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LA PRINCESSE DE
CLÈVES
Mme de La Fayette
L’œuvre en examen…………………………………………………………………………………….10
I. Les personnages et la cour d’Henri II : la peinture historique et la structure du récit……10
a. Table des personnages……………………………………………………………………….10
b. La structure de La Princesse de Clèves…………………………………………………….15
II. L’analyse des passions et la morale…………………………………………………………..18
a. Le moralisme au XVIIe siècle : la position de Mme de La Fayette……………………….18
b. La morale et le roman…………………………………………………………………………19
c. Les passions comme syntaxe de la morale romanesque classique…………….............20
d. Le problème de l’amour : le refus de la princesse…………………………………………20
e. La morale féminine : entre contraintes sociales et velléité d’élévation, de l’homme à
Dieu……………………………………………………………………………………………...21
f. La sublimation féminine de l’amour par l’éloignement : l’action de la volonté…………...22
III. Lectures de La Princesse de Clèves………………………………………………………….23
a. Le problème de l’aveu : la réception du roman…………………………………………….23
b. Le signe et la chose : les manifestations des passions…………………………...............24
c. La question de la fatalité : La Princesse de Clèves et-elle une tragédie ?......................25
IV. Commentaire composé troisième partie : L’aveu………………………………………...….26
Lexique ……………………………………………………………………………................................31
Bibliographie…………………………………………………..…………………………………………32
Biblioweb………………………………………………………………………………………………….32
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« La princesse de Clèves » Mme de La Fayette
Introduction :
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● L’ŒUVRE ET SES CONTEXTES
Lire La Princesse de Clèves, c’est découvrir l’un des plus grands romans de notre
littérature. Œuvre d’une intensité singulière, mais qui n’en reste pas moins signifiante à l’intérieur
d’un contexte historique et social. On ne saurait réduire le roman à des données
anthropologiques, mais pour en dégager le génie, il faut comprendre dans quel paysage social et
culturel est apparu ce texte, Pourquoi parle-t-on à son sujet de naissance du roman
psychologique, pourquoi cette œuvre a-t-elle été si marquante dans l’histoire littéraire, pourquoi
la morale qu’elle illustrait a-t-elle tant choqué ?
L’auteur de La Princesse de Clèves, que l’on connait sous le nom marital de Mme de La
Fayette, naquit Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, à Paris en 1634. Elle y mourut en 1693.
Elle connut donc la fin du règne de Louis XIII, la Régence (celle d’Anne d’Autriche à partir de
1643), la Fronde (remise en cause par les aristocrates du pouvoir royal), et le règne glorieux de
Louis XIV (à la mort de Mazarin, en 1661). Elle traversa la majeure partie de ce que l’on a
coutume d’appeler le Grand Siècle, où les querelles politiques furent vives et décisives pour la
royauté. En effet, la monarchie absolue s’y imposa dans toute sa magnificence. Quels éléments
de l’histoire permettent de comprendre notre comtesse, de saisir les singularités d’une femme de
lettres au XVIIº siècle, où il n’était pas souhaitable qu’un noble se commette è des travaux
littéraires, et encore moins qu’une femme se pique de création artistique ? Comment trouver sa
place dans une société d’Ancien Régime où la naissance déterminait amplement les destins ?
Sans figer les individus dans leurs origines familiales, on peut cependant éclairer, par la
parenté et l’éducation de la comtesse, cette vie qui, quelque retirée et exigeantes qu’elle fût,
s’inscrivit dans un contexte historique particulier. Autrement dit, il convient de connaitre l’histoire
et la culture d’Ancien Régime pour ne pas faire de lectures à contresens.
La comtesse de La Fayette naquit fille de gens de petite noblesse. C’est dire que rien
n’était acquis pour elle qui dut toujours travailler à la bonne marche des affaires familiales,
protéger ses biens, conserver son patrimoine à grands coups de procès et de procédures. En
effet, la noblesse n’avait pas droit de commercer sans déroger à son statut, et il fallait bien vivre
de revenus, conserver les héritages. Son père, un homme cultivé, était ami de Voiture,
chapelain1, Mlle de Scudéry2, grande figures littéraires de l’époque. Il collectionnait les meubles
précieux, les livres rares, et fréquentait l’hôtel de Rambouillet. Ainsi la jeune Mlle Pioche de la
Vergne fit son éducation dans un milieu choisi, où la beauté et l’art avaient leur place.
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En effet, l’hôtel de Rambouillet, haut siège de la préciosité à Paris, n’était autre que la demeure
de la marquise de Rambouillet, qui y recevait des gens de lettres pour se livrer à d’intenses
discussions littéraires comme à des débat de casuistique* et de morale. Il faut imaginer combien
ces fréquentations ont pu former l’esprit et les gouts de la jeune fille. Son père bénéficiait
également de la faveur de Richelieu, ce qui posait d’entrée de jeu des liens entre le pouvoir et la
famille La Vergne. Sans être riche, cette famille n’en était pas moins introduite, et la comtesse
cultiva toujours des relations utiles avec le pouvoir royal. Cela dit, le père de Mme de La Fayette
n’était pas un ambitieux, il mena une vie retirée. C’est sa mère, une coquette, fine en affaires, qui
dirigeait la petite fortune, plaça leur argent et cultiva au mieux des relations qui pourraient un jour
servir à sa fille. Voilà pour la parenté, qui ne présage en rien de l’activité qui nous intéresse,
l’écriture, tant Mlle Pioche de la Vergne ne dut qu’à elle-même sa culture comme sa position
dans la société.
Elle fut l’élève de Gilles Ménage (1613-1692), écrivain, mondain, érudit du Grand Siècle.
Grace à lui, malgré la mort de son père, elle bénéficia d’une éducation que peu de jeunes filles
de son temps reçurent. Elle lisait les vers italiens, latins, français, profitant de sa santé fragile
comme de ses retraites à la campagne pour dévorer des livres aussi bien en italien qu’en
français, et surtout, de nombreux ouvrages d’histoire, de littérature ou de morale. Mais c’est le
roman, genre déconsidéré à bien des égards à cette époque, galant * par excellence, qui retint
tous ses suffrages. Dans sa correspondance avec son maître Ménage, elle exprime souvent son
excitation et sa hâte à lire une nouvelle tomaison* de la Clélie (1654-1658), long roman d’amour
baroque* qui connut un grand succès auprès du lectorat noble. Au début de son mariage, alors
qu’elle séjourne en Auvergne, loin de la capitale, elle continua à lire romans, mémoires,
anecdotes historiques. Ce goût pour la lecture, cette assiduité dans l’étude, font Ŕ quoi qu’on en
dise Ŕ le terreau de l’écriture future de ses fictions romanesques. Car peut-on écrire un roman
aussi serré et efficace que La Princesse de Clèves si l’on ne s’est pas pétri de littérature ? Peut-
on initier le roman psychologique, renouveler le genre romanesque en lui donnant une unité, si
l’on ne s’est pas plongé dans les œuvres qui nous précèdent ?
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un milieu qu’elle dépeint dans la Princesse de Clèves. Tout cela permit à notre comtesse de
vivre à l’abri de la gêne financière.
Outre la cour, la comtesse fréquentait l’hôtel de Nevers où Madame du Plessis
Guénégaud et son mari tenaient un salon littéraire largement influencé par le jansénisme*, et où
l’on défendit à leur parution anonyme Les Provinciales1 de Pascal (1656). Les débats moraux des
salons, comme le jansénisme, ont influencé Mme de La Fayette. Que faire quand on a des
devoirs sociaux, des engagements publics, et qu’ils nient l’honnêteté morale qu’on se doit à soi-
même ? Comment régler ses passions face à ce monde dont on a besoin pour vivre et qui nous
force à mille compromis ? Comment résister à une Cour qui nous prive de réflexion solitaire, de la
constance dans nos résolutions ? Autrement dit, passer du monde de la Cour à celui des salons,
puis de retirer dans ses terres auvergnates, puis dans sa demeure de la rue Vaugirard, implique-
t-il de renier son intégrité, d’accepter les apparences de morale pour véritable morale ? Comment
accorder son exigence individuelle à une société aristocratique condamnée au paraître et aux
dépendances dans lesquelles la royauté tend à la réduire de plus en plus étroitement ?
Mme de La Fayette cultiva tout au long de son existence des liens avec les gens de
pouvoir, tels Henriette d’Angleterre et même Louis XIV, mais elle passait aussi beaucoup de
temps seule, à régler des affaires de famille et d’argent, ou à recevoir ses amis intimes somme
Segrais2, La Rochefoucauld ou Mme de Sévigné. Elle maintint toujours un va-et-vient entre
mondanité et solitude. Cette dialectique s’imposa avec d’autant plus de netteté ai cours du XVII e
siècle pour les nobles dans la mesure où Louis XIV forçait les Grands à être des courtisans,
obligés du Roi, dépendants de ses grâces et de ses disgrâces. Privilégier la retraite, c’était donc
remettre peu ou prou en cause l’exigence de mondanité et des jeux sociaux hypocrites.
La structure de la société nobiliaire de l’époque corsetait la liberté des individus, car in
devait rendre des hommages, se montrer pour tenir son rang et espérer gagner des influences et
ne pas perdre les appuis qu’on avait difficilement obtenus. On voit dans La Princesse de Clèves
que le prince oblige sa femme à reparaître dans le monde pour en finir avec le deuil de sa mère,
et que c’est ce retour dans le monde qui réduit la princesse à subir la présence de Nemours et
donc la passion qui s’en suit. Ce goût pour la retraite fit écrire à Mme de La Fayette dans sa
correspondance : « Paris me tue. J’aime bien mieux ne voir guère de gens que d’en voir de
fâcheux. Je ne vois personne, je ne m’en soucie point du tout », ou encore, dans une lettre de
1673 adressée à Saint-Maur :
« J’ai quitté toutes mes affaires et tous mes amis. J’ai mes enfants et le beau temps, cela me
suffit… Tout le monde me paraît si attaché à ses plaisirs, et è des plaisirs qui dépendent entièrement des
autres, que je me trouve avoir un don des fées d’être de l’humeur dont je suis. »
La comtesse, femme de tête dans les affaires, n’en était pas moins soucieuse de
préserver sa tranquillité, son indépendance qui selon le rapport de Segrais, lui faisait dire :
« C’est assez d’être ». Non seulement on comprend en quoi la tâche d’ « être », opposée aux
exigences du « paraître », peut s’occuper toute une existence, mais on comprend aussi qu’
« être » abouti à une sorte de plénitude sereine que les liens obligés que tisse la société ne
peuvent que compromettre. On sait que les amis de notre auteur avaient coutume entre eux de
l’appeler le « brouillard », comme si elle mettait toujours un voile entre elle et le monde. On dira
que nos sociétés aspirent également à la solitude dans la critique qu’elles font des contraintes
sociales et de la publicité, mais on y dépend moins d’un pouvoir absolu, on n’est plus condamné
publiquement par les règles religieuses, il ne revient pas à un seul de souffler le chaud et le froid.
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Le XVIIe siècle a été hanté par la question de l’authenticité, de la solitude impossible, de
la transparence. On en retrouvera trace dans La Princesse de Clèves. En creux de notre roman,
du Misanthrope de Molière ou des Caractères de La Bruyère, s’inscrit une aspiration à la retraite.
