Chronique : si la durée des symptômes est de 3 mois ou plus.
Spécifier si :
Survenue différée : si le début des symptômes survient au moins 6 mois après le facteur de stress.

du Viêt-nam aux États-Unis, dans un contexte sociopolitique donc – des peurs spécifiques liées au traumatisme et alors faciles à
bien défini entraînant une séparation entre victimes et agresseurs, et identifier, ou des peurs qui peuvent s’étendre à d’autres objets ou
posant une équivalence entre souffrance et pathologie [40, 47]. La situations non liés au traumatisme ;
notion d’atteinte possible de l’enfant devient explicite dans le DSM-
IIIR en 1987 et dans la CIM-9 en 1989. – un changement d’attitude envers les gens, comme une perte de
confiance, envers certains aspects de la vie et un pessimisme par
Sur le plan théorique, comme chez l’adulte, trois modèles de
rapport au futur.
compréhension des traumatismes psychiques existent. Le premier
est psychanalytique et renvoie aux travaux sur la névrose Dans le trauma de type I, ces caractéristiques sont reconnaissables
traumatique. Le second est cognitivocomportemental, avec soit dans leur totalité, soit partiellement. Se retrouvent aussi
l’hypothèse de l’existence d’évaluations négatives du trauma et d’un l’évitement de situations rappelant le traumatisme, des défauts de
trouble de la mémoire autobiographique pour expliquer la perception de la réalité initialement et à distance du traumatisme
persistance des symptômes de l’ESPT [37]. Enfin, peuvent s’envisager (comme des fausses reconnaissances, des hallucinations visuelles,
une perspective biologique, avec l’implication de l’axe des illusions et des distorsions temporelles), et une recherche
hypothalamohypophysaire et du système limbique, et une compulsive d’explications par rapport à l’événement. La
perspective neurodéveloppementale chez l’enfant [39]. symptomatologie survient classiquement dans les traumas de type I
après un intervalle libre.
Tableaux cliniques Dans le trauma de type II, il peut exister d’autres signes dont
certains témoignent de réactions de défense face à la répétition des
DESCRIPTIONS INITIALES DES TRAUMATISMES événements, comme un déni important, une anesthésie affective, des
PSYCHIQUES CHEZ L’ENFANT symptômes d’évitement plus sévères, une amnésie de pans entiers
Une description détaillée des signes cliniques des traumatismes de souvenirs d’enfance, des réactions de dépersonnalisation et de
psychiques de l’enfant a été proposée par Terr [45]. Cet auteur dissociation, des manifestations de colère, d’auto- ou
différencie le trauma de type I, caractérisé par l’exposition à un d’hétéroagressivité par identification à l’agresseur et par
unique événement soudain et massif, et le trauma de type II, dû à retournement de l’agression contre soi-même. Ces éléments posent
l’exposition à des événements répétés ou durables pouvant alors être la question du devenir de tels troubles et de leur responsabilité
anticipables. Quatre catégories de symptômes communs aux deux éventuelle dans la constitution de troubles de la personnalité. La
types de trauma ont été identifiés : distinction entre traumas de type I et de type II a cependant
– des souvenirs intrusifs et répétitifs perçus avant tout visuellement certaines limites, un événement unique et soudain pouvant induire
(mais aussi au niveau tactile, olfactif ou proprioceptif) ; préférentiellement des troubles du type refoulement, dissociation et
– des comportements répétitifs, c’est-à-dire des mises en actes ou dénégation. Par ailleurs, certains tableaux, lorsque l’événement
des jeux répétitifs recréant des aspects de la situation traumatique, traumatique produit des conséquences durables dans la réalité (mort
les rêves répétitifs étant rares chez l’enfant et étant le plus souvent d’un parent, handicap de l’enfant) réalisent des formes mixtes type
effrayants, sans contenu reconnaissable ; I-type II. La problématique traumatique et celle du deuil semblent

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Traumatismes psychiques chez l’enfant et l’adolescent 37-200-G-60

se potentialiser, entravant le développement et pouvant conduire à est confronté à la violence d’un désir sexuel incompréhensible pour
de graves syndromes dépressifs en plus des manifestations de type lui, ou mortifère en cas de rencontre manquée avec la mort, et aussi
I et II. en fonction de leur appartenance principale à la réalité externe ou à
Quelle que soit la situation, d’autres troubles sont susceptibles la réalité psychique interne, ces composantes étant, bien sûr,
d’apparaître : intimement mêlées [3]. La distinction entre violence interhumaine
intentionnelle et les autres types d’événements doit également être
– des troubles anxieux, sous forme d’idées obsédantes, de
prise en compte. Ainsi, par exemple, la maltraitance répétée ou
manifestations phobiques, d’anxiété libre ou d’anxiété de
encore la contrainte à réaliser des actes de violence (comme pour les
séparation ;
enfants-soldats) n’ont vraisemblablement pas les mêmes
– des troubles dépressifs ou dysthymiques ; conséquences sur l’enfant que les situations de catastrophes
– des troubles du comportement avec une instabilité psychomotrice naturelles, dans le sens où elles constituent une attaque de ce qui
inhabituelle, des symptômes de déficit attentionnel avec fonde l’identité du sujet et son rapport au monde. L’intrication entre
hyperactivité ou de trouble oppositionnel ; symptômes post-traumatiques et travail de deuil est aussi
– des troubles somatiques, notamment des affections possible [23].
dermatologiques ;
¶ Niveau de développement de l’enfant
– des comportements de type régressif (énurésie en particulier) ;
– des signes en rapport avec le développement précoce de troubles Les enfants d’âge préscolaire, de 3 à 6 ans, peuvent présenter des
de la personnalité (borderline, narcissique, psychopathique…), plus comportements et des dessins répétitifs, des conduites d’évitement,
souvent dans le cadre des traumas de type II. des comportements régressifs (énurésie et/ou encoprésie
secondaires), des troubles du sommeil (cauchemars, terreurs
ÉTAT DE STRESS POST-TRAUMATIQUE ET SES LIMITES nocturnes), des phobies (peur d’aller seul aux toilettes), des réactions
La définition de l’ESPT, dans le DSM-IV [2], reprend certains de ces d’agrippement et une angoisse de séparation, une tristesse, des
signes selon trois axes qui sont le syndrome de répétition, le manifestations somatiques (douleurs abdominales, céphalées).
syndrome d’évitement et l’hyperactivité neurovégétative (Tableau 1). Peuvent également être retrouvés des retards de développement
(langage, psychomotricité). Chez les enfants en période de latence,
L’expérience traumatisante revient de façon compulsive, répétitive,
des symptômes anxieux, dépressifs ou d’inhibition ainsi que
sous forme de reviviscences mnésiques (idées, images), de
l’expression d’une culpabilité peuvent se rencontrer. Une
sensations, d’émotions, de réactions comportementales, de rêves,
hypervigilance, des modifications dans les jeux, la perte ou le
dans les jeux des enfants. Le sujet ne peut ni prévenir, ni empêcher
changement dans les intérêts habituels, les difficultés de
cette réexpérience qui envahit sa vie et qui a toujours un caractère
concentration sont plus nets que chez le jeune enfant. Les difficultés
pénible.
scolaires et la baisse des performances peuvent être au premier plan.
Dans le syndrome d’évitement, peu à peu le sujet développe des
À l’adolescence, le travail de construction de l’identité peut être
stratégies plus ou moins conscientes pour lutter contre les
bouleversé tant au niveau de l’inscription dans la filiation qu’au
répétitions. Par exemple, cela peut être une restriction des réactions
niveau de l’appropriation des affiliations, avec en particulier des
affectives pour prévenir les affects liés à l’expérience traumatisante,
processus de clivage ou d’excès de refoulement [31]. Les adolescents
avec un risque d’émoussement de l’ensemble de la vie émotionnelle.
peuvent présenter des troubles des conduites, des comportements
Le retrait peut être très marqué car les réactions d’évitement peuvent
auto- ou hétéroagressifs et des abus de substances (alcool ou autres).
prendre le dessus, se développer pour leur propre compte, en partie
L’agressivité reconnue lorsqu’elle a été dirigée contre l’ennemi se
du fait de leur relative inefficacité. Les mécanismes sont variés, mais
manifeste parfois dans le milieu familial ou dans le groupe des pairs,
le plus coûteux est le clivage qui peut donner l’apparence d’une
mais aussi dans le retournement sur soi, avec un risque de
perte de cohérence et donner naissance à des troubles graves de la
dépression, de perte de confiance envers l’avenir. Les impulsions
personnalité.
autoagressives peuvent aussi s’interpréter comme des tentatives
L’état d’alerte, d’hypervigilance, a aussi bien le sens d’une réaction d’échapper à des états pénibles de vide ou d’émoussement.
adaptative venue trop tard par rapport aux événements que celui
de prévenir, de préparer le sujet à de nouveaux événements. Cet ¶ Contexte culturel et social
état se traduit par des troubles du sommeil, des difficultés de
concentration, une hyperémotivité avec irritabilité et parfois L’ESPT n’est pas la seule expression possible des traumatismes
explosions de colère avec des attitudes de vigilance anxieuse par psychiques en situation transculturelle [30] . D’autres tableaux
rapport à l’environnement. cliniques, comme le susto en Amérique du Sud, le khal’a au Maghreb,
La plupart des auteurs ont souligné que le modèle d’ESPT était peuvent traduire la même problématique, celle de la frayeur ou de
insuffisant pour rendre compte de la clinique du traumatisme l’effroi [8], mais ces aspects ont été jusque là peu étudiés chez l’enfant.
psychique, les autres manifestations des syndromes Pour Baubet et Moro [8], le concept de traumatisme psychique est
psychotraumatiques n’ayant pas été l’objet de la même attention, en pertinent en situation transculturelle ; cependant, les invariants
particulier en recherche clinique [3, 11, 29, 46]. Ces auteurs insistent culturels ne concernent pas tant des symptômes que des processus :
notamment sur la fréquence des manifestations psychosomatiques l’effroi, le changement dans l’appréhension du monde et la
chez l’enfant et l’adolescent. Des affections dermatologiques métamorphose du sujet. L’appartenance culturelle va également
(eczéma, pelade…), respiratoires (bronchite, asthme…), associées à influencer les attentes du patient et de sa famille par rapport aux
de nombreuses plaintes somatiques (céphalées, douleurs soins, par rapport à la possibilité d’adhésion au modèle
abdominales…), peuvent survenir après des événements étiopathogénique qui sous-tend implicitement les manières de faire
traumatisants. Les éventuelles répercussions sur le développement du thérapeute. Rousseau [40] souligne l’importance du contexte de
affectif et cognitif de l’enfant, mais aussi sur sa socialisation, violence organisée, qui, au-delà de ses effets sur les individus,
devraient être aussi mieux connues. touche également les familles, les groupes, les communautés,
conduisant à une dissolution du lien social.
VARIATIONS DE L’EXPRESSION CLINIQUE
Différents types de facteurs sont à même de modifier l’expression
clinique des troubles. Épidémiologie
¶ Nature de l’expérience traumatique La plupart des études épidémiologiques disponibles utilisent la
Une autre typologie des événements potentiellement traumatiques nosographie américaine et recherchent donc le plus souvent
peut être proposée en fonction de leur nature, sexuelle quand le sujet seulement des symptômes d’ESPT.

3
37-200-G-60 Traumatismes psychiques chez l’enfant et l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

ÉTUDES EN POPULATION GÉNÉRALE Étiopathogénie et pathogénie, facteurs


Chez l’enfant, il n’y a pas d’étude épidémiologique sur de grands de risque et de protection, évolution
échantillons de population générale, comme il en existe chez
l’adulte. L’étude de Kessler et al [24], dans le cadre de la National Le risque de développer des troubles psychotraumatiques après
Comorbidity Survey (5 877 sujets répartis sur l’ensemble du territoire l’exposition à un événement donné dépend de nombreux facteurs
américain), a toutefois inclu systématiquement la tranche d’âge de liés à l’événement traumatique lui-même, mais aussi de nombreux
15 à 24 ans. Cette tranche d’âge, bien que moins exposée à ces facteurs individuels ou familiaux (modèle de la vulnérabilité et des
événements, apparaissait plus sensible à l’ESPT. Certains auteurs se facteurs de risque). Dans une revue de la littérature portant sur
sont intéressés spécifiquement à des groupes d’adolescents. Giaconia 25 études, Foy et al. [17] ont montré que trois facteurs étaient le plus
et al. [22] ont évalué 384 adolescents âgés de 18 ans. Plus de 40 % souvent associés à la survenue de symptômes d’ESPT chez l’enfant :
d’entre eux avaient vécu un événement potentiellement la gravité de l’exposition à l’événement, le temps écoulé depuis
traumatique ; parmi eux, 14,5 % avaient présenté un ESPT (soit 6,3 % l’événement et la détresse des parents. Parallèlement au modèle de
de l’ensemble du groupe). La prévalence de l’ESPT était plus élevée la vulnérabilité, un autre modèle a été proposé, celui de la résilience
chez les filles que chez les garçons. Les adolescents ayant présenté et des facteurs protecteurs. La résilience est une notion descriptive
un ESPT avaient aussi plus de difficultés sur le plan émotionnel, qui désigne la capacité de résister aux chocs et de continuer à se
comportemental, relationnel, scolaire, et plus de conduites développer dans des conditions difficiles. Elle ne s’apparente pas à
suicidaires et de problèmes somatiques. Ce qui est intéressant, c’est une invulnérabilité qui supposerait la capacité de tout supporter
que les adolescents ayant vécu un événement traumatique, même sans dommage. Pour Bourguignon [10], la résilience est approchée
s’ils ne présentaient pas d’ESPT, avaient aussi plus ce type de comme « processus de négociation du risque » . De nombreuses
difficultés que ceux sans antécédents d’événements traumatiques. Ce études ont cherché à identifier ces facteurs de protection [10, 13].
Certains travaux en psychiatrie transculturelle et en sciences sociales
qui montre bien que l’ESPT ne résume pas l’ensemble des troubles
ont permis de mettre en évidence que l’exposition de l’enfant et de
psychotraumatiques. Cuffe et al. [12] ont retrouvé une prévalence de
l’adolescent à des événements potentiellement traumatiques pouvait
3 % d’ESPT actuel chez les filles et de 1 % chez les garçons dans un
conduire à l’acquisition de qualités et de capacités supplémentaires,
groupe de 490 sujets âgés de 16 à 22 ans. Perkonigg et al. [34] ont
et à une nouvelle créativité [41]. Il faut donc prendre garde à ne pas
mené une étude en Allemagne, à Munich, sur 3 021 sujets âgés de assimiler systématiquement les conséquences d’événements
14 à 24 ans. La prévalence vie entière d’événements potentiellement potentiellement traumatiques à des phénomènes psycho-
traumatiques rapportés était de 26 % chez les hommes et de 17,7 % pathologiques.
chez les femmes, et seulement 1 % des hommes et 2,2 % des femmes
L’évolution à long terme des traumatismes psychiques chez l’enfant
avaient présenté un ESPT durant leur vie. La prévalence était donc
et l’adolescent n’est pas parfaitement connue, mais il faut souligner
plus faible que dans les études nord-américaines, mais le risque de
que, même en ne prenant en compte que l’ESPT, le passage à la
présenter un ESPT après un événement traumatique et l’association chronicité pendant plusieurs années est possible dans une
à une forte comorbidité psychiatrique étaient similaires. proportion non négligeable de cas, et même en l’absence de
répétition des événements [1].
ÉTUDES PARMI DES GROUPES DE POPULATIONS
SPÉCIFIQUES OU SOUMISES FACTEURS LIÉS AUX CARACTÉRISTIQUES
À UN ÉVÉNEMENT PARTICULIER DE L’ÉVÉNEMENT TRAUMATIQUE
De très nombreuses études ont recherché des troubles L’événement traumatique est l’élément étiologique central des
psychotraumatiques chez des enfants et des adolescents soumis à troubles psychotraumatiques. Ses caractéristiques de soudaineté
différents événements traumatiques, même s’il n’existe que très peu imprévue ou de répétition prolongée (traumatismes de type I ou II)
d’études longitudinales. Tous les événements ne sont pas ont déjà été discutées (cf supra). Le degré d’exposition physique
équivalents ; certains traumatismes sont dits extrêmes et certains mais aussi émotionnelle à l’agent stressant est un autre facteur
intentionnels. Les événements traumatiques peuvent être des essentiel. Il faut rappeler que, même s’il n’y a que peu d’études sur
agressions physiques et/ou sexuelles, des catastrophes naturelles ou ce sujet chez l’enfant, chez l’adulte la dissociation psychique au
accidentelles, des actes de terrorisme ou des scènes de guerre, voire moment de l’événement pourrait être un facteur prédictif de
plus récemment des maladies somatiques ou des procédures survenue de symptômes d’ESPT [16]. Par ailleurs, la perception de la
médicales mettant en jeu le pronostic vital [4, 36, 43, 46, 48] . Le menace vitale encourue est un autre facteur important ainsi que le
développement de la psychiatrie humanitaire dans les situations de type d’événement (provoqué par l’homme ou accidentel). Par
guerre ou de catastrophes a, par ailleurs, profondément renouvelé exemple, le retentissement est différent selon que l’agresseur est un
la réflexion sur le traumatisme [5, 7, 25, 29]. proche ou un étranger ou bien, en cas de guerre, selon qu’il s’agit
d’une guerre civile ou d’une guerre contre un ennemi extérieur [29,
Les résultats sont très variables selon les études. La prévalence des 30]
.
troubles psychotraumatiques chez l’enfant et chez l’adolescent est,
en général, élevée et peut concerner jusqu’à 70 à 80 % des sujets
après un événement traumatique majeur (par exemple, après le FACTEURS INDIVIDUELS ET FAMILIAUX
tremblement de terre en Arménie en 1988 [29, 38]). Cette fréquence est,
bien sûr, variable en fonction de l’événement traumatique et du ¶ Âge, niveau de développement, troubles préexistants
temps écoulé depuis. Le diagnostic d’ESPT semble plus La sévérité de la symptomatologie des traumatismes psychiques ne
fréquemment porté chez les filles que chez les garçons. L’association semble pas dépendante de l’âge des enfants exposés à l’événement,
à d’autres troubles (en particulier dépressifs ou anxieux) est souvent comme par exemple Pynoos et al. [38] l’ont montré à la suite du
très élevée. Les formes partielles d’ESPT paraissent plus fréquentes tremblement de terre en Arménie en 1988. Le développement
que le tableau complet. Ces situations posent cependant la question cognitif de l’enfant n’a pas non plus toujours d’influence sur la
de la possibilité de distinguer entre ce qu’on peut considérer comme survenue des troubles. L’âge et le niveau de développement ont plus
une réaction pathologique, notamment en situation de guerre ou de un rôle sur le type d’expression symptomatique des troubles que
violence organisée, de ce qui serait une réaction attendue et sur leur prévalence même si, bien sûr, la question de ce qu’est, chez
transitoire. Cette distinction est aujourd’hui trop souvent faite selon l’enfant, une menace de mort ou une menace de l’intégrité physique
les critères de l’ESPT. Or, dans ce type de situation, la validité et la de soi ou des autres dépend de son âge et de ses capacités
pertinence de ces critères chez l’enfant et l’adolescent restent, à notre perceptuelles et conceptuelles sur le plan cognitif et affectif, le
sens, à démontrer. concept de mort se mettant en place progressivement [4]. C’est

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Traumatismes psychiques chez l’enfant et l’adolescent 37-200-G-60

pourquoi, chez l’enfant, la protection des parents par rapport à 46]


. De façon générale, les parents et la famille, qu’ils aient ou non
l’impact traumatique d’un événement est très importante. Les vécu l’événement traumatique, sont toujours inclus dans la prise en
troubles psychopathologiques préexistants sont, bien sûr, aussi un charge. En fonction du contexte, le soin s’adresse uniquement à un
facteur de risque. sujet et sa famille ou est un acte collectif, par exemple dans des
situations de guerres ou de catastrophes, par la mise en place de
¶ Sexe dispositifs spécifiques, tout en sachant qu’un modèle uniforme
Les filles semblent présenter plus souvent de symptômes que les d’intervention ne peut s’appliquer mécaniquement quel que soit le
garçons, et peut-être de façon plus durable et plus sévère, mais c’est contexte [28, 41]. Ces deux modalités peuvent s’associer, le choix de
loin d’être constant dans les différentes études. l’une ou de l’autre dépend notamment de facteurs individuels,
familiaux, sociaux et culturels [8] . Les psychothérapies sont
¶ Support social d’inspiration analytique ou cognitivocomportementales en fonction
de l’orientation théorique des intervenants. Le récit des événements
Il correspond à la cohésion du groupe et au soutien mutuel de ses traumatiques, l’abréaction ou le dévoilement du trauma, quand les
membres. Il serait un facteur de protection lorsqu’il persiste après conditions du récit sont établies, sont classiquement souhaitables,
l’événement. L’effet protecteur du support social paraît d’autant plus mais ne doivent se faire que dans le cadre d’une relation
net quand l’événement constitue un traumatisme collectif et thérapeutique suffisamment solide tenant compte des défenses
bouleverse l’organisation sociale du groupe.
individuelles, familiales et culturelles. Il ne peut pas s’agir d’une
catharsis forcée. La parole sur le trauma peut soit permettre une
¶ Facteurs familiaux
élaboration, soit, au contraire, être violente et effractante [8, 41].
Pour de nombreux auteurs [1, 4, 29, 36, 42, 46], les facteurs familiaux, c’est- Parfois, il est plus important de parler autour de l’événement
à-dire la réaction des parents, leur disponibilité, leur fonctionnement traumatique et de ses conséquences. La plupart des auteurs
psychique, leurs éventuels antécédents psychopathologiques et la soulignent qu’il n’existe pas d’évidence soutenant l’opportunité de
qualité des interactions entre les différents membres de la famille, respecter ou, au contraire, de combattre le déni et l’évitement [1, 7, 11,
sont les facteurs qui influencent le plus le développement de 35, 36, 46]
. Ces symptômes peuvent avoir des effets délétères pour le
syndromes psychotraumatiques chez l’enfant (et en particulier chez fonctionnement psychique, mais peuvent aussi avoir des effets
le bébé [9]) et chez l’adolescent. Les parents peuvent amortir l’impact protecteurs et sont alors à préserver, au moins dans un premier
psychique de l’événement mais, à l’inverse, une réaction de détresse temps. Il paraît important d’évaluer les potentiels protecteurs et
importante d’un des parents peut être l’agent du traumatisme pathogènes des mécanismes de défense érigés face aux effets du
psychique de l’enfant. Par ailleurs, le traumatisme a aussi dans traumatisme, et d’adopter en fonction une attitude thérapeutique.
certaines situations un impact transgénérationnel. Le jeu entre plusieurs espaces thérapeutiques d’énonciation et de
silence, entre plusieurs univers de sens et de non-sens, réintroduit
un mouvement qui permet de sortir du temps suspendu et immobile
Comorbidité, diagnostics différentiels qui suit le traumatisme (la sidération traumatique) [40]. Un traitement
et méthodes d’évaluation médicamenteux antidépresseur ou sédatif est rarement utile, ce
d’autant qu’il n’existe pas de données établissant avec certitude
Les troubles le plus souvent associés à l’ESPT chez l’enfant et chez l’efficacité des psychotropes chez l’enfant sur la symptomatologie
l’adolescent sont les troubles dépressifs et les troubles anxieux post-traumatique [ 1 5 ] , à moins qu’existe, bien sûr, une
(notamment l’anxiété de séparation) [1]. A aussi été retrouvée une symptomatologie dépressive associée et patente. L’intégration aux
comorbidité avec l’abus de substances, les troubles des conduites, soins de la dimension culturelle comme élément dynamique et non
les troubles oppositionnels et les troubles avec déficit de l’attention. comme obstacle à la prise en charge est indispensable pour pouvoir
Ces troubles, comme tous les troubles comorbides, peuvent être une mettre en place des dispositifs originaux et métissés, aussi bien en
expression clinique des syndromes psychotraumatiques au même situation humanitaire qu’avec des patients migrants ou enfants de
titre que l’ESPT ou, s’ils sont préexistants, peuvent s’aggraver après migrants, et ne doit pas se résumer à un « traitement social » des
un événement traumatique [1, 35]. troubles visant à promouvoir l’adaptation des patients à la société
Selon le DSM-IV, le diagnostic de trouble de l’adaptation peut être dans laquelle ils vivent [7, 29, 30]. Il convient de rechercher les théories
fait soit quand l’événement traumatique n’a pas le caractère extrême étiologiques individuelles, familiales ou sociales que les enfants ou
exigé pour le diagnostic d’ESPT, soit quand l’événement est bien leurs familles mettent en œuvre pour penser l’événement et se
extrême mais que les symptômes ne satisfont pas les critères de reconstruire face à l’impensable et au non-sens traumatique. Ces
l’ESPT [1, 35]. théories servent alors de base à la reconstruction.
Les parents constituent, comme toujours chez l’enfant, une source
d’information importante. Les circonstances de l’évaluation doivent
être toujours bien précisées. L’entretien clinique est, bien sûr, le
premier temps de l’évaluation à la recherche des différents
Conclusion
symptômes des syndromes psychotraumatiques. Dans le cadre
d’entretiens de recherche, des instruments non spécifiques, pour Les enfants et les adolescents, comme les adultes, peuvent présenter,
évaluer les troubles associés (en particulier anxieux et dépressifs), et après de nombreux types d’événements violents (agressions physiques
spécifiques des symptômes d’ESPT peuvent être utilisés, à condition ou sexuelles, catastrophes, guerres…), des manifestations
d’en connaître les limites. Ces derniers associent en général des psychopathologiques variées et parfois sévères et, ce, quel que soit leur
entretiens diagnostiques structurés et des échelles permettant âge. L’état de stress post-traumatique décrit dans les classifications
d’avoir une approche quantitative de la symptomatologie [1, 32, 35, 46]. nosographiques (DSM-IV et CIM-10) avec sa triade symptomatique
Ils visent principalement l’évaluation de l’ESPT, des symptômes (répétition, évitement et hyperactivité neurovégétative) n’en résume pas
dissociatifs et de l’événement traumatique lui-même. l’ensemble. Le pronostic dépend du type d’événement traumatique, de la
gravité de l’exposition à l’événement, du fonctionnement psychique de
l’enfant ou de l’adolescent, de l’intensité de la détresse des parents et,
Traitement bien sûr, de la prise en charge thérapeutique mise en place. Les
modalités d’interventions thérapeutiques, pour éviter que l’histoire ne
Les modalités d’interventions thérapeutiques sont diversifiées pour se transforme en destin, doivent tenir compte des dimensions
répondre à des situations très différentes les unes des autres [1, 7, 35, individuelles, familiales et culturelles de chacune des situations.

5
37-200-G-60 Traumatismes psychiques chez l’enfant et l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Références
[1] American Academy of Child and Adolescent Psychiatry [17] Foy DW, Madvig BT, Pynoos RS, Camilleri AJ. Etiologic [34] Perkonigg A, Kessler RC, Storz S, Wittchen HU. Traumatic
Official Action Practice parameters for the assessment and factors in the development of posttraumatic stress disorder events and posttraumatic stress disorder in the commu-
treatment of children and adolescents with posttraumatic in children and in adolescents. J School Psychol 1996; 34: nity: prevalence, risk factors and comorbidity. Acta Psy-
stress disorder. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1998; 37 133-145 chiatr Scand 2000; 101: 46-59
suppl10: 4-26 [18] Freud A, Burlingham D.Lehramn PH ed. War and children [35] Perrin S, Smith P, Yule W. Practitioner review: the assess-
[2] American Psychiatric Association Diagnostic and Statistical London: International University Press, 1944 ment and treatment of post-traumatic stress disorder in
Manual of Mental Disorders. 4th editionWashington, DC: [19] Freud S. Leçons d’introduction à la psychanalyse. OCF children and adolescents. J Child Psychol Psychiatry 2000;
American Psychiatric Association, 1994; (DSM-IV) Paris: PUF, 1915-1917; Tome XIV: 2000 41: 77-89
[3] Bailly L. Les catastrophes et leurs conséquences psycho- [20] Freud S. Au-delà du principe de plaisir. 2e éditionOCF Paris: [36] Pfefferbaum B. Posttraumatic stress disorder in children: a
traumatiques chez l’enfant. Paris: ESF, 1996 PUF, 1920; Tome XV: 2002 review of the past 10 years. J Am Acad Child Adolesc Psy-
chiatry 1997; 36: 1503-1511
[4] Bailly L. Syndromes psycho-traumatiques chez l’enfant. De [21] Freud S. Inhibition, symptôme et angoisse. OCF Paris: PUF,
Clercq M, Lebigot F, eds. Les traumatismes psychiques Paris: 1926; Tome XVII: 1992 [37] Pine DS, Cohen JA. Trauma in children and in adolescents:
Masson, 2001; 137-147 risk and treatment of psychiatric sequelae. Biol Psychiatry
[22] Giaconia RM, Reinherz HZ, Silverman AB, Pakiz B, Frost AK,
2002; 51: 519-531
[5] Bailly L. Les syndromes psycho-traumatiques chez l’enfant. Cohen E. Traumas and posttraumatic stress disorder in a
Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro MR, eds. Comprendre le community population of older adolescents. J Am Acad [38] Pynoos RS, Goenjian AK, Tashjian M, Karaksian M, Manji-
trauma en situation humanitaire Paris: Dunod, 2003; Child Adolesc Psychiatry 1995; 34: 1369-1380 kian R, Manoukian G et al. Posttraumatic stress reactions in
193-202 [23] Grappe M. Deuil et traumatisme chez l’enfant et l’adoles- children after the 1988 Armenian earthquake. Br J Psy-
cent. Stress et Trauma 2001; 1: 291-296 chiatry 1993; 163: 239-247
[6] Barrois C. Les névroses traumatiques. Paris: Dunod, 1998
[24] Kessler RC, Somega A, Bromet E, Hughes M, Nelson CB. [39] Pynoos R, Steinberg AM, Piacentini JC. A developmental
[7] Baubet T, Le Roch K, Bitar D, Moro MR. Soigner malgré Posttraumatic stress disorder in the National Comorbidity psychopathology model of childhood traumatic stress and
tout. Vol 1 : Trauma, cultures et soins. Grenoble: La pensée Survey. Arch Gen Psychiatry 1995; 52: 1048-1060 intersection with anxiety disorders. Biol Psychiatry 1999;
sauvage, 2003 46: 1542-1554
[25] Lachal C, Ouss-Ryngaert L, Moro MR. Comprendre et
[8] Baubet T, Moro MR. Cultures et soins du trauma psychique soigner le trauma en situation humanitaire. Paris: Dunod, [40] Rousseau C. Violence organisée et traumatismes. Baubet T,
en situation humanitaire. Baubet T, Le Roch K, Bitar D, 2003 Moro MR, eds. Psychiatrie et migrations Paris: Masson,
Moro MR, eds. Soigner malgré tout. Vol 1 : Trauma, cultures 2003; 148-154
et soins Grenoble: La pensée sauvage, 2003; 71-95 [26] Laplanche J, Pontalis JB. Vocabulaire de la psychanalyse.
Paris: PUF, 1967 [41] Rousseau C, Morales M, Foxen P. Going home: giving
[9] Baubet T, Taïeb O, Moro MR, Pradère J. Traumatismes psy- voices to memory strategies of young Mayan refuges who
[27] Misès R, Quemada N, Botbol M, Bursztejn C, Durand B, returned to Guatemala as a community. Cult Med Psy-
chiques dans la première enfance. Encycl Méd Chir 2004; Garrabé J et al. Classification française des troubles
(Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-200-B-06 chiatry 2001; 25: 135-168
mentaux de l’enfant et de l’adolescent - R-2000. Paris:
[10] Bourguignon O. Résilience : facteurs psychologiques CTNERHI, 2002 [42] Silva RR, Alpert M, Munoz DM, Singh S, Matzner F, Dummit
contribuant à la capacité d’affronter des traumatismes chez S. Stress and vulnerability to posttraumatic stress disorder
[28] Moro MR. Earthquake in Armenia. Establishment of a psy- in children and adolescents. Am J Psychiatry 2000; 157:
l’enfant. Devenir 2000; 12: 77-92 chological care center. Chiland C, Gerald Young J, eds. 1229-1235
[11] Cramer B, Ansermet F. Le syndrome de stress post- Children and violence Northvale, NJ: Aronson, 1994;
traumatique chez le jeune enfant. Psychiatrie Enf 1999; 42: 125-144 [43] Taïeb O, Moro MR, Baubet T, Revah-Lévy A, Flament MF.
457-510 Posttraumatic stress symptoms after childhood cancer: a
[29] Moro MR, Lebovici S. Psychiatrie humanitaire en review. Eur Child Adolesc Psychiatry 2003; (sous presse)
[12] Cuffe SP, Addy CL, Garrison CZ, Waller JL, Jackson KL, ex-Yougoslavie et en Arménie. Face au traumatisme Paris:
PUF, 1995 [44] Terr LC. Children of Chowchilla. Psychoanal Study Child
McKeown RE, Chilappagari S. Prevalence of PTSD in a com- 1979; 34: 547-623
munity sample of older adolescents. J Am Acad Child Adolesc [30] Moro MR. Psychothérapie transculturelle des enfants et
Psychiatry 1998; 37: 147-154 des adolescents. Paris: Dunod, 1998; 2001 [45] Terr LC. Childhood traumas: an outline and overview. Am J
[31] Moro MR, Lachal C, Baubet T. Traumas extrêmes et ado- Psychiatry 1991; 148: 10-20
[13] Cyrulnik B. Un merveilleux malheur. Paris: Odile Jacob,
1999 lescence. Adolescence 2001; 19: 469-477 [46] Vila G, Porche LM, Mouren-Simeoni MC. L’enfant victime
[32] Ohan JL, Myers K, Collett BR. Ten-year review of rating d’agression. État de stress post-traumatique chez l’enfant
[14] De Clercq M, Lebigot F. Les traumatismes psychiques. et chez l’adolescent. Paris: Masson, 1999
Paris: Masson, 2001 scales. IV: scales assessing trauma and its effects. J Am Acad
Child Adolesc Psychiatry 2002; 41: 1401-1422 [47] Young A. The harmony of illusions: inventing posttrauma-
[15] Donnelly CL, Amaya-Jackson L, March JS. Psychopharma- [33] Organisation Mondiale pour la Santé (OMS) Classification tic stress disorder. Princeton NJ: Princeton University Press,
cology of pediatric posttraumatic stress disorder. J Child Internationale des Maladies. Dixième révision. Chapitre 1995
Adolesc Psychopharmacol 1999; 9: 203-220 V(F) : troubles mentaux et troubles du comportement. Des- [48] Yule W. Posttraumatic stress disorder in the general popu-
[16] Fonagy P, Target M. Dissociation and trauma. Curr Opin criptions cliniques et directives pour le diagnostic. lation and in children. J Clin Psychiatry 2001; 62 suppl17:
Psychiatry 1995; 8: 161-166 Genève/Paris: OMS/Masson, 1993 23-28

6
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-201-B-30
37-201-B-30

Trouble obsessionnel compulsif


chez l’enfant et l’adolescent
R Delorme
N Chabane
MC Mouren-Simeoni
Résumé. – Le trouble obsessionnel compulsif (TOC) se caractérise par anxiété massive, invalidante, ayant
une répercussion sur le fonctionnement de l’enfant et sur son développement. De plus, les relations avec ses
pairs, sa famille ou encore ses performances scolaires sont affectées. Il est considéré comme rare, puisque les
études épidémiologiques les plus récentes observent des taux de prévalence élevés entre 1 % chez les
prépubères et 3 % chez les adolescents. Ces dernières années, des progrès importants ont été faits dans la
compréhension des facteurs étiologiques, de la physiopathologie, de la phénoménologie, et des traitements
chez l’enfant et l’adolescent. L’amélioration progressive des stratégies thérapeutiques médicamenteuses et
psychosociales permet à de nombreux enfants souffrant de TOC d’avoir une vie plus satisfaisante.
© 2003 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : trouble obsessionnel compulsif, enfants, adolescents, hypothèses étiopathogéniques,


phénoménologie, traitement du TOC.

Dès la fin du XIXe, Freud [14], Pitres et Régis [35], Janet [19] rapportent Aspects cliniques
chez l’enfant la présence de symptômes obsessionnels compulsifs.
Despert et al [10] ont étudié en 1955 pour la première fois, les
caractéristiques cliniques de cette pathologie chez 68 enfants, PHÉNOMÉNOLOGIE
soulignant qu’obsessions et compulsions étaient perçues, par les Dans le champ des pathologies mentales et développementales, le
patients, comme anormales et indésirables. Freud, en premier a TOC est l’un des rares troubles dont l’expression clinique est peu
essayé d’établir un modèle théorique pouvant expliquer la survenue modifiée en fonction de l’âge. Tout comme chez l’adulte, il se
de ces symptômes ; modèle où la signification du symptôme a plus caractérise par l’existence d’obsessions et de compulsions à l’origine
d’importance que sa valeur descriptive. Cependant, ce lien implicite d’une anxiété massive.
qu’entretenait la névrose obsessionnelle avec la clinique des
obsessions a été remis en cause. La psychiatrie contemporaine, ¶ Obsessions : définition et caractéristiques
fortement influencée par le modèle nord-américain, a marqué une
Les obsessions sont des idées, des pensées, des impulsions ou des
coupure entre l’approche taxinomique et étiopathogénique,
représentations persistantes vécues comme intrusives et
aboutissant au concept de trouble obsessionnel compulsif (TOC). inappropriées et qui entraînent une anxiété ou une souffrance
Cette approche des symptômes obsessionnels compulsifs a permis importantes [4]. Les obsessions les plus fréquentes de l’enfant et de
de dégager des critères diagnostiques standardisés permettant de l’adolescent concernent la peur de la contamination, ou de violences
constituer des repères nosologiques stables, sans pour autant porter contre soi ou contre les autres. Les obsessions sexuelles et religieuses
atteinte aux modèles théoriques préexistants, en particulier semblent être plus spécifiques aux adolescents [15]. La présence
psychodynamiques. La réévaluation de la fréquence de ces d’obsessions non accompagnées de compulsions, dites obsessions
symptômes chez les enfants et les adolescents a montré que la pures, est relativement rare chez les enfants prépubères [40].
prévalence du TOC était nettement supérieure à celle estimée pour
la névrose obsessionnelle compulsive. Le TOC chez l’enfant et ¶ Compulsions : définition et caractéristiques
l’adolescent est une pathologie fréquente, mais qui reste largement
Les compulsions sont des comportements ou des actes mentaux
méconnue par les cliniciens. Les données récentes concernant la
répétitifs dont le but est de prévenir ou de réduire l’anxiété ou la
phénoménologie, les hypothèses étiopathogéniques, les modalités
souffrance et non de procurer plaisir ou satisfaction [4] . Les
d’évaluation et de traitement du TOC chez l’enfant et l’adolescent
symptômes observés chez les enfants et les adolescents diffèrent peu
sont présentés dans cet article. de ceux décrits par les adultes. Les compulsions les plus fréquentes
sont celles de lavage, de nettoyage, suivies par les rituels de
vérification, de comptage, de répétition et de toucher. Les rares
compulsions d’accumulation et de collectionnisme s’observent
également avant 18 ans [15].
Intrinsèquement, les compulsions ne semblent pas avoir
Richard Delorme : Psychiatre.
N Chabane : Psychiatre, poste d’accueil INSERM. d’intentionnalité propre, en dehors de leur capacité à neutraliser
Consultation spécialisée tics et TOC de l’enfant et de l’adolescent. l’anxiété et peuvent donc être considérées comme des mécanismes
Marie-Christine Mouren-Simeoni : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef du service de
psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent.
adaptatifs nécessaires à des besoins élémentaires de survie [17]. Elles
Hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris, France. ne répondent pas directement à des pensées ou des images, mais à

Toute référence à cet article doit porter la mention : Delorme R, Chabane N et Mouren-Simeoni MC. Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS,
Paris, tous droits réservés), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-201-B-30, 2003, 5 p.

150 592 EMC [295]


37-201-B-30 Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Tableau I. – Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent : prévalence, et sex-ratio.

Prévalence (%)
Nombre de sujets Âge (année) H/F (n ou %)
Ponctuelle Vie entière

États-Unis
Flament et al 1988 5 596 14-18 1,1 1,9 11 H/9 F
(Nord-Est)
Lewinsohn et al 1993 1 710 14-18 0,1 0,6 0,7 % H/0,3 % F *
(Oregon)
Valleni-Basile et al 1994 3 283 12-15 2,9 3,3 % H/2,6 % F #
(Sud-Est)
Costello et al 1996 4 500 9,11,13 0,2 0,2 % H/0,14 % F #
(Caroline du Nord)
Europe
Verhulst et al 1997 2 916 13-18 1,0
(Hollande)
Steinhausen et al 1998 1 964 7-16 0,2
(Suisse)
Wittchen et al 1998 3 021 14-24 0,6 0,7 0,5 % H/0,9 % F *
(Allemagne)
Maina et al 1999 1 883 17 2,0 2,6
(Italie)
Heyman et al 2001 10 438 5-15 0,25 1 H/1 F
(Grande-Bretagne)

H : homme ; F : femme ; * liée à la prévalence vie entière ; # liée à la prévalence ponctuelle.

l’anxiété induite. Certains enfants, en particulier ceux ayant des tics, (26-57 %), les troubles thymiques (25-62 %), les tics (20-30 %) et les
expliquent que leurs compulsions répondent à une tension interne troubles du comportement (18-33 %) compliquent le plus souvent le
intense entraînant un besoin irrésistible de les réaliser. D’autres TOC [18]. Chez les patients ayant un âge de début précoce de leur
réalisent leurs compulsions jusqu’à ressentir une sensation TOC, les symptômes dépressifs sont fréquents (dans plus de 50 %
particulière « juste comme il faut » permettant la diminution de des cas) et le plus souvent secondaires à l’apparition des obsessions
l’anxiété. Par exemple, un adolescent décrit le temps passé à régler et des compulsions. À l’inverse, les tics se développent 2 à 3 ans en
l’encre coulant dans son stylo-plume afin d’obtenir la sensation moyenne avant l’apparition du TOC. Tics et TOC pourraient
qu’elle coule juste comme il faut [25]. représenter divers éléments d’un même trouble. En particulier,
l’élargissement du phénotype (sont considérés comme atteints les
¶ Perception du caractère égodystonique des TOC sujets ayant un TOC, ou des tics moteurs chroniques ou un
chez l’enfant syndrome de Gilles de la Tourette) montre une augmentation de
l’agrégation familiale avec une expression phénotypique influencée
Comparés aux adultes, les enfants reconnaissent souvent plus par le sexe (les hommes ayant plus fréquemment des tics, et les
difficilement la nature excessive de leurs inquiétudes ou de leurs femmes des symptômes obsessionnels compulsifs [31]) et offre plus
habitudes, ou encore dénient la signification de leurs symptômes. de pertinence au modèle mendélien de transmission [28].
Dépendant de leur développement cognitif, les enfants ont moins
de distance critique vis-à-vis de leurs obsessions, les considèrent
comme moins irrationnelles que ne le feraient les adultes. Les ÉVOLUTION DU TROUBLE CHEZ L’ENFANT
enfants distinguent plus difficilement, d’une part le stress engendré ET L’ADOLESCENT
par les pensées imposées et le besoin qu’ils ont de réaliser leurs Peu d’études prospectives ont été réalisées pour permettre de
rituels, d’autre part les efforts pour supprimer de telles pensées et connaître l’évolution du trouble. Même si elles souffrent
pour réfréner ce besoin d’accomplir ces rituels [1]. d’importantes limites méthodologiques, elles montrent globalement
que l’évolution « naturalistique » est souvent chronique [33], ce
d’autant que l’âge de début du TOC est précoce. Cependant, aucune
ÉPIDÉMIOLOGIE
de ces études n’a évalué correctement l’évolution des symptômes
Évaluée sur de larges populations d’enfants américains, la après un traitement adéquat associant traitement médicamenteux et
prévalence du TOC oscille entre 0,1 et 2,9 % avec une prévalence vie thérapie cognitivo-comportementale (TCC).
entière estimée entre 0,6 et 1,9 % [8, 13, 23, 41]. En Europe, les différentes L’âge de début précoce du trouble semble être la seule variable
études épidémiologiques [18, 24, 38, 42, 44] notent des taux de prévalence prédictive fiable. D’autres facteurs tels que le sexe du patient, la
assez similaires, allant de 0,2 à 2 % avec une prévalence vie entière sévérité initiale du trouble, la présence d’antécédents familiaux de
qui oscille entre 0,7 et 2,6 % (tableau I). TOC, une mauvaise réponse initiale au traitement, ou encore une
L’âge de début du TOC s’échelonne en moyenne entre 6 et 11 ans [3] comorbidité de tics chroniques ne sont pas associés, de manière
selon une distribution bimodale avec un pic durant la petite enfance stable, à des patterns évolutifs particuliers [2, 43].
et un autre durant la préadolescence. Les enfants dont le TOC a
débuté avant l’âge de 7 ans sont le plus souvent de sexe masculin,
avec des antécédents familiaux de TOC ; des facteurs génétiques Diagnostic et évaluation
pourraient être impliqués dans le développement de ces formes à
début précoce [15]. Chez les adolescents, comme chez les adultes, on
observe plutôt une égalité des sex-ratios [41] (tableau I). DIAGNOSTIC POSITIF ET CLASSIFICATIONS
Selon le DSM IV [4], le TOC se caractérise chez l’enfant par la
présence d’obsessions et de compulsions récurrentes (critère A) qui
COMORBIDITÉ sont suffisamment sévères pour entraîner une perte de temps ou un
La plupart des enfants (75 à 80 %) ayant un diagnostic de TOC ont, sentiment marqué de souffrance ou un retentissement significatif
au moins, un autre trouble de l’axe I associé [18]. Bien que les taux (critère C). La perception du caractère excessif et déraisonnable des
varient considérablement d’une étude à l’autre, les troubles anxieux obsessions et des compulsions n’est pas, chez l’enfant, nécessaire à

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent 37-201-B-30

l’établissement du diagnostic (critère B). Si un autre trouble de l’axe il est habituellement admis qu’un score total compris entre 15 et 20
I est associé, le contenu des obsessions et des compulsions n’est pas signifie que le trouble est léger, entre 20 et 25 qu’il est modéré, et
limité à ce trouble (critère D). La perturbation n’est pas due à une supérieur à 25 qu’il est sévère.
affection médicale générale ou aux effets physiologiques directs
d’une substance (critère E). L’ ICD 10 [29] se différencie essentiel-
lement du DSM IV en ne reconnaissant pas le diagnostic de TOC si
le patient a un syndrome de Gilles de la Tourette associé.
Hypothèses étiopathogéniques
Diverses approches théoriques tentent d’individualiser des facteurs
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL pouvant être impliqués dans l’étiopathogénie du TOC :
Il existe une large confusion entre les rituels développementaux neurobiologiques, immunologiques, génétiques, psychodynamiques
fréquents entre 3 et 5 ans (jeux répétitifs, comptines, rituels du et comportementales.
coucher) qui n’entraînent pas de handicap particulier et les
symptômes obsessionnels compulsifs installés de novo, entravant
l’adaptation scolaire et relationnelle de l’enfant, dont le pronostic à HYPOTHÈSE NEUROBIOLOGIQUE
long terme est tout à fait différent [11]. Les conduites ritualisées de Les résultats obtenus à partir des études de neuro-imagerie, de
l’enfant ont une fonction maturative et disparaissent spontanément neuropsychologie et de neuropharmacologie permettent d’étayer
au-delà de la cinquième année. cette hypothèse [36]. Les travaux de neuro-imagerie montrent que le
Le TOC doit également être distingué de divers autres troubles, en circuit cortico-striato-thalamo-cortical joue un rôle central dans le
particulier : développement du TOC chez l’enfant. Les études de PETscan ou
– d’un trouble envahissant du développement (TED) : les enfants d’IRMf notent une augmentation du métabolisme du glucose ou de
ayant un TED ont fréquemment des comportements stéréotypés, l’activité neuronale dans le cortex orbitofrontal et préfrontal, le
persévératifs. Ceux-ci sont souvent beaucoup moins complexes que noyau caudé droit, le gyrus cingulaire antérieur chez les enfants [6].
les rituels du TOC. L’altération sévère des capacités de Les traitements par inhibiteur de la recapture spécifique de la
communication et de socialisation, l’histoire développementale, sérotonine (IRSS) ou par TCC normalisent le métabolisme et le
orientent le diagnostic. Cependant, dans le syndrome d’Asperger, le niveau d’activité neuronale dans ces différentes régions [6].
diagnostic différentiel avec le TOC peut être plus complexe dès lors Peu d’études neuropsychologiques ont été réalisées chez des enfants
que l’enfant a des intérêts spécifiques proches des thématiques TOC et elles n’ont pas retrouvé les anomalies des fonctions
obsessionnelles classiques du TOC. Une étude soigneuse de l’histoire exécutives observées chez l’adulte. Pour Beers et al [5], cette absence
développementale, des particularités du langage et de l’utilisation de résultats peut être expliquée par des biais méthodologiques ; par
des compétences sociales permet de faire le diagnostic differentiel ; exemple, les tests chronométrés qui impliquent des réponses
– de la schizophrénie : dans certains cas, les pensées obsédantes contraintes et structurées ne permettent pas de montrer une
peuvent paraître étranges, voire délirantes, les thématiques augmentation de la latence exécutive présente chez les enfants TOC.
inhabituelles parfois violentes ou agressives [12]. Le TOC se distingue Savage et al [37] supposent que l’absence de résultats est liée aux
de la schizophrénie par l’absence de tout autre symptôme caractéristiques développementales de l’enfant : les déficits cognitifs,
psychotique (tel que des hallucinations, ou un trouble formel de la liés surtout au fonctionnement du cortex frontal, émergent au cours
pensée) et la capacité du patient à s’inscrire dans la réalité ; de la maladie, mais de façon parallèle à la maturation normale de
cette région corticale ; l’immaturité de cette zone chez l’enfant
– d’un syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) : les enfants ayant expliquerait ces résultats.
un SGT peuvent avoir des tics moteurs ou vocaux complexes qui
Les études pharmacologiques et biochimiques semblent indiquer
paraissent peu différents des compulsions. Si la distinction est
que le système sérotoninergique joue un rôle central dans
souvent complexe, les tics sont classiquement indépendants d’une
l’étiopathogénie du TOC. L’hypothèse sérotoninergique repose
pensée obsédante ;
essentiellement sur :
– d’un autre trouble anxieux : la distinction est souvent assez
simple. Par exemple, dans l’anxiété généralisée, les pensées – l’efficacité des IRSS dans le traitement du TOC tant chez les
angoissantes sont focalisées sur des préoccupations du quotidien adolescents que chez les enfants [26] ;
(l’école, les relations avec les amis, le départ en vacances) et – l’exacerbation transitoire de la symptomatologie obsessionnelle
n’entraînent pas la réalisation de compulsions. chez des patients TOC lors de l’administration d’agonistes
sérotoninergiques, qu’ils soient sélectifs ou non (exemple, le
ÉVALUATION PSYCHOMÉTRIQUE sumatriptan, agoniste du récepteur 5HT1D [34]) ;
Si la psychopathologie quantitative ne saurait se substituer à une – les modifications des marqueurs biologiques périphériques
approche clinique globale, telle qu’elle est réalisée par les cliniciens, sérotoninergiques dans le liquide céphalorachidien et dans le sang.
elle peut, tout particulièrement dans le cas du TOC, constituer une Delorme et al [9] ont montré chez 19 patients à âge de début précoce
aide précieuse, tant pour l’évaluation consensuelle de la du TOC que le taux de 5-HT sanguin, ainsi que le nombre de
symptomatologie que pour suivre l’évolution du trouble. récepteurs 5-HT2A plaquettaires, pouvaient être des prédicteurs
Actuellement, la Children’s Yale-Brown Compulsive Scale (CY-BOCS) potentiels de l’amélioration clinique.
est l’instrument de référence [16] ; il s’agit d’un entretien semi-
structuré permettant l’évaluation de la sévérité du TOC sur les
semaines passées. La première partie de l’entretien consiste, pour le HYPOTHÈSE IMMUNOLOGIQUE
patient, à repérer les obsessions et les compulsions qui sont les Les chercheurs américains ont décrit récemment un sous-groupe
siennes dans une liste regroupant les symptômes les plus d’enfants dont les symptômes obsessionnels compulsifs et les tics se
fréquemment observés dans ce trouble. La sévérité du TOC est alors développent après une infection par streptocoque du groupe A b
cotée en fonction des quatre obsessions et des quatre compulsions hémolytique (Paediatric Autoimmune Neuropsychiatric Disorders
que le patient désigne comme prédominantes, en évaluant leur Associated with Streptococcal Infections - PANDAS) [ 2 2 ] . Les
durée au cours de la journée, la gêne et l’angoisse qu’elles symptômes obsessionnels et compulsifs semblent être directement
impliquent, la résistance et le degré de contrôle du patient sur ces liés à l’augmentation de volume des structures caudées,
symptômes. Trois scores sont obtenus in fine : les deux sous-scores, augmentation secondaire à la réaction immunologique entre les
obsessions et compulsions, allant chacun de 0 à 20, et un score total, tissus caudés et les anticorps antineurones formés lors de l’infection
témoin de la sévérité globale du TOC du patient, noté sur 40. Ainsi, streptoccocique. Ce processus étiopathogénique est proche de celui

3
37-201-B-30 Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent Psychiatrie/Pédopsychiatrie

observé dans la chorée de Sydenham, l’antigène D8/17 apparaissant Traitement


comme un marqueur de vulnérabilité commun aux deux troubles [27].
Cliniquement, les symptômes obsessionnels compulsifs sont le plus Diverses études, ouvertes ou contrôlées, réalisées chez les enfants et
souvent d’apparition brutale et massive, associés à des symptômes les adolescents, ont montré l’efficacité des IRSS et de la TCC dans le
neurologiques, et surviennent peu après l’exposition à l’agent traitement du TOC. La TCC est considérée de manière consensuelle,
pathogène (quelques semaines à quelques mois). La proportion comme le traitement de première intention à privilégier chez les
d’enfants TOC à déterminisme immunologique reste encore enfants prépubères et pour les adolescents ayant des formes légères
inconnue. de TOC (score à la CY-BOCS < 20). Pour les adolescents ayant des
formes plus sévères, un traitement associant TCC et IRSS est
recommandé [3]. Les thérapies de soutien et psychodynamique n’ont
HYPOTHÈSE GÉNÉTIQUE pas montré leur efficacité, tant chez l’adulte que chez l’enfant, sur
Les études d’agrégation familiale et de jumeaux confirment les symptômes spécifiques du trouble. Cependant, elles conservent
l’implication de facteurs génétiques dans l’expression phénotypique une place importante pour le traitement des troubles comorbides et
du TOC. On observe une augmentation de la prévalence du trouble offrent un espace de discussion ou de jeux aux patients leur
chez les apparentés de premier degré : TOC présent chez 10,3 % des permettant d’exprimer leur ressenti.
parents des proposants TOC versus 1,9 % des apparentés des sujets
contrôles [31] . Bien que le TOC soit une maladie à héritabilité
THÉRAPIE COGNITIVO-COMPORTEMENTALE
complexe, un modèle mixte de transmission est le plus probable
(c’est-à-dire transmission d’un gène à effet majeur combiné à des La TCC est fondée sur le modèle d’exposition, prévention de la
gènes à effet mineur). L’identification de patterns cliniques réponse, avec des modalités proches de celles réalisées chez
homogènes, et préférentiellement associés à des formes familiales l’adulte [32]. La première étape consiste à déterminer avec l’enfant
de TOC, est indispensable pour déterminer les facteurs génétiques une liste de ses symptômes en les hiérarchisant. L’enfant sera alors
impliqués dans le déterminisme du TOC. La présence d’antécédents exposé progressivement à ces situations, en débutant par les moins
familiaux ou personnels de tics, l’âge de début précoce du TOC sont anxiogènes, tout en lui demandant de ne pas réaliser ses rituels.
associés à une augmentation nette de l’héritabilité familiale [28]. Percevant que ses peurs ne se réalisent pas malgré l’absence de
ritualisation, l’anxiété va progressivement diminuer au fil des
séances. Dans des études, ouvertes ou contrôlées, les taux de
HYPOTHÈSE PSYCHODYNAMIQUE réponse oscillent entre 65 et 90 % avec une diminution de l’intensité
des symptômes d’environ 45 à 70 %.
Les hypothèses psychodynamiques ont été les premières formulées,
au vu de l’histoire du TOC, s’intéressant essentiellement à la Cependant, différents facteurs peuvent compliquer la thérapie, en
compréhension du sens de la symptomatologie obsessionnelle particulier, le manque de motivation du patient, sa faible capacité à
compulsive. Deux grandes options théoricocliniques ont été percevoir le caractère égodystonique de ses symptômes, la présence
développées par la psychanalyse. L’une plus structuraliste, d’une comorbidité et les répercussions fonctionnelles massives au
distinguant la névrose obsessionnelle de la psychose par le fait que moment de l’instauration du traitement. Tenant compte de ces
le conflit œdipien reste organisateur de la vie psychique et que la facteurs, le thérapeute devra, via une approche plus
libido a une fonction liante des pulsions agressives appartenant au psychoéducative, expliquer clairement sa maladie au patient, les
stade anal ; dans l’approche freudienne, les idées obsédantes stratégies cognitives et comportementales utilisées pour lutter contre
deviennent progressivement l’expression de désirs refoulés, les l’anxiété, le récompenser de son implication dans sa thérapie,
souligner, par un graphique, ses progrès au fil des séances [30]. Du
rituels constituant un aménagement défensif contre les obsessions
fait de l’impact d’un tel trouble sur le fonctionnement familial,
idéatives. Ces dernières ne doivent pas être considérées comme une
l’implication des parents dans le projet de soins sera indispensable.
formation première mais comme une défense contre des pulsions
Ils devront être aidés à mieux percevoir les comportements liés ou
sexuelles traumatiques car non suffisamment pare-excitées. Les
non au TOC, permettant ainsi de réduire les conflits parents-enfant
processus de déplacement dans la névrose obsessionnelle restent
et de préserver l’équilibre affectif entre les différents membres de la
intrapsychiques. Le destin de l’affect lié à la représentation
famille [21].
inconciliable après l’échec du refoulement va être déplacé sur une
autre représentation par proximité associative qui deviendra
obsédante. L’affect est donc isolé de sa représentation initiale et PHARMACOTHÉRAPIE
déplacé sur une représentation moins traumatique [14]. Quant à la La clomipramine a été longtemps le seul antidépresseur
seconde option théoricoclinique, l’approche kleinienne, elle sérotoninergique prescrit dans le TOC. L’effet thérapeutique de cette
considère la névrose obsessionnelle comme une organisation molécule a été vérifié parmi les populations infantojuvéniles au
défensive contre un noyau psychotique, dans laquelle l’échec des cours de plusieurs études randomisées menées en double aveugle :
mécanismes de défense obsessionnels pourrait ouvrir la voie à des amélioration de 53 % des patients dans le groupe traitement actif
manifestations psychotiques frustes ou durables [20]. contre 8 % dans le groupe placebo [1, 17]. Cependant, les effets
indésirables de ce tricyclique sont nombreux et souvent mal tolérés :
bouche sèche, somnolence, vertige, asthénie et tremblements. Des
HYPOTHÈSE COMPORTEMENTALE
troubles de la conduction cardiaque ont été rapportés et ces
Quant aux modèles comportementaux, ils sont basés sur la théorie observations imposent lors de prescription au long cours un avis
des facteurs conditionnants de Mower [39] : un objet ou un événement cardiologique préthérapeutique et des contrôles réguliers de
apparemment neutre devient aversif (c’est-à-dire un stimulus l’électrocardiogramme. Du fait de la mauvaise tolérance à la
conditionnant) par le fait qu’il est indirectement associé à un clomipramine, cette molécule est à l’heure actuelle un traitement de
événement objectivement effrayant. Toute action qui induit une seconde intention dans le TOC [1, 17]. D’autant que les IRSS ont
diminution du niveau d’anxiété ou de tout autre affect négatif est également montré leur efficacité chez l’enfant et l’adolescent. De
alors renforcée suivant les principes du conditionnement de haut vastes études multicentriques menées aux États-Unis ont montré que
niveau. En accord avec cette théorie, les compulsions se renforcent 50 à 60 % des patients sont répondeurs, obtenant une diminution de
du fait de leur capacité à neutraliser l’anxiété. Malheureusement, les 20 à 50 % de l’intensité de leurs symptômes [ 1 7 ] . Les effets
théories conditionnantes n’expliquent pas, de manière adéquate, le indésirables les plus fréquents avec ce type de médicament sont des
développement du TOC puisque la plupart des individus ne nausées, des troubles gastro-intestinaux (moins fréquents que chez
peuvent se rappeler un événement effrayant coïncidant avec le début l’adulte) une insomnie, une excitabilité, des céphalées, et chez les
de leurs symptômes. adolescents, des troubles sexuels. Ces effets indésirables sont le plus

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l’adolescent 37-201-B-30

souvent transitoires, et dose-dépendants. En France, seule la


sertraline a, pour l’instant, obtenu l’autorisation de mise sur le Tableau II. – Traitement par inhibiteur de la recapture de la séroto-
nine du TOC de l’enfant et de l’adolescent.
marché (AMM) dans cette indication à partir de 6 ans.
Quelle que soit la molécule choisie, la réponse thérapeutique est Dose prescrites chez
longue, au minimum 3 semaines, les réponses les plus tardives Nom génétique Nom commercial l’enfant et l’adolescent*
(mg/j)
survenant en 10 semaines. Ceci nécessite le maintien à des doses
efficaces pendant au moins 10 à 12 semaines (tableau II). Il faut Citalopram Seropramt 10-40
également avertir le patient et la famille d’une possible accentuation Fluvoxamine Floxyfralt 50-200
Fluoxétine Prozact 20-80
des symptômes obsessionnels compulsifs entre j1 et j10, ce qui ne
Paroxétine Deroxatt 20-80
préjuge pas de l’efficacité du traitement. En cas d’efficacité, les Sertraline Zoloftt 50-150
experts recommandent de maintenir le traitement un minimum de Clomipramine Anafranilt 75-200
12 à 18 mois. Il existe des rechutes précoces dans les 2 mois qui
suivent un arrêt du traitement. Certains auteurs ont discuté l’intérêt *les doses sont celles retenues dans les études multicentriques américaines, exception faite pour la sertraline
(Zoloftt) où les doses sont celles retenues par l’AFSSAPS.
d’un traitement à long terme, voire à vie, en cas de plus de deux
rechutes. En cas d’absence de réponse entre 10 et 12 semaines à
bonnes doses et après s’être assuré de l’observance du patient, un
autre IRSS peut être represcrit deux ou trois fois avant de donner la Conclusion
clomipramine [3]. Si, finalement, la réponse reste incomplète ou
partielle, il est conseillé d’entamer une stratégie de potentialisation Le TOC de l’enfant et de l’adolescent est une pathologie encore mal
mais les données restent à confirmer dans ce domaine. Elle a connue. L’intérêt croissant pour ce trouble s’accompagnera, espérons-le,
cependant un intérêt en cas de troubles comorbides : la présence de d’une meilleure compréhension de ses caractéristiques cliniques et
tics ou de symptômes psychotiques peut justifier la coprescription physiopathologiques. En particulier, des études qui s’intéresseront
d’un neuroleptique à faible dose, et celle d’antécédents personnels communément aux aspects biologiques et environnementaux aideront à
ou familiaux de troubles thymiques récurrents, d’un traitement par une meilleure compréhension des facteurs de vulnérabilité. Elles
thymorégulateur. permettront également d’améliorer nos stratégies thérapeutiques.

Références
[1] Albano A, March J, Piacentini J. Cognitive behavioral treat- [15] Geller DA, Biederman J, Faraone S, Agranat A, Cradock K, [29] Organisation mondiale pour la santé. Classification des
ment of obsessive compulsive disorder. In : Ammerman R, Hagermoser L et al. Developmental aspects of obsessive troubles mentaux et comportementaux. Genève : OMS,
Hersen M, Last C eds. Handbook of prescriptive treatments compulsive disorder: findings in children, adolescents, and 1992
for children and adolescents. Boston : Allyn and Bacon, adults. J Nerv Ment Dis 2001 ; 189: 471-477 [30] Owens E, Piacentini J. Behavioral treatment of OCD in a boy
1999 : 193-206 [16] Goodman W, Price H, Rasmussen S, Mazure C, Delgado P, with comorbid disruptive behaviour problems. J Am Acad
[2] Alonso P, Menchon JM, Pifarre J, Mataix Cols D, Torres L, Heninger G et al. The Yale Brown obsessive compulsive Child Adolesc Psychiatry 1998 ; 37 : 443-446
Salgado P. Long-terms follow-up and predictors of clinical scale (Y-BOCS). Part I. Development, used, and reliability.
Arch Gen Psychiatry 1989 ; 46 : 1006-1011 [31] Pauls DL, Alsobrook JP 2nd, Goodman W, , Rasmussen S, ,
outcome in obsessive compulsive patients treated with Leckman JF. A family study of obsessive and compulsive dis-
serotonin reuptake inhibitors and behavioural therapy. J [17] Grados M, Scahill L, Riddle M. Pharmacotherapy in chil- order. Am J Psychiatry 1995 ; 152 : 76-84
Clin Psychiatry 2001 ; 62 : 535-540 dren and adolescents with obsessive compulsive disorder.
Child Adolesc Psychiatr Clin North Am 1999 ; 8 : 617-634 [32] Piacentini J. Cognitive behavioural therapy of childhood
[3] American academy of child and adolescent psychiatry. obsessive compulsive disorder. Child Adolesc Psychiatr Clin
Practice parameters for assessment and treatment of chil- [18] Heyman I, Fombonne E, Simmons H, Ford T, Metzer H,
North Am 1999 ; 8 : 599-616
dren and adolescents with obsessive compulsive disorder. Goodman R. Prevalence of obsessive compulsive disorder
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1998 ; 37 (suppl) : 27-38 in the British nationwide survey of child mental. Br J Psy- [33] Piacentini J, Bergman RL. Obsessive compulsive disorder in
chiatry 2001 ; 179 : 324-329 children. Psychiatr Clin North Am 2000 ; 3 : 519-533
[4] American psychiatry association. Diagnostic and statistical
manual of mental disorders. Washington DC : American [19] Janet P. Les obsessions et la psychasthénie (1903). New [34] Pian KL, Westenberg HG, van Megen HJ, den Boer JA.
Psychiatry Press, 1994 York : Reprint Arno Press Inc, 1976 Sumatriptan (5-HT1D receptor agonist) does not exacer-
[20] Klein M. Les rapports entre la névrose obsessionnelle et les bate symptoms in obsessive and compulsive disorder. Psy-
[5] Beers SR, Rosenberg DR, Ryan CM. Dr Beers and colleagues premiers stades de la formation du surmoi. In : La psycha- chopharmacology 1998 ; 140 : 365-370
reply. Am J Psychiatry 2000 ; 157 : 1183 nalyse des enfants. Paris : PUF, 1993 [35] Pitres A, Regis E. Les obsessions et les impulsions. Paris :
[6] Bolton J, Moore GJ, Macmillan S, Stewart CM, Rosenberg [21] Knox L, Albano A, Barlow D. Parental involvement in the Doin, 1902
DR. Case study : caudate glutamatergic changes with paro- treatment of childhood OCD: a multiple baseline examina-
xetine persist after medication discontinuation in paediat- [36] Rosenberg DR, Macmillan SN, Moore GJ. Brain anatomy
tion involving parents. Behav Ther 1996 ; 27 : 93-99 and chemistry may predict treatment respons in peadiatric
ric OCD. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2001 ; 40 :
[22] Leonard HL, Swedo SE. Paediatric autoimmune neuropsy- obsessive compulsive disorder. Int J Neuropsychopharmacol
903-906
chiatric disorders associated with streptococcal infection 2001 ; 2 : 179-190
[7] Carter AS, Pollock RA. Obsessive compulsive disorder in (PANDAS). Int J Neuropsychopharmacol 2001 ; 4 : 191-198
[37] Savage CR, Rauch SL. Cognitive deficits in obsessive com-
childhood. Curr Opin Paediatrics 2001 ; 12 : 325-330 [23] Lewinshon PM, Hops H, Robert RE. Adolescent psychopa- pulsive disorder. Am J Psychiatry 2000 ; 158 : 1182
[8] Costello EJ, Angold A, Burns BJ, Erkanli A, Stangl DK, Tweed thology: I. Prevalence and incidence of depression and
other DSM IIIR disorders in high school students. J Abnorm [38] Steinhausen HC, Metzke CW, Meier M, Kannenberg R.
DL. The great smoky mountains study of youth. Goals, Prevalence of child and adolescents psychiatric disorders:
design, methods, and the prevalence of DSM IIIR disorders. Psychol 1996 ; 102 : 133-134
the Zurich epidemiology study. Acta Psychiatr Scand 1998 ;
Arch Gen Psychiatry 1996 ; 63 : 1129-1136 [24] Maina G, Albert U, Bogetto F, Ravizza L. Obsessive compul- 98 : 262-271
sive disorder in older adolescents. Acta Psychiatr Scand
[9] Delorme R, Chabane N, Callebert J, Falissard B, Mouren- [39] Steketee G. Treatment of obsessive compulsive disorder.
1999 ; 100 : 447-450
Siméoni MC, Rouillon F et al. Predictors of the serotonergic New York : Guilford Press, 1993
reuptake inhibitors response in obsessive compulsive disor- [25] Miguel EC, Rosarion-Campos MC, Silva H, Valle R, Rauch
der. Clin Pharmacol Ther 2002 (in press) SL, Coffey BJ et al. Sensory phenomena in obsessive com- [40] Swedo S, Rapoport JL, Leonard H, Lenane M, Cheslow D.
pulsive disorder and Tourette’s disorder. J Clin Psychiatry Obsessive compulsive disorder in children and adoles-
[10] Despert L. Differential diagnosis between obsessive- 2000 ; 62 : 150-156 cents. Arch Gen Psychiatry 1989 ; 46 : 335-341
compulsive neurosis and schizophrenia in children. In :
Hoch PH, Zubin J eds. Psychopathology of childhood. New [26] Montgomery SA, Kasper S, Stein DJ, BangHedegaard K, [41] Valleni-Basile LA, Garricon CZ, Jackson KL, Waller JL,
York : Grune and Staton, 1955 : 240-253 Lemming OM. Citalopram 20 mg, 40 mg, 60 mg are well McKeown RE, Addy CL et al. Frequency of obsessive com-
all effective and well tolerated compared with placebo in pulsive disorder in a community sample of young adoles-
[11] Diatkine G. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de obsessive compulsive disorder. Int Clin Psychopharmacol cents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1994 ; 33 : 782-791
l’adolescent. In : Lebovici S, Diatkine R, Soulé M éd. Paris : 2001 ; 16 : 75-86
PUF, 1994 : 1140-1141 [42] Verhulst FC, van derEnde J, Ferdinand RF, Kasius MC. The
[27] Murphy TK, Benson N, Zaytoun A, Yang M, Braylan R, prevalence of DSM IIIR diagnoses in a national sample of
[12] Eisen JL, Rasmussen SA. Obsessive compulsive disorder Ayoub E et al. Progress toward analysis of D8/17 binding to Dutch adolescents. Arch Gen Psychiatry 1997 ; 54 : 329-336
with psychotic features. J Clin Psychiatry 1993 ; 54 : 373-379 B cells in children with obsessive compulsive disorder
and/or chronic tic disorder. J Neuroimmunol 2001 ; 120 : [43] Wewetzer C, Jans T, Müller B, Neudorf A, Bücher U, Rems-
[13] Flament MF, Whitaker A, Rapoport JL, Davies M, Berg CZ, 146-151 chmidt H et al. Long-term outcome and prognosis of obses-
Kalikow K et al. Obsessive compulsive disorder in adoles- sive compulsive disorder with onset in childhood and ado-
cence: an epidemiological study. J Am Acad Child Adolesc [28] Nestadt G, Lan T, Samuels J, Riddle M, Bienvenu OJ 3rd,
lescence. Eur Child Adolesc Psychiatry 2001 ; 10 : 37-46
Psychiatry 1988 ; 27: 764-771 Liang KY, et al. Complex segregation analysis provides
compelling evidence for a major gene underlying obses- [44] Wittchen HU, Nelson CB, Lachner G. Prevalence of mental
[14] Freud S. Obsessions et phobies. Leurs mécanismes psychi- sive compulsive disorder and for heterogeneity by sex. Am disorders and psychosocial impairments in adolescents and
ques et leurs étiologies. Rev Neurol 1885 ; 3 : 33-38 J Hum Genet 2000 ; 67 : 1611-1616 young adults. Psychol Med 1998 ; 28 : 109-12

5
Pédopsychiatrie
[37-200-E-38]

Troubles du sommeil chez l'enfant et l'adolescent

Michel Lecendreux : Chef de clinique-assistant, praticien hospitalier, unité de sommeil, service de


psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent
hôpital Robert-Debré, 48, boulevard Sérurier, 75019 Paris France

© 1996 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

INTRODUCTION

La fréquence de survenue des troubles du sommeil chez l'enfant et l'adolescent a souvent


conduit à banaliser ces manifestations, voire à les intégrer au développement " normal " et
à sous-estimer l'existence de véritables troubles, dyssomnies ou parasomnies.

Les avancées récentes effectuées dans la compréhension de la physiopathologie des


mécanismes de veille et de sommeil, grâce en particulier à l'apport des techniques
d'enregistrement polysomnographique, ont permis l'authentification de ces troubles chez
l'enfant.

En l'absence de classification propre à l'enfant, la Classification internationale des troubles


du sommeil (ICSD, 1990) [30], fondée sur des critères cliniques, épidémiologiques mais
aussi électrophysiologiques, permet de dégager un consensus international. Les troubles
relatifs à l'enfant et à l'adolescent y sont intégrés sous forme d'un continuum avec ceux de
l'adulte, dans une perspective développementale et de maturation du système nerveux
central.

L'ICSD représente pour le clinicien et le chercheur, un instrument de choix, autorisant de


nombreuses catégories diagnostiques, en particulier chez le jeune enfant, non disponibles
au sein d'autres systèmes de classification (DSM III-R, DSM IV, ICD 10) car encore
considérées comme insuffisamment établies par leurs auteurs [48].

Dans ce chapitre nous verrons successivement les troubles primaires que sont les
dyssomnies et les parasomnies, puis les troubles secondaires à une cause psychiatrique ou
médicale. Loin de se vouloir exhaustif, ce chapitre a pour objet de donner au lecteur un
aperçu actualisé de l'approche des troubles du sommeil de l'enfant et de l'adolescent.
Nous avons délibérément choisi de nous conformer à la terminologie de l'ICSD, en
particulier concernant les dyssomnies et leur subdivision en troubles intrinsèques et
extrinsèques.

Haut de page

DYSSOMNIES

Insomnies et hypersomnies appartiennent au cadre nosographique des dyssomnies.


Celles-ci reposent sur la notion de plainte subjective de la part du sujet, d'une insuffisance
ou d'un excès de sommeil. Chez le jeune enfant, la plainte est essentiellement celle de
l'entourage (parents, puéricultrices...). On distingue des dyssomnies dites intrinsèques,
dans lesquelles est supposé exister un dysfonctionnement primaire des centres de
régulation de veille et de sommeil et des dyssomnies créées ou entretenues par des
facteurs environnementaux, dites extrinsèques. Plus l'enfant est jeune et plus il est soumis
aux règles édictées par l'entourage. Il apparaît donc nécessaire d'introduire une distinction
entre les troubles du jeune enfant et ceux de l'enfant plus âgé ou de l'adolescent.

Insomnies du nourrisson et du jeune enfant

Troubles intrinsèques

Insomnie idiopathique

Encore nommée " insomnie à forme de début dans l'enfance " ou " childhood-onset
insomnia " par les auteurs anglo-saxons, en raison de son début dans la petite enfance,
elle représente la principale cause d'insomnie intrinsèque dans cette tranche d'âge. Elle
peut se manifester dès les premiers mois de vie, voire dès la naissance par une inhabilité
à produire un sommeil de qualité normale. Ces enfants souffrent de difficultés
d'endormissement et d'éveils nocturnes fréquents. Cette insomnie serait en rapport avec
une anomalie neurologique du système de contrôle veille/sommeil qui ferait intervenir,
soit une hyperactivité du système d'éveil, soit une hypoactivité du système de régulation
du sommeil [7]. Ce trouble, rare dans sa forme pure, persiste à l'âge adulte et affecte ces
sujets tout au long de leur vie. Les investigations polysomnographiques mettent en
évidence des anomalies de la microstructure du sommeil qui viendraient conforter
l'hypothèse d'une atteinte primitive des systèmes de régulation du sommeil [29].

Troubles extrinsèques

Les troubles dits extrinsèques sont de loin les plus fréquents chez les jeunes enfants et ont
un lien étroit avec des facteurs environnementaux ou comportementaux. Les
enregistrements de sommeil de ces enfants ne montrent pas d'anomalies spécifiques
lorsqu'ils sont pratiqués dans les conditions habituellement requises pour obtenir le
sommeil.

Ces troubles sont le plus souvent réversibles par une modification des conditions
environnementales qui les ont créés et les entretiennent.

Trouble des associations à l'endormissement

Il se traduit par des difficultés d'endormissement et des éveils nocturnes, et concernerait


15 à 20 % des enfants entre 6 mois et 3 ans. Il ne s'agit pas d'un trouble des mécanismes
de régulation du sommeil à proprement parler (trouble intrinsèque) mais de la
conséquence d'un mauvais apprentissage au cours de la période de transition
[17]
veille/sommeil .

L'endormissement est rapidement obtenu en présence des conditions qui lui sont
habituellement associées, et supposées apprises par l'enfant (bras des parents,
bercement, biberon, lit partagé..). Toutefois ces conditions requièrent l'intervention et la
participation active de l'adulte et ne permettent pas au jeune enfant d'apprendre à gérer
lui-même la période de transition veille/sommeil et à discriminer les stimuli relatifs au
sommeil. Les difficultés présentes au coucher se répètent lors des éveils nocturnes.

Cependant, l'hypothèse qu'un mauvais apprentissage précoce prédisposerait à la survenue


d'un trouble spécifique du sommeil de l'adolescence ou de l'âge adulte reste à démontrer.
De rares études longitudinales prospectives ont montré une faible valeur prédictive des
items " durée du sommeil nocturne ", " éveils intrasommeil " et " lit partagé " [37].

Syndrome de prise alimentaire nocturne

Ce syndrome est caractérisé par des éveils nocturnes itératifs et l'impossibilité pour
l'enfant de retrouver le sommeil sans prise alimentaire ou liquidienne [17, 55]. Chez ces
enfants qui se réveillent la nuit, la réponse parentale consiste à proposer de façon
systématique un biberon d'eau, de lait ou de jus de fruits. Ce trouble concerne environ 5
% des enfants âgés entre 6 mois et 3 ans dans la population générale. Il s'apparente au
trouble précédent mais risque de s'autoentretenir en raison de l'importance de l'apport
liquidien susceptible d'induire ou d'aggraver une pathologie organique (reflux gastro-
oesophagien, pathologie infectieuse ORL...).

Trouble par insuffisances de limites ou règles éducatives inappropriées

Ce trouble est la conséquence d'une absence ou d'une incohérence des routines de


coucher proposées à l'enfant, et se traduit par un refus et une opposition de la part de
celui-ci au coucher et plus rarement lors des éveils nocturnes [17, 49, 50]. L'adulte est
confronté au refus de l'enfant de respecter les horaires de coucher qu'il souhaite lui
imposer. L'enfant a recours à de multiples demandes pour retarder ou éviter d'être mis au
lit ; boire, aller aux toilettes, être bercé ou pris dans les bras, avoir de la lumière, regarder
la télévision, être conforté de ses peurs...

Du point de vue psychanalytique, l'endormissement est une phase de régression, un


retour au narcissisme primaire, impliquant la nécessité pour l'enfant de désinvestir le
monde environnant et de se replier sur soi. Cette transition pour se réaliser, nécessite un
climat affectif à la fois sécurisant et emprunt de fermeté. En effet, l'endormissement peut
constituer une expérience éprouvante, car s'endormir, c'est se séparer, être confronté à la
vie fantasmatique et onirique. La création d'un espace transitionnel et aconflictuel devient
donc nécessaire à la bonne réalisation de l'endormissement et à son accomplissement.

Cet espace transitionnel, créé par la mère au cours des premiers mois de vie, deviendra
progressivement un espace, ou celle-ci saura être absente pour permettre à son enfant de
s'abandonner au sommeil. Cet espace est l'occasion pour l'enfant d'un aménagement, où
l'investissement de certains objets (peluches, couches en tissu) est privilégié. Certains
rituels ou certaines conduites répétitives aident à la préparation au coucher. Les rythmies
de succion du pouce, de couvertures, permettent une transition de la veille calme au
sommeil.

Lorsque cet espace n'est pas réalisé, ou réalisé de façon incertaine, l'excitation n'est pas
en mesure de céder et de laisser une place à des conditions favorables d'endormissement.

La prévalence du trouble est estimée entre 5 et 10 % des enfants dans la population


générale et concerne essentiellement les enfants à partir de l'âge de 2 ans.

Fréquemment utilisés dans les troubles extrinsèques, les produits psychotropes dérivent
essentiellement de la phénothiazine (phénothiazine antihistaminique ou phénothiazine
neuroleptique) et sont susceptibles de présenter les effets latéraux indésirables des
neuroleptiques (dyskinésies aiguës, excitation paradoxale, sédation, syndromes
extrapyramidaux...). D'autre part, les effets de la prise au long cours de ces produits sur
le sommeil et la maturation cérébrale ne sont pas démontrés.

Le seul recours aux prescriptions médicamenteuses dans les troubles extrinsèques ne


saurait donc être considéré comme une réponse thérapeutique satisfaisante, en l'absence
de mesures psychoéducatives associées. Celles-ci ont pour objet de modifier le
comportement-réponse des parents lors des éveils nocturnes itératifs, à l'aide de
techniques le plus souvent comportementales [16, 51].

A part, l'insomnie par allergie aux protéines du lait de vache (IPLV)

Il s'agit d'une insomnie rebelle qui peut se manifester dès l'introduction du lait de vache
au cours des deux premières années de la vie [32, 33]. L'insomnie constitue souvent un
symptôme isolé. D'autres phénomènes allergiques peuvent être associés tels que des
troubles respiratoires, cutanés ou gastroentérologiques. Le traitement consiste en
l'éviction de l'allergène présent dans le lait de vache.

Insomnies de l'enfant d'âge scolaire et de l'adolescent

Insomnies intrinsèques

Insomnie psychophysiologique

Elle débute volontiers chez l'adolescent ou l'adulte jeune et fait intervenir des
comportements appris de prévention du sommeil. La plainte est celle d'une insomnie et
d'une altération du fonctionnement diurne. Les comportements de non-sommeil sont sous-
tendus par des facteurs d'ordre cognitif (incapacité à s'endormir quand le sujet le décide
malgré ses efforts, pensées erronées concernant la fonction réparatrice du sommeil...) et
d'ordre somatique (agitation, tension musculaire, vasoconstriction...). Un conditionnement
négatif aux facteurs environnementaux (chambre à coucher, lit) est aussi rapporté [28].
Cette insomnie " apprise " évolue ensuite pour son propre compte, aggravée par une
éventuelle prise au long cours d'hypnotiques susceptibles de modifier l'architecture du
sommeil [42].

Les thérapies comportementales et cognitives ont fait l'objet d'études dans le traitement
des insomnies de l'adulte. L'efficacité de certaines techniques dans la gestion de l'éveil
cognitif (thérapies cognitives, arrêt de la pensée), de l'éveil somatique (" training "
autogène, " biofeedback ") ou de comportements non propices à l'endormissement
(contrôle des stimuli de Bootzin) a été soulignée par différents auteurs [14, 31]. Peu
employées chez l'enfant et l'adolescent, elles n'en demeurent pas moins riches de
promesses, car permettant d'intervenir précocement sur des facteurs susceptibles
d'entretenir un dysfonctionnement dont le déclenchement n'est certainement pas univoque
(stress, maladie intercurrente, rêve d'angoisse, conflits familiaux..).

Insomnies extrinsèques

Hygiène de sommeil inadéquate

Elle est fréquente chez l'adolescent, chez qui le respect des rythmes de sommeil est
parfois peu compatible avec les contraintes sociales et scolaires imposées à un âge où les
besoins de sommeil sont grands. L'irrégularité des horaires de sommeil, les horaires de
coucher tardif et de lever précoce, associés à des conditions de coucher parfois sommaires
aboutissent fréquemment à une privation chronique de sommeil responsable de
somnolence diurne. Morrison et al [43] montrent que dans une population d'adolescents
âgés de 15 ans, 33 % rapportent des difficultés de sommeil durables. Parmi ces sujets, la
plainte la plus fréquemment exprimée concerne l'insuffisance de la durée du sommeil (25
%), avant même les difficultés d'endormissement (9,6 %).
Insomnie liée à un trouble du rythme circadien : syndrome de retard de
phase du sommeil (SRPS)

Décrit par Weitzman et Czeisler en 1981 [58], il résulte d'une incompatibilité entre les
rythmes veille/sommeil d'un sujet et les horaires imposés par la vie en société. Le SRPS
touche principalement l'adolescent ou l'adulte jeune, mais a également été décrit chez le
nourrisson et le jeune enfant. Typiquement, le sommeil est normal en quantité et en
qualité mais impossible à obtenir aux horaires conventionnels et retardé de 2 à 3 heures
par rapport aux sujets normaux du même âge.

La plainte consiste en une insomnie d'endormissement et une incapacité à se lever aux


horaires souhaités, associées à un certain degré de somnolence diurne essentiellement
matinale, l'ensemble pouvant compromettre la poursuite d'une scolarité normale [57]. Le
traitement repose sur une resynchronisation progressive des rythmes par chronothérapie,
en retardant chaque jour progressivement l'heure du coucher [12]. L'utilisation de
synchroniseurs forts comme la lumière a également été proposée [11]. Le syndrome de
retard de phase concernerait près de 10 % des cas d'insomnie chronique et plus
particulièrement chez les adolescents ou adultes jeunes.

Hypersomnies

La plupart des pathologies responsables d'excès de sommeil, débutent à l'adolescence. De


plus, l'effet de la puberté est associé à une diminution significative de la vigilance chez les
sujets normaux [8].

Chez l'enfant prépubère, l'excès de sommeil est parfois difficile à appréhender et doit se
définir par rapport à la moyenne du temps de sommeil total pour l'âge. Le rôle de
l'entourage apparaît déterminant (professeurs, médecins scolaires) dans le dépistage
d'une symptomatologie parfois trompeuse.

Narcolepsie-cataplexie

Ce syndrome est caractérisé dans sa forme complète par l'association d'une somnolence
diurne excessive (SDE), d'épisodes de sommeil diurnes invincibles, d'accès cataplectiques,
d'hallucinations hypnagogiques et de paralysies du sommeil. Si le diagnostic demeure
essentiellement clinique, l'enregistrement polygraphique nocturne suivi de tests itératifs
de délai d'endormissement (TILE) permettent d'objectiver plus de deux endormissements
en sommeil paradoxal et une latence d'endormissement très courte. Une très forte liaison
au système immunitaire HLA (" human leukocyte antigen ") DR2-DQ1 est rapportée [5].

La fréquence de ce syndrome est de 0,03 à 0,16 % dans la population générale, mais


demeure inconnue chez l'enfant. Le début de la maladie se situe le plus souvent au cours
de la seconde décade avec un pic autour de 14 ans. La forme complète est rarement
présente au début [45]. Les formes de début chez l'enfant prépubère sont rares et
caractérisées par des accès narcoleptiques plus longs que chez l'adulte, une somnolence
diurne masquée par une hyperactivité ou des troubles comportementaux [9]. Le
traitement de la somnolence est essentiellement symptomatique, reposant sur les
psychostimulants tels que le méthylphénidate ou le modafinil. Institué précocement, en
association avec des mesures d'hygiène de sommeil (siestes, respect du temps de
sommeil), il permet de donner une meilleure chance à ces enfants de poursuivre une
scolarité normale. L'aménagement des périodes de sommeil et d'activité doit se faire en
accord avec le milieu familial et scolaire.

Hypersomnie idiopathique

Longtemps confondue avec la narcolepsie, elle débute également volontiers au cours de la


cataplexies, d'hallucinations hypnagogiques et de paralysies du sommeil. De plus, les
études polysomnographiques couplées aux TILE montrent typiquement des
endormissements en sommeil lent (NREM). La prévalence de la maladie est de 0,01 à 0,02
%. Le traitement est uniquement symptomatique visant à restituer une vigilance diurne
normale (cf supra). Il n'existe pas d'association connue au système HLA.

Hypersomnie récurrente

Elle est caractérisée par des accès de somnolence pouvant durer 3 à 10 jours en
moyenne, qui lorsqu'ils s'associent à une hyperphagie et une désinhibition instinctuelle
avec hypersexualité réalisent la forme complète du syndrome de Kleine-Levin-Critchley
[10]
. Ces épisodes sont espacés d'intervalles libres de bonne qualité au cours desquels le
sujet ne présente aucun trouble de la vigilance. Pendant les accès le sujet peut dormir 18
à 20 heures par jour, se levant uniquement pour manger. Des manifestations thymiques
ou des troubles du comportement sont fréquemment associés, pouvant prendre l'aspect
de diverses pathologies psychiatriques [13]. Cette forme d'hypersomnie est plus rare que
les deux précédentes. L'évolution est généralement favorable et se fait sur plusieurs
années. Un traitement prophylactique des accès par le lithium a pu être proposé par
certains auteurs [1, 39bis].

Syndrome d'apnées obstructif au cours du sommeil (SAOS)

Première cause d'excès de sommeil chez l'enfant dans l'étude de Stanford [21], ce
syndrome est caractérisé par des épisodes répétitifs d'obstruction partielle ou complète
des voies aériennes supérieures au cours du sommeil, entraînant le plus souvent une
diminution de la saturation du sang en oxygène [22, 23]. Chez l'enfant, le SAOS est
fréquemment consécutif à une augmentation de volume des amygdales ou des
végétations. Les anomalies de la morphologie craniofaciale semblent également avoir un
rôle contributif important dans la genèse du SAOS, sous-tendues par des facteurs
génétiques et développementaux [20].

Ce syndrome peut s'accompagner de nombreuses manifestations nocturnes (ronflement,


respiration buccale, réactions d'éveils, postures de sommeil inhabituelles, énurésie) mais
également diurnes (difficultés scolaires, troubles de l'attention et de la concentration,
SDE) [25].

Les apnées survenant au cours du sommeil sont responsables de réactions d'éveil répétées
et d'une fragmentation du sommeil qui peuvent retentir sur la qualité de la veille et être
responsables de somnolence diurne. Seule une investigation polysomnographique permet
de porter le diagnostic de SAOS et d'en déterminer la sévérité. Le traitement est avant
tout chirurgical, reposant sur la levée de l'obstacle au niveau des voies aériennes
supérieures (amygdalectomie, adénoïdectomie). Le recours au traitement par pression
positive continue (CPAP) est indiqué dans certains cas de SAOS sévères [20].

Haut de page

PARASOMNIES

Les parasomnies correspondent à des troubles qui font intrusion pendant le sommeil et
dont le sujet ne garde généralement pas de souvenir. La plainte émane alors de
l'entourage, comme c'est le cas dans le somnambulisme ou les terreurs nocturnes. Les
parasomnies sont la traduction d'une activation du système nerveux central au travers du
système musculaire squelettique ou du système nerveux végétatif.

Les parasomnies sont classées en fonction de leur survenue au cours du cycle de sommeil.
Celles-ci peuvent survenir au cours de la transition veille/sommeil, du sommeil lent
(sommeil NREM) ou du sommeil paradoxal (sommeil REM).
Parasomnies associées à un trouble de l'éveil

Le concept de trouble de l'éveil correspond à la survenue d'une activité motrice et/ou


végétative lors d'un éveil partiel se produisant au cours du sommeil à ondes lentes [6].

Terreurs nocturnes

La terreur nocturne (pavor nocturnus) est caractérisée par un éveil brutal survenant dans
le sommeil à ondes lentes (NREM) se manifestant par un cri ou des pleurs perçants,
accompagnés de manifestations comportementales et neurovégétatives de peur intense.
La répartition du sommeil à ondes lentes dans le premier tiers de la nuit explique l'horaire
de survenue préférentiel de la terreur nocturne, en moyenne 2 à 3 heures après le
coucher [18, 44]. La terreur nocturne concerne principalement l'enfant prépubère, entre 4
et 12 ans. L'évolution du trouble est habituellement favorable tendant à se résoudre
spontanément à l'adolescence.

Des facteurs déclenchants ou favorisants ont pu être rapportés à l'origine de certains


épisodes tels que la privation de sommeil, la fièvre, certains médicaments psychotropes.
La prévalence du trouble est d'environ 3 % des enfants et moins de 1 % des adultes. La
terreur nocturne apparaît plus fréquente chez le garçon que chez la fille et peut être mise
en évidence chez plusieurs membres d'une même famille [3, 34].

Somnambulisme

De même que la terreur nocturne, le somnambulisme est considéré comme un trouble de


l'éveil survenant au cours du sommeil NREM, se traduisant par une série de
comportements plus ou moins complexes. L'enfant peut être calme, assis sur son lit,
déambuler dans sa chambre ou dans l'appartement, uriner dans un placard, tenter de
sortir de l'appartement par la porte ou la fenêtre. Le somnambulisme peut s'associer à une
terreur nocturne, générant des comportements de peur, de fuite, voire d'auto- ou
hétéroagressivité [26, 40]. L'amnésie de l'épisode est classique, de même que l'horaire
préférentiel de survenue en début de nuit.

L'évolution du somnambulisme est le plus souvent spontanément favorable, confortant


l'hypothèse d'un processus développemental.

Son incidence chez les enfants de 5 à 12 ans est estimée à 15 % (un épisode) et à 3-6 %
(plus d'un épisode) [3]. Le trouble persiste rarement chez l'adulte (1 %). Des antécédents
familiaux sont rapportés chez 10 à 20 % des sujets, soulignant l'hypothèse d'un facteur de
susceptibilité génétique [34, 35].

Dans certains cas, l'enregistrement polysomnographique peut s'avérer déterminant pour


permettre le diagnostic différentiel avec un trouble du comportement survenant au cours
du sommeil REM ou une épilepsie liée au sommeil [24]. Il montre la survenue de l'épisode
au cours du sommeil lent et la normalité du tracé intercritique. Les techniques
comportementales utilisant la relaxation ont montré une certaine efficacité dans les formes
d'intensité légère ou modérée. Le traitement médicamenteux est réservé aux formes
sévères (fréquence et intensité des crises). Les antidépresseurs tricycliques
imipraminiques ont été proposés ainsi que les antidépresseurs dopaminergiques
(amineptine).

Parasomnies associées à un trouble de la transition veille/sommeil

Rythmies du sommeil
produisant dans la veille calme, au cours de l'endormissement, et pouvant persister dans
le sommeil lent léger.

Ces rythmies intéressent le plus souvent la tête selon des mouvements de balancement ou
de roulement (" head banging ", " head rolling "), mais également un membre ou segment
de membre (" arm banging ", " leg banging ", " arm rolling ", " leg rolling ") ou le corps
dans son ensemble (" body rocking ", " body rolling ") [52, 56].

L'âge de début se situe le plus souvent dans la première année de vie, l'existence d'une
activité rythmique étant rapportée chez 66 % des enfants normaux âgés de 9 mois [36].
Cette activité ne concernerait plus que 8 % des enfants après l'âge de 4 ans, mais peut
persister dans certains cas chez l'adolescent, voire chez l'adulte. Elle est plus fréquente
chez le garçon (4/1). Les complications sont rares mais parfois sévères (lésions cutanées,
lésions rétiniennes, hématomes sous-duraux).

Une approche comportementale peut être proposée (relaxation). Les benzodiazépines ont
parfois donné de bons résultats [19].

Parasomnies habituellement associées au sommeil paradoxal

Cauchemars

Les cauchemars se différencient des terreurs nocturnes par leur survenue au cours du
sommeil paradoxal, l'absence de phénomènes neurovégétatifs intenses ou de mouvements
corporels associés, un reste mnésique lors du réveil spontané ou provoqué. Les
cauchemars chez l'enfant sont fréquents et leur prévalence est estimée à 75 % pour les
cauchemars de survenue occasionnelle. Plus rarement le cauchemar appartient à une
entité syndromique comme dans l'état de stress post-traumatique, pour lequel le
traitement par clomipramine a été proposé et dont l'effet suppresseur sur le sommeil
paradoxal est démontré [38].

Troubles du comportement en sommeil paradoxal (" REM sleep behavior


disorder ")

Véritables états dissociatifs se produisant au cours du sommeil paradoxal, ces


manifestations à type de " rêve éveillé " qui peuvent se traduire par des comportements
dangereux, complexes, voire extrêmement violents à l'origine d'ecchymoses, de
lacérations, de fractures ont récemment été décrits chez l'adulte [54]. Ils peuvent
également se produire chez l'enfant posant le problème du diagnostic différentiel avec
l'épilepsie ou les parasomnies NREM dépendantes [53].

Autres parasomnies

De très nombreuses parasomnies sont décrites. Parmi les plus fréquemment retrouvées
chez l'enfant, la somniloquie (fait de parler en dormant) qui ne requiert habituellement
pas de traitement et le bruxisme (grincement de dents lié au sommeil) qui dans certains
cas sévères peut nécessiter, à visée préventive, la mise en place lors du sommeil d'un
appareillage dentaire, ou une thérapie comportementale utilisant la relaxation [27].

Haut de page

TROUBLES DU SOMMEIL ASSOCIÉ S À UNE MALADIE


ORGANIQUE OU PSYCHIATRIQUE
Troubles associés à une cause psychiatrique

La plupart des troubles psychiatriques chez l'adolescent ou l'enfant prépubère, sont


susceptibles d'entraîner des perturbations du sommeil. Parmi celles-ci, il conviendra de
rechercher particulièrement un trouble anxieux ou un trouble de l'humeur.

Troubles anxieux

De nombreux auteurs ont insisté sur les rapports entre sommeil et anxiété au cours du
développement. A partir du troisième mois, la mère agissant comme organisateur et
stimulateur des processus maturatifs, agit sur le sommeil en jouant un rôle dans les
processus d'ajustement entre les moments de veille et de sommeil, et l'alternance jour-
nuit.

A partir de la deuxième année, le petit enfant est très ambivalent par rapport au coucher.
Il est partagé entre son désir d'autonomisation et ses besoins de dépendance encore très
marqués. Selon Kreisler [37bis], " c'est à la fois un excité et un inquiet " ; excité par son
avidité à explorer tout et partout, à maîtriser ce qui l'entoure, inquiet car ses besoins
d'indépendance vont à l'encontre de son principal objet d'attachement, sa mère.
L'angoisse de séparation est donc inhérente à cette phase du développement.

Dans les formes d'insomnie anxieuse, on retrouve alors fréquemment un élément


contribuant à provoquer un sentiment d'insécurité chez l'enfant : une anxiété parentale
excessive, mais aussi parfois une ambivalence où se mêlent sentiments affectifs et
d'hostilité, voire de rejet. L'anxiété est alors générée par l'absence de cohérence dans la
ligne de conduite, l'aspect paradoxal de certains messages adressés à l'enfant, et
réactivée par la situation de séparation du coucher. L'alternance de comportements de
surstimulation et de délaissement confronte l'enfant à un état de " vide affectif ", où la
réussite de la " régression narcissique " nécessaire à l'endormissement se trouve
compromise.

Ainsi est-il nécessaire pour le clinicien de faire la part entre les conduites d'opposition au
coucher et les angoisses liées au sommeil.

Le sommeil, outre un besoin évident, prend alors valeur de communication et devient, au


centre d'un système interrelationnel entre l'enfant et la mère, un moyen de dialogue ou un
mode d'expression personnel de l'enfant au cours du développement de son anxiété. Au
cours de cette phase dans laquelle le cycle de sommeil se met en place, des causes
exogènes ou conflictuelles peuvent dérégler son fonctionnement.

Par ailleurs, divers troubles anxieux de l'enfant (anxiété de séparation, anxiété


généralisée, phobies, état de stress post-traumatique) peuvent s'accompagner de
manifestations nocturnes qui se traduisent par une opposition au coucher, une phobie du
noir, une recrudescence anxieuse lors de la séparation du coucher, des difficultés
d'endormissement, des éveils anxieux, voire de véritables attaques de panique nocturnes
(APN).

L'APN serait un phénomène NREM dépendant qui surviendrait préférentiellement pendant


la transition du stade 2 au stade 3 du sommeil lent [41] et dont le rapport avec d'autres
parasomnies et en particulier la terreur nocturne reste à préciser.

Troubles thymiques

Les troubles du sommeil peuvent, chez l'enfant comme chez l'adolescent, s'intégrer dans
le cadre d'une symptomatologie dépressive.

Le temps de sommeil total est soit diminué (difficultés d'endormissement, éveils


nocturnes, éveil matinal précoce), soit au contraire allongé (lever tardif, siestes itératives,
somnolence diurne). L'architecture du sommeil est perturbée avec remaniement des
cycles et des différents stades. Une diminution de la latence de sommeil paradoxal a
parfois été retrouvée [14bis, 39], mais ce paramètre, proposé par certains comme "
marqueur biologique " dans les états dépressifs majeurs de l'adulte [2] apparaît chez
l'enfant soumis à des facteurs développementaux influençant de façon très nette la
première période de sommeil NREM [15]. Kupfer et coll [38], ont proposé l'hypothèse de
deux mécanismes distincts à l'origine du raccourcissement de la latence de REM, dont l'un
serait NREM dépendant et pourrait être lié à des facteurs génétiques et de maturation.

A part, le cas des dépressions à caractère saisonnier de l'adolescent qui pourra faire l'objet
d'un traitement par la lumière (" luxtherapy ") dont l'efficacité sur les rythmes endogènes
a été démontrée [59].

Autres

Parmi les enfants souffrant de trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité,


nombreux sont ceux présentant un sommeil agité ou perturbé, rapportant des difficultés
d'endormissement, des éveils intrasommeil, un réveil matinal précoce. Les patterns
polygraphiques de sommeil de ces enfants apparaissent perturbés dans le sens d'un déficit
de contrôle du seuil physiologique d'éveil [46, 47]. L'effet sur le sommeil des traitements
psychostimulants tels que le méthylphénidate, n'est sans doute pas actuellement
complètement élucidé.

Troubles associés à une cause médicale

Les troubles du sommeil de l'enfant et de l'adolescent peuvent être associés à une cause
médicale, en particulier une épilepsie avec crises nocturnes qu'il conviendra de distinguer
d'une parasomnie, un reflux gastro-oesophagien favorisant les éveils nocturnes chez le
nourrisson, un asthme avec crises nocturnes ou toute pathologie infectieuse ou algique
susceptible de retentir sur le sommeil. Dans tous les cas, un examen clinique approfondi,
appuyé le cas échéant par des investigations spécialisées permettront le diagnostic et la
mise en place d'un traitement adapté.

Consacrer un chapitre aux troubles du sommeil de l'enfant et de l'adolescent au sein d'un


traité de psychiatrie, montre combien la médecine du sommeil a progressé au cours des
dix dernières années. L'apport de cette discipline nouvelle à la compréhension de la
psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent apparaît fondamental, dès lors que l'on
souhaite avancer dans la connaissance des processus développementaux et de maturation
cérébrale. Sans doute cette étape est-elle nécessaire avant de tenter d'interpréter les
modifications " macroscopiques " fournies par les enregistrements polygraphiques
d'enfants et adolescents souffrant de troubles psychopathologiques. Le rôle déterminant
du processus développemental est souligné par Feinberg, pour qui aucune affection
cérébrale connue, compatible avec la vie, ne modifie autant le sommeil que le
développement normal et le vieillissement cérébral.

L'approche des troubles du sommeil de l'enfant et de l'adolescent doit se concevoir dans


une perspective multidimensionnelle où les facteurs d'apprentissage mais aussi des
critères neurodéveloppementaux apparaissent déterminants.

La mise en place d'outils d'évaluation spécifiques cliniques et électrophysiologiques devrait


permettre une meilleure connaissance de ces troubles, de leur évolution et de leur devenir
à l'âge adulte.

Références

[1] ABE K Lithium prophylaxis of periodic hypersomnia Psychiatry. Br J


Psychiatry 1977 ; 130 : 312-313
[2] ANSSEAU M, VON FRENCKELL R, REYNOLDS CF , et al. Sommeil et dépression : vers une
standardisation de l'utilisation de la latence du sommeil paradoxal en tant que marqueur
biologique de dépression majeure. Rev EEG Neurophysiol Clin 1987 ; 17 : 411-424
[3] BAKWIN H Sleep walking in twins. Lancet 1970 ; 2 : 446-447
[4] BILLIARD M Les maladies primitives de la vigilance. Neuro-Psy 1987 ; 2 : 89-96
[5] BILLIARD M, SEIGNALET J Extraordinary association between HLA-DR2 and
narcolepsy. Lancet 1985 ; 1 : 226-227
[6] BROUGHTON RJ Sleep disorders : disorders of arousal ? Science 1968 ; 159 : 1070-1078
[7] CAREY WB Night waking and temperament. J Pediatr 1974 ; 84 : 756-758
[8] CARSKADON MA, DEMENT WC. Sleepiness in the normal adolescent. Sleep and its disorders
in children. Raven Press. New York. 1987 ; pp 53-65
[9] CHALLAMEL MJ, BASTUJIH H, REBAUD P , et al. Idiopathic and symptomatic narcolepsy : a
clinical and polygraphic prospective study of 8 cases in children. Sleep Res 1991 ; 20A : 573
[10] CRITCHLEY M Periodic hypersomnia and megaphagia in adolescent
males. Brain 1962 ; 85 : 627-656
[11] CZEISLER CA, ALLAN JS, STROGATZ SH , et al. Bright light resets the human circadian
pacemaker independant of the timing of the sleep-wake cycle. Science 1986 ; 233 : 667-
671
[12] CZEISLER CA, RICHARDSON GS, COLEMAN RM , et al. Chronotherapy : resetting the
circadian clocks of patients with delayed sleep phase syndrome. Sleep 1981 ; 4 : 1-21
[13] DUGAS M, LECENDREUX M. Psychiatric diagnosis mistake of Kleine-Levin syndrome.
Communication orale, 3rd meeting of the European pediatric sleep club, Prague. 1993
[14] ESPIE CA, LINDSAY WR, BROOKS DN , et al. A controlled comparative investigation of
psychological treatments for chronic sleep-onset insomnia. Behav Res Ther 1989 ; 27 : 79-
88
[14bis] EMSLIE GH, ROFFWARG HP, RUSH AJ , et al. Sleep EEG findings in depressed children and
adolescents. Am J Psychiatry 1987 ; 144 : 668-670
[15] FEINBERG I Changes in sleep cycle patterns with age. J Psychiatr Res 1974 ; 10 : 283-
306 [crossref]
[16] FERBER RA. Solve your child's sleep problem. Simon and Scuster. New York. 1985
[17] FERBER RA. The sleepless child. In : Guillerrinault C ed. Sleep and its disorders in children.
Raven Press. New York. 1987 ; pp 141-163
[18] FISHER C, KAHN E, EDWARDS A , et al. A psychophysiological study of nightmares and
night terrors. Physiological aspects of the stage 4 night terror J Nerv Ment
Dis 1973 ; 157 : 75-98
[19] GLICK BS, SCHULMAN D, TURECKI S Diazepam (Valium) treatment in childhood sleep
disorders. Dis Nerv Sys 1971 ; 32 : 565-566
[20] GUILLEMINAULT C Diagnosis, pathogenesis and treatment of sleep apnea syndromes. Erge
Inn Med Kinder Kunde 1984 ; 52 : 1-57
[21] GUILLEMINAULT C. Disorders of excessive daytime sleepiness ; sleep and its disorders in
children. Raven Press. New York. 1987 ; pp 177-179
[22] GUILLEMINAULT C. Obstructive sleep apnea syndrome in children. Sleep and its disorders in
children. Raven Press. New York. 1987 ; pp 213-223
[23] GUILLEMINAULT C, ELDRIDGE FL, SIMMONS FB, DEMENT WC Sleep apnea in eight
children. Pediatrics 1976 ; 58 : 28-31
[24] GUILLEMINAULT C, SILVESTRI R. Disorders of arousal and epilepsy during sleep. In :
Sterman MB, Shouse M, Passouant P eds. Sleep and epilepsy. Academic Press. New York.
1982 ; 513-531
[25] GUILLEMINAULT C, WINKLE R A review of 50 children with OSAS. Lung 1981 ; 159 : 275-
287
[26] HARTMANN E Two cases reports : night terrors with sleep-walking-a potentially lethal
disorder. J Nerv Ment Dis 1983 ; 171 : 503-505
[27] HARTMANN E, BRUXISM. In : Kryger M, Roth T, Dement WC eds. Principles and practice of
sleep medicine. WB Saunders. Philadelphia. 1989 ; pp 385-388
[28] HAURI PJ, FISCHER J Persistent psychophysiological (learned)
insomnia. Sleep 1986 ; 9 : 38-53
[29] HAURI PJ, OLMSTED E Childhood onset insomnia. Sleep 1980 ; 3 : 59-65
[30] ICSD-INTERNATIONAL CLASSIFICATION OF SLEEP DISORDERS. Diagnostic and coding
manual. In : Thorpy MJ, Diagnostic Classification Steering Committee. Chairman. Rochester,
Minnesota : American Sleep Disorders Association. 1990
[31] JACOBS GD, BENSON H, FRIEDMAN R Home-based central nervous system assessment of a
multifactor behavioral intervention for chronic sleep onset insomnia. Behav
Ther 1993 ; 24 : 159-174
[32] KAHN A, MOZIN MJ, CASIMIR G, MONTAUK L, BLUM D Insomnia and cow's milk allergy in
infants. Pediatrics 1985 ; 76 : 880-884
[33] KAHN A, MOZIN MJ, REBUFFAT E, BLUM D, CASIMIR G, DUCHATEAU J Difficulty in initiating
and maintaining sleep associated with cow's milk allergy in infants. Sleep 1987 ; 10 : 116-
121
[34] KALES A, SOLDATOS CR, BIXLER EO , et al. Hereditary factors in sleep walking and night
terrors. Br J Psychiatry 1980 ; 137 : 111-118
[35] KAZUHIKO A, NOBORU O Contributions of genetic studies to clinical psychiatry. Jpn J
Psychiatr Neurol 1991 ; 45 : 819-823
[36] KLACKENBERG G Rhythmic movements in infancy and early childhood. Acta Paediatr Scand
(Suppl) 1971 ; 224 : 74-83
[37] KLACKENBERG G Sleep behaviour studied longitudinally. Acta Paediatr
Scand 1982 ; 71 : 501-506
[37bis] KREISLER L. L'enfant du désordre psychosomatique. Privat. Toulouse. 1981
[38] KUPFER DJ, EHLERS CL Two roads to rapid eye movement latency. Arch Gen
Psychiatry 1989 ; 46 : 945-948
[39] LAHNEYER HW, POZNANSKI EO, BELLUR SN EEG sleep in depressed adolescents. Am J
Psychiatry 1983 ; 140 : 1150-1153
[39bis] LECENDREUX M, BOUVARD MP, VANTALON V et al. Lithium therapy in the prevention of
kleine levin syndrome attacks communication affichee International Meeting Walking
disorders, Montpellier. 1995
[40] MAHOWALD MW, BUNDLIE SR, HURWITZ TD, SCHENCK CH Sleep violence-forensic science
implications : polygraphic and video documentation. J Forensic Sci 1990 ; 35 : 413-432
[41] MELLMAN TA, UHDE TW Electroencephalographic sleep in panic disorder : a focus on sleep
related panic attacks. Arch Gen Psychiatry 1989 ; 46 : 178-184
[42] MONTI JM Sleep laboratory and clinical studies of the effects of triazolam, flunitrazepam and
flurazepam in insomniac patients. Methods Find Exp Clin Pharmacol 1981 ; 3 : 303-326
[43] MORRISON DN, MCGEE R, STANTON WR Sleep problems in adolescence. J Am Acad Child
Adolesc Psychiatry 1992 ; 31 : 94-99
[44] MURRAY JB Psychophysiological aspects of nightmares, night terrors, and sleepwalking. J
Gen Psychol 1991 ; 118 : 113-127 [crossref]
[45] NAVELET Y, BENOIT O Somnolence diurne chez l'enfant et l'adolescent. Neurophysiol
Clin 1991 ; 21 : 223-224
[46] PALM L, PERSSON E, BJERRE , et al. Sleep and wakefulness in preadolescent children with
deficits in attention, motor control and perception. Acta Paediatr 1992 ; 81 : 618-624
[47] RAMOS PLATON MJ, VELA BUENO A, ESPINAR SIERRAJ J Hypnopolygraphic alterations in
attention deficit disorder (ADD) children. Intern J Neurosc 1990 ; 53 : 87-101
[48] REYNOLDS CF, KUPFER DJ, BUYSSE DJ , et al. Subtyping DSM III-R primary insomnia : a
literature review by the DSM IV work group on sleep disorders. Am J
Psychiatry 1991 ; 148 : 432-438
[49] RICHMAN N A community survey of characteristics of one to two years old with sleep
disruptions. J Am Acad Child Psychiatry 1981 ; 20 : 281-291
[50] RICHMAN N Sleep problems in young children. Arch Dis Child 1981 ; 20 : 281-291
[51] RICHMAN N, DOUGLAS J, HUNT H Behavioural methods in the treatment of sleep disorders.
A pilot study J Child Psychol Psychiatr 1985 ; 26 : 581-590
[52] SALLUSTRO F, ATWELL CW Body rocking, head banging and head rolling in normal
children. J Pediatr 1978 ; 93 : 704-708
[53] SCHENCK CH, BUNDLIE SR, SMITH SA REM behavior disorder in a 10 years old girl and a
periodic REM and NREM sleep movements in a 8 years old brother. Sleep
Res 1986 ; 15 : 162
[54] SCHENCK CH, HURWITZ TD, MAHOWALD MW REM sleep behavior disorder. Am J
Psychiatry 1988 ; 145 : 652
[55] SEYMOUR FW, BAYFIELD G, BROCK P , et al. Management of night-waking in young
children. Aust J Fam Ther 1983 ; 4 : 217-223
[56] THORPY MJ, GLOVINSKY P. Jactatio capitis nocturna. In : Kryger M, Roth T, Dement WC
eds. Principles and practice of sleep medicine. WB Saunders. Philadelphia. 1989 ; pp 648-
654
[57] THORPY MJ, KORMAN E, SPIELMAN AJ, GLOVINSKY PB Delayed sleep phase syndrome in
adolescents. J Adolesc Med 1988 ; 9 : 22-27
[58] WEITZMAN ED, CZEISLER CA, COLEMAN RM , et al. Delayed sleep phase syndrome. Arch
Gen Psychiatry 1981 ; 38 : 737-746
[59] WEVER R, POLASEK J, WILDGRUBER CM. Bright light affects human circadian
rhythms Pflügers Arch 1983 ; 39 : 685-687

© 1996 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.


Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-201-B-10
37-201-B-10

Troubles hyperactifs chez l’enfant


M Bouvard
C Martin-Guehl
JP Rénéric
Résumé. – L’hyperactivité de l’enfant est un trouble fréquent qui ne se limite pas à une agitation intense,
mais qui se caractérise par l’association de ces symptômes moteurs à des troubles invalidants de l’attention,
ainsi que du contrôle des impulsions. Elle est catégorisée dans les classifications internationales comme
« trouble hyperactivité et déficit attentionnel » (THADA). L’étude des facteurs étiologiques montre que
certains de ceux-ci semblent avoir un poids plus important que d’autres, notamment les facteurs
neurobiologiques et génétiques. L’impulsivité apparaît une dimension déterminante du trouble et serait
corrélée à des perturbations des systèmes catécholaminergiques, surtout dopaminergiques, et à des
anomalies de certaines structures cérébrales. C’est cet aspect neurobiologique qui a conduit à l’utilisation
rationnelle des traitements pharmacologiques, notamment les psychostimulants.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : hyperactivité, attention, impulsivité, apprentissages, dopamine, psychostimulants.

Épidémiologie des formes de l’enfance vont nettement s’atténuer, voire disparaître


à l’adolescence : la prévalence du trouble baisse entre l’enfance et
Il existe, dans la littérature, un premier ensemble d’études qui l’adolescence chez les garçons (de 10 à 7 % environ), mais reste plus
mesurent la prévalence de l’hyperactivité en population générale ou stable chez les filles (autour de 3 %) [56]. Cela serait dû à la plus forte
en population scolaire, et une deuxième génération de travaux qui représentation du sous-type déficit attentionnel chez les filles.
se présentent comme des études diagnostiques du trouble L’étude de Baumgaertel et al [8] montre comment la différenciation
hyperactivité et déficit attentionnel (THADA). en sous-types de THADA proposée par le DSM IV entraîne une
Les premiers travaux se réfèrent à des critères symptomatiques augmentation de la prévalence du trouble par rapport aux versions
variables et concernent plutôt les troubles externalisés. Ils mesurent précédentes du DSM : 9,6 % selon les critères DSM III, 10,9 % selon
la prévalence de niveaux de symptômes, à l’aide de questionnaires les critères DSM III-R et 17,8 % selon les critères DSM IV (forme
proposés à l’entourage des enfants. inattentive 9 %, forme hyperactive 3,9 %, forme mixte 4,8 %). L’étude
Ils ont permis de préciser l’approche méthodologique du trouble de Wolraich et al [89] confirme ces résultats en retrouvant des
(par exemple : l’étude des seuils) et de mettre en évidence certaines prévalences de THADA de 7,3 % pour les critères DSM III et de
caractéristiques de l’hyperactivité. Elle se retrouve plus 11,4 % pour les critères DSM IV (forme inattentive 5,4 %, forme
fréquemment chez les garçons que chez les filles et s’accompagne hyperactive 2,4 %, forme mixte 3,6 %). Des prévalences élevées sont
volontiers d’inattention, de distractibilité, d’accès de colère et de retrouvées par les études de Gaub et Carlson [36] et de Gadow et
problèmes de conduite. Enfin, ils ont mis en évidence que la al [35], selon les critères DSM IV. Enfin, quelques études montrent la
moyenne des symptômes par enfant diminuait avec l’âge dans les pertinence de critères d’adaptation dans la démarche
deux sexes. diagnostique [14, 56].
Depuis 1985, la deuxième génération d’études utilise les critères
diagnostiques des versions successives du Diagnostic and statistical FACTEURS ASSOCIÉS À L’HYPERACTIVITÉ DE L’ENFANT
manual of mental disorders (DSM), étudiés à partir d’entretiens L’épidémiologie analytique a permis d’explorer les associations entre
cliniques ou d’instruments diagnostiques standardisés. Le tableau I THADA et différentes variables.
présente un résumé de ces travaux.
Ils permettent de situer la prévalence moyenne globale du THADA ¶ Âge et sexe
(critères DSM III ou DSM III-R) autour de 5 %.
Les études descriptives mettent en évidence une diminution de la
En fait, ce chiffre cache des différences importantes si l’on regarde
prévalence du THADA avec l’âge. Les prévalences les plus élevées
ses variations en fonction de l’âge et du sexe.
se retrouvent pendant l’enfance. Cependant, d’après Biederman et
La prévalence est toujours supérieure chez les garçons [2, 56]. Par al [13], le THADA persisterait dans 85 % des cas à l’adolescence. En
ailleurs, elle a tendance à diminuer avec l’âge, puisque environ 20 % fait, sa symptomatologie se modifie avec l’âge et l’on assiste peu à
peu à une diminution, voire à une disparition des symptômes
d’hyperactivité/impulsivité alors que l’inattention persiste. De plus,
les données sur le THADA à l’âge adulte restent encore partielles.
Manuel Bouvard : Praticien hospitalier.
Corinne Martin-Guehl : Praticien hospitalier. Les études s’accordent à retrouver une prévalence du THADA plus
Jean-Philippe Rénéric : Praticien hospitalier.
Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier Charles Perrens, 121, rue
élevée chez les garçons que chez les filles. Le sex-ratio varie de 2/1
de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France. à 4/1 en population générale. Il est de l’ordre de 9/1 en population

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bouvard M, Martin-Guehl C et Rénéric JP. Troubles hyperactifs chez l’enfant. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-201-B-10, 2002, 9 p.

150 579 EMC [295]


37-201-B-10 Troubles hyperactifs chez l’enfant Psychiatrie
Pédopsychiatrie

Tableau I. – Études épidémiologiques de prévalence du trouble hyperactivité avec déficit attentionnel.

Étude Population n Critères diagnostiques Prévalences

Shekim et al (1985) [70] Générale (États-Unis) 114 DSM III 12 % (parents)


4 % (enfants)
Satin et al (1985) [68] Générale (États-Unis 94 DSM III 24 %
Offord et al (1987) [56] Générale (Canada) 3 289 DSM III 8%G
3,3 % F (4-16 ans)
Anderson et al (1987) [2] Générale (Nouvelle-Zélande) 792 DSM III 6,7 % (G/F = 2,2)
Velez et al (1989) [86] Générale (États-Unis) 776 DSM III-R 15 % (9-14 ans)
8,3 % (13-20 ans)
Bird et al (1989) [15] Générale (Porto Rico) 777 DSM III 9,5 % (trouble sévère)
16,2 % (quelle que soit la sévérité)
Baumgaertel et al (1995) [8] Scolaire (Allemagne) 1 077 DSM IV 17,8 %
DSM III-R 10,9 %
DSM III 9,6 %
Wolraich et al (1996) [89] Scolaire (États-Unis) 8 258 DSM IV 11,4 %
DSM III-R 7,3 %
Costello et al (1996) [25] Générale (États-Unis) 4 500 DSM III-R 1,94 %
Gaub et al (1997) [36] Générale (États-Unis) 2 744 DSM IV 8%
Gadow et al (2000) [35] Scolaire (Ukraine) 600 DSM IV 19,8 % (10-12 ans)
Cuffe et al (2001) [26] Scolaire (États-Unis) 3 419 DSM III-R 1,51 % (adolescents)

G : garçons ; F : filles ; DSM : Diagnostic and statistical manual of mental disorders.

clinique. Les différences de distribution entre filles et garçons sont des éléments d’explication à l’inconstance des associations observées
maximales pour les enfants d’âge scolaire. La prévalence du dans les études épidémiologiques. Ces auteurs ont étudié les parents
THADA est vraisemblablement sous-estimée chez les filles. En effet, biologiques et adoptifs des mêmes enfants hyperactifs. Ils ont
elles présenteraient plutôt des troubles de l’attention au contraire montré qu’il existait un lien entre la criminalité et la délinquance
des garçons hyperactifs/impulsifs avec des tableaux cliniques chez un parent biologique et l’existence d’une personnalité
extrêmement « bruyants » plus facilement repérables et faisant antisociale chez son enfant adopté, mais seulement si le milieu
l’objet d’une demande de soins plus précoce [17]. adoptif était de bas niveau socioéconomique. Ce bas niveau socio-
économique n’avait plus aucune influence sur les résultats quand la
¶ Facteurs environnementaux et familiaux criminalité et la délinquance n’étaient pas retrouvées chez le parent
biologique.
Leur contribution à la survenue d’un THADA est liée à des facteurs
de vulnérabilité génétiques déterminant également l’existence de Relations familiales
troubles psychiatriques parentaux.
Les pratiques éducatives jouent un rôle dans la persistance du
Bien que retrouvés associés au THADA dans plusieurs études
THADA. Cela a été clairement montré, en particulier pour les
épidémiologiques, les facteurs psychosociaux ne semblent pas jouer
comportements punitifs [83]. En effet, l’utilisation de réprimandes ou
un rôle étiopathogénique primaire vis-à-vis du THADA, mais plutôt
de punitions systématiques pour tenter de contrôler ces
dans la survenue d’un trouble oppositionnel ou d’un trouble des
comportements est rarement efficace, mais peut jouer un rôle de
conduites comorbide qui conditionne en partie l’évolution du
renforcement négatif, favorisant la mise en place d’un trouble
THADA sur le mode d’une aggravation [17].
oppositionnel ou d’un trouble des conduites.
Événements de vie stressants Ces associations concernant les événements adverses sont retrouvées
pour d’autres pathologies de l’enfant et de l’adolescent, et semblent
Des associations entre THADA et événements stressants ont été plutôt jouer un rôle dans la persistance du THADA [82].
retrouvées dans l’enquête québécoise sur la santé mentale des jeunes
réalisée par Valla et al [83]. Entre 6 et 11 ans, le THADA est associé au ¶ Facteurs culturels
placement en institution et au remariage d’un des parents, alors que,
entre 12 à 14 ans, il est associé à l’adoption, au décès d’un des Le THADA a donné lieu à plusieurs travaux épidémiologiques dans
parents et au fait d’être victime d’agression physique. des régions du monde très différentes. Les résultats ont parfois
montré des disparités importantes en termes de prévalence. En fait,
L’étude longitudinale de Velez et al [86] a montré l’importance de
ces différences sont dues essentiellement à des méthodologies et à
l’accumulation des événements stressants dans la survenue, mais
des pratiques cliniques variables. Baumgaertel et al [8] ont clairement
aussi dans la persistance d’un THADA.
montré que les prévalences étaient comparables d’un pays à l’autre
Cette association recoupe vraisemblablement deux situations. Un quand les méthodes de mesure et les critères diagnostiques étaient
événement de vie difficile peut être à l’origine d’un état clinique qui harmonisés sur l’exemple des études allemande, italienne et
répond aux critères du THADA, mais qui se situe en fait entre un néerlandaise.
THADA et un trouble de l’adaptation. Il peut aussi être à l’origine
d’un trouble comorbide (en particulier trouble des conduites ou
trouble oppositionnel) qui révèle un THADA préexistant et Clinique
contribue à sa pérennisation.

Statut socioéconomique CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES


Plusieurs études ont retrouvé un lien entre un faible statut socio- Les enfants présentant un THADA manifestent un ensemble de
économique et le THADA, mais cette association est assez faible. comportements sévères et persistants dans lequel on repère
Elle ressortit surtout dans les travaux longitudinaux et peu ou pas difficultés d’attention, impulsivité et hyperactivité. Ces
dans les études transversales [9, 10]. Une étude de Cadoret et comportements se retrouvent dans différents environnements, en
Stewart [16] illustre l’intrication entre vulnérabilité biologique et particulier familial et scolaire. Ils sont plus marqués qu’une simple
facteurs environnementaux dans l’expression du trouble et apporte hyperactivité développementale et retentissent sur le

2
Psychiatrie Troubles hyperactifs chez l’enfant 37-201-B-10
Pédopsychiatrie
fonctionnement et le développement de l’enfant, entravant par et impulsivité. La place de chacune de ces dimensions a évolué avec
exemple ses apprentissages. Ils débutent avant l’âge de 7 ans et le temps et les différentes éditions des classifications internationales.
doivent persister au moins 6 mois pour que le diagnostic puisse être La Classification internationale des maladies (CIM) 10 présente trois
porté. listes de symptômes correspondant à chacune des dimensions et
exige la présence d’au moins six critères dans la liste déficit
¶ Difficultés attentionnelles attentionnel, trois dans la liste hyperactivité et un dans la liste
impulsivité pour poser le diagnostic. Il faut, de plus, un âge de
Les enfants présentant un THADA sont dans l’incapacité de soutenir
début avant 7 ans, un retentissement sur le fonctionnement et des
leur attention de façon prolongée lors des activités banales du
symptômes présents dans plus d’une situation (par exemple école et
quotidien, par exemple les repas ou les jeux. Ils paraissent distraits
milieu familial).
et oublient facilement ce qui leur est demandé, ainsi que leurs
affaires. Le DSM III décrivait le déficit attentionnel avec ou sans
hyperactivité, mettant l’accent sur les problèmes d’attention plus que
Ils ont des difficultés évidentes à organiser leurs activités et
sur l’hyperkinésie.
terminent rarement ce qu’ils entreprennent. Ils sont souvent attirés
par des éléments peu importants de l’environnement. Le DSM III-R a préféré la dénomination déficit de
l’attention/hyperactivité, plusieurs travaux ayant montré que les
Les parents et les enseignants décrivent l’enfant inattentif comme dimensions hyperactivité et impulsivité étaient liées.
« tête en l’air », « ailleurs », « incapable de finir ce qu’il a
commencé », « facilement détourné de son activité ». Cette Le DSM IV décrit, quant à lui, trois formes de THADA : une forme
inattention est maximale dans des situations de groupe ou dans des avec prédominance du déficit attentionnel, une forme avec
situations chargées d’une certaine excitation comme les fêtes ou les prédominance de l’hyperactivité et une forme mixte. Dans la forme
réunions de famille. inattentive, l’enfant doit présenter au moins six symptômes
d’inattention et moins de six d’hyperactivité/impulsivité. Dans la
forme hyperactive, l’enfant doit présenter au moins six symptômes
¶ Hyperactivité. Impulsivité
d’hyperactivité/impulsivité et moins de six d’inattention. Dans la
L’activité déployée par ces enfants est importante, désordonnée et forme mixte, l’enfant présente à la fois six ou plus symptômes
inefficace. Ils bougent en permanence, soit sur place, en se tortillant, d’inattention et six ou plus symptômes d’hyperactivité/impulsivité.
en balançant bras et jambes, soit d’un endroit à l’autre, ayant parfois Cette définition du DSM IV soulève le problème de l’hétérogénéité
des difficultés à rester dans la même pièce. Ils ont du mal à se tenir du syndrome et de ses différentes expressions tout au long de la vie.
assis d’un bout à l’autre d’un repas, renversent la vaisselle et Elle permettra sans doute de mieux évaluer ces variations
bourrent leurs voisins de table de coups de pieds de façon développementales.
involontaire. À l’école, ce sont des enfants qui se lèvent souvent dans
la classe tout au long de la journée. Cette agitation motrice se
manifeste d’une façon générale dans toutes les situations où l’on Comorbidité
attend de l’enfant qu’il reste en place.
L’impulsivité se caractérise par une intolérance à l’attente (par
TAUX DE COMORBIDITÉ
exemple dans un jeu) et un manque de contrôle. Par exemple, ils
interviennent volontiers dans les conversations, souvent de façon Le THADA est rarement isolé. Les études épidémiologiques
inappropriée, coupant la parole bruyamment, ce qui est mal internationales ont montré que plus de la moitié des enfants atteints
supporté par l’entourage. L’impulsivité est à l’origine de conduites d’un THADA présentent au moins un autre diagnostic, plus
de mise en danger et peut conduire à des fractures ou à des particulièrement un trouble des conduites, un trouble oppositionnel,
traumatismes physiques. un trouble de l’humeur et/ou un trouble anxieux.
Les parents et les enseignants décrivent souvent les enfants Les données des études en population générale montrent des taux
hyperactifs et impulsifs comme impatients, pressés, désordonnés. élevés entre THADA et trouble oppositionnel et/ou trouble des
conduites (de 42 à 93 %). En ce qui concerne la dépression, les taux
¶ Symptômes associés varient de 13 à 27 %. La comorbidité anxieuse est évaluée de 25 à
50 %.
Il existe d’autres manifestations non spécifiques du THADA, qui lui Si elles confirment la forte comorbidité du THADA avec le trouble
sont fréquemment associées. Il s’agit par exemple de la labilité de oppositionnel et le trouble des conduites, et avec les troubles
l’humeur qui se manifeste par des changements rapides de l’humeur émotionnels, les études cliniques soulignent également sa co-
qui peuvent être associés à une intolérance à la frustration et à des occurrence avec les troubles des apprentissages (entre 10 et 92 %
crises de colère explosives. Les difficultés relationnelles se mettent selon les études) [13, 60]. Pliszka [60] précise que la fréquence moyenne
en place du fait de l’incapacité de l’enfant à évoluer en groupe et de l’association est de 20 à 25 % et que le THADA est indépendant
sont souvent à l’origine d’un rejet par les pairs, mais aussi par le des troubles des apprentissages.
milieu scolaire, voire le milieu familial. Enfin, on retrouve chez
On estime que 18 % des enfants présentant un THADA ont des tics.
certains enfants des signes neurologiques mineurs qui consistent en
L’association THADA/maladie de Gilles de la Tourette est réputée
des troubles de la coordination motrice, des anomalies dans
fréquente. En fait, Dumas [28] souligne que le taux de comorbidité
l’organisation gestuelle et la motricité fine, des troubles du tonus.
très important rapporté dans de nombreuses études cliniques (de 10
Ces anomalies interviennent dans la maladresse rencontrée chez les
à 30 %) peut être le fait d’un biais de recrutement, les enfants
enfants présentant un THADA et expliquent leurs difficultés à
présentant les deux pathologies ayant beaucoup plus de chances de
réaliser des activités nécessitant une coordination motrice fine.
faire l’objet d’un soin que ceux n’en présentant qu’une.
De plus, la symptomatologie du THADA évolue en fonction du
développement. Schématiquement, il s’exprime préférentiellement
sur un mode comportemental chez les enfants d’âge préscolaire et CARACTÉRISTIQUES CLINIQUES DES TROUBLES
scolaire et sur un mode émotionnel chez les adolescents et les HYPERACTIVITÉ ET DÉFICIT ATTENTIONNEL
COMORBIDES
adultes.
Cantwell a défini les principales caractéristiques cliniques des
THADA comorbides.
CRITÈRES DIAGNOSTIQUES En règle générale, les formes de THADA associées à un trouble des
Les définitions critériologiques du THADA reposent elles aussi sur conduites ou à un trouble oppositionnel sont plus sévères que les
la triade symptomatique : déficit attentionnel, hyperactivité motrice formes de THADA « pures ». Il existe une agressivité, une

3
37-201-B-10 Troubles hyperactifs chez l’enfant Psychiatrie
Pédopsychiatrie
délinquance, des difficultés sociales et scolaires plus importantes. Il ¶ Pathologies psychiatriques
existe des différences entre THADA associé à un trouble
oppositionnel et THADA associé à un trouble des conduites. Des symptômes d’hyperactivité peuvent survenir dans le cadre
Biederman et al [ 1 3 ] considèrent que la forme avec trouble d’autres pathologies psychiatriques de l’enfant et de l’adolescent. Il
oppositionnel est un intermédiaire entre THADA « pur » et THADA est alors particulièrement important de dater la survenue des
avec trouble des conduites. L’agressivité, l’anxiété et le sentiment manifestations pour définir s’il s’agit d’une hyperactivité primaire
d’autodévalorisation seraient plus marqués chez les enfants avec un ou secondaire.
trouble des conduites. Leurs performances scolaires seraient plus Une hyperactivité peut se rencontrer dans un autre trouble du
altérées. développement comme un retard mental ou un autisme. Elle
constitue alors une manifestation secondaire de ce trouble du
Les enfants présentant un THADA avec un trouble oppositionnel
développement.
feraient l’objet d’un rejet plus fréquent de leurs pairs avec un risque
de comorbidité anxiodépressive plus élevé. La manie de l’enfant constitue un diagnostic différentiel de
l’hyperactivité parfois difficile. En effet, certains enfants présentent
Les enfants présentant un THADA associé à un trouble anxieux
des formes très précoces de trouble bipolaire débutant par des
seraient moins impulsifs, plus lents aux tests de mémoire. Ils
manifestations d’hyperactivité en âge préscolaire, qui seraient
seraient plus âgés que les enfants THADA « purs » au moment du
suivies de symptômes maniaques typiques dans les premières
diagnostic.
années de scolarisation [37].
La survenue de symptômes dépressifs paraît secondaire à
Chez les enfants d’âge scolaire, il semble exister des manifestations
l’apparition du THADA. Ces formes comorbides ne semblent pas
précoces du spectre bipolaire, s’exprimant sous forme de labilité
survenir au cours de l’évolution des épisodes dépressifs. Il existe
émotionnelle, d’irritabilité, d’accès de colère et de symptomatologie
plusieurs symptômes communs aux deux registres, comme
d’état mixte.
l’irritabilité ou la labilité de l’humeur qui compliquent parfois le
diagnostic. C’est également le cas de la comorbidité avec le trouble Chez les préadolescents, une hypomanie peut être confondue avec
bipolaire qui peut constituer aussi un diagnostic différentiel du une hyperactivité car elles occasionnent toutes deux une
THADA. Les enfants présentant une dysphorie, une inattention et augmentation de l’activité motrice et des difficultés de concentration.
une distractibilité, avec une agitation motrice et une propension à la En fait, il existe un chevauchement assez important entre la
prise de parole, peuvent recevoir l’un, l’autre ou les deux symptomatologie de la manie et celle de l’hyperactivité. Plusieurs
diagnostics. La comorbidité THADA/trouble bipolaire représente éléments peuvent aider au diagnostic différentiel entre les deux
une forme clinique sévère. pathologies.
L’âge de début serait plus précoce dans le THADA (dès l’acquisition
de la marche) que dans le trouble bipolaire (rarement avant 7 ans).
Diagnostics différentiels L’évolution est aussi différente. Alors qu’il existe une permanence
de symptômes dans l’hyperactivité, le trouble bipolaire évolue par
Le diagnostic du THADA est clinique. Il est posé sur la base de épisodes. Enfin, certains signes cliniques seraient plus spécifiques
symptômes survenant de façon précoce, qui persistent, qui sont de l’une ou l’autre des pathologies. L’euphorie et l’irritabilité sont
envahissants, c’est-à-dire présents dans différentes situations davantage en faveur de la manie, les enfants hyperactifs présentant
(familiale et scolaire par exemple), et qui retentissent sur le plutôt des sentiments de dévalorisation. De même, l’élation de
fonctionnement et le développement de l’enfant. l’humeur, la désinhibition sociale et l’accélération de la pensée sont
en faveur d’un trouble affectif.
Il n’existe pas, à l’heure actuelle, d’examen complémentaire ou de
test permettant de poser un diagnostic positif de THADA. ¶ Hyperactivités secondaires à des facteurs
Le diagnostic du THADA doit être réalisé après avoir éliminé un psychosociaux
certain nombre de pathologies somatiques ou de manifestations
secondaires ou réactionnelles. Les investigations complémentaires Les négligences et maltraitances peuvent être à l’origine de tableaux
(médicales, psychologiques, psychosociales ou scolaires) doivent d’hyperactivité, s’intégrant alors dans des tableaux de syndromes
faire partie de la démarche diagnostique chaque fois que cela est de stress post-traumatique. De même, nous avons vu que les
nécessaire. facteurs de stress pouvaient être à l’origine de troubles de
l’adaptation s’exprimant sur un registre comportemental avec
augmentation de l’activité motrice (cf supra).
TROUBLE HYPERACTIVITÉ ET DÉFICIT ATTENTIONNEL
ET TURBULENCE DÉVELOPPEMENTALE ¶ Hyperactivités iatrogènes
Il peut exister, en particulier chez les jeunes enfants, des périodes
Plusieurs médicaments sont susceptibles d’induire un comportement
d’hyperactivité motrice liées à une turbulence développementale.
d’agitation qui peut parfois évoluer de façon chronique.
Ces épisodes sont présents chez 15 % des garçons entre 3 et 5 ans [39].
C’est l’absence de retentissement sur le fonctionnement et le On retiendra particulièrement les corticoïdes, les traitements de
développement de l’enfant, ainsi que le caractère limité dans le l’asthme (théophylline et b-mimétiques), certains antiépileptiques,
temps de ces comportements, qui permettent d’écarter un THADA. les antihistaminiques, certains psychotropes comme les
psychostimulants, les antidépresseurs et les anxiolytiques.

HYPERACTIVITÉS SECONDAIRES
Facteurs étiopathogéniques
¶ Pathologies somatiques
Parmi les facteurs étiologiques multiples du THADA, certains
De nombreux troubles somatiques peuvent être à l’origine de
semblent avoir un poids plus important que d’autres, notamment
symptômes évoquant une hyperactivité.
les facteurs neurobiologiques et génétiques. L’impulsivité apparaît
On doit être particulièrement attentif à l’existence d’endo- une dimension déterminante du trouble et serait corrélée à des
crinopathies (hyper- ou hypothyroïdie), des déficits sensoriels perturbations des systèmes catécholaminergiques, surtout
(hypoacousie, problèmes visuels), de troubles neurologiques de type dopaminergiques, et à des anomalies de certaines structures
épileptique (absences) ou à un traumatisme crânien. cérébrales. Les facteurs environnementaux interviennent sur la
Enfin, certaines pathologies d’origine génétique comme l’X fragile symptomatologie et le devenir du trouble, mais le THADA lui-
incluent dans leur phénotype comportemental une hyperactivité. même influence ces facteurs.

4
Psychiatrie Troubles hyperactifs chez l’enfant 37-201-B-10
Pédopsychiatrie
ASPECTS NEUROBIOLOGIQUES THADA auraient plus de difficulté que des sujets témoins à
Les systèmes dopaminergiques et noradrénergiques semblent apprendre à inhiber des réponses lors de signaux de punitions [61].
particulièrement impliqués dans le THADA. Les dosages de – L’impulsivité comme reflet d’une « déviance de la normale ». Dans ce
dopamine et de noradrénaline, ou de leurs métabolites, suggèrent modèle, l’impulsivité du THADA reflète une « aversion » spécifique
un hypofonctionnement de ces systèmes [72, 73] et montrent une à retarder, supprimer ou interrompre des réponses. Elle serait une
corrélation entre la dopamine et les mesures comportementales tentative de réduire une perception subjective erronée de délai ou
d’impulsivité-hyperactivité [18, 19] . En accord avec ces données, d’attente, elle-même secondaire à un dysfonctionnement des
l’augmentation de la neurotransmission dans ces systèmes permet processus traitant les informations temporelles [74].
une amélioration sensible de la symptomatologie, comme en – L’impulsivité comme symptôme d’un dysfonctionnement des systèmes
témoigne l’utilisation thérapeutique des psychostimulants (D- énergétiques d’effort et d’activation. Dans ce modèle, l’incapacité à
amphétamine ; méthylphénidate [MPH]), qui sont des inhibiteurs de inhiber des réponses potentielles ou à interrompre des réponses en
recapture de la dopamine et de la noradrénaline et représentent la cours d’exécution refléterait une perturbation des opérations
classe pharmacologique la plus efficace dans ce trouble. élémentaires de traitement de l’information, elle-même liée à une
L’implication « pharmacologique » de ces systèmes mono- altération de certains mécanismes, dits « énergétiques », de contrôle :
aminergiques concorde avec leur rôle physiologique respectif. Les l’activation, qui concerne le contrôle de la préparation motrice, et
neurones noradrénergiques du locus coeruleus sont impliqués dans l’effort, qui représente une composante motivationnelle et dépend
la vigilance et les processus d’attention sélective. Ils réagissent aux de facteurs comme l’anticipation d’une rétribution ou d’une
stimuli nouveaux et leur activité diminue avec la répétition du récompense potentielle [69].
stimulus (phénomène d’« habituation »), augmentant au total le
rapport signal/bruit. Le système noradrénergique innerve aussi ASPECTS NEURO-ANATOMO-PSYCHOLOGIQUES
abondamment le cortex préfrontal, qui joue un rôle fondamental Les différentes techniques d’imagerie cérébrale suggèrent
dans le traitement et la hiérarchisation de l’information, dans les l’implication de certaines structures cérébrales (cortex préfrontal,
processus d’inhibition de réponse à des stimuli « perturbateurs », ganglions de la base), principalement modulées par le système
ainsi que dans la mémoire de travail. dopaminergique et qui interagissent sur un plan fonctionnel dans
Différemment, le système dopaminergique est principalement les processus de contrôle et d’inhibition comportementale. Ainsi,
impliqué dans les processus motivationnels et de renforcement, et l’imagerie par résonance magnétique montre un volume diminué
de fait régule les réponses comportementales. Les neurones du cortex préfrontal droit chez les hyperactifs et une perte, voire
dopaminergiques sont essentiels à la sélection, l’initiation, le une inversion, de l’asymétrie des noyaux caudés [20, 22, 34].
séquençage et le maintien des fonctions motrices. À la différence Les techniques d’imagerie fonctionnelle ont aussi été utilisées dans
des neurones noradrénergiques qui permettent la sélection des l’exploration du THADA. Avec la tomographie par émission de
informations pertinentes ou nouvelles, l’activation des neurones positons, Zametkin et al [92] ont montré chez 25 adultes une réduction
dopaminergiques diminue le rapport signal/bruit et donc la réponse globale de 8 % du métabolisme cérébral du glucose. Cette réduction
aux stimuli nouveaux, favorisant ainsi une certaine « redondance » était plus prononcée dans le cortex préfrontal, le striatum et le
des informations. Cette redondance permet le maintien d’un état thalamus, des régions cérébrales qui sont impliquées dans le
d’alerte, favorise une aptitude à la réponse et facilite aussi les contrôle de l’activité motrice et dans l’attention. Des résultats
processus de « renforcement » en permettant la formation similaires ont été trouvés chez des adolescents hyperactifs.
d’associations « stimulus-réponse ». Avec la single photon emission computerized tomography, Lou et al
[47, 48]
ont constaté une diminution des débits sanguins régionaux,
ASPECTS PSYCHOPHYSIOLOGIQUES réversible après traitement par méthylphénidate, dans le striatum et
les régions périventriculaires postérieures de sujets hyperactifs
Le concept théorique actuel du THADA repose sur la notion de présentant un trouble dysphasique associé. Comme des lésions du
trouble des fonctions exécutives et, plus spécifiquement, sur celle de striatum entraînent chez l’animal une hyperactivité locomotrice, des
« défaut d’inhibition de réponse ». Les fonctions exécutives sont tous déficits de l’attention et de la mémorisation, les auteurs font
les processus d’autocontrôle qui permettent une adaptation optimale l’hypothèse qu’un défaut d’inhibition striatale, d’origine lésionnelle,
du comportement de l’individu à son environnement. Elles secondaire à des ischémies ou à des hypoxies périnatales, pourrait
permettent de sélectionner une réponse parmi d’autres possibles, de être responsable, au moins en partie, de la symptomatologie du
la séquencer en opérations élémentaires qui sont alors organisées, THADA.
hiérarchisées et planifiées. L’inhibition de réponse est une des
Enfin, les premiers résultats publiés sur l’utilisation de l’imagerie
nombreuses modalités de contrôle d’origine interne et s’intègre donc
par résonance magnétique fonctionnelle montrent une diminution
dans le répertoire des fonctions exécutives. Elle serait
de l’activation cérébrale dans les régions pariétales droites et une
spécifiquement perturbée dans le THADA.
augmentation dans les aires frontales [64, 65]. Ces résultats restent
Pour Barkley [ 6 , 7 ] , le défaut d’inhibition de réponse est la cependant à confirmer sur un plus grand nombre de sujets.
perturbation primaire du THADA. Ce « déficit » induit des
dysfonctionnements secondaires des autres fonctions exécutives, qui ASPECTS GÉNÉTIQUES
eux-mêmes aggravent en retour les divers composants
La plupart des recherches ont démontré un caractère familial et
de l’inhibition de réponse. Ainsi, l’impulsivité du THADA résulterait
héritable pour le THADA. Récemment, plusieurs gènes candidats
d’une perturbation globale des fonctions exécutives et manifesterait
impliquant le système dopaminergique ont été identifiés.
une perturbation de l’autorégulation et de la fluidité des réponses
comportementales. Les études d’agrégation familiales rapportent une fréquence de
THADA plus de cinq fois supérieure dans les familles de sujets
D’autres groupes ont nuancé la notion de « défaut d’inhibition de hyperactifs que dans des familles « témoins » [12]. Des études plus
réponse » dans le THADA. récentes, avec une méthodologie contrôlée, confirment une incidence
– L’inhibition de réponse comme un processus conditionné. plus élevée du THADA chez les parents du premier et du second
L’impulsivité associée au THADA résulterait d’un déséquilibre entre degré [33, 59].
d’une part un système d’« activation », mis en jeu en présence de Les études de jumeaux montrent, pour le THADA ou ses symptômes
signaux de « récompense » et favorisant la répétition d’un comportementaux et cognitifs, des taux de concordance plus élevés
comportement gratifiant, et d’autre part un système d’« inhibition », chez les jumeaux monozygotes (66 %) que chez les dizygotes (28 %),
qui contrôlerait les réponses comportementales à des signaux de avec une héritabilité estimée à 80 % [81]. Les résultats suggèrent aussi
punition en inhibant les réponses comportementales en cours, une origine génétique commune pour les dimensions d’inattention
produisant un « évitement conditionné ». Les sujets présentant un et d’impulsivité/hyperactivité [71].

5
37-201-B-10 Troubles hyperactifs chez l’enfant Psychiatrie
Pédopsychiatrie
Deux études d’adoption, anciennes, ont montré une fréquence plus prédisposeraient les enfants au THADA et pourraient impliquer
importante du THADA chez les parents biologiques d’enfants comme facteur principal l’hypoxie [76] : les facteurs les plus
hyperactifs que chez leurs parents adoptifs [51, 52]. Plus récemment, significatifs sont la toxémie gravidique et l’éclampsie, une mauvaise
une autre étude a montré une forte composante génétique pour les santé ou l’âge avancé de la mère, la durée du travail, une
problèmes attentionnels, sans effet significatif des interactions au postmaturité ou une détresse fœtale, un petit poids de naissance,
sein de la fratrie et sans effet de l’environnement [84]. une hémorragie prénatale.
Plusieurs gènes candidats sont à l’étude, essentiellement impliqués Le rôle de l’environnement psychosocial est certainement
dans le système dopaminergique. Le gène du transporteur de la déterminant dans le THADA, comme dans l’ensemble des troubles
dopamine (dopamine transporter [DAT]) est particulièrement mentaux de l’enfance [66]. Plusieurs facteurs environnementaux ont
intéressant puisque la plupart des traitements du THADA (MPH, une influence significative : mésentente parentale sévère, faible
dextroamphétamine, pémoline) inhibent la recapture de la dopamine niveau socioéconomique, famille nombreuse, criminalité paternelle,
en bloquant le DAT. Ainsi, une association existerait entre le trouble mental maternel, placement familial. C’est l’agrégation de
THADA et un allèle du gène codant pour le DAT [24, 38], même si l’on ces facteurs, déterminant un « index d’adversité » élevé, qui est
doit rester prudent devant ces résultats du fait de la faible taille des prédictif d’une prévalence élevée du THADA et des troubles
échantillons, de leur hétérogénéité et de l’importance des troubles psychopathologiques qui lui sont associés [11, 55] . Ces études
comorbides associés. suggèrent de plus que les mères d’enfants hyperactifs ont des
Des anomalies du gène codant pour le récepteur dopaminergique modalités relationnelles et de communication plus négatives que les
D4 (DRD4) pourraient aussi être impliquées. Le DRD4 est en effet mères contrôles, avec des conflits plus fréquents avec leur enfant et
principalement localisé dans le cortex préfrontal dont nous des colères plus intenses. Un conflit familial chronique, une cohésion
connaissons le rôle dans les processus d’attention et dans l’inhibition familiale diminuée ou une exposition à une psychopathologie
comportementale. De plus, un allèle (7-repeat) du gène du DRD4 familiale, en particulier de la mère, sont plus fréquents dans les
serait plus fréquent chez les sujets présentant un THADA que chez familles à THADA que dans les familles contrôles. De même, un
des sujets témoins [44, 80]. Enfin, l’expression in vitro de cet allèle se nombre élevé de facteurs de risques environnementaux familiaux
traduit par une diminution très importante de la réponse cellulaire seraient prédictifs d’un mauvais fonctionnement et d’une mauvaise
à la dopamine [3], supportant l’hypothèse d’un hypofonctionnement adaptation sociale, et les conflits familiaux chroniques auraient un
dopaminergique dans le THADA. impact plus pernicieux et important sur le développement de
l’enfant que la psychopathologie parentale elle-même. Cependant,
malgré le nombre et la qualité des études sur les rapports entre
ASPECTS TEMPÉRAMENTAUX l’environnement psychosocial et le THADA, ces facteurs de risque
Le concept de tempérament fait référence à des types « pré »-définis apparaissent comme des facteurs prédictifs « universels » du
de modalités d’interactions d’un individu avec son environnement, fonctionnement adaptatif des enfants et de leur santé mentale, et
apparaissant très précocement dans le développement du sujet, non pas comme des facteurs prédictifs spécifiques du THADA. Les
voire innés, et ayant un fondement biologique et génétique. Il facteurs de risque psychosociaux doivent donc plutôt être considérés
s’agirait de la manifestation la plus précoce de la personnalité. Buss comme des facteurs favorisants ou précipitants non spécifiques,
et Plomin [15] ont proposé une typologie tempéramentale construite intervenant sur un sujet avec une vulnérabilité sous-jacente, ou
autour de trois dimensions (sociabilité, émotionnalité, activité). Le comme des modificateurs de l’évolution naturelle du trouble.
tempérament « difficile » se définit par une forte émotionnalité, une
forte activité et une faible sociabilité [41].
Traitement pharmacologique
Peu d’études sur les liens « tempérament-THADA » ont à ce jour
été réalisées. Cependant, un profil tempéramental particulier du trouble hyperactivité et déficit
distingue les enfants hyperactifs dès le plus jeune âge : humeur attentionnel
négative, faible persévérance à la tâche, faibles capacités
d’adaptation, niveau élevé de distractibilité. Ces dimensions Les psychostimulants représentent la classe de psychotropes qui a
demeurent stables, même si la gravité clinique du THADA a été la plus étudiée chez l’enfant, et les données recueillies depuis de
tendance à diminuer [45, 67]. Des études plus récentes suggèrent un nombreuses années sur leur efficacité et leur tolérance en ont fait le
dysfonctionnement dans la dimension émotionnalité, avec en traitement médicamenteux de première intention du THADA, avant
particulier une hyporéactivité physiologique (rythme cardiaque) [58]. les antidépresseurs, la clonidine, voire les neuroleptiques [5, 27]. Le
En résumé, le tempérament de l’enfant joue un rôle probablement MPH (Ritalinet) est le plus connu et le plus prescrit d’entre eux.
très important dans le développement de la fonction
d’autorégulation. Les difficultés précoces d’adaptation, notamment
PSYCHOSTIMULANTS : MÉTHYLPHÉNIDATE
les comportements d’opposition, pourraient être un marqueur de
l’hyperactivité, mais les preuves objectives manquent pour justifier Si l’utilisation du MPH s’est largement développée, d’abord aux
la corrélation entre ces phénomènes. Pourtant, certaines États-Unis puis dans les années 1960 en Europe, son apparition a été
vulnérabilités tempéramentales et leurs interactions avec un plus difficile en France où il n’est disponible dans les pharmacies de
environnement hostile pourraient potentialiser l’apparition de ville que depuis 1997. Sa prescription reste toujours limitée en
formes pathologiques d’hyperactivité. France parce que le THADA reste un trouble mal connu des
praticiens, et parce qu’il persiste une réticence culturelle et
idéologique, parfois justifiée, à la prescription de psychotropes chez
FACTEURS ENVIRONNEMENTAUX ET PSYCHOSOCIAUX l’enfant, en particulier de psychostimulants. En effet, le MPH est un
De nombreux facteurs environnementaux ont été examinés comme dérivé cyclique de l’amphétamine et inhibe la recapture de la
risques potentiels, mais aucun ne peut être considéré à ce jour noradrénaline et de la dopamine. Son effet clinique est lié à la
comme une condition nécessaire et suffisante au THADA. « stimulation » de la neurotransmission dans ces systèmes, dans des
tâches requérant attention et concentration où leur rôle est
Les facteurs alimentaires ont longtemps été suspectés d’implication
essentiel [49, 78] (cf supra).
dans le THADA, qu’il s’agisse de colorants, agents de conservation,
arômes artificiels ou encore d’un apport excessif de sucre, mais les
¶ Données pharmacocinétiques
études méthodologiquement contrôlées ne montrent pas de lien
significatif avec ces facteurs [23, 90]. En revanche, la contamination par Le MPH est administré par voie orale et absorbé rapidement dans le
le plomb induit une distractibilité, une hyperactivité, une instabilité tube digestif. Il traverse la barrière hémoméningée et les
et un retard mental [54]. Les problèmes obstétricaux ou périnataux concentrations les plus importantes sont retrouvées dans le cerveau,

6
Psychiatrie Troubles hyperactifs chez l’enfant 37-201-B-10
Pédopsychiatrie
le rein et les poumons. Le délai d’action est court, les effets auteurs, les enfants hyperactifs traités ne se distinguent plus des
apparaissant entre 20 minutes et 1 heure après l’ingestion, et sa enfants normaux [42]. Les effets directs du MPH sur les performances
durée d’action varie de 3 à 6 heures selon les sujets [5, 27]. L’efficacité cognitives sont plus discutés [79]. Néanmoins, il apparaît que les
clinique est probablement liée à la rapidité d’absorption et apprentissages et les performances scolaires sont globalement
d’élévation des concentrations plasmatiques plus qu’au taux améliorés [4, 30].
plasmatique lui-même [27, 88]. Ces caractéristiques justifient des prises L’efficacité à long terme du MPH n’a pas fait l’objet d’études
répétées au cours de la journée, généralement le matin et à midi. Le
contrôlées et n’est pas démontrée. Entre un tiers et la moitié des
métabolite actif du MPH, l’acide ritalinique, est éliminé dans les
enfants hyperactifs le restent à l’âge adulte, justifiant pour certains
urines avec une demi-vie moyenne d’élimination plasmatique
le maintien du traitement. Ainsi, les troubles attentionnels ne sont
courte, d’environ 2 heures, de sorte que 90 % de la dose ingérée est
pas différents chez des adultes selon qu’ils aient été traités ou non
excrétée dans les 48 à 96 heures. Les paramètres pharmacocinétiques
antérieurement par le MPH. En revanche, les sujets traités
sont semblables chez l’enfant de 6 ans et chez l’adulte. Sur le plan
antérieurement par psychostimulants présentent significativement
des interactions médicamenteuses, le MPH inhibe le métabolisme
moins de complications tels les difficultés d’insertion
de certains anticoagulants, des anticonvulsivants, des
professionnelles ou les troubles des conduites.
antidépresseurs tricycliques et de la phénylbutazone.

¶ Modalités et conditions de prescription ¶ Effets secondaires. Tolérance. Contre-indications


L’instauration d’un traitement par MPH s’intègre dans une stratégie La Ritalinet est de manière générale très bien tolérée par les enfants
individualisée et multimodale de traitement, fondée sur une et adolescents. À court terme, les effets indésirables les plus
évaluation initiale soigneuse du trouble, de son retentissement et fréquents sont, par ordre décroissant, les difficultés
des troubles associés. Les recommandations pour la prescription de d’endormissement, la diminution d’appétit, l’irritabilité [29, 88]. En
MPH [30] concernent avant tout la posologie. La dose optimale début de traitement, des céphalées et des douleurs abdominales
moyenne utilisée dans le THADA est de 0,5 mg/kg/j, à atteindre peuvent apparaître, qui sont bénignes et disparaissent en 2 ou
progressivement, et peut aller jusqu’à 1 mg/kg/j [88]. L’absence 3 jours. Plus rarement, une élévation généralement non significative
d’amélioration après 1 mois de traitement à posologie efficace de la tension artérielle est notée, justifiant une surveillance
impose l’interruption du traitement. La demi-vie courte du MPH cardiovasculaire régulière. Des phénomènes de rebond
justifie souvent deux prises quotidiennes, en évitant une prise d’hyperactivité, d’une durée de quelques heures, ont aussi été
vespérale susceptible d’induire des troubles de l’endormissement [77]. décrits soit à l’arrêt du traitement, soit dans la soirée lorsque l’effet
Dans les traitements prolongés, certains auteurs recommandent un thérapeutique se dissipe, pouvant nécessiter parfois une troisième
arrêt du traitement pour les week-ends et les vacances scolaires [5]. prise en milieu d’après-midi. Exceptionnellement, des épisodes
Même si cette recommandation n’est pas documentée par les études hallucinatoires aigus ont été décrits, liés pour la majorité à des
actuellement, l’interruption permet de réévaluer régulièrement posologies élevées de MPH, qui sont résolutifs à son arrêt et avec
l’intérêt du traitement (un peu plus du tiers des enfants hyperactifs un traitement par neuroleptiques [ 1 ] . Pour cette raison, les
ont vers l’adolescence une diminution ou une disparition naturelle psychostimulants sont contre-indiqués dans tous les troubles
du trouble). psychotiques. Des tics moteurs ou un syndrome de Gilles de la
La durée idéale du traitement n’est pas fixée, mais la prescription Tourette peuvent être provoqués ou aggravés par le MPH, traduisant
est rarement inférieure à 3 mois, et pourrait idéalement être généralement une vulnérabilité familiale à ces troubles et imposant
comprise entre 6 mois et 1 an. Au-delà de cette période de l’interruption des psychostimulants et le choix d’une autre classe
traitement, l’indication doit être reposée après une fenêtre thérapeutique. Cependant, les antécédents personnels ou familiaux
thérapeutique. Il est à noter que l’effet suspensif du MPH sur les de syndrome de Gilles de la Tourette ne sont pas une contre-
symptômes du THADA ne s’épuise pas au cours du temps et qu’il indication absolue à l’utilisation de MPH, sous la stricte condition
n’existe pas de tolérance sur un plan pharmacologique. Ainsi, d’une surveillance standardisée et quantitative des tics. En effet, le
l’efficacité d’une posologie déterminée reste stable au fil des mois et risque d’apparition ou d’aggravation de tels troubles reste faible, et
il n’est pas besoin d’augmenter les doses. De même, aucun cas de certains auteurs rapportent même une amélioration de la
pharmacodépendance n’a été rapporté chez l’enfant. symptomatologie pour 10 % des sujets [21]. Le MPH ne modifie pas
La Ritalinet, inscrite au tableau B, est prescrite pour une période le tracé électroencéphalographique, même en traitement chronique,
maximale de 28 jours sur des ordonnances sécurisées, où le nombre ni ne diminue le seuil épileptogène. Cependant, si le risque de
exact de comprimés à délivrer est mentionné en toutes lettres. La convulsion existe chez des sujets vulnérables, l’utilisation du MPH
première ordonnance doit être réalisée par un spécialiste hospitalier n’est pas contre-indiquée quand l’épilepsie est bien contrôlée
(psychiatre, pédiatre ou neurologue) et a une validité de 1 an. Les pharmacologiquement [40].
renouvellements mensuels peuvent être réalisés par tout médecin À long terme, il est possible d’observer un ralentissement de la
dans les mêmes conditions. croissance, mais dans certaines conditions particulières où le MPH
est administré à des posologies élevées et sans interruption sur une
¶ Efficacité clinique période prolongée (supérieure à 2 ans). Ce ralentissement est
Les psychostimulants ont largement démontré leur efficacité dans le réversible à l’arrêt du traitement ou lors de la mise en place de
THADA (650 publications entre 1966 et 1990 pour le MPH) [63]. Ils « fenêtres thérapeutiques » [43]. La prescription médicale contrôlée de
améliorent de façon significative les symptômes dans 75 % des cas MPH n’augmenterait pas le risque d’abus, de dépendance ou
[75, 91]
, les 25 % restants n’étant pas modifiés le plus souvent, voire d’addiction aux psychostimulants eux-mêmes ni à d’autres
aggravés. L’efficacité est nette sur l’attention, les performances substances [62]. Certaines études réalisées aux États-Unis ont toutefois
mnésiques, l’agitation motrice et l’impulsivité. Le MPH augmente montré l’existence d’un usage illicite de psychostimulants, touchant
l’attention générale, améliore les épreuves d’attention continue [32, 85] de 1 à 2 % d’une population de lycéens, mais significativement
et diminue la distractibilité. Il diminue significativement l’instabilité, moins important que l’abus d’alcool ou la consommation de
l’agitation et l’hyperactivité motrice comme en témoigne la marijuana pour la même population [57]. Par ailleurs, les enfants
diminution des scores aux questionnaires de Conners remplis par hyperactifs présentant un trouble oppositionnel ou des conduites
les parents et les enseignants [5]. La diminution des manifestations comorbides présentent de deux à quatre fois plus de risque d’abus
d’impulsivité, d’agressivité ou d’opposition [53, 87] améliore les de substance lors de l’évolution naturelle du trouble [46]. Pour ces
relations interpersonnelles, réduit les réactions de rejet et favorise cas, le MPH, inscrit dans une prise en charge précoce, représenterait
une bonne intégration [87]. L’amélioration du comportement social à probablement un facteur de protection contre l’abus ultérieur de
l’école ou l’adaptation familiale sont telles que, pour certains substance.

7
37-201-B-10 Troubles hyperactifs chez l’enfant Psychiatrie
Pédopsychiatrie
¶ Dextroamphétamine plasmatiques stables. Si les antidépresseurs sont globalement bien
tolérés, la surveillance de la fonction cardiaque doit être attentive en
La dextroamphétamine (Dexedrinet), dans les pays où elle est raison d’un risque potentiel de survenue de mort subite (rapporté
disponible comme aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, est pour la désipramine) dont les raisons restent confuses, mais où la
généralement utilisée en seconde intention des traitements présence sur l’électroencéphalogramme d’un QT long apparaît être
pharmacologiques du THADA lorsque le MPH est inefficace. Elle un facteur prédictif.
présente l’avantage d’une demi-vie plus longue (de 7 à 12 heures),
augmentant la durée d’action (de 6 à 18 heures), permettant de
¶ Autres
diminuer les prises quotidiennes et les effets secondaires liés à la
pharmacocinétique du MPH. Sa posologie est de 0,5 mg/kg/j. Elle La clonidine (Catapressant), un agoniste des récepteurs a-2-
serait globalement bien tolérée, malgré des rapports récents adrénergiques, a aussi été utilisée dans le THADA. Elle pourrait être
d’hépatite sévère. particulièrement intéressante dans les formes de THADA associées
à des tics, ou chez les enfants présentant un trouble oppositionnel
ou des conduites comorbides. Elle peut être prescrite en
AUTRES TRAITEMENTS PHARMACOLOGIQUES monothérapie mais aussi en association avec le MPH lorsque les
Le MPH est inefficace pour un quart environ des sujets présentant troubles attentionnels sont sévères. Elle est employée chez l’enfant
un THADA (cf supra). Pour ces sujets, et pour ceux dont les troubles sous forme orale et transcutanée. Les posologies, à atteindre
associés (anxiété, tics…) risquent d’être aggravés par le MPH, progressivement sur 1 semaine, sont en moyenne de 0,2 à 0,3 mg/j,
d’autres classes pharmacologiques ont été étudiées et sont réparties en trois ou quatre prises. L’efficacité n’apparaît
proposées, mais avec une efficacité moindre que pour les généralement qu’après 2 à 3 semaines, mais persiste plusieurs
psychostimulants. années à dose stable. Les effets secondaires sont relativement rares
(somnolence, céphalées, nausées) et disparaissent au bout de 1 mois.
¶ Antidépresseurs Les risques d’hypotension artérielle sont rares, mais à surveiller. En
revanche, des phénomènes rebond sur la tension artérielle ont été
Les antidépresseurs tricycliques, dont l’imipramine et la
rapportés à l’arrêt d’un traitement au long cours.
désipramine, ont été utilisés dans le THADA avec une certaine
efficacité. Chez les enfants présentant un trouble anxieux ou Les neuroleptiques peuvent être utiles dans les formes résistantes
dépressif comorbide, ou encore des tics, ils présentent des bénéfices de THADA. Ils ont été proposés pour leur action sédative
indéniables, mais restent significativement moins efficaces que les (chlorpromazine, thioridazine) et ont montré une efficacité
psychostimulants sur les dimensions directement affectées par le comparable ou inférieure aux psychostimulants. Néanmoins, les
THADA. Actuellement, un inhibiteur sélectif de recapture de la risques de dyskinésie tardive et de syndrome malin font des
noradrénaline est à l’étude dans le THADA (atomoxetine). Les neuroleptiques des produits redoutables dans les utilisations au long
résultats préliminaires sur 300 sujets suggèrent une efficacité cours. Par ailleurs, l’effet comportemental sédatif se traduit aussi
supérieure au placebo sur les symptômes de THADA et sur le sur le plan émotionnel et cognitif, rendant leur prescription
fonctionnement social et familial [50] . Les antidépresseurs sont discutable dans le THADA chez des enfants en développement.
prescrits aux mêmes posologies que pour la dépression (de 3 à Au total, le MPH n’est pas l’unique traitement pharmacologique du
4 mg/kg/j), mais leur effet clinique sur le THADA est bien plus THADA mais certainement le plus efficace. Quel que soit le
précoce, apparaissant autour du troisième jour. Leur durée d’action traitement prescrit, celui-ci doit s’intégrer dans le cadre d’une prise
est plus longue que le MPH, autorisant une seule prise par jour, et il en charge globale, associant d’autres modalités thérapeutiques dont
n’existe pas d’effets indésirables sur le sommeil ni d’effet rebond en il optimise l’efficacité (psychothérapie d’inspiration analytique ou
fin de journée. En revanche, un échappement au traitement cognitivocomportementale, guidance parentale, rééducation
surviendrait après 2 mois de traitement malgré des taux orthophonique ou psychomotricité…).

Références
[1] Albert E, Mouren MC, Dugas M. A case of hallucination [10] Biederman J, Milberger S, Faraone S, Kiely K, Guite J, Mick E [19] Castellanos FX, Elia J, Kruesi MJ, Marsh WL, Gulotta CS,
from methylphenidate in an 8-year-old hyperkinetic boy. et al. Impact of adversity functioning and comorbidity in Potter WZ et al. Cerebrospinal fluid homovanillic acid pre-
J Toxicol Clin Exp 1985 ; 5 : 195-199 children with attention-deficit hyperactivity disorder. J Am dicts behavioral response to stimulants in 45 boys with
Acad Child Adolesc Psychiatry 1995 ; 34 : 1495-1503 attention deficit/hyperactivity disorder. Neuropsychophar-
[2] Anderson JC, Williams S, McGee R, Silva PA. DSM III disor- macology 1996 ; 14 : 125-137
ders in preadolescent children. Arch Gen Psychiatry 1987 ; [11] Biederman J, Milberger S, Faraone S, Kiely K, Guite J, Mick E
44 : 69-76 et al. Family-environment risk factors for attention-deficit [20] Castellanos FX, Giedd JN, Eckburg P, Marsh WL, Vaituzis
hyperactivity disorder. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : AC, Kaysen D et al. Quantitative morphology of the
[3] Asghari V, Sanyal S, Buchwaldt S, Paterson A, Jovanovic V, 464-470 caudate nucleus in attention deficit hyperactivity disorder.
Van Tol HH. Modulation of intracellular cyclic AMP levels
Am J Psychiatry 1994 ; 151 : 1791-1796
by different human dopamine D4 receptor variants. J Neu- [12] Biederman J, Munir K, Knee D, Habelow W, Armentano M,
rochem 1995 ; 65 : 1157-1165 Autor S et al. A family study of patients with attention deficit [21] Castellanos FX, Giedd JN, Elia J, Marsh WL, Ritchie GF,
disorder and normal controls. J Psychiatr Res 1986 ; 20 : Hamburger SD et al. Controlled stimulant treatment of
[4] Balthazor MJ, Wagner RK, Pelham WE. The specificity of the 263-274
effects of stimulant medication on classroom learning- ADHD and comorbid Tourette’s syndrome: effects of
related measures of cognitive processing for attention [13] Biederman J, Newcorn JH, Sprich SS. Comorbidity of stimulant and dose. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
deficit disorder children. J Abnorm Child Psychol 1991 ; 19 : attention-deficit hyperactivity disorder with conduct, 1997 ; 36 : 589-596
35-52 depressive, anxiety and other disorders. Am J Psychiatry [22] Castellanos FX, Giedd JN, Marsh WL, Hamburger SD, Vai-
1991 ; 148 : 564-577 tuzis AC, Dickstein DP et al. Quantitative brain magnetic
[5] Barkley RA. Hyperactive children: a handbook for diagnosis
and treatment. New York : Guilford Press, 1990 [14] Bird HR, Gould MS, Yager T, Staghezza B, Canino G. Risk resonance imaging in attention-deficit hyperactivity disor-
factors for maladjustment in puerto-rican children. J Am der. Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 607-616
[6] Barkley RA. Attention-deficit/hyperactivity disorder, self- Acad Child Adolesc Psychiatry 1989 ; 28 : 847-850
regulation, and time: toward a more comprehensive [23] Conners CK, Goyette CH, Newman EB. Dose-time effect of
theory. J Dev Behav Pediatr 1997 ; 18 : 271-279 [15] Buss AH, Plomin R. Temperament: early developing per- artificial colors in hyperactive children. J Learn Disabil 1980 ;
sonality traits. Hillsdale : Lawrence Erlbaum, 1984 13 : 512-516
[7] Barkley RA. Behavioral inhibition, sustained attention, and
executive functions: constructing a unifying theory of [16] Cadoret RJ, Stewart MA. An adoption study of attention [24] Cook EH Jr, Stein MA, Krasowski MD, Cox NJ, Olkon DM,
ADHD. Psychol Bull 1997 ; 121 : 65-94 deficit/hyperactivity/aggression and their relationship to Kieffer JE et al. Association of attention-deficit disorder and
adult antisocial personality. Comp Psychiatry 1991 ; 32 : the dopamine transporter gene. Am J Hum Genet 1995 ; 56 :
[8] Baumgaertel A, Wolraich ML, Dietrich M. Comparison of 73-82 993-998
diagnostic criteria for attention deficit disorder in a german
elementary school sample. J Am Acad Child Adolesc Psy- [17] Cantwell DP. Attention deficit disorder: a review of the [25] Costello EJ, Angold A, Burns BJ, Stangl DK, Tweed DL,
chiatry 1995 ; 34 : 629-638 past 10 years. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; Erkanli A et al. The Great Smoky Mountain study of youth.
35 : 978-986 Arch Gen Psychiatry 1996 ; 53 : 1129-1143
[9] Biederman J, Faraone S, Milberger S, Curtis S, Chen L, Marrs
A. Predictors of persistence and remission of ADHD into [18] Castellanos FX, Elia J, Kruesi MJ, Gulotta CS, Mefford IN, [26] Cuffe SP, McKeown RE, Jackson KL, Addy CL, Abramson R,
adolescence: results from a four-year prospective follow-up Potter WZ et al. Cerebrospinal fluid monoamine metabo- Garrison CZ. Prevalence of attention-deficit/hyperactivity
study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : lites in boys with attention-deficit hyperactivity disorder. disorder in a community sample of older adolescents. J Am
343-351 Psychiatry Res 1994 ; 52 : 305-316 Acad Child Adolesc Psychiatry 2001 ; 40 : 1037-1044

8
Psychiatrie Troubles hyperactifs chez l’enfant 37-201-B-10
Pédopsychiatrie
[27] Dulcan MK. Using psychostimulants to treat behavioral [50] Michelson D, Faries D, Wernicke J, Kelsey D, Kendrick K, [72] Solanto MV. Neuropharmacological basis of stimulant
disorders of children and adolescents. Child Adolesc Psycho- Sallee FR et al. Atomoxetine in the treatment of children drug action in attention deficit disorder with hyperactivity:
pharmacol 1990 ; 1 : 7-22 and adolescents with attention-deficit/hyperactivity disor- a review and synthesis. Psychol Bull 1984 ; 95 : 387-409
[28] Dumas JE. Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. der: a randomized, placebo-controlled, dose-response
study. Pediatrics 2001 ; 108 : E83 [73] Solanto MV. Behavioral effects of low-dose methylpheni-
Paris : De Boeck Université, 1999 date in childhood attention deficit disorder: implications
[29] Efron D, Jarman F, Barker M. Side effects of methylpheni- [51] Morrison JR, Stewart MA. A family study of the hyperactive for a mechanism of stimulant drug action. J Am Acad Child
date and dexamphetamine in children with attention child syndrome. Biol Psychiatry 1971 ; 3 : 189-195 Psychiatry 1986 ; 25 : 96-101
deficit hyperactivity disorder: a double-blind, crossover [52] Morrison JR, Stewart MA. The psychiatric status of the legal
trial. Pediatrics 1997 ; 100 : 662-666 [74] Sonuga-Barke EJ, Williams E, Hall M, Saxton T. Hyperacti-
families of adopted hyperactive children. Arch Gen Psy- vity and delay aversion. III: The effect on cognitive style of
[30] Elia J. Drug treatment for hyperactive children. Therapeu- chiatry 1973 ; 28 : 888-891 imposing delay after errors. J Child Psychol Psychiatry 1996 ;
tic guidelines. Drugs 1993 ; 46 : 863-871 [53] Murphy DA, Pelham WE, Lang AR. Aggression in boys with 37 : 189-194
[31] Elia J, Welsh PA, Gullotta CS, Rapoport JL. Classroom aca- attention deficit-hyperactivity disorder: methylphenidate
effects on naturalistically observed aggression, response to [75] Sostek AJ, Buchsbaum MS, Rapoport JL. Effects of amphe-
demic performance: improvement with both methyl-
provocation, and social information processing. J Abnorm tamine on vigilance performance in normal and hyperac-
phenidate and dextroamphetamine in ADHD boys.
Child Psychol 1992 ; 20 : 451-466 tive children. J Abnorm Child Psychol 1980 ; 8 : 491-500
J Child Psychol Psychiatry 1993 ; 34 : 785-804
[32] Evans SW, Pelham WE. Psychostimulant effects on aca- [54] Needleman HL. The neuropsychiatric implications of low [76] Sprich-Buckminster S, Biederman J, Milberger S, Faraone
demic and behavioral measures for ADHD junior high level exposure to lead. Psychol Med 1982 ; 12 : 461-463 SV, Lehman BK. Are perinatal complications relevant to the
school students in a lecture format classroom. J Abnorm manifestation of ADD? Issues of comorbidity and familia-
[55] Offord DR, Boyle MH, Racine YA, Fleming JE, Cadman DT,
Child Psychol 1991 ; 19 : 537-552 lity [see comments]. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
Blum HM et al. Outcome, prognosis, and risk in a longitu-
1993 ; 32 : 1032-1037
[33] Faraone SV, Biederman J, Chen WJ, Milberger S, Warburton dinal follow-up study [see comments]. J Am Acad Child
R, Tsuang MT. Genetic heterogeneity in attention-deficit Adolesc Psychiatry 1992 ; 31 : 916-923 [77] Stein MA, Blondis TA, Schnitzler ER, O’Brien T, Fishkin J,
hyperactivity disorder (ADHD): gender, psychiatric comor- [56] Offord DR, Boyle MH, Szatmari P, Rae-Grant N, Links PS, Blackwell B et al. Methylphenidate dosing: twice daily
bidity, and maternal ADHD. J Abnorm Psychol 1995 ; 104 : Cadman DT et al. Ontario child health study: Six month versus three times daily. Pediatrics 1996 ; 98 (4 Pt 1) :
334-345 prevalence of disorders and rates of service utilisation. Arch 748-756
[34] Filipek PA, Semrud-Clikeman M, Steingard RJ, Renshaw PF, Gen Psychiatry 1987 ; 44 : 832-836 [78] Stevenson RD, Wolraich ML. Stimulant medication therapy
Kennedy DN, Biederman J. Volumetric MRI analysis com- [57] O’Malley P, Johnston LD, Bachman JG. Adolescent sub- in the treatment of children with attention deficit hyperac-
paring subjects having attention-deficit hyperactivity stance use. Epidemiology and implications for public tivity disorder. Pediatr Clin North Am 1989 ; 36 : 1183-1197
disorder with normal controls. Neurology 1997 ; 48 : policy. Pediatr Clin North Am 1995 ; 42 : 241-260
589-601 [79] Swanson JM, Cantwell D, Lerner M, McBurnett K, Hanna G.
[58] Ornitz EM, Gabikian P, Russell AT, Guthrie D, Hirano C, Effects of stimulant medication on learning in children with
[35] Gadow KD, Nolan EE, Litcher L, Carlson GA, Panina N, Gehricke JG. Affective valence and arousal in ADHD and
Golovakha E et al. Comparison of attention-deficit/hyper- ADHD. J Learn Disabil 1991 ; 24 : 219-230
normal boys during a startle habituation experiment. J Am
activity disorder symptom subtypes in Ukrainian school- Acad Child Adolesc Psychiatry 1997 ; 36 : 1698-1705 [80] Swanson JM, Sunohara GA, Kennedy JL, Regino R, Fineberg
children. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000 ; 39 : E, Lerner M et al. Association of the dopamine receptor D4
1520-1527 [59] Perrin S, Last CG. Relationship between ADHD and anxiety (DRD4) gene with a refined phenotype of attention deficit
in boys: results from a family study. J Am Acad Child Adolesc hyperactivity disorder (ADHD): a family-based approach.
[36] Gaub M, Carlson CL. Behavioral caracteristics of DSM IV
Psychiatry 1996 ; 35 : 988-996 Mol Psychiatry 1998 ; 3 : 38-41
ADHD subtypes in a school based population. J Abnorm
Child Psychol 1997 ; 25 : 103-111 [60] Pliszka SR. Attention-deficit/hyperactivity disorder with
psychiatric disorder: an overview. J Clin Psychiatry 1998 ; [81] Tannock R. Attention deficit hyperactivity disorder:
[37] Geller B, Luby J. Child and adolescent bipolar disorder: a advances in cognitive, neurobiological, and genetic
review of the past 10 years. J Am Acad Child Adolesc Psy- 59 : 50-58
research. J Child Psychol Psychiatry 1998 ; 39 : 65-99
chiatry 1997 ; 36 : 1168-1176 [61] Quay HC. Inhibition and attention deficit hyperactivity
disorder. J Abnorm Child Psychol 1997 ; 25 : 7-13 [82] Taylor E. Syndromes of attention deficit and overactivity.
[38] Gill M, Daly G, Heron S, Hawi Z, Fitzgerald M. Confirma- In : Rutter M, Taylor E, Hersov L eds. Child and adolescent
tion of association between attention deficit hyperactivity [62] Rappley MD. Safety issues in the use of methylphenidate. psychiatry: modern approaches. Oxford : Blackwell Scien-
disorder and a dopamine transporter polymorphism. Mol An American perspective. Drug Saf 1997 ; 17 : 143-148 tific Publications, 1994
Psychiatry 1997 ; 2 : 311-313 [63] Richters JE, Arnold LE, Jensen PS, Abikoff H, Conners CK,
[39] Greenhill LL. Diagnosing attention-deficit/hyperactivity Greenhill LL et al. NIMH collaborative multisite multimodal [83] Valla JP, Bergeron L, Lageix P, Breton JJ. L’étude épidémio-
disorder in children. J Clin Psychiatry 1998 ; 59 (suppl 7) : treatment study of children with ADHD: I. Background and logique des variables associées aux troubles mentaux des
31-41 rationale. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995 ; 34 : enfants et des adolescents. In : Rapport du 94e congrés de
987-1000 psychiatrie et de neurologie de langue française. Paris :
[40] Gross-Tsur V, Manor O, van der Meere J, Joseph A, Shalev Masson, 1996
RS. Epilepsy and attention deficit hyperactivity disorder: is [64] Rubia K, Oosterlaan J, Sergeant JA, Brandeis D, Von
methylphenidate safe and effective? [see comments]. Leeuwen T. Inhibitory dysfunction in hyperactive boys. [84] Van Den Oord EJ, Boomsma DI, Verhulst FC. A study of
J Pediatr 1997 ; 130 : 40-44 Behav Brain Res 1998 ; 94 : 25-32 problem behaviors in 10- to 15-year-old biologically
[41] Kelvin RG, Goodyer IM, Altham PM. Temperament and related and unrelated international adoptees. Behav Genet
[65] Rubia K, Overmeyer S, Taylor E, Bullmore E, Brammer M,
psychopathology amongst siblings of probands with 1994 ; 24 : 193-205
Williams S et al. Inhibitory control of hyperactive boys in
depressive and anxiety disorders.J Child Psychol Psychiatry fMRI. In : Toga W, Frackowiack RS, Mazziota JC eds. Neu- [85] van der Meere J, Shalev R, Borger N, Gross-Tsur V. Sus-
Allied Discipl 1996 ; 37 : 543-550 roimage. Third international conference on functionnal tained attention, activation and MPH in ADHD: a research
[42] Klein RG. Clinical efficacy of methylphenidate in children mapping of the human brain. Copenhagen. New York : note. J Child Psychol Psychiatry 1995 ; 36 : 697-703
and adolescents. Encéphale 1993 ; 19 : 89-93 Academic Press, 1997
[86] Velez CN, Johnson J, Cohen P. A longitudinal analysis of
[43] Klein RG, Mannuzza S. Hyperactive boys almost grown up. [66] Rutter M, Cox A, Tupling C, Berger M, Yule W. Attainment selected risk factors for childhood psychopathology. J Am
III. Methylphenidate effects on ultimate height. Arch Gen and adjustment in two geographical areas. I-The preva- Acad Child Adolesc Psychiatry 1989 ; 28 : 861-864
Psychiatry 1988 ; 45 : 1131-1134 lence of psychiatric disorder. Br J Psychiatry 1975 ; 126 :
[44] La Hoste GJ, Swanson JM, Wigal SB, Glabe C, Wigal T, King 493-509 [87] Whalen CK, Henker B. Social impact of stimulant treatment
N et al. Dopamine D4 receptor gene polymorphism is asso- [67] Sanson A, Smart D, Prior M, Oberklaid F. Precursors of for hyperactive children. J Learn Disabil 1991 ; 24 : 231-241
ciated with attention deficit hyperactivity disorder [see hyperactivity and aggression. J Am Acad Child Adolesc Psy- [88] Wilens TE, Biederman J. The stimulants. Psychiatr Clin North
comments]. Mol Psychiatry 1996 ; 1 : 121-124 chiatry 1993 ; 32 : 1207-1216 Am 1992 ; 15 : 191-222
[45] Lambert NM. Temperament profiles of hyperactive chil- [68] Satin MS, Winsberg BG, Monetti CH, Sverd J, Foss DA. A [89] Wolraich ML, Hannah JA, Pinnock TY, Baumgaertel A,
dren. Am J Orthopsychiatry 1982 ; 52 : 458-467 general population screen for attention deficit disorder Brown J. Comparison of diagnostic criteria for attention
[46] Levin FR, Kleber HD. Attention-deficit hyperactivity disor- with hyperactivity. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1985 ; deficit disorder in a county wide sample. J Am Acad Child
der and substance abuse: relationships and implications for 24 : 756-764 Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : 319-324
treatment. Harv Rev Psychiatry 1995 ; 2 : 246-258 [69] Sergeant JA. The cognitive-energetic model of ADHD. Los
Angeles, CA : Society for Research in Child and Adolescent [90] Wolraich ML, Wilson DB, White JW. The effect of sugar on
[47] Lou HC. Methylphenidate reversible hypoperfusion of behavior or cognition in children. A meta-analysis [see
striatal regions in ADHD. In : Conners K, Kinsbourne M eds. Psychopathology, 1996
comments]. JAMA 1995 ; 274 : 1617-1621
Attention deficit hyperactivity disorder. Munich : MMV [70] Shekim WO, Kashani J, Beck N, Cantwell DP, Martin J,
Medizin Verlag, 1990 : 137-148 Rosenberg J et al. The prevalence of attention deficit disor- [91] Zahn TP, Rapoport JL, Thompson CL. Autonomic and
[48] Lou HC, Henriksen L, Bruhn P, Borner H, Nielsen JB. Striatal der in a rural midwestern community sample of nine-year- behavioral effects of dextroamphetamine and placebo in
dysfunction in attention deficit and hyperkinetic disorder. old children. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1985 ; 24 : normal and hyperactive prepubertal boys. J Abnorm Child
Arch Neurol 1989 ; 46 : 48-52 765-770 Psychol 1980 ; 8 : 145-160
[49] Lurie S, O’Quinn A. Neuroendocrine responses to methyl- [71] Sherman DK, Iacono WG, McGue MK. Attention-deficit [92] Zametkin AJ, Nordahl TE, Gross M, King AC, Semple WE,
phenidate and D-amphetamine: applications to attention- hyperactivity disorder dimensions: a twin study of inatten- Rumsey J et al. Cerebral glucose metabolism in adults with
deficit disorder. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 1991 ; 3 : tion and impulsivity-hyperactivity. J Am Acad Child Adolesc hyperactivity of childhood onset [see comments]. N Engl
41-50 Psychiatry 1997 ; 36 : 745-753 J Med 1990 ; 323 : 1361-1366

9
37-201-F-10
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-201-F-10 – 4-101-H-30

4-101-H-30

Troubles psychomoteurs chez l’enfant


JM Albaret

Résumé. – Les troubles psychomoteurs sont des troubles neurodéveloppementaux qui affectent l’adaptation
du sujet dans sa dimension perceptivomotrice. Leurs étiologies sont plurifactorielles et transactionnelles
associant des facteurs génétiques, neurobiologiques et psychosociaux qui agissent à différents niveaux de
complémentarité et d’expression. Ils sont souvent situationnels et discrets, entravant en priorité les
mécanismes d’adaptation, constituant une source de désagrément et de souffrance pour le porteur et le milieu
social. Leur analyse clinique nécessite, outre une connaissance référentielle approfondie du développement
normal, des investigations spécifiques dont l’examen psychomoteur. Les troubles psychomoteurs présentés
sont le trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité, le trouble d’acquisition de la coordination, les
dysgraphies, les troubles du tonus musculaire, les mouvements anormaux, les incapacités d’apprentissage
non verbal, les troubles de la dominance latérale et la confusion droite-gauche.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : troubles du développement, neuropsychologie de l’enfant, évaluation, étiologie, traitement.

Introduction Développement psychomoteur précoce


La présence de troubles psychomoteurs dans un grand nombre
ASPECTS THÉORIQUES
d’affections psychiatriques ou neurologiques est mentionnée depuis
la fin du XIXe siècle (Wernicke, Kleist puis Dupré, Baruk parmi Le développement psychomoteur est un processus continu qui
d’autres) et constitue toujours un sujet d’actualité. Ainsi, Hymas et débute à la fécondation. La motricité intentionnelle se construit dès
al [49] ont étudié la présence de troubles psychomoteurs (lenteur, les premiers moments de la vie et résulte d’une relation réciproque
incoordinations motrices, stéréotypies motrices, dystonies, et complémentaire entre perception et action.
échopraxie, syncinésies) dans un sous-groupe de patients présentant Différentes théories ont sous-tendu et sous-tendent encore les
un trouble obsessionnel compulsif (TOC). Il en va de même dans un conceptions du développement psychomoteur : maturationniste,
nombre croissant de troubles neurodéveloppementaux [44] . La cognitive [19, 58, 59] et, plus récemment, dynamique et écologique [39, 89].
nécessité de détecter, reconnaître et traiter précocement ces Ces théories rendent compte, chacune, d’un ensemble de faits et de
manifestations s’impose donc, bien que les relations causales soient processus, constituent des facettes différentes d’un même objet et
loin d’être évidentes et systématiques. apportent des points de vue complémentaires. Dans l’hypothèse
La coexistence fréquente de troubles psychomoteurs et de maturationniste, le développement moteur se fait à partir d’une
symptômes psychiatriques [25] a, en effet, longtemps accrédité l’idée, structure totale qui s’individualise peu à peu, au fur et à mesure de
encore vivace, que les premiers n’étaient qu’une manifestation ou la différenciation anatomique et de la maturation du système
une conséquence des seconds. Cette hypothèse, vérifiée dans nerveux central (SNC). Cette progression se fait dans le sens
certains cas, ne doit pas nous faire oublier que l’inverse, troubles céphalocaudal pour l’axe du corps, proximodistal pour les membres
psychopathologiques réactionnels à la présence de difficultés et dorsoventral pour le tronc. Ces trois lois se retrouvent dans le
psychomotrices, est fréquemment observé. De plus, ces troubles développement moteur postnatal, la loi de motricité endogène dans
peuvent coexister sans qu’un quelconque rapport de causalité puisse les stéréotypies, la loi de structure totale dans le caractère impulsif
être établi entre eux ou, encore, dépendre d’un même facteur de la motricité spontanée et la progression céphalocaudale dans
originel (souffrance cérébrale, substances toxiques). l’évolution de la motricité et du tonus musculaire. Ce point de vue
se retrouve chez Gesell et reste à la base des principales échelles de
Les troubles psychomoteurs, tels qu’ils apparaissent chez l’enfant, développement actuelles dont le Brunet-Lézine.
sont souvent discrets et nécessitent, en plus d’une connaissance
approfondie du développement normal, des investigations Les approches cognitives considèrent le développement comme la
spécifiques et le recours à l’examen psychomoteur. Un certain construction de structures cognitives, appelées selon les auteurs
nombre de signes d’appel amènent ainsi médecins et membres des schèmes, programmes moteurs ou représentations, qui vont diriger
équipes de soin à se préoccuper de manifestations qui, même si elles la sélection, la préparation et l’exécution de patrons de mouvement
ne sont parfois que situationnelles, n’en constituent pas moins une de complexité croissante. L’individu est considéré comme un
source de désadaptation et de souffrance pour l’enfant et sa famille. système qui traite les informations présentes dans le milieu, les
recherche de façon active et les confronte aux informations déjà
acquises en fonction d’un but fixé au préalable. Ces capacités de
traitement s’améliorent avec la maturation neurobiologique, la
Jean-Michel Albaret : Maître de conférences, directeur de l’institut de formation en psychomotricité de
Toulouse, faculté de médecine Toulouse-Rangueil, laboratoire de recherches en activités physiques et
pratique du sujet ainsi que la modification des stratégies utilisées,
sportives, université Paul Sabatier, UFR-STAPS, 118, route de Narbonne, 31062 Toulouse cedex 4, France. conduisant à une augmentation de la vitesse et de la précision des

Toute référence à cet article doit porter la mention : Albaret JM. Troubles psychomoteurs chez l’enfant. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie, 37-201-F-10,
Pédiatrie, 4-101-H-30, 2001, 16 p.

150 517 EMC [229]


37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
mouvements du sujet et à une diversification et une complexification les réflexes d’évitement (incurvation du tronc, retrait, allongement
du répertoire moteur. La mise en place progressive des croisé, réflexes nociceptifs), le réflexe de Landau et les réflexes
comportements d’inhibition à l’égard des stimuli non pertinents est définitifs tendineux (achilléen, rotulien et des membres supérieurs)
une caractéristique essentielle du développement des processus et cutanés (plantaire et abdominaux). Une perturbation dans leur
cognitifs [13]. apparition, leur intensité ou leur persistance, malgré les difficultés
Pour l’approche dynamique, le comportement émerge d’appréciation et/ou de mise en évidence, est bien souvent le signe
spontanément, par un phénomène appelé auto-organisation, de d’une perturbation neurologique. Peu à peu, ces réflexes
l’interaction d’un ensemble de sous-systèmes qui sont fonction des disparaissant pour la plupart entre 3 et 6 mois, les mouvements
exigences de la tâche et qui définissent la dynamique qui régit actifs les remplacent avec la possibilité de synergie entre muscles
l’apparition et le changement de comportement. Ces sous-systèmes agonistes et antagonistes.
comprennent, entre autres, l’organisation neuronale, la force La motricité spontanée du nouveau-né est constituée de
musculaire, les aspects biomécaniques, le niveau d’éveil, les mouvements massifs, diffus qui peuvent intéresser l’ensemble de la
processus motivationnels, les caractéristiques de la tâche et de musculature mais prédominent au niveau des membres. Ils
l’environnement dans lequel elle se déroule. Les patrons de apparaissent dès la naissance et se retrouvent, bien que plus lents,
comportement ne sont pas représentés, au préalable, dans le cerveau chez les prématurés. Ils sont présents, le plus souvent, au réveil :
pas plus qu’ils ne sont la simple résultante de la maturation du SNC. mouvements de pédalage par exemple. Les variations
On dit de ce système qu’il est non linéaire parce qu’il a tendance à interindividuelles qualitatives et quantitatives sont considérables. Ils
rejoindre, soudainement et de manière abrupte, un ou plusieurs de disparaissent entre 5 et 8 mois et leur durée de vie est moindre chez
ces états stables, appelés également attracteurs. L’activité motrice les filles. Selon les auteurs et les postulats théoriques, les
spontanée du nourrisson n’est plus considérée comme la production significations que peut revêtir cette motricité ont considérablement
de mouvements aléatoires et indifférenciés, mais comme varié : vestiges inutiles de l’évolution, sans fonction adaptative pour
l’exploration de la dynamique de l’action qui va conduire les uns ou, à l’opposé, prémices indispensables de l’activité future
progressivement à la découverte de zones de comportements stables, ou encore décharge impérieuse d’une énergie musculaire
les attracteurs justement. emmagasinée pour d’autres.
Cette approche trouve son origine dans les travaux de Bernstein sur Des stéréotypies sont également rencontrées dans le cours du
les degrés de liberté et la coordination du mouvement et dans la développement normal ; elles apparaissent vers 6 mois à 1 an et ne
théorie de la perception « directe » de Gibson (cf Zanone in [7]). La persistent pas au-delà de la troisième année. Les mouvements sont
complexité de l’organisme en mouvement est liée au contrôle des parfois rythmés [88], impliquant la tête ou le corps entier ; ils peuvent
nombreux degrés de liberté en présence qui interagissent selon des concerner la bouche (succion inlassable, bruxisme) ou le revêtement
modalités multiples, même si des synergies existent entre eux pour cutané (attouchements parfois accompagnés d’automutilations). Là
en réduire le nombre. Gibson met l’accent, au niveau perceptif, sur aussi, les significations attribuées sont multiples : rôle dans le
ce qu’il appelle une « affordance », à savoir le couplage entre les développement moteur, dans la connaissance du corps et de ses
caractéristiques du milieu et les capacités du sujet à agir. Les travaux limites, fonction hédoniste, expression d’un plaisir, mécanisme
sur la locomotion [16] indiquent, par exemple, que le nourrisson compensatoire ou bien homéostasique, modification du niveau de
adopte un comportement différent lorsqu’il est mis en présence de vigilance.
différentes surfaces (surface inclinée, falaise visuelle, matelas d’eau)
en fonction de ses capacités locomotrices (marcher ou ramper). En ¶ Tonus axial, locomotion et préhension
fonction de l’adéquation entre ce qu’il peut faire avec la surface
présentée et ses capacités psychomotrices, il privilégie un certain D’un point de vue maturationniste, à partir du moment où les
type de comportement. centres supérieurs du cerveau prennent le relais, les réflexes sont
progressivement inhibés et trois catégories de mouvements doivent
être maîtrisées par l’enfant pour une adaptation optimale au milieu :
ÉLÉMENTS DESCRIPTIFS le contrôle tonique axial, la locomotion et la préhension. La flexion
qui dominait le corps cède graduellement la place à l’extension.
¶ Réflexes et motricité spontanée
L’évolution du tonus axial permet d’établir un contrôle de la
L’activité motrice fœtale est extrêmement variée, les mouvements musculature pour s’opposer à la force de la gravité selon une
passent rapidement de mouvements peu discernables vers sept séquence systématique dans laquelle on assiste aux redressements
semaines de gestation à des mouvements isolés des membres successifs de la tête vers 4 mois, du tronc vers 7 ou 8 mois, qui
(9 semaines) ou des yeux (16-23 semaines) [93]. L’étude des aspects permettent la position assise sans soutien, et des membres inférieurs
qualitatifs de ces mouvements peut fournir des indices d’éventuels vers 10 mois autorisant la station debout. Enfin, vers 12 mois,
troubles neurologiques [70]. l’enfant se met debout seul.
À la naissance, le contrôle de la motricité du nouveau-né se situe à Les déplacements de l’enfant sont sous la dépendance du
un niveau sous-cortical. Elle se caractérise par une hypertonie des développement du tonus axial et la distinction peut être faite entre
fléchisseurs des membres, une hypotonie des muscles du tronc, les habiletés locomotrices, constituées par des mouvements
associées à des activités réflexes archaïques provoquées par le horizontaux culminant avec la quadrupédie, et celles qui
toucher ou la manipulation d’une partie du corps et des stimulations accompagnent la verticalisation, aboutissant à la marche définitive.
visuelles et auditives. Plus de 70 réflexes ont été décrits [50], ils Avec le contrôle progressif des muscles de la tête, du cou et du tronc,
constituent un vaste réservoir de schèmes élémentaires qui, avec la l’enfant se déplace par reptation en utilisant essentiellement les
corticalisation progressive, joueront un rôle essentiel dans la mise membres supérieurs, alors que l’abdomen et les membres inférieurs
en place des mouvements coordonnés ultérieurs [87], même si les sont traînés. Le déplacement est de durée variable, dépendant
relations exactes entre ces deux composants de la motricité ne sont beaucoup du but et de la motivation de l’enfant, de la nature du sol
pas totalement élucidées. Cependant, les travaux de Streri [59] mettent et de la constitution de l’enfant. La reptation apparaît vers 6 mois.
l’accent sur la grande diversité des réponses de prise et de tenue de Lui succède, vers 9 mois, la marche quadrupède, l’enfant se
l’objet en termes de complexité et de variabilité, ce qui va à déplaçant sur les mains et les genoux avec une coordination des
l’encontre de la conception figée des conduites motrices du quatre membres. Quelquefois, vers 11 mois, l’enfant marche en
nouveau-né que véhicule le terme de réflexe. utilisant la plante des pieds et la paume des mains. Enfin, certains
Les principaux réflexes sont les réflexes buccaux (succion, se déplacent sur les mains et le postérieur, une fois la station assise
déglutition, refoulement de la langue, fouissement, hoquet, maîtrisée.
bâillement), les réflexes de redressement (réflexe de Moro, La marche le long d’un support ou tenue par les deux mains
redressement statique, marche automatique, enjambement du pied), apparaît vers 9 mois, la marche seule vers 12 mois. Elle nécessite

2
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

une propulsion alternative des membres inférieurs. Le polygone de ¶ Développement perceptif


sustentation est, dans un premier temps, élargi. Peu à peu, la
Sous-estimés pendant longtemps du fait de la primauté accordée à
rapidité augmente, la longueur des pas s’accroît, leur rythme se
l’action motrice, les facteurs perceptifs sont désormais considérés
régularise, les bras, en position haute à l’apparition de la marche
comme un élément fondamental du développement de
seule, s’abaissent et se synchronisent avec les membres inférieurs.
l’intelligence [ 5 8 ] . Les différentes modalités sensorielles du
La préhension se développe autour de trois activités : l’approche nouveau-né sont opérationnelles à la naissance et, pour certaines,
(reaching), la prise de l’objet ou agrippement (grasping) et le lâchage depuis plusieurs semaines. La perception du nourrisson possède
(releasing). Avant 4 mois, l’enfant ne présente pas de mouvement certaines caractéristiques regroupées par Gibson [39]. La perception
d’approche vers l’objet, même si l’on assiste à une localisation est un processus actif d’exploration qui résulte d’une motivation.
visuelle qui déclenche parfois des mouvements de « marionnette » Elle est dirigée vers les sources externes de stimulation même
(alternance de pronation et supination). Peu à peu, l’enfant dirige éloignées. Elle utilise et dépend des informations données par le
ses bras vers l’objet en un mouvement de balayage ou mouvement. L’espace perçu est un monde en trois dimensions. La
d’enveloppement dans lequel la dysmétrie prédomine, puis constance perceptive de la forme et de la taille de l’objet existe avant
l’approche directe s’ébauche. Pendant cette période, il peut saisir un toute approche ou prise de l’objet. La perception est cohérente et
objet placé au contact de la paume de la main et jouer avec. Après s’intéresse aux structures. Enfin, elle présente des capacités précoces
5 mois, l’enfant attrape les objets présentés dans son champ visuel de transfert entre les diverses modalités, toucher-vision à 2 mois [58]
et la synchronisation entre les inspections visuelle et manuelle de à partir, semble-t-il, d’une amodalité initiale. Les actions guidées par
l’objet, tenant compte de ses caractéristiques (forme, texture), est la perception sont organisées et flexibles et ne s’effectuent pas
effective. La préhension est d’abord cubitopalmaire avec prise de uniquement au hasard ou selon un schéma stimulus-réponse.
l’objet entre l’éminence hypothénar et les deux derniers doigts de la
Le nouveau-né (travaux de Fantz et de Bower dans les années 1960-
main. Vers 7 ou 8 mois, la préhension devient radiopalmaire, le
1970) voit et préfère, dès les premières semaines de vie, les images
pouce et la face latérale de l’index sont utilisés préférentiellement.
variées, nouvelles mais en rapport avec ce qui est déjà connu
Enfin, vers 9 mois, la prise de l’objet s’effectue à l’aide de la pince
(optimum de nouveauté), les traits curvilignes, irréguliers,
pouce-index, c’est la préhension radiodigitale. Les objets fins
contrastés. Les informations concernant le relief sont différenciées
peuvent être saisis entre ces deux doigts. Vers 10 mois, approche et
après 2 mois.
saisie de l’objet sont coordonnées en un mouvement continu. La
prise de l’objet est totalement contrôlée aux alentours de 14 mois. Le La permanence de l’objet immobile est présente dès 4-5 mois,
lâchage nécessite la maturation des muscles fléchisseurs des doigts précédée de diverses manifestations indiquant un processus de
pour permettre de les relâcher à la demande pour tourner les pages maturation. La permanence de l’objet mobile est plus tardive, vers
d’un livre ou mettre des pastilles dans un flacon par exemple. Vers 6 mois.
12 à 14 mois, les premiers rudiments apparaissent et à 18 mois, les La constance de grandeur apparaîtrait, selon les expérimentations,
trois aspects de la préhension sont bien coordonnés ; l’enfant peut entre 18 semaines et 6 mois ; celle de la forme a été retrouvée à 2 ou
alors construire une tour de trois à quatre cubes. 3 mois. La profondeur est détectée vers 4 mois. Les couleurs sont
Les variations interindividuelles sont importantes et dépendent discriminées dès 3 mois avec une préférence, inverse de celle de
d’une multitude de facteurs qui tiennent aux contraintes de l’adulte, pour les couleurs chaudes : rouge et jaune.
l’environnement (surface inclinée, par exemple), de l’organisme L’audition est fonctionnelle avant terme, mais, compte tenu des
(dimensions des segments corporels, force) et de la tâche obstacles physiques, l’intégration des sons extérieurs au corps de la
(dimensions de l’objet). On peut par exemple classer les enfants en mère impose des fréquences relativement basses et des pressions
fonction de leur degré d’extensibilité et distinguer aux deux acoustiques telles que les récepteurs cutanés, voire viscéraux, sont
extrêmes : les enfants peu extensibles qui atteignent précocement la sans doute davantage concernés par de telles vibrations sonores.
station debout puis la marche, avec une mobilité importante, des L’intégration des sons intérieurs, notamment la voix de la mère, est
stéréotypies de type violent, mais dont la préhension est plus beaucoup plus claire et permettrait au fœtus de 7 à 9 mois de
tardive ; à l’opposé, les enfants très extensibles ont une préhension s’imprégner de cette expérience puis, dès les premières heures, de
précoce, peu de mobilité, des stéréotypies d’exploration du corps et reconnaître celle-ci, voire de préférer à d’autres une comptine à
parviennent à la station debout et à la marche plus tard. laquelle il a été exposé avant la naissance. Quoi qu’il en soit, dès les
Une fois acquis les mécanismes de base que sont le tonus axial, la premiers jours, la sensibilité nominale est de 65 dB (celle d’une
locomotion et la préhension, la deuxième étape est une conversation audible à 3 m) et ses compétences auditives sont telles
diversification et un perfectionnement de ceux-ci. Durant cette qu’il peut, mieux que des adultes, différencier entre eux la majorité
deuxième phase qui se déroule de 18-24 mois à 7 ans, le sujet des phonèmes existants, y compris ceux auxquels il n’a jamais été
améliore précision et vitesse d’exécution, affine sa motricité et exposé depuis la fécondation et qui n’existent pas dans le langage
intègre la dimension spatiale de nouveaux mouvements, augmente maternel.
son adaptation à des situations variées et combine ces différents Préférant des sons harmoniques et naturels à des bruits artificiels, il
éléments. La course, les différents types de sauts (pieds joints, peut, dès la naissance, s’orienter correctement vers les sources
hauteur, longueur, par-dessus un obstacle, du haut d’un banc), les sonores qu’il localisera ensuite aussi bien qu’un adulte dès 18 mois.
déplacements latéraux, le sautiller, le grimper constituent les Le développement du sens tactile se fait, aussi, précocement [66]. À
principales acquisitions au niveau de la locomotion. 2 mois, un disque plein est préféré à un disque troué, à 4 ou 5 mois
Les manipulations et utilisations d’objets se multiplient : lancer avec la distinction entre carré plein et troué ou encore entre étoile et fleur
la main ou à l’aide d’un autre objet, attraper avec la main ou le peut être observée. À 1 an, pas moins de neuf formes différentes
pied, jongler, dribbler, faire rouler un ballon. Le meilleur contrôle de peuvent être distinguées tactilement.
la musculature antigravitaire permet de nouvelles possibilités Une question demeure en suspens, celle des rapports entre
d’équilibre, mouvements de tout ou partie du tronc et des membres perception et motricité aux différents âges du développement
supérieurs en restant au même endroit, équilibre sur un pied, précoce et, notamment, au cours des premières semaines de la vie.
marche sur une poutre, chandelle et roulade.
La troisième et dernière phase, à partir de 6 ou 7 ans, correspond à
la pratique d’activités de plus en plus diversifiées et spécialisées qui
Notion de trouble psychomoteur
fondent les différentes aptitudes sportives. Les performances
individuelles sont évidemment fonction de la qualité du contrôle DÉFINITION
moteur et de l’utilisation optimale des rétroactions visuelles et Les troubles psychomoteurs sont des troubles neuro-
proprioceptives, de l’anticipation qui autorise un mouvement fluide développementaux qui affectent l’adaptation du sujet dans sa
et de l’actualisation des programmes moteurs. dimension perceptivomotrice. Leurs étiologies sont plurifactorielles

3
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
et transactionnelles associant des facteurs génétiques, vulnérabilité aux troubles psychiatriques [78]. Ils sont d’ailleurs plus
neurobiologiques et psychosociaux qui agissent à différents niveaux fréquemment retrouvés dans les difficultés d’apprentissage scolaire,
de complémentarité et d’expression. Ils sont souvent situationnels et les désordres psychiatriques et les troubles cognitifs. La majorité de
discrets, entravant en priorité les mécanismes d’adaptation, ces signes correspond à des symptômes classiquement mis en
constituant une source de désagrément et de souffrance pour le évidence par l’examen psychomoteur : mouvements anormaux,
porteur et le milieu social. troubles du tonus (syncinésies, dysdiadococinésie) et de l’équilibre,
incoordination motrice, agnosie digitale, confusion droite-gauche,
troubles perceptivomoteurs.
ÉLÉMENTS HISTORIQUES
La notion de trouble psychomoteur n’a cessé d’évoluer depuis son
apparition au début du siècle [25]. D’un côté, avec Baruk notamment, Trouble déficit de
les troubles psychomoteurs sont étudiés dans le cadre de la
psychiatrie de l’adulte. Il les définit comme des troubles de la l’attention/hyperactivité
motricité supérieure, « volontaire », ne répondant pas à une lésion
en « foyer » et qu’un sujet sain peut parfaitement imiter. Il considère Le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDA/H) touche,
que l’association avec une pathologie psychiatrique est indiscutable selon les études, de 2 à 3 % des filles et de 6 à 9 % des garçons dans
mais la psychogenèse du trouble est rejetée car le SNC joue un rôle la tranche d’âge des 6-12 ans, chiffres qui passent respectivement de
primordial. Les rapports entre trouble psychomoteur, trouble 1 à 2 % et de 3 à 4,5 % durant l’adolescence [12] et principalement les
neurologique et trouble psychiatrique sont envisagés mais une garçons avec un sex-ratio qui varie de 9/1 dans les échantillons
certaine équivoque demeure qui sera à l’origine de nombreuses cliniques à 4/1 dans les études épidémiologiques [21]. Souvent
méprises ultérieures. spectaculaire dans ses manifestations motrices, difficilement
Par ailleurs, l’observation, dans les années 1920, des séquelles supporté par le milieu, il comporte aussi une composante moins
postencéphalitiques chez l’enfant suscite l’intérêt pour des visible mais tout aussi déstabilisatrice pour l’individu lui-même : le
manifestations qui seront reprises, pour certaines d’entre elles, sous déficit de l’attention.
la dénomination de troubles psychomoteurs : hyperactivité, troubles Le DSM III distinguait d’ailleurs un TDA/H et un trouble sans
de l’attention, troubles des apprentissages, troubles affectifs et hyperactivité, alors que le DSM III-R insistait plus sur l’hyperactivité
comportements agressifs. En France, Wallon met en place une en raison du caractère perturbateur du comportement tout en
typologie psychomotrice en sept niveaux, transposition à l’enfant de maintenant cette distinction. Il décrit en effet un trouble de
la pathologie neurologique adulte qui sera critiquée à plusieurs l’hyperactivité avec déficit de l’attention, dans le cadre des
reprises (par Koupernik ou encore de Ajuriaguerra et Stambak) et comportements perturbateurs, dont l’âge de survenue se situe dans
sera, par la suite, abandonnée. Les auteurs de langue anglaise la moitié des cas avant 4 ans et un trouble déficitaire de l’attention
tomberont dans le travers inverse consistant, en raisonnant par non différencié. Dans la version la plus récente du DSM [34], le
analogie, à ne voir dans ces manifestations qu’une seule entité TDA/H s’organise autour de deux dimensions : le déficit de
pathologique qui est connue sous la dénomination de syndrome de l’attention d’un côté et l’hyperactivité-impulsivité de l’autre
Strauss et qui peut être rencontrée chez des enfants ayant souffert (tableau I).
d’atteintes neurologiques diverses mais aussi auprès d’enfants La CIM 10 [64, 65] distingue la catégorie des troubles hyperkinétiques
indemnes, apparemment, de telles affections [74]. Ainsi, le terme de répondant à la présence d’une inattention (six symptômes sur neuf),
« lésion cérébrale a minima », utilisé au départ, est progressivement d’une hyperactivité (trois symptômes sur cinq) et d’une impulsivité
délaissé car la preuve d’une lésion cérébrale ne peut être (un symptôme sur quatre) qui sont envahissantes, persistantes et
administrée, la diversité des tableaux cliniques commence à être présentes dans plusieurs situations et qui ne sont pas dues à un
soulignée et l’impact de ce terme sur les parents est pour le moins autre trouble (par exemple autisme ou trouble de l’humeur). Les
négatif. Cette notion est alors remplacée par celle de symptômes sont pratiquement superposables à ceux du DSM IV.
« dysfonctionnement cérébral a minima » (DCM). Longtemps Ce trouble comporte trois ensembles de signes qui sont : le déficit
synonyme de syndrome hyperkinétique, le DCM recouvre en fait de l’attention, l’impulsivité et l’agitation motrice ou hyperactivité.
un champ plus vaste et ne se cantonne pas à la pathologie infantile.

DÉFICIT DE L’ATTENTION
DYSFONCTIONNEMENT CÉRÉBRAL A MINIMA
Le sujet n’écoute pas, n’arrive pas à se concentrer et à persévérer
La notion de DCM est indissociable de celle de troubles
dans la réalisation de son travail scolaire ou dans ses jeux. Tout effort
psychomoteurs. Ces derniers comportent trois caractères [25] :
d’attention lui est difficile et le moindre élément parasite le détourne
l’existence de symptômes d’un dysfonctionnement cérébral, un
rapidement de la tâche en cours. Il peut ainsi s’attacher à des
complexe psychopathologique et une pluralité étiologique que nous
éléments non pertinents du travail qu’il est en train d’accomplir et
retrouvons dans les différents troubles étudiés.
perd de vue l’objectif principal. Il égare ses affaires qu’il s’agisse de
Les signes doux (soft signs), qui suggèrent cette neuropathie, peuvent vêtements, de matériel scolaire ou de jouets. Il existe différents
être différenciés en plusieurs groupes [74] : degrés de gravité depuis la tendance à la distraction épisodique
– les signes spécifiques, appelés équivoques car ils peuvent résulter jusqu’à l’impossibilité de poursuivre plus de quelques minutes une
ou non d’une atteinte neurologique : nystagmus ou déviation des même activité. La motivation du sujet à l’égard de l’activité peut
index par exemple ; aussi jouer un rôle et les manifestations peuvent être situationnelles.
Douglas [33] parle de leur incapacité de « s’arrêter, regarder et
– les déviations légères par rapport à la normalité, difficiles à
écouter » (stop, look and listen). Les troubles de l’attention restent
détecter : asymétrie du tonus, réflexes légèrement anormaux ;
relativement stables au cours du développement alors que les autres
– les indices d’un retard de développement qui posent le problème manifestations ont tendance à diminuer.
de leur interprétation : incoordination motrice, retard de langage.
Leur existence a été mise en doute et les divergences quant à leur
signification et leur étiologie persistent dans la mesure où ils IMPULSIVITÉ
renvoient à des facteurs hétérogènes (atteinte cérébrale précoce, Il s’agit d’une réponse trop rapide devant une situation sans tenir
phénomène transitoire lié à la maturation, origine génétique). Il n’en compte des informations disponibles qui pourraient amener l’enfant
demeure pas moins qu’ils constituent une série d’indices de à modifier son comportement. Elle intervient aussi bien au niveau
désordres comportementaux ou cognitifs futurs dont la présence est moteur que social ou cognitif. Ainsi, sauter dans une piscine
relativement stable dans le temps, signalant une sorte de profonde sans même savoir nager ou absorber le contenu d’un

4
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

amener le rejet, voire l’éviction du milieu scolaire, s’accompagnant


Tableau I. – Critères diagnostiques selon le DSM IV du trouble déficit parfois d’un sentiment de dévalorisation ou d’une perte de l’estime
de l’attention/hyperactivité.
de soi réactionnels.
Première série : inattention. Le diagnostic exige au moins six symptômes sur neuf

1. souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails ou fait des fautes d’étour- ÉVOLUTION DES MANIFESTATIONS
derie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités
2. a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux Au cours du développement, le sujet hyperactif se présente sous
3. semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement des aspects divers. Dès le plus jeune âge, l’enfant manifeste un
4. souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses certain nombre de perturbations lors des premiers apprentissages, il
devoirs scolaires, ses tâches domestiques, ou ses obligations professionnelles (cela dort apparemment peu et mal, a des problèmes alimentaires, cherche
n’est pas dû à un comportement d’opposition, ni à une incapacité à comprendre les
consignes) à éviter les contacts et les caresses. Les accidents et blessures sont
5. a souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités fréquents ainsi que les cris qui s’avèrent difficilement apaisables. Les
6. souvent, évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un manifestations externalisées sont alors au premier plan.
effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la maison)
7. perd souvent les objets nécessaires à son travail ou ses activités (par exemple
Vers 3 ou 4 ans, il est décrit comme obstiné, autoritaire, coléreux,
jouets, cahiers de devoirs, crayons, livres ou outils) tolérant mal les frustrations même les plus élémentaires. À l’école
8. souvent, se laisse facilement distraire par des stimulus externes maternelle, il est bruyant, rarement sur sa chaise, se promène dans
9. a des oublis fréquents dans la vie quotidienne la classe, perturbe les activités des autres enfants. L’adulte, en
Deuxième série : hyperactivité-impulsivité. Le diagnostic exige particulier la mère, est l’objet de véritables harcèlements et peut
au moins quatre symptômes sur six difficilement se consacrer à une autre personne en présence de
l’enfant. La socialisation est extrêmement délicate.
Hyperactivité
1. remue souvent les mains ou les pieds ou se tortille sur son siège À 6 ans, l’entrée à l’école primaire entraîne souvent la première
2. se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé rester assis consultation car le niveau de tolérance du milieu scolaire n’est pas
3. souvent, court ou grimpe partout dans des situations où cela est inapproprié (chez le même que dans la famille et des comportements acceptés
les adolescents ou les adultes, ce symptôme peut se limiter à un sentiment subjectif
d’impatience motrice)
jusqu’alors par les parents sont considérés comme inadaptés dans le
4. a souvent du mal à se tenir tranquille dans les jeux ou les activités de loisirs cadre de la classe. L’enfant se fait remarquer par son indiscipline,
5. est souvent sur la « brêche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ses bavardages, ses rêveries. Ses comportements dérangent, voire
ressorts » déstabilisent la classe et les autres enfants. Les troubles de l’attention
6. parle souvent trop surviennent vers cet âge-là. L’enfant a des difficultés à finir ses
Impulsivité devoirs et à tenir ses engagements, aussi bien envers les adultes
7. laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas entièrement posée
qu’envers ses pairs, à organiser son travail. Les oublis, tant sur le
8. a souvent du mal à attendre son tour
9. interrompt souvent les autres ou impose sa présence (par exemple fait irruption
plan matériel que social, sont fréquents. Rejeté du milieu scolaire,
dans les conversations ou dans les jeux) ayant peu de relations avec ses pairs, l’enfant a tendance à se
dévaloriser et à perdre l’estime de soi. De nombreuses
On donne ensuite quatre conditions supplémentaires pour porter le diagnostic
1. le début se produit avant 7 ans
manifestations réactionnelles peuvent ainsi apparaître.
2. on trouve les symptômes dans au moins deux situations ( par exemple école, Les symptômes persistent à l’adolescence d’autant plus que le
maison, travail) niveau d’hyperactivité-impulsivité est élevé, que des troubles de
3. le trouble engendre une détresse cliniquement significative ou une inadaptation conduites ou des comportements agressifs sont associés, que les
dans le fonctionnement social, scolaire ou professionnel
4. le trouble ne se produit pas de façon exclusive au cours d’un trouble envahissant conflits familiaux sont importants. À l’âge adulte, on considère que
du développement, une schizophrénie ou une autre psychose et ne peut pas être 30 à 50 % des sujets présentent encore des manifestations nettes [12].
mieux qualifié comme un autre trouble mental (trouble thymique, anxieux, disso-
ciatif ou un trouble de la personnalité)
ÉVALUATION DU TROUBLE
Devant un syndrome déficitaire de l’attention, l’évaluation
flacon de produits ménagers constituent les types d’accidents
psychomotrice comporte trois axes : l’étude du comportement, des
auxquels sont souvent exposés les enfants hyperactifs. Ils font tests spécifiques et des tests complémentaires [26].
fréquemment des interventions intempestives ou dépourvues de tact
à l’école ou dans le milieu familial et supportent difficilement ¶ Étude du comportement
d’attendre leur tour dans un jeu de société. Ils ne prennent pas le
temps de réfléchir avant de répondre et ne parviennent pas à inhiber Elle associe :
leurs réponses motrices ou verbales. – le recueil des données au cours d’un entretien dirigé permettant
de préciser les circonstances d’apparition des symptômes (caractère
intermittent ou continu, aspect discret ou envahissant, durée,
HYPERACTIVITÉ
fréquence, présence d’éléments déclenchants, réactions du milieu),
Moins fréquente dans la population féminine, l’hyperactivité l’anamnèse du sujet et l’histoire du trouble, les stratégies et
constitue le grief principal de l’instituteur ou des parents et motive traitements déjà mis en place avant la consultation ;
la consultation. L’enfant est en perpétuel mouvement et ne peut
– des échelles de comportement, comme celles de Conners, de
s’arrêter. Cette activité motrice incessante apparaît même dans un
Barkley [26] ou l’échelle de Brown pour adolescent qui amènent une
milieu nouveau contrairement à l’enfant non hyperkinétique qui a
dimension quantitative et permettent le suivi du traitement ;
tendance à se calmer devant un environnement inconnu. Tout ce qui
est à la portée de l’enfant est manipulé, porté à la bouche et tout – une prise de contact avec les autres intervenants que sont le
aussi rapidement rejeté. L’usure anormale des vêtements, en médecin traitant, les enseignants et les thérapeutes de l’enfant
particulier des chaussures, est mentionnée par les parents. (orthophoniste et quelquefois psychiatre ou neuropédiatre) qui
L’évaluation quantitative par actigraphe indique que les enfants apporte des informations sur la survenue des manifestations
TDA/H présentent peu de périodes de réduction de l’activité au hyperkinétiques dans différents milieux et sur les réponses de
cours de la journée, contrairement aux autres enfants, y compris l’enfant aux interventions thérapeutiques en place.
ceux qui sont porteurs d’un trouble bipolaire maniaque,
caractéristique qui persiste chez les sujets adultes avec une ¶ Utilisation de tests spécifiques
symptomatologie résiduelle [86]. Ils mettent en évidence et permettent d’apprécier l’intensité des
Ces divers comportements entraînent souvent des conflits avec symptômes et leur retentissement sur un certain nombre d’activités
l’entourage, des troubles des apprentissages scolaires qui peuvent psychomotrices.

5
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
– L’évaluation du déficit attentionnel se fait, pour l’attention Les facteurs génétiques sont envisagés devant les études sur les
soutenue, à l’aide des tests de barrages dans lesquels le sujet doit groupes de jumeaux et les enfants adoptés, la répartition familiale
repérer et biffer à l’aide d’un crayon un élément particulier au sein avec une héritabilité estimée de 70 % [68].
d’un ensemble de signes similaires : le test de Corkum et al [23], le Sur le plan neuroanatomique, les études par imagerie par résonance
test des deux barrages de Zazzo [98], le test d’attention d2. Pour magnétique (IRM) indiquent certaines anomalies : volume réduit du
l’attention sélective, le test de Stroop met en évidence une sensibilité lobe frontal et des ganglions de la base principalement [84], altération
importante des sujets lors de la condition d’interférence (nommer la du vermis cérébelleux [15]. Un développement atypique du cerveau
couleur d’impression d’un mot correspondant à un nom de couleur est invoqué comme facteur étiologique devant l’association
différent, rouge écrit en vert par exemple). L’enfant TDA/H est plus fréquente du TDA/H avec la dyslexie et le trouble de l’acquisition
lent et fait plus d’erreurs que les sujets contrôles dans cette situation. de la coordination, développement atypique qui s’exprimerait sous
Les labyrinthes de Porteus mesurent à la fois l’attention que le sujet des formes multiples selon la localisation, le moment d’apparition
porte au matériel pour trouver la sortie et l’impulsivité puisque au cours du développement et la sévérité de l’atteinte [54].
toute incursion dans une partie du labyrinthe se terminant en cul- Les données neurochimiques sont issues des effets positifs des
de-sac est prise en compte et amène un nouvel essai. psychostimulants dans le traitement du trouble. Les
– Pour l’impulsivité, le test d’appariement d’images permet de psychostimulants augmentent le niveau de dopamine extracellulaire,
différencier nettement les sujets TDA/H des sujets contrôles. Il s’agit en bloquant le transporteur de la dopamine et en inhibant son
de choisir parmi un groupe d’images celle qui correspond au recaptage, ce qui a pour effet de prolonger les effets du
modèle. Les sujets répondent plus rapidement, donnent moins neurotransmetteur au niveau de la synapse [77]. Une action sur la
souvent une première réponse correcte et fournissent un plus grand neurotransmission noradrénergique est également mentionnée [9].
nombre de réponses erronées. Il est souvent difficile de séparer, dans Les facteurs neurophysiologiques les plus probants sont ceux fournis
les résultats des examens pratiqués, les effets liés à l’impulsivité et par le recueil des potentiels évoqués cognitifs [85]. Les latences des
ceux qui ont pour origine un déficit d’attention. D’une part, les composantes P3a et P3b, composantes auxquelles on associe des
épreuves mesurant l’impulsivité font partie d’un ensemble de tâches étapes du traitement de l’information comme l’évaluation des
qui demandent également un degré d’attention élevé pour une stimulus et l’actualisation en mémoire, sont plus longues chez les
réalisation optimale. De plus, les tests d’attention continue montrent TDA/H que chez les contrôles, différence qui disparaît lors d’un
que les erreurs par substitution sont significatives des enfants traitement par méthylphénidate. D’autres études indiquent une
considérés comme impulsifs. diminution du débit sanguin cérébral et du métabolisme du glucose
– Le niveau d’agitation de l’enfant en situation structurée est évalué de certaines régions antérieures du cerveau chez les sujets TDA/H.
au cours de la passation des différentes échelles de développement Les facteurs psychosociaux apparaissent plus comme des facteurs
psychomoteur (LOMDS, WACS, Brunet-Lezine) qui nous informent favorisants que comme des facteurs déterminants. De plus, ils ne
sur la façon dont l’enfant réagit à une consigne et devant une mise sont pas spécifiques au TDA/H. Biederman et al [18] montrent ainsi
en situation concrète ; l’apparition de séquences motrices parasites que le pourcentage de TDA/H augmente avec le nombre de facteurs
plus ou moins importantes ponctue la réalisation des items. Ces de risque, passant de 7,4 % avec un facteur à 41,7 % avec quatre
épreuves montrent également la capacité à maintenir ou non son facteurs parmi les six suivants : désaccord conjugal important,
attention sur une tâche pendant un certain laps de temps. niveau socioéconomique faible, famille nombreuse, criminalité
paternelle, trouble mental maternel, placement familial. La même
¶ Tests complémentaires augmentation est retrouvée pour un ensemble de troubles mentaux.
Ils ne mesurent pas de façon explicite les troubles mentionnés mais Certaines conditions du milieu jouent cependant un rôle dans la
certaines manifestations rencontrées lors de leur passation sont réduction ou l’aggravation de la symptomatologie. Les identifier
caractéristiques du syndrome hyperkinétique. C’est le cas pour le permet d’ailleurs d’agir sur elles au cours du traitement.
reversal test, test de maturité pour la lecture qui comporte des Sur le plan neuropsychologique, le modèle proposé par Barkley [13]
discriminations perceptives visuelles opérées parmi des paires de met l’accent sur le déficit des capacités d’autocontrôle et d’inhibition
signes orientés de façon identique ou différente. L’enfant parvient comportementale, le trouble de l’attention étant secondaire. Ce
rarement à suivre l’ordre de présentation des figures et son regard déficit de l’inhibition constitue le premier niveau et a des
« papillonne » d’une extrémité à l’autre de la feuille, ce qui entraîne répercussions sur quatre capacités neuropsychologiques considérées
de nombreux oublis. Il en est de même dans certains subtests du comme étant des fonctions exécutives, à savoir des activités mentales
test de développement de la perception visuelle de Frostig, la qui se produisent au cours du délai précédant la réponse. Ces
reproduction des structures rythmiques de Stambak [98] ou encore le fonctions (deuxième niveau) entraînent des effets observables au
test des formes identiques de Thurstone. Des détails sont oubliés troisième niveau qui est comportemental et concerne notamment le
dans les épreuves visuoconstructives comme la figure complexe de contrôle moteur. Les systèmes ou fonctions exécutives sont les
Rey. suivants : mémoire de travail, autorégulation des motivations et de
l’éveil, internalisation du langage et reconstitution. Les difficultés
COMORBIDITÉS rencontrées au niveau de la mémoire de travail sont l’intrusion
Un certain nombre d’associations morbides, dont la fréquence n’est d’une information non pertinente qui détourne le sujet de la tâche
pas due au seul hasard, fait l’objet d’études depuis 10 à 15 ans [17]. principale, ou le maintien d’un matériel qui n’est plus pertinent
Les comorbidités les plus fréquentes sont le trouble des conduites et pouvant aboutir à un phénomène de persévération. Un défaut de
le trouble oppositionnel avec provocation, les troubles anxieux, les l’autorégulation des motivations et de l’éveil aboutit par exemple à
troubles de l’humeur, les troubles des apprentissages, le syndrome une dépendance extrême aux renforcements externes par opposition
de Gilles de la Tourette et les tics chroniques. Les pourcentages à une motivation interne devant une tâche considérée comme
varient selon le mode de recrutement des échantillons de population contraignante. L’internalisation du langage renvoie aux observations
considérés et la nature de l’étude. La présence de comorbidités faites sur l’enfant qui utilise spontanément le langage pour planifier,
complexifie l’établissement du diagnostic, nécessite de prendre un réguler ses comportements et surmonter les difficultés qu’il
certain nombre de précautions au cours de l’évaluation ainsi que rencontre dans la résolution d’un problème avec une fonction
pour la mise en place du traitement. Ainsi, la comorbidité TDA/H d’autoguidage. L’atteinte de la reconstitution renvoie à un manque
et état dépressif augmente le risque de suicide et, de plus, répond de créativité et de flexibilité devant un problème nouveau, aussi bien
moins bien aux traitements par psychostimulants [95]. au niveau de la motricité que du langage. Ces différentes fonctions
permettent à l’individu de contrôler des comportements finalisés,
FACTEURS ÉTIOLOGIQUES de pouvoir s’adapter aux conditions changeantes du milieu et de
L’étiologie du TDA/H n’est pas connue. Un ensemble de facteurs mettre en œuvre des réponses motrices coordonnées, complexes et
joue un rôle à des degrés divers. variées. Les différentes manifestations et les symptômes du TDA/H

6
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

sont la conséquence d’un dysfonctionnement, d’un retard de TROUBLES DE L’ACQUISITION DE LA COORDINATION


maturation ou d’une atteinte de l’un de ces modules. Le modèle de ET DYSPRAXIES
Barkley insiste sur le fait que le TDA/H est plus un déficit Les disparités observées peuvent se situer sur quatre plans [47]. Un
d’inhibition comportementale qu’un défaut d’attention et propose premier élément de variation est rencontré dans l’étendue des
même d’y substituer un terme comme celui de « trouble de difficultés de coordination : certains enfants sont incapables de
l’inhibition comportementale ». réaliser une quelconque action motrice, renvoyant peut-être au
Le trouble hyperactivité avec déficit de l’attention est un trouble tableau, par ailleurs discutable, décrit par Dupré sous le nom de
psychomoteur hautement perturbateur dont les répercussions sur « débilité motrice », le langage pouvant également manquer de
l’adaptation scolaire et sociale sont parfois désastreuses. L’excès de clarté alors que pour d’autres, le déficit ne se manifeste que dans
mouvements entraîne de nombreux conflits avec l’environnement et certaines activités quotidiennes ou sur le seul plan manuel. Le
joue un rôle important dans l’échec scolaire de par sa fréquence dans deuxième niveau est celui posé par le degré de gravité du problème,
la population générale. Tout cela nécessite impérativement une allant de la simple lenteur dans les activités motrices qui entrave la
intervention thérapeutique plurimodale qui conjugue, idéalement, scolarité, à l’incapacité totale d’apprendre certains gestes ou de
rééducation psychomotrice, étude et modification des interactions réaliser certains apprentissages. Troisièmement, l’apparition des
familiales, aménagement de l’environnement scolaire, sans troubles peut se situer dès les premiers gestes du nouveau-né ou, au
mésestimer l’utilité de la chimiothérapie [26, 35]. Associé aux autres contraire, n’apparaître qu’au moment de l’entrée à l’école primaire,
approches, le méthylphénidate (Ritalinet) est, aujourd’hui, le lorsque le degré d’exigence augmente. Enfin, les incoordinations
traitement pharmacologique de choix. Une revue [82] portant sur motrices peuvent être isolées ou être associées à d’autres troubles
155 études contrôlées regroupant 5 768 sujets (enfants, adolescents comme le TDA/H ou la dyslexie [54].
et adultes) au total, conclut à l’efficacité des psychostimulants dans
70 % des cas. Les effets bénéfiques portent sur une large gamme de ¶ Signes d’appel
comportements : diminution de l’activité motrice, notamment celle Sont retrouvés :
qui est extérieure à la tâche, augmentation de l’attention générale et
de l’implication à l’égard des activités, diminution de l’agressivité, – des difficultés dans les activités quotidiennes telles que s’habiller,
amélioration des interactions parents-enfants et des relations avec la faire sa toilette, utiliser les couverts et un retard dans le
fratrie et les pairs. Les effets secondaires sont limités (diminution de développement psychomoteur (marche, course, saut, lancer ou
l’appétit, insomnie, céphalées, gastralgies). Le risque d’une attraper une balle, etc). Pour les plus grands, le désordre
toxicomanie ultérieure engendrée par la prise de psychostimulants visuoconstructif est souvent au premier plan : puzzle, figures
est à ranger au rayon des mythes si l’on en croit les études géométriques, maquettes sont difficiles, voire impossibles, à réaliser ;
longitudinales, celle de Weiss ayant une durée d’au moins 30 ans [94]. – une lenteur importante dans les différentes activités motrices.
Cette prescription doit s’accompagner de deux précautions L’enfant se signale, en classe, par son incapacité à rendre un travail
essentielles : s’assurer du maintien ou mettre en place des achevé dans le temps imparti. Si une augmentation de la vitesse est
interventions non médicamenteuses (cf supra) et prendre en compte imposée, elle contribue à favoriser la maladresse. Certains ont vu
les comorbidités qui, il faut le rappeler, sont fréquentes. Des fenêtres dans cette manifestation une tentative de contrôle de
thérapeutiques permettent enfin d’apprécier, à intervalles réguliers, l’incoordination motrice par diminution du temps d’exécution ;
le bien-fondé du maintien ou de l’arrêt du traitement.
– un trouble des apprentissages scolaires avec une dysgraphie, des
Les études sur le devenir de l’enfant hyperactif indiquent que les difficultés en arithmétique, en géométrie, dans l’apprentissage de la
manifestations, ayant subi quelques modifications, persistent lecture et, de façon générale, une scolarité perturbée malgré une
souvent à l’adolescence et à l’âge adulte. S’y ajoute parfois une intelligence le plus souvent moyenne.
composante sociopathique. Les difficultés cognitives, émotionnelles Les critères diagnostiques du DSM IV insistent sur le retard dans la
et comportementales se rencontrent encore chez nombre d’adultes réalisation des coordinations motrices nécessaires aux activités
avec leur cortège de désadaptations [94]. quotidiennes, perturbation gênant la réussite scolaire ou les activités
de la vie courante et non due à une affection médicale générale.
La CIM 10 distingue un trouble spécifique du développement
Troubles du mouvement intentionnel moteur dont « la caractéristique essentielle (...) est une altération du
et de la coordination motrice développement de la coordination motrice, non imputable
entièrement à un retard intellectuel global ou à une affection
neurologique spécifique, congénitale ou acquise (...). La maladresse
Point cardinal de la psychomotricité, le mouvement intentionnel motrice s’accompagne habituellement d’un certain degré d’altération
peut être affecté de multiples manières au cours du développement des performances cognitives dans le domaine visuospatial ».
de l’enfant. Simple retard ou trouble, les difficultés de coordination L’altération est variable en intensité, les manifestations diffèrent
motrice chez l’enfant ont été décrites depuis fort longtemps sous selon l’âge. Sous ce terme sont incluses les appellations de débilité
des terminologies diverses regroupant des réalités cliniques motrice, dyspraxie de développement et trouble de l’acquisition de
variables. Parmi les différentes appellations, nous retenons le trouble la coordination (tableaux II, III).
de l’acquisition de la coordination [4, 5] dans lequel on peut isoler les
dyspraxies de développement, et les dysgraphies. On estime la prévalence du trouble d’acquisition de la coordination
à 5 à 10 % selon les études et les critères de gravité retenus [53, 54]. Le
Le terme, souvent employé, d’enfant « maladroit » suggère, à tort, sex-ratio varie de 2/1 à 7/1 selon les études [53]. Les troubles
l’existence d’un concept unitaire de maladresse qui ne correspond persistent à l’adolescence et à l’âge adulte comme le montrent les
en rien à la multiplicité des tableaux cliniques et à l’hétérogénéité études longitudinales [20, 46, 60].
de la population regroupée sous ce vocable. De plus, à la suite des
Sur le plan clinique, les signes se retrouvent à divers niveaux :
travaux de Fleishman [37], les analyses factorielles ont démontré
psychomoteur, neurologique, intellectuel.
l’absence d’un facteur général de psychomotricité, éclairant les
variations observées sur le plan clinique. Ainsi, un individu peut Les signes neurologiques sont fréquents, il s’agit souvent de signes
présenter une incoordination motrice dans un domaine particulier légers qu’un examen spécifique [90] met en évidence. Mouvements
et être totalement adapté dans d’autres. Ces constatations ont suscité choréiques, athétosiques, tremblements unilatéraux, troubles du
une modification des outils d’évaluation et des méthodes tonus et de l’équilibre, anomalies de l’électroencéphalogramme
thérapeutiques qui mettent désormais l’accent sur le caractère (EEG) sont également mentionnés [5, 83].
spécifique de l’intervention au détriment des méthodes globales Sur le plan intellectuel, une différence au WISC est retrouvée entre
prônées jusqu’alors. les différents scores. Le quotient intellectuel de performance (QIP)

7
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
associé à la réalisation de mouvements symboliques et complexes
Tableau II. – Critères diagnostiques du trouble de l’acquisition de la
comportant une succession de mouvements simples. La dyspraxie
coordination (DSM IV).
constructive est très fréquente (17 cas sur 21 sujets chez Gubbay),
A. La réalisation des activités de la vie de tous les jours nécessitant une coordination avec difficulté ou incapacité totale à reproduire, avec un crayon ou à
motrice est significativement inférieure à ce que l’on pourrait attendre compte tenu l’aide de bâtonnets, des figures géométriques simples ou complexes
de l’âge chronologique du sujet et de ses capacités intellectuelles. Cela peut se mani-
fester par des retards importants dans les étapes du développement psychomoteur habituellement copiées à l’âge considéré, et peut expliquer la gêne
(marcher, ramper, s’asseoir), par le fait de laisser tomber des objets, par une « mala- éprouvée par certains enfants devant un problème de géométrie. Le
dresse », par de mauvais résultats sportifs, ou une mauvaise écriture dessin du bonhomme comporte également des anomalies : le dessin
B. La perturbation décrite sous A gêne de façon significative les résultats scolaires ou
les tâches de la vie quotidienne
est pauvre, de dimension plus réduite, irrégulier avec parfois
C. Non dû à une affection somatique connue, comme une infirmité motrice céré- l’observation d’un tremblement ; les formes sont incomplètes, les
brale, une hémiplégie ou une dystrophie musculaire, ne répond pas aux critères lignes ne s’arrêtent pas clairement aux points de jonction et la
d’un trouble envahissant du développement pression est irrégulière [14]. La dyspraxie de l’habillage est surtout
D. S’il existe un retard mental, les difficultés motrices dépassent celles habituelle-
ment associées à celui-ci manifeste dans les activités de boutonnage et de laçage. Certains
parents remédient d’ailleurs spontanément à cette difficulté en
habillant leurs enfants avec survêtements et chaussures dépourvues
Tableau III. – Critères diagnostiques pour la recherche du trouble spé- de lacets.
cifique du développement moteur (CIM 10, 1994).
Les dyspraxies faciales sont également mises en relation avec des
A. Le résultat obtenu à un test standardisé de coordination motrice se situe à au troubles des coordinations [8]. Aspect figé du faciès, difficultés
moins deux écarts-types en dessous du niveau escompté, compte tenu de l’âge chro- d’imitation des mouvements de la face, troubles des systèmes
nologique
phonatoire, articulatoire et respiratoire peuvent être retrouvés.
B. La perturbation décrite en A interfère de façon significative avec les performances
scolaires ou avec les activités de la vie courante L’épreuve de motricité faciale [98] peut être utilisée et un examen
C. Absence de toute affection neurologique identifiable orthophonique recommandé.
D. Critère d’exclusion le plus couramment utilisé. Le quotient intellectuel évalué par
un test standardisé passé de façon individuelle, est inférieur à 70
Les difficultés d’écriture sont fréquentes, liées à la fois aux troubles
visuoconstructifs et aux difficultés de coordination motrice.
est inférieur de 20 points au quotient intellectuel verbal (QIV) et Les gnosies digitales et la connaissance verbale des parties du corps
certains subtests de l’échelle de performance qui mesurent une sont quelquefois imparfaites. L’examen de la dominance latérale
dimension visuospatiale sont particulièrement touchés : cubes et peut mettre en évidence une ambilatéralité.
assemblage d’objets. Cette différence ne semble pas systématique.
Elle n’est retrouvée que chez 48 % des 82 sujets dans l’étude ¶ Formes cliniques et étiologie
d’Albaret [5] et n’apparaît pas dans certaines études ou s’inverse [60].
Plusieurs formes cliniques ont été décrites [5, 32, 48, 63, 83] . Ces
¶ Examen clinique classifications mettent l’accent sur la variété des présentations
cliniques avec prédominance de l’un ou l’autre des symptômes,
L’examen psychomoteur porte en premier lieu sur l’exploration des association de troubles neurologiques, neuropsychologiques ou de
troubles des coordinations motrices qui intéressent notamment la désordres de la personnalité, mais ces regroupements ont
motricité manuelle [4, 7]. Pour les sujets âgés de 6 à 14 ans, l’échelle actuellement peu d’implications thérapeutiques. Il apparaît, en fait,
de développement psychomoteur de Lincoln-Oseretsky est utilisée ; que le trouble d’acquisition de la coordination est un ensemble très
elle comporte 36 items regroupés en six facteurs (contrôle-précision vaste comportant plusieurs sous-groupes dont les dyspraxies de
au niveau manuel, coordinations globales, activité alternative des développement qui sont elles-mêmes hétérogènes.
deux membres, vitesse doigt-poignet, équilibre et coordinations
Les facteurs étiologiques mentionnés sont divers : trouble du
manuelles) qui sont atteints à des degrés divers chez l’enfant
développement cérébral, facteurs héréditaires, absence de
dyspraxique ; les épreuves chronométrées font apparaître la lenteur
dans l’exécution des tâches. Pour les plus jeunes, de 3 ans et 6 mois stimulation et limitation des occasions d’apprentissage, motivation
à 6 ans, l’échelle de Charlop-Atwell permet d’apprécier quatre de l’enfant. Comme pour la majorité des troubles psychomoteurs, la
catégories de coordinations motrices : pluralité étiologique doit donc être, là aussi, envisagée. La
prématurité est un facteur de risque, notamment pour les troubles
– 1. coordination entre membres supérieurs et membres inférieurs visuoconstructifs [30]. Les facteurs pré-, péri- ou néonataux sont
regroupant le « pantin » et l’« animal préhistorique » ; présents chez un grand nombre d’enfants dyspraxiques, jusqu’à
– 2. coordination de deux actions simultanées avec « saut avec 51 % pour Gubbay [ 4 3 ] . À l’aide du CT-scan, un taux élevé
demi-tour » et « tournoiement » ; d’anomalies cérébrales non spécifiques, dilatation ventriculaire,
atrophie corticale ou démyélinisation, a été signalé [55] ainsi que des
– 3. équilibre dynamique représenté par des « sauts successifs sur anomalies EEG. Des signes doux sont fréquemment retrouvés ; ils
un pied » ; peuvent être en faveur d’un dysfonctionnement du cervelet ou des
– 4. équilibre statique, sur la pointe des pieds. ganglions de la base [92].
La durée de passation est d’environ 15 minutes. Les critères objectifs Le défaut d’utilisation des rétroactions au cours de l’apprentissage
(score objectif) déterminent la réussite et le niveau de précision de psychomoteur a été mentionné chez l’enfant dyspraxique. Ce dernier
la performance. Ils prennent en considération le nombre d’essais semble accorder une importance excessive aux rétroactions visuelles,
nécessaires et le temps. Les critères qualitatifs (score subjectif) ce qui est utile en début d’apprentissage, mais hypothèque la phase
permettent de préciser le niveau de maturation et la façon dont est d’automatisation et pourrait expliquer la lenteur d’exécution [38].
réalisée la performance, éléments qui peuvent varier pour un score L’enfant dyspraxique serait ainsi contraint à la lenteur par nécessité
objectif identique. Le score subjectif offre ainsi des renseignements d’utiliser son attention à vérifier de manière incessante des
permettant d’approcher de façon moins évasive la régulation mouvements qui demeurent désordonnés. Cependant,
tonique du geste, la planification des séquences d’une action l’incoordination est toujours présente, même chez les sujets lents
complexe, éléments qui rendent compte de l’incoordination motrice. comme le montre l’étude d’une coordination bimanuelle
Les troubles des praxies constructives et gestuelles (idéomotrice et (mouvements de pronation-supination des deux avant-bras) dans le
idéatoire), constitutives des dyspraxies de développement, sont des cadre de la théorie des systèmes dynamiques avec une incapacité à
anomalies proches des apraxies de l’adulte. Elles sont appréciées conserver un patron de coordination en antiphase [22]. Des déficits
respectivement par la copie de la figure de Rey ou des formes de perceptifs ont aussi été incriminés : auditif [96], visuel [57], transfert
Bender-Santucci et par le test d’imitation de gestes de Bergès-Lezine intermodal [97].

