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Trois citations « à statut particulier »

I « Ô mes amis, il n’y a nul ami » page 2

II „Was tut die Psychoanalyse hier anderes als das alte Wort von Plato bestä-
tigen, daß die Guten diejenigen sind, welche sich begnügen von den zu träumen,
was die anderen, die Bösen wirklich tun ? “ page 10

III « Timeo Danaos et dona ferentis » page 13


I « Ô mes amis, il n’y a nul ami »

A
l’endroit des quelles il
faut emploïer le mot
qu’Aristote auoit
treſfamilier. O mes a[mis]
il n’y a nul ami.
Montaigne, Essais , I, 28 — Exemplaire de Bordeaux
Ambrosius Traversarius Camaldulensis (Ambrogio Traversari, 1386-1439, prieur général
de l’ordre des Camaldules [Camaldoli est proche d’Arezzo]) acheva en 1431 sa traduction
en latin, commencée dix ans plus tôt à l’instigation de Cosimo de’ Medici et à contre-
cœur, des Vies et doctrines des philosophes illustres, de Diogène Laërce (Λαερτίου Διογένους
περὶ βίων, δογμάτων καὶ ἀποφθεγμάτων τῶν ἐν φιλοσοφίᾳ εὐδοκιμησάντων βιϐλία
δέκα), traduction publiée en 1472.

Au livre V, qui ouvre sur la vie d’Aristote, Traversari a lu sur le manuscrit qu’il consul-
tait :
Φησὶ δὲ Φαϐωρῖνος ἐν τῷ δευτέρῳ τῶν Ἀπομνημονευμάτων ὡς ἑκάστοτε [ὁ Ἀριστο-
τέλης] λέγοι, « ὦ φίλοι, οὐδεὶς φίλος »· ἀλλὰ καὶ ἐν τῷ ἑϐδόμῳ τῶν Ἠθικῶν ἐστι.
(Favorinos rapporte, dans le livre II de ses Mémorables, qu’il [Aristote] disait en toute occasion : Ô mes
amis, il n’y a pas d’amis ; mais cela se trouve aussi au livre VII de l’Éthique [à Eudème]. — La citation
originale est concise : c’est une phrase nominale.
Favorinos d’Arles fut, selon Eugenio Amato « un des plus fameux intellectuels grecs du IIe siècle après J.-C. et
l’un des représentants les mieux cotés de la Seconde Sophistique ».)
Ce qu’il rendit de la façon suivante :
Refert Fauorinus in secundo Commentariorum illum crebro dicere solitum : o amici
amicus nemo.
(Favorinos rapporte au livre II de ses Commentaires qu’il [Aristote] répétait souvent : Ô mes amis, il n’y a
pas d’amis.)

Et c’est ce texte latin que Montaigne a eu sous les yeux et a adapté, comme le rappelle
Jean Céard dans son excellente édition des Essais : La Pochothèque, 2001, p. 294 note 1.

La version du texte de ce passage (« ὦ φίλοι », où ὦ est une interjection vocative) faisait


alors autorité ; rien de surprenant, par conséquent, à ce que ce soit celle qu’Érasme ait
utilisée dans ses Apophthegmata (cf. M. A. Screech, Montaigne, The Essays, Penguin, 1993
— mais la source de ce dernier est le Diogène Laërce de Traversari).

(Un ami est une rareté — [Aristote] avait fréquemment à la bouche : ὦ φίλοι, οὐδεὶς φίλος. Estimant que
nombreux étaient ceux qui portaient le nom d’amis, mais qu’en réalité il n’y en avait que très peu ou
aucun.)

En outre, il est tout à fait injuste d’adresser à Érasme le reproche d’avoir « mal traduit »
(‘mistranslated’, James McEvoy, in Too many friends or none at all ?, The American Catholic
Philosophical Quarterly, 2003) la formule : on peut hésiter entre paraphrase, glose et
commentaire, mais l’intention n’était pas de traduire et seul le texte source est fautif.
C’est ici que se situe le tournant que représentent les Remar-
ques d’Isaac Casaubon (1559-1614), In Diogenem Laertium Notæ
Isaaci Hortiboni, publiées sous un pseudonyme en 1583 à Genève,
puis insérées à partir de 1593 dans les éd. de Diogène Laërce
par Henri Estienne ; Casaubon avait été nommé — à 23 ans —
professeur de grec à l’académie de Genève en 1582 et, l’année
suivante, avait épousé Florence, fille d’Henri Estienne.

(Je lis ᾧ φίλοι. Car que certains lisent ᾧ πολλοὶ φίλοι, comme on le trouve dans le 7e livre de l’Éthique à
Eudème, ne me convainc pas. Il est en effet possible qu’Aristote se soit servi par écrit d’une expression
différente de celle qu’il employait dans son parler quotidien, sans compter que cette façon de dire
semble bien plus belle et mieux tournée en omettant πολλοὶ, déjà implicite dans φίλοι. La même opi-
nion est d’ailleurs répétée dans l’Éthique à Nicomaque en Θ’ [au livre 9]. Oἱ δὲ πολύφιλοι (dit le philoso-
phe) καὶ πᾶσιν οἰκείως ἐντυγχάνοντες οὐδενὶ δοκοῦσιν εἶναι φίλοι, πλὴν πολιτικῶς [ceux qui ont de
nombreux amis, et qui font à tout le monde un accueil amical et familier, passent pour n’être amis de personne si ce
n’est qu’ils sont sociables])

À la lecture antérieure « ὦ φίλοι », Casaubon substitue « ᾧ φίλοι » où ᾧ est le pronom


relatif au datif masculin singulier, ce qui est conforme à l’observation de Diogène Laërce
dans la suite de la phrase : « cela se trouve aussi au livre VII de l’Éthique [à Eudème] » →