L’encre a beaucoup coulé pour décider si les œuvres de Mme de La Fayette étaient
issues de sa plume. Son premier texte, un portrait de son amie Madame de Sévigné, n’est pas
plus signé que ne le furent les ouvrages qui suivirent. C’est qu’il n’était pas convenable pour un
noble de commettre une œuvre, et qu’il était surtout absolument compromettant pour une femme
d’écrire. Le fait que Mme de La Fayette ait fait signer ses œuvres par d’autres est certainement
l’origine du déni de paternité qu’on impose à ses textes. L’écrivain faisait usage de prête-noms
comme le frère de Mlle de Scudéry a signé les romans de sa sœur afin de préserver la réputation
de cette dernière. Bienséance oblige, le portrait de Mme de Sévigné fut publié par Segrais et
Huet1, figures littéraires accréditées, dans un recueil de 1659.
L’Histoire de la princesse de Montpensier fut écrite pendant l’été 1661, probablement
inspirée des observations de Mme de La Fayette sur l’aventure d’Henriette d’Angleterre et du
conte de Guiche. L’œuvre fut corrigée par Ménage, discutée sur certains points avec lui, mais
bien de la main de l’auteur de La Princesse de Clèves. En 1670, elle entreprit l’écriture d’un
roman espagnol pour distraire le duc de La Rochefoucauld avec lequel elle entretint une longue
liaison, sûrement d’amour, puis d’amitié. Ils lurent ensemble L’Astrée, roman pastoral, et
disputaient de morale et de littérature. Zayde (1670) naquit de cette collaboration intellectuelle, et
mêla également Segrais et Huet à l’entreprise. Le roman parut sous le nom de Segrais. L’Histoire
de la princesse de Montpensier comme Zayde furent des succès de librairie mais dont la
comtesse de tira aucun prestige. Chose difficile à comprendre pour nous, mais qui ne rendait pas
moins importante l’entreprise de questionner la morale par la fiction, de cultiver des amitiés
autour de la création.
La princesse de Clèves n’échappe pas aux soupçons d’origines plurielles, mais elle a
constitué le coup de maitre de notre comtesse, elle a ému les esprits, provoqué les indignations.
La rumeur l’accusa de plagiat et d’inconvenance. Elle aurait imité un roman de Mme de Villedieu.
On pense que la rédaction de La Princesse se serait étalée sur six années (1672-1678), pendant
lesquelles La Rochefoucauld fut très proche de la comtesse, assombri qu’il était par des deuils.
Le fait que els romans de Mme de La Fayette aient parties liées à ces discussions avec des mis
et pairs, ne doit pas priver la comtesse du mérite qu’elle ne doit qu’à elle, de la paternité littéraire
nécessaire à l’unité des œuvres, mais bien plutôt nous inviter à en dégager la teneur casuistique*
et morale. Discuter de l’aveu que la princesse de Clèves fait à son mari, ce n’était pas se reposer
sur autrui, sur les hommes supposés plus aptes ou savants, mais éprouver ensemble des
hypothèses morales, des dispositifs romanesques. Dans un contexte historique où le genre
romanesque fut méprisé, la discussion permit à Mme de La Fayette d’affiner son récit, de lui
donner une efficacité et une simplicité admirables.
Enfin, le fait que ces textes s’ingénient à explorer les conditions de la vertu féminine dans
une société jugée comme compromettante pour les femmes, permet de rendre à César ce qui est
à César. Il tenait à cœur à cette femme de lettres d’examiner le statut moral et social de la veuve,
la ferveur de l’amante, les devoirs de l’épouse, Le nœud moral de la fiction articule morale et
personnage féminin.
1. Pierre Daniel Huet (1630-1721), prélat et érudit français, auteur d’ouvrages scientifiques, théologiques
et de pensées.
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g. Morale individuelle et société : la tentation du jansénisme
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II. L’aristocratie au miroir du roman : de l’héroïsme idéalisant à la mise en
cause pessimiste de l’analyse des passions
Mme de La Fayette fut une grande lectrice de romans, surtout pastoraux, comme L’Astrée
d’Honoré d’Urfé, ou héroïque, comme la Clélie de Mlle de Scudéry. Et il est intéressant de voir
que pour elle, contrairement à la classification moderne, La Princesse de Clèves n’était pas un
roman. Voici ce qu’elle prétend :
« je trouve [ce livre] très agréable, bien écrit sans être extrêmement châtié, plein de
choses d’une délicatesse admirable et qu’il faut même relire plus d’une fois. Et surtout,
ce que j’y trouve, c’est une parfaite imitation du monde de la Cour et de la manière dont
on y vit. Il n’y a rien de romanesque et de grimpé ; aussi n’est-ce pas un roman : c’est
proprement des mémoires… »
Evidemment, l’exigence d’anonymat lui fait parler de cette œuvre comme de celle d’un
autre. Pour l’auteur, il ne s’agissait donc pas d’un roman mais de « mémoires », genre historique
plus attaché à la réalité de la peinture des choses qu’à l’héroïsation des personnages. Elle se
montre ainsi sensible à ce que les classiques* appelaient le « naturel », une peinture fidèle,
réaliste, d’un monde non idéalisé.
Or, cette poétique du naturel s’affirme nettement en rupture avec le roman baroque* du
début du XVIIe siècle, dont le plus célèbre exemple reste l’Astrée. La comtesse exprime dans ses
propos une exigence de fidélité des analyses à la nature du cœur humain Ŕ faillible et inconstant
Ŕ contre l’extravagance dont faisaient preuve ces romans héroïques. Elle s’écarte également de
la langue précieuse*, du style amphigourique* des fictions baroques : elle privilégie la
transparence du style, le naturel de la langue, pour concentrer l’intérêt de la narration sur
l’essentiel : la description et l’analyse des passions. Mme de La Fayette impose donc la réalité
contre l’idéalisation, la fidélité contre l’héroïsation, l’analyse contre le rocambolesque des
histoires baroques. Quelques éléments d’histoire littéraire vont nous aider à comprendre les
propos de Mme de La Fayette à la lettre.
● L’ŒUVRE EN EXAMEN
Mme de La Fayette utilise le décor de la cour d’Henri II pour implanter son intrigue et mener à
bien sa réflexion sur la galanterie. Dans un monde où le paraître est de rigueur, le mensonge des
apparences y est exacerbé. Ce décor permet des parallélismes entre cette cour et celle de Louis
XIV, dans la mesure où on les considéra tous deux comme des rois goutant le raffinement galant.
Rappelons que l’intrigue prend place entre 1558 et 1559, au XV e siècle. On retiendra qu’hormis
Mme de Chartres et mademoiselle sa fille, future princesse de Clèves, ainsi qu’Estouteville, tous
les personnages ont existé. C’est bien sûr le genre des mémoires qui commande cette exactitude
historique, mais bien plus encore la volonté d’analyse des passions dans leur lien avec la
morales et l’histoire des Grands, censés servir d’exemples aux Nations.
Pour plus de clarté j’ai choisi de disposer cette table en fonction des nationalités des cours
mentionnées et selon les grandes familles qui les composèrent. Il faut en effet mémoriser un
certain nombre de liens de parenté ou d’alliance pour lire La Princesse de Clèves. Si un
personnage n’est pas mentionné, c’est que son identité historique n’est pas reliée aux famille ou
clans présentés ci-dessous.
1. La cour d’Angleterre :
Henri VIII : né en 1491, roi d’Angleterre de 1509 à 1547. Marié à Catherine d’Aragon, tante de
l’empereur Charles Quint (également roi d’Espagne et empereur d’Allemagne). Ils eurent une fille
Marie Tudor, qui régna de 1553 à 1558. Une fois répudiée Catherine d’Aragon, Henri VIII épousa
Anne de Boulen (ou Boleyn), provoquant le schisme entre l’église anglicane et la papauté. Avec
Anne, Henri VIII eut une fille, Élizabeth. Henri VIII eut plusieurs femmes après Anne de Boulen,
qu’il fit exécuter.
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Catherine d’Aragon : mariée en 1509 à Henri VIII, dont elle eut la future reine Marie Tudor ; fut
répudiée en 1533.
Anne de Boulen : seconde femme d’Henri VIII en 1533, elle fut éduquée à la cour de France de
Louis XII puis de François I er. Dame d’honneur de la reine Claude de France, elle fut ensuite
attachée à la sœur de François I er, Marguerite de Navarre, avent de revenir en Angleterre
comme dame d’honneur de Catherine d’Aragon. Sa sœur, Marie de Boulen fut également
maitresse d’Henri VIII et son frère, le vicomte de Rochefort, accusé d’être son amant, fut décapité
avec elle par Henri VIII en 1536.
Marie Tudor : née en 1516, fille de Catherine d’Aragon et d’Henri VIII. Reine d’Angleterre en
1533, morte en 1558 sans descendance.
Élizabeth d’Angleterre : née en 1533, fille du roi Henri VIII et d’Anne de Boulen, reine à la mort
de sa demi-sœur, de 1558à 1603. Son règne eut beaucoup d’éclat.
Jeanne Seimer (Seymour) : mariée à Henri VIII en 536, dont elle fut la troisième femme, morte
en 1537.
Catherine Havard (ou Howard) : mariée en 1540 au roi Henri VIII, dont elle fut la cinquième
femme, décapitée en 1542.
Cardinal de Volsey (ou Wolsey) : aumônier d’Henri VIII, archevêque d’York et grand chancelier
du royaume. Cardinal en 1515. Exécuté en 1533.
2. La cour d’Espagne
3. La cour d’Écosse
Jacques V : né en 1512, roi en 1513, marié en 1536 à Magdeleine de France, fille de François
Ier, puis en 1538 à Marie de Lorraine, dont il eut Marie Stuart, future reine dauphine de France.
Mort en 1542.
Marie de Lorraine, appelée la Reine, mère de Marie Stuart : sœur du duc de Guise et du
cardinal de Lorraine. Née en 1515, mariée en 1534 à Louis d’Orléans, duc de Longueville, puis
en 1538 à Jacques V d’Écosse, veuf de Magdeleine de France, fille de François I er. Veuve du roi
d’Écosse en 1542. Morte en 1560.
Marie Stuart : appelée Madame la Dauphine dans notre texte. Puis la Reine, après la mort
d’Henri II (alors épouse du dauphin). Fille de Jacques V, roi d’Écosse et de Marie de Lorraine,
sœur du duc de Guise. Née en 1542, reine d’Écosse dès la même année. Mariée en 1558 à
François II, dauphin de France, rois en 1559. À la mort de son mari, en 1560, elle quitte la
France pour l’Écosse. Vie d’aventures avant d’être vaincue par les rebelles écossais en 1568,
puis retenue prisonnière par la reine Élizabeth d’Angleterre. Décapitée en 1587.
Chastelart : Pierre de Boscosel, gentilhomme de Dauphiné, passionnément épris de Marie
Stuart, qu’il accompagna en Écosse à la mort de son mari François II (1560). Découvert caché
dans sa chambre, il fut exécuté.