8
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

¶ Facteurs associés – l’altération de l’écriture (tremblements, lettres mal formées,


télescopages ou absence de liaison, absence de boucles, traits
Le TDA/H est souvent associé au trouble de l’acquisition de la repassés, micrographie par exemple) ;
coordination [53, 54], ce qui a conduit certains auteurs à utiliser le
terme de déficit en attention, contrôle moteur et perception – les troubles spatiaux (mauvais alignement des lettres, mots serrés,
(DAMP) [40]. Des troubles d’apprentissages scolaires sont également absence de marge, lignes ascendantes ou descendantes) ;
retrouvés, notamment concernant la lecture, ainsi que des troubles – les troubles syntaxiques (difficulté à écrire des réponses
du langage [71]. grammaticalement correctes en réponse à une question alors que
Par ailleurs, plusieurs manifestations qui semblent réactionnelles à l’expression orale ne souffre pas d’une telle difficulté) ;
la prise de conscience des troubles sont notées : faible estime de soi, – la répugnance à écrire.
perte de la motivation, isolement social, voire dépression [60, 61, 75]. Altération graphomotrice et troubles spatiaux constituent l’aspect
psychomoteur. Il est d’ailleurs courant de distinguer les dysgraphies
¶ Traitement linguistiques des dysgraphies motrices, ce qui renvoie à la
distinction que l’on peut faire entre processus déclaratifs et
Les modalités de prise en charge des enfants et adolescents procéduraux. Il n’en demeure pas moins qu’une certaine confusion
présentant un trouble de l’acquisition de la coordination sont règne encore dans ce que l’on appelle troubles de l’écriture chez
nombreuses et variées [7, 27, 81]. Elles insistent sur la spécificité de l’enfant.
l’approche thérapeutique qui s’appuie, ici, sur les problèmes
La modélisation de l’écriture telle que l’on peut la rencontrer en
graphomoteurs, là, sur la préparation posturale au mouvement, là
neuropsychologie cognitive suggère, à la suite d’études faites sur
encore sur le déliement digital, ou l’augmentation de la vitesse
des patients adultes atteints de lésion cérébrale, l’existence d’une
d’exécution du mouvement. Selon l’importance des troubles
succession de composantes impliquées dans l’écriture [91, 99]. Trois
visuoconstructifs ou des troubles du tonus par exemple, les mises
systèmes sont distingués parmi les modules moteurs : le système
en situation sont différentes. Les troubles graphiques sont à
graphémique s’intéresse à la structure orthographique et dirige le
examiner de près pour essayer de déterminer leur lien éventuel avec
choix des lettres, le système allographique gère les différentes façons
un déficit praxique plus large éventuellement associé à des
dont une même lettre peut être écrite (minuscule ou majuscule,
difficultés visuoconstructives ou bien avec des troubles du tonus. Il
script ou cursive), le système graphomoteur précède l’exécution de
y a encore beaucoup à faire pour systématiser les prises en charge
l’écriture sur un plan neuromusculaire et concerne les données
psychomotrices de ce type de trouble dont les répercussions sur
spatiales, la direction et l’organisation des traits ainsi que leur taille.
l’individu peuvent être désastreuses. Il est donc nécessaire d’évaluer
Ces différents systèmes peuvent être atteints indépendamment. Il
avec soin les différents secteurs qui peuvent être déficitaires, compte
est encore difficile de savoir si, chez l’enfant, une atteinte de l’un ou
tenu de l’hétérogénéité du trouble, sans oublier de faire de même
l’autre de ces systèmes peut rendre compte des différentes formes
pour les thérapies mises en place.
de dysgraphie. Certains émettent l’hypothèse d’une altération du
système graphémique lorsque les lettres sont correctement formées
DYSGRAPHIES mais mal placées à l’intérieur du mot comme on peut le voir chez
l’enfant TDA/H par exemple, ou lorsque des lettres sont ajoutées.
Les classifications actuelles font peu de cas des troubles de l’écriture. L’altération du stockage allographique se manifeste par des erreurs
Le DSM IV mentionne un « trouble de l’expression écrite » parmi dans le choix du type des lettres, lettres d’imprimerie insérées au
les « troubles des apprentissages » qui concerne le versant milieu d’une écriture cursive par exemple, ce que l’on rencontre
orthographique et syntaxique et renvoie l’écriture illisible au dans les troubles des apprentissages. La copie d’un texte imprimé
« trouble de l’acquisition de la coordination » sans plus de précision. favorise ce type d’erreurs. Le dysfonctionnement ou le défaut
La CIM 10 mentionne une malhabileté pour l’écriture dans la d’utilisation du système graphomoteur pourrait correspondre à ce
description du trouble spécifique du développement moteur. Les que l’on appelle habituellement dysgraphie dans la littérature
travaux de de Ajuriaguerra et al [3] ont pourtant mis l’accent sur la française.
dysgraphie définie comme une atteinte de la qualité de l’écriture
Les principaux signes sont une mauvaise organisation de la page, la
sans que cette déficience puisse être expliquée par un déficit
maladresse du tracé et des erreurs de formes et de proportion dans
neurologique ou intellectuel. L’écriture est lente, fatigante, non
le traçage des lettres. La page donne l’impression d’un travail
conforme aux possibilités de tenue instrumentale de l’enfant et à
négligé, sale, les espaces entre les lettres et les mots ne sont pas
l’âge. Ils distinguaient cinq types de dysgraphie, peu individualisés :
respectés, l’enfant ne suit pas la ligne. Les lignes se rapprochent et
lents et précis, raides, mous, impulsifs, maladroits.
s’éloignent les unes des autres donnant ainsi un aspect sinusoïdal.
L’écriture se développe de façon non monotone : à une amélioration Ces manifestations sont certainement liées aux difficultés
des performances succède momentanément une détérioration. Cette d’orientation spatiale que présentent certains de ces enfants. Le
caractéristique du développement est liée au fait que le sujet mouvement est heurté, saccadé, manquant de fluidité, le trait est
substitue une nouvelle stratégie à l’ancienne, nouvelle stratégie qui, irrégulier, les liaisons entre les lettres sont souvent absentes. Les
avant de s’avérer plus efficace à long terme, entraîne une lettres sont mal proportionnées, trop larges ou trop hautes ou, au
perturbation passagère. On a ainsi, vers 5-6 ans, une prédominance contraire, atrophiées et déformées. Le geste graphique est très
de mouvements balistiques rapides, de courte durée avec des pics variable, avec une mauvaise régulation du geste au niveau spatial,
de vitesse élevés. Entre 7 et 8 ans, on assiste à une période temporel et cinématique.
d’instabilité au niveau graphique avec des mouvements décomposés Les dysgraphiques présentent souvent des difficultés de position de
en plusieurs sous-mouvements. À partir de 9-10 ans et jusque vers la main et des doigts, des crispations de tout ou partie du membre
15 ans, des mouvements balistiques de vitesse moyenne, scripteur, une absence de mouvements digitaux et des phénomènes
correspondant à la maturité des habiletés d’écriture, apparaissent et douloureux qui font discuter l’association d’une ébauche de
se développent ; les mouvements sont alors plus fluides et l’on crampes. Mais ces aspects apparaissent comme peu significatifs ou
n’observe plus, dans les courbes de vitesse, des phases d’accélération secondaires [42]. La vision augmente le caractère discontinu des
et de décélération aussi prononcées que dans les étapes précédentes. mouvements du poignet, alors qu’elle améliore, au contraire, la
En revanche, ces modifications de stratégie selon l’âge ne fluidité de mouvement des doigts et participe au maintien d’une
s’accompagnent pas de différences significatives dans la durée, la tenue du crayon appropriée. Au cours de l’écriture, des syncinésies
longueur et les vitesses des traits. apparaissent ainsi que divers mouvements anormaux
Les perturbations de l’écriture vont de la simple erreur de (tremblements, secousses, saccades), une hyperhidrose palmaire.
substitution de lettres jusqu’à l’incapacité totale d’écrire. Elles L’étude de Cornhill et Case-Smith [24] compare les performances de
peuvent être regroupées en quatre rubriques : 48 sujets, âgés de 7 ans en moyenne et répartis en deux groupes

9
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
selon la qualité de l’écriture, à différentes épreuves qui mesurent la Des crampes de l’écrivain sont retrouvées chez l’enfant, les troubles
kinesthésie, le développement moteur, la coordination débutent avant 19 ans pour huit patients sur 29 dans l’étude de
visuomanuelle, les praxies visuoconstructives et la manipulation Sheehy et Marsden [80] et peuvent, dans un premier temps, être
unimanuelle. Les différences sont significatives pour l’ensemble des intermittents. Le trouble peut se manifester dès la préhension du
épreuves. Les sujets considérés comme ayant une écriture de crayon qui se fait à l’aide du poing fermé ou avec des postures
moindre qualité ont ainsi des habiletés de translation et de rotation dystoniques de la main et du poignet.
d’objets à l’intérieur de la main significativement diminuées par
rapport aux sujets dont l’écriture est de bonne qualité. Les auteurs
estiment qu’un travail portant sur ces habiletés de manipulation SYNCINÉSIES
d’objets à l’intérieur de la main est un élément qui devrait favoriser Les syncinésies, troubles du tonus induit, sont des contractions ou
l’amélioration de l’écriture. des mouvements intéressant un ou plusieurs groupes musculaires
L’évaluation s’intéresse à différents aspects : position du sujet face à alors que des mouvements actifs ou réflexes ont lieu dans une autre
la table ; automatisation du mouvement graphique (décomposé ou partie du corps. Cette activité musculaire et/ou motrice apparaît
tracé lettre à lettre, hésitant – deux à trois lettres, semi-automatisé, dans des régions non concernées par l’exécution du mouvement
automatisé) ; qualité de la trace graphique ; pression exercée sur la premier.
feuille ; vitesse d’écriture. La lisibilité est observée dans plusieurs Elles peuvent être définies selon la région du corps qui subit le
situations : écriture spontanée, copie d’écriture cursive, copie d’un mouvement parasite, elles sont alors homolatérales lorsqu’elles
texte imprimé en écriture cursive, dictée de mots et de phrases apparaissent dans des muscles voisins du muscle inducteur ou dans
simples, pour situer le ou les niveaux de dysfonctionnement. l’autre membre du même côté, controlatérales lorsqu’il s’agit de
L’utilisation de tablettes digitales devrait permettre de préciser les muscles symétriques ou encore généralisées quand la diffusion
données spatiales (trajectoire, hauteur et largeur des lettres, intéresse la totalité du corps.
régularité des courbures), temporelles (temps de réaction, durée de La classification peut se faire en fonction de la localisation du
mouvement, durée des pauses), cinématiques (vitesse, caractère mouvement inducteur. Elles sont périphériques comme dans
continu ou discontinu de la production graphique), dynamiques l’épreuve des « marionnettes », ou axiales, recherchées par
(accélération) ainsi que l’importance de la pression exercée sur la l’ouverture progressive puis maximale de la bouche accompagnée
feuille [6]. parfois par le fait de tirer la langue comme dans la recherche des
Des troubles de l’écriture peuvent être observés dans la dyslexie. Un syncinésies orochirales de Becher consistant en un écartement avec
manque de soin dans la calligraphie est mentionné, l’écriture est extension des doigts de la main. Les syncinésies axiales n’évoluent
brouillonne, voire illisible, les liaisons entre les lettres sont trop pas avec l’âge et il y aurait, selon Stambak, un lien entre le côté où
longues ou trop courtes et des télescopages entre deux lettres la première réponse est observée et la dominance latérale spontanée.
produisant une forme « bizarre » sont retrouvés [28].
Mais c’est surtout la forme que prennent les syncinésies qui est
Chez l’enfant dyspraxique, se rencontrent aussi des perturbations généralement retenue [98]. De Ajuriaguerra distingue les syncinésies
de l’écriture : lettres irrégulières en forme et dimension, espace d’imitation appelées aussi tonicocinétiques ou encore de
variable entre les lettres, les mots et les lignes, aspect souvent illisible reproduction et les syncinésies toniques ou de diffusion tonique. Les
de l’ensemble. Par rapport à un groupe contrôle, l’écriture est premières sont des mouvements ou des ébauches de mouvement
significativement de moins bonne qualité. du membre opposé passif. Ce mouvement peut imiter exactement le
mouvement inducteur ou s’en différencier. Elles sont liées à la
maturation et à l’évolution ontogénétique. Importantes vers 6 à
Troubles du tonus musculaire 8 ans, elles s’atténuent fortement vers 9 à 10 ans pour disparaître
normalement à 12 ans. Les secondes consistent en un raidissement
du membre passif avec augmentation du tonus musculaire. Sans
DYSTONIES signification sur le plan de l’évolution génétique, elles peuvent se
La dystonie est une contraction musculaire anormale et inadaptée retrouver, selon les individus, à tous les âges. À 10 ans, 84 % des
qui apparaît au cours d’un mouvement (crampe professionnelle) ou enfants en présentent contre 52 % pour les syncinésies d’imitation.
dans le maintien d’une attitude (torticolis) et peut s’accompagner de À 12 ans, on retrouve respectivement 64 et 44 %. Jusqu’à 9 ans, les
spasmes engendrés par une série de contractures. filles sont plus syncinétiques que les garçons et, à partir de 10 ans,
Les dystonies disparaissent lors du sommeil, sont sensibles aux l’inverse se produit.
influences sociales et émotionnelles ainsi qu’à la fatigue, se Elles sont provoquées principalement par l’épreuve de
présentent dans des actes très précis et peuvent ne pas apparaître diadococinésie consistant en des mouvements successifs de
dans un autre acte faisant intervenir les mêmes groupes musculaires. pronation et supination de l’avant-bras (mouvement des
Les dystonies peuvent débuter dans l’enfance vers 6 à 10 ans et « marionnettes »). En plus des syncinésies, l’épreuve permet la mise
progressent très lentement. Elles aboutissent parfois à des postures en évidence de dysdiadococinésie ou encore d’adiadococinésie qui
singulières : antérocolie, rétrocolie, tronc en lordose ou en scoliose. nécessitent un examen neurologique. D’autres épreuves comme le
Plus la dystonie est d’apparition précoce, plus le risque de test de motricité faciale de Kwint ou l’épreuve du lever digital sont
généralisation à d’autres régions corporelles est grand. Lorsque la également utilisées [98].
dystonie survient à l’âge adulte, elle tend à rester isolée. Les syncinésies sont fréquemment rencontrées en association avec
Chez l’enfant, de Ajuriaguerra et al [3] décrivent un tableau différents troubles psychomoteurs, notamment dyspraxies et
d’ébauches de crampes dont les signes communs sont une crispation mouvements anormaux, le bégaiement ainsi que dans les troubles
intense intéressant à la fois l’épaule, l’avant-bras et les doigts ou des apprentissages scolaires [52]. Parain et Moscato (in [29]) signalent
encore des variations toniques importantes, des phénomènes l’existence de syncinésies d’imitation appelées mouvements en
douloureux permanents au cours de l’activité graphique ou « miroir » qui persistent tout au long de la vie et peuvent
survenant lors d’une consigne de rapidité, un arrêt forcé de l’activité correspondre ou non à un processus héréditaire ou résulter d’une
graphique durant lequel le sujet se frotte le poignet ou secoue sa pathologie neurologique (hémiplégie congénitale).
main. Peuvent s’y ajouter une lenteur de l’écriture, une
incoordination des mouvements, des syncinésies, une hyperhidrose
palmaire, une mauvaise tenue de l’instrument qui subit des PARATONIES
modifications au cours de l’écriture et des changements dans La paratonie est une anomalie du tonus de fond. Elle consiste en
l’attitude du sujet qui cherche à compenser l’apparition de la une impossibilité à réaliser sur commande la résolution musculaire.
symptomatologie. À la place du relâchement désiré, s’installe une contracture d’autant

10
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

plus irréductible que le sujet fait plus d’efforts pour parvenir à la les épaules (haussement). Les mouvements anormaux apparaissant
vaincre. Dès le neuvième mois, le ballant des membres est possible dans les membres supérieurs et inférieurs sont, pour la plupart, à
chez le jeune enfant. considérer comme des stéréotypies motrices et la notion de tics
La manœuvre classique de mise en évidence est l’épreuve du ballant moteurs complexes est parfois utilisée sans grand discernement [51].
dans laquelle on demande au sujet de « laisser les bras mous comme Le DSM IV indique comme exemple de tic moteur complexe des
une poupée de chiffon » et où l’on observe les résistances opposées comportements comme tirer sur ses vêtements, sauter, toucher,
au mouvement passif imprimé au bras. Lorsque le bras est élevé à piétiner, flairer un objet.
l’horizontale et privé de tout support, il ne tombe pas Les tics vocaux simples sont nombreux : raclement, grognement,
immédiatement ou bien la chute est freinée. L’examen de reniflement, toux, ronflement, aboiement, cris aigus, bruits à
l’extensibilité des membres peut aussi être utilisé. l’expiration, sifflement, rire, soupir, sons gutturaux, succion,
De Ajuriaguerra en décrit plusieurs types qui vont de la paratonie crachement, grondement, clappement, glapissement, régurgitations
normale à celle qui indique un trouble du développement moteur et vomissements. Les tics vocaux complexes comprennent la
en passant par les paratonies subnormales de situation et de répétition de mots ou de phrases hors contexte, la coprolalie
prestance. D’autres différencient les paratonies de fond et celles (émission de mots obscènes), la répétition de mots ou de sons émis
d’action. D’un point de vue clinique, ces phénomènes présentent par le sujet (palilalie) ou entendus (écholalie).
peu de caractères distinctifs et dépendent de la situation du sujet Un certain nombre de facteurs aggravent les tics, tels que l’anxiété,
lors de la mise en évidence. la fatigue, l’ennui, alors qu’à l’opposé le sommeil, la relaxation, la
La présence de paratonies a été mentionnée chez le tiqueur, elle peut fièvre, la concentration sur une activité agréable, la pratique d’un
être associée à des retards du développement psychomoteur, sport ou d’un instrument de musique ont l’effet inverse [36].
d’autres troubles du tonus (syncinésies et crampes) ou encore des Les troubles du sommeil (parasomnies), associés à la présence des
manifestations somatiques de l’angoisse. Sans grande signification tics durant la nuit, sont nombreux : énurésie, somnambulisme,
sur le plan pathologique, ne perturbant que très rarement le sujet, somniloquie, cauchemars ; réveils soudains durant la phase IV du
elle constitue cependant un élément indicateur d’une mauvaise sommeil avec désorientation, confusion et stéréotypies motrices.
régulation tonique qui peut intervenir dans le maintien des Les tics peuvent être transitoires ou chroniques, isolés ou multiples,
symptômes associés. se succédant ou se manifestant simultanément. Environ 15 % des
enfants ont des manifestations qui disparaissent spontanément après
quelques semaines ou quelques mois [51]. Ils sont parfois d’apparition
HYPERTONIES précoce, dès l’âge de 2 ans, et débutent généralement dans l’enfance
Certaines modifications de la tonicité musculaire peuvent être ou la préadolescence. Le tic est deux à trois fois plus fréquent chez
associées à des facteurs psychologiques d’ordre affectif. Les les garçons.
céphalées de tension et certaines dorsalgies rentrent dans ce cadre. Les tics, compte tenu des implications thérapeutiques, doivent être
Une observation précise de la symptomatologie portant sur la différenciés, malgré les difficultés apparentes, d’un certain nombre
topographie de la contraction, les douleurs et signes associés, leurs de mouvements anormaux : mouvements choréiformes et
caractéristiques, le moment de survenue, les facteurs déclenchants athétosiques, mouvements hémiballiques, myoclonies, spasmes et
et l’intensité des symptômes, la fréquence des accès permettra d’une tremblements cérébelleux.
part, en association avec les examens complémentaires classiques,
Leur étiologie est plurifactorielle, comme dans la majorité des
de porter un diagnostic différentiel et, d’autre part, de discuter
troubles psychomoteurs et ne considérer que le point de vue
l’opportunité d’une thérapie psychomotrice (relaxation, biofeedback
psychodynamique ou le seul versant neurologique est, à l’heure
EMG ou de la conductance cutanée).
actuelle, une position désuète. Les facteurs organiques (ganglions
Les mécanismes des anomalies du tonus de type dystonie ou de la base, présence d’anomalies EEG), parfois post-traumatiques,
hypertonie apparaissent comme complexes et ne peuvent, en aucun héréditaires, psychologiques ou le rôle du milieu dans le maintien
cas, se satisfaire de la conception psychogénétique qui, dans la lignée du trouble, sont mentionnés et interagissent fréquemment. Le
de Reich et de sa notion d’ « armure caractérielle », a longtemps modèle pathogénique du syndrome de Gilles de la Tourette proposé
prévalu. par Leckman et al [36] est une tentative de synthèse des données
connues, il met en relation : une prédisposition génétique [68] ; des
facteurs environnementaux qui influencent l’expression du
Mouvements psychomoteurs phénotype, comme l’imprégnation hormonale, la présence de
anormaux : tics et stéréotypies facteurs stressants au cours de la grossesse, ainsi qu’après la
naissance ; un substratum neurobiologique avec le rôle des systèmes
motrices dopaminergiques, l’altération des ganglions de la base et du corps
calleux ; un phénotype clinique et son influence réciproque avec les
facteurs de risques et de protection.
TICS
La personnalité du tiqueur a fait l’objet de plusieurs analyses qui
Le tic est une vocalisation ou un mouvement soudain, rapide, apportent très peu d’éléments pertinents et spécifiques, restant bien
récurrent, non rythmique et stéréotypé (DSM IV). Une fois initié, le souvent dans le cadre de généralités qui rejoignent le « sens
tic ne peut être interrompu. Il a quelquefois, mais pas commun » sans apporter d’arguments décisifs. Les tics peuvent se
systématiquement, l’apparence d’un mouvement actif qui serait rencontrer dans tous les tableaux psychopathologiques. L’association
dirigé vers un but, expressif ou défensif, en réaction à une blessure de tics ou du syndrome de Gilles de la Tourette au TDA/H est
physique ou un traumatisme psychologique, caractère qu’il ne souvent mentionnée sans que l’on puisse mettre en évidence une
possède plus du fait de son automatisation [25]. Il a, pour certains, relation étiologique entre ces deux affections [41]. Les troubles des
valeur de communication avec autrui mais cet aspect ne survient apprentissages sont d’autant plus fréquents que le TDA/H est
que secondairement lorsque, le milieu ayant répondu d’une certaine associé [1]. Tout comme pour le TDA/H, la comorbidité avec le TOC
manière à l’apparition des tics, ceux-ci deviennent un moyen rend parfois difficiles le diagnostic et la délimitation des deux
d’engendrer des comportements dans l’entourage. Les tics forment entités. Parmi les sujets affectés du syndrome de Gilles de la
un continuum qui va des tics transitoires simples à la maladie de Tourette, 30 à 40 % présenteraient un TOC. Les deux troubles
Gilles de la Tourette. pourraient renvoyer à une même vulnérabilité génétique qui
Les tics moteurs simples peuvent intéresser la tête (clignement, s’actualiserait comme un tic, plus souvent chez l’homme, ou comme
déviation oculaire, blépharospasme, grimaces de la face, secousse une obsession, plus souvent chez la femme. Comparée à un TOC
de la tête, protrusion de la langue, mouvements des lèvres), le cou, isolé, l’association de ces troubles s’accompagne de différences dans

11
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
le contenu des pensées obsédantes, qui porterait sur des thèmes en termes d’impression de pression, de démangeaison, de chaleur,
sexuels, religieux et de violence, ainsi que dans la présence de de froid ou toute autre sensation anormale de la peau, des os, des
compulsions non précédées de pensées et dépourvues d’affects muscles et des articulations ». Le patient cherche alors à faire
pénibles [25, 36]. disparaître ces sensations à tonalité dysphorique par des
Durant l’examen clinique, la recherche des circonstances mouvements qui doivent être répétés car la sédation provoquée dure
d’apparition du trouble, les réactions de l’entourage, l’attribution peu. Les vocalisations répondraient ainsi à des impressions
éventuelle d’une signification par l’enfant ou la famille, les désagréables de la zone oropharyngée. Ces sensations apparaissent
symptômes associés permettent de définir un schéma thérapeutique généralement vers 9-10 ans. Si l’on y inclut les symptômes
qui ne saurait, en aucun cas, être univoque. Il convient de préciser prodromiques, ces sensations seraient présentes dans 50 à 80 % des
les caractéristiques du tic : localisation ou contenu verbal, fréquence, sujets porteurs d’un syndrome de Gilles de la Tourette [36].
complexité. L’examen psychomoteur peut retrouver des troubles du Les études neuropsychologiques indiquent des déficits au niveau de
tonus à type de syncinésies et de paratonies ainsi que des éléments la dextérité manuelle, des praxies visuoconstructives et des fonctions
d’une dyspraxie de développement ou d’un TDA/H. exécutives [36].
En première intention, les traitements psychomoteurs, incluant la
SYNDROME DE GILLES DE LA TOURETTE relaxation, et psychothérapiques, permettant de faire face aux
Le syndrome de Gilles de la Tourette, appelé aussi maladie des tics, troubles émotionnels et comportementaux secondaires à la présence
se caractérise par l’association de mouvements anormaux, des tics et de réduire les éventuels bénéfices secondaires de la
d’imitation de mots (écholalie, palilalie) ou de mouvements maladie, peuvent permettre une réduction de l’intensité des tics. Une
(échopraxie), ainsi que de vocalisations [25]. Le DSM IV retient les approche du milieu familial peut être utile, notamment pour
critères cliniques suivants : présence de tics moteurs multiples et modifier les attitudes à l’égard du porteur. Devant des tics
d’un ou plusieurs tics vocaux dont la survenue n’est pas persistants et invalidants, l’association d’une médication peut être
nécessairement simultanée et dont les caractéristiques peuvent envisagée avec les précautions d’usage. Les molécules les plus
varier dans le temps, survenue quotidienne ou presque depuis plus utilisées sont l’halopéridol (Haldolt), parmi les antagonistes de la
de 1 an, sans intervalle libre de plus de 3 mois consécutifs, ayant dopamine, et la clonidine (Catapressant), cette dernière lorsqu’il y a
débuté avant l’âge de 18 ans, la perturbation n’étant pas due aux association avec un TDA/H.
effets directs d’une substance ou à une affection médicale générale.
Itard, en 1825, rapportait la première description médicale précise STÉRÉOTYPIES MOTRICES
avec le cas de la marquise de Dampierre qui, du fait du caractère Il s’agit de mouvements complexes, répétitifs, dépourvus de finalité
socialement inacceptable de ses vocalisations (coprolalie), vécut malgré leur apparence possible de mouvements adaptés, faisant
recluse jusqu’à sa mort à 85 ans après un début des troubles à l’âge intervenir un nombre de groupes musculaires coordonnés plus
de 7 ans, qui est l’âge moyen d’apparition. importants que dans le cas des tics, échappant généralement au
Un certain nombre de tableaux ont été, dans un premier temps, contrôle du sujet. Le DSM IV, comme la CIM 10, parle de « trouble
rapprochés de la maladie des tics, mais considérés comme des mouvements stéréotypés » lorsque ces mouvements sont à l’origine
syndromes fortement liés à une culture : jumping Frenchmen dans le de blessures physiques ou constituent une gêne pour le sujet et s’il
Maine, « myriachit », « ikota », « amurakh », « olon » en Russie, n’existe pas de trouble envahissant du développement, de
« latah » en Malaisie, « bah-tsche » en Thaïlande, « mali-mali » aux compulsion ou de tic.
Philippines, « imubacco » au Japon, « Lap panic » en Laponie, Les stéréotypies motrices comprennent des manipulations du corps
« yaun » en Birmanie. Ils sont actuellement regroupés sous le terme du sujet : succion du pouce, torsion des cheveux à l’aide des doigts
de pathologie du sursaut [25, 62] qui consiste en une exagération de la ou de la bouche (titillomanie), arrachage des poils (trichotillomanie),
réaction de sursaut en réponse à un stimulus inattendu. morsure des peaux, des ongles (onychophagie), grincement des
La prévalence de la maladie dans la population générale oscillerait dents (bruxisme), insertion des doigts dans les orifices (nez, oreille,
entre 0,03 et 1,6 % mais la proportion exacte est malaisée à établir de œil, anus) et grattage (excoriations). D’autres sont constituées par
par les variations considérables dans l’intensité et la survenue des des mouvements du corps généralement rythmés : balancement de
manifestations qui n’entraînent pas forcément une consultation en la tête accompagné parfois d’un choc contre une surface
milieu médical [56]. La répartition entre les sexes est de trois garçons (crouomanie), agitation rythmique d’une partie du corps ou du
pour une fille. Le premier symptôme présenté est, dans la moitié corps entier. Enfin, les manipulations peuvent intéresser des objets
des cas, un tic isolé de clignement des yeux, fréquemment un tic au (clefs, stylo) ou une partie du vêtement (bouton, cravate).
niveau de la face ou du cou, plus rarement un tic vocal (raclement Décrite pour la première fois en 1889 par Hallopeau, dermatologue
de gorge). français, la trichotillomanie est aujourd’hui individualisée comme
La coprolalie est présente de façon très variable (de 4 à 60 % selon un trouble du contrôle des impulsions [34] . Le sujet est dans
les cultures, le milieu socioculturel et l’âge des patients). Elle est l’impossibilité de résister aux impulsions d’arrachage des cheveux
mentionnée chez moins de 10 % des cas dans le DSM IV alors même ce qui amène une alopécie. Une sensation de tension précède
qu’elle a constitué l’élément certainement le plus notoire de la l’avulsion du poil et fait place à un sentiment de soulagement après.
maladie des tics et un symptôme primordial pour Gilles de la La fréquence du trouble n’est pas connue avec certitude ni sa
Tourette. Elle peut être masquée par un autre tic vocal ou ne répartition selon les sexes [2]. Le trouble débute dans l’enfance
comporter que l’émission partielle du mot ordurier. (7 enfants pour un adulte) même si l’âge de début est variable, et
Les mouvements anormaux qui affectent les membres supérieurs ou peut se retrouver dès 13 mois. Les perturbations de la relation mère-
inférieurs et le tronc sont divers : mouvements des doigts, secousses enfant sont fréquentes avec hyperprotection et agressivité. Le déni
de la main, projection des bras, voire ébauche de coups, du trouble est important. Son association avec la succion du pouce
mouvements du tronc, avancée du pelvis, sauts, accroupissement et l’onychophagie est souvent rapportée. L’ingestion du cheveu peut
brusque, génuflexion accompagnée de grands mouvements des bras, entraîner un trichobézoard avec son cortège de complications
tournoiement, gestes obscènes (copropraxie), parfois apparaissent gastro-intestinales.
des automutilations. D’autres manifestations sont moins fréquentes. Ces mouvements anormaux occasionnent une diminution de la
L’échopraxie est retrouvée dans 11 à 35 % des cas, l’écholalie chez vigilance que l’on a rapprochée des comportements d’attachement
20 à 44 % des patients et la palilalie pour 6 à 15 %. La coprolalie de l’enfant au corps de la mère qui ont cette fonction lorsque l’éveil
mentale est mentionnée dans 5 % des cas et consiste en une intrusion est augmenté par les comportements d’exploration [ 2 5 ] . Ils
soudaine de phrases ou de mots grossiers au niveau de la pensée. apparaissent dans des situations où l’éveil est stimulé (émotion,
Kurlan [56] insiste sur les « tics sensoriels » qu’il définit comme des anxiété, privation sensorielle, ennui). À l’inverse, Young et
« sensations somatiques décrites de façon variable par les patients Clements (in [25]) considèrent que certaines stéréotypies, chez les

12
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

arriérés mentaux, surviennent lors d’une réduction de l’éveil et à cette pathologie. La comorbidité avec le TDA/H est également
aboutissent à une augmentation de la vigilance par autostimulation. signalée en début de scolarité, mais la symptomatologie est plutôt
Les stéréotypies motrices peuvent se rencontrer dans les différentes internalisée par la suite [73].
maladies mentales, chez les sujets atteints de retard mental d’autant Le sex-ratio est estimé à 1/1 contrairement à ce que l’on rencontre
plus que ce retard est profond, en association avec des handicaps dans la majorité des troubles psychomoteurs et des troubles des
sensoriels ou des troubles neurologiques comme l’autisme. apprentissages.
Leur présence au cours du développement normal de l’enfant a été Les différentes données vont dans le sens d’un dysfonctionnement
mentionnée [88] même si certains auteurs considèrent que ces deux de l’hémisphère droit et notamment de la substance blanche.
comportements, stéréotypies motrices normales et pathologiques, L’IANV est retrouvée dans un ensemble d’atteintes et de
doivent être distingués, eu égard, notamment, à la topographie des syndromes [73] : traumatisme crânien, effets de l’irradiation utilisée
mouvements [76]. pour traiter une leucémie aiguë, hydrocéphalie, agénésie du corps
calleux, syndrome de Turner, syndrome du X fragile, syndrome
d’Asperger.
Incapacités d’apprentissage
non verbal (IANV) Troubles de la dominance latérale
Les IANV ont été décrites comme l’association de troubles de
À côté des sujets présentant une dominance latérale des membres
l’apprentissage des mathématiques ou dyscalculie, de troubles
supérieurs homogène à droite ou à gauche, deux cas de figure
psycho-perceptivo-moteurs et de troubles de la compétence sociale,
peuvent se présenter : les ambidextres qui utilisent de façon
concernant notamment la capacité à décoder et à utiliser les
indifférenciée l’une ou l’autre main pour une même activité et les
communications non verbales [25, 72, 73]. L’aspect non verbal inclut à la
ambilatéralisés qui, selon l’activité, changent de main. Ces deux
fois des mécanismes perceptifs et des systèmes de communication
catégories qui représentent environ 25 % de la population sont
qui sont, tous deux, désorganisés. Il s’agit donc d’un sous-groupe
généralement confondues dans les différents travaux traitant de ce
des incapacités d’apprentissage.
sujet, limitant l’interprétation et l’utilisation des résultats, ou
Les difficultés en arithmétique sont étroitement liées à des troubles regroupées sous les termes les plus divers : latéralisation ou
visuospatiaux qui précéderaient d’ailleurs les premières. On trouve dominance mixte ou mélangée, prédominance incomplète,
une mauvaise organisation spatiale et une mauvaise écriture des ambivalence, dyslatéralité, enfants mal latéralisés. Certains auteurs
nombres, des omissions (unités, virgules, retenues) et des erreurs de font également la distinction entre droitiers ou gauchers forts et
procédures, de la persévération, des troubles du jugement faibles, différencient les latéralités neurologique, spontanée et
mathématique. On peut y rajouter les défauts de rétention ou de usuelle ou encore distinguent la latéralité graphique de la latéralité
placement en mémoire verbale immédiate. usuelle. Auzias [11] trouve une discordance entre ces deux derniers
Les troubles psycho-perceptivo-moteurs sont variés : mauvaise types de latéralité chez 16 % des enfants examinés.
discrimination tactile plus prononcée du côté gauche, incoordination Hécaen [45] considère que la préférence manuelle est, en général, bien
manuelle (planchette à trous, labyrinthes), déficit visuoconstructif établie dès 3 ans même si le degré d’habileté de la main dominante
s’accompagnant d’un QIP inférieur au QIV au WISC. Chez certains, s’accroît avec la maturation. Mais des fluctuations dans
les difficultés dans les habiletés motrices générales et les activités l’établissement de cette dominance peuvent apparaître jusque vers
sportives sont importantes sans que l’on puisse généraliser. Les 6-8 ans, surtout dans les cas de senestralité, ce qui nécessite une
difficultés graphomotrices sont présentes dès le début de certaine prudence de diagnostic dans les cas de dominance ambiguë.
l’apprentissage de l’écriture avec lenteur à l’inscription, crispations, C’est aux alentours de 6 ans, au moment des premiers
mauvaise tenue du crayon, hésitations, variabilité des formes et des apprentissages scolaires et de l’entrée en primaire, que le choix de la
espacements, mais elles s’améliorent au cours de la scolarité. main pour l’écriture s’avère primordial.
Les troubles de la compétence sociale portent sur les composantes
suivantes :
ÉVALUATION DE LA DOMINANCE LATÉRALE
– perceptives, avec un décodage incorrect des communications non L’évaluation de la dominance latérale peut se faire à l’aide de
verbales, surtout lorsqu’il s’agit de l’expression d’émotions ; plusieurs méthodes : les questionnaires, la réalisation de praxies
– cognitives, avec une mauvaise anticipation du comportement usuelles, l’exécution de tâches nécessitant une certaine dextérité ou
d’autrui et de ses motivations ; encore par l’observation de certains éléments indirects
(discrimination proprioceptive, mesure de l’extensibilité ou sens des
– expressives, avec des anomalies du contact visuel qui est diminué
syncinésies à l’épreuve des « marionnettes »).
ou évité, des mimiques émotionnelles pauvres, une mauvaise
régulation de l’espace social et une aprosodie, dans les premières ¶ Questionnaires
années, d’autant plus déconcertante que la production verbale est
abondante. Ils sont multiples, leurs tailles également, certains allant jusqu’à plus
Les sujets IANV sont souvent décrits comme immatures, recherchant de 50 questions. Les plus utilisés sont ceux d’Oldfield et d’Annett,
la compagnie d’enfants plus jeunes, ils manquent de motivation et le plus récent celui de Dellatolas et al [31]. Ce dernier comporte, dans
sont fréquemment désorientés par la nouveauté d’une tâche à sa forme définitive, dix questions qui sont : lancer, dessiner, raquette,
laquelle ils répondent de façon stéréotypée et inadaptée, aussi bien rasoir/maquillage, peigne, brosse à dents, couteau sans fourchette,
au niveau cognitif que psychomoteur. Ils éprouvent de la difficulté à marteau, tournevis et allumette. Les réponses sont codées 0 pour la
catégoriser et à manipuler des concepts. Les études portant sur la main droite, 1 pour les deux mains et 2 pour la main gauche. La
symptomatologie psychopathologique indiquent que peu de sujets répartition en quatre classes (droitiers, droitiers ambidextres,
en sont dépourvus. Les manifestations sont nombreuses : anxiété, gauchers ambidextres, gauchers), si elle est pratique d’utilisation,
dépression, conduites d’évitement, retrait social, traits psychotiques. conserve l’ambiguïté soulignée plus haut.
La prévalence est estimée à 1 % de la population. Le diagnostic est Le système de cotation d’Oldfield permet d’obtenir un quotient de
rarement fait et la confusion est fréquente avec les troubles latéralité dont la formule est :
envahissants du développement ou les dyspraxies de réponses main D - réponses main G
X 100
QL =
développement. On peut d’ailleurs se demander si le groupe de sept réponses main D + réponses main G
enfants appelé « dyspraxies avec troubles graves de la personnalité » Il met ainsi en évidence un continuum entre les droitiers (+ 100) et
de type psychotique dans l’étude de Stambak et al [83] ne renvoie pas les gauchers homogènes (- 100).

13
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
¶ Réalisation de praxies usuelles dominance de perception des formes. Enfin, la dominance d’acuité
concerne l’œil qui obtient les meilleurs résultats aux tests d’acuité
Elle est utilisée dans l’épreuve d’Auzias [11]. Elle comporte 20 items, visuelle, dans la capacité à différencier un angle par exemple. Seule
dont dix fortement différenciateurs, que l’enfant doit exécuter à une asymétrie importante entre les deux yeux peut interférer avec la
l’aide du matériel fourni (allumette, piquage, cirer les chaussures, dominance de la vision. Contrairement à ce qui se passe pour la
transvaser, planter une épingle sur bouchon, tapping, gommer, se main, la dominance oculaire ne correspond pas à une dominance
brosser, compte-gouttes, cuillère, clochette). Dans le test de latéralité hémisphérique.
de Harris qui comporte, en outre, des épreuves de dextérité ainsi
qu’une appréciation de la dominance oculaire et de celle du pied,
dix actions doivent être mimées. DOMINANCE LATÉRALE ET PSYCHOPATHOLOGIE
Une latéralité croisée main-œil a été retrouvée en plus grand nombre
¶ Épreuves de dextérité chez certains sujets présentant des anomalies comportementales ou
Elles sont multiples : vitesse d’écriture, écriture simultanée de psychiatriques particulières : psychopathes hospitalisés,
chiffres, tapping ou pointillage pendant des périodes variées, lancer schizophrènes, enfants présentant des troubles affectifs ainsi que des
de fléchettes, découpages, utilisation de pinces pour manipuler des troubles des apprentissages [ 6 9 ] . Mais certains travaux sont
petites tiges de métal. L’objectif est de comparer les performances contradictoires, notamment ceux concernant les difficultés en lecture.
respectives des deux mains en fonction d’indices de vitesse et de L’ambilatéralité est plus fréquemment retrouvée chez les enfants
précision. présentant des retards de développement [67]. Elle est également
associée à divers troubles : bégaiement, difficultés au niveau du
¶ Éléments indirects langage et de la lecture, troubles temporospatiaux et difficultés
visuoconstructives [29].
Ils sont extrêmement variés. On trouve ainsi un certain nombre de
travaux montrant une corrélation entre dominance latérale et
diverses mesures dont les conclusions ont ultérieurement été DÉTERMINISME DE LA LATÉRALITÉ
infirmées : taille des pieds, sens d’implantation des cheveux, réseau
Les fréquences respectives de gauchers (environ 8 %) et de droitiers
vasculaire du dessus des mains ou de la matrice des ongles, temps
dans les diverses populations étudiées, avec parfois des variations
de réaction. Les études portant sur le tonus musculaire montreraient
rendant compte de la méthode d’évaluation et de l’existence de
une relation entre le degré d’extensibilité, le sens des syncinésies à
plusieurs facteurs, posent le problème des éléments pouvant
l’épreuve des « marionnettes et la latéralité ». Chez un sujet droitier,
influencer, chez un individu donné, l’établissement de la dominance
le degré d’extensibilité serait ainsi plus important dans le bras
latérale. Les déterminants de la latéralisation manuelle sont à
gauche et ce dernier entraînerait plus de syncinésies dans le bras
rechercher dans deux domaines qui ne s’excluent pas : l’influence
droit. Ces éléments constituent un indice de latéralité sans qu’il y ait
du milieu et le déterminisme génétique. Le rôle joué par le milieu a
une corrélation totale avec la dominance usuelle. La sensibilité
donné lieu à de multiples théories où l’accent a pu être mis sur la
discriminative de poids accrochés à l’index, la force de la prise
nécessité de s’adapter à des objets dont la technologie croissante ne
manuelle, l’irradiation motrice dans un muscle symétrique lors
permet plus un usage manuel indifférencié, l’obligation de protéger
d’une contraction musculaire ont aussi été étudiées.
le cœur avec un bouclier lors d’un combat à l’épée, l’apprentissage
intrafamilial ou scolaire par imitation, la performance antérieure, ou
DOMINANCE DES MEMBRES INFÉRIEURS encore les influences religieuses et sociales par la signification
attribuée aux côtés droit et gauche.
Elle est explorée par diverses tâches : taper dans un ballon, pousser
un palet le long d’une ligne à cloche-pied, écraser ou saisir un objet Les théories génétiques se sont référées à un modèle de type
avec le pied, monter sur une chaise ou marcher en partant dos au mendélien, modèle à un gène possédant deux allèles différents
mur avec observation du pied qui initie le mouvement, vitesse de (D et g), modèle à deux gènes dialléliques dont l’un déterminerait le
tapping. Des discordances peuvent être retrouvées entre deux contrôle du langage et l’autre le contrôle moteur. Mais ces modèles
activités, ainsi Crichtley [28] signale des enfants qui, de façon ne rendent pas compte de tous les faits observés (latéralisation
préférentielle, donnent un coup de pied du côté droit et sautent du différente chez des jumeaux monozygotes, corrélations parents-
pied gauche. Se pose alors la question de savoir si le pied dominant descendants, collatéraux). Certains ont aussi parlé de l’influence des
est celui qui réalise le mouvement (préférence dynamique) ou celui gènes sur une asymétrie potentielle. Le taux de corrélation
qui maintient l’équilibre du corps (préférence statique). Les relations significativement plus élevé entre dominance latérale des parents et
entre préférence latérale de la main et du pied ont donné lieu à des des enfants dans les familles biologiques comparées à des familles
résultats divers parfois contradictoires du fait des épreuves retenues. d’adoption ne permet pas d’exclure un tel facteur. La stabilité du
La corrélation est plus importante chez les droitiers que chez les nombre de gauchers, quel que soit l’âge, indique aussi que la
gauchers, certains auteurs trouvant même une préférence pour le pression du milieu n’est pas suffisante à expliquer la latéralisation.
pied droit chez des sujets gauchers adultes dans une épreuve de
tapping [10].
LATÉRALISATION MANUELLE GAUCHE
La gaucherie manuelle a été associée avec un certain nombre de
DOMINANCE OCULAIRE déficits et de troubles. Les travaux d’Orton (1928 à 1937) ont mis
Elle peut revêtir plusieurs sens mettant en jeu des mécanismes l’accent sur le nombre élevé de gauchers parmi les dyslexiques, les
divers faiblement corrélés entre eux et sans relation avec la dysphasiques ou les bègues. Mais les recherches ultérieures ont
dominance manuelle [69]. Trois facteurs ont été retrouvés par analyse donné des résultats contradictoires qui ne permettent aucune
factorielle. La dominance de visée ou de vision monoculaire permet conclusion définitive. Des pourcentages de gauchers supérieurs à
d’apprécier la plus grande capacité d’un œil à se diriger vers un ceux de la population générale sont retrouvés dans l’épilepsie,
point particulier de l’espace. Elle est évaluée par des épreuves l’arriération mentale, la trisomie 21, l’autisme, l’infirmité motrice
comme celles du kaléidoscope ou du télescope (Harris), ou encore cérébrale, la surdité, le strabisme, la schizophrénie, la migraine [25].
regarder à travers un carton percé d’un trou en son centre ou à La gaucherie contrariée pourrait, en revanche, jouer un rôle dans
l’intérieur d’un flacon (Galifret-Granjon in [98]) ou à l’aide d’un cône. certains désordres des apprentissages scolaires. L’écriture en
Ce sont les épreuves les plus utilisées dans les batteries de latéralité « miroir » n’est pas, non plus, l’apanage des gauchers et ne se
et celles qui correspondent le plus, dans leur forme, aux épreuves retrouve qu’avec une fréquence très légèrement supérieure à celle
de dominance latérale manuelle. La dominance sensorielle est des droitiers dans des groupes d’enfants de même âge. Il convient
retrouvée dans des épreuves de rivalité binoculaire. Il s’agit d’une avant tout de différencier les gauchers avec et sans gaucherie

14
Psychiatrie Troubles psychomoteurs chez l’enfant 37-201-F-10
Pédiatrie 4-101-H-30

familiale dont l’organisation cérébrale différerait [45] , ce qui familiarisé avec la constance de l’objet : une chaise demeure une
permettrait peut-être d’expliquer certains résultats contradictoires. chaise, que son dossier se trouve du côté droit ou du côté gauche,
Enfin, un faible degré de latéralisation, plus que le fait d’être qu’il soit en haut ou en bas. À partir du moment où l’apprentissage
gaucher, serait associé avec des performances moins bonnes dans de la lecture commence, il n’en est plus de même, « b », « p », « d »,
des épreuves de raisonnement spatial [79]. « q » ne sont pas des éléments interchangeables. Ces prérequis pour
la lecture sont appréciés à l’aide du test de Reversal qui comporte
84 paires de figures dont 41 identiques et 43 différentes. Parmi les
Confusion droite-gauche figures différentes, huit ne possèdent aucun élément de symétrie,
cinq présentent une symétrie à la fois gauche-droite et haut-bas
La discrimination droite-gauche se fait progressivement chez (d et p), cinq une symétrie horizontale et 22 une symétrie verticale.
l’enfant et se situe à plusieurs niveaux. Elle débute sur soi vers Des confusions droite-gauche sont mentionnées dans les troubles
6 ans, sur autrui, avec la notion de réversibilité, vers 8 ans puis sur des apprentissages scolaires, les dyspraxies, les retards de
trois objets, alignés en face du sujet, les uns par rapport aux autres, développement.
vers 10 ou 12 ans et enfin par rapport à des objets placés en face Les problèmes liés à l’orientation géographique, aux phénomènes
d’autrui. Le test de Piaget-Head (in [98] ) permet d’évaluer le de rotation mentale, au raisonnement spatial sont retrouvés chez
développement de ces notions. Les épreuves de Piaget portent sur certains enfants mais leur intégration nosographique est encore à
l’orientation droite-gauche sur soi, autrui, par rapport à trois objets. venir [66].
Les épreuves de Head consistent à produire des mouvements d’une
main vers un œil ou une oreille par imitation de l’observateur, puis
d’un dessin ainsi que sur consigne orale. Les tests suivants sont édités par les Éditions du Centre de Psychologie appliquée, Paris :
La différenciation spatiale doit aussi se faire pour des signes à échelle de Brown pour adolescents, test de Stroop, test d’appariement d’images, test d2, test
symétrie horizontale (u et n par exemple) et verticale (b et d). La Reversal, test de développement de la perception visuelle, test de latéralité de Harris, test des
difficulté essentielle consiste à faire admettre à l’enfant que, pour le labyrinthes de Porteus, échelle de coordinations motrices de Charlop-Atwell, échelle de
symbole graphique, l’identité est liée à l’orientation dans l’espace développement psychomoteur de Lincoln-Oseretsky, figure complexe de Rey. L’échelle de
alors que les objets conservent, habituellement, les mêmes propriétés développement de Brunet-Lezine est éditée par les Éditions et Applications Psychologiques,
quelle qu’en soit l’orientation. Jusque vers 5 ans, l’enfant est Paris.

Références
[1] Abwender DA, Como P, Kurlan R, Parry K, Fett KA, Cui L [18] Biederman J, Milberger S, Faraone SV, Kiely K, Guite J, Mick [37] Fleishman EA. Structure and measurement of psychomo-
et al. School problem’s in Tourette’s syndrome. Arch Neurol E et al. Family-environment risk factors for attention-deficit tor abilities, In : Singer RN ed. The psychomotor domain:
1996 ; 53 : 509-511 hyperactivity disorder: a test of Rutter’s indicators of adver- movement behaviors. Philadelphia : Lea and Febiger,
sity. Arch Gen Psychiatry 1995 ; 52 : 464-470 1972 : 78-106
[2] Adam BS, Kashani JH. Trichotillomania in children and ado-
lescents: review of the literature and case report. Child Psy- [19] Bloch H. Premiers pas, premiers gestes : le jeune enfant et le [38] Geuze RH, Kalverboer AF. Inconsistency and adaptation in
chiatry Hum Dev 1990 ; 20 : 159-168 monde. Paris : Odile Jacob, 2000 timing of clumsy children. J Hum Mov Studies 1987 ; 13 :
[20] Cantell MH, Smyth MM, Ahonen TP. Clumsiness in adoles- 421-432
[3] Ajuriaguerra J de, Auzias M, Coumes 1, Lavondes-Monod
V, Perron R, Stambak M. L’écriture de l’enfant, 2 vol. Neu- cence: educational, motor, and social outcomes of motor [39] Gibson JJ. The ecological approach to visual perception.
châtel : Delachaux et Niestlé, 1964 delay detected at 5 years. Adapt Phys Act Q 1994 ; 11 : Boston : Houghton-Mifflin, 1979
115-129
[4] Albaret JM. Évaluation psychomotrice des dyspraxies de [40] Gillberg IC, Gillberg C. Children with deficits in attention,
développement. Évol Psychomot 1995 ; 7 : 3-13 [21] Cantwell DP. Attention deficit disorder: a review of the past motor control and perception (DAMP) : need for specialist
10 years. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996 ; 35 : treatment. Acta Paediat Scand 1988 ; 77 : 450-451
[5] Albaret JM. Troubles de l’acquisition de la coordination : 978-987
perspectives actuelles des dyspraxies de développement. [41] Golden GS. Tourette syndrome: recent advances. Pediatr
Évol Psychomot 1999 ; 11 : 123-129 [22] Castelnau P de, Albaret JM, Zanone PG. Approche dynami- Neurol 1990 ; 8 : 705-714
que des dyspraxies de développement. Congrès mondial
[6] Albaret JM, Santamaria A. Utilisation des digitaliseurs dans de Psychomotricité, Strasbourg, 2000 [42] Graham S, Weintraub NA. Review of handwriting research:
l’étude des caractéristiques motrices de l’écriture. Évol Psy- progress and prospects from1980 to1994. Educ Psychol Rev
chomot 1996 ; 8 : 115-119 [23] Corkum V, Byrne JM, Ellsworth C. Clinical assessment of 1996 ; 1 : 7-87
sustained attention in preschoolers. Child Neuropsychol
[7] Albaret JM, Soppelsa R. Précis de rééducation de la motri- 1995 ; 1 : 3-18 [43] Gubbay SS. The management of developmental apraxia.
cité manuelle. Marseille : Solal, 1999 Dev Med Child Neurol 1978 ; 20 : 643-646
[24] Cornhill H, Case-Smith J. Factors that relate to good and
[8] Amorosa H, VonBenda U, Dames M, Schäfersküpper P. poor handwriting. Am J Occup Ther 1996 ; 50 : 732-739 [44] Hagerman RJ. Neurodevelopmental disorders: diagnosis
Deficits in fine motor coordination in children with unintel- and treatment. Oxford : Oxford University Press, 1999
ligible speech. Eur Arch Psychiatry Neurol Sci 1986 ; 236 : [25] Corraze J. Les troubles psychomoteurs. Marseille : Solal,
1999 [45] Hécaen H. Les gauchers. Paris : PUF, 1984
26-30
[26] Corraze J, Albaret JM. L’enfant agité et distrait. Paris : Expan- [46] Hellgren L, Gillberg IC, Bågenholm A, Gillberg C. Children
[9] Arnsten AFT, Steere JC, Hunt RD. The contribution of alpha- with deficits in attention, motor control and perception
2-noradrenergic mechanisms to prefrontal cortical cogni- sion Scientifique Française, 1996
(DAMP) almost grown up: psychiatric and personality dis-
tive function - potential significance for attention-deficit [27] Cratty BJ. Clumsy child syndromes: description, evaluation orders at age 16 years. J Child Psychol Psychiatry 1994 ; 35 :
hyperactivity disorder. Arch Gen Psychiat 1996 ; 53 : and remediation. Chur : Harwood Academic Publishers, 1255-1271
448-455 1994
[47] Henderson SE. The assessment of “clumsy” children: old
[10] Augustyn C, Peters M. On the relation between footedness [28] Crichtley M. La dyslexie vraie. Privat : Toulouse, 1974 and new approaches. J Child Psychol Psychiatry 1987 ; 28 :
and handedness. Percept Mot Skills 1986 ; 63 : 1115-1118 [29] Dailly R, Moscato M. Latéralisation et latéralité chez 511-527
[11] Auzias M. Enfants gauchers, enfants droitiers. Neuchâtel : l’enfant. Liège : Mardaga, 1984 [48] Hoare D. Subtypes of developmental coordination disor-
Delachaux et Niestlé, 1975 [30] Dalla Piazza S. L’enfant prématuré. Bruxelles : De Boeck, der. Adapt Phys Act Q 1994 ; 11 : 158-169
[12] Barkley RA. Attention deficit/hyperactivity disorder. In : 1997 [49] Hymas N, Lees A, Bolton D, Epps K, Head D. The neurology
Mash EJ, Barkley RA eds. Child psychopathology. New [31] Dellatolas G, DeAgostini M, Jallon P, Poncet M, Rey M, of obsessional slowness. Brain 1991 ; 114 : 2203-2233
York : Guilford, 1996 : 63-112 Lellouch J. Mesure de la préférence manuelle dans la popu- [50] Illingworth RS. Abrégé du développement psychomoteur
[13] Barkley RA. ADHD and the nature of self-control. New York : lation française adulte. Rev Fr Psychol Appl 1988 ; 2 : de l’enfant. Paris : Masson, 1990
Guilford, 1997 117-136
[51] Jankovic J, Fahn S. The phenomenology of tics. Mov Disord
[14] Barnett A, Henderson, SE. Some observations on the figure [32] Dewey D, Kaplan BJ. Subtyping of developmental motor 1986 ; 1 : 17-26
drawings of clumsy children. Br J Educ Psychol 1992 ; 62 : deficits. Dev Neuropsychol 1994 ; 10 : 265-284
341-355 [52] Johnston RB. Attention deficits, learning disabilities, and
[33] Douglas V. Stop look and listen: the problem of sustained ritalin. London : Chapman and Hall, 1991
[15] Berquin PC, Giedd JN, Jacobsen LK, Hamburger SD, Krain attention and impulse control in hyperactive and normal
AL, Rapoport JL et al. Cerebellum in attention-deficit hyper- children. Can J Behav Sci 1972 ; 4 : 259-282 [53] Kadesjö B, Gillberg C. Developmental coordination disor-
activity disorder: a morphometric MRI study. Neurology der in swedish 7-years-old children. J Am Acad Child Adolesc
[34] DSM-IV. Diagnostic and statistical manual of mental disor- Psychiatry 1999 ; 38 : 820-828
1998 ; 50 : 1087-1093 ders. American Psychiatric Association. Washington DC,
1994. Paris : Masson, 1996 [54] Kaplan BJ, Wilson BN, Dewey D, Crawford SG. DCD may
[16] Berthental BI, Clifton RK. Perception and action. In : Kuhn
not be a discrete disorder. Hum Mov Sci 1998 ; 17 : 471-490
D, Siegler RS eds. Handbook of child psychology, vol 2. [35] Dulcan MK. Comprehensive treatment of children and
New York : Wiley, 1998 : 102 adolescent with attention deficit disorders: the state of the [55] Knuckey NW, Apsimon TT, Gubbay SS. Computerized axial
art. Clin Psychol Rev 1986 ; 6 : 539-569 tomography in clumsy children with developmental
[17] Biederman J, Faraone S, Milberger S, Guite J, Mick E, Chen
apraxia and agnosia. Brain Dev 1983 ; 5 : 14-19
L et al. A prospective 4-year follow-up study of attention- [36] Evans DW, King RA, Leckman JF. Tic disorders. In : Mash EJ,
deficit hyperactivity and related disorders. Arch Gen Psy- Barkley RA eds. Child psychopathology. New York : Guil- [56] Kurlan R. Tourette’s syndrome: current concepts. Neuro-
chiatry 1996 ; 53 : 437-446 ford, 1996 : 436-454 logy 1989 ; 39 : 1625-1630

15
37-201-F-10 Troubles psychomoteurs chez l’enfant Psychiatrie
4-101-H-30 Pédiatrie
[57] Larkin D, Hoare D. The movement approach: a window to [72] Rourke BP. Neuropsychology of learning disabilities. New [86] Teicher MH. Actigraphy and motion analysis: new tools for
understanding the clumsy child. In : Summers JJ ed. York : Guilford, 1985 psychiatry. Harv Rev Psychiatry 1995 ; 3 : 18-35
Approaches to the study of motor control and learning.
Amsterdam : North Holland, 1992 : 413-439 [73] Rourke BP. Nonverbal learning disabilities. New York : Guil- [87] Thelen E. Determinants of amounts of stereotyped behav-
ford, 1989 ior in normal human infants. Ethol Sociobiol 1980 ; 1 :
[58] Lécuyer R. Bébés astronomes, bébés psychologues. Liège : 141-150
Pierre Mardaga, 1989 [74] Rutter M, Tuma AH, Lann IS. Assessment and diagnosis in
child psychopathology. New York : Guilford Press, 1988 [88] Thelen E. Rythmical behavior in infancy: an ethological per-
[59] Lécuyer R, Pécheux MG, Streri A. Le développement cogni-
tif du nourrisson. Paris : Nathan, 1991 [75] Schoemaker MM, Kalverboer AF. Social and affective pro- spective. Dev Psychol 1981 ; 17 : 237-257
[60] Losse A, Henderson SE, Elliman D, Hall D, Knight E, Jong- blems of children who are clumsy: how early do they
[89] Thelen E, Smith LB. A dynamic systems approach to the
mans M. Clumsiness in children, do they grow out of it? A begin? Adapt Phys Act Q1994 ; 11 : 130-140
development of cognition and action. Cambridge : MIT
10-year follow-up study. Dev Med Child Neurol 1991 ; 33 : [76] Schwartz S, Gallagher RJ, Berkson G. Normal repetitive and Press, 1994
55-68 abnormal stereotyped behaviors of nonretarded infants
[61] Mæland AF. Self-esteem in children with and without and young mentally retarded children. Am J Ment Defic [90] Touwen BC. Examination of the child with minor neuro-
motor-coordination problems. Scand J Educ Res 1992 ; 36 : 1986 ; 90 : 625-630 logical dysfunction. London : SIMP/Heinemann, 1979
313-321 [91] Van Galen GP. Handwriting: issues for a psychomotor
[77] Seeman P, Madras BK. Antihyperactivity medication:
[62] Matsumoto J, Hallett M. Startle syndromes. In : Marsden methylphenidate and amphetamine. Mol Psychiatry 1998 ; theory. Hum Mov Sci 1991 ; 10 : 165-191
CD, Fahn S eds. Movement disorders 3. Oxford : 3 : 386-396
Butterworth-Heinemann, 1994 : 418-433 [92] Volman MC, Geuze RH. Relative phase stability of bimanual
[78] Shaffer D, Ng S, O’Connor PA, Wolff RR. Assessment of neu- and visuomanual rhythmic coordination patterns in chil-
[63] Miyahara M. Sub-types of learning disabled students based dren with a developmental coordination disorder. Hum
rological “soft signs” in adolescents: reliability studies. Dev
upon gross motor functions. Adapt Phys Act Q 1994 ; 11 : Mov Sci 1998 ; 17 : 541-572
Med Child Neurol 1986 ; 28 : 428-439
368-382
[64] OMS. Classification internationale des troubles mentaux et [79] Sheehan EP, Smith HY. Cerebral lateralization and handed- [93] Vries JI, Hopkins B, VanGeijn HP. La construction prénatale
des troubles du comportement : descriptions cliniques et ness and their affects on verbal and spatial reasoning. Neu- du développement postnatal. In : Pouthas V, Jouen F éd.
directives pour le diagnostic. Paris : Masson, 1993 ropsychologia 1986 ; 24 : 531-540 Les comportements du bébé : expression de son savoir ?
Liège : Mardaga, 1993 : 13-32
[65] OMS. Classification internationale des troubles mentaux et [80] Sheehy MP, Marsden CD. Writer’s cramp, a focal dystonia.
des troubles du comportement : critères diagnostiques Brain 1982 ; 105 : 461-480 [94] Weiss G, Hechtman L. Hyperactive children grown up:
pour la recherche. Paris : Masson, 1994 ADHD in children, adolescents and adults. New York : The
[81] Sims K, Henderson SE, Morton J, Hulme C. The remedia-
[66] Pécheux G. Le développement des rapports de l’enfant à tion of clumsiness. II: Is kinaesthesis the answer? Dev Med Guilford Press, 1993
l’espace. Paris : Nathan, 1990 Child Neurol 1996 ; 38 : 988-997 [95] Whalen CK, Henker B. Attention deficit hyperactivity disor-
[67] Pipe ME. Atypical laterality and retardation. Psychol Bull der. In : Ollendick T, Herrsen M eds. Handbook of chid-
1988 ; 104 : 343-347 [82] Spencer T, Biederman J, Wilens T, Harding M, O’Donnell D,
Griffin S. Pharmacotherapy of attention-deficit hyperacti- hood psychopathology. New York : Plenum Press, 1998 :
[68] Plomin R, Defries J, McClearn G, Rutter M. Des gènes au vity disorder across the life cycle. J Am Acad Child Adolesc 181-211
comportement : introduction à la génétique comporte- Psychiatry 1996 ; 35 : 409-432
mentale. Bruxelles : De Boeck, 1999 [96] Williams HG, Woollacott MH, Ivry R. Timing and motor
[83] Stambak M, L’Hériteau D, Auzias M, Bergès J, Ajuriaguerra control in clumsy children. J Motor Behav 1992 ; 24 :
[69] Porac C, Coren S. The dominant eye. Psychol Bull 1976 ; 83 : 165-172
JD. Les dyspraxies chez l’enfant. Psychiatrie Enf 1964 ; 7 :
880-897
381-496
[70] Prechtl HF. The importance of fetal movements. In : [97] Wilson PH, Maruff P. Deficits in the endogenous control of
Connolly KJ, Forssberg H eds. Neurophysiology and neu- [84] Swanson J, Castellanos FX, Murias M, Lahoste G, Kennedy covert visuospatial attention in children with developmen-
ropsychology of motor development. London : Mac Keith J. Cognitive neuroscience of attention deficit hyperactivity tal coordination disorder. Hum Mov Sci 1999 ; 18 : 421-442
Press, 1997 : 42-53 disorder and hyperkinetic disorder. Curr Opin Neurobiol
1998 ; 8 : 263-271 [98] Zazzo R. Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant.
[71] Rintala P, Pienimäki K, Ahonen T, Cantell M, Kooistra L. The Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1972
effects of a psychomotor training programme on motor [85] Taylor MJ, Pourcelot L. Potentiels évoqués cognitifs chez
skill development in children with developmental lan- l’enfant : développement normal et pathologique. Neuro- [99] Zesiger P. Écrire : approches cognitive, neuropsychologi-
guage disorders. Hum Mov Sci 1998 ; 17 : 721-737 physiol Clin 1995 ; 25 : 130-145 que et développementale. Paris : PUF, 1995

16
¶ 37-210-A-40

Abandon et adoption :
enjeux psychiques de la filiation dans
une perspective historique et clinique
P. Lévy-Soussan, S. Marinopoulos

La situation clinique propre à l’abandon et à l’adoption est étudiée depuis une perspective historique
jusqu’à nos jours. Après un rappel sur les bases biologiques, juridiques et psychiques de toutes filiations,
nous précisons les enjeux spécifiques de la situation adoptive. Le champ adoptif est bouleversé par les
modifications de l’environnement culturel, social et législatif. Nous étudions ces conséquences sur la
construction filiative. Les contextes d’abandon viennent prendre une part fondamentale dans la
préhistoire adoptive des enfants. Il s’agit d’organiser l’accueil du ou des parents, d’offrir un lieu de parole
où les mots viendront signifier l’impossible accueil de cet enfant à naître. De la qualité d’accueil des
parents de naissance dépendront l’élaboration psychique entourant l’interruption filiative, puis la
création filiative propre à l’adoption. Nous en abordons la spécificité et interrogeons, grâce à la clinique,
les éléments permettant de diminuer les risques propres à la filiation adoptive. La démarche d’agrément
est un temps essentiel pour la construction de la parentalité. La motivation humanitaire et la valorisation
excessive des origines biologiques de l’enfant sont des risques à repérer. La clinique de la situation
adoptive montre souvent la collusion de la réalité historique et de la réalité fantasmatique quant à la
construction de l’histoire familiale chez tous les membres de la famille. L’accès à la remémoration de
représentations ou d’affects douloureux de sa propre enfance est l’une des façons d’éviter la répétition des
scénarios fantasmatiques propres aux dysparentalités. La capacité narrative parentale est l’un des
rouages permettant de vivre ensemble une histoire commune s’originant dans le psychisme des parents,
à travers leurs désirs, leur rencontre et l’arrivée de l’enfant. Nous concluons sur les questions actuelles
concernant le droit à l’enfant et émettons des hypothèses sur les conditions filiatives nécessaires pour
permettre à l’enfant d’exister, de s’inscrire dans une histoire, de la vivre, de la porter et de la transmettre.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Abandon ; Adoption ; Filiation ; Loi ; Narrativité ; Clonage

Plan rythme de cette évolution, des avancées sociétales et des


questions qui en découlent. Aujourd’hui plus qu’hier, le désir
¶ Introduction 1 d’être parent se manifeste sur un mode souvent passionnel. Le
« droit à l’enfant » est revendiqué par certains, les demandes
¶ Filiation : cocréation du biologique, du juridique, du psychique 2
impossibles d’hier sont réalisables aujourd’hui grâce aux progrès
Définitions 2
scientifiques mais aussi aux changements de mentalité.
Filiation adoptive 2
Narrativité, fiction et roman familial 3 Quels sont les ingrédients indispensables pour que le mot
famille garde tout son sens ? De quelles expériences cliniques
¶ Abandon 3
pouvons-nous disposer pour penser sur ces nouvelles formes
Quelques points d’histoire 3
e familiales actuelles et celles à venir ? Comment l’adoption, par
XX siècle : regard nouveau sur la famille 3
sa construction originale, interroge-t-elle les fondements de la
Accompagner la filiation qui « se défait » : quelles pratiques ? 4
filiation et en offre-t-elle un regard grossissant ?
¶ Adoption 5
Nous allons parcourir brièvement l’histoire de l’abandon et de
Quelques statistiques 5
l’adoption, afin de prendre le temps de comprendre comment
Démarche d’agrément 5
notre culture pense, vit, imagine et légifère sur la filiation et la
Clinique de l’adoption 6
parentalité adoptive. Nous tenterons de rester vigilant et
¶ Questions actuelles 7 d’aborder les deux facettes complémentaires de ces filiations :
¶ Conclusion 7 l’une qui « se défait » et l’autre qui se constitue.
L’abandon d’un enfant peut se faire précocement à sa nais-
sance mais il peut aussi se trouver dans une situation abandon-
nique, n’importe où dans le monde, livré à lui-même, vivant
■ Introduction dans la rue puis recueilli dans une institution ou bien encore
subissant des mauvais traitements, des abus. Ces contextes
La multiplication des relations parentales est entrée sur la
scène publique et vient complexifier un schéma jusque-là bien d’abandon viennent prendre une part fondamentale dans la
établi. L’adoption comme toute construction familiale vit au préhistoire adoptive de ces enfants. Nous en aborderons la

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-210-A-40 ¶ Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique

spécificité et interrogerons, grâce à la clinique, les éléments famille adoptive ne peut soutenir une telle dissociation avec sa
facilitateurs de ces rencontres familiales mais aussi ce qui peut volonté propre, son désir ou avec les seules données conscientes
faire « échec », provoquant des naufrages familiaux. de son discours. Lorsqu’il manque l’axe biologique, les deux
restants suffisent à permettre la filiation. Mais pour Guyotat,
« toute singularité de la filiation dans la réalité (juridique ou
■ Filiation : cocréation biologique) exalte celle de l’image narcissique et inversement,
toute inflation mégalomaniaque de cette image, comme dans
du biologique, du juridique, les psychoses, aboutit à une destruction-reconstruction de la
du psychique filiation instituée réelle donc vérifiable » [5]. Les deux autres axes
vont être fortement sollicités par un mécanisme de compensa-
Définitions tion. Par exemple, dans une famille adoptante, très souvent les
enfants vont se retourner vers l’axe juridique pour le mettre en
La filiation désigne un lien de parenté qui unit des généra- doute (questions du vrai parent, du vol d’enfant).
tions entre elles. À ce titre, la filiation inscrit un individu dans
un réseau généalogique. Nous pouvons référer la filiation à trois Sur le plan biologique
axes : biologique, juridique et psychique.
L’absence de la filiation biologique peut permettre au couple
Filiation biologique de ne plus se penser comme à l’origine de l’arrivée de
l’enfant et ainsi de favoriser des représentations déréelles,
C’est celle de la procréation, par intervention des « produits
désexualisées de la conception. Or, à la scène originaire propre
du corps » de l’un et de l’autre sexe aboutissant à l’engendre-
à l’enfant et à ses parents de naissance devraient correspondre
ment d’un enfant. Le lien biologique ne suffit pourtant pas à
les multiples scènes de rencontre, de désir, de conception d’une
« être parent ». La transmission des produits génomiques des
histoire commune dont l’enfant à venir serait un des aboutisse-
deux parents est incapable, à elle seule, de créer une parentalité,
une filiation psychique. La maternité fournit l’occasion à ce ments. En absence d’une telle correspondance, l’enfant ne
sentiment de se développer. La naissance d’un enfant n’est pourra s’originer dans l’imaginaire de sa famille, courant alors
jamais une condition suffisante pour « naître » parent, mais le risque d’être toujours considéré comme un enfant d’ailleurs,
peut permettre de le devenir [1]. En revanche, les autres données juste accepté, à peine accueilli.
naturelles (reproduction sexuée, différence des générations,
différence du mort et du vivant) serviront de base aux produc- Sur un plan juridique
tions juridiques et psychiques de la filiation. La loi, par la fiction juridique qu’elle instaure, permet de
définir la place de chaque membre dans un scénario symbolique
Filiation juridique cohérent. Dans l’adoption, la valeur créatrice de la fiction
C’est celle du cadre législatif qui définit les règles de filiation. juridique est encore plus nécessaire : elle permet d’instituer des
Elle relève de la convention (désignation du père, de la mère, parents en absence d’un lien biologique. C’est grâce à cela que
de l’enfant) et s’élabore toujours à partir des données naturelles tout enfant, adopté ou non, peut se dire « fils ou fille de » l’un
en fonction des données culturelles de la société [2]. et de l’autre sexe, pour reprendre la formule antique. Avant cela,
La loi est essentielle pour pouvoir intérioriser les repères la loi, en encadrant l’acte d’abandon par les parents de nais-
symboliques propres à définir pour l’enfant sa parenté, sa sance, en définissant son adoptabilité juridique, donne un statut
filiation. L’institution de la loi, par la formalisation du réel en propre et spécifique à l’enfant en attente d’adoption. La loi
une configuration symbolique, permet de fournir une fiction permet de reconnaître l’interruption filiative, propre à l’aban-
qui permet de passer de l’individuel à l’universel, de l’être don, pour donner toute sa place à la création filiative, propre à
humain à l’être social dans une filiation [3]. l’adoption.
« Cette filiation ne soulève pas de problème de preuve
Filiation psychique puisqu’elle repose sur une preuve préconstituée par le jugement
Elle représente une construction subjective de sa propre vérité d’adoption. C’est un lien de droit, « c’est un vêtement juridi-
qui permet de se considérer comme père, mère, fils ou fille. que » [6] qui recouvre une réalité individuelle et sociale et qui
L’axe psychique de la filiation permet le nouage des trois diffère selon la situation respective des deux parents. »
éléments à la base de toute société : le biologique, le social et la
dimension subjective, inconsciente, propre à l’humain. Cette Sur un plan psychique
filiation, à la différence de la filiation biologique ou juridique,
Grâce à l’intériorisation de cette sécurité filiative, parents et
se construit avec le temps ; sa valeur et sa consistance ne sont
jamais établies définitivement au cours de la vie. C’est l’axe de enfants s’éprouveront dans toute la violence de leurs senti-
la temporalité, de la rythmicité, du partage, de l’éprouvé d’un ments, donnant ainsi consistance et vérité à la filiation
vécu commun. psychique.
La solidité psychique de cette construction dépasse les La filiation adoptive est une filiation vulnérable, en raison du
données biologiques de la filiation et permet de donner une travail psychique nécessaire plus important pour construire sa
sécurité à la filiation : la fiction filiative est alors vécue comme parentalité et sa filiation. Les échecs dans l’adoption sont
vraie car raisonnable [4]. Raisonnable car l’enfant « aurait pu » dramatiques et nous interpellent comme professionnels ou
naître de ces parents-là. comme tiers dans cet espace adoptif. La faillite de la famille à
Pour l’enfant, l’élaboration inconsciente et consciente de la soutenir la fiction filiative apparaît immédiatement dans la
rencontre parentale dans la construction de son identité est clinique des échecs de l’adoption, en particulier au moment de
l’une des composantes essentielles de ce nouage : naître du l’adolescence. L’adolescent est alors signalé au juge pour
désir, d’un « enfantement » psychique d’un couple, d’une enfants, placé en famille d’accueil, en institution ou logé dans
histoire. un studio, à l’écart de sa famille. Si un parent ne se reconnaît
pas dans son enfant, ce dernier sera vécu comme une menace,
persécutant pour lui, son couple, sa famille. Lors de l’adoles-
Filiation adoptive cence, le fantasme classique à cette période d’« étranger » à soi-
La situation adoptive est un véritable défi pour la famille eu même et à sa famille prend une coloration particulière si celle-ci
égard à sa capacité à soutenir ce qui est délié, disjoint, dissocié, considère « réellement » son enfant comme un « étranger dans
en l’occurrence les liens biologiques d’une part et les liens la maison ». L’intensité des manifestations cliniques à l’adoles-
juridiques et psychiques d’autre part. La valeur contenante de la cence dans la situation adoptive [7] s’explique à notre sens, en
loi permet ainsi de soutenir la dissociation propre à la filiation partie, par ce qui est vécu par certaines familles non comme un
adoptive grâce à la valeur fondatrice de la fiction juridique. La fantasme mais comme une réalité.

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique ¶ 37-210-A-40

Narrativité, fiction et roman familial homme en puissance et donc incapable de connaître le bonheur
puisque celui-ci vient avec la maturité : « l’enfant ne peut pas
La fiction de toute famille fonctionne grâce au psychisme qui être heureux car il n’est pas capable de telles actions en
va la faire vivre, dans la continuité qui trouve sa place dans le fonction de son âge, et les enfants qu’on appelle heureux ne le
rapport aux ascendants et descendants. sont qu’en espérance car le bonheur requiert, nous l’avons dit,
Au contact maternel, le bébé, dès sa naissance, va retrouver la vertu parfaite et une vie venant à son terme » [9].
chaleur et protection dans cet impossible retour à sa vie fœtale. À Rome, le paterfamilias est tel qu’il autorise au père de
Il va grandir et répondre aux signes de celle qui s’investit auprès vendre ou d’abandonner ses enfants, en particulier quand il
de lui. Petit à petit au plaisir de cette fusion retrouvée va souhaite « ajuster la taille de sa famille à ses moyens finan-
succéder l’apparition d’un mal-être du manque. Il s’agit de ciers ». Car en droit romain, le père est celui qui donne ou la
l’apparition des phénomènes d’absence et de présence liés à la vie ou la mort. Cette volonté de se constituer le père de son
mère, donc de sa propre existence, séparée et distincte d’elle enfant est un rituel essentiel. Ici le lien biologique est impuis-
dont il souffre. Pour résister à cette souffrance, l’enfant va à la sant à faire le père. La paternité biologique n’est qu’un fait et
recherche de l’autre, réel et halluciné. Cette mère, unique, en pas un droit. En d’autres termes, ce lien, s’il existe, est dénué de
l’investissant dans la continuité, lui fait prendre conscience de conséquences juridiques.
son existence et de son identité. Si elle arrive par tous ces sens Au regard de l’histoire, force est de constater que l’enfant
à lui faire passer un fantasme valorisant, il va alors intérioriser abandonné est un pauvre parmi les pauvres et que sa condition
une image positive de lui-même, soubassement narcissique, traduit d’abord la condition incertaine de l’enfance et ce n’est
indispensable à la vie psychique. qu’à partir du moment où, à la fin de la période médiévale, des
Ainsi, en construisant des liens avec son père et sa mère, il hommes, des lieux spécifiques commencent à prendre en charge
acquiert une place stable et claire qui le distingue des autres. le destin de ces bébés mis à l’écart que débute l’histoire de
Très vite il va s’interroger sur ce lien mystérieux qu’il pressent l’abandon comme fait de société [8].
entre eux, dont il semble une conséquence. Il s’interrogera alors Il nous faut donc faire un saut de plusieurs siècles et nous
sur ses origines, sur son origine. Il n’échappera pas alors à la arrêter au XIVe siècle pour voir apparaître les toutes premières
réponse brutale, à la réminiscence ou l’élaboration fascinante et ébauches de prise en compte de l’enfant abandonné.
troublante de la scène primitive. L’amour de cet enfant pour ses Dès 1363, les enfants légitimes seront recueillis prioritaire-
parents prend deux visages terribles : l’inceste et le meurtre. ment à l’Hôpital de Saint-Esprit en Grève. Dès le milieu du XIVe
Refoulement et condamnation viendront neutraliser ses fantas- siècle, les maternités secrètes seront possibles à l’Hôtel Dieu de
mes. La sublimation viendra renverser le drame. La mère est la Paris ainsi que dans d’autres lieux, en particulier dans les asiles.
mère et non pas l’épouse, le miroir trompeur d’un retour Le XVe siècle est caractérisé par les infanticides mais pendant
fusionnel ; le père est le père, et non pas le rival. L’enfant va longtemps, la mort d’un enfant et en particulier la mort d’un
substituer des parents parfaits à des parents réels. Il invente le enfant trouvé, n’entraînait aucune poursuite.
roman familial. Le XVIe siècle voit la naissance d’un édit de Henri II qui oblige
Paradoxe de la filiation : doute et réalité, culpabilité et amour. les femmes à déclarer leur grossesse. Si la loi n’est pas respectée
Car ce roman doit être reconnu pour ce qu’il est : un roman, un et si un enfant mort est retrouvé, la mère peut être pendue,
leurre, démasqué ou refoulé. L’enfant revenu sur terre conscient brûlée ou enterrée vive attachée au corps de l’enfant mort.
de son identité, de son lien de famille aura alors à restaurer son Également un décret interdit aux mères de dormir avec leur
amour filial, et à élaborer ses défenses. Et ses parents bien moins nouveau-né afin d’éviter les infanticides déguisés en accident.
parfaits, bien plus humains, redeviendront à jamais ses parents. L’époque voit une diminution des infanticides au profit des
Parents par l’affection donnée, par la parole prononcée, par la abandons...sans doute trouvons-nous là un reste de pensée
force de l’amour et de la haine, de l’attachement et de la collective qui dépeint les mères abandonnantes comme poten-
déception qu’ils suscitent, parents par la violence des désirs de tiellement meurtrières.
l’enfant. Or l’enfant précisément naît des désirs des adultes. Le XVIIe siècle met en place les grands principes d’organisa-
L’enfant au bout de ce parcours psychique naît Sujet, sujet de tion d’un service d’aide à l’enfance abandonnée. Un dossier
l’inconscient défusionné, séparé mais relié à ceux qui l’ont rassemble pour chaque enfant tous les éléments le concernant
désiré et qui se sont inscrits parents auprès de lui. Toute sa vie et en 1670, le roi institutionnalise l’œuvre des enfants trouvés.
il n’aura de cesse de chercher sa vérité. La vérité d’un sujet ne Le XVIIIe siècle est connu pour la mise en place de ses tours,
se situe ni dans un corps, ni dans une vérité biologique, ni dans sorte de tourniquet placé à l’entrée des couvents qui permet à
des gènes, mais bien dans son psychisme. Là se vivent des états un parent d’abandonner son enfant dans la plus grande discré-
de souffrance, de doute, de questionnements pour le sujet qui tion. Une fois le nouveau-né déposé dans l’alcôve, se déclenche
s’interroge sur les liens qui l’unissent à ses propres parents. La une clochette qui alerte la religieuse qui vient le recueillir. Ce
vérité de la filiation chez un sujet est singulière. Elle se parle et système gère le dépôt de l’enfant et ne se préoccupe pas du
se dit au regard du vécu de celui qui se raconte. La filiation se parent. Les boîtes à bébés en Allemagne, dans les années 2000,
construit dans cette autonarration qui cherche à relier le sujet à ont repris ce système de dépôt, les modernisant mais se centrant
sa famille. Si parfois cette construction prend une allure de essentiellement sur le recueil de l’enfant sans qu’un accueil ne
promenade, bien des fois, et les adoptions n’échappent pas à la soit proposé aux parents de naissance.
règle, la filiation peut prendre des allures de naufrage. C’est Le XIXe siècle voit la fin du tour et la création des bureaux
alors qu’il nous faudra nous pencher sur la singularité du sujet ouverts qui sont d’ailleurs ouverts de jour comme de nuit et qui
qui vient « se » raconter. Singularité qui débute, pour certains permettent le dépôt du bébé avec 1 mois de réflexion pour la
enfants, par une histoire d’abandon. mère pour le récupérer. Ce siècle est surtout marqué par
l’apparition de la norme de l’amour maternel qui signe l’exis-
■ Abandon tence d’un lien indestructible entre la femme et son enfant.
L’idéologie lignagère va reculer au profit de la protection du lien
mère-enfant.
Quelques points d’histoire
e
L’abandon d’un enfant a pris des allures très différentes au XX siècle : regard nouveau sur la famille
cours des siècles. O. Faron nous rappelle que dans la Grèce du C’est un siècle qui traduit un regard nouveau sur la famille,
e
IV siècle avant J.-C, Platon recommande l’abandon dans le cas la place de la famille dans la société et la place de l’enfant dans
d’enfants malformés ou de parents « inférieurs » tandis qu’Aris- la famille, en particulier avec ce que la deuxième partie de ce
tote en fait un moyen de contrôle démographique. Il est vrai siècle élaborera, à savoir « les droits de l’enfant ».
qu’Aristote compare l’enfant à l’animal : « l’âme de l’enfant ne La France ressort exsangue de la longue guerre de 1914-1918,
diffère pour ainsi dire pas de celle des bêtes [8] ». Nous sommes celle qui priva les femmes de leurs maris, les enfants de leurs
à une époque où l’enfant n’a aucun droit et il est considéré pères. La nécessaire repopulation favorisa l’adoption des enfants
négativement comme un être inachevé. L’enfant n’est qu’un « de l’assistance publique ». Le 19 juillet 1923, l’adoption des

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-210-A-40 ¶ Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique

enfants mineurs est instituée et légalisée. Avant cette date, seuls privé ou public conventionné, à ce que le secret de leur identité
les enfants majeurs pouvaient être adoptés (loi napoléonienne soit préservé, sont pris en charge par le service de l’Aide sociale
que Bonaparte avait instituée afin de pouvoir adopter les à l’enfance du département siège de l’établissement. »
enfants de sa femme Joséphine) par des parents de plus de « Pour l’application de l’alinéa précédent, aucune pièce
50 ans et avec l’accord du majeur. Désormais l’adoption des d’identité n’est exigée et il n’est procédé à aucune enquête ».
mineurs par des adultes de plus de 40 ans sera possible. « Lorsque le nom du père et de la mère de l’enfant figurent
Comme nous avons pu le constater, l’histoire, après avoir dans l’acte de naissance établi dans un délai prévu par les
tenté une prise en charge de l’enfant abandonné, plus ou moins articles 55 et suivants du Code civil, la prise en charge et les
heureuse si l’on en juge par les chiffres effrayants de mortalité frais d’hébergement et d’accouchement par le service n’est pas
infantile, s’est penchée avec la Révolution française sur la prise de droit. »
en charge de l’accouchement avec la possibilité du respect du La loi du 8 janvier 1993 vient inscrire la demande de secret
secret de l’identité de la mère. Cette disposition appliquée de la femme, « l’accouchement sous X » dans le Code civil.
d’ailleurs de façon plus ou moins inégale, amènera quelques L’ambiance toujours conflictuelle autour du « pour ou contre
décennies plus tard le gouvernement de Vichy, favorable à une la possibilité de secret », a entraîné le 5 juillet 1996 une
politique nataliste, à adopter le décret-loi du 2 septembre nouvelle réforme de l’adoption, proposée par le professeur
1941 sur la protection de la naissance. Celui-ci organise Mattei, réforme qui n’a pas remis en cause la possibilité de la
l’accouchement secret et la prise en charge gratuite de la femme mère d’accoucher dans le secret. Il est intéressant de noter que
1 mois avant et 1 mois après la naissance de l’enfant, et ce dans le désir de réforme sur l’adoption s’est aussi penché sur l’aban-
tout établissement hospitalier public susceptible de lui donner don, signifiant à quel point les conditions de l’abandon et de
les soins nécessités par son état. l’adoption doivent être traitées dans un regard de réciprocité.
Ce décret-loi fut abrogé en 1953 mais la protection de la Ces nouvelles propositions inscrivent une pratique qui a
maternité secrète ne fut pas remise en cause. L’article 42 du toujours existé (mais qui était ignorée), à savoir la possibilité
Code de la famille, organisé par les décrets du 29 novembre pour la mère de lever le secret de son identité. Par cette
1953 et du 7 janvier 1959, a pris le relais avec un contenu qui inscription légale, la possibilité pour la mère de rajouter à tout
respecte le précédent. moment des éléments dans le dossier de son enfant est mieux
connue et donc mieux pratiquée. L’information restera toujours
Dans cette deuxième partie du XXe siècle, des modifications
un point fondamental en démocratie. C’est ce qui permet à
importantes apparaissent au niveau de l’adoption. Ce n’est pas
chaque citoyen de se saisir d’un cadre légal pour défendre ses
véritablement dans un même mouvement que la prise en
intérêts.
compte de l’abandon et de l’adoption avance, mais plutôt en
Également la loi de 1996 mentionne que les femmes peuvent
parallèle, répondant de plus en plus à une ambiance sociale
bénéficier d’un accompagnement psychologique et social de la
influente. À la fin des années 1950, début des années 1960,
part du service d’Aide sociale à l’enfance. Ces changements
quelques affaires devenues publiques témoignent de situations
législatifs prennent fin avec la création en 2002 du Conseil
d’enfants délaissés. Certains enfants, confiés à des familles
national d’accès aux origines personnelles, le CNAOP, qui a
adoptives, se voient du jour au lendemain arrachés à ces
pour mission de faciliter la recherche des mères de naissance, à
familles pour être rendus à leurs familles biologiques (affaire la demande des personnes adoptées. Or, cette loi, en ne reques-
Novak). Les méthodes très policières qui consistaient à aller tionnant pas le sens de la filiation, a créé des impostures. Par
chercher l’enfant chez ses parents adoptifs étaient suffisamment exemple, faire croire à des personnes qui se décrivent elles-
courantes pour préoccuper la société du XXe siècle : qu’est-ce mêmes comme vulnérables qu’il existe un lieu des origines où
qu’une famille, qu’est-ce qu’un père, une mère ? De nouvelles elles trouveront « qui elles sont à travers une identité biologi-
définitions tentent de voir le jour. La place du biologique se voit que » relève du leurre. Elles peuvent identifier celui ou celle
questionnée au travers du délai dit « de rétractation », temps responsable de la naissance dans le cadre de retrouvaille. Quant
laissé aux parents de naissance pour affirmer l’abandon définitif à la parentalité, elle reste un processus qui se construit dans une
de leur enfant. Combien de temps un lien biologique demeure- temporalité et dans un vécu qui se partage. Autoriser la levée du
t-il vivant, combien de temps doit-on autoriser le retour secret de l’identité après la mort de la mère de naissance, sans
éventuel des parents ? Un enfant peut-il se construire dans cette que son avis laissé de son vivant soit pris en compte, en est un
durée improbable : 30 ans, 2 ans, 1 an, 3 mois... ou moins ? autre. Si l’État statue en amalgamant la biologie et les origines
Quand peut-on dire qu’il y a abandon ? personnelles, il devra alors appliquer à tous les enfants à naître,
Pendant des décennies, le sort de l’enfant abandonné était dans un souci d’égalité, cette recherche biologique. Nous
complexifié par cette question de délai qui étrangement n’avait risquons un jour de voir des scénarios de science-fiction, où
pas été abordée par les responsables politiques, laissant survivre l’accueil en maternité devra prendre alors la forme d’un recueil
le vieux droit du délai « de tierce opposition » permettant à tout des acides désoxyribonucléiques (ADN) de l’homme et de la
parent de naissance de revendiquer sa parentalité durant 30 ans. femme se présentant comme le père et la mère de l’enfant à
Ce délai étrangement long au regard d’une durée de vie naître. On voit là la dérive et le danger de toute biologisation
moyenne et surtout au regard de l’enfance rendait trop précaire des origines filiatives qui pourrait annuler l’intimité et la liberté
le statut de l’enfant au sein de sa famille adoptive. du Sujet.
Le 14 janvier 1974, le Code de la santé publique précise, par
son article 20, les modalités d’admission des mères confiant leur Accompagner la filiation qui « se défait » :
enfant en vue d’adoption : « si, pour sauvegarder le secret de sa
grossesse ou de la naissance, l’intéressée demande le bénéfice du quelles pratiques ?
secret de l’admission, dans les conditions prévues par l’article Si espérer un enfant qui ne vient pas et qui conduit ensuite
42 du Code de la famille et de l’aide sociale, aucune pièce à une demande d’adoption se doit d’être parlé pour permettre
d’identité n’est exigée et aucune enquête n’est entreprise... ». une élaboration psychique, le processus doit être également
Quatre ans plus tard, l’État pense à protéger les dossiers pensé dans les situations inverses. Attendre un enfant (sans s’en
administratifs, par sa loi du 17 juillet 1978, des abus possibles rendre compte en général dans les premiers mois de la gros-
et rappelle que l’accès au dossier administratif appartient à la sesse), puis décider de renoncer à lui, demande que cet acte soit
personne en propre et que son contenu doit être restitué à interrogé et rattaché à un récit, c’est-à-dire à l’originer dans
celle-ci à sa demande. l’histoire du Sujet agissant. Il s’agit d’organiser l’accueil du ou
L’article 42 du Code de la famille et de l’aide sociale sera des parents, d’offrir un lieu de parole où les mots viendront
remplacé le 6 janvier 1986 par l’article 47 du Code de la famille. signifier l’impossible accueil de cet enfant à naître.
Ce dernier toujours en vigueur rappelle : « les frais d’héberge- Nous devons toutefois convenir, qu’apprendre qu’une femme
ment et d’accouchement des femmes qui ont demandé, lors de peut être enceinte sans vouloir garder cet enfant nous confronte
leur admission en vue d’accouchement dans un établissement à un acte intolérable du point de vue de la morale. Il est donc

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique ¶ 37-210-A-40

fort compréhensible d’entendre communément comme pre- internes, pleines de représentations qui font alors office de
mière défense une rationalisation de l’acte d’abandon afin de le fonction « images » qui prennent sens et guident le Sujet.
supporter : ainsi ces femmes sont souvent décrites comme Renoncer à l’enfant c’est renoncer à une part de l’histoire
victimes d’abandon par leur conjoint, très jeunes ou très familiale maudite, celle qui ne se dit pas, qui s’enkyste, qui se
défavorisées. La réalité est tout autre et les femmes que nous glisse sournoisement dans la tête de chaque membre de la
recevons à la maternité présentent des profils aussi diversifiés famille.
que les autres futures mères. Pour que l’enfant ne soit pas abandonné par sa mère, pour
Si la dimension choquante de cet acte vaut pour chacun que sa mère et son père ne soient pas exclus du monde des
d’entre nous, notre fonction de clinicien nous demande de humains, il nous faut créer des espaces psychiques dans les
nous pencher sur les actes extrêmes afin d’en tirer un enseigne- lieux de naissance, pour que le soin psychique, quand il est
ment ; l’abandon d’un enfant à la naissance est un acte inco- nécessaire, puisse se faire le plus précocement possible.
hérent et illogique (dans le sens conscient du terme). Or, nous
rappelle De Mijolla, nous savons « que toute intrigue anachro-
nique est une sorte d’écho du passé où se cache un sens à
■ Adoption
trouver et que le Moi qui agit devant nous aujourd’hui nous fait
signe à travers son incohérence. » [10] Par ailleurs, cette appella- Quelques statistiques
tion de « mère » à leur sujet était régulièrement source de Le phénomène de passages d’enfants d’un pays à l’autre par
discussions et de conflits parmi les professionnels, signe de le biais de l’institution adoptive fonctionne en réalité à sens
notre malaise. Mais peut-on nommer « mère » une femme qui unique. Le passage se fait toujours vers des pays favorisés depuis
projette l’abandon de son enfant ? G. Khaïat, lors d’un colloque des pays à forte démographie et faible développement selon un
en 1995 dans une discussion avec d’autres intervenants à axe Sud-Nord et depuis peu selon un axe Est-Ouest. Le chiffre
propos des mères porteuses, évoque qu’il est impossible qu’une annuel des adoptions internationales sur un plan mondial
femme porte un enfant comme si ce n’était pas le sien. Il dit approche actuellement les 30 000 adoptions par an [13].
« Je crois qu’il faut qu’elle fabrique son propre enfant, qu’elle lui D’après les chiffres de la Mission adoption internationale
parle, qu’elle le porte comme si c’était le sien, pas celui de (MAI) de 2005, sur près de 6 000 adoptions annuelles en France,
quelqu’un d’autre. À elle ensuite d’offrir son enfant à quelqu’un près de 4 000 viennent de l’étranger (contre 1 000 dans les
d’autre si elle le décide » [11]. À propos des mères qui abandon- années 1980, contre dix dans les années 1970). Si l’on rapporte
nent leur enfant à la naissance, nous pourrions nous rapprocher ce chiffre au nombre de naissances annuelles, soit 700 000
de ces paroles, tout en précisant que ce n’est pas l’enfant qu’elle enfants, il existe un ratio de huit enfants adoptés, dont cinq à
fabrique en premier lieu mais, par la narration, c’est sa propre l’internationale, pour 1 000 enfants : soit un total de près de
maternité qu’elle constitue. Un enfant ne peut naître que d’une 1 enfant adopté pour 100 naissances (0,8 % pour être précis).
mère qui se déclare mère. C’est la narration de la mère pour la On retrouve pour 2005, parmi les cinq premiers pays d’origine :
mère qui permettra la narration pour l’enfant et donc permettra 507 enfants d’Haïti, 491 enfants de Chine, 445 enfants de
de faire passer l’acte d’abandon en acte de renoncement. La Russie, 390 enfants d’Éthiopie, 363 enfants du Vietnam. Il est
différence repose sur l’existence de l’enfant dans la psyché de sa intéressant et préoccupant de relever qu’aucun des cinq pays
mère : il ne suffit pas de naître vivant pour être en vie (exem- dont sont issus la majorité des enfants adoptés en France n’a
ple : les enfants abandonnés dans des orphelinats et simplement signé la convention internationale de La Haye du 29 mai
nourris sans un mot prennent le chemin de la folie quittant le 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière
monde des humains). d’adoption internationale.
Le désir est porteur de vie, de filiation, de parentalité. C.
Flavigny nous le rappelle très clairement en posant la question : Démarche d’agrément
« Comment se fait-on parent ? Fondamentalement par le désir,
Cette démarche peut s’illustrer parfaitement par les propos du
et comme dans tout désir (ceux qui mettent en scène notre
philosophe J.-P. Pierron, auteur d’un ouvrage sur l’adoption :
humanité), il y a la facette consciente et celle plus obscure
« C’est en s’abandonnant que l’adoption donne progressivement
inconsciente qui peut retarder, exclure, l’envie consciente ou au
visage au désir d’enfant. S’abandonner. L’abandon n’est pas
contraire la précipiter [12]. »
forcément où l’on croit ! Le dénouement du geste adoptif
Ainsi pour notre part, nous soutenons que la maternité naît
expérimente le dénuement de l’initiative. Perdre pied. Non pas
d’un processus de narration. Ce sont les mots qui ont le pouvoir
partir à la dérive mais être emporté par une vague plus sûre que
de soutenir et donner la vie. Toute rupture de ce processus nos assurances, telle est l’expérience adoptive. Pour elle,
entraîne une faille dans les capacités à se penser mère, à être l’urgence est à l’attente, l’agir est un pâtir, la réponse une
mère et chacune de ces ruptures a des incidences sur le bébé à question. » [14]
naître ou le bébé qui naît [1]. L’agrément est une procédure qui doit se dérouler sur une
De ce concept est née une pratique de consultation, d’inspi- durée de 9 mois à compter de l’enregistrement de la demande.
ration psychanalytique. C’est l’histoire psychique, celle qui est Il est valable 5 ans sur l’ensemble du territoire national. Il est
constituée d’inconscient, qui doit être révélée. À cet effet, des effectué par des professionnels des services départementaux,
rendez-vous sont proposés et ponctuent le temps. La tempora- assistante sociale et psychologue, qui sont chargés d’apprécier
lité est essentielle ; elle vient rappeler à ces femmes qui ont les conditions d’accueil des enfants tant d’un point de vue
commencé une maternité hors du temps que la réalité de la matériel, qu’éducatif et psychologique. En parallèle, un médecin
grossesse est justement basée sur un calendrier. Le temps nous psychiatre intervient parfois dans cette procédure selon les
est compté et c’est la particularité de cette pratique clinique. départements. À noter qu’aujourd’hui, cette rencontre n’est pas
L’enfant doit naître après la naissance de la maternité de sa mère. obligatoire et peut être réalisée par n’importe quel médecin
Dans un état d’être enceinte, elle doit passer psychiquement de psychiatre. Nous regrettons que cette démarche ne soit pas
cet état de grossesse à l’attente d’un enfant puis l’attente d’un remplie par des médecins agréés et connaissant bien les situa-
enfant dont elle se sépare. Dans cette temporalité, le voyage tions adoptives, afin de favoriser la qualité des échanges avec les
intemporel, le travail psychique va commencer et se réaliser. futurs parents. De même nous soutenons l’aspect indispensable
Être mère pour renoncer à l’être est un étrange voyage de cette rencontre.
douloureux, silencieux où l’histoire se murmure avant de se dire L’agrément précise, pour chaque couple, le nombre d’enfants
puis de se révéler ; témoins de leurs parcours qui les emmène à souhaités, leur âge et parfois des caractéristiques qui peuvent
rompre avec l’histoire familiale, nous prenons la mesure de ce être liées à la culture de l’enfant, à son état de santé, à son
sauvetage, offrant comme espace de travail ce temps intemporel histoire. En effet certains parents préfèrent s’orienter vers une
qui ponctue la narration, qui la scande. culture plutôt qu’une autre au regard de leur propre histoire,
L’œuvre du psychisme ou les idées s’associent sous une forme choix indispensable pour la qualité future de l’accueil de cet
d’anarchie, succession d’énonciations reliées à des perceptions enfant. Il ne s’agit pas du tout d’un racisme déguisé comme

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-210-A-40 ¶ Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique

nous pouvons parfois l’entendre, mais tout simplement d’un enfant en France, certes plus âgé mais dont on connaît parfai-
élément qui va venir rencontrer la famille adoptive. Ce peut tement l’histoire, son adoptabilité psychique et ses attentes. De
être lié à la langue du pays que l’un des parents parle, au fait plus, beaucoup d’adoptants, une fois dans le pays d’accueil,
d’avoir des amis dans une culture choisie, une attirance tout vont élargir leurs critères d’accueil qu’ils s’étaient fixés en
simplement pour un pays en particulier. France. Cet élargissement peut porter aussi bien sur l’ethnie,
La question du choix du prénom revêt les mêmes préoccupa- l’âge plus tardif, l’acceptation d’une fratrie, la présence d’un
tions. Il ne peut être tenu par un autre que le parent lui-même. handicap, un état psychique à évolution plus incertaine. Alors
Un parent a besoin de nommer son enfant et de l’inscrire dans pourquoi ne pas avoir fait plutôt un travail d’élaboration en
son histoire. Ce geste symbolique ne veut pas dire qu’il en France qui aurait pu permettre l’adoption d’un pupille d’État ?
oublie l’origine de l’enfant ou qu’il essaie d’effacer une histoire Lors de l’agrément, il est important d’investiguer les représen-
passée ; les familles adoptives sont aujourd’hui sans cesse tations et les émotions suscitées par l’histoire de l’enfant à venir
influencées dans leurs choix parentaux par des pensées exté- afin d’apprécier les capacités métabolisantes et élaboratives des
rieures qui viennent les inhiber ou les culpabiliser dans leurs demandeurs. Par exemple, les représentations imaginaires de
choix. La désignation est importante (la société désigne le l’abandon des parents de naissance sont toujours évoquées. Les
parent adoptif), la nomination également (l’enfant est nommé projections anxieuses, horrifiées, négatives sur le pays, l’enfant
par le parent désigné). Ainsi la filiation adoptive prend toute sa ou ses parents de naissance peuvent empêcher tout mouvement
place dans l’ordre symbolique de la déclaration. identificatoire des parents vers l’enfant. Ainsi, un couple lors
Tous ces éléments doivent être entendus et non jugés au d’un entretien préalable à l’agrément se questionnait « Com-
moment de la procédure d’agrément. ment peut-on abandonner un enfant alors qu’on n’est même
Ainsi, si l’agrément est une procédure administrative définie pas pauvre, c’est horrible, à la rigueur si c’est un viol ou un
par la loi, c’est avant tout un moment de questionnement, de inceste ». Ce couple ne pouvait envisager l’incapacité filiative de
maturation psychique. Les parents adoptifs parlent de parcours certaines femmes qui abandonnent leur enfant en dehors de
du combattant pour évoquer cette période d’obtention d’agré- motivations compassionnelles. Si les parents associent à l’aban-
ment et c’est bien regrettable que ne soit pas plus évoquée la don quelque chose de l’ordre de la honte, du rejet ou du
dimension symbolique de ce cheminement. On ne s’improvise dégoût, cela sera autant d’affects et de représentations inassimi-
pas parent adoptif et les situations d’échec et de souffrance de lables pour eux, qui resteront pour l’enfant à assimiler dans son
ces familles que nous recevons dans nos cabinets ne font que histoire, quitte à s’identifier à un enfant devenu « horrible » car
confirmer la dimension très délicate de ces constructions venant d’une histoire « horrible » d’autant plus proche de lui
familiales. Les enfants rendus à l’Aide sociale à l’enfance, par que ses parents la rejettent.
des parents adoptifs excédés, blessés par les comportements Pour nous ce sont des « histoires psychiques » qui font que,
inattendus de leur enfant qui les pousse à la fin à s’en séparer, à un moment donné, la filiation par rapport à cet enfant était
ne sont pas des cas isolés. Aujourd’hui les échecs d’adoption impossible, très souvent pour des raisons transgénérationnel-
s’élèvent à 3 % (enfant rendu à l’Aide sociale à l’enfance) mais les [16]. Sans interruption volontaire de filiation d’un côté, il n’y
nous savons que ce chiffre est bien inférieur à la réalité. aurait pas de création de filiation de l’autre [17].
Cet état des lieux démontre que notre civilisation très
technicienne ne peut pas résoudre par ces techniques tous les Origines lointaines et origines biologiques
problèmes humains. Notre tendance à inventer sans cesse des Beaucoup de parents adoptants pensent qu’il est nécessaire
dispositifs pour résoudre des questions ne peut s’appliquer dans d’élever son enfant dans une double culture, la leur et celle du
le domaine de la filiation même si nous avons fait des progrès pays de naissance de l’enfant, quel que soit l’âge d’arrivée de
scientifiques incontestables. « L’adoption n’est pas un dispositif l’enfant. Certains apprendront la langue du pays à cette
mais une disponibilité » [14] et c’est en cela que l’agrément dans occasion, garderont le prénom local, prendront une nourrice du
sa symbolique est incontournable... Espace de pensée, ouverture pays pour élever l’enfant, habilleront l’enfant en costume local,
sur cette construction familiale qui vient interroger ce besoin de changeront de façon de manger, couvriront leur maison de
se reproduire en dehors de la reproduction biologique. tableaux, posters de « là-bas »... L’ensemble de ces attitudes est
Par cet espace de pensée anticipatoire, nous pouvons pour actuellement rationalisé par des idées concernant « le respect de
une part prévenir les échecs. L’agrément dans sa temporalité ses origines, l’importance de lui donner le choix plus tard,
permet un accompagnement solide de ces futurs parents, les l’importance de lui rappeler son histoire ou encore de ne
aidant à penser ce devenir parent, avec les particularités liées à surtout pas le couper de sa culture ».
l’accueil d’un enfant qui naît dans une autre histoire. Ces attitudes reflètent un discours collectif actuel qui veut
Cette procédure est, d’un point de vue psychique, une résumer l’origine à une identité culturelle. Il s’agirait donc de
métaphore de l’attente de l’enfant et par sa temporalité, les réduire la parentalité adoptive à sa facette éducative. Or la
futurs adoptants y effectuent un travail sur eux-mêmes, sur leur filiation adoptive est une filiation à part entière dans laquelle
lignée, sur le sens de la poursuite de cette histoire familiale l’enfant s’originera. Sans eux, sans leur rencontre, sans leur
transgénérationnelle, en inscrivant un enfant porteur d’une histoire ils n’auraient jamais eu cet enfant. Tout un pan de
autre histoire. Il ne s’agit pas du tout d’évaluer le désir mais de l’histoire, de la culture des parents risque de ne pas être
soutenir une narrativité qui inscrit chacun dans une histoire transmis si les parents valorisent à l’excès les origines biologi-
familiale qui évolue et se transforme au fil des générations. ques de l’enfant.
Parfois le parent se sent entravé par son infertilité passée et
Clinique de l’adoption n’ose se revendiquer comme parent. Tout se passe comme si
pour lui l’infertilité se mélangeait avec impuissance et géniteur
Sur la motivation humanitaire avec paternité [18].
Considérer l’origine biologique comme la seule origine
La motivation humanitaire lorsqu’elle résume le geste valable de l’enfant fait partie des facteurs les plus déstabilisants
d’adoption est un facteur de risque en soi [15]. Il est important pour les enfants adoptés. Nous voyons de plus en plus de
que les couples puissent élaborer cette question cruciale : parents commencer la consultation pour les problèmes de leur
« pourquoi l’enfant à adopter doit être celui du bout du enfant par : « Vous savez il est adopté, je sais qu’un enfant a
monde ? ». La pénurie des enfants à adopter en France ne peut deux origines, je suis tout à fait d’accord pour l’emmener dans
constituer une réponse suffisante. En revanche, l’idéalisation son pays d’origine..., peut-être que ses problèmes viennent
excessive de l’enfant venu d’ailleurs joue un grand rôle dans d’ailleurs, nous ne savons rien sur lui avant, on ne peut pas lui
cette réponse. dire grand-chose, peut-être que là-bas... ».
Beaucoup de couples courent de plus grands risques en allant Ce discours, véhiculé par les médias en particulier, risque
chercher un bébé à l’internationale avec les risques de faux de sortir les parents de la scène parentale et de laisser l’enfant
certificats médicaux, de maladies non dépistées, de carences face à un vide angoissant. Les parents justifient souvent leur
affectives précoces, de trafics d’enfants, plutôt que d’adopter un attitude par des rationalisations visant à trouver des raisons,

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique ¶ 37-210-A-40

là encore en faisant appel à la réalité « Mais ses parents... ils


viennent d’ailleurs ». C’est le phénomène d’aimantation de la
■ Questions actuelles
réalité. C’est une occasion formidable pour des parents de se Actuellement, les questions autour de la filiation se sont
sortir de cette scène parentale et c’est une tentation qu’ont considérablement complexifiées depuis qu’il est possible de
tous les parents, pas seulement adoptants. Tous les parents fabriquer des enfants avec ou sans sexualité, avec ou sans corps.
aimeraient se sortir des conflits qu’ils ont avec leurs enfants Nous pouvons fabriquer du corps, de la biologie en nous
en trouvant des raisons qui leur sont extérieures. Cette appuyant sur les progrès scientifiques et notre capacité à isoler
tendance risque donc d’évacuer, de sortir les parents de la des cellules et les reproduire ; il restera ensuite à permettre au
scène parentale, c’est-à-dire de se récuser comme origine de sujet d’exister, de s’inscrire dans une histoire, de la vivre, de la
l’enfant donc comme parent. porter et de la transmettre. Là est le défi de la filiation et de sa
survie. Là est le défi des nouvelles familles d’aujourd’hui.
Pourtant certaines fictions relèvent de la science-fiction filiative
Objectifs de la pratique clinique lorsqu’elles ne permettent plus le travail filiatif propre au
La clinique de la situation adoptive montre l’intrication psychique [21]. C’est-à-dire lorsque les fictions ne répondent plus
constante, la collusion, parfois la confusion de la réalité à la nécessité pour chacun de se situer dans des places qui les
historique et de la réalité fantasmatique quant à la construction relient en tant que parent et enfant, dans le respect de ce qui
de l’histoire familiale chez tous les membres de la famille. fonde la filiation : la différence des sexes, des générations, de la
Deutsch souligne cet aspect dès les années 1940 : « La cause vie et de la mort. Repères indispensables pour permettre à
première des réactions psychologiques de l’enfant adopté ne l’enfant de construire son roman familial et vivre sa conflictua-
réside pas tant dans les circonstances de sa naissance que dans lité œdipienne.
les conséquences de ce fait réel sur l’entourage, en particulier Dans le quotidien Libération de mars 2002, nous pouvions lire
à propos du « Désir gay » : « Il suffit d’un pot de confiture et
chez la mère adoptive » [19]. L’éducation ne devrait pas être
d’une seringue pour faire un enfant et pour devenir père ».
différente mais parfois elle l’est, comme si la situation adoptive
Cette affirmation qui prône la dimension biologique de la
autorisait plus les fantasmes et les projections.
reproduction, mène-t-elle sur le chemin de la parentalité ?
Ainsi, la « réalité historique » (abandon de l’enfant, histoire La revendication d’un enfant, via l’adoption ou les aides
des parents de naissance, histoire préadoptive de l’enfant) sera médicales à la procréation par les couples de même sexe, a le
souvent utilisée d’une façon univoque par les parents pour mérite d’ouvrir le débat entre parentalité, sexualité, biologie, et
expliquer les troubles de l’enfant ou l’incompréhension devant tente d’inscrire le droit au projet d’enfant dans une conjugalité
les attitudes de l’enfant [18]. aujourd’hui affirmée. Mais si la question éducative est un faux
La situation adoptive (existence de parents de naissance débat pourtant revendiqué « scientifiquement » [22], la question
projetant leur ombre sur la chambre d’enfant) favorise les d’ « homoparentalité » ouvre, dès sa nomination, sur une
difficultés qui peuvent également surgir dans la situation contradiction : le radical homo, « le même », évoque une
ordinaire, où elles prennent alors une autre forme et sont moins similitude là où le lien parental revendique l’expérience de la
immédiatement rationalisées. Les parents pensent souvent que différence [14]. Il n’y a pas de parentalité sans altérité. La réalité
le symptôme de l’enfant, ou son attitude en général, serait la du sexué place invariablement du masculin et du féminin dans
conséquence directe d’une histoire inconnue ou trop connue toute parentalité.
« réelle », dont ils ne seraient que les spectateurs passifs et La question est également ouverte par le possible clonage et
impuissants. les incidences de celui-ci. Le sujet est grave et montre comment
Cette « histoire passée » possède un fort pouvoir attractif sur l’axe biologique de la filiation est aujourd’hui manipulable et
le plan fantasmatique et risque d’empêcher toute mise en donc manipulé. Le clonage met en évidence la partie reproduc-
perspective historique des enjeux passés et actuels entre l’enfant tive de l’homme mais pas sa dimension humaine de transmis-
et ses parents. Toute attitude de l’enfant est observée à travers sion. Axel Khan, généticien, plaide pour la criminalisation du
le prisme de la situation adoptive qui fonctionne alors comme clonage reproductif humain en rappelant que la décision de
un mécanisme « saturateur de sens ». cloner n’est pas une liberté individuelle : « Elle pose la question
Nous pouvons définir quatre objectifs aux différents temps de de savoir si on est libre de créer un individu qui court le danger
l’accompagnement de la famille adoptive [20]. d’être aliéné, de par sa prédétermination génétique absolue.
Pour moi un débat démocratique bien conduit sur le clonage
• Restaurer la polysémie symptomatique des attitudes de
essayera de toucher du doigt ce qu’est le but de la démocratie :
l’enfant en le convoquant comme un enfant du couple
d’une part débattre, mais aussi trouver le moyen de protéger
présent et de leur passé (enfant fantasmatique des rêveries du
ceux qui n’ont pas accès au débat, les opprimés, les plus faibles,
couple) et non pas uniquement comme résultant d’un passé
les clones potentiellement. De toute façon que je sois optimiste
angoissant ou menaçant.
ou non, je sais que ce combat doit être mené. » [23] Axel Khan
• Repérer les fantasmes parentaux étayés ou non par la réalité pointe ce que nous appelons « Le biologique dévêtu. » [18] Le
historique (représentations imaginaires à valeur défensive). biologique privé de l’axe juridique et psychique redeviendra ce
L’une des conditions essentielles de réussite des consultations que Legendre craignait « de la reproduction de
est d’intégrer et de dépasser les idées pénibles concernant la chair humaine. » [3] Seul le biologique investi par le juridique et
« réalité » comme : l’infertilité du couple quand celle-ci est à vivifié par le psychique mène au chemin de l’humanité. La
l’origine de l’adoption, les parents de naissance (rivaux, remise en cause de la fiction œdipienne au profit d’une seule
dépréciés, inconnus, tout-puissants, angoissants) et l’histoire vision biologique ou sociologique de la famille ne permet plus
de l’enfant avant l’adoption (histoire préadoptive). de fournir un sens, une narrativité, un cadre susceptible
• Repérer les mécanismes compensatoires des parents et de d’organiser les fantasmes originaires à la base de toute
l’enfant en réponse à ces projections identificatoires. En famille [19].
réponse à la monosémie des attitudes de l’enfant, la famille
développe des mécanismes de « compensation réciproque »
pour répondre aux scénarios fantasmatiques à sens unique ■ Conclusion
dominés par les fantômes du passé. L’enfant pourra s’enfer- L’accès à la remémoration de représentations ou d’affects
mer lui aussi dans des explications causalistes autour de son douloureux de sa propre enfance est l’une des meilleures façons
histoire préadoptive. Le risque pour l’enfant est alors de d’éviter la répétition des scénarios fantasmatiques propres à la
désinvestir la scène parentale adoptive comme lieu insuffi- dysparentalité adoptive. La répression, l’isolement des affects ou
samment historicisant, donc sécurisant pour lui. des représentations douloureuses de sa propre histoire risquent
• Replacer dans le noyau familial ce qui était projeté au d’entraver tous mécanismes identificatoires à ses propres parents
dehors : travail d’historicisation des symptômes par rapport non satisfaisants [24]. Cela entraîne inévitablement la réactuali-
aux imagos fondatrices des parents. sation avec son enfant de sa propre enfance douloureuse sans

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-210-A-40 ¶ Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une perspective historique et clinique

possibilité d’avoir un accès empathique ou identificatoire aux [8] Faron O. De la famille à l’hospice : le destin tragique des enfants aban-
conflits de l’enfant. Le travail thérapeutique au fil des consul- donnés. Histoire 1996;205:56-61.
tations permet alors d’accéder progressivement aux représenta- [9] Youf D. Penser les droits de l’enfant. Paris: PUF; 2001.
tions internes douloureuses du (des) parent (s). Le symptôme de [10] De Mijolla A. Les visiteurs du moi : fantasmes d’identification. Paris:
l’enfant devient alors inutile comme signifiant extérieur de la Les Belles Lettres; 1981.
carence représentative interne du (des) parent (s). [11] Khaïat. G. Vérité scientifique, vérité psychique et droit de la filiation.
L’adoption ne repose ni sur un droit à l’enfant, ni sur un Paris: Erès; 1995.
désir fondé sur la compassion. Aucun État, aucune convention [12] Flavigny C. L’enfant n’est pas un bien social. Le monde du 16-17 juillet
internationale ne reconnaissent un droit à l’adoption. L’adop- 2000.
tion ne vient pas réparer une injustice, suppléer un manque ou [13] Chicoine JF. L’enfant adopté dans le monde. Québec: Éditions de
authentifier un besoin. La situation adoptive montre à quel l’hôpital Sainte-Justine; 2003.
point elle est intriquée au caractère institué de la filiation et ne [14] Pierron JP. On ne choisit pas ses parents. Paris: Seuil; 2003.
peut se modeler à n’importe quelle demande parentale. Il ne [15] Lévy-Soussan P. Adoption internationale : spécificités et risques psy-
nous semble pas dans l’intérêt de l’enfant de faire reposer sur chiques. J Pediatr 2005;18:13-9.
lui la validation filiative de toutes les situations de vie des [16] Marinopoulos S. Moïse, Œdipe et Superman : de l’abandon à l’adop-
adultes indépendamment du sexe, de l’âge, des états psychiques. tion. Paris: Fayard; 2003.
La situation adoptive ne doit pas valider une situation filiative [17] Lévy-Soussan P. Cadre législatif et espace familial : vers une
d’adulte mais rester au service de l’enfant dans la création d’une fragilisation des processus filiatifs dans l’adoption. Psychiatrie Sci
famille maritale ou conjugale, en accord avec les normes Hum Neurosci 2004;2:19-24.
filiatives propres aux structures de la parenté universelle. [18] Soulé M. Lévy-Soussan P. Les fonctions parentales et leurs problèmes
.
actuels dans les différentes filiations. Psychiatrie Enf 2002;45:77-102.
[19] Deutsch H. Les mères adoptives. In: La psychologie des femmes. Tome
■ Références II Maternité. Paris: PUF; 1945. p. 339-72 (1955).
[20] Lévy-Soussan P. L’accompagnement de la famille adoptive dans une
[1] Marinopoulos S. Dans l’intime des mères. Paris: Fayard; 2005. consultation psychologique spécialisée dans les problèmes de filiation.
[2] Castoriadis C. L’institution imaginaire de la société. Paris: Seuil; 1989.
In: Ozoux-Teffaine O, editor. Enjeux de l’adoption tardive. Paris: Erès;
[3] Legendre P. Leçons IV sur la filiation. Paris: Fayard; 1990.
2004. p. 231-42.
[4] Kantorowicz EH. La souveraineté de l’artiste. Notes sur quelques
maximes juridiques et les théories de l’art à la Renaissance. In: Mourir [21] Lévy-Soussan P. Travail de filiation et adoption. Rev Fr Psychanal
pour la patrie. Paris: PUF; 1984. 2002;1:41-69.
[5] Guyotat J. Filiation et puerpéralité, logique du lien : entre psychana- [22] Lévy-Soussan P, Tarragano O. Préface contradictoire. In: Tasker FL,
lyse et biomédecine. Paris: PUF; 1995. Golombock S, editors. Grandir dans une famille lesbienne. Paris: ESF;
[6] Foyer J. Vérité scientifique, vérité psychique, et droit de la filiation. 2002.
Paris: Erès; 2000. [23] Khan A. Le clonage : un ennemi de la démocratie. Liberation 2003:4-5.
[7] Verhulst FC. Les enfants adoptés à l’étranger : étude longitudinale sur [24] Manzano J, Palacio-Espaza F, Zilkha N. Les scénarios narcissiques de
l’adoption aux Pays-Bas. Psychiatrie Enf 2000;43:647-67. la parentalité. Paris: PUF; 1999.

P. Lévy-Soussan, Psychiatre, psychanalyste, médecin directeur (levysoussan@free.fr).


16, square de Port-Royal, 75013 Paris, France.
S. Marinopoulos, Psychologue, psychanalyste.
Centre hospitalier universitaire de Nantes, service de consultation médico-psycho-pédagogique, 7 quai Moncousu, 44093 Nantes cedex 1, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lévy-Soussan P., Marinopoulos S. Abandon et adoption : enjeux psychiques de la filiation dans une
perspective historique et clinique. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-210-A-40, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 37-210-A-10

37-210-A-10

Abord institutionnel des enfants


psychotiques et autistes
J Hochmann R é s u m é. – Héritière du traitement moral esquirolien, la pédopsychiatrie française, restée
fidèle à la notion de psychose, continue à marquer son souci de poursuivre une réflexion
théorique et une expérimentation novatrice dans l’élaboration et la diversification des
traitements institutionnels multidimensionnels.
© 1999, Elsevier, Paris.

Historique – le courant, enfin, de la psychothérapie institutionnelle proprement dite qui,


avec Jean Oury et Guattari, tenait l’institution pour un grand divan
psychanalytique sur lequel se développent un transfert et un contre-transfert
Dégagées lentement du fourre-tout de l’arriération mentale, les psychoses généralisés qualifiés d’institutionnels [33].
infantiles précoces se sont constituées, dans les années 1950, en objet spéci-
fique pour les psychiatres d’enfant et les psychanalystes. Une séparation avait On verra (cf infra) que ces trois courants ont apporté chacun leur contribution
alors tendance à s’opérer entre le domaine du déficit intellectuel « simple », à la conception actuelle du traitement en institution. On s’étonnera peut-être
abandonné aux institutions médicoéducatives (et surtout éducatives) de du caractère très hexagonal de ces contributions. Alors que la pédopsychiatrie
l’enfance inadaptée ainsi qu’aux classes spécialisées de l’Éducation française trouvait naguère son inspiration tant dans les descriptions de Léo
nationale, et celui des psychoses, prépsychoses ou dysharmonies d’évolution Kanner que dans les pratiques et les théorisations de Margaret Mahler, de
revendiqué par les institutions psychiatriques. L’époque était à une remise en Bruno Bettelheim, de Winnicott, de Bion, de Frances Tustin ou de Donald
cause critique des démarches à visée d’apprentissage scolaire, dans Meltzer, force est de constater le fossé qui s’est creusé ces dernières années
l’approche des enfants psychotiques, et à une foi dans les vertus de la cure entre elle et la pédopsychiatrie anglo-saxonne. Centrés presque uniquement
psychanalytique supposée seule capable de mobiliser les défenses rigides sur des recherches étiologiques, nosologiques ou épidémiologiques, les
édifiées par l’enfant contre des angoisses archaïques. Ces oppositions auteurs anglais ou américains contemporains sont aujourd’hui très éloignés
déficience-psychose, psychothérapie-éducation, doivent toutefois être des pratiques institutionnelles qui forment l’essentiel de nos préoccupations
nuancées. Très tôt, Mises avait montré que l’enfant déficient mental pouvait techniques et théoriques.
être approché de manière dynamique et qu’il était possible d’harmoniser
démarche éducative et démarche psychothérapique [57, 58]. Dès la création, par
Lebovici, du premier hôpital de jour pour enfants, sous les auspices de la Définition
Fondation Rothschild, des instituteurs de l’Éducation nationale étaient venus
collaborer avec les équipes soignantes. Plusieurs conceptions de l’institution L’abord institutionnel repose aujourd’hui sur une définition plus précise du
se développaient alors, tant en psychiatrie de l’adulte qu’en psychiatrie de terme. Dans le domaine de l’enfance, on l’entend souvent dans le sens
l’enfant. On peut schématiquement repérer trois grands courants : d’établissement, plus particulièrement d’établissement résidentiel, pour
– celui des « pères fondateurs » (Tosquelles, Bonnafé, Daumezon) qui, au désigner un ensemble à la fois architectural et humain, défini par des murs,
début de la psychothérapie institutionnelle, cherchaient surtout à neutraliser par un certain nombre de personnes (du « chef d’institution », dont parle le
les effets destructeurs de l’asile et à réintroduire la durée dans un espace Littré, aux agents de qualités diverses) organisées par une hiérarchie qui
entropique figé par la chronicité. Dans cet espace revivifié, certains réglemente leurs échanges et par un emploi du temps. L’institution n’est alors
envisageaient d’engager des cures psychanalytiques stricto sensu, là où qu’un cadre, plus ou moins amorphe, où certes une cure peut se développer
d’autres faisaient davantage confiance au réseau relationnel, à la mais qui, le plus souvent, est supposé faire obstacle aux processus
« communauté thérapeutique », selon l’expression anglo-saxonne, constituée thérapeutiques. C’est avec cette référence que s’est répandue, en particulier
de soignants et soignés et qui était censée fonctionner comme un lieu aux États-Unis, une pratique dite de « désinstitutionnalisation » des malades
d’apprentissage social mutuel, basé sur la transparence et la démocratie. Les mentaux. Elle consiste, pour l’essentiel, à fermer les hôpitaux psychiatriques
expériences éducatives de Neill [66] en Grande-Bretagne, celles de Fernand et à les remplacer par des lieux d’accueil, aussi peu médicalisés que possible,
Oury [67] en France s’inscrivent dans ce contexte ; placements nourriciers, appartements protégés, etc.
– le courant illustré par Racamier [71] qui considérait l’institution dans ses Mais l’institution désigne aussi la chose instituée, c’est-à-dire une certaine
fonctions d’accueil et de soutien du moi et qui distinguait la forme des codification des rapports sociaux au service d’une fonction : les hôpitaux, les
traitements spécifiques du fond soignant général sur lequel ces traitements se écoles sont, nous dit le Littré, « des institutions utiles ». Plus généralement,
développent ; cette codification inventée et établie par les hommes permet d’opposer à l’état
de nature ce qui est du ressort de la culture. C’est ainsi que l’institution du
mariage est une tentative humaine pour régler et socialiser la sexualité. On a
pu, dans ce sens, considérer l’excès du code comme un facteur de stérilisation
de la créativité et qualifier l’institution de principe de mort du groupe [34].
Jacques Hochmann : Chef de service, institut de traitement des troubles de l’affectivité et de
la cognition, 9, rue des Teinturiers, BP 2116, 69616 Villeurbanne cedex, France. Enfin, et c’est le premier sens donné par le Littré, l’institution se rapporte à
© Elsevier, Paris

l’action par laquelle on institue, on établit et, dans un sens dérivé et


Toute référence à cet article doit porter la mention : Hochmann J. Abord institutionnel des aujourd’hui inusité, par laquelle on instruit, d’où le mot « instituteur ».
enfants psychotiques et autistes. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-210-A-
10, 1999, 5 p.
C’est dans cette double acception d’institué et d’instituant que nous allons
étudier l’abord institutionnel des enfants psychotiques.
37-210-A-10 ABORD INSTITUTIONNEL DES ENFANTS PSYCHOTIQUES ET AUTISTES Psychiatrie

Évolution récente des cadres institutionnels l’accompagnent, soient assurés par d’autres interlocuteurs que le thérapeute
habituel qui retrouvera ensuite l’enfant, pour des soins au long cours [55]. Cette
Dans une revue générale très documentée, Bourcier caractérisait les années conception de l’hôpital, centre de crise, et de la distinction entre équipe vouée
1980 par la multiplication des actions institutionnelles à temps partiel et par temporairement à la réponse aux urgences et aux défaillances du milieu
une désaffection croissante pour les institutions résidentielles [6]. Il remarquait familial et social, et équipe chargée du soin au long cours, semble aujourd’hui
une quasi-disparition des publications où il était fait mention de l’internat. Si, de plus en plus partagée. Elle s’oppose à la conception traditionnelle du
depuis, les institutions à temps partiel ont continué à se développer et à se secteur selon laquelle la même équipe assurait l’ensemble des soins
diversifier, on assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt pour des formules résidentiels et non résidentiels. Notons que le placement familial
d’internat renouvelées et pour les processus thérapeutiques spécifiques qui s’y thérapeutique et la formule associée des centres de crises, inaugurés avec
jouent. succès par des équipes pionnières, comme celles de C et P Geissmann à
Bordeaux, de Lainé dans l’Essonne, permettent, dans bien des cas, de limiter
considérablement, voire de réduire à néant le recours à l’hospitalisation.
Internat
Même si l’importance numérique de l’internat a décru par rapport à l’époque Hôpital de jour
où il constituait la réponse quasi obligée à la psychose, il continue d’exister et
représente encore une indication dans les cas où les désordres Associé ou non à ces formules et présenté au départ comme une alternative à
comportementaux de l’enfant et la faillite du cadre familial, naturel ou 1’hospitalisation à temps complet, il est maintenant l’institution de référence
substitutif, exigent la mise en place, pour une période plus ou moins longue, pour la plupart des enfants présentant des troubles graves de la personnalité et
d’un contenant capable de résister à toutes les entreprises de destruction. Ses du développement [49]. Son intérêt n’est plus à démontrer. C’est un lieu
méfaits sont connus : d’accueil et de symbolisation, un contenant unifiant qui facilite
– rupture des liens avec le milieu social d’origine ; l’investissement par l’enfant de son corps et inaugure, à travers les
– immersion dans un espace anonyme marqué par l’interchangeabilité des expériences d’apprentissage et de soins, un processus d’intériorisation et
soignants, qu’entretient le système, difficile à éviter, des équipes, des congés, d’articulation des objets internes. Ferrari et al insistent sur le lien entre la
des repos hebdomadaires ; dimension éducative et la dimension thérapeutique ainsi que sur le travail de
restauration narcissique des parents qui, en s’identifiant à l’équipe, retrouvent
– empiètement continuel du collectif sur l’intimité de l’individu ; envers leur enfant une capacité d’illusion anticipatrice [21]. Pour Lachal et al,
– totalitarisme institutionnel ; l’intérêt de l’hôpital de jour est surtout dans la discontinuité. L’enfant y
– source de confusion et d’absence de différenciation des temps, des lieux et apprend à se séparer pour apprendre à se retrouver et expérimente
des personnes, etc. concrètement, à travers des moments différents qui suscitent et maintiennent
C et P Geissmann ont consacré plusieurs travaux à la critique de ce processus son intérêt, à opposer le dedans et le dehors [46] . Ces allers et retours
« d’asilisation » [24, 26, 27]. Ils montrent le rôle nocif de l’instabilité du personnel constituent, selon l’expression de Vaneck « un irremplaçable jeu à plusieurs
de référence, le caractère insécurisant des nuits lorsque l’enfant ne sait pas, bobines » [80].
par avance, qui sera là le soir, la perpétuation du rejet de l’enfant par la famille, Ainsi se dessinent deux orientations qui ne sont pas, du reste, exclusives l’une
l’institution, qui accueille les cas les plus lourds, fonctionnant alors comme de l’autre :
un lieu de décharge, une matérialisation complice de la représentation – un accent sur la continuité du soin ;
pathologique du « sein-poubelle », selon l’expression de Meltzer. D’un point – un autre sur la fonction dynamisante des situations de rupture et de
de vue économique, ils insistent sur la fonction d’appel du lit, comme un vide manque [51].
à remplir, entraînant un autoengendrement de l’hospitalisation.
Pour C et P Geissmann, cette double polarité s’incarne dans l’opposition entre
À d’autres, ces critiques apparaissent exagérées. La plupart des aspects l’équipe des soignants qui assure la permanence du « holding » et
négatifs de l’institution peuvent être corrigés par une pratique énergique de l’intervention du psychanalyste qui introduit la provocation au changement
désaliénation dont Mises avait donné l’exemple, dès les années 1950, à la et apparaît, avec ses interprétations, comme une source d’informations
fondation Vallée [58]. Pour M et N Horassius, il entre dans ces condamnations discrètes qui viennent s’encadrer dans le bruit calmant, continu et pare-
excessives des éléments idéologiques infiltrés par une culpabilité excitant de la vie institutionnelle [24]. Pour ces auteurs, l’hôpital de jour
collective [43]. Se référant à des pratiques dynamiques, comme celle bien constitue ainsi un environnement neutre, un pôle de sécurité, un « cadre
connue de Bettelheim [2], ils insistent sur l’importance, dans certains cas, externe », qui permet par ailleurs le développement de la cure analytique ou
d’une séparation d’avec le milieu familial et sur les côtés positifs de psychothérapique trois à cinq fois par semaine [26] . Despinoy partage cette
l’hospitalisation qui, pour eux, ne doit pas être un pis-aller réservé aux cas les conception de l’hôpital de jour comme un milieu « supportif » qui permet
plus graves, ce qui a pour effet d’entretenir l’image négative de l’hôpital. Ce d’étayer une psychothérapie intensive, sans omettre toutefois les effets
travail spécifique de séparation, qui permet à l’enfant et à sa famille de se thérapeutiques et la pédagogie adaptée que véhicule le milieu
déprendre d’éléments fusionnels sous-tendus par des identifications institutionnel [15]. Défini comme « un ensemble de groupes » [51] (groupe
projectives pathologiques, a été particulièrement étudié ces dernières années, classe, groupe d’activités utilisant diverses médiations, groupe de parole dans
en particulier dans les institutions résidentielles séquentielles. Il contribue à les réunions institutionnelles), l’hôpital de jour laisse néanmoins une place
la prise en compte de l’enfant comme sujet par sa famille. L’hospitalisation aux relations individuelles soignant-soigné. De plus en plus s’impose le
séquentielle fonctionne alors comme une véritable mise en acte recours, pour chaque enfant, à un soignant désigné comme personnage de
psychodramatique qui permet de parler les séparations et les retrouvailles référence, accompagnant son client dans les différents lieux et moments de la
après les avoir vécues [30]. Cette fonction de séparation, théorisée sur le vie institutionnelle et assurant l’accueil, le départ et tous les temps de
modèle du travail de deuil, représente même pour certains auteurs l’essentiel transition. Après l’invocation quasi incantatoire de l’« équipe », au cours des
du travail institutionnel, en particulier chez les adolescents. L’internat peut années 1960-1970, comme agent thérapeutique univoque [82], on assiste à une
fonctionner comme un pare-excitation, mettant l’enfant à l’abri des personnalisation croissante des soins, et au développement, à l’intérieur des
stimulations sociales excessives et d’un écartèlement entre le milieu hôpitaux de jour, de véritables thérapies individuelles menées, avec leurs
thérapeutique et le milieu familial. Utilisant les moments privilégiés des repas techniques propres, par des infirmiers ou des éducateurs [63].
ou du coucher, l’institution résidentielle favorise la relance d’un processus de
développement à travers des actions de communications infra- ou non L’heure, aujourd’hui, est à l’évaluation. En l’absence de moyens de mesures
langagières qui permettent l’édification d’un espace transitionnel. Ce très fiables, on doit, dans ce domaine, s’en tenir à des approches descriptives.
plaidoyer pour les effets favorables de la culture hospitalière, qui n’est pas L’enquête du XIIIe arrondissement à Paris concerne une cohorte de 283 enfants
sans rappeler la doctrine de l’isolement de Pinel et d’Esquirol, s’accompagne suivis depuis plus de 20 ans. Elle montre l’importance numérique des
d’un certain scepticisme sur les capacités des familles naturelles ou psychotiques qui représentent la moitié du nombre total des admissions (78 %
substitutives à résister à la déstructuration qu’entraîne une cohabitation avec de garçons) et trois quarts des admissions dans les dernières années. Trois
la psychose. Si certains auteurs admettent la nécessité de dépasser le cadre quarts des sortants sont recyclés dans l’Éducation nationale mais restent dans
hospitalier classique au profit d’un complexe où l’accueil à temps plein le circuit spécialisé des classes de perfectionnement [22].
articule des lieux scolaires et occupationnels différenciés du lieu de vie, ils À Genève, Manzano essaie de distinguer, parmi les enfants répertoriés au
s’inquiètent de la « satellisation » entretenue par l’éclatement de l’institution départ comme psychotiques, plusieurs profils. Les enfants à personnalité
en localisations et en activités trop hétérogènes et trop éloignées les unes par narcissique investissent rapidement la relation à autrui. On note chez eux une
rapport aux autres. apparition de l’ambivalence, un développement de la vie fantasmatique
Une manière de dépasser la querelle entre partisans et critiques de étayée par des personnes signifiantes. Les enfants à personnalité schizoïde,
l’hospitalisation n’est-elle pas de poser la question des indications ? Pour après une période de désorganisation, ne s’attachent pas préférentiellement à
Marcelli et al, à partir d’une expérience en hôpital général, il peut être une personne mais utilisent des objets inanimés comme premier support
intéressant de proposer une hospitalisation aux enfants dans les périodes de identificatoire. Les enfants à organisation déficitaire ne manifestent d’intérêt
régression massive nécessitant une contention globale. Il est alors préférable ni pour les objets inanimés, ni pour les personnes et ne constituent pas de
que cette contention, le déconditionnement et la restructuration qui relations différenciées [54]. Malgré l’acquis incontestable qu’a représenté

page 2
Psychiatrie ABORD INSTITUTIONNEL DES ENFANTS PSYCHOTIQUES ET AUTISTES 37-210-A-10

l’invention de l’hôpital de jour, ces bilans globalement positifs conduisent La multiplication « des discontinuités et des béances » et l’organisation d’un
néanmoins à des interrogations. L’hôpital de jour serait-il dépassé [35] ou réseau communautaire protègent alors contre l’enlisement institutionnel [77].
conviendrait-il aujourd’hui de limiter et de préciser les indications d’une Ce dispositif, où s’interpénètrent l’histoire du patient et de sa famille et
institution devenue passe-partout et dont la spécificité, par rapport aux l’histoire institutionnelle, réalise, selon Constant, une métaphore du corps
institutions médicoéducatives n’est pas toujours évidente ? La multiplication morcelé de l’enfant psychotique que les liaisons entre les constituants du
d’autres formes d’institutions à temps partiel explique ces interrogations. réseau contribuent à reconstruire [13]. Entre l’institution (ou les morceaux
d’institutions articulés les uns aux autres) et le monde extérieur se forme une
surface de protection, une peau qui est à la fois un organe de contenance,
Actions institutionnelles à temps partiel [17, 50, 60] capable d’une certaine étanchéité et une zone d’échange acceptant les entrées
et les sorties [10].
En 1982, René Diatkine et Claude Avram présentaient leurs premières
réalisations dans le cadre de l’unité du soir du XIIIe arrondissement. L’enfant
y était accueilli au sortir de l’école par un groupe de thérapeutes qui lui Institution et psychanalyse
présentaient des modes de rencontre différents. L’enfant passait librement
d’un thérapeute à un autre, d’un atelier à l’autre, au gré des variations de ses En France, tout le mouvement institutionnel psychiatrique a été, en grande
tensions psychiques. Le travail de l’équipe, en dehors de la présence des partie, sinon totalement, inspiré et fertilisé par la psychanalyse et continue à
enfants, rétablissait, avec le fil de son existence dans l’institution, une rester fidèle à cette inspiration.
continuité narrative qui donnait sens à ses allées et venues, aux ruptures, aux Nombre d’auteurs, reprenant les distinctions de Racamier [71], attribuent
répétitions, bref à l’organisation spatiotemporelle créée chaque soir entre encore à l’institution une simple fonction de cadre soignant, à l’intérieur
adultes et enfants. Cette histoire était continuellement reliée au contexte de duquel viennent se loger les entreprises psychothérapiques ou
l’enfant grâce aux liens étroits établis avec les familles et avec l’école. Huit psychanalytiques. C’est le cas de C et P Geissmann. « La problématique
ans plus tard, les auteurs ont cherché à évaluer non seulement les résultats fantasmatique et les effets de transfert, écrivent-ils, sont l’objet d’une
mais encore ce qui restait sous forme de souvenir chez les enfants de cette réflexion analytique dans l’ensemble de l’institution qui obéit à un certain
expérience [18]. Ils envisagent surtout le rôle préventif de cette prise en charge nombre de règles psychanalytiques assez strictes. Mais, à l’intérieur de ce
institutionnelle qui a aidé, selon eux, les enfants à découvrir et à prolonger système institutionnel, la relation individuelle de l’enfant avec son thérapeute,
leur plaisir de fonctionnement mental. Depuis, les centres d’accueil dans le lieu dépouillé et « monacal » du box de psychothérapie, s’instaure sous
thérapeutiques à temps partiel (CATTP) se sont multipiés. Le but de ces le signe de règles particulières que l’enfant reconnaît très rapidement » [26].
modalités thérapeutiques nouvelles est de combler le vide existant entre le
centre de consultations et l’hôpital de jour et de travailler de manière plus C’est aussi dans cette optique d’une séparation entre la psychothérapie et la
spécifique sur la dialectique continuité-discontinuité ainsi que sur vie quotidienne dans l’institution que se situent Despinoy [15] et Stoloff [78], en
l’articulation du lieu de soins avec les autres interlocuteurs de l’enfant : école, insistant sur le secret des séances. L’institution devient alors un simple moyen
famille. La pratique prolongée des hôpitaux de jour a, en effet, amené les d’éviter les ruptures de contrat et d’obliger les enfants à suivre leur traitement
équipes psychiatriques travaillant dans la communauté à s’interroger sur les psychothérapique. On peut, avec Mannoni [53] et, ailleurs, Graber [31], se poser
risques de reproduction de la ségrégation et de la chronicité de l’institution la question de la validité de cures psychanalytiques ainsi imposées, sans
résidentielle. Dans certains cas, l’action thérapeutique à temps partiel se échappatoire possible. On peut aussi se demander si l’atmosphère
substitue purement et simplement à l’hôpital de jour dont elle permet de faire « monacale » et le secret qui environne la cure (secret à sens unique, puisque
l’économie. La précarité du cadre, la discontinuité des soins, l’importance les soignants et les enseignants, eux, doivent faire preuve de transparence et
accordée à tout ce qui se situe en bordure de l’espace thérapeutique de « non-omission » à l’égard du psychanalyste) ne maintiennent pas, dans
(voisinage, école, parents, psychothérapeute extérieur), tout le travail sur le l’institution, cette fascination suspecte pour le psychanalyste et cette
manque, l’absence, le lacunaire sont alors privilégiés, afin de mettre en route attribution de toute puissance dont C et P Geissmann se plaignent [24]. On peut
les processus de symbolisation. Ailleurs, l’institution à temps partiel prépare surtout s’interroger sur le devenir de la partie la plus indifférenciée et la plus
à l’hospitalisation de jour et représente un temps intermédiaire de archaïque de la personnalité des enfants qui, selon les travaux de Bleger [3],
dédramatisation et d’élaboration de la demande [65] ou une modalité est enclavée sous la forme de liens symbiotiques primitifs dans le cadre
particulière, modulable, de l’hospitalisation de jour [5, 72]. Nombre d’auteurs institutionnel. Les partisans d’une séparation rigoureuse entre le soin
insistent sur l’intérêt d’une scolarisation conjointe, hors des murs de institutionnel et la cure psychothérapique manquent peut-être quelque chose,
l’institution thérapeutique, et sur une intégration scolaire [64]. du moins avec les plus régressés des enfants psychotiques, de ceux qui n’ont
guère pu émerger de la symbiose primaire et qui y sont quasi entièrement
Pour certains, le CATTP est davantage indiqué dans les organisations aliénés. Si la psychanalyse d’enfants, et les règles d’abstinence et de secret
limites [ 6 1 ] . Il s’agit alors d’une « unité du soir » ou d’une « étude qui sont les siennes, a ses indications, il n’est pas certain qu’elle s’applique à
thérapeutique » [9] fonctionnant en collaboration avec l’école où l’enfant la masse des enfants gravement psychotiques ou autistes qui peuplent les
poursuit une scolarité normale. Pour d’autres, le CATTP accueille institutions psychiatriques. Il est possible qu’elle exige en préalable, comme
quotidiennement des enfants autistes ou psychotiques pour des soins Diatkine et Simon l’avaient montré, un appareil mental déjà relativement
individuels et groupaux. Les enfants sont, par ailleurs, scolarisés dans des organisé et investi positivement par le sujet comme source possible d’un
classes spécialisées intégrées dans des écoles ordinaires. Ils sont également plaisir à penser et à rêver [19]. Elle exige aussi des thérapeutes particulièrement
accompagnés par des soignants dans différents lieux culturels ou sociaux. Un bien formés. Rien n’est aussi navrant que de voir, dans nombre d’institutions,
travail intensif avec les familles permet leur maintien à domicile. La de jeunes psychologues ou de jeunes médecins, encore sur le divan de leur
circulation entre ces différents lieux, nettement différenciés mais étroitement analyste personnel ou n’ayant aucune formation analytique, s’autoriser
articulés entre eux, facilite la constitution d’une histoire grâce à l’attention d’eux-mêmes pour imposer à leurs petits patients et à leurs familles une
portée, par tous les agents institutionnels, aux moments de passage, au caricature des contraintes du cadre analytique qui dessèchent toutes les
transfert des informations et à un travail d’élaboration en commun [40, 42, 52]. relations. Les critiques acerbes dont la psychanalyse fait aujourd’hui l’objet
Parmi les actions discontinues, il faut citer l’hospitalisation à domicile qui se fondent plus sur ces pseudotraitements, générateurs d’agressivité et
permet, par l’envoi d’« émissaires institutionnels » [50] au domicile des d’ennui, que sur des cures analytiques, conduites de manière rigoureuse. « La
enfants, d’incarner physiquement les liens et les articulations entre l’espace référence contraignante à une pureté psychanalytique ne fait qu’introduire ici
soignant et l’espace familial. Dans certains cas, elle est à l’origine d’un travail une idéologie du tout ou rien, fort contestable, qui condamne à la
d’observation des interactions et apporte à certaines mères en grande mégalomanie ou à l’impuissance », rappelle opportunément Mises [60]. La
difficulté psychologique un étayage et des possibilités de modèles psychanalyse trouve beaucoup mieux sa place dans les institutions comme
identificatoires. Houzel, s’inspirant de la technique d’observation instrument d’élaboration et d’analyse des contre-attitudes des soignants que
psychanalytique du bébé mise au point par Esther Bick, a particulièrement comme technique psychothérapique.
développé ce travail en psychiatrie du nourrisson. Une infirmière vient à
domicile observer de manière neutre, mais tout de même empathique, les
interactions entre la mère et son bébé. Elle rend compte ensuite de ses Analyse des contre-attitudes
observations dans un groupe hebdomadaire supervisé par un psychanalyste.
Ce cadre n’a pas seulement un intérêt scientifique et une valeur de formation La réactualisation du concept de contre-transfert est un des progrès majeur de
pour le personnel, il se révèle mobilisateur des attitudes maternelles [44]. À la psychanalyse de ces dernières années. Dans l’étude des processus
Villeurbanne, André Carel et ses collaborateurs ont développé un travail institutionnels, toute une réflexion s’est de même attachée à décrypter et à
analogue. déjouer des contre-attitudes induites par les enfants psychotiques et à l’origine
Ces diverses pratiques conduisent à l’institution éclatée, prônée par de l’« asilisation » [25]. (Nous préférons ici le terme de contre-attitude, laissant
Mannoni [53]. Elle articule, dans un dispositif de soins, des lieux différents, celui de contre-transfert et le terme connexe de transfert à leur domaine
ayant chacun leur spécificité. La politique de secteur fournit à ce dispositif d’élection : la cure psychanalytique). Reprenant les descriptions de Searles
« pluri-institutionnel » [48], ou « plurifocal » [79], un cadre administratif sur l’effort pour rendre l’autre fou ainsi que la conceptualisation de Bion, C et
particulièrement bien adapté grâce auquel « l’institution cesse d’être une P Geissmann montrent comment l’institution se défend par le
citadelle fermée » [57]. désinvestissement des relations avec l’extérieur, l’arrêt du temps, la

page 3
37-210-A-10 ABORD INSTITUTIONNEL DES ENFANTS PSYCHOTIQUES ET AUTISTES Psychiatrie

répétition, contre une rupture douloureuse de lien symbiotique induite par un l’école, l’école du centre social, l’extérieur de la cité de l’intérieur de la
changement chez l’enfant [25] . Ils analysent, ailleurs, l’importance des famille), l’enfant construit des systèmes d’oppositions distinctives où chaque
phénomènes d’identification projective sur le leader et leur effet délétère sur situation, comme une unité de langage, ne prend sens que par opposition à
la pensée et la créativité des agents institutionnels [ 2 6 ] . La théorie une autre. C’est-à-dire qu’il expérimente continuellement la perte, puisque
psychanalytique est alors une façon de réanimer le lien K de Bion, le goût pour chaque situation présente l’oblige à évoquer une autre situation absente dont
la réflexion et la connaissance, mis à mal par les attaques envieuses des elle se distingue. Dans ce travail de mise en oppositions significatives, qui le
psychotiques et par leur tendance à reproduire avec leur entourage une sorte fait sortir de l’homogénéité psychotique, il est continuellement soutenu par la
d’unité duelle fermée, un autisme à deux exclusif de tout autre rapport avec présence de ses soignants de référence. Ceux-ci, garants d’un espace
l’environnement. Elle permet une ouverture et, comme le dit Diatkine, un transitionnel, véritable tissu conjonctif ou mieux conjonction de coordination,
réinvestissement de la pensée, celle du soignant comme celle des enfants, au assurent un liant d’une situation à une autre et permettent de surmonter, par
profit d’une élaboration commune [17]. C’est plus une autre façon d’entendre un fondu enchaîné, les clivages qui donneraient autrement à la vie de
et de voir, une référence tierce pour sortir des enchaînements spéculaires, l’institution l’allure d’une succession saccadée de diapositives [39].
qu’une autre façon de faire. Cahn insiste beaucoup sur ce point ainsi que sur La mise en récit de ce périple, dans l’équipe d’abord puis sa restitution à
la mise en évidence, derrière les contre-attitudes des soignants, d’une l’enfant, constitue une histoire, où les mythes transgénérationnels auxquels il
réactivation d’interactions archaïques que l’enfant a pu avoir avec ses proches a été fait allusion peuvent certes prendre leur place, mais comme mythes et
et qu’il est habile à susciter à nouveau dans son entourage thérapeutique [7]. non comme explications causales d’un processus morbide dont l’origine nous
En permettant un écart mutatif, un jeu (au sens mécanique et ludique à la fois), reste énigmatique.
l’appréhension, grâce à la théorie psychanalytique, de ces rééditions favorise
des réponses autres, la mise en place d’un « objet transformationnel », au sein En dernière analyse, ce récit représente l’instituant, le contenant pour des
d’un espace transitionnalisé. Les fêtes dans l’institution, ces moments de pensées en quête d’auteur qui, en venant s’y loger, peuvent être reconnues par
transgression collective où les fantasmes et les mythes sont remis en jeu [70], le sujet comme siennes. Les nombreuses réunions de synthèse, les
les crises institutionnelles, véritables psychodrames en décor réel, sont des supervisions, sont les lieux d’élaboration de ce récit. Elles sont l’occasion
moments où cette élaboration psychanalytique après coup trouve d’une utilisation bien tempérée de la théorie, à égale distance d’un usage
particulièrement à s’exercer. fétichisé, dogmatique et mortifère, et d’un envol maniaque déniant toute
Celle-ci porte beaucoup aujourd’hui sur l’importance dans la vie de l’institution référence à la réalité.
des fantasmes originaires (de scène primitive, de séduction et de castration), sur Ainsi considéré, le travail institutionnel repose d’abord sur une série de
leur réactivation par le contact prolongé avec la psychose et sur les mécanismes « faire », sur des engagements pratiques théorisés après coup, c’est-à-dire
de défense spécifiques mis en place par l’institution pour se défendre contre repris secondairement dans une histoire qui leur donne sens et qui est au
l’angoisse qui leur est liée. L’activisme institutionnel, la fuite maniaque dans service, comme le dit Mises, d’un réinvestissement de l’appareil
des activités à visée réparatrice, sont les plus connues de ces modalités psychique [57]. Il est important, à ce propos, d’insister sur la vie quotidienne
défensives. Ils engendrent, en général, une dépense d’énergie et, lorsque vient dans l’institution, sur l’ensemble des événements qui rythment cette
le temps des désillusions, une réaction dépressive. Nous voudrions insister sur quotidienneté et qui sont matière à narration. Pour qu’une institution soit
une autre forme d’activisme, l’activisme théorique, qui a valu aux institutions thérapeutique il faut, comme dans certain grand magasin, qu’il s’y passe tous
psychiatriques une certaine hostilité de la part des parents d’enfants les jours quelque chose, mais il faut aussi que ce qui s’y passe soit
psychotiques accusant globalement la psychiatrie de les culpabiliser. Cette continuellement articulé et mis en histoire. Pierre Delion, à ce propos, a insisté
forme d’activisme théorique, favorisée par la pratique en extension des sur la triple fonction de la quotidienneté institutionnelle : elle est phorique
thérapies familiales, s’incarne dans la recherche éperdue, et souvent non ou mal (elle soutient et sécurise l’enfant), elle est sémaphorique (elle fait signe), elle
fondée, de processus transgénérationnels dans l’éclosion des psychoses de est métaphorique (elle renvoie à quelque chose d’absent qui n’est pas elle et
l’enfant. De cette moderne résurgence de la théorie de la dégénérescence qu’elle permet d’évoquer) [14].
témoignent la phrase célèbre « la psychose de l’enfant est fille de la perversion
maternelle » ou encore cette citation à l’emporte-pièce que nous empruntons,
sans commentaire, à Dolto : « Tout non-dit concernant les grands-parents, Place de la pédagogie
comme tout non-dit concernant un des géniteurs non connu d’un enfant,
constitue une amputation symbolique chez cet enfant qui dans l’inconscient, La définition du soin institutionnel que nous venons de défendre est, à
c’est-à-dire dans sa structure somatolangagière, a des répercussions à long quelques nuances près, celle de la grande majorité des psychiatres d’enfants
terme, au niveau de la sexualité au sens freudien du terme » [20]. français. Sinon dans l’idée de leurs adversaires, qui caricaturent leurs
positions pour mieux les attaquer, il n’y a plus guère, parmi eux, de partisans
d’une psychanalyse pure et dure, exclusive de toute autre démarche, en
Processus thérapeutique institutionnel particulier éducative. Tous s’accordent pour défendre le principe d’une
L’institution, rappelons-le, ne se définit pas seulement comme un cadre approche globale, associant soins et éducation dans une perspective
institué et matérialisé par des murs et des horaires ; elle est aussi, elle est dialectique où les deux démarches se complètent et s’éclairent mutuellement.
surtout, une action instituante, une attitude pratique fondée sur une théorie, Mises a été le meilleur avocat de cette cure multidimensionnelle répondant à
bref, comme nous l’avons dénommée, une « institution mentale » [37]. tous les aspects de la pathologie de l’enfant. « La partie, dit-il, se joue dans le
Paradoxalement, c’est au moment où les institutions s’allègent, où l’institué lien dialectique établi entre ces deux dimensions, sans qu’il y ait entre elles
en elles devient de moins en moins apparent, que se manifeste l’importance rupture ou confusion » [57]. La notion de « trame », qu’il propose pour désigner
de l’instituant. ce que nous avons décrit comme l’articulation d’un langage institutionnel, est
particulièrement heuristique. Dans cette trame, les éléments pédagogiques et
On peut considérer l’enfant psychotique comme un sujet dont toute l’énergie les éléments proprement soignants s’intercalent et s’entrecroisent avec la
est bandée contre le fait, inéluctable, de penser et contre l’existence en lui d’un chaîne des événements qui rythment la vie de l’enfant. D’abord localisés à
appareil à penser des pensées qu’il s’acharne à détruire, non sans succès l’intérieur des hôpitaux de jour, les lieux pédagogiques sont de plus en plus
parfois dans les formes déficitaires. C’est que penser fait mal, dans la mesure intégrés à des écoles publiques. Tantôt les enfants, avec le soutien individuel
où toute pensée, toute représentation, implique l’absence (et donc la perte) de d’instituteurs spécialisés, fréquentent des classes normales ou des classes
ce qui est représenté. Si nous ne sommes pas tous psychotiques c’est que nous d’intégration scolaire. Tantôt ils sont scolarisés dans des classes spécialisées
avons trouvé, peut-être dans une identification précoce à la rêverie maternelle pour enfants psychotiques situées dans une école ordinaire et partagent
décrite par Bion, une capacité à rêver, c’est-à-dire à prendre du plaisir dans certaines des activités sportives ou d’éveil des autres enfants de leur âge. Ils
l’évocation et dans la mise en mots des objets perdus. Cette capacité fait peuvent aussi être intégrés à temps partiel dans des classes normales, en
défaut à l’enfant psychotique et l’objectif du soin, avant toute interprétation gardant pour un autre temps l’appui de la classe spécialisée [40, 41].
des contenus mentaux en termes de conflits d’instances ou de pulsions, est
d’abord de la lui faire retrouver. Avant même qu’une analyse soit possible il Cette approche globale se distingue de celle purement éducative prônée aux
faut qu’il y ait quelque chose à analyser, c’est-à-dire que l’appareil mental États-Unis et en Grande-Bretagne par des auteurs qui tirent leur inspiration
abrite des pensées sans chercher d’abord à les dissoudre en menus fragments de modèles comportementalistes ou cognitivistes. Ces modèles, « facilement
et à les expulser. Ce travail de réconciliation avec une partie de soi, cette compréhensibles, qui s’appuient sur un rationnel simple, permettent de
réappropriation de l’organe psychique qui est l’objectif du soin institutionnel, former aisément des cothérapeutes », comme le disent, non sans quelque
passe par une identification à l’appareil mental des soignants, en train de naïveté, leurs défenseurs français [73]. Développés en particulier dans la
fonctionner. Le caractère de plus en plus lacunaire des institutions qui marque, Caroline du Sud, ils ont connu, ces dernières années, un grand succès auprès
on l’a vu, l’évolution présente, répond à ce besoin d’un espace et d’un temps de certaines associations de parents qui ont milité pour les substituer au projet
qui donnent matière à penser. Il en est de même de l’insistance mise institutionnel multidimensionnel français [75].
actuellement sur la différenciation des lieux de vie, des lieux de soins, des Nous ajouterons que toute prise en compte de la dimension institutionnelle,
lieux d’éducation ou de loisir, sur la structuration en « réseau communau- au sens où nous venons de l’entendre, est absente de ces projets dont
taire » [42, 47]. En allant de l’un à l’autre, en les différenciant l’un de l’autre l’intention polémique se traduit par de violentes diatribes contre une
(l’orthophonie de la psychothérapie, le centre médicopsychologique de psychanalyse apparemment très mal connue.

page 4
Psychiatrie ABORD INSTITUTIONNEL DES ENFANTS PSYCHOTIQUES ET AUTISTES 37-210-A-10

D’évaluation facile, centrés sur des comportements cibles qu’il s’agit d’éliminer Travail avec les familles
pour adapter l’enfant à son milieu et sur l’utilisation des capacités restantes
selon le modèle de l’éducation des handicapés, ils plaisent à une société
dominée par le pragmatisme, l’idée de rendement, et le « do it yourself ». Ils En partie pour dépasser ces polémiques et ces malentendus mais aussi parce que
sont basés sur une conception déficitaire des psychoses infantiles rapportées le développement du travail institutionnel à temps partiel obligeait à une
à un trouble cérébral congénital qui aurait lésé une des grandes fonctions collaboration beaucoup plus importante avec les familles, les rapports avec les
cognitives, tels le langage ou la perception des visages [28, 45, 69, 81]. On doit leur parents d’enfants psychotiques sont devenus beaucoup plus étroits. Leur
reconnaître toutefois d’avoir formalisé, avec les notions d’environnement souffrance est bien mieux prise en considération par des équipes soignantes qui
structuré et de capacités émergentes, un souci de se mettre à portée de l’enfant avaient tendance à la négliger. Leurs exigences, en particulier en matière de
autiste et de tenir compte de son mode de fonctionnement spécifique que l’on diagnostic et de guidance, sont mieux entendues et leur désir d’information
peut retrouver dans d’autres approches moins schématiques. mieux reconnu. En témoigne leur place grandissante dans les différents congrès
Il faut espérer que les années qui viennent verront s’esquisser des scientifiques consacrés aux psychoses de l’enfant. La nécessité d’établir avec
rapprochements entre des positions encore très éloignées. Les travaux eux une alliance thérapeutique et de les soutenir dans le travail psychique que
expérimentaux récents des psychologues cognitivistes et la nécessité où ils se leur impose le soin de leur enfant sont à l’origine de nombreuses formes
trouvent de formaliser la réalité intérieure de leurs sujets (la fameuse boîte d’accompagnement allant de l’entretien individuel au groupe de parents en
noire dans laquelle les comportementalistes refusaient d’entrer) montrent que passant par différents modèles de thérapies familiales. Une abondante
cet espoir n’est pas utopique [23]. bibliographie sur le sujet commence à s’accumuler [8, 11, 12, 32, 36, 56, 74].

Références
[1] Arfouilloux JC. Travail de séparation et cure en institution [29] Giret C, Benchetrit B. Nécessité d’hospitalisation dans un [54] Manzano J. Le profil psychanalytique des enfants psychoti-
psychiatrique. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1994 ; 42 : service de psychiatrie pour permettre la séparation et la ques en hôpital de jour. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1983 ;
465-469 constitution de leur identité chez certains adolescents. Neu- 31 : 266-267
[2] Bettelheim B. Le traitement des troubles affectifs chez l’en- ropsychiatr Enf Adolesc 1994 ; 42 : 508-512 [55] Marcelli D, Smadja BC, Carriere N, Basquin M, Duche DJ,
fant. Paris : Fleurus, 1970 [30] Graber JL. Le soin séquentiel avec hébergement. Neuropsy- Dugas M. Hospitalisation en pédopsychiatrie dans un hôpi-
[3] Bleger J. Symbiose et ambiguïté. Paris : PUF, 1981 chiatr Enf Adolesc 1995 ; 43 : 328-334 tal général. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1981 ; 29 : 409-420
[4] Boccard H, Duret A, Meyer V, Hochmann J, . L’intégration [31] Graber JL. Une alternative à l’hôpital de jour. Inf Psychiatr [56] Marciano P. L’évolution des parents d’enfants psychotiques
scolaire des enfants autistes et psychotiques. In : Mises R, 1985 ; 61 : 853-858 pris en charge en institution. Neuropsychiatr Enf Adolesc
Grand P éd. Parents et professionnels devant l’autisme. Édi- 1991 ; 39 : 11-12
[32] Gremy F. Évolution des rapports des parents avec les équi-
tions du CTNERHI, 1997éd. pes de pédopsychiatrie. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1991 ; [57] Mises R. La cure en institution, l’enfant, l’équipe, la famille.
[5] Botbol M. Maternelle intégrée et intégration au soin. Neuro- 39 : 495-498 Paris : éditions ESF, 1980
psychiatr Enf Adolesc 1995 ; 43 ; 313-319 [33] Guattari F. L’enfant, la psychose et l’institution. Recherches. [58] Mises R. La cure des psychoses infantiles en institution.
[6] Bourcier G. De la bonne distance au temps partiel. Tendan- Enfance aliénée, 1968 Neuropsychiatr Enf Adolesc 1983 ; 31 : 270-271
ces actuelles du soin institutionnel aux enfants psychotiques [59] Mises R. L’enfant déficient mental. Approche dynamique.
Perspect Psychiatr 1987 ; 26 : 181-189 [34] Hochmann J. L’institution principe de mort du groupe. In :
Actes du 10e congrès français de criminologie. Paris : Mas- Paris : PUF, 1975 : 1-320
[7] Cahn R. Approche métapsychologique du processus théra- son, 1970 [60] Mises R. Les actions à temps partiel en pratique sectorielle.
peutique en institution de soins. Perspect Psychiatr 1987 ; Inf Psychiatr 1982 ; 59 : 1109-1113
26 : 153-159 [35] Hochmann J. L’hôpital de jour dépassé ? Neuropsychiatr Enf
Adolesc 1995 ; 43 : 293-297 [61] Mises R. Les pathologies limites de l’enfance. Paris : PUF,
[8] Carel A. À propos de l’exigence de travail psychique impo- 1996
sée aux parents par le soin de leur enfant. Neuropsychiatr [36] Hochmann J. De quelques malentendus dans le partenariat
Enf Adolesc 1995 ; 43 : 344-351 avec les parents chez le très jeune enfant. In : Mises R, [62] Mises R, Grand P. Parents et professionnels devant
Grand P éd. Parents et professionnels devant l’autisme. Édi- l’autisme. éditions du CTNERHI, 1997
[9] Chapuis Y, Redon MN, Didier P, Riviere J, Bousignac.
L’étude thérapeutique. Une expérience de dix ans à Villeur- tions du CTNERHI, 1997 [63] Mises R, Theallet MF, Bailly Salin MJ, Dubus P. Observation
banne. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1995 ; 43 : 335-343 [37] Hochmann J. Du rôle de la théorie dans les soins psychiatri- d’un enfant autiste suivi en hôpital de jour. Neuropsychiatr
ques désinstitutionnalisés. L’institution mentale. Inf Psychiatr Enf Adolesc 1986 ; 34 : 297-306
[10] Chardeau P, Morisseau L. Essai de théorisation du traite-
ment institutionnel de l’enfant psychotique. Perspect Psy- 1982 ; 58 : 985-991 [64] Myguel M, Granon M, DeGeorges C. Prise en charge à
chiatr 1989 ; 28 : 73-76 [38] Hochmann J. La consolation, essai sur le soin psychique. temps partiel de jeunes enfants psychotiques. Perspect Psy-
Paris : Odile Jacob, 1994 chiatr 1989 ; 28 : 99-103
[11] Chene A. À propos de l’alliance thérapeutique avec les pa-
rents dont l’enfant psychotique est en traitement Neuropsy- [39] Hochmann J. Les conjonctions de coordination. Réflexions [65] Nakov A, Grange M, Blanchard B. Une structure de prise en
chiatr Enf Adolesc 1991 ; 39 : 504-508 charge de très jeunes enfants à temps partiel. Neuropsy-
sur le traitement institutionnel de l’autisme infantile précoce.
chiatr Enf Adolesc 1988 ; 36 : 304-r-pge>312
[12] Chiland C. Culpabilité et responsabilité. Neuropsychiatr Enf In : Phénomènes et structures dans le champ des psycho-
Adolesc 1991 ; 39 : 559-562 ses. Paris : éditions du GRAPP, 1989 [66] Neill AS. Libres enfants de Summerhill. Paris : Maspero,
1970
[13] Constant J. Des corps à constituer. Inf Psychiatr 1984 ; 60 : [40] Hochmann J. Pour soigner l’enfant autiste. Paris : Odile Ja-
913-926 cob, 1997 [67] Oury F, Vasquez A. Vers une pédagogie institutionnelle. Pa-
ris : Maspero, 1967
[14] Delion P. Psychose, vie quotidienne et psychothérapie insti- [41] Hochmann J, Andre A, Riviere J, Redon MN. Réflexions sur
tutionnelle. Paris : Erès, 1998 l’intégration scolaire des enfants présentant des troubles de [68] Parquet P, Bursztejn C, Golse B. Soigner, éduquer l’enfant
la personnalité. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1987 ; 35 : autiste. Paris : Masson, 1990
[15] Despinoy M. Hôpital de jour pour enfants et psychothérapie
institutionnelle. Inf Psychiatr 1985 ; 61 : 799-805 291-296 [69] Peeters T. L’autisme, traiter c’est éduquer. In : Parquet P,
[42] Hochmann J, Mises R. Les approches multidimensionnelles Bursztejn C, Golse B éd. Soigner éduquer l’enfant autiste.
[16] Diatkine R, Avram C. Nouvelles voies thérapeutiques en
psychiatrie de l’enfant : l’unité du soir. Psychiatr Enf 1982 ; Paris : Masson, 1990
chez l’enfant, Institutions spécialisées et actions en réseau.
25 : 387-422 In : Mises R, Grand P éd. Parents et professionnels devant [70] Puyuelo R. Fastes, cérémonies, lois et institutions. Neuro-
[17] Diatkine R, Avram C, Girard S. Psychothérapie à l’unité du l’autisme. Éditions du CINERHI, 1997 psychiatr Enf Adolesc 1988 ; 36 : 368373
soir. Inf Psychiatr 1982 ; 58 : 1145-1156 [43] Horassius M, Horassius N, Halimi Y, Barre P. De l’indication [71] Racamier PC. Le psychanalyste sans divan. Paris : Payot,
[18] Diatkine R, Avram C, Virnot N. L’évaluation à l’adolescence d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie infantile. 1970
de patients traités pendant leur séjour et la prévention des Neuropsychiatr Enf Adolesc 1981 ; 29 : 385-407 [72] Ribes D. Intérêt et modalités de l’hôpital de jour à temps
psychoses. Psychiatr Enf 1990 ; 33 : 521-532 [44] Houzel O, Bastard A. Traitement à domicile en psychiatrie partiel pour de jeunes enfants. Perspect Psychiatr 1989 ;
[19] Diatkine R, Simon J. La psychanalyse précoce. Paris : PUF, du nourrisson. In : Cramer B éd. Psychiatrie du bébé. Paris : 28 : 94-98
1972 Eshel, 1988 : 101-117 [73] Roge B, Chabrol H, Moron P. Traitement comportemental
[20] Dolto F. Le non-dit des origines. In : Dolto F éd. Origines, [45] Howlin P, Rutter M. Treatment of autistic children. London : d’un enfant autiste. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1986 ; 34 :
d’où viens-tu ? Qui es-tu ? Les cahiers du nouveau-né. Pa- John Wiley, 1997 307-314
ris : Stock, 1985 : 127-149 [74] Schmit G. Aspects institutionnels des relations parents-
[46] Lachal C, Geneste J, Coudert AJ. Réflexions sur le fonction-
[21] Ferrari P, Souvet M, Crochette A. Intérêt et spécificité de l’hô- soignants. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1992 ; 40 : 537-541
nement des hôpitaux de jour. Neuropsychiatr Enf Adolesc
pital de jour pour les enfants psychotiques. Neuropsychiatr 1988 ; 36 : 323-327 [75] Schopler E. Naissance du programme Teacch : principes,
Enf Adolesc 1988 ; 36 : 313-316 mise en pratique et évaluation. In : Mises R, Grand P éd.
[47] Laine T. Autisme infantile et institution. Neuropsychiatr Enf Parents et professionnels devant l’autisme. Éditions du
[22] Fombonne E, Talon I, Lucas G. Étude d’une cohorte de 283 Adolesc 1983 ; 31 : 283-287
enfants admis à I’hôpital de jour de la fondation Rothschild. CTNERHI, 1997
Neuropsychiatr Enf Adolesc 1988 ; 36 : 299-303 [48] Lang JL. Approche pluridisciplinaire des psychoses infanti- [76] Soule M, Golse B. Les traitements des psychoses de l’en-
les précoces en institution. Neuropsychiatr Enf Adolesc fant et de l’adolescent. Paris : Bayard, 1992
[23] Frith U. A developmental model for autism. In : Gremy F,
1983 ; 31 : 272-276
Tomkiewicz S, Ferrari P, Lelord G éd. Autisme infantile. Col- [77] Stevens A. Trois places de savoir en institution. In : Lefort R,
loque international Inserm CNRS. Paris : INSERM, 1987 [49] Lang JL. Histoire et mémoire des hôpitaux de jour. In : Soule Lefort R éd. L’enfant et la jouissance, Analytica 51. Paris :
[24] Geissmann C, Geissmann P. L’enfant et sa psychose. Pa- M, Golse B éd. Les traitements des psychoses de l’enfant et Navarin, 1987
ris : Dunod Bordas, 1984 de l’adolescent. Paris : Bayard, 1992 [78] Stoloff JC. Psychanalyse en hôpital de jour, limites et indica-
[25] Geissmann C, Geissmann P. Quand l’institution devient un [50] Lebovici S. Actions institutionnelles discontinues auprès des tions. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1988 ; 36 : 349-354
asile. Perspect Psychiatr 1987 ; 26 : 177-180 très jeunes enfants et de leur famille. Inf Psychiatr 1982 ; [79] Szwec G. À propos de la plurifocalité des lieux d’accueil et
58 : 1159-1166 de soins. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1983 ; 31 : 276-278
[26] Geissmann C, Geissmann P. Étude psychanalytique des
modèles identificatoires en institution thérapeutique pour en- [51] Lemaire JC, Basquin M. L’aspect thérapeutique du dispositif [80] Vaneck L. L’hôpital de jour pour jeunes enfants psychoti-
fants psychotiques. J Psychanal Enf 1991 ; 10 : 110-125 des groupes en hôpital de jour. Neuropsychiatr Enf Adolesc ques, un irremplaçable jeu à plusieurs bobines. Inf Psychiatr
1988 ; 36 : 328-331 1985 ; 61 : 783-787
[27] Geissmann P, Geissmann C, Amar M, Imbert D. Suppres-
sion de l’hospitalisation en psychiatrie infantile. Neuropsy- [52] Lenoble E, Studer D, Durand B. Cadre scolaire cadre théra- [81] Wing L. L’approche éducative. In : Parquet P, Bursztejn C,
chiatr Enf Adolesc 1981 ; 29 : 421-430 peutique, articulation dynamique entre un CATTP et une Golse B éd. Soigner, éduquer l’enfant autiste. Paris : Mas-
[28] Gillberg C. Le traitement de l’autisme infantile. In : Parquet classe intégrée Neuropsychiatr Enf Adolesc 1995 ; 43 : son, 1990
P, Bursztejn C, Golse B éd. Soigner, éduquer l’enfant autiste. 298-303 [82] Woodbury M. L’équipe thérapeutique. Inf Psychiatr (n°
Paris : Masson, 1990 [53] Mannoni M. Éducation impossible. Paris : Le Seuil, 1973 spécial) 1996 ;

page 5
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-210-A-35
37-210-A-35

Alternatives à l’hospitalisation
pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile
N Garret-Gloanec
JC Pascal
AL Simonnot
Résumé. – La circulaire du 11 décembre 1992 relative aux orientations de la politique de santé mentale en
faveur des enfants et adolescents décline toutes les formules thérapeutiques.
© 2003 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : centre médico-psychologique, centre d’action thérapeutique à temps partiel, hôpital de jour,
accueil familial thérapeutique.

Histoire [1] devons à ce corpus commun, au partage des données scientifiques


théoriques mais aussi à nos pratiques dans des associations, congrès,
C’est un étonnant parcours qui a eu lieu depuis la circulaire du formations, écoles psychanalytiques, etc.
16 mars 1972 portant création des « intersecteurs de psychiatrie
infantojuvénile » [4], confirmé par la circulaire du 9 mai 1974 [2]. Dans Données statistiques
chaque département se sont créés des intersecteurs à équivalence de
un pour trois secteurs de psychiatrie générale. Depuis, ces Les secteurs de psychiatrie infantojuvénile ont été majoritairement
intersecteurs sont devenus secteurs à part entière avec leur créés dans les années 1970 (il y en avait 120 en 1972-1973, 301 en
légalisation officielle en 1985 (loi du 31 décembre 1985) [10] et leur 1992, 321 en 1997). Certains sont issus des centres hospitaliers
mise en application par le décret du 14 mars 1986 [6]. spécialisés, de services qui recevaient à temps complet un nombre
Entre ces dates, la grande loi du 30 juin 1975 (n° 75-534) non négligeable d’enfants (et de grands enfants) à pathologies
d’orientation en faveur des personnes handicapées [11] avait été multiples avec déficit associé. Si l’âge limite de prise en charge des
promulguée après de nombreux débats sur la place de la psychiatrie enfants en psychiatrie infantojuvénile n’est pas déterminé par les
infantojuvénile par rapport à ce dispositif. textes, en revanche, la psychiatrie des adultes peut hospitaliser les
La circulaire du 11 décembre 1992 relative aux orientations de la adolescents à partir de 16 ans. C’est pourquoi les 16-20 ans sont
politique de santé mentale en faveur des enfants et adolescents [3] a variablement pris en compte par la psychiatrie infantojuvénile, par
eu une place considérable car elle décline toutes les formules la psychiatrie des adultes ou par les deux.
thérapeutiques qui se sont effectivement établies ces dix dernières Une fois les secteurs créés, les pédopsychiatres, avec leur équipe
années. pluriprofessionnelle, se sont appliqués à transformer ces lits dont ils
La psychiatrie infantojuvénile française montre ses capacités ont réduit considérablement le nombre. Le personnel a été
thérapeutiques suivant cette circulaire avec, en arrière-plan redéployé, il s’est diversifié et professionnalisé dans des structures
conceptuel, la classification française des troubles mentaux des dites alternatives, installées parmi la population sur le territoire
enfants et adolescents (CFTMEA) [5]. Nous pouvons dire qu’il existe géodémographique. L’essor du nombre de professionnels et de
une véritable école de la psychiatrie infantojuvénile française qui psychiatres (pédopsychiatres) a permis cette diversification. En
s’inspire des concepts psychanalytiques et de leur application à général, ces secteurs ont bénéficié de circonstances favorables avec
l’enfance. La psychiatrie de l’enfant française est psychodynamique, des moyens de départ importants couplés à un dynamisme
ouverte, elle repose sur les données médicales, psychologiques et conceptuel. Ils ont été parmi les premiers secteurs créés (1972-1973).
environnementales. Elle n’est pas dogmatique mais a, en effet, un Une autre catégorie de secteurs de psychiatrie infantojuvénile a
corpus scientifique en perpétuelle évolution. La transformation de correspondu aux créations de second temps soit de novo dans les
ses structures, en particulier celles qui sont alternatives à centres hospitaliers spécialisés (CHS), soit dans les centres
l’hospitalisation, est un bon reflet de son remaniement constant. hospitaliers généraux (CHG) et enfin dans les centres hospitaliers
universitaires (CHU). Ceux dont la création remonte à la fin des
La description de ces structures en psychiatrie de l’enfant et de
années 1970, début des années 1980 sont parvenus à mettre en place
l’adolescent se révèle dès lors une gageure car elle est éphémère.
un dispositif de base, ce qui ne fut plus le cas à partir des années
Nous sommes cependant frappés par un mouvement relativement
1985.
homogène de ces transformations alors que depuis 1992 aucune
circulaire princeps n’est venue encadrer cette discipline. Nous le Nous avons ainsi, sur le territoire français, des secteurs de
psychiatrie infantojuvénile aux équipements très différents que le
rapport de la Direction régionale des établissements sanitaires et
sociaux (DRESS) n° 2 de mai 2000 [7] explicite bien (« les secteurs de
Nicole Garret-Gloanec : Pédopsychiatre, secteur 2 de pédopsychiatrie, centre nantais de la parentalité, psychiatrie infantojuvénile en 1997 »). Seuls 43 % de ces secteurs ont
CHU de Nantes, boulevard Jacques-Monot, 44093 Nantes cedex 01, France. des lits d’hospitalisation complète et ils sont majoritairement en
Jean-Charles Pascal : Psychiatre des Hôpitaux, chef de Service, établissement public de Saint-Érasme, 143,
avenue Armand-Guillebaud, BP 85, 92161 Antony cedex, France.
établissements privés faisant fonction de publics (HPP) et en centres
Anne Laure Simonnot : Psychiatre des Hôpitaux, Association de santé mentale du XIIIe. hospitaliers spécialisés (CHS).

Toute référence à cet article doit porter la mention : Garret-Gloanec N, Pascal JC et Simonnot AL. Alternatives à l’hospitalisation pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales
Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-210-A-35, 2003, 5 p.

150 622 EMC [295]


Alternatives à l’hospitalisation
37-210-A-35 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile
L’équipement est un bon reflet des réponses thérapeutiques offertes complémentaire, du dispositif éducatif, pédagogique et social local.
par un secteur d’enfants et adolescents, ainsi : Les axes retenus ont été le soin individualisé porté à l’enfant et à sa
famille dans son environnement proche, l’intégration des enfants, le
– 97 % des secteurs disposent d’au moins un centre
partenariat, la prévention, la formation et la recherche.
médicopsychologique (CMP) ouvert 5 jours et 76 % en disposent
d’au moins deux ; ils sont situés pour 98 % en dehors des Ces principes, qui ne sont pas à envisager sous le seul angle
établissements de rattachement ; théorique, mais dont la mise en œuvre est très active, ont été
largement influencés par les données propres à la nature de l’enfant,
– 87 % des secteurs possèdent un ou plusieurs hôpitaux de jour en particulier les tranches d’âge (jeune enfant, enfant, adolescent),
pour 27 places en moyenne et 69 % sont situés hors du centre les formes pathologiques ou les syndromes (psychoses,
hospitalier ; dysharmonies, troubles de la personnalité), les conditions sociales
– 57 % possèdent au moins un centre d’accueil thérapeutique à ou le statut juridique de l’enfant (place de l’assistance socioéducative
temps partiel (CATTP) et 9 sur 10 sont extra muros ; [ASE], de la justice…).
– 38 % ont des places d’accueil familial thérapeutique.
Les chiffres d’équipement en structure sont éloquents pour
comprendre l’organisation des soins, mais ils doivent être croisés
Problématique
avec le nombre de professionnels et la répartition des files actives.
En 1997, une équipe médicale en secteur infantojuvénile a MAINTIEN DE LA COHÉRENCE
3,5 équivalents temps plein (ETP) de praticiens hospitaliers pour une La psychiatrie infantojuvénile est confrontée à une problématique
équipe non médicale de 45,9 ETP dont 16,6 infirmiers, complexe. Reflet de la société, des données sociologiques, de
5,8 psychologues et deux assistants de service social. Les secteurs l’évolution de la famille mais aussi de la parentalité, elle doit
sont d’autant mieux étoffés qu’ils sont en HPP puis en CHS, enfin néanmoins tenir son axe thérapeutique et ses qualités soignantes,
en centre hospitalier (CH) ou en centre hospitalier régional (CHR) mission première qui ne peut s’isoler de l’ensemble
(en corrélation avec l’hospitalisation à temps complet). environnemental. Le pédopsychiatre, au sein de l’équipe, en est le
Les files actives et leur répartition sont passées de 200 000 enfants et garant. Il est celui qui effectue la synthèse des diverses approches et
adolescents en 1986 à 300 000 en 1997, 41 % de la file active qui définit la nature du soin. Dans le service public, il organise la
représente des enfants entre 5 et 9 ans. Neuf enfants sur 10 sont cohérence du dispositif et s’assure de la mise en œuvre de la
suivis en ambulatoire, 10 % bénéficient d’un accueil à temps partiel prévention à toutes les étapes des actions entreprises.
et 3 % d’un accueil à temps complet. Les interventions en milieu Le maintien de l’enfant dans son milieu naturel social (famille) et
scolaire, en protection maternelle et infantile (PMI) et en scolaire oriente l’intervention de la psychiatrie vers une dimension
établissement médicoéducatif sont relativement importantes. plus strictement thérapeutique (le pédagogique et l’éducatif étant
Ainsi, l’évolution de 1991 à 1997 est très significative : progression délégués) et introduit de la discontinuité dans les actions déployées
de 41 % de la file active, + 55 % en ambulatoire, + 66 % en accueil à autour de l’enfant. La problématique revient à tenir une cohérence
temps partiel et + 33 % en hôpital de jour. Si l’augmentation de dans l’ensemble des interventions autour d’un enfant pour qu’elles
l’hospitalisation à temps complet représente 18 %, la durée moyenne restent compréhensibles pour lui, ses parents et les professionnels et
de séjour passe de 104 jours en 1991 à 58 jours en 1997. qu’elles soient complémentaires et non concurrencielles.

Influence du contexte PLACE DE LA PRÉVENTION


Dans les secteurs de pédopsychiatrie, cette préoccupation de la
Le terme d’alternative à l’hospitalisation n’est donc probablement prévention est constante mais elle s’individualise mal, est mal
pas adapté en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Les réponses répertoriée, impossible encore à évaluer. La démarche d’éducation
thérapeutiques n’ont pas été créées ni en réaction, ni en évitement à pour la santé n’est pas systématisée et demande un effort
l’hospitalisation à temps complet. Elles ont trouvé leur place d’investissement et de conceptualisation au risque de voir la
progressivement suivant l’avancée des connaissances et sous la pédopsychiatrie perdre sa fonction unificatrice. En effet, l’éducation
pression structurante de facteurs divers. pour la santé peut valoriser uniquement des actions cognitives,
La psychiatrie infantojuvénile en France est fille de la psychiatrie rééducatives ou neurologiques.
générale, des concepts de la sectorisation et de la psychanalyse. Si Cette prévention réside aussi dans un accès facilité au soin. Le
une grande unité de référence théoricopratique a présidé à son essor, premier acte soignant se réalise couramment à travers une première
sa déclinaison dans chaque secteur fut fonction des conditions consultation. L’afflux de ces premières demandes non hiérarchisées
locales. Nous l’avons vu, le rattachement à un établissement de type crée des délais d’attente. Ces délais sont très mal acceptés mais ils
PSPH (participant au service public hospitalier), CHS ou CH et cachent un fait plus grave, celui du retard d’entrée dans un
l’existence antérieure de lits constituent une richesse pour un processus soignant. Pour éviter ces délais d’attente et comme pour
redéploiement des professionnels. L’importance des réponses les urgences, les secteurs pourraient risquer de redéployer beaucoup
complémentaires dans le champ médicosocial en particulier de moyens autour de ce premier accueil et de ne pas en garder assez
(instituts médicoéducatifs [IME], instituts régionaux [IR], centre pour des soins actifs.
médico-psycho-pédagogique [CMPP], centre d’action médicosocial
précoce [CAMSP]) est également déterminante. Ces établissements
n’ont pas une référence sanitaire exclusive et dépendent des ACCÈS AUX SOINS
autorités locales. Leur existence est liée au militantisme des Plusieurs niveaux sont à réfléchir dans cet accès à un accueil et à un
associations dans le cadre de la loi de 1975, c’est-à-dire du champ soin :
du handicap [9] . Les CMPP ont été soutenus par l’Éducation
nationale et par les psychiatres libéraux, enfin nombre de CAMSP – la différenciation des niveaux d’urgence, (certaines demandes
sont rattachés à la pédiatrie. De cet équilibre entre le service public, peuvent être différées) ;
entièrement sous la tutelle du ministère de la santé depuis les années – l’importance et la durée prévisible du soin et donc son évaluation
1980, et le médicosocial à appui départemental, l’organisation des par le pédopsychiatre ;
soins prend des formes diverses qui répondent cependant à des
concepts de bases communs à l’ensemble des pédopsychiatres. – la hiérarchisation entre les degrés d’intervention ;
Au-delà de leurs missions propres dans l’organisation des réponses – enfin l’utilisation de l’ensemble des dispositifs soignants d’un
thérapeutiques, les secteurs ont tenu compte, de façon secteur.

2
Alternatives à l’hospitalisation
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-210-A-35
pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile
INDICATION THÉRAPEUTIQUE secteur. La reprise en synthèse sous la responsabilité du
L’indication de tout traitement ne peut donc plus se satisfaire de la pédopsychiatre reste la garantie de qualité nécessairement exigée.
demande et l’équation demande/traitement n’est plus de mise. Si En CMP, les réponses sont graduées de la simple consultation, des
l’alliance thérapeutique est indispensable, la pédopsychiatrie ne entretiens thérapeutiques, psychothérapies, rééducation
peut, par exemple, offrir une psychothérapie pour chaque enfant orthophonique ou psychomotrice aux visites à domicile et
accompagné par des parents porteurs de cette demande ou répondre observations thérapeutiques. Les groupes thérapeutiques
à n’importe quelle prescription psychothérapique ou orthophonique s’organisent suivant des formules panachées entre des
proposée par l’environnement de l’enfant. La propension professionnels différents et des médiateurs divers. Chaque centre
consumériste est à revoir quant à sa légitimité, il en sera de même invente ses formules en fonction des besoins qui s’expriment, des
face aux forces de pression exercées pour toute nouvelle formations complémentaires obtenues par les professionnels et de
thérapeutique ou technique. La mise en place d’un soin mobilisant son équipement. Ainsi, telle équipe aura un groupe thérapeutique
les professionnels des secteurs doit faire l’objet d’une synthèse marionnettes, telle autre une réponse psychodrame, telle autre la
précise en fonction de la psychopathologie et des réponses thérapie familiale… Il n’est pas rare, dans les villes de taille
thérapeutiques les plus adaptées. Comme pour tout autre soin d’une suffisante, qu’un secteur ouvre aux secteurs voisins une spécificité
autre discipline, un traitement nécessite indication et évaluation. thérapeutique qu’il a pu déployer.
Les actions thérapeutiques en CMP s’effectuent avec les parents sur
un mode contractuel. Les échanges avec le médecin généraliste ou
Description du dispositif le pédiatre sont plus fréquents, ceux avec l’école dépendent de la
nature du trouble et de son impact. Compte tenu de la proportion
des difficultés sociales et familiales parmi les consultants, les
SOINS AMBULATOIRES
contacts, avec accord du parent, sont de fait assez nombreux et se
Les alternatives à l’hospitalisation se déclinent autour du centre regroupent dans les actions indirectes.
médicopsychologique et des soins à temps partiel. Les formes prises
sont de plus en plus nuancées, individualisées et cadrent mal avec ¶ Centres d’action thérapeutique à temps partiel
une définition institutionnelle exigée par les tutelles (Caisse
et hôpitaux de jour
nationale d’assurance maladie [CNAM] mais aussi schémas
régionaux d’organisation sanitaire et sociale [SROSS], comités La différence entre les deux formules est parfois purement
régionaux d’organisation sanitaire et sociale [CROSS], budget administrative et se réfère plus au temps passé qu’à la nature du
global). soin. L’action thérapeutique à temps partiel (ATTP) se situe entre le
Les lieux d’intervention sont multiples et sans exclusivité, ils groupe thérapeutique et l’hospitalisation de jour qui est le plus
tiennent compte des facilités d’accès. Nous distinguerons ceux qui souvent maintenant à temps partiel.
ont une finalité thérapeutique directe et qui sont généralement Les indications ne sont pas spécifiques mais graduées en fonction
spécifiques de ceux qui permettent des actions soignantes indirectes de l’intensité nécessaire. La gravité ou l’intensité des symptômes
pour des contacts plus faciles, banalisés et moins spécifiques. président au choix entre groupe thérapeutique, action thérapeutique
Pour toutes les tranches d’âge, une gamme large de formules plus à temps partiel et hospitalisation de jour. L’autre variable est la
ou moins institutionnelles développée, certaines sont spécifiques aux durée de la prise en charge. Une manifestation bruyante peut
moins de 3 ans ou aux les adolescents. Aux deux extrêmes, amener l’indication d’hospitalisation de jour à temps partiel qui sera
l’articulation avec la psychiatrie des adultes se fait selon un partage rapidement transformée en ATTP ou en groupe alors que des signes
variable. Pour ces deux tranches, les formules intersectorielles sont moins aigus mais plus invalidants obligeront à une indication de
plus fréquentes. groupe dans un premier temps suivi d’une hospitalisation de jour
par exemple.
¶ Centres médicopsychologiques Le relevé administratif ATTP plutôt que celui de groupe
thérapeutique est souvent utilisé lorsqu’un temps indirect de liaison
Les centres médicopsychologiques (CMP) constituent le centre
est nécessaire pour permettre le maintien de l’enfant dans son milieu
organique des secteurs de psychiatrie infantojuvénile. Ils sont
de vie malgré un temps court de soin dans la semaine. Il se définit
nombreux, bien connus sur le terrain et, à ce titre, représentent la
par une charge plus grande de temps indirect ajouté au temps
porte d’entrée où se déroule le premier contact avec la
soignant direct que pour les groupes thérapeutiques. Cela montre
pédopsychiatrie pour les enfants accompagnés de leurs parents (sauf
que ces séparations ne sont pas toujours effectives sur le terrain tant
pour les adolescents qui consultent parfois seuls).
les nuances sont subtiles et individualisées suivant les nécessités
Chaque CMP organise cet accès des enfants et de leur famille à propres à chaque enfant.
partir du secrétariat. Des protocoles sont définis afin de repérer le
niveau d’urgence de la demande, les priorités. Le premier temps est L’hospitalisation de jour a une équipe différenciée qui partage
fréquemment un accueil réalisé par un pédopsychiatre, parfois un cependant parfois son temps avec le CATTP et les visites à domicile.
psychologue clinicien, plus rarement par un autre professionnel. Les Les soignants prolongent le soin direct par un travail indirect sur
adolescents nécessitent un aménagement particulier du fait de la l’environnement de l’enfant (famille, école, PMI, éducateurs et
nature urgente de leur demande. Les secteurs se sont organisés en assistants sociaux…).
fonction de la spécificité de cette tranche d’âge avec fréquemment Il n’est pas rare que durant l’évolution de leur pathologie, les enfants
un accueil infirmier sous forme de permanence implantée en CMP passent d’une formule à l’autre. L’hospitalisation de jour est
spécifique ou dans un lieu banalisé. rarement utilisée pour un même enfant 5 jours par semaine (elle
Les premiers accueils, les premières consultations sont repris et peut être d’une demi-journée, deux ou plus).
analysés en synthèse, temps essentiel de la compréhension du besoin Depuis que le temps partiel domine, l’hôpital de jour est moins un
de l’enfant qui se réalise en présence de l’équipe pluriprofessionnelle lieu de vie. Sa fonction symboliquement « contenante » a permis un
(pédopsychiatre, psychologue, orthophoniste, psychomotricien et affinement de la définition de son « contenu », c’est-à-dire des
parfois assistante sociale, infirmier psychiatrique). De cette synthèse actions thérapeutiques menées par des professionnels. Ceux-ci
dépendront les demandes de bilans complémentaires, utilisent des médiateurs dans les ateliers thérapeutiques qui font
d’informations et de contacts. Ensuite seront décidées les prises en l’objet de reprises (réflexion). La dimension proprement
charge en fonction de la psychopathologie de l’enfant, de l’accord et thérapeutique (« conteneur ») de ses actions est ainsi améliorée,
des capacités de mobilisation de la famille, des retentissements sur étudiée et analysée suivant des critères multiples (capacité de
le milieu et enfin des capacités soignantes disponibles dans le transformation, de symbolisation, de mise en récit, fonction de

3
Alternatives à l’hospitalisation
37-210-A-35 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile
parexcitation, d’individuation, de construction du moi corporel…), démarche thérapeutique centrée sur l’interrelation parent-enfant et
elle requalifie le travail et veille à maintenir les articulations les capacités de remaniements psychiques intenses à cette période.
indispensables. Elles se prolongent par l’hospitalisation de jour et l’hospitalisation à
En effet, les fonctions éducatives, pédagogiques, sociales sont domicile dans un processus dynamique.
reprises par les institutions référentes. Les classes d’hôpitaux de jour Les adolescents peuvent être comparés aux très jeunes enfants avec
intègrent progressivement les écoles. Ainsi les instituteurs de ces leurs parents. La crise existentielle y est féconde, mais fragilise le
classes passent plus de temps à l’extérieur dans un travail de soutien jeune. C’est l’âge où se déclarent les grandes pathologies adultes
de leurs collègues qui ont les enfants des hôpitaux de jour dans leurs comme les états-limites et la schizophrénie. Là aussi, les actions sur
classes. Là où au début des années 1980, il y avait 12 enfants pour le terrain sont importantes et associent les collèges, les lycées
12 places d’hôpital de jour, il y en a actuellement une vingtaine à (service médical et social en premier, les maisons de quartier avec
temps partiel et une dizaine en CATTP. les éducateurs, les foyers sociaux, les foyers justice…). À partir de
Ceci élargit considérablement l’offre de soin qui doit dès lors centres spécifiques de consultations, associés à des CATTP et des
répondre à des critères thérapeutiques stricts et qui engagent des hôpitaux de jour, les collaborations sur les lieux de vie des
articulations nombreuses et coûteuses en temps. Toutes les formules adolescents sont intenses. Ces actions indirectes sont tout à la fois
sont possibles et demandent des efforts considérables préventives et thérapeutiques. Elles permettent de soutenir les
d’aménagement du cadre, mais plus encore des efforts psychiques capacités éducatives mais aussi structurantes des professionnels
de la part des soignants. Ceux-ci doivent sans cesse relancer et reconnus légitimement par les adolescents.
soutenir leur capacité d’élaboration, mobiliser les identifications et Certaines actions sont particulièrement ciblées et demandent la
conserver du temps à la prise de notes pour une analyse seconde. compétence des services d’urgence, des unités d’addiction ou plus
globalement de la psychiatrie des adultes. Les pathologies de la
¶ Accueil familial thérapeutique dépendance, les troubles du comportement avec passage à l’acte
(violence) et les tentatives de suicide préoccupent particulièrement
Cette formule a connu un nouveau développement dans les années notre société et amènent un déploiement d’interventions soutenues
1980, suite à la grande vague de fermeture des lits. Elle est plus par des plans encadrés par des circulaires.
conforme au souhait de maintenir un enfant dans un milieu naturel
La référence à la psychopathologie demeure indispensable pour
en regard d’une institution perçue comme pathogène. Il faut
préserver la dimension et la légitimité thérapeutique de la
cependant amener des parents à comprendre l’intérêt de proposer à
pédopsychiatrie sous peine de dispersion des moyens selon des
leur enfant d’autres parents sans notion obligée de placement et
préoccupations fortement médiatisées sans appréciation suffisante
définir ce qui est thérapeutique dans cette indication d’accueil par
de leur caractère thérapeutique ou réellement préventif. La
une famille sans qualification paramédicale.
prévention, sous forme d’éducation pour la santé, se met en place
La dimension soignante est donnée par l’équipe de l’accueil familial avec précaution dans un partenariat qui doit être bien compris afin
thérapeutique (AFT) tant par l’importance de son action auprès de de ne pas induire des effets contraires ou des insatisfactions.
la famille naturelle et de celle d’accueil que par ses liens avec
l’enfant. L’alliance thérapeutique ainsi obtenue avec les parents
permet d’atténuer les effets pathogènes propres aux troubles PÉDOPSYCHIATRIE DE LIAISON EN PÉDIATRIE,
psychiques d’un enfant en interaction avec son milieu. AUX URGENCES PÉDIATRIQUES, EN MATERNITÉ
L’AFT s’ouvre aux adolescents, ainsi qu’aux jeunes mères Les secteurs de psychiatrie infantojuvénile rattachés aux centres
(adolescentes ou non) avec leur bébé pour un soutien de leur hospitaliers généraux ont très tôt perçu la nécessité d’apporter leur
maternalité. concours aux services de pédiatrie et de maternité. Les
collaborations n’ont cependant pu se généraliser que
progressivement, au rythme de la reconnaissance des besoins, de
RÉPONSES SPÉCIFIQUES AUX TRÈS JEUNES ENFANTS l’amélioration des équipements et d’une fréquentation continue
ET AUX ADOLESCENTS permettant de mieux se situer les uns par rapport aux autres. La
La tranche des 0-3 ans intègre complètement les parents dans le place des pédopsychiatres en pédiatrie n’est plus celle de l’examen
dispositif soignant. Les centres qui s’individualisent avec leur équipe complémentaire et vient élargir le soutien communément apporté
propre reçoivent des parents qui attendent un bébé, des parents avec par les psychologues rattachés à ces services.
un ou plusieurs tout-petits. La famille, éclatée ou non, entre en force La dimension de souffrance psychique dans les maladies chroniques,
dans ces centres. Les grands-parents et toutes les femmes qui dans les maladies graves, en néonatologie est largement prise en
entourent ce temps de la naissance sont reçus en consultation à des compte. Les pédopsychiatres ou leurs collaborateurs interviennent
niveaux différents. Sage-femme, infirmière puéricultrice, pédiatre, auprès des pédiatres ou indirectement pour soutenir les équipes et
assistante sociale... tissent des liens avec la pédopsychiatrie. participer à l’analyse de cas cliniques. La maltraitance, les abus
Certes, les pédopsychiatres sont présents dans les réseaux de la sexuels, les hospitalisations répétées sans motif somatique sont
périnatalité, mais ils vont aussi dans les maternités, les services de abordés avec l’aide de la pédopsychiatrie. Lorsque cette réponse est
pédiatrie (néonatologie), les maisons maternelles, les centres pour articulée aux secteurs, alors la continuité de la prise en charge est
adolescentes enceintes… Ils y ont des actions directes auprès des plus facilement assurée.
parents et de leur bébé et plus souvent des actions indirectes auprès Enfin la médecine des adolescents en pédiatrie permet d’avoir une
des professionnels depuis longtemps concernés par le début de vie. véritable collaboration pédiatre, pédopsychiatre pour un traitement
La pédopsychiatrie, suivant l’histoire locale, s’associe différemment porté à l’adolescent lors d’une anorexie mentale ou de tentatives de
à la PMI (consultation conjointe, présence dans la salle d’attente), à suicide par exemple. Mais pour que les alternatives à
la maternité, à la pédiatrie. Lorsqu’il s’agit du tout-petit, l’hospitalisation prennent le relais, un lien fort avec les secteurs de
l’intervention ne supporte pas de délai et demande une mobilité psychiatrie infantojuvénile est indispensable.
plus grande dans le lieu de vie de l’enfant. Des liens sont tissés avec
le champ sanitaire de la petite enfance, le champ médicosocial, le
champ local (CAMSP, service petite-enfance des mairies, maisons QUELQUES EXPÉRIENCES ACTUELLES
vertes, écoles des parents…). La pédopsychiatrie tricote avec les
partenaires de la petite enfance pour que les jeunes enfants se ¶ Centres de ressources
développent dans le lien et le générationnel. Compte tenu des orientations actuelles strictement thérapeutiques,
Des unités mère-bébé, peu nombreuses, existent en psychiatrie des les dimensions sociale et éducative se sont extériorisées. Les
adultes et surtout en pédopsychiatrie. Elles évoluent dans une exigences légitimes des parents dont les enfants souffrent de

4
Alternatives à l’hospitalisation
Psychiatrie/Pédopsychiatrie 37-210-A-35
pour les secteurs de psychiatrie infantojuvénile
pathologies dans lesquelles la dimension sociogénétique est peu psychiatrie périnatale et le lien entre ces différents centres (EPS
marquante et où la dimension « constitutionnelle » peut apparaître d’Erasme à Anthony, L’Aubier, Avignon, Montpellier…) ouvrent la
dominante, ont provoqué la création de structures de diagnostic voie à des recherches mieux systématisées.
sous forme de centres experts. Des bilans complets y sont effectués
¶ Centres pour adolescents
pour des enfants souffrant de troubles envahissants du
développement [12], ou de troubles du langage oral ou écrit. Les Sous les termes « d’unité intensive du soir », de « centre
collaborations avec d’autres spécialités médicales y sont importantes. psychothérapique », de « maison des adolescents », nous retrouvons
L’intérêt de ces centres de ressources est certain tant qu’ils les mêmes principes d’ouverture large (le soir à la sortie du collège
interviennent en seconde intention souvent dans une dimension de par exemple), d’accueil sans rendez-vous et de multiplicités des
recherche. Ils offrent un recours ou un approfondissement de la modalités de prise en charge sans contrat strict, tenant compte de la
compréhension des signes pathologiques à la demande des familles structure des adolescents, de leur exigence d’immédiateté,
mais aussi des praticiens cherchant des compléments d’examens et d’interrogation sur le corps, la place des conduites addictives, le
d’explorations qu’ils n’ont pas toujours à leur disposition. Quand ils risque suicidaire et les agir plus fréquents. Ces centres gardent
fonctionnent en bonne intelligence avec le dispositif de soin, ils néanmoins une dimension thérapeutique et ne se substituent pas
permettent de poursuivre des thérapies, des rééducations mieux aux éducateurs de rue. Les parents peuvent y venir pour poser des
coordonnées, de rassurer les parents sur la nature des traitements et questions. Ils peuvent accompagner leur enfant adolescent ou venir
leur qualité. Parfois, et c’est sans doute là où ces centres fonctionnent à la place de celui ou de celle-ci qui refuse encore tout contact.
le mieux, ils sont bien repérés par les associations de parents et
constitués en réseau avec le système sectoriel, même si ce réseau Conclusion
n’est pas formalisé sous forme de conventionnement.
Les alternatives à l’hospitalisation en pédopsychiatrie rassemblent la
majorité des soins offerts. Les formes thérapeutiques sont souples et
¶ Centres pour les très jeunes enfants mobiles et les lieux d’intervention sont multiples. Ceux-ci ont besoin
Des centres de consultation pour parents avec bébé, ou en attente d’une différenciation et d’une identification afin de maintenir leurs
d’un enfant se sont ouverts dans les secteurs de pédopsychiatrie. caractéristiques et leurs qualités psychothérapeutiques. Les actions
Dans certains, comme au CHU de Nantes (Centre nantais de la indirectes se conjuguent dans des réseaux sous forme d’un partenariat
parentalité [CNP]) [ 8 ] , un partenariat s’est officialisé entre qui utilise le lien souple, la convention, le contrat… Cet ensemble prend
l’administration hospitalière et le Conseil général afin de créer un une forme si complexe qu’elle obligera la pédopsychiatrie à se poser des
projet innovant essentiellement en direction des familles dites questions sur le maintien de son identité afin de demeurer une
discipline ressource.
vulnérables, aux liens fragiles et dont l’histoire est marquée par la
L’articulation avec le médicosocial est essentielle et garantit une offre de
souffrance psychique. Au sein même de ce CNP, des professionnels
soins aux enfants qui y sont placés en complément de l’apport
de pédopsychiatrie et de PMI ou d’ASE (pédiatres, psychologue,
thérapeutique qui ne peut toujours être effectué à l’intérieur de ces
infirmière puéricultrice) travaillent en s’associant tous au projet structures.
préventif ou thérapeutique et en se distanciant de leur fonction La psychiatrie infantojuvénile s’est largement développée, mais elle
primaire de « surveillance » et de conseil. Les liens avec la PMI sont s’inquiète de la réduction programmée du nombre de pédopsychiatres et
alors renforcés et l’accompagnement de ces familles plus sécurisant. de la déqualification des soins qui en résultera.
Cinquante pour cent des mères qui consultent pour leur relation En psychiatrie, la délégation des actions thérapeutiques ne consiste pas
avec leur bébé sont déjà en rupture de couple. Le travail s’appuie à rendre compétents les acteurs du terrain, mais à valoriser et soutenir
sur l’observation thérapeutique suivant la méthode d’Esther Bick, leurs capacités soignantes. C’est à travers les actions indirectes
que ce soit dans des entretiens thérapeutiques, des consultations (formation, information, courrier, synthèse, groupe de réflexion…) des
conjointes (pédiatre-psychologue ou pédiatre-pédopsychiatre), des équipes de pédopsychiatrie auprès des médecins généralistes, scolaires,
observations sur le lieu de vie du bébé… Ce dispositif est complété pédiatres, de la PMI, justice, ASE, Éducation nationale et du
par une hospitalisation mère-enfant temps plein et de jour en médicosocial que chacun retrouvera des capacités propres auprès des
articulation avec la psychiatrie des adultes. L’ensemble travaille populations dans ce vaste domaine de la souffrance psychique. Cette
autant avec la PMI qu’avec les pédiatres de ville et les médecins compétence est celle d’assumer sa propre tâche en reconnaissant ses
généralistes qu’avec la maternité du CHU et les cliniques privées. limites et cela en complémentarité avec les autres professionnels dans le
L’appartenance aux associations scientifiques concernées par la respect de l’enfant et de sa famille.

Références
[1] Association des psychiatres de secteur infanto-juvénile. [4] Circulaire n° 443 du 16 mars 1972 relative au programme [8] Garret-Gloanec N. Le bébé et l’équipe de secteur infanto-
Cahier des charges des psychiatres du service public de d’organisation de d’équipement des départements en juvénile. La souffrance psychique du bébé. Approches plu-
santé mentale pour enfants et adolescents, 2e édition. matière de lutte contre les maladies mentales et déficien- ridisciplinaires. Paris, ESF, 2002
Paris : Galliéna Promotion éditeur, Collection Perspectives, ces mentales des enfants et adolescents. [9] Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et
1990 [5] Classification française des troubles mentaux de l’enfant et médico-sociale (1)
de l’adolescent. CFTMEA R-2000 : Nouvelle version de la
classification française des troubles mentaux de l’enfant et [10] Loi n° 85-1468 du 31 décembre1985 relative à la sectori-
[2] Circulaire DGS/982/MS1 du 9 mai 1974 relative à la mise de l’adolescent sation psychiatrique
en place de la sectorisation psychiatrique infanto-juvénile. [11] Loi n° 75-534 du 30 juin1975 d’orientation en faveur des
[6] Décret n° 68-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre
les maladies mentales et à l’organisation de la sectorisation personnes handicapées
[3] Circulaire n° 70 du 11 décembre 1992 relative aux orien- psychiatrique. [12] Wood P. Classification internationale des handicaps: défi-
tations de la politique de santé mentale en faveur des [7] DREES, ministère de l’Emploi et de la Solidarité. Les secteurs cience, incapacité et désavantage, OMS. Trad Inserm
enfants et adolescents. de psychiatrie infanto-juvénile en 1997, n° 21, mai 2000. CTNERHI. Paris : PUF, 1988

5
¶ 37-208-A-85

Carences affectives et négligences graves


C. Mille, T. Henniaux

Les notions de carences affectives et de négligences graves ont été développées initialement à partir
d’observations réalisées en milieu institutionnel, avant d’être étendues, par la suite, à la défaillance, au
sein du milieu familial, des principales fonctions maternelles : fonctions de maintenance, de contenance
et d’individuation du Soi. Les manifestations cliniques qui peuvent y être rattachées sont variables selon
les circonstances carentielles et les caractéristiques de chaque enfant et associent, au-delà des
manifestations aiguës réactionnelles, des troubles affectifs, somatiques, instrumentaux, cognitifs ou des
troubles du comportement. Les incertitudes au plan pronostique rendent compte de la multiplicité des
facteurs en jeu, notamment des facteurs de protection. Cependant, l’incidence des carences affectives sur
les organisations pathologiques de la personnalité se retrouve, en particulier dans les pathologies limites
et les dysharmonies évolutives. L’approche thérapeutique s’appuie sur la reconnaissance de la souffrance
de l’enfant et consiste en un renforcement et une amélioration qualitative de l’offre relationnelle. Les
mesures préventives comprennent la lutte contre les facteurs de carence au sein des structures d’accueil et
les interventions auprès des « familles à risque ».
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Carences affectives ; Négligences graves ; Hospitalisme ; Dépression anaclitique ;


Syndrome abandonnique ; Organisation anaclitique

Plan ¶ Incertitudes au plan du pronostic : critères de gravité


et facteurs de protection 5
¶ Introduction 1 Critères de gravité 5
Facteurs de protection 5
¶ De l’émergence de la notion de carences affectives
¶ Incidences des carences affectives sur les organisations
aux définitions actuelles 2
pathologiques de la personnalité 6
¶ Sémiologie des carences affectives 2 Pathologies limites 6
Signes d’alerte chez le nourrisson 2 Autres organisations de la personnalité 6
Signes relationnels chez l’enfant plus grand 2 ¶ Discussion psychopathologique 6
¶ Principales fonctions maternelles risquant de faire défaut ¶ Mesures thérapeutiques 6
à l’enfant en situation de carence affective 3 Reconnaissance de la souffrance de l’enfant 6
Fonction de maintenance 3 Renforcement et amélioration qualitative de l’offre relationnelle 6
Fonction de contenance 3
¶ Mesures préventives 6
Fonction d’individuation du Soi 3 Lutte contre les facteurs de carences au sein des structures d’accueil 6
¶ Vulnérabilité différentielle de l’enfant carencé 3 Interventions préventives auprès des « familles à risque » 6
¶ Circonstances de survenue de la carence 3 ¶ Conclusion 7
Carences et négligences en milieu institutionnel 3
Carences affectives dans le milieu familial 4
¶ Expressions cliniques de la souffrance de l’enfant soumis ■ Introduction
à une carence aiguë de ses liens affectifs privilégiés 4
Manifestations réactionnelles directement provoquées La « prise en compte des conséquences proches et lointai-
par la séparation 4 nes » [1] des carences affectives et des négligences graves ne
Séquelles à court terme 4 constitue plus en psychiatrie infantile la préoccupation privilé-
Séquelles à long terme 4 giée des chercheurs et des cliniciens. La diffusion de travaux de
Spitz [2] et Bowlby [3] dans les années d’après-guerre, le foison-
¶ Manifestations cliniques rattachables à une carence affective nement d’études aux États-Unis et en Europe dans les décennies
insidieuse et durable 4 suivantes, les réaménagements qui en ont résulté dans les
Troubles affectifs 4 placements et les collectivités d’enfants pourraient donner
Manifestations somatiques 5 l’illusion que seuls quelques orphelinats roumains sont encore
Troubles instrumentaux et cognitifs 5 concernés [4]. Cette vision optimiste est pourtant tempérée par
Troubles du comportement 5 la description de diverses formes « d’hospitalisme intrafami-
lial » [5], la persistance de placements multiples et le constat

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-208-A-85 ¶ Carences affectives et négligences graves

d’un certain « échec de la protection de l’enfance » [6]. Aussi distorsions relationnelles. Les dispositifs d’observation des
importe-t-il de définir les formes actuelles de carences affectives, interrelations précoces, en démontrant la grande sensibilité du
d’en connaître l’expression sémiologique manifeste selon l’âge bébé à de minimes décalages de la réponse maternelle, produits
de l’enfant et d’en cerner les contours au regard des connais- artificiellement, confirment l’importance décisive de la qualité
sances récentes sur les interactions précoces et les compétences des échanges [12]. Il convient de fait de savoir être attentifs aux
du nourrisson, pour mieux comprendre les circonstances de signes d’appel qui témoignent chez l’enfant des insuffisances et
survenue. Il convient ensuite d’opposer les manifestations défauts d’ajustement des fonctions maternelles.
cliniques directement liées à la brusque interruption des liens
affectifs aux troubles psychiques, relationnels, somatiques,
instrumentaux ou comportementaux corrélés aux diverses
formes de carence s’inscrivant dans la durée. Les incertitudes au ■ Sémiologie des carences
plan pronostique tiennent à la résilience dont font preuve affectives
certains enfants là où d’autres restent à jamais entravés par des
organisations pathologiques de leur personnalité. Seule une
discussion psychopathologique approfondie permet d’ajuster les Signes d’alerte chez le nourrisson
réponses thérapeutiques et les mesures préventives à mettre en
œuvre. Les signes d’alerte chez le nourrisson sont maintenant bien
connus des cliniciens de la petite enfance. C’est souvent la
persistance d’un mauvais état général qui amène rechercher
■ De l’émergence de la notion activement d’autres signes d’appel. La stagnation de la courbe
pondérale, la sensibilité aux infections oto-rhino-laryngo-
de carences affectives logiques (ORL), l’inappétence, les vomissements ou les diar-
rhées, comme les troubles du sommeil donnent à l’enfant une
aux définitions actuelles apparence maladive peu attrayante. Le retard psychomoteur
C’est d’abord l’observation attentive des réactions de très souvent associé au retard de croissance s’en trouve de fait sous-
jeunes enfants placés ou hospitalisés pour de longues périodes, estimé, si l’on ne prend pas en compte l’âge de l’enfant.
la description de l’inéluctabilité de leur détresse malgré les soins L’hypotonie est quasi constante, sauf pour la partie supérieure
prodigués, et le constat des risques d’évolution gravissime pour du corps [4]. On note souvent une crispation des muscles du cou
certains, qui révèlent le rôle vital du maintien de liens privilé- et des bras, un serrement des poings sur les pouces, un défaut
giés avec la mère pendant les premières années de la vie. Ainsi, de préhension des objets mis à disposition ou un refus de les
tandis que se multiplient les contributions des psychanalystes lâcher. La motricité spontanée et le babillage sont pauvres et
sur ce sujet, s’imposent au milieu du siècle dernier le tableau rarement utilisés pour marquer, comme chez la plupart des
clinique de la dépression anaclitique [2] et la théorie de l’atta- bébés, les occasions de plaisir partagé [5]. Le retrait relationnel se
chement [1]. Des études rétrospectives [7], cherchant à établir des traduit par une mimique « vide d’expression » [1], une faible
liens entre troubles psychopathologiques du grand enfant et réactivité dans les échanges, une absence d’initiative dans les
carences précoces, complétées par quelques études prospectives situations d’attention conjointe [4] et une passivité face aux
et comparatives [8], tendent à démontrer, sur le long terme, sollicitations ou à l’éloignement d’autrui. L’enfant semble
l’impact préjudiciable sur le développement affectif ou cognitif privilégier, au détriment des interrelations ludiques, les habitu-
du manque d’apport affectif. Au-delà des réserves formulées au des motrices autocentrées, comme les stéréotypies, les oscilla-
plan méthodologique venant relativiser les conclusions de ces tions rythmiques du corps, la succion triste du pouce et les
recherches, malgré la multiplicité des paramètres en jeu rendant conduites masturbatoires monotones.
aléatoires les évaluations longitudinales, une attention plus
grande est apportée non seulement à la souffrance provoquée
par la perte prématurée durable ou répétée de l’objet d’amour,
Signes relationnels chez l’enfant plus grand
mais aussi aux effets délétères d’un investissement « maternel » Les signes « relationnels » sont au premier plan chez l’enfant
inconsistant ou inconstant. plus grand. L’avidité affective est souvent manifeste. Se dévelop-
pent instantanément des conduites d’attachement passionnel à
l’égard de tout adulte manifestant un peu d’intérêt, ce qui est
naturellement le cas en situation de consultation. L’enfant

“ Point important « carencé » instaure d’emblée un lien de familiarité, cherche à


toucher le consultant, à s’agripper à lui, à l’imiter, s’emparer de
ses attributs, ou à s’immiscer dans sa sphère privée. Cette
On distingue les carences aiguës, inhérentes à sensibilité exacerbée se traduit à l’inverse par une intolérance à
l’éloignement de la figure d’attachement, des carences la frustration, de brusques renversements d’humeur, des mani-
insidieuses liées à l’indisponibilité psychique ou aux festations agressives, des conduites d’opposition ou d’hostilité
fluctuations d’humeur de la mère ou de son substitut. affichées à l’égard de la personne d’abord surinvestie. Il sup-
porte aussi mal les critiques que les compliments et s’attaque
tout autant à ses productions « ratées » qu’à celles jugées
réussies. La négligence de son corps et de ses intérêts propres
Dans un cahier de l’Organisation mondiale de la santé contribue à accentuer sa situation de grande dépendance
(OMS) [9] , paru en 1961, Ainsworth fait état des carences affective. Peu préoccupé de son apparence, sa présentation est
intrafamiliales provoquées par la pauvreté des interactions entre souvent négligée, d’autant qu’il semble méconnaître l’éventuelle
des mères, ayant elles-mêmes souffert de carences précoces, et survenue d’accidents énurétiques ou encoprétiques. Il se montre
leurs nourrissons qui se trouvent de fait négligés, voire quasi désordonné, disperse ou casse ses jouets, oublie ses affaires
« abandonnés au domicile » [10]. Seules les formes flagrantes de personnelles, mais amasse des objets hétéroclites récupérés à
négligence se traduisant aussi par un défaut de soins physiques l’insu de ses proches. Sa maladresse et ses entreprises périlleuses
sont facilement repérables par les équipes de protection mater- ou intempestives lui occasionnent des déboires à répétition et
nelle et infantile (PMI). Il pourrait d’ailleurs s’agir d’un des de multiples réprimandes. Le maintien de conduites de satisfac-
aspects les plus fréquents de maltraitance [11]. Or, l’urgence des tion régressives suscite pareillement les reproches de l’entourage.
réponses aux besoins physiologiques du nourrisson risque C’est cette absence de contenance et de prévenance à son
parfois de laisser ses besoins relationnels gravement insatisfaits. propre égard qui pourrait constituer un des signes d’orientation
On ne saurait, pour autant, privilégier un abord purement les plus fiables, propres à inciter le consultant à tenter d’explo-
quantitatif des problèmes soulevés par les carences affectives, rer les carences ou les vicissitudes du maternage qui ont
qui peuvent aussi résulter d’un défaut d’ajustement, voire de durablement marqué l’ensemble du développement de l’enfant.

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Carences affectives et négligences graves ¶ 37-208-A-85

■ Principales fonctions maternelles même que lui sont signifiées des positions à dépasser, des buts
à atteindre, des modèles à égaler... Plus encore que la précé-
risquant de faire défaut à l’enfant dente, cette fonction ne s’accomplit qu’en référence à un tiers
symbolique et risque, quelles que soient ses compétences, de
en situation de carence affective faire gravement défaut à l’enfant en cas de carence institution-
Les diverses fonctions « relationnelles » que la mère assure dès nelle ou de négligence intrafamiliale dans les moments féconds
le début de la vie doivent se maintenir, tout en évoluant très du premier développement.
progressivement au plus près des changements maturatifs et des
moments critiques que peut connaître l’enfant au cours de ses
3 premières années [13]. En cas de carence relationnelle ou de ■ Vulnérabilité différentielle
négligence, survenant précocement, l’enfant est dangereusement de l’enfant carencé
privé de certaines de ces fonctions, qu’il n’a pas encore pu
intérioriser, fonctions indispensables à la construction de sa La sensibilité du très jeune enfant à la perte de son objet
sécurité affective, comme de son espace psychique propre et de d’attachement privilégié entre 6 mois et 2 ans a largement été
ses premiers liens sociaux. soulignée. On sait que ses réactions de protestation et de
tristesse seront d’autant plus vives que ses relations antérieures
Fonction de maintenance auront été satisfaisantes. Or, il semble que la qualité même de
ses expériences relationnelles va aussi contribuer à atténuer les
La fonction de maintenance, de support, d’étayage définit la risques de désorganisation psychique qui menacent plus
solidité, la fiabilité de la présence maternelle : elle se manifeste sévèrement ceux qui, avant la séparation d’avec leur mère, ont
par la disponibilité physique, l’accessibilité immédiate ; elle offre insuffisamment bénéficié de ses fonctions de contenance et
un cadre de référence, une permanence, résistant aux attaques d’individuation du Soi. Le bébé peu investi se « désintéresse »
et aux épreuves : c’est « la mère qui survit », dont l’enfant peut du monde qui l’entoure, « ne lance plus de messages propres à
vérifier l’intégrité et l’indéfectibilité. Cette fonction n’est pas induire l’intérêt, le plaisir de l’adulte » [10] chargé de relayer les
appelée à évoluer qualitativement, et c’est l’acceptation d’abord soins maternels. Il n’est pas exclu que la mauvaise qualité du
inconditionnelle de la mère d’être ainsi utilisée par l’enfant qui tout premier maternage contribue aussi à conforter certains
permettrait une intériorisation de ce soutien et un recours direct traits de tempérament qui ne facilitent pas l’adaptation de
moins fréquent. Cette fonction de maintenance qui fait cruel- l’enfant à son environnement. L’irrégularité des cycles biologi-
lement défaut à l’enfant en cas de séparation intempestive, ques, les réponses de retrait face à la nouveauté, la lenteur
persiste dans les situations de carence intrafamiliale. d’adaptation et des réactions émotionnelles négatives et
intenses qui caractérisent un tempérament difficile [15] rendent
Fonction de contenance l’enfant moins apte à faire face aux manquements et défauts
d’ajustement de ses proches, qui, en retour, se sentent peu
La fonction de contenance est autrement plus complexe, si gratifiés ou incompétents. Les incompatibilités trop fortes entre
l’on prend en compte le double aspect de contenant et de le tempérament de l’enfant et les attentes déçues de sa mère, les
« conteneur » qu’elle comporte. La fonction d’enveloppe maternelle difficultés d’adaptation réciproque qui en résultent pourraient
est à entendre comme une disponibilité émotionnelle, une fournir quelques pistes de compréhension de la grande diversité
sensibilité aux affects manifestes ou latents, une tolérance aux d’évolution chez des sujets qui semblent avoir été soumis à des
mouvements pulsionnels, une capacité à protéger l’enfant des carences ou à des négligences comparables [16]. Pareillement, les
excès d’excitations, une présence attentive, calmante et prévisi- bébés prématurés ou souffrant de déficiences sensorielles ou
ble... La fonction de conteneur s’apparente, quant à elle, à la d’affections organiques se révèlent nécessairement plus vulnéra-
fonction alpha liée à la rêverie maternelle, transformant en bles aux changements de milieu ou à l’indifférence de leurs
pensée les sensations-émotions qui tourmentent le nourrisson. soignants.
Stern [14] utilise le terme d’accordage pour désigner cette
capacité de refléter par une mimique, une attitude, un geste,
l’état émotionnel de l’enfant. Cette réponse n’est pas une ■ Circonstances de survenue
simple imitation mais une interprétation mimogestuelle qui
conforte « la mise en sens » effectuée par des mots. Il y aurait de la carence
donc de prime abord un nécessaire engagement corporel du
« porte-parole » : engagement ludique et justement verbal Carences et négligences en milieu
contribuant à développer l’espace d’illusion, la transitionna-
lité..., mais il importe que cette fonction transformatrice
institutionnel
s’adapte au projet de l’enfant, l’ouvre à des modes d’expression Les carences et négligences en milieu institutionnel sont les
plus évolués, à un champ relationnel et culturel plus vaste. Il lui mieux connues. Elles sont d’abord attribuées à l’absence de la
revient de situer et introduire le référent paternel, de promou- mère, mais aussi à l’insuffisante stabilité des substituts maternels
voir d’autres modes d’échange. Cette double fonction, qui joue qui expose l’enfant à d’incessantes ruptures de lien. Malgré les
un rôle essentiel dans l’organisation psychique de l’enfant, précautions prises dans les pouponnières pour faciliter des
repose sur une participation active de la mère, et on conçoit moments d’échanges privilégiés, les bébés restent seuls la
combien diverses formes d’indisponibilité maternelle peuvent plupart du temps, peuvent vivre de « longues périodes de
en compromettre l’exercice. malaise sans réconfort » [1] ou « passent d’un désert relationnel
à des manipulations surstimulantes qu’ils ne peuvent ni
Fonction d’individuation du Soi comprendre, ni anticiper » [4]. Les occasions de plaisir partagé,
de complicité ludique, d’accordage sont trop rares. Les soignants
La fonction d’individuation du Soi suppose le souci maternel se protègent parfois de leurs propres mouvements d’investisse-
de renvoyer à l’enfant une image unifiée, le souci de conforter ment affectif en s’absorbant dans des tâches matérielles. David
son identité propre en appréciant ses exploits ou sa générosité, et Appell [17] insistent sur la multiplicité des facteurs de carence
en encourageant ses efforts d’autonomie, en témoignant de ses affective en collectivité, facteurs qui s’organisent dans « des
progrès, en mettant en récit sa vie quotidienne. À ces statuts de systèmes circulaires d’interactions à l’intérieur desquels ils
« manager » et chroniqueur s’ajoute celui d’historien, grâce tendent à s’engendrer » et à se renforcer mutuellement pour
auquel la mère contribue à tisser la trame temporelle, à inscrire former un ensemble résistant aux efforts de changement. Les
l’enfant dans la succession des générations. On conçoit com- passages d’une unité à l’autre, les hospitalisations, les échecs des
ment cette fonction se doit d’être évolutive : elle concourt à retours « à la maison » ou les ruptures des placements familiaux
renforcer chez l’enfant le sentiment plaisant d’être un individu confrontent l’enfant à des modifications radicales des styles
unique, tandis que s’accroissent les exigences à son égard alors interactifs [18] à des bouleversements préjudiciables de ses

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-208-A-85 ¶ Carences affectives et négligences graves

repères et compromettent toute possibilité de s’appuyer sur des colère et de tristesse, et manifeste sa souffrance par ses condui-
liens d’attachement secure. Même étroitement accompagnés par tes régressives ou d’opposition active face aux exigences
leurs parents, les bébés qui doivent séjourner pour de longues éducatives des adultes chargés de suppléer l’absence de sa
périodes en réanimation néonatale ou dans des unités de soins très mère [28].
spécialisées, sont soumis passivement à des « expériences
sensorielles déviantes », à des variations brutales et imprévisibles Séquelles à court terme
du niveau de stimulation, à une succession d’éprouvés corporels
débordant nécessairement leurs capacités d’intégration [19]. Les Les « séquelles » à court terme ne sont habituellement pas
contraintes de fonctionnement du monde médicotechnique face très marquées après les retrouvailles avec la mère ou l’investis-
à des enjeux vitaux gênent l’implication relationnelle des sement d’une autre figure d’attachement suffisamment fiable et
parents qui parviennent difficilement, dans un tel contexte, à disponible. Au-delà d’une période « sensitive » de quelques
assurer auprès de leur enfant leur rôle de pare-excitation et de jours, les expériences brutales de séparation pourraient cepen-
transformateur de sensations. dant prédisposer l’enfant à développer un mode d’attachement
anxieux et ambivalent [3], voire à souffrir d’une angoisse de
séparation plus ou moins invalidante [29].
Carences affectives dans le milieu familial
Les carences affectives dans le milieu familial sont souvent Séquelles à long terme
difficiles à apprécier quand les négligences graves sont au
premier plan des préoccupations des travailleurs sociaux qui Les « séquelles » à long terme sont plus hypothétiques. La
« gravitent » souvent en vain autour des « familles à problèmes morbidité psychiatrique serait plus élevée parmi les adultes
multiples » [20], issues de milieux très défavorisés [21]. Les bébés, ayant subi des deuils pendant leur enfance [3] , mais il est
plongés dans un monde chaotique, sont, certes, souvent portés probable que d’autres facteurs pathogènes concourent alors à
dans les bras, maintenus en contact étroit avec leurs mères, accentuer la fragilité des sujets concernés.
mais cette proximité physique s’accompagne rarement d’une
disponibilité psychique à leur égard. En fonction des aléas
matériels, des reconfigurations relationnelles, du hasard des ■ Manifestations cliniques
« points de chute », ces enfants sont fréquemment confiés à des
adultes de passage, pour des durées indéterminées. Cette
rattachables à une carence
discontinuité relationnelle est souvent aggravée par les place- affective insidieuse et durable
ments provisoires ou les séjours hospitaliers itératifs. Les mères
négligentes ont par ailleurs des scores de dépression assez Les registres d’expression d’une souffrance le plus souvent
élevés [22, 23]. Ce facteur supplémentaire de risque de carence torpide sont multiples et difficilement systématisables. Cepen-
affective est largement souligné par des travaux récents [24] qui dant, les troubles affectifs ou somatiques sont à comprendre
démontrent la sensibilité des bébés aux variations d’expressions comme des signes d’alarme qui témoignent directement de la
mimiques de leurs mères et l’impact négatif de la souffrance souffrance, alors que les troubles instrumentaux ou du compor-
maternelle sur la qualité des interactions. Des comparaisons tement permettent surtout de prendre la mesure des consé-
avec des dyades témoins permettent d’objectiver « les difficultés quences préjudiciables au plan du développement sociocognitif
d’ajustement mutuel » dans les dyades mères déprimées- et de la construction de la personnalité. Certaines expressions
bébés [25] qui ne semblent pas sans incidence sur « les profils sont plus ou moins probantes selon l’âge de l’enfant, la nature
communicatifs » des enfants et les processus attentionnels. Les et la durée des carences subies.
fluctuations de l’humeur de mères traversées par des angoisses
d’abandon ou des peurs archaïques exposent pareillement leurs Troubles affectifs
bébés à des discontinuités d’investissement affectif que viennent
aggraver des distorsions encore plus préoccupantes du lien Les troubles affectifs sont toujours présents chez les enfants
mère-enfant [26, 27]. les plus jeunes. L’angoisse se traduit souvent par des exigences
jugées excessives, des craintes d’abandon, une vigilance exacer-
bée à l’égard des faits et gestes de leur entourage, un besoin de
■ Expressions cliniques proximité avec l’adulte qui compromet toute initiative auto-
nome. Les enfants victimes de négligence développeraient
de la souffrance de l’enfant soumis dans près de 75 % des cas un style d’attachement anxieux/
ambivalent [11, 30].
à une carence aiguë de ses liens
affectifs privilégiés
Manifestations réactionnelles directement
provoquées par la séparation
“ Point important
Les manifestations réactionnelles directement provoquées par La dépression anaclitique décrite par Sptiz [2] reste
la séparation sont bien connues depuis les travaux de Spitz [2] d’actualité, même si les formes évoluant vers un tableau
et Bowlby [3]. Les phases de protestation puis de désespoir se d’hospitalisme sont maintenant exceptionnelles. Elle peut
rencontrent banalement chez des enfants de 12 mois à 3 ans survenir en l’absence de séparation, en cas
« éloignés de la figure maternelle à laquelle ils sont attachés et d’indisponibilité psychique de la mère qui n’offre plus à
placés auprès d’étrangers dans un lieu inconnu » [3]. Personne son bébé qu’une présence fantomatique, et s’apparente
ne saurait demeurer insensible au désarroi de jeunes enfants ainsi à une pathologie du vide relationnel.
placés à cet âge, et manifestant à « corps et à cris » leur détresse
où se mêlent angoisse, colère et chagrin, et qui peuvent
déployer une énergie farouche pour récupérer leur objet d’atta-
chement. « Le mal de placement » décrit par David [17] est plus ou L’atonie thymique, l’inertie motrice, le repli interactif et la
moins marqué selon l’âge de l’enfant, et l’insécurité qu’il a pu désorganisation psychosomatique qui caractérisent la « dépres-
éprouver depuis sa naissance. Mais dès l’âge de 16 mois, un sion blanche » du nourrisson pour Kreisler [31] en sont aussi les
enfant semble pouvoir conserver en mémoire l’image d’un principaux symptômes. Il en va de même pour le « syndrome
parent manquant et réactiver périodiquement les souvenirs des du comportement vide » survenant au cours de la seconde
expériences de bien-être qui lui sont liées. De fait, pendant année, dans un contexte de « désert » affectif où, sur le même
plusieurs semaines, l’enfant alterne souvent des moments de fond d’apathie, surviennent des moments d’excitation et

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Carences affectives et négligences graves ¶ 37-208-A-85

d’instabilité motrice. Ces différentes modalités de retrait Conduites d’inhibition globale


relationnel qui, faute de répondant du partenaire privilégié,
Les conduites d’inhibition globale prolongent parfois l’atonie
touchent les fondements du Soi, ne constituent pas une réelle
motrice du nourrisson carencé. Les enfants fonctionnant sur ce
réponse dépressive [32], qui présupposerait une possible intério-
registre restent passifs, en retrait, incapables de s’affirmer, de
risation douloureuse de la perte par un Soi constitué. La
prendre une initiative ou de satisfaire leur curiosité. Ils se
« séquelle affective » habituelle de ces pathologies du vide,
montrent parfois hyperadaptés aux attentes des adultes aux-
quand elles ont pu être réanimées par de nouvelles ouvertures
quels ils se soumettent dans une recherche constante
relationnelles est, pour Soulé [1] « une compulsion tragiquement
d’approbation [4].
masochiste à revendiquer l’affection dans des limites intoléra-
bles pour l’entourage ». Conduites d’opposition
Manifestations somatiques Les conduites d’opposition particulièrement fréquentes vers
2 ou 3 ans, chez les enfants insuffisamment soutenus dans les
Les manifestations somatiques sont évidemment l’une des phases critiques de leur processus de séparation-individuation,
composantes majeures de ces syndromes appartenant à la s’installent parfois durablement sous la forme d’un « trouble
pathologie du vide relationnel. Or, l’anorexie, la perte de poids, oppositionnel avec provocation » [39]. L’intolérance à la frustra-
les troubles du sommeil, les complications infectieuses répétées tion, le besoin d’accaparer l’attention d’autrui, le sentiment de
sont aussi des indices de gravité. Des signes flagrants de n’être jamais pris en compte qui témoignent de l’absence de
dénutrition ou de déshydratation n’ayant pas suscité l’inquié- cicatrisation des blessures narcissiques, provoquent d’inévitables
tude de l’entourage, la résolution rapide des symptômes grâce colères où s’intriquent manifestations auto- et hétéroagressives.
aux soins hospitaliers [33] , l’aplatissement de l’arrière du
crâne [34] orientent naturellement vers une situation de négli- Conduites antisociales
gence. Mais ce sont surtout les troubles psychosomatiques, comme
Des conduites « antisociales » complètent souvent ce tableau
le mérycisme, le retard de croissance, voire le « nanisme
de revendication affective maladroite. Vols, fugues, fabulations,
psychogène », spectaculairement réversibles à la faveur d’un
injures, détériorations, cruauté avec les animaux, agressions
changement d’environnement affectif, qui témoignent plus
diverses accomplis sans regret risquent d’engager ces enfants,
spécifiquement de l’ampleur des dysfonctionnements corporels
parvenus à dénier leur souffrance profonde, sur la voie de la
en lien avec le dysfonctionnement des interactions précoces. La
délinquance.
persistance fréquente d’une gloutonnerie ou de troubles sphinc-
tériens chez les enfants placés peut aussi, dans cette perspective,
être comprise comme un signe « résiduel » de carence
affective [35].
■ Incertitudes au plan
du pronostic : critères de gravité
Troubles instrumentaux et cognitifs et facteurs de protection
Les troubles instrumentaux et cognitifs, quasi constants dans
un tel contexte, sont parfois considérés comme de simples La question d’une complète réversibilité des troubles en lien
retards de développement que l’enfant sera en mesure de avec une carence affective reste posée. Même en l’absence de
compenser, si toutefois il bénéficie d’un milieu de vie plus symptômes résiduels, le développement d’un mode d’attache-
favorable. ment sécure n’est pas fréquent.

Troubles d’articulation, retards de parole Critères de gravité


et de langage
Certains critères de gravité ont été dégagés et chacun
Les troubles d’articulation, les retards de parole et de langage, s’accorde sur le caractère péjoratif des carences précoces (avant
plus ou moins marqués, s’inscrivent généralement dans la suite 1 an) et prolongées (au-delà de 6 mois), s’accompagnant de
de perturbations plus profondes de la communication, comme ruptures multiples, de négligence sévères [40], d’abus sexuels [41]
en attestent d’abord la rareté du contact visuel ou la pauvreté ou de diverses formes de distorsion relationnelle [9, 10, 28, 42].
des expressions sonores ou mimogestuelles [4]. Des troubles
spécifiques de l’apprentissage pourraient en découler Facteurs de protection
secondairement [36].
Interviendraient à l’inverse comme facteurs de protection la
Retards cognitifs qualité des premiers liens, et surtout la suppléance exercée par
Les retards cognitifs facilement « chiffrables » seraient des personnes « ressource » assurant à l’enfant un minimum
proportionnels à la durée de la carence [28]. Un écart de plu- d’investissement affectif continu. Comme y insiste Soulé [1], il
sieurs mois entre âge mental et âge réel concerne près de 70 % devient, à long terme, aléatoire « d’attribuer à la seule carence
des bébés élevés dans des conditions défavorables [4] . Les l’étiologie des troubles constatés, car la complexité de l’évolu-
progressions de l’efficience globale en cas d’évolution positive tion du développement et des conflits n’autorise pas la simpli-
masquent parfois le maintien d’un fonctionnement intellectuel cité causale ». D’autres facteurs d’environnement interfèrent
dysharmonique, de troubles d’organisation du raisonnement ou pour infléchir dans un sens favorable ou non les compétences
de processus de pensée archaïques [37]. de l’enfant [43]. D’autres ruptures relationnelles, l’absence de
soutien dans des épreuves difficiles ou au moment du « passage
Difficultés psychomotrices adolescent » contribuent parfois à réactiver un sentiment de
perte qui semblait oublié [9]. A contrario, il suffit parfois qu’un
Les difficultés psychomotrices, souvent moins apparentes, se
seul point d’appui soit offert pour éviter l’effondrement.
traduisent par des troubles du tonus, et de la coordination, une
Cyrulnik [44] rappelle que dans l’étude de Spitz, sur les
certaine maladresse mais surtout par un défaut souvent durable
123 nourrissons privés de leurs mères, 81 d’entre eux n’ont
de l’organisation temporospatiale. Subsistent parfois longtemps
présenté aucun trouble. En raison probablement d’un tempéra-
une faible capacité à se situer dans une trame temporelle, une
ment plus facile, et d’une meilleure base de sécurité affective,
instabilité psychomotrice, voire quelques rythmies
ces enfants ont pu tirer profit des rares occasions d’échanges
d’endormissement [38].
affectifs avec les adultes au moment des soins. Persistent enfin
beaucoup d’inconnues concernant les incidences neuroendocri-
Troubles du comportement niennes et neurochimiques des carences précoces. Des études
Les troubles du comportement manifestes dès le plus jeune réalisées chez les primates semblent cependant montrer l’exis-
âge sont souvent plus marqués chez les enfants plus grands et tence de perturbations durables du système sérotoninergique de
à l’approche de la puberté. jeunes singes Rhésus privés de leur mère [45].

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-208-A-85 ¶ Carences affectives et négligences graves

■ Incidences des carences affectives « abandonniques » ou « limites » une insécurité profonde, une
difficulté persistante à délimiter un espace psychique propre et,
sur les organisations pathologiques de fait, le maintien d’une économie psychique de type parasi-
taire, qui semble toujours « placée en dérivation » sur celle
de la personnalité d’autrui [56].

Pathologies limites
■ Mesures thérapeutiques
Les pathologies limites [46] pourraient constituer un risque
évolutif majeur pour les enfants ayant subi des défaillances Reconnaissance de la souffrance de l’enfant
graves de leur environnement affectif. Ce n’est certes pas une
La reconnaissance de la souffrance de l’enfant dans ses
condition suffisante, compte tenu de la résilience dont font
diverses modalités d’expression est un premier temps thérapeu-
preuve certains.
tique déterminant. L’absence de détresse manifeste dans les
formes torpides de carence risque pourtant d’en faire sous-
estimer les conséquences cliniquement moins flagrantes [10].

“ Point important
Les cliniciens rencontrent des enfants « carencés » qui
échouent à mener à bien un travail de séparation
“ Point important
psychique, qui oscillent entre angoisse d’abandon et Divers moyens d’appréciation ont été proposés pour
d’intrusion, entre avidité affective et rejet agressif d’autrui. compléter les données de l’observation. Aux tests de
Les descriptions des syndromes abandonniques [38, 47] ou Gesell [28] ou de Brunet-Lézine [27] , encore largement
des organisations anaclitiques [48] continuent d’être utilisés chez le nourrisson, se sont ajoutés divers instru-
parlantes pour les soignants qui peinent à ajuster une ments d’évaluation, comme l’échelle de Brazelton, le
bonne distance relationnelle avec des enfants « Bayley scale of infant developpement », le « test d’éva-
fonctionnant sur ce registre. luation de la communication sociale précoce » de Guidetti
et Tourette [4] ou l’échelle d’alarme détresse bébé de
Guedeney [32].
Un certain nombre d’entre eux, particulièrement marqués par
l’accumulation de ruptures de leurs liens affectifs, se trouvent
pris au hasard des mauvaises rencontres dans l’engrenage des Renforcement et amélioration qualitative
transgressions, des conduites addictives ou des actes délin- de l’offre relationnelle
quants. Certaines jeunes filles, devenues prématurément mères
risquent, faute de modèle de contenance, de désinvestir très vite Le renforcement et l’amélioration qualitative de l’offre
leur bébé et de reproduire ainsi à la génération suivante la relationnelle ne se posent pas dans les mêmes termes dans le
carence affective qu’elles ont elles-mêmes subie [1, 49]. milieu familial que dans le milieu institutionnel. Il importe
d’abord, quand les conditions le permettent, que soit tentée une
psychothérapie mère-nourrisson propre à restaurer la mutualité
Autres organisations de la personnalité des échanges. Mais la gravité de la situation de carence ou de
Les autres organisations de la personnalité sont moins négligence peut imposer le placement pour protéger l’enfant.
directement concernées par le rôle étiopathogénique potentiel Or, cette mesure de séparation sociale ou judiciaire n’est pas
des carences affectives. Il n’est cependant pas exclu que des thérapeutique en soi. Dans un tel contexte, l’enfant doit certes
séparations, des deuils ou diverses formes d’indisponibilité bénéficier d’un maternage ajusté à la nature de sa souffrance et
parentale puissent être à l’origine de la sensibilité dépressive de aux particularités de ses aménagements défensifs, mais aussi
patients par ailleurs bien structurés sur un mode névrotique [50, d’un dispositif d’écoute [57], d’accompagnement, et de soins [6].
51]. Certaines carences très précoces sont parfois responsables de Les services d’accueil familial thérapeutique [56], les jardins
spectaculaires réactions de retrait et de stéréotypies évoquant un d’enfants spécialisés [10] et diverses psychothérapies de
syndrome autistique mais l’évolution rapidement favorable groupe [58] constituent quelques-unes des réponses adaptées à la
grâce aux capacités de contenance des soignants permet d’écar- prise en charge coordonnée de ces situations complexes.
ter cette éventualité [52]. La discussion reste plus ouverte pour
certains tableaux de dysharmonies évolutives graves survenant
dans un contexte évident de carences affectives précoces et
■ Mesures préventives
prolongées [1]. Enfin, le retard du développement intellectuel
fréquent dans les carences « institutionnelles » a naturellement
Lutte contre les facteurs de carences
fait craindre un risque d’organisation déficitaire qui ne se profile au sein des structures d’accueil
réellement, là aussi, qu’en cas de carence sévère et durable. La lutte contre les facteurs de carences au sein des structures
d’accueil des jeunes enfants a incontestablement porté ses fruits.
Le personnel des pouponnières, averti des risques encourus par
■ Discussion psychopathologique les enfants placés, s’efforce de développer une « relation
privilégiée, stable et fiable » [10] avec chacun d’entre eux.
Le débat théorique [53] opposant la conception de Spitz [2] sur L’intérêt d’individuer chaque bébé en valorisant son activité
la perte de l’objet libidinal et celle de Bowlby [3] sur la perte de spontanée a été particulièrement démontré par les travaux
l’objet d’attachement a perdu de son actualité avec les nom- d’Emmi Picler à la fondation Loczy [59]. La présence de psycho-
breux travaux explorant la complexité des interrelations logues formés à l’observation du nouveau-né auprès des équipes
précoces. Comme on l’a vu, le nourrisson peut souffrir de de soins précoces se révèle très souvent utile pour mieux
carence affective sans être physiquement séparé de sa mère, s’il « penser bébé » dans la durée [19, 60].
ne bénéficie pas suffisamment de sa fonction de contenance.
C’est surtout l’absence de mutualité dans les échanges qui Interventions préventives
pourrait provoquer « une sous-alimentation narcissique pri-
maire » [53], faire obstacle à l’élaboration de la position dépres- auprès des « familles à risque »
sive [54] et compromettre durablement le travail de séparation Les interventions préventives auprès des « familles à risque »
psychique. En résulterait pour ces enfants « carencés » [55] , restent difficiles à mettre en œuvre, malgré les efforts déployés

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Carences affectives et négligences graves ¶ 37-208-A-85

par les services de PMI, et les dispositifs de soutien à domicile. [18] Golse B. Carences affectives. In: Ferrari P, Epelbaum C, editors. Psy-
Des psychothérapies mère-nourrisson ont pourtant été tentées chiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Flammarion; 1994.
dans les familles à problèmes multiples [61]. Une identification p. 110-5.
positive au regard d’un thérapeute, parfois suscitée à l’occasion [19] Lamour M, Gozlan-Lonchampt A, De Vriendt-Goldman C. Attention,
des séances hebdomadaires d’observation du nourrisson à bébé : Naissance de la vie psychique chez le nourrisson hospitalisé. In:
domicile, ouvre des perspectives prometteuses [62]. L’aide à la Cupa D, Lebovici S, editors. En famille, à l’hôpital, le nourrisson et son
parentalité peut en effet porter ses fruits en cas d’alliance environnement. Paris: La Pensée sauvage; 1997. p. 204-25.
authentique, mais force est d’admettre qu’il y a parfois « un [20] Diatkine G. Familles sans qualités : les troubles du langage et de la
risque d’acharnement à vouloir qu’une relation mère-enfant pensée dans les familles à problèmes multiples. Psychiatrie Enf 1976;
s’établisse » alors que tout démontre que ce projet est voué à 22:237-73.
l’échec [63]. Certains préconisent de mener des actions préven- [21] Piquard A, Capiermont G, Oberlin O. À la rencontre de l’enfant de
milieu très défavorisé ou ambiguïté du regard psychiatrique sur « ces
tives auprès des jeunes couples, voire des adolescents en leur
gens-là ». Psychiatrie Enf 1987;30:167-207.
qualité de futurs parents. Un certain travail psychologique
[22] Gaudin JM, Polansky NA, Kilpatrick AC. Loneliness, depression,
paraît en effet possible avec des adolescentes « difficiles » à la
stress and social supports in neglectful families. Am J Orthopsychiatry
faveur des changements qui s’opèrent au moment de leur accès 1993;63:597-605.
à la parentalité. [23] Dayan J. Carences affectives. In: Dayan J, editor. Psychopathologie de
la périnatalité. Paris: Masson; 2003. p. 351-9.
■ Conclusion [24] Marcelli D, Tourette C, Kasoloter Péré MA, Boinard S. Une mère dépri-
mée observe son bébé. Étude sur la recherche d’indices
comportementaux différenciateurs de mères déprimées et de mères
La délimitation du champ des carences affectives et des
témoins dans la période néonatale. Psychiatrie Enf 2000;43:541-86.
négligences graves reste difficile alors que chacun s’accorde sur [25] Tourette C, Marcelli D, Boinard S, Kasolter-Pere A, Barbe V, Crete MF.
la gravité potentielle de leur retentissement sur l’ensemble de Des interactions comportementales dans la première année aux
l’organisation psychique de l’enfant. Aussi, convient-il de bien interactions verbales à 3 ans : les dyades mère déprimée-bébé se
connaître les divers registres d’expression de la souffrance distinguent-elles des autres? Psychiatrie Enf 2000;43:509-39.
induite par une perte ou un défaut de mutualité dans les [26] Lamour M, Barraco M. Perturbations précoces des interactions parents-
interrelations précoces, pour tenter de les pallier au plus vite. nourrisson et construction de la vie psychique. Le jeune enfant face à
Comme le souligne Cyrulnik [44], « l’avenir est moins sombre une mère psychotique. Psychiatrie Enf 1995;38:529-54.
quand on dispose autour de l’enfant quelques tuteurs de [27] Berger M. La spécificité du travail clinique en protection de l’enfance.
développement ». Encore faut-il le faire sans tarder pour qu’il ait Lettre API 2005;20:1-6.
à nouveau toutes ses chances de devenir un adulte épanoui et [28] Aubry J. La carence de soins maternels. Paris: Nouvelle Bibliothèque
un parent attentif. Universitaire, édition de la Parole; 1965.
.
[29] Bailly D. L’angoisse de séparation. Paris: Masson; 1996.
[30] Finzi R, Cohen O, Sapir Y, Weizman A. Attachment styles in maltreated
■ Références children: a comparative study. Child Psychiatry Hum Dev 2000;31:
113-28.
[1] Soulé M. La carence de soins maternels et ses effets. In: Lebovici S, [31] Kreisler L. Les inorganisations structurales du jeune enfant, conséquen-
Diatkine R, Soulé M, editors. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant ces des carences affectives précoces. In: Lebovici S, Weil-Halpern F,
et de l’adolescent. Paris: PUF; 1999. p. 2529-48. editors. Psychopathologie du bébé. Paris: PUF; 1989. p. 353-7.
[2] Spitz RA. Maladies de carence affective chez le nourrisson. In: De la [32] Guedeney A. Dépression et retrait relationnel chez le jeune enfant :
naissance à la parole, la première année de la vie. Paris: PUF; 1973. analyse critique de la littérature et propositions. Psychiatrie Enf 1999;
p. 206-18. 42:299-331.
[3] Bowlby J. Attachement et perte. Paris: PUF; 1978 [Vol I (L’attache- [33] Epelbaum C. Maltraitance et sévices à enfant (hors abus sexuels). EMC
ment), Vol II (La séparation)]. (Elsevier Masson, Paris), Psychiatrie, 37-204-H-15, 1999 : 7p.
[4] Spira A, Scippa L, Berthet C, Meuret C, Besozzi R, Cramer B. [34] Kernberg P. Le lien chez l’enfant présentant des troubles antisociaux.
L’hospitalisme en l’an 2000, Développement psychologique d’enfants J Psychanal Enf 1998;23:212-31.
dans un orphelinat roumain. Psychiatrie Enf 2000;43:587-646. [35] Winnicott DW. La tendance antisociale. In: De la pédiatrie à la psy-
[5] Marcelli D. Carence affective. In: Psychopathologie de l’enfant. Paris: chanalyse. Paris: Payot; 1956. p. 175-84.
Masson; 1996. p. 434-42. [36] Cahn R. Défaut d’intégration primaire et inhibition des apprentissages
[6] Berger M. L’échec de la protection de l’enfance. Paris: Dunod; 2003. instrumentaux et cognitifs. Rev Fr Psychanal 1972;36:955-71.
[7] Bender L. Psychopatic behavior disorders in children. In: Lindner RM, [37] Gibello B. L’enfant à l’intelligence troublée. Paris: Le Centurion; 1984.
Seliger RV, editors. Handbook of correctional psychology. New York: [38] Lemay M. J’ai mal à ma mère. Paris: Fleurus; 1985.
Philosophical Library; 1947. [39] Mille C, Guyomard C, Niesen N. Évolution des formes
[8] Goldfarb W. Effects of psychological deprivation in enfancy an psychopathologiques et des modalités d’accès aux soins en
subsequent stimulation. Am J Psychol 1945;102:18-33. pédopsychiatrie. Inf Psychiatrique 2003;79:675-82.
[9] Ainsworth MD. Les répercussions de la carence maternelle. Faits [40] Mouhot F. Étude du devenir de 18 enfants ayant séjourné en maison
observés. Controverses dans le contexte de la stratégie des recherches. maternelle avec leur mère. Psychiatrie Enf 1998;41:563-77.
Cah OMS 1961;14:95-158. [41] Verhulst FC. Les enfants adoptés à l’étranger : étude longitudinale sur
[10] David M. Carences maternelles précoces. In: David M, editor. Le pla- l’adoption aux Pays-Bas. Psychiatrie Enf 2000;43:647-67.
cement familial. De la pratique à la théorie. Paris: ESF; 1989. p. 37-46. [42] O’Connor T, Bredenkamp P, Rutter M. Attachment disturbances and
[11] Hildyart KL, Wolfe DA. Child neglect: developmental issues and disorders in children exposed to early severs deprivation. Infant Ment
outcomes. Child Abuse Negl 2002;26:679-95. Health J 1999;20:10-29.
[12] Marcelli D, Nadel J, Roubira JC. Interactions mère déprimée-bébé (âgé [43] Dumaret AC, Duyme M, Tomkiewicz S. Développement intellectuel et
de 2 mois). Étude à partir d’un protocole vidéoscopique en direct et en facteurs de risque péri- et postnatals parmi deux groupes d’enfants
différé. Psychiatrie Enf 1997;40:505-31. carencés à QI contrastés. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1996;44:6-21.
[13] Mille C, Cassagne C, Moroy F, Roquilly F. Approches [44] Cyrulnik B. Un merveilleux malheur. Paris: Odile Jacob; 1995.
psychodynamiques et psychopathologiques du travail de séparation de [45] Shannon C, Schwandt ML, Champoux M, Shoaf SE, Suomi SJ,
l’enfance à l’adolescence. Neuropsychiatrie Enf 1994;42:348-68. Linnoila M, et al. Maternal absence and stability of individual
[14] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Une perspective differences in CSF 5-HIAA concentrations in Rhesus monkey infants.
psychanalytique et développementale. Paris: PUF; 1989. Am J Psychiatry 2005;162:1658-64.
[15] Purper-Ouakil D, Mouren-Simeoni MC. Tempérament, vulnérabilité et [46] Mises R. Pathologies limites de l’enfance. EMC (Elsevier Masson SAS,
psychopathologie. In: Bailly D, editor. Psychiatrie de l’enfant et de Paris), Psychiatrie, 37-201-A-30, 1994 : 5p.
l’adolescent. Paris: Doin; 2002. p. 147-57. [47] Guex G. Le syndrome d’abandon. Paris: PUF; 1973.
[16] Loutre-du Pasquier N. Le devenir d’enfants abandonnés, le tissage et le [48] Mazet P, Houzel D. Les organisations anaclitiques. In: Psychiatrie de
lien. Paris: PUF; 1981. l’enfant et de l’adolescent. Paris: Maloine; 1996. p. 325-9.
[17] David M, Appell G. Facteurs de carence affective dans une poupon- [49] Gaspari Carriere F. Les enfants de l’abandon. Traumatismes et déchi-
nière. Psychiatrie Enf 1962;7:407-42. rures narcissiques. Paris: Privat; 1989.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-208-A-85 ¶ Carences affectives et négligences graves

[50] Anzieu A. La mère absente. Reconstruction de l’enfant déprimée au [57] Eliachef C. À corps et à cris. Être psychanalyste avec les tout-petits.
cours de la cure de femmes adultes. J Psychanal Enf 1993;13:155-73. Paris: Odile Jacob; 1994.
[51] Duchesne N, Chabalier R. Les carences affectives et leur répercussion [58] Gutfreind C. La psychothérapie de groupe à travers les contes : une
psychiatriques à l’âge adulte. Psychol Méd 1993;25(n°spécial):1061-3. expérience clinique avec les enfants placés en foyer. Psychiatrie Enf
[52] Rutter M, Andersen-Wood L, Beckett C, Bredenkamp D, Castle J, 2002;45:207-45.
Groothues C, et al. Quasi-autistic patterns following severe early global [59] David M, Appell G. Loczy ou le maternage insolite. Paris: édition du
privation. English and romanian adoptees (ERA) Study Team. J Child Scarabée; 1973.
Psychol Psychiatry 1999;40:537-49. [60] Mauvais P. L’observation dans les lieux d’accueil de l’enfance et de la
[53] David M, Harnisch D, Kreisler A, Harnisch R. Recherche sur les nour-
petite enfance. Réflexions sur le rôle du psychologue dans l’équipe.
rissons de familles carencées. Psychiatrie Enf 1984;27:175-222.
[54] Klein M. Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco- Psychiatrie Enf 1995;38:247-309.
dépressifs. (1934). In: Essais de psychanalyse. Paris: Payot; 1974. [61] Stoleru S, Moralès-Huet M. Psychothérapies mère-nourrisson dans les
p. 311-40. familles à problèmes multiples. Paris: PUF; 1989.
[55] Dardenne P, Appel G, Cartry J. Les carences affectives précoces. [62] Houzel D. Les applications thérapeutiques de l’observation directe
Neuropsychiatrie Enf 1983;31:97-115. dans le champ de la psychiatrie. Devenir 1994;6:79-86.
[56] Mille C. Le travail de séparation psychique à l’épreuve de l’accueil [63] Mouhot F. Séparations parents/enfant : impact de l’âge des enfants sur
familial thérapeutique. Accueil Familial Rev 2006;17:25-30. leur évolution. Psychiatrie Enf 2003;46:609-30.

