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LA THÉORIE DES MATRICES ET DES ÉTYMONS EN BERBÈRE OU


NOUVELLE HIÉRARCHISATION DU LEXIQUE
Cécile LUX
Cecile.Lux@univ-lyon2.fr
Laboratoire Dynamique Du Langage
Institut des Sciences de l’Homme
14, avenue Berthelot
69007 Lyon

Abstract : It is traditionally assumed that the Berber lexis conforms to a root-scheme


structure. Our aim is to show that it is possible to go beyond the notion of root,
and that Berber words are built on deeper phonetico-semantic relations, on units
which have much in common with the etymons that Bohas’s TME theory
identified for Arabic.

Le berbère est un ensemble de langues parlées sur une zone couvrant tout le nord de
l’Afrique, allant de Siwa, en Égypte, jusqu’à l’Atlantique ; de la Méditerranée jusqu’au sud
du fleuve Niger. Au niveau historique, nous n’avons aucune trace de l’arrivée des peuples
berbères sur ce territoire, ni dans la littérature, ni dans la tradition orale : il s’agirait ainsi du
peuple présent en Afrique du nord avant les invasions puniques, romaines et arabes, pour ne
citer que celles-ci. Ces différentes dominations successives ont poussé les Berbères à se
retrancher dans des zones constituant des protections naturelles : montagnes et déserts. Ainsi,
le territoire berbère se présente aujourd’hui sous la forme d’îlots, séparés par des zones où
d’autres langues ont pris le dessus. Ces faits historiques permettent d’expliquer l’unité
linguistique et culturelle profonde dans le domaine berbère, mais aussi les divergences,
engendrées par l’éloignement. Il est d’usage, pour décrire le monde berbère, de parler d’unité
dans la diversité.

1. L’organisation lexicale traditionnelle en berbère :


schèmes et racines
Au niveau linguistique, les différentes variétés du berbère constituent l’une des six sous-
branches de la macro-famille des langues afro-asiatiques, au même titre que le sémitique,
dont l’arabe ou l’hébreu font partie. Or, l’un des traits morphologiques communs aux
langues afro-asiatiques est que les unités lexicales sont « le produit du croisement d’un
schème et d’une racine » (Cohen, 1988 : 11).
L’élément appelé « racine » dans la tradition linguistique sémitique (terme maintenant utilisé
dans presque tout le domaine afro-asiatique) rejoint une définition générale de la racine,
proposée par Meillet pour l’indo-européen : « [on dit qu’]un mot ‘appartient’ à une racine
[quand] il fait partie d’un ensemble de mots ayant en commun un groupe de phonèmes
auquel est associé un certain sens général » 1.
Prenons comme exemple un ensemble dérivatif tachelhit, langue berbère parlée dans le sud
marocain :

1
Citation donnée par Cohen dans son article Racines (1993 : 165), reprise ici.
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zdʏγ « habiter + accompli » ; zʏddʏγ « habiter + inaccompli » ; zd iγ « habiter + accompli
négatif » ; taz duγt « le fait d’habiter » ; amʏz daγ « habitant »2.
Les trois consonnes /zdγ/ sont présentes dans tout le paradigme, en corrélation avec le sens
général « d’habitat », ce qui correspond à la définition de la racine énoncée ci-dessus.
Toutefois, ce qui est spécifique aux racines des langues afro-asiatiques est qu’elles sont
exclusivement consonantiques. Aussi, la racine est souvent définie, pour le berbère, comme
une consonne ou une succession de consonnes ordonnées « véhiculant une notion générale à
l’état brut » (Cadi, 1987 : 37).
Une autre particularité afro-asiatique pour la construction du lexique est la notion de
schème : les consonnes radicales, qui ne peuvent exister seules, s’insèrent dans des moules
grammaticaux composés de consonnes et de voyelles spécifiques, ainsi que de places vides,
qui seront occupées par les consonnes de la racine. Le fait que le nombre de schèmes existant
dans ces langues soit assez restreint permet d’identifier la racine avec certitude. Si l’on
compare les termes tazduγt « le fait d’habiter » et tamyurt « le fait d’être habitué », en
tachelhit toujours, on peut identifier un schème ta--u-t, composé de deux consonnes et de
deux voyelles, dans lequel peuvent être insérées les consonnes de différentes racines,
porteuses d’une notion sémantique générale.
Ces deux unités, racine et schème, sont considérées comme les unités de base du lexique
berbère, unités qu’on ne peut dépasser.

