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La Forêt boréale

et
le matériau bois

25 février 2004
La Forêt boréale et
le matériau bois

Transcription de la rencontre du
CERCLE DE PRESSE DU SAGUENAY
tenue à Saguenay, le 25 février 2004

Ce document a été préparé par le


Consortium de recherche sur la forêt boréale commerciale
Réjean Gagnon, directeur-coordonnateur, chercheur
Téléphone : (418) 545-5011, poste 5072
Courriel : réjean_gagnon@uqac.ca

Mai 2004
La Forêt boréale et
le matériau bois

Transcription de la rencontre du
CERCLE DE PRESSE DU SAGUENAY
tenue à Saguenay, le 25 février 2004

Présentation
Le 25 février 2004, le Cercle de presse du Saguenay consacrait sa rencontre hebdomadaire
à la promotion du Bar des sciences Québec Science, organisé à l’initiative de la chaire en
Éco-conseil de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et ayant pour thème «Forêt
boréale : code rouge ?»

Quatre scientifiques participaient à cette rencontre :

• le professeur Francesco di Castri, spécialiste des écosystèmes, directeur de


recherche au Conseil national de la recherche scientifique, Université de Montpellier,
France, et directeur du programme SCOPE (Scientific Committee on problems of the
environment) ;

• le professeur Réjean Gagnon, spécialiste en écologie de la forêt boréale, directeur du


Consortium de recherche sur la forêt boréale commerciale, UQAC ;

• le professeur Pascal Triboulot, spécialiste de la mécanique des bois, directeur de


l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois (ENSTIB), Épinal,
France ;

• le professeur Claude Villeneuve, spécialiste des changements climatiques, directeur


de la chaire en Éco-conseil de l’UQAC.

Après avoir partagé leurs connaissances sur l’état actuel et futur de la forêt boréale, tous
ont accepté avec plaisir de répondre aux questions des journalistes présents.

Voici une transcription de cette rencontre.

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Présentations initiales
Claude Villeneuve

Présentation des À titre de directeur de la chaire en Éco-conseil, il me fait plaisir de


invités. vous informer que le Bar des sciences sur la forêt boréale qui aura
lieu ce soir est l’une des premières activités publiques de la chaire et
Professeur que nous y accueillerons des invités prestigieux, qu’il nous fait grand
Francesco di Castri, plaisir de recevoir.
spécialiste des
écosystèmes, D’abord le professeur Francesco di Castri. Le professeur di Castri a
directeur de été assistant au directeur général de l’UNESCO et il est directeur de
recherche au CNRS, recherche au Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) de
Université de Montpellier. Il dispose d’une vaste expérience, résultat d’une carrière
Montpellier, France, passée dans les différents biomes de la planète. Il fait notamment
et directeur du autorité en ce qui concerne les écosystèmes méditerranéens. Le
programme SCOPE professeur di Castri nous visite à l’occasion d’un enseignement qu’il
(Scientific Committee donne chaque année aux étudiants du Diplôme d’études supérieures
on problems of the spécialisées (DESS) en Éco-conseil, un programme qui, je vous le
environment) rappelle, est unique en Amérique du Nord.

Professeur Pascal Le professeur Pascal Triboulot est directeur de l’École nationale


Triboulot, spécialiste supérieure des technologies et des industries du bois (ÉNSTIB) à
de la mécanique des Épinal, en France. Le professeur Triboulot est docteur en génie
bois, directeur de mécanique et il a réalisé plusieurs travaux extrêmement importants.
l’École nationale L’école qu’il dirige s’intéresse aux propriétés du bois et à la mise en
supérieure des place d’une approche de formation intégrée. Le professeur Réjean
technologies et des Gagnon et moi l’avons rencontré l’année dernière à la suite d’une
industries du bois, visite réalisée dans le cadre d’un colloque sur le bois, à l’invitation de
France. la région des Vosges. Le professeur Triboulot nous parlera ce soir de
la demande mondiale de bois, des propriétés de ce matériau et de
Professeur Réjean l’utilisation que l’on peut en faire.
Gagnon, spécialiste
en écologie de la Le professeur Réjean Gagnon est un collègue du Département des
forêt boréale, sciences fondamentales. Il est docteur en écologie forestière et il a
directeur du mené des travaux très intéressants à l’Université du Québec à
Consortium de Chicoutimi (UQAC), en particulier avec le Consortium de recherche
recherche sur la forêt sur la forêt boréale commerciale, qu’il dirige. Ses recherches nous
boréale commerciale, montrent que l’on avait probablement très mal compris cet
UQAC. écosystème immense qui constitue le plus grand biome forestier du
monde. La forêt boréale est un enjeu important, car il ne faut pas
Présentés par le oublier qu’elle est circumpolaire et qu’on la retrouve en Russie, en
professeur Claude Scandinavie et au Canada. Au Québec, le débat s’est peut-être
Villeneuve, cristallisé autour d’un événement, le film L’Erreur boréale. Le Bar des
spécialiste des sciences de ce soir nous permettra de vulgariser des concepts, de
changements partager des manières de voir et des éclairages fort différents, et de
climatiques, directeur prendre du recul par rapport à cette question, de manière à
de la chaire en Éco- comprendre si l’on a raison ou non de parler d’un Code rouge pour la
conseil de l’UQAC. forêt boréale.

