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A la classe de 2 2
Nous avons eu de grands moments
ensemble, tantôt joyeux, calmes,
bruyants, chaleureux, tendus… mais
quelle réussite et quelle joie en cette
fin d’année de lire et relire une
anthologie de textes originaux et
passionnants !
Je vous remercie et vous souhaite
bonne chance.
Je vous quitte… avec regrets !
Marie-Dominique Caradec
Sommaire

Ce n'est qu'un nouveau départ 1


Ce Sacré Skyzo 5
Compte à Rebours 7
Confession: au-delà mes yeux le voient 17
Désert de la fin 24
En Fait, C’était la Fin 30
Fausses Mémoires 32
La Fin du Monde 35
La Fin du Rêve 40
La Grotte du Dragon 46
L’Illusion de l'Aventure 49
Illusion d'une présence passagère 51
L’Illusion Incroyable 56
Illusions Successives 59
L’Importance de L'Œil 60
L’Invisible { l'œil 64
La Maison de Poupées 67
Mémoire - Bonheur ou Malheur 73
Mémoires Effacées 76
L’Œil Révélateur 79
L’Œil Traître 85
Opportunité du Crépuscule 88
Par la Fenêtre 93
Quand j'avais 13 ans, mon père est mort 96
Quand la Réalité n'est qu'une Illusion 101
Quatorze Printemps 102
Le Soir du Solstice d'Hiver 105
Spéculations crépusculaires 108
Le Temps des Fleurs 119
Une Histoire 128
Une Illusion d'homme 132
Le Voyage dans le Temps 134
Ce n'est qu'un nouveau départ

Elle ne savait pas comment elle en était arrivée là. Du haut de ses dix-
huit ans, elle ne comprenait pas comment autant de choses avaient pu lui
tomber dessus. " J'me lance ou pas ? " Des souvenirs défilèrent devant ses
yeux. Sa sœur d'{ peine sept ans, sa mère. Elle se demandait si elles
comprendraient, si elles le vivraient bien. " J'me lance ou pas ? " Elle
repensa également à sa vie qu'elle avait essayée de tracer aussi
soigneusement que possible pour qu'aucun détail ne lui échappât. Elle
pensa à ces moments qu'elle avait passés sur ce même banc dans le parc de
la ville, à attendre que son existence prenne enfin un tournant. Combien
de choses elle s'était imaginées : par exemple le genre de personne qu'elle
voulait rencontrer, les endroits où elle voulait voyager ou encore la femme
qu'elle voulait devenir. Tant de faits qu'elle avait inventés, se voyant déjà
heureuse au milieu des siens, aimante et tout particulièrement aimée. "
J'me lance ou pas ? " Elle se remémora le village de ses grands-parents. Ces
petites maisons collées les unes aux autres, et qui étaient pourtant si
charmantes et accueillantes. Cela l'amena à se rappeler sa grand-mère, son
doux sourire qui la rassurait, lorsque, pendant les vacances qu'elle passait
chez elle, elle se réveillait en sursaut après un cauchemar. Puis elle se
souvint de son grand-père avec ses yeux magnifiques. Un jour elle lui avait
même dit :

« Tu vois Papy, moi mon prince charmant il aura les mêmes yeux que
toi. »

Elle n'arrivait pas cependant à se souvenir de ce qu'il lui avait


répondu. « J'me lance ou pas ? » Non, bien sûr, ce n'était pas vrai. De toute
façon, comment avait-elle pu croire que les princes charmants existassent
? Impossible. Si elle avait une fille, elle n'en ferait en aucun cas un être naïf
et ignorant - du moins, faudrait-il déjà qu'elle arrivât jusque là. Ceux qu'on
croît être des princes charmants ne portent en fait qu'un masque. Ils ne
jouent que vaguement un rôle. On s'en aperçoit bien trop vite. Ils nous
ensorcèlent, nous font croire des choses, nous murmurent de douces
paroles. Et ensuite plus rien. On est juste déçu d'y avoir cru, d'avoir été

1
aussi aveugles. Juste d'avoir espéré que le rôle serait bien joué. Au final
l'acteur se révèle être plus que médiocre.

Alors « J'me lance ou pas ? » Le prince charmant de sa mère n'avait été


qu'un rêve éphémère. Ses deux princes charmants en fait. Impossible de se
voiler la face ; sa mère n'avait définitivement pas eu de chance. Le premier
l'avait quittée après avoir appris qu'elle était enceinte. « Dix-huit ans plus
tard je ne connais toujours pas mon père. » se dit alors la jeune fille. Elle
évita de se rappeler le second prince charmant. Lui, c'était le père de sa
petite sœur. Un sale type ! D'ailleurs il était maintenant l{, où les ordures
et les sales types devaient pourrir. Là d'où il ne pourrait réchapper. Mais,
avant cela, sa mère lui avait fait aveuglement confiance pendant six
longues années. Entre temps, elle n'avait pas remarqué à quel point sa fille
souffrait. Lorsqu'elle avait cependant découvert la vérité elle était entrée
dans une folie des plus immenses. Elle avait jeté tout ce qui lui était passé
sous la main. Comment avait-il pu lui faire ça à elle et surtout à sa fille ?

« J'me lance ou pas ? » Elle avait en fait eu tellement honte qu'elle


avait été incapable de parler. Elle s'était sentie plus que salie. Bien sûr, on
lui avait dit que ce n'était pas de sa faute. Mais si seulement elle n'avait pas
été fragile, elle aurait pu se protéger, se défendre ou bien même avoir le
courage de le dire. Seulement elle n'avait pas pu et s'était donc tue.
Pendant six longues années. Elle avait seulement attendu que ça se passe.
Evidemment elle ne pleurait pas. C'était pour les faibles de pleurer. C'était
juste un moyen pour les autres de pouvoir la rabaisser. Et puis Lui était
apparu. Le « Lui » avec un grand « L ». Il avait été son prince charmant à
elle... Ephémère bien sûr. Alors, en y repensant, elle eut un triste sourire.
Après tout, peut-être était-ce dans les gènes ? Comme dirait l'autre, telle
mère telle fille. Mais Lui avait su guérir les blessures, qu'elle avait, avant
leur rencontre, essayé en vain de refermer. Il lui avait redonné sourire,
pour la première fois depuis plusieurs mois. Néanmoins, c'était resté
éphémère.

Donc « J'me lance ou pas ? » Elle était rentrée du Lycée plus tôt que
prévu. Ayant la clef de son appartement, elle avait pénétré dans celui-ci
sans hésiter. Cependant, il y a parfois des portes qu'on devrait ouvrir avec
précaution. Ce qui se trouve derrière ne nous fait pas toujours du bien.
2
Elle avait alors vu son homme avec un autre. A ce moment là, elle n'en
avait pas voulu à celui qu'elle aimait tant, mais plutôt à elle-même. Après
tout elle avait bien déjà auparavant eu vent de ce qu'étaient les princes
charmants en vérité. Pourtant elle y avait cru. Fort. Très Fort. Ce jour-là
elle n'avait pas pleuré non plus. Elle ne voulait pas être faible, ni pitoyable.
A vrai dire elle n'en avait même pas été capable. Elle avait juste pu reculer
et murmurer « Pardon. Je suis tellement désolée. » Et elle l'avait vraiment
été. Elle l'était aujourd'hui encore.

Il fallait qu'elle se décide « J'me lance ou pas ? » Telle était la question.


Elle eut un frisson en repensant à cet hiver qu'elle avait passé avec sa
meilleure amie en montagne. Elle se rappela la manière dont tout avait
dérapé. Elles s'étaient pourtant seulement perdues. Elles avaient alors
passé deux jours entiers dans la forêt, errantes sans manger, avec un froid
à geler les os. Après une journée de marche, à bout de forces, elles s'étaient
assises. Désespérées, elles avaient crié à l'aide, elles avaient essayé de se
faire entendre. Seulement, on ne les avait pas entendues. Alors elles
avaient attendu. Longtemps, très longtemps. Ce qui leur avait semblé plus
long qu'une éternité. Et puis sa meilleure amie s'était endormie... Elle avait
failli s'endormir aussi. Seulement à ce moment-là des secours étaient
arrivés. Bien sûr, on avait tenté de réveiller son amie. En vain. Elle n'avait
jamais rouvert les paupières. Ensuite, plus rien. Elle ne se souvenait plus.
Ou plutôt ne voulait-elle pas se souvenir. Ne pas se souvenir de ce
moment où elle avait pleuré. Il ne fallait mieux pas. Si elle s'était rendu
compte qu'elle était faible, tout se serait écroulé.

Puis elle repensa à ces vacances d'été de l'année suivante qu'elle avait
passées sur la côte. La première fois qu'elle avait conduit. Ce jour-là, il
avait fait très chaud. Puis comme ça, sans qu'elle ne s'y soit attendue le
moins du monde, sa mère lui avait proposé de conduire jusqu'à la plage.
« Après tout, tu as ton code et tu as pris assez de leçons non ? » Oui. Sans
aucun doute qu'elle avait pris des leçons. Seulement elle avait eu peur.
Peur à cause de ce stupide accident qu'elle avait vécu. Elle s'était trouvée
au mauvais endroit au mauvais moment. Renversée par une voiture. Un
jeune conducteur par ailleurs. Et puis encore une fois elle s'en était voulu à
elle-même. Après tout, n'y avait-il pas qu'à elle qu'arrivait ce genre de
malheurs ? Sa seule peur avait donc été à ce moment là d'écraser à son
3
tour un passant. Mais elle n'en avait pas parlé à sa mère. Cela l'aurait fait
se sentir faible. Alors elle avait simplement osé et n'avait écrasé personne -
pour son plus grand bonheur. Bien sûr, elle avait été fière. Fière que sa
mère soit fière. Car au fond il n'y avait personne, à part peut-être sa petite
sœur qu'elle chérissait plus au monde.

« J'me lance ou pas ? » Peut-être alors la décevrait-elle ? Elle hésita.


Cela en valait-il vraiment la peine finalement ? Elle avait encore tellement
d'années devant elle. Puis tellement de choses à découvrir... Elle ferma les
yeux. De toute façon, elle ne pourrait pas en profiter pleinement avec tout
ce qu'elle avait vécu, tout ce qu'elle savait. Le fait de connaître la vérité sur
le monde, sur les gens qui le peuplent, ne lui donnerait pas la possibilité
de sourire encore et toujours. De faire semblant en fait.

Il y eut soudain cette lumière. Si douce, si agréable. Et tout devint


clair.

Elle vit des roses, des arbres, de l'espoir, des sourires, du bonheur, du
soleil, un arc-en-ciel et un chemin. Alors elle sourit. Sa mère ne serait
sûrement pas déçue. Elle comprendrait. Au fond sa mère connaissait tous
ses secrets et elle savait que sa fille en avait assez. Assez de cette vie, où
tout le monde n'était que l'ombre de soi-même. Sans aucun doute
pleurerait-elle, mais elle s'en remettrait. Elle s'était après tout remise d'un
cancer, alors pourquoi pas de ça ? Et sa sœur. Oui, sa sœur ne
comprendrait sûrement pas. Mais viendrait un jour où on pourrait lui
expliquer. Un jour où elle serait assez âgée pour comprendre que les gens
pensent parfois qu'ils n'ont plus le choix. La jeune fille pensa alors à la
naissance de sa sœur. La joie qu'elle avait ressentie en tenant ce tout petit
être dans ses bras, malgré le père qui l'avait engendrée. Elle l'aimait. Et elle
continuerait à l'aimer. Quoi qu'il adviendrait.

Une fine brise se fit alors sentir. Elle baissa la tête et vit le sol qui
s'étalait bien loin en dessous d'elle. Elle eut un dernier sourire. « J'me
lance. » Et elle vécut heureuse jusqu'à la fin des temps.

Maïlys Lemaître

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Ce sacré Skyzo !
Il était connu des nombreux habitants pour ses divers séjours au centre
hospitalier d’Oeilthonville. C’était une personne pas nette, on l’appelait Skyzo,
petit surnom peu agréable qui lui avait été donné à cause de son dérangement
mental. Cela faisait 3 semaines maintenant que Skyzo était sorti de sa sixième
hospitalisation mais cette fois, il ne s’en était pas remis. Trois semaines
passèrent et notre personnage vivait toujours seul dans ce qu’il appelait sa mère,
en d’autres termes la rue. Jamais une personne ne l’avait vu accompagné si ce
n’est avec un médecin et jamais personne ne l’avait abordé pour lui proposer de
l’aide, un logement ou autre de peur qu’il ne le prenne mal. C’était la deuxième
fois en une semaine que je le croisais dans la rue, et c’était la deuxième fois
qu’en observant certaines réactions et son regard, je compris qu’il n’allait pas
bien du tout. Grand gaillard, démarche imposante avec des cheveux blonds et
des yeux bleus, il avait tout sauf « presque tout » pour faire croire qu’il vivait
bien et qu‘il était « normal ».

Un certain temps s’était déj{ écoulé après que je l’aie vu pour la dernière
fois et les nouvelles à Oeilthonville n’étaient pas très rassurantes. Deux vols {
mains armées qui coûtèrent la vie de cinq banquiers différents et un préjudice
financier de près de trois cent mille euros étaient la cause du mal être des
habitants de la ville ainsi que le fait de n’avoir aucun suspect et encore moins de
pistes. Je savais pertinemment ce que se demandaient mes voisins ainsi que
chaque habitant: Est-ce Skyzo ?, Penses-tu que c’est lui ?… . Pour ma part, j’avais
des doutes. Certes, je ne l’innocentais en rien, mais je me disais qu’un homme
aussi sombre et timide que lui n’aurait pas risqué autant. Pendant un certain
temps je menai mon enquête et ma conclusion était que je n’avais pas beaucoup
avancé et que je tournais en rond, tout comme les investigateurs.

Après quelques jours, une nouvelle série de vols { mains armées s’était
abattue dans la ville sans que, { nouveau, des pistes sur l’auteur de ces crimes
soient trouvées. Coïncidence ou non, je revis cette même semaine Skyzo mais
cette fois quelque chose avait changé. Bien habillé, bien rasé et le sourire à la
bouche, il paraissait heureux de la vie et à ma grande stupéfaction, me dit
bonjour comme si on se connaissait depuis des années et des années. Son regard
quant { lui restait asphyxiant, captivant et il fit en sorte que je n’eusse pas le
courage de lui répondre. Je me posais alors la même question que les habitants
de la ville se posaient déj{. C’était étrange, trop pour moi…

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Le lendemain matin, comme { mon habitude, j’allais acheter mes
croissants { la boulangerie de la résidence lorsque, au moment où je m’apprêtais
{ rentrer, j’aperçus derrière les vitres de cette dernière Skyzo. Encore un échec
pour moi lorsque je me suis rendu compte qu’il ne faisait rien d’autre sinon
acheter du pain. Habitué à le voir seul et affamé je trouvais quand même assez
bizarre le fait de le voir avec une somme d’argent. Certes relativement petite
mais c’était de l’argent ! Encore plus intriguant, c’était le fait qu’il avait acheté
trois baguettes au lieu d’une seule. C’était décidé, cette fois j’allais le suivre.
J’attendais alors qu’il sorte de la boulangerie pour pouvoir l’espionner. Je
trouvais beaucoup trop étrange qu’en pleine période de mal-être à Oeilthonville,
Skyzo soit aussi joyeux et que sa vie se soit amélioré aussi vite sans que
personne ne s’en rende compte.

Comme promis, je me suis alors élancé à sa poursuite de façon très


discrète. Cela faisait maintenant près d’une demi-heure que nous marchions et
que nous passions dans les ruelles lugubres de nôtre ville. Nous arrivâmes à
destination. A première vue, je ne voyais rien de spécial, et je suivais du regard
Skyzo qui effectuait ses derniers pas. A ma grande surprise, je le voyais qui se
dirigeait vers une maison. Mon cœur battait fort. Je pensais { toutes sortes de
choses mais je ne pensais { rien de bien et cela m’inquiétait. Il allait maintenant
taper { la porte. J’étais au bord de la crise cardiaque. Ma dernière pensée était
très négative car je pensais tout simplement que sa cible serait les pauvres
habitants de cette maison, chose pour laquelle il avait déj{ été interné { l’hôpital
pour homicide involontaire à cause de ses problèmes mentaux. Une femme
ouvrit la porte. Elle avait un énorme sourire { la bouche tandis que mon cœur
battait { plus de deux cents { l’heure. J’entendis alors un « C’est bon chérie, je
suis allé les chercher, ils sont bien chauds dépêchons-nous ! » puis je les vis qui
s’embrassaient. Pour ma part j’étais l{, caché, cloué au sol. Je pensais avoir perdu
mes esprits. Lorsque je me repris, un grand sourire envahit ma bouche.
Tellement de rumeurs, tellement d’esprits tordus qui avaient critiqué cet
homme. SACRÉ SKYZO ! Il s’était tout simplement trouvé une petite amie. Tout
s’expliquait alors { son sujet. Je me réjouissais, mais d’un autre coté, mon regard
et ma peur portaient désormais sur un autre sujet: nous n’avions désormais
aucune suspect ni aucun indice sur ce qui se passait en ville…

Alexandre Felicio

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Compte à rebours

Génial ! Encore un 17 en maths. Finalement je l’aime


bien Thalès. Ça sonne. Je fais mon sac comme d’habitude
et je me dirige vers la salle A105 pour une heure de
français, comme tous les mardis à 11h10… Il est vrai que
je me lasse très vite du quotidien. C’est toujours la même
chose : le réveil qui sonne, le petit déjeuner, la douche…
Bref ! Tout ce parcours pour arriver ici, au même
endroit, tous les jours : le collège. Enfin, il y a le week-
end aussi, mais même le week-end est devenu une
banalité : grasse matinée, ennui, sorties, devoirs… La vie
est une éternelle répétition. Je ne parviens pas à
comprendre les gens qui aiment et qui tiennent à leur
misérable existence, alors qu’il y a tant d’autres choses
à découvrir dans l’au-delà. Moi, je crois au paradis, mais
s’il n’existe pas, j’aimerais bien savoir ce qui nous attend
après la mort…
Une amie vient de m’interpeler, elle me demande
comment j’ai fait pour avoir deux fois sa note sans
travailler, une autre me fait remarquer que j’ai dix
points de plus qu’elle, un garçon de ma classe auquel je
ne parle jamais se vante d’avoir eu un point de plus que
moi. Pathétique ! J’ai l’impression que les notes sont
devenues pour les collégiens une véritable obsession.
En y réfléchissant ce n’est qu’un nombre écrit sur une
feuille de papier. Comment pourrait-il symboliser une
intelligence ? En quoi est-ce une source d’orgueil ? Peu
importe, je ne suis pas de ces gens-là. A croire que je suis
misanthrope : j’ai des amies, mais si elles savaient ce que
je pense d’elles, elles ne me parleraient plus. Selon moi
elles n’ont aucun intérêt. Ce sont toutes les mêmes,
elles ont toutes les mêmes intérêts, les mêmes pensées,
les mêmes habits et moi avec. C’est triste de se dire que
les seules choses qui nous différencient sont basées
sur quelques propriétés génétiques.

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Le cours de français commence. Je n’ai jamais aimé le
français. J’ai de très bonnes notes en français et je ne
fais aucune faute d’orthographe et de grammaire, mais
j’écris mal, mon style est banal, je n’ai aucun talent et
les sujets de rédaction se ressemblent tous. De plus, je
n’aime pas mon professeur. Aujourd’hui elle nous
annonce que l’on va faire un cours sur l’épicurisme. Je
me demande bien ce que c’est encore que cette nouvelle
invention… Si vous tenez vraiment à le savoir, dans mon
cours ça donne ça :

Epicurisme :
C'est une façon de penser fondée par un philosophe
grec, Epicure (IIIe siècle av. J.-C.)
Morale fondée sur la recherche du plaisir.
_attention il ne s'agit pas d'un excès ==> "pourceaux
d'Epicure"
_l'idéal de bonheur pour Epicure est de se contenter des
plaisirs naturels (dormir, manger, être avec ses amis) et
de fuir la douleur

Carpe diem :
_Traduction : Cueille le jour, profite de l'instant
présent.
_Expression inventée par : Horace
_Reprise par : Ronsard et bien d'autres

Encore une ânerie.


A table, Alexandra et Chloé montrent leur
enthousiasme pour le cours de français qui vient d’avoir
lieu. Dormir, manger, être avec leurs amis sont leurs
raisons de vivre et elles aiment la vie, en profitent.
« C’est le meilleur cours de français que l’on ait
jamais eu ! S’exclament-elles. »

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Je ne suis pas de leur avis, mais je me garde d’ouvrir la
bouche et me contente de sourire timidement. Après
tout, si cela les rend heureuses, tant mieux. Elles ont de
la chance, mais comment font-elles pour être toujours
aussi optimistes ? Alexandra a habité au Venezuela
pendant deux ans et elle vient d’arriver cette année.
Elle ne voit plus ses amis de là-bas, mais on est en
novembre et elle en a déjà trouvé d’autres et malgré le
fait que ses anciens camarades lui manquent, elle sourit
tout le temps au collège et on ne l’entend pas souvent
se plaindre sur son sort. Chloé est la fille la plus
courageuse que je connaisse. Elle a vécu tellement
d’horreurs depuis qu’elle est petite. Son enfance l’a
endurcie, mais personne ne le remarque. Elle continue
de vivre avec une face cachée, ces événements l’ont
endurcie et elle est parfois insensible, mais son sourire
est à toute épreuve et sa joie de vivre est presque
contagieuse. Cependant, je ne parviens pas à les envier
ou à partager cette euphorie inutile. Je pense que c’est
gâcher de l’énergie pour rien que de lutter contre la
déprime et la lassitude.
Une semaine a passé. On est lundi soir, je vais me
coucher. En plein milieu de la nuit, je me réveille. J’ai
très, très mal au ventre. Ça ne peut pas être les règles,
je les ai eues il y a deux semaines. Je dois avoir eu une
indigestion, ça va passer. J’essaie de me rendormir.
Impossible. La douleur est de plus en plus forte, j’ai
l’estomac gonflé, je me roule en boule, la douleur est
toujours présente, je déplie mes jambes, elle
s’intensifie, je m’assieds, je hurle tellement j’ai mal. Quoi
que je fasse, je souffre, je transpire, haletante. J’essaie
de me lever, je ne peux pas, je parviens juste à rester
accroupie. Je vais en canard jusqu’à la cuisine, je me
relève doucement, mais je n’arrive pas à rester debout.
Je m’assieds sur une chaise, puis je me relève, pliée en
deux pour prendre un Doliprane dans le placard. Je
retourne me coucher, pliée en deux, sans avoir encore
réussi à me mettre debout. Deux heures plus tard, j’ai

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encore plus mal. Je marche à quatre pattes, en pleurs,
jusqu’à la chambre de mes parents. Mon père se réveille.
« Qu’est-ce qui t’arrive Margaux ?
_ Je ne sais pas, j’ai mal au ventre depuis trois heures.
J’ai pris un Doliprane il y a deux heures, mais ça n’a pas
du tout fait effet. »
Mon père se lève et appelle le médecin de nuit. Celui-ci
arrive une demi-heure plus tard. Il me donne un
médicament pour soulager la douleur, me conseille de
retourner me coucher et de faire une prise de sang
demain car il n’a pas réussi à identifier la maladie.
C’est mardi, matin. Je ne vais pas en cours à cause de
ma prise de sang. Enfin une bonne nouvelle ! Je n’ai plus
mal. L’après-midi je retourne en cours. Alexandra et
Chloé se précipitent sur moi et me demandent pourquoi
je n’étais pas là ce matin. Quelle originalité ! Avec mon
sourire timide habituel je leur raconte l’épisode du mal
de ventre de la veille, leur montre mon pansement au
bras en leur disant que je reviens de ma prise de sang.
« Tu n’as pas eu peur ? me demande Alexandra. Je
déteste le sang et les aiguilles !
_ Non, ça va. C’était amusant, c’est la première fois que
j’en fais une. »
Quelques jours plus tard, je reçois les résultats. Ils
ne savent toujours pas à quoi était dû mon mal de
ventre, mais ils ont détecté une leucémie. Ils ne sont pas
sûrs, mais je dois vite refaire une prise de sang pour voir
s’ils se sont trompés. Le lendemain je retourne faire une
deuxième prise de sang, un peu plus angoissée que la
première fois. Cette fois les résultats sont formels : je
suis atteinte d’une leucémie et ma mère prend tout de
suite un rendez-vous chez le médecin.
Tout ce que j’ai compris est que la maladie s’appelle
leucémie lymphoïde chronique, qu’elle est due à une
prolifération de lymphocytes je crois et qu’elle est
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incurable à ce jour. Apparemment elle est très rare
pour les personnes de mon âge, elle se manifeste
généralement chez les personnes âgées. On ne sait pas à
quoi elle est due, peut-être à un caractère génétique… Il
ne me reste plus que quarante mois à vivre environ. J’ai
fait le calcul, ça fait trois ans et quatre mois…
Je suis complètement désemparée. Non pas que je sois
triste, mais comment dire ? Je sais presque exactement
quand je vais mourir… C’est vraiment étrange. Je vais
enfin pouvoir découvrir tout ce qui se passe après, je
vais pouvoir vivre la mort, mais en un sens, c’est
horrible, car il ne me reste que trois ans et quatre mois
à vivre et je n’aurais sûrement pas un mois de plus pour
faire tout ce que j’ai à faire dans ce bas monde. Quand j’y
réfléchis, ça ne me sert plus à rien d’aller à l’école
puisque je n’aurai le temps ni de faire des études, ni de
commencer une carrière à moins d’être comme ces
surdoués qui passent le bac à treize ans.
On est vendredi. Ça fait une semaine que je ne vais plus
en cours. Je reste dans mon lit à ne rien faire, je ne
mange presque rien, je m’endors quand mes yeux se
ferment, je n’ai même plus la force d’aller chercher la
télécommande. Quand le téléphone sonne personne ne
répond car mes parents aussi sont assez déprimés et
mon ordinateur prend la poussière. Ma mère pleure tous
les soirs, je l’entends. Ca me fait du mal de lui causer
tant de peine, mais elle, elle a la force d’aller au
boulot. Dans la famille, c’est mon père qui est le plus
fort, il essaie de faire comme si de rien n’était et me
parle normalement même si je suis une épave ; cependant
il n’a pas le courage de me forcer à manger… Je ne me
lave plus et mes parents n’ont rien dit à ma petite sœur,
malheureusement elle n’est pas idiote et elle se doute
de quelque chose.
« Pourquoi tu es déjà à la maison ? Tu n’es pas allée à
l’école ? me demande-t-elle après être rentrée.
_ Si, si, mais j’ai fini tôt. »
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Voilà ce que je lui réponds tous les jours et elle
commence à se poser des questions. Je ne viens jamais à
table et quand elle demande pourquoi, maman lui dit que
je n’ai pas faim, ou que j’ai déjà mangé, ou que j’ai décidé
de faire un régime.
Le mercredi après-midi, pendant que je garde les yeux
ouverts dans mon lit en pensant continuellement à la
mort, quelqu’un sonne à la porte. Ma sœur est la seule à
réagir au bruit de la sonnette. Elle court vers la porte
d’entrée et s’empresse d’ouvrir. C’est Chloé, je
reconnais sa démarche et j’entends sa voix dans le
couloir. Elle frappe à la porte et n’attend pas que je
l’invite à entrer pour ouvrir.
« Margaux ! Ca n’a pas du tout l’air d’aller !
_ Pas vraiment…
_ Mais qu’est-ce qui se passe ? me demande-t-elle,
paniquée. Personne ne sait où tu es au collège ! On
s’inquiète tous pour toi ! Pourquoi tu ne réponds pas au
téléphone ? Ton portable est éteint et personne ne
pense jamais à décrocher le fixe ! »
Je lève les yeux, ils sont humides, je la regarde sans la
voir et je commence à articuler deux trois phrases qui
veulent plus ou moins dire « C’est compliqué ». Chloé
s’assoit sur mon lit à côté de moi et me demande de tout
lui raconter. Je continue à fixer l’endroit où elle était,
debout. Sans pleurer j’entame l’histoire, je lui raconte
tout en détails. Parfois ma voix se brise, alors elle me
demande de répéter. Une fois que j’ai fini elle marque un
TEMPS de pause puis décrète :
« D’accord. D’abord tu vas commencer par te laver. »
Je suis étonnée. Je m’attendais à une phrase
déprimante de l’ordre de « Pauvre Margaux, mais qu’est-
ce que tu vas devenir ? », mais je me rappelle que Chloé a
toujours su garder son sang-froid dans toutes les
situations. Elle m’aide à me lever puisque ça fait belle
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durette que je ne me suis pas servie de mes jambes. Elle
me laisse à la porte de la salle de bains et va dans la
cuisine. Elle connaît bien ma maison et sans réfléchir
ouvre le frigo, sort ce qui n’a pas dépassé sa date limite
de péremption et ouvre les placards. Il n’y a pas grand-
chose alors elle opte pour un encas pas très équilibré :
des frites surgelées, du saumon fumé, des Pringles au
paprika et un liégeois. Dès que je sors de la douche, je
me remets en pyjama et automatiquement je me rassieds
sur mon lit. Chloé m’apporte le tout sur un plateau.
« Tiens ! Il faut que tu manges et que tu reprennes des
forces. On se sent toujours mieux une fois qu’on a
mangé.
_ Je n’ai pas faim.
_ L’appétit vient en mangeant, insiste-t-elle. »
Je commence à entamer une des chips et un morceau de
saumon avec du pain qu’elle m’apporte, puis, comme elle
m’encourage et que je suis lancée, je continue à manger.
J’esquisse un sourire. Chloé est incapable de préparer
des repas sains et équilibrés. Elle sait tout cuisiner,
mais n’a jamais d’idée pour un repas. Elle n’a jamais rien
envie de manger en particulier, tout lui convient tant
que c’est comestible. C’est en me rendant compte qu’elle
s’est décarcassée pour moi que je commence à
comprendre ce qu’est l’amitié. Je me sens obligée de la
remercier.
« Merci beaucoup d’être passée me voir Chloé. Bonne
nuit, je vais me recoucher maintenant.
_ Oh non ! Tu ne vas pas dormir maintenant ! Il faut que
tu te recales et que tu recommences à vivre
normalement. C’est bon, tu as eu ton TEMPS de pause, tu
en avais besoin après un tel choc, maintenant il faut que
tu rebondisses et que tu ailles de l’avant, sinon autant
mourir tout de suite. »

13
C’est dur ce qu’elle me dit, mais elle a totalement
raison. Après tout, si je m’enterre maintenant c’est
comme si je n’avais même pas trois ans à vivre.
Maintenant que j’ai mangé et que je me suis lavée, la
meilleure chose à faire, c’est de sortir non ?
C’est justement ce que me propose Chloé ensuite. Je
m’empresse de demander de l’argent à ma mère qui est
agréablement surprise de mon rétablissement. Ensuite,
j’enfile mes bottes, mon manteau, mon écharpe, mes
gants. Puis, Chloé me fait remarquer que je suis restée
en pyjama. On rit, puis je décide de rester comme ça,
après tout, je suis bien cachée sous mon manteau. C’est
la première fois que je ris depuis longtemps. Même avant
d’apprendre que j’étais leucémique je ne riais pas
beaucoup. Je sens que ça commence à aller un peu
mieux…
J’offre une glace à Chloé et j’en prends une aussi. On
crève de froid dehors. Ça n’a rien à voir avec la
température de mon lit. Chloé a pris son appareil photo
et me mitraille depuis un bon quart d’heure. Je me jette
sur elle pour lui reprendre l’appareil et j’appuie une
bonne dizaine de fois sur le bouton.
Chloé me propose de dormir chez elle ce soir.
J’accepte et passe à la maison chercher mes affaires et
demander à Maman si elle est d’accord. Je passe
quelques heures à rattraper tous les cours que j’ai
manqués, heureusement qu’il y avait les grèves ! Et dire
que demain je retourne à l’école… J’ai l’impression
d’avoir pris des vacances ; un peu glauques, mais des
vacances tout de même.
Les cours reprennent normalement et j’évite de
répondre quand on me demande pourquoi je n’étais pas
là. Je parle juste de ma mésaventure à Alexandra,
Manon et Roxane.
Je me suis rapprochée de Chloé. Nous nous appelons
plus souvent, bien que nous nous voyions toute la

14
journée. L’année suivante, à la rentrée de 3ème, nous
nous retrouvons dans la même classe et Alexandra avec
Manon et Roxane ; toutes deux n’étaient pas dans notre
classe l’année dernière.
Chloé a remarqué que je me plaignais de moins en moins
de mon triste sort.
« Ca va mieux ? Tu arrives à oublier ? Me demande-t-elle.
_ Oui. De toute façon je suis contente d’en finir en
quelque sorte. La vie ne vaut pas la peine d’être vécue.
_ Tu n’as pas tant changé que ça en fait. Je pensais que
cette expérience te forcerait à te rendre compte que tu
dois profiter de chaque jour, comme si tu devais mourir
le lendemain. Tu n’as plus le TEMPS de gâcher ta vie. Tu
n’as plus que quelques années de vie et tu sais que tu
mourras soit à ce moment, soit avant. Tu n’auras pas plus
de TEMPS, tu n’as pas le droit à l’erreur. Ca n’a aucun
sens de s’arrêter complètement de vivre pour ça, mais tu
dois quand même changer de comportement et en tirer
des leçons. »
Pourquoi est-ce que Chloé a toujours raison ? C’est si
dur ce qu’elle me dit et pourtant c’est tout à fait juste.
Il faut peut-être que j’arrête de rester renfermée sur
moi-même et que je profite de mes 29 derniers mois.
En cours nous avons regardé « Le Cercle des Poètes
disparus ». Ce film m’a beaucoup plu.
En ce moment nous étudions les romantiques dont
Charles Baudelaire, nous avons dû réciter un de ses
poèmes : « L’Horloge ».
Je suis en première. Le TEMPS a passé et petit à petit,
j’ai appris à profiter de la vie. C’est mon dernier jour. Je
le sens. La phrase de Chloé est restée gravée dans ma
mémoire « Tu dois profiter de chaque jour, comme si tu
devais mourir le lendemain. » Nous sommes toujours
amies. Nous l’avons même été de plus en plus. Et c’est
elle qui m’a appris et aidée à m’accrocher à la vie et à m’y
15
attacher. C’est grâce à elle, mais c’est grâce à moi aussi.
Je pense qu’en quelque sorte j’ai fait assez d’efforts
pour y arriver. Je suis à l’hôpital. Mes amis et ma famille
sont autour de moi. Mes parents ont eu un autre bébé.
C’est encore une fille. Il faut croire que mon père
n’envoie que des chromosomes X. Mes seuls regrets sont
de ne pas voir mes petites sœurs grandir et de ne pas
pouvoir fonder une famille à mon tour. Tout le monde
pleure autour de moi… Chloé également. Je ne dois pas
regretter. Après tout je suis heureuse d’avoir eu cette
maladie car si je ne l’avais pas eue, je n’aurais même pas
vécu trois ans… Je n’aurais pas pu réaliser à quel point
la vie est importante. C’est la leucémie qui m’a donné une
dernière chance de vivre, même si ça n’a pas duré
longtemps… Au mois je meurs heureuse. Tout le monde me
dit adieu… Je leur réponds puis, je ferme les yeux.
Soukaïna Trouiller

16
CONFESSION : AU DELA, MES YEUX LE VOIENT.

17
Chère Mélanie,

Nos conversations sont toujours très spirituelles et j’ai toujours


apprécié que nous partagions nos opinions et échangions nos pensées.

