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Colloque organisé par l'équipe « Littératures françaises du XXe siècle » (Paris IV-Sorbonne) sous la
direction de Michel Murat.

ΠTendances
Œ Où est la littérature ?c !
Œ Les années 1950 : Jean Cayrol et la figure de Lazarec"!#$
Œ La photo Minuit, du cliché nocture à la lumière du négatif %
Œ Lorsque Godot paraît&'c $
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Êans le dernier de ses |    Roland Barthes constatait : « Un instrument essentiel nous
manque : une histoire de l' 
 de littérature. On écrit sans cesse [.] l'histoire des oeuvres, des
écoles, des mouvements, des auteurs, mais on n'a jamais encore écrit l'histoire de
l'  littéraire.          : cette question célèbre reste paradoxalement une
question de philosophe ou d'historien, ce n'est pas encore une question d'historien [1] ». Quand on
s'interroge sur le rapport entre littérature et histoire, on voit en effet le sujet foisonner ou se scinder.
L'histoire, ce peut être l'Histoire « avec sa grande Hache », comme dira Perec : ici la guerre, les camps,
les « blocs », la décolonisation. Ce peut être aussi le rapport de la littérature à sa propre histoire,
idées, auteurs et oeuvres. C'est enfin « notre » propre rapport avec ce moment et les faits qu'il
« contient », la manière dont il s'inscrit dans notre présent, ou s'en absente. Quant à ce que désigne
« la littérature », l'expression doit s'interpréter selon deux perspectives au moins : celle de la
« question célèbre » que Sartre pose en 1947 - en d'autres termes, la représentation que la littérature
se donne d'elle-même ; et une perspective inspirée de Goodman, formulable par « Quand y a-t-il
littérature ? » La visée ontologique (que la notion de représentation permet de reprendre de
l'extérieur) et la visée conditionnaliste sont nettement distinctes, elles ne se contestent pas et ne
dialoguent pas entre elles.
Partons de « notre » point de vue, celui plus exactement de ma génération, née autour de 1950 : pour
nous les années 50 se situent dans l'angle mort de la perspective historique. C'est un temps que nous
avons connu mais comme enfants, par nous-mêmes et dans nos rapports familiaux : comme il s'agit
d'une période de paix « l'histoire tombe au-dehors, comme la neige » (en France métropolitaine du
moins : il en est allé autrement pour les « Français d'Algérie »). En tant que période de l'histoire ces
années n'ont pas fait l'objet d'une expérience consciente, car nous étions trop jeunes ; elles n'ont pas
davantage fait l'objet de récits (sauf sans doute dans certaines familles communistes) puisque nous les
avons vécues. Nous ne pouvons en dire que « Je me souviens ».
Entre les avant-gardes historiques et le « triomphe » du structuralisme, les années 50 sont aussi dans
l'angle mort du « grand récit ». Nous ne disposons pas pour cette période, en ce qui concerne la
littérature, de scénario convaincant et capable d'en donner une image cohérente. L'histoire des avant-
gardes s'arrête pour la littérature française avec la dispersion du groupe surréaliste en 1940, comme
Nadeau et Blanchot l'avaient bien vu. p   en fournira dans les années 60 un épilogue qui en tant
qu'avant-garde théorique (ou méta-avant-garde) a une valeur de clôture. Le paradigme du nouveau
reste présent mais il se banalise de manière significative : avec le « nouveau théâtre » et le « nouveau
roman » il investit des objets partiels, et (surtout pour ce dernier) il hésite entre processus d'invention
et étiquetage d'un produit : la nouveauté s'affiche comme valeur indépendante de l'objet - plus près de
la « nouvelle cuisine » que de l'injonction finale du  . La tension entre engagement et
formalisme, avec les querelles de leadership qu'elle recouvre, travaille le champ de l'extérieur (alors
qu'elle jouait à l'intérieur des avant-gardes de la période précédente), et se ramène en fin de compte à
la bipolarisation des blocs. Il faut rappeler la puissance de cette polarisation et la radicalité de ses
effets au moins jusqu'à la mort de Staline (1953) : pour me contenter d'un exemple, elle suffisait pour
que   soit classée comme « atlantique », « pro-américaine », « de droite » ou simplement
« bourgeoise ». Au moment même où le méta-récit formaliste s'inscrit au coeur du développement de
la peinture américaine (à la suite de Greenberg, qui en donne une version canonique), les réflexions de
Blanchot sur l' « espace littéraire » ouvrent pour la littérature une voie nettement divergente, qui la
coupe de son histoire et ne la mène nulle part.
Je vois là autant de raisons de rappeler la question de Barthes et d'ouvrir une réflexion sur cette
période. Nos collègues historiens, à l'exemple de Jean-François Sirinelli, commencent à l'aborder dans
une perspective « générationnelle ». Nous pouvons nous inspirer de leur exemple, et nous souvenir
aussi que c'est dans les années 50 que leur discipline s'est renouvelée en élaborant une conception plus
complexe de l'histoire, de l'événement et du temps : la thèse de Braudel est publiée en 1949.
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e dis par commodité « les années 50 ». S'il faut situer un point de bascule, cependant, c'est 1947.
C'est en 1947 que finit l'après-guerre et que commence la IV° République (version « lazaréenne » de la
III°), et avec elle la guerre froide (échec de la conférence de Moscou, début du Plan Marshall) et les
conflits coloniaux (Madagascar, Indochine) ; la construction européenne suivra de peu (traité de
Bruxelles, 1948). Pour la littérature c'est la fin de ce qu'on peut considérer comme une période
d'exception, celle de l' « esprit de la Résistance » et du système de valeurs dont il était le fondement.
Ce système de valeurs et cet élan sous-tendent la réflexion de Sartre, dont le      
   se situe juste au point de bascule : ses causes et ses arguments dont d'un côté (l'après-
guerre et l'esprit de la Résistance) alors que ses effets sont de l'autre (la guerre froide et les années
50). Le pamphlet de Gracq,       , date en revanche de 1949 : il se situe juste
après ce moment, dont il prend toute la mesure. Il peut nous servir de point de départ.
Gracq réplique aux positions de Sartre en déplaçant le débat dans une perspective conditionnaliste
plus qu'essentialiste, et avec une attention plus grande au développement de la littérature française :
aux « bananes » emblématiques de Sartre (qu'il faut consommer sur place) répond chez lui le
« camembert » national, avec lequel on appâte le juré du prix littéraire [2] . En même temps qu'un
surréaliste hors de saison Gracq est un déserteur de l'avant-garde, un écrivain d'extrême-gauche en
déshérence parce qu'il a rompu avec le PC en 1940. L'intérêt de son texte vient de ce qu'il développe à
partir d'un point de vue fondé sur une stricte autonomie du phénomène littéraire, où l'expérience
personnelle de lecture est posée comme critère exclusif de la valeur, une analyse à la fois historique et
sociologique des mécanismes régissant le champ littéraire et son fonctionnement en tant que marché.
Gracq montre comment un effet de littérature est produit en réponse à une demande sociale dans un
pays où la littérature est un mythe fondateur de l'idée nationale (« Le Français [...] sait qu'il a toujours
eu de grands écrivains et qu'il en aura toujours, comme il savait jusqu'à 1940 que l'armée française est
invincible [3] »). Il met en évidence le rapport entre polarisation politique et segmentation du
marché ; la structure cumulative des carrières d'écrivain ; le lien entre le travail manifestaire des
avant-gardes historiques et la promotion de la critique au lendemain de la guerre (« une critique de
choc, qui s'était habituée à élever la voix [...], se trouva brusquement en 1945 maîtresse du terrain
déblayé [4] »). Et chose plus importante à ses yeux comme aux nôtres, il analyse les effets sur la
littérature d'une circulation sociale d'images médiatisées, déconnectées de l'expérience directe : faite
pour et par un « public qui ne lit pas », qui ne connaît des écrivains promus au rang de « vedettes »
que leur nom et les anecdotes colportées par la radio ou la presse, la littérature se soumet à l'emprise
de sa propre image et se transforme en elle. L'existentialisme est montré comme un symptôme et un
cas d'école : « Si les années 1945 me paraissent devoir être un grand tournant dans notre histoire
littéraire, c'est beaucoup moins pour la valeur des oeuvres offertes que pour ce qui touche les rapports
de l'oeuvre avec le public, c'est qu'alors pour la première fois une école littéraire conquit droit de cité
et se fit reconnaître, avouer, par la fraction la plus large du public sans que celui-ci posât comme
condition préalable de pouvoir jouir de ses oeuvres, et comprendre ses théories [5] . » Il fournit aussi
l'exemple du processus d'intimidation par l'importation de savoirs théoriques, en l'occurrence le
« roulement de bottes lourdes » de la métaphysique allemande. Pris à un à un, ces thèmes ne sont pas
originaux, mais leur convergence dessine une configuration éclairante, et douée d'une forte puissance
d'anticipation. En analysant la situation de l'écrivain en 1949, Gracq expose les conditions de possibilité
d'un événement littéraire dans un état renouvelé du champ. Il en tirera les conséquences pour lui-
même en refusant le prix Goncourt deux ans plus tard, sans échapper à la causalité retorse qu'il avait
décrite et qui fait de lui, malgré qu'il en ait, le héros du jour. On peut mesurer la justesse de sa
description en constatant qu'elle s'appliquerait à Sollers plus strictement et plus exactement qu'à
Sartre. On peut aussi soutenir, comme je le ferai plus loin, que les théories « totalisantes » de la
littérature qui vont s'épanouir quelques années plus tard constituent une tentative de compensation
symbolique à cet état de choses : le texte de Gracq paraît la même année que 
 
,* " +


Le mot de « redistribution » est utilisé par Alain Viala dans l'annexe d'un article déjà ancien [6] . Il y
propose une périodisation du champ littéraire moderne en quatre phases :
. 1830-1850 : phase de consécration
. 1850-1914 : phase d'expansion
. 1914-1950 : phase d'exploitation
depuis . 1950 : phase de redistribution
Le mot est tributaire d'une hypothèse et d'un modèle (d'inspiration marxiste) qui font du champ
littéraire une sorte de société par actions : ce sont des bénéfices qu'on redistribue aux actionnaires. Il
confirme le point de vue de Gracq, qui décrivait les écrivains « arrivés » comme des rentiers de leur
propre capital symbolique. Mais dans la structure du cycle il s'agit d'une phase terminale, qui doit avoir
pour corollaire (Viala le reconnaît) la mise en place d'un autre état du champ ; bien que la
configuration d'ensemble soit encore difficile à lire, un certain nombre de faits pourraient être les
indices d'une nouvelle donne - c'est-à-dire d'une redistribution des cartes.
Quand on l'envisage depuis les années 50 la période précédente, celle de l'entre-deux-guerres, donne
une impression de cohérence et de centralité. Ce centre symbolique, c'est bien sûr la NRF, « rose des
vents », c'est-à-dire source et mesure du jugement littéraire, et point de rayonnement d'une littérature
française qui peut se prétendre universelle en tant que française - conformément à la position prise
par Rivière en 1919 contre Massis et Maurras -, et en tant que littérature, coextensive à l'exercice de la
pensée. Êans la période qui s'oeuvre en 1940, l'instabilité et la complexité presque insaisissables de la
position de Paulhan (que surexpose dans son ordre le mode d'argumentation des   
 p )
apparaissent en revanche comme le symptôme d'une perte de centralité et peut-être d'une perte de
repères : tant de corrections de trajectoire pour aboutir, comme par une détermination fatale, au
scénario décevant de la « Nouvelle » NRF ! Cependant aux processus internes de décentrement qui ont
pu déjouer une pensée mobile et adaptable comme celle de Paulhan s'en opposent d'autres qui se
situent sur un plan externe, celui de la réception et de la diffusion, et qui montrent au contraire une
nette convergence, dont Gracq avait dessiné l'horizon. Je ferai une description sommaire de faits
correspondant à ces deux processus. Lorsqu'on les met en rapport avec les stratégies de redéfinition
que déploient notamment Blanchot, Barthes et Sartre, on commence à voir se dessiner les
« tendances » des années 50.
,* *-.!

La question serait ici non celle de l'être ni de la destination, mais celle de la carte de la littérature
(territoires et frontières) et de la hiérarchie des ensembles qui la constituent. Je relèverai quatre
points sans prétendre les mettre en ordre.
3.1.1. Le déplacement des rapports entre genres canoniques, ressortissant à une culture savante, et
formes d'une culture « populaire ». Êeux cas peuvent retenir notre attention.
Le premier est le triomphe public de  , qui date de l'immédiat après-guerre (début 1946) mais
se prolonge tout au long de la décennie suivante. Prévert vient de la chanson et y retourne ; il est en
même temps scénariste, collaborateur de Carné. Il vulgarise l'idéologie libertaire et les procédés
textuels du surréalisme ; son registre est marqué aussi par une thématique « humaniste », à la fois
politique et sentimentale, proche des courants contemporains de la photographie française. Il faudrait
réfléchir au rapport qu'entretiennent chez lui poésie et chanson en prenant des points de comparaison
antérieurs, comme les poètes du Chat Noir, et récents comme Êesnos. La figure de poète populaire qui
émerge avec Prévert me semble nouvelle : avec celle de Char et celle de Ponge, elle fait une sorte de
triangle très caractéristique (j'y reviendrai).
Le second est la bande dessinée : la période est encadrée par le n°1 de p en édition française
(1948) et le n°1 de  (1959). La bande dessinée réinvestit à la fois les formes de base du récit et
les apports de la photo et du cinéma (cadrage, montage) formalisés par les avant-gardes des années
20. Elle va connaître dans les années 50-60 sa période classique, et n'est nullement déconnectée de
l'histoire (les albums d'E.P.Jacobs restituent très bien l'atmosphère de la guerre froide). Il faut avoir
une conception étroite de la « hiérarchie des arts » (comme disait Swann avec des guillemets dans la
voix) pour considérer qu'elle n'a « rien à voir » avec la littérature - dont elle a récupéré aujourd'hui une
bonne partie du lectorat.
3.1.2. Êes phénomènes d'importation générique, déterminant (pour la période considérée) l'apparition
d'une production dominée, dépourvue d'autonomie esthétique. Le phénomène n'est pas nouveau en soi
(on peut en dire autant de la pastorale), mais il prend une couleur particulière parce que nous le
saisissons dans sa première phase, et parce qu'il se situe dans la zone de la « paralittérature ».
La science-fiction : l'expression, le concept et le corpus américains sont importés au début des années
50, attirant l'attention de Queneau et de Boris Vian [7] . La production française correspond à une
structure de « genre dominé » : le modèle américain, imité sans être analysé, a supplanté la tradition
française du roman d'anticipation scientifique sans permettre le développement d'une véritable « école
française de SF ».
C'est aussi le cas du « polar », importation du roman noir américain ; les pastiches de Vian / Vernon
Sullivan dominent pour longtemps la production française (jusqu'aux années 70 : Manchette, Vautrin).
La « Série Noire » créée par Marcel Êuhamel chez Gallimard (1945) publie principalement des
traductions ; Claude Elsen constate d'ailleurs en 1953 « l'échec de toute tentative pour faire survivre le
roman policier "classique" » face au modèle américain [8] .
3.1.3. Le débordement de la littérature par les sciences humaines et son rebordement par la critique Il
s'agit d'un phénomène complexe, qui réorganise les relations entre récit de fiction, écriture
personnelle et essai ; le phénomène a été souvent évoqué mais ses modalités historiques mériteraient
une analyse détaillée. Il ne prendra toute son ampleur que dans les années 70, dans le travail du
dernier Barthes. Êans les années 50 la stabilité du cadre générique est encore forte ; la réception
contrastée de p  p   et des !   de de Gaulle le montre bien. Ce qui est en question,
c'est plutôt le rapport de la littérature avec la « vérité » de l'expérience : la tension entre roman et
« témoignage » est un point essentiel dans le débat sur la littérature de la guerre et des camps ; le cas
de Cayrol est en cela exemplaire.
3.1.4. L'apparition d'une littérature « francophone » sur les ruines de la littérature coloniale :
l'ouverture est donnée par "# 
   $  # 
 % de Senghor
(1948, avec une préface de Sartre : « Orphée noir ») ; aux Antilles Césaire fonde la revue p  ,
tandis que le premier grand roman algérien : &
', de Kateb Yacine, paraît en 1954. Rome n'est
plus entièrement dans Rome ; c'est le premier acte d'un morcèlement de l'Empire des lettres
françaises.
,*l*c/00! /-

Les effets pervers de la médiatisation de la littérature avaient été décrits par Gracq avec beaucoup de
verve, et la situation ne change que lentement au cours des années 50. On reviendra sur la « photo
Minuit » qui forme un des moments remarquables de la construction médiatique d'un objet littéraire.
Les rapports entre littérature et radiophonie connaissent un bel essor au début de ces années, sous
l'impulsion notamment de Jean Amrouche : les entretiens radiophoniques, ceux de Breton avec
Parinaud (1952) et surtout les !   (  de Claudel (avec Amrouche, 1951), deviennent une
création originale. La télévision entre en jeu en 1953 avec     , et sa première grande
réussite promotionnelle est le Goncourt 1959,   )  
 *  d'André Schwartz-Bart. On doit
néanmoins accorder davantage d'importance à l'apparition des listes des best-sellers dans |+   en
1955, qui met en place une structure très puissante de détermination de l'achat par prescription
implicite ; c'est la véritable entrée dans le champ du livre (sinon le champ littéraire) d'une logique de
marketing.
Relevons aussi la naissance du Lagarde et Michard (1947), qui allait fixer pour trente ans le canon
scolaire de la littérature française, sur une base assez proche de ses fondements lansoniens ; et la
création de collections de grande vulgarisation comme les remarquables « Ecrivains de toujours » au
Seuil (1951), dont le concept (« X par lui-même ») propose une réinterprétation du rapport « homme-
oeuvre » dans une perspective d'autobiographie virtuelle.
A cet horizon nous voyons se dessiner, me semble-t-il, des modifications du statut de l'objet
littéraire : l'accès à un statut moins spécifique (moins exclusivement lié à la lecture) d'objet ou de
pratique culturelle, et la muséification des oeuvres patrimoniales. Le  ,     de
Guillemin (1951) mène par un chemin assez facile à suivre au CÊ-rom Proust, qui offre la - # #  au
« public qui ne lit pas », ou à l'exposition de la BNF qui met en scène des manuscrits pour un public qui
ne peut pas les lire : l'oeuvre y est montrée par elle-même, coïncidant avec sa propre image ou - dans
le meilleur des cas - produisant son autoportrait, et neutralisant le discours critique par l'évidence du
montage.
,*,*1+2.34

Face à cette situation pressentie les réponses les plus originales sont celles qui tendent à une
totalisation symbolique, mettant entre parenthèses les déterminations historiques et sociologiques de
l'activité littéraire, ou les réinterprétant dans une perspective essentialiste : j'entends Blanchot, et
d'une manière différente, Barthes, ou Bonnefoy. Mais il y avait d'autres voies possibles, et c'est le
recours à certaines de ces possibilités qui caractérise les années 50.
3.3.1. La résurrectine

La plus évidente est une tentative de réassurance, et c'est dans la résurrection de la NRF en
« Nouvelle » NRF qu'elle abat ses cartes. La reparution a une valeur d'amnistie symbolique, surtout
pour Gallimard, quand même assez compromis : on efface et on recommence ; c'est en 1953 un des
seuils terminaux de l'après-guerre. Mais la nouvelle revue est à l'ancienne ce que la IV° République est
à la III°. On rouvre avec Saint-John Perse, qui avait fait l'ouverture de 1909, et dont la main n'a ni
changé ni faibli ; Larbaud aussi est là, et ceux des années 20, Montherlant, Malraux, Jouhandeau,
Paulhan et Arland (qui se partagent la direction). Êans sa « Chronique d'un amour » qu'il donne
aux p  
 , Bernard Frank commente :
S'agit-il d'une revue, ne me trouverais-je pas plutôt en face d'un memento des grands noms de notre
littérature contemporaine, d'un .# /# Pour un peu j'ai l'impression que Gallimard, tel
don Ruy Gomez, vient me saisir par l'oreille et me traîne de tableaux en tableaux, en glapissant :
"celui-ci c'est l'aîné, c'est l'aïeul, l'ancêtre, le grand homme". [.] La piétaille peut attendre, et que l'on
ne corrompe pas, pour l'amour du ciel, ce défilé de chevaliers, conduits par un paysan et un charmeur
de rats, aux lourdes armures, aux casques où l'on étouffe. Voilà que je m'imagine que nous sommes
vingt-cinq mille à applaudir pour la dernière fois la littérature française en ordre de bataille, avant
qu'elle n'aille se faire pourfendre, dans quelque Crécy légendaire dont seule elle a le secret [9] .
C'est un scénario lazaréen, peut-être dans la variante revue par Roussel : l'injection
de     qui permet au cadavre de reproduire « avec une stricte exactitude, les moindres
mouvements accomplis par lui durant telles minutes marquantes de son existence [10] » ; ou encore,
dit Frank, les  0 de l'Occupation : « néo-café, néo-sucre, néo-banania, néo-Larbaud, néo-Malraux,
néo-Perse, etc. » Ces analogies déplaisantes n'ont rien à voir avec un jugement de valeur. Les
contemporains, du moins certains d'entre eux, ont eu le sentiment d'un rendez-vous manqué avec
l'histoire. La NRF était toujours au centre, mais un centre vidé de sa substance : ce n'était plus qu'une
« troisième force ». Plus que l'impuissance ou le déphasage des acteurs [11] , plus qu'une « fatalité »
qui ne ferait que récupérer l'événement dans un méta-récit, cet épisode me paraît indiquer
l'impossibilité (au moins provisoire) pour la littérature d'inventer et d'occuper un   : une
communauté de lecteurs formant un véritable espace social, fait de goûts, d'idées et de valeurs
partagés  Ê'une NRF à l'autre celui qui a disparu et qu'on ne remplacera pas, c'est Thibaudet, qui en
était l'incarnation. Arland est censé occupé la place laissée vacante ; mais il suffit pour prendre la
mesure d'Arland de lire ses récriminations « Sur la condition littéraire » où l'analyse de Gracq a tourné
à la rengaine, et son éloge de la biographie de Sainte-Beuve par André Billy (« un homme est là ») : le
lieu commun retourne au conformisme [11] . La figure commune qui émerge dans cette période est au
contraire « située », comme dirait Sartre, et sur l'autre bord : c'est « l'intellectuel de gauche », qui ne
s'identifie d'ailleurs pas au lecteur des p  
 
3.3.2. La cour

Une autre solution caractéristique qui apparaît dans cette période avant de trouver son apogée dans
les années 60, a été la conjonction du grand écrivain et du grand homme : de Gaulle est les deux à la
fois par la vertu de son « style », mais cela ne suffirait pas s'il n'y avait les deux couples
complémentaires : de Gaulle / Mauriac et de Gaulle / Malraux. Le Bloc-notes de Mauriac théâtralise
comme « conscience » l'instance critique indispensable à la légitimation de la force dans un
commentaire perpétuel de l'action (la rubrique du 
 #1 , « La cour », fait contrepoint et
parachève la ritualisation). Malraux en théâtralise la dimension épique, mémoriale et collective. Le
dispositif est d'une efficacité extraordinaire, mais il décentre à la fois la littérature et la politique,
projetant la première comme horizon de la seconde ; c'est un héritage paradoxal, anachronique, de
l'universalisme littéraire de la grande NRF. On peut d'ailleurs être tenté par le parallèle et juger que le
gaullisme est la réassurance d'une « certaine idée de la France » comme la « Nouvelle » NRF de
Paulhan et Arland celle d'une certaine idée de la littérature ; mais il faudrait pousser ce parallèle
jusqu'au « nouveau Franc » : on verrait alors ce qui distingue une dévaluation réussie d'une
réévaluation manquée.
,*,*,*c 

La conjonction du grand homme et du grand écrivain est toutefois commandée par les circonstances et
l'action politique en forme le centre de gravité. Les constructions totalisantes dont Sartre et Blanchot
présentent deux versions complémentaires répondent au contraire à la question « Qu'est-ce que la
littérature ? » Elles ont pour effet de produire un lieu commun, mais ce lieu commun est d'un autre
ordre que celui que symbolisait la NRF : à la littérature comme pratique (travail d'écrivain et
expérience de lecteur) qui est le fait de Proust comme de Gracq elles substituent une idée de la
littérature ou une figure de l'écrivain, en quoi tout se résume. Elles font l'économie du lecteur et
même des livres, inutiles dans un cas, inessentiels dans l'autre.
Pour Sartre la figure est celle de « l'intellectuel total » telle que Bourdieu l'a décrite dans  -$ 

. Elle procède par cumul de fonctions : Sartre est à la fois le 
( de naissance dont
l'avènement est décrit dans   ! , le critique capable de redéfinir l'objet et de reconstruire le
canon, le philosophe de profession et le témoin militant ; ces autorités se croisent et se légitiment par
ricochet. Sartre ne peut être réduit à cette idée, mais il l'a inventée et incarnée, et pour notre période
il coïncide dans une large mesure avec elle. Quant aux livres, demandons-nous simplement a lu
la  
 
   (à quoi Sartre a travaillé de 1957 à 1960), quel effet autre que de
crédit et d'image a produit ce « grand » livre d'un « grand » écrivain [12] .
Le projet de Blanchot est assez facile à saisir quand on compare la première formulation d'ensemble
que fournit « La littérature et le droit à la mort [13] » (1947) avec la synthèse de 1955, |  
  , livre dont les premières pages (sur la solitude) avaient paru dans le n°1 de la « Nouvelle »
NRF, contredisant en profondeur le projet de la revue. Ê 'un texte à l'autre c'est toute l'historicité de
ce qu'on ne peut faire autrement que d'appeler la littérature française qui s'engloutit dans l'entonnoir
de l'ontologie négative, ne laissant subsister devant la « solitude essentielle » de l'oeuvre (non de
l'écrivain), que le mythe d'Orphée réduit à une fable méta-poétique, et trois constellations, Mallarmé,
Kafka et Rilke, dans le ciel raréfié où la littérature démontre sa propre impossibilité. La théorie
s'impose par la conjonction de sa radicalité et d'une rhétorique qui paralyse ou stupéfie la
contradiction, et dont il faudrait faire l'analyse ; en voici un échantillon : « Qui n'appartient pas à
l'oeuvre comme origine, qui n'appartient pas à ce temps autre où l'oeuvre est en souci de son essence,
ne fera jamais oeuvre. Mais qui appartient à ce temps autre, appartient aussi à la profondeur vide du
désouvrement où de l'être il n'est jamais rien fait [14] ». Remarquons qu'au même moment Sartre
écrivait : « le prolétariat, la bourgeoisie, le capitalisme », comme Blanchot « la littérature, l'origine,
l'oeuvre, la mort », et pratiquait une rhétorique analogue : « Puisque le PC n'est pas extérieur à la
classe, puisqu'il n'est séparé des masses que par cette distance que crée l'exercice du pouvoir, il faut
bien qu'il +  la classe. Et d'où lui viendrait son influence sur elle, s'il n'était pas justement ce
qu'elle le fait [15] ? »
Plus âpre, plus rapide que le livre de 1955, le texte de 1947 conserve les traces du dialogue dans
lequel il s'est construit. Réfutation de Sartre : « On a constaté avec surprise que la question " Qu'est-ce
que la littérature ? " n'avait jamais reçu que des réponses insignifiantes ». Retournement du point de
vue d'Aragon sur la circonstance : « Les circonstances dans lesquelles [l'individu] se met à écrire
deviennent à ses yeux la même chose que son talent » : mais il s'agit de Valéry écrivant sur commande
éditoriale, non des    Reprise à Paulhan du thème de la « Terreur dans les Lettres » (sous-
titre des   
 p ) : il ne s'agit plus de rhétorique ni du surréalisme, mais d'une loi plus
essentielle, selon laquelle « l'action révolutionnaire est en tous points analogues à l'action telle que
l'incarne la littérature ». En d'autres termes, la littérature ne fait qu'un avec la Terreur, où « chaque
homme [...] est la liberté universelle qui ne connaît ni ailleurs ni demain, ni travail ni oeuvre », où la
liberté absolue se confond avec le « droit à la mort » ; c'est pourquoi « Sade est l'écrivain par
excellence [16] ». Cependant cette mort est insubstantielle, et cette Terreur n'a rien à voir avec
l'histoire : Blanchot la déconnecte explicitement des « mouvements négateurs contemporains » et la
ramène à une origine hégélienne (il mentionne la traduction récente de la #   

 et la thèse d'Hyppolite). Cet hégélianisme est lui-même déhistoricisé : il n'est question ni du
romantisme ni de la fin de l'art, mais des thèses sur le caractère « meurtrier » du langage, qui
« anéantit dans son existence » ce qu'il vient à nommer. Il serait possible de montrer comment chez
Blanchot le radicalisme politique des années 30 se réinvestit en changeant en quelque sorte de niveau ;
on est frappé en tout cas de ce qu'il écrive un an après Nuremberg et au moment des premiers débats
sur les camps soviétiques que « dans la Terreur, les individus meurent et c'est insignifiant [17] » : c'est
un propos extraordinairement provocant.
Êans le livre de 1955 cet ancrage historique a lui-même disparu. Le corpus est réorganisé sur des bases
complètement différentes, comme un ensemble discontinu de figures qui ne communiquent entre elles
que parce qu'elles exemplifient un moment de la démonstration. Après que les mots ont été déclarés
« inessentiels [18] », la lecture « véritable » est utilisée (avec un intéressant retournement de la
figure de Lazare) pour « débarrasser l'oeuvre de tout auteur » mais elle se débarrasse du même coup
du lecteur « comme personne ayant une histoire [...] et même de la lecture [19] ». La littérature
coïncide avec la pure idée d'elle-même ; elle « va vers elle-même, vers son essence qui est la
disparition [20] ». Entièrement perdue, elle est donc entièrement sauvée, puisque soustraite aux
déterminations historiques et sociales dans lesquelles l'auteur comme le lecteur se trouvent
inévitablement engagés. Au moment où l'autonomie du champ littéraire s'affaiblit, Blanchot invente
une fiction théorique qui est à la fois le mythe de l'autonomie et son arche de Noé (ou son radeau de la
Méduse).
5*+
 
 