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4. Le duché de Savoie
5. La cour de France
▪ La famille royale
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Claude de France, appelée Madame ou Madame de Lorraine : deuxième fille d’Henri II et de
Catherine de Médicis, née en 1547. Marié au duc de Lorraine en 1559. Morte en 1575.
Diane (Madame) : Diane légitimée de France, fille batarde naturelle d’Henri II. Née en 1538,
mariée en secondes noces à François de Montmorency. Morte en 1619.
Le Dauphin, François II, appelé Monsieur le Dauphin puis le Roi à la mort de son père
Henri II : François, dauphin de France, fils aîné d’Henri II et de Catherine de Médicis, né en
1543, marié en 1558 à Marie Stuart, qui devint Madame la Dauphine. Devint le roi François II en
1559. Mort en 1560, peut-être empoisonné.
Charles IX : fils d’Henri II et de Catherine de Médicis, roi de France en 1560, à la mort de son
frère François. Né en 1550, mort en 1574.
Marie, batarde de France, aïeule de Mme de Valentinois : fille naturelle de Louis XI, mère de
Saint-Vallier, grand-mère de Diane de Poitiers.
Saint-Vallier : Jean de Poitier, comte de Valentinois, fils d’une fille naturelle de louis XI. Père de
Diane de Poitiers. Condamné à mort pour avoir favorisé la retraite du connétable de Bourbon,
gracié par l’entremise de sa fille. Mort peu après en 1524.
La duchesse de Valentinois, Diane de Poitiers : fille de Saint-Vallier, Jean de Poitiers, née en
1499. Mariée en 1514 à Louis de Brézé, dont elle eut deux filles, Françoise et Louise. Veuve en
1531. Devient maîtresse du dauphin, futur Henri II, peu avant 1540. Duchesse de Valentinois en
1548. A une influence politique jusqu’à la mort d’Henri II. Morte en 1566.
M. de Brézé : louis de Brézé, marié en secondes noces à Diane de Poitiers en 1514, mort en
1531.
Louise de Valentinois, appelée fille de Madame de valentinois : Louise de Brézé, mariée en
1547 à Claude de Lorraine, duc d’Aumale. Diane de Poitiers eût souhaité la marier au vidame de
Chartres.
Le duc d’Aumale : Claude de Lorraine, frère du duc de Guise et du cardinal de Lorraine. Marié
en 1547 à Louise de Brézé. Mort en 1573.
Mlle de La Marck, petite fille de la duchesse de Valentinois : fille de la cadette Brézé,
Françoise. Mariée en 1558 au duc d’Anville.
M. d’Anville : Henri de Montmorency, fils cadet du connétable de Montmorency. Marié en 1558 à
Antoinette de La Marck, petite-fille de Diane de Poitiers. Maréchal de France en 1566. Mort en
1614.
Le Connétable de Montmorency, appelé le Connétable : père du précédent. Né ne 1492,
maréchal de France en 1522, Mort en 1567.
M. de Montmorency : François de Montmorency, fils aîné du précédent. Marié en 1557 à Diane
légitimé de France, fille naturelle d’Henri II. Maréchal de France en 1559. Mort en 1579.
▪ La famille Bourbon-Condé
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Le roi de Navarre ou duc de Vendôme : Antoine de Bourbon, fils de Charles IV de Bourbon,
duc de Vendôme. Frère du prince de Condé. Marié en 1548 à Jeanne d’Albret, fille du roi de
Navarre. Roi de Navarre par succession de son beau-père en 1555. Père du futur roi Henri IV.
Mort en 1562.
Marguerite de Bourbon, mère du prince de Clèves : sœur du prince de Condé et du roi de
Navarre, fille de Charles IV de Bourbon. Elle épousa François de Clèves, duc de Nevers, dont
elle eut Jacques de Clèves (notre prince de Clèves) et François II de Clèves, frère de notre
prince de Clèves.
Le duc de Montpensier : Louis III de Bourbon, fils de Louis de Bourbon prince de la Roche-sur-
Yon (1473-1520), lequel était frère du père de Charles IV de Bourbon (François de Bourbon). Ce
Louis, duc de Montpensier, est donc le cousin de Charles IV, le père de Condé. Né en 1513, il
eut pour fils le prince de Montpensier.
Le prince de Montpensier, appelé le prince Dauphin : François de Bourbon, fils du précédent,
né vers 1542, mort en 1592.
Le prince de Clèves ou monsieur de Clèves : Jacques de Clèves, fils cadet de François de
Clèves, duc de Nevers et de Marguerite de Bourbon, sœur du prince de Condé. Né en 1544, il
épousa Diane de La Marck, petite-fille de Madame de Valentinois (ce mariage est bien sûr
transformé dans notre roman où il est fictivement marié à Mlle de Chartres). Mort en 1564 et non
en 1559 comme c’est le cas dans La Princesse de Clèves.
Le duc de Nevers : François de Clèves, père du précédent. Mort en 1561, date que Mme de La
Fayette a été obligée d’avancer de plus de deux années pour sa fiction. Il eut pour fils notamment
le comte d’Eu, nommé également duc de Nevers, comme son père, et le prince de Clèves seuls
fils mentionnés dans notre roman.
La princesse de Clèves : titre qui fut donné à Diane de La Marck dans l’histoire, mais qui est
dans notre roman celui que prend Mlle de Chartres lorsqu’elle épouse le prince de Clèves en
1559. Mlle de Chartres est un personnage fictif qu’utilise Mme de La Fayette pour étirer la fiction,
formuler les problèmes moraux sans être contrainte par la vérité historique. Mme de Chartres, la
mère, est également un personnage de fiction.
Le vidame de Chartres : par contre, celui-ci a véritablement existé. Il ‘agit de François de
Vendôme, prince de Chabanais, né vers 1522, colonel, général puis gouverneur de Calais, il
mourut en 1560.
La Reine, mère de Marie Stuart : Marie de Lorraine, fille aînée de Clade de Lorraine et
d’Antoinette de Bourbon, née en 1515. Sœur du duc de Guise, elle épousa Louis d’Orléans, duc
de Longueville en 1534 puis Jacques V Stuart, roi d’Écosse en 1538, dont elle eut Mare Stuart, la
reine dauphine de La Princesse de Clèves. Morte en 1560.
Le duc de Guise : François de Lorraine, fils de Claude de Lorraine, premier duc de Guise. Né en
1519, marié en 1549 à Anne d’Este, fille du duc de Ferrare, sœur du duc de Ferrare dont on parle
dans La Princesse de Clèves. Anne d’Este est Ferrare par son père et fille de Renée de France,
elle-même fille de Louis XII. Après la mort de guise, en 1563, Anne d’Este épousa en secondes
noces le duc de Nemours.
Le duc de Nemours : Jacques de Savoie, premier duc de Nemours, né en 1531, marié en 1566
à Anne d’Este, veuve du duc de Guise. Il eut pour sœur la duchesse de Mercœur, plusieurs fois
mentionnée dans notre roman.
Le cardinal de Lorraine : Charles de Lorraine, frère puîné du duc de Guise, né en 1525, cardinal
en 1547, mort en 1574.
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Le duc d’Aumale : Claude de Lorraine, frère du duc de Guise et du cardinal de Lorraine, né en
1526, duc d’Aumale, en 1550, marié à Louise de Brézé en 1547, fille de Mme de Valentinois.
Mort en 1573.
Le cardinal de Guise : Louis de Lorraine, frère du duc de Guise, né en 1527, cardinal en 1553,
mort en 1578.
Le chevalier de Guise ou le Grand Prieur : François de Lorraine, frère du duc de Guise né en
1534, chevalier de Malte, devint grand prieur de France et général des galères en 1557. Mort en
1563.
La duchesse de Lorraine ou la duchesse Douairière de Lorraine : chrétienne de Danemark,
veuve du duc de Milan, mariée en 1540 à François, du cde Lorraine, morte en 1590.
Le duc de Lorraine : Charles III, fils de la précédente Chrétienne de Danemark et de François
duc de Lorraine. Né en 1543, mort en 1608.
Notre roman est composé de quatre parties. Elles sont de longueur presque égale, ce qui
peut inviter à penser que ce sont davantage des tomaisons de libraire que des coupes
romanesques. Pour preuve, on avancera que les deuxième et troisième parties s’enchainent en
coupant l’histoire du vidame de Chartres. Certes, il vient tout juste de révéler sa liaison avec la
reine Catherine de Médicis et l’on attend la suite, mais il ne s’agit pas d’ouvrir à un nouvel
épisode, plutôt de prolonger ce qui précède en accordant une pause au lecteur. Ces parties ne
sont nullement des chapitres, elles ne se désolidarisent pas en mouvements autonomes mais
facilitent la lecture en même temps qu’elles permettent de souligner la structure de la narration
par étapes. Pour scander le récit, on trouvera la mort de certains des personnages (celle de Mlle
de Chartres, qui intervient pour ainsi dire à la fin de la première partie, celle du roi Henri II qui a
lieu à la fin de la troisième partie ou encore l’étape essentielle de la mort du prince de Clèves au
début de la quatrième partie), les récits insérés (celui de Mme de Chartres à sa fille au sujet de la
rivalité et de la haine cachées de la Reine et de Diane de Poitiers, maîtresse du Roi ; celui du
prince de Clèves concernant la liaison entre Mme de Tournon et Sancerre ; celui de la Dauphine
sur Anne de Boulen ; puis le récit inséré du vidame de Chartres à Nemours), histoires à tiroirs qui
sont autant de moments conventionnels du roman utilisé par Mme de La Fayette pour étayer
l’intrigue. On trouvera également les lettres (celle perdue par le vidame, par exemple), les bals et
les tournois pour éclairer ou obscurcir le problème moral posé par la fiction.
Il faut donc bien connaître la structure efficace de l¡œuvre. En tant que lecteur du XXI e
siècle, a-t-on encore cette impression de sécheresse, d’économie et de simplicité qu’éprouvèrent
les contemporains en comparaison avec le roman fleuve baroque ? L’œuvre est pour nous truffée
de références historiques, qui ne nous sont pas transparentes, de raccourcis descriptifs,
d’euphémisme, de litotes, liés aux bienséances d’un monde aristocratique qui nous est, à
presque tous égard, étranger. En effet, il ne va pas de soi qu’on fit des portraits des gens de la
Cour, que les autres nobles assistassent à leur exécution, que les hommes ou femmes se soient
mariés ou aimés parfois par l’entremise de ces portraits. En tout cas, si l’on s’en tient au strict
compte rendu des moments essentiels de l’intrigue, on verra à quel point la rigueur de
composition demeure surprenante. Le dénouement n’est intelligible qu’à la mesure de la
progression minutieuse des passions, servie par l’efficacité narrative.
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1. Première partie :
Comme au théâtre les premières scènes d’une pièce, l’ouverture d’un roman présente en général
les éléments essentiels à la compréhension de l’intrigue. On appelle cela une scène
d’exposition en dramaturgie, appelons cela une présentation pour la fiction en prose. La
première partie va introduire les principaux personnages, leurs liens de parenté, leurs rivalités,
leurs alliances. C’est sur le d´cor de la cour galante d’Henri II, que s’ouvre La Princesse de
Clèves. Après l’exposé des informations utiles, après l’identification des grands personnages
historiques, Mme de La Fayette peut enfin découvrir au lecteur les héros principaux de sa fiction.