En ce moment, tu m’excuseras d’être quelque peu dissipée mais


j’ai mes raisons de l’être : il se trouve que depuis à peu près une
semaine et demie, j’ai découvert que j’ai hérité du pouvoir de ma grand-
mère du côté de mon père dont je t’ai souvent parlé : le médium. C’est
pour cela que je n’ai cessé d’aborder le sujet ces temps-ci, mais tu n’as
rien remarqué.

Je t’en parle car je sais que, toi, tu me crois. Tu sais j’ai toujours
dit qu’avoir le pouvoir de medium ne me ferait pas peur si je le
possédais, que nous avons tous une conscience, un esprit et que les
« fantômes », comme on le dit si sombrement ne sont que la couche la
plus fine existentielle en chacun de nous représentative de l’après-mort :
le coup astral et que le cycle, le cercle vicieux, de la Vie est universel,
que tout être est amené un jour ou l’autre à quitter son corps physique,
ce que l’on appelle communément la mort pour enfin renaître par la
suite et ainsi éternellement. Renaître de ses cendres pour redevenir
poussière. Malgré cela, j’ai peur de ce sens que je suis contrainte de
préserver dans ce monde de matérialistes, car, bien que j’accepte ma
nouvelle identité, je sais que bien des gens me prendraient pour une folle
dingue s’ils savaient ce que mes yeux voient.

Je me sens déjà un peu soulagée de me confier à toi : un tel secret


est si lourd à porter .En vérité, j’aimerais convaincre les gens que la vie
après la mort existe réellement, changer leur façon de penser avec des
idées toutes faites : « leur réalité utopique ».Je veux et j’espère un jour
les sortir de leur illusion dans laquelle il se disent « je n’ai foi qu’en ce
qui est visible » et ignore l’existence du non-manifesté de peur d’être pris

18
pour un malade. Dans ce cas, je prie pour que l’on écoute la voix des
« Fous ».Après tout, la folie n’est qu’un chemin oublié…

Pourquoi nier ce qui « est » ? C’est le grand problème des


Hommes : parce que nous ne voulons pas voir que ce don nous plait,
croire que nous avons envie de croire. Les esprits ne se voient pas, mais
il est de même pour les atomes, les ondes et tant d’autres… Et, de nos
jours, il n’y a rien de plus normal que d’avoir une télé, une radio ou un
portable : cela nous parait normal que ces objets reçoivent des ondes
bien qu’on ne les voie pas. Pourquoi est-ce différent pour les esprits ?
Parce que les gens regardent peut-être trop la télé justement, cela leur
fait peur.

Il y a environ une semaine, j’ai rencontré un beau soldat ; il m’a


dit son nom et qu’il était mort à la guerre et qu’il était enterré au
cimetière américain près de chez moi. Il me dit la rangée et le numéro
exact de sa tombe. A ce moment-là, je n’ai pas pensé une seule seconde
que je fus la seule à le voir. Lorsque j’ai compris, je me suis précipitée
pour noter l’emplacement de sa tombe, car, bien que choquée, je l’avais
écouté attentivement. Le lendemain matin, je suis allée vérifier et le jeune
homme m’avait dit vrai. Je ne sais pas pourquoi il m’a dit cela, enfin, en
même temps je n’ai pas osé lui demander ! Cet esprit « visiblement » ne
me voulait pas de mal mais je dois faire attention aux esprits criminels
qui s’attaquent toujours aux plus faibles, ces fameuses petites voix
qui nous soufflent des idées plus au moins diaboliques.

Tu vois ce que je te raconte là, je rêve tellement de pouvoir le dire


à qui je veux librement en étant prise au sérieux, au lycée ou ailleurs.
Mais tout n’est pas assez clair dans « l’esprit » des gens. C’est bien trop
prématuré : notre mentalité doit encore évoluer. En attendant, c’est dur ;
je suis dans une véritable incompréhension et souffrance face à
l’insouciance de ceux-là. Mais le refus n’est pas la solution. Je me dois
d’accepter ma destinée : ma vie est bouleversée et c’était écrit. Ce n’est
19
pas pour rien que moi, j’ai atteint un tel niveau de spiritualité. Bien sûr,
une grande partie de moi est un mystère, comme tant de choses dans
l’univers et le tourbillon de questions-sans-réponses que nous avons
tous, mais j’ai la certitude que mes vies antérieures y sont pour quelque
chose car il y a une explication, une raison à tout. Et cela revient à dire
comme toujours « Qui suis-je ? » ; la question fondamentale aussi vaste
que les mystères dont nous sommes entourés. C’est là que je me dis
aussi que si l’on veut savoir ce qui se passe après la mort, la passé est
important : il faut revenir vers l’origine. Où étions-nous avant de
naître ? Nulle part n’est pas une réponse, le néant oui, puisque d’une
simple petite graine se forme un corps par la force de la nature, puis un
cerveau et toute une évolution si rapide grâce à cette matière si
infiniment subtile qui fait que cet « être » prend vie : l’Ame et Eternité.
Scientifiquement, on sait qu’une partie de la matière est conservée : pour
moi, un nouveau né nous fait ressentir l’existence du divin, une plénitude
nous envahit, chez l’humain c’est la conscience qui est conservée après la
mort. Le soldat est près de chez moi au cimetière américain pour
l’instant, et peut-être que demain un nourrisson viendra au monde et que
je ne le verrai plus au cimetière. Je verrai bien. Enfin je ne peux pas en
vouloir aux gens de ne pas me comprendre, c’est profondément humain
d’avoir besoin de preuve matérielle pour croire. Pourtant, je ne m’y fais
pas, toutes les religions sont reliées entre elles et cachent le message
divin qu’est la vie après la mort, dite Eternelle. Je me souviens encore
qu’un jour nous avions beaucoup ri parce que j’avais comparé l’être
humain par ses multiples couches à un oignon ! C’était assez bien
trouvé ! Quand je pense qu’il y a moins de 2 semaines à peine, nous
regardions des films fantastiques ensemble pour imaginer le monde de
l’au-delà, telles des adolescentes normales à la recherche de frissons.
Comme la vie est imprévisible. Mon père avait bien raison : rien n’est
permanent, seul le changement l’est. Pour l’instant, j’ai passé la phase
d’acceptation de soi, et j’essaie de m’adapter à ma nouvelle « vue ».Tu
sais que nous avions raison, je vois des esprits aussi bien le jour que la
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nuit. Je ne cherche pas à établir un contact, c’est eux qui viennent s’ils le
veulent. Seul le soldat m’a parlé jusqu’ici. Je ne sais pas en fait si je
les vois ou les sens : je crois que c’est les deux. C’est une sensation
extrêmement étrange et singulière.

Moi qui n’ai jamais connu ma grand-mère depuis que j’ai


découvert cette capacité, je me sens très proche d’elle, comme si elle
faisait partie de moi maintenant qu’elle m’a légué son pouvoir. J’ai
l’impression qu’elle me guide. Je pense beaucoup aussi à mon grand-
père : j’avais au début de ma révélation, seulement des sensations d’être
regardée, épiée souvent par mon grand-père, j’en étais sûre. A ce
moment là, je pense qu’il n’était pas encore parti dans le cosmos pour
une autre vie pour poursuivre sa Vie Eternelle, car ma mère le retenait
près d’elle : elle pleure tous les soirs de sa mort. Ma mère, en fait, n’a
jamais vraiment compris l’enseignement bouddhiste qu’elle a reçu : elle
n’a jamais essayé de lire « à travers » les mots. C’est vrai que tant de
personnes interprètent si mal la religion. Oui, Bouddha l’avait bien dit
que « la cause de la souffrance est l’attachement ». Le tout est d’être
conscient du fait que plus on s’attache, plus la souffrance sera grande
lorsque ce que nous possédons disparaîtra. Seulement pour un être,
savoir qu’il n’est pas tout à fait mort pourrait aider les personnes à
faire leur deuil. Le fait est que, en voulant aider ma mère, j’ai fait
l’erreur de lui révéler mon secret qu’elle a très mal pris en disant que
mon père m’avait rendu folle avec ses histoires soit disant à dormir
debout et ses études de théosophie, que je n’étais plus sa fille. Ces mots,
bien que des paroles, m’ont atteinte au plus profond de mon cœur que
je l’aie voulu ou non. Elle ne s’est sûrement pas rendue compte de ce
qu’elle me disait mais ces paroles étaient si crues que j’ai pensé que
nous n’allions pas nous reparler pendant un bon bout de temps. Je
n’aurais jamais dû lui dire mon don ; ce que je suis idiote !

Heureusement que mon père est là pour me consoler, il a essayé


d’être le médiateur entre ma mère et moi bien que mes parents soient
21
divorcés, mais ma mère a beaucoup de haine à son égard. Pourtant, il
est le mieux placé pour la comprendre, il a lui aussi eu peur de sa mère
lorsqu’il était petit, étant son enfant fétiche à qui elle disait tous ses
secrets de medium. Il m’est d’un grand soutien. En tout cas, j’essaie de
rester optimiste en ce qui concerne ma relation avec ma mère.
« Courage ! »Je me dis. J’essaie d’être zen, de ne pas me laisser abattre,
de me dire que mettre de la distance entre nous ne fera que renforcer nos
liens, que ce don me rendra plus forte, que les obstacles sont faits pour
être levés, tout va s’arranger.

Voilà, je me concentre sur l’instant présent : Carpe Diem comme


dit tant notre amie Soukaïna. J’écoute mon père, un temps pour le
malheur et un temps pour le bonheur ; chaque chose en son temps :
patience. Les maths te serviront au moins à quelque chose me dit-il,
lorsqu’il y a du négatif, il y a toujours du positif aussi, et vice et versa.
« Regarde et observe, ces chiffres sont divins… ». « Tu as raison Papa,
tes yeux sont aussi incroyables que les miens ! » lui ai-je dit. Mon père
a souvent de bonnes idées : j’aimerais bien apprendre ce genre de choses
en commençant les cours de Maths. Une chose est sûre, j’ai besoin de
prendre du recul. Me concentrer sur l’essentiel, toutes les réponses à mes
questions je les ai en moi, il n’y a rien à chercher, il faut juste que je me
pose les bonnes questions. De toute façon, je n’ai pas le choix, la nature
est ainsi faite : je suis medium. Etre ou ne pas être, c’est aussi simple
que ça. Il ne faut pas vouloir ce qui n’est pas, ni ne pas vouloir ce qui
est. Je suis moi. J’ai donc décidé de prendre de la distance, faire une
pause, mettre une virgule à ma vie. Je vais donc arrêter l’école pour
quelque temps, et je ne sais pas quand je reviendrai. Cependant, je le
ferai car je compte bien poursuivre mes études. Je vais aller vivre chez
mon père en tout cas, là, il faut que je retrouve une vie stable, mon
équilibre face aux événements survenus : je dois changer mon mode de
vie. Surtout j’aimerais que tu ne m’en veuilles pas, je sais que c’est un
peu brusque, comme ça dans une lettre, après avoir longtemps caché
22
mes tourments, mais non seulement cela aurait été trop long à
t’expliquer, surtout je n’étais pas du tout en état. J’avais le moral à
zéro après la dispute avec ma mère : ne culpabilise pas telle que je te
connais. Tu n’auras rien pu faire, rien à te reprocher. Ne t’inquiète pas.
Comprends-moi et j’essaierai de revenir au plus vite. Je t’enverrai des
lettres pour t’en raconter davantage. Excuse moi auprès des autres
aussi de ne pas leur avoir dit au revoir, dis-leur qu’ils peuvent m’écrire.
Merci d’être à mon écoute ; tu pourras toujours compter sur moi.

Je t’embrasse très
fort

P.S : Les sentiments aussi ne se voient pas, ni ne se touchent,


pourtant ils existent. N’est-ce pas là une preuve que l’on n’est pas
obligé de voir quelque chose pour savoir qu’il existe ? Je trouve que si.
Le cœur ne se trompe jamais.

Ton amie Angélica qui pense à toi

Angélica Tisseyre

23
Le désert de la fin
Les bruits de la machine enregistrant les battements cardiaques
retentissaient maintenant depuis bien longtemps. Tous ces “bips”
insupportables qui se répétaient à longueur de journées commencèrent à
m’agacer. Mais comment les faire arrêter? Suffisait-il de les éteindre ou bien
d’appuyer sur un bouton pour que tout explose comme on le voit dans ces
fameux films? Je ne savais absolument pas; je me décidai donc à me lever et à
résoudre le problème moi-même, tout seul comme un vrai héros. Cependant
il me fut impossible de me lever, je n’arrivais même pas { bouger un seul
membre du corps. Tout d’un coup, je fus pris d’une immense panique. J’avais
l’impression d’être paralysé ou encore d’être dans le coma! L’esprit me revint
alors, je me rappelais tous les petits détails de mon accident ; en effet, j’étais
dans le coma.

Pour raconter l’histoire des causes de mon terrible drame, il me faut


retourner dans le passé. Pour cela, il suffit de s’imaginer la voiture du savant
Doc qui nous amènera ensemble dans le passé vingt ans plus tôt.

Me voil{ donc de retour dans les années 1980. J’avais 30 ans et je


menais une vie normale et calme. A l’époque je fumais énormément et ma
fiancée, Mary, qui s’inquiétait toujours pour moi me prévenait des dangers et
des conséquences que le tabac avait sur un être vivant comme l’homme.
Mary qui était infirmière me donnait donc tous les jours des conseils pour
arrêter de fumer. Pour qu’elle ne répète plus la même chose, je voulais lui
faire un cadeau pour toute la vie: celui de ne plus jamais reprendre une
cigarette dans la main. Mais c’était trop tard! J’attendais depuis un bon bout
de temps les diagnostics des médecins qui m’avaient fait passer des examens.
Et ces résultats arrivèrent aujourd’hui, ils avaient plutôt l’air négatif puisque
les feuilles étaient remplies d’écriture et de couleurs. En effet cinq minutes
après la lecture des diagnostics, je découvris que j’étais gravement atteint
d’un cancer des poumons. Cette nouvelle choquante me fit réfléchir bien
longtemps et les conseils de Mary me revinrent en mémoire. Mais pourquoi
ne pas l’avoir écoutée? On dit souvent qu’on doit faire confiance { des
femmes infirmières! C’était entièrement de ma faute, je me sentais ridicule et
triste à la fois, penser à perdre ma bien-aimée bien qu’elle n’ait rien fait, a-t-
elle mérité ça? Justement elle a voulu empêcher ma maladie, sans succès

24
malheureusement ou plutôt trop tard, mais elle l’a fait! Il me fallut une
semaine au moins pour me remettre de cette nouvelle. Mais ce qui m’a le
plus touché c’était de voir Mary le visage rouge, quand je lui ai raconté ce qui
m’était arrivé. Effectivement Mary avait pleuré des jours et des nuits, elle me
faisait de la peine et tout ça parce que je ne l’avais pas écoutée!

Un mois plus tard Mary et moi entrâmes dans un cabinet de médecin.


C’était maintenant le cinquième médecin qu’on consultait et ces médecins
toujours aussi opiniâtres m’annonçaient tristement qu’il n’y avait pas
d’espoir. J’avais toujours cette maudite phrase dans ma tête { chaque fois que
je sortais d’un cabinet,

-“ Je regrette de vous annoncer que votre cas est impossible { soigner,


mais que vous pouvez tout de même suivre une chimiothérapie. Vous pouvez
également contacter mes collègues dans la région …”

Comme si j’allais passer des examens pour gâcher de l’argent! Il fallait


absolument que je trouve une solution! Mais laquelle?

Les soirées devinrent difficiles et épuisantes, les journées longues et


ennuyeuses, les nuits cauchemardesques et souffrantes et ma petite Mary
restait inconsolable. Alors que j’étais sur le point de me coucher, j’aperçus
Mary concentrée en train de naviguer sur Internet.

- “Que fais-tu ici { une heure si tardive?”, lui demandai-je.

- “Je cherche des articles sur ce fameux et abominable cancer du


poumon!, répondit-elle d’un air énervé et triste { la fois.

Pendant qu’elle continuait { chercher sur différentes pages Web, je lui


souhaitai une bonne nuit et la remerciai pour tout ce qu’elle faisait pour moi.
Mais ce fut un étrange sentiment, peu habituel: je m’endormis tout de suite
dès que mes yeux se fermèrent. Normalement il me fallait bien deux heures
pour m’endormir, le temps de repenser { tous les détails importants de cette
journée. Cependant, aujourd’hui, je fus pris d’un profond sommeil
m’amenant vers des rêves inoubliables et inimaginables. Quelque chose
n’allait pas ; soudain, j’entendis une sirène répétitive et bruyante dans mon
rêve, cette sirène se rapprochait de mon oreille. A ce moment alors, je me
réveillai et vis Mary hystérique en train de crier. Elle se calma et me raconta
la cause de ce réveil inattendu.

25
- “J’ai trouvé, j’ai trouvé!”, répétait-elle.

Je ne captais absolument pas ce qu’elle essayait de me faire


comprendre. Peu à peu, je découvris l’intelligence de Mary qui avait trouvé
un article sur le journal “BBC WORLD” où l’on disait qu’on avait trouvé une
sorte de médicament très rare qui était censé guérir le cancer du poumon. Je
n’arrivais pas { le croire; l’article existait bien, il datait du 2 janvier 1979, il n’y
a même pas si longtemps. Ensemble nous regardâmes son contenu. Après 10
minutes de lecture l’espoir de survivre { ma terrible maladie me vint alors.
L’article révélait qu’un certain druide, qu’on trouvait seulement dans la
“Kasbah” { Marrakech, au Maroc, connaissait la procédure pour soigner ce
cancer. Mohammed, ainsi on appelait ce druide, disait qu’il suffisait de
manger de la viande d’animal albinos accompagné d’une herbe pour en
fabriquer une épice ensuite, qu’on trouvait seulement dans ce désert
interminable de l’Afrique, le Sahara précisément.

Cette herbe serait le médicament fondamental pour guérir le cancer en


moins d’une semaine. Tout ceci me parut bien invraisemblable, mais que
faire d’autre? On pourrait tout de même essayer, pensais-je et Mary, je suis
sûr, mourrait d’envie de partir. Mary irait même jusqu’au bout du monde
pour m’aider mais aujourd’hui on me proposait l’Afrique. Ce n’était pas si
loin que ça; de l’argent, on en avait, mais quelque chose m’intriguait.

Il me fallut quant même prendre cette chance ou plutôt occasion; nous


nous décidâmes { partir dans la semaine qui suivait. Le lendemain, j’allais
tout de suite réserver des tickets d’avion pour Marrakech, cette ville
touristique et magnifique du Maroc. Mais nous n’y allions point pour le
tourisme mais pour sauver une vie, en l’occurrence la mienne. Les bagages
étaient prêts, les tickets payés et le taxi fut appelé. Tout était prêt pour notre
expédition qui allait commencer à Marrakech pour ensuite entamer la route
du désert. Le jour du départ arriva, et on ne se souciait de rien mais nous
avions oublié une chose primordiale à faire, celle de se faire vacciner contre
toutes les maladies de ces régions désertes. Mary, en tant qu’infirmière,
aurait pu me le rappeler mais elle avait tellement hâte de partir pour trouver
cette herbe que je ne lui reprochai rien. Le voyage se déroula dans les
meilleures conditions et nous arrivâmes tranquillement dans la belle ville de
Marrakech.

26
Une fois sortis de l’aéroport nous nous dirigeâmes vers l’hôtel le plus
proche et louâmes une chambre pour la nuit. On avait prévu de partir tôt le
lendemain pour avoir le temps de voir le druide pour qu’il nous en dise plus
sur cette herbe. Nous passâmes une nuit fabuleuse et on nous servit un petit-
déjeuner royal à la marocaine. Nous partîmes de bonne heure pour aller à la
rencontre de Mohammed. Ce druide était célèbre dans cette région et des
passants nous indiquèrent où nous pouvions le rejoindre. Le druide habitait
dans la “Kasbah” de cette ville qui était connue pour être un labyrinthe pour
des personnes, majoritairement des touristes, qui ne les connaissaient pas
comme nous. Nous payâmes donc un guide, Moustafa, pour qu’il nous amène
vers ce druide. Néanmoins Moustafa, arabe bien sûr, nous prenait pour des
touristes et voulait obtenir plus d’argent de notre part. Je refusai car on s’était
entendu sur le prix initial. Sur ces mots, Moustafa s’enfuit et nous laissa,
Mary et moi, au milieu de cette “Kasbah” où des centaines de petites ruelles
se croisaient sans vraiment savoir où elles allaient se terminer. Nous
pouvions bien dire qu’on était perdu. J’essayais tout de même de m’orienter
mais la seule chose qui attira mon regard fut ces maisons ou plutôt petites
baraques carrées peintes tout en bleu ciel qui étaient attachées les unes aux
autres, et devant lesquelles jouaient les enfants du quartier. Il me fut
impossible de comprendre comment les garçons arrivaient à jouer au football
dans un espace aussi étroit. Les murs opposés étaient séparés de deux mètres
peut-être, la place de circuler. On entendit des bébés pleurer, des femmes
crier d’une maison { l’autre et des enfants rigoler. Parmi toute cette foule
quelqu’un devait bien connaître ce druide. Mais le problème était qu’ils ne
comprenaient pas la langue française. Je fus donc obligé de sortir mon talent
artistique du langage de signes en faisant pleins de gestes simples. Depuis
mon enfance j’étais douée pour ces choses-là. Un petit garçon comprit alors
ce que je voulais exprimer et me fit signe pour m’encourager { le suivre. Mary
et moi suivîmes donc cette belle et petite compagnie et arrivâmes à une
petite cabane. Je compris alors que le garçon nous avait emmenés chez
Mohammed. Pour le remercier je lui donnai un billet et le petit garçon s’en
alla avec ses copains tout contents d’avoir de l’argent. Le druide qui était sorti
de sa cabane nous souhaita la bienvenue. J’étais émerveillée de la gentillesse
de certains marocains qui, sans vous connaître, vous offre un chaleureux
accueil. Après lui avoir raconté toute mon histoire, la panique et la peur que
nous avions, Mohammed prit la parole:

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- “Je comprends tout { fait vos sentiments et votre attitude. Ce n’est pas
la première fois que des personnes étrangères comme vous viennent jusqu’ici
pour me voir. Donc ce qu’il faut faire est tout d’abord de prendre un long
chemin à travers le désert pour arriver à un tout petit village où vous
demanderez { Abdoullah, un fidèle ami { moi, de vous indiquer l’endroit où
se trouve cette herbe. Vous irez donc la chercher au bord d’une oasis, c’est l{
où l’on la trouve, et vous, Monsieur, mangez donc une viande accompagnée
de l’épice, “le chavouaiha” qui est fabriquée { partir de cette herbe. Mais
rappelez-vous -, il faut surtout que cette viande provienne d’un animal
albinos et aussi vous devez être sain, sans compter votre maladie du cancer.
Et sachez également que c’est seulement cette épice qui peut guérir votre
cancer. Mais Abdoullah vous précisera cela et vous décrira sa forme et
couleur. Elle est facilement reconnaissable mais très rare. Mes amis, je vous
souhaite une bonne route et une rapide guérison pour vous Monsieur.”

Après une courte discussion sur l’itinéraire qu’il fallait prendre, nous le
remerciâmes pour sa disponibilité et son amitié pour nous. Nous
empruntâmes donc deux dromadaires pour entamer notre long et épuisant
voyage pour arriver au petit village d’Abdoullah dont Mohammed nous avait
parlé. Pour cela, il fallait passer par les dunes et les vents chauds du désert. A
vrai dire, nous étions superbement équipés et, en moins de trois semaines,
nous arrivâmes au village. On demanda { voir Abdoullah, l’ami de
Mohammed. Mais les villageois ne comprenaient pas ce qu’on leur disait {
part un paysan, parlant le français, qui se présenta comme Abdoullah, ami du
druide. Il nous expliqua où trouver cette herbe et nous la décrivit
brièvement. “ Le chavouaiha” était, de couleur turquoise. C’était un tout petit
buisson épineux. Mais qui se doutait que cet Abdoullah était celui qu’on
cherchait. Et bien personne! Mary et moi partîmes confiants vers l’oasis
derrière la colline comme l’avait dit Abdoullah. Ce n’était pas très loin du
village, une heure plus tard l’oasis était déj{ en vue. Nous nous précipitâmes
vers l’oasis et reconnûmes tout de suite l’herbe telle qu’Abdoullah nous
l’avait décrite. Mais je voyais de nombreuses autres herbes. Or je ne
m’occupais pas de celles-ci car il fallait se dépêcher pour quitter cet endroit
envahi de moustiques. J’arrachais vite un minuscule buisson d’herbe de
“chavouaiha” et m’enfuis avec Mary de cette oasis. Mais c’était trop tard, un
moustique s’était accroché { mes cheveux et m’avait piqué derrière l’oreille
sans que je le remarque. Dès que nous fûmes arrivés au village, je commandai

28
de la viande extraite d’un animal albinos et préparai l’herbe pour en faire
l’épice. “Le chavouaiha” fut rajouté { la viande et le repas fut mélangé, c’était
donc prêt et sans hésiter je me mis à manger. La nourriture était délicieuse,
rarement ai-je vu quelque chose d’aussi bon ! Mary et moi crûmes enfin que
c’était fini, que je n’avais plus besoin de m’inquiéter au sujet de ce cancer,
mais nous nous trompâmes. Pendant ma digestion, je fus pris d’un mal de
tête affaiblissant tout mon corps, j’étais si faible que je m’évanouis. On appela
d’urgence l’hôpital le plus proche qui envoya un hélicoptère. Pendant que
Mary racontait toute l’histoire aux médecins, un villageois qui était médecin
également vint m’examiner. On lui révéla mon histoire depuis le début et {
ces mots là, le médecin pria pour que je revienne vivre sur terre.

- “ Ah ce malheureux, il a écouté Abdoullah mon maudit oncle qui l’a


envoyé chercher une mauvaise herbe! Mais pourquoi n’étais-je pas l{? C’est
moi Abdoullah, le fidèle ami de Mohammed qui était censé donner le “vrai
chavouaiha”!”

Je compris alors que je n’avais pas pris la bonne herbe pour guérir mais
ce n’était pas { cause de ceci que j’étais dans le coma maintenant. Plus tard {
l’hôpital les médecins découvrirent ma piqûre de moustique. A ce moment,
l’avertissement de Mohammed me revint dans la tête : “et aussi vous devez
être sain”. En effet je n’étais pas sain, j’étais atteint du paludisme et d’après ce
qu’on dit, on n’a pas le droit de manger de la viande d’albinos lorsqu’on est
malade. Pour cette raison, cela fait maintenant 20 ans que je suis dans le
coma. Tout ce voyage en Afrique m’a mené vers “ le désert de la fin” de ma
vie. Ce qui arriva à Mary je ne saurais le dire, mais je lui souhaite un époux
qui veillera bien sur elle et lui apportera le bonheur que je n’ai pas pu lui
donner car j’étais trop occupé { fumer pour en finir avec mon histoire.

Rica Pinto

29
En fait, c'était la fin

J'étais jeune et riche, je m'amusais tout le temps, en fait, j'étais une


sorte de gamin dans un corps d'adulte. Mon argent ? Je le dépensais dans
des maisons, où pour la plupart je ne mettais jamais les pieds, des filles,
que je payais pour oublier ma solitude, et puis des voitures, mon passe-
temps préféré. J’étais un passionné d'automobiles, j’étais au courant de
tout ce qui se passait, et j'achetais tout le temps le dernier modèle des plus
grosses marques, les plus performantes quoi... J'étais abonné à tous les
magazines spécialisés dans ce domaine, et c'est justement en feuilletant
ces magazines que j’ai cru voir la voiture de mes rêves. Elle était tout
simplement parfaite : ses lignes étaient fabuleuses, l'intérieur
extraordinaire, et puis son accélération, du jamais vu. Mais bien sûr, son
prix était élevé. Malgré ma fortune, je réalisais quand même que l'acheter
serait un gaspillage considérable. Cependant, ma passion pour les
automobiles prit le dessus et je partis chez le concessionnaire. N'étant
toujours pas en vente, j'ai du attendre près de quatre mois pour qu'elle soit
enfin disponible. Évidemment, tout de suite après être sorti de chez le
concessionnaire, j'ai voulu la « promener » pour que tout le monde puisse
l'admirer, et l'endroit idéal était l'autoroute.

A toute allure, je m’engageais donc sur l'autoroute. J'accélérai de


plus en plus sans me soucier de ce qui pouvait se passer autour de moi.
J'étais si heureux qu'au début je ne m'étonnais pas d'être seul sur
l'autoroute. Mais me sentant libre, j'appuyai encore plus sur l'accélérateur,
et je poursuivis ma course en sifflotant. Je me disais que, comme le temps
était de plus en plus exécrable, c'était normal qu'il y ait moins de
personnes sur la route. Un quart d'heure plus tard, je commençais à m'
interroger. Je me sentais bizarre, et puis je n'avais toujours croisé aucune
voiture sur la route. L'inquiétude monta de plus en plus en moi, à chaque
seconde qui passait. Puis je remarquai que la jauge d'essence n'était pas
descendue d'un seul millimètre. La peur que la fin ne soit peut-être
proche me faisait accélérer encore plus, sans craindre ce qu'il pouvait se
passer. C'est alors qu'apparut un « mur » de brouillard au loin. Je levai
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légèrement le pied pour ne pas prendre de risque. Mais problème : la
voiture ne ralentit pas ! Je ne savais pas du tout quoi faire. Soudain, je
décidai de changer de vitesse pour voir si elle ralentissait, mais sans
succès. La voiture allait même de plus en plus vite, sans que je puisse la
contrôler. En fait, il m’était complètement impossible d'arrêter la voiture,
et le fait que le mur de brouillard se rapprochât de plus en plus me faisait
paniquer plus que tout, surtout que je ne pouvais pas ouvrir la porte pour
essayer de sauter.

Puis arriva une chose très bizarre : au moment où le brouillard était


extrêmement proche de moi, tout était devenu blanc, je ne pouvais rien
faire, je ne voyais rien, c'était la fin.