Les remarques qui précèdent se sont organisées peu à peu en une hypothèse globale, sur laquelle je
reviendrai en conclusion. Cette hypothèse n'évite pas tout à fait l'écueil prévisible qui consiste à lire
les années 50 comme une préfiguration des années 60. Elle risque de ne pas faire une juste place à la
singularité de la période et à la couleur du temps. Il me paraît donc nécessaire de la compléter et de la
nuancer en introduisant des points de vue différents, hétérogènes entre eux et plus partiels.
5* *c ! / -

Les discours actuellement dominants, Bourdieu d'un côté, Blanchot de l'autre, reconstruisent l'objet
littéraire de manière à en produire une compréhension globale : l'un de l'extérieur, l'autre de
l'intérieur. Ni l'un ni l'autre ne s'intéressent à la lecture et à l'écriture (au sens valéryen d'une poïesis)
en tant que telles, dans leur dimension d'expérience individuelle et de pratique sociale. Un moyen
simple pour modifier notre perception de la littérature dans l'histoire est de prendre le point de vue
d'un lecteur maniaque ou professionnel, immergé dans le quotidien de la production et du débat mais
doué aussi d'une mémoire qui est à la fois celle des oeuvres et celle de la chronique. Nous allons
recroiser ici Bernard Frank, mais c'est un cas typique plutôt que singulier. Beaucoup de traits qu'il
évoque se retrouveraient chez d'autres chroniqueurs ou feuilletonistes : Robert Kemp, Pascal Pia,
Nadeau, Roger Stéphane, écrivains comme Nimier ou Vialatte (Frank lui-même est romancier, ne
l'oublions pas) ; tous sont d'abord des lecteurs, à plusieurs degrés et dans plusieurs temps différents.
Mais écoutons Bernard Frank :
"J'ai longtemps fait partie d'une secte bizarre dont plus grand plaisir - le malin plaisir - était de
dévorer, plutôt que des livres, le feuilleton littéraire de la semaine [.] Vers les 5 heures nous
descendions nos avenues à la recherche d'un kiosque qui nous délivrerait notre drogue quotidienne. Un
jour, c'était Henriot. Un autre, c'était Rousseaux. Le mercredi, Kemp. Le jeudi, Nimier. Le vendredi,
Stéphane. Le samedi, Arland. Pour le dimanche, nous nous gardions Nadeau. (On pouvait inverser à
plaisir les jours et les noms). Puis nous nous couchions sur nos divans et, tandis que nos dents
grignotaient une tartine à la confiture d'oranges amères, nos esprits s'imprégnaient délicatement de
ces jugements, de ces histoires, de ces haines, de ces amours que les lignes nous livraient sans
parcimonie. [.] Notre plaisir se voulait solitaire. Nous rêvions longtemps à ces auteurs que nous ne
lirions jamais et dont on s'exténuait, chaque semaine, à nous suggérer le visage" [21] .
Plus loin à propos de Barrès il cite Thibaudet, et s'étonne que celui-ci puisse bavarder longuement sur
la littérature de voyage sans susciter la même lassitude que cette littérature. Il ajoute alors : « Je
retrouvais cette idée qui un jour m'avait si fort effrayé que l'histoire de la littérature, même la plus
rudimentaire, parlait souvent plus à une imagination bien dressée que les chefs-d'oeuvre dont elle avait
le souci [22] ». Rien de réducteur dans cette chronique de la chronique : le lecteur couché prend son
plaisir dans le romanesque de la littérature même, dont il épouse les mille vies comme le narrateur
enfant dans les après-midi de lecture du jardin de Combray. A la moindre occasion se constituent des
paradigmes (on va par exemple d'un début de revue à une autre, de la « Nouvelle » NRF aux p  

 ) ou bien des panoramas (on va de la même à     et aux   (  , dont
les débuts sont appréciés avec la gourmandise acide d'un amateur de confiture). Pour le lecteur-
chroniqueur, ce roman de la littérature qu'il contribue par ailleurs à écrire, ce sont ses Mille et une
Nuits, auxquels les enchâssements donnent la même profondeur miroitante : ainsi (j'y reviens parce
que je n'ai pas d'autre exemple sous la main) Frank parlant d'Arland qui parle de Billy qui raconte
Sainte-Beuve (qui lui-même racontait Chateaubriand ou Hugo, etc.), ou campant Thibaudet qui faisait
poser Barrès qui posait avec le Greco, etc. Et sur un autre plan ce roman est aussi un*
  , l'équivalent discontinu et multiple de celui qu'a tenu Léautaud. Ce que nous entrevoyons
grâce à eux, ce n'est pas seulement l'air du temps, ni même les acteurs et le scénario de la pièce, ce
sont aussi les cadres d'intelligibilité et d'évaluation dont disposait une époque : en un mot c'est la
sociologie de la littérature - avec la littérature en plus. Mais la « secte », très vivante dans les années
50, est en voie d'extinction ; il n'y a plus guère que Sollers qui, dans ses bons jours, sache prendre et
donner ce genre de plaisir.
Face à ceux qui démontraient l'impossibilité de la littérature, il en existe donc qui ont prouvé la
littérature en lisant, ou qui se sont trouvé d'autres postures, plus ambiguës ou plus variées. On peut
penser à Perros et à l'itinéraire qui le conduit des Notes de la « Nouvelle » NRF aux     (qui
contiennent une remarquable « Note sur la note ») ; à Paulhan et ses hétéronymes, Guérin, Maas (et à
la manière dont ils communiquent entre eux). Mais le cas le plus intéressant est sans doute celui de
Barthes.
On imagine Barthes faisant l'inventaire des postures du lecteur (à la manière dont Borges classait les
genres littéraires) : debout (comme Sartre, contre l'esthétique petite-bourgeoise), assis, couché,
recroquevillé, etc. Lui-même ne s'est jamais enfermé dans une idée de la littérature, et n'a même
jamais produit une idée de cet ordre. Le parallèle avec Blanchot se défait très vite : il n'est que de voir
la manière dont Blanchot réinterprète la notion de « degré zéro ». La perspective de Barthes est
esthétique : il vise une littérature qui (idéalement) se délivrerait des conventions qui l'instituent et la
rendent reconnaissable en tant que littérature. Blanchot transforme le degré zéro en « point zéro »,
version négative du point sublime, où la littérature « ne serait pas seulement une écriture blanche, [.]
mais l'expérience même de la neutralité [23] ». Ce qui dans les deux cas est oblitéré, c'est la figure qui
inscrit ce mot dans l'histoire : celle de « l'homme zéro », le survivant des camps. Barthes, pour y
revenir, est critique, théoricien, mais aussi chroniqueur : pour le théâtre, et pour les !#  qui
sont à la fois la chronique, la théorie et le roman du quotidien moderne. Plus tard il sera l'homme du
séminaire, non à la manière de Lacan, mais comme une sorte de Socrate moderne. Telle que la
pratique Barthes la littérature est intensément socialisée, de même qu'elle est historicisée : le )  
0 est bien une histoire de l'idée de littérature, et nombre d'essais de ces années (notamment sur le
théâtre) sont en même temps qu'une prise de position militante une contribution à l'histoire du goût.
5*l*
-6.!!7!

Le paysage change profondément lorsqu'on envisage, au lieu de « la littérature », les genres


canoniques qui la constituent : on découvre plusieurs histoires qui ne coïncident pas entre elles. Cette
non-coïncidence tient à un phénomène qui n'est pas propre aux années 50 : c'est la profonde différence
des usages sociaux, des structures d'institution et des horizons d'attente entre le théâtre, le roman et
la poésie [24] . Les classificatoires génériques qui fonctionnent sur une base combinatoire tendent à
masquer ce phénomène, et favorisent des parallèles fallacieux comme celui qu'on a pu établir pour les
années 50 entre « nouveau théâtre » et « nouveau roman ».
Comme l'exposé de Ganaëlle Lacroix le montre à partir d'une étude de l'année 1953, les années 50
voient se mettre en place un profond renouvellement du théâtre, renouvellement qui ne concerne pas
seulement la création littéraire mais les pratiques, les lieux et les institutions, et qui s'inscrit dans une
périodisation plus longue (une « grande phase » qui part de la période symboliste et s'étend jusqu'aux
années 1980, celles de Vitez et Chéreau) : dans cette phase les années 50 sont caractérisées par un
consensus relatif autour de l'idée d'un « théâtre d'auteur ».
Il n'en va pas de même du roman. C'est la période précédente, celle de l'entre-deux-guerres, qui va
apparaître aux contemporains comme un âge d'or du roman français. Le corpus étudié par Claude-
Edmonde Magny en 1950 dans ,  
  % 
  2324 comprenait Proust, Gide,
Mauriac, Giraudoux, les « moralistes » de la NRF, Martin du Gard [25] ; en ajoutant les noms de
Malraux, Céline, Giono et Sartre, on obtient un massif en fin de compte assez cohérent, qui met en
valeur les ressources multiples de la fiction romanesque. Mais si j'essaie d'établir pour moi-même le
palmarès des « meilleurs romans des années 50 » (l'exercice en vaut un autre) je serai tenté de
répondre : ) #5   , 6 , 7 8    et 90 
     ; en
élargissant un peu la décennie j'ajouterai - 

  Sauf ce dernier qui peut apparaître
comme le canon d'une nouvelle forme, ce sont des ouvrages atypiques, dont le statut générique
apparaît paradoxal ou marginal quand on les compare au programme narratif et idéologique de 

# .
La réflexion de Johan Faerber est très éclairante pour ce que désigne l'expression « nouveau roman ».
Il me paraît nécessaire, en prolongeant ses analyses, de distinguer trois phénomènes. Le premier est la
déconstruction du modèle naturaliste, menée avec virtuosité dans | 
  %Cette critique
constitue une base commune à la plupart des romanciers « novateurs » de la période, et à ce titre elle
déborde le groupe, même dans la version large que donne la « photo Minuit ». Le second est la
constitution d'un modèle narratif spécifique (celui que Faerber qualifie de « fiction ») : il correspond
assez étroitement aux premiers romans de Robbe-Grillet (   : ,    ,  *  ),
auxquels on peut donner un caractère canonique ; les romans « structuraux » de Claude Simon en
dérivent sans ambiguïté. Ni Beckett, ni Sarraute, ni Êuras ne correspondent à ce type, et leur
rattachement au groupe relève avant tout d'une stratégie éditoriale. On peut considérer en
revanche !
comme un compromis réussi entre le modèle « nouveau » de Robbe-Grillet et
la forme traditionnelle du « roman d'analyse », ce qui explique sa reconnaissance immédiate - et par
contrecoup sa position particulière dans le corpus Le troisième est l'invention du « Nouveau Roman »
en tant que tel, entreprise à laquelle ont concouru sur des plans différents Robbe-Grillet (qui poussait
à l'expansion de son modèle), Lindon, et plus tard Ricardou, constructeur d'une théorie postiche mais
qui allait fournir une vulgate critique.
Quant à la poésie j'ai suggéré plus haut que son histoire se jouait dans une sorte de triangle dont les
sommets correspondraient à Char, Ponge et Prévert. Êu côté de Char se mène une entreprise de
refondation par une remontée aux Présocratiques via Heidegger et Hölderlin, qui inscrit la poésie non
dans une histoire de la philosophie mais ce qu'on pourrait appeler une idée de la philosophie (ou
une 7 #  # ). Chez Blanchot et chez Bataille on trouve une perspective assez proche : c'est
bien la poésie (ou la littérature « essentielle ») qui est posée comme horizon de la philosophie, et non
l'inverse. Bonnefoy s'inscrit aussi dans ce champ, avec une ontologie positive de la « présence » et du
concret qui fait couple avec l'ontologie négative de Blanchot - et se détermine de façon plus décisive
dans un dialogue avec Bataille, celui de 6   contre « l'impossible ». Chez Ponge en revanche,
on assiste à une entreprise de rénovation de la poésie par une ré-articulation de la topique et de la
technique, sur un horizon rhétorique (et non métaphysique) : le rôle de Paulhan dans l'élaboration
du   
 #  est très significatif. Cependant la chronologie ne coïncide pas
exactement avec notre période : l'essentiel s'est joué avant la guerre, et le second acte correspond à la
promotion de Ponge par Sollers dans la première phase de p   , au début des années 60. Enfin
Prévert : ce qu'il nous fait voir, c'est l'angle sous lequel on est fondé à dire que la poésie ne survit pas à
la Résistance.   est le point où « comme tout en France », la Résistance « finit par des
chansons ». Par son succès éclatant le recueil constitue un seuil au-delà duquel la demande sociale de
lyrisme, que satisfaisaient les poèmes du $(   ou du - 
0(   
, échappe à la
littérature - qui n'a cure de répondre à cette demande. Le recueil n'a pas de postérité dans la poésie ;
c'est la dernière convergence massive (commep   de Géraldy l'avait été à son heure) entre
poésie et public. Les chansons de Boris Vian se situent sur un plan différent, de même que les
adaptations du - # ( d'Aragon ; dans la période suivante Gainsbourg, qui est l'héritier de
Vian, fait des disques et non des livres : les lecteurs de Prévert ont changé de rayon.
5*,* 8!

Êans les années 50 le discours sur la littérature a changé plus profondément peut-être que la
littérature elle-même : il s'est réorganisé de fond en comble. Le processus s'est déroulé, en gros, en
trois étapes successives, touchant : 1) la thématique, dans les années 50 ; 2) la structure, dans les
années 60-70 ; 3) l'énonciation, à partir des années 80.
Cette restructuration s'explique par la conjonction de deux facteurs fondamentaux, qui convergent au
lendemain de la guerre : l'obsolescence du discours sur le « coeur humain », objet principal de la
littérature de fiction, face à de nouveaux discours de savoir (anthropologique, sociologique,
psychanalytique) ; et la nécessité imposée par « Hiroshima et Buchenwald » de « fonder la notion de
l'homme ». On se tourne donc vers la littérature - mais comment dire ce que dit la littérature ? La
réinvention se fait aussi sur fond de cet oubli du savoir rhétorique qui a coïncidé avec la promotion de
l'histoire littéraire positiviste. Êans les années 50 nous sommes au plus bas, dans le creux qui s'étend
entre Valéry et la redécouverte dont Barthes sera un des initiateurs, mais dont les effets n'apparaîtront
qu'avec la diffusion des travaux de Fumaroli et de Frances Yates, dans les années 80. La manière même
dont Paulhan s'efforce de reconstruire la réflexion sur les lieux communs est significative à la fois de
cet oubli et de l'ampleur des questions qu'il laisse vacantes.
Bien plus que celles de la structure, les années 50 sont celles de l'avènement de la critique
thématique, à la fois herméneutique, taxinomie et mode de lecture. Les grandes lignes sont faciles à
dresser : d'une part Bachelard, par qui le lien se fait avec l'école de Genève, Jean-Pierre Richard
(      ), Charles Mauron ; d'autre part le couple remarquable que constituent chez
Barthes le !#   et les !# Quant aux discours de référence, il y en a trois principaux : la
phénoménologie, référence omniprésente mais dont les fondements et les effets sont délicats à
apprécier, l'anthropologie et la psychanalyse. Les trois se recoupent dans les études de Bachelard,
comme le montrent bien des titres tels que  # 
 , et s'articulent chez lui à une réflexion
sur la rêverie littéraire qui inscrit l'entreprise critique dans une filiation romantique (et qui laissera des
traces profondes chez Gracq). Ce qui est en jeu, c'est précisément la compréhension du « contenu » de
la littérature : anthropologie et psychanalyse permettent de réarticuler « l'homme » dans sa dimension
sociale et dans son intériorité ; dans cet espace, entre Sartre, Lacan, puis Gilbert Êurand, le mot
d' « imaginaire » circule avec une valeur changeante. Cette réarticulation déporte la critique littéraire
du côté des sciences humaines et de l'histoire culturelle, comme le montrent clairement
les !# ; mais c'est aussi un élargissement du champ, et la continuité de celles-ci avec
le!#  n'en est que plus frappante. On peut se demander en revanche si le déplacement du
discours sur l'homme ne contribue pas à déposséder la littérature de ce contenu. Les tirades de Robbe-
Grillet contre l'anthropomorphisme semblent s'inscrire dans cette perspective ; mais lorsqu'il ne reste à
la littérature que la surface des objets, la phénoménologie retourne (sans le savoir ?) à la rhétorique :
la réalité « brute », c'est le triomphe de l'ekphrasis.
Chez Barthes la topique ne s'oppose pas à la structure ; il va d'ailleurs de même chez Bachelard : mais
sur ce point la position de Barthes a valeur de paradigme. Les mots « structure » et « thématique »
voisinent dans le texte liminaire du !#  , dont la perspective est à bien des égards préstructurale
(mais on pourrait aussi y voir un plagiat par anticipation du post-structuralisme). Entre les deux
périodes il n'y a pas de coupure mais un déplacement d'accent. Les lieux de conversion sont bien
identifiés : on les trouve dans « Le mythe, aujourd'hui » (1956) et dans « Langage et vêtement »
(1959), dont la démarche est déjà celle du ; $ 

Êans le premier de ces deux textes le
passage sur « Le mythe, à droite » mérite à mon avis une attention particulière [26] . L'énumération de
lieux argumentatifs (la tautologie, le « ninisme », etc.) offre une remarquable articulation entre
topique, structure et herméneutique du sens commun : c'est une variante (« située » par son
engagement politique) du ) 
 
  %  un dictionnaire de structures et non de
formules, autour duquel Sartre et Paulhan, entre autres, viendraient dialoguer avec Flaubert et Léon
Bloy. Cependant Barthes n'est pas structuraliste au sens de Lévi-Strauss, et il ne le sera pas davantage
dans les années 60 (il serait plus proche de Êeleuze). Il ne construit pas de modèles, et ceux qu'il
diffuse - Hjelmslev en particulier-, bien qu'il en fasse usage, ne sont pas de lui. Ce qu'il produit, ce sont
des classifications qu'il fait fonctionner comme des répertoires de phénomènes signifiants et si l'on peut
dire, de pièges à indices. La connotation, outil en lui-même assez rudimentaire, sert à cette chasse :
elle introduit une sorte de   dans les manifestations du sens. C'est une démarche dont l'horizon
se situe sans ambiguïté du côté de la lecture, non de la science.
L'articulation topique-structure fournit un des points de passage des années 50 vers les années 60 ;
cependant ce passage ne constitue pas une coupure épistémologique. La question demanderait à être
reprise dans une étude d'ensemble sur les rapports entre phénoménologie et sciences du langage.
Relevons simplement deux faits significatifs qui datent - comme :
, comme  : , comme
la mort de Staline - de l'année 53. En janvier la leçon inaugurale de Merleau-Ponty au Collège de
France s'intitule | 
 #  # : Saussure y est appelé à prendre la relève de Hegel et Marx
pour « fonder une nouvelle philosophie de l'histoire [27] ». La même année (peu après la scission du
mouvement freudien et la fondation de la Société française de Psychanalyse) Lacan formule l'idée que
« l'inconscient est structuré comme un langage ». Ce qui caractérisera la décennie suivante, c'est la
convergence de ces réflexions, leurs multiples articulations et leur fusion dans une utopie pan-
linguistique, dite « théorie du texte » : mais c'est un autre chapitre de l'histoire.
*1cc 4(+c (+


Les années 50 peuvent être considérées comme la première phase d'une période plus large qui couvre
une trentaine d'années et se termine dans les années 80 (le passage partiel de l'édition sous le contrôle
de groupes, la mondialisation du secteur du livre, l'importance croissante des « produits dérivés »,
constituant probablement l'amorce d'un autre cycle). Globalement cette période est marquée par un
affaiblissement du principe d'autonomie auquel les phénomènes que j'ai décrits contribuent de façon
variée. Son résultat est assez clair : amenuisement social de la « fraction la plus autonome », effets
pervers de l'institutionnalisation des avant-gardes, déplacement du front du « nouveau » dans la
périphérie et hors du champ littéraire ; tout cela se mesure aisément par rapport au moment
d'équilibre que formait l'entre-deux-guerres.
Êans cette histoire d'ensemble, la particularité des années 50 peut être résumée d'un mot : c'est la
période dont le lieu commun est « qu'est-ce que la littérature ». Cette conclusion ne contredit pas ce
que j'observais à propos de la « Nouvelle » NRF : car ce qui est partagé c'est la question, non la
réponse. Là réside l'historicité profonde du texte de Sartre, au-delà de l'intention qui le portait. Êans
la période précédente (hormis la position de principe des surréalistes) on ne s'interroge pas sur « la
littérature » ; la réponse semble aller de soi, la question est sans objet. Le débat porte sur des sujets
partiels, comme la poésie « pure », la structure et les limites du roman. Êans les années 60 c'est le
« texte » qui forme un point focal, dans une moindre mesure la critique. Mais pendant la douzaine
d'années que j'ai évoquée c'est bien « la littérature » qui est interrogée, sollicitée, sommée de se
maintenir ou de se réformer ; on demande ce qu'elle est, ce qu'elle peut, où elle va. A propos de tout
ce qui fait événement tend à se former une polarisation entre ce que Claude Mauriac a nommé
« l'alittérature » et une littérature réaffirmée tautologiquement (« c'est de la littérature », « la
littérature c'est la littérature ») : pas seulement à propos de Robbe-Grillet et de Beckett, mais à
propos de Sartre et Beauvoir, à propos des prix littéraires, ou plus significativement encore à propos
de 8'   et du « phénomène » Sagan. Au-delà des milieux intellectuels, c'est toute une
société qui semble avoir eu le  d'une littérature qui était encore son horizon commun et la source
symbolique de son identité ; le souci, c'est-à-dire (et là nous devons rendre justice à la profonde
intuition de Blanchot) la conscience de sa disparition.
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$!

1. Roland Barthes, « Littérature et signification » (1963), |   ,  (  $ , Paris,
Seuil, 2002, t. II, p. 508. Je remercie Vincent Êebaene de m'avoir signalé cette référence.
2. Julien Gracq,    ,  (  $ , Paris, Gallimard, Bibl. de la Pléiade,
t. I, 1989, p. 523-524 : « Je me permets de signaler à la police, qui réprime en principe les attentats à
la pudeur, qu'il est temps de mettre un terme au spectacle glaçant d' « écrivains » dressés de naissance
sur leur train de derrière, et que des sadiques appâtent au coin des rues avec n'importe quoi : une
bouteille de vin, un camembert [.] ».
3. 6
, p. 519.
4. 6
, p. 523.
5. 6
, p. 541.
6. Alain Viala , « L'auteur et son manuscrit dans l'histoire de la production littéraire », M. Contat
(éd.), "    , Paris, PUF, 1991, p. 117-118. Je remercie Juliette Cerf de m'avoir
signalé cette référence.
7. Raymond Queneau, « Un nouveau genre littéraire : les sciences-fictions »,  , n°46, 15 mars
1951, p. 195-198 ; Stéphane Spriel et Boris Vian : « Un nouveau genre littéraire, la "science-
fiction" »,  p  
 , n°72, oct. 1951, p. 618-627.
8. Claude Elsen, « Êu roman policier au roman noir », &(  &-, 1953, 3, p. 532-36.
9. Bernard Frank, « Chronique d'un amour »,  p  
 , n°89, 1953 ; repris dans !
;$ , Paris, Julliard, 1996, p. 57-58.
10. Raymond Roussel,  ; , Paris, Gallimard, Folio, p. 148.
11. Commentant le texte de présentation de la « Nouvelle NRF », Frank observe : « Je crois Paulhan [.]
victime d'une illusion ou d'un oubli. Il a oublié de s'acheter un nouveau calendrier. Quand il lève les
yeux, il voit au mur 1945. Vous vous souvenez de ce temps-là ? [.] Ê'avoir été résistant n'était plus une
bonne niche, mais une corvée. C'est difficile de se retrouver vainqueur, on a peur que le miroir ne vous
renvoie l'image d'un flic » ( 
, p. 79-80). Propos vachard mais perspicace, et non dénué de
sympathie.
11 &(  &-, n°1, p. 114-122 ; n°2, p. 315-324.
12. Un lecteur d'importance, quand même : Lévi-Strauss, qui réagit violemment contre ce qu'il perçoit
comme une tentative d'annexion de l'anthropologie par la philosophie marxiste (je suis redevable de
cette indication à Vincent Êebaene ).
13. C'est le dernier essai repris dans 
 , Paris, Gallimard, 1949.
14. Maurice Blanchot, |    , Paris, Gallimard, 1955, coll. « Idées », p. 47.
15. Sartre, « Réponse à Claude Lefort »,  p  
 , n°89, 1953, p. 1614. Il y a dans la
revue des centaines de pages de cette encre-là.
16. Maurice Blanchot, |    , éd. cit., respectivement p. 294, 296, 310, 311.
17. 6
, respectivement p. 312, 310.
18. Maurice Blanchot, 
 , éd. cit., p. 296.
19. Maurice Blanchot, |    , éd. cit., p. 258.
20. Maurice Blanchot,  ( ( , Paris, Gallimard, 1959, coll. « Idées », p. 285.
21. Bernard Frank, « Grognards et hussards »,  p  
 , déc. 1952-janv. 1953 ; repris
dans ! $ , Paris, Julliard, 1996, p. 41.
22. 6
, p. 56.
23. Maurice Blanchot,  ( ( , éd. cit., p. 307.
24. Voir ci-dessous l'exposé de Jean-Louis Jeannelle pour le cas des mémoires, leur inscription dans
une temporalité longue, leur horizon d'attente et leur régime particulier d'auctorialité : c'est une
histoire parallèle à celle de « la littérature », mais non marginale.
25. Claude-Edmonde Magny, ,  
% 
 2324, Paris, Seuil, 1950.
26. Roland Barthes,  (  $ , éd. cit., t. I, p. 859-865.
27. Maurice Merleau-Ponty, | 
 #  # , Paris, Gallimard, 1960, Folio « Essais », p. 56.
POUR CITER CET ARTICLE : MICHEL MURAT , "TENÊANCES", 6)||)|6pp|-"p7-|)"&;|;"&&||;23<=, URL :
HTTP://WWW.FABULA.ORG/COLLOQUES/ÊOCUMENT59.PHP
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propos de Claude Lévi-Strauss et de Charles de Gaulle


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En posant une telle question, nous essayons de nous tenir au plus près de l'objet de cette journée
d'études, puisqu'il s'agit de comprendre où se situe la littérature, en envisageant en quelque sorte ses
contours, ses bords extérieurs, deux livres qu'on peut dire « à la frontière » de la littérature : p  
  et les !  
  . L'intérêt ici est bien sûr de poser le problème en termes
d'espace, et non d'essence : non pas qu'est-ce que la littérature, mais bien où est-elle, un peu sur le
modèle du déplacement goodmanien : non pas /# , mais /#  . Poser une telle question
présente bien sûr l'avantage d'éviter l'essentialisme, et de rappeler que la littérature est d'abord ce
qu'on considère comme tel ; demander >   , c'est une façon d'attirer l'attention sur
la sélection et l'évaluation que comporte tout discours sur la chose littéraire qui (implicitement le plus
souvent) distingue, classe, trace des frontières : la littérature, ce qui en est, ce qui n'en est pas.
A cet égard, la formule « l'idée de littérature » a l'avantage d'être explicite : l'idée de littérature, ce
n'est pas seulement l'image de la littérature, la représentation qu'on en a - image variable, soumise à
différentes évolutions historiques - ; parler d'idée de littérature, c'est reconnaître la dimension
militante que comporte toute définition, puisque 
 c'est aussi ce qui s'impose dans le débat, ce qui
décale les pratiques, et ce par rapport à quoi les pratiques se décalent.
Pourtant, une telle interrogation >    ne va pas sans poser, à son tour, un certain
nombre de problèmes ; il est en particulier très difficile, si l'on veut répondre à une telle question, de
ne pas mobiliser discrètement une   définition de la littérature, de ne pas sous-entendre que la
littérature, c'est aussi autre chose que cet espace que l'on va délimiter. On lit Barthes et on voit que la
littérature (l'écriture) se cristallise en quelques noms : Butor, Beckett, Cayrol, Blanchot ; c'est donc
là que serait la littérature, dans ce territoire circonscrit par certaines oppositions : l'écrivain contre
l'écrivant, l'écriture (la pratique) contre la littérature (l'institution), le degré zéro contre l'artisanat
petit-bourgeois du style, etc. Et subrepticement, on voit émerger une objection sur le mode du oui,
mais » : oui, mais la littérature, c'est aussi ce que le public lit et achète, c'est aussi le feuilleton
littéraire, c'est aussi ce théâtre dont les manuels ne nous parlent plus mais qui connut plus de succès
que celui d'Adamov ». Et voulant éviter l'essentialisme, on reconduit finalement la définition la plus
pauvre qui soit : la littérature, c'est ce qui se lit. Retour du sens commun, d'autant plus dangereux qu'il
touche celui qui a fait profession de lucidité.
Face à cet écueil, il y a une solution confortable, c'est celle de la sociologie du champ : pour l'œil
distant du sociologue, les questions qu'est-ce que la littérature ? » et où est la littérature ? »
s'identifient ; la définition de la littérature est l'enjeu de luttes symboliques entre différentes fractions
du corps social ; est littérature ce que la fraction la plus autonome du champ littéraire consacre
comme telle. L'observateur peut analyser avec délectation la circulation du capital symbolique, les
rapports de force, et retrouver sans risque d'erreur comment telle ou telle conception de la littérature
a pris le pas sur les autres. Cependant, on peut objecter deux choses à une telle démarche : d'abord
son finalisme historique ; le point de vue du sociologue est un point de vue +  ; on postule
qu'   conception de la littérature s'est imposée et on rend raison de ce mouvement (sans considérer
que même la littérature passée continue d'être l'objet de réévaluation, de nouveaux récits, etc.). Êe là
une conséquence relevée par plusieurs commentateurs - et qui constitue la seconde objection - à savoir
que la sociologie critique du champ littéraire étant plus une sociologie de la production que de la
réception, elle reconduit
 le point de vue des dominants, et en l'occurrence, le méta-récit
moderniste des avant-gardes : le mouvement historique de la littérature est un mouvement
d'essentialisation et de purification. Les ressorts explicatifs sont très différents puisque d'un côté on
évoque une essence de la littérature et de l'autre la quête d'autonomie du pôle le plus avancé du
champ, mais les conclusions sont les mêmes.
On essaiera donc, à l'opposé, de varier les points de vue et de varier les objets, en ne prenant pas
dans un sens trop littéral la métaphore spatiale inaugurale, car elle a l'inconvénient de figer
excessivement l'objet ; elle conduit nécessairement à parler en termes de cartographie, de frontières,
et de porosité entre les différents espaces sociaux - et on se retrouve toujours à jouer le public contre
l'avant-garde ou la logique symbolique contre la logique médiatique. C'est une façon efficace de poser
le problème, mais sans doute un peu trop simple car la réponse est en quelque sorte déjà dans la
question : on se voit contraint de parler de négociations, d'intégration (pour p    ) ou
d'exclusion (pour les !  
  ), mais sans jamais quitter ce point de vue qu'on postule être
celui des vainqueurs de l'histoire. Nous avons pourtant décidé de conserver cette image, mais en lui
donnant un sens en quelque sorte plus géologique que géographique ; >    toujours,
mais moins la carte du champ de bataille après les combats que les strates, les différentes
temporalités, les croisements inattendus, et le mouvement incessant, même s'il est imperceptible.
*

