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LIBAN
CATASTROPHE ÉCOLOGIQUE
débarrasser, poursuit-il. Dans la zone industrielle, ils rongent même les fils électriques ! Sans
compter les maladies pulmonaires et les allergies. »
Les propos de ce commerçant résument tout le calvaire vécu par les habitants de la partie sud de
Saïda depuis des décennies, presque quarante ans déjà qu'existe ce dépotoir sauvage situé à même
la mer. Ce dernier a acquis sa terrible réputation en s'effondrant régulièrement dans la mer, et en
prenant feu souvent. Aujourd'hui, en longeant le dépotoir, on se rend compte qu'il y a désormais
deux montagnes d'ordures plutôt qu'une. Les habitants les appellent familièrement « l'ancien
dépotoir » et le « nouveau dépotoir ». L'ancien est déjà recouvert d'une sorte de végétation
verdoyante, alors que le nouveau exhibe toujours les mille couleurs de sa pollution. Ils envahissent
le milieu marin d'un côté, le trottoir et la route de l'autre, preuve irréfutable de leur sursaturation.
Les relents qui s'en dégagent sont quasiment insupportables.
La saturation de ce site a poussé le mohafez et le conseil municipal de Saïda à prendre une décision
radicale il y a un mois environ : fermer le dépotoir aux quelque 100 tonnes quotidiennes provenant
des municipalités environnantes, et ne plus y jeter que les 80 tonnes de la ville elle-même et
quelque 40 autres tonnes provenant du camp palestinien de Aïn el-Héloué et du quartier Taamir.
Cette mesure, qualifiée de « soudaine » par les autres municipalités, a eu une conséquence très
prévisible : l'amoncellement des déchets, qu'il est devenu impossible de collecter, dans les villages
de l'est de Saïda et de Zahrani, les deux régions qui profitaient précédemment du dépotoir. Une
tournée dans les villages de Abra, Majdelyoun et Hléliyé (à l'est de Saïda) le confirme : des
minidépotoirs apparaissent dorénavant à tout coin de rue.
Interrogé sur la soudaineté de la décision, Ibrahim Bsat, vice-président du conseil municipal de
Saïda, affirme que celle-ci était inévitable. « Nos équipes techniques nous ont prévenus qu'il est
impossible de continuer à accueillir autant de tonnes de déchets, dit-il. Comme vous pouvez le
constater, les ordures se déversent déjà sur la route. Même les déchets de la ville sont de trop, mais
nous ne pouvons fermer complètement le dépotoir en l'absence d'une autre solution. »
Les municipalités environnantes se trouvent dans une situation peu enviable. « Nous leur avons
proposé de jeter leurs ordures dans deux autres dépotoirs de la région, répond Ibrahim Bsat. Après
tout, nous avons hérité de ce problème durant quarante ans, il est temps que cela s'arrête. »
À la question de savoir ce que font effectivement les municipalités des environs, Abdullatif
Chamdine, volontaire à l'Association de développement de l'homme et de l'environnement (DPNA),
une ONG locale, assure que le problème reste entier. « Les deux autres dépotoirs de la région sont à
Zoghdraya et à Anqoun (est de Saïda), dit-il. Il s'agit de dépotoirs sauvages, pas de décharges
sanitaires équipées. Ils accueillent déjà chacun les déchets de quelques municipalités limitées.
Quand certaines des grandes municipalités ont voulu y envoyer leurs camions après le début de la
crise, les habitants de ces villages leur ont barré la route. Leurs craintes, légitimes, sont de voir
leurs localités devenir une destination permanente pour les déchets de toute une région. Les
déchets s'amoncellent donc sur place, beaucoup les incinèrent à l'air libre, ce qui est la pire solution
qui soit. » Nous remarquons effectivement des bennes à ordures noircies, signes d'une incinération
récente. Abdallah Chamlane ne confirme pas des rumeurs selon lesquelles certains présidents de
conseils municipaux auraient enfoui leurs déchets dans le sol pour s'en débarrasser.
terme ne peut résider que « dans des négociations équitables pour faire baisser le prix de la tonne à
l'usine ». Il se demande si le prix élevé demandé n'inclut pas une compensation des 80 tonnes que
ne paiera pas Saïda. Une source bien informée confirme que le prix aurait été de 104 dollars si la
ville s'acquittait de sa part.
