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Jean Plasmans

Amours militantes

L'Etre
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AUTEUR Jean Plasmans

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partielle, faite sans le consentement de l’auteur est illicite
er
(Loi du 11 Mars 1957, article 40, 1 alinéa).
Amours militantes
1

À la Maison des Associations, des silhouettes s'affairaient autour des panneaux


électoraux. Agiles, efficaces, les corps œuvraient en silence, sans perdre de temps.
Chacun savait exactement ce qu'il avait à faire.

- Pour qui ils collent?, a demandé Philou.


- Vu le genre, ça doit être au moins des Le Pen..., a répondu Yann.

Comme on s'attardait trop, un des fantômes noirs a fini par nous repérer. Il a averti les
autres.
Ils se sont regroupés et ont avancé en ligne, les bras ballants, roulant des épaules, vers
notre fourgon. On n'arrivait pas à voir leur visage. Ils essayaient d'abord de marcher
lentement pour ne pas trop nous alerter. Mais à mesure qu'ils s'approchaient de nous,
leur allure se faisait de plus en plus précipitée.
Bientôt ils se sont mis à courir franchement en hurlant dans notre direction.
- Mets la gomme!... Il ont l'air méchant!, a crié Yann.

Philou a démarré sans attendre. Le long du boulevard de la République, ils étaient encore
trois à courir à nos trousses. A cause des feux, des encombrements et des priorités à
respecter, on n'arrivait pas à les semer.

La tête tournée vers l'arrière, Yann n'arrêtait pas de bourrer l'épaule de Philou en
hurlant:
- Accélère bordel!

Devant nous, des voitures étaient arrêtées sur deux files. Nous voyant bloqués, les
poursuivants arrivaient sur nous à fond de train. Philou donnait des coups de klaxon
furieux et essayait de forcer le passage. Mais les voitures ne bougeaient pas. Un
automobiliste passa la main à sa portière pour montrer que le feu était rouge et termina
son geste par un doigt d'honneur.

Il n'y avait plus qu'à monter sur le trottoir au risque d'écraser les piétons et à foncer à
travers les parterres de fleurs qui nous séparaient de la contre-allée. La moitié du seau
de colle que je tenais entre mes jambes a giclé sur nous.

Ceux qui nous poursuivaient ont traversé le carrefour mais nous étions désormais hors
de leur portée.
Par la vitre arrière du fourgon, on a vu s'éloigner trois diables dégingandés qui s'agitaient
encore avec de grands gestes au milieu de l'avenue.
Devant nous, la voie était libre. On a poussé un ouf de soulagement.

- Ils sont quand même dangereux, ces putains de fachos, a dit Cécile en essuyant tant
bien que mal le liquide blanchâtre qui lui dégoulinait sur les cuisses. Vous imaginez s'ils
nous avaient rattrapés?

- On repassera quand même à la Maison des Associations en fin de tournée. Ils seront
partis. On recollera sur eux…, a répondu Yann.

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2

Devant l'Hôtel de Ville, la place était déserte.


Les affiches des autres candidats avaient déjà été rectifiées par ceux qui étaient passés
avant nous: franges et moustaches hitlériennes, bandeaux de pirate, dents noircies,
canines de vampire, nez de clown pour le slogan Un président qui vous ressemble... Et
puis, les inscriptions qui barraient les visages: Pute... Cocu... Pédé... Bâtard... Gauche
caviar… Goulag... La fierté d'être français con…

Cécile, Yann et moi, on a pris nos affiches, le seau de colle, les brosses et les balais.
Philou restait au volant en appui. Au cas où…
Tandis que je m'activais, j'observais Cécile qui, sur le panneau d'à côté, contemplait le
visage de Ségolène qui se révélait à elle au fur et à mesure que l'affiche se déroulait. Elle
passa doucement la main pour enlever les plis. C'était un geste de dévotion, comme une
caresse.

L'opération n'avait duré que quelques minutes. Tandis qu'on s'apprêtait à rejoindre le
fourgon, Yann s'approcha de l'affiche encore humide qu'il venait de coller, détacha sa
ceinture et finit par se soulager au pied du panneau, devant les yeux de Ségolène.