Commencèrent à apparaître des personnes vêtues de blanc. C'est


seulement quelques minutes plus tard que je vis qu'il s'agissait
d'infirmières. Elles conduisaient un brancard vers la morgue. Puis l'une dit
à l'autre :

Il paraît qu'il est mort sur coup ! Il roulait au moins à deux cents à
l'heure !
Je compris alors que ce cauchemar était en fait mon chemin vers la
mort...

Antoine Ferreira

31
Fausses mémoires.

Clac! Rachel, jeune étudiante, sort de la salle secrète des réunions de


l’OCJ (Organisation du Combat des Juifs). L’OCJ, c’est une organisation
conspiratrice juive, qui lutte contre le massacre de ces derniers dans le ghetto
de Varsovie, et qui projette de détruire le mur qui sépare les habitants du
ghetto des habitants « normaux », aveugles aux souffrances des juifs de
Varsovie. Soudain, la porte s’ouvre:

« Rachel, je t’en prie, ne pars pas comme ça, on survivra…

- Non. Je ne vais pas risquer ma vie pour tuer un ou deux misérables


soldats nazis, et toi non plus! On va évacuer les habitants par les égouts, 15
ou 20 par jour, afin de ne pas éveiller les soupçons. C’est moins risqué, je ne
changerai pas d’avis !

- Mais pourquoi es-tu aussi têtue? En les tuant, on peut sauver au


moins la moitié de la population du ghetto! Et puis, tu ne trouves pas ça beau
de se battre pour la bonne raison ? C’est pas beau de se révolter contre eux ?

- Non, c’est même pathétique! Arrête de jouer les héros, Dawid, tu ne


sauveras personne et tu te tueras toi-même! C’est du pur suicide!

- Je ne vais pas rester les bras croisés! Et puis c’est lâche de ne pas leur
faire face. Je ne suis pas un animal pour me sauver comme ça.

- Fais comme tu veux. Chacun pour sa peau. Je te revois dans une


semaine à Cracovie, chez ta tante. »

Elle l’embrassa pour lui dire adieu. Enfin, pour lui dire au revoir. Puis
elle s’éclipsa, en laissant un Dawid désorienté et inquiet, et courut vers sa
« baraque », située { cinq minutes. Elle ouvrit la porte de sa baraque d‘un
geste bruyant et maladroit (après tout il fallait se dépêcher, il était presque
22h, l’heure du couvre-feu !). Je dis « sa » baraque, mais dans le 8m² où elle
vivait s’entassaient 10 personnes. Elle ouvrit donc la porte et vit un couple nu
sur le seul lit de la pièce. A côté d’eux, une femme contait des histoires à ses
enfants, serrés entre leur mère et un vieillard qui essayait de s’endormir
malgré le bruit. Rachel allait se racler la gorge, pour que les deux amants
32
arrêtent d’offrir un tel spectacle aux enfants, mais après tout, pourquoi? Ils
ont une mère, et puis faire l’amour, c’est le seul loisir, le seul divertissement
et le seul lien qui lie deux personnes dans ce ghetto sinistre, froid et morbide.
Elle attrapa son sac, y enferma quelques habits, et sans dire un mot, elle
sortit de la chambre, si toutefois on pouvait appeler cela une chambre. Elle
courut jusqu’{ la rue Muranowska, près de l’Umschlagplatz, et y emprunta
une petite ruelle. Cette petite ruelle, elle l’avait repérée il y a longtemps. Elle
approcha doucement, regarda autour d’elle pour vérifier que personne
n’approchait, leva la plaque d’égouts, y entra et la referma de l’intérieur. Tout
en descendant de l’échelle, elle tenait dans sa main un plan de Varsovie ainsi
que celui de ses canalisations, qu’elle avait volé { un ouvrier, qui de toute
façon allait être emmené { l’Umschlagplatz. Autant profiter des biens d’un
homme déj{ condamné { mort! Dans l‘autre main, elle empoignait une
lampe-torche. Munie de ses plans, ainsi que d’un revolver offert par Dawid
(au cas où un soldat apparaîtrait), elle emprunta les égouts de la rue Stawki.
Tout en marchant, elle éclairait le passage pour suivre le bon chemin. Mais
elle n’était pas très concentrée sur ses propres gestes. Dans sa tête, elle
revoyait Dawid, son Dawid. Elle le connait depuis qu’elle a 5 ans, elle est avec
lui depuis ses 14 ans, et elle l’aime depuis...Justement, depuis quand? Même
en y réfléchissant bien, elle ne savait déterminer l’âge de son amour pour lui.
En tout cas, cela fait bien 8 ans qu’elle est avec lui. Elle repensa { tous les
doutes qu’elle avait eus, { ce qu’il lui disait quand elle était petite…A l’école
primaire, quand un garçon venait l’embêter, Dawid se battait avec lui jusqu’{
ce qu’il demande pardon { Rachel ; au collège, quand un prof s’énervait
contre elle, il la défendait toujours et au lycée, quand un jeunot lui brisait le
cœur, il la réconfortait toujours. Bref, Dawid a toujours été l{ pour elle, il la
soutenait toujours quand elle avait besoin de réconfort. Mais maintenant,
elle devait se débrouiller toute seule car il n’était pas l{. Dans sa mémoire,
elle avait l’image d’un Dawid heureux, toujours souriant et c’était l’image
d’un Dawid qu’elle aimait. Perdue dans ses pensées et dans sa mémoire, elle
avançait doucement vers un monde meilleur, où elle ne s’inquiéterait plus de
ne pas le voir pendant cinq minutes, où elle n’aurait pas peur qu’il soit tué,
où elle pourrait lui montrer son amour tous les jours, et où ils pourraient
vivre heureux, car elle savait que Dawid l’aimait au moins autant qu’elle
l’aimait, elle. Elle avançait doucement mais d’un pas sûr, quand soudain, son
pied heurta quelque chose, et elle se retrouva à terre. Elle se releva, prit sa
lampe-torche et jeta la lumière de sa lampe sur ce qui l’a fait tomber. C’est l{
33
qu’elle vit un corps gisant. Etouffant un cri de surprise et de peur, elle se
rapprocha du visage du blessé pour s‘assurer que ce n‘était personne qu‘elle
connaissait. C’est l{ qu’elle vit que ce visage lui était malheureusement bien
familier : c’était celui de Dawid. Ses yeux verts et sa bouche étaient grands
ouverts, et elle vit du sang sur son front. Elle poussa un cri d’angoisse quand
elle vit une balle dans sa tête, d’où coulait du sang encore frais. Elle toucha sa
main qui était glacée, et un frisson parcourut tout son corps. Il était bel et
bien mort. Elle resta quelques minutes à le contempler, des minutes qui lui
paraissaient être des heures entières, à pleurer au-dessus de son corps
refroidi, au-dessus de son cadavre. Tout en sanglotant, elle se releva et prit de
l’appui sur le mur. Elle avait perdu l’être le plus cher { ses yeux, le dernier qui
lui restait, car la Gestapo lui avait enlevé ses parents. Un sentiment
d’impuissance et de désespoir la prit, quand une main se posa sur son épaule.
Elle se retourna, persuadée que c’était la main de l’assassin de son ami qui
l’agrippait, probablement celle d’un soldat nazi.

Elle se retourna et pointa son revolver, un jouet en plastique (celui de


son petit frère) sur sa propre mère, qui le lui arracha des mains.

« Combien de fois t’ai-je dit de ne pas toucher aux jouets de ton frère? Un
jour tu ne t‘en rendras même pas compte, et tu feras une bêtise !»

Rachel n’a jamais vécu sous l’occupation nazie, elle n’a pas non plus de petit
ami qui s’appelle Dawid. Nous sommes en 2009, Rachel a bien 22 ans, et elle
est atteinte d’une schizophrénie mentale.

Catherine Domagala

34
La fin du monde

Finlande, 05/01/2149 après JC.


C’est un jour comme les autres, en Finlande, le jour vient à peine de se
lever. Le soleil projette ses rayons sur les toits d’Helsinki. Et pourtant, ce
jour si normal et accueillant, va être marqué par la plus grande invention
de l’histoire. Cette invention, un bienfait pour l’humanité, est le début de
l’apocalypse, c’est-à-dire, la fin du monde.
Un cri de joie traverse le laboratoire de recherche médicale. Docteur
Miikkulainen court vers ses collaborateurs.
-« Ça marche!! J’ai réussi! Venez voir! Cela fait maintenant cinq mois que
les singes ne boivent et ne mangent pas. Ils sont toujours vivants!! Leurs
cellules se régénèrent tellement vite, qu’ils n’ont plus besoin d’aucun
soin.»
Personne n’en croit ses yeux. Les personnes de l’entourage de Dr.
Miikkulainen le félicitent, on n’aurait pas cru en un tel exploit ! La presse a
été contactée directement. Les émissions de télévision populaire sont en
train de s’arracher les contrats de la main, pour savoir qui pourra
interviewer le docteur en premier, en espérant des réponses concrètes sur
l’avenir du docteur et sur l’avenir de la terre en général. En moins d’une
demi-journée toute la Finlande était au courant. Les journaux avaient
changé leurs titres de dernière minute : « Dr. Miikkulainen trouve le
remède de l’immortalité ! »

Suède, 05/01/2150 après JC.


Voici un an de passé. Le prix Nobel de la médecine a été accordé à Dr.
Miikkulainen. Le produit est maintenant vendu sur les marchés de
l’Europe et des Etats-Unis. La production devient de plus en plus grande.
Miikkulainen est devenu milliardaire et ne pense en aucun cas aux
conséquences que pourrait avoir son invention. Son remède avait été
fortement critiqué par les journaux, mais comme il se vendait très bien, il
n’en tenait pas compte. Les journaux écrivaient des titres parfois
méchants, parfois alarmants, parfois tristes ou aussi coléreux. On lisait par
exemple : «Quand est-ce que mes proches vont mourir, pour que j’hérite
de leurs biens ? » ou aussi « Que feront-nous dans un siècle ? », mais aussi
« Où va la recherche ? Quand va-t-elle arrêter ? », Puis encore « La
science, n’est-elle pas déjà allée trop loin ? »… peut-être aussi parfois des
titres drôles comme : « A quand ma retraite ? » Ou aussi « Pourra-t-on
faire des régimes sans conséquences ? »…
35
La terre, 05/01/2177 après JC.
Nous voici en train de subir les conséquences de cette invention. Dr.
Miikkulainen a été assassiné il y a quelques années, comment ? On ne le
sait pas, puisque normalement il aurait dû être immortel. On l’avait
trouvé, mort, un matin… sa mort est un mystère pour les scientifiques,
mais personne ne croit { un suicide. Pourtant c’est l’explication la plus
logique, car lui seul savait comment marchait ce remède, lui seul savait
sûrement comment le désactiver. Il avait finalement compris que de gros
problèmes allaient arriver à cause de son invention, mais il ne pouvait plus
rien y changer. Il a remarqué trop tard que son invention était la fin, la
destruction finale … l’apocalypse annoncée par les prêtres et les papes et
tous les hommes religieux, il y a bien longtemps : les prêtres, en lesquels
on ne croyait plus depuis longtemps, puisque de multiples expériences ont
prouvé que Dieu n’existait pas, et que la terre n’a pas été créée par ce
dernier, mais par le big-bang au début de l’histoire de la terre. Les
problèmes dus au remède commencent : La finitude (le fait que l’homme
est mortel) de l’homme touche à sa fin. Le financement des banques
s’effondre. Le surpeuplement cause de sérieux problèmes, l’un d’eux est la
fin du monde. Sans fin, d’innombrables jeunes essaient de se suicider,
sans y parvenir, grâce/à cause au remède. La guerre fait rage, pour la place,
pour le territoire, mais cela ne sert { rien… puisque aucun être humain ne
peut mourir et que donc, même en voulant tuer les civils, la place diminue
et la population augmente. Les paysages encore vierges, c’est-à-dire qui ne
sont pas encore peuplés, deviennent de grandes cités. Même le désert du
Sahara compte maintenant plusieurs centaines d’habitants par kilomètre
carré. On essaie de trouver de la place, on construit des immeubles d’une
vingtaine de kilomètres de haut, des maisons sous-marines, et même des
îles dirigeables… mais il n’y a toujours pas assez d’endroits pour vivre.
Quelques milliardaires se laissent même construire une fusée, pour aller
vivre ailleurs que sur terre… C’est l’enfer ! Vue de l’espace, la terre ne
ressemble plus du tout à ce qu’elle était une fois, elle n’est plus du tout
bleue comme une orange… c’est de la chance quand on voit un bout de
terre bleue. En ce jour, la terre compte exactement quarante-neuf milliard
cent-soixante-dix-sept millions quatre cent quatre-vingt dix mille
habitants, en oubliant la Chine, bien sûr. Le financement du travail
devient impossible : puisque les personnes ne meurent plus, ils n’ont plus
de retraite. Tout le monde doit travailler toute l’éternité, ce qui enclenche
encore plus de chômage qu’au XXIème siècle. Tout ceci n’est que la moitié
des problèmes…
Comment en est-on arrivé là? Pour le savoir, retournons dans le passé.
36
France, 05/01/2009 après JC.
Nous voici cent quarante ans avant le jour J. Nous nous trouvons près de
Paris, plus exactement dans le département des Yvelines, près de
Versailles, à Saint-Germain-en-Laye. Le Nouvel an vient de passer, les
vacances sont presque finies et les élèves du lycée international sont en
train de faire tous leurs devoirs de vacances. Tout le monde se prépare
pour la rentrée. Non seulement les élèves, mais aussi les parents se
remettent au travail. Ces derniers temps, beaucoup d’inventions dans le
domaine médical ont été mises au jour. Nous assistons à la trouvaille
d’une des plus grandes inventions du XXIème siècle par le père d’un des
élèves de ce lycée. Ce dernier est un chercheur au CNRS (Centre National
de la Recherche Scientifique), dans le domaine physico-médical. Son
invention, à cette heure inconnue par la majorité des gens, va faire un
ravage dans la société du siècle qui vient juste de débuter. Son invention,
simple mais efficace, consiste en une sonde intracérébrale à lumière
ultraviolette, détectant des tissus cancéreux dans le cerveau. Cette sonde
devrait être utilisée par des neurochirurgiens, pour les aider à identifier les
tissus { enlever lors d’une intervention chirurgicale. L’invention
permettrait de minimiser les morts dues aux cancers du cerveau. Ce que le
chercheur ne savait pas, c’est que cette invention était le début de la fin,
c’est-à-dire la fin du monde. Et personne ne pouvait vraiment y croire,
puisque l’invention était une chose bien, quelque chose qui devrait aider
l’humanité dans la recherche médicale, au lieu de la détruire. Mais cette
invention deviendra de plus en plus sophistiquée au cours du temps et
entraînera la fin du monde.
Comment cela est-il possible ? C’est ce que nous allons voir maintenant.

Allemagne, 15/06/2021 après JC.


Nous voici dans le futur proche. L’invention de 2009 est toujours très
prisée. En effet, elle n’avait pris que quelque mois pour se répandre dans
chaque hôpital de France et deux ans pour se répandre dans toute
l’Europe. Le fils du chercheur, ayant terminé ses études depuis un certain
temps, reprend le travail de son père. Il cherche à améliorer le travail
encore inachevé de son père. Il veut que cette sonde marche sur tous les
tissus du corps, pour minimiser encore plus la mortalité due aux cancers.
C’est-à-dire qu’il veut non seulement traiter les cancers du cerveau, mais
aussi tous les autres cancers connus jusqu’{ maintenant. Ses idées étaient
claires dans sa tête. Il travaillait avec un finlandais, nommé « le
binoclard » par ses collaborateurs, parce qu’il portait des lunettes rondes
et très divergentes, de façon à ce que ses yeux ressemblent { ceux d’un
37
poisson. Ce dernier était le génie de la troupe, il calculait les probabilités
de réussites du projet chaque soir, quand il n‘avait rien d’autre { faire.
Mais ce n’est pas pour ça qu’on le surnommait « le cerveau », il avait une
étrange capacité de mémoire. Il lui suffisait de voler une seule fois au-
dessus d’une grande ville, et il pouvait la redessiner de tête deux jours
après dans son atelier de peinture. Il parlait quinze langues, dont l’anglais,
le français, l’hébreu, le russe et l’allemand. Quand il avait cinq ans, il
s’amusait { parler en morse avec son grand-père à table, pour que
personne ne les comprenne. Très jeune, il a commencé à jouer aux échecs,
et à quinze ans il était classé dans le top 10 du rang mondial. Mais ce ne
sont plus que des passe-temps, ces petits jeux, ridicules pour son
intelligence. Les médecins avaient découvert qu’il avait la même anomalie
du cerveau qu’Einstein : la scissure de Sylvius (la partie coupant le cerveau
en deux parties, avant et arrière) était légèrement décalée vers l’avant.
Les deux chercheurs se connaissaient depuis longtemps, et pouvaient très
bien prévoir la réaction de l’autre dans les situations les plus délicates. Or,
dans cette histoire, aucun des deux ne savait ce que l’autre pensait. Le fils
du chercheur pensait bien faire pour l’humanité, en améliorant la science.
Alors que le binoclard, voyait en ce projet, non pas la fin du monde, mais
un problème difficile { résoudre pour les générations suivantes… il
n’empêche que ce seront ses petits-fils et ses arrières petits-fils, qui
mettront l’invention au point culminant de l’histoire. Mais nous n’y
sommes pas encore. Pour l’instant l’invention n’en est qu’au point de
pouvoir détecter et guérir les cancers de tous types.

Finlande, 07/04/2076 après JC.


Plus que 73 ans jusqu’au jour J. Le fils du binoclard a eu trois enfants. Deux
d’entre eux continuent les recherches de leur grand-père. Ils cherchent un
moyen pour ne plus du tout devoir trouver les cancers, pour les guérir,
mais pour qu’on agisse, avant que les cancers n’apparaissent. Ce qu’ils
s’imaginent, est une sorte de médicament en forme de piqûre, qu’on
injecte aux personnes, dès qu’ils naissent, pour que tout le monde en
profite. Cette piqure devrait régénérer les cellules automatiquement, dès
que la personne a une maladie ou une blessure. Ce qui voudrait dire que
cette personne serait immortelle, puisque ses cellules se multiplient
tellement vite, que même une grande blessure se soignerait en quelques
secondes. En mettant une annonce dans différents journaux pour chercher
des collaborateurs et du financement pour leurs projets, la famille
Miikkulainen se propose pour financer le plan, et pour les aider dans ces
38
recherches. Cette famille, peu connue dans le monde, est une famille de
millionnaires, ayant gagné au Loto, et voulant aider l’humanité avec
l’argent « inutile », comme ils ont l’habitude de le dire. Cette famille,
composée de deux grands-parents, ayant eu deux enfants, ne veut pas
dépenser son argent pour rien. Ces deux fils s’appellent Mainio et Jooa.
Tout deux s’engagent dans la recherche médicale, et s’intéressent
beaucoup au projet des petits-fils du binoclard. Ils prêtent leur argent,
sans demander quelque chose en contrepartie. Après un certain temps,
quelques signatures et quelques contrats, le projet commença.

Malgré beaucoup de problèmes au début, les deux familles arrivent à ne


pas couler financièrement. Au bout de quelques mois, les collaborateurs
trouvent un moyen pour que les cellules meurent moins vite, ce qui n’était
pas du tout leur but, mais qui était déjà un grand progrès pour la science.

Finlande, 23/07/2135 après JC.


59 ans sont passés, sans aucun résultat supplémentaire. Les deux
chercheurs d’autrefois ne sont pas arrivés plus loin dans leurs recherches.
Les générations après cette trouvaille, ne se spécialisent pas dans la
recherche de la médecine. Il y a maintenant 21 ans, un enfant est né, qui
s’appelle Jonas Miikkulainen, celui-ci qui sera « le cavalier de
l’apocalypse ».

Finlande, 05/01/2149 après JC.


C’est un jour comme les autres, en Finlande, le jour vient à peine de se
lever. Le soleil projette ses rayons sur les toits d’Helsinki. Et pourtant, ce
jour si normal et accueillant, va être marqué par la plus grande invention
de l’histoire. Cette invention, un bienfait pour l’humanité, est le début de
l’apocalypse, c’est-à-dire, la fin du monde.
Un cri de joie traverse le laboratoire de recherche médicale. Docteur
Miikkulainen court vers ses collaborateurs…

C’est la fin…

Timo Siebert

39
La fin du rêve de l’illusionniste
« Alors les enfants, vous êtes prêts à découvrir votre note de contrôle ? »

Un silence de mort régna dans la classe. Dans la grande chaleur de


septembre, Mr Lemaître attend impatiemment la réaction de ses élèves.

« Bon, ben commençons, Meilleure note 20,5 pire 2,5 moyenne 13,8.
David 2,5 ; vous avez fait des progrès mon cher, félicitation ».

Des ricanements éclatèrent partout dans la salle, David était à moitié


endormi, des cernes noirs comme ceux d’un chien. Fatigué et somnambule il
répondit:

« Oui ? Quoi ? Que se passe-t-il? »

Une seconde vague de rires explosa et soudain, le professeur devint rouge


de rage.

« Vous avez dépassé les limites Mr. L’Ombre, vous êtes inutile ! Vous ne
pensez qu’{ votre musique insupportable où l’on voit des hommes en train de
tourner la tête comme des fous enragés ! Je veux voir vos parents
immédiatement ce soir. Je ne peux plus vous supporter et maintenant rangez
vos affaires, si vous les avez, et disparaissez hors de ma vue ! »

David se leva et des bruits de chaînes métalliques retentirent et


orchestrèrent un fracas infernal.

« Et si vous revenez avec vos chaînes en ferraille, je vous les fais détruire
avec votre copie déplorable.»

La classe, ahurie, regarda la victime sortir tête baissée et les épaules


courbées. Il partit sans un mot et oublia de fermer la porte. Mr Lemaître cria
après lui mais l’ombre était hors de son champ de vision.

Dans les couloirs, son MP4 dans les oreilles à pleine puissance, David est
un étudiant de 16 ans en classe L et de loin, on peut voir ses longs cheveux
blonds et gras qui contrastent avec la longue tenue noire et délavée qui racle le
sol comme une robe de mariée traînant derrière lui une cacophonie de bruits de
métal. David parait grand avec ses chaussures qui lui assurent une hauteur
confortable mais lorsqu’il retire ses bottes { talon de sept centimètres, on
remarque sa petite taille de 1m80. Marchant le long du couloir en direction de

40
l’extérieur, il entendit la seule voix qu’il réussit { reconnaître et qui lui remonta
le moral : La douce voix de sa petite amie, Jade.

Jade s’approcha de David, l’embrassa et lui dit:

« Mon amour, qu’y a-t-il ? Pourquoi as-tu cette tête de malheureux? »

« Je me suis encore fait virer du cours de maths ; pour moi les maths c’est
fini et je ne vais plus en cours. »

Jade regarda David, perplexe:

«Comment peux-tu ne pas aller en cours de math quand tu n’y vas déj{
presque jamais ?»

David rit et ses dents jaunes cassées et disloquées contrastaient avec la


peau tendre et blanche de Jade. Jade serra David dans ses bras et puis ils allèrent
ensemble dehors pour fumer une cigarette. Lorsque la cloche de l’école sonna
les quatre heures, Jade demanda à David:

« Amour, j’avais oublié de te dire qu’il y a un concert de trash électro-


gothique métal au Bois de Boulogne dans une semaine, ça te dit de venir, on va
passer un bon moment avec le cadeau que tu m’as offert pour mon
anniversaire.»

David avait oublié, que la semaine dernière, c’était l’anniversaire de Jade


et il lui avait offert un corset noir moulant; David n’avait jamais encore vu sa
perle adorée vêtue de cette tunique attirante, David laissa tomber son mégot et
dit:

« Jade, si tu ne fumes pas la fin de ta clope, je peux la terminer?»

Jade, choquée par sa réponse lui dit:

« Seulement si tu réponds à la question que je viens de te poser, alors tu


veux venir ou pas ?»

David arracha la cigarette violemment des mains de Jade et répondit


s’acharnant sur la cigarette:

« Euh…oui… bien sûr … je veux te voir avec la tunique que je t’ai achetée.»

« Bon c’est fait, on ira directement au concert Lundi soir.»

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Lorsque Jade prononça ces paroles, le visage de David s’illumina et ses
yeux étaient pleins d’admiration.

« Jade, Tu es la plus belle des femmes que j’ai jamais connues.»

Puis David se rapprocha d’elle et l’embrassa avec amour puis ils s’en
allèrent vers la cité, enrobés de nuages toxiques.

Le reste de la semaine fut atroce pour David qui attendait avec impatience
le concert du Lundi ; il avait reçu en une semaine des nouvelles plus mauvaises
les unes que les autres: un -7 en anglais jusqu’{ un 8 en EPS. Il avait aussi connu
la mort de son meilleur ami dans un accident mortel sur scooter avec un bus, et
pour terminer, l’arrivée de son bulletin fut la cause de la plus grande dispute
imaginable où ses parents l’avaient insulté jusqu’au moment où il rangea ses
affaires et s’enfuit de la maison comme un adolescent victime de la furie d’un
père sévère et de l’ignorance d’une mère naïve. Perdu, il alla chez Jade pour la
dernière nuit avant le concert.

Lorsqu’il se réveilla le lendemain, il vit Jade à son chevet avec deux


bouteilles de bière.

«Le soleil se lève sur toi, mon amour.», déclara Jade en lui tendant une
bière.

«Salut», grogna David en ouvrant la bouteille avec ses dents.

«Habille toi vite, on doit aller au concert ». David comprit les ordres et
mit sa tenue de concert qui consistait en un T-shirt noir avec l’emblème du
groupe, un manteau extrêmement long et un pantalon de velours noir clouté.

A leur arrivée, Jade conduisit David dans un bar souterrain appelé «la
Rêverie». Là, une simple lumière ténébreuse éclairait la pièce équipée de
nombreux fauteuils et sofas en cuir noir qui étaient occupés par des fans de
Megadeath, l’artiste. Lorsqu’ils prirent connaissance des lieux et de l’hôte, Jade
prit la parole:

«On a encore deux heures avant le concert, ça te dit de prendre un


verre?»

A ces paroles, David prit la direction du bar et découvrit que pour les fans
de Megadeath, c’était gratuit et donc, rempli d’extase, il rejoignit sa séraphine
qui l’attendait sur un sofa dans un coin du bar.

42
Le concert allait commencer, la salle était remplie de personnes de toutes
les générations en train de chanter les hymnes les plus connus de Megadeath.
David était proche de la scène et se sentit honoré d’être si près de la scène mais
il n’avait pas le temps de réfléchir sur son statut privilégié car les artistes
montaient sur scène. Des cris de joies éclatèrent dans toute la salle et des
rugissements de gloire pouvaient être entendus. Sans attendre, Megadeath
commença son concert que le public attendait depuis plusieurs années.

David se sentait mal ; il jeta un coup d’œil en direction de la scène, où la


plupart des spectateurs étaient en train de danser. David regarda Jade ; mais la
scène avait changé. La jeune femme l’ignorait complètement tandis que les
autres remuaient leurs têtes comme des déchaînés. De nouveau, David observa
les fans… . Il avait l’impression qu’un instant s’était écoulé, mais ce n’était
qu’une illusion. Il devrait se remuer. Il fallait se réveiller mais d’abord il avait
besoin de se reposer et de laisser se dissiper le voile qui embrumait son cerveau.
Une minute ou deux devraient suffire. La tête de David tomba sur sa poitrine.
Une tiède stupeur l’envahit ; il était si dur de garder les yeux ouverts…

Il s’abandonna aux ténèbres.

Il ouvrit les yeux ; au loin se dressait une chaîne de collines en pente


douce. En aplomb, des nuages d’un blanc immaculé dérivaient sereinement
dans un ciel d’azur parfait. Le paysage verdoyant était d’une pureté absolue.
Dans un coin de son cerveau, David se demandait vaguement ce qu’il était
advenu de la nuit. Il n’avait aucune idée de l’endroit où pouvaient être les
autres. Mais ces questions effleurèrent seulement son esprit…

Puis il lui sembla entendre d’autres bruits, au-del{ de l’eau qui cascadait.
Des bruits qui ressemblaient à des voix, au roulement rythmique mais étouffé
d’un tambour. Leur source était soit dans sa tête, soit en aval du torrent. Il entra
dans l’eau et suivit son cours, ses bottes faisant crisser les cailloux polis par un
flux incessant. Sur son passage, les clapotis provoquèrent la fuite de minuscules
créatures dans la végétation qui festonnait la berge. Une brise agréablement
tiède lui caressait le visage. L’air frais et pur lui faisait presque tourner la tête. Il
atteignit l’endroit où le torrent décrivait une courbe ; alors qu’il la franchissait,
les voix se firent plus fortes et plus distinctes.

Ils étaient devant l’entrée d’une petite vallée. Le cours d’eau serpentait
entre des tentes de bois circulaires. Un long pavillon rectangulaire s’étendait sur
un côté, orné d’emblèmes de groupes que David ne put identifier. Des trophées
de guerre étaient également suspendus aux cloisons : épées larges, lances, crânes
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blanchis de loups à dents de sabre. Une odeur de bois fumé et de gibier rôti
planait dans l’air. Autour des chevaux attachés, le bétail et la volaille erraient
librement. Et les hommes fourmillaient.

Des hommes, des femmes et des enfants effectuaient des corvées,


allumaient des feux, coupaient du bois ou bavardaient. Dans la clairière, devant
le pavillon, un groupe de guerriers se battait avec des épées ou des bâtons, le
roulement d’un tambour de peau rythmant leur entraînement.

Personne ne prêta attention à David pendant qu’il entrait dans le village,


il voulut dégainer son portable mais ressortit la main de sa poche; il n’aurait pas
de réseau dans ce village médiéval. Tous les hommes qu’il croisa portaient des
armes comme si c’était quelque chose de banal pour cette époque. Même si
David ne les connaissait point, il ne se sentit pas menacé mais curieux.

Une femme avança vers lui. Sa démarche trahissant son assurance, elle ne
fit pas un geste pour saisir l’épée qui lui battait la hanche. Le jeune homme
estima qu’elle mesurait une tête de moins que lui, même si sa coiffe de plumes
écarlates striées d’or compensait leur différence de taille. Se tenant très droite,
elle avait une silhouette très belle. Elle ne manifesta aucun étonnement en le
voyant. Son expression était presque passive… pour autant qu’un visage pareil
puisse avoir une expression passive. En s’approchant de lui, elle eut un sourire
franc et chaleureux.

-Enchantée ! Lança-t-elle.

Il était si fasciné par sa beauté qu’il ne répondit pas tout de suite.

-Enchanté, lâcha-t-il enfin, hésitant.

-Je ne vous connais pas.

-Moi non plus.

- De quel pays venez-vous? David lui dit d’où il venait.

- Ca ne me dit rien. Mais il y en a tellement…

David regarda les boucliers qui décoraient les cloisons du pavillon.

- Le vôtre aussi m’est inconnu. Ça ne vous inquiète pas de parler avec un


étranger?

La femme eut l’air étonné.

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- Pourquoi, ça devrait ? Nos civilisations sont-elles en conflit ?

- Pas que je sache.

- Dans ce cas, inutile de faire assaut de prudence. A moins que vous ne


veniez armé de mauvaises intentions.

David changea de sujet :

- Avez-vous vu beaucoup de jeunes comme moi passer par là ?

-Je ne sais pas de quoi vous parlez, mais je suis certain qu’il n’y en a pas.

-Vous voulez dire que vous n’avez vu pas des centaines de personnes
drapées de noir ?

-Je veux dire que je ne comprends rien à ce que vous racontez. Vous êtes
bizarre.

-Et vous, vous parlez par énigmes. Dans quelle région de la Terre
sommes-nous ?

-Vous devez venir de loin, étranger, puisque votre « Terre » m’est


inconnue.

-Quoi ! s’exclama David époustouflé, vous ne connaissez même pas le


nom de votre monde ?

-Il ne s’appelle pas Terre ! Au moins pas ici, et je n’ai jamais connu un
homme convaincu que des… gens comme vous vivent dans ces terres.

A sa grande surprise, la femme lui saisit la main:

-Venez.

Malgré sa confusion, David avait une conscience aiguë de la paume


fraîche et moite de la femme dans la sienne. Il se laissa entraîner…

Il ouvrit les yeux et vit le regard soulagé de Jade.

Lewis Lockwood

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La Grotte du Dragon

Moi, de mémoire, je crois que j’avais onze ans quand ça c’est passé,
cette histoire qui m’a tenu éveillé pendant longtemps. Mais je ne me
souviens plus de tout. A cet âge-l{, j’étais un petit gamin souvent
désœuvré, qui traînait dans le quartier et passait son temps { fouiner
partout. Ce doit être pour cela que c’est moi qui ai découvert cette histoire
délirante.