1245b 20 Kαὶ τὸ ζητεῖν ἡμῖν καὶ εὔχεσθαι πολλοὺς φίλους, ἅμα δὲ λέγειν ὡς οὐθεὶς
φίλος ᾧ πολλοὶ φίλοι, ἄμφω λέγεται ὀρθῶς. Ἐνδεχομένου γὰρ πολλοῖς συζῆν ἅμα
καὶ συναισθάνεσθαι ὡς πλείστοις αἱρετώτατον ˙ ἐπεὶ δὲ χαλεπώτατον, ἐν ἐλάττοσιν
ἀνάγκη τὴν ἐνέργειαν τῆς συναισθήσεως εἶναι, ὥστ’ οὐ μόνον χαλεπὸν τὸ πολλοὺς
κτήσασθαι πείρας γὰρ δεῖ, ἀλλὰ καὶ οὖσι χρήσασθαι.
(οὐθεὶς = variante de οὐδεὶς « pas même un, aucun »)
Le sens devient donc : « Qui a des amis n’a aucun ami », Cui amici, amicus nemo ; l’amitié se
mesure à la qualité, non à la quantité.
Après coup (mais c’est là une facilité), il est un peu surprenant que deux aspects n’aient pas
mis sur la voie les prédécesseurs de Casaubon : la contradiction entre ὦ φίλοι et la teneur
du texte auquel renvoie Diogène Laërce et, au plan stylistique, l’incongruité de l’interjection
ὦ qui, si elle d’un emploi lancinant chez Platon, n’apparaît guère chez le Stagirite.
Vers la même époque, un autre helléniste et philologue d’envergure, le Florentin Piero
Vettori (1499-1585 = Petrus Victorius ; voir la thèse soutenue à Paris IV en 2002 par
Raphaële Mouren, Maître de conférences à l’École nationale supérieure des sciences de
l’information et des bibliothèques) faisait sur notre texte une remarque que rapporte
François Thurot dans La Morale et la Politique d’Aristote, t. I (1823), p. 440 en note :

On aurait pu croire qu’à la suite de la correction (emendatio) proposée par Casaubon et


entérinée par Henri Estienne l’affaire était entendue, mais il n’en a rien été.

 Jean-Pierre Claris de Florian

Le Lièvre, ses Amis et les deux Chevreuils (1792)

Un lièvre de bon caractère


Vouloit avoir beaucoup d’amis.
Beaucoup ! me direz-vous, c’est une grande affaire ;
Un seul est rare en ce pays.
J’en conviens ; mais mon lièvre avoit cette marotte,
Et ne savoit pas qu’Aristote
Disoit aux jeunes Grecs, à son école admis :
Mes amis, il n’est point d’amis.
Sans cesse il s’occupoit d’obliger et de plaire ;
S’il passoit un lapin, d’un air doux et civil
Vite il couroit à lui : Mon cousin, disoit-il,
J’ai du beau serpolet tout près de ma tanière ;
De déjeuner chez moi faites-moi la faveur.
S’il voyoit un cheval paître dans la campagne,
Il alloit l’aborder : Peut-être monseigneur
A-t-il besoin de boire ; au pied de la montagne
Je connois un lac transparent
Qui n’est jamais ridé par le moindre zéphyre :
Si monseigneur veut, dans l’instant
J’aurai l’honneur de l’y conduire.
Ainsi, pour tous les animaux,
Cerfs, moutons, coursiers, daims, taureaux,
Complaisant, empressé, toujours rempli de zèle,
Il vouloit de chacun faire un ami dèle,
Et s’en croyoit aimé parce qu’il les aimoit.
Certain jour que, tranquille en son gîte, il dormoit,
Le bruit du cor l’éveille, il décampe au plus vite ;
Quatre chiens s’élancent après ;
Un maudit piqueur les excite,
Et voilà notre lièvre arpentant les guérets.
Il va, tourne, revient, aux mêmes lieux repasse,
Saute, franchit un long espace
Pour dévoyer les chiens, et, prompt comme l’éclair,
Gagne pays, et puis s’arrête.
Assis, les deux pattes en l’air,
L’œil et l’oreille au guet, il élève la tête,
Cherchant s’il ne voit point quelqu’un de ses amis.
Il aperçoit dans des taillis
Un lapin que toujours il traita comme un frère ;
Il y court : Par pitié, sauve-moi, lui dit-il,
Donne retraite à ma misère,
Ouvre-moi ton terrier ; tu vois l’affreux péril...
Ah ! Que j’en suis fâché ! répond d’un air tranquille
Le lapin : je ne puis t’offrir mon logement :
Ma femme accouche en ce moment,
Sa famille et la mienne ont rempli mon asile ;
Je te plains bien sincèrement :
Adieu, mon cher ami. Cela dit, il s’échappe ;
Et voici la meute qui jappe.
Le pauvre lièvre part. À quelques pas plus loin,
Il rencontre un taureau que cent fois au besoin
Il avoit obligé ; tendrement il le prie
D’arrêter un moment cette meute en furie
Qui de ses cornes aura peur.
Hélas ! dit le taureau, ce seroit de grand cœur :
Mais des génisses la plus belle
Est seule dans ce bois, je l’entends qui m’appelle ;
Et tu ne voudrois pas retarder mon bonheur.
Disant ces mots, il part. Notre lièvre, hors d’haleine,
Implore vainement un daim, un cerf dix-cors,
Ses amis les plus sûrs ; ils l’écoutent à peine,
Tant ils ont peur du bruit des cors.
Le pauvre infortuné, sans force et sans courage,
Alloit se rendre aux chiens, quand, du milieu du bois,
Deux chevreuils reposant sous le même feuillage
Des chasseurs entendent la voix.
L’un d’eux se lève et part ; la meute sanguinaire
Quitte le lièvre et court après.
En vain le piqueur en colère
Crie, et jure, et se fâche ; à travers les forêts
Le chevreuil emmène la chasse,
Va faire un long circuit, et revient au buisson
Où l’attendoit son compagnon,
Qui dans l’instant part à sa place.
Celui-ci fait de même, et, pendant tout le jour,
Les deux chevreuils lancés et quittés tour-à-tour
Fatiguent la meute obstinée.
Enn les chasseurs tout honteux
Prennent le bon parti de retourner chez eux ;
Déja la retraite est sonnée,
Et les chevreuils rejoints. Le lièvre palpitant
S’approche, et leur raconte, en les félicitant,
Que ses nombreux amis, dans ce péril extrême,
L’avoient abandonné. Je n’en suis pas surpris,
Répond un des chevreuils : à quoi bon tant d’amis ?
Un seul suft quand il nous aime.

