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Nicole CIRIER

Les ouvrages de poésie édités pour la jeunesse :


Réception par les jeunes

Sous la Direction de M. Christian POSLANIEC

Diplôme Universitaire de Littérature de Jeunesse

Université du Maine

2004

Mots clés : réception


poésie
jeunesse

1
TABLE DES MATIERES

ABREVIATIONS UTILISEES......................................................................................3
INTRODUCTION.........................................................................................................4
CHAPITRE I : LES OUVRAGES DE POESIE DANS LA LITTERATURE DE
JEUNESSE .................................................................................................................9
I.1 REGARD D’ENSEMBLE SUR LES OUVRAGES DE POESIE DE LA LISTE DE REFERENCE ........................................ 9
I. 2 ANALYSE DE LA CLARISSE ...................................................................................................................... 12
1 Un scénario centré sur un personnage, entre rêve et réalité : une quête identitaire ............................. 12
2 Une double précarité................................................................................................................................ 14
3 L’art poétique........................................................................................................................................... 15
4 Hypothèses sur la réception des élèves .................................................................................................... 18
I. 3 ANALYSE DE UN HOMME SANS MANTEAU ................................................................................................ 18
1 L’énigme de la dualité ............................................................................................................................. 19
2 L’interpellation du lecteur et le rôle du poète ......................................................................................... 19
3 L’art poétique........................................................................................................................................... 21
4 La mise en page et les choix éditoriaux.................................................................................................. 23
5 Hypothèses sur la réception des élèves ................................................................................................... 23
I. 4 ANALYSE DES ANIMAUX DE TOUT LE MONDE ........................................................................................... 24
1 Un jeu sur la structure : le sonnet sous toutes ses formes...................................................................... 25
2 Des jeux sur les mots................................................................................................................................ 27
3 Un jeu intellectuel : les références intertextuelles .................................................................................. 29
4 Une allégorie animalière ?....................................................................................................................... 31
5 Hypothèses sur la réception des élèves.................................................................................................... 33
CHAPITRE II : LA RECEPTION DES OUVRAGES PAR LES ELEVES..................34
II.1 ETAT DES REPRESENTATIONS ...................................................................................................................... 34
II.2 RECEPTION DE LA CLARISSE ...................................................................................................................... 39
II.3 RECEPTION DE UN HOMME SANS MANTEAU ................................................................................................. 44
II.4 RECEPTION DES ANIMAUX DE TOUT LE MONDE .......................................................................................... 49
CHAPITRE III : PISTES PEDAGOGIQUES..............................................................56
III. 1 ETAT DES LIEUX ...................................................................................................................................... 56
III. 2 ACTIVITES CONCRETES PROPOSEES ......................................................................................................... 58
1 La Clarisse................................................................................................................................................ 59
2 Un homme sans manteau ........................................................................................................................ 61
3 Les animaux de tout le monde ................................................................................................................. 63
CONCLUSION ..........................................................................................................65
BIBLIOGRAPHIE......................................................................................................67
ANNEXES.................................................................................................................69

2
Abréviations utilisées

Chap : Chapitre

DESCO : Direction de l’Enseignement Scolaire

IO : Instructions Officielles

M1 à M7 : Maîtres interrogés

MEN : Ministère de l’Education Nationale

p. : page

3
Introduction
Contexte
L’instruction rendue obligatoire, à la fin du XIXème siècle, a induit le développement
du marché du livre destiné au jeune public. L’institution scolaire, qui a toujours prôné
l’initiation à la littérature, ne s’est pourtant que tardivement intéressée à cette production pour
la jeunesse1, et la reconnaissance qu’elle affiche à son égard, en la qualifiant de littérature,
dans les instructions officielles de 2002 apparaît comme véritablement novatrice :
La littérature adressée à l’enfance ne s’est jamais située en dehors de la littérature que lisent
les adultes. (…)En quelque sorte, elle fait la courte échelle aux plus jeunes pour les introduire
à l’univers infini des lectures à venir. A cet égard, elle constitue véritablement le domaine
littéraire de l’écolier ». (Men-Desco, 2002 : 5)
Un champ disciplinaire nouveau s’inscrit donc dans ces derniers programmes officiels, en
occupe une place importante, et les instructions se proposent de redonner à l’école, comme
socle, des références culturelles. L’école s’inscrit comme médiateur d’une culture qui
rassemble les générations, et dans la culture littéraire, officiellement, une place de choix est
faite à la production contemporaine pour la jeunesse.
Les IO invitent notamment les enseignants du cycle III, donc de fin d’école élémentaire, à
utiliser des supports littéraires, en maintenant un équilibre entre les différents genres, et entre
classiques et oeuvres contemporaines. Deux tiers des dix supports à proposer aux élèves par
an doivent être issus d’une liste de référence d’oeuvres de littérature de jeunesse, organisée en
six catégories (albums, bandes dessinées, contes, poésie, romans et récits illustrés), chaque
catégorie devant être abordée. Dans notre département, d’importants efforts ont été mobilisés
pour mettre à disposition des enseignants les supports référencés dans la liste, et l’on
remarque un succès variable des emprunts en fonction des genres, les moins prisés
concernant le théâtre et la poésie2. A l’intérieur même de ces catégories, certains ouvrages
sont complètement délaissés, notamment ceux écrits par des auteurs actuels, et nous avons
choisi d’observer de plus près cette situation, pour tenter de la comprendre, en ce qui concerne
les ouvrages poétiques.
En effet, depuis les années 1970, sous l’influence de rénovateurs pédagogiques et de
poètes-enseignants, une véritable réflexion sur la place de la poésie dans les écoles s’est

1
Il a fallu attendre 1989 pour que la littérature de jeunesse soit institutionnellement préconisée pour l’école
(Rapport Migeon)
2
Source : Circonscriptions de Gap/Embrun/St Bonnet et de Gap/Buëch, emprunts réalisés auprès des
bibliothèques pédagogiques en 2002-2003 et 2003-2004

4
largement répandue, dont l’institution a validé certaines conclusions (une section du plan de
rénovation du français à l’Ecole élémentaire d’octobre 1970 (circulaire du 4 décembre 1972)
est consacrée à la poésie, sous la conduite de Georges Jean). Sans jamais occulter la place des
auteurs classiques, les enseignants sont alors invités à puiser largement dans le répertoire
contemporain, et les éditeurs s’adaptent à la nouvelle demande scolaire de poésie : de
nombreuses anthologies, thématiques le plus souvent, voient le jour à cette époque, ainsi que
beaucoup d’ouvrages de jeux poétiques et de création. Devant le succès rencontré par ces
productions et les nouvelles pratiques mises en œuvre, on pourrait s’attendre à ce que, trente
ans plus tard, les enseignants aient pris l’habitude de fréquenter l’offre poétique récente et se
soient résolument ouverts aux auteurs actuels.
Nous avons interrogé quelques uns des enseignants emprunteurs d’ouvrages de poésie
de la liste de référence3, à l’exclusion des titres de poésie actuelle, sur les raisons de cette mise
à l’écart de certaines œuvres. Leurs réponses abordent leurs pratiques et leur goût personnel
(tous disent de pas connaître, et la majorité affirme être déconcertée : M5 « je ne suis pas
attirée par ces livres » ; M1 : « Moi, j’ai du mal à entrer dans certains poèmes
contemporains »), ajoutant souvent qu’à leur avis, ces textes sont inadaptés pour un jeune
public : M2 «Cette poésie ne les accroche pas d’emblée. Dès qu’on leur propose un recueil,
ils ne comprennent pas ce qui se passe. C’est intéressant quand ils sont plus vieux». M6 (à
propos des trois ouvrages que nous aborderons plus particulièrement) : « Ceux-là me semblent
trop difficiles pour eux. Le vocabulaire d’abord, et puis le style aussi, c’est assez hermétique
finalement ».
Nous avons souhaité explorer cette voie, en cherchant à vérifier si des recueils, édités
dans des collections pour la jeunesse, sélectionnés par un groupe d’experts pour figurer sur la
liste de référence, s’adressent effectivement aux enfants ou non ; c’est à dire mesurer si de
jeunes lecteurs peuvent comprendre ces ouvrages, accéder à leur sens profond. Cette question
nous semble particulièrement intéressante au moment où de nombreux poètes s’accordent sur
la nécessité de ne pas séparer poésie pour enfants et poésie pour adultes, et sur l’importance
d’éviter infantilisme et enfantillages dans les écrits destinés au jeune public :
« Je crois, avec beaucoup de poètes, que la poésie ‘’pour’’ enfants n’a pas plus de réalité que
la littérature ‘’pour’’ la jeunesse. Si j’acceptais l’idée d’une poésie pour enfants, je n’écrirais plus.»
(Joquel, 1997)
En quoi alors l’offre contemporaine de poésie éditée dans des collections pour la
jeunesse peut-elle atteindre son public, si elle l’atteint, ce que certains enseignants mettent en
doute, arguant comme nous l’avons vu, de sa complexité ?
3
questionnaire aux enseignants joint en annexe 1 p. 69

5
« Les jeunes lecteurs n’ont pas les mêmes interrogations sur le sens du monde que leurs
parents, ils n’ont pas non plus la même expérience de la langue ». (Men/Desco, 2002 : 5)
Nous tenterons de porter un regard sur l’ensemble des ouvrages de poésie qui composent la
liste de référence, avant d’analyser trois d’entre eux, que nous soumettrons ensuite à la
réception d’un échantillon d’élèves de fin d’école élémentaire.
Méthodologie
Dans le cadre d’une telle recherche, notre souci est de cerner des éléments qualitatifs,
et non quantitatifs, puisque la mise en œuvre de ces derniers s’avérerait beaucoup trop lourde.
Nous avons donc sélectionné dans la liste de référence trois ouvrages cités dans la catégorie
« poésie », et nous reviendrons sur les raisons de ce choix. Nous avons procédé à l’analyse de
ces supports, de façon à mettre en évidence notamment les effets programmés. Nous nous
appuierons en effet sur le travail mené par un groupe de recherche sur la réception de la
littérature de jeunesse par les jeunes4, qui expose ainsi le processus d’interprétation d’un
texte :
« Pour notre part, nous considérons qu’il y a des effets programmés par le texte à l’intention
du lecteur (lui-même inscrit dans le texte en tant que « lecteur virtuel »).Ces effets
programmés doivent être perçus par le lecteur pour que son interprétation concerne le texte, ne
sorte pas « des limites de l’interprétation », comme le dit Eco. Cependant, ces effets
programmés n’induisent pas UN sens, ce qui nous ramènerait à l’herméneutique, mais une
polysémie ». (p. 108)

Nous avons donc demandé à quatre enseignants de CM2 (de trois écoles différentes)
l’autorisation de travailler avec quatre élèves bons lecteurs de leur classe, aimant lire de
préférence. Nous avons souhaité ainsi nous adresser à des élèves dont les compétences en
lecture étaient reconnues d’une part, et à qui nous pouvions demander de lire un ouvrage dans
un délai raisonnable d’autre part. J. Giasson (1990 : 6-7) rappelle
« Que la lecture est un processus interactif fait maintenant l’unanimité chez les chercheurs
[...]. Il existe un consensus à propos des grandes composantes du modèle de compréhension en
lecture, c’est-à-dire le texte, le lecteur et le contexte. [...] La partie lecteur du modèle de
compréhension comprend les structures du sujet et les processus de lecture qu’il met en œuvre
[...] (connaissances et attitudes ; habiletés mises en œuvre). La variable texte concerne le
matériel à lire et peut être considérée sous trois aspects principaux : l’intention de l’auteur, la
structure du texte et le contenu. [...] Le contexte comprend des éléments qui ne font pas partie
littéralement du texte et qui ne concernent pas directement les structures ou les processus de
lecture mais qui influent sur la compréhension du texte ».

Nous avons choisi de mettre en place un dispositif méthodologique qui prenne en compte ces
trois composantes, sur la base de deux entretiens individuels auprès de chacun des seize
élèves concernés, à une semaine d’intervalle, le premier portant principalement sur sa pratique

4
Poslaniec, C. (dir) (2002), Réception de la littérature de jeunesse par les jeunes , Paris, INRP, 201 p.

6
de lecteur de poésie, le second sur l’ouvrage qui lui avait été prêté5. Nous souhaitions ainsi
saisir le lien texte poétique/jeune lecteur, en nous intéressant à terme à la réception d’œuvres
de poésie par ces élèves de fin d’école élémentaire, c’est à dire au travail d’interprétation
qu’ils mettent en œuvre en s’impliquant personnellement dans un texte au cours de la quête
de son sens.
« Une analyse de l’expérience esthétique du lecteur ou d’une collectivité de lecteurs, présente
ou passée, doit considérer les deux éléments constitutifs de la concrétisation du sens - l’effet
produit par l’œuvre, qui est fonction de l’œuvre elle-même, et la réception, qui est déterminée
par le destinataire de l’œuvre - et comprendre la relation entre texte et lecteur comme un
procès établissant un rapport entre deux horizons ou opérant leur fusion ». (Jauss, 1978 : 284)

Sur quelle coopération de l’enfant un auteur de poésie peut-il compter qui permette l’activité
inférentielle ? L’analyse du contenu des entretiens menés tentera de repérer si les principaux
effets programmés dans les ouvrages sont ou non perçus des jeunes, c’est à dire de répondre à
l’interrogation sur leur accessibilité à ce public.

Quelle définition ?

Avant tout, il s’agit de cerner le terme de poésie, pour lequel il n’existe pas de
définition universelle ou définitive ; en effet, d’une époque à l’autre, d’un pays à l’autre, d’un
auteur à l’autre, le mot « poésie » s’emploie pour des formes d’expression très diverses sans
critères objectivement et unanimement définis.
« Impossible de soumettre ‘’poésie’’, ‘’poème’’, ‘’poète’’ à une quelconque définition, stable,
immuable… sous peine de clore chacun d’eux à ce qu’ils ne veulent ou ne peuvent être :
délimités, circonscrits, réduits. Tant que l’un ou l’autre sera encore vivant… » (Carton, Roiné,
2003 :8)

Comme l’écrivait déjà Victor Hugo en préfaçant Odes et ballades (1822) : « Le domaine de la
poésie est illimité.» Aujourd’hui, le foisonnement des écrits qui se réclament de la poésie est
tellement disparate qu’il rend cette question encore plus brûlante, et la notion de poésie tend
parfois jusqu'à désigner un certain rapport au monde et au langage.
« La poésie est le seul lieu dans la modernité où l’on a l’impression quand on écrit, de la faire
en dehors de toute contrainte générique stabilisée. Donc, dès qu’on ne raconte pas d’histoire,
qu’on écrit formellement, librement, on se retrouve dans ce champ sans forme stabilisée qu’est
la poésie puisque depuis la fin du XIXème siècle, la poésie n’est plus reconnaissable,
puisqu’elle n’est plus dans ses formes mais à la recherche de formes nouvelles ». (Gleize,
2001)

5
questionnaires proposés aux élèves reproduits en annexe 2 p.70 à 72

7
Il est intéressant de constater que la forme narrative représente la seule forme exclue de la
poésie par Jean -Marie Gleize, et que ce point, qui demeure objet de controverse, intéresse
au premier chef un des ouvrages du corpus sélectionné6. Sur cette question, S. Mallarmé et P.
Valéry se sont, à leur époque, prononcés pour l’exclusion de la dimension narrative en
poésie :
«La poésie [...] est radicalement distincte de toute prose : en particulier, elle s’oppose
nettement à la description et à la narration d’événements qui tendent à donner l’illusion de la réalité
[...] ». (Valéry, 1957 : 1374)

Toutefois, d’autres poètes du XXème siècle, comme Aragon ou Queneau, ont tenté de
renouer avec le récit en associant poésie et narration.
Les frontières de la poésie sont donc floues, même si les critères formels,
linguistiques et sémantiques qui la caractérisent sont fréquemment cités pour la définir. Il
revient à Charles L. Stevenson (1992 : 157-201) une tentative audacieuse pour clarifier la
notion de poème. Partant des propriétés qu’on prête généralement aux poèmes, il expose :
« Peut-être qu’une définition adéquate doit se référer à toutes les propriétés. Et il se peut qu’il
faille les considérer non pas comme des éléments spécifiés par conjonction, mais plutôt
comme déterminant des ressemblances de familles (...) entre poèmes ». (Stevenson, 1992 :
172)

Ce qui l’amène à proposer un diagramme, constitué de colonnes, chacune représentant une


des propriétés signifiantes pour le terme « poème », la largeur des colonnes permettant de
graduer l’importance du critère concerné. (voir annexe 3 p. 73) Et l’auteur expose l’utilisation
du diagramme en question :
« Etant donné une séquence de mots qui prétend au label de poème, nous devons d’abord
estimer à quel degré elle possède chacune des propriétés constituantes en question et ensuite
créer dans chaque colonne une zone ombrée qui correspond au taux atteint. Lorsque la surface
ombrée totale excède un certain pourcentage (disons 30%) de la surface totale du diagramme,
la séquence de mots en question sera dite un poème ; dans le cas contraire, elle n’en est pas
un ». (Stevenson, 1992 : 173)

L’auteur qualifie lui-même ce procédé d’artificiel, et rappelle : « Il ne faut jamais oublier que,
quelque soit la procédure définitionnelle utilisée, ‘’ poème’’ restera un terme vague ». Ce
modèle fictif permet toutefois de poser qu’un poème doit contenir une certaine quantité des
propriétés citées, même si leur répartition dans le diagramme est variable. Nous nous
référerons à ce modèle tout au long de cette recherche, notamment pour tenter de percevoir à
quelles propriétés mises en évidences par Stevenson, le jeune public est sensible dans sa
réception.

6
Dumortier, David (2002), La Clarisse , Le Chambon-sur-Lignon, Cheyne, 45 p. (coll « Poèmes pour grandir »)

8
Chapitre I : Les ouvrages de poésie

dans la littérature de jeunesse


I.1 Regard d’ensemble sur les ouvrages de poésie de la liste de référence
Un rapide survol de l’aspect historique de la production poétique pour l’enfance
permet de constater l’innovation contenue dans cette sélection pour le cycle 3 : il s’agit en
effet d’un choix indépendant du marché pédagogique, ce dernier ayant massivement disposé
du créneau jusqu’aux années 1985, notamment par l’édition d’anthologies thématiques. Ici,
une des volontés semble le respect de la diversité des productions des éditeurs pour la
jeunesse :

Auteur Titre du recueil Editeur


Apollinaire,
L'Apollinaire : 19 poèmes Mango jeunesse
Guillaume
Bashô Cent onze Haïku Verdier
Bongiraud, Jean-
Les mots du manoeuvre L'Épi de seigle
Michel
Bory, Jean-François Le Cagibi de MM. Fust et Gutenberg Spectres familiers
Butor, Michel Vergers d'enfance Lo Païs
Char, René Le René Char Mango jeunesse
Dubost, Jean-Pascal C'est corbeau Cheyne
Dumortier, David La Clarisse Cheyne
Guillevic, Eugène Eugène Guillevic, un poète Gallimard jeunesse
Le tireur de langue : anthologie de poèmes insolites,
Henry, Jean-Marie Rue du monde
étonnants ou carrément drôles
Tour de Terre en poésie : anthologie multilingue de poèmes
Henry, Jean-Marie Rue du monde
du monde
Dans une édition destinée à la
Hugo, Victor Choix de poèmes
jeunesse
Le Clézio, Jémia et Sirandanes suivies d'un petit lexique de la langue créole et
Seghers
J.M.G. des oiseaux
Mango jeunesse Institut du
Mardam-Rey, Farouk La poésie arabe : petite anthologie
monde arabe
Prévert, Jacques Etranges étrangers et autres poèmes Gallimard jeunesse
Queneau, Raymond Raymond Queneau, un poète Gallimard jeunesse
Roubaud, Jacques Les Animaux de tout le monde Seghers
Sacré, James Anacoluptères Tarabuste
Siméon, Jean-Pierre Un homme sans manteau Cheyne
Suel, Lucien Visions d'un jardin ordinaire : poèmes et photographies Marais du livre
Tardieu, Jean Jean Tardieu : un poète Gallimard jeunesse
Légende :
Poètes français du XIXème siècle Poètes français contemporains
Poètes français du XXème siècle Recueils bilingues, patrimoine du monde

9
Si les critères de la commission chargée de la sélection des ouvrages n’ont pas été
publiés par le Ministère de l’Education Nationale à ce jour, nous pouvons tenter de définir à
quelle cohérence générale obéit cet ensemble de textes en ce qui concerne la poésie. Le choix
des vingt et un ouvrages proposés met en évidence la place majeure réservée aux poètes
d’aujourd’hui (la moitié de la sélection), et aux voix du XXème siècle, sans oublier la
diversité des langues, sous la forme de recueils bilingues de diverses origines. Et il y a fort à
parier que si les « classiques » ne sont pas plus représentés (seulement une grande voix du
XIXème siècle, rien d’antérieur), ce n’est pas pour remettre en question leur intérêt auprès des
élèves, mais bien parce qu’ils sont déjà très présents dans l’offre que les maîtres font aux
élèves (les résultats des entretiens que nous avons menés auprès des enseignants et des élèves
le confirment par ailleurs). S’agissant d’une liste à l’intention des enseignants, on peut penser
qu’elle tend à bousculer leurs représentations, en proposant des textes contemporains mais
accessibles, en variant les formes et les parti pris poétiques : ici, toutes les tonalités et tous les
enjeux sont présents, dans les textes et dans les critères éditoriaux, puisque des maisons
d’éditions modestes, mais actives dans leurs propositions pour la cause poétique, s’y trouvent
valorisées. Un autre choix délibéré, qui constitue pour moitié la sélection, consiste en
propositions d’œuvres complètes. Très souvent, les élèves n’ont accès qu’à des textes isolés,
qui sont extraits de leur contexte et donc appauvris, privés de leur environnement qui
contribue aussi à leur donner du sens :

« Est-ce qu’un poète peut obtenir un effet avec un morceau ? J’en doute. Il faut une certaine
durée pour qu’on entende un musicien. Il faut une certaine ampleur de l’espace pour que la
peinture s’offre au regard du spectateur. Comprendrait-on quelque chose aux fresques de la
Sixtine à partir d’un détail agrandi ? Pour les poètes de même, il faut une certaine ampleur
pour percevoir le dessein d’ensemble ». (Deguy, 2001)
Il est intéressant de constater, si l’on reprend le diagramme de Stevenson (abordé dans
l’introduction), que les œuvres retenues s’y inscrivent en offrant des zones ombrées très
variables de l’une à l’autre : ainsi, la liste ainsi établie rompt avec les habitudes pédagogiques
en matière de poésie, et se veut offre de diversités7 :

- diversité dans l’espace : espaces évoqués en terme de « sujet », mais aussi mise en
espace dans la page, ce qui correspond notamment à la colonne D du diagramme,
et fait référence aux poèmes visuels comme Le cagibi de MM. Fust et Gutenberg ,
et aux calligrammes ( Le Apollinaire )

7
les diversités énumérées ci-après sont issues d’un document La poésie à l’école , publié par le Ministère de
l’Education Nationale (Desco) en mars 2004 sur le site www.eduscol.education.fr/ecole

10
- diversité dans le temps : variations avec les auteurs de trois siècles abordés, mais
aussi traitement du temps dans les textes, ce temps qui interpelle les poètes : Cent
onze haïku , Les mots du manœuvre , Vergers d’enfance , C’est corbeau , La
Clarisse , choix de poèmes de V. Hugo , …

- diversité des langues et des cultures : Sirandanes suivies d’un petit lexique de la
langue créole et des oiseaux , mais aussi recueils bilingues de poèmes du monde,
qui sont l’occasion de découvrir d’autres graphies, de sensibiliser à d’autres
cultures, et de se rendre compte que l’homme, d’où qu’il soit originaire, se trouve
confronté aux mêmes préoccupations fondamentales. ( Cent onze haïku , La
poésie arabe , Tour de Terre en poésie )

- diversité des formes d’ouvrages : albums des éditons Mango qui proposent des
mises en œuvre plastiques ( Le René Char , L’Apollinaire ), texte illustré de
photographies montrant la rencontre de deux formes d’art ( Visions d’un jardin
ordinaire ), livres conçus comme de beaux objet de noble facture ( La Clarisse,
Un homme sans manteau , …)

- diversité des formes poétiques : du recueil « collection » ( Anacolupères ), au


sonnet et formes comptées ( Choix de poèmes de Victor Hugo , Les animaux de
tout le monde pour les variations autour de cette forme), en passant par les formes
courtes ( Cent onze haïku ), le dialogue ( Jean Tardieu, un poète ) et la poésie
narrative ( La Clarisse , C’est corbeau )

- diversité des tons enfin : humoristique, parodique ( Les animaux de tout le monde ,
Le cagibi de MM. Faust et Gutenberg , Le tireur de langue ), dramatique (C’est
corbeau , Un homme sans manteau ), complice, …

Nous avons choisi trois œuvres dans cette liste, pour les soumettre aux élèves et
travailler sur leur réception. Le choix s’est volontairement porté sur des ouvrages délaissés
par les enseignants, mais pour lesquels nous formulions l’hypothèse qu’ils étaient abordables
par les enfants en situation de lecture autonome (leurs illustrations participent à cette
hypothèse d’accessibilité) ; d’autres critères ont également été pris en compte et détaillés ci-
dessous :

- Ces ouvrages n’ont pas été écrits exclusivement pour un public enfantin,
- ce sont des recueils d’auteurs vivants,

11
- ce ne sont pas des regroupements du type « anthologie » mais des textes qui
forment une unité,
- ils offrent des formes variées, en rupture avec le formalisme le plus souvent
observé dans les textes soumis aux élèves,
- ils ne sont pas d’une lisibilité immédiate mais leur complexité déconcerte et
appelle doute et interrogation,
- enfin, la part du travail éditorial dans la mise en page de ces objets livres n’est pas
négligeable et interpelle le lecteur : typographie, choix du papier et des
illustrations.
Enfin, nous avons également sélectionné trois ouvrages qui obtiennent une répartition des
zones ombrées très différentes en référence au diagramme de Stevenson, c'est-à-dire qui
présentent des valeurs variables dans les différents domaines énumérés. En effet, comme
nous le montrera ci-dessous l’étude de leurs particularités propres, les recueils retenus sont
très dissemblables. Nous nous attacherons à relever quelques uns des effets programmés dans
les oeuvres abordées, en restant bien conscient que d’autres pistes jalonnent ces ouvrages, et
qu’il est fort heureusement inenvisageable d’en épuiser le sens. Nous tenterons, après chaque
analyse, de nous interroger sur ce que les enfants sont en mesure de percevoir parmi les effets
constatés.

I. 2 Analyse de La Clarisse
(David Dumortier, Martine Mellinette, Ed Cheyne, coll. « Poèmes pour grandir », 2000)

« Un poème en vingt-deux tableaux présente le monde restreint de la Clarisse. Des emprunts aux
lexiques de la sociologie et de la politique (au sens politis du terme) rappellent l’existence d’un
monde « extérieur à », inconnu de Clarisse. Cette fillette de huit ans vit à côté, juste à côté, elle
attend, elle rêve », commente la brochure du Ministère8.

