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ARBRES ET BOIS «SACRES»

DANS LE MONDE CELTIQUE ET GALLO-ROMAIN.


APPROCHE TAXINOMIQUE

THIERRY LUGINBÛHL
Université de Lausanne

Moins bien connus que leurs équivalents grecs, romains ou germa-


niques, les arbres et les bois «sacrés» celtiques peuvent néanmoins
être étudiés en croisant différentes catégories de données litté-
raires et archéologiques. Malgré leur hétérogénéité et leur carac-
tère lacunaire, ces données penjnettent de caractériser et d'illustrer
plus d'une douzaine de formes de sacralisation d'un arbre et six
d'un espace boisé, qui trouvent pour la plupart des parallèles dans
les cultures méditerranéennes et nordiques.

LES SOURCES

Les sources qui permettent d'étudier la perception religieuse des


arbres et de la forêt dans le monde celtique sont diverses, mais
extrêmement lacunaires, et sont principalement constituées de
50 THIERRY LUGINBUHL ARBRES ET BOIS «SACRES» '. I

brefs passages d'auteurs antiques (grecs et latins), de mythes rites et de lieux de culte similaires, par la fonction si «' nVsl
insulaires (irlandais et gallois) rédigés au début du Moyen Age, par la forme, à ceux des autres grands groupes européens,
de quelques documents épigraphiques d'époque romaine et notamment de leurs voisins italiques et germains. Comme
et de données archéologiques et archéobotaniques encore celles de ces derniers, les religions des populations celtiques
trop rares. Ces données ne suffisent pas pour proposer une présentaient différents niveaux - personnel, familial, régio-
restitution fiable des liens entre les arbres et la religion chez nal, national, supranational - et n'ont jamais constitué un
les Celtes, mais éclairent certains aspects de la question et ensemble unifié. Ces religions ont naturellement beaucoup
permettent des comparaisons avec d'autres cultures contem- évolué de l'âge du Bronze à la conquête romaine et sont
poraines (romaines et germaniques, notamment}. encore mal caractérisées pour les périodes anciennes. La reli-
gion des populations du second âge du Fer, mieux connue,
LES RELIGIONS CELTIQUES présente quant à elle différentes caractéristiques qui peuvent
être considérées comme des spécificités celtiques:
II peut être utile de rappeler que la notion de «celtique» est
avant tout linguistique et qu'elle désigne par extension les - Remplacement à la tête du panthéon du grand dieu
populations porteuses d'idiomes appartenant à cette famille tonnant Taranis (équivalent de Jupiter/Zeus), par un
de langues indo-européennes, ainsi que différentes cultures jeune dieu trifonctionnel, Lug, dont les attributions
protohistoriques, antiques et modernes. étaient à la fois spirituelle, guerrière et technique.
Les populations celtiques ont connu leur extension maxi-
male au nie siècle avant notre ère, durant lequel elles occu- - Importance du clergé druidique, hiérarchisé et intégré
paient une large part de l'Europe «tempérée», des îles à l'échelle de la Celtique, chargé de l'organisation des
Britanniques au Bas-Danube et même à la plaine anato- rites, de la justice, de l'orientation des aristocrates, de
lienne. Le domaine celtique se réduit dès le siècle suivant, l'enseignement, de la médecine, de la transmission des
sous la pression conjuguée des Romains, des Thraces et mythes (bardes) et de l'interprétation des signes (vates).
des Germains, et ne survivra plus durant le Moyen Age que
dans quelques régions inhospitalières de la façade atlantique - Absence (initiale) de représentation anthropomorphique
(ouest de l'Irlande, Pays de Galles, nord-ouest de l'Ecosse, des divinités. Art religieux symbolique et ésotérique.
Bretagne occidentale).
La religion des Celtes du second âge du Fer, ou période - Absence de temples au sens méditerranéen du terme
de La Tène (environ 450 à 30 av. J.-C), nous est connue par (construction considérée comme la demeure de la divi-
les catégories de sources évoquées ci-dessus, qui nous per- nité). Pratique des rites autour d'autels creux, au sein
mettent de la restituer comme une religion polythéiste indo- d'espaces sacrés souvent délimités par des palissades
européenne «normale», présentant des types de divinités, de et des fossés.
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- Pratique de sacrifices humains, dont l'importance a cer- image de Taxe du Monde, trait d'union entre les domaines
tainement été exagérée par les auteurs méditerranéens, céleste (les branches), terrestre (le tronc) et souterrain (les
mais qui sont néanmoins attestés par l'archéologie. racines)/ à l'instar du frêne Yggdrasil chez les Germains,
mais aussi comme une représentation de l'Univers dans son
Contrairement à ce qui a pu être écrit, la religion des Celtes ensemble. De par son renouveau saisonnier, l'arbre était éga-
n'était pas naturaliste, terme sans réelle signification scienti- lement considéré comme une image de la régénération per-
fique, même si elle intégrait des arbres et d'autres éléments pétuelle du Cosmos, jouant ainsi le double rôle d'Arbre des
naturels (sources, cours d'eau, marais/ montagnes/ grottes, Mondes et d'Arbre de Vie, connus dans un grand nombre de
animaux...), aussi bien dans ses croyances, que dans sa sym- cultures polythéistes.
bolique et ses rites. Nous verrons que les conceptions cel- Le bois était considéré par les Celtes irlandais comme le
tiques concernant les .arbres et la forêt ne différaient guère symbole de la sagesse et de la connaissance, tandis que les
de celles des peuples méditerranéens et germaniques, dans principales essences d'arbres étaient investies de symbo-
lesquelles l'arbre pouvait être tour à tour considéré comme lismes et de pouvoirs particuliers, mais aussi associées à des
une représentation de l'axe et des trois niveaux du monde/ lettres (de l'alphabet oghamique), des oiseaux, des couleurs
comme une image divine/ comme un symbole de vertu mo- et des mois déterminés.
rale ou physique et être à l'origine d'un lieu de culte ou de
récits mythologiques.