 En 1759 parut à Leipzig chez Johann Paul Kraus un Diogenis Laertii de vitis, dogmatibus
et apophthegmatibus clarorum philosophorum libri decem: Graece et Latine qui suivait la tra-
duction de Traversari. C’est celle que Kant utilisa et qui lui inspira „Meine lieben Freunde :
es giebt keinen Freund !“ (au lieu de „Keinen Freund hat, wer viele Freunde hat“).

 Robert Genaille, ancien inspecteur général de l’Instruction publique, publia en 1933


chez Garnier une traduction établie surtout sur l’édition de Carel Gabriel Cobet (Firmin-
Didot, 1850-1862) et qui est toujours disponible en 2 volumes dans la collection Garnier-
Flammarion (1965, nos 56 et 77).
En 1974, Pierre Garniron (traducteur de Leçons sur l’histoire de la philosophie, de Hegel) la
déclarait « très insuffisante », ajoutant : « Elle n’est guère utilisable qu’à titre de premier moyen
d’accès, et surtout pour les aspects biographiques et anecdotiques — encore que, même à ce niveau,
nous y ayons trouvé des inexactitudes. »
En 1999, Marie-Odile Goulet-Cazé (CNRS, chercheur à l’UPR 76 de Villejuif : Histoire des
doctrines de la fin de l’Antiquité et du Haut Moyen Age. Année Philologique ; a dirigé la
traduction de Diogène Laërce dans La Pochothèque) écrivait sans ambages : « Tous ceux qui
utilisent Diogène Laërce savent que malheureusement la traduction de Genaille n’est absolument
pas fiable en raison des contresens, des interprétations fantaisistes et des innombrables négligen-
ces qu’elle présente. »

Phavorinos dit enfin (Mémoires, liv. II) qu’il aimait à s’écrier : « Ô mes amis, il n’y a
pas d’ami (véritable). » Et l’on peut lire cette phrase en effet dans le septième livre
de l’Éthique.

Un élément rend l’erreur de Genaille difficile à comprendre : Cobet (p. 115, 1re col. ℓ. 51)
a adopté la leçon « ᾧ φίλοι » et la traduction Cui amici.
Quant à la béquille « véritable », on la retrouve de temps à autre : Florio (1603) “Oh you
my Friends, there is no perfect Friend” et, avec des contorsions, chez Émile Faguet (Ce que
disent les livres, 1912) :
« Ô mes amis, il n’y a pas d’amis ! » [Ce qui veut dire : Mes amis, ne vous considérez
pas comme des amis véritables. Aristote était impoli très spirituellement.]
Remarque — Comme de juste, la traduction due à Michel Narcy dans La Pochothèque (p.
574) est conforme à ce qu’on attend :
« Et Favorinus dit, dans le livre II de ses Mémorables, qu’il disait en toute occasion : « Qui a
des amis n’a aucun ami.» Mais c’est aussi au livre VII de l’Éthique [à Eudème]. »

 On peut dire, sans risque d’exagération, que cette formule est au cœur du sujet du
livre de Jacques Derrida [1930-2004], Politiques de l’amitié (1994). Je ne m’aventurerai pas à
discuter les facettes de l’herméneutique de l’amitié que le philosophe fait miroiter aux
yeux du lecteur pour l’éblouir.
Derrida confirme la permanence de la version dépassée du texte qui nous intéresse en en
indiquant deux illustrations en plus de celles que j’ai déjà mentionnées : „O Freunde, nir-
gends ein Freund !“ dans une traduction de Diogène Laërce en allemand de 1806 et « ¡ Oh
amigos ! no hay ningún amigo » dans une traduction en castillan de 1985.
Il connaît l’édition de Cobet et fait état de celles de Robert Drew Hicks (“He who has
friends can have no true friend”, Loeb, 1925, avec la béquille ‘true’), Marcello Gigante (« Chi
ha amici, non ha nessun amico », 1962) et Klaus Reich, Otto Apelt et Hans Günter Zekl
(„Viele Freunde, kein Freund“, 1967).

Derrida joue à NE PAS VOULOIR trouver la solution qu’il prétend rechercher : après tout, il lui
suffisait de mener une enquête philologique sérieuse sur l’histoire du texte pour obtenir la
bonne réponse ; il s’en garde bien et jongle avec les métaphores qui lui évitent l’examen des
faits.
« Ô mes amis, il n’y a nul ami » est une citation « à statut particulier ».

Aristote n’a jamais rien écrit de tel (cela va à l’encontre de son propos) et lui en attribuer
la paternité relève, de nos jours, d’un manque d’information sur le sujet.

Traversari, induit en erreur (semble-t-il) par un manuscrit fautif, dépourvu d’enthou-


siasme pour la tâche qu’il accomplit et n’éprouvant pas de dilection particulière pour
l’œuvre du philosophe, suit le texte qu’il a sous les yeux : l’attribution de la citation à
Aristote n’est pas de son fait.

En bout de chaîne, Montaigne — qui possédait l’édition grecque princeps (et fautive) de
Diogène Laërce parue à Bâle chez Froben en 1533 — s’en rapporte ici au texte latin de
Traversari : la traduction/adaptation est de son cru, il n’est que le vecteur pour la teneur
et l’attribution.

Personne n’est à proprement parler l’auteur de cette citation.