La question de nos représentations spatiales du littéraire est liée à une seconde question, celle de nos
modes de structuration de l'histoire littéraire. Les hiérarchisations et les partages que l'on observe ne
s'expliquent pas uniquement en termes de légitimité et d'illégitimité de tel genre ou de tel auteur ;
elles dépendent aussi du type d'information que nous sélectionnons lorsque nous reconstituons l'histoire
de la vie littéraire d'une période donnée. L'école des Annales a parfaitement montré l'importance des
échelles dans nos représentations du passé : ce facteur est plus essentiel encore dans le cas de
phénomènes aussi difficiles à saisir que la création littéraire, dont l'existence n'a jamais l'objectivité
d'un fait historique.
Les acteurs engagés dans la production des œuvres ne sont, en effet, pas soumis aux mêmes
cadences : au temps court des manifestes, des prix et des écoles littéraires s'oppose le temps
intermédiaire des institutions ou des genres et surtout le temps beaucoup plus long des modèles qui ne
connaissent pas vraiment d'évolution, au sens où ils ne progressent pas mais se déploient plutôt dans le
temps. C'est le cas des genres qui nous intéressent ici et qui appartiennent au champ des genres
factuels : écriture de soi [1], littérature oratoire, littérature historique académique, écriture essayiste
autre que les essais littéraires, littérature de vulgarisation scientifique, littérature de voyage,
littérature critique, etc. Êans tous ces cas, on constate que la chronologie obéit à un rythme tout à fait
différent de celui auquel nous a habitués l'histoire littéraire, construite pour sa part selon un modèle
dynamique, c'est-à-dire tout un système de dates, de repères, d'événements, de ruptures et de
changements. Parallèlement à ce régime dynamique et graduel de l'histoire littéraire canonique, il
existe un autre régime, qu'on peut nommer « récursif », qui ne connaît pas les sanctions fortes et
rapides du roman ou de la poésie, mais qui se déploie en une sorte de temps long de la vie littéraire.
Les genres y fonctionnent comme des traditions : fortement liés à des institutions ou à des valeurs
esthétiques et idéologiques stables, parce que très enracinés dans les composantes socio-culturelles
d'une communauté, ils se perpétuent sans connaître de véritable rupture, ni de véritable révolution,
tout en s'adaptant continuellement aux cadres de réception contemporains.
On peut de cette manière distinguer deux régimes de littérarité : le premier, dynamique, dessine une
chronologie serrée, ordonnée autour de textes, de dates précises et d'auteurs représentatifs ; le
second, obéissant à un rythme lent, mêle œuvres reconnues et production de masse, exploite des
modèles fixes et éternellement renouvelables et poursuit aussi bien des objectifs d'ordre ludique,
scientifique ou politique que des objectifs d'ordre esthétique et littéraire.
L'intérêt de cette distinction entre deux ou plusieurs couches ou deux ou plusieurs rythmes en histoire
littéraire est évidemment de faire varier les focales et d'étudier les points de rencontre. Il y a des
moments où certains acteurs appartenant à des régimes de littérarité différents créent des passerelles,
soit pour se reconnaître, soit pour s'exclure. C'est à deux de ces moments que nous allons réfléchir à
partir de la réception d'ouvrages de statut hétérodoxe, le premier par son caractère scientifique, le
second par sa nature explicitement politique.
c 
6c 

cc :¢+¢+ p pp 4

p     est publié en 1955 ; c'est le deuxième volume de la collection « Terre humaine » qui
vient d'être lancée par Jean Malaurie aux éditions Plon. C'est une vaste autobiographie intellectuelle
qui mêle le récit de formation, les souvenirs de voyage, la réflexion ethnologique, les méditations
philosophiques et morales, tout cela dans un style que, très tôt, on s'accorde à reconnaître éblouissant,
quoique d'un lyrisme un peu désuet (la référence à Chateaubriand est fréquente). La quatrième de
couverture présente l'ouvrage en ces termes : « Claude Lévi-Strauss souhaite renouer avec la tradition
du voyage philosophique illustrée par la littérature depuis le XVIe siècle jusqu'au milieu du XIXe siècle,
c'est-à-dire avant qu'une austérité scientifique mal comprise d'une part, le goût impudique du
sensationnel de l'autre, n'aient fait oublier qu'on court le monde, d'abord à la recherche de soi. » (cette
inscription historique joue un rôle essentiel, comme on le verra).
L'ouvrage connaît d'emblée un succès retentissant ; comme l'écrit François Êosse dans son ,  

  , « son caractère hybride, inclassable, lui permet de gagner un public
exceptionnellement large pour un livre de sciences humaines », et d'ajouter qu'on ne peut comparer un
tel succès qu'à celui de « l'existentialisme sartrien, surtout dans sa version théâtrale et littéraire » (p.
171). Les comptes rendus et notes de lecture, tous très élogieux, se succèdent : Raymond Aron dans  
  , Madeleine Chapsal dans |+  , Claude Roy dans  , François-Régis
Bastide dans ) , Jean Cazeneuve dans  !
... Les publications plus spécialisées ne sont pas
en reste : Bataille, Blanchot, Leiris, Etiemble, Balandier, Gaëtan Picon, Êuvignaud, etc. disent à leur
tour tout le bien qu'ils pensent du livre dans  , la &-,  !  
 ,  #  

;
, etc.
Avant de revenir plus longuement sur deux de ces comptes rendus (celui de Bataille et celui de
Blanchot), il faut relever que dès ces premiers textes, le caractère hybride du livre est mis en exergue,
et que le problème de sa classification, de son appartenance paradoxale à la littérature se pose
d'emblée. Êans la presse quotidienne et, plus généralement, au niveau de la réception « grand
public », les termes de la question sont fixés par deux oppositions : d'une part, fiction / non fiction,
d'autre part, savant / littéraire, c'est-à-dire en fait, spécialiste / généraliste. L'article de Claude Roy
s'ouvre, par exemple, sur cette phrase : « Le livre le plus intéressant de la semaine n'est pas un roman.
C'est l'ouvrage d'un ethnographe, M. Claude Lévi-Strauss » ; celui de Raymond Aron sur cette
interrogation : « A quel genre appartient l'admirable livre de Claude Lévi-Strauss, p  
  ? ». Le jury du Goncourt publie un communiqué où il exprime ses regrets de ne pouvoir
attribuer le prix à p    , car les clauses du testament d'Edmond de Goncourt sont
formelles : le prix doit être décerné à « un ouvrage d'imagination en prose » (prix finalement attribué à
Romain Gary pour - 
 ). Une autre anecdote permet de saisir la façon dont p  
   perturbe quelque peu les catégories habituelles de perception de la littérature : en 1956, et
assez ironiquement pour un livre qui s'ouvre sur « Je hais les explorateurs », Lévi-Strauss se voit
décerner la première « Plume d'or », prix qui vient de se créer et destiné à récompenser le meilleur
récit de voyage ou d'aventures de l'année ; le jury est composé de Max-Pol Fouchet, Paul-Emile Victor,
Roger Frison-Roche, etc. Comme prévisible, Lévi-Strauss refuse, et dans le compte rendu du 
  , un journaliste anonyme explique qu'il n'y a pas à s'étonner d'un tel refus puisque ce « bel
ouvrage d'ethnographie » manifeste tout de même « une animosité surprenante à l'égard des
explorateurs et des valeurs que voulait exalter le prix ». Mais le quotidien   publie, quant à
lui, l'information sous le titre : « Nouveau Julien Gracq. Un spécialiste des Indiens refuse une plume
d'or. » Ê'un côté donc, un ethnographe érudit et quelque peu hautain qui dédaigne la littérature car les
considérations morales ne sont pas de son fait ; de l'autre, un « spécialiste des Indiens » consacré
homme de lettres par ce refus même.
Tout cela, pourtant, ne pose pas de réelles difficultés, car face à cette double hétérodoxie ( p  
   n'est pas une fiction, et p     est l'ouvrage d'un savant), la presse grand-public
(la « critique bourgeoise » comme aurait dit Barthes) bénéficie toujours d'un double recours : le
premier est le recours au style ; la comparaison avec Chateaubriand a valeur de consécration, et la
citation a valeur de preuve : « bien sûr, c'est l'ouvrage d'un ethnographe, d'un "savant résolument
tourné vers les choses mortes" [2] mais lisez plutôt... » ; il est du reste très frappant de noter la place
accordée aux citations dans les comptes rendus, Raymond Aron reconnaissant d'ailleurs qu'il lui faut
« renoncer au plaisir de citer ». Ce qui est intéressant ici, c'est une conception « naïve » en quelque
sorte de la littérature: pas vraiment d' « idée de littérature » mais une confiance absolue dans le « bien
écrire » : la littérature s'impose d'elle-même, par le style, avec la force de l'évidence - c'est
précisément cette conception que Barthes attaquera dans le )  0 , fondée sur la fausse évidence
du style, « marque littéraire qui situe un langage, tout comme une étiquette renseigne sur un prix » (p.
52). Le second argument que la critique invoque pour justifier l'appartenance de p     à la
littérature est ce que j'appellerais le dialogue des phares : « bien sûr, c'est un livre inclassable, une
curiosité, mais voyez Montaigne, voyez Rousseau et Montesquieu ». Raymond Aron évoque « l'épreuve
des       » que « tout sociologue doit une fois, dans sa vie, pour son compte affronter » ;
Gaëtan Picon écrit : « Êe Montaigne à Rousseau, la curiosité pour toutes les formes exotiques ou
primitives d'humanité n'a-t-elle pas été le fait des écrivains autant que des savants ? » Etiemble enfin
et pour terminer : « Inutile de me demander à qui, à quoi ressemble ce bouquin. A rien, voilà tout.
C'est le type de livre à prendre ou à laisser. Moi je le prends, et le garde au trésor de ma bibliothèque,
au plus précieux de ma chair. [...] Pour ceux qui souhaiteraient absolument classer ce livre éclatant,
dirai-je que l'associe dans ma pensée aux essais qui composent le Troisième livre - le plus grave et le
plus beau - de Montaigne » (p. 32). p     se voit ainsi assigner une place au panthéon non
pas tant au nom d'une tradition qu'au nom d'un dialogue avec quelques monuments qu'il égale :
Montesquieu, Rousseau, Montaigne [3]. Une certaine idée de la littérature, sans doute, s'exprime là,
qui repose moins sur une histoire que sur quelques noms propres : une communauté de phares,
enjambant l'histoire et dialoguant à travers les siècles.
*

On voit bien cependant que de telles manœuvres sont interdites à la critique d'avant-garde, cette
critique qui veut non seulement décrire les œuvres, mais aussi repenser la littérature. Là comme
ailleurs, on pointe le caractère inclassable du livre, mais les auteurs ne peuvent se rabattre sur les
arguments que j'ai mentionnés ; et je voudrai montrer que la réception de p     n'est alors
possible qu'au nom d'une certaine forme de malentendu. J'évoquerai donc rapidement deux comptes
rendus, celui de Georges Bataille dans le numéro de  de février 1956 et celui de Maurice
Blanchot dans &(  - ( %  en avril 1956
La question de l'intégration de p     à la littérature est au cœur de l'article de Georges
Bataille. Êe façon inattendue mais tout à fait révélatrice, l'article s'ouvre sur une évocation des
présocratiques, qui viennent d'être retraduits par Yves Battistini pour Gallimard : « La philosophie
naissante nous y est donnée : ces textes, 

        #  #     , sont
des ?(   . » Et Bataille ajoute qu'on pourrait en dire autant des dialogues platoniciens. Il
poursuit en notant que « le rejet de la forme littéraire » (par les philosophes qui ont suivi) est « le
signe d'un changement profond », à savoir « le passage à l'activité spécialisée, l'analogue d'un travail
dont la fin est limitée » - et même si ce n'est pas explicite, il ne fait aucun doute qu'aux yeux de
Bataille, un tel changement est à déplorer.
Ces premières lignes condensent en fait l'argument des pages qui suivent : la spécialisation de la
réflexion, ce qu'on pourrait appeler la division sociale du travail intellectuel, constitue une amputation
de la pensée ; du même coup, la littérature (celle que pratiquaient les présocratiques sans le savoir) se
voit définie  comme la seule forme adéquate capable d'endosser une pensée fondatrice,
une réflexion vraiment générale et proprement humaine, toutes les autres manifestations de la pensée
étant réductrices et voyant leur portée
limitée :
« Un travail, lorsqu'il vise un résultat particulier, clairement saisissable, ne nous engage pas
entièrement, en quoi il est simplement prosaïque ; mais il n'est rien qu'une recherche sans limite ne
mette en nous-mêmes en cause, et cela définit peut-être une (     , sans laquelle il
n'est pas d'œuvre littéraire, ni généralement d'œuvre d'art« »
Il y a beaucoup à dire sur ce geste définitoire inaugural, sur cette idée de la littérature en 1956.
J'aimerais en retenir trois éléments. On peut d'abord noter la circularité de la définition (encore plus
patente dans la suite) : la « forme littéraire » (c'est l'expression de Bataille) est le signe d'une
« recherche sans limite », d'une réflexion qui « engage l'homme tout entier » ; inversement, toute
recherche, toute réflexion qui « engage l'homme tout entier » est littéraire. L'intéressant ici n'est pas
tant cette circularité même que la façon dont est congédiée toute tentative critériologique ; il n'est
pas question de repérer ce qui fait une « forme littéraire », de définir une quelconque littérarité, ni
même un usage particulier du langage qui serait propre à la littérature (en quoi cette conception
s'oppose à celle de Barthes) : est littéraire tout ce qui, dans la pensée, introduit « la dimension de
l'homme », tout ce qui « rend sensible un élément souverain, que ne subordonne aucun calcul ».
Le second élément remarquable de cette définition est qu'elle introduit toute une série d'équivalences
et d'oppositions. Equivalence, d'abord, entre littérature et poésie : l'oeuvre littéraire se caractérise par
son « ouverture poétique » ; à l'inverse, le savant « s'applique de son mieux à réaliser la forme
prosaïque » ; à l'artiste, la poésie ; au savant, la prose. L'identification entre littérature et poésie,
consacrée par Mallarmé, a été à la fois réactivée et quelque peu déplacée par les surréalistes à travers
un jeu subtil où la poésie est tantôt l'essence de la littérature, tantôt son contraire. On retrouve ce
thème chez Bataille : à propos de 6 
5 , ouvrage ethnographique d'Alfred Métraux, qu'il
compare à p    , il note qu'il constitue « certainement [...] un des chefs-d'oeuvre de la
littérature française présente » et ajoute « c'est peu de dire que l'intérêt de cette lecture laisse loin
derrière la masse de ces romans que le public reçoit sous le nom de littérature ». Equivalence, ensuite,
entre poésie et humanité : « la dimension de la poésie, [...] peut-être est la dimension de l'homme » ;
l'ethnographie, la véritable ethnographie, sera donc nécessairement poétique, puisqu'elle a pour objet
la vie humaine. En un sens donc, p     n'est pas un ouvrage d'ethnographie si on entend
par là « l'oeuvre d'un spécialiste savant, qui rejette la forme littéraire, qui s'applique de son mieux à
réaliser la forme prosaïque, la seule qui réponde au souci exclusif de l'exactitude objective ». Mais en
un autre sens, parce que l'ouvrage accède à la littérature, p     propose une forme
d'ethnographie parfaitement accomplie. La littérature apparaît ainsi comme l'avenir des sciences
humaines, c'est la forme à travers laquelle celles-ci peuvent s'extraire d'une spécialisation et d'un souci
d'objectivité stérilisants, c'est la forme dans laquelle elles se dépassent et s'abolissent pour le plus
grand bonheur de la pensée. Pour cette raison, p     marque « une date non seulement
dans l'histoire de l'ethnographie [science honorable, et digne d'efforts, mais intrinsèquement limitée],
mais dans celle de la pensée. » Est ainsi reconduite une opposition sans surprise entre d'une part, la
sécheresse de la prose, la spécialisation étroite, l'objectivité inhumaine, et d'autre part, « l'ouverture
poétique » qui introduit « la dimension de l'homme » et « laisse une part à l'émotion », la « forme
littéraire qui jamais ne se ferme en système » et atteint ce « domaine inaccessible à la science
proprement dite ». Quelques citations révélatrices :
« p     se présente dès l'abord, non comme une oeuvre de science, mais comme une
oeuvre d'art »
« L'étroitesse du savant spécialisé est une solution comme une autre, mais elle est comme les autres
gratuite, et surtout elle est l'expression de consciences timorées »
« p     nous donne sur la vie des peuplades isolées du Brésil des renseignements précis
qui auraient leur place dans une publication savante. Mais Lévi-Strauss n'isole pas ces données de son
travail [...] une libre réflexion les accompagne, qui engage en lui, plus loin que le savant, l'homme en
entier. »
« Ainsi pouvons-nous dire qu'au moment où ses fins excédèrent les limites précises de la recherche
ethnographique savante, Lévi-Strauss dériva vers des préoccupations religieuses et que l'expression de
sa pensée fut nécessairement littéraire, qu'elle s'adressa moins à l'intelligence qu'à la sensibilité »
Sans le dire, Bataille exprime ici une position tout à fait traditionnelle (c'est, en fait, celle du tout
premier romantisme [4]) non seulement parce qu'il reconduit l'opposition science (  littérature mais
surtout parce qu'il n'est pas question d'une juste répartition des rôles (à la science, l'exactitude, la
prose et l'objectivité ; à la littérature, la sensibilité, l'humanité et l'ouverture poétique), mais bien
d'une intégration de la science dans une littérature qui la dépasse : arrivée à ses fins descriptives et
explicatives, la science doit s'incliner devant la littérature et lui céder la place car cette dernière est
seule capable d'intégrer cet élément irréductible de l'humain (pour Bataille, il s'agit conjointement du
sacré et de l'art) devant lequel la science ne peut que renoncer.
Le troisième élément que met au jour cette définition est une histoire mythique de la pensée. La
littérature est ce qui, continuellement, renoue avec une pensée encore indifférenciée, avec une
réflexion dont l'ampleur était assurée par une forme parfaitement libre, avec ces temps mythiques où
le religieux, l'érotique, l'économique et l'esthétique étaient encore indistincts [5]. La littérature - l'art
en général - est définie par ce mouvement de remontée aux origines, ce continuel sursaut qui est un
refus de la différenciation, et en premier lieu de la distinction entre savoir et littérature. Au moment
où il rédige ce compte rendu, Bataille vient d'ailleurs de publier  +  
, ce
qui le conduit à contester l'hypothèse de Lévi-Strauss selon laquelle « la base inébranlable de la société
humaine » est à chercher dans les temps néolithiques et le pousse à reculer cette « grandeur
indéfinissable des commencements » jusqu'aux temps paléolithiques, lorsque fut découverte « à peu
près du premier coup la perfection de l'œuvre d'art » (p. 108).
Au fond, il n'y a rien là de très étonnant : Bataille relisant Lévi-Strauss se l'approprie, et projette sa
propre pensée dans p    , à la façon dont il avait relu |   
de Mauss dans 

  en 1949, mais le plus frappant demeure le silence total sur ce qui constitue, à mon sens,
la leçon essentielle de p     à savoir que l'ethnologie doit sortir de la déploration
nostalgique et s'engager dans ce que Lévi-Strauss appellera l'étude de la « logique du sensible ». Pour
le dire rapidement, depuis sa fondation à la fin des années 1920, l'ethnologie est une science qui ne
fait que déplorer la disparition de son objet, et son irrémédiable contamination par la civilisation ;
c'est une sorte d'archéologie par anticipation. Or, malgré la tonalité fortement mélancolique de
l'ensemble, p     assigne à la discipline un nouvel objet : non plus la quête de ce passé
perdu, de ce mythique temps des commencements dont on ne recueille que des vestiges, mais l'étude
des modes d'organisation de l'expérience sensible - et c'est ce que Lévi-Strauss explorera dans 
   ( et les !#  (Bien sûr, ma position est plus confortable, puisque je sais ce que
sera l'œuvre de Lévi-Strauss par la suite). Pour le dire encore plus rapidement, ce qui frappe dans ce
compte rendu de Bataille, c'est le silence complet sur l'orientation structuraliste de l'ouvrage, et sur le
renouvellement radical du questionnement anthropologique qu'il initie - questionnement qui sera à
l'opposé de ce mythique retour aux sources qui fonde l' « anthropologie » de Bataille.
*

Quant à Blanchot, je m'y attarderai moins, mais on peut relever un malentendu encore plus grand. Son
compte rendu s'intitule « L'Homme au point zéro ». A la différence de Bataille, Blanchot ne se
préoccupe nullement de l'intégration de p     à la littérature - et ce n'est pas très
étonnant quand on connaît ses écrivains de prédilection, ceux qu'il évoque dans |  
   publié en 1955 ou dans les chroniques de la &- recueillies en 1959 dans  ( ( . Il
se contente de noter que Lévi-Strauss « a le goût et le sens de l'écriture», qu'il y a, dans son livre, « de
belles pages » et lui non plus ne peut renoncer au « plaisir de citer » longuement l'ouvrage. Mais au
fond, ce n'est pas là ce qui l'intéresse ; en fait et comme le titre l'indique, Blanchot retrouve dans le
travail de l'ethnographe un écho à son propre souci de l'origine, sa propre passion de la condition de
possibilité. La relecture qu'il propose de p     infléchit ainsi très fortement l'ouvrage vers
un questionnement métaphysique dont les termes lui sont tout à fait étrangers. Êe façon assez
curieuse, la quête de l'ethnographe se retrouve racontée dans les mêmes termes que celle de
l'écrivain ; l'ethnologue est le sujet d'une « expérience centrale » qui le « dégage de son temps » et
l'engage dans « la recherche des possibilités originaires » (p. 688-689) ; comme Orphée se retournant
sur Eurydice, il « fait l'expérience de son pouvoir de volatilisation qui supprime par l'étude, l'objet de
son étude » (p. 687) ; il participe à « cette recherche du point zéro [qui est la] tâche essentielle des
temps modernes » (p. 690), quête de l'imaginaire « référence à un homme sans mythe, [« ] cet homme
dépossédé de lui-même [« ] l'homme essentiel au point zéro » (il est manifeste que Blanchot pense ici à
Barthes) ; et l'article s'achève sur ces phrases : « quand on est contraint de renoncer à soi, il faut périr
ou commencer ; périr afin de commencer. Tel serait alors le sens de la tâche que représente le mythe
nécessaire de l'homme sans mythe : l'espoir, l'angoisse et l'illusion de l'homme au point zéro » (p. 694).
Je n'insisterai pas davantage sur le gauchissement que Blanchot fait subir à l'ouvrage (qui pourtant
s'achève sur un double renoncement : à l'art et à la métaphysique [6]), marqué en particulier par un
désancrage complet de la réflexion anthropologique, défaite de toute inscription sociale et culturelle.
*

Que dire de ces deux malentendus ? Êans les deux cas, on a le sentiment, malgré tout, d'une réception
décalée, d'une sorte de rendez-vous manqué ; au fond, ces deux comptes rendus - et surtout celui de
Blanchot - révèlent des horizons d'attente inadaptés (et sur ce point, il n'est pas sûr qu'aujourd'hui
encore, p     ait trouvé, en quelque sorte, sa  vraie place » - pour peu qu'une telle
formule ait un sens). Cela montre en tout cas une chose : il me semble que l'idée de littérature dans
les années cinquante se dit d'abord par le biais d'une histoire de la littérature - téléologie de
l'annulation chez Blanchot, nostalgie de l'indifférencié chez Bataille - et que c'est précisément là que,
pour p    ,  ça frotte » ; ce qui fait problème, c'est l'intégration du livre dans ces méta-
récits historiques qui sous-tendent la pensée de la littérature. On peut se demander bien sûr si l'idée
de réception manquée a un sens ; si le compte rendu est l'indice d'une reconnaissance, la réception est
toujours réussie, l'existence même d'un article suffisant à signifier l'intérêt de l'ouvrage - mais alors il
faut inverser la question : pourquoi ces comptes rendus ? Après tout, ni Bataille ni Blanchot ne se sont
sentis concernés par les !  
   (et à l'inverse, Barthes n'a jamais évoqué p  
   [7]) ; pour comprendre cette réception, au fond assez inattendue (surtout dans le cas de
Blanchot), il faut se replonger dans le contexte intellectuel des années 1950 : l'intérêt accordé à
l'ouvrage de Lévi-Strauss s'explique sans doute par la place que, au moins imaginairement, on assigne
alors à l'anthropologie sociale. A lire les différentes notes de lecture, il semble en effet que la
discipline réponde à une demande informulée et apparaisse comme un recours face au besoin d'une
réflexion à la fois générale et concrète qui permette, pour le dire très rapidement, de penser
Auschwitz et Hiroshima. En conjuguant deux questionnements très amples - l'un sociologique et
historique, qui prend la civilisation occidentale pour objet, le second à la fois épistémologique et
éthique, qui concerne la possibilité d'une science de l'homme et les formes de domination attachées à
l'écriture et la technique -, p     touche au cœur des interrogations les plus inquiètes du
temps, interrogations qu'on voit ressurgir dans plusieurs des comptes rendus que j'ai évoqués : Bataille
parle du  développement monstrueux de nos connaissances » et de  la folie » de la science, Blanchot
évoque Einstein puis Oppenheimer et Raymond Aron cet échec de la civilisation sanctionné par les fours
crématoires d'Auschwitz. Le titre même de l'article de Blanchot,  L'homme au point zéro », renvoie à
la thématique du retour des camps, et Lévi-Strauss, de son côté, compare l'ethnologue à Lazare qui
est, chez Charles Vildrac et Jean Cayrol, la figure majeure du survivant après la déportation [8]. La
réception de p     est ainsi habitée par cette mémoire encore extrêmement vive des
désastres, et, par le relativisme fondamental qui est le sien, par la mise en perspective qu'elle permet,
l'anthropologie sociale fait figure de recours pour une réflexion désorientée ; le renouvellement
épistémologique de la discipline coïncide avec l'exigence d'une nouvelle pensée de l'homme, appelée à
prendre le relais de la philosophie, au moment où cette dernière est
perçue comme un
produit de la civilisation occidentale [9]. Ce déplacement a d'ailleurs sans doute participé au relatif
isolement de p     car la référence à l'anthropologie dans les années 1960 restera toujours
du côté de la théorie de la littérature ; ce ne sera jamais le récit ethnographique lui-même qui sera
envisagé comme objet et il faudra attendre les années 1980 pour que la critique s'attache (timidement)
à la collection « Terre humaine » ou à la « littérature au magnétophone ». Êix ans après la fin de la
guerre, ce n'était pas de nouveaux objets littéraires qu'on réclamait à l'anthropologie mais un nouvel
horizon épistémologique pour penser l'homme.