C. Mille (mille.christian@chu-amiens.fr).
T. Henniaux.
Consultation de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, CHRU, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens cedex 1, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Mille C., Henniaux T. Carences affectives et négligences graves. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-208-A-85, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-208-A-17

Enfants déficients visuels


E. Lisack-Schwindenhammer, S. Dechaud, N. Fitton, A.-M. Sliman

Nous montrons les répercussions de la déficience visuelle sur le développement de l’enfant : la vue a une
place particulière dans les interactions et donc dans la relation au monde de tout enfant. Il est important
de prendre en considération non seulement l’intensité de la déficience visuelle mais aussi le degré de
gravité de l’atteinte fonctionnelle et le fait qu’elle soit ou non congénitale. Après l’évocation des
différentes pathologies responsables d’une atteinte de la vision, nous abordons les conséquences
psychopathologiques de la déficience visuelle sur l’accordage parents-enfant. Il est essentiel de proposer
aux mères de bébés déficients visuels un espace de parole, et de les aider à investir d’autres sensorialités
pour permettre à leur enfant d’avoir l’illusion, comme tout enfant, de créer son propre langage. Une place
importante est consacrée à l’adolescent déficient visuel qui doit aborder cette période de sa vie et
l’appropriation de son autonomie dans ce contexte particulier. Les différentes rééducations et techniques
palliatives sont abordées et en conclusion nous insistons sur l’importance d’un accompagnement
psychologique et pluridisciplinaire des enfants déficients visuels et de leurs parents.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Cécité ; Amblyopie ; Vision fonctionnelle ; Champ visuel ; Blindisme ; Orthoptie ; Locomotion ;
Aide à la vie journalière ; Braille

Plan Les termes qui s’y réfèrent se retrouvent dans nombre d’expres-
sions qui, souvent, renvoient soit au plaisir (voir la vie en rose,
faire les yeux doux, etc.) soit à la toute-puissance (fusiller du
¶ Introduction 1
regard, dévorer des yeux, etc.). Il va donc de soi que l’atteinte
¶ Intensité de la déficience visuelle 1 des capacités visuelles d’un enfant a des conséquences non
¶ Âge d’apparition de la déficience visuelle et différents types seulement sur le plan organique, mais aussi sur les interactions
de pathologies 2 parents-enfant, et de fait sur la relation au monde de cet enfant
Pathologies congénitales ou du tout début de la vie 2 déficient visuel.
Pathologies acquises 2 Plusieurs éléments nous semblent devoir être pris en considé-
¶ Conséquences psychologiques et psychopathologiques 3 ration sur le plan pathologique et psychopathologique, dans la
Incidences perceptivomotrices et cognitives de la déficience prise en charge d’un enfant déficient visuel et l’accompagne-
visuelle précoce 3 ment de sa famille :
Annonce de la déficience visuelle et ses conséquences • l’intensité de la déficience visuelle ;
psychopathologiques 3 • le moment d’apparition de cette déficience visuelle (atteinte
congénitale/pathologie acquise) ;
¶ Rééducations et techniques palliatives 5
• le type de pathologie (l’évolutivité ou non de la déficience
Orthoptie 5
visuelle, l’engagement ou non du pronostic vital).
Rééducation psychomotrice 5
Éducation et/ou rééducation en locomotion 5
Aide à la vie journalière (AVJ) 6 ■ Intensité de la déficience visuelle
Braille 6
Structures de soins 6 Dans le cadre de la déficience visuelle, il faut distinguer deux
Déficience visuelle et scolarisation 6 catégories de handicap visuel : le sujet aveugle et le sujet
Conclusion 6 amblyope. Le mot « aveugle » vient du latin ab oculis, privé
d’yeux, expression qui a éliminé le mot caecus repris dans la
formation savante « cécité ». Le terme grec ambluôpos, de vue
faible, a donné le mot « amblyope ».
■ Introduction Sont atteints de cécité complète les sujets dont la vision est
nulle au sens absolu du terme avec abolition de la perception de
La vue occupe une place particulière parmi les sens, puisque la lumière. Sont considérés comme atteints de quasi-cécité ceux
80 % des informations que nous traitons sont visuelles. La dont l’acuité visuelle du meilleur œil est égale ou inférieure à
vision nous permet d’interagir sur notre environnement dont 1/20 après correction ou dont le champ visuel est inférieur à 20°
elle autorise l’appréhension à distance, et c’est le feedback visuel dans le secteur le plus étendu [1]. Les aveugles ainsi définis ont
qui apporte rapidité et précision dans l’action, motrice ou droit à la mention « cécité » sur leur carte d’invalidité. L’ensem-
psychique. La vue est un sens particulièrement investi fantas- ble des études statistiques s’accorde pour trouver une proportion
matiquement, certainement en lien avec les mythes antiques. d’aveugles congénitaux de 1/10 000 naissances [1] dans les pays

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-208-A-17 ¶ Enfants déficients visuels

dits « développés », proportion bien supérieure dans les pays du Glaucome congénital
tiers-monde du fait de pathologies infectieuses, de carences Une malformation gênant la circulation de l’humeur aqueuse
nutritionnelles et de pathologies génétiques liées à la dans la chambre antérieure et postérieure de l’œil provoque une
consanguinité. hypertension intraoculaire. Les premiers signes cliniques en sont
Les amblyopes ont une acuité visuelle, après correction, le larmoiement, une photophobie, une mégalocornée et/ou une
comprise entre 3/10 et 1/20 [1]. Ces définitions recouvrent une buphtalmie.
grande disparité d’atteintes visuelles et ne prennent pas en
considération le degré de gravité de l’atteinte fonctionnelle : or, Rétinoblastome
à acuité visuelle égale, la vision fonctionnelle sera très différente
C’est une tumeur maligne intraoculaire rare de l’enfant, qui
selon qu’il y a atteinte sur un seul œil ou sur les deux yeux
peut être uni- ou bilatérale, révélée par une leucocorie ou un
(possibilité de vision binoculaire ou non), selon le type
strabisme.
d’atteinte du champ visuel et selon l’utilisation effective que
chaque enfant en fera. Syndromes malformatifs
L’atteinte du champ visuel, due à une destruction progressive
des cellules de la rétine ou à une atteinte du nerf optique, peut Ils peuvent être d’origine génétique ou non. Ils touchent soit
être soit centrale (et entraîner une baisse rapide de l’acuité exclusivement l’œil ou les voies optiques (microphtalmie,
visuelle avec une perte de capacité à la discrimination – gêne à anophtalmie), soit s’inscrivent dans un syndrome polymalfor-
la lecture, aux travaux de précision –) ; soit périphérique, avec matif (exemple : le syndrome de Fraser, associant une absence
un champ visuel tubulaire (particulièrement pénalisant dans les de fentes palpébrales avec anophtalmie ou microphtalmie
déplacements mais qui permet longtemps la conservation de la sévère, des malformations de l’appareil auditif, des anomalies
lecture « en noir ») ; soit annulaire, associant une atteinte urinaires ainsi que d’autres organes).
centrale et une atteinte périphérique avec la conservation d’une
zone de vision entre les zones atteintes ; soit amputée par Séquelles de souffrances anté- ou néonatales
quadrant ou par moitié (quadranopsie-hémianopsie) ; soit Elles peuvent être responsables de l’atteinte des aires cortica-
morcelée par des atteintes lacunaires multiples comme un les de la vision (anoxie néonatale) ou d’une atteinte périphéri-
puzzle dont on aurait enlevé plusieurs pièces. que (oxygénation des prématurés).

■ Âge d’apparition de la déficience Pathologies infectieuses anténatales


Il s’agit de la toxoplasmose, de la rubéole, de la varicelle, de
visuelle et différents types la grippe, etc.
de pathologies
La cécité ou la déficience visuelle peuvent être congénitales Pathologies acquises
ou acquises. Les plus fréquentes peuvent être regroupées de la façon
suivante.
Pathologies congénitales ou du tout début
de la vie Pathologies tumorales
Pathologies génétiques Sauf dans le cas du rétinoblastome, qui est une pathologie
héréditaire, elles surviennent chez un enfant dont le dévelop-
Elles s’expriment le plus souvent dès la naissance. Leur pement était jusqu’alors normal. Il n’est pas rare que le dia-
gravité en est variable selon l’atteinte visuelle et selon qu’elles gnostic de neurofibromatose de type 1 soit posé à la découverte
s’inscrivent ou non dans un syndrome polymalformatif. d’un gliome des voies optiques. Trois éléments ont une impor-
Comme toutes les pathologies de la petite enfance, elles tance particulière dans l’accompagnement de ces familles :
interviennent dans l’accordage mère-enfant [2] et l’étiologie • l’effet de sidération dans lequel se trouvent les parents devant
génétique prend une place particulière dans l’inscription de cet ce qui est pour eux « une catastrophe ». Toutes les familles
enfant dans une filiation. Après René Kaës [3], Ciccone [4, 5] a disent, même longtemps après le diagnostic, que leur vie a
exploré la notion de « fantasme de transmission » : la confron- basculé. L’engagement du pronostic vital (que l’on retrouve
tation avec le handicap attaque le lien généalogique, généra- dans les souffrances néonatales graves) mobilise chez le jeune
tionnel. Le handicap produit une rupture dans le lien de l’angoisse d’une mort imminente et, chez les parents, des
filiation, mais permet aussi « la suture de cette rupture » : mouvements de surinvestissement et de désinvestissement
l’enfant handicapé est reconnu par ses proches à la fois comme contradictoires et parallèles ;
étranger et comme des leurs dans la recherche de représenta- • les traitements subis par l’enfant (chirurgie, chimiothérapie,
tions transgénérationnelles. Parmi les pathologies génétiques, on radiothérapie) sont complexes, douloureux, mutilants pour
décrit les suivantes. certains, la mutilation étant parfois la seule issue face au
Rétinopathies pronostic vital (l’énucléation dans le traitement du rétino-
blastome ; la section des voies optiques dans le traitement
Atteintes évolutives des cellules rétiniennes, elles aboutissent,
chirurgical d’un gliome). Le corps de l’enfant devient un lieu
après une baisse progressive de la vision, à la cécité qui peut
de souffrance, manipulé par les soignants et le savoir médical
intervenir soit dès l’adolescence, soit à l’âge adulte, voire même
et les parents évoquent leur difficulté à investir dans une
tardivement. Certaines sont isolées, d’autres s’inscrivent dans un
bonne distance cet enfant dont on leur a dit qu’il risquait de
syndrome à expressions multiples comme le syndrome de
mourir. Les séquelles autres que la déficience visuelle sont
Bardet-Biedl associant en général une rétinopathie, une hexa-
fréquentes (déficience intellectuelle, panhypopituitarisme) et
dactylie, une déficience intellectuelle modérée à moyenne, une
participent du sentiment d’étrangeté qui s’instaure entre
surcharge pondérale, une possibilité d’atteinte rénale. Ce sont
l’enfant et ses parents ;
souvent les signes cliniques associés qui conduisent au diagnos-
• le risque de récidive renforce les mouvements d’investisse-
tic dès la toute petite enfance (exemple : un rein anormal repéré
ment contradictoires des parents et l’ambivalence du lien.
à l’échographie anténatale) ; les rétinopathies simples sont en
revanche diagnostiquées plus tard, lorsque l’enfant se trouve en Pathologies traumatiques
difficulté en vision nocturne ou dans ses réalisations (à l’école
maternelle ou au début de l’école primaire). Elles sont essentiellement séquellaires d’accidents domesti-
ques ou de la circulation avec traumatisme crânien grave.
Cataractes congénitales Comme nous l’avons noté plus haut, on retrouve dans ces
Il s’agit d’une opacification totale ou partielle du cristallin dès pathologies l’effet de sidération lié à l’irruption de la déficience
la naissance. visuelle chez un enfant. Cependant, la déficience visuelle n’est

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Enfants déficients visuels ¶ 37-208-A-17

souvent qu’un aspect du handicap et sa prise en charge s’inscrit comportements que l’on retrouve chez les enfants psychotiques
dans une rééducation plus globale. Dès lors que la responsabilité s’inscrivent ici dans la recherche d’un flux continu de stimula-
d’un des parents est engagée, la dynamique familiale se trouve tion pour combler le vide laissé par la cécité ; ils cessent
perturbée avec une fragilisation du couple parental qui peut généralement dès que l’enfant rentre en relation ou dans une
aboutir à une explosion de la cellule familiale. activité. Il est important cependant d’être vigilant et d’évoquer
Parmi les pathologies traumatiques, il nous faut aussi citer le un trouble de la personnalité dès lors que ces comportements
syndrome de Silverman et bébés secoués de Caffey, la déficience sont excessifs, que leur intensité entrave la relation ou qu’ils
visuelle pouvant être l’une des séquelles d’un hématome s’associent à d’autres symptômes évocateurs.
sous-dural. L’absence de prise de repères visuels chez les enfants aveugles
congénitaux entraîne un retard important dans les opérations
Pathologies infectieuses de l’enfance concrètes « infralogiques » : conservation de la quantité de
matière indépendamment de la forme de celle-ci, représentation
Il s’agit des méningites, des encéphalites, des maladies
des déplacements dans l’espace, notion qui jouera un rôle
nosocomiales, etc. et plus particulièrement, dans les pays du
essentiel dans la représentation mentale que le jeune aveugle
tiers-monde, de la rougeole, du trachome, des conjonctivites
congénital a de son environnement et donc de ses possibilités
chroniques non traitées.
de déplacement en autonomie. Les études de Millar [15, 16],
Rieser [17] , Hatwell [18, 19] ont montré que le sujet aveugle
■ Conséquences psychologiques congénital organise l’espace à partir de son corps propre et non
pas à partir de l’espace visuel qui l’entoure ; un voyant privé de
et psychopathologiques vue s’appuie sur des représentations visuelles spatiales pour
améliorer sa prise de repères tactiles. De même un enfant qui a
vu, même s’il n’en garde pas de souvenir visuel conscient, a
Incidences perceptivomotrices et cognitives plus de facilités dans la prise de repères spatiaux que l’aveugle
de la déficience visuelle précoce de naissance qui montre un manque d’orientation adéquate
Le seul vrai aveugle, sur le plan psychique, est l’enfant dans l’espace [20]. On retrouve cette difficulté de la maîtrise des
aveugle congénital, dont les aires corticales visuelles n’ont relations entre le spatial et le temporel [21] dans le développe-
jamais été sensibilisées. En effet, même si la perte de la vision ment du langage : le vocabulaire à forte connotation visuelle ne
intervient dès le plus jeune âge, les traces indélébiles de la prend que difficilement sens chez l’aveugle congénital (les
coordination oculomotrice demeurent, en absence de vision. couleurs, la lumière, des espaces vastes comme une place, être
L’enfant n’est alors pas considéré comme aveugle congénital. Le caché – un objet mis sous un verre transparent est caché pour
modèle théorique de l’ « Analyse des systèmes » développé par l’enfant aveugle –, etc.) et peut être employé sans être réelle-
von Bertalanffy en 1968 [6] et repris par Portalier [7] explicite les ment investi de sens (« verbalisme » [22]). Urwin [23] a aussi
deux types de système différents selon que la sensorialité pointé le manque de pertinence dans l’utilisation des expres-
déficitaire a déjà été utilisée ou non : chez l’aveugle secondaire, sions sociales.
il y a seulement modification des interactions intrasystémiques
sensorielles, alors que chez le sujet aveugle congénital, il y a Annonce de la déficience visuelle
mise en place d’un traitement de l’information totalement et ses conséquences psychopathologiques [2,
différent, l’équilibre du système étant assuré par l’interaction 24-27]
des sens autres que la vision. Reuchlin [8, 9] et Ohlman [10] ont
par ailleurs développé la « théorie de la vicariance sensorielle »
selon laquelle un sujet présentant une déficience sensorielle
Importance de l’annonce
évoque plus facilement les autres possibilités sensorielles mises Quel que soit le moment de l’annonce de la déficience
à sa disposition. Le développement de l’enfant aveugle ne se fait visuelle et en particulier de la cécité, cette annonce fait effrac-
donc pas comme celui d’un enfant « normal » avec la vue en tion dans le psychisme parental. Tous les auteurs s’accordent
moins, mais sur des bases intégrant la déficience visuelle, dans pour dire que l’annonce du handicap, ici du déficit visuel, est
sa spécificité (congénitale/acquise - partielle/totale). un moment dramatique pour les parents : elle provoque une
Les conduites motrices du nourrisson aveugle précoce diffè- blessure narcissique qui les disqualifie dans leur « être parents »,
rent de celles du nourrisson voyant dès l’âge de trois ou quatre un traumatisme qui marque profondément la relation parents-
mois : Bullinger et Mellier [11] ont montré que le nourrisson non enfant et plus particulièrement les processus d’accordage et
voyant investit plus tardivement ses mains, qu’il les garde d’attachement lorsque ce diagnostic est posé au tout début de
quelquefois jusqu’à un âge plus avancé enfoncées dans la la vie. Ben Soussan [24] parle d’une rupture dans le temps, entre
bouche ou les yeux, alors qu’il continue à agiter les jambes « un avant et un après ».
comme un nouveau-né. L’absence de lien visuel avec les objets Les progrès de l’imagerie médicale permettent parfois un
éloignés ne stimule pas chez ces enfants une activité motrice et diagnostic anténatal qui provoque un arrêt de l’élaboration
exploratrice comme chez le nourrisson voyant et certains fantasmatique de la grossesse, et confronte les parents à un
d’entre eux gardent, de longs moments, leurs bras et leurs choix impossible, nécessitant un accompagnement psychologi-
mains repliés sur le corps, avec une motricité du bout des doigts que, entre une interruption de grossesse et l’accueil d’un enfant
de type néonatal. Par ailleurs ces nourrissons, privés de stimu- différent [28]. L’annonce dans le temps de la périnatalité a l’effet
lation visuelle, restent plus longtemps hypotoniques et déve- traumatique le plus marqué, et agit comme un trauma privilégié
loppent plus tardivement la motricité volontaire, et son sur l’unité duelle mère-enfant [29], entravant les deux fonctions
corollaire, l’exploration motrice : le « quatre pattes » n’intervient maternelles de protection et de stimulation : c’est ainsi que le
que vers 1 an/18 mois, voire n’est jamais acquis chez les nombre d’enfants présentant des troubles psychotiques parmi
nourrissons aveugles complets (car il prive ces enfants de les enfants aveugles de naissance est proche de 50 % [25] (dont
l’utilisation des bras pour explorer l’environnement et détecter 25 % à 30 % d’enfants autistes).
les obstacles), et la marche autonome n’est habituellement pas De nombreuses études autour de la notion d’interaction ont
acquise avant 18 mois, voire 3 ans [12]. En revanche, de nom- montré l’importance de la communication par le regard dès les
breux items du développement sensorimoteur sont réussis aux premières semaines de la vie [2, 26]. Lors de l’allaitement (au sein
mêmes âges par les bébés aveugles et voyants (« redresse la ou au biberon), les nourrissons fixent le visage de leur mère et
tête », « se retourne sur le ventre », « marche trois pas, tenu par s’approprient dans le miroir du regard maternel la nourriture
la main », etc. [13, 14]). Par ailleurs, les différents auteurs notent affective qui leur permet la construction de leur identité
la présence fréquente chez les enfants aveugles congénitaux de psychique. Dans la spirale des interactions, la mère se sent
« conduites stéréotypées » désignées par le terme de blindismes : investie et reconnue par son enfant dans ce dialogue œil à œil.
balancements de la tête et du tronc, doigts ou poings enfoncés Pour Robson [30] , ce dialogue qui constitue le moteur des
dans les yeux, écholalie, frottement d’une main, etc. Ces interactions précoces, et donc des processus d’attachement,

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-208-A-17 ¶ Enfants déficients visuels

déclenche chez la mère des conduites de stimulation multisen- Adolescent déficient visuel
sorielles, tactiles, auditives, olfactives, kinesthésiques qui se
Une place particulière doit être donnée à l’adolescent défi-
développeront ultérieurement. L’absence de ce regard mutuel
cient visuel.
entraîne une distorsion dans la dyade mère-enfant : la cécité
Tout adolescent doit intégrer des modifications corporelles,
renvoie le voyant au noir, à l’angoisse, à la mort et elle est, de
affectives, intellectuelles qui lui permettent à terme d’acquérir
même que la déficience visuelle grave, très souvent synonyme
l’autonomie nécessaire à sa vie d’adulte [36]. Actuellement, cette
pour la mère de séparation et de déliaison des différentes
élaboration se fait rarement dans l’isolement du jeune, mais
sensorialités. Les parents se sentent alors dans l’incapacité
essentiellement dans l’appartenance à un groupe de pairs et
d’apporter à leur enfant les attentions et les soins habituels dans dans la différenciation entre le groupe d’adolescents et le
le plaisir d’un échange partagé ; ils ne peuvent regarder cet monde des adultes. Nous pouvons mesurer la difficulté d’un
enfant qui ne les voit pas, et ne peuvent initier non plus de adolescent dont l’environnement visuel (et donc l’image
dialogue corporel ou sonore avec l’enfant. Il est essentiel de renvoyée par le miroir) est inexistant, ou flou, ou morcelé par
soutenir très tôt les échanges multisensoriels entre le nourrisson une perception partielle, à se sentir dans l’identification « au
déficient visuel et ses parents car des interactions précoces même ». L’ajustement au groupe de pairs est particulièrement
perturbées sont souvent suivies d’anomalies développementales complexe et les relations adulte-jeune et bien sûr parents-jeune
et comportementales [31] . Sans soutien psychologique, les prennent une place essentielle dans l’incitation à l’autonomie
parents, prisonniers de leur névrose traumatique, vivent l’enfant du jeune déficient visuel. Il est d’autant plus important d’expri-
non voyant comme privé d’un espace psychique créatif et mer à l’adolescent déficient visuel ce qu’il induit dans son être,
l’enferment dans la répétition : mêmes jeux jugés non dange- qu’aucun miroir ne peut lui en renvoyer un écho : son corps se
reux, mêmes stimulations corporelles, mêmes mots ou locutions modifie sans qu’il puisse le voir changer, et de même il ne voit
répétés sans que l’enfant n’ait l’espace de créer et de faire pas le corps de ses pairs évoluer. Le regard a une place particu-
évoluer son propre langage. Comme l’a montré la recherche de lière dans les échanges entre adolescents pour repérer l’autre,
Rogers et Puchalski [32], le développement de l’attachement l’observer, le séduire. C’est certainement le moment de la vie où
dépend des modes d’interaction à l’intérieur de la dyade parent- il est le plus difficile d’être vu sans voir et de ne pas avoir les
enfant dont les deux partenaires se trouvent en difficulté si moyens de savoir si l’on est vu ou non. Les premiers émois
l’enfant est déficient visuel : les échanges étant moins riches, la amoureux du jeune déficient visuel s’ancrent plus dans une
mère regarde moins son enfant et manque de ce fait certains communication olfactive, sonore ou tactile que visuelle. Dans
signaux que celui-ci lui adresse. notre culture, le toucher est un sens très érotisé, et l’adolescent
Hatwell [33] a montré que la cécité n’est pas en elle-même une déficient visuel doit être aidé dans l’usage qu’il en fait, explo-
ration ou séduction.
entrave au développement (même si elle constate un retard
prédominant dans les épreuves concrètes des tests psychométri- On a pu dire que tout enfant vit au moment de l’adolescence
« un véritable déficit psychomoteur transitoire ». Les transfor-
ques) lorsque la mère d’un enfant déficient visuel et a fortiori
mations corporelles font qu’il perd cet instrument de mesure et
aveugle peut utiliser les autres sensorialités de façon spontanée.
de référence qu’est la perception de son environnement à
Les différents échanges s’inscrivent alors dans le plaisir du jeu
travers son corps ; il existe alors une certaine maladresse dans
et dans la communication, l’enfant créant son propre langage. la mobilisation de ce corps dans l’espace, maladresse qui peut
Cet enfant peut, comme tout enfant, explorer, prendre des être d’autant plus présente que le positionnement visuel ne peut
risques, s’éloigner ou se rapprocher selon son désir propre se faire et ne permet donc pas la prise de nouveaux repères.
lorsque sa motricité le lui permet. Sa mère accepte ses manifes- Pour l’adolescent déficient visuel, la mise en place de ces repères
tations d’angoisse face à l’inconnu et l’aide à les transformer en passe par l’exploration motrice et proprioceptive de l’espace, qui
expériences positives de découverte et d’acquisition de l’auto- lui permet une réappropriation de l’environnement.
nomie, plutôt qu’en moments réactivant le traumatisme de Cet abord de l’environnement prend une dimension particu-
l’annonce. lière dans l’acquisition progressive de l’autonomie psychique et
Il nous semble essentiel d’être attentif à la parole des mères physique ; l’enfant déficient visuel et a fortiori aveugle se trouve
qui expriment une angoisse particulière face à un nourrisson particulièrement empêché dans sa découverte du monde. Dès
qu’elles ressentent comme peu réactif sur le plan visuel : une l’acquisition de la marche, le périmètre d’exploration de l’enfant
réassurance un peu hâtive sur les capacités visuelles de leur voyant se trouve agrandi, et il expérimente l’éloignement d’avec
enfant, qui se révèlera plus tard déficient visuel, renforce leur sa mère en mesurant du regard la distance qui l’en sépare. À
sentiment d’incompétence, et ne leur permet pas d’imaginer l’adolescence, l’appropriation de l’espace et des déplacements
d’autres voies de communication avec ce bébé. n’est alors que l’aboutissement d’étapes successives, qui n’ont
Lorsque le déficit visuel n’est diagnostiqué que plus tardive- pas pu se mettre en place pour l’enfant déficient visuel.
ment, l’impact de l’annonce sur la relation mère-enfant et le L’adolescent déficient visuel confronte ses parents à une prise de
développement de l’enfant est lié à la qualité de cette relation risque plus inquiétante : peut-il se déplacer seul ? Jusqu’où ?
qui a pu se mettre en place antérieurement et dont on sait Pour quoi faire ? Saura-t-il se protéger ? Toutes ces questions,
habituelles entre un adolescent et ses parents, prennent ici une
qu’elle est soumise à des aléas multiples. Par ailleurs, les enjeux
acuité particulière et l’adolescent déficient visuel, pas plus que
du diagnostic, avec l’implication ou non du pronostic vital,
les autres jeunes, ne peut être protégé de tous les dangers. Un
l’intervention d’hospitalisations itératives et de soins complexes
positionnement trop restrictif des parents risque d’induire chez
modifient de fait les relations de cet enfant avec son environ-
le jeune des passages à l’acte avec une mise en danger : il ira
nement et la place qu’il occupe dans l’imaginaire parental et ailleurs, plus loin, différemment de ce qui avait été prévu, afin
dans la dynamique familiale. Face à ce traumatisme, parents et de se prouver qu’il en est capable, sans mesurer la prise de
enfant se trouvent confrontés à un travail psychique qui risques ou au contraire en la mesurant, mais en s’imaginant
s’apparente au travail de deuil ; de nombreux auteurs [24, 34, 35] faire ainsi la preuve de son autonomie.
décrivent plusieurs périodes dans l’évolution des réactions de Parallèlement, l’autonomie psychique se construit autour de
l’enfant et de ses parents. L’enfant qui perd tardivement la vue l’émergence chez l’adolescent déficient visuel d’un questionne-
vit un bouleversement majeur dans sa relation au monde : il ment sur l’origine du handicap, sur ce que les autres perçoivent
perd ses repères habituels, et doit passer à des repères kinesthé- de cette différence. L’absence de réponse à ce questionnement
siques, olfactifs, auditifs. Toutes ses activités sont atteintes : enferme le jeune dans un renoncement à investir l’extérieur et
déplacements, actes de la vie quotidienne (faire ses lacets, dans un repli sur lui-même.
fermer une fermeture éclair), relations aux autres (diminution L’adolescence est pour le jeune déficient visuel et ses parents
des interactions et de la circulation des informations). La fatigue synonyme de renoncement : il y a souvent prise de conscience
et la lenteur qui s’ensuivent persisteront malgré les techniques que le handicap est définitif, qu’il n’y aura pas de récupération
palliatives proposées. visuelle, voire, au contraire, une aggravation du déficit sensoriel

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Enfants déficients visuels ¶ 37-208-A-17

(dans le cas d’un grand nombre de rétinopathies, c’est à essentiel de stimuler l’utilisation de la vue. Pour que l’enfant
l’adolescence qu’il y a perte progressive de la vue, et passage de utilise au mieux ses capacités visuelles, l’orthoptiste aide à
l’amblyopie à la cécité). Les adolescents déficients visuels se l’aménagement de l’espace : le bébé doit pouvoir explorer des
trouvent confrontés à l’élaboration d’un projet de vie limité par espaces réduits et contenants, dans lesquels il se sent en
le handicap (choix d’une profession dont l’exercice est compa- sécurité. Dans le cadre de la rééducation, l’orthoptiste permet à
tible avec la déficience visuelle). La demande de reconnaissance l’enfant de développer des stratégies (améliorer l’orientation
de « travailleur handicapé » et les démarches pour l’obtention visuelle, utiliser le balayage visuel pour réduire la gêne due à un
des prestations de compensation du handicap à 19 ans fixent la champ visuel tubulaire, trouver une position de blocage d’un
situation de handicap, à l’âge où pour les autres jeunes il est nystagmus, etc.), d’aménager son espace de jeu ou de travail
communément admis que tout est encore possible. L’expérience pour utiliser au mieux ses capacités visuelles (plan incliné pour
clinique nous a montré qu’à ce moment-là, l’impossibilité de les enfants lecteurs, éclairage adapté, agrandissement d’un texte
passer le permis de conduire ou de conduire un deux-roues en fonction de l’atteinte visuelle, etc.). Enfin l’orthoptiste
prend une place symbolique particulière. Il se produit pour le intervient aussi dans le choix et l’utilisation d’aides optiques
jeune et ses parents une réactivation de l’effet d’annonce du appropriées : loupes à main ou à poser, système télescopique de
handicap : les parents ne se sentent plus parents d’un enfant en loin, téléagrandisseur, etc.
cours d’évolution, mais d’un jeune majeur définitivement Il est donc essentiel que cette guidance intervienne très tôt,
déficient visuel, et ce sentiment de perte d’une évolution d’une part pour éviter l’installation de distorsions dans la
positive possible peut aboutir à une fermeture fantasmatique. relation parents-enfant, d’autre part comme base de réflexion à
Un accompagnement psychologique est alors important pour l’ensemble des techniques palliatives qui pourront être propo-
permettre ce passage de l’enfance à la vie d’adulte et le renon- sées à cet enfant.
cement de la part des parents et du jeune au modèle de
relations de l’enfance [37]. Rééducation psychomotrice
En conclusion Elle permet à l’enfant de travailler ses sensations propriocep-
Nous ne saurions trop insister sur l’importance de l’accompa- tives et kinesthésiques et d’utiliser les canaux corporels de la
gnement psychologique des enfants déficients visuels et de leurs communication. Le matériel utilisé stimule les autres sens
parents. Il est essentiel, quel que soit l’âge de l’enfant lors du (toucher, audition, olfaction) sur le mode ludique, mais dans le
diagnostic, d’aider ces parents et plus particulièrement la mère but que l’enfant puisse percevoir les déplacements de son corps
des enfants très jeunes afin d’éviter que l’annonce du diagnostic et des objets dans l’espace. La technique Snoezelen est intéres-
ne l’enferme dans une névrose traumatique, qui aggraverait le sante mais non indispensable et les méthodes plus simples de
handicap sensoriel de l’enfant en favorisant l’installation d’une stimulation sensorielle gardent tout leur intérêt. Des recherches
distorsion dans la dyade mère-enfant. ont abouti à la mise au point d’aides techniques à la suppléance
Dans le cadre d’une thérapie individuelle de l’enfant déficient sensorielle comme le Guide ultrasonique de Kay (GUS) [38],
visuel ou d’une thérapie familiale de l’enfant et sa famille, le surtout utilisé dans les pays anglo-saxons, qui à partir de l’envoi
thérapeute doit être attentif à l’absence pour le jeune déficient d’ultrasons renseigne l’enfant, par une stimulation sonore, sur
visuel de la perception des échanges visuels. Ces échanges, s’ils les objets sur lesquels se réfléchissent les ultrasons. Le flux
existent entre les autres membres de la famille, doivent être sensoriel auditif permanent est censé remplacer le vide laissé par
verbalisés par le thérapeute afin que chacun prenne conscience l’absence de sensorialité visuelle. Certains nourrissons aveugles
des différents canaux de communication utilisés. Le silence peuvent être stimulés positivement par le GUS (diminution des
prend une place particulière puisque le maintien du lien pour « blindismes », meilleure tonicité, etc.) mais il existe une grande
le sujet déficient visuel se fait essentiellement par le canal variabilité dans l’acceptation et l’efficacité d’un enfant à l’autre
auditif. et le GUS ne semble être intéressant que ponctuellement pour
Il est par ailleurs important de soutenir le jeune déficient soutenir une nouvelle acquisition ; les bébés le refusent
visuel dans ses désirs d’autonomie : la dynamique familiale d’ailleurs dès cette nouvelle acquisition en place.
s’organise volontiers dans la surprotection du jeune déficient La psychomotricité soutient l’enfant déficient visuel dans ses
visuel afin de lui éviter toute expérience imaginée comme acquisitions motrices en l’aidant à trouver une sécurité interne
dangereuse. dans ses déplacements.
De nombreuses activités sportives peuvent être adaptées au
jeune déficient visuel avec l’intervention d’un guide ; nous
■ Rééducations et techniques signalons plus spécifiquement le tandem et le Torr ball qui est
un sport collectif utilisant un ballon sonore et qui se pratique
palliatives sous bandeau.
Il est essentiel de soutenir le développement des enfants
déficients visuels par différentes rééducations. Éducation et/ou rééducation en locomotion
Elle s’est développée d’abord aux États-Unis ; son objectif est
Orthoptie de permettre à l’enfant déficient visuel de se déplacer en
Elle s’adresse aux enfants qui ont des capacités visuelles, sécurité et avec une autonomie se rapprochant le plus possible
même très réduites, et permet qu’ils les utilisent au mieux en de celle des enfants voyants de son âge : il ne s’agit donc pas,
améliorant leur vision fonctionnelle et en instaurant une pour l’enfant déficient visuel, de connaître des trajets par cœur,
communication visuelle. Chez le nourrisson déficient visuel, il mais d’apprendre des techniques et des stratégies lui permettant
est important que l’orthoptiste propose très tôt un bilan (ce d’éviter les obstacles, de percevoir les dénivellations, de s’orien-
bilan est possible dès 6 mois, voire avant) pour renseigner les ter dans ses déplacements à l’intérieur et à l’extérieur, de
parents sur l’utilisation de la vue par le bébé : existe-t-il une traverser les rues. Si l’instructeur de locomotion le juge néces-
perception de la lumière, du mouvement, de la forme, avec ou saire, une canne blanche est proposée, soit en permanence, soit
non un œil préférentiel, dans une direction privilégiée ou non, dans certaines situations (de nuit, lors de traversées, etc.) et
avec une action oculomotrice limitée ou non. Si le bébé regarde nécessite l’apprentissage de la technique de canne pour une
de côté, il faut expliquer à la mère qu’il adopte une attitude de bonne gestion des obstacles. La locomotion est donc un facteur
tête qui lui permet une meilleure vision et qu’il ne fuit pas le essentiel de l’autonomie du jeune déficient visuel dans ses
regard maternel. Il faut aussi donner rapidement aux parents déplacements, mais si elle mobilise les possibilités de chacun,
des éléments qui les aident à proposer à l’enfant des objets elle en pointe aussi les limites.
adaptés et qui lui permettent de faire des expériences seul : Nous n’abordons pas la question du chien-guide : son attri-
choisir des jouets dont les contrastes (noir/blanc par exemple) bution nécessite que la personne déficiente visuelle ait déjà une
mettent l’enfant dans des conditions optimales de discrimina- bonne autonomie dans ses déplacements et dans sa vie quoti-
tion. Tout en développant l’efficience des autres sens, il est dienne ; de ce fait, il n’y a pas d’attribution de chien dans

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-208-A-17 ¶ Enfants déficients visuels

l’enfance et rarement à l’adolescence, du moins en France.


Certaines écoles de chiens-guides canadiennes travaillent en
■ Références
revanche avec des enfants. [1] Guide barème pour l’évaluation des déficiences et incapacités des per-
sonnes handicapées. CTNERHI n° 206 Ministère des Affaires sociales
de la Santé et de la Ville (1993/2008).
Aide à la vie journalière (AVJ) [2] Lebovici S, Stoleru S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Paris:
Il s’agit d’aider l’enfant déficient visuel à trouver des techni- Païdos/Bayard; 1983/1999.
ques qui lui permettent d’accomplir seul les actes de la vie [3] Kaës R. Thérapie familiale analytique ou psychothérapie
quotidienne qui deviennent complexes sans repérage visuel : psychanalytique de la famille (en situation de groupe) ? Questions. Rev
Psychothér Psychanal Groupe 1994(n°22).
trouver le sens de ses vêtements et s’habiller, mettre une clé
[4] Ciccone A. La filiation à l’épreuve du handicap : fantasme de culpabi-
dans une serrure, se servir à boire, trouver sa nourriture dans
lité et fantasme de transmission. Contraste 1996(n°4).
son assiette et la couper, etc. Ce travail est essentiel pour
[5] Korff-Sausse S, Scelles R, Ciccone A, Missonnier S. Cliniques du sujet
permettre à l’enfant déficient visuel d’acquérir son autonomie et
handicapé. Actualité des pratiques et des recherches. Paris: Erès; 2007.
de se dégager de l’emprise parentale. [6] von Bertalanffy L. General system theory: foundations, development,
Les AVJistes sont des ergothérapeutes spécialisés. applications. New York: Braziller; 1968.
[7] Portalier S. Recherche en défectologie : approche épistémologique.
Braille Colloque du laboratoire Perception Cognition et Handicap, Lyon; 1996.
[8] Reuchlin M. Processus vicariants et différences individuelles. J Psychol
C’est un système d’écriture tactile destiné aux personnes 1978;2:133-45.
déficientes visuelles qui ne peuvent pas lire « en noir ». Chaque [9] Reuchlin M. Les différences individuelles dans le développement
lettre est représentée par une combinaison de un à six points en cognitif de l’enfant. Paris: PUF; 1989.
relief dans une matrice de deux points de large sur trois de [10] Ohlman T. Les systèmes perceptifs vicariants. In: Reuchlin M,
haut. L’outil informatique présente aussi des adaptations pour Lautrey J, Marendas C, Ohlman T, editors. Psychologie : l’Universel et
les personnes déficientes visuelles : plage tactile en braille l’Individuel. Paris: PUF; 1990.
permettant la relecture manuelle, synthèse vocale, etc. [11] Bullinger A, Mellier D. Influence de la cécité congénitale sur les
conduites sensorimotrices chez l’enfant. Cah Psychol Cogn 1988;8:
191-203.
Structures de soins [12] Portalier S, Vital-Durand F. Locomotion chez les enfants malvoyants et
aveugles. Psychol Fr 1989;34:79-86.
Elles sont assurées en fonction de l’âge et des besoins des [13] Adelson E, Fraiberg S. Gross motor development in infants blind from
enfants par des structures différentes intervenant à domicile et birth. Child Dev 1974;45:114-26.
sur le lieu de socialisation ou de scolarisation de l’enfant : [14] Manzano J, Joliat S. Les facteurs émotionnels dans le développement
service d’aide à l’acquisition de l’autonomie et à l’intégration des enfants et adolescents gravement handicapés de la vue. In: Le déficit
scolaire (SAAAIS) ; service d’accompagnement familial et visuel, De la neurophysiologie à la pratique de la réadaptation. Paris:
d’éducation précoce (SAFEP) ; service pour l’intégration des Masson; 1995.
enfants déficients visuels et aveugles (SIDVA) ; service d’éduca- [15] Millar S. Spatial representation by blind and sighted children. J Exp
tion spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) ; ou lors de Child Psychol 1976;21:460-79.
consultations : centre d’action médicosociale précoce (CAMSP) ; [16] Millar S. The utilisation of external and movement cues in simple
centre médicopsychologique (CMP). spatial tasks by blind and sighted children. Perception 1979;8:11-20.
[17] Rieser JJ. Development of perceptual-motor control while walking
without vision. In: Bloch H, Bertental BL, editors. Sensory-motor
Déficience visuelle et scolarisation organization and development in infancy and early childhood.
L’enfant déficient visuel peut être, comme tout enfant, Dordrecht: Kluver Academic Publishers; 1990.
accueilli en crèche et en maternelle ; il est cependant important [18] Hatwell Y. Toucher l’espace: la main et la perception tactile de
l’espace. Lille: Presses Universitaires de Lille; 1986.
qu’il y ait intervention des professionnels des rééducation cités
[19] Millar S. Models of sensory deprivation: the nature/nurture dichotomy
plus haut, afin d’adapter l’environnement et les activités à
and spatial representation in the blind. Int J Behav Dev 1988;11:69-87.
l’enfant. À l’école primaire, et dans la suite de la scolarité, il sera [20] Palazesi MA. The need for motor development programs for visually
nécessaire de proposer à l’enfant des documents agrandis ou impaired preschoolers. J Vis Impairm Blind 1986;80:573-6.
transcrits en braille, en fonction de ses besoins. Il existe des [21] Hill EW, Hill MM. Revision and validation of a test for assessing the
établissements d’éducation sensorielle pour déficients visuels – spatial conceptual abilities of visually impaired children. J Vis Impairm
l’Institut national des jeunes aveugles (INJA) –, des classes Blind 1980;74:373-80.
d’intégration scolaire pour déficients visuels (CLISS-DV), des [22] Harley RK. Verbalism among blind children. New York: American
établissements privés ou gérés par des associations. À l’adoles- Foundation for the Blind; 1963 (n° 10).
cence, et seulement à l’adolescence de notre point de vue, la [23] Urwin C. Dialogue and cognitive functioning in the early language
question de l’internat peut se poser : le jeune déficient visuel development of three blind children. In: Mills AE, editor. Language
pourra ainsi, dans un groupe de pairs, être sollicité dans des acquisition in the blind child. London: Croom Held; 1983. p. 142-61.
actes et des apprentissages de la vie quotidienne, travailler et [24] Ben Soussan P. L’annonce faite aux parents. Neuropsychiatrie Enf
expérimenter son autonomie, et s’approprier, dans un espace Adolesc 1989;37:429-40.
personnel, les différentes techniques palliatives dont il aura [25] Harrisson-Covello A, Lairy GC. Psychopathologie de l’enfant atteint
besoin dans sa vie d’adulte. de cécité ou d’amblyopie bilatérale congénitales. In: Nouveau traité de
Depuis la loi du 11 février 2005, c’est la Maison départemen- psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent; tome 2. Paris: Presses uni-
tale des personnes handicapées (MDPH) qui est le lieu unique versitaires de France; 1999.
destiné à accompagner les personnes handicapées et leurs [26] Duparc F. Du sein au regard, et à la pensée. In: Groupal 15 : Périnatalité
familles dans leurs démarches. C’est elle qui propose, en psychique et renaissance du familial. Paris: Éditions du Collège de
collaboration avec les professionnels qui connaissent l’enfant, le psychanalyse groupale et familiale; 2004 (200p).
service de soins et d’accompagnement le mieux adapté aux [27] Sausse S. Le miroir brisé, l’enfant handicapé, sa famille et le psycha-
nalyste. Paris: Calmann-Lévy; 1996.
besoins de cet enfant.
[28] Guidetti M, Tourrette C. Handicap et développement psychologique de
l’enfant. Paris: Armand Colin; 1996.
Conclusion [29] Mises R, Perron R, Salbreux R. Retards et troubles de l’intelligence de
l’enfant. Paris: ESF; 1994.
La précocité et la pluridisciplinarité dans le suivi de l’enfant [30] Robson KS. The role of eye-to-eye contact in maternal-infant
déficient visuel nous semble essentielles pour proposer non attachment. J Child Psychol Psychiatry 1967;8:13-25.
seulement des rééducations spécifiques, mais aussi un espace de [31] Field T. High-risk infants “have less fun” during early interactions. Top
parole à cet enfant et à ses parents. Early Child Spec Educ 1983;3:77-87.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Enfants déficients visuels ¶ 37-208-A-17

[32] Rogers SJ, Puchalski CB. Social characteristics of visually impaired Collectif. Le handicap au sein de la famille. Le Divan familial. In Press
infant’s play. Top Early Child Spec Educ 1984;3:52-6. 8/printemps 2002.
[33] Hatwell Y. Privation sensorielle et intelligence. Paris: PUF; 1966. De Ajuriaguerra J, Marcelli D. Psychopathologie de l’enfant. Paris: Masson;
[34] Mettey R. Mon enfant est différent. Paris: Frison-Roche; 1996. 1981.
[35] Herson A. Enfant atteint d’une maladie neuromusculaire : annonce, Demingeon-Pessonneaux S. Incidence de la déficience visuelle sur
savoir et vécu du handicap. In: Korff-Sausse S, Scelles R, Ciccone A, l’interaction mère-enfant. [thèse de doctorat], Université Lyon II, 2004.
Missonnier S, editors. Cliniques du sujet handicapé. Actualité des pra- Fraiberg S. Insights from the blind. New York Basic Books; 1977.
tiques et des recherches. Paris: Erès; 2007.
[36] Brusset B. Psychopathologie de l’adolescence. In: Nouveau traité de Guibert H. Des aveugles. Paris: Gallimard; 1985.
psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (tome3). Paris: PUF; 1999. Genicot R. Les déficiences visuelles. In: Manuel de psychologie des handi-
[37] Bon C. Adolescence et handicap, un périlleux passage. In: Korff- caps. Hayen: P Mardaga; 2001. p. 195-249.
Sausse S, Scelles R, Ciccone A, Missonnier S, editors. Cliniques du Hatwell Y. Psychologie cognitive de la cécité précoce. Paris: Dunod; 2003.
sujet handicapé. Actualité des pratiques et des recherches. Paris: Erès; Lebovici S, Diatkine R, Soule M. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et
2007. de l’adolescent. Paris: PUF; 1999.
[38] Kay L. A sonar aid to enhance spatial perception by the blind: Lebovici S, Soule M. La connaissance de l’enfant par la psychanalyse. Paris:
engineering design and evaluation. Radio Electronic Eng 1974;44: PUF; 1977.
605-27. Marcelli D, Braconnier A. Psychopathologie de l’adolescence. Paris:
Masson; 1983.
Pour en savoir plus Millar S. Understanding and representing space. Theory and evidence from
studies with blind and sighted children. Oxford: Oxford University
Abraham N, Torok M. L’écorce et le noyau. Paris: Aubier-Flammarion; 1978. Press; 1994.
Anzieu D. Le moi-peau. Paris: Dunod; 1985.
Pinol-Douriez M. Bébé agi-bébé actif. Paris: PUF; 1984.
Berry Brazelton T, Cramer B, Kreisler L, Schäppi R, Soule M. La dynamique
du nourrisson. Paris: ESF; 1982. Pontalis JB. Perdre de vue. Paris: Gallimard; 1999.
Berry Brazelton T. La naissance d’une famille. Paris: Stock; 1983. Portalier S. Analyse différentielle du déficit et du handicap sensoriels. [thèse
Collectif. Corps souffrant. Adolescence 1985;3(2). de doctorat], Université Lyon II, 1981.
Collectif. Blessures de la filiation. Le Divan familial. In Press 5/automne Stern D. Mère-enfant, les premières relations. Bruxelles: P Mardaga; 1977.
2000. Winnicott D. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot; 1983.

E. Lisack-Schwindenhammer, Pédopsychiatre (elisabeth@lisack.eu).


S. Dechaud, Ophtalmologiste.
N. Fitton, Orthoptiste.
A.-M. Sliman, Assistante sociale.
IMPRO Valentin Haüy, 30, avenue Mazarin, 91380 Chilly-Mazarin, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Lisack-Schwindenhammer E., Dechaud S., Fitton N., Sliman A.-M. Enfants déficients visuels. EMC (Elsevier
Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-208-A-17, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-208-D-60 (2004)
37-208-D-60

Psychothérapies précoces parents-bébé


M. Moralès-Huet
C. Rabouam
N. Guedeney
Résumé. – Les auteurs passent en revue les principaux modèles de psychothérapies précoces parents-bébé.
Après le modèle pionnier proposé par Fraiberg, ils présentent les principales approches qui s’en sont inspirées,
avec d’une part les modèles de psychothérapies d’inspiration psychanalytique, d’autre part ceux d’inspiration
développementaliste et attachementiste. Ils décrivent ensuite les aspects caractéristiques, dits non
spécifiques, de ces traitements précoces : les modifications psychiques des parents à cette étape de leur vie ;
l’apport de la présence du bébé ; l’originalité de la cible thérapeutique ; l’importance cruciale de l’alliance
thérapeutique et du concept de traitement de choix. Ils concluent sur la convergence actuelle des différentes
approches présentées vers un « modèle systémique implicite ».
© 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Psychothérapies parents-bébé ; Attachement ; Alliance thérapeutique ; Transgénérationnel

Introduction préexistants, rattachés à une personnalité borderline, ou troubles


dépressifs ou anxieux), ou encore à l’existence d’une pathologie
psychiatrique liée à la puerpéralité (dépressions du post-partum) ;
Au cours de ces trois dernières décennies, le développement de la
psychiatrie du très jeune enfant et les nombreux travaux portant sur – enfin les difficultés propres au bébé qui peuvent désorganiser les
les relations précoces mère-bébé ont conduit à l’élaboration de capacités parentales ; il peut s’agir de troubles existant chez le bébé
traitements psychothérapiques conjoints parents-jeune enfant, avec (difficultés de régulation, pathologies organiques) ou liés au contexte
une multitude d’approches d’inspiration théorique diverse. Nous de naissance (grande prématurité, hospitalisations néonatales) ; ces
présenterons d’abord les modèles les plus connus actuellement, avec bébés sont d’autant plus à risque que l’histoire personnelle des
leur originalité respective, puis nous essaierons de mettre en parents vulnérabilise ces derniers quant à leurs capacités à s’occuper
évidence les caractéristiques générales qui font la spécificité de ces d’un très jeune enfant.
traitements. Deux types de situation peuvent donc être individualisés selon la
nature de ce qui pèse au niveau du lien. Le lien interactif est déjà
perturbé et source de désordres chez le bébé, et l’objectif est alors
INDICATIONS essentiellement curatif. Les parents sont à la fois partenaires et
Par définition les psychothérapies conjointes parents-très jeunes patients puisque protagonistes de la relation. Parfois le lien est à
enfants s’adressent aux enfants entre 0 et 3 ans, mais le plus souvent risque et l’objectif est alors préventif : les parents sont des
de moins de 2 ans, et ont comme indication spécifique un trouble partenaires actifs et le but de la psychothérapie est en partie de
du lien, ce qui les différencie des consultations thérapeutiques et de prévenir l’action perturbante des facteurs de risque sur les
l’aide apportée individuellement au bébé ou aux parents. composantes vitales de la relation (par exemple, l’établissement du
Trois grands types d’indications peuvent être individualisés en lien d’attachement).
fonction de la problématique existante : En revanche, l’existence de troubles psychotiques chroniques (par
exemple, la schizophrénie) n’est pas une indication de
– l’existence de troubles interactifs précoces entre les parents et le psychothérapie conjointe « classique », telle que celles décrites dans
bébé ; ils peuvent se manifester sous forme d’une plainte exprimée cet article. En effet, pour ces parents, une approche plus globale
par les parents ou de troubles interactifs chez le bébé dans la relation prenant en compte différents domaines de dysfonctionnement
avec ceux-ci ; il s’agit alors de troubles fonctionnels (sommeil, (psychiatrique, aide éducative, protection de l’enfance) s’avère
alimentation), de troubles du comportement (opposition, colères) ou nécessaire. D’une manière générale, lorsque l’intensité des troubles
de troubles de l’attachement ; psychopathologiques (par exemple, encore les pathologies
– la présence de grandes difficultés chez les parents à accomplir addictives, les psychoses maniacodépressives) envahit le
leurs tâches parentales ; ceci peut être lié à leurs conditions de vie fonctionnement du sujet, obère fortement ses capacités parentales
socioenvironnementales (et se pose ici particulièrement le problème ou met en péril la sécurité du jeune enfant, la prise en charge ne
des familles à risques multiples), ou à leurs problématiques peut se limiter au seul travail psychothérapeutique sur le lien.
personnelles (par exemple, troubles psychologiques graves

Quelques grands modèles

M. Moralès-Huet (Psychologue-psychothérapeute) MODÈLE PIONNIER DE FRAIBERG (1975, 1980)


Adresse e-mail: m_moraleshuet@hotmail.com
Adresse personnelle: 27, boulevard Gambetta, 94130 Nogent-sur-Marne. Tél.: 01 48 75 65 47 La plupart des cliniciens de la petite enfance se sont inspirés du
C. Rabouam (Psychologue-psychothérapeute).
N. Guedeney (Pédopsychiatre, praticien hospitalier, médecin responsable du Centre médicopsychologique)
modèle fondateur de Fraiberg [14, 15], l’une des premières à avoir
Institut mutualiste Montsouris, Centre médicopsychologique, 45, rue de la Harpe, 75005 Paris, France. proposé et conceptualisé les traitements conjoints mère-bébé. L’un
37-208-D-60 Psychothérapies précoces parents-bébé Psychiatrie/Pédopsychiatrie

des points forts de son travail est de considérer les parents comme Le programme des psychothérapies mère-nourrisson réalisées en
des alliés et de soutenir leurs espoirs pour leur bébé. La présence de Seine-Saint-Denis par Stoléru et Moralès-Huet [32] au domicile de
celui-ci est essentielle ; il est au centre du traitement et des familles à problèmes multiples, inaccessibles à une approche
préoccupations du psychothérapeute. Très vite, Fraiberg fit thérapeutique traditionnelle, fut inspiré par les conceptualisations
l’hypothèse qu’il est un objet de transfert, réveillant chez ses parents de Lebovici, mais également par ailleurs par les travaux de
des expériences anciennes et des émotions contre lesquelles ils Greenspan et al [19], et surtout ceux de Fraiberg [14, 15].
s’étaient jusqu’ici généralement beaucoup défendus. Ainsi, il peut Il nous faut enfin évoquer le modèle de Debray [8], qui se situe dans
se voir inconsciemment attribuer l’image d’un parent rejetant, sa la perspective de la théorie psychosomatique et pour qui il ne s’agit
mère se sentant alors rejetée ou impuissante face à lui. L’objectif du pas seulement, dans ces traitements précoces, de résoudre les
traitement n’est pas d’explorer en soi la vie fantasmatique de celle- symptômes présentés par le bébé, mais de tout mettre en œuvre
là, mais d’y repérer et de chasser « les fantômes dans la nursery », pour engager finalement la mère dans une démarche
c’est-à-dire les fantômes du passé qui font peser sur le bébé le poids psychanalytique individuelle.
de traumatismes ou d’expériences douloureuses précoces subis par
Le modèle de l’école de Genève (Cramer et Palacio-Espasa [6]) propose
elle et entravant le lien d’attachement à l’enfant. Pour cela, il
généralement des thérapies brèves. Pour celle-ci, l’originalité de ces
apparaît essentiel de permettre à la mère de se remémorer et de
traitements conjoints est liée au fait qu’ils s’inscrivent dans une
revivre les affects douloureux associés à ces évènements pénibles de
période, le post-partum, caractérisée par une « effusion projective »
sa propre enfance.
sur le bébé, elle-même indissociable de la préoccupation maternelle
Fraiberg, qui avait une double formation de travailleur social et de primaire. Aussi Cramer parle-t-il de thérapie en secteur, focalisée
psychanalyste, fut aussi l’une des premières à avoir proposé une sur la conflictualité parentale qui se trouve projetée sur le bébé. Les
approche psychothérapeutique à domicile face à des situations de concepts d’interaction fantasmatique et d’identification projective
petite enfance à haut risque et pour lesquelles il n’existe pas de décrivent ici comment le fantasme de la mère, réactivé par la
demande de consultation de la part de la famille. Il s’agit, dit présence du bébé, va se trouver rejoué et « dramatisé » par celui-ci.
Fraiberg, d’une approche psychanalytique non conventionnelle, Le thérapeute va donc travailler sur ces « séquences interactives
destinée en particulier à des jeunes mères carencées, ayant une symptomatiques » au cours desquelles le bébé met en scène des
grande défiance à l’égard des institutions de soin. L’accent est mis scénarios internes appartenant au psychisme maternel. À partir
sur l’implication active du psychothérapeute et sur son souci d’une thématique centrale et répétitive, il va ainsi s’efforcer de
d’établir puis de maintenir une véritable alliance thérapeutique avec « décontaminer » le jeune enfant des projections parentales plus ou
les parents. moins massivement opérées sur lui.
La notion de guidance développementale constitue un autre aspect
Ce modèle genevois de thérapies brèves s’adresse à des parents
important de cette approche, notamment face à des parents
ayant des capacités d’insight et d’élaboration suffisantes. Il vise la
montrant une difficulté majeure à répondre aux besoins de leur bébé
résolution rapide du symptôme à l’origine de la consultation.
et parfois même à lui donner les soins les plus élémentaires. Elle
s’appuie sur l’idée que le psychothérapeute est aussi responsable de Dans un récent ouvrage qui aborde la question du devenir des
la santé du bébé et que ce dernier ne peut pas attendre la résolution pathologies précoces (autres que les troubles envahissants du
de la pathologie ou des conflits parentaux. Ces interventions de développement et l’autisme), Cramer s’interroge sur le devenir de
guidance centrées sur les besoins de l’enfant s’appuient sur une 53 enfants vus dans le cadre de thérapies conjointes précoces brèves
solide alliance thérapeutique et sur le support émotionnel apporté et réévalués à l’âge de 11 ans [7]. Au terme de cette étude, les auteurs
par le thérapeute. constatent une grande diversité des devenirs, les prédictions faites à
la petite enfance se montrant finalement assez aléatoires. Ils en
concluent que le clinicien se doit d’être extrêmement prudent au
MODÈLES ULTÉRIEURS OU INSPIRÉS
PAR CELUI DE FRAIBERG moment où il donne son avis pronostique aux parents.
Outre les effets thérapeutiques positifs de ces traitements précoces
¶ Modèles inspirés par la psychanalyse classique (effets maintenus 1 mois après leur terminaison), un autre effet est
Les modèles inspirés par la psychanalyse classique se réfèrent aux mis par ailleurs en évidence dans cette étude : les auteurs notent
concepts-clés de transfert et de fonctionnement psychique qu’au cours des 10 ans d’intervalle précédant l’évaluation à la
inconscient, de conflit œdipien, de fantasme et de compulsion de préadolescence, près de la moitié des mères ont recouru à des
répétition. Ils s’appuient sur une idée fondamentale : pour traitements divers pour elles-mêmes ou pour leur enfant, ce qui
comprendre et traiter les troubles de l’interaction, il convient traduit une sensibilisation positive à ce type de démarche, à valeur
d’accéder à la problématique parentale inconsciente sous-jacente. Le préventive ou thérapeutique.
psychothérapeute va donc s’intéresser au monde intrapsychique de
la mère, ainsi qu’à certains aspects de sa vie fantasmatique et de ses ¶ Modèles inspirés par les courants de pensée
conflits inconscients qui pèsent dans sa relation au bébé et sont mis développementaliste et destinés aux familles à risques
en acte dans les interactions. multiples
L’école française est notamment marquée par le modèle des
Les modèles de traitement précoce destinés à des familles à
consultations thérapeutiques développé par Lebovici [22, 23]. Au cours
problèmes multiples et inaccessibles aux traitements traditionnels
de ces consultations, ce dernier s’attachait à une investigation
ont été développés aux États-Unis à partir des années 1980. À côté
transgénérationnelle destinée à repérer la place de l’enfant
du modèle pionnier de Fraiberg, d’inspiration psychanalytique, on
imaginaire dans la vie psychique de la mère et la place du bébé
voit aussi se développer des approches d’inspiration
dans « l’arbre de vie » de la famille. Celui-ci en effet « vient expier
comportementaliste et développementaliste.
un mandat transgénérationnel ». Dans cette perspective, l’accent est
mis sur la sexualité infantile et sur les vicissitudes du conflit œdipien Greenspan [19] reprend certains principes de Fraiberg, mais avec une
chez les parents. Lebovici soulignait beaucoup le rôle actif du bébé insistance sur les échanges interactifs immédiats et des techniques
dans ces consultations, au cours desquelles il s’employait à « créer de soin focalisées sur le développement sensorimoteur, cognitif et
les conditions permettant au bébé de parentifier ses parents » ou socioémotionnel du bébé. Il propose lui aussi une approche originale
aux parents de se « laisser parentifier » par lui. Il travaillait sur des à domicile, auprès de mères adolescentes et isolées, issues de milieux
séquences d’interaction observables et sur les interactions très carencés. Il souligne la nécessité d’aider concrètement ces
fantasmatiques inconscientes que traduisaient celles-ci. Reprenant la familles dans leurs besoins « vitaux » élémentaires et celle d’établir
perspective développée par Winnicott, il soulignait également toute une relation confiante et sûre.
la valeur de l’empathie et de l’atmosphère émotionnelle qui se La guidance interactive de Mac Donough [26, 27] est un autre modèle
déploie pendant ces consultations. d’intervention précoce destiné aussi initialement à des familles à

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Psychothérapies précoces parents-bébé 37-208-D-60

problèmes multiples ayant refusé toute approche thérapeutique de Fraiberg, visent à modifier certaines représentations maternelles
traditionnelle ou pour lesquelles ces tentatives de traitement avaient enracinées dans des expériences d’attachement précoces
été vécues comme des échecs et marquées par des ruptures douloureuses et à briser ainsi le risque de transmission
thérapeutiques. transgénérationnelle. Parmi ces derniers, citons celui de l’équipe de
L’établissement d’une alliance thérapeutique avec les parents Lieberman et Pawl [24, 25], qui a poursuivi à San Francisco le travail
apparaît ici fondamentale, avec des principes de base conférant à de Fraiberg, ainsi que le modèle de soin proposé par Weatherston [34]
ceux-ci une place décisive dans le déroulement du traitement et à Lansing dans le Michigan. Pour les familles difficilement
l’évaluation de son efficacité : ces objectifs sont définis de façon accessibles auxquelles sont souvent destinés ces programmes, la
consensuelle tout comme les critères de ce qui sera considéré comme construction de l’alliance et du cadre passe souvent par le
un succès thérapeutique. Le thérapeute se doit de répondre à toutes déroulement du traitement à leur domicile.
les questions posées et les parents sont invités à convier au En Europe, ce n’est qu’assez récemment que la psychanalyse a
traitement tous les autres membres de la famille en relation avec le reconnu l’importance de la théorie de l’attachement [20], et si cette
bébé. Cette approche prend également en compte le contexte culturel dernière a suscité des réflexions voire des modifications techniques
où vit la famille. Les actes (visites à domicile, guidance éducative, dans la pratique pédopsychiatrique [3], elle n’a pas encore abouti à
aides concrètes, travail en réseau) apportent les preuves tangibles l’élaboration de nouveaux modèles cliniques.
de cette alliance thérapeutique considérée comme le moteur du Finalement, quelles que soient les différences théoriques sous-
traitement. tendant les divers modèles que nous venons d’examiner, les
Dans ce type d’intervention où les parents, considérés comme des psychothérapies conjointes parents-bébé ont pour objectif commun,
partenaires actifs, sont invités à « monitorer » le traitement ; il s’agit à partir du travail sur la relation, de rompre la transmission
par ailleurs de développer une approche sensible aux forces et aux transgénérationnelle, lorsqu’elle est source de dysfonctionnement, de
ressources de chacun, plutôt qu’à leurs points de vulnérabilité. réconcilier les parents avec leur bébé, de leur permettre d’en
Les interactions observables mère-père-bébé constituent la cible percevoir la réalité propre et de donner plus de liberté au
d’intervention, ces interactions étant considérées d’une part comme développement de celui-ci. Nous allons maintenant présenter les
le reflet de la structure familiale et des soins parentaux, d’autre part grandes caractéristiques générales de ces traitements.
comme celui du monde représentationnel interne des parents et du
bébé. L’analyse de ces interactions se situe plus dans une perspective Facteurs caractéristiques communs
systémique et développementaliste que celle de Fraiberg, et l’on se
demandera si ces interactions facilitent ou non le développement du aux thérapies conjointes parents-bébé
jeune enfant, plutôt que de s’interroger sur la résurgence des
Il s’agit de facteurs dits « non spécifiques » retrouvés dans les
« fantômes » du passé qui peuvent les sous-tendre.
différents types de traitement [31].
Une autre spécificité de ce travail est le recours à l’autovidéoscopie.
À chaque séance, une courte séquence de jeu parents-enfant est
LE FONCTIONNEMENT PSYCHIQUE PARTICULIER
filmée, puis visionnée et discutée avec les parents. Cette technique DE CHACUN DES PROTAGONISTES REND POSSIBLE
permet au thérapeute de relever des séquences interactives mettant L’INTERVENTION
en évidence la sensibilité de la mère aux signaux et aux besoins de Du côté des parents : tous les auteurs s’accordent pour dire que la
l’enfant, et également de montrer aux parents les changements grossesse et la naissance d’un enfant entraînent des modifications
positifs subtiles ou plus manifestes apparus dans les interactions ou psychiques importantes chez les parents, même s’ils ne les théorisent
les attitudes parentales. Toute critique y est proscrite. pas de la même façon : ces changements vont permettre
l’intervention psychothérapeutique, qui n’aurait pas forcément été
¶ Modèles qui s’inspirent de la théorie de l’attachement possible avant. En effet, ils entraînent chez la plupart des parents un
Au cours de ces deux dernières décennies, la théorie de désir que leur enfant ait mieux que ce qu’ils ont eu eux-mêmes, ce
l’attachement a beaucoup influencé la clinique des psychothérapies qui les rend plus aptes qu’ils ne l’auraient été auparavant à accepter
parents-bébé dans les milieux anglo-saxons. Son fondateur, Bowlby, une intervention thérapeutique ou préventive pour celui-là.
a fait paraître en 1988 un ouvrage-clé A secure base [1], où il développe Mais tous les auteurs ne formulent pas les choses de la même façon.
ses idées concernant les applications cliniques de la théorie de Ainsi, dans une perspective psychanalytique classique, Winnicott [35]
l’attachement. Il y souligne en particulier combien les expériences a le premier fait l’hypothèse d’un état nouveau chez la mère lors du
d’attachement vécues pendant la petite enfance affectent la relation post-partum, avec la notion de sollicitude maternelle primaire ;
transférentielle au thérapeute, et il insiste sur la nécessité, d’autant Bydlowski [4] a introduit le concept d’une transparence psychique
plus impérieuse que nous avons affaire à des patients ayant existant chez la mère, dès la grossesse, processus qui implique une
développé autrefois une relation insecure à leurs figures certaine régression et la levée de refoulements facilitant le travail
d’attachement, de donner à la psychothérapie un climat de sécurité. psychothérapeutique.
C’est grâce à cette base secure que le patient, ici la mère, pourra Selon une conception psychodynamique récente, Stern [31] a
explorer des contenus douloureux de sa vie passée et présente, de développé la notion de constellation maternelle : il s’agit d’une
même que le jeune enfant ayant une relation secure à sa mère pourra organisation psychique temporaire particulière chez la mère qui
explorer le monde qui l’entoure. détermine de nouveaux comportements et de nouvelles
Aux États-Unis, les travaux de recherche sur l’attachement ont préoccupations anxieuses autour du bébé. Elle éprouve alors un
donné lieu à de nombreux programmes d’intervention précoce grand besoin d’être entourée et soutenue par des femmes (sa mère
d’inspiration diverse [25]. Un certain nombre d’auteurs ayant résumé ou d’autres substituts maternels) et par son mari comme père de
les caractéristiques de ces programmes attachementistes [11, 33] ont mis son (futur) bébé plutôt que comme partenaire amoureux.
en évidence que bon nombre d’entre eux sont proposés à des Chez les deux parents, s’occuper d’un bébé réveille et met en jeu
familles à risques multiples, inaccessibles jusque-là à des traitements des capacités nouvelles qui ont commencé à se constituer tout au
psychothérapeutiques classiques. Quel que soit leur cadre théorique long de leur vie, mais surtout pendant la grossesse, lors de la
et technique, ils ont pour cible thérapeutique les troubles de naissance et durant le post-partum. La notion de parentification a
l’attachement dont souffre le bébé et ont pour objectif d’améliorer la été développée à partir de travaux anglo-saxons, comme celle de
sécurité du lien avec sa mère, propice à un bon développement. maturation du « système de caregiving » chez les deux parents [1, 17,
Selon leurs références théoriques, certains, d’inspiration plus 18]
, système qui permet à ceux-ci de favoriser la proximité avec
« éducative » et comportementaliste, visent à modifier la qualité des l’enfant et de lui fournir du réconfort quand il se sent en détresse.
réponses parentales, en particulier de la sensibilité maternelle aux Un caregiving sensible promeut le développement de relations
besoins du bébé. D’autres, inspirés par le modèle psychodynamique d’attachement secure chez l’enfant.

3
37-208-D-60 Psychothérapies précoces parents-bébé Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Du côté du bébé : son développement rapide, par étapes, offre de sa vie. Le degré de coordination atteint par les partenaires
nombreuses opportunités d’intervention thérapeutique et correspond à l’alliance familiale, plus ou moins coordonnée.
préventive. Brazelton [2] a décrit les touchpoints comme points forts
du développement du bébé, qui donnent aux parents autant
d’opportunités pour modifier leurs modalités relationnelles à LA QUESTION DE L’ALLIANCE
l’enfant et constituent des « portes d’entrée » dans les Les psychothérapies sollicitent les parents, partenaires et objets du
psychothérapies. Stern [31] donne l’exemple d’une telle réflexion en soin, dans leur système de représentation de l’aide. Les théorisations
proposant des traitements séquentiels ouverts. actuelles sur l’alliance thérapeutique ou plus généralement sur la
« relation d’aide » sont particulièrement utiles [21, 25, 27, 28, 30] .
Demander une aide (un traitement ou une guidance) à un moment
ASPECTS TECHNIQUES de bouleversement dérive d’un besoin universel de se sentir protégé
DES PSYCHOTHÉRAPIES CONJOINTES
et réconforté, et de cette conviction que l’on peut être aidé par
quelqu’un de forcément « plus fort et plus sage » [1].
¶ Présence réelle du bébé
Les parents avec des problèmes d’attachement posent différents
La présence du bébé dans les séances a de nombreuses incidences. Il défis pour la formation et le maintien de l’alliance thérapeutique [5,
y a au moins deux personnes à traiter : la mère, le bébé et 10]
. Seligman [28] définit l’alliance thérapeutique très spécifique des
quelquefois le père. Cette configuration impose des aménagements psychothérapies conjointes comme rassemblant les conditions
techniques : l’allongement de la durée des séances ; une vision basiques suivantes de coopération, il s’agit de faire en sorte :
bifocale du thérapeute, qui doit à la fois écouter les parents et
regarder le bébé avec eux. Cette présence du bébé lors des séances – que les parents aient confiance dans notre souci et notre
donne ainsi accès à de nombreuses observations et expériences préoccupation (concern) pour eux et notre capacité à aider ;
immédiates, que des séances individuelles ne permettraient pas [24]. – qu’ils aient la volonté de considérer nos conseils, informations ou
Les interactions entre ses parents et lui, observées parallèlement aux projets thérapeutiques ;
récits que font ceux-ci de leur histoire familiale, donnent aussi accès – qu’il existe une adhésion minimale aux rendez-vous fixés avec
à différents types de souvenirs et de mémoires (procédurale, eux ;
événementielle, sémantique), qui permettent une réflexion sur les
modalités d’attachement des parents et leur transmission – enfin, quand une exploration psychologique est tentée, que les
transgénérationnelle [9]. parents soient capables et désireux de supporter ce que représente
comme source de souffrance, d’efforts et d’inconfort l’activité
Le bébé peut ainsi être considéré comme catalyseur du travail d’autoréflexion sur des phénomènes douloureux.
thérapeutique : sa présence réveille et favorise chez les parents
l’expression d’émotions enfouies, ce qui donne à ces traitements Cette représentation de la relation d’aide née de l’intériorisation
précoces un climat émotionnel particulier. L’intensité de ce climat précoce des expériences interactives rejoint de manière étonnante
implique encore plus la nécessité pour le thérapeute d’analyser les théorisations de Fraiberg. Les « fantômes de la chambre
finement ses mouvements identificatoires et contre-transférentiels. d’enfant » renvoient rarement à une problématique œdipienne ou à
des conflits intrapsychiques amour/haine, mais toujours à une
Enfin, les enjeux développementaux essentiels pour le bébé situation de non-réponse aux besoins vitaux de réconfort et de
introduisent une double temporalité dans la thérapie : le bébé ne soutien qu’ont vécue ces parents quand ils étaient enfants. La
peut attendre la résolution de la problématique parentale qui entrave recherche des expériences plus ou moins récentes où ils ont formulé
son développement [15] et pousse à une intervention rapide et une demande d’aide, et l’exploration systématique des réponses
adaptée à ses besoins. qu’ils ont reçues et du sens qu’ils y ont donné, est une voie d’accès
à la qualité des expériences primaires vécues autrefois avec leurs
¶ Cible des thérapies conjointes propres figures parentales. Cette technique vise à éviter la répétition
Elle est avant tout interpersonnelle : c’est sur la relation mère-père- de ce que Seligman [28, 29] a décrit sous le terme de transfert
bébé que le thérapeute intervient, en tenant compte des bureaucratique. Elle rend compte d’un premier niveau
caractéristiques propres de chacun des partenaires. Cette cible exige d’intervention utilisé systématiquement dès que cela est nécessaire
une modification de la consigne classique en ce qui pourrait être pour faciliter l’alliance : il s’agit d’un niveau d’interprétation
une nouvelle règle fondamentale : « dites-moi ce qui se passe pour interpersonnelle (transférentielle/contre-transférentielle) basé sur
vous et votre bébé » [15]. Le thérapeute doit pouvoir s’identifier à l’hypothèse que ce qui va se jouer dans la rencontre initiale avec le
chacun des partenaires, ce qui n’est pas sans poser problème thérapeute traduira finalement le modèle de relation que le parent a
quelquefois, et implique la nécessité d’une double formation [6, 15, 27]. construit avec ses propres figures d’attachement dès la petite
enfance, modèle plus ou moins remanié ensuite en fonction de ses
Chacun des protagonistes constitue aussi une cible, mais, en tant expériences ultérieures [1, 20].
que membre de la relation mère-père-bébé , chacun des parents est
Tous les auteurs [6, 15, 25, 27] insistent sur l’importance de l’analyse
considéré dans sa contribution particulière auprès du bébé ; par
immédiate de toute manifestation (verbale ou comportementale) dite
exemple, il a été montré que la sécurité avec le père est plus associée
négative (par exemple, expression de colère, de doute, de méfiance)
au jeu et à la résolution de problèmes qu’à la sensibilité telle qu’elle
entre les parents et le thérapeute, que cette analyse porte sur la
a été décrite pour la mère. Chacun des parents est également pris en
personne même de ce dernier, sur sa technique, sur le cadre ou sur
compte dans sa capacité à jouer un rôle correctif sur l’influence de
les objectifs du traitement. Cette expérience nouvelle vécue par la
l’autre [18]. Quand il a un fonctionnement autonome sur le plan de
famille de pouvoir avoir ainsi un échange à ce sujet, en toute sécurité
l’attachement, chacun peut servir de base sûre à l’autre, qui peut
et sans rétorsion, limité dans un premier temps à ce qui s’est passé
ainsi fournir des soins de meilleure qualité au bébé.
hic et nunc pendant l’entretien, permet d’avoir accès à ses
Le fonctionnement du couple des parents est aussi pris en représentations actuelles de la relation d’aide. Dans un second
considération, dans la mesure où il influence la capacité des parents temps, elle permettra d’aborder, avec un délai variable et à un
à donner des soins de bonne qualité à leur enfant. Des conflits niveau plus ou moins profond et douloureux, les représentations
importants au sein du couple peuvent entraver cette capacité. transgénérationnelles de cette relation d’aide. Cette technique
Le bébé quant à lui est maintenant connu comme doué de contribue au développement d’une solide alliance thérapeutique,
compétences triadiques [12] dès le début de sa vie, c’est-à-dire qu’il aidant à surmonter les aléas transférentiels de la relation clinique [16].
peut très tôt entrer en relation avec plus d’une personne à la fois : la Un possible changement de ces représentations chez les parents
triade père-mère-bébé constitue le creuset du développement contribuera à son tour à modifier leurs propres réponses aux signaux
socioaffectif de l’enfant, particulièrement dans la première année de de détresse de leur enfant.

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Psychothérapies précoces parents-bébé 37-208-D-60

¶ Traitement de choix (psychodynamique, comportementaliste, cognitiviste, systémique). On


assiste ainsi à l’émergence d’un « modèle développementaliste
Une évaluation fine des besoins de chaque triade est nécessaire, elle
systémique implicite » [13], qui s’applique également aux programmes
se fait sur plusieurs entretiens, et comprend des observations
d’intervention précoce, où, au-delà de la dyade mère-bébé, la prise en
menées dans plusieurs settings (dans le bureau, à domicile, à la
compte des facteurs environnementaux et contextuels s’avère tout à fait
crèche…), afin que le thérapeute puisse établir l’alliance nécessaire
fondamentale. Si les différentes approches revendiquent encore souvent
et définir avec les parents de quel type de traitement il s’agira. On
peut ainsi proposer le « traitement de choix » pour la famille, en
leur cadre et leur spécificité théorique, elles se rejoignent de plus en plus
fonction de la durée probable du traitement (psychothérapie brève [6] sur les priorités cliniques et voient un certain nombre de leurs
ou longue, globalisante [8] ou séquentielle [31]), en fonction du lieu (à techniques converger. L’accent est mis sur l’implication de la famille
domicile ou dans le bureau du thérapeute), en fonction de ce que la dans le traitement, l’approche contextuelle et environnementale du
famille peut supporter et de ce qui est le mieux pour elle. trouble, une égale importance accordée, et aux émotions, et aux
processus cognitifs et développementaux, et enfin la reconnaissance
La « porte d’entrée » dans le traitement peut se faire soit par le bébé,
croissante de l’intérêt de ne pas se focaliser soit exclusivement sur le
soit par le lien parents-bébé, en fonction de ce qui nous est apporté,
passé de la mère (et de l’enfant), soit sur la seule situation actuelle hic et
de la plainte, de nos observations et de la tolérance des parents à
nunc.
différentes modalités d’intervention.
Les approches cliniques fondées sur la théorie de l’attachement ont mis
en lumière toute l’importance de l’alliance thérapeutique confiante, de
Conclusion l’empathie et de la sensibilité du thérapeute, tout comme celle de
l’atmosphère émotionnelle déployée dans ces psychothérapies parents-
Actuellement, les travaux de recherche en psychiatrie infantile mettent bébé. Des études comparatives cherchant à évaluer l’efficacité de
de plus en plus en évidence d’une part l’importance des processus différentes approches mettent en évidence le rôle déterminant de ces
développementaux, d’autre part la nature multidimensionnelle et facteurs dits « non spécifiques », communs à celles-là, et montrent que,
« écologique » des troubles chez l’enfant. Parallèlement, l’évolution des quelle que soit la « porte d’entrée » dans le système dyadique ou
programmes thérapeutiques montre une tendance croissante à familial, les résultats sont assez semblables [11, 25, 31]. Il ressort en effet de
considérer l’ensemble du système dans lequel vit l’enfant, plutôt que de ces recherches que ce sont précisément l’alliance thérapeutique établie
se focaliser sur sa seule symptomatologie, et également une tendance de avec les parents et la qualité de la relation clinique qui sont les facteurs
plus en plus marquée à combiner différentes modalités de traitement les plus prédictifs quant à l’aboutissement positif du traitement.

Références
[1] Bowlby J. A secure base. Clinical implications of the attach- [14] Fraiberg S, Adelson E, Shapiro V. Ghosts in the nursery: A [26] MacDonough S. Interaction guidance: understanding and
ment theory. London: Tavistock Routledge, 1988 psychoanalytic approach to impaired infant-mother rela- treating early infant-caregiver relationship disturbances.
[2] Brazelton TB. Touchpoints. Opportunities for preventive tionships. J Am Acad Child Psychiatry 1975; 14: 1387-1422 Zeanah CH ed. Handbook of infant mental health New York:
problems in the parent-child relationship. Acta Paediatr [15] Fraiberg S. Clinical studies in infant mental health. The first The Guilford Press, 1993; 414-426
[suppl] 1994; 394: 35-39 year of life. New York: Basic Books, 1980 [27] MacDonough S. Interaction guidance: An approach for
[3] Brisch KH. Treating attachment disorders. New York: The [16] Gelso CJ, Carter JA. Components of the psychotherapy difficult-to-engage families. Zeanah CH ed. Handbook of
Guilford Press, 2002 relationship: their interaction and unfolding during treat- infant mental health New York: The Guilford Press, 2000
[4] Bydlowski M. La dette de vie. Itinéraire psychanalytique de ment. J Counsel Psychol 1994; 41: 296-306 [28] Seligman S. Le programme enfant-parent. Le développe-
la maternité. Paris: PUF, 1997 [17] George C, Solomon J. Attachment and caregiving: the ment d’un programme pilote de santé mentale infantile.
[5] Cassidy J, Kobak RR. Avoidance and its relation to other caregiving behavioral system. Cassidy J, Shaver PR, eds. Devenir 1994; 6: 7-29
defensive processes. In: Clinical implications of attachment Handbook of attachment, theory, research and clinical appli- [29] Seligman S, Pawl JH. Impediments to the formation of the
London: LEA, 2000; 300-319 cations New York: The Guilford Press, 1999; 649-670 working alliance in infant-parents psychotherapy. Call J,
[6] Cramer B, Palasio-Espasa F. La pratique des psychothéra- [18] George C, Solomon J. Representational models of rela- Galenson E, Tyson RL, eds. Frontiers of infant psychiatry New
pies mère-bébé. Paris: PUF, 1993 tionships: links between caregiving and attachment. Infant York: Basic Books, 1984; 232-238
Mental Health J 1996; 17: 198-216 [30] Slade A. Attachment theory and research. Implications for
[7] Cramer B, Robert-Tissot C, Rusconi-Serpa S. Du bébé au
préadolescent. Une étude longitudinale. Paris: Odile Jacob, [19] Greenspan SI, Wieder S, Lieberman A et al. Infants in mul- the theory and practice of individual psychotherapy with
2003 tirisks families: case studies in preventive intervention. adults. Cassidy J, Shaver P, eds. Handbook of attachment:
Madison: International University Press, 1987 theory, research and clinical ilplications New York: The Guil-
[8] Debray R. Bébés-mères en révolte. Traitements psychana-
[20] Holmes J. John Bowlby and attachment theory. London: ford Press, 1999; 575-594
lytiques conjoints des déséquilibres psychosomatiques
précoces. Paris: Le Centurion-Paidos, 1987 Routledge, 1993 [31] Stern D. The motherhood constellation. A unified view of
[9] Dornes M. Le nourrisson et l’inconscient. In: Psychanalyse [21] Karen R. Becoming attached. New York: Oxford University parent-infant psychotherapy. New York: Basic Books, 1995
et psychologie du premier âge Paris: PUF, 2002 Press, 1998 [32] Stoleru S, Moralès-Huet M. Psychothérapies mère-
[10] Dozier M, Cue KL, Barnett L. Clinicians as caregivers: role of [22] Lebovici S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Les nourrisson dans les familles à problèmes multiples. Paris:
attachment organization in treatment. J Consult Clin interactions précoces. Paris: Le Centurion-Paidos, 1983 PUF, 1989
Psychol 1994; 62: 793-800 [23] Lebovici S. Des psychanalystes pratiquent des psychothé- [33] Van Ijzendoorn M, Juffer F, Duyvesteyn M. Breaking the
[11] Egeland B, Weinfield N, Bosquet M et al. Remembering, rapies bébé-parents. Rev Fr Psychanal 1991; 3: 667-683 intergenerational cycle of insecure attachment: a review of
repeating and working through: lessons from the the effects of attachment-based interventions on maternal
[24] Lieberman A, Pawl JH. Infant-parent psychotherapy.
attachment-based interventions. Osofsky J, Fitzgerald H, sensitivity and infant security. J Child Psychol Psychiatry
Zeanah CH ed. Handbook of infant mental health New York:
eds. Handbook of infant mental health WAIMH, 2000 1995; 36: 225-248
The Guilford Press, 1993
[12] Fivaz-Depeursinge E, Corboz-Warnery A. Le triangle pri- [25] Lieberman A, Zeanah CH. Contributions of attachment [34] Weatherston D. Psychothérapie autour de la table de la
maire : le père, la mère et le bébé. Paris: Odile Jacob, 2001 theory to infant-parent psychotherapy and other interven- cuisine, un support clinique pour le développement
[13] Fonagy P, Target M, Cottrell D, Phillips J, Kurtz Z. What tions with infants and young children. Cassidy J, Shaver P, précoce des relations. Devenir 1997; 9: 25-42
works for whom? A critical review of treatments for children eds. Handbook of attachment: theory, research and clinical [35] Winnicott DW. La préoccupation maternelle primaire. De
and adolescents. New York: The Guilford Press, 2002 implications New York: The Guilford Press, 1999; 555-574 la pédiatrie à la psychanalyse Paris: Payot, 1969

5
Pédopsychiatrie
[37-205-A-30]

Rééducations en psychiatrie de l'enfant : domaine,


objectifs et moyens

Philippe Mazet : Professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent


service de psychopathologie de l'enfant et de l'adolescent (hôpital Avicenne, Bobigny) et département
de psychopathologie clinique, biologique et sociale de l'enfant et de la famille (UFR de santé,
médecine et biologie humaine de Bobigny, université Paris-Nord) France
Andrée Girolami-Boulinier : Orthophoniste
6, rue Voisembert, 92 130 lssy-les-Moulineaux France
Jean-Jacques Guillarme
Centre régional de formation des maîtres de l'adaptation et de l'intégration scolaires. Ecole normale
d'instituteurs de Paris, 10, rue Molitor, 750 16 Paris France
Nicole Odéon : Psychomotricienne
1, bd des Belges, 44300 Nantes France
Christian Monfront : Rééducateur en psychopédagogie
10, rue Molitor, 750 16 Paris France
Michel Poirot
Rééducateur en psychopédagogie France

© 1993 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

RÉ É DUCATIONS EN PSYCHIATRIE DE L'ENFANT


INTRODUCTION *

Remarques sur les objectifs et les moyens

Il apparaît essentiel d'essayer de définir les objectifs et les moyens,


éventuellement spécifiques, des rééducations pour tenter de situer ces dernières
par rapport à d'autres abords thérapeutiques, notamment les psychothérapies ou
l'action pédagogique traditionnelle.

Ainsi délimité le domaine des rééducations en psychiatrie de l'enfant, il apparaît


utile dans cette introduction de faire trois types de remarques. Elles concernent :

les objectifs et les moyens de ces rééducations ;


un certain nombre de notions concernant le développement et ses
troubles ;
la place de la problématique narcissique dans la réussite ou les échecs de
certaines rééducations.

Objectifs d'une rééducation

- Quels sont donc les objectifs d'une " rééducation ", qu'elle soit psychomotrice,
orthophonique ou psychopédagogique ? Quel but va poursuivre le " rééducateur
"?

Au risque d'être simplificateur, on peut dire qu'un des principaux objectifs est de
contribuer à l'usage plus plaisant et plus satisfaisant d'une fonction avec l'idée
de favoriser ainsi une meilleure communication de l'enfant avec lui-même et
avec son entourage.

La notion de plaisir de fonctionnement est donc ici tout à fait centrale. Bien des
facteurs peuvent être en cause dans une limitation de ce plaisir, dans sa non-
apparition ou dans la survenue d'une gêne ou d'une inhibition. C'est le plus
souvent en termes de conflit interne, en grande partie inconscient, entre le
plaisir lié à ce fonctionnement et l'interdit lié à cette activité que se situe
l'approche théorique psychodynamique, si féconde dans la compréhension d'un
certain nombre d'inhibitions.

Mais un autre facteur psychologique paraît ici aussi très important - nous y
reviendrons - c'est la problématique narcissique, impliquée dans la réussite ou
l'échec de nombreux apprentissages et donc dans le domaine potentiel de bien
des rééducations.

Moyens

- Vient ensuite la question des moyens. On pourrait dire, d'une manière très
schématique, que les moyens utilisés par le " rééducateur " sont de deux ordres,
d'une part des moyens d'ordre technique et d'autre part des moyens d'ordre
relationnel.

Différentes activités

- Ainsi, le rééducateur va proposer à l'enfant, soit en rééducation individuelle,


soit en groupe, certaines activités appropriées dont il pense qu'elles vont
permettre à l'enfant de découvrir peu à peu l'usage agréable de la fonction
concernée.

Il ne s'agit en aucun cas, nous l'avons déjà dit, de combler mécaniquement


quelque déficit par une gymnastique motrice, verbale ou intellectuelle, ou encore
un entraînement intensif.

Les activités proposées sont fonction de l'enfant lui-même, de son vécu, de ses
possibilités et orientées vers sa réalité quotidienne. La rééducation ne réussit
que dans la mesure où le technicien trouve intuitivement le moyen de révéler
progressivement à l'enfant tous ces plaisirs du Moi méconnus jusqu'alors ou mis
de côté.

Relation thérapeutique

- Le deuxième type de moyen est l'instrument que tout thérapeute a à sa


disposition : la relation thérapeutique, la qualité de sa relation à l'enfant et
aux(x) parents(s). Il est tout à fait clair qu'une rééducation, comme tout autre
abord thérapeutique, ne va réussir que si elle se passe dans un climat affectif et
relationnel de bonne qualité.

C'est une évidence, mais il est beaucoup plus compliqué par contre de définir ce
qui caractérise une telle relation.

Essayons de le faire brièvement en évoquant 4 caractéristiques de celle-ci bien


qu'elles soient toutes sujettes à discussion.

Grande disponibilité du thérapeute

Cela va de soit, mais n'est pas facile en pratique : Pendant le temps où on se


trouve avec l'enfant, il faut être tout à lui, dégagé de toute autre préoccupation,
avoir la possibilité de prendre son temps, tout le temps nécessaire pour qu'une
relation s'établisse. Mais plus qu'une question de temps, c'est peut-être
beaucoup plus une question d'état d'esprit qui permet que l'enfant sente le désir
de communiquer avec lui, de l'entendre, de le comprendre. Les autres
caractéristiques ne sont, au fond, que des conditions de cette disponibilité.

Absence d'a priori

L'enfant vient en thérapie, quel que soit le thérapeute, pour exprimer quelque
chose ou pour faire quelque chose. Il ne faut pas que celui-ci donne l'impression
de le connaître avant de l'avoir entendu, de l'avoir vu fonctionner. L'absence d'a
priori, c'est être à la découverte permanente de l'enfant, de toutes ses
potentialités et de toutes ses compétences.

Désir de comprendre avant celui de guérir

C'est déjà un peu plus paradoxal. Si nous avons à tout prix le désir de guérir
avant celui de comprendre l'enfant et de savoir qui il est (et pas seulement ce
qu'il peut et sait faire) nous allons le mettre en grande difficulté ; ce n'est
évidemment pas simple à réaliser si l'on considère nos motivations à s'être
engagés dans une activité, une profession où il s'agit bien de viser à guérir ?

Par ailleurs, l'essentiel du processus de guérison, comme dit Winnicott, vient de


l'enfant lui-même. Et lorsque le thérapeute confisque à l'enfant ce sentiment
qu'il est l'auteur de sa propre évolution positive et de sa guérison, c'est
dramatique pour l'enfant.

Capacité du thérapeute d'analyser, ses propres attitudes, ses propres sentiments

Il doit posséder cette autre caractéristique à l'égard de l'enfant, de ses parents,


voire des enseignants ou des personnes qui l'ont adressé en rééducation. Il faut
aussi une certaine capacité de s'identifier à l'enfant, dans le sens de se mettre à
sa place avec ce qu'il peut ressentir, éprouver, notamment dans sa relation avec
lui sans pour autant perdre sa propre identité.

Il faut en somme à la fois s'identifier de manière souple, alternée, à l'enfant et


aux parents sans se laisser " enfermer " dans des projections personnelles,
aveuglantes, ce qui n'est pas évident et suppose un retour sur soi et aussi la
possibilité d'en parler à d'autres personnes par exemple au sein de l'équipe
soignante.

Il est évident que cela renvoie à notre propre vie affective et relationnelle :
pourquoi tel enfant suscite-t-il en nous tel sentiment un peu négatif ou de rejet,
ou tel sentiment positif d'attachement ? Il faut essayer de comprendre en quoi
cela renvoie éventuellement à des expériences personnelles, si on a une certaine
capacité d'insight (éventuellement développée par une analyse personnelle). Et
cela peut nous aider à débloquer des attitudes de rejet inconscientes à l'égard
des enfants et des parents. Une rééducation, une psychothérapie ne " marchera "
que si on est assez à l'aise par rapport à cela.

Ainsi la description des objectifs et des moyens rééducateurs permet de situer la


rééducation par rapport à la psychothérapie centrée sur la vie interne, affective,
imaginaire et fantasmatique de l'enfant et à la pédagogie traditionnelle, centrée
sur l'apprentissage strict d'une tâche strictement délimitée dans ses objectifs et
ses critères d'appréciation de " travail ", de " réussite " ou de " performance ".

Développement et ses troubles

Evoquons maintenant trois notions utiles à la compréhension des processus de


développement, de leurs troubles et de leur évolution.

Notion de régulation interactive

Dans le développement, on insiste beaucoup actuellement sur les interactions


entre le bébé (ou l'enfant) et son entourage, sur un autre plan l'interaction entre
l'équipement neurobiologique et celles qui existent entre l'équipement
neurobiologique et outre l'investissement de son activité. C'est par tout un jeu de
régulations très précoces et complexes que le développement se fait, ce qui rend
bien discutable la dichotomie et le clivage, largement dépassés aujourd'hui dans
bien des cas, qu'on voit encore dans des débats très passionnels sur les
questions inné/acquis, organisme/milieu, etc.

Par ses particularités, ici ses dispositions toniques, motrices ou perceptives ou


bien ses rythmes par exemple, le bébé influence sa mère, imprime sa marque
dans les échanges et donc oriente d'une certaine façon les lignes évolutives de
son développement.

Notion de variation " instrumentale "

Dans le domaine du développement, de quoi parle-t-on actuellement lorsqu'on a


recours à la notion de trouble " instrumental " ? En effet, cette notion qui dans le
domaine de la psychiatrie de l'enfant a eu beaucoup de succès puis a été
abandonnée parce qu'ayant une connotation trop organiciste, trop mécaniciste, a
tendance à être reprise actuellement dans une perspective tout à fait différente,
purement descriptive, sans référence et arrière-pensée étiopathogéniques. On
décrit là des difficultés ou des perturbations des grandes fonctions ou activités
que l'enfant utilise pour se connaître, connaître l'environnement, l'entourage, et
communiquer avec lui : l'activité cognitive et intellectuelle, celle du langage et
celle de la vie motrice et perceptive.

La notion de variation " instrumentale " met l'accent sur le fait qu'il y a une très
large " fourchette " d'expressions et d'évolutions possibles dans le cadre de la
normalité et sur la connaissance de particularités (ici tonicomotrices, dans la
latéralisation, dans la reproduction des figures rythmiques ou géométriques, ou
dans le rythme d'apprentissage par exemple) qui vont s'inscrire dans un
mouvement dynamique et dialectique interpersonnel et intrapsychique et ainsi
servir de points d'appui à la forme que prend l'évolution. Ainsi par exemple,
l'apprentissage du langage écrit se fait normalement entre 5 ans et 8 ans et bon
nombre d'enfants adressés en psychiatrie parce qu'ils n'ont pas encore "
démarré " les processus d'apprentissage du langage écrit à 7 ans ne se situent
pas du tout dans le registre de la pathologie, ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut
pas les aider sur le plan pédagogique et psychologique pour éviter de
transformer des difficultés, transitoires, en échecs durables. Nous avons sans
arrêt l'obligation de nous rappeler que le champ du normal est extrêmement
large en matière de développement.

Facteurs de développement et facteurs de maintien des troubles

Remarquons que nos abords thérapeutiques portent peut-être plus souvent sur
les facteurs qui sont en cause dans le maintien du trouble que sur ceux qui sont à
son origine. Cela est lié à ce que nous sommes souvent bien ignorants au sujet
des facteurs qui engendrent des troubles (qu'ils soient " instrumentaux " ou
affectifs et relationnels, etc.), ce qui ne veut pas dire que nous n'ayons pas
d'hypothèses étayées sur des données cliniques à ce sujet.

Par contre, on sait peut-être beaucoup plus de choses sur les facteurs qui
contribuent au maintien du trouble et qui vont par exemple transformer une
difficulté transitoire dans l'apprentissage de la langue écrite en échec durable,
prolongé.

Là existent deux types de facteurs :

ceux qui appartiennent à l'enfant (par exemple les attitudes de l'enfant


face à la situation d'apprentissage) ;
ceux qui appartiennent à l'environnement, à l'entourage, aux adultes
(enseignants, parents, professionnels, rééducateurs ou psychiatres) au
sein de leur action éducative et pédagogique.

Il apparaît, semble-t-il, qu'une grande partie de l'impact thérapeutique va


beaucoup plus venir d'une levée des facteurs de maintien, entraînant une reprise
évolutive, que d'une véritable suppression de ceux qui on été à l'origine du
trouble.

Dans cette perspective, il nous faut maintenant évoquer l'importance de l'estime


de soi et de la solidité narcissique dans la réussite de bon nombre
d'apprentissages de l'enfance.

Place de la problématique narcissique dans la réussite ou les échecs de


certaines rééducations

Ces dernières remarques visent à mettre l'accent sur une composante


psychologique souvent essentielle au cours de l'évolution des rééducations :
l'estime de soi et la problématique narcissique.

En effet, les rééducations sont indiquées dans des difficultés ou des troubles du
développement psychomoteur, langagier, intellectuel et cognitif, qui peuvent
être vécus à un certain niveau par l'enfant mais aussi par les parents, comme la
traduction d'un manque, d'un " défaut ", voire d'un handicap, en tout cas d'un
échec. On conçoit que l'estime de soi de l'enfant puisse en être altérée, son
organisation narcissique fragilisée, et qu'ainsi de tels effets psychologiques
puissent représenter des facteurs de maintien des troubles, comme nous l'avons
vu plus haut. On peut même penser que certains enfants défaillants précocement
dans leur organisation narcissique et dans l'élaboration d'une estime de soi
satisfaisante sont aussi particulièrement en difficulté dans la phase initiale de
certains apprentissages, scolaires par exemple (l'apprentissage de la lecture,
notamment, ou des mathématiques, etc), ne trouvant pas en eux-mêmes les
ressources personnelles qui leur font dépasser les inévitables difficultés initiales,
transitoires, pour peu à peu, progressivement, réaliser cet apprentissage. On voit
donc que l'un des axes de travail que l'on doit avoir avec de tels enfants est celui
d'une restauration de l'image de soi.

Or, certains abords diagnostiques et thérapeutiques sont parfois loin d'engendrer


cette restauration, notamment lorsqu'ils contribuent trop par le centrage sur le
manque, l'incapacité ou l'échec (effet négatif d'un étiquetage vécu comme
statique et stigmatisant, rééducation trop prolongée ou ne prenant pas
suffisamment en compte la dimension d'activité nécessaire pour l'enfant, etc.) à
maintenir, voire à renforcer chez le sujet l'image de l'enfant abîmé, à réparer à
tout prix.

La nécessité d'une relation vécue comme authentiquement bienveillante tant par


l'enfant que par ses parents où ils se sentent acceptés tels qu'ils sont, mais aussi
pris en considération dans leurs attentes et dans leurs aspirations, est le
préalable indispensable à tout travail éventuel, ici rééducatif. Il s'agit de
redonner confiance à l'enfant quant à ses possibilités, mais aussi de redonner
confiance aux parents dans les capacités de leur enfant. Il est intéressant de
noter que cette dimension de l'estime de soi et de la solidité narcissique
impliquée dans la réussite des apprentissages de l'enfance est essentielle au
point de vue psychodynamique, à côté de la dimension du conflit impliquée dans
l'accession de l'enfant à la connaissance, conflit entre le désir de savoir et les
interdits qui s'y opposent.

Nous venons de l'évoquer, certaines rééducations trop prolongées, voire,


interminables, sans qu'il y ait le moindre progrès dans l'évolution de l'enfant.
Elles sont très problématiques car elles entraînent un sentiment d'échec de tout
le monde, aussi bien chez l'enfant, chez les parents, que chez le thérapeute en
même temps qu'une situation de codépendance de tous les partenaires,
volontiers conflictuelle et insatisfaisante.

On voit même dans certains cas un véritable acharnement aussi bien de l'enfant
à résister aux désirs des adultes que de ceux-ci, thérapeutes et parents, à
essayer de poursuivre le traitement. Il est clair que dans un certain nombre de
cas, une pause thérapeutique peut être bénéfique et représenter pour l'enfant
l'occasion d'une reprise par lui-même d'une position active l'amenant à se
mobiliser positivement dans un sens favorable ; ce qui ne veut pas dire que, dans
un deuxième temps, par exemple quand les choses seront vécues autrement, il
ne sera pas nécessaire de reprendre l'aide de cet enfant, parfois sur un autre
mode.

En définitive, un objectif tout à fait fondamental du thérapeute d'un enfant n'est-


il pas de bien veiller à ne pas déposséder l'enfant de son sentiment d'être lui-
même l'auteur, l'acteur de sa guérison.

Haut de page

PSYCHOMOTRICITÉ EN PSYCHIATRIE DE L'ENFANT*

L'évolution du concept de psychomotricité durant ces dernières décennies a


évolué dans le monde médical, dans celui de l'éducation ainsi que chez les
psychanalystes. Il engage les psychomotriciens à délimiter leur champ
d'intervention et surtout la spécificité de leur travail. Le foisonnement des
thérapies corporelles dont ils n'ont pas l'exclusivité les a poussés à évoluer eux-
mêmes dans leurs réflexions, sur leur pratique.

Le champ de la psychomotricité est vaste et le psychomotricien peut intervenir à


tous les âges de la vie. Il prend toute sa place en psychiatrie de l'enfant, en
participant à l'évaluation diagnostique et à la prise en charge thérapeutique de
l'enfant et sa famille.

Enfants entre 0 et 3 ans

Indications

- Les troubles du tonus et le retard de développement psychomoteur, qu'ils


soient secondaires à une naissance prématurée, liés à un handicap, ou qu'ils
entrent dans une problématique psycho-affective plus ou moins lourde, suscitent
l'intervention du psychomotricien.

Dans l'anamnèse, notre intérêt se porte précisément sur le dialogue tonique


établi entre l'enfant et son entourage (tout particulièrement sa mère) depuis sa
naissance, et les premières étapes de son développement psychomoteur.

L'observation porte sur l'évaluation précise du niveau de développement


psychomoteur de l'enfant au moment de la consultation, son ajustement
tonicomoteur, la qualité de ses interactions avec l'adulte. L'évaluation, se faisant
le plus souvent avec les parents, permet aussi, à partir de situations concrètes,
de fournir des indications significatives sur les interactions parents-enfant, et les
différences qualitatives avec celles vécues entre l'enfant et le psychomotricien.

Toutes ces observations sont intéressantes pour repérer comment ont pu


fonctionner le " holding " et le " handling ", et comment s'est constitué le Moi
corporel de l'enfant.

L'observation en plusieurs temps permet d'apprécier les capacités d'adaptation,


d'ajustement et de mobilisation de l'enfant et des parents par rapport aux
difficultés reconnues.

L'évaluation du psychomotricien vient compléter l'examen clinique et permet de


mettre en évidence d'éventuelles discordances entre le discours des parents, la
manière dont ils se représentent les choses, et la manière dont ils les vivent en
situation.

Objectifs et modalités

Lorsqu'une indication de " thérapie " psychomotrice est posée, les objectifs et
modalités de prise en charge induisent quelques réflexions.

Entre 0 et 3 ans, l'enfant est encore très dépendant de sa mère. Déstabiliser le


mode de fonctionnement de l'interaction mère-enfant, en proposant un autre
modèle à l'enfant seul, peut être une démarche un peu périlleuse, car elle risque
de renforcer les sentiments négatifs que les parents ont d'eux-mêmes, leur
crainte d'être jugés... Il est alors préférable de reconnaître leurs défenses et de
travailler avec, pour gagner leur confiance et les rendre " partie prenante " du
travail.

Quant aux objectifs d'une telle thérapie, ils sont multiples en fonction de la
problématique présentée. En règle générale, le psychomotricien a une fonction
d'étayage dans les processus de " holding ", de " handling ", de contenant, d'aide
à l'ajustement des stimulations des parents à l'égard de l'enfant, de guidance au
niveau des stimulations spécifiques et qualitativement adaptées (notamment en
présence d'un handicap), de soutien au travail d'individuation, de séparation.

Les moyens utilisés partent de situations de maternage, de jeux, de massages,


nous pouvons également utiliser l'eau comme médiateur (baignoire). Nous
tentons d'obtenir une participation active du ou des parents présents.

Les travaux récents sur les interactions précoces tendent à prouver que la
construction du moi corporel, les notions de structuration spatiale. et temporelle,
de rythme, d'imitation s'enracinent dès les premières interactions par les
échanges tonico-posturo-moteurs, le regard, le langage. La thérapie
psychomotrice présente un intérêt tout particulier quand, à partir des échanges
corporels, émotionnels, posturaux et verbaux, elle tente de reconstruire avec
l'enfant et ses parents cet échafaudage structural.

La thérapie psychomotrice parents-enfant ne peut s'envisager à long terme, mais


plutôt comme une étape dans le processus thérapeutique. Dans cette
perspective, il est utile de travailler d'emblée en lien étroit avec un autre
thérapeute ayant participé au diagnostic qui pourra, le moment venu, prendre le
relais avec les parents ou l'enfant.

Enfants de plus de 3 ans

Indications

Le psychomotricien est sollicité pour des problématiques très variées. Il peut


s'agir d'enfants présentant une symptomatologie psychomotrice importante qui
perturbe son adaptation dans sa relation au monde. Dans ce cadre, on retrouve
les troubles de l'efficience motrice et de l'organisation praxique : retards
moteurs, dysharmonies psychomotrices..., les problèmes de latéralité, de
l'orientation et de la structuration spatiale, les troubles du schéma corporel,
qu'ils portent sur la connaissance du corps ou sur son investissement dans la
relation, l'instabilité ou l'inhibition psychomotrice. Ces perturbations peuvent
être liées à des troubles organiques mêmes minimes qu'il est utile d'apprécier.

D'autres enfants nous sont adressés pour une série de petites difficultés, mal
systématisées, mais qui sont invalidantes pour les apprentissages. Ce sont des
enfants pour qui l'agir est le mode d'expression privilégié au détriment de la
verbalisation.

Ils ont souvent peu ou mal développé leur fonction symbolique.

D'autres encore viennent nous voir pour des troubles psychosomatiques. Chez
eux, le corps s'exprime aux dépens de la verbalisation, de l'élaboration (par
inhibition du processus de pensée).

Moins souvent, en consultation de psychiatrie de l'enfant, nous avons à prendre


en charge des enfants atteints d'un handicap sensoriel, moteur ou intellectuel
profond, présentant des troubles de l'investissement corporel.

Enfin, nous sommes amenés à rencontrer des enfants présentant des


perturbations graves de la personnalité, dont les psychoses.

Les enfants psychotiques ont des difficultés considérables dans l'organisation de


leur Moi corporel, de leur image du corps, qui se caractérise en particulier par
l'absence d'intégration du corps vécu.

Temps de l'évaluation

Il représente une étape essentielle avant d'envisager une prise en charge. Les
grandes lignes de cette évaluation sont les suivantes.

Le premier entretien avec les parents vise à préciser les éléments de l'anamnèse
concernant l'évolution des acquisitions psychomotrices et à restituer les
difficultés de l'enfant dans son histoire.

Puis vient le temps de l'évaluation elle-même. Nous sommes alors amenés à


apprécier l'organisation psychomotrice de l'enfant dans des situations variées et
au travers d'un certain nombre de tests dont voici une description succincte.

Observation de l'activité spontanée

Elle nous informe sur la manière dont l'enfant appréhende l'espace, le matériel,
sur ses facultés à organiser une activité, ainsi que sur la manière dont il investit
le psychomotricien, la distance qu'il instaure entre les deux et son expression
corporelle.
Examen de la motricité globale

Il porte sur les épreuves d'immobilité, équilibre statique et dynamique, conduites


motrices de base, coordination générale, dissociation des mouvements (test
d'Ozeretzky-Lincoln).

Examen de la motricité fine

Il porte sur l'habileté manuelle au cours des manipulations d'objets (test


d'Ozeretzky-Lincoln, test d'Auzias), sur la qualité du graphisme. Le test
d'imitation de gestes de Bergès nous permet de préciser le niveau d'intégration
des praxies, le test de Galifret-Granjon porte sur les gnosies digitales, et le test
de Kwint consistent en un jeu de grimaces, il renseigne sur la motricité faciale.

Examen du schéma corporel

Il porte sur la connaissance du corps : nommer, montrer les différentes parties


du corps sur soi, sur autrui, sur un dessin (test de Bergès-Lézine), le dessin du
bonhomme, le modelage.

Le test de Meljac-Stamback-Bergès permet d'explorer les aspects cognitifs du


schéma corporel par la reconstitution du corps.

Le test de Figueira s'intéresse à l'intérieur du corps.

Le test d'imitation de gestes de Bergès faisant appel à l'organisation


gnosopraxique informe également sur l'intégration du schéma corporel.

Le test de Piaget-Head s'intéresse au schéma corporel orienté dans l'espace.

Exploration de l'image du corps

Elle se réalise tout au long du bilan à travers la manière dont l'enfant investit son
corps dans la relation, par sa prestance, son comportement tonico-émotionnel
face au regard porté sur lui, la négociation de la distance inter-corporelle...

Examen du tonus

Il donne des informations précieuses sur l'investissement du corps en relation, la


capacité de relâchement volontaire, mais aussi sur la maturation neurologique, la
dominance latérale avec les épreuves de ballant, extensibilité, syncinésies.

Examen de la latéralité

Il se pratique au niveau de l'oeil, la main, le pied. Alors que l'examen du tonus


renseigne sur la latéralité neurologique, la latéralité fonctionnelle se recherche
au niveau des mains par des gestes sans signification, au niveau des pieds par
l'épreuve de poussée (Foix-Thévenard), départ de marche... au niveau de l'oeil
par celle du " sighting ". La latéralité usuelle se recherche au niveau des mains
par l'observation des activités, le mime de gestes familiers, au niveau des pieds
par les jeux de ballon, au niveau de l'oeil par l'épreuve de visée.

La dominance auditive est aussi recherchée en repérant quelle oreille est la plus
souvent tendue pour saisir l'origine d'un bruit.
Organisation spatiale

Elle s'évalue au niveau de l'espace corporel, de l'espace d'action, de l'espace


graphique. Il y a lieu de différencier la structuration de l'espace d'une part, qui
consiste à organiser différents éléments entre eux dans un espace donné, la
perception de l'espace d'autre part : appréciation des distances par exemple, et
l'orientation dans l'espace : devant, derrière, haut, bas, droite, gauche.

Au niveau de l'espace graphique, on apprécie l'organisation du dessin sur la


feuille, le sens du graphisme, et nous proposons les tests de Santucci, Réversal.

Organisation temporelle

Elle fait appel à la notion de durée : long-court, au repérage dans le temps :


déroulement d'une journée, de la semaine, des mois de l'année, des saisons,
également à l'organisation, au déroulement de séquences de jeu ou d'une
histoire, mais aussi à la notion de rythme (test de Mira-Stambak).

Ces situations directives ne sont pas toujours acceptées par l'enfant, nous
devons alors tenter d'évaluer ses capacités au travers de l'observation fine de
son activité.

En outre, dans toute évaluation il est nécessaire de proposer un temps, une aire
de jeu, nous permettant d'observer les capacités de l'enfant à passer du réel à
l'imaginaire. L'enfant peut s'enfermer dans un agir lié aux manipulations
d'objets, à leur utilisation collant à la réalité. Il peut encore nous entraîner dans
des jeux compétitifs faisant appel à des règles. Il peut aussi se réfugier dans la
sphère imaginaire ne laissant pas la possibilité à l'autre de s'y inscrire. Il peut
enfin se plaire dans des jeux créatifs nous y incluant, et qui font appel à
l'imaginaire, aux capacités associatives, projectives de l'enfant, laissant présager
de ses possibilités de mentalisation, d'élaboration.

Cette évaluation se réalise en plusieurs temps, ce qui nous permet de juger la


disponibilité de l'enfant, ses capacités d'inhibition, de concentration, sa
fatigabilité, ses possibilités de mentalisation, de mémorisation des consignes,
ainsi que ses capacités d'adaptation, d'ajustement.

Les données fournies vont faire l'objet d'une analyse clinique approfondie,
prenant en compte les données instrumentales, celles liées à son mode de
relation au monde et à autrui et doit les comprendre avec l'histoire de l'enfant et
sa famille.

L'évaluation psychomotrice vient ainsi enrichir, compléter le diagnostic global de


l'enfant.

Il est clair que tous les enfants présentant des troubles psychomoteurs ne
relèveront pas d'une thérapie psychomotrice, en revanche des enfants
présentant peu ou prou des difficultés psychomotrices pourront en tirer profit. Il
appartient à l'équipe de décider d'une telle prise en charge en fonction de la
capacité de l'enfant à s'investir dans cette approche qui met en jeu le corps en
relation.

Approche thérapeutique

Lorsque l'indication d'une prise en charge psychomotrice est posée, elle peut
prendre différentes formes : en individuel ou en groupe. Les médiateurs utilisés
sont divers et variables en fonction des possibilités offertes par le cadre
institutionnel, de l'intérêt particulier que porte tel psychomotricien à un
médiateur, une technique, enfin et surtout en fonction des désirs et besoins de
l'enfant.
Parmi tous les moyens dont nous disposons, nous pouvons citer : le jeu,
l'expression corporelle, la danse, l'expression artistique (dessin, peinture,
modelage...), le jeu de rôle, le mime, la musique, les jeux d'eau (patouille,
baignoire, piscine), la relaxation...

Il existe plusieurs courants de pensée parmi les psychomotriciens concernant


l'approche thérapeutique.

La première tendance regroupe ceux qui se définissent comme


rééducateurs, s'attachant plus à réduire le/les symptômes qu'à en
comprendre le sens. Ils se dotent alors de techniques efficaces derrière
lesquelles ils auront tendance à se réfugier, évitant ainsi à prendre en
compte la dimension transférentielle qui les implique. Ils refusent le plus
souvent, comme une déviance impure, tout échange verbal approfondi
avec le patient et la famille, les renvoyant pour cela aux psychologues ou
psychiatres.
Une deuxième tendance regroupe des psychomotriciens, imprégnés de la
psychanalyse, parfois bien formés dans ce domaine, qui, à l'opposé du
premier groupe, concentrent leur énergie à comprendre, à analyser les
manifestations du patient dans une position d'observation. Celle-ci
comporte le risque majeur d'opérer un glissement vers une thérapie
verbale mettant entre parenthèses la réalité corporelle pour laquelle il est
sollicité.
La thérapie psychomotrice est singulière du fait que le thérapeute
travaille avec des objets réels à commencer par le corps : celui de l'enfant
et le sien, et qu'il intervient dans l'interaction réelle. Cela ne le dispense
pas des assauts transférentiels plus ou moins massifs de la part du
patient, c'est-à-dire qu'il est aussi dans l'interaction imaginaire et
fantasmatique. Mais le fait d'être partie prenante dans l'interaction réelle
rend pratiquement inanalysable le transfert en situation. En revanche, s'il
ne travaille pas sur le transfert, le psychomotricien travaille avec le
transfert. Il aura donc à l'élaborer dans l'après-coup afin de s'ajuster avec
l'enfant et lui permettre d'évoluer dans cette relation.
La dernière tendance rassemble certainement la majorité des
psychomotriciens qui tendent de prendre en compte l'enfant dans sa
globalité, le transfert et le contre-transfert. Ils essaient de situer leur
action dans cette articulation si difficile à réaliser entre l'agir, la mise en
acte, et le représenté. Ils doivent prendre en compte à la fois le bagage
instrumental de l'enfant, et son fonctionnement psychique. Les
techniques utilisées auront ici la fonction essentielle de support pour le
développement de l'enfant, mais aussi pour la négociation de la distance
dans l'interaction.

Haut de page

INTERVENTIONS ORTHOPHONIQUES CHEZ L'ENFANT*

Interventions précoces concernant la communication et le langage parlé

L'orthophonie concerne le langage. Il semble donc qu'une intervention


orthophonique ne doive se manifester que s'il s'agit de langage.

Dès le début de la vie

La première rencontre avec l'orthophoniste à propos du dépistage de la surdité à


la naissance apparaît comme un moment important.

On a maintenant tendance à critiquer ce dépistage en pensant qu'il devrait avoir


lieu seulement pour les naissances à haut risque,... et pourtant on sait qu'il
existe encore des surdités non reconnues après plusieurs mois, voire plusieurs
années.

Ce dépistage offre la possibilité d'une prise de contact avec la mère, pour la


sensibiliser aux échanges langagiers qui vont exister entre elle et son enfant. On
sait que tous les sens sont en état d'être utilisés dès la naissance. Aussi faut-il
souligner l'importance des contacts tactile, olfactif, auditif et très vite visuel,
même et à plus forte raison quand l'enfant justement serait suspect de
problèmes d'audition.

Trop de mères encore pensent que leur enfant n'entend pas ou ne comprend pas
quand elle lui parle.

Or il est très important de faire participer la mère à cette joie de la


communication qui initiera l'enfant à la mélodie et au rythme de la parole
associée à la douceur des caresses,... tout en respectant les silences nécessaires,
qui lui feront justement désirer le retour de cette parole.

Ce premier entretien avec l'orthophoniste évitera le désarroi encore fréquent des


mères et favorisera l'attitude de communication langagière qui doit s'instaurer
dès la naissance. Et les parents sauront qu'il existe quelqu'un pour les conseiller
en cas d'insécurité.

Développement du langage chez un enfant sans problèmes

De zéro à 6 mois

Vont exister les échanges mère/enfant qui sont tour à tour des émissions
vocales, des sourires, des regards, des mouvements et attitudes du corps. On
constate donc parallèlement des expressions vocales et des gestes.

De 6 à 12 mois

Mère et enfant apprennent à " parler " ensemble de ce qui leur est extérieur. On
note chez l'enfant des expressions verbales visant en quelque sorte à influencer
l'autre : " aaaa " = viens ici.

De 12 à 18 mois

S'installent les échanges conversationnels que nous pourrions appeler des "
prémots " et aussi de vrais mots ou même des holophrases (phrases à un
élément).

De 12 à 16 mois existent des actes de communication associés à un geste


significatif : " awar " + geste et même le baiser envisagé comme un bruit
+ un mouvement (= au revoir).
De 16 à 18 mois les gestes accompagnateurs disparaissent peu à peu au
profit du langage.

De 18 à 24 mois

Apparaissent les " multimots ", comme disent certains, et en tout cas la syntaxe,
avec les versants phonétique, pragmatique, sémantique et justement syntaxique
qui s'associent à ce moment-là.
De 24 à 36 mois, c'est-à-dire 3 ans

S'établit en quelque sorte l'achèvement de la communication linguistique.

En somme le bébé est un interlocuteur

il perçoit des messages, même s'il ne répond pas toujours par le même
mode d'expression, et nous avons chez lui au début les gestes, les cris, le
babil ;
il possède des compétences et il s'agit pour nous de mettre en avant ce
qui va, c'est-à-dire tout ce qui fonctionne bien.

Au moment où on nous conduit un enfant, il s'agit de faire une évaluation de son


langage et de ce qui est autour du langage, c'est-à-dire le niveau où se situent la
pratique des sensations visuelles, auditives et tactiles et le degré du
développement moteur avec éventuellement le constat d'un déficit moteur et
plus tard d'un trouble de la dominance latérale et du schéma corporel.

Installation du dialogue mère-enfant

Avant 6 mois, l'orthophoniste constate s'il existe un dialogue mère-enfant

si l'enfant ne répond pas à la mère


si la mère ne répond pas à l'enfant
si mère et enfant s'expriment en même temps.

En fait, l'orthophoniste va chercher à obtenir des manifestations successives,


chacun " écoutant " l'autre en quelque sorte et en particulier la mère sachant se
taire au moment où son enfant parle et par contre sollicitant sa réponse, par
exemple lui faisant bouger les bras, lever les bras vers elle, si des manifestations
orales n'existent pas.

Importance du bilan orthophonique

Le premier bilan est effectué en présence des parents, avec les parents, et
d'ailleurs le plus souvent avec la mère seule. Nous observons comment se fait le
dialogue mère-enfant et de manière plus générale l'attitude de la mère à l'égard
de son enfant. Mais il sera primordial, lors de ce bilan, d'obtenir son assistance
uniquement quand nous la demanderons.

Si le bébé est tout petit, nous proposerons le bol à jouets préconisé par Suzanne
Borel-Maisonny, qui permettra les stimulations visuelles, auditives et tactiles, et
déclenchera ou non les mouvements que nous attendons et les échanges oralisés
entre la mère et l'enfant, entre l'enfant et nous.

Par la suite interviendront les questions habituelles

l'âge exact,
la place de l'enfant dans la famille (fratrie, on connaît par exemple la
présence de la grande soeur qui s'impose à la place du petit),
l'anamnèse
naissance, accouchement, position assise, debout, marche,
propreté diurne et nocturne,
premiers mots, premières phrases, sans oublier qu'on ne peut
apporter qu'une confiance relative aux réponses des parents,
les maladies, les constats médicaux et les examens techniques
quelquefois multiples, les hospitalisations et interventions
chirurgicales éventuelles, avec l'importance qu'elles ont prises, si
l'enfant a été séparé de sa mère à ce moment-là.

Il est important de savoir si la mère travaille au dehors de chez elle, auquel cas
interviennent une situation plus ou moins bien vécue et d'autres influences : la
crèche, la gardienne ou les gardiennes successives, avant l'accès à la maternelle,
les situations différentes qui modèleront le bébé.

Premières guidances

Les progrès médicaux et techniques de ces dernières années ont permis un


diagnostic plus précoce des troubles de l'audition et d'autres pathologies. Grâce
à ces progrès l'éducation précoce s'est imposée et elle commence en premier lieu
pour les enfants sourds appareillés très tôt.

De même une guidance parentale est nécessaire très tôt pour l'enfant handicapé
en général. Chez le trisomique, on apprendra dès que possible les mouvements
volontaires comme fermer et ouvrir la bouche, rentrer et sortir la langue, ce qui
évite le désir chez les parents d'une intervention chirurgicale souvent estimée
inutile, sinon nocive.

Pour le petit enfant présentant une fente palatine isolée ou associée à d'autres
malformations, une collaboration médecins-orthophoniste-parent s'installe dès le
départ. Depuis les énormes progrès des techniques opératoires, ces enfants
peuvent devenir capables de développer leur système phonologique normal à
l'âge attendu pour les enfants sans problèmes, avec le soutien de l'orthophoniste
(exercices de souffle, praxies, etc).

Stimulations suggérées

Dans tous les cas il faut prendre l'enfant au point où il en est. Il est essentiel
dans la guidance parentale pratiquée par l'orthophoniste de mettre en relief
chaque fois les activités positives de l'enfant et de partir régulièrement de ces
activités pour y ajouter quelque chose.

Dés que possible l'enfant a besoin d'une stimulation visuelle, qui éduque ses
possibilités d'attention (1) et lui permet peu à peu de prendre conscience de
l'espace (2). Chez le petit aveugle d'ailleurs existe un retard moteur et des
difficultés pour établir la correspondance objet et nom de l'objet.

Dans la stimulation auditive, seront utilisées séparément les qualités


physiologiques du son :

la hauteur avec les intonations, les variations et les intervalles (après


apprentissage un bébé est capable de percevoir des motifs mélodiques
différents de quelques notes),
les timbres avec les bruits familiers, la voix de la mère et les voix moins
connues qui le désorientent quelquefois, les petits instruments (grelots,
clochettes, etc),
le rythme : dès avant la naissance la perception du rythme existe et la
rééducation permettra de la retrouver et de la développer. L'enfant
devient même capable de saisir le rythme des activités journalières, qu'il
attend en quelque sorte à leur heure,
la durée, avec les interventions souvent conjuguées des autres sensations
(tactiles, fréquentielles, etc),
l'intensité : une porte fermée avec brutalité ou avec douceur ne
renseigne-t-elle pas sur les possibilités auditives du bébé !

L'orthophoniste démontre aux parents l'utilité des stimulations tactiles qui feront
prendre conscience au bébé de son corps, des stimulations olfactives (le bébé
reconnaît d'ailleurs tout de suite l'odeur de sa mère). L'orthophoniste insiste sur
la nécessité du développement de la motricité, avec la découverte progressive
des mouvements qui s'affineront peu à peu jusqu'à permettre un jour la parole
organisée et le langage oral et écrit.
Conscience phonétique

Quand le petit enfant se met à produire des bruits et sons qui rappellent ceux du
langage, les parents imitent ce qu'ils viennent d'entendre et des échanges
s'organisent peu à peu.

Une éducation parentale simple peut leur indiquer les places d'émission des
principaux phonèmes et leur mode de réalisation (consonnes sourdes/sonores,
voyelles orales/nasales, consonnes soufflées et non soufflées, etc). Ces sons
s'associent en syllabes et deviennent des mots, avec la correspondance mots-
objets et mots-actes, et bientôt du langage si tout va bien.

Rencontre avec les parents et l'enfant

Sans parler des handicaps que nous avons évoqués, les parents conduisent leurs
enfants d'eux-mêmes à la consultation orthophonique, parce qu'ils sont inquiets,
ou sur le conseil du médecin (généraliste ou spécialiste), de la responsable de la
crèche ou de la gardienne, des maîtresses de maternelle, de l'assistante sociale
ou la psychologue scolaire.

Les difficultés de l'enfant sont variées : mutisme, jargon à tous les degrés, retard
de parole simple, menaces de bégaiement, retard de langage, trouble
d'articulation.

Troubles du langage

Mutismes

Sans parler de causes multiples, on découvre que souvent des maladresses


initiales ont déclenché cet état.

Exemples cliniques

A la maison d'enfants, arrive une petite fille de 7-8 ans tout à fait muette et la
psychiatre responsable ne peut saisir les raisons qui ont installé cet état.

On convient avec les monitrices de ne pas chercher à la faire parler et l'enfant


suit les activités de la maison ; elle participe à la séance de rythmique
orthophonique que nous organisons pour la sensibilisation au langage de
certains : copies d'attitudes, répétitions de groupes sémantiques proposés à leur
mesure dans de petits sketches, que les enfants apprécient parce qu'ils les
comprennent.

Notre petite muette reproduit les différents mouvements demandés, mais reste
bouche fermée, quand il s'agit de parole.

Quelques semaines passent, mais un jour elle répète tout à coup en même temps
que les autres le groupe de mots qui vient d'être proposé. Elle regarde vite
autour d'elle pour voir si on s'en est aperçu, personne ne bronche et rassurée
elle retombe dans son mutisme.

Aux séances suivantes elle se met à participer aux répétitions de temps à autre
et une fois je lui propose une répétition à elle seule, qu'elle accepte.

Quand elle est assez familiarisée avec cette utilisation du langage, nous
découvrons alors une énorme dysphasie touchant plus particulièrement la parole
: mots écorchés, raccourcis, avec des substitutions par assimilation ou
dissimilation, groupes simplifiés et finales caduques.
En lui proposant progressivement ce qu'elle est en mesure de percevoir et
reproduire, nous avons fini par obtenir une parole et un langage correspondant à
son âge.

Mais le pire est que les parents qui venaient aux visites organisées n'ont pas
entendu pendant des mois la voix de leur enfant, qu'elle leur refusait en quelque
sorte.

Qu'imaginer sinon que peut-être simplement au départ l'enfant n'avait pas


supporté les reproches, ou les répétitions demandées, et s'était réfugiée dans un
silence réprobateur. Nous n'avons pas élucidé le problème. Mais l'essentiel était
que l'enfant participe désormais et que nous puissions mener à bien sa
rééducation.

Evoquons un autre cas de mutisme partiel cette fois et essentiellement réservé à


l'école, chez une petite fille de 8 ans environ. Le maître ne supporte pas les
silences de l'enfant. D'où des représailles quelquefois violentes, avec différents
procédés qui semblent laisser l'enfant totalement inerte et insensible.

Quant à la consultation cette petite fille a constaté ma collaboration et non mon


jugement, elle s'est exprimée et j'ai constaté aussi que des difficultés
importantes existaient concernant l'espace et le temps et un blocage très net
s'opposant à la mise en place du raisonnement dans les problèmes qui lui sont
proposés. Grâce à l'aide d'une psychanalyste, nous avons essayé de reconstruire
un mieux être chez l'enfant.

Il fallait partir des réalisations positives et construire prudemment à partir des


possibilités actuelles de l'enfant et non de ce qui devrait être réalisé à son âge ou
dans la classe où elle se trouvait.

Dans ces deux cas comme il aurait été utile d'agir beaucoup plus tôt.

Retard de parole/retard de langage

Evoquons maintenant des cas plus légers.

Exemple clinique

Une maman très ennuyée amène son petit garçon âgé de trois ans et demi. Elle
s'inquiète beaucoup, car l'enfant estropie les mots et elle s'efforce de les faire
répéter convenablement. De même elle veut enrichir son vocabulaire par des
mots trop difficiles, même s'ils désignent les parties du corps et les vêtements.
Elle corrige toutes les phrases qu'il émet et qu'elle ne trouve pas orthodoxes.

Tout cela avec beaucoup d'amour et de désir de bien faire.

Alors elle me voit agir dans l'examen orthophonique de l'enfant avec beaucoup
de prudence, sans jamais lui faire répéter ce qu'il a maltraité, en lui proposant
une " lecture indirecte ", c'est-à-dire la répétition de mots ou groupes de mots à
sa mesure que l'enfant répète à propos d'une histoire très simple. Je demande à
la mère de laisser s'exprimer son enfant sans contrainte, de lui redire les mots
maltraités, en acquiesçant comme s'il les avait bien dits, et de ne jamais les faire
répéter, ce qui cristallise la conscience de l'erreur.

Seulement j'insiste sur le petit moment quotidien de bonheur, seul à seul avec
son enfant autour d'images ou d'une petite histoire, moment où on ne constate
pas du tout ce qui ne va pas (" tiens-toi droit ", " reste tranquille ") ou ce qui a
été défectueux dans la journée, mais où l'on regarde les illustrations et où
l'enfant découvre et répète les mots, les groupes de mots, que sa mère lui
propose calmement, sans exagérer la prononciation, mais avec une intonation
colorée, qui soutient l'expression.

Je fais faire une ou deux phrases devant moi et je donne rendez-vous trois mois
après. L'enfant est intelligent et coopérant, et, quand il revient trois mois après,
les progrès sont spectaculaires.

Je donne quelques conseils encore et dans le test de langage, quand je montre la


tête d'un enfant et que le petit me dit " les cheveux ", maman ajoute " le cerveau
".

Quelques mois après, l'enfant parle bien, l'évolution est bonne, seul un petit
sigmatisme subsiste, que nous éliminerons avec sa collaboration, avant le
passage à la grande école.

Bégaiement

Exemple clinique :

Une orthophoniste ancienne élève me conduit ses deux filles qui bégaient.

Le père et la mère ont un débit ultra-rapide.

Les fillettes n'ont pas le temps d'entendre, de comprendre et ne peuvent


s'exprimer à leur tour ! "

Devant les deux parents réunis, je prends un livre d'histoires, dont je simplifie
les phrases pour les faire répéter à mesure par l'une ou l'autre des enfants en
proposant chaque fois ce qu'elles sont capables d'assumer et qu'elles redisent
calmement, et des échanges langagiers vont s'organiser à leur rythme.

Je demande à la mère de faire pareil tous les jours en retirant les remarques
adjacentes qu'elle pourrait avoir envie d'exprimer. Les parents décident vraiment
de mieux se contrôler. Le bégaiement n'existait plus quinze jours après.

Cette intervention précoce a évité la cristallisation d'une situation nocive.

Diversité des manifestations

Il y a les cas de bi- et même de trilinguisme, père et mère de nationalités


différentes qui communiquent entre eux dans une troisième langue,
l'enfant en entendant à l'école une quatrième.
Il y a aussi les enfants qui, même avec une seule langue n'ont pas
toujours les mêmes mots, ni les mêmes structures à l'école et à la maison.
Il y a les enfants qui vivent vraiment seuls après la journée scolaire, sans
autres échanges que la rue ou la télévision.

Classes de langage

Souvent il est nécessaire de faire participer certains enfants assez tôt à la "
classe de langage " comme il en existe parfois en milieu hospitalier : l'éducation
de l'attention, de la motricité et de la perception, l'articulation collective, la
correspondance noms/objets ou êtres animés et verbes/actes, la construction de
phrases à partir de mots isolés (noms et verbe), l'audition et la répétition bien
fragmentée de phrases construites, la compréhension de situations vécues et les
jeux du dialogue, tout cela aide à organiser la mise en place du langage avant
que l'échec ne se cristallise.

Participation parentale

Il faut souligner l'importance qu'il y a à créer la communication avec les parents


donner et qui stabiliseront la situation de l'enfant en même temps qu'elles
provoquent à la maison des séances efficaces qui seront aussi des moments
heureux.

On peut faire s'il est nécessaire des certificats attestant la nécessité d'une
présence parentale aux séances de rééducation.

Interventions à visée préventive et curative concernant le langage écrit

Acquisition de la lecture

Sans parler du niveau des 6e, dont se plaignent officiellement professeurs et


parents, il est constaté que 30 % seulement des élèves savent vraiment lire à la
fin du CP. On fait ainsi passer les enfants en CE1, et même en CE2, avec ou sans
l'aide des groupes d'aide psychopédagogique (GAPP), c'est-à-dire des
rééducateurs de psychopédagogie (RPP) et des rééducateurs de psychomotricité
(RPM) - ces différents groupes sont maintenant organisés en réseau d'aide
spécialisée (RAS)

et malheureusement la situation s'aggrave à mesure que les enfants


perturbés montent de classe en classe.
En fait les élèves intelligents devinent souvent au début, mais ne résistent
pas à la rapidité du CM1, qui déclenche aussi les difficultés en graphisme
et en orthographe. Et certains ne sont envoyés en orthographe. Et
certains ne sont envoyés en orthophonie qu'en CM2, voire en 6e, quand
les désordres psychoaffectifs se joignent pour construire une dyslexie et
une dysorthographie aux degrés divers.
A l'inverse en CP des maîtres " avertis " constatent des inversions dès le
mois de décembre, ils proclament aussitôt bien haut l'existence d'une
dyslexie et réclament l'intervention de l'orthophoniste pour poursuivre
leur enseignement.

Aptitudes nécessaires

Chez tout enfant ayant vraiment réussi l'apprentissage de la lecture et de


l'écriture, on constate 3 acquis :

une rétention suffisante au niveau des sensations, perceptions et


réalisations motrices, visuelles et auditives.
la compréhension et la réalisation d'un énoncé ou d'un message
chronologique et logique simple,
les possibilités de symbolisation permettant la correspondance
signifiant/signifié.

Il apparaît que ce n'est pas après, ni pendant, mais avant que doivent être
obtenus ces acquis et qu'une intervention orthophonique précoce doit avoir lieu
avant l'entrée au cours préparatoire s'ils ne se mettent pas en place dans le
cadre de la classe.

C'est donc en grande section de maternelle et quelquefois dès la moyenne


section que la maître (ou le médecin) constate des difficultés dans ces domaines
et suggère la nécessité d'un bilan orthophonique.

Perception-rétention

Perception-rétention visuomotrice
reconnaisse d'abord des formes " amples ", c'est-à-dire des attitudes faisant
participer une ou plusieurs parties de son corps, qu'il soit capable de les retenir
et par suite de les reproduire de mémoire.

Or même une copie d'attitude simple, comme lever le bras ou avancer un pied,
est quelquefois maltraitée par ceux qui nous sont adressés ; à peu près
reproduite si l'attitude demandée reste figée devant l'enfant, la forme est
souvent trahie dès qu'elle n'est plus sous ses yeux.

Ensuite intervient la reproduction de mouvements exécutés des deux mains ou


d'une main séparément, pour arriver à la reproduction de mouvements beaucoup
plus fins : soit par exemple des traits et des demi-ronds diversement orientés,
qui préfaceront les formes requises pour l'écriture.

L'enfant prend alors conscience de son schéma corporel, il devient capable de


reproduire par exemple les mouvements des bras et des mains en vis-à-vis, sans
utiliser préférentiellement l'une ou l'autre main.

Il ne faut pas oublier qu'il existe très peu de gauchers " vrais ", mais les enfants
sont souvent mal latéralisés à l'entrée au CP et ce n'est pas à ce moment-là qu'il
faut en quelque sorte laisser l'enfant choisir " au hasard " une main avec laquelle
très souvent il manifeste une maladresse importante.

D'où un examen très poussé de la latéralité, qui fait partie du bilan


orthophonique.

Avant l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, il faut obtenir que l'enfant


reproduise avec aisance et sans hésitation des séquences de 3 mouvements, 3
gestes, 3 signes, ce qui supprimera l'inversion constamment montée en épingle,
dès qu'il s'en découvre une.

Perception-rétention auditivomotrice

De même l'enfant doit être en mesure de reconnaître et reproduire les différents


sons et bruits de la parole.

Si l'erreur constatée sur un phonème est constante, il y a trouble d'articulation ;


si, isolés, les sons sont répétés correctement, mais sont omis ou confondus, dès
qu'ils sont groupés avec d'autres, il y a retard ou trouble de parole avec toutes
les variantes possibles.

Ainsi chocolat prononcé " totola " montre d'une part une antériorisation des deux
phonèmes ch et k et d'autres part une confusion par assimilation entre la
constrictive ch et l'occlusive k.

Si l'enfant ne peut pas prononcer ch et k isolés ou associés à la voyelle a, il y a


trouble d'articulation. Mais si ch et k isolés sont prononcés correctement, il s'agit
d'un retard de parole.

Une séquence de deux syllabes peut être répétée juste par certains, mais avec
des séquences de trois syllabes toutes les confusions, substitutions, omissions,
adjonctions se retrouvent.

Aussi l'orthophoniste doit-il obtenir la rétention et l'émission exacte de syllabes,


puis d'associations de syllabes, enfin de mots faisant partie du vocabulaire
compris par les enfants.

Et une lecture indirecte à leur mesure devient possible à ce moment-là.

S'il s'agit d'un trouble d'articulation, l'orthophoniste doit alors vérifier que
l'enfant a bien la maturité nécessaire et les possibilités motrices d'exécuter les
phonèmes entachés d'erreurs.
Quelquefois et conjointement, comme chez les infirmités motrices cérébrales
(IMC), la déglutition doit être aménagée au mieux.

Mais très souvent chez certains petits, seuls quelques phonèmes sont à préciser,
et, si l'enfant le désire, s'il est en état de coopérer, s'il a peur aussi des
moqueries de ses camarades, comme dans le schlintement, la rééducation peut
être très rapide.

Cependant dès que les phonèmes sont répétés justes sans l'aide d'un guide
langue, il faut obtenir que des exercices quotidiens soient pratiqués à la maison,
pour que la bonne prononciation passe dans la parole courante (ce qui a lieu en
général trois mois après).

Pour la déglutition, s'il y a lieu, nous procédons de la même manière, mais


seulement après arrêt de la succion du pouce, quand elle existe et en corrélant
simplement la prononciation de certains phonèmes comme a, l, s, z et les
mouvements de déglutition.

Compréhension et réalisation d'un énoncé ou d'un message

Le petit enfant parle d'abord par mots isolés, puis il utilise la phrase à deux
éléments sans se soucier des petits mots adjacents que le langage exige.

En grande section de maternelle la phrase s'organise. Si l'enfant emploie encore


des phrases sans verbes et s'exprime fréquemment en pratiquant le style
descriptif, il doit se familiariser en même temps avec la phrase à trois éléments
(sujet, verbe, complément) et aborder le stade narratif, qui permettra le récit.

L'orthophoniste, pour que l'enfant puisse aborder la lecture, organisera et


obtiendra la saisie immédiate de cette phrase à trois éléments, qui, jointe aux
perceptions exactes, apportera la compréhension du langage écrit. De même, il
installera chez l'enfant l'idée d'un maintenant/avant/après, qui jalonne son
existence et lui permettra une lecture suivie.

Symbolisation

L'enfant a compris que les objets, que les actes pouvaient être représentés par
des associations de sons, qui donnent les mots, et cette première symbolisation
lui est devenue familière.

Il doit admettre une deuxième symbolisation, celle du langage écrit.

Un moyen commode est de recourir encore aux qualités physiologiques du son


pour faciliter la symbolisation écrite. Les rythmes, les fréquences, intensités,
durées et timbres seront d'abord répétés, puis reconnus dans des
représentations écrites très simples, qui institueront le sens gauche-droite de la
lecture dans pays.

Par exemple représente une symbolisation de durées.

représente un rythme.

De même, pour la lecture, il s'agit de connaître, reconnaître, retenir et évoquer


les signes et les ensembles de signes représentant les mots du langage écrit.

Percevoir, retenir et émettre exact et dans l'ordre un minimum de 3


signes, sons, syllabes ou mots,
reconnaître ou construire une phrase à 3 éléments (sujet, verbe,
complément),
reconnaître l'existence d'un maintenant/avant/après dans les actes
simples de la vie courante,
tel est le programme indispensable pour prévenir l'échec scolaire.

Si l'enfant est prêt, ce sera alors en 3 mois et non en 3 ans que sera réussi
l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Approche et compréhension du langage écrit

Dans tout bilan orthophonique effectué à propos d'un échec en lecture, il


apparaît qu'en dehors des problèmes environnants qui ont pu s'ajouter, ce
programme indispensable n'a été que partiellement envisagé la plupart du
temps.

Pour chaque cas une évaluation rigoureuse est à réaliser. Elle va se préciser à
partir du Contrôle des Aptitudes à la Lecture et à l'Ecriture et du constat en
lecture à haute voix et en lecture silencieuse, où les difficultés se retrouveront
selon les cas davantage sur le plan du langage ou sur celui de la perception. Et la
rééducation réussira, si vraiment l'enfant désire cette réussite, si nous avons
établi la communication entre lui et nous et obtenons l'attitude coopérante du
parent, et si l'enfant est en mesure d'assumer la quantité 3.

Perception : si les associations de lettres sont erronées, il faut obtenir une


reconnaissance immédiate.

1. en opposant les confusions visuelles et/ou auditives qui ont pu s'installer


et en les replaçant dans le cadre de notre système phonétique : nous
faisons de nos rééduqués de jeunes (ou moins jeunes) phonéticiens
heureux de découvrir les différences et les similitudes auxquelles ils
n'avaient pas été sensibilisés,
2. en mettant au clair les mécanismes non acquis, qui sont des conventions
à appliquer et qu'il faut retenir et retrouver quand il est besoin.

Là il faut insister sur 2 points :

d'une part l'intérêt qu'il y a à utiliser des associations dénuées de sens


pour établir des perceptions exactes,
d'autre part la nécessité de ne pas demander l'évocation avant d'être sur
que la réponse sera exacte et immédiate (d'où les jeux multiples de
reconnaissance et la désensibilisation de l'erreur qui est toujours
admissible quand on n'est pas sûr).

Plus tard d'ailleurs, avec des mots montrés, puis cachés, on pourra proposer des
exercices similaires, le sens intervenant alors pour globaliser le mot.

Langage : " La lecture indirecte " va intervenir sous ses différentes formes avant
que soit abordée la lecture proprement dite :

1. d'abord demander à l'individu de répéter un groupe sémantique à sa


mesure (s'il ne peut répéter que 2 mots on lui propose 2 mots :
o aujourd'hui/ nous mangerons/ un soufflé
o ce soir / nous irons / à la fête)
2. montrer des groupes de mots à sa mesure que nous lisons (avec le ton
qu'il convient), tandis qu'il les suit des yeux, et qu'il répète ensuite en
nous regardant.
3. si les exercices de perception le permettent, nous proposons alors le
groupe de mots qu'il peut retenir et qu'il lit en lecture idéovisuelle pour
nous le dire ensuite tout haut en nous regardant,
4. par la suite il choisit lui-même les groupes qu'il peut retenir pour nous les
dire tout haut si nous le jugeons nécessaire. Et il est capable de nous
raconter ce qu'il vient de lire.

En somme il ne doit jamais y avoir de déchiffrage (ni lecture syllabée, ni lecture


par mots) ; mais tout de suite une lecture par groupes de sens. Si le vocabulaire
est connu, cette lecture est possible.
Parallèlement d'ailleurs a lieu la construction de phrases à partir de noms et de
verbes et en contrepartie la reconnaissance des groupes sémantiques dans les
phrases à partir des mots centres identifiés. Tout un cheminement logique est
organisé à partir du verbe complété, dans une sorte de grammaire langage
implicite qui séduit et sécurise. Et la lecture devient un plaisir et un moyen de
savoir, désormais accessible à l'enfant.

Mise en forme et réalisation du langage écrit

Pour cette réalisation s'associent cette fois langage, lecture et motricité fine.
Interviennent alors :

le choix de la main, les gestes de motricité fine et l'attitude de détente au


moment de la réalisation ;
la perception-rétention-évocation-reproduction de 3 éléments ou
davantage exacts et dans l'ordre, sans incertitude et sans retour en
arrière (même si la rapidité est obtenue en lecture, l'orthophoniste
constate souvent que des difficultés supplémentaires d'évocation et de
motricité fine entravent l'aisance à obtenir) ;
l'évocation des mots et le choix de leur mise en phrases ;
la mise en place progressive que nécessite la pratique du langage écrit.

Rééducation du graphisme

L'enfant a réclamé un instrument graphique pour faire comme les grands et l'a
pris souvent de l'une l'autre main au hasard.

Il existe très peu de vrais gauchers et notre écriture est faite pour les droitiers,
mais, si l'adulte n'a pas habitué l'enfant à se servir de l'une et l'autre main en lui
montrant les gestes commodes dans les activités courantes, cet enfant hésite et
a le droit d'hésiter sur le choix de la main utilisée pour une activité graphique,
d'autant qu'il n'est pas encore latéralisé. D'où la nécessité d'une mise en place
du geste avant l'approche de l'écriture, en n'oubliant pas que l'âge de la
motricité fine est 6 ans.

Si l'aisance du mouvement est acquise, les formes sont visualisées, puis


exécutées avec la main ramassée dans la position d'écriture face au modèle
effectué en grand au tableau, ou reproduites de mémoire dans l'espace les yeux
ouverts, puis les yeux fermés ; et enfin au tableau. La première approche au
tableau se fait avec la craie d'une main et l'éponge de l'autre pour exécuter des
formes simples montrées, puis cachées (ou effacées) aussitôt : il existe si peu de
gauchers que seuls les " vrais " résistent alors et que ne sont pas fabriqués de ce
fait les droitiers contrariés que nous rencontrons souvent.

Les formes sont ensuite étudiées et reproduites en respectant les arrêts aux
changements de direction.

Et il est intéressant de remarquer qu'une manière d'aborder l'orthographe peut


alors se faire sous forme de mémorisation, à condition de ne demander que ce
que l'enfant peut retenir. Selon le niveau, on montre un ensemble de formes, on
cache et l'enfant les reproduit de mémoire (ensemble de lettres, mots ou
groupes de mots). C'est la copie différée, seule copie qui devrait être réalisée et
première approche en ce qui concerne les mots d'usage accessibles au niveau de
l'enfant, tels qu'ils sont présentés dans le dictionnaire.

Rééducation du langage et de l'orthographe


mise en place : le langage écrit supplée par une construction de la phrase plus
rigoureuse, puisqu'il n'a ni l'intonation, ni les gestes, pour faciliter la
compréhension.

Mais les difficultés essentielles portent sur la représentation exacte des mots
utilisés (c'est-à-dire l'orthographe) et nous pouvons partager ces difficultés en 4
grandes catégories : usage, genre et nombre, phonétique, linguistique.

Les deux plus importantes vont alors reproduire la classification des erreurs en
lecture ; c'est-à-dire les erreurs phonétiques et les erreurs linguistiques et
illustrer selon leur importance ce que nous appelons les dysphasies de l'enfant.

Dans les erreurs phonétiques se retrouvent les erreurs perceptives visuelles,


auditives ou même motrices par confusions, omissions ou ajouts, incertitudes et
bouleversements dans l'ordre de réalisation.

Dans les erreurs linguistiques, nous rassemblons les erreurs concernant soit
l'utilisation des formes verbales, qu'il revient à l'orthophoniste de remettre
clairement en place en grammaire langage, soit l'identification des mots par
contraction ou éclatement, erreurs sur les mots grammaticaux essentiels,
omissions, ajouts ou substitutions insolites.

Toute une construction prudente et efficace est alors nécessaire (fonction de la


gravité du cas) et nous avons besoin de l'aide efficace du parent, pour qu'il
reprenne chaque jour ce que nous avons clarifié pour l'enfant en lui montrant
que nous construisons à partir de ce qu'il savait sans y prendre appui. Et les
rapports parent/enfant s'améliorent de ce fait. Nous insisterons moins sur les
fautes d'usage : apprendre à retenir la forme graphique des mots, telle qu'elle
est indiquée dans le dictionnaire demeure une tâche difficile pour ceux qui n'en
ont véritablement pas le désir et qui ne sont pas entraînés à " photographier " en
quelque sorte les mots dont ils ont fréquemment besoin et à essayer de les
regrouper autour d'un mot racine qui leur redonne vie.

L'utilisation associée des perceptions visuelle, auditive et motrice permet de


retenir l'orthographe de ces mots, si l'individu y ajoute vraiment le désir de
réussir.

Quant aux marques de genre et nombre, la difficulté est qu'il faut obéir à des
règles de reconnaissance écrite et les enfants se contentent souvent d'une
manifestation unique du pluriel pour un groupe, ou sont victimes du voisinage ou
au contraire de l'éloignement, et le manque d'immédiateté de la reconnaissance
des termes de la structure les conduit à des approximations fantaisistes, où
l'affectivité participe d'ailleurs.

Une accumulation des fautes phonétiques et/ou linguistiques montre la tendance


plus ou moins affirmée aux difficultés de type 1 (dyslexie-dysorthographie
phonétique) ou de type 2 (dyslexie-dysorthographie linguistique). Et les
difficultés affectives et orthographiques vont s'associer pour provoquer le plus
souvent le désintérêt vis-à-vis du langage écrit. Les élèves qui présentent des
séquelles de retard de parole vont traduire en langage écrit les fautes
perceptives pratiquées dans leur langage oral et dans leur lecture ; ceux qui
n'ont pas maîtrisé les conventions lexiques vont présenter des fautes qui ne
disparaîtront que dans la mesure où seront amendées leurs difficultés en lecture.

Pour d'autres, le langage s'est construit avec difficulté, sans qu'ils aient été
sensibilisés à l'organisation de la phrase française par une approche logique des
structures ; ils sont alors submergés dans les méandres du langage écrit ; qu'ils
saisissent éléments par éléments sans établir de relation entre les uns et les
autres, ou ils appliquent, à partir d'un élément, qu'ils mettent en vedette tout à
coup, une logique personnelle tout à fait indépendante de celle choisie par
l'auteur dont ils transcrivent le texte.

Il est facile d'imaginer les réalisations correspondantes, quand parallèlement ils


ont à composer par eux-mêmes, bien qu'ils prennent en général des précautions
dans leurs choix, à mesure qu'ils ont davantage conscience de leurs difficultés.
Ouverture sur les autres rééducations qui peuvent se présenter en
orthophonie

Evoquons encore d'autres situations auxquelles l'orthophoniste doit faire face.

Bégaiements

Il faut différencier les deux types qui peuvent se manifester :

Chez les petits ce bégaiement est le signe d'un retard de parole et/ou de
langage, qui se réduit, quand il est procédé à la mise en ordre de ce qui
est défectueux, de ce qui gêne, donc à la suppression de l'angoisse dans
une atmosphère environnante réceptive.
Chez les enfants plus âgés, des adjonctions diverses se sont cristallisées
et l'enfant est en situation d'attente du trouble qui va se manifester de
façon permanente ou plus ou moins espacée. Là il faut retrouver, dans la
première rencontre avec le patient, le moment où s'est déclenché ce
bégaiement, les circonstances qui l'ont provoqué et à partir de là
organiser avec prudence un langage intérieur, qui s'extériorisera dans un
mode d'expression à la mesure des possibilités du patient et lui
apportera, dans une attitude de détente, la suppression des accidents de
parole et des manifestations associées dont il est affecté.

Rééducation des manifestations aphasiques

L'orthophoniste étudie soigneusement le vécu antérieur, scolaire et familial. Il


demande l'opinion de la famille sur les activités antérieures de l'aphasique, mais
s'efforce d'obtenir l'opinion de l'aphasique lui-même face à ce qu'il désire et
recherche (souvent en opposition avec son milieu). Il oriente la rééducation en
ce sens, mais il sait tenir compte des troubles de l'attention et de la mémoire et
de la grande fatigabilité de son patient.

Déficiences visuelles, auditives et motrices

Elles demandent des rééducations spécialisées où l'apprentissage du langage


doit s'organiser sans faille avec l'aide d'appareils ou de méthodes qui faciliteront
ces apprentissages et permettront aux patients de participer aux activités de
ceux qui n'en sont pas atteints.

La respiration, la déglutition, la voix et l'articulation

Elles demandent des rééducations qui peuvent d'entremêler.

La thérapie du langage constitue un tout homogène, dont les multiples facettes


partent chaque fois de l'état constaté chez les individus concernés.

Les grandes priorités qui semblent nécessaires en thérapie du langage à mesure


que l'enfant grandit sont :

la création d'une perception-rétention-reproduction suffisante permettant


au départ la reconnaissance orale exacte et immédiate d'un mot simple
perçu globalement ainsi que sa reproduction exacte en copie différée et
supprimant de ce fait les risques d'inversion qu'on a peut-être mis trop en
valeur ici et là ;
l'utilisation d'une phonétique pratique si dans l'expression orale ou écrite
apparaissent des confusions. Elle précisera le point d'articulation et le
mode d'articulation et permettra la reconnaissance exacte et immédiate
des phonèmes/graphèmes à mesure qu'ils passent à l'oeil, à l'oreille ou à
l'évocation du lecteur, de l'auditeur ou du scripteur ;
l'utilisation d'une linguistique pratique permettant la reconnaissance
exacte et immédiate des termes qui constituent les structures, dans
l'ordre où ils sont proposés, avec le report intériorisé sur un tableau
schématisant leurs fonctions ;
le suivi d'une progression logique en grammaire-langage qui permette
que s'organise une construction conduisant du simple au complexe, sans
que tout soit ensemble proposé à l'enfant ;
la nécessité de prendre l'enfant au point où il en est et de construire à
partir de ce qui est positif en lui.

Quand l'enfant de 6 ans ne peut retenir une séquence de 3 éléments, qu'il


s'agisse de 3 signes, 3 sons, 3 syllabes, 3 mots, 3 constituants de phrases, 3
phrases ou les 3 épisodes d'un récit, ce n'est pas en lui proposant, et en
exigeant, 3, voire 4 ou 5 éléments à la suite qu'une progression pourra
s'organiser. Mais il convient de partir du niveau des acquisitions positives
retrouvées et de construire logiquement et simplement à partir de ces
acquisitions dans une atmosphère de sérénité recréée. On ne peut pas sauter les
étapes nécessaires à l'acquisition. On ne peut pas faire du " plaqué ", qui ne
serait autre que du conditionnement.

Alors entre l'enfant et l'orthophoniste une véritable communication existe. Mais


l'entente avec le parent est très importante. Dans le bilan orthophonique initial,
il y a une sorte de contrat entre l'enfant, le parent et nous. Il faut que la
rééducation soit efficace et nous avons besoin du parent pour que, chaque soir
de la semaine, il refasse avec l'enfant ce que nous lui avons montré pendant le
moment de la rééducation. En nous épaulant les uns les autres, nous arrivons à
des résultats positifs, sans que la rééducation s'éternise, et parent et enfant
ressentent ensemble la joie de comprendre et de vivre le langage.

Haut de page

RÉ É DUCATION PSYCHOPÉ DAGOGIQUE*

La rééducation psychopédagogique (RPP) a 30 ans. C'est en 1960, en effet, que


l'Education nationale ouvre le premier stage destiné à former des rééducateurs
en psychopédagogie chargés de venir en aide aux enfants présentant des
difficultés d'adaptation scolaire. Aider les enfants en les maintenant dans un
milieu scolaire normal marque une évolution institutionnelle fondamentale.
Jusqu'à cette date, une seule solution s'offrait au maître lorsqu'il estimait qu'un
enfant ne pouvait suivre le rythme imposé des acquisitions : l'orientation vers
une classe spécialisée. La réflexion théorique, les mises en oeuvre pratique ont
conduit progressivement à spécifier le champ de la rééducation
psychopédagogique par rapport à d'autres formes d'aide. Dire en effet, que tous
les enfants en difficulté à l'école relèvent de la rééducation, serait étendre
abusivement le champ de la rééducation.

Nous analyserons cette question dans un premier temps. Nous pourrons, ainsi,
dans un second temps, définir les indications de RPP. Puis, nous traiterons de la
pratique rééducative en cherchant à mettre en évidence à travers les différentes
étapes d'une prise en charge les principes qui guident la rééducation dans son
travail face à un enfant. Enfin, nous essaierons de définir la place qu'occupe un
rééducateur en psychopédagogie dans une institution de soins.

Aides à l'enfant-écolier

Elles consistent en soutien, soutien spécialisé, rééducation psychopédagogique.


Le jour où un enfant franchit la porte de l'école, il devient un écolier. Désormais,
il va devoir fréquenter l'école six heures par jour au rythme des vacances
scolaires pendant un nombre d'années qui ne cesse d'augmenter dans notre
société.

L'école a pour mission de permettre à l'enfant d'acquérir un certain nombre de


connaissances, de savoirs qui lui permettront de développer ses potentialités
afin de pouvoir s'insérer, ultérieurement de manière satisfaisante dans la
société. Il est bien évident que ce travail ritualisé va demander à l'enfant des
efforts, que des difficultés, bien naturelles au demeurant, se présenteront à lui.
Il appartient au maître d'organiser son enseignement en conséquence et, au vu
de cette situation, d'apporter une aide à tel enfant ou à tel groupe d'enfants
éprouvant une difficulté face à une question particulière. Cette nécessaire prise
en compte de la différence entraîne donc la mise en oeuvre d'aides
individualisées au sein même de la classe. Elles font partie de la pratique
quotidienne du maître. Nous les nommerons actions de soutien.

Le soutien peut s'institutionnaliser dans le cadre d'un projet d'école. Une plage
peut être prévue à cet effet dans l'emploi du temps. Sa réalisation peut s'opérer
sous des formes diversifiées, en fonction des difficultés rencontrées (travail par
groupes de niveaux dans certaines disciplines, décloisonnements entre classes,
etc.).

Le soutien spécialisé implique la présence d'une tierce personne au sein de


l'école : enseignant spécialisé chargé spécifiquement d'actions de soutien. Il
s'inscrit donc nécessairement dans le cadre du projet institutionnel de l'école. Il
vise à résoudre un certain nombre de problèmes pédagogiques qui entravent
l'action du maître et qu'il ne peut, quelle que soit sa compétence, résoudre
efficacement dans le cadre même de la classe :

des enfants maîtrisent mal notre langue ;


des enfants ont des difficultés d'apprentissage de la lecture au cours
préparatoire ;
des enfants ont une maîtrise insuffisante de la lecture à un moment où
elle devient un outil indispensable pour s'approprier des connaissances.

Ces enfants seront pris en charge dans le cadre de petits groupes ayant des
objectifs pédagogiques précis, pendant un temps donné.

Soutien et soutien spécialisé, on le voit, s'exercent dans le cadre de petits


groupes. Ils nécessitent la mise en oeuvre de procédures essentiellement
pédagogiques. Ils ne se réduisent pas à de la répétition même si celle-ci n'est
pas à négliger, tant pour fixer les acquisitions que pour permettre à l'enfant de
jouir d'un savoir maîtrisé. Ils visent à trouver pour chacun la meilleure stratégie
pour acquérir un savoir. Ils s'adressent indiscutablement plus à l'élève qu'à
l'enfant.

La rééducation psychopédagogique, elle, trouve sa spécificité dans le fait qu'elle


va s'adresser à l'enfant qui éprouve des difficultés à être élève. Elle concerne
l'enfant à propos duquel sa famille ou son maître dit de lui " qu'il a tout pour
réussir mais qu'il n'y parvient pas " ou encore " qu'il est bloqué " car dans
certaines circonstances de sa vie familiale ou scolaire sa curiosité intellectuelle,
ses remarques pertinentes sont évidentes et témoignent de son intelligence. Ce
sont ces enfants qui devront être suivis individuellement en rééducation. Ils
correspondent schématiquement à deux grands types d'indication.

Indications de rééducation psycho-pédagogique

Difficultés scolaires

La première indication concerne des enfants qui ne parviennent pas à remplir


déterminée aussi par les conditions mêmes de toute scolarité.

Entrer à l'école, pour l'enfant, c'est d'abord se séparer de sa famille. Cette étape,
parfois difficile, lui ouvre en revanche la porte d'un espace-temps nouveau,
important, où il va pouvoir vivre d'autres expériences dans une situation de
continuité-rupture par rapport à sa vie antérieure.

A l'école, l'enfant va acquérir des savoirs, de plus en plus abstraits qui vont le
faire entrer progressivement dans le monde des représentations. Son affectivité
va le conduire à éprouver des sentiments, non envers des êtres réels mais envers
des êtres évoluant dans des situations qu'il va découvrir à travers des mots.
L'enseignement, il va le recevoir d'un adulte, le maître, investi par la société de
cette fonction. Il va devoir accepter de l'écouter, de se soumettre pour savoir.
Mais en même temps, il va devoir manifester son aggressivité, " prendre " à son
maître afin de mieux comprendre et apprendre. Toute situation d'apprentissage
est une situation dans laquelle soumission et agressivité s'exercent
simultanément. Ces savoirs, l'enfant va devoir les acquérir au sein d'un groupe
d'enfants du même âge que lui. Il va lui falloir accepter de se comparer à eux, de
se placer face à eux dans des situations de compétition, de rivalité.

L'action du rééducateur en psychopédagogie visera, plus particulièrement à


permettre à l'enfant de s'adapter à l'école, en tant qu'institution sociale afin qu'il
profite pleinement des possibilités d'épanouissement qui lui sont offertes. Le
travail du rééducateur consistera à ne pas centrer son action, du moins dans un
premier temps, sur la qualité de la performance scolaire mais de donner sens aux
difficultés que rencontre l'enfant-écolier. Donner sens implique de prendre en
compte les conditions de l'apprentissage et de considérer l'histoire personnelle
de l'enfant. Nous développerons plus loin la spécificité du travail rééducatif en
psychopédagogie.

Difficultés spécifiques

La seconde indication de rééducation concerne des enfants qui éprouvent des


difficultés spécifiques, électives, importantes qui résistent à toute action de
nature pédagogique. Elles affectent essentiellement l'acquisition et le maniement
de la langue écrite, l'accès aux symboles mathématiques et leur utilisation, la
réalisation graphique sous sa forme particulière qu'est l'écriture. Généralement
désignées, par une nosographie ancienne, dyslexie, dysorthographie, dyscalculie,
dysgraphie, elles ont fait l'objet de nombreuses études au cours des années
1960. Leur existence, en tant qu'entités nosographiques, a été contestée par
certains, plus, nous semble-t-il, en raison d'une utilisation trop extensive de ces
termes qui inscrivait dans le champ de la pathologie toute difficulté en ces
domaines que pour en nier l'existence.

Des enfants, en petit nombre, sans doute, présentent des difficultés de cet ordre.
Ils concernent le rééducateur en psychopédagogie.

Pratique en rééducation psychopédagogique

La rééducation psychopédagogique se définit tout d'abord par un cadre défini par


un contrat qu'annonce une parole initiale :

" Je sais que tu as des difficultés à l'école ; nous allons travailler ensemble pour
que tu réussisses mieux à l'école. "

C'est par ces paroles que nous accueillons généralement l'enfant-écolier lors de
sa première séance de rééducation. Ces paroles de réalité montrent clairement à
l'enfant que nous connaissons ses difficultés. Elles lui évitent d'avoir à expliciter
une demande d'aide qui, le plus souvent, ne serait que la répétition de celle
qu'un adulte de son entourage, parent ou instituteur, a formulé pour lui. Elles
sont la base d'un contrat qui lie le rééducateur et l'enfant. L'enfant doit savoir
que le rééducateur l'aidera jusqu'à ce qu'il ait surmonté sa difficulté scolaire.
Elles visent aussi à éviter que la relation qui va se nouer entre eux ne devienne
une relation d'interdépendance, ce qui irait à l'encontre de l'objectif essentiel de
la rééducation, à savoir : permettre à l'enfant d'accéder à l'autonomie, faire en
sorte qu'il retrouve le désir et la force de s'approprier, seul, la connaissance.

La salle de rééducation dans laquelle l'enfant va venir, chaque semaine, pour un


temps donné, a pour élément central une table et deux chaises.

C'est autour d'elle que nous allons nous asseoir pour travailler - il n'est pas
question de " se mettre à table " -, dans une situation de face à face qui,
d'emblée, introduit une relation de sujet à sujet. Les autres éléments du
mobilier, sobres, ne rappellent ni la classes, ni le confort intimiste du cadre
familial. Les éléments de décoration, gravures ou objets, ne doivent pas être trop
chargés d'affectivité ou témoigner des valeurs culturelles de la personne du
rééducateur. Cet apparent dépouillement justifie le souci que doit avoir le
rééducateur d'affirmer son propre rôle sans tenter de séduire l'enfant. Il est
nécessaire que ce lieu soit suffisamment vide pour que la relation avec le
rééducateur s'établisse et suffisamment plein pour que l'enfant puisse se sentir
protégé, rassuré, dans cette rencontre nouvelle qui peut être génératrice
d'inquiétude, voire d'angoisse.

La travail rééducatif va être médiatisé par des objets. Trois grands principes en
dictent le choix. Ces objets doivent permettre, faciliter la rencontre entre deux
personnes ; ils doivent susciter l'imaginaire et permettre la créativité ; enfin, ils
doivent être porteurs de la difficulté scolaire. L'enfant a des difficultés en lecture,
proposons-lui des objets porteurs d'écrit correspondant aux intérêts de son âge -
livres, revues, jeux avec des mots ou des lettres - il a des difficultés à
orthographier, offrons-lui papier, scripteurs ou traitement de texte sur
ordinateur. Cette intention de prendre en compte, à travers le choix des objets,
la " demande " de la famille ou de l'enseignant, évite de placer l'enfant dans une
situation de " double-contrainte " car, même s'il ne choisit pas ces objets au
cours de la séance, pour des raisons qui sont les siennes, que nous avons à
respecter, mais aussi à lire, le fait de leur présence l'autorisera, notamment au
cours de la première phase de la rééducation, à dire à son entourage qu'il lit,
qu'il écrit, sans avoir à se sentir coupable de ne pas l'avoir fait.

Chaque semaine, l'enfant va rencontrer le rééducateur dans cet espace. Durant


ce temps, il va pouvoir faire des expériences personnelles, avec le nécessaire
accompagnement du rééducateur ; être autre, jouer à être autre, devenir autre,
être enfin lui-même. Ce temps se vit au présent, " ici et maintenant ". Certes,
l'enfant va y rejouer des scènes de son passé lointain ou proche : sa difficulté à
accepter la rivalité de ses pairs, son aggressivité refoulée à l'égard de son
institutrice ou de sa mère mais jamais le rééducateur ne lui en donnera une
interprétation ni ne parlera à un temps passé.

Le cadre rééducatif est posé. Nous allons maintenant décrire le processus


rééducatif à travers les différentes phases d'une prise en charge.

Première phase

Elle vise à permettre à l'enfant de se situer en tant que sujet. Elle nécessite tout
d'abord que le rééducateur se définisse par ses paroles, ses actes, ses gestes. "
Qui es-tu ? ", " Que me veux-tu ? ". L'enfant va tester le rééducateur pour voir
s'il réagit comme une personne de son entourage : sa mère, son père, son
instituteur... Il va le pousser, de manière implicite à entrer dans le jeu d'une
répétition, dans laquelle il va tenter de l'enfermer. C'est un moment crucial et
techniquement difficile qui va se dérouler et trouvera son issue dans un face à
face autour d'activités que la parole du rééducateur ponctuera.

Le face à face matériellement symbolisé va permettre à l'enfant de comprendre


que chacun est soi, que chacun a une place et un rôle définis à tenir, à occuper,
sans renier ce qu'il est ; que le rééducateur respecte l'enfant tel qu'il est, qu'il
respecte ce qu'il dit, ce qu'il fait, que sa fonction est de l'aider, lui, l'enfant de M.
Mme... qu'il respecte, lui, l'élève de M. ou Mme... qu'il respecte. L'enfant va
choisir un support à son activité. Le rééducateur lui demandera quelle utilisation
il veut en faire, quelles sont les règles qui régiront cette activité, quels seront
leurs rôles respectifs.

La parole du rééducateur a pour fonction de mettre en mots les actes, les affects
réciproques à propos de ce qui se fait " ici et maintenant ". Elle bannit tout
questionnement, toute appréciation négative. Elle pointe les transgressions par
rapport aux règles énoncées. Elle ne juge pas mais constate. Elle ponctue
l'activité en la laissant se développer, sans entraver son développement. En fin
de séance, elle vient rappeler ce qui a été réalisé et remplit ainsi une fonction
structurante. Une trace écrite la résumera.

Face à un adulte garant d'un cadre défini, l'enfant va choisir, proposer, organiser
ses activités, en observant ses propres règles. Reconnu par cet adulte dont il n'a
rien à craindre, il pourra devenir " sujet désirant ". Il pourra progressivement
retrouver confiance en ses possibilités et se restaurer à ses propres yeux.

Seconde phase

Elle va lui permettre, à partir de cette découverte ou redécouverte de soi comme


sujet, de mettre en oeuvre, avec l'aide du rééducateur ses potentialités. C'est
souvent, par des modifications de son comportement, en classe ou à la maison
que s'observent les premiers effets du travail rééducatif. Tel enfant, inhibé mais
" sage ", deviendra prolixe, turbulent, opposant parfois, affirmant ainsi qu'il
existe. Ce changement d'attitude peut étonner, satisfaire ou déconcerter le
maître, la famille. Au cours des entretiens qu'il aura avec eux, le rééducateur
aura à faire percevoir à ces derniers la dynamique de la situation. Cette attitude
nouvelle sera d'autant mieux acceptée que, dans la plupart des cas, l'enfant va
progresser en classe. Il va manifester plus d'intérêt, se montrer et donc,
s'exposer, tant par sa parole que par ses gestes. Des exercices, qu'autrefois il
abandonnait, seront terminés, son orthographe s'améliorera.

A ce moment de confiance mutuelle entre le rééducateur et l'enfant qui se sent


sujet, c'est-à-dire reconnu et accepté dans ses paroles et ses actes, la difficulté
scolaire, objet du signalement va pouvoir être abordée. Souvent, l'enfant en
manifestera le désir, parfois le rééducateur lui en fera la proposition. Il
conviendra alors d'aborder techniquement, avec rigueur et méthode, la difficulté
en question pendant un temps de la séance. Ainsi se définira un nouveau contrat
entre le rééducateur et l'enfant fondé sur une authentique demande d'aide de
l'enfant.

Troisième phase

Elle va signer un possible " retour vers le réel " et permettre la fin de l'aide
rééducative. L'enfant va progressivement surmonter ses difficultés, retrouver
confiance en ses possibilités, réinvestir la connaissance. Ses relations avec son
entourage scolaire et familial vont s'améliorer. C'est à cette période que va
s'amorcer la fin de la rééducation. Une fin qui se prépare techniquement.

Des signes l'annoncent. Ils marquent l'introduction de " l'extérieur " dans les
séances. L'enfant interrogera le rééducateur à propos de telle ou telle question,
racontera une visite culturelle qu'il a fait ou relatera un spectacle auquel il a
assisté en famille ou avec l'école. A propos d'un exposé qu'il doit réaliser, il
demandera au rééducateur de lui fournir des éléments afin de pouvoir obtenir "
une bonne note ". Parfois, ses questions n'auront pour seul objet que le plaisir de
connaître. Il lui arrivera enfin d'apporter son livret scolaire pour montrer ses
bonnes notes, d'ouvrir son cartable pour montrer un exercice particulièrement
réussi. Au rééducateur de manifester son intérêt, d'alimenter sa curiosité
intellectuelle, de lui montrer qu'il est capable de s'approprier, seul, la
connaissance, de prendre en charge les éventuelles difficultés qu'il rencontre.

Si cette évolution favorable a été mise en mots par le rééducateur tout au long
de la prise en charge, si le contrat et la relation établis avec l'enfant ont été
clairs, alors, la fin de la rééducation apparaîtra comme une évidence à tous deux.
Ce n'est, toutefois, que dans la mesure où la famille et l'enseignant confirmeront
les progrès que la décision d'arrêt sera prise.

Il est important que cet arrêt n'intervienne pas à un moment de rupture dans la
vie scolaire ou familiale de l'enfant (passage de classe ; congé scolaire ; une
situation nouvelle...). En ces moments, l'enfant se retrouve seul, face à la
nouveauté et il risquerait d'être envahi par une inquiétude ou une anxiété,
source de régression.

Place institutionnelle du RPP

Aujourd'hui, la grande majorité des rééducateurs en psychopédagogie exercent


dans des groupes d'aide psychopédagogiques implantés, depuis 1970 en milieu
scolaire. Des évolutions institutionnelles sont en cours. Elles impliqueraient la
disparition des GAPP, équipes composées d'un psychologue scolaire et de deux
rééducateurs (un psychopédagogue et psychomotricien). Aux GAPP, se
substitueraient des réseaux d'aide spécialisée (RAS) qui couvriraient un secteur
géographique plus important. Ils regrouperaient des psychologues, des
rééducateurs et des maîtres spécialisés, chargés du soutien. L'idée qui préside à
leur mise en place est de redonner plus de cohérence au dispositif d'aide et d'en
diversifier les modalités d'intervention.

Un certain nombre de rééducateurs en psychopédagogie exercent dans des


structures de soin, au sein d'équipes pédopsychiatriques (services hospitaliers,
CMPP ; CMP ; CAPP parisiens...).

Leur position y est singulière : anciens instituteurs, devenus rééducateurs, ils


sont des praticiens, représentants du monde de l'éducation, de l'école, dans une
institution de la santé.

Leur origine les place en position d'interface entre l'institution et l'école.

S'ils rappellent aux enseignants que les difficultés d'un écolier ne relèvent pas
toujours d'une aide pédagogique (soutien ou soutien spécialisé), ils rappellent
aussi à l'équipe dont ils font partie l'importance de l'école pour l'épanouissement
de l'enfant à travers leur fonction qui est d'aider l'enfant-écolier, une pratique
quotidienne que nous avons essayée de définir.

Bibliographie

[1] AIMARD P, ABADIE C. Les interventions précoces dans les troubles du langage de l'enfant,
Masson et Cie. Paris. 1991 ; 145 p
[2] AJURIAGUERRA J de. Manuel de psychiatrie de l'enfant. Masson et Cie. Paris. 1982
[3] AJURIAGUERRA J de, SOUBIRAN GB. Indications et techniques de rééducation
psychomotrice en psychiatrie infantile. Psychiatrie de l'enfant 1960 ; 2 : n 2
[4] ANZIEU D. Le Moi-Peau. Dunod. Paris. 1985
[5] AUBERT Y, PEGEOT JC Aspects des pratiques psychomotrices. Thérapie
psychomotrice 1984 ; 3 : 9-18
[6] BACQUET M, GUERITTE-HESS B. Le nombre et la numération. Isoscel, ed du Papyrus. Paris.
1982 ; 231 p
[7] BELZ Y, SCHMIT F. Thérapie psychomotrice. La psychomotricité en questionnement. Actes
du 9e colloque international de Thérapie psychomotrice, Paris 1985 ; p 41 à 61
[8] BERGÈS J. Les troubles psychomoteurs chez l'enfant. In : Lebovici S, Diatkine R et Soule M
(eds). Traité de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent. PUF. Paris. 1985 ; 363-384
[9] ROBET R. Temps et Rééducation. Revue l'Erre 1986 ; 2
[10] BOREL-MAISONNY S. Langage oral et écrit I et II. Delachaux et Niestlé. Neuchatel, Paris.
1985, 1986 ; pp 196-298
[11] COUTOU F. Affronter l'Ecole, Liana Levy. Paris. 1986
[12] CRAMER B, BRAZELTON TB, KREISLER L, SCHAPPI R, SOULE M. La psychiatrie du bébé :
une introduction. La dynamique du nourrisson. ESF. Paris. 1982
[13] DARRAULT Y. Le paradoxe du Rééducateur, Travaux Congrès FNAREN 1986
[14] DARRAULT Y, AUCOUTURIER B, EMPINET JL. La pratique psychomotrice. Collection Corps
Pluriel. Jouve 1984
[15] DELLA-COURTIADE Cl. Elever un enfant handicapé : de la naissance aux premiers acquis
scolaires. ESF 1988 ; 192 p
[16] DIATKINE R. La pratique des rééducations en psychiatrie infantile. In : " Cinquantenaire de
l'hôpital Henri Roussel ", Lab Sandoz 1973 ; 190-201
[17] DIATKINE R Peut-on parler des troubles instrumentaux ? Readaptation 1982 ; 286 : 8-12
[18] DINVILLE C. Les troubles de la voix et leur rééducation. Masson et Cie Paris. 1982 ; 238 p
[19] Le bégaiement, Masson et Cie. Paris. 1986 ; 101 p
[20] DOLTO F. L'image inconsciente du corps. Seuil. Paris. 1984
[21] DUBOIS G. L'enfant et son thérapeute du langage. Masson et Cie. Paris. 1983
[22] DUCARNE de RIBAUCOURT Bl. Rééducation sémiologie de l'aphasie. Masson et Cie. Paris.
1988 ; 263 p
[23] DUMONT A. L'orthophoniste et l'enfant sourd. Masson et Cie. Paris. 1988 ; 238 p
[24] ESTIENNE F. Une logothérapie de groupe. Edit Universitaires. Paris. 1983
[25] GIROLAMI-BOULINIER A Retard moteur et troubles de déglutition. J Fr ORL 1971 ; 8 : 939-
941
[26] Pour savoir lire : techniques d'apprentissage. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1980 ; 78 p
[27] Contrôle des aptitudes à la lecture et à l'écriture. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1982 ; 33 p
[28] Les niveaux actuels dans la pratique du langage oral et écrit. Masson et Cie. Paris. 1984 ;
254 p
[29] Les premiers pas scolaires. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1988 ; 150 p
[30] La grammaire langage en 20 leçons. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1989 ; 78 p
[31] Pour une pédagogie de l'écriture. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1990 ; 78 p
[32] L'enfant, son pouce et la déglutition. Reed Orth 1992 ; 169 : 39-42
[33] GUILLARME JJ. Education et rééducation psychomotrice. Sermap Hatier. Paris. 1982
[34] GUILLARME JJ. Education et rééducation Revue l'Erre 1985 ; 1
[35] GUILLARME JJ. L'évaluation des aides à l'enfant. EAP. lssy-les-Moulineaux. 1986
[36] GUTTON P. Le jeu chez l'enfant. Larousse. Paris. 1988 ; (réédition)
[37] KERNBERG O Narcissisme normal et pathologique. Nouv Rev Psychanalyse 1973 ; 13 : 181-
204
[38] LEBOVICI S. Le nourrisson, sa mère et le psychanalyste. Le Centurion. Paris. coll Païdos
1983
[39] MACK JE. Self-Esteem and its development : an overview. In : Mack JE, St Ablon L ed. The
development and sustaining of self-esteem in childhood., International Universities Press,
Inc. New-York. 1983
[40] MANZANO J, PALACIO F. Soigner l'enfant. In : Manzano J, Palacio F eds. Les thérapies en
psychiatrie infantile et en psychopédagogie. Cesura Lyon Editions, Lyon 1989
[41] MAZET Ph Quelle prévention psychologique de l'échec scolaire ? Confrontations
psychiatriques 1983 ; 23 : 161-180
[42] MAZET Ph. Estime de Soi et apprentissage dans l'Enfance. In : Mazet Ph, Lebovici S eds.
Penser-Apprendre. Editions Eskel, Paris. 1988 ; pp 223-232
[43] MAZET Ph La place de l'estime de Soi parmi les causes et les mécanismes des difficultés
d'apprentissage. Cahiers du CTNERHI 1988 ; 41 : 107-111
[44] MAZET Ph et HOUZEL D. Les thérapeutiques en psychiatrie de l'enfant. In : Psychiatrie de
l'enfant et de l'adolescent, tome 2. Maloine et Cie. Paris. 1978 ; pp 229-294
[45] MAZET Ph, STOLERU S. Psychopathologie du nourrisson et du jeune enfant. Masson et Cie.
Paris. 1988
[46] MERY J. Pédagogie curative et psychanalyse. ESF. lssy-les-Moulineaux. 1978
[47] MONNERAYE Y de la. Le pari de la rééducation à l'école. Revue l'Erre 1988 ; 4
[48] MOUSSET M.-R. L'acquisition du langage par l'enfant porteur d'une fente palatine. Thèse
Paris III 1989 ; 640 p
[48bis] ODÉON N. L'écho somatique. Actes du 11e colloque international de thérapie psychomotrice.
Thérapie psychomotrice 1991 ; p 12 à 20
[49] POSTIC M. La relation éducative. PUF. Paris. 1985
[50] SAMI-ALI. Corps réel, corps imaginaire. Dunod. Paris. 1984
[51] WALLON H. Les origines du caractère chez l'enfant. PUF. Paris. 1976
[52] WINNICOTT DW. Jeu et réalité. Gallimard. Paris. 1971
[53] WINNICOTT DW. Le rôle de miroir de la mère et de la famille dans le développement de
l'enfant. In : Jeux et réalités. Gallimard. Paris. 1975 ; pp 153-162
[54] WINNICOTT DW. Processus de maturation chez l'enfant. Payot. Paris. 1980

© 1993 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.


Cet article ne contient pas d'images.

* Ph. Mazet.
* N. Odéon
* A. Girolami-Boulinier.
(1) par exemple il voit un objet qui lui est montré, on le cache, il le retrouve : il peut
d'ailleurs retrouver cet objet dans un groupe d'objets du même ordre etc, etc (voir
les premiers pas scolaires)
(2) son espace et celui de l'autre, avec tout l'éventail possible à partir de ce qu'il a
réellement maîtrisé.
* J.-J. Guillarme, Ch. Monfront et M. Poirot
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-212-A-30
37-212-A-30

Responsabilité en psychiatrie de l’enfant


C Jonas
JL Senon

Résumé. – Les principes généraux de la responsabilité sont les mêmes que dans d’autres professions, et
notamment en psychiatrie d’adulte.
Certains aspects sont propres aux mineurs : ce sont l’obligation renforcée de surveillance et la responsabilité
du fait des actes des mineurs par exemple.
Surtout, l’application des règles de l’autorité parentale revêt certains pièges que le pédopsychiatre se doit de
connaître.
Les règles de l’hospitalisation sont un peu spécifiques, surtout lorsque cette dernière résulte d’une ordonnance
d’un juge pour enfants. Une difficulté importante existe lorsque les parents sont en désaccord sur les soins. La
suspicion de maltraitance ou d’abus sexuel ouvre des risques importants d’engagement de la responsabilité,
et suppose souvent de signaler les faits à l’ASE ou au Procureur de la République.
© 2003 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : responsabilité pénale, responsabilité civile, responsabilité disciplinaire, responsabilité


administrative, secret professionnel, autorité parentale, juge des enfants.

Introduction Dans cette étude, il est nécessaire d’exposer d’abord certains


principes sur lesquels repose la responsabilité du pédopsychiatre
La responsabilité devient à juste titre un élément important de la puis de développer quelques risques qui sont spécifiques à sa
pratique professionnelle. Chacun doit répondre de ses actes, et cela pratique.
n’est pas un hasard si l’étymologie de « responsabilité » est la même
que celle du verbe « répondre ». Un chapitre est consacré à la
responsabilité dans l’article relatif à la psychiatrie de l’adulte. La
Principes
plupart des développements sont applicables à la psychiatrie de PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA RESPONSABILITÉ
l’enfant. C’est pourquoi la plupart ne seront pas repris. Il en est ainsi Le droit français oppose globalement deux grands types de
de tout ce qui concerne l’hospitalisation, le diagnostic, la responsabilité, qui sont la responsabilité sanction et la responsabilité
prescription, ou encore les rapports avec la police et la justice, voire réparation.
l’activité des internes. D’autres éléments qui sont tout à fait propres
à la psychiatrie de l’enfant seront en revanche détaillés. Enfin, il y ¶ Responsabilité sanction [11, 20]

aura lieu de reprendre, éventuellement en les résumant, certains Elle se subdivise en deux catégories, d’une part la responsabilité
principes qui, pour être communs aux deux modes d’exercice, pénale et d’autre part la responsabilité disciplinaire, correspondant
revêtent une importance suffisamment particulière pour justifier des aux fautes contre la déontologie professionnelle. Sans reprendre des
développements dans le présent article. aspects trop généraux, il convient de souligner les règles relatives à
Tout comme pour la psychiatrie de l’adulte, il convient d’emblée de deux infractions auxquelles le pédopsychiatre peut facilement se
souligner que la sinistralité observée en psychiatrie de l’enfant est trouver exposé : le secret professionnel, et la non-assistance à
relativement faible par rapport à nombre d’autres spécialités personne en péril, puis de fournir quelques indications sur des
médicales et surtout chirurgicales. En revanche, le pédopsychiatre, aspects propres à la pédopsychiatrie en matière de responsabilité
tout comme son confrère prenant en charge des adultes, a la disciplinaire.
sensation subjective d’être souvent confronté à des problèmes de
caractère juridique. Cela tient sans doute en partie à la vulnérabilité Secret professionnel [5, 11, 12, 19]
des patients qu’il prend en charge, et aussi à certaines évolutions En droit pénal, il résulte de l’article 226-13 du Code pénal : « La
sociologiques conduisant par exemple à beaucoup mieux cerner la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui
maltraitance ou encore les abus sexuels, face auxquels le en est dépositaire, soit par état ou par profession, soit en raison
pédopsychiatre se sent souvent particulièrement désarmé. d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an
d’emprisonnement et de 100 000 F d’amende ».
On sait l’importance de cette règle en pratique médicale. Pour
Carol Jonas : Psychiatre, médecin légiste, docteur en droit, chef de service : service de psychiatrie A, centre reprendre les termes célèbres du professeur Portes : « Pas de
hospitalier universitaire de Tours, 37044 Tours cedex 1, France.
Jean-Louis Senon : Professeur des Universités, praticien hospitalier, chef de service, université de Poitiers,
médecine sans confidence, pas de confidence sans confiance, pas de
CHHL et centre hospitalier universitaire, 86021 Poitiers, France. confiance sans secret ».

Toute référence à cet article doit porter la mention : Jonas C et Senon JL. Responsabilité en psychiatrie de l’enfant. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-212-A-30, 2003, 7 p.

150 593 EMC [295]


37-212-A-30 Responsabilité en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

La Cour de cassation (Crim. 8 mai 1947) a depuis longtemps affirmé risque suicidaire, à la condition que ce risque apparaisse immédiat.
que ce secret était pour le médecin « général et absolu » : Le temps qui passe entre la menace suicidaire et la réalisation du
geste est un élément en pratique protecteur pour le psychiatre.
– général, cela signifie qu’il porte sur toutes les informations
connues par le médecin à l’occasion de son exercice professionnel ;
• Possibilité d’assistance
– absolu, cela signifie que le médecin doit garder le silence vis-à-vis
Pour que l’incrimination puisse prospérer, il faut que le psychiatre
de quiconque sauf le malade.
ait eu la possibilité de porter secours. Ceci peut en principe être
Tous les médecins, quel que soit leur mode d’exercice (médecine réalisé soit par une action personnelle, soit en prévenant un tiers (le
libérale, médecine hospitalière, médecine de contrôle, médecine Service d’aide médicale urgente [Samu], les pompiers, la police, etc).
d’expertise, etc), sont tenus au secret dans les mêmes conditions. Cependant sur ce point la jurisprudence est particulièrement sévère
Le secret porte sur toutes les informations dont le médecin a pour les médecins, et leur demande en général d’agir
connaissance, qu’elles lui soient directement divulguées ou qu’il ait personnellement.
simplement pu les déduire du contexte. Cette assistance doit être possible sans risque. Là encore, s’il n’est
Par ailleurs, il s’agit d’une infraction dite d’ordre public, c’est-à-dire pas demandé à chacun de devenir un héros, on compare le risque
qu’une poursuite peut être engagée par le Procureur de la encouru à celui vécu par la victime. Le médecin ne peut pas
République, même en l’absence d’une plainte par un patient. facilement se retrancher derrière son état de santé ou d’autres
C’est une infraction formelle, ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire circonstances pour justifier de n’être pas intervenu.
de démontrer l’existence d’un dommage pour que l’infraction soit
constituée. Le simple fait de parler est suffisant. • Abstention
En revanche, l’infraction doit être volontaire. En ce sens, une simple L’infraction suppose l’inaction. Dès l’instant où le médecin a agi,
négligence, par exemple laisser les dossiers médicaux sans même de manière maladroite voire imprudente, le délit n’existe
surveillance suffisante, ne constitue pas l’infraction du secret plus. Cependant en ce cas, il pourra se transformer en celui
professionnel. d’homicide involontaire si la négligence a été en rapport avec la
Peu importe le moyen de la révélation : il peut s’agir d’un écrit, la survenue ultérieure d’un sinistre.
forme la plus dangereuse car elle laisse des traces, ou d’une
révélation orale. La révélation d’une information déjà connue par • Refus d’agir
ailleurs reste une violation du secret. Tout comme le secret professionnel, l’infraction de non-assistance à
On dit même qu’il y a violation du secret lorsqu’on informe des personne en péril est une infraction formelle. Elle existe même si
tiers sur des faits négatifs. Il en est ainsi pour le simple fait aucun dommage n’est finalement survenu. Comme on vient de le
d’affirmer que tel patient ne souffre pas de telle maladie. En effet, voir, c’est l’abstention qui constitue le délit, à la condition que cette
affirmer cela revient à se mettre dans une situation impossible abstention soit volontaire. Pour les médecins, un piège important
lorsque la question portera sur une maladie qui existe. À ce moment, existe : le téléphone. On admet en effet qu’un médecin a
le refus de répondre du médecin permettra implicitement à son connaissance de l’existence d’un péril dès l’instant où un tiers a tenté
interlocuteur de connaître la réponse. de le tenir au courant. Si le médecin n’a pas su comprendre la
gravité du péril, s’il était mal entouré par un personnel ou un
Les dérogations au secret professionnel sont néanmoins nécessaires
conjoint qui ne lui a pas transmis correctement l’information, on
à la vie sociale et sont maintenant supérieures à une vingtaine. Il
considérera que sa responsabilité pénale est malgré tout engagée.
n’est pas possible de les détailler dans cet article. On se reportera à
des ouvrages plus fournis et plus spécialisés. Seul le cas où le patient oppose « un refus obstiné et même agressif »
(Crim. 3 janvier 1973) autorise le médecin à ne pas intervenir.
Non-assistance à personne en péril [3, 11, 18]
Responsabilité disciplinaire [15]
Cette notion, qui n’existe pas dans toutes les législations, a été
introduite en France sous l’occupation allemande, puis maintenue à Elle résulte d’une infraction à l’un des 114 articles du Code de
la libération dans une optique humanitaire et solidaire. Elle est déontologie médicale résultant du décret n° 95-1000 du 6 septembre
volontiers résumée par un aphorisme tout simple : éviter l’égoïsme 1995. Chacun des articles mériterait un commentaire approfondi, ce
sans imposer l’héroïsme. qu’a d’ailleurs réalisé le Conseil national de l’Ordre dans un
fascicule dont la lecture doit être recommandée à chaque médecin.
Elle résulte de l’article 223-6 alinéa 2 du Code pénal : « Sera puni de
On retiendra surtout que trois articles se rapportent spécifiquement
cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 F d’amende quiconque
à la personne de l’enfant :
s’abstient volontairement de porter à une personne en péril
l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui – l’article 42 impose au médecin donnant des soins à un mineur de
prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un prévenir les parents ou le représentant légal, et d’obtenir leur
secours. » consentement. C’est seulement en cas d’urgence ou si les
Une analyse de cet article conduit à retenir que l’incrimination de représentants légaux ne peuvent être joints que le médecin doit
non-assistance à personne en péril suppose la réunion de quatre donner les soins nécessaires. Cet article prévoit également que, dès
conditions cumulatives : l’instant où l’avis du mineur peut être recueilli, le médecin doit en
tenir compte dans toute la mesure du possible ;
– l’existence d’un péril ;
– l’article 43 précise que le médecin doit être le défenseur de l’enfant
– la possibilité d’assistance ; lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal
– l’abstention ; préservé par son entourage ;
– le refus d’agir. – l’article 44 donne des indications assez précises sur la conduite à
tenir, pour un médecin constatant qu’un mineur est victime de
• Existence d’un péril sévices ou de privations. Nous y reviendrons ultérieurement.
Il doit s’agir d’une menace imminente, c’est-à-dire actuelle et Une méconnaissance de ces articles, comme de tous les autres du
immédiate, pour la santé ou la vie d’un sujet. Il peut en être ainsi du Code de déontologie, peut conduire le médecin devant la juridiction

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Responsabilité en psychiatrie de l’enfant 37-212-A-30

disciplinaire, régionale en première instance, nationale en appel et placement provisoire, certaines obligations incombant d’habitude
devant le Conseil d’État s’il y a recours en cassation. aux parents ont été transférées. Les établissements peuvent alors être
responsables des actes du mineur, puisqu’ils sont censés en assurer
¶ Responsabilité-réparation [4, 8, 11] la surveillance. On retient que les règles seront différentes selon qu’il
s’agit d’un établissement public ou privé. Dans le principe, l’enfant
Elle regroupe, selon le lieu d’exercice du médecin, la responsabilité
étant confié à l’Aide sociale à l’enfance (ASE), c’est la compétence
civile pour la pratique en milieu libéral ou en établissement privé, et
administrative qui est en cause. L’ASE est responsable et les
la responsabilité administrative pour la pratique en milieu
tribunaux administratifs engagent sa responsabilité sur le fondement
hospitalier. Elle ne connaît pas de règles bien différentes de celles
d’une faute présumée. Dans d’autres cas, l’enfant est directement
qui ont cours pour le psychiatre d’adultes. Cependant, le fait de
confié par le juge à un établissement. C’est celui-ci qui est alors
prendre en charge des mineurs peut avoir quelques répercussions
responsable. Les règles appliquées sont celles du droit administratif
particulières.
comme précédemment s’il s’agit d’un établissement public, ou celles
du droit privé s’il s’agit d’un établissement privé. En ce cas, on
ASPECTS PROPRES AU MINEUR applique en principe l’article 1384 alinéa 1er du Code civil, qui
Nous insisterons sur deux points qui ont un relief particulier lorsque engage la responsabilité de plein droit de l’établissement sans
l’on prend en charge des mineurs : la responsabilité en matière de qu’une faute soit prouvée, sauf à démontrer un fait extérieur
surveillance, et la responsabilité du fait des actes réalisés par ces imprévisible et irrésistible ou une faute de la victime.
patients. On retiendra enfin que selon la jurisprudence, le mineur, placé en
application d’une décision du juge des enfants, reste sous la
¶ Responsabilité pour défaut de surveillance [4, 8, 11, 13, 14, 21]
responsabilité du service dans lequel il est placé en cas de fugue,
mais que cette responsabilité cesse lorsqu’un séjour régulier dans sa
Tout comme pour la psychiatrie adulte, et pour les soins médicaux
famille a été décidé par le juge.
en général, la prise en charge d’un mineur en milieu hospitalier ou
institutionnel suppose une obligation de surveillance reposant en PRINCIPES DE L’AUTORITÉ PARENTALE [1, 21]

fait sur une obligation générale de sécurité. Le médecin et L’autorité parentale résulte des dispositions des articles 371 et
l’établissement doivent assurer, autant que faire se peut, la sécurité suivants du Code civil. Héritière de la puissance paternelle, elle a
des personnes qu’ils encadrent. Cet aspect prend une importance été réformée en 1970 puis à d’autres reprises ultérieurement,
plus grande lorsqu’il s’agit de mineurs, surtout lorsqu’ils présentent notamment en 1993 et enfin le 4 mars 2002, afin de mettre sur un
par ailleurs des troubles du comportement, puisque ceux-ci peuvent pied d’égalité père et mère, et de prendre en compte l’évolution
constituer des risques d’actes inopinés éventuellement dangereux sociologique qui a conduit à l’augmentation considérable du nombre
pour le sujet ou pour les tiers. Ainsi, la jurisprudence est d’enfants naturels par rapport aux enfants légitimes. L’autorité
particulièrement riche quant à l’obligation de surveillance des parentale marque un aspect sociologique prépondérant de la
mineurs, aussi bien en milieu hospitalier que dans les institutions politique législative. Elle montre la place de la famille dans notre
accueillant des enfants au comportement perturbé. Il est difficile d’en édifice juridique, et les limites de l’intervention de l’État. Pour
faire une typologie précise, d’autant plus que les juridictions résumer, on peut dire que ce dernier n’intervient que lorsque la
peuvent différer selon qu’il s’agit d’un établissement privé vulnérabilité de l’enfant n’est ni prise en compte ni protégée par les
(tribunaux de l’ordre judiciaire) ou public (tribunaux administratifs). parents.
Cependant, une étude synthétique révèle que les situations sont en En pratique, tout enfant mineur est sous la responsabilité et
grande partie comparables sinon superposables. Ainsi, on retient l’autorité de ses parents jusqu’à sa majorité ou son émancipation.
que l’engagement de la responsabilité n’est jamais automatique sur
Une loi 2002-305 du 4 mars 2002 réforme quelques aspects de
la simple constatation d’un résultat non conforme à ce qui était
l’autorité parentale. Désormais l’article 371-1 du Code civil précise
attendu. En d’autres termes, on parle d’obligation de moyens en
que les parents ont le devoir de protéger l’enfant « dans sa sécurité,
matière civile, et on exige la nécessité d’une faute démontrée ou
sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son
présumée en matière administrative. Cependant, la surveillance doit
développement, dans le respect dû à sa personne.
être particulièrement étroite lorsqu’il s’agit de mineurs. Elle doit
Les parents associent l’enfant aux décisions qui le concernent, selon
éviter qu’ils puissent se blesser en raison d’une mauvaise
son âge et son degré de maturité ».
organisation des locaux. Elle doit permettre une surveillance
permanente par le personnel. Elle doit éviter les fugues. Tout comme On en retiendra donc essentiellement, pour ce qui nous intéresse,
pour les adultes, cette surveillance tient compte de la prévisibilité que les titulaires de l’autorité parentale ont en charge la santé de
ou de l’imprévisibilité de l’acte du mineur. Elle doit résulter d’une l’enfant. De ce fait, ils sont en droit de prendre les décisions
prescription médicale qui a tout intérêt à être écrite. concernant cette santé. En retour, ils sont responsables du maintien
de cette santé. Dans le cas où ils seraient défaillants, un tiers peut
¶ Responsabilité du fait des actes des mineurs [21] intervenir, en l’occurrence le juge des enfants, qui mettra en place
des mesures d’assistance éducative (article 375 du Code civil). Son
Il s’agit d’une question particulièrement complexe et délicate, qui intervention est justifiée lorsque « la santé, la sécurité ou la moralité
ne peut pas être traitée de manière exhaustive dans une courte étude d’un mineur non émancipé est en danger ou si ses conditions
synthétique. La difficulté provient d’une sorte d’irresponsabilité d’éducation sont gravement compromises. » Il est à noter qu’il doit
présumée du mineur, censé être sous la garde d’un tiers. Il s’agit en toujours s’efforcer de recueillir l’adhésion de la famille à la mesure
général de ses parents, mais nombre d’enfants confiés à un hôpital envisagée (article 375-1).
et surtout à une institution spécialisée le sont après décision d’un L’exercice de l’autorité parentale est en principe dévolu aux deux
juge pour enfants, ce qui complique singulièrement la situation. parents. Cela est toujours le cas lorsqu’ils sont mariés. Depuis 1993,
Pour résumer, on retient que dans le principe, les parents sont c’est également le cas pour un enfant naturel reconnu par ses deux
responsables des actes de leur enfant sur le fondement de l’article parents avant l’âge d’un an alors qu’ils vivaient en commun au
1384 alinéa 3 du Code civil. Il ne leur est pas facile de s’exonérer de moment de la reconnaissance concomitante ou de la seconde
cette responsabilité. Cependant, lorsque le mineur a été confié à une reconnaissance. Dans le cas contraire, seule la mère dispose de
institution par le juge des enfants, par le biais d’une ordonnance de l’autorité parentale sur l’enfant naturel.

3
37-212-A-30 Responsabilité en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

En cas de divorce, l’autorité parentale peut rester commune, ce qui gravement sa responsabilité, puisqu’elle serait réalisée sans le
est le cas dans l’immense majorité des situations. Elle peut parfois consentement de la personne autorisée à prendre la décision
n’être attribuée qu’à l’un ou l’autre des parents. Il s’agira alors concernant l’enfant.
toujours de celui chez qui la résidence de l’enfant est fixée. Sur un
plan très pratique, on notera donc que même en cas de dissociation
du foyer parental, dans la plupart des cas, l’autorité parentale reste Aspects spécifiques
conjointe, c’est-à-dire que le parent chez qui l’enfant ne réside pas
garde les mêmes possibilités de décision relativement à sa santé. Pour la plupart, les situations qui reçoivent des solutions
Le Code civil (article 372-2) affirme que chacun des parents est particulières en matière de soins psychiatriques ont été décrites dans
réputé agir avec l’accord de l’autre quand il fait un acte usuel de le fascicule sur la responsabilité du volume de la psychiatrie adultes,
l’autorité parentale relativement à la personne de l’enfant, à les solutions sont identiques dès lors qu’on prend en compte les
condition que cet acte soit réalisé à l’égard d’un tiers de bonne foi. aspects spécifiques à la minorité. Le lecteur pourra utilement s’y
Deux aspects doivent être soulignés : reporter. En revanche, la pratique pédopsychiatrique recèle un
certain nombre de particularités sur lesquelles il est utile d’insister.
– la bonne foi du tiers suppose qu’il n’ait pas connaissance Dans cet exposé synthétique nous en retiendrons trois :
préalablement d’une opposition entre les parents relativement à
l’acte réalisé. Ainsi, si un médecin sait que les deux parents – l’hospitalisation et les soins aux mineurs ;
s’opposent quant aux modalités de traitement d’une pathologie, il – la suspicion de maltraitance et d’abus sexuel ;
ne peut plus affirmer de bonne foi qu’il a entendu appliquer les
– la rédaction des certificats pour les mineurs.
dispositions de l’article 372-2 du Code civil ;
– il est nécessaire de définir ce qu’est un acte usuel de l’autorité HOSPITALISATION ET SOINS AUX MINEURS
parentale. Sur ce point, la jurisprudence reste relativement
imprécise. Le seuil entre l’acte usuel et non usuel n’est pas celui que ¶ Application de la loi du 27 juin 1990
l’on pourrait imaginer entre un acte grave et bénin. Cependant, il
est probable qu’en ce qui concerne les soins, tout acte grave, c’est-à- La situation est simple, puisque toutes les dispositions relatives à
dire ayant un impact majeur sur la santé, notamment avec risque de l’hospitalisation d’office sont applicables aux mineurs comme aux
mort ou d’incapacité n’est certainement pas usuel. En revanche, majeurs sans limite d’âge particulière.
certains actes dont les conséquences sur la santé sont bénins peuvent En revanche, l’hospitalisation sur demande d’un tiers n’est pas
ne pas être usuels. Il en a été ainsi jugé pour les circoncisions, dont applicable aux mineurs. En effet, les principes de l’autorité parentale
l’aspect rituel n’échappe à personne, et qui ont donc des conduisent à laisser aux parents la possibilité d’hospitaliser l’enfant
conséquences majeures sur un plan sociologique. On peut également contre son gré et de décider de sa sortie, comme l’exprime l’article
l’imaginer concernant le choix entre une méthode allopathique ou L.330-1 du Code de la santé publique.
homéopathique pour le traitement d’une maladie.
Dans le cas où il ne s’agit pas d’un acte usuel, l’accord des deux ¶ Autres modalités d’hospitalisation et de soins
parents est nécessaire avant toute intervention, et ce, que la famille
soit unie ou séparée. En cas de désaccord entre les parents, c’est le Droit commun
juge aux affaires familiales qui est compétent. En principe, la Toute hospitalisation, et plus généralement toute intervention
solution doit être trouvée dans la pratique habituelle du couple en concernant la santé d’un mineur, ne peuvent être réalisées qu’avec
de semblables occasions dans les antécédents. Lorsque cela n’est pas le consentement des titulaires de l’autorité parentale. Ceci résulte
possible, le juge doit statuer en tentant de concilier les parties et en des dispositions du Code civil précité (voir supra). S’il paraît s’agir
tenant compte bien évidemment de l’intérêt de l’enfant. d’un acte usuel de l’autorité parentale, l’accord d’un des deux
Lorsque la santé de ce dernier est en danger du fait de l’action ou parents est suffisant. Dès l’instant où l’on a un doute, il faut recueillir
de l’inaction des parents, le juge des enfants peut prendre des l’accord des deux parents.
mesures d’assistante éducative. À cette occasion, il choisit bien
souvent de confier l’enfant à un tiers, en général une institution. En Situations d’urgence
ce cas, il ne transfert pas pour autant l’autorité parentale. Celle-ci En cette matière comme dans toute autre, elles constituent une
reste aux parents. Seuls les aspects qui ne peuvent pas être exercés dérogation au droit commun. Qu’il s’agisse d’un mineur ou d’un
en pratique, en raison de la nouvelle résidence du mineur, majeur, lorsqu’une urgence est démontrée, les médecins sont
deviennent du ressort du représentant légal de l’institution à habilités à intervenir sans recueillir le consentement des titulaires de
laquelle l’enfant a été confié. l’autorité parentale. Ainsi par ce biais, un enfant, éloigné
Il est enfin important de souligner qu’en aucun cas les parents ne momentanément de ses parents (en colonie de vacances, à l’école,
sont en droit, de leur propre initiative et par leurs seules décisions, en séjour de découverte…), peut bénéficier de soins, non pas par
de se dépouiller de l’autorité parentale. Toute délégation d’autorité une décision de l’adulte qui l’encadre, mais simplement parce que
parentale ne peut avoir lieu que par décision de justice avec ou sans le médecin constate l’urgence et doit donc agir dans l’intérêt de
l’accord des parents. En d’autres termes, dans le domaine qui nous l’enfant. Les parents doivent ensuite être immédiatement prévenus,
intéresse, les parents ne peuvent pas donner autorisation à un afin de décider comment s’effectuera la poursuite des soins.
directeur de colonie de vacances, à un proviseur de lycée ou à un
éducateur, de prendre toutes les décisions relatives à la santé de Ordonnance de placement provisoire du juge des enfants [21]
l’enfant. Une telle autorisation est illégale. Comme on l’a vu, le juge des enfants est compétent dès que la santé
En définitive, comme on peut le voir, les principes de l’autorité du mineur est en danger. S’il constate la carence des titulaires de
parentale ont des conséquences majeures sur la pratique médicale l’autorité parentale, il prend une mesure d’assistance éducative.
pour les mineurs. Le pédopsychiatre doit bien les connaître, car Parmi celles-ci, dans l’urgence, figure l’ordonnance de placement
toute intervention sur la personne du mineur qui serait réalisée en provisoire. À ce propos, le magistrat a toute latitude pour choisir
méconnaissance des règles de l’autorité parentale engagerait l’établissement dans lequel il décide de placer l’enfant. Il s’agit la

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Responsabilité en psychiatrie de l’enfant 37-212-A-30

plupart du temps d’une institution éducative notamment dépendant En ce cas, le médecin doit d’abord s’efforcer d’obtenir le
de l’ASE. Dans certains cas, lorsque les problèmes de santé sont au consentement du mineur à la consultation des parents. En cas de
premier plan, l’OPP désigne un établissement hospitalier et plus maintien de l’opposition, il peut mettre en œuvre le traitement ou
précisément un service de pédopsychiatrie. Le mineur est alors placé l’intervention, mais le mineur doit alors être accompagné d’une
contre son gré, contre celui des titulaires de l’autorité parentale et personne majeure de son choix. Aucune limite d’âge n’a été fixée.
bien souvent contre l’avis des médecins qui le reçoivent. Sa sortie ne L’élément essentiel qui devra être précisé par la jurisprudence, ou
peut être décidée que par le magistrat. Ainsi se trouve-t-il dans une par d’éventuels textes d’application, est la répartition entre les soins
situation finalement moins favorable que celle prévue pour les qui seraient considérés comme bénins ou courants, et ceux qui sont
adultes par la loi du 27 juin 1990. Cet aspect a été de nombreuses nécessaires pour « sauvegarder la santé du mineur ».
fois critiqué. La jurisprudence avait cependant toujours validé les
décisions des juges des enfants. La loi nouvelle réforme notablement ¶ Accès au dossier [6]

cette pratique dans un sens qui est beaucoup plus favorable aux Comme on le sait, la loi déjà citée a réformé fondamentalement les
services de pédopsychiatrie. conditions d’accès au dossier. Le principe général est celui d’un
Un nouvel article 375-9 inséré dans le Code civil prévoit que la accès direct du patient avec ou sans l’accompagnement d’un tiers.
décision du juge des enfants, lorsqu’elle confie le mineur à un L’article 1111-7 du Code de la santé publique prévoit pour un
établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de mineur que le droit d’accès est exercé par le ou les titulaires de
troubles mentaux, ne peut être ordonnée qu’après avis médical l’autorité parentale. Cependant, il précise également qu’à la
circonstancié d’un médecin extérieur à l’établissement, et ce pour demande du mineur cet accès peut avoir lieu par l’intermédiaire
une durée ne pouvant excéder 15 jours. Par la suite, la mesure peut d’un médecin. Enfin, pour ne pas faire perdre toute substance à
être renouvelée, mais uniquement sur avis médical conforme d’un l’article 1111-5 précité, lorsque le mineur aura demandé à conserver
psychiatre de l’établissement d’accueil, et pour une durée d’un mois le secret de son état par rapport aux titulaires de l’autorité parentale,
éventuellement renouvelable. ceux-ci ne pourront pas avoir accès à son dossier, ce qui est
compréhensible.
Les modifications sont donc de deux ordres :
[5, 7, 9,
– d’abord le juge devra s’appuyer sur des certificats médicaux, et SUSPICION DE MALTRAITANCE ET D’ABUS SEXUEL
11, 12, 19]
l’on retient surtout qu’après une première période que l’on peut
considérer comme une phase d’évaluation, le certificat médical ¶ Rôle du médecin
devra être « conforme », ce qui signifie que le magistrat ne pourra
Malgré la pression médiatique et une judiciarisation de plus en plus
pas prolonger une hospitalisation si le certificat médical du médecin
prégnante de la vie sociale, le médecin doit évidemment rester en
de l’établissement ne conclut pas à la nécessité de cette prolongation.
priorité le professionnel de santé dont on attend soulagement et
Il ne pourra pas prendre une décision qui serait contraire à ce qui
compréhension. En ce sens, il doit savoir dépister l’abus ou la
est proposé dans le certificat ;
maltraitance et les prendre en charge dans les meilleures conditions
– la seconde modification est constituée par les durées de validité malgré les pressions extérieures, et en tenant compte le mieux
de l’OPP. Le juge devra donc réévaluer régulièrement la situation. possible de l’intérêt de l’enfant et des divers paramètres propres à la
On se rend compte qu’il perd ainsi la plus grande partie du pouvoir situation, à l’entourage et au contexte (voir études 37-204 H 10 et H
d’imposer un mineur à un service de pédopsychiatrie contre l’avis 15). Il n’en demeure pas moins que son rôle contient un aspect de
du médecin le prenant en charge. protection passant éventuellement par l’information des autorités
susceptibles d’aider le mineur maltraité. En ce sens, le médecin est
Soins sans l’avis ou contre l’avis des titulaires souvent mal à l’aise entre le Charybde du secret professionnel et le
de l’autorité parentale Scylla de la non-assistance à personne en péril. Il doit cependant se
[1, 21] conformer à sa déontologie et à une simple logique juridique, mais
aussi humaine, qui le conduira à évaluer le moyen d’apporter la
Outre les situations particulières qui viennent d’être détaillées, le
meilleure protection possible à la victime par le biais d’informations
décret du 14 janvier 1974 instituant le fonctionnement général des
portées à la connaissance de tiers. Il est utile de rappeler in extenso
centres hospitaliers prévoyait spécifiquement la situation des
les articles 43 et 44 du Code de déontologie médicale :
mineurs. Ainsi, son article 27 confirme que l’admission d’un mineur
était prononcée en principe à la demande des père et mère. Surtout, – article 43 : « le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il
l’article 28 prévoit les situations exceptionnelles, et notamment estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par
l’absence des parents, leur carence, leur refus ou encore son entourage. »
l’impossibilité de les joindre en temps utile. En ce cas, lorsque la – article 44 : « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès
santé ou l’intégrité corporelle du mineur peuvent être compromises, de laquelle il est appelé est victime de sévices ou privations, il doit
le médecin responsable du service a la possibilité de saisir le mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en
ministère public, afin de provoquer les mesures d’assistance faisant preuve de prudence et circonspection.
éducative permettant de donner les soins qui s’imposent. Cette S’il s’agit d’un mineur de 15 ans ou d’une personne qui n’est pas en
mesure reste toujours d’actualité. mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique
La loi du 4 mars 2002 introduit une nouvelle hypothèse. Elle est ou psychique il doit, sauf circonstance particulière qu’il apprécie en
prévue à l’article 1111-5 du Code civil, et est une dérogation affirmée conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou
au principe de l’autorité parentale. Elle autorise le mineur, dans administratives. »
certaines situations, à garder le secret de son état vis-à-vis de ses On en retiendra que le médecin doit s’instituer le défenseur de
parents, et donc à obtenir des soins sans que ceux-ci interviennent. l’enfant, mais également qu’il doit toujours agir avec prudence et
Les termes de l’article L.1111-5 révèlent que le mineur doit s’opposer circonspection, notamment parce qu’il n’a pas en permanence une
expressément à la consultation du ou des titulaires de l’autorité absolue certitude de la maltraitance ou de l’abus qu’il soupçonne.
parentale. En principe, l’hypothèse ne s’applique que si Enfin, on notera également que l’article 44 réserve le cas des
« l’intervention ou le traitement s’imposent pour sauvegarder sa circonstances particulières qui autoriseraient le médecin en
santé ». conscience à ne pas alerter les autorités.

5
37-212-A-30 Responsabilité en psychiatrie de l’enfant Psychiatrie/Pédopsychiatrie

¶ Procédure de signalement d’assistance. Celle-ci, comme on l’a vu, ne connaît aucune


dérogation. On peut donc en conclure qu’un médecin qui choisirait
Elle n’est parfaitement claire que depuis une loi n° 89-487 du
de ne pas informer les autorités judiciaires ou administratives de
10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traitements à
son soupçon ou de sa connaissance d’une maltraitance n’engagerait
l’égard des mineurs, et à la protection de l’enfance.
pas sa responsabilité pénale, si du moins la situation ne constitue
Elle autorise à signaler tout type de maltraitance, depuis les pas un péril au sens de la loi. Il est à ce moment seul face à sa
violences physiques graves jusqu’aux violences psychiques en conscience, et peut décider de prendre en charge la situation par
passant par le délaissement, les abus sexuels et les négligences. divers moyens sans informer les autorités. En revanche, dès l’instant
Tout citoyen est autorisé à signaler des sévices, maltraitances ou où cette situation constitue un péril au sens de la loi, il est tenu
négligences dont il aurait eu connaissance vis-à-vis d’un mineur de d’apporter une assistance à la victime. Rien n’indique, de manière
15 ans. absolue, que cette assistance consiste à informer les autorités
Le signalement peut se faire à trois autorités différentes : le président judiciaires ou administratives. Elle peut être représentée par une
du Conseil Général, le Procureur de la République et le juge des séparation physique et efficace de la victime et de l’agresseur
enfants. potentiel, par exemple en provoquant l’hospitalisation du mineur
Entre les deux autorités judiciaires précitées, le choix est en principe que l’on sait ou soupçonne être victime de maltraitances.
indifférent, encore que c’est plutôt au Procureur de la République, C’est cet aspect particulier que chaque pédopsychiatre doit garder
par l’intermédiaire du substitut chargé du mineur, qu’il convienne en mémoire lorsqu’il est confronté à une situation de ce type.
de donner une information pour qu’elle ait une suite pénale. Le juge D’abord déterminer si le péril est imminent et actuel, ce qui lui
des enfants est plutôt chargé de l’aspect civil et de la prise en compte impose alors d’agir pour protéger la victime, ensuite savoir qu’elle
de la notion de danger. est l’action la plus efficace. Si la seule action possible est d’informer
Le Président du Conseil Général est en fait chargé de la protection les autorités, alors il doit le faire, quelle que soit son opinion de la
de l’enfance par l’intermédiaire du service de l’ASE. Lorsqu’il est situation.
informé de la suspicion de mauvais traitements son rôle est Par ailleurs, chacun doit garder en mémoire la décision de la Cour
d’évaluer la situation de la famille, et c’est seulement lorsque celle-ci de Cassation du 8 octobre 1997, qui avait rejeté le pourvoi d’un
fait obstacle à une bonne évaluation qu’il fera connaître la situation psychiatre condamné à une lourde peine de prison avec sursis pour
au juge des enfants pour que l’autorité judiciaire puisse intervenir. ne pas avoir dénoncé assez tôt un abus sexuel commis par un
Le signalement peut se faire indifféremment par écrit ou par oral. Il adolescent sur un enfant, dans une famille où les deux mineurs
peut même rester anonyme. En pratique lorsqu’un médecin fait un étaient placés. La décision s’appuie notamment sur l’article 1199-1
signalement, les services du département, comme ceux de la justice, du nouveau Code de procédure civile, qui fait obligation à
demanderont le plus souvent un écrit (cf infra). On notera également l’institution ou aux services chargés de l’exercice d’une mesure
que le Code de la famille et de l’aide sociale prévoit que lorsque le décidée par le juge des enfants de donner régulièrement
signalement est effectué par un professionnel, ce dernier bénéficie connaissance à celui-ci de l’évolution du mineur et constitue donc,
d’un retour d’informations complet et systématique de la part du selon l’opinion de la Cour de Cassation, une dérogation particulière
Conseil Général, alors que cela n’est pas le cas lorsqu’il est réalisé au secret professionnel. Il en est de même d’ailleurs de l’article
par un particulier. L. 221-6 du Code de la famille et de l’aide sociale qui s’applique au
personnel de l’ASE, et rappelle que celui-ci est tenu de transmettre
¶ Responsabilité en cas de carence sans délai au président du Conseil Général les informations
susceptibles de révéler les mauvais traitements à l’égard des
On l’a vu au début de cette étude, les infractions de violation du
mineurs.
secret professionnel et de non-assistance à personne en péril sont
parmi celles qui guettent le plus souvent le pédopsychiatre dans sa
¶ Responsabilité en cas d’excès
pratique. La suspicion de maltraitance ou d’abus sexuels est à ce
propos particulièrement exemplaire. D’un côté, le médecin a Une lecture un peu rapide et simpliste des développements précités
interdiction de révéler toute information dont il a eu connaissance à peut conduire à des signalements trop fréquents, qui peuvent être
l’occasion de son activité professionnelle ; de l’autre, il doit considérés comme légers voire imprudents. Il est nécessaire de se
impérativement porter secours à toute personne qu’il sait être en souvenir des termes de l’article 44 du Code de déontologie, qui
péril. De ce fait, les hésitations et atermoiements sont possibles et demande au médecin de faire preuve de prudence et de
parfois d’ailleurs parfaitement justifiés. circonspection et évoque « les circonstances particulières » qui
En pratique, on sait que l’article 226-14 du Code pénal crée une peuvent le conduire à ne pas alerter les autorités.
dérogation au secret professionnel en matière de sévices et En apparence, le médecin qui ne signalerait pas l’excès n’engage
privations à mineur de 15 ans. Le médecin est donc autorisé à parler, pas sa responsabilité pénale. En effet, on a vu qu’il existait une
mais il ne s’agit pas d’une obligation absolue. dérogation au secret professionnel qui l’autorisait à parler aux
Pour bien comprendre la situation, il convient de rappeler d’autres autorités judiciaires ou administratives. Cependant, les signalements
articles du Code pénal, et notamment l’article 434-3 qui impose à abusifs peuvent constituer une infraction pénale. Celle-ci est prévue
tout citoyen ayant connaissance de mauvais traitements ou notamment par l’article 91 du Code de procédure pénale sous la
privations infligés à un mineur de 15 ans d’en informer les autorités dénomination de dénonciation téméraire. Elle ne s’applique que
judiciaires ou administratives. Cependant, cette obligation connaît lorsqu’une personne s’est constituée partie civile pour déclencher
également une dérogation qui s’applique aux personnes tenues au l’ouverture d’une demande d’information judiciaire, ce qui ne
secret selon les dispositions de l’article 226-13. En pratique, le devrait pas être le cas du médecin. En revanche, celui-ci peut
médecin est donc tenu de se taire en raison de son obligation au s’exposer à l’infraction de dénonciation calomnieuse prévue par
secret, et tenu de parler en raison des dispositions de l’article 434-3, l’article 226-10 du Code pénal. Celle-ci est constituée lorsque
mais chacune de ces obligations connaît une dérogation, ce qui l’information contre une personne déterminée, auprès d’une autorité
conduit à laisser le praticien seul devant sa conscience. Il faut susceptible de prononcer une sanction, s’est révélée totalement ou
cependant associer à cette profonde ambiguïté de la loi les partiellement inexacte alors qu’on avait connaissance de la fausseté
dispositions de l’article 223-6 du Code pénal relatif à l’obligation de la déclaration.

6
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Responsabilité en psychiatrie de l’enfant 37-212-A-30

Par ailleurs une dénonciation téméraire imprudente et légère, peut Qu’il s’agisse de certificats relatifs à des abus sexuels ou
constituer une faute au sens civil, et la personne ayant subi un maltraitances ou aux conséquences putatives du comportement de
préjudice du fait d’un signalement de ce type peut en demander l’un des deux parents dans un divorce ou une séparation, le risque
réparation au médecin. Quelques affaires judiciaires, certes est important si l’on ne suit pas quelques règles simples :
anecdotiques, ont conduit à des condamnations dans ce type de
circonstances. – le certificat doit toujours être précédé d’un examen soigneux du
malade ;
RÉDACTION DES CERTIFICATS POUR LES MINEURS [16] – ne doivent en principe y figurer que des éléments de constatations
Le risque n’est pas mince, en cette matière, d’engager sa personnelles. Ces constatations doivent être d’ordre médical. Si l’on
responsabilité. Certes cela ne devrait jamais être le cas, sous le sceau décide d’y inscrire des propos du sujet, ceux-ci doivent être bien
des articles 441-7 et 441-8 du Code pénal qui punissent les différenciés des constatations du médecin. En principe il n’y a pas
attestations inexactes ou mensongères rédigées par un médecin pour lieu d’inscrire dans un certificat des informations concernant un tiers
obtenir des avantages spécifiques. On est alors dans le cadre d’un ni même les propos de ce tiers ;
délit de corruption. En revanche, les infractions au Code de – il faut se garder le plus possible des interprétations notamment
déontologie sont malheureusement fréquentes, et la rédaction de étiologiques du style : « épisode dépressif en rapport avec le
certificats peut également engager la responsabilité civile du comportement du père » ;
médecin lorsque son écrit a causé un préjudice à un tiers.
– le certificat doit toujours être remis à la personne qui le concerne.
Le Code de déontologie punit les certificats de complaisance (article
Pour les mineurs, ce sera au titulaire de l’autorité parentale.
28), mais aussi et surtout l’immixtion dans les affaires de famille
Lorsqu’un conflit existe entre les deux parents, une copie doit être
(article 51) et bien entendu la violation du secret (article 4). Sur ce
tenue à la disposition de celui qui n’a pas demandé le certificat ;
point, la question est particulièrement complexe et aiguë en matière
de mineurs, puisque par hypothèse le certificat concernant l’enfant – il est utile, voire nécessaire, d’indiquer au bas du certificat si la
ne lui est pas remis directement, mais est délivré aux titulaires de personne l’a demandé ou non et ce à quoi il est destiné, ce qui
l’autorité parentale. évitera une utilisation détournée ou frauduleuse.