- Tu peux pas faire ça plus loin?, lui a lancé Cécile.


- Non, j'y tenais plus!…
- Tu fais ça là parce que c'est une femme?…

Yann fit mine de jouer du pipeau puis tout en se reboutonnant:


- C'est sûr… Elle est plus bandante que la gueule à de Villiers!

Cécile haussa les épaules et lui jeta un œil noir:


- Pauvre taré!

Yann fit le geste de s'essuyer le front pour montrer qu'il en avait jusque-là:
- …Ça va, j'ai juste pissé à côté… C'est pas un sacrilège!

On est montés dans le fourgon direction la Cité scolaire.


Tout en conduisant, Philou a allumé un joint qu'il a proposé à la ronde.
Seul Yann a accepté de tirer quelques bouffées.
Cécile a lancé:
- Bravo la conscience politique!
Je ne savais pas si c'était parce-qu'ils fumaient du shit ou si elle pensait encore à l'acte
de Yann sur le panneau d'affichage.

Yann répliqua:
- Oh oh oh! Du calme mademoiselle la militante internet… J'avais déjà ma carte du parti
quand tu étais encore au club Dorothée. Et je te parle pas de mes parents... ni de mes
grands-parents... Socialistes depuis le congrés de Tours… J'ai pas attendu les blogs pour
envoyer mon adhésion, moi.... Et puis, même si j'étais pour Fabius, ça ne m'empêche
pas de faire le sale boulot pour l'autre…

- Grâce à des socialistes comme toi Sarkozy est annoncé au moins à 30%..., a répondu
Cécile.

Ils ont continué à se chamailler. Le bruit du moteur couvrait leurs paroles. De toutes
façons, ils ne s'écoutaient plus. Chacun parlait dans le vide.

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C'est à cause de Cécile (ou plutôt pour Cécile) que je me retrouvais cette nuit-là à
sillonner la ville dans ce fourgon de location en compagnie de Philou, militant de base
inoxydable, fumeur de pétards en bonnet péruvien, de Yann, jeune cadre politique
aguerri, et de Cécile elle-même, nouvelle convertie dont le t-shirt proclamait fièrement
son engagement: Les femmes avec Ségolène.

Voici comment l'histoire avait commencé.


Mes parents devenaient vraiment vieux. Ils étaient encore autonomes et valides mais, à
chacune de mes visites, je constatais de nouvelles dégradations – bénignes mais
irréversibles- dans leur état physique et mental. L'inexorable finirait par se produire. Un
jour, ils auront disparu et je savais déjà qu'ils me manqueraient et que je me
reprocherais de les avoir négligés.
C'est pourquoi, cette fois-ci, j'avais décidé de prendre deux semaines de congés pour
quitter mon poste de rédacteur au bureau de Zurich et venir passer quelque temps chez
eux.

En descendant du train, j'étais tombé sur Cécile qui distribuait des tracts dans la gare.
Je l'avais connue en terminale et, à l'époque, j'étais fou amoureux d'elle. Moi, je ne lui
plaisais pas. J'avais dû m'y résigner. Telle était la règle du jeu. Mais à cause d'elle,
pendant des années, je ne pouvais m'empêcher de ne considérer mes relations avec les
filles que comme des coucheries sans lendemain, des brouillons de ce qu’aurait dû être
ma vraie histoire d’amour …

Ma passion pour Cécile me dévora longtemps, charriant ses lots de frustrations, de


fantasmes et de tourments qui finirent par modeler ma personnalité et qui, s’ ils
sublimaient ma pauvre existence, sonnaient aussi le glas de l’innocence.

Durant cette année scolaire, je tins une comptabilité sourcilleuse des petits amis de
Cécile. Je me souviens particulièrement d’un attaché commercial qui passait la prendre à
la sortie des cours dans une décapotable jaune.
Et puis, au beau milieu de l’année scolaire, du jour au lendemain, Cécile n’est plus venue
au lycée.
Combien interminables alors m’apparaissaient ces tristes journées de classe où je
m’abîmais dans la contemplation de sa place déserte !
Personne ne nous répondait quand nous essayions de connaître les raisons de son
absence. Des bruits couraient. On parlait de maladie, d’accident grave, d’un avortement
qui s’était mal passé…
Finalement les rumeurs persistantes d’une agression dont elle aurait été victime finirent
par s’imposer comme une version à moitié officielle démentie du bout des lêvres.
Quand les grandes vacances sont arrivées, je n’étais toujours pas guéri de l’absence de
Cécile.