C’était en hiver, en novembre je crois. Un soir, la vieille servante du


pub m’a discrètement attiré vers elle. Cela ne m’a pas étonné, car au bout
de quelques années dans un endroit pareil, on ne s’étonne plus de rien.
Pourtant, ce n’était vraiment pas dans ses habitudes, car elle avait toujours
été plutôt distante. Et alors l{, elle m’a raconté une histoire comme je n’en
avais jamais entendue auparavant… Une histoire incroyable… Et le plus
incroyable, c’est que quand elle m’a dit que son histoire était vraie, je l’ai
crue.

Ce récit délirant, on aurait dit une ancienne histoire de pirates. La


vieille servante m’avait dit : ‘’Il paraît que le patron du pub, il est mêlé à
une affaire louche… Eh gamin ! Tu te rappelles le vieux gars qui avait
disparu il y a un an, pendant la tempête ? Eh ben il aurait été enlevé par
l’homme { capuchon. Et Anne m’a dit que quelqu’un les avait vus tous les
deux à la grotte du Dragon.’’

Alors moi, j’y étais allé, certain de la parole de la vieille servante. Et


le plus fou, c’est qu’elle avait raison. Je n’ai jamais compris d’où elle
pouvait bien tenir cela.

Un soir de tempête – c’était le seul moment où j’étais sûr que


l’homme { capuche n’était pas dans son repaire, puisqu’il était au pub – je
suis donc allé { la grotte du Dragon. J’étais mort de peur, surtout que
l’endroit n’avait rien de rassurant. D’abord, j’avais dû marcher longtemps
dans la lande battue par le vent et la pluie. Et au moment d’apercevoir la
crevasse qui dissimulait l’entrée de la grotte, toutes les légendes terribles

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qui avaient couru au fil des siècles sur cet endroit terrifiant me revinrent
en mémoire.

Armé de ma misérable petite lanterne, je me suis lentement


aventuré vers le Dragon – la grotte portait ce nom parce que son entrée
avait la forme d’une gueule grande ouverte – et j’ai avancé jusqu’{ la faille
noire et profonde qui bloquait l’entrée. Alors je me suis penché. Et l{, en
voyant le gouffre de roches sombres, je me suis dit que je n’avais aucune
chance d’arriver entier en bas.

Pourtant, j’étais tellement curieux que je n’ai pas pu résister { l’envie


de savoir ce qu’il pouvait bien y avoir dans la grotte. Le seul problème,
c’est que je n’avais aucune idée de la manière de descendre là-dedans.
Même si je n’étais plus tellement sûr d’y arriver, je me suis dit qu’il fallait
absolument que je trouve une solution.

Heureusement, la solution, j’ai fini par la trouver. Je crois me


souvenir qu’il ne m’avait pas paru très logique que l’homme { capuche
doive passer par l{ { chaque fois qu’il devait venir dans la grotte. Alors je
me suis dit qu’il y avait peut-être une autre entrée un peu plus pratique. Et
{ force de chercher j’ai fini par trouver.

Au fond d’une toute petite ouverture dans les roches noires, une
dizaine de mètres au-dessus de l’endroit où éclataient les vagues, brillait
une lueur diffuse et pas très rassurante. Pour ne pas me faire repérer, au
cas où il y aurait eu quelqu’un dans la grotte, j’ai éteint ma lampe. Et je
suis entré. Mais après avoir cherché longtemps, je me suis rendu compte
que ce tunnel ne me mènerait nulle part. Ce que je ne comprenais pas,
c’est d’où venait la lumière.

J’ai eu de la chance de découvrir l’entrée de la grotte. C’est en


revenant sur mes pas que je l’ai vue par hasard. Ensuite j’ai tout
simplement suivi la lumière et je suis arrivé dans la grande salle, enfin la
salle principale.

Je ne sais pas trop comment raconter ce que j’ai vu, parce que, en
fait, c’était assez indescriptible. D’ailleurs, jusqu’{ maintenant, je l’ai
toujours gardé pour moi. De toute façon, personne ne me croira jamais.

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Mais c’est mieux comme cela, personne n’ira jamais gâcher ce projet
incroyable.

Donc dans la grotte, en passant la tête par le trou de l’entrée, j’ai vu


qu’il y avait un vieil homme. Je me suis souvenu que c’était le marin qui
avait osé demander { l’homme encapuchonné d’où il venait, le soir, par la
lande. Comme je n’étais pas très discret, { essayer de regarder partout
autour de moi, il a fini par me remarquer. Il m’a alors longtemps observé,
et moi j’ai eu très peur de sa réaction. Mais finalement, il m’a dit de
m’asseoir et on a discuté, simplement, au milieu de cette grotte noire
éclairée par une petite lampe à pétrole. Sans se poser de questions. Je sais
que vous ne me croirez pas.

Alors il m’a expliqué le projet fou auquel il travaillait, avec le


terrifiant homme { capuche, qui en fait n’avait rien de terrifiant.
Apparemment, ils travaillaient tous les deux pour le patron du pub, à un
projet commun. Ils creusaient une sorte de bar troglodyte, dans la grotte.
Quelque chose de bien dissimulé, où seuls les amis du patron pourraient
venir.

A l’époque, je ne me suis même pas demandé d’où il lui était venu


une idée pareille, ni s’il n’était pas un peu { l’Ouest. Heureusement, sinon
ça m’aurait tout gâché.

Emilie TAROUILLY

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L’Illusion de l’Aventure
C’est la veille du grand voyage. Je vais prendre le train pour la première
fois seule demain pour rendre visite à Mamie en Suisse. Mes parents m’ont
autorisée { partir avec mon chien de compagnie, Tom. Depuis qu’on a pris les
billets, je suis très anxieuse et je m’imagine toutes sortes de choses terribles. Et
si des terroristes attaquent le train ? Et si le train déraille ? Et si quelqu’un y
dépose une bombe ? « Et si, et si, et si », je pense toujours aux plus grandes
catastrophes.
Le jour J est arrivé. Une fois à la gare, mes parents tentent de me rassurer
en m’informant que le voyage ne durera pas longtemps, puis, ils me disent au
revoir. Pourtant, je reste paniquée par l’idée de devoir me débrouiller. Je me
déplace dans l’immense endroit en espérant trouver le train que je dois prendre.
Soudain, je regarde l’heure et je vois qu’il part dans peu de temps. Pressée, je
cours désespérément sur les différents quais en espérant apercevoir mon train.
Le temps passe de plus en plus vite et je crois l’avoir vu. Je cours dans sa
direction et j’y entre. C’est au moment où l’hôtesse informe les voyageurs sur la
destination et l’horaire d’arrivée du voyage que je me rends compte que je me
suis trompée de train : celui-ci part pour l’Espagne. Tout d’un coup, je m’agite et
je tente de demander de l’aide aux hôtesses mais c’est trop tard : le train
démarre ! Ma situation ne peut pas être pire.
Une fois arrivée à destination, je récupère Tom et mon bagage. Je sors de
la gare et je me retrouve dans le Désert des Bardenas. Je décide de marcher avec
Tom afin de me familiariser avec l’endroit. Le soleil brille au-dessus des dunes
de sable. C’est magnifique. Je suis fatiguée, j’ai soif et j’ai faim. Tout d’un coup,
j’aperçois un très grand homme. Quelque peu effrayant, l’homme arrive vêtu
d’une longue robe noire sur un grand chameau. Je profite de l’occasion pour lui
demander des indications. Il ne comprend pas ce que je dis mais il m’indique
d’un geste de le suivre. Bizarrement, je suis rassurée. Je prends confiance en cet
homme du désert et me laisse guider. Après cette longue marche fatigante, je
me retrouve avec Tom, en face d’une dizaine d’hommes. Très musclés, ils
m’impressionnent. C’est { ce moment-l{ que j’ai commencé { imaginer le pire.
Et si l’homme était le chef d’une méchante tribu ? Et s’il se servait de moi et de
Tom comme des esclaves ? Soudain, Tom a commencé à aboyer. Gênée, je tentai

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de le faire taire. Aussitôt, deux hommes se jetèrent sur chacun de nous. Je
compris que ces hommes nous voulaient du mal. Ils nous attachèrent à des
rochers { l’aide de cordages. Après nous avoir capturés, chaque homme rejoignit
sa tente.
Le jour se leva. Calmement, je vis partir les hommes sur leur chameau. Ils
devaient sûrement aller au marché des animaux. Quand ils disparurent,
j’aperçus une jeune fille, d’environ quinze ans. Elle sortait de la tente du chef:
celle-ci devait être sa fille. Je lui demandai de venir. Aussitôt, elle s’approcha de
moi. Nous ne parlions pas la même langue, alors nous nous exprimâmes { l’aide
de nos mains. La fille du chef comprit quand je lui demandai de me délivrer et
elle le fit. Ensuite, craignant que la tribu ne revienne, elle me fit comprendre
qu’elle devait me quitter. Je la remerciai de tout mon cœur et m’en allai en
courant.
Soudain, Tom aboya, ce qui me réveilla. Tout ce qui venait de se passer
était un rêve ; une ILLUSION ! Je m’étais en fait endormie sur le quai de la gare.
Affolée, je me déplaçai et je cherchai de l’aide. Je rencontrai une famille
française et je lui expliquai ma situation. Aussitôt, les parents de cette famille
comprirent et acceptèrent de payer mon ticket ainsi que celui de Tom. Réjouie,
je les remerciai mille fois et m’assis { leurs côtés durant tout le voyage. Arrivée
en France, j’utilisai leur téléphone pour appeler mes parents. Maman vint me
chercher { la gare. Je lui donnai un câlin et n’osai même pas lui dire ce qui
m’était arrivé. Cette nuit-l{, j’étais très heureuse de savoir que cette aventure
n’avait été qu’une ILLUSION.
Maya Lang

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Illusion d’une présence
passagère…

51
Kim a toujours été une adolescente malheureuse. Vous me direz : comme
tous les adolescents. Sauf que Kim n’était pas comme les autres. Sa vie n’avait
aucun sens pour elle .D’ailleurs, elle se répétait chaque nuit, quand elle n’arrivait
pas à trouver le sommeil : « Pourquoi trouver un sens à donner à la vie ? ». Sa vie,
pour elle, n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve. Elle ne se réveillerait que
quand la mort viendrait la chercher. Mais Kim avait beau attendre, la mort ne
venait toujours pas. C’est alors que ses envies de suicide sont venues la hanter.
C’est à partir de ce mal-être qu’elle a commencé à fumer comme une cheminée, en
espérant que le cancer l’atteindrait. Qu’elle a commencé à se droguer, histoire
d’accélérer le processus et d’oublier, pendant le moment d’overdose, à quel point
c’est douloureux d’avoir la « chance » de respirer, d’avoir ce cœur qui bat à
l’intérieur de nous. Qu’elle a commencé à s’approcher trop dangereusement du
quai, quand un train traversait. Qu’elle a commencé à ne plus regarder la route,
quand les voitures passaient à toute vitesse…

Pourtant Kim avait plein d’amis. Chaque jour que Dieu faisait, Kim riait à
s’en tordre le ventre, elle souriait, elle dansait au rythme de la musique…

C’était une ado complètement normale…à l’extérieur. Ce que ses précieux


amis ne savaient pas, c’est que Kim, chaque soir, avait tellement mal, qu’elle
avait des crises au point de mordre son oreiller pour ne pas crier de douleur. Elle
n’avait plus de forces, plus d’espoir. Entre ses problèmes scolaires et familiaux,
elle perdit la partie.

C’est dommage, Kim était une fille très jolie : grande, mince, brune aux
yeux verts, et très intelligente. D’ailleurs beaucoup de garçons avaient le béguin
pour elle. Mais Kim ne les remarquait même pas. Elle s’était réfugiée dans une
bulle : son monde ; et elle ne laissait personne y entrer, et elle ne voulait plus en
sortir. Sa vie était finie. A seulement 16 ans. Chaque soir, chaque nuit, chaque week-
end, c’était toujours la même chose : elle s’enfermait dans sa chambre, mettait sa
musique très fort afin que ses parents ne puissent pas l’entendre pleurer. Elle y
restait pendant des heures et Dieu sait ce qu’elle faisait. Ce qui est sûr, c’est que
sa mère, quand elle passait dans la chambre de sa fille, s’étonnait toujours
quand elle remarquait des tâches de sang le long de ses draps…c’était presque
harmonieux…

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Oui, Kim était dépressive…en secret.

Comme chaque matin, Kim sortit de chez elle de bonne heure. Pour elle,
chaque jour était un combat, un coup qu’elle devait supporter. Ce matin-là, elle
était vêtue d’un pantalon noir et d’un pull rouge. Elle marchait dans la rue, le
baladeur en main et sa musique résonnant dans ses oreilles, à un volume
inquiétant. La routine…

Puis elle le vit, là, droit devant elle. Il se tenait là, comme s’il l’avait
toujours attendue. Il était beau comme un Dieu, si fort, si réconfortant, si
protecteur. Il lui tendait la main. Il voulait qu’il la rejoigne, la sortir se son
désespoir, lui sécher les larmes, la prendre dans ses bras en la serrant pour que
cette douleur disparaisse ; soigner ses poignets ensanglantés. Il l’aimait comme
personne, Kim aussi. La raison. Sa raison.

Non…ce n’était qu’un rêve…

Elle marchait dans la rue, le baladeur en main et sa musique résonnant


dans ses oreilles, à un volume inquiétant. La routine…

Elle arriva en retard à son premier cours, ne pouvant résister à une troisième
cigarette. Son professeur la gronda, l’humilia, la rabaissa. C’était le début de son
combat quotidien. A la fin du cours, Abbi, son amie la plus proche, l’accueillit à
bras ouverts. Kim ne résista pas. Puis elle laissa place à la superficialité
incarnée : rires stupides, gloussements inutiles, tendresse exagérée…ce jeu auquel
se livrent tous les adolescents : l’hypocrisie.

Le soir, sa maison était comme une délivrance. Cette journée a été dure. Elle
s’enferma dans sa chambre et augmenta le volume de sa musique…Elle
s’endormit tôt, bercée par les larmes coulant infiniment sur ses joues, déjà
trempées. Puis elle le vit, sa raison, sa lumière. Il était parfait. Elle prit la main
qu’il tendait et enroula ses bras autour de sa nuque. Il la serra tendrement et
posa ses lèvres sur sa gorge, doucement. Elle ne fit que resserrer son étreinte et
huma son odeur exquise. Elle n’avait plus mal : pour elle il n’y avait jamais eu
de douleur puisqu’il était là, lui, son amour.

Le réveil la fit sursauter avec acharnement. Elle prit plusieurs minutes


avant d’ouvrir les yeux, se préparant au combat quotidien qui l’attendait.
53
Une fois de plus, elle arriva en retard à son premier cours, ne pouvant
résister à une quatrième cigarette. Abbi l’accueillit cette fois, les yeux grands
ouverts, ébahie par les cernes que son amie avait.

Cette matinée-là, Kim s’est fait inviter par trois garçons. Elle n’a même pas
retenu leurs noms. A la cafétéria, Abbi avait réservé une place à côté d’elle, vide.

Kim, pendant ce temps, s’était réfugiée dans les toilettes, la douleur ayant
repris le contrôle sur elle. Elle se tortilla, se tint la poitrine, les côtes, se roula
en boule, se recroquevilla, mordit sa veste. Non…la souffrance était là, comme
un démon la possédant. Elle avait beau crier, pleurer, se faire souffrir,…Non…la
blessure était toujours aussi à vif.

Puis la porte s’ouvrit. Il la prit par la taille et l’amena vers son torse, la
consolant. Kim s’accrochait à lui comme si elle allait tomber. Il sécha ses
larmes du bout des lèvres. Il caressa ses cheveux, la rassura… Kim se laissait
porter, elle croyait à toutes ces promesses. Ses lèvres descendirent jusqu’à
atteindre les siennes. Elle fourragea ses doigts dans ses cheveux.

Oui, elle y croyait vraiment…

La sonnerie retentit. C’était l’heure de son contrôle de maths. Elle n’avait


pas révisé.

Sa vie n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve.

Elle rata son contrôle de maths. Encore.

Sa vie n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve.

Le soir, sa maison était comme une délivrance. Cette journée a été dure. Elle
s’enferma dans sa chambre et augmenta le volume de sa musique…

Sa vie n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve.

Elle s’endormit tôt, bercée par les larmes coulant infiniment sur ses joues,
déjà trempées.

Sa vie n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve.

54
Puis elle le vit. Encore. La beauté incarnée. Kim sentit enfin son cœur battre
la chamade, ses lèvres étaient capables d’un vrai sourire. Son corps gelé se
réchauffait, finalement. Il prit son si joli visage entre ses paumes et l’embrassa
sur le front. Elle se colla à lui. Kim se sentait enfin…en vie. Elle avait un sens :
lui. Une raison : lui. Un but : lui. Du bonheur : lui. De l’amour : lui.

Kim brûlait, vivait…

Peut-on reprocher à un enfant de prendre le bonheur là où il est ?

Ses dernières paroles furent : « Oui, laisse-moi te rejoindre. »

Kim a toujours été une adolescente malheureuse. Sa vie n’était qu’une


illusion. Un mauvais rêve.

Ce qui est sûr c’est que sa mère, quand elle entra dans la chambre de sa
fille pour la réveiller, vue l’heure tardive qu’il était déjà, fut horrifiée lorsqu’elle
découvrit le cadavre de Kim, pendu en haut de son lit, avec ses draps, si
harmonieusement tâchés de sang.

Sa vie n’était qu’une illusion. Un mauvais rêve.

Elle mit donc fin à ses jours. La mort est finalement venue la chercher…

Mélanie Vanier

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L’illusion incroyable

Cela faisait maintenant deux mois que Danièle avait déménagé à


Paris. C’était une adolescente de 16 ans qui consacrait une grande partie de
sa vie devant son bureau à étudier et réviser ses cours. Les professeurs
l’aimaient beaucoup et { leurs yeux c’était une fille modèle, un exemple
pour les autres. Elle était très motivée et ne demandait pas plus qu’une vie
heureuse et tranquille. Ce qui contraignait le plus Danièle était le fait de
ne pas avoir de facilités { se faire des amis, en effet c’était le seul reproche
qu’on pouvait faire { Danièle, et cela la plongeait souvent dans la solitude.
Ce n’est pas le fait d’avoir déménagé qui rendait la jeune fille triste mais la
séparation de ses parents. Sa mère habitait Marseille et Danièle habitait à
Paris avec son père Mark et son frère Nikolaï.

Depuis quelques temps, Danièle a l’impression de ne plus prendre


goût à la vie et comme tous les samedis depuis son arrivée, elle est au parc
qui se trouve non loin de chez elle et attend que le temps passe ; ce parc
est le seul endroit que Danièle apprécie dans sa nouvelle vie. Alors que
Danièle regarde deux chats se battre, un garçon vient s’asseoir { côté
d‘elle. Contrairement aux autres garçons, celui-là fait beaucoup rire
Danièle mais cependant il reste discret et mystérieux. Les deux
adolescents se croisent plusieurs fois au parc et, c’est pour cela que
Danièle s'y rend de plus en plus souvent. Elle se rend compte que le seul
endroit où elle retrouve Quentin est au parc et les retrouvailles ne sont
jamais prévues et se font { l’improviste. Cependant depuis la rencontre de
Quentin, Danièle va beaucoup mieux et parle du garçon à son père qui est
ravi de savoir que sa fille a de nouveau le sourire aux lèvres et propose à
Danièle d’inviter Quentin { la maison. Etrangement ce dernier a toujours
une excuse pour ne pas venir.

Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Quentin qui a maintenant 16 ans


mais Danièle l'a su le jour même et n’a pas pu se procurer un cadeau à
offrir. Le soir même, de nouveaux amis du père de Danièle sont invités à
dîner chez eux. Au cours du dîner, Mme Bisantin raconte que si son fils
n’avait pas été kidnappé, il aurait aujourd’hui 16 ans. Danièle demande { la
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femme en pleurs le nom de son fils et en effet celui-ci est Quentin. La
mère a encore espoir de retrouver son fils kidnappé depuis 10 ans et
Danièle, très touchée par l’histoire, décide d’aider Mme Bisantin pour
rechercher son fils disparu.

Le lendemain Mme Bisantin et Danièle se rendent au commissariat


pour faire un portrait robot de son fils avec 10 ans de plus et bizarrement
le portrait affiche un garçon ressemblant comme deux gouttes d’eau {
Quentin. Danièle rencontre aussi la sœur de Mme Bisantin qui tente
également de retrouver le fils de sa sœur.

Quelques jours plus tard lorsque Danièle est au parc, elle reçoit un
coup sur la tête puis s’évanouit….

Lorsqu’elle se réveille, elle se trouve en présence de Quentin dans


une salle qui n’a pas de fenêtres et dont la porte est fermée { clé. Danièle
demande à Quentin où ils se trouvent et la grande surprise de Danièle
celui-ci prétend n’avoir jamais vu Danièle ! C’est à ce moment là que
Danièle se rend compte que ce Quentin présent en ce moment est le vrai
Quentin et que celui qu’elle avait tant de fois rencontré au parc n’était
qu’une illusion. Danièle comprend qu’elle aussi s’est faite enlevée. Danièle
s'aperçoit que Quentin n’avait pas partagé ses nombreuses illusions et ne
sait même pas qu’il est kidnappé. Quentin pense qu’il reste ici en raison
d’une maladie qui l'empêche de pouvoir s’exposer au soleil. Quelques
instants plus tard, Danièle découvre que c’est la sœur de Mme Bisantin,
Hélène, qui se cache derrière tout cela. Danièle ne comprend pas
comment c’est possible et demande { Hélène pourquoi elle fait tout ceci ;
il s’avère alors que celle-ci est saisie d’une jalousie énorme pour sa sœur
car elle pense que c’est elle qui aurait du avoir cet enfant avec Mr Bisantin
duquel elle est fortement amoureuse. Pour elle, Quentin lui appartient ;
donc , c‘est comme ça qu’Hélène punit sa sœur en traitant Quentin
comme son propre fils. Cependant Danièle ne comprend toujours pas
pourquoi elle s’est tout de même faite enlever. En discutant avec Hélène,
elle apprend que celle ci ne pouvait pas prendre le risque de laisser courir
la jeune fille car elle commençait à en savoir trop sur Quentin et cela
menaçait son secret.

57
Après être restée environ une semaine dans cette chambre, Danièle
avait beaucoup appris sur Quentin : Hélène lui faisait croire que c'était elle
sa vraie mère ! Quentin l'aime comme telle et ne veut vraiment pas croire
ce que dit Danièle.

Un jour, Hélène apporte à manger à Danièle et Quentin puis repart,


mais Danièle voit qu’elle a oublié son portable sur le bureau et elle s'y
précipite et envoie un message à son père. La kidnappeuse revient en
courant mais malheureusement, c’est déj{ trop tard pour elle. Quelques
heures après, des policiers débarquent dans la pièce, ce qui met un terme
aux souffrances de Danièle. Elle est très heureuse de retrouver sa famille et
son père,lui aussi mort d’inquiétude suite { cette soudaine et inattendue
disparition, pleure de joie. Les retrouvailles entre Quentin et sa mère,
Mme Bisantin sont très compliquées et il faudra beaucoup de temps pour
rattraper le temps perdu. Danièle raconte que Quentin n’était qu’une
illusion mais une illusion en quelque sorte réelle car si tout ce que
Quentin disait dans l’illusion était vrai Quentin ne partageait pas ses
illusions. Mais comment était-ce possible d’avoir une illusion pareille ?

Il se trouvait que Mr Bisantin ne pouvait pas faire d’enfants donc il


avait eu recours à un don de spermatozoïde. Dans la même année le père
de Danièle a fait un don. Il est fort probable que Danièle et Quentin soient
frères et sœurs mais cela nous ne le saurons jamais…

James Denman

58
ILLUSIONS SUCCESSIVES
Jean-Louis avait 36 ans. Il nageait dans le bonheur. En effet, pour lui – mais il ne
s’en rendait pas compte -, bonheur était un synonyme assez précis de bonheur.

De ce côté, il était servi. Son enfance, puis sa jeunesse, dans un milieu aisé et un
pavillon de banlieue huppé, l’avait placé sur la bonne voie. Il avait une assez haute idée
de lui, son entourage aussi. Jean-Louis était plutôt beau, avait une femme magnifique
et aimante, un boulot bien aimé, et { son sens intéressant, car il lui permettait d’avoir
des responsabilités et l’aidait { penser que toutes ces choses étaient largement
méritées.

En fait, son défaut majeur était son intelligence. Un jour, son défaut se
transforma en différence. Il roule sur le boulevard périphérique, en direction de la
Porte d’Italie. Il repense aux événements de ces derniers jours. Tout avait commencé
jeudi. Comme tous les jeudis, il philosophait avec des amis sur la futilité de leur vie
terrestre. Mais, à la différence de ses amis, c’était pour Jean-Louis autre chose qu’une
ironique façon de se rassurer et de se féliciter de sa réussite.

Il était rentré en voiture, mais il avait ressenti le besoin de s’arrêter durant une
heure sur un parking, histoire de faire le vide. Le jour d’après, il n’y pensait déj{ plus,
mais la nuit, le doute s’immisça { nouveau dans son esprit. Il eut, au milieu de la nuit,
une soudaine envie de vomir. Il ne retourna pas se coucher et veilla toute la nuit dans
la cuisine. Les jours qui suivirent, la situation se détériora encore. Il se mit à se poser
des questions, et pour la première fois, les réprimandes de son patron étaient autre
chose qu’une inutile démonstration d’autorité.

Cette situation ne pouvait plus durer. Aujourd’hui, il met encore longtemps à


rentrer chez lui. Il va de détour en détour, et il sent une étrange appréhension, une
peur de rentrer dans son home sweet home qu’il avait si longtemps idéalisé.

Il décide alors de partir. Pas d’aller quelque part, juste de partir. Il ne veut plus
retrouver cet environnement qui le dégoûte { présent. Il prend l’autoroute vers l’est.
C’est la direction dans laquelle il est sûr de faire du chemin avant de tomber dans la
mer. Il est à présent à Karlsruhe. Il s’en veut de ne pas avoir emporté quelques
économies, mais au fond, ça lui est bien égal. Il est déj{ content d’être parti.

Bip, bip. Le téléphone portable affiche 5 heures. Jean-Louis a reçu un SMS


provenant du mobile de son épouse : « Chéri, tu rentres tout de suite».

Demi-tour pour Jean-Louis. Direction : Paris.

Quentin Gérard-Coester

59
L’importance de L’œil

Sam et Jeff étaient les meilleurs amis du monde depuis six ans. Ils habitaient
à côté dans une petite ville à cent kilomètres de Thunder Bay dans le Canada
central. Tous les bons moments de leurs vies, ils les ont passés ensemble. Mais
c’était quand Sam et Jeff étaient en troisième qu’un événement les a fortement
marqués.

Mercredi 26 Mai, après les cours, comme tous les autres jours de l’année,
Sam et Jeff se préparaient à rentrer de l’école, une marche de deux kilomètres.
Jeff, comme d’habitude, prenait beaucoup plus de temps pour se préparer que
Sam. Mais, Sam l’aida et après dix minutes ils furent prêts { partir. Sam, { côté
de Jeff, marchait lentement. Sam a dû tenir même la main de Jeff pour traverser
la route principale à cause de la peur que celui-ci avait des voitures.

La plupart des garçons adore les voitures, leur vitesse, leurs couleurs et
leur bruit. Mais Jeff n’était pas comme les autres : le bruit des voitures lui faisait
peur. On ne pouvait pas mettre Jeff dans une voiture, tant il avait peur des
automobiles. C’est pourquoi Sam et Jeff prenaient l’habitude de rentrer de
l’école { pied.

Même si c’était plus rapide de passer par la grande route, Jeff et Sam
rentraient par les petites rues de façon à éviter le plus grand nombre de voitures.

« Ils ont installé une nouvelle bouche d’égout, remarqua Jeff

- Tu es très observateur », complémenta Sam.


Sam et Jeff prenaient le même chemin pour rentrer chez eux chaque jour
mais l’installation d’une nouvelle bouche d’égout plongea Jeff dans une grande
confusion.

« On est où ? demandait Jeff

- Nous sommes juste à côté de la maison des Brandsons maintenant,


répondit Sam
- Ah oui ! D’accord je vois ! Est-ce que nous pouvons passer par la forêt
aujourd’hui au lieu de continuer par cette rue ?
- OK Jeff, si cela te fait plaisir, mais fais attention aux racines quand tu
marches, sinon tu vas tomber »
Jeff adore la forêt canadienne, pour son calme ; il aimait bien le fait qu’on
pouvait entendre tous les sons de la nature : les oiseaux qui chantent, le vent qui
60
siffle dans les arbres et même parfois, au crépuscule, le rugissement des ours.
Les deux amis poursuivent leur chemin par la forêt tout en menant une
conversation animée. Après presque 20 minutes, Jeff constata qu’il ne pouvait
plus entendre le bruit des voitures.

« Tu es sûr qu’on est sur le bon chemin ? demandait Sam

- Offensé, Jeff répliqua : Oui, moi je connais le chemin mieux que toi,
laisse-moi naviguer, toi tu ne connais rien !
- D’accord, on va continuer sur ce chemin, tu as sûrement raison, c’est moi
qui suis confus»
Sam et Jeff continuèrent leur conversation et ce fut seulement après une
autre trentaine de minutes que Jeff remarqua :

« Le chemin par la forêt me sembla très long aujourd’hui »

Cette remarque insulta tellement Sam, qu’il ne lui répondit pas ; les deux
amis marchaient en silence. Jeff entendait le bruissement des feuilles, ce qui
indiquait que Sam était proche, mais il ne le voyait pas. Avec l’absence de bruit,
des souvenirs lointains revenaient à Jeff. Un souvenir de son troisième
anniversaire, qu’il avait oublié lui revint. Il se souvint du gâteau décoré de pâte
d’amandes de toutes les couleurs de l’arc en ciel et du papier d’emballage de ses
cadeaux : violet, rose, bleu, vert… Le lendemain de son anniversaire, Jeff se
souvint qu’il était dans la voiture avec sa mère, puis il y eut l’accident avec le
camion. Après cela, tout dans sa mémoire, devint pur chaos… Jeff eut
l’impression de tomber, il leva ses mains, avant de toucher la terre mouillée de
la forêt.

« Jeff ! Jeff ! Qu’est-ce t’arrive ! C’était la voix de Sam

Jeff, toujours dans les nuages, répondit, quoi, quoi, je ne sais pas !
-
Je crois que tu es tombé sur une racine d’arbre, tu es trop faible.
-
Marche à côté de moi, comme cela tu ne vas pas tomber.
- D’accord, heureusement que je ne me suis pas fait mal, on continue ? »
C’est { ce moment-là que hulula un hibou au-dessus d’eux. Sam leva les
yeux pour tenter de voir l’animal. Soudain, il vit que le ciel était d’une couleur
rouge foncé, une vague panique s’installa, il secoua violemment Jeff { côté de
lui :

« Jeff, il fait presque nuit, je ne crois pas qu’on a pris le bon chemin !
Qu’est-ce qu’on va faire, on est perdu dans une forêt, on n’a presque aucune
chance de s’en sortir, je ne sais même pas où le soleil s’est couché, et comme il y
a des nuages, on n’a aucun repère pour savoir dans quelle direction on doit
61
marcher. On va tous les deux mourir, mangés par les ours avant l’aube,
personne ne nous trouvera. »

À cette phrase Sam tomba sur les genoux et pleura comme un bébé. Il
attendait des mots de consolation de la part de Jeff mais, à son grand
étonnement, Jeff répondit d’un ton autoritaire :

« Tu te tais, pleurer comme cela ne sert absolument à rien, tout le bruit


que tu fais ne va que montrer aux ours notre position, et si un ours nous trouve
on n’aura aucun chance de survivre. Laisse-moi naviguer, tu nous as montré que
tu ne sais absolument pas naviguer, car c’est toi qui nous as fait perdre. »

Les deux amis restèrent en silence pendant quelques instants, puis Sam
murmura:

« Mais toi tu ne peux pas naviguer… »

Jeff mit sa main sur la bouche de Sam de façon { l’empêcher de parler.


Sam savait qu’il ne valait pas la peine d’essayer de le convaincre. Il tenait la main
de Jeff car il ne pouvait plus suivre ses traces, et ensemble ils marchaient
silencieusement dans la forêt. Même si Sam croyait que Jeff connaissait la
direction, ce n’était point le cas. Jeff avait pris une direction quelconque de
façon à essayer de trouver un chemin dans la forêt, mais il ne voulait pas avouer
son manque de connaissances à Sam, car il avait peur de sa panique.

Ce fut après une longue marche, qu’un son extraordinaire força les deux
garçons { s’arrêter : un bruissement de feuilles tout près. Sam, maintenant plein
d’espoir essaya de courir vers le bruit, mais au dernier moment Jeff l’arrêta :

« Qu’est-ce que tu fais, cria Sam, c’est sûrement une personne.