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Réjean Gagnon

Il faut assurer la À l’UQAC, nous avons entrepris des recherches concernant la forêt
pérennité des forêts boréale depuis une vingtaine d’années. Notre forêt boréale est
d’épinettes noires. particulière parce qu’une espèce s’y retrouve en abondance :
l’épinette noire. Dans le monde, cette espèce est rare, et par le fait
Les feux peuvent même, elle constitue un élément de la biodiversité mondiale. Nous
causer une travaillons à assurer la pérennité de cette ressource.
déforestation
naturelle. Dans la région, nous avons régulièrement des feux de forêt. Nous
nous sommes donc posé beaucoup de questions sur la «valeur»
écologique de ces feux. Ce sont des événements naturels, mais sont-
ils nécessaires au maintien et au renouvellement de notre forêt
d’épinettes noires ? Nos résultats nous disent maintenant que non, au
contraire. Ces feux, qui sont souvent d’origine tout à fait naturelle
dans le Nord, causent une régression de nos forêts. Actuellement, et
cela dure depuis plusieurs millénaires, on assiste à une déforestation
tout à fait naturelle, attribuable aux feux et à la difficulté pour l’épinette
noire de se régénérer après coup. Sur ce sujet, je passe la parole à
M. di Castri qui pourra vous entretenir de la question. Si le
phénomène est naturel, est-il nécessairement souhaitable ? Est-il
bénéfique ? Quand on veut aménager la forêt, doit-on imiter la
nature ?

Francesco di Castri

Les feux de forêt sont En général, les feux sont un facteur écologique naturel très important.
des phénomènes Il y a des écosystèmes qui ne peuvent vivre qu’avec le feu, comme
naturels. Ils jouent un les Chaparals, en Californie. Si les feux sont naturels et inévitables, il
rôle important. faut composer avec eux. La régression dont vous parlez se produit
depuis toujours. Dans la plupart des écosystèmes du monde, les feux
La régression des jouent un rôle assez positif. Les écosystèmes ont tendance à la
forêts n’est pas sénescence, comme les hommes. Les feux permettent donc aux
nouvelle. écosystèmes de redevenir jeunes. Je ne sais pas si c’est le cas ici,
dans la forêt boréale.
Dire qu’il faut imiter la
nature parce qu’elle Évidemment, il faut étudier les phénomènes à fond et il faut surtout
fait mieux les choses, éviter le déterminisme voulant qu’il faille accepter complètement ce
c’est joli, c’est que fait la nature sans intervenir. La gestion des ressources et des
rassurant, mais ce écosystèmes implique presque toujours la main de l’homme. Dire qu’il
n’est pas vrai. faut imiter la nature parce qu’elle fait mieux les choses, c’est joli, c’est
rassurant, mais ce n’est pas vrai. En général, même dans les parcs
Seule la gestion nationaux, si l’on n’intervient pas, d’une manière différente selon les
humaine peut cas, on obtient plus de dégradations que d’améliorations. C’est la
assurer que les forêts même chose pour les grands incendies dans les parcs américains.
se régénèrent au lieu
de se dégrader. Devons-nous imiter la nature ? En général, non. Il faut avoir une
gestion qui fournisse les meilleures solutions possibles.

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En l’absence de gestion par l’homme, la plupart des écosystèmes se
dégradent plutôt que de se régénérer. Cette notion n’est pas tellement
prise en considération dans les écosystèmes méditerranéens et de
l’hémisphère Sud, où cela est encore plus vrai. Sans gestion, les
écosystèmes connaissent une très forte régression. Donc, M. Gagnon
doit continuer à faire ce qu’il fait, une très bonne gestion, qui a prouvé
des choses extraordinaires par rapport à la chronologie, à l’âge des
différents arbres. Il a révolutionné toute l’écologie boréale. Il ne le dira
pas, il est trop modeste. Il a changé complètement l’approche de la
succession de la forêt boréale et il utilise des techniques qui
constituent de la véritable gestion. Ce n’est pas de l’imitation de la
nature. M. Gagnon agit comme le représentant de la nature.

Pascal Triboulot

La demande pour le Mon propos portera principalement sur ce que je connais, c’est-à-dire
bois comprend la l’utilisation du bois. La première question que l’on peut se poser
bioénergie et concerne les besoins au niveau mondial. On peut les estimer
l’industrie. aujourd’hui à environ trois millions 500 mille mètres cubes par an. La
première chose à intégrer, c’est que ces besoins sont très différents. Il
L’utilisation du y a d’abord des besoins en termes de bioénergie, ce qui représente
matériau bois diffère environ 55 % des utilisations du bois sur la planète. Le complément,
selon les pays. environ 45 %, comprend le bois d’industrie : le papier, la construction,
l’ameublement.
La dimension
environnementale est La deuxième chose à intégrer, c’est que l’utilisation du matériau est
de plus en plus prise très différente entre les pays de l’hémisphère Nord et ceux de
en compte. Le bois l’hémisphère Sud, entre les pays en voie de développement et les
est un matériau pays dits développés. Dans les pays en voie de développement, 80 %
renouvelable. de la consommation de bois sert à l’énergie, le reste à l’industrie.
Dans les pays du Nord, c’est presque l’inverse : 80 % pour l’industrie
L’utilisation du bois et 20 % pour l’énergie. Par ailleurs, c’est un secteur qui se développe
en France est beaucoup, en particulier en Europe et en France, où l’on tient
différente de celle aujourd’hui compte du caractère renouvelable du matériau et de tout
que l’on fait ici. On le ce qu’il peut apporter dans les énergies alternatives et renouvelables.
retrouve davantage
dans les grands Au-delà du constat, une autre question me paraît importante. Nous
ouvrages. sommes tous embarqués sur une même planète ; en théorie, c’est un
espace fini et nous sommes de plus en plus nombreux. Nous avons
Le volet de plus en plus besoin de matériaux pour construire les biens
environnemental d’équipement qui font que la vie est agréable et, bien entendu, nous
constitue un nouveau avons de plus en plus besoin d’énergie. Face à ces besoins, nous
paramètre dans le avons une alternative : utiliser des matériaux ou des énergies
choix des matériaux. d’origine fossile – le pétrole en fait bien entendu partie – sachant que
l’on creuse et qu’à un certain moment, on arrive au bout du trou, ou se
Pour le bois, cette poser des questions sur les matériaux et les énergies renouvelables.
dimension est très Dans ce secteur, on peut prendre en compte la biomasse, l’énergie
positive. éolienne, solaire, etc.