II A „Ich meine nur, jedenfalls hatte der römische Kaiser unrecht,
welcher einen Untertanen hinrichten ließ, weil dieser geträumt
hatte, daß er den Imperator ermordet. Er hätte sich zuerst darum
bekümmern sollen was dieser Traum bedeutete ; sehr wahrschein-
lich war es nicht dasselbe, was er zur Schau trug. Und selbst wenn
ein Traum, der anders lautete, diese majestätsverbrecherische Be-
deutung hätte, wäre es noch am Platze, des wortes von Plato zu
gedenken, daß der Tugendhafte sich begnügt, von dem zu träumen,
was der Böse im Leben tut.“
in : Der Traumdeutung (1900) [L’Interprétation des rêves / La Clef des songes]

« J’estime qu’en tout état de cause l’empereur romain qui fit mettre à mort un de
ses sujets parce que ce dernier l’avait assassiné en rêve a eu tort. Il aurait dû tenter
d’abord de déterminer quel sens avait ce rêve ; selon toute vraisemblance, pas le
sens qu’il lui donnait à première vue. Et quand bien même un rêve ayant un autre
contenu aurait signifié ce crime de lèse-majesté, il aurait été bon d’avoir présent à
l’esprit l’adage de Platon, selon lequel l’homme de bien se contente de rêver de ce
que le méchant met en pratique. »

“I believe … that at all events the Roman Emperor was in the wrong who ordered one of his
subjects executed because the latter dreamt that he had killed the Emperor. He should first
have endeavoured to discover the significance of the dream ; most probably it was not what
it seemed to be. And even if a dream of different content had the significance of this offence
against majesty, it would still have been in place to remember the words of Plato, that the
virtuous man contents himself with dreaming that which the wicked man does in actual
life.”

B „Ist Ihnen nicht bekannt, wie unbeherrscht und unzuverlässig der


Durchschnitt der Menschen in allen Angelegenheiten des Sexual-
lebens ist ? Oder wissen Sie nicht, daß alle Übergriffe und Aus-
schreitungen, von denen wir nächtlich träumen, alltäglich von
wachen Menschen als Verbrechen wirklich begangen werden ? Was
tut die Psychoanalyse hier anderes als das alte Wort von Plato
bestätigen, daß die Guten diejenigen sind, welche sich begnügen
von den zu träumen, was die anderen, die Bösen wirklich tun ? “
Freud, S. (1916): Vorlesung zur Einführung in die Psychoanalyse — IX. Die Traumzensur,
Gesammelte Werke XI, S. 147
« La psychanalyse fait-elle autre chose que confirmer la vieille maxime de Platon,
que les bons sont ceux qui se contentent de rêver de ce que les autres, les méchants,
font en réalité ? »
Freud, Introduction à la Psychanalyse, 2e partie, chap. 9, trad. Jankélévitch, Payot 1951
p.162.
“Are you ignorant of how uncontrolled and undependable the average human being is in all
the affairs of sex life ? Or do you not know that all the immoralities and excesses of which we
dream nightly are crimes committed daily by waking persons ? What else does psychoana-
lysis do here but confirm the old saying of Plato, that the good people are those who content
themselves with dreaming what the others, the bad people, really do ?”

Mon propos est sans rapport avec la psychanalyse, freudienne ou autre.

Freud semble avoir suffisamment tenu à la phrase « platonicienne » pour s’en être servi
(au moins) deux fois.

L’extrait A contient une allusion à un vague « empereur romain » qui aurait fait exécuter
« un de ses sujets », coupable d’avoir rêvé qu’il l’assassinait.

Pour certains commentateurs, la source serait Suétone, Vie de Claude, XXXVII :

Nulla adeo suspicio, nullus auctor tam leuis extitit, a quo non mediocri scrupulo iniecto ad cauen-
dum ulciscendumque compelleretur. Vnus ex litigatoribus seducto in salutatione affirmauit, uidisse
se per quietem occidi eum a quodam ; dein paulo post, quasi percussorem agnosceret, libellum
tradentem aduersarium suum demonstrauit : confestimque is pro deprenso ad pœnam raptus est.
Pari modo oppressum ferunt Appium Silanum : quem cum Messalina et Narcissus conspirassent
perdere, diuisis partibus alter ante lucem similis attonito patroni cubiculum inrupit, affirmans
somniasse se uim ei ab Appio inlatam ; altera in admirationem formata sibi quoque eandem
speciem aliquot iam noctibus obuersari rettulit ; nec multo post ex composito inrumpere Appius
nuntiatus, cui pridie ad id temporis ut adesset præceptum erat, quasi plane repræsentaretur
somnii fides, arcessi statim ac mori iussus est. Nec dubitauit postero die Claudius ordinem rei
gestæ perferre ad senatum ac liberto gratias agere, quod pro salute sua etiam dormiens excu-
baret.

Les soupçons les plus légers, les indices les plus futiles éveillaient chez lui de vives inquiétudes qui le pous-
saient à pourvoir à sa sûreté et à faire éclater sa vengeance. Un plaideur, l’ayant un jour pris à part, lui affir-
ma qu’il avait vu quelqu’un en songe assassiner l’empereur. Un moment après, feignant de reconnaître le
meurtrier, il désigna son adversaire qui présentait un mémoire à Claude. Le prince fit sur-le-champ traîner
celui-ci au supplice, comme s’il l’eût surpris en flagrant délit. Ce fut de la même manière, dit-on, que périt
Appius Silanus. Messaline et Narcisse, qui avaient conspiré sa perte, s’étaient partagé les rôles. L’un, jouant
l’épouvante, entra précipitamment, avant le jour, dans la chambre de son maître, assurant qu’il avait rêvé
qu’Appius attentait à sa personne ; l’autre, affectant la surprise, dit que depuis quelques nuits elle faisait
aussi le même rêve. Peu de temps après, on annonça de dessein prémédité, qu’Appius s’élançait vers le palais;
et, en effet, il avait reçu ordre, la veille, d’y paraître à point nommé. Claude, persuadé qu’il ne venait que
pour réaliser le songe, le fit saisir aussitôt et mettre à mort. Le lendemain, il ne craignit pas de raconter toute
l’affaire au sénat, et remercia son affranchi de veiller sur ses jours, même en dormant.
trad. de Cabaret-Dupaty, Paris, 1893, avec quelques adaptations de Jacques Poucet,
Louvain, 2001
Pour d’autres, l’anecdote renverrait à un passage de Plutarque, dans la Vie de Dion :

Kαὶ Μαρσύαν δέ τινα τῶν προηγμένων ὑπ’ αὐτοῦ καὶ τεταγμένων ἐφ’ ἡγεμονίας ἀνεῖλε, δόξαντα
κατὰ τοὺς ὕπνους σφάττειν αὐτόν, ὡς ἀπ’ ἐννοίας μεθημερινῆς καὶ διαλογισμοῦ τῆς ὄψεως ταύ-
της εἰς τὸν ὕπνον αὐτῷ παραγενομένης.

