Magazine à dessein philosophique N°0 Mars 2005

DOSSIER

LA PRISON
Sommes-nous tous
prisonniers ?

...& RUBRIQUES : CINEMA, litterature, libre...

ÉDITO SOMMAIRE

Premier numéro, premières dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

frayeurs : quel accueil sera réservé
à nos compositions ? Consacrer
un dossier au controversé problè-
4
LA PRISON, CETTE
me des prisons peut sembler un ENTITE VIVANTE
Platz
choix délicat, voire suicidaire
pour un journal à peine éclos.

6
Le statut de l’enfermement
Conscients que ce sujet ne souffre dans l’Histoire
ni l'avis tranché ni l'avis flottant, M. Chauffray
nous avons tenté de réaliser un
papier suffisamment hétéroclite
8
Le Groupe d’Information
pour être acceptable. L'intention sur les Prisons
A. Klein
de La Flèche du Parthe est clai-
re : vous intéresser à diverses
10
la prison, au centre
questions qui agitent les débats, sur la balance
anciens ou modernes, philoso- C. De Vreese
phiques, littéraires, politiques au

13
sens large. CARTE POSTALE
DE ZONPRI
Bien entendu, nous attendons
H. Tarantola
vos remarques et vos critiques
afin de construire un panorama
15
L’isolement sensoriel
complet des questions abordées ; et ses consEquences
et puisque pour être clairs, les B. Andrieu
yeux d'un journaliste se doivent
d'être secs, tentons de dépassion-
17
Cellules
ner, sans attiédir, les polémiques de l'oubli
marion
afin de faire place à la discussion.
Notre dessein est d'éveiller la
conscience philosophique du lec- RU B R I QUE C I N É M A
teur, mais aussi de le détendre
avec les rubriques culturelles qui 18 Le dernier samouraï, d’Edward Zwick.
closent sur une note plus légère le
journal. Littérature, cinéma, théâtre
R UB RI Q U E LI TTER AI R E
peut être à l'avenir, musique
aussi, font partie de ce qu'on
pourrait appeler la corde sensible
20 Médecin-chef à la prison de la santé,
de Véronique Vasseur.
de l'arc de notre Parthe : cavalier
solitaire pour l'instant mais qui 21 Soie, d’Alessandro Baricco.
sera rejoint, rapidement selon nos
voeux, par d'autres hardis archers
RU B RI Q U E M U S I Q U E
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

de la plume.
22 Theli, du groupe suédois Thurion.

Mathieu Chauffray.
RU B R I QUE LI B R E

23 Journal d’un poulet, par V. Palarus.

24 Brouillon d’oiseau , par marion.

3
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

LA PRISON,
CETTE ENTITÉ VIVANTE
...Quand la vie perçue dénonce l’avis reçu...

S’
p
a
r interroger sur la prison ne relève
pas seulement d’une tâche descriptive
où la description objective pourrait reflé-
P
ter la signification réelle de l’entité « pri-
l son », car c’est aussi comme nous allons
a le voir, une tâche philosophique qui doit
t expliciter dans un souci d’ordre éthique
z les implications concrètes de la prison
comme dispositif matériel d’enferme-
ment, mais aussi les implications de
l’institution judiciaire qui dessine dans
l’opinion populaire le rôle socio-poli-
tique de la prison comme bras de la jus-
tice. Aussi, le dossier suivant s’attachera
à développer ces deux thèmes solidaires
dans la définition de la prison.
Si poser la question « qu’est-ce que la
prison ? » peut donner une approche
historique et un témoignage direct du
monde carcéral, il ne suffit pas de s’en
contenter, car déjà se révèle à nous notre
affreux préjugé sur les prisons dénon-
çant l’aliénation intellectuelle dont nous
sommes l’objet… Place donc à cette
réflexion : gardons nous de définir l’en-
fermement physique en partant de notre
propre enfermement intellectuel en nos
préjugés d’appréciation. Car seul le
monde vivant constitutif de l’univers
carcéral peut vraiment dire ce qu’est la
prison, et non pas le simple point de vue
extérieur , qui sans relation avec ce
vivant n’aboutit qu’à « mortifier » les
implications sémantiques du terme de
prison.
QU’EST CE QUE LA PRISON ?
QU’EST CE QUE LE PRISONNIER ?
Le sentiment dominant qui guide
cette première analyse est à la fois mêlé
d’insurrection contre l’institution péni-
tentiaire qu’est la prison, et mêlé d’un
élan empathique envers les principaux
intéressés, dont apparemment on oublie
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
inertes et purement utilitaristes, la prison dérives judiciaires de
comme son prisonnier sont avant tout la mise en détention.
deux entités réelles et vivantes, non pas En effet, tels sont
séparées par un nominalisme abusive- les abus de pouvoir
ment réducteur en raison de son point de tacites qu’a décelé le
vue extérieur et désimpliqué, mais plutôt G r o u p e
reliées dans une relation mutuelle d’in- d’Information sur les
terdépendance : le rôle utile d’une pri- Prisons ( Alex ) au
son se juge à l’aulne du comportement sein de la juridiction
réel qu’y affiche le prisonnier, alors carcérale : « le péni-
qu’inversement le statut juridique du tentiaire déborde le
détenu remonte à la définition de prison. juridique » , à tel
Moralité : si nous formons de fausses point que la médiati-
opinions sur le monde carcéral, cela sation des témoigna-
vient d’une ignorance sur la signification ges de détenus
réelle du concept de prison. Mais répé- devient nécessaire
tons le encore : cette signification a lieu pour corriger l’idée
d’être réelle et non pas objective sous reçue de « prison
peine d’aboutir à une définition nomina- réglementaire et sur-
liste objectivante, et par là « inhumaine- tout, bien réglemen-
ment » abstraite. La prison elle-même ne tée ». Voilà nécessité
peut se laisser enfermer dans un concept faite de « rendre cons-
clos et rigide, elle figure tout autrement ciente d’elle-même
un concept historique, vaste et instable l’intolérance » . Pour
comme le montre le statut de l’enferme- cela, la méthode du
ment dans l’histoire ( Matt ) . G.I.P. consiste à réta-
blir le lien entre l’in-
En effet, la prison est un « système térieur et l’extérieur de la prison, et tel
d’enfermement à trois genres : judiciai- reste ainsi le seul moyen lucide d’immer-
re, politique et administratif », qui tous sion efficace dans le milieu en vue de
trois dépendent significativement des réellement le connaître : merci donc à
caprices de l’histoire. C’est l’histoire qui Claire qui conclut avec nous que cette
façonne ainsi notre idée intime de prison ; tâche implique un réel investissement
elle peut par ailleurs être à l’origine de empathique de la part de l’observateur.
notre doux préjugé de « légalité huma- Dans la même perspective, Hélène nous
niste de la prison et de son institution ». envoie sa Carte postale de Zonpri où l'on
Mais ce dernier résulte d’un amalgame peut rencontrer encore cette « importan-
d’idées où se confondent allègrement ce de ne pas stigmatiser les détenus ».
notre représentation Ainsi, la seule
matérielle et notre La prison comme son « réhumanisation »
représentation insti- possible dans notre
tutionnelle de la pri- prisonnier sont avant conception du carcéral,
son, soit l’existence de tout deux entités apparaît sous la forme
fait et l’existence théo- communicationnelle de
rique de la prison. réelles et vivantes l’échange entre la pri-
Ainsi va le préjugé son et le monde exté-
humaniste, en poussant à l’extrême les rieur.

trop facilement la condition d’être relations d’affinité et de parenté entre

humain incarcéré au profit d’un approxi-
matif statut civique de condamné que
l’on veut bien accorder à ces prisonniers,
statut abstrait dans notre représentation,
et même dangereusement nominaliste.
Gaffe donc à ne pas réduire nos deux
représentations de l’emprisonnant et de
l’emprisonné à deux objets simplement
en froide et rigide relation de soumis-
sion, car loin d’être de simples concepts
l’efficacité pratique de l’instrument
« prison », et une supposée forme d’hu-
manisme moralisateur de l’institution
judiciaire. Finalement, le mot « prison »,
dans son acception vulgarisatrice, absor-
be a priori une certaine appréciation sur-
valorisante de ce que devraient idéale-
ment refléter les résultats pragmatiques
de l’enfermement, acception qui ferme
les yeux par exemple, sur les possibles
SOMMES-NOUS TOUS
PRISONNIERS ?
Car si la prison prive légalement les
gens de liberté physique, il n’est pas de
son ressort de décider de supprimer la
liberté d’expression, déviation des réelles
et légitimes attributions du corps judi-
ciaire qui provoque ainsi une fausse
conception inerte et inhumaine de la pri-

4
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

son dans nos esprits si ce Dasein qui nous relie à la réalité est devient la tentation de dénoncer un
conditionnés par ce altéré, nous sommes en totale incapacité éventuel processus d'illusion phénomé-
que veulent bien de conceptualiser les événements de la nologique de portée universelle qui nous
nous communiquer vie dans leur essentielle dimension aliènerait à long terme, à l'illusion d'être
les médias. B. vivante. C'est ainsi pour nous le danger libre de nos opinions sur le monde, sur la
Andrieu se calque d'entacher les réelles significations des prison, sur la vie en général.
en partie sur cette évènements qui nous font « être au Apparement, nos diverses interpré-
condition sine qua monde » d'une détermination abusive- tations de l'expérience sensorielle de la
non de mise en rela- ment abstractivante parce que désolida- vie semblent conditionnées, voire d'em-
tion entre le prison- risée d’une réalité vivante « première » blée finalisées par un mobile universel à
nier et le monde devant l'émergence et le déploiement du l'origine de nos préjugés populaires.
libre pour réaffir- Dasein, et qui seule nous dit ce qui est. En Car l'action est nécessaire pour vivre,
mer l’évidence de revanche, si la liberté d’expression senso- comme pour se constituer ontologique-
conséquences dés- rielle du corps suit un cours normal, on ment ou identitairement, comme nous
astreuses dans le est en droit d’espérer de solides et tangi- inviterait à penser Andrieu s'il rejoignait
cas où l’être humain bles considérations, à la fois réelles et l'un des meilleurs principes cartésiens
serait cette fois, vivantes sur ces mêmes évènements. disant : « l'action ne souffre aucun délai. ».
sensoriellement Soit : les repères constitutifs de notre Moi
isolé du monde Mais Nietzsche aurait trouvé cette particulier semblent être forgés pragma-
e x t é r i e u r . exigence phénoménologique de notre tiquement dans l'urgence de l'action que
Autrement dit, si développement global bien contraignan- nous impose le phénomène du vivant, au
quelqu’un prend te en comparaison du Dasein libre et sens d'être vivant. Peut-être alors que l'i-
droit de contrainte insouciant que reflè- nefficience pratique,
privatrice sur notre tent les animaux : Nous avons seulement comme l'absurdité
liberté d’expéri- serions-nous éventuel- morale de certaines de
mentation senso- lement réduits à n’être l'illusion d'être libre nos actions mal élabo-
rielle du monde, et qu’un réceptacle men- dans nos divers modes rées, proviennent tou-
coupe ainsi en nous, tal à expériences phé- tes deux de l'effet per-
tout contact senso- noménologiques et d'ouverture au monde vers causé par l'urgen-
riel avec l’extérieur, autres souvenirs histo- ce de l'action et que
ce n’est alors plus riques, si envahissants et culpabilisants, manifeste le Dasein moral pour s'établir.
comme précédem- et dont se gausserait n'importe quel ani- Cette urgence susceptible de réduire le
ment, notre concep- mal tel un poisson dans l'eau ? (Marion). principe de l'action à un « à-peu-près »,
tion du mot « pri- Car ce bref détour nietzschéen pose dès sous forme de référentiel psychologique,
son » mais l’image constitutive que nous lors un enjeu de taille : sommes-nous provisoire pour Descartes, et non appro-
nous faisons de nous-mêmes qui est dés- tous, en fin de compte, aliénés inévita- fondie pour Cioran, est-elle révélatrice
humanisée. Car c’est alors la détresse blement par cette contrainte bio-consti- de l'aliénation intellectuelle à la base de
psychologique de l’isolement mental, tutive qu'est notre dépendance existen- tout préjugé qui catégorise à tort et à tra-
lui-même bâti sur le modèle de l’enfer- tielle au monde sensible ? vers les phénomènes du vivant ? En effet,
mement physique. l'urgence de notre ouverture au monde
« L’impossibilité progressive de Effectivement, le préjugé vulgaire de doit très certainement brûler certaines
retrouver en soi des repères autres la prison, valorisé dans son efficacité pra- étapes « humainement » essentielles du
que mentaux » aura pour conséquence tique et sa légitimité judiciaire, procède développement de notre Dasein, et abou-
directe de développer une déshumanisa- apparemment déjà d'une certaine forme tir à occulter par exemple, la dimension
tion de notre image propre à cause d’un d'aliénation phénoménologique, dès lors vivante de la prison, mais aussi par
déséquilibre interne des références que nous nous permettons de stigmatiser extension, de tout phénomène en géné-
psychologiques de « l’isolé sensoriel du la prison d'un point de vue extérieur à ral.
monde », qui ne sont exclusivement que elle... « N'a de convictions que celui qui
constructions mentales immédiatement n'a rien approfondi », disait Cioran, Ainsi avons-nous seulement l'illu-
désolidarisées des stimuli sensoriels sen- peut-être dans le sens même de cette sion d'être libre dans nos divers modes
sés les inférer au moins aperceptivement, aliénation mentale : notre seule convic- d'ouverture au monde, alors que simul-
et qui donc, à long terme, figurent des tion finale, après approfondissement du tanément nous sommes soumis à l'arbi-
représentations appelées à la dégénéres- sujet, ne semble-t-elle pas être de bien se traire de préjugés car notre sensibilité et
cence sémantique, faute d’entretenir une garder de toute certitude historique, notre histoire personnelle à tous sem-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

mémoire sensorielle du monde concret.
A mesure que le bagage des souvenirs
du réel s’allège et se vide, grossit l’indé-
termination de ces représentations men-
tales qui traduit la pathologie. Moralité :
nous avons tous besoin d’éprouver un
certain « mode d’être au monde », ou :
Dasein, pour parler comme les phénomé-
nologues, qui soit vivant et vibrant pour
exister réellement, c’est à dire être pour
soi et être parmi les autres. Il s’ensuit que
politique ou judiciaire sur le terme de «
prison » ? Y aurait-il d'une part l'opinion
vulgaire totalement aliénée psychique-
ment à ses convictions illusoires et, d'au-
tre part, la pensée intellectuelle et résolu- rétrospection intellectuelle sur nos idées
ment prudente qui rejoindrait ainsi la
figure du sage antique, pour finalement
conclure avec lui: « Tout ce que je sais,
c'est que je ne sais rien. » ?
Pourquoi pas, car avec la figure de
Socrate et l'aphorisme de Cioran, grande
blent être trop « pressés » de nous inté-
grer au monde vivant... PAS D'EMPRES-
SEMENT donc pour s'absorber dans ce
dossier : n'est urgent que notre
préconçues et forgées par l'urgence poli-
tisée de rejoindre le monde vivant et
actif. Bonne et patiente lecture à tous !