Rivalités politiques
Ibrahim Bsat, lui, rejette le blâme de l'impasse actuelle sur le gouvernement. « Depuis une décision
du Conseil des ministres datant de 2003, la responsabilité de la collecte revient aux municipalités et
celle du traitement au gouvernement, dit-il. Qu'a fait ce dernier ? Où est le plan national promis ? »
Le dossier des déchets, comme tout le reste, est intimement lié à la politique au Liban. Le retard
dans la formation d'un nouveau gouvernement n'est pas fait pour accélérer la solution d'un
problème comme celui de Saïda. Mais ce n'est pas tout. Des rivalités très propres au Sud viendraient
actuellement aggraver la crise des déchets, et auraient même inspiré la décision soudaine de priver
les municipalités du caza de la possibilité de profiter du dépotoir. Il se chuchote en effet qu'une lutte
oppose la députée de Saïda, Bahia Hariri (Courant du futur, camp politique du Premier ministre
sortant Saad Hariri), au président du Parlement Nabih Berry, chef de son propre bloc parlementaire,
sur la présidence de la Fédération des municipalités du caza. Mme Hariri pense que cette présidence
doit revenir traditionnellement à Saïda, ville principale du caza et capitale du Sud. M. Berry affirme
qu'il y a une nouvelle majorité parlementaire dans le pays, et que celle-ci devrait se refléter
localement par l'élection d'un président venant d'une des municipalités de Zahrani. Un microcosme
des dissensions politiques nationales entre 14 et 8 Mars en somme.
Interrogé sur ce point, Ibrahim Bsat nie formellement ce lien entre crise des déchets et crise
politique. « Nous avons fermé le dépotoir aux autres car il est saturé, un point c'est tout », dit-il.
Mme Hariri a refusé de s'exprimer, soulignant qu'elle avait « la même opinion que le conseil
municipal ».
De son côté, Michel Moussa, député membre du bloc Berry, réfute lui aussi toute politisation de ce
dossier. « Un problème comme celui des déchets fait souffrir tout le monde sans exception, dit-il.
Est-ce logique de prolonger cette souffrance généralisée pour pénaliser une seule partie ? »
Problème politique ou pas, le dépotoir de Saïda est toujours là, et il a même fait des petits. Une
prolifération compréhensible en l'absence de toute stratégie nationale élaborée suivant des critères
scientifiques.
LIBAN
On vit tellement dans l'urgence à Saïda et dans le reste du caza qu'on ne réfléchit, pour le moment,
qu'à la façon de traiter les déchets qui continuent d'être produits chaque jour par la population. Or il
faudrait bien aborder un jour la question de la réhabilitation de l'ancien dépotoir qui continue de
s'effondrer dans la mer régulièrement. Celui-ci est devenu l'un des symboles non seulement de
l'incapacité du Liban à gérer ses déchets, mais aussi de sa contribution à la pollution de la
Méditerranée. En effet, on s'en plaint jusqu'à Chypre, qui a recueilli sur ses côtes des ordures
venant du Liban, reconnaissables à certaines marques fabriquées ici...
Interrogé sur ce sujet, Ibrahim Bsat, vice-président de la municipalité de Saïda, confirme qu'il existe
bel et bien un projet de réhabilitation et d'aménagement de toute cette partie de la côte polluée par
les déchets. Il nous montre une carte sur laquelle sont dessinés les contours de ce projet : une jetée
en demi-cercle conçue, selon lui, pour « enfermer » le dépotoir afin d'empêcher la chute des déchets
dans la mer. Tout l'espace à l'intérieur de la jetée et jusqu'à la côte devrait être remblayé et servir
d'espaces publics avec jardins et cafés, explique-t-il. « Le dépotoir est d'ailleurs formé à 60 % de
remblais, ajoute-t-il. On pourrait utiliser ceux-ci, une fois séparés des déchets, pour remblayer cet
espace de 50 000 mètres carrés environ. »
La réponse du responsable municipal reste très floue sur les évidents dégâts écologiques causés par
50 000 mètres carrés de remblais dans la mer, réalisés de plus avec des remblais provenant d'un
dépotoir qui accueille tous genres de déchets, donc nécessairement pollués. « L'appel d'offres a déjà
été fait et une société a gagné l'adjudication, poursuit-il. Le budget pour la construction de la jetée,
environ 29 millions de dollars, proviendra de l'État à hauteur de 20 millions. Le reste sera assuré
par un fonds saoudien de 20 millions de dollars : neuf pour la jetée et onze pour la réhabilitation du
site. Le projet entier, une fois commencé, durerait deux ans à deux ans et demi. »
Interrogé sur la technique de traitement de ces anciens déchets, M. Bsat précise que « ce sera la
décision du ministère de l'Environnement ».
Il est utile de rappeler, à ce propos, que la réhabilitation des dépotoirs est une affaire complexe et
onéreuse. Le seul exemple qu'on ait pour le moment au Liban est celui de la réhabilitation du
dépotoir du secteur de Normandy, au centre-ville de Beyrouth. Confiée à une société étrangère qui
a opté pour l'incinération, cette réhabilitation a duré des années et coûté plus de 100 millions de
dollars. Le plus grand dépotoir côtier du Liban, à Bourj Hammoud, à l'entrée nord de Beyrouth, a
simplement été recouvert de terre en 1997 à sa fermeture, et le gaz méthane en a été dégagé sans
être recueilli. Il attend toujours une improbable réhabilitation.
LIBAN