Références
[1] Carbonnier J. Droit civil. Tome 2, La famille, les incapacités. [8] Harichaux M. La responsabilité médicale. In : Traité de droit [15] Ordre national des médecins. Commentaire du code de
Paris : PUF, 2000 médical et hospitalier. fasc 18 et suivants. Paris : Litec, 2001 déontologie médicale. Paris, 1996
[2] Dictionnaire de bioéthique et biotechnologies. Fascicule [9] Hayez JY, DeBecker E. Abus sexuels sur mineurs d’âge. [16] Roubertie E, Jonas C, Ruaux B, Gravot JF. Docteur c’est juste
clause de conscience Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier pour un certificat. Paris : Éditions L et C2001
SAS, Paris), . 1999 : 37-204-H-10, Pédopsychiatrie1-5
[3] Dictionnaire de bioéthique et biotechnologies. Fascicule [10] Jonas C. La réparation des dommages causés aux tiers par [17] Sargos P. L’information du patient et le consentement aux
non-assistance et refus de soins les malades mentaux : évolution et perspectives. Rev Trim soins. In : Traité de droit médical et hospitalier. fasc 9. Paris :
Droit Sanit Soc 1990 ; 26 : 1-20 Litec, 2001
[4] Dictionnaire de bioéthique et biotechnologies. Fascicule
responsabilité médicale [11] Jonas C. Le psychiatre face aux juges. Paris : Ellipses, 1997 [18] Soutoul JH. Le médecin face à la non-assistance à personne
[12] Jonas C. Le secret professionnel en pratique quotidienne. en danger et à l’urgence. Paris : Maloine, 1991
[5] Dictionnaire de bioéthique et biotechnologies. Fascicule
secret médical Paris : Lundbeck, 1998 [19] Thouvenin D. Le secret médical. In : Traité de droit médical
[13] Jonas C. Interventions médico-sociales. La lutte contre les et hospitalier. fasc 11. Paris : Litec, 1998
[6] Dupont M. Le dossier médical. In : Traité de droit médical et maladies mentales n°122 et suivants. In : Dictionnaire per-
hospitalier. fasc 9-2. Paris : Litec, 2001 manent de l’action sociale. Paris, 2001 [20] Veron M. La responsabilité pénale en matière médicale. In :
Traité de droit médical et hospitalier. fasc 20 et suivants.
[7] Epelbaum C. Maltraitance et sévices à enfants. Encycl Méd [14] Maugüe CH. La responsabilité dans l’hospitalisation publi- Paris : Litec, 1994
Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), que. In : Traité de droit médical et hospitalier. fasc 136.
1999 : 37-204-H-15, Pédopsychiatrie1-7 Paris : Litec, 2001 [21] www. huyette. com

7
¶ 37-211-A-05

Secteur de psychiatrie infantojuvénile


G. Schmit, M. Bouvet, M.-O. Hincky

La sectorisation en psychiatrie infantojuvénile, définie initialement par la circulaire du 16 mars 1972, est
l’élément organisateur principal d’une politique nationale de santé mentale en direction des enfants et
des adolescents. Le secteur de pédopsychiatrie est un dispositif de service public, chargé d’organiser la
prévention et les soins, répondant aux besoins de la population dans une aire géographique donnée. Au-
delà de son aspect technique, il représente donc un projet d’intervention dans la communauté, pour la
communauté, visant à réduire les phénomènes de ségrégation et de stigmatisation attachés à la
pathologie mentale. Après un aperçu historique de son développement, cet article en présente les
orientations théoriques et les réalisations pratiques. La politique de secteur reste-t-elle encore une réponse
aux évolutions et aux enjeux actuels ? Peut-on s’en passer en restant dans la logique d’une pratique
pédopsychiatrique axée sur l’accueil des demandes du plus grand nombre, sur la cohésion et la
permanence des soins ?
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Secteur de psychiatrie infantojuvénile ; Organisation du service public de psychiatrie ;


Théories de la pédopsychiatrie ; Troubles mentaux ; CMP ; CATTP ; Hôpital de jour ;
Accueil familial thérapeutique ; Maison d’adolescents

Plan pratique pédopsychiatrique, du fait de la nécessité d’apports


multidisciplinaires et de l’importance des liens avec l’environ-
¶ Introduction. Définition 1
nement de l’enfant, requiert un travail d’équipe et une grande
disponibilité temporelle. Ces conditions particulières d’exercice
¶ Historique 2 expliquent la prévalence du secteur public et associatif face à
Perspectives 2 une pratique libérale moins développée. Ceci donne au secteur
Historique des principaux textes 3 pédopsychiatrique, autrefois intersecteur, une place centrale en
¶ Théories et secteur pédopsychiatrique 4 matière de santé mentale infantojuvénile. Cette place résulte
Théorisation nécessaire d’un savoir complexe 4 aussi d’un double mouvement : celui de la transformation de la
Principaux modèles théoriques 5 psychiatrie dans son ensemble et celui de la différenciation
¶ Dispositif sectoriel, professionnels et lieux de soins 6 affirmée de la psychiatrie infantojuvénile.
Dispositif sectoriel 6 Après plus de trois décennies, la politique de sectorisation a
Équipe de secteur 7 eu des effets positifs : elle a entraîné l’adhésion des profession-
Lieux de soins 8 nels, elle a permis l’implantation, certes inégale mais assez
¶ Secteur de pédopsychiatrie, partenaires et réseaux 13 généralisée, d’une offre de soins en direction des populations,
Considérations générales 13 elle a favorisé l’émergence de méthodes thérapeutiques riche-
Partenaires de l’équipe de secteur 13 ment diversifiées, elle a modifié les représentations collectives
Éducation nationale 15 concernant les soins en pédopsychiatrie, et enfin, malgré
Social 15 l’insuffisance de sa mise en œuvre, elle a constitué un instru-
Justice 16 ment précieux dans la construction d’une politique de santé
Autres partenaires 16 mentale cohérente en direction des enfants et des adolescents.
En conclusion 16 Ces effets positifs ne doivent pas masquer l’évidence que des
efforts considérables restent à faire en termes de moyens (il
¶ Enjeux actuels et évolutions de la politique de secteur 16
existe encore une réelle pauvreté de la pédopsychiatrie en de
¶ Statistiques 18 trop nombreux endroits), ainsi qu’en termes d’adaptation à la
Statistiques générales 18 diversité des besoins.
Données spécifiques au secteur 18 Le secteur de psychiatrie infantojuvénile est un dispositif de
soins et de prévention en santé mentale au service des enfants,
des adolescents et des familles, dans une aire géographique
■ Introduction. Définition donnée. L’aire géographique rassemble plusieurs secteurs, théo-
riquement trois, de psychiatrie générale et concerne une
En France, le concept de sectorisation, c’est-à-dire le choix population de 200 à 300 000 habitants. Ce dispositif, tenu par
d’inscrire les pratiques de prévention et de soins au sein même une équipe pluridisciplinaire de professionnels, coordonné par
de la communauté, a orienté l’organisation des soins en un médecin psychiatre chef de secteur, est formé de plusieurs
pédopsychiatrie publique et en a soutenu le développement. La lieux de soins diversifiés, articulés entre eux. Il s’agit de lieux

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

d’accueil, de consultation et de traitement ambulatoire (Centre comportementale, déléguant le « maternage » à Madame Gué-
médicopsychologique [CMP]), ainsi que de lieux de soins rin, la nourrice de Victor. Il poursuit donc un « traitement
institutionnels à temps partiel ou à temps plein. bifocal » pendant 3 ans et il en rend compte [4].
Le secteur offre un cadre administratif et géographique à la Son expérience ne fait pas école tout de suite : la psychiatrie
mise en œuvre d’une politique de soins se définissant par centrée sur l’asile et l’exclusion se réaffirme par la loi de 1838,
quelques principes et objectifs fondamentaux : même si cette loi est aussi une loi de protection de la personne.
• accueillir sans exclusive, grâce, entre autres, à la gratuité des D’autres, après Itard, viennent ébranler la citadelle asilaire.
soins ; Séguin, instituteur à Bicêtre puis médecin aux Etats-Unis,
• faciliter l’accès aux soins par la répartition des consultations développe l’école de Bicêtre dans le service du Docteur Voisin
au sein du territoire du secteur ; et met en place un traitement médicopédagogique. Bourneville,
• garantir la continuité des soins du fait de la cohésion de lui aussi, dans une perspective où dominent les déterminations
l’équipe de secteur ; psychosociologiques, crée un institut médicopédagogique puis
• offrir une aide aux enfants et adolescents, mais aussi aux applique ses principes dans son service de Bicêtre. Il travaille en
parents et aux familles ; collaboration avec Vallée, surveillant à Bicêtre, qui apparaît lui
• accorder une grande attention aux liens entre l’enfant et son aussi comme un précurseur.
milieu familial et social, en évitant les séparations inutiles ; La perspective psychodynamique introduite par S. Freud, avec
• soutenir l’intégration de l’enfant dans les milieux sociaux, en l’importance de l’inconscient, de la sexualité infantile, ouvre
particulier le milieu scolaire ; vraiment la voie à une clinique dynamique et au traitement
• travailler en partenariat avec les autres acteurs du monde de relationnel. L’application des idées psychanalytiques à l’enfant
l’enfance (éducation nationale, services sociaux, services de se fait au début du XXe siècle par des psychanalystes comme A.
justice, associations de parents, structures médicosociales, Freud, Klein, puis bien d’autres. En France, dans les années
etc.) et assurer la psychiatrie de liaison avec d’autres services 1930, Sokolnicka et Morgenstern travaillent dans le service du
médicalisés (pédiatrie, maternité, etc.) ; Professeur Heuyer qui dirigea la clinique annexe de neuropsy-
• avec les autres partenaires concernés, favoriser la précocité du chiatrie infantile à l’hôpital de la Salpetrière à partir de 1925 et
repérage des troubles et de la mise en place des réponses de fut le premier titulaire de la chaire de psychiatrie de l’enfant en
soins ; 1948.
• s’engager dans des actions de prévention. La doctrine de secteur s’inscrit dans ces mouvements répétés
L’émergence de cette politique de secteur, qui s’affirme dans qui cherchent à sortir la clinique et la thérapie de l’enfant des
les décennies 1960 et 1970, ne peut se comprendre qu’en se discours et des pratiques de l’incurabilité, du déficit et de la
référant à l’évolution des idées et des changements institution- chronicité, au profit d’une approche relationnelle et
nels survenus en pédopsychiatrie mais aussi en psychiatrie psychodynamique.
générale [1].
Politique d’hygiène mentale
Une autre perspective se dégage, deuxième prémisse du
■ Historique secteur. Une politique d’hygiène mentale s’installe, s’appuyant
sur le dispositif de lutte antituberculeuse. Il faut rappeler
La doctrine de secteur introduit une rupture, une coupure l’existence des dispensaires d’hygiène sociale et de prévention
comme l’étymologie du mot l’indique : se couper d’un passé antituberculeuse développés à partir de 1916, ainsi que le
dominé par la réponse asilaire et ségrégative. mouvement initié par le Front populaire qui élargit les missions
Le rédacteur du premier article de l’Encyclopédie MédicoChi- des offices publics d’hygiène sociale à la protection médicale et
rurgicale sur le secteur en 1967, Mignot [2], précisait en effet infantile (PMI), à l’assistance aux « enfants normaux » et à
« l’action du psychiatre ne peut plus aujourd’hui commencer au l’hygiène mentale. Une circulaire de 1938 stipule que « les
moment où la société cesse de tolérer le malade ». consultations de neuropsychiatrie infantile sont ajoutées à celles
de la psychiatrie, elles collaborent avec la santé scolaire et
Perspectives bénéficient du concours des membres de l’enseignement ».
Organisés selon le système américain dans les années 1940-
Cet historique s’organise autour de trois perspectives, contri- 1950, ces dispensaires polyvalents couvrent un secteur de
buant chacune à la création du concept de secteur de psychia- population, c’est-à-dire un territoire géographique défini [5].
trie de l’enfant et de l’adolescent : tout d’abord la lente
apparition de l’idée de soin et de changement, ensuite les Psychothérapie institutionnelle
politiques d’hygiène sociale puis mentale et enfin la psychothé-
Le moteur principal de la création de la doctrine de secteur
rapie institutionnelle.
est le mouvement de psychothérapie institutionnelle [6-10]. Elle
est née d’une critique de l’asile comme lieu de renfermement et
Maladie mentale, soin et psychiatrie
de concentration, de chronicité institutionnelle, et elle intègre
C’est une certaine idée de la maladie mentale, du soin et de l’idée d’une dimension psychique de la maladie mentale. De la
la psychiatrie qui se trouve affirmée dans cette politique de psychanalyse, elle reprend les concepts de traitement relation-
secteur comme une invention, une création. La psychiatrie nel, de continuité des soins, de thérapie à visée mutative
moderne est issue de l’aliénisme médicalisé par Pinel au (Mises) [11, 12].
moment de la Révolution. Une clinique des maladies mentales Tosquelles [13] et Bonnafé [14] définissent à l’hôpital psychia-
se précise, l’enfant y a encore peu de place. Pinel définit le trique de Saint-Alban la pratique d’une psychiatrie communau-
traitement moral, traitement éducatif et adaptatif. Concernant taire. Celle-ci vise à transformer les relations entre soignants et
l’étiologie, Pinel reste partagé entre les causes morales et les patients dans le sens d’une plus grande ouverture au monde de
causes héréditaires. Ses successeurs progressivement affirment la folie, en appliquant l’idée de Simon qu’« il faut soigner
l’origine innée des troubles mentaux et définissent le concept l’établissement et soigner chaque malade auxquels il convient de
de dégénérescence qui s’imposera jusqu’aux premières contesta- rendre initiative et responsabilités » [9].
tions freudiennes. Ces pratiques s’expriment dans les institutions temps-plein et
Plusieurs ruptures avec cette conception « désespérée et temps-partiel tout autant que dans ce qui s’appellera d’abord
désespérante » comme l’écrit Duché [3] se repèrent dans les l’extrahospitalier pour devenir ensuite l’activité de secteur
discours et dans les pratiques, précisant progressivement une proprement dite : la consultation et les prises en charge
idée du soin dans la communauté. Le traitement du jeune spécifiques en lien avec la communauté [15].
Victor de l’Aveyron par Itard en 1800 en représente la première Il s’agit d’accueillir et de prendre en compte la parole du
tentative. Pinel avait examiné l’enfant et diagnostiqué un « état patient dans un dispositif institutionnel approprié, insistant sur
d’idiotisme incurable ». Itard prend le pari du changement les échanges en groupe et l’aspect contractuel de la relation
possible et installe ce que certains ont appelé une thérapie soignante. Il faut garantir ces lieux d’échanges et traiter

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

l’« ambiance » (Oury) [9]. Le principe de la continuité des soins L’installation de la sectorisation se fait dans l’enthousiasme
est affirmé comme un axe primordial permettant la continuité des équipes qui s’étoffent rapidement tout au long des années
relationnelle. 1970. L’hôpital psychiatrique s’adapte, non sans efforts, aux
nouvelles pratiques. Les hôpitaux de jours se multiplient. Cette
circulaire permet l’instauration de liens entre la pédopsychiatrie
Historique des principaux textes et les partenaires du monde de l’enfance (Éducation nationale,
C’est aux « États généraux de la renaissance de la psychia- Aide sociale à l’enfance, PMI, médicosocial...) [19].
trie » en 1945 qu’apparaît pour la première fois le terme de Pendant la décennie 1980 [20, 21], il faut noter surtout
secteur. Plusieurs rapports sont écrits à la demande du Minis- l’approfondissement de la clinique, la création de la classifica-
tère. Ils en précisent peu à peu la doctrine (Bonnafé, Daumezon, tion française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adoles-
Ey, Mignot, Sivadon). cent [22] en parallèle des autres classifications comme le
Des réalisations pionnières s’ouvrent, en particulier le centre diagnostic and statistical manual of mental didorders fourth edition
de guidance infantojuvénile de l’hôpital Rousselle en 1946 (DSM IV) et la classification internationale des maladies 10,
(Male), le centre Binet (Lebovici) dans le secteur expérimental classifications plus comportementales que psychopathologiques.
du 13e arrondissement de Paris en 1958. Des équipes pluridis- Les psychothérapies de l’enfant se développent, ainsi que
ciplinaires s’occupant, hors les murs de l’hôpital psychiatrique, l’intérêt porté aux psychoses et à l’autisme, mais aussi au bébé
de soins et de prévention préfigurent ce qui sera le secteur. Les et à l’adolescent. Des théories nouvelles apparaissent, en
hôpitaux de jour pour enfants s’ouvrent (Lebovici, 1960), particulier la théorie systémique qui favorise l’essor des théra-
permettant le traitement d’enfants en grave difficulté, en évitant pies familiales. Les thérapies cognitivocomportementales à cette
le placement au long court. À partir de 1965, Mises crée et époque sont centrées sur le traitement de l’autisme (teacch-
organise la Fondation Vallée en y attachant un secteur programme de Schoppler).
expérimental. Les lois des 25 juillet et 31 décembre 1985 confirment la
La doctrine de secteur est donc définie dans ses grandes politique de secteur, et en précisent l’organisation technique et
lignes et apparaît comme une mutation majeure de la psychia- administrative. Le secteur est intégré à la carte sanitaire en
trie de l’enfant et de l’adolescent. Plusieurs principes la fondent psychiatrie. Le principe de la gratuité des prises en charge
(Mignot) [2] : lutter contre les ségrégations ; respecter les ambulatoires est instauré, favorisant l’accès aux soins. Le
personnes ; mettre en avant le soin plus que l’assistance ; financement du secteur est unifié et fait l’objet d’une dotation
intervenir dans le social mais aussi sur le social pour réduire les annuelle de la Sécurité sociale. L’administration du secteur est
attitudes de rejet ; promouvoir la prévention et la recherche. confiée aux hôpitaux (généraux et psychiatriques), avec possi-
Ces principes se retrouvent dans une série de textes régle- bilité également de gestion associative.
mentaires qui posent le cadre du secteur. La circulaire du 14 mars 1990 marque un changement
Le texte inaugural est la circulaire du 15 mars 1960. Chaque d’orientation : on passe de l’idée de lutte contre la maladie
département doit établir un « programme d’organisation et mentale à celle de politique de santé mentale. On passe d’un
d’équipement » pour permettre la mise en place d’un dispositif fantasme d’éradication de la maladie mentale à une notion
mieux adapté et plus efficace de lutte contre la maladie men- d’accompagnement. Il s’agit d’améliorer les conditions de
tale. Les besoins hospitaliers sont précisés, ainsi que le rôle des développement psychoaffectif et intellectuel des enfants et des
dispensaires. La partie consacrée à l’enfant est réduite à la adolescents. Cette circulaire insiste également sur la réduction
question de l’hospitalisation : il faut créer des services de trop massive des lits d’hospitalisation temps plein.
neuropsychiatrie infantile à rotation rapide et à petit effectif. Tous ces éléments sont repris dans la circulaire du 11 décem-
La circulaire du 16 mars 1972 [16] met véritablement en place bre 1992 [23] . Vingt ans après la circulaire de 1972, cette
le secteur de psychiatrie infantojuvénile. Elle est relative au circulaire actualise les orientations de santé mentale et confirme
« programme de lutte contre les maladies mentales et déficien- la politique de sectorisation. Elle précise les nouveaux enjeux,
ces mentales des enfants et adolescents ». La maladie mentale en particulier elle fait le constat que certaines classes d’âge sont
est définie comme un fléau à combattre, tout comme la tuber- imparfaitement prises en charge, que la coordination et la
culose ou la syphilis antérieurement. Il faut améliorer l’existant concertation des professionnels du champ de l’enfance sont
et créer une cohérence dans les réponses de soins. Les progrès insuffisantes, et que les moyens des secteurs sont très disparates.
de la pédopsychiatrie sont soulignés dans une volonté de se Elle définit des actions prioritaires :
dégager des idées purement déficitaires ou constitutionnelles de • mieux assurer l’accueil et les soins des très petits enfants ainsi
la pathologie. L’importance de l’environnement et l’évolutivité que des adolescents ;
des pathologies sont mises en avant et justifient un dispositif de • favoriser les interventions dans la collectivité ;
cure pédopsychiatrique sophistiqué. La délimitation de territoi- • développer les formules à temps partiel dont les centres
res géographiques permet d’éviter l’éloignement des enfants de d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) ;
leur environnement sociofamilial, de garantir la continuité des • promouvoir le partenariat et le travail de réseau, et donc la
soins, de favoriser le travail de concertation entre institutions concertation dans des initiatives pluripartenariales ;
du secteur et autres institutions s’occupant d’enfants (Éducation • répondre à la diversité des problématiques et renforcer
nationale, médicosocial...). l’action en direction des « publics très défavorisés » en
Le centre de diagnostic et de traitement ambulatoire est situation de précarité.
désigné comme le premier lieu de soins. Il y a donc un décen- Elle précise l’organisation du dispositif de soins avec ses
trement important par rapport à la logique asilaire [17]. L’hôpital différentes composantes.
de jour est décrit précisément. Les autres institutions sont Paradoxalement, cette circulaire volontariste est suivie d’une
détaillées dans une liste qui intègre l’hospitalier et le médicoso- période où l’accroissement du nombre des professionnels stagne
cial (Centre médico-psycho-pédagogique [CMPP], Institut et où augmentent rapidement les demandes de soins.
médicoéducatif [IME]) indiquant par là même leur nécessaire En 2004, le souci de planification, associé à la politique de
collaboration. Ce secteur infantojuvénile s’appelle à l’époque régionalisation et au principe de la collaboration des services se
intersecteur car il correspond à trois secteurs adultes et couvre traduit dans la circulaire relative à l’élaboration des schémas
une population d’environ 210 000 habitants. Il n’y a pas de régionaux d’organisation sanitaire (SROS) de l’enfant et de
limite d’âge inférieur pour les sujets pris en charge. Si besoin, l’adolescent.
ils sont suivis jusqu’à l’âge adulte. Néanmoins, l’âge limite de L’organisation graduée et coordonnée de la prise en charge
16 ans est retenu comme principe général. des enfants et des adolescents est définie. Les principes de la
L’accent est mis sur la prévention et les principes du secteur politique de secteur sont réaffirmés : accessibilité, continuité,
sont rappelés. Tous les outils institutionnels du secteur sont qualité des soins, soutien et implication des familles. La prise en
décrits, ce qui paraît remarquablement visionnaire si on charge de proximité doit être la règle. La circulaire insiste sur les
considère l’état des services de psychiatrie de l’enfant de prises en charge des situations de crise et d’urgence, les inter-
l’époque [18]. ventions coordonnées de la pédopsychiatrie en périnatalité et

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

en pédiatrie. La coordination avec le médicosocial et les bien repérer le niveau de réalité appréhendé par une conception
dispositifs de protection de l’enfance sont également réaffirmés. théorique et le caractère habituellement incomplet de la portée
Une commission régionale de l’organisation des soins des explicative d’un phénomène par un seul des niveaux envisagés.
enfants et des adolescents est créée. Cette complexité de l’objet implique la multiplicité des appro-
La loi du 11 février 2005 sur le handicap réforme la loi de ches et fait de la pédopsychiatrie une discipline médicale se
1975. Elle définit le handicap, installe les maisons départemen- devant d’intégrer aussi bien les apports de la biologie et des
tales des personnes handicapées (MDPH) et la commission des neurosciences que ceux d’applications thérapeutiques actuelle-
droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH). ment plus immédiates, des sciences humaines telles la psycha-
Cette loi amène les équipes de secteur à redéfinir les conditions nalyse, la psychologie et l’anthropologie.
et les formes de leur coopération avec les MDPH. Comparativement à la plupart des spécialités médicales, du
La circulaire du 18 octobre 2005 insiste sur les partenariats à moins dans leurs aspects relevant du somatique, la pédopsy-
mettre en place entre les équipes éducatives et les équipes de chiatrie ne peut établir, entre théories, clinique et thérapeuti-
santé mentale pour améliorer le repérage et la prise en charge que, le même type de causalité objective ni utiliser usuellement
de la souffrance psychique des enfants et des adolescents. La des niveaux de preuves identiques. De ce fait, le modèle
Fédération française de psychiatrie en partenariat avec la épistémologique prévalent en médecine, reliant les symptômes
Direction générale de la santé (DGS) et la Direction de l’ensei- au diagnostic de la maladie, puis le diagnostic au traitement,
gnement scolaire (DESCO) a élaboré un référentiel pour le n’est applicable que dans certaines conditions, assez limitées, en
repérage précoce des manifestations de souffrance psychique et pédopsychiatrie. C’est une des raisons qui a conduit à la
des troubles du développement chez l’enfant et l’adolescent. Ce désaffection sur la notion de « maladie mentale » et à son
référentiel sert à la formation d’acteurs de terrain, membres des remplacement par celle de « trouble mental ». La notion de
équipes de secteurs (médecins et psychologues), médecins « trouble » risque cependant d’appauvrir la démarche diagnosti-
d’Éducation nationale ou de PMI. Ces actions de formation en que lorsque la définition du trouble (exemple du « trouble des
direction des médecins de première ligne devraient permettre conduites ») est rabattue tautologiquement sur la seule descrip-
une meilleure précision des adresses aux secteurs de tion des symptômes. Pourtant, la nature des problèmes psycho-
pédopsychiatrie [24]. pathologiques rencontrés chez un enfant ou un adolescent est
Le plan psychiatrie et santé mentale 2005-2008 définit loin de se résumer aux symptômes qu’il présente et renvoie à
d’abord la notion de prise en charge décloisonnée, il prévoit le plusieurs dimensions : elle relève de son parcours développe-
renforcement des droits des malades et de leurs familles, et mental, de ses expériences de vie dont certaines peuvent avoir
propose la mise en œuvre de programmes spécifiques sur la valeur de traumatisme, de son système relationnel, de la
dépression et le suicide, la périnatalité et les populations construction de son organisation mentale d’ensemble, ou
vulnérables. Les principes de la sectorisation sont à nouveau encore d’éventuelles contraintes ou particularités biologiques.
réaffirmés, avec une incitation renouvelée au travail en réseau. Toutes ces dimensions contribuent à créer chez chaque patient
Le secteur a gardé une dynamique vivante tout au long de ces une subjectivité unique et irréductible. Les traitements proposés
30 dernières années : des outils spécifiques de prise en charge se devraient viser à s’adapter à cette subjectivité. Ils ne peuvent
sont affinés, définis en fonction des différents types de patho- donc répondre au seul diagnostic médical, mais ils doivent être
logies, des spécificités selon l’âge. Le travail de réseau ainsi que proposés en intégrant de nombreux autres facteurs parmi
le travail avec les parents ont gagné en intensité. lesquels la possibilité pour le patient d’accepter leur indication,
La situation en 2007 est cependant marquée par la saturation la position des parents, leur faisabilité pratique dans une
des systèmes de soins en pédopsychiatrie, la difficulté à répon- situation donnée ne sont pas les moindres. La prise en considé-
dre correctement à l’augmentation des demandes déjà existan- ration du « facteur humain » dans la conduite des traitements
tes, mais aussi à l’émergence de nouvelles demandes, souvent n’est certes pas l’apanage de la pédopsychiatrie, mais elle
tout à fait légitimes (mineurs en prison, maltraitance, effets des constitue pour elle, de manière indiscutable, l’élément central.
modifications de la vie familiale...). Pour chaque patient, l’approche thérapeutique passe par la
La réflexion porte aussi sur les redéfinitions nécessitées par un création de liens intersubjectifs entre lui et un ou plusieurs
contexte plus global de changement : professionnels. Elle vise à susciter chez lui une reprise évolutive
• Comment la nouvelle gouvernance hospitalière et la création et une mobilisation psychique en fonction de ses potentialités,
de pôles modifieront-elles l’inscription des secteurs de elle s’efforce de lui assurer un accompagnement et un étayage
pédopsychiatrie dans le tissu hospitalier (le secteur doit-il se dans une temporalité variable adaptée à sa pathologie. Cette
constituer en pôle ou s’intégrer à un ensemble plus large ?) ? notion d’accompagnement est d’autant plus essentielle que le
• Comment les incitations à la formalisation de réseaux poids des contraintes psychopathologiques réduit les possibilités
infléchiront-elles le travail en partenariat des secteurs ? d’insertion sociale et tend à un isolement, voire à une exclusion
• Jusqu’où faut-il promouvoir des structures intersectorielles sociale du patient.
pour répondre à des besoins spécifiques et coûteux comme L’activité thérapeutique, avec ses objectifs, ne relève pas
l’hospitalisation temps plein ? seulement de la disponibilité et des qualités soignantes des
professionnels. Elle a besoin de s’appuyer sur des théories, outils
■ Théories et secteur permettant un travail de pensée à partir de l’expérience. Il
convient d’être modeste quant à l’apport des théories : elles ne
pédopsychiatrique produisent que rarement des certitudes concernant l’étiologie de
la survenue et de la persistance des troubles mentaux. Ceci ne
Théorisation nécessaire d’un savoir tient pas seulement aux insuffisances du savoir dans différents
domaines, mais est dû aussi à la complexité irréductible et à la
complexe part d’opacité (ou de liberté) inévitable dans le déroulement des
Les théories sont indispensables pour orienter et soutenir phénomènes mentaux. Cette limitation vraisemblablement
l’activité clinique et thérapeutique du secteur en pédopsychia- structurelle des théories explique la tendance actuelle au refus
trie. La question du savoir théorique en pédopsychiatrie, comme des théories, athéorisme qui aboutit à une simplification
en psychiatrie, se pose cependant de manière particulière : la excessive de la clinique, réduite au symptôme et faisant
complexité de l’objet même de ce savoir, c’est-à-dire le fonc- l’impasse sur la globalité de la personne. Une telle position,
tionnement mental normal et pathologique, tient à l’interfé- intenable en pédopsychiatrie, fait courir aux jeunes patients le
rence de facteurs hétérogènes les uns aux autres, répondant à risque d’une non-prise en compte de leur réalité psychique,
des logiques différentes et dont les approches font appel à des voire d’une stigmatisation diagnostique prématurée susceptible
méthodologies différentes. Ainsi, la plupart des expressions de de peser sur leur destin personnel.
la vie psychique relèvent-elles tout aussi bien de facteurs Lorsqu’elles relèvent des sciences humaines, les théories ne
somatiques, cérébraux ou autres, que de facteurs psychologi- produisent certes pas un savoir exhaustif et généralisable dans
ques, culturels, linguistiques, sociologiques, etc. Ceci impose de la même proportion que les théories relevant des sciences de la

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

nature, mais elles permettent des modélisations éclairantes des insisté sur le respect de la subjectivité du patient, sur l’utilité de
problèmes cliniques rencontrés et elles ouvrent à leur compré- créer des espaces institutionnels différenciés, propices à intro-
hension. L’usage de ces théories n’a de légitimité que s’il duire du symbolique et à reconnaître les cheminements et les
s’enracine dans une pratique clinique attentive à l’expression places de chacun, sur les fonctions de pare-excitation et
des phénomènes psychiques en situation. Il se doit donc d’étayage de la vie institutionnelle, sur les effets d’après-coup,
d’écarter tout dogmatisme a priori, qui chercherait à forcer la l’ouverture à l’imprévisible, et le caractère non opératoire du
réalité clinique pour l’adapter à la théorie, de même qu’il ne soin psychique.
doit pas se laisser enfermer dans le seul objectif de conforter Tous ces apports de la psychanalyse et de la psychothérapie
l’identité et l’appartenance professionnelle des soignants, en institutionnelle ont créé une culture précieuse d’une forme de
fonction de leurs références théoriques. À ces conditions, les soin pédopsychiatrique. Ils n’empêchent pas la possibilité de
théories sont utiles et même indispensables. déviances (psychanalyse sauvage, idéalisation abusive de la
théorie et chosification des concepts, usage défensif de la
Principaux modèles théoriques psychanalyse, etc.). Ils ne doivent pas masquer le fait que les
problèmes rencontrés en pédopsychiatrie nécessitent une
L’ensemble des théories intéressant la pédopsychiatrie ne peut diversité des approches et des théories. Plusieurs autres groupes
être développé ici, mais quelques-unes d’entre elles, couram- d’apports théoriques peuvent être distingués, en sachant qu’il
ment utilisées, doivent être évoquées. est difficile de les délimiter avec précision et qu’il existe entre
eux de nombreuses zones de recouvrement.
Psychanalyse
Théorie de l’attachement
Comme le signalaient déjà Plantade et al. [25], elle a joué un
rôle de premier plan dans le développement de la pédopsychia- La notion d’attachement issue des travaux de Bowlby [30] est
trie et, en France, dans celui de la mise en place des secteurs. définie par lui comme « le produit de l’activité d’un certain
Bien que souvent critiquée, elle constitue encore une référence nombre de systèmes comportementaux (succion, étreinte, cris,
théorique essentielle pour la pédopsychiatrie. sourires, regards...) qui ont pour résultat prévisible la proximité
Elle propose des théories du développement psychique et de l’enfant à sa mère ». L’attachement est considéré comme une
éclaire la genèse successive des différents types d’organisation disposition innée ne se confondant pas avec les autres exigences
mentale dans l’évolution d’un sujet, marquée par les phénomè- pulsionnelles. Cette notion a renouvelé l’observation des
nes de fixation, de progression et de régression. A. Freud [26] interactions précoces et éclairé de façon originale la nature du
représente ce courant développemental avec son intérêt pour la lien entre humains. Ainsworth et al. [31] , avec le dispositif
construction du Moi et la mise en place des mécanismes de expérimental de la « Strange situation », a identifié des schémas
défense. Klein [27] s’est tournée vers les phases les plus précoces d’attachement ainsi que les conduites environnementales qui
du développement, s’efforçant de décrire des phénomènes les favorisent. Les modèles d’attachement influencent la
archaïques communs aux phases précoces de l’enfance et à représentation de soi et du monde que se construit l’enfant, et
certaines organisations pathologiques. Winnicott [28], avec les contribuent à déterminer des types de comportement qui
concepts d’objet et de phénomènes transitionnels, met en peuvent se fixer ou évoluer en fonction des expériences ulté-
lumière le rôle des investissements croisés enfant-parents dans rieures. Cette théorie, actuellement très en vogue, ouvre des
la constitution du self. Ces auteurs ont inspiré de nombreux perspectives nouvelles dans la compréhension de certaines
travaux à leurs continuateurs, ce qui a considérablement enrichi manifestations pathologiques et de leurs traitements. Elle
la compréhension du développement normal, des troubles du montre l’intérêt de l’observation éthologique ainsi que de
développement et la place des expériences archaïques dans le l’observation des réponses précoces de l’environnement aux
fonctionnement mental au cours d’évolutions pathologiques, besoins du nourrisson.
mais aussi au sein de situations spécifiques comme la participa-
tion à des groupes (thérapeutiques ou familiaux) ou la traversée Théories systémiques
de périodes critiques. La psychanalyse a construit une théorie Elles forment un groupe disparate, uni par la référence à la
du fonctionnement mental intégrant les concepts d’inconscient, théorie générale des systèmes de von Bertalanffy [32], qui ne
de sexualité infantile, d’investissement pulsionnel, de relation propose rien de moins qu’une nouvelle épistémologie scientifi-
objectale, de narcissisme, de mécanisme défensif, etc. La que. Elles ont contribué à renforcer l’intérêt des psychiatres
métapsychologie freudienne éclaire de nombreuses situations pour le fonctionnement familial et les relations internes et
psychopathologiques et, comme dans le cas des pathologies externes organisant la vie familiale. Elles ont donné naissance
limites, est indispensable à leur définition. Ces concepts ont à des pratiques très diverses de thérapie familiale (thérapies
permis le développement d’une psychopathologie essentielle- structurales, stratégiques, constructivistes, constructionnistes,
ment psychodynamique qui s’est imposée en pédopsychia- etc.), mais aussi à des concepts assez généralement reconnus et
trie [29]. Enfin, la psychanalyse apporte des techniques théra- d’un grand intérêt dans le travail de consultation. Citons ici les
peutiques, fondées sur l’association libre et le transfert : non pas notions de mythes familiaux, d’homéostasie et de changement,
tant la cure-type, peu utilisée chez l’enfant ou l’adolescent, que de connotations positives, de mission et de dettes transgénéra-
des analyses aménagées ou des psychothérapies, le psychodrame tionnelles, de patients désignés, de compétences familiales, de
analytique, les groupes de parole... circularité des interactions... L’importance de ces théories va
D’une manière plus générale, et ceci est peut-être le plus bien au-delà du développement des thérapies familiales et tient
important, la démarche psychanalytique permet, sinon une surtout à la valeur de certains concepts lorsqu’il s’agit de
théorisation, au moins une réflexion sur le soin psychique. Elle travailler les liens parents-enfant, les liens fraternels, voire les
donne aux professionnels des éléments conceptuels susceptibles liens institutionnels. Elles permettent aussi aux pédopsychiatres
de les aider à analyser les mouvements psychiques au sein de de sortir d’une position simplement triviale, voire souvent
l’institution de soins, qu’il s’agisse de transfert de travail au sein moralisatrice dans leurs descriptions des relations familiales.
des équipes, de mouvements transférentiels/contre-transfé- Elles rendent possibles des modélisations très pertinentes du
rentiels entre patient, parents et professionnels, ou encore de fonctionnement familial [33].
phénomènes de groupe institutionnel ou thérapeutique.
La théorie psychanalytique a enrichi la réflexion sur les Théories anthropologiques
institutions de soins. Le courant de psychothérapie institution- Les théories anthropologiques ont participé, à la suite des
nelle s’en est largement inspiré en montrant qu’il ne s’agit pas travaux de Devereux [34] au développement de l’ethnopsychia-
tant de créer des « institutions psychanalytiques » que de trie. Cette approche intègre, jusque dans l’aménagement du
travailler, dans l’institution, avec la réalité psychique des cadre thérapeutique, les spécificités culturelles d’enfants et de
différents acteurs, patients et soignants, au-delà des rôles familles issus d’une autre culture.
sociaux déterminés. Les théoriciens de la thérapie institution- D’une manière plus générale, la position anthropologique
nelle (Tosquelles [13], Oury [9], Racamier [10], Mises [12]...) ont intéresse tout pédopsychiatre confronté, dans sa pratique, à une

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

large diversité de cultures familiales ou groupales. Avec chaque psychologues... Les pédopsychiatres, quant à eux, se réfèrent
groupe familial, ne doit-il pas être un anthropologue faisant des aussi aux théories médicales somatiques, soit dans leurs activités
allers et retours entre la culture de l’autre et sa propre culture ? diagnostiques (recours à la génétique, à la neuro-imagerie, à la
L’écart entre les références culturelles de la sectorisation et celles biologie, etc.), soit dans leur action thérapeutique auprès de
de certains des utilisateurs du système de soin n’est-il pas un patients dont les troubles ont des implications somatiques ou
obstacle à considérer avec lucidité dans de nombreuses situa- résultent de désordres somatiques. La pédopsychiatrie présente
tions où des représentations divergentes rendent problématique donc des interfaces théoriques avec de nombreuses spécialités
la construction de liens ? médicales dont la néonatologie, la pédiatrie, la neuropédiatrie...
La pédopsychiatrie se nourrit ainsi de théories issues de
Théories du développement cognitif et sciences multiples domaines scientifiques pour construire son champ
cognitives propre. Elle a besoin aussi de se référer à des connaissances
juridiques, sociales et politiques, sortant du strict domaine de la
Les premières s’attachent à la description de la genèse des
théorie scientifique, mais organisant le champ social dans lequel
opérations et des représentations mentales chez l’enfant.
elle s’inscrit. La grande diversité de ses références implique
Wallon [35], Piaget et son école [36] ont proposé une théorie très
qu’elles sont inégalement présentes dans les différents secteurs
cohérente des stades du développement de l’intelligence
et que chaque secteur construit sa théorie du soin psychique en
caractérisés par différents modes de pensée. Les sciences
fonction de son histoire, de ses orientations, et des besoins de
cognitives ont élargi ce domaine, en étudiant les principales
ses patients. Ceci explique le caractère très pragmatique et
fonctions de l’esprit humain (langage, raisonnement, mémoire,
créatif d’une spécialité dont les différents modèles théoriques
perception, attention, prise de décision...) Elles s’appuient sur
inspirent la diversité des pratiques.
des approches multidisciplinaires très vastes englobant la
psychologie génétique, la linguistique, l’informatique, les
neurosciences, etc. Elles s’intéressent aussi aux processus d’auto- ■ Dispositif sectoriel,
organisation et de métacognition soutenant les apprentissages.
En psychopathologie, elles visent à définir les particularités
professionnels et lieux de soins
cognitives rencontrées dans certaines pathologies ou à détermi-
ner les mécanismes cognitifs qui sous-tendent certaines pertur-
Dispositif sectoriel
bations pathologiques. Un exemple en est l’hypothèse de la Dans tout secteur, une équipe multidisciplinaire assume le
« théorie de l’esprit » (Baron-Cohen, Leslie et Frith [37, 38] ) fonctionnement de plusieurs lieux de soins articulés les uns aux
comme modèle explicatif de l’autisme : les autistes seraient autres mais constituant des espaces bien différenciés au sein
incapables de juger leurs propres pensées et d’imaginer les états d’un ensemble.
mentaux d’autrui. Les applications des théories cognitives en Chaque secteur est organisé autour d’un ou plusieurs lieux de
pédopsychiatrie concernent l’étude des statuts cognitifs et des consultations médicopsychologiques (CMP). Chaque secteur a
méthodes d’apprentissage de certains patients, ainsi que la mise développé ses autres outils de soins en fonction de son histoire
en place de techniques se proposant de faire évoluer leurs propre, et en particulier des moyens déjà alloués localement à
modalités de représentation. L’intérêt de ces théories, notam- la pédopsychiatrie avant la sectorisation, de ses orientations de
ment dans le domaine des troubles instrumentaux et des travail, des caractéristiques géographiques et démographiques de
troubles envahissants du développement, est beaucoup plus son territoire, de son établissement de rattachement (hôpital
large que le champ, assez restreint chez l’enfant, des thérapies psychiatrique, hôpital général, centre hospitalier universitaire,
cognitivocomportementales. hôpital privé, association), des partenaires locaux (notamment
des structures médicosociales ou d’autres structures sanitaires),
Neurosciences des équipements des secteurs voisins, etc.
Ainsi peuvent faire partie d’un dispositif sectoriel hôpitaux de
Les neurosciences sont un des supports des sciences cogniti- jour, CATTP, unité du soir, unité d’hospitalisation à temps
ves. Elles regroupent l’ensemble des disciplines techniques et partiel, accueil familial thérapeutique (AFT), unité de psychiatrie
cliniques étudiant le système nerveux. Après une période de de liaison, hôpital de nuit, centre de crise... Il existe en fait une
recherche centrée sur les neurones et les neuromédiateurs, elles grande disparité d’équipement d’un secteur à l’autre, mais une
s’orientent vers des théories concernant l’organisation des évaluation réelle de l’équipement pédopsychiatrique d’un
connexions neuronales et ses rapports avec les phénomènes secteur devrait tenir compte de l’existence ou non de structures
mentaux, essentiellement émotionnels et cognitifs. Les phéno- extrasectorielles, telles que les CMPP, les services d’éducation
mènes cognitifs sont modélisés surtout à partir des théories de spécialisée et d’aide à domicile (SESSAD) à orientation pédopsy-
traitement de l’information. La neuro-imagerie fonctionnelle chiatrique, les pédopsychiatres libéraux, etc.
permet de faire le lien entre des altérations fonctionnelles, la En effet, le rôle du secteur est de promouvoir une politique
réalisation de tâches et l’activation ou la non-activation de locale cohérente en matière de santé mentale infantojuvénile. Il
zones cérébrales. L’espoir est souvent affirmé que ces techniques ne peut répondre seul à tous les besoins exprimés et reconnus,
modernes, remplaçant la traditionnelle méthode anatomoclini- mais il se doit de leur porter attention et surtout de veiller à ce
que, apporteront des réponses neurofonctionnelles à l’étiologie qu’aucune des pathologies relevant de la pédopsychiatrie,
de certains troubles pédopsychiatriques. Malgré le danger qui surtout les plus sévères, ne soit laissée sans aucun accompagne-
consisterait à réduire le fait psychique à son seul substrat ment thérapeutique. Travaillant au sein de la communauté, il
cérébral, les théories issues des neurosciences trouveront très doit éviter que le soin pédopsychiatrique n’entraîne la mise à
probablement, dans l’avenir, une place importante parmi les l’écart ou la stigmatisation des jeunes patients qui en bénéfi-
théories utiles à la pédopsychiatrie. cient. La plupart de ceux-ci sont traités exclusivement en
Parmi les applications actuelles des neurosciences, la psycho- ambulatoire, au sein d’un CMP, ce qui est presque toujours
pharmacologie a depuis longtemps sa place en pédopsychiatrie, compatible avec leur insertion sociofamiliale et scolaire dans des
bien que la prudence s’impose dans la prescription des médica- conditions habituelles. Pour d’autres patients, constituant les cas
ments psychotropes, compte tenu de leurs effets sur les proces- les plus difficiles, des soins plus structurés sont nécessaires. Il est
sus de développement. souhaitable alors que la différenciation des lieux de soins et leur
intégration au dispositif sectoriel permettent des montages
Références théoriques plus spécifiques thérapeutiques pertinents pour la conduite de la cure de chaque
Outre ces théories d’ordre général, chacune des professions patient, à tel ou tel moment de son évolution. L’implication,
présentes en pédopsychiatrie développe souvent des références dans le traitement de ces patients, de plusieurs lieux de soins
théoriques plus spécifiques orientant son action aux cours des avec la permanence d’un suivi en CMP offre toute la diversité
bilans ou des prises en charge. La vitalité des revues profession- des moyens thérapeutiques existants et évite l’inclusion du
nelles atteste de la richesse de ce travail d’élaboration théorique, patient dans une seule structure, avec le risque de chronicisa-
notamment chez les psychomotriciens, les orthophonistes, les tion qui en découlerait, aussi bien pour le patient que pour la

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

structure de soins. Ceci implique que l’accent soit mis sur psychothérapies individuelles. De plus en plus de psychothéra-
l’institution d’une cure plurifocale autour du patient plutôt que peutes cependant sont formés à des pratiques systémiques. Les
sur sa seule appartenance à une structure de soins, si perfor- psychothérapeutes assument la conduite de psychothérapies
mante soit-elle. individuelles ou de groupes, ou encore de thérapies familiales,
de thérapies mère-enfant, parents-enfant, de thérapies de
Équipe de secteur couple. Chaque psychothérapie impose l’instauration d’un cadre
précis se différenciant bien d’autres aspects de la cure. Il est
L’équipe de secteur est composée d’une grande diversité de ainsi préférable que le même professionnel ne soit pas chargé à
professionnels, apportant leurs connaissances et leurs techni- la fois du travail de consultation et de la psychothérapie,
ques spécifiques, et proposant des points de vue différents au surtout s’il s’agit de psychothérapie individuelle. Il est souhai-
travail commun d’élaboration des données cliniques. Ceci table que les parents, pendant le temps de la psychothérapie de
contribue à enrichir, au sein de l’équipe, les représentations du leur enfant, soient reçus régulièrement par le consultant, de
problème du patient et, de ce fait, à favoriser la fiabilité du façon à bien distinguer un espace d’expression personnel de
diagnostic et la qualité de mise en œuvre du projet l’enfant et un espace où peuvent se travailler, avec l’enfant et
thérapeutique. ses parents, des représentations concernant le problème de
l’enfant ou les relations familiales.
Pédopsychiatre Les psychothérapeutes participent souvent à la vie institu-
Médecin spécialiste en psychiatrie, il reçoit en consultation tionnelle en animant des séquences de réflexion, de reprise,
des patients et leurs parents. d’intervision sur d’autres pratiques thérapeutiques avec les
À partir de l’analyse des symptômes allégués, de l’examen autres professionnels. Ils soutiennent ainsi l’orientation psycho-
clinique de l’enfant, de l’écoute des dires parentaux, il travaille, thérapique de la plupart des secteurs, le terme « psychothéra-
dans une démarche à la fois intersubjective et objectivante, à pie » étant entendu ici non pas dans le sens d’une simple
une mise en forme diagnostique du problème présenté par extension des psychothérapies individuelles, mais dans le sens
l’enfant. Il indique d’éventuels bilans ou examens complémen- large d’attention au fonctionnement psychique du patient.
taires. Il oriente ensuite, avec l’équipe, les propositions théra-
peutiques. Il anime les réunions d’équipe et y effectue, du fait Psychomotriciens
de ses connaissances, un travail de synthèse. Il assume le suivi Se définissant par leur orientation vers la psychomotricité des
de cas et participe à d’autres tâches thérapeutiques. Il représente patients, ils ont des pratiques très diverses, tantôt tendant plus
aussi, pour les parents de l’enfant, la fonction médicale, c’est-à- vers des psychothérapies à médiation corporelle, surtout avec les
dire une position de savoir et une place de responsabilité. L’un enfants très jeunes, tantôt tendant vers des rééducations, elles
des pédopsychiatres tient la fonction de chef de secteur, avec la aussi d’application multiple. Ils jouent un rôle important dans
tâche de coordonner la politique de prévention, d’accueil et de la prise en charge des enfants ayant des troubles, envahissants
soins du secteur. La plupart des pédopsychiatres du secteur ou non, du développement. La réalisation de bilan permet de
exercent une fonction de responsabilité médicale institution- préciser les modalités d’expression, d’interaction et de créativité
nelle dans un des lieux de soins, avec des tâches de gestion des enfants, au cours de situations de jeux ou d’échanges
d’équipe et d’animation scientifique. Il est important, et parfois adaptées à leur âge et à leurs modalités spontanées d’expression.
difficile, que soient bien distinguées les fonctions médicales Les psychomotriciens réalisent des traitements individuels ou de
relevant de responsabilité institutionnelle et celles relevant de groupes, éventuellement avec d’autres professionnels. Leurs
responsabilité dans les suivis de cas, de façon à laisser aussi apports, mettant l’accent sur les aspects perceptifs et moteurs
ouvert que possible le travail collectif d’élaboration clinique. des conduites, l’importance du lien du corps propre au corps de
Bien que les pédopsychiatres soient médecins, il est rare que l’autre, ainsi que de la motricité dans les processus intégratifs et
leur contexte d’intervention se prête à l’examen somatique des relationnels, enrichissent souvent la créativité et la réflexion des
patients. En dehors de situations particulières, cet examen, équipes et ouvrent d’autres pistes thérapeutiques.
quand il est nécessaire, est confié à des pédiatres ou à des
médecins généralistes. Ceux-ci interviennent soit comme Orthophonistes
partenaires au titre d’échange entre services, soit comme
Centrés sur l’étude du langage, ils réalisent des bilans du
médecins intégrés à l’équipe médicale de secteur. L’intégration
langage oral et écrit, précisent les capacités praxiques phonatoi-
d’un médecin somaticien à l’équipe médicale, notamment dans
res, les compétences phonologiques, les qualités de la parole,
des services d’hospitalisation pour adolescents, contribue très
l’organisation du langage dans ses dimensions sémantique et
positivement à l’abord global du patient et a l’intérêt d’inclure
syntaxique, les fonctions de compréhension, d’expression et de
la dimension somatique dans l’évaluation de ses difficultés.
communication langagière du sujet. Ces bilans contribuent au
diagnostic des troubles du langage et de la parole et, grâce à
Psychologues cliniciens
leurs données qualitatives et quantitatives, permettent un suivi
Ils pratiquent les bilans psychologiques, à la demande d’un de l’évolution. Ils indiquent le bien-fondé et la faisabilité d’une
consultant. Ils sont maîtres de leur technique et utilisent des prise en charge orthophonique et surtout le choix de la techni-
tests de niveau intellectuel, des tests de personnalité (question- que, individuelle ou de groupe.
naires ou tests projectifs) ou encore d’autres tests plus spécifi- Les orthophonistes assument des rééducations spécifiques. Ils
ques. Les neuropsychologues sont orientés vers l’étude détaillée soutiennent aussi l’intérêt de l’équipe pour les troubles spécifi-
des différentes fonctions cognitives. ques du langage et les réponses à y apporter. Leur rôle est
Le bilan psychologique apporte des éléments d’information et cependant plus large car ils participent aussi à des groupes
de réflexion quant au fonctionnement psychique de l’enfant, à thérapeutiques, plus ou moins centrés sur le langage : groupes
partir de données issues des productions de l’enfant. L’utilisa- contes, groupes de lecture, ateliers d’écriture, etc. ayant pour
tion de ces éléments dans la cure revient souvent au consultant, objectif de soutenir les potentialités créatives des patients, leur
bien que le psychologue rende compte également à l’enfant et base narcissique, leur capacité d’entrée en relation et d’éprouver
à ses parents des résultats du bilan. Les psychologues cliniciens un plaisir de fonctionnement utile à une relance évolutive.
assurent aussi un travail de consultation, parfois de conseil, et
participent au travail institutionnel. Équipes soignantes
Elles sont composées pour une grande part d’infirmiers,
Psychothérapeutes
d’éducateurs, de puéricultrices, d’auxiliaires-puéricultrices et
Ce sont des professionnels formés à des techniques de d’aides-soignants. L’organisation du travail des équipes est très
psychothérapie. Ils sont le plus souvent psychologues ou variable selon qu’elles fonctionnent, dans le partage des tâches,
médecins. En pédopsychiatrie, les psychothérapies d’inspiration comme un collectif soignant, atténuant plus ou moins les
psychanalytique sont prévalentes, surtout en ce qui concerne les spécificités issues des formations de base (c’est souvent le cas

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

dans les hôpitaux de jour) ou selon qu’elles fonctionnent avec secrétaires participent à l’écoute des demandes, aux prises de
des répartitions plus précises des tâches entre professionnels, par rendez-vous, et à l’accueil des patients et des familles. Ils ont
exemple entre éducateurs et infirmiers (c’est souvent le cas dans des tâches d’information, de communication et d’organisation
les unités d’hospitalisation temps plein). Les professionnels des contribuant à l’accès aux soins, à la coordination et à la
équipes soignantes assument les soins en institution, construi- continuité des prises en charge.
sent des projets personnalisés avec les patients, participent aux
différents aspects de la vie quotidienne y compris les soins Enseignants spécialisés, professeurs des écoles,
corporels, proposent des activités thérapeutiques, éducatives et professeurs de l’enseignement secondaire, parfois
ludiques avec des médiations appropriées. Ils exercent ainsi des rééducateurs psychopédagogiques
fonctions d’étayage de stimulation et de pare-excitation auprès
des patients. Ils sont investis, du fait de leur permanence et de Le plus souvent mis à disposition par l’Éducation nationale,
leur disponibilité, de mouvements transférentiels souvent ils permettent, dans de nombreux secteurs, que soit réellement
intenses de la part des patients et de leurs parents, mouvements prise en compte la dimension pédagogique, si importante pour
donnant aux cures toute leur consistance. C’est souvent le cas la vie de l’enfant et son accès aux apprentissages. Ils apportent
aussi des personnels de service qu’il y a tout intérêt à bien aux enfants leurs compétences d’enseignants à travers des
intégrer dans la trame institutionnelle. techniques pédagogiques adaptées, ils contribuent aux projets
La qualité des soins tient beaucoup à l’implication de ces d’intégration scolaire, ils accompagnent les parents dans leur
personnels dans le travail d’élaboration de l’équipe au cours de souci du devenir scolaire des enfants, ils relient le secteur au
réunions cliniques à propos d’un patient ou de réunions monde de l’école, et surtout ils incarnent pour les autres
institutionnelles. Certains d’entre eux travaillent, en fonction de professionnels une manière différente d’envisager les compé-
leur compétence, dans les centres de soins ambulatoires : tences et les difficultés des patients qui sont, pour eux, des
consultations, suivis de cas, participation à des groupes théra- élèves.
peutiques, thérapies familiales, visites à domicile... Enfin, interviennent plus ponctuellement d’autres acteurs
Le soin psychique requiert de l’inventivité et de la diversité, (artistes, écrivains, artisans...) dans des projets spécifiques dont
et les formes qu’il prend relèvent de la créativité de l’équipe la pertinence tient précisément à la participation de profession-
dans ses propositions de réponse aux difficultés des patients. nels n’ayant pas pour compétence ou vocation d’être des
Ceci explique que les tâches des professionnels ne soient pas soignants mais d’introduire une démarche autre, définie
fixées une fois pour toutes en fonction des seules formations culturellement, et produisant des effets très dynamiques.
professionnelles initiales, à l’exception des soins infirmiers qui
restent dévolus aux infirmiers, mais qu’elles le soient aussi en Lieux de soins
fonction des dispositions, des compétences et du parcours de
formation ultérieur de chacun. La formation approfondie de Centres médicopsychologiques pour enfants
certains professionnels à de nouvelles approches ou techniques
de soins constitue un facteur de progrès essentiel pour les
et adolescents
équipes. Une des difficultés actuelles tient précisément à Les CMP constituent le pivot du dispositif de secteur : ils
l’insuffisance de formation au travail en psychiatrie dans la accueillent toutes les demandes de soins, ils accomplissent le
formation initiale aux soins infirmiers. Ceci nécessite de former travail de diagnostic et d’évaluation pour chaque cas, ils
sur le terrain les infirmiers récemment diplômés en utilisant les assurent les prises en charge thérapeutiques quand elles sont
compétences des professionnels les plus expérimentés. nécessaires, ils peuvent aussi se coordonner, pour les cas les plus
sévères, avec d’autres lieux de soins du secteur. Le CMP s’efforce
Cadres infirmiers supérieurs et cadres infirmiers de réunir, au sein d’une équipe pluriprofessionnelle, les compé-
Ils ont un rôle important d’organisation, de coordination et tences requises pour les tâches de diagnostic et de traitement,
d’animation des équipes, nécessitant tact et empathie, pour tâches en réalité très intriquées.
trouver l’équilibre entre la tenue d’une position hiérarchique En pédopsychiatrie, la consultation a ceci de particulier que
utile à la cohésion de l’équipe et le respect d’un fonctionne- le consultant a presque toujours affaire à un patient accompa-
ment démocratique interne, seul garant du dynamisme créatif gné de parent(s) ou de tiers. Il s’intéresse donc à l’enfant dans
de l’équipe et de l’engagement thérapeutique de chacun de ses son contexte environnemental. Il est confronté d’emblée à une
membres. clinique de situation, à partir des conduites de l’enfant repérées
Ils sont aussi des relais indispensables avec l’administration comme symptomatiques par son entourage (Schmit [39]). La
gestionnaire du secteur auprès de laquelle, avec le chef de demande est souvent « éclatée », portée par plusieurs membres
secteur et l’équipe médicale, ils ont à soutenir la spécificité de du groupe familial, voire par des tiers impliqués dans l’adresse.
la spécialité, à négocier les dotations en moyens et à soutenir Ainsi, le travail avec les parents est un élément constitutif de la
les nouveaux projets. C’est dire que la qualité de la coordination consultation, même si l’attention du consultant reste prioritai-
entre équipe médicale et cadre infirmier est un des éléments rement centrée sur les besoins de l’enfant d’être aidé et soutenu.
déterminants de l’ambiance de travail dans un secteur. Les objectifs de cette consultation sont la création de possi-
bilités de communications pertinentes avec l’enfant et ses
Assistants de service social parents, le recueil d’information allant au-delà du seul repérage
Ils accomplissent des tâches indispensables : liaison avec des symptomatique, la construction d’hypothèses diagnostiques sur
services sociaux départementaux, au niveau institutionnel, mais la nature du problème, la mise en place d’une alliance de travail
aussi dans le soutien de familles en difficulté sociale ou en grave avec l’enfant et ses parents et, si possible, l’obtention d’effets
précarité, orientation de certains patients vers d’autres structures thérapeutiques. Il n’est pas possible de détailler ici les méthodes
sanitaires et sociales, attention au respect des droits des usagers, de la consultation. Elle institue un cadre spatial et temporel qui
conseils et informations aux familles, participation à certaines permet à la fois une conversation et une observation.
activités thérapeutiques, notamment à domicile. Ils représentent Le symptôme a l’intérêt de fournir un objet de médiation
le secteur auprès de nombreux partenaires, par exemple dans la déjà investi. Il peut arriver qu’il nécessite des mesures propres à
participation à des projets d’aide relevant des municipalités. contenir ses effets négatifs mais il ne suffit pas, à lui seul, à
D’une manière plus large, ils contribuent au maintien du lien définir le diagnostic. Le diagnostic en pédopsychiatrie résulte de
social entre le secteur, les familles et la communauté. Ils l’investigation de dimensions multiples : symptomatique,
stimulent l’intérêt de l’équipe pour la dimension sociale du structurale, environnementale, développementale, somatique...
travail en pédopsychiatrie. Dans une visée préventive, soucieuse d’éviter l’excès de
« psychiatrisation » ou de « médicalisation » de l’enfant, ainsi
Secrétariats qu’une banalisation de ses problèmes, sont distinguées :
Ils sont souvent des lieux collectifs d’échange très investis par • les situations où l’enfant présente une psychopathologie
les membres des équipes. Outre leur rôle technique propre, les personnelle déjà structurée ;

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

• celles où, par ses symptômes, il semble exprimer les difficultés sociofamilial et en favorisant le travail avec les parents. Il était
du groupe familial ; adapté au traitement des pathologies les plus difficiles, et en
• celles enfin où s’intriquent pathologie individuelle et diffi- particulier des troubles psychotiques dont la clinique se précisait
cultés de la famille. à l’époque.
À l’énoncé d’un diagnostic, quand le temps en paraît venu, Les hôpitaux de jour vont évoluer progressivement et se
il faut tenir compte des effets qu’il aura sur l’enfant et sur spécifier en se multipliant au fil des années. Ils sont intégrés aux
l’entourage. Il vise à rendre compte de la réalité du problème différents outils de soins du secteur et s’articulent aux différen-
rencontré (sans réduire la personne de l’enfant à son éventuelle tes réponses proposées dans le cadre de la consultation
pathologie) et à donner un appui aux propositions de soins. pédopsychiatrique.
Dans de nombreux cas, l’apport pédopsychiatrique se limite Les CATTP apparaissent à partir des années 1980 [48-50]. Les
à une ou plusieurs consultations, soit que la démarche tourne hôpitaux de jour et les CATTP s’articulent avec les différentes
court, soit que le travail de consultation, recadrant une ques- propositions que peut apporter le médicosocial (Institut médi-
tion, apaisant une tension, modifiant des représentations, ait copédagogique [IMP], Institut médicoprofessionnel [IM-PRO]...).
abouti à une évolution favorable, ou, du moins, ait rendu au Si l’hôpital de jour et le CATTP se définissent comme des
groupe familial sa confiance dans sa capacité à faire face à ses modalités de soin institutionnel séquentiel, ils se différencient
propres difficultés. L’expérience faite de l’utilité d’une aide cependant par certains points.
extérieure permet souvent aux parents ou au patient de deman-
der à nouveau une aide s’ils en ressentent ultérieurement le Hôpital de jour
besoin. Il propose un soin séquentiel, collectif et intensif. Il concerne
Dans d’autres cas, l’abord de l’enfant par d’autres profession- les pathologies les plus graves : psychoses, troubles envahissants
nels, au cours de bilans ou de séquences d’observation, enrichit du développement, troubles de la personnalité, états limites,
l’approche diagnostique, éclaire sur l’intérêt ou non d’un dépressions graves, pathologies associées ou non à des aspects
traitement spécifique, donne des indications sur les orientations déficitaires. L’aspect de désinsertion sociale, en particulier sur le
thérapeutiques possibles et constitue une évaluation de départ plan scolaire, est presque toujours présent dans les indications
utile au suivi ultérieur. préférentielles.
Idéalement, quel que soit le projet thérapeutique, le consul- L’hôpital de jour représente une des propositions de soins
tant est le garant de la continuité des soins en assumant le suivi que le consultant peut faire à l’enfant et aux parents. Dans le
du patient tout au long de la cure. Ainsi se définit un lieu cadre de la consultation, un bilan spécifique a déjà été fait, il
d’échange avec l’enfant et les parents, lieu situé en tiers à est complété avant l’entrée à l’hôpital de jour.
l’égard des autres actions de soins, permettant d’évaluer et de L’hôpital de jour se définit par un triple projet :
modifier éventuellement le projet thérapeutique au fil de la cure • le projet de soins s’articule selon trois registres : le projet
et d’en marquer ainsi la direction. Le consultant référent est un thérapeutique ou travail relationnel, le projet éducatif et le
pédopsychiatre, un psychothérapeute, un psychologue, plus projet pédagogique ;
rarement un autre membre de l’équipe. • le projet institutionnel implique le partage par une équipe
Les projets thérapeutiques se mettent en place avec l’accord pluridisciplinaire d’objectifs communs et de références
des parents, lorsqu’ils ont pris sens pour eux et pour l’enfant. communes ;
Ils sont réalisés par l’équipe du CMP qui propose une gamme • le projet individuel de l’enfant, projet de soins singulier, est
diversifiée d’actions thérapeutiques individuelles ou groupales. À réfléchi en équipe avec les parents et l’enfant ; il précise par
côté de pratiques bien codifiées (psychothérapie, rééducation ailleurs une perspective d’intégration sociale et scolaire.
orthophonique, etc.), l’équipe est amenée à créer des formes L’équipe est souvent pluridisciplinaire, incluant infirmiers,
d’intervention s’adaptant aux orientations des projets indivi- éducateurs, éducateurs-jeunes enfants, aide-soignants, auxiliaires
duels et aux particularités de certaines situations (groupes puéricultrices, mais aussi parfois psychomotriciens, orthopho-
thérapeutiques à médiation, groupes d’accueil parents-enfants, nistes, qui sont alors partie prenante de l’équipe de base.
visites à domicile, par exemple) [40, 41]. Le travail thérapeutique de l’hôpital de jour vise le dévelop-
Certains patients peuvent bénéficier d’accueil séquentiel pement psychique de l’enfant à travers de multiples échanges,
réunissant plusieurs approches (prises en charge de petits des activités partagées [51] . Le groupe soignant exerce trois
enfants atteints de troubles envahissants du développement). fonctions, une fonction d’accueil, de contenance, mais aussi de
L’équipe du CMP, du fait de son implantation locale, travaille mise en mots (ces fonctions sont définies par Delion comme les
en coordination avec les autres systèmes d’aide et se rend aussi fonctions phorique, sémaphorique et métaphorique) [8]. Des
disponible que possible aux usagers. Certains CMP ont des séquences successives ponctuent la journée, articulant conti-
actions institutionnelles de prévention et de soutien thérapeu- nuité et discontinuité, permanence et rupture. De multiples
tique auprès d’autres structures (PMI, classe d’intégration...). possibilités d’échanges sont ainsi développées. L’accompagne-
Une des difficultés actuelles de nombreux CMP est l’augmen- ment thérapeutique vise à favoriser l’accès à la relation à l’autre,
tation croissante des demandes, entraînant des délais trop longs mais aussi l’accès à la symbolisation. Les temps de vie quoti-
pour l’accueil de nouveaux patients. Ceci rend nécessaire dienne partagés alternent avec des activités thérapeutiques à
d’installer de nouveaux dispositifs d’accueil (consultation médiation.
d’accueil, astreintes de certains professionnels...) de façon à L’équipe propose aussi aux enfants de multiples rencontres,
permettre un accès plus rapide aux soins pour les sujets les plus parfois individuelles, souvent en petits groupes, à partir de
en difficulté. Cette priorité donnée à l’accueil pose cependant la médiations diverses. Ces médiations diversifiées visent de
question du maintien de la qualité des soins. Au nom de celle- multiples objectifs : le maternage (pataugeoire, activités de
ci, certains secteurs préfèrent maintenir des pratiques reposant massages, musique), l’élaboration émotionnelle (contes, musi-
sur des soins très systématisés, d’autres ont été amenés à penser que), la création, (peinture, sculpture, modelage), le travail sur
différemment leurs projets thérapeutiques, en particulier dans le le vécu et l’expression corporelle (psychomotricité, danse,
sens d’une plus grande rigueur dans les indications de traite- rythme), le langage (orthophonie, atelier de langage, journal,
ment spécifique au long cours de façon à aménager de la place théâtre...).
pour les nouveaux patients [42]. Des professionnels extérieurs (musicien, peintre, écrivain,
vidéaste...) peuvent participer à des ateliers à médiation.
Hôpital de jour et centre d’action thérapeutique Le travail de soins dans ces ateliers est d’abord relationnel,
à temps partiel visant l’élaboration des angoisses, de l’image du corps, et des
L’hôpital de jour a été une innovation importante en pédop- rapports à soi et à autrui. Il s’agit de travailler les rencontres,
sychiatrie au cours des années 1970 [43-46]. Il a d’abord été mais aussi les séparations souvent problématiques pour ces
installé comme alternative à l’hospitalisation temps plein [47]. Il enfants.
répondait par ailleurs parfaitement au principe de la sectorisa- L’aspect séquentiel de la prise en charge favorise déjà ce
tion en permettant le maintien de l’enfant dans son milieu travail psychique. Des séjours thérapeutiques de quelques jours

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

sont parfois organisés lorsque cela paraît possible, pour proposer souvent directement lié à un CMP. « Il a pour originalité de
des expériences nouvelles susceptibles d’activer des potentialités combiner la notion de réseaux et celle de groupes thérapeutiques » (G.
sous-jacentes de l’enfant. Bleandonu) [44].
La dimension éducative est importante, elle est adaptée aux La vie institutionnelle, la vie du collectif, y sont souvent plus
particularités de l’enfant et elle associe étroitement les réduites que dans les hôpitaux de jour ; l’accent est peut-être
parents [12]. La pathologie rend l’approche éducative parfois davantage mis sur le travail groupal. Les pathologies qui
bien difficile. Il faut réaménager la vie quotidienne, simplifier relèvent du CATTP sont souvent des problématiques d’états
l’ambiance, créer des repères accessibles. Il est nécessaire de bien limites, de troubles narcissiques, de dépressions graves, des
définir les lieux, les rythmes dans le temps. Les changements
périodes de crises.
doivent être anticipés. De multiples repères sont installés,
Les CATTP se sont fort diversifiés, s’adaptant aux attentes de
associant des mots écrits, des photos, des pictogrammes, voire
des objets. Les objectifs éducatifs visent les apprentissages de la l’équipe de secteur et aux demandes qui lui arrivent. Souvent
vie quotidienne, l’autonomie, mais aussi la socialisation. spécialisés, ce sont des structures souples qui peuvent évoluer
La prise en charge pédagogique est assurée par des ensei- dans le temps.
gnants spécialisés qui travaillent à l’hôpital de jour avec les Certains accueillent de très jeunes enfants, des bébés, asso-
enfants. Les objectifs sont centrés sur le développement des ciant au travail d’accueil des visites à domicile et participant
aspects cognitifs, la représentation, l’expression de l’enfant. Les activement à l’effort d’intégration du tout-petit (halte-garderie,
enseignants participent activement à l’intégration scolaire par crèche...).
leur contact avec les écoles de quartier ou les structures du D’autres accueillent des enfants d’âge scolaire, souvent en
médicosocial. rupture avec le système scolaire. L’unité du soir créée par
L’équipe est confrontée, comme les parents, aux effets de la Diatkine en 1971 représente un bon exemple de ce type
psychose. Le groupe soignant est lui aussi traversé d’angoisses d’accueil [58, 59].
diverses comme l’ont bien montré les auteurs qui ont étudié les Les CATTP pour adolescents paraissent bien adaptés à cette
phénomènes de groupe comme Bion ou Anzieu. classe d’âge. Ils fournissent un accueil à la carte associant
Les angoisses liées à la psychose, à la vie de groupe, suscitent rencontres individuelles et temps de groupe, et garantissent une
des défenses qu’il faut savoir reconnaître et élaborer pour éviter inscription assez soutenue sur la semaine. Ils réduisent la
les crises institutionnelles ou la chronicisation de l’institution. désocialisation induite par les temps de soins. L’équipe y associe
C’est surtout le travail des réunions institutionnelles qui parfois des visites à domicile, voire des rencontres avec des
permet ce dégagement. Bien d’autres réunions existent égale-
professionnels s’occupant de l’adolescent en présence de ce
ment, réunions cliniques, de concertation, de supervision
dernier, comme le médecin traitant, les services sociaux ou de
(Geissmann) [52, 53].
justice, les services de l’Éducation nationale.
La place du consultant en position tierce permet également
de façon structurale une élaboration de ces difficultés. Tous ces Les modalités du soin sont multiples. On retrouve bien sûr les
temps de réunion font partie intégrante de la prise en charge en diverses activités de groupe à médiations, de groupe de parole
hôpital de jour. Ainsi, la parole et le corps, les médiations, les et des activités thérapeutiques plus spécifiques comme des prises
réunions, sont les principaux outils de l’équipe dans son travail en charge mères-enfants pour les tout-petits, des temps de
thérapeutique. rééducation psychopédagogique pour des enfants d’âge scolaire,
Les soignants de l’hôpital de jour rencontrent régulièrement le psychodrame par exemple pour les adolescents. Ces temps de
les parents. Un ajustement de cette relation parents-soignants soins psychiques s’associent à des activités d’intégration sociale
s’est progressivement défini dans ses modalités institutionnelles adaptées et diversifiées.
au fil des réflexions des équipes [54, 55]. Les rencontres sont Le travail de l’équipe, c’est aussi le travail des réunions,
multiples, souvent cadrées, intégrées au projet institutionnel. réunions institutionnelles, d’élaboration clinique, d’intervision.
Des critères secondaires vont spécifier également ces structu- Le travail thérapeutique inclut le travail avec les parents, ainsi
res de soins comme leur implantation géographique, intra- ou que le travail de réseau « en intra », avec le reste de l’équipe de
extrahospitalière, ou les critères d’âge des enfants (certains secteur et tout d’abord le consultant, les équipes des CMP. Il
hôpitaux de jours accueillent de très petits enfants, d’autres des inclut également le travail de réseau « en extra » : relation avec
enfants d’âge scolaire, d’autres se réservent la prise en charge les autres équipes s’occupant de l’enfant, de l’adolescent dans
des adolescents). Il s’agit en général de structures accueillant de son environnement scolaire et social.
10 à 30 enfants. Certains hôpitaux de jour sont très généralistes Le CATTP a donc une définition à la fois précise et extensible.
dans les pathologies accueillies, d’autres ont une vocation plus Il a bien pris sa place dans le dispositif de secteur.
spécialisée.
Il existe à côté de ces deux structures, l’hôpital de jour et le
L’hospitalisation de jour, souvent partielle, est alors associée
CATTP, des institutions « mixtes » : hôpitaux de jour-CATTP,
à une intégration dans des structures du médicosocial ou dans
CATTP intersectoriels, en général spécialisés : CATTP pour tout-
des structures spécialisées de l’Éducation nationale. Cela permet
de diversifier l’intégration sociale du patient et de préparer son petits ou certains CATTP pour adolescents en crise [60].
avenir. Le soin séquentiel, adapté aux pathologies graves de la
Les effets de l’hôpital de jour sont souvent très positifs, soit personnalité, s’est développé et s’est spécifié au fil du temps,
en termes de reprise évolutive, soit en termes de gestion d’une s’intégrant au dispositif de soins de l’équipe de secteur. Il y a
pathologie lourde dans ses aspects symptomatiques et pris une place importante, participant à la diversité des réponses
relationnels [56]. de soins. Certains patients peuvent bénéficier d’accueils séquen-
La question se pose cependant de l’insuffisance des places tiels réunissant plusieurs approches (prises en charge de petits
d’accueil, ainsi que des difficultés d’orientation après la sortie de enfants atteints de troubles envahissants du développement).
l’hôpital de jour. Cette orientation est particulièrement problé-
matique lorsque les hôpitaux de jour se limitent à accueillir les Hospitalisation temps complet
enfants d’une tranche d’âge très précise (Thevenot) [57]. Il serait
souhaitable de renforcer le dispositif des hôpitaux de jour en Pendant longtemps, les services pour mineurs des hôpitaux
étant attentif à la continuité des soins. psychiatriques ont constitué des lieux d’accueil pour des enfants
dont personne ne voulait, du fait de la gravité de leur patholo-
Centres d’action thérapeutique à temps partiel gie ou de l’importance du rejet dont ils étaient l’objet. Le travail
Il s’agit de lieux de soins là aussi séquentiels, accueillant les sur l’institution a permis de transformer certains lieux d’enfer-
enfants, les adolescents, sur des périodes de quelques heures mement asilaire en lieux de soins de qualité. La politique de
réparties sur la semaine. secteur a également modifié les pratiques hospitalières en
Une équipe pluridisciplinaire anime le CATTP, ses membres pédopsychiatrie en développant des alternatives à l’hospitalisa-
ont parfois d’autres inscriptions sur le secteur. Le CATTP est tion temps plein, des possibilités de prises en charge en

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

ambulatoire, en s’appuyant aussi sur les structures sociales et rares, elles existent ,et la réduction si importante et rapide du
médicosociales (ce mouvement a été favorisé par la mise en nombre de lits a créé dans beaucoup d’endroits une réelle
place d’une politique du handicap, à partir de 1975). situation de pénurie, tant pour les enfants que pour les adoles-
La conception même de l’hospitalisation a changé [61-63]: cents. Ceci a entraîné la création de nombreuses unités d’hos-
certes, elle peut rester encore un recours, parfois le dernier pitalisation pour adolescents, au cours des dernières années.
recours, offrant à des enfants et à des adolescents en grande Quelques-unes l’ont été au sein de maison d’adolescents
difficulté un lieu de vie et de soins souvent de longue durée, proposant un cadre de soins d’un type nouveau. Ces efforts
destiné à pallier la défaillance ou encore les effets pathogènes et cependant ne suffisent pas à apporter des réponses satisfaisantes
déstructurants de l’environnement sociofamilial du patient. aux besoins en hospitalisation et la pédopsychiatrie, dans ce
Cependant, l’idée de dissocier soins pédopsychiatriques et domaine, doit veiller à préserver ses partenariats avec les
accueil résidentiel habituel s’est imposée progressivement. services de pédiatrie, de médecine ou de psychiatrie adulte.
L’hospitalisation en pédopsychiatrie ne consiste plus à proposer Enfin, il faut noter que pour certains enfants nécessitant une
un lieu de vie substitutif, mais vise à réaliser une séquence prise en charge à temps plein pour de longues périodes ont pu
intensive de soins prenant place dans le déroulement d’une cure se développer de nouvelles pratiques associant de manière
et répondant à des objectifs correspondant à un moment séquentielle plusieurs types d’accueil, tel que accueil familial
particulier de l’évolution du patient. Elle est précédée, chaque thérapeutique, hôpital de nuit, hôpital de jour.
fois que possible, d’une phase de préparation, de construction
d’un projet pouvant prendre sens pour le patient et sa famille. Accueil familial thérapeutique (AFT)
Elle est souvent prolongée, non par des soins de postcure, mais Cet outil de soins intéressant permet à des enfants en grande
par des soins marquant la poursuite de la cure après difficulté psychologique d’être accueillis dans des familles
l’hospitalisation. d’accueil soutenues par une équipe multidisciplinaire de
Les objectifs de l’hospitalisation sont divers : favoriser le professionnels. David [64] a beaucoup apporté à la formalisation
dépassement d’un moment de crise ou de grande tension autour de la problématique du placement. Elle a insisté sur la prépara-
du patient, protéger un sujet des risques liés à sa pathologie, tion du placement, les conditions d’admission, le travail avec les
pratiquer une évaluation à visée diagnostique, obtenir une familles d’accueil et les familles naturelles, l’équipe jouant un
modification significative de ses investissements, de ses rapports rôle tiers, repérant les conflits et les enjeux à l’œuvre. L’AFT est
à lui-même et aux autres, mettre en place un projet de soins à souvent intégré à des équipes de secteur.
long terme, régler un traitement médicamenteux, etc. La Il existe aussi des placements thérapeutiques non sectorisés
prévalence habituelle de tel ou tel objectif influence l’organisa- qui travaillent en partenariat avec les secteurs. Deux types de
tion des services sans qu’il soit cependant possible de différen- placement peuvent être différenciés selon les objectifs du projet
cier complètement des services à visée évaluative avec des thérapeutique.
protocoles précis réalisés sur des temps courts et des services à
visée thérapeutique offrant des modalités très diverses de prises Accueil thérapeutique à temps plein
en charge institutionnelles, incluant des pratiques éducatives et L’enfant est confié à une famille d’accueil de manière quasi
pédagogiques, établissant un partenariat étroit avec les parents, permanente pour une longue durée, parfois du fait de défaillan-
au cours d’hospitalisations assez longues, de plusieurs semaines ces massives de la famille naturelle entraînant son impossibilité
ou de plusieurs mois. à s’occuper de l’enfant, parfois dans le but d’opérer une
Une des difficultés des services hospitaliers est d’articuler la séparation à visée thérapeutique et de travailler à une redéfini-
réponse à la pression de l’urgence, urgence souvent tout autant tion des liens de l’enfant à sa famille.
socioenvironnementale que strictement pédopsychiatrique, avec
Accueil thérapeutique à temps partiel
le souci de garantir la pertinence du projet de soins pour le
patient. Un grand nombre de services s’efforce d’organiser des Il permet à des familles accaparées continuellement par des
réponses directes ou différées aux situations d’urgence, soit par enfants très difficiles du fait de leur pathologie d’avoir des
un accueil ambulatoire rattaché au service, soit par une liaison temps de répit. Il aménage des phases de séparations et de
avec des services d’urgence. retrouvailles, et structure différemment la temporalité de la vie
La question de l’accord du patient, celle de l’implication des familiale. Ce type d’accueil a souvent un effet très dynamique
parents ou de leurs substituts, sont des éléments importants de sur l’enfant lui-même, mais aussi sur l’évolution de ses relations
la préparation de l’admission. Celle-ci se fait en règle sous le à sa famille.
régime de l’hospitalisation libre avec accord parental pour les Décrit souvent comme une alternative à l’hospitalisation,
mineurs. Plus exceptionnellement, l’admission résulte d’une l’AFT est une technique de soins spécifique, s’intégrant habi-
mesure de placement provisoire émanant de l’autorité judiciaire, tuellement dans un projet multifocal. Il s’adresse essentielle-
ce qui crée un contexte particulier. ment à des enfants ayant des troubles psychopathologiques
sévères, d’où l’importance du choix, de la formation et de
En fonction de l’âge du patient peuvent être différenciés des
l’accompagnement des familles d’accueil.
services accueillant des enfants, des services accueillant enfants
et adolescents, souvent dans des unités distinctes, des services
n’accueillant que des adolescents, ou encore des services Spécificité des réponses de soins selon l’âge
accueillant des adolescents et des adultes jeunes. Les indications La période de la périnatalité et de la socialisation (2-3 ans)
de l’hospitalisation reposent sur un ensemble de critères ainsi que l’adolescence sont des périodes de grande vulnérabi-
définissant une situation particulière et non sur le seul diagnos- lité. Cette notion ancienne est utilement rappelée dans le
tic médical. Les pathologies les plus souvent en cause sont les rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) de
psychoses et les autismes (surtout pour les enfants), les organi- février 2003.
sations psychotiques de l’adolescence, les troubles des conduites Ces périodes de la petite enfance et de l’adolescence étaient
alimentaires, les troubles névrotiques : les troubles obsessionnels déjà repérées dans la circulaire de décembre 1992 comme
compulsifs et les phobies scolaires, les dépressions, les tentatives correspondant à « des populations jusqu’ici difficilement
de suicide, les troubles des conduites... accessibles ». En conséquence, de nouvelles approches étaient
L’évolution des pratiques au cours des dernières décennies a préconisées.
été marquée par la diminution du recours à l’hospitalisation et Des modalités de soins spécifiques se sont développées,
la fermeture de lits. Le nombre de lits passe de 5 380 en 1986 à adaptées aux très jeunes enfants et aux adolescents. Elles sont
1 604 en 2000, soit une diminution de 70 %. Seul un tiers intégrées au dispositif d’un secteur ou répondent à une dyna-
environ des secteurs reste doté d’unités d’hospitalisation temps mique intersectorielle.
plein, ce qui inscrit ce type d’hospitalisations dans des pratiques Les innovations sont nombreuses, tant sur le plan des
intersectorielles. Même si les indications d’hospitalisation sont structures mêmes que sur le plan de la constitution de réseaux.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

En faveur des très jeunes enfants De la même manière, les équipes de pédopsychiatrie ont
L’expérience pionnière est celle de Racamier à la fin des développé des animations de salles d’attente en PMI avec des
années 1950 à l’hôpital psychiatrique de Prémontré dans objectifs de prévention, de repérage précoce des troubles
l’Aisne [65]. Il a créé une hospitalisation mères-enfants interactifs des jeunes enfants, mais aussi avec le souci de
accueillant de jeunes mères atteintes de problèmes psychiatri- favoriser l’accès aux soins en médiatisant la consultation au
ques graves avec leurs bébés. CMP. Là aussi, les équipes de PMI ont souvent pris le relais de
La reconnaissance des compétences du nouveau-né, les façon active, développant les groupes d’animation de salles
concepts d’interaction et de parentalité, et le développement de d’attente, développant des formations pour repérer les troubles
la clinique du premier âge ont favorisé le développement de précoces et accompagnant de façon plus active les adresses aux
réponses de soins spécifiques [66]. équipes de CMP.
Dans le champ de la périnatalité, ces réponses concernent Les secteurs ont su nouer des liens avec les intervenants de
surtout la psychiatrie de liaison, la pratique des réseaux et
la petite enfance, du champ sanitaire et social, mais aussi avec
l’hospitalisation mères-bébés [67]. Les unités spécifiques d’hospi-
les lieux d’accueil (crèches, halte-garderies, pouponnières). Les
talisation temps plein mères-bébés sont installées soit en service
expériences de chacun ont été utilement partagées. Des réalisa-
de maternité, soit en pédopsychiatrie, et plus rarement en
psychiatrie adulte. Elles peuvent être parfois intersectorielles. Il tions anciennes paraissent caduques, des innovations sont
existe également des unités d’hospitalisation de jour. En 2003, soutenues. Malgré ce dynamisme, le pourcentage de très jeunes
21 unités centrées sur les très jeunes enfants existaient en enfants adressés aux équipes de secteur demeure faible. Des
France (Dugnat) [68]. efforts restent donc à faire dans ce vaste champ de la petite
L’objectif de la prise en charge est la relation mère-bébé ou enfance.
parents-bébé. Les indications préférentielles concernent les
Dispositifs en faveur des adolescents
difficultés psychologiques graves chez de jeunes mères présen-
tant des pathologies psychotiques ou dépressives [69]. Il peut L’hospitalisation temps plein de l’adolescent a été précédem-
s’agir également de graves troubles fonctionnels du bébé sur le ment décrite comme une réponse possible à certaines problé-
plan de l’alimentation, du sommeil et parfois de problématique matiques. Des unités de type soins-études existent également,
d’évitement relationnel précoce. accueillant des adolescents en grave difficulté scolaire et
Dans le champ de la petite enfance plus spécifiquement et
présentant des difficultés psychiatriques avérées. Ces unités
dans le cadre de la psychiatrie de liaison s’est développé un
fonctionnent en hôpital de jour, mais souvent en hospitalisa-
travail conséquent autour de l’hospitalisation en pédiatrie.
tion temps plein [76].
Dans un cadre sectoriel, des unités petite enfance se sont
créées, s’appuyant sur l’expérience de secteur du 13e arrondis- Les CATTP pour adolescents se sont multipliés. Ils représen-
sement de Paris [70]. Ces unités associent CMP et CATTP avec tent souvent un élément très intéressant des réponses de soins,
une équipe spécifique [71, 72]. Elles ont pour objectifs d’aider évitant la rupture sociale tout en proposant une prise en charge
précocement parents et jeunes enfants face à leurs difficultés thérapeutique soutenue. Ils associent des actions psychothéra-
relationnelles, de prévenir ou de soigner les difficultés et les piques, pédagogiques et éducatives. Ces différents centres pour
troubles du développement du jeune enfant de moins de 3 ans. adolescents s’adaptent souvent à des populations spécifiques
Les consultations thérapeutiques se font avec le bébé, les selon le lieu d’implantation du centre, selon les liens établis
soignants utilisent souvent la vidéo. Des accueils collectifs avec les équipes sociales ou de l’Éducation nationale. Certains
parents-bébés sont organisés par l’équipe, parfois avec la accueillent des jeunes en difficulté relationnelle, avec des
participation des professionnels des PMI [73]. Dans certaines ruptures sociales déjà importantes. D’autres s’adressent plus à
unités, un accueil d’urgence est prévu. Des groupes parents- des problématiques d’addiction, et d’autres encore à des
bébés sont proposés, certains généralistes, d’autres plus spécifi- pathologies plus diverses (dépression, anorexie, psychose...).
ques par exemple centrés sur des enfants à risque d’évolution
autistique. Des psychothérapies conjointes parents-bébés La visite à domicile est un outil utilisé par certaines équipes
peuvent aussi être proposées, ainsi que d’autres prises en charge associées à un CMP ou un CATTP, voire à un service d’hospita-
individuelles ou de groupes (prise en charge en psychomotricité lisation (Guedj) [77]. Il s’agit de répondre surtout aux probléma-
par exemple). tiques de réclusion à domicile (anorexie, obésité, dépression,
Les visites à domicile [41], bien adaptées à la psychiatrie du schizophrénie, pathologie limite). Différents cadres thérapeuti-
nourrisson, complètent utilement le dispositif de ces unités ques ont été développés.
spécialisées de soins aux petits enfants. Elles sont intégrées aux Dans d’autres cas, la visite à domicile s’adapte à des problé-
autres modalités de soins, dans le cadre d’une prise en charge matiques de sociopathie avec rupture sociale, parfois à une
CATTP ou bien proposées au cours d’une consultation en CMP. problématique de jeunes mères adolescentes. Ces visites à
La référence de base est souvent constituée par l’observation du domicile sont indiquées dans la consultation dans la plupart des
nourrisson décrite par Bick. La visite à domicile vise un travail cas, visant soit une prise en charge spécifique, soit un préalable
d’élaboration à travers un partage de temps au domicile familial, à une orientation secondaire.
un accompagnement de la dyade mère-bébé dans un cadre
défini. Elle s’adresse souvent à des familles dites à problèmes Certaines équipes ont développé des solutions originales pour
multiples, familles « à haut risque physique et psychique » favoriser l’accès aux soins. Il s’agit d’équipes mobiles qui
(Barraco) [70] qui ont du mal à investir les soins pédo- peuvent se déplacer, soit pour réaliser des consultations en
psychiatriques. quartier éloigné, soit pour participer à des consultations
Le traitement à domicile se définit comme accompagnement associant médecin traitant et professionnels du secteur en
thérapeutique. Parfois, une véritable psychothérapie mère-bébé cabinet médical de quartier.
est proposée au domicile (Storelu) [74]. Enfin, la visite à domicile Des partenariats entre secteurs de pédopsychiatrie, services
peut s’inscrire dans le cadre d’une hospitalisation à domicile [75]. sociaux et de justice ont permis d’installer des centres d’accueil
Les accueils parents-nourrissons ont été activement dévelop- pour des jeunes amenés à croiser ces différents services.
pés en pédopsychiatrie, en CMP, en CATTP pour petits. Sur le
Des actions sont parfois menées en collège ou en lycée. Elles
modèle de la « Maison verte » de Dolto, ils ont une vocation
favorisent un premier contact avec le dispositif de soins. Il s’agit
d’accueil non spécifique avec des objectifs de prévention et
par exemple d’un accompagnement de classe spécialisée en
d’accompagnement des parents et de leurs jeunes enfants. Ces
accueils existent maintenant souvent dans les circonscriptions collège comme les « classes relais » ou les unités pédagogiques
de la solidarité départementale (CSD), animés par les équipes de d’intégration (UPI).
la PMI, mais ils se sont aussi développés dans le tissu associatif Certaines équipes de secteur participent à des points-écoutes
s’occupant de jeunes enfants. Les accueils en pédopsychiatrie de téléphoniques avec différentes associations s’occupant de
ce type ont tendance alors à se spécialiser. prévention, entre autres la prévention du suicide.

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

■ Secteur de pédopsychiatrie, Ces deux niveaux, de relations personnelles et d’institution-


nalisation, sont nécessaires et leur intrication rend compte de la
partenaires et réseaux diversité des réseaux de partenariat rencontrée actuellement, par
exemple l’institution d’une réunion régulière entre l’équipe d’un
L’équipe de secteur entre naturellement en contact avec de CMP et des équipes de CSD relevant du même territoire,
nombreux professionnels participant activement à l’environne- favorisant un tissage de liens entre professionnels et une
ment des enfants et des adolescents. Il faut bien sûr tenir compréhension commune des préoccupations de chacun. Une
compte de ces différents partenaires pour mettre en place les dynamique d’action préventive peut alors se créer (animation
réponses de soins. Cet environnement est scolaire, mais aussi d’une salle d’attente de PMI par des membres de l’équipe de
social, voire médicosocial et parfois judiciaire. pédopsychiatrie, intervention de formations d’assistantes
Les liens de travail avec les institutions de ces différents maternelles, meilleur accompagnement des propositions de
champs se sont peu à peu précisés, parfois contractualisés. consultation pédopsychiatrique, repérage plus précoce des
Trois considérations générales sont présentées, puis sont troubles des jeunes enfants). Ces réunions permettent également
détaillés les différents types de partenaires et les liens que le à l’équipe de pédopsychiatrie de mieux repérer les difficultés
secteur va nouer avec eux. propres à certains quartiers, à certaines populations.
D’autres types de réseaux ont une vocation plus spécifique. Ils
Considérations générales se définissent autour d’une problématique, d’une préoccupation
partagée, comme par exemple un « réseau troubles alimen-
Question du secret médical taires » associant un service de pédopsychiatrie, un service de
pédiatrie et d’endocrinologie, les « réseaux périnatalité », mais
Elle est à prendre en compte dans la mise en place de ces aussi les « réseaux précarité » qui associent la pédopsychiatrie
relations de partenariat. Cette question s’est posée avec beau- avec des services de psychiatrie d’adultes, mais aussi des services
coup d’acuité dans les années 1980 à propos surtout des sociaux et médicosociaux, et parfois des représentants des
problèmes de maltraitances physiques et sexuelles. Elle ne se municipalités. Ces réseaux sont institutionnalisés.
pose pas vraiment dans les relations du secteur avec les autres
services médicaux (service de psychiatrie adulte, de pédiatrie, de Évolution des pratiques de réseaux
maternité, d’urgence, d’endocrinologie). Elle se pose différem-
ment dans les relations avec le champ du médicosocial, du Les modalités des partenariats sont multiples. Cependant, les
social, de la justice, même si certaines institutions comportent développements de ces actions restent souvent lents et
des interlocuteurs médicaux (pédopsychiatres d’IME, d’Institut disparates.
thérapeutique éducatif et pédagogiques [ITEP], médecins de Une circulaire du 18 octobre 2005 rend bien compte de la
PMI, médecins scolaires). Le travail de partenariat doit se faire lenteur de l’installation de ces actions. Cette circulaire précise
en garantissant au patient et à sa famille la confidentialité de ce que les équipes de pédopsychiatrie ont souvent l’impression de
qui est confié en consultation et en thérapie dans la mesure où développer beaucoup d’actions de partenariat, mais que ce
ce travail aborde la dimension de l’intime, intimité psychique sentiment n’est pas partagé par les interlocuteurs des autres
et familiale. Le secret, la confidentialité sont alors des éléments champs de l’Éducation nationale et du social.
indispensables d’un cadre bien repéré par nos clients. Des actions conjointes associant pédiatrie et pédopsychiatrie
La transgression de ces règles de confidentialité risque de ont souvent été à l’origine de la création de centres de référence
déclencher des réactions de méfiance, voire de persécution chez hospitaliers, surtout à propos des questions touchant à la
le patient et sa famille, réactions qui risquent d’annuler toute périnatalité.
possibilité de soins pédopsychiatriques. Le réseau est donc multicentrique, chaque partenaire y prend
une place prévalente en fonction de la dynamique de la cure
Diversité des types de partenariat pédopsychiatrique. La participation des parents, voire de
l’enfant et de l’adolescent, à des réunions de concertation peut
Les actions de partenariat prennent des aspects très divers. être quelquefois utile dans ce travail de réseau. C’est ce qui est
Dans la circulaire de 1992, elles sont clairement différenciées. par exemple réalisé dans les réunions de suivi de scolarité
Ainsi la circulaire distingue : « un travail de liaison à l’hôpital organisées pour les élèves par l’enseignant-référent de la MDPH.
général ..., de partenariat avec le milieu scolaire, de collaboration Ces réunions rassemblent des membres de l’Éducation natio-
avec les services du département (PMI, Aide sociale à l’enfance nale, de la pédopsychiatrie, voire du social, avec les parents de
[ASE]...) et de relation avec les services de justice ». l’enfant. Elles se font avec l’accord des parents, les objectifs sont
Ces différenciations tendent à s’effacer dans le développe- précisés à chaque fois. De la même façon, la présence des
ment ultérieur de la notion de réseau. Ainsi, la circulaire du parents à des réunions de concertation rassemblant de nom-
3 mai 2002 définit les réseaux comme : « des espaces de liens et breux partenaires permet de lever certains blocages entre les
de coordinations, permettant la mise en commun organisée des institutions. La cure pédopsychiatrique y gagne souvent une
compétences et la complémentarité des rôles ». relance dans sa dynamique.
Il faut distinguer cependant deux types de partenaires. Le
premier partenaire est représenté par les équipes du champ
sanitaire ou hospitalier, y compris les médecins de ville, Partenaires de l’équipe de secteur
généralistes ou psychiatres. Les seconds partenaires sont
représentés par les équipes des champs médicosociaux et
Services hospitaliers et sanitaires
sociaux, ainsi que la justice et l’Éducation nationale. Le secteur a noué des liens avec les différents services
Dans le premier cas, il s’agit de psychiatrie de liaison et de hospitaliers recevant des enfants et d’abord avec les services de
travail clinique, dans le deuxième cas il s’agit de partenariat, de pédiatrie. La psychiatrie de liaison [78] s’est définie d’abord dans
travail de coordination et de concertation. ce cadre. Des réflexions communes ont été menées sur la
Les actions de partenariat s’adaptent aux différents types question de l’hospitalisation temps plein et les séparations
d’objectifs recherchés, objectifs de prévention, d’accessibilité aux qu’elle induit. Ces réflexions se sont étoffées et, au fil des
soins, d’accompagnement des traitements. années, la psychiatrie de liaison est devenue une interface réelle
Ces partenariats reposent sur un tissu relationnel, sur des entre pédiatrie et pédopsychiatrie. Des membres de l’équipe
liens de confiance installés entre professionnels et parfois sur un pédopsychiatrique, médecins, psychologues, infirmiers, inter-
certain degré d’institutionnalisation de ces rencontres, formali- viennent en service de pédiatrie, sur demande de ce service
sés dans des conventions définissant des réseaux repérés. Citons pour avis, début de prise en charge, accompagnement familial,
certaines conventions unissant un secteur de pédopsychiatrie et mais aussi parfois pour soutenir l’équipe soignante.
un réseau médicosocial associant IME-SESSAD... Dans certains Des situations cliniques particulières (maltraitance, dépres-
cas, il s’agit de chartes qui précisent les modalités des sion, conduite suicidaire, anorexie mentale) nécessitent parfois
rencontres. de formaliser encore plus ce travail de liaison.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

Les services de pédiatrie ont recruté des psychologues qui Institutions médicoéducatives
participent à la création de ces liens avec la pédopsychiatrie.
Des actions conjointes pédiatrie-pédopsychiatrie sont souvent Elles reçoivent des enfants « handicapés », notion définie
à l’origine de centres de référence. À partir de leur position dans la loi du 11 février 2005 : « constitue un handicap toute
d’expertise, ces centres tissent des liens avec l’ensemble des limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en
secteurs. société subie dans son environnement par une personne en
L’annexe à la circulaire de 2004 relative à l’élaboration des raison d’une altération substantielle durable ou définitive d’une
schémas régionaux d’organisation sanitaire de l’enfant et de ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales,
l’adolescent (SROS) explicite les cadres de collaboration et rend cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de
compte de l’existant. santé invalidant ».
Le travail de liaison concerne, outre la pédiatrie, d’autres Ces établissements fonctionnent en externat, parfois avec un
services hospitaliers, surtout ceux qui sont centrés sur la internat. Ils proposent une activité éducative et pédagogique
périnatalité. Parfois, des équipes de psychiatrie adultes s’asso- spécialisée comportant un aspect thérapeutique et se préoccu-
cient à cette collaboration. pent de l’intégration sociale et professionnelle. Leur fonction-
nement interne est régi par les différentes annexes du décret du
Secteur médicosocial 27 octobre 1989 (annexe XXIV pour les déficiences intellectuel-
Il convient de distinguer les institutions de soins ambulatoi- les, XXIV bis pour les handicaps moteurs, XXIV ter pour le
res comme les CMPP et les centres d’actions médicosociales polyhandicap, XXIV quarter et quinquié pour les handicaps
précoces (CAMSP), des institutions accueillant des enfants sensoriels, auditifs et visuels).
handicapés et relevant de la MDPH. L’admission dans ces structures est décidée par la CDAPH, la
Il faut rappeler que certaines de ces institutions préexistaient MDPH définie par la loi du 11 février 2005.
au secteur, voire en effectuaient certaines fonctions. Ceci Cette loi de 2005 modifie la loi inaugurale sur le handicap du
explique la diversité des articulations, liée à l’histoire locale 30 juin 1975 qui installait les commissions départementales de
entre le secteur et les structures médicosociales. l’éducation spéciale (CDES) et les COTOREP pour les adultes.
Les psychiatres participaient à différents niveaux (commissions
Centres médico-psycho-pédagogiques plénières, équipes techniques, commissions de circonscrip-
tions...). Cela n’est plus le cas. L’accent est davantage mis sur
Ce sont des lieux de consultations et de soin pédopsychiatri-
l’aspect somatique, neurologique du handicap.
que ambulatoire. Une équipe pluridisciplinaire y travaille dans
L’aspect positif de cette loi est la place plus large faite aux
un cadre souvent proche de celui d’un CMP de secteur. Des
personnels de l’Éducation nationale y sont souvent rattachés, ce usagers handicapés et aux familles d’enfants handicapés dans la
qui lie d’autant plus le CMPP avec ce partenaire. Il existe CDAPH et les établissements.
environ 320 CMPP en France (source Direction de la recherche, Les institutions médicoéducatives (IMP pour les 6-14 ans et
des études, de l’évaluation et des statistiques [DREES] 2005), soit IM-PRO pour les 14-20 ans) reçoivent les enfants déficients
un nombre identique à celui des secteurs. Ils ont été créés et intellectuels. Dans certains de ces établissements se sont créées
sont gérés par des associations loi 1901. Les missions des CMPP des unités pour enfants présentant des pathologies autistiques.
sont définies par les annexes XXXII du décret du 18 février D’autres établissements accueillent les enfants polyhandicapés.
1963. Leur fonctionnement est régi par la loi du 2 janvier 2002. Des établissements spécifiques reçoivent les enfants présentant
Ils s’adressent à des enfants et des adolescents présentant des des handicaps moteurs ou sensoriels (malvoyants ou malenten-
difficultés d’apprentissage, des troubles psychiques, des difficul- dants). L’amendement Creton permet à une personne handica-
tés de développement ou de comportement. Ils mettent en pée de rester dans son établissement au-delà de 20 ans s’il est
œuvre des actions thérapeutiques et/ou rééducatives. La plupart en attente d’une place dans le secteur médicosocial adulte.
des CMPP ont été installés avant la mise en place des secteurs. Les instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques
Les CMPP sont strictement orientés vers le soin ambulatoire. Ils (ITEP, anciennement institut de rééducation [IR]) sont de
ont développé une grande richesse de pratiques, ainsi que des création plus récente. Le décret de janvier 2005 fixe leurs
réseaux souvent denses avec des équipes de l’Éducation natio- missions, leur organisation et leur fonctionnement. Ces établis-
nale. Ils participent activement à l’activité ambulatoire de la sements reçoivent des enfants et des adolescents présentant des
pédopsychiatrie, assez souvent dans une collaboration avec les difficultés psychologiques dont l’expression, notamment
équipes de secteur, mais parfois dans une relation de rivalité l’intensité des troubles du comportement, perturbe gravement la
dommageable à la cohérence des soins. socialisation et l’accès aux apprentissages. Malgré un potentiel
La collaboration interéquipe était déjà souhaitée dans la intellectuel préservé, ils sont engagés dans un processus
circulaire de 1972, elle est un atout très utile dans le système de handicapant. L’entrée en ITEP relève d’une décision de la
réponse de la pédopsychiatrie. MDPH.
Les établissements pour enfants et adolescents handicapés
Centres d’actions médicosociales précoces peuvent comporter en outre un SESSAD. Certains SESSAD
Ce sont également des institutions de prises en charge prennent en charge des enfants handicapés qui bénéficient
ambulatoires. D’installation plus récente que les CMPP, leur d’une intégration dans un milieu ordinaire. D’autres SESSAD
cadre est évoqué dans la loi de 1975 sur le handicap. Ils sont s’occupent des enfants accueillis dans un établissement spécia-
régis par le décret du 15 avril 1976, annexe XXXII bis. Ils lisé pendant le temps de la prise en charge, voire après la sortie.
assurent la prise en charge des enfants de 0 à 6 ans présentant Les SESSAD s’adressent aux différents types de handicaps.
des handicaps sensoriels, moteurs, mentaux. Ils ont une mission L’établissement médicosocial peut disposer parfois d’un
de prévention, de coordination. Une équipe pluridisciplinaire y placement familial spécialisé accueillant des enfants à la
intervient. Certains CAMSP ont une orientation très pédiatrique, semaine.
d’autres une orientation plutôt pédopsychiatrique. Ils peuvent La circulaire de 1972 intégrait le dispositif de secteur et les
s’articuler avec les services de néonatalogie, de génétique et de institutions médicosociales dans un travail de collaboration
maternité, et recevoir des enfants souvent lourdement handica- étroit. Le but était de favoriser la prise en charge des enfants
pés sur le plan somatique. Ils assurent des prises en charge handicapés, avec pour objectif de réduire l’exclusion et la mise
précoces, puis proposent des orientations en établissements à l’écart.
spécialisés. D’autres se définissent plus comme un CMPP à La loi de 1975, en spécifiant le champ du handicap, ne
orientation « très petits enfants ». La prise en charge par les reprend pas cependant cet objectif d’intégration des deux
CAMSP ne va pas au-delà de 6 ans. Cette rupture de la prise en dispositifs. Le cloisonnement institutionnel entre sanitaire et
charge à 6 ans pose le difficile problème de la continuité des médicosocial a été maintes fois souligné et regretté. Il arrive en
soins, au sens de la continuité des relations, c’est-à-dire des effet souvent que l’entrée en établissement spécialisé se traduise
transferts. par une rupture de la cure pédopsychiatrique [79].

14 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

Les réseaux de collaboration reposent sur un réseau relation- médecins scolaires. Les psychologues scolaires sont très souvent
nel tissé localement entre membres des équipes. Parfois, des des interlocuteurs très précieux dans le travail de partenariat
conventions entre équipe de pédopsychiatrie et établissement avec le secteur.
médicosocial définissent des liens plus structurés. De nombreux La médecine scolaire prend toute sa place dans les missions
praticiens de secteur sont impliqués dans les établissements de l’Éducation nationale de repérage des troubles des enfants, de
médicosociaux. L’intérêt d’un travail de partenariat est à leurs difficultés psychologiques et cognitives précoces, mais
souligner. Il favorise l’aide psychologique aux enfants handica- aussi dans l’aide aux équipes pédagogiques à propos de ces
pés et participe à un effort de lutte contre les ségrégations, il mêmes difficultés.
favorise le travail avec les familles des enfants. Les liens entre le secteur et les équipes de l’Éducation
nationale sont anciens et très importants. Ils se constituent
Éducation nationale souvent à partir de prises en charge très concrètes d’enfants. Un
Les enseignants sont depuis toujours très bien placés pour travail en commun permet l’intégration d’enfants présentant de
repérer les troubles des enfants et des adolescents, souvent dès graves troubles du comportement, des problématiques de
le début de leur manifestation. Les services de l’Éducation troubles envahissants du développement, de dépression précoce,
nationale adressent près de la moitié des enfants et des adoles- et de troubles cognitifs en maternelle, en primaire et au collège.
cents pris en charge dans les secteurs. Connaissant mieux les systèmes de soins, les membres des
L’Éducation nationale a aussi des préoccupations d’intégra- équipes pédagogiques peuvent faire des propositions de consul-
tion envers tous les élèves en difficulté. tations plus étayées, mieux accompagnées. Le repérage précoce
Les équipes pédagogiques des écoles maternelles, primaires, des troubles permet des réponses plus rapides, plus adéquates.
des collèges et des lycées sont donc des partenaires privilégiés Ces réseaux permettent de multiples échanges, des réunions
du secteur. de travail à thèmes (à propos de l’inhibition de l’enfant, des
L’intérêt pour l’intégration date de la création des classes de troubles de la lecture, du suicide de l’adolescent...), des réunions
perfectionnement en 1909. Le concept d’« enfant handicapé » de concertation, soit en CMP, en CATTP ou en hôpital de jour,
remplace le concept d’« enfant inadapté » à partir de la loi de soit dans les écoles ou les collèges. Les objectifs de ce travail de
1975. Progressivement se sont mis en place des dispositifs qui partenariat doivent toujours être précisés, les parents ayant
distinguent d’abord des mesures d’adaptation (classes de donné leur accord ou étant présents. La cohérence des soins y
perfectionnement en particulier) et des mesures d’intégration gagne en qualité.
(concernant les enfants handicapés) [80]. Cette logique d’inté- Ce travail de partenariat trouve ses limites dans la disponibi-
gration est définie dans les circulaires de 1982 et de 1991. Les lité des différentes équipes, compte tenu du nombre d’enfants
classes de perfectionnement sont supprimées à la fin des années traités et du nombre d’établissements scolaires sur la zone
1980. géographique d’un secteur.
La loi de février 2005 abandonne la notion d’intégration au
profit de l’« accueil d’enfants scolarisés », bien que l’intégration Social
soit renforcée du fait du droit à l’éducation pour les enfants L’action sociale en faveur des enfants et adolescents est placée
défini par la loi de 1975. Le terme d’intégration disparaît sous la responsabilité du Conseil général du département et de
néanmoins des textes et du vocabulaire. son président depuis le 1er janvier 1984. Les services de préven-
L’enfant en difficulté relève de la MDPH. Après examen de tion sanitaire et de l’action sociale sont représentés par la PMI,
son cas, la CDAPH le déclare ou non handicapé. S’il n’est pas l’ASE, le service social du département.
handicapé, il bénéficie alors d’un programme personnalisé de La loi de janvier 1986 réaffirme les principes de la décentra-
réussite éducative (PPRE) avec intervention entre autres des lisation : les services de l’ASE sont sous la responsabilité du
réseaux d’aide (RASED). Pour le secondaire, la commission service du département. De plus, en rénovant les services de
d’orientation vers les établissements adaptés du second degré l’ASE, la loi définit un recentrage sur la famille. L’ASE devient
(CDOEA) propose les entrées vers les établissements régionaux donc de fait un service pour la famille en difficulté et elle doit
pour l’éducation adaptée (EREA) et les sections d’éducation s’attacher à préserver l’unité de la famille.
générale et professionnelle adaptée (SEGPA) de collège. L’équipe de l’ASE est constituée de médecins de PMI, d’assis-
S’il est déclaré handicapé, l’enfant peut soit être orienté vers tantes sociales, d’éducateurs et de psychologues. Elle dispose de
un établissement spécialisé, soit rester dans l’école. Il bénéficie différents moyens pour remplir sa mission : aides à domicile
alors d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS). Il est alors (travailleuses familiales à domicile), actions éducatives en milieu
orienté en classe d’intégration scolaire (CLIS) ou en UPI de ouvert (AEMO administratives), ainsi que l’attribution de
collège ou de lycée. Un enseignant-référent coordonne les prestations en espèces.
actions d’intégration et les aménagements nécessaires. Cet Des actions éducatives collectives sont menées. L’ASE assure
enseignant-référent est positionné sur un secteur géographique aussi l’hébergement des mineurs dans le cadre d’une mesure de
donné. protection administrative avec l’accord des parents. Cet accueil
La sensibilisation des parents aux problèmes de l’enfant se peut se faire en famille d’accueil ou en foyers départementaux
fait au cours d’une réunion d’équipe éducative organisée à de l’enfance. Elle assure aussi l’hébergement des femmes
l’école. Les parents sont alors invités à saisir la MDPH pour enceintes et des mères isolées avec enfants de moins de 3 ans.
envisager les mesures d’orientation ou d’accompagnement de la Les missions de la PMI ont été définies en particulier en
scolarité. 1989. Il s’agit de mesures de prévention médicale, sociale et
Les CLIS dans le primaire et les UPI dans le secondaire, créés psychologique auprès des familles, des femmes enceintes et des
en 1991, répondent aux soucis d’accueil des enfants handicapés enfants de moins de 6 ans.
à l’école. Alternatives à l’IME, ces structures répondent aux Le secteur de pédopsychiatrie est également confronté aux
besoins des élèves qui, sans pouvoir s’accommoder des problèmes posés par la précarité, les difficultés sociales, les
contraintes inhérentes à la scolarité normale, ne nécessitent pas ruptures de liens. L’intérêt de la complémentarité des services
cependant une prise en charge globale en établissement spécia- dans une prise en compte globale de ces situations difficiles
lisé. Il existe des CLIS spécialisées dans l’accueil de certains paraît évident.
types de pathologies (autisme, dysphasie, déficit, etc.). L’entrée Mais ce partenariat doit prendre en compte la question du
en CLIS et en UPI est soumise à une décision de la MDPH. secret médical, le respect de la confidentialité. Une difficulté
Des enfants déclarés handicapés peuvent aussi être intégrés peut résulter d’une attente trop forte d’une institution par
dans des classes ordinaires. Ils peuvent éventuellement bénéfi- rapport à l’autre. Un équilibre doit être trouvé entre la famille
cier de l’aide individuelle ou collective d’auxiliaires de vie et les deux institutions partenaires, certaines impasses pouvant
scolaire. Ces aides nécessitent une décision de la MDPH. aboutir à des passages à l’acte dommageables pour l’enfant.
L’ensemble du dispositif d’accueil à l’école des enfants en Là aussi, une institutionnalisation du partenariat peut se faire
difficulté repose sur l’action des RASED avec ses rééducateurs à travers l’organisation de réunions de travail et de concer-
qui travaillent en collaboration avec les psychologues et les tation.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 15
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

Justice Les réseaux « précarité » institutionnalisent ce type de


partenariat. Il faut évoquer aussi les réseaux développés dans le
Le service de protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) [81, 82] cadre des programmes régionaux d’accès à la prévention et aux
est partenaire du dispositif de protection sociale (PMI, ASE, soins dits de deuxième génération pour les années 2003-2006,
services socioéducatifs de prévention). L’aspect judiciaire de la avec des objectifs de prévention, d’accès aux soins, de soutien
protection de l’enfant et de l’adolescent s’appuie sur l’ordon- des équipes et d’animation de partenariat.
nance du 2 février 1945 qui porte création du juge des enfants, Le partenariat avec les associations de familles se développe
puis du tribunal pour enfants en 1958. Les compétences du juge depuis longtemps, mais de façon informelle. Il a été dynamisé
s’étendent au domaine pénal (délinquance juvénile) mais aussi par la loi du 4 mars 2002 qui donne une place importante aux
au domaine civil (enfance en danger), le mineur délinquant associations d’usagers et de familles dans l’ensemble du champ
étant reconnu comme relevant de protection. psychiatrique.
Après saisie et investigation, le juge peut classer l’affaire, ou
ordonner une mesure d’AEMO ou un placement. Il s’appuie sur
différentes institutions qui sont autant de partenaires si l’enfant En conclusion
est suivi par le secteur.
La PJJ intervient à tous les stades de la procédure en matière Le développement des partenariats et des réseaux [83] inauguré
pénale et civile. Elle dispose de trois services. Le service éducatif depuis plus de 20 ans s’est largement accentué. Il est indispen-
auprès des tribunaux (SEAT) est un service éducatif à la dispo- sable au repérage des difficultés des enfants et des adolescents,
sition du juge pour des missions plutôt urgentes et ponctuelles. ainsi qu’à la mise en place des mesures multiples qui sont
La consultation d’action éducative (CAE) est l’institution de nécessaires.
base de la PJJ. Cette équipe pluridisciplinaire intervient égale- En effet, la prise en charge initiale d’un enfant ou d’un
ment à la demande du juge des enfants pour des missions plus adolescent en difficulté se fait souvent de façon aléatoire vers
longues, et relevant souvent du pénal. Enfin, les établissements les filières sociales, sanitaires, judiciaires ou médicosociales en
éducatifs spécialisés avec ou sans hébergement, les centres fonction de l’offre locale et des rencontres spécifiques que font
éducatifs renforcés (CER) sont gérés par la PJJ. le jeune et sa famille avec les dispositifs éducatifs, de protection
Certains services sont habilités par la justice, par exemple les ou de soins.
services du secteur associatif (type associations de sauvegarde). Pour rechercher la cohérence des réponses, il faut donc tenir
Ils interviennent essentiellement au civil (investigations et compte de ces données, redéfinir parfois l’orientation initiale,
AEMO). faire des propositions qui ne se substituent pas les unes aux
Dans de nombreux cas, l’équipe de secteur doit coopérer avec autres.
les services relevant de la justice, en particulier à propos des La mise en réseau des réponses institutionnelles s’appuie sur
enfants maltraités, ou des enfants dits « à risques », des enfants une reconnaissance du fonctionnement réciproque des diffé-
de famille à problèmes multiples ou encore des adolescents qui rents dispositifs alliés dans leur attention aux signes de souf-
transgressent les règles sociales. france et dans leur réflexion sur l’accompagnement nécessaire.
La circulaire de mai 2002 sur la prise en charge concertée des Le réseau peut se définir comme le déploiement de relations
troubles psychiques des enfants et adolescents en grande se constituant autour des problèmes d’un enfant ou d’un
difficulté cosignée par le Ministère de l’emploi et de la solidarité adolescent en difficulté et de sa famille. Le réseau existe dans
et le Ministère de la justice insiste sur la nécessité de ce l’esprit de l’enfant et de l’adolescent, et il prend une fonction
partenariat. contenante pour autant que les équipes des différents champs
Les enfants et les adolescents rencontrés par les services de travaillent en confiance et en concertation.
justice présentent tous de graves difficultés. Une étude de
l’Institut national de la santé et de la recherche médicale
(Inserm) de 1998 auprès d’adolescents pris en charge par la PJJ
montre l’importance des conduites violentes des jeunes (50 %
■ Enjeux actuels et évolutions
des garçons et 42 % des filles), des tentatives de suicides (12 % de la politique de secteur
des garçons et 49 % des filles). Par ailleurs, ces adolescents sont
fréquemment victimes de violences physiques (41 % des Ces 15 dernières années, les demandes faites à l’équipe de
garçons et 55 % des filles). Les difficultés familiales sont aussi secteur tout autant que les demandes de partenariat ont
massives, comme les conflits, les ruptures, les distorsions des considérablement augmenté [84].
liens. Il s’agit de situations où l’engagement des soins psychi- Comment les équipes de secteurs ont-elles réagi alors qu’en
ques est toujours difficile et où les intervenants sont souvent même temps, elles ont, pour la plupart, continué à travailler
multiples. Par ailleurs, la question du secret médical se pose avec un effectif constant ?
avec une acuité toute particulière dans ces situations où le Des aménagements ont été réalisés, témoignant de la créati-
rapport à la loi est fait de transgressions. vité des équipes. Les groupes thérapeutiques à médiations se
Le partenariat s’appuie là encore sur une reconnaissance sont développés de façon importante, permettant des réponses
réciproque des missions et des limites de chaque institution, plus souples et plus adaptées aux situations complexes rencon-
sans subordination de l’une à l’autre, sans attente illusoire de trées. Les réponses classiques de la pédopsychiatrie comme la
part et d’autre si possible. Cela demande la constitution de liens psychothérapie ou les rééducations se sont largement enrichies
solides, d’une confiance réciproque, et d’échanges réguliers pour de ces multiples thérapies de groupes, elles se sont diversifiées
résister aux difficultés psychologiques, familiales et sociales de et sont mieux adaptées. La pertinence de ces actions est garantie
ces jeunes souvent en situation d’exclusion. par la mise en place d’un cadre institutionnel cohérent. Des
Parfois appelés « incasables », ils débordent les équipes par prises en charge à temps partiel tant en CATTP qu’en hôpital de
leurs passages à l’acte, leurs attaques des liens, leurs angoisses. jour se sont également développées de façon très importante.
C’est le réseau qui doit alors être contenant dans un respect de Enfin, l’équipe s’est également appuyée sur d’autres dispositifs,
l’enfant, de l’adolescent, de sa famille et de chacun des en particulier quand cela s’avère possible avec des structures du
partenaires. champ associatif ou des praticiens libéraux (pédopsychiatres,
psychologues-psychothérapeutes, orthophonistes, etc.). Ce
partenariat est cependant limité par l’évolution à la baisse de la
Autres partenaires démographie médicale en pédopsychiatrie.
Le travail de partenariat avec les collectivités locales et les Ces aménagements ont néanmoins trouvé leurs limites.
municipalités était déjà précisé dans la circulaire de 1972. De Certaines équipes se sont repliées sur elles-mêmes du fait de la
nombreuses expériences ont mobilisé les équipes sur des diminution de leur disponibilité face à la multiplication des
questions comme le logement, les problèmes de la petite tâches de soins. Certaines ont tenté de recentrer les réponses du
enfance, dans une perspective de prévention. secteur vers des définitions plus limitatives des interventions, en

16 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

n’acceptant que les enfants présentant des pathologies avérées. L’autre tendance actuelle de la politique de santé est l’incita-
Ne serait-ce pas alors abandonner la référence importante du tion au décloisonnement et au travail en réseau. Le secteur a
secteur à des objectifs de prévention, voire négliger parfois des des liens actifs avec le tissu social et les dispositifs généraux
problématiques subsyndromiques dont l’évolution n’est pas d’aide aux enfants et aux adolescents. La pédopsychiatrie ne
toujours spontanément favorable ? peut que se réjouir de constater le succès de ses démarches
C’est toute la question posée par la mise en place de « filtres » initiales : inscription de la psychiatrie dans la communauté, et
préalables à une consultation, qui ne font que rallonger les établissement de lien avec les partenaires sociaux, médicoso-
délais d’attente pour un premier rendez-vous. Ils risquent ciaux et surtout l’Éducation nationale.
parfois de banaliser des situations dont il aurait fallu s’inquiéter. Son implication dans de nombreux réseaux (handicap,
Par ailleurs, cette multiplication importante des demandes périnatalité, précarité...) confirme des liens existants ou la
présente également le risque d’entraîner des réponses plus pousse à en développer de nouveaux.
partielles, plus techniques, voire réductrices, axées sur le versant Néanmoins, un formalisme excessif dans la mise en place de
comportemental et confirmant la désignation de l’enfant ces réseaux risque de compliquer les échanges qui auparavant
comme malade avant d’avoir évalué la situation familiale et allaient de soi et de multiplier les temps de rencontres sans réel
environnementale dans son ensemble. La pédopsychiatrie bénéfice. Paradoxalement, de nouvelles dispositions font
demande du temps : du temps d’évaluation, du temps d’élabo- disparaître des partenariats anciens comme si le législateur ne
ration ; elle ne peut s’adapter à des réponses rapides et pure- prenait pas en compte les apports du secteur. Ainsi, la réorga-
ment techniques. nisation du médicosocial avec la mise en place des MDPH s’est
La politique de secteur s’est définie, dans ses prémices, faite sans préserver la place de la pédopsychiatrie qui existait
comme une approche généraliste des soins en pédopsychiatrie. dans les anciennes instances de la CDES (remplacée par la
Les évolutions actuelles tendent à remettre en cause cette MDPH), des commissions de circonscription pour l’enseigne-
approche généraliste, tantôt à juste titre, tantôt de façon ment primaire et élémentaire (CCPE) et des commissions de
excessive. C’est toute la question de l’intersectorialité. Actuelle- circonscription du second degré (CCSD).
ment, on constate une tendance à la spécialisation toujours plus Au mieux, la pédopsychiatrie peut prendre une place de
poussée, à partir d’un point de vue privilégiant le symptôme partenaire en position expertale, au pire elle est exclue des
(consultation spécialisée pour l’anxiété, pour le sommeil, la évaluations aboutissant au diagnostic de handicap. Les nouvel-
dépression, les troubles alimentaires ou les troubles de l’appren- les définitions du handicap vont modifier la nature des deman-
tissage...), avec le risque d’un morcellement du dispositif de des et la définition même de certains problèmes cliniques, ainsi
secteur, d’une mise sous condition de l’accueil et donc d’une que leur prise en charge.
exclusion des situations complexes. Ceci remet en cause Il convient de rester attentif à l’évolution encore peu prévisi-
l’accueil sans exclusive, principe fondateur de la politique de ble des pratiques engendrées par ces réformes.
secteur. Il reste vrai que la mise en commun entre secteurs de La place de la position parentale est affirmée à tous les
certains outils est cependant une nécessité. Il faut bien recon- niveaux du fonctionnement des institutions s’occupant
naître que chaque secteur ne peut disposer de tous les outils de d’enfants handicapés. Cette évolution va dans un sens positif et
soins nécessaires. Cette mise en commun peut être profitable, souhaitable, confortant les parents dans leur rôle actif auprès de
créant une offre plus diversifiée. L’hospitalisation temps plein leur enfant, ce qui a toujours été un des objectifs de la
reste un bon exemple de ce type de réponse de soins qui peut pédopsychiatrie.
être partagé par plusieurs secteurs : hospitalisation temps plein La nouvelle gouvernance hospitalière et sanitaire vise à la
pour adolescents, hospitalisation temps plein mère-enfants. mise en place de pôles. Cette orientation interroge également la
D’autres réponses spécialisées, comme les centres de crises, les sectorisation en pédopsychiatrie. La politique de secteur résultait
centres d’urgence pour adolescents, les CATTP pour très jeunes d’un double objectif : sortir du « tout-hospitalier », des réponses
enfants, peuvent aussi avoir une dimension intersectorielle utile. ségrégatives, mais aussi se différencier de la psychiatrie d’adulte,
Les consultations spécialisées ont souvent tendance néan- de ses références et de ses réponses. Ceci impliquerait donc la
moins à produire de l’évaluation au détriment d’un engagement constitution de pôles pédopsychiatriques réunissant plusieurs
dans le soin. Le bénéfice pour le patient de ces pratiques secteurs. C’est cependant rarement réalisable du fait de la
dépend de l’articulation entre la consultation spécialisée en dispersion des secteurs qui sont souvent rattachés à des hôpi-
évaluation et les systèmes de soins. Une articulation insuffisante taux différents.
peut entraîner le patient vers un nomadisme péjoratif dans la La pédopsychiatrie peut-elle cependant garder sa spécificité en
mesure où il passe d’une consultation à l’autre sans créer un s’intégrant soit à un pôle psychiatrique général, soit à des
lien transférentiel, sans que ces différentes rencontres prennent regroupements plus disparates centrés sur l’enfant ? Les secteurs,
pour lui un sens dans l’élaboration de ses difficultés. Elles comme la loi le prescrit, peuvent aussi prétendre à constituer un
peuvent être vécues souvent comme une succession de rejets. Le pôle. L’avenir reste donc tout à fait ouvert, à condition que la
fléchage spécialisé risque donc de créer de la ségrégation. nouvelle gouvernance sache préserver et soutenir la politique de
Certaines spécialisations de réponses institutionnelles peuvent sectorisation.
être justifiées, en particulier celles qui vont tenir compte des Il semble important que chaque secteur puisse se déterminer
différents âges de la vie (consultations spécifiques pour bébés, en fonction des besoins de la population qu’il rencontre, de son
consultations spécifiques pour adolescents) ou qui tiennent à histoire, de sa réalité, mais aussi de son réseau partenarial et de
certaines problématiques très spécifiques comme celles qui ses articulations intersectorielles pour spécifier ses réponses.
relèvent de l’addictologie. La standardisation connaît ses limites en pédopsychiatrie du
La politique de santé actuelle met également l’accent sur la fait de la complexité très particulière de l’objet du soin : le
spécialisation de l’approche de certains problèmes par la mise changement psychique, mais aussi en raison des rapports non-
en place de centres de références. Ce phénomène médical ne se linéaires entre les définitions médicales d’une pathologie et les
limite pas à la psychiatrie de l’enfant. En pédopsychiatrie, les approches thérapeutiques pertinentes. Il y a en effet quelque
centres de références concernent l’autisme, les troubles de chose d’irréductible dans la particularité du soin psychique qui
l’apprentissage, les troubles du langage et de la parole, etc. Ces se prête mal à un excès de formalisation.
centres peuvent servir utilement d’étayage et de recours-tiers La liberté des équipes dans l’invention des modalités de soins
dans le déroulement d’une cure pédopsychiatrique, souvent de ne doit pas être néanmoins un obstacle à l’évaluation des
longue durée, à condition qu’ils soient suffisamment en relation résultats qui reste une nécessité. Les nouvelles modalités
avec les secteurs. De ce point de vue, les situations restent très d’évaluation proposées devront faire l’objet d’une réflexion
disparates. approfondie en lien avec la recherche clinique.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 17
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

■ Statistiques des enfants de moins de 18 ans. Cela correspond à une aug-


mentation de 70 % par rapport aux chiffres de 1991.
Cette file active (Tableau 2) est constituée de 59 % de garçons
Statistiques générales et de 41 % de filles.
Le doublement de la file active s’est réalisé en 14 ans avec un
Population générale d’enfants et d’adolescents nombre d’actes qui reste plutôt stable et une baisse très impor-
en France tante de l’hospitalisation temps plein.
La population des moins de 18 ans représente 13 454 646 per- Les populations les plus représentées sont les 5-9 ans (39 %)
sonnes soit 22,6 % de la population totale française (estimation et les 10-14 ans (30 %). Les moins de 5 ans (14 %) et les
Institut national de la statistique et des études économiques adolescents de plus de 15 ans (16 %) sont sous-représentés
[Insee] 2003). La répartition est détaillée dans le Tableau 1. malgré une légère augmentation récente (2000) pour les 15 ans
Il y a 800 000 naissances par an en France actuellement. et plus.
Le dispositif de soins sectoriel est complété par les 320 CMPP
Population spécifique de divers champs (autant que de secteurs).
de l’enfance L’ensemble des files actives des secteurs et des CMPP repré-
sente environ 5 % de la population de 0 à 18 ans. Ce chiffre
Handicap
peut être rapproché de l’évaluation faite par l’Inserm : un
En 2005-2006, 235 400 enfants et adolescents ont été repérés huitième de cette même population présente des troubles
en situation de handicap [85]. mentaux.
Il existe 114 000 places en établissements et services pour
enfants handicapés (Direction de l’IGAS [DIGAS] 2007) ; Suivis
138 000 familles sont bénéficiaires de l’AES (Handicaps en Les chiffres montrent une baisse du nombre annuel d’inter-
chiffres 2005), au titre de leur enfant handicapé. ventions par enfant en moyenne, avec parallèlement une
Aide sociale à l’enfance augmentation très importante sur les mêmes périodes des
interventions en milieu scolaire et en établissements médicoé-
Cent trente-six mille enfants sont accueillis par l’ASE (DIGAS ducatifs, ainsi qu’une augmentation importante des interven-
2007). tions en unités de soins somatiques (Tableau 3).
Justice des mineurs Les CATTP accueillent plus d’enfants, mais sur des temps
beaucoup plus courts sur la semaine.
Les prises en charge entre le 1er janvier et le 31 décembre Le nombre de secteurs disposant de lits d’hospitalisation
2005 se répartissent en : temps plein est passé de 58 % en 1986 à 38 % en 2000.
• investigations, 64 937 ; placements judiciaires, 6 611 ; milieux
ouverts, 90 981 ; soit un total de 162 429 mesures ; Équipe
• 11 173 crimes et délits de maltraitance sur enfants ont été
répertoriés en 2003. Les effectifs des équipes des secteurs de psychiatrie de l’enfant
et de l’adolescents sont restés globalement stables depuis
1988 en équivalents temps plein (ETP), tant en personnel
Données spécifiques au secteur médical que non médical.
En 1970, il n’existait officiellement que 23 services de En 2000, chaque secteur dispose en moyenne :
pédopsychiatrie. • d’une équipe médicale de 5,8 ETP dont 3,7 ETP de psychia-
En 2000, la France comptait 320 secteurs de psychiatrie tres hospitaliers et 0,8 ETP d’internes ;
infantojuvénile, chaque secteur desservait environ • d’une équipe non médicale de 48,4 ETP (Tableau 4).
49 000 habitants âgés de moins de 20 ans ; 52 % des secteurs En 2000, 88 postes de psychiatres temps plein ont été
sont rattachés à un établissement public de santé spécialisé en déclarés vacants depuis plus de 1 an. Le nombre d’internes et
psychiatrie, 41 % à un établissement public de santé non d’attachés est en baisse. Le nombre de psychologues, psycho-
spécialisé (Centre hospitalier général ou Centre hospitalo- motriciens et éducateurs a augmenté en pourcentage.
universitaire) et 8 % à des hôpitaux privés ou à des associations
(données détaillées et par régions disponibles sur Internet, cf. Activité du secteur (DREES, 2000)
infra). Les points suivants sont à souligner :
En 2000, 1 604 lits d’hospitalisation temps plein et 7 506 • le délai d’attente pour un premier rendez-vous (hors urgence)
places d’hôpital de jour étaient recensés. était en moyenne de 1 mois en 2000. Combien aujourd’hui ?
• pour ce premier rendez-vous, le patient est orienté exclusive-
File active ment vers un médecin dans 20 % des secteurs ;
Le nombre total d’enfants et d’adolescents pris en charge par • l’accueil des urgences est organisé de façon très variable selon
les secteurs de psychiatrie infantojuvénile correspond à 3,2 % les secteurs ;

Tableau 1.
Classes d’âge chez les moins de 18 ans.
Âge Moins de 1 an De 1 à 3 ans De 3 à 6 ans De 6 à 11 ans De 11 à 15 ans De 15 à 18 ans
Population des moins 5,6 11,4 16,2 26,7 28,5 11,6
de 18 ans en %

Tableau 2.
File active (chiffres Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2000).
Année 1986 1997 2000
File active générale 200 000 380 000 432 000
File active par secteur 680 1183 1351
Nombre d’actes - 3 300 000 3 600 000
Nombre de journées en hôpital de jour - 1 280 000 1 293 000
Nombre de journées en hospitalisation temps plein 1 000 000 / 200 000

18 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Secteur de psychiatrie infantojuvénile ¶ 37-211-A-05

Tableau 3.
Suivis (chiffres Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2000).
Année 1986 1991 2000
Nombre d’interventions par an et par patient en CMP 12 10 (en 1997)
Enfants-adolescents traités en institutions à temps partiel (HDJ, CATTP) 20 000 41 000
HDJ : 18 000
CATTP : 22 000
Enfants-adolescents hospitalisés à temps complet 6 500 5 900 6 600
Durée moyenne de séjour en hospitalisation temps plein (en jours) 160 100 40
CMP : centre médicopsychologique ; HDJ : hôpital de jour ; CATTP : centres d’accueil thérapeutique à temps partiel.

Tableau 4. [16] Mises R. La circulaire fondatrice de la politique de secteur en psychia-


Équipe non médicale (équivalents temps plein). trie de l’enfant et de l’adolescent. Lettre Psychiatrie Fr 1997;69:17-8.
[17] Audisio M. La psychiatrie de secteur (une psychiatrie militante pour la
Infirmiers 17,9
santé mentale). Toulouse: Privat; 1981 (406p).
Psychologues 6,3 [18] Recherches. Histoire de la psychiatrie de secteur ou le secteur impos-
Personnels éducatifs 6,1 sible ? Revue du CERFI 1975;17:612.
Thérapeutes psychomotricité, 5,8 [19] Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. Le secteur. 1-2. Issy-
orthophonie, et autres les-Moulineaux: ESF; 1982.
Assistants de service social 1,7 [20] Bouvet M, Ferrari P. La sectorisation en psychiatrie infanto-juvénile
Secrétaires médicales 3,9 (résultat d’une enquête). Neuropsychiatrie Enf 1982;30:1-7.
[21] Bouvet M, Royaux J, Ferrari P. Les « antennes » de secteur : mise en
Agents des services hospitaliers 3,2
place et fonctionnement à Reims. Neuropsychiatrie Enf 1982;30:9-13.
[22] Mises R, Quemada N. Classification française des troubles mentaux de
l’enfant et de l’adolescent. R. 2000. Classification internationale des
• huit secteurs sur dix déclarent une activité de liaison ; maladies, CIM 10. Chapitre V, troubles mentaux et du comportement.
• un secteur sur cinq dispose d’une unité spécialisée dans Paris: PUF-CTNERHI; 2002 (191p).
l’accueil mère-enfant (temps plein, hôpital de jour ou centre [23] Mises R, Hochman J. L’orientation des institutions de soins psychia-
d’accueil thérapeutique à temps partiel) ; triques pour les enfants et les adolescents en France. Neuropsychiatrie
• 27 % des secteurs assurent la gestion d’une ou plusieurs Enf 1992;40:333-40.
[24] Schmit G. Souffrance psychique de l’enfant et de l’adolescent : intro-
unités intersectorielles (souvent des hospitalisations temps
duction au référentiel de la Fédération Française de psychiatrie.
plein) ;
Neuropsychiatrie Enf Adolesc 2006;54:389-90.
• le secteur multiplie ses liens avec des partenaires institution-
[25] Plantade A, Contejean Y, Riousse D. L’intersecteur de psychiatrie
.

nels : 49 % des secteurs ont passé au moins une convention infantojuvénile. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie,
écrite. 37-916-A-10, 1983 : 6p.
[26] Freud A. Le normal et le pathologique chez l’enfant. 1965. Paris:
Gallimard; 1968 (212p).
Textes administratifs en reformation supplémentaire. [27] Klein M. Essai de psychanalyse. Paris: Payot; 1968 (452p).
[28] Winnicott DW. Jeux et réalité (l’espace potentiel) 1971. Paris:
.

■ Références Gallimard; 1975 (218p).


[29] Lebovici S, Soulé M, Diatkine R. Nouveau traité de psychiatrie de
[1] Moggio F. Secteur de psychiatrie infanto-juvénile. In: Houzel D, l’enfant et de l’adolescent. Paris: PUF; 1995.
Emmanelli M, editors. Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et [30] Bowlby J. A secure base. Clinical applications of the attachment
de l’adolescent. Paris: PUF; 2000. p. 672-4. theory. London: Routlege; 1988.
[2] Le Mignot H. « Secteur ». EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psy- [31] Ainsworth MD, Blehar MC, Wates E. Patterns of attachment. Hillsdale:
chiatrie, 37-915-A-10, 1967 : 7p. Erlbaum; 1978.
[3] Duché DJ. Histoire de la psychiatrie de l’enfant. Paris: PUF; 1990 [32] Von Bertalanffy L. Théorie générale des systèmes. Paris: Bordas; 1973.
(424p). [33] Schmit G. Quelle est la place de la thérapie familiale en psychiatrie de
[4] Krieger D. Itard, l’autisme et l’éducation. Communication personnelle. l’enfant? Perspect Psy 1998;37:184-7.
1997. 14p. [34] Devereux G. Ethnopsychanalyse complémentariste. Paris: Flam-
[5] Du Pasquier Y, Vinograde MA. Secteur de psychiatrie infanto-juvénile. marion; 1972.
EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie, 37-210-A-15, 1993 : [35] Wallon H. L’évolution psychologique de l’enfant. Paris: Armand Colin;
6p. 1968.
[6] Ayme J. La psychothérapie institutionnelle. Origine, histoire, tendan- [36] Piaget J. La naissance de l’intelligence chez l’enfant. Neuchâtel:
ces. In: Martin P, editor. Pratiques institutionnelles et théories des psy- Delachaux et Niestlé; 1968.
choses. Paris: L’Harmattan; 1995. p. 25-53. [37] Baron-Cohen S, Leslie AM, Frith U. Does the autistic child have a
[7] Chanoit F. La psychothérapie institutionnelle. Que sais-je. Paris: PUF; “theory of mind”. Cognition 1995;21:37-46.
1995 (128p). [38] Schopler E, Reichler RJ, Lansing M. Stratégies éducatives de
[8] Delion P. Soigner la personne psychotique. Paris: Dunod; 2005 (209p). l’autisme. Paris: Masson; 1988 (235p).
[9] Oury J. Psychiatrie et psychothérapie institutionnelle. Paris: Payot; [39] Schmit G, Rolland AC. Le travail avec les familles en pédopsychiatrie.
1976 (330p). Perspect Psy 2006;45:25-32.
[10] Racamier PC. Le psychanalyste sans divan (la psychanalyse et les ins- [40] Bleandonu G. Les groupes thérapeutiques familiaux et institutionnels.
titutions de soins psychiatriques). Paris: Payot; 1973 (435p). Paris: PUF; 1991 (127p).
[11] Legendre JP. La psychothérapie institutionnelle au risque du secteur. [41] Bouvet M, Marquet D. Visites et soins à domicile en psychiatrie
Nervure 1999;12:25-6. infanto-juvénile. Soins Psychiatr 1988:41-5 (n°92-93).
[12] Mises R. La cure en institution : l’enfant, l’équipe et la famille. Issy- [42] Benasayag M, Schmit G. Les passions tristes (Souffrances psychiques
les-Moulineaux: ESF; 1980 (292p). et crise sociale). Paris: La Découverte; 2003 (182p).
[13] Tosquelles F. De la personne au groupe : à propos des équipes de soins. [43] Bleandonu G, Despinoy M. Hôpitaux de jour et psychiatrie dans la
Ramonville-Saint-Agne: Erès; 2003. communauté. Paris: Payot; 1974 (413p).
[14] Bonnafé L. Histoire de la psychiatrie de secteur. Recherche 1976(17): [44] Bleandonu G. Les hôpitaux de jour et les accueils thérapeutiques par-
71-2. tiels pour enfants. Paris: PUF; 1997 (121p).
[15] Moury R. Le travail de secteur : une perlaboration collective. [45] Mises R. Les actions institutionnelles à temps partiel en pratique sec-
Neuropsychiatrie Enf 1982;30:43-8. torielle. Inf Psychiatrique 1982;58:1107-13.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 19
37-211-A-05 ¶ Secteur de psychiatrie infantojuvénile

[46] Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence. Hôpitaux de jour et [69] Ferrari P, Bouvet M. Le nourrisson de mère psychotique, perspectives
structures à temps partiel. 8–9. Issy-les-Moulineaux: ESF; 1988. thérapeutiques. Rev Fr Psychiatrie 1988;6(8):24-9.
[47] Garret-Gloanec N, Pascal JC, Simmonot AL. Alternatives à [70] Barraco de Pinto M, Jardin F. La visite à domicile en psychiatrie du
l’hospitalisation pour les secteurs de psychiatrie infanto-juvénile. EMC nourrisson. In: Angel P, Mazet P, editors. Guérir les souffrances fami-
(Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-210-A- liales. Paris: PUF; 2004 (952p).
35, 2003 : 5p. [71] Garret-Gloanec N. Le bébé et l’équipe de secteur infantojuvénile. In:
[48] Chouchena O. Centre d’actions thérapeutiques à temps partiel pour Delion P, editor. La souffrance psychique du bébé. Issy-les-
enfants. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie, 37-210-A- Moulineaux: ESF; 2002 (146p).
12, 1998 : 4p. [72] Rabain D, Aidane E, Couetoux F, Maris P, Mazet P. Le travail avec des
[49] Fakhri E, Epelbaum C, Ferrari P. Les centres d’accueil thérapeutiques à bébés et leurs parents au sein d’une unité spécialisée. In: Angel P,
temps partiel en psychiatrie infanto-juvénile : une enquête nationale. Mazet P, editors. Guérir les souffrances familiales. Paris: PUF; 2004
Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1995;43:244-50. (952p).
[50] Vinograde M, Binet J, Brian J, Ghestem G, Vauconsant M. Soins [73] Boubli M, Tosquellas M. Groupe de jeunes mères avec enfants : un
séquentiels pour jeunes enfants en CATTP. Inf Psychiatrique 2002;78: travail psychique mère-enfant d’individuation et d’ouverture aux
788-92. autres. Dialogue Can Philos Assoc 1993(120):54-62.
[51] Ferrari P, Bouvet M, Crochette A. Intérêts et spécificité de l’hôpital de [74] Stoleru S, Moralés-Huet M. Psychothérapie mères-nourrissons dans
jour pour les enfants psychotiques. Neuropsychiatrie Enf 1988;36: les familles à problèmes multiples. Paris: PUF; 1989 (285p).
313-6. [75] De Roquefeuil C, Molenat F, Parmentier JM, Aussilloux C. Utilisation
[52] Fustier P. Le travail d’équipe en institution. Paris: Dunod; 1999 (216p). de l’hospitalisation à domicile dans l’abord thérapeutique des pertur-
[53] Geissmann CL. L’enfant et sa psychose. Paris: Dunod; 1994 (334p). bations précoces du développement chez le nourrisson. Rev Fr Psy-
[54] Bouvet M. Travail avec les parents d’enfants en soin à l’hôpital de jour. chiatrie 1986;4(6):3-9.
Perspect Psy 2006;45:40-6. [76] Mammar N, Atger I, Botbol M. Hospitalisations séquentielles en psy-
[55] Schmit G, Priqueler M, Durand B, Van Der Elst B.Aspect institutionnel chiatrie de l’adolescent et du jeune adulte. Inf Psychiatrique 2004;80:
des relations parents-soignants. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 1992; 93-101.
40:537-41. [77] Guedj MJ, Gallois E. La visite à domicile comme réponse à la réclusion
[56] Soulé M, Golse B. Le traitement des psychoses de l’enfant et de l’ado- de l’adolescent. Enf Psy 2006;30:43-55.
lescent. Paris: Bayard; 1992. [78] Desombre H, Malvy J, Wiss M. La pédopsychiatrie de liaison, organi-
[57] Thévenot JP. L’accès aux soins institutionnels des enfants autistes sation et mission. Paris: Masson; 2004 (118p).
(l’approche épidémiologique d’une situation de pénurie). In: Golse B, [79] Chapireau F, Constant J, Durand B. Le handicap mental chez l’enfant :
Delion P, editors. Autisme : états des lieux et horizons. Ramonville- une synthèse neuve pour comprendre, agir, décider. Issy-les-
Saint-Agne: Erès; 2005. p. 225-31. Moulineaux: ESF; 1997 (215p).
[58] Diatkine R, Avram C. Pourquoi on m’a né? L’unité de soins intensifs du [80] Mises R. Les psychiatries devant l’intégration scolaire (Quelques
soir (1971–1995). Paris: Calmann-Levy; 1995. repères). Inf Psychiatrique 1993;69:697-702.
[59] Soins intensifs du soir pour enfants et adolescents (numéro coordonné [81] Botbol M. Protection judiciaire et sociale de l’enfance. In: Ferrari P,
par Benhamou H). Perspect Psy 1996;35:87-166. Epelbaum C, editors. Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Paris:
[60] Baillon G. Évolution des centres de crise. Inf Psychiatrique 2000;76: Flammarion; 1993 (588p).
549-54. [82] Rosenczveig JP. Le dispositif français de protection de l’enfance. Paris:
[61] Halimi Y, Cantin-Peyrac E, Prado M, Chirio M. Guillemot Fl. À propos Jeunesse et droit; 1996 (760p).
du traitement résidentiel en psychiatrie infantile. Inf Psychiatrique [83] Huerre P. Les réseaux : pourquoi faire? Perspect Psy 2006;45:209-10.
2004;80:229-33. [84] Durand B, Bourcier G. La psychiatrie infanto-juvénile. In: Lepoutre R,
[62] Mises R. Quelques préalables à une discussion des équipements rési- Kervasdoue J, editors. La santé mentale des Français. Paris: Odile
dentiels en psychiatrie infanto-juvénile. Inf Psychiatrique 2004;80: Jacob; 2002.
225-8. [85] Handicap en chiffre 2005. Diffusion CTNERHI. Paris: PUF; 2005
[63] Rouam F, Schmit G. Conceptions actuelles de l’hospitalisation en (119p).
pédopsychiatrie. Sem Hop Paris 1982;58:2459-65.
[64] David M. L’enfance en placement familial. In: Lebovici S, Soulé M,
Diatkine R, editors. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de Pour en savoir plus
l’adolescent. Paris: PUF; 1995. p. 2745-63. www.administration-net.
[65] Racamier PC. À propos des psychoses de la maternalité. In: Soulé M,
www.assemblee-nationale.fr.
editor. Mère mortifère, mère meurtrière, mère mortifiée. Issy-les-
www.éducation.gouv.fr/handiscol.
Moulineaux: ESF; 1980 (178p).
[66] Delion P. Le bébé et ses institutions. Mille et un bébés. Ramonville- www.handicap.gouv.fr.
Saint-Agne: Erès; 2001 (89p). www.insee.fr.
[67] Soulayrol R, Sokolowsky M, Ehret D, Dugnat M. Une unité www.justice.gouv.fr.
d’hospitalisation conjointe mère-enfant en pédopsychiatrie. www.legifrance.gouv.fr.
Neuropsychiatrie Enf 1990;38:427-33. www.réforme-hospitalière.com.
[68] Dugnat M, Martin T. Psychiatrie périnatale et politique de secteur : www.santé.gouv.fr. (en particulier le site de la DRESS).
quelques questions. Inf Psychiatrique 2002;78:236-46. www.social.gouv.fr.

G. Schmit, Médecin-chef de secteur, Professeur de pédopsychiatrie (gschmit@chu-reims.fr).


M. Bouvet, Praticien hospitalier.
M.-O. Hincky, Psychologue.
Service de psychothérapie de l’enfant et de l’adolescent, secteur I03 de la Marne, Hôpital Robert Debré-Centre hospitalo-universitaire, avenue du
Général-Koenig, 51092 Reims cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Schmit G., Bouvet M., Hincky M.-O. Secteur de psychiatrie infantojuvénile. EMC (Elsevier Masson SAS,
Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-211-A-05, 2008.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

20 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Pédopsychiatrie
[37-208-D-10]

Thérapeutiques de relaxation chez l'enfant

Jean Berges : Chargé de la section de biopsychopathologie de l'enfant


Centre hospitalier Sainte-Anne, 1, rue Cabouis, 75014 Paris France

© 1992 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

LA RELAXATION PARMI LES PSYCHOTHÉ RAPIES CHEZ


L'ENFANT

Depuis les premières publications dans les années 1960, la relaxation tient une place
originale dans les diverses thérapeutiques pédopsychiatriques.

Elle constitue en effet, à partir de l'âge de 4 ou 5 ans et jusqu'à l'adolescence, une


expérience personnelle qui permet à l'enfant, à travers la résolution tonique qu'elle
suppose, d'éprouver son corps autrement qu'à travers le symptôme, la tension, la douleur.
Elle permet la remise en jeu de l'histoire du corps à travers les aléas des périodes de
tension liées au besoin et de détente liées à la satisfaction.

Le type de lien qui s'établit avec le thérapeute se fait dans la distance entre ce que celui-ci
propose comme projet, déconcentration neuromusculaire soutenue par des images, et ce
qui est éprouvé par l'enfant : la mobilisation, le toucher, essentiels dans cette perspective,
ne constituent donc pas un contrôle du thérapeute, qui le rassurerait ou le décevrait dans
les effets de sa technique, mais bien plutôt des afférences articulaires, musculaires,
esthésiques, qui concourent à ce que la partie du corps considérée soit présente, repérée,
reconnue. Elle est reconnue aussi du thérapeute qui la nomme en la touchant, non dans
une visée cognitive, qui " apprendrait " à l'enfant à connaître son corps, mais pour
permettre, à travers les mots employés (épaules, avant-bras, etc.) un accrochage du
corps, éprouvé et imagé, au langage symbolique du corps. C'est ainsi que l'essentiel dans
la relaxation thérapeutique chez l'enfant n'est pas d'obtenir la relaxation à tout prix, mais
que l'enfant soit présent à ce qui se passe dans son corps pendant qu'il tente, avec l'aide
du thérapeute, de l'obtenir.

Comme on peut le souligner auprès des jeunes patients, dans la relaxation, il ne s'agit pas
de " se ramollir ", mais de découvrir son corps : en somme, à le rendre compétent non
pas tellement à s'exprimer mais à entendre, à recevoir.

Haut de page

DESCRIPTION DES TECHNIQUES

Aussi bien Schultz que Jacobson ou Ajuriaguerra et Cahen n'ont en aucune façon codifié
particulièrement leurs méthodes chez l'enfant. C'est à partir de 1958-1960
qu'apparaissent les premières publications à ce sujet.

La plupart des techniques sont dérivées de la méthode de Schultz, impliquant de la part


du sujet une concentration passive dans un état de résolution tonique, établissant avec le
thérapeute une relation verbale.

D'autres, dérivées de la méthode de Jacobson, impliquent une concentration active visant


à la décontraction musculaire et de posture ou de mouvements actifs.

Relaxation thérapeutique chez l'enfant

Parmi les techniques dérivées des travaux fondamentaux de Schultz, nous décrirons celle
dont nous avons la pratique. La méthode s'applique aux enfants à partir de l'âge de 5 ans,
soit individuellement, soit, avec quelques variantes, en groupe de 6 à 8, chaque enfant
étant suivi par le même thérapeute pendant toute la durée de la cure. Celle-ci se fait par
des séances hebdomadaires et un entraînement quotidien auquel les parents n'assistent
pas.

La durée de chaque séance va de 3 à 4 min, au début, à 15 à 20 min quand la technique


est acquise. L'explication initiale est décisive : dans le langage compréhensible, selon
l'âge, il est proposé à l'enfant de faire l'expérience de découvrir son corps, de le sentir "
bon " et solide sans être contracté, ou sur le qui-vive. Il n'est pas fait allusion au
symptôme et si l'enfant en parle, on lui indique que la relaxation est précisément là pour
qu'il soit plus libre à son sujet.

Première séance

Elle concerne le bras droit chez le droitier. Elle évolue en trois phases :

une phase de concentration mentale sur la proposition " je suis calme " et son
illustration par un tableau, un souvenir, etc., en un mot, par une représentation ;
une phase de décontraction et de détente neuromusculaire intéressant le bras ; ici
divers facteurs sont essentiels : la palpation et la nomination des segments, ainsi
que leur mobilisation ; par ailleurs, avec la suggestion à travers les mots et une
représentation proposée, on suggère la sensation de souplesse, puis de poids,
d'importance du membre ;
une phase de reprise, faite de concentration volontaire des muscles intéressés,
jusqu'au retour à l'état habituel.

Lors des séances suivantes

L'enfant est averti qu'un temps est laissé avant la séance lui permettant de s'exprimer, s'il
le juge souhaitable, mais non après, de sorte que ce qui s'est passé n'est pas
immédiatement l'objet d'une parole.

En cas d'obstacle, le thérapeute montre sur lui-même à l'enfant ce qu'il en est de la


relaxation du bras, par exemple ; de même, il peut faire nommer sur lui les parties du
corps, les faire palper, mobiliser par l'enfant.

La progression de la relaxation concerne les membres inférieurs, les muscles fessiers,


ceux du dos, les muscles de la nuque et du cou ainsi que ceux de la mâchoire inférieure.
C'est après cette progression qu'est obtenue la phase essentielle, de la " généralisation " ;
les segments jusque-là relaxés sont intégrés à une masse, à un ensemble que le
thérapeute suggère comme une unité solide, cohérente et présente. Et lorsque cette
généralisation a été prouvée dans la sphère esthésique, elle est représentée dans la
suggestion imagée que propose le thérapeute : ce qui est signifié dans la parole du
thérapeute est authentifié et actualisé dans l'image et dans le corps. Puis s'engagent,
habituellement vers la 10e séance, les exercices de respiration. Celle-ci, fonction semi-
volontaire, n'est pas envisagée en tant que mouvement, mais plutôt comme un rythme :
celui-ci est rendu présent, en particulier chez l'enfant petit, par les déplacements de la
main posée sur l'épigastre, et qui suit la respiration abdominale.

Après la respiration, est envisagée la relaxation du plexus solaire chez les enfants les plus
âgés.

Enfin, les muscles du visage et des yeux sont assez souvent concernés, très en liaison
avec les muscles du cou dans tout ce qui concerne l'exploration visuelle et la réaction
d'équilibre, d'orientation et de direction.

Modalités de fin de cure

Elles sont diverses ; la question se pose, habituellement après 5 ou 6 mois de traitement,


parfois plus, rarement moins. L'arrêt se fait souvent assez brusquement, l'enfant, les
parents jugeant le résultat obtenu, l'amélioration suffisante. Bien souvent, des vacances
scolaires mettent un point final à la cure. Dans d'autres cas, l'arrêt est plus progressif, par
espacement des séances.

Il est des cas où une psychothérapie ou une analyse, jusqu'alors impossible peut être
indiquée (en particulier en cas de grandes difficultés d'expression, d'un symptôme
envahissant, d'une intolérance initiale de la famille à un abord " psychologique ").

Les problèmes posés par les rapports réciproques des rééducations et de la relaxation sont
exposés plus bas.

Modalités particulières de la conduite de la cure de relaxation

Crampes fonctionnelles

Chez l'enfant elles sont presque exclusivement représentées par les crampes dans
l'écriture, ou les ébauches de crampe avec écriture lente et douloureuse. Ici, il est
recommandé de ne pas impliquer le bras en question dès le début de la relaxation : on
débutera par le bras opposé, et le lieu du symptôme ne sera nommé et proposé à la
relaxation qu'au moment de la phase de généralisation.

Chez les enfants strabiques ou amblyopes

On tiendra compte de la très décisive relation existant entre les muscles du cou, de la
nuque, et l'oculomotricité. Aussi semble-t-il plus important de rester un temps assez long
sur cette phase de la cure, que d'insister sur la relaxation du visage ou des muscles des
yeux. Il est fréquent que l'on constate la nécessité de parcourir toute l'étendue de la cure,
y compris la phase du front, dans ces cas.
Chez les sourds-muets

L'occlusion des yeux sera proposée lorsque l'enfant aura suffisamment avancé dans la
cure ; les manipulations, l'exemple donné par le thérapeute qui démontre dans sa propre
relaxation ce que l'on peut en attendre quant à la résolution tonique, sont du plus haut
intérêt. De même que les manoeuvres gestuelles tendent, au moment de la mise en jeu
de la respiration, à rendre présents le rythme de celle-ci et son caractère abdominal ;
manoeuvres faites aussi bien sur le sujet lui-même que sur le thérapeute.

Passivité ou résistance très importantes

Il est très fréquent chez l'enfant opposant, comme chez certains sujets très suggestibles,
que, pendant de nombreuses séances, les phases de la relaxation ne se déroulent que de
façon purement formelle. Le thérapeute avance dans la mise en cause progressive des
divers segments du corps, et ne constate aucun progrès objectif dans le détente tonique ;
cette absence de toute modification tonique au fil des séances s'accompagne, soit de
l'assertion par l'enfant que la détente est très bonne, soit d'un silence complet de sa part.
C'est seulement au bout de plusieurs mois que le sujet prend une initiative concernant sa
cure : il fait allusion à l'absence de tout phénomène, au tout début d'une décontraction, au
fait qu'il a fait chez lui pour la première fois une séance, par exemple. Dès lors, il semble
souhaitable de recommencer à la première séance, après avoir demandé l'accord du sujet.
Dans ces cas, on constate une évolution remarquablement rapide de la situation, et la
relaxation se déroule dès lors à un rythme accéléré.

Rythme des séances

Dans certains cas, il y a indication à rapprocher beaucoup les séances qui deviennent bi-
ou trihebdomadaires, en particulier, devant l'installation récente d'une décompensation
névrotique (sur le mode d'une angoisse chaude notamment) ou lors de séjours limités
dans le temps : voyage, hospitalisation, cure thermale. Un cas assez particulier est
représenté par les états critiques de dépersonnalisation ou de mise en question de
l'intégrité corporelle chez l'adolescent qui nécessite une véritable " relaxation intensive
d'urgence ".

Relaxation thérapeutique et rééducation

Lorsque cette association est indiquée, il semble qu'il soit plus souhaitable que la
rééducation soit interrompue pendant la période de relaxation, lorsque la rééducation
apparaît l'indication essentielle, le trouble fonctionnel instrumental apparaissant prévalent.
Par contre, la relaxation sera couplée à la rééducation, et survivra à l'interruption de celle-
ci lorsqu'il apparaît que des difficultés instrumentales ne constituent qu'un aspect de
perturbations plus globales ou, à la limite, que l'indication de la rééducation est dépassée
ou a été mal posée. Pratiquement, cette progressive substitution représente une ressource
non négligeable dans certains cas où la proposition d'une psychothérapie éventuellement
indiquée est refusée ou a toutes les chances de l'être par la famille ou le sujet, une
évolution sur ce plan apparaissant devoir se produire après un laps de temps assez long.

Relaxation thérapeutique et entretiens psychothérapiques espacés

Cette modalité technique peut être intéressante, notamment chez certains adolescents ; la
relaxation apparaît alors comme une voie d'abord et de rassurance concernant le corps
propre, et comme un axe autour duquel, par les séances d'entraînement et d'expérience
personnels et le contrôle hebdomadaire, s'organisent et se structurent les phénomènes
d'ordre transférentiel suscités par la psychothérapie verbale. Dans ce cas, la relaxation
semble devoir être " très technique ".
Relaxation thérapeutique en groupe

Cette modalité technique présente, semble-t-il, de nombreux avantages : en particulier,


elle permet de dépasser les difficultés des premières séances, les appréhensions, en
même temps qu'elle écarte nettement le danger d'une trop grande part laissée à la
suggestion interpersonnelle. Pratiquée dans de bonnes conditions : salles suffisamment
vastes, groupes de 6 à 8 enfants de tous âges, le thérapeute étant toujours le même pour
chaque enfant, cette technique apparaît très précieuse, notamment dans les indications
chez les sujets très instables, dans les grandes inhibitions, les cas d'opposition ou de
difficultés relationnelles majeures. Par ailleurs, on constate l'intérêt de la dynamique qui
s'établit, aussi bien dans la salle d'attente des parents, qui peuvent communiquer entre
eux, et souvent se soutenir, en particulier lorsque certains sont suivis parallèlement, que
dans la salle d'attente des enfants, qui parlent de leurs séances, tiennent des rôles, jouent
ou discutent avant d'entrer dans la salle de relaxation. Enfin, cette méthode semble rendre
plus facile et rapide la conquête d'une autonomie du sujet, comparativement à la
technique individuelle tout en facilitant la survenue d'épisodes régressifs, en particulier liés
au chuchotement des assistants, aux bruits d'allées et venues, de respiration, etc. La
présence conjointe d'une thérapeute et d'un thérapeute a été conseillée par certains.

Haut de page

INDICATIONS DE LA RELAXOTHÉ RAPIE CHEZ L'ENFANT

Troubles psychomoteurs

Ils apparaissent évidemment un domaine privilégié de l'abord par la relaxation. En effet,


les perturbations de la fonction tonique et de ses régulation, de même que celles
intéressant le contrôle postural et moteur vont être intéressées par l'expérience tonique
que représente la méthode : la conquête progressive de la résolution tonique, l'extension
des zones où elles se manifestent constituent une véritable remise en question des
équilibres vicieux anciens, et permettent une reconstitution des frontières du corps, qui va
être éprouvée comme une unité solide et calme, un ensemble cohérent. C'est ainsi que
sont de bonnes indications les états tensionnels.

Etats tensionnels

Ils peuvent se présenter avec une paratonie, un sentiment interne de tension, d'état
d'alerte, des blocages respiratoires fréquents, une difficulté extrême à aboutir à une
détente, une fréquence de phénomènes hypnagogiques, des impatiences, une crispation.

Crampes

Celles-ci ou les ébauches de crampe dans l'écriture sont à rapprocher de ces états.

Certains tremblements

Liés à un hypercontrôle tonicomoteur, plus ou moins sous-tendus par une paratonie


importante, ils bénéficient aussi de ces méthodes. Mais ici la relaxation peut mieux
différencier les tremblements par état tensionnel, qui disparaissent, car liés à une
exagération du fond tonique, et les tremblements d'origine neurologique, que
l'hypercontrôle marque et contient, et qui eux, au contraire, sont exagérés par la
relaxation.
Tics

Ils s'accompagnent le plus souvent d'un état tensionnel, et en constituent une sorte
d'acmé dans leur phase préparatoire et de faillite dans leur explosion. On connaît la
grande parenté qui existe entre les tics et la symptomatologie défensive d'ordre
névrotique dans le cadre de l'obsession. En dehors d'un état névrotique structuré ou en
voie de l'être, les thérapies de relaxation représentent une excellente indication dans le
traitement des tics, en particulier dans les périodes évolutives au cours desquelles un
abord psychothérapique verbal s'avère prématuré ou impossible.

Bégaiement

Chez l'enfant, il est, comme on le sait, une affection très difficile à aborder, en particulier
dans ses rapports fréquents avec la débilité motrice, les retards de parole et la
problématique de l'agressivité. La relaxation paraît une bonne indication en cas de
bégaiement récent chez l'enfant jeune, et elle suffit parfois. Mais, dans les cas où le
bégaiement est ancien, il s'agit d'une entreprise de longue durée, portant au moins sur
deux ans, et il y a tout intérêt à associer une psychothérapie d'inspiration analytique, soit
d'emblée, soit après quelques mois.

Incontrôles émotionnels ou état de déhiscence

Ils se présentent très différemment des états tensionnels : hypotonie, pâleur, sensation de
fatigue, vécu de vide intérieur, de perte d'énergie, impact exagéré des émotions, du
traumatisme. Dans ces cas, les limites du corps apparaissent indécises et imprécises : la
frontière entre intérieur et extérieur n'est pas bien établie par le sujet. La relaxothérapie
est ici indiquée dans la mesure où elle permet l'expérience d'un corps rendu présent dans
la séance, nommé par le thérapeute et reconnu par lui, identifié par le sujet faisant la
conquête de ses frontières.

Instabilités posturales, posturomotrices

Les grandes instabilités pseudo-choréiques de Wallon ou les syndromes hyperkinétiques


des Anglo-Saxons apparaissent, dans cette perspective, d'excellentes indications de la
relaxation : il ne s'agit pas ici seulement de proposer un cadre à l'instable, en aucune
façon de lui proposer une contention ou une maîtrise, mais surtout de permettre que
s'instaure un critère corporel d'existence, par l'accession à un vécu nodal, par la mise en
place des limites du corps, qui sont posées, segment par segment, et étayées par l'image
suggérée par le thérapeute.

Troubles de la connaissance du corps

La grande importance donnée à la palpation, la mobilisation, la nomination des parties du


corps apparaît, à l'évidence, essentielle dans l'abord des troubles de la connaissance du
corps, et des fonctions cognitives et gnosopraxiques en particulier.

Les retards d'intégration du schéma corporel, appréciés soit sur les épreuves de
dessin de personnages, soit plus précisément sur des tests d'imitation de gestes
ou de schéma corporel sont souvent considérables chez les enfants maladroits ou
présentant des troubles cognitivomoteurs.
Les dyspraxies chez l'enfant, troubles conjoints de la connaissance du corps
propre, de l'espace et des fonctions de construction sont des indications de la
relaxation.
Les dysgnosies des doigts, des positions et des orientations gestuelles.
Les troubles de l'organisation temporelle du geste, associés ou non à des
difficultés de reproduction et d'intégration des structures rythmiques constituent
des indications des thérapies de relaxation.

La cure, en effet, permet à l'enfant de situer son corps, de le rendre présent comme
critère par rapport à quoi les objets s'organisent : la grande importance dans l'expérience
de la cure, de ce qui s'éprouve dans le tonus, et la prégnance à ce sujet des régions
axiales du corps expliquent que la découverte de ce critère central, de ce tremplin à
l'action, soit aussi celle du fondement d'une organisation spatiale du corps dans ses
segments, de l'espace de l'action et de l'espace représenté, en même temps que le point
où s'instaure le mouvement dans son déroulement, dans son commencement.

- Certaines dysharmonies d'évolution présentent de façon caricaturale des tableaux de


grand retard d'intégration du schéma corporel, souvent allant de pair avec une
problématique de l'individuation et des situations affectives très fusionnelles. C'est alors
que la relaxation peut rendre de grands services.

Il en est de même dans les séquelles psychoaffectives des syndromes d'abandonnisme ou


de privation affective de la première enfance, en particulier l'hospitalisme : les techniques
de relaxation constituent ici un élément précieux, visant à restaurer le corps dans ses
afférences cutanées, esthésiques, profondes, toniques.

C'est dans une perspective du même ordre que les thérapies de relaxation sont indiquées
dans la défectologie, véritable réparation de l'image du corps, apport vicariant par les
données esthésiques, toniques et motrices ; cette thérapie est précieuse dans divers
secteurs de la défectologie :

chez les infirmes moteurs cérébraux, à qui elle apporte de plus les effets purement
physiologiques des modifications vasculaires et des sédations de l'hypertonie ;
chez les sourds-muets, où elle permet aussi, souvent, de franchir le cap de
l'articulation rendue impossible par la contraction de tout l'appareil phonateur, tout
en constituant une issue relationnelle des plus décisives chez ces sujets murés et
très instables ;
chez les mal-voyants, chez qui elle supplée au manque d'information sensorielle et
auxquels, surtout, elle apporte une possibilité de modification tonique de
l'oculomotricité, facilitant l'exploration visuelle, et les rééducations orthoptiques
chez les strabiques ou des dysphoriques contractés.

Les effets " organismiques ", auxquels Schultz a attaché une si grande valeur, nous
paraissent constituer un facteur essentiel de réussite dans les indications de la
relaxothérapie.

Pédiatrie psychosomatique

Nous retrouvons des indications assez identiques à celles que l'on signale chez l'adulte ;
mais il nous semble opportun de mettre l'accent particulièrement sur les douleurs
abdominales critiques dont on ne fait pas la preuve de l'organicité, les eczémas de
l'enfance, les céphalalgies et migraines. L'importance accordée, dans les ressorts de la
thérapie de relaxation, au corps vécu, au corps " enveloppe " limitant un dehors et un
intérieur, et au corps lieu de fluctuations toniques liées à une concentration mentale, nous
permet de citer deux indications qui nous paraissent majeures chez l'enfant : troubles de
l'appétit et troubles de la vigilance.

L'anorexie mentale, dans certaines de ses formes, est une indication signalée
depuis le début de la méthode. Il semble que les anorexies accompagnant les
perturbations psychonévrotiques de l'adolescence constituent les cas les plus
positivement influencés. Dans l'obésité, la relaxothérapie constitue un appoint
souvent très important du traitement, permettant un réajustement de la position
vis-à-vis des frustrations, un réinvestissement du corps, objet du regard des
autres, un substitut non négligeable au désir d'obtenir un vécu de remplissage,
une aide esthésique contre le manque.
Dans les troubles de la vigilance, la relaxation, par l'expérience des modifications
toniques qu'elle permet, constitue une indication de choix aussi bien des troubles
de l'endormissement que dans les cas où la fluctuation de la vigilance diurne met
en cause tout l'équilibre tonique du sujet (en particulier certaines pertes de
connaissance avec ou sans phénomènes convulsifs, ou de type " absence réflexe "
chez certains enfants à seuil convulsif bas).
Bibliographie

[1] DURAND DE BOUSINGEN Indications et techniques de relaxation en neuropsychiatrie


infantile. Rev. Neurol. Psychiatrie Infant. 1962 ; 10 : 321-329
[2] MICHAUX L, LELORD , WINTREBET H Une méthode de relaxation chez l'enfant. A criança
portuguesa 1962-1963 ; 21 (spécial) : 231-261
[3] BERGES J. - Indications de la relaxation chez l'enfant. - Groupement français d'Etudes
neuropsychopathologiques infantiles, 18.2.1963.
[4] Perspectives psychiatriques, 1964, no 6 spécial, Paris.
[5] BERGES J., BOUNES M., MATTOS E. - Réflexions sur la relaxation. - Perspectives
Psychiatriques, 1972, no 37.
[6] SICHEL JP, CHEVAUCHE-BALDAUF AE La méthode de relaxation de Schultz dans l'asthme
infantile. Rev. Neurol. Psychiatrie Infant. 1973 ; 21 : 529-541
[7] BERGES J., BOUNES M. - La relaxation thérapeutique chez l'enfant. 1 vol. - Masson, éd.,
Paris, 1974, 208 pp.
[8] Du PASQUIER M.A. - Les gauchers du bon côté, 1 vol. - Hachette, éd., Paris, 1987, pp. 140-
141.

© 1992 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.


¶ 37-208-D-10

Thérapies de relaxation chez l’enfant


N. Thoret-Rebuffé, S. Carrié-Milh, M.-F. Biard, S. Cady, G. Serre, M.-R. Moro

La relaxation est une approche thérapeutique qui agit sur la construction de l’identité dans sa double
dimension : corporelle et psychique. Dans la relation transférentielle avec l’enfant, le thérapeute s’appuie
sur le toucher, la voix et le regard. Les troubles psychomoteurs, les troubles sévères et spécifiques du
langage, les troubles narcissiques (problématiques de séparation/individuation, le défaut d’accès à
l’espace transitionnel), les troubles névrotiques et anxieux, les inhibitions massives, l’échec scolaire et ses
troubles associés, les troubles psychosomatiques et du comportement alimentaire représentent de bonnes
indications. La littérature étrangère montre que la pratique de la relaxation destinée aux enfants est
fréquemment utilisée. Cinq méthodes particulièrement adaptées, à visée psychothérapeutique, sont
proposées dans cet article. La relaxation thérapeutique de J. Bergès induit un état de régression et permet
d’amener l’enfant à vivre, ou à revivre, de manière plus satisfaisante certaines expériences précoces et à
construire ainsi des images internes stables et sécurisantes. La relaxation psychanalytique méthode Sapir,
adaptée aux enfants, de M.-F. Biard, dégage un espace de création entre le thérapeute et l’enfant en
utilisant des médiations comme le jeu ou le dessin. La relaxation psychosomatique de S. Cady tend
essentiellement à comprendre pourquoi l’enfant est tendu ou au contraire hypotendu à travers son
histoire et son rythme corporel. La relaxation activopassive de H. Wintrebert favorise la conscience du
vécu corporel par les mouvements et les tensions/relâchements musculaires. La relaxation
psychomotrice® de G.-B. Soubiran, grâce aux mouvements passifs, est également une thérapeutique de
prise de conscience globale du corps.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Méthodes de relaxation ; Enfant ; Corps ; Régression ; Enveloppe ; Autonomie

Plan ■ Introduction
La relaxation doit être définie comme une approche théra-
¶ Introduction 1
peutique agissant sur le corps propre. Elle intervient au niveau
¶ Spécificité de la relaxation pour enfant 2 du tonus, au carrefour du psychique et du somatique, pour
¶ Indications de la relaxation pour enfants 2 réaliser et faire ressentir l’unité et l’harmonie à la fois de l’esprit
Troubles psychomoteurs 2 et du corps.
Troubles du langage 2 Dès le début du XXe siècle se dégagent, à la même période,
Troubles narcissiques 2 deux grands courants spécifiques des méthodes de relaxation :
Troubles névrotiques 2 d’une part, le courant des méthodes globales à point de départ
Autres indications 2 suggestif, issues de l’hypnose, qui s’appuient sur les travaux de
Troubles psychosomatiques 2 J. H. Schultz et sa technique du training autogène [1], d’autre
part, les méthodes neuromusculaires à point de départ physio-
Troubles du comportement alimentaire 2
logique représentées par la progressive relaxation d’Edmond
Troubles post-traumatiques 2
Jacobson [2].
Troubles prépsychotiques et psychotiques 2
Quelques travaux étrangers montrent que ces deux techni-
Chez l’adolescent 3
ques de relaxation pour adultes ont inspiré des pratiques plus
Contre-indications 3 récentes destinées aux enfants. Ils sont surtout intéressants par
¶ Description des méthodes de relaxation pour enfants 3 rapport aux indications [3-12] mais ne décrivent pas de façon
Relaxation thérapeutique de Jean Bergès 3 détaillée la méthode de référence qui est essentiellement la
Relaxation psychanalytique méthode Sapir, adaptée aux enfants progressive relaxation de Jacobson [2], associée à des techniques
par Marie-France Biard 3 comportementales et cognitives [6, 10, 12-14].
Relaxation psychosomatique de Sylvie Cady 4 La relaxation thérapeutique adaptée aux enfants tient, depuis
Relaxation à base de mouvements passifs dite « activopassive » de plusieurs décennies, une place de plus en plus grande, tant par
Henry Wintrebert 4 son originalité que par sa spécificité. Jean Bergès et Henry
Relaxation psychomotrice® (ISRP) de Gisèle-B. Soubiran 4 Wintrebert en ont été les précurseurs.
Après avoir décrit les spécificités et les indications de la
¶ Conclusion 4 relaxation, nous nous attarderons sur les différentes méthodes
pour enfants : celles à visées psychothérapeutiques avec la

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-208-D-10 ¶ Thérapies de relaxation chez l’enfant

relaxation thérapeutique de J. Bergès [15], la relaxation psycha- Troubles psychomoteurs


nalytique méthode Sapir [16, 17], de M.-F. Biard et la relaxation
psychosomatique de S. Cady [18], puis les thérapeutiques de prise Instabilité psychomotrice
de conscience par le mouvement ou par la contraction/détente Lorsque les limites du corps propre manquent ou lorsque
musculaire : la relaxation activopassive de H. Wintrebert [19] et l’enfant ne peut ressentir son corps comme lui appartenant,
la relaxation psychomotrice® de G.-B. Soubiran [20]. entraînant des troubles du comportement, de l’attention et de
la concentration.
■ Spécificité de la relaxation Troubles tonicoémotionnels
pour enfant Avec d’une part les états de tension interne qui provoquent
tics, tremblements, contractures, paratonies, syncinésies,
La relaxation vise à obtenir le relâchement volontaire des hypervigilance, et, d’autre part, les états de débordement
muscles d’une partie ou de tout le corps ; cette décontraction émotionnel (pâleur, rougeur, respiration irrégulière...) signant
neuromusculaire aboutit au « tonus de repos », base d’une une discontinuité de l’enveloppe corporelle.
détente physique et psychique. Elle agit également sur la
personnalité dans sa totalité. Troubles de la latéralité
Ce type de thérapie permet un réinvestissement corporel Troubles de l’organisation temporelle et spatiale que la
global grâce à l’élaboration des éprouvés corporels et des relaxation va tenter de restaurer par la reconstruction progres-
émotions ressentis lors de la séance. Elle favorise ainsi la sive du schéma corporel.
restructuration du schéma corporel et la perception de l’image
du corps. Troubles praxiques
Selon F. Dolto : le schéma corporel « se structure par Les maladresses, dyspraxies, les troubles graphomoteurs et les
l’apprentissage et l’expérience » et « l’image du corps est à troubles du tonus (hyper- ou hypotonie) pour lesquels la
chaque moment mémoire inconsciente de tout le vécu relation- relaxation favorise l’ajustement du tonus avec le geste.
nel, et, en même temps, elle est actuelle, vivante, en situation
dynamique, à la fois narcissique et inter-relationnelle [...] » [21]. Troubles du langage
En relaxation, la voix, le toucher, le regard, le corps du Le bégaiement, le retard de parole et de langage, le mutisme,
thérapeute sont engagés dans la relation à l’autre. les troubles spécifiques du langage oral (dysphasie) et les
La voix sous-tend l’ensemble de la séance. Le thérapeute difficultés d’accès au langage écrit [26].
induit le calme et la détente en proposant des images, des
inductions qui constituent un holding sonore [21], écho du bain Troubles narcissiques
de langage du début de la vie du bébé.
Il touche, mobilise le corps de l’enfant. La régression que • Les problématiques de séparation, d’individuation, le défaut
cette situation implique, renvoie l’enfant à son corps de bébé, d’accès à l’espace transitionnel [26].
aux modalités d’interactions gestuelles et aux expériences • Les carences précoces ou les difficultés d’accordage.
précoces liées aux soins maternels [22], mais aussi au corps de • Les failles narcissiques et de l’estime de soi.
l’enfant dans l’ici et maintenant, au corps réel. Le toucher est
essentiel car il permet la localisation progressive des différentes Troubles névrotiques
parties du corps (les membres, le tronc, le visage) jusqu’à Certains états d’inhibition massive ne peuvent être abordés
donner corps au corps dans son repérage spatial, sa cartogra- que par la relaxation. Les phobies, certaines formes infantiles de
phie. Les parties du corps ainsi nommées, touchées, reconnues la névrose d’hystérie de conversion sont des indications de
par le thérapeute, prennent sens pour l’enfant. Le corps est ainsi choix. Les troubles du sommeil, l’énurésie, la trichotillomanie,
perçu avec un dedans et un dehors différenciés dans les limites l’onychophagie.
de son enveloppe corporelle [23]. Les difficultés scolaires peuvent être incluses dans cette
Au cours du processus thérapeutique, l’histoire du corps de catégorie de troubles.
l’enfant prend forme, lui permettant une restauration narcissi-
que et l’accès à des expériences étayantes et non anxiogènes. Autres indications
Au début de la prise en charge, l’enfant est dans une dépen-
Les états anxieux, les états dépressifs.
dance, un abandon au thérapeute qui se tient près de lui,
multiplie les interventions verbales et gestuelles. Peu à peu, il
conquiert son autonomie grâce à un sevrage progressif des
Troubles psychosomatiques
inductions et mobilisations, jusqu’à aboutir au sentiment Les vomissements, le reflux gastro-œsophagien, les troubles
d’exister dans une continuité spatiale et temporelle. gastro-intestinaux, les allergies, l’asthme, l’eczéma...
Les inductions, le toucher et les mobilisations ne sont pas La relaxation est bien indiquée aussi pour le traitement de la
préétablis, ils sont adaptés au rythme et aux besoins de chaque douleur chronique : céphalées, migraines, douleurs abdominales
enfant, à ce que ressent le thérapeute dans la relation notamment.
transféro-contre-transférentielle.
Par sa présence constante et son engagement corporel, le Troubles du comportement alimentaire
thérapeute peut être perçu comme gratifiant ou persécutif L’anorexie et la boulimie sont de bonnes indications dans la
lorsqu’il s’approche, frustrant lorsqu’il s’éloigne si l’angoisse mesure où il est question dans la relaxation du corps enveloppe,
d’abandon est toujours à l’œuvre, ou bien structurant lorsque frontière entre le dedans et le dehors [23] . Dans le cas de
l’enfant accède peu à peu à l’autonomie. l’obésité, la restauration narcissique et le réinvestissement du
Celui-ci peut ainsi, dans le cadre contenant et sécurisant corps en relaxation, représentent une aide non négligeable.
proposé par la relaxation, tendre vers l’individuation, vers la Dans ce type de problématiques, la relaxation est particulière-
reconnaissance de son corps. ment bien indiquée pour les adolescents, avec certaines précau-
Le lâcher-prise devient possible, la pulsion d’agrippement [24] tions cependant car le toucher et les mobilisations s’avèrent
cède et l’enfant peut se séparer du corps de la mère dans le parfois insupportables pour le patient.
transfert.
Troubles post-traumatiques
■ Indications de la relaxation Dans ces cas la relaxation permet la restauration de l’image
du corps, la reconnaissance et la réappropriation de cette image.
pour enfants
Le thérapeute utilise la ou les méthodes qu’il maîtrise et celle Troubles prépsychotiques et psychotiques
qui lui paraît la plus appropriée à la structure psychique [25] de Des prises en charge individuelles ou en groupe [11] sont
l’enfant en l’adaptant si besoin. menées avec la prudence et l’expérience nécessaires du clinicien

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Thérapies de relaxation chez l’enfant ¶ 37-208-D-10

pour des enfants présentant ce type de problématique. Elles au fond et tu te représentes ton bras complètement
tendent à « aider à la construction ou à la reconstruction d’une tranquille en train de s’enfoncer calmement » [15] ;
enveloppe, d’un ‘‘Moi peau’’, comme dit Anzieu, chez ces C la reprise où l’enfant prend conscience du retour à la
enfants éclatés et souvent sans langage verbal. » [17] contraction musculaire, à l’état habituel.
Pour se prémunir contre le risque d’éventuelles réactivations Dès la fin de la première séance, l’enfant est invité à s’entraî-
d’angoisses archaïques induites par la situation de relaxation ner tout seul chez lui car la relaxation lui appartient et per-
(corps non unifié, trop grande proximité avec le clinicien, sonne ne peut la faire à sa place.
position allongée seul sur son tapis), le clinicien doit se montrer
très vigilant et prendre beaucoup de précautions dans la manière Progression
de faire. Il doit avancer pas à pas et adapter une méthode à Le nombre de séances par palier est variable, il dépend du
chaque enfant. Il peut le cas échéant, travailler d’emblée à partir rythme de l’enfant.
de la globalité du corps qu’il mobilisera seulement après plusieurs
séances, l’enfant s’allongeant s’il le désire. Premier palier (dix-douze séances)
Dans ces cas délicats, une coopération très étroite entre les Il concerne les membres supérieurs, les membres inférieurs,
intervenants est indispensable. les muscles fessiers, le dos, les épaules, le cou, la nuque, la
mâchoire pour en arriver à la généralisation, palier essentiel
Chez l’adolescent (quatre-cinq séances), où le corps est appréhendé comme un
tout unifié, solide, fort et pesant.
La relaxation s’avère particulièrement précieuse devant les
difficultés de communication, l’inhibition verbale, les problé- Deuxième palier (quatre-cinq séances)
matiques identitaires et identificatoires. Certains états d’angoisse On passe de l’enveloppe externe à l’intérieur du corps avec le
aiguë, exacerbés par une relation duelle, peuvent être abordés rythme respiratoire, rendant possible la représentation d’un
en groupe avec succès, mais toujours par un thérapeute expéri- dehors et d’un dedans.
menté et avec les précautions qui s’imposent. Troisième palier (quatre-cinq séances)
L’élaboration d’une représentation corporelle avec des espaces
Contre-indications différenciés permet l’introduction de la sensation de chaleur
Il existe peu de contre-indications à la relaxation : l’âge autour du plexus solaire.
(l’enfant trop jeune ne peut comprendre le sens de la méthode) Quatrième palier
ou la déficience mentale en sont les principales.
La cure se termine avec le visage, les yeux, le front, d’où l’on
peut observer à distance, agir, projeter. Le contraste est alors
■ Description des méthodes proposé entre le corps calme, lourd et chaud et la fraîcheur du
front. La dernière induction sera : « J’ai la tête libre ».
de relaxation pour enfants
Quelle que soit la méthode utilisée, un ou deux entretiens
Relaxation psychanalytique méthode
préalables avec l’enfant et ses parents sont nécessaires pour Sapir [16], adaptée aux enfants
déterminer le bien-fondé de l’indication, expliquer la technique par Marie-France Biard [17]
puis, construire un début d’alliance thérapeutique. Ensuite, les
La relaxation psychanalytique pour les enfants est une
séances sont hebdomadaires voire plus fréquentes si besoin.
adaptation de la méthode pour adultes créée par Michel
Sapir [16] . Après un premier temps centré sur le corps, les
Relaxation thérapeutique de Jean Bergès [15] relaxateurs écoutent le patient ou le groupe de patients. Cette
C’est une méthode spécialement adaptée aux enfants élaborée écoute prend acte du champ transférentiel ainsi engagé dans ce
par Jean Bergès et Marika Bounes [15] à partir des travaux de travail. La relaxation noue alors des liens profonds avec la
Schultz [1] . Elle s’adresse à des enfants de 5 à 11 ans, soit psychanalyse [28].
individuellement, soit en groupe mixte de cinq ou six La relaxation psychanalytique pour les enfants se situe dans
enfants [27], chaque enfant gardant le même thérapeute tout au un cadre psychanalytique, elle peut initier une cure, ou en
long de la prise en charge. Les séances sont hebdomadaires. constituer un moment.
Elles durent quelques minutes au début puis 15 à 20 minutes Elle est un praticable privilégié associé à d’autres médiations
lorsque l’enfant commence à comprendre et à acquérir la telles que la parole, le dessin et le jeu.
technique. Le dispositif mis au point comprend deux temps :
L’entretien initial, moment très important, vise à expliquer à • un premier temps directement inspiré de la méthode Ber-
l’enfant que la relaxation va lui permettre de trouver de gès [15] où l’enfant est engagé à se relaxer en choisissant une
nouvelles réponses à ses émotions et l’aider à bien se connaître image de calme qui lui est personnelle. Ce premier temps
en découvrant son corps, en s’en faisant un allié solide et fort. favorise la régression [29] en mettant l’accent sur la sensation,
le corps : mieux le connaître, l’identifier, le reconnaître
Déroulement d’une séance comme sien ;
Chaque séance va se dérouler selon un schéma invariable : • puis vient un deuxième temps, avec les moyens d’expression
• le moment d’échange entre le thérapeute et l’enfant ou le spécifiques à cet âge comme le dessin, le modelage, la parole,
groupe d’enfants ; voire le jeu [21, 30] où, comme dans la méthode Sapir pour
• la séance de relaxation proprement dite, où chaque enfant adultes [16], l’enfant est invité à évoquer ce qu’il a ressenti
s’installe sur un tapis, est divisée en trois temps : dans son corps, les sensations ou leur absence, la détente, sa
C la phase de concentration sur une image de calme, qui lui qualité ou sa difficulté, les souvenirs qui lui viennent après ce
est personnelle, soutenue par une représentation (un moment de détente. Ce deuxième temps favorise le déploie-
paysage, une couleur, un souvenir...) ; ment imaginaire, mais sur un mode actif pour l’enfant : c’est
C la phase de décontraction musculaire avec : lui qui parle, qui s’exprime après l’abandon parfois difficile de
- repérage somatognosique de la partie du corps concer- ses pulsions motrices. Plus inspiré de la cure analytique, il
permet l’élaboration de ce qui est remis en chantier à travers
née ;
cette médiation corporelle.
- induction de l’idée de décontraction accompagnée de la
La relaxation psychanalytique dégage un espace de régression
représentation de ces qualités : « le bras est calme, et un espace de création entre le thérapeute et l’enfant. Elle
détendu, souple comme un tissu épais » [15] ; constitue ce que Winnicott appelle un « espace potentiel de
- mobilisation de cette partie avec induction de la sensa- création » [30].
tion de souplesse, de poids, associée là encore à une Ainsi, la relaxation associée à la parole et au dessin esquisse
représentation : « le bras est calme, souple, il prend du un espace riche et spécifique où l’enfant peut aller et venir dans
poids, il prend de l’importance, il descend lourdement des temps psychiques différents au sein du même espace, cet

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-208-D-10 ¶ Thérapies de relaxation chez l’enfant

« espace transitionnel » [30] qui fait parfois défaut aux jeunes Première phase
patients présentant des troubles précoces. La première phase dite de « régulation du tonus par les
La façon dont l’enfant utilise et associe les différents registres, mouvements passifs » [19]. Le thérapeute mobilise progressive-
les différents médiums, est singulière et renvoie à la construc- ment les différentes parties du corps de l’enfant dans un ordre
tion de la relation d’objet [31]. L’usage et l’interprétation des précis : les mouvements passifs du membre supérieur dominant
inductions faites par l’enfant mettent en scène sa problémati- (main, avant-bras, bras, épaule), de la tête (nuque et visage), de
que, éclairent la structure du sujet [32]. l’autre membre supérieur pour terminer avec les membres
Ce praticable original que constitue la relaxation instruit un inférieurs (pied, genou, hanche). Ces mouvements vont être
lieu thérapeutique singulier où, dans un cadre structuré autour répétés lentement à plusieurs reprises, selon la cadence d’une
.
du corps, la dimension du jeu et la créativité de chaque enfant demi-seconde à 4 secondes en fonction de la zone mobilisée
peuvent s’exprimer dans la construction d’un processus jusqu’à l’obtention de la détente du membre, c’est-à-dire, sans
identitaire. résistance ou sans aide active de la part de l’enfant. Pour
l’auteur « la monotonie constitue un facteur favorable à la
relaxation » [19]. La détente est aussi induite et appréciée par le
Relaxation psychosomatique ressenti du thérapeute à travers le dialogue tonique [33].
de Sylvie Cady [18]
Temps intermédiaire de repos
La relaxation psychosomatique est une nouvelle forme de
psychothérapie qui s’adresse individuellement à des enfants âgés Il permet de prolonger l’état de relaxation sur plusieurs
d’au moins 7-8 ans. minutes. Ce temps d’immobilité est soutenu par l’association
La relaxation n’est pas la recherche de la détente mais c’est d’un toucher bref et d’une induction de détente sur la partie du
d’abord comprendre pourquoi l’enfant est tendu ou parfois corps concernée : « pense à ta main qui est détendue, à ton
hypotendu. L’état de la relaxation est un but à atteindre à un avant-bras... », ceci afin de favoriser chez l’enfant l’intégration
moment de la relation thérapeutique. de son schéma corporel. Progressivement, ces stimuli tactiles
sont abandonnés pour développer chez l’enfant la pratique
La technique, en fonctionnant en tant qu’équivalent d’inter-
autonome de cette technique quelques minutes le matin et le
prétation, peut aider par exemple le passage du corps à une
soir.
structure effective plus représentative sur le plan symbolique.
Par ailleurs, ce qui est fondamental, c’est la place importante Deuxième phase
donnée au phénomène de projection. Relationnellement, cette
La deuxième phase de « réadaptation des mouvements et
dynamique se met en acte dans une situation où l’autre
attitudes » [19], consiste en la reproduction active des mouve-
fonctionne en tant que double de soi. Dans ce mouvement qui ments précédents, dans le même ordre, où l’enfant doit laisser
vient du sujet et va s’organiser vers le thérapeute, il y aura, chuter lourdement les parties du corps sollicitées afin de
grâce à la projection, une possibilité représentative du corps. Le ressentir par lui-même les sensations de tension/relâchement
sujet y est créateur d’une dynamique, le thérapeute surface musculaires. Il peut aussi réaliser « des attitudes corporelles » [19]
projective. dont les mouvements sont calqués sur le rythme de la respira-
Dans cette technique de relaxation, il n’y a pas d’induction à tion. Elles permettent de passer de la position allongée à la
part le premier mouvement, qui est donné par le thérapeute, et position verticale, de conserver la détente acquise et de faire le
qui tient compte de l’histoire de l’enfant et de sa structuration lien entre les mouvements volontaires de la vie quotidienne et
personnelle. Dès la deuxième séance, le vécu corporel du patient l’état de relaxation.
est inclus dans l’élaboration du mouvement, qui est créé par
l’ensemble. Il tient compte de ce qui a été verbalisé dans la Relaxation psychomotrice® (ISRP 1 )
relation de la séance elle-même. Si la création personnelle du
patient n’est pas encore possible, on y introduit la possibilité de de Gisèle-B. Soubiran [20]
choix entre deux exercices. Le mouvement n’est pas figé ; le Méthode issue des travaux de G.-B. Soubiran avec J. de
modifier et l’adapter à soi est aussi une possibilité. Ajuriaguerra, la relaxation psychomotrice® est proposée après
Le rythme corporel est une autre donnée essentielle de cette un bilan psychomoteur évaluant les défenses toniques de
technique. La problématique du rythme corporel, en relaxation l’enfant.
psychosomatique, consiste en une rythmicité tension-détente Elle est une technique de relaxation non inductive où l’on
qui s’inclut dans une relation à l’autre. Ceci se dynamise dans effectue des mobilisations passives sur l’enfant, en individuel ou
d’autres rythmicités comme celle du sommeil. D’une manière en groupe, dans un ordre spécifique mais adapté à chacun afin
générale, pour les enfants insomniaques, le rythme corporel de parvenir à une détente globale à chaque séance [34].
fonctionne autour d’une bipolarité contraction-détente, dans Ce temps de relaxation est toujours suivi d’une verbalisation
une activité d’expulsion qui donne l’impression que leur corps des ressentis corporels de l’enfant ou parfois d’un temps
ne leur appartient pas totalement. De ce fait, ils ne peuvent dire d’expression par le biais de médiateurs tels que le dessin, le
s’ils sont tendus ou détendus. modelage, les arts plastiques... Ces médiateurs associés à la
L’image du corps peut être structurée à partir du visuel réel, relaxation, agissent sur les troubles psychomoteurs et favorisent,
ou dans d’autres cas, être également enrichie par l’impact de par la prise de conscience du corps, une meilleure intégration
l’imaginaire. Aussi, une thérapie qui s’intéresse au corps doit- du schéma corporel. Ils terminent la séance de psychomotricité.
Notons que cette méthode est complètement adaptée au
elle tenir compte de ces deux structurations. Dans tous les cas,
patient et très souple par rapport à la position qu’il doit prendre
le relationnel et la potentialité imaginative sont deux facteurs
pour effectuer sa séance (allongé, assis, debout), la position
.
déterminants de la structuration de l’image corporelle. La
allongée pouvant s’avérer anxiogène pour certains enfants.
relation est ce qui permet le lien entre l’imaginaire et la
construction de l’image du corps.
■ Conclusion
Relaxation à base de mouvements passifs La relaxation, quelle qu’en soit l’approche théorique est une
dite « activopassive » thérapie à part entière qui engage le corps du thérapeute dans
de Henry Wintrebert [19] la relation. Elle doit être dispensée avec prudence par des
professionnels formés et expérimentés (psychologues, psycho-
Cette méthode fut conçue pour les très jeunes enfants à partir motriciens, psychanalystes, psychiatres...). Certaines méthodes
de 5 ans. Les séances sont hebdomadaires ou plus rapprochées, ont recours à des médiations (jeu, modelage, dessin...), certaines
individuelles ou en groupe. Elles s’effectuent en décubitus dorsal ont une orientation plus psychanalytique mais elles ont toutes
les yeux fermés et durent environ 30 à 40 minutes. Chaque
séance se divise invariablement en deux phases séparées d’un
1
temps intermédiaire. Institut Supérieur de Rééducation Psychomotrice.

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Thérapies de relaxation chez l’enfant ¶ 37-208-D-10

en commun d’être axées sur l’enveloppe corporelle et les [12] Merlijn VP, Hunfeld JA, van der Wouden JC, Hazebroek-
sensations internes, sur la réappropriation d’un corps solide, Kampschreur AA, van Suijlekom-Smit LW, et al. A cognitive-
unifié, en harmonie avec l’enfant, son histoire et son dévelop- behavioural program for adolescents with chronic pain-a pilot study.
pement psychoaffectif. Patient Educ Couns 2005;59:126-34.
Dans l’état de régression et de vulnérabilité induit par la [13] Hobbie C. Relaxation techniques for children and young people.
relaxation, l’enfant s’appuie sur le thérapeute. Celui-ci aide J Pediatr Health Care 1989;3:83-7.
l’enfant à réguler ses ressentis corporels, ses angoisses et [14] Kohen DP, Olness K, Colwell S, Heimel A. The use of relaxation-
mental imagery (self-hypnosis) in the management of 505 pediatric
l’accompagne ainsi dans un processus d’autonomisation. Par les
behavioral encounters. J Dev Behav Pediatr 1984;1:21-5.
inductions, le toucher, les mobilisations, le thérapeute va
[15] Bergès J, Bounes M. La relaxation thérapeutique chez l’enfant (1974).
s’adapter aux besoins de l’enfant et tenter d’y répondre. Dans Paris: Masson; 1990.
le transfert et la régression, le processus de différenciation [16] Sapir M. La relaxation à induction variable. Grenoble: La Pensée
corporelle et psychique s’amorce grâce à l’intériorisation de Sauvage; 1993.
bons objets. L’espace intermédiaire ainsi créé donne à l’enfant [17] Meyer M, Londiche M, Dreyfus M. Ouvrage collectif de l’AREFFS :
l’accès au tiers, à l’autre. L’enfant conquiert son autonomie et entre mots et toucher. Le corps en transfert. Relaxation psychanalytique
peut alors affronter la réalité externe, advenir en tant que sujet méthode Sapir. Paris: La Pensée Sauvage; 2005.
en s’appuyant sur une enveloppe corporelle solide et [18] Cady S. La psychothérapie de la relaxation, une approche
sécurisante. psychosomatique. Paris: Dunod; 1998.
.
[19] Wintrebert H. La relaxation de l’enfant. Paris: L’Harmattan; 2003.
[20] Soubiran GB, Coste JC. Psychomotricité et relaxation
■ Références psychosomatique. Paris: Doin; 1975.
[21] Dolto F. L’image inconsciente du corps. Paris: Seuil; 1984.
[1] Schultz JH. Le training autogène : méthode de relaxation par auto- [22] Winnicott DW. De la pédiatrie à la psychanalyse (1958). Paris: Payot;
décontraction concentrative : essai pratique et clinique (1958). Paris: 1989.
PUF; 1987. [23] Anzieu D. Le Moi-peau (1985). Paris: Dunod; 1990.
[2] Jacobson E. Progressive relaxation. Chicago: Chicago University [24] Bowlby J. Attachement et perte. Vol.1, L’Attachement (1969). Paris:
Press; 1929. PUF; 1978.
[3] Raymer R, Poppen R. Behavioral relaxation training with hyperactive [25] Lemaire JG. La relaxation (1964). Paris: Payot; 1991.
children. J Behav Ther Exp Psychiatry 1985;16:309-16. [26] Broder G. Communication « Retard d’acquisition du langage oral et
[4] Weil G, Goldfried MR. Treatment of insomnia in an eleven-year-old trouble de la séparation ». Brest: SFPEDA; juin 2006.
child through self-relaxation. Behav Ther 1973;4:282-4. [27] Thoret N, Carrié S, Pradère J, Serre G, Moro MR. Penser et panser le
[5] Annequin D, Tourniaire B. Migraine et céphalées de l’enfant et de corps : à propos d’un groupe de relaxation thérapeutique pour enfants.
l’adolescent. Arch Pediatr 2005;12:624-9. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 2006;54:284-8.
[6] Richter IL, McGrath PJ, Humphreys PJ, Goodman JT, Firestone P, [28] Freud S, Breuer J. Études sur l’hystérie (1956). Paris: PUF; 2002.
Keene D. Cognitive and relaxation treatment of paediatric migraine. [29] Freud S. Trois essais sur la Théorie sexuelle. Paris: Gallimard; 1985.
Pain 1986;25:195-203. [30] Winnicott DW. Jeu et réalité. L’espace potentiel (1971). Paris:
[7] Waranch HR, Keenan DM. Behavioral treatment of children with Gallimard; 2002.
recurrent headaches. J Behav Ther Exp Psychiatry 1985;16:31-8. [31] Lacan J. La relation d’objet. Paris: Seuil; 1994.
[8] Kawahara H, Dent J, Davidson G, Okada A. Relationship between [32] Lacan J. Écrits. Paris: Seuil; 1966.
straining, transient lower esophageal sphincter relaxation, and [33] Stoleru S, Lebovici S. L’interaction parent-nourrisson. In: Lebovici S,
gastroesophageal reflux in children. Am J Gastroenterol 2001;96: Diatkine R, Soulé M, editors. Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant
2019-25. et de l’adolescent (1985); Tome 1. Paris: PUF; 1995. p. 319-39.
[9] Vazquez MI, Buceta JM. Effectiveness of self-management program- [34] Saint-Cast A. Qu’est-ce qui excite les enfants instables? Enfances Psy
mes and relaxation training in the treatment of bronchial asthma: 2001;14:93-9.
relationships with trait anxiety and emotional attack triggers.
J Psychosom Res 1993;37:71-81.
[10] Alexander AB. Systematic relaxation and flow rates in asthmatic Pour en savoir plus
children: relationship to emotional precipitants and anxiety.
J Psychosom Res 1972;16:405-10. Freud S. Essais de psychanalyse (1936). Paris: Payot; 1981.
[11] Graziano AM, Kean JE. Programmed relaxation and reciprocal inhibi- Freud S. La vie sexuelle (1969). Paris: PUF; 1999.
tion with psychotic children. Behav Res Ther 1968;6:433-7. Freud S. Métapsychologie (1952). Paris: PUF; 1968.

N. Thoret-Rebuffé, Psychologue clinicienne (nicolethoret@wanadoo.fr).


S. Carrié-Milh, Psychomotricienne.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et psychiatrie générale, Hôpital Avicenne (AP-HP), 129, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex,
France.
M.-F. Biard, Psychologue clinicienne.
S. Cady, Psychanalyste psychosomaticienne.
Centre international de psychosomatique, 56, avenue Mozart, 75016 Paris, France.
G. Serre, Psychiatre d’enfants et d’adolescents, praticien hospitalier, responsable du Centre du Langage.
M.-R. Moro, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, chef de service.
Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent et psychiatrie générale, Hôpital Avicenne (AP-HP), 129, rue de Stalingrad, 93009 Bobigny cedex,
France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Thoret-Rebuffé N., Carrié-Milh S., Biard M.-F., Cady S., Serre G., Moro M.-R. Thérapies de relaxation chez
l’enfant. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-208-D-10, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
¶ 37-208-A-48

Troubles des conduites chez l’enfant


et problème du dépistage
J.-L. Goëb, R. Jardri, F. Bonelli, C. Butez, L. Hagnéré, G. Kechid, V. Lemaitre,
A.-Y. Lenfant, F. Medjkane, P. Delion

Les troubles du comportement des enfants et des adolescents ont toujours été l’objet d’intenses
préoccupations pluridisciplinaires avec des tentatives de compréhension et de prises en charge très
diverses, selon les époques et les cultures. Le terme « trouble des conduites » renvoie à diverses
compilations de symptômes comportementaux facilement identifiables proposées par des classifications
destinées à la recherche clinique. Des soucis tout à fait légitimes de prévention de la délinquance risquent
cependant de faire un amalgame trop simple, causal et déterministe entre souffrance psychique précoce
et délinquance juvénile. Or, la pratique montre à quel point les situations sont complexes et individuelles
et mêlent les différents aspects psychiques, sociaux, éducatifs et judiciaires qui doivent être pris en charge
de façon distincte et bien repérée par des acteurs dont le partenariat est essentiel à la santé des sujets.
© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Délinquance ; Psychopathologie ; Repérage précoce ; Trouble des conduites

Plan ■ Introduction
¶ Introduction 1 Le trouble des conduites est une entité clinique issue des
¶ Historique 2
classifications internationales qui a donné lieu, lors de la
publication en septembre 2005 du rapport d’expertise collectif
¶ Définitions internationales 2 Inserm [1] qui lui était consacré, à une polémique utile à
Classification internationale des maladies (CIM 10) l’ensemble de la communauté des personnes concernées par
de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 2 ce problème. Que ce soit les scientifiques qui avaient rédigé
Classification de l’American Psychiatric Association : Diagnostic le rapport dans une optique centrée sur la revue de la
and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) IV-R 3 littérature internationale, et qui avaient eu l’imprudence d’en
Classification française des troubles mentaux de l’enfant déduire un certain nombre de propositions éloignées de la
et de l’adolescent (CFTMEA) 3 réalité du terrain et prêtant à des critiques à la fois « éthi-
Classification « Zero to three » 3 ques » et « épistémologiques », que ce soit les praticiens de la
¶ Clinique 3 petite enfance qui avaient une conception de la santé publi-
Différence selon l’âge de début des troubles 4 que ouverte sur des modifications attendues d’une véritable
Différence selon le sexe 4 politique de prévention au rebours d’un dépistage prédictif,
¶ Données épidémiologiques actuelles 4 que ce soit enfin les nombreux professionnels engagés dans
¶ Données neurologiques 4 les prises en charge multiples et différenciées d’enfants
présentant un trouble des conduites, tous ont réalisé lors de
¶ Aspects neuro- et psychodéveloppementaux 5
la rencontre du 14 novembre 2006 à Paris, que les points de
¶ Comorbidités 6 vue présentés jusqu’alors comme exclusifs les uns des autres
¶ Facteurs périnatals, expériences précoces 6 devaient absolument converger dans un effort d’articulation
¶ Aspects psychopathologiques 7 et de synthèse visant à prendre en compte tous les paramètres
Freud : du principe de plaisir au principe de réalité, de la pulsion aujourd’hui retenus dans l’approche complexe de ce problème
de mort à la pulsion de vie... 7 grave du développement de l’enfant. Et ce n’est pas un des
Mélanie Klein et les post-kleiniens 8 moindres mérites du collectif « Pas de zéro de conduite pour
La question des enveloppes corporopsychiques : Bick, Anzieu 8 les enfants de trois ans » d’avoir obtenu l’organisation d’un
Winnicott : la mère-environnement suffisamment bonne au risque tel débat, à condition qu’on veuille bien accorder à ce terme
d’un développement en faux-self 9 tout ce qu’il contient de constructif dans l’édification d’une
pensée plurielle et en même temps spécifique à un tel
¶ Dépistage, prévention et travail avec les partenaires 9
problème sociétal. Les conclusions provisoires de ces travaux
¶ Prises en charge 11 et les perspectives énoncées par J.-M. Danion [2] et par J.-C.
Traitements psychothérapiques 11 Ameisen [3], président du Comité d’éthique de l’Inserm, vont
Traitements pharmacologiques 11 dans le sens de soumettre de telles recherches à des condi-
Hospitalisation 11 tions de possibilité qui en garantissent désormais la qualité.
¶ Conclusion 12 C’est dans ce sens que nous allons passer successivement en
revue les différents éléments que nous avons rassemblés à cet

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

effet et qui permettront au lecteur de se faire une opinion sur Tableau 1.


cette question d’actualité. Mais qu’on ne se méprenne pas : si Symptômes du trouble des conduites selon la classification internationale
le trouble des conduites révèle un problème d’une extrême des maladies (CIM 10).
importance et qu’il s’agit bien de prendre en compte, sa 1. A des accès de colère anormalement fréquents et violents,
réduction à une collection de signes sans liens avec une compte tenu du niveau de développement
psychopathologie qui les sous-tend serait illusoire et de nature 2. Discute souvent ce que lui disent les adultes
à brouiller la complexité de son approche par l’apparente
3. S’oppose souvent activement aux demandes des adultes ou désobéit
simplicité de sa caricature.
4. Fait souvent, apparemment de façon délibérée, des choses
qui contrarient les autres
5. Accuse souvent autrui d’être responsable de ses fautes
■ Historique ou de sa mauvaise conduite
6. Est souvent susceptible ou contrarié par les autres
Chez l’enfant, le trouble des conduites s’est d’abord appelé
7. Est souvent fâché ou rancunier
trouble du comportement. Définir et soigner les troubles du
8. Est souvent méchant ou vindicatif
comportement de l’enfant sont depuis longtemps des sujets
délicats où l’on oscille entre inné et acquis, entre soin et 9. Ment souvent ou ne tient pas ses promesses, pour obtenir des objets
ou des faveurs ou pour éviter des obligations
punition, entre psychiatrie et justice... Les tentatives de
compréhension se sont succédé, et les auteurs européens des 10. Commence souvent les bagarres (ne pas tenir compte des bagarres
e e
XIX et XX siècle ont tôt insisté sur une anomalie congéni-
entre frères et sœurs)
tale : la « manie sans délire » de Pinel [4], la « monomanie 11. A utilisé une arme qui peut sérieusement blesser autrui (par exemple
instinctive ou impulsive » d’Esquirol [5], le « criminel-né » de un bâton, une brique, une bouteille cassée, un couteau, une arme à feu)
Lombroso [6], et la « folie des instincts » de Maudsley [7]. Dans 12. Reste souvent dehors après la tombée du jour, malgré l’interdiction
le même courant d’idées constitutionnalistes, des auteurs de ses parents (dès l’âge de 13 ans ou avant)
français ont décrit le « pervers constitutionnel » (Magnan, 13. A été physiquement cruel envers des personnes (par exemple ligote,
Legrain, Dupré...) ou la personnalité psychopathique. Les coupe, ou brûle sa victime)
psychanalystes se sont finalement opposés à ces théories 14. A été physiquement cruel envers les animaux
en invoquant le rôle de l’environnement dans la genèse 15. A délibérément détruit les biens d’autrui (autrement qu’en y mettant
des troubles [8] . Michaux [9] , lui, a développé le concept le feu)
d’ « enfant pervers » avec lequel il soulève la question des 16. A délibérément mis le feu pouvant provoquer, ou pour provoquer
facteurs étiologiques et celle de la réponse possible face à ces des dégâts importants
troubles : sanction ou éducation ? Dans les années 1970 à 17. Vole des objets d’une certaine valeur, sans affronter la victime,
1990, les ouvrages français abordent les symptômes des à la maison ou ailleurs qu’à la maison (par exemple vol à l’étalage,
troubles des conduites de manière transversale, mais une cambriolage, contrefaçon de documents)
entité se dégage : la personnalité psychopathique. Celle-ci est 18. Fait souvent l’école buissonnière, dès l’âge de 13 ans
assez controversée, notamment par De Ajuriaguerra [10] qui ou avant
qualifie ce terme de peu précis, péjoratif, et utilisé comme 19. A fugué au moins à deux reprises ou au moins une fois sans retour
jugement plutôt que comme diagnostic. le lendemain, alors qu’il vivait avec ses parents ou dans un placement
familial (ne pas tenir compte des fugues ayant pour but d’éviter
des sévices physiques ou sexuels)

■ Définitions internationales 20. A commis un délit en affrontant la victime (par exemple vol
de porte-monnaie, extorsion d’argent, vol à main armée)
Le trouble des conduites s’exprime chez l’enfant et l’adoles- 21. A contraint quelqu’un à avoir une activité sexuelle
cent par une palette de comportements assez vaste allant des 22. Malmène souvent d’autres personnes (c’est-à-dire les blesse
crises de colère et de désobéissance répétées de l’enfant difficile ou les fait souffrir, par exemple en les intimidant, en les tourmentant
aux agressions graves perpétrées par l’adolescent comme les ou en les molestant)
coups, les blessures et le viol. Le concept de « trouble » renvoie 23. Est entré par effraction dans la maison, l’immeuble, ou la voiture
« à un ensemble de conditions morbides susceptibles de carac- d’autrui
tériser l’état de dysfonctionnement comportemental, relationnel
et psychologique d’un individu en référence aux normes
attendues pour son âge » [1].
Classification internationale des maladies
Ces comportements sont reconnus en tant que trouble (CIM 10) de l’Organisation mondiale
lorsqu’ils deviennent bruyants et dérangeants pour l’individu de la santé (OMS) [13]
lui-même, et plus encore pour son entourage. Différentes La catégorie F91 définit le trouble des conduites comme « un
classifications ont tenté de définir ce trouble, et il semble que ensemble de conduites répétitives et persistantes dans lesquelles
le point commun en soit la notion de transgression répétée sont bafoués soit les droits fondamentaux des autres, soit les
des règles sociales. Les classifications internationales détaillent normes ou les règles sociales correspondant à l’âge de l’enfant ».
avec précision les différents symptômes du trouble des Les symptômes détaillés dans une liste exhaustive (Tableau 1)
conduites de l’enfant, en dehors de toutes conceptions doivent évoluer depuis au moins 6 mois. Il est recommandé de
psychopathologiques, juridiques ou morales, mais sans spécifier l’âge de début avant ou après 10 ans et de distinguer
préciser de différences symptomatologiques entre l’enfant et les conséquences du trouble des conduites sur la socialisation de
l’adolescent. Cette nuance n’est d’ailleurs pas sans poser de l’enfant.
problèmes pour les pédopsychiatres, car dans l’introduction Ainsi est faite la différence entre les divers types de troubles
de l’ouvrage de référence de présentation de cette classifica- des conduites :
tion américaine, il est écrit que « proposer une section à part • type socialisé/mal socialisé selon la présence ou l’absence de
pour les troubles dont le diagnostic est habituellement porté relations amicales durables dans le même groupe d’âge ;
dès la première enfance, la deuxième enfance ou l’adoles- • type limité au milieu familial dans lequel les troubles ne
cence, est un exercice de pure forme et n’est pas censé suggérer s’expriment pas en dehors du milieu de vie familial ;
qu’il existe une distinction claire entre les troubles de l’enfant • le trouble oppositionnel avec provocation (TOP) : entité créée
et les troubles de l’adulte » [11], ce que contestent vivement les par la CIM 10 au sein du trouble des conduites et caractérisée
praticiens de la petite enfance. Des recherches sont encore en par quatre symptômes ou plus parmi la liste, mais pas plus de
cours pour préciser les associations pertinentes d’items pour deux parmi les symptômes numérotés de 9 à 23 (c’est-à-dire
mieux décrire les tableaux cliniques rencontrés [12]. les conduites sanctionnées par la loi).

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

Tableau 2. Classification française des troubles


Critères diagnostiques « A » du trouble des conduites selon le DSM IV.
mentaux de l’enfant et de l’adolescent
Conduites agressives dans lesquelles des personnes ou des animaux
sont blessés ou menacés dans leur intégrité physique (critères 1-7)
(CFTMEA) [15]
1. Brutalise, menace ou intimide souvent d’autres personnes Cette classification, quant à elle, ne consiste pas en une
énumération de symptômes mais est censée permettre d’intégrer
2. Commence souvent les bagarres
les troubles dans une « dimension processuelle » en tenant
3. A utilisé une arme pouvant blesser sérieusement autrui (par exemple compte de la psychopathologie.
un bâton, une brique, une bouteille cassée, un couteau, une arme à feu) La version révisée de la CFTMEA publiée en 2002 propose,
4. A fait preuve de cruauté physique envers des personnes dans son chapitre 7 intitulé « troubles des conduites et des
5. A fait preuve de cruauté physique envers des animaux comportements », une distinction entre notamment, les pyro-
6. A commis un vol en affrontant la victime (par exemple agression,
manies, les kleptomanies, les fugues, les violences contre les
vol de sac à main, extorsion d’argent, vol à main armée) personnes, les conduites à risques, les errances, et autres
troubles caractérisés des conduites (comportements inadaptés
7. A contraint quelqu’un à avoir des relations sexuelles
persistants et répétés, non secondaires à un syndrome psychia-
Conduites où des biens matériels sont endommagés ou détruits, trique avéré).
sans agression physique (critères 8-9) On retrouve également une notion de trouble des conduites
8. A délibérément mis le feu avec l’intention de provoquer des dégâts dans le chapitre 3 consacré aux « Pathologies limites à domi-
importants nante comportementale » qui regroupent les troubles des
9. A délibérément détruit le bien d’autrui (autrement qu’en y mettant conduites sous-tendus par des organisations limites de la
le feu) personnalité.
Fraudes ou vols (critères 10-12)
10. A pénétré par effraction dans une maison, un bâtiment Classification « Zero to three » [16]
ou une voiture appartenant à autrui Nous avons pensé qu’il était utile de mentionner cette
11. Ment souvent pour obtenir des biens ou des faveurs classification consacrée aux petits enfants. Elle est issue de la
ou pour échapper à des obligations (par exemple « arnaque » les autres) réflexion de cliniciens formés, pour la plupart, à la psychopa-
12. A volé des objets d’une certaine valeur sans affronter la victime thologie d’inspiration psychanalytique et aux psychologies
(par exemple vol à l’étalage sans destruction ou effraction, contrefaçon) développementales. Elle concerne les enfants de zéro à 3 ans, et
Violations graves des règles établies (critères 13-15)
son but est de faciliter l’établissement de diagnostics cliniques
notamment dans les troubles précoces et sévères du développe-
13. Reste dehors tard la nuit en dépit des interdictions de ses parents, ment, les syndromes autistiques et les troubles dits de la
et cela a commencé avant l’âge de 13 ans
régulation, en prenant en compte tous les aspects que la
14. A fugué et passé la nuit dehors au moins à deux reprises alors psychiatrie du bébé nous a appris à considérer avec la plus
qu’il vivait avec ses parents ou en placement familial (ou a fugué grande attention.
une seule fois sans rentrer à la maison pendant une longue période) Cette classification comprend cinq axes :
15. Fait souvent l’école buissonnière, et cela a commencé avant l’âge • axe I : diagnostic primaire ;
de 13 ans • axe II : classification du trouble de la relation ;
• axe III : affections médicales et troubles du développement ;
• axe IV : facteurs de stress psychosociaux ;
• axe V : niveau fonctionnel du développement émotionnel.
Classification de l’American Psychiatric Dans l’axe I, la catégorie des « troubles de la régulation »
Association : Diagnostic and Statistical décrit des patterns comportementaux moteurs et sensoriels, et
des tendances émotionnelles pouvant correspondre au « trouble
Manual of Mental Disorders (DSM) IV-R [14] des conduites ». Le type I « hypersensible » décrit un modèle
Le DSM IV intègre le trouble des conduites à un grand d’enfant « opposant et provocant », et le type III « désorganisé
ensemble intitulé « Déficit de l’attention et comportements du point de vue moteur, impulsif » décrit des enfants qui
perturbateurs ». On y retrouve quatre catégories de troubles : « contrôlent médiocrement leur comportement et sont affamés
• le trouble des conduites ; d’apport sensoriel ».
• le trouble déficit de l’attention/hyperactivité ;
• le trouble oppositionnel avec provocation ;
• le trouble du comportement perturbateur non spécifié. ■ Clinique
Le trouble des conduites est « un ensemble de conduites En dehors des symptômes décrits dans les classifications, les
répétitives et persistantes dans lesquelles sont bafoués les droits enfants présentant un trouble des conduites sont assez peu
fondamentaux d’autrui ou les normes et règles sociales corres- empathiques et montrent peu de sollicitude envers autrui.
pondant à l’âge du sujet ». Il y a trois critères à remplir pour « Dans les situations ambiguës, ils interprètent souvent à tort les
proposer le diagnostic : intentions des autres comme hostiles et menaçantes et réagis-
• critère A : on doit retrouver au moins trois symptômes de la sent avec une agressivité qu’ils considèrent justifiée. Ils peuvent
liste (Tableau 2) au cours des 12 derniers mois, et au moins être durs, sans remord ni culpabilité. Ils dénoncent facilement
un au cours des 6 derniers mois. Un tableau divisé en quatre les autres ou essaient d’attribuer leurs méfaits à d’autres. On
catégories regroupe les différents symptômes : « conduites note souvent également une faible tolérance à la frustration,
agressives dans lesquelles des personnes ou des animaux sont une irascibilité, des accès de colère, des imprudences avec des
blessés ou menacés dans leur intégrité physique » ; « condui- conduites dangereuses, à risque d’accidents » [17]. Ces attitudes
tes où des biens matériels sont endommagés ou détruits, sans de transgression des règles sociales font poser la question de la
agression physique » ; « fraudes ou vols » ; « violations graves délinquance, et de l’appartenance du trouble des conduites au
des règles établies » ; concept social de délinquance. Le trouble des conduites peut
• critère B : altération cliniquement significative du fonction- représenter un facteur de risque de délinquance, mais tout
nement social, scolaire ou professionnel ; adolescent coupable selon la loi d’actes délictueux n’est pas
• critère C : si le sujet est âgé de 18 ans ou plus, le trouble ne nécessairement atteint d’un trouble des conduites (c’est le cas
répond pas aux critères de la personnalité antisociale. d’un acte délictueux isolé et réalisé sous l’emprise de l’alcool ou
Deux sous-types sont distingués selon l’âge de début avant ou dans un contexte passionnel, par exemple...). Le trouble des
après 10 ans et la sévérité du trouble est appréciée en trois conduites doit être distingué des différentes formes de délin-
niveaux : bas, moyen, élevé. quance notamment chez les sujets jeunes élevés dans des

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

situations particulièrement difficiles [18]. Cependant la nature jusqu’à l’âge de 14-16 ans. Après 15 ans, cette prévalence reste
des distinctions reste controversée, de même que la définition stable chez les garçons alors qu’elle diminue chez les filles.
d’un concept aussi complexe que la dysfonction. Cela n’empê- Ainsi, la prévalence moyenne du trouble des conduites est plus
che cependant pas de proposer des soins adaptés aux sujets au élevée à l’adolescence (3-9 %) que pendant l’enfance (2 %). Une
comportement antisocial, même s’ils ne présentent pas de différence entre les sexes est également observée. Pour les
« dysfonction » à proprement parler. garçons, les taux sont de 1-2 % pendant l’enfance et de 5-9 %
pendant l’adolescence ; pour les filles, les taux sont de 0-3 %
Différence selon l’âge de début pendant l’enfance et de 2-5 % pendant l’adolescence (Inserm,
des troubles 2005) [1]. Une récente étude américaine a même revu ces chiffres
à la hausse avec une prévalence de 12,0 % chez les garçons et
Les classifications internationales s’accordent sur l’intérêt de de 7,1 % chez les filles pour un âge de début moyen de
différencier les formes à début précoce (dans l’enfance) des 11,6 ans [23]. Chez l’enfant, la forme agressive du trouble des
formes à début tardif (dans l’adolescence). Selon les différentes conduites est rare (< 1 %) et la forme non agressive représente
études citées dans le rapport de l’OMS [17] sur le trouble des environ 1 à 2 %. À l’adolescence, la prévalence totale des
conduites, les formes à début pendant l’enfance seraient plus formes agressives est de 1-2 %. Les filles manifestant un trouble
agressives, essentiellement masculines et accompagnées de des conduites agressif sont très rares [24], alors que la prévalence
mauvaises relations avec les pairs, avec une fréquente comorbi- chez les garçons se situe autour de 4 %. À cette même période,
dité avec le trouble déficit de l’attention avec hyperactivité. Elles les formes non agressives sont estimées entre 4 et 6 %. En
seraient associées à un quotient intellectuel plus faible, à un France, il existe une seule étude, menée à Chartres dans 18
environnement familial plus perturbé, à un risque important écoles primaires et qui rapportait une prévalence globale du
d’évolution vers la personnalité antisociale, et précédées d’un trouble des conduites et du trouble déficit de l’attention avec
trouble oppositionnel avec provocation (TOP). Leur évolution hyperactivité de 6,5 % à 17 % dans les classes adaptées [25]. En
serait plus chronique. Les formes à début pendant l’adolescence population délinquante enfin, la prévalence du trouble des
auraient un ratio garçon/fille moins élevé, seraient moins conduites se situe chez les garçons entre 29 % et 95 % selon les
agressives, caractérisées par de meilleures relations avec les pairs études [26].
et un pronostic plus favorable. Contrairement aux troubles de l’humeur, ce diagnostic
semble stable dans le temps chez un enfant donné [1] . En
Différence selon le sexe moyenne les deux tiers des sujets porteurs du diagnostic
Actuellement, l’attention se porte de plus en plus sur les pendant l’enfance (trouble à début précoce) le sont toujours à
phénomènes de délinquance féminine avec l’apparition des l’adolescence [27]. D’autres auteurs ont également montré qu’il
gangs de filles et de cas d’homicides commis par des adolescen- existait une certaine continuité du trouble oppositionnel avec
tes. Selon différentes études, le pronostic du trouble des provocation (enfance) vers le trouble des conduites (adoles-
conduites paraît aussi mauvais quel que soit l’âge de début chez cence). De plus le trouble à début tardif serait plus sensible à
les filles et certains auteurs proposent d’utiliser le statut l’influence des pairs [28]. Un âge de début précoce, le genre
pubertaire comme limite plutôt que l’âge de 10 ans [19]. Les masculin, une comorbidité avec un trouble déficit de l’attention
symptômes consistent en des troubles du comportement sexuel avec hyperactivité [29], la déstructuration de la cellule fami-
avec prostitution, recherche de partenaires antisociaux et liale [28], une personnalité antisociale ou des comportements
grossesses précoces [20, 21]. Il existe chez les filles des comporte- antisociaux chez les parents [28, 29], un bas niveau d’intelligence
ments de manipulation de l’autre plutôt que d’agression [22], ont également été identifiés comme autant de facteurs favori-
mais elles seraient en revanche plus facilement empathiques et sant la chronicisation du trouble des conduites.
accessibles à la culpabilité.
■ Données neurologiques
■ Données épidémiologiques Les troubles du comportement et notamment ceux caractéri-
actuelles sés par une tendance à l’impulsivité, avec hétéroagressivité, sont
depuis longtemps étudiés et ont fait l’objet de nombreux essais
Cette recherche documentaire (interrogation des bases de cliniques intéressant en premier lieu l’animal puis le sujet
données informatisées : International Science Database, Medline, humain. L’intervention du cerveau, aussi complexe soit-elle, est
Pascal Biomed, PsychINFO, via la plateforme multibase WebSPIRS indéniable dans l’expression de la violence, et dans ce sens, une
v5.03) complète la récente expertise collective de l’Inserm sur le réflexion sur son organisation anatomique et biologique
trouble des conduites [1]. Ce chapitre porte sur les données de apparaît nécessaire afin de compléter les points de vue sur la
prévalence, actuellement disponibles dans la littérature scienti- psychopathologie. Il va de soi que les éléments de compréhen-
fique, du trouble des conduites de l’enfant et de l’adolescent, tel sion qui pourraient en être tirés doivent être resitués dans une
qu’il a été précédemment défini. Nous ne traitons notamment perspective spécifiquement humaine portant, de plus, sur un
pas de l’épidémiologie des troubles des conduites alimentaires, enfant en développement.
du trouble oppositionnel avec provocation et du trouble déficit Dans les données actuelles, il apparaît que plusieurs structures
de l’attention avec hyperactivité même si certaines études anatomiques peuvent être incriminées dans la survenue des
présentent des échantillons composites en population générale comportements violents. Chez l’animal, les comportements
ou délinquante. Il est de plus essentiel d’éviter toute confusion assurant les besoins biologiques élémentaires et la défense de
entre le trouble des conduites (notion médicale) et la délin- l’intégrité physique sont élaborés au niveau mésencé-
quance (notion juridique). L’association à d’autres troubles phalodiencéphalique, notamment au niveau de l’hypothalamus
mentaux est enfin traitée dans la section « comorbidité ». La et du complexe nucléaire amygdalien. Chez l’homme on note
grande majorité des études sélectionnées a utilisé des outils de dans la littérature l’implication du système limbique : septum,
diagnostic validés sur les critères nosographiques du DSM [14]. hypothalamus, lobes temporaux et lobes frontaux. Néanmoins,
Aucune étude n’a utilisé la CFTMEA [15] qui prend en compte les structures impliquées sont plus nombreuses et on retient
l’ensemble du fonctionnement psychopathologique de l’enfant. actuellement l’hypothèse d’un dysfonctionnement multisite
Selon le type de symptômes proposés par le DSM présentés par dans la survenue des comportements violents [30] . Il faut
le sujet, certains auteurs ont, de plus, distingué le trouble des cependant noter que chez l’homme, la recherche est confrontée
conduites agressif et le trouble des conduites non agressif. Enfin à de multiples obstacles concernant notamment la méthodolo-
et malgré les controverses déjà soulevées concernant la défini- gie, la coopération des malades, l’éthique, et la complexité des
tion du trouble des conduites, la plupart des études rapportent personnalités psychiatriques concernées.
des calculs d’accord interjuge (coefficients kappa) satisfaisants. Au niveau biologique, les modifications de neurotransmet-
Selon l’expertise collective de l’Inserm, la prévalence du teurs semblent un chaînon majeur dans le développement
trouble des conduites en population générale est croissante d’actes violents. La sérotonine, notamment, semble inhiber

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

l’impulsivité et l’agressivité. Le système gabaergique, agissant en absence, conjuguée à cet enfant très idéalisé et à d’autres
balance avec le système opioïde, atténue l’état aversif induit par facteurs que nous ne pouvons tous reprendre, donne lieu
une stimulation naturelle ou expérimentale. L’activation aujourd’hui à une inhibition parentale dans l’éducation des
noradrénergique (dopamine, amphétamines) facilite l’agressivité enfants, notamment en matière de limitation de la toute-
chez l’animal [30]. Le rôle des hormones est plus complexe qu’il puissance infantile, qui n’est pas sans retentissement sur
n’y paraît car si les hommes sont statistiquement plus « délin- l’apparition de troubles du comportement et des conduites. En
quants » que les femmes, les femmes souffrant d’un syndrome effet, un enfant ne peut intérioriser les interdits que s’il a
adrénogénital et les hommes XYY ne sont pas plus violents devant lui des supports identificatoires, ses parents, qui tiennent
pour autant. bon en cas de contestation de leur autorité parentale.
La question de la génétique a elle aussi fait l’objet de nom- Pour Piaget, avant 6 ans l’enfant ne fait pas la distinction
breux rapports passionnés depuis plusieurs dizaines d’années. entre mensonge, activité ludique et fabulation. C’est après 8 ans
Actuellement, on ne peut pas retenir de synthèse cohérente à ce que le mensonge acquerra sa dimension intentionnelle. De
sujet. En effet, entre les théories de « l’homme nouveau » de même c’est à partir de 6-7 ans que l’enfant acquiert la notion
Lysenko (modèle basé sur la malléabilité de la nature humaine de propriété, de limite de soi et de l’autre et la distinction
par modification de l’environnement), et celles du « criminel- morale entre le bien et le mal avec toutes ses applications
né » de Lumbroso, la prudence est de mise. Et si des études de socioculturelles.
jumeaux et d’enfants adoptés [31] plaident en faveur d’un facteur Une étude récente [36] distingue les troubles des conduites
congénital et pour partie génétique dans la probabilité des débutant au cours de l’adolescence et ceux débutant au cours de
conduites criminelles, Valzelli [32] note toutefois que de multi- l’enfance en insistant sur le fait que le trouble des conduites
ples facteurs interviennent dans ces études, et empêchent toute
n’est qu’une résultante de différentes conditions préalables. Les
conclusion hâtive en matière de causalité.
premiers pouvant être considérés comme une exagération du
processus normal d’affirmation de l’identité au cours de
■ Aspects l’adolescence conduisant notamment aux comportements de
rébellion. Les troubles des conduites débutant pendant l’enfance
neuro- et psychodéveloppementaux résulteraient de vulnérabilités précoces et persistantes. Ils
seraient à distinguer selon la présence ou l’absence de détache-
Si les conduites symptomatiques ne doivent pas être intégrées ment émotionnel (insensibilité affective) qui permet ou non
d’emblée dans une organisation pathologique particulière, elles l’accès de l’enfant aux sentiments de culpabilité, d’empathie et
peuvent néanmoins être comprises comme un marqueur de la de sentiment de responsabilité. Les enfants qui ont accès à ces
maturation progressive de l’enfant. C’est pourquoi il existe pour émotions présentent des facteurs de risque émotionnels (diffi-
toutes ces conduites un continuum allant des processus nor- cultés de régulation des émotions), cognitifs (déficits verbaux) et
maux de neurodéveloppement à l’expression de multiples environnementaux (difficultés contextuelles, telles que les
organisations pathologiques. Dans ce neurodéveloppement dit conditions d’éducation), qui conduisent aux difficultés de
normal, le déroulement n’est pas linéaire, il existe des points de régulation des émotions et des comportements dont résultent
fixation et de régression.
les impulsions et les comportements agressifs réactionnels.
Dès le plus jeune âge, l’enfant sait exprimer son déplaisir et
Lorsque le développement neurologique est perturbé, comme
son mécontentement : réclamer, exiger, protester, sont autant de
c’est le cas dans les déficiences mentales, on remarque une
manifestations qui peuvent être marquées d’agressivité. À partir
augmentation de la fréquence des troubles affectifs, des condui-
de l’âge de 2 ans, l’enfant peut adopter des comportements
tes et du comportement [37] . Dans les déficiences mentales
opposants, voire coléreux avec agitation violente, trépigne-
profondes, on note une plus grande intolérance à la frustration
ments, cris... lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut. En famille ou
avec impulsivité. Dans les déficiences mentales légères, les
à l’école on peut le voir griffer, tirer les cheveux ou mordre les
perturbations affectives sont fréquentes et lorsqu’elles ne se
enfants de son âge. Cette situation se rencontre d’ailleurs plus
manifestent pas par une grande inhibition, elles peuvent se
fréquemment en cas de scolarisation trop précoce, quand
l’enfant ne sait pas parler et est contraint à agir ce qu’il ne peut traduire par une instabilité, majorées devant un échec, voire à
pas demander. Puis ces réactions s’estompent et vers 4 ans, l’adolescence, par des actes de délinquance (vols, fugues...).
l’enfant exprime davantage son agressivité verbalement. Toute- Marcelli décrit [38] souvent une organisation très rigide marquée
fois, une violence a minima persiste fréquemment, surtout chez par une tendance à l’impulsivité sans autocritique.
les garçons, sans toutefois revêtir un caractère pathologique (La Par ailleurs, un grand nombre d’enfants épileptiques sont
guerre des boutons). décrits comme présentant certains troubles du comportement. Il
Les différentes études récentes sur la parentalité [33-35] est noté également l’existence fréquente de troubles mnésiques
montrent que les conditions dans lesquelles nos contemporains et de déficit attentionnels chez ces enfants. La Société euro-
réalisent leur projet d’avoir un enfant ont considérablement péenne de neurologie pédiatrique signale que dans tous les
changé au cours des dernières décennies, amenant une modifi- syndromes épileptiques et principalement dans les épilepsies
cation fondamentale des processus d’instauration de l’autorité partielles, on retrouve une hyperactivité chez 30 % d’entre eux,
parentale dans l’éducation de l’enfant, et de ce fait, favorisant une anxiété chez 20 % d’entre eux, une tendance à l’agressivité
l’augmentation des troubles du comportement en rapport avec chez 18 % d’entre eux et une inhibition chez 7 % d’entre
les carences éducatives d’origine familiale. Lors de la période eux [39].
charnière des années 1968, les phénomènes d’autoritarisme ont Aujourd’hui contesté, le concept de personnalité épileptoïde
été violemment rejetés dans l’ensemble de la société, entraînant établi par F. Minkowska [40] regroupait des facteurs considérés
avec eux une profonde modification de l’autorité paternelle comme caractéristiques des sujets épileptiques : viscosité,
dans le fonctionnement familial. Si ce point d’appui de l’édu- persévération, agressivité sociale... Actuellement, il est admis
cation des enfants en a été transformé dans un sens intéressant, que l’épilepsie se définit par une répétition de crises responsa-
notamment en faveur d’une autorité parentale conjointe bles d’un réaménagement psychique secondaire. Les ruptures
reconnaissant l’importance égale de la femme dans le fonction- répétées et imprévues de la continuité physique et psychique
nement familial, l’autorité elle-même a sans doute été évincée semblent être à l’origine d’un vécu très proche d’une grande
pour partie dans le même mouvement que l’autoritarisme. fragilité narcissique : l’image du corps est menacée, le sentiment
D’autre part, les progrès en matière de contraception, permet- de perte est toujours vif. L’interaction mère-bébé est interrom-
tant de distinguer la sexualité reproductrice de la sexualité- pue par les crises, par exemple au cours d’un syndrome de West,
plaisir, ont souvent abouti à la programmation de l’enfant mais l’enfant ne peut se représenter ce qui l’a interrompue. On
désiré dans un calendrier de vie prévu et ordonné. Ces diffé- observe fréquemment une bradypsychie, une irritabilité, une
rents facteurs ont progressivement influé sur les processus de labilité de l’humeur, une impulsivité, une plus grande immatu-
parentalité, faisant de l’enfant un « enfant-précieux » ; la rité. Il n’y a pourtant pas de personnalité spécifique établie de
modification des effets de l’autorité parentale, ou de son manière définitive.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

■ Comorbidités ■ Facteurs périnatals, expériences


Le récent rapport de l’Inserm sur le trouble des conduites fait précoces
état de comorbidités multiples entre le trouble des conduites et
Est-il possible, en confrontant les données épidémiologiques
d’autres troubles fréquemment rencontrés dans la psychopatho-
du rapport Inserm 2005, les données cliniques récentes sur les
logie de l’enfant et de l’adolescent, à savoir : les troubles déficit
étapes précoces de la vie psychique de l’enfant et les travaux
de l’attention avec hyperactivité, le trouble oppositionnel avec
concernant les adultes auteurs de comportements violents [44,
provocation, les troubles de l’humeur, les troubles anxieux et les 45], de dégager des pistes de compréhension de la complexité
troubles liés à l’usage de substances psychoactives. Ce rapport
qui préside chez l’individu à la mise en œuvre de tels
s’appuie sur les résultats de 21 études publiées entre 1987 et
comportements ?
1997 [41]. Les résultats montrent un odds ratio (OR) de 10,7,
Les corrélations statistiques entre complications obstétricales
6,6 et 3,1 de la comorbidité entre le trouble des conduites et le
et trouble des conduites dès l’adolescence ne sont présentes que
trouble déficit de l’attention avec hyperactivité, le trouble
s’il y a aussi rejet maternel [1], et ce, quelles que soient les
dépressif et les troubles anxieux, respectivement. conditions socioéconomiques. Ces dernières apparaissent
Ces 21 études s’appuient sur les critères diagnostiques du comme une variable déterminante. Par ailleurs, les autres
DSM III, III-R, ou IV. Celui-ci distingue le trouble des conduites variables corrélées sont l’exposition aux drogues (tabac, alcool,
des troubles oppositionnels avec provocation, contrairement substances psychoactives), l’âge de la femme au moment de sa
aux classifications antérieures et à celle de la CIM 10. Dans cette 1ère grossesse (grossesse adolescente) ainsi que la prématurité du
même revue, l’auteur souligne le lien qui existe entre l’émer- bébé et son petit poids à la naissance [1].
gence de l’intérêt porté à la question de la comorbidité depuis Mais les études donnent peu d’éléments pour comprendre les
1987 et la multitude de catégories et critères diagnostiques mécanismes d’action : il s’agit de mécanismes plurifactoriels
apparues avec le DSM III. Le concept de comorbidité serait alors contribuant à une vulnérabilité sans que soient précisés les
un moyen de faire le lien entre ces différentes catégories niveaux d’impact des facteurs : intégrité somatique de l’enfant,
diagnostiques, qui apparaissent pour autant moins nombreuses défaut de maturation neurologique lié à la vie fœtale (impré-
dans la CIM 10 et la CFTMEA. gnation toxique et défaut d’oxygénation), anoxie per partum ou
N’oublions pas que contrairement aux maladies somatiques au cours de la réanimation des premières semaines, conditions
qui s’appuient sur des substrats biologiques, radiographiques et d’hospitalisation, traumatisme psychique chez le bébé et ses
autres, les maladies mentales ont depuis longtemps fait l’objet parents du fait des complications néonatales ou du fait de la
de nombreuses révisions afin d’aboutir à un consensus entre les précarité de la grossesse chez une adolescente (les conséquences
psychiatres et de définir au mieux les cadres nosographiques. Le de ces traumatismes sur les conduites de parentage ne sont pas
concept de comorbidité n’a donc pas la même pertinence en prises en compte dans les travaux recensés), facteurs de rési-
psychiatrie que dans les autres disciplines. lience ou d’aggravation tenant aux qualités de l’environnement
L’Inserm définit le terme de comorbidité psychiatrique matériel et humain (familial et étayage social) de la grossesse et
comme étant « la présence de deux ou plusieurs troubles chez des premiers mois du bébé. Les travaux recensés ne permettent
un même individu, laquelle est établie par une évaluation pas d’identifier clairement les facteurs permettant par exemple
clinique systématique ». Il est alors précisé que le terme de à une jeune de 16 ans, fumeuse, accouchant prématurément, de
comorbidité peut être employé en tant que comorbidité succes- protéger son petit garçon de la survenue de troubles des
sive entendue avec une continuité dans le temps, appelée aussi conduites lorsqu’il aura lui-même 16 ans.
comorbidité homotypique, et en tant que comorbidité concur- De même les travaux sur l’attachement [46], s’ils identifient
rente entendue comme l’existence ou co-occurrence de plusieurs l’attachement « sécure » avec au moins l’un des parents comme
un facteur de protection, insistent sur l’absence de corrélation
troubles au même moment appelée aussi comorbidité hétéroty-
systématique entre attachement « insécure » évitant ou ambiva-
pique. Par exemple le trouble oppositionnel avec provocation
lent et survenue ultérieure de symptômes psychiatriques. Le
pourrait être précurseur du trouble des conduites lui-même
repérage d’un attachement désorganisé à 18 mois présente un
précurseur d’une personnalité antisociale à l’âge adulte. Il
intérêt dans la mesure où il est plus souvent que les autres relié
s’agirait donc d’une comorbidité successive. Mais ne peut-on pas
aux troubles des conduites et susceptible d’être transformé par
également considérer ces différents troubles comme étant une
une prise en charge thérapeutique.
possible évolution développementale d’une même pathologie ?
L’incidence des troubles mentaux des parents est repérée de
De la même manière, la survenue co-occurrente de plusieurs façon non spécifique sans que puissent être différenciés les
troubles, comme par exemple un syndrome dépressif et un impacts respectifs de l’âge et de la durée d’exposition de l’enfant
trouble des conduites, ne peut-elle pas être entendue comme les à la pathologie de ses parents. L’accent porté sur l’importance
symptômes d’une même pathologie, voire même un facteur de de la dépression du post-partum, même si ses conséquences sur
gravité plutôt que comme une comorbidité concurrente ? « La la psychopathologie ultérieure ne sont pas spécifiques, a
spécificité de la pathologie propre au jeune âge est ainsi l’avantage de poser la question des risques courus par l’enfant
gravement méconnue, en particulier lorsque la présence telle- dans les premiers mois de sa vie, période à la fois de vulnérabi-
ment fréquente de composantes dépressives se trouve expliquée lité et de construction rapide sur le plan neurodéveloppemental.
par une comorbidité avec une dépression bipolaire, vivement Outre la psychopathologie, il apparaît clairement que les
contestée avant l’adolescence » [42]. violences familiales, notamment précoces, sont un facteur de
Une étude rétrospective récente [43] montre une prévalence risque important pour le développement d’un trouble des
vie entière du trouble des conduites de 9,5 %, davantage chez conduites [47].
les jeunes hommes célibataires peu diplômés. Ce trouble des Il faut noter dans le rapport la récurrence, dans les études
conduites, passé ou encore présent, est un facteur de risque longitudinales débutant au cours de la 1ère année de l’enfant [1],
important pour les autres pathologies mentales, notamment les des troubles de la régulation émotionnelle qui sont moins
toxicomanies (OR = 5,9) et le trouble du contrôle des impul- étudiés ensuite, après 6 ans, au profit des habiletés langagières
sions. La chronologie des comorbidités diffère selon les troubles et des fonctions exécutives significativement déficitaires chez les
mentaux. Ainsi, le trouble des conduites survient dans 70 % des jeunes qui vont adopter des comportements antisociaux. Il est
cas avant le développement des troubles de l’humeur et dans probable que ce changement de focus d’étude reflète la réalité
80 % des cas avant les toxicomanies, mais le trouble des des étapes du développement de l’enfant : au cours des deux
conduites survient généralement après le trouble du contrôle premières années s’organisent le contrôle émotionnel et son
des impulsions. Quand ils sont présents, les troubles anxieux se ajustement en appui sur les adultes qui prennent soin de
développent de façon mixte vis-à-vis du trouble des conduites : l’enfant. L’apparition de la parole et le développement du
le trouble des conduites suit les phobies spécifiques et sociales, langage articulé deviennent alors le moyen le plus élaboré pour
mais précède les autres troubles anxieux. réguler les émotions au sein de relations plus diversifiées et au

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

profit de stratégies d’actions intentionnelles de plus en plus la discussion diagnostique vers une possible organisation
complexes alors que l’enfant acquiert de plus en plus pathologique. Le développement de la psyché permet la mise en
d’autonomie. place progressive de processus mentaux d’introjection de la loi
Si cette hypothèse est acceptable, on peut alors souligner la parentale et sociale c’est-à-dire en d’autres termes l’organisation
convergence des divers travaux quant aux facteurs susceptibles du surmoi, lui-même issu de l’intériorisation progressive des
de perturber la mise en place dans la première enfance d’une interdits parentaux. La tentative de compréhension psychopa-
régulation émotionnelle souple. Cette régulation repose sur la thologique du trouble des conduites passe par la question du
qualité des interactions entre le bébé et son environnement, développement de la psyché dans ses dimensions psychoaffec-
plus particulièrement familial. Le nouveau-né a à sa disposition tives, avec la constitution des premières enveloppes corporo-
plusieurs niveaux de régulation : psychiques et de leurs contenus de pensée.
• son état neurovégétatif ; Sur le plan du fonctionnement psychique, il est opérant de
• ses états de vigilance et donc d’attention ; distinguer la violence de l’agressivité. Dans les situations de
• son état tonicomoteur : de la réaction tonique automatique violence, on observe le déchaînement d’une force destructrice
au comportement organisé soit vers l’exploration, soit vers qui envahit et déborde l’enfant puis le monde externe mais il
l’autoapaisement, selon les lignes de pensées d’auteurs n’existe pas ou peu d’accès à la notion de soi/non-soi, par
comme Bick [48], Brazelton [49], Bullinger [50], Lebovici [51], absence ou insuffisance de mise en place des premières enve-
Pikler [52], Prechtl [53], Stern [54], Tronick [55] ; loppes corporopsychiques ; l’enfant ne peut alors que s’agripper
• ses compétences à la relation dont on sait qu’il a, dès le en adhésivité ou exploser, les explosions de rage aboutissant à
premier trimestre, la capacité à entrer en relation avec deux la destruction du peu de contenance de l’enfant. Tandis que
personnes à la fois [56]. l’agressivité pour sa part nécessite l’accès à l’altérité, à la relation
La répétition des situations de rencontre interactive motivées d’objet total et représente un processus de transformation
par les soins de nourrissage et de toilette donne au bébé d’éléments émotionnels bruts en éléments de pensée propre-
l’occasion : ment dite.
• d’anticiper la façon de faire, l’objectif des soins et peu à peu
les intentions de celui qui les lui donne ;
• de préciser par son langage mimique et corporel ses besoins Freud : du principe de plaisir au principe
et son ressenti ; de réalité, de la pulsion de mort
• d’explorer les progrès de sa maturation neuromotrice avec le
temps et de partager le plaisir qui en découle. Sont ainsi
à la pulsion de vie... [60-63]
réunies les conditions d’un dialogue à la fois fonctionnel et Le fonctionnement du psychisme est décrit par Freud comme
ludique au travers duquel les deux interlocuteurs développent un état permanent de tension (déplaisir) que l’appareil psychi-
leur aptitude à l’empathie et à la communication partagée qui que cherche à éliminer pour parvenir à un état de satisfaction
assure la base de la régulation émotionnelle : accueil, recon- (plaisir) jamais totalement atteint. Dans la théorie des pulsions,
naissance puis transformation par la rencontre de l’état Freud indique que la pulsion se définit par sa source (excitation
émotionnel (« accordage » selon Stern [54]). dans une zone corporelle), son but (la satisfaction) et l’objet de
Ce processus peut être perturbé à la fois par défaut et par la pulsion (ce par quoi se satisfait la pulsion). L’objet est donc
excès : l’indisponibilité d’un des deux interlocuteurs (bébé la variable, propre à chaque individu, liée en particulier aux
douloureux ou dyspnéique, mère prise dans ses préoccupations premières interactions précoces. Lorsqu’il décrit la notion de
ou déprimée...) ou les mauvaises conditions de la rencontre stade oral, Freud parle d’incorporation pour désigner le passage
(appartement surpeuplé, violences conjugales, contexte social d’un objet à l’intérieur du corps, faisant ainsi référence à
catastrophique...) ralentissent la mise en place des habitudes l’existence d’un dedans et d’un dehors, préalable à la mise en
interactives grâce auxquelles s’organise cette régulation émo- place des capacités d’introjection et d’identification. L’objet est
tionnelle. De surcroît, l’hostilité et la désorganisation active des ici la mère, ou le substitut maternel, et l’enfant découvre que le
efforts de régulation opérés par le bébé stimulent des recours plaisir oral s’étend au-delà de la simple satisfaction du besoin lié
réflexes visant à l’abstraire de la situation de passivation à la faim et inclut le plaisir lié à la situation de satisfaction.
imposée. Ces réflexes désorganisent la construction psychomo- L’énergie psychique de la pulsion sexuelle (libido), orale en
trice sur laquelle s’étaie l’autonomisation de l’enfant. L’exemple l’occurrence, secondairement liée permet l’émergence du Moi
le plus précoce est celui des réactions toniques du nourrisson par le biais des expériences réellement vécues et explique pour
dans ses premières semaines. Celui-ci, en situation de stress, Freud l’attachement du bébé à la mère ou au substitut maternel.
désinvestit sa motricité périphérique (bras et jambes) au profit « Nous appelons libido l’énergie de ces pulsions qui ont à faire
d’une hypertonie axiale. La répétition de cette posture désorga- avec tout ce que l’on peut comprendre sous le nom d’amour. »
nise les coordinations œil-main-bouche qui servent de base à écrit Freud. Pour autant on ne peut que souligner la compo-
l’organisation gestuelle du premier support de la représentation sante destructrice initiale de la pulsion orale qui vise à incorpo-
par le bébé du lien oral à l’adulte par le nourrissage et la parole. rer l’objet sans souci pour ce dernier ; c’est la mère qui permet,
Le vécu perceptif et l’activité motrice restent alors dissociés du par l’interdit des attaques agressives du bébé, par la transforma-
lien investi à l’adulte et donc en grande partie déconnectés du tion en son contraire et par la mise en scène ludique de
contexte affectif. fantaisies agressives, le passage à un élan pulsionnel non
Cette reconstruction des processus semble en accord avec le destructeur.
concept de « recours à l’acte » [57] qui est décrit comme issue à Dans Au-delà du principe de plaisir, Freud introduit les concepts
une angoisse irreprésentable autrement que par la mise en de pulsion de vie (liée à la libido avec le but d’unifier, de lier)
œuvre incontrôlable d’une action destructrice. Cette action et de pulsion de mort impliquant, lorsqu’elle est tournée vers
s’inscrit dans une continuité agie de tous les abus subis, c’est- l’extérieur, l’existence d’une destructivité et d’une agressivité
à-dire, en premier lieu, des intrusions qui ont désorganisé les inhérente à l’être humain (marquée par la désorganisation et la
efforts du bébé pour maintenir une certaine continuité dans son déliaison) et s’observant par exemple chez le bébé, au stade
sentiment d’exister [58, 59]. sadique oral (décrit par Abraham), par le besoin de mordre,
dévorer... l’enfant doit se confronter à son agressivité orale : la
■ Aspects psychopathologiques satisfaction obtenue permet l’investissement de l’objet mais la
pulsion destructrice à l’œuvre de manière concomitante amène
La question du trouble des conduites ne peut se superposer à Freud à dire que « l’objet naît dans la haine » ; l’ambivalence
la description d’une organisation psychopathologique particu- apparaît alors, liée à l’apparition de la culpabilité ; apparaît
lière. Celle-ci s’inscrit dans une dynamique développementale également l’accès au principe de réalité.
marquée par un continuum dans lequel certaines étapes peu- Le Surmoi s’enracinant dans le Moi est donc marqué lui aussi
vent être marquées par des difficultés comportementales, reflet par le principe de réalité ; il se construit progressivement au
d’une crise maturative. C’est l’évolution qui permettra d’orienter travers des attitudes éducatives d’abord parentales mais aussi

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

issues du groupe social, par identification aux imagos parenta- totale et où l’on observe un rassemblement des éléments de
les. L’apparition des capacités de sublimation, et donc l’inves- pensées et une unification des pulsions. Dans une perspective
tissement du fonctionnement intellectuel ou d’activités intégrative, Mélanie Klein souligne l’évolution des sentiments
artistiques par exemple, va permettre par ailleurs d’enrichir le vers l’ambivalence qui concerne aussi bien le Moi que l’objet et
Surmoi. L’appareil psychique confronté aux contraintes de la qui permet progressivement une confrontation aux différents
réalité externe et avec la mise en place progressive du Moi va aspects du Moi et de l’objet.
alors fonctionner selon un processus secondaire (l’énergie y est Lors des situations où le bébé ne parvient pas à accéder à une
dite liée) marquant le passage du principe de plaisir au principe position plus élaborée, les mécanismes de défense restent dans
de réalité. Existent alors désormais des représentations mentales. le registre de la position schizoparanoïde marquée par la
Lorsque le psychisme fonctionne selon le principe de plaisir, les relation d’objet partiel, la dispersion des éléments de pensée et
tensions ne cherchent qu’à se décharger, à s’évacuer, à se l’existence de phénomènes envieux à type d’attaques en
satisfaire par les voies les plus courtes. L’apprentissage progressif direction de l’objet précieux convoité, celui qui comprend les
de la réalité permet d’atteindre la satisfaction cherchée en notions d’attention et d’amour, et aboutissant à la destruction
tenant compte des contraintes issues du monde extérieur, ses de l’objet auquel il ne peut accéder. On peut également obser-
interdits, sa temporalité. Cela implique la diminution de la ver, par le biais de mécanismes de clivage puis d’identification
tendance à l’agir, ou du « recours à l’acte ».
projective, l’attaque destructrice de l’autre contenant les parties
de soi-même considérées comme mauvaises ou dangereuses.
Mélanie Klein et les post-kleiniens
Dans le travail de Mélanie Klein et de ses successeurs, la
Dans ses écrits portant sur la compréhension du développe- compréhension des comportements passe par la compréhension
ment de la personnalité, Bion [64-66] place les émotions au du monde interne du sujet et de la relation à ses objets internes,
centre de la mise en place de la psyché. Sa théorisation s’inscrit elle-même accessible grâce à la relation que le sujet entretient
dans la suite des travaux de Mélanie Klein qui postule l’exis- avec les objets externes. « Au centre de la théorie de Bion sur
tence d’un Moi précoce immature dès la naissance mais aussi l’acte de penser, il y a l’idée que (...) l’émotion est placée au
d’une agressivité primaire. Bion va compléter la notion d’iden- cœur du sujet ». Une émotion survient et son vécu doit entrer
tification projective, initialement décrite par Mélanie Klein dans un processus « de représentation symbolique qui puisse
comme pathologique, en insistant sur l’existence d’un méca- être utilisé pour les rêves, les pensées, la mémoire, l’acte de
nisme d’identification projective normale, forme primitive de la
penser, le jugement, la décision et l’action », sans quoi les
relation d’objet, que le bébé utilise dans sa relation à la mère.
« accumulations de stimuli » devront être évacués de l’esprit par
Bion émet l’hypothèse que le bébé, dès la naissance, a une
une voie ou une autre : hallucinations, désordres psychosoma-
préconception innée de l’existence d’un sein capable d’apaiser
tiques, paroles ou actions dépourvues de sens.
sa faim. La rencontre du bébé avec le sein (la réalisation) permet
l’accès à la conception qui représente la pensée proprement dite
et qui est toujours conjointe à une expérience positive de La question des enveloppes
satisfaction. Cette expérience positive va être à l’origine des
premières identifications projectives avec la projection dans ce
corporopsychiques : Bick, Anzieu
sein, présent dans la réalité, de qualités positives. Freud déjà insistait sur l’importance d’un système pare-
Pour Bion les capacités innées du bébé à tolérer la frustration excitant qu’il décrivait comme une membrane enveloppant
sont centrales dans cette expérience émotionnelle primaire de l’appareil psychique et permettant de filtrer les excitations issues
frustration que représente la faim. Le bébé est en attente du sein du monde externe. Les travaux de Bick [70], sur la constitution
et, en même temps, le sein, en étant absent, est un mauvais d’une peau permettant le passage progressif d’une peau com-
objet persécuteur ; la sensation de faim est d’abord perçue mune mère-bébé à une enveloppe corporopsychique propre,
comme une persécution interne dont le bébé cherche à se mettent l’accent sur la nécessaire présence d’un objet contenant
débarrasser. Il va donc projeter dans un bon sein des émotions externe, que l’on peut qualifier « d’objet attracteur » puisque
mauvaises puis s’identifier à l’objet dans lequel elles ont été « tenant toutes les parties de la personnalité ensemble ». Ce
projetées et enfin introjecter des émotions transformées dans le sentiment d’entourance, première étape pour développer une
« bon sein » en émotions supportables. sécurité interne, passe par l’introjection de l’objet contenant
Par ailleurs, Bion met l’accent sur le partenaire du bébé, la externe. Bick décrit la nécessité d’un objet contenant pouvant
mère ou le substitut maternel qui met à disposition son appareil tenir ensemble les différentes parties du Moi du bébé : « le
psychique (capacité de rêverie). Il s’agit d’une activité psychique
besoin d’un objet contenant semblerait, dans l’état non intégré
(fonction alpha) qui consiste à attribuer des significations aux
du premier âge, produire une recherche frénétique d’un objet -
éléments émotionnels bruts (éléments bêta) en provenance du
une lumière, une voix, une odeur, ou un autre objet sensuel -
bébé. Ces éléments, devenus alpha, et désormais chargés de
qui puisse retenir l’attention et, partant, être éprouvé momen-
sens, vont pouvoir être réintrojectés par le bébé. C’est la
tanément au moins comme tenant rassemblées les parties de la
répétition d’expériences positives, au travers des soins apportés
personnalité. L’objet optimal est le mamelon-dans-la-bouche
au bébé, qui va constituer petit à petit « l’appareil à penser les
joint à la façon qu’a la mère de tenir et de parler et à son odeur
pensées » par la juxtaposition des éléments alpha s’articulant
entre eux pour former le contenant de pensées du bébé. familière. Le matériel montrera comment cet objet contenant
Si les éléments bêta projetés par le bébé ne sont pas reçus par est expérimenté comme une peau. »
un objet externe contenant, ils sont non transformés et le bébé Dans le Moi-Peau [71], D. Anzieu développe le concept des
réintrojecte alors une « terreur sans nom ». Bion met également enveloppes psychiques rappelant que pour Freud, tout ce qui est
en exergue la nature du lien entre les partenaires de l’interac- psychique se développe en constante référence à l’expérience
tion et décrit ainsi trois émotions toujours présentes lorsqu’on corporelle : « Le Moi est avant tout un Moi corporel ». Il « est
parle de lien : l’Amour (lien A), la Haine (lien H), la Connais- finalement dérivé de sensations corporelles, principalement de
sance (lien C) qui fait référence au lien entre un sujet qui celles qui ont leur source dans la surface du corps ».
cherche à connaître un objet et un objet qui se prête à être Anzieu souligne, à l’instar de Bick, l’importance du tactile qui
connu, permettant ainsi une expérience à l’origine de la fournit au psychisme un fond mental de sensations, une toile
croissance mentale pour le sujet mais aussi pour l’objet. Cette de fond sur laquelle les contenus psychiques s’inscrivent.
théorisation est indissociable de la notion dynamique de Il attribue au Moi-Peau trois fonctions principales.
positions par lesquelles passent le bébé et décrite par Mélanie • La « maintenance » est à rapprocher du holding de Winnicott
Klein [67-69]. Elle postule l’existence d’un Moi très précoce, dès qui favorise la tendance à l’intégration. « Le Moi-Peau est une
la naissance, passant d’abord par une position dite « schizo- partie de la mère (particulièrement ses mains) qui a été
paranoïde » avec prédominance des mécanismes de défense intériorisée et qui maintient le psychisme en état de fonc-
archaïques (clivage, projection) puis accédant progressivement à tionner (...) tout comme la mère maintient le corps du bébé
une position dite « dépressive » où la relation d’objet devient dans un état d’unité et de solidité ».

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

• La « contenance » est à rapprocher du handling de Winnicott à des soins qui ne lui conviennent pas. Il adopte une manière
(manière qu’a la mère de manipuler physiquement et psychi- d’être inauthentique et développe une personnalité construite à
quement le bébé) qui favorise la tendance à la personnalisa- partir d’un faux-self entraînant un sentiment de faux-semblants
tion, qui correspond au fait de se sentir habiter son propre sur lui-même et les autres qui peut aboutir à des décompensa-
corps. Anzieu décrit deux aspects à cette fonction, le premier tions graves.
aspect est le « contenant » proprement dit, stable, qui « s’offre Pour Winnicott, reprenant la théorie freudienne, l’agressivité
en réceptacle passif au dépôt des sensations-images-affects du est présente de manière innée, et l’expérience de frustrations par
bébé », et le deuxième, le « conteneur » qui correspond à l’adaptation incomplète de l’environnement aux besoins du
« l’aspect actif, à la rêverie maternelle selon Bion, à l’identi- bébé va donner aux objets leur réalité. Winnicott constate que
fication projective, à l’exercice de la fonction alpha qui l’agressivité est donc variable, dépendant de facteurs innés et de
élabore, transforme et restitue à l’intéressé ses sensations- la qualité de l’environnement. La pulsion destructrice est
images-affects rendus représentables ». positive et nécessaire puisqu’il faut que l’objet survive à
• Le « pare-excitations » : il s’agit de se protéger de l’excès, l’attaque, sans qu’il y ait de représailles, afin que l’enfant
quantitatif ou qualitatif, de stimulation comme « la couche expérimente la mère comme objet total.
superficielle de l’épiderme protège la couche sensible de celui- La question autour de l’existence d’une agressivité primaire
ci ». L’environnement maternel sert de « pare-excitation ou au contraire secondaire à la frustration inhérente aux
auxiliaire au bébé » jusqu’à ce que son Moi en croissance conditions de vie ouvre aussitôt celle de l’envahissement de la
« trouve sur sa propre peau un étayage suffisant pour assumer vie psychique, exprimée dans des conduites extériorisées, par
sa propre fonction. » l’agressivité et ce, quelle qu’en soit l’origine. L’agressivité dans
L’organisation d’un Moi se fait autour d’expériences répétiti- son rôle structurant va persister durant l’enfance et l’adoles-
vement satisfaisantes, positives (Bion, Klein, Winnicott) et cence, et les différentes conduites observées seront le reflet de
unifiantes avec un objet externe attracteur, peu à peu incorporé la maturation progressive de l’enfant avec, en particulier, la
puis introjecté ; c’est dire que l’introjection de la fonction perception progressive du soi et du non-soi, des rêveries
contenante est le primum movens pour le développement de fantasmatiques et de la réalité.
l’autoérotisme qui signe la relation avec l’objet interne. Cette Quand surgit le trouble des conduites à proprement parler, on
étape de construction des premières enveloppes suffisamment note la conjonction de différents éléments : un défaut du
solides est essentielle dans la construction d’un premier Moi contenant pare-excitant, un monde interne comportant des
corporel, préalable sans lequel personne ne peut développer un compartiments où les mécanismes de défense archaïques sont à
espace psychique au sein duquel va se mettre en place la pensée l’œuvre, et la rencontre du sujet avec un facteur extérieur
au sens de Bion, c’est-à-dire, le travail de psychisation, déclenchant.
d’intériorisation.

Winnicott : la mère-environnement ■ Dépistage, prévention et travail


suffisamment bonne au risque avec les partenaires
d’un développement en faux-self Le dépistage est une pratique qui nécessite de nombreuses
Tout au long de son œuvre, Winnicott place l’environnement précautions tant méthodologiques qu’éthiques. En effet, il faut
au centre du développement psychique [59, 72]. Il décrit un connaître les signes que l’on va dépister : soit précurseurs, soit
processus de maturation à l’œuvre sur lequel repose non symptômes du trouble des conduites. Mais il faut également
seulement le développement psychique mais également la santé disposer d’un outil de dépistage fiable et spécifique, et ensuite
psychique. C’est la mère ou le substitut maternel qui favorise ce avoir les moyens de confirmer le diagnostic par des profession-
développement. D’abord entièrement dépendant de son envi- nels compétents dans l’interprétation des résultats, surtout dans
ronnement, le bébé va progressivement se construire grâce à un domaine aussi sensible. Enfin, pour qu’un dépistage soit
l’adéquation entre ses besoins, physiques mais également utile à une population donnée, il paraît absolument nécessaire
psychiques, et la réponse apportée. Le nourrisson est décrit que des structures de prises en charge soient accessibles pour les
comme immature, en permanence au bord d’une angoisse enfants dépistés. Il s’agit donc de disposer d’un réseau dans
inimaginable dans laquelle il est précipité si l’environnement ne lequel les articulations entre les professionnels soient basées sur
remplit pas son rôle. Le nourrisson passe de l’illusion qu’il crée des rapports de confiance. Tout système qui, s’appuyant sur un
lui-même l’objet dont il a besoin (vécu d’omnipotence) à la tel réseau, favoriserait un « dépistage par délation », aboutirait
désillusion, ce passage est progressif permettant aux émotions aussitôt à une disqualification de ses visées préventives. Or
d’être ressenties sans être vécues comme menaçantes. toutes ces questions ont fait et font encore l’objet de polémi-
Dans cette seconde période où le Moi est constitué, le ques importantes, notamment autour de la notion de secret
nourrisson accède à l’idée de sa dépendance, et la relation à son médical et professionnel, et il semble aujourd’hui difficile de
environnement se modifie. Pour autant celui-ci doit s’adapter, retenir les définitions du trouble des conduites sans prendre en
être suffisamment bon, pour que l’enfant fasse l’expérience compte tous les éléments que nous avons abordés précédem-
nécessairement répétée de la solidité de l’objet et d’une relation ment. Il semble dans ces conditions plus pertinent de retenir
objectale qui passe par l’agressivité. L’enfant est de plus en plus l’idée que l’enfant présente des difficultés psychopathologiques
capable de supporter les inadéquations entre ses besoins et la et/ou développementales dont résulte une souffrance psychique.
réponse de l’environnement ; pour Winnicott, le rôle de Cela l’amène à présenter des « conduites » pour lesquelles il a
l’attente dans l’instauration des représentations mentales et besoin de l’aide de son entourage et plus avant des profession-
donc dans le développement de la pensée est essentiel. À un nels de l’enfance. Le dépistage de la souffrance psychique sera
stade ultérieur, les phénomènes de sublimation et d’investisse- fait par les professionnels de première ligne qui adresseront
ment de la vie culturelle deviennent possibles. l’enfant à l’une des structures de leur dispositif proximal de
Lorsque l’environnement fait défaut, le bébé ne peut déve- soins, et un diagnostic de trouble des conduites pourra être
lopper les principales fonctions du Moi telles que la rencontre retenu par le professionnel médical en charge du diagnostic.
avec les objets du monde externe mais aussi l’unification entre Dans cette optique, les signes présentés par l’enfant, pour
psyché et soma. Selon l’intensité et le type de dysfonctionne- justiciables d’une démarche préventive et éventuellement
ment environnemental et la manière dont le bébé va s’en thérapeutique qu’ils soient, n’en sont pas pour autant prédictifs
accommoder, l’évolution se fera ou pas vers une organisation de la délinquance à l’adolescence. À ne pas prendre cet élément
pathologique de la personnalité. Un des processus d’intégration fondamental en considération, le risque est majeur de transfor-
du Moi est alors de s’organiser en « faux-self » dont la fonction mer les professionnels de la prévention en inquisiteurs de santé
est de dissimuler le « Moi » dont la maturation dans le même publique. Le dépistage permettra aux enfants porteurs d’une
temps ne peut s’effectuer. Face à un environnement dans telle souffrance psychique de rencontrer des personnes ressour-
l’incapacité à ressentir ses besoins, le bébé renonce et s’adapte ces pour y remédier.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

Nous sommes donc fondés à nommer « prévention » le avec les délinquants [74], Fernand Deligny [75] notamment dans
travail qui consiste à prendre en charge préventivement l’enfant ses travaux avec les délinquants, Fernand Oury [76] avec les
avant que ses troubles ne soient fixés, tandis que le soin pratiques pédagogiques institutionnelles réinventées à partir des
concerne davantage l’enfant dont la symptomatologie corres- techniques Freinet et de la psychanalyse, ou Jacques Pain [77]
pond au diagnostic du trouble des conduites. Il est à noter que avec ses études sur la violence à l’école sont autant d’exemples
la prévention ne peut se penser sans un travail partenarial. En vivants et féconds à ne pas oublier. L’« école standard » a
effet, chez la plupart des enfants et adolescents présentant un manifestement des difficultés à prendre la mesure du phéno-
tel trouble, on retrouve une multiplicité d’intervenants, allant mène en question. Il nous apparaît également fondamental de
du champ judiciaire (protection judiciaire de la jeunesse [PJJ]) porter les efforts sur la restauration de la fonction parentale,
au champ social (la protection de l’enfance, Protection mater- essentielle dans le développement de leurs enfants ou adoles-
nelle et infantile [PMI], Unités territoriales de prévention et cents, quel que soit le statut des parents d’un enfant présentant
d’action sociale [UTPAS], Action sociale pour l’enfance [ASE], un trouble des conduites.
Assistance éducative en milieu ouvert [AEMO]) en passant par De l’analyse des différents programmes de prévention recen-
celui de la psychiatrie (consultation en Centre médicopsycho- sés par l’Inserm, il ressort que l’efficacité d’un programme
logique [CMP] au service d’hospitalisation). d’intervention est corrélée à plusieurs facteurs :
Il apparaît primordial de pouvoir tenir ce lien entre les • les méthodes interactives et expérientielles semblent plus
différents partenaires compte tenu des mises en mouvements efficaces que les méthodes d’intervention visant à une
propres à la symptomatologie de ce trouble. Ces liens permet- transmission d’information linéaire ;
tent à la fois une lecture psychopathologique de la situation et • plus l’intervention est longue dans la durée, plus le pro-
le recentrage du dispositif autour de l’humain, là où, parfois, il gramme proposé semble efficace ;
n’y a plus que les actes qui sont pris en compte. • les méthodes visant à agir sur plusieurs facteurs de risque
Dans le rapport de l’Inserm sont différenciés trois niveaux de simultanément sont plus performantes ;
prévention : la prévention universelle (population universelle), • la qualité de l’implantation et la fidélité de l’implantation
sélective (population plus spécifique) et la prévention indiquée sont des éléments aussi importants que les caractéristiques
(sous-ensemble d’individus chez lesquels on a pu repérer soit intrinsèques du programme ;
des facteurs de risque individuels soit les premières manifesta- • la formation et la supervision des équipes intervenant sont
tions symptomatiques d’un trouble des conduites). Dans cette des éléments importants liés à l’efficacité du programme
logique, l’expertise collective de l’Inserm se propose de décrire, proposé ;
de comparer et finalement de proposer une méta-analyse des • plus la prévention est précoce (préscolaire, voire même
programmes d’intervention et de prévention proposés dans la prénatale), plus elle est efficace.
littérature. En raison des difficultés d’évaluation des psychothé-
Mais si tous ces éléments sont intéressants à prendre en
rapies classiques, les programmes présentés s’inspirent plus
compte dans la réflexion et l’organisation de la prévention à
nettement des techniques cognitivocomportementales et de
mettre en place dans un cadre de santé publique, nous aperce-
notions d’accompagnement éducatif que l’on nomme parfois
vons combien ces problématiques confinent au politique, et
« guidance éducative », voire de prescriptions de psychotropes.
mettent immédiatement en cause le rapport entre l’individu et
L’ensemble des mesures proposées dans le cadre de ces pro-
le groupe social auquel il appartient. Or les logiques préventives
grammes d’intervention vise trois axes : le support éducatif
ne peuvent côtoyer sans dommage les logiques sécuritaires. Il
proposé aux parents, le développement des « compétences
est important de prendre un certain nombre de précautions
psychosociales » chez l’enfant et un travail d’accompagnement
avec la manière dont une politique de prévention peut être
des différents professionnels en lien avec l’enfant au premier
mise en place et quelquefois dévoyée de ses objectifs à de telles
rang desquels figurent les enseignants.
fins. L’exemple du Québec, très en avance sur nous sur ce sujet,
Mais nous avons l’expérience des services départementaux de
est illustratif de dérives inopportunes qui ont conduit les
PMI et des Centres d’action médicale et sociale précoce
interventions précoces vers une « prévention féroce » [78].
(CAMSP) qui, dans leurs consultations pédiatriques, sont
amenés à recevoir beaucoup de ces enfants présentant de tels Il arrive que la prévention, au sens où nous l’avons exposée,
troubles et les recherches qui sont entreprises pour en quantifier ne soit pas suffisante et qu’il faille recourir à une séparation de
les interventions viendront confirmer les qualités préventives et l’enfant d’avec son milieu, et/ou à des soins pédopsychiatriques,
thérapeutiques qu’elles portent en elles. Dans le même sens, les y compris en hospitalisation. Cette séparation peut constituer
interventions des secteurs de psychiatrie infantojuvénile dont une partie de la solution du problème éducatif, et si elle peut
environ 20 % portent sur le trouble des conduites des enfants se révéler également un outil d’aide à l’évaluation pour les
et adolescents suivis, sont, avec les Centres médico-psycho- enfants présentant un trouble des conduites, il semble justifié,
pédagogiques (CMPP), les services d’éducation spécialisée et de à chaque fois que cela est possible, de privilégier la continuité
soins à domicile (SESSAD), les médecins scolaires et les Réseaux des soins engagés antérieurement. Dans ces conditions, les
d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (RASED), un vivier de placements provisoire ou judiciaire en secteur ouvert (foyer
pratiques de dépistage, préventives et thérapeutiques très riches. d’Aide sociale à l’enfance) et, dans certains cas spécifiques, en
Les interventions qui y sont pratiquées dans le cadre de la secteur fermé (Centre éducatif fermé [CEF], CER) peuvent être
psychiatrie de secteur reposent sur un travail dans la continuité, proposés.
tout le temps qui sera nécessaire à l’amélioration des troubles On sait par ailleurs que si l’éloignement du jeune délinquant
présentés par l’enfant ou l’adolescent. Cette approche se réalise de son cadre de vie habituel a longtemps été la règle, avec une
en consultations ambulatoires et comporte des aspects diagnos- orientation vers des centres spécialisés isolés dépendants de la
tiques, des indications de soins et une prise en charge multiple PJJ, ces prises en charge se sont montrées décevantes pour
de l’enfant ou de l’adolescent, faisant appel en fonction des plusieurs raisons, et notamment, la confrontation avec d’autres
situations cliniques, aussi bien aux pédopsychiatres et aux jeunes délinquants présentant un trouble des conduites quel-
psychologues, qu’aux psychomotriciens et aux autres soignants, quefois beaucoup plus grave. Ces résultats ont conduit à la mise
souvent sous le primat de la psychothérapie. À chaque fois que en place de placements en familles d’accueil spécialisées.
c’est nécessaire, les liens avec les partenaires (médicaux, La séparation peut être également proposée sous la forme
éducatifs, pédagogiques, culturels...) de l’enfant ou de l’adoles- d’une hospitalisation indiquée par un pédopsychiatre ou dans
cent sont développés. C’est dans ce contexte de partenariat avec le cadre juridique d’une ordonnance de placement provisoire
le pédagogique et l’éducatif qu’il apparaît utile de rappeler que (OPP). Dans ces cas, il est nécessaire de ne pas se contenter d’un
certains, parmi les éducateurs et les pédagogues, ont laissé leur service d’hospitalisation fermé pour régler du même coup la
trace dans l’histoire à propos de ces problématiques des troubles question du rapport à la loi. Car alors l’hospitalisation tient lieu
du comportement. Il peut être intéressant d’en retrouver les d’emprisonnement, et rend caduque la fonction soignante qui
concepts essentiels et d’en actualiser les applications. C’est ainsi devrait y présider. Nous allons développer cela dans le chapitre
que Makarenko [73], avec sa « colonie Gorki », August Aichorn des prises en charge.