5
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

Le statut de
l’enfermement dans l’Histoire
Du gibet aux barreaux

P
p
a
r ar habitude sociale, médiatique,
culturelle, nous prenons la prison pour
M l’unique composante de l’institution
judiciaire, alors qu’il faudrait l’envisager
a
pour ce qu’elle est : le lieu d’accomplis-
t sement de la peine, ou de l’attente du
h jugement. Le fait que l’adjectif « péniten-
i tiaire » soit assimilé dans l’esprit de tous
e à celui de « carcéral » est assez significa-
u tif en l’occurrence. Comme nous essaye-
rons de le montrer, des logiques d’inté-
rêts et une image humaniste de ce que
C peut être la prison sont à l’origine de la
h conception que nous nous faisons de cet
a univers clos. Assimiler « prison » à
u « peine » peut en effet nous paraître évi-
f dent, alors qu’une telle opinion est le
résultat de la combinaison des exigences
f
du droit et de la modernité des sociétés
r démocratiques issues des Lumières par
a opposition à l’obscurantisme décrié des
y anciens régimes.
Tentons de revenir en arrière dans
l’Histoire, afin de cerner au mieux les
différentes pratiques judiciaires qui pré-
cèdent la prison. Il faut être lucide et
dépassionner, tant qu’on le peut, le débat
concernant le châtiment tel qu’il était
envisagé dans l’Antiquité et, sans vou-
loir faire de bond chronologique insensé,
jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. La
condamnation d’un individu durant
cette ère « pré-carcérale », si on peut
employer un tel terme, peut consister en
un bannissement, un supplice, ou la
mort. Pour plus de détails sur la ques-
tion, on peut se référer à l’excellent
Tortures et Supplices à Travers les Ages
de F. Mitton (éd. H. Daragon) dont nous
ne résisterons pas à l'envie de citer un
passage : « À Athènes, le condamné à mort
était étranglé ou décapité. On lui donnait
encore à boire du poison, de la ciguë le plus
souvent, dont il était tenu de payer le prix.
C’est ainsi que périrent Socrate et Phocion.
Socrate, par ses moqueries cyniques et ses
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
sembler d’une violence excessive, mais ge la prison). Témoin de cette tendance,
les magistrats de l’époque le considé- le fait de circonscrire, à partir du
raient comme le signe évident d’une XVIIIème siècle, la condamnation à mort
rétribution, la partie lésée retrouvant à un nombre réduit de crimes.
ainsi son honneur aux yeux de la com-
munauté – ne minimisons pas le côté dis- On essaie aussi de rendre la sanction
suasif en jeu, mais permettons nous de le la moins cruelle possible : le docteur
développer plus loin. Après avoir évo- Guillotin s’inscrit dans cette optique, et
qué succinctement les peines antiques, et même si la vue d’une guillotine ne nous
volontairement écarté les éternelles inspire pas un implacable sentiment de
questions de l’arène et des jeux du reconnaissance, force est de constater
cirque, qui nous semblent hors de pro- qu’un tel instrument réduit la souffrance
pos dans notre examen, essayons de au moment fatidique. Une fois « réglé »
revenir à la question de l’enfermement. Il le problème de la peine de mort, reste l’é-
convient en effet de se poser la question pineux questionnement du supplice qui
de la raison qui a poussé l’homme à évin- n’entraîne pas la mort : comment punir
cer la peine corporelle directe au profit un acte autrement que par la roue ? La
de l'incarcération. réponse apparaît alors comme une évi-
dence : l’enfermement. Bien sûr, et
Il semble qu’il faille attendre bien comme on l’a déjà soulevé, on enfermait
longtemps après les Anciens pour cons- déjà avant, mais cela n’était que ponctuel
tater le changement dont nous parlons. et accessoire. C’est donc pour son carac-
Ce ne sont pas les
conquêtes barbares
qui ont mis fin à la
torture ou à la peine
de mort, ni les esprits
éclairés du Moyen-
Âge, encore moins la
lumière des cours
italiennes de la
Renaissance (se rap-
peler la finesse de la
torture au Palais des
Doges où la fenêtre
de la cellule du pri-
sonnier donnait sur
la salle de la ques-
tion). Il apparaît que
les changements éco-
nomiques, culturels
et politiques qui ont
b o u l e v e r s é
l’Occident depuis
deux siècles aient eu
un impact sur ce que
l’homme moderne

sarcasmes, avait indisposé à la longue ses considère comme

concitoyens. » Le Tormentum était effec- étant une peine. Le
tivement répandu dans la Grèce et la fait de promouvoir
Rome antiques, bien plus que la peine un individu face à un
d’enfermement qui ne concernait que des État qui ne se veut
cas marginaux. Qu’on ne se figure pas plus souverain a
pour autant ces peuples comme ayant entraîné une
cédé à la barbarie ou à l’injustice : les réflexion sur le châti-
jugements, loin d’être arbitraires, précé- ment (qui a eu des
daient systématiquement la punition. répercussions sur la
Certes, le châtiment public peut nous façon dont on envisa-
6
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

tère pratique, assez souple et certes
moins traumatisant, que la prison fut
adoptée, remplaçant progressivement les
châtiments corporels que les nouveaux
tenants du pouvoir eurent tôt fait d’attri-
buer aux anciens régimes dont ils avaient
intérêt à ternir l’image (si tant est qu’ils
aient attendu ce moment pour le faire).
Puisqu’il en est question, penchons
nous sur l’enfermement tel qu’il était
pratiqué sous l’Ancien Régime et ce afin
d’écarter, d’un revers négligent de la
main, les légendes des geôles du roi ou
celle, encore plus rocambolesque, de la
fameuse « lettre au
cachet ». Dans la C’est donc pour son
quasi-totalité des
royaumes, on peut
caractère pratique, assez publique, juridique ou délaisse dès lors au profit d’autres pro-
distinguer plusieurs souple et certes moins
types d’enfermement.
Premièrement, l’en-
traumatisant, que la pri- l’autorité et la protection les décisions qu’elle prend, à la charnière
fermement qui précè- son fut adoptée
de le procès et qui
permet d’avoir les inculpés à disposition
pour l’instruction : des cellules sont
d’ailleurs parfois aménagées dans les tri-
bunaux. Ensuite, l’enfermement qui pré-
cède l’exécution, qui a toujours le même
rôle : s’assurer que le prévenu se présen-
tera pour que justice soit faite. On enfer-
me également les condamnés aux tra-
vaux forcés pendant qu’ils ne travaillent
pas, les mauvais payeurs pour les inciter
à régler leurs dettes, les femmes ou les
vieillards dont les infractions sont graves
mais qui sont souvent graciés, les pro-
ches d’une personne sur laquelle on veut
faire pression afin qu’elle se livre. Dans
ces cas, on peut qualifier l’enfermement
de judiciaire, en tant qu’il ne relève d’au-
cune autre instance. Il est flagrant de
constater que cet emprisonnement est
provisoire : en attendant le jugement, la
mort, d’être payé, de travailler, etc. De
plus, il est fait mention dans bon nombre
d’ouvrages historiques du fait que les
prisonniers paient leurs geôliers, la
conception de la claustration est donc
radicalement différente de la nôtre.
Parfois, il faut le reconnaître, l’emprison-
nement prend une toute autre teinte : il
arrive que les concurrents ou opposants
politiques se retrouvent enfermés. Louis
à des hospices où les indigents restaient individuel et aux conditions par la
quelques temps avant d’être raccompa- modernisation des structures : la prison
gnés aux limites de la ville), les malades était née. De plus, on ajouta l'idée que
(pour des raisons de santé publique : on l’enfermement était un soin, une théra-
craint alors les épidémies qui font des pie. Le prisonnier pouvait réfléchir à son
hécatombes), les déviants (pour des rai- délit ou à son crime, se repentir, et payer
sons évidentes de maintien de l’ordre et sa dette à une société qui l’avait mis à l’é-
de sécurité), mais aussi les voyageurs cart. Il est important de rappeler que les
avec le système de quarantaine. Le systè- prisons sont alors des « maisons de
me d’enfermement possède donc trois redressement » où ce ne sont pas les
« genres » : judiciaire, politique et torts infligés aux victimes qui sont
administratif. Il semble que l’arbitraire redressés mais bel et bien les prisonniers,
n’ait que très rarement prise dans le sys- qu’on veut rendre meilleurs dans le but
tème des peines sous l’Ancien Régime. de les restituer à la communauté.
En effet, la détention est réservée à des L’enfermement offre de surcroît une
cas circonscrits dans la flexibilité, un rapport économique peu
Constitution, que la rai- coûteux et une certaine discrétion pénale
son soit de santé que les dirigeants ne renient pas : on la
encore de sécurité des jets bien plus gratifiants. Rappelons que
personnes qui sont sous la période révolutionnaire se trouve, par
du roi. Si on réfléchit à la entre châtiment corporel et prison : alors
question de la lettre au qu’on n’a pas encore totalement évincé le
cachet soulevée au préalable, et qu’on premier, la seconde est déjà bien en
consulte les documents, on se rend place. De plus, que ce soit sous la Terreur
compte que, même si elle a été utilisée à ou, par la suite, avec Napoléon Ier, des
mauvais escient par certains – si tant est supplices ont été rétablis.
qu’elle ait été utilisée souvent, elle pou-
vait avoir une réelle utilité pour la nation Il convient de se demander, au vu de
et que son utilisation n’était que très rare- ce panorama non-exhaustif de ce que
ment le résultat de la décision arbitraire peut être l’historique de la prison (sur-
d’un seul. tout en Occident, et dans notre pays), si
les changements remarqués sont réels ou
superficiels. Est-ce que les nouvelles
La prison, en tant que peine, est sou- institutions ont apporté de nouvelles
vent attribuée à l’humanisme de la réponses ou n’ont-elles que légalisé des
Révolution Française. En effet, l’article pratiques judiciaires en vigueur depuis
VII de la Déclaration des Droits de l’Antiquité ? Est-ce que les Lumières et
l’Homme semble préparer l’avènement leurs descendants révolutionnaires ont
et le développement de la détention léga- réellement soustrait l’homme à un châti-
le : « […] nul homme ne peut
être accusé, arrêté, détenu, que Ressources bibliographiques :
dans les cas déterminés par la loi
[…] ». . Marie-Anne Polo de Beaulieu, La France au Moyen-Age, de l’An
mil à la Peste noire (1348), Guide Belles Lettres des Civilisations.
. Jean Sevillia, Historiquement correct, pour en finir avec le passé
Il faut tempérer le propos unique, Perrin.
en rappelant que certains . Philippe Combessie, Sociologie de la prison, La Découverte.
révolutionnaires se plai- . Fernand Mitton (F. de Valmondois), Tortures et supplices à travers
les âges, H. Daragon.
gnaient du caractère de
connivence entre malfrats qui
se rencontrent en prison et qu’ils soule- ment insoutenable ou, au contraire, ont
vaient déjà l’épineux problème des inventé un supplice de plus ? Rappelons
conditions de vie dans les établissements que, dans chaque pays démocratique, on
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

XI, loin d’être resté dans l’histoire pour
avoir été le « juste », est plutôt célèbre
pour ses fillettes (cages de fer où il faisait que l’enfermement et, s’ils cédaient enfin
enfermer ses adversaires). Il existe enfin
un type de détention que les dirigeants
de l’époque concevaient comme relevant
de l’administration de leur territoire. En
effet, il n’est pas rare d’enfermer les pau-
vres ou les mendiants (les dépôts de
mendicité sont cependant loin d’être des
prisons, et sont souvent même comparés
pénitentiaires. Un grand nombre d’entre
eux préconisaient le travail forcé plutôt
sous les arguments des « pro-prisons »,
ils insistaient sur le caractère public de la
peine qui doit dissuader en même temps
qu’elle punit. Comme nous le soulevons,
l’emprisonnement rencontrait à l’époque
deux arguments hostiles : la contagion
et les conditions déplorables. On répon-
dit à la contagion par l’encellulement
trouve aujourd’hui des raisons d’enfer-
mer les individus en dehors de toute
condamnation : la garde à vue, les cent-
res de rétention, la détention provisoire
sont des exemples frappants de cette ten-
dance. Il faut se demander si les change-
ments de la fin du XVIIIème siècle ont
vraiment permis d’améliorer l’individu
condamné, de dissuader les autres de
suivre la même voie que lui et de proté-
ger à long terme la société.
7
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

« Après tout, nous sommes tous susceptibles d’aller en prison ;

de quel droit nous empêche-t-on de savoir ce qu’elle est réellement ? »
M. Foucault
Le Groupe
d’Information sur les Prisons (1)
p
a
r

A
À la suite de la
dissolution du mouve-
ment maoïste, la Gauche
l Prolétarienne, le 27 mai
e 1970, de nombreux mili-
x tants sont incarcérés pour
le délit de reconstitution
a
d’une ligue dissoute (ils
n vendaient encore le jour-
d nal La Cause du peuple).
r En septembre 1970 puis
e en janvier 1971, ils entre-
prennent une grève de la
faim dans le but d’être
K
reconnus comme prison-
l niers politiques, mais
e aussi afin d’attirer l’atten-
i tion de l’opinion publique
n et des dirigeants sur les
conditions d’incarcéra-
tion et l’état du système
pénitentiaire. Daniel
Defert, qui participe à la
préparation politique de
Le 17 janvier 1972, au lendemain de la mutinerie à la prison Charles III de Nancy, Jacques-Alain Miller, Gilles
leurs procès, propose à Michel Foucault
Deleuze, Jean-Paul Sartre et Michel Foucault sont photographiés par Elie Kagan, au cours de la conférence de
d’animer une commission d’enquête sur presse sauvage au ministère de la justice, organisée par le GIP.
les prisons à l’image de celle sur la santé
des mineurs du tribunal populaire de C’est pour cette raison qu’il n’existe tions de droits…). Le G.I.P veut surtout
Lens (dont J-P. Sartre était le procureur). aucun chef et aucune organisation au « faire savoir ce qu’est la prison », « faire
Transformant l’idée de commission d’en- sein du G.I.P. ; le groupe parisien est le connaître la réalité […] d’alerter l’opinion et
quête - terme trop judiciaire - en groupe relais des différents groupes de provin- de la tenir en alerte » (5).
d’information, idée qui valorise mieux ces, mais ne les dirige pas, il n’y a pas de
l’expérience collective de pensée et met pouvoir central, pas même de pouvoir, si Ce savoir sur la prison, le G.I.P ne va
en avant la prise de paroles des détenus ce n’est celui de la parole, du discours pas le demander aux institutions péni-
eux-mêmes, M. Foucault crée alors le vrai. Le G.I.P. est un « groupe d’interven- tentiaires, mais aux détenus eux-mêmes.
G.I.P., le Groupe d’Information sur les tion et d’action à propos de la justice, du sys- « Il s’agit de laisser la parole à ceux qui ont
Prisons. tème pénal, des institutions pénitentiaires en une expérience de la prison » (6) et ce dans
France » (4) qui veut mettre en question un seul but : « que l’intolérable, imposé
Le 8 février 1971, la diffusion illéga- la prison, la faire entrer dans l’actualité. par la force et le silence, cesse d’être accepté
le1, à la chapelle St Bernard de » (7).
Montparnasse, d’un manifeste brûlant et En pleine crise de
offensif, signé par Michel Foucault, Jean-
« L’unique mot d’ordre
l’institution carcérale La principale volon-
Marie Domenach (directeur de la revue (multiples révoltes en du G.I.P., té du GIP est de « litté-
Esprit) et Pierre Vidal-Naquet (le France, dont à Nancy et ralement donner la paro-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