L'ARBRE DANS LES RELIGIONS CELTIQUES Arbres et religion en Irlande: exemples-types

La doctrine druidique interdisant de mettre par écrit ce qui Chêne Le chêne est le roi des arbres dans la
touchait à la religion, les Celtes continentaux n'ont pas laissé culture irlandaise, à la fois axe du monde
de sources littéraires concernant leurs croyances et l'archéo- et image de l'Univers et du pouvoir divin.
logie ne permet guère d'aborder un sujet aussi immatériel Ses branches entremêlées symbolisent les
que la conception de l'arbre par les populations gauloises. La différentes doctrines qui proviennent de
rédaction de leurs mythes nationaux par les moines irlandais la même source et tendent au même but.
du haut Moyen Age nous permet/ par contre, de mieux la Cet arbre était associé à la couleur noire, au
connaître pour le monde celtique insulaire, où l'arbre joue corbeau et à la lettre D (duir).
un rôle religieux et symbolique de première importance. Des
chercheurs comme M. Green/ C.-J. Guyonvarc'h, F. Leroux
et J.-P. Persigout (voir bibliographie) ont permis d'établir que
l'arbre était premièrement conçu en Irlande comme une
54 THIERRY LUGINBÙHL ARBRES ET BOIS «SACRES» S.'i

Hêtre Arbre de l'éloquence et des lettres, le hêtre Aussi important que le chêne pour les
permettait également de communiquer Celtes insulaires, le pommier était considé-
avec les ancêtres, dont les images étaient ré comme l'arbre de la connaissance, de la
déposées à son pied. Ses fruits servaient clairvoyance et de la magie. Cet arbre, dont
à nourrir les animaux et en faisaient un les fruits suppriment la faim, la soif et la ma-
symbole de prospérité. ladie, symbolisait l'Autre Monde, souvent
désigné sous le terme d'Ile des Pommiers
(Emain Ablach en irlandais, Enez Aballan en
Breton, Avallon en français). Le pommier
était également associé à l'érotisrne, aux
magiciennes et aux fées.

Frêne Le frêne était considéré comme le symbole Coudrier Des baguettes de coudrier (c'est-à-dire de
de la puissance, de la renaissance et de l'im- noisetier) étaient utilisées par les druides et
mortalité. Associé au vent, à la bécasse et à par les sorciers pour découvrir des points
la lettre N (nion), son bois était utilisé pour d'eau et lancer des incantations magiques.
tracer les oghams. Les prêtresses irlandaises
avaient l'habitude de prophétiser à son pied.

If Considéré comme le plus ancien des Arbre associé au feu (il brûle très bien), à la
arbres, l'if était associé à la mort notam- magie et à la rapidité.
ment à cause de ses baies toxiques, que
les rois vaincus ingéraient pour se suicider.
Imputrescible, l'if était également tenu pour
le symbole de la résistance et était utilisé
dans des pratiques prophétiques, ainsi que
pour fabriquer lances et boucliers.
Dessins de D. Glauser.
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Les auteurs antiques, grecs et latins, nous livrent des infor- à qui il Ta donné. Ils pensent que la boisson tirée de cette plante
mations ponctuelles sur différents rôles joués par les arbres donne la fécondité à tout animal stérile et qu'il est un remède
contre tous les poisons. Tant on met de religion généralement
dans les religions celtiques. Le texte le plus célèbre est certai- dans des choses futiles.»
nement celui de Pline l'Ancien (voir infra], qui nous apprend Pline l'Ancien, Histoire naturelle, XVI, 249
que les druides avaient leurs sanctuaires dans les bois de
chênes et qu'ils n'accomplissaient aucun rite sans feuillage l.'épigraphîe gallo-romaine n'apporte également que peu
de cet arbre. Selon Pline, les druides croyaient que la pré- d'éléments sur la question des arbres, à l'exception d'anthro-
sence du gui révélait le caractère sacré («choisi par le dieu») ponymes attestant la conception d'un monde à trois niveaux
de l'arbre. Sa cueillette était hautement ritualisée. Après {tlumnofs?), bitu(os?), a!bio(s?))r proche de celle connue
avoir sacrifié deux taureaux blancs, un prêtre, vêtu d'une t ho/ les Irlandais et les Germains, et d'une petite série d'ins-
robe blanche, montait'dans l'arbre et coupait avec une fau- i liplions dédiées à des arbres ou à des groupes d'arbres,
cille d'or le gui, que l'on recueillait dans un drap immaculé. provenant des Pyrénées françaises. Consacrées à Robur (le
D'autres textes nous apprennent que des sacrifices humains «lime), Fagus (le hêtre), Abeilio (le pommier), Buxenus (le
étaient pratiqués sur des arbres et décrivent différents bois IMIK), ,iux Très et aux Sex Arbores, ces dédicaces pourraient
sacrés gaulois et bretons, commentés au chapitre suivanl. liit'.M-i supposer que des arbres étaient considérés comme
Ces sources ne donnent par contre que peu d'informations il»", divinités (GRIMAL dir. 1963, p. 7), mais il n'en est pro-
sur les conceptions religieuses et les pratiques cultuelles |M|I|I'INIMI| rien, comme nous le verrons en conclusion du
attachées aux arbres eux-mêmes. |Mt".i'Ml t hapitre.
I ci .ul>ies, et a fortiori leur conception, ne laissent que peu
«Les druides (...) n'ont rien de plus sacré que le gui et l'arbre tli- Ihu i". ai< héologiques, mais l'art de La Tène a développé
dans lequel il croît, s'il s'agit d'un chêne rouvre. Or c'est dôj.'t
pour lui-même qu'ils choisissent le rouvre pour leurs bois sacrés MM«.l\li l.iip.t'nient inspiré par le monde végétal (décors conti-
et ils n'accomplissent aucun acte sacré sans son feuillage (...), MIN - I ''Mi du vide»), qui indique sans le moindre doute
C'est un fait qu'ils pensent que tout ce qui pousse sur n". «MI itM|M>[|,uu e dans les conceptions religieuses gauloises et,
chênes est d'origine céleste et que c'est le signe que l'.irhir
|»!n» lrU|ii<iiH'Ml, < ellïques (voir PI. IV). Cet art «végétalisant»
a été choisi par le dieu lui-même. Il est tout à fait rare de imu
ver le gui dans ces conditions, quand c'est le cas il est recueilli Ml ntili n.|ii.' (Inclure à plusieurs niveaux) survivra jusqu'au
avec une grande vénération (...). Ils appellent le gui d.ins h-in Vr «t.MIS l'ouest des îles Britanniques et influencera
langue "celui qui guérit tout". Après avoir préparé au pird dr vikin^. Les représentations d'arbres sont
l'arbre et selon les rites le sacrifice et le repas religieux, il-, .imr
nent deux taureaux de couleur blanche dont les ccrnii-, -.nul
m's dans l'art laténien, à l'exception de
attachées pour la première fois. Un prêtre paré d'un vHrnu'iti iitin 1 M.mrhing (Bavière), une branche, en fait,
blanc monte sur l'arbre, avec une serpe d'or il coupe le p.nl il* l. |Mi rvotjuent celles du lierre (voir, par ex.,
celui-ci est recueilli dans un sayon blanc. Ensuite ils il
MM), l-lles y sont généralement rempla-
les victimes en priant le dieu de faire ce présent propic
|Mt i I (II
( ||-
ou de rameaux, qui apparaissent
58 THIERRY LUCINBÛHL ARBRES ET BOIS «SACRES» 59

Fig. 2.
Esus en bûcheron et le Taureau aux trois grues (figure mythologique)
devant un arbre. Pilier des Nautes de Paris.