1 Un scénario centré sur un personnage, entre rêve et réalité : une quête


identitaire
La page de garde présente d’emblée l’ouvrage comme un « poème-scénario », dont les
différents tableaux ont fait l’objet d’illustrations et de montage, et dont l’héroïne est Clarisse
(cf. l’expression Clarisse à l’affiche au bas de la double page précédant la page de garde).
Il s’agit bien d’une focalisation sur un personnage, Clarisse, mais dès le quatrième texte, la
« caméra » explore son univers quotidien, éclairant ainsi d’éléments inédits le portrait
esquissé et lui conférant un relief nouveau. Tout se passe comme si une caméra tout d’abord

8
Documents d’application des programmes, fascicule Littérature cycle 3 , Direction de l’enseignement scolaire du Ministère de la Jeunesse,
de l’Education nationale et de la Recherche, Ed. CNDP/Sceren, 2002

12
en zoom sur le personnage prenait du recul et balayait les alentours, surprenant dans son
champ d’autres personnages en action, tous familiers de l’univers de Clarisse.
L’élargissement progressif nous conduit de l’intérieur du logis à l’école, en passant par la
nationale, l’enclos des poules et le dépôt des ferrailleurs. Le paratexte éditorial souligne
encore la référence cinématographique quand il précise dans l’achevé d’imprimer : «’’ La
Clarisse’’ composé en Frutiger corps 12 a été achevé de tourner en novembre 2002 sur les
presses de Cheyne au Chambon-sur-Lignon, Haute-Loire ».
Au gré de la linéarité du temps qui s’égrène (suggéré aussi par le défilement de l’illustration
de couverture comme un film), la fillette affirme sa personnalité, revendique clairement
l’identité inscrite dans son prénom. Elle apparaît non-conforme aux attentes de tous (y
compris des objets9, refuse l’immobilisme dans lequel on tente de l’enfermer : « On n’est
jamais tous alignés la face plate et le dos au mur à attendre que la vie se remplisse toute
seule. » p. 9 ; « Quand à Clarisse c’est la catastrophe. » p. 24 ; « elle ne veut plus être aux
fers » p. 15
Ses activités d’insatiable curieuse sont ainsi justifiées par cette quête identitaire : « Seulement
si elle n’entreprend pas toutes ces explorations, elle a peur de ne plus s’appeler un jour
Clarisse » p.10 ; « Clarisse travaille pour la postérité » ; « elle n’a rien à prouver » p. 25
Dans un monde où semble régner l’absence de paroles10, les bêtises symboliques de la fillette
crient ses revendications comme autant de passages à l’acte : « Clarisse reste cependant
insensible à tout le mal qu’elle sème. Elle a l’impression au contraire qu’elle devait le faire
(…) ça ne pouvait plus durer » p. 9. En rupture avec son milieu, elle se démarque et fuit
littéralement : « elle ne veut plus prendre le chemin » ; « elle a escaladé le mur » ; « elle ne
pense plus faire partie des Barbouilloux » ; « elle pisse dans le jardin, crache par la fenêtre
et tout ce qui est fuite semble lui revenir » p. 20 et 21. Par fuite toujours, la fillette rebelle
pense, et rêve : tout ce qui lui échappe dans son quotidien est alors offert ; dans ses rêves se
dessine un monde de profusion et de douceur, dans lequel sa compagnie est recherchée (« des
forains l’appellent » ; « elle croit qu’on l’invite sur les autos tamponneuses » p. 17), et où le
dimanche est un jour de fête.
L’insistance de Clarisse à se construire unique et fidèle à son image représente un dur combat
contre l’absorption dans un amalgame non identifié, figuré par la narration en « on » du texte
(21fois). Ce « on » qui tente de la ramener dans le droit chemin… et qui à cet égard lui

9
« on se demande si le four va accepter de cuire un tel dessert. » p. 24
10
« on ne parle pas, le visage dans la soupe » p. 13 ; « en silence » p. 18 ; « Clarisse parle de moins en moins et semble avoir prononcé son
vœu de silence. » p. 35 ; « au moment de dire son texte, elle a eu un blanc » p. 44

13
propose une tâche de vacances pour le moins éloquente : « Pendant les vacances on lui donne
des clous à redresser dans l’atelier ».
La résistance de Clarisse et l’affirmation de sa personnalité convoque aussi le titre du recueil,
notamment l’association de l’article et du nom propre : si elle dégage une connotation
péjorative, marque d’exaspération des membres du cercle de la fillette, une telle association
reconnaît officiellement le caractère unique du personnage ; ce qui permet peut-être de
conclure que la quête identitaire de Clarisse n’est pas vaine.

2 Une double précarité


L’univers de Clarisse évoque une grande précarité matérielle, et elle semble évoluer au
sein d’un groupe humain assez marginalisé, qui doit vider la fosse septique chaque semaine,
trier les poubelles d’une grande entreprise pour nourrir des cochons, glaner pour survivre…
Le champ lexical11 qui évoque cette précarité est transversal au texte.
Cet axe semble majeur dans la mesure où l’auteur fait passer un message fort, à travers la
description par petites touches de cet univers précaire, mais aussi par l’intermédiaire de
l’organisation des sociétés qu’il évoque. En effet, les sociétés animales abordées, et la société
que les enfants mettent en jeu, reprennent les mêmes caractéristiques : il y a d’un côté les
exploiteurs (riches), et de l’autre les exploités (pauvres). Ce schéma de reproduction en boucle
anéantit tout espoir de changement potentiel.
La deuxième forme de précarité semble découler de la précédente, et atteint la sphère
affective et le développement personnel des individus « La vie est dure, on ne parle pas » p.
13. Les membres de la famille de Clarisse s’affairent chacun à leur tâche, leurs occupations
les isolent, ils sont renvoyés à la solitude12, au rêve d’un avenir meilleur (exemple avec le

11
« Mal habillée » ; « un peu plus cher que les choses ordinaires » p.6 « Il y en a toujours (…) un autre qui trie les poubelles pendant que la
petite, la couche pleine, braille dans le parc » p. 9
Scène de la fosse septique p. 12, 13
Décor du hangar « dans ce décor d’huile de vidange, de vieux moteurs amputés et de hangar sans lumière » p. 15
« Emmanuelle partie chiner à la décharge du bois » p. 18
« Le savon crevassé et noirci par le cambouis parfumait en silence le torchon sale » p. 18
« les eaux de ruissellement »
« A cinq heures elle trie les poubelles avec sa mère. Trois barils viennent du centre de recherche de chez Renault et deux d’une maison de
retraite. On trouve du pain, des restes de crevettes, de la salade, des épluchures, des bonnes choses pour nourrir trois cochons de banlieue » p.
26
« Parfois elle joue dans les voitures du ferrailleur »p. 32
« Elle dépose le bilan » p. 36 « Elle aura mis sa caissière à la porte » p. 37 « Faux billets » p. 37
« Vendeuse ambulante de fleurs cueillies dans les fossés » p. 37
« Depuis que ses cousins sont devenus très pauvres » p. 40
« Le Père (…) glane le cuivre dans les gaines électriques, sur des bobines de moteur ou d’une façon plus avantageuse, il récupère les restes
laissés par les plombiers » p. 42
« Le plus petit rôle ; si peu » p. 44

12
« Clarisse a pleuré seule, dans son lit, toute l’après-midi. (…) à la cuisine où sa mère écoutait des valses musette au poste (…) dans le
champ son père tirait les cheveux des mauvaises herbes (…) Emmanuelle partie chiner à la décharge du bois (…) Etienne planté devant la
télé (…) la petite endormie dans sa poussette. » p. 18

14
Père qui stocke du cuivre de récupération en attendant « Ce jour-là, quand la politique
chilienne sera si mal, on viendra chez lui l’implorer de vendre ses réserves pour l’industrie
française » p. 42 et aussi avec les « Rêves de Clarisse » p. 16/17, déjà mentionnés plus haut).
Chaque personne vit une solitude ennuyeuse, et ce même ennui gagne aussi bien les éléments
anthropomorphisés de la maison : « Les clés, la ferraille crevaient d’ennui, chacun cherchant
à tuer son dimanche dans la brisure de la semaine » p. 18. Le dimanche est le révélateur de
la souffrance et de la difficulté à vivre de chacun : « Encore un jour nu pour désherber tout le
chagrin accroché en façade, enlever le lierre courant dans les veines, avec au fond de soi plus
rien pour nous relier aux autres » p. 18. L’aboutissement de l’isolement individuel se fait ici
criant. Et en arrière plan du texte se lit également la douleur de la fillette de ne pas être aimée.
La répétition du « personne ne l’aime » p. 8, puis p. 18 renforcé par « elle en est certaine »,
ainsi que l’épisode pathétique de l’anniversaire de Clarisse (p. 22 et 23 « Ses huit ans »), au
cours duquel « personne ne lui a souhaité joyeux anniversaire » pointent ce manque affectif
flagrant.

3 L’art poétique
- Un travail sur la langue et une adresse au lecteur
Ce qui caractérise le recueil dans ce domaine, et lui confère incontestablement sa dimension
poétique forte, est l’usage de la métaphore, appliquée à tous les éléments abordés :

Figures d’analogie dans La Clarisse

Métaphorisés Métaphorisants
Personne humaine
Clarisse « Clarisse, c’est beaucoup de chocolat autour de la bouche » p. 6
Clarisse « Elle était effervescente comme un gaz qui monte à la surface… » p. 23
Clarisse Une religieuse p. 35, chap. « Sœur Clarisse »
Clarisse Un petit bout de chocolat « quand elle sortira de son emballage pour
fondre dans la bouche d’un garçon » p. 35
« On » Des assiettes murales « On n’est jamais tous alignés la face plate et le dos
au mur à attendre que la vie se remplisse toute seule » p. 9
Les garçons « De vrais gorets ! » p. 25
Sophie « c’est Lady Diana visitant les pauvres Noirs mutilés par les mines
antipersonnelles » p. 41
Le père « espère avoir la mine de Pinochet » p. 43
Eléments naturels
La nuit « le sucre de la nuit » p. 17
Les mauvaises « son père tirait les cheveux des mauvaises herbes »p. 18

15
herbes
Merde de la « toute cette merde se mêle aux conversations ordinaires, comme un mal
fosse septique de plus auquel on s’est habitué » p. 13
« ce bel étalage » p. 13
objets
clou « il faudrait ouvrir le clou sur toute sa longueur comme une anguille … »
p.15
autres
La fête foraine « la fête en folie tourne comme un manège trempé dans le sucre de la
nuit » p. 17

Personnification
Objets
moteurs « moteurs amputés » p. 15
Les clés, la ferraille « Les clés, la ferraille crevaient d’ennui, chacun cherchant à tuer son
dimanche dans la brisure de la semaine » p .18
Le savon « le savon crevassé et noirci par le cambouis parfumait en silence le
torchon sale » p. 18
Le four « on se demande si le four va accepter de cuire un tel dessert » p. 24
La nationale « La Nationale voit défiler chaque jour un va-et-vient incessant de
voitures, de camions … » p. 32
Le petit bout de « le petit bout de chocolat qu’elle a encore volé entretient une
chocolat conversation avec l’avenir »
Eléments naturels
Les mauvaises « Son père tirait les cheveux des mauvaises herbes » p. 18
herbes
L’arbre « l’arbre portant dans ses branches la cassette » p. 38
Les animaux
Les cochons « les porcs la remercient bien, eux » p. 25
« ils s’appuient nonchalamment sur la murette et attendent que le temps
passe » p. 26
« nos banlieusards savent que le quartier est un coupe-gorge » p. 26
Les pintades « elles se comptent » p. 28
« Au conseil de guerre, elles ont décidé de défendre leur culture » p. 28
« Les dernières pintades du monde décident d’user de diplomatie…de
décoration aux autres. » p. 28-29
Les poules « la crête bien mise chantant des airs d’opéra après la grande ponte du
matin et bavardant autour d’un ver avec quelques pintades et la grosse
dinde » p. 30
Les poèmes
Ces poèmes « ces poèmes ne sont pas allés beaucoup à la mer » p. 45

Ce procédé permet de se poser la question de l’identité du narrateur, parce qu’il révèle


une lecture du monde telle qu’un enfant peut l’élaborer, à l’aide de ses référents sensibles.
Et il s’agit bien là de convoquer les émotions du lecteur. La suite des scènes proposées laisse
des blancs qu’il appartient au lecteur de combler en fonction de l’écho et du sens qu’il aura

16
perçus, notamment par l’évocation sensible que revêt ici la métaphore. A noter toutefois que
les jeunes lecteurs risquent de ne pas posséder toutes les références au registre évoqué
(notamment «la mine de Pinochet », « Lady Diana visitant les pauvres noirs… »).
Ce point permet encore de poursuivre le questionnement sur l’identité du narrateur :
tout au long du texte, l’omniprésence d’un narrateur en « on » (22 emplois, voir relevé en
annexe 4 p. 74) interroge le lecteur ; ici, le « on » n’englobe pas le lecteur dans un narrateur
collectif, ce qui s’observe aisément par la teneur de ce qui est rapporté : le « on » est acteur de
la vie de Clarisse, et témoigne, est impliqué dans les événements (« Maintenant on va
manger quoi à cause d’elle ? » (…) « On la dévore du regard » (p. 8)). L’aveu de son
appartenance familiale semble effectif p. 18, avec l’emploi d’un « nous » qui caractérise
l’isolement de chacun des membres de la cellule et l’absence de tout lien affectif : « Encore
un jour nu pour désherber tout le chagrin accroché en façade, enlever le lierre courant dans
les veines, avec au fond de soi plus rien pour nous relier aux autres ».
Pour autant, ce « on » prend-il la parole au nom de toutes les personnes qui gravitent
autour de la fillette ? Cette hypothèse semble plausible ; toutefois, une autre peut être
avancée, si l’on considère le point de vue de ce « on » narrateur. En effet, il se place
alternativement extérieur à la fillette, dans le rôle du porte-parole familial qui subit ses
bêtises, mais aussi intérieur et prend alors la parole pour justifier le comportement de
Clarisse : l’épisode de la casse des assiettes murales p. 8 et 9 est révélateur à ce propos :
« On n’est jamais tous alignés la face plate et le dos au mur à attendre que la vie se
remplisse toute seule. » Ici, il est clair que la fillette prend la parole en s’assimilant à la
famille qu’elle observe toujours en mouvement et à l’opposé de cette image figée qu’en
donnent les assiettes. Ce qui permet d’expliquer et de minimiser la portée de son geste, la
destruction d’une fausse représentation à son avis. (« Des assiettes posées comme ça sur le
mur pour décorer la maison de plein de prénoms, ça ne pouvait plus durer. »). A d’autres
endroits du texte, le point de vue du narrateur est encore tout à fait interne, décrivant en
détail les sensations très personnelles qu’éprouve Clarisse, avec ses mots de fillette : « En
revenant à la maison, elle était effervescente comme un gaz qui monte à la surface. Une
bulle éclatait en elle qu’aussitôt d’autres naissaient au plus profond de ses pieds si bien
qu’elle se sentait traversée par le pétillement du bonheur, et plus encore, elle avait le
sentiment que toute sa joie irait bientôt se liguer en mousse et déborderait au-delà de ce
qu’elle pouvait contenir. » (p. 23) Ce qui pourrait permettre d’envisager que ce « on »
narrateur est la fillette elle-même, ayant pris du recul par rapport aux évènements, les
rapportant avec les yeux et l’affect de la Clarisse d’alors, mais avec la distance et

17
l’expérience permettant d’adopter à certains moments le point de vue d’un membre
quelconque de la famille. Une Clarisse devenue adulte et nourrissant de ses références
culturelles et actualisées les évènements passés (« Sœur Clarisse » p. 35 mais aussi les
allusions au cours du cuivre , à la situation du Chili, aux mines antipersonnelles et à
l’association de Lady Diana par exemple).
Au niveau du travail sur la langue, l’auteur joue également beaucoup13 avec la
polysémie des mots, et cette utilisation de la pluralité des sens nourrit encore sa conception
de la poésie et la place qu’il accorde au lecteur, en lui offrant des éléments à décoder, animer
et relier.
4 Hypothèses sur la réception des élèves
Dans le diagramme de Stevenson, cet ouvrage obtiendrait des valeurs très élevées en
ce qui concerne le sujet et l’usage des figures rhétoriques, ce qui peut compenser les valeurs
nulles dans les domaines de la régularité du rythme et des rimes. Mais cet atypisme risque
d’interpeller les élèves, parce qu’il est en rupture importante avec la forme poétique qu’ils
connaissent (vers rimés), et ils auront probablement du mal à reconnaître ce texte comme
poème et à énoncer des critères poétiques en ce qui le concerne.
Quels effets programmés les jeunes lecteurs percevront-ils de cet ouvrage ? Le récit
(puisqu’il s’agit de poésie narrative) est focalisé sur une enfant, et toute la dimension de sa
non-conformité devrait sans problème être pointée par les jeunes lecteurs, qui peuvent
convoquer des émotions personnelles en écho au texte. En revanche, toujours en raison de la
focalisation sur la fillette, mais aussi des registres sociologiques abordés, la précarité
affective de Clarisse peut être perçue, mais sans doute pas l’ensemble familial. Enfin, le
travail sur la langue, et notamment le recours intensif à la métaphore sera probablement
ressenti, même si les enfants du primaire ne possèdent pas le vocabulaire adapté pour le
définir.

I. 3 Analyse de Un homme sans manteau


(Jean-Pierre Siméon, Martine Mellinette, Ed. Cheyne, coll. « Poèmes pour grandir »,
1996)

« En passant de l’obscur au clair, ces poèmes sont questionnement sur les parts d’ombre et
de lumière, de malheur et d’espoir du monde et de nos vies14 ».

13
Exemple le plus flagrant dans le texte « Les clous » p. 15, avec les expressions « les idées tordues de son père sont sur l’établi, prises
dans le fer. (…) Elle ne veut plus être aux fers et envisage sérieusement de s’arracher de là pour aller se planter sur une planche à
roulettes ».
14
Documents d’application des programmes, fascicule Littérature cycle 3 , Direction de l’enseignement scolaire du Ministère de la
Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, Ed. CNDP/Sceren, 2002

18
1 L’énigme de la dualité
La problématique du recueil, très philosophique, questionne le dualisme (« l’énigme
du monde » p. 10) et l’enchaînement des faits opposés ; des clichés lumineux, paisibles,
alternent avec des scènes obscures et douloureuses sur une transition très brusque
(« soudain » p. 9, p. 13, p. 37). Le texte témoigne de la diversité des souffrances (« la vie la
nuit les autres » p. 9), de leur universalité (« là-bas très loin » p. 10, « Dans des pays
harassés » p. 17, « ce fut ici ou là » p. 19, « ma joie et ma douleur sont celles de tous les
hommes » p. 33) et de leur intemporalité (« un jour » p. 41). Il invite aussi à s’interroger sur
les raisons qui conduisent l’homme à la violence (« quelle peur quelle douleur/a-t-on bâties
en lui/pour qu’il mette au supplice/son propre corps/dans l’autre » p. 21) et ce, depuis les
origines « un homme (…) cherchera dans la mémoire des hommes/les premiers gestes/du
malheur » p. 41.
J.P. Siméon s’inscrit ici dans la problématique de Yves Bonnefoy, interpellé lui-même
par les contrastes qu’il a vécus pendant la seconde guerre mondiale : « Ce furent, ces années-
là, un temps comme blanc et noir avec une guerre alentour. » (L’improbable). Et l’épigraphe
« Tout est toujours à remailler du monde », vers extrait de « L’Adieu » de Yves Bonnefoy,
exprime largement cette idée de la fragilité et de la fugacité des moments de la vie paisibles,
du mélange dont est constituée l’existence. De nombreuses expressions évoquent ce
contraste : « la force et la faiblesse du sourire » p. 40 ; «une bougie d’ombres » p. 43 ; « ma
joie et ma douleur » p. 33. Ce maillage aux teintes opposées agit comme un révélateur
d’intensité, comme si la présence de l’autre accentuait l’éclat de chacun, et finalement de
l’ensemble.
L’illustratrice a rebondi sur ce propos pour accompagner le texte de « mailles
d’encre », écho des vers de l’auteur « et cette soie du rêve/qui tient dans ses mailles/le
secret/de nos vies » (p. 12) ; « écouter/tout ce qui commence et meurt/si loin si proche/aux
mailles du silence » (p. 38). La mise en page, avec l’alternance des couleurs claires, sombres,
et vives voire violentes, complète symboliquement cette évocation. La maille précieuse court
tout au long de l’ouvrage, image du remaillage toujours nécessaire pour réparer les
souffrances et contenir le monde.

2 L’interpellation du lecteur et le rôle du poète


L’écriture de J.P. Siméon pointe son implication extrême, et le souci d’impliquer
également son lecteur. L’écriture majoritaire du texte en « je » (34 emplois) affirme

19
l’engagement du poète, et les adresses en « tu », plus fréquemment encore l’emploi du
pronom personnel « nous » (18 emplois) emmènent le lecteur dans son sillage. L’auteur
renforce cette communication avec son lecteur en se plaçant en situation de se questionner
avec lui : « qui pleure ici (…) qui va qui vient/qui nous regarde/sans yeux » (p. 11), le poème
p. 21 reproduit ci-dessous, « il y a tant d’ombres sur le monde/laquelle est dure/laquelle est
ronde/laquelle à nos silences fiancée ? » (p. 34), voire en l’interpellant directement : « Dites,
quel enfant peut parler ainsi ? » (p. 15).
On peut penser que cette recherche de communication est particulièrement adaptée au jeune
lectorat auquel s’adresse cette collection et que J.P. Siméon15 réalise son projet poétique à
l’égard de la jeunesse. Il affirme en effet :
Celui qui a tué « Fondamentalement la poésie est questionnement. (…) Elle
qu’a-til fait de ce matin d’enfance nous confronte à ce qui est le fait même de la condition humaine c'est-
où l’air levait
pour lui à-dire une angoisse existentielle et métaphysique. (…) Lire un poème,
le grain de la lumière c’est se poser des questions ». (Siméon, J.P. 2002 :18-19)
qu’a-t-il abandonné
de ces terres lointaines
où grandissait pour nous
Le questionnement s’adresse bien ici à l’être pensant et pétri de
la nuit de son mystère
sensibilité, qui interroge le monde et son ambivalence. L’adjectif
quelle peur quelle douleur
a-t-on bâties en lui possessif « nos » indique clairement que l’auteur s’inclut dans
pour qu’il mette au supplice
son propre corps cette réflexion philosophique. L’observation des choix
dans l’autre

et quand y aura-t-il
énonciatifs présentés en annexe 5 permet de noter la valeur
assez de soleil
essentiellement « philosophique » du pronom personnel « nous »
pour que vienne
à nos mains utilisé par l’auteur, ainsi que l’expression d’une solidarité avec
la blancheur de l’oubli
son lecteur. Le partage des émotions, la forte présence de
l’énonciateur dans le tissu du texte, inscrivent sans hésitation le texte de J.P. Siméon dans la
tradition des poèmes lyriques. Les formulations personnelles prégnantes et l’écriture à la
première personne occupent dans le recueil des places stratégiques : ouverture et clôture du
livre, clôture de la partie « L’obscur » (ces textes sont reproduits ci-dessous). L’auteur prend
la parole en revendiquant une légitimité, dont témoignent les termes suivants : « je sais » (6
emplois p. 16, 23, 34, 41), « je connais ça » (2 emplois p. 14), « je crois » (1 emploi p. 39). Il
se place ainsi en témoin « réellement cela eut lieu » (p. 19), indices qui nous donnent autant
d’indications sur la façon dont il envisage son rôle de poète. D’une façon générale, il évoque
un médiateur expert, qui témoigne et apporte sa connaissance et sa sensibilité, son
questionnement sur sa lecture du monde (« son malheur/le sais-tu/a aussi ton visage » p. 20,
une communion avec les autres et leurs souffrances, en s’incarnant parfois comme un humain
15
Le poète J.P. Siméon est professeur à l’IUFM d’Auvergne, et directeur artistique de la manifestation « Le
Printemps des poètes ».

20
« type » (« ma joie et ma douleur/sont celles de tous les hommes » p. 33), mais parfois aussi,
il fait référence à sa particularité, voire à une certaine forme de solitude : « j’habite le chant
des hommes/comme l’abeille/les chambres de l’été » ; « je ne m’arrête que pour un regard/et
le bruit clair d’un poème » p. 22 ; « je me comprends » p. 43).