Manifeste du G.I.P (2)) concrétise le bap-

tême du G.I.P..
Très vite, de nombreux intellectuels
reconnus tels que Gilles Deleuze, Claude
Mauriac ou Jean-Paul Sartre rejoignent le
groupe. Mais il accueille également des
anciens détenus, des lycéens, des
familles de détenus. Tout le monde peut
y parler, « Quel que soit celui qui parle, il
ne parle pas parce qu’il a un titre ou un nom,
mais parce qu’il a quelque chose à dire. » (3).
8
c’est « la parole aux
à Toul, les 40 morts de la les aux détenus » (8).
révolte d’Attica), il ne détenus » » Donner la parole à
s’agit donc pas de sim- ceux qui ne l’ont pas,
plement recenser les atteintes aux liber- ou ne l’ont jamais eue. Il ne s’agit pas de
tés et droits fondamentaux, les actions communiquer, mais de faire savoir ce
inhumaines, dégradantes qui ont lieu au qui se passe réellement à l’intérieur des
sein des prisons françaises et que beau- prisons (suicides, sévices, grèves de la
coup connaissaient de façon plus ou faim, agitation, révoltes). « L’unique mot
moins vague (conditions matérielles et d’ordre du G.I.P., c’est « la parole aux déte-
sanitaires déplorables, punitions arbi- nus » » (9). C’est dans cette optique que,
traires, usage excessif de calmants, priva- dès l’hiver 1971, un questionnaire est dis-
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
tribué aux familles des détenus, qui
attendent devant la Santé ou Fleury-
Mérogis pour les visites, il sera égale-
ment introduit illégalement dans les pri-
sons afin que les détenus puissent eux-
mêmes donner leur point de vue sur
leurs conditions de détention (le ques-
tionnaire ne s’intéressait qu’aux condi-
tions de vie des détenus). La parole des
détenus sera publiée dans la revue
Intolérable, sans retouche ni intermédiai-
re et ce dès 1971 (quatre enquêtes au total
verront ainsi le jour).
À cela s’ajoute d’autres actions
concrètes : visites fréquentes auprès des
détenus, manifestations, aides aux déte-
nus et à la préparation de leurs procès,
etc.
Dans la droite lignée des enquêtes
sur la condition ouvrière, faites par les
ouvriers au XIXème siècle, les « enquê-
tes-intolérance » du G.I.P. ont une dou-
ble fonction : recenser et faire émerger
les raisons du mécontentement carcéral
et organiser et rendre consciente d’elle-
même l’intolérance. C’est une nouvelle
forme de lutte qui prend corps dans cette
articulation du pratique et du théorique,
proposant un modèle militant réactuali-
sé. L’action se veut essentiellement poli-
tique, il s’agit de tisser un lien d’écoute et
de reconnaissance entre l’intérieur et
l’extérieur de la prison ; « il faut transfor-
mer l’expérience individuelle en savoir col-
lectif. C’est-à-dire en savoir politique. »
(10).
Bien que le G.I.P. se soit toujours
défendu de proposer des réformes du
système pénitentiaire, ne voulant substi-
tuer sa parole à celle des détenus, son
rôle politique, tant pratique que théo-
rique, est incontestable : il permit, entre
autres, l’introduction, quelques mois
seulement après sa création, des jour-
naux et de la radio dans les prisons, cho-
ses qui jusqu’alors en étaient bannies.
Sur un plan plus théorique, il apporta
une nouvelle vision du problème péni-
tentiaire, instaura une forme nouvelle de
lutte politique définissant un rôle nou-
veau de l’intellectuel engagé (à la suite
de Sartre), et inventa finalement une
nouvelle modalité du politique par la
distribution nouvelle du savoir.
La parole des détenus a changé l’opi-
nion publique sur la prison, qui a pris
conscience, particulièrement par la paro-
le des familles de détenus, que la prison
était une blessure même pour ceux qui
restaient dehors.
Les enquêtes du G.I.P. vont, de plus,
exposer un nouveau rapport du péniten-
tiaire au juridique. Le rôle juridique de la
prison comme privation de liberté dans chiffre était déjà de 73 au 31 juillet. »
un but d’amélioration et de réinsertion Déjà en 2000, le Sénat français émet-
du condamné, établi en 1945 lors de la tait (suite à la parution du livre de
réforme du droit pénitentiaire, était déjà Véronique Vasseur, Médecin-chef à la pri-
bien loin dans ces prisons où s’appli- son de la santé) un rapport accablant dans
quaient régulièrement lequel il dénonçait des
les sévices sadiques, les Le silence imposé aux conditions de détention
châtiments illicites sui- détenus ajoute, à l’en- « indignes d’un pays qui
vis d’administration de
fermement des corps, se targue de donner des
tranquillisants, le leçons à l’extérieur dans le
mépris des prescriptions un enfermement intolé- domaine des droits de
médicales, l’exploitation rable des âmes. l’homme » (13) : des
des prisonniers dans le droits de l’homme
cadre du travail obligatoire, etc. Le péni- bafoués, des maisons d’arrêt hors-la-loi,
tentiaire déborde le juridique. Le silence le règne de l’arbitraire carcéral, de la loi
imposé aux détenus ajoute, à l’enferme- du plus fort et de l’inégalité, des contrô-
ment des corps, un enfermement intolé- les inexistants ou inefficaces, etc.
rable des âmes. Cet intérêt d’une des plus hautes
instances de l’Etat pour le problème de la
Finalement, l’action du G.I.P. aura prison vient finalement confirmer l’in-
permis de mettre en lumière « l’une des fluence incontestable du travail de sensi-
régions cachées de notre système social, l’une bilisation qu’a mené le G.I.P..
des cases noires de notre vie » (11), et dans
une certaine mesure, de réintégrer la pri- Pour conclure, force est de constater
son à la société en établissant un contact que les problématiques mises en lumière
durable entre l’une et l’autre. par le G.I.P. il y a plus de trente ans, res-
En décembre 1972, « le G.I.P. (comme tent toujours d’actualité. Peut-être donc
c’était prévu dès le départ) s’est dissout faudrait-il s'inquiéter de cette actualité,
lorsque d’anciens détenus ont pu organiser afin de permettre la prise de conscience
leur propre mouvement » (12). Cette auto- par l’opinion publique des graves
dissolution n’était pas la mort du combat défaillances de notre système carcéral,
puisque le C.A.P. (Comité d’Action des première pierre d’une lutte contre l’into-
Prisonniers) prit alors son
Bibliographie indicative :
envol.
. Le Groupe d’Information sur les Prisons : archives d’une lutte
1971-1972, P. Artières (dir.), IMEC éditions, 2002.
En 1990, l’O.I.P. (Observatoire . Les mutins, la psychiatre et l’aumônier, P. Artières, in Le Portique
n°13-14 « Foucault : usages et actualités », 2004.
International des Prisons), un . Michel Foucault et les prisons, F. Boullant, PUF « Philosophies »,
lointain cousin du G.I.P., rep- 2003.
rend le flambeau du problème . Médecin-chef à la prison de la Santé, Véronique Vasseur, rééd.
pénitentiaire. Mais peut-être lui Livre de Poche, 2001.
manque-t-il de brillants relais
intellectuels, tels que Foucault ou lérable, et en faveur de nos chers droits
Deleuze l’ont été pour le G.I.P., puisqu’on de l’homme...
ne connaît que trop peu l’état de délabre-
ment des prisons françaises et des condi-
(1) « La prison partout », 1971, in Dits et Ecrits, tome 2,
tions de détention qu’elle offre. texte 90, p. 193.
(2) Foucault fut poursuivi pour impression de tracts sans
mention d’imprimerie.
Pour donner une idée plus précise (3) 1971, in Dits et Ecrits, tome 2, texte 86, p. 174-175.
(4) « Le grand enfermement », 1972, in Dits et Ecrits, tome
des conditions de détention dans notre 2, texte 105, p. 304.
pays, voici quelques lignes de la préface (5) « Un problème m’intéresse depuis longtemps, celui
du système pénal », 1971, in Dits et Ecrits, tome 2, texte 95,
de Thierry Lévy (Président de p. 206.
(6) Manifeste du G.I.P, 1971.
l’Observatoire International des Prisons (7) « Sur les prisons », 1971, in Dits et Ecrits, tome 2, texte
– section française) du rapport 2003 de
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
87, p. 175.
(8) Manifeste du G.I.P..
l’O.I.P. sur ce problème : (9) « Je perçois l’intolérable », 1971, in Dits et Ecrits, tome
« Quand l’O.I.P. a pris la décision de 2, texte 94, p.204.
(10) « Le grand enfermement », p. 304.
publier un rapport sur l’état des prisons en (11) « Enquête sur les prisons : brisons les barreaux du
silence » 1971, in Dits et Ecrits, tome 2, texte 88, p. 178.
France en 2003, […] nous n’imaginions pas (12) Manifeste du G.I.P., p. 175.
avoir à décrire une descente aux enfers. […] (13) « Toujours les prisons » , 1981, in Dits et Ecrits, tome
4, texte 282, p. 96.
Pour ces personnes [les détenus], chaque nou-
veau jour annonce une lutte vouée à l’échec
contre le bruit, la saleté, les mauvaises odeurs,
l’étouffement et, par voie de conséquence, la
haine des autres et de soi. En 2002, 122 per-
sonnes se sont tuées en prison et, en 2003, le
9
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
LA PRISON, au centre, sur la balance.
Vers un équilibre individuel des détenus,
ou vers une société plus équilibrée ?
L
p
a
e 2 mars 2000 a eu lieu une
r
commission d'enquête de l'Assemblée
sur la situation et l'état des prisons
C françaises, ce qui constitue un événe-
l ment car jamais une telle initiative, qui
a plus est traversant tous les corps poli-
i tiques, n'avait jusque là été prise. Elle
semble pourtant être le résultat logique
r
d'une ambiance générale assez nouvel-
e le : entretenue tant par certains travaux
d'écrivains ou de journalistes («
d Voyage au bout de l'horreur des pri-
e sons françaises », Le Monde, 6-7
février 2000) que par les témoignages
de plus en plus fréquents d'anciens
V détenus. Ce récent intérêt de l'opinion
r publique et des parlementaires semble
e bien apporter, et on ne saurait le regret-
e ter, un peu de transparence à ces hauts
s murs d'enceinte, et c'est dans ce
contexte que l'O.I.P. (Observatoire
e
International des Prisons) avait produit
un procès verbal, Prisons : un état des
lieux, en vue de son audition devant
l'Assemblée Nationale en mars 2000.
Ce rapport, ainsi qu'un entretien réali-
sé avec un substitut du procureur en
fonction, fourniront une partie de la
matière qui constituera cet article; et
principalement dès qu'il s'agit de sta-
tistiques, de témoignages et revendica-
tions, ou de précisions d'ordre juri-
dique concernant les termes utilisés, les
textes de lois et le fonctionnement judi-
ciaire, il faut précises toutefois que les
prises de position sont personnelles. A
l'aide de ces observations, qui seront
considérées comme des faits donnés, il
s'agit de faire tourner autour d'un seul
axe les deux tendances opposées qui
existent aujourd'hui dans l'opinion
publique.
La première consiste à s'insurger
contre des atteintes dites aux libertés
individuelles et aux droits que sont par
exemple les détentions provisoires
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
abusives (cf. Outreau), et la deuxième à
qualifier d'injustice le fait qu'un
condamné pour crime grave puisse à
nouveau respirer à l'air libre, ou récidi-
ve après une libération anticipée (cf.
Pierrot le Fou). De même, lorsqu'une
démarche judiciaire est interrompue
pour une "erreur de procédure", lais-
sant l'accusé libre et l'accusation
impuissante.
10
CONDITIONS DE DÉTENTION
La surpopulation carcérale est le
premier problème qui vient à l'esprit si
l'on cherche à mettre en évidence les
mauvaises conditions de détention
inhérentes à certains établissements.
Mais elle concerne principalement les
maisons d'arrêt situées dans les centres
pénitentiaires, ainsi que les maisons
d'arrêt autonomes. Ainsi ce sont sur-
tout les personnes placées en détention
provisoire et celles condamnées à ce
courtes peines qui souffrent, soir envi-
ron 70% des personnes détenues en
France. Pourtant le fait est que le nom-
bre d'entrées en prison tend à diminuer
ces dernières années. Les causes de la
surpopulation sont donc à rechercher
du côté de taux de détention, lui en
hausse. Quelques chiffres : ce taux était
en 1975 de 50 pour 100 000, et en 1999
de 84 pour 100 000 (Angleterre: 120;
Finlande: 56).
Il est vrai que la période de sûreté,
depuis l'abolition de la peine de mort,
s'est étendue jusqu'à la peine incom-
pressible en 1994, qu'une peine perpé-
tuelle réclusion criminelle de 30 ans a
été créée, que le maximum correction-
nel est passé de 5 à 10 ans. Or, il ne s'a-
git ici que d'une petite partie des
condamnations, sachant que les deux
premières peines concernent les
Assises (assassinat, viol, vol avec
armes) et que le maximum correction-
nel (délits tels homicides involontaires
ou vol) n'est jamais assorti d'une pério-
de incompressible. L'O.I.P. relève que
les délits d'atteinte aux biens de faible
gravité restent sanctionnés par des
maxima totalement disproportionnés,
par exemple, le vol simple est sanction-
né par 3 années d'emprisonnement
(« Le 21 avril 1999, à Nancy, un jeune fut
condamné à 2 mois fermes pour le vol
d'une chemise de 179FF »). Or, il semble
important d'apporter ici quelques pré-
cisions d'ordre juridique, car ces pro-
pos doivent être nuancés : il n'en est
pas ainsi en pratique. En effet, il faut
bien distinguer la peine encourue de la
peine prononcée, et la peine prononcée
de la peine exécutée.
En premier lieu la peine maximale
prévue est rarement, si ce n'est jamais,
prononcée, les 3 ans prévus pour vol
simple se réduisant souvent à une
durée exprimée en mois de détention.
Puis, à la suite de la condamnation, les
peines sont susceptibles d'être aména-
gées (exemple de la semi-liberté). En
second lieu se pose le problème de la
"certitude de la peine" : sous la décision
du JAP (Juge d'Application des Peines)
et ne présence de l'accusé, avocat,
directeur de prison, surveillant et pro-
cureur, se manifeste "l'érosion des pei-
nes", sous forme de modification ou
réductions pouvant amener à une sor-
tie. C'est ainsi que, dans le jargon juri-
dique, le JAP devient le JIP (Juge
d'Inapplication des Peines), et que les
premières lignes d'un casier judiciaire
sont rarement remplies par des peines
d'emprisonnement ferme.
Et pourtant il ne saurait y avoir sur-
population sans individus incarcérés
en grand nombre. La liberté condition-
nelle (principale mesure de liberté anti-
cipée) s'accorde de moins en moins
(6,7% des sorties), alors qu'elle favorise
la réinsertion si elle est accompagnée
d'un suivi et de certaines obligations.
En février 1999, l'association
Recherches, Confrontations et Progrès
rendant publique 15 propositions pour
une réforme de l'application des pei-
nes; telle "l'abolition des périodes de
sûreté"ou "la généralisation d'un systè-
me de libération anticipée". Ces mesu-
res seraient bénéfiques sous tous les
points de vue.
La question est ici de savoir pour-
quoi, dans ce genre de considération,
oublie-t-on si souvent d'aborder le pro-
blème des victimes. Le lien entre faute
et condamnation est évident, mais la
victime ne disparaissant pas après le
jugement, elle doit être reconnue
comme telle, et on comprend aisément
combien il peut être outrageant pour
elle qu'un individu ayant commis on
ne sait quel acte sorte à nouveau et ait
une seconde chance (le phénomène est
surtout visible dans le cas d'homicides
volontaires: 3 ans pour accident de la
route). On peut remarquer en passant
que l'opinion publique, bien souvent,
voudrait ne pas tenir compte du cadre
juridique, et , si elle le pouvait, enfer-
merait bien du monde. Ce cadre juri-
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