[Denys Ier de Syracuse dit Denys l’Ancien, 431-357 av. J.-C.] se débarrassa de Marsyas, un des offi-
ciers qu’il avait promus et affectés à un commandement, parce qu’il avait cru voir en songe ce
personnage l’égorger : « Car, dit-il, Marsyas a dû former ce projet pendant le jour et s’en ouvrir à
d’autres, pour que j’aie eu cette vision dans mon sommeil ! »
(d’après Bernard Latzarus, 1950)

Amyot :

Freud, citant de mémoire, ne retient que les circonstances et, au moment de rédiger,
sans procéder à la moindre vérification, invente un arrière-plan.
Dans le cas de la phrase « platonicienne » (extraits A et B), l’indifférence dont il fait
preuve à l’égard de sa source (si l’on ose ainsi dire) est complète.
On a essayé d’y voir une allusion « probable » au début du livre IX de la République (571a -
592b), dont la conclusion est la suivante :

Ταῦτα μὲν τοίνυν ἐπὶ πλέον ἐξήχθημεν εἰπεῖν ˙ ὃ δὲ βουλόμεθα γνῶναι τόδ’ ἐστίν, ὡς ἄρα δεινόν τι
καὶ ἄγριον καὶ ἄνομον ἐπιθυμιῶν εἶδος ἑκάστῳ ἔνεστι, καὶ πάνυ δοκοῦσιν ἡμῶν ἐνίοις μετρίοις
εἶναι· τοῦτο δὲ ἄρα ἐν τοῖς ὕπνοις γίγνεται ἔνδηλον. Εἰ οὖν τι δοκῶ λέγειν καὶ συγχωρεῖς, ἄθρει.

Mais nous nous sommes trop étendus sur ce point; ce que nous voulions constater c’est qu’il y a
en chacun de nous, même chez ceux qui paraissent tout à fait réglés, une espèce de désirs
terribles, sauvages, sans lois, et que cela est mis en évidence par les songes. Regarde si ce que je
dis te semble vrai, et si tu en conviens avec moi.
(traduction Léon Robin, 1950)

Nous sommes loin du compte.

Il s’agit d’une citation « à statut particulier », car Freud construit — au jugé — une syn-
thèse manichéenne de souvenirs qu’il croit avoir gardés de ses lectures philosophiques.
Freud servant de caution, la prétendue citation passe parfois pour être de Platon, qui n’y
est pour rien.
III « Quīcquĭd ĭd ēst, tĭmĕō Dănăōs ēt dōnă fĕrēntīs »

Note (technique) préliminaire


On constate un flottement, d’une édition de l’Énéide à l’autre, entre ferentīs et ferentēs.

Il faut bien voir qu’il s’agit d’un choix éditorial entre le respect strict du parti pris stylis-
tique de Virgile (comme dīuom, aquai, exagmen… à l’imitation d’Ennius, l’accusatif pluriel
ferentīs est archaïsant; ferentĭs = génitif singulier) et une mise aux normes scolaires — et
non pas universitaires — « à visée pédagogique » (en thème, la seule forme ⌈classique⌉
admise à l’accusatif pluriel animé serait ferentēs).

*
[Diachronie : Le paradigme latin des thèmes en -i-]
Accusatif pluriel animé. En indo-européen, il était formé par adjonction de la désinence -ns au
thème à vocalisme prédésinentiel réduit. D’où, pour les thèmes en -y [-i  ̯ ], *-i-ns (got. gastins « hos-
tīs » ; gr. ὄƑῑς < -ινς) […]. En latin, les faits sont les suivants :
[…] Dans les thèmes en -y [-i  ̯ ], la finale *-i-ns produit -īs, parfois noté -eis par graphie récurrente à
une époque où la diphtongue ei venait de produire ī (ainsi ponteis omneis, dans C. I. L., I2 638, de 132
A.C.). Cette finale -īs s’est maintenue jusqu’à environ la fin de l’époque républicaine ; mais elle a
été concurrencée par la finale -ēs issue analogiquement du type consonantique dūcēs, le premier
exemple connu étant, dans la Sententia Minuciorum de 107 A.C., ceivēs. Au terme d’un long proces-
sus de généralisation, cette forme -ēs a définitivement triomphé vers l’époque d’Auguste.
Pierre Monteil, Éléments de phonétique et de morphologie du latin (1973), p. 202

Malgré une mauvaise (et tenace) habitude des grammaires et des manuels scolaires qui ne signa-
lent que -es, rappelons que, au témoignage des manuscrits, l’accusatif pluriel des thèmes parisyl-
labiques (et des thèmes dits « faux imparisyllabiques ») de la 3e délinaison est très régulièrement
en -is jusqu’à Cicéron et que cette forme se rencontre concurremment à -es dans les textes poéti-
ques (et même en prose) à l’époque impériale.
Agrég. Lettres modernes, Concours externe, Rapport du jury sur la session 2007

*
Comme on peut comprendre, quitte à ne pas la partager sans réserve, la démarche qui
consiste à moderniser/normaliser/polir/lisser un texte ancien alors qu’on trouverait
très surprenante celle qui consisterait à recouvrir ce texte d’une patine artificielle desti-
née à le vieillir, il semble légitime de conclure que la leçon d’origine est ferentīs. —

Eugène Benoist [1831-1887], Les Œuvres de Virgile, I (1867), p. xxx :


« Je me suis interdit de rétablir les accusatifs pluriels en is de la troisième déclinai-
son de peur de trop dérouter le lecteur français. »
Cette citation, répétée à tort et à travers, provient de l’Énéide (II, 49), dans le récit
qu’Énée fait à Didon de la chute de Troie. Le stratagème du cheval de bois, rouage essen-
tiel de l’épisode, repose, avant tout, sur le vœu rituel (uōtum ; le verbe est uŏuēre) :

(Voir l’article complet et remarquable de Jules Toutain dans Daremberg et Saglio, d’où le
cliché ci-dessus est tiré, ainsi que celui, de même qualité, de Théophile Homolle sous Dona-
rium.)
Il faut donc, en plus du sens abstrait du terme, prendre en compte l’acception « (objet
concret constituant une) offrande (dédicatoire, votive ou propitiatoire) » , comme dans
l’exemple traditionnel (chez Pétrone) Danai in uoto latent « les Grecs se cachent dans leur
offrande/le cheval de bois ».