Je n’avais jamais vu Cécile s’impliquer dans un mouvement politique quelconque ou


exprimer le moindre intérêt aux revendications de nos turbulents conseils de lycéens.
C’est pourquoi il était étonnant de la retrouver sur ce quai de gare dans la position un
peu humiliante qui consistait à tendre ses prospectus à des passants qui ne demandaient
rien et qui souvent la rabrouaient avec agacement.

La maturité avait encore embelli ses traits délicats. Ses cheveux blonds désormais
coupés courts donnaient à son visage un air espiègle. Ses yeux verts plongeaient
toujours droit dans les vôtres et vous perçaient à nu, sans échappatoire possible.
La beauté de son visage était comme une énigme, une surface lisse sur laquelle venaient
se fracasser mes désirs.
J’aurais été le plus heureux des hommes si seulement j’avais pu poser mes lêvres sur sa
bouche juste pour un baiser qu’elle m’aurait rendu !

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Sur le quai, Cécile me tendit machinalement un tract que je saisis au vol. Tandis qu’elle
continuait à pourchasser les voyageurs qui semblaient vouloir s’envoler devant elle, je
commenais à lire : Parti socialiste… Tous avec Ségolène Royal…
Cécile revint sur ses pas, se retourna vers moi et vit que je l’observais.
- On se connaît?, demanda-t-elle.

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J’ai invité Cécile à la buvette de la gare.


Je brûlais d’envie de lui demander ce qu’elle devenait mais elle m’a tout de suite expliqué
qu’elle militait pour Ségolène Royal, suite à une illumination qu’elle avait eue la première
fois qu’elle avait vu la candidate à la télévision.

- Un vrai coup de foudre !… Tout à coup, ça devenait évident… J’ai su que c’était elle et
qu’il fallait que j’y aille !… Elle est magique ! Avec elle, pour la première fois, les femmes
vont gagner…

Et là, j’ai commis l’erreur d’exprimer sincèrement mon opinion.


Pour moi, c’est la séduction même de Ségolène qui nuisait à sa crédibilité. Si, laide et
taillée comme un pot à tabac, elle avait eu l’impact que lui donnait sa beauté, elle les
aurait tous pulvérisés.

Qu’est-ce qui m’a pris de continuer sur ma lancée ? Comme si ce que je pouvais penser
allait faire tomber Cécile dans mes bras !... Je m’enfonçais encore un peu plus :

- On dit qu'elle n'est pas très... compétente... Il nous faudrait quelqu'un, genre Rosa
Luxemburg, pour tout chambouler… changer complètement le système...

A mesure que je parlais le visage de Cécile se fermait. Elle hochait la tête comme
quelqu'un qui vous entend mais ne vous écoute pas. Je sentais qu'elle partait loin, très
loin de moi et que je devenais de plus en plus petit à ses yeux. L'homme qui rétrécit… Si
je continuais, j'allais bientôt me retrouver nez à nez avec une fourmi!

Cécile était sur le point de partir. Elle en avait assez entendu. Déjà, elle avait repris son
paquet de tracts sous le bras.
Pour la retenir, je me mis à raconter n'importe quoi:

- Bah ! la politique… Tous les arts ont produit des merveilles. L’art de gouverner n’a
produit que des monstres.

Cécile posa sur moi un regard interrogateur.


- Et ça veut dire quoi?, demanda-t-elle.

Je sentais le ridicule qu’il y aurait à me lancer dans une explication de texte :

- Rien d'autre que ce que ça dit… L'exercice du pouvoir a toujours raison des meilleures
intentions des candidats.

Cécile a haussé les épaules:


- Je vois pas le rapport avec Ségolène…

Quel benêt! Mais quel benêt! Comme si je n'avais pas pu voir qu'au point où elle en était
de son engagement, il était impossible qu'elle puisse entendre une voix discordante!
Surtout quand cette voix était celle d'un ancien amoureux dont elle se souciait comme de
sa première Barbie!