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Je suis ingénieur mécanicien et ce qui m’a intéressé dès le départ
avec le bois, c’est que l’on a affaire à un matériau complètement
différent des autres parce qu’il a une grande qualité : c’est un
matériau qui pousse. Je schématise, mais vous pouvez faire toutes
les expériences possibles, planter un barreau d’aluminium ou d’acier
dans votre jardin, il ne se passe rien. Cette notion de matériau qui
pousse, cette chance inouïe d’avoir à notre disposition un matériau
qui se distingue des autres, je voudrais l’illustrer avec la
problématique forestière de la France.

Aujourd’hui, l’accroissement biologique de la forêt française est de


l’ordre de 86 millions de mètres cubes par an. L’exploitation qui en est
faite est largement inférieure à cela, puisqu’elle se situe à environ
45 et 50 millions de mètres cubes par an. Nous sommes face à une
situation qui paraît extrêmement intéressante, comme le montre ce
parallèle que j’utilise toujours avec mes étudiants : «Vous avez de
l’argent à la banque. Cet argent génère des intérêts et vous avez
beau faire toutes les fêtes possibles et imaginables, tous les jours que
Dieu fait, vous n’arrivez pas à consommer vos intérêts». En fait, la
réalité forestière dans notre pays est celle-là. Paradoxalement, la
question qui se pose aujourd’hui à nous est la suivante : comment
développer de manière plus importante l’utilisation du bois ?

On peut regarder les choses à travers les grands secteurs


d’utilisation, notamment le bois d’industrie et principalement, le
domaine de la construction. La construction de bois se développe de
manière tout à fait spectaculaire en Europe (Allemagne, France,
Suisse, Autriche, un petit peu moins en Europe du Sud) pour les
raisons que je viens d’évoquer et pour une raison que je trouve
essentielle : la découverte d’un nouveau paramètre dans le choix des
matériaux, le paramètre environnemental. Cette dimension est très
positive.

Pour vous dire à quel point on a réussi à convaincre les gens, en


particulier en France, même les hommes politiques ont compris ce
nouveau paramètre. L’un des articles de la Loi sur l’air, votée il y a
quelques années, précise que l’augmentation de la part du bois dans
la construction devient une nécessité. Malheureusement, aucun quota
n’a été fixé, ce qui est un autre débat. Donc, les hommes politiques
l’ont compris, les architectes également et l’on a aujourd’hui sur le
territoire national un développement très important dans l’utilisation du
bois pour la construction.

Paradoxalement, c’est un peu l’inverse de ce que l’on a ici au


Québec. Autant dans le domaine de la maison individuelle, nous ne
sommes pas très bons, alors qu’ici c’est une réalité tout à fait
palpable, autant dans le domaine des ouvrages plus conséquents,
immeubles collectifs, écoles, voire universités et bâtiments
administratifs, nous connaissons aujourd’hui un développement
extrêmement conséquent. Là aussi, c’est un point qu’il faut signaler.

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Vous savez qu’en France, nous avons quelques vénérables
institutions. L’École des ponts et chaussées en fait partie. Depuis
quelques années, on y enseigne l’utilisation du bois, pour un domaine
d’application qui peut paraître surprenant, soit celui des ouvrages
d’art, donc des ponts. Il y a très longtemps, on avait reproché au bois
son caractère biodégradable. On estimait que c’était un matériau qui
ne s’inscrivait pas dans la durée. En regardant l’histoire et le
vieillissement des ouvrages d’art faits en béton armé, on s’est aperçu
que la durée de leur intervention était de l’ordre du demi-siècle.
Quand on a étudié l’histoire des grands ouvrages de bois à travers le
monde, on a trouvé des indices de durabilité qui pouvaient être du
même ordre de grandeur, voire même au-delà.

On s’intéresse donc à la construction des grands ouvrages utilisant le


matériau, dont des ponts autoroutiers et des ponts de tous gabarits.
La nécessité en Europe aujourd’hui, c’est de trouver des moyens
d’utiliser plus de bois, d’une part, parce que la forêt ne cesse
d’augmenter et, d’autre part, parce qu’il est urgent de prendre en
compte les dimensions environnementales dans le choix et l’usage
des matériaux, mais aussi dans le choix et l’usage des sources
d’énergie, dont le bois.

Claude Villeneuve

En captant le CO2, le La table est mise. Je m’intéresse aux gaz à effet de serre depuis à
bois contribue à peu près deux décennies. L’une des premières découvertes à faire
réduire la vitesse des dans ce domaine est que le bois constitue du CO2 en piles. Quand on
changements se situe dans une problématique mondiale, où l’on constate une
climatiques. augmentation de l’ordre de trois à quatre milliards de tonnes de CO2
dans l’atmosphère chaque année, des chiffres comme ceux évoqués
Le reboisement de par Pascal Triboulot sont très intéressants. On se dit que si l’on est
parcelles dénudées capable d’utiliser de plus en plus le bois comme matériau ou de faire
constitue une croître de plus en plus de forêts, on captera de plus en plus de gaz à
alternative à la effet de serre, ce qui nous permettra de réduire la vitesse des
régression naturelle changements climatiques. Et cela devient dramatique d’entendre
de la forêt boréale. Réjean Gagnon nous dire, chiffres et modèles scientifiques bien
étayés à l’appui, que la plus grande forêt du monde, la forêt boréale,
C’est aussi une est en train de régresser naturellement.
solution pour
l’économie des C’est pour cela par exemple que nous avons présenté l’an dernier un
régions et il s’agit de mémoire d’experts à la Commission parlementaire sur les
développement changements climatiques mise sur pied par le gouvernement du
durable. Québec. Nous y mentionnions que l’une des façons pour le Québec
de penser atteindre les objectifs de Kyoto et même de les dépasser, y
compris avec le Suroît, serait de reboiser des parterres actuellement
vides de forêt parce que la déforestation naturelle, dont parlait Réjean
Gagnon, a frappé.

