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Notre Epoque

Une vidéo a révélé son passage à tabac

L’ANGOISSE
D’ABDOULAYE
Le 14 octobre, à n se dit que la colère doit être Abdoulaye, 1,90

Montfermeil, Abdoulaye
Fofana a été embarqué
par la police à coups
de matraque. On
O enfouie au fond de lui, qu’elle fi-
nira bien par lui pousser au ven-
tre comme une maladie, qu’il
explosera forcément, un jour ou
l’autre. Mais, à 20 ans, Abdoulaye Fofana fait
plutôt silence. Retranché dans une déférence
qui tient lieu d’équilibre, avare de commen-
mètre, 72 kilos,
pense qu’un au-
tre, « plus chétif,
aurait pu y passer ».
C’est précisé-
ment ce qui l’of-
fense, ce constat
taires, il égrène les faits. C’était il y a une di- auquel il a toujours
l’accuse d’avoir participé zaine de jours. Abdoulaye s’était enfermé dans cherché à échap-
à un « caillassage »... sa chambre avec des copains, à Montfermeil,
pour regarder le match France-Tunisie.
per : « Je pense qu’on
s’en fout de nous.
Il regardait un match Quand la France a marqué son deuxième but, “On” : la justice, le
une armée de policiers – « ils étaient au moins pouvoir politique. Ce
de foot en famille et quatre, plus ceux qui sont restés sur le palier » – qui m’est arrivé tient
porte plainte pour a surgi chez lui en dehors de tout cadre légal.
« Des terminators », comme disent ses copains,
au fait que j’habite les Bosquets. Il n’y a qu’ici
qu’on se croit tout permis, qu’on défonce les portes,
« violence volontaire ». qui l’ont roué de coups à la tête, au visage, qu’on présume que tout le monde est délinquant
dans le dos, au ventre, alors qu’il était et sans cerveau. » Qu’on s’acharne sans scru-
Contre-enquête menotté, devant ses sœurs, sa mère, son oncle. pule sur le cliché usé du jeune de banlieue.

Ce qui s’est passé ce soir-là


Imatraques
l est près de 22 heures ce mardi 14 oc-
tobre quand une dizaine de policiers,
et flash-ball en mains, inves-
Fofana hurlent de joie. Au même instant la
porte d’entrée cède sous l’effet de violents
coups. Des policiers investissent l’apparte-
tit le hall 5 de l’immeuble Picasso. ment. L’enfant de 2 ans qui se trouvait
Lancés à la poursuite d’adolescents, ils tranquillement dans l’entrée est pris de pa-
montent toute la cage d’escalier au pas nique, il court, tombe, s’ouvre la lèvre. Il y s’avance vers les policiers. Qui demandent
de course. C’est en redescendant qu’ils a là au moins quatre hommes, casqués, vi- aussitôt : « Y a personne qui est entré ici ? »
entendent des cris dans cet apparte- sières rabattues, qui brandissent leurs ma- Elle répond, consternée : « Non, regardez,
ment au cinquième étage, face à l’ascen- traques et leurs armes devant parents et nous sommes avec nos enfants. » Là, selon elle,
seur. Thierry Henry vient de marquer enfants installés devant le match de foot les policiers reculent, ils sont comme prêts
un deuxième but contre la Tunisie, les dans le salon. La mère d’Abdoulaye Fofana à repartir. Mais alors qu’Abdoulaye, in-