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

■ Prises en charge Hospitalisation


Le trouble des conduites est un diagnostic d’élimination dont Un numéro spécial de la revue Neuropsychiatrie de l’Enfance et
la prise en charge doit être discutée après une évaluation de l’Adolescence était consacré en septembre 1981 à la question
de l’hospitalisation de l’enfant en psychiatrie. Force est de
rigoureuse de la psychopathologie de l’enfant ou de l’adoles-
constater que la question fait encore débat, 25 ans plus tard.
cent [79] . Leur prise en charge doit en effet être globale et
Dans leur aperçu historique, Horassius et al. [88] montrent bien
prendre en compte le contexte global psychosocial et familial de
que les troubles comportementaux (violence, fugue, colères
l’enfant ou de l’adolescent [80]. Elle ne saurait être uniquement
clastiques) ont longtemps représenté, jusque dans les années
médicamenteuse ; les psychotropes ne sont d’ailleurs pas des
1970, une grande majorité des indications d’hospitalisation à
traitements de première intention [81] . On ne saurait sous-
temps complet. Aujourd’hui, s’ils restent fréquents, ces compor-
estimer par ailleurs en pratique la stigmatisation pour l’entou-
tements violents sont pris en charge plus précocement ; les
rage, mais surtout pour l’enfant lui-même, d’une prescription
enfants ayant le plus souvent eu l’opportunité d’être suivis bien
inutile ou non fondée.
avant ces manifestations pathologiques explosives.
L’hospitalisation semble avoir perdu son caractère de recours
Traitements psychothérapiques ultime et immédiat pour le milieu scolaire ou familial dépassé
et revêt davantage celui d’un acte médical pesé et mûri, avec
Nous ne développerons pas ici les psychothérapies, dans la l’enfant et sa famille, mais aussi avec les différents partenaires
mesure où une place leur a été faite dans la prévention ambu- sociaux et médico-sociaux. S’il est à peu près clair aujourd’hui
latoire, et où elles ne relèvent pas de spécificités techniques que les troubles du comportement ne constituent pas en eux-
particulières dans le cadre des psychothérapies d’enfants et mêmes une indication d’hospitalisation à temps complet en
d’adolescents. Il apparaît toutefois utile de les mentionner, car psychiatrie, la question de l’opportunité de cette hospitalisation
c’est dans une telle « ambiance psychothérapique » que les deux se pose dans certains cas, même en l’absence de pathologie
modalités suivantes peuvent prendre tout leur sens. Les princi- psychiatrique évidente, formelle ou avérée. L’hospitalisation, par
pes de la psychothérapie institutionnelle s’appliquent pleine- sa fonction limitante, permet de faire cesser la communication
ment à la mise en place et à leur réalisation des traitements pathologique entre l’enfant et sa famille et les divers renforce-
pharmacologiques ou de l’hospitalisation [82, 83]. ments négatifs (tels que les menaces de rejets qui accentuent les
angoisses d’abandon de l’enfant et ses attitudes de « bourreau
familial ») [89].
Traitements pharmacologiques Plus que la protection de l’enfant (qui n’a pas ici besoin
Selon le rapport de l’Inserm, les troubles des conduites sont d’une surveillance constante) ou de son environnement (l’hôpi-
des troubles hétérogènes de présentations très diverses, sous- tal n’est pas une prison), c’est la contrainte de la séparation qui
tendus par de nombreux facteurs biologiques (dont certains sera mise au travail avec l’enfant et son environnement habituel
d’origine génétique), environnementaux et sociaux au sein (parental ou institutionnel). Le cadre et sa fiabilité a ici toute
desquels la comorbidité est grande : trouble oppositionnel avec son importance [90, 91]. Celui-ci doit rester fixe et contenant
provocation (dans presque tous les cas), trouble déficit de malgré les attaques. Les débordements et les transgressions
l’attention avec hyperactivité (dans la moitié des cas), dépres- doivent faire l’objet d’une reprise systématique avec l’enfant ou
sion (un tiers des cas), troubles anxieux (un tiers à la moitié des l’adolescent, avec si besoin une sédation pharmacologique
cas) et troubles spécifiques des apprentissages (un tiers des cas). immédiate, éventuellement intramusculaire, des angoisses
Ces chevauchements syndromiques ont des implications sous-jacentes.
thérapeutiques importantes. Davantage que la simple sédation des symptômes les plus
bruyants, l’enjeu est un véritable travail du positionnement
Les traitements pharmacologiques peuvent représenter un
dépressif de l’enfant ou de l’adolescent par une confrontation
outil complémentaire utile, lorsque les manifestations du
thérapeutique (et non carcérale) à la réalité externe, à l’impos-
trouble des conduites sont très intenses et graves, ou lorsque ce
sibilité de la satisfaction immédiate de la pulsion d’emprise et à
trouble est comorbide d’autres troubles pouvant bénéficier d’un
la limitation/dépassement de la toute-puissance infantile. Dans
traitement spécifique. Certains auteurs suggèrent que les
certains cas, cette séparation contrainte est difficilement
traitements pharmacologiques n’ont une efficacité que
supportable psychiquement. Elle est un véritable arrachement
lorsqu’un trouble comorbide comme un trouble dépressif ou un
psychique très mal vécu quand les portes de l’hôpital se
trouble déficit de l’attention avec hyperactivité est présent [84]. referment : les angoisses archaïques (de chute et de liquéfaction)
Le recours aux psychotropes n’intervient qu’en deuxième reviennent massivement et s’expriment par le corps sous forme
intention, hormis les situations d’urgence (violence, hétéro- ou de cris, de pleurs, d’écoulements de salive la bouche béante,
autoagressivité) et, sauf exception, à partir d’un âge raisonnable l’enfant s’écroulant/s’effondrant à même le sol. Cette séparation
(5 ans). Il n’existe pas de traitement pharmacologique spécifi- concrète s’avère dans ces cas la seule manière d’accéder pour
que, a fortiori curatif, des troubles des conduites. Globalement, l’enfant à la verbalisation d’angoisse concernant la perte, la
trois grandes classes thérapeutiques ont été évaluées : les mort, la disparition, l’absence. Pour autant, cette séparation
antipsychotiques, les psychostimulants et les thymo- n’est pas un isolement et l’enfant reste en lien, certes parfois
régulateurs [85-87]. avec un accompagnement soignant, avec ses parents, l’école, et
L’essentiel des données en termes d’efficacité et de tolérance le cas échéant, son foyer, l’Aide sociale à l’enfance, le juge pour
chez l’enfant et l’adolescent provient des prises en charge Enfants. Tout l’enjeu de cette hospitalisation, par la fermeté du
d’adultes, le plus souvent dans d’autres indications que les cadre et le contenu vivant des activités médiatisées et des
troubles des conduites. Comme le rappellent Périsse et al. [81], ateliers thérapeutiques, est de contenir et de faire suffisamment
hormis la rispéridone dans les troubles du comportement évoluer les angoisses de l’enfant pour que le langage permette
associés à un retard mental et à l’autisme entre 5 et 11 ans, de les tolérer. Le cadre de ces activités thérapeutiques en groupe
aucun traitement n’est actuellement officiellement indiqué dans permet de délimiter un espace transitionnel pare-excitant
ces troubles, tant en France qu’en Europe ou aux États-Unis. Les rendant peu à peu possibles des échanges individuels avec une
psychotropes les plus étudiés dans les troubles des conduites élaboration psychique propre, après qu’aient été ainsi réactivés
sont les antipsychotiques atypiques. Leur efficacité est rapide et des jeux d’externalisation/réinternalisation des conflits
durable sur l’agressivité et l’impulsivité et leur tolérance est psychiques [92].
relativement bonne. Les thymorégulateurs sont davantage L’adhésion et la confiance des différents partenaires au cours
indiqués en cas de fluctuations de l’humeur ou de trouble de cette séparation sont absolument essentielles. Pour les
bipolaire associé. Les psychostimulants et la clonidine seraient interroger, nous avons engagé une démarche de responsabilisa-
indiqués quand un trouble déficit de l’attention avec hyperac- tion des parents et des enfants hospitalisés vis-à-vis des soins
tivité est comorbide des troubles des conduites. hospitaliers justifiés par l’état de santé de l’enfant. Cette

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

responsabilisation passe par la signature par l’enfant et ses


parents d’un contrat de soins, dont le rôle essentiel est de
■ Conclusion
formaliser la demande de soins et de tenter d’organiser avec un Le trouble des conduites est une nouvelle entité clinique qui
tiers les conditions de la séparation entre l’enfant et sa famille. est décrite d’une façon simple dans les classifications interna-
Bien davantage un moyen de relance de la transitionnalité tionales. Pourtant, soumise à l’usage et à la réflexion des
qu’un but en lui-même, il n’est ni trop rigide pour ne pas praticiens de l’enfance et de l’adolescence, elle pose un certain
devenir arbitraire et persécuteur, ni trop souple pour ne pas nombre de questions qui sont au carrefour du médical, du
devenir complice et indigne de confiance. Les attaques dont il sociétal, de la psychopathologie, du juridique, de l’éducatif et de
est l’objet, soit du patient, soit de sa famille, soit de l’équipe bien d’autres contrées limitrophes. Nous avons vu que suivant
sont une aide diagnostique en ce qui concerne la structuration l’âge auquel le trouble survient, cela aura une énorme impor-
psychique du sujet et la carence des réponses environ- tance dans la manière dont il faudra le dépister, en prévenir les
nementales [93]. effets et le prendre en charge. Mais au-delà de ces questions
Le riche éventail des modalités de soins permis par les organisationnelles complexes, c’est la notion même de la
dispositifs des intersecteurs de pédopsychiatrie permet générale- psychopathologie qui est posée : qu’y a-t-il derrière ces symptô-
ment la poursuite des soins engagés au cours d’une hospitalisa- mes préoccupants au point qu’ils mobilisent l’ensemble du
tion classique par l’accueil en hôpital de jour de certains enfants social jusqu’au politique ? C’est dans un tel contexte que nous
et adolescents précédemment hospitalisés à temps plein. Dans devons avancer sur la nécessité absolue de construire des ponts
les équipes où les unités d’hospitalisation à temps plein entre les savoirs des différents champs, pour mettre dans la
accueillent des adolescents venant en hôpital de jour, les pratique de terrain tous ces aspects complémentaires au service
échanges entre les enfants et adolescents « de jour » et ceux « à des enfants, des adolescents et de leurs parents. Les aspects
temps plein » s’avèrent extrêmement précieux à plus d’un titre. génétiques, neurologiques, développementaux, psychologiques,
En effet, les enfants hospitalisés à temps plein, pour lesquels psychopathologiques sont autant de manières de lire un des
les soins revêtent au moins initialement une certaine dimension éléments participant à l’apparition puis à la pérennisation du
de contrainte parentale ou judiciaire dans le cadre des ordon- trouble des conduites. De même dans la prise en charge, le
nances de placement provisoires 1 , s’aperçoivent que les soins travail psychothérapique, éducatif, pédagogique, judiciaire,
proposés peuvent être appréciables et bénéfiques puisque leurs pédiatrique et d’autres, sont les contributions de chacun des
pairs y reviennent de leur plein gré. Des perspectives de retour praticiens et des professionnels à la réponse complexe à
à la vie en dehors de l’institution s’offrent ainsi à des enfants apporter à l’enfant qui présente une telle souffrance psychique,
dont l’hospitalisation est parfois perçue comme une fin de souvent insue de lui-même, mais qui le contraint à diverses
parcours. Pour les enfants « temps plein », l’enjeu n’est ainsi formes de rejets qui aggravent ses potentialités désorganisantes
plus seulement de « sortir de cet hôpital qui me veut du mal et et destructrices. Aussi, même si le trouble des conduites devient
aliène ma liberté » puisqu’ils constatent que revenir peut être pour nous une des formes de ces « nouvelles pathologies » de la
désiré et que tout ne se résout pas simplement en sortant. La pédopsychiatrie, les questions de son dépistage, de sa préven-
tion et de sa prise en charge sont au centre de nos préoccupa-
position dépressive est véritablement mise au travail quand
tions d’aujourd’hui, et nous avons vu que la prévention
l’ambivalence des sentiments vis-à-vis du cadre de l’hospitalisa-
précoce, en appui sur la psychiatrie du bébé, pouvait désormais
tion peut se développer et qu’un vécu de culpabilité vis-à-vis des
beaucoup. En tenant compte des nombreuses précautions que
affects de haine peut être travaillé.
nous avons simplement esquissées dans ce travail, il est temps
À titre d’exemple, cette culpabilité opportune semble plutôt
désormais que ceux qui parlent du trouble des conduites en
bien illustrée par la remise par un enfant lors d’un temps de
scientifiques s’unissent avec ceux qui en soignent les porteurs
rencontre hebdomadaire « soignants-soignés », de plusieurs
depuis longtemps, même sous un autre vocable, pour bâtir les
lames de cutter qu’il avait avec lui depuis plusieurs jours. La
conditions de meilleures réponses à leurs difficultés.
confiance en la solidité ferme mais non sadique du cadre
.

soignant a permis à cet enfant d’éprouver des sentiments de


confiance et de sécurité qui l’ont apaisé et aidé à dépasser son
vécu persécutif vis-à-vis de l’ambiance. Bon nombre de ces
■ Références
enfants hospitalisés à temps plein demandent spontanément la [1] Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. Expertise
poursuite de leurs soins en hôpital de jour. collective. Trouble des conduites chez l’enfant et l’adolescent. Paris:
Pour les enfants qui sont maintenant hospitalisés sur des INSERM; 2005.
temps hebdomadaires pensés pour eux, revenir permet, outre le [2] Danion JM. Colloque INSERM. Trouble des conduites : des pratiques
bénéfice des soins, une véritable possibilité de transmission, à la recherche. Pour la recherche 2006;51(n°5).
celle de leur parcours de vie ou de leur parcours de soins, [3] Ameisen JC. Colloque INSERM. Trouble des conduites : des pratiques
parfois dans le cadre d’une sorte de tutorat ou de à la recherche. Pour la recherche 2006;51(n°6).
[4] Pinel P. Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la
compagnonnage.
manie. Paris: Richard, Caille et Ravier; 1801.
Pour les équipes, enfin, offrir des soins inscrits dans la [5] Esquirol JE. Des maladies mentales considérées sous les rapports
continuité et la durée peut être parfois éprouvant, mais cela leur médical, hygiénique et médico-légal. Paris: JP Baillière; 1838.
permet de mieux investir leur travail auprès des enfants plutôt [6] Lombroso C. L’homme criminel (criminel né-fou moral-épileptique).
que d’investir les enfants eux-mêmes, parfois véritablement Paris: Félix Alcan; 1876.
assaillis d’amour et de haine contre-transférentiels de la part de [7] Maudsley H. Le crime et la folie. Paris: Félix Alcan; 1888.
soignants trop mis en position parentale, notamment à l’occa- [8] Aichhorn A. Jeunesse en souffrance. In: Sigmund Freud (1925). Psy-
sion d’hospitalisations qui se prolongent. chanalyse et éducation spécialisée. Paris: Éditions du Champ social;
2000.
[9] Michaux L. L’enfant pervers. Paris: PUF; 1952.
[10] De Ajuriaguerra J. Manuel de psychiatrie de l’enfant. Paris: Masson;
1
1977.
L’article L-375-9, inséré dans le Code civil par la loi n° 2002-303 du 4 mars [11] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual
2002 relative aux droits des malades, art. 19 IV, parue au Journal officiel le of Mental Disorders. DSM-IV. Washington, DC: American Psychiatric
5 mars 2002, précise que « La décision confiant le mineur, sur le fondement du Press; 1994 (Trad fr. Mini-DSM IV. Critères diagnostiques. Paris:
3° de l’article 375-3, à un établissement recevant des personnes hospitalisées en Masson; 2000).
raison de troubles mentaux, est ordonnée après avis médical circonstancié d’un [12] Janson H, Kjelsberg E. Factor structure and individual patterns of
médecin extérieur à l’établissement, pour une durée ne pouvant excéder quinze DSM-IV conduct disorder criteria in adolescent psychiatric inpatients.
jours. La mesure peut être renouvelée, après avis médical conforme d’un Nord J Psychiatry 2006;60:168-75.
psychiatre de l’établissement d’accueil, pour une durée d’un mois [13] OMS. Classification Internationale des Maladies, CIM 10. Paris:
renouvelable. » Masson; 1994.

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage ¶ 37-208-A-48

[14] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual [43] Nock MK, Kazdin AE, Hiripi E, Kessler RC. Prevalence, subtypes, and
of Mental Disorders DSM-IV-TR. Washington, DC: American correlates of DSM-IV conduct disorder in the National Comorbidity
Psychiatric Press; 2000. Survey Replication. Psychol Med 2006;36:699-710.
[15] Misès R, Quemada N, Botbol M, Bursztejn C, Durand B, Garrabé J, [44] Balier C. Psychanalyse des comportements violents. Paris: PUF; 1988.
et al. Nouvelle version de la classification française des troubles [45] Balier C. Psychanalyse des comportements sexuels violents. Paris:
mentaux de l’enfant et de l’adolescent. CFTMEA 2000. Ann Med PUF; 1996.
Psychol (Paris) 2002;160:242-6. [46] Pierrehumbert B. Le premier lien. Théorie de l’attachement. Paris:
[16] Zero to three (1994). Classification diagnostique de 0 à 3 ans, National Odile Jacob; 2003.
Center for Infants, Toddlers and Families. Trad. Parise D. Genève: [47] Ilomäki E, Viilo K, Hakko H, Marttunen M, Mäkikyrö T, Räsänen P.
Médecine et Hygiène; 1998. STUDY-70 Workgroup. Familial risks, conduct disorder and violence:
[17] OMS. Troubles des conduites chez l’enfant et l’adolescent, expertise A Finnish study of 278 adolescent boys and girls. Eur Child Adolesc
collective. Genève: WHO; 2005. Psychiatry 2006;15:46-51.
[18] Wakefield JC, Kirk SA, Pottick KJ, Hsieh DK, Tian X. The lay concept [48] Bick E. L’expérience de la peau dans les relations d’objet précoces. In:
of conduct disorder: do nonprofessionals use syndromal symptoms or Les écrits de Martha Harris et d’Esther Bick. Larmor Plage: Le Hublot;
internal dysfunction to distinguish disorder from delinquency? Can 1998. p. 135-9.
J Psychiatry 2006;51:210-7. [49] Brazelton TB. Les compétences comportementales du nouveau-né. In:
[19] Keenan K, Loeber R, Green S. Conduct disorder in girls: a review of the Lebovici S, Weil-Halpern F, editors. Psychopathologie du bébé. Paris:
literature. Clin Child Fam Psychol Rev 1999;2:3-19. PUF; 1989.
[20] Loeber R, Stouthamer-Loeber M. Development of juvenile aggression [50] Bullinger A. Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses
and violence. Some common misconceptions and controversies. Am avatars. Ramonville Ste Agne: Erès; 2004.
Psychol 1998;53:242-59. [51] Lebovici S. L’arbre de vie. Éléments de psychopathologie du bébé.
[21] Loeber R, Burke JD, Lahey BB, Winters A, Zera M. Oppositional Toulouse: Erès; 1998.
defiant and conduct disorder: a review of the past 10 years, part I. J Am [52] Pikler E. Se mouvoir en liberté dès le premier âge. Paris: PUF; 1979.
Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:1468-84. [53] Prechtl HF. The behavioral states of the newborn infant (a review).
[22] Zoccolillo M, Tremblay R, Vitaro F. DSM-III-R and DSM-III criteria Brain Res 1974;76:185-212.
for conduct disorder in preadolescent girls: specific but insensitive. [54] Stern DN. Le monde interpersonnel du nourrisson (1985). Paris: PUF;
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996;35:461-70. 1989.
[23] Nock MK, Kazdin AE, Hiripi E, Kessler RC. Prevalence, subtypes and [55] Tronick E, Als H, Adamson L, Wise S, Brazelton TB. The infant’s
correlates of DSM-IV conduct disorder in the National Comorbidity response to entrapment between contradictory messages in face-to-
Survey Replication. Psychol Med 2006;36:699-710. face interaction. J Child Psychiatry 1978;17:1-3.
[24] Romano E, Baillargeon RH, Wu HX, Zoccolillo M, Vitaro F, [56] Fivaz E, Corboz A. Le triangle primaire. Paris: Odile Jacob; 2001.
Tremblay RE. A new look at inter-informant agreement on conduct [57] Balier C. La violence en abyme. Paris: PUF; 2005.
disorder using a latent class approach. Psychiatry Res 2004;129:75-89. [58] Winnicott DW. L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au
[25] Fombonne E. The Chartres Study: I. Prevalence of psychiatric disorders travers des identifications. In: Jeu et réalité (1969). Paris: Gallimard;
among French school-age children. Br J Psychiatry 1994;164:69-79. 1975. p. 120-31.
[26] Vreugdenhil C, Doreleijers TA, Vermeiren R, Wouters LF, Van den [59] Winnicott DW. L’observation des jeunes enfants dans une situation
Brink W. Psychiatric disorders in a representative sample of établie. In: De la pédiatrie à la psychanalyse (1941). Paris: Payot; 1969.
incarcerated boys in the Netherlands. J Am Acad Child Adolesc p. 269-88.
Psychiatry 2004;43:97-104. [60] Freud S. Essais de psychanalyse (1920). Paris: Payot; 1979.
[27] Farrington DP, Loeber R. Epidemiology of juvenile violence. Child [61] Freud S. Métapsychologie (1915). Paris: Gallimard; 1986.
Adolesc Psychiatr Clin N Am 2000;9:733-48. [62] Freud S. Inhibition, symptôme, angoisse (1926). Paris: PUF; 2005.
[28] Rutter M. Conduct disorder: future directions. An afterword. In: Hill J, [63] Freud S. Trois essais sur la théorie sexuelle (1905). Paris: Gallimard;
Maughan B, editors. Conduct disorder in childhood and adolescence. 1905.
Cambridge: Cambridge University Press; 2001. p. 553-72. [64] Bion W. Aux sources de l’expérience (1962). Paris: PUF; 1979.
[29] Loeber R, Green SM, Lahey BB, Frick PJ, McBurnett K. Findings on [65] Bion W. Éléments de la psychanalyse (1963). Paris: PUF; 1979.
disruptive behaviour disorders from the first decade of the [66] Bion W. Transformations (1965). Paris: PUF; 1982.
Developmental Trends Study. Clin Child Fam Psychol Rev 2000;
[67] Klein M. Développement de la psychanalyse (1952). Paris: PUF; 2005.
3:37-60.
[68] Klein M. Envie et gratitude (1957). Paris: Gallimard; 1978.
[30] Allain H. Biologie et pharmacologie des comportements violents. Psy-
[69] Klein M. La psychanalyse des enfants (1959). Paris: PUF; 1987.
chiatrie Psychopathol Viol 1997;12(1).
[70] Bick E. The experience of the skin in early object relations. Int
[31] Mednick S, Gabrielli WF. Hutchings. Genetic influences in criminal
J Psychoanal 1968;49:484-6.
convictions: evidence from an adoption cohort. Science 1984;224:
[71] Anzieu D. Le Moi-peau. Paris: Dunot; 1985.
891-4.
[72] Winnicott DW. Processus de maturation chez l’enfant (1974). Paris:
[32] Valzelli L. Psychobiology of agression. New York: Raven Press; 1991.
Payot; 1988.
[33] Houzel D. Les enjeux de la parentalité. Ramonville: Erès; 2000.
[73] Makarenko AS. Poèmes pédagogiques. Moscou: Éditions de Moscou;
[34] Eliacheff C. La famille dans tous ses états. Paris: Albin Michel; 2004.
1967.
[35] Marcelli D. L’autorité de l’infantile. Paris: Albin Michel; 2003.
[36] Frick PJ. Developmental pathways to conduct disorder. Child Adolesc [74] Aichorn A. Jeunes à l’abandon. Préface de Freud. (1920). Nîmes: Édi-
Psychiatr N Am 2006;15:311-31. tions du champ social; 2000.
[37] Wallander A, Dekker P, Koot S. Risk factors for psychopathology in [75] Deligny F. Les vagabonds efficaces (1947). In: Œuvres. Paris:
children with intellectual disability. 36th conference on mental L’arachnéen; 2007.
retardation and developmental disabilities, Annapolis, MD, March [76] Oury F, Vasquez A. Vers une pédagogie institutionnelle. Paris:
2003. Maspéro; 1967.
[38] Marcelli D. Psychopathologie des fonctions cognitives. In: Enfance et [77] Pain J, Oury F. Chronique de l’école caserne. Paris: Maspéro; 1970.
psychopathologie. Paris: Masson; 1996. [78] Parazelli M. De l’intervention précoce à la prévention féroce. In: Pas de
[39] Billard-Daudu C, Livet MO, Vallée L, Gillet P, Vol S, Motte J. Épilepsie zéro de conduite pour les enfants de trois ans. Ramonville Ste Agne:
et troubles des fonctions cognitives et de l’apprentissage. 29e congrès Erès; 2006. p. 187-94.
de la Société Européenne de Neuropédiatrie. Boulogne, octobre 2001. [79] Yeager CA, Lewis DO. Mental illness, neuropsychologic deficits, child
[40] Minkowska F. L’épilepsie essentielle, sa psychopathologie et le test de abuse, and violence. Child Adolesc Pyschiatr Clin N Am 2000;
Rorschach. In: Le Rorschach, à la recherche du monde des formes. 9:793-813.
Paris: Desclée de Brouwer; 1956. [80] Tcheremissine OV, Lieving LM. Pharmacological aspects of the
[41] Angold A, Costello EJ, Erkanli A. Comorbidity. J Child Psychol treatment of conduct disorder in children and adolescents. CNS Drugs
Psychiatry 1999;40:57-87. 2006;20:549-65.
[42] Misès R. À propos de l’expertise INSERM relative au « Trouble des [81] Périsse D, Gerardin P, Cohen D, Flament M, Mazet P. Le trouble des
conduites chez l’enfant et l’adolescent ». Lettre Psychiatrie Fr conduites chez l’enfant et l’adolescent : une revue des abords thérapeu-
2005(n°143). tiques. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2007 (In Press).

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
37-208-A-48 ¶ Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage

[82] Delion P. Thérapeutiques institutionnelles. EMC (Elsevier Masson [88] Horassius M, Horassius N, Halimi Y, Barré P. De l’indication
SAS, Paris), Psychiatrie, 37-930-G-10, 2001. d’hospitalisation à temps complet en psychiatrie infantile.
[83] Delion P. Violence, enfance et institution. In: Lacroix MB, Neuropsychiatr Enfance Adolesc 1981;29:385-407.
Monmayrant M, editors. Enfants terribles, enfants féroces. Ramonville [89] Marcelli D, Smadja BC, Carrière N, Basquin M, Duché DJ, Dugas M.
Saint-Agne: Erès; 1999. Hospitalisation en pédopsychiatrie dans un hôpital général.
[84] Waddel C, Lipman E, Offord D. Conduct disorder: pratice parameters Neuropsychiatr Enfance Adolesc 1981;29:409-20.
for assessment, treatment and prevention. Can J Psychiatry 1999;44: [90] Gérardin P. Violence à l’adolescence. In: Mazet P, editor. Diffıcultés et
355-405. troubles à l’adolescence. Paris: Masson; 2004. p. 67-74.
[85] McDougle CJ, Stigler KA, Posey DJ. Treatment of aggression in [91] Maes S. Le passage à l’acte comme outil thérapeutique en milieu
children and adolescents with autism and conduct disorder. J Clin institutionnel. Nervure 2003;16:23-5.
Psychiatry 2003;64(suppl4):16-25. [92] Cahn R. Séparation et élaboration. Communication à la 3e Journée de
[86] Ruths S, Steiner H. Psychopharmacologic treatment of aggression in Médecine et Santé de l’Adolescent, Poitiers, 8 décembre 2001.
children and adolescents. Pediatr Ann 2004;33:318-27. [93] Corcos M. Le contrat de soin : marché de dupes ou de partenaires ?
[87] Steiner H, Saxena K, Chang K. Psychopharmacologic strategies for the Communication à la 3e Journée de Médecine et Santé de l’Adolescent,
treatment of aggression in juveniles. CNS Spectr 2003;8:298-308. Poitiers, 8 décembre 2001.

J.-L. Goëb, Psychiatre, praticien hospitalier (jean-louis.goeb@univ-lille2.fr).


R. Jardri, Psychiatre, chef de clinique-assistant.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (professeur P. Delion), Centre hospitalier universitaire, 59037 Lille, France.
CNRS, UMR 8160, Laboratoire de neurosciences fonctionnelles et pathologies, Université de Lille 2, 59037 Lille cedex, France.
F. Bonelli, Psychiatre, chef de clinique-assistant.
C. Butez, Psychiatre, assistante spécialiste.
L. Hagnéré, Psychiatre, praticien hospitalier.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (professeur P. Delion), Centre hospitalier universitaire, 59037 Lille, France.
G. Kechid, Psychiatre.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (professeur P. Delion), Centre hospitalier universitaire, 59037 Lille, France.
CNRS, UMR 8160, Laboratoire de neurosciences fonctionnelles et pathologies, Université de Lille 2, 59037 Lille cedex, France.
V. Lemaitre, Psychiatre, praticien hospitalier.
A.-Y. Lenfant, Psychiatre, praticien hospitalier.
F. Medjkane, Psychiatre, praticien hospitalier.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (professeur P. Delion), Centre hospitalier universitaire, 59037 Lille, France.
P. Delion, Psychiatre, professeur des Universités, praticien hospitalier.
Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (professeur P. Delion), Centre hospitalier universitaire, 59037 Lille, France.
CNRS, UMR 8160, Laboratoire de neurosciences fonctionnelles et pathologies, Université de Lille 2, 59037 Lille cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Goëb J.-L., Jardri R., Bonelli F., Butez C., Hagnéré L., Kechid G., Lemaitre V., Lenfant A.-Y., Medjkane F.,
Delion P. Troubles des conduites chez l’enfant et problème du dépistage. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-208-A-48, 2008.

Disponibles sur www.em-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

14 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-213-B-35

Adolescents et tabac
P. Dupont, M. Reynaud

Le tabagisme est dans les pays industrialisés la première cause de mortalité évitable. Malgré les mesures
mises en place ces dernières années, de nouveaux adolescents expérimentent le tabac chaque jour. Les
mesures générales ont permis une réduction du tabagisme des adolescents de 14,4 % en 2000 à 8,6 %
pour les jeunes de 12 à 15 ans en 2005 et de 43,9 % à 34,2 % pour les 16-19 ans. Cependant, 71 % des
filles de 16 ans ont fumé au moins une fois dans leur vie et 66 % des garçons, ce tabagisme ayant débuté
en moyenne vers 13 ans et demi. Or, plus le début du tabagisme est précoce et plus le nombre de
cigarettes fumées par jour à l’adolescence puis à l’âge adulte est élevé, plus grand sera le risque de
développer une maladie liée au tabac. Il est donc important de bien comprendre les facteurs qui poussent
les jeunes à commencer à fumer (facteurs de risques liés au produit, facteurs individuels de vulnérabilités,
facteurs de risques environnementaux) et les mécanismes de développement de la dépendance, en
particulier physique. Des mesures de prévention primaire et d’aide à l’arrêt du tabagisme des adolescents
ont été prises depuis de nombreuses années avec une certaine efficacité qui doivent être utilisées. Mais de
nombreux progrès restent à faire tant dans le domaine de la connaissance des mécanismes
neurophysiologiques que dans les domaines de la prévention et de l’aide à l’arrêt du tabagisme pour
aboutir à une réduction plus importante encore du tabagisme des adolescents.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Adolescent ; Tabagisme ; Facteurs d’initiation ; Prévention primaire ; Aide à l’arrêt

Plan réalisés ces dernières années en France ont été importants :


informations et campagnes de sensibilisations, loi Evin, modifi-
cation de la législation, augmentation des prix, interdiction de
¶ Introduction 1
la vente aux moins de 16 ans, professionnalisation de l’aide à
¶ Épidémiologie 1 l’arrêt du tabagisme, moyens financiers pour le développement
Tabagisme quotidien 2 des structures de prises en charge depuis la circulaire d’avril
Âge de la première cigarette 2 2000. L’ensemble de ces mesures a eu un effet indéniable sur le
Décroissance du tabagisme des jeunes en France 2 tabagisme des Français qui s’est réduit et n’est plus aujourd’hui
Autres utilisations de tabac 2 considéré comme une simple habitude. Et pourtant chaque jour
Tabac et autres addictions à l’adolescence 3 de nouveaux adolescents expérimentent le tabac. Pour-
¶ Facteurs d’initiations au tabagisme 3 quoi est-ce à l’adolescence que l’on commence à fumer, l’ado-
Facteurs de risques liés au produit 3 lescence qui « est probablement l’une des périodes les plus
Facteurs individuels de vulnérabilité 4 difficiles à vivre » : selon Philippe Jeammet ? [2] Comment
Facteurs liés à l’environnement 4 réduire cette initiation ? Comment aider ceux qui sont déjà
¶ Développement du tabagisme 5 « accros » à s’arrêter le plus rapidement possible ?
¶ Évaluation de la dépendance tabagique à l’adolescence 5
¶ Prévention primaire 6 ■ Épidémiologie
Prévention des facteurs de risque 6
Prévention renforçant les facteurs protecteurs 6 De nombreuses enquêtes européennes et françaises permet-
¶ Aide à l’arrêt du tabagisme chez l’adolescent 6 tent aujourd’hui de suivre l’évolution du tabagisme des jeunes
et aident à la compréhension des déterminismes du tabagisme
¶ Traitements 7 au travers des spécificités nationales : l’enquête HBSC (Health
¶ Conclusion 7 Behaviour in School-aged Children study) concernant les élèves
de 11, 13 et 15 ans de 2002 à laquelle 30 pays européens ont
participé [3, 4] ; l’enquête Espad (European School Survey on
Alcohol and Other Drugs) de 2003 portant sur un échantillon
■ Introduction de 102 946 jeunes de 16 ans ; l’enquête Escapad (Enquête sur la
santé et les consommations lors de l’appel de préparation à la
Le tabagisme est dans les pays industrialisés la première cause Défense) de 2005 incluant les jeunes de 17 ans participant à la
de mortalité évitable. En France, elle est cause de 66 000 décès journée d’appel de préparation à la Défense (JAPD) [5] ; le
prématurés par an [1] et les prévisions tablent sur 135 à baromètre santé 2005 de l’Institut national de prévention et
165 000 morts d’ici à 2020. Les efforts pour réduire ces chiffres d’éducation à la santé (INPES).

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-213-B-35 ¶ Adolescents et tabac

80 % 45 42
41
40 38
40
70 % 40 40 39 34
35 37
60 % 30
32
50 % 25

20
40 %
15
30 % 10

5
20 %
0
10 % 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Garçons
0% Filles
11 ans 13 ans 15 ans 16 ans Figure 3. Évolution du tabagisme des jeunes Français à 17 ans (d’après
Escapad 2000, 2001, 2002, 2003, 2005, OFDT).
Garçons
Filles
Figure 1. Pourcentage d’adolescents fumeurs selon l’âge et le sexe en régulièrement à 11 ans, la tendance s’inverse (entre 15 et
France (d’après HBSC 2002, Espad 2003). 16 ans) ; il y a plus de fumeuses régulières (24 %) que de
fumeurs réguliers (21 %) à 16 ans.

60 Âge de la première cigarette


Dans l’enquête européenne HBSC en 2002, les jeunes de
50 15 ans déclarent avoir fumé leur première cigarette à l’âge de
12 ans et 3 mois (avec un écart type de 6,5 mois). En moyenne,
les garçons ont fumé leur première cigarette 4 mois avant les
40 filles. Les jeunes de 17 ans interrogés lors de la journée d’appel
de préparation à la défense (enquête Escapad 2005) situent leur
première cigarette au milieu de la treizième année (13,3 ans
30 chez les garçons et 13,5 ans chez les filles). Ces chiffres
confirment le rajeunissement du premier essai déjà décrit dans
le baromètre santé 2000 [6] ; début à 16,5 ans pour les hommes
20 nés entre 1924 et 1934 versus 15,6 ans pour ceux nés entre
1965 et 1973 ; 18,6 ans et 15,8 ans pour les femmes nées les
mêmes années !
10

Décroissance du tabagisme des jeunes


0 en France
12-13 ans 14-15 ans 16-17 ans 18-19 ans L’enquête Espad 2003 a montré une réduction de 20 % de la
proportion de fumeurs quotidiens en 4 ans (2000-2003), et ce
Garçons 2000 Filles 2000
quel que soit le sexe [4]. Alors que la France était en tête des
Garçons 2005 Filles 2005
pays européens quant au nombre d’usagers de tabac à 16 ans,
Figure 2. Baromètre santé comparaison du tabagisme selon le sexe en 1999, elle est passée en 2003 dans le groupe de pays se
entre 2000 et 2005. situant dans la moyenne. L’enquête Escapad 2005 confirme une
baisse de la proportion de fumeurs quotidiens (Fig. 3) et de
fumeurs de plus de 10 cigarettes par jour. Cette décroissance est
En moyenne, 15 % des jeunes Européens ont déjà fumé à confirmée dans le baromètre Santé 2005, chez les jeunes
11 ans, pour atteindre 62 % à 15 ans et 67 % à 16 ans. Les Français de 12 à 15 ans de 14,4 % en 2000 à 8,6 % en 2005.
Français sont au 20e rang européen avec 12 % à 11 ans, 62 % à Idem pour les 16-19 ans qui passent de 43,9 % à 34,2 %.
15 ans et 68 % à 16 ans (17ème rang européen pour cet âge) : La baisse de la consommation notée dans les études des
d’après Choquet [4], si à 11 ans les filles sont moins nombreuses années 2000-2003 se confirme dans l’étude Escapad de 2005. En
à avoir déjà fumé que les garçons (respectivement 9,7 % versus effet, le nombre de fumeurs de 17 ans déclarant fumer plus de
14,4 %), le rapport s’inverse entre 13 et 15 ans (Fig. 1). À 16 ans 10 cigarettes par jour se réduit de 12 à 10 %. Cette baisse peut
71 % des filles ont fumé au moins une fois dans leur vie contre être relativisée quand on sait que nombre d’entre eux inhalent
66 % des garçons. Cette tendance féminine à cet âge n’est pas autant de produits nocifs sur un nombre réduit de cigarettes ou
confirmée dans le baromètre santé 2005 de l’INPES (Fig. 2). À encore passent au tabac à rouler. En revanche, signe certaine-
17 ans en 2005 [5] 7 jeunes sur 10 déclarent avoir déjà fumé au ment encourageant, la proportion d’expérimentateurs qui
moins une cigarette au cours de leur vie (74 % des filles et 71 % déclarent ne pas être devenus fumeurs a augmenté, passant de
des garçons). 26 % en 2003 à 28 % en 2005 [5]. Le nombre de cigarettes
fumées augmente toujours avec l’âge, signe du développement
Tabagisme quotidien des dépendances au tabac (Tableau 1) [4].

À 11 ans, en moyenne 0,6 % des jeunes déclarent avoir fumé


quotidiennement au moins une cigarette par jour depuis les
Autres utilisations de tabac
30 derniers jours. Ils sont 3 % à 13 ans, 8 % à 15 ans et 24 % à Si la cigarette reste le mode de consommation le plus utilisé
16 ans. Là encore, si les garçons sont plus nombreux à fumer par les jeunes, d’autres modes de consommations encore peu

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Adolescents et tabac ¶ 37-213-B-35

Tableau 1.
Répartition du nombre de cigarettes fumées par semaine en fonction de l’âge (en %) (Étude HBSC [4]).

Nb de cigarettes/semaine 1 2-9 10-19 20-29 30-39 40 et +


11 ans 23,8 % 55,0 % 8,8 % 2,5 % 1,3 % 8,8 %
13 ans 15,8 % 38,7 % 16,4 % 12,1 % 6,5 % 10,5 %
15 ans 8,1 % 28,1 % 14,6 % 13,2 % 10,0 % 26,0 %

% Garçons Filles
100
91 91 91
Alcool 87 87 Alcool 87 88
90 85
81 81
75 78
80 73 74 76
70 71
70 66 67
61 66 63 61
60
53 52
Tabac 51 49
47
50
42
Tabac
40 35 34 35
32
30 22 23
18 Cannabis 16 Cannabis
20
9 10
10 4 4
1
0
12 13 14 15 16 17 18 12 13 14 15 16 17 18
Âge (ans) Âge (ans)
Figure 4. Consommations de tabac, d’alcool et de cannabis au cours de la vie, par âge et par sexe (d’après Espad 2003, Inserm-OFDT-MJNER).

employés en France, ont tendance à se développer. Depuis mécanismes cérébraux [12], du plaisir, de la souffrance et de la
plusieurs années déjà, la consommation du tabac à rouler gestion des émotions [13]. Les altérations neurobiologiques se
augmente, en particulier chez les adolescents. Depuis la hausse situent principalement dans le système dopaminergique méso-
des prix des cigarettes en 2003 et 2004, 20 % des jeunes de cortico-limbique encore appelé « système de récompense et de
17 ans interrogés en 2005 [5] ont déclaré s’être tournés vers le punition ». Ce système est formaté dès l’enfance en fonction des
tabac à rouler. Les autres modes de consommations qui se expériences précoces de plaisir et de déplaisir corporels puis
développent sont les bidis (petites cigarettes de tabac fabriquées émotionnels liés à la qualité du maternage et au développement
en Inde et considérées par les jeunes comme « naturelles » qui des liens d’attachement [12].
produisent trois fois plus de monoxyde de carbone (CO) et de La prise de la première cigarette est la résultante de l’interac-
nicotine et cinq fois plus de goudrons que des cigarettes tion entre trois facteurs [14, 15] :
industrielles [7]), le narghilé dont l’usage social est en pleine • des facteurs de risques liés au produit ;
progression et le tabac sans fumée (snus) venu des pays nordi- • des facteurs individuels de vulnérabilités ;
ques où il concurrence la cigarette. • des facteurs de risques environnementaux.

Tabac et autres addictions à l’adolescence


Facteurs de risques liés au produit
La consommation de tabac à l’adolescence ne peut être
étudiée sans prendre en compte l’usage des autres produits. Bien que la norme sociale évolue régulièrement, le tabac reste
L’étude Espad 2003 [8] montre le développement conjoint des encore socialement accepté. Les premières cigarettes sont
autres addictions, en particulier alcool et cannabis (Fig. 4). En souvent fumées par comportement d’imitation résultant de
France, la consommation de cannabis se fait principalement modèles qui peuvent être réels, symboliques ou imaginaires [16].
sous forme de joint, résine de cannabis associée à du tabac à De la force attractive de ces modèles mais aussi des réactions de
rouler. Il s’agit donc systématiquement d’une polyconsomma- l’individu vis-à-vis de la cigarette dépendra la poursuite ou
tion. Choquet, à partir de l’enquête nationale de 1993 des l’arrêt du tabagisme. Pomerleau [17] a émis l’hypothèse que du
études Espad 1999 et 2003 [9] , a conclu que le risque de degré de sensibilisation et du développement de la tolérance à
consommation de cannabis augmentait si l’adolescent fumait la nicotine découle une évolution vers un comportement de
du tabac (odds ratio [OR] (ajusté sexe, âge et niveau culturel fumeur à forte consommation si les effets de récompense sont
parents) : consommation occasionnelle tabac OR = 10,9) surtout importants et s’il existe une tolérance forte aux effets aversifs
si cette consommation était quotidienne (OR = 43,5). des premières cigarettes. À l’inverse, si la tolérance reste faible,
ces effets aversifs seront très présents, l’adolescent ne tirera pas
d’effets positifs de cette première expérience et restera
■ Facteurs d’initiations non-fumeur.
au tabagisme Le développement du tabagisme d’abord irrégulier vers un
tabagisme quotidien se fera en fonction de l’importance de ces
Plus le début du tabagisme est précoce et plus le nombre de ressentis (à la fois psychologiques et physiques) mais aussi,
cigarettes fumées par jour à l’adolescence puis à l’âge adulte est semble-t-il des possibilités génétiques de développement d’une
élevé, plus grand sera le risque de développer une maladie liée dépendance physique à la nicotine (et sans doute à d’autres
au tabac [10]. La précocité de l’initiation du tabagisme est donc produits contenus dans la fumée de tabac) [10] . Des études
un souci majeur de santé publique. récentes confortent la notion d’une prédisposition génétique de
Le tabagisme est un comportement renforcé par une dépen- la dépendance : faculté de la tolérance à la nicotine, polymor-
dance physique dont la nicotine est la principale responsa- phisme génétique du cytochrome P450 de type 2A6 (CYP2A6)
ble [11]. Certains auteurs s’accordent pour penser que le cerveau qui inactive les propriétés de la nicotine en la transformant en
« addict » ne fonctionne pas selon la norme avec altération des cotinine.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-213-B-35 ¶ Adolescents et tabac

Tableau 2. trouvé dans une étude portant sur 4414 personnes de 15 à


Relation entre troubles psychopathologiques et tabagisme chez 54 ans que la préexistence au tabagisme de désordres psycholo-
l’adolescent. giques, dont la dépression majeure, augmentait le risque de
Auteurs Troubles psychopathologiques
devenir fumeur régulier et fumeur dépendant. Dans la même
étude, Breslau conclut que l’existence de ces antécédents
Carton S [22] Neuroticisme psychiatriques n’influence pas l’arrêt. Ce risque augmenté de
DiFranza JR, et al. [23] Anxiété devenir dépendant au tabac en présence de symptômes dépres-
Patton GC, et al. [24] sifs est confirmé dans une étude de suivi pendant 2 ans et demi
Sonntag H, et al. [25] Phobie sociale de 113 adolescents par Karp sur les facteurs de risques de
Boys A, et al. [26] Dépression dépendance chez les adolescents fumeurs [38]. Le tabagisme
Becona E, et al. [27] mène à la dépression. C’est ce que suggère Steuber, dans une
[28]
étude de 2006 [39] , montrant que, dans une population de
Binder P Tentative de suicide
14 634 adolescents dont le statut tabagique a été suivi pendant
Dierker L, et al. [29] Dysthymie 2 ans, la prévalence de la dépression augmente après l’initiation
Kollins SH, et al. [30] Trouble d’hyperactivité avec défaut de au tabagisme. Plusieurs études ont démontré le lien entre
l’attention dépression, sérotonine et usage du tabac [40, 41] . Audrain-
Bailly D [31] Angoisse de séparation McGovern et son équipe suggèrent une association entre le
Jouanne C [32] Alexithymie récepteur de la dopamine DRD2 (allèle A1) et la progression du
tabagisme chez les adolescents, association potentialisée par les
symptômes de la dépression [42]. Au total, l’hypothèse actuelle
la plus probable reste celle de facteurs de risques communs qui
Facteurs individuels de vulnérabilité prédisposeraient à la fois au tabagisme et à la dépression et qui
Tempérament seraient d’ordre génétique et/ou psychologiques et environne-
mentaux [35]. De nombreuses questions restent donc posées sur
Il semble que certains traits de tempérament soient particu- les liens entre dépression et tabagisme, nécessitant une lecture
lièrement liés à la prise de substances addictives [12, 18, 19]. On approfondie de la littérature et certainement de nouvelles
peut retrouver un niveau élevé de recherche de sensations études. Ce d’autant que Dierker, dans une recherche de liens
(modèle de Zuckerman), de recherche de nouveauté (modèle de génétiques avec le tabagisme, ne trouve pas de lien entre
Cloninger [20]) et un faible évitement du danger. La recherche de tabagisme et dépression (OR 1,1) mais en trouve entre tabac et
sensation serait le moteur essentiel des comportements à risque dysthymie (OR 7,6) [29]. Il n’en reste pas moins que plusieurs
chez l’adolescent, dont le tabagisme [21]. D’après Pélissolo [19], études ont relevé le rapport qui existe entre tabagisme et
concernant la nicotine, les résultats des recherches sont plus tentative de suicide [28, 43]. Dans une enquête de la DRASS de
hétérogènes, montrant globalement la relation entre le score de Bretagne, l’odds-ratio d’être fumeur quand l’individu a fait une
recherche de nouveauté et le risque d’initier la consommation, tentative de suicide est de 2,8. Binder [28] a fait du tabagisme un
alors que le score d’évitement du danger serait corrélé au niveau facteur prédictif de la tentative de suicide chez les adolescents
de dépendance et à la difficulté à arrêter de fumer. à rechercher systématiquement par les médecins généralistes.

Comorbidité psychiatrique Autres troubles


L’association de troubles psychopathologiques aux conduites Des liens ont été retrouvés entre d’autres troubles et le
addictives, notamment chez l’enfant et l’adolescent utilisateur tabagisme. C’est le cas du trouble d’hyperactivité avec défaut de
de drogues, y compris du tabac, a été soulignée dans de l’attention (TDHA) dans, entre autres, une étude de suivi de
nombreuses études. Ils ont été résumés dans le Tableau 2. 15 197 adolescents entre 1995 et 2002 [30] . L’existence de
symptômes du TDHA augmente la probabilité de devenir
Anxiété fumeur régulier. Bailly [31] postule quant à lui que chez certains
La dimension de neuroticisme (ou névrosisme) apparaît de sujets, un trouble d’anxiété de séparation de l’enfance se
plus en plus corrélée avec le début du tabagisme ainsi qu’avec poursuit et s’enrichit à l’adolescence d’autres troubles anxio-
le tabagisme régulier [22]. Il s’agit d’une dimension de personna- phobiques conduisant secondairement aux troubles addictifs.
lité désignant une vulnérabilité générale à vivre les affects Enfin, d’après Guilbaud et al. [18] (étude portant sur 767 person-
négatifs, l’anxiété. La dimension dépressive au sein du neuroti- nes), les sujets dépendants au tabac ne sont pas plus alexithy-
cisme semble jouer ici le rôle le plus important [33]. De plus, miques (étymologiquement incapacité à exprimer ses émotions
plusieurs études génétiques ont montré le lien entre neuroti- avec des mots) que les sujets non dépendants ; en revanche, ils
cisme et dépression [34]. retrouvent dans cette étude chez les hommes dépendants une
Un nombre important de travaux montrent que la diminu- élévation de la composante cognitive de la dimension alexithy-
tion de l’anxiété en fumant est une des motivations majeures mique. Dans une thèse de psychologie [32], la prévalence de
des fumeurs pour expliquer leur tabagisme [23, 24]. C’est aussi sujets fumeurs alexithymiques est inférieure à celle retrouvée
une des motivations évoquées par les plus jeunes pour com- dans d’autres addictions et conduites addictives mais supérieure
mencer à fumer ! Cependant, des travaux récents [35] montre- à celle généralement retrouvée dans la population générale.
raient que la nicotine possède des pouvoirs anxiogènes et peut
induire des difficultés respiratoires favorisant l’émergence Troubles de la personnalité
d’anxiété. De plus, le DSM IV (Diagnostic and Statistical
Manual [36] ) relève également l’anxiété comme l’une des Les éléments psychopathologiques sous-jacents liés à un
sensations de manque de nicotine. Parmi les troubles anxieux, trouble de la personnalité (antisociale, limite, abandonnique)
Sonntag suggère dans une étude prospective portant sur plus de facilitent l’accès à l’abus nocif de substances psychoactives [12].
3000 adolescents que la phobie sociale serait en lien avec le La personnalité antisociale (selon les critères du DSM IV [36])
développement de la consommation de tabac et de la dépen- serait associée à la consommation de tabac, alcool et canna-
dance à la nicotine chez l’adolescent [25]. bis [44] . Cette même personnalité antisociale rendrait plus
difficile l’arrêt du tabagisme avant 25 ans [45].
Dépression
Les liens entre dépression et tabagisme ont été largement Facteurs liés à l’environnement
décrits [10, 26, 27, 33] . Mais ils restent complexes : facteurs
favorisants, conséquences, simples co-occurrences. La dépression Les facteurs socioculturels interviennent dans l’initiation et la
précéderait le tabagisme. Pour Patton [24], dans une population régulation de la consommation de tabac comme des autres
de 2032 adolescents de 14-15 ans, il existe un lien entre produits [12] . Il existe plusieurs types de facteurs
dépression et initiation au tabagisme. Breslau [37] a quant à lui environnementaux.

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Adolescents et tabac ¶ 37-213-B-35

Facteurs culturels et sociaux Tableau 3.


Facteurs psychosociaux concernant les adolescents fumeurs : une revue
L’exposition au tabac dans une société ou une microsociété de la littérature [55].
donnée : facteur d’entraînement que l’on peut retrouver par
exemple dans certaines classes d’un lycée et pas dans d’autres Type de Facteurs liés Facteurs Indécis
ou dans certains sports (collectifs plus que sports indivi- facteurs au tabagisme non liés au
duels) [46]. L’action de la publicité pour les produits du tabac est tabagisme
également à prendre en compte. Il est prouvé que les jeunes Sociodémographique
exposés à ces publicités sont plus fumeurs que ceux qui ne les Âge Sexe Absence de
ont pas vues [47]. Appartenance culture
ethnique Résidence
Facteurs familiaux ville/campagne
Structure de
Consommation de tabac : habitude tabagique de la famille, famille
tabagisme de la mère (y compris tabagisme maternel pendant la Statut
grossesse) [48, 49], des frères et sœurs mais pas celui du père [50], socioéconomique
l’absence d’interdit de consommation familial et/ou religieux, parental
explications données sur l’attitude parentale ou non... [51, 52]. De Revenu
même, l’arrêt du tabagisme des parents semble avoir une personnel
influence sur le tabagisme des enfants si cet arrêt se fait avant
l’âge de 10 ans [51]. Environnement
Fonctionnement familial : conflits, événements vitaux ont un Statut tabagique Disponibilité du
rôle important également dans la consommation de produits parental tabac
psychoactifs [12]. L’abus sexuel dans l’enfance est un facteur de Attitudes
risque tabagique très important [53]. parentales
Tabagisme des
Rôle des pairs frères et sœurs
Les pairs ont un rôle majeur dans l’initiation de la consom- Pairs fumeurs
mation de tabac. Les adolescents interrogés par Choquet dans Attitudes des
une enquête sur leurs comportements et attentes déclarent à pairs et normes
82 % fumer plus que d’habitude quand ils sont avec des Environnement
copains [54] . Le risque est particulièrement augmenté si le de la famille
meilleur ami (la meilleure amie) fume [55]. Attachement à la
famille et aux
Revue critique de la littérature amis
Elle a été réalisée en 1998 par Tyas et Pederson concernant les Relatif au comportement
facteurs psychosociaux liés au tabagisme des adolescents [55]. Le Résultats
Tableau 3 résume cette revue en classant en trois catégories scolaires
(facteurs associés, non associés et indécis) les facteurs de risques Comportement à
et de vulnérabilité du tabagisme. risque
Les auteurs recommandaient que de nouvelles études soient Manière de vivre
menées utilisant des définitions communes des variables et que
des analyses multivariables soient réalisées afin de vérifier les Personnel
différentes hypothèses. Stress Coping
Dépression/détresse Connaissance
Facteurs génétiques Estime du moi sur la santé des
Ils semblent également jouer un rôle important dans le effets de fumer
Attitudes à fumer
tabagisme. Stallings et al. [56] concluent dans une étude portant Inquiétudes sur
sur des jumeaux monozygotes que l’initiation au tabac (comme sa santé
à l’alcool) est plutôt influencée par des facteurs environnemen- personnelle
taux alors que le passage de l’initiation à une consommation
régulière dépendrait davantage de facteurs génétiques.

dépressif a été décrite aussi pour le tabac [12]. Enfin, le tabagisme


■ Développement du tabagisme s’intègre au développement d’une image de soi qu’il s’agit de
donner à l’extérieur mais parfois à l’usage de publics détermi-
Après la phase d’initiation, le tabagisme va se développer nés [58]. La construction de l’image de soi adulte avec la cigarette
progressivement. Plusieurs facteurs jouent un rôle dans ce peut expliquer certaines difficultés à arrêter exprimées par les
développement. Contrairement à l’alcool et au cannabis, les fumeurs : « je ne me vois pas sans cigarette » [59].
jeunes fumeurs ne recherchent pas dans la cigarette l’ivresse. La dépendance au tabac et l’apparition des symptômes de
L’usage du tabac est plus social, 82 % des adolescents disent sevrage sont bien sûr responsables d’un maintien du
fumer plus que d’habitude quand ils sont avec des copains, 31 % tabagisme [60].
quand ils assistent à une fête de famille (plus les garçons (36 %)
que les filles (26 %)). Les adolescents y recherchent également
une aide. La contrariété, le cafard ou la tristesse et la solitude sont
d’après eux des moments propices au tabagisme, et ce plus chez
■ Évaluation de la dépendance
les filles que chez les garçons [54] . Parfois c’est l’effet de la tabagique à l’adolescence
nicotine sur l’attention et la concentration qui est recherché [35].
Wahl [57] retrouve comme facteurs faisant fumer les adolescents : De 30 à 50 % des expérimentateurs deviennent des fumeurs
le goût de la cigarette, le contrôle du poids, l’ennui et les affects réguliers [61] . La dépendance et les symptômes négatifs de
négatifs. Outre l’anxiété citée plus haut, l’aide à la gestion de sevrage qui en découlent sont des obstacles parfois majeurs pour
situations conflictuelles et anxiogènes et la détente sont les cesser de fumer. Plusieurs études ont montré que ces symptômes
motivations à fumer citées le plus souvent par les adolescents [35]. existent chez les adolescents. Rojas et al. [62] dans une étude
La consommation autothérapeutique visant à réduire les sensa- portant sur 249 adolescents ayant fumé au cours des 30 derniers
tions de mal-être, à réfréner les phobies sociales, à calmer un vécu jours et ayant essayé d’arrêter de fumer ont retrouvé un besoin

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-213-B-35 ¶ Adolescents et tabac

intense de fumer chez 45 % d’entre eux. Environ 30 % ont l’information seule donne des résultats positifs (OR = 0,61) mais
décrit une nervosité, une incapacité à rester calme ou une elle est trop unique pour pouvoir conclure sur l’efficacité de
irritabilité. Pour 25 % une augmentation de l’appétit, 22 % une cette méthode d’après les auteurs. Les deux études sur les
incapacité de concentration, 15 % une tristesse et 13 % des compétences sociales ne donnent pas de résultats significatifs.
troubles du sommeil. Dans le groupe important des études évaluant les programmes
L’évaluation de la dépendance au tabac est donc souvent une sur l’influence sociale, l’étude la plus grande et la plus rigou-
nécessité pour aider le jeune fumeur à s’arrêter. Certaines reuse est l’étude Hutchinson Smoking Prevention [69] , qui
questions du test de Fagerström [63], habituellement utilisé chez malgré un programme intensif sur 8 ans, n’a pas démontré
l’adulte, ne sont pas applicables chez l’adolescent. L’expérience d’effets à long terme. Dans le groupe incluant un travail sur les
montre que le jeune malgré sa dépendance est à même d’influer compétences sociales et l’influence sociale, la Life Skills Trai-
sur sa consommation en fonction des éléments de vie comme ning [52] fait état d’une réduction de la prévalence de 25 % de
différer l’heure de la première cigarette de la journée afin de ne fumeurs mensuels, hebdomadaires et des gros fumeurs et le
pas la fumer à la maison (question 1 du test) ou s’abstenir dans programme TNT project réduit l’initiation du tabagisme et de
les lieux d’interdiction (question 2). De plus, les jeunes peuvent l’utilisation du tabac non fumé de 30 %. Enfin, trois des quatre
être dépendants et présenter des symptômes de sevrage même programmes multiples donnent des résultats positifs.
avec une faible consommation de cigarettes [35]. Les réponses à Les auteurs de l’étude Cochrane concluent à la nécessité
certaines questions du test de Fagerström s’en trouvent faussées d’une évaluation rigoureuse des études pour pouvoir résoudre et
conduisant à une erreur d’interprétation de la dépendance dans initier de nouvelles recherches.
cette population [64]. DiFranza et al. [65, 66] ont développé un
.
questionnaire dont la base théorique repose sur le fait que la Prévention renforçant les facteurs
dépendance commence au moment où le sujet perd le contrôle
de sa consommation : HONC (Hooked on nicotine checklist).
protecteurs
Dans l’étude DANDY utilisant ce questionnaire, DiFranza et Les facteurs protecteurs du tabagisme ont été beaucoup moins
al. ont montré que la dépendance s’installerait avant même la étudiés que les facteurs de risques. Dans une revue récente de
consommation quotidienne de cigarettes [65]. Le besoin impé- la littérature [70], Schepis retrouve comme facteurs protecteurs
rieux de fumer serait présent avant même le passage à une les attentes des parents de bon comportement de leurs enfants,
cigarette quotidienne. la surveillance parentale et leur participation à la vie des plus
Dans une étude récente portant sur 1293 jeunes suivis jeunes. La religion semble également jouer un rôle protecteur.
pendant 6 ans et interrogés tous les 3-4 mois, Karp et al. [38] ont Bricker a étudié le statut tabagique d’adolescents à 17-18 ans
montré que le risque de devenir dépendant au tabac (selon les selon le tabagisme des parents. Il suggère que l’arrêt du taba-
critères de l’International Classification of Diseases, version gisme d’un des parents avant que l’enfant atteigne 8/9 ans
10) [67] est associé à l’intensité de la consommation pendant réduit le risque de 25 % que ce dernier devienne fumeur à l’âge
cette période de la vie. Mais aussi que le risque est plus grand de 18 ans. Cette réduction est de 39 % si les deux parents
chez les métaboliseurs lents de la nicotine et chez ceux qui ont s’arrêtent [51].
plus de symptômes dépressifs. Le prix du tabac semble également être un facteur détermi-
nant du tabagisme des jeunes. Le Comité de pharmacologie et
■ Prévention primaire des substances dangereuses du Canada fait de l’augmentation
du prix une de ses recommandations pour réduire la fréquence
du tabagisme (http : //www.cps.ca/Francais/enonces/DT/dt97-
Prévention des facteurs de risque 01.htm) [71].
Permettre aux jeunes de ne pas commencer à fumer est du L’application de l’interdiction de fumer dans les lieux
fait du développement rapide de la dépendance un enjeu fréquentés par les jeunes joue un rôle très important dans la
majeur. De nombreux programmes de prévention primaire se « dénormalisation » du tabagisme et la diminution du nombre de
sont développés dans le monde comme en France : à titre fumeurs [35].
d’exemple « Club Pataclop » de la Ligue contre le cancer,
« Jamais la première » de la Fédération française de cardiologie.
Les interventions en milieu scolaire sont nombreuses. Une ■ Aide à l’arrêt du tabagisme
évaluation a été faite en 2006 par la base Cochrane [68]. Les chez l’adolescent
auteurs ont passé en revue toutes les interventions dans les
écoles sur la conduite des enfants (de 5 à 12 ans) et des « Il semble que le désir de cesser de fumer se manifeste
adolescents (de 13 à 18 ans) ayant pour but de les dissuader de maintenant plus tôt qu’auparavant, avant même la fin du lycée.
fumer et ayant un groupe témoin avec mesure du statut En fait, il semble souvent s’installer dès que le nouveau fumeur
tabagique à l’entrée dans l’étude. Cinq types d’intervention reconnaît qu’il est dépendant. Toutefois, l’envie de cesser et la
scolaire ont été étudiés : les simples informations (sur le tabac, satisfaction de cette envie sont deux choses tout à fait différen-
les risques, la prévalence et l’incidence du tabagisme) ; les tes comme le candidat au sevrage l’apprend vite. » (Kwechansky
interventions sur les compétences sociales (habileté sociale, Marketing research, Inc pour le compte d’Imperial Tobacco Ltd
autogestion, augmentation de l’estime de soi, lutte contre le [Canada], mai 1982).
stress et l’anxiété, interaction avec autre sexe...) ; celles sur Plus d’un adolescent sur deux souhaite arrêter de fumer [6].
l’influence sociale (entraînement à la résistance) ; les actions Mais les difficultés à l’arrêt sont nombreuses, liées aux facteurs
combinant plusieurs méthodes (compétences et influences de risques environnementaux, à ceux du produit et aux facteurs
sociales) ; et les programmes multiples (scolaires, programmes de vulnérabilité psychologique déjà décrits qui entraînent un
pour les parents et actions législatives [prix, interdiction...]). Les manque de motivation réelle. Le changement d’un comporte-
résultats étaient mesurés sur la prévalence des non-fumeurs dans ment comme celui de fumer nécessite un temps de maturation
les suites de l’intervention parmi ceux qui ne fumaient pas au et le passage d’un certain nombre d’étapes décrites par Pro-
départ (la validation biochimique du statut tabagique n’était pas chaska et Diclemente [72] (Fig. 5). De l’étape de « fumeur
exigée) ; certaines études donnaient également des résultats à consonnant » ou « fumeur satisfait » à celle d’ex-fumeur, le sujet
long terme. Une méta-analyse n’a pu être réalisée du fait de tabagique selon les évènements de vie, ses croyances, ses
l’hétérogénéité des analyses. Sur 209 enquêtes témoins étudiées, capacités et les informations reçues va avancer plus ou moins
94 études randomisées ont été retenues et seules 24 ont une rapidement sur ce chemin. Afin d’aider l’adolescent à le
haute qualité méthodologique : une étude sur l’information parcourir plus rapidement, l’aide motivationnelle semble
seule, deux sur les compétences sociales, 13 sur l’influence nécessaire. Étudiée dans la prise en charge des adolescents
sociale, trois sur une combinaison des deux précédentes, une utilisateurs de cannabis, une approche motivationnelle inspirée
comparant un travail sur l’influence sociale et l’information et de l’entretien motivationnel de Miller et Rollnick [73] s’est
enfin quatre programmes « multiples ». La seule étude sur montrée efficace [74]. Elle devrait être utilisée pour l’adolescent

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Adolescents et tabac ¶ 37-213-B-35

Les autres traitements d’arrêt du tabac, le Zyban® (Bupropion)


Indétermination ainsi que la varénicline qui est commercialisée aux États-Unis
depuis 2006, ne sont pas indiqués avant 18 ans.
Peu d’études de bonne méthodologie ont été faites sur
l’intérêt des programmes communautaires chez les adolescents.
Chez l’adulte, les programmes de prise en charge personnelle
Progrès

Intention
(self-help), les brochures, les programmes télévisuels, les systèmes
experts de conseils téléphoniques (en France, Tabac-Info-
Service, 0 825 309 310 0,15 Q la minute), Internet, ont montré
leurs intérêts [35] . Ils sont d’autant plus efficaces s’ils sont

Rechute
Préparation associés.
Le conseil bref donné par un professionnel de santé (conseil
minimal) a également prouvé son efficacité et est recommandé
dans les consensus nationaux [11, 76].
Au total, nous pouvons conclure qu’il est nécessaire d’infor-
Action mer les étudiants sur les possibilités de prise en charge et de
développer plusieurs niveaux de prise en charge comme chez
l’adulte (aide à la motivation, association de substitution
nicotinique et de prise en charge psychothérapique). Ces actions
seront renforcées par les actions collectives à l’aide individuelle.
Consolidation

Figure 5. Stades de Prochaska et DiClemente [72].


■ Conclusion
fumeur de tabac et évaluée comme elle l’est chez l’adulte [75]. Les conduites de dépendance sont parmi les conduites qui
Les approches psychothérapeutiques de type comportemental et renvoient à des troubles psychopathologiques celles qui inter-
cognitif ont fait preuve d’efficacité dans l’aide à l’arrêt du rogent le plus le clinicien sur les frontières entre le normal et le
tabac [11]. Elles ont été recommandées dans la Conférence de pathologique, dimension qui participe à expliquer l’engouement
Consensus sur l’arrêt de la consommation de tabac [76]. L’appro- que ces troubles suscitent tant dans le grand public que chez les
che la plus utilisée comporte quatre phases : alliance thérapeu- chercheurs et les thérapeutes [18]. Parmi celles-ci, le tabagisme
tique, phase d’auto-observation, phase de modification est le problème le plus important de santé publique. Commen-
comportementale, phase de suivi et de prévention des repri- çant le plus souvent à l’adolescence, des efforts majeurs doivent
ses [35]. Une étude randomisée incluant 261 jeunes de 16 ans en donc être portés vers cette population, afin de l’aider à ne pas
moyenne dans deux groupes, un groupe recevant quatre commencer ou à sortir du tabac le plus rapidement possible ;
sessions de thérapie comportementale et un groupe sans efforts à porter par tous, grand public, chercheurs et thérapeu-
intervention n’a pas retrouvé, 12 mois après, de différences tes. Les études publiées sur le tabagisme chez les adolescents ces
significatives quant aux nombres d’arrêt du tabac dans les deux dernières années permettent de tirer quelques enseignements. Il
groupes [77]. semble utile d’accompagner un enfant puis un adolescent dans
La prise en charge financière des traitements d’aide à sa réflexion sur le tabagisme en l’aidant à se construire une
l’arrêt du tabac pourrait être un élément intéressant identité de non-fumeur valorisante et en développant les
chez les adolescents. D’après l’Institut National de la Santé compétences sociales et les moyens de résistance à l’influence
publique du Québec (http : //www.inspq.qc.ca/pdf/publications/ sociale. C’est le rôle des parents, de la famille mais aussi de tous
468-ProgrammeRembAidesPharmacoArretTabac-PhaseI.pdf) les les éducateurs et acteurs qui vont l’accompagner dans sa
études chez l’adulte mesurant l’impact d’un remboursement des construction. La dénormalisation du tabagisme dans la société
aides ou leur gratuité montrent, pour la plupart d’entre elles, un est également un élément déterminant face à l’influence des
effet positif sur le taux d’utilisation des aides et le nombre de adultes fumeurs, des parents, des pairs mais aussi des personnes
tentatives d’arrêt. Elles démontrent aussi un effet positif sur le auxquels les plus jeunes s’identifient dont les chanteurs et les
taux d’abstinence de ceux qui les ont utilisées [78]. acteurs. Le développement de la prévention, du dépistage et du
traitement des troubles de la personnalité et des troubles
psychiatriques naissant dans l’enfance ou l’adolescence est aussi
■ Traitements un élément majeur de cette prévention. Mais des études restent
à faire, en particulier afin de mieux comprendre les actions de
Plusieurs traitement médicamenteux ont obtenu en France et la nicotine sur le cerveau en formation des adolescents et sur les
en Europe l’indication « aide à l’arrêt du tabac ». Ce sont la mécanismes sous-tendant le développement des dépendances
substitution nicotinique, le Zyban® (Bupropion) et la varéni- physiques et psychocomportementales. Enfin, il reste à amélio-
cline. L’aide thérapeutique chez les adolescents a fait l’objet de rer ou mettre en place de nouvelles stratégies d’aide à l’arrêt
peu d’études. spécifiques pour les adolescents, puis les évaluer [82, 83].
Smith et al. ont administré un timbre de 22 mg/j à 22 ado-
lescents de 13 à 17 ans fumant entre 20 et 35 cigarettes par
jour : 19 ont fini l’étude, un seul était abstinent à 6 mois [79]. ■ Références
Dans une autre étude utilisant des timbres de 15 mg/16 heures
proposés à 101 adolescents fumant de 10 à 40 cigarettes/j, 11 % [1] Guilbert P, Gauthier A. Baromètre Santé 2005. Paris: INPES; 2006.
d’abstinents étaient trouvés à la fin du traitement de 6 semaines [2] Jeammet P. L’adolescence. Paris: Solar; 2001 (272p).
et seulement 5 % à 6 mois [80]. [3] Godeau E, Navarro F, Vignes C. Tabac. In: La santé des élèves de 11 à
15 ans en France. édition Institut National de Prévention et d’Éduca-
Dans une enquête portant sur l’utilisation des substituts
tion à la Santé (INPES; 2005 (284p).
nicotiniques (TSN) aux États-Unis [81], parmi les fumeurs de
[4] Choquet M. Le tabagisme des jeunes dans sept pays européens. Bull
moins de 18 ans, 17 à 20 % ont déjà utilisé ou utilisent des Epidémiol Hebd 2006(n°21/22):148-50.
substituts nicotiniques pour arrêter de fumer ou réduire leur [5] Legleye S, Spilka S, Beck F. Le tabagisme des adolescents en France,
consommation. Mais presque 30 % des fumeurs de cette étude suite aux récentes hausse des prix. Bull Epidémiol Hebd 2006(n°21/22):
disent utiliser simultanément cigarettes et TSN. Cela pose 150-2.
question : la réduction obtenue avec les TSN favorise-t-elle le [6] Oddoux K, Peretti-Watel P, Baudier F. Tabac. In: Baromètre Santé 2000,
développement de la dépendance ou au contraire aide-t-elle à résultats. Comité Français d’Éducation à la Santé (CFES; 2001.
s’en libérer ? Enfin, 18 % des utilisateurs de TSN disent n’avoir p. 77-118.
jamais fumé. Cela incite à étudier les raisons qui amènent ces [7] Karila L. Prise en charge des troubles psychiques et des addictions.
jeunes à utiliser les substituts nicotiniques. Paris: JB Baillière; 2005 (244p).

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-213-B-35 ¶ Adolescents et tabac

[8] Choquet M, Beck F, Hassler C, Spilka S, Morin D, Legleye S. Les [40] Malone KM, Waternaux C, Haas GL, Cooper TB, Li S, Mann JJ. Ciga-
substances psychoactives chez les collégiens et les lycéens : consom- rette smoking, suicidal behavior and serotonine function in major
mation en 2003 et évolution depuis 10 ans. Tendances 2004(n°35). psychiatric disorders. Am J Psychiatry 2003;160:773-9.
[9] Choquet M, Huas C, Hassler C. La consommation de substances chez [41] Brody CL, Hamer DH, Haaga DA. Depression vulnerability, cigarette
les adolescents. http://www.lesouffle.org/e_upload/pdf/choquet.pdf. smoking and serotonine transporter gene. Addict Behav 2005;30:
[10] INSERM. Tabac, comprendre la dépendance pour agir. Expertise col- 557-66.
lective. Paris: INSERM; 2004. [42] Audrain-McGovern J, Lerman C, Wileyto EP, Rodriguez D,
[11] AFSSAPS. Recommandations de bonnes pratiques, les stratégies Shields PG. Interacting effects of genetic predisposition and depression
médicamenteuses et non médicamenteuses de l’aide à l’arrêt du tabac on adolescent smoking progression. Am J Psychiatry 2004;161:
– argumentaire. 2003 (70p). 1224-30.
[12] Reynaud M. Présentation. In: Thérapies comportementales et [43] La santé des jeunes en Bretagne, synthèse. DRASS; 2003.
cognitives et addictions. Paris: Flammarion; 2006. p. 2-12. [44] Choquet M, Morin D, Hassler C, Ledoux S. Is alcohol, tobacco and
[13] Reynaud M. L’amour est une drogue douce... en général. Paris: Robert cannabis use as well as polydrug use increasing in France? Addict
Laffont; 2005. Behav 2004;29:607-14.
[14] Reynaud M, Parquet PJ, Lagrue G. Les pratiques addictives. Paris: [45] Rohde P, Kahler CW, Lewinsohn PM, Brown RA. Psychiatric
Odile Jacob; 2000 (273p). disorders, familial factors, and cigarette smoking: III.Associations with
[15] Reynaud M. Quelques éléments pour une approche commune des cessation by young adulthood among daily smokers. Nicot Tob Res
addictions. In: Traité d’addictologie. Paris: Flammarion; 2006. p. 3-13. 2004;3:509-22.
[16] Cottraux J. Les thérapies comportementales et cognitives. Paris: [46] Léjard JP. Les sportifs et le tabac. Symbiose 1998;18(3).
Masson; 2002 (351p). [47] Thomson CC, Fisher LB, Winickoff JP, Colditz GA, Camargo Jr. CA,
[17] Pomerleau OF, Collins AC, Shiffman S, Pomerleau CS. Why some King 3rd C, et al. State tobacco excise taxes and adolescent smoking
people smoke and others do not: new perspectives. J Consult Clin behaviors in the United States. J Public Health Manag Pract 2004;10:
Psychol 1993;61:723-31. 490-6.
[18] Corcos M, Flament M, Jeammet P. Les conduites de dépendance. Paris: [48] De Beaurepaire R. Effets du tabac sur les neurones sérotoninergiques.
Masson; 2003 (424p). In: Tabac, comprendre la dépendance pour agir, expertise collective.
[19] Pélissolo A, Notides C, Pezous AM, Lépine JP. Le modèle de Cloninger Paris: INSERM; 2004. p. 437-43.
appliqué aux toxicomanies. Neuropsychiatrie 1998;13:24-31. [49] Cornelius MD, Leech SL, Goldschmidt L, Day NL. Is prenatal tobacco
[20] Cloninger SC. La personnalité. Paris: Flammarion; 1999 (567p). exposure a risk factor for early adolescent smoking? A follow-up study.
[21] Michel G. Prise de risque chez l’adolescent : les facteurs de Neurotoxicol Teratol 2005;27:667-76.
vulnérabilité. Rev Prat Méd Gén 2001;15(525):238-42. [50] Saadjian M, Gouitaa M, Lanteaume A, Ramadour M, Vervloet D. Fac-
[22] Carton S. Vulnérabilité psychologique au tabagisme. In: Tabac, com- teurs associés au tabagisme en classe de sixième. Rev Mal Respir 2002;
prendre la dépendance pour agir, expertise collective. Paris: INSERM; 19:431-4.
2004. p. 373-84. [51] Bricker JB, Leroux BG, Peterson Jr. AV, Kealey KA, Sarason IG,
[23] DiFranza JR, Savageau JA, Rigotti NA, Ockene JK, McNeill AD, Andersen MR, et al. Nine-year prospective relationship between
Coleman M, et al. Trait anxiety and nicotine dependence in adolescents: parental smoking cessation and children’s daily smoking. Addiction
a report from DANDY study. Addict Behav 2004;29:911-9. 2003;98:585-93.
[24] Patton GC, Carlin JB, Coffey C, Wolfe R, Hibbert M, Bowes G. [52] Botvin GJ, Dusenbury L, Baker E, James-Ortiz S, Kerner J. A skills
Depression, anxiety, and smoking initiation: a prospective study over 3 training approach to smoking prevention among Hispanic youth.
years. Am J Public Health 1998;88:1518-22. J Behav Med 1989;12:279-96.
[25] Sonntag H, Wittchen HU, Hofler M, Kessler RC, Stein MB. Are social [53] Nichols HB, Harlow BL. Childhood abuse and risk of smoking onset.
fears and DSM-IV social anxiety disorder associated with smoking and J Epidemiol Community Health 2004;58:402-6.
nicotine dependence in adolescents and young adults? Eur Psychiatry [54] Choquet M, Ledoux S. Attentes et comportements des adolescents.
2000;15:67-74. Paris: INSERM; 1998 (165p).
[26] Boys A, Farrell M, Taylor C, Marsden J, Goodman R, Brugha T, et al. [55] Tyas SL, Pederson LL. Psychosocial factors related to adolescent
Psychiatric morbidity and substance use in young people aged 13-15 smoking: a critical review of the literature. Tob Control 1998;7:409-20.
years: results from the Child and Adolescent Survey of Mental Health. [56] Stallings MC, Hewitt JK, Beresford T, Heath AC, Eaves LJ. A twin
Br J Psychiatry 2003;182:509-17. study of drinking and smoking onset and latencies from first use to
[27] Becona E, Miguez MC. Smoking and depressive symptoms among regular use. Behav Genet 1999;29:409-21.
children ages 11 to 16 years. Psychol Rep 2004;95:953-6. [57] Wahl S, Turner L, Mermelstein R, Flay B. Adolescents’ smoking
[28] Binder P, Chabaud F. Dépister les conduites suicidaires des adoles- expectancies: Psychometric properties and prediction of behavior
cents. Rev Prat Méd Gén 2004;18(n°652-653):658-61. change. Nicot Tob Res 2005;7:613-23.
[29] Dierker L, Avenevoli S, Stolar M, Merikangas KR. Smoking and [58] Karsenty S. Déterminants sociaux dans la dépendance au tabac. In:
depression: an examination of mechanisms of comorbidity. Am Tabac, comprendre la dépendance pour agir, expertise collective. Paris:
J Psychiatry 2002;159:947-53. INSERM; 2004. p. 391-404.
[30] Kollins SH, McClernon FJ, Fuemmeler BF. Association between [59] Dupont P. In: Tabac, cannabis... et adolescents. Introduction. Paris:
smoking and attention deficit/hyperactivity disorder symptoms in a éditions Cramif; 2004. p. 2-5.
population-based sample of young adults. Arch Gen Psychiatry 2005; [60] Colby SM, Tiffany ST, Shiffman S, Niaura RS. Are adolescent smokers
62:1142-7. dependent on nicotine?Areview of the evidence. Drug Alcohol Depend
[31] Bailly D. L’angoisse de séparation. Paris: Masson; 2004 (143p). 2000;59(suppl1):S83-S95.
[32] Jouanne C. Régulation des émotions et recherche de sensation dans les [61] McNeill AD. The development of dependence on smoking in children.
consommations de substances psychoactives, Paris. 2005. Br J Addict 1991;86:589-92.
[33] Gilbert DG, Crauthers DM, Mooney DK, McClernon FJ, Jensen RA. [62] Rojas NL, Killen JD, Haydel KF, Robinson TN. Nicotine dependence
Effects of monetary contengencies on smoking relapse: influences of among adolescent smokers. Arch Pediatr Adolesc Med 1998;152:
trait depression, personality, and habitual nicotine intake. Exp Clin 151-6.
Psychopharmacol 1999;7:174-81. [63] Heatherton TF, Kozlowski LT, Frecker RC, Fagerstrom KO. The
[34] Gorwood P. Approches génétiques du syndromique au dimensionnel. Fagerström Test for Nicotine dependence: a revision of the Fagerström
In: Les troubles de la personnalité. Paris: Flammarion; 2002. p. 66-78. Tolerance questionnaire. Br J Addict 1991;86:1119-27.
[35] INSERM. Tabagisme. Prise en charge des étudiants. Paris: INSERM; [64] Moolchan ET, Berlin I, Robinson ML, Cadet JL. Characteristics of
2004. African American teenage smokers who request cessation treatment:
[36] Mini IV DSM. Critères diagnostiques. Paris: Masson; 1997 (361p). implications for addressing health disparities. Arch Pediatr Adolesc
[37] Breslau N, Novak SP, Kessler RC. Psychiatric disorders and stages of Med 2003;157:533-8.
smoking. Psychiatry Biol 2004;55:69-76. [65] DiFranza JR, Rigotti NA, McNeill AD, Ockene JK, Savageau JA, St
[38] Karp I, O’Loughlin J, Hanley J, Tyndale RF, Paradis G. Risk factors for Cyr D, et al. Initial symptoms of nicotine dependence in adolescents.
tobacco dependence in adolescent smokers. Tob Control 2006;15: Tob Control 2000;9:313-9.
199-204. [66] DiFranza JR, Savageau JA, Fletcher K, Ockene JK, Rigotti NA,
[39] Steuber TL, Danner F. Adolescent smoking and depression: which McNeill AD, et al. Measuring the loss of autonomy over nicotine use in
comes first? Addict Behav 2006;31:133-6. adolescents. Arch Pediatr Adolesc Med 2002;156:397-403.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Adolescents et tabac ¶ 37-213-B-35

[67] Classification Internationales des troubles mentaux et des troubles du [76] Conférence de consensus sur le sevrage tabagique. Paris: ANAES-
comportement. Paris: OMS-Masson; 2002 (305p). EDK; 1998 (30p).
[68] Thomas R, Perera R. Thomas R, Pereira R. School-based programmes [77] Robinson LA, Vander Weg MW, Riedel BW, Klesges RC, McLain-
for preventing smoking. Cochrane Database Syst Rev 2006(3) Allen B. “Start to stop”: results of a randomised controlled trial of a
(CD001293). smoking cessation programme for teens. Tob Control 2003;12(suppl4):
[69] Peterson Jr. AV, Kealey KA, Mann SL, Marek PM, Sarason IG. IV26-IV33.
Hutchinson Smoking Prevention Project: a long-term randomized trial [78] Leaune V, de Grosbois S, Guyon L. Programme québécois de rembour-
in school-based smoking prevention programs. J Natl Cancer Inst sement des aides pharmacologiques à l’arrêt tabagique - Phase 1:
2000;92:1979-91. Recension des écrits scientifiques sur l’effıcacité et l’effıcience des aides
[70] Schepis S. Rao R. Epidemiology and etiology of adolescent smoking. pharmacologiques et survol du fonctionnement du programme depuis
Curr Opin Pediatr 2005;17:607-12. sa mise en place. Institut national de santé publique du Québec; 2006
[71] Comité de pharmacologie et des substances dangereuses, Société cana-
(48p).
dienne de pédiatrie. L’effet de la variation du prix de la cigarette sur
[79] Smith TA, House Jr. RF, Croghan IT, Gauvin TR, Colligan RC,
l’usage du tabac chez les adolescents. Paediatr Child Health 1998;3:
Offord KP, et al. Nicotine patch therapy in adolescent smokers.
99-100.
[72] Prochaska JO, DiClemente CC. Stages and processes of self-change of Pediatrics 1996;98:659-67.
smoking: towards an integrative model of change. J Consult Clin [80] Hurt RD, Croghan GA, Beede SD, Wolter TD, Croghan IT, Patten CA.
Psychol 1983;51:390-5. Nicotine patch therapy in 101 adolescent smokers. Arch Pediatr
[73] Rollnick S, Miller WR. What is motivational interviewing? Behav Adolesc Med 2000;154:31-7.
Cogn Psychother 1995;23:325-34. [81] Klesges LM, Johnson KC, Somes G, Zbikowski S, Robinson L. Use of
[74] Rahioui H, Benyamina A. Prise en charge des usagers de cannabis. In: nicotine replacement therapy in adolescent smokers and nonsmokers.
Reynaud M, editor. Cannabis santé. Paris: Flammarion; 2004. Arch Pediatr Adolesc Med 2003;157:517-22.
p. 170-84. [82] Aubin HJ, Dupont P, Lagrue G. Comment arrêter de fumer?. Paris:
[75] Dupont P. Principes de la prise en charge du sujet tabagique. In: Odile Jacob; 2003 (185p).
Reynaud M, editor. Traité d’addictologie. Paris: Flammarion; 2004. [83] Lagrue G. Tabagisme et adolescent. In: Reynaud M, editor. Traité
p. 442-9. d’addictologie. Paris: Flammarion; 2004. p. 411-7.

P. Dupont, Médecin tabacologue (patrick.dupont@pbr.aphp.fr).


M. Reynaud, Chef du département de psychiatrie et d’addictologie.
Hôpital Universitaire Paul Brousse, 12, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Dupont P., Reynaud M. Adolescents et tabac. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-213-B-35, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 37-213-A-10

37-213-A-10

Entretien avec l’adolescent


et son évaluation
D Marcelli R é s u m é. – Pour un adolescent, pouvoir parler de son monde psychique interne, de ses
émotions, de ses affects, pouvoir aborder ses diverses angoisses, ses craintes de la folie,
énoncer ses colères et ses envies destructrices, etc, avec un adulte qui n’est ni un proche ni
une figure d’autorité est une expérience inhabituelle et rare. Ce peut être aussi l’occasion de
pouvoir clarifier ses pensées, ses représentations de soi et des autres, d’échanger avec ses
parents en présence d’un « étranger ». Tout cela constitue une expérience très nouvelle pour
un jeune, expérience qui, si elle est réussie, est enrichissante et par elle-même
thérapeutique. C’est dire l’importance qu’il convient d’attacher aux entretiens d’évaluation
dont l’objectif est triple : évaluer certes les divers « symptômes » dont souffre cet adolescent
mais aussi la dynamique familiale ; tenter de mettre ce jeune en contact avec l’origine de ses
conflits psychiques et lui montrer qu’il en est à la fois le dépositaire et l’agent ; développer la
curiosité de cet adolescent pour son monde psychique interne et créer peu à peu les
conditions d’une psychothérapie ultérieure.
Ainsi compris, les entretiens d’évaluation ont non seulement un intérêt diagnostique mais ont
aussi valeur de consultation thérapeutique. Pour cela, l’entretien ne devrait pas se limiter à
un simple recueil d’informations qu’on peut éventuellement obtenir par des procédures
standardisées, mais devrait toujours restituer à ce jeune en termes simples et adaptés
l’information et la connaissance qu’on a pu obtenir sur lui. L’objectif essentiel est d’aider cet
adolescent à devenir le sujet de ses pensées, affects et émotions afin qu’il n’en soit plus la
victime ou l’otage.
© 1999, Elsevier, Paris.

Introduction divers domaines de la clinique psychiatrique de l’adolescent (sémiologique,


nosographique, psychopathologique, psychodynamique, individuel,
À l’époque du magnétoscope omniprésent et triomphant, n’est-il pas pour le interindividuel familial...). C’est aussi un objectif thérapeutique : du fait du
moins paradoxal d’écrire, par conséquent de fixer sur un support immuable dévoilement, de l’énonciation, des tentatives de clarification des diverses
ce qu’il y a de plus mouvant, de plus subjectif, de plus insaisissable, de plus difficultés et symptômes, les entretiens peuvent avoir un effet thérapeutique
variable d’un praticien à l’autre, d’un adolescent à l’autre, c’est-à-dire certain. Se contenter d’un recueil d’informations, sans formuler en
l’entretien clinique ? contrepartie diverses propositions thérapeutiques risque de représenter pour
Entre la liste des questions à poser, la collection de symptômes à recueillir, les l’adolescent et son entourage une intrusion intolérable et stérile. Les
anamnèses à reconstruire d’un côté, la multitude des interactions possibles de entretiens avec l’adolescent devraient donc avoir toujours cette double
l’autre, vouloir ainsi décrire l’entretien clinique constitue une entreprise pour fonction : évaluation d’un côté, thérapeutique de l’autre.
le moins audacieuse sauf à présenter une grille de « décodage », résumé des
L’interaction qui se déploie pendant l’entretien constitue l’instrument de cette
diverses classifications en particulier DSM, CIM ou de questionnaires
standardisés dont on sait la mode actuelle en psychiatrie. double démarche. La particularité de l’entretien avec l’adolescent est que
cette interaction adolescent-consultant est, dès le début de la rencontre, prise
Pourtant l’entretien clinique nous plonge dans l’intimité du clinicien, intimité dans un investissement d’allure transférentielle immédiat et intense (Male P,
de sa pratique mais aussi de ses options théoriques : l’entretien est notre 1982) [11] . D’emblée l’adolescent « attribue » au consultant un statut, des
microscope, notre « scanner » : il nous permet de voir ce sur quoi on peut jugements, une fonction qui dépendent étroitement de ses propres relations à
mettre au point en fonction des paramètres utilisés. Décrire l’entretien ses images parentales et à la manière dont il intègre le cours actuel du
clinique, c’est donc inéluctablement parler de son expérience, ou du moins
processus d’adolescence.
parler à partir de son expérience. Mais c’est aussi préciser le cadre dans lequel
il se déroule, donc les modes théoriques de compréhension de l’adolescence L’importance et l’immédiateté de cet « investissement » présentent un
en tant que processus et des événements psychiques que le clinicien observe. inconvénient et un avantage. Un inconvénient, car il risque d’obscurcir et de
Le but de l’entretien clinique est double, concomitance d’objectifs que l’on rendre plus difficile l’évaluation : sauf quelques exceptions, l’adolescent n’a
doit toujours garder à l’esprit. C’est d’abord un objectif d’évaluation dans les pas spontanément tendance à reconnaître que ses symptômes et sa souffrance
lui sont personnels. En général, il en attribue l’origine et le maintien à des
facteurs externes : parents, enseignants, copains, société... Il n’est pas rare
qu’il prenne la personne du consultant comme un « représentant » de ces
prétendus facteurs externes ; le consultant devient alors « la cause » transférée
Daniel Marcelli : Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, centre hospitalier
© Elsevier, Paris

Henri Laborit, intersecteur Nord, cité hospitalière La Milétrie, BP 587 Poitiers, France.
des difficultés de l’adolescent. Ainsi certaines conduites de l’adolescent
peuvent survenir comme autant de manœuvres de sa part pour chercher à faire
réagir le clinicien et à l’inscrire dans un rôle parental et/ou social précis. Au
Toute référence à cet article doit porter la mention : Marcelli D. Entretien avec l’adolescent pire, l’adolescent peut « réagir » aux consultations par une apparente et
et son évaluation. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-213-A-10, 1999, 9 p.
paradoxale exacerbation des conduites les plus pathologiques, ce qui risque
37-213-A-10 ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION Psychiatrie

d’entraîner le consultant dans une escalade d’actions thérapeutiques de plus Évaluation individuelle
en plus lourdes ou contraignantes. Souvent cependant, cette rencontre
constitue pour l’adolescent la première occasion qui lui soit donnée de parler Théorie sous-tendant l’évaluation
de son monde interne, de ses affects, de ses émotions, de ses pensées, rêves ou
rêveries sans être jugé selon des critères moraux ou éthiques, et être aussitôt Comme on l’a déjà dit, cette évaluation dépend étroitement des options
pris dans une relation d’autorité type parent-enfant. Le consultant représente théoriques du consultant : son mode de compréhension privilégié de
souvent le premier adulte rencontré qui ne soit ni un membre de la famille, ni l’adolescence influe de façon notable à la fois sur la façon de conduire
une figure d’autorité (enseignant, éducateur...). D’une certaine façon, le l’entretien, mais surtout sur la mise en exergue de telle ou telle conduite. Nous
premier travail du consultant consiste en une sorte d’« apprentissage » de la citerons à titre d’exemple deux auteurs, Laufer et Masterson, dont l’analyse
relation nouvelle, apprentissage de la démarche réflexive, de la nécessité de des conduites sémiologiques est étroitement liée à/et dépendante des
clarification, d’énonciation, de délimitation des difficultés en même temps conceptions théoriques qu’ils utilisent (Laufer M 1986, 1989) [9, 10] .
que la reconnaissance de leur origine intrapsychique et pas seulement Ainsi, Laufer recherche avant tout les signes d’une « rupture » par rapport à la
réactionnelle. nouvelle image du corps sexué. De ce fait, il y a chez cet auteur une insistance
évidente sur toute la symptomatologie qui se rattache directement au corps et
Dans ces conditions, l’importance et l’immédiateté de cet investissement à la sexualité : boulimie, anorexie, tentative de suicide, masturbation
présentent aussi un avantage car il constitue un instrument thérapeutique compulsionnelle, ou absence de masturbation, comportement sexuel pervers,
précieux. Cette nouvelle relation peut en effet provoquer rapidement une etc. Les divers symptômes sont compris comme des signes de lutte (fixation,
émergence d’affects jusque-là méconnus, enfouis ou refoulés, une régression, rejet, clivage,...) contre le sens nouveau que la puberté donne au
mobilisation rapide et intense des investissements pulsionnels et des contre- corps de l’adolescent.
investissements défensifs. Cela explique, dans les cas les plus heureux, les Masterson (in : Ladame F et Jeammet PH) [8] recherche d’abord et avant tout
améliorations ou même la disparition rapide des difficultés après quelques la trace des échecs dans le processus de « séparation-individualisation » et
entretiens. dans la constitution d’une « image de soi » autonome et séparée. Compte tenu
Quoi qu’il en soit, la rencontre avec un psychiatre, un psychologue clinicien, de ce registre de compréhension, les « symptômes » privilégiés se trouvent
mobilise toujours une crainte ou un fantasme omniprésent chez tout dans le domaine des relations d’objets, en particulier relation aux objets
adolescent, d’autant plus caché qu’il en redoute les effets : il s’agit de la parentaux (troubles de l’identité, impulsivité, instabilité affective, intolérance
crainte d’être anormal ou du fantasme d’être fou. Au minimum l’adolescent à la solitude ou retrait excessif, etc).
se demande si ses pensées, désirs, rêveries, rêves, « sont normaux ou Certes, ces deux exemples sont caricaturaux, mais ils ont le mérite d’illustrer
anormaux ». « Suis-je normal ? » est une question que l’adolescent se pose clairement la profonde intrication à cet âge entre la clinique et la théorie. Le
régulièrement. Plus profondément, l’adolescent peut être envahi par « la risque d’un ancrage théorique trop exclusif est probablement de conduire à
peur d’être fou » ou même développe la conviction « d’être vraiment fou » ; une compréhension univoque des conduites de l’adolescent ; inversement, le
certaines des conduites les plus déviantes peuvent alors constituer une lutte risque d’un décryptage des symptômes sans support théorique peut conduire
contre ce fantasme ou une manœuvre paradoxale pour le confirmer et faire à privilégier l’aspect purement factuel et agi des conduites. Or l’adolescent
cesser le doute. Dans ces conditions, la rencontre avec le psychiatre risque pose de nombreux actes sous-tendus par un versant mentalisé, qui ne sont pas
d’être ressentie comme la confirmation des craintes ou, à tout le moins, tous des « passages à l’acte ». Si le consultant n’est pas porteur d’une
comme le renforcement du doute et de la souffrance qui s’y rattache. conception théorique donnant aux actes de l’adolescent un sens qui puisse les
L’actualisation de ce fantasme, du fait de la rencontre présente, explique que transcender, toute compréhension risque d’être occultée aux dépens d’une
parfois les conduites les plus pathologiques s’exacerbent à ce moment lecture purement comportementale (un fugueur, voleur, suicidaire,
précis. délinquant, toxicomane, etc) enfermant l’adolescent dans ses conduites et
favorisant de sa part les phénomènes de contre-identification négative.
On aura compris, pour l’ensemble des raisons explicitées ci-dessus, que
l’entretien avec l’adolescent est un moment crucial dans l’ordre de la L’entretien avec l’adolescent est pris dans cette contradiction à laquelle on
n’échappe pas : par sa compréhension théorique de l’adolescence, le clinicien
démarche diagnostique et thérapeutique. Il s’y ajoute aussi des difficultés
risque de « percevoir » de façon privilégiée certaines conduites et en négliger
spécifiques à la période de l’adolescence et à ses modes privilégiés
d’autres, mais inversement, du fait de l’absence de présupposé théorique, le
d’expression, ce qui risque d’en fausser ou d’en biaiser le résultat. Citons consultant risque de ne retenir que les multiples actes de l’adolescent comme
brièvement : autant d’écrans opaques à toute compréhension dynamique aliénant chacun
– une facilité parfois trop grande au repérage sémiologique des conduites (adolescent et consultant) à la répétition des actes.
externes et agies ; Ce dilemme ne sera surmonté que par une confrontation toujours renouvelée
– une difficulté notable à un repérage sémiologique des conduites les plus entre les données de la clinique et le modèle théorique utilisé : ce va-et-vient
mentalisées ; entre la pratique et la théorie, cette réévaluation permanente et nécessaire font
la richesse des entretiens cliniques avec l’adolescent.
– une difficulté parfois extrême à cet âge d’articuler le regroupement
symptomatique et l’évaluation du fonctionnement psychique en termes De façon certes schématique, on peut considérer que deux plans de
structurels ; compréhension dominent l’évaluation psychopathologique. D’un côté, le
plan préœdipien où l’analyse de l’élaboration du narcissisme, de la
– une dépendance à l’entourage (famille, environnement social) toujours constitution de l’identité dans leurs rapports aux objets primaires s’inscrit
plus importante que la relation singulière consultant-adolescent ne le laisse dans un point de vue génétique-historique. Ce plan correspond
de prime abord supposer, impliquant de ce fait d’élargir l’évaluation à cet particulièrement au modèle théorique, proposé par Blos, de l’adolescence
environnement. comme seconde phase de séparation-individualisation. Les applications
Conséquence logique des remarques précédentes, le consultant risque cliniques que Masterson en a déduites à propos des adolescents borderline en
souvent de se focaliser sur le versant externe, les « agir », l’environnement, sont une illustration évidente. D’un autre côté, le plan œdipien/génital
les passages à l’acte comme autant d’écrans au versant interne, vécus privilégie le remaniement actuel que la puberté suscite dans le corps, son
affectifs, symptômes endopsychiques, représentations mentales. image et le rapport nouveau à autrui, en particulier aux objets œdipiens. La
grille de lecture est avant tout synchronique et dynamique. Les hypothèses
Pour faire face à ces diverses difficultés techniques et répondre aux objectifs théoriques de Laufer ou les propositions plus récentes de Blos (le travail de
qu’il se fixe, l’entretien avec l’adolescent doit donc se donner un cadre précis l’adolescence comme désengagement du lien à l’objet œdipien) (Blos P,
que nous allons détailler. Nous décrirons d’abord le contenu de ces entretiens 1986) [1] correspondent plus directement à ce modèle de compréhension.
(évaluer quoi ?) avant d’en préciser la forme (évaluer comment ?) puis d’en À titre d’exemple encore, sauf à considérer l’angoisse dans ses diverses
analyser le déroulement (évaluer pourquoi ?). formes comme un « signe clinique » déconnecté de toute signification autre
que témoignant d’un trouble lésionnel ou d’un désordre neurochimique,
l’analyse de ce symptôme, si fréquent à cet âge bien que si souvent occulté
Entretiens d’évaluation : évaluer quoi ? par l’adolescent lui-même, ne peut s’abstraire d’une référence aux modèles
théoriques évoqués ci-dessus : angoisse de perte des limites de soi, angoisse
d’abandon, angoisse de séparation, angoisse face au corps sexué, angoisse
L’évaluation doit être individuelle, familiale et environnementale. Les face à la menace incestueuse, angoisse face aux fantasmes de parricide, etc.
entretiens ont pour objectif le recueil des données synchroniques et
diachroniques afin d’ébaucher un diagnostic non seulement synchronique, ce Repérage des conduites symptomatiques
qui est en général assez facile (par exemple : anorexie mentale, phobie
scolaire, dépression, épisode psychotique aigu...), mais aussi psycho- Compte tenu des précautions et prérequis énoncés au paragraphe précédent,
pathologique, ce qui est plus délicat (organisation à prévalence névrotique, le repérage des conduites symptomatiques constitue un premier temps de
psychotique, limite, narcissique, anaclitique), et également pronostique, ce l’entretien. La particularité de l’adolescence siège dans la facilité avec
qui est parfois très difficile. laquelle entourage, parents, adolescents se focalisent sur les conduites

page 2
Psychiatrie ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION 37-213-A-10

externalisées et agies au détriment des conduites plus mentalisées : ainsi des et monde interne subjectif, suscite une exacerbation des mécanismes
vécus subjectifs tels que l’angoisse, la souffrance dépressive, les craintes défensifs ; à l’opposé, évacuation du doute au profit d’une adhésion massive
dysmorphophobiques, un doute envahissant, des cauchemars répétitifs, une et sans nuance à un système de croyance quelconque (religieux,
pensée obsédante... peuvent pendant très longtemps ne pas être énoncés par philosophique, éthique) ou à un système délirant ; rapport de ce doute avec
l’adolescent, la symptomatologie apparente n’étant faite que de fléchissement l’identification sexuée, etc.
ou refus scolaires, conflit autour de l’heure d’endormissement, fugue, – L’évaluation des relations aux parents et aux membres de la famille :
repliement à la maison, tentative de suicide, conduite anorexique ou devront en particulier être pris en compte le degré d’entente ou de conflit, la
boulimique, etc. nécessité d’une opposition, la différenciation selon les parents ; la qualité des
À partir de ces remarques et par-delà l’évidente diversité clinique, il nous relations à la fratrie, aux grands-parents ; la capacité à situer la constellation
paraît important de clarifier les points sémiologiques suivants. familiale, à repérer chaque membre dans son identité sociale et familiale ; les
– La place de l’angoisse : les conditions de sa survenue, son caractère diffus intérêts partagés ou l’absence d’intérêt commun.
ou au contraire focalisé (sur une partie du corps, une conduite,...), l’entrave et – La qualité des relations aux pairs et des relations sociales : on pourra
la désorganisation qu’elle suscite dans le fonctionnement psychique ou au évaluer l’importance de ces relations, la capacité d’être seul mais aussi
contraire sa relative tolérance. Inversement devant des conduites l’aisance dans un groupe, la dépendance ou non au groupe, le degré de
désorganisées et pathologiques, l’absence de toute angoisse constitue un congruence entre les relations aux pairs et la famille, ou au contraire les choix
critère d’évaluation pronostique et thérapeutique important et souvent « antiœdipiens » de l’adolescent (des amis ou copains que les parents, compte
péjoratif (Braconnier A, 1988) [3]. tenu de leurs caractéristiques socioculturelles, ne peuvent que désapprouver),
– La tolérance à l’excitation interne : la recrudescence pulsionnelle à la les investissements sociaux maintenus ou brusquement interrompus (pratique
puberté explique la fréquente tension interne et ses rapides fluctuations. Le d’un sport, d’une activité culturelle artistique,...). Bien évidemment, l’intérêt
degré d’impulsivité, l’existence de conduites conduisant à des ruptures pris à la scolarité, mais aussi et surtout les projets professionnels ou du moins
(fugues, crise clastique, tentative de suicide, alcoolisation aiguë, crise les idées de métier pouvant guider l’adolescent sont aussi à évaluer.
boulimique aiguë,...), les désorganisations soudaines et complètes du Ces deux dernières lignes d’évaluation énoncées dans les deux derniers
fonctionnement psychique sont des critères d’évaluation importants. Les paragraphes permettent d’approfondir ce que nous avons appelé la tolérance
fluctuations de cette excitation interne seront mises en relation avec l’objet à l’excitation interne et la qualité du lien de dépendance. Ce lien de
ou plus exactement la distance à l’objet. Le rapprochement de l’objet dépendance aux objets particulièrement investis (parents, certes, mais aussi
provoque-t-il une excitation croissante et désorganisante ? Ce paramètre les déplacements de ces figures parentales sur d’autres personnes ainsi que
permet une évaluation de la qualité du lien de dépendance. De nombreuses les relations aux pairs, au petit ami ou à la petite amie) permet-il l’apaisement
conduites pathologiques sont à l’adolescence des tentatives de lutte contre un des tensions internes à mesure que l’objet se rapproche ou au contraire
lien de dépendance ressenti comme intolérable. On peut évaluer la pathologie suscite-t-il une excitation croissante ?
induite par ce lien de dépendance en constatant les fluctuations extrêmes de Évaluation économique, dynamique
l’état tensionnel interne en fonction de la distance à l’objet : excitation et génétique des conduites repérées
croissante et désorganisante à mesure que l’objet se rapproche, effondrement
et vide interne quand l’objet s’éloigne ou disparaît... Après avoir repéré ces conduites telles qu’elles sont énoncées dans les
– La qualité de l’humeur et ses fluctuations : spontanément l’adolescent ne paragraphes précédents, il importe de les replacer dans le cadre du travail
parle pas ou rarement d’état dépressif, de souffrance morale...(Marcelli D psychique de l’adolescent afin d’en évaluer la fonction : valeur maturative
permettant temporairement de lier l’angoisse en libérant par ailleurs le
1995) [12]. Les conduites de retrait, le désinvestissement, le fléchissement
fonctionnement psychique ; entrave profonde à ce mouvement maturatif ; ou
scolaire, voire une opposition, des colères brusques peuvent masquer une
plus encore rôle défensif, régressif, bloquant l’évolution naturelle. Certes,
problématique dépressive sous-jacente. Inversement, une excitation de
cette analyse psychopathologique des conduites n’est pas spécifique à
l’humeur peut se manifester par divers « passages à l’acte » (fugue, rupture
l’adolescence, mais le contexte y apporte des notations particulières. Il ne
scolaire, insomnie,...) facilement repérée mais risquant d’occulter la s’agit pas ici de reprendre l’ensemble de la psychopathologie, mais à titre
perturbation de l’humeur sur le versant expansif. d’exemple nous citerons ces quelques cas particuliers pour montrer
– Le rapport au corps : la pudeur ou une certaine honte peut conduire l’importance de cette analyse discriminative. Nous prendrons l’exemple des
l’adolescent à masquer ou simplement à ne pas parler de conduite impliquant dysmorphophobies, du conflit avec les parents et de l’investissement scolaire.
le corps et ses représentations. Les conduites alimentaires (anorexie, Les dysmorphophobies, vécu de honte rattaché à une partie du corps, sont
boulimie, vomissements) peuvent être longtemps tenues secrètes, parfois fréquentes à l’adolescence. Il convient cependant, d’un point de vue
même aux yeux de la famille. Les troubles du sommeil sont fréquents génétique, de distinguer clairement, d’un côté les dysmorphophobies
(difficultés d’endormissement, cauchemars,...). De même un vécu concernant une partie du corps en rapport avec la puberté (par exemple une
dysmorphophobique, une crainte hypocondriaque peuvent sous-tendre et dysmorphophobie portant sur les seins, sur les boutons d’acné, sur la
expliquer une conduite d’isolement, de retrait, l’arrêt d’une pratique sportive musculature), et d’un autre côté une dysmorphophobie s’attachant à une
ou au contraire un investissement excessif en secteur. partie du corps non modifiée par la puberté (dysmorphophobie portant sur le
– Le rapport au corps sexué : certes, toutes les conduites qui impliquent le nez, la forme des yeux, des oreilles,...). Sur le plan sémiologique, les unes
corps ont un rapport plus ou moins évident avec la sexualité, du moins la comme les autres peuvent entraîner des conduites d’isolement, de repliement
pulsion génitale (par exemple, régression orale dans certaines conduites et avoir des conséquences immédiates invalidantes. Mais en revanche sur le
boulimiques, ou tentative de maîtrise de toute pulsion y compris sexuelle au plan dynamique et évolutif, les premières témoignent d’un flottement
moyen de certaines conduites ascétiques ou anorexiques). Cependant, il transitoire presque normal dans l’image du corps et l’image de soi à un
importe d’explorer directement avec l’adolescent la place occupée par la moment où la puberté les modifie profondément (il existe donc une
nouvelle image de son corps et les conséquences : masturbation et vécu adéquation entre l’expression symptomatique et la maturation) ; les secondes
affectif qui s’y rattache, allure compulsionnelle que cette conduite peut signent en général un refus profond de l’image nouvelle du corps et un
prendre ou, au contraire, refus ou crainte de toute masturbation ; fantaisie de déplacement de ce refus sur un segment de ce corps avec, sous-jacent, un
relation sexuelle, conduite sexuelle chaotique, sadique, masochiste, doute ou un rejet de l’identité sexuée. Si les premières tendent à disparaître,
éventuelle conduite homosexuelle et son contexte, vécu subjectif de la les secondes ne vont souvent qu’en s’accentuant. Si les premières incitent à la
passivité opposé à l’activité et vice versa. Aborder ces divers points avec banalisation pour en réduire les éventuelles incidences immédiates, les
l’adolescent demande tact et prudence. D’un côté, lorsque le consultant pose secondes doivent conduire à une exploration approfondie et à des propositions
directement des questions sur ce domaine, l’adolescent répond le plus souvent thérapeutiques conséquentes.
par la banalisation ou la négation (« ça va bien », « il n’y a pas de problè- Quand existe un conflit entre l’adolescent et ses parents, il est utile d’en
me... »). D’un autre côté, n’en pas parler peut induire une « conspiration du comparer l’intensité avec la qualité des relations que ce même adolescent peut
silence », l’adolescent ne s’autorisant jamais à aborder spontanément ces établir avec ses grands-parents et les autres adultes. Alors même qu’ils sont
questions alors même qu’elles sont au cœur de ses difficultés. Sinon au en conflit violent, intense avec leurs parents, de nombreux adolescents ont
premier ou deuxième entretien mais nécessairement au cours de l’évaluation, avec leurs grands-parents des relations satisfaisantes, voire recherchent ces
le consultant doit pouvoir signifier à l’adolescent qu’il est nécessaire de parler relations ; auprès d’autres adultes ils peuvent établir des relations de
de ces questions, que si un problème se pose à ce niveau, il sera indispensable confiance, d’amitié, d’estime. Même si le conflit avec la génération des
de le clarifier quand le moment sera venu. Cependant le consultant laisse parents peut susciter l’irruption de conduites plus ou moins bruyantes,
explicitement à l’adolescent le choix de ce moment. chaotiques, temporairement compromettantes pour l’avenir (tel, chez
– La place du doute dans la pensée de l’adolescent : le doute est au cœur de l’adolescent, un refus scolaire en miroir d’un surinvestissement scolaire chez
toute adolescence. Une de ses figurations fantasmatiques en est « la peur les parents), l’écart existant entre ce conflit et la qualité des relations avec la
d’être fou », une de ses énonciations conscientes, la question « suis-je génération grand-parentale constitue un bon indice du travail psychique en
normal ? ». L’évaluation de la place du doute et de la tolérance au doute est cours : le conflit, avec les uns est l’illustration clinique du besoin de
importante : envahissement du fonctionnement mental (affectif et surtout « désengagement du lien à l’objet œdipien », tandis que l’entente avec les
cognitif) par un doute généralisé et diffus qui estompe les limites entre réalité autres traduit la recherche d’une identification à un mythe ou à un rôle

page 3
37-213-A-10 ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION Psychiatrie

familial. Il en va de même quand l’adolescent trouve auprès d’un autre adulte Dans les cas les plus complexes, la représentation de l’arbre généalogique et
un modèle identificatoire temporaire. En revanche, certains adolescents sont la clarification des limites de chacun au cours d’une thérapie familiale peuvent
en conflit non seulement avec leurs parents mais avec l’ensemble des constituer un préalable indispensable à une approche thérapeutique
membres de la famille, voire avec tous les adultes systématiquement. De telles individuelle ultérieure.
attitudes témoignent en général de processus projectifs massifs, d’une
extrême rigidité du fonctionnement psychique, de l’utilisation de mécanismes Rencontre avec les parents
archaïques de défense ; en outre, un tel conflit ou une opposition généralisée
et systématique à tous les adultes ne peut que couper l’adolescent de toute Elle permet d’approfondir l’anamnèse de l’adolescent lui-même. L’évocation
possibilité identificatoire, de tout travail de différenciation, ce qui entrave ou de la petite enfance, la recherche des symptômes ou plus simplement des
bloque le processus évolutif et/ou maturatif normal (Kernberg O, 1989) [5]. conduites habituelles, des traits de caractère du petit enfant présentent le
La qualité de l’investissement scolaire chez l’adolescent doit être mise en double intérêt d’introduire la dimension du temps et de l’histoire et de
relation avec sa capacité à se projeter dans le futur et avec un intérêt pour un permettre à l’adolescent d’entendre une partie de son passé ; il arrive que ce
secteur professionnel particulier. Ainsi, un investissement scolaire important, soit pour lui la première fois. Le récit d’événements traumatiques, tels que
alors que l’adolescent n’a sincèrement aucune idée de métier ou aucun intérêt séparation, maladie ou hospitalisation, et des réactions du jeune enfant peut
particulier, traduit le plus souvent un investissement défensif (c’est ce que avoir un effet cathartique chez l’adolescent et ses parents. Les moments de
l’on observe souvent dans le cas des adolescentes anorexiques mentales) qui séparation dans l’enfance, la façon dont ils ont été gérés par la famille, leur
risque de s’effondrer brusquement. À l’opposé, l’absence de tout intérêt pour retentissement sur le développement de l’enfant constituent un bon modèle
un métier ou de toute capacité à se projeter dans l’avenir, jointe à un anamnestique permettant d’augurer de la qualité du « travail de séparation »
désinvestissement scolaire, peut traduire un refus d’investir ou une régression à venir pour l’adolescent.
grave. En revanche, un intérêt scolaire étayé par un projet professionnel ou De façon plus spécifique, il est intéressant d’évoquer avec les parents en
encore un refus scolaire conjugué à un intérêt marqué pour un engagement présence de l’adolescent leur motivation du choix du prénom, leur désir
dans une formation professionnelle précise témoignent l’un comme l’autre d’enfant avant la naissance et parfois même les circonstances de leur propre
des capacités de choix et d’identification de l’adolescent même si la seconde rencontre. Là encore ces remémorations, quand elles sont possibles,
éventualité peut être, dans l’actualité du refus scolaire, plus conflictuelle et introduisent la dimension du temps, relativisent l’intensité actuelle des
inquiétante pour les parents.
difficultés, jouent un rôle cathartique en déplaçant les lignes de conflit, en
ouvrant des espaces nouveaux de curiosité et d’intérêt, levant une partie du
Évaluation familiale refoulement, etc.
Cette évaluation familiale fournit des renseignements diagnostiques mais plus
L’évaluation familiale fait partie intégrante de l’évaluation de l’adolescent. encore des éléments pronostiques et des indicateurs thérapeutiques. À un
Comme toute évaluation d’un groupe, celle-ci est à la fois descriptive et niveau égal de désorganisation ou de difficultés entre deux adolescents, le
dynamique interactive. Les modalités pratiques seront précisées pronostic sera d’autant plus péjoratif que l’adolescent évolue dans une famille
ultérieurement. au fonctionnement projectif, aux modalités interactives perturbées. De même,
l’approche thérapeutique individuelle risque d’en être longtemps obérée ou
Description de la famille compliquée. Un exemple : lorsque le fonctionnement familial s’effectue sur
D’un point de vue descriptif, il est souhaitable d’obtenir des renseignements un mode projectif prévalent et que l’adolescent focalise ainsi sur sa personne
sur l’organisation formelle de la famille (présence ou non des deux parents, un processus de « désignation » pathologique, la prescription d’un
fratrie, autres membres de la famille, professions et intérêts, épisodes psychotrope, même si elle semble adéquate à la pathologie de l’adolescent
particuliers tels séparation, divorce, déménagement, chômage,...). Certains lui-même, aboutit fréquemment à une exacerbation paradoxale des conduites
renseignements sont d’une importance toute particulière à l’adolescence. Une symptomatiques. C’est comme si la prescription médicamenteuse venait
maladie physique grave et/ou chronique, une atteinte de l’intégrité physique amplifier les processus familiaux de désignation pathologique et les justifier ;
de l’un des parents constituent souvent pour l’adolescent un facteur de risque. l’adolescent risque alors de renforcer ses conduites d’ identification négative.
C’est encore plus vrai dans le cas d’une maladie mentale, de pathologie telle Les fréquents effets paradoxaux des prescriptions de psychotropes à
que l’alcoolisme ou un état dépressif. Des antécédents de tentatives de suicide l’adolescence s’expliquent probablement, en partie sinon en totalité, de cette
dans la famille, et plus encore de suicide, constituent toujours un facteur de manière.
risque notable. De tels antécédents, outre le risque en termes
épidémiologiques et héréditaires, vont interférer nécessairement avec le Évaluation environnementale
double travail d’identification et de « désengagement » au lien œdipien.
Il est souvent souhaitable d’évaluer l’environnement dans lequel évolue
Évaluation de la dynamique familiale l’adolescent. Cette évaluation se fait certes à partir de l’entretien avec
Elle est tout aussi essentielle même si elle est particulièrement délicate. La l’adolescent lui-même et avec ses parents. Cependant, il est parfois
présence d’un adolescent dans une famille constitue un « facteur de risque » nécessaire, après en avoir informé l’adolescent et obtenu l’accord, de
pour l’homéostasie familiale si on considère que, d’un côté l’objectif de rencontrer divers adultes concernés : travailleurs sociaux, éducateurs, juges
l’adolescent est de conquérir de nouveaux objets, donc d’obtenir un pour mineurs, enseignants,... On sait l’importance des relations aux pairs,
changement, tandis que l’autre objectif du groupe familial serait de conserver l’importance du groupe et de la bande à l’adolescence. Pour la quasi-totalité
son niveau de fonctionnement habituel. En miroir à la crise d’adolescence, a des conduites agies, l’évaluation de la psychopathologie de l’individu doit
été décrite une crise familiale, ou « crise parentale », au cours de laquelle les tenir compte du contexte dans lequel survient la conduite agie. Il est habituel
parents, individuellement mais aussi dans leurs relations de couple, ont à que la même conduite n’ait absolument pas la même signification
effectuer un travail de transformation psychique en écho à celui qu’effectue psychopathologique selon qu’elle survient l’adolescent étant seul ou au
leur adolescent. contraire en groupe, avec des copains au sein d’une bande... À titre
L’énonciation par les parents eux-mêmes des difficultés de l’adolescent telles d’exemple, la conduite d’alcoolisation d’un adolescent n’a pas le même sens
qu’ils les perçoivent, l’écart ou la similitude existant entre le récit de selon qu’elle survient alors que l’adolescent est seul chez lui un soir de
l’adolescent et le récit des parents sont déjà un bon indice du mode de semaine ou s’il est en bande dans une « boîte » un samedi soir. La première
fonctionnement familial. témoigne presque toujours d’une souffrance psychopathologique vive
(dépression, angoisse aiguë,...), et traduit une recherche d’automédication. La
L’évaluation dynamique du groupe familial s’attachera particulièrement à seconde témoigne d’un phénomène social qui n’implique pas nécessairement
identifier la nature des relations transgénérationnelles et la qualité des
une difficulté psychopathologique particulière. Il en est de même de certaines
discriminations et délimitations interindividuelles au sein du groupe. Ces
conduites violentes, délinquantes ou antisociales. Insistons sur le fait que ces
deux plans correspondent à la nécessité pour l’adolescent, d’une part de
s’inscrire dans la différence des générations en y trouvant une identification remarques prennent en compte la psychopathologie de l’individu et non le
dont l’étayage peut résider dans une histoire ou mythe familial, et d’autre part retentissement social éventuel de ces conduites. À l’adolescence, il est
d’accéder à sa propre individuation. Ainsi les familles qui fonctionnent selon important de distinguer clairement le diagnostic et le pronostic en termes de
des modèles d’hyperstructuration verticale ou d’astructuration et psychopathologie individuelle, et le pronostic en termes d’adaptation sociale.
d’enchevêtrement, ou encore de triangulation rigide avec phénomène de Si les deux évoluent parfois de façon parallèle, ce n’est pas toujours le cas.
coalition contre les tiers, constitueront autant d’entraves au processus Enfin, comme pour la qualité des relations familiales, la qualité de
psychique normal de l’adolescence. De même, les familles qui utilisent un l’environnement n’est pas sans influer sur les possibilités identificatoires de
fonctionnement projectif prévalent ne permettent pas à l’adolescent de se l’adolescent. Un environnement très désorganisé, déstructuré, très marginal,
reconnaître dans son propre fonctionnement psychique, ce qui accentue la voire franchement délinquant, proposant des rencontres potentiellement
tendance naturelle de l’adolescent au passage à l’acte, au clivage et à la pathologiques (drogues, prostitution, violence,...), constitue un facteur de
projection. risque majeur pour un adolescent fragile.

page 4
Psychiatrie ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION 37-213-A-10

Pratique des entretiens ou cadre formel : n’appartenant à nul autre et qu’enfin elle est de son fait et non de la « faute »
évaluer comment ? d’autrui. La visée implicite de cette démarche est de favoriser à la fois une
« appropriation » de ses conduites par l’adolescent lui-même et d’évaluer sa
Dans ce paragraphe, nous traiterons exclusivement de la forme et du cadre capacité d’intériorisation par opposition à la fréquente tendance à
des entretiens avec l’adolescent, indépendamment de leur contenu. Bien sûr, l’extériorisation et surtout à la projection. Cette tentative de réintériorisation
cette coupure est artificielle, elle n’en est pas moins incontournable. des pensées et des conduites peut d’ailleurs provoquer l’émergence de toute
L’entretien avec l’adolescent présente quelques particularités, aussi bien par une série d’affects et de pensées non apparentes, ni exprimées, et que là encore
rapport à l’adulte que par rapport à l’enfant. il sera utile de clarifier.
Pour l’adolescent, rencontrer un adulte qui se préoccupe d’abord du contenu Le tempo des entretiens est au début particulièrement délicat à régler. Il s’agit
des pensées et des affects, qui ne porte pas un jugement de valeur sur les de trouver une sorte d’accord harmonique entre consultant et adolescent, qui
conduites évoquées, qui n’a pas un discours moralisateur mais qui en outre évite le double écueil d’un silence trop prolongé et d’un excessif
semble préoccupé de ce qui advient à l’adolescent et en lui, constitue une bombardement de questions. De nombreux cliniciens ont dénoncé les effets
expérience tout à fait nouvelle. négatifs du « silence » du consultant : désarroi de l’adolescent, enfermement
dans une contre-attitude en miroir, excitation interne croissante, sentiment
La pratique incite à proposer un cadre précis de consultation. Ce cadre a chez l’adolescent que le consultant se moque ou se désintéresse de lui, vécu
l’avantage de rassurer adolescent et parents sur ce qui va être fait dans d’abandon et d’accablement, etc. Le silence systématique du consultant, ou
l’immédiat et donner au consultant le temps et le recul indispensables à toute ses équivalents (oui ? dites... alors... eh bien...), n’est pas de mise, du moins
prise de décision. Trois ou quatre rencontres avec l’adolescent entrecoupées lors de ces premières rencontres avec un adolescent qui lui-même rencontre
d’une ou deux rencontres avec les parents sur un rythme d’une consultation pour la première fois un « psy ». Mais il faut aussi évoquer le risque inverse.
tous les 10-15 jours, représentent le modèle moyen. L’évaluation se Trop de questions trop rapidement posées peuvent susciter chez l’adolescent
poursuivra donc sur une période de 2 ou 3 mois environ. À son terme, des un vécu d’intrusion, de dévoilement, un sentiment « d’être pénétré » dont il
indications et des décisions thérapeutiques pourront être proposées, doit se défendre par un surcroît de repliement, de silence ou de dissimulation.
engageant alors une période plus longue. Comme toujours en clinique, il Questions-réponses-questions, lorsqu’elles s’enchaînent sur un rythme trop
existe des exceptions imposant d’abréger cette phase d’évaluation, de rapide donnent bientôt à l’entretien l’allure d’un match de ping-pong,
proposer rapidement un traitement symptomatique, d’aménager les véritable équivalent d’agir et de passage à l’acte. Dans une telle interaction
conditions environnementales nouvelles (hospitalisations) ou inversement de où l’excitation peut devenir débordante, le centrage sur la mentalisation, sur
la prolonger ; mais cela doit rester des exceptions. l’intériorisation des conduites risque d’être oublié.
Bien évidemment, la découverte de cet « accord harmonique » qui établit un
Relation avec l’adolescent tempo satisfaisant pour l’adolescent et le consultant est une création
commune qui peut être l’objet d’une clarification lors des premiers entretiens.
Converser avec l’adolescent Certains adolescents déclarent en effet ne pas supporter le silence mais aussi
Autant que faire se peut, il est souhaitable que la tonalité générale de (peu après ou au cours d’un autre entretien) ne pas supporter les questions.
l’entretien prenne l’allure d’une « conversation » au cours de laquelle le C’est, bien entendu, la nature de la relation en train de s’instaurer qui est ainsi
consultant montre clairement son intérêt pour le monde intrapsychique de « mise à la question » par l’adolescent. L’expérience du clinicien est un
l’adolescent. Le tempo de cette conversation est relancé par des questions du paramètre essentiel et incontournable pour permettre à l’un et l’autre,
consultant, questions formulées de façon assez générale pour ne pas induire adolescent et consultant, de découvrir peu à peu ce tempo satisfaisant.
une réponse oui/non. Il est souvent utile de reprendre les propos de
l’adolescent en cherchant à les faire préciser. Il peut être intéressant de Définir pensées et limites entre consultant et adolescent
confronter l’adolescent aux contradictions de son discours à condition de ne Pris habituellement dans une relation où la prestance occupe vite le devant de
pas énoncer cette contradiction comme une « inconséquence » de sa part, mais la scène, où le problème de la soumission/domination constitue l’implicite
d’en relever les implications pour la relation présente et pour l’idée que peut toile de fond, l’adolescent confond aisément le plan des pensées propres à
se faire le consultant. Quand le clinicien pose une question, il doit toujours chaque intervenant et la dynamique de la relation. Cela est d’autant plus
l’expliciter : pourquoi on pose cette question, ce que l’on recherche. Plus fréquent qu’il est perturbé ou vit dans un environnement induisant des
l’adolescent est perturbé, plus cette clarification préalable de la part du processus projectifs (exemple : un parent disant assez souvent à son
consultant peut servir de modèle afin d’éviter une dissimulation des pensées adolescent : « Si tu dis (ou fais, ou penses) cela c’est parce que tu sais que je
et des affects. Pour tenter de clarifier le sens d’une conduite, il peut être ne suis pas d’accord (ou que je n’aime pas ça, ou pour me faire de la peine, ou
profitable d’en énoncer diverses significations possibles et de demander à me mettre en colère,...). » Il est souvent nécessaire, surtout lors des premiers
l’adolescent ce qui lui paraît le plus pertinent. Par exemple, devant une entretiens, de clarifier ce point avec l’adolescent, en particulier quand celui-ci
conduite de retrait ou d’isolement dans sa chambre, conduite que l’adolescent émet des idées hautement fantaisistes, irréalistes ou déviantes. Dans certains
ne semble pas pouvoir de prime abord expliciter, on peut formuler la question cas, l’adolescent cherche à faire ainsi « réagir » le consultant comme il le fait
de façon suivante : « Si vous restez ainsi isolé dans votre chambre, c’est peut- d’habitude avec l’un de ses parents, mais en l’absence de la réaction attendue
être parce que vous êtes en conflit avec l’un ou l’autre de vos copains, ou que il peut « comprendre » cette absence apparente de réaction comme une
vous avez peur que l’on se moque de vous, ou que vous êtes angoissé quand approbation ou du moins le feindre. Le consultant a alors intérêt à clarifier la
vous êtes à l’extérieur ou encore que vous avez perdu l’intérêt pour ce que différenciation des fonctionnements psychiques et des pensées en formulant
vous faisiez auparavant et peut-être y a-t-il encore d’autres raisons, qu’en une remarque du genre : « Personnellement je ne partage pas l’idée que vous
pensez-vous ? ». La question ainsi formulée, l’attention se déplace vers les venez d’émettre mais c’est votre idée et on peut essayer de comprendre
pensées et les affects sous-tendant la conduite incriminée. Même si pourquoi vous l’avez. » Ces remarques sont particulièrement importantes
l’adolescent est dans l’incapacité immédiate de répondre à la majorité des dans le domaine des relations (et des pensées) entre l’adolescent et ses parents.
propositions formulées par le consultant, celles-ci peuvent constituer autant Parfois, il est aussi utile que le consultant donne clairement son avis sur
d’« objets à penser » sur lesquels il sera possible de revenir dans les entretiens certaines conduites telles que l’usage de drogue, les conduites délinquantes,
ultérieurs. De même il est utile de faire l’hypothèse de plusieurs dispositions la mise en acte d’un suicide, une conduite homosexuelle, la sexualité vénale,
affectives et cognitives à l’origine d’une même conduite et de laisser etc. Là encore, cet avis est donné à l’adolescent comme étant celui du
l’adolescent choisir. Par exemple : « Quand vous restez ainsi enfermé dans consultant, comme étant aussi ce en quoi il a l’intention de l’aider tout en
votre chambre, vous avez la tête vide et vous ne pensez à rien ou au contraire respectant et tentant de comprendre les conditions d’émergence de ses
vous pensez à tout ce que font vos copains et que vous n’arrivez pas à faire, ou pensées ou de ses actes.
encore vous rêvez à des choses que vous aimeriez faire mais qui vous
semblent inaccessibles... ». Ces précisions, clarifications, délimitations n’ont d’autre but que de limiter
l’impact de deux variables dont le rôle peut être bénéfique dans l’immédiat,
Une insistance particulière s’attache à clarifier autant que faire se peut les mais qui constituent toujours, dans un second temps, des résistances majeures
affects éprouvés : sentiment de vide, d’ennui, de colère, de rage, de tristesse, aux progrès thérapeutiques :
d’accablement, d’excitation diffuse, d’angoisse, de honte, de culpabilité, de
haine, de violence, de plaisir... Le lien entre conduite manifeste-dispositions – la séduction ;
affectives-pensées sous-tendant cette conduite est toujours important à – la croyance en la magie.
établir ; l’adolescent pris dans la spirale réactionnelle de ses interactions avec Pour tout adolescent, être écouté avec attention, avoir le sentiment d’être enfin
l’entourage (parents, pairs, enseignants,...) oublie souvent (refoulement, déni, compris, ne pas être contesté directement dans les opinions émises, peut
clivage,...) le contenu mental précédant l’acte. L’acte posé par l’adolescent a susciter un certain intérêt vite ressenti comme une séduction. L’émergence
tendance à n’être évalué, aussi bien par l’adolescent lui-même que par son de ce sentiment de séduction amplifie généralement les conduites
entourage, qu’à l’aune de ses seules conséquences, effaçant en quelque sorte symptomatiques, exacerbe les défenses et peut conduire à une rupture avec le
le contenu mental, affectif et cognitif qui en était le prélude. Le travail du consultant pour tenter précisément de contrôler celle-ci. La croyance en la
consultant est d’aider l’adolescent à retrouver cette séquence. Dans un second magie attribue au consultant et à la démarche clinique une toute-puissance
temps, il peut montrer à l’adolescent que cette séquence est la sienne, auprès de laquelle l’adolescent est parfois tenté de se réfugier au début, mais

page 5
37-213-A-10 ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION Psychiatrie

qui exacerbera rapidement les composants les plus pathologiques de la a été abordé directement entre adolescent et consultant, libre à l’adolescent
personnalité (passivité/soumission factice ou au contraire rébellion d’en parler lui-même s’il le désire avec ses parents ; quand a été abordé avec
intempestive...). l’adolescent un point dont il paraît nécessaire de parler aussi avec les parents,
il convient d’en prévenir l’adolescent, de lui dire pourquoi et comment nous
aborderons ce point avec ses parents en obtenant si possible son accord ;
Maniement des rendez-vous rencontres avec les parents en présence de l’adolescent ; informations
et rencontre parents-adolescent données aux parents que l’on ne souhaite pas les recevoir en dehors de la
Maniement des rendez-vous présence de l’adolescent et que, s’ils téléphonent ou écrivent, soit ils en
informent eux-mêmes leur enfant, soit le consultant le fera. Ces mesures ont
Il est fréquent que l’adolescent n’accepte pas spontanément l’éventualité des pour objet, surtout dans les familles à transaction pathologique, d’éviter que
entretiens, affecte de les refuser ou utilise une énonciation qui le met lui- le consultant se trouve inclus dans des alliances pathologiques informé de
même en retrait (« je ne vous ai rien demandé... », « c’est vous qui voulez me façon biaisée de choses qu’il est censé ignorer en présence de l’adolescent, ou
voir... », etc). Cette éventualité est d’autant plus fréquente que l’adolescent toute autre manœuvre de ce genre. Une telle clarté dans les relations
est malade ou en difficulté, envahi par l’angoissant fantasme d’être fou ou consultant-adolescent-parents n’est pas toujours possible à préserver et
accablé par un sentiment de vide et d’inutilité. Accepter les entretiens maintenir. Quand des transgressions surviennent, elles constituent autant
reviendrait à reconnaître la partie malade en lui, ce que précisément il ne peut d’indicateurs des difficultés potentielles à l’action thérapeutique ultérieure, et
pas faire et ce contre quoi ses conduites les plus pathologiques sont peuvent par conséquent orienter les indications (thérapie familiale préalable,
précisément érigées. Dans d’autres cas, reconnaître l’intérêt pris aux orientation en internat,...).
entretiens et/ou en faire la demande est vécu par l’adolescent comme une
Lors de la première consultation, nous avons pris pour principe d’entendre
inacceptable « soumission » à l’égard du consultant ou comme l’aveu d’une
l’adolescent d’abord lorsqu’il s’agit d’un adolescent de 15 ans ou plus, puis si
intolérable dépendance. Laisser l’adolescent libre de « reprendre contact lui-
l’adolescent l’accepte, ce qu’il fait presque toujours, de rencontrer à la suite
même », de revenir à la consultation s’il en éprouve le besoin (irait-on jusqu’à
le ou les parents accompagnateurs. Si l’adolescent vient seul, ce qui arrive
dire « le désir » !) ou encore le laisser libre de définir le rythme des rencontres,
parfois, ou accompagné d’un travailleur social, d’un ami, nous lui formulons
aboutit le plus souvent à mettre l’adolescent dans l’impossibilité de revenir
notre souhait de rencontrer ses parents, comme cela a déjà été explicité. Avec
pour les motifs énoncés ci-dessus. Dans tous les cas, il nous paraît nécessaire
le préadolescent (12-15 ans) nous avons pour habitude de rencontrer
d’« imposer » à l’adolescent les entretiens d’évaluation. Imposer signifie
brièvement les personnes présentes au premier entretien, puis, en fonction de
qu’on explique ce contrat d’évaluation, qu’on énonce clairement notre
la dynamique de cette rencontre, soit d’en venir rapidement à la rencontre
opinion de l’éventuel aspect pathologique des actes et des pensées incriminés,
singulière adolescent-consultant, soit d’approfondir la dynamique familiale.
notre souhait d’approfondir ces points avec l’adolescent et notre sentiment
que si rien n’est entrepris les choses iront pour lui de mal en pis. Imposer Dans quelques cas, les parents ont sollicité un entretien avant la rencontre
signifie qu’on prend acte de son refus partiel, qu’on lui demande avec l’adolescent et à son insu. Cela aboutit en général à rendre plus difficile
temporairement d’accepter le contrat d’évaluation en suspendant son refus le contact ultérieur avec l’adolescent, installant d’emblée à ses yeux le
jusque-là, que le consultant a conscience de faire ainsi acte d’« autorité ». En consultant en position « parentifiée », situation d’allié ou de complice des
cas d’absence à un rendez-vous convenu, une lettre rappelant de façon parents, renforçant les mécanismes de défense les plus pathologiques.
courtoise mais ferme les termes du contrat et proposant un nouveau rendez- Cependant il n’est pas toujours possible d’éviter ce type de contact : le rôle du
vous est adressée à l’adolescent lui-même. Tel est le sens que nous donnons consultant est alors d’amener cette famille à des conditions qui permettent à
au fait d’« imposer » ces entretiens : dévoilement clair de la contre-attitude un second collègue d’engager une relation avec l’adolescent dans de
du consultant dont l’objectif est bien de « se préoccuper » des conduites de meilleures conditions.
l’adolescent (sinon pourquoi faire ce métier ?) tout en lui déclarant que, s’il
refuse, nous ne pourrions qu’entériner ce refus tout en le déplorant. Aménagements annexes
L’expérience a montré à l’auteur de ces lignes que dans l’immense majorité
des cas les adolescents acceptent les entretiens d’évaluation tels qu’ils Le contrat d’évaluation étant défini avec l’adolescent lui-même et ses parents
viennent d’être définis. lors du premier ou au plus tard du second entretien, le consultant peut utiliser
Certes, il existe des cas où il est possible de laisser à l’adolescent la liberté le temps de cette évaluation pour des explorations annexes, mais toujours en
« d’exprimer sa demande », « de prendre rendez-vous à la demande », de explicitant le pourquoi de ces examens et l’objectif poursuivi. C’est ainsi que
définir lui-même le rythme des rencontres, etc. Cela est possible chez des pourront être envisagés :
adolescents peu perturbés, modérément anxieux et curieux de leur propre – les diverses explorations somatiques, y compris un examen clinique attentif
monde intérieur ; chez des adolescents issus de milieux culturels ou effectué par un collègue pédiatre avec lequel il est bon d’être en relation
professionnels au fait de ces questions (milieu médical, psychologique, régulière ;
psychanalytique) ; chez des adolescents ayant déjà eu une expérience – les divers tests psychologiques de niveau et de personnalité ;
psychothérapique dans l’enfance ou la préadolescence ; chez des adolescents
– les éventuels tests d’orientation ou d’aptitude professionnelle.
qui ont subi plusieurs échecs thérapeutiques et qui souffrent d’une angoisse
profonde et ont fini par comprendre la nécessité d’un traitement. Cela Les diverses grilles et échelles d’évaluation, les éventuels autoquestionnaires
s’observe aussi quand la personne du consultant a déjà suscité un prétransfert peuvent être administrés au cours de ces premiers entretiens. Leur intérêt
positif : consultant connu, fortement recommandé par un ami ou un membre réside dans la recherche clinique et pharmacologique, dans la comparaison et
de la famille... Ce pré-investissement, quand il existe, est un facteur précieux l’harmonisation d’une population à une autre au cours d’une étude
de mobilisation thérapeutique rapide. multicentrique (cf infra).
Au terme de ce ou de ces premiers entretiens d’évaluation, si l’état clinique
Rencontre consultant-parents-adolescent de l’adolescent le nécessite, le consultant peut proposer une prescription
Moment important de l’évaluation, il est possible, comme pour la rencontre médicamenteuse et, à ce stade de l’interaction, manier de concert prescription
avec l’adolescent lui-même, de laisser la famille libre d’utiliser à sa guise et évaluation clinique à condition toutefois de formuler clairement la fonction
l’« espace de consultation » proposé. Mais les mêmes remarques s’appliquent et les limites de cette prescription.
ici : ce sont les familles les moins perturbées, les mieux informées, celles qui
pour diverses raisons sont très motivées, qui pourront utiliser de façon
adéquate cet espace de consultation. Pour toutes les autres, c’est-à-dire une Dynamique des rencontres
large majorité, le consultant, s’il ne définit pas son cadre d’intervention, risque
de voir se déployer les conduites familiales les plus pathologiques ou les À côté des informations fournies par l’entretien lui-même, la séquence de ces
attitudes les plus défensives. Si cela peut être source d’informations rencontres donne un éclairage dynamique extrêmement précieux non pas tant
diagnostiques, ce déploiement pathologique risque aussi d’entraver toute pour le diagnostic en termes sémiologiques et psychopathologiques que pour
possibilité d’action thérapeutique ultérieure. Le consultant a donc tout intérêt évaluer la capacité de changement de l’individu et du groupe familial, ou au
à définir la nécessité de rencontrer l’adolescent et ses parents au moins deux contraire la rigidité et l’exacerbation de processus pathologiques. La séquence
fois dans le cours des entretiens d’évaluation. Là encore, dans la majorité des des entretiens permet aussi d’apprécier la qualité des attentes à l’égard du
cas, lorsqu’elles sont énoncées comme une nécessité faisant partie de consultant. On évalue ainsi l’impact des remarques, clarifications (Kernberg
l’évaluation initiale, ces rencontres se réalisent sans difficulté majeure même O 1989) [6], voire interprétations formulées dans l’ « ici et maintenant », la
si cela ne semblait pas le cas au début (exemple : « Ah son père, vous ne le capacité d’intériorisation et d’élaboration chez l’adolescent et éventuellement
verrez jamais... »). Des circonstances particulières sont à prendre en au sein du groupe familial. Le consultant peut également se faire une idée de
considération : parents divorcés, refus massif et incontournable d’un parent la capacité d’observance [1] de chacun à ses diverses « prescriptions ».
(cf infra). Mais le cadre général doit être énoncé comme règle à laquelle il est D’un cas clinique à l’autre, les variations séquentielles sont très nombreuses ;
souhaitable de se conformer. on ne peut être que très schématique. Dans ce cadre, nous décrirons
Néanmoins, il est utile de formuler de façon claire certaines précisions : succinctement l’évolution des premiers entretiens, l’évaluation du potentiel
garantie donnée explicitement à l’adolescent que l’on ne parlera pas de ce qui psychothérapique et la qualité de l’investissement à l’égard du consultant.

page 6
Psychiatrie ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION 37-213-A-10

Évolution des entretiens l’investissement du travail d’introspection, d’auto-observation et de capacité


croissante à parler « de soi à quelqu’un ». Le consultant sera donc attentif non
Premier entretien seulement aux éventuelles manifestations directement transférentielles
(attente des entretiens), mais aussi à la capacité pour l’adolescent de
C’est certes un entretien informatif mais c’est aussi un moment où la réévoquer un thème déjà abordé, de tenir compte de ce qui a déjà été dit,
pathologie conflictuelle, la dimension pulsionnelle sont volontiers dévoilées, d’apporter un matériel nouveau, d’énoncer un problème volontairement
d’autant qu’il s’agit de la première rencontre avec un psychiatre. Ce premier occulté lors des premières rencontres, d’aborder le domaine des rêveries,
entretien est souvent pris dans l’urgence des symptômes et la pression d’une fantaisies et fantasmes, etc.
demande instante à les faire cesser. Il n’est d’ailleurs pas rare de constater que
l’intensité de cette demande : « faire cesser... » (qu’il s’agisse des symptômes, Lorsqu’une prescription médicamenteuse a été proposée, ces entretiens
du conflit, de l’angoisse, de l’échec scolaire, etc) soit à la hauteur du temps servent aussi à en évaluer les effets, constater les modifications
perdu avant de prendre la décision de consulter. symptomatiques, la fréquente émergence d’un problème nouveau,
l’observance des prescriptions par l’adolescent ou le contraire.
Dans quelques cas particuliers, au terme du premier entretien, le consultant
est non seulement à même de formuler une prescription, mais en outre doit Séquence des entretiens
prendre une décision urgente (hospitalisation en particulier). Mais, dans la
grande majorité des cas, l’expérience clinique a appris à l’auteur de ces lignes Elle permet non seulement une évaluation dynamique de l’adolescent lui-
combien il était préférable de surseoir à toute action thérapeutique immédiate. même mais aussi de sa famille et de ses capacités de mobilisation. En effet, la
En effet, formulée au terme de ce premier entretien, celle-ci risque d’être prise mobilisation familiale se laisse voir à travers l’intérêt pris par les parents à
dans un climat d’urgence, est souvent vécue comme une sorte de passage à ces entretiens, leur demande et/ou accord pour y participer, les éventuels
l’acte, n’a été acceptée que sous le coup de la contrainte et de l’urgence par réaménagements opérés ou inversement les renforcements défensifs,
l’adolescent, n’entraîne pas son adhésion véritable ; surtout elle ne permet pas l’accentuation des confusions interindividuelles, une recrudescence des
que se développe cet espace de mentalisation et d’intériorisation dont il a été divers passages à l’acte, etc. Ces paramètres sont des indicateurs précieux
précédemment question. Les chances d’une observance correcte de la pour prendre certaines décisions thérapeutiques telles qu’une thérapie
prescription, quelle qu’elle soit, sont bien plus grandes quand celle-ci est familiale ou une séparation sous forme d’une hospitalisation ou plus encore
formulée après quelques entretiens (troisième ou quatrième). De façon très d’un départ en internat, en foyer.
concrète, la prescription de psychotropes à l’adolescent, surtout s’il s’agit
d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs, au terme du premier entretien, est selon Évaluation du potentiel psychothérapique
nous quasi contre-indiquée. Outre l’impression d’avoir été contraint,
l’adolescent développe fréquemment le sentiment de ne pas avoir été compris, Sauf circonstances particulières (milieu familial sensibilisé, adolescent
déplace sur le « médicament » la crainte de devenir dépendant, crainte qui est curieux de ses pensées), rien n’incite spontanément un adolescent à un travail
souvent le mobile inconscient des manifestations symptomatiques ; enfin, d’aspect psychothérapique, aussi bien du fait des dispositions habituelles et
dans les cas les plus négatifs, l’adolescent apprend par cette réponse du fréquentes de l’adolescence, que du fait des incitations sociales et culturelles
consultant qu’il n’y a rien à attendre d’un mouvement d’introspection, que la actuelles. L’engagement d’un adolescent dans une démarche psycho-
solution des difficultés réside dans un produit externe. thérapique demande donc de sa part un minimum de conditions afin de
Les précédentes remarques ne signifient pas que le consultant s’interdit toute pouvoir poursuivre un traitement dont l’efficacité n’est pas immédiate mais
prescription ! Il s’agit plus exactement de se donner les moyens d’une différée, dont l’action bénéfique n’est pas passivement obtenue mais
prescription efficace et suivie. Toutes les enquêtes montrent la très faible activement acquise, dont les effets transitoires ne sont pas nécessairement
observance des traitements, en particulier des prescriptions sédatifs mais au contraire parfois modérément anxiogènes... C’est dire que
médicamenteuses, à l’adolescence. Selon nous, il est préférable que la l’adolescent doit faire preuve d’une tolérance suffisante à la frustration (cf
prescription soit annoncée et formulée sur un mode futur, conditionnel et supra) et d’une motivation persistante.
optatif au terme de ce premier entretien : « Il sera peut-être nécessaire Par motivation au traitement nous signifions un ensemble de trois variables
d’envisager la prescription d’un médicament... » ; « compte tenu de vos qui nous paraissent indispensables pour qu’un adolescent s’engage
difficultés, certains points méritent d’être approfondis sur le plan durablement dans un traitement psychothérapique et a fortiori analytique,
psychologique mais d’autres font penser qu’il serait peut-être nécessaire quel que soit le diagnostic posé en termes structurels ou nosographiques
d’envisager un médicament », etc. Ces points seront approfondis dans le (Marcelli D et Braconnier A, 1999) [13]. Ces trois variables sont les suivantes.
chapitre sur la prescription à l’adolescence. – Une curiosité suffisante par rapport au monde psychique interne. Certains
adolescents font preuve en effet d’un intérêt pour leurs pensées, leurs rêveries,
Second entretien leurs rêves, souhaitent comprendre le pourquoi de leurs pensées et de leurs
Il est d’une tonalité souvent très différente, dominée parfois par l’aspect états affectifs. D’autres, au contraire, sont sans cesse à la recherche d’un objet,
défensif, voire le retrait. Les mécanismes de défense face à l’angoisse, aux d’une cause externe, dans une attitude sinon projective, du moins
manifestations symptomatiques, aux surprises mobilisées lors de la première externalisante, qui les empêche de porter le moindre intérêt à leur monde
rencontre, occupent souvent le devant de la scène : banalisation, refoulement, représentationnel interne.
fuite dans la « santé », déni des difficultés, clivage. Au contraire, en cas – Une anxiété, un malaise assez important pour faire souffrir l’adolescent et
d’investissement positif persistant, la reprise des thèmes évoqués, une une reconnaissance de cette anxiété, de ce malaise comme étant les siens. Ce
remémoration, une mobilisation d’affects et de fantasmes témoignent des malaise diffus, cette souffrance doivent certes rester modérés pour ne pas
attentes transférentielles, de l’intérêt pris aux entretiens d’investigation et précipiter l’adolescent dans un état d’effondrement, mais doivent cependant
parfois aussi d’une détente symptomatique réelle qui n’est ni déni, ni exister et persister au moins au début du traitement. Ce malaise représente la
banalisation, ni refoulement exacerbé. Dans l’un comme l’autre cas, ce meilleure des motivations à l’engagement dans la démarche
second entretien permet ainsi d’évaluer un paramètre important : la tolérance psychothérapique.
à la frustration et la capacité de mentaliser cette éventuelle recrudescence – Une lassitude devant la perception que les événements se répètent, que « ça
tensionnelle. En effet, le premier entretien n’apporte pas la solution magique recommence encore ». Cette perception débutante de la compulsion de
aux problèmes ni un effacement immédiat des difficultés. Certains répétition représente aussi un des facteurs de motivation essentiels à
adolescents et leur famille ne tolèrent pas cette attente et cette frustration l’engagement psychothérapique.
relative. « Ça ne sert à rien », « c’est toujours pareil » peuvent dire à tour de Bien évidemment, il est rare que ces trois variables soient présentes d’emblée
rôle adolescent et/ou parent. D’autres s’installent dans une position défensive dès les premières consultations. On pourrait dire que l’objectif thérapeutique
et passive mettant en avant le fait d’avoir « donné » lors du premier entretien des entretiens d’évaluation est précisément d’amener ces facteurs d’incitation
(« on a tout dit », « j’ai rien d’autre à dire »). Ils attendent en retour ce que à la conscience de l’adolescent lorsque le consultant considère qu’une
maintenant le consultant va « donner », tentant par l’établissement d’une psychothérapie s’avérera nécessaire. En particulier, c’est le rôle et l’objectif
symétrie factice de prendre le « contrôle » de la situation clinique. de la stratégie de clarification, de délimitation des fonctionnements
psychiques et de l’insistance sur l’intériorisation, dont il a été question dans
Entretiens suivants la première partie.
Ils témoignent chez l’adolescent de la qualité de ses investissements aussi
bien dans la personne du consultant que dans le fait d’être ainsi amené à parler Fin de l’évaluation
de soi à quelqu’un. Il est important de distinguer ces deux plans.
L’investissement d’allure transférentielle sur la personne du consultant est Conformément au « contrat » passé entre le clinicien et l’adolescent lors des
assez facile à repérer, il est même parfois d’une rapidité de déploiement et toutes premières rencontres, l’évaluation doit être ponctuée par un entretien
d’une intensité tout à fait caractéristique de la relation adolescent-consultant. où le clinicien fait part à l’adolescent et aux parents de ses constatations, de
Mais quand il est massif et envahissant, ce « transfert » est en général sous- son avis et des propositions thérapeutiques appropriées.
tendu par un fantasme de séduction et une croyance magique en la supposée L’information donnée à l’adolescent doit l’être en termes aussi clairs et précis
toute-puissance du consultant, qui sont autant d’obstacles dans que possible, sans complaisance ni estompage des difficultés, en insistant

page 7
37-213-A-10 ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION Psychiatrie

autant que faire se peut sur la dimension endopsychique et ce que l’on a pu leurs parents. Pour ceux-ci, divers compromis, aménagements ou au pire
percevoir des zones de souffrance ou de malaise de l’adolescent. Les troubles solution contraignante peuvent être envisagés (cf Traitement).
manifestes des conduites seront reliés à ces difficultés internes en focalisant – Cette stratégie d’évaluation présente un inconvénient, surtout lorsqu’une
sur l’axe psychopathologique qui paraît prévalent. Bien entendu, cela est proposition d’un traitement relationnel type psychothérapie d’inspiration
énoncé comme étant l’opinion du clinicien formulée en fonction de son analytique sera formulée à son terme. En effet, le consultant n’a pas toujours
expérience et de ce que l’adolescent concerné lui a appris. L’angoisse dans la disponibilité et n’est pas nécessairement le mieux placé pour s’engager
ses divers aspects, la lutte contre un lien de dépendance que l’adolescent veut avec l’adolescent dans ce type de traitement (par exemple, quand il a dû
maintenir refoulé ou clivé, les moments dépressifs, la haine ou la violence intervenir concrètement sous forme de prescription médicamenteuse, ou de
contre le corps ou une de ses parties, les fantasmes sexuels inquiétants ou trop décision institutionnelle). Cependant, au terme de ces entretiens, le consultant
excitants, les rêves ou cauchemars et leurs rapports à la vie consciente seront est souvent l’objet d’un investissement transférentiel important de la part de
autant de points sur lesquels l’insistance du clinicien portera : l’objectif est de l’adolescent. Il n’est pas toujours facile dans ces conditions de l’adresser à un
rompre l’habituelle explication des actes de l’adolescent en termes purement psychothérapeute différent. Cette difficulté est toutefois atténuée si d’emblée
réactionnels à l’entourage. Quand l’environnement (famille, environnement le consultant a énoncé cette éventualité, s’est gardé pendant l’évaluation de
social,...) est trop pathologique ou désorganisé pour permettre à l’adolescent toute attitude de séduction, et a constamment clarifié les divers axes
d’effectuer un tel travail, la nécessité d’un aménagement concret pathologiques abordés.
(hospitalisation, foyer, internat,...) doit être clairement énoncée comme étant
la condition préalable, sans formuler de jugement moral sur cet
environnement. Quelques situations particulières
Des propositions thérapeutiques sont donc formulées avec leurs objectifs, leur
cadre, leurs modalités. Au cours des entretiens d’évaluation, il est fréquent
que des clarifications ou des interprétations ponctuelles aient pu avoir un effet Refus
mobilisateur : cela peut constituer d’utiles exemples de ce que sera le travail Il peut s’agir :
psychologique proposé ; de même pour les effets d’un traitement
médicamenteux. Une claire distinction doit être établie entre ces deux types – soit du refus de l’adolescent de venir consulter ;
de traitements s’il paraît nécessaire de les poursuivre conjointement – soit du refus de l’un et/ou de l’autre parent de venir à la consultation
(psychothérapie et traitement chimiothérapique) en précisant leur cadre accompagner leur adolescent ou du refus de laisser leur adolescent consulter ;
respectif au travers d’une thérapie bi-ou plurifocale (médecin prescripteur, – soit du refus de l’adolescent que le consultant voie ses parents.
psychothérapeute, travailleur social,...). Il convient de distinguer d’un côté la velléité ou la menace de refus, de l’autre
Le consultant précise à l’adolescent ce qu’il dira aux parents et ce qu’il le refus total absolu et incontournable. Ce dernier traduit toujours des
considère comme étant le problème personnel ne concernant que l’adolescent distorsions profondes dans les interactions familiales avec des phénomènes
lui-même (cela afin de favoriser le désengagement du lien souvent de coalition, des mécanismes de projection et de clivage, soit quand le groupe
pathologique à l’égard des « objets » parentaux). À l’égard des parents, il familial est en apparence uni, soit quand celui-ci est éclaté (divorce,
donnera aussi son avis sur l’aspect pathologique ou non des conduites séparation, conflit,...), des situations d’abandon, de délaissement... En
incriminées, en le reliant plutôt au vécu affectif responsable (angoisse, revanche, les velléités de refus signent des distorsions moins graves et ont
dépression, anxiété, malaise,...). Il faut dans ces informations se garder de généralement pour fonction chez celui qui les exprime soit de se positionner
deux écueils. D’un côté, il est inutile et même néfaste de renforcer (ou d’essayer de se positionner) dans une attitude de prestance, soit d’évaluer
l’explication « réactionnelle » des difficultés de l’adolescent : « s’il est comme la détermination des autres dans la démarche entreprise.
cela (ou fait cela) c’est parce que vous êtes comme ceci » (ou encore : les Le refus de l’adolescent de venir consulter n’est le plus souvent qu’un refus
enseignants, la société, la bande des copains,...). D’un autre côté, il faut apparent : l’adolescent souhaite évaluer la détermination de ses parents.
préserver l’intimité de l’adolescent, concernant ses fantasmes, ses angoisses Lorsque le consultant renforce et connote positivement la détermination des
secrètes, sa violence haineuse, son désir de passivité, etc. parents à consulter ainsi que l’impérieuse nécessité que l’adolescent les
Définir ainsi des entretiens d’évaluation et une sorte de contrat préliminaire accompagne, il s’avère que dans la majorité des cas, après avoir refusé,
présente plusieurs avantages. l’adolescent finit par accepter même si c’est dans une démarche passive au
– Lors de la première ou deuxième rencontre, un objectif clair est proposé à début. Dans quelques cas, l’adolescent vient au rendez-vous mais dans un état
l’adolescent qui ne lui donne pas le sentiment d’être « englouti » dans une tel qu’il semble « absent » : mutique en présence des parents, ivre, sous
relation sans fin, fantasme fréquent au début de la démarche de consultation. l’emprise de drogues diverses... Le risque pour le consultant, surtout quand
L’adolescent a le sentiment justifié qu’il garde la maîtrise de la situation et l’adolescent est âgé (17, 18 ans ou plus), est de voir l’espace de consultation
qu’il pourra interrompre la relation au terme de l’évaluation. Il est d’une et de parole occupé par le discours parental, faisant ainsi écran à la parole de
certaine façon plus libre d’investir ces entretiens que s’il est envahi par la l’adolescent. Celui-ci se réfugie ensuite derrière ce que viennent de déclarer
crainte que « ça ne s’arrêtera plus ». Dans tous les lieux de consultations ses parents pour renforcer son mutisme ou son désintérêt des entretiens. Il y a
spécialisées d’adolescents, une constatation est faite fréquemment sur le donc là une sorte d’urgence dans le maniement des entretiens et une nécessité
grand nombre de premiers entretiens sans suite. Il nous semble qu’avec cette d’en arriver très vite au colloque singulier adolescent-consultant.
technique d’évaluation, les premiers entretiens sans suite sont moins Quand le refus de l’adolescent semble massif et persistant, c’est le travail du
nombreux. Dans notre expérience personnelle, il y a certes quelques consultant, en fonction des informations données par les parents et de
interruptions immédiates après le premier ou le second entretien, mais ce ne l’évaluation présumée de la qualité des interactions familiales compte tenu
sont pas les cas les plus fréquents (10 à 15 % environ des consultants). La du récit parental, de proposer d’éventuelles mesures plus ou moins
grande majorité des adolescents poursuit l’investigation jusqu’à son terme. contraignantes :
– Ces entretiens d’évaluation font office de véritables « consultations – appel au juge des mineurs ;
thérapeutiques » (Winnicott) ou encore de « psychothérapies brèves » quand – hospitalisation sous contrainte ;
les difficultés de l’adolescent sont minimes ; quand elles sont liées
essentiellement à l’actualité du processus d’adolescence ; quand elles ne – mesures éducatives diverses.
traduisent pas des troubles surdéterminés siégeant à des niveaux Le refus d’un (ou des) parent(s) à consulter alors que l’adolescent accepte la
psychopathologiques différents. Au terme de cette évaluation, les difficultés consultation traduit en général soit un conflit familial et surtout parental
ont disparu ou se sont atténuées sous le seul effet de la prise de conscience ou encore actif, soit un désintérêt, un délaissement ou un abandon de fait de l’un
grâce aux quelques réaménagements effectués. Le consultant en prend acte et des parents.
peut proposer à la fois un diagnostic de « normalité » et la fin de la prise en La velléité de refus d’un des parents (dans l’expérience clinique, il s’agit
charge. Cette stratégie évite toute désignation pathologique tout en ayant eu presque toujours du père) peut témoigner de son besoin d’affirmer un
un effet thérapeutique certain (30 à 40 % des évaluations se concluent de cette « pouvoir », une « autorité » qu’il craint de voir lui échapper ou de sa crainte
façon). de confrontation avec un médecin psychiatre, surtout s’il a déjà consulté pour
– Quand un traitement doit être proposé, ces entretiens d’évaluation ont lui-même (dépression, alcoolisme, maladie mentale, autre). Quelle qu’en soit
donné au consultant le temps et les moyens d’évaluer les divers paramètres, la cause, le refus d’un parent complique la tâche du consultant dans la mesure
comme cela a déjà été dit précédemment, mais ont aussi permis à l’adolescent où, d’une part l’adolescent peut utiliser ce refus comme paravent pour ne pas
(et ses parents) d’« apprendre » quel bénéfice il peut tirer de ces rencontres et s’impliquer lui-même, d’autre part la situation risque d’aboutir à une coalition
quel type de travail peut être effectué pour aborder, approfondir, comprendre, parent présent-adolescent-consultant contre celui qui s’est exclu. Là encore
circonscrire, canaliser, réparer... les difficultés incriminées. Cet apprentissage le consultant devra en tenir compte dans sa démarche d’évaluation et clarifier
d’une relation nouvelle nous paraît une donnée essentielle. Sur l’ensemble des le plus rapidement possible avec l’adolescent lui-même ces points
adolescents qui consultent, la moitié environ (40 à 50 %) se voient proposer particuliers.
divers traitements qui sont acceptés par la moitié de ceux-ci (20 à 25 %). Il arrive qu’un adolescent refuse que le consultant reçoive l’un (ou les)
Restent donc 20 à 25 % environ d’adolescents qui selon le consultant ont parent(s). Si l’intention de l’adolescent est parfois d’éviter une confrontation
besoin d’un traitement quel qu’il soit, mais qui le refusent eux-mêmes et/ou entre ses propres propos et ceux de ses parents avec les éventuelles

page 8
Psychiatrie ENTRETIEN AVEC L’ADOLESCENT ET SON ÉVALUATION 37-213-A-10

contradictions ou conflits qui en résulteraient, le plus souvent ce refus a pour Recherche et entretien standardisé
but de préserver leur image, en particulier quand ceux-ci souffrent d’une
pathologie mentale. Dans ces cas, le consultant doit chercher à clarifier les Tout comme en psychiatrie de l’adulte, la pratique des entretiens standardisés
raisons du refus de l’adolescent et maintenir la nécessité d’une éventuelle commence à se répandre auprès des adolescents. À notre connaissance, il
rencontre, même si celle-ci peut être temporairement suspendue. n’existe pas d’échelle ou de questionnaire (par auto- ou hétéroentretien) qui
L’adolescent doit en effet savoir que le médecin garde le contrôle du cadre de soit spécifique à la population adolescente et d’utilisation courante ; la
la consultation, même si dans l’immédiat ce dernier tient compte de son refus. majorité de ces échelles, questionnaires, entretiens semi-structurés s’adresse
soit à la population adulte et peut être administrée dès 12 ou 14 ans, soit à la
population enfant et peut continuer à être administrée jusqu’à 16 ans. À partir
Préadolescent et pathologie de l’enfance de cet âge, on utilise en général les échelles adultes (Bouvard et Cottraux,
1996) [2].
La technique de l’entretien est particulièrement délicate à la préadolescence
(12-14 ans environ). Il existe bien sûr de grandes variations individuelles en Ces échelles et questionnaires sont couramment utilisés dans les études
fonction de la maturité, de la capacité d’expression, du type de problème épidémiologiques lorsque celles-ci cherchent à déterminer la fréquence (en
incriminé. À cet âge, en effet, l’expression d’inspiration ludique propre à termes de prévalence ou d’incidence) de tel symptôme ou de telle pathologie.
l’enfant (jeu, utilisation du dessin, facilité à « inventer des histoires », jeu de Les échelles généralistes, très longues à faire passer, sont moins utilisées que
les échelles spécifiques, par exemple pour l’anxiété ou la dépression. Pour les
marionnettes, etc) a perdu une grande partie de sa spontanéité, d’autant que le
plus connus et les plus utilisés, ces instruments ont le mérite d’une
préadolescent répugne à ces modalités qui lui rappellent une enfance trop incontestable validité, fidélité, sensibilité et spécificité donnant en outre des
proche. En revanche, l’expression langagière en face-à-face n’est pas toujours résultats souvent quantifiés et donc comparables. Toutefois, les résultats
pleinement maîtrisée, l’intérêt est plus porté vers les actes, tandis que obtenus ne sont pas toujours concordants avec les données issues d’entretiens
l’actualité du processus pubertaire, la conflictualité débutante avec les parents cliniques effectués par des praticiens expérimentés, les échelles et
laissent peu d’énergie à s’investir dans une attitude réflexive. questionnaires donnant toujours des taux de sujets « positifs » sensiblement
En outre, l’investigation débouche fréquemment sur la mise en évidence de plus élevés que ceux obtenus par les cliniciens (Roberts et al, 1998) [15].
difficultés anciennes non spécifiques à l’adolescence mais qui ont été Quelques procédures standardisées ont été proposées dans une visée
négligées, tolérées ou déniées pendant l’enfance. À cet âge, les manifestations diagnostique (Young, 1994) [16]. Cela reste du domaine de la recherche propre
symptomatiques devenant plus bruyantes (échec scolaire de plus en plus à certaines équipes.
important, troubles du comportement avec incidence sociale,...), la démarche De même, il n’est pas rare de voir un questionnaire construit spécifiquement
de consultation s’effectue souvent dans un climat de contrainte et pour une recherche ou élaboré dans le cadre d’une consultation comme
d’opposition. Cela est particulièrement vrai des préadolescents évoluant dans premier temps de l’évaluation (document à remplir « dans la salle
des familles de niveau socioculturel défavorisé, vivant dans un d’attente »). Dans la mesure où une telle façon de procéder ne se substitue pas
environnement culturel et humain peu propice, accumulant difficultés à la relation clinique ultérieure et dans la mesure également où ces
sociales (chômage, pénibilité du travail des parents), matérielles (ressources questionnaires font l’objet d’une analyse attentive et confidentielle dont les
insuffisantes, habitation sans confort), relationnelles (conflit, divorce, résultats sont restitués aux sujets, cette pratique ne soulève pas de problème
séparation, alcoolisme,...), environnementales (délinquance, drogue,...), particulier. Toutefois, il faut reconnaître qu’ainsi utilisés, les échelles,
scolaires (désinvestissement, refus scolaire,...), etc. Il faut reconnaître la questionnaires et autres procédures automatiques demandent, pour être
difficulté non pas tant à évaluer qu’à soigner ces préadolescents de 12-14 ans. correctement dépouillés et analysés, un temps équivalent, voire supérieur au
Le risque majeur des approches thérapeutiques à cet âge est de déboucher sur temps d’une bonne évaluation clinique. C’est la raison pour laquelle, du
un rapide constat d’échec ou d’inutilité. Si intrinsèquement ces approches moins en France, ces procédures restent d’utilisation limitée en pratique
thérapeutiques relationnelles ne sont pas contre-indiquées, dans la pratique clinique courante. Signalons cependant que ces échelles d’évaluation peuvent
leur « échec » rapide finit par apprendre à ces jeunes adolescents qu’il n’y a avoir le mérite « d’objectiver » un état de souffrance parfois pathologique
rien à attendre de ce type de traitement, que, comme ils le disent souvent, « ça alors même que l’adolescent tend à nier toute difficulté. Cette apparente
ne sert à rien ». C’est pourquoi il est souvent préférable d’opter rapidement objectivation par un instrument de mesure supposé « neutre » peut conduire
pour des solutions plus concrètes (accompagnement éducatif, orientation en certains adolescents à accepter plus facilement de reconnaître leur trouble
internat ou semi-internat, etc) ou des stratégies de traitement plus diversifiées qu’au cours d’un entretien clinique avec un « psy », entretien souvent refusé
(groupe d’adolescents, psychodrame individuel ou de groupe,...). ou écourté (Marcelli et al, 1999) [14].

Références
[1] Blos P. Le monde intérieur de l’adolescent. In : Conflictuali- [6] Kernberg O. Le diagnostic différentiel chez l’adolescent. In : [11] Male P. La crise juvénile. Paris : Payot, 1982
tés. Annales internationales de psychiatrie adolescent. Pa- Les troubles graves de la personnalité. Paris : PUF, 1989 ; [12] Marcelli D. Les états dépressifs à l’adolescence. Paris : Mas-
ris : CTNERHI, 1988 1 : 82-103 son, 1995
[2] Bouvard M, Cottraux J. Protocoles et échelles d’évaluation [7] Ladame F, Gutton P, Kalegorakis M. Psychoses et adoles- [13] Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie.
en psychiatrie et en psychologie. Paris : Masson, Médecine cence. Paris : Masson, 1990 ; 1 : 1-272 Paris : Masson, 1999 ; 1 : 1-504
et Psychothérapie, 1996 ; 1 : 1280 [8] Ladame F, Jeammet PH. La psychiatrie de l’adolescence [14] Marcelli D, Mezange F. Les accidents à répétition chez
[3] Braconnier A. Conflictualités. Annales internationales de aujourd’hui. Paris : PUF, 1986 l’adolescent : troubles anxieux, dépressifs et conduites de
psychiatrie adolescent. Paris : CTNERHI, 1988 risque associées. Rev Chir Orthopédique, 1999 : (à paraître)
[9] Laufer M. Psychopathologie de l’adolescent et objectifs thé-
[15] Roberts RE, Attkisson CC, Rosenblatt A. Prevalence of psy-
[4] Jeammet PH. Les destins de la dépendance à l’adoles- rapeutiques. In : La psychiatrie de l’adolescence aujourd’hui.
chopathology among children and adolescents. Am J
cence. Neuropsychiatrie Enf 1990 ; 38 : 190-199 Paris : PUF, 1986 ; 1 : 61-82
Psychiatry 1998 ; 155 : 715-725
[5] Kernberg O. À propos du narcissisme pathologique. J Psy- [10] Laufer M, Laufer ME. Adolescence et rupture du développe- [16] Young JG. Entretiens diagnostiques structurés pour enfants
chanal Enf 1989 ; 7 : 15-76 ment. Paris : PUF, 1989 et adolescents. Paris : PUF, 1994 ; 1 : 1-262

page 9
¶ 37-213-A-30

Identité et identification à l’adolescence


F. Marty, J.-Y. Chagnon

La clinique et la psychopathologie de l’adolescent s’éclairent de l’étude de la construction identitaire, elle-


même étayée sur le travail identificatoire au cœur des processus de l’adolescence. La première partie de ce
travail s’attache à définir les concepts d’identité et d’identification en psychanalyse avant de résumer les
apports de psychanalystes d’adolescents contemporains. La seconde partie propose une synthèse de ces
travaux cliniques et psychopathologiques avant d’avancer quelques réflexions sur la paradoxalité des
processus identificatoires à l’adolescence. La sortie de l’adolescence doit permettre l’appropriation
subjective, soit l’intégration d’un style personnel. A contrario, la pathologie de l’adolescent et celle du
jeune adulte peuvent être considérées comme liées à une impasse dans ce processus.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Identité ; Identifications ; Adolescence ; Paradoxes ; Psychopathologie ; Psychanalyse

Plan de la reproduction alors que les zones érogènes se subordonnent


au primat du génital. Ce schéma classique du développement
¶ Introduction 1
en deux temps (biphasisme) de la sexualité humaine introduit
à la notion fondamentale (pour la psychanalyse) d’après-coup
¶ Définitions et revue de la littérature psychanalytique 2 qui donne sens aux manifestations névrotiques. L’adolescence
Identité 2 en tant que telle ne sera étudiée que tardivement dans l’histoire
Identification chez S. Freud 2 de la psychanalyse [2], mais avec une vigueur qui marquera
Identification à l’adolescence chez quelques psychanalystes durablement l’ensemble du corpus en réinterrogeant la psycho-
contemporains 4 pathologie, la théorie et le cadre thérapeutique. Différentes
¶ Réflexions actuelles 7 métaphores seront successivement employées pour définir et
De la clinique ordinaire à la psychopathologie 7 caractériser les processus d’adolescence et leurs impasses, de la
Paradoxes du processus 8 notion de crise juvénile [3] à la notion récente de pubertaire et
Le style, c’est l’homme 9 d’adolescens [4, 5] en passant par le second processus de
Complémentarité du couple identité/identification 9 séparation-individuation [6] ou encore le « break-down » [7] .
Toutes ces notions tentent, chacune à leur manière en fonction
des références théoriques et de la clinique étudiée, de spécifier
le travail psychique que doit affronter tout adolescent, travail
■ Introduction qui s’organise schématiquement autour de deux tâches intri-
quées : intégrer une nouvelle identité sexuée et sexuelle
Du point de vue de la clinique et de la psychopathologie (l’adolescent devient un homme ou une femme) et s’autonomi-
psychanalytique contemporaine de l’adolescent – point de vue ser par rapport à ses objets d’amour initiaux, ce qui implique
qui sera essentiellement le nôtre – , l’adolescence n’est plus des remaniements internes et externes, conscients et incons-
seulement envisagée sous l’angle diachronique, celui d’un âge cients pour l’essentiel, mais qui visent à changer tout en restant
ou d’une période de développement récapitulant les étapes le même. Aujourd’hui, un nouveau concept, celui de subjecti-
antérieures, voire coiffant celles-ci pour aboutir à la maturité vation [8], subsume la plupart des notions précitées et tente
adulte. Elle désigne aujourd’hui une exigence de travail psychi- d’articuler les contraintes que nous venons d’évoquer (interne/
que complexe, conflictuel sinon paradoxal, d’intégrations de externe, intime/social, narcissisme/sexualité, conscient/
contraintes multiples. Contraintes internes, à commencer par inconscient) en mettant l’accent sur les nécessités adolescentes
celles liées au soma et aux bouleversements pulsionnels entraî- d’appropriation subjective : devenir un sujet conscient de ses
nant une resexualisation du corps, de la pensée et des liens à désirs et responsable de lui-même dans une interaction créative
autrui ; contraintes externes, aussi, liées aux attentes sociales, avec autrui. Au centre de ce travail, s’inscrit la construction
propres à une société donnée, d’insertion dans un ensemble identitaire, elle-même étayée sur un travail d’identification que
socioculturel différent du monde de l’enfance de par ses nous chercherons à définir et à préciser quant à ses spécificités
exigences de participation à des systèmes d’échanges et de adolescentes.
production symboliques et matériels. En proposant comme central le processus identitaire-
Freud lui-même, on le sait, n’a pas explicitement parlé de identificatoire dans la construction subjectale et subjective du
l’adolescence mais des « métamorphoses de la puberté » [1] sujet humain, nous nous opposons radicalement à certains
transformant la sexualité infantile en sa forme normale défini- courants de pensée contemporains encore marginaux mais
tive adulte, l’exigence de nouveauté ne lui étant pas étrangère : productifs, infiltrant les milieux politiques et intellectuels, voire
la pulsion sexuelle, jusqu’ici essentiellement autoérotique psychanalytiques (américains) et qui, sous couvert d’égalitarisme
(re)découvre l’objet, se donne un nouveau but sexuel au service post-moderne, véhiculent des idéologies reposant sur un déni

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-213-A-30 ¶ Identité et identification à l’adolescence

des différences des sexes et des générations. Nous pensons bien morcelées ; et enfin un sentiment d’estime de soi, d’investisse-
évidemment aux thèses dites universalistes qui prétendent à ment narcissique positif. Pour P. Denis [19], l’identité se situe à
l’interchangeabilité des hommes et des femmes allant jusqu’à l’interface entre l’espace du « self » et l’espace social, la cons-
contester à la femme son droit à la maternité biologique, thèses truction de la personnalité et le lien familial et social. Il faut dès
bien discutées par J. Chasseguet-Smirgel [9]. Plus récemment, un lors considérer l’identité sous deux versants : un versant intime,
essai universitaire [10] vise ni plus ni moins à en finir avec la narcissique –être soi-même à ses propres yeux, se reconnaître
généalogie jugée instrument normatif des savoirs et des com- soi-même comme permanent, s’auto-investir de manière cons-
portements, dénonce les représentations de la parenté et, on tante – et un versant social, objectal – être soi-même pour un
n’en sera pas surpris, invite à voyager dans les marges de la autre – dans la mesure où l’identité se présente à autrui. Pour
liberté sexuelle à la découverte de ses détours pervers... Or, on notre propos, l’identité se construit, ce qui implique un
ne peut nier le fait que le petit d’homme soit l’enfant d’un développement et un processus réinterrogés en après-coup à
homme et d’une femme et que sa longue prématurité le plon- l’adolescence, dans une interaction, un mouvement d’aller et
geant dans la dépendance à l’égard des soins maternels donne retour entre soi et les autres, mouvement par lequel nous
lieu à détresse, angoisse, ambivalence et conflictualité psychique empruntons et prêtons aux autres ; ce qui définit deux aspects
œdipienne que seul le travail identificatoire permet d’élaborer et de l’identification : l’une introjective et l’autre projective. On le
dépasser. La liberté intérieure ne peut se conquérir qu’en voit, identité et identification sont liées de façon intime et
acceptant une limitation à notre toute-puissance et en acceptant complexe, car si la construction de l’identité s’étaye sur les
de se placer sous l’égide du surmoi, en acceptant l’effet de identifications, elle nécessite aussi de s’en déprendre ; travail
l’autre ascendant en nous – ce qui nous permettra paradoxale- qui, commencé en latence – on pense aux fantaisies du roman
ment l’exercice de la responsabilité personnelle. Si l’identifica- familial – spécifiera néanmoins l’adolescence. Ajoutons qu’il ne
tion peut nous aliéner à l’autre, elle est aussi le moyen de la saurait y avoir d’identification du sujet à l’objet sans identifica-
désaliénation : l’identification forme et déforme parfois pour le tion de l’objet au sujet, ce qui implique un cadre parental lui-
pire, plus souvent pour le meilleur. L’adolescent sera particuliè- même articulé à un couple érotique.
rement confronté à ces paradoxes, renforcés par les pressions
narcissiques internes/externes : toute tentative de se défaire
brutalement de ses racines et de libérer ses pulsions sans Identification chez S. Freud
entraves ne peut que générer la destructivité, la psychopatholo- « Processus psychologique par lequel un sujet assimile un
gie nous le rappelle sans cesse. aspect, une propriété, un attribut de l’autre et se transforme,
totalement ou partiellement, sur le modèle de celui-ci. La
personnalité se constitue et se différencie par une série d’iden-
■ Définitions et revue tifications » (p. 187) [20].
Cette définition met l’accent sur l’aspect structurant des
de la littérature psychanalytique identifications créatrices d’un en dedans du sujet constitué
d’instances différenciées, en dedans lui-même clairement
La multiplicité et souvent la contradiction des significations différencié du dehors : il s’agit donc d’un processus psychique
sous-jacentes aux termes identité et identification obligent à un inconscient constitutif du sujet. Cette évolution achevée
essai préalable de définition conceptuelle et un rappel succinct s’adosse aux effets organisateurs du complexe d’Œdipe, concep-
des positions freudiennes et post-freudiennes. Le lecteur tion assez tardive dans l’œuvre de S. Freud et contemporaine de
intéressé peut se référer aux travaux approfondis de J. Flo- l’élaboration de la seconde topique [21]. Auparavant, l’identifica-
rence [11] , D. Widlöcher [12] , P. Luquet [13] ou encore aux tion apparaît d’abord comme un symptôme, un fantasme puis
numéros spéciaux proposés sur ce thème par la Revue Française un mécanisme de défense contre la perte d’objet, ce qui sollicite
de Psychanalyse [14, 15] et les Monographies de la Revue Française de l’emploi du pluriel pour parler des identifications. Au-delà des
psychanalyse [16]. différents modes ou formes de l’identification, la notion garde
une unité à travers la référence à ses précurseurs, l’incorporation
orale et l’introjection : nous nous nourrissons psychiquement
Identité des apports des autres que nous faisons nôtres par un processus
L’identité n’est pas à proprement parler un concept freudien, de dégradation, de transformation et d’élaboration, ce qui
mais un terme largement utilisé dans la clinique et la psycho- justifie la métaphore digestive. Elle est à la fois un effet et un
pathologie psychanalytique contemporaine, en référence à trois mode de traitement de la pulsion et de la perte de l’objet, si
champs d’étude intriqués : la psychose, l’identité sexuée et l’on considère avec A. Green [22] l’indissociabilité de la pulsion
l’adolescence. Rappelons-en le paradoxe : l’identité renvoie au et de l’objet dans la théorie comme la clinique psychanalyti-
caractère de ce qui est semblable à (identité de deux objets) et que : l’identification transforme par introjection les investisse-
au caractère de ce qui est unique (identité du sujet). Le même ments libidinaux d’objet en investissements libidinaux du moi,
paradoxe recouvre la définition de l’identification qui renvoie narcissiques, afin que le moi se développe. Elle conserve ainsi
au mouvement psychique portant à être comme l’autre et/pour l’objet dans le moi et le moi qui s’étaye sur l’objet.
être soi-même, ce qui met l’accent sur la nécessité de devoir On sait que S. Freud s’est attaché à tenter une synthèse de ses
passer par l’autre pour devenir soi, mouvement constitutif du conceptions sur l’identification dans Psychologie des masses et
sujet au risque de l’aliénation à autrui. Ceci recoupe la polysé- analyse du moi [23], synthèse dont il est toujours resté insatisfait.
mie du terme « identifier » qui comporte une acception transi- Dans ce texte, que nous suivrons tout en intégrant les référen-
tive (« 1 : considérer comme identique, comme assimilable à ces historiques précédentes et suivantes utiles pour la compré-
autre chose ou ne faisant qu’un ; 2 : reconnaître du point de hension du concept, S. Freud évoque tout d’abord trois sources
vue de l’état civil ; 3 : reconnaître comme appartenant à une (et non formes) de l’identification.
certaine espèce ou classe d’individus », Le petit Robert) et une « Premièrement, l’identification est la forme la plus originelle
acception réfléchie (« S’identifier : se faire ou devenir identique, de la liaison de sentiment à un objet » (p. 45) [23] . Cette
se confondre, en pensée ou en fait », ibid.). identification « première », au sens temporel, est étudiée du
C. Chiland [17] définit l’existence de trois niveaux d’identité : point de vue du petit garçon : différente de l’identification
biologique, sociale et subjective, celle ressentie par le sujet qui secondaire postœdipienne, elle prépare le complexe d’Œdipe.
assure la dialectique inhérente au développement psychique « Le petit garçon fait montre d’un intérêt particulier pour son
entre permanence et changement. L’identité subjective s’articule père, il voudrait et devenir et être comme lui, venir à sa place
autour de trois aspects : un sentiment de continuité d’être (le en tous points. Disons-le tranquillement : il fait du père son
Self, selon D. W. Winnicott) [18], sentiment objet d’une prise de idéal » (p. 42) [23]. Cette identification encore non hostile au
conscience réflexive (être soi-même) qui fait se sentir différent père est toutefois contemporaine ou postérieure à l’investisse-
de ce qu’on a été tout en restant le même ; un sentiment ment objectal préœdipien de la mère et s’intrique ensuite
d’unité impliquant la capacité à intégrer des expériences diversement aux investissements objectaux œdipiens maternels

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Identité et identification à l’adolescence ¶ 37-213-A-30

et paternels dans la dialectique de l’être et de l’avoir, les rapport à l’objet, mais repose sur une communauté de désirs
identifications secondaires venant renforcer les effets des (exemple du phénomène de contagion hystérique dans les
identifications primaires. Dans Le moi et le ça [21], l’identification pensionnats).
primaire au père deviendra l’identification au père de la Si l’on suit toujours le fil directeur constitué par le texte de
préhistoire personnelle avec le célèbre remords de plume en 1921, S. Freud [23] évoque ensuite, tenant compte de travaux
note de bas de page : « Peut-être serait-il plus prudent de dire : plus récents concernant la genèse de l’homosexualité masculine
avec les parents » (p. 275) [21] , point de départ de travaux et la mélancolie, d’autres cas d’identifications au caractère
psychanalytiques totalement opposés travaillant le paternel beaucoup plus global, d’où leur potentialité aliénante : « Ce qui
(J. Lacan) et le maternel primaire (M. Klein et les post- est frappant dans cette identification, c’est son ampleur, elle
kleiniens). L’identification primaire prend aujourd’hui assez mue le moi, dans une de ses parties éminemment importante,
largement le sens d’une identification fondée sur le mécanisme le caractère sexuel, selon le modèle de ce qui a été jusqu’à
d’incorporation orale antérieure à la différenciation sujet/objet, présent l’objet » (p. 46) [23]. Ce sera l’occasion d’exposer le
mais constitutive de cette différenciation et du noyau narcissi- mécanisme d’identification narcissique, découvert à propos de la
que du moi : « Aux primes origines, dans la phase orale primi- mélancolie [25]. À la suite d’une perte ou d’une déception, la
tive de l’individu, investissement d’objet et identification ne liaison entre l’investissement libidinal et l’objet est supprimée et
sont sans doute pas à différencier l’un de l’autre » (p. la libido, au lieu de se reporter vers un nouvel objet, est retirée
272-73) [21]. dans le moi et « servit à instaurer une identification du moi
« Par voie régressive, elle devient le substitut d’une liaison avec l’objet abandonné. L’ombre de l’objet tomba ainsi sur le
d’objet libidinale, en quelque sorte par introjection de l’objet moi qui put alors être jugé par une instance particulière [le
dans le moi » (p. 45) [23]. Le paradoxe de ces lignes tient au fait futur surmoi] comme un objet, comme l’objet délaissé »
que S. Freud évoque ici le mécanisme de formation des symp- (p. 268) [25]. L’identification est dite narcissique car elle régresse
tômes hystériques, découvert en 1895-1900, dans le langage du choix d’objet vers le narcissisme originaire, mais également
utilisé dans les travaux postérieurs (Pour introduire le narcissisme. parce qu’elle reposait sur un investissement narcissique de
Deuil et mélancolie) [24, 25] qui ont intégré les notions d’incorpo- l’objet, moins investi dans son altérité que pour son apport au
ration orale, d’introjection et de narcissisme. L’identification
sujet. On verra tout l’intérêt de ce schéma pour les transforma-
hystérique qui sous-tend les symptômes du même nom est
tions de l’adolescence qui impliquent la nécessité de renoncer
travaillée en effet en 1900, dans L’interprétation des rêves [26], à
à l’objet œdipien. Notons encore le partage du moi en deux,
travers le rêve dit de « la belle bouchère » où cette célèbre
une partie (le surmoi-idéal du moi) se déchaînant contre l’autre
patiente accomplit par le biais de l’identification à une amie
(le moi identifié à l’objet introjecté) du fait du caractère oral-
rivale un désir de désir insatisfait : « La patiente ne fait donc
ambivalent des investissements.
que suivre les règles des processus de pensée hystériques
Ce n’est qu’en 1923, dans Le moi et le ça [21] et La disparition
lorsqu’elle donne expression à sa jalousie envers son amie [...]
du complexe d’Œdipe [28], que les obscurités du texte de 1921 [23]
en se mettant dans le rêve à sa place et en s’identifiant à elle
s’éclaireront grâce à l’avancée théorique de la seconde topique
par la création d’un symptôme (le souhait refusé) [...] L’identi-
et de la plus claire théorisation du complexe d’Œdipe complet.
fication est le plus souvent utilisée dans l’hystérie pour exprimer
une communauté sexuelle. L’hystérique, dans ses symptômes, L’identification narcissique décrite à propos de la mélancolie
s’identifie principalement – même si ce n’est pas exclusive- devient ainsi un mécanisme plus général et normatif constitutif
ment – aux personnes avec lesquelles elle a eu un commerce du caractère du moi qui « est un précipité des investissements
sexuel ou bien qui ont un commerce sexuel avec les mêmes d’objet abandonnés, [il] contient l’histoire de ces choix d’objet »
personnes qu’elle » (p. 185-186) [26]. La communauté réelle ou (p. 273) [21] : comme souvent chez S. Freud, la pathologie avait
imaginaire peut être d’amour ou de haine, mais l’identification grossi un phénomène normal plus général. Cette identification
hystérique emprunte un seul trait (trait partiel) de la personne introjective à l’objet perdu-abandonné (dans l’œdipe auquel le
à qui on s’identifie et qui représente le désir commun, interdit. sujet doit renoncer) conserve la relation à l’objet dans le moi,
Ces vues seront largement précisées dans le cas Dora [27] où les la libido d’objet devenant libido narcissique. En ce sens,
symptômes de celle-ci seront décryptés dans leurs différentes identification narcissique signifie maintenant identification
dimensions : rivalité hostile à la mère, désir objectal pour le consolidant le narcissisme (secondaire à la relation d’objet).
père, culpabilité et punition pour le vœu incestueux œdipien, Avec le déclin de l’œdipe, cette identification, secondaire,
identification au père. L’identification hystérique condense les postœdipienne, est également à la racine des subdivisions
conflits œdipiens et équivaut à un symptôme satisfaisant les internes au moi, des différenciations topiques : « Les investisse-
désirs et les défenses. Mais il faut noter que chez Dora les ments d’objet sont abandonnés et remplacés par une identifica-
identifications sont multiples, instables, labiles : caractère tion. L’autorité paternelle ou parentale introjectée dans le moi
général des identifications hystériques pathologiques qui ne y forme le noyau du surmoi, lequel emprunte au père sa
peut leur donner un aspect introjectif durable, structurant, sévérité, perpétue son interdit de l’inceste et assure ainsi le moi
modifiant le moi en profondeur, d’où la fragilité de la consis- contre le retour de l’investissement d’objet libidinal. Les
tance identitaire de l’hystérique. Pour en revenir au texte de tendances libidinales appartenant au complexe d’Œdipe sont
1921, S. Freud [23] précise les rapports entre le choix d’objet et pour une part désexualisées et sublimées, ce qui advient
l’identification dans le cadre œdipien, ce qui n’apparaissait pas vraisemblablement lors de toute transposition en identification,
aussi nettement en 1905 [27] : « l’identification est venue à la pour une part inhibées quant au but et transformées en
place du choix d’objet, le choix d’objet a régressé à l’identifica- motions tendres » (p. 30) [28].
tion » (p. 44) [23] . Tantôt la fillette (exemple choisi ici par En conclusion de ce bref rappel des positions freudiennes vis-
S. Freud) dans une évolution hystérico-normale s’identifie à son à-vis de l’identification, constatons que, du point de vue
objet d’amour, tantôt à un objet non aimé, autrement dit à topique, les identifications du moi revêtent un caractère
l’objet et/ou à sa rivale par rapport à l’objet dans une dramati- hystérique et narcissique dont la dialectique – plus que l’oppo-
sation du fantasme de bisexualité, mais dans tous les cas sition – est à étudier dans l’approche clinique. Selon M. Ney-
l’identification reste partielle, limitée et n’emprunte qu’un seul raut [29], l’identification hystérique apparaît comme le modèle
trait à la personne-objet. Notons encore la coexistence de d’une « valence libre » alors que celle qui dérive du deuil de
l’identification et de la relation à l’objet alors que celle-ci sera l’objet apparaît comme le modèle d’une « valence saturée ». Il
abandonnée dans l’identification narcissique. importe alors de considérer quelle marge peut être laissée aux
« Elle peut apparaître chaque fois qu’est perçue de nouveau capacités d’identifications labiles, réversibles, aléatoires, autre-
une communauté avec une personne qui n’est pas objet des ment dit quelle marge « d’hystérisation » reste à la disposition
pulsions sexuelles » (p. 45) [23] . S. Freud vise ici une autre de la structure de personnalité, somme des identifications
catégorie où l’identification hystérique est indépendante du successives et par conséquent des pertes d’objet successives.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-213-A-30 ¶ Identité et identification à l’adolescence

Identification à l’adolescence chez quelques narcissique : le credo thérapeutique de tout thérapeute d’adoles-
cent visera dès lors la restauration narcissique.
psychanalystes contemporains Le seul aspect « daté » de cet article concerne la sexualité des
adolescents, à l’époque encore inutilisable comme voie d’affir-
E. Kestemberg mation de soi et d’assomption de la personne avec un autre
Dans son article de 1962 (réédité en 1999) [30] intitulé dans le vrai cogito qu’est l’orgasme coïtal. E. Kestemberg y
« L’identité et l’identification chez les adolescents. Problèmes reviendra en 1982 [31] en décrivant les adolescents « post
théoriques et techniques », E. Kestemberg s’est attachée à soixante-huitards » à la sexualité apparemment libre de culpa-
dégager une « unité spécifique » de fonctionnement derrière la bilité et de conflits, mais désinvestie et peu structurante, sans
diversité des symptômes et des comportements. Elle va ainsi effets sur leur dépression à vif, sexualité opératoire désexualisée
montrer que les difficultés relationnelles des adolescents avec les s’opposant paradoxalement à une inhibition massive du fonc-
autres, les adultes, sont liées au besoin de rejeter brutalement les tionnement intellectuel, trop sexualisé. Or cette inhibition
imagos et les personnes des parents, induisant chez ces sujets de déprive l’adolescent du plaisir de fonctionnement mental,
profondes difficultés relationnelles avec eux-mêmes exprimées concept central de l’œuvre d’E. et J. Kestemberg [32], plaisir
dans une interrogation anxieuse concernant leur personne. autonome au regard des parents pris dans l’exercice même de la
L’adolescence qu’elle conceptualise comme un « organisateur fonction (motrice, intellectuelle). Dans l’esprit de l’auteur,
psychique » naît de la nécessité de réajuster la structure du moi l’hédonisme de fonctionnement, issu de l’auto-érotisme pri-
bouleversée après les modifications de la puberté amenant à la maire qui reprend la qualité et le plaisir pris dans les relations
maturité génitale. L’adolescent doit intégrer cette maturation précoces mère/enfant, a toujours constitué le support de la
physique dans son système relationnel libidinal. Il doit aussi résolution favorable des conflits propres à la crise organisatrice
pouvoir s’investir narcissiquement de façon suffisante après les de l’adolescence.
transformations de son image du corps. Or, la génitalisation du Dans un article postérieur (réédité en 1999) [33] intitulé
corps induit la reviviscence des conflits œdipiens et archaïques, « Astrid ou homosexualité, identité, adolescence, quelques
mis en latence précédemment. L’adolescent pour se protéger du propositions hypothétiques », E. Kestemberg reviendra sur cette
conflit œdipien est alors mû par un désir conscient de rejeter articulation entre les deux types d’investissements en montrant
ses imagos pour pouvoir s’affirmer et un besoin de replier sa comment l’investissement homosexuel et l’idéalisation de
libido devenue narcissique sur lui-même. Cela ne l’empêche pas l’objet apaisent l’excitation issue de la sexualisation des
d’éprouver dans ce rejet une angoisse identitaire concernant la relations et infléchissent celles-ci vers le registre de la tendresse,
cohésion de sa personne : « Il se veut étranger aux autres et il le lien à l’autre ainsi rendu tolérable pouvant dès lors retrouver
se trouve étranger à lui-même » (p. 61) [30] . En résulte un un aspect narcissisant. L’auteur se réfère ici à l’homosexualité
intense sentiment de solitude et le repli narcissique ne protège primaire, réactivée à l’adolescence, située au voisinage de
pas, ou mal, de la perte de l’estime de soi, blessure narcissique l’identification primaire dont elle constituerait le versant
traduite par le sentiment de ne pouvoir être aimé : les réponses objectal : « Tout le travail psychique de l’homosexualité est
narcissiques vis-à-vis de l’angoisse objectale sont intensément d’organiser l’altérité pour à travers elle conserver l’identité [...]
conflictualisées. Dans les cas les plus graves, l’angoisse infiltre Dans l’identification primaire, la relation est au même, à
l’utilisation des fonctions autonomes du moi, support des l’identique, même s’il a été autre ; dans l’homosexualité
activités intellectuelles, qui perdent leur valeur structurante du primaire, au contraire, la relation est à l’autre, peut-être au
fait de leur érotisation. La resexualisation des identifications semblable mais non à l’identique, à travers le même »
bisexuelles de l’enfance qui avaient constitué la solution au (p. 257) [33]. L’homosexualité primaire constitue l’aboutissement
conflit œdipien infantile, tout comme le réveil des relations et de l’identification primaire, elle dialectise l’identification (être
des angoisses objectales prégénitales, font que ces identifications comme l’objet aimé) et l’investissement objectal (aimer l’objet
redeviennent conflictuelles et doivent être remaniées, entraînant qui peut être différent ou semblable à soi). À l’adolescence,
une interrogation anxieuse sur l’identité, une inquiétude sur la féminine essentiellement, l’investissement homosexuel fantasmé
cohésion interne de la personne (la continuité narcissique) et ou agi permet de s’aimer soi, en passant par le détour d’un
un sentiment d’inadéquation ou d’étrangeté devant la nouvelle autre, avec sa part d’incomplétude et de finitude inéluctable.
image du corps. Pour E. Kestemberg, « identité et identification L’homosexualité primaire illustre ainsi la valeur structurante du
sont alors pratiquement un seul et même mouvement » nécessaire passage par l’objet externe pour reconstituer les objets
(p. 15) [30] : la conflictualisation des identifications, trop liées internes, se réconcilier avec son propre corps et in fine se sortir
aux imagos parentales, ébranle le sentiment d’identité dont le heureusement de la crise identificatoire et identitaire de
comportement exprime le trouble, celui-ci pouvant aller l’adolescence.
jusqu’au rejet de soi en tant qu’être sexué. Une solution va
consister dans la quête d’un idéal du moi provisoire à travers le M. et E. Laufer
groupe, la bande, recherche d’une image satisfaisante de soi de M. et E. Laufer sont à l’origine d’une réactualisation de la
nature à apporter une réassurance narcissique ; encore que le nosographie à l’adolescence qui tient compte des spécificités
peu de nuance de ces idéaux, leur aspect rigide et inatteignable propres à cet âge et ne doit pas être systématiquement rabattue
du fait des besoins d’idéalisation extrême puisse à nouveau sur la nosographie adulte au risque d’une inflation du diagnos-
porter atteinte à l’estime de soi. Au total pour l’auteur, l’adoles- tic de psychose en cas de rupture (temporaire mais fréquente)
cence, de par ses modifications corporelles, comporte le risque avec la réalité. Ainsi bien des manifestations d’allure psychoti-
d’une rupture de l’équilibre entre investissements objectaux et que peuvent être comprises comme une rupture de développe-
investissements narcissiques par « fusion (nous dirions ment (« break-down »), leur concept majeur [7], qui ressort d’un
aujourd’hui conflictualisation) entre la libido objectale et la rejet inconscient par l’adolescent de son identité et son corps
libido narcissique, tout conflit concernant la première retentis- sexués. Pour les auteurs, la principale fonction de l’adolescence
sant en profondeur sur la seconde » (p. 62) [30]. Ainsi sont repris consiste en l’établissement de l’organisation et d’une identité
les conflits œdipiens mais aussi ceux liés aux relations objectales sexuelle définitive intégrant une nouvelle image du corps
archaïques, réactivant l’angoisse de castration et de morcelle- incluant les organes génitaux physiquement matures, de
ment qui sous-tend la première, vecteurs de l’inquiétude nouveaux désirs et de nouvelles identifications. Dans le « break-
identitaire. Les défenses peuvent être alors extrêmement variées, down », l’adolescent rejette (éventuellement en l’attaquant) son
mais rigides, entraînant une symptomatologie riche et mou- corps sexuellement mature (génital) et perpétue à la place une
vante, non significative en elle-même, les comportements relation à un corps fantasmatique différent de son corps réel au
parfois étranges des adolescents ne devant pas être pris au pied prix d’une rupture avec la réalité, moyen de préserver l’image
de la lettre mais comme des positions momentanément utiles d’un corps idéalisé attaquée par la puberté.
pour répondre à l’anxiété qui les sous-tend. Le besoin conscient Avant cette synthèse, M. Laufer travailla la question du
essentiel concerne le besoin de s’affirmer en dehors de toute remaniement des idéaux en lien avec les mouvements identifi-
relation avec les adultes, besoin de prestance cachant la blessure catoires propres à l’adolescence [34]. L’idéal du moi est conçu

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Identité et identification à l’adolescence ¶ 37-213-A-30

comme une fonction du surmoi qui contient les images et Dans une série d’articles postérieurs [40], [41] consacrés à la
attributs que le moi s’efforce d’acquérir afin de rétablir l’équili- relation entre père et fils, P. Blos montrera comment les
bre narcissique : il définit la perfection que doit atteindre le relations d’opposition, de défi et d’agression du jeune adoles-
sujet pour s’aimer lui-même. À l’adolescence, avec la survenue cent vis-à-vis de son père, et plus encore son hétérosexualité
des nouvelles exigences génitales issues de la puberté, les idéaux flamboyante, doivent être considérées comme des défenses
à atteindre – qui jusque-là devaient assurer l’amour dispensé par contre la reviviscence de l’œdipe négatif, bref de l’attraction du
les objets primaires ou leurs représentations internalisées dans le fils vers son père, sa passivité à son égard, contradictoire avec
surmoi – doivent maintenant aider le sujet à se libérer des le développement de sa masculinité. L’auteur ira même jusqu’à
sources primaires d’apport narcissique devenues inefficaces (car « supprimer le rôle central de l’œdipe au stade terminal de la
impliquant régression et dépendance) et à se frayer la voie vers formation de la masculinité à l’adolescence » (p. 23) [40] pour
la maturité émotionnelle. L’idéal du moi a alors trois tâches mettre l’accent sur la résolution du complexe paternel dit
pour récupérer l’équilibre narcissique perdu : aider à modifier les négatif comprenant des relations triadiques (œdipiennes) mais
relations internes avec les objets primaires, aider à contrôler la surtout dyadiques (préœdipiennes). Si la conception de relations
régression du moi, et favoriser l’adaptation sociale. À l’adoles- dyadiques au père, support important de la masculinité du
cence, les identifications du moi au groupe de pairs, aux garçon dans son effort pour se dégager des liens symbiotiques à
congénères qui véhiculent de nouvelles espérances vont s’inté- la mère, a pu être critiquée par les auteurs français qui pensent
grer à l’idéal du moi et, sans modifier fondamentalement le généralement qu’il n’est pas possible d’être à deux sans être
contenu du surmoi, elles vont aider le moi à modifier ses d’abord à trois, la « soif ou faim » du père à l’adolescence
relations à cette instance en favorisant les changements intra- masculine recouvre bien une dimension clinique essentielle,
systémiques dans ses fonctions (conscience, autocritique, idéal). qu’il faut rapporter à l’importance du destin de l’homosexualité
Mais ces nouvelles identifications, qui peuvent être une aide au en général dans le devenir du sujet. Du point de vue épidémio-
moi par gratifications et soutien narcissiques, peuvent devenir logique, ces remarques sont confirmées par le fait que l’absence
conflictuelles et au contraire mettre le moi en difficulté si les du père ou le dysfonctionnement de la fonction paternelle (qui
idéaux restent hors de portée. Elles peuvent encore entrer en implique aussi la mère) est un facteur de risque essentiel dans
conflit avec le surmoi et prendre une fonction défensive contre la survenue de troubles à l’adolescence.
celui-ci avec pour résultat un pseudo-idéal du moi, conformisme
adaptatif superficiel qui maintient l’attachement aux objets Ph. Jeammet
œdipiens et rend difficile d’atteindre un équilibre narcissique. Ph. Jeammet s’est exprimé à de nombreuses reprises sur la
Au total, l’étude de l’idéal du moi, instance régulatrice du question des remaniements identificatoires à l’adolescence [42-45].
narcissisme, est essentielle pour l’évaluation clinique des L’adolescent doit remanier ou compléter ses identifications
troubles de l’adolescent au regard des variations de la normale infantiles en y intégrant la nouvelle image du corps sexué héritée
et dans le cadre du traitement pour évaluer la nécessité de de la puberté, ce qui le conduit à devoir assumer une identité
modifications techniques visant un certain degré d’alliance et de d’homme ou de femme confrontant à la différence des sexes et à
restauration narcissique. l’angoisse de castration. Ce mouvement de remaniement identi-
ficatoire, conjugué à la nécessaire prise de distance et autonomi-
P. Blos sation vis-à-vis des parents, interroge la solidité des
Après un premier livre [35] consacré à définir différentes intériorisations antérieures (terme générique que Ph. Jeammet
phases dans le processus de développement adolescent, P. Blos préfère à celui d’identifications), notamment des assises narcissi-
a ressaisi l’ensemble de ces descriptions à travers le désormais ques qui permettent le dégagement de la dépendance infantile.
célèbre concept de « second processus de séparation- L’adolescence, par son impact traumatique, constitue en effet un
individuation » [6] emprunté à M. Malher [36] : si l’enfant se révélateur de la qualité de l’organisation narcissique préalable et
dégage de sa mère par un processus d’internalisation, l’adoles- crée les conditions d’un possible antagonisme entre investisse-
cent se dégage de ses objets internalisés pour investir les objets ments narcissiques et objectaux susceptible de faire le lit de la
externes, extrafamiliaux. Un jeu complexe d’identifications psychopathologie de l’adolescent. La qualité des assises narcissi-
narcissiques liées au travail de deuil (séparation) et d’identifica- ques dépend elle-même de la qualité des échanges précoces
tions hystériques individuantes sous-tend ce second processus parents/enfant, du plaisir pris dans le commerce objectal générant
de séparation-individuation qui vise le dégagement des objets l’autoérotisme, la capacité à être seul, en bref la sécurité intérieure
infantiles et la maturation du moi. Par la suite, l’auteur [37, 38] acquise grâce à l’intériorisation – mouvement infrareprésenta-
s’est employé à mieux définir les remaniements des instances tif – d’un attachement sécure. Par la suite, plus les limites entre
constitutives du sujet adolescent et spécialement de l’idéal du le sujet et l’objet seront fermes, plus l’œdipe aura organisé des
moi. Selon lui, si le surmoi est l’héritier du complexe d’Œdipe structures internes et des imagos différenciées, plus le conflit
selon la formule freudienne, l’idéal du moi est l’héritier du propre à l’adolescence entre faim objectale et besoin de protec-
processus de l’adolescence ; mieux, du complexe d’Œdipe tion narcissique sera amorti et débouchera sur une reprise
négatif élaboré en fin d’adolescence. P. Blos propose en effet harmonieuse des identifications matures. À l’inverse, plus les
l’idée selon laquelle « la résolution du complexe d’Œdipe suit carences narcissiques seront importantes, la dépendance infantile
une évolution biphasique : la résolution de la face positive mal élaborée, plus les limites seront poreuses, l’angoisse de
précède l’entrée dans la latence – de fait, facilite sa forma- séparation massive, l’œdipe excitant, plus les tâches propres à
tion – tandis que la résolution de la face négative se produit l’adolescence seront susceptibles de déboucher sur un écart
normalement au cours de l’adolescence ou, pour être plus narcissico-pulsionnel (objectal, car la pulsion est le représentant
précis, en fin d’adolescence, facilitant le passage à l’état adulte » de l’objet à l’intérieur du moi), grevant les possibilités de relation
(p. 27) [39]. Ce n’est qu’en élaborant par l’identification son objectale et donc de rapprochement à l’autre (nécessité pour
complexe d’Œdipe dit négatif, c’est-à-dire à la fois son besoin peaufiner les identifications) trop menaçants pour l’identité et
d’aimer/être aimé par son père – P. Blos s’intéresse prioritaire- l’autonomie du sujet. Différentes stratégies relationnelles et
ment au garçon – que l’adolescent pourra développer des idéaux solutions comportementales seront dès lors utilisées. Elles vont de
matures, à bonne hauteur, personnels et non plus inféodés à transactions passagères à des aménagements durables qui main-
l’image paternelle idéalisée. Ajoutons que cette transformation tiennent une relation à coloration perverse (agrippement,
de l’idéal du moi par désexualisation (neutralisation) de la emprise) traduisant les échecs de l’intériorisation ou, au contraire,
libido homosexuelle narcissique constitutive de l’idéal du moi signent un négativisme, une rupture relationnelle (désobjectalisa-
infantile tend à orienter celui-ci vers les valeurs, la pensée et tion) lourde de potentialités autodestructrices : Ph. Jeammet n’a
non plus seulement l’action et les réalisations concrètes. En cas en effet cessé d’attirer l’attention sur les risques d’autosabotage
de pathologie, les troubles de la pensée accompagnent toujours masochiste propres à la pathologie de l’adolescent [46]. Parmi les
plus ou moins les troubles du comportement. De ces constats solutions comportementales, l’auteur conçoit la violence de façon
découle également la thèse selon laquelle la névrose ne peut originale, moins comme libération pulsionnelle agressive ou
être qu’un produit de l’adolescence. destructrice que défense narcissique-identitaire face aux menaces

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-213-A-30 ¶ Identité et identification à l’adolescence

de perte et/ou d’intrusion véhiculées par l’objet [47] . D’une réaction thérapeutique négative [54] qui offre des similitudes
manière générale, l’évolution favorable de ces remaniements importantes avec le négativisme adolescent [55], l’auteur s’est
dépend largement de la conjoncture et de ses aléas, du cadre attachée à théoriser les relations cliniques et théoriques entre la
familial plus ou moins contenant susceptible de favoriser ou mélancolie et le masochisme moral [56]. Dans la mélancolie, les
d’entraver ces processus, d’où l’intérêt du concept « d’espace autoreproches que le sujet s’adresse à lui-même sont en fait
psychique élargi » [48], la charnière entre narcissisme et objectalité destinés à l’objet aimé décevant qu’ils visent et atteignent par
reposant sur la question de l’homosexualité psychique et de un mécanisme de régression et d’identification narcissique.
l’œdipe négatif. Enfin, Ph. Jeammet a montré ces dernières Chez les patientes en question, le traitement de la perte d’objet
années le poids des modifications psychosociales contemporaines inhérente à l’adolescence ne peut se réaliser par le biais d’une
sur le travail psychique de l’adolescent qui majore largement les identification hystérique structurante (propre au deuil, selon
attentes narcissiques et idéales [49]. l’auteur). En lieu et place d’un renoncement difficile ou
impossible, le sujet use d’une forme extrême d’identification
Ph. Gutton narcissique, l’identification mélancolique, qui du fait d’un lien
Ph. Gutton a porté un regard novateur sur l’adolescence en antérieur narcissique à l’objet à l’égard duquel les limites sont
postulant sa radicale nouveauté par rapport à l’enfance, faisant brouillées, maintient ainsi une relation objectale à l’intérieur du
de l’adolescence un processus psychique original, inédit dans sujet. La haine contre l’objet, abandonné activement, c’est-à-
l’histoire du sujet, même si, à l’instar de S. Freud, il revient plus dire désinvesti sur le plan externe et non sur le plan interne, se
tardivement dans son œuvre sur l’importance de l’infantile dans retourne contre le sujet lui-même, ce qui, paradoxalement,
le pubertaire avec la notion d’« archaïque génital » [50]. Il s’est sauvegarde l’objet dans un processus sacrificiel. La sortie du
employé dans de nombreuses communications à décrire ce mouvement mélancolique, fréquemment observé dans la cure,
processus d’adolescence, reprenant les deux mouvements (plus s’effectue par l’acceptation de la passivité, reconnaissance de
que temps chronologiques) caractérisant la puberté qu’avait l’effet de l’objet sur le sujet (être affecté par lui), constatation
décrits S. Freud dans les Trois essais [1] : unanimement effectuée par les spécialistes de l’adolescence pour
• poussée pubertaire incestueuse fantasmatique, soit « le qui l’assomption de la passivité conditionne les mouvements
pubertaire » [4] ; introjectifs.
• renoncement aux objets incestueux et détachement des
parents, soit l’« Adolescens » [5]. R. Cahn
Par pubertaire, l’auteur entend les transformations psychiques
de la puberté, dégagées progressivement des processus d’adoles- R. Cahn a livré une série de travaux consacrés à l’adolescence
cence. Ph. Gutton s’appuie sur le modèle proposé par S. Lebo- normale et pathologique centrés sur le concept de subjectiva-
vici [51], le dédoublement entre névrose infantile et névrose de tion [8, 57, 58]. L’auteur définit celle-ci comme un « processus de
transfert impliquant les questions de temporalité, d’historicisa- différenciation permettant, à partir de l’exigence interne d’une
tion, de subjectivation. Pour l’auteur, la duplication névrose pensée propre, l’appropriation du corps sexué, l’utilisation des
infantile/névrose de transfert ne tenant pas compte de l’adoles- capacités créatives du sujet et l’aptitude à se représenter comme
cence serait du domaine de la pathologie. Le pubertaire corres- activité représentative, à s’auto-dédoubler en quelque sorte, y
pond à une sexualisation du travail psychique, par compris au niveau de l’action, aptitude allant de pair avec le
génitalisation des représentations incestueuses. Ancré dans le désengagement, la désaliénation du pouvoir de l’autre ou de sa
réel biologique, il exerce une pression sur les trois instances jouissance et, par là même, avec la transformation du surmoi et
qu’il met en crise, et se heurte à la barrière de l’inceste léguée la constitution de l’idéal du moi » (p. 112) [58].
par l’organisation œdipienne infantile. Dans « le pubertaire », Pour R. Cahn, le travail de subjectivation passe par un
l’enfant suit tragiquement et violemment le chemin d’Œdipe, processus de désinvestissement-désidentification des parents en
alors que « l’adolescens » désexualise la violence des pulsions et tant qu’objets œdipiens ou encore de liaison-déliaison au profit
se livre à un travail de subjectivation et d’historicisation. de nouvelles identifications aux parents dans leur fonction
L’adolescens est donc un travail élaboratif, qui ne peut fonction- parentale et sexuée et de l’identification-investissement de
ner sans le matériau pubertaire (« Si l’événement est relaté, nouveaux objets d’amour permettant un dégagement progressif
l’historien existe », p. 13) [4] : il utilise les processus d’idéalisa- des liens anciens. C’est dans une fourchette optimale que se
tion rodés dans l’enfance, l’idéal du moi et l’identification, son situe la normalité, optimum entre suffisamment de ressem-
but étant de désexualiser les représentations incestueuses pour blance et suffisamment de distance pour que la continuité soit
aller vers un choix d’objet potentiellement adéquat (à la maintenue dans le changement, alors que la pathologie se situe
nouvelle donne génitale). Une place importante est alors faite à aux deux pôles opposés. Tantôt le rejet apparent et massif des
l’inhibition quant au but, à la tendresse, qui « freinent » imagos du passé risque d’entraîner l’adolescent vers la constitu-
l’investissement pulsionnel tout en gardant l’objet et épargnent tion d’une identité négative, voire vers une perte-destruction
le refoulement. L’adolescens, « de la catégorie de l’idéal, issu de des objets primitifs lourde de potentialités psychopathologiques
l’enfance » (p. 12) [4], converge vers le pubertaire pour l’inhiber, graves, tantôt le sujet reste massivement fixé aux objets
et peut être défini comme une seconde latence. Pour Ph. Gut- primitifs du fait de son ambivalence à leur égard et échoue dans
ton, le concept psychanalytique polymorphe d’identification son travail de désinvestissement.
peut rendre compte d’une façon intéressante des processus Si ce processus s’effectue du point de vue topique essentielle-
d’adolescence dans la mesure où il met l’accent sur la conflic- ment au niveau du moi à travers une multiplication d’emprunts
tualité de l’infantile et de l’actuel (pubertaire), conflictualité identificatoires assez labiles, l’auteur décrit également le travail
entraînant des remaniements psychiques d’autant plus impor- de remaniement effectué au niveau du surmoi et de l’idéal du
tants qu’ils sont inférés par la maturité génitale. L’exigence moi. Le surmoi est en latence une instance antipulsionnelle
d’une intégration de la nouveauté pubertaire dans le maintien stricte sous le joug de la menace de castration et de l’angoisse
d’une certaine continuité historique conduit l’adolescent à un de perte d’amour, instance qui doit évoluer à l’adolescence pour
travail psychique intense articulé autour de la notion de permettre des réalisations pulsionnelles prohibées auparavant.
complémentarité des sexes. Du fait de la resexualisation du psychisme, continuer d’obéir à
son surmoi œdipien devient paradoxalement coupable par
C. Chabert séduction incestueuse et ne plus y obéir menace le moi de
C. Chabert [52] travaille à la compréhension des modalités du débordement. L’issue consistera dans la création de nouvelles
fonctionnement psychique des adolescentes présentant des identifications plus permissives, plus impersonnelles et trans-
troubles des conduites alimentaires et ce, dans le respect de la cendantes, incluant la tradition et la culture ouvrant vers
métapsychologie freudienne. Après avoir isolé chez certaines davantage de potentialités, moins de restrictions identificatoires,
jeunes filles anorexiques et/ou boulimiques une version mélan- un accès à la responsabilité personnelle, tout en maintenant
colique des fantasmes de séduction [53] responsable des attaques fermement le tabou de l’inceste. L’idéal du moi, fonction du
masochistes contre le corps sexué, s’appuyant sur l’étude de la surmoi, désigne les modèles auxquels le sujet cherche à se

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Identité et identification à l’adolescence ¶ 37-213-A-30

conformer pour s’aimer. Cette instance sera mobilisée à l’ado- la mesure où elle en permet la survenue, l’identification
lescence pour soutenir l’estime de soi vis-à-vis des mouvements constitue l’un des socles de la subjectivation [8] qui, comme
de déstabilisation narcissique, de désidéalisation de soi et des nous l’avons vu, se déploie de façon singulière à l’adolescence.
imagos parentales. Dans l’attente de l’élaboration de l’œdipe Celle-ci pourrait être pensée comme un incessant travail
négatif – soit, pour ce qui concerne le garçon, l’amour et la psychique pour une part conscient, mais aussi et surtout
haine pour le père – qui seule peut permettre au sujet d’élaborer inconscient, qui anime le sujet aux prises avec ses identifica-
de nouveaux idéaux à bonne hauteur le désengageant d’une tions. Le travail des identifications sert de lien structurant
forme de soumission passive au parent du même sexe, l’idéal du assurant la cohésion de soi en permettant au nouveau de
moi trouvera à s’alimenter à travers des idéaux groupaux, trouver sa place dans le changement en train de se produire.
collectifs, culturels, idéologiques plus ou moins intransigeants. S’autoreprésenter, s’historiser, ne peut s’envisager, en effet, qu’en
Si ces nouvelles identifications servent habituellement l’autono- référence à ce qui fait tenir le sujet dans son rapport à lui-
misation et le dégagement de l’asservissement infantile, elles même et à autrui. Peupler son monde interne d’objets, les
peuvent tout aussi bien faire basculer dans un nouvel esclavage intérioriser, représente l’une des tâches de l’identification qui
quand l’idéalisation se crispe en idolâtrie. Les aléas évolutifs réalise ainsi une opération d’intégration de la réalité externe
seront tributaires des capacités du sujet à remanier progressive- dans le monde interne, ce monde interne se nourrissant des
ment ses identifications. La dépression d’infériorité [59] résulte objets de la réalité externe. Par son travail d’appropriation de
de la mesure de l’écart entre les capacités du sujet et un idéal certains pans de la réalité externe, l’identification est la cheville
du moi resté mégalomaniaque du fait de l’inélaboration de ouvrière de ce que S. Freud a nommé la réalité psychique [61].
l’identification primaire où l’imago parentale reste divinisée.
De ce bref panorama des conceptions freudiennes et des
auteurs français les plus représentatifs, retenons que les concepts De la clinique ordinaire
d’identité et d’identification sont au cœur des processus
constitutifs de l’adolescence. Issus de cette nécessité humaine de
à la psychopathologie
composer avec sa prématurité qui rend dépendant des soins La clinique met aujourd’hui l’accent sur la fragilité narcissi-
maternels, les processus d’identification dont chacun des que de l’adolescent. Confronté à la violence de l’effraction
auteurs précités a cherché à dégager certains aspects complexes, pubertaire [62], l’adolescent vit les changements imposés par la
paradoxaux, parfois antinomiques, reflet de l’inéluctable puberté comme un traumatisme [63] venant solliciter fortement
conflictualité du psychisme humain, articulent finalement la les capacités de contenance élaborées dans le travail de la
relation étroite qui unit le sujet avec son environnement. Il n’y latence [64, 65], pour transformer ce vécu persécuteur, porteur de
a pas de subjectivité sans intersubjectivité, drame et bonheur de destructivité, en créativité intégrant l’énergie psychique qui lui
l’existence tout à la fois, alors que le sujet postule son unité face est liée. La latence n’est pas seulement mise en retrait, en
aux dualismes qui le constituent : dedans/dehors, corps/ souffrance ou à distance d’éléments qui ne peuvent être intégrés
psychisme, conscient/inconscient. Les processus d’identification psychiquement par l’enfant et l’adolescent. C’est aussi un travail
dont la dialectique (primaire/secondaire, narcissique/hystérique, profondément pare-excitant offrant au sujet la possibilité de
projective/introjective) est interrogée lors de chaque crise seront contenir en les élaborant secrètement des mouvements de
bousculés et remaniés à l’adolescence imposant une mise en pensée qui, sans lui, parce qu’ils échappent au refoulement,
tension entre permanence, stabilité structurelle, et changement feraient retour dans ce que la clinique de l’agir nous donne à
si caractéristique des problématiques adolescentes. voir : passage à l’acte, instabilité, hyperactivité, violence. La
puberté et les fantasmes pubertaires qui lui sont liés sont en
■ Réflexions actuelles effet hyperexcitants et fragilisants pour le moi de l’adolescent,
le contraignant à élaborer psychiquement ce que la poussée
Au fil de son élaboration théorique, S. Freud a donc considé- pulsionnelle pubertaire risque de désorganiser. La déliaison
rablement évolué sur sa façon de concevoir l’identification : pulsionnelle [57] menace l’adolescent, avec la perte de l’ambiva-
d’abord envisagée comme un mécanisme de défense, voire une lence, le risque du recours à des clivages pathologiques, dénis et
défense pathologique, l’identification devient un mode de projections. C’est dans ce contexte de déliaison que se produi-
fonctionnement psychique. Cette extension de la définition à sent la plupart des décompensations névrotiques ou psychoti-
l’ensemble de la vie psychique laisse une marque profonde dans ques souvent lourdes de conséquences pour l’adolescent. Le
notre façon de comprendre l’identification aujourd’hui. Ainsi, si travail de latence offre une voie de traitement de ce risque de
l’on considère la question par rapport à l’adolescence, l’identi- désorganisation, voire de décompensation, lié à la violence
fication est indissociablement liée à la relecture du sexuel pubertaire en lui offrant l’accès à la symbolisation. La latence a
infantile qui s’effectue dans le processus d’adolescence, entraî- ainsi des vertus antitraumatiques et antipsychotiques, favorisant
nant une réorganisation de l’ensemble de la vie psychique dans l’introjection des bons objets, processus qui participe de façon
un effet d’après-coup. Cette relecture – qui a valeur d’interpré- active à la constitution subjective.
tation – confronte l’adolescent à la nécessité d’accompagner le Avec le franchissement du seuil de la puberté, face à la
changement interne qui se produit à l’occasion de l’événement nécessité de désinvestir les objets, et particulièrement les objets
pubertaire [4] tout en conservant les repères habituels de son parentaux, tout en investissant de nouveaux objets – ceux de la
identité. Cette double contrainte met en évidence les liens qui génitalité – , la menace dépressive constitue un autre pôle à
unissent l’identification aux ratages du processus d’adolescence risque de la traversée adolescente. Menace dépressive, voire
et à la pathologie qui peut en découler. Ces identifications, mélancolique [52], liée à une difficulté majeure rencontrée face
même dans ce qui apparaît manifestement comme pathologique à la perte des objets infantiles, que ce soit les objets parentaux
– certains auteurs parlent dans ce cas de désidentification – , ou le corps propre de l’enfant, comme si l’adolescent était
permettent au sujet de trouver des appuis pour sa construction. confronté à un deuil impossible de ces objets de l’enfance, la
Les identifications aliénantes sont aussi des points d’étayage mélancolisation du lien à l’objet en assurant la pérennité, du
sans lesquels le sujet serait vraisemblablement confronté à des moins sa possible conservation, au prix parfois d’un gel de la
souffrances psychiques pires encore. L’identification, au-delà de pensée. Cette contrainte à investir et élaborer psychiquement les
la diversité de ses expressions (narcissique, hystérique, mélan- remaniements pubertaires se double donc d’une contrainte à
colique), est avant tout un travail psychique fait d’emprunts, de désinvestir les objets de l’enfance devenus obsolètes : lier et
choix et de rejet de traits, d’éléments qui appartiennent à délier favorise le risque d’une rupture (« breakdown » lauférien)
d’autres que soi mais qui permettent au sujet de se situer et de dans le fonctionnement psychique et l’apparition de sentiments
se définir par rapport aux autres. « L’identification apparaît alors d’étrangeté (dysmorphophobies), voire de dépersonnalisation.
comme un procédé de symbolisation par lequel l’enfant Le corps pubère et sa représentation psychique effractent la
emprunte à ses ascendants les traits distinctifs qui orientent la vie psychique de l’adolescent, la soumettent à ce que nous
question œdipienne : qu’est-ce qu’être un garçon ou une fille ? avons identifié comme un traumatisme nécessitant une réponse
Qu’est-ce que devenir un homme ou une femme ? » [60]. Dans adaptée de l’adolescent. L’étrangeté de ce corps, identifiable à

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-213-A-30 ¶ Identité et identification à l’adolescence

un corps étranger interne, peut en effet faire basculer l’adoles- s’appuie sur ces objets externes pour lutter contre le sentiment
cent vers une perte de contact avec lui-même, avec sa réalité d’un vide interne, plus il en devient dépendant et plus il a
psychique. « Je » devient réellement un autre, étranger à un soi- tendance à combattre ces objets, à s’y opposer dans un mouve-
même qui ne se sait plus, qui ne se reconnaît plus. Permettre à ment de contre-dépendance qui contribue à structurer une
l’adolescent de survivre à la violence des changements qu’il relation pathologique avec eux [47]. L’adolescent finit par rejeter
subit tout en trouvant une cohérence interne qui donne sens à les objets sur lesquels il s’appuie par peur de la dépendance qui
son existence, voilà l’enjeu des identifications à l’adolescence, en découle et du sentiment d’être téléguidé par eux (syndrome
conférant à l’identification une valeur de lien psychique d’influence). La question ici est de savoir comment ces objets
interne. C’est sur la solidité de ce maillage identificatoire que réagissent aux attaques qui les visent, surtout lorsqu’il s’agit des
repose la réussite de l’intégration de la nouveauté pubertaire et parents de l’adolescent. Attaqués de toutes parts, les parents,
des transformations propres à toute adolescence. Mais, c’est sur objets de projection, peuvent être poussés à se défendre pour ne
la base d’une fragilité narcissique héritée des expériences pas être détruits. La violence de leur réaction peut conduire à
précoces que le risque est fort de voir se développer une légitimer la violence dans cette circularité pathologique des
pathologie spécifique conduisant l’adolescent à fuir la tension réactions et contre-réactions. Les parents dont a besoin l’adoles-
suscitée par ces changements et à chercher dans le comporte- cent doivent résister à la destructivité de l’attaque, comme le
ment, celui de l’agir notamment (agir pour éviter d’être agi, propose D.W. Winnicott [18], cet impératif conditionnant l’issue
dans un mouvement d’identification à l’agresseur), une solution de la confrontation avec eux. Car toute adolescence se joue et
visant à abaisser le seuil de ces tensions, comme dans les se dénoue dans la confrontation avec les objets parentaux.
conduites addictives, toxicomaniaques, voire suicidaires. Dans le Charge aux parents de tenir bon et de ne pas prendre à la lettre
cas des tentatives de suicide et dans celui des automutilations, les projections de l’adolescent. Ce soutien narcissique paren-
le corps, pris comme un objet externe, étranger, est attaqué tal [4] est de nature à permettre un dépassement de la violence
pour être détruit, l’image du corps pubère ne pouvant s’intégrer en la contenant. L’adolescent a besoin de limites contenantes
(être liée) psychiquement à l’image de soi. La résistance phalli- pour pouvoir faire l’expérience du fantasme du meurtre.
que, contre-investissant la génitalisation, empêche la survenue L’effondrement parental augmente la culpabilité de l’adolescent
du pubertaire, la refuse. Le refus devient l’expression privilégiée et accroît le recours à la violence. C’est pourquoi, les approches
d’une contre-dépendance de l’adolescent qui lutte contre le actuelles considèrent qu’il est difficile d’appréhender la psycho-
sentiment d’être défait de ce qu’il possède, qui résiste contre ce pathologie de l’adolescent et son traitement sans prendre en
qui se produit en lui. Le refus du féminin, de la passivité, compte la dimension parentale, voire familiale. Le soutien
s’inscrit ici dans cette démarche défensive que met en place apporté à l’adolescent passe souvent par le soutien apporté aux
l’adolescent pour lutter contre le sentiment d’être agi par sa parents.
puberté et d’être contraint de se laisser pénétrer par les mouve- Ce bref rappel des potentialités pathologiques liées aux effets
ments de sa propre vie pulsionnelle. L’intrusion est d’abord désorganisateurs de l’impact traumatique pubertaire ne doit pas
celle de la pulsion, ici génitale. Le moi refuse de se laisser nous faire perdre de vue que seule une minorité d’adolescents
influencer par la pulsion génitale et tente de développer des (15 %) vont mal, alors que la plupart d’entre eux mutent sans
défenses spécifiques. Les mécanismes de défense se mettent difficultés majeures vers la maturité et tendent vers la subjecti-
alors en place sous l’effet de la poussée pulsionnelle [66]. Le moi vation grâce au potentiel novateur de l’adolescence. Mieux, la
refuse de se laisser influencer par la psyché de l’autre aussi ; il génitalisation pubertaire adolescente peut offrir à des enfants
refuse d’être affecté par cet autre qui représente alors une vulnérables la possibilité de « guérir » et réorganiser les fixations
menace. Ce refus alimente et l’évitement phobique [67] de la narcissiques et prégénitales de l’enfance en les « œdipianisant »
rencontre avec l’autre – même si la phobie est constitutive de et les génitalisant. S. Lebovici [51] pensait que l’adolescence
la vie psychique – et la tentation d’un repli narcissique. L’autre pouvait être pour certains la dernière chance d’organiser une
devient un persécuteur, une source de menace, et c’est contre névrose infantile ; P. Blos [39, 41] et Ph. Gutton [4] montreront
lui qu’il faut se mobiliser. Faire porter à l’autre, dans un pour leur part que le pubertaire a pour fonction chez les
mouvement projectif, la responsabilité de ce qui incombe au garçons de lever l’homoérotisme infantile, soit les fixations
sujet (la « paranoïa ordinaire de l’adolescent ») [68], voilà le passives au père, ce que confirment des recherches longitudina-
mécanisme qui se met en place lorsque l’adolescent ne peut les récentes [71].
s’appuyer sur des identifications suffisamment solides. Ne
trouvant pas en lui les ressources suffisantes pour élaborer la Paradoxes du processus
violence interne attisée par le pubertaire, l’adolescent projette Le travail psychique occasionné par les identifications à
sur les objets externes cette violence non symbolisée, attribuant l’adolescence met en évidence un certain nombre de paradoxes.
à l’autre dans un mouvement d’identification projective • La liberté s’acquiert dans la contrainte ; la contrainte libère.
l’origine de la violence qu’il porte en lui. C’est en s’opposant aux objets de la réalité externe, en se
De ce point de vue, garçons et filles ne sont pas sur un plan confrontant à eux, en accomplissant leur meurtre symboli-
d’égalité : les jeunes filles, du fait d’une plus grande tolérance que, comme dirait D.W. Winnicott [18], et en intériorisant les
vis-à-vis de la position passive, font preuve de processus de contraintes que la réalité impose à la recherche sans limite de
pensée – parmi lesquels l’organisation hystérico-normale du la satisfaction, que l’adolescent acquiert plus de liberté dans
fantasme de séduction par l’adulte – de meilleure qualité que les ses choix. C’est dans cette mesure qu’il peut se libérer de sa
garçons. En effet, l’intolérance de ceux-ci à l’égard de la même dépendance aux objets, notamment primaires. Si la liberté
position passive, resexualisée dans le mouvement pubertaire et naît de l’intériorisation de la contrainte, de la limite, il est
vite synonyme de féminisation sinon de menace homosexuelle alors indispensable que ces limites existent pour offrir des
subie, donne souvent lieu à des surenchères narcissiques- repères à l’adolescent.
phalliques agies momentanées ou plus durables qui ne rendent • Le processus d’adolescence fait obligation à l’adolescent
pas facile la cohabitation entre les sexes en début d’adoles- d’assurer la transformation de ce qu’il est en train de devenir
cence [69, 70]. tout en restant le même, à l’instar – dans le monde grec de
D’autres stratégies défensives peuvent se mettre en place face l’Antiquité – du bateau de Thésée. L’embarcation était si
à la déstabilisation consécutive aux changements pubertaires, vieille qu’il avait fallu en changer toutes les planches ; et bien
notamment lorsqu’ils confrontent l’adolescent au risque qu’aucune des planches d’origine ne subsiste, il ne faisait
dépressif. La fuite dans l’agir ou la recherche d’objets d’étayage aucun doute qu’il s’agissait toujours du bateau de Thésée :
offre des solutions provisoires à l’adolescent, tout en entrete- exemple même de la permanence de l’identité dans le
nant chez lui une dépendance aux objets qui va passablement changement. C’est l’établissement du sentiment de continuité
compliquer l’issue de ce processus. En effet, craignant de ne pas d’existence qui permet à l’adolescence de résister à la discon-
trouver en lui les ressources suffisantes pour lutter contre la tinuité induite par les changements pubertaires. C’est ce que
violence pubertaire, l’adolescent va chercher auprès des objets A. Green [72] appelle la tolérance à la discontinuité. Cette
externes le soutien narcissique qui lui fait défaut. Mais, plus il tolérance renvoie à la souplesse des défenses.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Identité et identification à l’adolescence ¶ 37-213-A-30

• L’adolescent revit l’œdipe infantile sur un mode nouveau où des emprunts que le sujet fait aux autres qui l’entourent, ceux-là
il est amené à désinvestir les objets parentaux. Il doit gérer la mêmes qui constituent pour lui des repères porteurs de sens.
contrainte de l’investissement et du désinvestissement. Le La sortie du processus d’adolescence passe par l’identification
paradoxe de l’œdipe tient au fait que pour l’enfant, puis à la fonction parentale [75], par la capacité de l’adolescent à
l’adolescent, les premiers objets d’amour, objets d’étayage investir un autre que lui, à se défaire de l’attraction narcissique
indispensables à la construction de sa vie psychique, sont du même – source des identifications narcissiques que l’on
structurellement et culturellement des objets interdits qu’il rencontre à l’origine de certaines formes d’homosexualités – ,
faut désinvestir sous peine de s’engager dans de profondes pour devenir responsable de ses paroles, de ses pensées et de ses
impasses pour le reste de sa vie. C’est ainsi que l’identifica- actes. Ayant introjecté les qualités de l’objet, il sort de la
tion constitue une opération économique culturellement position projective et paranoïaque (imputer à l’autre la respon-
décisive puisqu’elle substitue au meurtre de l’objet l’introjec- sabilité de ce qui lui arrive) pour assumer sa propre subjectivité.
tion de ses qualités. Ce meurtre est double, puisqu’il concerne C’est la condition indispensable pour qu’il s’achemine vers la
le parricide pour l’objet rival et l’inceste pour l’objet de subjectivation.
l’autre sexe, si l’on considère l’inceste comme un meurtre de
la représentation du père ou de la mère. Les fantasmes Le style, c’est l’homme
incestueux et parricides organisent la vie psychique de
l’adolescent alors même que leur contenu est violemment Le style, c’est la façon d’être de chacun, c’est l’expression de
destructeur. S’il s’agit de faire l’expérience psychique de ces sa singularité. Le style emprunte ses moyens d’expression à la
fantasmes inconscients, s’il s’agit de se confronter imaginai- communauté d’appartenance (famille, groupe de pairs, pays ou
rement aux objets parentaux pour découvrir l’homme dans le région d’origine) pour imprimer sa marque en s’en dégageant
père et la femme dans la mère, le destin de ces fantasmes est ou en s’y conformant. Il n’y a de style qu’en référence à un
code social qui permet aux autres de l’apprécier. En même
le refoulement. Si ces fantasmes ne sont pas rencontrés dans
temps, le style exprime ce qui émane d’un sujet, à son insu
ce que P. Gutton [4] a nommé les scènes pubertaires, le risque
même. C’est ce qui permet d’identifier quelqu’un, ce qui fait
est grand de voir surgir leur contenu non fantasmé sur la
que cette personne n’est à nulle autre pareille, ou bien au
scène de la réalité. Dans un cas, il s’agit de fantasme de
contraire qu’elle fait irrésistiblement penser à quelqu’un d’autre.
meurtre et, dans l’autre, de ce que nous pourrions appeler le
L’identification, comme le style, emprunte à la communauté
meurtre du fantasme. Le fantasme d’identification œdipienne
d’appartenance et s’en distingue en même temps. À l’adoles-
apporte une solution face à la menace de la réalisation de
cence, cette quête de soi doit composer avec la double nécessité
l’inceste et du parricide ; d’appartenir (à d’autres, à une communauté) et de s’appartenir
• Le narcissisme se nourrit de l’investissement objectal. Pour (à soi-même) avec le sentiment d’être unique. La dialectique de
devenir soi-même, il faut intégrer des dimensions exogènes. cette double contrainte crée un style, propre à chacun, qui est
À l’adolescence, l’investissement de l’altérité suppose que le largement fonction de l’histoire personnelle. Le style marque le
moi s’altère dans la rencontre avec de nouveaux objets non sujet d’une singularité qui concourt à son identification.
familiers, non familiaux, non incestueux, cette altération Le style peut être ce travail conscient pour se faire (une
conduisant à l’altérité. L’altérité s’éprouve d’abord dans la image). Mais au fond, le style est surtout le résultat d’un travail
rencontre en soi avec la nouveauté pubertaire, la redécouverte inconscient qui échappe à la maîtrise du sujet et qui fait que
et l’intégration de la bisexualité, et la possible rencontre (dans l’on devient ce que l’on est. Le style, contrairement aux
le fantasme) avec l’autre sexe. Cette rencontre avec l’autre apparences, est du côté de l’être davantage que de celui du
sexe répond à l’impérieux besoin de « s’entreconjoindre » paraître.
dans la complémentarité [73]. L’identification est constituée Dans la mesure où elle est un mode de fonctionnement
d’emprunts (à d’autres) de traits psychiques qui vont être psychique qui procède par emprunt et choix, qui intériorise les
secondairement intériorisés ; dans cette mesure, elle peut être qualités des objets auxquels le sujet emprunte des traits carac-
considérée comme se mettant au service du narcissisme du téristiques pour se construire, l’identification est le moyen de
sujet. Elle se comporte comme une mère nourricière qui doit cette appropriation subjective dont le style serait la partie
veiller à l’intégration des éléments qui proviennent de expressive. Le style serait le résultat du travail intégratif de
l’extérieur, tout en tolérant qu’il y ait aussi des rejets. l’adolescent lui permettant d’assumer son originalité (l’idéal du
La dialectique que dévoile la problématique de l’identification moi) dans sa communauté (surmoi), d’assumer – en cherchant
est celle de la tension dynamique dans l’opposition : entre à le réduire – l’écart qui se creuse entre idéalité et instance
l’investissement objectal et l’investissement narcissique, entre surmoïque [76]. Le style révèle la forme que prend l’identifica-
l’investissement des objets familiers et celui des objets étrangers. tion à l’adolescence, il lui donne sa texture, sa couleur aussi. Le
Le travail psychique qui se découvre avec les identifications est style, plus qu’une marque, est la signature de l’être.
celui de l’intégration de la nouveauté, de telle sorte qu’elle ne
fasse pas perdre à l’adolescent le sentiment de son unité, son Complémentarité du couple
sentiment d’être toujours le même. L’adolescent désinvestit son
corps phallique de l’enfance pour celui, génital, de l’adolescence identité/identification
(axe narcissique), au moment où il abandonne les objets L’identification tresse sa trame avec l’identité comme le
d’amour de l’enfance pour ceux, plus adéquats à la donne mouvement a besoin d’une base pour se produire, comme la
génitale, de l’âge adulte (axe objectal). L’identité est d’abord coque du bateau a besoin de la voile pour avancer. Si l’identité
corporelle : chacun est identifié par l’autre dans un mouvement n’est pas un état statique, l’identification n’est pas que mouve-
de reconnaissance qui fait dire : « Oui, c’est bien lui ». Parallè- ment. L’odyssée adolescente est un beau voyage, certes, mais un
lement, le sujet se reconnaît dans la stabilité de sa propre voyage qui n’est pas sans risque. L’embarcation a besoin d’être
image : il ne se voit pas changer, devenir autre. Pourtant, à solide, mais les vents doivent être favorables, la voile résistante
l’adolescence, « Je est un autre », comme dit le poète. Mais ce et pouvant s’adapter à tous les temps. Certains adolescents
changement dans la continuité ne fait que grossir une réalité échouent dans cette aventure. Ils font naufrage quand leur
qui est commune à tous et à tous les âges : l’identité n’est pas fragilité narcissique et la faiblesse de leurs identifications ne leur
fixe, elle change tout en restant la même, elle accompagne les permettent pas de résister à la violence de l’effraction puber-
transformations inhérentes aux changements de la vie elle- taire. Parfois leurs attaches narcissiques les retiennent au port,
même. Les identifications ont pour fonction de donner au sujet les empêchant de faire le voyage. D’autres, enfin, connaissent
les moyens de stabiliser ses repères dans les modifications qui des vents contraires, des dépressions qui ne sont pas seulement
se produisent par rapport à soi et par rapport aux autres. Le atmosphériques. Pour goûter le voyage homérique – « Heureux
concept psychanalytique d’identification traduit le mieux le fait qui comme Ulysse a fait un beau voyage » – , il est nécessaire
que le sujet naît de l’autre [74] ; sans autre il n’y aurait pas de d’être bien équipé psychiquement. Tout humain a besoin de
sujet. La construction psychique de soi passe par l’autre et par repères pour se sentir sujet ; il en a d’autant plus besoin lorsque

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-213-A-30 ¶ Identité et identification à l’adolescence

son existence est faite de changements radicaux, comme c’est le [26] Freud S. L’interprétation des rêves. In: OCP IV. Paris: PUF; 2004
cas à l’adolescence. Identité et identification s’unissent pour (1900).
donner ce sentiment d’enracinement solide et de capacité [27] Freud S. Cinq psychanalyses. Paris: PUF; 1967 (1905).
d’adaptation en même temps. Ce couple s’entrecroise pour [28] Freud S. La disparition du complexe d’Œdipe. In: OCP XVII. Paris:
construire de façon dynamique en soi la familiarité, le « Hei- PUF; 1992. p. 27-33 (1924).
mat », y compris dans des situations où l’adolescent est loin de [29] Neyraut M. L’identification, pour une introduction. Rev Fr Psychanal
sa base. Si bien que l’identification nourrit l’identité qui la 1984;48:509-14.
nourrit en retour pour donner au sujet sa solidité, ses fonde- [30] Kestemberg E. L’identité et l’identification chez les adolescents.
ments narcissiques, tout en lui permettant de rester ouvert aux Psychiatr Enf (1962);2:441–522. In: Kestemberg E editor. L’adoles-
changements inévitables qu’occasionne le fait d’être vivant et cence à vif. Paris: PUF ; 1999. p. 7–96.
en relation. [31] Kestemberg E. La sexualité des adolescents. In: Feinstein SC,
Si l’adolescence bouleverse la donne identitaire et identifica- Giavachini PL, Miller A editors. La psychiatrie des adolescents, Paris:
toire, par son processus, elle donne au sujet les moyens de PUF ; 1982, p. 53-67. In: Kestemberg E editor. L’adolescence à vif.
Paris: PUF ; 1999. p. 153-67.
traiter ces changements, comme elle donne une deuxième
[32] Kestemberg E, Kestemberg J. Contribution à la psychanalyse généti-
chance à l’enfant de réaménager sa construction. Elle enracine
que. Rev Fr Psychanal 1966;30:581-774.
pour le futur adulte sa capacité à s’identifier à l’autre. Finale-
[33] Kestemberg E. “ Astrid ” ou homosexualité, identité, adolescence.
ment, l’identification permet au sujet de se reconnaître et d’être
Quelques propositions hypothétiques. Les cahiers du centre de psycha-
reconnu, tout en lui donnant les moyens de son action : on ne nalyse et de psychothérapie 1984. In: Kestemberg E, editor. L’adoles-
peut avancer que si l’on part de bases identitaires solides. Elle cence à vif. Paris: PUF; 1999. p. 239-65 (vol 8).
permet au sujet d’accéder à la sensibilité de l’autre en parta- [34] Laufer M. L’idéal du moi et le pseudo-idéal du moi à l’adolescence. Rev
geant imaginairement son fonctionnement psychique. Par cette Fr Psychanal 1980;44:591-615 (1964).
empathie et cette possibilité de s’identifier à ce que vit l’autre, [35] Blos P. Les adolescents, essais de psychanalyse. Paris: Stock; 1967
le sujet s’enrichit de l’expérience de l’autre dans la mesure où (1962).
sa propre identité n’est pas menacée par ce voyage en terre [36] Mahler M. Psychose infantile. Paris: Petite Bibliothèque Payot; 1973
étrangère. (1968).
On mesure combien ces capacités d’appropriation, d’intégra- [37] Blos P. La fonction de l’idéal du moi à l’adolescence. Adolescence
tion et de différenciation qui caractérisent l’identification sont 1972;1993(1):167-71.
vitales pour le devenir sujet. On mesure aussi quelle peut être [38] Blos P. The genealogy of the Ego Ideal. Psychoanal Study Child 1974;
la difficulté d’un sujet lorsque ce processus est en panne [77]. 29:43-81.
. [39] Blos P. Fils de son père. Adolescence 1985(n°1):21-42.
[40] Blos P. L’insoumission au père ou l’effort adolescent pour être mascu-
■ Références lin. Adolescence 1988(n°1):19-30.
[41] Blos P. Le monde intérieur de l’adolescent. Ann Int Psychiatrie Ado-
[1] Freud S. Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris: Gallimard; 1987 lescence 1980:35-45 (Conflictualités).
(1905). [42] Jeammet P. Les enjeux des identifications à l’adolescence. J Psychanal
[2] Marty F. (dir.). L’adolescence dans l’histoire de la psychanalyse. Paris Enf 1991;10:140-63.
2004 (In Press). [43] Jeammet P. Adolescence et processus de changement. In: Wildocher D,
[3] Mâle P. La crise de l’adolescence. Paris: Payot; 1982. editor. Traité de psychopathologie. Paris: PUF; 1994. p. 637-726.
[4] Gutton P. Le pubertaire. Paris: PUF; 1991. [44] Jeammet P. Remaniements identificatoires à l’adolescence. In:
[5] Gutton P. Adolescence. Paris: PUF; 1996. Houzel D, Emmanuelli M, Moggio F, editors. Dictionnaire de
[6] Blos P. The second individuation process of adolescence. Psychoanal psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: PUF; 2000.
Study Child 1967;22:162-86. p. 628-30.
[7] Laufer M, Laufer E. Adolescence et rupture de développement. Une [45] Jeammet P. Modèles et identifications à l’adolescence. In: Lauru D, Le
perspective psychanalytique. Paris: PUF; 1989 (1984).
Run JL, editors. Figures du père à l’adolescence. Ramonville St Agne:
[8] Cahn R. L’adolescent dans la psychanalyse. L’aventure de la
Erès. 2004. p. 77-92.
subjectivation. Paris: PUF; 1998.
[46] Jeammet P. L’énigme du masochisme. In: André J, editor. L’énigme du
[9] Chasseguet-Smirgel J. Le corps comme miroir du monde. Paris: PUF;
masochisme. Paris: PUF; 2000. p. 31-67.
2003.
[47] Jeammet P. La violence à l’adolescence : une défense identitaire.
[10] Noudelmann F. Pour en finir avec la généalogie. Paris: L. Scheer; 2004.
Neuropsychiatrie enf adolesc 2002;50:41-3.
[11] Florence J. L’identification dans la théorie freudienne. Bruxelles:
Publications des facultés universitaires St Louis; 1978. [48] Jeammet P. Réalité externe et réalité interne. Importance et spécificité
[12] Widlöcher D. Métapsychologie du sens. Paris: PUF; 1986. de leur articulation à l’adolescence. Rev Fr Psychanal 1980;44:
[13] Luquet P. Les identifications. Paris: PUF; 2003. 481-521.
[14] L’identification. Rev Fr Psychanal 1984;48(n°2). [49] Jeammet P, Ferro M. Que transmettre à nos enfants ?. Paris: Le Seuil;
[15] L’identité. Rev Fr Psychanal 1999;63(n°4). 2000.
[16] Identifications. Monographies de la revue française de psychanalyse. [50] Gutton P, Bourcet S. La naissance pubertaire. L’archaïque génital et
2002. son devenir. Paris: Dunod; 2004.
[17] Chiland C. Identité. In: Houzel D, Emmanuelli M, Moggio F, editors. [51] Lebovici S. L’expérience du psychanalyste chez l’enfant et chez
Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de la névrose de
PUF; 2000. p. 342-6. transfert. Rev Fr Psychanal 1980;44:733-857.
[18] Winnicott DW. Concepts actuels du développement de l’adolescent : [52] Chabert C. Féminin mélancolique. Paris: PUF; 2003.
conséquences quant à l’éducation. In: Jeu et réalité. Paris: Gallimard; [53] Chabert C. Féminin mélancolique. Adolescence 1997;30:47-57.
1975. p. 190-207 (1968). [54] Chabert C. L’ombre de Narcisse. À propos de la réaction thérapeutique
[19] Denis P. Soi-même pour un autre, identité relative et identité absolue. négative. Rev Fr Psychanal 1991;55:409-23.
Rev Fr Psychanal 1999;63:1098-108. [55] Pontalis JB. Non, deux fois non. Tentative de définition et de
[20] Laplanche J, Pontalis JB. Vocabulaire de psychanalyse. Paris: PUF; démantèlement de la réaction thérapeutique négative. Nouv Rev
1967. Psychanal 1981 ; 24:53-75. In: Pontalis JB editor. Perdre de vue. Paris:
[21] Freud S. Le moi et le ça. In: OCP XVI. Paris: PUF; 1991. p. 255-303 Gallimard ; 1988. p. 91-128.
(1923). [56] Chabert C. Les surprises du masochisme moral. Libres Cah Psychanal
[22] Green A. La pensée clinique. Paris: Éditions Odile Jacob; 2002. 2000;1:107-18.
[23] Freud S. Psychologie des masses et analyse du moi. In: OCP XVI. Paris: [57] Cahn R. Adolescence et folie. Les liaisons dangereuses. Paris: PUF;
PUF; 1991. p. 1-84 (1921). 1991.
[24] Freud S. Pour introduire le narcissisme. In: OCP XII. Paris: PUF; 2005. [58] Cahn R. Les identifications à l’adolescence. In: Monographies de la
p. 213-45 (1914). revue française de psychanalyse. Identifications. Paris: PUF; 2002.
[25] Freud S. Deuil et mélancolie. In: OCP XIII. Paris: PUF; 1988. p. 259-78 p. 111-25.
(1915). [59] Pasche F. À partir de Freud. Paris: Payot; 1969.

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Identité et identification à l’adolescence ¶ 37-213-A-30

[60] Ortigues E. La forme et le sens en psychanalyse. In: Ortigues MC, [70] Chagnon JY. Féminité entre latence et adolescence. Adolescence 2005;
Ortigues E, editors. Que cherche l’enfant dans les psychothérapies ?. 23:557-74.
Ramonville Saint Agne: Erès; 1999. p. 15-48. [71] Chagnon JY. Le pronostic à la préadolescence : une étude longitudinale.
[61] Freud S. L’inconscient. In: OCP XIII. Paris: PUF; 1988. p. 203-42 Psychol Clin Project 2003;9:149-201.
(1915). [72] Green A. Instances du négatif, tiercéité, temps. In: Green A., Favarel-
[62] Gutton P. Violence et adolescence. Paris: édition In Press ; 2002. Garrigues B., Guillaumin J., Fedida P editors. Le négatif, travail et
[63] Marty F. La violence de l’adolescence : de l’événement traumatique à la pensée. Paris: L’esprit du temps ; 2000. p. 15-56.
névrose de l’adolescence. In: Marty F, editor. Figures et traitement du [73] Ladame F. Introduction. In: Ladame F, Jeammet P, editors. La psychia-
traumatisme. Paris: Dunod; 2001. p. 41-57. trie de l’adolescent aujourd’hui. Quels adolescents soigner et com-
[64] Marty F. Filiation parricide et psychose. Les liens du sang. Ramonville
ment ?. Paris: PUF; 1986.
Saint Agne: Erès; 1999.
[74] Laplanche J. Nouveaux fondements pour la psychanalyse. Paris: PUF;
[65] Chagnon JY. Le pronostic à la préadolescence. Soutenance de thèse.
Bull Psychol 2001 ; 451:85-8. 1987.
[66] FreudA. Le moi et les mécanismes de défense. Paris: PUF; 1978 (1946). [75] Marty F. L’adolescent et son corps : les enjeux de la génitalisation. In:
[67] Birraux A. Éloge de la phobie. Paris: PUF; 1994. Marty F, editor. Transactions narcissique à l’adolescence. Paris:
[68] Marty F. À propos du parricide et du matricide à l’adolescence. In: Dunod; 2002. p. 53-72.
Marty F, editor. L’illégitime violence. La violence à l’adolescence et [76] Anzieu D. Les traces du corps dans l’écriture : une étude
son dépassement. Ramonville Saint Agne: Erès. 1997. p. 95-110. psychanalytique du style narratif. In: Anzieu D, editor. Psychanalyse et
[69] Chagnon JY. Hyperactifs ou hypo-passifs ? Hyperactivité infantile, langage. Du corps à la parole. Paris: Dunod; 1977. p. 172-87.
agressions sexuelles à l’adolescence et nouveau malaise dans la civili- [77] Marty F. Hercule ou la colère des Dieux. Adolescence 1989;7:
sation. Psychiatrie Enf 2005;48:31-88. 189-96.