2. « Un autre type d’organisation du lexique »


2.1. Racines à troisième radicale alternante
Si les notions de racine et de schème semblent assez bien fonctionner pour la description des
variétés du berbère, un raisonnement exactement similaire permet toutefois de dépasser ces
niveaux.
Prenons comme premier exemple un phénomène bien connu en berbère : les racines à
troisième radicale alternante. En effet, il existe, dans ces langues, des séries de termes ayant
des racines différentes, mais dont seule la troisième et/ou la quatrième radicale varient, les
deux premières étant semblables. Ces termes partagent en outre une notion sémantique
commune, qui apparaît clairement.
Voyons l’exemple le plus connu, tiré de l’introduction au dictionnaire de Taïfi (1981) :
Racine Terme tamazight Sens
FRK frʏk « être ébréché »
FRKK fʏrkʏ k « se craqueler, se fissurer »
FRRX frur x « éclore, sortir de l’oeuf »
FRS furs « se gercer »
FRFX fʏrfʏx « concasser, casser, briser »
FRRY frur y « s’émietter »
e 3
Tableau 1 - Termes à 3 radicale variante en tamazight .
Il semble évident que tous ces termes puissent être regroupés autour de la notion générale de
« cassure, séparation ». Ainsi, si l’on suit le même raisonnement que celui adopté pour

2
Pour les verbes, les morphèmes de personnes et la particule propre à l’inaccompli sont laissés de côté,
par commodité. Les données ici sont tirées du dictionnaire de Destaing (1920). Nous avons adopté,
pour toutes les données, l’API.
3
Le tamazight est une variété du berbère parlée dans la zone centrale du Maroc.
La théorie des matrices et des étymons en berbère ou nouvelle hiérarchisation du lexique 65
définir la racine, il convient d’associer ce sens commun aux deux radicales FR, et non à la
racine dans son intégralité.
La notion de racine, considérée comme une unité lexicale de base, peut donc être dépassée,
et il semble exister des groupes de deux consonnes liées à un sens plus général que celui de
la racine. Si l’existence de telles unités se révèle être effective, cela permettrait de mettre en
évidence des relations phonético-sémantiques profondes du lexique berbère. Il faut noter que
la notion de racine est inopérante ici puisqu’elle n’explique nullement la relation entre les
termes cités précédemment, elle les sépare même.
2.2. Racines triconsonantiques ou bases biconsonantiques ?
Dans la littérature, la position par rapport à l’existence de telles bases biconsonantiques,
reflet de structures profondes du lexique, est assez ambiguë. En effet, la notion de racine est
très largement utilisée dans le domaine berbère, c’est notamment le fondement pour la
réalisation des dictionnaires. Or, si de nombreuses discussions portent sur l’origine
biconsonantique ou triconsonantique des racines, l’idée la plus répandue est que le nombre
de radicales normal est de trois (Galand, 1988 : 72), la présence de nombreuses racines
bilitères pouvant être expliquée, le plus souvent, par l’érosion phonétique forte en berbère.
Toutefois, plusieurs auteurs ont eu l’intuition de l’existence de groupes biconsonantiques tels
que FR, liés à une notion sémantique plus abstraite que celle véhiculée par la racine. Le plus
précis allant dans ce sens est justement Galand (1988 : 76) qui, après avoir abordé la
question des racines, parle d’un « autre type d’organisation du lexique », signalant
l’existence de « bases bilitères », à relier à une « valeur générale ». Plusieurs articles ont
aussi été dédiés, nous le verrons, à l’étude d’autres bases biconsonantiques, de manière assez
anecdotique et hors de tout cadre théorique.
Ces structures profondes du lexique, structures biconsonantiques véhiculant un sens propre
sont donc relativement reconnues en berbère, mais les auteurs ont toujours écarté la
possibilité d’une étude poussée et exhaustive de ces unités, la jugeant trop aléatoire pour des
données trop réduites en berbère. L’étude de tels groupes reste donc à un stade primaire ;
leur réelle nature et leur importance au sein de l’organisation du lexique reste encore
inconnue. C’est dans le but d’apporter une contribution à l’identification et à la définition de
ces groupes biconsonantiques que j’ai choisi d’étudier ici plus précisément deux de ces
unités profondes du lexique, afin de déterminer s’il s’agit d’un phénomène périphérique ou
central dans le lexique berbère.