Le lecteur a d’abord compris les rivalités qui animent la cour d’Henri II, cristallisées autour de
l’opposition principale entre la reine Catherine de Médicis et la maîtresse de titre du Roi, Diane
de Poitiers. À cette rivalité s’ajoute un troisième clan au sein de la cour, celui de la reine
dauphine, qui n’est autre que la célèbre Marie Stuart. Les femmes, les passions qu’on leur voue,
sont causes des actes au sein de la cour.
Sur ce décor d’hypocrisie galante, apparait le personnage éponyme, introduit sous son
nom de jeun fille : la belle Mlle de Chartres. Elle obéit au début au patronage de sa mère, qui
gouverne ses choix, et nous savons que son éducation l’a destinée à une exigence hors du
commun. Se pose naturellement la question de son mariage. Sa mère tâche de lui accorder le
meilleur parti de cette magnifique cour. C’est la rencontre de hasard avec le prince de Clèves
chez le marchand de bijoux, puis l’obstination de ce dernier à vouloir épouser Mlle de Chartres
contre els indications de son père, et enfin la mort provoquée en avance par la romancière de ce
père-obstacle, qui amène la réalisation du fatal mariage. Il y a aussi l’habile évacuation de
Nemours, pivot galant de la cour d’Henri II, que Mme de La Fayette retient à Bruxelles. En effet,
ce n’est qu’après son mariage, pendant un bal, que la princesse rencontra Nemours dont elle
tombe amoureuse, ce n’est qu’après ce mariage qu’elle entrevoit pourquoi son mari prétend
qu’elle ne l’aime pas. Mme de Clèves a les sentiments d’estime et de reconnaissance qu’on
se doit d’avoir à cette époque pour un mari. On n’aime pas un mari comme on aime un amant,
c’est le principe chrétien et social de la paix des ménages.
Une première étape d’apprentissage intervient alors par le récit inséré de Mme de
Chartres à sa fille. Elle la détrompe sur l’apparent accord qu’il y aurait entre Catherine de
Médicis et Diane de Poitiers. Un premier exemple des ravages de la jalousie et de l’ambition est
narré au lecteur, censé servir d’enseignement à la princesse de Clèves. Pourtant, cette leçon ne
sert de rien, car la princesse, dès qu’elle pressent sa passion pour Nemours sans encore
mesurer son étendue, cache à sa propre mère l’inclination de son cœur. C’est à l’occasion du
refus de notre héroïne d’aller à un bal, pour plaire à Nemours qui affirme souffrir de voir celle qu’il
aime plaire aux autres, que Mme de Chartres comprend l’excès de la passion de sa fille pour le
galant duc. Sans pouvoir bénéficier des conseils maternels, sans avoir le temps de livrer son
cœur à la seul qui puisse la sauver des erreurs auxquelles conduit la passion d’amour, Mme de
Clèves assiste, désemparée, à la mort de sa mère. Elle se retire de la cour pour faire son deuil et
jouit de cette retraite comme d’un apaisement de son violent amour pour M. de Nemours.
2. Deuxième partie
Le prince de Clèves raconte à sa femme la liaison secrète entre Mme de Tournon, veuve se
prétendant hors de tout commerce amoureux en public, et sancerre. Il s’agit d’un second récit
inséré. À la mort de Mme de Tournon, Sancerre découvre qu’elle avait un autre amant
(Estouteville), qu’elle lui faisait indûment croire qu’elle allait l’épouser, alors qu’elle en aimait un
autre. Il s’agit du second récit inséré, parallélisme qu’utilise la romancière pour éclairer le lecteur
sur la nature trompeuse du cœur humain. Cette histoire n’est pas un ornement, mais aura toute
sa signification dans le choix final de la princesse. En effet, se retrouvant veuve, elle eût pu céder
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à une galanterie avec Nemours et plus encore l’épouser. Mais ce contre-exemple de mensonge,
cette issue fatale incarnée par la mort de Mme de Tournon, constitue une limite que la princesse
se fera fort de na pas franchir.
À l’issue de ce récit, le prince enjoint sa femme de réapparaître à la cour. La reine
dauphine (Marie Stuart) raconte à la princesse comme l’attitude de Nemours est changée,
personne n’en devinant la cause. Quelle amante secrète lui fait différer un mariage avec la reine
Elizabeth d’Angleterre ?
Le duc de Nemours prend le premier prétexte pour visiter la princesse et lui déclarer sa passion à
demi-mot. Mme de Clèves se rend compte qu’elle s’est trompée en pensant que la passion
d’amour peut se guérir. Son cœur est plus enclin à aimer que jamais. Du coup, elle décide de
demander à son mari la permission de ne plus paraître dans le monde. Celui-ci refuse.
On en arrive au troisième récit inséré, celui de la reine dauphine qui raconte
l’histoire d’Anne de Boulen, maîtresse puis femme d’Henri VIII d’Angleterre. Anne de Boulen,
jeun femme belle et spirituelle, aimée d’un roi, n’en a pas moins fini décapitée, accusée de liaison
adultère et incestueuse avec son frère le vicomte de Rochefort. La jalousie apparaît comme
passion d’une violence telle qu’elle appelle le crime.
Puis l’on passe à la scène du portrait de Mme de Clèves : la cour assiste à l’exécution de
la peinture de la Dauphine provoque le destin dans la mesure où, demandant au prince de
Clèves un portrait antérieur de son épouse, elle permet à M. de Nemours de voler ce portrait. Cet
épisode révèle encore une fois à la princesse que sa passion pour Nemours demeure
ingouvernable, puisque, malgré le fait qu’elle ait vu Nemours voler le portrait, elle ne l’en a pas
empêché, et plus encore, en a éprouvé de la joie. Elle fit ainsi une faveur secrète à son amant.
L’étape suivante qui renouvelle les manifestations de la passion de Mme de Clèves est
un tournoi organisé par le Roi au cours duquel Nemours est projeté contre un pilier. La princesse
ne peut retenir son inquiétude, passion provoquée par l’amour pour Nemours, et le chevalier de
Guise, également amoureux d’elle, s’en aperçoit. Cette étape entérine l’impossibilité de cacher
les passions aux yeux des gens de la cour.
On arrive à l’épisode de la lettre galante d’une femme trompé, que la dauphine donne
à lire à Mme de Clèves comme provenant de Nemours, mais qui se révèle en fait perdue de la
poche du vidame de Chartres. Ce malentendu est néanmoins l’occasion de l’épreuve des affres
de la jalousie pour la princesse qui croit que la lettre galante de Nemours prouve son infidélité
envers les sentiments qu’il laisse paraître pour elle.
C’est le quatrième récit inséré, celui du vidame de Chartres, qui permet de
comprendre que cette lettre est celle de Mme de Thémines, amante ancienne du vidame. Depuis,
ce galant homme a contracté une liaison avec une autre femme, Mme de Martigues, qu’il a peur
de blesser par la révélation de cette missive, mais plus encore, le vidame entretient une
galanterie avec la reine Catherine de Médicis, et la découverte de la lettre lui serait fatale. Le
vidame implore donc Nemours de laisser croire qu’il s’agit d’une sienne lettre.
3. Troisième partie
Le récit du vidame se poursuit au début de cette partie. Le vidame de Chartres comprend les
réticences de Nemours, lequel a peur que la princesse croie qu’il l’abuse. Le vidame promet de
donner à Nemours une preuve que la lettre de Mme de Thémines lui est adressée. Nemours ne
révèle pas qui est son amante, et il court chez Mme de Clèves pour la détromper. Il se trouve
heureux de voir qu’elle n’a pas dormi, qu’elle a souffert mortellement de jalousie et d’avoir
l’occasion d’un tête-à-tête avec elle. La princesse et Nemours décident de duper la Dauphine en
prétendant qu’il s’agit bien d’une lettre adressée à Nemours. Puisque le vidame a repris la lettre,
le duc et la princesse sont obligés de récrire une fausse lettre pour la rendre à la Dauphine,
laquelle l’a promise à la reine qui a des soupçons au sujet du vidame. Cette réécriture leur donne
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l’occasion d’une complicité heureuse. La reine, ne reconnaissant pas la lettre, met fin à sa liaison
avec le vidame. L’issue de cette aventure galante est donc malheureuse pour presque tous les
personnages.
Après cet épisode de complicité entre les deux amants, la princesse se livre à une analyse
de ses sentiments. Ce n’est pas la première fois dans le roman, mais ce passage débouche sur
la décision de l’aveu, ce passage central de l’intrigue. Ne pouvant lutter seule contre sa passion,
Mme de Clèves décide de mettre son mari dans le secret et de s’en servir comme rempart contre
les faiblesses dues à l’amour. L’aveu de la princesse au prince est une sorte d’acmé de la fiction,
qui va nouer les fils de manière tragique. Nemours en étant le spectateur secret. Perdu dans la
forêt de Coulommiers, il écoute Mme de Clèves dire à son mari qu’elle en aime un autre. Bien
qu’elle refuse de le nommer, Nemours sait qu’il est aimé, et le prince va tout faire pour connaître
ce nom. Nemours, indiscret, raconte l’histoire de l’aveu au vidame, sans révéler l’identité de la
princesse. Ce dernier le répète à Mme de Martigues, qui le répète à la dauphine, laquelle pense
l’apprendre à la princesse. Furieuse, la princesse pense que son époux a révélé l’aveu incroyable
qu’elle lui a fait : le doute va donc planer entre les époux. L’un comme l’autre est sûr de n’avoir
rien dit, mais il faut bien que l’un des deux l’ait divulgué pour que la cour le sache. Ce
malentendu est fatal. Malgré sa colère contre le duc de Nemours, dont elle sait l’indiscrétion, la
princesse ne parvient pas à amoindrir son amour. Le prince de Clèves sombre dans le désespoir,
la jalousie et la suspicion.
S’ensuit la mort du roi Henri II à l’issue d’un combat, mort qui va mettre sur le trône son fils
François et changer les influences du pouvoir à la cour. Les Guise vont prendre le pas sur les
Condé.
4. Quatrième partie
La princesse prend le prétexte des deuils et événements de la cour pour s’en absenter à
Coulommiers. Nemours tente de venir voir la princesse, mais elle refuse sa visite, le prince en est
au désespoir qu’elle traite Nemours différemment des autres hommes. Le prince dit regretter
l’aveu. Restée seule à Coulommiers, la princesse se livre à la contemplation d’un portrait de
Nemours, qui est caché dans le jardin et la voit admirer sa peinture. Le prince de Clèves,
suspicieux, envoie un gentilhomme espionner sa femme. Victime de sa jalousie et de fatals
malentendus, il meurt de douleur en restant persuadé que sa femme lui a été infidèle. Mme de
Clèves, veuve et meurtrie par la culpabilité d’avoir causé la mort de son mari, fait tout pour éviter
Nemours. Elle accorde in fine un entretien au duc pour lui révéler son amour tout en renonçant
pour toujours à cette passion. En effet, ce dernier lui ayant demandé de l’épouser, elle explique
les raisons morales de ce refus de l’amour. Le dénouement consacre la spiritualité de la retraite
de Mme de Clèves. Elle tombe malade et meurt, alors qu’après quelques années de déception, la
passion de M. de Nemours s’éteint et qu’il se marie avec une autre femme.