F. Marty, Professeur (francois.marty@univ-paris5.fr).


J.-Y. Chagnon, Maître de conférences.
Institut de psychologie, laboratoire de psychologie clinique et de psychopathologie (LPCP), 71, avenue Édouard-Vaillant, 92100 Boulogne-Billancourt.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Marty F., Chagnon J.-Y. Identité et identification à l’adolescence. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-213-A-30, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-213-B-10

37-213-B-10

Interprétation des épreuves projectives


à l’adolescence
C Chabert
M Emmanuelli

Résumé. – L’articulation des données offertes par le Rorschach et le TAT permet l’analyse et l’interprétation
des modalités de fonctionnement psychique originales qui caractérisent les adolescents. C’est dans cette
perspective, en effet, que les épreuves projectives peuvent être questionnées quand la clinique reste ambiguë :
l’abord des adolescents, la conduite des traitements sont particulièrement délicats, ce dont témoigne la
fréquence des refus, des ruptures dans les prises en charge. À cet égard, s’interroger sur les aménagements
pulsionnels, narcissiques et relationnels qui spécifient leur fonctionnement psychique constitue une étape
essentielle dans l’élaboration d’un projet psychothérapeutique. L’intérêt du Rorschach et du TAT réside dans
l’approche du conflit entre investissements narcissiques et investissements objectaux et dans les données
qu’ils apportent quant aux capacités de fantasmatisation et de liaison des affects susceptibles d’être
mobilisés. Il s’agit en effet que soit assuré le maintien potentiel d’une dialectique effective entre les deux pôles
du subjectif et de l’objectal, investissement dont l’oscillation constitue le mouvement même de la vie.
© 2001 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : adolescence, épreuves projectives, Rorschach, TAT, interprétation psychanalytique.

Introduction La fiche de dépouillement a connu récemment un remaniement


allant dans le sens d’une réorganisation, d’une simplification et
Compte tenu de l’aspect mouvant des manifestations introduisant de nouveaux procédés. Ces derniers, sous la rubrique
psychopathologiques apparaissant à cette époque de la vie, la crainte « CL », « investissement des limites », témoignent d’un
d’enfermer l’adolescent dans un diagnostic univoque a pu susciter fonctionnement marqué par la dépendance à l’objet externe, le
chez certains des réserves quant à l’usage des méthodes projectives, surinvestissement des limites entre soi et l’autre et le vacillement de
voire du bilan tout entier. ces limites [6]. La révision du manuel du TAT [58] prévue pour 2002
permettra d’intégrer les modifications survenues depuis 10 ans.
C’est méconnaître l’utilisation qui en est faite. L’interprétation
psychanalytique des données projectives, introduite aux États-Unis Une bonne partie de ces travaux concernent les adultes. Ils ont servi
par Schafer [55, 56], a été développée en France par l’école de Paris de base à des recherches centrées sur la spécificité des projectifs à la
(Anzieu, Rausch de Traubenberg, Shentoub, Brelet, Chabert). Cette préadolescence et à l’adolescence : la thèse de V Shentoub [57] portait
approche s’ancre sur la théorie psychanalytique et permet de suivre sur l’étude des manifestations obsessionnelles à la préadolescence à
au plus près le fonctionnement psychique. La systématisation de la partir du TAT ; plusieurs articles ont été consacrés aux
méthode d’analyse, au Rorschach comme dans les épreuves caractéristiques du Rorschach à l’adolescence [21, 24, 33, 39, 48], à la
thématiques, repose sur un souci de transposition de la théorie du spécificité du TAT [32], aux apports des deux épreuves [7, 9, 20, 22, 25, 34, 35,
fonctionnement psychique, considéré dans ses aspects normaux et
40]
. Un numéro entier du bulletin de la Société du Rorschach, paru
pathologiques, qu’offre la psychanalyse. Il s’agit, cela a été souvent en 1993 (1), est consacré à l’adolescence, abordée selon des thèmes
écrit, de psychanalyse appliquée. Rigoureusement appliquée : les recouvrant normalité et pathologie. La psychopathologie
ouvrages sur le Rorschach [27, 28] ont argumenté les propositions psychanalytique y est fortement engagée. Un apport fondamental
concernant chacun des facteurs utilisés dans cette épreuve pour de la psychanalyse réside dans l’affirmation qu’il y a non pas
approcher les processus de pensée, les représentations et les affects, rupture mais continuité entre le normal et le pathologique dans le
les mécanismes de défense, pour dégager les traductions projectives fonctionnement psychique. L’approche psychanalytique des
des différents troubles psychopathologiques. La méthode d’analyse épreuves projectives s’appuie sur les concepts fondamentaux de la
du TAT, mise au point par Shentoub et Debray [59], s’est trouvée métapsychologie psychanalytique, pour rendre compte de la variété
enrichie par les travaux qui ont suivi : l’approche du narcissisme et des mouvements psychiques. Loin de figer, elle suit souplement le
des troubles dépressifs proposée par Brelet [ 1 7 ] , celle du sujet dans le déroulement de ses associations et traduit le
fonctionnement psychosomatique qu’a fourni Debray [30]. Il s’agit de mouvement dynamique, les variations économiques, en les éclairant
travaux sans cesse remaniés pour perfectionner encore l’analyse au à partir des sollicitations latentes du matériel et de la prise en
gré de l’évolution des perspectives psychopathologiques. Un article compte de la relation sujet-psychologue. On peut dès lors, sans
de Debray [31] rend compte de ce travail d’élaboration permanente. chercher à dégager une problématique renvoyant à un conflit et
traduisible en termes psychopathologiques exclusifs, appréhender
les divers niveaux de problématiques que les variations du matériel
Catherine Chabert : Professeur de psychologie clinique et projective.
Michèle Emmanuelli : Maître de conférences en psychologie clinique.
Université René-Descartes (Paris V), Institut de psychologie, 71, avenue Edouard-Vaillant, 92100 Boulogne, (1) Bull Soc Fr Rorschach Méth Proj, numéro spécial Adolescence (dir C Chabert et N Rausch de

France. Traubenberg), 1993 ; 37

Toute référence à cet article doit porter la mention : Chabert C et Emmanuelli M. Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris, tous droits réservés),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-213-B-10, 2001, 6 p.

150 549 EMC [295]


37-213-B-10 Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

permettent de faire émerger, ainsi que les mécanismes de défense qu’elles mobilisent ? Autrement dit, l’élaboration du conflit œdipien
dans leur variété ou leur prévalence, dans leur souplesse ou leur trouve-t-elle des voies de dégagement grâce aux capacités de
rigidité. Dans une telle approche, la problématique du changement, déplacement de l’adolescent, permettant une séparation d’avec ses
au cœur du fonctionnement adolescent, peut être appréhendée avec objets d’amour originaires, grâce à des possibilités de liaison
une grande efficacité. L’utilisation conjointe de deux épreuves faisant pulsionnelle qui autorisent la circulation des représentations et des
appel à des conduites psychiques différentes (imaginer à partir d’un affects dans leurs polarités libidinale et agressive ?
percept flou, raconter une histoire à partir d’images pour la plupart La nécessité d’une séparation se jouant simultanément sur deux
figuratives) contribue à approcher les niveaux de problématiques et scènes, avec les imagos infantiles sur la scène interne et avec les
les capacités de changement face aux variations externes et internes. parents de la réalité sur la scène externe, entraîne la reprise de la
problématique de perte d’objet liée à la position dépressive. Il s’agit
de savoir si et comment l’adolescent parvient à reconnaître la perte
Épreuves projectives à l’adolescence : d’objet et à opérer une liaison entre affects et représentations, deux
étapes décisives pour accéder à l’élaboration de la position
quelle spécificité ? dépressive. Cette élaboration n’a lieu, généralement, qu’à la
postadolescence [38].
Il n’existe pas de matériel destiné uniquement aux adolescents : on
Le Rorschach et le TAT sont des instruments privilégiés pour évaluer
utilise avec eux les mêmes épreuves qu’avec les adultes,
les ressources et les fragilités du fonctionnement psychique dans ces
essentiellement le Rorschach et le TAT. Ce qui fait la spécificité de
différents registres. L’intérêt de leur utilisation conjointe, proposée
cette approche repose sur la connaissance du fonctionnement
de manière argumentée depuis 1987 [ 2 2 ] , repose sur leurs
psychique des adolescents. Ce dernier entraîne d’ailleurs une
caractéristiques différenciées et complémentaires : le Rorschach
particularité des productions que livrent les jeunes sujets devant ces
sollicite fortement le narcissisme, le TAT inscrit essentiellement ses
épreuves et qu’il est nécessaire de connaître. De ce fait, un certain
sollicitations dans le champ œdipien, ce que nous allons développer.
nombre de travaux récents abordent l’étude de protocoles
Mais l’une et l’autre de ces épreuves sont susceptibles d’éveiller tout
d’adolescents tout-venant, ce qui permet de donner des points de
à tour et à leur manière les problématiques identitaires, narcissiques,
comparaison dans l’approche des troubles pathologiques [40, 48].
dépressives, œdipiennes. On obtient ainsi une confrontation et une
L’étude de la dimension interculturelle, qu’il serait important de
confirmation des résultats obtenus, ce qui renforce la fiabilité de
prendre en compte, a été amorcée par certains auteurs [32], mais reste
l’analyse finale.
à poursuivre et développer.
La théorie psychanalytique a, au cours des 30 dernières années,
largement contribué à approfondir la connaissance du Rorschach
fonctionnement psychique des adolescents. Rappelons quelques
points fondamentaux, particulièrement bien mis en évidence par les
PROCESSUS D’INDIVIDUATION : LA CONTRAINTE
tests utilisés.
NARCISSIQUE
Le Rorschach constitue une médiation privilégiée pour l’étude du
narcissisme et de la représentation de soi. Ce test est avant tout une
Problématiques adolescentes épreuve identitaire et, de ce fait, une mise à l’épreuve des limites,
compte tenu des deux caractéristiques essentielles des configurations
À l’adolescence, identité et relations objectales sont mises à l’épreuve qu’il propose :
par les processus de changement inhérents à cette période de la vie.
– le matériel s’offre d’abord comme une tache symétrique ordonnée
Le point de départ du processus d’adolescence, l’étape pubertaire,
par un axe vertical figuré ou implicite : symétrie autour d’un axe, à
engage le corps et la psyché dans des changements complexes.
l’instar du corps humain qui trouve là un lieu privilégié de
L’identité, les fondements narcissiques, le sentiment de continuité
projection de ses représentations ;
d’exister en sont fortement remis en cause, entraînant des troubles
identitaires, dont il importe d’évaluer la dimension passagère ou – par ailleurs, la tache se dégage par contraste sur un fond (blanc),
durable. Les assises narcissiques ainsi bousculées et la sexualisation ce qui marque plus ou moins nettement les contours et les limites
des relations réactivées, la centration sur le Moi de la libido entre dedans et dehors ; sont ainsi mises à l’épreuve les capacités de
narcissique devient une nécessité, voire une contrainte [ 2 4 ] . différenciation du sujet, par un travail de figuration qui condense à
L’évaluation de la qualité de ces assises et de l’efficacité des la fois la distinction entre sujet et objet, entre monde interne et
mouvements de centration sur le Moi revêt de ce fait une importance monde externe, entre fantasme et réalité.
diagnostique considérable.
L’investissement narcissique de la représentation de soi peut se LA REPRÉSENTATION DE SOI ET SON INVESTISSEMENT
traiter dans les termes suivants : les changements corporels liés à la Que la projection de l’image du corps, grâce au déplacement sur
puberté s’accompagnent-ils du maintien du sentiment d’identité ? des figures substitutives, constitue l’un des axes majeurs des
Autrement dit, l’adolescent se sent-il toujours le même sujet en dépit protocoles d’adolescents n’étonne pas : toutes les planches du
des transformations de son corps ? Ou bien celles-ci bouleversent- Rorschach favorisent ce mouvement, encore que certaines soient
elles la continuité d’être, introduisant une sorte de fracture dans la plus sollicitantes à cet égard (planches 1 et 5 notamment).
représentation de soi, faisant voler en éclats son identité subjective Cependant, au-delà de cette représentation corporelle, c’est la
atteinte dans son intégrité et dans son unité ? capacité d’investissement du sujet par lui-même grâce à un
Au cœur de cette évolution, la remise en jeu de la problématique rassemblement narcissique qui constitue la problématique essentielle
œdipienne conflictualise le rapproché avec les objets parentaux, à analyser au Rorschach, car l’unité narcissique, déjà fragilisée par
supports des identifications. Se dégager de cette problématique les modifications de l’image du corps, est sérieusement attaquée par
passe par l’intégration d’identifications secondaires : il s’agit donc la force des mouvements pulsionnels et l’extrême sensibilité aux
de s’éloigner tout en se rapprochant. Cette nécessité, porteuse de objets auxquels ils s’attachent. La double contrainte interne-externe
paradoxe, peut générer la sidération des processus de pensée ou apparaît prégnante et comme portée à son acmé pendant
encore le recours aux conduites agies. l’adolescence : les protocoles de Rorschach mettent en évidence une
Le processus identificatoire et les choix d’objets renvoient aux exacerbation patente des réponses kinesthésiques et/ou sensorielles.
questions suivantes : qu’en est-il des références identificatoires de Du côté kinesthésique, le phénomène doit être analysé en référence
l’adolescent ? Les modalités d’identification sont-elles aménageables à la polysémie du facteur K [27], notamment en termes de contrainte
compte tenu des mouvements pulsionnels (libidinaux et agressifs) pulsionnelle, narcissique ou identificatoire.

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence 37-213-B-10

Du côté sensoriel, au-delà de l’hypersensibilité à l’environnement pour jouer avec les représentations de vulnérabilité et d’atteinte, sur
qu’elles dénoncent, les modalités de réactivité spécifiques aux un mode qui nous apparaît comme un signe positif [35] . Les
stimuli chromatiques doivent être interprétées en tenant compte des protocoles voient les indices d’investissement de la pensée se
différents registres relationnels auxquels la sensorialité est déployer : augmentation du nombre de réponses, prise en charge
susceptible de renvoyer. Au Rorschach, l’expression kinesthésique des divers éléments de la planche dans des réponses organisées qui
met d’abord en évidence une excitation pulsionnelle repérable à la visent la maîtrise, accroissement des K et des réponses symboliques,
fois dans la multiplication des réponses « explosives » et dans leur souvent sensorielles. Très caractéristique aussi des productions de
apparition très déterminée par les caractéristiques chromatiques du cette période est le passage de représentations de relations sous-
matériel. tendues par les mouvements pulsionnels à des mises sous le
Le travail psychique requiert une centration sur soi considérable, boisseau, par le biais de défenses narcissiques, de ces
aggravée à l’adolescence par la quête identitaire particulièrement investissements libidinaux jugés trop dangereux.
sensible dans la recherche de nouveaux repères identificatoires.
L’hyperproduction kinesthésique témoigne de l’excitation de la
Cette centration sur soi, qui implique le repli narcissique au sens
pensée, l’investissement du fonctionnement intellectuel est sous-
pulsionnel du terme, se traduit au Rorschach par l’investissement
tendu par une énergie pulsionnelle considérable, énergie qui, chez
de kinesthésies narcissiques, par des réponses marquées par
les adolescents les mieux à même d’affronter leurs problématiques,
l’idéalisation, le gel des mouvements pulsionnels (réponses faisant
peut se déplacer du registre objectal au registre narcissique, dans
référence au double, au reflet). Elle mobilise vivement les processus
de pensée des adolescents sans problèmes majeurs et débouche des mouvements d’investissement, alternés, parfois sans souplesse.
souvent sur des protocoles d’une grande créativité dans lesquels les Citons quelques réponses du Rorschach de David, 20 ans, adolescent
jeunes sujets semblent mettre en travail, à des fins d’élaboration, la non consultant, dont le protocole est exemplaire de la mobilisation
fragilité narcissique réactivée par l’adolescence et avivée par des processus de pensée au service de la mise en représentation des
l’épreuve. sollicitations pulsionnelles, vivement réactivées.
L’étude attentive des traductions de l’investissement narcissique
– Planche 1.
s’avère riche en enseignements, non seulement avec les protocoles
« Classique. Un papillon, au départ.
marqués par les troubles du narcissisme, mais aussi avec les
protocoles d’adolescents souffrant de manifestations névrotiques : Deux amants qui s’embrassent. Un... mais dans un ballet.
ces indices participent au diagnostic différentiel [37]. Il importe en Deux personnes qui sont enlacées et il y a des anges de la mort qui
particulier d’observer non seulement la qualité de l’investissement sont en train de les piquer de chaque côté [...]. »
de la représentation de soi, mais aussi les capacités de déplacement – Planche 2.
de la pulsion du pôle narcissique au pôle objectal. L’analyse des « Deux lépreux qui se donnent la main. Les sentiments : il y a une
liens entre conflits pulsionnels et mécanismes de régulation grande tristesse qui se dégage des deux personnes, ils ont l’air de
narcissique constitue un des pivots de l’interprétation des protocoles pleurer... Des gens qui ont l’air de ne plus avoir de membres, des
d’adolescents. membres déformés... (G. Peut-être un manteau miteux, c’est
Enfin, la mise en évidence de la qualité des défenses narcissiques et glauque).
de leur efficacité représente un élément essentiel de cette analyse : il Aussi des danseurs russes qui danseraient la danse des sept sabres.
s’agit de s’interroger sur la solidité des assises et sur l’efficacité de (G. Ils dansent, genoux pliés, encapuchonnés de tissu, mais ils
ses supports, non seulement pour contenir les mouvements auraient leurs membres).
pulsionnels violents inhérents à cette crise de la vie, mais aussi pour Deux membres du Ku Klux Klan qui sont hypercontents parce qu’ils
assurer la cohésion psychique qui maintient le sentiment de viennent de commettre un méfait et qui se réjouissent. Et qui ont
continuité d’exister, malgré les discontinuités et les séparations. mis des masques de tristesse pour pas qu’on les reconnaisse (G. Ils
ont une grande cape et la tête recouverte. Ils se donnent la main et
NARCISSISME ET RELATIONS D’OBJETS
ont mis un masque pour pas qu’on les reconnaisse et pour cacher
Dans le versant objectal, les kinesthésies humaines assurent la mise leurs sentiments).
en scène de scénarios relationnels très marqués par l’intensité des
Et aussi, ça me fait penser à des éboueurs et des mendiants du
charges pulsionnelles, parfois presque crues dans leur figuration
Moyen Âge (G. Les éboueurs ont toujours des grands gants. Les
excessive, caricaturale, dramatique. Sinon, le relais est pris par les
mendiants, c’est tout miteux et pas moderne. Je vois bien un
kinesthésies mineures, montrant la capacité de déplacement d’une
mendiant dans un caniveau contre un mur. C’est la même époque
représentation à l’autre, les figures animales ou les objets ouvrant
que le lépreux). »
une voie de décharge à l’excitation trop difficile à intégrer dans la
construction ou l’élaboration d’une relation humaine agressive ou Les relations d’objet s’inscrivent dans des modalités très contrastées,
libidinale. marquées par la libido et l’agressivité. L’excitation entraîne une
Les kinesthésies narcissiques sont souvent associées à des conduites surenchère associative qui, malgré l’intensité des symboles et la force
de contrôle sévère. Mais la spécificité des Rorschach d’adolescents des affects exprimés, reste liée au plaisir d’imaginer.
apparaît davantage dans l’instabilité et la fragilité de ce contrôle. Chez certains adolescents, le surinvestissement de la pensée
Lorsque les dérapages dans la qualité du rapport au réel sont constitue une défense majeure contre les fantasmes et les
ponctuels et ne remettent pas fondamentalement en cause représentations sexuelles/corporelles qui constituent des
l’intégration des repères structurants, ils soulignent la souplesse du préoccupations angoissantes. L’hyperactivité intellectuelle revient à
développement psychique et témoignent du caractère transitoire des lutter contre toute représentation de vide, qu’il s’agisse d’angoisse
recours narcissiques. Lorsque ces dérapages contribuent à dénoncer de castration, d’angoisse de perte d’objet ou encore de perte
une désorganisation éventuelle de la pensée et de ses points d’appui narcissique.
logiques, ils traduisent des défaillances importantes dans les
aménagements narcissiques, et en particulier une trop grande Les protocoles marqués par l’inhibition, la restriction, le défaut
perméabilité des frontières entre dedans et dehors, avec les risques d’investissement des processus de pensée s’inscrivent, de ce fait,
de confusion, ponctuels ou non, qu’un tel défaut de différenciation dans un registre préoccupant : il s’agit d’approcher ce qui sous-tend
implique [8, 26]. cet appauvrissement. S’agit-il d’une défense contre l’infiltration de
la pensée par la libido objectale, réintroduisant le conflit œdipien
PENSÉE après la mise à distance de la latence, d’un désinvestissement sous-
On observe généralement au décours de l’adolescence un tendu par la désintrication, d’une abrasion inscrite dans une psyché
surinvestissement de la pensée qui, sous la double contrainte, qui fuit tout risque de confrontation à la perte d’objet et à la douleur
pulsionnelle et narcissique, investit les processus de symbolisation que celle-ci peut susciter ? [40]

3
37-213-B-10 Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

TAT même la souffrance inhérente à toute perte d’objet. Cette planche


est fondamentale dans la mesure où elle permet de saisir dans quelle
Le TAT, qui appelle à la mise en récits et propose d’emblée un travail mesure le conflit œdipien est structurant, ce qui se traduit par la
de scénarisation incluant la prise en compte de la temporalité, mise en scène de l’affrontement entre désirs et défenses, par
pousse le sujet vers le registre de la secondarisation. L’étude du l’intériorisation des interdits, par la capacité enfin à surmonter la
discours qui porte, dans l’approche proposée par Shentoub, sur le perte dans un projet identificatoire effectif. Ce traitement complexe
contenu mais aussi sur la forme, permet d’évaluer l’efficacité de cette ne s’opère pas sans mobiliser des défenses importantes, comme le
secondarisation et la gestion des processus primaires réactivés par montre le récit de Suzanne, 16 ans, adolescente appartenant à une
le matériel. Ce matériel figuratif, fortement organisé autour de population témoin :
sollicitations œdipiennes, confronte les adolescents à une « Toujours le même principe. C’est une jeune fille qui a des livres et
problématique cruciale pour eux : la qualité des relations d’objet, apparemment elle aimerait faire des études, aller à l’école ou
l’acceptation ou l’échec de la triangulation, les mouvements s’instruire, faire quelque chose en rapport avec la lecture. Et elle est
dépressifs suscités par l’Œdipe sont d’autant plus clairement d’une famille de paysans ; elle est obligée d’aider et de laisser ses
repérables que le sujet y est répétitivement exposé, au fil de la livres. Et elle est triste ; elle est devant sa ferme, et elle regarde peut-
passation. La fragilité ou la faillite identitaire s’y donnent à voir dans
être vers l’école. Ça me rappelle une histoire, la Comtesse de Ségur. »
les difficultés à maintenir le lien à la réalité, dans les mouvements
projectifs traduisant la perte de distance avec le matériel, dans les On voit dans ce récit combien la prise en compte de la situation
confusions entre les personnages. Par ailleurs, plusieurs planches œdipienne mobilise essentiellement le versant défensif par rapport
réactivent la problématique de perte d’objet, dont l’élaboration est au rapproché désiré : celui-ci est évoqué comme issu d’une
elle aussi cruciale à l’adolescence. Enfin, l’apport du TAT dans la contrainte (elle est obligée d’aider), alors que le désir est déplacé sur
clinique du narcissisme fait de cette épreuve un complément l’investissement d’un objet extérieur. L’affect de tristesse évoqué
indispensable du Rorschach. Les défenses narcissiques, leur rend compte de l’intériorisation de l’interdit et de la nostagie que ce
efficacité, leur dimension de relais pour l’investissement objectal ou dernier suscite.
d’étouffement de la pulsion y sont particulièrement repérables. L’impact de la problématique œdipienne est repérable dans d’autres
L’aspect massif ou la dimension ponctuelle de la problématique
planches (planches 4, 6, 7, 10), mettant en évidence les modalités
narcissique s’y lisent aisément : les liens qu’entretient à l’adolescence
d’investissement et de traitement des relations aux images
la vulnérabilité narcissique avec la problématique objectale y sont
parentales. Elles peuvent déclencher chez les adolescents une
mis en évidence.
excitation considérable par la proximité des fantasmes incestueux et
leur impact pulsionnel. Cette excitation surgit parfois de manière
RÉACTIVATION DE LA PROBLÉMATIQUE ŒDIPIENNE explosive ou à travers un symbolisme transparent, mobilisant
ET CONTRAINTE OBJECTALE ailleurs des stratégies défensives plus ou moins coûteuses, en termes
En apparente contradiction avec l’extrême sensibilité narcissique, de refoulement et de dramatisation dans des contextes hystériques,
l’hyperréactivité à l’environnement relationnel constitue également ou en termes d’intellectualisation outrancière et d’isolation dans des
une contrainte majeure à l’adolescence : cette grande perméabilité contextes plus rigides. De manière générale, dans les protocoles
est rendue douloureuse par la dépendance qu’elle implique, d’adolescents non consultants, une certaine mise à distance vis-à-vis
dépendance objectale dont la double connotation à la fois œdipienne de ces problématiques présentées ici de manière insistante prévaut,
et régressive est insupportable. par le recours aux procédés d’inhibition utilisés de manière modulée
En privilégiant le TAT dans l’approche de cette problématique, nous (les conflits sont évoqués, mais le motif reste caché ; les personnages
voulons d’abord souligner la pertinence de cet instrument qui se sont parfois anonymes). Par ailleurs, les aménagements névrotiques
prête justement à la sollicitation de représentations de relations ne sont pas toujours suffisants et on assiste fréquemment à d’autres
s’inscrivant dans différents registres conflictuels. Si l’analyse du recours : défenses de type narcissique visant l’abrasement des
contenu latent des planches de TAT permet d’en dégager la mouvements pulsionnels, ou encore manifestations au niveau du
structure [58], les assauts pulsionnels libidinaux et/ou agressifs comportement qui permettent d’occulter les représentations
suscités par ce matériel peuvent être considérés, par la force des gênantes. Ces modalités défensives, de même que l’utilisation
effractions qu’ils supposent, par l’intensité de l’appel à l’autre qu’ils ponctuelle et transitoire de l’inhibition, ne peuvent pas être
impliquent, comme autant d’éléments dont la dimension de interprétées comme des signes pathologiques, à moins de constituer
séduction constitue une menace par rapport au fantasme narcissique l’armature essentielle de l’organisation défensive : l’augmentation
d’autosuffisance qui sert parfois de recours nécessaire aux des charges pulsionnelles au moment de l’adolescence et la
adolescents finalement très démunis face aux excès de leur fragilisation globale des infrastructures de la personnalité rendant le
sensibilité interne et externe. contrôle pulsionnel beaucoup plus aléatoire, on ne s’étonne pas de
l’apparition de moments de fonctionnement en tout ou rien, de
l’acuité de la lutte entre désirs et interdits, du recours à des positions
CONFLIT ŒDIPIEN
narcissiques, des passages dans l’agir ou même du refuge dans le
La référence itérative du test au conflit œdipien suppose bien sûr la somatique qui constituent parfois la seule issue possible. Mais il est
mise à l’épreuve des processus identificatoires, ainsi que des important que l’adolescent montre, à d’autres moments, qu’il est
capacités à élaborer l’angoisse de castration et les conflits capable d’évoquer ces conflits et de les poser en termes
pulsionnels. Mais, par ailleurs, il faut souligner les effets du TAT intrapsychiques : cela se traduit, au TAT, par la présence d’éléments
dans la sollicitation de problématiques narcissiques et dépressives, rendant compte d’une intériorité effective, de l’existence d’un espace
le réveil de représentations de relations plus archaïques, celles-ci psychique propre, scène mentale servant de cadre au déploiement
étant susceptibles de se déployer dans de larges mouvements allant
des conflits par la médiation de représentations et d’affects
des registres conflictuels les plus élaborés aux plus primaires. La
suffisamment liés.
problématique œdipienne est fortement mobilisée par des planches
figurant des relations inscrites dans la différence des sexes et/ou Bien sûr, la secondarisation est parfois défaillante, les émergences
des générations. Citons plus particulièrement la planche 2 qui des processus primaires accentuées par l’actualité de la
mobilise le complexe œdipien : attirance vers le personnage de sexe problématique : on observe à l’adolescence une grande hétérogénéité
opposé, rivalité avec le parent de même sexe, entraînant des du fonctionnement psychique, montrant des oscillations
bouleversements pulsionnels en butte à l’interdit et au tabou de permanentes, parfois déstabilisantes. Les extrêmes constituent la
l’inceste. Associée à cette problématique, vient s’adjoindre la marque la plus connue de cette période de la vie dont on ne doit
nostalgie liée au renoncement à l’objet d’amour œdipien et par là pas oublier l’excès et la démesure.

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence 37-213-B-10

PROBLÉMATIQUE DE PERTE D’OBJET Les épreuves projectives s’inscrivent comme partie de l’examen
En deçà du conflit œdipien, ce sont toutes les modalités des relations psychologique utilisée dans la clinique de l’adolescent, en
d’objet qui sont mobilisées. L’hypersexualisation des relations consultation comme dans les services d’hospitalisation. L’approche
conduit à des contre-investissements qui constituent autant de différenciée que permettent l’entretien clinique, l’anamnèse,
tentatives pour inhiber, voire geler les mouvements pulsionnels. Le l’utilisation de tests cognitifs et de tests instrumentaux, trouve dans
retrait régressif, le repli vers des systèmes relationnels d’allure ces épreuves un complément fondamental. Le recours à une théorie
anaclitique, offrent ainsi une sorte de refuge contenant les du fonctionnement psychique commune donne à la démarche une
excitations. Les manifestations parfois très douloureuses de perte congruence qui enrichit la compréhension de la psyché dans sa
d’objet ne s’inscrivent pas nécessairement dans un contexte diversité.
fondamentalement dépressif. Elles témoignent plutôt de processus Reste la question du diagnostic : le terme effraie lorsqu’il s’agit
de désidéalisation à la fois objectale et narcissique, et de la d’organisation psychique encore en mouvance. Toutefois, c’est bien
prégnance du complexe de castration. souvent dans les cas complexes, où les praticiens hésitent devant la
Les planches du TAT sollicitant plus spécifiquement des diversité des signes, que la clinique projective est sollicitée. Encore
représentations de perte d’objet révèlent l’ampleur de la résonance faut-il s’entendre sur ce que le terme recouvre alors : les épreuves
à des problématiques de cet ordre : condensant à la fois le permettent de dégager une appréciation non pas en termes de
renoncement à l’objet œdipien et la croyance en l’obligation structure (difficile à admettre avec les adolescents) mais en termes
d’abandonner les relations de dépendance aux images parentales, de fonctionnement psychique : les points de fragilité et les ancrages
l’angoisse de perte d’objet apparaît avec une intensité particulière, positifs peuvent être dégagés, à partir de l’étude des processus de
nécessitant des aménagements défensifs plus ou moins efficaces, pensée, de la qualité de la relation au réel, de la mise en évidence
n’évitant pas toujours des effondrements dépressifs ou des des processus de liaison (ou de leur rupture). La variété et l’efficacité
désorganisations narcissiques parfois spectaculaires. de l’organisation défensive, les capacités régressives et les ressources
Mais si l’angoisse dépressive est autant liée à la perte d’objet qu’à de secondarisation, sont convoquées par cette évaluation. Enfin, la
des pertes d’ordre narcissique, le corollaire de la peur du vide et du coexistence, voire l’articulation des problématiques, est mise en
déséquilibre apparaît dans la nécessité impérative de trouver des évidence par les épreuves. L’appréciation pronostique est renforcée
points d’appui suffisants dans une relation d’étayage qui permet de par l’utilisation des deux épreuves sur un mode complémentaire
soutenir les mouvements pulsionnels en offrant une contenance aux
dérives destructives et de maintenir vivants les liens objectaux dont
la permanence doit être assurée. Nous illustrons ceci par deux
exemples, issus pour le premier du bilan d’une jeune consultante et Conclusion
pour le second du protocole d’une participante à un groupe témoin.
Exemple 1 : Fanny (18 ans), TAT planche 10. L’articulation des données offertes par le Rorschach et le TAT permet
« C’est la chaleur d’un père avec son fils ou sa f... Quoi, c’est deux l’analyse et l’interprétation des modalités de fonctionnement psychique
personnes qui s’aiment. Une qui connaît plus la vie, qui a plus de originales qui caractérisent les adolescents. C’est dans cette perspective,
chaleur et réconforte l’autre. Chais pas si c’est un homme ou une en effet, que les épreuves projectives peuvent être questionnées quand la
femme. L’autre a l’air perdu. La personne plus petite a besoin de clinique reste ambiguë. L’abord des adolescents, la conduite des
l’autre. » traitements sont particulièrement délicats, ce dont témoigne la
Cette séquence exemplaire montre bien le désir (et la défense) du fréquence des refus, des ruptures dans les prises en charge. À cet égard,
rapproché incestueux dans la sexualisation initiale de la relation. s’interroger sur les aménagements pulsionnels, narcissiques et
Mais très vite, cette représentation bascule dans un système où relationnels qui spécifient leur fonctionnement psychique constitue une
l’étayage est très investi et assure une double fonction : désexualiser étape essentielle dans l’élaboration d’un projet psychothérapeutique. Il
la relation filiale et éloigner les fantasmes œdipiens en contenant faut souligner la très grande proximité de la vie fantasmatique des
l’excitation pulsionnelle qui s’y associe ; maintenir une relation adolescents : le déclenchement rapide de mouvements régressifs,
objectale autorisant, dans un repli régressif, la reconnaissance de l’hyperexcitabilité pulsionnelle pourraient, à tort, être interprétés en
l’incomplétude du sujet et de son appel à l’objet. termes pathologiques. Les adolescents peuvent, en situation projective,
déployer une liberté de mots et d’images parfois étonnante, rare, et
Exemple 2 : Doris, 15 ans, planche 13 B.
suffisamment parlante pour se passer de commentaires qui en
« Une famille vivait aux...aux États-Unis, dans les montagnes briseraient l’essence poétique. Mais ce qu’ils tendent tous à montrer, ce
perdues... le père était chercheur d’or, la mère et l’enfant étaient à la qui chez certains peut engendrer une souffrance intolérable, un
maison. L’enfant était assez jeune, 5 ou 6 ans... Un jour, son père éclatement identitaire ou un désinvestissement de tout lien aux objets,
partit... en excursion et... se fit tuer par les indiens. Et sa mère et lui renvoie à l’extrême acuité du conflit entre investissements narcissiques
ont attendu longtemps, ils n’ont jamais désespéré de le revoir. » et investissements objectaux. La difficulté à penser que ces
On voit ici comment l’appui sur des relations d’objet investies investissements ne sont pas antinomiques, voire antagonistes, entraîne
permet tout à la fois d’évoquer la perte de l’objet œdipien et de souvent un écartèlement douloureux, parfois une division profonde.
jouir, du fait de son absence, des bénéfices d’un rapproché non L’intérêt du Rorschach et du TAT réside ici essentiellement dans
culpabilisé. l’approche de ce conflit et dans les données qu’ils apportent quant aux
La capacité pour l’adolescent de prendre en compte l’existence de capacités de fantasmatisation et de liaison des affects susceptibles d’être
l’autre, ses possibilités de reconnaissance et d’acceptation de sa mobilisés. Il s’agit en effet que soit assuré le maintien potentiel d’une
différence, bref, la vivacité de sa sensibilité relationnelle constituent, dialectique effective entre les deux pôles du subjectif et de l’objectal,
au même titre que la qualité des assises narcissiques, un recours investissement dont l’oscillation constitue le mouvement même de la
essentiel pour son devenir. vie.

Références ➤

5
37-213-B-10 Interprétation des épreuves projectives à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

Références
[1] Anzieu D, Chabert C. Les méthodes projectives. Paris : PUF, [24] Chabert C. Entre dedans et dehors, la contrainte au Rors- [47] Rausch deTraubenberg N, Boizou MF. Le Rorschach en cli-
1992 chach. Adolescence 1990 ; 8 : 185-198 nique infantile : l’imaginaire et le réel chez l’enfant. Paris :
[2] Armstrong J, Silberg JL, Parente FJ. Patterns of thought dis- Dunod, 1977 : 1-350
[25] Chabert C. Narcissisme et relations d’objet à l’adoles-
order on psychological testing: implications for adolescent cence : apport des épreuves projectives. Bull Soc Fr Rors- [48] Rausch de Traubenberg N et al. Le Rorschach à l’adoles-
psychopathology. J Nerv Ment Dis 1986 ; 174 : 448-456 chach Méth Proj 1993 ; 37 (n° spécial) : 183-194 cence : la clinique du normal. Bull Soc Fr Rorschach Méth Proj
[3] Armstrong JG, Loewenstein RJ. Characteristics of patients 1993 ; 37 (n° spécial) : 7-39
[26] Chabert C. Adolescence et fonctionnement limite. Une
with multiple personality and dissociative disorders on psy- étude de cas. Bull Soc Fr Rorschach Méth Proj 1994 ; 38 : [49] Rausch de Traubenberg N, Bloch Laine F, Boizou MF,
chological testing. J Nerv Ment Dis 1990 ; 178 : 448-454 67-83 Martin M, Poggionovo MP. Étude psychologique des ado-
[4] Armstrong JG, Roth D. Attachment and separation difficul- lescents vietnamiens ; apport du Rorschach. Spécificité cul-
ties in eating disorder. Int J Eating Dis 1989 ; 8 : 141-155 [27] Chabert C. Le Rorschach en clinique adulte. Interprétation turelle, vécu traumatique, modalités d’adaptation. Enfance
psychanalytique. Paris : Dunod, 1997 : 1-283 1988 ; 41 : 95-104
[5] Azoulay C. L’entretien autour des tests projectifs. In : Cyssau
C éd. L’entretien en clinique. Paris :1998 : 121-127 [28] Chabert C. La psychopathologie à l’épreuve du Rorschach. [50] Rausch de Traubenberg N, Bloch Laine F, Boizou MF,
[6] Azoulay C, Emmanuelli M. La feuille de dépouillement du Paris : Dunod, 1998 : 1-273 Martin M, Poggionovo MP. Modalités d’analyse de la dyna-
TAT : nouvelle formule, nouveaux procédés. Psych Clin Proj [29] Debray R. L’interprétation psychanalytique du TAT. Contri- mique affective. Grille d’analyse de la dynamique affective.
2000 ; 6 : 305-327 bution à une théorie des critères diagnostiques. [Thèse de Rev Psychol Appl 1990 ; 40 : 245-258
[7] Behar-Azoulay C. La schizophrénie de l’adolescent et du doctorat de 3e cycle]. Paris, 1973 [51] Rausch de Traubenberg N, Sanglade A. Représentation de
jeune adulte à travers les méthodes projectives. Bull Soc Fr [30] Debray R. Le TAT en clinique psychosomatique. À propos soi et relations d’objet au Rorschach : grille de représenta-
Rorschach Méth Proj 1993 ; 37 (n° spécial) : 143-160 du cas d’un jeune adolescent asthmatique. Bull Soc Fr Rors- tion de soi. Rev Psychol Appl 1984 ; 34 : 41-57
[8] Behar-Azoulay C. La pensée des origines chez l’adolescent chach Méth Proj 1978 ; 31 : 83-92 [52] Rausch deTraubenberg N, Shentoub V. Tests de projection
à travers les méthodes projectives, XIVe congrès internatio- de la personnalité. Encycl Méd Chir Paris (Éditions Médicales
nal du Rorschach et des méthodes projectives. Lisbonne : [31] Debray R. TAT et économie psychosomatique : un bilan
actuel. Psychol Clin et Proj 1997 ; 3 : 19-37 et Scientifiques Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie 1982 :
Proceeding Book, 1995 : 631-637 37-190-A-10,1-14
[9] Behar-Azoulay C. Féminité et filiation : l’épreuve du temps. [32] Douville O. Le TAT à l’adolescence. Psychol Fr 1987 ; 32 :
Psychol Clin Projective 1995 ; 157-71 161-168 [53] Roman P. Clinique du clivage en méthode projective. Vio-
lence et perte à l’adolescence. Psychol Clin Proj 2000 ; 6 :
[10] Birot E. Configurations psychopathologiques de la bouli- [33] Emmanuelli M. Penser la menace œdipienne à l’adoles- 187-217
mie à travers le test de Rorschach. XIIIe congrès internatio- cence : apports du Rorschach. Adolescence 1992 ; 10 : 47-61
nal du Rorschach et des méthodes projectives. Rorscha- [54] Sanglade A. Image du corps et image de soi au Rorschach.
chiana. Paris : Éd du CPA, 1991 : 279-296 [34] Emmanuelli M. Figures de la sublimation à l’adolescence : Psychol Fr 1983 ; 28 : 104-111
apport des épreuves projectives. Bull Soc Fr Rorschach Méth
[11] Birot E. Image du corps et fonctionnement mental de l’ado- Proj 1993 ; 37 (n° spécial) : 161-181 [55] Schafer R. Psychoanalytic interpretation in Rorschach
lescent suicidant : vicissitudes de leurs liens. Bull Soc Fr Rors- testing. Theory and application. New York : Grune and
chach Méth Proj 1993 ; 37 (n° spécial) : 57-69 [35] Emmanuelli M. Incidences du narcissisme sur les processus Stratton, 1954
de pensée à l’adolescence. Psychiatrie de l’enfant 1994 ;
[12] Blatt SJ, Brenneis CB, Schimek JG, Glick M. Normal deve [56] Schafer R. Projective testing and psychoanalysis. New York :
XXXVII (1) : 249-305
lopment and psychopathological impairment of the International Universities Press, 1967
concept of the object on the Rorschach. J Abnorm Psychol [36] Emmanuelli M. L’inhibition intellectuelle à la pré-adoles-
1976 ; 85 : 363-373 cence : mise en défaut de la latence et prélude à la sépara- [57] Shentoub V. Le devenir des manifestations phobo-obses-
tion. Psychol Clin Proj 1996 ; 2 (2) : 261-278 sionnelles : de la pré-adolescence à l’adolescence. [Thèse],
[13] Bobet R. Des troubles de la mentalisation aux atteintes doctorat de troisième cycle, Paris
narcissiques chez l’adolescent épileptique. Psychologie Clin [37] Emmanuelli M. La place du narcissisme dans l’évaluation
Projective 1999 ; 5 : 95-112 de la névrose à l’adolescence : éclairage projectif. Psychol [58] Shentoub V, et le Groupe de recherche en psychologie
[14] Boekholt M. Niveau des conflits et dépression. Leur expres- Clin Proj 1998 ; 4 : 95-110 projective de Paris V. Manuel d’utilisation du TAT : appro-
sion à la planche 12 BG du TAT chez l’adolescent et l’adulte. che psychanalytique. Paris : Dunod, 1990 : 1-201
[38] Emmanuelli M. La nostalgie à l’épreuve du temps. Adoles-
Psychologie Fr 1987 ; 32 : 169-174 [59] Shentoub V, Debray R. Fondements théoriques du proces-
cence 2000 ; 18 (2)513-536
[15] Boizou MF, Chabert C, Rausch de, Traubenberg N. Repré- sus TAT. Bull Psychol 1970-1971 ; XXIV (292) : 897-903
sentation de soi, identité et identification au Rorschach [39] Emmanuelli M. Les processus de changement à l’adoles-
cence. Contribution du Rorschach. Neuropsy Enfant Ado- [60] Shentoub V, Debray R. Que faire d’une excessive richesse
chez l’enfant et l’adulte. Bull Psychol 1978 ; XXXII (n° 339) : fantasmatique ? Interprétation d’un protocole inhabituel
271-277 lescent 2001 ; 49 : 232-243
de TAT. Bull Psychol 1980 ; 32 : 309-322
[16] Boucherat-Hue V. Mademoiselle « rit-tout-l’monde » et sa [40] Emmanuelli M, Azoulay C. Les épreuves projectives à l’ado-
solution allergique. Adolescence 2000 ; 18 (2) : 571-603 lescence. Approche psychanalytique. Paris : Dunod 2001 [61] Smith BL. Of many minds : a contribution on the dynamics
of multiple personality. In : Fromm M Smith B eds The facili-
[17] Brelet F. Le TAT : fantasme et situation projective. Paris : [41] Emmanuelli M, Duplant N, Azoulay C. La psychologie pro- tating environment: clinical applications of Winnicott’s
Dunod, 1976 ; 1-188 jective en psychopathologie de l’adolescent. In : theory. New York : International Universities Press, 1989 :
[18] Brelet-Foulard F. Pensée et fonctionnement limite au TAT ; Boucherat-Hue V éd. La psychologie projective en pratique 424-458
l’exemple de l’adolescence. XIVe congrès international du professionnelle. Paris : 1998 : 73-98
[62] Smith BL. Dissociation and the collapse of the potential
Rorschach et des méthodes projectives. Lisbonne : Procee- [42] Fabbri M. Les identifications féminines dans la boulimie : space: a Rorschach investigation. XIIIe congrès interna-
ding Book, 1995 : 638-645 un manque à avoir, un manque à être. Psychol Clin Proj tional du Rorschach et des méthodes projectives. Rorscha-
[19] Caglar H. La structure psychologique de l’adolescent toxi- 1995 ; 1-2 : 217-230 chiana. Paris : Éd du CPA, 1991 : 275-279
comane à travers le test de Rorschach. Bull Soc Fr Rorschach
Méth Proj 1981 ; 32 : 59-75 [43] Fisher S, Cleveland SE. Body image and personality. New- [63] Sugarman A. Self-experience and reality testing: synthesis
York : Van Nostrand - Reinhold Publishing Corporation, of an object relations and an ego psychological model of
[20] Chabert C. Modalités de fonctionnement physique des 1958 : 1-458 the Rorschach. In : Kissen M ed. Assessing object relations
adolescents à travers le Rorschach et le TAT : numéro spécial phenomena. Madison CT New York : International Univer-
« Techniques projectives ». Psychol Fr, 1983 ; 28 187-194 [44] Lerner P, Lerner H. Rorschach assessment of primitive
sities Press, 1986 : 51-75
[21] Chabert C. Y a-t-il une spécificité des Rorschach d’adoles- defenses in borderline personality structure. In : Kwawer J,
cents ? Bull Psychol 1985-1986 ; XXXIX (376, n° spécial) : Lerner H, Lerner P, Sugerman A eds Borderline phenomena [64] Timsit M. Le concept de normalité est-il pertinent dans le
655-658 and the Rorschach test. New York : International Universi- champ du Rorschach ? Bull Soc Fr Rorschach Méth Proj 1994 ;
ties Press1980 : 257-274 38 : 5-11
[22] Chabert C. Rorschach et TAT : antinomie ou complémen-
tarité ? Psychol Fr 1987 ; 32-3 : 141-144 [45] Morales M. À propos de tests projectifs réalisés auprès de [65] Tychey(de) C. Test de Rorschach et diagnostic différentiel
jeunes consultants toxicomanes. Psychiatr Enfant 1986 ; de l’angoisse. Ann Méd Psychol 1984 ; 142-2 : 193-207
[23] Chabert C. Les potentialités de changement chez les ado- 29 : 421-468
lescents psychotiques. Contribution du Rorschach et du [66] Tychey(de) C. L’approche des dépressions à travers le test
TAT à une étude longitudinale. Rev Psychol Appl 1990 ; 40 : [46] Rausch De Traubenberg N. La pratique du Rorschach. du Rorschach. Issy-les-Moulineaux : Éd d’Applications psy-
113-137 Paris : PUF, 1990 chotechniques, 1994

6
¶ 37-216-G-40

Abus et dépendance au cannabis


à l’adolescence
O. Phan, M. Corcos, N. Girardon, S. Nezelof, P. Jeammet

Au cours des 10 dernières années, la consommation de cannabis chez les adolescents a considérablement
augmenté, devenant aujourd’hui un problème majeur de santé publique. Les formes de cannabis
utilisées, principalement herbe ou résine, sont de plus en plus riches en principe psychoactif, le
tétrahydroxycannabinol. De récentes découvertes ont permis de mieux connaître le système
cannabinoïde chez l’homme, un système complexe mettant en jeu des récepteurs spécifiques avec leurs
ligands correspondants : les endocannabinoïdes. Ainsi, on a actuellement une meilleure connaissance des
effets du cannabis. Ceux-ci sont utilisés par l’adolescent dans un but non seulement « récréatif » mais
aussi « autothérapeutique ». L’usage abusif et la dépendance s’inscrivent dans le cadre de
problématiques adolescentes sous-tendues par une fragilité narcissique à l’origine d’une dépressivité,
entravant le processus de séparation-individuation. L’addiction ayant dès lors pour fonction économique
de réguler la distance relationnelle évitant plus ou moins laborieusement les angoisses d’intrusion et
d’abandon. Face à cette consommation chez l’adolescent, différentes thérapies sont proposées dans un
cadre bifocal qui, tout en offrant un étayage suffisamment proche laisse se développer un espace
psychique pour aborder un certain nombre de conflits et d’angoisses dépressives.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Cannabis ; Psychothérapie ; Thérapie bifocale

Plan ■ Données épidémiologiques


¶ Données épidémiologiques 1 L’accroissement spectaculaire de la consommation de
cannabis chez les adolescents depuis plusieurs décennies dans
¶ La plante et ses dérivés 2
les pays occidentaux est aujourd’hui avéré. Il concerne aussi
Culture du cannabis 2
bien la prévalence d’expérimentateurs que d’usagers réguliers.
Pharmacocinétique 2
Il existe un sex-ratio garçon/fille autour de 1,3. [1] Actuelle-
Système endocannabinoïde 3
ment en France un jeune sur trois de 15 à 19 ans et plus de
¶ Effets neuropsychiques de la consommation de cannabis 3 la moitié des jeunes de 18 ans ont expérimenté le cannabis. [2]
Effets immédiats 3 Selon cette même enquête, 5,2 % des filles et 14,4 % des
Effets à long terme 4 garçons auraient une consommation régulière. Selon d’autres
Évolution vers d’autres consommations 4 études, cet usage aurait doublé durant la dernière décennie
Syndrome de dépendance et sevrage 4 dans notre pays. [3] L’étude de Nezelof porte sur 386 sujets
Comorbidités 5 âgés de 15 à 24 ans et 400 sujets de 25 à 49 ans. Elle montre
¶ Modalités de consommation et classifications 5 que pour 12,7 % des 15-24 ans et 5,4 % des 25-49 ans, il y a
De l’histoire naturelle... 5 une consommation occasionnelle ou régulière de cannabis. La
...aux classifications : usage, abus et dépendance 6 consommation régulière concerne 2,3 % des 15-24 ans et
¶ Aspects psychopathologiques 6 0,25 % des 25-49 ans. Elle a une forte prédominance
Origines multiples en lien avec d’autres troubles 6 masculine.
Facteurs socioculturels et influence de la famille 6 Cette augmentation de la consommation concerne tous les
Consommation de cannabis révélatrice d’une vulnérabilité pays européens. [4] Le Royaume-Uni et l’Irlande, pays de forte
plus que d’une pathologie 7 consommation, présentent des prévalences de consommation
Rupture du lien de continuité avec autrui, terreau de la dépendance 7 chez les plus jeunes qui paraissent se stabiliser depuis quelques
Addiction : lutte contre une dépendance affective menaçante 8 années autour de 35 %. En revanche, les prévalences de
Dépression déstructurante associée 8 consommation ne cessent de croître dans les autres pays : c’est
¶ Approches thérapeutiques 9
le cas de la Finlande (hausse de 5 à 10 % de 1995 à 1999), du
Généralités 9
Danemark (de 17 à 24 % dans la même période), et de la
Repérage 9
Belgique. [5] Ce taux d’expérimentation place la France en
Approche spécifique des addictions au cannabis 9
première position ex aequo avec la république Tchèque et le
Royaume-Uni. Ainsi, environ 16 % des jeunes de l’Union
¶ Conclusion 11 Européenne âgés de 15-16 ans (nés en 1983 et interrogés en
1999) auraient consommé au moins une fois du cannabis. [5]

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

Parallèlement, le pourcentage de tétrahydroxycannabinol Une étude récente a regroupé les résultats d’analyses obtenus
(THC) dans le cannabis est en augmentation. [6] Enfin, les depuis 1993 sur des produits saisis par les douanes et la
demandes de prises en charge en centres spécialisés par gendarmerie et analysés par divers laboratoires d’expertise
rapport au cannabis ont augmenté passant de 12,7 % à 15,5 % toxicologique. [12] Il en ressort que quelle que soit l’année, il
de l’ensemble des premières consultations de 1997 à 1999. [7] existe une très grande variabilité des concentrations pour l’herbe
Ces demandes de soins ne concernent que les centres spécia- (de 5,5 % à 8,7 %) comme pour la résine (de 7 % à 10 %).
lisés et il est actuellement impossible d’évaluer l’ensemble des Cependant, au cours des années sont apparus des produits
demandes sur tout le dispositif de soins. fortement dosés en 9THC à 31 % pour la résine, de 22 % pour
l’herbe. Désormais on peut trouver sur le marché des herbes
dénommées « skunk » (abréviation de l’anglais « skunk weed » :
■ La plante et ses dérivés herbe de salaud) ou bien « super-skunk » obtenue à partir de
culture sous serre, hydrotonique, avec des conditions de
Culture du cannabis luminosité et de température optimales. [13]

Le cannabis n’est autre que le nom latin du chanvre. Il en


existe deux principaux types selon le mode de culture : le
cannabis sativa sativa et le cannabis sativa indica. Le premier, Pharmacocinétique
cultivé en terrain humide, est riche en fibres. Il sert à la
fabrication des tissus et des cordages. Le second, cultivé dans Le principe actif du cannabis est depuis longtemps identi-
des milieux chauds et secs, va produire une résine pour lutter fié, il s’agit du delta9-tétrahydroxycannabinol ou D9THC.
contre la sécheresse. C’est cette résine, présente en abon- Après inhalation, 15 % à 50 % du D9THC présent dans la
dance dans les feuilles et les sommités florales, qui sert à la fumée est absorbé et passe dans le flux sanguin. [14] Cette
fabrication de produits riches en substance psychoactive. [8] absorption est rapide et les concentrations sanguines maxi-
Pour augmenter encore la concentration en THC certains males sont obtenues 7 à 10 minutes après le début de l’inha-
producteurs utilisent la technique du « sinsemilla » (en lation. [15] Très lipophile, le THC se distribue dans tous les
espagnol « sinsemilla » signifie sans graines) qui implique de tissus riches en lipides. On en retrouve ainsi en grande
séparer les plants femelles des plants mâles avant la pollini- quantité dans le cerveau. [16] Une étude a montré qu’après
sation. En effet, les plants femelles produisent plus de THC consommation d’un joint, les effets psychiques persistaient
que les plants mâles surtout lorsqu’ils sont non pollinisés et longtemps tandis que les concentrations sanguines dimi-
sans graines. Ainsi, peut-on obtenir des produits qui, à l’état nuaient très rapidement. En fait, de par le caractère lipophile
brut, contiennent jusqu’à 15 voire 20 % de THC. Il a été et le volume de distribution très important (4 à 14 l/kg), les
montré que les consommateurs recherchaient préférentielle- effets psychiques du cannabis se prolongent bien au-delà de
ment ces produits à forte concentration en THC, et donc à
la baisse de la concentration sanguine. L’élimination des
plus fort risque d’addiction. [9]
cannabinoïdes s’effectue par différentes voies, digestive, rénale
et sudorale. Environ 15 % à 30 % du D9THC est éliminé dans
Trois formes : plante brute, résine, huile les urines sous forme de D9-THC-COOH tandis que 30 % à
Les feuilles de marihuana, ainsi que les tiges sont écrasées et 65 % est éliminé dans les selles sous forme de 11-OH-D9-
roulées dans des cigarettes pour former ce que les consomma- THC et de D9-THC-COOH. En raison de sa forte fixation
teurs appellent communément un « joint ». En France, le tissulaire, le D9THC est éliminé lentement dans les urines. On
cannabis à l’état brut est principalement fumé. Par cette voie, en retrouve de 7 à 14 jours après la dernière prise chez les
on obtient une intensité et une durée des effets optimaux consommateurs occasionnels et de 7 à 21 jours chez les
puisque la moitié du principe actif va être absorbée. [6] Les effets consommateurs réguliers. [17]
apparaissent ainsi en quelques minutes et durent plusieurs
heures. Dans d’autre pays comme l’Inde par exemple, il est
également mâchonné ou utilisé dans la nourriture ou les Dosage dans les milieux biologiques
boissons. Dans ce pays, le cannabis est divisé selon sa puissance
Le sang est le liquide biologique de choix dans tout contexte
en plusieurs catégories, chacune provenant d’une partie diffé-
rente de la plante. Le « bhang » correspond aux tiges et aux médico-légal, incluant les accidents de la voie publique. Il vise
feuilles qui ont la puissance la plus faible. La « ganja » est à mettre en évidence ou à confirmer un usage récent de
fabriquée à partir des sommités fleuries, elle est beaucoup plus cannabis. [18] L’analyse sanguine permet en effet de doser les
puissante. différentes formes psychoactives ou non du cannabis ainsi que
La résine gluante, qui contient le plus de THC, est rassemblée d’effectuer une analyse quantitative dont les résultats peuvent
et pressée en « barrette » ou en « savonnette ». Cette forme donner lieu à une interprétation. Elle peut aussi donner une
concentrée est appelée haschisch ou plus communément estimation du temps écoulé entre la dernière consommation et
« shit ». Elle est mélangée avec du tabac, roulée pour faire le le moment du prélèvement. [15] Cependant, même si les
« joint », et fumée. Le haschisch est aussi fumé dans des pipes concentrations sanguines de THC sont souvent accompagnées
spéciales appelées « bongs » ou « hookahs ». Comme le has- d’effets physiques et psychiques, [15, 19] il n’a pu être démontré
chisch est plus concentré, il est plus facile d’en faire la contre- de façon formelle qu’il existait une corrélation étroite entre
bande. Ce haschisch est rarement vendu à l’état pur, il est concentration sanguine et nature et intensité des troubles
souvent coupé avec d’autres substances comme le henné ou la comportementaux. Ceci est sans doute dû aux grandes varia-
paraffine. [10] tions interindividuelles et à la tolérance qui s’installe chez les
On peut aussi extraire de l’huile de haschisch à partir de la consommateurs réguliers.
plante (en utilisant des solvants). Le plus souvent, on s’en sert
Le dosage dans les urines apparaît aujourd’hui comme le
pour enduire du papier à rouler les cigarettes. On peut aussi
verser l’huile goutte à goutte sur des feuilles de cannabis prélèvement le plus approprié pour effectuer le dépistage rapide
écrasées, pour augmenter les effets psychoactifs des « joints ». d’une consommation de cannabis. Il ne détecte cependant que
L’huile de haschisch (« huile rouge ») peut contenir de 20 à le D9THC-COOH qui est la forme non psychoactive. De plus, il
30 % de THC. [6] Cette huile est aussi consommée par voie orale ne permet pas de préjuger du temps écoulé entre le moment de
en étant mélangée à de la nourriture par exemple dans certaines la consommation et celui du recueil des urines, le D9THC-
pâtisseries appelées « space cake ». En raison du premier passage COOH pouvant y être présent de plusieurs jours à plusieurs
hépatique et de l’absorption lente, les effets sont plus lents à semaines après le prélèvement. Le seuil de positivité recom-
apparaître et peuvent durer de 8 à 24 heures, [11] ils seront aussi mandé dans l’urine est de 50 ng de D9THC-COOH par millilitre
beaucoup plus intenses. de sang. [7]

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

Le dosage dans la salive a fait l’objet de nombreuses étu- Effets immédiats


des. [20] Il pourrait constituer un bon test de dépistage en raison
de la présence du D9THC, c’est-à-dire la forme active, dans la Du fait de son action neuromodulatrice, les effets ressentis
salive. On disposerait alors d’un examen non invasif permettant après une prise de cannabis sont très variables selon les indivi-
de mettre en évidence un usage récent. Cependant, il n’existe à dus et dépendent étroitement des ressentis personnels avant la
ce jour aucun test rapide adapté à ce milieu biologique. consommation.
L’analyse des cheveux permet de mettre en exergue une
chronologie des consommations par l’analyse des segments. [21] Deux types de phénomènes
L’intérêt est surtout médico-légal. [22]
Classiquement, l’usager va ressentir deux types de
Système endocannabinoïde phénomènes.
Un sentiment de relaxation au cours duquel l’utilisateur est
Les cannabinoïdes agissent sur l’organisme par l’intermédiaire légèrement confus et psychologiquement séparé de son envi-
du système cannabinoïde endogène, composé de substances ronnement. Il existe également un détachement, une sensation
neurochimiques (ligands endogènes) et de récepteurs d’être ailleurs, une somnolence et des difficultés de
spécifiques. concentration.
Une modification de toutes les sensations. Les variétés de
Trois types de ligands cannabinoïdes endogènes
cannabis les plus puissantes peuvent provoquer des étourdisse-
• Les ligands endogènes représentés par l’anandamide et le ments, une excitation avec une augmentation de la vivacité, des
2-arachodonylglycérol. [23] Ils ont pour rôle de moduler la distorsions majeures des perceptions du temps, de la couleur et
libération de neurotransmetteurs. des sons. Des doses très fortes peuvent même produire des
• Les ligands exogènes naturels qui sont tous issus de la plante sensations cénesthésiques et visuelles.
cannabis sativa. On en compte plus de 60 mais le principal La perte du sens du temps est responsable de plusieurs effets
reste le D9THC.
ressentis avec le cannabis. [30] Les travaux ennuyeux et sans
• Les ligands synthétiques comme le HU-210, le CP-55940 ; le
intérêt semblent se dérouler plus vite.
WIN-55212-2 ou le SR141716A et le SR144528 qui sont des
À noter qu’il n’a jamais été décrit de surdose au cannabis. [30]
antagonistes cannabinoïdes ou agonistes inverses. [24]
Contrairement à l’héroïne, le THC n’a aucune action sur le
Récepteurs tronc cérébral pouvant entraîner une détresse respiratoire.
Cependant, certaines personnes vont ressentir une anxiété,
Deux types de récepteurs cannabinoïdes ont été isolés : les voire une véritable attaque de panique. [31] D’autres réactions
CB1 et les CB2. Ce sont des protéines transmembranaires à sept sont plus rares et certaines incluent un vécu paranoïde, une
domaines couplés à des protéines G. Les CB1 sont largement
dysphorie, une dépersonnalisation avec déréalisation. [30, 32]
distribués dans le cerveau au niveau du cortex cérébral, des
Ceci étant dit, rien n’a été prouvé de façon formelle et il existe
ganglions de la base, du thalamus, du cervelet et tout particu-
souvent dans les études réalisées des facteurs de confusion
lièrement au niveau de l’hippocampe et du striatum. [25] Les
CB2 sont quant à eux largement présents dans tout le système tels que les comorbidités psychiatriques ainsi que les prises
immunitaire notamment dans les macrophages, la rate et les concomitantes d’autres produits. [32, 33] Ces effets sont sponta-
lymphocytes B et T. [26] De par cette distribution, les CB1 sont nément résolutifs sans intervention extérieure. En cas de
plutôt impliqués dans les effets psychotropes et les CB2 plutôt symptôme persistant au-delà de 24 heures après la fin de
dans les effets immunomodulateurs. l’intoxication, un autre diagnostic est à évoquer, notamment
La répartition des récepteurs CB1 au niveau du cerveau est psychiatrique. [32, 33]
remarquablement bien corrélée aux effets comportementaux des
cannabinoïdes. Ainsi, l’effet inhibiteur des cannabinoïdes sur les Amnésie des faits récents
performances psychomotrices et la coordination est à mettre en
relation avec la grande concentration des CB1 au niveau des Concernant les études expérimentales, celles-ci ont montré
noyaux de la base et de la couche moléculaire du cervelet. essentiellement des effets amnésiants à court terme (mémoire de
Quant aux effets délétères du cannabis sur la mémoire à court travail). La prise de cannabis altère la capacité des sujets à se
terme, ils peuvent être expliqués par l’expression des récepteurs rappeler des mots, des images, des histoires ou des sons présen-
CB1 dans les couches I et IV du cortex et dans l’hippocampe. tés sous l’emprise du produit, aussitôt ou plusieurs minutes
Ainsi, le système cannabinoïde joue un rôle régulateur dans de après cette présentation. [34, 35] Ces troubles peuvent persister
nombreuses fonctions : l’humeur, le contrôle moteur, la percep- jusqu’à plusieurs semaines après l’arrêt de l’intoxication. [36]
tion y compris la douleur, l’appétit, le sommeil, la mémoire, Cependant, ces atteintes de la mémoire semblent réversibles à
certaines fonctions cognitives et le système immunitaire. [27] l’arrêt de l’intoxication y compris en cas de forte consomma-
Comme beaucoup d’autres drogues qui entraînent des dépen- tion. [37] La performance des volontaires lors des tests autres que
dances, le cannabis active le système mésolimbique dopaminer- ceux destinés à évaluer la mémoire est peu ou pas modifiée
gique qui est appelé communément l’aire de récompense. [28, 29] selon les études. [38]
Il a été montré que l’administration de 9THC activait les
neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale qui se Troubles du comportement
projette au niveau du noyau accumbens et entraîne une
augmentation de la dopamine. Cet effet est bloqué par la Les études réalisées sur les troubles du comportement sous
naloxone, un antagoniste opiacé. Ce qui laisse sous-entendre un l’emprise du produit et notamment les effets sur la conduite
mécanisme commun entre les opiacés et le 9THC. D’autres automobile sont contradictoires. Certaine études montrent que
produits ont un effet renforçateur au niveau du système de les personnes sous l’emprise du cannabis ont des performances
récompense. moindres lors des tests réalisés avec des simulateurs de conduite.
Ces altérations de performance seraient similaires à celles
rencontrées en cas de consommation d’alcool, [36, 39] elles
■ Effets neuropsychiques dureraient plus longtemps, [36] seraient non perçues par le
de la consommation de cannabis sujet [40] malgré la persistance des déficits lors des tests. [41]
Cependant, une revue [42] ayant fait le point sur l’ensemble des
Les effets du cannabis apparaissent en général de 15 à études réalisées, souligne les inconsistances de certaines d’entre
20 minutes après inhalation et entre 4 à 6 heures en cas de elles, les difficultés méthodologiques inhérentes à ce type de
prise orale. Chez les consommateurs réguliers, ces effets appa- recherche et rappelle que les caractéristiques individuelles
raissent de façon plus retardée. peuvent être à l’origine des différences observées.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

D’après l’ensemble des études, la prise de cannabis entraîne plusieurs cas de figures qui vont des parents fournisseurs pour
une altération des performances psychomotrices lors de leur enfant à ceux qui vont jusqu’à menacer de chasser leur
l’accomplissement de tâches complexes liée aux troubles de adolescent du domicile s’il poursuit sa consommation. Ces
l’attention, de la coordination psychomotrice et à l’allongement contre-attitudes parentales, sans compter les motions pulsion-
du temps de réaction. [30, 43] De plus, le 9THC potentialise les nelles inconscientes, sont augmentées dans leurs effets par
effets de l’alcool, des barbituriques, de la caféine et des amphé- l’incohérence des positions et attitudes entre les parents sur la
tamines. [11] L’association du cannabis et du MDMA (ecstasy) question du cannabis. Les complications judiciaires quand elles
rendrait la conduite automobile quasi impossible. surviennent (interpellation du jeune pour détention ou trafic)
peuvent renforcer le sentiment d’impuissance qu’ont les parents
à se faire respecter comme garant de l’autorité et du respect des
Effets à long terme lois en vigueur. Pour autant, elles constituent dans certains cas
une limite nécessaire à intégrer par l’ensemble de la famille.
Conséquence extrêmement fréquente de l’usage régulier de Enfin, les conséquences sur le traitement des troubles psychi-
cannabis sur la population étudiée, les troubles cognitifs et leurs ques sont les plus préoccupantes. Il y a d’abord le risque de
répercussions sur la scolarité (chute des résultats, absentéisme) rendre moins efficaces les traitements psychotropes et notam-
avec un risque de désinvestissement plus ou moins global. ment les neuroleptiques. Concernant la schizophrénie, le
cannabis aggrave le processus dissociatif, les rechutes à court
Troubles cognitifs terme et à long terme sont plus fréquentes, la resocialisation est
moindre et l’observance plus faible. [50, 51] Le risque encouru du
Les perturbations concernent surtout la mémoire à court
terme, les autres fonctions étant conservées. [36, 37, 44, 45] fait du retard d’accès aux soins est également relevé. [52] L’usage
Néanmoins, la plupart des auteurs estiment que cette altération « autothérapeutique » du cannabis est probablement favorisé par
des fonctions cognitives est réversible. le sentiment d’avoir atteint un pseudo- « insight » grâce à la
Des études récentes ont montré l’influence néfaste de la désinhibition opérée par le produit, du moins pour certains
consommation durant la période critique de l’adolescence patients. Tout aussi préoccupants sont les risques de rupture de
lorsque le cerveau est encore dans une phase de maturation. prise en charge pour des adolescents hospitalisés quand leur
Ceci serait particulièrement vrai pour de fortes consommations consommation fait déborder les limites de tolérance de l’insti-
de cannabis avant 15 ans. [46] L’aggravation de certains troubles tution. Là aussi, la qualité des liens entre les parents et l’insti-
cognitifs en lien avec une pathologie mentale avérée (schizo- tution et le positionnement des parents vis-à-vis des
phrénie, dépression majeure) par une intoxication cannabique transgressions du cadre thérapeutique peuvent influencer
peut précipiter le patient dans l’échec scolaire. grandement l’évolution de la prise en charge.

Effet sur la motivation


Un usage régulier de cannabis aurait une influence sur les
Évolution vers d’autres consommations
performances scolaires, les activités sportives et extrascolaires, Si certains auteurs ont souligné que la majorité des adoles-
sur les capacités à maintenir des relations interpersonnelles. Cet cents qui consomment des toxiques n’évoluent pas forcément
usage serait corrélé à une plus grande fréquence de conduites à vers l’abus ou la dépendance, [53] d’autres mettent en évidence,
risques comme les rapports non protégés, les conduites sous au travers d’études longitudinales, les risques de glissement de
l’emprise de toxiques. [41, 47] Cependant, certains auteurs la consommation occasionnelle à la consommation régulière,
soulignent que les troubles précéderaient la consommation et voire à la dépendance [54] et les passages progressifs de la
que ces consommateurs présentaient auparavant des troubles consommation de substances légales (alcool, tabac) au cannabis,
d’ordre émotionnel et comportemental. [48] puis à d’autres drogues (théorie de la porte d’entrée). [55]
Certains auteurs évoquent le diagnostic de syndrome amoti-
vationnel, selon la dénomination française. [49] Ce syndrome
comporterait un apragmatisme important, avec perte d’intérêt,
une anhédonie, une intolérance aux frustrations et un ralentis-
Syndrome de dépendance et sevrage
sement psychique. Il concernerait spécifiquement certains La consommation régulière de cannabis peut être considérée
adolescents consommateurs chroniques. Néanmoins, la respon- comme une conduite addictive. Il existe en effet un réel
sabilité du cannabis est difficile à prouver car cette sémiologie syndrome de dépendance avec perte de contrôle de la consom-
se retrouve fréquemment chez les adolescents dépressifs, voire mation. La fréquence des prises est un bon facteur prédictif de
déprimés même chez les non-consommateurs, tant la dimension l’évolution vers une conduite addictive. [56, 57] Les adolescents
de passivité défensive peut apparaître au premier plan chez des développent, à quantité consommée égale, plus volontiers une
sujets dont les assises narcissiques sont fragiles. De plus, pour dépendance au cannabis que les adultes. [58] Selon cette même
d’autres auteurs, ce syndrome amotivationnel est commun à étude, environ un tiers des adolescents qui consomment
toute intoxication chronique aux psychotropes. [32] quotidiennement du cannabis développent un syndrome de
dépendance. D’autres études ont montré qu’un phénomène de
Altération des relations interpersonnelles tolérance s’installait après une prise quotidienne pendant
Un autre type de complication qui découle d’une consomma- 3 semaines. [59]
tion de cannabis chez un adolescent nécessitant des soins Le syndrome de sevrage au cannabis est assez bien défini. Les
psychiques consiste en des altérations des relations avec son symptômes débutent environ 24 heures après l’arrêt de la
entourage et en particulier ses parents. Cette complication consommation, sont à leur maximum au bout de 72 heures et
apparaît très peu dans la littérature. Elle envahit pourtant se résorbent ensuite en 7 à 10 jours. Les principales manifesta-
systématiquement et parfois massivement le travail thérapeuti- tions sont une irritabilité, une anxiété, une tension physique
que avec les parents (ou leurs substituts légaux). Cette dégrada- importante ainsi qu’une baisse de l’humeur et de l’appétit.
tion relationnelle peut faire suite à une période plus ou moins D’autres signes accompagnent le tableau : impatience, tremble-
longue de déni de la part des proches ou à l’inverse d’une ments, sueurs, insomnie et sommeil agité. [60] Pour ces auteurs,
suspicion persécutrice compromettant dans un cas comme dans les signes de sevrage ressembleraient au sevrage aux opiacés. Ils
l’autre les tentatives pour le jeune de pouvoir parler de la réalité seraient néanmoins moins violents du fait des quantités
de sa consommation. Certaines attitudes de l’entourage vis-à- importantes de cannabis contenues dans les graisses et non
vis de cette consommation vont avoir une influence sur le actives immédiatement avec possibilité de relargage étalé sur le
risque de pérennisation de la conduite. On rencontre alors temps.

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

Comorbidités de risques de dépendance au cannabis à l’adolescence, beaucoup


plus de consommateurs chez les sujets ayant des comporte-
Beaucoup d’études ont rapporté une association fréquente ments suicidaires que dans la population générale et l’on
entre pathologie psychiatrique et consommation de cannabis. connaît l’évolution exponentielle de l’incidence des tentatives
Parmi les abuseurs ou les dépendants au cannabis, il existe une de suicide à l’adolescence depuis plusieurs décennies. Cette
grande fréquence de pathologies psychiatriques. [52, 61, 62] De vulnérabilité semble être un facteur favorisant les risques de
même chez les patients présentant des troubles de l’humeur ou plus grande dépendance qu’à l’âge adulte. [58] Outre les nom-
des désordres psychotiques, on observe une plus grande fré- breux facteurs psychosociaux en jeu, il faut rappeler ici les
quence d’abus ou de dépendance au cannabis. [32, 63-65] Les facteurs biologiques qui pourraient interagir activement avec la
études de comorbidité en témoignent et montrent la fréquence prise du produit. Pour Stahl, [82] les remaniements synaptiques
des associations entre consommation de cannabis et troubles spectaculaires se déroulant dès l’âge de 6 ans et pendant toute
alimentaires (pour l’essentiel les conduites boulimiques et les l’adolescence peuvent expliquer l’augmentation importante de
formes mixtes), l’abus d’alcool, les symptômes dépressifs, les l’incidence des troubles thymiques et l’exacerbation des troubles
troubles anxieux, ou encore les comportements suicidaires et les antérieurs à cette période de la vie. De notre point de vue, cette
troubles des conduites. [66-68] Certains patients dépressifs, spécificité neurophysiologique liée à l’âge n’est sans doute pas
anxieux ou présentant des signes négatifs de la schizophrénie assez prise en compte dans l’évaluation des risques psychiatri-
ont rapporté que le cannabis atténuait leurs symptômes. De ques induits par le cannabis. On peut d’ailleurs s’attendre à ce
même, des adolescents ont admis fumer du haschisch pour que la généralisation de l’usage de cannabis s’accompagne d’un
calmer leur colère, combler leur ennui. [11, 56, 69] Il demeure très âge de début moyen de plus en plus bas, actuellement aux
difficile de discerner la part de responsabilité du haschisch dans alentours de 14 ans. Or, c’est la précocité des premières expé-
l’apparition et le maintien d’un trouble psychique donné. La riences qui représente un indicateur fiable de pronostic : plus
littérature internationale atteste cette difficulté. tôt dans la vie se situe la consommation de substances psy-
Les auteurs restent très partagés sur l’existence de maladies choactives, plus grand est le risque d’abus et/ou de dépendance,
schizophréniques induites par le cannabis et la notion de de polyconsommation et de passage à d’autres drogues illicites
psychose cannabique ne fait pas l’unanimité. [70-73] avec un coût sanitaire élevé à l’âge adulte. [83] Ces données ont
Quatre études récentes ont été menées pour étudier le devenir été abondamment vérifiées pour le cannabis par Golub [84] et
des adolescents consommateurs de cannabis. Elles avaient pour Perkonigg. [85]
objectif de voir si une consommation de cannabis à l’adoles-
cence était un facteur de mauvais pronostic sur l’apparition
d’une schizophrénie à l’âge adulte. L’étude suédoise, [74, 75] ■ Modalités de consommation
portait sur une cohorte de 50 000 conscrits suivie prospective-
ment sur 27 ans. Elle montre qu’il existe une corrélation entre et classifications
consommation de cannabis avant 18 ans et apparition d’une
schizophrénie à l’âge adulte. De plus, l’importance de la De l’histoire naturelle...
consommation semble être un facteur aggravant. L’étude néo-
La population des usagers de cannabis n’est pas homogène
zélandaise [76] insiste sur les risques d’une consommation
quant à la façon de consommer le produit. On distingue les
précoce avant 15 ans. Les études de suivis de cohortes britanni-
prises occasionnelles, souvent festives, l’utilisation à titre
ques [77] et hollandaises, [78] en éliminant le plus de variables
autothérapeutique et enfin la « défonce » à visée anti-pensée.
confondantes possibles (groupe social, ethnie, antécédents
Les premières bouffées de cannabis se prennent souvent en
parentaux...), viennent appuyer l’hypothèse selon laquelle il
groupe en faisant « tourner le joint ». L’adolescent découvre
existerait une corrélation entre consommation de cannabis à
alors les premiers effets : fous rires, levée des inhibitions et
l’adolescence et développement d’une schizophrénie à l’âge
amélioration de la convivialité entre copains. Les neurobiologis-
adulte.
tes parlent de l’effet neuromodulateur du système cannabinoïde
Cependant, certains points restent encore en discussion. endogène sur lequel va agir le tétrahydroxycannabinol. Ainsi, le
Compte tenu de la difficulté de repérer les prodromes de la cannabis aurait un rôle modulateur sur l’humeur, le contrôle
schizophrénie, il est difficile de savoir si certains jeunes moteur, les perceptions, l’appétit et le sommeil. Les fumeurs
consommateurs de cannabis ne sont pas en fait des personna- décrivent souvent une exacerbation des perceptions sensorielles
lités prépsychotiques qui utiliseraient le cannabis à titre et une impression de ressentir le monde qui les entoure
« autothérapeutique ». De plus, alors qu’il existe de plus en plus avec une acuité plus grande. L’un ressentira mieux la
de consommateurs de cannabis chez les adolescents, il n’a pas musique, l’autre aura une meilleure communication avec son
été constaté d’augmentation de l’incidence de la schizophrénie. entourage.
Les travaux récents concluent même à une diminution progres-
Pour certains, l’usage du cannabis restera festif et associé à la
sive de l’incidence de la schizophrénie depuis les années
convivialité. Pour d’autres, généralement les plus fragiles, les
1950. [79] Toutefois, la consommation massive chez les jeunes de
effets relaxants et hypnotiques ressentis lors des premières prises
moins de 16 ans est un phénomène récent. Il est peut-être
seront mis à profit pour traiter les troubles du sommeil et
encore trop tôt pour dire si cela aura une influence sur la
d’autres tensions de la vie quotidienne : c’est l’étape de la
prévalence de la schizophrénie.
consommation « autothérapeutique ».
En résumé, il semble démontré que d’une part, expérimenta- Progressivement, le cannabis va devenir indispensable pour
lement, tout un chacun, à partir d’une certaine dose de THC les bénéfices qu’il apporte, sans qu’il y ait dépendance au sens
administrée, présente des troubles psychotiques aigus « de type propre du terme. Cependant, il n’est pas rare d’observer à ce
schizophrénique » résolutifs [80] et que d’autre part le risque de stade des signes de sevrage pendant les périodes d’abstinence.
développer une schizophrénie à l’âge adulte lorsqu’un adoles- Ceux-ci se manifestent sous forme d’une anxiété avec irritabi-
cent consomme du cannabis existe même si ce risque reste lité, de perturbations du sommeil et de l’appétit, et surtout une
faible. [81] Au total, on peut actuellement supposer qu’une envie presque irrésistible de prendre des produits.
intoxication chronique au haschisch à l’adolescence, sur un Enfin, il y a la « défonce » qui efface d’un coup toute pensé
terrain fragile, peut être à l’origine de véritables états douloureuse. Généralement, cela nécessite des prises importan-
psychotiques. tes sous forme de « bongs » : pipes à eau qui permettent
Il faut insister sur la plus grande vulnérabilité liée à la d’absorber une grande quantité de produit en un minimum de
jeunesse du consommateur. Il ressort aussi des études de temps. Le cannabis peut alors avoir pour but de mettre à
comorbidité certaines données importantes : [50] deux fois plus

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

distance les problèmes psychologiques sous-jacents. Arrêter la physique survenant en cas de privation du produit), s’associent,
consommation devient alors synonyme de retour au réel. On pour définir la dépendance, des signes traduisant la recherche
comprend la difficulté à stopper. compulsive du produit (« craving »), et l’impossibilité d’arrêter la
consommation malgré ses conséquences somatiques et sociales.
La dépendance n’est pas l’accoutumance à un produit, mais
un mode de consommation inadapté qui centre la vie du sujet,
...aux classifications : usage, et le pousse à persister dans sa consommation malgré les
abus et dépendance conséquences qu’il subit du toxique.
Plus que du produit, c’est d’une expérience que certains sujets
Il est classique de différencier trois grandes modalités de
deviennent dépendants. Cette expérience est cependant variable
consommation de substances : l’usage, l’abus et la dépendance.
d’un produit à l’autre. Chaque sujet trouve dans son produit
Seules les deux dernières sont reconnues comme des entités une action spécifique. Selon qu’il recherche euphorie, stimula-
morbides, répertoriées en tant que « troubles liés à l’utilisation tion, sédation.
d’une substance » dans les classifications internationales (APA,
1994, DSM-I [86] et CIM- 1 [87]). À ces catégories, le DSM-IV, en
individualisant 11 groupes de substances (licites et illicites),
ajoute la catégorie « troubles induits par une substance » dont ■ Aspects psychopathologiques
certains comme l’intoxication, le trouble amnésique, les
troubles psychotiques peuvent être liés à une prise unique. Origines multiples en lien avec d’autres
Ces regroupements nosographiques recoupent, souvent troubles
imparfaitement, les catégories de consommation individualisées
dans les études épidémiologiques qui distinguent les non- Les facteurs intervenant dans la genèse des conduites addic-
tives à l’adolescence, notamment au haschisch, sont multiples,
consommateurs, les expérimentateurs, les consommateurs
complexes, étroitement intriqués, cumulatifs et interactifs. D’où
occasionnels et les consommateurs réguliers. Cette approche
la nécessité d’une approche pluridisciplinaire. Elle permet en
épidémiologique descriptive basée sur la fréquence de la
effet la construction d’hypothèses à partir d’un véritable
consommation (qui n’est d’ailleurs pas consensuelle selon les
phénomène de santé publique qui ne se circonscrit pas unique-
études) n’est pas toujours facile à mettre en perspective avec les ment dans le domaine de la pathologie avérée, loin s’en faut
entités morbides qui peuvent en découler. Comme le souligne (notion d’un continuum du normal au pathologique et d’un
Reynaud, [88] il convient de compléter la question « trop c’est gradient de gravité), et qui apparaît particulièrement variable
combien ? », par « trop c’est quand ? et trop c’est comment ? ». dans sa nature et son intensité. Cette variabilité est non
seulement individuelle avec une dépendance aux facteurs
Usage généticobiologiques et psychopathologiques, mais aussi collec-
tive en lien avec des facteurs socioculturels.
L’usage est caractérisé par la consommation de substances
Pour comprendre la nature psychopathologique des conduites
n’entraînant ni complication ni dommage. Cette définition, qui
addictives, il faut les resituer, nous semble-t-il, dans le contexte
peut prêter à controverse, sous-entend qu’il peut exister une plus général des troubles du comportement des adolescents
consommation sans risques, socialement réglée, dont la place dont elles peuvent être à la fois des causes et des conséquences.
est liée à l’acceptation, voire à la valorisation d’une substance Ainsi, du point de vue épidémiologique et clinique, l’usage des
par une société donnée à un moment donné, pour un plaisir toxiques et les conduites déviantes sont classiquement associés.
personnel ou un usage convivial. Les limites de cette définition Ils se renforcent réciproquement d’autant qu’ils partagent des
sont cependant floues. Il n’est en effet pas toujours facile de déterminismes communs. Les troubles des conduites précèdent
définir les frontières entre l’usage simple, et certains usages à généralement l’usage de drogue. Tarr [89] et Kandel [57] ont
risques comme la consommation dans certaines situations observé que la délinquance mineure était l’élément le plus
(conduite automobile, grossesse, etc.), certaines consommations important de prédiction du passage aux drogues « dures ». Pour
festives socialement intégrées mais abusives (fêtes, rave-party, Leblanc, [90] plus la délinquance est élevée plus la consomma-
etc.), ou certaines consommations (tabac, alcool, etc.) dont les tion augmente et il existe une relation statistiquement signifi-
seuils de quantité et de durée augmentent à terme les risques de cative entre le fait d’avoir en commun des délits et d’être un
mortalité et de morbidité somatiques, même si elles ne remplis- usager de drogues.
sent pas les critères de l’abus ou de la dépendance.

Abus Facteurs socioculturels et influence


« L’abus de substance » au sens de la classification du DSM-IV de la famille
(qui concorde avec « l’usage nocif » de la CIM-1 [87] ) est La conduite addictive chez l’adolescent fait en effet partie de
caractérisé à la fois par la répétition de la consommation, et par ce type de troubles du comportement qui a vu sa fréquence
la constatation de dommages dans les domaines sociaux augmenter très sensiblement depuis une trentaine d’années :
somatiques ou judiciaires. Les critères de sa définition ont plus fugues, impulsivité et violence, activités délictueuses, tentatives
trait à un dysfonctionnement dans la sphère sociale qu’à une de suicide. Cet accroissement concerne les pays occidentaux et
souffrance propre du sujet. Son individualisation a néanmoins ceux en voie d’occidentalisation. Ainsi pour la toxicomanie en
un intérêt sur le plan psychopathologique puisqu’il s’agit Europe : l’Espagne, l’Italie et la France, trois pays au fort rythme
souvent de dommages pouvant être en lien avec certaines de croissance entre 1983 et 1992, sont les nations les plus
caractéristiques psychologiques (impulsivité, recherche de touchées : 65 % des cas déclarés en Europe. Il y a donc là un
sensations, transgression, etc.) qui favoriseraient à la fois la prise phénomène qui dépasse le seul plan de la psychopathologie
de toxiques et la prise de risques. individuelle pour s’inscrire dans les modifications de style de vie
qui touchent ces pays. Selon Bergeret et al., [91] « ...la progres-
Dépendance sion des toxicomanies traduit un véritable désarroi enregistré au
niveau de notre civilisation. Ce désarroi résulte d’une carence
La dépendance à une substance se définit comme une entité des satisfactions mentales, et en particulier imaginaires, des
psychopathologique et comportementale en rupture avec le hommes de notre temps. Il s’agit surtout d’un manque d’idéo-
fonctionnement habituel du sujet. Aux signes habituels de logie qui soit vraiment à la mesure des réels besoins profonds
pharmacodépendance que sont la tolérance (besoin d’augmenter de rêves créateurs de désir non réductibles à des satisfactions
les doses pour obtenir les mêmes effets) et le sevrage (syndrome matérielles ou comportementales ». Ainsi, la toxicomanie,

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

comme de nombreux autres troubles du comportement, tradui- troubles psychiatriques secondaires aux effets de l’addiction
rait un manque d’idéalité ou plus subtilement la confrontation (troubles anxieux, dépressifs, psychotiques, psychosomatiques).
de l’adolescent à un monde où les idéaux sont clairement On assiste à une convergence d’études venant d’horizons
définis mais pour autant inaccessibles. La façon dont s’articulent cliniques et théoriques divers, qui débouchent sur la notion
changements sociaux et comportements individuels suppose d’addiction conçue non plus seulement comme un comporte-
une série de relais parmi lesquels la famille est sûrement la ment déviant, mais comme un processus de régulation de
plaque tournante essentielle. C’est ainsi que les modifications de l’équilibre du sujet (notamment du système plaisir-déplaisir face
la société se feront sentir sur le développement de l’enfant par à la question des émotions), et un moyen d’échapper à un
le biais, par exemple, d’un effacement de la spécificité du rôle inconfort interne. En d’autres termes, un moyen d’assurer un
du père, d’un surinvestissement des capacités de maîtrise de certain équilibre de l’appareil psychique qui ne peut être obtenu
l’enfant en réponse à une captation dans le désir de l’adulte au par les moyens habituels, en particulier de régulation des
détriment de la satisfaction de ses besoins propres et du éprouvés et des émotions par les ressources internes du sujet.
développement de ses capacités de plaisir autonome. Mais ces Ces études font ressortir l’existence de dimensions psycholo-
mêmes modifications auront également une portée directe sur giques issues de facteurs biologiques (tempérament), de l’his-
l’actualité de l’adolescence en favorisant l’effacement de la toire événementielle du sujet dans son enfance, en particulier la
barrière intergénérationnelle, la fuite de toute conflictualité qui qualité des premières interactions de l’enfant avec son environ-
ne peut dès lors que s’exprimer indirectement dans les troubles nement et de la qualité de la construction de son appareil
du comportement avec usage de toxique notamment, ou psychique.
émerger périodiquement sur un mode dramatique, dans des Il est frappant de constater que les conduites addictives se
conduites à risque plus ou moins manifestement suicidaires. mettent en place pour l’essentiel après la puberté et le plus
En d’autres termes, nous sommes dans un système d’inter- souvent pendant l’adolescence ou dans ses suites immédiates,
relations entre le développement du fonctionnement de l’ado- c’est-à-dire au moment où le sujet doit s’autonomiser et ne peut
lescent et la crise du développement familial où ce qui apparaît plus bénéficier des mêmes protections de la part de ses parents.
prédominant est la résonance entre la problématique de Cette mise en place paraît en rapport avec des facteurs psycho-
l’adolescent et les conflits non élaborés de l’adolescence des logiques antérieurs qui représenteraient une vulnérabilité à la
parents. Et la question de la permissivité par rapport au dépendance et des facteurs conjoncturaux événementiels,
haschisch des générations issues des années 1960 est à mettre familiaux et sociaux. Ces facteurs apparaissent parfois détermi-
en exergue. nants et l’anamnèse montre l’existence de ce que l’on peut
appeler des facteurs de risque qui rendent la réponse addictive
à l’adolescence difficilement évitable. Dans d’autres cas, il ne
Consommation de cannabis révélatrice s’agit que d’une vulnérabilité et d’une potentialité qui ne
donneront pas nécessairement naissance à une réponse par une
d’une vulnérabilité plus que d’une conduite addictive. Ces facteurs de risque antérieurs, qui
pathologie peuvent s’exprimer à l’adolescence sont à rechercher en parti-
Ces conduites surviennent sur des personnalités diverses sur culier dans l’échec des processus d’attachement dans l’enfance
le plan des caractéristiques psychopathologiques. C’est tout le décrit par Bowlby. [92-94]
champ nosographique psychiatrique, allant de la névrose à la
psychose en passant par la perversion qui peut leur être
associé. Ces conduites témoignent donc de l’aspect transno- Rupture du lien de continuité avec autrui,
sographique, c’est-à-dire trans-structural, du concept d’addic- terreau de la dépendance
tion qui évalue essentiellement des mécanismes et des
comportements. Il faut ainsi voir ces conduites plutôt comme L’intérêt de ces modèles issus des théories du développement
l’expression d’une vulnérabilité de certains sujets, qu’une de l’enfant est qu’ils illustrent la relation dialectique qui existe
réponse à une hypothétique structure psychique toxico- entre la capacité d’autonomie de l’individu, la qualité de ses
maniaque. ressources internes et celle de ses premières relations objectales.
Cette vulnérabilité biopsychologique dans un contexte Ainsi, la qualité des interactions et de l’investissement dont
socioculturel donné peut les amener à adopter ces conduites l’enfant a été l’objet se reflète dans les modalités de l’investis-
addictives aux effets pathogènes car elles s’autorenforcent et sement de son propre corps. Son plaisir à fonctionner, à utiliser
réorganisent la personnalité autour d’elle. On ne peut parler ses compétences et ses ressources physiologiques puis psychi-
de pathologie véritable que lorsque ces sujets sont enfermés ques est la traduction de la qualité des liens intériorisés.
dans la répétition de ces comportements. Comme le dit L’indispensable lien de continuité avec autrui est assuré pour
Bergeret, [91] « il n’existe aucune structure psychique pro- partie par ce plaisir à être, à s’éprouver et à fonctionner de
fonde et stable spécifique de l’addiction. N’importe quelle l’enfant. Dans ce cas, il n’y a pas conflit entre le besoin du lien,
structure mentale peut conduire à des comportements l’appétence à recevoir, cette dépendance à l’objet et la nécessaire
d’addiction (visibles ou latents) dans certaines conditions autonomisation. L’un se nourrit de l’autre.
affectives et relationnelles ». Cet auteur voit l’addiction Inversement, tout ce qui introduit une cassure trop bru-
« comme une tentative de défense et de régulation contre les tale, trop précoce dans cette continuité du lien et cette
déficiences ou les failles occasionnelles de la structure adéquation réciproque des interactions fait prendre cons-
profonde en cause ». cience à l’enfant de son impuissance et de sa dépendance à
Cette relative diversité du terrain structural rend compte de l’égard du monde extérieur. Les conditions d’un antagonisme
la variété clinique de ces conduites comme des différences de entre autonomie et dépendance, entre lui et autrui sont
pronostic et de réponses aux thérapeutiques qui dépendent pour créées, ce qui va créer le terreau du développement d’une
beaucoup des conditions d’étayage familial et de prise en charge conduite de dépendance.
précoce. À la place du lien plus ou moins interrompu, l’enfant investit
Il faut considérer de même que la comorbidité importante si puis devient dépendant d’un élément neutre du cadre environ-
souvent observée dans ces conduites n’est pas synonyme de nant ou d’une partie de son propre corps. Mais la nature de cet
co-occurrence, et que certains symptômes observés sont étroite- investissement dépend également de la qualité du lien inter-
ment liés à la structuration psychologique sous-jacente. Il y a rompu comme de la façon dont le lien se rétablit ou de ce qui
donc une nécessaire discrimination à faire entre troubles subsiste de ce lien. Plus la dimension relationnelle se perd, plus
psychiatriques primaires favorisant l’addiction, et les nombreux l’investissement supplétif du cadre et/ou du corps se fait sur un

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

mode mécanique et désaffectivisé. La violence de cet investisse- ignorer ainsi la nature de ce lien et développer au contraire le
ment et son caractère destructeur sont proportionnels à la perte fantasme d’une maîtrise de ce néo-objet qu’est le comporte-
de la qualité relationnelle du lien et à ce qu’on pourrait appeler ment, alors qu’en fait il est devenu un objet de dépendance
sa déshumanisation. toxicomaniaque.
Cette prééminence accordée à l’objet comme la nécessité de
le maintenir dans un statut d’extériorité contribuent à l’instabi-
Addiction : lutte contre une dépendance lité de la solution addictive. On conçoit que la problématique
dépressive soit omniprésente et faite d’une alternance d’un vécu
affective menaçante de perte de l’objet comme de l’estime de soi et de retrouvailles
On conçoit également que les étapes essentielles de l’autono- momentanées, qui rappellent les oscillations maniacodépressi-
mie du sujet tout au long de sa vie représentent des périodes ves. Mais elles demeurent comme aplaties, sans profondeur et
propices à l’éclosion des conduites addictives. C’est particuliè- on ne trouve ni l’élation maniaque, ni l’autoaccusation mélan-
rement le cas de l’adolescence et de ses suites immédiates avec colique. C’est qu’en effet il n’y a ni déni complet d’altérité, ni
l’effet des transformations corporelles et psychiques sur la incorporation. On reste dans le corps à corps avec l’objet, fait
régulation des émotions, c’est-à-dire de ce qui lie l’affect aux d’une quête objectale qui s’entretient de son refus de recevoir
objets externes. Mais tout ce qui confronte le sujet à la sépara- en un lien indéfini dont la composante sadomasochiste est
tion et au sentiment de sa vulnérabilité interne peut en indéniable bien que souffrant fréquemment d’une érotisation
favoriser l’émergence tout au cours de la vie. secondaire qui demeure pauvre et s’efface au profit d’une
Toute une clinique de la dépendance est susceptible de se activité d’autostimulation plus mécanique que pulsionnelle.
développer alors comme une défense contre une dépendance
affective perçue comme une menace pour l’identité du sujet et
une aliénation à ses objets d’attachement. C’est une clinique où Dépression déstructurante associée
le sujet essaie de substituer à ses liens affectifs relationnels,
vécus comme d’autant plus menaçants qu’ils sont plus néces- Dans l’ensemble des conduites addictives, nous pouvons
saires, des liens de maîtrise et d’emprise. Il s’agit d’introduire observer, sous-jacent au trouble du comportement, cette tonalité
entre le sujet et ses possibles attachements des objets substitutifs dépressive qui émerge de façon manifeste tout particulièrement
qu’il pense maîtriser, un objet extérieur qui a des effets propres au moment du sevrage. La nature de cette dépression est
sur le corps et met à distance les objets humains dont il dépend, narcissique en lien étroit avec un échec dans l’introjection
la drogue en particulier. d’images identificatoires stables, et une incapacité d’élaboration
On voit ainsi apparaître clairement la fonction de contrôle de de la perte dans le cadre d’un travail de deuil. La conduite
la distance relationnelle par ce comportement. Il permet au addictive peut se comprendre comme une lutte andidépressive,
sujet de maintenir des relations apparemment satisfaisantes et l’incorporation répétée de l’objet addictif visant à combler un
une vie sociale relativement diversifiée, mais au prix d’un sentiment de vide insupportable. Le comportement addictif
clivage du moi. ayant une tendance à s’autorenforcer et à s’autoentretenir, toute
Mais les conduites addictives ont tendance à drainer pro- possibilité d’élaboration psychique s’amenuisant du fait du
gressivement les investissements du sujet et ce qui demeure en recours systématique au comportement addictif, le patient
lui d’appétence objectale. Elles deviennent une « voie finale substitue une dépendance à une autre, évitant tant bien que
commune de décharge de toutes les excitations » comme l’a mal toute élaboration dépressive (quelques décompensations
très justement qualifié Brusset [95] et ce d’une façon de plus en dépressives cliniquement objectivables sont observées lors de
plus indifférenciée. On retrouve dans ce caractère de plus en l’évolution). En tout état de cause, dans les conduites addictives,
plus totalitaire de la conduite avec toutes les connotations la dépression telle qu’elle se constitue s’avère rarement structu-
possibles de ce qualificatif, un paramètre commun aux rante, et augmente le plus souvent la dépendance affective.
conduites addictives, envers de la massivité de la dépendance Le réseau Dépendance [96] a bien individualisé la dépression
aux objets et de celle de l’engagement narcissique dans la comme facteur de risque majeur dans l’ensemble des conduites
relation à ceux-ci. Le « comportement-symptôme » a ainsi une addictives. L’étude de Ryan et al. portant sur 92 dépressions
double valeur narcissique et objectale qui lui confère son majeures de l’adolescent montre que 18 % utilisaient des
caractère indifférencié. Objet primitif, « archaïque », asexué, drogues douces au moins occasionnellement et 14 % supplé-
toujours à la disposition du sujet dans une relation d’emprise mentaires avaient au moins essayé les drogues dures au cours de
réciproque et en même temps pare-excitation et enveloppe l’épisode actuel. Ainsi, les symptômes dépressifs semblent
protectrice qui met le sujet à l’abri des excitations tant souvent précéder l’utilisation de toxiques.
internes qu’externes. Il acquiert rapidement une fonction La dépression est d’autant plus à redouter qu’elle risque de
stabilisatrice qui représente une issue à l’instabilité de l’orga- réactiver une problématique identitaire et la chronicisation de
nisation mentale de ces sujets. la toxicomanie est en elle-même un facteur dépressogène du fait
La réponse comportementale prend une valeur de compro- des désordres biologiques secondaires et des conséquences
mis, non pas en tant que symptôme névrotique, fruit du conflit psychosociales de la marginalisation.
pulsionnel interne entre un désir et un interdit ou entre désirs La plupart des travaux lient suicides, dépression et abus de
contradictoires, mais en tant que comportement destiné par une drogue. L’abus de toxiques peut aggraver la dépression et
action sur le milieu extérieur à s’assurer à la fois de la réalité faciliter le passage à l’acte suicidaire. La gravité médicale des
d’un contact relationnel, incertain au niveau interne, et de son tentatives de suicide est liée à la conduite toxicomaniaque.
maintien hors des limites du sujet. La problématique centrale Toutes les études chez l’adolescent abondent dans ce sens. [97-99]
n’est plus de l’ordre du conflit, même si celui-ci demeure « Le choix » du cannabis plutôt que d’une autre drogue ou
toujours actif, mais de la sauvegarde de l’identité. La pratique de d’un autre comportement addictif semble dépendre de plusieurs
cette conduite comportementale lui permet de retrouver un lien facteurs : massivité de l’offre et coût relativement modéré,
qui n’est pas sans rapport avec celui qu’il entretenait auparavant ambiance socioculturelle favorable, vulnérabilité à la dépen-
avec ses objets d’attachement privilégiés, c’est-à-dire un lien de dance antérieure à la prise d’un produit probablement moindre
dépendance qui vient révéler en miroir celui qui le reliait à ses que pour les futurs « accros » aux « drogues dures » ou aux
objets internes et à leurs représentants externes. Ainsi, les autres conduites du fait de la dépendance physique et psychi-
modalités relationnelles du sujet avec l’objet drogue sont un que plus faible avec le cannabis, nature, recherche de l’effet du
reflet de ses possibilités et impossibilités de commerce objectal. produit (désinhibition, confusion...). Mais redisons que l’effet de
Mais, fonction économique essentielle, le sujet peut aisément renforcement de l’addiction au haschisch et son impact en

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

termes de morbidité sociale peut à la longue, chez certains, Questionnaires standardisés


favoriser la chronicisation de la conduite et le développement
Il en existe deux. Le CAGE (acronyme des questions posées :
de comorbidité.
« Cut down your drinking, Annoyed by criticism, Guilty about
drinking et Eye opener in the morning ») validé aux États-Unis qui
insiste surtout sur la notion de dépendance et ALAC (« Alcohol
■ Approches thérapeutiques Advisory Council ») (1996) (d’origine néo-zélandaise) qui est un
questionnaire d’autoévaluation qui se concentre sur la nocivité
de l’alcool. Ces questionnaires, au départ destinés à l’alcool, ont
Généralités été adaptés pour le cannabis. L’avantage de ces questionnaires
est d’être reproductibles et d’offrir aux non-cliniciens des
Nécessité d’un repérage moyens simples de repérer des usages à risque. Les équipes de
terrain rencontrent toutes sortes de troubles du comportement
Un adolescent sur deux a été en contact avec le cannabis. [7]
chez les adolescents. La difficulté est de savoir si ces troubles
Parmi ceux-ci la plupart sont des consommateurs occasionnels sont directement imputables à la consommation de produit.
et une partie seulement d’entre eux ont une consommation
problématique. De plus, contrairement à d’autres produits
comme l’héroïne, la consommation de cannabis touche
Approche spécifique des addictions
l’ensemble des adolescents. Ce sont vraisemblablement les au cannabis
jeunes les plus fragiles qui dans cet ensemble seront les plus Les aspects spécifiques de la prise en charge des adolescents
touchés. Le repérage est nécessaire pour pouvoir traiter ceux qui présentant des troubles liés à la consommation de cannabis ont
peuvent l’être et orienter ceux qui en ont besoin. largement été développés par les équipes nord-américaines. [104]
Elles ont été regroupées sous le programme CYT (« Cannabis
Prise en charge multidimensionnelle Youth Treatment ») et ont été évaluées à l’échelon national. [105]
Deux approches semblent être particulièrement intéressantes :
Les conséquences de la consommation de cannabis ne sont une approche familiale et multidimensionnelle et une approche
pas que médicales, elles sont aussi sociales, éducatives et centrée sur des entretiens motivationnels couplés à des thérapies
environnementales. La prise en charge devra bien sûr tenir cognitivocomportementales.
compte de l’ensemble de ces facteurs
En raison de la fréquence des troubles psychiatriques parmi Entretien motivationnel couplé aux thérapies
les adolescents ayant des difficultés par rapport au cannabis, [64, cognitivocomportementales
65] une prise en charge tenant compte à la fois de la conduite
L’entretien motivationnel est une technique qui vise à aider
addictive et de la psychopathologie sous-jacente semble néces- le patient à changer son comportement. Il se fonde sur l’idée
saire. [100] En effet, les patients prenant le cannabis pour des qu’une personne n’arrivera à des changements que si la moti-
raisons « psychiatriques » ont un taux de rechute dans la vation vient de la personne elle-même. [106] Les entretiens
conduite addictive supérieur aux autres. [101] Ils sont paradoxa- motivationnels utilisent les cinq étapes de changement décrits
lement plus motivés à se sevrer que les personnes dont l’origine par Prochaska et al. [107, 108]
de la consommation serait plutôt « sociale ». [56] C’est tout Selon ces auteurs, les patients vont devoir passer par plusieurs
l’intérêt d’une thérapie bifocale qui se propose d’associer une stades pour aller de la consommation au sevrage.
thérapie centrée sur le produit et une approche plus psychana- • La précontemplation se caractérise par la non-conscience des
lytique en face-à-face aménagé qui va mettre au jour un certain troubles à ce stade, c’est souvent l’entourage qui se rend
nombre de conflits sous-jacents restés jusque-là incons- compte des difficultés du patient.
cients. [102] Il est primordial d’offrir un étayage suffisant pour • La contemplation où il y a prise de conscience de la conduite
pouvoir aborder des problématiques qui vont remettre en addictive et de ses conséquences.
question un équilibre même précaire que le sujet s’était forgé. • La prise de décision où le patient va commencer à réfléchir
L’expression et l’expérience dépressive (si elle est suffisamment sur les mesures à entreprendre pour faire face au problème.
bien tolérée pour permettre un réinvestissement par le patient • L’action où ce qui a été réfléchi va être mis en action.
• Il s’ensuit, si les mesures ont été efficaces, une période de
de son monde intérieur) devraient à terme abraser la nécessité
maintien. Cette phase de maintien va être jalonnée par des
du recours à la conduite addictive.
rechutes qui sont une évolution normale de toutes les
conduites addictives. Ces rechutes devant être tolérées tant
Repérage par le patient, sa famille que par le médecin.
Les entretiens motivationnels se proposent d’accompagner et,
Outil clinique si possible, de faire évoluer les patients dans toutes ces phases.
Cela consiste en des interventions brèves. Ils reposent sur un
Il comprend une évaluation rigoureuse de la consommation certain nombre de principes de base que les auteurs américains
et de ses conséquences. Pour certains auteurs, pour évaluer ont regroupés sous le nom acronymique de Frames [109] et qui
l’usage à risque il convient de tenir compte des modalités de a été traduit par les Canadiens sous le nom de Flames, c’est-à-
consommation ainsi que de l’existence des facteurs de risque dire : Feedback, Libres Arbitres et avis, Menu d’options, Empa-
individuel et sociaux. [103] Pour eux, les modalités de consom- thie et Sentiment d’efficacité personnelle. [110]
mation à risque sont : la précocité des consommations, l’usage Le thérapeute va utiliser l’empathie pour créer un climat de
en association avec d’autre psychotropes, la recherche d’ivresse confiance et éviter toute confrontation. Le cannabis est en effet
cannabique, l’utilisation régulière dans un but autothérapeuti- souvent un sujet de polémique entre adulte et adolescent avec
que, la répétitivité des consommations. souvent pour seul résultat un sentiment d’incompréhension de
part et d’autre. L’attitude qui consiste à bien connaître les
Les facteurs de risques individuels sont en général liés soit à
produits tout en adoptant une position d’écoute (position dite
des facteurs neurobiologiques encore mal définis, soit à des
basse) semble être la plus adéquate pour créer une alliance
facteurs de vulnérabilité psychique. Il peut s’agir de traits de
thérapeutique. Cette alliance va permettre sans confrontation de
personnalité pathologique comme la recherche de sensation ou pointer les contradictions entre les bénéfices ressentis sous
la psychopathie, voire de comorbidités psychiatriques. produits et les conséquences inéluctables sur sa vie personnelle,
Les facteurs de risques environnementaux sont liés à la relationnelle, scolaire, familiale... L’objectif n’est pas de
famille (habitudes de fonctionnement familial, cadre éducatif convaincre mais de restituer un bilan le plus fidèle possible de
défaillant...), à l’environnement social (rôle des pairs, préca- la situation afin de provoquer une prise de conscience. [111]
rité...). Enfin, le thérapeute va insister sur le sentiment d’efficacité

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

personnelle. [112] Souvent, la consommation est vécue comme Thérapie bifocale


inéluctable et sans aucune possibilité d’influence. C’est la remise
en cause de ce dogme qui fera évoluer le patient. La thérapie bifocale fait intervenir deux thérapeutes, chacun
Les stratégies alternatives vont ensuite être proposées pour dans un temps et un lieu différents. C’est généralement après
que le patient puisse faire face aux situations de consommation. une évaluation, faite au décours d’un accès aigu, de l’impor-
Elles dépendent du stade de la motivation. Plusieurs techniques tance de l’intoxication, du registre de personnalité, de la nature
sont utilisées allant du simple conseil pour les patients qui sont et de l’intensité des conflits que le référent psychiatre propose
au stade de la précontemplation à des stratégies plus élaborées conjointement à son suivi, une psychothérapie d’inspiration
pour ceux qui sont déjà dans la prise de décision et l’action. analytique ou cognitivocomportementale contenante dans l’ici
Elles sont inspirées des méthodes cognitivocomportementales et et le maintenant, selon les motivations et les capacités d’insight
consistent en la reconnaissance des situations à risques qui du patient.
pourraient conduire à la consommation. L’action psychothéra- L’écoute de l’un (le consultant psychiatre) prend plus parti-
peutique est ensuite focalisée sur l’acquisition de compétences culièrement en compte « la réalité externe » (médicale, scolaire,
qui vont permettre à l’adolescent de faire face à ces situations à sociale) du patient sur laquelle il peut s’autoriser à intervenir
risques. activement. Une fois amélioré l’état dépressif symptomatique ou
L’acquisition de compétences repose sur l’apprentissage en la dysphorie souvent sous-jacent à l’addiction, corrigé d’éven-
entretien individuel ou en groupe de plusieurs techniques qui tuels désordres somatiques et aménagé certains conflits fami-
peuvent être : liaux, le psychiatre accompagne l’adolescent dans la
• la gestion du stress par la relaxation ; construction de ses projets scolaires, professionnels et de loisirs.
• l’élaboration d’une liste d’attitudes pour vivre sans produit Source de satisfaction et de renforcement de l’image de soi, ils
(réaménagement de sa vie personnelle, professionnelle, aident l’adolescent à déplacer ses investissements à l’extérieur de
amicale) ; la vie familiale et à retrouver un plaisir de fonctionnement.
• l’acquisition de compétences sociales au moyen de jeux de Le consultant psychiatre n’est pas dans une neutralité
rôles qui mettent en avant l’affirmation de soi. L’adolescent bienveillante ; il n’attend pas la demande psychothérapeutique
va pouvoir repérer différentes attitudes (généralement passives (au sens analytique du terme) ; c’est dans son besoin de prise en
ou agressives) qu’il peut avoir lorsqu’il est en situation de charge, représenté par la répétition des agirs ou l’installation
conflit avec une tierce personne. L’hypothèse est que ses dans le repli, qu’est la demande du patient. Il sollicite l’éveil et
comportements sont préjudiciables et qu’ils peuvent notam- l’envie de comprendre, explique les bienfaits escomptés du
ment conduire à la prise de cannabis. L’intérêt est qu’il puisse traitement psychothérapeutique, laisse ouverte la discussion sur
acquérir une position plus efficace et moins coûteuse : la sa poursuite et est comptable des absences du patient, le
position dite affirmée. [113] resollicite par sa motivation, son désir de thérapeute, signifiant
par là sa confiance en ses capacités et en son aspiration au
changement et en la possibilité d’exprimer une conflictualité
Approches familiales multidimensionnelles
structurante parce que tolérable puisque tolérée.
Elles ont été développées en ce qui concerne la prise de L’écoute de l’autre intervenant, le psychothérapeute se prêtera
cannabis dans le cadre d’une approche familiale multidimen- à celle de la « réalité interne » du patient par le biais du
sionnelle (MultiDimentional Family Therapy [MDFT], Liddle et transfert et de son contre-transfert. Il peut s’agir, cas le plus
al.). [114] Ce sont des thérapies individuelles mais avec une fréquent, d’une psychothérapie d’inspiration analytique en face-
approche incluant la famille et l’entourage. à-face, mais aussi d’une analyse, voire d’un traitement par le
L’approche MDFT est un protocole de soins fondé sur un psychodrame.
certain nombre de principes. En particulier l’hypothèse selon Les deux professionnels travaillent plus ou moins simultané-
laquelle la prise de drogue chez l’adolescent est un phénomène ment dans le respect des espaces de chacun. Ils nouent des liens
multidimensionnel. Il inclut un certain nombre de variables plus ou moins discrets dans le but de penser l’articulation de la
comme la personnalité de l’adolescent, la famille, l’environne- réalité externe et de la réalité psychique du patient dans ses
ment ainsi que l’interaction entre celles-ci. La littérature a expressions agies sur le corps, la pensée, et les liens relationnels
montré qu’il existait des facteurs favorisants comme des facteurs dans un cadre thérapeutique élargi plus stable et contenant.
protecteurs de la consommation de produits. [115] De plus, des L’analyse combinée du comportement du patient avec les deux
progrès réalisés dans le domaine de la psychologie du dévelop- intervenants présente un avantage considérable dans l’évalua-
pement et de la psychopathologie offrent un cadre conceptuel tion précise du registre psychopathologique présenté et dans
et pratique pour un bon nombre d’interventions. [115] l’appréciation mesurée des potentialités évolutives.
Cette thérapie va se centrer sur quatre composantes : D’un point de vue clinique, la thérapie bifocale semble
• les caractéristiques personnelles de l’adolescent et notamment particulièrement appropriée lorsque nous sommes confrontés à
son positionnement par rapport aux produits (perception de des problématiques qui ne trouvent d’autre résolution que dans
la dangerosité, vécu émotionnel, comportement vis-à-vis des l’agir, notamment celles relevant de comportements fréquents
prises) ; d’externalisation des conflits dans le cadre des conduites. Ces
• les parents (représentation des drogues, mesure prise à « actes symptômes » (Mac Dougall) nécessitent qu’en contre-
l’encontre de la consommation) ; point de l’acte soit posé un acte thérapeutique comme « point
• les interactions familiales ; d’incarnation », d’ancrage et d’étayage potentiel d’un processus
• les autres sources d’influence comme le milieu scolaire, de transformation psychique. C’est là « un point de vue
éventuellement le système judiciaire. économique » au sens d’une métapsychologie freudienne. Cet
L’objectif est d’essayer de rétablir un processus normal de acte est clairement manifesté par le référent psychiatre qui sera
développement. L’action thérapeutique se fait à différents à même de poser des limites, d’exprimer des exigences, de
niveaux : personnel, familial et extrafamilial. L’adolescent doit contenir des processus pulsionnels (fonction de pare-excitation
acquérir un certain nombre de compétences comme repérer, clinique et/ou chimique).
voire éviter tout ce qui conduit à la consommation, développer D’un point de vue métapsychologique, le cadre bifocal, avec
des activités en dehors du contexte d’usage, essayer de gérer ses son corollaire d’alliance thérapeutique est utile dans les registres
émotions. Vis-à-vis des parents, l’objectif est de les soutenir face narcissiques qui sous-tendent bon nombre d’addictions lorsque
aux démarches qu’ils auront à faire pour soutenir leur enfant. des mécanismes de clivage du moi et des objets envahissants,
Il s’agit aussi d’obtenir une alliance thérapeutique avec les d’idéalisation, et d’identification projective sont à l’œuvre de
parents. Au niveau des relations intrafamiliales, la prise en façon prévalente. L’existence d’un tiers diminue ces mécanismes
charge consiste dans le repérage des attitudes dysfonctionnelles ou plutôt la distribution ou l’induction inconsciente d’un rôle
pour pouvoir les aborder et éventuellement les traiter. d’objet (en particulier maternel persécuteur) au thérapeute

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

alterne ou se trouve étayée par l’idéalisation de l’autre théra- [19] Cocchetto DM, Owens SM, Perez-Reyes M, DiGuiseppi S, Miller LL.
peute. Il y a donc une utilisation thérapeutique des mécanismes Relationship between plasma delta-9-tetrahydroxycannabinol concen-
de clivage du patient (objet idéalisé, objet persécuteur). tration and pharmacologic effects in man. Psychopharmacology (Berl)
1981;75:158-64.
[20] Cone EJ. Saliva testing for drug abuse. Ann N Y Acad Sci 1993;694:
91-127.
■ Conclusion [21] Klein J, Karaskov T, Koren G. Clinical applications of hair testing for
drugs of abuse-The canadian experience. Forensic Sci Int 2000;107:
La consommation de cannabis apparaît aujourd’hui comme 281-8.
un problème majeur. Les produits dérivés de la plante sont [22] Uhl M. Determination of drugs in hair using GC/MS/MS. Forensic Sci
largement disponibles à la fois en quantité et aussi en qualité. Int 1997;84:281-94.
Les prises ne sont pas uniquement festives mais quotidiennes, [23] Devane WA, Hanus L, BreuerA, Pertwee RG, Stevenson LA, Griffin G,
ce qui entraîne un certain nombre de complications somatiques, et al. Isolation and structure of a brain constituent that binds to the
psychiques et comportementales. Les adolescents dont la cannabinoid receptor. Science 1992;258:1946-9.
consommation est importante ont plus de difficultés psycholo- [24] Rinaldi-Carmona M, Barth F, Heaulme M, Shire D, Calandra B,
giques et leur situation tend plutôt à se dégrader dans tous les Congy C, et al. SR141716A, a potent and selective antagonist of the
domaines. La consommation importante de haschisch à l’ado- brain cannabinoid receptor. FEBS Lett 1994;350:240-4.
lescence n’est pas un comportement isolé mais s’inscrit dans le [25] Matsuda LA, Lolait SJ, Brownstein MJ, Young AC, Bonner TI. Struc-
cadre d’une problématique plus générale. Ceci fait ressortir le ture of a cannabinoid receptor and functional expression of the cloned
cDNA. Nature 1990;346:561-4.
besoin de proposer une double prise en charge à la fois centrée
[26] Galiegue S, Mary S, Marchand J, Dussosoy D, Carriere D, Carayon P,
sur le produit mais aussi sur les problématiques sous-jacentes.
et al. Expression of central and peripheral cannabinoid receptors in
.

human immune tissues and leucocyte subpopulations. Eur J Biochem


1995;232:54-61.
■ Références [27] Ammenheuser MM, Berenson AB, Babiak AE, Singleton CR,
Whorton Jr. EB. Frequencies of HPRT mutant lymphocytes in
[1] Choquet M. Consommation de cannabis chez les adolescents scolarisés
marijuana-smoking mothers and their newborns. Mutat Res 1998;403:
en France. In: Expertise collective : cannabis, quels effets sur le com-
55-64.
portement et la santé?. Paris: INSERM; 2001. p. 379-87.
[28] Gardner EL. Cannabinoid interaction with brain reward systems. In:
[2] INSERM. Synthèse. In: Expertise collective : cannabis. Quels effets
Nahas GG, Sutin KM, Harvey DJ, Agurell S, editors. Marihuana and
sur le comportement et la santé?. Paris: INSERM; 2001. p. 325-74.
medicine. Totowa: Humana Press; 1999.
[3] Nezelof S, Stephan P, Vandel P, Bolognini M, Plancherel B, Venisse JL,
[29] Tanda G, Pontieri FE, Di Chiara G. Cannabinoid and heroin activation
et al. Consommation de drogues et conduites de dépendance. In: of mesolimbic dopamine transmission by a common microl opioid
Corcos M, Flament M, Jeammet P, editors. Les conduites de dépen- receptor mechanism. Science 1997;276:2048-50.
dance : dimensions psychopathologiques communes. Paris: Masson; [30] Hall W, Solowij N. Adverse effects of cannabis. Lancet 1998;352:
2003. 1611-6.
[4] Beck F, Legleye S, Obradovic I. OFDT. De l’observatoire des usages à [31] Thomas H. A community survey of adverse effects of cannabis use.
la mesure de l’usage problématique de cannabis. Éléments de compa- Drug Alcohol Depend 1996;42:201-7.
raisons internationales. In: L’usage problématique de cannabis. [32] Johns A. Psychiatric effects of cannabis. Br J Psychiatry 2001;178:
Toxibase-Crips, Revue Toxibase n° 12, Lettre du Crips n° 70; 2004. 116-22.
p. 8-18. [33] Gruber AJ, Pope Jr. HG, Brown ME. Do patients use marijuana as an
[5] Hibell B, Andersson B, Ahlstrom S, Balakivera O, Bjarnasson T, antidepressant? Depression 1996;4:77-80.
Kokkevi A, et al. In: The 1999 Espad report: Alcohol and other drug [34] Ferraro DP. Acute effects of marijuana on human memory and
use among students in 30 european countries. Stockholm: Conseil de cognition. NIDA Res Monogr 1980;31:98-119.
l’Europe; 2000. p. 362p. [35] Hall W, Solowij N, Lemon J. The health and psychological
[6] Ashton CH. Pharmacology and effects of cannabis: a brief review. Br consequences of cannabis use. Monograph series. Department of
J Psychiatry 2001;178:101-6. human services and health; 1994.
[7] Observatoire français des drogues et toxicomanie; Rapport annuel. [36] Pope Jr. HG, Gruber AJ, Yurgelun-Todd D. The residual neuro-
2002. psychological effects of cannabis: the current status of research. Drug
[8] Bruneton J. Cannabacae. In: Bruneton J, editor. Plantes toxiques. Paris: Alcohol Depend 1995;38:25-34.
Lavoisier; 1996. p. 211-4. [37] Pope Jr. HG, Gruber AJ, Hudson JI, Huestis MA, Yurgelun-Todd D.
[9] Chait LD, Burke KA. Preference for high versus low potency Neuropsychological performance in long-term cannabis users. Arch
marijuana. Pharmacol Biochem Behav 1994;49:643-7. Gen Psychiatry 2001;58:909-15.
[10] Ibana DS, Cohen WE. Excitants, calmants, hallucinogènes. Paris: [38] Dornbush RL, Kokkevi A. Acute effects of cannabis on cognitive,
Piccin; 1997. perceptual, and motor performance in chronic haschisch users. Ann N Y
[11] Gruber AJ, Pope Jr. HG. Cannabis-related disorders. In: Tasman A, Acad Sci 1976;282:313-22.
editor. Psychiatry. Philadelphia: WB Saunders; 1996. [39] National Highway Traffic Safety Administration (NHTSA). Marijuana
[12] Mura P, Perrin M, Chabillat M, Girard J, Dumeste-Toulet V, Pepin G. and alcohol combined severely impede driving performance. Ann
L’évolution des teneurs en THC dans les produits à base de cannabis en Emerg Med 2000;35:398-9.
France : mythe ou réalité? Ann Toxicol Annal 2002;14:64-7. [40] Reilly D, Didcott P, Swift W, Hall W. Long-term cannabis use:
[13] Paris M, Tran N. The existence of ″Nederwiet″: a new act in the history characteristics of users in an Australian rural area. Addiction 1998;93:
of cannabis. Ann Pharm Fr 1998;56:264-7. 837-46.
[14] Pelissier AL, Leonetti G, Villani P, Cianfarani F, Botta A. Cannabis: [41] Brookoff D, Cook CS, Williams C, Mann CS. Testing reckless drivers
toxicokinetic focus and methodology of urinary screening. Therapie for cocaine and marijuana. N Engl J Med 1994;331:518-22.
1997;52:213-8. [42] Chait LD, Pierri J. Effects of smoked marijuana on human performance:
[15] Huestis MA, Henningfield JE, Cone EJ. Blood cannabinoids.II. Models a critical review. In: Marijuana/cannabinoids: neurobiology and
for the prediction of time of marijuana exposure from plasma concen- neurophysiology. Boca Raton: CRC Press; 1992. p. 387-423.
trations of D9-THC and D9-THC-COOH. J Anal Toxicol 1992;16: [43] Ameri A. The effects of cannabinoids on the brain. Prog Neurobiol
283-90. 1999;58:315-48.
[16] Nahas G, Leger C, Tocque B, Hoellinger H. The kinetics of cannabinoid [44] Pope Jr. HG, Gruber AJ, Yurgelun-Todd D. The residual
distribution and storage with special reference to the brain and testis. neuropsychological effects of heavy marijuana use in college students.
J Clin Pharmacol 1981;21(suppl8-9):208S-214S. JAMA 1996;275:521-7.
[17] Smith-Kielland A, Skuterud B, Morland J. Urinary excretion of D-9- [45] Solowij N, Michie PT, Fox AM. Differential impairments of selective
carboxy-delta9-tetrahydrocannabinol and cannabinoids in frequent and attention due to frequency and duration of cannabis use. Biol Psychiatry
infrequent drug users. J Anal Toxicol 1999;23:323-32. 1995;37:731-9.
[18] Deveaux M, Hedouin V, Marquet P, Kintz P, Mura P, Pepin G. Conduite [46] Ehrenreich H, Rinn T, Kunert HJ, Moeller MR, Poser W, Schilling L,
automobile et stupéfiants : procédure de dépistage et de dosage, et al. Specific attentional dysfunction in adults following early start of
accréditation des laboratoire. Toxicorama 1996;8:11-5. cannabis use. Psychopharmacology (Berl) 1999;142:295-301.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
37-216-G-40 ¶ Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence

[47] Brook JS, Kessler RC, Cohen P. The onset of marijuana use from [74] Andreasson S, Allebeck P, Engstrom A, Rydberg U. Cannabis and
preadolescence and early adolescence to young adulthood. Dev schizophrenia. Lancet 1988;1:1000-1.
Psychopathol 1999;11:901-14. [75] Zammit S, Allebeck P, Andreasson S, Lundberg I, Lewis G. Self-
[48] Donovan JE, Jessor R. Structure of problem behavior in adolescence reported cannabis use as a risk factor for schizophrenia: further analysis
and young adulthood. J Consult Clin Psychol 1985;53:890-904. of the 1969 Swedish conscript cohort. BMJ 2002;325:1199.
[49] Deniker P, Colonna L, Loo H, Petit M. Pharmacopsychoses et syn- [76] Arseneault L, Cannon M, Poulton R, Murray R, Caspi A, Moffitt TE.
drome déficitaire. Evol Psychiatr (Paris) 1979;44:283. Cannabis use in adolescence and risk for adult psychosis: longitudinal
[50] Laqueille X, Benyamina A, Kanit M, Dervaux A. Aspects psychiatri- prospective study. BMJ 2002;325:1212-3.
ques de la consommation de cannabis. Inf Psychiatr 2003;79:207-13. [77] Fergusson DM, Horwood LJ, Swain-Campbell NR. Cannabis
[51] Dervaux A, Olie JP, Laqueille X, Krebs MO. Conduites addictives chez dependence and psychotic symptoms in young people. Psychol Med
100 patients schizophrènes. Encephale 1999;25:183. 2003;33:15-21.
[52] Chaltiel T, Balkan T, Lida-Pulik H, Botbol M. Dépendance et cannabis : [78] van Os J, Bak M, Hanssen M, Bijl RV, de Graaf R, Verdoux H. Cannabis
une étude clinique auprès d’adolescents hospitalisés en milieu psychia- use and psychosis: a longitudinal population-based study. Am
trique. Inf Psychiatr 2003;79:215-20. J Epidemiol 2002;156:319-27.
[53] Newcomb MD. Identifying high risk youth: prevalence and patterns of
[79] d’Amato T. Épidémiologie génétique. In: Thibaut F, editor. Génétique
adolescent drug abuse. In: Rahdert E, Czechhowicz D, editors. Adoles-
de la schizophrénie. Collection Pathologie Science formation. Paris:
cent drug abuse: clinical assessment and therapeutic interventions.
John Libbey; 2003.
Rockville: US Department of Health and Human Services; 1995.
p. 7-38. [80] Loo H. Troubles mentaux liés à la consommation de cannabis.
[54] Hofler M, Lieb R, Perkonigg A, Schuster P, Sonntag H, Wittchen HU. Concours Med 1993;115:609-11.
Covariates of cannabis use progression in a representative population [81] Arseneault L, Cannon M, Witton J, Murray RM. Causal association
sample of adolescents: a prospective examination of vulnerability and between cannabis and psychosis: examination of evidence. Br
risk factors. Addiction 1999;94:1676-94. J Psychiatry 2004;184:110-7.
[55] Kandel DB, Chen K. Types of marijuana users by longitudinal course. [82] Stahl SM. Psychopharmacologie essentielle. Paris: Médecine Sciences
J Stud Alcohol 2000;61:367-78. Flammarion; 2002.
[56] Chen K, Kandel DB. Predictors of cessation of marijuana use: an event [83] Vignau J, Karila L. Les conduites addictives à l’adolescence. Rev Prat
history analysis. Drug Alcohol Depend 1998;50:109-21. 2003;53:1315-9.
[57] Kandel DB, Huang FY, Davies M. Comorbidity between patterns of [84] Golub A, Bruce DJ. The shifting importance of alcohol and marijuana
substance abuse use dependance and psychiatric syndromes. Drug as gateway substances among serious drug abusers. J Stud Alcohol
Alcohol Depend 2001;64:233-41. 1994;55:607-14.
[58] Chen K, Kandel DB, Davies M. Relationships between frequency and [85] Perkonigg A, Lieb R, Höfler M, Schuster P, Sonntag H, Wittchen HU.
quantity of marijuana use and last year proxy dependence among ado- Patterns of cannabis use, abuse and dependence over time; incidence,
lescents and adults in the United States. Drug Alcohol Depend 1997; progression and stability in a sample of 1228 adolescents. Addiction
46:53-67. 1999;94:1663-78.
[59] Jones RT. Cannabis tolerance and dependence. In: Felir KO, Kalant H, [86] American Psychiatric Association. Diagnostic and Statistical Manual
editors. Cannabis and health hazards. Toronto: Addiction Research of Psychiatric Disorders. DSMIV Revisited. Washington, American
Foundation; 1983. Publishing 1994.
[60] Budney AJ, Novy PL, Hughes JR. Marijuana withdrawal among adults [87] Organisation mondiale de la Santé. Classification Internationale des
seeking treatment for marijuana dependence. Addiction 1999;94: maladies. 10e édition (CIM 10) Paris: Masson; 1993.
1311-22.
[88] Reynaud M. Usage nocif de substances psychoactives, identification
[61] Regier DA, Farmer ME, Rae DS, Locke BZ, Keith SJ, Judd LL, et al.
des usages à risque, outils de repérage, conduite à tenir. Rapport au
Comorbidity of mental disorders with alcohol and other drug abuse:
directeur général de la santé. Paris: La documentation française; 2001.
results from the Epidemiologic Catchment Area (ECA) study. JAMA
1990;264:2511-8. [89] Tarr JE, Macklin M. Cocaine. Pediatr Clin North Am 1987;34:
[62] Troisi A, Pasini A, Saracco M, Spalletta G. Psychiatrie symptoms in 319-31.
male cannabis users not using other illicit drugs. Addiction 1998;93: [90] Leblanc J. Précis des toxicomanies. Paris: Masson; 1988.
487-92. [91] Bergeret J. Aspects économiques du comportement d’addiction. In: Le
[63] Alterman AI, Erdlen DL, Laporte DJ, Erdlen FR. Effects of illicit drug psychanalyste à l’écoute du toxicomane. Paris: Dunod; 1981.
use in an inpatient psychiatric population. Addict Behav 1982;7: [92] Bowlby J. Attachement. In: Attachement et perte (vol 1). Paris: PUF;
231-42. 1978.
[64] Brady K, Casto S, Lydiard RB, Malcolm R, Arana G. Substance abuse [93] Bowlby J. La séparation, angoisse et colère. In: Attachement et perte
in an inpatient psychiatric sample. Am J Drug Alcohol Abuse 1991;17: (vol 2). Paris: PUF; 1978.
389-97. [94] Bowlby J. Perte. In: Attachement et perte (vol 3). Paris: PUF; 1984.
[65] Cantwell R, Brewin J, Glazebrook C, Dalkin T, Fox R, Medley I, et al. [95] Brusset B. Les vicissitudes d’une déambulation addictive. Rev Fr
Prevalence of substance misuse in first-episode psychosis. Br Psychanal 1990;54:671-87.
J Psychiatry 1999;174:150-3. [96] Corcos M, Flament M, Jeammet P. Les conduites de dépendance. Paris:
[66] Rey JM, Sawyer MG, Raphael B, Patton GC, Lynskey M. Mental health Masson; 2003.
of teenagers who use cannabis. Results of an australian survey. Br [97] Christoffel KK, Marcus D, Sagerman S, Benett S. Adolescent suicide
J Psychiatry 2002;180:216-21. and suicide attempts a population study. Pediatr Emerg Care 1988;4:
[67] Killen JD, Taylor CB, Telsh MJ, Robinson TN, Maron DJ, Saylor KE. 32-40.
Depressive symptoms and substance use among adolescent binge eaters [98] Stiffman AR. Suicide attempts in runaway youths. Suicide Life Threat
and purgers: a defined population study. Am J Public Health 1987;77: Behav 1989;19:147-59.
1539-41. [99] Kienhorst CW, De Wilde EJ, Van den Bout J, Broese van Groenou MI,
[68] Wiseman CV, Sunday SR, Halligan P, Korn S, Brown C, Halmi KA. Diekstra RF, Wolters WH. Self-reported suicidal behavior in Dutch
Substance dependence and eating disorders: inpact of sequence on
secondary education students. Suicide Life Threat Behav 1990;20:
comorbidity. Comp Psychiatry 1999;40:332-6.
101-12.
[69] Newcomb MD, Bentler P. Consequences of adolescent drug use:
[100] Dahl RE, Scher MS, Williamson DE, Robles N, Day N. A longitudinal
impact on the lives of young adults. Newbury Park CA: Sage
Publications; 1988. study of prenatal marijuana use: effects on sleep and arousal at age
[70] Hall W, Solowij N. Long-term cannabis use and mental health. Br 3 years. Arch Pediatr Adolesc Med 1995;149:145-50.
J Psychiatry 1997;171:107-8. [101] Latimer WW, Winters KC, Stinchfield R, Traver RE. Demographic,
[71] Gruber AJ, Harrisson G, Pope Jr. HG. Cannabis psychotic disorder: individual, and interpersonal predictors of adolescent alcohol and
does it exist? Am J Addict 1994;3:72-83. marijuana use following treatment. Psychol Addict Behav 2000;14:
[72] Roques B. La dangerosité des drogues. Rapport au secrétariat d’État à 162-73.
la Santé. Paris: Odile Jacob; 1999. [102] Jeammet P. Vers une clinique de la dépendance. Approche
[73] Andreasson S, Allebeck P, Engstrom A, Rydberg U. Cannabis and psychanalytique. In: Dépendance et conduite de consommation. Ques-
schizophrenia: a longitudinal study of swedish conscripts. Lancet 1987; tion de santé publique. Intercomissions. Paris: INSERM; 1997.
2:1483-6. p. 265-75.

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Abus et dépendance au cannabis à l’adolescence ¶ 37-216-G-40

[103] Cagni G, Morel A, Villez M, Reynaud M. Repérage et évaluation de [109] Bien TH, Miller WR, Tonigan JS. Brief intervention for alcohol
l’usage de cannabis. In: Usage nocif de substances psychoactives, iden- problems: a review. Addiction 1993;88:315-35.
tification des usages à risque, outils de repérage, conduite à tenir. [110] Rossignol V. L’entrevue motivationnelle : une approche novatrice de la
Rapport au directeur général de la santé. Paris: La documentation toxicomanie. L’intervenant 1999;15:8-15.
française; 2001. [111] Patterson GR, Forgatch MS. Therapist behavior as a determinant for
[104] Diamond G, Godley SH, Liddle HA, Sampl S, Wedd C, Tims FM, et al. client noncompliance: a paradox for the behavior modifier. J Consult
Five outpatient treatment models for adolescent marijuana use: a des- Clin Psychol 1985;53:846-51.
cription of the cannabis youth treatment intervention. Addiction 2002; [112] Bandura A. Self-effıcacy in changing societies. New York: Cambridge
97(suppl1):70-83.
University Press; 1985.
[105] Dennis M, Titus JC, Diamond G, Donaldson J, Godley SH, Tims FM,
[113] Cottraux J. Les thérapies comportementales et cognitives. Paris:
et al. The Cannabis Youth Treatment (CYT) experiment: rationale,
study design and analysis plans. Addiction 2002;97(suppl1):16-34. Masson; 2001.
[106] Miller WR, Rollnick S. Motivational interviewing: preparing people to [114] Liddle HA, Hogue A. Multidimentional family therapy for adolescent
change addictive behavior. New York: Guilford Press; 1991. substance abuse. In: Wagner EF, Waldron HB, editors. Innovations in
[107] Prochaska JO, Di Clemente CC. The transtheoretical approach: adolescent substance abuse interventions. London: Elsevier; 2001.
crossing traditional boundaries of therapy. Homeewood IL: Dow p. 229-61.
Jones/Irwin; 1984. [115] Liddle HA, Hogue A. A family-based, developmental-ecological
[108] Prochaska JO, Velicer WF. The transtheoretical model of health preventive intervention for high-risk adolescents. J Marital Fam Ther
behavior change. Am J Health Promot 1997;12:38-48. 2000;26:265-79.

O. Phan (olivier.phan@imm.fr).
M. Corcos.
Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, 42 boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.
N. Girardon.
Centre médical et pédagogique pour adolescents de Neufmoutiers-en-Brie, France.
S. Nezelof.
CHU de Besançon hôpital Saint Jacques, 2, place Saint-Jacques, 25030 Besançon cedex, France.
P. Jeammet.
Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, 42 boulevard Jourdan, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Phan O., Corcos M., Girardon N., Nezelof S., Jeammet P. Abus et dépendance au cannabis à
l’adolescence. EMC (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-216-G-40, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
¶ 37-216-J-10

Automutilations à l’adolescence
L. Gicquel, M. Corcos, B. Richard, J.-D. Guelfi

À la différence de la langue anglo-saxonne qui dispose d’une assez large palette sémantique pour décliner
par différents termes le fait de se faire mal volontairement, le mot francophone le plus usité est celui
d’automutilation. Ce comportement, qui concerne en moyenne de 1 à 4 % de la population générale,
constitue une réalité grandissante au sein de la population adolescente. L’adolescente automutilatrice qui
se coupe les avant-bras avec un rasoir en constitue l’archétype. Les coupures, principal type
d’automutilations impulsives, coexistent en outre fréquemment avec les automutilations compulsives,
dominées par les écorchures. Ces deux variétés de comportement autoagressifs constituent le sous-
groupe des automutilations superficielles/modérées, caractéristiques des passages à l’acte à
l’adolescence. Différentes tentatives de classification posent la question du déterminisme du
comportement automutilateur par opposition à son intégration à la psychopathologie du trouble
principal. La classification de Favazza, dont sont issues les variétés d’automutilations précédemment
décrites, constitue un compromis ; bien qu’elle se veuille athéorique, elle ne tient pas moins compte des
comorbidités. Sur ce point, c’est la dimension limite du fonctionnement psychique qui semble commune à
la fois aux troubles comorbides au sein desquels les automutilations se manifestent le plus souvent (à
savoir le trouble de personnalité borderline et les troubles du comportement alimentaire), et au
comportement automutilateur. La présence du comportement automutilateur, dans des contextes
psychopathologiques variés, soulève la question de la pertinence de l’approche transnosographique de ce
phénomène. Cette question des limites, en même temps que la capacité de l’appareil psychique du sujet à
contenir des affects vécus comme débordants, sont au cœur de la problématique sous-tendant le
comportement automutilateur tout comme la dimension addictive. Certaines particularités
psychopathologiques des automutilations, telle que la dimension impulsive ou bien l’analgésie
régulièrement rapportée par les patientes, rencontrent un écho au niveau neurobiologique compte tenu
des perturbations constatées au sein des systèmes sérotoninergique et opioïdes endogènes. Enfin, le
clinicien, souvent déstabilisé par ce passage à l’acte qui agresse sa vocation soignante, et confronté à ses
interrogations à la fois cliniques et psychopathologiques, peine quelquefois à gérer ses contre-attitudes et
à penser les soins. Au-delà de la prise en charge somatique du passage à l’acte automutilateur, il est
impératif d’élaborer une stratégie de soins de manière intégrée et multifocale combinant traitements
médicamenteux et démarches psychothérapeutiques.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Automutilations ; Adolescence ; Automutilations impulsives et compulsives ;


Limites physiques et psychiques ; Régulation des affects ; Dimension addictive ; Thérapies multifocales

Plan ¶ Automutilations à l’adolescence 4


Une évaluation difficile 4
¶ Introduction 2 Les prémisses durant l’enfance et l’adolescence 5
Question du trauma 6
¶ Définitions 2
¶ L’adolescence : l’automutilation à la croisée des chemins 6
¶ Classifications 2
Description clinique 6
¶ Épidémiologie 2 Comorbidités 7
Prévalence en population générale 2 Modèles psychopathologiques 8
Répartition selon l’âge et le sexe 3 Données neurobiologiques 11
Répartition selon le type de comportement automutilateur 3
¶ Stratégies thérapeutiques 12
Prévalence en milieu psychiatrique 3
Cadre de l’urgence 12
Prévalence et comorbidité 3
Approche médicamenteuse 12
¶ Données sociologiques 3 Psychothérapies 13
Populations concernées 3
Cas particulier de la prison 4 ¶ Conclusion 13

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

■ Introduction Tableau 1.
Classification de Kahan et Pattison [12].

Jusqu’alors considéré comme l’apanage des troubles psycho- Direct Indirect


pathologiques les plus sévères, le comportement automutilateur
est un phénomène en pleine expansion. Il fait dorénavant Létalité élevée Tentative de suicide Arrêt d’un traitement
Épisode unique vital comme la dialyse
partie des comportements emblématiques de l’adolescence.
Éphémères ou persistants, ces actes autoagressifs sont suscepti- Épisode unique
bles de concerner un très grand nombre d’adolescents, sans que Létalité moyenne Tentatives de suicide Conduites à risque
– pour autant – ceux-ci s’inscrivent par la suite dans une Épisodes multiples Épisodes multiples
démarche de soins psychiatriques au long cours. Le comporte- Syndrome Ivresse aiguë
ment automutilateur paraît très souvent hermétique et difficile- d’automutilation Épisode unique
ment tolérable pour l’environnement proche à qui il s’adresse, délibérée atypique
et qu’incontestablement il agresse, même si l’acte s’impose plus Épisode unique
au sujet que celui-ci ne le maîtrise et ne l’utilise de manière
manichéenne pour faire souffrir ses proches. L’automutilation Létalité faible Syndrome Alcoolisme chronique,
manifeste une souffrance qui ne parvient pas à se dire, à trouver d’automutilation obésité sévère, forte
une voie d’expression symbolique. Cette souffrance ne sait pas délibérée (SAD) consommation de
de quoi elle souffre. C’est le désespoir d’un sujet qui ne sait pas Épisodes multiples tabac
dire ce qui le désespère mais qui exprime, selon son organisa- Épisodes multiples
tion psychique et son économie pulsionnelle singulières, un
appel à l’aide face à une menace devenue contrainte interne.
Les études jusqu’ici consacrées aux automutilations ont eu une indirect [9], le niveau de létalité (faible, moyen, élevé) [10] et
approche essentiellement épidémiologique et descriptive. La l’aspect répétitif (épisode unique ou multiple) [11]
question demeure discutée de savoir s’il faut considérer le (Tableaux 1,2) ; ce syndrome est considéré comme une entité
comportement automutilateur comme une entité autonome ou spécifique, pouvant être classée dans la catégorie du DSM-IV des
comme faisant partie intégrante de divers tableaux cliniques, « troubles du contrôle des impulsions non classés ailleurs »,
entrant dans un cadre défini tant sur le plan de la classification dont les trois traits essentiels sont : l’échec à résister à une
(focalisée ou intégrative) que sur celui des approches compré- impulsion, la tension croissante préalable et l’expérience de
hensives. La pluralité des modèles psychopathologiques illustre gratification ou de soulagement pendant le passage à l’acte.
bien cette indécision : faut-il considérer l’automutilation sous L’individualisation d’une entité syndromique a éclairé ces
l’angle d’un déterminisme particulier ou bien sous celui de comportements, jusqu’alors considérés comme des symptômes
l’intégration à la psychopathologie du trouble principal ? répartis dans différentes catégories (personnalité borderline,
troubles psychotiques...). Pour autant, cette construction
empirique n’a jamais été évaluée par des études cliniques.
■ Définitions La classification actuellement la plus utilisée est celle de
Favazza [13, 14] (Fig. 1), qui regroupe les automutilations en trois
Dans la littérature anglo-saxonne, les termes de self-injury, catégories phénoménologiques : majeures, stéréotypiques,
self-harm, deliberate self-harm, intentional self-harm ou bien self- superficielles ou modérées ; cette dernière, la plus fréquente à
mutilation ou encore non-fatal suicidal behavior, self-inflicted l’adolescence, se subdivise en automutilations compulsives et
violence sont le plus souvent employés de manière approxima- impulsives.
tivement équivalente. En français, le mot « automutilation » est Elle répartit les automutilations en fonction des comorbidités,
plus régulièrement employé que « passage à l’acte » ou « com- sans perspective psychopathologique, tout en laissant place à
portement autoagressif ». Le terme de « parasuicide », commun une entité individualisée, le syndrome d’automutilations répétées
aux deux langues, doit être abandonné car il ne fait pas la (SAR) ; ce dernier peut être isolé ou associé à d’autres compor-
distinction entre automutilation et passage à l’acte suicidaire. tements impulsifs ; les automutilations y sont de type impulsif
En l’absence de définition consensuelle – et s’agissant des et répétitif ; le trait essentiel en est l’incapacité récurrente à
comportements automutilateurs les plus fréquents à l’adoles- résister à l’impulsion de s’automutiler physiquement, de
cence – nous retiendrons la définition de Herpertz [1] : c’est un manière directe, sans intention consciente de se suicider.
comportement qui consiste à « se faire mal de façon délibérée, Favazza a tenté un rapprochement entre les automutilations
répétée, de manière directement physique, sans intention et d’autres troubles du contrôle de l’impulsivité, tels que la
consciente de se suicider et qui ne conduit pas à des blessures boulimie multi-impulsive [16] – avec 75 % d’automutilations
pouvant menacer le pronostic vital ». – l’abus de substances psychoactives et la kleptomanie [17].
Sont donc exclues les automutilations fonctionnellement Les relations entre le SAR et la personnalité borderline sont
graves, les actes sous-tendus par des motivations sexuelles et les complexes ; Herpertz [18] souligne que le taux de personnalité
tentatives de suicide à proprement parler. borderline dans un échantillon baisse considérablement si l’on
Les automutilations sont dépourvues d’intentionnalité exclut les automutilations des critères diagnostiques : le SAR
suicidaire, même si certains [2] considèrent les automutilations constitue alors soit un facteur de gravité de la personnalité
et les suicides aboutis comme les deux extrêmes d’un même borderline, soit un trouble du contrôle des impulsions (TCI)
spectre, et si on relève une augmentation significative du risque autonome, associé à un trouble borderline.
suicidaire dans les automutilations [3-6]. Enfin, Schmahl distingue deux sous-types de comportement
automutilateurs chez le sujet borderline en fonction de la
présence ou de l’absence d’analgésie [19].
■ Classifications Dans le DSM-IV [20] , les comportements automutilateurs
figurent dans cinq catégories diagnostiques : la trichotillomanie,
La question, toujours débattue, est de savoir s’il faut considé-
les troubles factices avec symptômes physiques, le masochisme,
rer le comportement automutilateur comme une entité clinique
les troubles de la personnalité multiple et la personnalité
autonome ou bien comme partie intégrante de syndromes
borderline.
cliniques divers.
La première classification est due à Karl Menninger [7] ; cet
auteur a réparti les automutilations en quatre catégories :
névrotiques, psychotiques, organiques et religieuses ; cette
■ Épidémiologie
classification est restée peu employée.
Pattison et Kahan [8] ont introduit, en 1983, le concept de
Prévalence en population générale
syndrome d’automutilation délibérée (deliberate self-harm syndrome) Elle a été estimée entre 1 et 4 % de la population générale
en s’appuyant sur trois paramètres : le caractère direct ou américaine [15, 21], et entre 4,6 et 6,6 % au Royaume-Uni [22], où

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

Tableau 2. demande de soins, ainsi que sa médiatisation après de longues


Syndrome d’automutilation délibérée (SAD) (au sens du DSM-III). années de dissimulation, a pu contribuer à en accroître la
A – Traits cliniques essentiels
prévalence apparente.
1. Impulsion soudaine à s’automutiler avec impossibilité concomitante
de résister à l’impulsion Répartition selon l’âge et le sexe
2. Sentiment de vécu intolérable auquel la personne ne peut échapper et Pour certains auteurs, la prédominance féminine est très
qu’elle ne peut contrôler marquée, de 70 à 97 % [26, 27] ; pour d’autres, elle n’est pas si
3. Anxiété croissante, agitation et colère en réponse à la situation perçue notable [28]. Dans le service de psychiatrie de l’adolescent de
4. Restriction des processus de perception et de cognition aboutissant à l’Institut Mutualiste Montsouris, 21 % des garçons et 31 % des
une sensation d’impasse et d’absence d’alternative filles hospitalisés présentent des antécédents d’automutilation,
B – Traits associés dans un relevé sur cinq ans.
La fréquence des automutilations est faible chez l’enfant et
1. Signes végétatifs de dépression
s’élève considérablement dès le début de l’adolescence [6] ; elle
2. Sentiments de dévalorisation, de désespoir et d’incurabilité
atteint 12 à 35 % au sein d’échantillons de lycéens [22]. Seule-
C – Âge de début ment 5 % des épisodes sont le fait de personnes de plus de
1. Fin d’adolescence 65 ans [29-31].
D – Évolution clinique
1. Épisodes multiples à faible létalité, comportement d’autoagressivité Répartition selon le type de comportement
physique automutilateur
2. Multitude des comportements autodestructeurs à des fins de
dommages physiques, par la même personne On distingue :
3. Forte probabilité d’augmentation de la létalité des comportements • les automutilations compulsives : 2 % des patients (majorité de
autoagressifs femmes) de dermatologie présentent des lésions de grattage et
des excoriations cutanées [32] ; 13 à 53 % des cas de syndro-
4. Poursuite des comportements autodestructeurs plus de 5-10 ans
mes de Gilles de la Tourette, se cognent la tête, se donnent
E – Morbidité
des coups ou se mordent. L’onychophagie touche près de
1. Fonction du degré de létalité, le comportement autodestructeur peut 44 % des adolescents [33] ;
aboutir à altérer de manière ponctuelle une fonction • les automutilations impulsives qui se rencontrent chez les trois
2. Hospitalisation quelquefois nécessaire pour prendre en charge le quarts des patients borderline sont le plus souvent des
comportement ou ses conséquences coupures (75 %) ou des brûlures (35 %) [27, 34].
F – Complications Dans 75 % des cas cependant, les automutilations sont tantôt
1. Augmentation de la comorbidité en lien avec l’augmentation de la compulsives, tantôt impulsives.
létalité des comportements autodestructeurs répétés
2. Complication fatale possible d’un ou de plusieurs comportements Prévalence en milieu psychiatrique
autodestructeurs
Quarante-sept pour cent des adolescents suivis en consulta-
3. Condamnation sociale, voire rejet des sujets présentant des
tion ont déclaré s’être automutilés au moins une fois [35]. Chez
comportements autodestructeurs uniques ou répétés considérés comme
les adolescents hospitalisés, la prévalence peut atteindre 30 à
déviants ou socialement inacceptables
61 % [36-38].
4. Retentissement physique permanent ou réversible des
comportements autodestructeurs
G – Facteurs prédisposants
Prévalence et comorbidité
1. Absence ou manque d’étayage social et/ou relationnel, dont divorce La moitié des patients automutilateurs présentent un trouble
parental, séparation, mort d’un proche du comportement alimentaire [1, 39] ; inversement, 25 à 40 %
2. Abus de drogues et d’alcool des patientes ayant un trouble du comportement alimentaire
s’automutilent, surtout celles ayant un comportement de
3. Psychose à l’âge adulte
purge [40-45], c’est un taux aussi élevé que celui des patientes
4. Idéation suicidaire et dépressive
hospitalisées [46, 47].
H – Prévalence Cinquante-deux pour cent des automutilateurs ont un trouble
1. Incidence de 400 à 600 pour 100 000 de personnalité borderline [1] ; inversement, 80 % des sujets
2. Pic d’apparition entre 16 et 25 ans borderline se sont, à un moment donné, automutilés [48], et
3. Population à risque (jeunes en institution, comportements 75 % d’entre eux sur un mode impulsif [34].
antisociaux)
I – Sex-ratio
1. Distribution égale entre hommes et femmes
■ Données sociologiques
J – Diagnostics différentiels
Populations concernées
1. Troubles factices chroniques avec symptômes physiques
Jusqu’au début des années 1990, les automutilations sem-
2. Troubles somatoformes
blaient concerner principalement certains sous-groupes de sujets
3. Syndromes cérébraux organiques
présentant une morbidité psychiatrique importante :
4. Troubles de l’humeur et troubles psychotiques • consultants pour des troubles mentaux ou de sérieuses
5. Personnalité borderline, histrionique perturbations émotionnelles [49-52] ;
• personnes se présentant aux urgences psychiatriques [53, 54] ;
• patients des hôpitaux de jour et des appartements thérapeu-
tiques [52] ;
• patients hospitalisés dans des unités de crise ou dans des
170 000 personnes ont été hospitalisées en 1996 à la suite d’un services de psychiatrie [40, 55-64] ;
passage à l’acte automutilateur [23]. Les écarts de prévalence sont • jeunes suivis dans des institutions médicalisées, centres
probablement à relier à l’hétérogénéité des approches, source, éducatifs fermés, instituts de rééducation [65-71] ;
dans la plupart des cas, de sous-évaluation. • détenus [72-75].
On a souligné une augmentation nette de l’incidence des Bien que ces sous-groupes présentent toujours de forts taux
automutilations depuis les années 1960 [24] ; celle-ci était établie d’automutilation, celles-ci semblent être le fait, de plus en plus,
à 0,4 % en 1983 [12], et à 0,7 % en 1988 [25] ; l’extériorisation de sujets jeunes issus de la population générale, et jusqu’alors
croissante de ce comportement, associée à une plus forte non inscrits dans un parcours de soins psychiatriques.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

Automutilations

Majeures Stéréotypiques Superficielles / modérées

Elles se rencontrent Formes les plus fréquentes


Rares et généralement généralement dans l'autisme, qui se subdivisent
rencontrées dans la les retards mentaux, chez des en deux sous-catégories
schizophrénie et les états patients psychotiques et dans
psychotiques aigus certains syndromes génétiques

Automutilations Automutilations
compulsives impulsives

SAD
Répétitives Épisodiques

Amputation, Se cogner la tête, Écorchures, trichotillomanie, Coupures, brûlures, etc.


onychophagie, coups, (isolées ou associées à d'autres
énucléation, se comprimer les yeux, troubles dont les troubles
émasculation, etc. se mordre les doigts, etc. morsures, etc. alimentaires)
(isolées ou associées à un trouble
obsessionnel compulsif)

Figure 1. Classification de Favazza [15]. SAD : syndrome d’automutilation délibérée.

Cas particulier de la prison culture et partagées par nombre de ses membres. Les automuti-
lations culturellement ritualisées visent trois grands objectifs
On a relevé, chez des adolescents japonais détenus, 17 % de sociétaux : la guérison, la spiritualité et l’ordre ; dans certaines
coupures et 36 % de brûlures [76], taux bien supérieurs à ceux tribus africaines, par exemple, les scarifications faciales ou
des adultes incarcérés ; les femmes en détention s’automutilent même la section d’une phalange signent l’appartenance au clan.
cinq fois plus fréquemment que les hommes [74, 77, 78].
Selon S. Lambert : « la dimension qui oppose ces pratiques au
La mise en détention constitue un inducteur de passage à
champ pathologique réside avant tout dans leur caractère
l’acte en déstabilisant un équilibre antérieur précaire par ses
foncièrement social et symbolique. Même si, déjà, la frontière
facteurs propres : sevrage induit par l’emprisonnement, isole-
ressemble plutôt à une zone de chevauchement, la valeur
ment, solitude... Les phénomènes de « contamination » symp-
tomatique y sont fréquents [72, 79]. d’individuation de ces pratiques relève ici d’une inscription
sociale dont les symboliques s’étendent et se conjuguent depuis
l’intégration dans un groupe de pairs ou d’une lignée de pères
■ Automutilations à l’adolescence (et/ou de mères) jusqu’à la caractérisation de l’identité sexuelle,
en passant par la quête d’expiation aux accents surmoïques
Si certains patients schizophrènes et autistes s’automutilent primitifs » [82]. Inversement, les automutilations pathologiques
parfois gravement (automutilations de type majeure ou stéréo- tendent à être perçues de manière négative dans la culture
typique), les automutilations les plus fréquemment rencontrées générale et renvoient à un manque de signifiants culturels
dans l’enfance et à l’adolescence sont de type « superficielle/ partagés, même si elles peuvent être, à titre individuel, riches de
modérée ». sens et de symboles.
Les transformations corporelles, psychiques et relationnelles Un petit nombre de rituels automutilateurs à l’adolescence
de l’adolescence sont de puissants révélateurs de la qualité des pourraient s’inscrire dans une sorte d’initiation à l’âge adulte :
assises narcissiques précédemment établies ; les attaques du pratiques mutilantes à valeur esthétique tels que les piercings
corps sont généralement considérées comme des tentatives cutanés, nasaux ou génitaux, tatouages ou bien certaines
d’apaisement d’une conflictualité intrapsychique exacerbée. coupures (body art, par exemple).
F. Gardner rapproche les caractéristiques du fonctionnement Différents questionnaires, surtout descriptifs, permettent
psychique adolescent de celles du comportement automutila- l’évaluation des comportements automutilateurs en pratique
teur : intensification des pulsions agressives, fragilité du courante (Tableau 3).
narcissisme, hypersensibilité à la relation, tendance au passage
Le self-harm behavior survey (SHBS) comporte 174 questions
à l’acte et propension aux agressions corporelles, liées notam-
qui abordent les aspects sociodémographiques, cliniques et
ment aux préoccupations concernant la mort ; tout cela peut
thérapeutiques et des éléments psychopathologiques, notam-
être transitoire ou bien conduire au développement de compor-
tements destructeurs, qui seront orientés en gestes autoagressifs ment les troubles du comportement alimentaire. Il a été utilisé
(tropisme féminin) ou hétéroagressifs (tropisme masculin) [80]. par Herpertz [1], ainsi que par Paul [40].
Certains autres questionnaires interrogent la thématique des
troubles alimentaires ; le chronic self-destructiveness scale (CSDS)
Une évaluation difficile explore notamment les comportements impulsifs à haut risque ;
Les automutilations pathologiques doivent être distinguées il comporte un score final, le self-destructiveness score, et présente
des pratiques culturellement signifiantes. Pour Favazza [81] , cinq items en lien avec la problématique alimentaire. Le
certains rituels comportant des automutilations sont des Harkavy asnis suicide survey II (HASS-II) est également un
activités propres à une culture, transmises de génération en autoquestionnaire mais son approche du comportement auto-
génération, en lien avec les traditions et les croyances de cette mutilateur semble très partielle. L’impulsive and self-harm

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

Tableau 3.
Questionnaires, surtout descriptifs, permettant l’évaluation des comportements automutilateurs en pratique courante.
Auteur Année Items*
Chronic self-destructiveness scale (CSDS) Kelley et al. [83] 1985 73
Self-harm behavior survey (SHBS) Favazza [84] 1986 174
Harkavy asnis suicide survey II (HASS-II) Friedman et Asnis [85] 1989 21
Self-injury survey Simpson et al. [86] 1994 31
Impulsive and self-harm questionnaire Rossotto [87] 1997 14
Self-injurious behavior questionnaire Schroeder et al. [88] 1997 25
(SIB-Q)
Self-injury questionnaire (SIQ) Vanderlinden et Vandereycken [89] 1997 54
Timed self-injurious behavior scale Brasic et al. [90] 1997 16
Self-harm inventory (SHI) Sansone et al. [91] 1998 22
Functional assessment of self-mutilation Llyod et al. [92] 1997 41
(FASM)
Ottawa self-injury questionnaire (OSI) Nixon et Cloutier [37] 2001 37
Self-Injury self-report inventory (SISRI) Juzwin [93] 2003 34
* Les réponses sont soit en oui/non, soit de type Likert, soit sous forme de QCM ou bien ouvertes.

Tableau 4.
Individualisation de certains facteurs de risque et signes cliniques d’alerte selon S. Gothard et M. Conroy-Stocker [95].

Facteurs de risque individuels Facteurs de risques familiaux Facteurs de risque sociaux


Présence de troubles psychiatriques (épisode Antécédents d’abus sexuels et/ou physiques et de Perte récente d’une figure importante (parent,
dépressif majeur par exemple) négligence membre d’une équipe, ami proche, etc.)
Sentiments de désespoir, pessimisme, vision Présence d’un comportement automutilateur chez Influence des médias (célébrité qui s’automutile,
négative de la vie un membre de la famille ou un ami proche série ou films avec automutilations..)
Abus de substances psychoactives ou d’alcool Séparation des parents, relations pauvres avec Rupture sentimentale
ceux-ci
Atteinte récente de l’estime de soi Attente parentale trop forte ou perçue comme telle, Brimades subies (camarades,..)
notamment de réussite scolaire
Faibles résultats scolaires, angoisse de performance Surprotection familiale Isolement social/vie en milieu rural
Confrontation à la sexualité Disponibilité des méthodes d’automutilation
Appartenance à une minorité ethnique

questionnaire comprend une variété d’items relatifs aux compor- • âge de début, évolution, durée des périodes sans passage à
tements impulsifs et autodestructeurs et deux pour les troubles l’acte, changements au fil du temps ;
alimentaires. Le SIB-Q et le timed self-injurious behavior scale sont • complications ou interventions médicales ;
des hétéroquestionnaires de 25 et 16 items qui furent surtout • motivations, états émotionnels, facteurs déclenchants du
utilisés dans le cadre des retards mentaux. Le self-injury question- passage à l’acte ;
naire (SIQ) explore différents types de comportements autoa- • suites du comportement, immédiates et ultérieures ;
gressifs et notamment leur intensité. Le self-injury survey explore • degré d’urgence et d’impulsivité ;
également les raisons du passage à l’acte ; il recherche les • dystonicité (désir de s’arrêter soi-même) ;
antécédents de tentatives de suicide et comporte cinq items sur • résistance (effort pour s’interrompre soi-même) ;
les troubles alimentaires. Enfin, le functional assessment of self- • contrôle (succès à s’arrêter soi-même) ;
mutilation (FASM) n’est pas exhaustif, mais il est de passation • analgésie ;
brève. Le self-harm inventory (SHI) est un autoquestionnaire qui • utilisation de substances avant ou pendant le passage à l’acte ;
explore en outre le trouble borderline de personnalité. Sa • histoire familiale de comportements d’automutilation ;
concordance est de 84 avec les résultats du diagnostic interview • antécédents personnels de traitement.
for borderline-revised (DIB-R) de J. Gunderson et al.
À l’inverse, les questionnaires eating disorder inventory (EDI-2), Les prémisses durant l’enfance
eating attitude test (EAT-26) ou l’eating disorder examination (EDE),
consacrés aux troubles des conduites alimentaires, n’incluent
et l’adolescence
aucun item concernant les comportements automutilateurs ; le S. Gothard et M. Conroy-Stocker, au Royaume-Uni, ont
self-injury self-report inventory (SISRI) évalue à la fois les compor- individualisé certains facteurs de risque et signes cliniques
tements autodestructeurs, les troubles alimentaires, les compor- d’alerte [95] (Tableau 4).
tements à risque et les abus de substances ; il interroge en outre Pour autant, des personnes présentant certains de ces facteurs
le patient sur les motivations de ses passages à l’acte et sur de risque font preuve de capacités de résilience fondées sur trois
l’impact de ceux-ci sur sa vie quotidienne. ordres de paramètres [96] (Tableau 5).
L’Ottawa self-injury questionnaire (OSI) met l’accent sur la Les signes évocateurs de l’imminence d’un passage à l’acte
composante addictive de ce type de comportement. sont les suivants :
Simeon et al. recommandent de procéder à une évaluation • repli par rapport à certaines activités habituelles ;
clinique rigoureuse précisant les points suivants [94] : • fatigue et réticence à se rendre en cours ;
• historique des comportements d’automutilation ; • présence de traces sur le corps et/ou les membres supérieurs ;
• présence d’idéations suicidaires ; • perturbations du sommeil et/ou de l’alimentation ;
• relation temporelle entre suicidalité et comportements • troubles du comportement soudains ;
suicidaires ; • comportement autodestructeur, comportement avec prise de
• antécédents et fréquence actuelle des automutilations ; risque (conduite imprudente, ...) ;

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

Tableau 5.
Capacités de résilience pour les personnes présentant certains de ces facteurs de risque fondées sur trois ordres de paramètres [96].

Environnement Famille Enfant


Des réseaux (amis, école,..) soutenants Au moins une relation parent-enfant de bonne Capacités d’apprentissage
qualité
Un logement agréable De l’affection Capacités de communication
Des relations appropriées avec les adultes Des règles de vie cohérentes et étayantes Capacités de résolution de problèmes
Des occasions d’acquérir des connaissances Des relations stables Tempérament interactif et sociable
Le choix dans les activités de loisirs Éducation et valorisation

• certaines paroles comme « je ne peux plus continuer » ; personnalité borderline ; ils ont individualisé un sous-groupe de
• discuter/plaisanter autour du suicide ; patientes « superdestructrices », qui débutent les automutilations
• préoccupations concernant la mort ; dès l’enfance et développent de manière concomitante un
• remboursement soudain de dettes, restitution d’objets ; comportement suicidaire [105].
• passage de l’euphorie à la tristesse sans raison apparente ; Pour d’autres, les carences affectives constituent le facteur
• don de ses affaires aux autres ; prédictif le plus puissant d’un comportement automutilateur ; le
• port d’une arme sur soi. manque de protection parentale joue un rôle aussi important
que les abus dans l’échec des sujets borderline à développer des
Question du trauma régulations émotionnelles modulées, dont les automutilations
constitueraient un substitut [103]. Bien évidemment, abus et
Maltraitance durant l’enfance et automutilations carences sont fréquemment, si ce n’est constamment associés.
De nombreuses études ont conclu à l’existence d’un lien très
significatif entre abus subis durant l’enfance et survenue
ultérieure de comportements automutilateurs, suggérant en cela
■ L’adolescence : l’automutilation
un facteur étiologique. Santa Mina et al. ont recherché les liens à la croisée des chemins
entre abus sexuels ou physiques dans l’enfance et automutila-
tions et tentatives de suicide, en colligeant 29 études parues Walsh a regroupé les facteurs régulièrement mentionnés par
entre 1988 et 1998 [97]. les adolescents automutilateurs en quatre catégories [108]
Le pourcentage de femmes automutilatrices indiquant avoir (Tableau 6).
subi des abus sexuels dans l’enfance varie suivant les études
entre 49 et 95 % [98, 99]. Description clinique
Quatre études ont comparé le comportement automutilateur
au sein d’échantillons de sujets abusés ou bien non abusés ; Âge de début
77,3 % des sujets abusés ont un comportement automutilateur
contre 47,6 % chez les sujets non abusés [100]. Favazza fait état Les automutilations commencent dans 59 % des cas vers
12-13 ans et pour près d’un quart des cas vers 10-11 ans ou
de 62 % d’abus subis dans l’enfance (29 % d’abus sexuels et
auparavant [109].
physiques, 17 % d’abus sexuels seuls et 16 % d’abus physiques
isolés) [27]. Yeo et Yeo [101] ont relevé une prévalence de 50 %
d’abus et ont souligné la forte tendance (93 %) à la surconsom-
Différents types d’automutilations
mation médicamenteuse. Le comportement serait plus répétitif Les automutilations compulsives comprennent les écorchures, la
chez les sujets abusés [102]. non-cicatrisation entretenue des plaies et les coups auto-
Van der Kolk et al. estiment que les tentatives de suicide infligés ; viennent ensuite : les morsures, l’onychophagie,
répétées sont fortement liées aux antécédents d’abus sexuel dans l’arrachage de la peau autour des ongles, la trichotillomanie à
l’enfance, et que les comportements automutilateurs sont plutôt fort tropisme féminin.
corrélés à des antécédents de négligence dans l’enfance [103] ; ils Près des deux tiers des sujets présentant un trouble des
insistent sur la valeur prédictive de ce type d’antécédents et sur conduites alimentaires considèrent le vomissement comme une
le fait que l’absence d’attachement sécurisant contribue à les autoagression. Rappelons d’ailleurs la fréquence du mérycisme
maintenir ; le comportement automutilateur résulterait de la dans les troubles des conduites alimentaires.
réactivation du traumatisme infantile par une situation Parmi les automutilations impulsives, épisodiques ou répétiti-
stressante [104]. ves, les coupures sont de loin les plus fréquentes, souvent
L’automutilation constitue donc un indice de présomption effectuées par rasoir, mais aussi par morceaux de verre, cou-
d’antécédents de maltraitance durant l’enfance. Elle reflète aussi teaux, ciseaux.... Les brûlures, notamment par cigarette, arrivent
très souvent un trouble structurel de personnalité de type au deuxième rang.
borderline ; des antécédents d’abus et de maltraitance sont en Les automutilations sont plus fréquemment compulsives
effet fréquemment retrouvés, aussi bien dans le comportement qu’impulsives, mais elles sont régulièrement associées ou
automutilateur isolé que dans celui qui s’inscrit dans ce trouble pratiquées en alternance ; cette association renvoie, dans un
de la personnalité et dans ce trouble de la personnalité consi- continuum, au spectre impulsivité/compulsivité [110]. Rappelons
déré isolément. que Favazza observe, dans 78 % des cas, un recours à des
méthodes multiples [27].
Maltraitance durant l’enfance, automutilations
et personnalité borderline Séquence comportementale
Un lien entre antécédents d’abus sexuels dans l’enfance et Cette description en cinq étapes stéréotypées concerne avant
survenue d’automutilations chez les patients présentant une tout les automutilations impulsives : un événement déclenchant
personnalité borderline a pu être établi [105], à la différence de s’accompagne d’un malaise croissant sur fond d’humeur dys-
Zweig-Frank et al. qui n’avaient pu, au préalable, établir dans phorique (morosité, tristesse, irritabilité...), voire de torpeur ou
leur étude sur automutilation et dissociation chez ces sujets ce de sentiment de dissociation. Ensuite naît la conviction de se
type de lien [106]. En fait, la prolongation dans le temps de retrouver dans une impasse relationnelle, et l’envie de se faire
l’abus sexuel serait la plus prédictive [107]. mal, à laquelle il semble impossible de résister. Un très court
Certains considèrent le symptôme automutilation comme très laps de temps sépare la décision et la mise en acte, qui procure
discriminant (79 %, dans leur cohorte) pour le diagnostic de un soulagement d’intensité et de durée variables [111].

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

Tableau 6.
Facteurs régulièrement mentionnés par les adolescents automutilateurs en quatre catégories selon Walsh [108].

Échanges entre adolescents Influences environnementales Influence directe des médias Psychologie individuelle
Expérience régulière d’émotions fortes Stress important généré par l’école et Médiatisation des automutilateurs et Réduction temporaire de la tension et
et manque de stratégies d’adaptation le travail de leurs histoires personnelles rétablissement d’une sorte d’équilibre
psychique
Abus de substances au sein de Forte compétition scolaire et rivalité Mise en scène dans des clips musicaux L’automutilation présente des aspects
groupes, vécus comme un rite professionnelle conduisant à de comportements automutilateurs importants de communication
initiatique l’isolement et à la méfiance
Début précoce des abus de substances Influence des médias sur Influence de certains personnages L’automutilation procure un
l’automédication (achats en ligne sans publics de premier plan, sentiment de contrôle et de puissance
ordonnance) automutilateurs
Stratégies d’adaptation Amalgame entre fêtes et prise de Augmentation du nombre d’émissions
dysfonctionnelles via l’usage de toxiques de télévision consacrées à
substances et/ou d’automutilations Possibilité de « planer » facilement l’automutilation
accessible
Fonction identitaire vis-à-vis des pairs Prééminence de la consommation sur Forums de discussion sur Internet
et des adultes d’un comportement le bien-être personnel consacrés à l’automutilation
marginal, provocant
Cohésion du groupe fondée sur des Faible disponibilité des parents, Nombreux sites Internet personnels
comportements condamnés ou absence d’étayage apaisant et donnant des informations détaillées et
craints par les adultes structurant explicites
Les jeunes sont dans l’agi : Priorité de l’individualisme et mise à
automutilations dramatiques, visibles l’écart des sujets en situation de
et induisant des réactions immédiates détresse
Banalisation du comportement Glorification de l’image corporelle et
automutilateur au sein du groupe via établissement de critères esthétiques
l’acceptation de tatouages, piercing, peu accessibles, sources de mésestime
etc. de soi
Rapprochement entre comportement
automutilateur et body art

Les automutilations compulsives sont davantage ritualisées, institutions plutôt coercitives, à l’instar des prisons, mais un
voire automatiques. cadre institutionnel insuffisamment ferme et sécurisant les
favorise également. Les passages à l’acte successifs surviennent
Raisons évoquées et facteurs déclenchants alors le même jour ou sur plusieurs jours consécutifs, impli-
D’une manière générale, les sentiments au moment du quant préférentiellement un petit sous-groupe de patients,
passage à l’acte sont principalement une tension intérieure et individuellement prédisposés, fréquemment entraînés par un
un sentiment de vide. leader et engagés dans des relations privilégiées et dysfonction-
Les raisons évoquées sont : la volonté de soulager un senti- nelles, souvent de rivalité [67, 68]. Les scarifications peuvent
ment de désespoir ou de dépression, d’échec ou de frustration, servir à réguler l’impact des multiples dynamiques relationnelles
de rejet ou de solitude, d’excitation pénible et souvent de à l’œuvre dans le groupe des patients, et sources d’une excita-
colère ; le besoin d’exprimer un sentiment de haine envers soi- tion autrement peu maîtrisable. Il peut s’agir de rapprochés
même et de se punir, d’obtenir des soins et l’attention des érotisés entre eux, de sentiments de rivalité pour obtenir
autres, le souhait de changer son apparence corporelle, d’appar- l’attention préférentielle de l’équipe soignante ou de l’affirma-
tenir à un groupe et de cesser de se sentir seul, celui d’exercer tion d’une solidarité (menacée par les angoisses internes au
un contrôle sur soi, de s’empêcher de penser au suicide ou groupe) contre les soignants et les soins, présentés comme un
d’agir des projets de suicide, de ne plus se sentir engourdi et adversaire commun et fédérateur. Ces épidémies se produisent
sans lien avec la réalité. en effet presque toujours dans une ambiance de dénigrement
des soins, tout en constituant un appel à l’intervention de
Localisations l’équipe soignante [36].

Si n’importe quelle partie du corps peut être concernée, Comorbidités


certaines localisations sont privilégiées ; c’est le cas du bras et
du poignet, à tel point que Rosenthal et al. ont décrit le wrist Les troubles des conduites alimentaires – notamment la
cutting syndrome [112]. Les autres zones sont les cuisses, le cuir boulimie – et le trouble borderline de la personnalité sont
chevelu, les lèvres, les mains et les doigts ; les scarifications étroitement associés au comportement automutilateur.
prennent une signification particulière quand elles se situent à
Automutilations et troubles des conduites
proximité des organes génitaux.
Il s’agit de lésions superficielles, n’altérant généralement pas alimentaires
le pronostic fonctionnel, même si elles peuvent laisser des Dans la boulimie
cicatrices visibles. Les troubles alimentaires sont un des diagnostics le plus
fréquemment associés aux automutilations [1, 39, 115]. Inverse-
Phénomène de contagion dans les collectivités ment, les sujets présentant un trouble alimentaire courent plus
Des épidémies d’automutilations sont susceptibles de se de risques de développer un comportement automutilateur [40].
produire dans différentes collectivités : prisons, internats, Ces troubles partagent beaucoup de points communs :
services hospitaliers [15, 113, 114]. Dans les groupes de patients majorité féminine, début à l’adolescence, insatisfaction à l’égard
hospitalisés, par exemple, la contagion de ces comportements du corps, ascétisme, sentiment d’inefficience, qui impliquent
débouche parfois sur de véritables épidémies délicates à contrô- souvent une attitude autopunitive [15]. En outre, l’usage des
ler. Ces épidémies surviennent préférentiellement dans des laxatifs et des vomissements est souvent présenté comme un

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

comportement autoagressif. Les boulimiques qui s’automutilent indice de gravité dans la mesure où les passages à l’acte
auraient un indice de la masse corporelle plus élevé que les suicidaires sont alors plus sévères [127] . L’automutilation y
autres [116]. apparaît comme un moyen « d’autopréservation », de régulation
On a pu isoler un sous-groupe de patients présentant un des affects, de résistance contre la dissociation et le suicide [128].
syndrome multi-impulsif, caractérisé par l’association à la perte L’apparition de comportements autoagressifs dans la trajectoire
du contrôle alimentaire de comportements tels que l’alcoolisme, du sujet borderline témoigne d’une instabilité structurelle plus
l’usage de drogues, les automutilations, les tentatives de suicide, marquée : plus forte incidence de processus primaires d’agres-
la sexualité et les achats compulsifs [16, 42, 117]. Le trait d’union sion, de perturbations graves des limites, de représentations
entre ces pathologies pourrait être la présence d’abus et de pathologiques de l’objet, d’idéalisation défensive, de dévalorisa-
maltraitances durant l’enfance [116]. tion et de clivage [129, 130].
On a également tenté d’individualiser un syndrome faisant
alterner automutilations et autres comportements impulsifs, tels
que les troubles alimentaires [15, 118]. Modèles psychopathologiques
Les automutilations chez les boulimiques ont les caractéristi- Villalba et Harrington [131] et surtout Suyemoto [132] ont
ques suivantes [119] : procédé dans leurs revues de la littérature à une synthèse des
• les automutilations compulsives (vomissements, se ronger différents modèles psychopathologiques. Ces derniers, issus des
profondément les ongles, se mordre, s’arracher les cheveux) principales théories, apportent différents éclairages, souvent
diffèrent des automutilations impulsives (coupures, brûlures, complémentaires, du comportement automutilateur.
abus de laxatifs, abus de substances et d’alcool, tentatives de
suicide) ;
• on constate une forte association entre les automutilations
Approche cognitivocomportementale : modèle
impulsives et la boulimie, effet « protecteur » des traits environnemental
compulsifs ; L’automutilation aurait une genèse double :
• le vomissement (compulsif) est vécu comme moyen de • d’une part, un « modelage » familial porteur d’abus amènerait
compenser la perte de contrôle liée à l’impulsivité ; le sujet à lier la douleur à l’attention qui lui est portée
• l’automutilation est considérée comme « partie intégrante » (conditionnement opérant) ;
de la boulimie ; • d’autre part, un renforcement est fourni par les bénéfices
• la coexistence d’automutilations impulsives et compulsives apportés par les réactions des proches ; ce comportement, en
est en faveur de dysfonctionnements psychologiques et d’une effet, confère une sorte de statut social et offre la possibilité
symptomatologie dépressive plus sévère ; d’exercer un certain contrôle sur les autres ou de les impli-
• plus la durée d’évolution de la boulimie est longue, plus le quer. Ce modèle décrit également les phénomènes de conta-
risque de développer des automutilations est important ; gion (boucle : observation – récompense – imitation).
• les automutilations ont, dans la boulimie, valeur de recherche
du sens de la réalité et de l’identité ; Approches psychanalytiques
• la compulsivité est plutôt caractéristique du début de la
boulimie, et diminue avec la chronicisation de celle-ci ; Modèle antisuicide
• il y a une alternance des phases d’automutilations et de Le comportement automutilateur est considéré comme une
phases mobilisant d’autres comportements impulsifs, dont la façon d’éviter le suicide. L’automutilation éviterait une destruc-
boulimie [118] ; tion complète en canalisant les propensions destructrices.
• on peut individualiser un sous-groupe de boulimiques multi- Certains ont parlé de « microsuicides », sous-tendus par « l’illu-
impulsives ; sion de maîtrise de la mort ». S. Ferenczi voit, dans le sacrifice
• on pose l’hypothèse d’une base psychopathologique com- des organes génitaux (autocastration), selon lui prototype de
mune entre les deux dimensions : automutilations et toutes les automutilations, « l’ultime rempart contre le suicide
boulimie. (...) comme une tentative de l’individu, privé de ses moyens
d’action sur le milieu, de les rétablir au travers de son
Dans l’anorexie
corps » [133]. Action salvatrice en deçà des fonctions symboliques
Les difficultés du contrôle de l’impulsivité sont davantage le ultérieurement décrites par B. Bettelheim ou tentative de
fait des anorexiques non restrictives et les patientes anorexiques présymbolisation archaïque ? La question demeure [134].
avec conduites de purge sont plus proches des boulimiques que
des anorexiques restrictives [120-124]. Modèle interpersonnel : question des limites psychiques
Il ressort de l’étude de Favaro que [120] : Les théories du développement des relations d’objet et la
• les automutilations impulsives sont plus fréquentes chez les psychologie du soi mettent l’accent sur la nécessité pour un
anorexiques avec conduites de purge que chez les anorexi- sujet d’affirmer les limites de son self. Les craintes d’abandon
ques restrictives ; suscitent d’intenses émotions menaçant le soi du patient, son
• le taux d’automutilations dans l’anorexie est cependant manque de limites le conduisant à éprouver toute perte d’objet
comparable à celui trouvé dans la boulimie [40, 45] ; comme perte d’une partie de soi, et tout rapproché affectif
• la coexistence d’automutilations impulsives et compulsives comme un risque de fusion. Pour citer C. Matha et C. Savinaud,
est prédictive d’une rupture de suivi. « le passage à l’acte renvoie à une pulsionnalité débordante en
quête de limites qui semblent ne pouvoir s’éprouver que dans
Automutilations et trouble de la personnalité la réalité. S’éprouver dans la réalité d’un acte devient une
de type borderline tentative d’évaluer sa propre réalité, solidité, dans le monde
Cinquante à 80 % des sujets borderline s’engagent dans des extérieur, un effort pour se sentir réel » [135]. La peau représen-
automutilations (et la moitié des automutilateurs ont un trouble tant une limite fondamentale entre soi et les autres, telle une
limite de personnalité). En quoi diffèrent-ils des autres ? Et la enveloppe narcissique qui protège du chaos possible du monde,
survenue d’un tel comportement dans le cours évolutif du et le sang et les cicatrices représentant des marqueurs de la
trouble de la personnalité est-elle significative ? réalité du soi, l’automutilation renforce une représentation de
Les automutilations sont avant tout de type impulsif (coupu- soi séparée et différenciée [57, 136-138]. Certaines automutilations
res, brûlures) ; les sujets borderline qui s’automutilent ont des sont « des coupures de la surface et mettant en acte dans le réel
scores plus élevés au DIB-R pour les dimensions impulsivité/ une coupure non advenue dans le symbolique. Les scarifications
action, affects, psychoticisme et relations interpersonnelles ainsi peuvent être comprises comme un retour dans le réel de ce qui
qu’au niveau global (index borderline) [125]. L’automutilation et a défailli dans le symbolique et, en cela, elles renvoient toujours
la suicidalité ont pu être considérés comme les « meilleurs » au stade de la construction de la séparation subjective entre le
critères d’inclusion pour le diagnostic de trouble borderline [126]. sujet et l’Autre, c’est-à-dire le stade du miroir » [139]. Alors que
La présence d’un comportement automutilateur constitue un pour O. Douville, « il n’y a pas à tenir là le conventionnel

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

discours portant sur le défaut de symbolique, mais bien davan- l’autosadisme, peut permettre une certaine forme de désexuali-
tage à repérer un geste symbolique qui se répète compulsive- sation et de culpabilité et, par conséquent, aller vers la consti-
ment. Il y a un défaut de nouage du symbolique aux registres tution d’une névrose [148]. Cependant, l’organisation psychique
du réel et de l’imaginaire » [140] . Ces patients seraient en peut aussi bien prendre la forme d’un aménagement pervers,
difficulté pour se représenter séparé et distinct de leurs objets aménagement qui n’a cependant pas la solidité d’une perver-
primaires en particulier leur mère, du fait notamment d’un sion, à la trame nécessairement serrée. Cet autosadisme reste
attachement insuffisamment sécurisant (limites individuelles impulsif-compulsif sans intentionnalité et sans conscience de
floues, angoisses d’intrusion et de fusion alternant avec des son origine interne et de sa fin. Il lutte contre une menace
angoisses d’abandon). L’agir sur le corps viserait à parer aux dépressive ou, comme le pointe C. Chabert, « contre une dérive
angoisses de dépersonnalisation liées au retour à l’état indiffé- mélancolique soutenue par l’autoaccusation, réclamant répétiti-
rencié primaire, à le contrôler pour y trouver quelque chose de vement des mesures de rétorsions humiliantes et mortifères »,
l’ordre d’une union acceptable (c’est-à-dire en particulier non en cherchant un apaisement, plus qu’il n’est sous-entendu par
déshumanisante ou dépressogène), mais également à une recherche de plaisir [149]. Ou, pour reprendre Ternyck, « la
l’induire [141]. De fait, l’acte automutilateur, quand il se chroni- solution masochique serait alors une version pubertaire de
cise et se ritualise, est moins impulsif que compulsif, moins l’élaboration de la position dépressive » [150]. Le masochisme
impérieux qu’organisé. De plus, lorsque l’adolescent automuti- « gardien de la vie » n’a pu se constituer, qui permet de contenir
lateur se porte mieux et entre dans un processus d’autonomisa- dans la sphère psychique les velléités autopunitives et les
tion à l’égard de ses parents, il éprouve souvent le besoin de mouvements de récupération de l’objet, au lieu de les agir sur
revenir à ces actes autoagressifs, à y « re-goûter », comme pour le corps. On observe souvent que la douleur physique que ces
« ne pas couper le cordon ombilical qui le relie à son patients s’infligent a une vertu, si ce n’est une fonction, de
passé » [142]. Nous considérons que ce symptôme renvoie à un réanimation psychique ; ils retrouvent alors en dehors des crises
autosadisme ; un sadisme agi et « réfléchi », au sens de retour- un certain fonctionnement névrotique hystérique au sein
nement contre soi d’une agressivité non élaborée étayant le duquel l’interdit du rapproché incestueux protège des menaces
sentiment d’existence par la douleur : « Partout (...) où ça fait sur le narcissisme. Dans les formes les plus archaïques, la
mal c’est moi, je ne suis pas seulement comme mes parents, je clinique met en évidence moins douleur et culpabilité qu’anes-
suis aussi différent de mes parents, mon individualité consiste thésie et honte, témoignant donc plus d’un registre d’investis-
en la souffrance que j’éprouve » dit F. Zorn [143]. Sa fonction sement narcissique que d’un registre objectal. C’est toujours
économique serait, dans le meilleur des cas, de permettre au l’objet maternel qui est visé du fait du « choix » de l’attaque
sujet de se détacher du masochisme passif orchestré par l’objet corporelle (corps issu de la mère) et, en cela, l’acte automutila-
(authentiquement pervers ou vécu comme tel, à la mesure de teur est toujours la forme inversée de l’union pulsionnelle mère-
l’investissement du sujet pour lui) et de s’approprier l’érogénéité enfant ; la souffrance provoquée agresse et le sujet et l’objet,
étroitement mêlés. Est-ce l’aménagement pervers d’un fantasme
de son propre corps ; de répondre à la mainmise de l’objet sur
maternel mortifère projeté dans le moi, auquel l’enfant obéit
son corps, ou à la persistance d’une indifférenciation. Ce
tout en s’évertuant à le déchiffrer ? Est-ce le témoin du contre-
comportement masochique est sous-tendu par « la représenta-
investissement de la perte de l’objet idéal des relations infanti-
tion qu’une même peau appartient à l’enfant et sa mère, peau
les, et la reprise active de l’objet qui s’éloigne, ce qui nous
figurative de leur union symbiotique (...). Le processus de
rapprocherait des observations de Spitz sur les automutilations
défusion et d’accès de l’enfant à l’autonomie entraîne une
des enfants précocement carencés ? Un compromis entre
rupture et une déchirure de cette peau commune » ou, dans les
possession et séparation permettant alors un minimum de
cas moins sévères, par le sentiment de la persistance de différenciation. Au-delà du problème délicat des fantasmes
l’emprise de l’objet sur le sujet [136]. On comprend, dès lors, que mortifères inconscients, la question de l’impossible rivalité avec
l’attaque vise autant l’objet que le sujet. L’angoisse contre la mère narcissique ne s’éclaire-t-elle pas des travaux de R. Girard
laquelle lutte ce sadisme autocentré est plus une angoisse sur le masochisme et le mimétisme ? À savoir que le sujet,
d’abandon, conséquence de la défusion (fantasme premier pressentant la fragilité de son objet dominateur et pour le faire
d’union symbiotique mère-enfant suivi d’une césure secondaire, exister, accepte, dans une position sacrificielle, de maintenir par
sorte de « parentectomie » plus expressive que métaphorique sa conduite son objet en position de domination (mère de sa
d’un besoin de séparation psychique), qu’une angoisse para- douleur), et de rester son enfant [151]. En tout état de cause, le
noïde de morcellement. Surtout, elle s’apparente à une mise en sujet est à la fois celui qui s’inflige les blessures et celui qui les
acte sur le corps de la menace séparation-castration. Selon J. reçoit, à la fois le sadique et le masochiste [135].
Gillibert, l’autosadisme est une forme d’autoérotisme autodes-
tructeur, substitut régressif de l’autoérotisme œdipien, qui vise Modèle sexuel
à recréer l’unité au niveau du corps du sujet [144]. Ainsi nous ne Les liens entre sexualité et automutilations sont suggérés par
serions pas en présence d’un autoérotisme qui console ou leur absence avant la puberté, la forte corrélation avec les abus
contient le sujet face à la perte, ou même qui affirme son sexuels et l’incidence élevée de dysfonctions sexuelles chez les
autosuffisance (se passer physiquement de l’objet pour en jouir patients. Les automutilations sont conçues comme des symptô-
fantasmatiquement), mais face à un autoérotisme mortifère qui mes de compromis au sein de relations d’objet impliquant la
témoignerait à l’origine de l’agrippement à l’objet. Aussi, sexualité, la vie et la mort : elles protègent des pulsions de mort
comme le rappelle P. Givre, s’il existe donc une propension tout en les exprimant et visent à contrôler la sexualité, à éviter
naturelle chez l’adolescent à se replier sur l’activité autoérotique, des pensées ou des actions à dimension sexuelle. Elles survien-
le mouvement régressif peut être tel que ce passage de l’objec- nent au moment où la puberté ravive la problématique œdi-
talisation à l’autoérotisme aboutit à cette forme d’autosabotage, pienne et constituent un moyen de surmonter des conflits
pour reprendre le concept de P. Jeammet, qu’est l’autosa- intrapsychiques liés à l’association de fantasmes sexuels et de
disme [145, 146]. Le sujet incorpore l’objet, l’attaque, tente de le pulsions agressives [152]. Elles servent à « purifier » le corps,
rencontrer dans la haine, le maîtrise, en triomphe, se vide de lui considéré comme la source, plus ou moins dissociée du soi, de
(laisser le sang couler, explorer les berges de la plaie). On doit ces fantasmes. Elles constituent également une façon de passer
relever la faible fréquence des objets transitionnels chez les sujets d’une position passive à une position active, de reprendre la
borderline. On sait que le corps de l’enfant, indifférencié de maîtrise de pulsions sexuelles vécues comme intrusives et
celui de la mère, peut parfois constituer le substitut archaïque « passivantes » ; l’activité sexuelle précoce et les fréquents
d’un objet transitionnel [147]. C’est alors sur ce corps indifféren- fantasmes de viol seraient induits par les automutilatrices pour
cié que le sujet effectue les travaux d’exploration de l’objet, et soulager l’anxiété en lien avec leurs préoccupations sexuelles en
que se déploient l’amour et l’agressivité à son égard, comme le prenant contrôle sur elles [153]. Dans le contexte d’un dévelop-
fait l’enfant sain avec son objet transitionnel, aussi chéri que pement psychoaffectif perturbé, l’effraction cutanée pourrait
maltraité, maquillé que défiguré. Soulignons, avec B. Rosenberg, prendre valeur de pénétration [154]. La place des menstruations
que la sortie du masochisme érogène primaire, par la voie de dans la dynamique de ce comportement est discutée ; 60 % des

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

automutilations surviendraient durant les menstruations desquels les automutilations se manifestent le plus souvent
auxquelles 65 % des patientes indiquent mal réagir. Rosenthal (personnalité borderline, trouble du comportement alimentaire,
estime que « l’automutilation pourrait être un moyen de syndrome post-traumatique, psychopathie...) qui sous-tend ce
négocier le trauma génital et le conflit induit par les menstrua- comportement. L’automutilation, qui effectue une externalisa-
tions » [112]. Asch et Roy pensent que la même dynamique de tion dans le corps de la souffrance psychique, est une action
dépendance/autonomie qui sous-tend les actes sexuels sadoma- dirigée tout autant contre l’objet que contre le sujet, visant à
sochistes se retrouve dans le cadre de l’automutilation [155, 156]. contenir le surgissement d’angoisses émanant de fantasmes
Évoquer le sadomasochisme peut paraître problématique lorsque inconscients archaïques. Elle est une attaque contre le corps,
la clinique montre le peu d’érogénéité imprégnant les compor- vécu comme source quasi étrangère au moi des pulsions
tements automutilateurs. Celle-ci ne se dévoile souvent que lors sexuelles du sujet, vécu également comme étant sous la domi-
d’un suivi au long cours, mais il est tout aussi vrai qu’à la nation de l’objet, englobé par lui ou le contenant. La pulsion-
longue, le masochisme perd de sa charge libidinale pour se nalité, vécue comme le « cheval de Troie de l’objet dans le
transformer en masochisme moral. Pour le dire en deux phrases, moi », est dangereuse, notamment parce qu’elle pousse à
c’est la différence entre ce qu’évoquent Marcel Proust : « Le vice investir l’objet, investissement qui constitue une menace pour
n’est que l’érotisation du chagrin », et J.K. Huysmans : « La l’identité. L’automutilation soutient l’investissement d’une
douleur est le vrai désinfectant de l’âme » [157, 158]. Le fantasme représentation de soi et de ses limites, permettant de se diffé-
d’attaque de la mère, dans un premier temps psychiquement rencier de l’objet, d’un sujet engagé dans une double lutte
vécu, semble se diluer dans l’agir sur un corps peu différencié laissant peu de souplesse au fonctionnement psychique :
de l’objet. Par une sorte de déconnexion psychique, l’investis- l’agrippement à l’objet, repris s’il s’éloigne et rejeté s’il s’appro-
sement de la souffrance infligée au corps maternel s’estompe, ce che, doit conjurer tant le risque d’abandon et de dépression que
qui marque la fin de la lutte entre sujet et objet. La souffrance le risque d’intrusion et de fusion dépersonnalisante. Les
du corps propre devient l’ultime représentant de cette mère automutilations visent la maîtrise des pulsions, de l’objet et du
frustrante ; le sujet investit la souffrance elle-même, la volupté soi, très condensés dans ce fonctionnement psychique
de la douleur remplace le manque, et il ne peut élaborer le archaïque.
deuil. Il dit, à juste titre, qu’il ne sait pas de quoi ni pourquoi
il souffre. Son aliénation dynamique laisse la place d’une Régulation des affects et dimension addictive
organisation essentiellement économique. Au-delà des différents modèles théoriques précédemment
Ce qui est aliénant (en dehors des cas d’emprise incestueuse évoqués et qui concernent tout ou partie des sujets automutila-
de l’objet par le sujet), c’est cette quête d’un désir et donc d’une teurs, deux dimensions-clés semblent être communes à la
reconnaissance venant de l’objet, par lui jamais exprimé, ou plupart de ces sujets : la fonction de régulation des affects et la
toujours vécu comme inauthentique car enfermé dans son dimension addictive.
narcissisme, ou encore toujours insuffisant face à l’avidité sans
frein du sujet : l’objet a-t-il témoigné de son désir, l’a-t-il adressé Régulation des affects
ailleurs (quel est l’objet de l’objet ?), ou s’en est-il trouvé Modèle de régulation des affects. L’automutilation tend à
entravé ? Cela pose au sujet la question de son origine : de quel externaliser et à maîtriser des émotions intolérables : sentiment
désir est-il issu ? Comment désirer ce désir (flou) de l’objet, d’abandon ou de rejet, souvent de colère retournée contre soi
comment s’y retrouver et s’y reconnaître ? Quoi qu’il en soit, par peur de détruire les autres. Elles « matérialisent » une
l’automutilation à l’adolescence ne sauve pas de l’emprise souffrance émotionnelle mal identifiable en une douleur
psychique exercée par la perversion narcissique (réelle ou vécue physique dont on s’affirme maître [111].
comme telle) de l’objet parental, car le sujet demeure inscrit Doctors fait l’hypothèse d’une incapacité infantile à intério-
dans les scénarios fantasmatiques attribués aux parents. Ceux- riser des objets et une représentation de soi stables, à établir une
ci, plus ou moins énoncés (maîtrise, disqualification, humilia- capacité à s’autoapaiser, qui conduit à rechercher une réponse
tion sadique) mais très tôt perçus par l’enfant, l’ont touché alors environnementale [153]. Les pensées agressives liées au sentiment
qu’il était livré lui-même à ses propres fantasmes masturbatoires. d’abandon sont dès lors vécues comme insurmontables, car
Ils entrent en collusion avec les représentations inconscientes de activant des représentations négatives de soi et de l’objet, et
celui-ci (scénario sadique) et court-circuitent le travail de liaison conduisent à la conviction qu’il vaut mieux se blesser soi-
des représentations préconscientes. L’automutilation attaque ces même que de faire du mal aux autres.
représentations au sein même du corps qui les a stimulées, mais L’automutilation valide une expérience interne négative tout
elle échoue à les annuler ou à les évacuer durablement. De fait, en exprimant la profondeur des sentiments vis-à-vis des autres,
le sujet ne fait que s’y enliser. Bientôt, le maintien du lien à en raison des difficultés du sujet à verbaliser ses émotions [153] ;
l’objet ne pourra plus se faire que par l’intermédiaire de ces elle est liée à l’incapacité à manier le langage et la communica-
chaînes signifiantes : « je suis ce que tu dis que je suis et te le tion symbolique pour exprimer les affects et serait utilisée
montre de manière monstrueuse en miroir de la vision mons- comme un « symbole évocateur primitif » qui manifeste le
trueuse que je pense que tu as de moi. En étant ce que tu veux sentiment, communique une expérience subjective, contrôle le
que je sois, j’annule toute possibilité de séparation. J’imite le vécu affectif par la mise à distance et l’externalisation, et
désir que tu as de moi, seul désir qui me donne une valeur... protège les autres de l’émotion. Les personnalités alexithymi-
qu’elle soit négative ou positive importe peu » pourrait vouloir ques sont fréquentes parmi les automutilateurs. Cela souligne
dire à son objet le sujet automutilateur. L’automutilation est l’échec du sujet à traiter correctement l’information émotion-
alors une « monstration », démonstration monstrueuse, en ce nelle, tant celle émanant de soi (gestion des affects, question de
qu’elle n’est jamais autosuffisante et a perpétuellement besoin la figuration et de la représentation) que celle émise par l’objet,
d’une confirmation par le regard de l’autre [159]. dans un vécu de « dépression essentielle » (sans objet) ; l’auto-
mutilation y a une visée de réanimation corporelle et
Synthèse des approches psychanalytiques
psychique.
Les automutilations ne peuvent se limiter à un symptôme Modèle dissociatif. Ce modèle se centre sur la création ou le
névrotique de compromis entre pulsions agressives ou sexuelles maintien du sens de soi et de l’identité face à des émotions
et défenses. En tant qu’actes antiaffects, antipensée et anti- internes qui l’altèrent et de nombreux travaux considèrent que
objet, elles témoignent toujours de la fragilité des fondements la fonction des automutilations est de mettre un terme à un
de l’identité et du positionnement par rapport à l’objet pri- vécu dissociatif [62]. Bien que le mode d’action en soit peu clair,
maire. La représentation des limites du sujet par rapport à il semble que l’écoulement du sang autant que la douleur soit
l’objet, la séparation des enveloppes – donc les limites du soi un facteur clé.
– sont au cœur de cette problématique, en même temps que la
capacité de l’appareil psychique à contenir des affects vécus Dimension addictive
comme débordants. C’est cette dimension « limite » du fonc- Certains sujets se vivent comme de véritables toxicomanes
tionnement psychique, commune à tous les syndromes au sein devenus dépendants de leur comportement, qui semble alors

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

Tableau 7.
Honte et culpabilité Comportement automutilateur selon cinq dimensions inter-
à l'égard de l'automutilation dépendantes [49, 160, 161].
Dégoût de soi-même Dimension environnementale
et montée de la tension Antécédents familiaux (troubles psychiques, violence, abus de
substances, automutilations, suicide)
Antécédents personnels (négligence, attachement problématique, perte
d’un parent, abus physiques et/ou sexuels durant l’enfance)
Environnement familial déstabilisant
Atouts et forces de la famille
Éléments déstabilisants récurrents (perte, relations conflictuelles, abus,
proches qui s’automutilent...)
Expérience d'un
soulagement de la tension Dimension biologique
Vulnérabilité biologique de la régulation émotionnelle
Anomalies du système limbique ?
Un événement déclencheur
Dysfonction du système sérotoninergique ?
augmente la détresse
Dysfonction du système des opioïdes endogènes ?
Altération du seuil de perception de la douleur ?
Dimension cognitive
Interprétations, croyances, évaluation négative de certains éléments de
Passage à l'acte l’environnement, pessimisme
automutilateur Cognitions auto-induites liant les automutilations et le soi
Pensées, images et réminiscences d’un traumatisme
Figure 2. Schématisation de la dimension addictive de l’automutilation Dimension affective
selon Gothard et Conroy-Stocker [95]. Prédisposition à des émotions fréquentes, intenses et soutenues
Émotions négatives déclenchant un comportement autoagressif : colère,
anxiété, tension, honte, dépression, tristesse...
évoluer de manière autonome et constituer une forme d’iden- Émotions et/ou dissociation en lien avec des pensées, images et
tité. Gothard et Conroy-Stocker ont schématisé la dimension réminiscences d’un traumatisme
addictive de l’automutilation, soulignant son caractère cyclique Dimension comportementale
et répétitif [95] (Fig. 2).
Antécédents de troubles du comportement (hétéroagressivité, abus de
On souligne en outre que les personnes présentant de hauts
substances, tendance à l’isolement, etc.)
niveaux de colère internalisée risqueraient plus que les autres de
Préparation du passage à l’acte : choix du lieu, obtention des moyens,
s’installer dans ce mode addictif [37]. Enfin, le bénéfice écono-
recherche de solitude
mique attaché au comportement addictif (acte antipensée avec
répression élective des sentiments reliant à l’objet, soulagement Comportements d’après-coup : reprise des activités, endormissement,
et décharge de l’agressivité, contrôle ou maîtrise triomphante de échanges avec les autres sur le passage à l’acte
l’objet, identité de compensation, etc.) et l’autorenforcement de
la conduite contribuent à réorganiser l’ensemble de la person-
nalité autour de lui, abrasant jusqu’à les annuler les associations
La piste des opioïdes endogènes ne semble pas davantage
psychiques avec les scénarios fantasmatiques qui l’avaient
concluante [167, 168].
généré.
L’exacerbation de la trichotillomanie chez des enfants traités
Modèle bio-psycho-social par méthylphénydate et la relative efficacité des neuroleptiques
atypiques fournit un indice sur l’implication de la dopa-
Selon cette approche à la fois intégrative et multifactorielle, mine [169, 170].
synthèse transmodale en quelque sorte, le comportement
automutilateur repose sur cinq dimensions interdépendantes [49,
108, 160] (Tableau 7). Automutilations impulsives
Ces automutilations ne constituent pas non plus un phéno-
Données neurobiologiques mène homogène, aussi est-il raisonnable de s’attendre à ce
qu’elles soient associées à des altérations neurobiologiques
Deux neurotransmetteurs ont été particulièrement étudiés : la
variées.
sérotonine, dans le cadre du contrôle des impulsions, et les
opioïdes endogènes, dans celui des perturbations du ressenti de Sérotonine
la douleur [162].
L’hypoactivité sérotoninergique a été associée à une diminu-
Automutilations compulsives tion du contrôle des impulsions dans la dépression, le suicide,
la boulimie, les troubles borderline, l’abus d’alcool, les gestes
La dimension compulsive, commune à différents comporte-
autoagressifs des retardés mentaux et chez les criminels
ments automutilateurs, ne semble pas posséder de traduction
violents [171-175]. Les dosages biologiques, statiques aussi bien
biochimique univoque.
que dynamiques, l’étude des récepteurs ou du transporteur de la
On a constaté, dans la trichotillomanie, une plus grande
efficacité – transitoire – des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, l’imagerie fonctionnelle, tous les résultats s’accor-
sérotonine (IRS) par rapport à des agents noradrénergiques [163]. dent à reconnaître une forte corrélation inverse entre les
L’intérêt de la domipramine dans cette même indication a été niveaux d’impulsivité, d’agressivité (dont les automutilations),
signalée [164] de même que la potentialisation des IRS par des voire de suicidalité et l’activité sérotoninergique : plus le
petites doses de pimosides [165]. système de la sérotonine est hypoactif et plus les dimensions
Les taux de 5HIAA dans le liquide céphalorachidien (LCR) ne d’agressivité et d’impulsivité sont élevées [176-178].
sont pas significativement différents entre les témoins et les Si l’on intègre les troubles de personnalité (dont le trouble
sujets atteints de trichotillomanie, ce qui pose la question de borderline), il devient difficile de différencier, en termes de
savoir si l’on doit toujours ranger ce comportement dans le dysfonctionnement du système sérotoninergique, les automuti-
spectre des troubles obsessionnels [166]. lateurs des non-automutilateurs, ce qui soulève la question de

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

« l’autonomie » du comportement automutilateur par rapport était perturbée. Le stress induit la sécrétion hypothalamique de
aux troubles associés. On peut faire l’hypothèse d’un dysfonc- POMC, une prohormone ensuite clivée en ACTH, melanocyte
tionnement sérotoninergique commun à certains troubles stimulating hormone (MSH) et b-endorphines. L’analgésie induite
(contrôle des impulsions, personnalité), trouvant parfois, dans le par le stress explique l’apparente insensibilité présentée par les
comportement automutilateur, une expression comportementale soldats et/ou athlètes blessés et pourrait jouer le même rôle dans
spécifique combinant une forte autoagressivité à un faible le cadre d’automutilations répétées [185].
contrôle de l’impulsivité.
Question de l’analgésie induite par le stress
Rôle des opioïdes endogènes La sensation douloureuse est altérée chez les sujets automu-
Certaines caractéristiques cliniques du comportement auto- tilateurs chroniques. On relève une insensibilité à la douleur ou
mutilateur semblent soutenir une hypothèse impliquant les analgésie pour près de 50 % des sujets automutilateurs ayant un
opioïdes endogènes (dont la b-endorphine), à savoir : trouble de la personnalité de type borderline [111]. Schmahl et al.
ont pris appui sur ce phénomène pour élaborer une dichotomie
• engourdissement psychique pendant les automutilations =>
parmi les automutilateurs borderline sur la base de l’analgésie
anesthésie opioïde ;
ressentie ou non [19]. Ils se sont intéressés à la fonction et à
• escalade en termes de répétition et de sévérité des automuti- certaines dimensions psychopathologiques comme la dissocia-
lations => addiction ; tion et l’anxiété. Enfin, une voie non opioïde de l’analgésie
• dysphorie postcritique => repli sur soi. induite par le stress impliquerait un mécanisme endocannabi-
Partant de ce constat clinique, quels pourraient en être les noïde [186]. Cela renvoie à une étude qui a mis en exergue une
soubassements neurobiologiques ? Deux hypothèses principales diminution de la perception de la douleur chez certains sujets
sont à évoquer. borderline, ce phénomène n’étant pas opioïde-dépendant dans
Tout d’abord, l’hypothèse addictive considère le système des la mesure où le test à la naltrexone (antagoniste) s’est avéré
opioïdes endogènes comme initialement fonctionnel. Ce négatif [187].
système serait chroniquement surstimulé sous l’influence
d’automutilations répétées. Le sujet automutilateur développe-
rait ainsi un phénomène de tolérance vis-à-vis de ses propres ■ Stratégies thérapeutiques
opioïdes avec ce que cela implique en termes d’induction d’une
boucle d’autorenforcement et donc de chronicisation du
comportement autoagressif [111, 161, 179, 180]. Cadre de l’urgence
Coid a constaté que les automutilateurs présentaient des taux Nombre de patients sollicitant des soins immédiatement
plasmatiques élevés de metenképhaline tout comme Sandman a après leurs automutilations sont accueillis dans des structures
pu constater des sécrétions de b-endorphines élevées peu après hospitalières d’urgence. Outre les soins somatiques, prioritaires,
le passage à l’acte [179, 181]. Sandman a également pu noter un l’objectif est de les inscrire dans une prise en charge au long
découplage de la sécrétion entre b-endorphines et adrenocortico- cours adaptée à leur problématique psychologique globale.
trophic hormone (ACTH) chez certains patients automutilateurs L’attitude thérapeutique initiale semble déterminante pour la
chroniques. suite des soins [108] ; il convient d’éviter les termes du registre du
D’autres ont pu mettre en évidence que l’ACTH avait une passage à l’acte suicidaire [49, 188] ; l’attention suffisamment
fonction de protection contre la tolérance aux opiacés et que la bienveillante est d’autant plus importante que ce passage à
sécrétion isolée de b-endorphine prédisposait à un phénomène l’acte concerne souvent des personnalités pour lesquelles
de tolérance, conduisant à des automutilations répétées [182]. l’établissement de liens est difficile [189].
En outre, sans l’effet renforçateur de la vigilance de l’ACTH, Certaines interventions psychothérapeutiques sont plus
la liaison « non-contrebalancée » des b-endorphines au niveau efficaces qu’un traitement médicamenteux prescrit de manière
du cortex cingulaire antérieur pourrait, comme le soulignent opératoire [190].
Davis et al., conduire à un phénomène d’hypovigilance et ainsi
augmenter l’insensibilité à la douleur [183]. Approche médicamenteuse
Enfin, une étude des automutilations chez des sujets présen-
tant un retard mental a pu mettre en évidence qu’une dissocia- Le traitement médicamenteux ne doit jamais être l’unique
réponse [108] ; il s’inscrit dans une perspective de gestion au long
tion postautomutilation des peptides de la pro-opiomélano-
cours d’une vulnérabilité plutôt qu’en termes d’intervention
cortine (POMC) prédisait une réponse thérapeutique à la
ponctuelle et l’on est fréquemment conduit à des polythérapies
naltrexone et que les sujets ayant le taux de b-endorphines le
(Tableaux 8,9).
plus élevé en postautomutilation étaient ceux présentant la plus
grande amélioration sous naltrexone [181].
Une autre hypothèse considère le système des opioïdes
Tableau 8.
endogènes comme constitutionnellement dysfonctionnel et le
Synthèse des données concernant les psychotropes employés dans le
comportement automutilateur comme un syndrome développe-
cadre des automutilations compulsives.
mental. Cette vulnérabilité pourrait induire un comportement
automutilateur à un moment du développement psychoaffectif Psychotropes Remarques
du sujet sous l’influence de différents facteurs, qu’ils soient IRSS, IRSN Efficacité possible de la fluoxétine et de la
internes et/ou externes. venlafaxine dans la trichotillomanie
Lors d’une expérience chez des primates, où il fut procédé à Efficacité aléatoire des IRS pour les piqûres
un isolement social précoce, se sont développées des automuti- compulsives ; sertraline et fluoxétine ont
lations répétées et, d’un point de vue neurophysiologique, il a été conseillées [191, 192]
été constaté que cela induisait une réduction des connexions Tricycliques Efficacité possible de la clomipramine dans
dendritiques au niveau du cortex et du cervelet, que cela la trichotillomanie et l’onychophagie
produisait des changements morphologiques dans le striatum et Antagonistes opioïdes Quelques patients trichotillomanes
que cela altérait la microstructure neuronale hippocampique. En répondeurs
outre, cet isolement précoce a altéré les taux régionaux de Autres Quelques réponses sous lithium dans la
norépinephrine, de dopamine, de sérotonine, de substance P et trichotillomanie
d’enképhaline [184]. Enfin, cette expérience a également montré IRSS : inhibiteur de la recapture sélective de la sérotonine ; IRSN : inhibiteur de la
que la réponse au stress de l’axe hypothalamo-hypophysaire recapture de la sérotonine et de la noradrénaline.

12 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

Tableau 9.
Synthèse des données concernant les psychotropes employés dans le cadre des automutilations impulsives.
Psychotropes Symptômes-cibles associés Remarques
IRSS, IRSN Impulsivité, dépression, anxiété, irritabilité, Un des traitements les plus recommandés. Possible réponse clinique à faible dose
agressivité même si le traitement de l’impulsivité nécessite souvent des doses élevées
Thymorégulateurs Labilité de l’humeur, impulsivité, anxiété Le divalproate de sodium semble être le mieux toléré. La carbamazépine pourrait
induire une augmentation de fréquence des dépressions. Risque d’autolyse avec
le lithium et faible efficacité
Antagonistes opioïdes Plus grande efficacité en cas d’antécédents d’abus Peut-être plus efficace chez les automutilateurs avec analgésie. Efficacité
sexuels dans l’enfance ou d’analgésie durant le controversée
passage à l’acte
b-bloquants Impulsivité, agressivité, dissociation, Le propranolol est le plus hypotenseur orthostatique ; tous les b-bloquants sont
surexcitation dépressogènes
Antipsychotiques Agressivité, anxiété, sensation de morcellement Tenir compte des effets secondaires et de leur retentissement sur l’image de soi.
Certains patients borderline sont plus réceptifs à de petites doses de
neuroleptiques classiques
Benzodiazépines Anxiété, irritabilité À utiliser avec précaution du fait du risque de dépendance. Les molécules à demi-
vie courte impliquent plus un risque de passage à l’acte par désinhibition
IMAO Dépression, sensation de rejet Intérêt potentiel pour les formes résistantes de dépression ou de dysthymie.
Risque d’interactions médicamenteuses et autolytiques
Tricycliques Dépression Risque autolytique. Les effets noradrénergiques risquent d’augmenter
l’impulsivité et les troubles du comportement
IMAO : inhibiteurs de la monoamine oxydase ; IRSS : inhibiteur de la recapture sélective de la sérotonine ; IRSN : inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la
noradrénaline.

Psychothérapies d’adaptation permettant au sujet de prendre de la distance vis-


à-vis de certains affects débordants. Elle reste éloignée d’une
Automutilations compulsives approche psychanalytique classique qui, tout en s’assurant du
maintien de la cohésion du moi, fait travailler le sujet sur ce qui
Les approches psychanalytiques mettent l’accent sur les le déborde, ce qui saigne en lui.
significations possibles du comportement automutilateur et
prennent en compte la personnalité globale. Les thérapies
cognitivocomportementales ciblent certains paramètres en lien
avec le début, le maintien et l’extinction de ce comportement. ■ Conclusion
Il existe autant de modalités d’abord psychodynamiques de la
Pris dans le bruit, quelquefois assourdissant, des passages à
trichotillomanie que d’articles sur le sujet [193]. Les approches
l’acte variés et répétés de l’adolescence, les automutilations, par
comportementales (autosurveillance, inversion des habitudes,
ailleurs desservies par leur hétérogénéité clinique et psychopa-
conditionnement classique, conditionnement opérant) sont
thologique et fréquemment amalgamées à des gestes suicidaires,
quelquefois associées à une composante cognitive. La combi-
ont vu leur individualité souvent réduite au seul statut de
naison d’une psychothérapie et d’un traitement médicamenteux
symptôme. L’évaluation clinique de tout adolescent en détresse
est préférable à la psychothérapie seule, le traitement devant
psychologique doit impérativement comprendre la recherche
être poursuivi au-delà de l’arrêt de la psychothérapie [194, 195].
d’un passage à l’acte automutilateur. De la même manière
qu’une coupure impulsive au poignet n’équivaut pas à une
Automutilations impulsives
phlébotomie, l’automutilation n’est pas un symptôme comme
Place de la thérapie dialectique comportementale un autre. Elle peut révéler une souffrance majeure, voire
témoigner d’une escalade dans une détresse, ou bien signifier
Cette thérapie, élaborée par Marsha M. Linehan, s’est orientée
que les dernières lignes de défense sont en train de vaciller.
vers la prise en charge globale de la souffrance liée au trouble
Aussi, passé une nécessaire prise en considération de ce signal
de la personnalité borderline. L’objectif principal est de permet-
d’alerte par le clinicien et les structures institutionnelles, il s’agit
tre au sujet d’acquérir de nouvelles stratégies d’adaptation,
de panser la souffrance au-delà du symptôme, sans pour autant
notamment de gestion des émotions, afin d’accroître le contrôle
l’oublier, et concevoir la prise en charge à la fois de manière
vis-à-vis des passages à l’acte autoagressifs et de tendre à
intégrée et plurifocale. En fait, l’automutilation doit toujours
l’extinction [49].
retenir l’attention des soignants. Les interactions symptôme/
Approche psychodynamique structure sont à la fois nombreuses et complexes. Le passage à
l’acte autoagressif évolue au fil du temps, tout comme la
Les différentes expériences psychothérapeutiques ont conduit souffrance dont il témoigne et qui elle-même fluctue dans son
Guralnik et al. à souligner cinq points [196] : expression clinique. Il peut même s’en désolidariser tant les
• maintien d’une posture empathique ; aspects addictifs peuvent être puissants. Cette tentative de
• abord initialement factuel puis amorce prudente du travail structuration par l’extérieur peut contribuer à la stabilisation,
d’associations ; même précaire, d’une structure défaillante, car c’est bien de cela
• travail d’introspection pouvant amener le sujet à réfléchir sur dont il s’agit à la base, même si c’est au prix d’un lien aliénant
quelle(s) partie(s) de lui-même ou d’autrui est dirigée l’agres- et appauvrissant. Enfin, ce passage à l’acte, forme de mal-
sion ; la distinction agresseur/agressé peut être une entreprise traitance que le sujet s’inflige à lui-même, survient très fré-
complexe et mouvante ; quemment à la suite d’autres types de maltraitances, infligées
• question du lien sadomasochiste alors souvent abordée ; durant l’enfance, telles que les négligences émotionnelles ou les
• à mesure que la dynamique du lien se poursuit, certaines abus sexuels. Cela explique sans doute la fréquence de la
modalités relationnelles qui prennent alors valeur d’alternative. dysrégulation émotionnelle et de l’organisation borderline de la
Cette démarche, centrée sur l’étayage d’un moi défaillant, personnalité identifiées chez nombre d’adolescents
peut conduire à la mise en place de défenses et de stratégies automutilateurs.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 13
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

[21] Brice J, Gil E. Self-mutilation in clinical and general population

“ Points essentiels
samples: prevalence, correlates, and functions. Am J Orthopsychiatry
1998;68:609-20.
[22] Meltzer H, Lader D, Corbin T, Singleton N, Jenkins R, Brugha T. In:
• Rechercher systématiquement un comportement Non-fatal suicide behavior among adults aged 16 to 74 in Great Britain.
London: Office for National Statistics, HMSO; 2002. p. 12.
automutilateur lors d’une consultation médicale ou
[23] Kapur N, HouseA, Creed F, Feldman E, Friedman T, Guthrie E. General
psychologique avec un(e) adolescent(e). hospital services for deliberate self-poisoning: an expensive road to
• Être sensibilisé aux signes d’alerte d’un passage à l’acte nowhere? Postgrad Med J 1999;75:599-602.
automutilateur. [24] Walsh BW, Rosen PM. Self-mutilation: theory, research and treatment.
• Suspecter des antécédents de maltraitance survenus New York: Guilford Press; 1988.
durant l’enfance. [25] Favazza AR, Conterio K. The plight of chronic self-mutilators.
• Ne jamais banaliser un comportement automutilateur, Community Ment Health J 1988;24:22-30.
particulièrement s’il se répète. [26] Hawton K, Rodham K, Evans E, Weatherall R. Deliberate self harm in
adolescents: self report survey in schools in England. BMJ 2002;325:
• Distinguer le passage à l’acte automutilateur d’un geste 1207-11.
suicidaire. [27] Favazza AR, Conterio K. Female habitual Self-mutilators. Acta
• Considérer le comportement automutilateur à la Psychiatr Scand 1989;79:283-9.
lumière de la problématique globale présentée par l’ado- [28] Klonsky ED, Oltmanns TF, Turkheimer E. Deliberate self-harm in a
lescent(e). nonclinical population: prevalence and psychological correlates. Am
• Penser les soins de manière intégrée et dans une J Psychiatry 2003;160:1501-8.
optique multifocale. [29] Dennis M, Beach M, Evans PA, Winston A, Friedman T. An
examination of the accident and emergency management of deliberate
self harm. J Accid Emerg Med 1997;14:311-5.
[30] Draper B, Anstey K. Psychosocial stressors, physical illness and the
spectrum of depression in elderly inpatients. Aust N Z J Psychiatry
■ Références 1996;30:567-72.
[31] Owens D, Dennis M, Jones S, Dove A, Dave S. Self-poisoning patients
[1] Herpertz S. Self-injurious behaviour. Psychopathological and discharged from accident and emergency: risk factors and outcome. J R
nosological characteristics in subtypes of self-injurers. Acta Psychiatr Coll Physicians Lond 1991;25:218-22.
Scand 1995;91:57-68. [32] Gupta MA, Gupta AK, Haberman HF. Neurotic excoriations: a review
[2] Sinclair J, Green J. Understanding resolution of deliberate self harm: and some new perspectives. Compr Psychiatry 1986;27:381-6.
qualitative interview study of patients’ experiences. BMJ 2005;330: [33] McClanahan TM. Operant learning (R-S) principles applied to nail-
1112. biting. Psychol Rep 1995;77:507-14.
[3] Zahl DL, Hawton K. Repetition of deliberate self-harm and subsequent [34] Clarkin J, Widiger T, Frances A. A prototypic typology and the
suicide risk: long-term follow-up study of 11,583 patients. Br borderline personality disorder. J Abnorm Psychol 1983;92:263-75.
J Psychiatry 2004;185:70-5. [35] Suyemoto KL, McDonald ML. Self-cutting in female adolescents.
[4] Owens D, Horrocks J, House A. Fatal and non-fatal repetition of self- Psychotherapy 1995;32:162-71.
harm. Systematic review. Br J Psychiatry 2002;181:193-9. [36] Richard B. Les comportements de scarification chez l’adolescent.
[5] Harris EC, Barraclough B. Excess mortality of mental disorder. Br Neuropsychiatr Enf Adolesc 2005;53:134-41.
J Psychiatry 1998;173:11-53. [37] Nixon MK, Cloutier P. Affect regulation and addictive aspects of
[6] Hawton K, Hall S, Simkin S, Bale L, Bond A, Codd S, et al. Deliberate repetitive self-injury in hospitalized adolescents. J Am Acad Child
self-harm in adolescents: a study of characteristics and trends in Adolesc Psychiatry 2002;41:1333-41.
Oxford, 1990-2000. J Child Psychol Psychiatry 2003;44:1191-8. [38] DiClemente RJ, Ponton LE, Hartley D. Prevalence and correlates of
[7] Menninger KA. Man against himself. New York: Harcourt Brace cutting behavior: risk for HIV transmission. J Am Acad Child Adolesc
world; 1938. Psychiatry 1991;30:735-9.
[8] Pattison EM, Kahan J. The deliberate self-harm syndrome. Am [39] Favazza AR, DeRosear L, Conterio K. Self-mutilation and eating
J Psychiatry 1983;140:867-72. disorders. Suicide Life Threat Behav 1989;19:352-61.
[9] Nelson FL, Farberow NL. Indirect self-destructive behavior in the [40] Paul T, Schroeter MA, Dahme B, Nutzinger DO. Self-injurious
elderly home patient. J Gerontol 1980;35:949-57. behavior in women with eating disorders. Am J Psychiatry 2002;159:
[10] Litman R. Psychodynamics of indirect self-destructive behavior. The 408-11.
many faces of suicide: indirect self-destructive behavior. New York: [41] Favaro A, Santonastaso P. Impulsive and compulsive self-injurious
McGraw-Hill; 1980. behavior in bulimia nervosa: prevalence and psychological correlates.
[11] Farmer R. The differences between those who repeat and those who do J Nerv Ment Dis 1998;186:157-65.
not. In: The suicide syndrome. London: Croom Helm; 1980. [42] Lacey JE. Self-damaging and addictive behaviour in bulimia nervosa:
[12] Kahan J, Pattison EM. Proposal for a distinctive diagnosis: the a catchment area study. Br J Psychiatry 1993;163:190-4.
deliberate self-harm syndrome (DSH). Suicide Life Threat Behav 1984; [43] Mitchell JE, Boutacoff LI, Hatsukami D. Laxative abuse as a variant of
14:17-35. bulimia. J Nerv Ment Dis 1986;174:174-6.
[13] Favazza AR, Rosenthal RJ. Varieties of pathological self-mutilation. [44] Mitchell JE, Pyle RL, Eckert ED, Hatsukami D, Soll E. Bulimia nervosa
Behav Neurol 1990;3:77-85. in overweight individuals. J Nerv Ment Dis 1990;178:324-7.
[14] Favazza AR. The coming of age of self-mutilation. J Nerv Ment Dis [45] Welch SL, Fairburn CG. Impulsivity or comorbidity in bulimia
1990;186:259-68. nervosa: a controlled study of deliberate self-harm and alcohol and
[15] Favazza AR. The coming of age of self-mutilation. J Nerv Ment Dis drug misuse in a community sample. Br J Psychiatry 1996;169:451-8.
1998;186:259-68. [46] Fichter MM, Quadflieg N, Rief W. Course of multi-impulsive bulimia.
[16] Lacey JH, Evans CD. The impulsivist: a multi-impulsive personality Psychol Med 1994;24:591-604.
disorder. Br J Addict 1986;81:641-9. [47] Matsunaga H, Kiriike N, Iwasaki Y, Miyata A, Matsui T, Nagata T, et al.
[17] Favazza AR. Why patients mutilate themselves. Hosp Community Multi-impulsivity among bulimic patients in Japan. Int J Eat Disord
Psychiatry 1989;40:137-45. 2000;27:348-52.
[18] Herpertz S, Sass H, Favazza A. Impulsivity in self-mutilative behavior: [48] Dean M. Borderline personality disorder: the latest assessment and
psychometric and biological findings. J Psychiatr Res 1997;31:451-65. treatment strategies. Kansas city: Compact Clinicals Edition; 2006
[19] Jochims A, Ludascher P, Bohus M, Treede RD, Schmahl C. Pain (96p).
processing in patients with borderline personality disorder, [49] Linehan MM. Cognitive-behavioral treatment of borderline
fibromyalgia, and post-traumatic stress disorder. Schmerz 2005;20: personality disorder. New York: Guilford Press; 1993 (558p).
140-50. [50] Linehan MM. Skills training manual for treating borderline personality
[20] American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual disorder. New York: Guilford Press; 1993 (180p).
of mental disorders. Washington, DC: American Psychiatric [51] Alderman T. The scarred soul: understanding and ending self-inflicted
Association; 1996. violence. Oakland: CA New Harbinger; 1997 (216p).

14 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

[52] Deiter PJ, Nicholls SS, Pearlman LA. Self-injury and self-capacities: [86] Simpson E, Zlotnick C, Begin A, Costello E, Pearlstein T. Self injury
assisting an individual in crisis. J Psychopharmacol 2000;17:127-9. survey. Providence, RI: Authors. Stice E, Telch CF, Rizvi SL; 1994.
[53] Clendenin WW, Murphy GE. Wrist cutting. Arch Gen Psychiatry 1971; [87] Rossotto E. Bulimia nervosa with and without substance use disorders:
25:465-9. a comparative study. Dissertation Abstracts International Section B
[54] Weissman M. Wrist cutting. Arch Gen Psychiatry 1975;32:1166-71. 1997;58:4469.
[55] Offer DO, Barglow P. Adolescent and young adult self-mutilation inci- [88] Schroeder SR, Rojahn J, Reese RM. Brief report: reliability and validity
dents in a general psychiatric hospital. Arch Gen Psychiatry 1960;3: of instruments for assessing psychotropic medication effects on self-
194-204. injurious behavior in mental retardation. J Autism Dev Disord 1997;27:
[56] Phillips RH, Alkan M. Some aspects of self-mutilation in the general 89-103.
population of a large psychiatric hospital. Psychiatr Q 1961;35:421-3. [89] Vanderlinden J, Vandereycken W. In: Trauma, Dissociation and
[57] Pao PE. The syndrome of delicate self-cutting. Br J Med Psychol 1969; impulse dyscontrol in eating disorders. Philadelphia: Brunner/Mazel;
42:195-206. 1997. p. 193-8.
[58] Podvoll EM. Self-mutilation within a hospital setting: a study of [90] Brasic JB, Barnett JY, Ahn SC, Nadrich RH, Will MV, Clair A. Clinical
identity and social compliance. Br J Med Psychol 1969;42:213-21. assessment of self-injurious behavior. Psychol Rep 1997;80:155-60.
[59] Kroll JC. Self-destructive behavior on an inpatient ward. J Nerv Ment [91] Sansone RA, Wiederman MW, Sansone LA. The self-harm inventory
Dis 1978;166:429-34. (SHI): development of a scale for identifying self-destructive behaviors
[60] Darche MA. Psychological factors differentiating self-mutilating and and borderline personality disorder. J Clin Psychol 1998;54:973-83.
non-self-mutilating adolescent inpatient females. Psychiatr Hosp [92] Lloyd EE, Kelley M, Hope T. Self-mutilation in a community sample of
1990;21:31-5. adolescents: descriptive characteristics and provisional prevalence
[61] Langbehn DR, Pfohl B. Clinical correlates of self-mutilation among rates. New Orleans: Poster session presented at the annual meeting of
psychiatric inpatients. Ann Clin Psychiatry 1993;5:45-51. the society for behavioral medicine; 1997.
[62] Himber J. Blood rituals: self cutting in female psychiatric inpatients. [93] Juzwin KR. An assessment tool for self-injury: the self-injury self-
Psychotherapy 1994;31:620-31. report inventory (SISRI). In: Levitt JL, editor. Self-harm behavior and
[63] Conterio K, Lader W. Bodily harm. New York: Hyperion Press; 1999 eating disorders – Dynamics, assessment and treatment. London:
(320p). Taylor and Francis Books; 2004. p. 105-18.
[64] Gough K, Hawkins A. Staff attitudes to self-harm and its management [94] Simeon D, Favazza AR. Self-injurious behaviors: phenomenology and
in a forensic psychiatric service. Br J Forensic Pract 2000;2:22-8. assessment. In: Simeon D, Hollander E, editors. Self-injurious behavior
[65] Ross RR, McKay HR. Self-mutilation. Lexington: MA Lexington – assessment and treatment. Washington DC: American psychiatric
Books; 1979 (180p). publishing; 2001. p. 21-3.
[66] Cullen E. Prediction and treatment of self-injury by female young [95] Gothard S, Conroy-Stocker M. Adolescent self-harm and suicidal
offenders. In: Farrington D, Tarlin R, editors. Prediction in criminology. behavior. A guide for schools. Wiltshire Educational Psychology
Albany State: University of New York Press. 1985 (278p). Service; 2005.
[67] Walsh BW, Rosen P. Self-mutilation and contagion: an empirical test. [96] O’Conner R, Sheehy N. Understanding suicidal behavior. Oxford:
Am J Psychiatry 1985;142:119-20. Blackwell; 2000 (168p).
[68] Rosen P, Walsh B. Relationship patterns in episodes of self-mutilative [97] Santa Mina EE, Gallop RM. Childhood sexual and physical abuse and
contagion. Am J Psychiatry 1989;146:656-8. adult self-harm and suicidal behaviour: a literature review. Can
[69] Chowanec GD, Josephson AM, Coleman B, Davis H. Self-harming J Psychiatry 1998;43:793-800.
behavior in incarcerated male delinquent adolescents. J Am Acad Child [98] Romans SE, Martin JL, Anderson JC, Herbison GP, Mullen PE. Sexual
Adolesc Psychiatry 1991;30:202-7. abuse in childhood and deliberate self-harm. Am J Psychiatry 1995;
[70] Boiko I, Leister D. Deliberate self-injury in female Russian inmates. 152:1336-42.
Psycholl Rep 2000;87:789-90. [99] Banyard VL, Arnold S, Smith J. Childhood sexual abuse and dating
[71] Heinsz SV. Self-mutilation in child and adolescent group home popu- experiences of undergraduate women. Child Maltreat 2000;5:39-48.
lation. Dissertation Abstracts International. 2201, US. UMV Micro- [100] Links PS, van Reekum R. Childhood sexual abuse, parental impairment
films International; 2000. and the development of borderline personality disorder. Can
[72] Virkkunen M. Self-mutilation in antisocial personality disorder. Acta J Psychiatry 1993;38:472-4.
Psychiatr Scand 1976;54:347-52. [101] Yeo HM, Yeo WW. Repeat deliberate self-harm: a link with childhood
[73] Haines J, Williams C. Coping and problem solving of self-mutilators. sexual abuse? Arch Emerg Med 1993;10:161-6.
J Clin Psychol 1997;53:177-86. [102] Pettigrew J, Burcham J. Effects of childhood sexual abuse in adult
[74] Ireland JL. A descriptive analysis of self-harm reports among a sample female psychiatric patients. Aust N Z J Psychiatry 1997;31:200-13.
of incarcerated adolescent males. J Adolesc 2000;23:605-13. [103] Van der Kolk BA, Hostetler A, Herron N, Fisler RE. Trauma and the
[75] Motz A. The psychology of female violence: Crimes against the body. development of borderline personality disorder. Psychiatr Clin North
Hove, UK: Brunner-Routledge; 2001 (304p). Am 1994;17:715-30.
[76] Matsumoto T, Yamaguchi A, Chiba Y, Asami T, Iseki E, Hirayasu Y. [104] Cavanaugh RM. Self-mutilation as a manifestation of sexual abuse in
Self-burning versus self-cutting: patterns and implications of self- adolescent girls. J Pediatr Adolesc Gynecol 2002;15:97-100.
mutilation; a preliminary study of differences between self-cutting and [105] Dubo ED, Zanarini MC, Lewis RE, Williams AA. Childhood
self-burning in a Japanese juvenile detention center. Psychiatry Clin antecedents of self-destructiveness in borderline personality disorder.
Neurosci 2005;59:62-9. Can J Psychiatry 1997;42:63-9.
[77] Fulwiler C, Forbes C, Santangelo SL, Folstein M. Self-mutilation and [106] Zweig-Frank H, Paris J, Guzder J. Psychological risk factors for
suicide attempt: distinguishing features in prisoners. J Am Acad dissociation and self-mutilation in female patients with borderline
Psychiatry Law 1997;25:69-77. personality disorder. Can J Psychiatry 1994;39:259-64.
[78] Coid J, Bebbington P, Jenkins R, Brugha T, Lewis G, Farrell M, et al. [107] Silk KR, Lee S, Hill EM, Lohr NE. Borderline personality disorder
The National Survey of Psychiatric Morbidity among prisoners and the symptoms and severity of sexual abuse. Am J Psychiatry 1995;152:
future of prison healthcare. Med Sci Law 2002;42:245-50. 1059-64.
[79] Dietz PE, Rada RT. Battery incidents and batterers in a maximum [108] Walsh BW. In: Treating self-injury. A practical guide. New York:
security hospital. Arch Gen Psychiatry 1982;39:31-4. Guilford Press; 2006. p. 46-7.
[80] Gardner F. Self-harm. A psychotherapeutic approach. New York: [109] Ross S, Heath N. A study of the frequency of self-mutilation in a
Bruner-Routledge; 2004. community sample of adolescents. J Youth Adolesc 2002;1:67-77.
[81] FavazzaAR. Bodies under siege: self-mutilation and body modification [110] Stein DJ, Mullen L, Islam MN, Cohen L, DeCaria CM, Hollander E.
in culture and psychiatry. Baltimore: John Hopkins University Press; Compulsive and impulsive symptomatology in trichotillomania.
1987. Psychopathology 1995;28:208-13.
[82] Lambert S, Dupuis G, Guisseau M, Venisse JL. Automutilations à répé- [111] Leibenluft E, Gardner DL, Cowdry RW. The inner experience of the
tition du sujet jeune : parler un même langage. Synapse 2004;209:25-8. borderline self-mutilator. J Person Disord 1987;1:317-24.
[83] Kelley K, Byrne D, Przybyla DP, Eberly C, Eberly B, Greendlinger V, [112] Rosenthal RJ, Rinzler C, Wallsh R, Klausner E. Wrist-cutting
et al. Chronic self-destructiveness: conceptualization, measurement, syndrome: the meaning of a gesture. Am J Psychiatry 1972;128:1363-8.
and initial validation of the construct. Motiv Emot 1985;9:135-51. [113] Fennig S, Carlson GA. Contagious self-mutilation. J Am Acad Child
[84] Favazza AR. Self-harm behavior survey. Columbia: MI; 1986. Adolesc Psychiatry 1995;34:402-3.
[85] Friedman JM, Asnis GM. Assessment of suicidal behavior: a new ins- [114] Tantam D, Whittaker J. Personality disorder and self-wounding. Br
trument. Psychiatr Ann 1989;19:382-7. J Psychiatry 1992;161:451-64.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 15
37-216-J-10 ¶ Automutilations à l’adolescence

[115] Dulit RA, Frances AJ. Clinical correlates of self-mutilation in [149] Chabert C. Les voies intérieures. Rev Fr Psychanal 1999;63:1445-88.
borderline personality disorder. Am J Psychiatry 1994;151:1305-11. [150] Ternyck C. L’épreuve du féminin à l’adolescence. Paris: Dunod; 2000.
[116] Anderson CB, Bulik CM. Self-harm and suicide attempts in bulimia [151] Girard R. La violence et le sacré. Paris: Grasset; 1972.
nervosa. Eating disorders. J Treat Prev 2002;10:227-43. [152] Friedman M, Glasser M, Laufer E, Wohl M. Attempted suicide and
[117] Nagata T, Kawarda Y, Kiriike N, Iketani T. Multi-impulsivity of self-mutilation in adolescence: some observations from a
Japanese patients with eating disorders: primary and secondary psychoanalytic research project. Br J Psychoanal 1972;53:179-83.
impulsivity. Psychiatry Res 2000;94:239-50. [153] Doctors S. The symptom of delicate self-cutting in adolescent females:
[118] Favazza AR, Rosenthal RJ. Diagnostic issues in self-mutilation. Hosp a developmental view. In: Feinstein SC, editor. Adolescent psychiatry.
Community Psychiatry 1993;44:134-40. Chicago: University of Chicago Press; 1981. p. 443-60.
[119] Favaro A, Santonastaso P. Different types of self-injurious behavior in [154] Novotny P. Self-cutting. Bull Menninger Clin 1972;36:505-14.
bulimia nervosa. Compr Psychiatry 1999;40:57-60. [155] Asch SS. The analytic concepts of masochism: a reevaluation. In:
[120] Favaro A, Santonastaso P. Self-injurious behavior in anorexia nervosa. Glick RA, Meyers DI, editors. Masochism: current psychoanalytic
J Nerv Ment Dis 2000;188:537-42. perspectives. Hillsdale NJ: Analytic Press; 1988. p. 93-115.
[121] Da costa M, Halmi KA. Classifications of anorexia nervosa: questions [156] Roy A. Self-mutilation. Br J Med Psychol 1978;51:201-3.
of subtypes. Int J Eat Disord 1992;11:305-13. [157] Proust M. À la recherche du temps perdu. Tome I. Du côté de chez
[122] Garner DM, Garner MV, Rosen LW. Anorexia nervosa ″restricters″ Swann. La Pléiade. Paris: Gallimard; 1992.
who purge: implications for subtyping anorexia nervosa. Int J Eat [158] Huysmans JK. En rade. Paris: Les Presses de la Cité; 1995.
Disord 1993;13:171-85. [159] Kafka F. La métamorphose (1915) et la colonie pénitentiaire (1919).
[123] Garfinkel PE, Modofsky H, Garner DM. The heterogeneity of anorexia Paris: Gallimard; 1972.
nervosa. Arch Gen Psychiatry 1980;37:1036-40. [160] Brown M. The impact of negative emotions on the effıcacy of treatment
[124] Garner DM, Garfinkel PE, O’Shaughnessy M. The validity of the dis- for parasuicide in borderline personality disorder. Unpublished doc-
tinction between bulimia with and without anorexia nervosa. Am toral dissertation. Seattle: University of Washington; 2002.
J Psychiatry 1985;142:581-7. [161] Sandman CA, Barron JL, Crinella FM, Donnelly JF. Influence of
[125] Schaeffer CB, Carroll J, Abramowitz SI. Self-mutilation and the naloxone on brain and behavior of a self-injurious woman. Biol
borderline personality. J Nerv Ment Dis 1982;170:468-73. Psychiatry 1987;22:899-906.
[126] Yen S, Shea MT, Sanislow CA, Grilo CM, Skodol AE, Gunderson JG, [162] Villalba R, Harrington C. Repetitive self-injurious behaviour: the
et al. Borderline personality disorder criteria associated with emerging potential of psychotropic intervention. Psychiatric Times
prospectively observed suicidal behavior. Am J Psychiatry 2004;161: 2003;20:268-73.
1296-8. [163] Swedo SE, Leonard HL, Rapoport JL, Lenane MC, Goldberger EL,
[127] Stanley B, Gameroff MJ, Michalsen V, Mann JJ. Are suicide attempters Cheslow DL. A double-blind comparison of clomipramine and
who self-mutilate a unique population? Am J Psychiatry 2001;158: desipramine in the treatment of trichotillomania (hair pulling). N Engl
427-32. J Med 1989;321:497-501.
[128] Starr DL. Understanding those who self-mutilate. J Psychosoc Nurs [164] Pollard CA, Ibe IO, Krojanker DN, Kitchen AD, Bronson SS,
Ment Health Serv 2004;42:32-40. Flynn TM. Clomipramine treatment of trichotillomania: a follow-up
[129] Fowler JC, Hilsenroth MJ, Nolan E. Exploring the inner world of self- report on four cases. J Clin Psychiatry 1991;52:128-30.
mutilating borderline patients: a Rorschach investigation. Bull [165] Stein DJ, Hollander E. Low-dose pimozide augmentation of serotonin
Menninger Clin 2000;64:365-85. reuptake blockers in the treatment of trichotillomania. J Clin Psychiatry
[130] McKay D, Gavigan CA, Kulchycky S. Social skills and sex-role 1992;53:123-6.
functioning in borderline personality disorder: relationship to self- [166] Ninan PT, Rothbaum BO, Stipetic M, Lewine RJ, Risch SC. CSF
mutilating behavior. Cogn Behav Ther 2004;33:27-35. 5-HIAA as a predictor of treatment response in trichotillomania.
[131] Villalba R, Harrington C. Repetitive self-injurious behavior: a Psychopharmacol Bull 1992;28:451-5.
neuropsychiatric perspective and review of pharmacologic treatments. [167] Christenson GA, Raymond NC, Faris PL, McAllister RD, Crow SJ,
Semin Clin Neuropsychiatry 2000;5:215-26. Howard LA, et al. Pain thresholds are not elevated in trichotillomania.
[132] Suyemoto KL. The fonctions of self-mutilation. Clin Psychol Rev 1998; Biol Psychiatry 1994;36:347-9.
18:531-54. [168] Christenson GA, Crow SJ, Mackenzie TB. A placebo controlled
[133] Ferenczi S. Psychanalyse. (Tome I) Œuvres complètes, 1908-1912. double-blind study of naltrexone for trichotillomania. Miami, Florida:
Paris: Payot; 1968. Presented at the Annual Meeting of the American Psychiatric
[134] Bettelheim B. Les blessures symboliques. Paris: Gallimard; 1971. Association; 1995.
[135] Macha C, Savinaud C. Scarifications : de blessures en mortifications [169] Martin A, Scahill L, Vitulano L, King RA. Stimulant use and
sacrificielles. Adolescence 2004;22:281-93. trichotillomania. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1998;37:349-50.
[136] Anzieu D. Le double interdit du toucher, condition de dépassement du [170] Stein DJ, Hollander E, DeCaria C, Cohen L, Simeon D. Behavioral
moi-peau. In: Le Moi-peau. Paris: Dunod; 1985. p. 136-55. responses to m-chlorophenyl-piperazine and clonidine in
[137] Le Breton D. La profondeur de la peau : les signes d’identité à l’ado- trichotillomania. J Serotonin Res 1997;4:11-5.
lescence. Adolescence 2004;22:257-71. [171] Coccaro EF, Kavoussi RJ. Fluoxetine and impulsive aggressive
[138] Le Breton D. Une anthropologie des limites : des incisions corporelles behavior in personality-disordered subjects. Arch Gen Psychiatry
aux conduites à risque. Neuropsychiatrie Enf Adolesc 2004;52:365-70. 1997;54:1081-8.
[139] Dufour V, Lesourd S. Les scarifications, traces du rien. Adolescence [172] Markowitz P. Pharmacotherapy of impulsivity, aggression and related
2004;22:273-9. disorders. In: Hollander E, Stein D, editors. Impulsivity and aggression.
[140] Douville O. L’automutilation, mise en perspectives de quelques ques- New York: John Wiley and sons; 1995. p. 260-80.
tions. Champ Psychosom 2004;34:7-24. [173] Coccaro EF, Kavoussi RJ, Hauger RL. Physiological responses to
[141] Himber J. Blood rituals: self cutting in female psychiatric inpatients. d-fenfluramine and ipsapirone challenge correlate with indices of
Psychotherapy 1994;31:620-31. aggression in males with personality disorder. Int Clin
[142] Nietzsche F. Ecce homo. Paris: Les Presses de la Cité; 1996; 1888. Psychopharmacol 1995;10:177-9.
[143] Zorn F. Mars. Paris: Gallimard; 1979. [174] O’Keane V, Dinan TG. Prolactin and cortisol responses to
[144] Gillibert J. Culture d’extermination. Rev Fr Psychanal 1993;57: d-fenfluramine in major depression: evidence for diminished
1113-26. responsivity of central serotonergic function. Am J Psychiatry 1991;
[145] Givre P. L’autosabotage : mode d’être adolescent. À propos des condui- 148:1009-15.
tes d’autosabotage dans l’œuvre de Philippe Jeammet. Adolescence [175] Virkkunen M, Kallio E, Rawlings R, Tokola R, Poland RE, Guidotti A,
2004;22:355-63. et al. Personality profiles and state aggressiveness in Finnish alcoholic,
[146] Jeammet P. Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence. In: violent offenders, fire setters, and healthy volunteers. Arch Gen
Alléon A-M, Morvan O, Lebovici S, editors. Devenir “adulte”?. Paris: Psychiatry 1994;51:28-33.
PUF; 1990. p. 53-79. [176] Coccaro EF, Kavoussi RJ, Cooper TB, Hauger RL. Central serotonin
[147] Gaddini R. Livre de s. Lambertucci-mann. Collection : Psychanalystes activity and aggression: inverse relationship with prolactin response to
d’aujourd’hui. Paris: PUF; 1999. d-fenfluramine, but not CSF 5-HIAA concentration, in human subjects.
[148] Rosenberg B. Culpabilité et masochisme moral ou la culpabilité comme Am J Psychiatry 1997;154:1430-5.
« négatif » du masochisme. In: Masochisme. Le masochisme moral. [177] New AS, Trestman RL, Mitropoulou V, Benishay DS, Coccaro E,
Cahiers du centre de psychanalyse et de psychothérapie, n°4, Silverman J, et al. Serotonergic function and self-injurious behavior in
printemps; 1982. personality disorder patients. Psychiatry Res 1997;69:17-26.

16 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Automutilations à l’adolescence ¶ 37-216-J-10

[178] Simeon D, Stanley B, Frances A, Mann JJ, Winchel R, Stanley M. [188] Maltsberger JT. Suicide risk. New York: University Press of New York;
Self-mutilation in personality disorders: psychological and biological 1986 (195p).
correlates. Am J Psychiatry 1992;149:221-6. [189] Kettlewel C. Skin game: a cutter’s memoir. New York: St Martin’s
[179] Coid J, Allolio B, Rees LH. Raised plasma metenkephalin in patients Press; 1999.
who habitually mutilate themselves. Lancet 1983;2:545-6. [190] Mace FC, Blum NJ, Sierp BJ, Delaney BA, Mauk JE. Differential
[180] Richardson JS, Zaleski WA. Naloxone and self-mutilation. Biol response of operant self-injury to pharmacologic versus behavioral
Psychiatry 1983;18:99-101. treatment. J Dev Behav Pediatr 2001;22:85-91.
[181] Sandman CA. The opiate hypothesis in autism and self-injury. J Child [191] Kalivas J, Kalivas L, Gilman D, Hayden CT. Sertraline in the treatment
Adolesc Psychopharmacol 1990;1:237-48. of neurotic excoriations and related disorders. Arch Dermatol 1996;
[182] Crofford LJ, Casey KL. Central modulation of pain perception. Rheum 132:589-90.
Dis Clin North Am 1999;25:1-3. [192] Simeon D, Stein DJ, Gross S, Islam N, Schmeidler J, Hollander E. A
[183] Davis KD, Taylor SJ, Crawley AP, Wood ML, Mikulis DJ. Functional
double-blind trial of fluoxetine in pathologic skin picking. J Clin
MRI of pain- and attention-related activations in the human cingulate
Psychiatry 1997;58:341-7.
cortex. J Neurophysiol 1997;77:3370-80.
[193] Aronowitz BR. Psychotherapies for compulsive self-injurious
[184] Kraemer GW, Schmidt DE, Ebert MH. The behavioral neurobiology of
self-injurious behavior in rhesus monkeys. Current concepts and rela- behavior. In: Simeon D, Hollander E, editors. Self-injurious behaviour:
tions to impulsive behavior in humans. Ann N Y Acad Sci 1997;836: assessment and treatment. Washington: American psychiatric
12-38. publishing Inc; 2001. p. 97-115.
[185] Hilgard ER. Neodissociation theory of multiple cognitive systems. In: [194] Rothbaum BO, Ninan PT. Manual for the cognitive-behavioral
Schwartz GE, Shapiro D, editors. Consciousness and self-regulation. treatment of trichotillomania. In: Stein DJ, editor. Trichotillomania.
New York: Plenum Press; 1976. Washington DC: American Psychiatric Press; 1999 (250p).
[186] Hohmann AG, Suplita RL, Bolton NM, Neely MH, Fegley D, [195] Winchel R. Trichotillomania: presentation and treatment. Psychiatr
Mangieri R, et al. An endocannabinoid mechanism for stress-induced Ann 1992;22:84-9.
analgesia. Nature 2005;435:1108-12. [196] Guralnik O, Simeon D. Psychodynamic theory and treatment of impul-
[187] Russ MJ, Shearin EN, Clarkin JF, Harrison K, Hull JW. Subtypes of sive self-injurious behaviors. In: Simeon D, Hollander E, editors. Self-
self-injurious patients with borderline personality disorder. Am injurious behaviour: assessment and treatment. Washington:American
J Psychiatry 1993;150:1869-71. psychiatric publishing Inc; 2001. p. 175-97.