dique, et c'est
peut être ce qui
fait son fonde-
ment, a pour
devoir de conte-
nir les pressions
sociales récla-
mant justice, et
par cela de pro-
téger le droit
commun des
individus à être
jugés le moins
partialement
possible. Et c'est
ce même cadre
qui place les
individus en
détention, bien
plus souvent
pour le bon
déroulement de
l'instruction ou
pour la protec-
tion de ces der-
niers plutôt que
pour atteindre à
leur liberté. Il y
a cependant un
écueil, car il
semble bien être
difficile au pro-
cureur (bien
qu'en théorie ce
soit possible) de
requérir une
peine d'empri-
sonnement infé-
rieur à celle déjà
subie. Le mini-
mum requis
pourrait bien
être, dans la
plupart des cas,
d'une durée au
moins égale à la détention provisoire, uve à l'extérieur ? Assurément non, vue tion, et ce peut-être pour la première
ce qui laisserait l'individu libre, mais que la proportion d'êtres violents, fois de sa vie, ce qui lui aurait manqué
pose des problèmes évidents. instables ou criminels est inévitable- ou ce qui lui manque encore : un cadre
Considérant que la population de ment plus forte. Tous les témoignages ferme, rigide, et donc plus résistant
condamnés pour vol correctionnel peuvent le confirmer, les détenus ont que lui ; à un phénomène d'infantilisa-
baisse et que croît la proportion de leur propres lois, sévères, dures et sans tion se mêle un phénomène de sécuri-
condamnés pour homicide, infraction appel. Certains les font respecter, d'au- sation, et de leurs propres aveux, d'an-
sexuelle, ou infraction à la législation tre les subissent, les nouveaux les ciens détenus souhaitent retrouver ce
des stupéfiants, il serait bon de reconsi- apprennent à leur dépends. Les "poin- qu'ils ont perdus : une place bien déli-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

dérer la manière d'aborder et de traiter
le sujet des remises en liberté, sans
omettre l'existence des victimes et sans
se cantonner à l'intérêt personnel des
détenus en général.
ATTEINTE AUX PERSONNES,
VIOLENCE CONTRE AUTRUI
Le milieu carcéral pourrait-il
échapper aux violences que l'on retro-
teurs" comme ils disent ont un traite-
ment bien particulier, ils subissent le
plus souvent ce qu'ils ont eux-mêmes
commis, toute angélisation de ces hom-
mes est donc à proscrire, mais il fau-
drait bien pourtant éviter que quel-
qu'un se construise dans ce contexte
favorisant les renforcements des amer-
tumes, l'insensibilité des esprits. On
observe quelque fois qu'un jeune
homme trouve lors de son incarcéra-
mitée et personnelle, un cadre régis-
sant son temps et son espace, des règles
l'entourant et créant ainsi une certaine
hiérarchie dans laquelle il trouvait un
rôle ou tout du moins des repères.
Il ne faudrait pas oublier les violen-
ces commises par le personnel péniten-
tiaire, violences qui ont réellement
cours et que l'O.I.P. divulgue généreu-
sement dans la presse écrite, mais hélas
le plus souvent " gratuitement, sur la