On parle du XVIIe siècle comme du siècle du moralisme, où fleurirent les genres dévoués à
l’énonciation de sentences générales sur la nature humaine. On pense aux Fables (1668-1678)
de La Fontaine, mais il s’agit surtout des morales d’un La Bruyère dans ses Caractères (1688),
d’un La Rochefoucauld dans ses Maximes (1664), ou encore des recueils de maximes moins
célèbres, comme celui de Vauvenargues (1746) ou de Mme de Sablé (1678). Par assimilation, la
critique a souvent analysé les dramaturges tels Corneille et Molière, les romanciers telle Mme de
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La Fayette, comme s’ils étaient des moralistes. Cela impliquerait qu’il faille trouver à l’issue des
pièces ou dans le dénouement d’un roman une leçon générale, une observation des hommes
dans leur ensemble. Or, si l’on veut garder une certaine rigueur aux définitions, force est de
constater que ni les pièces ni les romans ne peuvent embrasser l’humanité dans son entier, car
ils se servent de personnages dans leur spécificité. C’est un truisme, mais un roman n’est pas
un aphorisme. Le roman joue d’une situation ancrée dans les contraintes d’une situation
singulière. La dramaturgie comme le roman sont des dispositifs fictionnel, inventés par des
auteurs, formulés à partir de ce qui était le prisme signifiant des classiques : les passions. Molière
tâche de montrer le jeu des passions entre elles, l’avarice de son Harpagon, la misanthropies et
la colère de son Alceste confronté à un amour incongru pour une coquette mondaine et hypocrite
(Le Misanthrope), la générosité de son athée Dom Juan, courageux et licencieux tout à la fois.
Corneille confronte amour et devoir (Rodrigue dans Le Cid), vengeance et vertu (Cinna). Notre
romancière fait de même : elle dispose des passions, les agence spécifiquement, de sorte que la
princesse de Clèves nous semble unique. Puis l’auteur dénoue son dispositif aussi
singulièrement qu’elle l’a posé. Mme de La Fayette ne saurait, par le roman, statuer sur l’homme,
pratiquer le moralisme de la maxime.
b. La morale et le roman
Mme de La Fayette n’est donc par une moraliste au sens où elle prodiguerait des
sentences générales sur le cœur, mais elle est une romancière qui se soucie de morale.
Comme son nom l’indique, la morale est l’étude des mœurs, une réflexion sur les actions des
hommes dans la société. C’est pourquoi la présentation liminaire du décor de la cour d’Henri II ou
les mentions nombreuses des tournois et bals ont toute leur importance. Ils rappellent sans cesse
que l’individu appartient à une société, qu’il a un rang nobiliaire, des devoirs imposés par sa
condition, des obligations de présence au sein d’un cercle. Les scènes chez la Dauphine, les
réceptions chez la Reine, la guerre des clans, manifestent l’intrication du noble dans la cour.
L’individu n’est pas seul ; la morale entretient des liens profonds avec les contraintes extérieures.
C’est pourquoi notre texte met en lumière la douloureuse question de la retraite. On a dit que ce
thème taraudait les hommes de cette époque : pourquoi ne pas se retirer du monde pour vivre
heureux ou tranquille, comme le fait Alceste, comme le fait la princesse, comme le choisit Elvire
(Dom Juan) lorsqu’elle prend le voile ? Si la société est corrompue, pourquoi ne pas se
débarrasser su commerce des hommes ?
La retraite bat en brèche l’hypothèse d’une morale générale en niant le rapport de
l’individu à la société. Elle apparaît parfois comme une défaite, une renonciation, mais les auteurs
cherchent aussi à lui rendre sa force de volonté et sa sublimité. En tout cas, la retraite constitue
le dernier retranchement possible du personnage qui échoue à tenir ses exigences morales dans
le monde.
Le roman est le parcours d’un personnage qui tenterait d’accommoder le monde et la
vertu, la constance et les passions. Mais pour que la réflexion morale ait toute sa trempe, il faut
disposer les passions de manière originale, pour instruire et plaire, rénover les conventions de la
représentation de la psyché humaine. Si la princesse faisait des choix attendus, on serait dans la
reconnaissance d’une situation générale et non dans l’invention romanesque. Si elle cédait à
Nemours, on constaterait qu’elle est, comme le pense déjà le commun au sujet des femmes (Ève
tient ce rôle depuis la nuit des temps), faible et concupiscence, encline à l’amour ou à la jalousie.
Cela nous rapprocherait sûrement du moralisme d’ailleurs, qui entérine les présupposés comme
La Rochefoucauld quand il écrit : « On peut trouver des femmes qui n’ont jamais eu de
galanterie, mais il est rare d’en trouver qui n’en aient jamais eu qu’une. » (Maximes, 73) ou « Ce
qui se trouve le moins dans la galanterie, c’est de l’amour » (402). Le duc de La Rochefoucauld
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réduit les comportements à un caractère, un type général, ce qui fait que le lecteur est amené à
reconnaître cette vérité pessimiste plutôt qu’à la découvrir.
Dans le roman, la toile de fond peut présenter certaines généralités sur l’homme : Mme
de La Fayette utilise les histoires insérées comme illustration de l’inconstance du cœur, de
l’insincérité des déclarations, des faiblesses de la volonté humaine. Mais la toile de fond permet
de distinguer les choix de l‘héroïne. La princesse de Clèves prend des décisions originales
(l’aveu, le refus du remariage, la résolution de ne plus jamais revoir Nemours) qui, pour paraître
surprenantes au premier chef, n’en sont pas moins solidement justifiables par une logique de
vertu, énoncée en termes de passions (l’amour est incompatible avec la vertu : l’inconstance de
l’un contredit la constance nécessaire à l’autre)
À la fin du roman, la princesse et Nemours sont confrontés dans un dialogue. La veuve Mme de
Clèves avoue à M. de Nemours qu’elle l’aime, et en même temps, se dérobe pour toujours à la
consommation charnelle et officielle de cet amour. La fiction est portée à on point
d’incandescence dans le sens où, toutes les barrières juridiques (le veuvage permet le
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remariage) étant levée pour cet amour que le lecteur attend, la jeune femme refuse de plus
jamais parler à Nemours. Le lecteur est alors du côté du regard de Nemours : à la fois admiratif,
en même temps étonné, perplexe, décontenancé par le choix déroutant de la princesse.
Et pourtant la princesse s’en explique : elle ne peut épouser celui qui a causé la mort de
son mari (« pourrais-je m’accoutumer au malheur de croire voir toujours Monsieur de Clèves
vous accuser de sa mort ? »). Elle ne saurait parier imprudemment que l’amour de M. de
Nemours défie l’épreuve su temps, puisqu’elle le sait galant, plein d’amour-propre et d’orgueil.
Elle défend sa propre dignité, cherchant à sauner le peu d’estime qui lui reste. Elle fait part de la
honte (passion opposée à la fierté) d’avoir aimé Nemours malgré toutes les préventions de son
éducation (la peur inculquée par Mme de Chartres), malgré l’estime et l’amitié qu’elle avait pour
son mari. Elle hisse d’ailleurs ce dernier au rang de seul cœur capable de constance dans
l’amour, de maintien des sentiments dans le temps, privant en même temps Nemours de cette
passion de fidélité, le caractérisant comme inconstant par nature, malgré l’ignorance qu’il a de
son propre cœur (ce qui le dessaisit donc du même coup de lucidité sur lui-même, ce qui fait
qu’elle ne peut avoir confiance en son jugement comme elle éprouvait de la confiance en sa
mère puis en son mari). Elle aime Nemours pour toujours mais sait qu’elle ne peut confier sa
vertu à cet homme. C’est apparemment qu’amour et confiance ne font pas bon ménage. C’est
qu’aux passions du corps, immanentes, la princesse veut opposer un éventail de passions
transcendantes, qui sublime l’amour charnel, le désir, la jalousie, l’orgueil en pur amour, en
éloignement (fuite), en détachement, en sainte dévotion.
« Mme de Clèves vécut d’une sorte qui ne laissa pas d’apparence qu’elle pût jamais
revenir. Elle passait une partie de l’année (…) dans une retraite et dans des occupations
plus saintes que celle des couvents les plus austères ; et sa vie, qui fut assez courte,
laissa des exemples de vertu inimitable » (quatrième partie)
Tels sont les derniers mots du récit de Mme de La Fayette. La constance dans la
décision, la transmutation des passions du corps et de l’esprit en passions du cœur, de passions
imminentes en passions transcendantes, qui aspirent à un ordre spirituel et non plus temporel,
permet de rendre à la vertu héroïque son exemplarité.
Le choix final de la princesse est un calcul des passions, une volonté de conserver sa
singularité à l’amour envers Nemours, cette passion est d’autant plus singulière qu’elle a impliqué
une stratégie hors du commun : l’aveu. Passions de sincérité, de fidélité, prévention, que la
princesse s’imposa à elle-même en mettant son mari dans le secret. Comme elle l’affirme : « il
n’y a pas dans le monde une aventure pareille à la mienne ». Ou encore Mme de La Fayette
mettant en exergue la particularité du comportement de la princesse, incarnant l’héroïsme
féminin : « la singularité d’un pareil aveu, dont elle ne trouvait point d’exemple, lui en faisait voir
tout le péril ».
Il s’agit de sortir du plan commun de l’hypocrisie (symbolisée par les jeux de cours), de la
concupiscence des femmes et de leur goût pour la galanterie, en avouant l’amour à celui qui
n’eût pas dû le connaître. Mais à cet acte hors du commun, il eût fallu un mari hors du commun,
qui ne soit pas rongé par la jalousie et la blessure d’orgueil. Après la mort de Clèves, il s’agit
d’éviter la finitude de l’amour, les tourmentes de la jalousie et de l’orgueil, pour entrer dans un
plan qui puisse durer. Comme elle le dit au duc de Nemours : « croyez que les sentiments que
j’ai pour vous seront éternels et qu’ils subsisteront également, quoi que je fasse ». La princesse
de Clèves ne peut éteindre une passion, mais elle peut la fuir. L’amour terrestre accède donc
à une forme d’éternité : la passion féminine se transmue en pur amour, passion du cœur où
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l’absence de l’aimé devient condition de la noblesse du sentiment. Elvire en fait de même
lorsqu’elle quitte Dom Juan dans la pièce de Molière : elle aime toujours Dom Juan, mais
« Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous,
tous ces transports tumultueux d'un attachement criminel, tous ces honteux
emportements d'un amour terrestre et grossier, et il n'a laissé dans mon cœur pour vous
qu'une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un
amour détaché de tout, qui n'agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre
intérêt. » (Dom Juan, acte IV, sc.6, Molière)
Voilà une incarnation de la morale féminine au Grand Siècle : l’élévation de l’amour pour
l’homme (et de la jalousie et de l’orgueil, de la vanité, de la sensualité corollaires) en triangulation
où Dieu ou une transcendance (les fantômes de Mme de Chartres et du prince de Clèves, par
exemple) remplace la relation immanente entre l’amant et la femme.