Fig. 1.
La déesse Artio («Ourse»), une ourse et un arbre (Mûri, BE). La feuille dea Arduinna des Ardennes ou de la Diana Abnoba de la
conservée, délibérément représentée avec cinq lobes par le bronzier, Forêt Noire (voir infra).
semble être celle d'un érable, arbre symbolisant l'agressivité pour les
Des arbres apparaissent sur d'autres documents majeurs
Celtes irlandais.
de l'iconographie religieuse gallo-romaine, comme le pilier
des Nautes parisiens, sur lequel le dieu Esus apparaît en train
notamment sur plusieurs panneaux du célèbre chaudron d'élaguer un arbre dont l'essence est difficile à déterminer
cultuel en argent de Gundestrup (sud du Danemark). et où un arbre figure également derrière le Taureau aux trois
Différents documents iconographiques gallo-romains met- grues (Tarvos Trigaranos, voir fig. 2). Un arbre apparaît éga-
tent des arbres en scène, comme le petit groupe statuaire de lement derrière le Mercure très gaulois représenté sur une
la déesse Artio de Mûri (BE), constitué d'une déesse assise, coupe en argent de Lyon, où figurent également un corbeau
d'une ourse et d'un arbre qui semble pouvoir être identifié et un sanglier. Il s'agit certainement d'un chêne, désigné par
comme un érable (voir fig. 1 ). Cette divinité, également attes- la forme de son tronc et, surtout, par une boule de gui. Ce
tée en pays trévire ainsi que sur le limes germano-rhétique, document est à notre connaissance le seul qui permet de lier
semble devoir être considérée comme une divinité de la le «roi des arbres» au jeune souverain du panthéon gaulois,
forêt et de la faune, vraisemblablement assez proche de la Lug, associé à Mercure durant la période gallo-romaine. Des
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l'intégration des arbres dans les croyances populaires (gallo-)


romanes et attestent leur «vénération» bien au-delà du règne
de Charlemagne, qui promulgua en 802 un édit contre le
culte des pierres, des sources et des arbres. Malgré leur hos-
tilité envers les pratiques païennes, ces témoignages corro-
borent les sources antiques pour rejeter l'hypothèse d'une
réelle vénération des arbres, qui n'étaient pas plus considé-
rés comme des divinités dans les Gaules qu'en Grèce ou
à Rome. Les arbres n'étaient pas des dieux chez les Celtes
mais, nous le verrons, pouvaient en être l'image, la résidence
ou l'autel, servir de références symboliques, désigner un lieu
saint et être à l'origine d'un lieu de culte (voir infra).

ARBRES CULTUELS, BOIS SACRÉS ET FORÊTS DIVINISÉES

Les données littéraires, épigraphiques et archéologiques dis-


ponibles pour les domaines celtique et celto-romain permet-
Fig. 3. tent de distinguer au moins quatre formes d'intégration des
Culte privé à Taranis. Mosaïque de Vienne (Saint-Romain-en-Gal). La sta-
arbres dans des conceptions et des pratiques religieuses: les
tue du dieu, identifiable grâce à la roue qujil tient de la main gauche et
au foudre brandi de la main droite, est placée sur une colonne, derrière arbres autels, les arbres révérés, les bois sacrés et les divinités
l'autel, devant un arbre. tutélaires de massifs forestiers, auxquels des lieux de culte
étaient dédiés.