11
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
base des déclarations ordurières de petites
balances de garnison, ou d'informations
tronquées recueillies dans des rapports
d'inspection confidentiels et mystérieuse-
ment échappés " (Syndicat National
Pénitentiaire Force Ouvrière,
Questionnaire du Ministre de la Justice, 20
novembre 1999). Il est vrai que, sous
prétexte d'apporter aux détenus des
conditions de vie plus favorables (ce
qui serait bien sûr une bonne initiati-
ve), il ne faudrait pas ni victimiser
ceux-ci, ni mettre en accusation gratui-
tement l'institution et son personnel,
dans le non-respect de la présomption
d'innocence, personnel qui d'ailleurs
affirme que " ses conditions de travail se
dégradent alors que dans le même temps
s'améliorent les douches et les petits déjeu-
ners des détenus " (ibid.). Le décret du 31
décembre 1977 défini le travail du per-
sonnel par deux missions: garde des
détenus, maintien de l'ordre et de la
discipline, et préparation à la réinser-
tion dans la société. Une si lourde tâche
qui demande à l'évidence bien plus que
des moyens financiers: du temps, une
formation adéquate, une organisation
de travail évitant les traitements de
faveur.
VIOLENCE RETOURNEE
CONTRE SOI
Confronté à un doublement du
nombre de suicides entre 1987 et 1996,
l'administration pénitentiaire a multi-
plié rapports et circulaires concernant
ce triste fait, et révèle qu'il concerne
surtout certaines catégories de détenus
: ceux qui viennent de rentrer, ceux qui
ont déjà fait des tentatives auparavant,
ceux qui ont commis des crimes contre
des proches. Ils s'en "sortent" par la
mort, et semblent mettre à jour leur
mal-être en même temps que l'inadé-
quation de l'organisation et des pra-
tiques de l'institution. Mais pour
autant comment répondre aux plaintes
déposées par les familles concernant
cette dernière ? Celle-ci était théorique-
ment chargée de garder les détenus,
peut-elle être tenue pour responsable
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
d'un suicide ? La frontière entre obser-
vation et surveillance étant de surcroît
peu claire, l'initiative qui semble pou-
voir porter immédiatement ses fruits
en termes de prévention du suicide (ou
plutôt en termes d'empêchement de
mourir), passerait par des privations
de droits (retrait des lacets, ceintures,
rasoirs). Une solution plus efficace
mais sur un plus long terme serait
d'apporter aux détenus une aide véri-
table pour trouver une activité, une
12 préparation complète à leur sortie, un
suivi psychologique qui leur permet-
trait l'amendement et le travail sur soi.
Dans cet état de détresse pouvant
apparaître dans un tel contexte de pri-
vation de liberté et de solitude, faut-il
voir l'ultime produit d'une liberté
réduite à son minimum ? Le remords et
le repentir se trouvent largement mis
en cause, mais il importe de bien les
différencier, à partir du reproche inté-
rieur dont ils sont deux variétés intrin-
sèquement différentes ; " Et même quand
les mots sont pris l'un pour l'autre, les
deux voies ouvertes devant l'âme qui
condamne son passé divergent nettement :
la première s'enfonce vers le suicide, la
seconde conduit à la résurrection. "
(Troisfontaines, Le Choix de Jean-Paul
Sartre). Le remords est une sorte de
hantise qui obsède, et enveloppe l'idée
que la faute est irrémédiable, telle une
malédiction implacable. La souffrance
devient châtiment, mais ce châtiment
n'est pas accepté par l'homme torturé
de remords en raison du sentiment
d'irrévocable. La logique du remords
est le désespoir, et celle du désespoir
est le suicide. Tout autre est le repentir,
qui n'implique aucun sentiment d'irré-
parable ou de fatal. La réparation et la
contrition sont les moyens de racheter
une faute afin d'obtenir le pardon.
L'espoir et la confiance habitent bien
plus l'homme de repentir.
Pour autant le courage serait-il du
côté de celui-ci, alors que la détresse per-
manente dans laquelle vivent certains
condamnés nous est inconsolable ? C'est
ainsi que, quelles que soient les idées
qui pourront jamais traiter de ce sujet
délicat, " il faudra toujours plaindre les
gens malheureux, même ceux qui ont méri-
tés de l'être, quand ce ne serait que parce
qu'ils ont mérité de l'être ", comme le dis-
ait Montesquieu dans ses Cahiers.
Pourtant ces considérations s'étendent
au suicide en général, qui existe
"dehors" comme "dedans", mais il
serait possible de formuler autrement
le problème en milieu carcéral: il ne
serait plus de savoir si un détenu est
fort ou faible, ou si sa souffrance et sa
peine sont dignes de lui, mais bien plu-
tôt de savoir si lui-même peut suppor-
ter le poids de sa culpabilité et de sa
peine. Faut-il parler de dignité dans
l'acceptation d'un long et pénible
enfermement ? Quoi qu'il en soit, il y a
une sorte de mépris dans cette idée de
résignation, " un mépris à l'image du
militaire qui prend ses travaux comme des
exercices de patience " (Alain, Idées).
Il apparaît donc nécessaire d'offrir
aux détenus des aides psychologiques
permettant cette forme de résurrection
citée plus haut, passant par les formes
les plus diverses. Pour n'en citer qu'u-
ne, une séparation de l'Église et de l'É-
tat ne devrait pas empêcher un recours
plus large aux hommes d'Église, qui se
sont déjà révélés efficaces dans ce
genre de situations extrêmes. Car
comme le dit Landsberg dans Essai sur
l'expérience de la mort, " il ne peut pas être
superflu de se rappeler aujourd'hui que la
morale chrétienne n'est pas une morale de
compromis et de lâcheté, mais qu'elle nous
demande un héroïsme plus profond, plus
absurde en un certain sens, plus intrans-
igeant que n'importe quelle autre morale ".
Cependant, de la même façon qu'il
ne faut oublier les victimes, il ne fau-
drait pas non plus oublier les êtres du
dehors, des personnes ayant aussi
toute sorte de faiblesses, de tendances,
mais qui ne sont pas passées à l'acte ou
bien qui ne se sont pas fait "prendre".
Pourtant ces personnes ne bénéficient
d'aucune assistance psychologique ni
de suivi régulier ou de programme de
réinsertion sociale, car il existe bien des
personnes isolées en société, le plus
souvent à cause d'une détresse person-
nelle, d'un événement grave, d'un long
chômage ou de prise de drogues, prin-
cipaux éléments d'une dialectique de
l'isolement et de la solitude. " L'être
véritablement seul n'est pas celui qui est
abandonné par les hommes, mais celui qui
souffre au milieu d'eux, qui traîne son
désert dans les foires " (Cioran, Précis de
décomposition).
Finalement, il s'ensuit d'un ques-
tionnement dans le domaine des pri-
sons, une autre interrogation plus spé-
cifique ; il s'agit de se demander en
quoi peut bien consister une défense de
l'intérêt des détenus, considérant qu'il
est nécessaire d'éviter toute victimisa-
tion ou angélisation à outrance des per-
sonnes détenues. En effet, si la société
et son institution judiciaire ne cessait
de juger excessivement les détenus et
de mépriser les êtres qu'elles enfer-
ment, au nom de quoi respecterions-
nous la société et les individus qui la
composent, nous qui nous sentons bien
plus proches d'eux que des geôliers et
des juges ? Il semble donc bien qu'une
position de victime ne serve ni les inté-
rêts des êtres encore en liberté, ni
même ceux des détenus.
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
CARTE POSTALE DE ZONPRI
Interview de Mary T., souvenirs de Fleury-Mérogis...
p
I
a
r
ntroduire cet article n’est pas une
H tâche facile. En effet, comment ne pas
é parler du « choc des cultures » entre le
monde intra et extra carcéral ?
l
Comment ne pas éviter de parler de
è l’appréhension qui nous saisit malgré
n tout, lorsque, ça y est, les grilles
e s’ouvrent et on entre dans ce monde,
dans cet univers clos, dans cet uni-
T vers avec son propre fonctionnement,
dans cet univers froid, et puis lorsque
a
l’on se demande si tout va aller, si
r l’on va tenir le coup, si l’on ne va pas
a succomber sous nos préjugés ? Cette
n appréhension, n’est-elle pas celle que
t nous ressentirions tous certainement,
o et c’est certainement celle qu’a dû
ressentir Mary T. lorsqu’elle est
l
entrée pour la première fois dans une
a maison de détention…? Actuellement
étudiante en master de cinéma (spé-
cialisé dans le documentaire) à
Lussas, c’est il y a environ deux ans,
titulaire d’une M.S.T.C. et employée
dans un festival de cinéma parisien,
qu’elle a eu l’occasion d’animer un
atelier de cinéma dans une maison de
détention pour jeunes détenus de la
région parisienne. L’interroger à ce
sujet m’a semblé pertinent afin de
comprendre l’importance de ne pas
stigmatiser les détenus. Mary m’a dit
qu’elle n’avait jamais voulu savoir
pourquoi chacun de ses « élèves »
était là, à Fleury. Et cela lui importe
peu d’ailleurs. Cet été-là, je l’ai peu
vue, elle était « absente », mais vous
le comprendrez en lisant cet article.
Peut-être nous faut-il entrer dans une
prison pour constater ce qui s’y passe
réellement ? Peut-être nous suffit-il
de nous informer un tant soit peu
pour comprendre ce qui se passe
autour de nous et ne pas oublier notre
devoir de citoyen.
H. T. : Parle moi des tes souve-
nirs de Fleury-Mérogis.
Mary T. : Hier, je suis tombée
sur les rushes que nous avions
tournés à la Maison de Jeunes
Détenus de Fleury-Mérogis. Sur
une des cassettes, il n'y a que les
lieux et des objets. En tant qu'in-
tervenants, nous n'avions accès
qu'aux salles de cours. Un couloir
bloqué par une porte à barreaux, et
nous ne connaissions de la maison
de détention que ce couloir, ce que
nous voyions par les fenêtres et ce
que nos stagiaires nous racon -
taient. Sur les rushes retrouvés, on
voit la cour, sans les détenus. Juste
les fenêtres barrées avec du linge
qui flotte, des sacs en plastique…
J'ai les rushes des détenus aussi.
Mais il est impossible de les mont-
rer. Ils étaient mineurs pendant le
tournage et le principe n'était pas
de faire un film sur eux, mais
qu'eux fassent des films sur eux,
des cartes postales vidéo, desti-
nées à leur famille.
La salle de travail où nous nous
retrouvions était la bibliothèque.
Elle porte le nom d'un personnage
qui a erré dans cette maison de
détention : Henri Cartier-Bresson.
Les bibliothécaires, un détenu
adulte - la quarantaine - et un
jeune, étaient très fiers de nous
montrer les livres dédicacés par le
photographe.
Cette bibliothèque a-t-elle été
créée à l’initiative des détenus ?
Non, elle a été créée par l'asso-
ciation Lire c'est vivre, une asso-
ciation qui organise une partie des
activités culturelles des trois mai-
sons de détention de Fleury-
Mérogis. Des projections de films
dans la maison de détention de
femmes, des ateliers-théâtre chez
les hommes, des ateliers-photo et
vidéo chez les jeunes, et des lectu-
res collectives destinées à tous,
qu'ils sachent lire, qu'ils soient
analphabètes ou étrangers.
C’est par le biais de cette asso-
ciation que tu es intervenue ?
Oui, je suis intervenue à la mai-
son de détention grâce à cette
association, mais aussi grâce au
Centre Audiovisuel Simone de
Beauvoir, avec sa déléguée généra-
le, Nicole Fernandez Ferrer, qui a
remonté le Centre et travaille
actuellement à la restauration de
toutes ses archives. Plus expéri-
mentée que moi pour l'aide à l'é-
criture de scénario, à l'analyse de
films, elle m'a proposé de venir la
seconder à cet atelier pour toute la
partie technique : montage numé-
rique et prise de vue avec une
caméra numérique.
J’imagine qu’accepter, et réali-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
13
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
ser une telle entreprise ne doit
pas être évident…
Sans me poser de questions, j'ai
accepté. Nous avons préparé le
cours en étant très précises sur la
gestion du temps : nous n'avions
que huit jours pour faire les cartes
postales vidéo avec les détenus. Et
nous n'avions que cinq heures
d'intervention par jour. Cela paraît
peu, mais venir à Fleury, entrer
dans la maison de détention - don-
ner son autorisation d'accès, lais-
ser son portable à l'entrée, passer
les cinq ou six portes blindées -,
demander aux gardiens de descen-
dre les détenus, réitérer parfois la
demande et laisser le temps aux
détenus de se retrouver - ils sont
seuls dans leurs cellules - prend
énormément de temps.
Le midi, ils allaient manger
dans leurs cellules, ils se faisaient
à manger ou alors ils goûtaient à la
cuisine collective. Nous sortions
déjeuner pour deux heures et
recommencions notre appel au
retour.
Le plus difficile pour moi était
de les laisser le midi et le soir. On
se disait à demain, à toute à l'heu-
re, mais nous, nous étions libres,
eux non. Pendant ces deux semai-
nes, je n'ai pu voir personne, car je
pensais sans cesse à eux. Cette
expérience est très forte, il y a un
partage, un échange, ce que je
donne, ils me le rendent.
Forcément on se pose des ques-
tions sur les lois, le fonctionne-
ment de la justice, la lenteur admi-
nistrative, le surpeuplement en
prison, la raison pour laquelle il
n'y a pas plus de fonds débloqués
pour faire des ateliers (pour édu-
quer ?).
C'était l'été, et cette activité
était la seule activité sociale qu'ils
avaient durant les deux mois de
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
vacances. Les cours n'avaient plus
lieu. Certains ont eu les résultats
de leurs examens - le brevet - pen-
dant le stage, d'autres ont été libé-
rés. Ils étaient neuf au départ, un
adulte - il y a des adultes chez les
jeunes, cela permet d'adoucir cer-
tains conflits - et huit mineurs.
Deux ont été libérés. Et aucun n'a
jamais loupé un cours. Au delà de
l'aspect ludique du cours, il y avait
avant tout cette notion d'échange,
14
de perspective, de travailler
ensemble. Pendant que certains
écrivaient avec Nicole, que je tour-
nais avec d'autres, les autres
regardaient des films.
Excuse moi pour cette question :
as-tu eu peur ?
Je n'ai jamais eu peur de rentrer
dans la maison de détention. Je
n'ai jamais eu peur avec eux. Le
seul problème que j'ai eu a été de
trop m'attacher à eux, d'être trop
proche en âge peut-être, et de me
laisser déborder par leur demande
constante d'attention. Par moment,
effectivement, j'étais très touchée
par des mots, des images, des atti-
tudes.
Et quels genres de films avez-
vous tourné ? Comment les déte-
nus réagissaient-ils face à l’écri-
ture ? À la caméra ?
Les films qu'ils ont fait ont
dépassé notre intention de départ.
Il y avait un film sur l'alphabétisa-
tion en prison, et sur ce lieu cen-
tral qu'est la bibliothèque. Un film
sur deux jeunes qui se demandent
ce qu'ils vont faire à leur sortie.
Un film noir sur la détention, les
barreaux, les couloirs, et le peu
d'espoir pour la sortie. Un film sur
le vol en prison, et un film sur l'ar-
rivée en prison.
Le tournage s'est bien passé.
C'est le stade de l'écriture qui a été
le plus fastidieux. Il fallait que les
jeunes prennent conscience que ce
qu'ils avaient à dire n'était pas
« débile », et qu'ils pouvaient
structurer leur pensée. Ce qui est
triste à voir, c'est le fatalisme, le
manque de confiance en l'avenir
qu'ils ont. Un jour, j'ai rencontré
un de mes anciens "stagiaires"
dans le métro. Il était livreur pour
une grosse boîte. Il a 19 ans. Peut-
on dire qu'il s'en sort ? Il n'est plus
en détention, mais il a un casier
judiciaire, il doit mal gagner sa
vie, son patron doit lui rappeler
qu'il a de la chance d'avoir pu être
embauché. Je trouve ça dégueulas-
se, ça se ne passe pas comme ça
pour des jeunes qui ont pu être
libérés sous caution, de suite, sans
passer par la détention, des fils à
papa.
Que retiens-tu de cette expé-
rience ?
Je sais que dans certains grou-
pes, tout le monde est passé en
« Zonpri ». C'est le passage à
l'âge adulte peut-être. Drôle de
valeur. Je comprends la violence et
la révolte qu'il peut y avoir dans
certains actes, dans certaines paro-
les. Que ferais-je si je n'étais pas
une petite fille gâtée par la vie,
une blanche, qui a été scolarisée, à
qui la mère a appris à lire et à écri-
re, qui a trouvé du boulot quand il
le fallait ? Certains s'en sortent,
c'est sûr, mais oh combien blessés,
méfiants.
Je persiste à croire qu'il faut
donner plus de moyens pour édu-
quer ces jeunes, il faut être plus
patient, accepter leur culture et
arrêter de croire que la détention
va guérir la société. Depuis ce
mois de juillet 2002, il y a un suici-
de par semaine à Fleury. Les
conditions sont de pire en pire. On
veut redonner des cours. Il y a les
fonds, mais il n'y a pas assez de
gardiens disponibles pour encad-
rer les cours. Les gardiens ? On ne
peut pas dire qu'on les a beaucoup
vus pendant l'atelier. Je ne les
blâme pas eux, je blâme le fonc-
tionnement global de la détention
en France, car ce sont des gens
courageux, et qui ne tournent pas
toujours le dos aux détenus. On est
humain, on ne peut pas travailler
avec des gens tous les jours, et
faire comme s'ils n'existaient pas !
J'ai eu de belles lettres à la fin
de l'atelier, des remerciements. J'ai
beaucoup reçu pendant l'atelier.
Tout ce que je peux donner aujour-
d'hui pour faire avancer d'un pas
de fourmi le système, c'est un
témoignage, un de plus.
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?
« Or la société prescrit avec soin de détourner les yeux
L’isolement sensoriel (1)
et ses consEquences
p
a
r
B
« Nul n’est sûr d’échapper à la pri-
son » (2). La prison n’est pas seulement
l’enfermement entre quatre murs mais
e aussi en nous-mêmes dans l’isolement
r sensoriel provoqués par les
écrans, devenus nos média-
n
teurs technologiques. La pri-
a vation augmente le désir de
r l’objet par le défi de l’ascèse
d ou de l’abstinence ; au
contraire de la privation, l’i-
A solement sensoriel est un
affaiblissement de la chair
n
intime par la décorporation
d des objets susceptibles de
r fournir un vécu subjectif.
i L’isolement sensoriel suppri-
e me le contact en nous désen-
u sibilisant, du toucher des
autres, des sexes et des sen-
sations environnementales.
Cette anesthésie produit une
souffrance par défaut d’in-
tersubjectivité et d’interob-
jectité : sans objet, sans vête-
ment, sans écriture, le dénue-
ment détruit peu à peu le
système nerveux, faute de
l’interaction constitutive et
des réactions.
L’enfermement des corps
les rend intouchables par la
prairie, la tranchée et le camp
dans ce qu’Olivier Razac a
étudié comme une histoire
politique du barbelé. Cette
technique stigmatise des
populations cibles en leur
interdisant la communica-
tion tangible. L’ordre des cas-
tes maintient les intoucha-
bles en position de dominés,
en reproduisant la mise en
distance physique dans une
mise à distance mentale. Plus
que la contamination, le
malade est enfermé dans la
bulle protectrice de l’hygiène, et surtout
dans la distance sanitaire et salutaire de
l’alibi du rétablissement. L’alibi de la
séparation organise une esthésiologie
de tous les évènements
qui trahissent les vrais rapports de pouvoir »
M. Foucault, Le Discours de Toul, 1971.
privant le sujet de ses coordonnées sen-
sorielles habituelles, jusqu’au camp de
concentration qui cherche à détruire la
sensibilité même du sujet.
L’isolement sensoriel est devenu une
technique de rupture relationnelle entre
le corps et le monde ; le but de l’anato-
mo-politique a été de créer des Quartiers
Dits et Ecrits, t.2, p. 237.
de haute sécurité pour déstructurer l’ex-
périence sensorielle : la privation de
référence externe abolit la comparaison
entre le monde réel et le monde vécu par
la réception sensorielle. En
étant mis à l’isolement, rap-
pelle Gwenaëlle Aubry (3),
le sujet doit trouver en lui
de quoi nourrir la réflexivi-
té : il découvre combien l’i-
mage mentale délivre les
sensations incorporées, là
où la narrateur n’éprouvait
rien à la vue de la madelei-
ne avant qu’il n’y eusse
goûté. L’isolement senso-
riel n’est pas une recherche
du temps perdu, mais une
impossibilité progressive
de retrouver en soi des
repères autres que men-
taux.
W. Reich éprouve le
besoin, en 1934, de complé-
ter son ouvrage de 1933 sur
L’analyse du caractère, par
une conférence sur contact
psychique et courant végé-
tatif (4). Le manque de
contact, phénomène névro-
tique, provient de l’inter-
diction du monde extérieur
de nous laisser réaliser les
tendances libidinales.
L’équilibre, que la société
occidentale attend, est un
équilibre statique entre les
forces pulsionnelles et les
pulsions inhibitrices. La
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
dissociation et l’opposition
produisent une paralysie et
une rigidité que le senti-
ment de solitude, sinon de
mort, intérieure, exprime.
Face à une situation
conflictuelle, l’insensibilité et la perte de
l’aptitude au contact sont un mode de
défense pour ne pas avoir à soutenir
socialement le conflit entre répression et
15
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

expression de l’énergie sexuelle : “ le chez la fille vise à la réduction brutale de son avec le monde est à accomplir pour cons-
manque de contact est occasionné par le blo- excitabilité génitale… Les sévices infligés truire ce qui n’a pu l’être dans l’accueil.
cage de la motilité de l’orgone du corps (anor- aux jeunes ne sont pas du tout des punitions Alexandre Lowen estime que l’absence
gonie) ” (5). Expression d’une concentra- anticipées d’activités génitales futures, ne d’une intimité physique génératrice de
tion d’opposition et de dissociation, le sont pas des “ actes de vengeance ” perpétrés plaisir entre la mère et l’enfant conduit
manque de contact est le reflet de l’an- par des adultes, mais des mesures rationnel- l’enfant à ressentir cette absence de
goisse de l’orgas- Si le premier toucher est si lement fondées du groupe prédo- contact physique ; la peur et la honte de
me, faute d’un minant… le patriarcat part en son propre corps vécus par la mère per-
fondateur dès la naissance
vécu sensoriel du guerre contre la sexualité infan- turbent la sensibilité de l’enfant : “ Si elle
flux orgastique et l’accueil par la mère puis tile, détruisant d’emblée la considère avec dégoût l’acte sexuel, tout
dans son corps. le père, c’est que s’y mani- structure sexuelle et provoquant contact physique intime est teinté de cette
Le contact orgas- feste la première expérience l’impuissance orgastique en impression. Si une femme a honte de son
tique occasionne imposant une cuirasse rigide ; corps, elle ne peut pas l’offrir de bonne grâce
sensorielle de contact entre
une peur du agissant ainsi, il suscite sans le à l’enfant qu’elle allaite “ (11). Ces défi-
contact génital en soi et les autres en dehors vouloir tout un cortège de névro- ciences au niveau de l’image du corps, si
désaffectivant du ventre maternel... ses, perversions et crimes elles dénotent une perturbation de la
l’excitation : la sexuels ” (8). La morale relation mère-enfant, déterminent la
thérapie consisterait à analyser rigoureu- sexuelle, par le complexe de castration, qualité du contact avec le monde exté-
sement les attitudes et les sensations organise le manque de contact en détour- rieur : “ Des bras tièdes, tendres, qui sou-
pendant la masturbation et l’acte sexuel nant la recherche orgastique et en muti- tiennent, procurent à l’enfant des sensations
pour réinvestir le corps vécu et éliminer lant le corps. de plaisir physique et renforcent son désir
la cuirasse caractérielle. d’un contact plus poussé avec le monde “
Les contacts de remplacement, par (13).
opposition aux contacts végétatifs immé- Pour le disciple de W. Reich,
diats qui pourraient apporter une satis- Alexander Lowen, la perte de contact
(1) Ce court texte inédit est un extrait d’un livre en cours,
faction de l’énergie sexuelle, sont des avec son corps conduit à une déperson- à paraître fin 2005 début 2006 sous le titre Savoir toucher.
solutions artificielles : l’attitude sadique nalisation et produit une perception Epistémologie des soins du soi.
( actualité : www.toutnancy.com/bernard-andrieu/ ).
de la femme compulsive, la tendresse intellectuelle de l’identité. La schizo- (2) Manifeste du GIP, 8 fev1971, Dits et Ecrits, t. 2, p.174.
(3) G. Aubry, 2003, L’isolement, Paris, Fayard.
exagérée entre époux, l’agressivité phrénie est la perte complète du contact (4) W. Reich, [1933], Contact psychique et courant végétatif,
névrotique ou le comportement maso- avec son corps. Une activité mentale exa- L’Analyse caractérielle, 3eme ed. 1948, Paris, Payot, 1971,
Chap. XIII, p. 245-299.
chiste produisent une “ double vie que les gérée se substitue au contact avec le (5) Op. cit., note de 1945, p. 269.
(6) Op. cit., p. 277.
gens sont obligés de vivre ” (6) : la vie cul- monde réel en étouffant le corps et toutes (7) W. Reich [1932], L’irruption de la morale sexuelle, Etude
turelle est riche en substitutions et com- manifestations du vécu sensoriel. Cette des origines du caractère compulsif de la morale sexuelle,
pbpayot, 1972, p. 63.
pensations mais représente en réalité un perte de perception de la réalité interdit (8) Op. cit., p. 103.