J’avais ouvert à deux battants je sais aussi Quand je dis


qu’on ne guérit pas les pommes blanches du plaisir
Je jouais par terre dans la chambre
avec mes rêves du malheur des choses
comme un enfant la table ronde du sommeil
j’attendais tout de la lumière et le regard brisé des fontaines
clôture de la partie I p. 23
le rien de l’air, cela me suffisait quand je parle
de la neige aux chiens bleus
et soudain la volée de cailloux ou de la nuit qui souffre
la vie la nuit les autres du vagabond qui va
chacun avait jeté sa pierre une bougie d’ombres
dans la main
j’ai ramassé
quand je nomme
ces pierres une à une Avançons
verger la patience
nous n’avons raisin le goût des lèvres
et je les ai regardées jusqu’au soir rien perdu de ce et jardin ton visage
sans comprendre qui nous fait grandir
je me comprends

Premier texte du recueil p. 9 ouverture de la partie II p.28 dernier texte du recueil p. 43

3 L’art poétique

Les figures d’analogie : comparaisons et métaphores filées


Le texte de J.P. Siméon utilise deux figures de rhétorique majeures : la comparaison,
qui met à distance l’analogie et qui est très lisible pour le jeune lecteur, et la métaphore filée.
Les comparaisons s’égrènent régulièrement et sont présentes tout au long du recueil, mais
davantage dans la deuxième partie « Le clair » (8 usages contre 3 dans la première partie) :
« Je jouais par terre dans la chambre/avec mes rêves/comme un enfant » p. 9
« chaque nuit a sa plainte/comme un lointain d’orage » p. 13
« j’habite le chant des hommes/comme l’abeille/les chambres de l’été » p. 22
« et ce visage/qui me fait face/comme un soleil » p. 33
« j’irai comme un ivrogne » p. 35
« et cette ivresse en moi/sera comme une enfance » p. 35
« cette lumière (…) comme une eau de baptême » p. 37
« la chaleur des hommes/qui nous revient fidèle/comme au rucher l’abeille » p. 38
« qui/sinon cette colère/en toi qui monte/claire/et forte/comme une aube et son poème » p. 40
« une petite fille/neuve et nue/comme l’herbe d’avril » p. 41
« elle a les faveurs/simples du jour/comme le fruit/du matin » p. 42

L’utilisation de ces deux figures qui agissent en complémentarité en appelle à


l’imaginaire pour décoder un message fort, récurrent en poésie, celui des correspondances ; en

21
effet, les métaphores16 insistent sur la complémentarité des éléments : « un vent gourmand des
oiseaux du ciel » (p. 22) ; « le silence roux des vignes vierges » (p. 30) ; « la fraîcheur des
songes » (p. 40) ; « les pommes blanches du plaisir » (p. 43). Le contenu des analogies pointe
les relations étroites entre l’humain et le monde naturel : comme on relève de nombreuses
métaphores humanisantes, où la personnification de l’univers est généralisée, on assiste
également à l’assimilation d’éléments humains en éléments naturels (« ton soupir pour la
fleur » p .16 ; « son désir un verger » p. 20 ; « son cœur est un jardin » p. 20 ; « ce visage(…)
comme un soleil » p. 33). L’eau, l’air , la terre, le feu sont évoqués, et l’on peut qualifier de
bachelardien l’imaginaire convoqué par le jeu métaphorique. L’enfant y incarne l’innocence
et la pureté originelles reconnues universellement (« Pour elle/le silence a son geste le plus
clair/et la nuit ses branches les plus douces/elle a les faveurs/simples du jour/comme le
fruit/du matin » (p. 42) ; « je sais/qu’une petite fille/neuve et nue/comme l’herbe d’avril/se
lèvera dans l’air noir/et redira pour lui/le long poème du monde/dont nous sommes chacun/la
douceur et la rime » (p. 41)).
Le lexique utilisé est simple, ses champs restreints, mais la difficulté du texte réside
dans l’accumulation des métaphores et dans la fréquente construction en parataxe des textes
du recueil.
La structure rythmique
Si l’on n’observe pas de structure régulière au fil du recueil, on note toutefois une
certaine concision dans les textes, plus accentuée dans la première partie « L’obscur ». Les
treizins y sont fréquents, et la moyenne des textes est d’environ quatorze vers. La seconde
partie « Le clair » présente des textes plus amples, dont certains dépassent vingt vers. Le
nombre de strophes varie très peu (structure à cinq strophes dominante) et semble scander le
texte par son organisation presque symétrique, véritable charpente du recueil :
Nombre de strophes dans la partie « L’obscur » (15 textes)
6 4 4 6 4 5 3 5 5 3 5 6 5 4 1
Nombre de strophes dans la partie « Le clair » (16 textes)
1 4 4 8 5 4 5 5 5 4 5 5 5 5 4 6

Le rythme ainsi adopté permet de mettre en relief les adresses au lecteur, placées en
début ou en fin de strophes, (interrogations notamment), et le jeu fréquent des répétitions
(exemple avec le vers « je sais » répété trois fois en tête de trois strophes dans le poème

16
Voir leur relevé en annexe 6 p. 77

22
« pour Marie » de la page 41). Ce système à strophes courtes et relativement nombreuses
permet également de donner toute sa dimension à la saturation contenue dans la dernière
strophe. Cette particularité paraît encore adaptée au jeune public et agit comme un
renforcement du message du poète.
La structure mélodique
La poésie de J.P. Siméon récuse la rime et d’une façon générale, toute survalorisation de
l’effet formel. L’auteur en effet mise sur d’autres moyens pour s’exprimer et atteindre le
lecteur :
« Ne définir la poésie que par la forme, le vers, la rime, conduit à une impasse. Il vaut mieux
l’appréhender dans son enjeu éthique, existentiel, en considérant que celui-ci est assumé dans la
langue à travers une multiplicité de formes ». (Siméon, J.P. 2002)

Pour autant, une structure mélodique se dégage du choix des mots, portée par leur longueur ou
leur brièveté, par leurs jeux d’assonances et le rythme des vers. Cette structure fait écho au
sens général de l’ouvrage, avec des successions d’assonances dures et douces, comme en
témoigne le texte qui ouvre le recueil : les six premiers vers comportent des sonorités douces
en [ã] et [ε] (4 et 7 emplois), et au septième vers une rupture se concrétise avec le terme
« soudain » et l’assonance dure en [e] (4 emplois).
4 La mise en page et les choix éditoriaux
Enfin, la mise en page des textes et les illustrations témoignent du souci d’offrir un bel
objet fini (qualité du papier, format), mais surtout d’accompagner le texte dans sa
complexité ; les mailles d’encre de Martine Mellinette, par leur appellation et leur
caractéristique non figurative, ressortissent à l’opacité et invitent le lecteur à la réflexion et à
l’interprétation. La résonance du terme « mailles d’encre » avec d’une part l’épigraphe, et
d’autre part les deux vers des pages 12 et 38 où figure le mot « maille » met en relief la
problématique majeure de la dualité. L’alternance des couleurs choisies, l’obscur, le clair,
l’agressivité du rouge qui rompt le rythme noir/blanc participent aussi à l’élaboration du sens
du recueil. Le choix de faire ressortir certains vers, par la taille de la typographie et la couleur
choisie, invite enfin à multiplier les propositions de lecture et nourrit le souci d’ouverture du
poète : l’offre et la place réservées au lecteur sont maximum, mais un étayage présent dans le
texte et les choix éditoriaux lui permet d’entrer dans l’ouvrage.
5 Hypothèses sur la réception des élèves
Dans le diagramme de Stevenson, ces textes seraient considérés comme « typiques »,
au sens où ils obtiendraient des valeurs élevées dans chaque colonne (hormis toutefois dans la
colonne B qui correspond à la présence de rimes). Pour cette raison, mais aussi parce qu’ils

23
sont versifiés et rythmés, les élèves leur reconnaîtront probablement sans hésiter la forme
« poésie ».
Les principaux effets programmés concernent la dualité évoquée, maillage de nos
vies humaines, tissage de joies et de malheurs, effet mis en relief aussi par les choix
éditoriaux, ainsi que l’art poétique, qui recouvre différents procédés dont certains ont été mis
en évidence plus haut, et qui sert ce message fort de l’auteur. Les élèves devraient sans trop
de peine accéder à la dualité évoquée, en raison de la construction du recueil en deux parties
nommées et identifiées : « L’obscur », « Le clair », et pour la cohabitation dans les textes de
mots évoquant chacun de ces deux registres opposés. De plus, l’accompagnement des
illustrations et la mise en page avec alternance de couleurs peuvent aider les enfants sur cette
voie. De la même façon, l’interpellation du lecteur et les prises de parole en « je » du poète
seront probablement perçues, parce qu’elles sont fréquentes et percutantes. L’abondance et la
juxtaposition des métaphores risquent d’attirer l’attention des jeunes lecteurs, soit pour en
identifier le fonctionnement, soit parce qu’elles seront obstacle à leur compréhension. Les
références que les enfants ont évoquées, et les pratiques poétiques mises en œuvre laissent
penser qu’ils ne sont pas toujours sensibilisés à ces figures de rhétorique, et la deuxième
hypothèse apparaît plus probable.

I. 4 Analyse des « animaux de tout le monde »


(Jacques Roubaud, Jean-Yves Cousseau et Marie Borel, Ed. Seghers, coll. « Volubile » 1990)

« Une soixantaine de poèmes qui ont pour sujet chacun un animal, « des longs des courts des gras
des beaux ». Presque tous les poèmes sont « de l’espèce qu’on appelle ‘‘sonnet’’ », comme
l’explique l’auteur dans une lettre adressée au hérisson à la fin de l’ouvrage. Cette lettre est une sorte
d’art poétique, humour et jeux sur/avec les mots en prime. Ce qui n’étonne pas puisque l’auteur fait
partie de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle)».17

Cet ouvrage de J. Roubaud, initialement publié chez Ramsay en 1983, a été réédité
dans la collection « Volubile » des éditions Seghers en 1990 ; cette collection destinée aux
enfants, cherche toutefois à diversifier son public en offrant des textes signés de grands
noms de la poésie et de la littérature, accessibles à des niveaux de lecture variés, et proposant
un éclairage singulier sur l'oeuvre ou l'univers des auteurs.18 Il se compose de soixante
poèmes qui permettent au poète de passer en revue le monde animal et ses différentes classes,
des mammifères aux batraciens et reptiles, en passant par les oiseaux, les poissons, les
insectes et autres larves et annélides. Les animaux préhistoriques ne sont pas plus oubliés que

17
Documents d’application des programmes, fascicule Littérature cycle 3 , Direction de l’enseignement scolaire du
Ministère de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche, Ed. CNDP/Sceren, 2002
18
réponse à une question posée à la responsable de la collection aux éditions Seghers, en mars 2004.

24
les animaux fabuleux (dinosaures et licorne), … même le microbe est assimilé au monde
animal pour l’occasion. L’ensemble du recueil traduit le plaisir de l’auteur pour le jeu
langagier et la fantaisie nourrie de références nombreuses et variées.
1 Un jeu sur la structure : le sonnet sous toutes ses formes
Une grande connivence unit l’auteur et la forme du sonnet, qu’il a élue parmi toutes,
pour écrire la majeure partie de ses textes. Il a, au demeurant, beaucoup étudié cette forme
depuis son origine jusqu’à nos jours, et édité sur ce sujet une anthologie commentée19.

« Le travail proprement poétique de Roubaud a son point de départ dans la décision de


composer dans la forme sonnet. Ce qui est déjà, en 1961, un geste d’affranchissement, n’aura
de cesse de se poursuivre et de s’approfondir et de se saisir en ses dernières conséquences »,
explique à ce propos Jean-François PUFF 20 .
Dans le recueil qui nous intéresse, Jacques Roubaud se livre à une véritable
déclinaison canularesque de cette forme. Fréquemment allongés ou raccourcis, les sonnets se
voient agrémentés de nombreux commentaires de l’auteur, et ce, dès le texte liminaire qui
d’emblée donne le ton ; en faisant subir au sonnet classique un maximum d’outrages (dont :
allongement avec la contrepèterie entre parenthèses, liberté avec le mètre et la rime,
constructions syntaxiques discutables des vers 7 et 8) cette entrée en matière présente bien le
programme : ici, la variation sur le sonnet n’a pas de limite. Ainsi, « Le microbe » p. 30 se
réduit-il à un vers blanc, assorti d’une note laconique de bas de page « Le poème est là, mais
pour le voir il faut un microscope. », et celui de « La marmotte » p. 17, s’achève-t-il sur « un
vers de silence, très long », après que l’animal se fut installé pour son sommeil hivernal.
Quant au prétendu sonnet inédit « L’âne » ‘’dicté par l’animal lui-même’’21 qui clôt le recueil
(p. 90), il est écrit en holophrases et monosyllabes.
La marmotte L’âne
Pour commencer
« J’aime l’automne quand tout le monde hi
Il y a beaucoup d’animaux rentre dans sa maison han
des longs des courts des gras des beaux on a fait ses provisions han
il y a beaucoup d’animaux moi j’ai ramassé du fourrage hi
(il y a aussi beaucoup de cailloux)
pour en faire des oreillers hi
Il y en a qui n’ont pas de genoux bien secs j’ai beaucoup mangé han
il y en a qui n’ont pas de bras pour être grasse sous ma fourrure han
sympathique n’est guère le cobra et maintenant bonsoir m’sieurs dames. » hi
extrêmement susceptible, dit-on, est le gnou
La marmotte dort dans son trou hhan
(il y a beaucoup d’animaux Les feuilles tombent puis la neige hhan
des cons des lourds des bas des gros) Le vent souffle les bois gémissent hhii
La marmotte ferme ses petits
Animaux de tout le monde Poings sur son oreiller hhhan
à chacun je donne un poème ( *) hhii
on le trouvera ici même hhhhhhaaan
Mais on n’en fera pas une ronde : *Un vers de silence, très long.
la girafe, n’est-ce pas, serait immensément 19Soleil du soleil, le sonnet français de Marot à Malherbe , Ed.
gênée d’avoir à danser avec le paon.
POL, 1990, 432 p.
20
Premier texte du recueil p. 7 http://www.colline.fr
21
Voir p. 89 « Lettre de l’auteur au hérisson »

25
La contrainte de la forme, délibérément choisie par l’oulipien qu’est J. Roubaud comme
principe d’invention et de libération, est ici pastichée et il semble que l’auteur met en œuvre
tous les moyens de sa dégradation. Il va jusqu’à présenter à l’envers un sonnet sur la vache (p.
85), et de commenter sa trouvaille « Céti pas plus joli comm’ça ? On commence en bas, on
monte l’escalier en s’arrêtant à chaque vers, et en soufflant sur le palier entre les étages »22.
Il respecte par ailleurs un principe des travaux oulipiens ‘’Un texte écrit suivant une
contrainte parle de cette contrainte’’ puisque dans la postface, « Lettre de l’auteur au
hérisson » (p. 82 à 90), il énonce de façon simple et imagée les techniques du sonnet, de la
rime et des syllabes : « Le sonnet est ce qu’on peut faire de plus solide comme construction de
poème. Les strophes du sonnet sont les étages d’une maison». Dans le même texte, il
dénonce également les libertés qu’il a prises avec la forme, sur un ton de provocante
autodérision : « Car tous les sonnets ont le même nombre de vers, quatorze (surtout ceux qui
ont l’air d’en avoir quinze, ou seize ». Il atteint le paroxysme du canular quand il aborde la
rime, puisqu’il prend l’exemple du texte « La vache » (p. 74) pour expliquer que s’il ne rime
pas au sens traditionnel, c’est qu’il respecte la rime normande « dans la rime normande soupe
rime avec choux, et pomme rime avec cidre. Le poème de la vache est tout simplement,
comme il est normal, en rime normande ». Au niveau des rimes, on remarque dans le recueil
que le poète s’est livré à un jeu de variation extrême puisque seuls cinq textes sur l’ensemble
respectent une des formes classiques (forme italienne ou marotique : abba abba ccd eed, pour
quatre sonnets23; forme française : abba abba ccd ede pour un sonnet). Mais le plus intéressant
est le clin d’œil malicieux du poète puisque le seul texte du recueil qui respecte la forme
française («L’ornithorynque », p. 44) est justement celui qu’il dédie au poète américain David
Antin … De la même façon, un seul sonnet de l’ouvrage est écrit en alexandrins24, «Le
lombric », sous-titré « Conseils à un jeune poète de douze ans », comme les douze pieds des
vers qui suivront. Et dans lesquels au demeurant l’auteur définira la mission du poète,
donner au monde sa respiration25, même si l’image du lombric n’est pas la plus gratifiante
qu’il ait pu proposer, et qui représente l’aveu du canular auquel J. Roubaud se livre. (Le poète,
vois-tu, est comme un ver de terre/il laboure les mots, qui sont comme un grand champ/où les
hommes récoltent les denrées langagières ).

22
« Lettre de l’auteur au hérisson », p. 85 et 86
23
« Les cigognes »p. 28, « L’hippopotame » p. 31, « Poème en couleur noire et blanche » p. 56 et « Les oies » p. 69
24
à noter que J. Roubaud a publié en 1978 un essai sur l’alexandrin La Vieillesse d’Alexandre (Ed. Maspéro)
25
« sans le pöete lombric et l’air qu’il lui apporte/le monde étoufferait sous les paroles mortes »

26
2 Des jeux sur les mots
Le recueil dans son ensemble donne l’impression d’une fantaisie satirique ; Jacques
Roubaud s’y amuse avec le bestiaire, et prend plaisir à accumuler les procédés canularesques.
Les jeux de mots se multiplient, frisant parfois la provocation, mais invitant le lecteur à se
confronter à la variété des procédés littéraires mis en œuvre. Ainsi, dès le texte liminaire,
l’auteur use de la contrepèterie, « Il y a beaucoup d’animaux/des longs des courts des gras
des beaux/(…)il y a beaucoup d’animaux/des cons des lourds des bas des gros » (p. 7) ; il
poursuit avec des substitutions consonantiques « lézards gris et lézards verts (…)/lézards vris
et lézards guerts (p. 12), de nombreux néologismes (« hippopotamicide » (p. 31) ; « lardeur »
p. 23 pour désigner le garde-manger bien garni du blaireau).

Le tatou

Le tatou ayant cloué le tatou tâte sa tatin


sur son dos sa carapace on joue tati à la télé
s’en va au bistrot d’en face tatum au juke-box, o tatou
à la belote jouer
t’as tout l’air d’un tatou, t’as tout :
à son cou, élégant, noué tétous, tutti, tout ! t’as ton teint
un foulard de soie dépasse t’es tatoué, mais, tatou, que t’es laid !
jovial, sûr de lui, bonasse
voilà ce que le tatou est (p. 71)

Cet exemple du tatou illustre bien l’art de l’auteur et les divers jeux sur la langue auxquels
il se livre ; au niveau des sonorités, les allitérations en [t] sont multiples et concernent
pratiquement tous les mots du dernier tercet ; les homophonies s’y ajoutent à plusieurs
reprises « voilà ce que le tatou est », « t’as tout l’air d’un tatou, t’as tout », et l’on retrouvera
ces phénomènes d’identité sonore de façon transversale dans les textes du recueil (et c’est
seulement dans ses rêves que le crocodile croque Odile » p.45). Le recours aux paronomases
en est une autre déclinaison : « hérissons ! hérissons ! nous périssons ! nous périssons ! » (p.
15) ou bien l’association « hippopotame/fleuve Limpopo » (p. 31). Un autre procédé présent
dans ce texte et dont J. Roubaud use fréquemment consiste à proposer des inversions pour
feindre le respect de la rime et aboutir à des constructions extravagantes : (dans ‘’Le tatou’’ :
« à la belote jouer » ; dans d’autres textes du recueil : « ils plongent dans un moussant bain »
p. 46 ; « le veau connaît Marianne bien » p. 43 ; « un voyage long » p. 27 ; « Fellows de leur
college ils sont » p. 18 : « en marche se met la tortue » p. 70 ; « sympathique n’est guère le
cobra » p. 7).
La répétition du mot « tatou » scande le texte, et à plusieurs reprises, on retrouve son
usage, qui peut aller jusqu’à l’antépiphore avec effet de refrain partiel, ou de refrain réel ;

27
ainsi dans le sonnet ‘’Les vers à soie’’ p. 36, le dernier vers reprend-il le premier, s’associant
au sens de répétition circulaire du rythme vie/mort qui y est évoqué « Les vers à soie
murmurent dans le mûrier/un mûrier où sans fin les vers à soie murmurent ». Dans
« Hanneton » p. 55, un refrain est ajouté à la structure du sonnet initiale, répété trois fois entre
les quatrains, et après les deux tercets, concourrant à restituer l’effet mélodique de la chanson
à laquelle il est fait allusion. La répétition peut également servir à mettre en relief un cliché
parodique ; c’est le cas du texte « La biche » p. 67, avec la répétition du substantif
« blanche », jusqu’à la chute en fin de quatrain :

Il était une biche blanche


blanche elle l’était jusqu’aux cils
blanche blanche qu’elle était blanche
elle avait la blancheur persil

Le jeu avec les sonorités de la langue est souvent accompagné de celui sur la
polysémie des mots, truffé de références et sous lequel se devine le plaisir de l’auteur :

Extrait de « Buse et zébu » p. 48 Extrait de « La salamandre » p. 42 Extrait de « La licorne » p. 26


(chute) (début du premier quatrain)
« Le crains-tu, le feu, le crains-tu
ici finit l’histoire le feu, le feu, salamandre ? (…) La licorne ne peut être capturée
de ma buse et du bel zébu. qu’entre les genoux d’une demoiselle
La salamandre hausse les sourcils
elle met ses lunettes noires
et sa combinaison d’amiante

Ci-dessus par exemple, J. Roubaud évoque sous le terme « salamandre » le batracien, mais
aussi la légende de résister au feu qu’on a pu lui prêter, le poêle à combustion du même nom,
et l’ancien terme qui désignait l’amiante pour les chimistes. Quand au mot licorne, outre
l’animal fabuleux doté d’une corne frontale, il est également l’emblème de la virginité et de la
pureté dans les légendes du moyen âge : l’auteur frôle la provocation grivoise, mais seul le
lecteur cultivé le percevra. A d’autres moments, les jeux polysémiques sont à la portée d’un
public moins expert, ainsi « les baleines sous leurs parapluies » p 34, « la linotte s’envole
au vent » p. 16, ou encore la malicieuse syllepse du ‘’Poème du chat’’ p. 8 « quand on est
chat, on n’est pas chien ».
La même variation s’observe au niveau des registres de langage, puisque l’auteur
alterne termes crus et lexique savant : « Vos gueules ! vos gueules ! les mouettes ! » (p. 21) ;
« le jars est con la pie est sotte » (p. 50) ; // « L’ornithorynque, un animal timide(…)/il veut
s’inscrire en biologie hybride » (p. 44) ; « couleur de porcelaine de Saxe/énigmatique plus
qu’un sphinx » (p. 62) ; « Les bisons avunculaires » (p. 66). Le registre scatologique n’est pas

28
épargné, pas plus que le procédé d’accumulation avec inventaire de noms réels ou fantaisistes,
comme en témoignent les exemples suivants.

Les pigeons de Paris (extrait) p. 51 Ce que dit le cochon (extrait) p. 49


« Les petits pigeons pleins de fientaisie » Pour parler, dit le cochon,
Raymond Queneau ce que j’aime c’est les mots porqs :
glaviot grumeau gueule grommelle
Les pigeons qui chient sur Paris chafoin pacha épluchure
ses arbres ses bancs ses automobiles mâchon moche miches chameau
attendent que l’Hôtel de ville empoté chouxgras polisson.
soit propre pour le couvrir de pipi J’aime les mots gras et porcins :
jujube pechblende pépère
Les pigeons pollués et gris compost lardon chouraver
polluent de leurs acides chiures bouillaque tambouille couenne
façades vitrines et toitures navet vase chose choucroute.
les parcs les balcons les mairies …

Tautologies (« les bisons avunculaires/broutent de l’herbe à bisons » p. 66) et


calembours (« dans un sonnet il y a une sonnette » p. 86) sont également au rendez-vous,
comme si l’auteur souhaitait réaliser une brillante démonstration des possibilités infinies de
la langue.

3 Un jeu intellectuel : les références intertextuelles


De son travail de poète, Jacques Roubaud commente : « J’imagine, je lis, je compose,
j’apprends, je recopie, je traduis, je plagie, j’écris de la poésie depuis près de quarante ans.
Il m’arrive d’en publier ».26 Ce n’est certes pas l’étude du recueil Les animaux de tout le
monde qui le contredira. L’auteur est un érudit, qui multiplie les références culturelles dans
des domaines variés, tels que le cinéma (« Les mouettes » p. 21, avec la reprise du célèbre titre
de Robert Dhéry « Vos gueules les mouettes » de 1974 ; « Le Roi lion » p. 56 avec le sous-
titre « poème en couleur noire et blanche » qui se réfère à la pellicule, au titre de W. Disney,
et au symbole des studios MetroGoldwyn Mayer) ou l’opéra (« les oies » p.69 et trois opéras
cités « Lucie de Lammermoor, La Traviata ou Le Trouvère » mais aussi le nom de l’opéra de
Toulouse). Ce dernier texte est d’ailleurs truffé de références au monde toulousain, de la
‘’Ville Rose’’ au ‘’Capitole’’, en passant par le ‘’foie gras’’, ’’les beignets’’ ou le ‘’canal’’
du Midi.
L’auteur, en tant que mathématicien, n’oublie pas non plus les allusions à ce domaine,
en se référant aussi aux célèbres paradoxes, tel « Achille et la tortue » sur le mouvement, dû
au philosophe grec Zénon d'Élée (v. 495-435 av. J.-C.)27.

26
Jacques ROUBAUD, Description du projet, Cahiers de Poétique Comparée, Mezura, n°9, Paris, I.N.A.L.C.O, 1979.
27
On trouvera l’explication de ce paradoxe en annexe 7 p. 80

29
La tortue (extrait de la p. 70)

La tortue qui vainquit Achille Pour mener une vie tranquille


à l’aide du seul raisonnement il faut aller pondérément
ne se considère pas pour autant poser chaque patte en son temps
favorite aux Jeux Olympiques. sans offenser de loi physique.

Mais sans conteste, c’est bien dans le domaine littéraire que les références sont les
plus abondantes, qui peuvent prendre la forme de dédicaces, d’allusions, d’emprunts de
termes ou de clichés, de réécritures. Ainsi dans ce recueil sont successivement convoqués :
- p. 8, Claude Roy (dédicace et certains mots et rimes du texte « Le chat sans nom » de
Enfantasques, Rudyard Kipling (les deux vers de clôture du poème reprennent la fin
du « Chat qui s’en va tout seul » des Histoires comme ça28).
- p. 10, Harry Mathews (américain membre de l’Oulipo et mélomane de formation, d’où
les vers 7et 8 « ils écoutent du clavecin/en mangeant des biscottes de France »), et son
épouse, la romancière Marie Chaix
- p. 11, Raymond Queneau, pour les allusions à son poème « La main à la plume » paru
dans le recueil Battre la campagne (1968) (texte reproduit en annexe 7 p. 80); p. 51 à
nouveau, puisque l’auteur cette fois cite en exergue un vers de son ami et créateur de
l’Oulipo, et qu’il reprend son texte « Propreté » (publié dans Courir les rues en 1967)
- p. 13, Oskar Pastior, poète allemand ami de J. Roubaud (il entrera à l’Oulipo en 1992)
- p. 18, Aristote
- p. 22, la mythologie grecque, avec le mythe d’Icare
- p. 31 et 32, Rudyard Kipling à nouveau, avec des emprunts de Roubaud à Histoires
comme ça, ici notamment le fleuve Limpopo de « L’enfant d’éléphant » pour le poème
« L’hippopotame » p. 31 ; le texte « Le rhinocéros » (p. 32) reprend en la
transformant, l’aventure des miettes de gâteau du Parsi du conte de Kipling « Le
rhinocéros et sa peau ».
- p. 44, David Antin, poète américain, dont Jacques Roubaud a traduit certaines œuvres.
- p. 45, Jean Cocteau, pour son poème « Odile ». (reproduit en annexe 7 p. 81)
- p. 58, Robert Desnos, puisque son poème « Le pélican » se lit ouvertement sous celui
de Roubaud « Le pélican de Jonathan » (reproduit en annexe 7 p. 81)
- p. 58 toujours, Jacques Lacan, et la terminologie de ‘’Grand Autre’’ qu’il a définie

28
Poème du chat de Roubaud : «On est celui qui s’en va tout seul/et pour qui touts les chemins se valent » ; texte
de Kipling : « il est le chat qui s’en va tout seul et tous lieux se valent pour lui ».

30
- p. 62, Stéphane Mallarmé, auteur de « Sonnet en x » (publié en 1893, dans le recueil
Vers et prose) que travestit Roubaud dans son « Poème en x pour le lynx » (voir
annexe 7 p. 82)
- p. 71, Jean de La Fontaine ; en effet la construction « Le tatou ayant cloué… » reprend
la célèbre fable 1 du livre premier des Fables « La cigale ayant chanté … ». A noter
également qu’à d’autres reprises, Roubaud use comme le fabuliste, de formules
gnomiques ou d’interventions à portée didactique : ex p.59 « Voyez comme on tombe
bas, quand on veut être riche et avoir son nom sur l’affiche. »
- p. 79, Victor Hugo, avec sa poésie « La coccinelle » (Les contemplations (I, 15),
1856), dont l’auteur ici reprend le titre et le thème dans les deux quatrains, avant de
céder au jeu de création loufoque dans les tercets. (le texte de V. Hugo est reproduit
en annexe 7 p. 82).