arbres sont par ailleurs fréquemment associes aux images de Arbres isolés
sacrifice ou d'offrande en plein air, dans l'iconographie des
provinces nord-occidentales. Il est possible que leur présence II est probable que les arbres aient été employés pour accro-
soit une simple convention graphique, pour indiquer qu'il cher et exposer des offrandes dans le monde celtique, jouant
s'agit d'une scène d'extérieur, mais il semble plus probable ainsi les rôles d'autel et de sacrarium, mais cette pratique n'a
que des arbres aient effectivement été souvent associés à jamais pu être observée archéologiquement et les sources
des lieux d'offrande (voir infra et fig. 3). littéraires ne la mentionne qu'à une seule occasion, dans le
La lutte des ecclésiastiques contre les survivances du paga- cadre de sacrifices humains: «Esus Mars est honoré de cette
nisme nous offre une dernière catégorie de témoignages sur façon : un homme est suspendu dans un arbre jusqu'à ce que
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ses membres se détachent» (Scholies bernoises à ia Pharsale noms ou des épiclèses animales (Mocco, le sanglier, pour
de Lucain, I, 445-446). L'exposition d'offrandes et de restes Mercure,-par ex.). Les dédicaces aux «trois arbres» et aux
de sacrifices est également attestée dans le monde germa- «six arbres» permettent cependant de penser que ces ins-
nique, avec des exemples célèbres comme les crânes des lé- criptions étaient associées à des arbres réels, qui paraissent
gionnaires de Varus cloués ou pendus aux arbres de la forêt ainsi avoir joué le rôle d'image divine naturelle, connu dans
du Teutoburg (Tacite; Annales, Livre 1, LX1), et trouve aussi de nombreuses religions, de la Rome antique à l'hindouisme
des occurrences dans les mythes gréco-romains (voir infra). contemporain (voir infra). Cette fonction est d'ailleurs attes-
Des arbres isolés pouvaient par ailleurs, nous l'avons vu, tée par un passage des Dissertations de Maxime dit «de Tyr»
être révérés (et non vénérés), pour des raisons qui semblent (VIII, Sur les images des dieux, 8) : « Les Celtes vouent un culte
avoir été variées. à Zeus, mais l'image celtique de Zeus est un chêne.»
Les chênes porteurs de gui mentionnés par Pline (voir L'archéologie, nous l'avons dit, n'apporte pour l'heure que
supra, p. 56-57) appartenaient à une essence particuliè- peu d'informations sur les pratiques associées à des arbres
rement importante sur le plan symbolique, mais n'étaient isolés, mais il est vraisemblable que les arbres représentés
honorés et fréquentés qu'à cause de la présence du gui, qui sur les scènes de sacrifice ou d'offrande gallo-romaines (voir
les désignait comme «choisis» par la divinité (Lug ou Taranis, fig. 3) aient été considérés comme sacri (appartenant à la divi-
probablement). Aucune prière et aucune offrande ne leur nité) et, peut-être, comme sanctf (inviolables). Il est par ailleurs
était probablement adressée, mais ils constituaient certaine- probable que certains petits enclos «vides» découverts dans
ment l'élément fort du cadre rituel (à l'instar d'un monument des lieux de culte aient à l'origine été construits autour d'un
construit) et étaient sans doute considérés comme «sacrés», arbre, comme cela semble être le cas, notamment, dans le
au sens du latin sac/7, c'est-à-dire appartenant à la divinité sanctuaire de l'Ouest, à Lousonna-Vidy.
(voir notamment SCHEID 2002, p. 24-25). Les mythes irlandais, encore trop peu étudiés sous un angle
Les inscriptions d'époque romaine dédiées à des «arbres» anthropologique, auraient certainement beaucoup à nous
^dans les Pyrénées (voir supra) sont plus difficiles à interpré- apprendre sur les différentes formes de sacralité attribuées par
ter. Retrouvées dans des sanctuaires, ces dédicaces pré- les Celtes à des arbres isolés. Nous savons par exemple que
sentent une formulation classique et désignent ces noms chaque province disposait de son propre Arbre des mondes,
d'arbres comme les destinataires de pratiques rituelles et, considéré comme une image de l'axe de l'Univers, à l'instar
donc, comme des divinités. Il est peu vraisemblable, nous de l'arbre sacré des Saxons, Irmensul, que Charlemagne fit
l'avons dit, que des arbres physiques aient été considérés abattre pour convertir ce peuple au christianisme. Certains
comme des dieux et il semble donc nettement plus probable de ces arbres-axes irlandais étaient des chênes, mais certains
qu'il s'agisse de divinités désignées sous des noms d'arbres appartenaient également à d'autres essences, comme l'If de
(Robur, Fagus, Abellio...), hypothèse d'autant plus probable Ross, considéré comme l'axe primordial de l'Ile et réputé
que plusieurs divinités gallo-romaines pouvaient porter des pour ses fruits de connaissance. Il est possible que ce type
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d'arbres «cosmiques» ait également existé en Gaule, mais probablement aménagés, il est très peu probable qu'ils aient
il ne sera probablement jamais possible de le démontrer. Il trouvé des adeptes prêts à rester vingt ans dans la forêt ou
en est de même des arbres à vœux, à souhaits, à rêves et à dans une caverne. Le texte de Pomponius comprime en
guérison, attestés dans les traditions populaires de régions fait des informations relatives à des périodes et des situa-
autrefois ce tiques. Il est par ailleurs probable que les Celtes tions différentes. Les vingt années sont certainement tirées
aient connu l'équivalent des dryades et des hamadryades de César (Guerre des Gaules, VI, 14) et concernent en fait
de la mythologie gréco-romaine, nymphes des bois identi- la durée d'une pleine formation druidique. L'enseignement
fiées à un arbre, naissant et mourrant avec lui. Nous savons dans les bois «retirés» est tiré de Lucain qui affirme même
que les Gaulois et les Gallo-romains vénéraient des fatae, à que les druides y habitent, tandis que les Scholies bernoises
l'origine des fées romanes dont certaines étaient liées à des à la Pharsale (I, 451) ajoutent qu'ils «étaient habitués à exer-
arbres ou des forêts, à. l'instar de .leurs consœurs Zauberinen cer la divination sous l'effet d'une ingestion de glands». Le
germaniques. caractère secret de l'enseignement et son déroulement dans
des grottes évoqués par Pomponius Mêla, quant à eux, sont
Bois sacrés probablement des topo/ plus récents, nés de l'interdiction
du druidisme (par Auguste, puis par Tibère) et partiellement
Les sources antiques relatives aux bois sacrés dans le do- contrée par une poursuite clandestine de certaines pratiques
maine celtique sont plus abondantes que celles concernant rituelles.
des arbres isolés, mais pâtissent d'une accentuation de leur La seconde catégorie comprend d'une part des ensembles
caractère morbide lié, une fois de plus, à la pratique des sa- boisés considérés comme naturellement sacrés et som-
crifices humains. Ces textes nous permettent de définir deux mairement aménagés pour le déroulement de pratiques
catégories de bois «sacrés»: les bois sanctuaires, où étaient rituelles, dont les sources classiques nous donnent quelques
pratiqués des rites et notamment des sacrifices, et les bois de exemples, et de l'autre des bosquets d'arbres ou de petits
réunion, où enseignaient les druides. Ces bois druidiques sont bois intégrés dans un lieu de culte, attestés par l'archéologie
mentionnés par plusieurs auteurs, dont Pline (voir p. 56-57), et la paléobotanique dans des sanctuaires gaulois et gallo-
Lucain (Pharsale, I, 455) et Pomponius Mêla (Chorographie, romains.
III, 2, 18-19). Ce dernier écrit notamment que les druides La plus longue et célèbre description d'un bois sacré cel-
«apprennent beaucoup de choses aux représentants de la tique se trouve dans la Pharsale de Lucain, à propos du siège
noblesse, dans le secret et sur de longues périodes, vingt ans, de Marseille par César. Rappelée ci-dessous presque inté-
soit dans une grotte, soit dans des bois retirés. L'un de leurs gralement, elle nous apprend qu'un bois sacré indigène de
enseignements (...) est que les âmes sont éternelles et qu'il l'arrrère-pays a été détruit par le dictateur pour ses travaux de
y a une autre vie chez les morts». S'il ne fait guère de doute circonvallation et nous offre une description très emphatique
que les druides aient enseigné dans des bois consacrés et et probablement en partie imaginaire de ce lieu de culte.
66 THIERRY LUG1NBÙHL ARBRES ET BOIS «SACRES» 67