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Uniquement dans le territoire régional, près d’un million d’hectares de
ces terres naturellement déboisées seraient propices à la forêt. Or, le
déboisement naturel n’est pas un phénomène écologique intéressant
parce qu’il n’aide pas à maintenir la biodiversité, au contraire. Une
forêt contient beaucoup plus de niches écologiques qu’une taïga,
qu’un milieu de toundra ou que ce que l’on appelle un «dénudé sec».
Les études de Réjean Gagnon modifient nos conceptions et notre
vision de la forêt. Elles nous mènent à penser que l’utilisation du bois
et l’exploitation de la forêt de façon durable peuvent devenir un outil
de gestion des changements climatiques. Et c’est un défi qu’il faut
être prêt à relever parce que nous avons au Québec d’immenses
parterres forestiers et d’immenses parterres déboisés.

Dans notre mémoire, nous parlions d’un million 500 mille hectares
facilement accessibles qui pourraient être immédiatement reboisés au
Québec. Cela représente la plantation de trois milliards d’arbres. Si
vous considérez le prix de plantation d’un arbre, vous avez
immédiatement une idée des retombées économiques pour les
régions. Cela, sans parler d’une amélioration écologique importante et
notable et de la possibilité, à terme, de léguer aux générations futures
une biomasse forestière utilisable pour leurs propres besoins. Il s’agit
donc de développement durable et c’est une vraie gestion durable de
la forêt que nous proposons.

Questions et réponses
Bertrand Tremblay
Le Quotidien

Quelle perception les Ma première question s’adresse M. Triboulot. Quelle perception avez-
Français ont-ils de vous de notre exploitation forestière et avez-vous des suggestions à
notre exploitation nous faire ?
forestière ?
Par ailleurs, en écoutant Claude Villeneuve nous reparler du
Au Québec, qu’en reboisement de la forêt, je me souviens d’un ministre libéral, Albert
est-il des plans de Côté, qui avait présenté une loi sur la forêt (c’est depuis ce temps qu’il
reboisement ? y a des CAAF, je pense). Il proposait à l’époque un plan de
reboisement dans lequel il en coûtait 2 $ par arbre planté et ce coût
était alors imputé aux entreprises forestières. Qu’en est-il de ce plan ?

Pascal Triboulot

Vu de France, tout Je ne forme pas des forestiers, mais des spécialistes de la


est beau. transformation et de l’utilisation du bois. Si je m’appuie sur mes
30 étudiants et quels que soient les aspects sur lesquels on puisse
l’approcher, le Québec fait partie de leurs grands rêves. Tout étudiant
a envie de faire un stage au Québec. Pour eux, vu de la France, tout
est beau, tout est mieux, tout est plus grand. Cette vision est

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Seule l’exploitation confirmée par les visites que j’ai pu faire hier dans les unités de
forestière peut première transformation ou dans les usines qui fabriquent des
permettre la composants pour la construction. Je ne suis pas sûr que la
valorisation, problématique qui nous unit aujourd’hui, la forêt boréale, soit très
l’entretien et la présente dans les réflexions de mes étudiants ou des Français de
gestion saine de la manière générale. On a l’impression qu’ici, le réservoir est sans fin.
forêt et il y a diverses
manières de Je ne me permettrais pas de donner des conseils. Je ne suis pas
l’aborder. compétent en matière forestière pour apporter des éléments sur ce
point particulier. Cela dit, avec ma petite expérience, je reste
Les problèmes sont persuadé qu’à la limite, seule l’exploitation forestière peut permettre la
différents en France, valorisation, l’entretien et la gestion saine des forêts. Nous sommes
mais en toutes dans un contexte où, de manière générale, l’économie prime et je
choses, couper un pense qu’au-delà de ce que l’on peut tirer de l’exploitation forestière
arbre n’est pas un d’une parcelle, les autres sources de revenus qui permettent
drame national. d’exploiter et d’entretenir un territoire restent à imaginer.

L’utilisation de la Chez nous, les problèmes sont différents parce que nous n’avons pas
forêt est l’une des de forêts naturelles. Nous sommes sur un territoire forestier géré
pistes de solution aux durablement depuis déjà un certain nombre de décennies, voire de
problèmes siècles. (Au moment de la Révolution, nous en étions tout de même
environnementaux. arrivés à un niveau forestier dramatiquement faible, mais cela s’est
largement amélioré depuis.) Pas de conseils, donc, mais je ne
Chaque fois que l’on partage pas l’image que l’on veut donner en disant que, d’un point de
met en œuvre un m3 vue environnemental, couper un arbre, c’est un drame national. Tout
de bois, on au contraire. On pourrait développer le raisonnement sur toute une
emmagasine partie du globe qui pause problème, la forêt tropicale, où l’on aurait
l’équivalent d’une des problèmes du même ordre.
tonne de CO2.
Un autre élément m’interpelle. À chaque fois que l’on met en œuvre
un mètre cube de bois, on stocke l’équivalent d’une tonne de CO2.
C‘est un chiffre simple à manipuler. Même les politiques ont compris
cette équation simple par rapport aux engagements de la France face
aux accords de Kyoto. Aujourd’hui, la part du bois dans les matériaux
de construction est de 10 %. C’est trois fois rien. Mais passer de 10 %
à 12,5 %, c’est trois fois rien non plus. Cela ne va pas faire boiter les
autres secteurs économiques, mais cela permettra de respecter
environ 20 % des engagements de la France pour Kyoto. C’est loin
d’être neutre.

On a là une piste essentielle en matière environnementale, mais qui


s’appuie évidemment sur une gestion intelligente de la forêt. Je ne
suis pas choqué que l’on puisse avoir ici et là des usines de
production de matière ligneuse, des forêts industrielles. Ça ne me
choque pas. Quand je ramène mes 85 millions de m3 de tout à l’heure
en production journalière, cela donne une usine à matériaux qui
génère 250 000 m3 par jour. Ce n’est pas rien. Ça vaut le coup de se
pencher là-dessus. Je ne réponds pas complètement à votre question
sur l’aspect forestier parce que j’en suis bien incapable, mais je pense
que l’on a là le sujet d’une véritable réflexion.