On peut donc constater que l’auteur, écrivant ici pour un jeune public, ne se départit pas
des pratiques qui le caractérisent, mais adapte ses références puisqu’il choisit dans la
littérature soit ce qui est destiné aux plus jeunes, soit ce qui lui semble accessible à ce public.
Toutefois, ce travail de lecture intertextuelle exige une culture ou un accompagnement de
médiateur auxquels tous les jeunes lecteurs ne peuvent prétendre. Jacques Roubaud souhaite
atteindre dans ce recueil un public plus vaste que celui annoncé, en proposant des niveaux de
lecture pluriels, tout en restant fidèle aux procédés d’écriture qui lui sont propres, et que Jean-
François PUFF définit en ces termes :
« L’approche de l’œuvre le confirme : Roubaud y met en pratique, souvent à l’échelle du
livre entier, des relations à un hypertexte relevant aussi bien de la transformation d’un
texte ou d’un ensemble de textes que de l’imitation d’un style ou d’un genre donnés (selon
les catégories dégagées par Genette dans Palimpsestes), que ce soit explicite, indiqué
comme tel dans le paratexte, ou que cela demeure implicite ». 29

4 Une allégorie animalière ?


Enfin, la typographie de la première de couverture, en donnant une orientation et une
couleur spécifique à la lettre M de « animaux », permet de lire indifféremment comme titre
« Les animaux de tout le monde », ou « Les maux de tout le monde ». Invitation bien sûr
dont le lecteur se saisit pour se demander si pour J. Roubaud, parler d’un animal ou à sa place,
ce ne serait pas parler de l’homme… Et l’observation du recueil nous incite à penser que
l’allégorie animalière représente une source supplémentaire de parodie de l’ouvrage. La
29
« Le modèle des troubadours dans l’œuvre poétique de Jacques Roubaud », http://www.univ-paris3.fr

31
référence intertextuelle aux fables de J. de La Fontaine signalée plus haut contribue à donner
du sens à cette réflexion. D’emblée, les contraintes de la logique sont levées puisque les
animaux sont anthropomorphisés : ils parlent, pensent et se comportent comme des hommes,
et les effets parodiques sont parfois énoncés par l’auteur lui-même ; ainsi le vers 9 du texte
‘’Le lombric’’ (p. 11) « Le poète, vois-tu, est comme un ver de terre », ou le premier vers de
‘’L’hippopotame’’ (p. 31) « L’hippopotame est un monsieur placide ». D’autres fois ils ont
implicites, quand des affaires humaines sont mises en scène par les animaux, qui revêtent
alors des attributs humains, tout en gardant des références à leur animalité. L’auteur y
dénonce parfois quelque travers chez ses semblables, comme l’appât du gain dans le texte
‘’La pieuvre’’, ou bien se moque gentiment des humains en recourrant à des clichés
sociologiques (textes ‘’Les loirs en vacances’’ et ‘’ La truite’’).

Les loirs en vacances (p. 10) La pieuvre (p. 59) La truite (p. 38)

Pour Marie Chaix et Harry Mathews


La pieuvre à l’œil mélancolique La truite est un gentleman
Quand les loirs prennent des vacances au-dessus d’un sourire amer à ce que disent les Anglais
ils vont au Holiday Inn des loirs attend sur le fond de la mer quand elle part pour la City
endroit tranquille, plein de tiroirs la caméra panoramique elle prend son melon et sa canne
confortables, à Villars-de-Lans
qui va filmer sa lutte épique le soir elle se rend à son club
A minuit, dans le grand silence contre un scaphandrier pervers jouer au whist boire du porto
le museau calé dans un coussin d’Hollywood ; on lui a offert le matin elle se lève tôt
ils écoutent du clavecin des quantités astronomiques elle prend le thé dans son tub
en mangeant des biscottes de France
de dollars pour qu’elle succombe le brouillard (fog) vient de tomber
Et l’après-midi on se promène au cinquième round, gentiment sur Londres on entend Big Ben
on vous emmène dans la forêt alors qu’elle pourrait aisément sonner minuit mais avec peine
c’est bizarre, il y a des prés
et d’un bras… Voyez comme on tombe la truite avant d’enjamber
des feuilles, des cailloux, des fontaines ! bas, quand on veut être riche le pont enlève sa chemise
on rentre le soir, à la brise, et avoir son nom sur l’affiche. et plonge dans la Tamise.
dormir dans sa fourrure grise.

Il faut toutefois se garder, sur la base de certains textes qui incontestablement présentent les
caractéristiques de l’allégorie animalière, d’étendre cette image à l’ensemble du recueil, parce
que tous les poèmes ne revêtent pas une portée symbolique ; ils peuvent en effet être pur
plaisir de création langagière (voir ‘’Poème en x pour le lynx’’ p. 62, ou ‘’Les gnous bleus’’
p. 65 pour s’en persuader).

32
5 Hypothèses sur la réception des élèves

Dans le diagramme de Stevenson, les textes de J. Roubaud obtiennent des valeurs


élevées dans chaque colonne, notamment et y compris dans la colonne B (présence de rimes) ;
c’est le seul recueil parmi les trois que nous soumettrons aux élèves qui présente cette
caractéristique. On peut prévoir que les élèves n’auront aucun problème pour identifier la
forme poésie, et la justifier sur la base de cet unique critère, même si par ailleurs les textes en
contiennent beaucoup d’autres.
En ce qui concerne les effets programmés, nous avons souligné lors de l’analyse à quel
point ils étaient riches et complexes : nous tenterons ici de déterminer les plus apparents, ceux
que les enfants peuvent percevoir, puisque les effets plus subtils nécessitent une culture que ce
jeune public ne possède pas. Parmi tous les jeux auxquels se livre l’auteur, la variation autour
de la forme sonnet devrait être identifiée, parce que le poète prend la peine, en fin de recueil,
dans sa « lettre de l’auteur au hérisson », de l’accompagner d’une explication sérieuse et
détaillée. Cette lettre semble bien représenter une forme d’adaptation du recueil au jeune
public, en tous cas prend l’aspect d’un guidage qui, bien qu’humoristique, n’en est pas moins
didactique. Le travail sur la langue auquel se livre J. Roubaud, axe majeur du recueil, devrait
être perçu par les élèves, notamment par le biais du ton humoristique qu’ils identifieront
probablement, alors que la dimension parodique, voire satirique, reposant sur des données
culturelles, ne sera probablement pas ressentie. Parmi les nombreux jeux de mots, les
substitutions consonantiques, les néologismes variations sur les registres langagiers et autres
calembours semblent à la portée des élèves, alors que cela n’est pas le cas des contrepèteries
ou usages de la polysémie des mots. Certains aspects de la structure phonique, allitérations,
répétitions et homophonies paraissent repérables à un jeune lecteur attentif. Au niveau des
références intertextuelles, il est probable que la parenté thématique, générique, voire formelle
avec la fable sera pointée, et comme La Fontaine est une des références qu’ils possèdent, les
élèves la découvriront certainement, avec la dimension allégorique. Les références à des
auteurs fréquemment proposés à l’école élémentaire, comme Robert Desnos ou Claude Roy,
sont aussi à la portée des enfants.

33
Chapitre II : La réception des
ouvrages par les élèves
II.1 Etat des représentations

Le premier questionnaire aux élèves (voir annexe 2) se proposait de mettre en lumière


leurs connaissances générales sur les ouvrages, l’état de leurs pratiques, leurs représentations
et l’environnement culturel dont ils bénéficient dans le domaine de la poésie particulièrement.
A quelles représentations renvoie la notion de la forme « poésie » chez le jeune lecteur, c’est à
dire quel est l’état de sa conscience générique à propos de poésie ? Quels traits pertinents, au
regard du jeune lecteur, doit posséder une œuvre écrite pour être reconnue par lui comme une
œuvre poétique ? Quel est l’état de son savoir et de ses connaissances à propos de poésie ?
Ces questions sont importantes puisque l’attitude du lecteur est en partie programmée par
l’inscription de l’œuvre dans une forme donnée, et aussi parce que la réception de l’œuvre
dépend aussi des savoirs du lecteur. En résumant L’œuvre ouverte de Umberto Eco (Paris,
Seuil Points 1965), Nicole Robine (2000) explique le travail de coopération du lecteur :
« Dans L’œuvre ouverte Eco considère l’œuvre d’art comme un champ potentiel
d’interprétations. Il insiste sur le travail de coopération du lecteur. Le lecteur actualise le texte
avec son propre savoir. La lisibilité intellectuelle d’un texte dépend de la participation du
lecteur à la culture, car le lecteur idéal est déjà dans le texte. Il anticipe la lecture avant de
décoder et de déconstruire le texte parce que le lecteur est pétri d’images et de représentations
antérieures à la lecture. Le lecteur est un principe constructeur du texte ».

Nous allons donc, avant de nous intéresser à la réception en elle-même des trois ouvrages
retenus, et pour mieux l’appréhender, tenter de dresser un état des lieux des connaissances et
des représentations des élèves de fin d’école élémentaire sur ce qui concerne la poésie.
Tout d’abord, dans les attitudes de premier contact avec le livre, certaines remarques mettent
en évidence l’appartenance des élèves concernés au groupe des bons lecteurs, et pointent
quelques petites compétences acquises dans le domaine de la connaissance du livre : ils
observent tous tout d’abord la couverture et la quatrième de couverture, la page de garde,
prélèvent en premier lieu des informations dans le paratexte (ceux qui s’expriment à voix
haute mentionnent titre, nom de l’auteur, édition, collection, et parfois dépit de ne pas trouver
de commentaire en quatrième de couverture, comme Amandine/Siméon, sur un ton de
reproche en découvrant l’ouvrage : « Moi, j’aime bien quand y’a des résumés derrière ! »).
Puis, après cette phase rapide, tous entrent directement dans le livre en le feuilletant, plus ou

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moins longuement, certains s’intéressant davantage aux illustrations qu’au texte. Il s’agit alors
de compléter ces informations pour élaborer un horizon d’attente. Les réponses à la première
question montrent que la synthèse des éléments prélevés est très inégale, ce qui indique un
degré de maîtrise variable des compétences mises en œuvre. De la réponse laconique qui ne
fait appel qu’au titre (Fabeille/Roubaud : « Ça parle des animaux du monde »), on trouve une
gamme de réponses qui abordent souvent la présence d’illustrations, la déclinaison de
l’auteur, la forme et parfois le ton (Anaïs/Siméon : «C’est des poèmes, ça parle des animaux
du monde. L’auteur, c’est Jacques Roubaud, y’a des images dedans, c’est comique ». Ces
premières réponses reflètent souvent la perplexité des enfants et leurs interrogations sur le
genre, voire la remise en cause de la forme indiquée dans le paratexte : (Fabien/Siméon :
« Y’a des images, c’est bizarre. Ils disent que c’est des poésies. J’ai pas très bien compris
dans les pages si ce qui est écrit en gros, c’est le titre ? » ; Claire/Dumortier : « Ce sont des
poésies, c’est écrit derrière, mais comme c’est écrit en prose, je pouvais pas deviner »),
Laurie/Dumortier : « On dirait des dessins faits au fusain et aux pastels. C’est des poèmes,
c’est écrit derrière. On dit que c’est des poèmes, mais moi, je pense que c’est des petites
histoires. Ça a pas trop l’air d’un poème en fait, j’ai lu un petit extrait ».
Les enfants perçoivent donc intuitivement leur rôle du lecteur dans l’appartenance générique
d’un texte, ce qui a une incidence très forte sur leur réception :
« A la limite, la détermination du statut générique d’un texte n’est pas son affaire (de
l’éditeur), mais celle du lecteur, du critique, du public, qui peuvent fort bien récuser le statut
revendiqué par voie de paratexte. [...] La perception générique, on le sait, oriente et détermine
dans une large mesure l’ « horizon d’attente » du lecteur, et donc la réception de l’œuvre ».
Genette, G. (1982 :12)

Ces réactions immédiates sont, somme toute, conformes à ce qu’attendent les fondateurs de
la collection « Poèmes pour grandir » des éditions Cheyne :

« J’ai proposé de fonder cette collection pour faire problème, pour provoquer une réflexion,
une prise de conscience. [...] La collection a frappé les médiateurs, sans doute parce que son
niveau d’exigence était rare, et que nous acceptions l’opacité, ce qui fait au fond que le poème
est poème, c’est-à-dire sa façon de complexifier la langue et la représentation du monde ».
(Siméon, 2001)

Toutefois, les trois quarts des enfants identifient l’ouvrage proposé comme « Un livre de
poésie », même s’ils procèdent parfois par élimination, à l’instar de Coline/Siméon : « Je sais
pas trop. C’est pas un roman, c’est pas une B.D. J’ai l’impression que c’est des poèmes.
C’est un livre de poésie » (a découvert sur la quatrième de couverture le titre de la collection
« Poèmes pour grandir »). Aucun d’entre eux ne connaissait l’auteur, l’illustrateur, la maison

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d’édition et la collection concernés, mais ils se révèlent tous capables de les décliner. Leurs
pratiques de lecture mentionnent par ailleurs, pour la moitié des enfants, quelques ouvrages de
poésie, le plus souvent des anthologies ou des recueils de Fables de La Fontaine, qu’ils se
sont procurés à l’école ou chez eux, plus rarement en bibliothèque municipale. Cinq enfants
sur les seize interrogés affirment aimer lire de la poésie. Dans les références qu’ils possèdent,
les poètes connus sont en nombre restreint, 17 seulement cités par l’ensemble des 16 élèves,
chacun des enfants ayant cité de 1 à 5 noms. N’apparaissent que des poètes français, et un seul
contemporain. Dans ce corpus domine la poésie narrative, descriptive, discursive ou
didactique. Le tableau ci-dessous indique pour chacun des auteurs, le nombre de fois où il a
été cité30.
XVème XVIIème XVIIIème XIXème XXème Contemporains
Charles d’Orléans 1 J. de La Fontaine 13 J.J. Rousseau 1 Th. Gautier 1 G. Apollinaire 1 P. Joquel 3
V. Hugo 6 M. Carême 3
G. de Nerval 1 J. Cocteau 2
A. Rimbaud 1 P. Eluard 1
P. Verlaine 4 M. Fombeure 1
J. Prévert 1
R. Queneau 1
P. Vincensini 1

A la question « Pourrais-tu dire le nom du poète que tu préfères ? », les enfants répondent en
indiquant leur poésie préférée, et massivement, J. de La Fontaine est élu, avec quelques unes
des fables des livres I ou II, puis V. Hugo, avec les textes « Demain dès l’aube » et
« Mélancolia ». Quatre auteurs du XXème siècle sont également cités, mais une seule fois
chacun. Or, l’inventaire des BCD des écoles concernées par l’enquête, si pauvre soit-il en ce
qui concerne l’offre poétique, répertorie systématiquement ces deux classiques. De plus, les
enfants qui indiquent posséder chez eux des ouvrages de poésie disent qu’il s’agit soit de
livres de ces mêmes auteurs, soit d’anthologies. Quant aux raisons du choix du poète préféré,
plusieurs registres sont abordés :
- thématique : Jordan « Parce que ça parle de belles choses (la nature). » Mathilde
« Parce que ça prouve qu’il aimait sa fille. J’aime les poésies qui parlent d’amour » ;
Emmy « Y’a beaucoup de tristesse, ça fait penser aux enfants de la mine qui travaillent
beaucoup, ça me rend triste ».
- didactique, philosophique : Mathias « J’aime bien ses poésies parce qu’il y a une
morale. Ça explique des choses, ça me fait réfléchir » ; Laurie « En parlant des
animaux, il parle des hommes de son époque, j’aime bien » ; Blandine « J’aime les

30
Il faut noter que citer un auteur correspond à connaître un unique texte de lui, sauf pour J. de La Fontaine et V.
Hugo (2 textes cités en général, et peu de variété dans les titres annoncés).

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fables, y’a des animaux et à la fin y’a une morale, ça aide dans la vie, ça fait
réfléchir ».
- lexical : Claire « J. de La Fontaine, il a vécu au Moyen Age et puis ses poésies sont
avec des mots de son temps, ça me fait connaître des mots » ; Anaïs « Parce qu’il y a
des mots qu’on n’utilise pas tous les jours comme ‘arabesque’ ou ‘piédestal’, alors j’ai
bien aimé ».
- mnémotechnique : Claire « Parce que ses poésies sont assez faciles à apprendre pour
les enfants, plus faciles à réciter que d’autres ». Amandine « J’aime bien sa longueur,
ni trop long, ni trop court, donc j’aime bien le réciter ».
- technique : certains enfants sont sensibles à la prouesse littéraire ; Fabien « Elle est
pas très longue sa poésie, mais il arrive à utiliser beaucoup ‘toujours’ et ‘jamais’ ».
Dimitri « Parce qu’il a fait beaucoup de poèmes variés, des tristes, des comiques ».
- registre de la tonalité : Fabien « Parce que c’est rigolo » ; Rémi « J’aime bien ses
fables, c’est des fois marrant » ; Fabeille « Il fait rire » ;
- registre de l’accessibilité : Laurie « Il fait des belles poésies, assez faciles, qu’on
comprend bien » ; Laïla « Y’en a qui sont plus faciles à comprendre que d’autres, mais
j’ai pas de poète préféré ».

Les représentations des élèves sur la poésie sont en cohérence avec le corpus cité, et les
propriétés retenues (dont le nombre énoncé varie de 1 à 3 selon les enfants) sont les
suivantes, citées ici dans l’ordre de fréquence dans le discours des élèves :
- une vocation écrite (la poésie, c’est du texte écrit)
- la présence de rimes pour la moitié d’entre eux, mais jamais comme critère exclusif.
L’absence de formalisme interroge toutefois : Laïla « autrement y’a des poésies en prose,
j’sais pas trop si c’est d’la poésie ».
- l’expression d’une émotion ou d’un sentiment de l’auteur, qui peut faire écho chez le
lecteur : Bastien « c’est ce que pense le poète, ce qu’il a envie d’exprimer et qui peut plaire
aux autres. Ça nous touche à l’intérieur de nous, des fois ça nous est déjà arrivé ce qu’il dit,
des fois ça peut être grave et c’est bien que voir que c’est dit par quelqu’un d’autre » ;
Mathias « Ça sert à parler de quelque chose qu’on n’ose pas trop dire, des choses
personnelles ».
- la présence d’un rythme : Laïla « Quelque chose où il y a des rimes, y’a le même nombre de
syllabes toujours dans les vers » ; Amandine « C’est artistique, le rythme, ça s’entend, c’est
agréable ».

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- la présence d’imaginaire : Blandine «C’est quelque chose avec beaucoup d’imagination la
plupart du temps » (mais n’arrive pas à préciser la teneur de ce terme), mais que peuvent
éclairer les propos de Anaïs « C’est des fois des titres farfelus » et de Claire « La poésie, c’est
aussi un peu pour faire rêver».
- une forme brève : Dimitri « C’est court la plupart du temps, on donne ça à l’école parce que
c’est court, et c’est assez facile à apprendre ».
- un texte narratif qui peut s’illustrer de façon figurative : Fabien « On peut faire un dessin qui
raconte ce que dit la poésie ».
En revanche, les enfants qui, à l’invitation de la dernière question, disent écrire de la poésie
chez eux, volontairement, indiquent tous dans leurs procédures la recherche d’une présence de
rimes, ce qui indique qu’il s’agit là d’un critère dominant : Emmie « Chez moi. J’essaie de
trouver des phrases sur ce que je ressens, avec des rimes. J’écris dans un cahier pour les
garder » ; Mathilde « Des fois, oui, j’invente de la poésie, je trouve de quoi ça va parler et je
cherche des rimes et je lis à mes parents pour voir si c’est bien ». Tous aussi se réfèrent à des
poèmes dans leur démarche : Mathilde « J’en ai écrit deux, ‘le coquillage’ ça ressemble à la
poésie de Claude Roy, et une autre sur les animaux » ; Anaïs « Chez moi, oui. J’emprunte à la
bibliothèque un livre de poésie, j’ouvre une page au hasard et je regarde comment le texte est
présenté, s’il y a des rimes, et je prends un thème à moi et je fais ‘à la manière de’ ». Ces
enfants reproduisent en fait la démarche proposée par leurs enseignants, puisque qu’elle
correspond aux pratiques pédagogiques décrites par maîtres et élèves concernant la production
d’écrits. (Claire : « Oui, j’en écris en classe quand le maître nous le demande. Là, on a écrit
une fable, on a lu ‘Le corbeau et le renard’ (J.de La Fontaine et Gudule) et il fallait inventer
une autre fable à nous » ; Bastien « C’est les remplaçants souvent qui nous donnent ça à
faire, on prend exemple sur un poème, on écrit de la même façon sur un autre thème, sans que
le sujet soit le même »).
Si l’on se réfère au diagramme de Stevenson, on remarque que les enfants sont plus
sensibles aux aspects sensoriels qu’aux aspects sémantiques, et que les propriétés
typographiques ou rhétoriques ne sont pas citées. La représentation dominante demeure une
expression en vers rimés. L’examen de la réception des trois œuvres par les élèves permettra
de voir s’ils mettent en évidence des effets programmés qui ressortissent à d’autres propriétés.

L’ordre d’apparition des enfants dans les commentaires qui suivront est tout simplement celui
des entretiens menés.

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II.2 Réception de La Clarisse
Cinq élèves, issus des quatre classes concernées, ont été invités à lire cet ouvrage : Jordan,
Claire, Rémi, Bastien et Laurie.

Jordan s’implique dans sa lecture en faisant référence à sa vie personnelle : « ça raconte plein
de choses sur la vie, des choses qui nous arrivent comme le chocolat autour de la bouche », et
bien qu’il perçoive la focalisation sur le personnage de Clarisse et qu’il identifie sa difficulté
affective, il ne fait aucun lien avec la détresse ambiante, matérielle et humaine, de la famille :
« Elle est gourmande, elle mange souvent dans le livre. Elle est pas toujours heureuse, elle est
dans une famille très gentille, parce qu’elle mange souvent donc c’est que ses parents
doivent la laisser manger. Elle peut habiter dans une villa ». Et quand il est invité à décrire le
milieu dans lequel vit la petite fille, Jordan indique : « Ils sont riches, ces gens ».
Ce qui ressort de l’entretien avec cet élève, dont les réponses par ailleurs indiquent qu’il a lu
l’ouvrage, est le fait que sa lecture a été déstabilisée par la forme annoncée. Il semble s’être
focalisé sur le contenu exclusif du premier texte, et parce qu’il a découvert une expression
poétique en rupture avec ce qu’il connaissait, sa compréhension d’ensemble est altérée. (Cet
élève s’est annoncé comme lecteur d’ouvrages de poésies lors du premier entretien, et son
enseignante le présente comme très intéressé par les textes poétiques). Ainsi, il avoue « pour
moi, je connaissais pas des livres de poésie comme ça ; la phrase ‘’du chocolat plein la
bouche’’ par exemple, ça parle des choses de la vie, mais des choses qu’on n’attend pas : les
clous,... . Quand j’ai commencé à le lire, je ne trouvais pas que c’était de la poésie, et puis au
deuxième ou troisième texte, j’ai trouvé que c’était de la poésie. Moi, j’ai l’habitude de voir
de la poésie avec des rimes, mais ça, je trouve que c’est de la poésie sans rime ». L’attente de
Jordan, définie notamment à partir de la forme de l’écrit, semble s’être dissociée partiellement
du sens du récit. Et son attention s’est maintenue sur les critères poétiques, puisqu’il a perçu
intuitivement l’usage de la métaphore comme transversal au texte, ainsi en référence à la page
23 : « Il fait comme si la petite fille c’était une bombonne de gaz. Ça ressemble à tout le livre,
mais des fois je comprends pas ». Et il cite un exemple dans le texte qu’il ne réussit pas à
saisir, et qui correspond bien à une métaphore : « Le petit bout de chocolat qu’elle a encore
volé, entretient une conversation avec l’avenir, quand elle sortira de son emballage pour
fondre dans la bouche d’un garçon » (p. 35).

La réception de Claire indique qu’elle a bien perçu la caractéristique du personnage principal :


« Y’en a qu’une comme ça. Des fois, elle est très gentille, mais des fois, elle fait n’importe
quoi, et des bêtises. Elle a pas peur de s’aventurer », ainsi que le contexte précaire qu’elle

39
interprète sur le mode social : « Ses parents, y z’ont pas assez de choses, y z’ont pas tout
l’argent qu’il faut pour vivre », mais elle ne relève pas la précarité affective du groupe
familial dans son ensemble. En revanche, Claire est la seule lectrice de cet ouvrage qui ait
remarqué des particularités quant au lexique utilisé (champs lexicaux notamment); elle pointe
que la compréhension du texte est conditionnelle à d’autres connaissances ou références : (à
propos de la page 35) « Là, je comprends parce que je suis chrétienne, sinon je comprendrais
pas ; elle veut devenir sœur ». De plus, le registre employé par l’auteur est en opposition avec
ses critères personnels qui définissent la poésie. Et contrairement à Jordan, elle ne les a pas
remis en question, rejettant définitivement ce texte de la sphère poétique : « Il y a beaucoup
de gros mots. Non, la poésie, c’est pas vraiment ça, j’me suis dit, à cause des gros mots. Et en
plus, moi, je préfère les poésies avec les rimes». Comme Jordan, Claire a perçu intuitivement
que l’auteur pratique souvent le recours à la métaphore, mais elle ne possède pas les mots
techniques pour l’exprimer : (à propos de la p. 23) « Elle se sent comme une bouteille qui se
serait ouverte. Il nous fait croire que Clarisse, c’est une bouteille. Souvent, il fait ça, comme
si c’était une autre chose ».

Rémi est le seul lecteur qui ait repéré la marginalité de la famille de Clarisse et son mode de
vie ; ses réponses montrent qu’il a mis en relation des éléments très épars dans le recueil, et
qu’il a été capable de les interpréter. Il évoque notamment les différents épisodes d’élevages
d’animaux, et la scène de la fosse septique (p. 12-13). Il s’implique en opérant des points
communs avec ses attitudes personnelles « Moi, j’aime bien toucher à tout comme Clarisse »,
mais il n’arrive pas à combler certains blancs du texte ; il semble manquer de références
pratiques pour interpréter des faits rapportés qui se situent très loin de ce qu’il côtoie « Je ne
sais pas pourquoi elle aime voir ses parents vider la fosse septique, et pourquoi ils la versent
dans le jardin ». Il a parfaitement perçu la non-conformité de Clarisse et l’interprète par son
manque affectif : « C’est une fille qui fait des bêtises et qui plaît pas aux autres. Elle
ressemble à un phénomène alors c’est pour ça qu’on l’appelle La Clarisse. Elle est pas
heureuse, parce que personne ne l’aime ». Rémi est sensible au registre lexical, comme
Claire, mais ce n’est pas pour lui une raison d’exclure ce livre du champ de la poésie (même
si par ailleurs il l’en exclut aussi, nous en verrons la raison plus loin) : « Y’a des mots
grossiers, ça fait bizarre d’en rencontrer dans un livre comme ça, écrit pour les jeunes ». Ce
lecteur est le seul à utiliser un terme technique assez bien adapté pour décrire le procédé de
recours à la métaphore de l’auteur : (en parlant de l’auteur) « Il fait comme si. Y’a des
endroits comme ça où il exprime ce qu’il ressent en comparant ».