Malgré son faible niveau de fiabilité, ce texte nous permet cette soudaine torpeur, il osa le premier brandir une hache (...)
de penser que ce bois, un vallon avec des sources proba- et fendre de son fer un chêne très haut. Que le fer fut enfoncé
dans le tronc violé, il déclara: " Désormais pour qu'aucun de
blement, était considéré comme la propriété et le lieu de vous n'hésite à abattre ce bois dites vous que c'est moi qui ai
séjour de divinités auxquelles des sacrifices, peut-être en commis le sacrilège. "»
partie humains/ étaient dédiés. Ce bois était sommairement Lucain, Pharsale, I, 399-452

aménagé avec des autels, des représentations divines sculp-


tées et, probablement, des sentiers. Sujet de légendes, il était Ce témoignage est complété par deux passages de Tacite
craint par les populations locales et faisait l'objet de cultes et Dion Cassius qui évoquent des bois sacrés en Bretagne
officiels/ réalisés par un prêtre. insulaire: le sanctuaire de Mona, sur l'île d'Anglesey (nord
du Pays de Galles), et celui d'Andrasta chez les Iceni de l'est
«Il y avait un bois sacré (tucus) qui depuis les temps les plus de l'Angleterre.
anciens n'avait jamais" été profané, entourant de ses branches
entrelacées les ténèbres et les ombres glacées, à l'écart des
Le premier nous apprend que le grand centre druidique
mouvements du soleil. Celui-là ce ne sont pas les Pans paysans de Mona était pourvu de bois sacrés dans lesquels étaient
ni les Sylvains maîtres des bois, ni même les Nymphes qui le pratiqués des sacrifices humains.
possèdent, mais ce que l'on a consacré aux dieux suivant des
rites barbares. Des autels y sont érigés sur des tertres sinistres « Paulinus Suetonius se prépare à attaquer l'île de Mona, île à la
et tout arbre y est purifié d'un sang humain. (...) Les oiseaux population nombreuse et réceptacle des rebelles. Il construisit
mêmes craignent de se poser sur ces branches et les bêtes sau- pour l'infanterie des navires à fond plat afin d'aborder une côte
vages d'y trouver un repaire. Le vent ne vient pas se coucher basse et incertaine. La cavalerie suivait à gué ou, dans les eaux
dans de tels bois, non plus la foudre faisant des nues obscures. plus profondes, à la nage.
Ces arbres qui ne présentent leur feuillage à aucune brise font L'armée ennemie était déployée sur le rivage: une foule dense
frissonner d'horreur. L'eau abondante s'écoule de noires fon- de guerriers armés et de femmes criant des imprécations, vêtues
taines; les sinistres simulacres des dieux manquent d'art et se de noir, comme des Furies, les cheveux en désordre, brandissant
dressent informes sur des troncs coupés. La pâleur même du des torches. Tout autour, les druides, les mains levées vers le
chêne pourri frappe d'épouvanté. (...) Déjà on disait que des ciel, lançaient des malédictions effrayantes, stupéfièrent les sol-
cavernes profondes mugissaient sous l'effet des tremblements dats par la nouveauté du spectacle; c'était comme s'ils avaient
de terre, que des ifs courbés se dressaient à nouveau, que des eu les membres paralysés; les corps immobiles s'offraient aux
incendies éclairaient des bois qui ne brûlaient pas, que des dra- blessures. Mais à l'appel de leur chef et s'exhortant eux-mêmes
gons enlaçant les chênes se répandaient en abondance. Les à ne pas trembler devant une troupe de femmes fanatisées, ils
populations ne s'en approchent plus pour pratiquer leur culte font avancer les enseignes, brisent toute résistance et envelop-
mats cèdent le bois aux dieux. Que Phébus soit au zénith ou pent l'ennemi dans ses propres flammes. On mit ensuite une
qu'une nuit noire remplisse le ciel, le prêtre lui-même a peur d'y garnison chez les vaincus et l'on détruisit leurs bois sacrés aux
pénétrer et redoute d'y surprendre le maître du lieu. cruelles superstitions. Ils estimaient en effet comme faste d'ho-
César ordonne d'abattre cette forêt (...). Mais la main tremble norer les autels par du sang captif et de consulter leurs divinités
même aux plus courageux, respectueuse de la majesté du lieu. au moyen de victimes humaines».
Ils craignaient que, s'ils frappaient les arbres sacrés, les haches Tacite, Annales, XIV, 29-30
rebondissent sur eux. Quand César vit les cohortes arrêtées par
63 THIERRY LUGINBUHL ARBRES ET BOIS «SACRÉS 69

Le second passage plus bref, se place dans le cadre de la


grande révolte de Boudicca, qui faillit abattre la domina-
tion de Rome sur la Bretagne à l'époque néronîenne. Dion
Cassius écrit:

«Voici ce qu'ils firent de plus horrible et de plus féroce: ils pen-


dirent les femmes les plus distinguées (.,.), après quoi ils leur
enfoncèrent des pieux aigus à travers le corps de bas en haut.
Et tous ces forfaits, c'est pendant leurs sacrifices et leurs festins
qu'ils s'y livraient, dans leurs temples et notamment dans le bois
sacré d'Andrasta, c'est ainsi qu'ils nomment la Victoire, pour
qui ils avaient une dévotion particulière».
. . Dion Cassius, LXII, 9 •il.

Ce bois sacré d'Andrasta semble avoir été sensiblement


différent de celui de Marseille, «abandonné aux dieux» et
fréquenté seulement par des prêtres. Le bois des Icéniens, en
Fig. 4.
effet, semble avoir été avant tout un espace de réunion et de Le sanctuaire de Gournay et son «bosquet sacré» (ine siècle av. J.-C).
rites (notamment de banquets), même s'il était probablement
considéré comme naturellement sacré, à l'instar du sombre
lucus de Lucain. Mentionné par Strabon (Géographie, XII, 1993, voir bibliographie), ces espaces boisés intégrés dans
52, 3), le Drynemeton, ou «sanctuaire du chêne», où se réu- des lieux de culte ont peut-être parfois influencé leur empla-
nissait l'assemblée des trois cents représentants des peuples cement, mais semblent également avoir pu être plantés (les
galates d'Anatolie, semble également appartenir à cette ca- pins de Ribemont, notamment) et ne semblent pas avoir été
tégorie des bois de réunion, politique et cultuelle, également des lieux d'offrande. Ils participaient certainement à la scéno-
attesté chez les Germains et, notamment chez les Suèves graphie du sanctuaire et étaient peut-être considérés comme
(Tacite, Germanie, XXXIX). des espaces réservés aux dieux, jouant ainsi le double rôle
L'archéologie n'est encore jamais parvenue à identifier un d'images ou de manifestations divines et de temples naturels.
bois sacré comme ceux qui viennent d'être décrits, mais des Des bosquets d'arbres et des jardins «sacrés» existaient
espaces boisés ont pu être mis en évidence dans plusieurs également dans les lieux de culte gallo-romains, sous une
sanctuaires gaulois du nord-ouest de la France, comme forme largement influencée par la culture romaine où la
ceux de Gournay-sur-Aronde, de Ribemont-sur-Ancre et végétation jouait également un rôle important dans les sanc-
de Saint-Maur. Présentés par J.-L. Bruneaux dans les Actes tuaires. Bien que les données objectives soient extrêmement
du Colloque de Naples consacré aux bois sacrés (Collectif rares, il est possible de penser que des conceptions indigènes
70 THIERRY LUGINBUHL ARBRES ET BOIS «SACRÉS» 71