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Nous sommes embarqués sur une même planète et je crois que la
technique qui consistait à creuser pour trouver les ressources va nous
mener rapidement au fond du trou. Il faut imaginer autre chose et je
crois que l’on a, à travers la forêt, un élément de réponse.

Claude Villeneuve

Le coût de la Le coût de plantation des arbres a grandement diminué grâce à des


plantation d’arbres a recherches faites ici, à l’UQAC, par le professeur Daniel Lord. Ces
diminué et tout arbre recherches permettent aujourd’hui de diminuer de moitié le coût de
planté contribue à plantation que vous mentionniez. Ces chiffres nous montrent qu’il y a
lutter contre les gaz à un potentiel très important de développement régional et de
effet de serre. développement d’entreprises pour produire, planter et surveiller ces
plantations, parce que le feu remet en circulation le carbone fixé par la
forêt et tout avantage est alors perdu. Au chapitre de la fixation du
CO2, le seul accroissement sur lequel on peut compter est celui du
bois que l’on est capable de couper et de stocker, comme l’a dit
M. Triboulot. C’est toute une stratégie qu’il faut développer autour de
l’aménagement durable des forêts. Chez nous, uniquement dans le
million et demi d’hectares dont je vous parlais, le potentiel estimé de
réduction des gaz à effet de serre est l’équivalent de ce que
produisent un million et demi de voitures.

Denis Villeneuve
Progrès-Dimanche

Le Québec est-il à la M. Triboulot, depuis que je suis très jeune, on me dit qu’au Québec,
fine pointe de la on exploite nos forêts en utilisant seulement la crème et que c’est
technologie ? l’épinette noire qui est exploitée. À preuve, ici, à l’UQAC, nos meubles
sont en chêne ! (rires) Le défi au Québec n’est-il pas avant tout
Pourrait-on technologique ? Je parle notamment de l’épinette noire qui sert
augmenter la valeur grossièrement à la construction de maisons et à la fabrication de pâte.
ajoutée liée à N’y a-t-il pas des efforts à faire pour exploiter le bois avec une valeur
l’exploitation de la ajoutée supérieure à ce que l’on fait actuellement ? J’aimerais que
forêt ? vous me parliez de la France qui est avancée sur le plan
technologique, qui a moins de forêts, mais en fait peut-être une
meilleure utilisation.

Pascal Triboulot

Vous êtes à la fine Je vais parler de ce que j’ai vu dans mes visites des industries d’ici.
pointe de la Je n’aurai pas un discours de langue de bois. D’un point de vue
technologie en technologique, je regarde les unités de transformation de type
transformation. «scieries» et il n’y a rien à dire. Vous êtes à la pointe de la
technologie. Là-dessus, les scieries françaises font pâle figure. Pour
ce qui concerne les composants liés à la construction, je crois que
c’est pareil. On retrouve là une technologie qui est en avance sur ce
que l’on peut avoir de l’autre côté de l’Atlantique.

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C’est dans l’utilisation Par contre, et là je suis très sincère dans ce que je vais dire, j’ai
du matériau que le l’impression qu’il y a une perte de savoir-faire dans l’utilisation de ce
bât semble blesser, matériau, entre autres dans la construction.
particulièrement pour
la construction. Dans les années 50, il y avait une chanson : Ma cabane au Canada.
J’étais persuadé qu’on avait tout à apprendre ici en matière
Il se fait en Europe d’utilisation du bois pour la construction, mais vraiment tout. J’ai
de très belles l’impression que les choses n’ont pas véritablement évolué dans
constructions avec le l’habitat individuel, que c’est resté assez standardisé et uniformisé. Je
bois. crois par contre que là où l’on est très en avance chez nous, c’est sur
la découverte architecturale d’un matériau nouveau pour nos
Si l’on veut architectes et qui met fin à une sorte de surdose de béton, d’acier,
développer d’aluminium et de verre dans l’architecture contemporaine. Toute une
l’utilisation du bois, génération d’architectes est maintenant capable de faire de la très
il faut se concentrer belle architecture en utilisant le bois et l’on a en Europe quelques
sur le secteur de la réalisations somptueuses avec ce matériau. Je crois que s’il y avait un
construction. point à développer, ce serait vraisemblablement celui-là.

Il faut impliquer les Je fais référence à mon expérience dans l’école que je dirige. À
architectes et les l’époque, je ne la dirigeais pas et je m’étais un peu bagarré avec
maîtres d’œuvre. l’ancien directeur pour imposer une direction «construction / bois»
Il faut établir un pour les ingénieurs que je forme. J’avais réussi. On l’a mise en place
dialogue et tout le et je me suis fait un commentaire personnel très simple : former des
reste suit. ingénieurs pour la «construction / bois», c’est intéressant, mais
encore faut-il que les architectes aient envie de construire avec ce
matériau. J’ai pris mon bâton de pèlerin et j’ai fait le tour des
22 écoles d’architecture en France pour savoir quel était le discours
que l’on y tenait sur ce matériau. Il n’y avait plus de discours depuis
bien longtemps. Cela avait disparu de la formation de nos architectes
et il n’y avait rien de surprenant à ce qu’ils n’utilisent pas ce matériau
dans leur acte journalier, qui est celui de construire.

On a mis en place un certain nombre de mesures, dont une formation


spécifique donnée dans notre établissement aux architectes, en
complément de leur formation initiale, sur des technologies qui
permettent de générer des projets de qualité visant le bois. C’est un
accompagnement des maîtres d’œuvre.

Si l’on veut développer l’utilisation du bois, il faut se concentrer sur le


secteur de la construction où se trouvent les gros volumes, au-delà du
papier, bien entendu. Cela passe par un dialogue et un changement
d’approche chez les maîtres d’œuvre, les architectes et les maîtres
d’ouvrages. Dans un premier temps, nous avons fait un travail très
intense avec les maîtres d’ouvrages publics. C’est une mayonnaise à
faire prendre, mais les ingrédients initiaux sont avant tout dans le
domaine de la construction et la première bataille à gagner, c’est la
maîtrise d’ouvrage. Quand on a fait ça, tout le reste suit.