3. Exemples de bases biconsonantiques


3.1. FR et la « séparation », complément d’étude
Nous avions vu précédemment quelques termes, souvent cités, contenant les deux phonèmes
/f/ et /r/, clairement reliés à la notion de séparation. Grâce à une étude poussée du lexique
tachelhit-français (Destaing, 1920) et de données personnelles recueillies au Maroc, en
tachelhit, j’ai recensé, en plus des quelques termes proposés par Taïfi (1981, XI) pour le
tamazight, environ 35 termes reliés à cette base FR, véhiculant tous l’idée de séparation. Une
liste exhaustive serait un peu fastidieuse pour le lecteur, mais il faut tout de même un certain
nombre de termes pour pouvoir apprécier le phénomène. Je donnerai ici les plus significatifs,
citant d’abord la racine des lexèmes, puis les termes appartenant à cette racine, transcrits en
API, et enfin le sens en français.
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Base consonantique FR ⇔ / Séparation /
Sens 0 : « Séparer, établir une séparation dans l’espace »
FRG frʏg « faire un enclos, enclore » ;
afrag « enclos » ; ifrig « barrière d’une maison, d’un jardin,
faite de piquets, branches ou broussailles ».
Sens 1 : « Séparer + / cassure, brutalité / »
FRS fʏrsi « être fendu » ; sfʏrsi « fendre » ; afʏrsu « éclat de bois »
FRM frʏm « être ébréché » ;
FRY afʏrruy « brèche, fissure » ;
FRK sfrukkʷi « briser, partager » ;
afrukkʷi « éclat, partie éclatée » ; fʏrkki « pelure » ;
FRKγ fərkwʷγ « rompre le pain» ;
afrukkʏγ « brèche faite dans un mur de haut en bas » ; ifʏrkγ « cosse » ;
FRR fruri « être émietté, égrené » ;
FRZ afʏrẓẓu « éclat, coquille » ;
FRSL fʏrsʏl « être gercé » ;
afursʏl « gerçure ».
Sens 2 : « Séparer avec l’idée de tri, action volontaire et calculée »
۰ « Séparer un élément externe d’un élément central »
FRK tifʏrkit « écorce, croûte » ;
FRS frʏs « être tranchant » ;
FRR tafrirt « crème (formée en se séparant du lait) » ;
۰ « Séparer le propre du sale »
FRN fʏrn « être nettoyé » ;
FRD fʏrd « nettoyer, déblayer, curer » ;
FRS fʏrs « curer, boucharder » ;
Ainsi, on voit que les termes contenant les deux phonèmes FR, ayant quelque rapport avec la
notion de séparation, sont nombreux, et que le rapprochement entre forme et sens est
inévitable.
Au niveau sémantique, j’ai proposé un classement pour cette base car, si tous les termes se
rapprochent de la notion de séparation, des sens distincts peuvent être repérés.
Ce qui est intéressant, ici, est que l’on puisse observer la manière dont une notion
sémantique « sous-jacente » prend vie dans le lexique. En effet, pour le sens 0 « Séparer,
établir une séparation dans l’espace », la notion de séparation apparaît seule, c’est le sens
« de surface » le plus proche de celui proposé en profondeur. En revanche, pour les sens 1 et
2, un sème supplémentaire est ajouté au sens de base, ce qui le fait légèrement varier. Ainsi,
le sens de séparation associé à la base biconsonantique FR, notion sémantique très générale
sous-jacente, prend vie dans le lexique en étant spécifiée par différents sèmes.
3.2. La base GM, « étendue d’eau plane »
Un complément d’information concernant la nature et les propriétés de ces bases
biconsonantiques peut être obtenu grâce à l’analyse d’un groupe de termes ayant des racines