+ 
cc :¢+¢+ KK   4

Il en va du général de Gaulle comme de Claude Lévi-Strauss : dans leur cas, le statut d'écrivain est une
qualité plus qu'une identité, le signe d'une reconnaissance accordée comme de surcroît plus que la
manifestation d'une qualité sanctionnée par l'existence d'une œuvre, la légitimation d'une compétence,
d'un savoir-faire stylistique ou rhétorique plus que la confirmation d'une appartenance à cet espace à la
fois institutionnel et imaginaire qu'est la littérature. La différence est d'importance : on admet certes
qu'ils sont écrivains, mais ceci ne dit rien de leur appartenance au champ des lettres auquel ils
n'accèdent que grâce à des genres d'importance secondaire, se développant de manière autonome
indépendamment des modèles canoniques du roman, du théâtre et de la poésie. Êans le cas
des !  
  , il convient de prendre en compte un facteur supplémentaire : les lignes de
partage politique se superposent aux modes d'évaluation du texte ; pour les intellectuels de gauche de
l'époque, lire les !  du général de Gaulle, c'est indissociablement porter un jugement sur un
adversaire politique.
Le récit du général de Gaulle joue un rôle fondamental pour une raison très simple : nous jugeons
ordinairement de l'importance d'une œuvre en fonction de ce qu'elle apporte à notre connaissance du
fait littéraire ; mais il suffit de modifier légèrement nos modes d'évaluation pour que l'ordre des
priorités en soit bouleversé. Supposons qu'il s'agisse de mesurer la portée d'une œuvre à son impact
social et culturel, les !  
   se situeraient en ce cas dans les tout premiers rangs. Notre
imaginaire mémoriel est profondément influencé par ce récit dont la fonction était, lors de sa
publication dans les années 50, de proposer aux Français un véritable mythe des origines, le récit de la
fin d'un monde et l'avènement d'une nouvelle alliance, c'est-à-dire d'un pacte entre le général et ses
concitoyens, représentés par cette émanation naturelle de la France que fut la Résistance. Ce récit aux
accents épiques fait de la guerre de 39-45 une vaste palingénésie nationale, une mort et une
refondation collective dont de Gaulle s'est voulu le véritable garant. Aujourd'hui encore, il semble que
cette mythographie structure notre mémoire de la guerre et de ses suites ² et ceci malgré toutes les
révisions instruisant le procès du régime de Vichy depuis une trentaine d'années.
Pourtant, en dehors des études des thuriféraires du général, très peu d'analyses littéraires ont été
consacrées à ce texte qui est certainement, avec quelques autres œuvres comme | de Malraux
par exemple, l'un des rares récits au xx e siècle à faire figure de mythe mobilisateur de la conscience
nationale. Très peu d'analyses, certes ; mais l'une d'entre elles, parue à l'occasion de la publication du
troisième tome des !  
  , n'en contient pas moins l'essentiel. Il s'agit de l'article « Êe
Gaulle, les Français et la littérature » que Roland Barthes publia le 12 novembre 1959 dans  
@ ( . Il s'ouvre sur ces mots : « On nous dit de toutes parts que de Gaulle, c'est Tacite, César,
Retz, Chateaubriand. » [10]
Tout part d'une rapport d'équivalence unanimement admis entre le personnage du général et une série
d'auteurs liés par une essence mythique, celle de la tradition mémoriale, symbolisée ici par ses
représentants les plus nobles, ceux chez qui l'action historique est conjointe à une autorité littéraire et
historique exceptionnelle. Ces prédécesseurs condensent une série de qualités ² la raideur et la
majesté de la latinité, la puissance d'action du conquérant, l'équilibre politique qu'exprime ici la
conjonction d'un dictateur et d'un historien « chargé de la vengeance des peuples » (« C'est en vain que
Néron prospère, Tacite est déjà né dans l'Empire ») ou encore la maîtrise rhétorique signifiée par
l'alliance entre la densité attique du style de César et la fluidité lyrique de la prose de Chateaubriand.
Ce que vise ici l'auteur des !# , parues en 1957, c'est l'idéal d'une continuité nationale, d'une
tradition remontant jusqu'aux sources de la culture latine, la mise en scène d'une autorité politique se
sublimant dans l'exhibition d'une souveraineté stylistique. Êe Gaulle est l'un des seuls à oser se désigner
à la troisième personne et à s'inscrire ainsi dans une filiation directe à César ; son récit n'est plus un
témoignage mais une véritable épopée, une légende du siècle le situant dans le hors-temps du mythe
plus que dans le contexte politique de l'époque de la guerre d'Algérie.
 !  
   illustrent parfaitement le processus de naturalisation de l'Histoire tel que
Barthes le décrivait dans le chapitre final des!#  : « Le mythe, aujourd'hui ». « Le mythe,
écrivait-il, est une parole + (   justifiée » [11], que nous consommons quotidiennement avec
innocence parce que, là où une équivalence entre des valeurs est établie, nous voyons un rapport
causal : le signifiant et le signifié ont à nos yeux des rapports de nature : « le mythe est lu comme un
système factuel alors qu'il n'est qu'un système sémiologique. » [12]. Ce que la publication de ces trois
tomes a réveillé durant les années 50, c'est le rêve séculaire en France d'un lien naturel entre la plume
et l'épée. Rêve né d'une longue suite de divisions du corps social ² protestants et catholiques,
révolutionnaires et royalistes, gaullistes et communistes, etc. ² et de l'influence exercée par le pouvoir
politique sur les lettres depuis Richelieu. Rêve qui prend forme à travers la figure du grand homme,
capable d'exercer son autorité sur ces deux grandes Républiques que sont, en France, l'État et les
Lettres. Albert Thibaudet avait posé dans l'une de ses « Réflexions » intitulée « Napoléon écrivain »,
cette question récurrente en France : un grand homme politique peut-il aussi être un grand écrivain ?
Prenant pour prétexte une exposition des lettres de l'Empereur à la Bibliothèque Nationale, Thibaudet
reconnaissait dans le !  l'un des livres qui avait agi avec le plus de force sur l'imagination de ses
contemporains et proposait de « classer cette œuvre dans la littérature souveraine, c'est-à-dire des
souverains, où il n'y a que trois noms : César, Frédéric II, Napoléon. » [13]. Une « littérature
souveraine » : superbe formule condensant toute une rêverie politico-littéraire redevenue d'actualité
après la Seconde Guerre mondiale. En 1953, Churchill achève la publication de ses Mémoires, p# 
; 
.
., et reçoit le prix Nobel de littérature : voici un héros dont on confirme le talent
littéraire ² mais cela se produit de l'autre côté de la Manche. Êès l'année suivante, de Gaulle relève le
défi en publiant le premier tome de ses Mémoires de guerre, " , où il pousse le souci de la
composition à l'extrême, rejetant en fin d'ouvrage tous les documents afin de mettre en valeur le récit
suivi des faits survenus et de se démarquer ainsi de son    anglais.
Le retour au pouvoir n'a, on le sait, pas fait l'unanimité ; à l'inverse, la critique semble s'être accordée
depuis la publication du premier tome des!  
   en 1954 à reconnaître au général un
talent exceptionnel, comme si le pays retrouvait une forme de consensus national ² troublé par
quelques esprits chagrins ² dans l'appréciation de la maîtrise rhétorique du fondateur de la France
libre. C'est là un fait essentiel : le grand style de Charles de Gaulle suscite l'admiration de ses
contemporains. Chacun y goûte, malgré les éventuelles divergences politiques, la coïncidence parfaite
qui s'y produit entre l'action et son dire, la force politique du personnage et la puissance de sa parole.
Êu journaliste le plus obscur jusqu'à François Mauriac ou Claude Roy, on s'accorde à goûter la clarté de
la prose, le travail du rythme, le choix des citations et des références. Êans son compte rendu
de" , Marcel Arland reconnaît dans le texte de de Gaulle ce que la culture française a de plus
élevé : les mémorialistes (Retz, Tocqueville et Montluc), les écrivains politiques (Êu Vair, La Boétie),
les moralistes (Vauvenargues), les sermonnaires et surtout la prose latine (Tacite, Salluste, Tite-Live)
[14]. Le général met en scène une culture héritée de l'enseignement rhétorique et évanouie depuis le
début du siècle, mais dont une certaine mémoire subsiste, notamment à travers l'exercice du discours
politique ou la diffusion d'une histoire de facture académique. Si chacun se plaît à retrouver dans les
textes de de Gaulle les influences classiques, c'est parce que chez lui, « le style est toujours l'homme,
et l'homme toujours égal à sa destinée » [15]. Cet effet d'adéquation est, aux yeux de François
Mauriac, le fait d'un mémorialiste qui a su réaliser l'essence même du genre littéraire qu'il pratique :
"Comme César, comme Napoléon, le général de Gaulle a le style de son destin, un style accordé à
l'histoire. Ne croyons pas que cela soit commun : il n'est que de lire les autres. Le général de Gaulle les
a laissés se vider de leur encre : chefs qui ne voulaient pas avoir été battus, traîtres qui ne voulaient
pas avoir trahi, aveugles qui prétendaient avoir vu clair, vainqueurs qui tiraient toute la victoire à
eux." [16]
On est reconnaissant à de Gaulle de réunir en sa personne les différents éléments hérités d'une culture
rhétorique : général et homme politique, il fait de ses interventions orales et écrites un grand moment
oratoire et sa puissance d'action dans les affaires publiques n'a d'égal que son habilité dans l'art de
l'éloquence politique. Êe Gaulle « incarne » comme Céline le dit de Pétain dans )#5  . Il
incarne la figure de celui qui a su recueillir le trésor qu'avait abandonné le peuple français et proposer
au pays un pacte de refondation. Pacte de refondation dont l'expression adéquate passe dans les
années 50 par l'invention d'un style de narration historique condensant tous les signes de l'idéal
classique : ethos d'autorité, ton simple et noble, ressources de la maxime, rythme énergique,
métaphore filée sous-tendant une vision manichéenne de la politique, etc.
Il n'est, par conséquent, pas seulement question pour Barthes de témoigner publiquement de son
opposition politique à celui que la gauche indépendante voyait comme un dictateur, gagné à la cause
des fascistes de l'Algérie française. Cela, il l'avait déjà fait en juin 1959, dans une réponse à un
questionnaire adressé par Blanchot, Breton, Mascolo et Schuster à 99 intellectuels français pour les
interroger sur le régime du général de Gaulle. Êans sa réponse, Barthes se montrait extrêmement
circonspect sur l'intérêt de ce type de prise de position, s'étonnant que les intellectuels français
n'eussent pas réagi « plus essentiellement devant cette sacralisation du Pouvoir, puisque le sacré, c'est
là vraiment leur ennemi » [17]. Le procès du général fasciste se transformait ainsi en une dénonciation
des intellectuels, soupçonnés de nourrir une fascination pour l'homme fort et d'être atteints d'un
cancer du militantisme politique les rendant impropres à déceler l'idéologie. Et Barthes de proposer
l'ouverture « d'une sorte de Bureau d'information mythologique » afin de substituer l'acte intellectuel
d'analyse à l'acte politique de dénonciation.
L'article qu'il publie dans  @ (  deux semaines après le début de la publication
du ;, constitue en quelque sorte la première pièce versée dans les dossiers de cet utopique Bureau
d'information mythologique. Le titre, « Êe Gaulle, les Français et la littérature », constitue à lui seul
tout un programme, formé d'une triade où l'élément médiateur, la littérature, occupe la fonction
principale.
Barthes rappelle tout d'abord qu'il est de bon sens d'appliquer à ce type de récits une distinction
essentielle entre « le témoignage et le style, la vérité du récit et l'allure de la "vision", la matière des
Mémoires et leur forme. » [18]. Pour quelle raison ce qui vaut pour les auteurs auxquels on le compare
ne s'appliquerait-il pas aux textes du Général ? Il est surprenant de constater que « devant
ces !   "historiques", c'est la critique "historique" qui démissionne ». On n'y interroge pas
l'exactitude de ses propos ; personne n'ose mettre en doute la véracité de « cette Histoire que le "style"
du général renvoie superbement dans le ciel de la Grande Littérature, avec le consentement admiratif
de toute une critique qui ne s'étonne nullement de voir l'historien devenir, par la plus nouvelle des
prérogatives, sa propre référence. » [19]. Barthes s'efforce alors de défaire le charme qui permet à de
Gaulle d'imposer à tous sa propre version des événements. Il propose à cet effet une interprétation qui
me semble être une véritable clé pour l'étude des enjeux historiographiques et littéraires des
Mémoires :
"En réalité, toute cette fascination n'est possible qu'en vertu d'un postulat qui règle toute la critique
des !  : que de Gaulle est un écrivain. La critique opère ici un curieux ² et précieux ² va-et-
vient : elle passe son temps à renflouer l'écrivain par le politique, le politique par l'écrivain. Bref, de
Gaulle est toujours   . Écrivain, on ne s'inquiète plus de la littéralité de son témoignage, il jouit
de l'immunité poétique, personne ne s'étonne plus d'habiter cette   des !  , à peu près
aussi insolite que la Grèce de Plutarque. Politique, sa langue devient celle d'un grand écrivain, dans la
mesure même où sa "carrière" n'est pas la littérature ; [« ] ce style devient tout à coup admirable du
moment qu'il n'est que le luxe de l'action, le coup de chapeau des armes à la toge. ("Son style ne sent
pas l'effort, il le reflète », dit Maurice Schumann : phrase délicieuse si elle n'était ingénue.) Telle est la
posture du général devant sa critique : un pied dans la Littérature, un pied au-dehors, pesant ici,
pesant là, obligeant la malheureuse critique à se faire bigle, à fixer d'un œil le politique et de l'autre
l'écrivain." [12]
C'est là le tour de force des !   : ce genre issu d'une longue tradition excède largement le
champ du littéraire. Ses praticiens s'autorisent d'une légitimité sociale, politique ou culturelle ; ils
doivent d'une manière générale leur statut d'auteur plus à l'intérêt qu'on accorde à leur identité socio-
historique qu'aux qualités d'écrivain dont ils font preuve, comme le montre l'usage qui consiste à
désigner comme « auteur » l'individu qui a signé le récit plutôt que l'écrivain professionnel qui a
composé en son nom. Êe Gaulle, quant à lui, compense magistralement l'hétéronomie du genre
mémorial en exhibant tous les signes conventionnels de l'éloquence politique et en additionnant à
l'autorité du témoin historique le prestige du styliste néo-classique. Il en résulte un effet de séduction
redoublé, où légitimité politique et virtuosité littéraire se renforcent, contribuant ainsi à soustraire les
textes du général aux procédures d'évaluation ordinaires. Chacun s'entend à admirer qu'un militaire
manie si fièrement la langue et qu'un écrivain ait su intervenir si profondément dans le cours des
événements. Par un jeu de vases communicants, de Gaulle réussit à « s'exclure des séries » ² il donne
du « cher maître » aux écrivains et affecte du mépris pour la classe politique ² et à s'imposer pourtant
dans chacun de ces deux espaces institutionnels. En se distinguant ainsi par sa double compétence, de
Gaulle pousse jusqu'à son terme l'idéal du genre mémorial : celui d'une fusion parfaite des
compétences historique et littéraire.
Mais l'essentiel tient moins à l'habilité du général qu'à la complaisance des Français à son égard. Car
pour Barthes, c'est bien la croyance en la « Littérature » qui conduit les Français à accorder une
confiance excessive au portrait apologétique que général livre de lui-même. Est « Littérature » tout
texte se présentant comme dénotant parfaitement son objet. Tous les signes ² prosodiques, stylistiques
et rhétoriques ² de la littérature certifient bien que le général est un écrivain : ils donnent à voir la
coïncidence de la puissance et de la justice. Car les Français sont nourris d'un vieux rêve épique que n'a
cessé de penser la Littérature : voir un écrivain accéder au pouvoir suprême. La qualité d'auteur
supplée celle de philosophe « tant la Littérature est chez nous une valeur invétérée » [20].
Les !  
   tirent donc toute leur force d'évocation du crédit excessif accordé à l'exercice
de la langue. Barthes y voit un extraordinaire argument pour les gaullistes : « les Français ont toujours
pris leurs écrivains (je ne dis pas leurs intellectuels) pour des gens "bien". Êans l'admiration à peu près
unanime de la critique à l'égard du Général-Écrivain, il y a un sentiment de sécurité, l'assurance qu'en
somme aucun mal, aucune lésion ne peut venir d'un homme qui se soucie d'écrire bien le français [] »
[21].
Êe la critique de Roland Barthes, nous pouvons retenir ceci : au plaisir que nous prenons à lire les
classiques se mêle la satisfaction que nous éprouvons à constater un effet de coïncidence entre l'ordre
des faits et l'ordre des mots. Le grand style des !  
  , c'est la réconciliation de l'Histoire
et de la Littérature, chargée de résoudre toutes les contradictions du passé. Sous l'influence de ce
renforcement réciproque du politique et du symbolique, le héros devient son propre historien,
substituant à ce que Michel de Certeau décrit dans A 
#   comme une fiction ² à savoir
le fait pour l'historien professionnel d'adopter la position du sujet de l'action comme s'il réalisait lui-
même l'opération dont il n'est en réalité que le technicien, puisqu'il ne fait pas l'histoire, mais
seulement de l'histoire ² une fiction d'ordre supérieure : celle d'une histoire qui s'exprimerait par la
bouche de ceux qui ont voulu et provoqué le déroulement des faits survenus. Une Histoire qui
s'énoncerait sans perte ni supplément.
Mieux que tous, Barthes comprend que le général de Gaulle tire son pouvoir de la Littérature plus que
de la politique. Il ne sert à rien de dénoncer, comme Jean-François Revel le fait la même année
dans  ; 
   ² et comme Stéphane Zagdanski l'a fait récemment dans ( 
: B ²,
le mauvais goût pompier du mémorialiste. Le style de de Gaulle n'est pas affaire de goût, mais de
valeur : il alimente un imaginaire mettant à profit toute l'efficience symbolique dont le genre des
Mémoires est susceptible. C'est une littérature solaire, où se fait entendre une voix pleine,
diamétralement opposée au degré zéro de l'écriture, c'est-à-dire à l'écriture blanche, théorisée par
Barthes à la même époque. Une voix qui ne laisse pas place au doute, qui est pleinement agissante sur
le corps social, qui s'identifie à ses tournures, à ses stéréotypes d'expression, à son rythme, et qui
s'impose à tout un chacun sur le ton de l'évidence communément partagée.
Or il est généralement difficile de mesurer la valeur accordée à ce type de littérature très
conventionnelle : la plupart du temps, les Mémoires circulent, depuis le moment de leur production
jusqu'au moment de leur consommation, à l'intérieur de circuits indépendants du champ retenant
l'attention des spécialistes de la littérature. Le texte mémorial est à notre époque rarement envisagé
en tant que genre littéraire en soi. Non pas qu'il soit délaissé par les écrivains, pour qui il représente
un modèle de récit de soi tout aussi important que l'autobiographie, du moins jusqu'au début des
années 80. C'est plutôt sa relative invisibilité critique et théorique qui rend son statut générique plus
difficile à déterminer à notre époque. C'est la raison pour laquelle l'article de Barthes joue un rôle
décisif. Même s'il s'agit pour le critique d'attaquer un discours dont il décèle l'influence politique et
idéologique néfaste à ses yeux, son analyse dessine les principaux repères d'un type de littérature très
particulier. En condamnant l'écriture politique du général, Barthes en révèle les grandes
caractéristiques, restées imperceptibles aussi bien à ses thuriféraires qu'à ses ennemis politiques.
On peut considérer qu'en dépit du refus qu'il oppose à ce type de littérature, le critique contribue à sa
reconnaissance en ce qu'il en mesure les effets et permet d'en penser les procédures. Êans « Êe Gaulle,
la littérature et les Français », c'est cette présence en creux d'une théorie des Mémoires comme
tradition littéraire qui nous frappe aujourd'hui. - théorie dont Barthes avait posé les principaux outils
dans son chapitre du )  0 
   consacré aux « Écritures politiques » :
"Il y a, au fond de l'écriture, une « circonstance » étrangère au langage, il y a comme le regard d'une
intention qui n'est déjà plus celle du langage. Ce regard peut très bien être une passion du langage,
comme dans l'écriture littéraire ; il peut être aussi la menace d'une pénalité, comme dans les écritures
politiques : l'écriture est alors chargée de joindre d'un seul trait la réalité des actes et l'idéalité des
faits. C'est pourquoi le pouvoir ou l'ombre du pouvoir finit toujours par instituer une écriture
axiologique, où le trajet qui sépare ordinairement le fait de la valeur est supprimé dans l'espace même
du mot, donné à la fois comme description et comme jugement." [22]
(+
(c +


Êans  ( ( , Maurice Blanchot posait la question, non pas « Où est la littérature ? », mais
« Où va la littérature ? » ; il répondait ainsi : « la littérature va vers elle-même, vers son essence qui
est la disparition. » [23]. Réponse qui suppose qu'il y ait une littérature, qu'il n'y en ait qu'une et qu'elle
se dirige en bon ordre dans la même direction. Mais à vrai dire, la réponse de Maurice Blanchot n'est
pas plus interprétable que celle d'un oracle ; elle dit bien, comme dans  )  0 
  , la
conscience d'un mouvement général des lettres après la Seconde Guerre mondiale. Mais il reste à
penser tout ce qui n'est pas pris dans cette quête de la littérature. Pour ces autres textes, on trouve
des points de jonction à l'image des articles de Bataille, de Blanchot ou de Barthes. Quel que soit le
type de rapport établi ² compte rendu positif, attaque ou malentendu ², ces phénomènes de mise en
contact - et souvent de frottement - nous invitent à nous méfier des lectures téléologiques et
permettent de saisir la manière dont les différents acteurs de la vie littéraire réfléchissent leurs
positions respectives, révélant la complexité d'un espace toujours mouvant et beaucoup plus
hétérogène que ne le laissent penser la plupart des histoires littéraires.
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$!

[1] Cette répartition se trouble dans le cas de l'autobiographie et du journal intime du fait de leur
récente reconnaissance en tant que modèles littéraires à part entière.
[2] Madeleine Chapsal, « Le livre de la semaine : p     », |+  , 24 février 1956, p.
10.
[3] C'est précisément ce mode d'évaluation que Barthes pointera, sans s'y attarder, à propos des
critiques des !  
   : « On nous dit de toutes parts que de Gaulle, c'est Tacite, César,
Retz, Chateaubriand. »
[4] Sur ce point, voir l'article de José-Luis Êiaz, « L'autonomisation de la littérature, 1760-
1860 »,   , n° 124, décembre 2001, p. 14.
[5] On peut noter la coïncidence de cette thématique avec celle de l'article de Benjamin, « L'œuvre
d'art à l'ère de sa reproduction mécanisée » et avec l'anti-esthétique de la revue )   dirigée
par Bataille en 1929-1930.
[6] « Ni la psychologie, ni la métaphysique, ni l'art ne peuvent me servir de refuge« » ( p  
  , Plon, 1955, rééd. Pocket, p. 496).
[7] Barthes fait de très nombreuses références aux travaux de Lévi-Strauss, mais il est significatif qu'il
ne fasse jamais allusion à p    , livre dont la forme est très éloignée de son idéal de
littérature (en fait, il n'évoque l'ouvrage qu'une seule fois, dans un texte de 1967, au titre de premier
exemple de « sémiologie urbaine » ( C(  $ , t. II, p. 440)).
[8] La comparaison avec Lazare apparaît dans un texte contemporain de p    , « Êiogène
couché », publié en réponse aux attaques de Roger Caillois contre -  ,   (  p  

