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Les hommes sont plus forts que les jinns, car l’eau est l’élément qui
prédomine en eux. A ce propos, Ibn Arabî esquisse brièvement une autre
comparaison en suggérant que les femmes sont plus fortes que les
démons, et en précisant que leurs stratagèmes sont « redoutables » alors
que ceux des démons sont « faibles ». La « force de l’eau » est présente
en elles, non seulement parce qu’elles font partie de l’espèce humaine,
mais aussi pour une raison qui leur est propre.
Les deux femmes dont il est question ici sont deux épouses du Prophète :
Aïchâ, fille d’Abû Bakr et Hafsa, fille de Omar. Elles s’étaient liguées contre
lui pour qu’il renonce à prendre à l’avenir d’autres épouses. C’est pourquoi
la sourate débute par le verset : O Prophète, pourquoi interdis-tu
(tuharrimu) ce qu’Allâh t’a permis (ahalla), en vue de rechercher
la satisfaction de tes épouses (Cor.66.1) ; c’est pourquoi aussi le
chapitre 318 des Futûhât qui traite de la demeure relative à cette sourate
est intitulée : « De l’abrogation de la Loi sacrée, muhammadienne, ou
autre que muhammadienne pour des motifs d’ordre individuel (nafsiyya) –
qu’Allah nous en préserve tous ! »
Les termes coraniques utilisés ont une portée juridique précise. Ils
indiquent qu’il ne s’agit pas simplement ici d’une faveur divine accordée
au Prophète, mais bien d’un statut légal établissant un privilège à son
avantage. Ibn Arabî souligne cet aspect avec force : « Le Très-Haut a dit à
Son Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! - : Légifère parmi les
hommes selon ce qu’Allâh t’a fait voir (Cor.4.105) ; il ne lui a pas dit :
« Selon ta propre manière de voir ». Le fait de rechercher la satisfaction
de ses épouses procédait uniquement de sa vision propre. Cet exemple
confirme que l’inspiration (coranique : wahy) était ce qu’Allâh faisait voir
au Prophète, non ce qu’il voyait par lui-même, bien que sa vision propre
fût supérieure à celle de tout autre (créature) ».
Cet exemple confirme la gravité de l’enjeu. Ce qui est en cause n’est rien
moins que le caractère sacré et inviolable de la législation divine. Que
deux épouses de Muhammad aient failli lui porter atteinte illustre le
pouvoir dont les femmes disposent. Pour les empêcher de réussir, il
faudra l’intervention conjointe des plus puissants protecteurs : le Très-
Haut Lui-même, unique détenteur de toute force ; sayyidnâ Jibrîl qui
apparaît dans ce verset en tant qu’Esprit Saint ; l’Elite initiatique des
croyants ; enfin les anges issus de la force divine et qui la représentent en
mode déterminé. L’ « Elite initiatique des croyants » est une traduction de
la mystérieuse expression coranique « sâlih al-mu’minîn », littéralement :
l’ « Intègre des croyants », qu’Ibn Arabî définit à cette occasion comme
étant une désignation des initiés qui détiennent le « fi’l bi-l-himma »,
c’est-à-dire, selon l’expression de Michel Vâlsan, « le pouvoir de produire
par l’énergie spirituelle des effets qui ordinairement exigent une activité
corporelle. C’est à cette notion que se rattache l’expression évangélique
de la « foi qui déplace les montagnes » ; on peut dire aussi : « al-fi’l bi-s-
sidq » : le pouvoir d’agir par la conviction sincère et intense. L’ensemble
de l’énumération coranique évoque une force opérative et, de manière
indirecte, la puissance invincible du Centre suprême.
D’où les femmes tiennent-elles ce pouvoir immense ; celui qui fit défaut à
Sayyidnâ Lût lorsqu’il se plaignit : « Si seulement j’avais pu m’opposer à
vous par la force ou par un soutien solide » (Cor.11.80) ? Selon le Cheikh
al-Akbar : « Il n’y a, dans tout le monde créé, aucune force plus intense
que celle qui procède de la femme ; et cela à cause d’un secret que
connaissent uniquement ceux qui savent en quoi le monde a été
existencié et par quel « mouvement » (66) Dieu l’a existencié. Il est le
produit d’un couple de prémisses (67). Celui qui recherche l’union (nâkih)
est demandeur (tâlib) et le demandeur est dépendant ; ce qui est
recherché pour l’union (mankûh) est demandé (matlûb), et ce qui est
demandé détient la force (‘izza) à l’égard de ce qui a besoin de lui. Le
désir ardent (de celui qui demande) est irrésistible. Telle est la situation
de la femme au sein de l’existence ; telle est la dignité divine qui la
concerne en propre ; telle est la cause de la force qu’elle détient. »