différentes, mais reliés pourtant par deux radicales semblables, GM, et par une notion
sémantique générale commune, la notion « d’étendue d’eau plane ». J’ai identifié cette base
biconsonantique, détaillée ci-dessous, me plaçant cette fois dans une perspective
interdialectale : sont prises en compte les données dont nous disposons pour le tarifit
La théorie des matrices et des étymons en berbère ou nouvelle hiérarchisation du lexique 67
(Serhoual, 2001), le tachelhit (Destaing, 1920), le tamacheq (Alojaly, Mohamed & Prasse,
2003) et le kabyle (Dallet, 1982).
Base consonantique GM ⇔ / Étendue d’eau plane /
Sens 0 : « Étendue d’eau plane »
GMM gummu « masse d’eau animée d’un courant tourbillonnant » -tarifit- ;
GRMM gʏrmʏm « former une nappe, stagner » -tarifit- ;
agʏrəm « le fait de stagner » -tarifit- ;
agʏrmam « lac, étang, cours d’eau » -tarifit- ;
GLMM gulmim « ville du sud marocain (station thermale) » -tarifit- ;
agʏlmam « réservoir d’eau naturel, lac, mare » -tamacheq- ;
GRMN tagʏrmant « petit abcès, petit lac ».
Sens 1 : « Rive d’un cours d’eau, limite, frontière »
GMḍ /GMd ̣ agʷmmaḍ « côté d’une rivière, rive » -tachelhit- ; agʷəmmaḍ « versant,
côté opposé » -kabyle- agʏmmaḍ « rive d’un cours d’eau, versant, bord » -tarifit- ;
GMD gʷmmʏd « sortir de son lit, franchir, changer de rive » -kabyle- ;
GDM agʏddim « rive d’un cours d’eau, talus, bord » -tarifit- ;
ʏgdʏm « entourer de tous côtés ou d’un seul » -tamacheq- ;
GMR agʷmʏr « terrain compris entre deux bras d’un cours d’eau, prairie » -
tachelhit- ; agmir / aymir « limite entre deux terres, borne, bordure » -tarifit- ;
GM gami « frontière, limite » -tamacheq- ;
game « entre » -tamacheq-.
Sens 2 : « Puiser »
GM agʏm / aγʏm / ayʏm « puiser de l’eau, servir un plat » -tarifit ; agʏm « puiser
(dans un puits, avec un récipient ou un seau à la corde » -tamacheq- ; agʷʏm
« puiser, vider » tachelhit, kabyle- ;
aggam « puisage » -tamacheq- ;
ʏnagam « puiseur » -tamacheq- ; anagʷam « ouvrière qui puise de
l’eau » -kabyle- ; aniyam « puiseur d’eau » -tarifit- ;
asagʷəm « cruche en terre à puiser l’eau » -kabyle-.
Sens 3 : « Être plein »
GM gəmməm « regorger de, être garni (bassin) » -kabyle- ;
GMGM ggəmgəm « être plein à ras bord, grouiller, bouillonner » -kabyle- ;
sgəmgəm « bouillonner, produire un bruit sourd » -kabyle- ;
agəmgum « torrent, tourbillon, bouillonnement » -kabyle- ;
gʏmgʏm « grommeler » -tarifit-.
La comparaison interdialectale, pour cette base, s’avère très intéressante pour deux raisons.
En premier lieu, on remarque, dans toutes les langues, des évolutions phonétiques. Ces
dernières peuvent compliquer en berbère l’identification de bases telles que nous les
recherchons. En effet, il est difficile d’accepter d’intégrer à une base biconsonantique GM
des termes ayant un sens proche mais contenant les radicales γM ou YM, comme nous l’avons
fait pour aγʏm et ayʏm « puiser de l’eau ». Or, en prenant en compte les termes équivalents
pour les autres variétés de la langue, il est facile de se rendre compte que le passage de [g] au
[y] ou au [γ] est un phénomène régulier de cette variété, et de ce fait d’intégrer les termes
contenant [γ] et [m] ou [y] et [m] à la base.