L’amour est éphémère sur un plan immanent, mais il peut durer si on lui donne l’élévation
de l’obstacle. Cela impose le refus du remariage avec Nemours, pourtant autorisé par la société
des hommes. Mais la princesse veut se dicter sa propre conduite, obéir à sa propre loi morale.
Par la fuite, la princesse cherche à contrecarrer la faiblesse de la volonté qui ne peut user de la
raison, car la raison n’a pas prise sur l’amour. « L’inclination qu’elle avait pour ce prince (M. de
Nemours) lui donnait un trouble dont elle n’était pas maîtresse ». Le constat étant sans appel
(« je suis vaincue et surmontée par une inclination qui m’entraîne malgré moi »), la princesse, in
fine, emprunte la voie de l’héroïsme féminin : la spiritualité. Elle transmue la passion d’amour
sensible en passion du cœur. Elle prive son corps, ses sens, de la présence de M. de Nemours
pour garder l’amour pur et durable. Seul un roman Ŕ et non une pièce de théâtre, limitée dans la
temporalité Ŕ peut montrer l’évolution dissymétrique des sentiments masculins et féminins : alors
que l’amour de la princesse dure dans sa dimension spirituelle, la passion de Nemours
s’éteint avec le temps. Le dénouement, qui élève la princesse à la sainteté, dans la maladie et
la mort, dénonce les désordres de l’amour et l’inconstance du cœur du duc.
L’identification du lecteur à la princesse n’aurait alors aucun sens. Son auteur l’éloigne
du commun par l’héroïsation finale, sublime ses décisions par leur radicalité. Il ne s’agit pas
d’ordonner des passions sensibles (jalousie, amour, orgueil, désir), mais de s’élever aux
passions du cœur (pur amour, repos, tranquillité d’âme) dont la vertu s’éprouve dans la durée.
Ces passions consacrent le sublime héroïque, car le héros doit dépasser ses penchants
communs, pour s’imposer des résolutions fermes et constantes.
La romancière accentue les dissemblances, l’admiration, et non la proximité ou
l’identification. Quand l’amour devient matériellement possible, permettant un bonheur sensible,
quand les contraintes sociales (juridiques) ne font plus obstacle à cette passion, pourquoi la
refuser ? M. de Nemours, dans le dialogue final, incarne la position opposée à celle de la
princesse, celle du désir (céder à l’amour) et des passions sensibles. Ses mots traduisent
l’incompréhension, qui peut tout aussi bien être celle du lecteur : « quel fantômes de devoir
opposez-vous à mon bonheur ? Quoi ! Madame, une pensée vaine et sans fondement vous
empêchera de rendre heureux un homme que vous ne haïssez pas ? ». Le « fantôme » réfère à
M. de Clèves, à un plan transcendant sur lequel la princesse règle sa conduite. Pour le duc, les
raisons du refus sont « vaines », « sans fondement », car elles ne répondent ni à la raison (le
calcul de son propre intérêt), ni à la sensibilité (la recherche du bonheur ici-bas, du plaisir).
L’héroïsme de Mme de Clèves n’appartient pas au plan matériel (celui de la victoire
amoureuse, celui de l’accomplissement de la gloire temporelle), mais existe au plan spirituel.
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Elle ne recherche pas le bonheur terrestre comme le commun des mortels, mais elle veut la
félicité, le repos, les passions du cœur tranquille qui peut se consacrer à la constance du devoir
et de la vertu.
La scène de l’aveu (troisième partie) cristallise le problème de l’héroïsme. Il constitue sans doute
un moment particulièrement original, même si certains, à l’époque, l’ont prétendu copié d’un
roman de Mme de Villedieu. L’aveu de la princesse à son mari est un moment d’’héroisme
dans la mesure où la princesse tente d’utiliser son jugement (la raison) et sa volonté pour faire
obstacle à sa passion pour M. de Nemours. Révéler à celui qui l’aime l’amour qu’elle a pour un
autre, c’est tâcher de mettre une frontière entre ses intentions et ses actes. Elle cherche à ce
qu’un regard extérieur soutienne sa vertu. Cependant, c’était compter sans les passions du
prince de Clèves, qui lui-même aime sa femme comme un amant et non un mari. Du coup, il
subit la jalousie et l’orgueil, passions galantes. Juste après leur mariage, le prince se désole déjà
que la princesse ne l’aime pas comme une maîtresse mais qu’elle l’estime comme une épouse :
L’aveu a des suites funestes non seulement parce que Nemours l’a entendu, mais aussi
parce que le prince de Clèves, amoureux de sa femme comme un amant, ne peut lui prodiguer
les conseils et le soutien d’un mari. Ses propres passions l’entraînent à sa perte.
Cet aveu a paru invraisemblable, « hors nature », aux lecteurs du XVII e siècle. Donneau de Visé,
fondateur et directeur d’un journal littéraire de l’époque, Le Mercure galant, entreprit en 1678 une
enquête à propos de cet aveu. Il demandait à ses lecteurs de donner leur avis à son sujet.
L’enquête révéla une lecture majoritairement défavorable, offusquée par un comportement hors
des conventions habituelles et trop singulier. La bonne société fut relayée par ces propos de
Bussy-Rabutin :
« L’aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant, et ne se peut dire que dans une
histoire véritable ; mais quand on en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son
héroïne un sentiment si extraordinaire. »
Ce qui gêna la plupart des critiques, c’est l’invraisemblance d’un tel aveu. Or, une des
conventions de lecture classique demeure le principe de vraisemblance, qui permet au lecteur
d’adhérer à ce qu’il lit, de faire semblant de croire que cela pût être. Si une action paraît
absolument impossible, le lecteur ne parvient plus à prendre part à la réflexion engagée par la
fiction. Il ne s’agit toujours pas d’identification au héros, mais de possibilité de compréhension.
Cela dit, Fontenelle répondit dans les colonnes du Mercure galant, afin de soutenir l’aveu
dans le sens d’une lecture héroïque : « Qu’on raisonne tant qu’on voudra là-dessus, je trouve le
trait admirable et très bien préparé… je ne vois rien à cela que de beau et héroïque. » Fontenelle
en appelle donc à l’admiration du lecteur pour l’acte de l’héroïne, à la cohérence du dispositif
23
narratif et de celui des passions dans le roman de Mme de La Fayette. Ce débat sur l’aveu
témoigne du fait que les lecteurs comme les écrivains de l’époque étaient habitués à la
casuistique de salon et qu’ils aimaient deviser des actions des hommes, et juger si tel ou tel
personnage valait pour héros. Stendhal, dans De l’amour, au XIXe siècle, parla également de
l’aveu comme d’une erreur de jugement de la part de la princesse qui, d’après lui, eût dû
consommer la passion sans la dire en vue de son bonheur : « La princesse de Clèves devait ne
rien dire à son mari et se donner à M. de Nemours » (De l’amour, chap. XXIX). Mais on a dit que
le bonheur sensible n’était pas le but de la princesse.
Le roman d’analyse prend souvent ancrage dans l’observation des corps et des visages,
dans les actes et geste des personnages. Il y va des rougeurs, qui sont marques du trouble
féminin, de différentes passions somme la modestie (par exemple, celle de la princesse, face au
prince de Clèves : « Mlle de Chartres ne put s’empêcher de rougir en voyant l’étonnement qu’elle
lui avait donné »). La rougeur révèle les sentiments : c’est le cas quand Mme de Chartres défend
sa fille auprès de la Dauphine, mais qu’elle comprend par l’incarnat qui vient aux joues de sa fille
qu’elle est amoureuse de Nemours : « la rougeur de Mme de Clèves fit soupçonner (à Mme de
Chartres) que ce que Madame la Dauphine avait dit n’était pas entièrement éloigné de la vérité ».
Les manifestations physiques de la passion en sont des signes, qui permettent de deviner ce que
la personne chercher à cacher. On se souviendra des larmes de la princesse lors de la scène de
l’aveu, qui témoignent de son trouble comme de sa sincérité. Ou bien, qu’après que la princesse
a eu tant d’inquiétude quand Nemours s’est blessé au combat, ce dernier vient lui dire qu’il a
remarqué ses sentiments et Mme de La Fayette écrit au sujet de son héroïne : « elle n’était plus
maîtresse de cacher ses sentiments ». Une passion va donc se manifester, produire des signes
extérieurs qui attestent de son existence et que les autres vont pouvoir déchiffrer.
Cela dit, ces manifestations physiques vont pouvoir être feintes, comme font les acteurs,
afin de tromper les regards d’autrui. C’est alors qu’intervient le règne de l’hypocrisie et du
mensonge, si propre au décor utilisé par Mme de La Fayette : la cour d’Henri II, qui renvois elle-
même à la cour de Louis XIV. On se met à feindre des passions que l’on n’a pas. Le ver est dans
le fruit… À qui et à quoi se fier ? Cette question des apparences intervient dès le début de l a
fiction, quand Mme de chartres explique à sa fille que tout ce qu’elle voit de la cour n’est que
signe mensonger. Les récits insérés fonctionnent comme symboles visant à démystifier les
apparences, les fausses amitiés, les alliances trompeuses. À la cour galante d’Henri II, la
maîtresse en titre Diane de Poitier et la Reine, ne font que feindre le respect : elles se haïssent et
tous les conflits politiques, les tractations, les décisions du pouvoir, se font en conformité à cette
haine sous-jacente. Cette passion cachée sous les apparences de l’entente cordiale se dévoile
d’ailleurs à la mort du roi, quand Catherine de Médicis évince Diane de Poitiers de la cour et lui
interdit de voir le roi mourant.
Cette réflexion sur les passions et leurs signes, qui peuvent être feints, explique
comment toute la cour a pu croire Mme de Tournon chaste et vertueuse alors qu’elle avait deux
amants auxquels elle promettait également le mariage. L’écart qui peut exister entes les
apparences et la vérité du cœur est sans cesse accusé par le récit et les histoires insérées. C’est
pourquoi, j’ai parlé de jansénisme, lequel dénonce le mensonge des passions vis-à-vis de la
volonté déréglée.
On peut parler au sujet de notre roman d’un certain pessimisme : nous ne saurions rien
croire avec certitude au sein de la société corrompue des hommes. La princesse fait cet
apprentissage en même temps que le lecteur se trouve toujours en posture d’être surpris par les
révélations, les aveux, les démystifications. Avec un tel regard critique porté sur la parole, les
signes extérieurs, il n’est donc nullement étonnant que la princesse finisse par se retirer du
24
monde de la cour et par refuser l’amour de M. de Nemours. Pendant leur dialogue final, la
princesse fait part au duc de ses doutes quant à la constance de sa passion. Il a beau jurer,
supplier, elle a appris que le cœur ne se connaît pas, que l’homme, obscur à lui-même, fait des
promesses qu’il ne pourra tenir dans le temps. Les signes ne sont nulle garantie pour se diriger
dans le monde.
25
Ce roman, pessimiste sur le cœur, dur avec les passions, démystificateur des
mensonges des apparences, n’en fait pas moins émerger une figure d’héroïsme féminin tout à
fait singulière dans la littérature française, pour autant que c’est une jeune femme éprise, seule
face à la passion, qui tente à tout prix de ne pas se « voir tomber comme les autres femmes ».