 , n° 110, 1955). Sur Lazare, voir la communication de Marie-Laure Basuyaux dans cette
même journée d'études. Je me permets aussi de renvoyer à un article, « Portrait de l'ethnologue en
Lazare », à paraître au printemps 2004 dans un numéro des Cahiers de l'Herne consacré à Claude Lévi-
Strauss.
[9] Êans sa préface à la réédition de p     pour France-Loisirs, Pierre Nora souligne ainsi
que la publication de p     constitue non seulement « un événement décisif de l'évolution
scientifique » (selon la formule de Lévi-Strauss à propos de |   
de Marcel Mauss) mais
bien un « moment de la conscience occidentale » et, à propos du différentiel technologique entre les
Indiens du Brésil central et l'Occident, il précise : « les réalisations techniques, artistiques et
philosophiques à quoi pouvaient se comparer ces pauvres accomplissements indigènes n'étaient en
revanche que les expressions, certes admirables, d'une civilisation, la nôtre, dont l'ultime vérité venait
cependant d'aboutir à Auschwitz et Iroshima » ( p    , rééd. France Loisirs, 1990, préface,
p. 9, p. 11).
[10] Roland Barthes, « Êe Gaulle, les Français et la littérature », C(  $ , t. I, 1942-1965,
éd. Éric Marty, Paris, Éditions du Seuil, 1993, p. 830.
[11] Roland Barthes, !# , dans C(  $ , t. I,  , p. 698.
[12] 6
, p. 699.
[13] Albert Thibaudet, « Réflexions. Napoléon écrivain », &(  - ( % , t. 44, 1935,
p. 753.
[14] Voir Marcel Arland, « Sur les !   du général de Gaulle », &(  (   ( 
% , t. IV, juillet-décembre 1954, p. 1077.
[15] François Mauriac, C(  # , éd. François Êurand, Paris, Bibliothèque de la
Pléiade, 1990, p. 718.
[16] François Mauriac, 8 , t. I, 1952-1957, avant-propos de Jean Lacouture, éd. Jean Touzot,
Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points essais », 1993, p. 209.
[17] Roland Barthes, « Sur le régime du général de Gaulle », C(  $ , t. I,  , p. 822.
[18] Roland Barthes, « Êe Gaulle, les Français et la littérature », art. cit., p. 830.
[19] 6
, p. 830.
[20] 6
, p. 830-831.
[21] 6
, p. 832.
[22] 6
, p. 831.
[23] Roland Barthes,  )  0 
  D dans C(  $ , t. I,  , p. 150.
[24] Maurice Blanchot,  ( ( , Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 1959, p. 265.
POUR CITER CET ARTICLE : VINCENT ÊEBAENE ET JEAN-LOUIS JEANNELLE , "OU EST LA LITTERATURE ?", 6)||)|
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A l'orée des années 1950, Jean Cayrol publie un court texte intitulé « Ê'un romanesque
concentrationnaire » (1) dans lequel il décrit l'idée qu'il se fait de la littérature présente et à venir.
Pour la qualifier, il forge un néologisme et parle de littérature « lazaréenne ». Lazare, celui que le
Christ ressuscite - selon l'Evangile de Saint Jean - est ainsi l'objet d'une figure d'antonomase, il devient
un nom commun servant à désigner d'abord l'homme, puis la littérature depuis les camps.
J. Cayrol n'est évidemment pas le premier à faire référence au personnage de Lazare depuis la
guerre ; on observe une relative émergence de cette figure symbolique dans la littérature de l'époque.
Certains textes mettent très concrètement en scène ce personnage ; 0 (2) , un récit de Charles
Vildrac édité en 1946, imagine le monologue du frère de Marthe et Marie après sa résurrection ; une
pièce d'André Obey (3) , créée par Jean-Louis Barraud en 1952 (4) , porte également ce titre ; elle met
en scène un Lazare encore engourdi par la mort, comme mal remis de son expérience. Ê'autres, sans
nécessairement aller jusqu'à faire de Lazare un héros éponyme, utilisent pourtant cette figure comme
une référence symbolique. On peut considérer que le roman de Malraux,  &  
" (5) ,
paru en 1943, en est un exemple. Il fait le récit de la première attaque aux gaz menée par les
Allemands sur le front russe en 1916 ; cet épisode, dont Malraux dit qu'il semble une « crise de folie de
l'Histoire » sera repris en 1976 dans  !
 (6) , précisément sous le titre 0 
S'il n'est pas le seul à utiliser le personnage dans une œuvre littéraire, Cayrol reste pourtant le
premier à en faire une incarnation de la Littérature d'après-guerre.
La décennie 1950 voit J. Cayrol accéder à une véritable « position » dans le monde des lettres
françaises ; le contexte d'après-guerre n'y est certainement pas étranger. Rappelons que Jean Cayrol
fut arrêté en 1942 pour faits de résistance, et déporté l'année suivante en camp de concentration, à
Mauthausen. A son retour, il aborde un genre nouveau : cet auteur qui ne composait que des recueils
de poèmes publie en effet ses premiers récits de fiction, et quelques essais. En 1949, il prend place
également dans le monde de l'édition en entrant au Seuil. Il y fonde une revue,| D entièrement
consacrée à la publication des premiers textes de jeunes auteurs - cette revue sera en quelque sorte le
« laboratoire » de la revuep   (7) . Êernier fait important pour cette période, en 1956, il écrit le
texte du documentaire & 8
, réalisé par Alain Resnais (8) .
On peut donc considérer qu'au cours des années 1950, Cayrol jouit d'une reconnaissance importante
auprès des différents acteurs qui composent le champ littéraire, que ce soit le courant existentialiste,
le personnalisme chrétien, ou l' « avant-garde » autour du Nouveau Roman, et cela pour des raisons
très différentes et parfois contradictoires : parce qu'il fut résistant et déporté, parce que son œuvre
manifeste une inquiétude spirituelle à laquelle la critique chrétienne est sensible, et parce que ses
œuvres de fiction, sans rompre tout à fait avec une certaine tradition, présentent une tonalité neuve
et une mise en question indéniable des formes romanesques.
« Ê'un romanesque concentrationnaire » fut édité dans la revue |  en septembre 1949 à l'occasion
d'une enquête portant sur la littérature contemporaine. Bien que la date de parution de ce texte sorte
du cadre strict des années 1950, on peut légitimer son intégration à la décennie en s'appuyant sur la
date de sa parution en volume : cet essai est en effet repris sous un titre légèrement différent, « Pour
un romanesque lazaréen », dans un volume intitulé 0   , en 1950 et c'est
essentiellement sous cette forme qu'il connaîtra une réception critique. Après les années 1950, on
entendra peu parler de ce texte, puisqu'il ne sera réédité que presque cinquante ans après, en 1997,
sous un titre à nouveau différent « Êe la mort à la vie ».
Ce texte suscite un certain nombre de questions : celle de son statut - question moins simple qu'il n'y
paraît, à laquelle on apportera sans doute plus de questions que de réponses - ; celle de l'idée de
littérature qu'il dessine par l'utilisation de la figure symbolique de Lazare - il semble important à cet
égard de confronter la figure choisie par Cayrol à celle qu'a élue Blanchot à peu près à la même
époque : la figure d'Orphée -, et celle de sa réception dans les années 1950 - à travers notamment la
lecture qu'a pu en faire Roland Barthes.
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Poser à « Pour un romanesque lazaréen » la question de son statut conduit à mettre en lumière un
certain nombre d'ambiguïtés, voire de contradictions, qui révèlent le caractère assez peu systématique
de ce texte.
Texte manifestaire ou texte (« purement ») théorique ?
Ê'emblée, il semble hésiter entre une vocation descriptive et une vocation prescriptive à l'égard de la
littérature. On peut se demander s'il faut le considérer comme un simple texte théorique ou comme un
manifeste engagé.
On est tout d'abord tenté de considérer que Cayrol forge la notion de « romanesque lazaréen »
pour
 ou 
 la littérature de l'époque, pour permettre une prise de conscience de ce
qu'elle a de spécifique depuis la guerre et les camps : selon lui, la littérature porte les traces d'un
sinistre, et c'est en cela qu'elle est « concentrationnaire » ou « lazaréenne » ; il semble s'agir d'un
constat de la part de Cayrol, qui rangerait ce texte du côté de la théorie littéraire. On peut lui
reconnaître à cet égard une singulière précocité puisqu'il s'agit d'un des tout premiers textes à
envisager de manière théorique un changement de la littérature lié à l'événement des camps.
Le statut manifestaire s'est pourtant affirmé à travers le changement de titre effectué entre la
parution en revue et la parution en volume. « Ê'un romanesque concentrationnaire », intitulé
relativement neutre, est devenu «  un romanesque lazaréen », ce qui est nettement plus
militant ; Cayrol y défend une forme précise.
Êe même, il est impossible de ne pas évoquer le ton particulier de ce texte ; on ne peut qu'être surpris
devant la subjectivité omniprésente et angoissée qu'il exprime. Reconnaissons que les textes
manifestaires se caractérisent rarement par leur sens de la nuance Pourtant, le style de ce texte peut
susciter une irritation spécifique dans la mesure où ses semonces ne sont pas uniquement d'ordre
littéraire, elles ont à plusieurs reprises une dimension morale ou même religieuse. Certaines phrases
( Je suis pour une littérature de miséricorde, qui sauve l'homme » (9) ) donnent parfois l'impression de
se trouver face à une sorte de sermon.
Pour quel champ d'application ?
La deuxième ambiguïté que recèle « Pour un romanesque lazaréen » concerne son champ
d'application, l'étendue des œuvres qu'il vise. Là encore, les contradictions sont nombreuses et on se
limitera à un seul exemple, celui de l'hésitation entre une portée générale - le propos du manifeste
vaudrait pour toutes les œuvres de l'époque - et une portée personnelle - il ne serait valable pour les
textes écrits par Cayrol lui-même. On observe des coïncidences nombreuses entre les deux premiers
récits écrits par Cayrol en 1947 (10) et les principes du « romanesque lazaréen » ; Cayrol réfléchit
apparemment à ses propres textes pour formuler « le romanesque lazaréen » et on ne peut s'empêcher
de penser que ce manifeste a quelque chose d'un métatexte personnel : de fait, il théorise la démarche
et le style de ses propres récits.
Pourtant, la réflexion du manifeste se présente simultanément comme une réflexion sur « la
Littérature » en général et même sur l'art dans son entier (11) . On peut donc considérer que la portée
de ce manifeste est sujette à des variations relativement importantes.
Une visée littéraire ou ontologique ?
Pour finir, c'est la visée du manifeste qui peut constituer un dernier sujet d'interrogation : est-elle
littéraire ou ontologique ?
Le texte de Cayrol s'interroge explicitement sur des questions d'ordre littéraire : il s'efforce de définir
un style, un type de romanesque. Il donne notamment des indications sur le rythme du texte, censé
avancer « par bonds » (12) , ou sur l'impression de lecture que suscite l'œuvre lazaréenne. Pourtant il
décrit aussi un certain état du monde et de l'homme en parlant d'un « monde qui a le mal du chaos »,
de notre « quotidien concentrationnaire », de « la corruption mystérieuse de notre monde par l '
élément concentrationnaire ou lazaréen » ou de l'homme « décharné et souffrant », « paralysé et
insensible » et « qui semble atteint dans les forces vives de son âme » (13) .
Peut-être ne convient-il pas de parler d'hésitation ; il s'agit plutôt d'une association étroite entre la
visée ontologique et la visée littéraire. Selon Cayrol, c'est un certain état du monde et de l'homme qui
commande un certain état de la littérature ; n'est-ce pas ce qu'il faut entendre lorsqu'il parle d'un « Art
unique, inséparable de notre condition précaire d'homme » (14) . La plupart des caractéristiques du
romanesque sont ainsi présentées comme des conséquences du statut du personnage. Cayrol commence
souvent par décrire un trait du Lazaréen (« le héros n'aime pas qu'on lui réponde ; il suffit à sa
question, il désire laisser en suspens sa demande. (« ) tous les mots lui ayant été un jour ôtés, il s'est
déshabitué du mouvement merveilleux des lèvres ») et il en tire une conséquence d'ordre littéraire un
peu plus loin : « d'où abus du monologue, recherche de phrases lapidaires » (15) .
Précocité de l'entreprise
On peut sans doute expliquer ces ambiguïtés ou ces contradictions par la précocité du texte de
Cayrol ; à la fois « collé » à l'époque, et marqué par une sensibilité douloureuse à l'événement des
camps, il lui manque de systématiser ses propositions pour atteindre le statut de théorie du fait
littéraire.
Ces réserves faites, on ne peut nier que « Pour un romanesque lazaréen » exprime une
intuition décisive sur la littérature des années 1950. Barthes affirme que « 0   D[est l']
œuvre qui opère la première jonction entre l'expérience des camps et la réflexion littéraire » (16) .
Cette réflexion de Cayrol sur la figure de Lazare entre évidemment en résonance avec la réflexion de
Maurice Blanchot qui fait à la même époque le choix de la figure d'Orphée pour incarner son idée de la
littérature.
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Parenté, influence ? La confrontation de Lazare et d'Orphée, figures à la fois voisines et distinctes, est
un moyen d'interroger le sens de cette symbolisation de la littérature qui émerge au cours des années
1950.
Emergence
La figure de Lazare provient, on le sait, d'une source évangélique (17) ; cette résurrection constitue un
épisode décisif pour l'histoire du christianisme puisqu'il est à la fois une preuve de la nature divine du
Christ et l'annonce de son propre destin qui sera de passer par la mort et la résurrection. Mais cette
topique du ressuscité ne parvient pas à Cayrol de manière tout à fait vierge. Elle est modifiée par ses
réécritures successives. Bien qu'il ne l'évoque jamais comme une de ses influences littéraires, tout
porte à croire que Cayrol a eu connaissance du 0  de Charles Vildrac, tant cette oeuvre semble
aller dans le sens de sa propre vision du personnage. On observe dans le monologue de Vildrac des
similitudes frappantes avec la conception du romanesque lazaréen : la modification du rapport aux
objets, la lucidité déchirante de Lazare s'opposant à une somnolence générale, la conscience
hypertrophiée de sa finitude, et le renversement final autour du motif de l'odeur qui imprègne Lazare.
Lorsque Cayrol fait le choix de cette figure en 1949, elle n'est donc plus seulement un motif glorieux,
Vildrac en a fait une figure de témoin chargé de dénoncer un certain état du monde.
On se gardera bien de faire un historique de la figure d'Orphée dans la littérature Rappelons
simplement que c'est au début des années 1950 que paraissent deux œuvres portant ce titre : un
recueil de contes de Supervielle (18) , et le film de Cocteau (19) . Chez Blanchot, la figure d'Orphée est
abordée en 1955 dans un chapitre de |     :  L'œuvre et l'espace de la mort » (20) . Sa
réflexion est également  sous influence » : elle s'opère à partir d'une réécriture du mythe par Rilke ;
en effet, ce chapitre de |    est consacré notamment aux ;  @ #  et
aux|  
)(21) .
Il importe de préciser également que Blanchot, avant de faire le choix de la figure d'Orphée, s'est
d'abord arrêté sur celle de Lazare dans un texte intitulé  La littérature et le droit à la mort » édité en
1947 (22) . Sa vision de Lazare est éminemment personnelle puisqu'il s'agit d'une figure de déréliction
et non de résurrection. Il évoque « le Lazare du tombeau et non le Lazare rendu au jour, celui qui déjà
sent mauvais, qui est le Mal, le Lazare perdu et non le Lazare sauvé et ressuscité » (23) .
Êès l'origine pourtant, dans cette description que Blanchot fait de Lazare, on sent poindre une
orientation orphique à travers le motif de la disparition et celui la tentation de se retourner : « mais,
au départ, que s'est-il perdu ? (« ) la parole est la vie de cette mort, elle est « la vie qui porte la mort
et se maintient en elle ». (« ) Quelque chose a disparu. Comment le retrouver, comment me retourner
vers ce qui est avant, si tout mon pouvoir consiste à en faire ce qui est après ? Le langage de la
littérature est la recherche de ce moment qui la précède » (24) .
Cette évolution de Lazare à Orphée dit bien que quelque chose de commun unit les deux figures ;
toutes deux sont chargées de dire le statut de la littérature après les camps, et d'inscrire le désastre au
fondement du fait littéraire.
Lazare, Orphée : deux antonomases chargées d'inscrire le désastre au fondement du fait littéraire
Orphée et Lazare - tout au moins tels que les perçoivent Blanchot et Cayrol - entrent en convergence
sur un certain nombre de points. Avant tout, ils sont l'incarnation d'un passage par la mort, par une
forme d'anéantissement ; en les choisissant comme incarnation de leur idée de la littérature des
années 1950, Blanchot et Cayrol inscrivent clairement le désastre au cœur de leur idée de la
littérature. Cayrol évoque dans son manifeste « les camps, la convulsion humaine, l'agonie débordante,
l'Epreuve » (25) . Les titres de certaines œuvres reprennent ce motif : l' " 
(26) , récit de
Blanchot répond au  
:5 (27) , film de Cayrol, titres qu'il faut entendre comme un lieu de
tension entre une fin et un commencement. Blanchot parle de la nécessité de passer par les ruines
pour faire advenir la littérature ; Cayrol propose quant à lui d'établir un lien entre la littérature et
l'univers concentrationnaire, car il y voit un moyen de renouveler une littérature qui, selon lui,
« achève de vivre » (28) .
Autre point en commun, les deux figures sont interprétées par Blanchot et Cayrol comme des topiques
de la métamorphose : ni Lazare, ni Orphée ne sont les mêmes lors de leur retour, ils figurent une perte
d'identité, le passage à un état impersonnel. Le motif de l'anonymat est central dans la poétique
cayrolienne : « Êepuis le retour () [il s'agit évidemment du retour des camps] qui a retrouvé son
visage, qui a pu rentrer dans ses traits, qui n'a pas subi  d'opération de la face » ? () Les passés sont
flous. () La défiguration humaine a été portée à son comble ». Blanchot développe un motif
similaire en visant le  point où, en moi, j'appartiens au dehors », point qui  me conduit là où je ne
suis plus moi-même, où si je parle, ce n'est pas moi qui parle », vers  la rencontre d'Orphée ()
rencontre de cette voix qui n'est pas la mienne » (29) . La métamorphose dont il est question s'opère à
l'échelle de l'humanité : Cayrol parle d'une  catastrophe qui a ébranlé les fondements même de notre
conscience » (30) , et il est symptomatique à cet égard que les deux auteurs utilisent le même titre
pour l'une de leurs œuvres :  )  # , titre d'un recueil de poèmes de Cayrol, auquel
répond, plusieurs années après, le titre d'un récit de Blanchot (31) .
Lazare et Orphée disent aussi tous deux le dépassement d'une limite imposée à l'humanité et les
conséquences qu'entraîne cette expérience : sentiment d'étrangeté, d'exil et de solitude. Orphée vit la
perte de l'être aimé ; Lazare, selon le visage que lui donne Cayrol, vit la perte d'une immédiateté avec
le monde et les hommes. Il connaît le statut particulier du ressuscité, coupé du reste des vivants, qui
éveille l'indifférence chez les autres et tient tout à distance. Cayrol affirme que  L'œuvre lazaréenne,
d'abord et avant tout, sera amenée à décrire avec minutie la solitude la plus étrange que l'homme a pu
supporter » et que  [le Lazaréen] appartient à quelque chose qui n'appartient à personne » (32) .
Ils sont enfin perçus comme des figures de l'instabilité. Blanchot affirme que  celui qui chante doit se
mettre tout entier en jeu et, à la fin, périr, car il ne parle que lorsque l'approche anticipée de la mort,
la séparation devancée, l'adieu donné par avance effacent en lui la fausse certitude de l'être, dissipent
les sécurités protectrices, le livrent à une insécurité illimitée. Orphée indique tout cela » (33) . Chez
Cayrol, cette idée s'incarne dans la figure de l'émiettement de l'univers, il parle de l'  ex traordinaire
laisser-aller de cet univers () où, justement, rien n'est tenu, où tout est dispersé, pulvérisé, où les
journées ont un aspect provisoire, inachevé, où les nuits ne tiennent pas au sommeil () où le pain
s'émiette, où les consciences se relâchent, où les amitiés se dénouent, où tout se morcelle
indéfiniment, où les souvenirs d'hier se défont » (34) .
Si les points de convergences sont donc indéniables, les deux mythes sont pourtant loin de se
superposer strictement ; ils possèdent un statut spécifique, encore renforcé par le fait que chaque
auteur oriente la figure qu'il a choisie dans un sens qui lui est propre.
Êes symboliques spécifiques
Êe fait, la figure païenne, active et glorieuse d'Orphée se distingue de la figure chrétienne, passive et
marquée par la dégradation qu'est Lazare. Orphée est un aède qui vainc lui-même la mort, et n'est pas
atteint par elle ; il incarne le pouvoir de la parole poétique sur la mort. Certes , ce pouvoir n'est pas
absolu car Orphée ne ramène pas Eurydice, pourtant, l'être même d'Orphée n'est pas véritablement
atteint par la mort ; il chante dans la mort et c'est par son propre chant qu'il revient au monde. Lazare
au contraire est une figure passive, qui subit autant la mort que la résurrection ; il a commencé à être
entamé, à être dégradé par la mort. Le texte évangélique en donne une idée par l'évocation très
concrète de l'odeur : redoutant l'ouverture du tombeau, Marthe affirme que c'est le « quatrième jour »
de la mort de Lazare et qu'« il sent déjà ». Êe plus, sa résurrection est due à la voix du Christ et non à
un talent propre à Lazare .
Ce que l'on perçoit ici, c'est la différence de statut de chaque expérience. Une expérience concrète de
la survivance chez Cayrol fait face à une sorte d'expérience de pensée chez Blanchot, à une fiction
critique. Le Lazaréen est en effet marqué par son expérience de la mort ; son être, amputé, en
témoigne. Cette altération, très concrète dans l'Evangile ou chez Vildrac, devient plus intérieure chez
Cayrol. Pour lui, le Lazaréen est dégradé au sens où il a perdu une partie de ses capacités : « Il ne sait
plus appréhender, retenir, saisir » (35) . Cayrol insiste sur la difficulté du Lazaréen à établir des
relations humaines, à dialoguer, à être regardé, à regarder lui-même les autres. Il a perdu le naturel
dans son rapport aux autres, il a perdu la juste mesure : « Il est toujours en deçà ou au-delà de la
situation qu'il provoque. Il ne peut trouver la juste mesure, l'exact équilibre » (36) . A l'inverse de cette
expérience de la dégradation propre à Lazare, Blanchot utilise Orphée de manière beaucoup plus
abstraite, comme une figure de la disparition, de l'effacement : « Par Orphée, il nous est rappelé que
parler poétiquement et disparaître appartiennent à la profondeur d'un même mouvement (« ) il est
encore un signe plus mystérieux, il nous entraîne et il nous attire vers le point où lui-même, le poème
éternel, entre dans sa propre disparition, où il devient la « pure contradiction », le « Êieu perdu »,
l'absence du dieu, le vide originel () l'infini de la métamorphose () qui infiniment transmue la mort
elle-même () » (37) . On voit poindre ici l'aspiration à une métaphysique de la littérature :
métaphysique de la disparition, de l'effacement, du vide ou de l'impossible, qui contraste avec la
posture cayrolienne, nettement plus incarnée et précisément située dans le temps.
C'est donc finalement le rapport à l'histoire qui semble devoir distinguer les deux figures. Pour Orphée,
on peut comprendre l'interdiction de se retourner sur Eurydice comme une condition d'existence de la
littérature, elle n'existerait que dans la mesure où elle ne se retourne pas sur l'histoire. Voilà qui
suggère une forme d'éternisation de l'activité littéraire. En revanche, Lazare témoigne de son passé par
son état présent et par sa difficulté à revenir dans le monde des hommes. Le texte de Cayrol
revendique donc un ancrage à la fois dans l'Histoire et dans le monde contemporain . Il s'agit de
témoigner autant d'un passé que d'un présent concentrationnaire. Cayrol reprend d'ailleurs le motif de
l'odeur, tel que l'a inversé Vildrac. A u début du monologue de Vildrac, Lazare explique que les hommes
s'éloignent de lui car il porte une odeur de putréfaction. A la fin, un personnage lui affirme que c'est le
monde, et non lui-même, qui est la source de l'odeur :  Non, l ' odeur de décomposition n ' est plus en
toi, mais elle est partout, (). Et qui donc la reconnaîtrait, cette odeur, sinon toi » (38) . Cayrol
reprend exactement cette inversion ; selon lui, c'est le monde qui recèle une odeur morbide, et seul le
Lazaréen a la capacité de la déceler, de reconnaître les   poussées du concentrationnat » dans le
monde ; il affirme dans son manifeste que  () ça sent plus fort que jamais le concentrationnaire »
(39) .
On peut légitimement se demander, lorsqu'on constate la brutalité et le caractère relativement
provocateur de ces images, quelle a été la réaction du public confronté à ce manifeste.
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Une réception d'estime


Lorsqu'on observe la réception du manifeste durant les années 1950, on réalise qu'elle opère un léger
déplacement ; le texte n'est pas véritablement reçu pour lui-même puisqu'il n'est en fait utilisé qu'à
l'occasion de la critique de telle ou telle des œuvres de J. Cayrol. « Pour un romanesque lazaréen »
n'est donc qu'un instrument mis au service d'autres textes cayroliens (40) . Autre élément de
restriction : la réception a une tonalité globalement chrétienne ; les rares revues dans lesquelles
paraissent les articles sont souvent d'obédience catholique - p -
 ou  
     par exemple - ce qui limite quelque peu le propos. Enfin, l'influence exercée par ce
texte sur la production contemporaine reste singulièrement modeste ; il serait bien difficile de trouver
des auteurs s'inspirant explicitement de ce « programme » d'écriture.
La véritable réception du manifeste, c'est-à-dire la réception du texte pour lui-même, tient en fait en
quatre textes. Un article de Marie-Louise Êufrenoy (41) , un autre d'André Rousseaux (42) , un
troisième de Maurice Blanchot, (qui prend acte de l'interrogation cayrolienne : « Jean Cayrol, dans le
livre qu'il a intitulé Lazare parmi nous (« ) essaie de voir si l'art, un art nouveau, ne pourrait pas
communiquer avec la solitude de l'homme des camps » (43) ), et un texte de Roland Barthes (44) . C'est
lui qui donne finalement le plus à réfléchir en matière de réception. Son article sur le manifeste
cherche immédiatement à « situer » l'œuvre de Cayrol et son romanesque lazaréen dans l'histoire
littéraire : il le désigne (et c'est le titre de son article) comme "Un prolongement à la littérature de l '
absurde » ; il le rattache explicitement à Camus, et en fait une sorte de frère cadet de
l'existentialisme. Mais nous allons voir que sa position va sensiblement évoluer au cours des années
1950 puisqu'au fil des articles et selon un étonnant tour de prestidigitation, Cayrol passe du statut
d'épigone de l'existentialisme à celui de père du Nouveau Roman !
Le roman lazaréen selon Barthes : un roman des objets qui accomplit le passage d'une phénoménologie
(existentialiste) à une littérature objective (Nouveau Roman)
Barthes est d'abord sensible à la place que tiennent les objets chez Cayrol, tant dans son manifeste
que dans ses fictions . L'homme lazaréen, parce qu'il a été coupé du monde, a perdu tout sentiment
d'évidence face au monde, aux autres ou à lui-même. Cette absence d'évidence, ce sentiment
d'étrangeté du monde, entraînent une modification du regard porté sur les objets et même une
modification de leur contact. Barthes explique ainsi que « tous les objets (« ) sont minutieusement
parcourus, mais [que] cette minutie est captive. (« ) Le monde (« ) reste frappé d'une sorte de sous-
familiarité ; l'homme n'entre pas bien dans l'usage des choses qu'il croise dans sa vie (« ) parce qu'il ne
parvient pas à s'élever à cet usage » (45) .
On voit que s a perspective est donc nettement phénoménologique : le personnage se définit par sa
perception des objets du monde et on trouve dans les textes de Barthes une série de métaphores
chargées de préciser la nature exacte du toucher lazaréen : il parle d'« une sorte de perception
égratignante des choses », d'un « toucher crissant promené sur le monde des objets », de la sensation
« du rêche, du grignoté et de l'acide » (46) .
Barthes voit donc dans cette œuvre un exemple de ce qu'il appelle une « littérature objective » en
jouant sur les deux sens de l'adjectif : à la fois littérature de l'objet et littérature neutre, dégagée des
affects. Êans un article de 1954, l'orientation très  Nouveau Roman » que Barthes donne à l'œuvre de
Cayrol est perceptible : il opère en effet une comparaison assez étonnante entre Cayrol et Robbe-
Grillet :  Ce que [ces œuvres] ont de commun, et qui est sans doute un fait d'époque, c'est la même
manière d'accommoder le regard. On dirait que le roman, après des siècles de vision profonde, se fixe
enfin pour tâche une exploration des surfaces » (47) . Êix ans plus tard, dans le dernier article qu'il
consacre à Cayrol, Barthes confirme le caractère précurseur de  Pour un romanesque lazaréen » : 
() l'œuvre de Cayrol, dès son début, a été immédiatement moderne ; toutes les techniques littéraires
dont nous créditons aujourd'hui l'avant-garde, et singulièrement le nouveau roman, se trouvent non
seulement dans l'œuvre entière de Cayrol, mais encore, à titre de programme conscient, dans le
Romanesque lazaréen (texte qui date de 1950) » (48) .
Êe l'inscription historique à la déshistorisation : vers une textualisation
Cependant, Barthes opère progressivement un autre déplacement dans sa lecture des textes
cayroliens. Êans son premier compte-rendu de  Pour un romanesque lazaréen », il reconnaissait
l'inscription historique qui fonde la littérature lazaréenne ; il parlait de  l'homme échappé de la
grande peur dont il porte encore les stigmates », expliquait que  Jean Cayrol décri[vait un] nouvel
homme » (49) . Pourtant, il semble qu'il n'ait pris acte de cette origine historique que pour mieux
l'évacuer ensuite. Très vite en effet, il opère une mise sous silence de l'origine concentrationnaire et
de la dimension symbolique de la littérature que définit Cayrol. Selon lui, la lecture d'un texte
cayrolien impose une précaution : « [il faut] ne pas dépasser la littéralité du texte pour en extraire à
tout prix une symbolique » ; « il faut prendre Cayrol à la lettre, parce que sa littéralité même est
manifestement suffisante » (50) .
Par le biais de cette neutralisation de l'Histoire, Barthes s'oriente vers une forme de textualisation des
œuvres de Cayrol ; elles sont analysées comme des œuvres en formation, qui s'acheminent vers le
roman, tout en demeurant en deçà de la Littérature. Il conseille ainsi de « considérer toujours son
œuvre comme l'histoire d'une œuvre qui est en train de se faire » (51) . C'est ainsi qu'il interprète par
exemple le passage d'une narration homodiégétique à une narration hétérodiégétique dans les deux
premiers récits de Cayrol, il y voit une   progressive de la littérature, au seuil de laquelle les
œuvres s'arrêtent toujours (52) . En 1954, un article sur une fiction de Cayrol s'intitule de manière
évocatrice : « Préromans », la même année, un autre affirme que tout récit cayrolien est « une parole
tendue entre l'image et le refus du roman, en sorte que le lecteur est entraîné à la suite de Cayrol dans
une marche le long du roman, ou vers lui, mais jamais en lui » (53) .
Êe l'éthique lazaréenne à l'esthétique de l'écriture blanche : vers un « degré zéro de l'écriture »
Le dernier déplacement opéré par Barthes consiste à passer de l'éthique lazaréenne à une esthétique
de l'écriture blanche. En effet, se placer dans l'optique d'une textualisation peut être interprété
comme une volonté chez Barthes de refuser ou de prendre ses distances avec la dimension éthique du
manifeste de Cayrol.
Barthes publie en effet plusieurs articles sur l'œuvre de Cayrol qui réapparaîtront de manière plus ou
moins condensée dans  )  0 
  , au sein du chapitre « L'écriture du roman »
notamment. Êans le texte introductif qu'il rédige pour le )  0 , Barthes fait de Cayrol un des
paradigmes de l'écriture blanche, aux côtés de Blanchot ou de Camus par exemple. Cayrol est l'un des
auteurs sur lesquels il s'est appuyé pour formuler l'idée d'une écriture « alittéraire », « atonale », ou
« d'une absence idéale de style » (54) . Alors qu'il connaissait le texte théorique de Cayrol sur la
littérature de l'époque, Barthes a choisi d'inscrire ses œuvres au sein d'un autre système de définition,
les faisant passer du romanesque lazaréen au
 0 
  .
On peut considérer que tout au long de la décennie, à travers les analyses de Cayrol, de Barthes et de
Blanchot, s'élaborent trois orientations distinctes dans l'idée de littérature : celle de Cayrol, nettement
ancrée dans une expérience historique et subjective, celle de Blanchot qui oriente son analyse dans le
sens d'une métaphysique de l'effacement, et celle de Barthes qui neutralise les paramètres historiques
et éthiques pour formuler une esthétique de l'écriture blanche. Ces trois orientations distinctes
possèdent pourtant de manière indéniable une origine proche. Êans  )  0 
  , à la
fin du chapitre que Barthes consacre à Cayrol, on trouve une trace de cette proximité originelle, une
trace des sources à la fois lazaréennes et orphiques de la définition qu'il donne de la littérature : « La
Littérature est comme le phosphore : elle brille le plus au moment où elle tente de mourir. (« ) La
modernité commence avec la recherche d'une Littérature impossible. Ainsi l'on retrouve, dans le
Roman, cet appareil à la fois destructif et résurrectionnel propre à tout l'art moderne » (55) .
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(1) Jean CAYROL, « Ê ' un romanesque concentrationnaire », | , n° 159, septembre 1949, p. 340-
357, contribution à l ' enquête d ' | intitulée : « Littérature de dérision ou littérature de
résurrection », (accompagnée d'une contribution par Bertrand d ' Astorg), essai repris sous le titre
« Pour un romanesque lazaréen », p. 69-106, dans 0   D Paris/Neuchâtel,
Seuil/Baconnière, 1950, (Les Cahiers du Rhône), puis sous le titre « Êe la mort à la vie », p. 45-114
dans & 8
DParis, Fayard, 1997, (Libres). Nos références renvoient à l'édition en volume de
1950 « Pour un romanesque lazaréen » (-).
(2) Charles VILÊRAC (pseudonyme de Charles MESSAGER), 0 , Paris, Editions de Minuit, s. d.,
1946.
(3) André OBEY, 0 , Paris, 1952, (pièce en deux actes, créée le 22 novembre 1951).
(4) Sur la pièce d'André Obey et sa mise en scène à Marigny par Jean-Louis Barrault, on peut lire le
compte-rendu (très !) critique de Roger NIMIER dans  E
  D23F<23GH, Paris, Arléa,
2003, textes choisis et présentés par Marc Êambre. L'énoncé du titre de son article en laisse supposer
la tonalité : « Surprise à Marigny. Jean-Louis Barrault encore plus mauvais que d'habitude » (phrase qui
vaudra à son auteur un blâme de la part du Syndicat des acteurs et des metteurs en scène).
(5) André MALRAUX,  &  
" , Paris, Gallimard, (1943, 1948), 1997.
(6) André MALRAUX,  !
  II, 
    , Paris, Gallimard,
1976. 0  constitue la dernière partie du !
 , il a connu une publication séparée en
1974.
(7) Sur la genèse de p    et la période | , on peut se reporter à l'étude de Philippe
FOREST : ,  
p   , 1960-1982, Paris, Seuil, 1995, 654 p., (Fiction & Cie.).
(8) Jean CAYROL, & 8
, (1956) texte du documentaire réalisé en collaboration avec Alain
Resnais, Paris, Fayard, 1997, (Libres).
(9) Jean CAYROL, -, p. 105.
(10) Jean CAYROL, * ((
 , Paris, Neuchâtel/Paris, Baconnière/Seuil, 1947,
(Cahiers du Rhône), @(   (I) Dpremier volet de ce qui est annoncé comme une trilogie,  
   * (II), deuxième volet.
(11) Le terme « littérature » revient souvent dans le texte, et il s'accompagne du mot « art »: « cet Art
dont la nature est exceptionnelle et déroutante »,-, p. 72 .
(12) « Il n'y a pas d'histoire dans un romanesque lazaréen, de ressort, d'intrigue. Les personnages
avancent par bonds », -, p. 93.
(13) -, p. 8, 12, 71.
(14) -, p. 76.
(15) -, p. 97.
(16) Roland BARTHES : « La rature », postface à      D U.G.E., 1964, repris dans |  
 6   
 , éditions du Seuil, 1984, p. 211-220, p. 218.
(17) * , 11.
(18) Un conte de Jules SUPERVIELLE s'intitule @ #  et donne son nom au recueil qui le contient
(1946). Ce conte fut ensuite repris au sein d'un autre recueil en 1951 :      
(  
(19) @ # , tragédie de Jean COCTEAU, est créée en 1926 ; en 1949 l'auteur réalise un film qui porte
le même titre. Si les personnages sont les mêmes que ceux de la tragédie, l'orientation du film est
diamétralement opposée à celle de la pièce. Le film se caractérise en effet par une atmosphère grave
et conduit à la mort d'Orphée.
(20) Maurice BLANCHOT, |    , Paris, Gallimard, 1955.
(21) Rainer-Maria. RILKE, ;  @ #  (1923), |  
)(1922), une traduction française
de ces deux recueils par J.-F. Angelloz paraît en 1943 chez Aubier.
(22) Maurice BLANCHOT, « La littérature et le droit à la mort » (1947) dans ) IJIJ, Paris,
Gallimard, 1981.
(23) Maurice BLANCHOT, op. cit., p. 41. Ultime retournement, qu'on ne peut passer sous silence :
Blanchot reviendra à la figure de Lazare, dans |    , non plus pour figurer la littérature,
mais pour incarner l'acte de lecture, acte dont il voit un équivalent dans les paroles du Christ « Lazare,
veni foras », titre de ce passage : « Le livre est donc là, mais l'œuvre est encore cachée, absente peut-
être radicalement, dissimulée en tout cas, offusquée par l'évidence du livre, derrière laquelle elle
attend la décision libératrice, le 0 D(   Faire tomber cette pierre semble la mission de la
lecture : la rendre transparente, la dissoudre par la pénétration du regard qui, avec élan, va au delà. Il
y a, dans la lecture, du moins dans le point de départ de la lecture, quelque chose de vertigineux ()
le  miracle » de la lecture () Faire rouler, faire sauter la pierre, c'est là certes quelque chose de
merveilleux, mais que nous accomplissons à chaque instant dans le langage quotidien, et, à chaque
instant, nous nous entretenons avec ce Lazare, mort depuis trois jours, peut-être depuis toujours, et
qui, sous ses bandelettes bien tissées, soutenu par les conventions les plus élégantes, nous répond et
nous parle au cœur de nous-mêmes () », |, Paris, Gallimard, 1955, p. 257.
(24) Maurice BLANCHOT,  La littérature et le droit à la mort »,  ., p. 41.
(25) Jean CAYROL, -, p. 69, 71, 83.
(26) Maurice BLANCHOT, " 
, Paris, Gallimard, 1948.
(27) Jean CAYROL,   
:5 , Paris, Seuil, 1965, scénario, dialogues et réalisation en
collaboration avec Claude Êurand.
(28) Jean CAYROL, -, p. 70.
(29) Maurice BLANCHOT, |, p. 204.
(30) Jean CAYROL, -, p. 71.
(31) Jean CAYROL,  )  , , Bruxelles, Cahiers du Journal des Poètes, 1940 ; Maurice
BLANCHOT,  )  # , Paris, Gallimard, 1957.
(32) Jean CAYROL, -, p. 85.
(33) Maurice BLANCHOT, |, p. 205.
(34) Jean CAYROL, -, p. 83.
(35) Jean CAYROL, -, p. 89.
(36) Jean CAYROL, -, p. 92.
(37) Maurice BLANCHOT, |, p. 205.
(38) Charles VILÊRAC, 0 , p. 74.
(39) Jean CAYROL, -, p. 69.
(39 bis) Notre étude se concentre sur la réception immédiate de " Pour un romanesque lazaréen " ;
pour ce qui est de la réception plus contemporaine, quelques articles ou ouvrages se consacrent dans
les années 1990 à la question de l'impact et du statut de ce texte. On pourra se reporter aux propos de
Jean-Pierre SALGAS (ses articles, notamment : " Métamorphoses de Lazare, écrire après Auschwitz "D
"  , n°173, octobre 1992, p. 68-72 ; ou bien : " 1985, mai.;##, ou la disparition ", ) 
  % , Êenis Hollier éd., Paris, Bordas, 1993, pour l'édition française, p. 1005-1013 ;
mais aussi ses interventions orales, comme lors d'une émission radiophonique à l'occasion de la
publication du texte de & 8
: E  , France Culture, 23 janvier 1997). C'est
J.-P. Salgas qui initie dans ces travaux la comparaison entre la position de Blanchot et celle de Cayrol.
Plus récemment, une étude de Jacqueline LEVI-VALENSI souligne la portée ontologique du manifeste
lazaréen (" "Pour un romanesque lazaréen" de Jean Cayrol : une théorie ontologique du roman ",|