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De la même manière, la comparaison interdialectale permet parfois de retracer l’histoire d’un
sens et de pouvoir décider si un terme doit être intégré ou non à une base biconsonantique.
Par exemple, si l’on avait étudié exclusivement le tamacheq pour cette base GM, reliant des
termes associés à l’idée d’étendue d’eau, il aurait été contestable d’intégrer le terme ʏgdʏm
« entourer de tous côtés ou d’un seul ». Cependant, en comparant avec un terme tarifit issu
de la même racine : agʏddim « rive d’un cours d’eau, talus, bord », on retrouve, dans le sens
que véhicule ce dernier, la notion d’eau, qui a été évincée en tamacheq. La comparaison
interdialectale permet donc de rétablir des liens sémantiques parfois relâchés ; ici, le lien
sémantique entre l’étendue d’eau plane, la rive d’un cours d’eau et le fait d’entourer ne peut
être mis au jour que par la comparaison interdialectale.
L’existence de bases biconsonantiques reliées à une notion générale dans le lexique berbère
est assez nette. Elles permettent de mettre en évidence des relations phonético-sémantiques
qui ne peuvent être représentées par le concept de racine. Une étude approfondie de ces bases
est tout à fait possible, les dictionnaires dont nous disposons étant de plus en plus nombreux
et de bonne qualité.
Toutefois, il semble important de préciser qu’il manque encore, pour l’étude de ces bases
biconsonantiques, une théorie sémantique restrictive présentant des critères fiables pour
autoriser ou exclure un terme d’une base biconsonantique. Pour l’instant, si l’on se rend bien
compte que des liens entre forme et sens ne peuvent être niés, les rapprochements
sémantiques ont surtout pour fondement le bon sens : nous sommes obligés de ne prendre en
compte que les sens qui peuvent être facilement rapprochés, ce qui donne forcément lieu à de
nombreux oublis dans les bases ou à des rapprochements abusifs. Il faudrait, pour pallier ce
manque, des informations étymologiques précises pour chacun des termes pris en compte,
indications pour l’instant inexistantes. Ce manque nous limite donc dans la mise en place de
ces bases, mais n’empêche pas d’en affirmer l’existence et de voir qu’elles concernent une
grande partie du lexique.
3.3. Bilan : les différentes bases biconsonantiques dégagées
J’avais mentionné, au début de cet article, différents articles isolés recensant quelques bases
biconsonantiques comparables à FR et GM. En mettant en commun ces différents travaux,
l’existence des six bases biconsonantiques suivantes, toutes hiérarchisées sémantiquement,
semble établie pour le berbère :
۰ (b, r) ⇔ « Rondeur » (El Mountassir, 2004)
۰ (k, l) ⇔ « Déplacement, espace » (Aghali-Zakara, 2002 : 46)
۰ (l, γ) ⇔ « Mou, humide, tendre » (El Mountassir, 2002 : 194)
۰ (s, k) ⇔ « Pointu, Courbe » (Naït-Zerrad, 2000 : 88)
۰ (f, r) ⇔ « Séparation »
۰ (g, m) ⇔ « Étendue d’eau plane ».
Nous pouvons donc constater que ces bases de deux consonnes associées à un sens général,
unités lexicales profondes qui permettent de mettre en évidence de nouvelles relations entre
les lexèmes, couvrent une part importante du lexique. Ainsi, ce phénomène est moins
anecdotique qu’on a pu le croire.