concernant les arbres et les bois sacrés sont demeurées ou, Fig. 5.
Stèle du Mont-Donon. Représenta-
plus exactement, se sont adaptées au nouveau cadre reli- tion du dieu des Vosges, Mercurius
gieux et que des arbres ou des bois révérés aux temps de Vosegus. ta divinité tient un cerf
l'Indépendance aient été intégrés dans des lieux de culte et porte une lance, une dague, une
hache de boucherie et un sac conte-
gallo-romains (phénomène attesté pour des pierres cultuelles
nant différents fruits de la forêt.
au sanctuaire du sommet du Chasseron, notamment).
Une part de la conception celtique des bois sacrés est
probablement aussi passée dans le subconscient de l'imagi- d'une peau de loup et tenant
naire médiéval qui nous livre des exemples variés de forêts de la main droite un cerf par
magiques ou enchantées, tant en langues celtiques (mythes ses bois (voir fig. 5 et GREEN
irlandais et gallois) que romanes (cycle arthurien, notamment). 1992, p. 220-221).
De telles forêts, lieux de rencontre privilégiés entre les héros, Les quatre autres dédicaces à
les fées et différents types de créatures favorables ou malé- Vosegus n'indiquent pas l'assi-
fiques, existaient probablement dans les légendes gauloises. milation de ce dieu à Mercure,
Nous n'en saurons pas plus, faute de sources écrites. mais les deux provenant du
pays triboque, découvertes sur
Divinisations de massifs forestiers deux sites distincts (Gôsdorf
et Zinsweiler, D), donnent ce
L'épigraphie nous permet de savoir que trois grands massifs théonyme suivi par l'épiclèse
forestiers du nord de la Gaule étaient vénérés à l'époque abrégée Sil, pour 5/Yvester, tandis que celles mises au jour
gallo-romaine: les Vosges, sous la forme d'un Mercurius dans la Cité des Nemetes, provenant également de deux
Vosegus, les Ardennes, sous celle de la dea Arduinna et sites différents (Haardt et Silz, D), n'indiquent que le nom
la Forêt Noire, représentée par Diana Abnoba (pour les de Vosegus. Il n'est pas possible de savoir si la vénération
références épigraphiques de ces théonymes, voir JUFER et du même dieu par ces trois dvitates voisines indique un
LUGINBUHL 2001). culte commun, soutenu par des solidarités régionales, ou au
Le dieu des Vosges est attesté par cinq dédicaces décou- contraire une volonté d'appropriation nationale, engendrée
vertes sur les territoires de trois peuples, ou c/v/fates, de la région par des rivalités territoriales. La désignation de cette divinité
vosgienne: les Nemetes, les Triboques et les Médiomatrices. sous des appellations légèrement différentes, qui semblent
Son sanctuaire le plus important semble avoir été sur le terri- propres à chacune des trois cités, permet néanmoins de
toire de ces derniers, au sommet du Mont-Donon, où ce dieu penser que la seconde hypothèse est la plus probable.
était identifié à Mercure et où ont été retrouvées deux stèles La dea Arduinna, personnification divine des Ardennes
à bas-relief représentant le dieu nu, les épaules couvertes (voir notamment GREEN 1992, p. 33-34), n'est attestée, à
72 THIERRY LUGINBÛHL ARBRES ET BOIS «SACRÉS 73

notre connaissance, que par deux inscriptions, l'une décou- Bien que leurs noms soient topiques, ces trois divinités ne
verte à Duren (D), en Germanie inférieure, et l'autre à Rome peuvent être considérées comme telles car elles ont toutes
(dédicace d'un légionnaire d'origine gauloise). Cette divinité été vénérées sur différents sites et, même, dans différentes
est également connue par un petit bronze qui la représente régions, au contraire du Jupiter Poenninus du Grand Saint-
sous la forme d'une Diane chevauchant un sanglier, équipée Bernard ou du Nemausus de Nîmes, par exemple.
d'un arc et d'une dague de chasse.
Diana Abnoba, quant à elle, était fa déesse de la Forêt SÉRIATIONS, COMPARAISONS, PERSPECTIVES
Noire (voir notamment GREEN 1992, p. 26). D'une concep- i
tion probablement assez similaire à celle de la Diane des Essais de sériation
Ardennes, cette divinité semble avoir eu une grande impor-
tance dans les Champs Décumates (territoires transrhénans Le passage en revue des sources disponibles pour le monde
conquis par Domitiën), où elle est connue par six dédicaces celtique permet de distinguer treize cas de figures dans les-
provenant de cinq sites différents (Muhlburg, Muhlenbach, quels un arbre (ou une partie d'arbre) pouvait intervenir
Pforzheim, Rôtenberg, Walmossingen, D). Deux dédicaces dans le domaine du sacré. Ces différents modes de sacra-
à cette déesse sont également connues à Cannstatt (D), sur lisation sont présentés ci-dessous sous la forme de tableaux
le //mes germano-rhétique, et une en territoire rauraque, à (1 et 2) donnant un ou quelques exemples de manifesta-
Badenweiler (D). Seule cette dernière inscription et celle de tions de chaque catégorie (mentionnés dans les précédents
Muhlenbach associent Abnoba à la Diane romaine. chapitres).
H ne fait guère de doute que les Dianes des Ardennes et de Nous ne nous étendrons pas ici sur ces différentes formes
la Forêt Noire aient été considérées comme les déesses tuté- de sacralisation de l'arbre dans le monde celtique, commen-
laires de leurs massifs forestiers respectifs et comme des divi- tées aux précédents chapitres, pour passer directement aux
nités de la faune et de la chasse (protection des chasseurs et six types de sacralisation d'espaces boisés que nos sources
de leurs animaux, notamment). La nature de Vosegus est plus ont permis de définir (tableaux 3 et 4).
difficile à déterminer, même si son équipement sur la stèle
du Mont-Donon permet de l'associer aux activités de chasse
et de cueillette en forêt. Son assimilation à Mercure chez les
Médiomatrices nous permet d'imaginer qu'il s'agissait à l'ori-
gine d'un surnom (et peut-être d'une forme) topique du dieu
Lug, associé par César, puis par les Gaulois au Mercurius
romain. Une attribution des Vosges à cette divinité fréquem-
ment honorée sur des sommets est par ailleurs vraisemblable.
74 THIERRY LUCINBUHL ARBRES ET BOIS «SACRÉS» 75

Tableau 1. Tableau 2.
Arbres et religion chez les Celtes continentaux (Gaulois laténiens et Arbres et religion chez fes Celles insulaires (Bretons et Irlandais) : types
Calâtes orientaux): types de sacralisation, attestations, indices. de sacralisation, attestations, indices.