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Jacques Gauthier
CBJ-Radio-Canada

Y a-t-il une autre Une question pour M. Villeneuve. Vous avez dit en préambule qu’il y a
manière de voir la d’autres façons de voir la forêt boréale que celle qui est dans le film
forêt que celle de L’Erreur boréale, pouvez-vous développer ?
L’Erreur boréale ?

Claude Villeneuve

L’art et la science ne Je vais commencer avec une métaphore. Le poète peut parfaitement
visent pas les mêmes dire qu’il a le cœur brisé. C’est une façon d’exprimer son désarroi,
buts et ne procèdent mais ce n’est jamais cela que l’on trouve à l’autopsie. Pour le
pas de la même scientifique, on peut très bien comprendre les choses et l’on n’a pas,
manière. du moins dans les règles de la science, à faire intervenir nos émotions
dans la gestion. On peut arriver aux mêmes conclusions, c’est-à-dire
Il faut réintroduire la qu’il y a un profond malaise, mais on n’aura pas la même façon de
pensée et la méthode procéder pour y arriver. Le film L’Erreur boréale est une réalisation
scientifiques dans le magistrale et l’auteur lui-même le dit sans ambages, ce n’est pas un
débat. discours de spécialistes. C’est un discours qui ne se veut pas neutre,
au contraire, mais qui prétend réveiller la sensibilité des gens à ce
L’utilisation durable problème. Et en ce sens, c’est une démarche complètement différente
du bois est de celle qui vient, par exemple, de la conception de la recherche, de
avantageuse sur le la chaire en Éco-conseil ou des approches scientifiques en général.
plan
environnemental. Nous sommes tout à fait conscients qu’il faut gérer durablement notre
forêt, mais cela veut-il dire qu’il ne faut pas intervenir lorsque l’on
La forêt n’est pas découvre qu’il y a une déforestation naturelle ? Pierre Dansereau, l’un
qu’un réservoir des pères de l’écologie, dit que ce n’est pas vrai que la nature fait
écologique ; elle est bien les choses. La nature fait les choses, point. À l’heure actuelle, six
l’un des moyens de milliards 300 millions d’humains ont de plus en plus besoin d’un
lutter contre le matériau et si tous ces humains n’utilisent pas ce matériau, ils vont
réchauffement de la produire des gaz à effet de serre.
planète.
M. Triboulot disait que le bois peut remplacer le béton dans beaucoup
Le Protocole de d’endroits. Quand vous produisez une tonne de béton, vous émettez,
Kyoto ne règlera pas au mieux, 0,8 tonne de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Quand
tout. vous utilisez de l’aluminium, ici à Arvida, vous produisez quatre
tonnes de gaz par tonne d’aluminium. Aux États-Unis, cela peut aller
Le Bar des sciences jusqu'à 16 tonnes, si l’on prend en considération le bilan de cycle de
veut introduire cette vie, parce que l’aluminium est produit avec de l’électricité provenant
approche dans la de l’énergie thermique. Si vous êtes capable de remplacer ces
discussion. matériaux par du bois, vous y gagnez parce qu’une tonne de bois
équivaut au retrait d’une tonne de gaz à effet de serre dans
l’atmosphère, si vous l’utilisez de façon durable, naturellement.

Ces éléments nous permettent de ne plus voir la forêt seulement


comme un milieu de vie, un habitat, une source extraordinaire de
biodiversité, de conservation de l’eau ou de régulation des
précipitations. Ils nous permettent de voir là un outil de gestion des

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problèmes climatiques qui nous rattrapent très rapidement. Des
publications fort intéressantes sur ce sujet sortent actuellement. Si
l’on ne prend pas le taureau par les cornes, ce ne sont pas les
Nations unies qui vont le faire. Ce n’est pas le Protocole de Kyoto qui
va résoudre le problème. Il ne ferait même pas dévier la tendance
actuelle s’il était appliqué et réalisé par tous les pays. Le Protocole de
Kyoto est une expérimentation de ce que l’on devrait faire quand on
va faire les choses sérieusement.

Au Bar des sciences, l’approche que nous voulons avoir est beaucoup
plus globale : nous sommes de plus en plus nombreux, l’être humain
a des besoins et pour les satisfaire, nous avons des alternatives.
L’utilisation du bois est une alternative qui nous permet à la fois de
nous intéresser à nos écosystèmes, de les maintenir en santé, d’en
augmenter peut-être la productivité et d’en retirer un matériau utile
pour lutter contre les changements climatiques.

Daniel Côté
Le Quotidien

Qu’en est-il de Qu’en est-il de l’épidémie de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.


l’épidémie de la Les relevés laissent entendre que son comportement est un peu plus
tordeuse des erratique que les fois précédentes. Cela ne se développe pas de la
bourgeons de même façon, à la même vitesse. Est-ce encore une menace
l’épinette ? importante pour la forêt ?

Réjean Gagnon

Les nouvelles Je vais vous parler des travaux de notre collègue Hubert Morin. À
épidémies tardent. l’UQAC, nous avons développé des connaissances fort intéressantes
Tout indique qu’elles concernant les épidémies de la tordeuse des bourgeons de l’épinette.
seront moins sévères On a pu remonter dans le temps. On attend toujours une nouvelle
et que leur impact épidémie, promise depuis sept ou huit ans. Elle tarde. En tenant
économique sera compte des résultats obtenus, M. Morin n’est pas surpris qu’une
moindre. épidémie aussi sévère que la dernière ne soit pas arrivée. C’est le
point dont il faut tenir compte. Il y a toujours eu des épidémies, mais
elles n’ont pas toujours été d’aussi grande intensité. La dernière, celle
des années 70, a été très sévère et celles que l’on a eues au cours
des 100 dernières années l’ont été aussi, mais quand on regarde sur
une échelle de 8 à 10 000 ans, il semble que ce soit plutôt
exceptionnel. Il n’y aurait eu que deux moments dans l’histoire où
l’intensité aurait été aussi sévère. Pour les prochaines années, on
s’attend à ce qu’il y ait des épidémies, mais moins sévères. Cela va
jouer un rôle très important parce qu’on estime que la dernière
épidémie a fait mourir l’équivalent d’environ 10 ans de récolte
d’arbres. Si, dans l’avenir, les épidémies sont moins sévères, l’impact
sur les volumes de bois perdus sera beaucoup moins grave.