- Est-ce que tu as considéré que c’était le bruissement peut-être d’un


ours ? répondit Jeff d’une voix très bas. Il faut être le plus silencieux
possible et faire semblant d’être mort, c’est ce que j’ai entendu { la
radio. »
À ce moment-là, un rugissement dix fois plus fort que la plus puissante
des voitures secoua la terre, l’ours était très proche. Sam et Jeff allongés sur la
terre tremblaient de peur. Après le rugissement, les deux garçons restèrent dans
cette position pendant presque une heure pendant laquelle les bruissements de
l’ours devinrent de plus en plus sourds et l’air de plus en plus froid. Après un
long moment, Jeff murmura :

« Ah ! Je crois que j’entends quelque chose.


62
- Quoi ! Quoi ! T’entends quoi ? répondit Sam d’une voix inquiète, il y a
un autre ours.
- Chut ! Si tu cries, cela ne va pas nous aider ! dit Jeff, lève-toi et tiens
ma main, je suis sûr que j’ai entendu le bruit d’une moto. »
Vingt minutes de marche passèrent très vite pour les deux amis avec
l’espérance de retrouver la civilisation ; pour la première fois, Jeff et Sam étaient
de bonne humeur. Ils s’arrêtèrent dans une ouverture dans la forêt pour écouter.
Ce fut seulement une trentaine de secondes plus tard que Jeff s’exclama :

« Oui, oui c’est par ici, il y a sans aucun doute une route, maintenant
j’entends clairement le bruit d’un camion.

- Est-ce que tu es sûr, Jeff, parce que moi je n’entends rien ! questionna
Sam.
- Oui, viens, tu me suis ! » répondit Jeff d’un ton responsable.
Ils arrivèrent { une route nationale au bout d’une trentaine de minutes et
Sam informa Jeff :

« On est arrivé à la route nationale près de notre village, laisse moi


naviguer maintenant, puisque je connais cet endroit mieux que toi. Fais
attention puisqu’il n’y a pas de trottoir ; on va devoir marcher au bord de la
route.

- Est-ce que tu arrives à voir le clocher ? Jeff demanda.


- Non il est sûrement caché derrière les arbres à ta gauche, mais je vois
au loin des lumières » répondit Sam
Finalement, à 11 heures 30 du soir, Sam et Jeff arrivèrent à la route où ils
avaient toujours vécu. Ils passèrent d’abord chez Jeff et Sam sonna { la porte,
presque instantanément la mère de Jeff l’ouvrit :

« Jeff, qu’est ce qui est arrivé ? Elle l’embrassa et continua, j’étais très
inquiète et j’ai même appelé { la police. Merci Sam, tu lui as sauvé la vie,
comme il est aveugle j’ai eu peur qu’il ne se soit perdu dans la forêt !

- Non, madame, répondit Sam, ce n’est pas moi que vous devez
remercier car c’est Jeff qui m’a sauvé la vie, il entend des choses que
moi je n’arrive pas { entendre. »

Matthew HAUGHTON

63
L’invisible à l’œil
Pour les vacances d’été, la famille Scott est partie en Australie. Ils ont
prévu de découvrir le désert situé au centre du pays. Ils ont fait le voyage
en voiture, des centaines de kilomètres par jour.
Le jour de leur plus spectaculaire visite est arrivé : la visite de l’Ayers
Rock (‘Uluru’ pour les aborigènes). Ce rocher était célèbre pour sa
gigantesque taille et du fait que c’était un seul morceau.
Le programme de la journée commençait très tôt, à six heures du
matin. A cette heure, l’attraction touristique était le lever de soleil au-
dessus du rocher. Les diverses couleurs de l’Urulu étaient magiques : au
début noir, puis violet, marron, ensuite feu rouge, et finalement sa couleur
normale orange. Se lever tôt, valait le coup: les couleurs ont fasciné les
Scotts.
Ensuite la famille est allée faire un tour autour du rocher, histoire de
voir ce géant de différents angles. Leur tour faisait une dizaine de
kilomètres et ça leur a pris quelques heures à finir. A la fin, tout le monde
était fatigué, sauf Bob le plus jeune des trois enfants qui voulait faire plus:
grimper jusqu’au sommet de l’Urulu.
Cela n’était pas impossible, car une chaine existait, qui montrait le
chemin et qui servait aussi comme assurance. Mais il était fortement
déconseillé de monter parce qu’il y avait déj{ de nombreux accidents
mortels. Les populations locales croyaient en une puissance divine qui
punissait tout le monde qui avait l’intention de grimper cette immense
création de la terre. Il était rare que quelqu’un atteigne le sommet, la
plupart des gens se contentait de monter suffisamment haut pour avoir
une bonne vue sur le désert australien.
Bob n’a pas lâché. Il était tellement sérieux, que son père se mit
d’accord pour monter. Cela leur prit trois heures de monter au sommet.
Soudain, le ciel est devenu noir et des éclairs apparurent. Bob regarda vers
le haut et blitz un éclair le toucha.
Il tomba par terre.
Quand il se réveilla , il remarqua qu’il pouvait devenir invisible quand
il le voulait. Cela changea sa vie.

64
En rentrant d’Australie, il allait commencer sa nouvelle vie. Il décida
de profiter de son « don de devenir invisible » et de faire des bêtises dans
son collège.
Le lendemain c’était le premier jour de l’école après les vacances.
Comme d’habitude, Bob était en retard. Tout le monde était déjà rentré en
classe et la porte était fermée. Alors Bob se décida de passer { l’action ; il
devint invisible. Très lentement, il ouvrit la porte et entra en classe. Les
élèves se tournèrent vers la porte, mais ne le voyaient pas. Le professeur
essaya de continuer la leçon, mais quand elle remarqua que tous les élèves
regardaient la porte, elle leur assura que ce n’était que le vent. Bob ,en
entendant tout cela, décida de fermer la porte. Il attendait le moment où
le professeur allait tourner son dos à la classe pour écrire sur le tableau.
Alors Bob décida de se mettre derrière le professeur pour lui retirer ses
pantalons. Maintenant toute la classe était capable de voir le caleçon
Pikachu du professeur. La classe éclata de rire, quelques élèves tombèrent
de leurs chaises, d’autres crièrent des mots comme : « Pika, Pika »… Le
professeur remonta rapidement son pantalon et sortit de la classe en
larmes. Tout d’un coup, un des élèves se posa la question « Qui avait pu
faire tout cela ? ». La seule réponse était, que ça ne pouvait être qu’un
fantôme, et en suivant la prof, tout le monde s’enfuit de la classe. Bob
éclata de rire, il n’a jamais pensé que devenir invisible pouvait être si drôle
que ça. Il regarda autour dans la classe et se demanda que faire d’autre
pour s’amuser. Ses yeux se fixèrent sur un objet : le cahier des notes !!! Bob
savait qu’il n’était pas un élève brillant - mais qu’il n’était pas idiot non
plus. Il ouvrit le cahier et changea tous ses notes à 20. Ensuite, tout
content de lui-même, il redevint visible et sortit de la classe.
Un peu plus tard il rencontra ses deux meilleurs copains Sam et Fred.
Les deux étaient très excités et lui demandèrent la raison pour laquelle il
avait raté le cours. Bob leur expliqua que son autobus était en retard.
Ensuite ses copains lui expliquèrent qu’il avait manqué le meilleur show
de sa vie avec l’histoire du pantalon du prof. Bob leur assura avoir vu la
scène, mais les copains ne le crurent . Le sujet fut vite oublié…
Pendant l’heure du déjeuner, la conversation entre les amis s’orienta
sur les filles. Tous les jeunes garçons voulaient savoir de quoi parlaient les
filles. De qui étaient-elles amoureuses… Quel sujet { écouter en étant
invisible!!! pensa Bob avec un sourire sur son visage. D’un coup, il proposa
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à ses copains d’écouter la conversation des filles. Les copains étaient
surpris d’entendre cette idée absurde mais voyant le visage très déterminé
de Bob, ils ont vite compris qu’il était sérieux. A la question, comment vas-
tu le faire pour ne pas être aperçu, il leur dit de ne pas s’inquiéter et de le
laisser jouer le jeu. Leur prochaine leçon était EPS, excellente occasion
pour Bob de se transformer en invisible. Il décida de rentrer dans le
vestiaire des filles. Elles étaient en train de se déshabiller et de mettre leur
tenue de sport. Quel spectacle!!! Il resta quelques secondes à les admirer
avec les pieds plantés dans le sol… Puis il leva la tête pour écouter leurs
conversations.
- « Alors Julie, tu rêves toujours de Sam?»
- Non je ne suis plus intéressée par lui, l’autre jour il m’a laissée
tomber en refusant de m’aider avec les devoirs de maths, alors qu’il est le
meilleur en classe. De toute façon, je trouve Robert beaucoup plus
attirant.
Les filles continuèrent ainsi leur conversation et Bob était déçu
qu’elles aient parlé de tous les garçons sauf de lui. Pas un mot. Mais c’est {
ce moment que la plus belle fille avoua qu’elle était amoureuse de Bob et
qu’elle allait lui proposer de sortir ensemble. En entendant ces mots, Bob
fut bouleversé,son cœur commença { battre d’une façon anormale, il
perdit conscience, tomba par terre et redevint invisible. Les filles étaient
surprises { tel point qu’elles poussèrent des cris et fuirent du vestiaire {
toute vitesse. Il tenta de devenir invisible, mais il ne le put ! Le rêve était
fini pour lui. Sans doute n’allait-il pas sortir avec cette jolie fille et en plus
il allait être viré de l’école.
C’est exactement ce qui lui est arrivé, mais au moins il a appris
quelque chose : si tu as une telle opportunité, n’en profite pas, parce que
tu vas être très vite puni.

Peter Schindler

66
La maison de poupées

Dolly ouvrit les yeux et comme elle s’y attendait trouva une
multitude de cadeaux sur sa commode rose. Bien sûr qu’elle se
réjouissait de chaque cadeau qu’on lui offrait mais chaque année
elle attendait avec impatience le cadeau de ses parents.

Il faut dire que Mario et Nette Puppet étaient nés pour adorer
les poupées, plus encore, les poupées étaient leurs déesses et ils les
vénéraient et les aimaient comme si elles étaient leurs enfants.

Dolly s’efforçait de trouver cette maison de poupées dans la


pénombre, en vain. Alors pour en finir de ce suspense qui la faisait
quasiment souffrir, elle ouvrit ses volets et découvrit avec extase sa
maison rose comme sa commode et comme le reste de sa chambre.

Comme chaque année la maison de poupée avait une chambre


de plus. Dolly avait alors 10 ans et la maison également 10 pièces.

Elle s’approcha de la merveille, la palpa avec ses mains moites


et découvrit la splendeur de cette demeure dans laquelle ses poupées
se plairaient sûrement à merveille ! Elle était parfaite: aux fenêtres
étaient accrochés des bacs à fleurs, dans la petite cheminée
flamboyait une allumette et une nouvelle poupée avait été déposée
dans un énorme bain…Tout semblait si paisible, calme et tranquille.

Mais, soudain toute cette idylle fut détruite par un cri


strident et perçant.

Affolée Dolly regarda dans tous les sens quand son regard se
posa sur la petite baignoire dans laquelle quelques secondes
auparavant se baignait une poupée en lisant un magazine.

La poupée semblait avoir disparu et la gamine constata avec


effroi qu’en réalité elle se dissimulait sous l’eau qui s’était
transformée en gigantesque flaque de sang. Dolly remarqua alors
que le magazine de la petite poupée qui s’intitulait « 100 méthodes
de contraception » ressemblait étrangement à la lecture favorite de

67
sa sœur. Elle prit alors la petite poupée dans sa main et la lâcha
aussitôt en poussant un cri d’effroi…Ce visage, ses
pommettes,…Aucun doute cette poupée était censée représenter sa
sœur aînée Muneca.

Affolée, Dolly courut chercher sa mère et elle la trouva dans


la salle de bain où elle fut confrontée à une scène horrible. Sa sœur
Muneca gisait dans la baignoire dans une énorme flaque de sang et
un magazine intitulé « 100 méthodes de contraception » flottait sur
l’eau tout comme dans sa maison de poupée. Dolly voulut crier, se
débattre et pleurer en même temps mais aucun son ne sortit de sa
gorge où se trouvait maintenant une grosse boule d’’angoisse qui
l’’empêchait de respirer.

Peu après, sa sœur Bambola et son père accoururent et en


voyant le corps de Muneca ils poussèrent des cris hystériques.

La police n’avait pas pu trouver la cause de la mort de


Muneca, mais ils exclurent un assassinat et l’affaire fut close.

Le dîner du soir ne fut pas comme d’habitude gai et joyeux


mais sinistre et les blagues ridicules de Mario ne faisaient
qu’empirer la chose. Les taquineries de Muneca au dîner
manquaient déjà à Dolly.

Le mois d’après ne fut pas plus gai. Les parents de Dolly


souffraient encore de la mort de leur fille aînée et ils avaient décidé
que tous les membres de la famille iraient voir un psychologue qui
devait les aider à mieux supporter la perte de cet être cher. Dolly
vit dans ces rendez-vous une merveilleuse occasion pour parler de
ce qu’elle avait vu dans sa maison de poupée ce jour là…
Effectivement, depuis son anniversaire, elle n’avait parlé à
personne de ce qu’elle avait vu craignant que ses parents
n’enragent en entendant de pareilles histoires. Elle s’était contentée
de bannir sa nouvelle maison de poupée dans son armoire et ses
parents ne s’en étaient même pas rendu compte tellement ils
pleuraient leur fille.

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Le psychologue qui ne croyait en aucun cas aux visions de
Dolly lui prescrivit des calmants et lui assura que les petites
poupées dans sa maison n’étaient pas vivantes et qu’il était donc
impossible qu’elles soient responsables de la mort de Muneca.

Après environ cinq mois, la mort de celle-ci semblait lointaine,


et la famille Puppet commençait à reprendre ses habitudes. Les
dîners en familles furent désormais plus joyeux et on riait même
des mauvaises blagues de Mario. Nette et Bambola osèrent
reprendre leur douche dans la salle de bain « maudite » et Dolly
après de nombreuses séances chez le psychologue avait fini par
croire que ses poupées ne pouvaient être responsables de la mort de
sa sœur.

Alors, un jour elle décida de ressortir sa maison de poupée et


lorsqu’elle l’eut dévisagée avec un regard sceptique pendant au
moins dix minutes, elle se mit à jouer, se disant qu’elle avait été
ridicule de laisser cette merveille pourrir dans son armoire et de
faire un rapprochement entre la maison et la mort de sa sœur.

Après un quart d’heure de plaisir avec son cadeau


d’anniversaire, Dolly remarqua qu’elle avait une envie très urgente
d’aller aux toilettes. Elle se dépêcha donc pour ne pas laisser sa
maison de poupée seule. Après tout, elle avait appris tout au long de
sa vie que les sœurs étaient des créatures jalouses et qu’il fallait
juste quelque secondes à Bambola pour lui voler le petit canapé rose
de son cadeau d’anniversaire. Elle revint alors en courant et ce
qu’elle vit était pire que toutes les rivalités entre sœurs.

Deux poupées étaient accrochées aux poutres du grenier de la


maison de poupées. Deux cordes étaient enroulées autour de leur
cou et leurs pieds pendaient dans le vide. C’était horrible, macabre,
presque écœurant ! Le corps de ces deux poupées ressemblait aux
parents de Dolly mais leurs têtes n’avaient rien de visages humains.
Elles semblaient être pourris tellement elles étaient vertes et, dans
les yeux, on pouvait distinguer toutes les petites artères qui avaient
éclaté.

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Instinctivement Dolly se lança dans une course folle pour
essayer d’éviter l’inévitable. Elle s’arrêta néanmoins devant la
porte du grenier espérant que tout n’était qu’illusion et qu’il était
impossible que ses parents soient morts. Ayant très peur de ce qui
l’attendait dans cette chambre, elle essaya de se remémorer les
exercices de détente qu’elle avait faits tellement souvent lors de ses
séances chez le psychologue. Elle essaya aussi de s’expliquer ce
qu’elle avait vu d’une façon rationnelle. Elle descendit alors, sans
avoir omis de jeter un coup d’œil dans le grenier, et elle retourna
dans sa chambre pour reprendre son jeu. Dolly s’expliqua cette
bizarre vision par la peur de ce qu’elle avait vu quelques mois
auparavant. Elle souffrait encore beaucoup de la mort de sa sœur
même si celle-ci n’avait pas toujours été gentille avec elle. Elle
n’avait sûrement pas encore bien assimilé la mort de celle-ci.

Après quelques minutes dans sa chambre, elle ne put


cependant plus résister à la tentation d’aller voir s’il n’y avait
vraiment rien dans le grenier. Elle monta donc sur la pointe des
pieds et poussa lentement la porte qui grinça. Tout d’un coup, elle se
sentit très mal car elle reconnut l’odeur de pourriture qu’elle avait
sentie lorsqu’elle était entrée dans la salle de bain. Elle s’arrêta alors
pour la seconde fois sur le palier de la porte n’osant pas entrer. Elle
s’assit en tailleur et se mit à penser, à réfléchir plus exactement.
Elle pensait que tant qu’elle n’avait pas vu la scène de la maison de
poupée en réalité, il y avait encore une chance que ses parents
soient en vie. Alors elle se posa plein de questions : Depuis quand ces
meurtres avaient-ils commencé ? Elle se rappela la mort de sa
sœur…c’était le jour de son anniversaire…elle s’était réveillé…avait
trouvé son magnifique cadeau…et avait vu quelque chose d’horrible
dans cette maison de poupées…et cette chose horrible s’était
transformée en réalité…

Dolly était maintenant persuadée que c’était cette satanée


maison de poupée qui était la cause de toutes les misères de la
famille. Elle espérait qu’en jetant la maison à la poubelle ou qu’en la
démolissant elle pouvait retrouver ses parents en bonne santé. Bien
sûr qu’il était trop tard pour sa sœur mais Dolly était convaincue
70
qu’elle avait encore une chance de revoir ses parents. Soudain, elle
fut emplie d’espoir et de force. Elle dévalait alors les escaliers et
fonça dans sa chambre pour jeter son cadeau d’anniversaire contre
son mur. Au bout de cinq fois la maison était en charpie. Dolly en
ramassa les débris et les jeta par la fenêtre…si ses parents étaient
vraiment en vie, ils ne se réjouiraient point en voyant l’état de la
maison de poupées. Dolly se sentait soulagé de s’être débarrassée de
cette maison. Elle était maintenant certaine que tout allait
s’arranger. Mais ce qui se produisit dans les minutes suivantes fut
le phénomène le plus inexplicable que Dolly ait jamais vu.

Les débris de la maison se recollèrent petit à petit devant sa


fenêtre. Quand le jouet fut recomposé, il se posa sur le tapis de
Dolly. Mais ce n’est pas la réapparition de la maison de poupée
dans sa chambre qui lui glaça le sang dans ses veines, mais ce
qu’elle y vit à l’intérieur.

Une poupée représentant sa sœur gisait dans la cuisine. Elle


avait été poignardée et son visage était plein de douleur : elle
semblait avoir souffert pendant longtemps. A ce moment là Dolly
ne pouvait qu’espérer que tout n’avait qu’été illusion mais elle
savait bien que c’était impossible.

Dolly se jeta alors sur le sol. Elle commença à pousser un long


cri de détresse et dans la pénombre il lui semblait distinguer une
femme. Elle entendit une voix douce et familière murmurer quelque
chose d’incompréhensible. Soudain elle fut éblouie par une lumière
aveuglante. Était-elle morte ? Était-ce à son tour de quitter ce
monde ? Et qui était cette femme ?...Était-ce possible qu’elle soit
venue pour l’emmener dans le royaume des morts ? Les paroles
inintelligibles de cette créature devinrent de plus en plus
compréhensibles…Elle se rapprochait…

« Dolly que se passe t-il ? Tu es pleine de sueur ! As-tu fait un


mauvais rêve ma chérie ? »

Tout d’un coup le visage de Dolly s’illumina…Cette voix lui


était effectivement familière…c’était la voix de sa mère ! Elle avait

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eu raison d’espérer car tout n’avait été qu’illusion. Devant sa porte
on entendait Muneca crier…d’abord Dolly sursauta mais elle se
calma aussitôt quand elle l’entendit dire à Bambola : « Non mais ça
va pas grosse **** ! Tu m’as encore pris ma brosse ! Combien de fois
dois-je te dire que je ne veux pas de tes cheveux gras dans MA
brosse ! » Dolly se mit à rire de tout son cœur puis voyant le regard
intrigué de sa mère, elle l’enlaça tendrement et se jura de ne plus
jamais embêter ses sœurs.

« Joyeux anniversaire ma Dolly ! » murmura Nette.

Le cauchemar avait complètement perturbé Dolly, au point


qu’elle avait oublié que c’était son anniversaire.

Dolly tourna alors la tête vers sa commode rose à la recherche


d’un cadeau bien précis : la maison de poupée qu’elle recevait
chaque année. Elle se leva donc et trouva la merveille enfouie sous
les cadeaux de ses grands-parents.

Comme chaque année la maison de poupée avait une chambre


de plus. Dolly avait alors 10 ans et la maison également 10 pièces.

Elle s’approcha de son cadeau le palpa de ses mains moites et


découvrit la splendeur de cette demeure dans laquelle ses poupées se
plairaient sûrement à merveille ! Elle était parfaite: aux fenêtres
étaient accrochés des bacs à fleurs, dans la petite cheminée
flamboyait une allumette et une nouvelle poupée avait été déposée
dans un énorme bain…Tout semblait si paisible, calme et tranquille.

Mais soudain toute cette idylle fut détruite par un cri strident
et perçant.

Affolée Dolly regarda dans tous les sens quand son regard se
posa sur la petite baignoire dans laquelle quelques secondes
auparavant se baignait une poupée en lisant un magazine…

Louise Pignet

72
Mémoire - Bonheur ou Malheur?

Il est 1 heure 30 du matin. Dans une chambre d’un hôtel sur le bord de Paris, un
homme est dans le coma. Soudainement, il s’éveille. Une alarme sonne, l’infirmière de
garde accourt pour voir si tout va bien, mais l’homme a de nouveau sombré dans un
coma.

***

Où suis-je ? Tout est flou autour de moi, aucun son ne m’est familier. Une
question plus pressante me vient { l’esprit: qui suis-je ? Je ne possède aucun
souvenir, même pas de mon nom. Ma mémoire a complètement disparu. Au même
moment que cette idée me vient, je sombre dans le néant.

Les journées s’ensuivent, je n‘arrive pas { distinguer les unes des autres. Ma
vision ne s’est pas améliorée et je ne me rappelle toujours de rien. La seule bonne
nouvelle est que je suis conscient de plus en plus longtemps même si je reste
toujours enfermé dans mon corps.

Bonne nouvelle ! Après un temps incalculable je réussi à prononcer mon


premier mot. D’accord, mot est un petit peu fort car c’était plutôt un son, mais c’est
un bon début.

***

Apparemment une semaine s’est écoulée depuis mon accident. Je me suis fait
renverser par une voiture qui ne s’est même pas arrêtée. Ma vue est de nouveau
parfaite et j’arrive { parler. J’ai la jambe gauche cassée, en plus de deux côtes, donc
marcher n’est pas encore à ma portée. J’ai été transféré dans une chambre partagée
avec deux autres hommes depuis que mon état s’est amélioré. L’un a récemment eu
une opération mais je n’en sais pas plus. Il ne m’a parlé que pour me dire son nom :
Alain. En revanche l’autre ne fait que parler. Son nom est Bernard et il m’énerve !
Imaginez devoir rester toute la journée allongé dans un lit d’hôpital pour que
quelqu’un puisse vous raconter sa vie. C’est horrible ! En plus, il a une façon de
parler aux gens comme s’il était totalement supérieur à eux. Par exemple, il nous
raconte toutes ses conquêtes féminines, en prenant le soin de décrire à chaque fois
leur état de mélancolie au moment de leur rupture. Une autre de ces histoires
racontait le jour où une femme âgée lui confia sa maison à vendre (il était vendeur
immobilier), et qu’il en profita pour l’acheter { bas prix. Ces histoires devenaient

73
de plus en plus horribles au point qu’{ la fin de ma première journée à ses côtés,
j’appris { le détester. Il était tout ce que je ne voulais pas être.

Mon meilleur moment durant la semaine fut les visites chez le psy. Je dois y
aller pour qu’on puisse m’aider { retrouver la mémoire mais aussi pour parler de
choses diverses ce qui apparemment m’aidera { analyser ma personnalité. Je ne suis
pas sûr de tout comprendre, mais les séances ne sont pas désagréables et elles me
permettent de m’échapper de ce satané Bernard!

***

Une semaine plus tard on me laisse partir. On avait trouvé dans ma poche un
portefeuille avec 15€ et un ticket de métro non validé, donc je ne suis pas
totalement pauvre pour l’instant. L’hôpital n’a pas réussi { contacter quelqu’un de
ma famille ni un ami. Ils ne doivent pas savoir que j’ai eu un accident. Peut-être
aussi qu’ « ils » n’existent pas et que je n’ai pas d’ami. De toute façon je ne m’en
souviens plus et donc je suis tout seul pour l‘instant. A ce moment précis je dois
plutôt me concentrer sur le fait que j’ai une vie { reconstruire. Première étape :
sortir de cet abominable enfer stérile!

Quel froid ! Je ne me souvenais plus qu‘il pouvait faire aussi froid ! Je suis
dehors, dans l’air frais d’un jour de janvier { Paris. Pendant quelques instants
j’observe cette ville qui semble être tout à fait nouvelle pour moi, avant de partir
vers la station de métro qu’on m’a indiquée à l’hôpital. Heureusement que les
consignes qu’on m’a données pour rentrer chez moi sont très détaillées et me
permettent de trouver mon chemin dans le grand labyrinthe souterrain du métro.

Je suis dans le métro, en train de réfléchir à mes deux dernières semaines,


quand, { l’arrêt précédent le mien, une femme, { la couleur de peau noire, d’une
quarantaine d’années, monte dans le train. Soudain, j’ai un flash-back. Je me vois. Je
suis dans un train. Une femme s’approche de moi. Elle est d’origine africaine. Je dis
quelque chose que je n’entends pas. Une dispute éclate entre la femme et moi. Je
crache sur elle avant de m’en aller. Je reviens au présent, essoufflé et en sueur après
ce que j’ai vu. Tout s’est passé tellement rapidement. Le train s’arrête, les portes
s’ouvrent, et c’est seulement { ce moment que je remarque que la femme que je fixe
depuis tout { l’heure me regarde aussi. Je détourne mon regard et m’empresse de
sortir du train.

Mon appartement se situe au second étage. Il est petit et ne possède qu’une


seule chambre. Je fais la visite de mon appartement à la recherche de photos
pouvant me montrer un peu de ma vie passée. Je ne trouve qu’une seule photo :
celle d’une assez belle femme blonde. Je me retrouve encore dans un de mes flash-
back! Je suis dans mon appartement avec la femme. Elle est en colère mais je ne sais
74
pas pourquoi. Quelques secondes plus tard je découvre que c’est { cause de moi! Elle
me gifle! Retour dans le présent. Encore une fois je sue et je suis à bout de souffle. Je
ne comprends plus rien. Étais-je tellement différent avant? J’essaye d’oublier mes
soucis en me tournant vers le gros paquet de lettres que j’ai reçues pendant mon
absence.

Les lettres ne m’aident pas vraiment { me distraire. En fait, elles aggravent


les choses car je découvre que je n’ai pas payé l’électricité et EDF risque de ma la
couper. On dirait que je n’avais pas de boulot dans ma vie passée ! Quelle misérable
journée !

Je sors de mon appartement. Je n’en peux plus ! Je me promène dans la rue


sans savoir où je vais, { la recherche d’un emploi.

Alors l{ je n’en crois plus mes yeux. Ma journée, que je croyais ne pouvoir
que s’améliorer s’est encore détériorée. Effectivement, { chaque endroit où je suis
allé pour essayer de trouver un petit boulot, je me suis fait violemment rejeter sans
la moindre raison. Je commence à sombrer dans le désespoir. Étais-je tellement
mauvais avant, qu’aujourd’hui je ne puis même pas rentrer dans un magasin?

Je navigue dans la ville sans vrai but, quand soudain un journal emporté par
le vent vient me frapper en plein dans le visage. Énervé, je l’arrache de mon visage
et au moment où je m’apprête { le jeter, je remarque une photo de moi. Le titre dit
« Homme le plus détesté de Paris » suivi d’un texte résumant toutes les
abominations que j’ai commises. Quel choc ! Je m’en doutais depuis que j’avais tous
ses flash-back, mais le voir écrit dans un journal pour que tout le monde puisse le
voir… Je suis bouche bée !

C’est { ce moment précis que j’entends le bruit d’une voiture. Je lève la tête,
je vois une voiture rouge se diriger droit sur moi sans s’arrêter. Je suis pétrifié. Le
temps semble ralentir. Le visage du chauffeur m’apparaît clairement : c’est la
femme blonde de mon flash-back. Non, le visage a changé: maintenant c’est la
femme africaine du train. Les visages s’enchaînent ensuite, chacun ayant l’air
déterminé et rempli de haine. Le temps reprend son cours normal. La voiture me
heurte, tout est noir mais je ne ressens pas de douleur. Je comprends maintenant
que j’ai survécu au premier accident pour pouvoir me repentir de mes péchés.

Samuel Denton-Thompson

75
Mémoire effacée.
- J’aurais bien commencé par des présentations, si je le pouvais. Je ne
connais plus ni mon nom, ni mon prénom, ni ma date de naissance. Je devine
que je dois avoir dans les vingt-cinq ans d’après ma taille et mon physique,
mais je ne sais même pas si je suis marié. Surtout, je commence à me lasser de
cet hôpital, qui rendrait fou { force d’être enfermé dans une petite salle toute
blanche.

-Je me demande bien si un jour je sortirai de là, mais où irais-je alors ? J’ai
l’impression d’être un extra-terrestre atterri d’une comète, puisque personne
ne semble connaître mon origine. Là est le problème ; personne ne sait d’où je
viens, ni où je vais d’ailleurs. Je me demande si un jour quelqu’un viendrait par
miracle me révéler mon identité, mais je n’y crois plus… J’ai envie de dormir,
dormons.

Soudain, sur le fond étoilé des étoiles se détache une traînée lumineuse,
rouge-orangée, puis plusieurs traînées suivent. Ensuite, on entend, on voit un
flash lumineux du côté du centre ville, et une énorme explosion, rouge, jaune
et verte. Le centre ville est détruit, et les blessés se comptent par centaines.

Panique dans l’hôpital. On lui dit qu’il faut sortir : il faut laisser la place
aux blessés. Il n’est plus prioritaire, on lui donne simplement une carte, avec
quelques numéros de téléphone, et une cinquantaine d’euros, puis on le met {
la porte.

-Je ne sais que penser, j’étais dans le doute, et me voil{ maintenant livré à
moi-même dans une ville détruite par un objet tombé du ciel et que je ne
connaissais pas de toutes manières. Maintenant, c’est l’intuition qui prime. Je
vois l’arrêt de bus { droite, des ambulances se précipiter devant moi, derrière
moi. Je prendrais bien le métro, { ma gauche. J’achète donc un billet, et je
m’engouffre dans le tunnel pour aller vers le centre ville. Pourquoi le centre
ville ? C’est le dernier des endroits où l’on irait après un tel évènement, mais je
sens une force irrépressible m’attirer vers l{ bas. Enfin sinon, où irais-je ?

Le métro accélère, puis ralentit, s’arrête, repart, ré-accélère, re-ralentit,


puis il sort. Il se dirige vers la sortie, dans le sens contraire du flot humain qui
se précipite chez soi. Une fois arrivé dehors, le chaos règne en maître. Plus
76
aucune voiture ne bouge, les rues sont bloquées par la foule, les camions de
pompiers et les voitures de police. Cependant, il semble se diriger à contresens
de la foule vers l’épicentre de l’explosion.

-J’ai l’impression de ne plus contrôler mes actes : ce que je fais est


totalement contre ma raison, mais cette force incontestable, devenant de plus
en plus forte, m’entraîne vers le foyer de l’explosion comme si j’étais attiré par
un aimant. Enfin me voilà, devant une pierre dans un trou dans le sol. Voilà la
raison de l’explosion ! Il s’agit d’une météorite, mais pas anodine : sur le flanc je
distingue très nettement un signe qui semble être un carré inscrit dans un
cercle, qui me semble étrangement familier. Voilà déjà une chose qui ne me
semble pas totalement étrangère ! Et je connais exactement l’endroit où je l’ai
déjà vu : sur ma hanche gauche.

En effet, il portait sur sa hanche gauche un signe auquel ni les médecins ni


les anthropologues n’avaient pu donner de sens. Ils avaient donc conclu qu’il
s’agissait probablement d’une simple cicatrice ou d’un signe d’une ethnie
mystérieuse.