compromis entre la volonté de vivre et la
peur de vivre. Devant une telle économie
sexuelle personnelle et sociale si trou-
blée, W. Reich idéalise la société primiti-
ve qui abolirait le moralisme sexuel :
relisant la description par Malinowski
des Trobriandais, W. Reich y voit une
“ appréciation positive de la vie sexuelle
génitale parce qu’ils ont pleinement cons-
cience du caractère morbide et taré des per-
versions ” (7). Passer d’une attitude anti-
sexuelle à une attitude pro-sexuelle relè-
ve bien de normes naturelles de l’écono-
mie sexuelle et peut seul guérir le névro-
sé et le pervers en lui faisant abandonner
sa lubricité, son agressivité sexuelle et
son insatiabilité.
W. Reich situe la mutilation des orga-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
au corps d’être actif : “ Lorsqu’on perd le (9) Alexander Lowen, [1967], Le problème d’identité, Le corps
bafoué, Paris, Ed. Tchou, coll. Le corps à vivre, 1976, p. 14.
contact avec son corps, la réalité s’évanouit ” (10) Op. cit., p. 134.
(11) Martine Montalescot, Le toucher-communication, la
(9). L’opposition entre le Moi et le corps naissance et après, Le toucher relationnel, Ed. Dangles, p. 41-
peut être entretenue si l’on accorde au 57, ici p. 42 à 53.
(12) Alexander Lowen, (1967), Le corps bafoué, Paris,
premier les images et au second les sen- Laffont, 1976, p. 113.
(13) Op. cit., p. 80.
sations, sans parvenir à les faire coïnci-
der dans une vie émotionnelle. Lowen ne
croit pas à l’expérience émotionnelle des
images et dénonce par là la culture
visuelle, sinon l’étayage, dans laquelle le
Moi s’investit dans des idoles et des ima-
ges virtuelles. Dans notre culture l’oppo-
sition entre le Moi et le corps repose
respectivement sur celle de la réalisation
et du plaisir en survalorisant l’illusion
du pouvoir (10).
Si le premier toucher est si fondateur
dès la naissance et l’accueil (11) par la
mère puis le père, c’est que s’y manifeste

nes génitaux à l’âge de la puberté au la première expérience sensorielle de

moment où l’attitude pro-sexuelle a dû
céder le pas à une attitude anti-sexuelle.
La fonction sexuelle-économique de la
répression de la génitalité juvénile cher-
che à imposer une continence, moins par
une pression morale qu’en raison des
intérêts économiques du matriarcat.
L’interdit de se toucher et de se procurer
une énergie orgastique se traduit par des
sévices infligés : “ L’excision du clitoris
contact entre soi et les autres en dehors
du ventre maternel. Trop rudoyé ou
délaissé, l’enfant négligé, par refus d’hu-
manité ou des soins sans ménagement,
devra se repérer sans trouver toujours
une compensation à l’absence d’étayage
tangible dans le contact tactile ou visuel.
Comme nous le montrons dans le chapi-
tre sur les prématurés, tout un travail de
réappropriation du contact et du toucher

16
 dossier / Sommes-nous tous prisonniers ?

Cellules de l’oubli
De la faculté du poisson à la renaissance quotidienne
p
a
r

m
a
r
i
o
n

C ar ce qui sauve le poisson de la folie qui le guette

Enfermé nuit et jour à boire l'eau d'un même lieu
N'est autre que sa tête dans laquelle les souvenirs
Ne demeurent que pas plus de quelques infimes secondes

De mémoire il est privé ainsi chaque minute

De la précédente diffère il est en quelque sorte
Libre grâce à son ignorance
Pas de souvenirs pas d'états d'âme
Poisson comme tout poisson ne se baigne jamais
Deux fois dans le même bocal

Il en vient qu'il n'est pas de meilleure pratique

Que le toujours recommencer
Qui fait d'hier un néant des barreaux une fenêtre ouverte
Et du cachot un échiquier
Sur lequel chaque jour nouvelle donne apparaît

Poisson n'est prisonnier

Que de l'air qu'il ne peut respirer
Ainsi l'homme par bien des aspects
N'est enchaîné que par sa conscience
Qui le ronge et le tourmente sans que jamais répit
Ne lui soit accordé

Que l'homme pour bien vivre doit de ce pas aller

Brosser son cerveau nettoyer ses neurones
Purifier ses cellules
Seulement que les lieux où l'on corrige les hommes
Ne sont que le dehors de la mauvaise conscience
Collective

Statue de pierre est condamnée par sa matière

L'homme de même par son statut
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

Toujours est comme libre au milieu de ses fers

C'est au vécu que nous devons
Notre aliénation

Poisson nous sommes pourtant lorsque nous oublions

D'où nous venons où nous allons et quoi nous constitue
Nous jugeons de la conduite d'un homme
Qu'en tant que responsable de ses barbotements
Bocal le monde et bocal notre corps
Et toujours avancer pour que jamais deux fois
Nos bulles n'atteignent le même coin du ciel.

17
 RUBRIQUE CINÉMA

Le dernier samouraï, d’Edward Zwick.

Réalités en quelques mots…
p
a
r
E st-il encore nécessaire de
présenter ce chef d’œuvre du
film d’épée ? Plus qu’un film
V d’épée c’est en fait une ultime
i épopée des samouraïs sous l’ère
Meiji. Le capitaine Nathan
n
Algren, vétéran tourmenté de la
c Guerre de sécession est envoyé
e au Japon pour aider à la moder-
n nisation de l’armée de l’empe-
t reur Meiji, en inculquant les
méthodes de combat de l’armée
des Etats-Unis. Le but est en
P
réalité de la rendre capable de
a vaincre les derniers samouraïs
l qui s’opposent à la modernisa-
a tion brutale du Japon. Katsumoto
r est le chef incontesté des samou-
u raïs encore fidèles à l’esprit du
bushido. Les deux hommes se
s
rencontreront sur le champ de
bataille et suite à un songe Mais c’est un choix délibéré qui montre On ressent par exemple particulièrement
Katsumoto sauvera le capitaine. Les l’attachement de Katsumoto à ses ancêt- l’idéal de sérénité du bouddhisme, ainsi
deux étudiants de guerre vont apprend- res et à leur prestige. En effet, sa tenue de que « la confiance dans le destin et la
re à se connaître. Ils fonderont à présent combat est une coquille noire portée sur tranquille acceptation de l’inévitable »
leur destinée l’un avec l’autre… un kimono brodé, dans les couleurs (Préface de l’Hagakure). Ce qui surpren-
dorées et grises avec le motif d'une fleur dra toujours réside dans l’acception de la
de sa vallée natale reflète l'élégance et le mort par le samouraï. « Le samouraï est
Nombreux sont les articles sur l’his- raffinement de ce chef charismatique. À pareil à la fleur du cerisier (cet arbre est
toire ou la réalisation de ce film. Il s’agit leur côté gauche, les samouraïs avaient omniprésent dans l’esthétique du film,
ici d’aborder l’histoire du dernier samou- deux sabres : un long et un court. mais son intérêt est aussi historique),
raï par des éléments historiques peu Certaines écoles développaient particu- prêt à partir au premier souffle de la
développés, et donc peu clairs pour les lièrement un type de combat qui recou- brise matinale ». Nous retrouverons les
novices en matière de culture japonaise. raient aux deux sabres en même temps. vertus « viriles » qu’a inculqué le shin-
Voici donc en sept questions les Deux sabres dont la lame est toujours toïsme.
éclaircissements nécessaires à une inclinée vers le haut. Le Bushido ne contient pas de tech-
meilleure compréhension du dernier À partir du 12ème siècle, ces guer- niques guerrières, en effet, il existait de
samouraï : riers constituent la caste la plus élevée très nombreuses écoles vantant chacune
dans la pyramide sociale. On comprend un style de combat différent. Si certains
Qu’est-ce que le samouraï ? alors la déférence apparente des paysans styles ont eu leurs heures de gloire
et même des citadins à l’approche des aucun n’est devenu universel et chaque
Le samouraï est le guerrier le plus samouraïs de Katsumoto. discipline se divise elle-même selon un
illustre et le plus noble. C’est en quelque esprit qui lui est propre.
sorte le chevalier de nos contrées occi- Qu’est-ce que le Bushido ? L’éthique du Bushido repose donc
dentales. En japonais, on peut également essentiellement sur le courage, la sagesse
et la bienveillance. Faillir au Bushido
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

dire Bushi. Ce sont des combattants Do, en japonais, signifie la voie.

rudes initiés depuis leur plus jeune âge à
la discipline militaire, aux arts martiaux,
au respect d’un code d’honneur que l’on
nomme Bushido. Ils étaient au service
d’un daimyo, qui est un chef d’un territoi-
re plus ou moins vaste donné.
Il portait au combat de magnifiques
armures comme on peut le voir dans le
film. Chaque armure correspondait au
guerrier qui la portait. En réalité, ils n’au-
raient pas pu les porter à cette époque.
18
Nous l’avons dit Bushi signifie guerrier ;
le Bushido est donc la Voie du guerrier.
Individuellement, ils doivent obéir à un
code d’honneur qui est ce que l’on pour-
rait nommer une éthique. Ce code régit
plusieurs éléments de la vie du guerrier.
Les samouraïs ont puisé dans différentes
sources afin de constituer au fil du temps
ce code d’honneur. Il s’agit d’acquérir des
vertus intérieures, ainsi de nombreux
préceptes sont empruntés aux religions.
constituait un déshonneur auquel il fal-
lait remédier par soi-même (ou comman-
dé par son daimyo) en faisant seppuku.
Seppuku : mythe ou réalité ?
Le seppuku est plus connu sous le
nom d’harakiri. C’est le suicide du guer-
rier samouraï lui permettant de mourir
avec honneur. Il s’agit de plonger dans
son ventre une partie de la lame du sabre
puis d’entailler horizontalement ou verti-
calement son ventre soi-même. Il n’est en
revanche pas interdit d’être « aidé ».
Ainsi, dans Le dernier samouraï, on voit
Katsumoto trancher la tête du général
ennemi après que celui-ci se soit suicidé
rituellement. Préalablement Katsumoto
a lavé sa lame, c’est un signe de pureté.
Pour plus de détails, vous pourrez lire la
nouvelle Patriotisme contenu dans Dojoji
et autres nouvelles, de Yukio Mishima.
Un soldat accomplit ce rite accompagné
de sa femme pour une action qu’il n’a
pas commise mais qu’il considère
comme le déshonorant. Katsumoto est
tenté d’y avoir recourt dès son évasion
lorsqu’en parlant il caresse son sabre. La
confrontation de deux mondes entre
alors en jeu, Algren lui redonne espoir en
lui demandant de périr par le sabre de
son ennemi et non le sien.
Cette pratique fut interdite officielle-
ment au Japon car trop nombreux étaient
ceux qui y avaient recourt, un peu sur le
même mode que l’interdiction des duels
dus à la défense de l’honneur en occi-
dent.
« Je suis comme un invité
Que pourrais-je regretter ?
Le temps est venu où
En dehors de la tempête
Tombent aussi les fleurs. »
ÔUCHI YOSHINAGA
Affaibli par la mort de son protecteur
auquel il servait d’homme de paille, ce
daimyo dut se suicider ( L’adieu du
Samouraï de Petit et Yokoyama). Ce
Jiseiku définit bien l’esprit du samouraï
quant à la mort.
Qu’est-ce qu’un Ninja ?
Vous souvenez-vous des hommes en
noirs qui attaquent le village de
Katsumoto par surprise ? Ce sont en fait
des Ninjas.
Il faut remonter avant le début de
l'ère chrétienne, en Chine, pour trouver
les origines des Ninjas. Sun Tzu dans son
traité L'art de la guerre les cite déjà. Au
Japon, ils apparaissent réellement sous le
règne du prince Shôtoku (574-622 ) qui
assistants du Jonin. Eux seuls connais-
saient son identité. Le Genin était le Ninja
de base, envoyé sur le théâtre d'opéra-
tions. Ce dernier, même torturé ne pou-
vait donner le nom du Jonin.
Les missions des Ninjas étaient prati-
quement sans limites pour l'imagination
de ses employeurs :
- Intimidation : Essentiellement utilisées
sur les populations des campagnes ou
des villages, les attaques surprises de
nuit permettaient d'asseoir la domina-
tion d'un chef de clan sur une région.
- Assassinat : Pour gagner une bataille
plus facilement, ou réduire une menace
en éliminant un adversaire ou un oppo-
sant, un daimyo pouvait utiliser des
Ninjas. On retrouve précisément cette
idée dans le film.
- Espionnage : L'une des principales acti-
vités des Ninjas. Par la collecte de rensei-
gnements sur l'armée adverse, ou en
volant des plans de bataille, les Ninjas
apportaient de précieuses informations
avant la bataille.
- Intrusion : En infiltrant des citadelles
de nuit, les Ninjas cassaient les premières
défenses et ouvraient les portes du châ-
teau aux troupes du seigneur ennemi.
- Vol : Pour posséder un objet important
ou récupérer son bien, un seigneur pou-
vait envoyer un Ninja.
Il y’a une relation de haine et de
mépris réciproque entre les Ninjas et les
Bushis.
Quels arts martiaux apparaissent
dans Le dernier samouraï ?
Voici quelques indications non
exhaustives sur les méthodes de combats
ou armes que l’on rencontre tout au long
du film. Bien sûr, apparaît en premier la
pratique du sabre (ou Katana) que l’on
peut nommer Iaido. Rappelons que do
signifie voie. Ici, il s’agit donc de la voie
du sabre. Selon les exercices que l’on
peut voir au long du film, il s’agira soit
de cette discipline soit du Kenjutsu.
Apparaît très présent également le Kyudo
qui est la voie de l’arc. Les samouraï
devaient savoir combattre à cheval
comme à pied, les séries de tir à l’arc que
l’on aperçoit sont réellement impression-
nantes mais réalistes. Et bien entendu en
gus, ce sont des Ninjatôs.
Quel degré de vérité peut-on
apporter à ce que l’on apprend
tout au long du film ?
Et bien pour une fois, ce qu’en disent
le réalisateur, les comédiens et autres est
vrai ! Rarement aussi gros travail de
recherche n’a été fait afin d’être respec-
tueux des anciennes traditions japonai-
ses tant au niveau des costumes que de
l’architecture, des armes, de la mentalité
des guerriers ou encore de l’histoire pure
de l’ère Meiji. Le gonflage hollywoodien
n’apparaît que peu. Pour donner un ou
deux exemples, on dira que Nathan app-
rend bien vite le japonais tout linguiste
qu’il est ! Ou encore que les sabres ne
tintent pas ainsi lorsqu’ils sortent du
fourreau, mais ce sont là des points de
détails qui n’altèrent en rien l’histoire.
Ken Watanabe (Katsumoto) est une
star au Japon de films et de feuilletons de
samouraïs et de yakusas. Lui-même dit
que « pour la première fois Hollywood
montrait un réel intérêt pour la culture
japonaise », et que c’est pour cette raison
qu’il a accepté le rôle (Numéro 195 de
Studio).
Pourquoi une dernière charge sui-
cidaire lors de la bataille finale du
film ?
Le seigneur Naoshige avait coutume
de dire « la voie du samouraï est la passion
de la mort. Même dix hommes sont incapa-
bles d’ébranler un être animé d’une telle
conviction ». Les samouraïs de Katsumoto
avaient renoncés à leur vie afin de défen-
dre leur idéal conformément au Bushido .
La certitude de la mort et l’infériorité
numérique ne peuvent faire changer d’a-
vis les derniers guerriers. Ils porteront
leur idéal au bout de leurs forces et de
leur vie. De plus, le daimyo estimant
nécessaire cette dernière charge, ses
guerriers se doivent de le suivre, car le
servir signifie également mourir pour
lui. La fin du film salue ce courage de
deux manières, d’une part l’armée impé-
riale entière s’agenouille devant la
dépouille de Katsumoto, et d’autre part,
l’empereur finit par entendre raison et
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

les utilise comme espions. L'un des traits
les plus caractéristiques des Ninjas est
leur appartenance à un clan commandé
par un chef auxquels tous devaient
obéissance. La majorité de ces clans rési-
daient dans les montagnes entre Kyôto et
Nara.
Une structure à trois niveaux compo-
sait le clan. A la tête de celui-ci, le Jonin
qui dirigeait et organisait la vie du clan
et ses alliances. Les Chunins étaient les
ce qui concerne le combat à mains nues,
il s’agit de la pratique de l’Aïkido. renonce momentanément à une moder-
Pour information, le couteau que l’on nisation brutale de son pays.
voit par exemple lorsque l’on demande
implicitement à Katsumoto de se suici-
der est un Tanto, il existe aussi des
méthodes de combat à l’aide de cette
arme. Les armes de jet des ninjas sont
des Shurikens. Leur sabres étaient plus
courts que ceux des samouraïs et droits
afin de se battre dans des lieux plus exi-