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Laval Gagnon
Télé-Québec

Le gouvernement Je voudrais revenir sur la question de l’interventionnisme de l’état


devrait-il intervenir dans le monde et au Québec par rapport à la question du
davantage dans développement et à la manière dont la forêt peut profiter aux
l’exploitation populations des pays où elle se trouve. Au Québec, il y avait les
forestière ? Autochtones et les Blancs sont arrivés. C’était l’époque des fourrures,
puis le bois est devenu une valeur économique et la philosophie que
Comment cela se les gouvernements ont dictée au capital a été : «Venez exploiter notre
passe-t-il ailleurs forêt. Elle reste publique et on vous permet de l’exploiter ». Le bois
dans le monde ? d’œuvre et le papier ont pris le dessus et toutes les autres questions
ont été moins mises en évidence.

On en arrive à une crise, exposée par le film de Richard Desjardins


qui a au moins le mérite d’avoir allumé le voyant rouge sur le besoin
d’un débat. Là-dessus, on sent que les gouvernements hésitent sur la
question des interventions dans la mesure où il y a les compagnies
forestières et les gros conglomérats. Des intérêts extérieurs au
Québec sont dans le décor et on sent que de gros réseaux d’influence
opèrent. Dans notre région, c’est ce sentiment qui existe. Le capital, à
travers Abitibi-Consolidated, exploite la forêt et il nous reste de moins
en moins d’emplois. On sent que le gouvernement hésite. Pensez-
vous que le gouvernement devrait intervenir plus, peut-être pas pour
faire des choses, mais pour s’assurer que les choses se fassent ?
Qu’est ce qui se passe ailleurs dans le monde sur ce plan ?

Réjean Gagnon

Les employés des Depuis le début, on s’interroge sur l’exploitation forestière et les
grandes compagnies redevances, les retombées. Tous et chacun profitent-ils de la forêt
visent un publique ? Je côtoie la grande industrie tous les jours. Elle s’appelle
aménagement Serge Gosselin, chez Abitibi-Consolidated, Paul Patry, qui travaille
forestier durable. pour Abitibi-Consolidated dans le Nord du lac, Jacques Bélanger, de
Bowater. Ce sont des gens comme vous et moi, de bons pères de
Des mécanismes famille. Ce ne sont pas des propriétaires, mais l’industrie a besoin de
comme la ces employés. Les propriétaires se fient à eux pour faire un
certification et la aménagement forestier durable. Je peux témoigner de cela parce que
consultation ont été je les rencontre régulièrement. C’est ce que ces gens-là font et ils ont
mis en place. la marge de manœuvre pour le faire.

Le problème, c’est le Actuellement, notre industrie se dirige vers la certification des


désintéressement pratiques forestières. Il y a des normes canadiennes, les normes
des jeunes, en raison CSA, qui comportent six critères, dont le maintien de la biodiversité, la
du discours ambiant contribution de la forêt aux grands cycles biogéochimiques de la terre,
axé sur la destruction etc. Tout le monde adhère à cela et pour être certifiée, l’industrie doit
de la ressource. présenter ses projets à l’ensemble de la communauté et c’est ce
qu’elle fait. Présentement, il y a des comités, au Lac-Saint-Jean et au
Les politiciens font le Saguenay, où l’on débat de ce que l’on doit faire. Il y a des
jeu de ce discours. représentants des ZEC, de la réserve Ashuapmushuan, de la réserve
faunique, des groupes environnementaux. Il y a des travailleurs qui

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veulent continuer de travailler en forêt. À entendre la discussion de
ces gens-là, tout le monde veut la même chose.

Ce qui m’inquiète le plus, c’est que la relève ne semble pas là. La


forêt, ça vient nous chercher en dedans ; c’est un patrimoine national,
un patrimoine qui nous appartient et un film comme L’Erreur boréale
détourne nos jeunes du travail en forêt, comme si ce n’était plus utile.
Ils ne veulent pas contribuer à la déforestation parce que, ce qu’on
leur présente, c’est la destruction de la forêt. On pense que si l’on
coupe la forêt, il n’y en aura plus, que ce sera fini. Alors les jeunes
regardent dans d’autres directions et je pense que c’est peut-être l’un
des impacts majeurs de ce film et c’est ce qui fait que,
personnellement, je ne suis pas d’accord. Il faut absolument que l’on
maintienne l’intérêt de nos gens, de nos communautés, de nos
politiciens envers la forêt. On dirait que les politiciens le savent. S’ils
veulent se faire élire, ils ne lèveront pas la main pour dire : «Moi, je
suis en faveur de la récolte forestière».

Claude Villeneuve

Il faut introduire une À la chaire en Éco-conseil, ma collègue Nicole Huybens fait


nouvelle vision de la actuellement des recherches sur l’acceptabilité sociale des coupes
forêt qui ne soit plus forestières. Cela devient un problème fondamental parce que la
basée sur la récolte de bois en forêt n’est pas considérée comme positive. L’image
succession. Il faut que l’on a de la nature est une image qui se situe au niveau de la
agir selon la manière perception visuelle et du sentiment. Il faut que l’on soit capable
dont la forêt se d’introduire des données scientifiques dans la discussion, parce que
comporte réellement, la science est présentement très peu prise en compte dans le débat
pas selon la manière sur la foresterie et ce n’est pas pour le bien de la forêt. Ce sont des
dont on pense qu’elle écosystèmes qui vivent longtemps, qui n’évoluent pas dans une vision
se comporte. de la succession, comme on l’a appris à l’école. Actuellement, cette
vision n’est pas supportée par les évidences de terrain. Si l’on ne gère
pas la forêt selon la manière dont elle se comporte réellement, mais
selon la façon dont on imagine ou que l’on voudrait qu’elle se
comporte, on arrive à créer des catastrophes.