Giovandomenico Tiepolo (1727-1804), The Procession of the Trojan Horse into Troy v.1760 National Gallery,
Londres. Sur le flanc du cheval : PALADI VOTVM, inscription dont on ne saurait dire si la drôlerie est
intentionnelle ou non.
Le mot — terme technique, appartenant au vocabulaire religieux — apparaît dès le v. 17,
unique occurrence dans le livre II (30 en tout dans l’Énéide) :
uotum pro reditu simulant ; ea fama uagatur
« (les Grecs) font croire qu’il s’agit d’une offrande en échange de leur retour [sans en-
combre] : telle est la rumeur qui se répand », où pro à la valeur « en échange de, en contre-
partie de », le « vœu » étant un contrat (da ut dem, donnant donnant : c’est du troc) passé
avec la divinité (ici, Athéna).

Dans la suite de l’épisode, le narrateur a recours à dōnum (cf. I, 447 la description d’un
temple donis opulentum et numine diuæ « qui bénéficie de riches offrandes et de la protec-
tion de la déesse » ; exemple pris chez Cicéron : dona magnifica quasi libamenta prædarum
Delphos ad Apollinem misit Tarquin le Superbe « fit porter au temple de Delphes de magni-
fiques offrandes à Apollon, prémices [ἀκροθίνια] en quelque sorte du butin fait sur l’en-
nemi ») en 3 occasions avant notre citation :

 2. 25 Nos abiisse rati et uento petiisse Mycenas :


2. 26 ergo omnis longo soluit se Teucria luctu ;
2. 27 panduntur portæ ; iuuat ire et Dorica castra
2. 28 desertosque uidere locos litusque relictum.
2. 29 Hic Dolopum manus, hic sæuus tendebat Achilles ;
2. 30 classibus hic locus ; hic acie certare solebant.
2. 31 Pars stupet innuptæ donum exitiale Mineruæ,
2. 32 et molem mirantur equi ; primusque Thymœtes
2. 33 duci intra muros hortatur et arce locari,
2. 34 siue dolo, seu iam Troiæ sic fata ferebant.

Croyant les Grecs partis et faisant voile vers Mycènes, les Troyens fêtent leur libération
en se rendant, comme une foule de badauds, visiter le camp déserté par leurs ennemis.
Une partie d’entre eux reste interdite, stupéfaite, en présence de « l’offrande funeste
(donum exitiale) » à Athéna (que Virgile appelle tantôt Pallas à la grecque, tantôt Minerua
par syncrétisme, mais jamais Athēna, forme rarissime), s’étonnant de la masse du cheval.
(Dans deux énoncés coordonnés, les regardants sont d’abord envisagés comme un bloc,
sujet du verbe au singulier stupet, puis comme une multitude d’individus, sujet du verbe
au pluriel mirantur.)

 2. 35 At Capys, et quorum melior sententia menti,


2. 36 aut pelago Danaum insidias suspectaque dona
2. 37 præcipitare iubent, subiectisque urere flammis,
2. 38 aut terebrare cauas uteri et temptare latebras.
2. 39 Scinditur incertum studia in contraria uolgus.

Après Thymétès (Θυμοίτης) qui est d’avis de faire entrer le cheval dans Troie, les voix de
Capys (Κάπυς) et d’autres s’élèvent pour préconiser, parmi les solutions radicales, de
jeter à la mer insidias suspectaque dona « ce piège, cette offrande suspecte » des Grecs
(dona est au pluriel, soit pour s’aligner sur insidiæ inusité au singulier, soit pour suggérer
une pluralité de personnes donnant leur opinion).
 2. 40 Primus ibi ante omnis, magna comitante caterua,
2. 41 Laocoon ardens summa decurrit ab arce,
2. 42 et procul : « O miseri, quæ tanta insania, ciues ?
2. 43 Creditis auectos hostis ? Aut ulla putatis
2. 44 dona carere dolis Danaum ? Sic notus Ulixes ?
2. 45 aut hoc inclusi ligno occultantur Achiui,
2. 46 aut hæc in nostros fabricata est machina muros
2. 47 inspectura domos uenturaque desuper urbi,
2. 48 aut aliquis latet error ; equo ne credite, Teucri.
2. 49 Quicquid id est, timeo Danaos et dona ferentis.»

Lors, accourant le premier tandis qu’une troupe nombreuse vient après lui, Laocoon tout enflam-
mé descend du haut de la citadelle et de loin : « Malheureux citoyens, telle démence est-elle pos-
sible ? Vous croyez les ennemis partis ? Ou pensez-vous que les offrandes des Danaens soient
jamais exemptes d’artifices ? Est-ce ainsi que vous connaissez Ulysse ? Ou bien dans cette char-
pente des Achéens enfermés se cachent ; ou bien c’est un engin fabriqué contre nos murs pour
épier nos maisons et pénétrer d’en haut en notre ville ; ou quelque autre piège s’y dissimule. Ne
vous fiez pas à ce cheval, Troyens. Quoi qu’il en soit, je crains les Danaens même quand ils portent
des offrandes. »
trad. de Jacques Perret, « folio classique » no 2225 (1991) p.79, d’abord publiée dans la coll.
des Universités de France
(Virgile, cherchant à varier les désignations pour parer à la monotonie, utilise des éti-
quettes parfois approximatives et devenues opaques pour le lecteur moderne.
Les Grecs sont ainsi appelés Danai (descendants de Danaüs/Δαναός, fondateur d’Argos et
père des Danaïdes), Grai, Achiui, Argiui, Pelasgi… ; les Troyens Troiani, Dardanidæ, Teucri…
Nos poètes de la Pléiade se sont servis de procédés qui s’en inspirent ; quand Du Bellay
écrit
Telle que dans son char la Berecynthienne
Couronnée de tours et joyeuse d’avoir
Enfanté tant de Dieux, telle se faisoit voir
En ses jours plus heureux ceste ville ancienne
il est évident pour lui que « la Bérécynthienne » est Cybèle, ce qui est bien moins fla-
grant pour nous.)