4. La théorie des matrices et des étymons, perspective inter-


linguistique
Une ouverture vers une autre langue afro-asiatique a été très fructueuse.
En effet, il est intéressant de constater que ces bases biconsonantiques que nous avons mises
en évidence pour le berbère existent aussi en arabe, et qu’une théorie très complète a été
La théorie des matrices et des étymons en berbère ou nouvelle hiérarchisation du lexique 69
établie pour cette langue. Il s’agit de la Théorie des Matrices et des Étymons (TME)
proposée par Bohas (1997, 2000) pour l’arabe.
Bohas montre qu’en utilisant le même raisonnement que celui employé pour définir la racine
en arabe, on peut dépasser ce niveau, de la même manière que nous l’avons fait pour le
berbère. Il propose alors une réelle restructuration du lexique, mettant en place trois
niveaux : la matrice, l’étymon et le radical. La notion de racine est totalement exclue de cette
structuration du lexique.
Dans la TME, le niveau le plus abstrait est celui de la matrice : il s’agit de combinaisons,
non-ordonnées, de traits phonétiques auxquels est rattachée une signification primordiale
commune, appelée « invariant notionnel » ; c’est-à-dire qu’il est possible, en arabe,
d’identifier, pour de grands groupes de termes, des traits phonétiques communs reliés à un
sens abstrait. Par exemple, un certain nombre de termes contenant les traits phonétiques
{[+labial] [+coronal]} expriment quelque chose qui a à voir avec le fait de « porter un coup
avec un objet tranchant ».
À un niveau un peu plus concret, sont présentés les étymons, composés binaires de
phonèmes cette fois, consonantiques et non ordonnés, phonèmes comportant les traits
phonétiques définis par la matrice, et qui sont liés à une charge sémantique développant
l’invariant notionnel de la matrice, c’est-à-dire qu’ils précisent la notion abstraite proposée
par la matrice. Par exemple, la matrice citée ci-dessus se trouve réalisée, en arabe, par
l’étymon (b, t), ces deux phonèmes contenant respectivement les traits [+labial] et
[+coronal], relié au sens général de « couper », spécifiant l’invariant notionnel de la matrice.
Enfin, au niveau le plus concret, on trouve le radical, élément qui apparaît quand on retire les
affixes d’un lexème.
Cette théorie est assez avancée en arabe, et, ce qui est intéressant, pour nous, est que les
étymons tels qu’ils sont définis par Bohas (1997 : 35) correspondent exactement aux bases
biconsonantiques dont nous avons parlé pour le berbère. La TME est, au moins en partie,
valide pour le berbère. Ainsi, il serait possible de parler d’étymons pour définir ces bases
biconsonantiques berbères, et les études parsemées qui ont été proposées pour ces langues
peuvent enfin être intégrées au sein d’une théorie éprouvée et trouvent, de fait, une légitimité
supplémentaire. Nous n’avons pas le loisir, ici, de détailler les rapprochements entre les
étymons berbères et arabes. On peut toutefois noter qu’en arabe, les deux phonèmes
appartenant à un étymon peuvent être séparés par d’autres consonnes. Or, en berbère, si pour
la base FR, les deux radicales communes étaient toujours accolées, on s’aperçoit, pour la
base GM, qu’une consonne, voire deux, peuvent être intercalées entre les deux radicales
phares. On observe cela, par exemple, dans le terme gәrmәm « former une nappe, stagner ».
Ces unités biconsonantiques, mises en évidence de manière indépendante dans les traditions
berbères et arabes, semblent vraiment équivalentes.
Le fait de bénéficier d’un cadre théorique permet en outre de faire des hypothèses sur
l’ampleur de ce phénomène en berbère. En effet, si nous n’avons pas identifié de matrice
pour le berbère, il est possible que l’on puisse en trouver lorsque les études sur les étymons
seront plus avancées ; la TME propose aussi une analyse de l’homonymie intéressante, basée
sur le croisement des étymons existants : il faudra vérifier si une telle analyse est possible
pour le berbère.
Toutefois, si cette théorie qui fonctionne pour l’arabe est applicable au berbère dans son
ensemble, j’émettrais une réserve quant à l’abandon total de la notion de racine. L’utilisation
de cette notion est, selon moi, tout à fait justifiée en berbère, ne serait-ce que parce qu’elle se
base sur un raisonnement identique à celui qui nous a servi à identifier les étymons.
Cependant, tout comme l’étymon coexiste avec le radical et la matrice dans la TME, il peut
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très bien cohabiter de la même manière avec la notion de racine, l’étymon se situant
simplement à un niveau plus abstrait.

5. Conclusion
Ainsi, au sortir de cette étude, nous avons confirmation que la proposition de différents
auteurs à propos de la possibilité d’un autre type d’organisation du lexique berbère était
justifiée : il existe bien des unités lexicales plus fines que la racine, établies grâce au même
raisonnement, reliant, dans des ensembles dérivatifs, deux phonèmes communs à un sens
général constant. Les notions de racine et de schème, si elles permettent de décrire le lexique,
sont impuissantes pour mettre en lumière ces relations phonético-sémantiques profondes du
lexique. Cette étude nous a aussi permis de constater, en mettant en commun les différents
travaux déjà effectués et en les complétant, que l’ensemble du lexique semble être régi dans
son ensemble par ces unités biconsonantiques profondes ; ces « étymons » auraient donc un
rôle central dans l’organisation du lexique berbère, et, s’il est encore difficile de les identifier
avec certitude, ils ne doivent pas pour autant être négligés. Le fait de pouvoir reconnaître un
fonctionnement équivalent dans une langue sœur du berbère conforte encore l’existence de
ces bases et permet d’adopter un cadre théorique qui manquait à cette étude.

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