J'ai failli me taire mais, heureusement, dans un éclair de clairvoyance, avec ce regard
extérieur qui soudain sort de vous-même et vous perçoit sans complaisance comme un
double extralucide, je compris que je devais continuer à la provoquer.
Si elle essayait de me convaincre, cela prouverait au moins que j’existais pour elle. Dès
qu’elle m’aurait répondu, je me rangerais illico à ses opinions.

Cécile prit la perche que je lui tendais :

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- Les gens peuvent penser ce qu’ils veulent… Pour moi c’est une femme magnifique… Elle
amène quelque chose de différent… Avec elle, les choses vont changer pour nous.

Cette fois-ci, j’étais sur la bonne voie. J’ajoutais :


- Elle est différente des autres hommes politiques, c'est vrai… Rien que ça, ce serait déjà
un grand changement…

Je repris le tract qu'elle m'avait donné et me mis à le relire avec attention. Tandis que je
parcourais le document, j'acquiesçais de temps à autre… … Parité hommes femmes… Là
je suis tout fait d’accord…

Il y avait un paragraphe intitulé : Ségolène Royal : l’amie du peuple.


Je commençais à le lire quand Cécile me désigna l’espace en bas du tract :
- Si ça t'intéresse, tu peux venir à notre prochaine réunion d'information… Tu n'as qu'à
mettre ton nom et ton téléphone en bas de la feuille…On te contactera…

Elle me tendit un stylo qu'elle sortit de son sac. Tandis que je gribouillais en tremblant
mon numéro de portable, je me disais que c'était bien la première fois que Cécile
attendait quelque chose de moi.

Elle m'arracha presque le bulletin des mains comme si elle craignait que je revienne sur
ma décision:
- Je me suis juré de tout faire pour qu'elle gagne..., me dit-elle en partant... Et elle va
gagner!

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Chez les parents, la vie tournait au ralenti. Ils entendaient mal. Les conversations
étaient laborieuses, vite réduites à quelques phrases utilitaires qu’il me fallait répéter en
hurlant.
Ils étaient heureux que je sois venu, mais je sentais que ma présence finissait par
perturber leurs manies et leurs habitudes.

J’avais perdu de vue mes anciens camarades de lycée et de faculté.


Beaucoup avaient fait comme moi : ils avaient quitté cette ville assoupie pour aller voir
ailleurs. Ceux qui restaient, devenus enseignants ou pharmaciens, avaient pris le relais
de leurs aînés et continuaient activement à participer à l’engourdissement général.

Pour m’occuper, je dévalisais le marchand de journaux et ramenais à l’appartement tout


ce que je pouvais trouver comme quotidiens, gazettes et magazines dans lesquels je me
plongeais pour essayer d’y voir clair dans cette campagne électorale.

Comment les électeurs choisissent-ils leur camp ? Au moment de voter, pourquoi


mettent-ils dans l’urne tel bulletin plutôt qu’un autre ? Par intérêt ? Par tradition ? Par
habitude ? Sur la bonne tête du candidat ?
J’étais loin d’avoir les certitudes de Cécile. De tout ce que je lisais ou entendais à la
télévision, je n’arrivais pas à me faire une opinion.

La nuit, je retournais sans fin dans mon esprit les déclarations des uns et des autres.
J’examinais les différentes péripéties de cette campagne dans l’espoir de trouver les
arguments qui me convaincraient de choisir le camp de Ségolène.

Je ne pouvais m’empêcher de ressentir un sentiment d’agacement devant le sourire de la


candidate, ses tenues guimauve, le ton lénifiant de ses déclarations, ses slogans
démagogiques.
Lorsqu’elle écoutait les gens, elle faisait toujours oui de la tête comme ces figurines de
chiens qu’on voit parfois à l’arrière des voitures.
Sans parler de la troupe de courtisans collés à ses basques, de ses directeurs de
campagne qui ressemblaient à des placiers en assurance-vie.

Et sans cesse revenait la scène où Ségolène s’avançait vers le fauteuil roulant du


paralytique larmoyant. Lorsqu’elle a posé sa main sur la sienne, le temps s’est arrêté. Le
miracle a failli se produire. L’homme allait se lever et marcher sur les eaux avec elle !