92 ● LE NOUVEL OBSERVATEUR
Pour preuve, Abdoulaye : s’il en solé aussi de cette justice qui se fourvoie dans
était bien un dans le quartier qui ses expressions stigmatisantes. Le procureur
n’irait pas caillasser la police, de la République, François Molins, a assuré
comme la justice l’en suspecte que le patronyme d’Abdoulaye (Fofana), aussi
aujourd’hui, c’était bien lui, le répandu chez les Guinéens que Dupont l’est
« petit étudiant tranquille » en en France, « est connu du parquet ». Comme si
deuxième année de BTS négo- le jeune homme, animateur au centre de loisirs
ciation et relation client, « qui de la Police nationale, avait un casier judiciaire.
trace son chemin sans faire de Le parquet confond avec une inscription au
vagues ». Lui, qui, en 2005, a fichier Stic en qualité de témoin dans une
vécu la révolte née de la mort affaire de gamins. Un recel pour le vol... « d’une
de Zied et Bouna (les deux nappe ».
électrocutés du transforma- Abdoulaye a de la peine pour tout ça. Il dit
teur de Clichy-sous-Bois), que « c’est dur, quand même ». Comme s’il n’en
qu’il connaissait, derrière ses revenait pas de ce qui lui est arrivé, ses sœurs
fenêtres. Son père, électricien qui ne dorment pas, les cauchemars qu’il en-
à la retraite, et sa mère, chaîne où il est poursuivi sans fin par la po-
femme de ménage, ont assi- lice, où il voit son frère crouler sous les mêmes
gné leurs six enfants à rési- coups que ceux qu’il a subis. Il se demande ce
dence, « pour nous protéger, ils qu’il en aurait été de lui, de cette affaire s’il n’y
savaient que la police attrapait avait eu l’œil vigilant et citoyen du réalisateur
tout le monde ». Une éduca- Ladj Ly, habitant du quartier. Il a filmé et mis
tion un peu stricte qui ne en ligne l’acharnement des forces de l’ordre
permet pas à Abdoulaye sur Abdoulaye, alors qu’il était au sol, dans le
de traîner. L’enfant rêve hall de l’immeuble Picasso. Le médecin, qui
de devenir médecin. Il a l’a examiné pendant sa garde à vue, ne lui a
10 ans quand son père donné que deux jours d’interruption tempo-
l’inscrit au centre de loisirs raire de travail (ITT). Le policier qui s’est
jeunesse de la Police na- cassé le petit doigt lors de l’intervention a, lui,
tionale, pour l’aide aux eu droit à un mois d’ITT. L’Inspection géné-
devoirs. Plus tard, c’est rale des Services a été saisie, deux policiers
avec ces mêmes policiers ont été mis en examen. L’avocat de la famille
qu’il passe son brevet Fofana,Yassine Bouzrou, a déposé une plainte
d’aptitude à la fonction pour violences volontaires aggravées,
d’animateur. Grâce à menaces de mort, subornation de témoins,
ceux-là qu’il a appris « à dégradation de biens. Il souhaite « une enquête
ne pas entrer dans le jeu impartiale ». En attendant, celui qui comparaî-
des autres ». Ne jamais bron- tra le 10 décembre devant le tribunal correc-
cher lors des nombreux contrôles d’identité tionnel de Bobigny pour « violences volontaires
« Il n’y a qu’aux Bosquets subis depuis son adolescence, ne pas répondre sur personne dépositaire de l’autorité publique »,
qu’on se croit tout permis, aux cris de singe provocateurs d’un agent de c’est Abdoulaye. ELSA VIGOUREUX
qu’on défonce les portes, police croisé sur un trottoir de Rosny-sous-
qu’on présume que tout le Bois. Entre gentils policiers et méchants flics,
William Beaucardet

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monde est délinquant », Abdoulaye dit « faire la différence », même après Exclusif. La vidéo du réalisateur Hamidou
dit Abdoulaye Fofana. cet humiliant passage à tabac. Pour ceux qu’il Kamara présentant les témoignages
affectionne, il a honte des autres. Et il est dé- d’Abdoulaye et de ses voisins.

Abdoulaye montre les traces de coups. voisins entendent les policiers l’insulter :
L’oncle d’Abdoulaye entend un policier « Ferme ta gueule, fils de pute. » Ils ouvrent
dire : « On embarque celui-là. » On l’attrape leurs portes, on leur ordonne de les refer-
par le col, sa tête cogne dans un mur, il en- mer. Ils encouragent Abdoulaye à ne pas
tend crier sa mère, ses sœurs. Il est jeté sur répondre, tenir bon, garder son calme.
le palier, au sol. Et à plat ventre. Sa mère et Un policier crache au visage d’Abdou-
son oncle sont bloqués dans l’appartement, laye. Un autre lui fait un signe, passe son
repoussés de force, menacés au flash-ball. Ils pouce contre sa gorge. Au premier étage,
voient Abdoulaye immobile, des pieds sur la tête d’Abdoulaye cogne encore dans
quiet, sort de sa chambre où il regardait ses jambes, contre sa nuque, un genou sur un mur, et des coups de matraque pleu-
aussi le match, sa mère retient les hommes le dos. Le jeune homme se prend un coup vent. Un policier le braque avec son
armés et leur dit : « Et ma porte, vous avez de pied dans la tête. Il crie, les policiers le flash-ball, lui dit qu’il cesse de crier sinon
cassé ma porte… » Abdoulaye insiste : menottent, le relèvent. L’un d’eux continue il tire. La caméra du réalisateur Ladj Ly
« Pourquoi vous avez cassé la porte ? » Les de lui porter des coups de matraque dans le a filmé la suite, les derniers coups portés
Rue 89

agents répondent qu’elle était déjà ouverte. dos. Abdoulaye crie qu’il n’a rien fait, les à Abdoulaye. ■ E.V.

30 OCTOBRE-5 NOVEMBRE 2008 ● 93

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