-J’aperçois une autre personne, de l’autre côté du cratère, qui ne semble


pas fuir non plus, mais au contraire, s’approcher de la météorite. J’ai
l’impression qu’elle me ressemble, malgré les nombreuses différences entre
nous deux : on est différent au premier abord, mais en y regardant de plus près,
nous avons la même forme d’yeux, mais surtout… elle a aussi la marque.

-Un feu s’allume en moi, qui m’éclaire, qui me réchauffe. Mon identité me
semble à portée de main, je saurai enfin mon passé, ce trou dans mon cerveau
va se remplir. Mais au fur et { mesure que je m’approche, la peur m’envahit.
J’arrive au point presque d’être déchiré entre cette force qui m’attire et la peur
qui me repousse, je suis bloqué.

La femme s’approche doucement de l’homme, qui tremble de plus en plus


fort. Tout { coup, il pousse un cri assourdissant et s’enfuit { toute jambe.

-Je ne comprends pas pourquoi, mais je suis en train de courir à toutes


jambes { travers la ville. J’étais sur le point de tout savoir, mais une peur
effroyable m’a pris. Ce visage je le connais trop bien, me dit mon cerveau, mais
je ne sais pas qui c’est. Ou enfin, si. Pour moi, c’est la mort incarnée. C’est
pourquoi j’ai fui.
77
-Maintenant que je suis fixé sur l’identité de la personne, il faut que je me
calme. Il faut que je réfléchisse rationnellement, posément, sans panique.
D’abord, il faut que j’en apprenne plus sur moi-même, il faut donc que je
retourne { la météorite, en espérant qu’elle ne m’y attend pas.

Il retourne donc vers le vaisseau, en prenant soin de le contourner et


d’arriver par derrière. En arrivant, il aperçoit la femme et se cache donc
derrière un pan de mur détruit.

-Je ne sais pas si mon plan fonctionnera. Il me semble sur ses gardes,
même s’il semble rêver. Mais je vais devoir me risquer { aller chercher ce qu’il
me faut dans la météorite, si je veux en savoir plus sur lui et moi. Avançons.

Il contourne les immeubles en ruines, et s’approche de la météorite. La


femme ne semble pas s’en apercevoir, il continue donc { s’avancer. Il soulève
alors la météorite, et aperçoit des documents, mais à ce moment là, une alarme
stridente retentit, et révèle immédiatement sa présence. La femme fait volte-
face et se précipite sur l’homme, qui prend la fuite { toutes jambes, tout en
emportant les documents sous la météorite.

-ça ne semble pas avoir très bien marché, mais j’ai quand même les
papiers. C’est ce qui compte. Cependant, il faut que je me dépêche, puisqu’elle
semble me rattraper. Je ne cours pas assez vite, je vais me faire prendre !

Cependant, la femme, arrivée à une vingtaine de mètres, sort un étrange


stylo, sur lequel on distingue deux boutons. Elle appuie sur les boutons en
suivant une étrange séquence, puis, soudain, les documents deviennent
poussière et disparaissent.

-Je ne comprends pas, mais les papiers que je tenais dans ma main se sont
évaporés. Ensuite, j’ai aperçu un flash lumineux derrière moi, et j’ai cru voir la
femme s’envoler dans une capsule. Enfin peu importe, au même moment, j’ai
tout de suite acquis une connaissance hors du commun, et surtout, je sais que
j’habite Rue de la République.

Wenda Zhou

78
L’œil révélateur

Alice JUNE était une fille comme les autres et avait une vie
monotone. Le lycée l’occupait beaucoup. Cette jeune fille de 15 ans avait de
gros yeux verts où l’on pouvait voir se refléter le monde entier. Ses
cheveux d’un noir sombre brillaient à la lumière du soleil et tombaient sur
ses petites épaules. Sa petite sœur, Manon, avait 9 ans et comme toutes
les petites sœurs, elle l’embêtait souvent. Alice passait ses journées
entières au lycée et à la sortie, elle voyait des amis avant de rentrer pour
faire ses devoirs. Elle aimait sortir comme tous les jeunes et souvent ses
parents la grondaient car elle ne travaillait pas assez. À part cela, c’était
une famille heureuse avec des problèmes, oui, mais comme tout le monde.

Alice rentrait à pied de l’école car sa maison n’était pas loin mais elle
devait traverser un parc qui, à la sortie, s’assombrissait à cause de la nuit
tombant vite. Ce parc rempli de fleurs et d’arbres ainsi que d’oiseaux était
un endroit calme et joyeux où les problèmes disparaissaient ainsi que les
malheurs de la vie.

Un soir, pendant qu’Alice traversait le parc toute seule, un passant la


bouscula. Cet homme était mystérieux et sa capuche lui couvrait toute une
partie du visage mais l’on pouvait seulement voir une chose : son œil. Cette
partie qui était découverte la marqua profondément et elle croyait l’avoir
déjà vue. Le contact fit retourner les deux personnes qui se fixèrent
longuement. Cet instant infini liait cet homme à Alice. Quand le regard fut
brisé, ils reprirent chacun leur chemin en ne laissant aucun mot s’échapper.
Continuant la route, la jeune fille repensait à cet instant tellement long qui
la terrifia car elle l’avait déjà vu mais elle ne se rappelait plus où. Cet œil
la tourmentait mais ce n’était que le fruit de son imagination. Rentrée chez
elle, elle ne dit rien à sa mère de ce qui s’était passé et monta dans sa
chambre pour, bien sûr, faire ses devoirs.

Le soir, elle rêva de l’œil et de choses effrayantes. Elle se réveilla


donc en sursaut et eut l’impression, le sentiment que l’homme mystérieux
79
et elle- même avaient eu un lien étroit ; mais elle ne savait pas comment
demander à sa mère des explications. Toutes les nuits, se répétait le même
rituel affreux qui troublait le sommeil de la pauvre fille.

Un jour, regardant sa sœur qui jouait à côté d’elle, Alice eut l’envie
de tout lui raconter et d’obtenir ainsi un conseil. En réfléchissant, elle
décida de lui confier ce secret et lui raconta toute l’histoire. Alice parlait
et parlait et sa petite sœur Manon écoutait attentivement en demandant
quelquefois des détails plus précis. Quand elle eut terminé, elle sentit un
soulagement profond et se sentit libérée enfin de cet œil qui la poursuivait
dans les rêves. Elle décida de sortir un peu pour oublier cet épisode mais
quand elle rentra chez elle, sa mère lui posa des questions. Elle comprit
que sa petite sœur avait tout dit à leur mère et soudain, elle fut prise
d’une rage intérieure. En évitant quelques questions, elle monta dans sa
chambre avec l’excuse que ses devoirs l’attendaient. Le soir, elle descendit
pour prendre un verre d’eau mais elle s’arrêta au milieu des escaliers car
elle vit ses parents parler. Elle attendit un peu et elle entendit ce qu’ils
disaient.

-« Il faut le lui dire, George » dit sa mère.

-« Non, le moment n’est pas encore venu. Elle ne pourrait pas encore
comprendre et il faut donc attendre encore un peu. »

-« Mais elle l’a vu… elle va s’en douter » finit par ajouter la mère.

Après cette conversation, ses parents allèrent se coucher et Alice


put se diriger vers la cuisine. Elle était surprise et ne savait que faire. Ses
parents lui mentaient et elle ne savait rien de toute cette histoire. Elle
avait eu donc le juste pressentiment de connaître le passant mais alors il
devait avoir un lien avec elle. La jeune fille voulait savoir et le seul moyen
était d’aller demander à quelqu’un. Mais qui ?

Le lendemain matin, Alice devait comme d’habitude aller à l’école. Sa


journée était ennuyeuse et tout d’un coup elle eut un flash. A la sortie,
elle décida de rendre visite à sa grand-mère qu’elle ne voyait pas depuis
longtemps. C’était une vieille femme qui avait perdu son mari d’une maladie
80
grave et depuis, elle était devenue solitaire. Elle avait seulement 25 chats
qui lui tenaient compagnie et pour elle, ils étaient sa seule et unique
famille. Quand Alice sonna à la porte, sa grand-mère fut surprise de la
voir. Sa famille ne venait presque jamais la voir car elle était considérée
comme une vieille folle qui restait renfermée chez elle mais Alice devait
absolument connaître la vérité.

-« Alice ??? Est-ce bien toi ? Qu’est-ce que tu as grandi ma petite!


Qu’est-ce qui t’amène ici ? », demanda la grand-mère très surprise de sa
visite.

-« Je suis venue te rendre visite car je ne viens presque jamais… »,


répondit Alice.

La grand-mère la fit entrer dans la maison et la fit asseoir sur son


canapé rempli de chats. Emue, elle ne savait que dire et cette visite lui
faisait comprendre que sa nièce cachait un secret. Comme toutes les
grand-mères, elle alla dans la cuisine prendre des gâteaux et les offrit à la
jeune fille.

-« Prends quelques gâteaux mon petit poussin. Tu as vraiment


beaucoup grandi… cela fait bien longtemps que tu ne viens pas me voir. Et…
tes parents où sont-ils ? », dit la grand-mère très curieuse de savoir ce qui
l’avait amené.

-« Merci beaucoup…Mes parents ne savent pas que je suis venue…j’ai


voulu venir te voir mais…ne leur dis rien, je t’en prie. » J’étais angoissée.

-« Tu as des problèmes ? Tu peux le dire à ta grand-mère…que veux-


tu savoir ? Puis-je t’aider ? », dit la grand-mère inquiète.

-« Non ce n’est rien…je voulais juste… », répondit Alice.

Soudain, un bruit fit tourner les deux personnes. Ce n’était qu’un des
chats qui avait fait tomber une photographie sur une table de chevet.
Alice se leva pour remettre la photo à sa place et quand elle s’approcha, le
chat la fixait comme s’il voulait dire quelque chose. Elle prit le cadre dans
ses mains et quand elle le retourna, une chose la surprit. Son regard se
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posa sur l’œil d’un enfant et tout de suite, un flash lui passa dans la tête.
Cet œil était celui du passant. D’un coup, son regard s’assombrit et elle
sentait sa vie s’écrouler. Elle avait donc un lien avec cet homme mais alors,
pourquoi n’avait-il rien dit lors de la rencontre ? S’il la connaissait,
pourquoi ne l’avait-il pas saluée ? Des milliers de questions se mélangeaient
dans sa tête et elle avait l’impression qu’elle allait exploser. Cette jeune
fille sentait son cœur s’effondrer et elle ne savait plus quoi faire. Son
esprit était rempli de confusion et la seule chose qu’elle dit fut « Qui est-
ce ? ». Sa grand-mère qui l’observait depuis quelques minutes, comprit
qu’une chose étrange troublait sa petite fille.

-« Qu’y a-t-il ma chérie ? Quelque chose ne va pas ? » dit la grand-


mère.

-« Je t’en prie, qui sont ces deux enfants ? » dit-elle en insistant.

-« Celui à gauche est, comme tu vois, ton père et celui de droite ton
oncle, donc son frère. Regarde-les comme ils sont jeunes. Des années se
sont écoulées déjà… ».

Elle comprit donc que cet homme était son oncle. Mais la chose
étrange était qu’elle ne se souvenait pas de l’avoir vu et donc elle ne l’avait
jamais rencontré et pourtant, dans le parc, elle avait eu une forte
intuition. Pourquoi donc n’avait-il rien dit si c’était son oncle ?

-« Est-ce que je l’ai déjà vu ? » questionna-t-il afin d’obtenir des


réponses plus précises.

-« Oui, je crois que tu l’as déjà vu mais tu étais si jeune que tu ne te


souviens plus. Mais maintenant il se fait tard et je crois qu’il vaudrait
mieux que tu rentres chez toi. ».

Ce furent ces dernières paroles avant de la quitter et Alice comprit


que sa grand-mère lui cachait quelque chose de vraiment important.

Rentrée chez elle, la jeune fille alla voir le bureau sans se faire voir
de sa mère qui était dans la cuisine. Regardant dans les tiroirs, elle essaya
d’ouvrir le dernier mais il était fermé à clé. Soudain, elle se rappela que
82
son père gardait une clé dans le tiroir de sa commode; alors elle alla dans
la chambre de ses parents voir si ce qu’elle pensait était vrai. Quand elle
ouvrit le tiroir, Alice trouva la clé et se précipita pour voir le contenu
secret. Au milieu des objets, la jeune fille trouva un papier qui était un
certificat de naissance. Ce certificat était le sien et quand elle lut le bout
de papier, elle eut un coup au cœur. Le nom de son père était bien juste
mais celui de sa mère était un autre. Elle ne comprenait pas et ne voulait
comprendre. Cela voulait donc dire que sa mère n’était pas sa vraie mère.
Mais alors, qui était sa mère biologique? Pourquoi l’avait- elle abandonnée
avec son père? Où était-elle partie? À ce moment, elle décida de demander
des explications à ses parents.

Pendant ce temps, le passant qu’avait vu dans la rue Alice alla rendre


visite à la grand-mère de la jeune fille. Quand la vieille femme ouvrit la
porte, elle resta pétrifiée.

-« Que fais-tu ici ? » dit la femme.

-« Où est mon frère ? » interrompit l’homme.

-« Tu t’es évadé de la prison…je ne vais rien te dire… ».

La femme allait refermer la porte quand subitement le passant la


poussa pour entrer. La vieille courut vers la cuisine pour prendre le
téléphone mais l’homme lui prit les bras et la menaça. Il voulait savoir où
se trouvaient son frère et sa femme. Ne pouvant s’opposer à la force de
l’homme, elle lui dit tout. L’homme la laissa donc et sortit en frappant
violemment la porte.

De son côté, Alice alla demander des explications à ses parents. Les
deux parents se regardèrent et décidèrent que le moment était venu de lui
dire la vérité. Ils allèrent dans le salon et s’assirent.

-« Bon, c’est dur de te le dire mais tu dois connaître la vérité. » dit


le père.

-« Je ne suis pas ta vraie mère. » avoua la femme.

83
-« Mais alors qui est ma mère ? » dit Alice.

-« On va t’expliquer. Ta mère était mariée avec mon frère, donc ton


oncle. Mais un jour, elle a eu un bébé qui malheureusement était le mien et
non celui de ton oncle. Ce bébé c’est toi. Ta mère et moi sommes donc tes
vrais parents. Mais quand mon frère a découvert la trahison, il a commis un
horrible geste qui a coûté la vie de ta mère. Il l’a massacrée sans aucune
pitié et il était enragé. Alors, il a été condamné à 30 ans de prison et
pendant ce temps, tu m’as été confiée. Il n’a jamais réussi à s’évader
jusqu’à aujourd’hui et j’ai bien peur qu’il veuille te faire du mal. » expliqua
le père.

Alice ne pouvait respirer. Elle n’y croyait pas car, pour elle, ce ne
pouvait être vrai. Sa mère avait donc été massacrée et son oncle voulait se
venger. Pendant la conversation, la jeune fille aperçut une silhouette par la
fenêtre et elle crut voir l’œil du passant. Elle pensait rêver et continua à
écouter son père.

-« Je suis vraiment désolé de te le dire comme ça… maintenant. » dit


le père.

Soudain, quelqu’un sonna à la porte. L’homme se leva et alla voir qui


cela pouvait bien être. Alice était assise sur un fauteuil où elle pouvait voir
la porte de l’entrée. Quand le père ouvrit, Alice vit un revolver et un bruit
assourdissant brisa le silence. Ce bruit fut la dernière chose qu’on
entendit.

BANG.

Martine Palma

84
L’œil traître.

Il n’y a pas de nuages, le mauvais temps n’existe


pas, ni le beau temps d’ailleurs. Néanmoins
l’humidité, la grêle, la pluie, le vent, la
sécheresse sont reconnus par Lucie mieux qu’aucune
autre personne. Il n’y a pas de couleurs. Ni le noir,
ni le blanc, le vert ou le bleu. Le vrai monde tel
qu’il est n’existe pas pour elle, ni le bien et ni le
mal. La terre est pleine d'arômes de toutes sortes,
chaque chose ayant sa propre odeur. Lucie peut tout
reconnaître par son odeur. Son ouïe, son odorat et
son toucher sont extrêmement développés.

Depuis sa naissance, Lucie est aveugle. Chester,


son labrador est son unique ami. Il la guide et la
protège depuis 16 ans maintenant.

Lucie ne sait pas à quoi elle ressemble et cela


la déstabilise. De temps en temps, elle palpe son
visage et son corps pour en avoir une idée, en
attendant avec impatience, un don improbable
d’organe. Elle sait qu’elle a un nez petit et pointu,
les lèvres grassouillettes et de longs cils. «Tu es
belle» lui dit souvent sa mère. Mais elle ne la croit
pas. Ou bien elle ne veut pas la croire. Elle entend
toujours parler de beauté autour d’elle, et ne
comprend pas comment quelqu'un voudrait être ainsi.
Tant de jalousie, tant de problèmes et de tristesse
rien que pour une simple apparence éphémère. Lucie en
a assez d’être considérée comme différente, assez de
ne pas aller au lycée et de devoir travailler à la
maison, de ne pas avoir un groupe d’amis, et de ne
pas avoir d’amoureux pour savoir ce qu’est un baiser
doux sur ses lèvres.

Pour combler ce vide, Lucie marche pendant des


heures dans le parc près de sa maison avec Chester.
Elle joue avec lui, elle court à ses côtés en le
85
tenant le plus fermement possible. Une fois fatiguée,
elle s’allonge sur l’herbe et lui parle de tout et de
rien, en espérant qu’il puisse la comprendre.

Un jour en rentrant d’une de ces longues marches,


la journée banale de Lucie devint soudain la
meilleure de sa vie. «Lucie! Lucie! Viens dans le
salon!» s’écria son père avec joie. Un cadeau? Un
invité particulier? «L’hôpital a téléphoné, ils ont
un donneur d’organe !» Lucie ne savait pas quoi dire,
elle commença à pleurer de joie, sa vie allait
finalement changer!

Elle était allongée, immobile, faible, sur le lit


blanc immaculé de l’hôpital. Elle devait garder un
bandage pour protéger ses yeux greffés encore
fragiles, et enlever une couche chaque semaine. Lucie
attendait impatiemment, il n’y avait pas un seul jour
où elle n’espérait pas pouvoir retirer ce satané
bandage qui lui collait aux tempes, pour qu’elle
puisse finalement voir la lumière du jour.
Lucie n’avait aucun mot pour décrire ce qu’elle
ressentait. À présent il ne restait qu’une fine
couche de lin léger et transparent qui couvrait ses
yeux. Elle devra le garder pendant un mois pour
habituer ses yeux à la lumière, mais elle était
libre de traverser la ville sans cane, sans avoir
peur, maintenant elle pouvait voir le monde!

Les jours s’écoulaient, et la jeune femme avait


appris à voir le monde tel qu'il était. Elle avait
beaucoup pleuré, de joie et de tristesse, elle ne
comprenait pas tellement le monde qui l'entourait.
Elle apprenait, chaque jour, de nouvelles choses qui
n'existaient pas du tout dans le monde imaginaire
qu'elle avait conçu pendant toutes ces années. Elle
avait vu un cygne protéger son petit dans le grand
lac, un homme sans maison qui s'allongeait par terre,
sans force, regardé avec dédain par les passants, une

86
femme frappée par son mari, deux adolescents main
dans la main, riant dans la rue, une grand-mère toute
seule sur un banc regardant le ciel, une mère avec
sa fille dans ses bras, inséparables ; elle avait vu
des arbres, des rues, le parc, sa maison, tel qu'ils
étaient. Lucie était déçue, triste: rien n'était
aussi beau qu’elle l'avait imaginé.

Lucie était allongée sur son lit. Son visage


était paisible .Ses yeux étaient fermés, immobiles.
Elle ne bougeait pas. Elle ne respirait pas. Lucie
était morte. La multitude de médicaments sur sa table
de chevet formaient un arc-en-ciel de couleurs
sombres. «Le monde n'est pas fait pour moi» étaient
les mots écrits sur un petit morceau de papier.

* * *

«Viens dans le salon Carla! Nous avons de


superbes nouvelles à te dire !» s'écrièrent les
parents de Carla en chœur. « On a une donneuse
d'organe, une certaine Lucie! Tu pourras finalement
voir!»
Une autre fille sera enlevée de son monde
parfait, pour être brutalement confrontée à la vie.

FIN

SCLAPARI Charlotte

87
Opportunité du Crépuscule

Il faisait froid ce jour là, et les feuilles mortes étaient givrées. Keiva
marchait, le menton bien enfoncé dans son écharpe. Elle était { l’aise dans
cette forêt qu’elle connaissait si bien. Cette fois, elle n’était pas venue admirer
les arbres, ni prendre des photos; quelque chose la tracassait et il fallait
qu’elle y voie plus clair. Elle n’avait pas eu le temps, cette année l{, de ralentir
pour profiter de la vie comme elle l’avait fait les autres années. C’était donc le
bon moment pour respirer à fond et remettre ses idées et son esprit
désorienté en place.

Au fond d’elle-même, elle sentait un mécanisme, lourd et inéluctable


se mettre en route. C’était comme au départ d’une rando, quand on prend
petit { petit le rythme de marche qui permettra d’aller très loin. Ce
mécanisme, elle le savait, conduirait enfin à un arrachement profond, et
malgré ses faibles efforts pour se cacher la vérité, elle savait bien plus que
quiconque qu’il lui faudrait quitter ses amies.

Elles avaient été solidement soudées toutes les quatre, ces deux
dernières années, et chaque instant avait été un vrai régal, un puits de
bonheur et de joie qui permettait de se rendre compte de l’importance des
vrais amis. Elles avaient été au collège ensemble, dans la même classe. Pour
Keiva, le collège Karmen Sheryl était son collège de quartier, mais ses trois
amies étaient là dans une branche externe du Lycée International. Elle les
avait toujours un peu enviées pour leur chance de parler anglais
couramment. L{ où c’était le plus dur, c’était que cette année, Keiva s’était
retrouvée seule dans un nouveau lycée, et que les trois filles étaient allées au
lycée inter. Elles étaient toutes très occupées avec le travail de seconde, et
même quand Keiva avait enfin un moment à partager avec ses meilleures
amies, celles-ci continuaient à se démener, car après tout, leur lycée était
plus exigeant. Ceci avait petit à petit amené un ralentissement dans leur
amitié si précieuse. Elles se disaient toujours, évidemment, que ce n’était pas
grave, et que leur amitié surmonterait facilement ces moments difficiles.
C’était sans prendre en compte le déménagement soudain qui était prévu.

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Un mois plus tôt, l’entreprise du père de Keiva avait fait une
proposition : Le meilleur manager de l’année gagnait l’occasion d’envoyer ses
enfants dans une nouvelle école américaine à Dubaï qui venait d’ouvrir en
partenariat avec cette entreprise. C’était une excellente école, qui allait vite se
faire un nom dans le monde scolaire. On peut imaginer combien le père de
Keiva avait été au comble de la fierté et du bonheur en apprenant qu’il avait
été désigné pour offrir cette opportunité à sa fille bien aimée. Mais pour elle,
c’était venu comme un choc. Keiva ne pouvait s’empêcher d’avoir le cœur
déchiré en deux : d’une part la joie de son père et de la nouvelle vie qui
l’attendait ; d’autre part, ses amies, sa vie, et ses projets.

***

Elle leur avait annoncé la nouvelle un après-midi de Novembre :

Lila était assise sur le lit en mezzanine, comme à son habitude dans la
chambre de Keiva. Jay était dans le ‘pouf’, et Sonia assise sur un oreiller avec
le dos contre le mur. La chambre était chaude et accueillante, et Jack Johnson
jouait sa musique dans le fond. On pouvait entendre Jay chantonner avec la
musique, relax et réfléchie, comme elle l’était toujours. Une bouteille de
grenadine était posée par terre, et les cookies brûlés, fruits d’un après midi de
travail, étaient restés abandonnés à côté. Keiva avait les trois visages anxieux
de ses amies tournés vers elle, elle expliqua en détails la situation. Un silence
bref après les explications fut suivi de trois « oh nooon, Keivaaa ! Mais on
t’aime nous, c’est pas possible ça. » Elle resta là les regardant avec un sourire
triste, leur chagrin lui réchauffait pourtant le cœur. Puis Lila dit : « Mais, il
me semble que ton père avait entendu parler de cette offre depuis quelque
temps non ? On aurait pu s’en douter un peu. Et puis, ça doit lui faire
vachement plaisir de pouvoir t’offrir ça, même si c’est nul pour nous. » Keiva
hocha la tête tristement et dit :

-Oui c’est vrai, c’est ça le pire : c’est qu’il est si heureux que moi aussi je
suis fière de lui, mais c’est impossible pour moi de partir maintenant, quand
je suis heureuse ici.

-Ca doit lui faire très plaisir, parce que c’est quand même une école très
réputée, d’après ce que tu nous as dit, expliqua Lila.

-Sans oublier que même pour lui, c’est cool d’être nommé meilleur
manager,ajouta Jay en se redressant dans le ‘pouf’.
89
-J’avoue…

-Mais bon, c’est sûr que pour toi, pour nous, c’est…non! Ce n’est pas
possible,conclut Lila. »

Elles se turent un moment, et Jack Johnson dit :

“And I don’t even make a sound ‘cuz

It’s gonna sting me when I leave this town

And all the people in the street

That I’ll never get to meet

These tracks don’t bent somehow

And I got no time ‘cuz I got to get

To where I don’t need to be”

C’était exactement ce qu’elle ressentait { ce moment l{, elle n’avait pas


besoin d’aller où elle serait arrachée de ses amies. Pourtant, les chemins ne se
plient pas { notre bon vouloir, et c’est ce qui l’obligeait à suivre le sien malgré
les méandres. Alors elle restait silencieuse. C’est le lien proche entre les
paroles de la chanson et ses propres sentiments qui lui permettraient de s’en
souvenir même des années plus tard.

« Et puis tu sais quoi ? » reprit Jay, « t’as tellement de chance de partir,


même si ça fait mal de le dire. Nous pour parler anglais, on est bien parti
aussi. Maintenant c’est { ton tour, les rôles s’inversent. C’est la vie qui nous
réserve des surprises.

- Sérieux, regarde-moi, le nombre de fois où on se plaint de la France,


du travail débile, des parisiens relous, du temps moche… Dubaï quoi ! Mais je
t’envie tellement ! Le temps que tu auras là-bas, tu seras bronzée et
magnifique» dit Lila avec un sourire, « c’est nous qu’on devrait plaindre, dire
qu’on reste dans cette galère. Qu’on restera toutes pâles et moches et…

-Pff, Lila, genre que tu peux parler d’être moche. » Lila était une des
filles les plus mignonnes du lycée. « Et puis de toute façon faut que vous
veniez me voir !

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-Les filles, on est trop triste de devoir se séparer de Niuna, mais ça ne
veut pas dire qu’on sera plus amies, qu’on sera plus ce qu’on est quoi. Enfin il
ne faut pas non plus faire comme si on ne se reverra jamais. Keiva t’as de la
famille en France, tu reviendras, et en plus y’a facebook donc franchement on
ne perdra pas cette amitié. Ce n’est pas possible, hein ? On est les Fantastic
Four!»

C’était la première chose que disait Sonia, et elles étaient toutes


d’accord. Elles avaient passé tellement de moments toutes les quatre, chez les
unes et les autres comme cela, des petits skwats merveilleux, à St Germain, à
Paris, sans parler des récrés du collège. Elles avaient tout fait pour garder
toujours les souvenirs, pour que même après 10, 20, 70 ans, elles puissent
regarder les photos, les lettres, les livres, écouter leurs chansons fétiches…et
que les souvenirs reviennent les emplir de joie. (Comme elles aimaient le
dire, c’était la génération photo, la génération des souvenirs sous forme
concrète, que ce soit facebook ou autre.)

Elles souriaient toutes à ces paroles, et Jay se leva mettre Leur


Chanson. C’était la chanson qui semblait leur appartenir, et elles l’écoutaient
toujours en pensant à la chance que représentent les amies. Keiva se sentait
faible de tristesse, mais son cœur se réchauffait. Jay était l{, { son côté,
comme toujours. Elle lui fit un de ces câlins qui veulent tout dire. Puis elles
étaient toutes les quatre là, ensemble dans les situations difficiles, comme
elles l’avaient toujours été. A ce moment l{, rien ne pourrait jamais mal aller,
la force qu’elles lui prêtaient lui permettrait d’aller au bout du monde. C’est
le cas de le dire.

***

Les larmes étaient venues toutes seules au souvenir de ces instants


précieux et fragiles. Le crépuscule était apparu discrètement, mais il faisait
assez sombre pour que les petites branches soient moins visibles, et Keiva en
reçut une dans l’œil, ce qui évidemment n’arrangea pas les affaires. Elle rit de
frustration, c’était tout de même ironique. Elle visualisait assez bien ce { quoi
elle devait ressembler à ce moment précis : une fille, les cheveux sombres
comme de l’ébène, pleurant à chaudes larmes, riant en même temps, au
milieu de la forêt, hors des chemins. Ce portrait d’elle-même la fit rire encore
un peu, mais pas longtemps, car son humeur retomba à la pensée de ce qui
l’attendait. Elle rentrerait sûrement chez elle pour en discuter avec ses
91
parents, et de nouveau elle se retrouverait devant un mur impénétrable de
complications, avec la peur d’éclater en sanglots { n’importe quel moment.

Le déménagement serait compliqué, et elle devrait affronter des


problèmes certes moins importants du point de vue émotionnel que de
quitter ses amies, mais plus matériels. Elle avait déjà énuméré les avantages
de Dubaï par rapport { Paris, et s’était vite rendu compte qu’elle n’arrivait pas
à prendre les bons cotés de Dubaï au sérieux. Les moindres détails qui la
liaient avec Paris semblaient prendre une ampleur exagérée, mais elle n’y
pouvait rien. Elle savait bien qu’elle se plairait l{-bas, (d’ailleurs tout son
entourage le lui rappelait) mais elle aurait un mal fou avant que la blessure
du départ ne cicatrise.

Toujours les mêmes questions revenaient : « Et si je me retrouve dans


cette école avec une multitude de jeunes ultra riches et que je ne peux pas
supporter ça? Et si on ne peut pas financer des retours réguliers en France, et
que je dois passer mes étés là-bas? Surtout, et si ce n’est qu’une illusion de
dire que je pourrais rester proche de mes amies à distance? »

« Impossible d’y répondre, alors le temps nous montrera tout cela, se


disait-elle. Je dois juste y mettre toute ma bonne volonté, et espérer. Tout ira
bien. »

Au retour, en passant au-dessus de la colline, et en regardant au loin le


haut des arbres, elle se sentit enfin soulagée. Quelque chose venait de
changer, de faire un déclic. Son esprit n’était plus autant brouillé. Malgré les
moments durs inévitables { venir, elle sentait qu’elle était enfin prête { partir.
C’était la première fois, depuis l’annonce, qu’elle arrivait { regarder sa ville
natale sans pincements au cœur. Elle respirait profondément, enfin.

Manon Knoertzer

92
Par la fenêtre

- Bah alors, Lucie ? Voil{ qu’on espionne les gens par la fenêtre
maintenant ? Ah vraiment, je vous jure, quelle sans-gêne cette mamie
Lucie !

Martin. La trentaine passée, mais qui en faisait plutôt quarante, avec


sa paupière droite toujours affaissée et le regard de quelqu’un qui aurait
déj{ trop vécu. D’une mine faussement contrariée, il observait sa grand-
mère. Elle eut un petit sourire espiègle et se tassa dans son fauteuil comme
une gamine. Elle se piquait toujours à ce jeu. Un rituel d’après-sieste
qu’elle ne manquait jamais.

C’était vrai, elle adorait regarder par la fenêtre. Toute cette vie qui
s’animait sur le pavé parisien, tandis qu’elle se sentait mourir un peu plus
chaque jour depuis ce samedi-là. A travers le théâtre de la rue qui se jouait
sous sa fenêtre, elle se sentait revivre sa propre vie. Et, oubliant le présent,
elle plongeait dans sa mémoire, revivant ses souvenirs.

Assise dans son fauteuil, la vieille regardait dehors. Des histoires qui
se tissaient et s’effilochaient, des sentiments qui tournaient en boucle
comme sortis d’une boite { musique. La rue qui déroulait son écharpe
tricotée d’or et de boue.

Deux gosses passèrent en courant, des brioches joufflues à la main,


avec la mine de compères qui auraient réussi leur coup.

Il tendait { la jeune femme une brioche. Elle le regarda, l’œil


interrogateur.

- volée.

- ah…

- je…

- merci.

Ils baissèrent la tête. Elle releva le regard vers lui. Ils se mirent à rire,
gênés.
93
Une jeune femme passa, au bras d’un homme. Une belle jeune
femme, aux bras bruns qui frissonnaient sous la brise d’avril. Et un beau
jeune homme, au sourire de mannequin, aux petites dents blanches bien
alignées. Ils s’arrêtèrent sous la fenêtre, se regardèrent.

Ils s’étaient regardés, eux aussi. Elle sentait encore ce regard empli
d’ombres qui se posait sur elle. Toujours beau parleur, il lui avait tout de
suite plu.