Peut-être ne s’agissait-il là que de travers sans importance, le tribut qu’elle devait payer
à la société du spectacle. Très vite, je me reprochais mon mauvais esprit.

Il fallait coûte que coûte que je trouve les clés d’un argumentaire qui m’amènerait à
m’engager sincèrement pour Ségolène Royal. Car derrière la figure de la femme
providentielle se dessinait en filigrane le visage de Cécile.

Finalement, ce fut plus simple que je ne pensais.


Au lieu de croire que mon adhésion politique allait être l’aboutissement d’une démarche
réfléchie et de me perdre dans les méandres d’un cheminement sans fin qui ne me
mènerait jamais là où je voulais aller, je décidais de trancher.
Je choisissais mon camp : Cécile.

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Quelques jours plus tard, un message sur mon téléphone portable (ce n’était pas la voix
de Cécile) m’invitait à une réunion d’information qui avait lieu le soir même au siège de
la section locale du parti socialiste.
Cécile attendait à l’entrée du bâtiment. J’étais un des premiers. Trois autres personnes
m’avaient devancé.

Nous étions gênés d’être là, presque honteux. Après tout, notre principal point commun
était d’avoir traversé ce hall de gare et d’y avoir rencontré Cécile.
Certains regrettaient déjà de s’être laissé embrigader. On voyait à leur peu
d’enthousiasme qu’ils ne reviendraient pas.

Lasse d’attendre les retardataires, Cécile nous fit entrer dans le bâtiment.

Un cadre du parti nous a accueillis dans la grande salle de réunion. Il avait l’air d’un chef
de service de passage à un pot de fin d’année.
Il est monté à la tribune, nous a remerciés d’être là et nous a souhaité la bienvenue.

Au premier rang, Cécile était assise à côté d’une grande femme brune qui portait ses
lunettes de soleil sur le crâne et gardait le téléphone portable collé à son oreille. Entre
deux appels, elles n’arrêtaient pas de bavarder ensemble.

Puis un bellâtre bien coiffé est venu à son tour au pupitre. Il avait une voix de gorge
déplaisante et parlait comme un vendeur de vaisselle cassée :
- Nous autres militants, nous ne sommes pas tout à fait des citoyens comme les autres…
Nos convictions sont solides…affirmées… Car la fierté d'un militant, c'est de rester contre
vents et marées fidèle à ses valeurs… fidèle à ses engagements…fidèle à son parti… Le
doute nous est étranger…Car pour nous... il n'y a pas de doute…, dit-il d'une voix
théâtrale en se tournant vers la grande photo de Ségolène qui était accrochée derrière
lui… C'EST ELLE!

Les applaudissements furent lancés depuis le premier rang. Ceux qui étaient assis là se
levèrent. Ils se tournèrent vers nous pour nous encourager de la tête à faire comme eux.

Pendant que nous applaudissions, l'orateur se pencha à l'oreille de son voisin pour lui dire
quelque chose. Ils éclatèrent de rire. J'avais l'impression qu'ils se moquaient de nous.
La suite de son discours était émaillée de mots comme peuple, citoyens, solidarité mais
j'eus un passage à vide et je n'arrivais plus à m'intéresser à ce qu'il disait.

Lorsque l'orateur eut terminé , la jeune femme brune qui était assise à côté de Cécile
vint à son tour à la tribune.
Elle se présenta comme la responsable locale du comité de soutien à Ségolène Royal.
Son prénom -Diane- m'avait frappé mais j'oubliai son nom.
Elle nous invita à prendre notre carte du parti dès ce soir pour rejoindre le combat de
Ségolène.
Des bulletins d'adhésion circulèrent dans les rangs. J'en ai rempli un en réalisant tout à
coup que je n'avais même pas pensé à m'inscrire sur les listes électorales.

Tandis que j' écrivais, l'envie grotesque me titilla de me lever et de hurler à la


cantonade: Vive Sarkozy! A bas Ségolène! Je m'imaginais alors, comme dans un film
burlesque, poursuivi dans les rues de la ville par la foule indignée, tandis que Cécile
déchirait avec fureur mon bulletin d'adhésion et se mordait les poings en pleurant de
rage sur l'épaule de Diane.