19
 RUBRIQUE LITTÉRAIRE

Médecin-chef à la prison de la santé,

de Véronique Vasseur.
p
a
Lors de sa parution,
r
au début de l’année 2000,
« Médecin-chef à la prison de la
A santé » (Le cherche midi
l éditeur) résonne comme
e un véritable coup de ton-
x nerre, suscitant des réac-
a tions et des polémiques
n dans l’administration
d pénitentiaire, le monde
r politique, les médias et l’o-
e pinion publique, en d’aut-
res termes sur l’extérieur.
K Pourtant nulle accusa-
l tion, nulle polémique n’est
e contenue dans cet ouvra-
i ge, simplement le témoi-
n gnage de sept ans d’exerci-
ce de la médecine au sein
d’une des plus vieilles pri-
sons françaises.
Née en 1952, Véronique
Vasseur, médecin de for-
mation avait arrêté d’exer-
cer afin de se consacrer à
la peinture. Au bout d’un
an et demi, le manque se
faisant ressentir, elle pos-
tule, sur la proposition
d’un ami, comme médecin
de garde à la prison de la
Santé, « par curiosité et
pour [s]e remettre dans le
bain de la médecine »1,
nous dit-elle. Elle obtient
le poste et entre en 1992
comme médecin de garde
à la prison de la Santé (elle
sera promue médecin-chef
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
« Dès le premier jour, je
me suis rendu compte que ce
que je vivais était incroyable,
et j’ai consigné depuis sept
ans les turbulences du 42,
rue de la Santé. ».
Dans un style simple
et concis, l’auteur décrit
l’environnement, l’ambian-
ce de la prison, son travail
ainsi que l’ensemble de ses
ressentis. En trois ou quat-
re pages, elle parvient à
nous faire pénétrer dans
son quotidien, dans cet
univers clos, étrange et
étranger qu’est la prison :
les suicides de détenus, la
prostitution, les viols, l’en-
tassement des détenus de
tout ordre (petits délin-
quants, terroristes, sans-
papiers, VIP…), les condi-
tions sanitaires et médica-
les scandaleuses, le
manque de moyens, l’inco-
hérence de l’administra-
tion, l’immobilisme des
politiques, les tentatives
d’évasion, les détenus bas-
tonnés par la police ou les
matons, les gardes de 24h
d’affilée, la violence
ambiante, les trafics en
tout genre… Le portrait
pourrait paraître sombre,
pourtant il n’en est rien.
Les constats affligeants
s'inscrivent tout naturelle-
chaque ligne. « médecine de brousse »
La personnalité, à la que médecine normale. Le
fois douce et forte, du doc- médecin en prison, tout à
teur Vasseur, ses « états la fois assistante sociale,
d'âme » (pour reprendre le confidente, infirmière et
nom d’un des chapitres) médecin, est au croisement
humanisent à merveille le de tous les aspects de la
récit d’un monde en lui- vie carcérale, et c’est cela
même intolérable. qui apporte tant de riches-
ses à l’ouvrage.
Véronique Vasseur
nous accompagne, telle un Plus qu’un livre sur la
guide fidèle, dans une prison, c’est un livre dans
visite virtuelle d'un milieu la prison, où se pose sans
étouffant, exigeant, et d'un fard ni préjugé la question
système pesant et enroué, cruciale pour notre démo-
dans son monde passion- cratie des conditions de
nant. Par une parole fran- vie des détenus au travers
che et humaine elle nous du regard d’une femme
transporte au cœur de la motivée et engagée.
Santé et du fonctionne-
ment du pénitentiaire
français, à la manière d’un
ami qui nous raconterait
sa journée de travail. Les
pages comme les journées
filent à un
r y t h m e
impression-
nant, on est
très rapide-
ment happé
par ce quo-
tidien hal-
lucinant,
parfois à la
limite de
l’insoutena-
ble, retrans-
crit quasi

dès 1993). Elle est à l’é- ment entre les discussions tel-quel.
poque la seule femme de chaleureuses avec des
l’établissement. détenus, les petites et Ce livre
grandes victoires du tous- permet éga-
Commence alors une les-jours, les satisfactions lement la
folle aventure au sein d’un personnelles du travail d é c o u ve r t e
des endroits les plus accompli, le tout soutenu de la méde-
méconnus de la France de avec cohérence par la pas- cine carcé-
l’époque. sion de l’auteur qui jaillit à rale, plus

20

Avant toute chose, il me
semble nécessaire d’exprimer
mes intentions dans cet article
: vous faire lire ce livre. Je n’y
mets aucune nuance. Je n’ai
aucune ambition objective,
aucunement l’envie de faire
une critique sérieuse et déta-
chée. De plus, il ne s’agit pas
non plus de développer l’his-
toire, en effet vous la présenter
de façon désordonnée ne peut
que vous gâcher le plaisir que
vous aurez à la découvrir au
fur et à mesure.
A.Baricco est un auteur ita-
lien contemporain, né à Turin
en 1958. Il a été remarqué dès
son premier roman :
Châteaux de la colère.
300000 exemplaires de
Soie se sont vendus en Italie, il
connaît alors une popularité
énorme. Son public l’attend à
la sortie des cafés de Turin
pour avoir un autographe. S’il
est écrivain, il est aussi musi-
cologue. De plus, il a fondé
une école avec des amis sur les
techniques de la narration en
1994. Voilà pour l’auteur, en
apprendre plus sur sa vie n’ap-
porte rien au plaisir de lire son
œuvre.
Soie est un roman, non,
une nouvelle. Ou peut-être un
conte, un conte poétique
alors… Comment classer ce
RUBRIQUE LITTÉRAIRE
Soie, d’Alessandro Baricco.
livre ? C’est un style
merveilleux et particu-
lier qui nous donne
tant de difficultés.
Une histoire simple
racontée ainsi en
devient merveilleuse et
les sous-entendus raffi-
nés caressent nos lan-
gues ou nos oreilles
lorsqu’on lit à voix
haute. A sa lecture, il
me semble que des
rêves de douceur, de
voyage et d’amour
naissent de la brume de
ce livre.
L’histoire est sim-
ple, voici quelques
lignes pour la com-
prendre.
1861. Flaubert écrivait
Salammbô. Hervé Joncour
achetait et vendait des vers à
soie pour la bourgade de
Lavilledieu.
Une épidémie européenne
détruit les vers à soie,
l’Afrique devient contaminée
elle aussi. Le monde entier
semble l’être. Sauf le bout du
monde…
Le Japon… En ce temps, il
était réellement au bout du
monde, presque sans relations
commerciales ou autre. Mais
sur la demande de Baldabiou,
Hervé s’y rendra.
Chaque phrase de ce livre
vaut pour elle-même. Le style
d’écriture est presque indéfi-
nissable. Sa pureté et sa sim-
plicité nous bouleversent du
début à la fin.
Commençons par le per-
sonnage principal avec ce pas-
sage qui permet de se faire une
idée d’Hervé Joncour :
« C’était au reste un de
ces hommes qui aime assister
à leur propre vie, considérant
comme déplacée toute ambi-
tion de la vivre.
On aura remarqué que
ceux-là contemplent leur des-
tin à la façon dont la plupart
des autres contemplent une
journée de pluie »
Il n’est pas rare de voir
dans un roman des personna-
ges à la destinée fantastique,
au caractère incroyable, ou aux
actes sublimes. Hervé Joncour
est tout cela, sans le paraître.
D’allure on ne peut plus bana-
le, sa destinée est celle que l’on
n’osera jamais avoir, par
manque de passion peut-être,
sûrement de patience aussi.
Cet extrait montre que le déta-
chement ( reste à savoir si
celui-ci peut exister à ce point)
que nous pourrions ressentir
par rapport à soi pourrait per-
mettre d’inhiber la peur, de
passer au-dessus d’elle…
Hervé Joncour est l’anti-com-
plainte de Laforgue, l’anti-
spleen de Baudelaire.
L’écriture est légère, cepen-
dant elle n’empêche pas l’es-
soufflement. Baricco multiplie
les saynètes : 65 pour 136
pages. Et pourtant de si longs
voyages sont parcourus…
Voilà encore un élément
magnifique, c’est d’ailleurs le
seul que l’on puisse enfermer
dans le carcan linguistique de
l’analyse littéraire. Baricco uti-
lise la narration répétitive, pré-
cisément pour les voyages..
Quatre mois de périple tien-
nent en quelques lignes.
Quelques lignes qui sont
chaque fois les mêmes à l’aller,
et l’inverse au retour. Mais
attention, lisez attentivement
ces lignes, le cœur de ce récit
semble ne pas changer, mais
semble seulement. Un mot, un
petit mot en dit à ce moment
plus que beaucoup d’autres et
change pour chacun des quat-
re voyages au Japon. Lisez,
savourez et découvrez le.
On en vient à attendre ces
voyages d’Hervé Joncour
pourtant si monotones.
Quelques lignes, si banales et
pourtant si agréables,
quelques lignes presque atten-
dues machinalement par le
cerveau.
Et que dire sur l’amour ? Il
y a une variation infinie et
p
légère sur ce thème. On passe a
de l’amour que nous nom- r
mons banal, à la passion qui
s’enflamme discrètement tout
V
en brûlant ardemment derriè-
i
re une carapace bien opaque.
Hervé aime et est passionné. n
Que dire de sa femme ? On se c
demandera quels peuvent être e
les sentiments de madame n
Blanche. De ces amours naîtra
t
trahison, sans doute, thème
d’apparence si éloignée mais
qui se rapproche si facilement. P
A nous décider si nous a
condamnons cette trahison, où l
même si nous voyons de la tra- a
hison. Les avis se partageront
r
certainement. Ce que je pour-
rais espérer si vous lisez Soie, u
c’est que comme moi de s
minuscules fleurs bleues, ou le
regard muet d’une jeune
femme que vous rencontrerez
dans votre lecture vous parle-
ra, vous touchera…
C’est avec plénitude que
Baricco parle de SOI : le vers à
soie, la soie bien sûr, et dans
un style soyeux il nous amène
à une réflexion sur soi.
Soyons clair dès le début
l’avis général sur cet auteur est
que c’est un des plus grands
écrivains de ce siècle. Le mien
diffère quelque peu, c’est le
plus grand depuis Camus, et à
deux ans près on aurait pu
croire à la réincarnation de son
talent. Effectivement, je mets
sur le même plan les deux
auteurs à partir de leur talent,
de l’incroyable qualité d’écri-
ture, de ce plaisir fou à lire
chaque page et de cette décep-
tion lorsque l’on sent la fin
toute proche. Je ne les rappro-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
che pas sur un style particu-
lier, sur l’utilisation d’un cer-
tain vocabulaire ou encore sur
leurs thèmes de prédilection,
mais uniquement sur cet
ensemble. Pas de ton polé-
mique sur ces paroles, simple-
ment un avis personnel qui
n’engage que moi et qui est un
pur ressenti.
21
 RUBRIQUE MUSIQUE

Si técoutes pas , Therion du tout...

I
p
a
r l est 19h, la nuit enve-
loppe déjà la ville de ses
ténèbres mélancoliques,
S
j’appuie sur lecture, m’ins-
a talle confortablement, et
m me laisse envahir par la
bête pour qu ‘elle me
guide à travers cet univers
musical particulier qu’elle
seule peut créer. La bête se
nomme Therion. Le
premier aperçu de
son univers est Theli,
il est construit
comme un opéra
dont le prélude déga-
ge une atmosphère
étrange et mystérieu-
se, comme une somb-
re douceur, à la fois
apaisante et angois-
sante, comme si sous
ce calme apparent se
lovait une force dan-
tesque attendant de
surgir. Et elle ne
tarde pas à le faire :
soudain un hymne
puissant explose sans
crier gare, les tam-
bours grondent et me
tirent vers le bas tan-
dis que des chœurs
enchanteurs mais
déterminés m’invi-
tent à m’élever vers
des cieux différents,
m’entraînant dans ce
tourbillon de notes et
de sensations, où les
extrêmes se rejoi-
gnent, ou les violons
se mêlent aux guita-
res et où le chant brut
et rauque d’un viking
répond aux voix raffinés et
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
tant des sonorités indien- entièrement. Des mystères
nes ou arabisantes, sur des subsistent encore et
rythmes parfois lancinants notamment le plus grand
et primitifs rappelant à la de tous : qui est la bête ?
fois les gongs asiatiques et Les voix me le disent en
les tam-tams africains et hurlant ou en chuchotant,
qui viennent prendre corps des noms étranges sont
avec des cordes électrifiées invoqués, on pense à
et acérés avides de métal et Lovecraft ou à des reli-
des archets voués à la gions oubliés, on évoque
Christopher Johnsson, le coeur et la tête...
Grande Musique, sans l’Atlantide par des moyens
oublier les accents nor- détournés. Mais une chose
tout va bien, car je sais à
présent que ces terres
étranges sont en moi, dans
les dédales de mon esprit,
et la bête ne fait que me
montrer la voix, elle ouvre
les portes, révélant ce qui
est enfoui en chacun de
nous, tel un shaman ou un
prophète, elle apporte une
autre forme de
connaissance qui
naît de l’ombre : des
ténèbres naît la
lumière.
Il est 20h, le disc
s’arrête, l’univers de
la bête se referme et
le monde naturel
reprend ses droits.
Theli est le cinquiè-
me album du groupe
suédois Therion, ce
qui siginifie bête en
grec, mais le premier
d’un genre nouveau,
car si Therion a pen-
dant dix ans joué du
death metal, il a
inventé avec Theli
un style musical
mêlant métal, opéra
et diverses influen-
ces du monde entier.
Après cet album sui-
vront Vovin et
Deggial qui poussent
encore plus loin le
concept, puis The
secret of the runes
beaucoup plus pro-
che des légendes et
mythologies nor-
diques. On place
Therion dans la case
« metal opéra » mais je ne

claires d’un chœur d’opé-
ra. Cela résume bien toute
la magie de ce monde : du
chaos naît l’harmonie.
Après cette introduc-
tion quelque peu éprou-
vante, la bête me laisse
découvrir d’autres aspects
de son univers aux
ambiances aussi diverses
que surprenantes, emprun-
22
diques de certains chœurs.
Et tout cela s’accorde, se
mélange et se complète
pour former un grand tout
d’une homogénéité qui
semble aller de soi, comme
une évidence : de la diver-
sité naît l’unité.
Mais ce monde qui peu
à peu se révèle à moi ne
s’est pas encore donné
est sûre : ces divinités
quelles qu’elles soient
appartiennent aux mondes
obscurs et secrets, elles se
tapissent dans l’ombre,
elles sont noires et nos reli-
gions les appellent
démons. Elles semblent
régir le monde de la bête et
pourtant je ne ressens
aucune crainte, je sais que
suis pas d’accord . Je pense
personnellement qu’on
peut parler d’opéra tout
court, un opéra accueillant
en son orchestre batterie et
guitares électriques,
comme une extension de
soi-même et créant par la
musique un univers autre
et enchanteur, ce qui pour-
rait être une bulle d’Art.
 RUBRIQUE LIBRE