  D<D
  D (      
#  
, Andréas Pfersmann
éd., Paris, Caen, Lettres Modernes Minard, 1998). Enfin, la thèse de Marylène ÊUTEIL aborde la notion
d'écriture de témoignage en confrontant le manifeste de Cayrol à d'autres textes de Blanchot, Perec,
Antelme, Celan, Levi, Perec, Rousset (" #/0E
    , sous la direction de M. le
professeur Georges Molinié, décembre 1998, Université Paris IV - Sorbonne).
(40) Quelques exemples de ce type d'utilisation : André BLANCHET, K* ((
 , de
Jean Cayrol », |
, tome 268, n°2, février 1951, p. 200-212 ; Claude ELSEN, « Romanciers de
l'espoir », p -
, n°37, janv. 1951, p. 135-139 ; Carlos LYNES, « Jean Cayrol and « Le
Romanesque Lazaréen » », p. 108-117, .# ( # ( . L  #;
 , n°8, 1951,
108-117 ; Marie-Josèphe RUSTAN, « Jean Cayrol, romancier de l'espérance »,      , 24
ème année, juillet 1953, p. 37-51.
(41) Marie-Louise ÊUFRENOY, « Jean Cayrol et la littérature lazaréennne », - ( p   

  , XXXVI, printemps 1950, p. 56-64.
(42) André ROUSSEAUX, « Le héros lazaréen de Jean Cayrol »,    , 11 mars 1950, p.
2.
(43) Maurice BLANCHOT, « Les Justes », @ ( , 20 juillet 1950.
(44) Roland BARTHES, « Un prolongement à la littérature de l'absurde », D21 septembre 1950.
(45) Roland BARTHES, « La rature », p. 212.
(46) Roland BARTHES, « La rature », p. 214.
(47) Roland BARTHES, « Préromans », p. 417,  @ ( , 24 juin 1954, repris dans Roland
Barthes, C(  $ , t. 1 (1942-1965), p. 416-418.
(48) Roland BARTHES, « La rature », p. 219.
(49) Roland BARTHES, « Un prolongement à la littérature de l'absurde ».
(50) Roland BARTHES, « L'Espace d'une nuit », p. 423, | Dn°8, juillet 1954, p. 150-152, repris dans
Roland Barthes, C(  $ , t. 1 (1942-1965), p. 422-424.
(51) Roland BARTHES, « L'Espace d'une nuit », p. 422.
(52) Roland BARTHES, « Préromans », « Telle me paraît être la signification de l'œuvre de Jean Cayrol,
par exemple, qui est toujours une institution découverte de la Littérature », p. 416, l'expression
revient aussi dans « L'Espace d'une nuit », p. 422.
(53) Roland BARTHES, « L'Espace d'une nuit », p. 422.
(54) Ces expressions appartiennent soit au texte introductif, soit au chapitre « L'écriture et le
silence »,  )  0 
  DParis, Seuil, 1953 (articles parus dans   en 1947 et 1950).
(55) Roland BARTHES,  )  0 
  Dp. 31.
POUR CITER CET ARTICLE : MARIE -LAURE BASUYAUX , "LES ANNEES 1950 : JEAN CAYROL ET LA FIGURE ÊE
LAZARE", 6)||)|6pp|-"p7-|)"&;|;"&&||;23<=, URL :
HTTP://WWW.FABULA.ORG/COLLOQUES/ÊOCUMENT61.PHP
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´L'image doit sortir du cadreµ [1] donnait pour conseil Pachero au peintre Vélasquez, alors élève de
celui-ci, à Séville dans les premières années du Siècle d'Or. A l'instar de cette recommandation de la
surcharge, du débordement et de l'excès, il est, dans l'iconographie littéraire de notre second demi-
siècle, de ces images photographiques qui s'échappent, qui glissent hors du référent qu'elles sont
censées recouvrir, de ces photos qui précèdent voire dispensent de toute lecture, de ces illustrations
qui rendent le texte décoratif. Images qui, plus que des mots, participent de la création et de la
mythologie de la littérature ne valant plus elle-même que pour une image.
Ainsi de la célèbre photo dite de Minuit présentant les Nouveaux Romanciers en 1959, photo prise
devant la maison d'édition et qui vaut pour l'acte de naissance de ce que l'on a nommé le ´Nouveau
Romanµ [2]. Comme happé, en effet, par sa propre fascination pour les images, qu'elles se présentent
comme autant de tableaux ou autres gravures dans )  # d'Alain Robbe-Grillet [3], ou
comme autant de cartes postales dans ,  de Claude Simon [4], le Nouveau Roman est
essentiellement connu, reconnu et reconnaissable au travers de ce cliché qui figure dans presque
toutes les anthologies de littérature du XXe siècle, et participe de l'élaboration d'une certain
imaginaire de l'écriture et de la littérature. Une image qui mettrait en mouvement un imaginaire. Êe
fait, dans les années cinquante, l'idée de littérature passerait par l'image, l'iconographie à laquelle
celle-ci peut renvoyer. Une image, en somme, pour donner une idée. A tel point qu'initier ou
poursuivre le geste d'écriture reviendrait peut-être à se placer pour ou contre cette photo.
Pourtant, loin d'être pour certains une irréfutable photo d'identité, cette image ne ferait que pointer,
en vérité, vers le caractère factice et hétérogène de tout regroupement possible sous l'étiquette
´Nouveau Romanµ. Selon d'aucuns, en particulier, les historiens de la littérature qui ont investi la
question tels Nelly Wolf, il ne s'agirait en rien d'une preuve par l'image. Se défiant des apparences,
cette photo serait plutôt un simulacre affirmant et confirmant, toujours d'après Nelly Wolf, qu' ´Avec
le recul, le ´Nouveau Romanµ apparaît comme une formule mise au point par des critiques de revue,
avalisée par une maison d'édition, et reprise en dernier lieu par les écrivains concernés.µ [5]. Il
s'agirait, partant, d'une image à dessein qui ferait incidemment redécouvrir le caractère étymologique
du Dterme utilisé par Roland Barthes pour désigner le référent photographique dans ses
qualités fantomatiques de vacuité matérielle [6].
Mais s'agit-il réellement d'un tel miroir vide ? Ne peut-on pas trouver une vérité à ce cliché ? Faut-il
suivre ce paradoxe de l'histoire littéraire qui, se fondant sur les faits, invite à se méfier d'eux ? La
question qui, en définitive, est posée ici à travers cette photo Minuit, cette photo de classe qui ne
désignerait aucune école, c'est, en fait la détermination critique de la notion de groupe littéraire :
convient-il ainsi de faire jouer le textuel contre le factuel ? Et, de manière plus large, peut-on
résolument aborder une littérature et ses reflets iconographiques armé de concepts et de notions que
ces écrivains remettent en question voire refusent ? Au regard de récits qui livrent et délivrent une
vérité des images fictives où, par exemple, une carte postale s'anime, peut-on maintenir ce paradoxe
d'une photographie n'apportant aucune preuve ? Ne faudrait-il pas bien plutôt retourner ce
retournement et revenir à une pensée endoxale dont le paradoxe consisterait à étreindre avant de
l'éteindre ce paradoxe même ? Ces romans pourraient-ils faire sortir de l'ombre ce cliché nocturne et
permettre de l'appréhender à la lumière, toute baroque, du négatif ?
S'esquissent alors trois moments possibles dans cette saisie de la photo Minuit. Le premier consiste à
apercevoir cet instantané de l'école de Minuit, procéder à un arrêt sur image, et laisser se dessiner
cette photo. Le second montrera, quant à lui, le caractère nocturne de ce cliché, ou comment il revêt
les traits d'un roman-photo sur le Nouveau Roman. Enfin, il s'agira de renverser ce retournement et
saisir une vision réfléchie ou un négatif de l'histoire dont le Baroque détient la clef, ou pourquoi le
Nouveau Roman autorise, en fait, la vérité d'un tel cliché.
 *c 


c (+c &

A l'imitation des personnages néo-romanesques tel Jacques Revel dans | 
  de Michel
Butor [7], il convient de se livrer à une ecphrase, pourrait-on dire, de cette photographie, déjà
médiatisée mimétiquement par l'oeil photographique. Même si, ainsi que nous le laissions entendre, ce
cliché est célèbre mais finalement pas célébré, il vaut peut-être mieux en exposer à nouveau une
ecphrase, décrire encore un instantané, dirait Robbe-Grillet [8], devenu inséparable de cette école du
regard, de cette mouvance qui a accordé tant d'importance à la folie du voir. Traçons l'histoire de
cette photo historique.
Il s'agit, en premier lieu, d'une photographie de 1959 faite à la demande du magazine
italien |  Dmagazine grand public et à large diffusion, afin d'illustrer un article portant sur l'état
de la littérature française contemporaine, et de mettre une image qui vaudrait pour un visage sur ces
noms qui faisaient tant parler d'eux, même   . La photo est ainsi prise à l'initiative de Mario
Êondero qui choisit de réunir certains de ces écrivains devant le siège de cette maison d'édition
paraissant, selon lui, incarner le mieux cette idée du renouvellement de la littérature : les éditions de
Minuit. Il place de fait leur directeur presque au centre de la dite photo, Jérôme Lindon. La
composition s'ordonne autour de lui et dessine une scénographie dont il faut, maintenant, tracer les
pas et deviner les empreintes.
Sont présents de gauche à droite - et de droite à gauche tant la photo n'est jamais présentée dans le
même sens, le négatif se trouvant sans cesse inversé d'une anthologie l'autre - : Claude Ollier, Nathalie
Sarraute, Samuel Beckett, Robert Pinget, Jérôme Lindon, Claude Mauriac, Claude Simon , enfin,
conversant avec Alain Robbe-Grillet qui ferme la marche et le cadre. Cette scénographie tend à
produire une sémiotique de la place de chacun au sein de ce qui apparaît dans l'objectif de Êondero
comme un groupe constitué. Claude Ollier, de la sorte, pose un pied sur la route, un autre sur le
trottoir. Nous sommes en 1959 : il vient d'obtenir le prix Médicis pour son premier roman !  
$ . Il paraît considérer d'un oeil distant tous et toutes : son prochain livre,  ! 


 Dne sortira pas, en effet, chez Minuit qui le refusera mais chez Gallimard. Nathalie Sarraute,
ensuite, semble comme seule, isolée, les mains glissées dans les poches de son imperméable,
attendant peut-être que le temps passe, ou retirée dans les franges de son infra-conscience, de ses
sous-conversations, cherchant à traquer les tropismes. Plus vraisemblablement, elle s'interroge sans
doute sur sa présence devant une maison qui n'a jamais publié qu'un seul livre d'elle, p   repris,
de surcroît, à Êenoël. Samuel Beckett et Robert Pinget, écrivains aux écritures proches dans la mesure
où le second s'est toujours réclamé du premier - sans que le contraire se produise, sont ici
naturellement placés l'un à côté de l'autre. Jérôme Lindon est, quant à lui, le plus grand d'entre eux.
Placé devant la porte de sa maison comme un gardien devant un temple, il surveille l'entrée de la rue
comme s'il se prenait à regarder si de nouveaux auteurs n'arrivent pas... Claude Mauriac, à ses côtés,
tente de monter sur le trottoir. Sa position est inverse de celle de Claude Ollier qui cherche à en
descendre. Mauriac prend, en quelque sorte, le train en marche, lui qui a publié un an plus tôt un essai
consacré au Nouveau Roman, "     . Selon toute apparence, il regarde là où il
met les pieds, prend les précautions nécessaires à tout théoricien et dirige son regard sur lui-même
comme pour venir mimer cette position de réflexion et de réflexivité inhérente à tout travail
d'essayiste. Enfin, Claude Simon et Alain Robbe-Grillet sont à l'écart. Ils discutent entre eux même si,
sans surprise, Robbe-Grillet paraît penser à autre chose pendant que Simon s'adresse à lui.
Êe manière générale, la photo semble choisie parce qu'aucun d'entre eux ne regarde dans la même
direction comme pour suggérer qu'il s'agit là d'un groupe aux individualités fortes. Enfin, quelques
absences sont significatives. A commencer par celle de Marguerite Êuras que le photographe n'a
résolument pas convié. Absence notable également de Michel Butor pris au piège, semble-t-il, de sa
propre oeuvre et occupé au moment où Êondero déclenche son flash à voyager pour venir nourrir ses
génies du lieu. Absence encore, pour finir, de Jean Ricardou reculé à cette époque dans les limbes.
Mais il semblerait que cette photo ait subi une interprétation antithétique au souhait herméneutique
premier de Êondero : elle n'illustrerait pas pour beaucoup ce Nouveau Roman en question mais
masquerait ses auteurs qui, en réalité, n'en feraient pas partie et seraient loin de former un groupe.
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Prise pour l'acte de naissance et voulant signifier - au mépris de son référent - que le Nouveau Roman
est un ensemble fini, cette photographie apparaît, en fait, comme un cliché au sens de stéréotype, et
une contre-vérité sur le Nouveau Roman en tant qu'école. Loin de mettre en lumière le Nouveau
Roman, ce cliché rejetterait dans l'ombre une supposée  # textuelle. C'est la position défendue
par Roger-Michel Allemand dans  &( -, ouvrage au sein duquel il propose un
commentaire de la photographie en question. Il indique ainsi : ´A moins de souscrire à la belle formule
de Claude Mauriac, qui intitule un de ses articles ´Le Nouveau Roman ? L'école de l'amitiéµ (  
D2µ juillet 1958), le Nouveau Roman en tant qu'Ecole ressortit plus au mythe ou au fantasme
littéraire qu'à autre chose. Il ne faut donc pas se fier à l'illusion du cliché de 1959 censé réunir les
Nouveaux Romanciers devant le siège des éditions de Minuit.µ [9]. Pour conclure à l'évidence de cette
supercherie : ´[...] cette photo constitue aujourd'hui un véritable cliché intellectuel, car c'est à partir
d'elle que le lieu commun s'est répandu de mettre sous le vocable ´Nouveau Romanµ les personnes qui
s'y trouvaient.µ [10]. Il ne s'agirait donc en rien d'un instantané robbe-grilletien si bien que ce sur quoi
insistent Roger-Michel Allemand ou Nelly Wolf encore, c'est sur ce caractère de mise en scène qui a
présidé à une telle composition, terme revêtant ici son plein sens théâtral. Ce cliché reposerait, en
conséquence et en vérité, sur ce qu'il conviendrait de désigner comme une fausse p# : la
contingence souveraine nécessaire à toute épreuve (photographique) se verrait déjouée ici dans une
telle démarche, remettant en cause ce que Roland Barthes désigne comme ´la p# Dl'Occasion, la
Rencontre, le Réel dans son expression infatigableµ [11]. Ce qui disqualifie cette photographie en tant
que preuve par l'image est précisément son caractère artificiel et, somme toute, sa construction
fictionnelle. La photo Minuit serait un photo-montage.
Elle n'imposerait aucune vérité dans la mesure où elle aurait fabriqué son I Dson moment
opportun. L'ensemble du dispositif paraît bien plutôt renvoyer ici à l'étymologie
du photographique, celui que Roland Barthes désigne encore dans la révélation
photographique comme ´la cible, le référent, sorte de petit simulacre, d' 
Mémis par l'objet, que
j'appellerais volontiers le ; de la Photographie, parce que ce mot garde à travers sa racine un
rapport au ´spectacleµ et y ajoute cette chose un peut terrible qu'il y a dans toute photographie : le
retour du mort.µ [12]. Le référent s'y fait fantomatique et pointe vers sa propre feinte, son propre
leurre. Ces Nouveaux Romanciers, partant, cette constellation nébuleuse d'écrivains disparates
apparaissent comme un coup médiatique, comme un coup de force éditorial sans fondement. Il s'agirait
là de l'antithèse même de la Nature que réclame le caractère instantané intrinsèque à la saisie
photographique. Le trajet se verrait renversé : loin de présenter une photo du Nouveau Roman, le
cliché exhiberait un nouveau roman-photo. La photo Minuit jette ainsi dans l'obscurité et l'obscuration
de la chambre noire le geste même du photographe : l'image est annulée ici en tant qu'elle est ´toute
entière lestée de la contingence dont elle est l'enveloppe légère et transparente.µ [13]. Elle se
présente, dès lors, sous le jour ô combien trompeur et nocturne d'un trompe-l'oeil. Êe fait, se produit
dans les considérations critiques dénigrant l'image par le texte et l'image au nom du texte, une mise en
garde contre le caractère fictionnel et fictif de cette réunion qui ne résisterait pas à la lecture de ces
Nouveaux Romans en question... La pluralité inhérente aux diverses pratiques scripturales d'un Simon
ou d'une Sarraute, par exemple, se voit tout simplement annulée comme ne manque pas d'insister Nelly
Wolf au point qu¶on ´n¶en finirait pas de détailler les signes qui séparent les nouveaux romanciers, et
qui sont sans doute plus nombreux que ceux qui les unissent.µ [14].
Pourtant, et partant, une telle considération factuelle et historique aboutit à une ecphrase lacunaire
dont le caractère périégétique aurait été retranché [15], c'est-à-dire ce caractère qui permet de
conduire autour de l'image et qui peut en faire, comme le Vitrail de Caïn dans | 
  de
Butor, un adjuvant narratif voire une métaphore diégétique de l'ensemble de celui-ci. Le 
ne
pourrait renvoyer dès lors qu'à un ne pointant qu'en direction du Vide et du Néant... [16]
,*
 +
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&%c ) +

Mais l'ensemble de ces réactions paraissent poser une question de méthode comme nous le laissions
entendre. Une telle interprétation, somme toute, cartésienne et platonicienne, des dangers d'une
image, de ses leurres au regard du concept, ne va-t-elle pas contre le discours tenu par le Nouveau
Roman lui-même ? Peut-on analyser cette mouvance littéraire au moyen de concepts que les récits de
celle-ci battent en brèche ? Ne convient-il pas, bien au contraire, se défier de cette pensée qui se
défie des apparences pour accorder, comme le fait Robbe-Grillet, une profondeur à tout trompe-l'oeil ?
Faut-il jouer l'endoxal contre le paradoxe ? Il s'agirait alors de retourner la photo, de l'inverser pour
tirer la lumière du négatif...
Plus qu'un cliché au sens de stéréotype, la photo Minuit , du titre d'une nouvelle d'Alain Robbe-Grillet,
pourrait apparaître comme une vision réfléchie [17], à savoir une vision qui donnerait à réfléchir et
reflèterait le Nouveau Roman. Cette photographie donne peut-être à apercevoir la césure
épistémologique qui s'opère dans les considérations herméneutiques néo-romanesques. Un discours
périégétique semble être, en réalité, possiblement tenu et non ténu. Un se dessine et désigne
le rôle et la place que la paraît devoir tenir dans la saisie interprétative des faits, des gestes et
des textes : l'  du Nouveau Roman tiendrait dans une fiction généralisée. Êans ( 
DRobbe-Grillet n'avance-t-il pas que ´le vrai, le faux, et le faire-croire sont devenus plus ou
moins le sujet de toute oeuvre moderne.µ [18]. La considération, en vérité, de cette épreuve
photographique rejoue, comme par mimétisme, la question, omniprésente dans les romans des
écrivains présents sur le cliché, de la possibilité d'une#$  à partir d'une $  de la culture qui
s'offrirait ouvertement et sans ambages comme une fiction de la feintise. La fiction, entendue comme
par Michel Foucault telle ´la nervure verbale de ce qui n'existe pas, tel qu'il estµ [19], peut se parer
d'un caractère cognitif. L'approche de cette photographie ne peut-elle ainsi pas s'effectuer sur le
modèle qui préside à celles exposées dans le Nouveau Roman, Nouveau Roman qui fait reposer ses
descriptions comme un certain XVIIe siècle sur une rhétorique des peintures ?
A l'instar de ce que prônait déjà le père Etienne Binet dans son | 
 (   par la
recommandation de l'usage d'ecphrases successives, il faut peut-être prendre en considération ces
personnages néo-romanesques qui tiennent les images fabriquées qu'ils aperçoivent comme autant de
vérités. Ainsi de Jacques Revel dans | 
  de Butor face au tapisserie de Thésée et au
Vitrail de Caïn, de Mathias du  de Robbe-Grillet face à l'affiche désignant le caractère effectif
de son meurtre fantasmatique, il faudrait envisager cette photo Minuit du même oeil qu'un monsieur
Songe, par exemple, dont la frénésie oculaire apparaît révélatrice de la perturbation des degrés
mimétiques inhérente au Nouveau Roman. Robert Pinget écrit, de fait, à propos de son personnage :
´Monsieur Songe est né méditatif. Il investit les images ou les confond suivant les yeux qu'il ouvre, ceux
du dehors ou ceux du dedans. Ê'où les invraisemblances relatives aux paysages qui lui sont familiers.
Une aquarelle très fluide pour suggérer les illusions de la mémoire.µ [20]. Le roi Architruc du même
Pinget parle encore au sujet de cette qualité même du réel à être et à faire image des ´gens [qui]
n'ont que des images devant les yeux.µ [21]. Privilégiant, selon une expression de Pinget, ´l'aire des
simulacresµ [22] telle qu'il l'entend dans  Dce  rejoint, en définitive, l'attention
portée par l'esthétique baroque - que le Nouveau Roman redécouvre et aide à re-construire - à l'illusion
et à ses capacités de #$   si bien qu'envisagée sous un regard baroque et proprement néo-
romanesque, la photo autorise l'existence du groupe en question. A propos de Leibniz dans  
 0   , Gilles Êeleuze suggère une définition du Baroque qui pourrait servir à lire
également le trompe-l'oeil de la photographie Minuit , et ouvrir à celle-ci une nouvelle piste
interprétative, fort de ce que ´Le propre du Baroque est non pas de tomber dans l'illusion ni d'en sortir,
c'est de   quelque chose dans l'illusion, ou de lui communiquer une   spirituelle.µ [23].
Ou comme l'annonce encore de manière plus lapidaire un personnage de Rotrou dans ce qui pourrait
conjointement servir d'aphorisme au Baroque et au Nouveau Roman : ´J'en sens la fiction comme la
chose même.µ [24]. En conséquence, une telle misologie de la fiction, c'est-à-dire une méconnaissance
néo-romanesque de la raison comme principe, invite à reconsidérer cette photo Minuit. Elle peut être
incidemment tenu pour preuve si l'on admet que le Nouveau Roman est une fiction, que le groupe du
Nouveau Roman est un objet fictif s'affichant et s'affirmant, tel un reflet de ses travaux, comme tel. Le
caractère fictif du groupe constitue alors sa vérité. Faire resurgir le spectre du Baroque devient
nécessité pour que le photographique advienne à Minuit.
En définitive, cette photo Minuit, si elle s'imprègne des présupposés néo-romanesques et néo-
baroques, apparaît comme une entrée possible dans le labyrinthe du Nouveau Roman, et non une
sortie... Ce cliché ouvre et met en lumière des liens incidents avec le XVIIe siècle, entraîne dans un
vertige baroque de l'image et de l'histoire que les faits n'épuisent pas. L'ecphrase se voit alors soulevée
par une hypotypose dans laquelle la photo en vient à prononcer le roman du Nouveau Roman et du
Baroque. Le texte prend alors la pose : le génie de la littérature passe aussi dans sa photogénie.
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[1] Cité par Michel FOUCAULT,  !   # 7 #  
   # DParis,
Gallimard, collection ´Telµ, 1990, p. 24.
[2] Lien Internet vers la photo Minuit :
[3] Alain ROBBE-GRILLET, )  # DParis, Minuit, 1959.
[4] Claude SIMON , ,  DParis, Minuit, 1967.
[5] Nelly WOLF, 7     #  |   &( -DGenève, Êroz, 1995, p. 15.
[6] Roland BARTHES, #  in @ (  $ DD( D + D    D23NN
234=DParis, Seuil, 2002, p. 795.
[7] Michel BUTOR, | 
  DParis, Minuit, 1956.
[8] Alain ROBBE-GRILLET, 6  DParis, Minuit, 1962.
[9] Roger-Michel ALLEMANÊ,  &( -DParis, Ellipses-marketing, collection ´Thèmes et
étudesµ, 1996, p. 21.
[10] 6
Dp. 22.
[11] Roland BARTHES, #  D Dp. 792.
[12] 6
Dp. 795.
[13] 6
Dp. 792.
[14] Nelly WOLF, 7     #  |    &( -D Dp.33. Voir
également ce qu'elle affirme 
Dp. 32 : ´Le rassemblement des nouveaux romanciers était d'une
extraordinaire hétérogénéité, au point que certains rapprochements et côtoiements ont pu paraître et
paraissent toujours incongrusµ.
[15] Bertrand GIBERT,  8   % DParis, Armand Colin, 1997, pp. 176-177 : ´ Le
préfixe J[d' J #  ] peut suggérer qu'il s'agit d'un morceau détachable - qui peut sortir du texte,
comme l'emblème - mais aussi +plicatif : plus qu'une simple description, l' J #  est un véritable
parcours de l'oeuvre, une visite accompagnée, ´un discours périégétique [qui ´conduit autourµ] qui
met sous les yeux ce qui doit être montréµ disait déjà l'ancienne rhétorique.µ.
[16] Roland BARTHES, #  D Dp. 807.
[17] Alain ROBBE-GRILLET, ´Trois visions réfléchiesµ in 6  D 
[18] Alain ROBBE-GRILLET, ( DParis, Minuit, collection ´Critiqueµ, 1963, p. 129.
[19] Michel FOUCAULT, ´Êistance, aspect, origineµ in Michel FOUCAULT, )    6D23<F
23N<DParis, Gallimard, collection ´Quartoµ, 2001, p. 308.
[20] Robert PINGET, !  ; DParis, Minuit, 1981, p. 31.
[21] Robert PINGET, 8DParis, Minuit, 1958, p. 44.
[22] Robert PINGET,  DParis, Minuit, 1971, p. 60.
[23] Gilles ÊELEUZE,   0   DParis, Minuit, Collection ´Critiqueµ, 1988, p. 170.
[24] Jean ROTROU   DIII, 4 cité par Jacques MOREL, * -D
 
O DPais,
Armand Colin, 1968, p. 21. On peut également renvoyer ici à ce comédien vaincu par son rôle qu'est le
saint Genest du même Rotrou évoqué par Jean Rousset dans 6    +  |   
    # 5 
P66  $ DParis, José Corti, 1968.
POUR CITER CET ARTICLE : JOHAN FAERBER , "LA PHOTO MINUIT, ÊU CLICHE NOCTURE A LA LUMIERE ÊU NEGATIF", 6)||
)|6pp|-"p7-|)"&;|;"&&||;23<=, URL : HTTP:// WWW.FABULA.ORG/COLLOQUES/ÊOCUMENT64.PHP
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Si la période 1950-1960 voit une mutation essentielle du théâtre du second demi-siècle, l'année 1953,
occupe, relativement à cette mutation, une place importante. C'est une année pivot : le Nouveau
théâtre a fini de naître pour entrer véritablement dans le paysage dramatique ; parallèlement, la
première vague de décentralisation se termine, et le T.N.P. trouve sa place. C'est pourquoi j'ai choisi
d'étudier une année civile, et non une « saison » telle que la pratiquent la plupart des théâtres, de
l'automne au début de l'été suivant : la décentralisation a pour pendant un décloisonnement de la
temporalité d'usage du théâtre, pendant l'été notamment - à Avignon, mais pas seulement. 1953 est
bien sûr « l'année :
 » : considérer la première de cette pièce, dont on vient de fêter le
cinquantenaire, comme un point aveugle en regard duquel lire la production dramatique de l'année,
permet de mesurer l'étendue de la gamme. L 'année 1953 montre des synchronies paradoxales, des
contemporanéités de fait et non d'esprit, qui dressent un panorama extrêmement contrasté, de
Beckett à Roussin en passant par Anouilh : c'est comme une référence à l'un des grands succès de
Roussin,     1Dqui se joue encore en 1953, qu'il faut comprendre le jeu de mots du
sous-titre. Je vais faire un rapide tour d'horizon du paysage théâtral français en 1953 - tendances de la
production et état des structures de création - avant de commenter quelques uns des événements de
cette année (en termes d'histoire du théâtre, mais aussi selon leur retentissement dans l'actualité de
l'époque), en m'appuyant sur la chronologie jointe.
¢+ (+
;