Les jours qui suivirent, j'assistai à toutes les réunions de cellule.


J'y rencontrais Cécile qui semblait être devenue l'assistante personnelle de Diane et

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répondait de loin à mes saluts. J'étais amoureux d'elle. Mais je sentais bien qu'il me
faudrait mener seul ma nouvelle vie de militant.

Un soir où nous étions peu nombreux, Cécile est venue me demander d' être volontaire
pour une nouvelle tournée d'affichage.
Diane venait de lui apprendre que Ségolène avait confirmé son accord pour un grand
meeting dans notre ville. Cécile en avait les larmes aux yeux.

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Cité scolaire… Maison de la Culture… Place du Marché ... Centre socio-culturel… Notre
campagne d'affichage continuait.
Parfois il fallait attendre que des militants de camps adverses aient fini leur travail. S'il
s'agissait de partis de droite, dès qu'ils avaient tourné le dos, leurs affiches étaient
remplacées par les nôtres.
- C'est toujours le dernier qui colle qui gagne, disait Yann.

Dans le fourgon, on écoutait les informations à la radio. A son dernier meeting, Ségolène
avait rassemblé plus de vingt-mille personnes qui avaient entonné la Marseillaise dans un
bel élan.
Yann grinçait des dents :
- Qu'est-ce que c'est cette connerie? Le drapeau français... La Marseillaise... N'importe
quoi!

Philou qui l'observait du coin de l'œil et jubilait d'avance de la réaction de Yann, éclata de
rire.

A force de suivre des réunions de cellule, je finissais moi aussi par prendre à cœur toutes
leurs histoires.
J'ai demandé à Yann:
- Et alors, c'est honteux d'être Français?

- Si c'est uniquement pour faire la danse du ventre devant Chevènement, oui... Le


drapeau français je me torche le cul avec... Mon grand-père s'est fait enterrer dans le
drapeau rouge alors...

Yann leva le poing et commença à chanter:


- C'est la lutte finaaaale... La voilà , ma Marseillaise!

Philou se tordait de rire et peinait à contrôler le fourgon qui fit une embardée.
Je ne voulais pas laisser le dernier mot à Yann:
- Si tu aimes tant les drapeaux rouges, pourquoi tu vas pas chez Arlette ou chez
Besancenot?... Tu sais ce que ça veut dire le mot démocrate?

Yann fit semblant d'avoir mal entendu mes derniers mots:


- Bobos-démocrates?... La révolution façon Delanoë ?... Non, merci!, a-t-il dit.

- Les arguments anti-pédés maintenant. On se croirait chez Le Pen.

Yann avait une réplique toute prête:


- C'est Mitterrand qui l'a fabriqué , Le Pen…

- Avec des militants comme toi, le parti a du pain sur la planche.

- C'est ça… Et toi, va donc militer pour l'autre dinde sur Second Life!

- L'autre dinde, elle a réconcilié le peuple avec la gauche…

Ma réponse déclencha la fureur de Yann:


- Le peuple!… Le peuple!… On croit entendre un réfugié chilien! Mais c'est quoi le peuple?
Les ouvriers qui votent Le Pen?… L'extrême gauche, c'est les étudiants en sciences
humaines et les assistantes sociales… Nous au PS, on a les fonctionnaires, les cadres, les
people, les bobos… Pour l'UMP, c'est tous les autres, la France profonde, les rentiers, les
commerçants, ceux qui n'en ont rien à foutre de la politique… Il est où ton peuple, là -
dedans?

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Et tandis que je me perdais dans cette discussion dont je ne contrôlais plus ni le pourquoi
ni le comment, la voix de Cécile s'éleva:
- Vous me dégoûtez tous les deux avec vos bagarres de machos… Vous n'avez rien
compris… Vivement que les femmes arrivent au pouvoir…

Et l'image du militant bien dans la ligne que j'étais en train de me bâtir pour les beaux
yeux de Cécile vola en éclats.

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On a terminé la tournée là où on l'avait commencée: à la Maison des Associations.