Les précisions qu’apportent les sources antiques concernant Laocoon (Λαοκόων, alors
que Lāŏcŏōn est proparoxyton) ne concordent pas, sauf peut-être sur un point : il était
prêtre (ἱερεύς, sacerdos). On peut donc écarter l’idée qu’il n’ait pas su que les humains ne
faisaient aux divinités ni cadeaux, ni dons, ni présents, mais des offrandes.

Toujours dans le livre II mais au-delà de notre passage, Priam interroge Sinon (Σίνων) :
Quidue petunt ? quæ religio ? aut quæ machina belli ?
« Où (les Grecs) veulent-ils en venir ? est-ce une offrande ? ou bien une machine de guerre ? »

et la réponse du pseudo-transfuge contient la confirmation que nous attendions :


Nam si uestra manus uiolasset dona Mineruæ
« Car si votre main avait profané l’offrande destinée à Athéna »
car l’objet qui servait de gage au « vœu » n’appartenait plus au monde profane mais devenait
la propriété exclusive de la divinité : ce transfert s’appelle consecratio.

Quant à imaginer, pour un traducteur ou un commentateur, que les Grecs, au bout


de dix années de siège infructueux, aient pu songer à faire un cadeau aux Troyens . . .

Considérer donum comme un synonyme de uotum c’est simplifier un peu trop.

Comme déjà indiqué, uotum est précis, spécifique, puisque la démarche ne peut s’adres-
ser qu’à une divinité ; donum en est un substitut ambigu dans la langue courante, le/la
bénéficiaire ou destinataire pouvant être, suivant le cas, une divinité ou bien un(e) mor-
tel(le).

VOTUM DONUM « offrande » « cadeau »

destinataire
divin + + + -

destinataire
mortel - + - +

Le faux-sens portant sur donum est répandu depuis des siècles (donc pendant toute une
période où il y avait pléthore de latinistes) et des gens tout à fait estimables n’ont pas
résisté à l’appel de cette sirène-là.
Du point de vue d’un angliciste, et pour reprendre la terminologie de Vinay et Darbelnet
(1958), c’est un faux ami ; mais l’explication est un peu courte car elle ne rend compte ni
de « Temo a los griegos hasta cuando hacen regalos », ni de “Beware of Greeks bearing gifts”,
ni de „Traut nicht dem Pferde, Trojaner ! Was immer es ist, ich fürcht’ die Danaer, auch wenn sie
Geschenke bringen“ (d’où Danaergeschenk).

Source supplémentaire de confusion : synonyme de dōnum dans une partie de ses em-
plois, mūnus est, lui aussi, susceptible de prendre le sens d’offrande — absent d’ouvrages
de référence tels que Lewis & Short, Oxford Latin Dictionary, Gaffiot ; curiosité : Quicherat
l’enregistre dans son Thesaurus et le passe sous silence dans son Dictionnaire latin-français.
Illustration chez Sénèque, Agamemnon, III, 2, le Chœur, stance 625a-636 :
Vidimus simulata dona
molis immensæ Danaumque
fatale munus duximus nostra
creduli dextra tremuitque sæpe
limine in primo sonipes cauernis
conditos reges bellumque gestans ;
et licuit dolos uersare ut ipsi
fraude sua caderent Pelasgi :
sæpe commotæ sonuere parmæ
tacitumque murmur percussit aures,
ut fremuit male subdolo
parens Pyrrhus Vlixi.
« Nous avons vu la fallacieuse offrande d’une masse énorme et, dans notre crédulité, nous avons
conduit l’offrande fatale des Danaens de notre propre main et, bien des fois, a tremblé sur les
premiers degrés du seuil le coursier qui portait, cachés dans ses cavités, des rois et la guerre ; et il
eût été possible de retourner la ruse pour faire succomber les Pélasges eux-mêmes à leur propre
piège : bien des fois ont résonné les boucliers qui s’entrechoquaient et un grondement sourd a
frappé nos oreilles quand Pyrrhus a maugréé, refusant d’obéir au trop rusé Ulysse. »
Jacqueline Dangel (Paris-Sorbonne), « Sénèque, poeta fabricator : lyrique chorale et évidence
tragique », in Le Poète architecte : Arts métriques et Art poétique latins (Peeters, 2001), p. 263

Chez Virgile même, ce sémantisme est bien attesté ; ainsi, dans l’Énéide (IV, 217), Iarbas
adressant des reproches à Jupiter :
nos munera templis
quippe tuis ferimus, famamque fouemus inanem.
« À croire que c’est pour cela que nous, nous t’apportons des offrandes dans tes temples
et que nous cultivons en vain ta gloire ! »

(Cette liste n’est pas limitative et on pourrait ajouter ne serait-ce que honōs, dans cette
question rhétorique que Junon pose dans un monologue intérieur, Én. I, 48-49 :
Et quisquam numen Iunonis adoret
præterea, aut supplex aris imponet honorem ?
« Qui donc va maintenant adorer la puissance de Junon ou, suppliant, déposera ses offran-
des sur nos autels ? » J. Perret)

Des éditeurs du texte ont évoqué l’influence possible du grec δῶρον sur donum en tant
que terme désignant un rituel (τῶν ἕν᾽ ἀειραμένη Ἑκάϐη φέρε δῶρον Ἀθήνῃ (Il., VI, 293)
« Hécube en prit un pour le porter en offrande à Athéna »), tandis que d’autres croyaient
avoir trouvé chez Sophocle (Ajax, v. 665) la source de la formule que prononce Laocoon :

[C’est Ajax qui parle]


Ἀλλ᾽ εἶμι πρός τε λουτρὰ καὶ παρακτίους
λειμῶνας, ὡς ἂν λύμαθ᾽ ἁγνίσας ἐμὰ
μῆνιν βαρεῖαν ἐξαλύξωμαι θεᾶς·
μολών τε χῶρον ἔνθ᾽ ἂν ἀστιϐῆ κίχω,
κρύψω τόδ᾽ ἔγχος τοὐμόν, ἔχθιστον βελῶν,
γαίας ὀρύξας ἔνθα μή τις ὄψεται·
ἀλλ᾽ αὐτὸ νὺξ Ἅιδης τε σῳζόντων κάτω.
Ἐγὼ γὰρ ἐξ οὗ χειρὶ τοῦτ᾽ ἐδεξάμην
παρ᾽ Ἕκτορος δώρημα δυσμενεστάτου,
οὔπω τι κεδνὸν ἔσχον Ἀργείων πάρα.
Ἀλλ᾽ ἔστ᾽ ἀληθὴς ἡ βροτῶν παροιμία,
ἐχθρῶν ἄδωρα δῶρα κοὐκ ὀνήσιμα.