Un homme d’âge mûr passa. Lunettes noires, veste noire, chaussures


noires.

Elle était assise aux bancs de l’église, le clapotement de la pluie


résonnait dans sa tête. Perdue. Le silence engloutissant le chant funèbre de
l’orgue et les vers latins du curé.

Une fillette passa en trottinant, un sourire de bonne élève se


dessinait sur ses lèvres, le vent fouettait son visage blanc.

Elle était dans une salle d’attente, blanche, étriquée, assise sur le bord
d’un fauteuil de velours usé, où bien d’autres personnes avant elle avaient dû
s’asseoir et s’inquiéter. La porte s’ouvrit enfin. Elle se leva aussitôt, portant
un regard plein d’espoir vers l’infirmière qui venait d’apparaître. « Il… » Mais
en apercevant la tête baissée de l’infirmière, elle se tut, hocha la tête. Elle
avait compris. Depuis peu, il se plaignait de douleurs dans les poumons.

Une grande dame brune au visage anguleux passa. Elle se maquillait


et se regardait dans un miroir de poche, où son visage dansait au rythme
de ses pas.

Sa tête tournait, la solitude la rongeait. Elle voyait son propre reflet se


répéter par milliers autour d’elle. Il lui sembla chanceler, tournoyer, dans
une tentative désespérée pour échapper à son propre vide.

Un attroupement de femmes arriva, s’esclaffant, gorges déployées.


Des sacs portant les enseignes des grandes boutiques parisiennes se
balançaient à leurs poignets. Toute vêtues de manteaux en fourrure, elles
s’observaient, dans une sorte de concours pour savoir qui serait la plus
belle.

94
- Mais enfin, arrête ! Je t’assure que je ne regardais pas cette fille !

- ben voyons !

- en plus tu es bien plus belle qu’elle !

- Vu comme ça… j’accepte tes excuses.

- Mais je ne me suis même pas excusé !

- Ah ? De toute façon peu importe. Je te pardonne si tu me payes ce


café !

- Bon… allez d’accord. Je vais régler l’addition de ce pas.

Un vieillard passa, des cheveux gris comme un ciel d’orage se collant


peureusement à son crâne sous un vent dont le rire résonnait maintenant
dans toute la ville.

Son visage usé par le temps prenait les teintes grises d’un cadavre.

Elle contempla le visage du défunt dans son cercueil. Et crut voir,


encore, sous ses paupières clauses, son regard empli d’ombres qui s’était
posé sur elle tant de fois. Elle s’agenouilla, prit sa main.

- Dors, je te rejoindrai.

La vieille Lucie était assise dans son fauteuil, la tête inclinée sur son
épaule, les paupières clauses, la peau froide, un sourire aux lèvres, à côté
de la fenêtre.

Elise Guignard

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« Quand j’avais treize ans, mon père est mort. »

Il avait un petit avion avec lequel il volait toutes les fins de semaine.
Un dimanche, il est parti et n’est jamais revenu. Je crois que la disparition
de ce père l’a plus bouleversée que ne pouvait se l’imaginer sa mère.

Elle ne côtoyait plus les gens de son âge, elle vivait dans une bulle
hermétique où rien ne l’atteignait plus. Devant son mutisme, sa mère prit
un rendez-vous chez le médecin. Celui-ci lui prescrivit des
antidépresseurs. Le problème était qu’{ la suite d’un temps qu’il jugea
suffisant, il aurait fallu qu’elle arrête totalement son traitement. Elle
essaya, mais au bout d’une semaine, elle avait des vertiges, elle se sentait
mal, elle avait l’impression de tomber au fond d’un gouffre aux parois sans
fin. Je sais que c’était psychologique mais elle n’y pouvait rien. Alors, un
après-midi où sa mère faisait des courses, elle finit la dernière rangée de la
boîte d’antidépresseurs qui restait, comme ça. Oh, elle n’a pas tout avalé
d’un coup : petit { petit, mais si régulièrement qu’avant le retour de sa
mère, la boîte était vide. Toute la nuit, elle ressentit une béatitude
extrême. Ses soucis s’étaient envolés tels des papillons.

Les mois qui suivirent la rapprochèrent un peu plus du fond du


gouffre qui la faisait tant souffrir depuis la mort de son père. Elle inventait
toutes sortes de stratégies pour que sa mère ne s’aperçoive pas de sa bien
suspecte consommation. La mère n’était pas difficile { berner, un mari
disparu n’avait pu que l’affaiblir, de plus elle avait toujours été naïve et peu
perspicace. En voyant que sa fille était plus tranquille et moralement
sereine, elle était ravie. Les résultats scolaires en perpétuelle baisse
n’inquiétaient pas trop sa mère qui avait toujours eu un tempérament
artistique et pensait que la vocation de sa fille lui apparaîtrait un jour ou
l’autre. Cette baisse s’expliquait par le fait qu’après avoir avalé ses cachets,
elle n’était plus bonne { rien et elle parcourait toute la ville afin de ne pas
fréquenter les mêmes pharmacies. De toute façon, au bout de quelques
temps, elles n’acceptèrent plus le fait qu’elle n’avait pas d’ordonnance.
Tout son argent de poche y passait, une partie de l’argent des courses
aussi. Elle commença à commander par internet : elle y trouvait des
96
revendeurs de toutes sortes sachant où chercher. Les colis arrivaient
souvent avec du retard et il devenait difficile de tout cacher à sa pauvre
mère. Un jour où elle ressentait des états de manque en cours d’Histoire,
un garçon de sa classe lui murmura :

« - Toi, tu n’as pas eu ta dose ! Si t’as l’argent, attends-moi à la


sortie. »

Elle savait qu’il existait un trafic de drogue dans son collège, mais on
ne le lui avait jamais proposé directement. Elle était si désespérée qu’elle
l’attendit { la sortie. Elle paya et il lui montra comment sniffer la dose. A
cette époque, se transpercer la peau avec une aiguille la rebutait et elle
était encore consciente des risques qu’elle prenait. Voici comment,
d’illusion en illusion, elle devint purement et simplement une droguée.

Une année après, elle consommait chaque jour et le dealer était


devenu son petit copain. Vous vous demandez comment elle pouvait
s’offrir toute cette came ? Le dealer l’aidait mais elle devait faire le trottoir
certains soirs. L’école, elle ne connaissait plus ce mot. Sa mère lui disait
après les cours d’informations sur la sexualité où sa fille n’était pas allée :

« - Demande-moi pour la pilule quand tu en auras besoin. Enfin, ce


n’est pas pour tout de suite, ils les font trop tôt ces réunions
d’informations maintenant ! »

A ce stade, elle pouvait encore poser des conditions : elle n’acceptait


que les clients qui mettaient des préservatifs et qui payaient bien. Ce fut
même dans les bras d’un vieillard qu’elle perdit sa virginité. Ce premier
client fut celui qui la paya le moins : les jeunes dans le métier sont faciles à
duper. Ses soirées ? Dehors sur la banquette arrière d’une voiture : « Je vais
dormir chez une copine maman ! » ou en train de fumer un joint et de
boire. Sous l’effet de la drogue et de la compagnie du garçon, elle faisait
n’importe quoi. Derrière une façade, se cachait un écran de fumée.

Les fruits véreux ont souvent les plus belles apparences. Sa mère ne
se doutait de rien et quand elle trouva une seringue sous le lit de sa fille, il
était déjà trop tard. Elle lui parla :

« - Chérie, tu peux m’expliquer d’où vient cette seringue ? »


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Sa fille voulut lui faire croire que c’était un ami qui lui avait
demandé de la garder.

Le ton montait :

« - Tu ne sors plus de cette maison sans m’avoir dit où tu vas, chez


qui, et quand tu rentres ! Je vais t’envoyer dans un centre de
désintoxication moi ! »

Sans que sa mère puisse la retenir, elle claqua la porte et courut chez
le dealer, où une autre mauvaise nouvelle l’attendait. C’était encore une
enfant, dont le corps devenait celui d’une femme marquée par le poison.
Elle avait une beauté singulière, un visage osseux, mais des yeux d’un bleu
si profond, que même la drogue ne pouvait changer. Les hommes en
manque d’amour, se repaissaient de ce bleu quand elle se blottissait contre
eux. Sa chevelure, devenue terne, comme ses ongles cassants, ne
parvenaient plus à dissimuler sa vraie nature. Elle aurait tout fait pour
quelques grammes de paradis, absolument tout. Sa fierté n’existait plus…

Quand elle le vit, il pleurait, lui qui devait la protéger, ce à quoi il


avait depuis bien longtemps échoué. Le chef du réseau, le seul de l’affaire
qui était clean et faisait des bénéfices, l’avait déchu de ses fonctions. Un
dealer se doit de ne pas trop consommer, le jeune homme se piquait avec
presque tout ce qu’il devait vendre. C’était bel et bien un junkie, faisant
partie de ceux qui vendraient leur mère et tueraient leur meilleur ami
pour une dose. Ils n’avaient rien pour se consoler, l’amour d’antan avait
disparu et seule la dépendance les reliait. Elle ne trouva qu’une chose {
faire. Elle ne posait plus de condition, d’autres jeunes étaient arrivées alors
qu’elle était devenue une camée.

Après cinq clients, elle eut de quoi se payer deux bonnes doses. Dans
un élan de prévoyance qui ne lui était pas coutumier, le jeune homme lui
laissa un paquet de poudre blanche à partager pour le lendemain.
Tremblants d’excitation, de désir, ils se piquèrent mutuellement. Elle,
dans sa chair jaunie, aussi fine que du parchemin. Lui, dans sa chair de
vieille femme, piquetée de taches violettes, souvenirs d’anciennes piqûres.
S’embrassant dans un baiser de mort, dont un seul en réchapperait, ils
vagabondèrent dans les rues { trois heures du matin. C’était beau, le ciel
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teinté de vert, la lune grimaçante qui les regardait. Les immeubles se
tordaient, les fenêtres étaient des yeux et les portes des gueules grandes
ouvertes prêtes à les dévorer. Le froid les prenait pareil à mille aiguilles qui
leur transperçaient la peau, puis, aussi vite qu’il était arrivé, c’était la
chaleur qui les submergeait. Torride, écrasante. Le pavé se distordait pour
former des grains de sable tourbillonnants. Une tempête de sable ! Ils
étaient pris, enveloppées, perdus à jamais. Qui viendrait les chercher dans
ce vent des sables auxquels seuls les Touaregs savent résister ? Et tout à
coup, on était en face d’un lac : des centaines de grues s’envolaient, toutes
ensembles, commençant un long périple vers le soleil. Ah, la tête leur
tournait tant ils étaient saisis ! Ce n’était pas donné { tout le monde
d’observer un tel spectacle ! Ils se sentaient légers, légers, débarrassés de
tout lien avec la réalité. Ils s’envolaient vers un monde magique, peuplé de
nymphes, là où la boisson coule à flots. Ils le sentaient, une odeur sucrée,
suave, le touchait, du bout des doigts. Un bruit sourd comme une charge
d’éléphants lancés { toute allure, un cri d’horreur, une chape de plomb, un
écran noir et plus rien.

Un œil entrouvert, elle voyait sa main posée au-dessus du drap


blanc. Une main reliée à une poche remplie de liquide par des perfusions.
Avec un peu de concentration elle arriva à faire bouger son petit doigt. Ses
jambes la faisaient terriblement souffrir. Bouger ses yeux lui paraissait un
effort intense, elle jeta un coup d’œil dans la salle où elle se trouvait. Après
une rapide analyse de la situation, elle comprit qu’elle était dans un
hôpital. Un vieil homme couché respirait bruyamment dans le lit à côté
d’elle. Il semblait mal en point, elle se demanda si elle était dans un état
proche du sien. A droite, personne dans le lit, mais où était-il enfin ? Elle
appela faiblement une infirmière qui passait par là. Celle-ci s’approcha, lui
dit de se taire et de se reposer. D’après son regard dédaigneux, la malade
put deviner ce que l’infirmière pensait d’elle : cette droguée ne mérite pas
sa place ici alors que d’honnêtes gens attendent leur tour dehors. Mais,
rien à faire pour la faire taire, la droguée voulait savoir où il était.

- Qui donc ? lui demanda l’infirmière.

- Mon ami, réussit à articuler la fille.

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- Ah, répondit l’infirmière rougissante, il n’a pas eu autant de chance
que vous ! Mais si vous continuez ainsi, vous finirez de la même façon,
continua-t-elle. »

Elle n’eut pas le temps de demander de plus amples informations car


l’infirmière était partie brusquement. C’était quand même étrange cette
histoire, pourquoi personne ne voulait lui raconter ce qui s’était passé ?
Tout ce qu’elle avait compris c’est que son misérable ami avait plus de
séquelles qu’elle. C’est { ce moment l{, quand elle était plongée dans ses
pensées, que sa mère entra.

- Mon cœur ! Tu vas bien ? s’écria sa mère.

-…

- Est-ce qu’on t’a dit ? demanda-t-elle.

- Non, et je voudrais bien savoir ! Qu’est-ce qui lui est arrivé ?


rétorqua la fille.

- Tu ne te rappelles donc rien ? S’étonna sa mère.

- Non ! S’exclama-t-elle.

- Tu as eu un accident. Oh, je me sens si coupable, je n’aurais pas dû


te laisser partir dans cet état ! J’aurais aussi dû me rendre compte avant de
tes problèmes, je suis une si mauvaise mère ! Drogués, vous êtes allés sur
une voie ferrée… Le train est arrivé, et il s’est jeté sur toi pour te
pousser…Tu ne le reverras plus, chérie.

- Il…il m’a sauvé ?

En prononçant ses paroles, elle vit la pancarte du service :


« Amputations ». Tout lui parut clair comme de l’eau de roche, elle
regarda ses jambes… A partir du genou, pas de bosse sous le drap. A
quinze ans, sa vie était finie. La seule chose qu’elle parvint { faire fut de
regarder dans la poche de son manteau qu’on ne lui avait pas pris : le
sachet de came était toujours l{…

Pauline Vaskou

100
Quand la réalité n’est qu’une illusion.

Marie Martin avait un ami très particulier. D’ailleurs elle ne le


considérait même plus comme un ami mais plutôt comme un frère. La
mère de Marie l’avait accueilli lorsqu’il avait déj{ un an car il était { vendre
dans une brocante en Afrique. Il faisait maintenant partie de la famille
Martin. Sa particularité était qu’il savait toujours tout sur tout le monde. Il
se souvenait même comment il était et de chaque détail très précisément
d’il y a quinze ans ; donc { sa naissance, c’était plutôt extraordinaire… ! Il
se souvenait par exemple du jour où il était tombé pour la première fois de
sa vie. C’était lorsqu’il avait cinq ans ; la mère de Marie l’avait dans les
bras, elle voulait descendre les escaliers, mais elle trébucha sur le cordon
électrique de la télé. C’était une grosse chute, mais heureusement, il
n’avait rien. C’était assez spécial car il n’avait pas de prénom, alors Marie
et sa famille décidèrent de l’appeler Dior. Il avait rarement de gros
problèmes. Sauf un, un qui le hantait depuis sa naissance à la tombée de la
nuit. (Saufs quelques soirs exceptionnels) A ce moment-là, Dior ne savait
plus rien et il oubliait tout. Ses amis et sa famille le savaient, donc, ce
n’était pas vraiment un problème, car de toute façon, dès que le soleil se
levait, sa mémoire revenait…

Des jours, des mois et des années passèrent, les amis de Dior
changèrent, grandissaient mais lui restait identique. Un jour d’été, Marie
oublia de fermer la fenêtre de sa chambre, alors que Dior y dormait. Elle
sortit avec ses copines, puis subitement, un horrible orage éclata. Les
éclairs fusaient dans le ciel, la pluie fouettait la ville et le vent faisait
trembler les gratte-ciels. Quand Marie rentra chez elle, elle retrouva sa
chambre inondée jusqu’aux chevilles et son bureau en morceaux car le
vent en avait emporté la moitié. Et, devant elle, par terre, était Dior mort.
Elle s’écroula et se mit { pleurer… Il lui avait coûté tellement cher… En
même temps, qui avait dit que les ordinateurs ne craignaient pas l’eau… ?
(Ordi dit en verlans dior.)

Mégane Odin

101
Quatorze Printemps
Chapitre I.

L’aube se lève. La rosée humide éclatante sur ces longs prés verts
s’évapore sous cette chaleur accablante. Un homme chauve se balade le long des
sentiers forestiers. Il boite. C’est un campagnard. Il possède une humble ferme {
deux kilomètres de la forêt ; plus au nord. Deux hectares de clôtures et champs
le long de la Vienne en Poitou-Charentes lui appartiennent avec quelques
bovins et chèvres.

Il avait eu une fille fort jolie typiquement française aux cheveux châtains
clairs aux reflets d’or. Quelques petites tâches de rousseurs garnissaient son
visage la rendant, comment dire ? A croquer ! Elle portait souvent une petite
jupe { l’ancienne tissée { la main, rouge { carreaux, et un foulard entourait ses
cheveux. Ses yeux d’un vert foncé profond impressionnaient par leur beauté. On
les disait divins, dérobés à sa patronne sainte Bénédicte. La légende raconte
qu’elle les avait volés à son mari par vengeance, puis elle fût canonisée par le
Pape Urbain IV. Sainte ? Je n’ai jamais compris pourquoi. La vérité c’est que je
ne me la suis jamais demandée. Les choses étant dites la question a toujours été
d’où cette charmante gamine les avait volés ? Son père, le boiteux, était borgne ;
cependant l’autre globe oculaire était marron enchâssé tel une vipère prête {
mordre et { empoisonner sa proie. C’était pourtant un homme fort agréable,
mais la nature en avait décidé ainsi. D’ailleurs le Boiteux proclamait que la
nature ne se trompait jamais et qu’il y avait toujours un pourquoi du comment.
Drôle d’idée lorsqu’on sait que dans cette pauvre famille tous naissent avec des
tares : le grand-père manchot, la tante démente, l’oncle alcoolique et le père
boiteux et borgne. Peut-être qu’après que le père ait accumulé deux tares, la fille
en était sortie apparemment intacte de ces hérédités douteuses. Son frère, lui,
gâté par la nature quitta ce monde sourd à la naissance.

Inhumé ou enterré ? On s’en moque, pourtant cela nourrit les ragots du


village. Lorsque les personnes d’un certain âge, gâteux, jouent aux dominos de
quoi parlent-ils ? Ne croyez personne si l’on vous raconte que de travaux et de
femmes ! Ils sont retraités et ne parlent plus de femmes car ils ont passé l’âge !

Quant à sa mère, personne ne la connaît. Elle naquit dans des contrées


lointaines du sud de la France. « Les pyrréeneux » disaient-ils pour se moquer

102
de leurs accents. Là-bas, ils héritent tous le marron des montagnes et le blanc de
la neige. C’est naturel après tout !

Cette fille incarnait l’ange.

Chapitre II.

Son père la maria jeune. Quatorze printemps avec mon fils, un robuste
garçon de treize ans. Un « bout de chou », cela m’a permis d’unir nos terres et
d’enfin produire du lait car dans la famille, on produit du blé depuis des siècles.
Au XVème siècle un de mes ancêtres servait le comte de Poitou-Charentes.
« Une fierté » qui animait souvent les dîners et la soupe aux marrons lorsqu’on
les invitait.

Ils semblaient heureux au point qu’après deux semaines elle tomba


enceinte. Grand-père à 28ans ! C’est magnifique ! Un de plus dans les champs !
Me disais-je. Mais non…

Il mourut deux semaines après que l’heureuse nouvelle soit annoncée. Les
bruits et rumeurs circulaient !

« Elle l’a tué ! », « Son mari la battait à coup de fourche ! ». Bref, des
ignares, ils ne savent rien. Pour eux, un mari éduque sa femme, la bat. Elle,
cuisine, nettoie, fait des enfants, se soumet et se doit de faire bonne impression.
Actuellement, on désignerait de tels comportements de « machistes et
démodés ». Cependant, { l’époque, cela paraissait normal voire monotone, une
routine parmi d’autres. Mais ils avaient oublié la famille…

Il se trouve que son père, un homme fortement influant dans les contrées
n’était pas innocent. Pourtant il s’en lava les mains tel un ouvrier après une
longue journée de besogne se décrasse le bras et nia toute culpabilité. « C’est la
tare de la famille qui ressort » disait-t-il d’une voix hypocrite. Le juge, convaincu
ou acheté, l’acquitta. Ce qui m’a toujours dérangé, c’est que le juge était endetté
mais envers lui. L’enquête que nous avions menée n’avait rien donné.
L’autopsie ? Haha ! Une blague. Son corps ? Brûlé ? Logiquement non, c’est un
bébé.

Son père (celui de la famille) l’empoisonnait. Donc la fille cessa de vivre.


Je me rappelle le jour où je vis une pilule malencontreusement tomber dans la
soupe de carottes. Un crime ! C’est une recette de famille. Un peu de curry, des

103
carottes, des amandes, et du fromage. Un régal ! Le préfet en était amoureux de
ce petit gant voluptueux qui lui conférait une texture unique. Ni trop pâteuse ni
trop liquide. Avant ce meurtre lui et moi buvions souvent un coup par-ci par-là
dans un bar ou deux. « Un petit Martini et la pèche pour la journée ! » disait-il,
puis il rentrait dans sa belle limousine, la seule du coin. 290 chevaux, double
suspension arrière, forme aérodynamique sportive, GPS intégré. Elle passait de 0
{ 120 km/h en 10 secondes dans des conditions normales optimales. Je n’ai
jamais su par quel miracle elle fut saccagée puis volée. Bon, en même temps,
préfet des verts avec une voiture consommant trois fois plus d’énergie ça se
comprend, c’est comme un pompier pyromane ou un homme politique
respectant ses engagements ! Un ami comique, « Nous allons créer des emplois
pour aider les plus démunis. » disait-il alors il ouvrit une boutique Emmaüs avec
des « employés » bénévoles parce que sinon ce n’est pas aider mais acheter le
client. Son sens de l’humour riche nourrissait son pauvre esprit consommateur.

Pourquoi ne buvons-nous plus de verres ensemble ? C’est une histoire de


chèques et d’arrangements. Ainsi il nous quitta pour une province plus
dynamique, « l’Île de France. »

Bref, ne nous éloignons pas trop du sujet.

Sa fille mourut après d’atroces souffrances. L’autopsie ne révéla aucun


poison. Cela est normal, ce poison neurotosaïque, le curare, est indétectable
sans recherche scientifique poussée. Il est extrait d’une grenouille d’Amérique
du sud : le dendrobate. Il se dissout facilement dans le sang et les muscles. En
fait, la protéine paralyse, le venin stoppe la respiration cellulaire et tue l’être
vivant par asphyxie. Les américains en garnissaient leurs fléchettes et tuaient
leurs ennemis d’un seul souffle dans leurs sarbacanes mesurant deux mètres,
fabriqués en canne { sucre. Bref… Son père connaissait vaguement ses propriétés
chimiques. Donc sa fille fut enterrée à côté de tous ses proches. Son père, atteint
de folie, en tua un deuxième. Il parut devant le juge et fut acquitté.

Le soir se couche, le crépuscule gagne sur le jour. L’homme passe au


cimetière. Puis il se dit d’une voix rauque telle une feuille sèche crispée par la
sécheresse et le froid « Le seul témoin…haha… Tu ne m’as pas eu ! Mais… Moi
oui !! ». L’homme cracha sur ma tombe et partit en ricanant. Ce n’était qu’une
illusion.

Xavier Vol
104
Le soir du solstice d'hiver

L'homme se baladait dans un parc le soir du solstice d'hiver. Il faisait


très beau, ce soir-là, et le lac sur lequel donnait le parc avait une couleur
bleue sombre avec des reflets argentés. Ce lac, en le regardant, donnait des
frissons. Le personnage s'assit sur un banc, face à l'eau, et attendit avec
impatience le coucher du soleil. Tout d'un coup, le ciel devint rouge pâle
et violet : le CRÉPUSCULE approchait. Le ciel, quoiqu'infiniment élégant,
semblait menaçant. C'était d'une beauté incomparable, et l'image, pour
sûr, resterait gravée à jamais dans l'esprit de l'homme qui contemplait
avec passion. C'était une fin d'après-midi plutôt calme, et le personnage se
délecta le plus possible du magnifique coucher de soleil. Il était tout seul
dans ce parc. Il regarda sa montre : elle indiquait 18 heures. « Il est encore
tôt ! » pensa l'homme. Sa femme lui avait demandé de rentrer vers 20
heures pour un dîner en famille. L'homme se leva du banc avec un léger
sourire aux lèvres.

Dès que le dernier rayon de lumière eut disparu derrière l'horizon,


les éléments se déchaînèrent brusquement. Le vent souffla en rafales, si
bien que les dernières feuilles qui restaient aux arbres se détachèrent et
volèrent au loin, emportées par le souffle du vent. Le ciel se couvrit, et la
clarté de la lune et des étoiles n'éclairaient plus le parc. De plus, les
lampadaires du parc, étant très anciens, ne fonctionnaient plus depuis une
éternité. Il faisait nuit noire. L'homme marchait avec difficulté, car il ne
voyait pas plus loin que le bout de son nez. Le lac frémit. D'immenses
vagues s'écrasèrent sur le sable doux et fin qui entourait celui-ci. Il fit un
froid glacial tout d'un coup, et le personnage frissonna de tout son corps.
Les grilles du parc, sûrement poussées par un coup de vent, se refermèrent
bruyamment, ce qui fit sursauter l'homme. Il se sentit pris au piège. La
puissance du vent redoubla, et une bourrasque arracha ses lunettes, et ce
dernier se retrouva à genoux pour tenter de les retrouver, car sans ses
lunettes, il était comme aveugle. Le vent rentrait dans les yeux du
personnage. Il souffrait énormément, car étant à même le sol, des éclats de
verre s'enfonçaient dans ses mains et de petits gravillons meurtrissaient
105
ses genoux. Les ombres des arbres grandirent, et le personnage fut plongé
dans l'obscurité la plus complète. Le clocher se trouvant non loin du parc
sonna 8 fois. « Déjà 20 heures ? Si je ne me dépêche pas, je vais arriver en
retard au dîner ! », pensa l'homme.

En lui se mêlaient des sentiments de peur, de colère, d'impatience et


de rage. Il n'en pouvait plus. Il était comme enfermé dans ce gigantesque
parc, et à force de marcher à l'aveuglette, il se sentait perdu, abandonné de
tous, au milieu des arbres, du froid, des ombres et des feuilles. D'un coup,
il sentit une présence derrière lui. Il avait la ferme intuition que quelque
chose ou quelqu'un était en train de le suivre, de l'observer. D'abord, il
pensa qu'il était en train de rêver. « J'hallucine, je sais très bien que le
monde n'est pas peuplé de créatures fantastiques ou de démons ! », se
disait l'homme. Mais à chaque fois qu'il faisait un pas, il frissonnait, si bien
qu'il se décida à se retourner, pour calmer sa peur. Quand il verrait qu'il
n'y avait rien derrière lui, il se calmerait sûrement ! Alors, brusquement, il
se retourna. Et ce qu'il vit le fit sursauter plus que tout au monde. Il voyait,
à environ 15 mètres de lui, deux points orange dans l'ombre des arbres. Les
deux points étaient en fait des yeux. L'homme étouffa un cri, et il était
tellement pétrifié par ces yeux, qu'il ne pouvait plus bouger un seul de ses
membres. Alors, lentement, les yeux se rapprochaient du personnage, et le
chat se frotta doucement au pantalon de l'homme. Il était rassuré. « Un
chat ! J'ai fait tout ce cirque pour un simple chat ! Il faut vraiment que je
me calme. Cela ne me réussit pas les balades le soir, en ce moment. »
L'homme souffla. Mais alors qu'il se mettait à marcher, il entendit un
lourd bruit dans les buissons non loin de lui. Le chat, sûrement poussé par
son instinct de survie, s'enfuit à toute allure. L'homme, pris de panique, se
disait que si un chat fuyait, il valait mieux qu'il s'en allât lui aussi. Le
problème était le suivant : par où s'en aller. Il ne connaissait pas du tout ce
parc, il y venait pour la première fois ! Il s'était perdu, il fallait s'y résoudre.
L'homme continua donc tout droit, en pensant que ce chemin finirait bien
par le mener quelque part. Les buissons se remirent à bouger, mais plus
fortement cette fois-ci, alors le personnage se décida à accélérer la
cadence. Il se retrouva au milieu de plusieurs statues, plus effrayantes les
unes que les autres. Il se sentit encerclé, et il lui semblait que les statues
avançaient vers lui. Il mit sa main sur son front, pour voir s'il n'avait pas de
106
la fièvre, mais lorsque sa main toucha sa tête, il la retira sèchement : il
était gelé, tout son corps était gelé ! Il avait si froid, qu'il n'arriva pas à
refaire le lacet de sa chaussure qui s'était défait lorsqu'il avait couru. Il
avait du mal à bouger, ne serait-ce qu'un doigt. Il se dit : »Il faut
absolument que je trouve un moyen pour rentrer ! Je sais ! Je vais appeler
ma femme pour lui dire que j'arriverais en retard. » Mais lorsqu'il prit le
portable de sa poche, il eut une mauvaise surprise : Il avait oublié de
recharger la batterie, et celle-ci était toute vide. « Que faire ? Je suis pris au
piège dans ce parc hanté, je 'ai aucune issue ! »

La panique de l'homme redoubla lorsqu'il entendit des pas près de


lui. Il ne croyait pas ce qu'il voyait. Une ombre avança vers lui. Il lui
sembla qu'elle flottait au-dessus du sol. Il ne réfléchit pas deux fois.
L'homme se retourna, et courut aussi vite qu'il le put, avec à ses trousses la
silhouette sombre. Un caillou le fit trébucher. Il se releva péniblement, et
en grinçant des dents, et continua à fuir. Mais il était trop lent. L'ombre se
rapprochait de lui petit à petit. Des larmes coulaient sur les joues de
l'homme, il ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Alors, il bifurqua
brusquement à droite, puis à gauche, puis encore à gauche, et s'arrêta pour
souffler un peu. Il se retourna et ne vit personne derrière lui. « Je l'ai
semé. » Se dit-il. Il s'assit sur le banc le plus proche, pour reposer ses
jambes qui venaient de lui sauver la vie, très certainement. Il regarda
l'heure, et sa montre digitale affichait minuit. « Pas possible ! Déjà minuit.
Ma femme est sûrement en train d'appeler la police en ce moment. Elle et
toute la famille doivent se faire du souci pour moi... » Il trouva judicieux
de chercher un plan du parc avec comme seul éclairage sa montre.

Il se leva de son banc, avança d'environ 5 mètres, et à ce moment là,


une main se posa sur son épaule. Il tressaillît. Sa bouche était grande
ouverte, et tous ses muscles étaient paralysés. La main devait appartenir à
un homme de grande taille, car elle couvrait largement son épaule. Alors,
l'homme tourna doucement la tête, se retourna péniblement et, lui faisant
face, il écarquilla les yeux et étouffa un cri...

Adrien Bloch

107
Spéculations crépusculaires.

C’était une nuit comme beaucoup. Elle ne trouvait pas le sommeil. Elle
savait qu’elle ne trouverait pas le sommeil. Et pourtant elle restait l{,
allongée, les yeux fixés sur la fenêtre, à penser comme souvent. Elle se
retournait dans son lit de temps à autres, pour changer de pensées, pour que
les heures passent sachant qu’elle ne pourrait rien faire d’autre de toutes
manières. Comme beaucoup de jeunes de son âge, elle souffrait d’insomnies,
des insomnies troublantes et fatigantes mais contre lesquelles elle ne pouvait
lutter, elle ne le savait que trop bien pour avoir essayé…

Les somnifères, la tisane, l’épuisement, les médicaments… Elle avait


tout essayé, elle arrivait tout de même { s’endormir quelques heures parfois,
mais jamais assez longtemps pour se permettre d’affirmer avoir eu une
« bonne nuit de sommeil » comme tous ses amis pouvaient le dire. Elle vivait
chaque soir ce moment d’effroi au crépuscule, alors que le soleil se couchait
en même temps que l’Homme, pour laisser place { la lune, le seul repère pour
délimiter le jour et la nuit. Cette angoisse la prenait, car elle était totalement
consciente que son éveil demeurerait quoi qu’il advienne. A chaque fois que
ses yeux se refermeraient alors, son cerveau lui communiquerait « Tu ne
dormiras pas, tu le sais bien. ». Ce crépuscule fonctionnait tel un présage,
celui d’un mauvais moment { passer, récurrent, et sans échappatoire.