Malgré la nature faible et fautive de la volonté, malgré l’acharnement du sort, le personnage
féminin, tente de conserver sa dignité et son repos : elle compose avec ses passions comme
avec sa nature. Elle ne peut lutter directement contre la passion amoureuse, mais elle cherche à
lui donner une dimension spirituelle, hors du commun. Et malgré l’impuissance de la volonté face
à l’amour, il n’en reste pas moins qu’une forme de volonté, de détermination est montrée comme
possible. Malgré l’inconnaissance de l’homme sur lui-même, une forme de lucidité,
d’apprentissage est atteignable. Le roman en atteste : lorsqu’elle s’adresse à Nemours pour la
toute dernière fois, la princesse fait preuve d’un savoir lucide sur les passions et leur devenir,
dont elle eût été incapable au début de la fiction. Le cœur est obscur, mais il peut devenir moins
obscur. Le pessimisme est là, mais il n’est pas radical, et Mme de La Fayette, sur un décor peint
en noir, laisse vibrer une lueur.
« - Eh bien, Monsieur, lui répondit-elle en se jetant à ses genoux, je vais vous faire un
aveu que l'on n'a jamais fait à son mari, mais l'innocence de ma conduite et de mes
intentions m'en donne la force. Il est vrai que j'ai des raisons de m'éloigner de la cour, et
que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les personnes de mon âge. Je n'ai
jamais donné nulle marque de faiblesse, et je ne craindrais pas d'en laisser paraître, si
vous me laissiez la liberté de me retirer de la cour, ou si j'avais encore madame de
Chartres pour aider à me conduire. Quelque dangereux que soit le parti que je prends, je
le prends avec joie pour me conserver digne d'être à vous. Je vous demande mille
pardons, si j'ai des sentiments qui vous déplaisent, du moins je ne vous déplairai jamais
par mes actions. Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus d'amitié et plus
d'estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de moi, et
aimez-moi encore, si vous pouvez.
Monsieur de Clèves était demeuré pendant tout ce discours, la tête appuyée sur ses mains, hors
de lui-même, et il n'avait pas songé à faire relever sa femme. Quand elle eut cessé de parler, qu'il
jeta les yeux sur elle qu'il la vit à ses genoux le visage couvert de larmes, et d'une beauté si
admirable, il pensa mourir de douleur, et l'embrassant en la relevant :
- Ayez pitié de moi, vous-même, Madame, lui dit-il, j'en suis digne ; et pardonnez si dans
les premiers moments d'une affliction aussi violente qu'est la mienne, je ne réponds pas,
comme je dois, à un procédé comme le vôtre. Vous me paraissez plus digne d'estime et
d'admiration que tout ce qu'il y a jamais eu de femmes au monde ; mais aussi je me
trouve le plus malheureux homme qui ait jamais été. Vous m'avez donné de la passion
dès le premier moment que je vous ai vue, vos rigueurs et votre possession n'ont pu
l'éteindre : elle dure encore ; je n'ai jamais pu vous donner de l'amour, et je vois que vous
craignez d'en avoir pour un autre. Et qui est-il, Madame, cet homme heureux qui vous
donne cette crainte ? Depuis quand vous plaît-il ? Qu'a-t-il fait pour vous plaire ? Quel
chemin a-t-il trouvé pour aller à votre cœur ? Je m'étais consolé en quelque sorte de ne
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l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être. Cependant un autre fait ce
que je n'ai pu faire. J'ai tout ensemble la jalousie d'un mari et celle d'un amant ; mais il
est impossible d'avoir celle d'un mari après un procédé comme le vôtre. Il est trop noble
pour ne me pas donner une sûreté entière ; il me console même comme votre amant. La
confiance et la sincérité que vous avez pour moi sont d'un prix infini : vous m'estimez
assez pour croire que je n'abuserai pas de cet aveu. Vous avez raison, Madame, je n'en
abuserai pas, et je ne vous en aimerai pas moins. Vous me rendez malheureux par la
plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à son mari. Mais,
Madame, achevez et apprenez-moi qui est celui que vous voulez éviter.
Introduction :
Dans le roman de Mme de La Fayette, le personnage principal décide d’avouer à son mari
l’amour qu’elle ressent pour un autre, afin de se protéger d’elle-même. L’aveu, moment
dramatique du roman, où l’héroïne tente de s’élever au-dessus de sa passion, de lui opposer un
acte hors du commun, fonde la vertu sur la transparence du cœur.
Dans la troisième partie, l’aveu noue l’intrigue dans le sens où il complexifie l’action et le débat
moral. Cet épisode a choqué les lecteurs de l’époque qui l’ont trouvé déplacé. On considérait
qu’une femme ne devait pas révéler l’intimité de ses sentiments à son mari, surtout quand ils
étaient de nature adultère. On peut ainsi penser que c’est à dessein que l’auteur exacerbe la
singularité de cet aveu : il s’agit de peindre un personnage hors du commun et d’observer les
conséquences d’une telle tentative.
L’épisode de l’aveu confère à l’analyse des passions une place centrale. Le débat moral se
formule en termes de passions. Elles sont non seulement énoncées, mais le lecteur peut aussi
en lire le témoignage à travers les corps et geste des personnages. Quel discours sur le cœur et
ses malheurs émerge de cette scène dialoguée ?
Enfin, on s’interrogera sur le statut de l’héroïsme. L’aveu, moment dramatique par excellence,
cristallisant la volonté de rendre son sœur transparent à l’autre, affirme-t-il ou infirme-t-il la
tentative d’héroïsme, le pouvoir qu’on peut avoir sur ses passions ?
Développement :
L’aveu intervient à un moment où la princesse s’est rendu compte qu’elle ne pouvait aucunement
lutter contre l’amour qu’elle ressent pour Nemours. Submergée par la jalousie (l’épisode de la
lettre) et la honte (le moment de plaisir passé avec Nemours), elle décide qu’il lui faut assurer sa
vertu. La princesse a peur d’elle-même et de l’immoralité à laquelle peuvent conduire les
passions. Constatant la faiblesse de sa volonté et l’inanité des résolutions intérieures, elle avoue
son amour adultère à son mari. L’aveu devrait être une entrave à sa chute. Ne pouvant assurer
sa propre volonté, elle met cet aveu entre elle et Nemours. En avouant, elle cherche l’estime et la
confiance de son mari.
L’aveu témoigne du désir de transparence de la princesse et de sa foi dans la compréhension du
prince à l’égard de ce fatal amour. Elle explique son comportement (« Il est vrai que j'ai des
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raisons de m'éloigner de la Cour, et que je veux éviter les périls où se trouvent quelquefois les
personnes de mon âge »). Cette transparence est moralement extraordinaire et nécessaire à
l’intrigue. Si la princesse ne révélait pas la passion pour un autre homme à celui qui l’aime
comme un amant et non un mari, il serait exclu de l’analyse des passions. Cet aveu fait entrer M.
de Clèves dans la réflexion romanesque des passions. En effet, cette scène de l’aveu est
l’occasion pour l’époux de livrer lui aussi ses sentiments (malheur : « je me trouve le plus
malheureux homme qui ait jamais été », jalousie « j’ai tout ensemble la jalousie d’un mari, et celle
d’un amant », amour). Ce passage, si contesté par le lectorat du roman, est pourtant le nœud de
l’intrigue, où une complexité hors du commun Ŕ et funeste Ŕ s’établit entre les deux époux. Ils se
livrent l’un à l’autre, et pourtant, M. de Clèves mourra en pensant que sa femme n’a pas été
sincère.
La Princesse de Clèves, roman d’analyse, représente les passions des personnages. Le lecteur
les observe (« le visage couvert de larmes ») mais surtout, il doit faire un travail de déchiffrement.
L’aveu est un des moyens de l’auteur pour rendre l’intériorité transparente par la confession.
Encore faut-il, bien sûr, qu’il soit sincère. Ce que nous connaissons du caractère de l’héroïne nus
permet d’y croire. Le lecteur, instruit de la sincérité et de l’amour de l’héroïne, est amené à
observer les ravages que causent ces passions. On dit que l’enfer est pavé de bonnes
intentions : l’aveu est une manifestation nouvelle de la fatalité.
Non seulement la sincérité provoque un surcroît de passions malheureuses chez le prince de
Clèves (conflit entre sa position sociale de mari et les passions d’amant qu’il a pour sa femme),
mais il est surtout l’occasion pour Nemours, caché, d’entendre qu’il est aimé. La présence du duc
de Nemours pendant la scène est primordiale, car elle condamne l’aveu à l’échec. La passion de
sincérité ne résout pas mais exacerbe les tensions entre les époux. Au lieu d’apaiser le tumulte
des passions (jalousie, orgueil, amour, inquiétude, etc.), il entraîne une suite de péripéties qui
vont conduire l’intrigue à sa funeste issue.
L’aveu est l’épisode central. Tout est mis en scène pour en affirmer la singularité. « je vais vous
faire un aveu que l’on a jamais fait à son mari », dit la princesse d’entrée de jeu au prince. « Vous
me rendez malheureux par la plus grande marque de fidélité que jamais une femme ait donnée à
son mari. », répond le prince. On remarquera l’insistance sur l’originalité d’un tel aveu.
Cependant, cette singularité, au lieu de régler les conflits des passions (amour et vertu, amour et
fidélité, jalousie et bonheur, etc.), fonctionne comme l’accélérateur de la tragédie finale (mort du
prince, retraite de la princesse). L’aveu scelle un pacte de fidélité entre les époux en même
temps qu’il les condamne à souffrir secrètement et honteusement leurs passions. En cela, l’aveu
entache la tendresse, l’estime et la tranquillité qui pouvaient exister entre les deux époux. Il
révèle au prince que la princesse est capable d’amour (« Je m'étais consolé en quelque sorte de
ne l'avoir pas touché par la pensée qu'il était incapable de l'être ») : il va donc entrer dans les
affres de la jalousie. L’aveu déclenche les passions et permet à la romancière d’approfondir
l’analyse du cœur, par l’entremise d’une péripétie insolite.
28
2. L’aveu au centre su problème moral de la fiction
L’aveu n’est pas seulement un épisode romanesque, tout utile à l’histoire et dramatique qu’il est.
Il témoigne de la nature de notre fiction : un roman d’analyse fondé sur un dispositif passionnel.
Jusqu’à la troisième partie, la princesse aime M. de Nemours en secret et essais de lutter seul
contre sa passion qui ne cesse de progresser en son cœur. Avant la scène de l’aveu, sa stratégie
est celle de la fuite (elle quitte la cour dès que cela lui est possible) et de la feinte (elle ne laisse
rien paraître à Nemours de ses sentiments). Mais peu à peu, sa passion transparaît, et surtout,
son mari ne comprend ni ses retraites ni son besoin de solitude. En ignorant la passion qu’elle a
pour un autre homme, son mari semble prêt à favoriser la présence de Nemours. Contre l’amour,
après l’échec de la volonté, la princesse décide de se servir de la constance, du regard et de la
vertu de son mari. Mais c’était sans compter que chaque être est un être de passions. Le prince
de Clèves ne peut servir de juge impartial, pas plus que d’appui constant à sa femme, dans la
mesure où la défiance, la jalousie, la crainte d’être trompé, vont envahir son esprit. Le débat
moral en termes de passion est donc complexifié par cette scène.