L. Gicquel, Psychiatre, chef de clinique assistant (ludopsy@yahoo.fr).


Université Paris V, clinique des maladies mentales et de l’encéphale, Hôpital Sainte-Anne, 100, rue de la santé, 75014 Paris, INSERM U669, 97, boulevard de
Port-Royal, 75679 Paris cedex, France.
M. Corcos, Psychiatre, maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
B. Richard, Psychiatre.
Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75674 Paris cedex 14, France.
J.-D. Guelfi, Psychiatre, praticien universitaire, praticien hospitalier, chef de service.
Psychiatre, université Paris V, clinique des maladies mentales et de l’encéphale, Hôpital Sainte-Anne, 100, rue de la santé, 75014 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Gicquel L., Corcos M., Richard B., Guelfi J.-D. Automutilations à l’adolescence. EMC (Elsevier Masson SAS,
Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-216-J-10, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 17
37-216-G-30
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-216-G-30

Conduites de dépendance à l’adolescence


Aspects étiopathogéniques et cliniques
M Corcos
P Jeammet

Résumé. – Toute une clinique symptomatique de la dépendance (alcoolisme, toxicomanie, troubles des
conduites alimentaires, conduites suicidaires) est susceptible de se développer chez certains sujets vulnérables
comme une défense contre une dépendance affective perçue comme une menace pour l’identité et une
aliénation à ses objets d’attachement. L’adolescence avec les modifications physiques et psychologiques de la
puberté agit comme un révélateur de cette dépendance. Les facteurs intervenant dans la genèse et la
pérennisation de ces conduites sont multiples, complexes et interactifs. La nécessité d’une approche pluri-
disciplinaire appréhendant tant les aspects neurobiologiques, psychopathologiques que culturels et sociaux
s’impose.
© 2000 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction critères physiologiques et psychologiques de dépendance,


notamment l’usage compulsif.
La notion de dépendance pathologique doit l’engouement dont elle Le phénomène de la toxicomanie n’est pas nouveau et s’inscrit dans
fait l’objet à l’extension prise par la consommation de drogues dans un ensemble de conduites de consommation excessive aux effets
les pays occidentaux ces dernières décennies. Les définitions le plus plus ou moins pathologiques tels l’alcoolisme, le tabagisme, les
habituellement utilisées, en particulier celle de l’Organisation troubles des conduites alimentaires (anorexie, boulimie), les
mondiale de la santé (OMS) (G Edwards et al 1978 [16]) s’appuient surconsommations médicamenteuses, en particulier de
essentiellement sur la référence aux substances psychoactives. La psychotropes, mais aussi certaines conduites suicidaires et/ou de
dépendance pathologique est ainsi définie comme l’état créé par prise de risque.
l’usage excessif de substances toxiques ayant entraîné un On conçoit que les facteurs intervenant dans la genèse de ces
phénomène de tolérance et un syndrome de sevrage en cas conduites sont multiples, complexes, étroitement intriqués et
d’interruption brutale. Le terme de tolérance signifie que des interactifs. La nécessité d’une approche pluridisciplinaire
quantités croissantes de la substance sont nécessaires pour obtenir appréhendant tant les aspects neurobiologiques, psycho-
l’effet recherché, ou que cet effet est moins important si la même pathologiques que culturels et sociaux dans la genèse et la
dose est utilisée régulièrement. Le syndrome de sevrage est un pérennisation des conduites de dépendance s’impose, car elle
syndrome spécifique au toxique, comportant des manifestations permet la construction d’hypothèses face à un phénomène
physiologiques et psychologiques, qui suit l’interruption ou la caractérisé par le fait qu’il ne se circonscrit pas uniquement dans le
réduction de la prise habituelle de substance. Dans cet article sont domaine de la pathologie avérée (notion d’un continuum du normal
étudiés les aspects étiopathogéniques et cliniques des conduites de au pathologique et d’un gradient de gravité) et qu’il apparaît
dépendance à l’adolescence. particulièrement variable dans sa nature et son intensité (notion de
variabilité individuelle et collective des conduites de dépendance).
Les classifications internationales (CIM 10, DSM IV [9, 15]) proposent
une vision unitaire des syndromes de dépendance qui ont en
commun d’associer des symptômes psychiques (désir persistant, Triple origine
perte du contrôle, besoin compulsif de recourir à l’objet d’addiction,
réduction ou abandon d’activités sociales, professionnelles ou de
loisir, poursuite de l’usage du produit en dépit de la connaissance FACTEURS BIOLOGIQUES
qu’il provoque ou aggrave des problèmes physiques ou L’étude des comportements animaux a permis de dégager le rôle
psychologiques) et physiques (symptômes de la dépendance et du possible de facteurs génétiques. Certains modèles neurobiologiques
sevrage). Le DSM IV distingue ainsi les sujets dépendants avec et de l’addiction sont proposés : les neurones dopaminergiques du
sans dépendance physiologique, ces derniers n’ayant ni phénomène tegmentum ventral contiennent des récepteurs opiacés qui peuvent
de tolérance ni syndrome de sevrage. La dépendance fait l’objet moduler la transmission de dopamine vers les zones mésolimbiques.
d’une distinction avec l’abus de substances toxiques. Ce dernier se De nombreuses drogues (alcool, tabac, morphine, héroïne, cannabis,
caractérise essentiellement par les conséquences sociales, cocaïne, amphétamine) agissent au niveau de ces neurones,
professionnelles et familiales malheureuses, un usage immodéré de augmentant la libération dans le système nerveux central de
substances toxiques pendant plus de 1 an sans la présence des dopamine, ce qui entraîne la nécessité de la poursuite de
l’autoadministration. Selon JP Tassin [34] , « l’intérêt de cette
observation vient de ce que la dopamine participe à la stimulation
Maurice Corcos : Assistant. de plusieurs structures cérébrales intervenant dans un circuit dit de
Philippe Jeammet : Professeur, chef de service.
Département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, institut mutualiste Montsouris, 42, boulevard
récompense. Ce circuit informe le système nerveux central de l’état
Jourdan, 75014 Paris, France. psychique et physique dans lequel le sujet se trouve. L’utilisation de

Toute référence à cet article doit porter la mention : Corcos M et Jeammet P. Conduites de dépendance à l’adolescence. Aspects étiopathogéniques et cliniques. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris,
tous droits réservés), Psychiatrie, 37-216-G-30, 2000, 6 p.
37-216-G-30 Conduites de dépendance à l’adolescence Aspects étiopathogéniques et cliniques Psychiatrie

drogues en libérant des quantités importantes de dopamine, peut parler de pathologie véritable que lorsque ces sujets sont
déclenche ainsi une forte sensation de satisfaction mais aussi chez enfermés dans la répétition de ces comportements. Comme le dit
certaines personnes, un dysfonctionnement du circuit de la Bergeret [1], « il n’existe aucune structure psychique profonde et
récompense. L’état de dépendance apparaît progressivement avec la stable spécifique de l’addiction. N’importe quelle structure mentale
répétition des prises et se caractérise par un besoin impérieux du peut conduire à des comportements d’addiction (visibles ou latents)
produit et sa recherche compulsive (craving) ». De plus « l’utilisation dans certaines conditions affectives et relationnelles ». Cet auteur
du produit, en activant les neurones à dopamine chargés d’anticiper voit l’addiction « comme une tentative de défense et de régulation
toute forme de satisfaction, crée un lien difficilement réversible entre contre les déficiences ou les failles occasionnelles de la structure
la prise de drogue et les signaux environnementaux associés à cette profonde en cause ».
consommation. Toute perception de signaux identiques ou Cette relative diversité du terrain structural rend compte de la
analogues déclencherait à nouveau un besoin irrépressible [34] ». variété clinique de ces conduites comme des différences de pronostic
Mais, parmi les consommateurs de drogue, seuls quelques-uns et de réponses aux thérapeutiques.
deviennent dépendants, laissant supposer des différences Il faut considérer de même que la comorbidité souvent observée
génétiques, et d’histoire personnelle. Pour certains auteurs critiquant dans ces conduites n’est pas synonyme de co-occurrence et que
ce circuit de la récompense, voire ce « système de plaisir », « on a certains symptômes observés sont étroitement liés à la structuration
simplement mis en évidence dans le système nerveux central des psychologique sous-jacente. Il y a donc une nécessaire
voies archaïques, qui ne correspondent à aucun besoin, dont la discrimination à faire entre troubles psychiatriques primaires
stimulation ne provoque aucune satisfaction à un besoin alimentaire, favorisant l’addiction et les nombreux troubles psychiatriques
sexuel, ou autre. Il y a dès lors un saut qualitatif à parler de système secondaires aux effets de l’addiction (troubles anxieux, dépressifs,
de plaisir » (B Giros) [20]. psychotiques).
Les tentatives visant à établir un profil psychologique de la
FACTEURS SOCIOLOGIQUES personnalité dépendante sont décevantes et il n’y a pas de
corrélation nette entre la personnalité dépendante, telle que la définit
L’abord des dimensions socioculturelles permet de mettre en le DSM IV ou la CIM 10 et les conduites addictives.
exergue le rapport de définition constant qu’entretiennent individuel
On assiste à une convergence d’études venant d’horizons cliniques
et collectif, histoire sociale et parcours individuel et son impact sur
et théoriques divers qui débouchent sur la notion de dépendance ou
la problématique de l’écart narcissico-objectal à l’adolescence,
d’addiction conçue, non plus seulement comme un comportement
centrale dans les conduites de dépendance, problématique dont
déviant, mais comme un processus de régulation de l’équilibre du
l’élaboration ou l’échec influencera la structuration psychique du
sujet (notamment du système plaisir-déplaisir) et un moyen
sujet.
d’échapper à un inconfort interne. En d’autres termes, un moyen
Ainsi faut-il s’interroger, selon nous, sur l’attention particulière d’assurer un certain équilibre de l’appareil psychique qui ne peut
portée par les psychiatres sur les cas limites et les conduites être obtenu par les moyens habituels en particulier de régulation
addictives dans les années 1980-1990 dans les pays occidentaux et par les ressources internes du sujet.
en voie d’occidentalisation en référant celles-ci à l’évolution sociale Ces études font ressortir l’existence de dimensions psychologiques
vers de nouveaux statuts identitaires. issues de facteurs biologiques (tempérament), de l’histoire
Nous concevons que le développement psychique de l’enfant et de événementielle du sujet dans son enfance, en particulier la qualité
l’adolescent puisse plus ou moins adopter le « rythme » et la des premières interactions de l’enfant avec son environnement et de
« forme » de l’évolution socioculturelle et qu’il soit influencé par la la qualité de la construction de son appareil psychique.
nature et l’intensité de la pression sociale. Ce qu’exige le présent Ces dimensions psychologiques constituent autant de facteurs de
dans nos sociétés de maîtrise pulsionnelle et de contrôle des affects vulnérabilité quant aux conduites addictives lorsqu’elles trouvent à
et des émotions, modifie sans conteste les modalités de régulation s’exprimer à la faveur d’éléments conjoncturaux événementiels,
narcissique du sujet, générant ou favorisant chez certains des familiaux et sociaux. Les sujets se distribuent, selon un gradient,
structurations plus limites que névrotiques. En d’autres termes, la entre les deux pôles de ces dimensions. Nous n’en développons ici
réalité sociale peut mettre en échec et rendre inopérants des que quatre qui ont fait l’objet de nombreuses recherches très
mécanismes de défense jusque-là protecteurs (refoulement, documentées.
déplacement, etc) et en favoriser d’autres (clivage, déni, etc). Cet
abord permet de plus d’appréhender les raisons du développement ¶ Impulsivité/compulsivité
de ces conduites de dépendance dans le monde occidental (l’origine A Goodman [21] a développé cette dimension dialectique dans l’étude
et les raisons collectives de conduites individuelles) ainsi que les de la dépendance. Le sujet impulsif est caractérisé par une incapacité
phénomènes complexes de déplacement de dépendance en fonction à différer la satisfaction et à se projeter dans l’avenir ; il répond à
de l’évolution socioéconomique. Ainsi V Nahoum Grappe [26] pense toute menace de surgissement de l’angoisse ou à toute frustration
que « le lien de dépendance à une consommation ou à une conduite par des passages à l’acte. Le sujet compulsif, à l’inverse, est pris
se nourrit d’images sociales, de mythologies collectives, de hantises perpétuellement dans une nécessité interne de réaliser tel ou tel
construites historiquement... Nos figures du pire dépendent aussi comportement répétitif.
de nos modèles positifs, en particulier celui de l’individu
″ performant ″ comme dirait A Ehrenberg [17] et ont leur histoire ». ¶ Recherche de sensations/anhédonie
M Zuckermann [36] développe depuis de nombreuses années une
théorie basée sur la recherche d’un équilibre, d’une homéostasie
FACTEURS PSYCHOLOGIQUES
psychique. La tendance à rechercher des sensations et des
Ces conduites surviennent sur des personnalités diverses sur le plan expériences intenses correspondrait au besoin d’atteindre un niveau
des caractéristiques psychopathologiques. C’est tout le champ optimal d’activation. En d’autres termes, certains sujets
nosographique psychiatrique, allant de la névrose à la psychose en rechercheraient des stimulations intenses pour compenser un
passant par la perversion, qui peut être associé à ces conduites. Elles manque de réactivité affective avec des stimulations banales
témoignent donc de l’aspect transnosographique c’est-à-dire (dysfonction dopaminergique/bas niveau d’éveil cortical ;
transstructural du concept de dépendance qui évalue désinhibition ; susceptibilité à l’ennui ; recherche d’expériences, de
essentiellement des mécanismes et des comportements. nouveauté). Le dégagement de la notion de seuil hédonique permet
Il faut ainsi plutôt voir ces conduites comme l’expression d’une d’individualiser une nouvelle dialectique anhédonie/recherche de
vulnérabilité de certains sujets. Celle-ci peut les conduire à adopter sensations qui renvoie à une autre plus ancienne
ces conduites addictives aux effets pathogènes car elles introversion/extraversion (Eysenck [18]). En France S Carton et al [7]
s’autorenforcent et réorganisent la personnalité autour d’elle. On ne ont validé cette dimension.

2
Psychiatrie Conduites de dépendance à l’adolescence Aspects étiopathogéniques et cliniques 37-216-G-30

¶ Dépression anaclitique/dépression d’intériorisation – la recherche de nouveauté, novelty seeking (NS) ;


Un troisième courant développé par S Blatt [2] souligne que la – la dépendance à la récompense, reward dependance (RD) ;
dépendance peut être considérée comme une dimension essentielle, – l’évitement du danger, harm avoidance (HA).
individualisable, de la dépression.
Une quatrième dimension (persistance) fut individualisée
Dans l’ensemble des conduites addictives, nous pouvons observer, secondairement à partir de la dimension RD. Le modèle comporte
sous-jacent au trouble du comportement, une tonalité dépressive. aussi trois dimensions dites « de caractère » :
La nature de cette dépression est narcissique, en lien étroit avec un
échec dans l’introjection d’images identificatoires stables et une – détermination ;
incapacité d’élaboration de la perte dans le cadre d’un travail de – coopération ;
deuil. La conduite addictive peut se comprendre comme une lutte
antidépressive, l’incorporation répétée de l’objet addictif visant à – transcendance.
combler un sentiment de vide insupportable. Le comportement Certaines hypothèses de Cloninger quant à une typologie de
addictif ayant une tendance à s’autorenforcer et à s’autoentretenir, l’alcoolodépendance (valeur prédictive des dimensions NS et HA),
toute possibilité d’élaboration psychique s’amenuisant du fait du en ce qui concerne l’initiation et/ou la sévérité de
recours systématique au comportement addictif, le patient substitue l’alcoolodépendance sont confirmées. Concernant la toxicomanie,
une dépendance à une autre, évitant tant bien que mal toute Pelissolo et al [28] confirment d’autres travaux quant à l’importance
élaboration dépressive (quelques décompensations dépressives de la dimension « recherche de nouveauté » et d’un profil dit
cliniquement objectivables sont observées lors de l’évolution). En « antisocial », soulignant par ailleurs chez ces patients des scores de
tout état de cause, dans les conduites addictives, la dépression telle « détermination » faibles et des scores de « transcendance » élevés.
qu’elle se constitue s’avère rarement structurante et augmente le
plus souvent la dépendance affective.
Ainsi Blatt individualise des sujets présentant une tonalité Impact du processus
dépressive ou dépressivité (qui se manifeste essentiellement par un de séparation-individuation
comportement de dépendance avec angoisse de séparation et à l’adolescence
d’abandon, sentiment de solitude et d’impuissance et potentialités
régressives : anaclitisme) et des sujets symptomatiquement déprimés Si la majorité des conduites addictives commencent plutôt chez
(où perte de l’efficience et sentiments de honte et de culpabilité sont l’adulte jeune, autour de la vingtaine, les études épidémiologiques
au premier plan : dépression d’intériorisation). Une nouvelle récentes, telle celle de Choquet [8], montrent la valeur prédictive du
dialectique dépression anaclitique/dépression d’intériorisation peut risque d’une addiction ultérieure (notamment alcool et drogue) de
être ainsi mise en exergue. la précocité (11-15 ans) et de l’intensité de l’usage de la cigarette
chez les préadolescents et les jeunes adolescents. D’autre part,
¶ Alexithymie/expressivité-représentation des émotions
concernant spécifiquement les adolescents, cet auteur note que la
De nombreux auteurs dont Nemiah et Sifneos [27, 33] considèrent que consommation régulière d’au moins un produit (tabac, alcool,
l’alexithymie (mode de pensée particulier centré sur le concret, avec médicament) n’est pas exceptionnelle et que celle-ci va de pair
difficultés de représentation mentale des émotions) est un facteur de (liaison quasi linéaire) avec d’autres troubles.
risque pour les conduites addictives. La conduite addictive Il est donc frappant de constater que les conduites de dépendance
constituerait un mécanisme compensateur du fait de la faiblesse des proprement dites se mettent en place pour l’essentiel après la
mécanismes de défense et de l’incapacité du moi à réguler et puberté et le plus souvent pendant l’adolescence ou dans ses suites
moduler les émotions. On retrouve une prévalence alexithymique immédiates, c’est-à-dire au moment où le sujet doit s’autonomiser
relativement élevée chez les patients présentant des conduites et ne peut plus bénéficier des mêmes protections de la part de ses
d’addiction. Ainsi Haviland [22] retrouve, à l’aide de la Toronto parents. Cette mise en place paraît en rapport avec des facteurs
alexitimia scale (TAS), plus de 50 % de sujets alexithymiques chez psychologiques antérieurs qui représenteraient une vulnérabilité à
des patients alcooliques et plus de 40 % chez des sujets toxicomanes la dépendance et des facteurs conjoncturaux événementiels,
(1994). Selon Corcos et al [14], les patientes présentant des troubles familiaux et sociaux. Ces facteurs apparaissent parfois déterminants
des conduites alimentaires (TCA) ont, dans une revue de la et l’anamnèse montre l’existence de ce qu’on peut appeler des
littérature, les taux d’alexithymie les plus élevés : entre 50 et 80 % . facteurs de risque qui rendent la réponse addictive à l’adolescence
difficilement évitable. Dans d’autres cas, il ne s’agit que d’une
vulnérabilité et d’une potentialité, qui ne donneront pas
MODÈLE PSYCHOBIOLOGIQUE DU TEMPÉRAMENT
nécessairement naissance à une réponse par une conduite addictive
Certaines recherches développent la notion de tempérament qui a (Jeammet [24] ). Ces facteurs de risque antérieurs qui peuvent
l’avantage d’articuler et non d’opposer biologie et psychologie : « le s’exprimer à l’adolescence sont à rechercher en particulier dans
tempérament se compose de traits stables, héritables et l’échec des processus d’attachement de l’enfance. La dépendance a
indépendants ayant des corrélats neurophysiologiques et été mise en relation avec la problématique de l’attachement de
probablement neurobiologiques, dont la combinaison permet de Bowlby [3, 4, 5] qui a opposé les deux termes, la dépendance étant
caractériser les individus » (Purper-Ouakil et al [29]). Les modèles alors considérée comme un échec des processus d’attachement qui
actuels du tempérament s’inscrivent dans une approche supposent une forme d’autonomie. De ce point de vue, la
développementale de la psychopathologie intégrant les interrelations dépendance pourrait être le produit nécessaire de l’incapacité à
précoces et les développements du processus d’attachement et de élaborer l’angoisse de séparation. Bowlby suggère que l’enfant, au
mécanismes d’autorégulation (Rothbart et al [30]). « Les facteurs travers de ses premières expériences relationnelles, construirait un
génétiques et constitutionnels font l’objet de remaniements et « modèle interne » de lui-même et des autres. Ce modèle permettrait
d’adaptations incessantes au cours du développement dans le cadre à l’individu, au long de sa vie, de donner sens à ses conduites et à
d’interactions avec les facteurs environnementaux ce qui donne lieu celle des autres. Ainsi, l’expérience d’un entourage disponible et
à des destins phénotypiques variés » [29]. Certains auteurs tels Shaw prévisible dans l’enfance procurerait à l’individu une sécurité lui
RJ et al [32] établissent un lien entre le tempérament dans sa permettant d’affronter séparation et frustrations, en particulier lors
dimension biologique et des mécanismes de défense dans leurs de ces phases critiques de la vie comme l’adolescence, qui
dimensions psychopathologiques. impliquent une prise de distance à l’égard d’objets et de personnes
Un des modèles psychobiologique du tempérament particulièrement fortement investis. Au contraire, l’expérience de relations peu
utilisé dans le domaine de l’addiction est celui de Cloninger [11]. satisfaisantes, avec un entourage peu disponible ou imprévisible
Celui-ci comporte trois dimensions dites « de tempérament » : risque d’entraîner chez l’enfant un retrait des affects, voire des

3
37-216-G-30 Conduites de dépendance à l’adolescence Aspects étiopathogéniques et cliniques Psychiatrie

attitudes de dépendance relationnelle. Ces attitudes constituent sans l’ensemble de la personnalité. Le sevrage, l’atténuation, voire la
doute pour l’enfant une protection contre l’angoisse de perte et de disparition de la conduite, pour important qu’ils soient, ne résument
séparation. L’addiction, de ce point de vue, pourrait constituer un pas un devenir qui comporte pour la majorité des cas (de l’ordre de
rempart contre l’angoisse. Réciproquement, la sécurité relationnelle 50 à 75 % des cas selon le type d’addiction et les études) la
pourrait représenter un facteur de protection contre les conduites persistance, voire l’émergence, en tout cas sur le plan manifeste
addictives lors des phases critiques du développement. symptomatique, de difficultés psychologiques importantes, voire de
Du point de vue biologique, soulignons que le développement des troubles psychiatriques, associés ou non à une poursuite des
neurones dopaminergiques à la naissance (leur réactivité) est conduites addictives. Difficultés et troubles concernent
étroitement dépendant de l’histoire environnementale de l’individu, essentiellement trois registres (Jeammet [24]) :
y compris dans sa dimension affective. Enfin, les récepteurs de ces – celui des troubles affectifs avec une grande fréquence d’épisodes
neurones sont très sensibles aux modifications hormonales de la dépressifs, plus ou moins durables et intenses, associés à une
puberté et donc à leurs aléas à l’adolescence. Ainsi, les différences constante autodépréciation ;
extrêmement importantes de vulnérabilité à la dépendance
s’expliquent par des histoires individuelles extrêmement variées. – celui des troubles phoboanxieux s’étendant à des évitements
phobiques, restreignant le champ des relations affectives et sociales,
à un progressif appauvrissement de l’ensemble des investissements
Clinique de la dépendance évoquant l’aboulie psychotique ;
Sans avoir l’ampleur et la rapidité d’impact d’une drogue – celui du registre paranoïaque à tonalité persécutoire ou
proprement dite, un comportement est susceptible d’en avoir passionnelle et une possible oscillation de l’un à l’autre.
certains des effets psychotropes, que ce soit par l’apaisement qu’il
peut procurer ou en étant source d’excitations stimulantes pour le
psychisme, avec pour conséquence l’apparition d’un certain degré Point de vue structural et comorbidité
de dépendance (avec la difficulté de séparer dépendance physique
et psychique) mais également d’accoutumance. Ces répercussions
Du point de vue structural, les conduites addictives se situent
peuvent être le fait de phénomènes purement psychiques, en lien
généralement dans un registre narcissique (sans être pour autant
avec le sens et la fonction de ce comportement dans l’équilibre
dans le monde narcissiquement clos de certaines psychoses) ou dans
mental des patients, ou résulter des effets psychiques propres des
un registre névrotique prévalant, bien que précaire, mais avec une
sensations procurées par le comportement (Brusset [6]), ou de ceux
forte « susceptibilité narcissique ».
des modifications biologiques, en particulier des neuromédiateurs,
secondaires à la pratique de ce comportement. Ainsi, les mécanismes L’hétérogénéité des structures pathologiques rencontrée chez les
neurobiologiques de la dépendance à un objet toxique existent de la patients addictifs nous invite, dans une optique de prévention, à
même manière dans les addictions comportementales, tels les évaluer transnosographiquement les sujets à risque, que ce soit dans
troubles des conduites alimentaires. une approche phénoménologique descriptive (personnalités
impulsives, personnalités évitantes/dépendantes) ou
Quoiqu’il en soit des mécanismes psychobiologiques, un certain
psychodynamique (personnalités narcissiques, limites, névrotiques).
nombre de cliniciens s’appuient sur les données cliniques (perte du
D’un point de vue catégoriel, on peut isoler deux groupes
contrôle, besoin de recourir à l’objet addictif, dépendance) pour
pathologiques distincts.
justifier leur regroupement sous le label de conduites addictives.
Du point de vue psychopathologique, on retrouve ainsi des traits de – Certaines formes de conduites addictives touchent des sujets aux
caractère et de comportement communs qui imprègnent fortement antécédents de carences ou de distorsions affectives graves, aux
les modalités habituelles de relation de ces patients dominées par la faibles capacités de représentation et d’élaboration (personnalités
dimension narcissique que traduit la quête du regard des autres, la psychopathiques, schizoïdes, états limites). Elles sont marquées par
fréquence de leurs attitudes en miroir et celles d’autrui, ou leur un fort degré d’impulsivité, une angoisse panique dépersonnalisante
brusque renversement dans le contraire. Toute une clinique de la et témoignent d’un besoin urgent de stimulation et d’un risque de
dépendance est susceptible de se développer comme une défense désorganisation psychique, voire somatique, plus grave.
contre une dépendance affective perçue comme une vulnérabilité – D’autres formes affectent des sujets moins carencés pouvant plus
dépressive et, plus profondément, comme une menace pour ou moins tolérer un conflit intrapsychique (registre névrotique) au
l’identité du sujet et une aliénation à ses objets d’attachement. C’est prix de débordements anxieux et/ou dépressifs. Le pronostic
une clinique où le sujet essaie de substituer à ses liens affectifs psychique et somatique serait ici moins sombre.
relationnels, vécus comme d’autant plus menaçants qu’ils sont plus
nécessaires, des liens de maîtrise et d’emprise. Il s’agit d’introduire Ces deux groupes, pour autant, s’interpénètrent et l’évolution
entre le sujet et ses possibles attachements, des objets substitutifs dépendra aussi, en grande partie, des effets propres biologiques et
qu’il pense maîtriser, la nourriture dans la boulimie, la drogue, etc. sociaux de la conduite.
On voit ainsi apparaître clairement la fonction de contrôle de la Notons que nous ne considérons pas que les conduites addictives
distance relationnelle par ce comportement. Il permet au sujet de appartiendraient exclusivement à la classe des organisations ou états
maintenir des relations apparemment satisfaisantes et une vie sociale limites, dans le cadre d’une lignée dépressive centrale décrite par
relativement diversifiée. Mais c’est au prix d’un clivage du moi. La Bergeret [1] (et ce, même si la clinique des conduites addictives et
relation addictive colmate ce qu’il y a de plus conflictuel, mais aussi celle des états limites se rejoignent souvent). Il nous semble que c’est
de plus investi dans le besoin relationnel, et laisse peu de la force d’entretien et d’appauvrissement de ces conduites qui donne
disponibilité pour les échanges qui prennent de ce fait un caractère le sentiment que des formes névrotiques évolutives sont à classer
plaqué et superficiel. Dans d’autres cas, ce que nous avons appelé dans des formes limites.
« l’appétence relationnelle ou objectale » demeure vive et un facteur La revue de la littérature (Corcos et al [14]) qui va suivre porte sur les
d’excitation insupportable pour le sujet qui cherche à le neutraliser trois catégories les plus fréquentes de conduites de dépendance :
par une surenchère comportementale addictive. Tout ce qui rappelle alcoolisme, toxicomanie et troubles des conduites alimentaires. Elle
un lien affectif est rejeté. Le comportement devient de plus en plus révèle la forte comorbidité dépression-addiction-personnalité limite
délibidinalisé, purement mécanique, tandis que disparaît toute et psychopathique. Les études les plus rigoureuses évaluant la
activité fantasmatique qui lui soit liée et que l’autoérotisme perd sa prévalence sur la vie entière de la dépression chez des sujets
dimension érotique et de plaisir au profit du besoin de sensations alcooliques et non alcooliques hospitalisés pour des atteintes
violentes pour se sentir exister et non plus pour éprouver du plaisir. hépatiques, retrouvait chez les alcooliques une prévalence de 40 %
Leur évolution clinique montre que le pronostic, à moyen et long contre 13 % dans le groupe des sujets non alcooliques (Hesselbrock
terme, n’est pas fonction de la seule conduite addictive, mais engage et al [23]). L’étude de Weissman et al [35] en population générale

4
Psychiatrie Conduites de dépendance à l’adolescence Aspects étiopathogéniques et cliniques 37-216-G-30

retrouvait une prévalence de 44 % sur toute la vie de la dépression L’abus de toxiques et d’alcool est fréquent chez les boulimiques et
chez les alcooliques, mais la coexistence ponctuelle des troubles les anorexiques boulimiques et, à un moindre degré, chez les
dépressifs et de l’alcoolisme n’était retrouvée que dans 15 % des cas, anorexiques restrictives pures (Garner, 1985 ; Killen, 1987).
ce qui nous indique une forte mobilité symptomatique et nous incite Les données suivantes sont extraites d’une revue de la littérature
à réfléchir sur la fonction autothérapeutique de l’addiction dans récente (Farges et al, 1997 [19]). L’abus de drogue est souvent associé
certains moments singuliers. aux dépressions majeures. Ainsi dans l’étude de Ryan et al (1981) de
Les dépressions primaires, un peu moins du tiers des alcooliques, 92 dépressions majeures de l’adolescent, il apparaît que 18 %
sont rarement de type maniacodépressif ; il s’agit, le plus souvent, utilisaient des drogues douces au moins occasionnellement et 4 %
de dépressions « réactionnelles » et de troubles dysthymiques supplémentaires avaient au moins essayé les drogues « dures » au
associés à une pathologie névrotique ou à un trouble de la cours de l’épisode actuel. Les symptômes dépressifs paraissent
personnalité. souvent précéder l’utilisation de toxiques. Dans l’étude de Deykin
Que l’on se réfère aux critères de Gunderson définissant la et al (1987), l’abus de drogue et d’alcool avait presque toujours suivi
personnalité borderline ou à ceux du DSM, l’abus d’alcool (ou de la dépression majeure. Dans celle de De Milio (1989), la
drogues) fait partie de la sémiologie même de la personnalité limite. symptomatologie dépressive avait débuté avant l’abus de drogue
Cependant, les résultats des différentes études utilisant ces critères dans environ la moitié des cas, ce que confirment les enquêtes
sur des populations d’alcooliques, montrent que 12 à 27 % des épidémiologiques qui identifient la symptomatologie dépressive
alcooliques ont une personnalité limite, sans que le caractère comme un facteur de risque du début de l’usage de drogue
primaire ou secondaire du trouble de la personnalité ait été précisé. (Bukstein et al, 1989 ; Chro et al, 1988). Primaire ou secondaire, la
De nombreuses études témoignent de la fréquence de l’association dépression peut aggraver ou maintenir l’abus de toxique.
d’une personnalité antisociale et d’un alcoolisme. On retrouve un La plupart des travaux lient suicide, dépression et abus de drogues.
alcoolisme chez près de 50 % des psychopathes et réciproquement L’abus de toxiques peut aggraver la dépression et faciliter le passage
49 % des hommes et 20 % des femmes alcooliques ont une à l’acte suicidaire. La gravité médicale des tentatives de suicide est
personnalité antisociale (Hesselbrock et al [23]). liée à la conduite toxicomaniaque. Toutes les études chez
La prévalence des tableaux dépressifs dans les TCA excède de l’adolescent abondent dans ce sens (Harrisson et Hoffman, 1987 ;
beaucoup celle retrouvée en population générale. Les données Garfinkel et al, 1992 ; Christoffel et al, 1988 ; Stiffman, 1989 ;
suivantes sont extraites d’une revue de la littérature récente (Corcos Kienhorst et al, 1990).
et al [14]) ; cette prévalence varie de 11 % (Hatsukami et al, 1984) à Personnalité limite et personnalité antisociale sont les pathologies
66 % (Fornari et al, 1992), selon les études, au moment du diagnostic les plus fréquentes concernant la toxicomanie. Pour bon nombre
de TCA, en ce qui concerne les épisodes dépressifs majeurs (EDM). d’auteurs, la psychopathologie des toxicomanes est assimilable aux
Sur la vie entière, la prévalence des EDM, dans les TCA, varie de états limites (Rado, Wurmser, Bergeret).
16 % (Hatsukami, 1984) à 68 % (Halmi, 1991) et semble plus élevée Une méta-analyse portant sur 40 études (Schubert et al [31]) souligne
chez les boulimiques que chez les anorexiques. l’association positive entre alcoolisme, toxicomanie et personnalité
Les rapports entre TCA et dépression font l’objet de deux antisociale. Une personne ayant un de ces trois diagnostics a plus
hypothèses. de risque d’avoir un des deux autres.
– Pour certains, comme Hudson (1988), les TCA et surtout Une étude italienne (Clerici et al [10]) trouve parmi 226 héroïnomanes
l’anorexie, seraient une forme de trouble thymique. en traitement 61 % de troubles de la personnalité. Pour Lacey et
– D’autres, comme Strober (1987), soulignent que la précession de Evans [10] en 1986, parmi 384 toxicomanes traités, 68 % ont un trouble
l’état dépressif par rapport à l’anorexie ou à la boulimie est loin de la personnalité, le plus souvent (54,7 %) une personnalité
d’être prouvée et que la plupart des symptômes dépressifs des antisociale et dans 14,5 % des cas une personnalité limite.
patients sont probablement secondaires aux TCA eux-mêmes plutôt
que dus à un épisode de type primaire.
Une étude récente, parmi les plus rigoureuses sur le plan
Conclusion
méthodologique, réalisée sur un échantillon de 210 sujets, retrouve
Considérer la conduite addictive comme une tentative d’aménager une
une prévalence de 27 % des troubles de la personnalité dans les TCA
relation aux objets externes auxquels est dévolue une fonction
(Herzog et al, 1992). Les anorexiques-boulimiques ont plus souvent
organisatrice de l’équilibre psychique interne et de contre-
une pathologie de la personnalité (39 %) que les boulimiques (21 %)
investissement des objets internes, implique des conséquences concrètes
et les anorexiques (22 %). Le type de pathologie appartient plus
sur nos approches et nos attitudes thérapeutiques à l’égard des patients
souvent au cluster C (personnalités évitantes, dépendantes,
addictifs. Toute la difficulté réside dans la nécessité de solliciter une
obsessives compulsives et passives-agressives) pour les anorexiques, appétence objectale rendue tolérable sans le recours aux aménagements
pour lesquels on ne retrouve pas de personnalité borderline. Les addictifs.
sujets boulimiques, en revanche, se situent essentiellement dans le Cette fonction contenante et liante de l’environnement (ouverture du
cluster B (personnalités borderline, histrioniques, narcissiques et sujet à son monde interne) est rapidement dévolue par la société à
antisociales). Une difficulté méthodologique apparaît évidente dans l’institution soignante, lorsque les troubles du comportement
ces études : les crises boulimiques sont incluses dans les critères deviennent par trop spectaculaires ou répétitifs. Celle-ci est rapidement
DSM III-R de la personnalité borderline. Ainsi, selon les études, on confrontée à la problématique centrale de dépendance de ces patients.
retrouve 44 % de patientes borderline chez G Wirtsman (1983) Ceci impose que l’institution motivée puisse faire face à la répétition des
(n = 18) et 1,9 % chez Pope et Hudson (1987) (n = 52). Le Minnesota troubles, en se détachant du pouvoir destructeur du symptôme, en
multiphasic personality inventory (MMPI) a été utilisé dans reconnaissant et nommant la souffrance psychique sous-jacente et en
l’évaluation de la population de patients boulimiques (Wallech et al, privilégiant les potentialités évolutives de l’adolescent, sous peine
1984). Quatre pics se dégagent : d’entériner insidieusement dans son esprit une évolution
– psychopathie ; inexorablement péjorative.
– dépression ; Ainsi, nous voulons insister sur l’idée forte, que dans certaines
conduites addictives, très rapidement, la maladie ne tient pas seulement
– psychasthénie ; lieu de culpabilité, comme dans bon nombre de névroses, mais d’identité
– schizophrénie. de compensation face à un vide identificatoire et installe un néosystème
Enfin Hatsukami (1986), Herzog (1987) et Lacey (1991), observant de régulation du relationnel avec une source de jouissance perverse qui
chez les patientes boulimiques des conduites multi-impulsives et des fixe le sujet à ses objets infantiles.
troubles du caractère, les classent volontiers dans des registres d’état Cette insistance s’explique par le danger que nous voyons dans la
limite. tendance à des diagnostics rétrospectifs de psychose au vu de l’évolution

5
37-216-G-30 Conduites de dépendance à l’adolescence Aspects étiopathogéniques et cliniques Psychiatrie

de certaines conduites d’addiction. Ainsi, le diagnostic (et le d’hésitation douloureuse à penser et à entrer en relation, formes d’être
traitement) d’hébéphrénie porté à des toxicomanes chroniques en voie de moins rationnelles et performantes que d’autres, mais non moins
régression mortifère, chez qui la persistance d’une jouissance à la réelles. Notre manière de les appréhender en les regroupant en entités
déchéance et le bénéfice octroyé par la marginalisation devraient nous nosologiques, plutôt que de privilégier la singularité et le fonctionnel,
inviter à ne pas penser à un négativisme d’emblée à l’œuvre. Bien même enchâssés dans des lignes de forces biologiques, contribue à les
évidemment, nous n’excluons pas les effets déstructurants de la « martyriser en groupe », ce qu’ils font volontiers tout seul à un stade
avancé de leur évolution : cf les communautés de toxicomanes et
chronicité. Idem pour les alcooliques chroniques, clochardisés, semblant
d’alcooliques ; le développement et l’investissement majeurs par les
désafférentés, détachés des contingences et du temps et, pour les patients des groupes d’entraides. Ceux-ci ont incontestablement une
anorexiques et boulimiques chroniques, enfermés dans un mode de vie utilité mais recèlent dans leurs mécanismes effectifs mêmes, le jeu des
ritualisé. identifications narcissiques et l’équilibre masochique, des limites.
Plus qu’un défaut de mentalisation ou d’un négativisme sous- Aussi, quand il est possible et après une certaine préparation, l’abord
entendant un verrouillage biologique, il s’agit, selon nous, dans une psychothérapeutique individuel doit être privilégié pour permettre une
problématique de l’écart narcissico-objectal, de formes d’indécision, réappropriation subjective de la souffrance.

Références
[1] Bergeret J. Aspects économiques du comportement [13] Corcos M, Atger F, Flament M, Jeammet PH. Boulimie et [25] Jeammet PH. Vers une clinique de la dépendance. Appro-
d’addiction. In : Le psychanalyste à l’écoute du toxico- dépression. Rev Neuropsychiatr Enf Adolesc 1995 ; 43 : che psychanalytique. In : Padieu R éd. Dépendance et
mane. Paris : Dunod, 1981 391-400 conduites de consommation. Questions en santé publi-
[2] Blatt SJ, D’Afflitti JP, Quialan AM. Experiences of depressive [14] Corcos M, Guilbaud O. Place et fonction du concept que. Intercomissions INSERM. Paris : Les éditions INSERM,
in normal young adults. Abnorm Psychol 1976 ; 85 : d’alexithymie dans les TCA. Ann Médicopsychol (n°9)1998 ; 1997 : 33-56
385-389 156 ; [26] Nahoun Grappe V. La culture de l’ivresse. Paris : Quai Vol-
[3] Bowlby J. Attachement et perte. Vol 1 : attachement. Paris : [15] DSM IV. 4e révision du manuel diagnostique et statistique taire, 1991
PUF, 1978 des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psy-
chiatrie. Washington DC,1994. Paris : Masson, 1996 [27] Nemiah JC. Denial Revisited: reflexions on psychosomatic
[4] Bowlby J. Attachement et perte. Vol 2 : la séparation, theory. Psychother Psychosom 1975 ; 26 : 140-147
angoisse et colère. Paris : PUF, 1978 [16] Edwards G. Problems and dependance: the history of two
dimensions. In : Lader MM, Edwards G, Drummond DC [28] Pelissolo A, Notides C, Pezous AM, Lepine JP. Le modèle de
[5] Bowlby J. Attachement et perte. Vol 3 : perte. Paris : PUF, eds. The nature of alcoholism and drug related problems Cloninger appliqué aux toxicomanies.Neuropsychiatrie
1984 (1978). Oxford : Oxford medical publication, 1992 : 1-13 1998 ; 13 : 24-31
[6] Brusset B. Les vicissitudes d’une déambulation addictive [17] Erhenberg A. Le culte de la performance. Paris : Calmann [29] Purper-Ouakil D, Jouvent R. La notion de tempérament.
(Essai métapsychologique). Rev Fr Psychanal 1990 ; 54 : Levy, 1992 Neuropsychiatrie 1998 ; 13 : 7-12
671-687
[18] Eysenk HJ. The biological basic of personality. Springfield : [30] Rothbart MK, Ahadi SA. Temperament and the develop-
[7] Carton S, Lacour C, Jouvent R, Widlöcher D. Le concept de CC Thomas, 1967
recherche de sensations. Traduction et validation de ment of personality. J Abnorm Psychol 1994 ; 103 : 55-66
[19] Farges F. Toxicomanie et troubles mentaux. Une revue cri-
l’échelle de Zuckerman. Psychiatr Psychobiol 1990 ; 5 : [31] Schubert, Wolf AW, Patterson MB, Grande TP, Pendleton
tique de la littérature. Rev Psychotr 1996 ; 3 : 7-17
39-44 L. A statistical evaluation of the literature regarding the
[20] Giros B. Neurobiologie de la dépendance opiacée. Sémi- associations among alcoholism, drug abuse, and antisocial
[8] Choquet M. Réalités des conduites de dépendance à l’ado- naire de psychiatrie biologique hôpital Sainte Anne. Tome
lescence en France. In : Bailly D, Venisse JL éd. Dépendance personality disorder. Int J Addict1998 ; 23 : 797-808
28.1998
et conduites de dépendance. Paris : Masson, 1994 : 2-17 [32] Shaw RJ, Ryst E, Steiner H. Temperament as a correlate of
[21] Goodman A. Addiction: definition and implications. Br J
[9] CIM 10/ICD 10. Classification internationale des troubles Addict 1990 ; 85 : 1403-1408 adolescent defense mechanisms. Child Psychiatry Hum Dev
mentaux et des troubles du comportement. OMS/Masson, 1996 ; 27 : 105-114
1993 [22] Haviland MG, Hendryx MS, Shaw DG, Henry JP.
Alexithymia in women and men hospitalized for psychoac- [33] Sifneos PE. Psychosomatique, alexithymie et neuroscien-
[10] Clerici M, Carta I, Gazzulo CL. Substance and psychopa- tive substance dependence. Compr Psychiatry 1994 ; 35 : ces. Rev Fr Psychanal (n° 4)1994 ;
thology. A diagnostic screening of Itatian narcotic addicts. 124-128
Soc Psychiatr Epidemiol 1989 ; 24 : 219-226 [34] Tassin JP. Les mécanismes neurobiologiques des dépen-
[23] Heeselbrock MN, Meyer RE, Keener J. Psychopathology in dances.Communication, les dépendances. Semaine de la
[11] Cloninger CR, Svrakic DM, Przybeck TR. A psychobiologi- hospitalized alcoholics. Arch Gen Psychiatry 1985 ; 42 : prévention Ap. Hp, 16-19 nov1998
cal model of temperament and character. Arch Gen Psy- 1050-1055
chiatry 1993 ; 50 : 975-990 [35] Weissmann MM, Meyers J. Clinical depression in alcohol-
[24] Jeammet PH. Dépendance et séparation à l’adolescence. ism. Am J Psychiatry 1980 ; 137 : 372-373
[12] Corcos M. Dépression et addiction : une approche psycha- Point de vue psychodynamique. In : Bailly D, Venisse JL éd.
nalytique. In : Lemperière T éd. La dépression avant vingt Dépendance et conduites de dépendance. Paris : Masson, [36] Zuckerman M. The psychophysiology of sensation seeking.
ans. Paris : Masson, 1999 1994 : 134-143 J Person 1990 ; 58 : 313-339

6
¶ 37-216-G-50

Consommations pathologiques d’alcool


à l’adolescence
L. Karila, S. Coscas, A. Benyamina, M. Reynaud

L’adolescence est une période particulière du développement de l’individu où la majorité des individus
débutent et modèlent leur consommation d’alcool. Les risques liés à la consommation d’alcool varient en
fonction du stade pubertaire de l’adolescent. Depuis trois décades, la consommation régulière de vin a
progressivement été remplacée, surtout pour les nouvelles générations, par une consommation
occasionnelle de bières, d’alcools forts et de premix. La dépendance à l’alcool est un phénomène rare à
l’adolescence, l’utilisation nocive pour la santé plus fréquente mais il faut plutôt évoquer un mésusage
d’alcool chez l’adolescent qui se manifeste surtout par des consommations le week-end, en grandes
quantités, entre copains, avec la recherche de sensations et d’ivresse. Les principales complications de ces
consommations pathologiques sont plutôt d’ordre psychologique et social. Quoi qu’il en soit, tout
adolescent, lors d’une consultation en médecine générale, en médecine scolaire ou chez un spécialiste
devrait bénéficier d’un repérage portant sur son usage d’alcool et/ou d’autres substances psychoactives.
Différentes stratégies de prise en charge sont possibles.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Alcool ; Addiction ; Adolescence ; Utilisation nocive pour la santé ; Dépendance ; Premix

Plan La majorité des individus débutent et modèlent leur consom-


mation d’alcool à l’adolescence. L’alcool, au même titre que le
¶ Introduction 1 tabac, est l’un des premiers produits rencontrés par l’adolescent,
l’un des plus accessibles et donc très logiquement celui qui est
¶ Épidémiologie 2
le plus souvent consommé. Les travaux épidémiologiques
¶ Facteurs de risque d’installation d’une conduite addictive 2 annuels de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxico-
Modalités de consommation à risque 2 manies (OFDT) le soulignent clairement [3].
Facteurs de risque individuels et environnementaux 3
À la différence de leurs aînés, les adolescents consomment de
¶ Clinique 3 l’alcool de préférence en dehors des repas. Cette consommation
Différents types de consommation 3 est, au début, occasionnelle, discontinue, souvent au domicile
Questionnaires de repérage 4 familial à l’occasion d’événements festifs, autorisée par les
¶ Prise en charge thérapeutique 5 parents consommateurs eux-mêmes. D’ailleurs, 70 à 80 % des
Prévention 5 adolescents avant 11 ans ont déjà goûté de la bière, du vin ou
Évaluation globale 6 du champagne et plus de 20 % ont déjà été ivres.
Différentes techniques thérapeutiques 6
Les risques liés à l’usage d’alcool varient en fonction du stade
Conduite à tenir devant une utilisation nocive d’alcool
pubertaire de l’adolescent [4] : un adolescent âgé de 14 ans réagit
pour la santé chez l’adolescent 6
très différemment à une exposition à l’alcool selon la période
Conduite à tenir en cas de dépendance à l’alcool chez l’adolescent 6
pubertaire où il se trouve. Les risques liés à l’usage d’alcool
¶ Conclusion 6 varient aussi en fonction du stade de développement psycholo-
gique du consommateur [5].
L’effet psychotrope de l’alcool est d’une façon générale plus
■ Introduction nocif chez des sujets en développement, dans la mesure où il
intervient sur un cerveau en pleine maturation pubertaire et
L’adolescence est une période du développement de l’indi- peut interrompre les programmes neurobiologiques naturels [6-8].
vidu qui s’étend de 10 à 19 ans et qui présente des caractéristi- Cliniquement, cela risque d’entraîner des troubles cognitifs,
ques biologiques et psychologiques particulières [1] . Cette d’altérer les interactions avec autrui et/ou avec son environne-
définition, variable selon les sources, n’est pas consensuelle
ment. Des études en imagerie par résonance magnétique (IRM)
quant au développement psychologique, physique et social de
fonctionnelle ont mis en évidence certaines anomalies chez les
chacun [2].
adolescents ayant des consommations pathologiques d’alcool [9].
L’adolescence débute par des phénomènes pubertaires qui
vont entraîner de nombreuses modifications de l’organisme, et La recherche de sensations, la recherche de nouveautés sont
totalement modifier le rapport au corps, à des âges différents. Le des facteurs à prendre en compte tant dans la compréhension
démarrage de la puberté peut s’effectuer entre 9 et 15 ans chez des conduites de consommation à l’échelon de la société que
le garçon alors que chez la fille, il peut avoir lieu entre 8 et lorsqu’il s’agit d’aborder, au plan individuel, la consommation
13 ans. d’un adolescent donné [8]. Enfin, le groupe de pairs occupe une

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-216-G-50 ¶ Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence

place centrale dans la vie de l’adolescent et il existe un désir expliquer ces différences de consommation d’alcool entre pays.
profond d’expérimenter de nouveaux comportements pour Il s’agit des contextes nationaux de consommation d’alcool, du
modeler sa propre identité. statut social de l’alcool, de l’influence des campagnes publici-
taires, du rôle de l’environnement familial, des relations entre
jeunes et du poids de l’initiation et de la consommation
■ Épidémiologie régulière [20].

Différentes études épidémiologiques comme l’Enquête sur les


Représentations, Opinions et Perceptions sur les Psychotropes
(EROPP), [10] les Enquêtes sur la Santé et les Consommations
■ Facteurs de risque d’installation
lors de l’Appel de Préparation À la Défense (ESCAPAD), de d’une conduite addictive
l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
(OFDT) [3, 11-14], le Baromètre santé [15], les enquêtes European Pour évaluer les risques de la consommation d’alcool, il est
School Survey Project on Alcohol and Other Drugs (ESPAD) [16] impératif de rechercher au cours des premiers entretiens avec
et de l’INSERM permettent d’évaluer les niveaux d’usage l’adolescent l’existence de modalités de consommation à risque
d’alcool, entre autres, chez les adolescents et les évolutions et de facteurs de risque individuels et environnementaux.
récentes des différentes modalités de consommation à la fin de
l’adolescence.
Depuis une trentaine d’années, la consommation régulière de
Modalités de consommation à risque
vin est remplacée progressivement, surtout pour les nouvelles Ces modalités de consommation à risque correspondent à
générations, par une consommation occasionnelle de bières l’âge de début des consommations, au caractère autothérapeu-
- boisson la plus fréquemment consommée par les adolescents tique de la consommation, à l’usage solitaire ou massif d’alcool,
avec peu de variation selon le niveau socio-économique -, à la répétition des consommations, au cumul de consommation
d’alcools forts et de premix dont les principales caractéristiques des substances psychoactives et enfin aux conduites à risque
sont détaillées ci-après. sous l’emprise d’alcool. Nous les détaillons dans ce qui suit.

Âge de début précoce


C’est un facteur de risque pour le développement ultérieur
“ Point important d’une utilisation nocive pour la santé (ou abus) et/ou d’une
dépendance, surtout si les consommations se répètent. Il faut
être particulièrement attentif lorsqu’un usage est très précoce en
Premix [17] raison des possibles conséquences médicales, psychologiques,
Dénommé alcopops au Royaume-Uni, en Suède, en psychiatriques et sociales à long terme.
Écosse.
Mélange de soda riche en sucres et en arômes et d’alcool Cumul de consommation de substances
(vodka, rhum, whisky) destiné sur le plan marketing à un psychoactives
public jeune.
Vendu en bouteilles ou en cannettes colorées de 25 ou L’usage à visée autothérapeutique - anxiolytique, antidépres-
33 cl à des prix attractifs. seur ou hypnotique - peut être révélateur de troubles psychopa-
thologiques sous-jacents chez un certain nombre d’adolescents.
La consommation d’alcool chez les jeunes a surtout lieu le
week-end dans un contexte festif avec la recherche
Usage solitaire d’alcool
d’ivresse. Les consommations sont le plus souvent
associées à celles du tabac et du cannabis [18]. En dehors des situations habituelles de consommation, il est
souvent synonyme d’une majoration de la consommation.

Répétition des consommations


Comparativement à d’autres pays comme le Danemark, la
Grèce, la Belgique et le Royaume-Uni où les chiffres sont élevés, C’est une modalité de consommation à prendre en considé-
le pourcentage d’adolescents âgés de 15 ans consommant de la ration : plus le nombre de consommation est important, plus le
bière au moins une fois par semaine est relativement fai- temps d’exposition aux effets de l’alcool est grand au cours de
ble (20 % pour les garçons et 8 % pour les filles). De plus, la la vie, plus le risque de survenue de complications augmente.
proportion de jeunes consommant régulièrement de la bière a L’effet recherché par la consommation fréquente et/ou en
plutôt diminué en France en 16 ans, à la différence de certains quantités élevées, par la consommation en dehors des condi-
pays comme la Russie. La consommation quotidienne des tions régulées socialement est celui d’une recherche de
jeunes diminue sensiblement au profit d’une consommation au « défonce », d’anesthésie, d’évasion et d’oubli de la réalité.
cours du week-end.
L’analyse de l’enquête ESCAPAD montre que 76 % des filles Ivresses alcooliques
et 84 % des garçons ont déjà eu un usage d’alcool au cours des Seules ou couplées à la consommation d’autres produits
30 derniers jours [19]. Une donnée importante à souligner est la (cannabis, cocaïne, médicaments psychotropes, ecstasy....) elles
différence d’usage régulier d’alcool, défini par 10 consomma- peuvent être massives et fréquentes. En général, les consomma-
tions au cours du dernier mois, en fonction du sexe. En effet, tions fréquentes de cannabis sont associées et ont été précédées
21 % des garçons ont un usage régulier d’alcool alors que ce par la consommation de tabac et d’alcool [8, 22]. Il a été montré
chiffre est de 8 % pour les filles. que l’augmentation de l’ivresse alcoolique et de la consomma-
L’ivresse régulière, définie par au moins 10 ivresses au cours tion de tabac était corrélée à la consommation de cannabis [23].
de l’année, est rare avant l’âge de 16 ans contrairement à
17-18 ans où la plupart des garçons et des filles consomment de
Certaines situations à risque
l’alcool.
En Europe, 7 % des adolescents français âgés de 16 ans Par exemple, la conduite de véhicules (scooters, motos,
déclarent un usage régulier, positionnant la France au 21e rang voitures) sous l’emprise de l’alcool doit attirer l’attention du
des pays européens, la Hollande étant le pays où cette consom- praticien. Une alcoolémie de 0,5 g/l multiplie par un facteur
mation régulière est la plus élevée (25 %) et la Finlande celui où 2 le risque d’accident. Au-delà de 0,8 g/l, ce risque est multiplié
elle est la plus faible (3 %) [20, 21]. Différents éléments peuvent par 10. Les jeunes conducteurs sont particulièrement concernés

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence ¶ 37-216-G-50

par le problème de l’alcool au volant. Les consommations de Après avoir recherché des facteurs de risque d’installation
cannabis étant fréquemment associées, le risque accidentel d’une conduite addictive alcoolique, le clinicien définira le type
routier est potentialisé (multiplié par un facteur 15) [24]. Des de consommation du patient, pourra s’aider de questionnaires
campagnes récentes de prévention ont insisté sur ce risque de repérage et évaluera le retentissement global des
important. D’autres situations comme les rapports sexuels non consommations.
protégés, les troubles du comportement et la grossesse sous
l’emprise de l’alcool doivent être également recherchées [25]. Différents types de consommation
Usage
Il s’agit d’une consommation socialement acceptée sans
“ Points importants complication d’ordre physique, psychologique ou sociale.

Utilisation nocive pour la santé (CIM-10)


Indicateurs sanitaires les plus importants devant
ou l’abus d’alcool (DSM IV TR)
attirer l’attention du praticien :
• âge de début précoce ; L’utilisation nocive pour la santé ou l’abus d’alcool peut être
• usage massif ; une modalité de consommation assez fréquente chez
• usage solitaire ; l’adolescent.
• répétition des prises de risque. CIM-10
Selon la dixième Classification Internationale des Maladies
(OMS), les critères diagnostiques de l’utilisation nocive d’alcool
pour la santé sont les suivants [35].
Facteurs de risque individuels Il s’agit d’un mode de consommation de l’alcool préjudiciable
et environnementaux à la santé.
Les complications peuvent être physiques (hépatite, polyné-
Les facteurs individuels de risque comprennent des facteurs vrite, pancréatite....) ou psychiques (épisode dépressif majeur
génétiques, psychologiques et psychiatriques. secondaire à une forte consommation d’alcool, tentative de
suicide...).
Facteurs individuels psychologiques Le diagnostic repose sur des preuves manifestes que l’utilisa-
Parmi les facteurs individuels psychologiques, il est important tion de l’alcool seul ou associé à d’autres substances a entraîné
de préciser les traits de personnalité du sujet ; l’existence de des troubles psychologiques ou physiques.
traits de personnalité comme la faible estime de soi, la timidité, Ce mode de consommation donne souvent lieu à des criti-
l’autodépréciation, les réactions émotionnelles excessives, les ques et a souvent des conséquences sociales négatives. La
difficultés face à certains événements, les difficultés à avoir des désapprobation par autrui ou par l’environnement culturel, et
relations stables et à résoudre les problèmes interpersonnels les conséquences sociales négatives (arrestation par la police,
doivent être prises en compte. renvoi temporaire d’un établissement, séparation....) ne suffisent
toutefois pas pour faire le diagnostic.
Facteurs individuels psychiatriques Ce diagnostic n’est pas posé quand le sujet présente un
syndrome de dépendance, un trouble psychotique ou un autre
Différentes pathologies peuvent exister et doivent faire l’objet trouble spécifique lié à l’utilisation d’alcool ou à d’autres
d’une analyse précise lors des différents entretiens. Il peut s’agir substances psychoactives.
d’un trouble des conduites, d’hyperactivité avec déficit de
l’attention, d’une dépression, de tentatives de suicide à répéti- DSM IV
tion, d’un trouble bipolaire, de troubles anxieux (trouble Selon le DSM IV version révisée (DSM IV-TR), les critères
obsessionnel compulsif, trouble phobique, trouble panique, diagnostiques de l’abus d’alcool sont les suivants [36].
trouble anxieux généralisé, stress post-traumatique), d’un trouble Mode d’utilisation inadéquat de l’alcool conduisant à une
du comportement alimentaire, d’un état limite ou d’un autre altération du fonctionnement ou à une souffrance cliniquement
trouble de la personnalité type personnalité antisociale [26, 27]. significative, caractérisé par la présence d’au moins une des
manifestations suivantes au cours d’une période de 12 mois :
Facteurs environnementaux • utilisation répétée de l’alcool conduisant à l’incapacité de
Une corrélation statistiquement significative entre antécé- remplir des obligations majeures, au travail, à l’école, ou à la
dents familiaux d’alcoolodépendance et âge de début précoce maison (absences répétées ou mauvaises performances au
des consommations est retrouvée. Le fonctionnement intrafa- travail du fait de l’utilisation de l’alcool, absences, exclusions
milial, le mode d’éducation, la tolérance des parents pour temporaires ou définitives de l’école, négligence des enfants
l’usage d’alcool et pour la transgression des règles, les événe- ou des tâches ménagères) ;
ments de vie sont des facteurs de risque d’installation d’une • utilisation répétée de l’alcool dans des situations où cela peut
conduite addictive [28-30]. Comme nous l’avons précédemment être physiquement dangereux (p. ex. : lors de la conduite
vu, le rôle des amis est indiscutable dans l’initiation d’une d’une mobylette, d’un scooter, d’une voiture ou en faisant
consommation d’alcool, de tabac ou d’autres drogues mais fonctionner une machine alors qu’on est sous l’influence de
n’explique pas à lui seul les conduites pathologiques de l’alcool) ;
consommations d’alcool. Enfin, la perte des repères sociaux • rapport avec l’utilisation de l’alcool ;
comme la misère, la précarité, le chômage, l’absence de scolari- • utilisation de l’alcool malgré des problèmes interpersonnels
sation, la marginalité est également un important facteur de ou sociaux, persistants ou récurrents, causés ou exacerbés par
risque [31, 32]. les effets de l’alcool (p. ex. : disputes avec le conjoint à
propos des conséquences de l’intoxication, bagarres).
Les symptômes n’ont jamais atteint, pour cette classe de
substance, les critères de la dépendance à une substance.
■ Clinique
Dépendance
Tout adolescent, lors d’une consultation en médecine géné-
rale, scolaire ou chez un spécialiste devrait bénéficier d’un La dépendance est un phénomène plutôt rare à l’adolescence.
repérage portant sur son usage de substances psychoactives [1, 33, Nous allons utiliser les critères diagnostiques du DSM IV pour
34]. la définir [36].

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-216-G-50 ¶ Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence

Tableau 1. Chez l’adolescent, on parle plutôt de mésusage d’alcool car


Comportements de consommations chez les garçons et chez les filles. l’adolescent ne répond pas complètement aux différents critères
Garçons Filles
diagnostiques d’abus ou de dépendance définis chez l’adulte.
Le mésusage d’alcool chez l’adolescent ne répond pas aux
Consommation liée au contexte Consommation liée à une critères OMS (21 verres par semaine chez l’homme et 14 verres
Marqueur de socialisation au sein dimension psychoaffective : par semaine chez la femme) et se manifeste plutôt par des
du groupe de pairs troubles anxieux, troubles consommations le week-end, en grandes quantités, entre
dépressifs, tentatives de suicide
Consommation dans la moyenne copains, avec la recherche de sensations et d’ivresse [43].
européenne des usages de Consommation en dessous de la Il n’existe pas, à la différence des adultes, de marqueurs
substances psychoactives moyenne européenne des usages de biologiques (CDT [transferrine désyalilée] ...) pour dépister et
substances psychoactives affirmer un trouble lié à l’usage d’alcool chez l’adolescent [44].
Consommation d’alcool plus
précoce, plus fréquente et plus Consommation d’alcool
régulière (3 fois plus d’usage comparable pour le tabac, le
régulier) cannabis et les psychotropes
Plus d’ivresses alcooliques
Plus de conduites à risque
(anxiolytiques...)
Trois fois moins d’usage régulier
“ Points importants
Plus adeptes de spiritueux, de vin et
Plus adeptes de bière et de premix
de premix Critères de mésusage d’alcool chez l’adolescent.
Consommation d’alcool dans des situations à risque
comme la conduite de scooters, de moto, de mobylette,
de voitures.
Il s’agit d’un mode d’utilisation inadapté d’une substance Quantités d’alcool consommées.
conduisant à une altération du fonctionnement ou une souf-
Binge drinking ou prise compulsive d’alcool : prise de 5 à
france, cliniquement significative, caractérisée par la présence de
trois (ou plus) des manifestations suivantes, à un moment 6 consommations d’alcool à la suite sans notion précise du
quelconque d’une période continue de 12 mois : temps mis pour consommer (5 consommations pour les
• tolérance, définie par l’un des symptômes suivants : filles, 6 pour les garçons).
C besoin de quantités notablement plus fortes de la substance Consommations associées d’autres substances
pour obtenir une intoxication ou l’effet désiré ; psychoactives (cannabis, cocaïne, club drugs comme la
C effet notablement diminué en cas d’utilisation continue kétamine, MDMA, benzodiazépines....) [45, 46].
d’une même quantité de la substance ; Persistance de ces comportements dans le temps.
• sevrage caractérisé par l’une ou l’autre des manifestations Conséquences de la consommation d’alcool.
suivantes :
C syndrome de sevrage caractéristique de la substance ;
C la même substance (ou une substance très proche) est prise Conséquences des consommations pathologiques
pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage ; d’alcool
• la substance est souvent prise en quantité plus importante ou
Les complications somatiques de la consommation d’alcool
pendant une période plus prolongée que prévu ;
habituellement retrouvées chez l’adulte comme les hépatites
• il y a un désir persistant, ou des efforts infructueux, pour
alcooliques, la cirrhose, les neuropathies périphériques, les
diminuer ou contrôler l’utilisation de la substance ; pancréatites sont très rares à l’adolescence.
• beaucoup de temps est passé à des activités nécessaires pour Les principales conséquences d’un mésusage d’alcool chez
obtenir la substance (par exemple fumer sans discontinuer), l’adolescent sont d’une part d’ordre social et d’autre part
ou à récupérer de ses effets ; psychologique.
• des activités sociales, professionnelles ou de loisirs importan- Sur le plan social, il s’agit de l’absentéisme scolaire, de l’échec
tes sont abandonnées ou réduites à cause de l’utilisation de scolaire, des troubles du comportement avec des bagarres, de la
la substance ; délinquance, d’une prise de risque dans le domaine de la vie
• l’utilisation de la substance est poursuivie bien que la sexuelle [47] (absence de contraception et de protection en cas
personne sache avoir un problème psychologique ou physi- de relation sexuelle, violence sexuelle) et des accidents de la
que persistant ou récurrent susceptible d’avoir été causé ou route. Dans ce dernier cas, le risque d’accident est amplifié par
exacerbé par la substance (par exemple, poursuite de la prise l’inexpérience relative de beaucoup de jeunes, par un déni du
de cocaïne bien que la personne admette une dépression liée danger et par le fait que leur organisme est encore peu habitué
à la cocaïne, ou poursuite de la prise de boissons alcoolisées à la consommation d’importantes quantités d’alcool.
bien que le sujet reconnaisse l’aggravation d’un ulcère du fait Sur le plan psychologique il s’agit essentiellement d’hyperac-
de la consommation d’alcool). tivité avec déficit de l’attention, d’anxiété, de dépression et de
tentatives de suicide [48-50].
Préciser si :
Aucune étude longitudinale évaluant l’évolution d’un mésu-
• avec dépendance physique : présence d’une tolérance ou d’un
sage à l’adolescence vers la dépendance à l’âge adulte n’a été
sevrage ;
réalisée en France. Cependant, des études prospectives anglo-
• sans dépendance physique : absence de tolérance ou de
saxonnes apportent certains éléments de réponse : il a été
sevrage.
montré une relative stabilité des comportements pathologiques
de consommation avec le temps (sur une période de 2 ans,
Particularités cliniques de l’adolescent 50 % des consommateurs problématiques restaient dans cette
Différents éléments concernant les consommations patholo- catégorie) ; dans un suivi prospectif de six années, il a été
giques d’alcool chez l’adolescent ont été soulevés dans la retrouvé, comparativement à une population témoin, un risque
littérature [37-40]. multiplié par 3,7 d’abuser de l’alcool ou d’en être dépendant
Les comportements de consommation durant l’adolescence lors de consommations pathologiques antérieures.
sont beaucoup moins fixés que chez l’adulte [41]. Comme nous
l’avons vu, ces comportements sont différents selon le sexe et Questionnaires de repérage
variables selon les individus [14]. Nous les résumons dans le Plusieurs instruments de langue anglaise et française permet-
Tableau 1. tent de repérer et d’évaluer les consommations pathologiques
La dépendance est un phénomène très rare, mais l’utilisation d’alcool et d’autres substances psychoactives, en particulier
nocive d’alcool pour la santé (ou abus) est possible chez les illicites, chez l’adolescent [51]. Le mésusage d’alcool est fréquem-
adolescents [42]. ment associé à celui du cannabis chez les adolescents.

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence ¶ 37-216-G-50

Nous ne ferons pas une liste exhaustive des outils existants,


nous prendrons à titre d’exemple certains d’entre eux qui ont
■ Prise en charge thérapeutique
fait l’objet de travaux en France. Prévention
Le questionnaire CRAFFT a été construit et validé aux États-
Avant qu’un adolescent ne consomme, parler avec lui des
Unis pour dépister précocement les usages nocifs de diverses
méfaits et des risques de l’alcool, du tabac, du cannabis et/ou
substances addictives (cannabis, alcool, autres produits) chez les
d’autres produits psychoactifs illicites est une première appro-
adolescents [52, 53]. CRAFFT est l’acronyme correspondant aux
che. Il est essentiel de prévenir en informant la population
items suivants : Car, Relax, Alone, Forget, Family/Friends,
reconnue comme étant la plus vulnérable vis-à-vis de l’alcool et
Trouble.
son entourage proche notamment des adultes en contact avec
ADOSPA, version française du CRAFFT, est l’acronyme corres- des adolescents (éducateurs, instituteurs, professeurs, médecin
pondant aux items suivants : Auto/moto (conduite d’un véhi- scolaire, infirmier scolaire).
cule sous influence ou par quelqu’un sous influence d’alcool ou Repérer les divers signes d’appel de l’adolescent en difficultés
d’autres drogues), Détente (usage autothérapeutique), Oubli et les facteurs de vulnérabilité et de risque favorisant un usage
(troubles mnésiques sous produit), Seul (consommation soli- précoce, travailler sur le fait que l’adolescent est parfois en
taire), Problèmes, Amis/famille (reproches faits par les amis ou décalage avec ses propres croyances d’une conduite à risque,
la famille) [5]. informer sur les conséquences apparentes et dommageables de
Cet outil a fait l’objet d’une étude de validation en popula- l’alcool (plus que l’inventaire des conséquences somatiques)
tion générale qui a montré que cet outil était performant dans sont des éléments importants à prendre en compte [49, 60, 61].
le repérage précoce des usages réguliers, des usages quotidiens
de cannabis et des ivresses mixtes. Au score de 2, le CRAFFT-
ADOSPA montrait des qualités de repérage large de l’usage nocif
et au score de 3, il repérait la gravité des consommations. Les
recommandations préconisées par les auteurs étaient les suivan-
“ Points essentiels
tes : un score supérieur ou égal à 2 au CRAFFT-ADOSPA indi- Conseils à donner aux parents vis-à-vis des
quait un risque modéré et un score de 3 ou plus un risque élevé consommations d’alcool chez leur enfant.
d’usage nocif chez l’adolescent ou l’adulte jeune [54].
Attitude empathique.
Rappeler et encourager le rôle éducatif des parents dans le
contrôle et la discussion sur les conduites de
consommation d’alcool.
“ Point essentiel Ne pas banaliser ni dramatiser les consommations
d’alcool.
Éviter l’affrontement avec le jeune.
Questionnaire CRAFFT-ADOSPA.
Délivrer, sans inquiéter, une information détaillée sur les
Êtes-vous déjà monté(e) dans un véhicule (Auto, moto,
conséquences sociales et psychologiques liées aux
scooter) conduit par quelqu’un (vous y compris) qui avait
consommations pathologiques d’alcool.
bu ou qui était défoncé(e) ?
Délivrer une information sur les autres substances
Utilisez-vous de l’alcool ou d’autres drogues pour vous
psychoactives.
Détendre, vous sentir mieux ou tenir le coup ?
Proposer de voir ou d’orienter l’adolescent en consultation
Avez-vous Oublié des choses que vous deviez faire (ou fait
spécialisée d’addictologie.
des choses que vous n’auriez pas faites) quand vous
Proposer les coordonnées d’un point d’accueil et d’écoute
utilisez de l’alcool ou d’autres drogues ?
Jeunes.
Consommez-vous de l’alcool et d’autres drogues quand
Proposer les coordonnées de groupes de paroles
vous êtes Seul(e) ?
familiaux type Al-Anon/Alateen :
Avez-vous déjà eu des Problèmes en consommant de
« les groupes familiaux Al-Anon forment une fraternité de
l’alcool ou d’autres drogues ?
familles et d’amis d’alcooliques qui partagent leur
Vos Amis ou votre famille vous ont-ils déjà dit que vous
expérience, leur force et leur espoir dans le but de
deviez réduire votre consommation de boissons
résoudre leurs problèmes communs »
alcoolisées ou d’autres drogues ?
« Alateen, une section des Groupes Familiaux Al-Anon est
composée d’enfants et d’adolescents dont la vie est ou a
été affectée par un trouble lié à l’usage d’alcool d’un
Le POSIT, acronyme de Problem Oriented Screening Instru- membre de leur famille ou d’un ami intime »
ment for Teenagers, est un instrument de repérage destiné aux http://assoc.orange.fr/al-anon.alateen.france/.
adolescents de 12 à 19 ans qui a été élaboré par le NIDA Adresses internet de mouvements d’anciens
(National Institute on Drug Abuse) aux États-Unis et validé en buveurs et d’associations.
milieu scolaire. Il permet d’identifier les problèmes de santé La Croix Bleue : http://membres.lycos.fr/alcool78cb/
d’ordre psychologique et social qui pourraient justifier une H-national/national.htm.
évaluation plus approfondie et nécessiter un recours à un Vie Libre : http://www.vielibre.org.
traitement [55-57]. Il s’agit d’un questionnaire qui évalue Alcooliques Anonymes :
10 domaines (ou facteurs) classés de A à J : utilisation de http://www.alcooliques-
substances psychoactives, santé physique, santé mentale,
anonymes.fr.
relations intrafamiliales, relations avec les proches, situation
Association nationale de prévention en alcoologie et
scolaire, orientation professionnelle, habiletés sociales, loisirs et
comportements agressifs/délinquance. Il comporte 139 ques- addictologie (ANPAA) : www.anpa.asso.fr.
tions fermées à choix simple (oui/non). Sites internet réservés aux professionnels de la
D’autres questionnaires comme le RISQ (Recherche et Inter- santé.
vention sur les Substances psychoactives – Québec) [58] , le Fédération des Acteurs de l’Alcoologie et de l’Addictologie
DEPADO (DEPistage ADOlescents) [58], l’ADI (Adolescent Drin- (F3A) : www.alcoologie.org.
king Index), l’ADIS (Adolescent Drug Involvement Scale), Société française d’alcoologie : www.sfalcoologie.asso.fr.
l’ADAD (Adolescent Drug Abuse Diagnosis) [59], le DAP (Drug www.alcoweb.com.
and Alcohol Problem) peuvent être cités.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-216-G-50 ¶ Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence

Évaluation globale Conduite à tenir devant une utilisation


En première intention, il faut favoriser l’installation d’une nocive d’alcool pour la santé
alliance thérapeutique avec l’adolescent et ses parents afin chez l’adolescent
d’instaurer un dialogue le plus souvent rompu, et de reconnaître
Il ne faut pas seulement informer le patient à ce stade. Le
les difficultés et les souffrances du patient. Il faut garder à
plus souvent, il existe des facteurs de risque à l’origine de
l’esprit pendant la prise en charge que l’adolescent construit sa
difficultés qu’il va falloir repérer. Après avoir établi une relation
propre identité et reste très sensible au rôle des pairs qui ont
de confiance, la recherche d’une souffrance psychique, de
une influence sur ses relations et ses consommations.
difficultés relationnelles ou scolaires est une étape essentielle
Une évaluation globale de la situation met en évidence les dans la prise en charge du patient.
facteurs de risque individuels, les facteurs environnemen- La prise en charge des troubles psychopathologiques retrouvés
taux, [26] le type de consommation (usage que celui-ci soit festif se fait par un abord psychothérapeutique et si nécessaire
ou occasionnel, abus ou usage nocif, dépendance), les consom- pharmacologique associé à un suivi médical régulier et attentif.
mations éventuellement associées (cannabis, autres drogues...) et Une prise en charge familiale peut être proposée en plus en cas
l’importance des risques encourus afin d’adapter la prise en de conflits [68].
charge thérapeutique. Différents objectifs thérapeutiques seront Il convient de protéger le mineur en repérant et en éliminant
proposés en fonction de la gravité de la situation (binge drinking, les situations à risque et les relations délétères avec un adoles-
psychopathologie associée, utilisation nocive pour la santé ou cent prêt à les modifier.
polyconsommations). Il est préférable en l’absence de critères de gravité de ne pas
Chez l’adolescent, il ne faut ni banaliser ni dramatiser les stigmatiser l’adolescent en l’orientant à ce stade vers une
consommations d’alcool et éviter l’affrontement. En fonction de structure spécialisée [8].
l’histoire clinique, il faut plus ou moins impliquer la famille
dans la prise en charge car son rôle est essentiel et renforcer
leurs compétences est utile.
Conduite à tenir en cas de dépendance
Les différents types d’intervention utilisée sont le plus à l’alcool chez l’adolescent
souvent basés sur des techniques validées chez l’adulte, qui La dépendance chez l’adolescent reste un phénomène rare.
s’adaptent aux caractéristiques spécifiques du développement de Ce type de conduite addictive est caractérisé par un usage
l’adolescent et de ses problèmes à cette période de la vie [8]. Une quotidien et répété, des excès, des polyconsommations, des
orientation en cas de réels problèmes vis-à-vis de l’alcool vers problèmes familiaux et sociaux souvent graves. Des mesures
des lieux d’écoute peut faciliter un début de prise en charge. thérapeutiques spécifiques seront mises en place dans le cadre
d’un réseau institutionnel avec une prise en charge cohérente et
rassurante [8].
Différentes techniques thérapeutiques
Chez un patient en difficulté avec l’alcool et en demande
d’aide, le praticien met en place des stratégies pour réduire ou ■ Conclusion
cesser les consommations [62].
L’initiation à l’alcool, facile d’accès comme le tabac et au
Il est nécessaire d’informer l’adolescent sur le produit et ses
statut social particulier en France, est un phénomène marquant
dommages à court plus qu’à long terme. Le travail éducatif joue
de l’adolescence. La dépendance est un phénomène rare à cette
un rôle de repère et d’information face aux risques encourus par
époque de la vie, il est plus fréquemment retrouvé une utilisa-
l’adolescent pour leur permettre d’y répondre ou de s’y opposer.
tion nocive d’alcool pour la santé voire la notion de mésusage,
Une prise de conscience du risque encouru passe souvent par
les particularités de l’adolescence faisant que ces sujets ne
l’utilisation d’échelles d’autoévaluation associées à l’entretien
clinique pour donner lieu à un échange informatif.
Il peut être utile de proposer comme chez l’adulte un temps
de sevrage thérapeutique, et de mettre en avant que l’abstinence
pourra avoir des conséquences positives sur le fonctionnement
global de l’adolescent.
“ Liste des acronymes
Différentes techniques thérapeutiques peuvent être utilisées. OFDT : Observatoire français des drogues et des
Les stratégies d’intervention brève ont démontré leur effica-
toxicomanies
cité dans le mésusage d’alcool. Il s’agit d’interventions de courte
EROPP : Enquête sur les Représentations, Opinions et
durée et de durée limitée (12 séances sur un semestre par
exemple) qui s’inspirent souvent des techniques motivationnel- Perceptions sur les Psychotropes
les. Elles peuvent être utilisées en ambulatoire ou au cours d’une ESCAPAD : Enquêtes sur la Santé et les Consommations
hospitalisation. Elles comprennent une courte évaluation avec lors de l’Appel de Préparation À la Défense
feedback, différents objectifs à atteindre, des références à des ESPAD: European School Survey Project on Alcohol and
techniques de type autoassistance, une évaluation de l’évolution Other Drugs
des modes de consommation [63]. DSM-IV TR: DSM-IV Text Revision
Les entretiens motivationnels, approche centrée sur le CRAFFT: Car, Relax, Alone, Forget, Family/Friends,
patient, invité à parler des aspects positifs et négatifs de sa Trouble
consommation, ont montré une réduction statistiquement ADOSPA : Auto/moto, Détente, Oubli, Seul, Problèmes,
significative des comportements d’alcoolisation chez les adoles-
Amis/famille
cents ayant des problèmes avec l’alcool [64].
RISQ : Recherche et Intervention sur les Substances
Les thérapies cognitive et comportementale avec travail sur
les croyances et les attentes, développement des compétences de psychoactives – Québec
coping, affirmation de soi [65, 66]. DEPADO : DEPistage ADOlescents
Les thérapies familiales systémiques : de nombreuses études ADI : Adolescent Drinking Index
ont démontré leur efficacité. ADIS : Adolescent Drug Involvement Scale
Les groupes de parole de familles, le soutien par l’écoute ADAD : Adolescent Drug Abuse Diagnosis
téléphonique. DAP : Drug and Alcohol Problem
L’association de ces différentes techniques thérapeutiques à la POSIT: Problem Oriented Screening Instrument for
pharmacothérapie peut s’avérer nécessaire dans certains cas [67]. Teenagers
Enfin, un travail impliquant les acteurs sociaux couplé à ces NIDA : National Institute on Drug Abuse
différentes techniques est de rigueur.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence ¶ 37-216-G-50

remplissent pas entièrement les deux premières catégories [23] Vignau J, Karila L. Substance abuse in adolescents. Rev Prat 2003;53:
diagnostiques sus-citées. Quoi qu’il en soit, la consommation 1315-9.
pathologique d’alcool a des effets néfastes, en elle-même en [24] Ramaekers JG, Berghaus G, Van Laar M, Drummer OH. Dose related
perturbant le fonctionnement psychique et social des individus, risk of motor vehicle crashes after cannabis use. Drug Alcohol Depend
et en étant à l’origine d’un risque augmenté de certaines 2004;73:109-19.
pathologies psychiatriques (dont le suicide) et des accidents de [25] Morel A, Reynaud M. Les modalités de consommation à risque. In:
la route. Ces consommations pathologiques d’alcool sont sous Reynaud M, editor. Usage nocif de substances psychoactives. Paris: La
l’influence de facteurs de risque individuels, familiaux et Documentation Française; 2002. p. 37-44.
environnementaux que le praticien se devra de rechercher. [26] Ellickson SL, Tucker JS, Klein DJ, McGuigan KA. Prospective risk
factors for alcohol misuse in late adolescence. J Stud Alcohol 2001;62:
La formation en addictologie, la prévention et l’utilisation de
773-82.
différentes techniques thérapeutiques en cas de trouble avéré [27] Karila L. Dépression et addictions. Paris: Phase 5. 2006.
sont indispensables pour prendre en charge ce type de patient. [28] Martin ED, Sher KJ. Family history of alcoholism, alcohol use
Enfin, il est nécessaire de développer des études prospectives disorders and the five-factor model of personality. J Stud Alcohol 1994;
longitudinales, en France, sur des cohortes de taille statistique- 55:81-90.
ment satisfaisantes afin d’évaluer le retentissement cognitif, [29] Godsall RE, Jurkovic GJ, Emshoff J, Anderson L, Stanwyck D. Why
psychologique et somatique des consommations pathologiques, some kids do well in bad situations: relation of parental alcohol misuse
débutées à l’adolescence, chez l’adulte. and parentification to children’s self-concept. Subst Use Misuse 2004;
. 39:789-809.
[30] Johnson PB, Johnson HL. Cultural and familial influences that maintain
■ Références the negative meaning of alcohol. J Stud Alcohol 1999;13:79-83 [suppl].
[31] Beraud J. Les facteurs psychosociaux de risque, de gravité et de pro-
[1] Elster A, Kuznets N. AMA Guidelines for Adolescent Preventive Ser- tection. In: Reynaud M, editor. Usage nocif de substances
vices (GAPS). Recommendations and rationale. Baltimore: Williams psychoactives. Paris: La Documentation Française; 2002.
and Wilkins; 1994. [32] Szalay LB, Inn A, Doherty KT. Social influences: effects of the social
[2] Jessor R. Risk behavior in adolescence: a psychosocial framework for environment on the use of alcohol and other drugs. Subst Use Misuse
understanding and action. J Adolesc Health 1991;12:597-605. 1996;31:343-73.
[3] Beck F, Legleye S. Drogues et Adolescence, Usage de drogue et contex- [33] JullA. The CRAFFT test was accurate for screening for substance abuse
tes d’usages à la fin de l’adolescence, évolutions récentes, ESCAPAD among adolescent clinic patients. Evid Based Nurs 2003;6:23.
2002, France, Paris, OFDT. 2003. [34] Kelly TM, Donovan JE, Chung T, Cook RL, Delbridge TR. Alcohol use
[4] Sher L. Biological factors and adolescent alcohol use. Can J Psychiatry disorders among emergency department-treated older adolescents: a
2003;48:281. new brief screen (RUFT-Cut) using the AUDIT, CAGE, CRAFFT, and
[5] Karila L, Legleye S, Donnadieu S, Beck F, Corruble E, Reynaud M. RAPS-QF. Alcohol Clin Exp Res 2004;28:746-53.
Consommations nocives de produits psychoactifs; résultats préliminai- [35] OMS. Classification Internationale des Maladies. Critères diagnosti-
res de l’étude ADOTECNO. Alcool Addictol 2004;26:99-109. ques pour la recherche. Dixième révision. CIM-10/ICD-10. Paris:
[6] Spear LP. The adolescent brain and the college drinker: biological basis Masson; 1994.
of propensity to use and misuse alcohol. J Stud Alcohol 2002;14:71-81 [36] DSM-IV. Text Revision. Manuel diagnostique et statistique des trou-
[suppl]. bles mentaux. Paris: Masson; 2005.
[7] Monti PM, Miranda Jr. R, Nixon K, Sher KJ, Swartzwelder HS, [37] Rassool GH, Winnington J. Adolescents and alcohol misuse. Nurs
Tapert SF, et al. Adolescence: booze, brains, and behavior. Alcohol Clin Stand 2003;17:46-52 (quiz 53-5).
Exp Res 2005;29:207-20. [38] O’Neill M, Fadl H, Keavney L. Adolescent alcohol misuse--searching
[8] Reynaud M. Usage nocif de substances psychoactives. Paris: La Docu- for a solution. Ir Med J 2003;96:279-80.
mentation Française; 2002. [39] Robson WJ. Alcohol misuse. Arch Dis Child 2001;84:95-7.
[9] Sher L. Functional magnetic resonance imaging in studies of [40] Barber JG, Gilbertson R. The drinker’s children. Subst Use Misuse
neurocognitive effects of alcohol use on adolescents and young adults. 1999;34:383-402.
Int J Adolesc Med Health 2006;18:3-7. [41] Sher KJ, Gotham HJ. Pathological alcohol involvement: a
[10] Beck F, Legleye S, Peretti-Wattel P. Penser les drogues : représenta- developmental disorder of young adulthood. Dev Psychopathol 1999;
tions des produits et opinions sur les politiques publiques EROPP. 11:933-56.
OFDT, 2262003; 2002. [42] Picard V. Étude de la consommation d’alcool en milieu scolaire. Rev
[11] Beck F, Legleye S, Peretti-Watel P. Regards sur la fin de l’adolescence : Prat Méd Gén 2002;16:6-10.
consommations de produits psychoactifs dans l’enquête ESCAPAD. [43] Reifman A, Watson WK. Binge drinking during the first semester of
OFDT, 2202000; 2000. college: continuation and desistance from high school patterns. J Am
[12] Beck F, Legleye S, Peretti-Watel P. Santé, mode de vie et usages de Coll Health 2003;52:73-81.
drogues à 18 ans. ESCAPAD. France, Paris: OFDT, 2002001; 2001. [44] Schwan R, Albuisson E, Malet L, Loiseaux MN, Reynaud M,
[13] Beck F, Legleye S, Peretti-Watel P. Alcool, tabac, cannabis et autres Schellenberg F, et al. The use of biological laboratory markers in the
drogues illicites parmi les élèves de collège et de lycée. ESPAD. Paris: diagnosis of alcohol misuse: an evidence-based approach. Drug
OFDT, 2002002; 1999 (France, tome II). Alcohol Depend 2004;74:273-9.
[14] Beck F, Legleye S, Spilkas S. Atlas régional des consommations de [45] Jackson KM, Sher KJ, Cooper ML, Wood PK. Adolescent alcohol and
produits psychoactifs des jeunes français - Exploitation régionale de tobacco use: onset, persistence and trajectories of use across two
l’enquête ESCAPAD 2002/2003. OFDT; 2005 (224p). samples. Addiction 2002;97:517-31.
[15] Guilbert P. Baromètre santé 2000, Volume 1, Méthode, CFES. 2001. [46] Jackson KM, Sher KJ, Wood PK. Trajectories of concurrent substance
[16] Choquet M, Ledoux S, Hassler C. Alcool, tabac, cannabis et autres use disorders: a developmental, typological approach to comorbidity.
drogues illicites parmi les élèves de collège et de lycée. ESPAD. Paris: Alcohol Clin Exp Res 2000;24:902-13.
OFDT, 1482002; 1999 (France, tome I). [47] Fergusson DM, Lynskey MT. Alcohol misuse and adolescent sexual
[17] Karila L. Dictionnaire des addictions. Paris: Phase 5. 2006. behaviors and risk taking. Pediatrics 1996;98:91-6.
[18] ForsythAJ.Adesign for strife: alcopops, licit drug - familiar scare story. [48] Crome I, Bloor R. Substance misuse and psychiatric comorbidity in
Int J Drug Policy 2001;12:59-80. adolescents. Curr Opin Psychiatry 2005;18:435-9.
[19] Beck F, Legleye S, Spilka S. Drogues à l’adolescence. Niveaux et [49] Sher L, Zalsman G. Alcohol and adolescent suicide. Int J Adolesc Med
contextes d’usage de substances psychoactives à 17-18 ans en France: Health 2005;17:197-203.
ESCAPAD 2003. OFDT; 2004 (251p). [50] Bonomo Y, Proimos J. Substance misuse: alcohol, tobacco, inhalants,
[20] Hibell B. The ESPAD Report 2003. Alcohol and other drug use among and other drugs. BMJ 2005;330:777-80.
students in 35 european countries. The Swedish Council for Informa- [51] Knight JR, Sherritt L, Harris SK, Gates EC, Chang G. Validity of brief
tion on Alcohol and Other Drugs, CAN, 4502003. alcohol screening tests among adolescents: a comparison of theAUDIT,
[21] Beck F, Legleye S. Évolutions récentes des pratiques d’alcoolisation en POSIT, CAGE, and CRAFFT. Alcohol Clin Exp Res 2003;27:
France : aperçu des données épidémiologiques. Rev Toxibase 67-73.
2004(n°16):6-9. [52] Knight JR, Sherritt L, Shrier LA, Harris SK, Chang G. Validity of the
[22] OFDT Drogues et dépendances. Indicateurs et tendances. Paris. 2002 CRAFFT substance abuse screening test among adolescent clinic
(368p). patients. Arch Pediatr Adolesc Med 2002;156:607-14.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-216-G-50 ¶ Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence

[53] Knight JR, Shrier LA, Bravender TD, Farrell M, Vander Bilt J, [61] Werch CE, Carlson JM, Pappas DM, Edgemon P, DiClemente CC.
Shaffer HJ. A new brief screen for adolescent substance abuse. Arch Effects of a brief alcohol preventive intervention for youth attending
Pediatr Adolesc Med 1999;153:591-6. school sports physical examinations. Subst Use Misuse 2000;35:
[54] Karila L. Prise en charge des troubles psychiques et des addictions. La 421-32.
Revue du Praticien. Paris: JB Baillière; 2005. [62] Bernstein E, Bernstein J. Preventing alcohol misuse among adoles-
[55] McLaney M, Del Boca F, Babor T. A validation study of the Problem cents. Ann Emerg Med 2005;45:430-2.
Oriented Screening Instrument for Teenagers (POSIT). J Ment Health [63] Stewart SH, Conrod PJ, Marlatt GA, Comeau MN, Thush C, Krank M.
1994;3:363-76. New developments in prevention and early intervention for alcohol
[56] Melchior L, Radhert E, Huba G. Reliability and validity evidence for abuse in youths. Alcohol Clin Exp Res 2005;29:278-86.
the problem oriented screening instruments for teenagers (POSIT).
[64] Miller W, Rollnick S. Motivational interviewing: preparing people for
Washington, DC: American Public Health Association; 1994.
change. New York: Guilford Press; 2002 (428p).
[57] Gruenewald PJ, Kiitzner M. Results of a preliminary POSIT analyses. In:
Radhert E, editor. Adolescent assessment referral system manual. 1991. [65] Conason AH, Oquendo MA, Sher L. Psychotherapy in the treatment of
[58] Bergeron J. Les cahiers de recherche du RISQ, Montréal. http: alcohol and substance abusing adolescents with suicidal behavior. Int
//www.risq-cirasst.umontreal.ca, 1992. J Adolesc Med Health 2006;18:9-13.
[59] Bolognini M, Plancherel B, Laget J, Chinet L, Rossier V, Cascone P, [66] Marlatt GA, George WH. Relapse prevention : introduction and
et al. Evaluation of the adolescent drug abuse diagnosis instrument in a overview of the model. Br J Addict 1984;79:261-73.
Swiss sample of drug abusers. Addiction 2001;96:1477-84. [67] Buonopane A, Petrakis IL. Pharmacotherapy of alcohol use disorders.
[60] Foxcroft DR, Ireland D, Lister-Sharp DJ, Lowe G, Breen R. Primary Subst Use Misuse 2005;40:2001-20 (2043-8).
prevention for alcohol misuse in young people. Cochrane Database [68] Adès J, Lejoyeux M. Alcoolisme et psychiatrie. Paris: Masson;
Syst Rev 2002(3) (CD003024). 1997.

L. Karila (laurent.karila@pbr.aphp.fr).
S. Coscas.
A. Benyamina.
M. Reynaud.
Département de psychiatrie et d’addictologie, hôpital Paul-Brousse, APHP, Université Paris XI, 12, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94800 Villejuif, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Karila L., Coscas S., Benyamina A., Reynaud M. Consommations pathologiques d’alcool à l’adolescence.
EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-216-G-50, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
¶ 37-214-A-10

Dépressions à l’adolescence
C. Catry, A. Braconnier, D. Marcelli

La séméiologie de la dépression à l’adolescence est variée, la comorbidité avec d’autres troubles


psychiatriques fréquente. Différentes formes psychopathologiques méritent d’être individualisées.
L’élément le plus important est de distinguer à l’adolescence les sentiments dépressifs modérés et
transitoires, appartenant au développement normal de cet âge, des différentes formes que peut prendre
une dépression proprement dite. Si des vulnérabilités neurobiologiques sont incontestables, les facteurs
environnementaux sont eux aussi très importants, en particulier l’environnement familial. L’évolution
diffère selon la forme psychopathologique. Néanmoins un taux de récurrence important est retrouvé à
l’âge adulte quelle que soit cette forme. Le traitement de première intention est la psychothérapie. Mais il
est parfois nécessaire d’avoir recours aux traitements médicamenteux en deuxième intention ou plus tôt
en cas de dépression d’intensité sévère.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Dépression ; Adolescence ; Environnement familial ; Antidépresseurs ; Psychothérapie

Plan ■ Introduction
¶ Introduction 1 Après avoir considéré la dépression comme un état normal de
l’adolescence, la majorité des cliniciens distinguent les senti-
¶ Données épidémiologiques 1 ments dépressifs modérés et transitoires, appartenant au
¶ Clinique 2 développement normal de l’adolescence, des différentes formes
¶ Comorbidité 2 que peut prendre une dépression proprement dite à cet âge.
Troubles anxieux 2 L’origine de ces dépressions de l’adolescence n’est pas univoque.
Les changements développemental, hormonal, affectif, cognitif
Troubles des conduites 2
et psychosocial durant la période pubertaire constituent des
Consommations de produits 2
facteurs de risque dans la prévalence de la dépression chez
Tentatives de suicide (TS) 2
l’adolescent. Si des vulnérabilités neurobiologiques sont incon-
¶ Approche psychopathologique : les différents types testables, une cause fréquemment retrouvée est constituée par
de dépression à l’adolescence 2 les situations familiales (deuil, parent déprimé, conflits fami-
Problématique dépressive à l’adolescence 2 liaux, divorce) ou existentielles (déception sentimentale, échec
Syndrome subdépressif : l’en deçà de la dépression scolaire, maladie physique). Un autre facteur est incontestable-
à l’adolescence 3 ment la pression culturelle et sociale qui amène, à cet âge où
Dépression d’infériorité 4 l’espoir et l’idéalisation sont des mouvements naturels, certains
Dépression d’abandon 4 jeunes à vivre le monde comme décevant, trop contraignant ou
Dépression psychotique et dépression mélancolique 4 inquiétant par rapport à l’avenir.
¶ Environnement 4
¶ Approche socioculturelle
¶ Vulnérabilité biologique
5
5
■ Données épidémiologiques
¶ Évolution et pronostic 5 Les variations d’humeur des garçons et des filles âgés de 13 à
Durée moyenne d’un EDM à l’adolescence 5 20 ans ont été négligées et souvent attribuées au processus
Fréquence des récidives 5 normal de l’adolescence. La prévalence de la dépression oscille
Évolution vers un trouble bipolaire 5 entre 2 et 8 % de la population générale (en fonction des
études) pour l’Épisode Dépressif Majeur (EDM) selon les critères
¶ Traitement 5 du Diagnostic and Statistical Manual (DSM)-IV [1-3] à l’adoles-
Consultations d’évaluation 6 cence. Cette prévalence augmente avec l’âge au moment de
Thérapie relationnelle 6 l’adolescence et il existe globalement une prédominance
Place de la famille 7 féminine (2 filles pour 1 garçon). La dépression de l’adolescent
Traitements médicamenteux 7 est également en augmentation depuis 30 ans (mais aussi mieux
Intervention sur l’environnement 7 reconnue). À côté de cette dépression « grave », il existe une
Hospitalisation 7 ambiance dépressive dont la fréquence va de 28 à 44 % de la
Prévention 8 population générale [4, 5] et réalisant un véritable gradient
dépressif allant de la « normalité » à l’état dépressif grave [6].

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-214-A-10 ¶ Dépressions à l’adolescence

La prévalence de la dépression à l’adolescence est nette- Troubles anxieux (30 à 80 %)


ment supérieure à celle de l’enfance (2 à 5 fois plus impor-
tante). De nombreux épisodes dépressifs de l’adolescence C’est l’association la plus souvent rencontrée [14, 15]. En cas
n’ont pas été précédés dans l’enfance d’un premier accès d’association entre un trouble anxieux et la dépression à
dépressif [7] . Mais l’ensemble des études confirme que la l’adolescence, la dépression est plus sévère et plus difficile à
survenue d’un trouble dépressif dans l’enfance constitue un traiter [16].
facteur de risque important de survenue d’un autre épisode
dépressif quand l’enfant grandit, puis devient adolescent [8- Troubles des conduites (10 à 80 %)
10]. Les travaux de Kovacs [9, 11] ont permis de différencier le

risque de rechute ou de chronicisation selon le type de Il s’agit de comportements d’infraction aux règles et aux
trouble dépressif initial. Ils montrent un risque important de normes sociales : école buissonnière, fugues, vols, mensonges,
rechute dépressive à l’adolescence chez les enfants ayant violences.
présenté un premier épisode dépressif majeur et/ou dysthy-
mique. En revanche, un trouble dépressif réactionnel secon- Consommations de produits (20 à 30 %)
daire à un problème passager ne représente a priori aucun
Chez les adolescents déprimés, la consommation de produits
risque d’évolution péjorative.
serait multipliée par deux pour le tabac, par trois pour l’alcool,
par quatre pour le cannabis et par dix pour les autres
drogues [17].
■ Clinique
Plus ou moins apparent, un EDM doit être systématiquement
Tentatives de suicide (TS)
recherché à l’adolescence. Il repose sur les signes caractéristiques Il existe une corrélation nette entre dépression et tentative de
décrits dans le DSM et en particulier l’humeur dépressive et/ou suicide [18]. De 50 à 70 % des sujets qui ont effectué une TS
l’irritabilité, la diminution marquée de l’intérêt et du plaisir, présentent une problématique dépressive évidente. La présence
deux symptômes présents pratiquement toute la journée et tous d’un trouble dépressif multiplie d’un facteur de 11 à 27 le risque
les jours pendant 2 semaines. Si les symptômes dépressifs à de TS par rapport à la population générale [19]. Environ 50 %
l’adolescence sont très proches de ceux de l’adulte, il existe des adolescents déprimés présentent des idées ou des compor-
néanmoins quelques particularités : tements suicidaires [20]. Il existe une corrélation entre la gravité
• malgré le ralentissement psychomoteur, l’adolescent ne de la TS et la profondeur de la dépression [21].
présente presque jamais un « masque de dépression ». Son Plusieurs études rapportent une élévation du taux de TS
visage n’a pas un aspect dépressif ; lorsque la dépression est associée à des troubles comorbides
• des levées transitoires de l’inhibition motrice sont fréquentes précédemment cités (trouble anxieux, trouble du comporte-
à l’adolescence (la gestualité retrouve sa vivacité et sa fluidité ment, consommation de produits) [22, 23].
le temps d’une activité) mais elles ne peuvent en aucun cas
permettre de réfuter un syndrome dépressif ;
• le DSM précise que l’irritabilité remplace souvent l’humeur ■ Approche psychopathologique :
dépressive ;
• l’adolescent dit rarement qu’il est triste et déprimé mais il dit
les différents types de dépression
« qu’il en a marre », « qu’il a la tête vide », « qu’il s’ennuie ». à l’adolescence
La relation clinique est très importante à l’adolescence. C’est
en faisant preuve d’un « souci de soin » et en lui posant les La présentation des différents types de dépression repose ici
questions adéquates dans un contexte d’alliance thérapeutique sur une compréhension psychodynamique du fonctionnement
positive que le consultant peut permettre à l’adolescent de psychique de l’adolescent déprimé. La problématique dépressive
reconnaître puis de révéler ses symptômes de souffrance que (qui survient en raison de facteurs variés) retentit sur l’organi-
très souvent il cherche à dénier ou à taire. sation globale de la personnalité de l’adolescent, en y renforçant
De nombreux symptômes peuvent masquer un syndrome certains traits ou en désorganisant une stabilité difficilement
dépressif à l’adolescence et peuvent être considérés comme des acquise ou transitoire (comme c’est le plus souvent le cas au
équivalents dépressifs : agressivité, passages à l’acte (fugues, cours de l’adolescence).
vols), conduites centrées sur le corps (anorexie mentale, obésité, Identique quel que soit l’âge de la vie, la problématique
plaintes somatiques), conduites sexuelles anarchiques, toxico- dépressive est marquée par la perte d’objet, le repli narcissique
manie, instabilité, phobie scolaire, accidents à répétition. De tels et la fixation orale, l’ambivalence et l’agressivité. L’adolescence
symptômes doivent donc systématiquement faire rechercher un comme étape de développement de tout individu est souvent
syndrome dépressif. décrite en des termes qui s’appliqueraient tout aussi bien à la
description d’une dépression ou d’une lutte contre la dépres-
Les filles et les garçons n’expriment pas leur dépression de la
sion. La présence plus ou moins intense de ces aspects au cours
même façon. Les premières manifestent ce malaise par leurs
du processus normal du développement de l’adolescent repré-
préoccupations sur l’image de leur corps, leur poids, des
sente un argument en faveur de l’hypothèse qu’il n’existe pas
douleurs plus ou moins diffuses qui n’inquiètent pas au premier
d’adolescence sans dépressivité.
abord mais dont l’intensité, la persistance et surtout la prise en
Les manifestations affectives à l’adolescence (humeur dépres-
compte de l’appel implicite doivent être tout particulièrement
sive, ennui, morosité) rencontrées de façon habituelle semblent
évaluées. Les seconds montrent plus leur dépression sous une
devoir être considérées comme un signal d’alarme ou des
forme comportementale, agressive, déchargeant ainsi leur
attitudes défensives vis-à-vis de la dépression et non comme des
tension et la souffrance qu’ils ressentent en relation avec
états dépressifs proprement dits.
l’image négative qu’ils ont d’eux-mêmes, cachée par une
apparente insolence ou une réaction violente qui n’en sont que
les expressions manifestes. Problématique dépressive à l’adolescence
L’adolescence est une étape du développement marquée par
de multiples transformations, tant physiques que psychiques :
■ Comorbidité bouleversement hormonal avec développement jusqu’à matura-
tion des caractères sexuels primaires et secondaires, reviviscence
La comorbidité de la dépression avec les divers troubles des conflits infantiles œdipiens et archaïques, remaniements des
psychiatriques atteint des taux de 40 % à 70 % dans l’EDM [12] équilibres narcissiques et objectaux, réémergence des pulsions
et 40 à 90 % dans les troubles dépressifs [13]. libidinales avec possible accession à une sexualité et une

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépressions à l’adolescence ¶ 37-214-A-10

agressivité agies. Tout ceci impose la reprise du processus de comme si les investissements d’objets ne pouvaient se faire
séparation-individuation amorcé dans l’enfance. Les identifica- qu’aux dépens des investissements narcissiques et vice versa.
tions sont perpétuellement interrogées et remaniées. L’attirance pour l’objet est vécue par l’adolescent comme une
Durant cette période physiologique de réorganisation de la menace dans son intégrité narcissique. Il y a en effet une
personnalité, un affect dépressif est fréquent sans qu’il s’agisse sollicitation pulsionnelle accrue et physiquement réalisable :
pour autant d’une authentique maladie dépressive. Tout adoles- réveil des désirs incestueux et parenticides et du conflit œdi-
cent est confronté lors de son développement à un déborde- pien, sans que des choix objectaux nouveaux aient pu en
ment dépressif du fait de la double menace de blessure assurer la satisfaction et constituer des déplacements suffisants
narcissique et de perte objectale liée à l’indispensable travail par rapport aux imagos parentales.
d’autonomisation-individuation (réaménagements des relations La dépression à l’adolescence peut être due à l’impossible
avec les premiers objets d’amour parentaux ; recherche d’objets renoncement à un « objet comblant » (excès de lien aux objets
d’amour nouveaux en dehors de la famille). La dépression internes), à une tentative pour triompher d’un « objet
clinique n’apparaît qu’en cas d’échec d’élaboration par l’appareil défaillant » (défaut de tissage narcissique), ou pour détruire un
psychique de cette menace, et témoigne encore d’une capacité « objet excitant » (fragilité narcissique en lien avec une relation
de défense, celle de « construire », et de maintenir ce type de d’objets de type symbiotique) [27]. L’adolescence agit comme un
réponse (et éviter la désorganisation psychotique). Cet échec et révélateur et un interrogateur de la qualité des identifications et
ses conséquences sont le plus souvent en rapport avec une de façon plus générale des intériorisations. Les carences narcis-
vulnérabilité préexistante (soit des liens infantiles, soit de siques précoces renforcent à leur tour le besoin objectal et
l’estime de soi, soit des deux qui sont interdépendants) liée à l’importance des objets, leur conférant un pouvoir antinarcissi-
l’histoire du sujet [24]. que, accroissant leur rôle excitant et leur sexualisation [28].
Au remaniement des relations aux parents s’ajoutent les aléas
Pertes et séparations des relations aux pairs. L’adolescence est la période des premiè-
L’affect dépressif à l’adolescence est lié à une problématique res amours. La manière dont celles-ci vont être perçues et gérées
de deuil en raison de sentiments de perte : dépend beaucoup de ce que l’adolescent se représente pour lui-
• perte du corps infantile et du lien maternel primaire du fait même au sein des relations, sachant que cette représentation
des transformations pubertaires ; s’inscrit dans la continuité des relations d’enfance.
• perte des images parentales idéalisées ;
• perte engendrée par la confrontation entre les aspirations Syndrome subdépressif : l’en deçà
personnelles et parentales de l’adolescence et la réalité,
s’accompagnant d’une diminution de l’estime de soi. de la dépression à l’adolescence
Mais la dépression n’est pas tant liée à ces vécus de pertes
inéluctables qu’à une nécessité d’adaptation de la psyché de Humeur dépressive, ennui, morosité
l’enfant à son développement ou à l’évolution de son statut. L’humeur dépressive est « un regard dévalorisant porté sur
soi-même et qui vient colorer de déplaisir les représentations, les
Remaniement de l’équilibre narcissico-objectal activités et les affects » [29]. Elle est fréquente chez les adoles-
C’est à l’adolescence que le sujet doit se positionner face aux cents. Elle n’est cependant pas constante, les fréquentes « sautes
problématiques de séparation/individuation et de dépendance/ d’humeurs » étant beaucoup plus caractéristiques à cet âge
autonomie par rapport à l’objet, c’est-à-dire pour l’essentiel, qu’une humeur stable et continue quelle qu’elle soit. Cette
définir sa relation à l’objet en tant qu’objet de besoin, de désir, humeur dépressive représente néanmoins une menace et peut
de jouissance. être un signe d’alarme vis-à-vis d’une perte d’estime de soi. Mais
La question de la dépression va avoir affaire tant avec l’objet le plus souvent chez l’adolescent, elle est intermittente et
interne et la constitution du sujet, engendrant ici un axe rapidement dissipée par le surgissement d’un mouvement
narcissique de la dépression, qu’avec l’objet externe induisant inverse lié à un idéal du moi de rechange extériorisé sur une
alors un mode dépressif différent : la dépression d’objet. Ces action, une idéologie, un groupe ou un individu.
deux pôles étant bien évidemment en lien et parfois en inter- Selon Georgiades [30], parmi les neuf critères du DSM, seule
dépendance et en interaction. Les conceptions psychanalytiques l’humeur dépressive a un caractère prédictif d’un EDM dans
ne s’opposent pourtant pas à une perspective neuro-bio- l’année qui suit, à l’adolescence, mais ce risque est majoré par
physiologique ou génétique de la dépression. En effet, c’est aussi l’association avec d’autres symptômes (anhédonie, troubles
avec celle-ci que l’individu a affaire pour se constituer. Mais le alimentaires, troubles du sommeil, asthénie, sentiment de
sujet humain ne se constitue (en tant qu’humain et sujet) que dévalorisation ou culpabilité excessive, difficultés à penser).
dans un rapport à l’autre. Il se constitue donc autour et à L’ennui se caractérise par un manque d’intérêt, une sensation
travers ses relations d’objet [25]. que le temps ne s’écoule pas, qu’il ne sert à rien de faire un
Avec le processus de séparation-individuation, l’adolescence effort pour obtenir quelque chose, que tout est toujours pareil.
réactualise les premières expériences de séparation et de perte. Néanmoins à la base de l’ennui, il y a toujours une sorte
Au moment de franchir la frontière du monde de l’enfance et d’attente. L’ennui est une sensation fréquente à l’adolescence.
du monde familial, l’adolescent va se trouver confronté à la L’ennui s’accompagne presque toujours d’inhibition : inhibition
mise à l’épreuve de son monde interne et de la qualité des des affects, inhibition motrice, inhibition intellectuelle. Il paraît
premières relations et intériorisations. L’adolescent doit se faire écran aux conflits internes, aux fantasmes angoissants. Il
séparer de ses parents tout en s’appropriant une partie de ce qui semble souvent être le représentant d’un état dépressif plus ou
vient d’eux. Pour tout adolescent, l’évolution nécessaire des moins latent ou profond. Cependant, l’expérience de l’ennui
liens peut représenter un danger, d’autant plus que les liens reste essentielle à l’adolescence avec l’expérience concomitante
précoces auront été problématiques, du fait d’un défaut ou d’un du temps qui passe.
excès de présence. La prise de distance nécessaire, en éprouvant La morosité est un aspect particulier de la « déprime » de tout
les acquis auprès des parents, va réactiver les angoisses de adolescent décrit initialement par Pierre Mâle [31] . Pour ce
séparation et mettre en évidence les dysfonctionnements de dernier : « nous n’avons pas trouvé d’autres mots pour définir
l’attachement précoce [26]. cet état particulier à certains adolescents qui n’est pas la
Avec l’avènement pubertaire, les objets d’investissement dépression avec son caractère d’angoisse, d’inhibition formelle,
libidinal ne peuvent plus être identiques aux objets d’investis- de culpabilité exprimée, etc... et qui n’est pas la psychose... C’est
sement narcissique, quel que soit au début de la poussée un état qui manifeste plutôt un refus d’investir le monde des
génitale, le désir intense du jeune pubère de les faire coïncider. objets, des êtres... Rien ne sert à rien, le monde est vide. Ces
Désormais, il existe un écart irréductible entre « les objets formules peuvent paraître dépressives, mais elles ne sont pas
d’amour primaire », et « les objets d’amour génitaux ». Cet écart intégrées dans le cadre thymique. Elles sont compatibles avec
est à l’origine du conflit narcissico-objectal qui apparaît comme une énergie apparemment conservée. » Ainsi Pierre Mâle
une spécificité de l’adolescence. En effet à cet âge, tout se passe explique très bien la différence entre la dépression et cette

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-214-A-10 ¶ Dépressions à l’adolescence

sensation vague, diffuse, à la limite du normal et du pathologi- Dépression d’abandon


que. Comme l’ennui, la morosité est un état instable, suscepti-
ble de changement qui maintient l’adolescent sur une sorte de Elle est évoquée d’emblée face à un adolescent dont l’expres-
ligne de crête, dans un état de désinvestissement, mais en sion symptomatique est dominée par le passage à l’acte hétéro-
même temps prêt à investir quelque chose, dans un état ou autoagressif. Si tous les adolescents réagissant essentiellement
d’attente, en contestant tout espoir. par des passages à l’acte ne présentent pas ce type de dépres-
Qu’il s’agisse de l’ennui, de la morosité ou de l’humeur sion, une attention toute particulière peut être portée chez tout
dépressive, il faut insister sur l’intermittence de ces états, sur adolescent passant à l’acte lorsque cette conduite est empêchée
leurs fluctuations et leurs changements rapides. L’adolescent pour une raison quelconque. En effet à ce moment, chez un
conserve ses investissements positifs (scolaires, culturels, certain nombre apparaît une dépression où les sentiments
sportifs, affectifs). Ces états n’appartiennent pas au champ de la d’abandon, de vide et les souvenirs de séparation traumatique
pathologie mais peuvent y mener. sont évoqués. Ce sont ces mêmes adolescents qui pour J.F.
Masterson [33, 34] ont présenté un syndrome borderline basé sur
« Syndrome de menace dépressive » l’intensification des défenses contre la seconde phase de
séparation-individuation, seule ou combinée avec une sépara-
Il s’agit d’une organisation qui n’est ni la crise d’adolescence tion effective au début de leur adolescence ou même en période
décrite par Mâle ou Kestemberg qui recouvre en fait le processus prépubertaire. Nous retrouvons ici une explication psychopa-
d’adolescence normal avec ses avatars habituels liés en particu- thologique de certains acting considérés comme équivalents
lier au travail de deuil caractéristique de ce processus, ni dépressifs (prise de drogues ou de nourriture excessive, relations
l’envahissement de l’ensemble de la personnalité par l’organisa- homo- ou hétérosexuelles désordonnées, relations d’agrippe-
tion dépressive, ne laissant plus aucune place à tout autre ment) qui ont pour fonction de remplir ce vide évoqué.
modalité de fonctionnement. Cette organisation dite « menace
dépressive » [32] associe toujours deux représentations angois-
santes, celle d’une séparation d’avec les objets parentaux et celle
Dépression psychotique et dépression
d’une liaison avec un nouvel objet sexuel. Mais en raison de mélancolique
facteurs liés à des aspects situationnels et personnels rentrant en En ce qui concerne le trouble bipolaire dans les classifications
résonance, ces deux représentations deviennent d’une conflic- contemporaines, il faut souligner que chez l’adolescent, ce
tualité telle que le danger représenté pour le moi par l’une et trouble est beaucoup plus fréquemment rencontré qu’on ne
par l’autre, et plus encore par leur conflictualité, amène le sujet l’imaginait antérieurement et qu’il partage des similarités
à ressentir un sentiment de débordement, et par là même de sémiologiques notables avec le trouble équivalent chez l’adulte.
risque d’impuissance et de renoncement dans lequel l’investis- Qu’elle soit cliniquement unipolaire ou bipolaire, la dépression
sement d’objet et la libido sexuelle sont menacés d’être sup- mélancolique se rencontre dès l’adolescence. Si cette dépression
plantés par l’investissement narcissique et l’agressivité retournée peut être légèrement différente de celle de l’adulte au point de
contre le sujet. À cette organisation psychopathologique, vue symptomatique (relative fréquence chez l’adolescent de
correspond un syndrome clinique se manifestant par l’appari- manifestations hallucinatoires délirantes ou confusionnelles),
tion plus ou moins brutale d’une appréhension ou même d’une elle est en tout point comparable au point de vue psychopatho-
terreur intense de se sentir envahi par la tristesse, le cafard et logique, si ce n’est le possible passage d’un type de dépression
les idées suicidaires. La perturbation prédominante de ce trouble à un autre ainsi que leur intrication plus fréquemment rencon-
est une anxiété aiguë ou subaiguë dont la caractéristique trée chez l’adolescent que chez l’adulte.
essentielle est la crainte non pas d’un objet, d’une situation ou
d’une activité spécifique, mais la crainte de se sentir envahi par
un affect dépressif dont certains éléments peuvent du reste ■ Environnement
surgir par moments, mais ne persistent jamais plus de quelques
minutes à quelques heures. Le symptôme le plus souvent Dans le cas d’adolescents franchement déprimés, l’environ-
ressenti est un sentiment de tension physique et psychique, nement familial est souvent considéré comme une partie du
accompagné de façon variée de troubles neurovégétatifs. Cette contexte étiopathogénique. Les problèmes ne se situent pas de
menace dépressive survient volontiers chez des adolescents qui, la même façon selon le type de dépression présentée.
au cours de leur période de latence ou leur prépuberté, parfois Dans le cas de la réaction anxiodépressive, l’environnement
même dès l’enfance, ont présenté des traits névrotiques dont familial peut jouer un rôle déclenchant lorsque cette réaction
l’intensité et les manifestations symptomatiques dépassent le est liée à un désaccord conjugal des parents, à un divorce, à
cadre du développement névrotique infantile normal. l’alcoolisme, à la mort d’un parent, ou à un contrôle excessif
des parents entravant le souhait de séparation de l’adolescent
qui ne peut exprimer ce souhait que sous la forme de cette
Dépression d’infériorité réaction brutale. Mais le milieu familial peut jouer également
Ce type de dépression constitue une forme caractéristique au un rôle protecteur lorsque cette réaction est liée à l’échec d’une
cours de l’adolescence. La baisse de l’estime de soi et le senti- relation amoureuse, à une rupture sentimentale, à une difficulté
ment d’infériorité qui s’ensuivent sont communs à toute scolaire ou professionnelle ou à une relation conflictuelle avec
dépression quel que soit l’âge. Mais les aléas de l’estime de soi un autre adolescent ou un groupe de pairs.
à l’adolescence rendent les sujets de cet âge particulièrement Dans le cas de la dépression d’infériorité, l’idéal mégaloma-
vulnérables à ce type de dépression. Elle se caractérise par un niaque de l’adolescent est souvent entretenu par l’un des
ensemble de sentiments dits « d’infériorité » liés à un domaine parents qui a depuis longtemps projeté son propre idéal
particulier, scolaire ou physique par exemple, ou à l’ensemble mégalomaniaque sur son enfant. À travers leurs enfants ces
de la personnalité. À ce sentiment s’associe le plus souvent le parents se défendent de leur propre dépression.
sentiment de ne pas être aimé ou apprécié et un désinvestisse- Dans le cas de la dépression d’abandon, on comprend
ment objectal qui se traduit par un désintérêt du monde facilement que les parents peuvent être directement concernés,
extérieur ou une recherche dans le monde extérieur orientée en particulier la mère [35] . Rappelons que cette dépression
vers la preuve de sa valeur. Nous sommes ici dans une problé- d’abandon est comprise psychogénétiquement comme la
matique essentiellement narcissique, l’unique conflit résidant reviviscence à l’adolescence de sentiments d’abandon survenus
dans l’impossibilité pour ces sujets de réaliser les exigences entre 1 an et demi et 3 ans. Au moment où l’enfant cherche à
idéales qu’ils se donnent. Ces exigences idéales prennent s’individuer, il est confronté à la difficulté de la mère à suppor-
souvent une forme mégalomaniaque, elle-même semblant venir ter cette séparation ; cette difficulté amène celle-ci à décourager
combler une menace de perte d’identité. De la confrontation à tout geste d’individuation en retirant tout appui à son enfant.
ce modèle de perfection que constitue cet idéal du moi auquel Ainsi naissent les premiers sentiments d’abandon. Rappelons
le surmoi le compare, le moi de l’adolescent va développer des que pour J.F. Masterson, cette mère souffre elle-même d’un
sentiments d’infériorité caractéristiques de cette dépression. syndrome borderline. Au moment de la seconde phase de

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépressions à l’adolescence ¶ 37-214-A-10

séparation-individuation que constitue l’adolescence, la sépara- Il est difficile de savoir si ces anomalies peuvent être tenues
tion de l’environnement, sous la forme d’une séparation pour cause de la dépression ou si elles doivent être considérées
physique ou affective concrète, réactive le sentiment d’abandon comme la conséquence d’un épisode dépressif et ses éventuels
intrapsychique qui est retourné dans l’inconscient, mais qui a désordres.
bloqué pour toute l’enfance la démarche évolutive vers une Certains auteurs [45] ont évoqué un facteur hormonal pour
autonomie intrapsychique profonde. Cette situation se rencon- expliquer la répartition différentielle selon le sexe en faveur des
tre dans les « histoires abandonniques » mais aussi dans les filles : la libération d’œstrogènes chez la fille à la puberté
« histoires trop symbiotiques ». Les histoires abandonniques pourrait jouer un rôle facilitateur alors que la libération
sont celles où l’on retrouve dans le passé de l’adolescent de d’androgènes chez le garçon pourrait jouer un rôle soit protec-
nombreux placements et une série de séparations ratées succes- teur contre la dépression, soit dissimulateur en favorisant des
sives [36]. Les histoires trop symbiotiques sont celles où l’on comportements qui masqueraient la dépression.
retrouve très fréquemment un adolescent très attaché à sa mère,
attachement renforcé ou non par des situations concrètes : fils
ou fille unique, mère seule élevant son enfant... ■ Évolution et pronostic
Dans le cas de la dépression mélancolique, il est relativement
fréquent de retrouver chez l’un ou l’autre des parents une Durée moyenne d’un EDM à l’adolescence
pathologie identique au point que cette constatation est un
élément important du diagnostic. Ici, une hypothèse génétique Chez l’adolescent, l’EDM dure en moyenne 7 à 9 mois, 80 %
est souvent évoquée. Personne ne nie aujourd’hui les nombreux des adolescents ayant récupéré au bout de 1 an mais 10 %
arguments en faveur d’une transmission génétique dans le continuent d’être déprimés. La persistance de l’EDM est associée
trouble bipolaire. Toutefois, le seul point de vue génétique nous à la gravité et à l’ancienneté de la dépression lors de la première
paraît trop restrictif : lorsqu’un adolescent présente une dépres- identification, à l’existence de troubles comorbides, à des
sion de type mélancolique et que l’un ou l’autre parent a le événements de vie négatifs et à des dysrégulations
même type d’affection, les mouvements identificatoires et neuroendocriniennes [46].
contre-identificatoires doivent être pris en ligne de compte. Schématiquement le syndrome dépressif de l’adolescent
déprimé évolue différemment selon la forme psychopathologi-
■ Approche socioculturelle que. Dans le cas des réactions anxiodépressives, l’évolution est
souvent rapide vers une disparition de l’état dépressif et une
La dépression de l’adolescent est en augmentation depuis réapparition plus franche des traits de fond de la personnalité.
30 ans. On ne peut néanmoins pas affirmer qu’il y a une Pour la dépression d’infériorité et peut-être encore plus pour la
évolution sociétale où les adolescents seraient plus mal que dans dépression d’abandon, l’évolution va dépendre essentiellement
les générations précédentes. Il n’y a pas de point de comparai- du traitement envisagé, de son application et de son déroule-
son puisque dans les époques antérieures, on n’était pas aussi ment. L’évolution vers une pathologie du caractère reste une
attentif à ce trouble. menace moindre pour l’adaptation du sujet qu’un effondrement
Avant, les adolescents évoluaient dans un cadre plus rigide psychotique toujours possible chez des adolescents présentant
mais qui avait un effet de contenance. Actuellement, les ce type de dépression.
adolescents ont une plus grande liberté, sont moins encadrés. Ils
sont plus libres mais cette plus grande liberté n’est pas forcé- Fréquence des récidives
ment facile à assumer et pourrait contribuer au développement
Le devenir de l’adolescent déprimé est préoccupant avec pour
d’affects dépressifs [37].
certains un taux de récidive supérieur à 60 % [47]. Les travaux
D’un point de vue transculturel, l’existence d’un noyau
les plus récents orientent plus qu’on ne le supposait sur un
dépressif universel est postulée, qui peut s’exprimer d’une façon
risque élevé de rechute dépressive au cours de la vie adulte
différenciée, conduisant à comparer d’une culture à une autre
d’adolescent ayant présenté un premier EDM à cette époque de
les variations symptomatiques. La comparaison de 2200 adoles-
leur existence, indépendamment de l’organisation psychopa-
cents américains, appartenant à quatre groupes ethniques,
thologique en cause [3]. D’autre part, un épisode dépressif à
anglo-, afro-, mexico-, latino-américains, montre, par exemple,
l’adolescence augmente le risque d’autres troubles psychiatri-
la prééminence des plaintes somatiques dans les groupes latino-
ques et de dysfonctionnement social à l’âge adulte [48].
et mexico-américains [38].
L’élucidation du sens de la maladie pour la société dans
laquelle s’inscrit le sujet est indispensable et permet de définir Évolution vers un trouble bipolaire
des moyens thérapeutiques adaptés [39]. En pratique, en dehors Environ 20 % des adolescents qui ont présenté un épisode
d’une consultation d’éthnopsychiatrie, quelques règles simples, dépressif évolueraient vers un trouble thymique bipolaire [49, 50].
résumées par Moro et Baubet [40], permettent de guider une Seul un suivi régulier pendant 18 à 24 mois peut apporter des
première approche pratique : être sensibilisé à la dimension éléments de certitude en faveur d’un diagnostic de trouble
culturelle (sinon, le patient n’en parlera pas), permettre à la bipolaire à l’adolescence après un premier épisode dépressif.
famille d’exposer le sens que prend pour elle ce qui arrive, Quelques éléments de présomption ont pu être décrits comme
permettre si possible l’usage de la langue maternelle, ne pas le début rapide des symptômes, les antécédents familiaux et
juger même si on ne comprend pas. Il faut respecter les règles l’inversion de l’humeur induite par les antidépresseurs. Il faut
culturelles et se méfier d’une trop grande intrusion. souligner la fréquence des signes psychotiques (idées délirantes,
hallucinations, troubles du cours de la pensée) et une humeur
■ Vulnérabilité biologique plus souvent « mixte » dans le trouble bipolaire chez l’adoles-
cent que chez l’adulte. De plus, l’évolution est le plus souvent
L’étude du rôle des facteurs génétiques dans l’étiopathogénie marquée par des cycles rapides (soit plus de quatre épisodes par
des troubles de l’humeur met en évidence une incontestable an).
susceptibilité génétique, en particulier pour les troubles bipolai-
res. Néanmoins, aucun modèle de transmission n’est actuelle-
ment démontré et celui-ci est probablement complexe. ■ Traitement
Des études montrent des anomalies neurobiologiques chez
des adolescents présentant un trouble de l’humeur : des anoma- Selon les recommandations de l’Agence française de sécurité
lies morphologiques, en particulier des anomalies de volume du sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) [51], le traitement de
complexe amygdalohippocampique [41-43] mais aussi des ano- première intention de la dépression chez l’adolescent est la
malies en imagerie fonctionnelle [44]. Mais la rareté des études, psychothérapie. La prescription d’un traitement antidépresseur
leur petit nombre de sujets et les résultats souvent contradictoi- pourra être envisagée en deuxième intention en cas d’efficacité
res ne permettent pas de tirer des conclusions significatives [24]. insuffisante de la prise en charge psychothérapeutique ou en cas

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-214-A-10 ¶ Dépressions à l’adolescence

d’aggravation de la symptomatologie. On peut le proposer plus Psychothérapies d’inspiration psychanalytique


rapidement dans les épisodes dépressifs caractérisés d’intensité
sévère. En l’état présent, nous proposons un antidépresseur de Le plus souvent, il s’agit de psychothérapies d’inspiration
la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS). psychanalytique en face à face dont la qualité princeps réside
dans une démarche sur mesure, souple, et dans la possible
Il faut noter également à l’adolescence un important taux de
confrontation d’un adolescent avec un adulte. Cette méthode
réponse au placebo (environ 30 %) [52].
limite les risques de régression et est la méthode de choix à
l’adolescence. La prise en compte des résistances individuelles
Consultations d’évaluation mais aussi familiales et institutionnelles est indispensable. Le
thérapeute doit laisser de côté silence et neutralité absolue, et
En pratique, la prise en charge d’un adolescent déprimé accepter un rôle plus actif.
commence par une évaluation soigneuse de la situation lors de On distingue cependant les psychothérapies dynamiques
consultations d’évaluation : évaluation de la sémiologie et de la brèves dont les principes restent très proches des psychothéra-
psychopathologie individuelle, évaluation des interactions pies d’inspiration psychanalytique mais dont le cadre est
familiales et sociales. On évalue le risque suicidaire et on bouleversé par la détermination préalable d’une durée brève.
recherche des troubles comorbides. Ces entretiens peuvent Basquin [54] rappelle plusieurs pièges contre-transférentiels
parfois avoir un effet thérapeutique, en particulier en cas de décrits au cours de psychothérapies psychanalytiques d’adoles-
syndrome subdépressif : le dévoilement, l’énonciation, les cents déprimés : le positionnement en rival parental, le mépris
clarifications des difficultés et des symptômes ainsi que les pour les données de la réalité quotidienne du sujet, l’absence de
entretiens peuvent avoir un effet thérapeutique certain [27]. disponibilité réelle et de souplesse, l’absence de tolérance aux
Souvent, ces rencontres constituent pour l’adolescent la pre- conduites agies.
mière occasion qui lui soit donnée de parler de son monde
interne, de ses affects, de ses émotions, de ses pensées, rêves ou Psychodrame psychanalytique individuel
rêveries, sans être jugé selon les critères moraux ou éthiques, ni
être aussitôt pris dans une relation d’autorité type parent- Les épisodes dépressifs majeurs ne sont pas dans leur phase
enfant. C’est cette nouvelle relation qui permet parfois une aiguë une indication de psychodrame, dans la mesure où la
amélioration rapide. Ces entretiens peuvent aussi avoir un effet pathologie atteint de plein fouet la capacité à jouer de l’adoles-
dans le domaine des interactions familiales. La remémoration de cent. En revanche, les troubles dépressifs modérés, ou majeurs
hors acmé semblent une bonne indication de psychodrame
l’histoire familiale permet d’introduire la dimension du temps,
psychanalytique. Dans le cas où la contrainte d’une relation
relativisant l’intensité actuelle des difficultés, jouant un rôle
duelle privilégiée avec un adolescent fait craindre une régression
cathartique en déplaçant les lignes de conflits, en ouvrant des
psychique non contrôlable, le psychodrame est une bonne
espaces nouveaux de curiosité et d’intérêt.
alternative.
En l’absence d’effets thérapeutiques rapides, ces entretiens
Il n’existe néanmoins pas à ce jour d’études systématiques
visent l’obtention d’une alliance thérapeutique primordiale quel
réalisées chez l’adolescent déprimé, authentifiant l’efficacité des
que soit le traitement envisagé (psychothérapie comme chimio-
psychothérapies psychanalytiques mais de nombreuses vignettes
thérapie). Le plus souvent, il est utile de proposer des prises en
cliniques rapportent une amélioration clinique.
charges multifocales. Celles-ci permettent de soulager l’adoles-
cent de mouvements transférentiels trop massifs par le déploie-
Thérapies à médiation
ment de ses investissements sur plusieurs personnes distinctes.
Une prise en charge adaptée et individualisée est mise en place Il peut s’agir de thérapies à médiation corporelle (relaxation,
avec l’adolescent et sa famille. Ces entretiens permettent activités sportives), de thérapies à médiation imaginaires ou
d’évaluer les capacités de l’adolescent à s’intéresser à son monde créatrices (expression, écriture) ou autres. Les thérapies à
interne et ainsi de choisir une thérapie relationnelle adaptée. médiation constituent une alternative aux psychothérapies
d’inspiration psychanalytique chez les adolescents pour qui le
contact duel verbal avec un adulte paraît trop angoissant, ou
Thérapie relationnelle chez ceux qui ont un investissement de la pensée dans l’évite-
ment, ou au contraire dans le surinvestissement. Les thérapies
Qu’il s’agisse d’entretiens à la demande, d’une psychothérapie
à médiation ont pour but de relancer l’activité de penser le plus
brève ou longue, d’un psychodrame analytique, d’une psycha-
souvent chez les adolescents plus jeunes et d’aboutir dans un
nalyse, ou d’une thérapie cognitive et comportementale, ce type
deuxième temps à la possibilité d’une psychothérapie
d’approche est de toute façon souhaitable. L. Vaneck [53] insiste
analytique [55].
sur « la valeur restructurante des rencontres avec leur double
sens d’identification et du renforcement narcissique par la prise
en considération d’eux-mêmes par le thérapeute ». La psycho-
Thérapies cognitives
thérapie vise à dénouer l’impasse narcissico-objectale dans Ces dernières années, des études, le plus souvent américaines,
laquelle se trouve l’adolescent, en motivant des désirs vers ont montré l’efficacité des thérapies cognitives et comporte-
l’autre dans lesquels l’adolescent puisse se trouver sans se mentales (TCC) dans la dépression à l’adolescence et cela en
perdre [24] . Les thérapies longues s’avèrent sans doute plus thérapie de groupe ou en thérapie individuelle [56, 57]. Actuelle-
facilement réalisables dans le cas des dépressions d’infériorité et ment, il n’y a pas de consensus entre les différentes études en
dans les réactions anxiodépressives lorsque l’aspect névrotique ce qui concerne l’intérêt d’une association entre la TCC et les
de la personnalité apparaît clairement derrière cette réaction. IRS [52, 58].
Cependant, la dépression d’abandon et le syndrome borderline
qui y est fréquemment associé intéressent de plus en plus les Thérapie interpersonnelle
psychanalystes ; rappelons ici la difficulté à supporter et à
La aussi, une étude américaine montre que la thérapie
comprendre les passages à l’acte, les ruptures momentanées et
interpersonnelle aurait de meilleurs résultats que la psychothé-
les transgressions à la règle qui émaillent ce type de
rapie de soutien [59].
psychothérapie.
Corcos [24] démontre l’importance d’un traitement bifocal,
Thérapies de groupe
qui fait intervenir deux thérapeutes, chacun dans un temps et
un lieu différent. L’écoute de l’un (le plus souvent le consultant Les thérapies de groupe sont très intéressantes à l’adolescence.
psychiatre) prend plus particulièrement en compte « la réalité Le groupe aide l’adolescent à se détacher du milieu familial au
externe » (médicale, scolaire, sociale) du patient sur laquelle il cours du processus d’individuation et permet une socialisation
peut s’autoriser à intervenir activement. L’écoute de l’autre par les pairs. Toutes les approches psychothérapeutiques
intervenant (le psychothérapeute) se prête à celle de la « réalité peuvent conduire à des applications en groupe. La préparation
interne » du patient. du groupe est essentielle pour éviter les sorties prématurées.

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépressions à l’adolescence ¶ 37-214-A-10

Chapelier [60] rappelle que la composition d’un groupe théra- Soulignons concernant la polémique qui a eu lieu à propos
peutique d’adolescents doit tenir compte de l’âge des différents des IRS que pour la totalité des cas observés dans les études,
sujets, ou mieux encore de leur développement pubertaire. aucun cas de suicide « complété » n’a été enregistré parmi les
enfants et les adolescents inclus (il s’agissait d’automutilations
et de tentatives de suicides). De plus, la période d’apparition des
Place de la famille comportements suicidaires se situait surtout entre les premiers
La dépression à l’adolescence étant très souvent liée à des jours et les premières semaines après le début du traitement et
facteurs familiaux, il est naturel d’imaginer l’importance d’une nous rappelons que les idées de suicide et les tentatives de
intervention familiale dans cette pathologie. Il est donc fonda- suicides sont fréquentes dans la clinique de l’épisode dépressif
mental d’associer la famille, en particulier les parents d’un à l’adolescence. Au-delà de ces périodes, les IRS diminueraient
adolescent déprimé, à la prise en charge de ses troubles. Les les taux de suicide [24, 67].
rencontres avec les parents devront le plus souvent être répé- En ce qui concerne les antidépresseurs tricycliques, les
tées. Leur but est de recueillir des informations anamnestiques dernières méta-analyses n’ont pas permis d’établir que le rapport
mais surtout de repérer des éléments sur la qualité des transac- bénéfice/risque était favorable [68]. Même si une tendance est
tions relationnelles existant entre l’adolescent et ses parents. On notée en faveur d’un bénéfice clinique dans le groupe des
évalue la souplesse et la cohérence des relations ou au contraire adolescents comparé à celui des enfants, la fréquence et la
la présence de mécanismes entravant le développement de gravité des effets indésirables (cardiovasculaires essentiellement)
l’autonomie de l’adolescent. On tente de repérer la capacité des est trop importante.
parents à se mobiliser et à aider leur adolescent souffrant. On En ce qui concerne les dépressions psychotiques et les
peut éventuellement mettre en évidence une correspondance troubles bipolaires à l’adolescence, on utilise un thymorégula-
entre le moment dépressif dont souffre l’adolescent et une crise teur. Il apparaît, à partir de l’expérience relatée des uns et des
parentale. Parfois, la dépression de l’adolescent fait écho à des autres, que l’utilisation du lithium peut être beaucoup plus
souvenirs ou des affects parentaux. Les rencontres doivent précoce qu’il n’était antérieurement conseillé. Cependant les
s’attacher à établir un climat d’acceptation thérapeutique et effets antithyroïdiens du lithium nécessitent des études appro-
permettre que chacun se mobilise dans le sens d’une organisa- fondies en ce qui concerne les risques sur la croissance, et ses
tion concertée de la prise en charge [61]. effets secondaires font qu’il n’est pas envisagé en première
Les prises en charge familiales permettent d’améliorer le intention. La prescription est la même que chez l’adulte
pronostic pour l’adolescent et la satisfaction des familles [62, 63]. (lithémie entre 0,50 et 1 Meq/l avec contrôle hebdomadaire
L’aide apportée au parent sur un temps différencié (entretiens puis mensuel). Les médicaments anticonvulsivants (acide
parentaux, groupe de parents) est très importante et devrait être valproïque, carbamazépine), sont des alternatives dorénavant
quasi systématique, mais n’est pas toujours réalisable. Rappelons bien connues chez l’adulte dans ce type de trouble et peuvent
avec Winnicott l’importance de la mère réelle et du père réel. également être utilisés à l’adolescence, en particulier dans les
Les parents doivent survivre. Le thérapeute ne doit pas se situer troubles bipolaires mixtes. Comme cela peut arriver chez
en meilleur parent face à des parents réels, risque souvent non l’adulte, il est nécessaire chez beaucoup d’adolescents ayant des
négligeable. manifestations psychotiques mais présentant un trouble bipo-
laire d’utiliser de façon complémentaire des antipsychotiques.
Traitements médicamenteux
Intervention sur l’environnement
Suite à la réévaluation chez l’enfant et l’adolescent du risque
des médicaments antidépresseurs par l’Agence européenne du L’intervention sur l’environnement peut modifier nettement
médicament (EMEA), les antidépresseurs IRS et apparentés n’ont l’enlisement qui s’instaure dans un climat dépressif vécu par
pas l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans le traite- l’adolescent lui-même mais aussi par ses proches. Cette inter-
ment de la dépression chez les patients de moins de 18 ans. Il vention peut être de nature très diverse : changement de lycée,
est précisé dans le libellé que leur utilisation est « déconseillée » de section, aménagement d’un lieu de vie différent (internat par
dans cette classe d’âge. Néanmoins, il est parfois nécessaire d’y exemple), hospitalisation pour que les conflits puissent s’expri-
avoir recours en clinique, mais cela avec certaines précautions. mer et être « travaillés » sans être agis répétitivement. Cette
Le rôle des antidépresseurs n’est pas négligeable quand le intervention doit cependant avoir toujours pour but qu’un
ralentissement psychomoteur et l’affect dépressif de base processus de séparation-individuation ou qu’un travail de deuil
entravent complètement ou partiellement l’abord relationnel. s’élabore.
Toute prescription nécessite plusieurs entretiens préalables et
doit s’accompagner d’une surveillance étroite (entretiens Hospitalisation
réguliers). La prescription doit être soigneusement discutée avec
l’adolescent et ses parents et l’obtention d’une alliance théra- On hospitalise rarement un adolescent parce qu’il est seule-
peutique de leur part est primordiale. Le patient et sa famille ment déprimé. Le contexte familial ou social, les risques de
doivent être informés des risques du traitement et en particulier passages à l’acte auto- ou hétéroagressifs, les difficultés prévisi-
du risque d’apparition d’un comportement hostile ou suicidaire bles de l’observance thérapeutique constituent des motifs
en début de traitement pour pouvoir aider le praticien à le déterminants. Il est préférable d’hospitaliser les adolescents dans
dépister. Ils sont informés également sur ce que l’adolescent des lieux conçus pour eux et dans lesquels travaillent des
peut attendre du traitement et sur sa durée probable. La équipes habituées à recevoir ces populations particulières.
question de la nécessité d’une hospitalisation de courte durée D’une façon générale, l’hospitalisation en urgence des
est systématiquement discutée. Il est recommandé de commen- adolescents se fait trop souvent en catastrophe et répond moins
cer à une dose faible et d’augmenter progressivement jusqu’à la à la gravité réelle d’une situation psychique qu’au constat que
posologie minimale efficace. L’arrêt du traitement doit se faire les structures qui les accueillaient jusque-là (familiales ou
également progressivement. institutionnelles) se trouvent brutalement dépassées par
La prescription d’antidépresseurs n’est pas adaptée aux l’angoisse ou la violence qu’ils suscitent. Il est toujours préféra-
situations d’urgence, qui nécessitent une hospitalisation. Dans ble de préparer une hospitalisation quand cela est possible.
tous les cas, la prescription d’antidépresseurs doit s’accompagner Dans tous les cas, il convient de rappeler que l’hospitalisation
d’une prise en charge psychothérapeutique adaptée. n’est bien souvent qu’une étape parmi d’autres dans un proces-
Des études rapportent l’efficacité de la fluoxétine, de la sus soignant qui a débuté avant elle et se poursuivra après elle.
sertraline, du citalopram et de la paroxétine pour la dépression La durée des hospitalisations est variable mais doit être
de l’adolescent, même si toutes les études de ce type ne sont pas déterminée assez tôt. Lorsque l’adolescent est hospitalisé lors
unanimes [64-66]. De même, la venlafaxine (inhibiteur de la d’une « crise », l’hospitalisation doit être de courte durée, afin
recapture de la sérotonine et de la noradrénaline) aurait un effet d’éviter la désinsertion sociale, scolaire et relationnelle. Dans les
positif. cas de dépressions graves, dans lesquelles l’environnement

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-214-A-10 ¶ Dépressions à l’adolescence

social et familial est déterminant et facteur de pérennisation des [14] Kovacs M, Gatsonis C, Paulauskas SL, Richards C. Depressive
troubles, il faut savoir hospitaliser beaucoup plus longuement disorders in childhood. IV. A longitudinal study of comorbidity with
ou savoir réhospitaliser fréquemment. and risk for anxiety disorders. Arch Gen Psychiatry 1989;46:776-82.
Le rôle des équipes hospitalières est d’être disponible, tolérant [15] Burley D, Cohen P, Pine DS, Brook J. Discriminating depression and
mais sans être complaisant. C’est dans ce contexte qu’il est anxiety in youth: a role for diagnostic criteria. J Affect Disord 1996;39:
possible de créer un espace contenant et de restaurer les limites 191-200.
que les adolescents distinguent mal. L’institution peut être [16] Young JF, Mufson L, Davies M. Impact of comorbid anxiety in an
utilisée comme un lieu de médiation, en aidant à instaurer un effectiveness study of interpersonal psychotherapy for depressed ado-
espace psychique pour les adolescents trop facilement dans lescents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2006;45:904-12.
l’agir et la difficulté de mentalisation. Il faut pouvoir favoriser [17] Fahs H, Marcelli D, Lafay N, Senon JL, Perivier E. Les états dépressifs
de l’adolescent scolarisé. Une étude épidémiologique chez les jeunes
sa restauration narcissique à travers le cadre, les soins, les
scolarisés (12-20 ans). Ann Psychiatr 1998;13:16-23.
échanges et les rencontres, tout en évitant à la fois les attitudes
[18] Marcelli D, Humeau M. Suicide et tentative de suicide chez l’adoles-
excessives de maternage qui favorisent les bénéfices secondaires,
cent. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/ Pédopsychiatrie,
et une trop grande exigence alors qu’il n’a pas suffisamment 37-216-H-10, 2006.
d’autonomie. Un service accueillant des adolescents doit [19] Gould M, Greenberg T, Velting D, Shaffer D. Youth suicide risk of
s’efforcer d’être un lieu d’échanges relationnels intenses : preventive interventions: a review of the past 10 years. J Am Acad Child
échanges avec les soignants mais aussi avec les pairs. La Adolesc Psychiatry 2003;42:386-405.
dépression à l’adolescence est particulièrement désocialisante, [20] Tuisku V, Pelkonen M, Karlsson L, Kiviruusu O, Ruutu T. Suicidal
aussi il faut être très attentif à la scolarité des adolescents. On ideation, deliberate self-harm behaviour and suicide attempt among
doit veiller à favoriser la reprise scolaire dès qu’elle est médica- adolescent outpatients with depressive mood disorders and comorbid
lement possible même parfois avant un éventuel retour en axis I disorder. Eur Child Adolesc Psychiatry 2006;15:199-206.
milieu familial. [21] Alvin P, Marcelli D. Les liens entre la dépression et les conduites sui-
Les rencontres avec les parents doivent être régulières et cidaires. In: Médecine de l’adolescent. Paris: Masson; 2000. p. 110-2
permettre de conserver ou renouer des liens. La sortie de (2000).
l’hospitalisation doit elle aussi être préparée. Le suivi ultérieur [22] Gould MS, King R, Greenwald S, Fisher P, Schwab-Stone M,
doit être programmé. Kramer R, et al. Psychopathology associated with suicidal ideation and
attempts among children and adolescents. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1998;37:915-23.
Prévention [23] Wunderlich U, Bronisch T, Wittchen HU. Comorbidity patterns in ado-
lescents and young adults with suicide attempts. Eur Arch Psychiatry
Elle paraît essentielle même si les études à ce sujet sont Clin Neurosci 1998;248:87-95.
insuffisantes [69, 70]. Elle se situe aussi bien au niveau de la [24] Corcos M, Jeammet P. Les dépressions à l’adolescence. Paris: Dunod;
première enfance, comme le montre la dépression d’abandon, 2005.
qu’au niveau de l’adolescence. La reconnaissance et le traite- [25] Lippe D. Dépression et mélancolie à l’adolescence. In: Les dépressions
ment d’une dépression à l’adolescence permettent en outre de à l’adolescence. Paris: Dunod; 2005.
réaliser un travail préventif vis-à-vis des éventuels troubles [26] Hervé MJ, Visier JP. Développement de la personnalité de l’enfant.
ultérieurs de l’âge adulte. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie, 37-200-G-10, 1999 :
.
6p.
[27] Marcelli D, Braconnier A. Adolescence et psychopathologie. Paris:
■ Références Masson; 2000.
[28] Jeammet P. Les enjeux des identifications à l’adolescence. Psychanal
[1] Kashani JH, Beck NC, Hoeper EW, Fallahi C, Corcoran CM, Enf 1991;10:140-63.
McAllister JA, et al. Psychiatric disorders in a community sample of [29] Hollande C. L’humeur dépressive comme défense contre la dépression.
adolescents. Am J Psychiatry 1987;144:584-9. Rev Fr Psychanal 1976;40:1081-91.
[2] Bailly B, Beuscart R, Alexandre JY, Collinet C, Parquet PJ. Utilisation [30] Georgiades K, Lewinsohn PM, Monroe SM, Seeley JR. Major
de la CES-D chez l’adolescent, résultats préliminaires. Neuropsychiatr depressive disorder in adolescence: the role of subthreshold symptoms.
Enf Adolesc 1992;40:486-96. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2006;45:936-44.
[3] Pine DS, Cohen P, Gurley D, Brook J, Ma Y. The risk for early- [31] Mâle P. Quelques aspects de la psychopathologie et de la
adulthood anxiety and depressive disorders. Arch Gen Psychiatry 1998; psychothérapie à l’adolescence. Confront Psychiatriques 1971;7:
55:56-64. 103-23.
[4] Choquet M, Ledoux S. Adolescents, Enquête nationale. Paris: [32] Braconnier A. La menace dépressive. Une transformation à l’adoles-
INSERM; 1994 (346p). cence de l’angoisse de séparation. Confront Psychiatriques 1987;29:
[5] Fahs H, Chabaud F, Dupla V, Marcelli D. Troubles dépressif des ado- 141-59.
lescents. À propos d’une enquête épidémiologique auprès de 465 ado- [33] Masterson J. Sur les traces de la triade borderline. In: Ladame F,
lescents scolarisés. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1998;46:340-9. Jeammet P, editors. La psychiatrie de l’adolescent aujourd’hui. Paris:
[6] Marcelli D, Berthaut E. Dépression et tentatives de suicide à l’adoles- PUF; 1986.
cence. Paris: Masson; 2001. [34] Masterson J. Les troubles limites de la personnalité chez l’adolescent.
[7] Braconnier A. Le devenir des troubles dépressifs de l’enfance et de Diagnostic et traitement. In: BraconnierA, editor. Conflictualités. Paris:
l’adolescence. In: La dépression avant 20 ans. Paris: Prid; 1998. p. 3-11. édition CTNERHI; 1989.
[8] Chess S, Thomas A, Hassibi M. Depression in childhood and [35] Koestner R, Zuroff DC, Powers TA. Family origins of adolescent self
adolescence: a prospective study of six cases. J Nerv Ment Dis 1983; criticism and its continuity into adulthood. J Abnorm Psychol 1991;
171:411-20. 100:191-7.
[9] Kovacs M, Feinberg TL, Crouse-Novak MA, Paulauskas SL, [36] Mazet P, Sibertin-Blanc D. Dépression de l’adolescence et carence
Finkelstein R. Depressive disorders in childhood. Arch Gen Psychiatry précoce de soins maternels. Rev Neuropsychiatr Infant 1976;24:
1984;41:229-37. 309-18.
[10] Harrington R, Fudge H, Rutter M, Pickles A, Hill J. Adult outcomes of [37] Ehrenberg A. La fatigue d’être soi. Dépression et société. Paris: Odile
childhood and adolescent depression. I. Psychiatric status. Arch Gen Jacob; 1998.
Psychiatry 1990;47:465-73. [38] Roberts RE. Manifestation of depressive symptoms among adoles-
[11] Kovacs M. Presentation and course of major depressive disorder during cents. A comparaison of Mexicans Americans with the majority and
childhood and later years of life span. J Am Acad Child Adolesc other minority populations. J Nerv Ment Dis 1992;180:627-33.
Psychiatr 1996;35:705-15. [39] Loubeyre JB. Aspects transculturels de la dépression avant 20 ans. In:
[12] Birmaher B, Ryan ND, Williamson DE, Brent DA, Kaufman J. La dépression avant 20 ans. Paris: Prid; 1998. p. 135-48.
Childhood and adolescent depression: a review of the past 10 years. [40] Moro MR, Baubet T. Dépression et autres cultures. Paris: Pils; 1997.
Part II. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996;35:1575-83. [41] MacMillan S, Szeszko PR, Moore GJ, Madden R, Lorch E, Ivey J, et al.
[13] Practice parameters for the assessment and treatment of children and Increased amygdala: hippocampal volume ratios associated with
adolescents with depressive disorders. AACAP. J Am Acad Child severity of anxiety in pediatric major depression. J Child Adolesc
Adolesc Psychiatry 1998;37(suppl10):63S-83S. Psychopharmacol 2003;13:65-73.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Dépressions à l’adolescence ¶ 37-214-A-10

[42] MacMaster FP, Kusumakar V. Hippocampal volume in early onset [57] Compton SN, March JS, Brent D, Albano AM. 5th, Weersing R, Curry
depression. BMC Med 2004;2:2. J. Cognitive-behavioral psychotherapy for anxiety and depressive
[43] Rosso IM, Cintron CM, Steingard RJ, Renshaw PF, Young AD, disorders in children and adolescents: an evidence-based medicine
Yurgelun-Todd DA. Amygdala and hippocampus volumes in pediatric review. J Am Acad Adolesc Psychiatry 2004;43:930-59.
major depression. Biol Psychiatry 2005;57:21-6. [58] Melvin GA, Tonge BJ, King NJ, Heyne D, Gordon MS, Klimkeit E. A
[44] Thomas KM, Drevets WC, Dahl RE, Ryan ND, Birmaher B, comparison of cognitive-behavioral therapy, Sertraline, and their
Eccard CH, et al. Amygdala response to fearful faces in anxious and combination for adolescent depression. J Am Acad Child Adolesc
depressed children. Arch Gen Psychiatry 2001;58:1057-63. Psychiatry 2006;45:1151-61.
[45] Ryan ND, Puig-Antich J, Cooper T, Rabinovich H, Ambrosini P, [59] Mufson L, Dorta KP, Wickramaratne P, Nomura Y, Olfson M,
Davies M, et al. Imipramine in adolescent major depression: plasma
Weissman MM. A randomized effectiveness trial of interpersonal
level and clinical response. Acta Psychiatr Scand 1986;73:275-88.
psychotherapy for depressed adolescents. Arch Gen Psychiatry 2004;
[46] Park RJ, Goodyear IM. Clinical guidelines for depressive disorders
in childhood and adolescence. Eur Child Adolesc Psychiatry 2000; 61:577-84.
9:147-61. [60] Chapelier JB. Les psychothérapies de groupe d’inspiration
[47] Harrington R. Évolution de la dépression. In: Mouren MC, Bouvard M, psychanalytique à l’adolescence. Adolescence 1992;10:339-54.
Klein R, editors. Les dépressions de l’enfant et l’adolescent. Paris: [61] Biloa-Tang M, Vincent T. Prise en charge institutionnelle et
Expansion Scientifique Française; 1997. médicamenteuse. In: La dépression avant 20 ans. Paris: Prid; 1998.
[48] Aalto-Setala T, Marttunen M, Tuulio-Henriksson A, Poikolainen K, p. 177-94.
Lonnqvist J. Depressive symptoms in adolescence as predictors of early [62] Goodman D, Happell B. The efficacity of family intervention in ado-
adulthood depressive disorders and maladjustment. Am J Psychiatry lescent mental health. Int J Psychiatr Nurs Res 2006;12:1364-77.
2002;159:1235-7. [63] Sanford M, Boyle M, McCleary L, Miller J, Steele M, Duku E, et al. A
[49] Strober M, Carlson G. Predictors of bipolar illness in adolescents with pilot study of adjunctive family psychoeducation in adolescent major
major depression: a follow-up investigation. Adolesc Psychiatry 1982; depression: feasibility and treatment effect. J Am Acad Child Adolesc
10:299-319. Psychiatry 2006;45:386-495.
[50] Rao U, Ryan ND, Birmaher B, Dahl RE, Williamson DE, Kaufman J, [64] Keller MB, Ryan ND, Strober M, Klein RG, Kutcher SP. Efficacity of
et al. Unipolar depression in adolescents: clinical outcome in paroxetine in the treatment of adolescent major depression: a
adulthood. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:566-78. randomized, controlled trial. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry
[51] Afssaps. Mise au point : le bon usage des antidépresseurs au cours de la 2001;40:762-72.
dépression chez l’enfant et l’adolescent. AFSSAPS 2006. Disponible [65] Ryan ND. Treatment of depression in children and adolescents. Lancet
depuis http://agmed.sante.gouv.fr/htm/10/antid/map_enfants.pdf au 2005;366:933-40.
10/01/2007. [66] Cheung AH, Emslie GJ, Mayes TL. The use of antidepressants to treat
[52] March J, Silva S, Petrycki S, Curry J, Wells K, Fairbank J, et al.
depression in children and adolescents. CMAJ 2006;174:193-200.
Fluoxetine, cognitive-behavioral therapy, and their combination for
[67] Hammerness PG, Vivas FM, Geller DA. Selective serotonin reuptake
adolescents with depression: Treatment for adolescents with depression
inhibitors in pediatric psychopharmacology: a review of the evidence.
study (TADS) Randomized controlled trial. JAMA 2004;292:807-20.
[53] Vaneck L. Réflexion à propos de quelques psychothérapies d’adoles- J Pediatr 2006;148:158-65.
cents dépressifs et suicidaires. Rev Neuropsychiatr Infant 1978;26: [68] Hazell P, O’Connell D, Heathcote D, Henry D. Tricyclic drug for
359-92. depression in children and adolescents. Cochrane Database Syst Rev
[54] Basquin M, Cohen D. Les psychothérapies de la dépression avant 20 2002(2) (CD002317).
ans. In: La dépression avant 20 ans. Paris: Prid; 1998. p. 149-75. [69] Merry S, McDowell H, Wild CJ, Bir J, Cunliffe R. A randomized
[55] Catheline N. Quand penser devient douloureux. Intérêt du travail thé- placebo-controlled trial of a scholl-based depression prevention
rapeutique de groupe en institution et avec médiateur dans la pathologie program. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2004;43:538-47.
du jeune adolescent. Psychiatrie Enf 2001;44:169-210. [70] Larun L, Nordheim LV, Ekeland E, Hagen KB, Heian F. Exercice in
[56] Lewinsohn PM, Clarke GN. Psychosocial treatments for adolescent prevention and treatment of anxiety and depression among children and
depression. Clin Psychol Rev 1999;19:329-42. Young people. Cochrane Database Syst Rev 2006(3) (CD004691).

C. Catry.
Centre hospitalier Henri-Laborit, BP 587, 86021 Poitiers, France.
A. Braconnier.
Centre psychiatrique et psychothérapeutique Philippe-Paumelle, 11, rue Albert-Bayet, 75013 Paris, France.
D. Marcelli (d.marcelli@ch-poitiers.fr).
Centre hospitalier Henri-Laborit, BP 587, 86021 Poitiers, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Catry C., Braconnier A., Marcelli D. Dépressions à l’adolescence. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-214-A-10, 2007.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-215-B-20

37-215-B-20

Expression névrotique. États limites.


Fonctionnement psychotique à l’adolescence
M Corcos
P Jeammet
Résumé. – L’adolescence est une période de la vie privilégiée pour mettre à l’épreuve la pertinence des
classifications psychiatriques comme celle des modèles psychopathologiques. Elle interroge, dans une
perspective génétique développementale, la qualité des acquis de l’enfance et révèle des vulnérabilités qui ne
se manifestent qu’à l’occasion de la puberté et de l’autonomisation propre à cet âge. Par ailleurs, c’est le
moment sensible où apparaissent des organisations psychopathologiques telles qu’elles vont s’exprimer chez
l’adulte sur un mode suffisamment stable pour justifier une approche catégorielle de la pathologie telle que
celle actuellement retenue par les classifications internationales. Le regain d’intérêt ainsi suscité pour les
symptômes et le comportement a favorisé les recherches sur une continuité des troubles depuis l’enfance et
permis un meilleur repérage de ceux-ci, en particulier à l’adolescence. Elle a également conduit au
démantèlement des névroses, à l’hypertrophie des états limites et des troubles de la personnalité et des
conduites.
Parallèlement, l’approche psychopathologique et notamment le modèle psychanalytique étaient questionnés
par les changements dans l’expression des pathologies, l’accroissement des troubles cités et des pathologies
dites narcissiques. Les liens de ceux-ci avec l’évolution des familles et de la société montraient l’influence des
paramètres externes sur l’organisation du fonctionnement psychique. Le point de vue structural strict s’en est
trouvé affaibli au profit d’un point de vue dynamique où la notion d’organisation et de modes prévalents de
fonctionnement devient prédominante.
Ces derniers peuvent fluctuer en fonction de facteurs internes, qu’ils soient génétiques, biologiques ou
développementaux, et de facteurs externes événementiels, conjoncturels ou structurels. Parmi ceux-ci, la
puberté et l’adolescence occupent une place spécifique. Ces facteurs peuvent avoir un rôle de protection ou de
risque, avec de possibles variations avec le temps dans un sens ou un autre. La notion de vulnérabilité
apparaît pertinente, mettant en valeur des potentialités que l’adolescence notamment contribuera à
concrétiser ou non.
Un sujet peut ainsi fonctionner suivant un mode prévalent qui relève sur le plan de son fonctionnement
psychique du registre névrotique, psychotique, pervers ou limite sans pour autant être inscrit structurellement
dans une pathologie nosographique correspondant à ce registre. Les facteurs de risque et de protection, ainsi
que les réponses de l’environnement, qu’elles appartiennent au champ thérapeutique ou qu’elles soient
autres, occupent une place essentielle dans l’organisation prévalente et durable ou non de ce mode de
fonctionnement. C’est particulièrement vrai à l’adolescence.
Parmi ces facteurs, le poids des contraintes génétiques, celui des dysfonctionnements des interractions du
bébé et de son environnement, la qualité de l’attachement et les éventuels traumatismes occupent une place
essentielle. La notion de dépendance prévalente au monde perceptivomoteur pour assurer l’estime de soi et la
sécurité du sujet versus le recours aux ressources internes apparaît pertinente pour discriminer la nature et
l’importance des différentes vulnérabilités.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : névrose, psychose, états limites, adolescence.

Introduction présence ou l’absence de reconnaissance du caractère pathologique


des troubles, recouvre la différence que l’on faisait classiquement
La psychiatrie, tant dans son approche clinique classique que entre troubles endogènes avec étiologie organique supposée et
psychanalytique, s’est construite sur l’opposition de catégories qui pathologie conflictuelle interne et/ou réactionnelle aux événements.
se voulaient bien définies : névrose, psychose, perversions. La réflexion s’est singulièrement complexifiée avec l’intérêt accru
Le terme de névrose valait surtout par opposition à celui de porté aux fonctionnements limites qui associent de façon durable
psychose. La différenciation des deux par l’importance de des traits psychotiques et névrotiques et avec le constat de la
l’altération de l’unité du moi et de la relation à la réalité, et par la résistance prégnante des névroses fortement symptomatiques à la
psychothérapie du fait de la présence parmi celles-ci d’éléments
archaïques et de caractéristiques du registre psychotique.
Maurice Corcos : Psychiatre. Dans ces formes pathologiques, l’accent a progressivement été mis
Philippe Jeammet : Psychiatre, psychanalyste.
Institut mutualiste Montsouris, service de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, 42, boulevard
sur les affects (anxiété, dépression, équivalents caractériels) ou sur
Jourdan, 75674 Paris cedex 14, France. les troubles du comportement avec l’importance de l’agir et du

Toute référence à cet article doit porter la mention : Corcos M et Jeammet P. Expression névrotique. États limites. Fonctionnement psychotique à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris,
tous droits réservés), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-215-B-20, 2002, 10 p.

150 560 EMC [295]


37-215-B-20
Expression névrotique. États limites. Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
mouvement d’externalisation des conflits et celle de la mise en avant volontiers de susceptibilité ou de vulnérabilité génétique et de
du corps et de l’expression corporelle des conflits psychiques. facteurs génétiques interagissant entre eux et avec des facteurs
La perspective structuraliste s’en est trouvée nuancée avec environnementaux » (Gorwood [28]).
l’introduction de termes plus ouverts tels que ceux d’organisation et L’intérêt croissant porté aux effets des interrelations précoces, en
de mode de fonctionnement où est reconnu implicitement la particulier les travaux sur l’attachement, a permis d’intégrer la
dimension d’un continuum du normal au pathologique et donc le compréhension psychanalytique de la réciprocité affective et
rôle de la dynamique psychique dans une structuration en devenir. relationnelle entre mère et enfant (synchronie dans la dyade mère-
bébé ; accordage affectif ou harmonisation des affects de Stern [66] ;
On a ainsi différencié des modes prévalents de fonctionnement
co-création de Lebovici [46], intersubjectivité de Emde [23] qui attribue
psychique modulables par l’étayage environnemental et des
un rôle important à l’objet dans la constitution de la conscience
organisations pathologiques avérées marquées par la répétition, où
intrapsychique et à l’expérience subjective de l’enfant) avec les
des déterminants biologiques participent à cristalliser, voire à études sur le développement cognitif postpiagetien, en fournissant
renforcer, un fonctionnement. ainsi des bases de recherches sur les compétences de l’enfant.
Cette évolution, qui tend à préférer le terme de mode de Au total, l’approche nosographique ne peut faire l’économie d’une
fonctionnement plutôt que celui de structure dans l’approche perspective développementale qui indique essentiellement la
psychanalytique, est parallèle à celle qui, dans l’approche potentialité du sujet à s’appuyer sur les apports extérieurs. De
nosographique, a vu évoluer la notion de catégorie vers celle de même, l’approche psychodynamique ne peut éluder les facteurs de
dimension. Cette dernière ne considère plus en effet la comorbidité tempérament.
comme une simple co-occurrence statistique quand elle individualise
La complémentarité des deux approches permet d’évaluer au mieux
des syndromes où plusieurs troubles sont regroupés en référence à
une structuration du moi liée à des vulnérabilités génétiques
une étiopathogénie qui établit un lien entre eux. La perspective biologiques ou secondaires à des failles narcissiques dans son étroite
catégorielle, quant à elle, tend naturellement à circonscrire des articulation avec les facteurs environnementaux familiaux et
pathologies avérées avec des symptômes stables et spécifiques où le socioculturels. Cette plus ou moins bonne articulation confrontée à
poids des facteurs génétiques (avec cependant des variances) est l’épreuve de l’adolescence conditionne le devenir en termes
important, et à négliger des formes subsyndromiques plus discrètes, d’organisation névrotique, limite ou psychotique.
très dépendantes de l’environnement et des soins.
Elle reste ainsi interrogeable et d’ailleurs s’interroge elle-même,
comme le fait le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders Poids des facteurs socioculturels =
(DSM), sur l’évolution d’une catégorie diagnostique à une autre,
l’influence de la personnalité et du caractère, la place des troubles
vers de nouvelles problématiques
de l’humeur et, plus spécifiquement, le devenir des troubles de
l’enfance à l’adolescence et à l’âge adulte. L’évolution de nos sociétés, au travers notamment des changements
qu’elle imprime au fonctionnement de la cellule familiale, favorise
Dans cette approche, il est plus souvent actuellement tenu compte l’expression plus aiguë de problématiques que l’on peut regrouper
de l’influence d’un diagnostic de personnalité sur l’axe II que sur le sous l’appellation de conduites de dépendance. Celles-ci sont
diagnostic porté sur l’axe I. Ainsi, à titre d’exemple, dans l’étude susceptibles de concerner des structures et organisations psychiques
méthodologiquement très rigoureuse de Johnson et al [36] , les différentes, et d’apparaître ou de disparaître en fonction de la
adolescents ayant un trouble de la personnalité ont un risque plus conjoncture interne et environnementale à laquelle elles sont
important, à l’âge adulte, de présenter un trouble psychiatrique coté extrêmement sensibles. Celle-ci en favorise l’expression sur ce mode
sur l’axe I, y compris après ajustement sur l’existence à l’adolescence mais la question reste ouverte de savoir si elle les crée
de troubles psychiques. De plus, dans cette étude, l’existence d’un structurellement. Rien ne nous permet en effet d’affirmer que les
trouble de la personnalité à l’adolescence, quel que soit son type, est adolescents en difficulté d’aujourd’hui présentent des organisations
significativement prédictif de troubles dépressifs à l’âge adulte. Mais psychopathologiques structuralement différentes de celles des
pour autant, le trouble de la personnalité mis en exergue dans cette générations précédentes. Nous manquons de points de comparaison
étude n’est pas spécifiquement référé à son lien avec les troubles de objectifs. En revanche, il est certain que, à bien des égards, les
l’enfance, à l’influence de l’environnement et au rôle révélateur de visages de la psychopathologie, c’est-à-dire son expression
l’adolescence. manifeste, ont changé sensiblement.
La place de la dépression dans la psychopathologie de l’adolescence, L’allongement de l’adolescence dans nos sociétés occidentales
que ce soit sa fréquence plus souvent objectivée ou sa fonction, est conduirait à une dissociation croissante entre la puberté, étape
reconsidérée depuis quelques années. Les mouvements dépressifs à physiologique de la maturation somatique, dont l’importance se
l’adolescence (des états dysphoriques jusqu’aux troubles de relativiserait, et le phénomène essentiellement psychosocial que
l’humeur dont la nature et l’intensité sont variables) restent serait l’adolescence proprement dite.
singuliers, non pas tant dans leur aspect symptomatique positif Simultanément, les rapports parents-enfants changent profondément
relativement adultomorphe que dans leur aspect d’évitement de la et on assiste à un effacement des barrières intergénérationnelles. La
dépression, notamment par le recours à des défenses narcissiques plus grande liberté des mœurs, la fragilisation des limites, la dilution
ou à des agirs comportementaux et corporels pathologiques qui des valeurs, conjuguent leurs effets avec l’accroissement des
protègent la psyché d’une désorganisation, mais la laissent sous exigences de performance et de réussite individuelle pour exposer
l’emprise d’une menace dépressive (Braconnier [13]). narcissiquement l’adolescent et pour l’empêcher de trouver dans la
Ces nouveautés dans la terminologie clinique sont liées à une vision soumission aux contraintes ou l’adhésion aux valeurs de la société
étiopathogénique moins rigide, quelle que soit l’approche théorique une voie toute tracée d’expression de ses besoins de dépendance
prévalente. qui vont de ce fait s’exprimer au grand jour dans leur crudité.
Ainsi, pour ce qui concerne les contraintes génétiques dans la On retrouve, au sein de la famille, le même affaiblissement qu’à
pathologie mentale, de nombreux travaux soulignent que « la notion l’échelon social des interdits et des limites au profit de
de déterminisme génétique ne s’applique pas aux pathologies l’accroissement des exigences narcissiques. L’évitement des conflits,
polyfactorielles que représentent la grande majorité des troubles la perte de la médiation que représentait le consensus social sur les
mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Les facteurs génétiques règles de vie, favorisent la création d’une pseudomutualité familiale
incriminés actuellement peuvent augmenter un risque, favoriser et l’enchevêtrement entre les générations.
l’expression d’un trouble, modifier l’expression d’une maladie, mais Cet affaiblissement des médiations sociales et le renforcement de la
non l’expliquer totalement ou la provoquer… on parle plus proximité, voire de la confusion des désirs et de la dépendance

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Expression névrotique. États limites. 37-215-B-20
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
narcissique qu’il facilite, apparaissent importants pour rendre le sujet dans la répétition de ces conduites que l’on peut alors
compte de l’évolution des relations parents-enfants. qualifier de pathologiques. Le caractère non plus seulement
L’enfant soutient les parents, les parents soutiennent l’enfant dans pathogène, mais pathologique, est lié à cette contrainte à répéter une
des relations de dépendance. Il se crée un climat de complicité avec conduite, qu’elle soit purement représentationnelle ou
cet enfant qui prend vite un caractère incestuel (Racamier [63]) qui ne comportementale, malgré ses effets dommageables pour le sujet
fait que renforcer une peur du conflit qui a tendance à se généraliser et/ou son environnement. Elle devient, dès lors, le mode unique ou
et qui conduit à un évitement global de tout affrontement. On se dit préférentiel de réponse à certaines situations, internes ou externes,
tout, on partage tout, ce qui est très enrichissant pour les enfants à auxquelles est confronté le sujet.
certains égards mais ne facilite pas leur différenciation. Ce caractère contraignant d’une conduite et son pouvoir
À la problématique du conflit pulsionnel, liée à des interdits forts et réorganisateur sur la personnalité de l’adolescent dépendent de
propres aux sociétés aux règles transactionnelles rigides, se substitue deux ordres de paramètres :
une problématique du lien pour laquelle la distance relationnelle ne – l’importance et la nature des facteurs de vulnérabilité, mais aussi
peut plus se moduler par le biais des limites et des différences de protection ou de résilience, qui appartiennent au passé du sujet,
clairement affirmées. Le maintien du lien est d’autant plus nécessaire comme son hérédité, son histoire individuelle et familiale ;
qu’il est plus chargé d’attentes narcissiques réciproques et qu’il sert
à contre-investir une agressivité que l’absence d’occasions de la – la conjoncture dans laquelle se déroule l’adolescence, qu’elle
manier oblige à réprimer. L’intolérance au lien est à la mesure de sa concerne l’environnement immédiat de l’adolescent ou le contexte
nécessité, l’un renforçant l’autre, en un mouvement de nœud coulant social plus général, en lien aussi bien avec les événements qu’avec
qui finit par menacer jusqu’à l’identité même du sujet, et qui, en la qualité des réponses de l’environnement aux attentes explicites et
tout cas, participe grandement à cet âge à organiser sa personnalité. implicites de l’adolescent.
C’est ce type de liens que l’adolescence contribue très C’est la conjonction de l’ensemble de ces paramètres qui est
spécifiquement à conflictualiser. Sexualisation des relations et spécifique à l’adolescence. Ceux-ci demeurent pour une grande part
désidéalisation conjuguent leurs effets pour faire perdre à ces objets d’entre eux à l’état de virtualités que l’adolescence est susceptible
leur rôle de support narcissique, tandis que la nécessité dans laquelle de concrétiser d’une façon temporaire ou durable, voire définitive.
se trouve l’adolescent d’assurer son autonomie nouvelle, et par là Nous nous trouvons donc en présence d’un éventail de possibles
même d’achever ses identifications et de confirmer la solidité de ses entre les situations où le poids des contraintes pathogènes de tous
acquis internes, renforce sa dépendance objectale, exacerbe et ordres est tel que l’adolescence ne pourra pas se dérouler sans la
réactualise l’antagonisme entre besoin objectal et autonomie du concrétisation d’une ou de plusieurs conduites pathologiques et
sujet. celles qui ne s’exprimeront puis ne s’organiseront qu’en fonction de
la nature de la réponse environnementale.
L’évolution des modèles métapsychologiques conceptuels
Le poids de l’histoire du sujet, de son organisation interne telle
concernant la psychopathologie des troubles psychiques observés à
qu’elle s’est élaborée pendant l’enfance, mais aussi celui de ses
l’adolescence, suivant l’évolution sociale que nous venons de mettre
déterminants génétiques, vont donc conférer aux réponses de
en exergue, a été marquée par le passage progressif d’un intérêt
l’environnement toute leur importance. Par une apparente
porté dans un premier temps à la nature des fantasmes et au conflit
contradiction, plus le poids du monde interne est lourd, plus la
pulsionnel sous-tendant les symptômes, à une attention désormais
réalité externe est susceptible de servir de contre-poids et joue un
prévalente à la problématique du lien à l’origine d’une pathologie
rôle important.
de l’organisation de la personnalité. Ce qui est ainsi mis en avant
dans l’organisation structurale sont les rapports contenu-contenant. Cette sensibilité aux variations de la conjoncture sera certes plus
marquée chez les adolescents plus vulnérables du fait du poids de
De fait, on tend à décrire une « nouvelle clinique » liée à l’évolution
leur hérédité et de leur histoire. L’adolescence risque pour eux de
du « contenant » socioculturel et familial, qui aboutit dans le
n’être qu’une réactualisation des difficultés du passé et un
domaine psychopathologique à mettre en avant l’axe narcissique de
traumatisme supplémentaire dans la série des « traumatismes
la personnalité. Le narcissisme devient actuellement un opérateur
cumulatifs » (M Khan [40]) qui jalonnent leur histoire. Mais cette
encore plus essentiel qu’à d’autres époques [8].
notion de vulnérabilité est très relative et résulte d’une dialectique
mouvante entre réalité interne et réalité externe.
En effet, la réalité interne n’est pas une chose en soi qui fixe sa
Spécificité des enjeux propre trajectoire indépendamment des effets de résonance qu’elle
psychopathologiques à l’adolescence rencontre dans la réalité externe. Ces effets de résonance peuvent
influencer l’évolution dans des sens diamétralement opposés,
Le concept de narcissisme se situant « aux limites entre les notions rendant ainsi particulièrement importante la nécessité de penser, en
de stade et d’état, aux confins des pulsions de vie et de mort, et aux termes de fonctionnement psychique, cette articulation entre le
frontières du dedans et du dehors, du moi et de l’objet » (Golse [27]) dedans et le dehors.
s’avère heuristique pour aborder l’étude de tous les fonctionnements Le jeu des investissements et des contre-investissements ainsi que
mentaux névrotique, limite et psychotique sans préjuger de la nature leur évolution ne dépendent donc pas seulement des forces internes
structurelle des conflits en cause, conflits qui peuvent aussi bien en présence, mais également de la nature des réponses apportées
relever d’une reviviscence de la névrose infantile à l’occasion de la par cette réalité externe. Pour beaucoup d’adolescents, notamment
puberté, que d’une organisation limite, dysharmonique ou ceux qui relèvent du registre des troubles de la personnalité et du
prépsychotique. Ce concept met l’accent sur l’organisation dans comportement, à organisation psychique comparable peuvent
l’enfance de la personnalité dans sa relation et sa communication correspondre des évolutions totalement différentes. C’est souvent à
avec le monde environnant et met en exergue la réactivation de la l’adolescence que s’opère cette bascule dans un sens ou dans l’autre.
fragilité des assises narcissiques inhérente à la crise pubertaire. Il Ce qui se passe à cet âge est susceptible de déterminer la façon dont
souligne ainsi la relative inefficience et les limites des barrières un sujet va utiliser ses potentialités : soit dans un sens qui maintient
nosologiques à l’adolescence. suffisamment son estime de lui-même et lui assure des possibilités
Il existe pendant toute la période de l’adolescence une communauté satisfaisantes d’échanges avec les autres, soit, au contraire, dans une
d’enjeux qui fait de cet âge une période critique à risques voie qui l’amène à développer des conduites négatives
spécifiques. Ces enjeux sont liés à la possibilité de voir ce qui est de d’autosabotage de ses potentialités.
l’ordre d’une vulnérabilité dans l’enfance faire place à l’adolescence S Lebovici [47] a bien décrit chez ces adolescents ce qu’il a appelé « le
et dans l’immédiate postadolescence à des conduites pathogènes car développement actuel des névroses de destinée », qui voit ces jeunes
susceptibles de réorganiser la personnalité autour d’elles et de figer osciller de « l’amour fou à l’orgasme opératoire » c’est-à-dire de la

3
37-215-B-20
Expression névrotique. États limites. Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
relation passionnelle à la recherche frénétique de liens sexuels les tolérable et suffisamment acceptable pour assurer la permanence de
plus désaffectivisés possibles. Dans les deux cas, c’est la dimension son identité. Ce sont essentiellement les aspects les plus
narcissique du lien qui en constitue le fondement commun. inacceptables de sa vie pulsionnelle qui nécessiteront d’être intégrés
L’aménagement de ce lien peut se faire en revanche dans deux et qui confèreront alors à ces formations leurs caractéristiques les
directions opposées : celle de la fusion ou celle du rejet le plus plus rigides, les plus contraignantes et les plus violentes. Bien des
complet possible. Ce qui demeure difficile, sinon impossible, c’est la idéologies et des sectes permettent l’intégration d’une destructivité
confrontation à l’écart et à la différence sujet/objet. à des idéaux suffisamment valorisés pour les rendre tolérables et
L’orientation vers l’une ou l’autre de ces modalités dépend pour compatibles avec le maintien d’une image acceptable, voire
beaucoup de la nature des rencontres de l’adolescent avec le monde survalorisée et idéalisée de soi. À défaut de ce travail de
qui l’entoure et des personnes qui composent ce dernier. Ainsi, un respectabilisation de la vie pulsionnelle, l’adolescent n’aura comme
même type d’organisation psychique est susceptible d’évoluer dans recours, selon ses possibilités de défense et d’aménagement, que :
un sens valorisant pour le sujet et renforçant son estime de lui grâce
– le rejet plus ou moins étendu de cette vie pulsionnelle et souvent
à l’utilisation maximale de ses aspects positifs, le mettant en
du corps qui en est le support, ressenti comme monstrueux et
meilleure position pour assouplir ses défenses même si, bien sûr,
diabolique ;
des difficultés peuvent survenir ultérieurement pour lui-même, ou
se révéler au travers de celles de ses propres enfants. À l’opposé, – la projection sur le monde externe de cette haine ;
l’entrée dans l’échec de ses potentialités est susceptible d’enfermer – le passage à l’acte destructeur ;
l’adolescent dans une image négative de lui-même, que la réalité
vient alors lui confirmer, au risque de le laisser s’organiser sur un – l’effondrement psychotique auquel peut succéder la création d’un
mode pathogène, qui devient sa seule façon de s’affirmer et objet délirant comme tentative ultime de conciliation du narcissisme
d’assurer une identité qui ne trouve pas de bases positives pour et de la vie pulsionnelle.
s’étayer et qui le conduit à une psychopathologie franche, qui peut, Cette approche conduit à mettre l’accent sur l’importance des
elle, lui octroyer une identité de compensation [17]. aménagements de cette réalité externe et le rôle de celle-ci comme
La réalité externe apparaît comme une médiation possible auxiliaire de l’appareil psychique, favorisant ou empêchant le jeu
susceptible de renforcer ou de désorganiser les structures de des investissements et des contre-investissements.
l’appareil psychique. Son rôle essentiel est de rendre De ce fait, le travail d’évaluation porte essentiellement sur cette
narcissiquement tolérables les investissements objectaux et d’éviter articulation de l’interne et de l’externe, et sur la possibilité de penser
ainsi une confrontation brutale au paradoxe énoncé précédemment. cette articulation en termes de fonctionnement psychique, de façon
Elle le peut de multiples façons. Les objets externes, notamment les à rendre compte du poids de cette réalité externe dans l’économie
parents, peuvent être des médiateurs des objets internes, corrigeant du fonctionnement de la réalité interne. Ce qui est en jeu, ce ne sont
par leurs attitudes concrètes ce que ces derniers peuvent avoir pas tant les contenus fantasmatiques, essentiellement déterminés par
d’effrayant et de contraignant, contribuant ainsi à nuancer et à le monde interne des représentations, mais plutôt la portée dans
humaniser Surmoi et Idéal du Moi. Ils peuvent également créer les l’économie psychique de ces contenus fantasmatiques, portée qui
conditions d’un plaisir à fonctionner et à échanger qui autorise dépend en particulier de ce jeu des investissements et des contre-
l’adolescent à réinvestir libidinalement les liens objectaux sans avoir investissements, ainsi que des effets de résonance entre ces contenus
à prendre conscience de l’importance de ces objets. On retrouve là fantasmatiques internes et cette réalité externe.
les conditions de l’aire transitionnelle de la première enfance ou de
Les données de la réalité interne étant ce qu’elles sont, les processus
ce que certains auteurs ont préféré appeler l’objet transformationnel
de dégagement proviendront essentiellement de la possibilité de
(Bollas [11] et Braconnier [12]). Ces mêmes objets sont également
trouver dans la réalité externe des supports efficaces aptes à entrer
susceptibles, grâce à leur diversité comme au rappel perceptif de la
dans une congruence positive avec les données internes et à les
différence des sexes, de renforcer une fonction tierce vacillante et
soutenir dans leur fonction narcissique comme dans leur demande
menacée par la régression et la dédifférenciation.
objectale.
Le fonctionnement familial peut favoriser ce processus ou l’entraver.
La crise du milieu de la vie à laquelle peuvent être confrontés les Cette approche nous paraît avoir l’intérêt de dépasser certaines
parents au moment de l’adolescence de leurs enfants entre parfois oppositions entre les effets respectifs des fantasmes et de la réalité
en résonance avec la problématique de l’adolescent et favorise la externe, ou sur le rôle à accorder au registre narcissique ou œdipien
confusion des générations et le trouble des limites chez l’adolescent. à l’adolescence. En fait, on ne peut penser les uns sans les autres, et
Il en est de même quand l’adolescence actualise chez les parents les la spécificité de l’adolescence est de remettre en cause
conflits non résolus avec leurs propres parents et agis au travers de inévitablement leur articulation. C’est leur articulation dynamique
ceux de leurs enfants. Cet effet de résonance amplifie les conflits et qui est l’élément essentiel de l’investigation comme de la
contribue à donner aux adolescents le sentiment d’être méconnus thérapeutique. Se focaliser sur l’un ou l’autre des termes, sans penser
dans leur identité et traversés par des forces auxquelles ils se sentent leur rapport évolutif, conduit à des constats justes sur le contenu,
étrangers. Dans le même temps, cette « incarnation » des aspects mais qui risquent de favoriser l’un des termes au détriment de
trangénérationnels favorise une filiation morbide. l’autre.
Les différents intervenants sociaux sont également partie prenante Ce constat amène à relativiser la notion de structure appliquée à la
dans ce processus : enseignants, personnel soignant, mais aussi réalité intrapsychique. Celle-ci n’est vraiment prégnante que pour
groupes de pairs, idéologies et religions. Ils peuvent être des les organisations les plus extrêmes, que ce soit dans le sens de la
supports provisoires du besoin d’étayage narcissique de l’adolescent, pathologie ou à l’opposé de ce qu’il faut bien appeler la normalité.
offrant à celui-ci des points d’appui sauvegardant ses besoins Mais dans l’entre-deux, il existe des possibilités d’évolution qui
d’investissement comme une certaine image de lui narcissiquement laissent celle-ci relativement ouverte pendant une longue période,
acceptable, avant qu’il ne découvre ses voies propres, ou s’offrir, en tout cas largement au-delà du début de l’adolescence.
telles les sectes et certaines idéologies, comme un aboutissement qui Le concept d’organisation apparaît préférable. Il suppose des
sous le masque de la découverte cache les retrouvailles avec des mouvements de désorganisation et de réorganisation, et des
besoins fusionnels infantiles qui aliènent l’individu dans une relation modalités diverses de fonctionnement. Celles-ci peuvent se
totalitaire indifférenciante. juxtaposer sans que la prédominance d’une modalité soit encore
C’est en effet cette quête d’une sécurité interne et d’une réassurance assurée. Là encore, ce sera souvent l’effet de l’adolescence que de
narcissique que s’efforcent de combler les différentes productions conduire à cette prédominance. Flavigny [25] avait déjà proposé le
idéologiques, culturelles et sociales. Ces productions du champ terme d’« organisations psychiques intermédiaires » pour qualifier
social doivent intégrer les composantes pulsionnelles du sujet et leur ces états labiles propres à l’adolescence, mais susceptibles de se figer
donner une issue compatible avec le maintien d’une image de lui et de s’organiser.

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Expression névrotique. États limites. 37-215-B-20
Fonctionnement psychotique à l’adolescence

Continuité avec l’enfance son évolution, afin d’éclairer les résultats souvent contradictoires des
données épidémiologiques sur la prévalence des troubles
Le regard psychopathologique sur les pathologies psychiatriques qui psychotiques limites et névrotiques à l’adolescence, et sur leur
émergent à l’adolescence s’oriente vers la recherche d’une continuité devenir lors des études de suivi. Ces deux approches sont
avec l’enfance, l’adolescence n’étant alors que l’occasion d’une plus complémentaires et non substitutives.
grande expressivité, symptomatique et comportementale, d’une
pathologie déjà présente qu’elle ne fait qu’amplifier. Cette tendance Potentialités psychotiques.
s’exprime notamment dans les recherches actuelles concernant les Fonctionnement psychotique.
signes précurseurs, et à ce titre atypiques dans leur expression, des
troubles de l’humeur et de la schizophrénie. Psychose
De nombreuses études actuelles cherchent ainsi à mettre en évidence La clinique des états psychotiques est polymorphe, laissant présager
des « signes prédictifs » de la schizophrénie (Mac Glashan et al [55], des modèles étiopathogéniques polyfactoriels. Nous insisterons dans
Yung et McGorry [76]) ou une phase prodromique à un premier ces modèles sur les parts respectives de vulnérabilité et de plasticité.
épisode psychotique (Yung et McGorry [74, 75]), mais aussi une Le diagnostic de schizophrénie est un diagnostic syndromique qui
continuité entre des symptômes schizoïdes et borderline dans ne peut être posé que devant la réunion de plusieurs critères
l’enfance et à l’âge adulte (Aarkrog et al [1], Wolff [73], Bernstein [9]). symptomatiques associés à des critères de durée et ce, quel que soit
Cohen et al [16] soulignent, dans une étude longitudinale prospective l’âge du patient.
portant sur 700 enfants suivis de l’enfance à l’âge adulte, le rôle de Les deux classifications internationales les plus utilisées (DSM-IV et
troubles précoces de l’enfant (hyperactivité, trouble de l’attention, Classification internationale des troubles mentaux et des troubles du
agressivité, dépression, retrait, angoisse) sur la survenue des comportement [CIM10] [15, 22]) reconnaissent cet état de fait et varient
troubles de la personnalité de cluster A (paranoïde, schizoïde, elles-mêmes dans un certain nombre de leurs critères
personnalité schizophrénique) et de cluster B (antisocial, borderline, symptomatiques, comme dans leurs catégories cliniques ou leurs
histrionique, narcissique). critères de durée.
Bernstein et al [9, 10] montrent que les troubles de la personnalité à La présence de symptômes psychotiques à l’adolescence (critère A),
l’adolescence (cluster A, B et C du DSM-III R) ont leurs racines dans plus encore que chez l’adulte, n’est pas synonyme de schizophrénie.
l’enfance et que des symptômes telles la dépression pour le cluster Les symptômes psychotiques sont fréquents lors des épisodes
A chez les garçons ou l’immaturité pour le cluster B chez les filles thymiques graves chez les adolescents (30 % des cas selon une revue
peuvent être considérés comme prédictifs. de la littérature faite par Bashir et al [5]). Il peut s’agir de troubles du
Cependant, dans ces études, les indices pronostiques sont très peu cours de la pensée (relâchement des associations, incohérence,
spécifiques, les symptômes observés ne sont pas forcément ceux persévérations, barrages…), d’éléments confusionnels
d’une pathologie avérée et leur stabilité est discutée. Enfin, d’autres (désorientation temporospatiale, perplexité anxieuse, discours
études rapportent des résultats différents. confus), d’idées délirantes, congruentes ou non à l’humeur (dans un
Ainsi, dans une revue de la littérature concernant les symptômes ordre de fréquence décroissante, et sans être exhaustif : thématique
prédicteurs dans l’enfance d’une évolution schizophrénique, Kagan de culpabilité, mégalomaniaque, de négation d’organes,
et al [37] observent que la majorité des patients schizophrènes d’incurabilité pour les premières, de persécution, de pensée imposée,
apparaissent normaux jusqu’au début de l’éclosion psychotique à de transformation corporelle pour les secondes…), d’hallucinations,
l’adolescence. De plus, 85 % des patients présentant ces symptômes surtout auditives et coenesthésiques.
ne développeront pas une schizophrénie. La présence d’hallucinations auditives intégrées dans le classique
Enfin, les études d’évolution à long terme des troubles montrent que automatisme mental de de Clérambault ainsi que la présence de
le diagnostic de schizophrénie porté initialement n’est plus donné à signes négatifs demeurent le meilleur critère diagnostique à
ces mêmes patients dans une proportion non négligeable de cas. condition de préciser comme le fait le DSM-IV leur persistance
durant une période de temps importante malgré les efforts
Le travail de Pitta et al [61] illustre bien les difficultés diagnostiques thérapeutiques.
en comparant les fluctuations de catégorisation des patients en
Selon Ballanger et al [3] , on retrouve 88 % de symptômes dits
fonction des critères de chaque classification. Celui de Craig et al [19]
schizophréniques (« fondamentaux » selon Schneider) lors de l’état
souligne que les résultats contradictoires sur le devenir de la
maniaque chez l’adolescent (contre 33 % chez l’adulte). Halfon et
schizophrénie sont liés en partie à l’inclusion en proportion variable
al [31] constatent pour leur part des signes psychotiques non
de troubles schizophréniformes et non de formes symptomatiques
congruents à l’humeur chez 95 % de leurs patients présentant des
nettes.
troubles thymiques délirants, les hallucinations auditives et visuelles
On retrouve également cette voie de recherche d’une continuité avec ne survenant que chez les patients bipolaires.
l’enfance dans les études portant sur les troubles anxieux : anxiétés Des adolescents présentant des troubles des conduites, des
de séparation, troubles phobiques, anxiété généralisée, troubles dépressions majeures ou des troubles bipolaires peuvent présenter
obsessionnels compulsifs (TOC). des symptômes « psychotic-like » et être étiquetés improprement
Les études sur les troubles anxieux soulignent leur caractère psychotiques (McClellan et al [53], Werry et al [68, 69]).
hétérogène et leur devenir instable. Ainsi cette étude qui montre la Enfin, les patients borderline sont parfois difficiles à différencier des
relation étroite qu’entretiennent attaque de panique, phobie sociale, patients schizophrènes (Lofgren et al [50], McClellan et al [53], Paris
TOC avec les troubles dépressifs unipolaires, voire bipolaires (Perugi [59]
).
et al [60]).
Le concept nosographique de troubles schizoaffectifs, qui
De même, la stabilité du diagnostic est limitée pour les TOC chez individualiserait une maladie autonome en alliant chez un sujet des
l’enfant : Berg et al [6] rapportent que seuls 31 % des 16 enfants symptômes de deux maladies (schizophrénie et troubles bipolaires),
souffrant de TOC gardent ce diagnostic 2 ans après et que 56 % ont apparaît discutable. Les arguments génétiques, thérapeutiques
un diagnostic additionnel de troubles anxieux et dépressifs. Leonard (réponse aux thymorégulateurs) et évolutifs (pronostic
et al [49] montrent que 43 % des 54 patients souffrant de TOC et intermédiaire) pour en faire une affection autonome ne sont pas
traités maintiennent ce diagnostic 3 à 4 ans plus tard et 96 % ont un convaincants. Le fait est que la carence des nosologies psychiatriques
diagnostic associé. type DSM à trouver des critères absolus et à délimiter des frontières
Nous nous proposons maintenant d’associer les deux approches que précises entre schizophrénie, troubles affectifs et personnalités
nous avons décrites à grands traits précédemment, l’une mettant en borderline redonne son importance à un abord dimensionnel qui
exergue la dimension narcissique des troubles et ses conséquences envisage les caractéristiques d’un fonctionnement psychique dans
sur le développement, la seconde descriptive de la clinique et de sa relation avec le monde externe.

5
37-215-B-20
Expression névrotique. États limites. Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
Les symptômes prémorbides peuvent précéder de plusieurs années permettant pas un développement trophique). De plus, les
les premières manifestations psychotiques (cf supra). Ils ne sont pas conséquences de ces effets environnementaux dépendent étroitement
spécifiques et leur valeur prédictive reste à confirmer. La phase du moment de leur survenue (avant, pendant ou après une période
prodromique comprenant les symptômes qui apparaissent dans critique de maturation cérébrale).
l’année qui précèderait le premier épisode psychotique, si elle est De même, dans l’approche développementale et psychanalytique, si
évocatrice, n’est pas pathognomonique. Dans ces conditions, il n’est des lignes de force se dégagent, aucun signe ou mécanisme de
pas possible, dans l’état actuel de nos connaissances, de parler défense n’est pathognomonique.
strictement de « prémices de la schizophrénie ». En revanche, il L’adolescence constitue en elle-même un révélateur potentiel de ce
existe des comportements, des états affectifs et des modes de relation qui demeure de vulnérabilité antérieure. L’adolescence se spécifie
de l’adolescent qui témoignent de difficultés majeures de sa par :
personnalité et dont la persistance contribue à réorganiser sa
personnalité mouvante autour d’eux. Ils ont, de ce fait, un pouvoir – une tension particulière entre les investissements pulsionnels
pathogène qui appelle des réponses thérapeutiques pour éviter une objectaux et l’équilibre narcissique créant les conditions d’un
évolution vers une pathologie confirmée. La schizophrénie peut être antagonisme narcissico-objectal qui, s’il est trop important, menace
l’une de ces formes évolutives possibles sans qu’il existe de signes directement le sentiment de continuité de soi de l’adolescent et son
pathognomoniques en faveur de cette évolution. identité ;
L’apparition de la symptomatologie à la fin de l’adolescence et au – une importance accrue et spécifique des réponses de
début de l’âge adulte, dans près de 90 % des cas (la schizophrénie à l’environnement (en particulier familial, mais aussi culturel et social)
début précoce, avant l’âge de 16 ans, est extrêmement rare), doit à cet antagonisme par les possibilités qu’il offre ou non de le réduire
faire intégrer à la réflexion les enjeux psychopathologiques propres grâce à la nature des investissements nouveaux qu’il propose à
à cet âge qui correspond à une phase d’adaptation et de plasticité l’adolescent.
importante. Ceci n’exclut pas les recherches en cours sur une L’intensité du besoin pour l’objet de la réalité externe du fait des
continuité de l’enfance à l’âge adulte : individualisation d’un failles et de l’insécurité interne exacerbe l’appétit pour l’objet et les
nouveau groupe nosographique DSM-IV, troubles multi- désirs d’incorporation et menace l’équilibre narcissique et le désir
dimensionnels ou multiple impaired disorders (MID) et étude de ces d’autonomie de l’adolescence. Ce besoin confère à l’objet (hétéro- et
rapports avec les troubles envahissants du développement (troubles homosexuel) un caractère excitant, sexualise le lien et donne à cet
complexes et multiples du développement [MDD]) (Asperger). La objet un pouvoir intrusif et dévorateur d’autant plus menaçant que
symptomatologie clinique des MID est également voisine de celle l’objet est projectivement chargé de la propre avidité de l’adolescent.
décrite par la psychiatrie française sous l’appellation de Du point de vue psychopathologique, il apparaît heuristique de
dysharmonies psychotiques (Mises [57, 58]). parler en termes de fonctionnement psychique sans préjuger des
L’hypothèse de Crow [20] d’un gène de susceptibilité aux psychoses causalités en jeu (Ladame [44]). On peut alors opposer potentialités
commun à ces pathologies et dont l’expression phénotypique psychotiques, fonctionnement psychotigène et fonctionnement
dépendrait de l’impact de l’environnement propose un système psychotique (Jeammet [33, 34, 35]).
ouvert pouvant expliquer la diversité clinique. De même, la réflexion Comme leur nom l’indique, les potentialités psychotiques sont le
psychanalytique sur les liens entre délire, dépression, manie et fait d’organisations vulnérables à l’éclosion des deux autres
mélancolie permet d’envisager des modalités de fonctionnement modalités. Disons schématiquement qu’elles témoignent d’une
psychotique intermittent cohabitant avec d’autres modes de défaillance des ressources narcissiques internes, favorisant la
fonctionnement. Les possibilités d’évolution dans les deux cas sont possible émergence d’un antagonisme entre relation d’objet et
multiples et dépendent tant du poids de la vulnérabilité que des sauvegarde narcissique.
aspects économiques et dynamiques du fonctionnement psychique Est psychotigène le fonctionnement qui met en œuvre cet
lors de moments et de rencontres singuliers. antagonisme et par là même le renforce, c’est-à-dire tout
On peut considérer, en se référant aux travaux cités ci-dessus, que la fonctionnement qui fragilise le Moi et ses limites et favorise
schizophrénie n’est pas une entité déterminée répondant à des l’indifférenciation Moi/objet. C’est le cas du fonctionnement
facteurs génétiques, mais correspondrait plutôt à un spectre archaïque, qui renvoie à une pathologie des limites, à l’échec partiel
d’affections qui comprendrait des formes biologiques à noyau dur des intériorisations et des processus d’autonomisation ou de
évoluant vers la chronicité et le déficit, et d’autres formes où existent séparation-individuation, pour reprendre la terminologie de
des potentialités de fonctionnement psychotique, qui sont plus Mahler [52]. Nous en retiendrons la définition qu’en donne
difficilement classables, et pour lesquelles une perspective liée au A Green [29] : confusion entre le Moi, la pulsion et son objet. Un tel
développement de la personnalité est plus importante à considérer. fonctionnement n’est archaïque que dans l’après-coup, c’est-à-dire
Concernant la première forme biologique, l’hypothèse d’un trouble qu’il n’apparaît comme tel, indifférenciant, que par référence à des
neurodéveloppemental précoce est avancée (modèle de différenciations qui ont existé et dont la perte est vécue comme une
Weinberger [67]). Il suggère « une interaction entre une anomalie menace pour l’intégrité du Moi. Le débordement par la massivité
putative du développement cortical cérébral survenant au cours du des affects amoureux et/ou destructeurs, la perte des repères
deuxième trimestre de grossesse, un développement cérébral normal perceptifs peuvent le déclencher. Il en est de même des expériences
par la suite et la décompensation clinique à l’âge adulte sous de drogue, de certains traumatismes, de l’enfermement dans certains
l’influence d’une augmentation des stress cognitifs et psychosociaux comportements : anorexie mentale, isolement social, relation duelle
survenant dès l’adolescence » (Saoud et Dalery) [65]. Cette hypothèse de captation entre mère et adolescent par exemple.
d’un trouble latent pendant l’enfance, émergeant à l’âge adulte du Le fonctionnement psychotique traduirait une totale intolérance à la
fait des remaniements cérébraux de la maturation normale lors de relation objectale et représenterait une modalité d’organisation
l’adolescence, est compatible avec une dysrégulation relativement stable du processus psychotique et du Moi face à
dopaminergique secondaire. l’objet, même si le Moi est condamné à s’autodétruire avec l’objet. Il
Concernant les secondes formes, se rejoue à l’adolescence refléterait ainsi une lutte active contre l’objet et, à ce titre, ne devrait
l’intrication de facteurs généticobiologiques et de facteurs pas être confondu avec les désorganisations du Moi face à une
environnementaux avec le rôle fondamental de ces derniers dans la menace de confusion avec l’objet ou une menace de perte d’objet,
pénétrance et l’expressivité de la vulnérabilité génétique. Soulignons qui peuvent certes conduire à un fonctionnement psychotique, mais
un point essentiel qui complexifie la réflexion étiopathogénique : qui ne le font pas nécessairement si les équilibres narcissiques ne
l’environnement peut imprimer une trace neurobiologique dont il sont pas fondamentalement mis en cause et si les attaches libidinales
est dès lors difficile de déterminer l’origine, acquise ou demeurent prévalentes. L’issue dépend de l’organisation
constitutionnelle. Cet impact de l’environnement peut être « en préexistante de la personnalité, mais aussi de la qualité de l’étayage
plein » (surstimulation) ou « en creux » (défaut d’activation ne que l’environnement est susceptible de fournir.

6
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Expression névrotique. États limites. 37-215-B-20
Fonctionnement psychotique à l’adolescence

Fonctionnement archaïque patients non borderline, trois cas seront diagnostiqués 3 ans plus tard.
Les principaux travaux étiopathogéniques actuels concernant les
et pathologie limite états limites sont développés par Chaine et al [14] auquels nous
renvoyons le lecteur intéressé.
En contrepoint du processus psychotique, on peut décrire plusieurs
types de fonctionnement psychique aux effets psychotigènes Nous voudrions insister ici sur quelques données cliniques
possibles, mais non psychotiques en eux-mêmes, même s’ils peuvent essentielles, en particulier sur la comorbidité importante observée
s’accompagner de la présence des nombreux paramètres cités dans ces troubles témoignant de la difficulté majeure pour ces
précédemment et classiquement associés, au moins dans leur patients en prise avec un mode de structuration psychique inachevé,
prévalence, à la psychose. situé entre le mode de structuration névrotique et le mode
psychotique, d’intégrer un mode relationnel serein.
Trois modalités de fonctionnement s’associent dans des propositions
variables. L’une est le fonctionnement archaïque qui traduit la La clinique des patients limites indique une problématique de la
menace de perte des différenciations structurelles intrapsychiques distance relationnelle, en rapport étroit avec les angoisses d’intrusion
acquises au cours du développement, de façon très variable ou d’abandon. Ainsi, ils représentent souvent toute une gamme de
d’ailleurs selon les sujets. Les deux autres représentent plutôt des troubles du comportement associés ou plus fréquemment se
mécanismes d’aménagement de cette menace. Elles font appel à des succédant chez un même individu, marqués par une dimension
modalités d’aménagement de la dépendance par la maîtrise et les impulsive : conduites régressives de dépendance avec coaddictions
relations d’emprise, que ce soit sur le mode des défenses psychiques, multiples, conduites d’opposition pouvant aboutir à la violence et
ce sera celui des défenses narcissiques, ou sur celui du au suicide (N Corcos [17]).
comportement. De fait, les variations de la distance relationnelle ne sont pas
Ce sont des modalités de fonctionnement que l’on retrouve dans les aménageables par le psychisme (comprenant le sentiment d’une
troubles maniacodépressifs et les conduites de dépendance et différence avec l’autre et une dimension de temporalité avec la
d’addiction, mais aussi lors de manifestations névrotiques renvoyant notion de capacité d’attente sur les bases « sécures » sans risque
à des structures précaires (TOC sévères et inhibitions majeures) et dépressif), mais par l’acte (qui régularise cette impossibilité par la
dans des symptomatologies polymorphes (fugues, errances, rupture perceptive et le contrôle de l’espace), acte auquel peut être
conduites auto- ou hétéroagressives). donné un sens dans une reconstitution psychique, dans l’après-coup.
Nous sommes dans le registre des pathologies limites tel que l’ont Ce processus psychique est caractérisé par une dépendance et une
décrit de nombreux auteurs, essentiellement psychanalystes, parfois avidité affective majeures, tout aussi intolérables pour l’estime de
sous des appellations assez différentes : états limites de Kernberg [38] soi du sujet si on y répond massivement ou si on le frustre. On note
et Bergeret [7] ; identité diffuse de Erikson [24] ; Soi grandiose de ainsi une extrême sensibilité aux attitudes d’autrui et aux variations
Kohut [41] ; organisation limite pour Widlöcher [71]. de l’environnement et des capacités tout aussi extrêmes
C’est à RR Grinker et al [30] que l’on doit l’identification d’un d’obstination que d’opposition et de refus. Leurs modalités
syndrome spécifique comprenant quatre éléments symptomatiques relationnelles sont aussi marquées par des mécanismes de défense
centraux : trouble de l’identité, mode de relation anaclitique, forme particuliers face à la menace d’emprise : l’autre est soit tout bon
particulière de dépression, agressivité. Ces auteurs ont, de plus, (idéalisation), soit tout mauvais (dévalorisation), sans nuances et
proposé une caractérisation des troubles en quatre sous-groupes : sans possibilité de changement ; l’environnement est accusé de tous
noyau de l’état limite, états limites névrotiques, états limites les maux, le sujet ayant des difficultés à se penser responsable ; une
psychotiques, personnalités as-if. relation de confiance solide avec l’extérieur ne va pas de soi, le sujet
Ce sujet est d’actualité puisqu’il fait l’objet d’un travail d’élaboration est toujours aux aguets, craignant l’emprise et réagissant
de recommandations diagnostiques et thérapeutiques pour une violemment à toute frustration.
classification DSM (Mac Intyre et al [51]) qui témoigne de la difficulté On le voit, cette clinique fluctuante rend compte, comme pour la
à individualiser un trouble dont la variabilité d’expression clinique schizophrénie, des difficultés diagnostiques des états limites à
et la grande diversité des formes est importante. La profusion l’adolescence. Pour de nombreux cliniciens, les états limites peuvent
actuelle de diagnostics pose la question de l’influence sociale. s’apparenter ou se confondre avec d’autres pathologies.
L’évolution actuelle de la société favoriserait l’expression de ces De nombreux spécialistes des personnalités multiples admettent une
potentialités mieux contenues autrefois par les contraintes socio- association avec une personnalité limite dans beaucoup de cas. Une
éducatives et exprimées davantage sur le mode de la conflictualité personnalité de type état limite est retrouvée dans 23 % à 82 % des
névrotique. cas, selon les études (Girardon [26]). Dans le DSM-III et le DSM-IIIR,
La principale étude épidémiologique des troubles de la personnalité on parlait déjà de « coexistence » possible entre les deux troubles.
à l’adolescence a observé une prévalence des personnalités limites Dans le DSM-IV, l’association est encore admise car les
proche de 10 % (James [32]). Cependant, les études longitudinales ont automutilations, l’impulsivité, les changements radicaux dans les
montré que la stabilité du diagnostic à 2 ans était moindre chez relations avec autrui sont fréquents.
l’adolescent, allant de 23 à 33 %, qu’elle ne l’était chez l’adulte, chez
Notons la grande proximité de la symptomatologie clinique entre
qui elle a été estimée à 60 % (Meijer et al [56]), ce qui doit encore
les conduites addictives et les pathologies limites qui laisse présager,
inciter à la prudence et à ne pas inférer un diagnostic structural et
dans les deux cas, une structuration psychique essentiellement
une évolution morbide face à un comportement « spectaculaire » à
marquée par un arrêt du développement des fonctions du Moi
l’adolescence.
(breakdown de M et E Laufer [45]) :
Qu’en est-il, en effet, de la persistance d’une « personnalité
borderline » à l’âge adulte chez un sujet présentant des symptômes – défaut ou dysfonctionnement de mécanismes névrotiques de
borderline à l’adolescence ? défense contre l’angoisse ;
Cinq ans après un diagnostic émis lors d’une hospitalisation, 57 % à – présence de mécanismes de défenses de type clivage, déni,
67 % des patients sont encore diagnostiqués borderline (Barasch et projection ;
al [4], Kullgren et al [42], Pope et al [62]) ; 15 ans après, le taux baisse :
– peu de mentalisation et crudité des fantasmes ;
44 % pour McGlashan [54] et 25 % pour Paris [59]. La recherche la plus
récente (Meijer et al [56]) étudiant la persistance du diagnostic de – instabilité relationnelle et dimension d’impulsivité se manifestant
personnalité borderline à l’adolescence (âge moyen = 15 ans ; seconde par l’abus de substances, les vols et les tentatives de suicide avec
évaluation à 3 ans ; échelle Diagnostic interview for borderline patients peu ou pas de sentiments de culpabilité, de remords ou
[ DIB]) montre que, sur 14 patients, seulement deux cas sont encore d’autoaccusation, par rapport à la gratification instinctuelle
diagnostiqués borderline après 3 ans. Dans le groupe témoin des 22 recherchée ;

7
37-215-B-20
Expression névrotique. États limites. Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
– bonne adaptation sociale apparente, recherche de relation affective est prépondérante dans l’organisation de la névrose, lieu des
anaclitique avec fréquent vécu dépressif abandonnique et quête investissements et des contre-investissements engagés dans le conflit
d’une valorisation narcissique. défensif ».
Si toutes les structures peuvent conduire à des maladies Le symptôme névrotique, dans son expression comportementale,
psychosomatiques, les états limites et les troubles narcissiques sont que ce soit la conversion hystérique, la phobie ou le trouble
très vulnérables aux somatisations : « ce sont des ventres mous pour obsessionnel, est le témoin d’un certain état de l’économie psychique
le comportement et la somatisation par carence du fonctionnement du patient qui traduit un échec partiel des capacités purement
imaginaire » (Bergeret [7]). psychiques de négocier les conflits. Il est susceptible d’impliquer
Rappelons qu’Akiskal [2] considère que la personnalité limite peut l’entourage par les contraintes qu’il lui impose et peut, comme le
correspondre à un trouble de l’humeur, en particulier dans le spectre comportement, acquérir un pouvoir organisateur sur la personnalité
des troubles bipolaires, à cycles rapides. L’association aux troubles et tendre ainsi à s’autorenforcer. L’espace psychique interne se révèle
de l’humeur est extrêmement fréquente (Zanarini [77] l’estime à en partie insuffisant pour contenir le conflit qui déborde les limites
76,7 % en actuel et à 100 % en vie entière). Zanarini et al [78, 79, 80] ont du Moi psychique et envahit la réalité externe de façon, certes
tenté d’individualiser la nature des états dysphoriques spécifiques ponctuelle et toujours contrôlée, mais néanmoins indéniable. En cela,
des patients borderline. Ils dégagent quatre clusters (sentiments la névrose symptomatique implique directement l’entourage,
extrêmes, destructivité, morcellement, perte d’identité : se victimiser) contraint d’adopter des contre-attitudes face à la perturbation des
et l’association fréquente de trois éprouvés : se sentir trahi, auto- conduites de l’adolescent, et facilite son implication complice. Il est
agression, perte de contrôle. Ils concluent à l’importance pour le probable que cette complicité actuelle a un lien étroit avec
diagnostic de l’évaluation de la « douleur subjective » du patient et l’insuffisance des assises narcissiques, et un attachement insécure,
de sa particulière intensité. qui dans les premières années de la vie de l’enfant, a pu faire le lit
de la future névrose.
En effet, la dépendance qui en résulte s’exerce dans la névrose plus
Expression névrotique à l’égard des objets internes que de ceux appartenant à la réalité
externe. Cependant, le conflit, même interne, peut mettre en cause
le lien aux objets d’attachement et faire surgir le syndrome de
Les syndromes névrotiques se retrouvent dans les classifications
« menace dépressive » tel que le décrit Braconnier [13]. La réaction
contemporaines essentiellement dans les troubles anxieux dépressifs
défensive d’aggrippement aux objets concerne plus spécifiquement
et somatoformes et dans l’axe II du DSM sous forme de
les objets internes avec une accentuation des symptômes, mais elle
personnalités pathologiques. On ne s’étonnera pas de la très forte
n’exclut pas toujours une large sollicitation de l’environnement. Les
comorbidité entre ces troubles, à la fois dans chaque catégorie
névroses obsessionnelles symptomatiques et phobiques en sont les
diagnostique et entre ces catégories. Là encore, ces chevauchements,
exemples les plus manifestes, de même bien évidemment que la
en dehors d’établir une co-occurrence dépendant de facteurs
névrose hystérique qui a apparemment disparu des classifications
génétiques communs potentiels, soulignent la nécessité d’une
contemporaines, mais dont la symptomatologie protéiforme fait
perspective dynamique.
qu’elle « cote » pour bon nombre de catégories diagnostiques.
Les taux de prévalence pour les troubles anxieux varient de 5 à 15 %.
Cliniquement, ces formes où existe un écart plus ou moins net entre
Les plus fréquents sont respectivement les TOC (entre 1 et 4 % pour
équilibre narcissique et investissements objectaux se manifestent par
les 14-19 ans), l’anxiété généralisée et les phobies, loin devant
l’intensité de la dépendance aux autres et par la massivité et la fixité
l’agoraphobie et les attaques de panique. Le concept de phobie
des investissements. Rappelons avec CH David [21] : « Qu’il n’y a
sociale est problématique pour l’enfant et l’adolescent selon que l’on
guère de distorsions importantes dans l’organisation relationnelle
considère des seuils différents d’anxiété lors du développement, face
qui n’aillent sans failles dans la cohésion narcissique… La précarité
à des situations sociales. Les chiffres de prévalence de 10 % dans la
ou la trop forte conflictualité des liens objectaux renvoie
population adolescente (Kutcher [43]) sont donc sujets à caution.
généralement à un défaut d’intégration pulsionnelle, donc à des
L’anxiété de séparation voit sa prévalence diminuer très
défaillances de la fonction synthétique du Moi. »
sensiblement avec l’âge. La continuité des troubles anxieux de
l’enfance à l’adolescence et à l’âge adulte est avérée (30 % d’entre Fort de cette réflexion sur la dimension narcissique et sur la
eux évoluent à l’âge adulte). Cependant, la symptomatologie est problématique du lien, nous prendrons l’exemple de la névrose
assez hétérogène chez l’enfant en fonction des antécédents familiaux, obsessionnelle à l’adolescence rebaptisée TOC en soulignant ses
de l’âge de début et de la comorbidité associée. Cette continuité est potentialités évolutives, en particulier son tropisme dépressif ou
encore plus vraie pour la dépression (taux de rechute dépressive à psychotique en passant par la fréquence des états de
l’âge adulte d’environ 60 % avant 33 ans), dont la prévalence dépersonnalisation et des phobies d’impulsion. Cet exemple est en
(épisode dépressif majeur) est d’environ 3 % et qui s’associe effet paradigmatique de ce que rappelle Widlöcher [70] : « Nous
fréquemment à des troubles des conduites, des troubles anxieux et observons des systèmes névrotiques associés à des traits
des abus de substances. psychotiques (états limites), narcissiques, pervers ou
psychopathiques (…). Plutôt que de procéder à des reclassements
Comme le souligne Widlöcher [72], le concept unitaire de névrose a
nosographiques incessants, ne conviendrait-il pas mieux d’admettre
disparu des classifications internationales qui se veulent athéoriques,
une pluralité d’organisations mentales susceptibles de s’articuler les
alors qu’il repose de manière presque exclusive sur le modèle
unes avec les autres ? »
psychanalytique. Mais « montrer l’intérêt du concept unitaire de
névrose n’est pas récuser nécessairement une perspective Bon nombre d’études cliniques montrent le caractère hétérogène sur
nosographique qui s’inscrit dans une perspective théorique le plan psychopathologique des TOC. Les TOC se retrouvent aussi
différente avec des finalités pratiques autres (…). Ce concept bien chez des patients présentant une personnalité d’obsessive
s’applique, non à un cadre nosologique précis, mais à un type de compulsive disorder (OCD) (anciennement dénommée personnalité
structure psychopathologique, lié aux notions de conflit, anale, proche des traits de personnalités névrotiques) que chez des
d’inconscient et de sexualité infantile dont la stabilité résulte d’un personnalités borderline, ou schizoïdes. On note aussi la fréquence
jeu de forces complexe. Cette structure se retrouve aussi bien chez des troubles obsessionnels survenant sur des terrains proches des
les sujets normaux que dans d’autres pathologies. Si, chez les sujets psychoses.
dits normaux, les conflits névrotiques trouvent des modes La question de l’évolution d’une symptomatologie obsessionnelle
d’expression extrêmement polymorphes, quand ils occupent une émergeant à l’adolescence vers un effondrement psychotique se pose.
place dominante dans l’économie mentale, ce sont les symptômes Lebovici [48] note que dans la névrose obsessionnelle, et ceci plus
classiques qui deviennent son mode d’expression caractéristique particulièrement à l’adolescence, « le rapport de rupture entre l’image
(…). Ces symptômes constituent un système d’activité dont la place du corps et les organisations fantasmatiques, encore enracinées dans

8
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Expression névrotique. États limites. 37-215-B-20
Fonctionnement psychotique à l’adolescence
les positions fortement chargées de fixations prégénitales, vient à faire prédominent des dimensions impulsives et compulsives à l’adolescence
parler d’une dépression véritablement psychotique ». ne reflète pas tant des changements structuraux en profondeur de
Autre interrogation, quelle est la continuité de cette affection avec l’organisation psychique des adolescents que des formes nouvelles
des troubles dépressifs et son évolution ou son intégration dans le d’expression d’organisations psychiques en elles-mêmes peu différentes
cadre d’une maladie maniacodépressive à l’âge adulte (Corcos et de celles du passé et congruentes avec l’évolution sociale et le
al [18]) ? comportement des adultes.
Ainsi, il est patent que les TOC ont tiré la névrose obsessionnelle On peut ainsi concevoir un éventail de modalités relationnelles offertes
vers les champs de la dépression (cf leur traitement) et des à l’adolescent qui jalonne le parcours entre ces deux extrêmes que
psychoses, mais ce questionnement clinique avait déjà suscité de constituent d’un côté l’intrusion psychotisante de l’objet et de l’autre
nombreux débats au sein des différents courants psychanalytiques. l’aménagement névrotique de la relation à des objets internes bien
L’approche psychanalytique nous enseigne, sans présumer de la différenciés. Cet effort d’emprise sur un objet interne qui se dérobe peut
structure, que les TOC renvoient probablement à un mode de prendre différents visages : efforts de transformation de l’animé en
relation objectale caractérisé par une fixation au stade anal où les inanimé, (comme l’a décrit Racamier [64] à la suite de Tausk et de sa
fantasmes sadiques-agressifs occupent une place centrale dans machine à influencer dans ces processus de défense contre la psychose),
l’organisation de la vie imaginaire du sujet. Deux grandes options recours pervers aux fétiches, relation fétichique à l’objet de
théoricocliniques ont été développées par la psychanalyse. L’une, Kestemberg [39], relation idéalisée à un personnage, à des idéaux…
plus structuraliste, distingue la névrose obsessionnelle de la interposition de ces ersatz relationnels que sont les conduites
psychose en fonction de la fixation à l’un des deux stades anaux. d’addiction : toxicomanie, alcoolisme, troubles des conduites
Dans cette optique, la névrose obsessionnelle se distingue de la alimentaires. Dans tous ces cas, il s’agit, pour l’adolescent, de reprendre
psychose par le fait que le conflit œdipien reste organisateur de la le contrôle de ce qui risque de le déborder en exerçant une emprise de
vie psychique et que la libido a une fonction liante des pulsions plus en plus grande sur l’objet ou, à défaut, sur ce qui le remplace dans
agressives appartenant au premier stade anal. Dans une autre un mouvement de délibidinisation croissante qui commence par
approche, la névrose obsessionnelle n’apparaît plus comme une idéaliser l’objet, lui enlever son caractère charnel et pulsionnel, pour le
structure, mais avant tout comme une organisation défensive contre
déshumaniser de plus en plus et le transformer en un objet matériel
un noyau psychotique. Ces deux modèles étiopathogéniques
devenu illusoirement contrôlable, dernier rempart contre la destruction
sensiblement différents fournissent un cadre conceptuel à la
compréhension psychodynamique des TOC et pourraient expliquer
totale de l’objet, mais ayant perdu tout caractère vivant, libidinal et
en partie leur hétérogénéité clinique soit dans une compréhension tendre et s’imprégnant de ce fait d’une charge mortifère importante.
structuraliste, soit dans une compréhension plus dimensionnelle du D’un point de vue dynamique, le sujet peut ainsi fonctionner entre une
fonctionnement psychique. organisation névrotique et une inorganisation archaïque (dans une
dialectique entre conflits génitaux et prégénitaux) à un âge,
Les organisations névrotiques hystériques et phobiques sont tout
l’adolescence, où la gestion de l’écart narcissico-objectal et de la
aussi exemplaires de cette dynamique psychique (Jeammet et
Corcos [35], Lebovici [47]).
pulsionnalité du corps va être prépondérante. La structure « à nouveau
ouverte » de l’adolescent, après la phase de latence où la structuration
était gelée mais imprégnée de lignes de force en attente d’un agir,
Conclusion explique la pluralité des modes de fonctionnement observés, y compris à
potentialité psychotique. Ceci permet de comprendre l’observation
La notion de structure n’est vraiment prégnante que pour les d’une culpabilité névrotique ou d’une honte narcissique, se manifestant
organisations les plus extrêmes, que ce soit dans le sens de la pathologie par des angoisses plus ou moins désorganisantes ou une dépression plus
ou à l’opposé de ce qu’il faut bien appeler la normalité. ou moins sévère jusqu’à mélancoliforme, en fonction de l’importance
Mais dans l’entre-deux, il existe des possibilités d’évolution qui laissent (fonctionnelle ou lésionnelle) de la faille de la structure profonde.
celle-ci relativement ouverte pendant une longue période, en tout cas Au niveau comportemental et corporel, l’équilibre entre le refoulement,
largement au-delà du début de l’adolescence. le déni et les défenses de projection dans le corps (avec, lorsque la
Il semble préférable de parler d’organisation, ce qui suppose des
projection surcharge le corps de dérivés pulsionnels, le clivage self
mouvements de désorganisation et de réorganisation, et des modalités
psychique/self corporel) va être à l’origine de symptômes procédant de la
diverses de fonctionnement. Celles-ci peuvent se juxtaposer sans que la
prédominance d’une modalité soit encore assurée. Ce sera souvent l’effet conversion hystérique ou d’une conversion plus archaïque favorisant les
de l’adolescence que de conduire à cette prédominance. décompensations psychosomatiques.
Les modes d’organisation psychique sont plus dépendants qu’il n’est Ainsi, la lecture clinique des mécanismes de défense (déni,
classique de le dire de l’environnement psychosocial. Pour se soutenir refoulement…) donne un indice économique qui est déjà du sens : plus
dans la continuité de son fonctionnement, l’organisation psychique a le mode de défense est archaïque et intense, plus les conflits introjectifs
besoin d’une congruence minimale entre son mode d’organisation et les sont sévères et destructeurs, et plus ils impliquent les assises
réponses sociales. Trop d’écart entre les deux rigidifie ou désorganise le narcissiques du sujet. Logique des forces et logique du sens se
fonctionnement intrapsychique. répondent. Il en résulte des symptômes qui inquiètent le thérapeute,
Il apparaît vraisemblable que l’accroissement actuel des états limites, tant par la nature de leur expression, que par leur caractère massif,
des pathologies narcissiques et des troubles du comportement où univoque et fixe.

Références ➤

9
37-215-B-20
Expression névrotique. États limites. Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Fonctionnement psychotique à l’adolescence

Références
[1] Aarkrog T. The borderline concept in childhood, adoles- [28] Gorwool PH. Facteurs génétiques en santé mentale de [55] McGlashan TH, Johannessen JO. Early detection and inter-
cence, and adulthood: borderline adolescents in psychia- l’enfant et de l’adolescent. Paris : Expertise collective vention with schizophrenia: rationale. Schizophr Bull 1996 ;
tric treatment and 5 years later. Acta Psychiatr Scand [suppl] Inserm, 2001 22 : 201-222
1981 ; 293 : 1-300 [29] Green A. Narcissisme de vie, narcissisme de mort. Paris : [56] Meijer M, Goedhart AW, Treffers PD. The persistence of
[2] Akiskal H. The prevalent clinical spectrum of bipolar disor- Éditions de Minuit, 1983 borderline personality disorder in adolescence. J Person
ders; Beyong DSM-IV. J Clin Psychopharmacol 1996 ; 16 [30] Grinker RR, Werble B, Dryer R. The borderline syndrome. Disord 1998 ; 12 : 13-22
(suppl 1) : 4-14 New York : Basic books, 1968 [57] Mises R. Classification française des troubles mentaux de
[3] Ballanger JC, Reus VI, Post RM. The atypical picture of ado- l’enfant et de l’adolescent. Présentation générale. Neuro-
[31] Halfon O, Albert E, Mouren Simeoni MC, Dugas M. Trou-
lescent mania. Am J Psychiatry 1982 ; 139 : 602-606 psychiatrie Enf Adolesc 1990 ; 38 : 523-539
bles thymiques délirants versus troubles schizophréniques
[4] Barasch A, Frances A, Hurt S, Clarkin J, Cohen S. Stability délirants. À propos de l’étude d’une cohorte d’adolescents [58] Mises R, Moniot M. Les psychoses de l’enfant. Encycl Méd
and distinctness of borderline personality disorder. Am J délirants. 1 Antécédents et sémiologie. Psychiatr Psychobiol Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris),
Psychiatry 1985 ; 142 : 1484-1486 1990 ; 5 : 13-22 1970, 37-299-N-10, -20, -30, Psychiatrie
[5] Bashir M, Russel J, Gordan J. Bipolar affective disorder in [32] James A, Berelowitz M, Vereker M. Borderline personality [59] Paris J, Brown R, Nowlis D. Long-term follow-up of border-
adolescence: a ten-year study. Aust N Z J Psychiatry 1987 ; disorder: a study in adolescence. Eur Child Adoles Psychiatry line patients in a general hospital. Compr Psychiatry 1987 ;
21 : 36-43 1996 ; 5 : 11-17 28 : 530-535
[6] Berg CZ, Rapoport JL, Whitaker A, Davies M, Leonard H, [33] Jeammet PH. Interrogations sur le fonctionnement psycho- [60] Perugi G, Akiskal HS, Ramacciotti S, Nassini S, Toni C,
Swedo SE et al. Childhood obsessive compulsive disorder: tique. In : Ladame F, Gutton P, Kalogerakis M eds. Psycho- Milanfranchi A et al. Depressive comorbidity of panic, social
A two-year prospective study of a community sample. J Am ses et adolescence. Paris : Masson, 1990 : 27-32 phobic, and obsessive compulsive disorders re-examined:
Acad Child Adolesc Psychiatry 1989 ; 28 : 528-533 Is there a bipolar II connection? J Psychiatr Res 1999 ; 33 :
[34] Jeammet PH. Adolescence et processus de changement. 53-61
[7] Bergeret J. La dépression et les état limites. Paris : Payot, In : Widlöcher D éd. Traité de psychopathologie. Paris :
1975 [61] Pitta JC, Blay SL. Psychogenic reactive and hysterical psy-
PUF, 1994
choses: a cross-system reliability study. Acta Psychiatr Scand
[8] Bergeret J. La pathologie narcissique. Paris : Dunod, 1996 [35] Jeammet PH, Corcos M. Adolescence : évolution des pro- 1997 ; 95 : 112-118
[9] Bernstein DP, Cohen P, Skodol A, Bezirganian S, Brook JS. blématiques. Collection références en psychiatrie. Paris : [62] Pope HG, Jonas JM, Hudson JI, Cohern BM, Gunderson JG.
Childhood antecedents of personality disorders. Am J Psy- Doin, 2001 The validity of DSM–III borderline personality disorder.
chiatry 1996 ; 153 : 907-913 [36] Johnson JG, Cohen PL, Skodol AE, Oldham JM, Kasen S, Arch Gen Psychiatry 1983 ; 40 : 23-30
[10] Bersntein DP, Cohen P, Velez N, Schwab-Stone M, Siever Brook JS. Personality disorders in adolescence and risk of [63] Racamier PC. Le psychanalyste sans divan. Paris : Payot,
LJ, Shinsato L. Prevalence and stability of the DSM-III R per- major mental disorders and suicidality during childhood. 1970 : 14-22
sonality disorders in a community-based survey of adoles- Arch Gen Psychiatry 1999 ; 56 : 805-811
[64] Racamier PC. Les schizophrènes. Paris : Payot, 1990
cents. Am J Psychiatry 1993 ; 150 : 1237-1243 [37] Kagan J, Zentner M. Early childhood predictors of adult [65] Saoud M, Dalery J. L’approche neurodéveloppementale de
[11] Bollas CH. L’objet transformationnel. Rev Fr Psychanal psychopathology. Harv Rev Psychiatry 1996 ; 3 : 341-350 la schizophrénie. Halopsy 21 :1999 ; 6-9
1989 ; 53 : 1181-1199 [38] Kernberg O. Les troubles limites de la personnalité. Tou- [66] Stern D. Le monde interpersonnel du nourrisson. Paris :
[12] Braconnier A. Réflexions sur les transformations psychi- louse : Privat, 1979 PUF, 1989
ques. À propos de l’adolescence. In : Fedida P éd. Commu- [39] Kestemberg E. La relation fétichique à l’objet, quelques
nication et représentation. Paris : PUF, 1986 : 21-35 [67] Weinberger DR. Implication of normal brain development
notations. Rev Fr Psychanal 1978 ; 42 : 195-214 for the pathogenesis of schizophrenia. Arch Gen Psychiatry
[13] Braconnier A. Le syndrome de menace dépressive. Neuro- [40] Khan M. Le concept de traumatisme cumulatif. In : Le soi 1987 ; 44 : 660-669
psychiatr Enf Adolesc 1991 ; 39 : 337-340 caché. Paris : Gallimard, 1976 : 69-87 [68] Werry JS, McClellan JM. Predicting outcome in child and
[14] Chaine F, Guelfi JD. États limites. Encycl Méd Chir (Éditions [41] Kohut H. Le soi. Paris : PUF, 1974 adolescent, Early onset, schizophrenia and bipolar disor-
Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, der. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1992 ; 31 : 147-150
37-395-A-10, 1999 : 1-10 [42] Kullgren G, Armelius BA. The concept of personality orga-
nization: a long-term comparative follow-up study with [69] Werry JS, McClellan JM, Chard L. Childhood and adoles-
[15] CIM. Classification internationale des troubles mentaux et cent schizophrenic, bipolar and schizo-affective disorders:
special reference to borderline personality organization. J
des troubles du comportement : descriptions cliniques et a clinical and outcome study. J Am Acad Child Adolesc Psy-
Person Disord 1990 ; 4 : 203-212
directives pour le diagnostic. Paris : Masson, 1993 chiatry 1991 ; 30 : 457-465
[43] Kutcher S. Practical clinical issues regarding child and ado-
[16] Cohen P, Johnson JG, Kasen S. Temperament and persona- [70] Widlöcher D. Traits psychotiques et organisations du Moi.
lescent psychopharmacology. Child Adolesc Psychiatric Clin
lity disorders. Communication American Psychiatric Asso- In : Doucet P, Laurin S eds. Problems of psychosis. Amster-
North Am 2000 ; 9 : 245-261
ciation congress, 1999 dam : Excerpta Medica, 1971 : 179-187
[17] Corcos M. Conduites suicidaires et états limites à l’adoles- [44] Ladame F. Fonctionnement psychotique à l’adolescence. [71] Wildöcher D. Les états limites : discussion nosologique ou
cence : réflexion sur une problématique de filiation. Rev Encycl Méd Chir (Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier réflexion psychopathologique. Perspectives Psychiatriques
Prat 1998 ; 48 : 1427-1430 SAS, Paris), 1991 : 37-215-B-20, Psychiatrie1-4 1979
[18] Corcos M, Bochereau D, Clervoy P, Atger F, Jeammet PH. [45] Laufer M, Laufer E. Adolescence et rupture du développe- [72] Widlöcher D. Concept de névrose. Encycl Méd Chir (Édi-
Troubles maniacodépressifs. Encycl Méd Chir (Éditions ment. Une perspective psychanalytique. Paris : PUF, 1989 tions scientifiques et médicales Elsevier SAS, Paris), 1998 :
Scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, [46] Lebovici S. Le nourrisson, la mère et le psychanalyste. Paris : 37-300-A-10, Psychiatrie1-8
37-214-A-50, 1996 : 1-8 Le Centurion, 1983 [73] Wolff S, Chick J. Schizoid personality in childhood: a con-
[19] Craig TJ, Bromet EJ, Jandorf L, Fennig S, Tanenberg-Karant [47] Lebovici S. Adolescence terminée, adolescence intermina- trolled follow-up study. Psychol Med 1980 ; 10 : 85-100
M, Ram R et al. Diagnosis, treatment and six-month ble. Paris : PUF, 1985 [74] Yung AR, McGorry P. The initial prodrome in psychosis:
outcome status in first-admission psychosis. Ann Clin Psy- [48] Lebovici S. L’hystérie chez l’enfant et l’adolescent. Confront descriptive and qualitative aspects. Aust N Z J Psychiatry
chiatry 1997 ; 9 : 89-97 Psychiatr 1985 ; 25 : 48-56 1996 ; 30 : 587-599
[20] Crow TJ. The continuum of psychosis and its genetics [49] Leonard HL, Swedo SE, Lenane MC, Rettew DC, Hambur- [75] Yung AR, McGorry P. The prodromal phase of first-episode
origins: the sixty-fith maudsley lecture. Br J Psychiatry ger SD et al. A two to seven-year follow-up study of 54 OCD psychosis: past and current conceptualizations. Schizophr
1990 ; 156 : 788-797 children and adolescents. Arch Gen Psychiatry 1993 ; 50 : Bull 1996 ; 22 : 353-370
[21] David CH. Ruptures du lien transférentiel. Nouv Rev Psycha- 429-439 [76] Yung AR, McGorry P, McFarlane CA, Jackson HJ, Patton GC,
nal 1983 ; 28 : 229-244 Rakker A. Young people at incipient risk of psychosis. Schi-
[50] Lofgren DP, Bemporad J, King J, Lindem K, O’Driscoll G. A
[22] DSM IV. Manuel diagnostique et statistique des troubles zophr Bull 1996 ; 22 : 283-303
prospective follow-up study of so-called borderline chil-
mentaux. Paris : Masson, 1996 dren. Am J Psychiatry 1991 ; 148 : 1541-1547 [77] Zanarini MC, Frankenburg FR. Pathways to the develop-
ment of borderline personality disorder. J Person Disord
[23] Emde RN. Changing models of infancy and the nature of [51] MacIntyre JS, Zarin DA, Philips K. Practice guidelines in 1997 ; 11 : 93-104
early development: remodeling the foundation. J Am Psy- borderline disorder. Communication. American psychia-
choanal 1981 ; 29 : 179-219 tric association, 1999 [78] Zanarini MC, Frankenburg FR, Deluca CJ, Hennen J, Khera
GS, Gunderson JG. The pain of being borderline : dysphoric
[24] Erikson EH. Adolescence et crise. Paris : Flammarion, 1972 [52] Mahler M. Symbiose humaine et individuation. Psychose states specific to borderline personality disorder. Harv Rev
[25] Flavigny H. Les éclats de l’adolescence. Approches clini- infantile. Paris : Payot, 1973 Psychiatry 1998 ; 6 : 201-207
ques et éducatives. Paris : Expansion Scientifique Française, [53] McClellan JM, Werry JS. Practice parameters for the assess- [79] Zanarini MC, Frankenburg FR, Dubo ED, Sickel AE, Trikha
1996 : 12-94 ment and treatment of children and adolescents with A, Levin A. Axis I comorbidity of borderline personality dis-
[26] Girardon N. Autour des personnalités doubles et multiples. schizophrenia. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1994 ; 33 : order. Am J Psychiatry 1998 ; 155 : 1733-1739
[thèse], Université Claude-Bernard Lyon 1. Faculté Lyon 616-635 [80] Zanarini MC, Williams AA, Lewis RE, Reich RB, Vera SC,
Sud, 1996 [54] McGlashan TH. The borderline syndrome II. Is it a variant of Marino MF et al. Reported pathological childhood experi-
[27] Golse B. Du narcissisme comme concept limite. Inf Psy- schizophrenia or affective disorder? Am J Psychiatry 1983 ; ences associated with the development of borderline per-
chiatr 1 :1989 ; 49-58 40 : 1319-1323 sonality disorder. Am J Psychiatry 1998 ; 155 : 1640-1641

10
¶ 37-215-B-30

Psychoses à l’adolescence
M. Botbol, Y. Barrère, M. Speranza

Les psychoses sont sans doute la préoccupation constante des psychiatres d’adolescents qui
craignent avant tout l’entrée dans la schizophrénie qu’ils sont conduits à évoquer devant des
symptômes très divers venant exprimer de façon polymorphe la souffrance psychique fréquente à cet
âge. En effet, l’adolescence, qui est un moment de profondes mutations internes et externes, est
aussi l’âge où s’installent la plupart des maladies psychiatriques de l’âge adulte, celles-ci n’ayant
pas, à leur début, les caractéristiques cliniques qui les rendront plus tard plus facilement
reconnaissables. Devant des symptômes psychotiques à l’adolescence, le clinicien doit donc
envisager un large éventail de diagnostics différentiels sans pouvoir se fier aux descriptions
nosographiques. Il est donc, plus qu’à d’autres âges de la vie, amené à prendre en compte la
dimension psychopathologique des troubles autour de deux grands axes théoriques : l’Œdipe et le
corps génital d’une part et la psychopathologie des liens d’autre part. S’interroger sur les psychoses
à l’adolescence aujourd’hui c’est aussi tout à la fois tolérer un certain degré d’incertitude
pronostique et se poser la question de la valeur des manifestations prémorbides apparaissant à cette
période de la vie : facteurs de vulnérabilité ou prodromes de la maladie avec pour conséquence des
modalités de traitement et de prévention qui peuvent être très différentes.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Psychoses ; Adolescence ; Schizophrénie ; Bouffée délirante aiguë ; Vulnérabilité à la


schizophrénie

Plan ¶ Traitement 7
Principes généraux 7
¶ Introduction 1 Traitement médicamenteux 7
Travail institutionnel 7
¶ Symptômes psychotiques 2 Psychothérapies 7
Critères du DSM-IV 2
Caractères spécifiques 2 ¶ Conclusion : stratégie de détection et de prévention
de la schizophrénie 8
¶ Catégories diagnostiques 3
Bouffée délirante aiguë 3
Schizophrénie 3
Troubles thymiques 4 ■ Introduction
Troubles schizoaffectifs 4
États limites 4 Les psychoses sont sans doute la principale préoccupation des
Autisme, psychoses infantiles et troubles apparentés à psychiatres d’adolescents et la hantise de leurs observations
l’adolescence 4 cliniques. L’adolescence pose en effet, de façon cruciale, de
Abus de substance 5 difficiles questions diagnostiques devant des symptômes
Troubles organiques 5 bruyants ou plus discrets qui, sans corrélation étroite ou
Crise d’adolescence 5 obligatoire avec une pathologie mentale avérée, viennent
exprimer de façon polymorphe la souffrance psychique fré-
¶ Prémices et vulnérabilité 5
quente à cet âge. Moment de profonde mutation, l’adolescence
Symptômes prémorbides 5
est en effet une période du développement où, d’un point de
Symptômes prodromiques 5
vue psychodynamique, peuvent être activés des mécanismes de
Modèle de la vulnérabilité et/ou hypothèses
défenses archaïques ou psychotiques pour répondre aux diffi-
neurodéveloppementales 5 cultés psychiques que peut induire le processus adolescent lui-
¶ Psychopathologie 6 même et « la crise vitale » qu’il provoque.
Œdipe et corps génital 6 S’ajoute à cela le fait que l’adolescence est aussi l’âge préfé-
Psychopathologie des liens 6 rentiel d’éclosion de la plupart des maladies psychiatriques à

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-215-B-30 ¶ Psychoses à l’adolescence

potentiel chronique, celles-ci n’ayant pas à leur début les Critères du DSM-IV
caractéristiques cliniques qui les rendront plus tard plus
facilement reconnaissables. Comme le rappelle le diagnostic and statistical manual of
À l’adolescence, plus qu’à toute autre période de la vie, le mental disorders (DSM)-IV : [2] « Aucun symptôme isolé n’est
clinicien est conduit à s’interroger sur la dimension psychopa- pathognomonique de la schizophrénie, dont le diagnostic
thologique des symptômes qu’il constate et leur valeur diagnos- implique la reconnaissance d’une constellation de signes et
tique et pronostique, avec une crainte principale, l’entrée dans symptômes associés à des dysfonctionnements sociaux et
la schizophrénie dont c’est l’âge d’élection. occupationnels. »
Cela ne doit pas faire oublier la fréquence des signes psycho- Quels que soient les courants théoriques adoptés, il y a
tiques trompeurs dans d’autres pathologies émergeant à cette actuellement un consensus international sur ce point.
période du développement. On retient donc aujourd’hui que les symptômes psychotiques
Enfin, s’interroger sur les psychoses à l’adolescence aujourd’hui, chez l’adolescent sont identiques à ceux de l’adulte et regrou-
c’est aussi se poser la question de la valeur des manifestations pent (DSM-IV) :
prémorbides apparaissant à cet âge : facteurs de vulnérabilité ou • les symptômes caractéristiques suivants :
prodromes de la maladie avec pour conséquence des modalités de C idées délirantes, (automatisme mental, délires à thèmes
traitement et de prévention qui peuvent être très différentes. persécutifs ou mégalomaniaques polymorphes et non
Ces questions de diagnostic sont devenues encore plus systématisés) ;
importantes depuis que les données récentes sur la schizophré- C hallucinations psychosensorielles (auditives verbales mais
nie plaident en faveur d’un diagnostic et d’un traitement aussi cénesthésiques, olfactives ou visuelles) ;
plurifocal aussi précoces que possible car il paraît démontré que C discours désorganisé (relâchement des associations, inco-
le plus grand risque d’évolution déficitaire se situe dans les deux hérence, pauvreté du contenu du discours, néologismes,
premières années de la maladie [1] alors que le pronostic paraît persévérations, blocage, écholalie, associations par asso-
défavorablement affecté par la durée de l’évolution sans nances) ;
traitement (duration of untreated psychosis [DUP]). C comportement grossièrement désorganisé ou catatonique
Les progrès dans le domaine de la pharmacothérapie (appari-
(indécision du geste, indétermination des attitudes, mou-
tion de traitements chimiothérapiques plus adaptés aux troubles
vements automatiques, maniérisme de la présentation et
thymiques et développement de nouvelles médications antipsy-
des gestes, paramimie, stéréotypie, voire catalepsie, raideur,
chotiques mieux tolérées et plus efficaces sur les signes négatifs)
accroissent encore les enjeux d’un diagnostic précoce et renou- hyperkynésie, etc.) ;
vellent l’intérêt clinique de questions anciennes : quand et C des symptômes négatifs (tels que l’émoussement affectif, la
comment faut-il prescrire ces nouvelles molécules ? Devant des perte des liens ou la perte de volonté) ;
syndromes entièrement constitués ou devant des prodromes, • les symptômes associés à un dysfonctionnement social ou des
voire des prémices ou des signes de vulnérabilité ? Avec quelles activités, c’est-à-dire que pendant une partie significative du
visées et pour quelle durée ? temps depuis l’apparition de la perturbation un ou plusieurs
À l’inverse, il n’est pas possible de sous-estimer l’effet domaines majeurs du fonctionnement tel que le travail, les
potentiellement iatrogène d’un diagnostic par excès d’un relations interpersonnelles, ou les soins personnels sont
trouble psychiatrique chronique, celui-ci pouvant conduire à nettement moins bons qu’atteint avant la survenue de la
des prescriptions médicamenteuses au long cours, non dénuées perturbation.
d’effets secondaires, et modifier profondément le rapport du
sujet à lui-même et aux autres.
Caractères spécifiques
La survenue de symptômes psychotiques à l’adolescence a

“ Deux erreurs à ne pas


cependant des spécificités qui induisent les difficultés diagnos-
tiques déjà évoquées. Par exemple, le critère concernant, pour
l’enfant et l’adolescent, le niveau de réalisation interpersonnelle
commettre face à des symptômes dans le milieu scolaire ou dans d’autres activités doit être
abordé avec prudence. En effet, il est parfois malaisé de distin-
psychotiques à l’adolescence guer des troubles ayant un début insidieux, d’une longue
histoire de troubles du développement et de troubles de la
1. Méconnaître ou banaliser ces symptômes en les personnalité. Il faut tenir compte des facteurs culturels, déve-
mettant sur le compte d’une « crise d’adolescence loppementaux et intellectuels avant de pouvoir prétendre à une
bruyante ». description symptomatique pertinente. [3]
2. Surdiagnostiquer la schizophrénie au détriment des Par ailleurs, il n’est pas rare que les symptômes psychotiques
soient plus torpides ou trompeurs : avec prédominance de
troubles de l’humeur ou de troubles de la personnalité.
signes que l’on peut considérer comme des signes psychotiques
négatifs (voir infra Symptômes prodromiques). Dans certains
cas, cela aboutit à ce qu’ils ne soient reconnus qu’à l’occasion
de leurs conséquences, sur les conduites notamment. Le risque
■ Symptômes psychotiques suicidaire doit être tout particulièrement redouté car la rencon-
tre des symptômes psychotiques avec la tendance à l’agir,
La première question qui se pose est donc celle qui touche à fréquente à l’adolescence, augmente notablement l’occurrence
la reconnaissance des symptômes psychotiques à l’adolescence de troubles des conduites et du comportement. Toutes les
selon un point de vue qui relève plutôt d’une approche données montrent que ce risque est nettement accru en pré-
dimensionnelle. sence d’un processus psychotique, [4] notamment dans la
En pratique, on considère comme signes psychotiques à première année qui suit le premier épisode aigu. [5] Une éven-
l’adolescence tous les signes qui, dans les classifications tualité non rare est que la tentative de suicide soit inaugurale
nosographiques, doivent faire évoquer une schizophrénie, c’est- ou révélatrice de symptômes antérieurement négligés.
à-dire essentiellement les symptômes caractéristiques que nous Concernant la fréquence des troubles psychotiques à l’adoles-
évoquerons plus bas. cence, les seules données dont nous disposons portent sur des
Une telle position ne peut être pertinente que si l’on consi- patients hospitalisés ou suivis en psychiatrie.
dère acquise l’idée que la présence de n’importe lequel de ces Ainsi, 5 à 20 % des patients adolescents consultant ou
signes ne vient pas obligatoirement signifier le diagnostic de hospitalisés en psychiatrie présentent des symptômes psycho-
schizophrénie. tiques. [6, 7]

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Psychoses à l’adolescence ¶ 37-215-B-30

■ Catégories diagnostiques Ey [11] utilise cette catégorie pour la différencier de la schi-


zophrénie, tout le problème étant pour lui de déterminer s’il
La démarche diagnostique s’aborde de façon très différente s’agit de la « folie d’un instant » ou de la « folie d’une exis-
selon que l’on se trouve devant un état psychotique aigu ou tence » ; il souligne toutefois la complexité de cette différencia-
une symptomatologie plus torpide ou trompeuse. tion : « les signes qui nuancent à cet égard le diagnostic et le
pronostic ne sont guère utilisables ».
Dans la première situation, le syndrome carrefour est consti-
Le DSM-IV, lui, décrit deux pathologies aiguës et subaiguës. Le
tué par la bouffée délirante aiguë (BDA), syndrome dont la
trouble psychotique bref, de durée inférieure à 1 mois, avec un
description répond assez exactement aux troubles schizophréni-
retour complet au niveau de fonctionnement prémorbide après
formes du DSM-IV, aux troubles psychotiques aigus et transitoi-
l’épisode psychotique (une distinction étant faite selon que le
res de la Classification internationale des maladies (CIM) 10, [8]
trouble survient ou pas après un épisode de stress marqué), et
et aux psychoses aiguës de la Classification française des
le trouble schizophréniforme, qui ne se distingue de la schizoph-
troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent (CFTMEA). [9] rénie que par deux critères, celui de la durée : il doit durer plus
L’avantage du concept de BDA à l’adolescence est de ne pas de 1 mois mais moins de 6 mois (critères C de la schizophré-
anticiper sur la place de ce syndrome dans le spectre de la nie), et celui de la dégradation du fonctionnement social ou des
schizophrénie. En tant que diagnostic syndromique, il laisse activités qui n’est pas exigé (critère B de la schizophrénie).
entier le problème du diagnostic catégoriel qui ne peut être Carlson et al. [12] constatent que les troubles schizophrénifor-
porté que dans un second temps. Autrement dit, l’ambiguïté mes surviennent dans 45 % des cas avant 20 ans. Ils évoluent
introduite par le terme de BDA paraît bien adaptée au diagnostic de dans 58 % des cas vers une schizophrénie et dans 18,3 % des
psychose à l’adolescence dont elle respecte les incertitudes cas vers des troubles bipolaires, pour le groupe de sujets
pronostiques. adolescents (ayant un début avant l’âge de 20 ans).
En pratique, devant une première BDA, le diagnostic diffé-
rentiel se fait entre :
• le diagnostic de BDA isolée ; Schizophrénie
• une entrée dans la schizophrénie ;
• un premier épisode thymique dans le cadre d’une maladie Elle reste la question diagnostique centrale face à des troubles
bipolaire ; psychotiques à l’adolescence. Répétons-le, ce diagnostic, parfois
• un premier épisode thymique atypique d’une schizophrénie trop rapidement évoqué, est un diagnostic syndromique et il
dysthymique ; doit répondre impérativement à un ensemble de critères pour
• un épisode psychotique aigu survenant dans l’évolution d’un pouvoir être retenu.
trouble de personnalité et plus spécifiquement d’un état La schizophrénie apparaît très rarement durant l’enfance et le
limite ; début de l’adolescence. [13] Puis, l’incidence croît durant
• un épisode psychotique aigu dans le cadre de l’évolution l’adolescence : 13,5 % des schizophrénies surviennent avant
20 ans (et 47,3 % surviennent entre 21 et 30 ans) l’incidence
d’une psychose de l’enfance ;
augmentant considérablement surtout entre 15 et 17 ans. [14, 15]
• un épisode psychotique aigu secondaire à une prise de
McClellan et al. [16] évaluent entre 12 et 20 % la prévalence
toxique ou à une cause organique.
de la schizophrénie à début précoce (c’est-à-dire avant 18 ans).
Devant un tableau plus torpide ou trompeur, la distinction du
En ce qui concerne le sex-ratio, les études montrent soit une
normal et du pathologique est souvent complexe et on est
proportion égale de filles et de garçons, [17] soit, le plus souvent,
amené à ajouter, à cette série, le diagnostic différentiel avec une
une prépondérance de garçons. [7]
crise d’adolescence qu’il faut tenter de ne pas confondre avec
On retrouve très fréquemment, dans les antécédents person-
des prémices ou des prodromes d’une psychose déclarée sans
nels, des troubles de la personnalité d’intensité moyenne à
renoncer pour autant a prendre en compte sa valeur
sévère. [16, 17]
symptomatique. [10]
On retrouve fréquemment des antécédents d’épisodes aigus
Nous allons considérer successivement chacun des troubles (39 % des cas dans l’étude de Halfon [7]) et des antécédents
évoqués ci-dessus et décrire leur lien avec l’adolescence et les familiaux de schizophrénie (0 à 17 %) et de troubles de
psychoses. l’humeur (de 17 à 29 %). [7, 16]
Les critères diagnostiques (selon le DSM-IV) sont les mêmes
que chez l’adulte avec, comme critère, pour la durée, des signes
permanents de la perturbation persistant pendant au moins
6 mois. Ce critère de durée est encore plus important à l’adoles-
“ Questions diagnostiques cence qu’à d’autres âges, plusieurs études d’évolution à long
terme [18] montrant que le diagnostic de schizophrénie porté
devant un épisode aigu ne se confirme pas ultérieurement dans
1. Il n’existe pas de symptômes pathognomoniques de la un nombre non négligeable de cas (29,8 % dont la moitié se
schizophrénie. Le diagnostic de la schizophrénie est un révèleront des troubles de la personnalité borderline et
diagnostic syndromique. antisociale).
2. À l’adolescence, les symptômes psychotiques peuvent En ce qui concerne la symptomatologie, on retrouve les
survenir en dehors d’un diagnostic de psychose, en signes positifs et négatifs classiques et les formes de schizoph-
particulier dans le cadre de troubles de la personnalité ou rénies les plus fréquentes sont la forme indifférenciée et la
dans le cas d’abus de substance. forme paranoïde. [3]
Dans la schizophrénie de l’enfant et de l’adolescent, les
symptômes psychotiques le plus souvent retrouvés sont les
hallucinations auditives, le délire et les troubles du cours de la
pensée. Cependant, aucun de ces symptômes n’est systémati-
quement rapporté. [1, 16]
Bouffée délirante aiguë On note également la présence de troubles thymiques,
classiquement variables, labiles et discordants. Ils sont présents
Dans la nosologie française classique, la bouffée délirante aiguë dans 52 % des cas. [7]
a été décrite pour la première fois il y une centaine d’années et L’idée classiquement admise était que les schizophrénies à
continue d’être une catégorie largement utilisée. Elle inclut début précoce ont un pronostic défavorable. Cependant, le suivi
toutes les pathologies psychotiques de durée inférieure à 6 mois de patients ayant débuté précocement, une schizophrénie
et regroupe donc des troubles variés. Ses frontières sont floues, suggère que le devenir serait le même que pour les schizophré-
ce qui constitue à la fois ses limites et son intérêt. nies à début plus tardif. [3]

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-215-B-30 ¶ Psychoses à l’adolescence

Nous verrons dans les paragraphes suivants les difficultés Altman et al. [23] observent que l’on peut retrouver des
posées par l’exclusion des troubles thymiques (critère D du hallucinations et des idées délirantes chez des patients présen-
DSM-IV) et des troubles liés a l’abus de substances toxiques tant en particulier des personnalités borderline et schizotypi-
(critère E). ques, mais aussi dans les états de stress post-traumatique et les
troubles dissociatifs.
Troubles thymiques McClellan et Werry [3] retrouvent fréquemment ces symptô-
mes psychotiques dans les personnalités borderline, antisociale,
L’ensemble des auteurs souligne aujourd’hui la fréquence schizoïde et schizotypique.
d’un début de ces troubles à l’adolescence. Thomsen [24] montre, sur un groupe d’enfants et d’adoles-
Kraepelin (cité par Carlson [12]) reconnaissait la survenue de cents qui ont reçu un diagnostic de schizophrénie, que 10 ans
troubles maniaques dans 3 % des cas avant 15 ans et au moins plus tard, 21 % souffrent d’un trouble de la personnalité (dont
20 % avant 20 ans. 12,4 % de type borderline) et non d’une schizophrénie. Il
Cette observation, un temps oubliée, a été réactivée par les conclut qu’environ la moitié des patients qui reçoivent à tort
données de la littérature actuelle qui constate que les troubles
un diagnostic de schizophrénie souffrent en fait de troubles de
thymiques surviennent dans 20 à 30 % des cas chez des sujets
la personnalité, et plus particulièrement d’un trouble antisocial
de moins de 20 ans. [7, 12]
ou borderline.
L’âge moyen de début des troubles thymiques à l’adolescence
est compris entre 13,9 ans [17] et 15,3 ans. [3] Cependant, l’association entre trouble de la personnalité et
Des taux élevés (67 %) d’antécédents de troubles de la psychose ne se résume pas à ce chevauchement symptomatique,
personnalité ont été retrouvés par certains auteurs. Ils sont elle est plus complexe. En effet, certains patients psychotiques
surtout de type anxieux/dysthymiques et seraient plus fréquents ont présenté antérieurement un trouble de la personnalité. Par
dans les troubles de l’humeur avec symptômes psychotiques. [16] exemple, dans une étude portant sur des enfants et des adoles-
Les antécédents familiaux de troubles thymiques sont égale- cents ayant des troubles psychotiques, McClellan et al. [16]
ment fréquents. [16, 17, 19] retrouvent 60 % d’antécédents de troubles de la personnalité.
La CIM-10 et le DSM-IV s’accordent sur le constat que des Ces auteurs soulignent, par ailleurs, que les adolescents ayant
symptômes psychotiques peuvent, plus fréquemment à l’adoles- des symptômes psychotiques dans le cadre de troubles de la
cence qu’à l’âge adulte, survenir au cours d’un épisode dépressif personnalité ont un fonctionnement aussi perturbé que celui
majeur, d’un épisode maniaque ou d’un épisode mixte. [20] des schizophrènes quant au degré de dépendance, au fonction-
Les symptômes psychotiques les plus fréquents dans les nement général, et à la chronicité après un suivi de plusieurs
troubles de l’humeur avec manifestations psychotiques sont les années.
idées délirantes puis les hallucinations auditives et enfin les Si bien qu’il paraît raisonnable de proposer de distinguer à
troubles du cours de la pensée. [7, 16, 17, 20] l’adolescence : [25]
Les troubles du cours de la pensée (relâchement des associa- • les états limites structurés ou systématisés, suffisamment
tions, incohérence, pauvreté du contenu du discours, néologis- « stables dans l’instabilité même », concept dont la forte
mes, persévérations, blocage, écholalie, associations par
cohérence interne n’apparaît qu’au travers du point de vue
assonances) ne sont donc, pas plus que les hallucinations
psychopathologique ;
auditives, pathognomoniques de la schizophrénie puisqu’ils
• les états limites d’attente où la question de la crise d’adoles-
peuvent fréquemment être retrouvés dans les troubles bipolai-
res, en particulier à l’adolescence. cence reste ouverte malgré parfois la gravité des manifesta-
Cela explique la fréquence des erreurs diagnostiques de tions symptomatiques.
schizophrénie chez des patients souffrant de troubles bipolaires. Cette position suppose que l’on se réfère à une classification
Ainsi, dans l’étude de Werry [17] citée plus haut, la moitié des qui, comme la CFTMEA, n’oppose pas le diagnostic de maladie
bipolaires de 13 à 17 ans sont faussement considérés comme (axe I du DSM) et celui de personnalité (axe II du DSM).
schizophrènes lors des premiers diagnostics (constat fait à Johnson [26] montre d’ailleurs qu’il est bien difficile à l’adoles-
5 ans). Dans l’étude de Joyce, [21] 72 % des patients maniaques cence d’évaluer un trouble psychiatrique sans référence à la
dont le trouble a commencé avant 20 ans contre 24 % des personnalité sur laquelle il survient.
patients maniaques dont les troubles ont commencé après
30 ans ont d’abord eu un diagnostic de schizophrénie. C’est dire
la difficulté de répondre au critère D du DSM-IV pour la
schizophrénie (c’est-à-dire l’exclusion des troubles schizoaffectifs
Autisme, psychoses infantiles
et des troubles de l’humeur). et troubles apparentés à l’adolescence
Dans le cadre des psychoses infantiles, les symptômes psy-
Troubles schizoaffectifs chotiques à l’adolescence se rencontrent soit dans le cadre de
l’évolution des psychoses infantiles vieillies, [27] soit dans de
Le concept de psychose ou schizophrénie dysthymique, selon
véritables tableaux schizophréniques. [28] Le DSM-IV prévoit un
la terminologie française (CFTMEA en particulier), ou de
critère de durée (au moins 1 mois d’idées délirantes ou d’hallu-
troubles schizoaffectifs, selon une terminologie internationale,
pose le problème des frontières entre schizophrénie et troubles cinations prononcées) pour retenir un diagnostic de schizoph-
thymiques. [22] rénie en cas d’association avec un trouble envahissant du
La CIM 10 et le DSM-IV ne font pas de remarque quant à une développement.
spécificité de ces troubles à l’adolescence, mais indiquent qu’ils Pour les enfants atteints de psychose infantile, l’adolescence
peuvent survenir à cet âge. s’accompagne, dans la moitié des cas, d’une aggravation
Dans les antécédents personnels, on retrouve plus fréquem- temporaire ou permanente des symptômes préexistants (retrait,
ment des troubles de personnalité ; [22] en ce qui concerne les stéréotypies, épilepsie, hyperactivité, agressivité). [29] Des
antécédents familiaux, on note plus d’antécédents de troubles tableaux plus productifs se retrouvent dans 5 à 10 % des cas, les
affectifs mais moins d’antécédents de troubles schizophréniques chiffres variant selon le cadre diagnostique et le niveau de
que dans les schizophrénies proprement dites. fonctionnement global. Il s’agit en général de tableaux cliniques
atypiques en raison de l’association de symptômes psychotiques
d’allure très variable et de symptômes liés aux troubles du
États limites développement qui sont à rechercher par une anamnèse appro-
Chez l’adolescent, les symptômes psychotiques peuvent fondie (troubles précoces du langage, du développement
également survenir en dehors d’un diagnostic de psychose, au intellectuel, des compétences relationnelles). [30] Le repérage des
cours de troubles de la personnalité et plus particulièrement au symptômes psychotiques peut donc être difficile car les troubles
cours des états limites. du développement modifient leur expression. Par exemple, un

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Psychoses à l’adolescence ¶ 37-215-B-30

trouble important du langage interfère avec l’expression d’un


trouble du cours de la pensée ou d’un contenu délirant ; un
■ Prémices et vulnérabilité
faible niveau intellectuel module inévitablement la richesse du Du point de vue de la psychose, la principale caractéristique
tableau symptomatique. Il existe néanmoins de véritables de l’adolescence est le fait qu’elle marque généralement le
tableaux délirants, hallucinatoires et dissociatifs. La question qui passage des symptômes prémorbides aux prodromes et de
se pose ensuite est de déterminer s’il s’agit de symptômes ceux-ci à la maladie déclarée. C’est cette caractéristique qui fait
psychotiques anciens ou de symptômes nouveaux en évolution. toute la difficulté des diagnostics psychiatriques à cette période
Les données épidémiologiques classiques rapportent les de la vie et l’intérêt d’en individualiser l’étude.
mêmes taux de prévalence de schizophrénie chez les enfants
atteints de troubles envahissants du développement qu’en
population générale. [31] Il semble que la fréquence soit en Symptômes prémorbides
réalité supérieure, notamment pour les schizophrénies à début
précoce souvent associées à des symptômes prémorbides plus Selon les études récentes, il semblerait que, dans une propor-
marqués. [32] Des études portant sur le devenir des syndromes tion non négligeable de cas, l’expression complète de la maladie
d’Asperger démontrent en tout cas que la schizophrénie est plus psychotique soit précédée de dysfonctionnements prémorbides
fréquemment retrouvée dans l’évolution de ces patients [33] cliniques ou neurofonctionnels dès l’enfance et de symptômes
peut-être du fait d’une meilleure capacité à manifester les non spécifiques à l’adolescence. [35-37] Identifiables très tôt, ces
symptômes psychotiques positifs. Se pose en tous cas la ques- dysfonctionnements seraient retrouvés dans tous les domaines
tion des liens entre la schizophrénie et le spectre des troubles du développement (cognitif, affectif, perceptivomoteur). Le
autistiques. problème qui se pose alors est celui de la valeur prédictive de
ces indicateurs. Les études rétrospectives et les études de cohorte
ont montré que même s’il existe de nombreux précurseurs
biologiques et comportementaux de schizophrénie, aucun
Abus de substance d’entre eux n’est spécifique de la schizophrénie. Par exemple, la
Les substances hallucinogènes ou les toxiques (cannabis, pandysmaturation de Fish, [35] qui a une spécificité de 95 % et
ecstasy, cocaïne, lysergic acid diethylamide [LSD]) employés par les une sensibilité de 90 %, n’est en mesure de prédire correctement
adolescents dans un but toxicomaniaque peuvent être respon- le développement d’une schizophrénie qu’avec une probabilité
sables soit de confusion, soit de symptômes psychotiques. Il est de 0,15. Au moins 85 % des enfants qui présentent ce signe
parfois difficile de faire la part entre un effet toxique et la prédictif ne développeront pas une schizophrénie. [38] On est
présence d’une pathologie psychotique associée. En effet, au donc encore loin de la possibilité de prédire l’apparition de la
cours d’un premier épisode psychotique, il est fréquent qu’il y maladie sur une base individuelle. Aucun des précurseurs
ait une consommation de toxiques chez l’adolescent (54 % de prémorbides n’apparaît prédictif non plus en termes d’évolution
et de pronostic de la maladie.
comorbidité dans l’étude de McClellan). [3] Autrement dit,
derrière son apparente évidence, le critère E du DSM-IV pour la
schizophrénie (l’absence d’abus de substances toxiques) est
souvent difficile à démontrer à l’adolescence, ce qui augmente Symptômes prodromiques
la nécessité de prudence devant ce diagnostic.
On sait peu de chose des symptômes prodromiques qui
Les recommandations faites à ce sujet sont les suivantes : si précèdent le début de la schizophrénie. Les individus en phase
les symptômes psychotiques persistent plus de 1 semaine malgré prodromique ne présentent pas de symptômes psychotiques
l’arrêt de la consommation de substances, le clinicien évaluera florides mais sont caractérisés par un certain nombre de
s’il s’agit d’un premier épisode psychotique plutôt qu’un trouble changements comportementaux non spécifiques et par des
psychotique dû à la consommation d’un toxique. Cependant, éléments psychotiques spécifiques atténués. L’apparition des
ces produits agissent plus souvent en exacerbant (voire en premiers changements est souvent imperceptible ainsi que la
déclenchant) plutôt qu’en étant un agent étiologique principal transition graduelle entre symptômes non psychotiques et
des troubles psychotiques. [3] symptômes franchement psychotiques.
D’après les études sur les premiers épisodes, les éléments
prodromiques les plus fréquemment décrits sont des symptômes
Troubles organiques névrotiques non spécifiques comme l’anxiété, des idées hypo-
condriaques, des syndromes dépressifs, des changements
Certains troubles organiques, tels que les ivresses, les intoxi- affectifs comme l’anhédonie (c’est-à-dire la perte du plaisir),
cations, les affections cérébrales ou générales peuvent être à l’apathie, l’irritabilité, le retrait, la suspicion, le manque
l’origine de symptômes psychotiques aigus. [34] Cela impose, d’initiative, des troubles du sommeil, des modifications dans le
pour tout adolescent présentant des symptômes psychotiques, vécu, la perception, la volition et les fonctions motrices. [39, 40]
une évaluation médicale et neurologique, avec, au moindre En pratique, la différentiation entre les phases prémorbide,
doute, des examens complémentaires. prodromique et psychotique de la maladie est souvent
impossible.
Quant à la crise d’adolescence, [10] on a vu que son ambiguïté
permettait de la considérer comme une manifestation de
Crise d’adolescence l’adolescence, un symptôme prodromique ou un signe de
Cette notion, que nous avons déjà évoquée, recouvre de vulnérabilité à la psychose.
multiples troubles du comportement et des affects, qui appa-
raissent chez certains adolescents et disparaissent avec la fin de
l’adolescence. Notion ambiguë entre normal et pathologique, Modèle de la vulnérabilité
elle a pu servir à éviter une catégorisation trop rapide pour des
adolescents dont les troubles ne paraissaient pas encore corres-
et/ou hypothèses neurodéveloppementales
pondre aux critères retenus par la nosographie. Ce souci ne peut Deux hypothèses tentent actuellement de rendre compte de
être considéré comme légitime que s’il ne sert pas d’alibi à une ces signes antérieurs à la maladie :
abstention thérapeutique préjudiciable au patient. • l’hypothèse neurodéveloppementale ; [41]
On insiste en effet beaucoup actuellement sur le fait que cette • le modèle de la vulnérabilité. [15]
crise doit au moins être considérée comme symptomatique de Selon le modèle classique de la vulnérabilité, [42] certains sujets
difficultés psychiques qui doivent faire l’objet d’une prise en présenteraient des dysfonctionnements neurocognitifs généti-
charge thérapeutique sans délai, même si leur statut nosogra- quement déterminés qui les rendraient susceptibles de dévelop-
phique reste en question. [10] per des symptômes psychotiques dans certaines conditions de

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-215-B-30 ¶ Psychoses à l’adolescence

stress environnemental. Ces marqueurs de vulnérabilité biologi- • l’articulation entre facteurs de vulnérabilité et pathologie
ques ou neuropsychologiques pourraient être mis en évidence constituée, cela dans une perspective développementale qui
chez les patients schizophrènes en phase active (marqueurs laisse toute sa place aux incertitudes pronostiques ;
d’état), mais également en dehors des accès (marqueurs de trait), • l’influence de la puberté et du processus adolescent dans le
ainsi que chez les apparentés des schizophrènes proches déclenchement du trouble.
génétiquement. [43] À cet égard, beaucoup d’auteurs convergent plus ou moins
Selon le concept de vulnérabilité donc, la schizophrénie bien directement vers l’idée qu’il y aurait un risque psychotisant lié
qu’elle soit un trouble défini dans le temps, n’apparaît pas ex à l’adolescence elle-même [14, 40, 47] directement ou par l’inter-
nihilo, mais elle est précédée et facilitée par certains facteurs médiaire du risque dépressif qui lui serait lié. [48]
psychologiques et biologiques nécessaires à son développement. La question qui se pose alors est celle du devenir de ces
Dans ce modèle, le patrimoine génétique peut ou non apparaî- ruptures psychotiques au-delà même des formes qu’elles pren-
tre comme le facteur étiologique indispensable sur lequel les nent à l’adolescence : rupture passagère liée à cette période du
facteurs environnementaux joueront plus ou moins un rôle développement et passant avec elle ou rupture durable, inscrite
modulateur, essentiel pour l’expression de la maladie. Seuls comme issue structurée, affranchie de l’adolescence qui en a
certains des individus vulnérables développeront une psychose précipité la survenue ?
schizophrénique s’ils sont exposés à des facteurs de stress alors
Partant de bases psychodynamiques communes qui font de
que les autres resteront asymptomatiques ou présenteront
l’adolescence la seconde phase du développement de la sexua-
seulement des manifestations infracliniques. Dans ce modèle,
lité humaine et du processus de séparation-individuation, les
les troubles schizotypiques signent une manifestation directe de
nombreux travaux psychodynamiques sur ce thème se regrou-
vulnérabilité et sont considérés comme des états prémorbides de
pent schématiquement en deux tendances.
schizophrénie. La psychose schizophrénique résulterait alors
d’une décompensation d’un trouble schizotypique du fait de
facteurs environnementaux ou génétiques additionnels. Cepen-
dant, rien ne permet encore de réfuter l’idée que, au-delà de la Œdipe et corps génital
vulnérabilité biologique classique, il existerait également une
vulnérabilité psychopathologique (dans le cadre de ce que nous Une première tendance insiste surtout sur la nouvelle
pourrions nommer « un modèle élargi de la vulnérabilité »), ce sexuation du corps qui résulte du pubertaire. [49] Représentés
qui donnerait un statut étiologique équivalent aux déterminants notamment par M. et E. Laufer [47] ou P. Gutton, [49] les
psychologiques, biologiques et environnementaux. [44] travaux appartenant à cette tendance insistent sur les effets
Tel n’est pas le cas de l’hypothèse neurodéveloppementale qui psychiques de la puberté qui fait du corps l’incarnation de
fait des anomalies neurocognitives retrouvées chez les sujets l’Œdipe.
appartenant au spectre de la schizophrénie, une anomalie Pour l’adolescent, il s’agit alors d’être capable de « modifier
neurologique consécutive à une instabilité cérébrale survenue l’image de son corps en y incluant des organes sexuels effi-
durant la vie gestationnelle en raison d’agressions intra- cients », les possibilités de ce changement étant « tributaires de
utérines ou périnatales de nature virale ou nutritionnelle ou de la transformation des désirs œdipiens incestueux qui doivent
complications obstétricales, chez des sujets ayant un terrain être déplacés des parents œdipiens ». [50]
génétique prédisposé. [45] Pendant l’enfance, ces lésions se C’est l’échec de ce processus qui est à l’origine des arrêts du
manifestent par les signes prémorbides non spécifiques cités développement qui apparaissent comme des résistances à la
plus haut. [35] À l’adolescence, des symptômes spécifiques du résolution œdipienne.
registre psychotique s’expriment du fait d’une altération du Pour les Laufer, c’est la non-résolution de l’Œdipe, avec pour
phénomène habituel de l’élagage synaptique corticocortical qui, conséquence l’impossibilité de gérer l’angoisse de castration, [14]
chez ces patients, va au-delà de ses limites développementales qui serait à l’origine de l’altération de la relation à la réalité et
habituelles. aux objets externes, altération caractéristique des arrêts du
La communauté psychiatrique est donc actuellement traver- développement qui, selon ces auteurs, prennent toujours une
sée par un débat sur l’étiopathogénie des psychoses. Ce débat dimension plus ou moins psychotique.
oppose :
• les tenants d’une maladie schizophrénique précocement
constituée même si sa révélation symptomatique classique ne
se réalise qu’après la puberté (hypothèse neurodéveloppe- Psychopathologie des liens
mentale) ; La deuxième tendance va surtout insister sur les conséquen-
• et ceux qui considèrent cette pathologie comme la voie finale ces de ce mouvement de resexualisation sur la relation aux
commune de plusieurs facteurs de vulnérabilité convergents autres. Concernant les troubles psychotiques à l’adolescence, les
dont la sommation finit pas aboutir à l’adolescence aux travaux de cette tendance (incarnée par P. Jeammet [40, 51])
changements qualitatifs qui caractérisent la schizophrénie aboutissent aux considérations suivantes.
(modèle « élargi » de la vulnérabilité).
L’adolescence est la source d’un déséquilibre narcissico-
Dans ce cadre se pose la question de la valeur à donner aux objectal qui crée les conditions d’un antagonisme entre inves-
signes avant-coureurs de la pathologie psychotique : s’agit-il de tissement de soi et investissement de l’autre. S’il est trop
forme émergente d’une psychose déjà constituée ou de facteurs important, cet antagonisme menace directement le sentiment
de risques susceptibles d’accroître la vulnérabilité à la psy- de continuité d’être du sujet, l’investissement de l’autre prenant
chose [1] (« état mental à risque ») ? [46] valeur d’hémorragie pour l’investissement de soi.
Cela met l’adolescent face à une intensification de ses besoins
pour l’objet de la réalité externe et donc face à une vulnérabilité
■ Psychopathologie accrue à la relation à l’autre dont la sexualisation accroît le
risque potentiel (abandon, intrusion, séduction, dépendance).
Les travaux psychopathologiques actuels s’attachent à pren- Le désinvestissement psychotique du lien peut alors devenir
dre en compte : « l’ultime défense narcissique d’un moi submergé et menacé
• le caractère plurifactoriel de l’étiopathogénie des troubles d’un vécu de reddition totale à l’objet dont le syndrome
psychotiques à l’adolescence et ils n’opposent plus la psycho- d’influence et l’automatisme mental sont l’expression la plus
genèse à d’autres approches, biologique notamment ; complète ». [40]

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Psychoses à l’adolescence ¶ 37-215-B-30

Cette nécessité a d’autant plus de risque de s’imposer que L’utilisation en première intention de neuroleptiques atypiques
sont importants les mécanismes compensatoires que le sujet a (risperidone, olanzapine, amisulpiride) est reconnue. Ils sont
mis en place dans sa première enfance pour lutter contre une préférés aux neuroleptiques classiques en raison de leur
insécurité relationnelle, une angoisse inélaborable autrement et meilleure tolérance (effets extrapyramidaux et cognitifs réduits)
des représentations précocement menaçantes. L’adolescence et de leur action sur la symptomatologie négative. [55] Ces
constitue donc là un révélateur potentiel de ce qui demeure traitements comportent néanmoins des effets gênants pour
d’une vulnérabilité antérieure. [52] l’adolescent (prise de poids, troubles sexuels) et ils ne sont que
Parmi ces facteurs installés précocement, il faut citer ceux liés symptomatiques. Par ailleurs, l’utilisation des neuroleptiques
à la problématique de l’attachement, dont on s’intéresse au classiques ne peut parfois pas être évitée dans les épisodes
devenir à l’adolescence. [53] Ces travaux incitent à penser qu’au psychotiques aigus très florides.
travers des modèles internes opérants qui les sous-tendent [54]
des modèles d’attachement peuvent, par leurs effets sur la En ce qui concerne les thymorégulateurs, ils doivent être
sécurité interne des sujets, constituer des facteurs de vulnérabi- prescrits devant toute suspicion de trouble bipolaire dont
lité ou de protection pour supporter les contraintes du processus le diagnostic doit être largement évoqué à l’adolescence. [56]
adolescent. Cette prescription est aussi recommandée en cas de
Face à ces contraintes, il faut souligner l’importance que syndrome dépressif dans des schizophrénies avérées. Certains
prend la réalité externe pour l’adolescent qui exporte, dans son auteurs recommandent même d’utiliser un thymorégu-
« espace psychique élargi », [7] la conflictualité qu’il ne peut plus lateur dans tous les tableaux psychotiques aigus à
contenir dans son espace psychique interne. Lorsque l’espace l’adolescence. [48]
psychique élargi ne suffit plus, certains surinvestissements Un traitement prolongé sur 6 mois à 1 an après un épisode aigu
culturels, sociaux ou médiatiques peuvent prendre le relais et permet de diminuer les taux de récurrence psychotique. [37] Des
assurer une fonction antipsychotique en s’appuyant sur l’idéa- doses filées ou une réduction progressive des neuroleptiques
lisation qu’ils induisent. sont préférées par certains à un arrêt complet même en cas de
rémission clinique totale. [39] D’autres préconisent au contraire
un arrêt complet après réduction progressive sur 6 mois en
■ Traitement l’absence de signes inquiétants. [40] Un suivi prolongé est, de
toute façon, indispensable.