Francesco di Castri

Les dynamiques Le monde est grand. Sous l’angle scientifique et biologique, la


varient d’un type de dynamique des forêts tropicales, méditerranéennes et boréales est
forêt à un autre et à vraiment très différente. L’idée qu’il y ait une seule dynamique
l’intérieur de la forêt applicable à toutes les forêts n’est pas fondée. Je pense qu’il n’est
boréale elle-même. pas même vrai de dire qu’il y existe une seule dynamique pour toute
la forêt boréale. La dynamique que l’on retrouve ici diffère assez
Les politiques varient nettement de celle de la Finlande. Les politiques sont aussi
tout autant. Tout complètement différentes parce que les problèmes diffèrent.
comme les
approches et les Par exemple, en Italie, en Espagne, le gros problème est que nous
utilisations. avons trop de forêts. Trop de forêts, cela veut dire trop d’incendies.

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La problématique du D’un côté, notre rôle est d’essayer de couper la forêt, surtout pour
Canada lui est éviter les incendies et, de l’autre, il est de l’utiliser pour les cycles
particulière en raison hydrologiques, pour éviter les inondations et tout le reste. On ne
de l’abondance de considère pas tellement la forêt pour ses produits.
ses forêts et de la
conscientisation Cela dit, on utilise beaucoup le bois en architecture, surtout en Italie,
élevée en regard des mais ce n’est pas le bois italien ; c’est le bois tropical. S’il y a tant de
changements forêts en Europe, plus que durant n’importe laquelle période
climatiques. historique, cela est attribuable au fait qu’on importe du bois d’ailleurs,
même du Canada. Il faut le dire. On a beaucoup de bois parce qu’il en
Si l’on doit procéder coût moins cher de l’importer que de le produire soi-même. Et cela
au reboisement, il même en Finlande, où ils sont en train d’utiliser surtout les forêts de la
faut s’assurer que Russie, plutôt que les leurs. Eux se concentrent sur l’informatique et
l’on pourra protéger tout le reste.
les nouvelles forêts
contre les incendies. En Malaisie, pour prendre un exemple plus lointain, ils protègent la
forêt tropicale en lançant des industries de microprocesseurs. Leur
Aucun économie évolue des ressources naturelles vers les ressources
développement industrielles et la technologie, ce qui permet de toucher beaucoup
économique ne se moins à la forêt tropicale et de la maintenir. C’est une approche
fait en vase clos et à complètement différente. Le Brésil, qui a besoin d’espace pour sa
partir d’une seule population, ouvre des zones pour la colonisation et l’on y a fait
ressource. Il faut d’énormes erreurs. Là, oui, il y a L’Erreur tropicale. En Afrique, c’est
viser l’interconnexion encore pire.
entre les différentes
ressources. Vous voyez qu’il n’y a pas qu’une seule politique. En Europe, ce qui
rapporte le plus au point de vue économique, c’est l’utilisation des
forêts et des paysages à des fins touristiques. On crée des paysages
qui doivent être forestiers, mais ouverts. Et le tourisme représente la
première activité dans le monde, loin devant la production de bois.
Dans certains pays d’Europe, le tourisme rural est plus important que
l’agriculture ou la foresterie.

Comme vous le voyez, les politiques varient énormément. Parfois, on


diminue l’étendue des forêts, parfois on les dessine, comme on ferait
un design d’architecte, pour créer un nouveau paysage très attractif et
très durable pour le tourisme. En fait, les écoles de foresterie en Italie
sont presque toutes des écoles qui préparent le territoire au tourisme
ou qui essaient de prévenir les inondations.

La problématique canadienne est logique parce que vous avez


énormément de forêts et parce que vous avez une perception des
changements climatiques beaucoup plus forte que dans d’autres
pays. Dans la plupart des pays du monde, les changements
climatiques n’intéressent pas les gens. Et, surtout, les gens pensent
que la solution ne viendra pas de la forêt, mais d’un changement dans
les modes de consommation.

Il y a autant de politiques que de pays. J’exagère un peu, mais disons


que le discours que l’on tient ici n’aurait pas de sens en Italie et en

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Espagne. Là-bas, vous entendriez tout le temps : «Ne touchons pas à
la forêt ou touchons-la simplement pour éviter les incendies» parce
que les incendies ont augmenté de façon hyperbolique depuis les
dernières années. Il n’y en a jamais eu autant dans toute l’histoire. Il y
en a trop en ce moment, par rapport aux possibilités de les
restreindre. Si l’on plante beaucoup d’arbres au Canada, pourra-t-on
contrôler les feux artificiels ? Si vous avez des millions et des millions
d’hectares reboisés, aurez-vous la possibilité de contrôler les feux non
naturels ? Ce sont mes questions les plus importantes pour le
Québec.

En conclusion, vous ne pouvez jamais avoir une seule activité


économique, comme la foresterie, si elle n’est pas connectée aux
autres activités économiques du pays. Et l’autre conclusion est qu’en
ce moment, il n’y a aucun pays au monde qui puisse avoir un
développement suffisant en comptant seulement sur ses ressources
naturelles. L’étendue des forêts en Malaisie est énorme et la Malaisie
est un pays très pauvre. En passant à la production de micro-
processeurs, elle est en train de devenir un pays très riche. Pour elle,
c’est très bien.

La forêt, c’est très bien, mais il faut toujours la considérer en relation


avec tout le reste, la construction par exemple. Le bois apparaît de
plus en plus comme un matériau très noble, ce qui n’implique pas que
l’on utilise le bois de son pays. C’est très noble… le bois tropical.

L’énorme diversité des politiques, des types de développement et la


nécessité de lier l’exploitation forestière aux autres activités
économiques du pays, voilà autant de points à considérer.

Transcription et adaptation : Daniel Jean

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