40
La lecture de Bastien révèle le parcours interprétatif le plus abouti ; il a relevé spontanément
l’article devant le nom propre, et interprète l’attitude de la fillette : « C’que j’ai r’marqué,
c’est qu’au lieu de dire Clarisse, ils disent La Clarisse. C’est une petite désordonnée, elle est
fâchée contre quelque chose, parce qu’on ne l’aime pas sûrement, alors elle fait plein de
bêtises ». Mais surtout, il s’intéresse, et c’est le seul, à la question de l’identité du narrateur
qu’il résout de façon cohérente en faisant le lien entre plusieurs éléments : le ton, la mise à
distance des évènements rapportés, et une intention qu’il prête à l’auteur : « C’est sa vie,
sûrement celle de l’écrivain, qui dit ce qui lui est arrivé quand il était petit. Peut-être qu’il a
pris quelqu’un d’autre pour ne pas se désigner, parce que lui, c’est un garçon et qu’il a pris
une fille. Comme il est grand quand il écrit, il se moque un peu de c’qu’il a fait, et c’est
marrant des fois, comme l’anniversaire. La Clarisse, c’est un peu le souffre-douleur de la
famille, et c’est pour expliquer aux parents que c’est pas bien de faire ça ». Lors de notre
premier entretien, Bastien, me voyant avancer vers lui ce livre, m’avait tout de suite
prévenue : « Moi, je suis plutôt style BD ! », puis, bien qu’ayant manipulé l’ouvrage, ne
s’était pas aperçu qu’il appartenait à une collection de poésie. Le second entretien montre
qu’il ne reconnaît pas ce livre comme de la poésie en raison des sujets qu’il aborde : « Moi,
c’est pas poétique pour moi, ce livre. La station service, et puis, elle se met le doigt dans le
derrière, c’est pas trop poétique », et c’est aussi le seul lecteur à n’avoir pas perçu
l’utilisation massive de métaphores. En fait, Bastien, contrairement aux autres élèves, ne
semble pas avoir abordé cet ouvrage en tenant compte de son inscription dans une forme
spécifique.

Laurie interprète le texte, mais en étant consciente que son interprétation est personnelle, et
donc discutable ; son discours est criblé d’indices qui l’indiquent : « C’est une jeune fille, elle
trouve qu’elle est détestée par sa famille, enfin moi je dis ça, mais… Elle croit qu’elle est mal
aimée parce qu’elle fait beaucoup de bêtises. Il faudrait l’aider à être raisonnable. Je pense
qu’elle a dû avoir un malheur et qu’elle est pas trop contente d’elle et qu’elle se venge en
faisant des bêtises. Moi, je la sens malheureuse de faire des choses qu’elle n’a pas toujours
envie de faire ». On voit ici comment les propres émotions de la lectrice, sa capacité à
s’identifier à l’héroïne, se conjuguent pour en faire une co-énonciatrice du récit, qui comble
les « blancs » du texte, en percevant les limites de cet exercice. Elle a identifié la spécificité
de Clarisse « Y’en n’a pas une autre comme elle », ainsi que le caractère marginal de la
famille, même si cela reste intuitif « Sa famille, elle fait pas grand-chose. Ils sont flemmards,

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et plutôt pas bien riches. On dit qu’elle est habillée pas très bien, et il y a un garage plein de
vieilleries ». Mais ce qui caractérise la réception de Laurie, c’est sa perception de critères
signifiants pour l’inscription de cet ouvrage dans la forme « poésie ». Contrairement aux trois
autres lecteurs qui ont conscience des figures de rhétorique, elle les perçoit également, et bien
qu’elle ne sache pas les nommer techniquement, elle sait qu’il s’agit d’un procédé poétique :
« La première phrase de tout le livre, elle est poétique, c’est raconté comme dans une poésie :
‘’Clarisse, c’est beaucoup de chocolat’’. Quand elle est contente aussi, l’auteur il dit qu’elle
est effervescente comme un gaz ». Ce que Laurie pointe, c’est l’émergence en quelques mots
de tout un univers, et c’est bien l’art de D. Dumortier dans ce recueil effectivement. Cette
élève s’est dite d’autre part surprise que cet ouvrage soit un livre de poésie, jusqu’à ce qu’elle
découvre le terme « Poème scénario » sur la page de garde. En fait, elle a agi comme si, dans
la poésie, il y avait un sous-ensemble qu’elle ne connaissait pas encore, mais qu’elle a intégré
immédiatement , faisant ainsi preuve d’une grande ouverture : « Là, c’est écrit ‘’poème
scénario », parce que moi, je lis tout ! Dès que j’ai vu derrière que c’était des poésies, je me
suis dit que jamais j’aurais imaginé que c’était de la poésie. Mais quand j’ai vu ‘’poème
scénario’’, j’ai compris. Moi, je dirais qu’un poème scénario, c’est avec une fille qui reste
toujours dans ses poèmes. En fait, c’est une grande histoire avec des tout petits passages de
ce qu’elle fait».

En conclusion pour ce recueil, nous pouvons dégager des entretiens menés que les élèves
perçoivent tous certains effets programmés, notamment l’émotion liée à la non-conformité
et la détresse affective de Clarisse, qui ont trouvé écho chez ces jeunes lecteurs, ainsi que le
procédé métaphorique. On peut noter des différences sensibles dans la façon dont ils
l’expriment, voire le conscientisent, et avec des nuances concernant la qualité de leur
perception (qui tient peut-être aux mises en relation plus ou moins subtiles de divers éléments
entre eux). Toutefois, les enfants n’ont pas exploré la dimension du mouvement, des espaces
et lieux décrits, leur lecture semble très centrée affectivement sur Clarisse, à l’exclusion
même des autres personnages ; ce qui peut s’expliquer par le décalage entre le monde qu’ils
connaissent et où ils évoluent, et les références convoquées par l’auteur, notamment
sociologiques. On relève par ailleurs que tous les enfants, à l’exception de Jordan, jugent que
ce livre « n’est pas difficile du tout » à lire. Mais, interrogés particulièrement sur un texte
(p.35), ils sont sensibles à une émotion qui s’en dégage (dans ce sens, ils « comprennent »
d’une certaine façon), alors que le champ lexical leur est étranger, et ils prennent conscience
d’une certaine résistance du texte. La réponse de Laurie est représentative des réponses

42
obtenues : « Vœu de silence et noviciat, je comprends pas. Mais dans ce texte, elle est
beaucoup, beaucoup triste ». Aussi, à l’unanimité, les enfants interrogés estiment que ce livre
s’adresse bien à un jeune lectorat, qu’ils ciblent après dix ans, mais ils excluent les adultes :
« Dix ans, par là, parce que c’est assez facile, mais pas trop. Pour des adultes, c’est trop
simple».(Rémi)
Ce qui apparaît particulièrement intéressant, et qui permettra d’aborder des conséquences
pédagogiques, est le fait qu’à eux tous, ces jeunes lecteurs permettent de croiser de nombreux
sens possibles et mettent à jour les principaux effets programmés. Enfin, et tout comme les
spécialistes, les élèves se posent la question pertinente de savoir si cet écrit peut être
considéré comme de la poésie, en raison de son caractère narratif, qui n’a échappé à aucun
d’entre eux. C’est Rémi et Laurie qui l’énoncent le mieux, même si les autres lecteurs
l’évoquent aussi : « Ben on n’dirait pas trop d’la poésie. J’ai jamais trop vu une poésie avec
des histoires et le même personnage. C’est plus comme un roman » (Rémi) et à la question
« Comment définirais-tu ce que tu trouves poétique dans ce livre ? », Rémi répond « Ben
j’trouve rien ». Laurie, nous l’avons vu plus haut, résout cette question en imaginant un sous-
ensemble « poème scénario», qu’elle obtient en généralisant le terme découvert dans le
paratexte.
Enfin, les illustrations de Martine Mellinette qui servent ce texte, ne laissent aucun des
enfants indifférent. Ils leur reconnaissent une certaine opacité, une complexité assimilables à
celles du texte, et avouent ne pas comprendre parfois : « On les comprend pas trop, elles sont
vite faites » (Claire) ; « On a l’impression que c’est du gribouillage par exemple y’a une
histoire avec des poules, y’a même pas les têtes, c’est bizarre. Ensuite, il parle d’un gâteau,
y’a juste une ligne avec des couleurs, et Clarisse, y’a que les cheveux » (Rémi) ; « C’est une
façon de dessiner originale, comme le texte » (Bastien). On le voit, même si les enfants sont
déstabilisés, et là encore on touche à leurs représentations initiales et aux habitudes des
illustrations figuratives des cahiers de récitation, ils relèvent cependant que texte et
illustrations sont assortis, jusque dans le terme « Poème scénario » : « On a l’impression que
c’est la bande d’un film, c’est toujours aligné, ça pourrait être la bande d’un film ‘’La
Clarisse ‘’ » (Bastien). Pour Laurie, il y a redondance entre le texte et les illustrations, et elle
en identifie le style : « Moi, je trouve que c’est naïf, enfantin. Oui, parce qu’on trouve un peu
comment est Clarisse, y’a quelque chose dans l’illustration qu’est dans le poème à chaque
page, et ça, je trouve que c’est bien ».

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II.3 Réception de Un homme sans manteau

Cinq élèves, issus des quatre classes concernées, ont été invités à lire cet ouvrage :
Emmy, Coline, Fabien, Mathias, Anaïs.

Emmy est très consciente de la densité et de la complexité du texte, mais elle est
parvenue à construire du sens et a pointé de nombreux effets programmés, de façon tout à fait
intuitive. A commencer par le sujet et la dualité : « J’ai r’marqué qu’y a beaucoup de choses
qui racontent la vie dedans : y’a la nuit et le jour, l’obscur et le clair. Les enfants et le soleil,
mais aussi les fusils, la guerre, le sang. », jusqu’à la cohérence avec l’épigraphe de Yves
Bonnefoy : « C’est pour faire honneur à cet auteur. Ça correspond au texte qu’il a fait.
Remaillé, on dirait que c’est mélangé dans le monde des choses tristes et la joie ».
Elle a bien perçu une intention d’auteur, le rôle de témoin et de rapporteur que se donne le
poète ainsi qu’une forme d’engagement auprès du lecteur, et encore la technique de mise en
œuvre par les prises de parole à la première personne : « Le poète, y veut raconter des choses
qui s’passent, il explique des choses, la guerre…Il veut nous faire passer un message sur les
enfants, la guerre et ce qui est triste. Il s’y prend en disant toujours ‘’je’’, ‘’j’ai’’, il se nomme
lui-même ». Emmy est une lectrice impliquée affectivement puisque spontanément, elle
évoque à propos du texte des souvenirs personnels : « J’ai fait ça moi aussi une fois que
j’étais triste, dans un torrent, j’ai ramassé des pierres, et je les ai ramenées chez moi le
soir ». Elle est très sensible au répertoire lexical utilisé par l’auteur, qui définit en partie pour
elle la poésie du recueil : « Y’a des mots qu’on peut bien en faire des poèmes (sic), c’est le
choix des mots qui fait que c’est poétique ». Et, invitée à préciser, elle cite des éléments de la
nature et des sensations. Mais ce qui caractérise la réception de Emmy, c’est sa perception des
comparaisons et des métaphores, qui la charment littéralement, même si elle ne les comprend
pas toujours : « J’ai r’marqué qu’y joue un peu avec les mots, c’est les mots qu’y met
ensemble, comme ‘’je ne suis pas plus sage qu’un vent gourmand des oiseaux du ciel ‘’,il
compare ». Elle est réellement séduite par le procédé et cite son texte préféré (p. 13), pour ce
qu’il évoque et les images utilisées : «’’Reste le bleu du ciel qui juge désormais l’œuvre de
nos mains’’, je trouve ça beau, mais j’ai pas trop compris». Et quand elle indique ce qu’elle
trouve poétique dans ce livre, sa réponse montre qu’elle a senti le procédé d’humanisation sur
lequel reposent de nombreuses métaphores : « Il parle des choses comme si elles vivaient
comme nous ». Même si Emmy ne possède pas de vocabulaire technique pour s’exprimer, et
bien qu’elle ait ressenti des résistances dans ce texte, elle perçoit les principaux effets
programmés, et elle est très réceptive à l’art poétique de J.P. Siméon. Elle indique par ailleurs

44
avoir découvert ce texte en le lisant à voix haute : « Je lis toutes les poésies à haute voix, je
les entends mieux dans ma tête ».

Pour Coline, ce texte revêt une grande complexité, et sa première remarque très spontanée
l’atteste : « J’ai rien compris .Ça parle beaucoup du ciel. C’est qu’un même texte, avec les
phrases importantes en rouge». La suite de l’entretien révèle qu’elle a bien perçu les deux
tensions du recueil, mais en terme de dichotomie plutôt qu’en terme de dualité : «Il veut dire
que dans le monde, y’a des gens qui sont dans la misère, d’autres dans le bonheur, certains
dans l’obscur, d’autres dans le clair ». Elle saisit un lien de sens avec l’épigraphe de Yves
Bonnefoy qu’elle interprète à sa manière : « Ça veut dire qu’y a toujours des défauts sur la
terre à remailler, c’est à enlever ». L’interpellation du lecteur et l’engagement du poète sont
transparents pour elle, et elle les évoque de façon claire et concise : « Il s’adresse au lecteur.
Il parle de sa personne, il dit ‘’je’’». Toutefois, l’analyse des réponses de cette fillette
indique que deux éléments ont particulièrement perturbé sa lecture :
- d’une part le fait qu’elle ne dispose d’aucune indication qui limite chaque texte ; en
effet, l’absence de titre a représenté un obstacle pour Coline, puisque c’est la seule
stratégie qu’elle connaît pour délimiter un texte. Elle n’a pas répéré par exemple la
majuscule en début de poème, ou bien les dédicaces, comme indices pertinents : « En
jetant un premier coup d’œil, j’ai cru que les mots rouges étaient le titre, mais j’ai vu
que c’était un seul texte. C’est rare de voir des poésies aussi longues qui parlent d’une
seule chose. Je me suis dit que j’avais découvert une nouvelle forme de poésie, parce
que moi, je croyais que la poésie c’était toujours un petit texte ».
- d’autre part l’accumulation des métaphores et la construction en parataxe des textes ;
cette élève a identifié le procédé d’association de termes, mais elle ne saisit pas le
sens des images ainsi évoquées ; il en a résulté une impression d’incohérence, en
contradiction même avec l’unité du long texte qu’elle avait par ailleurs évoqué :
« C’est assez difficile à comprendre : toutes les phrases, elles disent quelque chose
d’autre », et sur l’invitation à préciser, elle ajoute « C’est décousu ». Et elle cite en
exemple la page 17, dans laquelle elle ne parvient pas à trouver de cohérence, et qui
s’achève sur quatre vers qui lui semblent hermétiques : ‘’combien nous avons/pensé,
mon amour/à la limpidité/des heures’’ « C’est la manière dont les phrases sont
écrites, il y a des mots qu’on n’utilise pas trop souvent, et qu’on met pas souvent
ensemble, c’est un peu compliqué ».

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Fabien partage avec Coline ce sentiment de complexité, qu’il évoque à plusieurs reprises
lors de l’entretien : « C’est difficile à comprendre », et il a conscience des résistances que le
texte lui oppose, qu’il a cherché à identifier et qu’il pointe avec beaucoup de clairvoyance ;
comme sa camarade, c’est au procédé métaphorique qu’il s’est heurté : « Ce qui est difficile,
c’est les mots qu’il utilise, leur sens. Et les groupements de mots. J’ai remarqué que c’est les
mots qu’il met ensemble que je comprends pas, comme ‘’j’habite le chant des hommes’’, on
peut pas habiter un chant ! » ; mais contrairement à Coline, il n’est pas parvenu à construire
un sens global au texte, qu’il puisse revendiquer, il n’émet que des hypothèses : « Il parle de
quelqu’un qu’est triste parce qu’il a pas d’amis peut-être. Y’a deux parties : le triste au
début, le bien à la fin » ; il entrevoit cependant un lien entre l’exergue de Y. Bonnefoy et le
texte de J.P. Siméon : « Ça doit aller avec tout. L’obscur va devenir clair. Ça veut dire
comme le livre ». Fabien n’a pas été sensible à l’engagement du poète dans son écriture, ni
aux adresses au lecteur ; pour lui, si l’auteur veut dire quelque chose, c’est « à des gens. Y’a
marqué ‘’Pour Marie’’, ‘’Pour Jeanne’’ » mais il ne voit pas de qui il peut s’agir. S’il n’a
pas perçu les effets programmés, ce lecteur a pourtant exploré plusieurs pistes, par exemple,
l’entrée dans le recueil par la lecture des vers en rouge. Là non plus, il n’a pas trouvé de sens
qui le satisfasse : « J’ai regardé si ça continuait sur celui d’après, en les lisant à la suite.
C’est p’têt quelque chose qu’y veut dire, mais c’est facultatif, ça complète un peu mais c’est
facultatif, ça pourrait être entre parenthèses ». En dépit de cet aveu d’échec que le jeune
garçon émet lui-même, il dit avoir apprécié l’ouvrage, et la lecture attentive qu’il en a faite
montre qu’il a pris plaisir à tenter de trouver des réponses à sa complexité ; d’où sa
conclusion : « J’ai bien aimé, mais j’ai eu du mal, c’était compliqué ».

Mathias a commencé sa lecture par l’épigraphe de Y. Bonnefoy, et il en donne une


version qui contient une idée de réparation, sens que par ailleurs il associe au recueil : « C’est
ce que j’ai lu en premier. Quand on fait quelque chose de mal, on pourrait se rattraper. La
guerre, on pourrait l’éviter. C’est l’inverse des choses ». Il a perçu, et c’est son originalité,
une part de responsabilité de l’homme dans l’alternance clair/obscur, et c’est bien selon lui, le
message que l’auteur souhaite faire passer aux lecteurs : « C’est pour dire aux lecteurs des
choses, des malheurs, aussi ça parle de la guerre, et puis des hommes qui font ça des fois,
c’est de leur faute » . Dans son cas, on peut faire l’hypothèse que le sens de l’épigraphe a
influencé sa perception globale du recueil, c'est-à-dire a réellement joué son rôle. Il a bien
conscience de la dualité qui sous-tend le texte, même s’il a été plus sensible aux violences
humaines abordées qu’à l’apaisement, qui lui semble utopique (d’un air dubitatif, et en parlant

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de l’homme) : « le clair, c’est s’il arrive à se rattraper ». De même, il est capable d’analyser
l’art de J.P. Siméon, et notamment son recours à la métaphore, qu’il exprime avec ses mots
d’enfant, mais de façon très éloquente : (en parlant de l’auteur) « Il veut parler de quelque
chose sans le dire vraiment, comme les pierres au début pour dire le malheur. Il dit pas
directement, mais il nous y fait penser ». Concernant l’art poétique toujours, Mathias est le
seul lecteur à avoir perçu le procédé de répétition qu’utilise l’auteur, et, sensible à la notion
de rythme qui lui est associée, il juge poétique l’effet rendu : « y’a un rythme des fois, parce
que des fois ça reprend les mêmes débuts et il écrit des suites ». Et il cite comme exemple la
page 10 avec la répétition du vers « Là-bas » (3 fois), texte qu’il apprécie particulièrement. Il
est capable de justifier ce choix par le sujet, et par la structure (il possède ce terme technique
dans son registre lexical) : « J’aime bien parce que ça parle des enfants et des malheurs, et la
structure aussi du texte j’aime bien ». Comme Mathias a expliqué avoir lu ce livre à voix
haute, on peut supposer que ce mode d’accès favorise le repérage de la structure répétitive.
Ce lecteur a lui aussi relevé la façon directe dont le poète prend la parole : « Très souvent, il
dit ‘’je’’ », et il a interprété l’unité de sens du texte par l’existence d’un poème unique (Ce
que Coline avait exprimé elle aussi) : « C’est un peu bizarre, c’est toutes les poésies l’une à
l’autre sans s’arrêter, c’est une poésie continue ». Comme dans le cas de Coline, il n’y a pas
eu lecture d’indices comme les majuscules initiales, ou les dédicaces, parce que ces élèves
n’ont pas de vécu de confrontation préalable avec d’autres recueils complets, mais ont
toujours abordé exclusivement des textes isolés, et titrés.

Anaïs a ressenti le même blanc face à l’absence de titre, qu’elle a tenté de combler en
utilisant les vers de couleur : « C’est les titres en rouge. J’ai tout de suite flashé sur l’écriture
en rouge et ça m’a aidée à comprendre parce que quand un poème n’a pas de titre, on
comprend moins ; à un moment, ça fait qu’on peut lire toute l’écriture en noir à la suite et ça
a quand même du sens ». Cette fillette affirme en outre avoir été déstabilisée par la forme, en
rupture avec ce qu’elle connaît, ce qu’elle sait ou croit savoir, de la poésie : « J’ai pas souvent
vu de rimes, j’ai plus l’impression que c’est des petites histoires, c’est présenté comme des
vers, ils sont très courts. Moi, quand je lis un poème, c’est pas comme ça : là, y’a pas de
majuscules, y met pas trop de ponctuation alors c’est pas souvent comme ça pour les
poèmes ». Très poliment, Anaïs nous dit ainsi que le recueil proposé s’attribue abusivement
le terme de « poèmes » ! Sa réception révèle qu’elle a peu perçu les effets programmés, à
l’exception de l’interpellation du lecteur. Pour elle, il s’agit dans cet ouvrage de « quelqu’un
qui raconte sa vie, ce qu’il a vécu, ce qu’il ressent, c’est des poèmes qui racontent la vie de

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tous les jours », et la dualité est à peine lisible lorsqu’Anaïs évoque le message de l’auteur :
« Il s’adresse à tous ceux qui lisent le livre, à ceux qui sont violents et veulent le pouvoir.
C’est pour leur dire que la guerre, c’est pas très bien, et qu’il faut jamais baisser les bras
dans la vie, il faut toujours regarder devant ». L’épigraphe de Y.Bonnefoy ne l’éclaire pas, et
elle est la seule à ne proposer aucune hypothèse à son propos : « remailler, je sais pas ce que
ça veut dire alors je ne comprends pas trop le sens de la phrase ». Nous l’avons vu : Anaïs
ne trouve rien dans ce texte qui soit poétique, et si le sens du recueil lui échappe en grande
partie, ce n’est à son avis pas dû à la complexité du texte (qu’elle juge « pas trop difficile »),
mais lié au sujet abordé, qui n’est pas adapté au jeune lectorat ; ce qu’elle pense du livre, en
conclusion, l’exprime sans détour : « C’est quand même un livre pour grands, un moment, y
parle de la guerre, les petits, y savent pas c’que c’est ».

La réception des élèves qui ont lu ce recueil met en lumière que deux d’entre eux
(Emmy et Mathias) sur les cinq ont parfaitement accédé aux principaux effets programmés :
dualité, interpellation du lecteur et prise de parole en « je », procédé métaphorique, structure
rythmique, et une (Coline) partiellement. Deux d’entre eux ne sont pas parvenus à dégager un
sens cohérent, et ne sont pas entrés dans l’écriture de l’auteur. Mais Fabien et Coline ont
compris la dominance du procédé métaphorique, bien qu’ils peinent à le décoder au niveau du
sens, et Fabien perçoit des éléments qui lui permettraient d’accéder aux effets programmés.
Enfin, concernant les illustrations, deux élèves, Emmy et Anaïs, disent ne pas les avoir
comprises, alors que les trois autres sont d’accord pour reconnaître une adéquation avec le
texte, et l’un d’eux, Mathias, estime qu’elles favorisent la compréhension : « C’est tout le
temps du noir et du rouge, peut-être le rouge pour le sang, et le noir pour le cauchemar. Ça
va bien avec le texte, ça définit le texte en regardant l’image, ça aide à comprendre ». Les
deux autres enfants relèvent leur caractère original, et l’on perçoit dans leur réponse qu’un
travail de réflexion et d’interprétation leur a été nécessaire : « J’ai trouvé qu’c’était bien, je
veux devenir prof d’arts plastiques alors, c’qu’est bizarre, j’aime bien. Ça va bien avec le
texte, parce que c’est noir comme la nuit, et rouge p’têt comme le sang, non ? » (Coline) ;
« Elles sont un peu bizarres, c’est des lignes qui sont dans la page avec des signes. Des fois,
elles sont toutes noires comme le premier morceau, ‘’l’obscur’’ » (Fabien). Aucun n’a fait de
lien entre le texte, le mot « remailler » de l’épigraphe et le terme « mailles d’encre » utilisé
dans le paratexte, en page de garde.
Tous, à l’exception de Anaïs, ont perçu la complexité de l’œuvre, et un point sur
lequel s’accordent tous les lecteurs, c’est que l’ouvrage s’adresse plutôt à des adultes. Seule

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Emmy affirme : « C’est écrit pour tout âge, ça s’adresse aux enfants et aux adultes, ça
raconte la vie ». Les autres enfants évoquent le thème (Anaïs, nous l’avons vu plus haut, et
Mathias) pour l’attribuer en priorité aux adultes : « Plutôt pour des grandes personnes, parce
que les enfants, y pensent pas trop à des choses comme ça, la guerre » (Mathias). Coline et
Fabien attribuent au lexique et surtout au procédé métaphorique l’inadaptation de l’ouvrage
au jeune public : « C’est un peu compliqué pour des lecteurs de notre âge. C’est pour le lycée
ou pour des adultes » (Coline) ; « C’est pour presque un adulte, je trouve, parce que comme il
parle, les enfants y comprennent pas trop ». (Fabien)

II.4 Réception des « animaux de tout le monde »

Six élèves, issus des quatre classes concernées, ont été invités à lire cet ouvrage, mais un ne
l’a pas lu, et nous n’avons pas tenu compte de ses réponses dans ce deuxième questionnaire.
Les lecteurs sont donc Mathilde, Blandine, Laïla, Amandine et Dimitri.

Lors du premier entretien, Mathilde avait perçu le ton du recueil, et la deuxième


entrevue permet de préciser tout ce que sa lecture personnelle lui a révélé dans ce registre.
Elle a parfaitement accédé à un des principaux effets programmés quand elle résume :
« L’auteur, il a cherché à s’amuser ». Elle a relevé les jeux de mots, au niveau des sonorités
mais aussi au niveau de leur mise en forme écrite, les différentes postures adoptées par
l’auteur (adresses aux animaux, secrétaire feint d’un animal, observateur extérieur, interprète),
et même certains néologismes : « c’est des écritures rigolotes, la façon dont il parle des
animaux et aussi les mots qu’il emploie comme ‘‘céti pas plus joli comm’ça ?’’, c’est pas la
bonne écriture. Des fois il parle comme si c’était l’âne, avec les vrais mots que dit l’âne, et
des fois, il parle à un animal. D’autres fois, il prend un mot, par exemple hippopotame et il
rajoute des syllabes au nom de l’animal pour faire des nouveaux mots ». Mathilde a été
impressionnée par la variété des procédés mis en œuvre par le poète sur le mode de l’humour
et de la dérision, au point qu’elle a vérifié si la page du « Microbe » (p. 30) était bien
vierge…et qu’elle exprime avec ses mots que cela convient parfaitement à ce micro-
organisme : «le microbe, c’est celui que je préfère, parce que ça parle vraiment du microbe !
J’ai essayé avec un microscopique (sic), eh ben, y’a rien marqué ! Ça explique vraiment
c’que c’est qu’un microbe ! ». Elle dit d’ailleurs avoir découvert avec ce recueil une nouvelle
facette de la poésie, une intention qu’elle ne soupçonnait pas : « La poésie, ça peut essayer de
faire rire les autres et leur redonner le moral. » Quand elle exprime ce qu’elle comprend du
recueil, Mathilde montre qu’elle l’interprète comme une allégorie animalière, « L’auteur se

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compare avec les animaux, enfin, les hommes. Il parle des hommes en fait, il se moque un peu
d’eux ». Si elle n’a pas pris conscience de la déclinaison de la forme sonnet, en revanche, elle
a été capable de pointer une référence intertextuelle dans le texte « Le crocodile », puisqu’elle
a reconnu l’emprunt à Jean Cocteau du dernier vers « le crocodile croque Odile ». Ce qu’elle
qualifie de poétique dans le recueil est l’emploi des rimes, mais aussi le rythme qu’elle
identifie par la lecture à voix haute (et elle se prête à la démonstration sur le texte
« Hérisson ! » p. 14, par ce qu’elle ne peut pas expliquer plus hors exemple) : « Si on lit
vraiment à haute voix, on voit bien qu’c’est d’la poésie : les rimes, et puis, y’a le rythme ».