( 

Le panorama de la production dramatique en 1953 semble extrêmement clivé. Ê'un côté, un théâtre
traditionnel, héritier de l'entre-deux-guerres, constituant la toile de fond sur laquelle s'inscriront les
innovations. Êe l'autre, ces dernières, de nature diverse. Êans le premier cas, les critères esthétique et
économique sont liés : cet ensemble constitue le théâtre « qui marche ». Le succès public est
alimenté, plus que confirmé, par la sanction des critiques de la presse quotidienne, notamment
Gautier pour   et Kemp pour  !
Dpar le biais des comptes-rendus de générales, billets
d'humeur plus que véritables analyses. Ce théâtre à succès traditionnel est constitué de deux grands
pans, le théâtre littéraire d'auteurs, au premier rang duquel Anouilh et Salacrou, et le théâtre de
boulevard. La production de ce dernier est foisonnante, mais relativement homogène, même si peu de
dramaturges sortent du lot. Trois générations coexistent : la plus contemporaine, dont Roussin est le
chef de file, voit arriver de jeunes auteurs qui signent là leur première ou seconde pièce, tandis qu'on
continue à jouer les maîtres de l'avant-guerre. Ce « ménage à trois » générationnel montre la vitalité
du genre autant qu'il souligne la perpétuation, dans la continuité, d'un art théâtral d'avant-guerre, et
ce malgré les tentatives plus ou moins heureuses de rénovation.
Certes, Anouilh n'est pas Roussin. Mais il s'agit dans les deux cas d'un théâtre « bourgeois », au succès
assuré par la même presse quotidienne : théâtre littéraire et boulevard honorable partagent au moins
une partie de leur public, le lectorat du !
 et surtout du . Cette critique promeut une
double conception , le théâtre-littérature des grands auteurs et le théâtre-divertissement de la
comédie légère « sans prétention ». Au-delà, elle assimile presque ces deux types de productions en
usant de critères d'appréciation communs, celui de la « belle langue » et celui du « métier »
notamment. Associés à celui du « bon goût » et du sens de la mesure, ils contribuent à édifier une
morale à la fois sociale et esthétique. La critique dramatique n'est certes pas confinée à celle des
quotidiens en 1953, et nous y reviendrons notamment à propos de la naissance de p# 5    .
Mais, déjà, la presse hebdomadaire dépasse cette dimension (contre-)publicitaire, le rythme de
parution lui permettant une plus grande distance avec l'événement. Ce faisant, elle s'ouvre au théâtre
de recherche, tout en gardant sa place au théâtre « littéraire ». C'est par exemple le cas de la
chronique assurée par Jacques Lemarchand dans    .
Cependant, le théâtre de recherche constitue un autre monde, vivace et protéiforme. La différence
est d'abord générationnelle : de jeunes auteurs, pour un public et des « réalisateurs » plus jeunes eux
aussi. En ce qui concerne le « nouveau théâtre » plus précisément, le mouvement est amorcé depuis
1950 (1). Il se joue d'abord confidentiellement, dans les salles « de poche » de la rive gauche. Les
débuts sont lents : il n'attire pas le public. La critique balance entre indifférence et indignation. Elle
réduit l'« absurde » de ce théâtre à son incompréhensible, Gautier en tête. Ce « théâtre sans action
[...], circulaire [...], [qui] brise le système d'attente du spectateur », donne l'impression « de ne pas en
être » (2) et peut passer pour une vaste plaisanterie. Mais, en 1953, la phase initiale de mutation
s'achève, les nouveaux dramaturges sortent de l'ombre, même s'il faudra attendre la fin de la décennie
pour qu'ils soient consacrés. Trois nouvelles pièces d'Adamov et une de Ionesco sont créées, mais c'est
surtout l'année du « choc » Godot , institutionnel autant qu'esthétique, puisque c'est le premier succès
public de ce théâtre, immédiatement et sans la moindre publicité. L'expression attendre Godot finira
même par entrer dans la langue. La réception critique est également très bonne, et c'est la
concomitance de ces deux types de sanction qui fait de l'événement une étape majeure dans le
développement du « Nouveau théâtre ». Tous les critiques, ou presque, mettent l'accent sur l'insolite
de la pièce, mais ils ne crient plus au canular : cette fois-ci, « c'est du théâtre ». Les pairs de Beckett,
également, le reconnaissent pour un des leurs, et des plus brillants. Si la part de ce théâtre dans
l'ensemble de la production reste marginale en 1953, l'époque commence néanmoins à s'ouvrir aux
innovations, et ces auteurs à se faire une place.
Le renouveau à l'ouvre met également sur la scène des auteurs tels que Ghelderode, Pichette,
Êubillard, qui en constituent d'une certaine façon les franges poétiques, même si c'est selon des
modalités très diverses, et même si ces écritures sont pour certaines antérieures au « nouveau
théâtre » proprement dit. La nature du « théâtre poétique » en 1953 ne laisse d'ailleurs pas d'être
problématique. Il oscille entre une réactivation qui doit notamment au surréalisme, représentée par
ces marges, une lignée poético-philosophique qui lorgne vers le théâtre « bourgeois » comme vers
l'avant-garde (Audiberti), une tradition littéraire qu'alimente la création posthume de pièces de
Giraudoux, et une certaine « contre-tradition », si l'on peut parler ainsi de Claudel, créé tardivement
comme on le sait, et en 1953 encore par Barrault. Celui-ci, en mettant à la fois Claudel et Giraudoux à
l'affiche de Marigny, donne un bon exemple de son éclectisme tout en se faisant représentatif de cette
nébuleuse qu'est le théâtre poétique en 1953. Significativement, l'adjectif    prend des sens
très divers sous la plume des critiques, signifiant aussi bien la continuation d'un art dramatique de
texte, littéraire, que l'aspiration à de nouvelles expressions, spécifiquement théâtrales.
Si l'on voulait malgré tout trouver un dénominateur commun à l'ensemble de la production théâtrale,
ce serait sans doute celui de l'auteur, et du texte. Le théâtre littéraire imprègne encore fortement la
scène française, et nombreuses sont par ailleurs les adaptations de romans. Mais le règne d'un théâtre
d'auteurs emprunte aussi des voies plus originales. En particulier, un rapport fécond au répertoire est
instauré par la nouvelle génération de praticiens, qui l'élargissent ou le revitalisent par le biais de
reprises innovantes : par prudence parfois, pour contrebalancer une programmation audacieuse, mais
surtout par goût de l'éclectisme et par conviction. Au-delà, le renouveau théâtral lui-même met au
premier plan l'auteur et le texte. Paradoxalement, certes, puisque ici le théâtre cesse d'être considéré
comme un des territoires de la littérature, la partition textuelle y acquérant sa spécificité, qui lui fait
contenir en germe la représentation. Cependant , c'est bien à partir du cour même du langage, en
crise, que se fait la subversion. Par ailleurs, il s'agit avant tout de l'avènement d'une nouvelle
génération d'auteurs. Le rôle des metteurs en scène est essentiel, mais surtout en tant
qu'« animateurs », découvreurs et promoteurs infatigables de nouvelles expressions.
La mise en scène est donc épurée dans les théâtres de poche. Au-delà de la prééminence du texte, il
s'agit plus généralement de rompre avec le « décorativisme » pratiqué par le théâtre commercial. C'est
d'ailleurs un point commun entre la rive gauche et le T.N.P. des débuts ; mais, à Chaillot, le
dépouillement répond à un idéal de transparence (les « régies »), alors qu'au Quartier Latin il s'agit de
mettre en place une nouvelle poétique de l'espace fondée sur la littéralité, bien que minimale : l'arbre
de :
 constitue le seul élément de décor, mais c'est un arbre « réel », qui se couvre de feuilles au
second acte. Mais le dépouillement de la mise en scène rive gauche obéit aussi à des impératifs
économiques. Si tous les facteurs inter-agissent nécessairement au théâtre, c'est encore plus le cas ici.
Le facteur économique, contraignant la taille de ces salles, commande dans une certaine mesure le
spectacle : des pièces à texte, au personnel réduit, jouées dans une mise en scène dépouillée.
  (  

Si l'auteur et le texte constituent en un sens un dénominateur commun à l'ensemble de la production,


l'examen des conditions matérielles de la pratique met en effet bien plutôt l'accent sur des divergences
profondes. Apparaissent de nouveaux usages du théâtre, un nouveau rapport au fait théâtral comme
acte social.
La vie théâtrale parisienne montre une forte opposition rive droite / rive gauche. Les premières salles
de la rive gauche sont fondées sur le refus du théâtre commercial représentées notamment par les
grandes salles de boulevard de la rive droite (Nouveautés, Ambassadeurs, Variétés, Gymnase,
Madeleine, Renaissance, Michodière, Potinière.), solidement implantées, parfois depuis le IInd Empire.
Le directeur (souvent la directrice) est un personnage puissant, même si généralement ce n'est pas lui
qui assume les risques financiers. Le cinéma empiète sur le terrain du boulevard, mais ces salles se
portent plutôt bien (au moins les plus célèbres). Êepuis l'avant-guerre, de vastes empires se
construisent sur plusieurs générations, souvent dans des familles de comédiens ou de dramaturges.
Êe l'autre côté de la Seine, de toutes petites salles, qui connaîtront un développement foisonnant dans
la suite de la décennie : mais c'est autour des premières (fondées depuis l'après-guerre jusqu'en 1953-
1954 justement) que la dynamique sera la plus féconde. Les directeurs de ces salles (Huchette, Poche,
Noctambules, Quartier Latin, Babylone) semblent, paradoxalement, avoir pour point commun avec
ceux du boulevard de ne généralement pas produire les pièces. Mais ici, pas de producteur privé pour
assurer les dépenses : c'est à l'auteur et au metteur en scène que revient la tâche de réunir les fonds.
Ils s'investissent eux-mêmes financièrement, comme, souvent, les comédiens. L'aide à la première
pièce (que reçoit :
) est difficile à obtenir et de toute façon largement insuffisante. On limite les
frais de mise en scène, mais il faut au minimum pouvoir payer la location d'une salle pour la durée
minimale légale (30 représentations d'affilée). Ces petites salles bon marché, qui sont à l'origine des
magasins, cinémas ou night-clubs, et où l'on ne joue d'ailleurs pas que l'avant-garde, sont autant de
lieux d'accueil passagers. Il est rare que les animateurs-metteurs en scène soient directeurs de salles,
même si l'itinéraire de certains est intimement lié à un théâtre (en 1953, Vitaly vient de quitter la
Huchette, dont il était directeur artistique, pour le Théâtre La Bruyère). Et, lorsque c'est le cas, on est
bien loin des empires commerciaux de la rive droite. Ainsi, l'éphémère Babylone est une coopérative :
Serreau n'y est pas seul maître à bord.
Cependant, malgré ce clivage socio-esthétique fort entre les deux rives, des points de passage
demeurent, à plusieurs niveaux. La règle rive gauche - petite salle avant-garde (   rive droite -
grande salle théâtre commercial ou traditionnel souffre d'abord des exceptions, dans les deux sens : la
rive droite compte notamment deux théâtres de poche, le Nouveau Lancry et surtout le Studio des
Champs-Elysées, dirigé depuis la Libération par Jacquemont, qui y fait jouer aussi bien des comédies
musicales que l'avant-garde. Plus généralement, les répertoires se croisent entre rive droite et rive
gauche. Beaucoup de théâtres de la rive droite, hormis ceux qui se consacrent exclusivement au
boulevard, ont une programmation très mêlée, qui s'explique certes, pour une part, par le fait que ces
théâtres mettent à l'affiche « ce qui marche » - peu importe quoi (les ouvres ne sont jouées qu'une fois
consacrées) -, mais qui n'en est pas moins significative d'une certaine circulation du théâtre. Au-delà, il
reste, rive droite, quelques derniers vrais directeurs privés : ils sont rares, tant les animateurs, soit se
tournent vers la rive gauche, soit, dans une moindre mesure en 1953, participent au mouvement de
décentralisation en province. Ce sont eux qui assument les risques financiers. Ils sont directeurs du
lieu, mais aussi d'une troupe, fidèles à l'esprit du Cartel et de Copeau. Barsacq entretient la réputation
mythique de l'Atelier. Au théâtre La Bruyère et à Marigny, Vitaly (venu de la Huchette) et Barrault,
sont deux directeurs éclectiques, deux passeurs, entre les deux rives, entre les classiques et les
modernes et, pour le second, entre les arts.
Autre point de passage : entre la rive gauche et le T.NP. des débuts. Les pratiques, bien que
fortement contrastées, semblent au départ entrer en résonance plus que s'opposer. Mais il s'agit plus ici
de refus et d'ambitions partagées que d'une circulation effective : même rejet radical du théâtre
commercial, du « décorativisme », de l'illusion réaliste, même respect du texte, mais aussi intérêt
commun pour la création contemporaine. Les nouveaux auteurs ne sont pas étrangers à Vilar : il les a
montés rive gauche avant le T.NP. et tente de les imposer à Chaillot. Cependant, cet intérêt ne sera
pas véritablement concrétisé : ils ne remplissent pas l'immense salle (2700 places) - ce ne sera pas non
plus le cas au futur T.NP.-Récamier, théâtre d'essai. Au-delà, si l'on reproche à Vilar de privilégier les
classiques aux modernes (et l'attention qu'il porte au répertoire est indéniable), ce sont bien plutôt les
contemporains qui se détournent de lui - hormis Anouilh qui, encensant également :
Dfait la
preuve de son ouverture d'esprit et de son sens du théâtre.
En 1953, il y a peu de temps que Vilar est à la tête du Théâtre de Chaillot, qui reprend son nom de
Théâtre national populaire (3), puis devient le T.N.P. C'est Jeanne Laurent, directrice des spectacles
au secrétariat d'Etat aux Beaux-Arts, qui lui a proposé cette direction : après la V e édition d'Avignon
(1951), qui voit l'arrivée de Gérard Philipe (4) et l'accession du festival au succès. Il s'agit donc
d'accommoder Avignon à Chaillot, et non l'inverse : mouvement retour de la décentralisation, qui lui
donne pourtant un nouvel élan alors qu'en 1953, elle marque un temps d'arrêt. En effet, malgré la
renommée d'Avignon après des débuts difficiles, qui fait essaimer de nombreux festivals, la vie
théâtrale reste majoritairement parisienne. Les animateurs de ces festivals viennent de la capitale (5).
Les pièces qui y sont créées le sont avec moins de succès que leurs éventuelles reprises parisiennes.
Au-delà, plus que par ces festivals, l'essentiel de la vie théâtrale provinciale est constitué par les
tournées des productions parisiennes - celles de la Comédie-Française, et surtout celles des
« tourneurs » privés (Galas Karsenty), qui jouent les classiques pour un public scolaire, et les succès
commerciaux des saisons passées. L'avant-garde a d'ailleurs aussi ses tournées : celles du Théâtre
d'aujourd'hui, fondées en 1953, jouent :
, notamment dans les Centres dramatiques nationaux. En
réalité, donc, ce système de tournées ne sert en rien un mouvement de décentralisation, et conforte
au contraire le rayonnement du théâtre parisien. Les activités du T.NP. hors Chaillot, en province et
(grande) banlieue, constituent la seule exception - notoire, cependant. La décentralisation au sens
strict marque le pas en 1953, après que cinq C.Ê.N. ont été créés depuis 1946 : la Comédie de Saint-
Etienne (Êasté, 1946), le Centre dramatique de l'Est (Pietri puis Clavé, 1946-1947), celui de l'Ouest
(Gignoux, 1949), le Grenier de Toulouse (Sarrazin, 1949) et la Comédie de Provence (Baty, 1952).
Jeanne Laurent, qui a concrétisé une ambition datant de Gémier et Copeau, a été officiellement
appelée à d'autres fonctions à la fin de l'année 1952, en réalité victime indirecte des attaques subies
par Vilar. Si c'est bien elle qui a initié une politique culturelle en subventionnant ces centres, c'est
surtout la seconde phase, à partir de 1959-1960 et à l'instigation de Malraux, qui permettra un
véritable développement du théâtre hors Paris.
La diversité géographique et économique des conditions de la pratique est sous-tendue
idéologiquement. L'inscription du théâtre dans la société se fait selon des modalités et avec des enjeux
radicalement différents. Êans le théâtre commercial bourgeois, pas de véritable interrogation sur la
fonction sociale du théâtre. On ne dépasse pas, au maximum, l'ordre des thématiques (sujets « de
société »), et de plus sans réelle subversion : le dénouement conforte l'ordre établi, à l'image de cet
immuable théâtre de la « sécurité ».
Au-delà, le rapport au public, qui constitue le théâtre comme fait social, diverge radicalement selon
les pratiques. La socialité bourgeoise perpétue une conception désuète de la sortie au théâtre comme
occasion de dépense et d'exhibition de la dépense. Ce cérémonial de la soirée se réalise pleinement
dans l'architecture des salles à l'italienne - voir et être vu. Le rapport spectateurs-comédiens est fondé
sur la distance du vedettariat - autant de rites que mime, d'ailleurs, le cinéma pour les classes
populaires. A l'inverse, le T.NP., mais aussi les théâtres de poche rive gauche, inventent, chacun à leur
manière, un nouveau rapport au fait théâtral comme acte social. A Chaillot, à Avignon ou dans les
autres festivals, le cérémoniel demeure, mais sur le mode du « festuel » (6) - mi-festif, mi-rituel. La
représentation acquiert une véritable dimension collective. Cette invention d'un nouveau mode d'être
du et au théâtre est cependant loin d'être coupée de tout héritage. Ces usages neufs reprennent ce que
prônait Copeau. La salle de Chaillot, immense, carrée, dépouillée, s'oppose aux théâtres à l'italienne et
met fin à l'inégalité de placement - sans même parler des représentations en plein air. Le théâtre
« service public » affranchit la représentation de ses « surcharges mondaines » : disparition du
pourboire, gratuité des vestiaires et des programmes, etc. La distance du vedettariat est remplacée
par des « dialogues » spectateurs-comédiens. Surtout, on instaure le système des abonnements (et des
avant-premières), qui permet de passer outre la médiation de la critique (notamment quotidienne) et
ses dérives (contre-)publicitaires : au T.NP. (Association des amis du Théâtre populaire), mais aussi
dans les théâtres de poche (Club des amis du Babylone).
Nouveau rapport au public, mais plus généralement nouveau public. Le T.N.P., théâtre national, est
subventionné, ce qui lui permet de vendre ses places à un prix inférieur au coût de revient (7). S'il a
bien un public de masse (environ 350 000 spectateurs durant l'année), déjà, en 1953, ce n'est pas un
public populaire, mais une nouvelle audience, constituée de classes moyennes, employés, professeurs,
étudiants, qui n'est finalement pas si éloignée de celle du Quartier Latin. Les méthodes de recrutement
des spectateurs, partagées avec les C.Ê.N. de province (associations culturelles ou de jeunesse,
syndicats), sont essentielles au fonctionnement du T.N.P. S'il n'atteint pas réellement sa cible ouvrière,
mais bien plutôt les classes moyennes, c'est sans doute parce que ces dernières constituaient une
audience potentielle particulièrement propice : un public qui, sans avoir les moyens financiers du
théâtre bourgeois, bénéficie du niveau d'instruction nécessaire à cette ouverture à la consommation
culturelle, qui sera la grande entreprise de Malraux, et qu'initie le T.N.P. Une formule inédite associe
le théâtre à d'autres manifestations artistiques ou culturelles (concerts, ballets, expositions,
conférences, projections cinématographiques). Les marques de convivialité dont le T.N.P. accompagne
ses diverses manifestations, apéritifs musicaux ou bal du samedi soir, participent aussi à cette nouvelle
socialité théâtrale vécue sur le mode de la communion festive. Avec ce « spectacle total », on est alors
bien loin du « divertissement total » dont le théâtre commercial perpétue la tradition, en associant sa
production, selon diverses modalités, au music-hall ou à d'autres genres musicaux.
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)c ,

L'actualité théâtrale de l'année 1953 est foisonnante : 112 créations, plus du double de pièces jouées,
en incluant reprises et succès continus ( (# 
  

 ). Nous allons
maintenant nous attarder plus particulièrement sur certains de ces événements. « L'histoire du théâtre
s'écrit tous les soirs et la présente saison ne manque pas de nous offrir beaucoup d'enseignements »,
écrit l'auteur - anonyme - de l'éditorial du n°4 de p# 5    (nov.-déc.). A tout le moins, elle
est fidèle à la radiographie rapidement établie.
Je passerai sur la création de :
, déjà évoquée (générale le 3 janvier , première publique le 5).
Rappelons seulement l'importance de la pièce, dans l'itinéraire propre de Beckett - sa première pièce,
qui est aussi sa première ouvre en français, le révèle en France, alors qu'il n'y était auparavant connu
que d'une poignée de lecteurs de Saint-Germain, grâce à Lindon -, mais surtout comme étape décisive
dans le processus d'intégration de ce nouveau théâtre au paysage dramatique. Notons d'ailleurs que
c'est en 1953 également que paraît le premier volume du p# 5 d'Adamov chez Gallimard. Premier
succès public et critique de ce théâtre : l'événement :
est de taille en termes d'actualité en 1953,
mais est-il immédiatement reconnu à sa juste valeur historique - celle que nous lui attribuons ? Êumur
dit sentir aussitôt qu'il assiste à un chef-d'ouvre, tandis que pour Êort on ne prend pas suffisamment la
mesure de la pièce en 1953 (8). Mais :
constitue un jalon essentiel plus qu'une révolution : la
route sera longue jusqu'à la consécration (9). Quant à l'éphémère salle du Babylone, c'est une des plus
représentatives de l'esprit nouveau insufflé au théâtre par ces jeunes animateurs de la rive gauche.
Comme le T.N.P., elle se veut un centre pour tous les arts ; son directeur, Serreau, et le metteur en
scène de :
DBlin, sont de ces hommes qui, avec enthousiasme et persévérance, se mettent au
service de nouveaux auteurs : l'« accouchement » de :
aura duré presque quatre ans.
On a dit l'admiration des pairs de Beckett : passerelles inattendues avec une production consacrée, qui
participent de cette intégration. Au nombre de ceux-ci, Anouilh, mais aussi Salacrou, qui donne en
janvier ;   
D et en septembre  6( 
) . Êes points de passage se construisent
sur le plan de la production comme sur celui de la réception : Salacrou est joué au Quartier Latin, dans
une mise en scène d'un autre animateur, Michel de Ré (qui en deviendra directeur dans l'année), tout
comme rive droite (Saint-Georges). La programmation du théâtre du Quartier Latin est éclectique :
Salacrou y rencontre Ionesco (  

(, février ), plus conforme au répertoire attendu de la
rive gauche (on est bien loin du succès de :
t). Signalons au passage que c'est seulement en 1957
que la Huchette reprendra en duo et en continu jusqu'à aujourd'hui  #(  et  %
L'éclectisme caractérise aussi la programmation du tout nouveau Théâtre de la Comédie du jeune
Planchon (22 ans) à Lyon. C'est peut-être l'événement le plus important de la décentralisation en 1953,
bien que la salle ne soit pas un C.Ê.N (10). Le lieu participe de ce nouveau rapport au théâtre induit
notamment par le théâtre subventionné (en se voulant un centre pour tous les arts, en donnant des
représentations en plein air, en accueillant de jeunes compagnies, etc.), tout en inscrivant à son
répertoire des auteurs caractéristiques de la rive gauche : deux des trois pièces d'Adamov montées en
1953 le sont par Planchon (  ;  
# et   p en mai ).
En termes de structures, la nomination de Pierre Êescaves à la tête de la Comédie-Française n'a pas la
même importance. Le nouvel administrateur ne fait pas sortir l'institution nationale de la torpeur où
elle se trouve depuis la Libération. En 1946, une réforme de ses statuts lui a attribué, en plus de
Richelieu, l'exploitation de l'Odéon rebaptisé salle Luxembourg. Le partage des salles est censée
correspondre à une distribution des missions, répertoire à Richelieu, création contemporaine à
Luxembourg, mais celle-ci n'est pas réellement respectée. Les modernes sont délaissés. Le grand
auteur contemporain à la Comédie-Française en 1953, c'est Montherlant (reprise de   # ; on
reprend également  !1 
; à Hébertot), qui brille au Panthéon des lettres comme en
témoigne son entrée en mai dans les Petits Classiques Hachette. C'est le seul contemporain ainsi
consacré et Théâtre populaire (n° 1) se délecte à citer les sujets de dissertation en fin d'ouvrage, tous
plus dithyrambiques les uns que les autres.
Si la Comédie-Française assure surtout sa fonction de « conservatoire », il est un lieu où le rapport au
répertoire est fécond : le T.N.P. L'ambition vilardienne est triple : reprendre des auteurs consacrés,
faire découvrir des classiques méconnus, français ou étrangers, créer les contemporains. Ces trois
directions sont présentes dans la programmation de la saison de printemps de Chaillot ( février-mai ).
Le T.N.P. ne fonctionne en effet pas selon un système de saison unique mais propose deux saisons à
Chaillot, une de printemps et une d'hiver, entrecoupées de très nombreuses manifestations
décentralisées. Vilar confie pour la première fois le rôle de Lorenzaccio à un homme, Gérard Philipe. Il
élargit le répertoire par l'étranger avec Kleist et Büchner : significativement, même la presse
conservatrice préfère !
)à la pièce d'Obey, que la Comédie-Française crée dans le
même temps ( avril ) (11). Enfin, il a créé & à Chaillot en 1952, reprise en 1953. La pièce
provoque la polémique, cependant moins esthétique (long poème en alexandrins) que politique (thème
de la menace atomique) : Vilar est en butte aux attaques dès son arrivée au T.NP. C'est un échec,
comme souvent le contemporain à Chaillot.
Le T.NP., on l'a vu, modifie les usages et la socialité du théâtre, s'inscrivant dans un cadre plus vaste
d'essor culturel à destination de nouveaux publics (dont témoigne aussi le lancement du Livre de Poche
en février ). Les « week-ends » organisés pour Noël et le Jour de l'an participent à l'entreprise. Ces
mini-festivals reprennent la formule inédite inaugurée par le premier week-end de Suresnes en octobre
1951 (alors que Vilar, déjà à la tête du T.N.P., ne peut encore occuper Chaillot, où se tient une session
de l'O.N.U.), en cumulant trois spectacles de théâtre, deux apéritifs-concerts, et un bal.
Le théâtre de boulevard, de son côté, associe sa production au music-hall ou à divers genres musicaux,
mais dans une optique, bien différente, centrée sur le pur divertissement, et où la consommation
culturelle n'a rien à voir. La première de 
8 ( février ), comédie musicale arrivée de
Broadway, est représentative de cette contiguïté spatiale et générique. L'ouvre est créée dans un lieu
spécifique (l'Empire), mais de nombreuses autres salles ont une programmation mixte (music-hall et
comédie) ou changent régulièrement d'attribution : ainsi le Êaunou, où en novembre se joue la
nouvelle ouvre de Êhéry après  8  Le cabaret fournit ses comédiens au boulevard (de
Funès ou Maillan ici). Certains librettistes d'opérette se risquent à la comédie légère, tandis que des
dramaturges du boulevard, Roussin notamment, s'essaient à la comédie musicale.
Les créations de mars , sauf Guitry bien entendu, montrent la prégnance d'un théâtre « littéraire ».
Anouilh a incontestablement plus de « métier » dramatique que les romanciers Green ou Clavel. Le
maître de la scène littéraire bourgeoise (et en un sens de la scène tout court) est joué, comme
Salacrou, de la rive droite à la rive gauche. !
, sombre pièce métaphysique, n'en est pas moins un
échec cuisant. C'est pourtant grâce à Anouilh (et Aymé) que Barsacq, à la tête de l'Atelier depuis 1940,
a connu ses plus grands succès. Sud de Green ne montre pas le « métier » d'un Anouilh, mais est bien
accueillie : c'est justement la pureté d'une langue très littéraire qui fait admettre son sujet, une
histoire d'amour homosexuelle sur fond de guerre de Sécession. Il n'y a rien de scandaleux « [à] la
hauteur où [l'auteur] se place - qui est celle du cour et non celle du bas-ventre cher à M. Genet [.] »,
écrit Michel Êéon (12). En revanche, Canduela de Clavel (Goncourt 1949) ne réalise pas les promesses
des Incendiaires (1946). La tension dramatique disparaît derrière la démesure du verbe et les procédés
poétiques, trop sophistiqués pour passer la rampe, surtout celle de l'Ambigu, dont le public n'est pas
celui, cultivé, de ces auteurs « littéraires ».
En avril et mai , trois créations d'Adamov : deux par Planchon comme on l'a dit, et l'autre par Serreau
( p   ), grâce aux « mardis de l'Oeuvre » (institués en 1948). Certains théâtres louent en
effet leur salle, à prix modique, aux nombreuses jeunes compagnies itinérantes : leur jour de relâche,
comme ici, ou pendant l'été, période creuse à Paris. C'est le cas de la Huchette, où la compagnie
Jacques Polieri donne un ;  6 composé de « sept sketchs humoristiques » en août (13).
Ces représentations données en marge de la temporalité d'usage participent à l'instauration d'un
nouveau rapport au théâtre, qu'elles dégagent de la contrainte de la « saison » parisienne. Elles
constituent en un sens l'analogue de la décentralisation sur un plan temporel.
En avril également, le personnage de M. Hulot apparaît sur les écrans de cinéma. Le burlesque à la
Buster Keaton de Tati n'est peut-être pas si loin de l'absurde du Nouveau Théâtre. Plus généralement,
l'institution cinéma se rapproche d'un tournant comparable à ce que connaît le théâtre. Si le cinéma-
spectacle est encore en pleine heure de gloire, mimant dans ses usages le cérémonial de la soirée
bourgeoise au théâtre et lui faisant concurrence, la fréquentation des salles obscures est déjà en
baisse. La télévision n'est évidemment pas déjà en cause (60 000 postes en 1953), mais plutôt le désir
d'un « nouveau cinéma », particulièrement au sein d'un public jeune et lettré. Il débouchera sur la
création en 1955 des cinémas d'art et d'essai, au Quartier Latin comme les théâtres de poche, et avec
le même public.
Au Babylone, justement, Serreau joue Kaiser et Êubillard en mai: la première pièce d'un jeune poète
( ;  () et un auteur étranger inconnu ( 6 
 