Arbre Attestations, indices Arbre Attestations, indices


Image divine (naturelle) Chêne image de Zeus (Maxime) Image divine (naturelle) Hêtre considéré comme une
Figure cosmique (axe) Univers en trois niveaux, art image de Lug (mythologie)
laténien Figure cosmique (axe) Arbres cosmiques régionaux, If de
Référence symbolique Noms de peuples, art laténien Ross, etc.

De guérison Gui de chêne considéré comme Référence symbolique Sources pour toutes essences, art
antidote ultime laténien et tardif

A rêve, à souhait Incubation avérée, ingestion de De guérison Médecine végétale très dévelop-
glands (S. bernoises) pée

Magique (à pouvoirs) Pas de sources directes (Irlande, A rêve, à souhait Hêtres des ancêtres, mythes,
cycles arthuriens) traditions populaires
Attribut divin Iconographie laténienne Magique (à pouvoirs) Arbre multi-essences (Mugna),
parlant, etc. (mythologie)
Autel (offrande-exposition) Sacrifices humains sur des arbres
pour Esus (Lucain) Attribut divin Iconographie laténienne
Instrument cultuel Feuillages employés par les Autel (offrande-exposition) Trophées et têtes d'ennemis sur
druides (Pline), archéologie des arbres (mythologie)
Résidence divine (temple) Pas de sources directes (dryades, Instrument cultuel Nombreuses essences employées
fées) (if, coudrier...}

Désigné (par un signe) Chêne choisi par le dieu pour Résidence divine (temple) Banshees (fées) attachées à des
porter le gui (Pline) arbres (mythologie)
Sacré (propriété divine) Présence d'arbres dans les sanc- Désigné (par un signe) Facteurs variés : taille, beauté,
tuaires (archéologie) étrangeté...

Apparat (non sacré) Ni sources directes, ni indices Sacré (propriété divine) Arbres dans les sanctuaires (ar-
indirects/ vraisemblable chéologie, mythologie)
Apparat (non sacré) Pas de données à notre connais-
sance, vraisemblable
76 THIERRY LUGINBUHL
ARBRES ET BOIS «SACRÉS: 77
Tableau 3.
Types et exemples de sacralisation des espaces boisés en Celtique Ces différentes catégories ne sont naturellement pas exclu-
continentale.
sives; les chênes porteurs de gui de Pline étaient à la fois
désignés et sacrés, leurs pieds servaient d'autel et Ton peut
Bois, forêt Attestations, indices penser qu'ils faisaient office d'images symboliques de la di-
Massif forestier divinisé Egigraphie gallo-romaine : Vose- vinité. De la même manière, le bois sacré d'Andrasta, chez
gus, Arduinna, Abnoba
les Bretons icéniens, était à la fois un lieu de culte et de réu-
Résidence divine Bois de Marseille (Lucain), bos- nion, mais était probablement aussi considéré comme une
quets de sanctuaires ?
résidence de la déesse. Bien que la sériation de phénomènes
Lieu de culte Bois de Marseille religieux soit toujours un exercice difficile, cette approche
Lieu d'assemblée Drynemeton galate (Strabon) taxinomique est nécessaire pour mieux appréhender la
Lieu d'enseignement Bois druidiques (Pline, Lucain, complexité des liens entre les arbres et la religion dans le do-
Mêla) maine celtique. Elle apparaît également comme la seule mé-
Lieu de retraite . . Bois druidiques (Lucain, Mêla) thode pour comparer ces formes de sacralisation avec celles
des cultures voisines/ gréco-romaines et germaniques notam-
ment. Les limites du présent article ne permettaient pas de
reprendre ici le vaste dossier de l'arbre dans ces cultures de
manière approfondie, mais une étude préliminaire, dont les
résultats sont présentés ci-dessous sous la forme de tableaux,
Tableau 4.
Types et exemples de sacralisation des espaces boisés en Celtique a permis de mettre en évidence de grandes similitudes aussi
insulaire. bien en ce qui concerne la conception religieuse de l'arbre
que les différentes formes de bois sacrés.
Bois, forêt Attestations, indices
Massif forestier divinisé Pas de données à notre connais-
sance
Résidence divine Forêts habitées par des dieux ou
des fées (mythologie)
Lieu de culte Bois de Mona (Tacite) et
d'Andrasta (Dion)
Lieu d'assemblée Bois d'Andrasta
Lieu d'enseignement Bois druidiques (mythologie)
Lieu de retraite Bois druidiques (mythologie)
-H
rri
70

C
Autel (offrande-exposition Q
z
ro
C
Résidence divine (temple
X

Sacre (propriété divine)

R : monde réel ; M : mythes ; Grisé foncé : attestation ; Grisé clair : indices indirects.

Tableau 5.
Types de sacralisation des arbres: comparaisons trans-culturelles.

Massif forestier divinisé


73
03

q
ça
o
i/i
c/i
n
N : bois naturel (ou peu aménagé) ; A : bois artificiel (planté) m,
en
Grisé foncé : attestation ; Grisé clair : indices indirects

Tableau 6.
Types de sacralisation des espaces boisés: comparaisons trans-culturelles.