Blandine a éprouvé beaucoup de difficultés avec ce texte, et elle n’a réussi à en


poursuivre la lecture que grâce aux illustrations : « J’aime bien les illustrations, c’est des
photos qui sont prises et il introduit des animaux. Ça m’a donné envie de lire, c’est peut-être
pour ça que je suis allée jusqu’au bout ». C’est la complexité du lexique qui a constitué un
réel obstacle pour elle, mais aussi le fait qu’elle ne perçoive pas du tout l’humour et les jeux
de mots du poète ; enfin, elle n’a pas lu la « Lettre de l’auteur au hérisson » (p. 82), ce qui l’a
privée d’indices précieux : « Moi, j’ai pas compris grand-chose. C’est compliqué : les mots,
tout ça, la façon de dire aussi. Par exemple p. 62, ‘’Limoux, Sfax’’ ». En fait, dans sa lecture,
elle n’a pas réussi à se dégager des termes non maîtrisés. Dans l’exemple qu’elle cite,
(Poème en x pour le lynx) la construction des phrases, avec inversion du sujet, compléments
du nom qui s’enchaînent, succession de compléments ajoutent à la complexité et justifient son
propos. Elle n’a accédé à aucun des effets programmés ; elle a perçu toutefois le procédé
d’humanisation, qu’elle n’interprète pas, malgré l’invitation qui lui est faite par l’enquêteuse :
« Il décrit les animaux comme si c’étaient des personnes ». Blandine est aussi la seule lectrice
qui ne fait pas de lien entre ce texte, et d’autres qu’elle pourrait connaître, peut-être parce que
sa lecture ne lui a pas apporté suffisamment d’éléments sur cet écrit. Lors du premier
entretien, elle avait cité Jean de La Fontaine comme son poète préféré : « j’aime les fables, y’a
des animaux et à la fin y’a une morale », mais elle ne rapproche pas les Fables et ces poèmes
de Roubaud. Elle reconnaît cependant à ces derniers un critère poétique : « y’a beaucoup de
rimes ».

Laïla a été véritablement déconcertée par cet ouvrage de J. Roubaud, au point qu’elle
ne sait finalement pas trop qu’en dire, et qu’à la question initiale « Que penses-tu de ce
livre ? », elle répond : « Ben, ch’sais pas. Y’a des poésies avec des mots durs, et d’autres avec
pas de mots du tout ». En fait, c’est bien sa représentation de la poésie qui a été mise en

50
question par un des textes, ce qui a suffi pour qu’elle demeure dubitative : il s’agit du
« Microbe » (p. 30), le morceau du livre qu’elle a en outre préféré, « parce qu’il est rigolo »,
mais qui l’interpelle aussi à cause de la forme citée : « C’qui m’a étonnée, c’est celle du
microbe où y’a rien marqué ; c’est pas trop une poésie si y’a rien marqué ». Ce que relève
aussi cette fillette, c’est la variété extrême des procédés mis en œuvre. Et malgré la difficulté
du registre lexical qu’elle pointe comme entrave à la bonne compréhension du recueil, (« des
fois y’a des mots qu’on comprend pas comme ‘’avunculaires’’, ‘’wyomiens’’ p. 66, c’est
gênant »), elle met en évidence les principaux effets programmés. Sa perception de ce qui
concourt à créer l’effet humoristique est plus globale, et pas du tout détaillée comme avait pu
l’exprimer Mathilde, mais elle a bien saisi que les textes prêtent à rire, et que l’auteur se joue
de la gent animale et humaine sur le mode de la dérision : « C’est rigolo quand même. Ça
nous fait rire ! » et elle évoque Jean de La Fontaine, en précisant ce qui diffère à son avis,
dans le traitement réciproque des animaux : « L’auteur, il décrit les animaux, il cherche à voir
ce qui est pareil aux hommes, il fait comme si c’étaient des humains qui pouvaient lire et tout
ça. Ça me fait penser à Jean de La Fontaine, mais il fait pas du tout pareil, parce que dans
les Fables, il se moque que des hommes, alors que là des fois il se moque des animaux aussi,
il s’adresse à eux des fois ». Sa perception du procédé d’humanisation est claire, elle repère
bien que l’allégorie animalière ne concerne pas tous les textes du recueil ; en revanche elle
n’explicite pas les procédés d’humour mis en œuvre. Au niveau des critères poétiques, Laïla
relève ceux qui sont formels, à l’exception de la déclinaison de la forme sonnet : « Y’a les
rimes des fois. C’est écrit en vers, sauf la lettre au hérisson ». A propos de ce texte final
qu’elle cite, elle explique n’avoir lu « un peu que le début, parce que c’était trop long après »,
et nous verrons que cette position a été largement partagée par les lecteurs de cet ouvrage.

Contrairement aux précédents lecteurs qui ne l’avaient pas remarquée, Amandine a


immédiatement été sensible à la constance de la forme, et à la question initiale « Que penses-
tu de ce livre ? », elle explique : « Ben ça m’a plu, la façon dont c’était présenté, au début y’a
deux strophes de quatre vers et après, y’en a deux autres de trois ; c’est bien parce que c’est
régulier ». C’est aussi la seule lectrice de cette œuvre à s’être impliquée affectivement dans sa
lecture, puisqu’elle rapproche une expérience personnelle à propos du poème « L’âne » (p.
13), qui montre qu’elle l’interprète de façon cohérente : « L’âne, p. 13, c’est comme à la
maison quand je dois aller porter des choses au container, j’aime pas trop y aller, alors, c’est
comme l’âne, j’hésite ». Le registre lexical lui semble assez difficile, mais dans une moindre
mesure par rapport à Laïla et Blandine : « C’est pas trop difficile, mais y’a certains mots que

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je comprends pas trop ». En dépit du vocabulaire, elle accède aux principaux effets
programmés : elle explique que l’auteur « cherche à nous faire rire », en percevant et en
énumérant différents procédés qu’il met en œuvre à cette fin : « il invente des mots et même
y’a des mots en d’autres langues ; il fait parler les animaux des fois ». Elle évoque aussi son
texte préféré « Poème en x pour le lynx » (p. 62) qui représente pour elle une prouesse
littéraire : « parce qu’il y a toujours des x et c’est une lettre rare ; c’est dur ! ». Comme Laïla,
elle établit un rapprochement intertextuel avec les Fables de La Fontaine : « Ça m’a fait
penser à Jean de la Fontaine, parce qu’il utilise des animaux pour représenter des gens. Il les
fait parler comme lui ». Elle prête à l’auteur l’intention de faire réfléchir ses lecteurs sur leurs
comportements : « L’auteur, il nous met à la place des animaux et il les fait parler pour qu’on
les comprenne, et qu’on comprenne aussi qu’on leur ressemble». Enfin, bien qu’elle n’ait lu
que le début de la « Lettre de l’auteur au hérisson » p. 82, elle a perçu le contenu, et surtout
le ton d’autodérision de l’auteur : « Ça sert un p’tit peu à expliquer ce qu’il a construit
comme poésies, il donne des exemples dans son recueil pour expliquer comment on fait, mais
y’s’moque un peu de son travail… » Au niveau des critères poétiques qu’elle attribue à
l’ouvrage, Amandine relève la présence de rimes, et le fait qu’il s’agit d’écrits courts.

Dès le premier entretien, Dimitri avait saisi le ton comique du recueil, en le feuilletant
rapidement. Le deuxième entretien le voit confirmer cette impression, et la développer. Il note
comme intention d’auteur, le procédé d’humanisation ; pour lui, l’auteur a cherché « à nous
dire que les animaux, ils sont comme nous, mais sur un ton comique. Il a voulu les mélanger
avec la vie actuelle, il fait comme si c’était des humains ». Il relève avec admiration
l’originalité de l’auteur et son audace : «’’Le microbe’’, c’est comique, on n’aurait pas idée
de faire ça, nous, si on écrivait un poème, on écrirait pour de vrai ». Il perçoit le procédé de
répétition qu’utilise l’auteur dans certains textes : « J’ai bien aimé la première histoire avec le
chat, y’a comme un refrain ». Il reconnaît à Jacques Roubaud le don de dénoncer avec
humour les travers des animaux, voire leurs nuisances, et il perçoit aussi que cet auteur est
capable d’utiliser des registres langagiers très variés : « ‘’Les pigeons de Paris’’, il est plus
rigolo que les autres. Il dit exactement la vérité, on peut dire que ça pollue toutes ces crottes
partout. J’l’ai trouvé amusant, avec des mots familiers aussi, alors que d’autres fois, c’est des
mots recherchés » ; Dimitri ne reconnaît pas de référence intertextuelle, mais il relève que
l’auteur utilise parfois des rimes embrassées ; son enseignante a signalé ce point technique à
propos d’un texte étudié en classe, et il l’a identifié de façon pertinente dans un des poèmes
du recueil. De même, il a noté la fréquence de la forme sonnet (bien qu’il ignore ce terme),

52
tout en remarquant quelques variantes ; mais il n’est pas allé au-delà du constat : « Y’a que
des strophes de trois ou de quatre vers. Mais des fois, c’est comme de la prose, ou bien c’est
tout aligné, comme ‘’le cochon’’ » (p. 49). On peut supposer que la lecture, qu’il n’a pas faite,
de la « Lettre de l’auteur au hérisson », lui aurait permis de mettre en lien les remarques
précédentes avec le sens global qu’il a bien perçu.

La réception de ce recueil de Roubaud montre que les enfants suspectent un des


principaux effets programmés, le travail sur la langue, puisque quatre sur cinq l’évoquent
(deux élèves l’expriment réellement), ainsi que certains procédés sur lesquels s’appuie cet
effet. Mais leur richesse et leur variété, les registres plus ou moins « savants » auxquels ils
font référence, sont à peine effleurés. La déclinaison du sonnet par exemple n’est pas mise en
évidence, elle n’est abordée que par deux lecteurs, qui sont restés à la surface de la question ;
la multiplicité des jeux de mots n’est ressentie que par deux enfants, de façon lacunaire, et
l’on peut en être surpris, au vu de sa variété ; les transgressions d’une syntaxe conformiste
laissent les élèves indifférents ; les innombrables références intertextuelles ne sont pas
pointées, mais trois lecteurs sur les cinq en ont toutefois relevé une. L’allégorie animalière et
l’anthropomorphisation sont en revanche mises en lumière par tous, ce qui peut s’expliquer
par la présentation fréquente des Fables de La Fontaine aux élèves de l’école élémentaire
(auteur, on s’en souvient, le plus cité et le préféré des élèves entendus), puisque par ailleurs
aucun bestiaire n’est évoqué. Il faut également remarquer que Mathilde, qui a relevé le plus
d’indices sur les jeux de langue, est l’unique élève qui a lu entièrement la « Lettre de l’auteur
au hérisson » (p. 82 à 90). Les autres enfants expliquent qu’ils ont été rebutés par la longueur
du texte (quatre réponses), et pour Dimitri, par le fait que ce n’était pas un poème (avec une
relation de conséquence) : « Dès que j’ai vu que c’était long, c’était pas un poème, donc je
l’ai pas lu ». On peut supposer que les éléments explicatifs que contient ce texte final, ainsi
que le ton et la démonstration des jeux de langue auxquels se livre l’auteur, ont fait défaut à ce
jeune public ; aucun d’entre eux par exemple, n’a cité le terme « sonnet », qui fait l’objet
d’une longue explication de la part de J. Roubaud, et qui peut alors orienter (ou plutôt ré-
orienter) la réception des textes précédents. Ce texte a bien vocation de guidage didactique.
Pour cet ouvrage encore, les enfants montrent qu’ils ont conscience de sa complexité, et pour
cette raison, ils pensent qu’il peut s’adresser à un public adulte, mais ils lui reconnaissent
également un indéniable intérêt pour les plus jeunes et ils s’accordent sur un double
lectorat. C’est Blandine qui résume le mieux l’avis général : « Ça s’adresse aux adultes, pour
le texte, parce qu’il est difficile. Mais aux enfants aussi pour le thème, parce que ça parle des

53
animaux ». Seule Mathilde modère un peu ce propos : « A mon avis, c’est pour les CE/CM.
Ça les ferait rigoler. Les adultes aussi ça leur plairait mais moins parce qu’ils ont l’habitude
de lire des choses avec la bonne orthographe et ils remarqueraient tout de suite les fautes ».
Deux élèves ont évoqué aussi les dédicaces, ce qui montre qu’ils ont une lecture performante,
qui met en relation différents indices, et justifient aussi leur avis ainsi : « Y’a des choses un
p’tit peu dures, alors peut-être à des enfants comme moi et un peu plus grands, et puis à mon
avis à des adultes parce qu’y a des noms en haut qui montrent que ça s’adresse à des
adultes » (Amandine) ; « 10/12 ans, parce qu’on commence à lire comme il faut. Le livre, il
est dédié pour certains personnages, y’en a un pour sa femme Marianne Roubaud, donc, ça
pourrait être aussi pour des adultes » (Dimitri). A l’unanimité également, les enfants, à
propos des illustrations, expriment leur accord parfait avec le texte ; ils décèlent une même
originalité, une même interpellation : « Ce qu’elles apportent les illustrations, c’est qu’on se
pose des questions, et qu’on regarde mieux la poésie. Par exemple p. 14, pourquoi y’a une
petite fille et un pépé ? Il est tout aplati le hérisson » (Laïla) ; « J’ai bien aimé, c’est à la
plume, c’est une photo des animaux comme on n’a jamais vu, y’a un rapport avec le texte »
(Amandine) ; « Ça te fait penser où ils peuvent être les animaux, ça déplace les animaux, ça
en fait des humains » (Dimitri). Incontestablement, et l’attitude des enfants lors de leur
premier contact avec le livre le révèle, les illustrations ont une importance réelle sur la
perception de l’ouvrage et contribuent à l’élaboration du sens.

La réception des trois ouvrages, par lecture autonome exclusive, c'est-à-dire sans
aucun guidage expert, montre des différences individuelles très importantes dans la perception
des effets programmés ; pour chacun des recueils, deux lecteurs au moins, plus dans le cas de
La Clarisse, ont mis à jour plusieurs effets, même de façon intuitive, puisque souvent, ils ne
disposent pas du matériel langagier adapté à leurs découvertes. Et les autres perçoivent au
moins un effet, ou bien pour le moins, des éléments qui leur permettraient d’y accéder avec un
minimum d’accompagnement.
Nous avons tendance à considérer que ces résultats sont très positifs en terme de réception
parce que d’une part les propos tenus par l’ensemble des enfants sont riches de réflexion sur
l’œuvre ; d’autre part, ils se sont confrontés à un exercice nouveau pour eux, puisque, comme
ils l’ont noté, ils ont découvert un texte en rupture avec ce qu’ils connaissaient sous le terme
« poésie » (lors du premier entretien, tous les élèves à qui l’on a proposé Un homme sans
manteau ont dit ne pas connaître de livre comme celui-là) ; cet effet de rupture n’ayant pas

54
été compensé par une quelconque médiation, ils ont perçu, en lecture autonome, de
nombreuses caractéristiques, et ce, nous l’avons abordé, avec des compétences d’ordre
linguistique, littéraire et culturel limitées. Ce qui permet de confirmer l’adéquation de ces
ouvrages pour un jeune public, et de constater qu’ils ont bien un double destinataire, enfants
et adultes (et cela, les enfants en ont été conscients dans leur grande majorité). Mais surtout, et
nous l’avons mis en évidence lors de chacune des synthèses, les réflexions que les enfants
soulèvent sont pertinentes, et illustrent une réelle attitude de questionnement face au texte, et
à l’objet livre de poésie dans son ensemble. Notamment, les jeunes lecteurs s’interrogent sur
la définition de la poésie, nous en avons pris conscience. Et enfin, à eux tous, les élèves
mettent à jour les principaux effets programmés. Seulement cinq lecteurs ont travaillé sur
chacun des livres, et si l’on mutualise leurs remarques, on touche aux pistes essentielles de
sens qu’ils recouvrent, et ce constat ne peut laisser indifférent le pédagogue.
La question qui se pose à ce dernier, effectivement, concerne bien la médiation qu’il peut
envisager pour permettre à tous les élèves, et pas seulement aux bons lecteurs, d’accéder à
ces recueils. Nous tenterons d’apporter quelques pistes concrètes pour mener des activités en
cycle III sur ces ouvrages, que nous n’avons pas encore pu mettre en œuvre mais que nous
nous proposons de tester sur le terrain très prochainement.

55
Chapitre III : Pistes pédagogiques
III. 1 Etat des lieux

Au point où nous sommes rendus, pour comprendre les représentations des élèves et
proposer des mises en œuvre adaptées, il nous semble qu’il est important de prendre en
compte les pratiques habituelles des maîtres, et de saisir ce qui les sous-tend. Sur la base des
entretiens réalisés avec quelques enseignants de cycle III (annexe 1), d’écoles de différents
secteurs du département, et bien que l’échantillon limité de personnes interrogées ne puisse
prétendre à la représentativité, nous avons obtenu des éléments qualitatifs non négligeables,
que nous ne développerons pas puisque ce n’est pas notre propos, mais qui méritent cependant
d’être rapidement abordés.

Les maîtres interrogés réfèrent leurs pratiques aux différentes fonctions qu’ils attribuent à la
poésie :
- une fonction sociale, et en tout premier lieu celle qui est originelle de la poésie, à savoir sa
capacité à transmettre les textes patrimoniaux d’une communauté : la fonction
mnémotechnique. Tous les enseignants citent la mémorisation comme passage obligé, parfois
pour justifier un travail de mise en voix ou en scène des textes, parfois par éthique
professionnelle : l’école est le seul lieu où l’enfant est confronté à la poésie, les maîtres se
sentent le devoir de le nourrir d’un bagage culturel. M3 le souligne dans ses propos : « Si on
ne leur fait pas lire de la poésie à l’école, on ne le fait pas ailleurs, l’école, c’est le seul
endroit où on le fait ». Ce qui explique les choix de textes qu’ils proposent à leurs élèves :
souvent rimés, rythmés, et issus du patrimoine national le plus souvent, dans un registre
d’époques assez large, hormis actuel. (M2 : « Ce qui plaît aux élèves, c’est la tradition. Ils
aiment retrouver les poésies de leurs parents, comme J. de La Fontaine, c’est la culture
transversale de la poésie » ; «Pour moi, la poésie, c’est les classiques »). Les poètes que les
enseignants interrogés citent comme leurs poètes préférés sont ceux dont ils ont étudié les
oeuvres durant leurs études, ou qu’ils ont connus dans les sélections anthologiques destinées
aux élèves, autant de classiques hexagonaux : La Fontaine, Baudelaire, Rimbaud, Queneau,
Tardieu, Prévert, Carême. Cette liste se retrouve largement dans les propositions de textes
faites aux élèves, et les maîtres justifient souvent le choix des textes qu’ils soumettent à leur
classe par leurs goûts personnels : M2 « Faut qu’ça m’plaise » ; M4 « Je me donne comme
règle, toutes les époques, et après, c’est mes coups de cœur » ; M1 « Je choisis d’abord par

56
goût personnel. J’essaie aussi de couvrir différentes périodes, du Moyen âge à nos jours, et
différents genres ».
Il faut noter que ce souci des enseignants les amène à rejeter sensiblerie et infantilisme, et les
poèmes qu’ils proposent à leurs élèves sont des textes qui ne sont pas, le plus souvent, écrits
spécifiquement pour un jeune public.
- une fonction que l’on peut qualifier d’intime, qui se répartit en sous-fonctions :
- une fonction d’expression, que les maîtres citent tous sans exception, dans leurs
propositions pédagogiques à partir de la poésie. L’enjeu pour eux est bien d’amener leurs
élèves à une maîtrise experte de leur langue qui leur permettra de s’approprier un outil
libératoire de leur expression. L’importance de cette fonction est parfaitement exprimée par
M4 : « Mon objectif principal, c’est l’expression écrite et orale. Pour leur donner des moyens
de se libérer dans leur expression ». Et l’on retrouve bien ici l’influence de la réflexion des
rénovateurs des années 1970 :
« On ne libère le langage qu’en utilisant les armes qui le portent à son plus haut degré
d’incandescence. Or cette fonction, la poésie l’assume pleinement et par elle, en elle, la langue
parcourt tout le réel et tout l’imaginaire. Elle devient pour l’enfant et pour l’adolescent une
sorte d’image vivante de la langue en travail, de la langue dans tous ses états, production du
corps, de la sensualité, de l’intelligence, de l’être à la découverte de ses murmures
essentiels ». (Jean, 1973 : 7-8)

- la connaissance de notre complexité humaine, parce que le langage du rêve, de


l’inconscient et la poésie se rejoignent, fonctionnent de façon similaire ; ainsi, M1 propose-t-
elle à ses élèves de trouver des suggestions plastiques pour que les élèves travaillent sur leurs
évocations et réalisent des associations : « Je leur propose de lire la poésie, de la dire, et de
laisser surgir tout ce que cela évoque pour eux, dans leur imaginaire, ce à quoi ça les fait
rêver. Puis de l’associer à quelque chose en arts plastiques, ce qui amène un travail de
réflexion sur les œuvres. »
- un écho à la sensibilité propre ; M3 « On recherche les différents sentiments, les
émotions que les textes leur procurent » ; M1 : « C’est très important que les enfants lisent de
la poésie pour développer leur sensibilité, ça parle au cœur, ça se partage » ; M2 : « Chacun
ressent différemment, il faut que ça puisse être respecté ».
- une fonction jubilatoire du langage, puisque la poésie engendre le plaisir des mots, en
permettant de jouer avec sons et sens ; et l’enfant est ici en territoire connu :
« L’enfant joue avec les mots et se construit un univers imaginaire grâce aux seules puissances
de l’imagination et du langage. L’émotion que fait naître le poème se double d’une véritable
jouissance verbale ». (Campa, 1998 : 177)

57
Il est intéressant de constater que, contrairement aux élèves, les enseignants ne font
absolument pas référence à la fonction métaphysique, ou philosophique (au sens de donner à
penser), de la poésie. Ce qui est implicite ici, que nous n’aurons pas le temps de développer
mais qui est majeur dans la question des liens école/poésie, est toute la question des enjeux
de la pratique de la poésie en classe. Pour les enseignants, il est primordial que l’école
transmette un patrimoine culturel. Il n’est pas étonnant alors que leur choix se porte sur des
auteurs reconnus par l’institution. D’où le peu d’ouverture sur l’offre actuelle et la
méconnaissance des contemporains. Aucun des enseignants interrogés n’a de pratique
personnelle régulière en terme de lecture de textes poétiques (ils en lisent « pour les besoins
professionnels, à l’école », et jamais de contemporains). L’anthologie est alors leur support
presque exclusif. Si les références culturelles sont indispensables, et le jeu intertextuel du
texte de Roubaud le met en évidence, il n’en reste pas moins que la remise en question des
représentations est primordiale, et que d’autres mises en œuvre pourraient être envisagées.

III. 2 Activités concrètes proposées


D’une façon générale, et après l’examen des réponses des enseignants et des élèves aux
questionnaires, le principe de diversité retenu dans la liste apparaît comme directeur, dans le
sens où des confrontations à des textes variés vont permettre le travail essentiel de réflexion
sur ce qu’est la poésie, à condition que cette question soit énoncée explicitement et débattue
par maîtres et élèves. Il sera intéressant de rechercher les nombreux témoignages de poètes que
l’on peut se procurer sur ce sujet, et de les croiser avec la lecture de textes. Le lecteur pourra
prendre conscience également de son rôle dans l’interprétation, par la façon dont il comble les
blancs du texte, se confronte à l’implicite et accède à la symbolique. De nombreuses
recherches pédagogiques ont souligné le rôle décisif de cette réflexion métacognitive sur les
apprentissages. Nous avons mis en évidence, dans la partie réception, que les élèves à eux
tous, accédaient aux principaux effets programmés. La mise en commun des lectures et le
débat interprétatif seront donc privilégiés.

Nous ne détaillerons pas les activités communes aux écrits poétiques que l’on peut envisager,
le document d’application des programmes, le dossier « La poésie à l’école »31, ainsi que de
nombreux ouvrages pédagogiques en ont longuement explicité de nombreuses et variées. Nous
tenterons simplement ici, pour les trois ouvrages abordés, de proposer quelques mises en
œuvre susceptibles d’aider les élèves à accéder aux effets programmés, et les maîtres à oser

31
Déjà signalé en note de bas de page 9

58
aborder simplement ces recueils. Bien d’autres activités sont possibles, certaines proposées ici
peuvent sembler discutables, et nous ne prétendons pas à l’exhaustivité :

« De toute façon, investir une écriture contemporaine, qui ne saurait donc constituer un
objet de savoir, est prise de risque, aventure dans la langue et en soi-même, et on ne
saurait ni totalement prévoir, ni garantir le résultat ». (Debreuille, 2002 : 141)

1 La Clarisse

- On pourra commencer par soumettre aux élèves le paratexte, afin qu’ils relèvent tout ce qui
évoque le registre du cinéma : on leur fournira pour cette recherche la couverture et la
quatrième, la page de garde et l’achevé d’imprimer. Les premières hypothèses sur le terme
« poème scénario » seront notées. On lira ensuite aux élèves le premier texte « Clarisse » pour
leur présenter l’héroïne, p. 6. Puis, par groupe de deux élèves, on demandera d’imaginer et
d’écrire, sous forme brève, une des scènes listées dans la page de garde, simplement sur la
base de son titre et de ce qu’ils auront perçu du personnage par le texte lu. On obtiendra un
premier scénario, qui permettra d’anticiper sur le sens des différentes scènes en fonction des
attributs de ce personnage. Puis chaque groupe recevra le texte de l’auteur correspondant à sa
production, comparera, et sera chargé d’en présenter les points communs à l’ensemble de la
classe. On relira ce scénario de l’auteur, pour voir en quoi il diffère de la production de la
classe. Ce qui permettra de mettre en évidence la trame du recueil et son fil conducteur (qui
n’existent pas, hormis la présence de l’héroïne, dans le scénario de la classe), de planter le
décor de ce scénario : une fillette non-conforme à l’attente familiale, dans un milieu semi-
rural, marginal et précaire.