@ ). Si les dramaturges
étrangers sont présents sur la scène française, et surtout au T.N.P. et rive gauche, l'heure n'est pour
autant pas encore à l'internationalisation. Ce n'est que l'année suivante que se tiendra le 1 er Festival
de Paris ( !$  ), ancêtre du Théâtre des Nations (1957). En 1953, le représentant de la
France au V e Congrès de l'Institut international de théâtre est Benoît-Léon Êeutsch, directeur de
boulevard (Nouveautés) et grand défenseur de « l'esprit parisien ». Par ailleurs, Beckett, Ionesco et
Adamov sont d'origine étrangère, mais francophones. Les audaces du Babylone le conduiront à la
faillite après seulement deux saisons d'activité (en 1954, malgré le sursis d'un an accordé par le
triomphe de :
). Cependant, le théâtre aurait pu connaître le succès : il a reçu dès ses débuts de
nombreux manuscrits (même du boulevard !) qui donneront lieu à des réussites ailleurs. Mais, pour
Serreau comme pour les autres nouveaux animateurs, il faut ce foisonnement et ce brassage pour que
rejaillisse le théâtre. Il faut « briser le cercle infernal des pièces à 300 représentations » (14). Vitalité
n'est pas ici synonyme de stabilité, le théâtre n'est pas conçu comme une entreprise mais comme un
creuset.
Juin marque la fin de la saison parisienne, mais la vie théâtrale en passe de décentralisation continue
ailleurs - au T.NP. notamment. C'est justement ce mois-ci qu'est créé p# 5    Dencore
intimement lié au théâtre de Vilar. La revue bimestrielle dirigée par Robert Voisin compte dans son
comité de rédaction initial Roland Barthes, Morvan Lebesque ou Guy Êumur. Elle témoigne bien
entendu dans ses premiers numéros d'un grand intérêt pour l'idée de théâtre populaire, ( des
reportages dans les divers C.Ê.N. et festivals (la question du public ouvrier est posée dès le n°2), mais
aussi la publication d'extraits inédits de la correspondance de Gémier (15). La ré-invention du théâtre
passe par celle de la critique : la revue ne doit pas être un lieu de promotion de plus, mais une
instance de réflexion, pour contrebalancer (plus que remplacer) la critique actuelle. Êépassement du
lien critique-publicité (des quotidiens) par la pratique d'une « critique totale » (Barthes), centrée sur
les foyers d'animation plus que sur les pièces, une « critique plus lente, plus lourde, et qui agirait
plutôt sur les auteurs que sur le public » (Êort) (16). La chronique dramatique coexiste avec des
articles « de fond », celui de Barthes sur la tragédie antique (17) par exemple, et avec des textes
dramatiques inédits, de Ghelderode, Adamov ou Büchner. Ce foyer de réflexion est en effet précurseur
sur bien des plans, et notamment par l'importance qu'il accorde à la dimension internationale du
théâtre - qui ne constitue pas encore la donne du paysage théâtral dans son ensemble, comme on l'a
dit. Ce n'est que l'année suivante que Brecht se fera véritablement connaître en France (même si Vilar
et Serreau l'ont déjà joué (18)), et la revue n'est pas encore considérée comme le temple du
« brechtisme » à la française. Mais des articles sont déjà consacrés au théâtre allemand contemporain,
et la revue a un réseau de correspondants à l'étranger. Elle accorde également une grande place aux
théories de la mise en scène et de l'acteur. Êès 1953, on y trouve un article de Vitez sur Stanislavski
(19). Mais, si déjà est en germe la mise en scène moderne, la pratique dramatique telle qu'elle se
conçoit ici n'est aucunement en rupture avec un héritage d'avant-guerre. Bien au contraire, elle se
place dans la lignée du Cartel (article sur Êullin), faisant en quelque sorte coexister virtuellement les
années 20 et les années 70-80, par-delà les années 50. Il n'est qu'à voir la réaction du journal (n°1) au
décès de Marcel Herrand, co-directeur des Mathurins, qui survient également en juin . Herrand a co-
fondé le Rideau de Paris avec le comédien Jean Marchat, qui reprend la direction du théâtre à sa mort.
Pour p# 5    , c'est avec Herrand à la fois le dernier lien avec l'avant-guerre qui disparaît et
l'un des derniers directeurs dignes de ce nom. Selon la revue, les deux seuls hommes désormais à
« maintenir le théâtre en vie » à Paris sont Vilar et Barrault (ni Barsacq, ni Vitaly).
Le Festival d'Avignon est le principal événement de l'été pour le T.NP., même si ce n'est pas le seul.
C'est René Char qui, en 1947, a demandé à Vilar d'animer la première « semaine d'art ». C'est un
tournant dans la carrière de ce dernier qui a enfin les moyens de ses ambitions, puisque Avignon est
subventionné. Si les débuts ont été difficiles, le festival représente désormais un événement
incontournable (depuis 1951 notamment). Le festival dure plus longtemps ; en 1953, la VII e édition
attire 17 500 spectateurs qui, dans deux « salles » (cour d'honneur du Palais des papes et verger
d'Urbain V), assistent notamment à )* et à p
 
-#
66(1947) : des classiques,
encore, consacrés ou non.
Beaucoup d'événements en septembre et octobre : c'est l'ouverture de la saison 1953-1954 à Paris. On
reprend les grands succès des saisons précédentes, comme     1, qui se joue depuis
octobre 1951. Roussin enchaîne les succès depuis La Petite Hutte (jouée 4 ans de suite à partir de
1947). La presse quotidienne porte aux nues ce boulevard rénové, loin du vaudeville représenté par
Létraz (deux créations en septembre et décembre , et deux reprises). On évoque l'originalité du thème
(une série de maternités non désirées dans une famille très conservatrice). Pourtant, une autre
comédie porte sur le même sujet, et aux mêmes dates (Marcel Franck,  $ 
 
 
) : les thématiques du boulevard sont limitées, ce qui n'en rend que plus sensibles les
différences de traitement. Le décorateur de Roussin, Wahkévitch, est, avec Malclès
( "  d'Anouilh ), emblématique de ce « décorativisme » rejeté ailleurs : ses décors sont autant
de tentatives de restitution d'une époque révolue. On reprend aussi en septembre la première pièce
de Barillet et Grédy,  )
"
$  : au Théâtre Apollo, analogue   des « tourneurs »,
puisqu'on y joue les succès des saisons passées du boulevard, avec souvent des changements dans la
distribution. Si les usages du cinéma miment ceux du théâtre bourgeois, en retour, le théâtre de
divertissement, qui subit sa concurrence, copie ici ses formules (« salle de seconde exclusivité ») et ses
tarifs : le billet est au même prix qu'un ticket de cinéma.
Le tandem Barillet et Grédy, qui crée une nouvelle pièce en septembre , représente entre autres la
nouvelle génération vedette du boulevard, aux côtés de celle de Roussin, et de celle des maîtres de
l'avant-guerre (on crée de nouvelles pièces de Bernstein (qui meurt en novembre ) ou de Guitry ( mars
), etc.). La production du boulevard, foisonnante, a annexé la catégorie générique de la comédie, qui
n'existe plus véritablement en dehors d'elle (20). Chez Barillet et Grédy, la comédie bourgeoise est plus
de mours que de situation : là encore, on est loin du vaudeville. On ne manque pas de les comparer aux
fameux Flers et Cavaillet : la critique conservatrice semble d'ailleurs toujours chercher à légitimer les
auteurs de boulevard en les dotant de pères illustres (pour Roussin, on était allé jusqu'à Molière). 
-  # a pour sujet le mariage mixte, entre une fille de concierge de l'île Saint-Louis et un
étudiant noir, bien entendu héritier d'un monarque africain. La pièce est pleine de bons sentiments,
mais le dénouement est à l'image de ce théâtre de l'ordre établi : la jeune épouse réintègre le foyer
parental, et la situation revient - ou presque - à son point de départ. Jamais ne sera apparu sur scène
le roi noir de cette reine blanche. Signalons au passage que cette pièce évoque aussi le contexte
international de guerre froide et la menace nucléaire. Il faut que les craintes suscitées soient fortes,
pour qu'elles pénètrent même l'univers douillet du boulevard. Mais le traitement de ces thèmes est
extrêmement léger : c'est d'ailleurs ce qui assure le succès de la pièce - la presse conservatrice appelle
cela le « sens de la mesure ». On est bien loin du scandale de & à Chaillot.
L'automne permet aussi à des pièces créées pendant l'été en province de se confronter au jugement
parisien : c'est aussi un trait caractéristique de ce décloisonnement de la vie théâtrale que cette
chance donnée par quelques directeurs parisiens méritoires aux troupes de province ou aux jeunes
compagnies. Ainsi en est-il de   du jeune romancier Merle, monté par la Comédie de
Provence, dernier né des cinq C.Ê.N. (1952). C'est à Baty, persuadé du rôle essentiel que la province a
à jouer, que la Comédie de Provence ou Centre dramatique du Sud-Est doit sa création. Mais Baty vient
de mourir (1952) : le metteur en scène et décorateur Êouking le remplace, plutôt bien semble-t-il. La
troupe a créé la pièce au festival de Toulon en juillet, et fait ici ses débuts parisiens, au Théâtre
Montparnasse (où Baty a été remplacé par sa fidèle collaboratrice, la comédienne Marguerite Jamois ).
Même si, comme on l'a dit, la décentralisation marque le pas en 1953, les Centres déjà créés sont donc
actifs. En particulier, la fin de l'année verra un événement important, le déplacement du Centre
dramatique de l'Est de Colmar à Strasbourg ( novembre ) : c'est à cette occasion qu'est créée, sous la
direction de Clavé, l'Ecole professionnelle d'art dramatique.
La naissance de cette école contribue à l'essor du jeune théâtre professionnel, également représenté
par les très nombreuses jeunes compagnies itinérantes, sans statut ni lieu d'accueil fixe. En 1946, un
concours a été créé pour les aider. L'édition de 1953 ( octobre ) marque sa reprise après un arrêt de
deux ans : la prolifération des jeunes compagnies avait conduit apparemment à une certaine
médiocrité des prestations. Mais, pour p# 5    D le niveau n'est toujours pas très élevé,
même si la victoire de Jacques Fabbri semble méritée (21). Il faut noter que, sur les sept finalistes,
seule une troupe vient de province (Planchon, qui fera défection). Non pas tant en raison d'une qualité
moindre des performances que parce que seulement 6 des 40 candidats de départ n'étaient pas
parisiens : la décentralisation a encore beaucoup à faire pour combler le retard de la province sur
Paris.
Parmi les créations marquantes de l'automne parisien, il y a I ( novembre ) : un pirandellisme plus
ou moins bien compris imprègne fortement la scène française en 1953, de Sartre à Roussin ou Guitry.
Signalons au passage qu'on reprend aussi ,  (1944) et La Putain respectueuse (1946).
Mais ce sont surtout deux créations d' octobre qui provoquent le scandale :  &  

8
 d'Audiberti et L'Alouette d'Anouilh. Elles n'auront pourtant pas la même destinée. La pièce
d'Anouilh, malgré des débuts houleux, sera un gros succès, rattrapant l'échec de Médée et
convainquant le dramaturge de ne pas mettre fin à sa carrière. Celle d'Audiberti, mise en scène par
Vitaly, s'arrêtera après seulement 60 représentations, bien que de nombreux hommes de théâtre
prennent sa défense et que l'auteur remanie son texte. Certes, elle pose des problèmes de construction
dramatique, alors qu'on loue encore une fois le « métier » d'Anouilh : Lemarchand parle d'« astucieux
balancements » propres à « satisfaire toutes les clientèles » (22). Mais c'est sur le terrain politique et
non esthétique que la controverse naît. La pièce d'Audiberti met en scène un jeune homme de bonne
famille qui perd les jeunes filles de réputation, jusqu'à ce que l'une d'entre elles se pende : son
prestige n'en est qu'accru (c'est là que commence l'ouvre). La pièce, qui sera interdite aux moins de 16
ans, prend à parti toutes les institutions, rendues responsables de cette monstrueuse dérive : police,
avocats, médecins, écrivains : « il s'agit ici moins de faire le procès d'une jeunesse déboussolée [.] que
d'essayer de faire la lumière sur les causes de ce déboussolement [.] » (23). Signalons au passage que,
derrière la figure de l'écrivain-maître à penser, Audiberti voit Gide, « mais en plus dur ». Si on
comprend le scandale suscité par la pièce, celle d'Anouilh a aussi un sujet explosif : le « phénomène »
Jeanne d'Arc et ce qu'il permet de dire sur le thème de la résistance à l'occupant. Le sujet reste très
sensible : en mars, on a voté une loi d'amnistie pour les faits de collaboration n'ayant pas entraîné la
mort. Là où certains critiques remercient Anouilh de « les veng[er] pendant trois heures de beaucoup
d'humiliation et de honte » (24), d'autres l'accusent au contraire de « joue[r] sur tous les tableaux :
résistant, [.], antimilitariste [.], antisémite . » (25). La pièce n'en est pas moins un triomphe, qui
dépassera la 250 ème : on peut se demander dans quelle mesure la IV e République ne pardonne pas
plus facilement aux auteurs qu'elle a déjà consacrés, dans la continuité de la III e .
Quant à #  # , il est créé à Marigny avec un grand succès ( octobre ) - plus qu'au festival
de Bordeaux, où la compagnie avait d'abord donné la pièce durant l'été. L'itinéraire de Barrault est
intimement lié à l'ouvre de Claudel, et marqué notamment par la création du ; 
  en 1943
à la Comédie-Française. Si les années cinquante sont un moment de rupture, elles ne sont pas pour
autant coupées de leur héritage : l'avant-guerre n'est pas présente seulement dans le théâtre
bourgeois, qui reconduit des formes dramatiques désuètes. p# 5    Dqui réagit très
favorablement à la création de #  #  par Barrault (26), évoque ainsi la découverte par le
public « avec vingt-cinq ans de retard [d']une forme de théâtre qui correspond aussi exactement que
possible au théâtre que l'on attend de notre temps » (27). Claudel, comme les illustres devanciers du
Cartel, participe de cette modernité radicale et paradoxale à laquelle p# 5     entend aussi
ouvrer. Barrault met également à l'affiche de Marigny une pièce de Giraudoux pour ce début de saison (
novembre ), semblant ainsi contrebalancer une programmation audacieuse par un auteur consacré.
Mais Giraudoux est aussi l'auteur du Cartel : la création posthume de $  a valeur de
symbole, de même que la reprise de; 
à la Comédie des Champs-Élysées, dans le lieu même où
Jouvet l'avait créée ( janvier ).
La compagnie Renaud-Barrault , créée en 1946 après le départ du couple de la Comédie-Française,
entre dans sa maturité. Elle a posé ses valises pour une assez longue période (1946-1956) à Marigny, et
commence la publication de ses #  : le premier numéro , très logiquement, est consacré à
Claudel, et reprend en particulier des entretiens de 1942 entre le poète et Barrault. C'est l'année
suivante que sera inauguré le Petit-Marigny, théâtre d'essai, avec ; 
 (   de
Schéhadé. Mais Barrault, s'il ne joue pas l'avant-garde en 1953, est attentif à la féconde ébullition de la
rive gauche, présidant notamment un Comité de Soutien au Babylone (son frère Max fait partie de la
coopérative). C'est aussi un passeur entre les différents arts, et notamment la musique : #  # 
 est un « oratorio dramatique » sur une musique de Milhaud, et 1954 verra la création à
Marigny du Êomaine musical de Boulez. Si tous les champs artistiques et culturels ne sont pas
nécessairement synchrones, les phénomènes de renouveau du théâtre et de la musique semblent, eux,
en relative contemporanéité, réunis par une entrée tardive dans la modernité. N 'oublions pas,
cependant, combien la mutation protéiforme du théâtre du début des années cinquante (entre
nouveau théâtre et théâtre populaire), si elle constitue bien une rupture, doit à l'avant-guerre :
l'exemple de Claudel est là pour en témoigner.
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Chronologie de l'année théâtrale 1953




Créations
Beckett, | 
:
(msc Blin, Babylone).
Salacrou, ;   
(msc M. de Ré, Th. du Quartier Latin).
Reprise de ; 
(1928) à la Comédie des Champs-Élysées.
Planchon ouvre le Théâtre de la Comédie (Lyon).
Pierre Êescaves devient administrateur de la Comédie-Française: reprise de Pasiphaé de Montherlant
(1936).
1er vol. du p# 5 d'Adamov (Gallimard, 3 vol. de 1953 à 1966).
FÉVRIER
Créations
Ionesco,  

((msc Mauclair, Th. du Quartier Latin).
Ouverture de la saison de printemps du T.N.P. : reprises de Büchner, La Mort de Êanton (Avignon,
1948), Kleist, Le Prince de Hombourg (Avignon, 1951), Musset, Lorenzaccio (Avignon, 1952), Pichette,
Nucléa (1952) .
1 ère triomphale de la comédie musicale 
8 (Gerschwin) au Théâtre de l'Empire.
Lancement de la collection du Livre de Poche .
MARS
Créations
Anouilh, !
(msc Barsacq, Atelier).
Green, ;
(msc J. Mercure, Athénée).
Clavel, 
 (msc R. Hermantier, Humour).
Guitry ,   (Variétés).
AVRIL
Créations
Adamov, p   (msc Serreau, L'Oeuvre).
Obey, 7   
( (Comédie-Française salle Richelieu).
Tati,   
!,(apparition du personnage).
MAI
Créations
Adamov,  ;  
# et   p (msc Planchon , Comédie de Lyon).
Kaiser, 6 
 
@ (adapt. Vian, msc Serreau, Babylone).
Êubillard, ;  ((msc Serreau, Babylone).
Montherlant entre dans la coll. des Petits Classiques Hachette (Théâtre choisi ): seul dramaturge
contemporain.
JUIN
Fin de la saison 1952-1953.
1er n° de p# 5    , éditions de L'Arche (mai-juin).
Mort de Marcel Herrand , co-directeur des Mathurins.
JUILLET
VIIe Festival d'Avignon : Êom Juan, La Tragédie du Roi Richard II (régies Vilar).
AOUT
Créations
Ionesco, ;  6 , «sept sketchs humoristiques» (Compagnie Jacques Polieri, Huchette).
SEPTEMBRE
Rentrée des théâtres, début de la saison 1953-1954
Créations
Salacrou,  6( 
) (msc Y. Robert, Saint-Georges).
Merle,  (msc Êouking, Comédie de Provence, Théâtre Montparnasse-Gaston Baty).
Barillet et Grédy, La Reine blanche (msc Meyer, Th. Michel).
Létraz, !1 
|$ (Potinière).
Reprise du grand succès de Roussin,     1(1951) aux Nouveautés (msc Êucreux,
décors Wakhévitch).
Reprise du )
"
$ de Barillet et Grédy (1949) au «Théâtre Apollo des secondes exclusivités».
OCTOBRE
Créations
Claudel, #  # (Barrault, Marigny).
Anouilh , "  (msc Anouilh / Pietri, Th. Montparnasse-Gaston Baty).
Audiberti,  &  
8
 (msc Vitaly, La Bruyère).
Reprise de ,  (1944) et La Putain respectueuse (1946) à la Comédie-Caumartin.
Reprise du !1 
;de Montherlant (1948) au Théâtre Hébertot.
1er n° des #  
la Compagnie Renaud-Barrault (Julliard): «Paul Claudel et Christophe Colomb».
VIe Concours des Jeunes Compagnies . Lauréat: Jacques Fabbri (reprise du concours après une
interruption de 2 ans).
NOVEMBRE
Créations
Sartre, I (msc Brasseur, Th. Sarah-Bernhardt).
Giraudoux, $ (msc Barrault, Marigny).
Ouverture de la saison d'hiver du T.N.P.: La Mort de Êanton , Le Prince de Hombourg , Lorenzaccio,
Êom Juan, Richard II.
Êhéry, Blanche, Calvi, "#B 8  8# (Théâtre Êaunou).
Le C.Ê.E . quitte Colmar pour s'installer à Strasbourg et ouvre son Ecole professionnelle d'Art
dramatique.
Mort du dramaturge Henry Bernstein , directeur du Théâtre des Ambassadeurs.
ÊÉCEMBRE
Létraz, 8  
(Palais-Royal).
Week-ends de Noël et du Jour de l'an au T.N.P.
Chronologie de l'année théâtrale 1953
JANVIER
Créations
Beckett, | 
:
(msc Blin, Babylone).
Salacrou, ;   
(msc M. de Ré, Th. du Quartier Latin).
Reprise de ; 
(1928) à la Comédie des Champs-Élysées.
Planchon ouvre le Théâtre de la Comédie (Lyon).
Pierre Êescaves devient administrateur de la Comédie-Française: reprise de Pasiphaé de Montherlant
(1936).
1er vol. du p# 5 d'Adamov (Gallimard, 3 vol. de 1953 à 1966).
FÉVRIER
Créations
Ionesco,  

((msc Mauclair, Th. du Quartier Latin).
Ouverture de la saison de printemps du T.N.P. : reprises de Büchner, La Mort de Êanton (Avignon,
1948), Kleist, Le Prince de Hombourg (Avignon, 1951), Musset, Lorenzaccio (Avignon, 1952), Pichette,
Nucléa (1952) .
1 ère triomphale de la comédie musicale 
8 (Gerschwin) au Théâtre de l'Empire.
Lancement de la collection du Livre de Poche .
MARS
Créations
Anouilh, !
(msc Barsacq, Atelier).
Green, ;
(msc J. Mercure, Athénée).
Clavel, 
 (msc R. Hermantier, Humour).
Guitry ,   (Variétés).
AVRIL
Créations
Adamov, p   (msc Serreau, L'Oeuvre).
Obey, 7   
( (Comédie-Française salle Richelieu).
Tati,   
!,(apparition du personnage).
MAI
Créations
Adamov,  ;  
# et   p (msc Planchon , Comédie de Lyon).
Kaiser, 6 
 
@ (adapt. Vian, msc Serreau, Babylone).
Êubillard, ;  ((msc Serreau, Babylone).
Montherlant entre dans la coll. des Petits Classiques Hachette (Théâtre choisi ): seul dramaturge
contemporain.
JUIN
Fin de la saison 1952-1953.
1er n° de p# 5    , éditions de L'Arche (mai-juin).
Mort de Marcel Herrand , co-directeur des Mathurins.
JUILLET
VIIe Festival d'Avignon : Êom Juan, La Tragédie du Roi Richard II (régies Vilar).
AOUT
Créations
Ionesco, ;  6 , «sept sketchs humoristiques» (Compagnie Jacques Polieri, Huchette).
SEPTEMBRE
Rentrée des théâtres, début de la saison 1953-1954
Créations
Salacrou,  6( 
) (msc Y. Robert, Saint-Georges).
Merle,  (msc Êouking, Comédie de Provence, Théâtre Montparnasse-Gaston Baty).
Barillet et Grédy, La Reine blanche (msc Meyer, Th. Michel).
Létraz, !1 
|$ (Potinière).
Reprise du grand succès de Roussin,     1(1951) aux Nouveautés (msc Êucreux,
décors Wakhévitch).
Reprise du )
"
$ de Barillet et Grédy (1949) au «Théâtre Apollo des secondes exclusivités».
OCTOBRE
Créations
Claudel, #  # (Barrault, Marigny).
Anouilh , "  (msc Anouilh / Pietri, Th. Montparnasse-Gaston Baty).
Audiberti,  &  
8
 (msc Vitaly, La Bruyère).
Reprise de ,  (1944) et La Putain respectueuse (1946) à la Comédie-Caumartin.
Reprise du !1 
;de Montherlant (1948) au Théâtre Hébertot.
1er n° des #  
la Compagnie Renaud-Barrault (Julliard): «Paul Claudel et Christophe Colomb».
VIe Concours des Jeunes Compagnies . Lauréat: Jacques Fabbri (reprise du concours après une
interruption de 2 ans).
NOVEMBRE
Créations
Sartre, I (msc Brasseur, Th. Sarah-Bernhardt).
Giraudoux, $ (msc Barrault, Marigny).
Ouverture de la saison d'hiver du T.N.P.: La Mort de Êanton , Le Prince de Hombourg , Lorenzaccio,
Êom Juan, Richard II.
Êhéry, Blanche, Calvi, "#B 8  8# (Théâtre Êaunou).
Le C.Ê.E . quitte Colmar pour s'installer à Strasbourg et ouvre son Ecole professionnelle d'Art
dramatique.
Mort du dramaturge Henry Bernstein , directeur du Théâtre des Ambassadeurs.
ÊÉCEMBRE
Létraz, 8  
(Palais-Royal)
Week-ends de Noël et du Jour de l'an au T.N.P.
Notes:
1) 1950:  #( (Bataille, Huchette), :
   !( (Serreau,
Noctambules), 6( (Vilar, Studio des Champs-Élysées). 1951: %(Cuvelier, Poche). 1952: 

 (Blin, Nouveau Lancry),  # (Êhomme, Nouveau Lancry),   8
(Reybaz,
Poche). Mais c'est dès 1947 que Jouvet a créé  8 à l'Athénée.
2) Michel Corvin,  p# 5   , sous la direction de Jacqueline de Jomaron, Paris, Armand
Colin, La Pochothèque, 1992, p.932.
3) Qu'il avait sous Gémier.
4) Êans  
et   
,.
5) Reybaz à Arras, Serreau à Caen, Herrand (qui meurt cette année-là) à Angers, etc.
6) Pour reprendre une expression d'Émile Copfermann à propos d'Avignon (  p# 5   , sous
la direction de Jacqueline de Jomaron, Paris, Armand Colin, La Pochothèque, 1992, p.909).
7) Les subventions sont accordées à condition d'assurer un minimum de représentations.
8) Guy Êumur, «La première fois que j'ai attendu Godot», - ( 
 #  , mars 1986. L'article est
repris dans |+  # 5 23FF2332, articles recueillis par Colette Êumur, Paris, Gallimard,
Les Cahiers de la N.R.F., 2001, p.204. Bernard Êort, «Pour une sociologie du théâtre: un théâtre sans
public, des publics sans théâtre», p# 5    , n°4, novembre-décembre 1953, p.12-19.
9) Malgré le succès public et critique de :
en 1953, c'est en 1957 que Beckett «percera»
véritablement, avec 
  , que Jacquemont accepte de monter au Studio des Champs-Élysées.
La consécration viendra en 1962, lorsque :
sera repris à l'Odéon-Théâtre de France (Barrault), puis
entamera une carrière internationale. Ionesco reçoit également un accueil triomphal en janvier 1960
lorsque Barrault monte -#  à l'Odéon-Théâtre de France. Beckett et Ionesco seront totalement
intégrés à l'institution littéraire à la fin des années 1960, lorsque le premier recevra le prix Nobel
(1969) et que le second entrera à l'Académie Française (1970). Adamov, comme on le sait, ne connaîtra
pas le même succès.
10) C'est d'ailleurs tardivement que Planchon obtiendra ce statut de Centre dramatique national
(1963). Entre temps, le Théâtre de la Comédie aura quitté Lyon pour Villeurbanne, où il aura donné
naissance au Théâtre de la Cité (1957), «troupe permanente» en 1959.
11) 7   
( Michel Êéon, «La quinzaine dramatique: !
). et celle
d'Iphigénie», "( $ n° 77, 25 avril 1953.
12) «La quinzaine dramatique», "( $ n°75, 20 mars 1953.
13)  :
#  D-#  D&$   D'    D  0
( D ;
 D !1 
14) Jean-Marie Serreau,   (  D23 mai 1952.
15) Êans le n°2 (juillet-août 1953): Firmin Gémier, «Lettre à propos d'un théâtre populaire» [lettre du
19 février 1921, adressée à la Présidence du Syndicat des artistes dramatiques allemands].
16) Art. cit.: voir la note 8.
17) «Pouvoirs de la tragédie antique», p# 5    n°2, juillet-août 1953.
18) Serreau a joué |+  $ en 1950 (Théâtre de Poche), Vilar, !$  en 1951 (V
e Festival d'Avignon).
19) Antoine Vitez, «La méthode des actions physiques de Stanislavski», p# 5    n°4,
novembre-décembre 1953.
20) Voir l'éditorial de p# 5    n°4.
21) Renée Saurel, «Le concours des jeunes compagnies 1953», p# 5    n°3, septembre-
octobre 1953, p.81-82.
22)    , 24 octobre 1953.
23) Vitaly,    D3 octobre 1953.
24) M. Braspart, )# , 18 octobre 1953.
25) «.Encore que cette fois-ci son péché mignon [l'antisémitisme] se réduise à deux brèves répliques»
(Gustave Joly, " , 16 octobre 1953).
26) Êès le n°1: Jean Vauthier, «Lettre de Bordeaux à propos du spectacle Claudel-Barrault».
27) «Le théâtre et les jours» [rubrique non signée], p# 5    n°3, septembre-octobre 1953.
Principales sources:
Annuaire du spectacle: théâtre, musique, radio, télévision, 9ème année, Paris, éditions Raoult, 1954.
Le Théâtre en France, sous la direction de Jacqueline de Jomaron, Paris, Armand Colin, La
Pochothèque, 1992, «Le théâtre de tous les possibles (1951-1988)»: Émile Copfermann, «La
décentralisation», p.903-913, Michel Corvin, «Une écriture plurielle», p.914-960, Bernard Êort, «L'âge
de la représentation», p.961-1048.
Alain Busson, Le Théâtre en France: contexte socio-économique et choix esthétiques , Paris, La
Êocumentation française, 1986.
Jean-Paul Caracalla, Lever de rideau: histoire des théâtres privés de Paris, Paris, Êenoël, 1994.
Ruby Cohn, From Êesire to Godot : Pocket Theater of Postwar Paris , Berkeley : London , University of
California Press, 1987.
Marco Consolini, Théâtre populaire , 1953-1964: histoire d'une revue engagée , traduit de l'italien par
Karin Wackers-Espinosa, Paris, éditions de l'IMEC, 1998
Geneviève Latour, Petites scènes, grand théâtre: le théâtre de création de 1944 à 1960 , Paris,
Êélégation à l'action artistique de la Ville de Paris, 1986.
Geneviève Latour, Théâtre, reflet de la IV e République : événements, politique, société, idées , Paris,
Bibliothèque historique de la Ville de Paris: Association de la régie théâtrale, 1995.
Roger Blin, Souvenirs et propos , recueillis par Lynda Bellity Peskine, Paris, Gallimard, 1986.
Jean Vilar, Le Théâtre, service public , Paris, Gallimard, 1975.
Guy Êumur, L'Expression théâtrale, 1944-1991 , articles recueillis par Colette Êumur, Paris, Gallimard,
Les Cahiers de la N.R.F., 2001.
L'Avant-scène, n° 75 à 83.
Cahiers de la Compagnie Renaud-Barrault , «Paul Claudel et Christophe Colomb », n°1, Paris, Julliard,
1953.
Théâtre populaire , Paris, éditions de l'Arche, n°1, mai-juin 1953, n°2, juillet-août 1953, n°3
septembre-octobre 1953, n°4, novembre-décembre 1953.
POUR CITER CET ARTICLE : GANAËLLE LACROIX , "LORSQUE GOÊOT PARAIT", 6)||)|6pp|-"p7-|)"&;|;"&&||;
23<=, URL : HTTP://WWW.FABULA.ORG/COLLOQUES/ÊOCUMENT75.PHP
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