L’amour concentre tous les malheurs, aussi bien du côté de la princesse (passion pour Nemours)
que de son époux (passion d’amant pour sa femme, alors qu’il devrait l’aimer comme un mari). Il
semble la cible de toutes les critiques, car il est inconstant par nature, peu fiable moralement. Il
entraîne jalousie, crainte, inquiétude, malheur, défiance, mort. Au rebours de ces passions
néfastes, on voit émerger un autre type de passions : amitié, estime, confiance, tranquillité,
dignité, pitié, admiration. Toutes ces passions sont autant de vertu car elles permettent à la
volonté de retrouver des forces pour agir. Elles rassurent l’esprit et l’on peut en espérer une
forme de félicité. Ce passage répartit les passions selon un critère de paix de l’âme, de moralité
et d’estime de soi (de grandeur, ce qui va avec une certaine idée d’aristocratie des sentiments, si
contraire observée à la cour d’Henri II). Dans cette paix de l’âme, place est faite à la parfaite et
heureuse transparence du cœur, y compris entre époux.
Et pourtant, l’acharnement de la fatalité (incarnée par la présence de celui qui ne devait pas
entendre l’aveu : M. de Nemours), le tourment naturel du cœur de l’homme, conduisent les héros
à leur perte. Cet aveu déchaîne les passions et conduit à un tragique dénouement, car ni
Nemours (indiscrétion, puisqu’il répète ce qu’il a entendu dès la première occasion) ni le prince
(jalousie qui le conduit à faire espionner sa femme) ne sauront répondre à ce geste héroïque.
Tantôt jugé indécent, tantôt fou, tantôt immoral, l’aveu de la princesse au prince a suscité de
nombreux commentaires défavorables. Exhibé comme hautement singulier, hors du commun, il
engage une réflexion sur l’héroïsme, sur l’acte sublime, qui, par définition, dépasse les limites
d’une certaine conception ou représentation que l’humanité a d’elle-même. L’aveu de la
princesse au prince est-il un acte héroïque, admirable ou faible et méprisable ?
1. Pour cette partie, on se reportera à l‘étude précédente sur le refus de l’amour, le substrat janséniste de La
Princesse de Clèves
29
a. La mise en scène de l’héroïsme
Les marques de la mise en scène dramatique de l’aveu (agenouillement, « tête appuyée sur les
mains », « visage couvert de larmes », « beauté si admirable ») concourent à une forme
d’éloquence, de noblesse de l’épisode. Mme de La Fayette a tout réuni pour émouvoir son
lecteur par un acte admirable. En effet, l’aveu est un acte performatif, c'est-à-dire qu’il joint l’acte
à la parole (comme lorsque l’on jure ou promet).
La princesse se livre donc à un véritable acte, ses paroles sont lestées par une sorte d’éloquence
gestuelle, par des signes de grandeur et de sensibilité. Elle dépasse la peur du jugement (honte).
Le dialogue concourt à cette solennité : « Songez que pour faire ce que je fais, il faut avoir plus
d'amitié et plus d'estime pour un mari que l’on n’en a jamais eu ; conduisez-moi, ayez pitié de
moi, et aimez-moi encore, si vous pouvez. » ces impératifs, les exhortent à la noblesse d’âme.
Mais il ne s’agit pas d’une scène de soumission, loin de là. La princesse avoue sa faiblesse mais
fait preuve d’un grand courage. En tout cas, elle tente d’opposer une résistance physique à son
amour, lui barrant la route par un stratagème. En ayant avoué l’amour pour un autre à son mari,
elle s’empêche de succomber à cet amour. Elle prévient la galanterie. Le prince reconnaît cette
grandeur d’âme mais, comme il le lui dira plus tard, il n’a pas su maîtriser ses doutes, sa
défiance, sa jalousie fatale. Alors que la princesse tente de s’élever au-dessus des pouvoirs de
sa passion, de ses effets (sans pouvoir annuler la passion, bien sûr, ce qui résoudrait trop vite le
problème moral), le prince à l’air de se livrer aux siennes (jalousie, indiscrétion).
Des lecteurs ont reproché à la princesse son impuissance face à l’amour. Mais que vaudrait la
lutte sans cet amour ? Quel sublime y aurait-il si Mme de Clèves n’aimait pas Nemours avec
autant de violence, et ne savait pas qu’il l’aime avec la même sorte d’amour ? Il faut, pour que
l’héroïsme s’exerce, que la lutte soit rude. Dès lors, l’aveu peut provoquer admiration, fascination,
distance, voire incompréhension, mais il ne saurait être identifié à aucun acte lui préexistant,
commun, sans quoi il ne serait plus héroïsme. D’une certaine manière, tous les reproches qu’on
a faits à cette scène ne font qu’affirmer la réussite de Mme de La Fayette. On ne saurait rester
moralement indifférent à un tel acte. L’étonnement demeure au principe de l’héroïsme, de la
reconnaissance du héros (M. de Clèves est si surpris et touché qu’il reste « hors de lui-même ») :
pensez à Œdipe se crevant les yeux, à Horace faisant mine de s’enfuir devant les Curiace
(Horace), au pardon sublime d’Auguste à la fin de Cinna (Corneille), au récit de la victoire de
Rodrigue contre les Maures (Le Cid). Le héros surprend.
Conclusion :
On ne saurait donc retirer à cette scène son caractère singulier, non plus que l’acte volontaire
qu’elle exhibe. Cette volonté de la princesse de lutter par de nouveaux procédés contre l’étendue
et les conséquences néfastes de sa passion, vise à surprendre et provoquer l’admiration. Pour
autant, cette scène n’est pas sans émouvoir. Le fait que la princesse se montre dans toute sa
faiblesse (« se jetant à ses genoux ») tend à attendrir le lecteur. On constatera donc que cette
scène atteint une certaine force dramatique dans le sens où elle allie héroïsme, distance,
admiration et pathétique, c'est-à-dire un certain sentiment de pitié pour le personnage. Ce
passage confère donc tout à la fois à l’acte un caractère hors du commun, tout en le rendant
sensible, touchant pour le lecteur. L’art de Mme de La Fayette consiste à donner tout à la fois
l’héroïsme et sa dialectique, sa possible remise en question, tout à la fois la fascination et la pitié.
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*LEXIQUE :
Amphigourique : adjectif désignant un style qui parait excessif et fleuri. Il s’agit d’un terme
péjoratif pour désigner un texte qui semble trop écrit et incompréhensible aux lecteurs.
Baroque : désigne un courant littéraire du XVII e siècle. Il ne s’est pas identifié et distingué
comme le classicisme, mais il en est à l’opposé par son essence. L’art baroque témoigne de la
diversité, de la labilité* propre au réel. Il illustre la transformation, les métamorphoses de la
réalité, plutôt qu’une représentation générale et ordonnée du monde. Le roman baroque utilise
donc le merveilleux, la magie, l’extravagant et non la copie de ce qu’il y aurait de classable ou
rationnel dans la réalité. On a l’habitude de caractériser le baroque de plus fantasque et libre que
la doctrine classique.
Casuistique : domaine de la morale consistant à résoudre des cas de conscience par la
réflexion théologique ou rationnelle. La réponse apportée est modérée et pleine de compromis.
Pascal a critiqué ce pragmatisme dans ses Provinciales.
Classique : le classicisme est un curant littéraire du XVII e siècle, né dans la seconde moitié du
Grand Siècle. Quand on parle des siècles classiques, on désigne le XVIIe et les XVIIIe siècles. Le
classicisme a été soutenu et défini par un Boileau (auteur du célèbre Art poétique), un La Bruyère
(Les Caractères), il est l’idéal artistique d’un La Fontaine (Fables). Il s’agit de mettre au principe
de l’art une forme de rationalité, de beauté définie en vertu d’un critère d’ordre, de droiture (ces
valeurs valent aussi bien esthétiquement que moralement). On parle de « doctrine » tant les
critères définitoires du classicisme paraissent stricts, entravant toute liberté créatrice. C’est
cependant réduire un des piliers de notre culture qui pense, comme André Gide que : « l’art nait
de contraintes, vit de luttes, meurt de liberté ».
Galant : a le sens général de « distingué, élégant, raffiné, courtois », mais est devenu peu à peu
péjoratif et désigne celui qui cherche des aventures amoureuses, qui use d’un art consommé de
la séduction pour devenir l’amant d’une femme.
Jansénien : pour caractériser une pensée, on peut dire qu’elle est janséniste (ou augustinienne)
si cela réfère assez fidèlement à la doctrine des jansénistes déclarés comme tels. On peut aussi
parler de pensée jansénienne, s’il s’agit d’en révéler l’esprit janséniste. Ainsi, on pourra dire que
Mme de La Fayette est jansénienne, qu’elle « sympathise » avec cette pensée, alors même
qu’elle n’est pas à proprement parler janséniste.
Labilité : caractère de ce qui est mobile, fluctuant, mouvant.
Précieuse : cet adjectif réfère au mouvement précieux, né au XVIIe siècle. Les Précieuses, que
Molière ridiculisa dans Les Précieuses ridicules, étaient des femmes désirant rivaliser avec les
hommes et imposer une élégance, une élévation toute féminine aux Belles-lettres. Mme de
Sévigné fut de ces femmes.
Tomaison : tome, volume de librairie.
31
Bibliographie :
Biblioweb :
http://serieslitteraires.org/site/Extrait-de-La-Princesse-de-ClA-ves
http://lettres.ac-rouen.fr/francais/tendre/cleve1.html
http://rene.pommier.free.fr/Princesse.htm
http://www.aei.ca/~anbou/salonfranc.html Les salons français
http://www.archivesdufeminisme.fr/
http://atilf.atilf.fr/tlf.htm Le Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi)
http://www.bmlisieux.com/ Bibliothèque électronique de Lisieux
http://www.bvh.univ-tours.fr/index.htm
http://cesr.univ-tours.fr/ Centre d'Études Supérieures de la Renaissance
http://clio.revues.org/index.html Histoire, Femmes et Société.
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/livre-ecrit_1036/collection-
textes_5281/index.html Florilège de la littérature française
http://www.escritorasypensadoras.com/ Escritoras y pensadoras europeas.
http://www.etudes-litteraires.com/plan.php
http://gallica.bnf.fr/: livres & documents de la Bibliothèque nationale de France
http://www.lexilogos.com/ : Dictionnaires, cartes, encyclopédies
http://odalix.univ-bpclermont.fr/Cibp/Bib17/INDEX17.htm bibliothèque su 17º
http://portail.atilf.fr/encyclopedie/ Encyclopédie Diderot et d'Alembert
http://www.renaissance-france.org/ Le portail de la Renaissance Française
http://www.roi-france.com/histoire_de_fance Généalogie de l'Histoire de France
http://www.siefar.org/ Société étudiant les femmes, du Moyen Age à la Révolution française
http://www3.unileon.es/dp/dfm/flenet/doclitterature.htm
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