X]
80 THIERRY LUCINBUHL
ARBRES ET BOIS.SACRÉS» 81

L'arbre et la forêt pour les Germains


mis en évidence dans e domaine celtique. En Italie comme en
Gaule, des arbres pouvaient être désignés par un dieu et, no-
Déjà évoquées à plusieurs reprises dans cet article, les tradi-
tamment, par Ja foudre qui les rendait religiosi, servir d'autel
tions relatives aux arbres et à la forêt dans les religions ger-
(chênes chargés de cornes, hêtres couronnés de dépouilles
maniques présentent de grandes analogies avec cel es du
animales...] ou de lieu d'assemblée (figuier sauvage de Junon
domaine celtique et peuvent être réparties dans les mêmes
Caprotina, à Rome, par exemple). Les arbres pouvaient éga-
catégories. Celle de l'arbre axe du monde, nous l'avons dit,
lement jouer le rôle d'images ou d'attributs divins (le chêne
est parfaitement illustrée chez les Germains par le frêne
pour Jupiter), de figure cosmique (l'Arbre de vie) ou d'habitat
Yggdrasil, pour le domaine mythologique, et par le grand arbre
pour une fée des bois (dryade). Certains étaient considérés
sacré des Saxons, Irmensul, dans le domaine historique. Des
comme sacrés, tandis que d'autres participaient simplement
arbres étaient symboliquement associés aux divinités (Freya
à l'apparat d'un sanctuaire. Leur bois, leurs branches et leurs
et le pommier, par exemple), mais également utilisés comme il:
feuillages étaient utilisés dans les rites, des souches servaient
autels et comme supports de présentation de restes sacrifi-
d'autel et des troncs sculptés de statues de culte...
ciels, à l'exemple de ceux de la Forêt du Teutoburg (têtes
des légionnaires de Varus) ou des arbres sacrés d'Uppsala
(S) qui recevaient de nombreux sacrifices humains, chez les
Vikings. Le domaine germanique offre par ailleurs différents
Les sources littéraires concernant les bois et les forêts
sacrés sont relativement abondantes (pour leur conception,
voir SCHEID 2002, p. 65-66). Elles nous apprennent notam-
à
ment que les forêts, de manière générale, étaient considé-
exemples d'arbres magiques, comme l'arbre de jeunesse
rées comme le domaine des dieux et que l'on ne pouvait les
sur lequel veillait la déesse Idun ou l'arbre retenant l'épée
déboiser ou, même, les éclaircir sans pratiquer des sacrifices
d'Odin dans le palais de Volund. Des bois servant à des as-
expiatoires (Caton, De agricultura, 139). Elles permettent éga-
semblées politiques et religieuses y sont également attestés,
lement de distinguer différents types de bois sacrés, du grand
chez les Suèves notamment, ainsi que des arbres d'assem-
s.mctuaire doté d'infrastructures monumentales* au simple
blée, connus dans différentes régions d'Allemagne durant le
autel sylvestre dans une clairière non aménagée. De petits
Moyen Age (voir notamment GRIMAI dir. 1963).
.iiitels forestiers étaient notamment utilisés pour sacrifier à
Miirs et à Silvain afin de préserver la santé des troupeaux
L'arbre et la forêt dans la religion romaine
(Caton, De agricultura, 83). D'importants sanctuaires liés à
un lucus (bois sacré) existaient par ailleurs à Rome même,
Nous ne nous étendrons pas ici sur les traditions romaines
d.ins sa périphérie et dans toute l'Italie, où les populations
relatives aux arbres et aux bois sacrés, mais les travaux de
il.iliques, étrusques et grecques pratiquaient également des
J. Scheid et de R. Turcan (voir bibliographie), principalement
nies dans des espaces boisés. Les plus célèbres, dans le
fondés sur les écrits de Caton, Horace, Properce, Plutarque et
l.ilium, étaient probablement le bois sacré d'Helernus, aux
Apulée, permettent d'attester tous les modes de sacralisation
Imdches du Tibre, dédié à Jupiter, le bois de Libitina, dédié

A**lm
82 THIERRY LUGINBUHL
ARBRES ET BOIS «SACRÉS» 83

à Vénus, le bois de Faunus, le bois de Robigo (protecteur


forme. La déesse Artio et l'ourse qui lui fait face ont été repré-
contre les maladies céréalières) et le !ucus de La Magliana,
sentées selon des canons classiques dans le petit groupe sta-
où d'importants sacrifices publics étaient offerts à Dea Dia,
tuaire de Mûri, par exemple, mais la conception de cette
à Mars, aux Lares et aux Semones (divinités protectrices des
divinité n'en demeure pas moins indigène, tout comme celle
semences).
de l'arbre qui complète la scène. Quelle qu'ait été la part
du romain et du celtique dans ce domaine des croyances et
De la Gaule à la Gaule romaine
des pratiques rituelles gallo-romaines, il est certain que les
arbres et les bois sacrés ont gardé leur importance dans les
Bien que des croyances d'origine celtique relatives aux
Gaules jusqu'à la fin de l'Antiquité, comme nous l'apprend
arbres aient persisté après l'intégration des Gaules dans
notamment Ausonne, qui écrit au ive siècle que «les vieux
l'Empire, l'imposition d'un nouveau cadre religieux romain
bois sacrés sont la gloire des pagi» (/Wose//a, 478).
et l'interdiction du druidisme ont profondément remanié les
systèmes de croyance des peuples gaulois et sont à l'origine Perspectives
d'une religion provinciale aux spécificités marquées, somme
d'apports romains ou, plus largement, méditerranéens, de
Les progrès de la recherche concernant les lieux de cultes
traditions indigènes et de développements originaux.
gaulois et gallo-romains depuis les années 1980 et le dévelop-
Les sources épigraphiques (dédicaces pyrénéennes,
pement de techniques de fouille et d'analyse plus pointues
notamment), les représentations figurées et les rares don-
permettent de penser que l'archéologie aura prochainement
nées archéologiques disponibles permettent de penser que
plus à nous apprendre sur la sacralisation des arbres et des
les Gallo-romains intégraient les arbres et les espaces boisés
espaces boisés. Tous les domaines évoqués dans le présent
dans leurs rites et leurs lieux de culte d'une manière plus
article devraient faire l'objet de recherches plus poussées
proche de celle des Romains que de celle de leurs ancêtres :
(l'iconographie laténienne et l'arbre des mythes irlandais,
divinités forestières régionales associées à de grandes
notamment), afin de constituer un référentiel solide et de
figures du panthéon romain (Mercure, Diane) et vénérées
tenter une sériation plus aboutie des différents phénomènes
à la romaine, intégration d'arbres et de bosquets dans des
observés. Un arbre «désigné», certes, mais par quoi, par qui
sanctuaires largement inspirés de modèles méditerranéens
et pourquoi? Un bois de réunion, mais pour combien de
(temples, autels à crémation, périboles maçonnés)... Plus de
personnes et à quels types d'assemblées? La comparaison
bœufs sacrifiés lors de la cueillette du gui, plus de corps sur
Irans-culturelle, nous l'avons vu, permet de mieux intégrer
les arbres, plus de druides enseignant dans des bois retirés...
les données lacunaires dont nous disposons pour le domaine
Il est difficile d'estimer la part des traditions celtiques rela-
celtique et de mettre en évidence des similitudes et des spé-
tives aux arbres qui sont demeurées après la Conquête, mais
cificités. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, la
elle était certainement plus importante sur le fond que sur la
comparaison est une nécessité pour éviter les pièges d'une

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