- On demandera aux enfants de revenir sur leur extrait du texte de l’auteur : il s’agira pour
chacun de relever ce qu’il ne comprend pas vraiment. Une mise en commun conduira à
classer ces mots ou expressions en fonction de la difficulté contenue : il peut s’agir de mots
inconnus (ex : « noviciat » p.35 ), qu’une simple recherche dans le dictionnaire permettra de
résoudre ; ou bien de références convoquées que les enfants ne possèdent pas (ex : « Lady
Diana visitant les pauvres Noirs mutilés par les mines anti-personnel » p. 41 ), mais pour
lesquelles ils peuvent apprendre à mener des recherches plus élaborées (outil informatique :
moteur de recherche) ; ou bien enfin, le procédé rhétorique peut faire obstacle, en
l’occurrence ici la métaphore, et nous sommes alors au cœur du sujet, puisque dans un
domaine bien spécifique à la poésie. (ex. : « enlever le lierre courant dans les veines » p. 18).
Le débat d’interprétation pourra faire prendre conscience que tout lecteur est confronté à

59
cette difficulté, que différentes réponses sont envisageables, légitimes, et que chacun y
apporte un éclairage porteur de ses références. Cette phase collective autour des résistances du
texte nous semble très importante à mener en terme d’activité d’apprentissage, parce qu’elle
permet d’apporter une méthodologie efficace de questionnement sur un texte, et parce qu’elle
aborde la question des critères poétiques, qu’il ne faut surtout pas éluder pour ce recueil
précisément. En l’absence de repères visibles pour de jeunes enfants de ce qui constitue la
« poéticité » d’un texte, cette réflexion est indispensable. Même (et surtout), si, au bout du
compte, on aboutit à une image de la poésie qui sera provisoire et personnelle. L’idée étant
bien que maîtres et élèves échangent et confrontent leurs avis, s’ouvrent à tous les possibles
de la création poétique, et ne réduisent pas la forme « poésie » à la présence exclusive des
vers rimés :
« De nombreux poèmes sont « typiques », au sens où ils ont des valeurs élevées dans chaque
colonne du diagramme. Donc, lorsque nous apprenons à apprécier, à critiquer ou à écrire des
poèmes, nous devons développer une sensibilité spécifique pour chacune des propriétés
correspondantes. [...] Ainsi, les propriétés constituantes représentées par le diagramme (ou
celles qu’il représenterait s’il était complet) en arrivent à être associées à un ensemble de
sensibilités établies, et, ne serait-ce que pour cette raison, nous finissons par considérer qu’il
s’agit d’un groupe de propriétés importantes. Dès lors que cet ensemble de propriétés fait
partie de notre bagage intellectuel, [...] il nous aide notamment à tenir compte des propriétés
intéressantes et souvent esthétiquement pertinentes qu’on trouve dans les poèmes
« atypiques » (c’est à dire ceux qui n’auraient des valeurs élevées que dans quelques colonnes
du diagramme) ». (Stevenson, 1992 : 179-180)

- Enfin, la dernière activité proposée permettra de se poser la question de l’identité de ce


« on » narrateur si fréquent dans le texte de l’auteur, et de sortir de la focalisation sur
l’héroïne. On invitera les enfants par groupe à réécrire certains textes en adoptant un point de
vue défini, différent pour chacun des groupes. Par exemple « Casse » p. 8/9 avec le point de
vue de Clarisse, avec celui de la mère, de la sœur, de la voisine,… Ou encore « La fosse
septique » p. 12-13, avec le point de vue des parents et des voisins. La confrontation lors du
débat qui suivra, permettra d’interpréter l’identité du narrateur, en justifiant son avis. Cette
activité facilitera également la prise de conscience de la marginalité, de la souffrance des
autres membres de la famille. Il pourra être intéressant de s’interroger sur l’identité de ce
« on » narrateur dans d’autres textes, pour voir s’il a la même valeur, par exemple les ouvrages
de littérature de jeunesse de Philippe Delerm, C’est bien , et C’est toujours bien (Milan
Poche Junior).

60
2 Un homme sans manteau

- La première activité conduira les élèves à se projeter dans la problématique de la dualité, et à


la percevoir d’entrée, avant d’explorer plus avant le recueil. On proposera aux élèves le texte32
liminaire, p. 9, mis en voix, de façon à mettre en relief les deux temps (première partie que
l’on pourrait sous-titrer «le clair » jusqu’à « cela me suffisait » ; deuxième partie après la
rupture introduite par « et soudain » et que l’on pourrait sous-titrer « l’obscur »). On attirera
l’attention des élèves sur les trois vers « et soudain la volée des cailloux/la vie la nuit les
autres/chacun avait jeté sa pierre », en leur demandant individuellement et silencieusement de
réfléchir à ce que cela peut signifier pour eux. Puis on distribuera un galet à chacun pour
qu’ils écrivent seulement un mot, l’évocation de ce que peut représenter un caillou qui nous
est jeté par la vie, la nuit ou les autres. On invitera les enfants qui le souhaitent à dire le mot
qu’ils ont écrit sur leur pierre, on laissera les autres réagir, et on rassemblera ces galets qui
seront conservés. De la même façon, on reviendra sur les vers « je jouais par terre dans la
chambre/avec mes rêves/comme un enfant/j’attendais tout de la lumière », et on demandera à
chacun sur un post-it d’écrire seulement un mot, évoquant cette attente. On affichera les
papiers sur un panneau pour les garder aussi, même échange que précédemment, (on veillera
toujours lors de ces mises en commun à ce qu’aucun jugement de valeur ne soit énoncé, il n’y
a pas bonne ou mauvaise proposition, puisqu’il s’agit d’écho personnel). On présentera alors la
structure du recueil aux élèves, on leur lira l’épigraphe de Y. Bonnefoy, et on invitera ceux
qui ont un commentaire ou une remarque à faire à la communiquer à tous.

- Lors de la séance suivante, on peut soumettre aux élèves (en respectant la typographie
adoptée par l’éditeur), l’ensemble des textes du recueil, mais en demandant à chaque groupe
de choisir un texte de chaque partie. Ils pourront évoquer les raisons de leur choix. On
sollicitera les équipes sur deux points :

- proposer la mise en voix des textes ; l’ordre du recueil sera respecté pour que chaque
poème puisse être perçu à la lumière de l’ensemble, à la place que l’auteur lui a assignée dans
le tout ; puis collectivement chercher un traitement des vers en rouge (ex : lus à la suite, dans
l’ordre ; ou bien encore lus à leur place dans le texte mais par une autre voix, etc…). Echanger
en termes d’effets rendus par chacune des propositions émises. L’idée ici est une entrée par
l’interprétation et non par le commentaire ; les travaux de Catherine Tauveron notamment

32
Ce texte est reproduit ici en p. 21

61
montrent en effet, que contrairement à ce qui est traditionnellement pratiqué, l’apprentissage
de l’interprétation précède celui de la compréhension.

- noter individuellement, pour les deux textes travaillés, les mots ou expressions que
l’on ne comprend pas vraiment. Comme pour l’activité décrite pour le recueil précédent, la
mise en commun conduira à classer les éléments relevés par chacun en fonction de la difficulté
contenue ; on peut en imaginer pour ce recueil trois catégories : les mots inconnus tout d’abord
(ex : « suppliciés » p. 37), mais ils sont rares dans cet ouvrage, et la résolution est aisée.
Ensuite ce que les enfants dans leur réception ont appelé « les mots qu’il met ensemble », à
savoir les métaphores, avec tout ce qu’elles portent d’implicite, et enfin la construction en
parataxe. Pour ces deux derniers obstacles, les enjeux sont les mêmes que ce qui a été décrit
plus haut p. 59 et l’on agira de même.

Le débat interprétatif concernera aussi bien sûr les illustrations pour cet ouvrage, et les choix
éditoriaux : les comptes-rendus de la réception des élèves ont indiqué que ces éléments les
interpellaient, et la majorité évoquait un rapport avec le texte, qu’il sera fort intéressant de
faire exprimer et partager ; il s’agira d’explorer les différences d’interprétation et d’encourager
les élèves à évoquer leurs ressentis sur ces mises en regard.

- Une séance ultérieure peut également inviter chaque enfant à prélever un mot ou expression
du texte, écho pour lui à « ombre » et « lumière », et compléter la collection initialement
réalisée avec ces termes de l’auteur recopiés sur les mêmes supports que lors de la première
activité. Puis les élèves écrivent un texte à partir de mots qu’ils choisissent sur l’ensemble
des galets et des post-it.

- Enfin, il nous semble souhaitable que d’autres ouvrages de J. P. Siméon soient à disposition
des élèves pour qu’ils puissent y retrouver les caractéristiques propres à cet auteur, notamment
l’interpellation du lecteur, et les prises de paroles en « je ». On pourra leur proposer quelques
textes sélectionnés pour attirer leur attention sur ces procédés s’ils ne les ont pas mis
spontanément en évidence (jeu de « chasse à l’intrus »). Un recoupement avec « Sans
frontières fixes33 » particulièrement, pourrait être intéressant, recueil qui désigne de façon
très concrète des ombres et des lumières de la vie.

33
Siméon, J.P. (2001), Sans frontières fixes , Ed. Cheyne, collection « Poèmes pour grandir »

62
3 Les animaux de tout le monde

- On proposera d’entrer dans l’ouvrage par le texte liminaire « Pour commencer », que l’on
lira aux élèves, ainsi que la « Lettre de l’auteur au hérisson » p. 82 et 83, mais seulement
jusqu’à « de l’espèce qu’on appelle sonnet. » On laissera les élèves rechercher la signification
de ce terme et l’on écrira pour garder en mémoire le projet que se fixe l’auteur et qu’il exprime
dans ces textes. Puis on leur soumettra la table p. 93 et 94, qui suscitera probablement des
commentaires et des interrogations que l’on notera (par exemple, certains titres ne comportent
que le nom d’un animal, d’autres le placent dans une situation particulière, etc.). Chaque élève
sera invité à choisir un titre dans cette table, et à noter ce qui caractérise l’animal en question
selon lui, ainsi que les textes qu’il connaît déjà sur cet animal (poétiques ou non). Lors de la
séance suivante, on relira le projet de l’auteur, et chacun des élèves recevra le texte qu’il avait
choisi dans la table, découvrira les partis pris de l’auteur sur les caractéristiques de l’animal,
les choix énonciatifs, la mise en œuvre du projet annoncé, … Il sera invité à le lire au groupe
(l’ordre du recueil sera respecté), et à communiquer ses remarques. La classe réagira et on
commencera à noter des effets mis en évidence : jeux de mots, de sons, répétitions, …

- L’activité suivante consistera à proposer aux élèves par groupe de résoudre des énigmes. On
distribuera un des textes suivants à chacune des équipes, à charge pour elles de résoudre
l’énigme qui l’accompagne, et que l’on aura notée sous le texte :

« Poème du chat » p. 8 énigme : pourquoi la dédicace à Claude Roy ?

« La salamandre » p. 42 énigme : de quelle salamandre parle l’auteur ?

« Le crocodile » p. 45 énigme : qui est Odile ?

« La tortue » p. 70 énigme : qui est Achille ?

« La coccinelle » p. 79 énigme : Pourquoi Victor Hugo est-il cité par l’auteur ?

Ces propositions ne sont données qu’à titre d’exemple, les possibilités sont nombreuses ; il
s’agit bien sûr ici d’encadrer la pratique de l’intertextualité, et d’inciter les élèves à faire des
liens d’une œuvre à une autre. L’intérêt des énigmes est également de mettre en évidence
l’usage polysémique des mots, et d’accompagner l’élève dans une attitude de questionnement
systématique du texte qui le guidera toujours vers une recherche fructueuse. Cette activité
incite à mettre en résonance différents éléments que l’on peut connaître, et propose aux élèves
de s’entraîner à devenir lecteurs au sens de convoquer des références, d’établir des relations
avec les lectures déjà effectuées. On laissera les groupes s’organiser et mener les recherches

63
avec les outils qu’ils souhaitent. Mais on aura prévu pour chacun des groupes des aides au cas
où il y ait blocage complet. Cette séance s’achèvera par la mise en commun des trouvailles et
l’étiquetage des procédés relevés. Cette activité qui sera l’occasion d’aborder la résistance des
textes, ne résoudra pas toutes les difficultés que les enfants noteront bien sûr, et il faudra
procéder également à un inventaire, comme pour les deux autres recueils.

- Au cours d’une autre séance, on pourra soumettre aux élèves répartis en équipes, des
groupements de textes qu’ils devront justifier. Là encore, même si au départ le choix effectué
par l’enseignant repose sur un critère, les élèves pourront tout à fait en suggérer un autre s’ils
motivent leur proposition. Cette recherche peut mettre en évidence des procédés non encore
découverts. A titre d’exemple on groupera :

- « Buse et zébu », « « La caille », « Poème en x pour le lynx » et « Le tatou » (jeux


divers sur les sonorités : homophonies, allitérations, …)

- « Poème du paresseux », « L’escargot » et « Le caméléon » (prises de parole en je,


s’interroger sur leur valeur)

- « Les loirs en vacances », « Les éléphants roses vont à l’hôtel » et « Les oies »
(allégories)

- « Le paon », « La pieuvre » et « La tortue » (interventions à portée didactique :


formules gnomiques)

- « Poème du chat », « Hanneton » et « Hérisson ! » (effet de refrain)

- Enfin, on n’omettra pas de revenir au texte final et de le lire intégralement aux élèves. Ceux-
ci pourront bien sûr être sollicités pour multiplier les recherches sur les bestiaires, et on en
disposera divers à leur intention. De nombreuses activités d’écriture sont également
envisageables ; on citera par exemple, à partir du texte « Ce que dit le cochon », un travail qui
utilisera les notes de la première séance (représentations individuelles sur un animal), et
consistera à évoquer un univers correspondant par une recherche lexicale mise en texte.

64
Conclusion

L’étude que nous avons menée, qui se proposait de vérifier si des recueils de poésie
édités dans des collections pour la jeunesse, étaient bien accessibles à leur public, met en
évidence que certains jeunes lecteurs effectivement, sont capables d’interpréter des textes
poétiques qui leur sont destinés, et d’en négocier le sens. Nous avons donc des arguments à
faire valoir face aux enseignants qui, a priori, les rejettent en raison de leur trop grande
complexité.
Toutefois, l’enquête menée ne s’est adressée qu’aux bons lecteurs de fin d’école
primaire, et parmi ceux-ci, tous ne sont pas parvenus à s’approprier ces textes. Nous avons pu
interpréter en partie ces résultats par le décalage entre les représentations initiales des enfants,
et l’offre qui leur était faite ; car ce sont bien les représentations des enseignants de
l’échantillon concerné par cette recherche, et les pratiques qui sont les leurs, en l’état actuel,
qui représentent l’obstacle majeur ; à n’en pas douter, les I.O. de 2002 en matière de
littérature ont bien pris en compte cette réalité, et ont cherché à faire évoluer les pratiques en
matière d’approche et d’interprétation des textes littéraires. Nous ne sommes pas encore en
mesure d’apprécier les effets des activités pratiques décrites en troisième partie, sur la
réception des élèves. Mais nous faisons l’hypothèse qu’un tel accompagnement des jeunes
dans les œuvres, par des médiateurs adultes, en amènera le plus grand nombre à en approcher
le sens. Cette procédure requiert toutefois une large familiarisation des enseignants avec un
répertoire poétique varié, tel que celui indiqué dans la liste de référence. La mise à disposition
de cet outil, et les nouvelles instructions elles-mêmes, ne parviendront en effet pas à remettre
en question à elles seules les représentations figées du genre, si une pratique personnelle des
médiateurs ne lui est pas associée.
Ce qui soulève bien sûr la question de l’accompagnement des enseignants eux-mêmes
dans leur comportement de lecteur tout d’abord, dans leur connaissance des œuvres, et enfin
dans leurs pratiques professionnelles. La formation continue doit prendre sa place dans toutes
ces dimensions, pour laisser des traces sensibles et espérer atteindre son objectif. Si les
ouvrages didactiques sont nombreux, les activités prêtes à consommer pour l’élève également
multiples, notre conviction est que l’accompagnement aux adultes médiateurs doit passer par

65
leur vécu personnel. Les recueils de poésie cités dans cette recherche, nous l’avons mis en
évidence, ont un double lectorat, adulte et enfant. Leur sens n’est pas donné, il est à construire
dans la relation triangulaire texte/lecteur/expérience. Il est ainsi tout à fait envisageable, et
même souhaitable, d’engager des adultes en formation sur les chemins d’exploration évoqués
pour les jeunes, ce qui est aussi l’avis de Marie-Hélène Porcar, formateur en IUFM , qui
explique lors de son intervention dans un colloque34 :
« Le vécu collectif d’une session de formation est irremplaçable (…). Ce qui amène à
privilégier le faire au dire, le ressenti au narré, à créer des évènements en formation pourvu
qu’ils conduisent à une pratique personnelle de lecture et du professeur et de l’élève ».

Ce qui est en question alors va bien au-delà des pratiques professionnelles, interroge
sur les valeurs et les enjeux de l’expérience sociale et culturelle. Et le domaine de la littérature
en général, de la poésie en particulier, mérite bien l’émergence de cette question dans un large
débat. Cet axe de réflexion est indispensable mais pas seulement pour les maîtres. Il
nécessite d’être explicité, enrichi, et partagé. En effet, lors de nos entretiens, nous avons pu
remarquer qu’à la question : « Est-ce que tu crois que ça sert à quelque chose de lire de la
poésie ? », les enfants se situent exclusivement en élèves, soucieux de clarifier un contrat
didactique : pour eux, à n’en pas douter, poésie signifie apprentissages à la clé, qui
ressortissent à différents domaines (mnémotechnique, lexical, technique, culturel, moral,
émotionnel, divertissement35). On ne peut que souhaiter que les jeunes se confrontent à de
multiples médiateurs, bibliothécaires, lecteurs passionnés, poètes, éditeurs, pour qu’ils osent
sortir la poésie de l’école et des apprentissages, et découvrent d’autres dimensions, plus
essentielles, à sa fréquentation.

« Parce qu’autant il est de l’ordre des opinions reçues que la poésie intéresse peu de monde et
qu’elle a peu de lecteurs, du moins dans la culture française, autant il y a à montrer que les
choses qui se jouent dans la poésie intéressent en réalité chacun. Parce qu’il s’y joue le sens du
langage et le sens des sujets. De tous les sujets que nous avons en nous. De la petite école à
l’Université, y compris ceux qui ont passé l’âge de l’école, et qui ne se croient pas intéressés
par les questions du langage. L’état des problèmes de la poésie montre que nous sommes des
sous-développés de la pensée du langage. Et ce sous-développement de la pensée est aussi un
sous-développement de la société. Le fait qu’on n’en ait pas conscience le confirme et
l’aggrave ». (Meschonnic, 2001 : 9-10)

34
Université du Maine/ INRP novembre 2002 « La littérature de jeunesse à l’école entre didactique de la lecture
et apprentissages culturels »
35
Détail des réponses des élèves en annexe 8 p. 83

66
Bibliographie

Ouvrages de référence

Bachelard, G. (1985), La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 192 p. (coll. « Folio essais »)
Bachelard, G. (1989), L’eau et les rêves, Paris, José Corti, 268 p.
Bachelard, G. (1992), L’air et les songes, Paris, Le livre de poche, (coll. Biblio essais).
Bachelard, G. (1998), La poétique de la rêverie, Paris, Puf, 192 p.
Briolet, D. (1995), Lire la poésie française du XXème siècle, Paris, Dunod, 269p.
Campa, L. (1998), La poétique de la poésie, Paris : Sedes, 191 p., (coll. « Campus Lettres »)
Collectif, (2000), Enseigner la littérature, Paris : Delagrave,Toulouse : CRDP Midi-Pyrénées,
316 p.
Ceysson, P. (1996), Etude d’une production littéraire, la poésie pour l’enfance et la jeunesse
en France de 1970 à 1995, thèse de doctorat sous la direction de J.Y. Debreuille, Université
Lumière Lyon 2.
Dessons, G. (1997), Introduction à l’analyse du poème, Paris, Nathan, 155 p. (coll. « Lettres
Sup »)
Eco, U. (1993), Lector in fabula, Paris, Livre de poche, (coll. « Biblio/essais »)
Genette, G. (1982), Palimpsestes, Paris : Seuil, 574 p. (coll. « Points »)
Giasson, J. (1990), La compréhension en lecture, Montréal, Gaëtan Morin Editeur Itée.
Jakobson, R. (1977), Huit questions de poétique, Paris, Seuil, coll. «Points », 190 p.
Jauss, H.R. (1978), Pour une esthétique de la réception, Paris : Gallimard, 327 p. (coll.
« Tel »)
Jean, G. (1989), A l’école de la poésie, Paris, Retz, 189 p.
Men-Desco, (2002), Documents d’application des programmes, littérature cycle 3, Paris :
CNDP, 64 p.
Meschonnic, H. (2001), Célébration de la poésie, Paris, Verdier, 266 p.
Mounin, G. (1992), Sept poètes et le langage, Paris, Gallimard, 186 p. (coll. Tel).
Poslaniec, C. (dir) (1994), Comportement de lecteur d’enfants du CM2», Paris, INRP,
204 p.
Poslaniec, C. (dir) (2002), Réception de la littérature de jeunesse par les jeunes, Paris, INRP,
201 p.
Poslaniec, C. (2003), Pratique de la littérature de jeunesse à l’école, Paris, Hachette, 271 p.
(coll. « Pédagogie pratique à l’école »).
Robine, N. (2000), Lire des livres en France des années 1930 à 2000, Paris, Cercle de la
librairie, 264 p. (coll. « Bibliothèques »)
Roubaud, J. (1990), Soleil du Soleil, le sonnet français de Marot à Malherbe , Paris, POL,
432 p.
Stevenson, C. L. (1992), « Qu’est-ce qu’un poème ? », in Esthétique et Poétique, textes
réunis et présentés par G. Genette, Paris, Seuil, 245 p. (coll. « Points »).
Turiel, F., 1998, L’analyse littéraire de la poésie , Paris, Armand Colin, 96p.

67
Valéry, P. (1957), Propos sur la poésie, in Variété, Oeuvres 1, Paris, Gallimard, (coll.
« Bibliothèque de la Pléiade »).

Articles et revues de référence


Carton, M. ; Roiné, C (2003), « L’impossible », in Cahiers pédagogiques, n°417 ‘’poésie
poésies’’, octobre 2003
Debreuille, J.Y. (2002), « La question du recueil en poésie contemporaine » in Cahiers
Robinson n° 11 ‘’ La poésie de l’école’’ 231 p.
Deguy, M. (2001), « La poésie sortie du lit », in Zigzag poésie, revue Autrement n° 203,
avril 2001, 302 p.
Gleize, J.M. (2001), « Nous n’irons plus au bois… », in Zigzag poésie , revue Autrement n°
203, avril 2001, 302 p.
Jean, G. ( 1973) « La langue dans tous ses états », préface à la revue Poésie 1 n° 28-29
‘’ L’enfant la poésie’’.
Joquel, P. (1997), « Questions à Patrick Joquel, poète pédagogue » in L’Education Enfantine,
n° 1 septembre 1977.
Siméon, J.P. (2001), « Formes et mouvements : l’effervescence » in Zigzag poésie, revue
Autrement n° 203, avril 2001, 302 p.
Siméon, J.P. (2002), « Il faut créer un lien intime entre l’enfant et la poésie », Entretien avec
Anne Popet, J.D.I. n° 2, octobre 2002

Sites Internet consultés


- Site de l’Institut Charles PERRAULT : http://www.univ-paris13.fr/sitecp
- site sur la recherche en littérature : http://www.fabula.org/
- http://membres.lycos.fr/mirra/
- http://ecrits-vains.com
- site officiel Ministère de la Culture : http://www.portail.culture.fr/sdx/pic/culture/
- cours sur la versification : http://www.cegep-baie-comeau.qc.ca/francais/Litt_imaginaire/
- http://www.ricochet-jeunes.org
- http://www.lire.fr
- recherches sur la poésie contemporaine :
http://www.univ-paris3.fr/recherche/sites/edlfc/fre2332/poesie.html
- centre ressources littérature de jeunesse : http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque
- Alain Boudet : http://perso.club-internet.fr/boudully
- http://www.colline.fr
- http://www.ia84.ac-aix-marseille.fr/ (travail du groupe « littérature de jeunesse » du
département du Vaucluse)

68
Annexes
Annexe 1

questionnaire aux enseignants (trois enseignants ayant emprunté des ouvrages de


poésie de la liste, à l’exclusion des trois recueils qui font l’objet du travail sur la réception,
mais aussi les quatre enseignants des élèves interrogés à l’exclusion alors des questions 9 et
10 simplement pour des recoupements éventuels avec les réponses de leurs élèves)
Dans l’exploitation du questionnaire, ces maîtres seront désignés M1 à M7.

1) Comment définiriez-vous votre objectif principal en poésie avec vos élèves ?

2) Comment choisissez-vous les œuvres que vous proposez aux élèves ? (relever les
critères énoncés ; notamment savoir si des ouvrages complets sont proposés, ou
exclusivement des textes isolés, ou les deux ; relever un souci éventuel concernant
nombre et nature des supports)

3) Quelle(s) proposition(s) faites-vous aux élèves à partir de la poésie ?

4) Considérez-vous qu’il est important que les enfants lisent de la poésie ? Pourquoi ?

5) S’il y a une bibliothèque de classe : contient-elle des ouvrages de poésie (lesquels) ?

6) Quelles sont, à votre avis, les caractéristiques des supports poétiques susceptibles de
plaire à vos élèves ?

7) Pouvez-vous citer un titre d’ouvrage poétique dans une édition destinée à la jeunesse
qui vous a plu, ou particulièrement frappé ?

8) Même question sur les ouvrages de la catégorie « poésie » de la liste de référence pour
le cycle III.

9) Vous avez emprunté « … » qui figure sur la liste de référence. Pourquoi ?

10) Vous n’avez emprunté aucun des trois ouvrages suivants : La Clarisse, Un homme
sans manteau, Les animaux de tout le monde. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

11) Lisez-vous des ouvrages de poésie pour vous-même ? Si oui, lesquels ? Sinon,
pourquoi pas ?

12) Considérez-vous qu’il est important que les adultes lisent de la poésie ? Pourquoi ?

13) Quel est votre poète préféré ?

Annexe 2

69
Premier questionnaire aux élèves36
Conditions : en individuel, dans une salle libre de l’école ; les entretiens seront tous
enregistrés.
Accueil des enfants : présentations réciproques, puis l’enquêteuse explique que dans le cadre
universitaire, elle s’intéresse à la façon dont les enfants lisent les livres qui leur sont destinés.
(Ne pas utiliser le mot « poésie »)
Sortir alors le livre concerné et le poser sur la table en disant : « Tiens, j’ai apporté ça !» et
noter toutes les réactions de l’élève ; lui laisser le temps d’épuiser son premier contact
spontané avec le livre (environ 10 mn), et lui préciser : « Tu fais ce que tu veux avec. Dans
une dizaine de minutes, nous discuterons ensemble. » Noter toutes les manipulations et
remarques.

A Connaissances générales sur les ouvrages de poésie

1. Peux-tu me dire quelque chose sur ce livre ?


2. Comment appelles-tu ce genre de livre ?
3. Est-ce que ce livre te rappelle quelque chose ? Te fait penser à quelque chose ?
4. Connais-tu l’auteur ? L’illustrateur ? L’éditeur ? La collection ?
5. Connais-tu des livres qui ressemblent à celui-ci ?

B Pratiques

1. As-tu déjà lu des ouvrages de poésie ?


2. Si oui, où les as-tu trouvés ?
3. Quels sont les poètes que tu connais ?
4. Pourrais-tu dire le nom du poète que tu préfères ? (Faire préciser aussi quelle
œuvre)
5. Essaie d’expliquer pourquoi.

C Représentations

1. Est-ce que tu dirais que tu aimes lire de la poésie ?


2. Est-ce que tu crois que ça sert à quelque chose de lire de la poésie ?
3. Si oui : à quoi ?
4. Sinon : pourquoi ?
5. Comment expliquerais-tu ce qu’est la poésie ?