Journal d’un poulet...

p

L
a
r
a scène : de manière grave. Les atomes ont aug- heur collectif.
V UN POULET AU BORD D’UNE menté leur vibration de manière hori-
i ROUTE... IL LA TRAVERSE. zontale dans le monde infini. Le poulet Nicolas Machiavel : L'événement impor-
n La question : cherche l’ataraxie, il s’en va donc vers un tant c'est que le poulet ait traversé la
c
POURQUOI LE POULET A-T-IL pays non déréglé et mieux organisé ato- route. Qui se fiche de savoir pourquoi ?
e
TRAVERSÉ LA ROUTE ? miquement, en passant par la route. La fin en soi de traverser la route justifie
n
tout motif quel qu'il soit.
t
À travers les siècles, de nombreuses per- E.T : Téléphone maison.
P sonnes se sont posées la question, voici Nietzsche : Le surhomme crée le pont
a quelques réponses. Les auteurs sont clas- Sigmund Freud : Le fait que vous vous d'un bout à l'autre de la route, si le pou-
l sés par ordre alphabétique afin de ne pri- préoccupiez du fait que le poulet ait tra- let traverse la route par le pont, alors le
a vilégier aucune solution. versé la route révèle votre fort sentiment poulet est un surhomme !
r
d'insécurité sexuelle latente.
u
Aristote : C'est la nature du poulet de Richard M Nixon : Le poulet n'a pas tra-
s
traverser les routes. Hegel : Un poulet a une conscience de soi versé la route, je répète, le poulet n'a
e en soi et pour-soi dans la mesure et par le JAMAIS traversé la route.
t Audiard: Pasque ses arpions étaient trop fait qu'il est reconnu (en soi et pour-soi)

b serrés dans ses godasses, et qu’y voulait par un camion dont la conscience de soi Gérald de Palmas : Car il a traversé la
i rentrer au bercail. est en soi et pour soi. Un poulet qui route toute la sainte journée.
e
acquiert une conscience de soi en soi et
n
Camus : C'est la seule question philoso- pour-soi et donc un poulet mort. Platon : Pour son bien. De l'autre côté est
d phique vraiment sérieuse. L'absurde naît (" Phénoménologie de l'esprit des volailles ", le Vrai.
‘
a de la confrontation du cri du poulet avec chap. IV,A).
u le bruit déraisonnable du camion. Un samouraï : Un matin le poulet
t
Hippocrate : En raison d'un excès de samouraï s’est réveillé sur son perchoir
r
e Charles Darwin : Ainsi va l'évolution du sécrétion de son pancréas. de l’autre côté de la route, dehors. Farce
s
poulet. de mauvais rônins. Le déshonneur est

a Kant : Le poulet a agit librement. Il a total. Le seppuku n’étant pas destiné à la

u René Descartes : Le poulet a entrepris
t
e
l’entreprise du doute. Y’a t il une route ?
u Un Dieu trompeur ne me trompe t-il pas
r
en changeant un marécage en route ?
s
Alors il la traversera, afin de savoir. De
i plus, il donnera du crédit aux sensations.
n
c Le poulet a traversé et s’est dit : je traver-
o se donc je suis.
n
postulé sa liberté en tant qu'idée non
contradictoire avec elle même, parce
qu'il en a fait l'épreuve dans le sentiment
du devoir. Quelques soient les détermi-
nismes qui s'opposaient à son retour au
poulailler, il devait le faire. Sa loi morale
est ainsi faite. Il a présupposé le "tu peux !".
Le poulet moral fait l'impossible. Et tout
autre poulet a reconnu ce pouvoir lors-
volaille (les mains manquent pour porter
le katana), il a dû traversé la route pour
laver son honneur dans le sang.
J-C Vandamme : Tu comprends ? Y’a
pas assez de molécules autour d’une
route et l’air y peut pas passer, alors le
poulet, il peut pas voler Tu comprends le
poulet c’est comme la vache, alors il mar-
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

n
u Einstein : Le fait que ce soit le poulet qui qu'il a dit de ce poulet qu'il n'aurait pas che pour traverser la route.
s traverse la route ou que ce soit la route dû traversé la route.

! qui se meuve sous le poulet dépend uni-
quement de votre référentiel.
Épicure : Le mouvement vibratoire des
atomes internes à la structure du poulet
s’est, par une tempête atomique, déréglé
Karl Marx : C'était historiquement inévi-
table. De plus, la montée du capitalisme
sur les bord Est de la route est source de
discorde et d’anarchie à venir, le poulet
cherche donc sur le bord Ouest le bon-
Yoda : La force est en toi, petit poulet, la
route tu traverseras!
Le poulet : Euh…en fait, j’habite de l’au-
tre côté.

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 RUBRIQUE LIBRE
brouillon
d’oiseau
p dant sur le bord du monde que se déroule l'absurdité humai-
D
a ne, c'est être sur le quai et sentir en soi le moment de s'élancer
r dans la farandole pour accepter, refuser, résister. Comment res-
es heures passées à regarder le monde... Des heures et
m
a des jours, des nuits à tourner en rond dans son esprit les images
r recueillies sur le vif... Le monde nous échappe, avec son cortège
i de nuances et de complexité, les faux-semblants, double dis-
o cours, démonstrations chaque jour de la force, de la faiblesse ou
n de l'incohérence des hommes.
Regarder le monde, les yeux dans les yeux, s'efforcer de res-
ter droit et impartial, peser le pour et le contre, monter en haut
de la colline pour observer comme le sage, le tourbillon des peu-
ples. Comment prendre position au milieu
de tant de « peut-être » si incertains ?
Comment jouer le jeu, encore, de celui qui
sait et agit, là où rien de stable ne parvient à
s'élever ?
Y a-t-il de l'ordre dans ce chaos des
sens ? Tout se brouille se mélange disparaît
puis renaît. Tout en mouvement, un jour
noir l'autre blanc. On comprend la préten-
tion de certains, qui s'acharnent à codifier,
catégoriser, stigmatiser, organiser. On per-
çoit surtout l'illusion factice de cette quête
de l'inclassable, qui enferme le réel, clôt les
débats, aplanit les dissensions.
En face de ce donné dansant, en face de
l'homme pris entre ses désirs et la réalité, on
échafaude des conjectures fallacieuses, tou-
jours en vue de se rassurer, de permettre la
mise en lumière d'une certitude, d'une place
Sur-vol préalable
qui nous reviendrait de droit - lieu improbable, coordonnées
inaccessibles, béance écorchée... L'espace humain n'existe pas,
l'espace humain, c'est l'expression de la vanité des hommes,
satisfaction consolatrice. Parce que l'homme ignore la mise en
relation, le rapport souvent l'échange, la confusion...
On ne sait pas regarder le monde.
Toujours on le transforme en nous situant au centre de ce qui
arrive jusqu'ici. Instruments face au réel, et le réel lui-même
outil pour notre singularité. On ne sait pas laisser aux choses
leur liberté, leur autonomie, leur énergie silencieuse.
Quel comportement alors ? Celui de l'oiseau peut-être...
Chercher à conserver la multiplicité vibrante des émotions, la
résonance des corps qui s'entrechoquent. Dire cela pour dire
« point de vue », pour dire qu'il faut échapper aux vues d'en-
semble trop rapides, réductrices, pour dire « aucune vue sinon
un point », se souvenir du grain de sable, se souvenir du vent,
se souvenir d'Aragon :
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005
« Rien n'est jamais acquis
A l'homme ni sa force
Ni sa faiblesse ni son cœur
Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre
Est celle d'une croix [...] »
On est trop proche désormais du point de non-retour pour
se permettre l'erreur de n'avancer que pour nous-mêmes, trop
proche de l'abîme, celui qui n'accueille que le monstrueux. On
s'est perdu à force de maintenir nos pas dans une seule direction.
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Regarder le monde, les yeux dans les yeux, non le défier
mais caresser du regard, le goûter du bout des doigts, sentir la
chaleur de l'énergie des vivants. Rien ne demeure en repos,
préserver l'étrange sensation de ce qui est nouveau.
Ce n'est pas être indifférent, ce n'est pas être passif, atten-
ter disponible, sensible aux vibrations du monde, à son étran-
geté, à ses échos sur la paroi de notre corps. Trop d'hommes par-
fois se confondent en théories, s'éloignant du réel en oubliant
d'être conscients, demeurant dans leurs convictions insensées là
où ce qui advient demande plus de ménagements.
Discrétion d'une vision de biais, toujours imaginer que les
choses pourraient être autrement, qu'ici peut devenir un
ailleurs, que « Je est un autre », qu'un autre est soi-même, ne
venir dans l'antre du monde que dans l'humilité - ignorance des
repères vrais. L'oiseau peut-être, qui se pose
en attendant de voler, qui s'envole dans le
désir de trouver, un jour, une place dans l'é-
vidence. Ne plus être étranger à soi-même.
En somme, une manière d'être léger, une
envie d'être juste, cohérent, fébrile, gestes
frénétiques, tremblements de la chair en
prise avec le divers alentour. Comment par-
venir à la cadence prudente, à l'équilibre fra-
gile vacant d'un « je sais » à un « je ne puis
rien savoir », comment atteindre le rythme
mesuré d'un soi cri rapport à l'autre et au
monde ? Ainsi, des heures pour creuser,
d'autres pour contempler, petite ronde de
l'homme, attention première et ne pas être
dupe.
Pourquoi tout cela, sinon pour toi, toi qui
sais et qui ne doutes pas, toi que j'admire
pour tes certitudes et qui m'effraies de tant
d'assurance, toi qui refuses de n'être rien et défendant ta posi-
tion corps et âme. Toi comme un point d'interrogation pour ceux
qui ne savent jamais où rechercher le vrai.
Élan figé au-dessus de la farandole, les hommes courent sur
l'envers du monde. On prend les conventions pour des éviden-
ces, on considère les inévidences comme des vérités, on est glacé
dans le dos du bon sens. On est hors monde, on n'est plus sur la
route.
Élan figé par-delà la farandole, la même rengaine tourne sur
les ondes. Obsession hypnotique, absence de recul, on se laisse
glisser sur la pente prévue a cet effet. Où donc est la chose pen-
sante, la chose pensante se terre, elle n'a plus de lieu juste.
Élan figé face à la farandole, l'être n'est plus un être il est une
pâte molle. On fait confiance les yeux fermés, on se surprend à
n'avoir plus de choix. Tout est brouillon alentour, et pourtant on
avance dans la direction fléchée.
Élan figé trouble de l'intelligible
Comment redonner sens comment reprendre pied
Non-retour à venir
On prend ce qu'il est bon de prendre
Pour nous
On jette dans le bas-côté ce qu'il reste de dérangeant
On badine on badine et on s'endort
Les hommes sont bien gardés.
 COURRIER DES LECTEURS

Aux lecteurs de ce journal.

Il ne s'agissait pas, en écrivant les articles que vous avez lus, d'imposer aux esprits une façon
de considérer et de traiter un sujet -en l'occurrence le milieu carcéral- mais bien de proposer et de
construire diverses approches. Ainsi il est inévitable et même souhaitable que celles-ci provoquent
des réactions -d'enthousiasme ou de recul- car il semble bien que l'indifférence resterait le plus bas
degré d'une attention qui puisse être accordée à nos écrits. Nous avons, pour recevoir vos impres-
sions, une boîte aux lettres dont l'adresse est donnée ci-dessous; précisons que nous serons plus
ouverts aux réactions, qu'elles soient positives ou négatives, mais qui relèveront dans les textes des
manques, des erreurs factuelles ou de raisonnement, ou qui leurs donneront un poids supplémen-
taire sous forme d'apport d'informations, qu'à un simple refus ou rejet de principe. Il s'agit donc de
rendre vivant cet échange d'idées, et nous n'omettrons pas de répondre à toutes vos suggestions ou
remarques, sans oublier qu'il y aura toujours des textes à qui les défauts siéront bien, et d'autres
qui seront disgraciés avec leurs bonnes qualités, ainsi que le disait La Rochefoucault quant aux
hommes.

Rayon Philo
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23 boulevard Albert 1er
54015 NANCY CEDEX

Association Rayon Philo

Qui ? Quoi ? Comment ?

L’association Rayon Philo est née d’un besoin : celui de sauvegarder la bibliothèque du départe-
ment de philosophie qui se trouve en salle A 256 bis au sein de la faculté de Lettres.
En effet, gérer une bibliothèque nécessite du temps, des bénévoles, de l’argent, et il y’avait un
manque important pour chacun de ces domaines.
Nous avons mis sur pied une association dans le but de recréer un nombre de permanence correct
et de gérer les emprunts et les retours d’ouvrages. La bibliothèque est un outil indispensable à de
nombreux étudiants. Cette année, elle retrouve un second souffle. N’hésitez pas à venir bénéficier
des services que nous proposons à titre de membre ou non.
Si ce sont nos objectifs principaux, nous sommes ouverts à toute idée pouvant fournir une aide
quelconque aux étudiants ou bien à promouvoir la philosophie. Ainsi nous faisons bénéficier aux
La Flèche Du Parthe N°0 Mars 2005

étudiants du cadre de la bibliothèque pour travailler, nous leur donnons la possibilité de consulter
Internet, et nos adhérents peuvent bénéficier de photocopies moins chères, d’un plus grand nom-
bre d’emprunts… Nous offrons également le cadre juridique à ce journal.

Si vous avez des projets à partager dans cet esprit contactez-nous à l’adresse indiquée plus haut!

Toute l’équipe de Rayon Philo.

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