L'endroit était désert mais Philou a fait plusieurs fois le tour du quartier pour s'assurer
que personne n'était resté en embuscade.
Cécile, Yann et moi, on est descendus sur la place. Philou a continué sa ronde.

Les panneaux électoraux étaient maintenant couverts d'inscriptions antisémites:


Sionistes dehors... Youpins au four... Il y avait des croix gammées, des étoiles de David
avec l'inscription SS...

Yann était convaincu qu'il s'agissait de l'extrême droite:


- … Au moins le Bloc Identitaire…

Moi, j' étais sûr qu'il se trompait. Sur les graffitis, la branche de droite du svastika allait
vers le haut au lieu de descendre vers le bas. Ceux qui les avaient tracés n'étaient pas
des familiers de l'imagerie nazie!

Cette histoire de croix gammée mal dessinée faisait partie des menus détails qui me
sautaient tout de suite aux yeux (comme les jeux d'échecs présentés avec la première
case blanche à gauche dans les vitrines des magasins de jouets ou encore l'inévitable
alaprévert qui suivait immanquablement le mot inventaire dans les journaux télévisés) et
qui m'indignaient de façon exagérée, sans que je sache pourquoi.

Tandis que nous nous activions à recouvrir les panneaux avec nos affiches, on a vu venir
à nous trois des gaillards qui nous avaient poursuivis en début de tournée. Ils portaient
des combinaisons noires, des bandanas et avaient le visage masqué par des cagoules. On
aurait dit des nationalistes corses ou des agents du RAID.

Yann me souffla.
- Dis à Philou d'appeler les flics, vite!

Pour protéger notre fuite, Yann a pris les devants. Il a balancé le seau de colle sur ceux
qui s'approchaient. Ils se sont écartés et ont fait un bond en arrière comme s'ils
craignaient de tacher leur tenue.
Yann s'est jeté en avant, le bout du manche à balai pointé vers eux comme une lance.

Cécile et moi avons couru hors de la place là où le fourgon devait repasser. Les deux
autres se sont lancés à notre poursuite.
J'eus le temps de voir que Yann avait pris le dessus. Il martelait la figure de son
adversaire avec une rage inouïe comme s'il avait voulu lui réduire le nez en bouillie. Le
sang devait imbiber la cagoule comme de l'encre sur un buvard. Agrippé à ses épaules,
Yann cognait furieusement la tête de l'homme contre les pavés de la place.

J'arrivai au fourgon juste au moment où Philou débouchait de la rue. Il a tout de suite


compris ce qui se passait. Je l'ai vu à travers la vitre qui appuyait à toute vitesse sur les
touches de son téléphone portable.
Je me suis retourné vers la place et j'ai poussé un cri d'horreur:
- Cécile!

Les deux hommes s' étaient lancés à la poursuite de la jeune fille. Ils l'avaient vite
rattrapée et l'emmenaient avec eux.
Cécile se débattait et agitait les jambes avec de grands mouvements désordonnés. Sa
poitrine était dénudée. Je voyais ses seins s'agiter frénétiquement comme s'ils voulaient
se décrocher de son corps.
Je me suis lancé à son secours. Un des lascars s'est retourné . Il a sorti une lame de sa
poche.

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Alors qu'il allait me piquer au ventre, un coup de feu a claqué.


L'homme est tombé à genoux devant moi en hurlant de douleur. Il avait la jambe pleine
de sang. Philou ajustait son tir sur celui qui restait mais celui-ci détalait et était déjà hors
de sa portée.

Philou a sauté dans le fourgon et s'est lancé à la poursuite du fuyard.

Sur la place, Yann était penché sur le corps de l'homme inanimé qui râlait. Il a retiré la
cagoule ensanglantée:
- Un Black! Qu'est-ce qu'il foutait avec les fachos?

J'ai couru vers Cécile. Elle était restée prostrée là où les autres l'avaient laissée. Son
corps était secoué de tremblements qu'elle n'arrivait pas à maîtriser. Elle claquait des
dents et pleurait à chaudes larmes en prononçant des mots incompréhensibles comme
une enfant à bout qui proteste dans son chagrin.