D Environnement familial et scolaire

1. Est-ce qu’il y a des gens qui lisent de la poésie autour de toi ? (Si oui, faire préciser
qui, et quelles lectures)
2. Y a-t-il des livres de poésie chez toi (si oui, faire préciser combien de
3. Est-ce qu’on vous présente des livres de poésie à l’école ? (Faire préciser : qui,
comment, quoi, …)
4. Est-ce qu’on lit souvent des poésies à l’école ? Comment cela se passe-t-il ?

36
Nous avons largement utilisé pour ces questionnaires, le travail du groupe de recherche :
Poslaniec, C. (dir) (2002), Réception de la littérature de jeunesse par les jeunes , Paris, INRP, 201 p.

70
5. Y a-t-il des livres de poésie dans la BCD de l’école ? Dans la bibliothèque de la
classe ? Lesquels ?

6. Ecris-tu de la poésie en classe ou chez toi ? (Si oui faire préciser la démarche suivie,
notamment s’il y a lien avec l’œuvre d’un auteur).

A l’issue de l’entretien, demander à l’élève s’il accepte d’emporter ce livre pour le lire,
préciser la date à laquelle nous nous retrouverons pour parler de cette lecture.

Deuxième questionnaire aux élèves (à une semaine d’intervalle)

A Questions générales

1. Que penses-tu de ce livre ?


2. Est-ce que tu as tout lu ? Comment t’y es-tu pris pour le lire ?
3. Que penses-tu de la façon dont c’est écrit ? L’as-tu trouvé difficile à lire ? (si oui,
faire préciser : qu’est-ce que tu as trouvé difficile ?)
4. Est-ce que tu as retrouvé dans ce livre des choses que tu as déjà ressenties ?
5. Peux-tu expliquer ce que tu comprends de ce livre ?
6. Y a-t-il des choses qui t’on étonné sachant que c’est un livre de poésie ?
7. Comment définirais-tu ce que tu trouves poétique dans ce livre ?
8. Est-ce que ce livre t’a fait réfléchir sur ce qu’est la poésie ?
9. Que penses-tu des illustrations ? A ton avis, est-ce qu’elles apportent quelque
chose de plus au texte ? Quoi ?
10. A ton avis, ce livre s’adresse à un lecteur de quel âge ? Peux-tu expliquer pourquoi
tu choisis cet âge là ?

B Questions spécifiques à chaque ouvrage

La Clarisse
1. Comment expliques-tu ce titre La Clarisse ? (ou plus précisément, comment peut-
on expliquer que l’auteur ait placé un déterminant devant un nom propre dans le
titre ?) Que penses-tu, toi, de cette petite fille ?
2. Comment expliques-tu les termes « Poème scénario, images et montage » que l’on
trouve sur la page de garde ?
3. Comment définirais-tu dans quel milieu vit Clarisse ? Qu’est-ce qui te permet de le
dire ?
4. Est-ce qu’il y a des moments où tu as eu l’impression de ne pas comprendre le
texte ? Peux-tu me donner un exemple ? (si réponse négative, ou absence de
réponse, on proposera la page 35 : y a-t-il des choses que tu ne comprends pas
dans ce texte ?
5. Nous allons regarder la page 23. Qu’en penses-tu. Est-ce que cela te fait penser à
d’autres extraits du livre ? En quoi ?

Un homme sans manteau

1. Y a t’il un texte, ou un extrait, que tu as préféré ? Lequel ? Peux-tu dire pourquoi ?


2. A ton avis, est-ce que l’auteur veut dire quelque chose dans cet ouvrage ? A qui ?
As-tu remarqué quelque chose de particulier dans la façon dont il s’y prend ?

71
3. Comment expliques-tu que certains vers sont écrits en couleur ? Est-ce que cela t’a
amené à lire différemment ce livre ?
4. (en montrant l’épigraphe) As-tu remarqué au début du livre ce vers du poète Y.
Bonnefoy ? Est-ce qu’il te fait penser à quelque chose dans le livre ?

Les animaux de tout le monde

1. Est-ce que ce livre t’a fait penser à d’autres poésies, ou à d’autres poètes que tu
connais déjà ? Lesquels ?
2. A ton avis, qu’est-ce que l’auteur a cherché à faire dans cet ouvrage ? Comment
« fonctionnent » ces textes ?
3. Y a-t’il un texte que tu as préféré ? Peux-tu dire pourquoi ?
4. As-tu lu « Lettre de l’auteur au hérisson » p. 82 ? Si oui : Selon toi, à quoi sert ce
texte ? Sinon : Pourquoi ?

72
Annexe 3

Diagramme de Charles L. Stevenson


d’après Stevenson, C. L. (1992) « Qu’est-ce qu’un poème ? » in Esthétique et Poétique ,
textes réunis et présentés par Gérard Genette, Paris, Seuil, 245 p. (coll. Points)

A B C D E F

Aspect « purement sensoriel »


Colonne A : rythme régulier « Si elles sont plus larges que les autres colonnes, c’est afin d’indiquer que les propriétés
Colonne B : rimes } correspondantes sont particulièrement importantes pour la signification du terme « poème»»
Colonne C : structure phonique } « pure sonorité des mots ; lire les mots à voix haute et avec une inflexion stylisée »
Colonne D : typographie

Aspect « sémantique »
Colonne E : sujet }«ceux qui sont les corrélats objectifs d’émotions puissantes ou ceux qui ont une action particulièrement
vivifiante sur l’imagination »
Colonne F : figures de rhétorique « sa signification doit résulter d’une exploration des nuances de la langue, menée à
l’aide de métaphores et d’autres expressions figurées »

73
Annexe 4

Place du narrateur dans La Clarisse

L’Orangina, les bonbons, les glaces et le chocolat pâtissier que l’on avait réservé pour un
gâteau. (6)
Maintenant, on va manger quoi à cause d’elle ? (8)
On la dévore du regard, personne ne l’aime, … (8)
On n’est jamais tous alignés la face plate et le dos au mur à attendre que la vie se remplisse
toute seule. (9)
Elle a aussi ouvert le gaz, tout comme elle a plongé deux aller retour dans le flan en plein
milieu, en sachant très bien qu’on saurait que c’est elle. (10)
Ensuite on répand le jus noir dans le jardin. (12)
…et puis les jours suivants toute cette merde se mêle aux conversations ordinaires, comme un
mal de plus auquel on s’est habitué. … Le soir sa mère a mal aux reins, la vie est dure, on ne
parle pas, le visage dans la soupe ; il faudrait pourtant vidanger tout ce que l’on a dans le
ventre… (13)
Pendant les vacances on lui donne des clous à redresser dans l’atelier. (15)
Des forains l’appellent et elle vient avec le porte-monnaie rempli, des enfants crient et elle
croit qu’on l’invite sur les autos tamponneuses … (17)
Encore un jour nu pour désherber tout le chagrin accroché en façade, enlever le lierre courant
dans les veines, avec au fond de soi plus rien pour nous relier aux autres. (18)
« Oh oui, on t’attend », a ajouté un vieux routier accoudé au comptoir. (22)
Les concours de femme parfaite, elle n’en a rien à faire, Clarisse travaille pour la postérité et
elle est certaine que de son gâteau, on s’en souviendra longtemps ! (25)
On trouve du pain, des restes de crevettes, de la salade, des épluchures, des bonnes choses
pour nourrir trois cochons de banlieue. (26)
On envisage par exemple de dépêcher, le week-end et les soirs de fête, un enfant de la maison
pour en quelque sorte prévenir leur violence. … « Il faut leur foncer dans le lard et qu’on n’en
parle plus » ! … Avec toutes ses promenades et ses projets on la soupçonne d’être un peu
amoureuse. (27)
Le coq : « Tant que nous aurons des plumes sur le dos, on se fera plumer ! » (29)
… et un beau jour tout ça s’est éteint, la musique a cessé, on a enlevé tout ce qui nous prenait
à la gorge, on a bifurqué, la voiture à l’abandon, ouverte à tous. On a continué le reste du
chemin, … (33)
Elle se propose le lendemain comme caissière auprès de ses anciennes concurrentes, on se
l’arrache, … (36)

74
Annexe 5

Un homme sans manteau

Les choix énonciatifs

Partie « L’obscur » du recueil Partie « Le clair » du recueil


je J’avais ouvert à deux battants/je Je vous jure
jouais par terre dans la chambre/avec J’étais plus jeune que moi-même (30)
mes rêves/comme un Mon ami (32)
enfant/j’attendais tout de la lumière/le J’ouvre la porte
rien de l’air, cela me suffisait Et ce visage/qui me fait face
J’ai ramassé/ ces pierres une à une/et Voilà la forme de ma joie/ma joie et
je les ai regardées jusqu’au soir/sans ma douleur/sont celles de tous les
comprendre (9) hommes (33)
Je connais ça (14) Je sais aussi/une ombre/aux mains
Je n’ai peur de personne/que de mon douces (34)
visage/disait l’ enfant (15) Quand je serai très vieux(…)/j’irai
Je sais tous les noms de la mort (16) comme un ivrogne/me tenant au mur
Je ne sais plus (19) défait/de la mémoire/et cette ivresse
Je n’ai pas appris la patience/et ne en moi (35)
suis pas plus sage/ Je t’attendrai
Je ne m’arrête que pour un regard Je t’attendrai/ma peine/et j’attendrai
L’épaule que j’aime/est ma (36)
liberté/j’habite le chant des Je crois bien que /la nuit respire
hommes/comme l’abeille/les mieux/dans mes bras clos (39)
chambres de l’été (22) Je sais (41)
Je sais aussi /qu’on ne guérit pas/du Quand je dis
malheur des choses (23) Quand je parle
Quand je nomme
Je me comprends (43)
tu C’est contre toi qu’on meurt/mon Pour te nommer
enfant doux (10) La joie/qui t’oubliera (36)
Rien ne s’efface, ma songeuse/quand Qui te dira/mon fils/comment nourrir
d’un geste neuf tu me désignes/les ton geste
régions du soleil (16) Cette colère/en toi qui monte (40)
Au-delà de tes yeux
Et je prends ton soupir pour la fleur/et
ton épaule … (16)
Son malheur/le sais-tu/a aussi ton
visage (20)
nous Nous avons les yeux secs/et nos Avançons/nous n’avons/rien perdu de
doigts sont pleins de larmes ce/qui nous fait grandir
Qui nous regarde/sans yeux ? Avançons encore(29, 30)
Sur l’autre versant des heures/chaque Un baiser pour nos lèvres

75
nuit nous ressemble (11) Et pour nos gestes gourds
C’est ce silence/ en nous Pour briser la vitre
Le secret/de nos vies (12) Qui nous sépare (31)
L’œuvre de nos mains (13) Ruisseau volé à notre soif
Combien nous avons /pensé, mon Quand elle est notre deuil/notre hiver
amour, /à la limpidité des heures (17) invivable
Comme font /nos lèvres/disait la Il faudra/que nos mains la traversent
femme/aimante (18) (32)
Où grandissait pour nous/la nuit de Dans nos rêves
son mystère Et rapporte à nos pieds
Pour que vienne/à nos mains/la La peur/que le matin nous oublie
blancheur de l’oubli (21) Laquelle à nos silences fiancée ? (34)
La chaleur des hommes/qui nous
revient
Attendre que la nuit/nous fasse/notre
place (38)
Que nos enfants
Que nous faisons
Le long poème du monde/dont nous
sommes chacun/la douceur et la rime
(41)
Tout ce qui est bon pour nous, ses
amis (42)
vous Elle/vous attend /au tournant/vous
attrape/au passage/pour vous garder
(14)
Dites, quel enfant peut parler ainsi
(15)
on On peut avoir une rue contre soi (14) Dans le désert/on ne discute pas/des
Maintenant leurs lèvres ont des raisons de la source (31)
silences/devant lesquels on Et qu’on versera (37)
marche/jusqu’à l’usure (17)
On dirait qu’il porte (20)

76
Annexe 6

Figures d’analogie dans Un homme sans manteau

Métaphorisés Métaphorisants
Personne
humaine
je je jouais (…) /avec mes rêves/comme un enfant
je ne suis pas plus sage/qu’un vent gourmand/des oiseaux du ciel (p. 22)
j’ j’habite le chant des hommes/comme l’abeille/les chambres de l’été (p.
22)
un doigt un doigt de cendres (p. 13)
soupir je prends ton soupir pour la fleur (p. 16)
épaule ton épaule me fait à sa façon/dans l’ombre (p 16)
lèvres maintenant leurs lèvres ont des silences (p. 17)
celui-là on dirait qu’il porte/ toutes les pierres toutes les ombres/de la ville (p.
20)
coeur son cœur est un jardin (p. 20)
l’énigme du cœur (p. 29)
questions les questions n’ont pas de visage/ne sont le pain de personne (p. 17)
poème le bruit clair d’un poème (p. 22)
visage comme un soleil (p. 33)
jardin (p. 43)
sourire la force et la faiblesse/du sourire (p. 40)
son sourire rajeunit le monde (p. 42)
geste nourrir ton geste (p. 40)
chacun la douceur et la rime (p. 41)
regard son regard le promet (p. 42)
Eléments naturels
et animaux
la lumière les grêlons de la lumière (p. 13)
le grain de la lumière (p. 21)
le rideau de la lumière (p. 33)
qui tient dans /une main d’homme (p. 37)
comme une eau de baptême (p. 37)
si peu/un rien/la blancheur des oliviers/dans l’arrière-pays de la mort
(p. 37)
le bleu du ciel qui juge désormais/l’œuvre de nos mains (p. 13)
vent la hauteur du vent (p. 15)
l’épaule du vent (p. 39)
vents la procession des vents (p .18)
vent vent gourmand/des oiseaux du ciel (p .22)

feuilles les feuilles sont vivantes/elles tremblent leurs travaux/sont modestes (p.
18)
étoiles les étoiles brûlaient (p. 19)
arbres la bonté des arbres (p. 29)

77
feu le feu mange l’ombre (p. 29)
nuit la nuit seule/vient lui lécher/les mains (p. 20)
soleil son soleil est aveugle (p.20)
la balle du soleil (p. 34)
l’air l’air levait/ pour lui/le grain de la lumière (p. 21)
l’air noir (p. 41)
source des raisons de la source (p. 31)
chien des chiens étranges/mordent les enfants au cœur (p. 10)
chiens les chiens mordent l’herbe (p. 17)
oiseaux ses oiseaux muets
oiseaux qui donnerait le vertige aux oiseaux (p. 37)
abeille usée par les heures
papillons les papillons du soir/font une neige lente (p. 39)
Objets
villes villes muettes (p. 10)
la ville s’oublie (p. 39)
rue une rue contre soi/elle/ vous attend au tournant/vous attrape au
passage/pour vous garder/dans son ombre/dans sa menace/ce genre de
rue/ est généralement très lâche/elle ne s’en prend qu’aux enfants seuls
(p. 14)
rues l’amas des rues
impasse l’œil blanc d’une impasse
ruines les ruines aussi ont leur rumeur (p. 16)
fontaines le regard brisé des fontaines (p. 43)

Temps et mots
abstraits
vie chacun avait jeté sa pierre (p. 9)
nuit chacun avait jeté sa pierre (p. 9)
nuit chaque nuit nous ressemble
nuit absence de lumière/entre les doigts
regard brûlé /d’un enfant
ruisseau volé à notre soif
elle est notre deuil/notre hiver invivable (p. 32)
les nuits en ruine (p. 36)
la nuit respire mieux (p. 39)
ses branches les plus douces (p. 42)
la nuit qui souffre (p. 43)
mémoire mur défait de la mémoire (p. 35)
mort tous les noms de la mort (p. 16)
mort la mort est une toupie (p. 17)
espace l’espace remue devant la porte (p. 16)
silence le désordre du silence
aux mailles du silence (p. 38)
chant l’énigme d’un chant pareil aux boucles des lilas
désir son désir un verger (p. 20)
malheur son malheur/le sais-tu/a aussi ton visage
les premiers gestes /du malheur (p. 41)
misère les graviers de la misère (p. 36)

78
mystère la nuit de son mystère (p. 21)
oubli pour que vienne à nos mains la blancheur de l’oubli (p. 21)
colère le vin de la colère (p. 29)
comme une aube et son poème (p. 40)
silence le silence roux des vignes vierges (p. 30)
le silence a son geste le plus clair (p. 42)
joie voilà la forme de ma joie (p. 33)
l’abîme de la joie (p. 40)
sommeil les feuilles du sommeil (p. 34)
la table ronde du sommeil (p. 43)
ombre une ombre parfois/joue avec le vent/et rapporte à nos pieds/la balle du
soleil
une ombre plus lourde encore
une ombre/ aux mains douces/qui a le visage/d’un ami disparu
laquelle est dure/laquelle est ronde/laquelle à nos silences fiancée ? (p.
34)
la doublure des ombres (p. 37)
l’ombre a tiré ses draps (p. 39)
une bougie d’ombres/dans la main (p. 43)
monde la peau du monde (p. 36)
le long poème du monde (p. 41)
jour près du livre des jours
heures y dorment les heures (p. 39)
songes la fraîcheur des songes (p. 40)
plaisir les pommes blanches du plaisir (p. 43)
patience verger (p. 43)

79
Annexe 7

Les animaux de tout le monde : références intertextuelles

Le paradoxe d'Achille et de la tortue

Voici très certainement l’un des événements historiques majeurs de l’Antiquité classique, épisode qui
depuis lors a fait couler l’encre des mathématiciens et philosophes. Heureusement, nous disposons
d’un témoin de marque en la personne de Zénon d’Elée qui, vers -465, en consigna le récit:

"Pour une raison maintenant oubliée dans les brumes du temps, une course avait été organisée entre
le héros Achille et une tortue. Le premier se déplaçant beaucoup plus vite que la seconde, celle-ci
démarra avec une certaine avance pour équilibrer les chances des deux concurrents. La première
chose à faire pour Achille fût de combler son retard en se rendant à l’endroit de départ de la tortue qui,
pendant ce laps de temps, s’était déplacée. Achille dut donc combler ce nouvel handicap alors que la
tortue, bien que d'une lenteur désespérante, continuait inexorablement sa route, créant ainsi un
handicap supplémentaire... Battu et furieux, Achille exigea une revanche mais rien n’y fit, ni la
longueur de la course, ni la vitesse de déplacement d’Achille. En effet, aussi petits que soient les
handicaps successifs créés par la tortue, Achille mettait toujours un certain temps pour combler
chacun d’entre eux et, malgré tous ses efforts, il ne put jamais rattraper la tortue!"

Dans le tableau ci-dessous, les textes de J. Roubaud ont été placés à droite, en regard
des références convoquées.

La main à la plume
Le lombric (p. 11)
(Conseils à un jeune poète de douze ans)
J'écrirai des poèmes
sur le lait le beurre la crème Dans la nuit parfumée aux herbes de Provence,
j'écrirai des odes en vers heptasyllabiques le lombric se réveille et bâille sous le sol,
sur les vaches les brebis les biques étirant ses anneaux au sein des mottes molles
j'écrirai des myriades de myriades de sonnets il les mâche,digère et fore avec conscience.
sur le vent qui couche les lourds épis de blé
j'écrirai des chansons Il travaille, il laboure en vrai lombric de France
sur les mouches et les charançons comme, avant lui, ses père et grand-père ; son rôle,
j'écrirai des sextines il le connaît. Il meurt. La terre prend l’obole
sur les fonds de jardin où se mussent les latrines de son corps. Aérée, elle reprend confiance.
j'écrirai des phrases obscures
sur l'agriculture Le poète, vois-tu, est comme un ver de terre
j'utiliserai des métonymies et des métaphores il laboure les mots, qui sont comme un grand champ
pour parler de la vie des porcs et de leur mort où les hommes récoltent les denrées langagières ;
j'utiliserai l'assonance et la rime
pour parler des prés, de la forêt, de la campagne mais la terre s’épuise à l’effort incessant !
j'écrirai des poèmes sans le pöete lombric et l’air qu’il lui apporte
la main sur la charrue du vocabulaire le monde étoufferait sous les paroles mortes.
Raymond Queneau
Battre la campagne, 1968
Odile Le crocodile (p. 45)

Odile rêve au bord de l'île, Le crocodile na qu’une idée

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Lorsqu'un crocodile surgit; il voudrait dévorer Odile
Odile a peur du crocodile qui habite près de son domicile
Et lui évitant un "ci-gît", elle est tendre et dodue à souhait
Le crocodile croque Odile.
Le crocodile est obsédé
« Ça devrait pas être difficile,
Caï raconte ce roman, pense-t-il, d’attraper cette fille »
Mais sans doute Caï l'invente, (il emploie la méthode Coué)
Odile alors serait vivante
Et, dans ce cas, Caï ment. Mais Odile qui n’est pas sotte
ne s’approche pas de la flotte
Un autre ami d'Odile, Alligue, elle se promène sur la grève
Pour faire croire à cette mort,
Se démène, paye et intrigue, mangeant des beignets de banane au mil
D'aucuns disent qu'Alligue a tort. et c’est seulement dans ses rêves
que le crocodile croque Odile.
Jean Cocteau, le Potomak

Le pélican Le pélican de Jonathan (p. 58)

Le capitaine Jonathan Le capitaine Jonathan


Etant âgé de dix-huit ans revenant d’Extrême-Orient
Capture un jour un pélican prend avec lui son pélican
Dans une île d'Extrême-Orient. pour le montrer au docteur Lacan
Le pélican de Jonathan,
Au matin, pond un ouf tout blanc « Voici, dit-il, un pélican.
Et il en sort un pélican Il pond, voilà, un œuf tout blanc
Lui ressemblant étonnamment. d’où sort un autre pélican
vous l’avouerez, très ressemblant. »
Et ce deuxième pélican
Pond à son tour un ouf tout blanc « Bon, je mets ces deux pélicans
D'où sort, inévitablement
Un autre qui en fait autant.
ici, l’un à côté de l’autre
je voudrais savoir maintenant
Cela peut durer pendant très longtemps lequel des deux est le Grand Autre ?
Si l'on ne fait pas d'omelette avant.
« Aucun, dit le docteur Lacan,
Robert DESNOS c’est Mille Francs. »

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Sonnet en x Poème en x pour le lynx (p. 62)

Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,


L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Dans les Rocheuses vit le lynx
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore
à l’œil brillant comme un silex
couleur de porcelaine de Saxe
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx énigmatique plus qu’un sphinx
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser ses pleurs au Styx parfois grondant en son larynx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.) il miaule et quoique loin de Sfax
fauche la chèvre qui fait « bêêx »
Mais proche la croisée au nord vacante, un or au berger qui joue du syrinx
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,
Pour fêter ça il boit sans toux
Elle, défunte nue en le miroir, encor de la blanquette de Limoux
Que, dans l'oubli formé par le cadre, se fixe dans les Rocheuses c’est du luxe
De scintillations sitôt le septuor.
puis ronronnant et les yeux fixes
Stéphane MALLARMÉ Poésies regarde à sa télé Tom Mix
dans un western couleur « deLuxe ».
"J'extrais ce sonnet, auquel j'avais une fois songé, d'une étude projetée sur la parole : il est inverse,
je veux dire que le sens, s'il en a un (mais je me consolerais du contraire grâce à la dose de poésie
qu'il renferme, ce me semble) est évoqué par un mirage interne des mots mêmes. En se laissant aller
à le murmurer plusieurs fois on éprouve une sensation assez cabalistique. C'est confesser qu'il est
peu "plastique" comme tu me le demandes, mais au moins est-ce aussi "blanc et noir" que possible, et
il me semble se prêter à une eau-forte pleine de rêve et de vide."

S. Mallarmé Lettre à Henry Cazalis (Juillet 1868)

La coccinelle (p. 79)


La coccinelle

http://romantis.citeweb.net/Victor Quand une coccinelle


hugo/html/hugo.htmlElle me dit : Quelque chose se pose dans le cou
Me tourmente. Et j'aperçus dans le cou d’une belle
Son cou de neige, et, dessus, ça veut dire voyez-vous
Un petit insecte rose.
J'aurais dû, -mais, sage ou fou, qu’un baiser vous attend
À seize ans on est farouche, -
Voir le baiser sur sa bouche qu’il faut prendre très vite
Plus que l'insecte à son cou. ce qui arrive ensuite ?
On eût dit un coquillage ; eh bien cela dépend
Dos rose et taché de noir. (c’est à Victor Hugo
Les fauvettes pour nous voir
Se penchaient dans le feuillage.
que nous devons ce conseil)
Sa bouche fraîche était là ;
Je me courbais sur la belle, mais si la coccinelle
Et je pris la coccinelle ; arrive de Glasgow
Mais le baiser s'envola. elle porte (c’est très beau)
- Fils, apprends comme on me nomme,
Dit l'insecte du ciel bleu,
Les bêtes sont au bon Dieu, son tartan sur le dos
Mais la bêtise est à l'homme il faut prendre une photo
et oublier la belle
Victor HUGO, Les contemplations (I, 15). (ça c’est moi qui vous le dis)

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Annexe 8

Réponses des élèves à la question : « Est-ce que tu crois que ça sert à quelque chose de
lire de la poésie ? »
A cette question, les enfants répondent oui, à une exception près, et pour quelques uns
avec des nuances (Coline « Pour des gens qui sont passionnés oui, ça leur fait plaisir. »).
Mais leurs réponses indiquent nettement qu’ils se situent en tant qu’élèves, souhaitant
clarifier le contrat didactique concernant l’usage de la poésie à l’école. Pour eux, à n’en
pas douter, il y a des apprentissages à la clé, qui ressortissent à différents domaines :

o mnémotechnique, le plus souvent sans dimension de transmission culturelle


(simplement pour le travail de la mémoire) : Jordan « Ça sert à nous faire retenir
des textes. » ; Fabeille « A apprendre des textes, c’est pour avoir de la mémoire. »
Fabien « et ça sert à avoir de la mémoire parce qu’il faut s’en rappeler pour
pouvoir les réciter. » Rémi « Ben d’un côté ça enrichit la mémoire quand on en
apprend à l’école ».

o lexical : Claire « Ça aide à apprendre du vocabulaire, dans les textes poétiques,


c’est pas le mêmes mots, c’est des mots d’avant. » ; Anaïs « A apprendre des mots,
des nouvelles expressions. » Amandine « On peut apprendre des mots, peut-être
des sens, des définitions, quelque chose qu’on connaissait pas. »

o technique : Fabien « et puis ça apprend à savoir utiliser les rimes » ; Bastien « tu


lis des belles choses, tu peux t’en inspirer pour faire des rimes »

o culturel : Mathias « à connaître des nouveaux poètes » ; Anaïs « à découvrir des


poètes, des thèmes différents ».

o moral : Laïla « Des fois c’est intéressant, la morale, elle dit toujours la vérité. »
Dimitri « Parce que dans certains, y’a la morale à la fin de l’histoire et ça
t’apprend c’qui faut faire et pas faire, comme dans ‘La colombe et la fourmi’. »

o émotionnel : Mathilde « A s’faire plaisir ! » ; Blandine « Si ce n’est à s’faire


plaisir, y’a aucun intérêt pour moi. » ; Emmy « à exprimer c’qu’on ressent, on
ressent comme l’auteur ».

o divertissement : Rémi « Des fois, elles sont marrantes, t’as envie de les lire, même
sans obligation ! » Claire « et aussi à nous distraire. »

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