Principes généraux
La plurifocalité du traitement des schizophrénies installées Travail institutionnel
fait l’objet d’un large consensus professionnel. Les mêmes
principes sont également applicables pour le traitement des Il peut intervenir aux temps différentiels de la maladie. Il
psychoses à l’adolescence : vise :
• partant du modèle de la vulnérabilité et des données de la • d’abord à contenir les symptômes psychotiques lors d’un
psychopathologie, le traitement n’a pas pour seul objectif de épisode aigu ;
soigner les manifestations psychotiques et d’en contenir les
• puis à permettre un réinvestissement de la réalité interne et
effets désorganisateurs, mais également celui de réduire la
externe grâce à l’étayage que constituent l’accompagnement
sommation des facteurs qui risquent d’aboutir à une rupture
psychotique irréversible ; du quotidien et les diverses médiations thérapeutiques qui sont
• le traitement s’attache d’abord à la réduction des symptômes proposées aux patients à partir d’ateliers qui font appel à la
psychotiques (symptômes positifs et négatifs) qui sont créativité partagée des patients et des soignants. Ces média-
considérés en eux-mêmes comme des facteurs psychotisants, tions créent d’abord les conditions pour que l’équipe supplée
dont la prolongation risquerait d’aggraver le pronostic du les défaillances imaginaires et élaboratives du patient avant
trouble. [40] de favoriser chez ce dernier un processus d’intériorisation de
Toute la difficulté va être ici d’éviter les effets négatifs de ces cette démarche élaborative grâce à l’espace intermédiaire
interventions thérapeutiques lorsqu’elles aboutissent par qu’elles réactivent. [25]
exemple à une catégorisation trop rapide du trouble, ce qui peut Dans certains cas, les particularités de l’adolescence imposent la
être lourd de conséquence sur l’adolescent et son entourage. prolongation des traitements résidentiels pour accompagner le
Une prescription médicamenteuse aux effets trop aggravants sur processus de maturation du patient. Dans ces cas, le souci
la symptomatologie négative peut elle aussi contribuer à socioéducatif et de réhabilitation psychosociale doit être précoce-
accroître les risques évolutifs. ment assumé par les soins qui peuvent être amenés à s’appuyer
Devant les incertitudes diagnostiques et pronostiques dont sur des formations professionnelles adaptées ou la reprise
nous avons vu les particularités à l’adolescence, il faut donc d’études dans le cadre de dispositifs scolaires spécifiques ou
adapter la démarche thérapeutique au contexte clinique :
non. [57, 58]
premier épisode psychotique aigu ou, au contraire, symptoma-
tologie torpide dominée par la symptomatologie psychotique
négative.
Un autre enjeu thérapeutique spécifique à l’adolescence est la Psychothérapies
question des symptômes prémorbides et des interventions
thérapeutiques ou préventives auxquelles ils peuvent donner La mise en place et le maintien d’une psychothérapie
lieu. individuelle ou familiale sont souvent des facteurs de pronos-
L’approche thérapeutique doit, en tous cas, être toujours tic favorable quelle que soit la technique utilisée. Ils partici-
globale, en envisageant généralement l’association d’un traite- pent au dispositif qui vise à aider l’adolescent et sa famille à
ment médicamenteux et d’une dimension institutionnelle, ainsi retrouver leur fonctionnement antérieur et à les accompagner
qu’un abord psychothérapique, individuel et familial. dans la formalisation et l’élaboration des conflits que l’épi-
sode aigu a mis au grand jour. Ils nécessitent prudence et
expérience.
Traitement médicamenteux Les approches sont multiples, individuelles ou non, psycha-
La prescription médicamenteuse est indiquée en cas de nalytiques, systémiques ou cognitivocomportementales. Le
symptômes psychotiques patents. Rappelons qu’il s’agit d’un psychodrame analytique est tout particulièrement indiqué chez
traitement symptomatique qui ne nécessite pas que le diagnos- des adolescents dès lors qu’ils sont suffisamment stabilisés et en
tic syndromique soit fait au préalable. tous cas sortis de l’épisode aigu.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-215-B-30 ¶ Psychoses à l’adolescence

[12] Carlson GA, Fennig S, Bromet EJ. The confusion between bipolar

“ Traitement disorder and schizophrenia in youth: where does it stand in the 1990s?
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1994;33:453-60.
[13] Tolbert HA. Psychoses in children and adolescents: a review. J Clin
• Traitement médicamenteux : Psychiatry 1996;57(suppl3):4-8.
C neuroleptiques atypiques [14] Cahn R. Pour une théorie psychanalytique de la psychose à l’adoles-
cence. Paris: Masson; 1990.
(préférés aux neuroleptiques classiques) ;
[15] Zubin J, Spring B. Vulnerability - a new view of schizophrenia.
C thymorégulateurs (en cas de symptômes J Abnorm Psychol 1977;86:103-26.
thymiques). [16] McClellan JM, Werry JS, Ham M. A follow-up study of early onset
• Traitement institutionnel : psychosis: comparison between outcome diagnoses of schizophrenia,
C contenir l’épisode aigu ; mood disorders, and personality disorders. J Autism Dev Disord 1993;
C réinvestir de la réalité interne et externe. 23:243-62.
• Traitement psychothérapique : [17] Werry JS, McClellan JM, Chard L. Childhood and adolescent
C individuel et/ou familial ; schizophrenic, bipolar, and schizoaffective disorders: a clinical and
outcome study. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991;30:457-65.
C psychanalytique, systémique, [18] Susser E, Fennig S, Jandorf L, Amador X, Bromet E. Epidemiology,
cognitivocomportemental. diagnosis, and course of brief psychoses. Am J Psychiatry 1995;152:
1743-8.
[19] Volkmar FR. Childhood and adolescent psychosis: a review of the past
10 years. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996;35:843-51.
[20] Ballenger JC, Reus VI, Post RM. The ″atypical″ clinical picture of
■ Conclusion : stratégie adolescent mania. Am J Psychiatry 1982;139:602-6.
de détection et de prévention [21] Joyce PR. Age of onset of bipolar affective disorder and misdiagnosis
as schizophrenia. Psychol Med 1984;14:145-9.
de la schizophrénie [22] Eggers C. Schizo-affective psychoses in childhood: a follow-up study.
J Autism Dev Disord 1989;19:327-42.
Avec les hypothèses neurodéveloppementales et de vulnéra- [23] Altman H, Collins M, Mundy P. Subclinical hallucinations and
bilité, la prévention trouve une nouvelle légitimité. Elle consiste delusions in nonpsychotic adolescents. J Child Psychol Psychiatry
maintenant à mieux repérer et étudier les symptômes prémor- 1997;38:413-20.
bides, les marqueurs de vulnérabilité et les prodromes de la [24] Thomsen PH. Schizophrenia with childhood and adolescent onset: a
maladie schizophrénique. Cependant, l’utilisation des mar- nationwide register-based study. Acta Psychiatr Scand 1996;94:
queurs de vulnérabilité est actuellement réservée au domaine de 187-93.
la recherche, notamment dans le champ de la prévention. [25] Botbol M, Papanicolaou G, Balkan T. Psychothérapie par l’environne-
Néanmoins, des programmes d’intervention précoce commen- ment et états limites. Enfance et Psy septembre 2000.
cent à être mis en place. [46] [26] Johnson JG, Cohen P, Skodol AE, Oldham JM, Kasen S, Brook JS.
Si ces directions de recherche semblent prometteuses, les Personality disorders in adolescence and risk for major mental
cliniciens doivent rester attentifs aux risques éthiques de telles disorders and suicidality during adulthood. Arch Gen Psychiatry 1999;
démarches qui n’ont pas fait la preuve de leur efficacité et 56:805-11.
peuvent conduire à la stigmatisation du patient et à un volon- [27] Basquin M, Martinot-Paillère ML, Ouvry O. Psychoses à l’adoles-
cence. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-215-B-
tarisme thérapeutique inadapté.
30, 1992: 4p.
[28] Petty LK, Ornitz EM, Michelman JD, Zimmerman EG. Autistic
.

■ Références children who become schizophrenic. Arch Gen Psychiatry 1984;41:


129-35.
[1] Yung AR, McGorry PD. The prodromal phase of first-episode [29] Gillberg C. Outcome in autism and autistic-like conditions. J Am Acad
psychosis: past and current conceptualizations. Schizophr Bull 1996; Child Adolesc Psychiatry 1991;30:375-82.
22:353-70. [30] Guédeney N, Jeammet P. Devenir à l’adolescence de la pathologie psy-
[2] American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of chiatrique infantile. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS, Paris), Psychia-
mental disorders (4th Edition)-DSM-IV. Washington, DC. Traduction trie, 37-216-O-10, 1994.
française : manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. [31] Rutter M. Connections between child and adult psychopathology. Eur
Paris: Masson; 1994. Child Adolesc Psychiatry 1996;5(suppl1):4-7.
[3] McClellan J, Werry J. Practice parameters for the assessment and [32] Nicolson R, Lenane M, Singaracharlu S, Malaspina D, Giedd JN,
treatment of children and adolescents with schizophrenia. J Am Acad Hamburger SD, et al. Premorbid speech and language impairments in
Child Adolesc Psychiatry 1994;33:616-35. childhood-onset schizophrenia: association with risk factors. Am
[4] De Hert M, Peuskens J. First episode of schizophrenia: a naturalistic J Psychiatry 2000;157:794-800.
10-years follow-up study. Schizophr Res 1998;29:7-8. [33] Larsen TK, Mouridsen SE. The outcome in children with childhood
[5] Roy A. Suicide in schizophrenia. In: Roy A, editor. Suicide. Baltimore: autism and Asperger syndrome originally diagnosed as psychotic. A
Williams and Wilkins; 1986. 30-year follow-up study of subjects hospitalized as children. Eur Child
[6] Braconnier A, Marcelli D. Psychopathologie de l’adolescent. Paris: Adol Psychiatry 1997;6:181-90.
Masson; 1984. [34] Samuel-Lajeunesse B, Heim A. Psychoses délirantes aiguës. Encycl
[7] Halfon O, Albert E, Mouren-Simeoni MC, Dugas M. Troubles Méd Chir (Elsevier SAS, Paris), Psychiatrie, 37-230-A-10, 1994: 9p.
thymiques délirants versus troubles schizophréniques délirants. À [35] Fish B. Neurobiologic antecedents of schizophrenia in children. Evi-
propos de l’étude d’une cohorte d’adolescents délirants. I. Antécédents dence for an inherited, congenital neurointegrative defect. Arch Gen
et sémiologie. Psychiatr Psychobiol 1990;5:13-22. Psychiatry 1977;34:1297-313.
[8] Organisation mondiale de la santé. Classification internationale des [36] Walker EF, Savoie T, Davis D. Neuromotor precursors of
troubles mentaux et des troubles du comportement (CIM-10). Paris: schizophrenia. Schizophr Bull 1994;20:441-51.
Masson; 1993. [37] Malmberg A, Lewis G, David A, Allebeck P. Premorbid adjustment and
[9] Misès R, Quemada N, Botbol M, Bursztejn C, Durand B, Golse B, et al. personality in people with schizophrenia. Br J Psychiatry 1998;172:
Classification des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent 308-15.
(CFTMEA-R2000). Paris: édition CTNERHI; 2002. [38] Kagan J, Zentner M. Early childhood predictors of adult psycho-
[10] Corcos M, Boucherau D, Clervoy P, Speranza M, Jeammet P. La crise pathology. Harv Rev Psychiatry 1996;3:341-50.
d’adolescence est-elle un symptôme? Réflexion sur les symptômes [39] Wyatt RJ, Damiani LM, Henter ID. First-episode schizophrenia. Early
psychotiques à l’adolescence. Encéphale 2004. intervention and medication discontinuation in the context of course
[11] Ey H. « Bouffées délirantes » et psychoses hallucinatoires aiguës. and treatment. Br J Psychiatry 1998;172(suppl):77-83.
Études psychiatriques T III, étude 23, 201-324. Paris: Desclée de [40] Jeammet P. Les prémices de la schizophrénie. In: De Clercq M,
Brouwer; 1954. Peuskens J, editors. Les troubles schizophréniques. 2000. p. 127-44.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Psychoses à l’adolescence ¶ 37-215-B-30

[41] Weinberger DR. Implications of normal brain development for the [51] Jeammet P. Réalité externe et réalité interne, importance et spécificité
pathogenesis of schizophrenia. Arch Gen Psychiatry 1987;44:660-9. de leur articulation à l’adolescence. Rev Fr Psychanal 1980;3-4:481-
[42] Yung AR, Phillips LJ, McGorry PD, McFarlane CA, Francey S, 521.
Harrigan S, et al. Prediction of psychosis. A step towards indicated [52] Jeammet P. Les destins de la dépendance à l’adolescence.
prevention of schizophrenia. Br J Psychiatry 1998;172(suppl):14-20. Neuropsychiatr Enf Adolesc 1990;38:190-9.
[43] Cornblatt B, Obuchowski M, Schnur D, O’Brien JD. Hillside study of [53] Botbol M, Cupa D, Tabatabai H, Branco M, Menetrier C, Barriguete JA.
risk and early detection in schizophrenia. Br J Psychiatry 1998; Les destins de l’attachement à l’adolescence. In: Cupa D, editor. L’atta-
172(suppl):26-32. chement, Perspectives actuelles. Paris: Éditions EDK; 2000. p. 69-82.
[44] Botbol M. Psychanalyse : quelle place aujourd’hui dans la prise en [54] Bowlby J. Attachement et perte. Paris: PUF; 1978.
charge des patients schizophrènes? Encephale 2002;28:38-41.
[55] Remington G, Kapur S, Zipursky RB. Pharmacotherapy of first-episode
[45] Lewis SW, Murray RM. Obstetric complications, neurodevelopmental
schizophrenia. Br J Psychiatry 1998;172(suppl):66-70.
deviance, and risk of schizophrenia. J Psychiatr Res 1987;21:413-21.
[46] McGorry PD, McKenzie D, Jackson HJ, Waddell F, Curry C. Can we [56] Corcos M, Bouchereau D, Clervoy P, Atger F, Jeammet P. Troubles
improve the diagnostic efficiency and predictive power of prodromal maniaco-dépressifs à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Elsevier SAS,
symptoms for schizophrenia? Schizophr Res 2000;42:91-100. Paris), Psychiatrie, 37-214-A-50, 1998: 8p.
[47] Laufer M, Laufer E. Adolescence et rupture du développement. Une [57] Falloon IR, Kydd RR, Coverdale JH, Laidlaw TM. Early detection and
perspective psychanalytique. Paris: PUF; 1989. intervention for initial episodes of schizophrenia. Schizophr Bull 1996;
[48] Marcelli D. Bouffées délirantes aiguës à l’adolescence : manifestations 22:271-82.
thymiques ou symptômes psychotiques? Nervure 1997;X:8. [58] Mammar N. Quelles sont les approches médico-pédagogiques les
[49] Gutton P. Le pubertaire. Paris: PUF; 1991. mieux adaptées pour le traitement d’un sujet présentant une schizoph-
[50] Laufer M, Laufer E. La psychose à l’adolescence réalité ou fiction?. rénie débutante? In: Schizophrénies débutantes, conférence de consen-
Paris: Masson; 1990. sus. Paris: John Libbey Eurotext; 2003.

M. Botbol, Psychiatre des Hôpitaux, directeur médical (mbotbol@wanadoo.fr).


Y. Barrère, Psychiatre, assistant spécialisé.
Clinique Dupré, 30, avenue du Président-Franklin-Roosevelt, BP 101, 92333 Sceaux cedex, France.
M. Speranza, Praticien hospitalier.
Centre hospitalier de Versailles, 177, rue de Versailles, 78150 Le Chesnay, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Botbol M., Barrère Y., Speranza M. Psychoses à l’adolescence. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-215-B-30, 2005.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
ENCYCLOPÉDIE MÉDICO-CHIRURGICALE 37-216-D-10

37-216-D-10

Refus scolaire et difficultés


d’apprentissage à l’adolescence
A Birraux R é s u m é. – L’échec scolaire est un motif fréquent de consultation en psychiatrie de
l’adolescent.
Après avoir rappelé les conditions d’un bon déroulement de la scolarité, l’auteur envisage les
caractéristiques de la clinique des troubles scolaires le plus souvent rencontrés au cours de
l’adolescence, insistant spécialement sur la phobie et la rupture scolaires.
La pathologie scolaire vient révéler précocement les difficultés de développement
intrapsychique au cours du travail d’adolescence. Ils méritent attention. Les solutions
thérapeutiques doivent être soigneusement pensées. La pathologie scolaire est toujours une
pathologie de la pensée.
© 1999, Elsevier, Paris.

Introduction Le parcours scolaire ultérieur du jeune se déroulera ensuite en fonction de la


manière dont est vécu ce changement, dont est investie la scolarité, de la
manière dont ses aptitudes particulières se manifesteront, en cohérence ou
La pathologie scolaire est un motif de consultation fréquent en psychiatrie de non avec les exigences des programmes et des maîtres. L’orientation, en fin
l’adolescent. En face d’un échec, d’un refus d’investissement, les parents de quatrième, ouvrira déjà à certains les portes d’un avenir professionnel ; de
évoquent souvent la paresse, l’incompétence des professeurs, l’existence de même, la classe de seconde sera le palier d’une autre orientation vers des
conditions négatives, classes surchargées ou mauvais élèves. De leur côté, les secteurs directement professionnalisants (enseignement agricole ou
enseignants ont tendance à culpabiliser les parents (familles désunies, parents technique) jusqu’au sacro-saint baccalauréat ou BEP.
absents ou milieux culturels carencés). Ces facteurs ne sont cependant que
surdéterminants et le refus scolaire, l’échec ou les difficultés d’apprentissage Lorsque l’on regarde l’organisation de l’enseignement en France, on ne peut
s’inscrivent toujours dans une histoire singulière qui est celle de l’enfant, de pas ne pas admettre qu’il existe des filières multiples, que des réformes
l’adolescent en développement, de sa subjectivation, de la manière dont il régulières tentent d’adapter l’école à l’évolution de la société et des besoins
assume ses identifications et dont il se projette dans le monde adulte. Les de ses forces vives et que, globalement, l’institution scolaire n’est pas « un
mauvais objet ». Dans la majorité des cas, en effet, le jeune y trouve la place
conditions d’apprentissage ne peuvent à elles seules rendre compte de ses
qui lui convient. Cependant, le bouleversement psychique du « travail
résultats. Les conditions du « pouvoir apprendre » sont les conditions du
d’adolescence » [1], compliqué éventuellement des exigences sociales, des
« pouvoir penser », c’est-à-dire de la liberté que se donne le jeune, idéaux parentaux qui en découlent et des inégalités culturelles, peut rendre
l’adolescent, d’avoir prise sur le monde externe aussi bien que sur son monde problématique l’adaptation de l’adolescent au collège et au lycée et
intrapsychique. compromettre son développement.

Scolarité à l’adolescence Travail d’adolescence


On ne peut pas isoler la question de la scolarité à l’adolescence de ce qui l’a La puberté (phénomène physiologique universel) initie chez l’enfant une série
précédée, à savoir la scolarité primaire. On retiendra cependant que la de changements qui peuvent être vécus sur un mode intense. Le changement
scolarité à l’adolescence est placée sous le signe du changement et nécessite du corps avec l’apparition des caractères sexuels secondaires, la perte
une adaptation intellectuelle, mais aussi plus largement somatopsychique et momentanée des repères (accroissement rapide de la taille, de la masse
relationnelle. musculaire, modification des formes) entraînent nécessairement un éprouvé
L’entrée au collège initie ce changement souvent au moment où apparaissent d’inquiétante étrangeté, généralement transitoire mais jamais absent. Le corps
les premiers signes de la puberté. Au changement de type d’enseignement est désormais apte à la fonction génitale et la sexuation s’impose dans une
marqué par la pluralité des maîtres, la nouveauté des matières, la nécessité évidente irréversibilité. Simultanément, la pensée se sexualise [5] et le monde
d’une gestion autonome du travail, l’alourdissement de la charge de travail interne du jeune est envahi de représentations dont la tonalité incestueuse
s’ajoutent, bruyamment ou à bas bruit, le changement du corps et le cortège apparaît éminemment dangereuse. Le travail d’adolescence consistera à
de modifications que celui-ci induit dans le champ de la pensée et des relations intégrer le corps sexué et à remanier les relations aux images parentales
sociales. infantiles.
La sexualisation pubertaire de la pensée entraîne aussi l’apparition d’une
capacité réflexive qui n’existait pas dans l’enfance. Piaget a bien décrit
l’apparition de la pensée abstraite à l’âge de 12-13 ans, caractérisée par la
capacité de spéculer non seulement sur les objets mais sur la relation entre les
Annie Birraux : Professeur des Universités, unité de recherche sur l’adolescence, université
Paris VII Denis Diderot, 13, rue Santeuil, 75231 Paris cedex 05, France.
objets et la complexité de celle-là. Cette pensée que l’on dit aussi formelle n’a
© Elsevier, Paris

plus besoin, pour s’étayer, de supports concrets objectifs mais se déploie dans
un espace-temps où l’objet n’a d’existence que par les relations qu’il peut
Toute référence à cet article doit porter la mention : Birraux A. Refus scolaire et difficultés engendrer ou nouer avec d’autres objets. De même, apparaît à cet âge la
d’apprentissage à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychiatrie, 37-216-D-
10, 1999, 4 p.
capacité d’accéder au « trait d’esprit », au sens où Freud le définit [6]. Certes,
le jeune enfant est capable de faire de l’esprit, de faire des mots d’esprit naïfs,
37-216-D-10 REFUS SCOLAIRE ET DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE À L’ADOLESCENCE Psychiatrie

de jouer sur les mots, mais il n’est pas en mesure, avant la puberté, d’accéder solderont par une grande souffrance narcissique, laquelle laissera longtemps
au plaisir partagé du sens dans le non-sens, et de cueillir cette prime de plaisir trace dans le psychisme. La complexité actuelle des programmes, le souci
qui accompagne la levée extemporanée du refoulement, dans une sorte professoral d’excellence conduisent souvent à des échecs qui sont dus au fait
d’œdipe maniaque [2]. Certaines personnes n’accèderont jamais à cette que la plupart des jeunes ne sont pas capables d’accéder au niveau
capacité, se fixant au stade préalable du calembour ou de l’histoire drôle, d’abstraction auquel les objets leur sont proposés. La condition première au
succédané illusoire de cette jouissance spirituelle. bon développement de la scolarité est celle d’une évolution intellectuelle
Le travail d’adolescence consiste en une consolidation des identifications qui suffisante que peuvent mesurer les tests d’intelligence souvent décriés. Il est
permettra la clôture, asymptotique, mais néanmoins nécessaire, de la en effet contre-indiqué de contraindre un jeune, dont les aptitudes
subjectivation [4], c’est-à-dire de la capacité de s’approprier son corps, ses intellectuelles sont limitées, à poursuivre un cursus dans lequel il ne pourra se
pensées et ses désirs, indépendamment du poids que font peser sur celle-ci les réaliser. Les aptitudes ne s’appréciant pas nécessairement au cours d’un
désirs et les pensées des parents ou des personnes qui sont investis comme entretien, on n’hésitera pas à en demander l’évaluation. Les signes extérieurs
tels. Il ne s’agit pas de rompre avec les parents mais de vivre en paix avec de carence culturelle n’entraînent pas ipso facto un manque de moyens
leurs images désormais non aliénantes (ce que sous-tend le concept de intellectuels. De même, la qualité du contact et l’aisance relationnelle ne sont
séparation-individuation). C’est au cours de ce travail, qui demande un temps pas les gages d’une intelligence supérieure. L’usage de tests peut contribuer à
variable pour chaque individu, que se mettent en place les idéaux du Moi, que éclairer un diagnostic et une indication thérapeutique.
se consolide le Surmoi. C’est au terme de ce travail seulement que peut Le bon déroulement de la scolarité implique aussi le développement
s’édifier un projet personnel, un choix de vie. harmonieux des capacités affectives et relationnelles. Le collège et ensuite le
Mais c’est au cours de ce travail d’adolescence, nécessitant des opérations lycée marquent le début d’une vie sociale à l’extérieur de la famille. Cette vie
psychiques coûteuses sur le plan énergétique, que le jeune doit aussi se relationnelle avait pris ses marques dès l’enfance mais sous couvert, dans le
mobiliser pour s’adapter aux exigences souvent conflictuelles de son monde meilleur des cas, de la surveillance parentale. Après la sixième, l’influence
interne, du système scolaire et des idéaux parentaux. Notre civilisation est, à des pairs sur le développement affectif et social de l’enfant est plus important
son insu, créatrice de situations de difficultés scolaires en raison du niveau de au point qu’il peut, soit favoriser l’investissement intellectuel dans
ses exigences, mais plus précisément en raison même du fait que les inégalités l’émulation, soit le compromettre lorsque l’isolement, la peur de l’autre, le
des besoins, des demandes, la spécificité des problématiques dans ce sentiment de différence viennent parasiter la vie psychique.
processus d’adolescence ne peuvent être prises en compte. Il est par exemple Cette vie relationnelle et affective n’étant que le reflet de la résolution du
impensable, même s’il existe des passerelles entre les sections, qu’un travail d’adolescence, il nous faut ajouter que l’évolution de la scolarité sera
adolescent qui se pense motivé à 14 ans par un travail manuel et qui fait une d’autant plus heureuse que le jeune pourra :
expérience insatisfaisante, ou qui pourrait bénéficier d’un éloignement du – renoncer à son statut d’enfant et aux deuils que ceci implique : deuil du
milieu familial et d’un séjour prolongé à l’étranger, puisse réintégrer le cursus corps infantile et acceptation de son corps sexuellement mature, deuil de la
classique un an ou deux après une expérience. L’organisation scolaire est mère-nourrice qui protègeait autrefois son petit ;
construite à partir d’un profil unique de développement intellectuel et affectif – prendre de la distance par rapport aux parents pour consolider ses
et laisse peu de place à ceux qui s’écartent de celui-ci. Est-il possible que cela identifications, explorer des intérêts personnels, faire commerce avec l’autre
soit autrement dans un système conçu pour quelques millions de jeunes sous sexe.
les principes, combien appréciables, du droit à l’instruction et de l’égalité des
chances ? On peut en douter sans sous-estimer pour autant que, à la différence Ces préalables à l’évolution d’une bonne scolarité sont sans doute des utopies
de la puberté, le développement intellectuel et affectif n’est pas dans la mesure où aucune adolescence « normale » ne se déroule sans heurts
chronologiquement le même pour tous. ni conflits avec le monde des adultes auquel il s’oppose ; dans la mesure aussi
où le temps pour résoudre le travail d’adolescence n’est pas congruent avec
celui des rythmes scolaires ; dans la mesure enfin où les idéaux socioculturels,
Quelques préalables au bon déroulement la contrainte de « savoir », l’exigence d’excellence mettent le jeune, quels que
soient ses aptitudes et ses désirs, dans une situation de plus en plus difficile
de la scolarité dont les adultes ne mesurent pas toujours les conséquences dramatiques.
L’entrée en sixième révèle rarement des aptitudes et des possibilités qui n’ont
pas été repérées au cours de la scolarité primaire et il est vrai que les difficultés Difficultés scolaires de l’adolescent
de cette première période d’apprentissage, en lecture, en écriture, en
orthographe, en transcription, en calcul, se solutionnent rarement au passage J’ai précédemment schématisé ces difficultés sous deux rubriques [3]
au collège. A contrario, il est difficile, voire impossible, de prévoir l’évolution psychopathologiques relevant certes d’un artifice, mais qui permettaient de
de la scolarité d’un jeune qui fut, en primaire, un bon élève. D’abord, la notion distinguer les investissements narcissiques des investissements libidinaux. Il
même de bonne scolarité est très subjective et ce qui satisfait un élève ou le s’agissait des manifestations de souffrance narcissique et de souffrance
déçoit ne sera peut-être pas perçu de la même façon par ses professeurs ou par œdipienne. Pour éclairer le problème de manière complémentaire, il faut se
ses parents. Ensuite parce que, bien que le système scolaire soit homogène au placer aujourd’hui dans une perspective clinique en distinguant les difficultés
niveau des programmes et des règles de fonctionnement des établissements, scolaires précoces qui se retrouvent à l’adolescence, celles qui sont
il existe des disparités de qualité de vie d’établissement, de modes relationnels transitoires et (ou) réactionnelles et les difficultés scolaires durables.
enseignants-élèves qui vont favoriser ou entraver le parcours des enfants,
moins en raison de leurs qualités ou défauts objectifs qu’en fonction de la
manière dont le développement psychique des jeunes est accompagné. Difficultés scolaires précoces qui se retrouvent
La scolarité de l’adolescent ne peut pas se dérouler harmonieusement dans le à l’adolescence
contexte que nous connaissons si l’enfant n’a pas les aptitudes requises. Le
décret de l’école obligatoire, d’abord jusqu’à 13 ans, puis jusqu’à 16 ans, a Handicap cognitif
largement sous-estimé l’avenir des enfants qui, pour des raisons diverses, Quelle que soit son origine, que celle-ci soit organique ou la conséquence
n’étaient pas obligeables. Il s’agit souvent de problématiques de l’enfance d’une pathologie précoce des relations, d’une carence socioculturelle au sens
associées à des pathologies précoces du développement psychique, mais il large de l’insuffisance qualitative de l’environnement, d’un traumatisme, le
peut s’agir de difficultés intellectuelles « organiques » que les thérapies, de handicap cognitif va nécessairement entraver les apprentissages scolaires de
quelque nature qu’elles soient, ne peuvent complètement lever. On pense, l’enfant et, ultérieurement, de l’adolescent. Cependant, les conséquences
bien sûr, aux pathologies neurologiques, aux handicaps des fonctions seront fonction de la profondeur du trouble. Une débilité profonde ou
perceptives, sensorielles ou motrices qui grèvent la capacité d’apprendre des moyenne n’est pas compatible avec les exigences des apprentissages
jeunes, malgré leur désir d’apprendre. Bien qu’il existe un enseignement précoces. En revanche, une débilité légère pourra permettre une bonne
adapté à ces enfants, celui-ci n’est pas suffisamment développé et les progression scolaire dans des conditions affectives, pédagogiques et
structures spécialisées ne répondent pas au minimum des besoins. socioculturelles favorables.
La question des aptitudes se pose cependant pour tout un chacun, même si Proches des débilités, mais s’en distinguant par un tableau
l’on excepte ces empêchements précoces, souvent génétiques, à une scolarité psychopathologique complexe qui associe des difficultés de coordination
normale. Nous n’avons pas tous les mêmes capacités intellectuelles et rares motrice, des difficultés perceptives aussi bien que de repérage dans le temps,
sont les sujets qui peuvent se prévaloir d’une capacité d’assimilation de toutes les dysharmonies cognitives donnent à l’adolescence des tableaux souvent
les formes de pensée et de discours avec la même facilité et le même bonheur. sévères où prédominent les difficultés de symbolisation et, en conséquence,
Il existe des formes d’intelligence différentes, pratique ou abstraite, intuitive les difficultés d’acquisitions scolaires de l’adolescence. Ce tableau va souvent
ou concrète, convergente, c’est-à-dire centrée sur l’obligation d’une solution de pair avec une tendance à la marginalisation, avec l’impossibilité de
et d’une seule, ou divergente, c’est-à-dire au contraire à la recherche de maintenir des liens, non seulement avec l’école mais ultérieurement avec le
solutions multiples à un même problème, des désirs d’investissement de la milieu du travail, et caractérise nombre d’adolescents autrefois dénommés
chose intellectuelle qui sont variés, et, à ne pas tenir compte de cette diversité, « caractériels » et dont Flavigny pensait qu’ils ne pouvaient assumer une
nous risquons d’engager l’adolescent dans une série d’épreuves qui se représentation mentale dans la continuité, en raison de la discontinuité

page 2
Psychiatrie REFUS SCOLAIRE ET DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE À L’ADOLESCENCE 37-216-D-10

traumatique de leurs premières relations précoces, ce qui compromettait leur relation de dépendance qu’ils maintiennent avec le milieu familial. Celui-ci
capacité de symbolisation. On peut légitimement se demander si nombre de assure d’ailleurs souvent que le dialogue existe, que l’adolescent en famille
jeunes des banlieues qui nous donnent à voir leur violence et leur souffrance est « épanoui », même s’il est réservé en milieu inconnu. Généralement
dans et hors le collège ne sont pas de ces enfants cassés par une histoire cependant, cet échange est fortement intellectualisé et ne laisse pas de place à
relationnelle « pleine de trous » et auxquels l’école primaire n’a pas su l’expression spontanée des émotions.
proposer le tissu sur lequel pouvait se greffer quelque expérience de sécurité En réalité, ces adolescents, malgré les apparences, sont la plupart du temps
et d’espérance. des jeunes qui ont peur d’affronter la vie adulte et de quitter les figures
parentales de leur enfance. Pour ce faire, ils réfrènent leur monde pulsionnel
Difficultés scolaires transitoires et (ou) réactionnelles désormais sexué et se comportent comme des enfants sages que les problèmes
de la sexualité, du monde et de ses objets ne concerneraient pas.
Échec circonscrit L’évolution de ces hyperinvestissements est variable.
Au niveau de nos observations, ce type d’échec apparaît, à un moment ou à Souvent, après une période plus ou moins longue, la nature pulsionnelle
un autre, dans la scolarité de tout adolescent. Il succède à une période de reprend heureusement le dessus et le travail d’adolescence s’amorce avec un
résultats satisfaisants et, dans la majorité des cas qui consultent, il est, pour léger décalage sur la classe d’âge, mais la dynamique de la maturation est
l’observateur externe, sans cause apparente et mis sur le compte d’un manque réamorcée.
de travail. L’entretien clinique peut mettre en évidence un événement Quelquefois, les défenses, qui sont mobilisées contre l’envahissement
relativement banal, parce qu’universel, de la vie adolescente : premier flirt, incestueux intrapsychique, lâchent brusquement et donnent lieu à un
apparition des règles, conflit avec les parents ou avec les pairs, mais cette « abrasement » des processus intellectuels et cognitifs, au détriment de mises
banalité nous donne aussi la mesure de l’ampleur subjective du fait dans en acte de nature variée (agressivité, isolement, recours aux toxiques).
l’histoire du jeune. Quelquefois, l’entretien ne permet pas de circonscrire un Enfin, parfois, ces hyperinvestissements s’inscrivent dans la durée, se
événement déclenchant. pérennisent, se cristallisant autour de fonctionnements sociaux et relationnels
Le tableau de ce trouble est classique. Sans raison immédiatement repérable, « pétrifiés ». L’investissement intellectuel barre désormais tout accès à la
les résultats deviennent moins bons et quelquefois franchement mauvais, soit fantasmatisation et à la reconnaissance d’une vie psychique propre. C’est
dans une matière spécifique, soit dans plusieurs matières. La situation inquiète d’un fonctionnement psychique « blanc » qu’il s’agit, auquel le
beaucoup plus les parents et les professeurs que l’adolescent lui-même qui ne psychopathologue ne peut pas être insensible, même si les parents et les
se plaint pas, mais ne s’explique pas non plus sur les raisons de ses moindres maîtres tressent encore à ces adolescents des couronnes de lauriers.
performances. Il peut même s’irriter que l’on se préoccupe autant de ce qu’il
estime être son affaire. La situation évolue le plus souvent en tache d’huile.
L’échec soit gagne d’autres matières, soit se limite aux matières initiales, mais
Difficultés scolaires profondes
est complet. L’adolescent peut y réagir de deux manières : soit en
désinvestissant progressivement la scolarité, soit en surinvestissant un travail
Phobie scolaire
qui restera, dans la plupart des cas, stérile. La phobie scolaire est un refus de l’école qui s’accompagne d’un arrêt de la
Ce type d’échec est souvent associé à d’autres manifestations parmi lesquelles fréquentation des cours. Elle est différenciée des fugues et de l’école
on relève le retrait relationnel, l’absentéisme scolaire, la tristesse ou la buissonnière en 1941 par Johnson. L’auteur décrit ainsi une catégorie
morosité. d’enfants non dépourvus d’ambitions intellectuelles, et même du désir d’aller
Dans la plupart des cas, il s’agira d’un fléchissement transitoire qui en classe, mais qui refusent d’aller au collège ou au lycée.
n’entraînera pas de conséquences sur l’évolution de la scolarité. Cependant, La phobie scolaire frapperait plutôt des filles que des garçons, plutôt des
il peut se chroniciser dans la mesure où, d’une part, le jeune qui ne comprend enfants uniques (Ajuriaguerra) ; enfin, des enfants dont les familles expriment
pas les raisons de son échec souffre de l’image qu’il donne de lui et vit la un besoin d’ascension sociale.
situation comme une blessure narcissique indépassable, d’autre part, l’affaire
devient l’enjeu d’un conflit familial où chacun projette ses propres difficultés. Tableau clinique
Ce fléchissement peut cependant être directement réactionnel à une séparation Il s’agit donc d’un refus de l’école, rationalisé secondairement. Les
traumatique de l’un des parents (hospitalisation), au décès d’un proche ou à la rationalisations portent le plus souvent sur l’incompétence des enseignants,
conflictualisation des relations interparentales au cours d’un divorce. Si ces la crainte des examens, la mauvaise qualité des autres élèves. La teneur
événements apparaissent comme la cause du désinvestissement scolaire, dans projective de ces rationalisations est évidente. L’adolescent a le sentiment
la mesure où celui-ci leur est directement associé, ils ne le sont en réalité qu’en d’être rejeté, d’être le bouc émissaire de sa classe, de ne pas être compris. Ce
raison de la manière dont l’adolescent s’en saisit, et méritent donc un travail refus, qui peut aussi simplement se justifier d’un désintérêt pour l’école, peut
d’élaboration. s’accompagner d’une crise d’anxiété, voire de panique au moment de quitter
Il existe au moins trois causes à cet infléchissement occasionnel de la maison ou d’entrer à l’école. Il arrive que cette anxiété se somatise,
l’investissement scolaire. s’exprime par des céphalées, des douleurs abdominales. Avec l’âge, il se peut
– La première tient à la sexualisation de la pensée à l’adolescence. Nous aussi qu’elle se déguise derrière un absentéisme qui se chronicise, voire
l’avons déjà évoquée. L’érotisation du corps est déplacée sur l’activité de qu’elle se repère à partir de comportements d’errance.
pensée et inhibe les capacités de création et d’appropriation des idées Les manifestations de « phobie scolaire » sont le plus souvent associées à
(Kestemberg). d’autres conduites d’évitement ou à des conduites obsessionnelles ou
– La seconde tient à l’existence d’une dépressivité et d’une morosité hypocondriaques. L’inhibition intellectuelle et affective des patients apparaît
normales à l’adolescence. Ces éprouvés vont ralentir l’activité intellectuelle souvent au cours de l’entretien clinique. Ce sont des adolescents timides,
et ce ralentissement, par effet de cercle vicieux, va induire de l’ennui et du réservés, voire fermés à la relation. La curiosité intellectuelle fait défaut.
désintérêt pour les objets culturels (Mâle). L’effort de concentration semble difficile. L’anxiété et l’angoisse sont au
– La troisième, enfin, tient au fait que le monde scolaire est un monde devant du tableau, combinées avec des éléments souvent importants de la
complexe sur lequel se projettent de manière privilégiée les conflits avec les série dépressive qui peuvent nécessiter une hospitalisation dans le but d’éviter
parents. L’école, c’est un monde d’adultes et de pairs ; c’est un espace de une désorganisation manifeste.
rencontres ludiques et d’obligations ; c’est un espace dans lequel peut se
déployer l’activité imaginaire du jeune, à condition qu’il intègre les limites Psychopathologie
du cadre. La scolarité étant l’activité principale du jeune, sa vie, c’est dans La psychopathologie de la phobie scolaire en appelle, pour certains, à la
l’affrontement du monde scolaire et du monde parental qu’il va tenter de reviviscence de l’angoisse de séparation, convoquée lors de la nécessité de
liquider sa conflictualité interne. Le fléchissement scolaire est un symptôme quitter les parents et de s’individuer. L’ambivalence résultant de cette
qui révèle alors toutes sortes de conflits, parmi lesquels cependant les conflits situation, qui allie le désir régressif de dépendance et celui d’autonomie,
d’identification semblent être les plus fréquents. engendre des comportements qui sont souvent extrêmement agressifs et qui
confortent l’adolescent dans l’idée qu’il n’est pas passif et qu’il n’est pas
Hyperinvestissement scolaire soumis aux désirs parentaux. Dès 1957, Johnson, poursuivant ses premières
Enviés par les parents, ces adolescents qui hyperinvestissent leur scolarité ne études de 1941 [7], met l’accent sur la problématique de dépendance à l’égard
vivent que pour l’école ou les activités scolaires et réussisent brillamment des images parentales des enfants atteints de phobie scolaire. C’est une
leurs études. Le caractère psychopathologique de cet hyperinvestissement est conception qui fera le lit de nombreux travaux anglo-saxons ultérieurs.
le fait de l’intérêt exclusif pour l’école au détriment des objets qui permettent Sperling [9], quant à elle, insiste sur la nécessité de traiter la phobie scolaire
à l’adolescent de s’approprier un projet propre. Ces adolescents comme une psychonévrose. L’angoisse du phobique scolaire est une angoisse
n’apparaissent pas en danger de structuration psychique aux enseignants qui œdipienne projetée sur l’école. Elle distingue néanmoins les phobies scolaires
les estiment et les gratifient. Ils n’apparaissent pas non plus en risque pour les aiguës des phobies chroniques et, à l’intérieur de celles-ci, les phobies
parents qui se félicitent de leur conformisme et de leurs résultats, et de la induites (dans lesquelles l’adolescent prend en charge l’angoisse parentale)

page 3
37-216-D-10 REFUS SCOLAIRE ET DIFFICULTÉS D’APPRENTISSAGE À L’ADOLESCENCE Psychiatrie

des phobies traumatiques. Dans tous les cas, elle insiste sur la problématique Il s’agit souvent de problématiques dépressives masquées ; même si, dans le
de la séparation et la gestion sadique-anale de ces conflits. Elle met aussi premier cas, les conflits sont moins polarisés que dans le deuxième, ce type
l’accent sur les fantasmes d’omnipotence, sur la persistance de l’ambivalence de trouble est en fait suspect de cacher une désorganisation à bas bruit.
qui caractérisent ces sujets. Certaines ruptures scolaires du deuxième type sont des équivalents
À notre sens, et bien que ces éléments concernant les angoisses de séparation, phobiques. Le désir d’interruption d’études est exprimé alors dans une
les fixations sadique-anale, le besoin de maîtrise de ces sujets soient tonalité moins rigide, moins exigeante que dans le tableau classique. Il s’agira
pertinents, la phobie scolaire est souvent une phobie du penser. C’est la pensée pour le jeune de faire une demande d’entrée dans la vie professionnelle ou
qui est l’objet persécuteur, pensée sexualisée par fait pubertaire et qui se dans l’armée, au prétexte de son intérêt. Les difficultés alors se répèteront dans
projette sur l’espace dans lequel elle devrait autrement se déployer. La phobie le nouveau contexte au bout de quelques mois, sous la forme d’inadaptation,
scolaire à l’adolescence n’a pas cliniquement la même valence que dans de sentiment de persécution, et donneront lieu à une autre orientation.
l’enfance, en raison de la moins grande labilité des mécanismes de défense, « L’insatisfaction professionnelle » de nombreux jeunes est en fait souvent la
mais elle est, comme dans l’enfance, une défense contre l’expression d’un gestion d’une phobie scolaire méconnue.
éprouvé de mort imminente que porte en elle la représentation de la séparation La rupture scolaire psychotique n’est pas, quant à elle, une interruption
de la mère. Elle témoigne, chez l’adolescent, d’une fragilité des assises volontaire ou négociée, mais un événement qui survient de fait au cours d’une
narcissiques et du sentiment de continuité et d’existence qui en fait une
évolution psychotique, associant des troubles de la pensée, des troubles de
pathologie sérieuse, laquelle doit être prise en charge intensivement et
l’humeur et des troubles du comportement. Cette rupture est souvent
rapidement.
progressive, à bas bruit, et signe l’évolution d’une détérioration aussi bien que
Les cliniciens, qui se sont attachés à qualifier la structure familiale des l’envahissement parasite de la pensée par les processus primaires.
phobiques scolaires, décrivent « des images parentales contrastées » : pères
absents, inacessibles ou déchus de leur fonction ; mères elles-mêmes •
phobiques ou dépressives (Marcelli et Braconnier).
• •
À notre sens aussi, ce qu’il faut noter c’est que la structure familiale des
phobiques scolaires n’offre pas à l’adolescent les conditions d’identification Pour conclure, et bien que cette présentation reste schématique,
solides. Cependant, si cette structure familiale peut surdéterminer le rappelons que toute pathologie scolaire à l’adolescence est une
symptôme, elle n’en est pas uniquement la cause. pathologie de la pensée, conséquence de la sexualisation des
Le diagnostic différentiel du désintérêt pour l’école ou du refus scolaire représentations. Toute pathologie scolaire va donc révéler les
raisonnable tiendra compte de l’angoisse associée aux symptômes (qui achoppements du travail d’adolescence : difficultés d’intégration du
n’existe pas dans ces deux autres tableaux). Il faut retenir que l’adolescent corps sexué, difficultés de subjectivation. Encore une fois, certes,
qui développe une phobie scolaire manifeste un désir de suivre une scolarité, l’institution scolaire renforce souvent ces difficultés : la lourdeur
mais ne peut absolument pas surmonter l’entrave anxieuse qu’il ressent aux excessive des programmes, leur étendue et la contrainte d’excellence
portes de l’école. qui pèsent sur les jeunes sont, aujourd’hui plus qu’hier, des facteurs
pathogènes. Néanmoins, ces facteurs sont bien négociés par la
Évolution et prise en charge majorité d’entre eux, ce qui implique que le symptôme scolaire soit
L’évolution de la phobie scolaire chez l’adolescent est relativement grave. À entendu dans une histoire singulière et non dans un contexte
condition que le diagnostic soit bien posé et qu’il ne s’agisse pas d’un institutionnel.
désinvestissement prolongé ou d’un désir exprimé de quitter l’école pour La pathologie scolaire est un indice précoce des difficultés de
s’orienter (encore que dans les ruptures scolaires, voire dans certaines développement intrapsychique et, à ce titre, mérite attention.
orientations précoces vers la vie active, les problématiques ne soient pas L’approche en sera nuancée : la précipitation dans la mise en place
toujours éloignées des problématiques dites phobiques), le pronostic n’est des solutions d’aide est à bannir. Il est nécessaire d’explorer les causes
généralement pas optimiste, sauf dans le cas où l’on peut mettre en place du fléchissement avant de proposer des solutions qui peuvent être
rapidement une aide pédagogique individuelle intensive et une seulement de l’ordre des psychopédagogies ou de médiations
psychothérapie psychanalytique. Très souvent, on assiste à une situation de thérapeutiques [8]. Dans la pathologie grave, on peut être amené à
marginalisation progressive dans des conduites psychopathiques ou prévoir une hospitalisation à fin d’observation ou de prévention d’un
perverses, malgré les tentatives de réintégration scolaire qui peuvent être effondrement psychique, en particulier dans les phobies graves où
réitérées. Ce désinvestissement de l’école se complique souvent de conduites l’inhibition, l’angoisse et la dépressivité stérilisent le fonctionnement
d’errance et du cortège des troubles qui y sont associés. psychique. La fréquence et quelquefois la banalité des troubles ne
doivent pas oblitérer le fait qu’il s’agit, dans tous les cas, de vicissitudes
du travail d’adolescence et que c’est à ce problème que l’indication de
Rupture scolaire prise en charge doit répondre.
Différenciée de la phobie scolaire car elle est une mise en acte volontaire de Il est en tout cas inutile de médicaliser en ambulatoire et de tenter de
l’interruption des études, la rupture scolaire est grave. Elle survient soit parer les accès d’angoisse associés ou la dépression par des
progressivement, à la suite d’échecs qui se sont accumulés, de anxiolytiques ou des antidépresseurs qui ne feraient que masquer le
désinvestissement scolaire, d’absentéisme, soit brusquement, sous la forme conflit et ne permettraient pas son élaboration. Des entretiens avec un
d’une décision que l’entourage n’a pas nécessairement pressentie, et qui peut psychothérapeute ou une psychothérapie psychanalytique, qui seront
en imposer pour un véritable choix professionnel si n’étaient la rigidité du quelquefois de courte durée, sont à mettre en place dans tous les cas
discours, la conviction indiscutable que cette solution est la seule où l’on sent chez le patient le désir de comprendre ce qui arrive et,
envisageable. d’une certaine façon, de s’approprier son histoire.

Références
[1] Birraux A. L’adolescent face à son corps. Paris : Bayard, [6] Freud S. Le trait d’esprit et son rapport avec l’inconscient.
1992 Paris : Gallimard, 1974
[2] Birraux A. Éloge de la phobie. Paris : PUF, 1993 [7] Johnson AM. School phobia. Am J Orthopsychiatry 1941 ;
[3] Birraux A. Refus scolaire et difficultés d’apprentissage à 11 : 702-712
l’adolescence. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris), Psychia-
trie, 37-216-D-10,1991 : 1-4 [8] Richaud LR. Restauration d’une pensée en lien : appro-
che pédagogique. Psychiatr Enfant 1988 ; 31 : 571-588
[4] Cahn R. L’adolescent dans la psychanalyse. Paris : PUF,
1998 [9] Sperling M. School Phobias. Psychoanal Study Child
[5] Freud S. Le proton pseudos. Esquisse d’une psychologie 1967 ; 22 : 375401Trad franç. In : Rev Fr Psychanal 1972 ;
scientifique. Paris : PUF, 1973 36 : 265-286

page 4
Pédopsychiatrie
[37-216-D-30]

Répercussions psychologiques des handicaps


somatiques graves à l'adolescence

Linda Slama : Docteur en psychanalyse


unité de recherche sur l'adolescence (URA) de l'université Paris VII, (Directeur : Pr Philippe Gutton)
France
Evelyne Rollot-Loyer : Psychologue clinicienne et professeur de mathématiques en Institution pour
déficients visuels

© 1994 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Haut de page

HANDICAP PHYSIQUE

L'approche psychologique d'un sujet aussi vaste et particulier que celui du handicap à
l'adolescence mérite qu'on tente de définir de plus près ces concepts.

La notion de handicap physique recouvre l'état d'incapacité à faire une activité, la


limitation des possibilités du sujet.

Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), " l'enfant handicapé physique se trouve
pendant un certain laps de temps appréciable dans l'impossibilité liée à son état physique
de participer pleinement aux activités de son âge ". Cette définition désigne à la fois
l'étiologie et la symptomatologie des troubles tout autant que leurs répercussions sur le
plan social. Ainsi la notion de handicap physique apparaît-elle comme éclectique et
globalisante dans la mesure où elle s'applique à toutes les difficultés d'ordre physique et
tend à recouvrir tout le champ de la pathologie organique. Dans ce contexte, une
anomalie, une infirmité, un déficit sensoriel ou moteur peut représenter un handicap
physique au même titre qu'une pathologie somatique chronique. Pourtant, il s'agit de
problèmes somatiques spécifiques recouvrant des réalités psychologiques différentes.

Par ailleurs, la notion d'adolescence peut se comprendre comme un processus


psychologique relativement homogène selon les sociétés. Dans une perspective
psychanalytique, S. Freud caractérise l'adolescence comme ayant pour but le
regroupement des zones érogènes partielles sous le primat de la pulsion génitale et le
choix d'un nouvel objet d'amour [2]. C'est la poussée pubertaire qui constitue le moteur
de ces transformations en achevant la maturation de l'enfant et en le contraignant à des
remaniements psychologiques.

Haut de page

ASPECTS SPÉ CIFIQUES DES HANDICAPS À L'ADOLESCENCE

Si nous tentons, sans être réducteurs, de repérer une problématique commune à ces
adolescents, au-delà des singularités propres à chaque handicap, nous la situerons très
directement en rapport avec ce qui touche au narcissisme.

Toute altération physique constitue une atteinte portée au narcissisme et peut être
interprétée en termes de blessure narcissique.

Pour les adolescents atteints de handicaps physiques, il existe une antinomie entre l'accès
à la maturité génitale avec apparition de la capacité orgastique et le mauvais
fonctionnement d'organe dû à la maladie. L'atteinte d'une fonction corporelle peut
représenter pendant la période pubertaire ou post-pubertaire une véritable mutilation au
niveau du plaisir libidinal lié au fonctionnement génital.

Nous situerons le premier temps de notre réflexion dans une tentative de compréhension
globale de ces problématiques adolescentes avant d'en décrire les aspects particuliers à
travers des pathologies diverses, dans une seconde partie.

Les adolescents atteints de handicaps somatiques graves sont confrontés au conflit


d'intégration d'un corps souffrant et sexué.

Ce qui apparaît spécifique de la problématique adolescente consiste en un mouvement de


réorganisation de l'adolescent à son handicap dans une tentative d'élaboration de la
blessure narcissique qui lui est liée. Ce travail élaboratif constitue en quelque sorte la
tâche principale de l'adolescent malade et l'on peut le comprendre comme une expression
particulière du processus adolescent mettant en jeu le corps souffrant.

Ces modifications des relations du sujet à sa maladie interviennent à la faveur d'un


réaménagement de l'équilibre libidinal, dans le contexte d'un bouleversement profond des
investissements objectaux et des investissements narcissiques, induit par les modifications
corporelles pubertaires. La relation avec l'adolescent malade impose une médecine
différente de celle de l'enfant. Des changements de conduite, de discours s'effectuent tant
à l'égard de la maladie que des parents et des soignants.

Si nous reprenons brièvement le fonctionnement pédiatrique, nous constatons que l'enfant


soigné est d'abord l'enfant de ses parents. Le plus souvent, l'institution soignante
s'adresse à une unité indifférenciée parents-enfants.

Nous avons décrit les modes de relations susceptibles de s'établir entre l'enfant
physiquement malade et ses parents [4]. Un de ces modes, n'excluant pas les mécanismes
objectaux chez le même enfant, est retrouvé quasi chez tous et retient notre attention. Il
s'agit d'un double processus d'identification projective qui permet que les représentations
de la maladie et du corps souffrant soient contenues par les parents.

Une partie de l'enfant fonctionne alors sur un modèle quasi symbiotique, défendu par des
clivages du moi. L'activité fantasmatique de l'enfant concernant sa maladie est modeste.
Elle n'a pas de sens pour lui et tout ce qui la concerne est fait parental, dès lors ressenti
comme gratification narcissique ou comme persécution. Le bénéfice d'une telle situation
est sensible : bien des enfants apparaissent comme normaux, ce qui a longtemps conforté
les pédiatres. Néanmoins leur dépendance à l'égard des parents peut être interprétée
comme psychopathologique. L'enfant est dans une position de mimétisme, d'identification
aliénante ou de contre-indication complémentaire selon le modèle de faux-self. A
l'adolescence, de manière souvent brutale, ce scénario se modifie. A la faveur des
remaniements pubertaires, l'adolescent tente avec plus ou moins de succès de
s'approprier sa maladie et son corps sexué. Il se produit alors un changement dont les
effets comportementaux sont de la plus grande importance, fait que les pédiatres ont
[6]
repéré de longue date .

Certains semblent bénéfiques : l'adolescent devient le partenaire du médecin dans les


négociations thérapeutiques et hospitalières parfois lourdes que nécessite le handicap.

D'autres adolescents manifestent un refus vis-à-vis des traitements ou les appliquent de


manière fantaisiste selon des règles énigmatiques qui échappent à la logique médicale. Le
risque de rechute ou d'accident susceptibles de compromettre la vie de l'adolescent ou
d'entraîner des séquelles est la conséquence la plus redoutée des médecins. Ces cas ont
justifié, dans certains pays comme la France, l'institutionnalisation d'une pédiatrie de
l'adolescence.

A travers bien des observations, nous constatons que ces adolescences peuvent être
émaillées d'une sémiologie psychopathologique riche et diversifiée : passages à l'acte,
conduites dépressives, épisodes psychotiques, etc.

Il est classique de rappeler le malaise des psychiatres pour le traitement de tels cas.

Pourtant, malgré les aspects spectaculaires ou alarmants que peuvent revêtir certaines
conduites, nous nous devons de reconnaître la valeur organisatrice des remaniements
psychiques en jeu.

Le handicap prend signification au sein du processus d'adolescence, c'est-à-dire de la mise


en place de l'organisation oedipienne pubertaire, les différentes manifestations de la
maladie font l'objet d'un travail de représentation, de réorganisation et de défense que
nous avons nommé travail de la souffrance [5] et dont le but est " l'objectalisation " de la
maladie. Ce travail de la souffrance a une valeur organisatrice, dans la mesure où il
permet une redistribution libidinale. La position de retrait qui caractérise l'atteinte
somatique est abandonnée au profit d'un réinvestissement objectal par l'adolescent qui
utilise sa maladie ou son corps handicapé comme un véritable objet transitionnel [10].

" Le passage de la douleur corporelle à la douleur psychique correspond à la


transformation de l'investissement narcissique en investissement d'objet. La
représentation d'objet fortement investie par le besoin, joue le rôle de l'endroit corporel
investi par l'augmentation de l'excitation " (Freud) [3].

Nous envisageons comme un phénomène du même ordre le " processus d'objectalisation "
qui signe le passage de la blessure narcissique inhérente à la maladie, non élaborée au
niveau du moi, à une mise en représentation de cette blessure qui prend valeur d'objet
par rapport au moi.

La mise en scène de l'épreuve de souffrance permet sa liaison entre affects de souffrance


et représentations de la maladie et du handicap et, de ce fait, induit leur intégration dans
un réseau signifiant.

La souffrance sans objet qui pouvait être cause d'hémorriage narcissique se recouvre de
sens. Les adolescents tentent de construire à partir de leur histoire une théorie donnant
sens à leur souffrance, à leur handicap, aux situations qu'il impose. L'opacité de la
pathologie organique dans sa réalité va être utilisée dans des scénarios fantasmatiques
par la relance de l'activité psychique. Ce qui fait la particularité de ces représentations du
handicap est leur inscription dans les théories sexuelles de l'adolescence. Les origines,
voire les causes supposées du handicap, prennent place dans des questions de filiation.
Les représentations sémiologiques de l'atteinte somatique font partie de scénarios
fantasmatiques auto- et hétéro-érotiques.

On pourrait parler d'une " hystérisation " des symptômes somatiques qui se chargent
d'une valeur symbolique en rapport avec l'organisation oedipienne pubertaire [8].

Sur le plan sémiologique, les adolescents atteints de handicaps physiques utilisent souvent
leur corps comme moyen d'expression et de communication privilégié.

Etant donné l'antinomie existant entre le travail normal de l'adolescence et les restrictions
imposées par le handicap, certaines conduites de risque centrées sur le corps malade
peuvent constituer l'un des seuls moyens dont disposent les adolescents pour marquer la
rupture quant à la dépendance médicale et authentifier la transformation pubertaire [11].
Ainsi, nous pouvons interpréter certains refus de traitement (chez les adolescents malades
chroniques par exemple) comme équivalents d'une activité ludique visant à l'intégration
de la maladie. La répétition qui oeuvre dans ce cas - notamment par la réapparition des
symptômes organiques - recèle en elle-même des capacités de changement.

De même, paradoxalement, certaines tentatives de suicide prenant le corps comme lieu


d'externalisation des conflits ont pour but la réappropriation du corps malade.

Ces conduites de risque peuvent représenter des tentatives de maîtrise active de la


situation de passivité où se trouvent les adolescents face à la violence de la sexualisation
induite par la puberté.

Ce choix sémiologique prévalent d'une " mise en scène " du corps témoigne de la fragilité
des assises narcissiques inhérentes à la crise pubertaire dans ces contextes particuliers.

Cependant, ces changements structurants que nous venons de décrire ne sont pas
constants. Le trio déni-projection-clivage concernant les représentations de la maladie, qui
semblait ne pas poser de problème dans l'enfance, peut devenir le noeud d'une pathologie
d'adolescence grave : son modèle est alors celui de la psychose froide, des organisations
psychosomatiques ou des pathologies comportementales qui témoignent d'une
perpétuation de la dépendance étroite aux parents de l'enfance.

Aulagnier formule la problématique de ces cas graves de façon particulièrement claire [1] :
le " corps psychique " insuffisamment étayé entre mère et enfant au cours de l'enfance
n'accède pas à une autonomie susceptible de lui permettre la prise en compte de la
sexualité génitale. Il reste passif, délégué de celle à qui il appartient encore et qui
continue à le gérer.

Par ailleurs, il existe des facteurs contre-élaboratifs au changement adolescent qui


tiennent aux particularités mêmes de la maladie ou du handicap.

C'est le cas lorsque le risque létal est associé à la pathologie physique.

Toute émergence fantasmatique renvoie dès lors les sujets menacés à l'inéluctabilité de
leur mort, suscitant des angoisses très archaïques. Les pulsions corporelles sont vécues
comme une menace pour la cohésion du moi. Ces adolescents se protègent des conflits
pubertaires par un retrait narcissique massif ayant pour conséquences un
appauvrissement des facultés libidinales et une rigidification des défenses psychiques
(inhibition, déni, etc.) [7].

Parmi les autres facteurs contre-élaboratifs à l'intégration du handicap, nous retiendrons


en particulier les stigmates trop apparents de celui-ci (en cas de handicap moteur par
exemple). N'offrant au regard que l'aspect fonctionnel défaillant, le corps marqué d'une
inscription visible de la blessure narcissique met en cause de manière douloureuse la
relation à soi-même et aux autres. Ces " cicatrices " marquent un décalage irréductible
entre corps fantasmé et corps organique, entre corps souffrant et corps érogène. Le corps
peut alors devenir le lieu privilégié des pulsions destructrices à travers des conduites
mettant directement sa vie en danger.

Par un mécanisme d'identification projective, le corps sexué, perçu comme déformé en


tant que contenant du complexe maladie-puberté, devient un objet partiel mauvais sur
lequel sont projetées les pulsions destructrices.

[9]
Cette pathologie évoque celle du " break-down " décrit par Laufer .

Dans ce type de contexte, les conduites visant à détruire le corps sexué et malade ne
peuvent être comprises qu'en termes de décharge énergétique, jusqu'à épuisement
économique du moi. Il s'agit de mises en actes de la souffrance sur un mode répétitif qui
n'ont aucune valeur élaborative.

En conclusion, nous nous devons d'insister sur la fonction d'étayage des institutions
engagées dans la prise en charge de ces adolescents atteints de handicaps physiques.
Seules des réponses adaptées de la part des équipes soignantes peuvent permettre
l'accompagnement de ce processus d'intégration du handicap vers une issue positive.

Nous constatons que, sous des aspects parfois spectaculaires et alarmants, ce travail de la
souffrance qui s'avère inévitable à l'adolescence a une valeur organisatrice pour
l'intégration du corps malade et sexué.

Haut de page

HANDICAPS SENSORIELS À L'ADOLESCENCE

L'existence d'un déficit sensoriel précoce ou congénital prive l'enfant d'une source
d'information : mais si ce déficit retentit sur le processus maturatif de l'enfant, il entraîne
surtout d'importantes modifications de la dynamique familiale. Cette atteinte organique
est un point de butée sur lequel vont se cristalliser imaginairement toutes les difficultés
normales de la puberté. Si cette déficience est un obstacle à l'émergence du travail
d'adolescence, si elle le compromet, l'entrave ou le nie, c'est dans le fait qu'elle ne peut
être intégrée dans la construction de l'identité. La rupture de communication, de
transmission et son vécu d'enfance vont se trouver aux prises des changements
pubertaires. L'entrée en adolescence va être déterminante dans le choix d'être " handicapé
" ou non, ce qui concerne alors les représentations de la déficience peut devenir le noeud
d'une pathologie d'adolescence.

Déficiences sensorielles

Elles peuvent toucher la vue, plus rarement l'ouïe. Lorsque l'acuité visuelle, après
correction du meilleur oeil, est inférieure à 1/20, il s'agit de cécité, et d'amblyopie lorsque
cette acuité est comprise entre 1/20 et 4/10. Si la perte auditive atteint ou dépasse 80 à
90 décibels, nous parlerons de surdité ou de déficience auditive profonde, entre 40 et 80
décibels de perte, il s'agira d'hypoacousie ou de déficience auditive moyenne. Au-delà de
70 décibels, le langage n'est pas acquis et l'évolution est alors la surdimutité.

La vue et l'ouïe ayant un rôle considérable dans la vie relationnelle, en l'absence de l'un de
ces sens, on peut craindre une pathologie proche de l'autisme. Un double problème se
pose dans le cas de déficience sensorielle : une différence dans l'équipement génétique
initial qui modifie certains axes de développement, en particulier l'organisation
spatiotemporelle, et une interaction avec l'entourage qui peut s'organiser autour d'un
déficit vécu tant par l'enfant que par ses parents comme une blessure intolérable.

La cécité et la surdité sont des déficits différents qui entraînent de la part de l'entourage
des réactions particulières : pitié pour l'aveugle, agressivité et raillerie pour le sourd, les
amblyopes et les malentendants ayant la difficile tâche de se situer ou d'être reconnus
comme déficients ou non. L'important pour l'enfant déficient sensoriel et son devenir c'est
que la mère, dès l'annonce de cette déficience, puisse utiliser les trois sensorialités d'une
façon spontanée ; le plus à craindre, c'est la déliaison de ces sensorialités, alors ce n'est
pas le déficit qui agit comme élément déclenchant, mais le traumatisme qui joue un rôle
déterminant dans le comportement maternel.

Déficiences sensorielles à l'adolescence

Le handicap sensoriel met son empreinte sur l'adolescence, il colore son processus et en
atténue les heurts et les violences. La dépendance souvent inévitable, soit du milieu
familial, soit du milieu médical ou encore du milieu institutionnel de ces jeunes, peut alors
agir comme un frein. Quant à la nature de la déficience, visuelle ou auditive, elle marque
le rapport au handicap dans la perception de l'avenir : souvent l'adolescent sourd
revendiquera un avenir de sourd, alors que le déficient visuel se projettera dans un monde
" normal ". Mais l'adolescent déficient sensoriel n'est pas un être univoque, il s'est
construit une image de lui-même, un type de relation lié entre autre à l'appréhension du
monde dans la petite enfance, la relation aux parents, la vie en collectivité s'il a été
contraint à l'internat, la scolarisation en petits effectifs et aussi aux caractéristiques de sa
déficience (visible ou non, évolutive ou non). Si cette image est celle du handicap, elle
risque d'être déterminante pour l'intégration par l'adolescent de son image définitive
d'adulte sexué. L'ambiguïté du handicap à l'adolescence repose sur des croyances fondées
par les mythes et les fantasmes que recouvrent les sensorialités.

Les manifestations habituelles sont l'isolement, la crainte de l'innommé, de l'innommable,


ainsi que l'expression d'une incertitude quant aux sentiments de l'autre. C'est l'oscillation
entre le monde des normaux et celui des handicapés. Cette conscience d'appartenir à l'un
ou à l'autre sans pouvoir réellement choisir du fait des limitations qu'impose la déficience.
Le placement en institution et les prothèses exposent également dans la réalité la marque
du manque, de la castration.

Le handicap congénital ou précoce est un manque inscrit dans le corps réel et par là dans
la communication, dont l'enfant ne prend conscience que peu à peu du fait des limites
imposées par l'extérieur mais aussi des limites qu'il se voit obligé de vivre. Tout
adolescent atteint d'un déficit sensoriel d'enfance aura construit sa personnalité en
fonction de ce manque. Lors de la puberté, cette altération sensorielle, en tant qu'atteinte
narcissique, nécessite un travail d'élaboration psychique afin de l'intégrer au nouveau
corps sexué. Le travail d'adolescence peut soit se doubler d'un travail d'aménagement
entre corps pubère et corps blessé, soit être une tentative de mise en représentations de
cette atteinte sensorielle. L'adolescent fera alors l'économie de ce travail d'élaboration
supplémentaire entraînant un appauvrissement du moi et surtout des relations objectales,
amenant ainsi une rigidification des mécanismes de défense.

Adolescent sourd

Le rôle du langage est fondamental dans le développement de la personnalité en ce qu'il


participe et complexifie la fonction symbolique. Si ce bain de langage n'a pas été respecté
pour le déficient auditif, s'il a été l'enjeu de choix entre la langue orale et la langue des
signes, nul doute que l'adolescent sourd aura plus de raison d'angoisses que d'autres, des
difficultés de communication doubleront l'anxiété inhérente à tout sentiment de différence.
Sentiment d'insécurité, agressivité instabilité sont les comportements les plus
fréquemment rencontrés. Lorsque l'adolescent aux prises avec les difficultés à abstraire, à
saisir le sens des mots, souffre de l'incompréhension du milieu environnant, il peut
facilement devenir indifférent au monde qui l'entoure. Si l'adolescent se trouve en
institution, il peut souffrir du marquage dans le réel, mais évoluant parmi ses semblables,
il peut non seulement prendre en compte son handicap comme une réalité mais de
véritables mouvements identificatoires sont alors possibles, ce qui sera l'occasion de
manipuler conflits et agressivité afin de médiatiser et négocier les relations entre lui et
l'adulte. L'intégration progressive dans le monde des entendants reste un des enjeux de
cet adolescent sourd.

Adolescent déficient visuel

Le trouble psychologique le plus banal chez cet adolescent est l'attitude phobique, le
monde et les objets extérieurs étant ressentis comme dangereux et interdits. Il existe une
différence entre ceux dont la vision restante est utilisée au maximum et les autres.
L'apprentissage du regard permet à une vision faible d'être utilisée au mieux et ainsi
d'établir des relations avec l'autre. C'est en revanche l'interdiction fréquente du regard,
l'impossible regard, qui amène à des troubles d'adaptation et des attitudes phobiques.
Chez certains, apparaissent des failles narcissiques importantes, des problématiques de
deuil par rapport à la vue engendrant des difficultés identificatories. Le plus souvent il
n'existe chez le handicapé visuel aucune impression de manque, de lacunes à combler, ce
sont les influences réciproques de l'environnement et de la déficience qui permettent à
l'adolescent d'invalider son désir de voir jusqu'à la cécité, ou à un autre de gommer son
désavantage organique jusqu'à en avoir une maîtrise, une pratique défiant tous les
diagnostics médicaux. Lorsque l'atteinte est visible sur le visage (albinisme, nystagmus),
cette réalité perceptible peut avoir une fonction désorganisatrice, certains adolescents ont
alors des comportements hypercontrôlés, des personnalités rigides peu tolérantes aux
affects, du fait des craintes, du doute ; d'autres ont des comportements quasi suicidaires
quant à la vue. L'étiologie, la nature de l'affection oculaire n'ont pas en soi de rôle
déterminant, cependant celle qui touche l'organe peut avoir une grande importance dans
la mesure où elle ordonne le discours parental et ordonnera le discours de l'adolescent,
proposant ses théories médicales oscillant entre les rationalisations et la pensée magique.
Pour certains adolescents, la déficience sensorielle signifie une angoisse de perte d'avoir et
pour d'autres une angoisse de perte d'être. La diversité des manifestations défensives ne
permet pas de déterminer des psychopathologies particulières de déficients sensoriels, ni
de rendre compte d'une évolution psychique ultérieure du fait des différentes
symptomatologies mais aussi du fait du caractère fluctuant et transitoire des mécanismes
de défense lors du processus d'adolescence.

Bibliographie

[1] AULAGNIER P. Naissance d'un corps. Origine d'une histoire. In : Corps et histoire. Les Belles
Lettres. Paris. 1986 ; pp 99-142
[2] FREUD S (1905). Trois essais sur la théorie de la sexualité (trad fr). Gallimard. Paris. 1962
[3] FREUD S. Pour introduire le narcissisme. In : La vie sexuelle (trad fr Berger D, Laplanche J et
coll). PUF. Paris. 1969 ; pp 4, 15, 435-444
[4] GUTTON Ph Psychanalyse dans un service de pédiatrie en 1974. Evolution
psychiatrique 1974 ; 3 : 473-491
[5] GUTTON Ph A propos du travail de la souffrance de l'enfant. Psychanalyse à
l'Université 1979 ; 4 : 435-444
[6] GUTTON Ph, SLAMA L L'enfant au corps malade devient adolescent. Topique 1987 ; 40 : 143-
156
[7] GUTTON Ph, SLAMA L. L'objectalisation contre la projection en pathologie somatique grave à
l'adolescence. Nouvelles du CREAI 1988 ; 5
[8] GUTTON Ph. Le pubertaire. PUF, coll " Fil rouge ". Paris. 1991
[9] LAUFER M The break-down. Adolescence 1983 ; 1 : 13-28
[10] SLAMA L. L'adolescent et sa maladie. CTNERHI - PUF. Paris. 1987
[11] SLAMA L Soumission et détournement de traitement. Adolescence 1990 ; 8 : 347-353

Handicaps sensoriels

HARRISON-COVELLO A, LAIRY GC. Les aveugles, les sourds. In : Harrison-Covello, Herren, Lairy,
Oleron, Robaye-Geelen eds. Les enfants handicapés. PUF. Paris. 1981
HERREN H et coll. Les handicaps sensoriels. In : Lefevre C, Delchet R eds. L'éducation des enfants
et adolescents handicapés. Tome 3 : 1 et 2. ESF. Paris. 1971, 1972
MORON P, COLL J, DELFOUR G. Problèmes posés par les handicaps sensoriels et leurs modes de
rééducation. In : Coll ed. Le jeune handicapé et sa famille. ESF. Paris. 1982
OLERON P. Sourds et hypoacousiques, aveugles et amblyopes. In : Oleron P ed. L'éducation des
enfants physiquement handicapés. PUF. Paris. 1961

Perspectives Psychiatriques. L'enfant sourd 1975 ; 52-III

Perspectives Psychiatriques. L'enfant aveugle. 1978 ; 67-III

© 1994 Elsevier, Paris. Tous droits réservés.

Cet article ne contient pas d'images.


¶ 37-216-H-10

Suicide et tentative de suicide


chez l’adolescent
D. Marcelli, M. Humeau

Problème majeur de santé publique, la tentative de suicide (TS) condense des enjeux caractéristiques de
l’adolescence : importance du passage à l’acte et de l’impulsivité, question de la mort (donc du sens de la
vie) et de la dépression, retournement contre soi de l’agressivité, attaque du corps propre et du cadre
familial... Alors que la fréquence du suicide qui concerne surtout les garçons tend à baisser, celle des TS,
surtout le fait des filles, croît régulièrement : les facteurs qui concourent à cette augmentation sont tout
autant individuels, familiaux que sociaux. Mais associée à ces facteurs de risque, une vulnérabilité
psychique est régulièrement observée ; elle se concrétise au travers d’un raptus suicidaire qui se
caractérise à l’adolescence par son risque de récidive. Cet article propose une synthèse des facteurs de
risque de TS et de récidives plus spécifiques aux adolescents, aborde les diverses mesures de prévention,
les modes de prise en charge après la TS et les multiples stratégies thérapeutiques. Le risque de récidive
domine la question des TS à l’adolescence, c’est pourquoi un protocole d’évaluation rigoureusement
défini est indispensable après toute TS et avant toute proposition thérapeutique.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Adolescence ; Suicide ; Tentative de suicide ; Facteurs de risque

Plan ■ Introduction
¶ Introduction 1 Dans la classification internationale des troubles mentaux et
des troubles du comportement, CIM 10 de l’OMS, ni le suicide
¶ Suicide : quelques données épidémiologiques et cliniques 2
ni la tentative de suicide ne sont répertoriés et on ne retrouve
¶ Tentatives de suicide : épidémiologie générale 3 pas ces items dans l’index ! Au chapitre 20, en annexe, sont
¶ Tentatives de suicide : facteurs de risque 3 énumérées les « causes externes de morbidité et de mortalité,
Facteurs de risque individuels 3 lésions auto-infligées » (avec la précision d’inclure les intoxica-
Facteurs de risque familiaux 4 tions ou lésions traumatiques volontaires, en ajoutant comme si
Facteurs de risque environnementaux 4
cela n’était pas assez clair : tentative de suicide), suivies d’une
longue liste descriptive des divers moyens, produits utilisés... La
¶ Enjeux psychopathologiques 4 classification de l’Association américaine de psychiatrie, le
Vulnérabilité relationnelle 4 DSM IV, ne réserve pas une meilleure place à la tentative de
Vulnérabilité narcissique 4 suicide : aucune catégorie diagnostique principale n’y est
Vulnérabilité de l’adolescence 4 consacrée et on ne retrouve aucune citation de ces termes
Corps coupable 5 (suicide, tentative de suicide, parasuicide) dans l’index.
Raptus suicidaire 5 En même temps les articles scientifiques sur ce sujet abon-
¶ Récidive suicidaire 5 dent dans la littérature ! Cette absence de critères diagnostiques
aussi bien d’inclusion que d’exclusion sur lesquels ces travaux
¶ Traitements 6 reposent, pourrait être acceptable si la tentative de suicide
Accès aux soins et consultations antérieures 6 répondait à une définition univoque, simple et communément
Intervention de crise et/ou urgence 6 partagée. Il n’en est rien. Un groupe de travail international a
Hospitalisation à temps complet et hospitalisation de jour 6 tenté de définir ce qu’il a appelé le « parasuicide » (terme préféré
Mesures à moyen et long termes 6 à « tentative de suicide » pour ne pas prendre en considération
¶ Actions de prévention en matière de suicide 7 la dimension de l’intentionnalité et se limiter à une description
Programmes de prévention mis en place dans les écoles 7 aussi neutre que possible de l’acte lui-même) [1], mais à ce jour
Programmes de prévention mis en place au niveau de la aucune définition n’a pu être publiée faisant l’objet d’un
population générale 7 consensus. Une scarification, une conduite dangereuse avec une
Programmes de prévention destinés aux soignants 8 claire perception de ce danger, aboutissant à un accident
mettant en jeu la vie du sujet, un surdosage manifeste ou une
¶ Conclusion : pour un protocole d’évaluation après une TS 8 intoxication alcoolique majeure mettant aussi la vie en jeu sont
Ne pas banaliser 8 selon les cas ou les pays comptabilisés ou non comme des TS.
Calmer - contenir - protéger 8 Toutes les enquêtes en population générale se basent sur le
Stratégie d’évaluation psychologique individuelle et familiale 8 sentiment subjectif de celui qui déclare avoir effectué une
« TS » ! D’une certaine manière le sujet s’autodéfinit lui-même
et c’est à partir de cette base on ne peut plus approximative que

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 1
37-216-H-10 ¶ Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent

nombres d’études analysent les multiples variables et facteurs de épidémiologiques la tranche d’âge prise en compte connaît
risque en élaborant des méthodologies supposées rigoureuses et d’importantes variations d’une étude à l’autre. Énonçons
scientifiques : le sigle TS semble parfois fonctionner comme un d’emblée quatre caractéristiques reprises dans la suite :
sésame magique qui se suffit à lui-même. • au plan épidémiologique, les TS ont à l’adolescence une
À ce flou identificatoire s’ajoutent des imprécisions descripti- incidence plus élevée qu’aux autres âges de la vie et cette
ves rendant difficiles les comparaisons d’une étude à l’autre. incidence ne semble pas décroître tandis que la mortalité par
Ainsi lorsqu’on parle des « jeunes » ou des « adolescents » ou suicide n’a pas une incidence particulièrement élevée si on la
des « jeunes adultes », les classes d’âge retenues sont rarement compare aux autres âges de la vie en particulier le suicide des
identiques : 12/18 ans ; 15/19 ans ; 15/24 ans, 18/24 ou 25 ans, personnes âgées. De plus, cette mortalité est en léger recul
15/34 ans, etc. Que compare-t-on dans ces conditions ? Ces depuis quelques années, du moins en France (de 966 décès
précisions sont un préambule indispensable en raison du par suicide en 1993 à 604 décès en 1999) ;
nombre exponentiel de publications sur ce thème, même en se • au plan sémiologique et structurel, la grande difficulté
limitant strictement à la question des tentatives de suicide à d’appréhension des TS de l’adolescent provient du fait que
l’adolescence, publications qui dans une large mesure sont deux facteurs principaux se conjuguent en proportion varia-
dominées par les études épidémiologiques aussi bien descripti- ble : une dimension dépressive, une dimension impulsive. Or,
ves qu’analytiques (étude des facteurs de risque). d’une part la sémiologie dépressive est à l’adolescence de
Quoi qu’il en soit, le suicide est en passe de devenir la repérage parfois délicat, d’autre part ces deux lignes, dépres-
première cause de mortalité chez les jeunes Européens, passant sion et impulsivité, entretiennent des rapports complexes ;
devant les accidents de circulation [2], même si les variations • au plan pronostique, la TS de l’adolescent est dominée par la
restent importantes d’un pays à l’autre (en France, la mortalité question de la récidive : celle-ci apparaît d’autant plus
par accident de circulation reste largement devant la mortalité fréquente que le premier passage à l’acte est survenu chez un
par suicide : environ trois fois plus). Le suicide d’un jeune, sujet jeune. De ce point de vue il est important d’avoir à
adolescent ou adulte, reste pour la société un scandale d’autant l’esprit la remarque suivante : un jeune qui fait une TS, c’est
plus inacceptable que ce geste semble remettre en cause les d’abord et avant tout un jeune qui veut vivre... mais autre-
fondements mêmes de cette société et en dénoncer les lacunes. ment. Concernant le pronostic, toute la question sera donc
Acte qui, toujours, désigne comme responsable et coupable d’évaluer les possibilités de changement, que celui-ci
(quoi qu’on puisse en dire, l’amalgame se fait toujours) l’entou- concerne directement l’individu, son cadre familial ou
rage de celui qui le commet et la société dans laquelle il vit, ce environnemental ;
que, depuis E. Durkheim [3], les travaux des sociologues démon- • au plan communautaire enfin, la TS semble de plus en plus
trent régulièrement, le suicide, affaire « médicale », conduit le souvent devenir un langage social entre les mains de l’ado-
clinicien à privilégier les facteurs de causalité individuels et lescent qui revendique par ce geste une place de victime et
proximaux sur lesquels il pense avoir plus de possibilités cherche plus ou moins ouvertement à assujettir la réalité à ses
d’action : il y a ainsi une sorte de consensus pour faire du exigences. Le discours social sur la TS est bien évidemment
suicide et de la TS une affaire « privée », plaçant le médecin face entendu par les adolescents et semble produire un incontes-
à une irréductible ambiguïté. table effet iatrogène, c’est du moins ce que l’observation
Quant aux TS proprement dites, leur proportion par rapport clinique paraît montrer par la multiplication de ces situations
aux suicides est plus élevée à l’adolescence qu’aux autres âges de aux urgences hospitalières.
la vie. Problème majeur de santé publique, elles constituent une S’il est assez aisé d’identifier une TS soit par la déclaration de
des conduites pathologiques les plus caractéristiques de cet âge. son auteur soit par la nature des lésions constatées, il est en
Souvent effectuée dans un contexte d’impulsivité ou de passage revanche plus difficile d’entreprendre sur le moment une
à l’acte (posant alors de façon caricaturale la question de évaluation approfondie de la situation dès que le risque vital est
l’intentionnalité), témoignant d’une agressivité se retournant écarté. Pourtant cette évaluation est indispensable compte tenu
contre le sujet lui-même, ayant des liens importants avec la de la fréquence des récidives, fréquence qui croît proportionnel-
dépression, survenant dans une dynamique familiale perturbée, lement au cumul des facteurs de risque (Cf. infra). La qualité de
brouillant le cadre nosographique habituel, posant de difficiles cette évaluation peut aussi être considérée comme un élément
questions de prise en charge, évoluant volontiers vers une du soin mais les conditions de cette évaluation ne s’inscrivent
récidive, la TS d’un adolescent est à la fois un acte individuel pas dans un consensus.
mais aussi un geste social qui interroge le cadre environnemen-
tal du sujet. Acte binaire en apparence (il est ou il n’est pas), il
suscite souvent des explications en termes de causalité linéaire ■ Suicide : quelques données
alors même que ses déterminants sont multiples et que ce geste
est toujours polysémique. Suscitant chez l’adulte des contre-
épidémiologiques et cliniques
attitudes volontiers négatives (comment un jeune qui a la vie En France, comme dans beaucoup de pays industrialisés, le
devant lui peut-il ainsi la gaspiller ?!), la TS met en cause le sens suicide est la seconde cause de décès derrière les accidents parmi
même de la fonction médicale, ce qui explique peut-être aussi les 15-24 ans. En 1993, 7,9 % de l’ensemble des décès par
que le geste suicidaire ait toujours été, pour la médecine, suicide concernaient des jeunes de 15-24 ans. La mortalité
difficile à comprendre. moyenne par suicide dans cette tranche d’âge est de 7,7 pour
L’idée de la mort fait partie de l’adolescence. Elle est consub- 100 000 (aux États-Unis : 1,5 pour 100 000 chez les 10-14 ans,
stantielle au travail de subjectivation qui conduit l’individu à se 8,2 pour 100 000 chez les 15-19 ans [5], soit une proportion déjà
penser en tant que tel, différent d’autrui et à penser sur ses égale à la moitié de celles enregistrées tous âges de la vie
pensées, c’est-à-dire à penser au sens de ses pensées. Ce travail confondus [15,6 pour 100 000]). Les garçons sont très surrepré-
de réflexion occupe maints adolescents et les contraint, un jour sentés, la mortalité par suicide concernant huit garçons pour
ou l’autre, à s’interroger sur le sens de leur vie [4]. Mais si un deux filles. Les décès par suicide sont généralement la consé-
grand nombre d’adolescents, pour ne pas dire tous, pense à la quence du recours à des moyens à fort potentiel létal : pendai-
mort, à son inéluctabilité et par conséquent à l’intérêt de la vie, sons, armes à feu, chute d’une hauteur. En 1995 par exemple,
tous ne pensent pas à mourir, encore moins à se tuer, encore 80 % des garçons et 60 % des filles décédés ont utilisé l’un de
moins à le faire de telle ou telle manière. Les facteurs qui ces moyens [6]. La surmortalité chez les garçons s’expliquerait en
conduisent certains d’entre eux à ce dernier palier sont nom- grande partie par l’association plus fréquente chez ces derniers
breux et ils appartiennent à des logiques différentes, individuel- de conduites violentes et de consommation de substances
les actuelles ou passées, familiales, environnementales, toxiques. On constate toutefois une diminution du nombre de
culturelles et sociales... suicidés dans la tranche d’âges des 15-19 ans aussi bien en
Volontairement nous nous limiterons aux aspects les plus France qu’aux États-Unis depuis la fin des années 1980 [5].
spécifiques des TS à cet âge, c’est-à-dire entre 12/13 ans et Dans une étude par « autopsies psychologiques » portant sur
19/20 ans sachant toutefois que dans la plupart des études 53 suicides d’adolescents âgés de 13 à 19 ans, Marttunen et

2 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent ¶ 37-216-H-10

al. [7] retrouvent un trouble mental dans 94 % des cas dont


51 % de dépression, 26 % d’alcoolisme et 21 % de troubles de
■ Tentatives de suicide :
l’adaptation. Un suicidé sur trois présentait une pathologie de facteurs de risque
la personnalité. Ce type d’étude montre bien la gravité du
contexte psychopathologique qui accompagne généralement le Facteurs de risque individuels
suicide, tout particulièrement la fréquence de l’état dépressif.
Ceci contraste avec le fait qu’une proportion importante de ces Antécédent de tentative de suicide
jeunes semble n’avoir bénéficié d’aucune prise en charge
psychologique avant leur suicide [8]. De même Apter [9] compare Parmi les adolescents ayant effectué une tentative de suicide,
rétrospectivement les données d’une évaluation médicopsycho- on en retrouve en moyenne 25 % pour qui il s’agit d’une
logique réalisée environ 18 mois auparavant chez des sujets récidive. Ainsi, le facteur de risque le plus puissant est repré-
jeunes adultes qui, ultérieurement, se sont suicidés ou ont senté par l’existence d’une TS antérieure. Dans ce cas le risque
effectué un quasi-suicide (geste particulièrement grave dont la est multiplié par 30. Inversement, parmi les jeunes qui ont
probabilité létale est élevée) à des sujets ayant effectué une TS effectué une TS le taux de récidive concerne de un quart à un
« habituelle ». Les premiers se distinguent en particulier des tiers des sujets. En outre, ce taux de récidive est lié à l’âge : plus
seconds par des compétences physiques, cognitives et psycho- le suicidant est jeune plus le risque de récidive est élevé [19].
logiques plus élevées, une meilleure adaptation sociale appa- Cette dimension de récidive est donc très spécifique aux
rente (au moment du bilan médicopsychologique), mais adolescents.
également « une plus grande prévalence de troubles psychiatri-
ques graves, spécialement la dépression majeure au moment de Pathologie psychiatrique
leur geste suicidaire ». L’auteur conclut à une grande hétérogé- Un trouble dépressif est retrouvé chez 49 à 64 % des suici-
néité psychopathologique sous-jacente au comportement dants. La présence d’un tel trouble multiplie d’un facteur de 11
suicidaire, hétérogénéité étroitement articulée avec le contexte à 27 le risque de TS par rapport à la population générale [5].
psychosocial et la capacité de communication de l’individu. Ces L’abus de substances toxiques est un facteur de risque en
résultats semblent montrer aussi que la population des « suici- particulier chez les garçons et les adolescents les plus âgés. Les
dés » ne recoupe pas exactement celle des « suicidants ». troubles des conduites sont retrouvés chez un tiers des adoles-
cents suicidants. En revanche, les troubles bipolaires et la
■ Tentatives de suicide : schizophrénie n’apparaissent pas, à l’adolescence, comme des
facteurs probants.
épidémiologie générale
Distorsions cognitives et traits de personnalité
En population générale, la fréquence des tentatives de suicide
est estimée à 6,5 % (filles : 8 % ; garçons : 5 % ; enquête de Tous les auteurs relèvent l’importance du sentiment de
Choquet et Ledoux [10] réalisée auprès d’adolescents scolarisés) désespoir [20, 21], mais le lien évident avec la dépression rend
et 1,3 % des adolescents ont été hospitalisés pour cette raison. difficile l’appréciation du poids spécifique de ce facteur. Les
Ces taux sont très voisins de ceux relevés dans d’autres pays : jeunes suicidants sont souvent confrontés à des difficultés
3,3 à 8,3 % [11-13]. Aux États-Unis, l’enquête YRBS (Youth Risk relationnelles et semblent faire preuve d’une faible compétence
Behavior Survey) [14] rapporte un taux de 8,8 % de jeunes ayant pour résoudre les problèmes interpersonnels [5], ce qui témoigne
effectué une TS et parmi ceux-ci 2,6 % ont effectué un geste d’une incontestable vulnérabilité relationnelle. Les comporte-
médicalement sérieux. Contrairement aux suicides accomplis, la ments agressifs et impulsifs représentent un facteur de risque sur
fréquence des TS est en augmentation depuis plusieurs décen- lequel nous reviendrons.
nies en France comme aux États-Unis [15].
Âge : rare avant 10 ans le geste suicidaire commence à Orientation sexuelle
apparaître vers 12 ans, l’incidence augmentant pour atteindre L’homosexualité ou la bisexualité multiplierait par un facteur
un pic entre 16 et 18 ans puis décroît ensuite surtout chez les de 2 à 6 le risque de TS [22-24]. Cependant, pour certains auteurs
jeunes femmes [16]. ce facteur de risque est réduit si on prend en compte les autres
Sexe : l’écart entre la morbidité des tentatives de suicide et la facteurs de risque, en particulier la dépression (si les adolescents
mortalité par suicide en fonction du sexe est une donnée homo- ou bisexuels font plus de TS c’est parce qu’ils sont plus
épidémiologique bien connue retrouvée dans la majorité des pays souvent déprimés quelle que soit l’origine de cette dépression),
occidentaux. En moyenne, on note entre 15-24 ans une morbi- tandis que pour d’autres [25] ce facteur persiste même après
dité suicidaire de 500/100 000 chez les filles et de 200/100 000 correction des autres facteurs de risque associés.
chez les garçons alors que la mortalité est environ cinq fois plus
élevée chez les garçons. Les filles ont plus d’idéations suicidaires
graves (23,6 %), préparent plus souvent un plan spécifique et
Facteurs biologiques
commettent plus de tentatives que les garçons [14]. L’hypothèse d’un dysfonctionnement du système sérotoni-
Plusieurs auteurs ont constaté un profil différent chez les nergique fait l’objet de nombreuses études dans la population
adolescents suicidaires en fonction du sexe [17, 18]. Dans des suicidants et des suicidés adultes. Si cette hypothèse est
l’ensemble les garçons suicidaires présentent une surmorbidité largement reprise pour la population adolescente [5], pour autant
psychologique (nervosité, dépressivité, crises de larmes, problè- dans la revue de la littérature faite par ces auteurs aucune
mes de sommeil) et fonctionnelle (spasmophilie, malaise), une publication ne concerne spécifiquement les adolescents. De plus
augmentation de consommations de produits psychotropes, Bennett et al. [26] dans l’« Utah Youth Suicide Study » ne
d’alcool (ivresse) et de produits illicites. Ces traits les différen- retrouvent pas d’association probante chez les adolescents
cient nettement des garçons non suicidaires. Les garçons examinés. Pourtant selon l’hypothèse de Mann et al. [27], cette
suicidaires se rapprochent de la population féminine générale dysrégulation de la sérotonine serait un facteur biologique de
sur certains traits (signes d’allure dépressive, troubles fonction- prédiction d’une réponse impulsive à un stress et prédisposerait
nels). En outre, ils ont plus souvent que les filles suicidantes des en cela au suicide ou au geste suicidaire. Compte tenu de la
problèmes scolaires : redoublement, situation d’échec scolaire. fréquente composante impulsive observée chez les adolescents
Selon Gasquet et Choquet : « Ces résultats suggèrent donc que suicidaires il serait certainement pertinent d’approfondir cette
la plus grande gravité des tentatives de suicide des garçons n’est hypothèse par des recherches ciblées. Askenazy et al. [28] ont
pas seulement liée à la différence des moyens utilisés pour se d’ailleurs montré que les adolescents qui présentaient des
suicider, mais est due également à des différences psychopatho- conduites suicidaires récurrentes avaient majoritairement des
logiques... ». Les conduites associées à la tentative de suicide traits impulsifs et anxieux. Les adolescents qui ont effectué une
chez le garçon témoignent d’un « profil dépressif » plus marqué seule tentative de suicide sans gravité particulière n’avaient ni
que chez les filles suicidaires. trait impulsif, ni trait anxieux.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 3
37-216-H-10 ¶ Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent

Facteurs de risque familiaux disparaître, chez les plus de 24 ans. Des « épidémies de suicides
ou de TS » sont régulièrement rapportées chez les adolescents
Antécédents familiaux de suicide ou de TS vivant en collectivité (ce qui est le cas de la grande majorité des
jeunes ne serait-ce qu’au travers de la fréquentation d’un
Le risque de suicide de l’adolescent est multiplié par 5 en cas
établissement scolaire). Le risque de passage à l’acte suicidaire
de décès de la mère et par 2 en cas de décès du père [29] .
est d’autant plus grand que l’adolescent avait des liens de
McGuffin et al. [30] dans une méta-analyse qui prend en compte
proximité affective avec la précédente victime. Certains auteurs
les éventuelles pathologies parentales associées considèrent que
ont également évoqué l’impact des médias [5].
le suicide parental multiplie par un facteur 2 le risque de suicide
chez l’adolescent.

Psychopathologie parentale ■ Enjeux psychopathologiques


Des taux élevés de psychopathologie parentale sont retrouvés Pas plus que chez l’adulte il n’y a chez l’adolescent suicidaire
en cas de suicide, d’idées suicidaires et de tentative de suicide de profil de personnalité rigoureusement défini ni de pathologie
chez l’adolescent [31, 32] . Dépression et abus de substances psychiatrique régulièrement retrouvée en dehors des deux
toxiques sont principalement retrouvés. Cette augmentation du dimensions dépressive et impulsive (Cf. supra) ; on note
risque persisterait chez l’adolescent même après ajustement de cependant des constantes que de nombreux auteurs ont signa-
la variable troubles psychopathologiques de l’adolescent [33], ce lées [40, 42, 43].
que ne retrouvent pas Gould et al. en 1996 [32].

Divorce parental Vulnérabilité relationnelle


La corrélation avec le divorce et la séparation parentale, Le moment suicidaire survient souvent dans un contexte
souvent retrouvée et soulignée, est grandement atténuée si on anxieux et semble parfois correspondre à une véritable effrac-
prend en compte d’une part la psychopathologie parentale tion traumatique qui s’accompagne d’une sidération ou d’une
associée, d’autre part les facteurs de risque psychosociaux [34, 35]. déstructuration temporaire de la conscience [43]. Cet envahisse-
ment anxieux traduit la vulnérabilité psychique d’un sujet qui,
Relation parents/adolescent pour préserver la précarité de son sentiment d’identité a
Une relation conflictuelle, tendue, entre l’adolescent et ses constamment besoin de s’appuyer sur des objets externes de
parents apparaît comme un facteur de risque qui cependant réassurance. Il en résulte une incapacité à supporter les pertes
s’associe souvent aux troubles psychopathologiques de l’adoles- ou les séparations avec une dépendance excessive aussi bien à
cent ou des parents. Après ajustement des variables, la pauvreté l’égard des proches que des objets matériels investis. Quand,
des relations adolescent/parents et le sentiment d’insatisfaction pour une raison ou une autre, ces objets (personne ou chose) se
exprimé conserve une valeur péjorative [10]. dérobent ou menacent de le faire, cela confronte soudainement
le sujet à sa propre fragilité et active douloureusement un
intolérable sentiment de dépendance : le raptus suicidaire, dans
Facteurs de risque environnementaux le contexte anxieux, a pour finalité de tenter de mettre un
terme à cette inacceptable perception.
Événements de vie stressants
Échecs relationnels, en particulier rupture sentimentale,
problème avec la justice, conflits avec les proches, surtout les
Vulnérabilité narcissique
pairs pour les adolescents les plus âgés, tous ces événements Sous-jacent à cette vulnérabilité relationnelle, la vulnérabilité
sont associés à un risque plus grand de suicide ou de TS. identitaire traduit la fragilité des assises narcissiques. De
nombreux auteurs ont insisté sur cette fragilité [42, 44-46] dont on
Violence physique, maltraitance, abus sexuel retrouve la trace au travers des défaillances du cadre de la petite
Il existe une corrélation positive entre maltraitance dans enfance (soit dans le registre du défaut avec des antécédents de
l’enfance et conduite suicidaire. Les comportements familiaux multiples ruptures et séparations, soit dans le registre de l’excès
violents, que l’adolescent en soit la victime directe ou qu’il y avec des relations précoces de type symbiotique), défaillances
soit exposé (assister à des scènes de violence entre les parents, qui entravent la constitution de limites assurées au soi et le
voir un frère ou une sœur être maltraité) sont corrélés avec le rendent constamment tributaire des objets d’étayage. Ces objets
geste suicidaire [34, 36]. Les antécédents d’abus sexuel ont fait deviennent alors à la fois indispensables et menaçants du fait
l’objet de nombreuses études. Deux d’entre elles ont cherché à même de ce caractère indispensable. Tant que le sujet reste du
contrôler les facteurs très fréquemment associés [37, 38]. Après côté de l’enfance, cette dépendance est tolérable parce qu’elle
correction, il persiste une augmentation de la suicidalité chez les s’inscrit dans le destin normal de l’enfant d’une part et que,
jeunes qui ont des antécédents d’abus sexuels. Certains auteurs d’autre part, elle n’entre pas en résonance avec un besoin
insistent sur le « climat incestuel familial » [39, 40] plus que l’abus physiologique nouveau, celui de la génitalité, nécessairement
sexuel proprement dit. marqué du sceau de la dépendance.

Facteurs socio-économiques Vulnérabilité de l’adolescence


Un faible niveau socio-économique pourrait représenter un
En effet, le processus pubertaire sollicite hautement le
facteur de risque [41] mais les résultats dépendraient de la prise
fonctionnement psychique et l’ensemble des mécanismes de
en compte des facteurs associés et pour de nombreux auteurs le
défense et d’adaptation : l’adolescence réveille les conflits
statut socio-économique ne semble pas être corrélé avec le
psychiques de l’enfance et actualise de nouveaux conflits. De ce
comportement suicidaire.
fait le fonctionnement mental doit faire preuve d’une efficience
Scolarité satisfaisante. De nombreux auteurs signalent une relative
pauvreté des processus de sublimation, une défaillance de la
Des difficultés scolaires, un échec scolaire et plus encore une capacité à contenir l’excitation interne en lui donnant une
rupture avec la scolarité sont d’incontestables facteurs de risque, figurabilité préalable à un travail de désinvestissement, déplace-
mais là encore habituellement associés aux autres facteurs ment puis réinvestissement qui caractérise la chaîne des
précédemment cités. représentations mentales. Cette activité psychique de
symbolisation/représentation, donc de liaison, constitue pour le
Exposition au suicide ou à la TS sujet une protection contre la menace de débordement trauma-
Ce facteur semble assez spécifique aux adolescents et jeunes tique par l’excitation pulsionnelle. En effet, la pulsion génitale
adultes, l’impact de la « contagiosité » semblant s’atténuer, voire contraint l’individu à chercher l’objet complémentaire de

4 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent ¶ 37-216-H-10

satisfaction car désormais il ne peut plus se satisfaire totalement Marttunen et al. [53] dans leurs études sur 53 cas de suicides
d’un autoérotisme d’organe. La pulsion génitale contraint donc (49 garçons, 9 filles) constatent que 66 % des filles et 27 % des
à un travail de renoncement, déplacement, réinvestissement garçons qui se sont suicidés avaient des antécédents de TS.
représentationnel qui caractérise un fonctionnement psychique Les travaux épidémiologiques ont bien entendu tenté de
souple et libidinalement investi. Quand ce fonctionnement dégager des facteurs de risque qui désigneraient plus particuliè-
psychique est défaillant ou n’est pas investi, l’excitation rement une possibilité de récidive. Dans une étude prospective
pulsionnelle devient une menace. L’échec scolaire est souvent la déjà ancienne, Otto [54] avait montré que parmi la population
trace repérable soit de ce déficit intellectuel, soit de ce non- d’adolescents suicidants, certains sous-groupes comportent un
investissement : comme on a pu le voir, l’échec scolaire fait risque élevé de récidives, en particulier les cas où un diagnostic
partie des facteurs de risque repérés dans les études psychiatrique a été porté, les cas de suicide par une méthode
épidémiologiques. active chez les filles et les tentatives de suicide chez les garçons.
Plus récemment, diverses enquêtes concluent à l’absence de
Corps coupable facteurs significatifs permettant de prédire ce risque de réci-
dive [15, 47, 51, 55] , ou ne rapportent que des éléments peu
Parce que l’excitation provient de l’intérieur même du corps
probants (Lewinsohn et al. [56] : une dépression majeure serait
sans que la psyché ait eu son mot à dire, ce corps est ressenti
modérément prédictive ; Wichstrom [13] : la persistance d’idées
comme un « objet » extérieur source de persécution, la puberté
suicidaires après la première tentative). D’autres études, certes
représentant une menace relative sur le sentiment de continuité
non contrôlées, isolent certains facteurs qui paraissent plus
d’existence. Au moment où l’adolescent tente de s’approprier
spécifiques à la récidive. Citons :
son corps avec la croyance utopique d’une totale maîtrise, la
• l’existence d’un diagnostic psychiatrique de psychose ou de
réalité des besoins physiologiques d’une part, le besoin encore
personnalité pathologique chez l’adolescent, en particulier
persistant, surtout en début d’adolescence, d’une relation de
état limite [42, 57] ;
dépendance aux proches, d’autre part, donnent à l’adolescent le
sentiment d’être trahi par ce corps. Ce dernier peut alors • des antécédents familiaux pathologiques, en particulier
devenir le représentant de tout ce qui va mal aussi bien dans ce d’alcoolisme [58] ;
que le sujet ne peut obtenir (les besoins liés au corps sexué en • des antécédents d’abus sexuels dont la seule fréquence semble
particulier), que dans ce à quoi le sujet ne peut renoncer (les corrélée à la répétition du suicide [59] ;
besoins infantiles de protection et de dépendance désormais • une pathologie relationnelle familiale. L’adolescent l’exprime,
disqualifiés). Laufer et Laufer [44] ont été les premiers à proposer soit par le fait que ses parents n’ont pas d’affection pour lui,
de comprendre la TS à l’adolescence comme l’expression d’une soit par le fait que, selon lui, ils font preuve d’une autorité
violence et d’une haine dirigées contre ce corps sexué. Ce excessive ou insuffisante.
conflit psychique peut alors prendre une intensité intolérable. Le cumul de ces facteurs aboutirait à des différences statisti-
ques très significatives.
Raptus suicidaire Enfin à notre connaissance, il n’existe pas d’étude comparant
d’une part le mode de prise en charge et la (ou les) récidive(s)
L’acte suicidaire correspond donc à une montée de tension et ou d’autre part le mode de répétition des tentatives (répétition
d’excitation que le sujet ne peut ni résoudre ni élaborer par la dont les modes en termes de létalité sont plus graves ou restent
poursuite de ses investissements de représentation psychique, identiques, voire parfois se font moins graves). L’impression du
l’émergence fantasmatique ayant un effet traumatique quand la clinicien est que la récidive dépend aussi en grande partie des
perte d’estime de soi, la dévalorisation et le sentiment de réaménagements individuels et familiaux qui pourront se mettre
désespoir deviennent envahissants. À cette dimension dépressive en place après la première TS, c’est-à-dire la possibilité de
vient s’ajouter une dimension impulsive marquée par une changement individuel ou familial. Cela dépend de la capacité
intolérance à la frustration, laquelle se retrouve chez beaucoup du jeune lui-même à accepter les soins et de sa famille à
de suicidants ; elle est décrite comme une « faiblesse du Moi » reconnaître dès le premier geste suicidaire la gravité possible de
qui ne peut faire face et, à cause d’une défaillance de ses la situation et la nécessité d’une relation de soin.
mécanismes adaptatifs ou défensifs, ne peut mettre en place une Les multirécidivistes représentent une sous-catégorie, qui pour
stratégie souple de déplacement, de régression, de sublimation, ne pas être très nombreuse constitue cependant un problème
assurant ainsi la continuité du fonctionnement psychique. À la clinique particulièrement difficile [19]. Il s’agit de sujets, plus
rupture externe, coïncide un état de rupture interne. Ce dernier souvent des filles que des garçons, ayant effectué quatre ou cinq
traduit la vulnérabilité psychique souvent observée chez les TS, voire plus encore, souvent sur un mode identique (phlébo-
suicidants. Cette vulnérabilité se manifeste par la dimension tomie à répétition, absorptions médicamenteuses itératives),
d’impulsivité souvent (mais pas toujours) présente chez les présentant en général des troubles graves de personnalité
adolescents suicidaires ; elle se repère par la fréquente « comor- (impulsivité majeure, dépression grave de type narcissique ou
bidité » associée (Cf. supra). abandonnique, personnalité limite, débilité mentale...). Ces
patients « utilisent » la TS soit comme une modalité relation-
■ Récidive suicidaire nelle pour faire pression sur leur entourage et obtenir ce qu’ils
désirent en menaçant de récidiver, soit comme mode de
Question centrale des TS à l’adolescence, le taux exact de résolution de toute tension ou conflit psychique, manière de
récidives à partir d’une population de primosuicidants varie passer à l’acte qui soulage dans l’immédiat cette tension ou met
bien évidemment en fonction de la durée du suivi : entre 18 et à distance le conflit mais qui entrave évidemment la possibilité
20 % dans la première année suivant la TS dans l’enquête d’une élaboration mentale. Pour ce type de patients, les
européenne [47] et 37 % sur la vie entière dans l’enquête tentatives à répétition prennent véritablement le sens d’une
rétrospective du Haut Comité de la Santé Publique [48]. Dans la conduite d’autosabotage [60, 61], s’apparentant aux conduites
population des suicidants, l’existence d’une tentative antérieure addictives [62] faisant écran à la fois à une possible élaboration
est encore plus fréquente surtout chez les filles : entre 48 % [49] conflictuelle et à la prise en charge thérapeutique elle-même. Le
et 81 % [50]. Ainsi, dans l’enquête de Moutia et al. [51] 45 % des suicide reste un risque constant chez ce type de patient,
adolescents suicidants avaient déjà effectué une précédente TS. d’autant que les répétitions de TS finissent par entraîner chez les
La fréquence des récidives est proportionnelle au nombre de soignants, comme dans la famille, lassitude et indifférence
tentatives antérieures : 24 % des adolescents ayant déjà fait une relative face à ce comportement.
ou plusieurs tentatives de suicides récidivent dans l’année [52]. Au total, il apparaît bien peu d’indicateurs externes (compor-
Pour Wichstrom [13] l’existence d’une tentative de suicide tementaux, environnementaux, familiaux, etc.) précis pouvant
antérieure multiplie par 3,5 le risque de faire à nouveau une TS faire craindre la survenue d’une récidive chez un adolescent
dans les 2 années qui suivent. Par ailleurs les « autopsies ayant déjà commis ce geste. Pourtant, étant donné la fréquence
psychologiques » effectuées à partir des cas de suicide démon- de ces récidives, il serait souhaitable de pouvoir isoler des
trent que les antécédents de TS sont particulièrement fréquents. facteurs faisant craindre l’imminence d’une telle récidive. Le cas

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 5
37-216-H-10 ¶ Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent

est particulièrement aigu pour les adolescents suicidants suivis l’adolescent une régression en elle-même thérapeutique [70].
en consultation ambulatoire intermittente (souvent le seul suivi D’autres auteurs estiment qu’une intervention de crise bien
accepté par ces derniers) ou en psychothérapie. Les thérapeutes ordonnée et incluse dans un réseau de qualité suffit le plus
savent qu’ils doivent toujours se situer entre deux attitudes souvent [71] . D’autres enfin arguent que la fréquence des
contradictoires. D’un côté, la crainte excessive chez le théra- répétitions n’est en rien modifiée par l’existence ou non d’une
peute d’une récidive peut le pousser à adopter des attitudes trop hospitalisation : dans leur revue de la littérature, Gould et al. [5]
interventionnistes (renforcement de la fréquence des entretiens soulignent qu’aucune étude à ce jour n’a pu apporter la preuve
individuels ou familiaux, proposition d’hospitalisation, propo- d’une diminution significative des récidives en fonction de
sition d’éloignement du milieu familial...) : cela peut donner à l’existence d’une hospitalisation. La divergence de ces avis peut
l’adolescent des moyens de pression susceptibles d’empêcher sans doute s’expliquer par les différences des populations
tout progrès dans le traitement (facteurs de résistance). D’un traitées en termes de psychopathologie sous-jacente, ainsi que
autre côté, l’absence de prise en considération du risque de par les expériences différentes en termes de cadres de soins.
récidive et l’absence de toute proposition d’aménagements Dans l’ensemble toutefois, l’hospitalisation répond aux
thérapeutiques peut être ressentie par l’adolescent comme une mesures d’urgence rendues nécessaires par l’état somatique de
indifférence du thérapeute à ses problèmes, voire comme une l’adolescent. Ces mesures sont les mêmes que pour les autres
attitude paradoxalement incitative et favoriser par conséquent le suicidants en général et dépendent essentiellement de la
passage à l’acte (pour bien lui faire comprendre sa souffrance ou méthode (le plus souvent du ou des médicaments) employée.
son sentiment d’impasse). Une telle contradiction, pour être Par ailleurs, la durée de ce temps d’hospitalisation à visée de
sinon levée, du moins partiellement éclaircie, suppose que le sauvegarde somatique s’étend rarement au-delà de 24-48 heures.
consultant ou le thérapeute et l’adolescent puissent discuter Mais on tend de plus en plus actuellement à préconiser un
ouvertement du risque de répétition de passage à l’acte et que séjour un peu plus long, de préférence dans un service à la fois
les conséquences de cette éventualité aient été clairement disponible et adapté : c’est le cas pour beaucoup de services de
envisagées dans les entretiens. pédiatrie, où plus de 40 % des adolescents suicidants hospitali-
sés sont admis [17]. Un séjour d’une semaine environ, lorsqu’il
est pleinement agréé et se déroule dans un lieu adapté, permet
■ Traitements de facto un bilan de santé plus approfondi, tant au plan
psychique que somatique et médico-social. Il devrait par ailleurs
garantir un début de contact psychothérapeutique individuel
Accès aux soins et consultations antérieures dans de bonnes conditions, ainsi que des rencontres avec les
La consultation auprès d’un médecin généraliste ou d’un parents (avec ou sans leur adolescent, en fonction des moments
professionnel de santé avant le geste suicidaire n’est pas et des indications) qui permettent d’évaluer la dynamique
exceptionnelle : entre 7 et 15 % des suicidés avaient consulté un familiale et de sensibiliser les parents à la nécessité d’un
tel professionnel dans le mois précédant le passage à l’acte et suivi [72]. L’hospitalisation prolongée en milieu psychiatrique
entre 20 et 25 % dans l’année précédant le geste [63-65] retrou- spécialisé n’est préconisée que dans des cas particuliers. Une
vent même un taux de consultation auprès d’un professionnel hospitalisation de ce type peut être indiquée quand l’acte
de santé compris entre 59 et 78 % dans leur étude sur les suicidaire est à l’évidence l’expression symptomatique d’une
adolescents suicidants admis en unité de soins. Ce point très perturbation grave (dépression grave d’allure mélancolique,
important pose toute la question de la stratégie de dépistage et épisode de délire aigu, suspicion de schizophrénie) ou quand
d’évaluation (Cf. infra). Ainsi, à titre d’indication, alors même l’environnement habituel paraît particulièrement pathologique,
que la consultation avait pour motif un mal-être psychologique, pathogène ou déstructuré.
moins d’un médecin généraliste sur deux questionnait l’adoles-
cent sur l’existence d’idées suicidaires actuelles ou antérieures, Mesures à moyen et long termes
ce pourcentage étant sensiblement amélioré après une forma-
tion spécifique [66]. Autant les mesures immédiates sont généralement aisément
acceptées par l’adolescent comme par sa famille, autant il est
difficile d’assurer de façon durable un cadre thérapeutique
Intervention de crise et/ou urgence adapté. Il arrive parfois que seule la survenue d’une répétition
Cela concerne les services d’urgence et d’accueil de crise ou puisse finalement relancer l’établissement d’un projet thérapeu-
d’orientation. Il existe des recommandations issues non seule- tique crédible au long cours.
ment des conférences de consensus d’experts mais également
basées sur le sens commun [67] ! Ces recommandations définis-
Suivi psychiatrique ambulatoire
sent un certain nombre de mesures à valider avant la sortie du Toutes les études montrent que le taux d’observance est assez
suicidant du service des urgences. Par exemple : sécuriser faible : 59 % des suicidants sont perdus de vue en moyenne [73].
l’habitat en écartant les armes à feu du domicile ou les médica- L’observance semble meilleure pour les prescriptions médica-
tions potentiellement létales. Certains préconisent de mettre en menteuses (66 %) que pour une thérapie individuelle (51 %) ou
place avec le patient un contrat « no-suicide » qui serait le fruit une thérapie familiale (33 %). Une mauvaise observance serait
d’une négociation avec l’adolescent [68]. Cependant, aucune corrélée à l’existence de troubles psychiques chez les parents et
étude n’a jusque là évalué la pertinence de ces contrats passés d’un dysfonctionnement familial [74].
avec l’adolescent. En revanche, Rotheram-Borus et al. [69] ont
montré l’intérêt d’une salle spécialisée au sein des urgences pour Psychothérapie
accueillir les suicidants, ce qui améliore l’alliance avec Hawton et al. [75] ont analysé près de 23 études randomisées
l’adolescent. sur ce sujet mais seules deux d’entre elles portaient exclusive-
ment sur des adolescents suicidants. Les auteurs concluent à
Hospitalisation à temps complet l’absence de résultat significatif des psychothérapies mais les
et hospitalisation de jour critères d’évaluation restent imprécis. Chez l’adulte, la seule
psychothérapie ayant « fait la preuve » d’une efficacité est la
Habituellement, il s’agit d’une admission au niveau du service thérapie cognitivocomportementale (TCC) de 12 mois chez des
des urgences de l’hôpital. Au-delà de la nécessité des soins sujets borderline [76]. Quelques études portent exclusivement sur
médicaux et de la surveillance indispensables, l’intérêt d’une les adolescents et comparent des stratégies thérapeutiques.
hospitalisation de quelques jours est diversement apprécié par Wood et al. [77] comparent deux populations d’adolescents
les auteurs : en France, de plus en plus de pédiatres et de randomisées, ayant tous effectués une TS. Les uns ont une prise
psychiatres l’estiment utile pour séparer l’adolescent de son en charge habituelle (consultation et soutien) les autres bénéfi-
cadre habituel de vie, pour mieux évaluer l’ensemble des cient d’une participation à un groupe thérapeutique. S’il n’y a
paramètres ayant abouti au geste suicidaire et permettre à aucune différence entre les deux populations pour l’évolution

6 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent ¶ 37-216-H-10

de la dépression et des idées suicidaires, en revanche les délétère. Cependant, le niveau de preuve semble insuffisant par
adolescents qui ont participé au groupe font moins de récidives rapport à l’éventuel bénéfice apporté par ce genre
suicidaires (6 % contre 32 % pour les autres) et dans un délai d’intervention [86].
plus long. Donaldson et al. [78] comparent à 3 et 6 mois deux
groupes d’adolescents ayant été hospitalisés en pédiatrie après Programme de dépistage
une TS : un groupe reçoit une thérapie de type cognitivocom-
portemental et l’autre une thérapie dite de soutien : pour les Le dépistage est centré sur la dépression, les abus de substan-
deux groupes l’observance est meilleure (60 %) qu’en l’absence ces toxiques, les idées suicidaires récentes et fréquentes, et sur
de protocole rigoureusement défini mais il n’y a aucune les antécédents de TS. Il se fait à l’aide d’un questionnaire
différence significative entre les deux groupes au terme de individuel ou par un entretien individuel. Les études
l’étude. publiées [87, 88] ont montré que ces dépistages avaient une
sensibilité comprise entre 83 et 100 % ; mais la spécificité se
Traitement médicamenteux situe entre 51 et 76 % seulement. S’il n’y avait que peu de faux
négatifs il y avait un nombre important de faux positifs. Pour
Il n’existe pas d’étude spécifique chez l’adolescent suicidaire, les sujets « positifs » à ce questionnaire, une seconde évaluation
cependant Gould et al. [5] soulignent l’intérêt de la prescription doit donc être réalisée, cette fois-ci systématiquement par un
d’inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) chez l’ado- clinicien qui se sert d’échelles d’évaluations centrées sur les
lescent ayant des idéations suicidaires ou après une TS. Mais les conduites suicidaires et sur les diagnostics psychiatriques. Ceci
récentes recommandations de l’AFSSAPS (le 10 décembre 2004) pose la question des moyens humains disponibles après avoir
doivent inciter à une grande prudence [79]. La présence d’une repéré les éventuels sujets à risque. En outre, toutes ces straté-
dimension impulsive chez l’adolescent suicidaire impose une gies de dépistage sont opérateur-dépendants.
extrême réserve pour ce type de prescription.

Aménagements de vie Actions de « post-vention »


Au long cours, en particulier lorsque prédominent les distor- Ces interventions apparaissent comme essentielles dans le
sions dans les relations familiales, une solution d’internat peut contexte de crise que suscite une TS et a fortiori un suicide au
être préconisée, internat spécialisé si l’adolescent présente des sein d’une collectivité. Elles ont pour objectifs d’identifier puis
manifestations de souffrance psychique. de prendre en charge des individus à risque après un suicide.
Hazell et Lewin [89] ont étudié l’efficacité d’un groupe de parole
de 90 minutes effectué auprès de 20 à 30 étudiants une semaine
■ Actions de prévention en matière après un suicide : aucune différence significative n’a été
constatée entre ceux ayant bénéficié du groupe et les autres.
de suicide [5] Inversement, Poijula et al. [90] notent l’absence de survenue
d’un suicide pendant les 4 années suivantes dans les écoles qui
avaient bénéficié de ce type d’intervention tandis que le
Programmes de prévention mis en place nombre de suicides avait augmenté significativement dans les
dans les écoles écoles n’ayant pas bénéficié de cette intervention de crise. Tous
les auteurs soulignent qu’il est impératif que l’intervention lors
Campagnes d’information sur le suicide d’une crise soit bien planifiée et évaluée.

Il s’agit d’augmenter la prise de conscience du phénomène


suicidaire pour faciliter les appels à l’aide et pour préparer les
adolescents à identifier les pairs en difficulté ou à risque. De Programmes de prévention mis en place
nombreuses études ont été réalisées dans ce domaine et au niveau de la population générale
quelques-unes ont montré l’intérêt d’une meilleure connais-
sance du sujet, des attitudes et du comportement à adopter Centres de crises et ligne téléphonique SOS
pour une aide efficace. Cependant, d’autres études n’ont montré (centre d’écoute téléphonique)
aucun bénéfice apporté par ces programmes d’information,
certaines [80, 81] rapportant même qu’ils peuvent avoir des effets Peu d’études ont été réalisées chez les adolescents. Entre 1 et
délétères. À ce jour, le niveau de preuve pour ces programmes 6 % des adolescents utiliseraient la ligne SOS [91, 92] et seule-
est insuffisant. ment 4 % de ces appels téléphoniques concerneraient le suicide.
Cependant, 14 à 18 % des adolescents suicidaires ont appelé un
Entraînement aux compétences centre d’écoute téléphonique [65].

Contrairement aux actions précédentes, l’objectif n’est pas ici


Restriction de l’accès aux armes à feu
d’informer mais d’améliorer les stratégies de « coping », ainsi que
les compétences cognitives et la capacité à résoudre un pro- et des autres moyens létaux
blème. Plusieurs études [82-84] ont montré des résultats encoura- Aux États-Unis l’utilisation d’armes à feu représente le
geants avec à l’évidence une baisse des suicides aboutis et des premier mode de suicide. L’importance de l’impulsivité dans
TS. le passage à l’acte suicidaire de l’adolescent accroît la dange-
rosité de la présence d’armes à feu aisément accessibles. En
Formation au repérage France, il y a certes moins d’armes à feu en circulation mais
il ne faut pas ignorer la présence d’armes de chasse en
Il s’agit d’améliorer l’identification des sujets à risque ou en
particulier dans les campagnes. D’après Brent et al. [8, 93-95], la
crise et de développer les compétences du personnel de santé
présence d’une arme à feu au domicile constitue un facteur de
scolaire (infirmière, assistante sociale) ou du personnel tout
risque de suicide important chez l’adolescent, notamment
venant (conseiller d’éducation, enseignant, etc.) en matière de
chez l’adolescent ne présentant pas de pathologie psychiatri-
suicide [85]. Cependant, moins le personnel sensibilisé a une
que patente. Plusieurs études [5] ont montré une baisse du
formation initiale de soin ou dans le domaine de la santé, plus
taux de suicide par arme à feu après réduction de l’accès et
le nombre de faux positifs est élevé (Cf. infra).
de la disponibilité : réglementation plus restrictive, mode de
stockage de l’arme (non chargée, démontée, sécurité enclen-
Aide aux pairs
chée...). Cependant Brent et al. [96] ont constaté que les
Ces campagnes d’information visent à améliorer l’identifica- parents d’adolescents déprimés appliquaient moins fréquem-
tion par les pairs des adolescents en difficulté. Il y a peu ment les consignes de sécurité concernant le stockage des
d’évaluations de ces pratiques mais on n’a pas noté d’effet armes à feu au domicile.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 7
37-216-H-10 ¶ Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent

Éducation des médias par rapport au phénomène Calmer


de contagion Calmer signifie que le consultant de première ligne ne réagit
Des recommandations ont été proposées aux médias pour pas par des contre-attitudes où sa propre subjectivité l’emporte
éviter le phénomène de contagion du suicide. Deux études sur l’évaluation objective de la situation, ne formule pas un
suisse et autrichienne [97, 98] ont montré une réelle efficacité de « pronostic » immédiat avant toute évaluation sérieuse et
ces programmes de prévention. argumentée (que ce pronostic soit faussement rassurant et
banalisant : « ce n’est rien... », ou qu’au contraire il soit
Programmes de prévention destinés aux d’emblée alarmiste comme on le voit parfois : « attention c’est
soignants très grave, ça va recommencer... »). De ce point de vue, l’exis-
tence de protocole à suivre en cas de TS apparaît comme un
Il s’agit de programmes d’éducation ou d’entraînement des guide précieux, rassurant le clinicien à certains égards, lui
médecins et des pédiatres par rapport aux stratégies de préven- donnant des stratégies et une « conduite à tenir » (selon
tion du suicide. Une étude faite en Caroline du Nord [99] a l’expression médicale consacrée), toutes choses susceptibles de
montré que, bien que les adolescents suicidaires consultent canaliser l’angoisse des uns et des autres, celle des proches du
fréquemment leur médecin généraliste dans les jours qui suicidant comme celle des professionnels.
précèdent le passage à l’acte, moins de 50 % des médecins
exploraient en routine les idéations suicidaires et le risque de Contenir
suicide chez les adolescents, pourcentage tout à fait analogue à
celui retrouvé dans une enquête en Poitou-Charentes [66]. En Contenir consiste à s’assurer, autant que faire se peut, que les
Australie [100], des études ont montré qu’un seul jour d’entraî- délimitations interindividuelles intrafamiliales sont respectées,
nement pour un effectif de 23 médecins augmentait le dépistage que l’excitation du sujet ne le détruira pas lui-même et qu’il y
des idées de suicide de 32,5 % et des patients suicidaires de a des moyens autres que le geste suicidaire pour tenter d’évacuer
130 % ! Binder [101, 102] a proposé pour les adolescents un test une excitation débordante ; bien sûr, cet apprentissage demande
simple de dépistage en médecine générale baptisé TSTS (recher- un minimum de temps et repose en grande partie sur la qualité
che d’antécédent de traumatisme, de trouble du sommeil, de du cadre de soins initial.
consommation de tabac, de stress : facteurs de risque habituel-
lement associés aux idées suicidaires ou à des antécédents de TS) Protéger
donnant aux médecins généralistes une stratégie d’approche Protéger conduit le clinicien à poser des limites, somatiques
progressive des idées et des gestes suicidaires. La formation à ce comme psychologiques, à l’adolescent comme aux parents, face
TSTS augmente sensiblement le niveau du dépistage à un acte dont il est, dans l’immédiat, souvent difficile de
spécifique [66]. connaître la signification psychopathologique et de prévoir les
conséquences concrètes. En France, l’option a été prise de
■ Conclusion : pour un protocole choisir d’hospitaliser les suicidants pour répondre au mieux à
ces deux derniers objectifs, contenir et protéger, mais cette
d’évaluation après une TS option va souvent à l’encontre de la première et est susceptible
de rajouter de l’excitation à une situation individuelle et
Ne pas banaliser familiale qui en présente déjà trop ! En matière de programme
Tout adolescent suicidaire ou ayant des idées suicidaires de prise en charge, de nombreuses stratégies ont été proposées :
devrait bénéficier d’un protocole d’évaluation pouvant être prise en charge ambulatoire intensive temporaire (interventions
effectué par tout médecin, qu’il s’agisse du psychiatre, d’un de crise), hospitalisation de jour, protocole thérapeutique
pédiatre ou d’un médecin généraliste de première ligne [72, 103, particulier souvent dans le cadre d’une thérapie brève (thérapie
104]. Devant tout geste suicidaire, le premier acte ou plutôt la cognitivocomportementale, thérapie familiale), etc. Dans la
première attitude, tant de soin que de prévention consiste, pour littérature scientifique on ne trouve pas d’études comparant
chaque intervenant du monde médical, social et psychologique, l’efficacité de ces diverses méthodes et quand bien même il y en
à être convaincu qu’une tentative de suicide chez un adolescent aurait, il resterait à savoir ce qu’on évalue vraiment et sur quelle
est un acte potentiellement grave qui ne doit en aucun cas être durée porte cette évaluation (6 mois, 1 an, plusieurs années...).
banalisé d’emblée. La banalisation immédiate, avant que le Il est donc très difficile d’avoir une idée objective et argumentée
bilan d’évaluation ci-dessous détaillé ne soit effectué, procède de pour justifier tel ou tel modèle de prise en charge, le « consen-
la conspiration du silence, risque de conforter la même banali- sus » ayant en cette affaire valeur de « preuve », mais de quoi ?
sation chez l’adolescent ou ses parents qui souvent ne deman-
dent que cela, et peut être tenue comme une faute Stratégie d’évaluation psychologique
professionnelle ou à tout le moins comme une non-assistance à individuelle et familiale
personne en danger potentiel. Cette position ne signifie pas
qu’au terme de ce bilan toute TS sera automatiquement jugée Devant un sujet qui a fait une tentative de suicide, récente ou
comme très grave ou compromettant la santé mentale de ce plus ancienne, ou devant un sujet qui évoque la possibilité d’un
jeune : il y a des TS qui peuvent être considérées comme de passage à l’acte suicidaire, il est indispensable de rechercher un
gravité minime, mais seulement après l’évaluation. certain nombre de manifestations symptomatiques ou de
comportements associés (facteurs de risque). On peut distinguer
Calmer - contenir - protéger les symptômes de premier rang (la dimension anxiodépressive),
de second rang (la dimension impulsive et l’organisation de la
La seconde attitude qui participe aux soins a pour objectif personnalité), de troisième rang (le contexte environnemental).
essentiel de calmer, contenir et protéger. L’acte suicidaire
correspond souvent à une excitation débordante et traumatique Facteurs de premier rang : dimension
que l’adolescent n’est pas parvenu à contenir par ses seuls
anxiodépressive
mécanismes de défense psychique. L’excitation entoure fré-
quemment le geste suicidaire majorant l’excitation interne et • Recherche des idéations suicidaires, en distinguant si possible
participant à une sorte de renforcement négatif. Pour peu que les idées suicidaires (penser à se tuer), les intentions suicidai-
cette excitation de l’entourage combinée à celle du jeune soit res (penser à se tuer de telle façon) et les projets suicidaires
l’occasion de bénéfices secondaires notables (par exemple, (planifier et se procurer le matériel nécessaire pour accomplir
atténuation temporaire des conflits familiaux ou obtention par le projet par exemple : accumuler les médicaments et les
l’adolescent de ce que ses parents lui refusaient avant la dissimuler ou acheter une corde pour se pendre et la cacher
tentative), alors les conditions d’une appétence traumatophili- en attendant le jour convenu). Il y a, bien sûr, une gradation
que peuvent être posées ce qui conduit à une menace accrue de dans la gravité potentielle [105].
répétition. Mais calmer ne signifie en aucun cas banaliser ! • Recherche de tentatives de suicide antérieures.

8 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent ¶ 37-216-H-10

• Existence d’un sentiment de désespoir (tout ça ne sert à rien, Facteurs de stress


tout est inutile, personne ne peut m’aider, sauf la mort...).
Conflit avec les copains, rupture sentimentale, mauvais
• Présence de troubles affectifs anxieux ou dépressifs (la
résultats scolaires chez un bon élève qui surinvestit sa scolarité,
probabilité de la TS ou de la récidive semble corrélée avec punition, examen important, déménagement, etc.
l’intensité de ces manifestations symptomatiques) [105, 106].
La présence de tels événements de vie doit faire envisager des
La présence d’un ou de plusieurs de ces symptômes doit mesures de protection et une intervention dite « de crise »,
impérativement imposer une action de soins énergique, de d’autant plus que les facteurs de premier ou second rang sont
préférence une hospitalisation immédiate plutôt qu’une prise en présents. Des aménagements de vie transitoire, une hospitalisa-
charge ambulatoire initiale : il s’agit en priorité de protéger ce tion de courte durée peuvent protéger et apaiser un adolescent
jeune d’une menace de récidive précoce puis de traiter cette dont la tension anxieuse peut devenir débordante.
souffrance dépressive. Effectuer cette évaluation, c’est-à-dire clarifier les divers
points, les faire préciser par l’adolescent, rencontrer le groupe
Facteurs de second rang : dimension impulsive familial, s’informer de son entourage et de ses relations sociales,
et troubles de personnalité rechercher dans le passé récent ou ancien, familial et amical des
histoires de suicides ou de TS, peut en soi avoir valeur de soin
• Recherche de conduites impulsives : fugues, bagarres, condui-
quand l’adolescent est ainsi amené à donner des informations
tes violentes à l’égard des objets ou de personnes, passages à
sur lui-même et sur son environnement, informations sur
l’acte divers, accidents à répétition... lesquelles ultérieurement il pourra peut-être engager une
• Recherche de consommations abusives de produits, en réflexion. Les quelques entretiens nécessaires à ce recueil servent
particulier dans une dimension autothérapeutique que définit alors de psychothérapie brève dans un contexte de sollicitude
l’usage à risque ou l’usage nocif (tabac, alcool, haschisch, empathique et sont souvent la première et la seule approche
médicament autoadministrés) [105, 106]. relationnelle qui soit acceptée initialement.
• Recherche de trouble de personnalité, en particulier trouble .

de l’identité de genre (homosexualité).


La présence des facteurs de second rang fait craindre une ■ Références
récidive mais pas nécessairement précoce. L’objectif prioritaire
ici est de contenir aussi bien l’impulsivité de ce jeune que de [1] Platt S, Bille-Brahe U, Kerkhof A, Schmidtke A, Bjerke T, Crepet P,
celle fréquemment associée de son cadre de vie. L’hospitalisa- et al. Parasuicide in Europe: The WHO/euro multicentre study on
tion n’est peut-être pas systématiquement nécessaire, mais une parasuicide. I. Introduction and preliminary analysis for 1989. Acta
Psychiatr Scand 1992;85:97-104.
approche thérapeutique rapide et relativement intense est, elle,
[2] Pawlak C. De l’individu au collectif: l’épidémiologie des conduites
indispensable. Des aménagements de vie sous forme d’internat,
suicidaires. In: Adolescence et suicide. Médecine et Psychothérapie.
de foyer, peuvent s’avérer nécessaires. Paris: Masson; 1995. p. 11-7.
[3] Durkheim E. Le suicide. Paris: PUF; 1995.
Facteurs de troisième rang : famille, [4] Marcelli D. La vie a-t-elle un sens? Nouvel Observateur 2000;
environnement 41(n°hors série):44-5.
[5] Gould M, Greenberg T, Velting D, Shaffer D. Youth suicide risk of
Évaluer la qualité du fonctionnement familial preventive interventions: a review of the past 10 years. J Am Acad Child
En particulier repérer tous les facteurs de désorganisation Adolesc Psychiatry 2003;42:386-405.
relationnelle ou sociale : séparation, divorce mais surtout [6] Facy F, Jougla E, Hatton F. Épidémiologie du suicide de l’adolescent.
Rev Prat 1998;48:1409-14.
conflits parentaux majeurs et durables, antécédents de violence
[7] Marttunen MJ, Aro H, Henriksson M, Lonnqvist JK. Mental disorders
familiale entre conjoints ou de sévices physiques sur les enfants
in adolescent suicide. DSM-III-R axes I and II in suicides among 13 to
(le sujet lui-même ou les membres de sa fratrie), antécédent 19 years old in Finland. Arch Gen Psychiatry 1991;48:834-9.
d’abus sexuel, maladie mentale des parents, en particulier [8] Brent DA, Perper JA, Goldstein CE, Kolko DJ, Allan MJ, Allman CJ,
trouble dépressif, consommation abusive et dépendance, et al. Risk factors for adolescent suicide a comparison of adolescent
antécédents familiaux de suicide, etc. suicide victims with suicidal inpatients. Arch Gen Psychiatry 1988;45:
581-8.
Évaluer la qualité des relations entre l’adolescent
[9] Apter A. Le comportement suicidaire à l’adolescence : continuité et
et ses parents discontinuité. In: Adolescence et suicide. Médecine et Psychothérapie.
Degré de tension, de satisfaction dans ces relations. Paris: Masson; 1995. p. 84-91.
[10] Choquet M, Ledoux S. Adolescents, Enquête Nationale. Paris: Inserm;
Évaluer la qualité de l’environnement et des relations 1994 (346p).
sociales du jeune [11] Gould MS, King R, Greenwald S, Fisher P, Schwab-Stone M,
Kramer R, et al. Psychopathology associated with suicidal ideation and
Isolement social, repliement et difficultés relationnelles ou au attempts among children and adolescents. J Am Acad Child Adolesc
contraire relations fréquentes et multiples avec les pairs au Psychiatry 1998;37:915-23.
détriment des relations avec la famille. [12] Roberts RE, Roberts CR, Chen YR. Suicidal thinking among adoles-
La présence de ces facteurs familiaux ou environnementaux cents with a history of attempted suicide. J Am Acad Child Adolesc
fait craindre une banalisation et une absence de réaménagement Psychiatry 1998;37:1294-300.
après la TS, propice à une récidive. La nécessité d’impliquer [13] Wichstrom L. Predictors of adolescent suicide attempts: a nationally
l’entourage, les parents au premier chef, est essentielle dans ce representative longitudinal study of norwegian adolescents. J Am Acad
contexte. Une prise en charge familiale, au minimum l’adoles- Child Adolesc Psychiatry 2000;39:603-10.
cent et ses parents, sera souvent utile dans un premier temps [14] Grunbaum JA, Kann L, Kinchen SA, Williams B, Ross JG, Lowry R,
avant de proposer un soin à l’adolescent lui-même. et al. Youth risk behavior surveillance- United States, 2001. MMWR
Surveill Summ 2002;51:1-62.
Facteurs de troisième rang : événements de vie [15] McKeown RE, Garrison CZ, Cuffe SP, Waller JL, Jackson KL,
Addy CL. Incidence and predictors of suicidal behaviors in a longitu-
Exposition récente au suicide dinal sample of young adolescents. J Am Acad Child Adolesc
Psychiatry 1998;37:612-9.
Et à moindre degré à une TS dans la famille et plus encore [16] Lewinsohn PM, Rohde P, Seeley JR, Baldwin CL. Gender differences
parmi les pairs : on recherche un suicide ou une TS récent dans in suicide attempts from adolescence to young adulthood. J Am Acad
l’entourage, en définissant le degré d’implication du jeune par Child Adolesc Psychiatry 2001;40:427-34.
rapport à cette personne (très familier, bien connu, lointain) ; [17] Gasquet I, Choquet M. Spécificité du comportement suicidaire des
recherche d’un suicide (ou d’une TS) parmi les pairs : petit(e) garçons à l’adolescence. In: Adolescentes-adolescents,
ami(e), camarade de classe, voisin(e), cousin(e), etc. psychopathologie différentielle. Paris: Bayard; 1995. p. 81-9.

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 9
37-216-H-10 ¶ Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent

[18] Shaffer D, Hicks R. Suicide. In: The epidemiology in childhood [46] Carbone P, Gino M. La mort et l’inchangé. In: Adolescence et suicide.
disorders. New York: Oxford University Press; 1994. p. 339-65. Médecine et Psychothérapie. Paris: Masson; 1995. p. 110-6.
[19] Bobin E, Sarfati Y. Tentatives de suicide à répétition : peut-on arrêter les [47] Bille-Brahe U, Schmidtke A. Conduites suicidaires des adolescents : la
« récidivistes »? Nervure 2003;16(n°spécial):14-8. situation en Europe. In: Adolescence et suicide. Médecine et
[20] Marcenko MO, Fishman G, Friedman J. Reexamining adolescent Psychothérapie. Paris: Masson; 1995.
suicidal ideation a developmental perspective applied to a diverse [48] Haut Comité de la Santé Publique. La souffrance psychique des ado-
population. J Youth Adolesc 1999;28:121-38. lescents et des jeunes adultes. Paris: ENSP; 2000.
[21] Russel ST, Hoyner K. Adolescent sexual orientation and suicide risk: [49] Laederach J, Ladame F. Suicide des jeunes et dépression. In:
evidence from a national study. Am J Public Health 2001;91:1276-81. Lemperière T, editor. La dépression avant 20 ans. Paris: Masson; 1998.
[22] Fergusson DM, Horwood J, Beautrais AL. Is sexual orientation related [50] Runeson BS, Beskow J, Waern M. The suicidal process in suicides
to mental health. Problems and suicidality in young people? Arch Gen among young people. Acta Psychiatr Scand 1996;93:35-42.
Psychiatry 1999;56:876-89. [51] Moutia C, Fischer W, Ladame F. Caractéristiques cliniques d’une
[23] Blake SM, Ledsky R, Lehman T, Goodenow C, Sawyer R, Hack T. cohorte d’adolescents suicidants : résultats préliminaires d’une étude
Preventing sexual risk behaviors among gay, lesbian, and bisexual prospective. In: Adolescence et suicide. Médecine et Psychothérapie.
adolescents: the benefits of gay-sensitive HIV instruction in schools. Paris: Masson; 1995. p. 67-73.
Am J Public Health 2001;91:940-6. [52] Hutten A, Hang GX, Wasserman D, Hawton K, Hjelmeland H, De
[24] McDaniel JS, Purcell D, D’Augelli AR. The relationship between Leo D, et al. Repetition of attempted suicide among teenagers in Europe
sexual orientation and risk for suicide: research findings and future frequency, timing and risk factors. Eur Child Adolesc Psychiatry 2001;
directions for research and prevention. Suicide Life Threat Behav 2001; 10:161-9.
31(suppl):84-105. [53] Marttunen MH, Aro HM, Lonnqvist JK. Adolescence and suicide: a
[25] Herrell R, Goldberg J, True WR, Ramakrishnan V, Lyons M, Eisen S, review of psychological autopsy studies. Eur Child Adolesc Psychiatry
et al. Sexual orientation and suicidality. A co-twin control study in adult 1993;2:10-8.
men. Arch Gen Psychiatry 1999;56:867-74. [54] Otto U. Suicide attempts among Swedish children and adolescents. In:
[26] Bennett PJ, McMahon WM, Watabe J, Achilles J, Bacon M, Coon H, Caplan G, Lebovici S, editors. Adolescence. New York: Basic Books;
et al. Tryptophan hydroxylase polymorphisms in suicide victims. 1969. p. 244-51.
Psychiatr Genet 2000;10:13-7. [55] Reifman A, Windle M. Adolescent suicidal behaviours as a function of
[27] Mann JJ, Waternaux C, Haas GL, Malone KM. Toward a clinical model depression, hopelessness, alcohol use, and social support: a longitudi-
of suicidal behavior in psychiatric patients. Am J Psychiatry 1999;156: nal investigation. Am J Commun Psychol 1995;23:329-54.
181-9. [56] Lewinsohn PM, Rohde P, Seeley JR. Psychosocial risk factors for future
[28] Askenazy F, Sorci K, Benoit M, Lestideau K, Myquel M, Lecrubier Y. adolescent suicide attempts. J Consult Clin Psychol 1994;62:297-305.
Anxiety and impulsivity levels identify relevant subtypes in adoles- [57] Davidson F, Choquet M. Le suicide de l’adolescent : étude
cents with at-risk behavior. J Affect Disord 2003;74:219-27. épidémiologique et statistique. Paris: ESF; 1988.
[29] Agerbo E, Nordentoft M, Mortensen PB. Familial, psychiatric and [58] Pfeffer C, Normandin L, Kakuma T. Suicidal children grow up: suicidal
socioeconomic risk factors for suicide in young people nested case- behavior and psychiatric disorders among relatives. J Am Acad Child
control study. BMJ 2002;325:74. Adolesc Psychiatry 1994;33:1087-97.
[30] McGuffin P, Maruzic A, Farmer A. What can psychiatric genetics offer [59] Wahl V, Fischer W, Pahud AL, Pascual T, Ladame F. Tentatives de
suicidology? Crisis 2001;22:61-5. suicide multiples à l’adolescence, abus sexuel et trouble de la person-
[31] Fergusson DM, Lynskey M. Childhood circumstances, adolescent nalité borderline. Neuropsychiat Enfance Adolesc 1998;46:61-8 (198-
adjustment, and suicide attempts in a New Zealand birth cohort. J Am 205).
Acad Child Adolesc Psychiatry 1995;34:612-22. [60] Jeammet P. Les destins de l’auto-érotisme à l’adolescence. In: Devenir
[32] Gould MS, Fisher P, Parides M, Flory M, Shaffer D. Psychosocial risk adulte?. Paris: PUF; 1990. p. 52-80.
factors of child and adolescent completed suicide. Arch Gen Psychiatry [61] Jeammet P. Addiction, dépendance, adolescence, réflexions sur leurs
1996;53:1155-62. liens, conséquences sur nos attitudes thérapeutiques. In: Les nouvelles
[33] Brent DA, Perper JA, Moritz G, Liotus L, Schweers J, Balach L, et al. addictions. Médecine et Psychothérapie. Paris: Masson; 1991.
Familial risk factors for adolescent suicide: a case-control study. Acta p. 10-29.
Psychiatr Scand 1994;89:52-8. [62] Venisse JL. Les nouvelles addictions. Médecine et Psychothérapie.
[34] Beautrais AL, Joyce PR, Mudler RT. Risk factors for serious suicide Paris: Masson; 1991.
attempts among youths aged 13 through 24 years. J Am Acad Child [63] Shaffer D, Gould MS, Fisher P, Trautman P, Moreau D, Kleinman M,
Adolesc Psychiatry 1996;35:1174-82. et al. Psychiatric diagnosis in child and adolescent suicide. Arch Gen
[35] Groholt B, Ekeberg O, Wichstrom L, Haldorsen T. Young suicide Psychiatry 1996;53:339-48.
attempters: a comparison between a clinical and an epidemiological [64] Groholt B, Ekeberg O, Wichstrom L, Haldorsen T. Youth suicide in
sample. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2000;39:868-75. Norway 1990-1992: a comparison between children and adolescents
[36] Renaud J, Brent DA, Birmaher B, Chiappetta L, Bridge J. Suicide in completing suicide and age- and gender-matched controls. Suicide Life
adolescents with disruptive disorders. J Am Acad Child Adolesc Threat Behav 1997;27:250-63.
Psychiatry 1999;38:846-51. [65] BeautraisAL, Joyce PR, Mudler RT. Psychiatric contacts among youths
[37] Fergusson DM, Horwood LJ, Lynskey MT. Childhood sexual abuse aged 13 through 24 years who have made serious suicide attempts. J Am
and psychiatric disorder in young adulthood, II: psychiatric outcomes Acad Child Adolesc Psychiatry 1998;37:504-11.
of childhood sexual abuse. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1996; [66] Legeay M. L’adolescent et le médecin généraliste : évolution des pra-
35:1365-74. tiques cliniques. [thèse], Poitiers, 2005. 127p.
[38] SilvermanAB, Reinherz HS, Giaconia RM. The long-terme sequelae of [67] Stewart SE, Manion IG, Davidson S. Emergency management of the
child and adolescent abuse: a longitudinal community study. Child adolescent suicide attempter: a review of the literature. J Adolesc
Abuse Negl 1996;20:709-23. Health 2002;30:312-25.
[39] Alvin P. Suicidal adolescents: lessons to be learned from early inter- [68] Brent DA, Holder D, Kolko D, Birmaher B, Baugher M, Roth C, et al.
vention. J Paediatr Child Health 1993;29(suppl1):S20-S24. A clinical psychotherapy trial for adolescent depression comparing
[40] Pommereau X. L’adolescent suicidaire. Paris: Dunod; 2001 (274p). cognitive family, and supportive therapy. Arch Gen Psychiatry 1997;
[41] Fergusson DM, Woodward LJ, Horwood LJ. Risk factors and life 54:877-85.
processes associated with the onset of suicidal behaviour during ado- [69] Rotheram-Borus MJ, Piacentini J, Van Rossem R, Graae F, Cantwell C,
lescence and early adulthood. Psychol Med 2000;30:23-39. Castro-Blanco D, et al. Treatment adherence among Latina female ado-
[42] Jeammet P, Birot E. Étude psychopathologique des tentatives de suicide lescent suicide attempters. Suicide Life Threat Behav 1999;29:319-31.
chez l’adolescent et le jeune adulte. Paris: PUF; 1994 (265p). [70] Choquet M, Granboulan V. Les jeunes suicidants à l’hôpital. Paris:
[43] Ladame F, Ottino J, Pawlak C. Adolescence et suicide. Paris: Masson; EDK; 2004 (191p).
1995. [71] Garel P. Comportements suicidaires et pertinence de l’intervention de
[44] Laufer M, Laufer ME. Adolescence et rupture du développement: une crise. In: Ladame F, Ottino J, Pawlack C, editors. Adolescence et
perspective psychanalytique. Paris: PUF; 1989. suicide. Paris: Masson; 1995. p. 165-72.
[45] Alleon AM, Morvan O. « Je voulais en finir ». In: Adolescence et [72] Alvin P, Marcelli D. Médecine de l’adolescent. Paris: Masson; 2005
suicide. Médecine et Psychothérapie. Paris: Masson; 1995. p. 116-23. (453p).

10 Psychiatrie/Pédopsychiatrie
Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent ¶ 37-216-H-10

[73] Spirito A, Plummer B, Gispert M, Levy S, Kurkjian J, Lewander W, [90] Poijula S, Wahlberg KE, Dyregrov A. Adolescent suicide and suicide
et al. Adolescent suicide attempts: outcomes at follow-up. Am contagion in three secondary schools. Int J Emerg Ment Health 2001;
J Orthopsychiatry 1992;62:464-8. 3:163-8.
[74] King CA, Hovey JD, Brand E, Wilson R, Ghaziuddin N. Suicidal ado- [91] Offer D, Howard KI, Schonert KA, Ostrow E. To whom do adolescents
lescents after hospitalisation: parent and family impacts on treatment turn for help? Differences between disturbed and nondisturbed adoles-
follow-through. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1997;36:85-93. cents. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991;30:623-30.
[75] Hawton K, Townsend E, Arensman E, Gunnell D, Hazell P, House A, et [92] Vieland V, Whittle B, Garland A, Hicks R, Shaffer D. The impact of
al. sychosocial versus pharmacological treatments for deliberate self- curriculum-based suicide prevention programs for teenagers: an 18
harm. Cochrane Database Syst Rev 2002;(2):CD001764. month follow-up. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991;30:811-5.
[76] Linehan MM, Armstrong HE, Suarez A, Allmon D, Heard HL. [93] Brent DA, Perper JA, Allman CJ, Moritz GM, Wartella ME,
Cognitive-behavior treatment of chronically parasuicidal borderline Zelenak JZ. The presence and accessibility of firearms in the homes of
patients. Arch Gen Psychiatry 1991;48:1060-4. adolescent suicides: a case-control study. JAMA 1991;266:2989-95.
[77] Wood A, Trainor G, Rothwell J, Moore A, Harrington R. Randomized [94] Brent DA, Perper J, Moritz G, Allman C, Liotus L, Schweers J, et al.
trial of group therapy of repeated deliberate self-harm in adolescents. Bereavement or depression? The impact of the loss of a friend to
J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 2001;40:1246-53. suicide. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1993;32:1189-97.
[78] Donaldson D, Spirito A, Exposito-Smythers C. Treatment for adoles- [95] Brent DA, Baugher M, Bridge J, Chen T, Chiapperra I. Age and sex-
cents following a suicide attempt: resuls of a pilot trial. J Am Acad Child related risk factors for adolescent suicide. J Am Acad Child Adolesc
Adolesc Psychiatry 2005;44:113-20. Psychiatry 1999;38:1497-505.
[79] David JC, Marcelli D. Peut-on et comment prescrire un psychotrope [96] Brent DA, Baugher M, Birmaher B, Kolko DJ, Bridge J. Compliance
chez l’adolescent. Rev Prat 2005;55:1081-7. with recommendations to remove firearms in families participating in a
[80] Shaffer D, Vieland V, Garland A, Rojas M, Underwood MM, Busner C.
clinical trial for adolescent depression. J Am Acad Child Adolesc
Adolescent suicide attempters: response to suicide prevention
Psychiatry 2000;39:1220-6.
programs. JAMA 1990;264:3151-5.
[97] Etzersdorfer E, Sonneck G. Preventing suicide by influencing mass-
[81] Gould MS. Suicide and the media. Ann N Y Acad Sci 2001;932:200-24.
media reporting: the Viennese experience 1980-1996. Arch Suicide Res
[82] Zenere FJ, Lazarus PJ. The decline of youth suicidal behaviour in an
1998;4:67-74.
urban, multicultural public school system following the introduction of
a suicide prevention and intervention program. Suicide Life Threat [98] Michel K, Frey C, Wyss K, Valach L. An exercise in improving suicide
Behav 1997;27:387-403. reporting in print media. Crisis 2000;21:1-0.
[83] Thompson EA, Eggert LL, Herting JR. Mediating effects of an [99] Voelker R. SSRI use common in children. JAMA 1999;281:1882.
indicated prevention program for reducing youth depression and [100] Pfaff JJ, Acres JG, McKelvey RS. Training general practitioners to
suicide risk behaviours. Suicide Life Threat Behav 2000;30:252-71. recognise and respond to psychological distress and suicidal ideation in
[84] Thompson EA, Eggert LL, Randell VP, Pike KC. Evaluation of young people. Med J Aust 2001;174:222-6.
indicated suicide risk prevention approaches for potential high school [101] Binder P, Chabaud F. Dépister les conduites suicidaires des adoles-
dropouts. Am J Public Health 2001;91:742-52. cents : conception d’un test et validation de son usage. Rev Prat Méd
[85] Gervais Y, Marcelli D. Formation et régulation d’équipes d’adultes- Gén 2004;18:576-80.
relais en milieu scolaire. Communication au Congrès Européen de Pré- [102] Binder P. Comment aborder l’adolescent en médecine générale? Rev
vention des Toxicomanies. Aix la Chapelle (Allemagne), 13 et 14 Prat 2005;55:1073-80.
octobre 1994. [103] Marcelli D, Berthaut E. Dépression et tentative de suicide. Collection
[86] Lewis MW, Lewis C. Peer helping programs: helper role, supervisor Les âges de la vie. Paris: Masson; 2001.
training, and suicidal behaviour. J Couns Dev 1996;74:307-13. [104] Marcelli D. Suivi psychologique de l’adolescent : comment repérer et
[87] Shaffer D, Craft L. Methods of adolescent suicide prevention. J Clin aider ceux qui vont mal? Rev Prat 2005;55:1061-3.
Psychiatry 1999;60:70-4. [105] Stoelb M, Chiriboga J. A process model for assessing adolescent risk
[88] Thompson EA, Eggert LL. Using the suicide risk screen to identify for suicide. J Adolesc 1998;21:359-70.
suicidal adolescents among potential high school dropouts. J Am Acad [106] Goldston DB, Daniel SS, Reboussin BA, Reboussin DM, Kelley AE,
Child Adolesc Psychiatry 1999;38:1506-14. Frazier PH. Psychiatric diagnosis of previous suicide attempters, first-
[89] Hazell P, Lewin T. An evaluation of postvention following adolescent time attempters, and repeat attempters on an adolescent inpatient
suicide. Suicide Life Threat Behav 1993;23:101-9. psychiatry unit. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1998;37:924-32.

D. Marcelli, Professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (d.marcelli@ch-poitiers.fr).


M. Humeau, Chef de clinique assistant.
Faculté de Médecine de Poitiers SUPEA, Centre hospitalier Henri Laborit, 86021 Poitiers cedex, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Marcelli D., Humeau M. Suicide et tentative de suicide chez l’adolescent. EMC (Elsevier SAS, Paris),
Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-216-H-10, 2006.

Disponibles sur www.emc-consulte.com


Arbres Iconographies Vidéos / Documents Information Informations Auto-
décisionnels supplémentaires Animations légaux au patient supplémentaires évaluations

Psychiatrie/Pédopsychiatrie 11
Encyclopédie Médico-Chirurgicale 37-215-B-65
37-215-B-65

Troubles des conduites alimentaires


à l’adolescence
M Corcos
G Agman
D Bochereau
Résumé. – Nous évoquerons uniquement les troubles des conduites alimentaires se déclenchant à
J Chambry
l’adolescence (anorexie mentale et boulimie), laissant de côté d’autres troubles prenant une certaine
PH Jeammet
extension, en particulier dans les pays anglo-saxons, que sont l’hyperphagie, le « craving », le « binge eating
disorder » et l’obésité, et ne disant que quelques mots sur les troubles des conduites alimentaires dans
l’enfance et la préadolescence. Ces affections se situent au carrefour de la psychologie individuelle, des
interactions familiales, du corps dans son aspect le plus biologique et de la société (dite de
« consommation ») en général.
Le comportement alimentaire dépend de facteurs génétiques et psychologiques individuels, en étroite
interaction avec des facteurs environnementaux familiaux et socioculturels.
Nous sommes donc dans un modèle étiopathogénique polyfactoriel qu’il faut bien intégrer dans sa diversité.
De plus, il faut prendre en compte la rapidité d’installation de l’autorenforcement biologique de la conduite et
des complications sévères dans ces troubles (biologiques, scolaires, professionnelles et psychologiques), qui
entretiennent et perpétuent l’affection.
Anorexie et boulimie offrent un modèle des enjeux de l’adolescence, s’intégrant parmi les conduites
d’addiction ou de dépendance qui se développent préférentiellement à cet âge. Plus qu’une organisation
psychopathologique avérée, il convient plutôt d’évoquer une absence d’organisation stable du Moi, et la
difficulté de celui-ci à mettre en place des modalités défensives efficaces autres que corporelles et
comportementales.
© 2002 Editions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : anorexie mentale, boulimie, adolescence, dépression, addiction, narcissisme, dépendance.

Données épidémiologiques plus âgées (en particulier si l’âge est supérieur à 25 ans) et chez les
garçons. Si les auteurs notaient des diagnostics plus précoces et des
Il semblait à de nombreux auteurs que la fréquence de l’anorexie hospitalisations plus nombreuses, ils récusaient toute notion
mentale était en hausse sensible, en particulier depuis la fin des d’« épidémie ». Pour Fombonne [35], qui souligne que les troubles du
années 1960. L’intérêt croissant des psychiatres pour cette affection comportement alimentaire (TCA) ont des taux d’incidence faibles
et l’absence de consensus sur des critères diagnostiques (en (1-2 ‰) chez les femmes, ce qui rend difficile la mise en évidence
particulier, avant l’avènement dans les années 1970-1980 du Research d’une tendance évolutive (nécessité de très larges échantillons), il
Diagnostic Criterias [RDC]) ont été à l’origine de nombreux biais n’y a pas d’évolution séculaire de l’incidence de l’anorexie mentale.
dans l’évaluation rigoureuse de son incidence. Ces critères restent Il estime que sa prévalence dans la tranche d’âge 15-19 ans est
toujours problématiques quant à leur possibilité d’identification des comprise entre 2 et 5 ‰. Aux États-Unis, l’anorexie mentale est la
troubles précoces (avant 16 ans) et des formes subsyndromiques [77] troisième maladie chronique chez l’adolescente (obésité, asthme) ;
puisqu’ils ne cotent que des formes avérées, déjà installées et 0,48 % dans la tranche des 15-19 ans [70]. La prévalence pour la vie
souvent graves. entière est estimée à 0,5 % [63].
Une étude de Lucas et al [70] portant sur l’incidence et la variation de Rappelons ici l’existence de deux formes cliniques particulières plus
l’affection à Rochester dans le Minnesota (États-Unis), sur une rares pour lesquelles les données épidémiologiques manquent :
période de 50 ans (1934-1984), conclut à l’augmentation depuis les l’anorexie prépubère et l’anorexie tardive.
années 1930 de la fréquence de l’anorexie mentale dans la Enfin, certains auteurs soulignent une légère augmentation des cas
population des adolescentes de 15 à 24 ans (avec une fréquence masculins dont on pense qu’ils restent rétifs à consulter, mais il n’y
accrue des formes modérées comparativement au passé), tandis que a pas d’étude probante sur le sujet.
l’affection semble avoir été stable dans les populations de femmes Notons, avant d’aborder la boulimie, la fréquence des formes mixtes
d’emblée (anorexie-boulimie). Dans 30 à 50 % des cas, la boulimie
survient pendant ou après une période d’anorexie.
Les études épidémiologiques sur la boulimie étant récentes et assez
Gilles Agman : Assistant. disparates dans leur méthodologie, on manque de recul pour
Maurice Corcos : Assistant.
Denis Bochereau : Assistant. confirmer ou infirmer l’idée probablement juste d’une augmentation
Jean Chambry : Chef de clinique. récente de l’incidence du trouble. Une étude portant, dans la même
Philippe Jeammet : Chef de service.
Service du professeur Jeammet, département de psychiatrie adolescent jeune adulte, institut mutualiste
université, sur trois échantillons d’étudiants examinés par
Montsouris, 42, boulevard Jourdan 75674 Paris cedex 14, France. autoquestionnaire en 1980, 1983 et 1986 [79, 80], met en évidence une

Toute référence à cet article doit porter la mention : Corcos M, Agman G, Bochereau D, Chambry J et Jeammet PH. Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence. Encycl Méd Chir (Editions Scientifiques et Médicales Elsevier
SAS, Paris, tous droits réservés), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-215-B-65, 2002, 15 p.

150 572 EMC [295]


37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

augmentation relative de la prévalence de la boulimie entre 1980 fesses ont disparu. Les joues creuses, les yeux enfoncés dans les
(1 %) et 1983 (3,2 %), puis une faible diminution en 1986 (2,2 %). orbites, et le nez pincé confèrent au visage une apparence
La prévalence vie entière de la boulimie nerveuse (boulimie nervosa cadavérique. La fonte musculaire, également impressionnante,
[BN]) est comprise entre 1 et 3 % [39, 63], mais les auteurs soulignent donne aux membres un aspect décharné en « baguettes de tambour »
qu’il existe une prévalence comparable de formes subsyndromiques exhibé ou au contraire masqué sous des vêtements amples. Les
dont le devenir est incertain. œdèmes de carence ne sont pas rares. Les cheveux sont secs et
Concernant les formes subsyndromiques, en France, dans une ternes, les ongles striés et cassants. Les troubles circulatoires sont
préenquête qui portait sur environ 3 500 élèves, c’est-à-dire la moitié constants : pâleur, rougeur et cyanose des extrémités qui sont froides
des élèves scolarisés en Haute-Marne, les auteurs notaient que les et moites, tension artérielle basse, pouls ralenti. L’hypertrichose est
préoccupations corporelles concernaient un tiers des jeunes filles, fréquente avec apparition du lanugo. En regard de cet
que 20 % avaient des conduites de restriction et de jeûne sans amaigrissement, la méconnaissance de leur maigreur par les
répondre aux critères d’une pathologie déterminée comme ceux du malades est, à des degrés divers, constante. Elle reflète l’importance
DSM-III-R, 3 % avaient des vomissements et des abus de laxatifs ou du trouble de la perception de l’image de leur corps par ces
de diurétiques, près de 10 % une crise de boulimie hebdomadaire, patientes. Cela rend compte de leur absence d’inquiétude sur leur
et que le taux de prévalence de la boulimie type DSM-III-R était de état de santé dont elles nient la gravité. Le plus souvent, au
1 à 1,1 % et autour de 0,1 % pour l’anorexie mentale [68]. Selon Kaplan contraire, leur maigreur croissante les plonge dans un sentiment de
et Sadock [60] , environ 5 % des jeunes femmes présentent des bien-être, d’élation et de triomphe qui les conduit à nier le danger
symptômes d’anorexie mentale sans répondre à l’ensemble des auquel elles s’exposent. Le désir éperdu de minceur et la peur de
critères diagnostiques, et les conduites de frénésie alimentaire grossir se renforcent mutuellement pour guider l’essentiel des
apparaissent très fréquentes puisque qu’elles sont observées dans attitudes mentales de ces patientes et de leurs comportements : elles
plus de 40 % des cas dans une population de collégiennes aux États- se voient et se dessinent toujours plus grosses qu’elles ne sont en
Unis. L’ensemble de ces données invite à considérer les TCA dans réalité ; elles se livrent à d’incessantes mesures de vérifications :
un continuum du normal-pathogène-pathologique dans un aspect pesées postprandiales, recherches sur la valeur calorique des
dimensionnel plutôt que sur un mode catégoriel réducteur. aliments, mensuration des « rondeurs » éventuelles. Il peut y avoir
Soulignons en effet, après avoir rapporté ces données une prédominance du désir de minceur ou de la peur de grossir et
épidémiologiques, que le DSM-IV, classification la plus utilisée dans celle-ci peut s’appuyer sur des fixations de type
ces recherches, repère les états pathologiques avérés, c’est-à-dire les dysmorphophobique centrées sur des parties du corps ou du visage,
formes symptomatiques majeures, organisées et relativement stables, ou être constituée de craintes de grossir diffuses ou focalisées.
du fait des critères somatiques requis (poids, aménorrhée, fréquence
des crises de boulimie…). Cette classification laisse donc de côté les Anorexie
formes subsyndromiques. Ces formes avérées sont celles où la
composante génétique est prévalente (dépression, troubles Elle est le maître symptôme. Ses caractères particuliers traduisent sa
obsessionnels et compulsifs [TOC]), tandis que les formes dimension psychologique et sa signification de conduite
subsyndromiques sont celles où l’influence des facteurs relationnelle. C’est l’anorexie qui annonce le plus souvent le début
environnementaux est plus forte. Cela soulève plusieurs questions. des troubles, et l’amaigrissement lui est secondaire. Il s’agit d’une
Les formes subsyndromiques sont-elles en augmentation du fait conduite active de restriction alimentaire. Elle est, au début,
d’une dimension socioculturelle favorable ? Si oui, quelle place ont- « justifiée » par un régime du fait d’un discret embonpoint, de
elles dans une approche dimensionnelle développementale (du difficultés digestives ou de gastralgies. Ce n’est que très tardivement
normal au pathologique) ? Quel est leur devenir potentiel qu’une véritable anorexie, avec perte de l’appétit, intolérance
(autorenforcement psychobiologique et évolution vers les formes gastrique ou intestinale à l’alimentation peut s’installer.
caractérisées ou abrasement et disparition) ? Force est de constater Contrairement à ce qui est longtemps allégué par l’intéressée, cette
que nous n’avons pas de données sur le sujet. Soulignons enfin que restriction alimentaire représente une lutte acharnée contre la faim.
l’évaluation diagnostique des TCA doit tenir compte de l’évolution Mais la persistance de cette sensation de faim n’est reconnue
séculaire de la date d’apparition des règles (plus précoces) et de qu’ultérieurement et avec honte, parfois seulement dans le cadre
l’augmentation moyenne de la masse corporelle des jeunes femmes d’une relation psychothérapeutique.
dans nos sociétés occidentales. Une étude sur de larges échantillons
de l’évolution des TCA reste donc à promouvoir. Une étude Cette anorexie fait partie d’un ensemble d’attitudes particulières et
spécifique sur l’évolution du sex-ratio et de son incidence dans les d’un intérêt exagéré pour tout ce qui a trait à la nourriture : la
populations migrantes l’est de même. patiente pense à la nourriture toute la journée, collectionne les
recettes, fait la cuisine et nourrit les autres sans participer aux repas
qu’elle prépare. Elle vole fréquemment des aliments.
Étude clinique Outre la restriction alimentaire, la façon de manger signe en elle-
même le diagnostic : tri des aliments en fonction de critères
personnels, grignotage par portions infimes, mâchonnement
CONDUITE ANOREXIQUE interminable qui peut s’accompagner d’un stockage des aliments
Le tableau clinique classique de la conduite anorexique est dans la bouche et de leur rejet clandestin après ou même pendant le
remarquable par sa constance au travers des époques et des pays. repas avec une dextérité incroyable. Certains comportements ont
C’est celui d’une jeune fille adolescente entre 12 et 20 ans qui une signification de gravité particulière :
présente la triade symptomatique : amaigrissement-anorexie-
– la potomanie, qui peut conduire jusqu’à l’ingestion d’une dizaine
aménorrhée.
de litres par jour et menace directement et gravement l’équilibre
hydroélectrolytique ;
¶ Triade symptomatique
– le mérycisme, souvent difficile à mettre en évidence et qui traduit
Amaigrissement un dysfonctionnement psychopathologique particulièrement sévère ;
Il est souvent spectaculaire et dépasse 25 % du poids initial pour – la stratégie de contrôle du poids s’exerce également sur
atteindre parfois plus de 50 % du poids normal à cet âge. L’aspect l’évacuation de la nourriture par des vomissements provoqués, la
de la jeune fille est évocateur : corps efflanqué, tout en os, anguleux. prise de laxatifs et de diurétiques à des doses parfois considérables
La fonte des réserves graisseuses superficielles et profondes est qui créent des troubles graves hydroélectrolytiques, intestinaux ou
massive : les formes féminines se sont effacées ; seins, hanches et rénaux et mettent parfois la vie en danger.

2
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

L’échec de ce contrôle, sentiment constant dans le vécu intime de Sexualité


l’anorexique, peut se traduire dans les faits par des accès
Elle fait l’objet d’un refoulement massif, tant dans ses composantes
boulimiques, suivis de vomissements intermittents ou occupant
physiologiques que dans sa dimension de désir. On observe un
parfois le devant de la scène.
défaut d’investissement érogène du corps. Si une activité sexuelle
L’investissement de la sensation de faim est particulier et bon existe, elle semble se faire sans plaisir, machinalement et s’inscrit
nombre de patientes recherchent et provoquent cette sensation [66]. dans les comportements de maîtrise. Par la suite, si une émergence
L’ensemble des besoins du corps peut faire l’objet d’une semblable de désir sexuel est possible, ce domaine reste probablement le plus
méconnaissance de leur nécessité et de leur fonction de garant de la conflictuel et le plus profondément insatisfaisant. En revanche, dans
vie pour être utilisés à des fins de maîtrise et de satisfaction la dimension de maîtrise, les comportements de séduction ne sont
autoérotique. L’hyperactivité et le surinvestissement de la motricité pas rares. Cette aversion pour toute forme sensorielle de plaisir
en sont un exemple démonstratif. s’accompagne par ailleurs d’un surinvestissement du regard et du
couple de pulsions partielles : voyeurisme/exhibitionnisme.
Aménorrhée
Elle survient constamment au cours de l’évolution. Elle coïncide le Fonctionnement intellectuel
plus souvent avec le début de l’anorexie, mais peut aussi la précéder
Il est classiquement considéré comme excellent avec un
ou la suivre. Elle peut être primaire si la jeune fille n’était pas encore
surinvestissement de ce domaine, de bons résultats scolaires et des
réglée ou secondaire dans le cas contraire. On parle d’aménorrhée
évaluations psychométriques au-dessus de la moyenne. Il convient
après une interruption de 3 mois des règles précédemment
cependant de nuancer ce jugement : les résultats sont meilleurs pour
régulières, ou de 6 mois si elles étaient irrégulières. Elle est
l’apprentissage que pour la créativité et les processus intellectuels
habituellement un des derniers symptômes à disparaître.
sont souvent pris dans l’organisation défensive anorexique et, de ce
L’aménorrhée est un symptôme cardinal de l’anorexie mentale lié à fait, finalement entravés dans leur développement. On y retrouve
l’importance de la dénutrition et de l’exercice physique et à leurs les caractéristiques du style anorexique : boulimie de connaissance,
effets sur l’axe hypothalamohypophysaire gonadique, mais aussi à hyperactivité intellectuelle, mais aussi agrippement, excès de
certaines dimensions psychopathologiques comme le suggèrent les vérification, en fait peur de la réalité psychique interne
données cliniques : aménorrhée précédant l’amaigrissement dans potentiellement désorganisante. Le refuge dans « l’intellectualisme
30 % des cas, persistance fréquente et durable de l’aménorrhée après pur » prend une valeur défensive à l’égard des émotions.
la réquilibration pondérale. Cependant, il n’est pas rare que la conduite anorexique ait un effet
S’il est effectif, le rôle de la perte de poids dans le déterminisme des stimulant sur les conduites d’apprentissage et que l’assouplissement
altérations de la fonction gonadotrope et de l’aménorrhée ne peut de l’anorexie provoque au contraire des difficultés de concentration,
être tenu pour exclusif. L’insuffisance du poids interviendrait plutôt une apathie et une baisse de l’efficience intellectuelle.
comme un élément de plus grande sensibilité à impact défavorable
sur les processus ovulatoires. ¶ Évolution symptomatique
¶ Autres signes cliniques Les différents éléments de ce tableau clinique s’associent
progressivement de telle sorte que l’on peut décrire plusieurs phases
L’absence de fatigue et l’hyperactivité motrice s’associent souvent à
dans l’évolution [11].
la diminution de la durée de sommeil et à des mesures d’ascétisme :
se tenir sur une jambe, marcher jusqu’à épuisement, dormir à même Le début semble souvent réactionnel à un événement, à un
le sol, etc. Mensonges et manipulations de l’entourage se changement dans le mode de vie de l’adolescente :
surajoutent, en nombre et en combinaison variables ; la kleptomanie – première relation sentimentale ;
est fréquente, notamment le vol d’aliments. Il existe enfin un signe
négatif important : l’absence de troubles mentaux majeurs. On – séjour à l’étranger, changement de résidence ou de scolarité ;
entend par là l’absence de symptômes de la série psychotique – remarque de l’entourage sur des transformations du corps liées à
(délires, signes dissociatifs). Cela exclut du cadre de l’anorexie la puberté ;
mentale les restrictions alimentaires sous-tendues par un délire
– modification du lien préférentiel qui la rattachait à un membre de
d’empoisonnement par exemple, ou accompagnant un épisode
la fratrie qui s’éloigne ou a, de son côté, une liaison amoureuse ;
mélancolique.
Pourtant, les éléments de cette triade, s’ils sont nécessaires au – parfois deuil, traumatisme, séparation, séduction, et surtout peut-
diagnostic et si leur association, leurs modalités de survenue et être déception.
d’évolution, ainsi que l’âge et le sexe constituent une constellation La conduite de restriction alimentaire s’installe sous le prétexte d’un
très évocatrice, ils ne prennent leur réelle valeur que si on les intègre régime amaigrissant. Elle s’accroît ensuite d’elle-même alors que
à un ensemble d’attitudes psychologiques particulières. Ce sont elles l’humeur s’altère sur un mode volontiers dépressif.
qui signent l’existence d’un conflit psychique spécifique de La deuxième phase, au contraire, est souvent celle de l’optimisme.
l’anorexie mentale. Les premières inquiétudes des parents sont aisément apaisées par la
logique du discours de l’adolescente. Les parents sont
Vie relationnelle insidieusement amenés à se faire les complices inconscients de leur
La vie relationnelle de l’anorexique est marquée par un fille en évitant tout conflit ouvert avec elle. La restriction alimentaire,
comportement paradoxal qui caractérise en fait l’ensemble de ses la maigreur obtenue, renforcent le sentiment de contrôle de soi-
conduites : comment tenir à distance de soi ce dont on ne peut se même et des autres.
passer. Trois ordres de réponses se dégagent : La troisième phase est plus variable : la patiente développe une
– le maintien d’une relation de dépendance et d’attachement aux hyperactivité frénétique qui ne parvient pas toujours à masquer des
objets d’investissement, réalisant un véritable agrippement ; éléments dépressifs, un retour de l’angoisse, parfois l’apparition de
conduites boulimiques. Cet état peut durer, entrecoupé de périodes
– la tentative de dénier ces liens et le besoin de ces liens par une
d’amélioration minimes et mener, soit à l’anorexie chronique, soit à
affirmation d’autosuffisance ;
des tableaux de cachexie extrême si aucune mesure n’est prise.
– la reprise d’un lien avec l’objet sur un mode qui assure sa
permanence et son contrôle par le développement d’une relation
d’emprise sadomasochiste de type manipulatoire. SYNDROME BOULIMIQUE
L’attitude de défi exprime bien la situation de contrainte à laquelle La forme clinique la plus caractéristique est la forme compulsive
la patiente soumet son entourage. normopondérale évoluant par accès avec vomissements.

3
37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

L’accès boulimique se déroule suivant un scénario assez stéréotypé. troubles que leurs approches thérapeutiques dans l’un et l’autre
Son déclenchement brutal, son caractère impérieux, son déroulement sexe, concluent à des résultats comparables. Notre expérience nous
d’un seul tenant jusqu’au malaise physique ou au vomissement lui amène néanmoins à considérer que les garçons présentant une
confèrent un caractère de crise. anorexie mentale sont plus souvent concernés par des troubles
graves de la personnalité mettant en jeu leur sentiment d’identité et
Cette crise boulimique consiste en l’ingurgitation massive, quasi
plus particulièrement leur identité sexuée.
frénétique, d’une grande quantité de nourriture. Cette ingestion
rapide s’accomplit en général en cachette d’une façon totalement Une comorbidité importante avec les troubles de l’humeur et les
indépendante des repas, survient souvent en fin de journée, et TOC a été constatée. De plus des antécédents familiaux de troubles
répond fréquemment à un sentiment de solitude que le sujet aggrave de l’humeur (20 %) et d’alcoolisme (20 %) ont été mis en évidence [14,
en s’isolant pour manger et en demeurant seul après la crise du fait
90, 99]
.
de son dégoût de lui-même. Il n’est pas rare que le sujet prépare
l’accès et achète ou vole en prévision de celui-ci la nourriture ¶ Conduite boulimique masculine
nécessaire. Nous ne disposons que de très peu d’études. Cependant,
Les aliments sont choisis en raison de leur richesse calorique (pain, Woodside [110] a trouvé dans une vaste étude canadienne en
beurre, pâtes, chocolat) et surtout de leur caractère « bourratif ». La population générale une prévalence de 0,13 % pour les formes
quantité prime toujours sur la qualité, le besoin d’engloutir sur la complètes, de 0,95 % en incluant les formes partielles avec
recherche du goût. L’accès est le plus souvent suivi de vomissements respectivement un sex-ratio autour de 1/10 et de 3/1. Ces formes
provoqués mais qui, avec le temps, deviennent quasi automatiques. masculines ne semblent pas différentes des formes féminines, mais
Un certain nombre de patientes boulimiques repoussent avec force la grande majorité de ces patients échappent aux réseaux de soins.
et dégoût l’idée même et la possibilité du vomissement. Après les La honte liée au fait de souffrir d’une maladie étiquetée féminine
vomissements, la boulimie peut reprendre tant que de la nourriture vient redoubler celle liée aux perturbations du comportement
reste disponible. alimentaire.
La fin de l’accès peut être suivie d’un état de torpeur à la limite Des antécédents de surpoids sont fréquemment constatés [14], ainsi
d’un vécu de dépersonnalisation. Cet état s’accompagne de douleurs qu’une comorbidité avec les troubles de l’humeur (60 %), la prise de
physiques violentes, surtout abdominales. Il entraîne le plus souvent toxiques, les troubles de la personnalité du cluster B (71 %) [14, 99].
un sentiment de malaise, de honte, de dégoût de soi, des remords et
des autoreproches. Malgré cette souffrance, et la conscience du
FACTEURS DE RISQUE
caractère anormal de ce comportement, le malaise va être vite
annulé. Il n’y a pas de signes d’appel à proprement parler permettant un
L’usage de différents médicaments, laxatifs, diurétiques, dépistage précoce d’un TCA avant un trouble avéré et les facteurs
anorexigènes, peut donner lieu à des abus considérables et à des de risque existants sont parfois confondus avec des signes d’appel.
complications somatiques graves. Parmi les facteurs de risque fixes, on trouve, avec la prédominance
féminine, l’adolescence et certaines catégories sociodémographiques.
Comme dans l’anorexie mentale, l’image du corps fait l’objet de En ce qui concerne les facteurs variables, ceux-ci se divisent
préoccupations exagérées souvent obsédantes. Mais il n’y a pas de généralement en facteurs socioculturels, familiaux et de vulnérabilité
distorsion massive de la perception de la réalité du corps. Le poids individuelle. Ils doivent être considérés comme des marqueurs
est le plus souvent normal, un peu au-dessous des normes. cliniques de vulnérabilité potentielle non spécifiques. Ils
Cependant, des conduites boulimiques se retrouvent chez des obèses circonscrivent un « état mental à risque », mais le point de bascule
ou des patientes ayant une surcharge pondérale modérée. vers une affection avérée reste indéterminé.
La fréquence des accès est très variable, de un à deux par semaine à
plus de 15 par jour au cours de véritables « états de mal – L’augmentation de fréquence des TCA parallèle à celle des
boulimiques ». Cette pratique peut être régulière ou survenir par addictions en général apparaît congruente avec un mode de société
périodes de plusieurs mois ou semaines avec des intervalles libres libérale. Le rôle de tels facteurs socioculturels est difficile à mettre
de durée variable. en évidence. Néanmoins, plusieurs études ont montré que les
pathologies alimentaires étaient plus fréquentes dans certains
Entre les crises peuvent survenir des conduites de grignotage, de milieux où le corps est au centre de l’activité professionnelle
restriction alimentaire, ou de régimes alimentaires associés à des (danseurs, mannequins, sportifs de haut niveau…).
exercices physiques plus ou moins extravagants.
– Il est probable que les formes des troubles avec dimension
obsessionnelle et dépressive se recrutent préférentiellement chez les
FORMES CLINIQUES MASCULINES anorexies mentales restrictives pures, tandis que les formes borderline
où l’influence de l’environnement est prévalente, se retrouvent plus
¶ Anorexie mentale du garçon volontiers chez les anorexies mentales purging-type et les
boulimiques. Le « perfectionnisme » est une caractéristique clinique
Décrite depuis 1964 par Morton, elle demeure relativement rare, de
singulière et discriminante dans l’anorexie renvoyant probablement
l’ordre de 10 % des cas, mais ce chiffre est sous-évalué, car très peu
à une vulnérabilité génétique.
d’études en population générale ont été menées. Ainsi, l’étude de
Woodside [110] retrouve en population générale une prévalence de – Les futures anorexiques et boulimiques vivent plus difficilement
0,16 % selon les critères du DSM-IV avec un sex-ratio de 25 %. Le que les autres ce moment-clef de leur maturation physique et
tableau clinique se rapproche de celui de la fille avec une psychique que constitue la période pubertaire. Leur trouble est déjà
prédominance des formes avec boulimie et vomissements. La perte focalisé sur l’image du corps et l’image de soi, intimement liées à
de toute libido et de toute érection est considérée comme cet âge, et sur des difficultés relationnelles tant avec la mère qu’avec
l’équivalent de l’aménorrhée. Une obésité prémorbide est le groupe social [22].
fréquemment retrouvée [14, 50, 90]. – La question du rôle joué par les antécédents d’abus sexuels pendant
Pendant longtemps, la conduite anorexique du garçon a été l’enfance (ASE) dans la pathogenèse des TCA est complexe. Les
considérée comme un mode d’entrée dans une pathologie comparaisons de patientes boulimiques avec des sujets sains ou
psychotique. De nombreux auteurs [28, 74] décrivent désormais des souffrant d’autres troubles psychiatriques ont montré peu de
modalités évolutives comparables aux formes féminines. Ainsi, différences, ce qui tendrait à prouver que les relations entre ASE et
Andersen et al ont étudié les particularités cliniques et le TCA en termes de co-occurrence, n’ont rien de spécifique.
fonctionnement mental des hommes présentant des TCA. Leurs Les seules études qui aient pris en considération les atmosphères
études, concernant tant les mécanismes psychopathologiques de ces incestueuses, afin de les distinguer au mieux d’événements

4
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

traumatiques dans la réalité, retrouvent des chiffres équivalents avec Les premiers psychanalystes qui ont eu à s’occuper d’anorexiques
un pourcentage d’abus sexuels patents dans une population de ont ainsi été conduits à mettre en avant le rôle de la régression
femmes boulimiques égale à 7 %, c’est-à-dire voisine de celle devant la sexualité génitale et celui des fantasmes inconscients de
observée dans la population générale [33]. fécondation orale et d’incorporation anale du pénis paternel. Ces
Les études longitudinales se rejoignent dans leurs conclusions : une thèmes seront repris par Fénichel [32]. Un double mouvement affecte
baisse de l’estime de soi est prédictive sans être spécifique d’un la sexualité génitale : l’un l’amène à déplacer les représentations la
TCA. concernant sur l’oralité et à conflictualiser celle-ci qui fait l’objet de
– Concernant la comorbidité TCA/dépression au vu de la littérature dégoût, d’inhibition et de refoulement ; l’autre, plus
récente, la prévalence excède de beaucoup celle retrouvée en authentiquement régressif, conduit à une réactivation des relations
population générale (entre 11 et 66 % selon les études au moment d’objet et d’un érotisme qui appartient aux stades antérieurs de la
du diagnostic de TCA en ce qui concerne les épisodes dépressifs libido, anal et oral. On a pu ainsi rattacher à l’analité : les formations
majeurs) avec une fréquence accrue chez les patientes réactionnelles, les rites alimentaires, les pensées obsédantes, les
boulimiques [20]. conduites de vérifications, la fécalisation des aliments, du corps et
Si la dépression est donc souvent associée au TCA, elle n’est pas des besoins en général, en contrepoint d’une idéalisation de
pour autant prédictive. De fait, elle est souvent confondue avec une l’intellect et du corps mince et érigé, et surtout le surinvestissement
baisse de l’estime de soi. de la maîtrise, de l’hyperactivité musculaire, des relations d’emprise
et manipulatoires sur les objets. La réactivation des mécanismes
– La dynamique familiale est très fortement impliquée, mais on ne d’incorporation, et de leur inhibition, l’importance de l’envie, des
sait pas si c’est au niveau des facteurs primaires ou secondaires. Les relations en tout ou rien, de l’avidité et de l’insatiabilité telles
familles de boulimiques sont plus désorganisées et on y retrouve qu’elles apparaissent à l’occasion des accès boulimiques sont
des caractéristiques qui sont celles de leurs enfants. Les familles davantage de l’ordre de l’oralité (le vomissement condense des
d’anorexiques ont davantage de problèmes d’anxiété et de maîtrise, aspects liés à l’oralité et à l’analité). La régression conduit également
les références à l’idéal y jouent un rôle beaucoup plus contraignant, à une désintrication pulsionnelle et à une libération d’une agressivité
bien que ces éléments ne soient pas d’une grande spécificité. libre qui nourrit les symptômes anorexiques et boulimiques.
– La fréquence des antécédents familiaux de troubles psychiatriques Progressivement, les auteurs vont conférer au symptôme non plus
(dépression [25 versus 8 %] ; addiction alcoolique ; abus de drogue) la signification d’une issue au conflit pulsionnel, mais la finalité de
est avérée [34]. Elle est plus élevée chez les boulimiques que chez les répondre aux failles d’ordre psychotique de l’organisation du Moi
anorexiques. par la tentative de rétablissement de l’unité mère-enfant. On peut
Une étude récente, parmi les plus rigoureuses sur le plan considérer que le symposium de Göttingen sous la direction de
méthodologique, réalisée sur un échantillon de 210 sujets, retrouve Meyer et Feldmann [73] officialise un tournant dans la conception
une prévalence de 27 % de troubles de la personnalité dans les psychopathologique de l’anorexie mentale. Les conclusions de ce
TCA [49] . Les anorexiques-boulimiques ont plus souvent une congrès ayant fait l’objet d’un consensus sont les suivantes :
pathologie de la personnalité (39 %) que les boulimiques (21 %) et l’anorexie mentale a une structure spécifique ; le conflit essentiel se
les anorexiques (22 %). Le type de pathologie appartient plus situe au niveau du corps et non au niveau des fonctions alimentaires
souvent au cluster C (personnalités évitantes, dépendantes, sexuellement investies. L’anorexie mentale exprime une incapacité à
obsessives compulsives et passives-agressives) pour les anorexiques assumer le rôle génital et les transformations corporelles, propres à
pour lesquels on ne retrouve pas de personnalité borderline. Les la puberté. Ces conclusions vont alors être reprises et développées
sujets boulimiques au contraire se situent essentiellement dans le dans des voies spécifiques par différents auteurs.
cluster B (personnalités borderline, histrioniques, narcissiques et Bruch [6, 7] considère que le trouble fondamental et pathognomonique
antisociales). De fait, plusieurs caractéristiques cliniques sont est un trouble de l’image du corps secondaire à des perturbations
communes à la boulimie et à la personnalité borderline : l’instabilité de la perception interoceptive. L’ampleur de cette triade : troubles
affective, l’impulsivité, la consommation de substances, les conduites de l’image du corps, de la perception interoceptive et de l’autonomie
pathologiques telles que le vol, les tentatives de suicide. prend un caractère déréel, sinon délirant et place l’anorexie primaire
– Une recherche remarquable sur le plan méthodologique [30, 31] a dans la lignée des schizophrénies dont elle constituerait une forme
tenté de mettre en exergue des facteurs de risque spécifiques. Les particulière.
facteurs qui différencient spécifiquement les anorexiques des autres Selvini-Palazzoli [88] fait de l’anorexie mentale une forme de
troubles psychiatriques sont une autoévaluation très abaissée et un « psychose monosymptomatique » qu’elle qualifie de « paranoïa
perfectionnisme élevé. Dans le cas de la boulimie, on constate une intrapersonnelle » et qui se situe à mi-chemin entre les positions
plus grande vulnérabilité aux influences familiales ou sociales schizoparanoïde et dépressive. Elle fait l’hypothèse que l’anorexie
valorisant les régimes et la minceur, qui n’est pas retrouvée pour est une lutte contre l’impulsion boulimique.
l’anorexie mentale ; une plus grande fréquence de remarques
Kestemberg et al [66] mettaient en avant les modalités spécifiques de
négatives de l’entourage sur leur apparence physique, ainsi que plus
la régression et de l’organisation pulsionnelle. La régression est
d’obésité dans leur enfance et chez les parents. Enfin, les règles
« vertigineuse » en ce qu’elle ne rencontre aucun point de fixation et
surviennent un peu plus précocement.
d’organisation au niveau des zones érogènes. Celles-ci, dans leurs
Au total, s’il y a bien des facteurs de vulnérabilité, ils ne prédisent
modalités spécifiques d’organisation de la relation objectale, sont
pas le mode d’expression de la difficulté psychique et la forme
« inefficaces », « balayées » par le mouvement régressif qui ne trouve
psychiatrique que celle-ci va prendre au moment de l’adolescence.
à s’arrêter qu’au niveau de ce que les auteurs appellent les
précurseurs de la relation avec l’objet et de l’organisation du Moi et
qu’ils conceptualisent dans une acceptation très originale du Soi. La
Mécanismes étiopathogéniques conduite boulimique est alors considérée comme une tentative de
résolution dans un acte, avec un plaisir plus ou moins dénié de ces
conflits fondamentaux de l’anorexie mentale.
APPROCHE PSYCHANALYTIQUE
Ces différentes études psychopathologiques, qui ont chacune leur
¶ Psychopathologie individuelle approche et leur théorisation propre, placent la problématique de
l’identité au cœur des TCA. Elles soulignent l’importance du conflit
L’éclairage psychopathologique va successivement être porté sur la dépendance/autonomie et la vulnérabilité fondamentale de ces
nature des fantasmes et sur le conflit pulsionnel sous-jacent au sujets [66]. Pour autant, l’anorexie mentale, la boulimie sont-elles des
symptôme, puis se déplacer sur la pathologie de l’organisation de la symptômes ou renvoient-elles à des structures psychiques
personnalité et du lien [8]. particulières ?

5
37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

On a voulu successivement en faire des symptômes rattachables à Cette dépressivité est une modalité particulière du fonctionnement
des entités psychiatriques déjà connues en fonction des vogues des psychique servant à aménager un temps des angoisses archaïques
différents modèles qui se sont succédé. désorganisantes, mais qui nécessite une énergie considérable et
L’hystérie fut évoquée en premier et reste la référence la plus totalement improductive pour se maintenir. C’est la chronicisation
habituelle, non seulement dans les descriptions princeps de Gull [43] de cette « solution dépressive » et de ses effets de barrage à un
et Lasègue [67] puis de Charcot et Déjerine, Silverman [91], mais travail de deuil qui fait craindre la pérennisation d’une organisation
également pour Janet, et Freud [36] lui-même qui, dans ses premiers en faux self, l’évolution vers une dépression essentielle et un risque
travaux, évoque une forme de conversion par refoulement de psychosomatique à terme.
l’érotisme oral, thèse qui sera plus récemment reprise par La dimension addictive de ces conduites a conduit certains auteurs
Couvreur [26], et par Valabrega [104] qui en fait un symptôme de à les intégrer dans le vaste champ des toxicomanies. Jeammet et al [58]
conversion susceptible de se retrouver sur des structures différentes. regroupent dans le concept d’addiction des conduites différentes
La dépression mélancolique est, après l’hystérie, le modèle le plus comme l’alcoolisme, le tabagisme, le jeu pathologique, les TCA
souvent pris comme référence, mais les études les plus récentes (anorexie, boulimie), les surconsommations médicamenteuses, en
soulignent que l’on ne peut réduire la boulimie à une manifestation particulier de psychotropes, mais aussi certaines conduites
dépressive, même si cette dimension dépressive y est centrale [24]. suicidaires et/ou de prise de risque. Ce regroupement repose sur
De même, aucune preuve n’est venue étayer sérieusement des constatations cliniques qui apparaissent très voisines dans les
l’hypothèse de la parenté de l’anorexie mentale et des boulimies différents troubles :
avec la psychose maniacodépressive [27]. – début à l’adolescence avec réactivation de l’histoire
La maladie psychosomatique représente le troisième modèle le plus événementielle de l’enfance ;
souvent retenu. On ne peut qu’être frappé en effet par certaines – compulsivité avec obsessions idéatives concernant l’objet et la
caractéristiques de ces patientes : les difficultés associatives, la conduite addictive ;
pauvreté ou l’absence d’élaboration des fantasmes, la tendance à la
reduplication projective, l’entrave aux capacités projectives – sentiment de manque ou de vide et impulsivité précédant le
prisonnières des formations de caractère et de l’adhérence à la réalité recours à l’objet addictif ;
objective qui évoquent des difficultés de liaison entre processus – substitution d’une dépendance à l’objet humain par une
primaire et secondaire, une carence du rôle du préconscient, que dépendance à un objet externe inanimé, disponible et manipulable ;
l’on retrouve dans la pensée opératoire des malades décrits par
Marty [72]. – vécu de dépersonnalisation, sorte d’état second hypnotique puis
honte et culpabilité mêlées lors des crises ;
Dans le même sens, Brusset décrit la crise boulimique comme
[12]

« la mise en œuvre d’un palier de réorganisation par rapport à une – dépressivité et lutte antidépressive lors des intervalles libres,
régression mortifère, ou une désorganisation susceptible d’entraîner manifestations somatiques lors du sevrage, maintien masochique de
dépression essentielle et somatisation ». la conduite malgré les effets du manque et les conséquences
À partir de données épidémiologiques et cliniques, Corcos [19] relève délétères psychologiques, biologiques et sociales ;
que la majorité des conduites addictives alimentaires les plus graves, – fréquence des coaddictions lors de l’évolution.
dans une approche nosologique diagnostique catégorielle, se situent Ces données cliniques traduisent une problématique narcissique
non dans un registre névrotique structuré ou dans le monde commune. C’est dire que, si le « choix » du type de conduite et les
narcissiquement clos de certaines psychoses, mais dans des registres effets de l’objet d’addiction sont radicalement différents, la genèse et
narcissiques ou limites (psychoses passionnelles froides, toxicomanie la pérennisation de la conduite comportent des points communs
d’objet), ou encore névrotiques précaires (névrose de (failles narcissiques, structuration psychique précaire, acte anti-
dépersonnalisation), c’est-à-dire dans un cadre de structuration éprouvé et antipensée, mécanismes neurobiologiques de dépendance
vacuolaire ou d’astructuration à risque psychosomatique. similaires).
Dans une approche dimensionnelle, 50 à 70 % des cas présentent Les auteurs conçoivent la place, le rôle et la fonction du symptôme
une dimension alexithymique à risque psychosomatique. addictif dans ces conduites en tant que défense contre des affects
Cette dimension alexithymique rend compte d’une constante dépressifs non structurés, pressentis dangereux, et en tant
clinique observée dans ces conduites : la phobie du relationnel qu’on qu’élément permettant d’accéder à une jouissance solitaire plus ou
peut rattacher à une angoisse plus régressive face à l’altérité. Elle moins masquée ou élément permettant une autostimulation face à
objective un mode de vie opératoire très tôt organisé. L’évitement un sentiment de vide désorganisateur.
de la pensée, mais aussi de l’éprouvé mis en place par le sujet dans Sans avoir l’ampleur et la rapidité d’impact d’une drogue
ses relations ultérieures, a pour fonction essentielle de ne pas mettre proprement dite, un comportement pathologique, en particulier
en péril une organisation d’être au monde sécurisante. alimentaire, est susceptible d’avoir certains des effets psychotropes,
La dimension alexithymique apparaît essentielle à considérer dans que ce soit par l’apaisement qu’il peut procurer ou en étant source
ces conduites car elle condense deux inaptitudes foncières : d’excitations stimulantes pour le psychisme, avec pour conséquence
l’aptitude hédonique et l’aptitude à se déprimer font défaut ou l’apparition d’un certain degré de dépendance (avec la difficulté de
plutôt sont court-circuitées par la compulsion addictive, ou encore séparer dépendance physique et psychique) mais également
font l’objet de dérivation endogène (circuit pervers, régression d’accoutumance. Ces répercussions peuvent être le fait de
psychosomatique). phénomènes purement psychiques, en lien avec le sens et la fonction
Ces deux inaptitudes se rejoignent fondamentalement dans de ce comportement dans l’équilibre mental des patients, ou résulter
l’incapacité « à s’ouvrir à soi et à l’autre sans se perdre », en des effets psychiques propres des sensations procurées par le
particulier dans un affect dépressif ou dans le plaisir. Enfin, certaines comportement [9], ou de ceux des modifications biologiques, en
spécificités de la dépression observées dans les TCA (dépression particulier des neuromédiateurs, secondaires à la pratique de ce
narcissique anaclitique par défaut d’étayage et dépressivité plus que comportement. Ainsi, les mécanismes neurobiologiques de la
dépression avérée) constituent les éléments prédictifs d’un risque dépendance à un objet toxique existent de la même manière dans
évolutif vers un fonctionnement alexithymique associé ou non à des les addictions comportementales tels les TCA.
maladies psychosomatiques. Cette dépressivité habite un symptôme On peut faire l’hypothèse qu’il en est de même des conduites
d’ordre à la fois comportemental et corporel. Les variations addictives alimentaires et dans d’autres conduites comportementales
thymiques corrélées à des sentiments contradictoires et conflictuels où les bases et les mécanismes neurobiologiques de la dépendance
vis-à-vis de l’objet sont exprimées par des voies comportementales sont les mêmes que dans les toxicomanies [102]. On sait avec
et somatiques plus que psychiques. Fullerton [37] et Hawkes [45] que les crises alimentaires sont à l’origine

6
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

de production intracérébrale de substances opioïdes à effet – des altérations de l’image du corps témoignant d’une
morphinique. Pour l’anorexie, l’état d’élation et le sentiment de bien- indifférenciation partielle d’avec le corps maternel ;
être physique malgré la dénutrition et l’« orgasme de la faim » – à des degrés divers, un mouvement actif d’attaques des processus
semblent correspondre de même à une sécrétion de b-endorphines mentaux de représentation et un surinvestissement du sensoriel. Ce
endogènes [2]. mouvement peut n’intéresser qu’une partie du fonctionnement
L’hypothèse essentielle est que l’anorexie mentale, comme la mental, qui par ailleurs reste « normal » ;
boulimie, font partie des conduites de dépendance. Le fond commun – un mode relationnel organisé autour de l’angoisse du manque qui
de cette problématique de dépendance crée les conditions d’un condense la perte d’objet, la déperdition narcissique et la castration ;
antagonisme entre la sauvegarde narcissique et la lignée objectale
pulsionnelle. Cette situation aboutit à une sorte de paradoxe, dont – un registre défensif varié, mais partiellement inopérant et donnant
l’anorexie est le paradigme, et qui peut se formuler ainsi : « ce dont l’image d’un « avortement » du travail psychique.
j’ai besoin, parce que j’en ai besoin et à la mesure même de ce besoin, ¶ Psychopathologie familiale
c’est ce qui me menace ».
Le passage à l’acte boulimique bat en brèche cette organisation Dans une perspective psychanalytique, la psychopathologie
défensive de l’anorexie mentale. Ce choix de la conduite boulimique individuelle du patient, telle qu’elle s’est organisée au cours de son
trouve sa spécificité à un second niveau : celui des modalités de la histoire, est prise en compte afin d’essayer de la relier à la
régression qui accompagne ces dysrégulations narcissiques et personnalité respective de l’un ou des deux parents. La première
objectales, et plus encore celui des aménagements de cette enfance y tient alors une place essentielle. Les études de la
régression. La crise boulimique représente alors un aménagement psychopathologie individuelle de chacun des membres de la famille
de la régression particulier par ses facteurs déclenchants, les ont, dans un premier temps, porté essentiellement sur le rôle de la
modalités de son arrêt et les réaménagements auxquels il donne mère.
lieu : Rôle de la mère
– le détonateur en est le plus souvent la confrontation à la situation Les mères sont décrites d’une façon qui peut apparaître
œdipienne, à la différence des sexes, et à tout ce qui renvoie à contradictoire :
l’incomplétude du sujet ; il se caractérise par l’échec des zones
– d’un côté, on insiste sur leur caractère de personnage fort, rigide,
érogènes à stopper cette régression et à l’organiser ;
dominant et même tyrannique, peu chaleureux ;
– l’aménagement postrégressif est ce qu’il y a de plus spécifique :
– d’un autre côté, on relève l’importance des manifestations
c’est la relation que la personne boulimique entretient avec son
dépressives. Cet état dépressif peut être repéré dans les premières
objet-symptôme, la crise boulimique elle-même, toujours
années de la vie de l’enfant, empêchant la mère d’être en empathie
potentiellement accessible.
avec lui et de lui fournir un étayage affectif. On le retrouve parfois
L’aménagement de la régression correspond à une variante dans les mois ou l’année ayant précédé le déclenchement des
d’aménagement pervers. L’utilisation du besoin physiologique troubles.
comme néo-objet [5] prend le relais des objets de la réalité externe
Cette contradiction n’est qu’apparente si l’on considère que la
devenus dangereux. La conduite boulimique, comme l’anorexie ou
rigidité des positions de caractère reflète une dépression sous-
la toxicomanie, constitue « une voie finale commune de décharge de
jacente. Quant à la position dominante, elle peut être le fait d’une
toutes les excitations » [12]. L’apparition de TCA (pas plus que
mère déprimée qui se perçoit comme faible, débordée et dévalorisée.
d’autres conduites agies ou addictives) reflète l’instabilité de
Dans cette perspective, il est nécessaire, au-delà du comportement
l’organisation psychique, mais ne signe pas en elle-même la présence
manifeste, de considérer la place qu’occupe chacun dans le fantasme
d’une structure psychique particulière. En revanche, elle témoigne
des autres. La « future anorexique » occupe dans les fantasmes de sa
d’une vulnérabilité de la personnalité à la fois suffisamment
mère une place particulière : l’investissement maternel est de nature
spécifique pour être une condition nécessaire à l’apparition de telles
essentiellement narcissique et valorise des performances de l’enfant
conduites, mais pas assez pour que celles-ci soient une réponse
reconnues socialement au détriment de tout ce qui est plus
inévitable ni même la seule possible. Plus qu’une organisation stable
personnel, pulsionnel et affectif [66, 93]. Le surinvestissement apparent
de la personnalité, et plus encore qu’une structure définie, ces TCA
de l’enfant par la mère contraste avec le caractère frustrant de celle-
semblent réaliser un aménagement pervers d’une vulnérabilité liée
ci, son manque de chaleur, son insatisfaction permanente. On a
au maintien d’une dépendance excessive aux objets externes.
surtout décrit la dépendance d’un enfant à l’égard d’une mère qui
La perversion a pu également être évoquée, tant dans sa dimension lui fait prendre ses besoins à elle pour les siens propres [7]. À ce titre,
caractérielle de perversité avec manipulations des personnes, la fréquence des antécédents maternels de TCA, surtout
mensonges, mythomanie, que dans sa dimension structurale de déni infracliniques, est à noter.
de la castration, fétichisation du corps, réactivation de la sexualité
L’organisation fantasmatique de la mère et la place qu’y occupe sa
prégénitale. C’est ainsi, par exemple, que la boulimie a pu être
fille ne peuvent se comprendre que par rapport à ses relations à ses
décrite comme un acting out défensif sur le corps propre d’un
propres parents. Les grand-mères, et notamment la grand-mère
fantasme sado-masochique semi-symbolique [86].
maternelle, apparaissent ainsi comme les personnages-clés de ces
Pour Chabert [ 1 7 ] , l’aménagement pervers des mouvements familles. Les relations de la mère à ses propres parents peuvent se
pulsionnels réalisé par la conduite boulimique constitue une résumer schématiquement par une relation idéalisée mais
tentative de colmatage de brèches narcissiques et dépressives profondément ambivalente à leur mère, une vive déception
d’allure mélancolique. œdipienne par rapport à leur père [66]. Cette ambivalence se reflète
Tests psychologiques dans la relation de la mère à sa fille sous une forme également
masquée par l’idéalisation. Elle se manifeste parfois de façon très
Chabert [16], présentant une revue des études sur les épreuves
violente par le rejet, notamment pendant la phase de guérison de
projectives, montre la juxtaposition chez les anorexiques de
l’anorexie, alors que la patiente ne peut plus répondre au rôle
différents niveaux de fonctionnement et d’organisation et le rôle joué
attendu par la mère. La mère vit sa fille tantôt comme un double
par l’étayage sur des relations dans le choix du niveau utilisé. Les
consolateur, ce que n’avait pas su être sa propre mère, tantôt comme
configurations psychopathologiques de la boulimie, au travers du
la représentante surmoïque de celle-ci.
test de Rorschach exposées par Birot [3] , mettent en évidence
certaines constantes du fonctionnement mental : Rôle du père
– l’investissement massif du test et, au moment de la séparation, Le rôle éventuel du père fut pris en compte plus tardivement pour
l’expression d’un sentiment de vol, de dépossession de la production souligner son caractère effacé, soumis, incapable de faire preuve
fantasmatique ; d’autorité, souvent exclu de fait de la vie familiale. Comme pour les

7
37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

mères, Dally et Gomez [28] signalent la fréquence des épisodes boulimiques, elle observe du côté de la patiente une disqualification
dépressifs chez ces pères dans les mois précédant le déclenchement de ses messages par son comportement, et du côté de la famille, des
de l’anorexie. Ils nous sont apparus en difficulté personnelle, plus moments de confusion psychotique et de rupture de la
encore que les mères [4]. Leur identité est plus mal assurée du fait en communication.
particulier de la prévalence de leurs identifications féminines. Plus
encore que chez les mères, on rencontre des niveaux d’organisation
et de fonctionnement psychiques différents dont un certain nombre Approche biologique :
proches de la psychose.
régulation de la prise alimentaire
Ces difficultés se traduisent par des attitudes qui vont, d’un repli
sensitif chez les uns, à une relation plus ouverte et nuancée chez les Le poids corporel de l’adulte tend vers une valeur relativement
autres, mais avec une position contre-œdipienne massive et des stable, ce qui suggère l’existence d’une homéostasie pondérale. En
relations de séduction avec leur fille, en passant, enfin chez d’autres, effet, un ensemble de mécanismes régulateurs vise à corriger les
par un rôle essentiellement maternant. écarts produits par les variations des milieux internes et externes,
Cette réalité de la relation que le père noue avec sa fille nous est les paramètres d’équilibre étant la prise alimentaire, les dépenses
apparue corrélée avec la forme d’organisation psychopathologique énergétiques et le niveau d’adiposité.
de la patiente : aux pères avec une position contre-œdipienne très Le contrôle central de la régulation du poids se situe au niveau de
active correspondent toujours les formes avec modalités hystériques l’hypothalamus, ventral et médian, qui intègre les différents stimuli
de fonctionnement, mais aussi les formes avec boulimie et et organise les réponses, surtout par la mise en jeu des systèmes
vomissements. Plus le père fonctionne sur le versant narcissique du sérotoninergique et catécholaminergique.
repli et de la persécution, plus l’anorexie constitue le seul
aménagement défensif et plus les traits schizoïdes et dépressifs sont La sérotonine est le neuromédiateur dont le rôle dans le pondérostat
présents. est actuellement le mieux connu. L’effet le plus anciennement décrit
est la modification du comportement alimentaire, avec une variation
L’intérêt s’est progressivement déplacé des individus qui composent de la satiété. D’autre part, la sérotonine a un effet global de
la famille sur celle-ci en tant que groupe naturel. Le tableau le plus diminution des ingestats caloriques par un ensemble de
fréquemment décrit est celui d’une famille conventionnelle, fixée phénomènes sélectifs sur la prise alimentaire. La sérotonine agit au
rigidement sur les apparences, fermée sur elle-même, avec une peur niveau de l’hypothalamus médian en diminuant la prise alimentaire,
du monde externe et surtout une volonté d’éviter les conflits en particulier celle des hydrates de carbone (la sérotonine fait partie
internes. Sours [93] trouve que ces familles cherchent à apparaître d’une boucle très complexe de régulation de l’absorption
parfaites dans une caricature de normalité. Les auteurs retrouvent glucidique). Cet effet a été remarqué chez des patients obèses
une plus grande hétérogénéité dans le fonctionnement familial des présentant en dehors des repas des compulsions sélectives pour les
familles boulimiques. Ces familles sont plus chaotiques, manquent hydrates de carbone (carbohydrates-cravers [CHC]) lors de moments
de contrôle, les conflits et l’hostilité y sont plus intenses [107]. Igoin [52] de tension intérieure. L’absorption de collations sucrées entraîne une
distingue les foyers très « unis » dont les tensions restent marquées, sédation de cette tension. La prescription chez ces patients de
des foyers « brisés » avec séparation des parents parfois violente. dexfenfluramine (agoniste cérébral de la sérotonine) entraînait une
diminution de l’intensité des crises. Ainsi était suggérée l’hypothèse
Rôle de la fratrie
hyposérotoninergique dans la boulimie. Un déficit sérotoninergique
Reste enfin le problème de la fratrie. Plus que la place du patient est par ailleurs évoqué dans certains troubles dépressifs et troubles
dans l’ordre chronologique, apparaissait importante sa place dans la du contrôle de l’impulsivité que l’on retrouve en clinique dans la
fantasmatique des parents et le rôle de complément narcissique joué constellation symptomatique de la boulimie. Pour autant, l’impact
par un membre en général plus âgé de la fratrie. La fréquence des de la sérotonine dans le comportement boulimique doit être articulé
cas d’anorexie mentale dans la fratrie est peu élevée, mais il semble avec l’effet des autres éléments régulateurs de la prise alimentaire.
en revanche que les signes de difficultés psychologiques sérieuses y Le système catécholaminergique régule le poids de façon centrale par
soient plus répandus qu’une vue superficielle ne le laisserait croire. l’activation des récepteurs centraux :
La théorie familiale systémique a trouvé avec l’anorexie mentale un
champ d’application immédiat. Deux auteurs se sont – a induisant une augmentation de la prise alimentaire par
particulièrement intéressés aux TCA : Minuchin [74] et Selvini l’élévation caractérisée du volume et de la durée des repas, et la
Palazolli [87, 89]. sélection de glucides ;
Pour Minuchin, la famille où survient une anorexie mentale est une – b entraînant à l’inverse une diminution de la prise alimentaire.
famille dysfonctionnelle qui entre dans le cadre des familles Les travaux de recherche se développent sur les neuropeptides
psychosomatiques. Elles se caractérisent : par l’enchevêtrement entre impliqués dans la régulation physiologique de la prise alimentaire
les membres d’une même famille, leur excessive proximité et et concernent essentiellement la norépinéphrine, les opioïdes
l’intensité des interactions ; la surprotection ; la rigidité ; l’intolérance (enképhaline, brendorphine, dymorphine) et les peptides
aux conflits, leur évitement et leur non-résolution. pancréatico-intestinaux (y-yy) ; toutes sont des substances
Pour éviter un conflit insupportable, les parents transforment leurs orexigènes puissantes. Le système NPY-leptine-ghréline paraît
difficultés de couple en un problème avec leur enfant. La actuellement être un régulateur important de la prise alimentaire.
préoccupation concernant la nourriture est plus importante dans les
familles de boulimiques que dans les familles d’anorexiques. La
APPROCHE GÉNÉTIQUE
pathologie familiale serait plus grande dans les familles de
boulimiques (normopondérales ou anorexiques) que dans les Une certaine vulnérabilité génétique serait corrélée étroitement avec
familles d’anorexies restrictives [107] . l’existence de troubles dépressifs majeurs dans la famille, ce qui ne
Selvini considère comme Minuchin que le problème central réside concerne qu’une minorité des troubles alimentaires. De nombreux
dans un système d’alliance et de coalition au sein de la famille. Elle auteurs dont Rivinius [83] ont montré une fréquence de deux à quatre
parle de « mariage à trois », chaque parent étant également dans une fois supérieure des troubles thymiques chez les apparentés au
relation incestueuse avec un des enfants. Elle insiste sur la premier degré des patientes anorexiques et boulimiques par rapport
désillusion profonde qui se cache derrière l’unité de façade du aux apparentés des sujets contrôles. Strober [101] a précisé que cette
couple parental. Elle reprend les modèles d’analyse de la notion s’appliquait aux familles d’anorexiques avec comportement
communication de Watzlawick et de l’école de Palo Alto pour boulimique, et non aux familles d’anorexiques restrictives pures.
repérer comment chaque membre de ces familles qualifie ses propres Les études sur l’association génétique au TOC [15] se développent,
communications et celles des autres. Dans les familles de mais la plupart des anorexiques et une partie des boulimiques sont

8
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

dans une logique obsessionnelle défensive [ 9 4 ] avec une l’appétit. Le métabolisme se réduisant, cela renforce la nécessité de
obsessionnalité plus importante en cas de comportement restrictif et mettre en place des restrictions diététiques, bouclant ainsi le cercle
une compulsivité plus importante en cas de comportement vicieux.
boulimique. La comorbidité TCA-TOC est donc importante, mais le Il va de soi que d’autres aspects interviennent à un niveau ou à un
lien psychopathologique est non spécifique. autre de la chaîne que nous venons de décrire : une pathologie
Il est probable que les formes endogènes avec dimension anxieuse ou dépressive, des attitudes obsessionnelles compulsives,
obsessionnelle et dépressive des troubles se recrutent une sensibilité interpersonnelle particulière, la présence d’éventuels
préférentiellement chez les anorexies mentales restrictives pures, troubles de personnalité, d’une dépendance à une substance ou
tandis que les formes borderline, où l’influence de l’environnement encore une manière défaillante de gérer son stress.
est prévalente, se retrouvent plus volontiers chez les anorexies Nombreux sont les modèles proposés pour comprendre la boulimie.
mentales purging-type et les boulimiques. À cet égard, Halmi et al [44] Le lecteur ayant un intérêt particulier peut consulter l’excellente
estiment que le « perfectionnisme » est une caractéristique clinique revue faite par Vanderlinden et al [105]. Pour notre propos, nous
singulière et discriminante dans l’anorexie et qu’elle renvoie à une évoquons le modèle cognitif imaginé par Fairburn [29], qui met en
vulnérabilité génétique. son centre les préoccupations exclusives de la boulimique pour la
L’anorexie mentale étant une maladie rare, les études de génétique forme de son corps et son poids, raisons pour lesquelles elle se doit
doivent pouvoir inclure un nombre très important de patients pour d’être très stricte et contrôlante. La diète extrême, les vomissements,
que les données soient interprétables. L’héritabilité, c’est-à-dire le l’abus de laxatifs, les préoccupations liées à l’alimentation et à la
poids des facteurs génétiques, est estimée à 50-70 %. Une forte nourriture, la sensibilité exacerbée pour tout changement corporel
héritabilité ne signifie pas forcément que les gènes (connus pour le ou du poids suivi par des pesages fréquents ou des évitements des
moment) les plus impliqués aient un poids considérable. Par pesages, constituent les conséquences les plus marquantes des
exemple, l’anorexie mentale a une héritabilité estimée autour de préoccupations (cognitions) de ce type de patiente. De la sorte,
70 %, mais l’allèle de vulnérabilité le plus impliqué à l’heure actuelle l’image de soi est améliorée à travers un sentiment de maîtrise
n’augmente le risque d’anorexie mentale que de 1,8 (risque relatif). absolue, même des paramètres physiques. Nous rajoutons au
Collier et al [18] ont mis en évidence une association significative modèle de Fairburn deux types de vulnérabilité initiales et la notion
entre anorexie mentale et un polymorphisme du gène codant pour d’image de soi. Comme pour tout trouble psychique, une certaine
le récepteur sérotoninergique 5HT2A. Ce résultat, répliqué plusieurs vulnérabilité semble exister également pour la boulimique, en
fois, apparaît très significatif chez les anorexiques avec forte l’occurrence à caractère biologique et psychologique. De plus, la
dimension obsessionnelle. L’effet est très significatif mais modéré [41]. boulimique se caractérise par une ambivalence spécifique vis-à-vis
Les études d’agrégation familiale estiment à 3 % le risque d’avoir de son environnement. Il s’agit d’un côté de montrer son corps
un enfant anorexique si un apparenté a le trouble et à 0,3 % si ce (visibilité), critère unique d’évaluation aux yeux des autres, et d’un
n’est pas le cas [100]. autre côté, de faire des épisodes de frénésie alimentaire avec ou sans
vomissements à l’abri des regards (invisibilité). Comme tout un
Un sujet ayant une vulnérabilité génétique, sur le 5HT2A par
chacun, la boulimique tente de donner une image rehaussée d’elle-
exemple, a un risque relatif faible (× 1,8) s’il ne s’y associe pas
même, raison pour laquelle elle se préoccupe d’une façon exclusive
d’autres vulnérabilités génétiques (sur d’autres gènes, il faut donc
ou unidimensionnelle de sa forme et de son poids. Pour cela, il lui
exclure la notion de gène candidat car la transmission est
faut développer des stratégies d’autocontrôle strict dont la réussite
probablement oligogénétique, voire polygénétique) et des facteurs
lui apporte un sentiment de maîtrise. La bonne image de soi est
d’environnement favorisants. Or, ces conditions d’interactions sont
ainsi donnée et le cercle vicieux fermé.
rarement réunies, ce qui explique la dispersion au bout de trois
générations…, le dernier sujet ayant autant de risques que dans la
population générale.
Les études de concentration familiale tentent de spécifier le spectre
Évolution et pronostic
phénotypique, en regard des liens entre troubles alimentaires,
Les études concernant le devenir des patients souffrant de TCA ont
dépression et alcoolisme. Gershon et al [40] ont mis en évidence le
fait l’objet de nombreuses publications depuis les années 1980.
fait que c’est l’anorexie restrictive pure, sans vomissements
Cependant, la disparité des méthodes utilisées rend les résultats
provoqués et crise de boulimie, qui augmente significativement le
difficiles à comparer. Les problèmes méthodologiques concernent
risque d’anorexie mentale chez les apparentés. Maloney et al [71] ont
aussi bien le nombre de patientes de l’étude, le moyen de
mis en exergue la fréquence des TCA subcliniques chez les
recrutement et les critères d’inclusion, que la durée du suivi, le
apparentés féminins des sujets anorexiques.
nombre de perdus de vue et les moyens d’évaluation.
Treasure et al [103] ont retrouvé plus souvent un alcoolisme chez les
sujets souffrant de boulimie (12 %) et non d’anorexie mentale (4,8 %).
Ces données génétiques invitent donc à individualiser l’anorexie DEVENIR ET PRONOSTIC DE L’ANOREXIE MENTALE
restrictive pure des autres troubles.
¶ Analyse de la littérature
APPROCHE COGNITIVISTE ET COMPORTEMENTALISTE En 1988, Hsu [51], à partir d’une revue de la littérature, concernant
les principales études à moyen terme (4 à 10 ans) pouvant satisfaire
En ce qui concerne l’anorexie mentale, nous avons retenu le modèle
à des critères méthodologiques rigoureux, retrouve un devenir
proposé par Williamson et al [109], qui postule l’existence de trois
global qui se répartit en : bonne évolution 36 à 58 % ; intermédiaire
« entités » au sein de la problématique anorexique : une perturbation
19 à 36 % ; mauvaise évolution : 20 à 34 % selon les critères de
perceptive au niveau de l’image du corps, une peur de prendre du
Morgan et Russel.
poids et une préoccupation marquée pour la forme du corps. Les
trois éléments centraux postulés par Williamson et al entrent en Plus récemment, à partir de l’analyse de 22 articles publiés entre
interaction avec des caractéristiques de base de la psychopathologie 1981 et 1989, Steinhausen [95, 97] note, selon le Global Clinical Score,
de l’anorexique de la manière suivante. Les restrictions diététiques les résultats suivants : bonne évolution 25 à 75 % ; intermédiaire : 1
déterminent l’apparition de la faim et une baisse de l’énergie vitale. à 47 % ; mauvaise évolution : 5 à 30 %.
Cela fait interrompre la diète, mais déclenche des phénomènes Ratnasuriya [81] publie une étude à long terme, après un suivi de
anxieux liés à la prise potentielle de poids et au sentiment de perte 20 ans, sur une population dans laquelle l’âge moyen de début de la
de contrôle sur son alimentation. Cette étape se poursuit maladie est 18 ans, il retrouve : 30 % de bonne évolution ; 32,5 %
« naturellement » par l’évitement de l’alimentation, qui permet une d’évolution intermédiaire ; 37,5 % de mauvaise évolution
réduction de l’anxiété et une diminution, voire une suppression de comprenant les décès et les évolutions chroniques. Il n’utilise comme

9
37-215-B-65 Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence Psychiatrie/Pédopsychiatrie

critère que le poids et les menstruations et la population étudiée Concernant les complications somatiques observées dans les TCA et
mêle adolescents et adultes jeunes. Il note par ailleurs un moins bon la conduite à tenir face à celles-ci, nous renvoyons les lecteurs
devenir parmi les patients ayant débuté leur anorexie après 18 ans. intéressés à l’article de Corcos et al [21].
Lowe [69], en 2001, a publié une étude portant sur le devenir de Soulignons pour conclure que le devenir et le pronostic de l’anorexie
84 patients souffrant d’anorexie mentale, sur une période de 21 ans ; mentale et de la boulimie demeurent dans une large mesure affaire
50 % présentent une bonne évolution, 21 % une évolution de physiopathologie individuelle et de possibilité de prise en charge
intermédiaire et 10 % une évolution défavorable. précoce.
Neumärker [76], en 1997, à partir d’une vaste méta-analyse, a retrouvé
un taux de mortalité de 5,9 % dont les principales causes étaient le
suicide et la mort subite suite à des complications somatiques, en Traitement
particulier du rythme cardiaque.
Sur le plan psychosocial, l’insertion professionnelle ou scolaire est PRINCIPES GÉNÉRAUX
bonne [59]. Si les relations interpersonnelles sont en général assez
Il est important de considérer simultanément la conduite
préservées, les patientes ont cependant souvent des difficultés dans
symptomatique en tant que telle et l’ensemble de la personnalité de
les relations sexuelles (20 à 45 %) [47, 81]). Enfin, il est fréquemment
la patiente avec les conflits familiaux favorisant le trouble et
retrouvé la persistance d’un lien de dépendance vis-à-vis de
auxquels participe la patiente. Il faut souligner d’emblée qu’il est,
l’entourage familial [81].
d’une façon générale, plus facile de lever une conduite de restriction
comme l’anorexie que d’inhiber une conduite de décharge comme
¶ Principaux facteurs pronostiques la boulimie.
– Âge de début de l’anorexie. La réponse thérapeutique doit être graduée et adaptée à chaque cas
Des résultats contradictoires ont été constatés, mais une majorité et à chaque étape de l’évolution. De très nombreuses méthodes
d’auteurs (Morgan [75], Garfinkel [38], Herpetz [47], Bryant Waugh [13], peuvent être utilisées et il est important de pouvoir diversifier les
Steinhausen [95]) ne retrouve pas de corrélation par rapport à l’âge réponses en une palette favorisant une large répartition des
de début. investissements. Mais quel que soit le choix de la méthode, il est
important de se rappeler que, chez ces personnalités, la suggestion
– Attitude familiale.
de type hypnotique comme le négativisme jouent un très grand rôle.
Dès 1983, Morgan a montré que si les relation familiales étaient
Le fait de s’intéresser à elles peut être plus important que le moyen
difficiles, elles étaient corrélées à un pronostic défavorable. Ces
de le faire, ce qui peut aider à rendre compte du succès spectaculaire
résultats ont été confirmés par les travaux de Jeammet [59],
obtenu à leur début par des méthodes en apparence opposées quand
Ratnasuriya [81], North [78].
elles sont appliquées par des thérapeutes qui ont à cœur de prouver
– Poids. l’efficacité de leur méthode.
Gowers [42], en 2000 et Lowe [69] en 2001, ont montré que plus le poids Cette diversité des méthodes doit permettre de composer avec le
ou l’indice de masse corporelle (IMC) est bas lors du début de prise danger potentiel que représente pour les patientes la relation duelle.
en charge, plus le risque d’une évolution défavorable est grand, en Face à ce danger, prend aussi toute son importance l’introduction
particulier lorsque l’IMC est inférieur à 13. d’un personnage tiers [64], de dispositifs de prise en charge
– Hospitalisation. bifocaux [57] comme pour le traitement des états limites et de
Dans plusieurs études, la durée et le nombre d’hospitalisations certaines psychoses. C’est dans cette même perspective qu’il faut
constituent des variables de pronostic défavorable [42, 59, 97]. souligner l’intérêt de l’introduction de différentes médiations dans
la relation, dont le plus exemplaire est représenté par le contrat [53],
– Comorbidité.
qu’il soit établi dans un traitement ambulatoire ou dans le cadre de
L’existence d’un trouble de la personnalité est un facteur de
l’hospitalisation.
pronostic défavorable [47, 75, 81]. Il en serait de même en ce qui
concerne un diagnostic de dépression [92, 95]. La prise en compte de l’environnement familial, non pas tant dans
l’évaluation de son éventuel rôle pathogène, mais surtout dans sa
– Vomissements. fonction souhaitable d’allié thérapeutique, doit être un souci
Des résultats contradictoires ont été retrouvés, mais l’existence de constant.
vomissements représente pour plusieurs auteurs l’indice d’un Dans tous les cas et dès le départ, une personne référente doit
pronostic défavorable [38, 59]. assurer la cohérence du projet thérapeutique et apparaître comme le
garant de la propre compétence et valeur de la patiente.
L’importance de la dépendance et de la vulnérabilité narcissique de
Devenir et pronostic de la boulimie ces patientes expliquent également l’effet tout particulier de la
première rencontre thérapeutique ou de la première hospitalisation.
La description plus récente de la boulimie nerveuse [84] explique le Tout au long du traitement, il est nécessaire de donner la priorité au
fait que nous disposons de peu de données en comparaison avec soutien narcissique, au renforcement du Moi, à la restauration des
l’anorexie mentale. capacités hédoniques sur l’interprétation des conflits.
Keel [61] a conclu, à partir d’une revue de 88 articles de 1988 à 1995 Enfin, la gravité des troubles sous-jacents de la personnalité peut
sur des études de 5 à 10 ans d’évolution, que 50 % des patientes nécessiter une action thérapeutique très longue.
avaient une évolution favorable et 20 % d’entre elles évoluaient vers
une forme chronique. En 1999, Steinhausen a montré dans une méta-
analyse que 47,5 % des patients avaient une évolution favorable, MÉTHODES THÉRAPEUTIQUES
26 % une évolution intermédiaire et 26 % une évolution défavorable.
¶ Traitements ambulatoires
Le taux de mortalité est estimé entre 0,3 et 0,5 % [61, 62].
Les études portant sur les facteurs pronostiques ont trouvé des Le recours à un contrat de poids pour les anorexiques peut
résultats contradictoires et inconstants. Seule l’existence d’une s’appliquer en dehors de l’hospitalisation et constituer une limite
comorbidité telle qu’une consommation d’alcool, un trouble de la qui autorise la famille, comme les thérapeutes, à avoir une plus
personnalité type borderline, des antécédents de tentatives de suicide grande liberté d’action.
est un facteur de pronostic défavorable [95, 97]. La durée d’évolution Les thérapies bifocales ou multifocales donnent la possibilité
de la maladie a fait l’objet de nombreuses controverses sans qu’il d’engager des actions individuelles et/ou familiales tout en assurant
soit possible aujourd’hui de pouvoir trancher cette question. la prise en compte du symptôme.

10
Psychiatrie/Pédopsychiatrie Troubles des conduites alimentaires à l’adolescence 37-215-B-65

Certaines équipes [106] ont pu mettre en place des dispositifs de soins L’ensemble des auteurs soulignent la fréquence réelle d’une
des TCA en hôpital de jour. Le projet thérapeutique peut y associer comorbidité addictive chez les patients souffrant de boulimie :
des approches nutritionnelles, psychologiques et sociales et drogues, alcool et, à un moindre degré, médicaments psychotropes
représente une intéressante alternative à l’hospitalisation. comme les amphétamines, les tranquillisants, voire les barbituriques.
L’abus de substances psychoactives est estimé entre 30 et 37 % des
Psychothérapies cas chez les patientes boulimiques, et entre 12 et 18 % des cas chez
Elles sont très largement utilisées mais suivant des modalités les patientes anorexiques. La comorbidité avec l’abus (voire
pratiques et des références théoriques si différentes qu’il est difficile dépendance) de drogue et d’alcool, et à un moindre degré, de
de les classer et d’en apprécier les résultats. Les psychothérapies de tranqui

S-ar putea să vă placă și