J'ai récupéré ses vêtements éparpillés sur la place. Quand je suis revenu vers elle, Cécile
s'était calmée. Je me suis accroupi à côté d'elle. Elle m'a rejeté avec violence quand j'ai
passé mon bras autour de son épaule pour essayer de la réconforter.

Une fois debout, elle m'a arraché les habits des mains et a planté ses yeux dans les
miens. Il y avait dans son regard une hostilité insondable, une répulsion qui venait de
très loin en elle.
J'ai soutenu son regard car sa haine était si vaste que j'avais compris qu'elle passait bien
au-delà de ma personne.
A travers les yeux de Cécile s'exprimait la révolte de toutes les victimes de la terre –
hommes, femmes, enfants, animaux- qui se levaient et criaient: Assez!
Elle m'envoya un crachat en pleine face.
Je passai mes doigts sur mon visage et les portai à mes lêvres.

A travers mes larmes, je vis Cécile s'éloigner dans la nuit.

Philou est revenu avec le fourgon. La calandre était toute cabossée. Il y avait un choc sur
la carrosserie, à l'avant, et aussi des traces de sang.

Yann lui a demandé :


- Tu ne l'as pas…?

Philou n'a pas répondu.


On entendit les sirènes des voitures de police qui arrivaient.

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Amours militantes
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On apprit le lendemain que celui que Philou avait poursuivi était mort.
Originaires du Bénin et de la Côte d'Ivoire, nos agresseurs faisaient partie d'un
groupuscule radical de Noirs racistes et antisémites basé à Sarcelles. Dans la journée, ils
avaient saccagé la synagogue et cassé des vitrines de magasins supposés tenus par des
Juifs.

A la cellule, ils se sont demandés comment exploiter l'incident. Ils n'ont pas tout de suite
parlé des Noirs racistes (Pour éviter les amalgames, disaient-ils) et ont d'abord essayé de
mettre ça sur le compte d'une bagarre qui aurait mal tourné entre colleurs d'affiches.
Ils décidèrent ensuite de profiter de la publicité offerte par ce qui était arrivé à Cécile
pour mettre en avant le programme de la candidate et ses promesses de loi contre les
violences faites aux femmes.

Les policiers nous ont longuement interrogés. Surtout Yann et Philou. Comme l'homme
avait été écrasé par la camionnette alors qu'il s'enfuyait, il allait être difficile de plaider la
légitime défense.

A cause de la polémique qui enflait dans les médias, la venue de Ségolène Royal dans
notre ville fut définitivement annulée.

Quand je suis allé voir Cécile à l'hôpital, elle m'a simplement dit:
- … Heureusement, il y a encore des mecs comme toi…

Je me penchai pour l'embrasser. Elle arrêta mon geste en murmurant:


- Tu sais, j'ai raison... il faut vraiment tout faire pour qu'elle gagne!

Elle a esquissé un sourire qui se voulait désolé mais où je ne lus qu'une pitié de
commande -un apitoiement abject qu'elle croyait devoir m'octroyer pour solde de tout
compte.
Dans la lumière de son regard passait une ombre qui signifiait qu'il n'y aurait nul espoir
pour moi - quelque chose d'irrémédiable qui exprimait l'Impossible.

On frappa à la porte et Diane fit son entrée. Elle portait une énorme gerbe de roses
rouges. Le visage de Cécile s'illumina tout à coup.
- Il y a aussi une carte! Lis vite!…, dit Diane.

C'était un message de Ségolène Royal en personne.


Pendant qu'elle lisait, Cécile poussait des cris de joie. Chaque mot la faisait tomber en
pâmoison. Elle donnait alors des baisers enthousiastes au morceau de carton puis le
berçait sur son cœur.
Les deux femmes se jetèrent dans les bras l'une de l'autre en riant de bonheur. Elles
restèrent longtemps à se câliner et à s'embrasser passionnément.
Puis, je n'entendis plus rien d'autre que le bruit de leurs deux bouches qui se malaxaient
avec ardeur.

Sur la carte qui traînait sur le lit, j'eus le temps de voir les mots: No pasaran!

Mes parents commençaient à se lasser de ma présence. Il me restait encore quatre jours


de congés à prendre mais je décidais de repartir le lendemain pour Zurich.

©Jean Plasmans. 2007

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L’Être
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