« Mais je vais au rivage qui borde la prairie, pour purifier mes souillures par un bain, et apaiser la colère
redoutable de la déesse ; puis, je chercherai quelque lieu désert et j’y cacherai mon épée, cette arme qui
me fut si funeste, dans le sein de la terre, loin de tous les regards; puissent la nuit et les enfers la garder
à jamais dans leurs entrailles ! Car depuis le jour où le terrible Hector me fit ce funeste présent, je n’ai
reçu des Grecs que des outrages : tant est vrai cet adage, que les dons d’un ennemi ne sont point des
dons et n’ont rien que de fatal. »
trad. Nicolas Artaud (1794-1861)

Ajax fait ici allusion à un passage du chant VII de l’Iliade où Hector et lui procèdent à un
échange qu’on peut qualifier de chevaleresque à la suite d’un combat singulier entre les
deux guerriers qu’aucun des deux ne remporte : le fils de Priam donne à son adversaire
son épée aux clous d’argent avec son fourreau et son baudrier, le fils de Télamon son
ceinturon de pourpre. C’est donc avec l’épée qu’il tient d’Hector qu’Ajax va se suicider.

Le proverbe (παροιμία) dont se sert Sophocle est une phrase nominale, une merveille de
concision et un exemple d’oxymore : venant d’ennemis (ἐχθρῶν), les cadeaux (δῶρα)
n’ont pas les qualités essentielles de cadeaux (ἄδωρα est un adjectif composé créé pour
l’occasion avec en 1er terme un préfixe négatif [qui porte l’accent tonique] : « sont tout
sauf des cadeaux », en quelque sorte).

On voit bien que le beau vers de Virgile n’a aucune dette envers celui de Sophocle.

Le comble est atteint lorsqu’une erreur est verrouillée, cadenassée, et réussit à passer
pour une vérité aux yeux d’un observateur qui ne peut pas aller au-delà des apparences.

Wikipedia, dans sa version hellène (Βικιπαίδεια), consacre un article à Laocoon (Λαοκόων).


En voici le troisième paragraphe in extenso accompagné de l’illustration d’origine :
Στην Αινειάδα, ο Βιργίλιος βάζει τον Λαοκόωντα
να λέει : Equo ne credite, Teucri / Quidquid id
est, timeo Danaos et dona ferentes, δηλαδή «Μην
εμπιστεύεστε το άλογο, Τρώες. / Οτιδήποτε κι αν
είναι, φοβάμαι τους Έλληνες ακόμα κι όταν
φέρνουν δώρα». Από αυτούς τους στίχους έχει
γίνει διάσημη και παροιμιώδης η φράση "timeo
Danaos et dona ferentes", και στα ελληνικά:
«Φοβού τους Δαναούς και δώρα φέροντας».

http://el.wikipedia.org/wiki/%CE%9B%CE%B1%CE%BF%CE%BA%CF%8C%CF%89%CE%BD

Dans l’Iliade, Virgile fait dire à Laocoon : Equo ne credite, Teucri / Quidquid id est, timeo Danaos et dona
ferentes, c’est-à-dire : « Ne vous fiez pas au cheval, Troyens. Quoi qu’il puisse être, craignez les
Grecs, même quand ils apportent des cadeaux. » De ces vers est née la phrase célèbre et proverbiale
timeo Danaos et dona ferentes, et en grec : « Φοβού τους Δαναούς και δώρα φέροντας ».

(mot à mot — κατά λέξιν — « Crains », à l’impératif ; l’indicatif serait φοβάμαι/φοβούμαι)

*** Il y a hésitation manifeste, sur Internet, entre φέροντες et φέροντας, cf. le billet
Φοβού τους Δαναούς και δώρα φέροντας ή φέροντες ;
du 23 octobre 2007 sur le site singensanggesungen, null’s blog.***

Sur le site du Γενικό Πειραματικό Λύκειο Ηρακλείου (Experimental Senior High School of
Heraklion), on peut lire Ιστορικές ρήσεις και γνωμικά no31 :
Φοβού τους Δαναούς και δώρα φέροντες
avec la traduction (μετάφραση) :
Να φοβάσαι τους Δαναούς ακόμα κι αν σου φέρνουν δώρα.

Par ailleurs, le Projet Homère affiche « Parmi les locutions du grec ancien utilisées en grec
moderne » :

Φοβού τους Δαναούς και δώρα φέροντες c’est à dire - Je crains les grecs, même por-
teurs de présents.

(http://www.projethomere.com/travaux/locutionsgrecques.htm)
Et voilà comment on réécrit l’Histoire.

Timeo Danaos… est une citation « à statut particulier » car on se méprend très souvent sur
sa signification : plus elle est galvaudée, plus l’interprétation fautive s’incruste et l’erreur
se trouve confortée par la répétition même. Elle est répandue et prolongée dans plusieurs
langues par des clichés que l’origine classique semble valider. Dans le cas particulier du
grec moderne, la situation en est arrivée au point où prévaut l’opinion qu’il s’agit d’un
héritage national : c’est une falsification de l’Histoire.

ANNEXE
1) Remarque de Louis-Éléonore-Marie Magnier [1792-1865] dans son édition de l’Énéide.

2) Timeo Danaos… chez Édouard Fournier [1819-1880], L’Esprit des autres (1re éd. : 1855) :
à gauche : p. 65 de la 4e éd. (1861)
à droite : p. 73 de la 8e éd. (1886)

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