Pourtant, { chaque crépuscule s’installait alors une chouette, petite et


blanche, avec des yeux verts perçants, qui la regardaient attentivement.
Nabila la retrouvait donc chaque soir, et la contemplait frotter ses plumes sur
ce petit bouleau de son bec mince, doucement, et profiter ainsi de sa vie
nocturne. Quelque part, elle enviait cette possibilité de vivre dans le noir,
sous les étoiles qui apparaissaient en même temps que l’arrivée crépusculaire,
sans que l’on puisse lui reprocher de ne pas dormir... Pouvoir ensuite se
rendormir { partir de l’aube, le soleil berçant le sommeil, pour se réveiller
ensuite sous les éclats lunaires et stellaires de la tombée de la nuit. Oui, ça, ça
lui plairait, { cette jeune adolescente de 15 ans, d’échanger sa vie avec celle de
cette superbe chouette qui l’avait pourtant tant effrayée les premiers soirs de
son arrivée. Effrayée, peut-être est-ce un peu fort, et devrait-on alors dire
« étonnée ». En effet jusqu’{ ce qu’elle habite son logement actuel, elle s’était
108
toujours sentie seule lors de ses nuits blanches, seule et abandonnée.
Dorénavant, elle avait un « compagnon » avec qui partager ce petit moment
de solitude. Mais ce compagnon la laissait toujours seule à ses pensées au
bout de quelques minutes, comme pour lui indiquer que la lune était
maintenant totalement réveillée, et que le crépuscule touchait à sa fin.

Nabila s’était maintenant levée, espérant trouver un moyen de faire


passer cette nuit plus rapidement. Elle enfila ses chaussons, et se déplaça en
titubant vers la cuisine en descendant les escaliers dans l’espoir d’y trouver
une activité. Elle sortit un verre, versa de l’eau, et osa la boire. Cela ne
l’aiderait pas { dormir, elle en était consciente, mais elle avait abandonné
cette idée de repos pour ce soir. Elle s’assit alors sur une chaise, et plongea sa
tête dans ses mains sur la table. La lumière toujours allumée, elle somnola
pendant une petite heure encore, avant de retourner dans son lit et
d’attendre le lendemain, patiemment.

« Nabila, il faut te lever ! »

Tels étaient les premiers mots qu’elle entendait de la journée. Ses


parents avaient maintenant oublié que leur fille souffrait d’insomnies, c’était
d’ailleurs le dernier de leurs soucis. Ils étaient bien trop préoccupés par leur
travail, en des temps quelques peu stressants et durs…

« Allez, maintenant, il faut te préparer ma chérie sinon tu vas encore


être en retard ! »

« Oui, je sais, Maman… » avait-elle répondu, exaspérée.

En effet, elle aurait voulu, ô combien voulu, pouvoir rester encore dans
ce lit tant elle était exténuée… On aurait pu croire qu’elle menait de rudes
combats chaque nuit, tant sa fatigue se faisait ressentir dans chacun de ses
mouvements, que ce soit pour s’habiller, enfiler ses chaussons, ou marcher
vers la cuisine…

« Tiens, te voilà, la marmotte ! » persiflait son frère en train de prendre


le petit déjeuner.

Un frère, oui, un petit frère. Il était en classe de CM2, et comme tout


élève se préparant à quitter son établissement l’année suivante il ressentait ce

109
besoin de se montrer le plus fort et dominant auprès des autres…
Étrangement, Nabila n’était jamais passée par l{ et avait toujours su garder la
tête sur les épaules. Elle se disait que ce comportement qu’adoptait son frère
ne l’avait épargnée lorsqu’elle avait son âge tout simplement parce qu’elle
n’en avait jamais ressenti la nécessité.

« Bonjour, toi. » riposta-t-elle. Elle savait que le « toi » avait tendance à


beaucoup le troubler.

« Hey, j’ai un nom, sœurette ! »

« Ça a un nom, ces petites choses qui parlent ? »

« Mamaaaaaaaaaaaaaaan ! »

« Oh, qu’est ce qu’il s’est passé encore… »

Et voil{, elle savait qu’elle avait maintenant causé l’incident


diplomatique. Ainsi, elle prépara un petit sac contenant son petit déjeuner et
s’enferma dans la salle de bain pour se « préparer au lycée » alors que son
frère geignait. Malgré la porte fermée, elle pouvait entendre la discussion
entre son frère et sa mère, et elle en riait devant son miroir alors qu’elle se
recoiffait. Elle appréciait ces taquineries avec son frère, finalement, même si à
cause de son âge il faisait toujours en sorte que la mère s’en mêle...

Une fois les dents brossées, Nabila se précipita furtivement dans


sa chambre, puis elle enfila un manteau et ses chaussures, pour ensuite
prendre son petit déjeuner composé d’une briquette de jus de fruits, d’un
croissant et d’une tablette de chocolat, puis alla vers sa mère en lui faisant la
bise :

« Au revoir Maman, bonne journée ! »

« Attends, Nabila, tu… »

« Au revoir Stéphane ! »

Puis, la porte claquée derrière elle, Nabila était partie triomphante et


souriante, car elle savait qu’elle avait encore échappé { un de ses problèmes,
une fois de plus, et qu’elle avait maintenant une journée de cours devant elle.

110
« Et, après, je lui ai dit « Oui, mais tu sais, c’est pas ce que je recherche
chez un mec… », et l{, tu sais ce qu’il m’a répondu ?! »

« Non, mais je veux { tout prix savoir… »

« Roooh, Nabila, on a l’impression que ça t’intéresse pas… »

« Mais si, mais si, raconte je te dis… »

Néanmoins, elle était parfaitement consciente que ce qu’elle venait de


dire n’était que pour la satisfaction d’Oriane, puisqu’après tout il lui en fallait
peu pour être heureuse, simplement des relations peu durables finalement…

« Et bien, l{ il m’a dit, « Ben, tant mieux, parce que moi je n’ai trouvé
que ce qui ne m’intéressait pas chez toi ! » ! Tu imagines, quoi ? Me dire ça
alors que j’ai fait tant pour lui… »

« Oui, c’est sûr… »

« Hey, Nabila, ça ne va pas ? Il y a quelque chose qui ne va pas ? »

« Oh, non, tu penses bien… »

Mais elle n’avait répondu cela que pour être en paix. Puisque, de toutes
manières, elle savait qu’Oriane ne s’intéresserait pas vraiment au plus petit
problème qu’elle pouvait avoir, mis { part une « histoire de mec », sachant
que c’était la seule chose qui pourrait l’intéresser… Après tout, elle n’avait
jamais encore eu de « mec », Nabila, un vrai de vrai comme elle s’aimait {
l’imaginer. Il y en avait bien quelques uns qui l’avaient déj{ un peu
intéressée, et certains sur lesquels elle se posait beaucoup de questions, mais
personne ne pouvait comprendre { quoi ressemblaient ses sentiments… Non,
selon elle, personne.

C’est donc en silence qu’elle regardait par la vitre du bus, méditant et


soupirant régulièrement. La fatigue la rattrapait petit à petit, et elle avait en
plus une journée quelque peu chargée et dont elle devait se préoccuper,
comme chaque jour, ne serait-ce que pour aider ses amies, car elle n’était
bonne qu’{ ça, selon elle…

« Pourquoi tu souris, Nabila ? »

Nabila gardait ce sourire, tout simplement car elle se souvenait de ce


que lui aurait dit Ludivine, sa meilleure amie, avec ce genre de
111
pensée… « Stay optimistic » ou bien « Reste optimiste », pour essayer de
toujours garder une dose de positivité en soi et pouvoir continuer à avancer
face aux problèmes que peuvent poser l’adolescence… Jusque-là, ça lui avait
toujours permis de s’évader des passages les plus problématiques de sa vie, et
elle s’était décidée { penser { des choses positives avant de voir que le bus
s’était arrêté, devant le lycée.

« Tu viens, Nabila ? »

« Oui, j’arrive, j’arrive… »

« Oh, réveille-toi, Nabila ! »

« Hmmm ? »

« Le cours est fini, c’est bon… »

Nabila n’avait jamais beaucoup aimé les descriptions zoliennes du 19ème


siècle, hélas, expliquant ce petit moment de sommeil. De toutes manières,
elle se disait qu’elle avait une excuse puisque ses nuits ne se passaient pas
bien, peut-être qu’une voix de professeur pour la bercer pouvait l’aider ?

C’était maintenant la récréation, et Nabila décida alors de s’installer sur


un banc, et de réfléchir comme de temps en temps… Son regard se perdait
dans un groupe de garçons, qu’elle regardait d’un œil curieux. Ils riaient, puis
l’un imita un professeur, faisant sourire tout ce petit groupe. Ils se tournèrent
alors vers un groupe de filles de leur âge, puis ils pointèrent régulièrement du
doigt certaines d’entre elles, en sifflant ou en riant. Nabila levait les yeux au
ciel prise d’un rictus, se disant qu’Oriane pourrait être intéressée par ce genre
de garçon… Son amie Ludivine l’avait alors rejointe :

« Salut Nabila, ça va ? Tu fais quoi alors, seule ici ? »

« Décidément, je ne vois pas comment je pourrais trouver un attrait


pour des garçons comme ça. »

Ludivine demeura silencieuse. Puis elle continua :

« Ben… Il faut voir les bons côtés des gens aussi ! Tu le trouveras, ton
prince charmant, mais pas forcément au lycée ! Et puis, ne prends pas en

112
exemple n’importe quel garçon, il y en a qui en valent vraiment pas le
coup… »

« Tu dois avoir raison… »

La cloche retentit dans le lycée. Ludivine chuchota alors { l’oreille de


Nabila :

« Psst, au fait, essaye de dormir un peu plus si tu le peux… L{, tu n’as


vraiment, vraiment pas l’air en forme, courage ! »

Elle n’avait vraiment pas l’air d’aller ? Pourquoi Ludivine disait-elle une
chose pareille ? De toutes manières, rien ne lui arrivait ces temps-ci qui
pourrait lui causer du malheur : elle n’avait pas de problèmes de cœur, ses
amies les plus précieuses étaient toujours à ses côtés, ses résultats scolaires
étaient bons… Malgré ses problèmes de sommeil et ses interrogations
régulières sur certaines choses de la vie comme l’injustice, le bonheur et la
volonté de changer, afin de savoir si tout cela avait un rapport avec sa vie ou
pas, tout allait pourtant plutôt bien…

…plutôt…

Le cœur du problème devait être l{. Mais elle n’eut pas le temps de plus
se concentrer là-dessus, puisque l’heure des mathématiques avait sonné…

La maison des Haburoa, ainsi était leur nom de famille, avait toujours
pu surprendre les invités variés qui pouvaient y passer : « Quel ordre ! »
disaient certains, « Quelle disposition de meubles ! », disaient d’autres,
« Quel beau papier peint, ça convient parfaitement au parquet ! » avaient
mentionné certains, « Qui a gagné le match hier ? » avaient demandé
d’autres…

Néanmoins, cette demeure était difficilement critiquable de par ses


meubles et un style tout à fait en accord avec le bois ; on retrouvait un
parquet orangé avec des teintes se rapprochant du caramel, s’alliant avec un
papier peint fait de brun éclairci, invitant la lumière à pénétrer dans la
maison pour mieux la diffuser dans chaque pièce. Les meubles étaient
disposés très précisément, il était vrai, avec un salon composé de 5 petits
fauteuils d’une couleur orangée claire disposés en arc de cercle autour d’une

113
table basse ronde faite en bois verni régulièrement. Un canapé bleu ressortait
dans un tel décor, n’invitant qu’{ mieux s’installer dedans et permettant {
tous les invités d’avoir été unanimes en parlant de « maison chaleureuse et
accueillante ». Depuis ce salon, on accédait à une petite entrée avec un
mobilier donnant la possibilité d’y ranger les clés, les manteaux et les
vêtements d’hiver ainsi que les chapeaux, entrée qui menait ensuite { la
cuisine sur la droite ou au couloir en face. Ce corridor donnait donc sur la
salle de bain d’un côté, et l’escalier de l’autre qui lui débouchait { l’étage
réservé aux chambres. Tout avait été pensé de manière à ce que le salon soit
isolé des chambres pour plus de confort par rapport à ceux qui désiraient
dormir, et de manière { ce que l’ordre puisse être préservé d’où l’étage prévu
uniquement aux chambres…

Il était 16h24, et la porte s’ouvrit lentement. Apparut alors cette jeune


fille de 15ans, fatiguée, de retour chez elle sans son petit frère sur les bras.
Elle monta l’escalier, jeta son sac près de son lit, puis après avoir déposé son
manteau et ôté ses chaussures, elle pénétra dans la salle de bain pour se laver
les mains. Nabila en profita alors pour se regarder dans le miroir, une fois ses
mains propres, et s’observer. Elle n’était pas petite, elle mesurait 1m65 ce qui
était tout à fait honorable pour son âge, et elle appréciait que son père la
rassure régulièrement en lui disant qu’elle grandirait encore. Ses cheveux
étaient d’un noir foncé, mais on percevait leur douceur du premier regard
tellement ils étaient lisses. Derrière ses lunettes on trouvait des yeux noirs,
profonds, mais où l’on pouvait tout de même distinguer ce fin fil lumineux
qui pétillait en elle, ce positivisme qu’elle essayait toujours d’adopter et qui
lui donnait la force de faire tant de choses. Elle avait déjà remarqué, une fois,
ce feu qui pétillait au fin fond de ses yeux, et s’était demandée alors quelle
était sa signification… Elle avait pensé ce jour-l{ que c’était une folie qui
sommeillait, mais n’avait plus réitéré cette question par la suite, car elle
s’était après intéressée { son nez. Un petit nez, que sa mère disait « mignon
tout plein », mais qui n’avait hélas rien de particulier à ses yeux. Elle regarda
alors plus attentivement son corps ni massif, ni mince, mais pour lequel elle
avait tout de même une certaine fierté. Elle soupira alors longuement. Elle
savait que, d’une manière ou d’une autre, elle aurait aimé que quelqu’un
d’autre lui dise tout cela… Car elle avait peur de se mentir { elle-même. S’il
existait une chose que Nabila détestait, c’était bien l’hypocrisie, et elle avait

114
toujours été adepte de la franchise. Supposer qu’elle pourrait se trahir elle-
même était l’une de ses plus grandes frayeurs.

C’est quelques heures après que Nabila s’installa { la table du dîner


dans la cuisine, avec son frère à sa gauche, sa mère à sa droite et son père en
bout de table à sa gauche. Elle avait une assiette de haricots devant elle, avec
des oignons et une petite vinaigrette parfumée d’une pointe de fines herbes.
En effet, Nabila était aussi végétarienne. Alors qu’elle commençait { manger,
son père prit la parole :

« Ahlala, les transports en commun… Un enfer, un en-fer ! »

« Oh, chéri allons… Tu te plains, mais écoute donc ton frère parler !
Lui, à Paris, il nous dit que chaque jour il a le droit à 40min de perturbations
régulièrement dans la semaine, alors ça n’est pas { nous de nous plaindre ! »

« Et puis, en plus à Paris ils sont nuls, ils n’ont pas une équipe de foot
aussi bien qu’ici { Lyon ! » renchérit le petit dernier.

« Ils pourraient tout de même faire des efforts… Et toi Nabila, tu n’as
pas eu de problèmes avec le bus ? »

« Bof, non, il arrive 5 minutes en retard mais c’est pas un drame, ça me


donne le temps de manger un peu… »

« Tu devrais tout de même prendre le temps de manger le matin un


peu plus proprement que ça… » débuta sa mère.

« Ça ne change rien que je le mange { l’arrêt de bus ou { la maison, je


mangerais la même chose de toutes manières ! »

« Et bien… »

« Allons, chérie, et puis { son âge c’est normal on était tous comme ça {
l’époque… »

« C'est-à-dire, « comme ça » ? Ça veut dire que je ne suis pas comme je


devrais être, c’est ça ? » demanda Nabila, agacée.

« Je…non pas du tout… »

Mais Nabila ne lui adressait déjà plus la parole. Sa journée avait été
suffisante pour qu’on ne lui fasse pas de reproches en plus. Le dîner s’acheva
115
donc dans un silence religieux, et c’est après avoir fait ses devoirs que Nabila
fit sa toilette et se prépara { aller dormir, pleine d’espoir.

Elle resta immobile une quinzaine ou une trentaine de minutes lui


sembla-t-elle, puis elle détourna son regard vers la fenêtre. L’arbre était l{. La
chouette était là aussi, mais elle ne savait pas depuis combien de temps non
plus. Elle espéra alors que c’était un signe de fatigue, ne plus avoir conscience
du temps qui passe…se perdre dans le temps, pour mieux se perdre dans les
rêves, dans l’utopie…

Cette chouette avait l’air de l’observer d’une étrange manière ce soir-ci.


Elle se frottait les plumes comme chaque soir, mais cela paraissait plus
violent... Cette chouette pourtant si pleine de plénitude d’habitude, avait l’air
dans l’inquiétude… Pouvait-il se passer quelque chose pour troubler ainsi
cette quiétude ? Mais elle la regarda quand même, ce regard perçant vert où
se reflétait le coucher du soleil, et le lever de la lune… Elle la contempla 1
minute, 2 minutes, 5 minutes, 10 minutes… Mais la chouette demeurait. Elle
avait un regard lointain, comme si elle scrutait l’horizon… Nabila, de
nouveau, ne savait ce qu’elle donnerait pour pouvoir être en compagnie de
cette chouette… Tout cela lui parut étrange, maintenant. La chouette ne
bougeait plus, elle était l{, seule, et ne daignait se mouvoir d’une quelconque
manière. Elle eut presque l’air d’avoir rendu l’âme, tellement son immobilité
était consternante. Soudain, l’espace d’un éclair, la chouette détourna son
regard fixement sur les yeux de Nabila, puis elle s’enfuit rapidement.

Prise d’effroi, Nabila se leva tout à coup, la respiration rapide. Elle


regarda sa chambre nerveusement, et n’y retrouvait plus aucune
ressemblance. La chaise n’était pas { côté de la bibliothèque, normalement,
elle était à côté du bureau ; la table n’était pas dans ce coin ci, mais au bout
du lit ; la commode avec ses habits n’était pas { côté de la porte, mais plus
proche de la fenêtre…

Totalement perdue, Nabila sortit précipitamment de sa chambre, puis


elle descendit les escaliers. Là encore, elle avait cette affreuse sensation de ne
pas être chez elle : les escaliers étaient composés de 8 marches, qu’elle
connaissait bien puisqu’elle les empruntait 2 { 2 régulièrement, mais elle
avait atterri de son pied droit en descendant les escaliers précipitamment au

116
lieu du gauche…démontrant un chiffre forcément impair puisqu’elle débutait
toujours du pied droit… Ce type de raisonnement était typique de sa panique
psychologique. Arrivée telle une tornade dans le salon plongé dans la
pénombre nocturne, Nabila trébucha, et atterrit violemment sur le canapé…

« Ce…canapé…ne DEVRAIT PAS ÊTRE ICI ! »

Nabila se releva en titubant, tâtonnant pour retrouver les fauteuils, la


fenêtre, les rideaux, quoi que ce soit ressemblant à sa maison, mais elle ne
retrouva rien, rien du tout pouvant ressembler de près ou de loin à sa
demeure. Déambulant, elle réfléchissait { toute allure…

« Ma mère…elle a dû changer la disposition des meubles… »

Mais quand ? Quand aurait-elle pu faire une chose pareille ? Juste


avant qu’elle n’aille dormir ? Mais cette disposition ne change que lors du
nettoyage de printemps, non en hiver… Cette hypothèse n’était donc pas
plausible. Pas plausible, non, impossible. Totalement inimaginable.
Inconcevable. Énervant. Oui, énervant. Ses nerfs n’en pouvaient plus,
d’ailleurs, elle sentait bel et bien qu’elle était { bout dorénavant, qu’elle ne
souhaitait qu’une seule chose, pouvoir dormir dans un endroit sûr !

Hébétée, elle continua son chemin vers la cuisine… Il lui aurait fallu
une bouteille entière de lait pour pouvoir retrouver un quelconque calme…
Mais sa rage se raviva de nouveau en voyant que l’interrupteur n’était plus {
son endroit initial, comparé { son habitude…

Nabila poussa un cri, un hurlement qui lui parut résonner tant qu’elle
s’impressionna elle-même. Elle aurait voulu pouvoir frapper quelque chose,
pouvoir se déchaîner et expier toute cette nervosité qui l’incarnait… Pouvoir
oublier tout ce qui lui arrivait en ce moment, pouvoir faire abstraction de son
mal être, pouvoir faire abstraction de ses parents dénués de discernement,
pouvoir faire abstraction de toute cette hypocrisie de la part de ses moins
importantes « copines » parlant sans cesse de choses qui lui importent le
moins du monde, de leurs petites histoires privées sans aucun intérêt… Elle
se leva brutalement, puis elle eut la sensation que sa tête tournait, tournait.
Ses yeux se refermèrent, et sa conscience se dispersa...

117
Nabila se releva, lentement. Elle observa autour d’elle, aveuglément,
s’interrogeant quelques instants sur cet endroit où elle était et sur l’heure
qu’il pouvait être… Elle se souvenait maintenant de ce qu’il était arrivé, et
n’osa plus jeter un regard sur la pièce qui l’entourait. Elle était maintenant
captivée par ce qu’il se passait dehors… Le soleil était toujours couchant, elle
n’avait dû perdre conscience que peu de temps… Son pouls était encore un
peu battant, maintenant qu’elle y pensait… Mais elle remarquait surtout que
la lune était l{, elle aussi. C’était, toujours, le crépuscule qui se présentait l{,
devant elle. Un crépuscule comme arrêté, paralysé face à elle. La lumière était
orangée, le ciel de la nuit bleuté. La lune était blanche et luisante du
crépuscule, et le soleil avait une teinte légèrement rosée… Ce spectacle était
sublime, sublime. Elle entra dans un état de méditation instantanément,
entièrement calme, et fixant le ciel sans s’en lasser… Elle commença alors {
réfléchir, calmement, et tout lui parut clair…

Son esprit avait dû, vraisemblablement, flancher un instant à cause de


la fatigue, d’où ce laps de temps s’apparentant à de la folie, provoquant ces
hallucinations… Et, découvrant maintenant qu’elle se trouvait dans sa
chambre, elle n’avait pas dû en sortir de toute la soirée… S’asseyant sur son
lit, elle contemplait toujours le ciel si beau, la vie lui paraissant finalement si
belle et pleine de surprises… Même si elle était toujours abasourdie, certes,
tout ça ne lui paraissait plus aussi grave désormais.

Nabila s’allongea alors dans son lit, paisiblement. Lui vint alors {
l’esprit la chouette, de nouveau. Un fruit de son imagination, lui aussi ?
C’était possible, mais elle pensait { autre chose qui lui plaisait beaucoup
plus : la chouette avait certainement vu, dans le fond de ses yeux, ce petit
reflet de lumière crépusculaire. Ce devait être tout ce qu’il lui manquait avant
de repartir, rechercher cette lumière en elle qui demeure certainement dans
chacun… Nabila referma alors les yeux, lentement, et passa certainement
sous ce phénomène étrange la meilleure nuit de sommeil de toute sa vie.

Derhen Villiers-Moriame

118
Le Temps des Fleurs
Les jolies fleurs blanches foisonnent dans la ville. Elles éclosent à tous les
coins de rue, pas dans des parterres ni dans des champs réservés à leur culture,
non, elles se mêlent naturellement et en abondance aux rangées de maisons,
comme si constructions et fleurs étaient sorties de terre ensemble.

Le printemps vient de commencer et la neige s'attarde encore sur les


montagnes avoisinantes, mais l'océan qui entoure délicatement les côtes sud de
la ville est baigné d'un soleil resplendissant.

C'est une ville portuaire ancienne et prospère.

Encore aujourd'hui, ses quais voient de nombreux paquebots et cargos


aller et venir chaque jour.

Son histoire, cependant, se divise très distinctement entre « avant » et «


après » un événement qui a eu lieu il y a bien longtemps déjà.

Ici, les gens ne préfèrent pas parler de ce tournant décisif gravé dans la
chronologie de la ville.

Les souvenirs sont trop pénibles pour en faire des histoires.

Riku, lui, connaît l'histoire, et parce qu'il la connaît, il est revenu.

« De passage ? », lui demande l'aubergiste.

Au son de sa voix, Riku répond par un léger sourire.

« Vous êtes ici pour la fête, je suppose. Je vous conseille de prendre votre
temps et d'en profiter. »

L'homme est de bonne humeur. Verre après verre, il s'est mêlé à ses
clients et son visage est déjà bien rouge, mais personne ne semble lui en vouloir
de se faire plaisir. Chaque siège de l'auberge est occupé et les rires résonnent
dans l'atmosphère. De temps en temps, on entend aussi les voix enjouées de la
route, à l'extérieur.

La ville entière festoie. Une fois par an, la fête rend les gens heureux
pendant toute la nuit, jusqu'à ce que le soleil se lève.

119
« J'espère que vous avez une chambre pour la nuit, Monsieur. Trop tard
pour en trouver à cette heure-ci ! Tout est plein à craquer. »

« On dirait bien. »

« Ce n'est pas que quelqu'un soit assez fou pour passer une nuit comme
celle-ci dans sa chambre, bien au chaud sous les couvertures. »

L'aubergiste fait un clin d'œil { Riku comme pour dire : « En tout cas, pas
vous, Monsieur, j'en suis sûr ! »

« Ce soir, ça va être la fête la plus grandiose et la plus folle de votre vie, et


tout le monde est invité : les locaux comme les étrangers. Boisson, nourriture,
jeu d'argent, femmes, dites-moi ce que vous voulez. Je ferai en sorte de vous
satisfaire. »

Riku sirote son verre et ne dit rien.

Parce qu'il a prévu de rester éveillé toute la nuit, il n'a pas pris de
chambre... même s'il n'a aucune intention de profiter de la fête.

Riku fera une prière une heure avant l'aube, au moment où l'obscurité est
la plus noire et la plus profonde. Il quittera la ville, poussé par le soleil de
l'aurore dardant ses rayons entre les montagnes et la mer, comme lors de sa
dernière visite. À l'époque, l'aubergiste, qui, quelques minutes auparavant, disait
à l'un de ses plus fidèles clients que son premier petit-fils allait bientôt naître,
n'était lui-même qu'un enfant.

« Celle-ci, c'est pour moi. À la vôtre ! », dit l'aubergiste, remplissant le


verre de Riku.

Il fixe Riku avec méfiance et dit : « Vous êtes bien venu pour la fête, hein ?
»

« Non, pas vraiment », dit Riku.

« Ne me dites pas que vous n'en aviez pas entendu parler ! Vous voulez
dire que vous êtes venu ici totalement par hasard ? »

« J'en ai bien peur. »

« En tout cas, si vous êtes venu ici pour faire affaire, n'y pensez même pas.
Vous ne pourrez avoir aucune conversation sérieuse avec qui que ce soit une
nuit comme celle-ci. »

120
L'aubergiste continue à expliquer en quoi cette nuit est si particulière.

« Vous avez dû en entendre parler. Autrefois, il y a très très longtemps,


cette ville a été presque entièrement détruite. »

Deux sortes d'événements divisent l'histoire entre « avant » et « après » :


le premier est la naissance ou la mort d'un personnage important, un héros ou
un sauveur.

Le second est quelque chose comme une guerre, un fléau ou une


catastrophe naturelle.

Ce qui a divisé l'histoire de cette ville, c'est un violent tremblement de


terre.

Il est arrivé sans prévenir et n'a laissé aucune chance aux habitants
paisiblement endormis.

Une crevasse s'est ouverte dans un grondement, et les routes et les


constructions se sont effondrées.

Des incendies se sont déclenchés et propagés en un clin d'œil.

Presque tout le monde est mort.

« Vous ne pouvez sûrement pas imaginer. Tout ce que je sais, c'est ce


qu'on m'a dit à l'école. Mais qu'est-ce que la Fête de la Résurrection signifie pour
un enfant ? C'est juste quelque chose qui est arrivé un beau jour. J'habite ici, et
c'est tout ce que ça m'inspire, alors un voyageur comme vous ne peut sûrement
pas commencer à imaginer à quoi ça ressemblait. »

« C'est comme ça qu'ils appellent cette fête ? La "Fête de la Résurrection"


« Ouais. La ville est passée d'une ruine totale à ça. Toute la célébration
tourne autour de cette renaissance. »

Riku sourit ironiquement à l'homme et sirote sa liqueur.

« Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ? », lui demanda l'aubergiste.

« La dernière fois que je suis venu, ils appelaient ça "l'Hommage au


Tremblement de Terre". Ce n'était pas une fête avec ce genre de célébrations
extravagantes. »

121
« Qu'est-ce que vous racontez ? Depuis que je suis gamin, ça a toujours
été la "Fête de la Résurrection". »

« C'était avant que vous ne soyez assez vieux pour vous souvenir de quoi
que ce soit. »

« Hein ? »

« Et avant ça, ils l'appelaient la "Consolation des Esprits". Ils brûlaient un


cierge pour les défunts, et priaient pour qu'ils reposent en paix; C'était une
célébration très solennelle avec beaucoup de pleurs. »

« Vous parlez comme si vous y aviez assisté. »

« En effet. »

L'aubergiste rit en reniflant bruyamment.

« Vous ne semblez pas ivre, mais vous ne devez pas avoir toute votre tête !
Maintenant, écoutez, c'est la nuit de la fête, alors je ne vais pas m'énerver parce
que vous m'avez charrié, mais ne racontez pas vos histoires aux autres habitants
de la ville. Tous nos ancêtres, les miens y compris, ont frôlé la mort. »

Riku sait très bien ce qu'il fait. Il savait que l'homme ne le croirait pas.

Il voulait juste découvrir, pour lui-même, si les gens d'ici se


transmettaient toujours les souvenirs de la tragédie, si derrière leur visage rieur
se cachait toujours la tristesse héritée de leurs aïeux.

Appelé par l'un de ses autres clients, l'aubergiste quitte Kaïm, non sans lui
donner d'abord un avertissement.

« Faites bien attention à ce que vous dites, Monsieur. Vos propos


pourraient vous attirer des ennuis. Vraiment. N'oubliez pas : le tremblement de
terre a eu lieu il y a deux cents ans ! »

Riku ne lui répond pas.

Il préfère boire sa liqueur en silence.

Parmi ceux qui sont morts dans la tragédie deux cents ans plus tôt, il y
avait sa femme et sa fille.

122
Des dizaines de femmes et des centaines d'enfants qu'il avait eus tout au
long de sa vie éternelle, la femme et l'enfant qu'il avait ici comptaient
particulièrement.

À cette époque, Riku travaillait au port.

Il n'y avait qu'eux trois : lui, sa femme, et leur petite fille. Ils menaient une
vie simple et heureuse.

Personne ne pensait au lendemain. Les jours passaient et se


ressemblaient. Tout le monde dans la ville vivait ainsi, la femme et la fille de
Riku aussi, bien sûr.

Mais pour Riku, les choses étaient différentes. Justement parce-que sa


propre vie était éternelle et que, par conséquent, il avait dû endurer la
souffrance provoquée par d'innombrables adieux, Riku savait trop bien que dans
la vie quotidienne des humains, il n'y avait jamais de « toujours ».

La vie que menait sa famille devait s'arrêter un jour. Elle ne pourrait pas
continuer infiniment. Pourtant, ce n'était en aucun cas une raison d'être triste.
N'ayant aucune emprise sur l'éternité, les humains savaient comment aimer et
chérir l'instant présent.

Riku aimait tout particulièrement montrer des fleurs à sa fille, plus elles
étaient fragiles et éphémères, mieux c'était.

Les fleurs qui naissaient avec l'aube et mouraient avant le crépuscule


étaient partout dans cette ville portuaire : de jolies fleurs blanches qui
foisonnaient au début du printemps.

Sa fille adorait les fleurs. C'était une enfant douce qui n'aurait jamais
interrompue l'épanouissement de fleurs qui avaient luttées si fort pour éclore.
Elle préférait les admirer des heures durant.

Cette année-là aussi...

« Regardez la taille des bourgeons ! Elles vont éclore dans peu de temps
maintenant ! », dit-elle avec joie après avoir découvert les fleurs blanches sur la
route près de la maison.

« Peut-être demain ? », se demanda Riku à voix haute.

« Absolument ! », répondit simplement sa femme. « Lève-toi de bonne


heure demain pour vérifier ! »
123
« Quand même, pauvres petites fleurs », dit la fille. « C'est joli quand elles
fleurissent, mais elles dépérissent presque aussitôt. »

« Peu importe », dit la femme de Riku. « C'est une chance de les voir
éclore, c'est ça qui est amusant. »

« C'est peut-être amusant pour nous », répondit la fille. « Mais pense aux
pauvres fleurs qui travaillent si dur pour s'ouvrir et fanent le même jour. C'est
triste... »

« C'est vrai, tu as sûrement raison... »

Un vent de tristesse flotta un moment dans l'air, mais il se dissipa vite


quand Riku se mit à rire.

« Le bonheur n'est pas la même chose que la longévité ! », clama-t-il.

« Qu'est-ce que ça veut dire, papa ? »

« Même si elle ne fleurit pas longtemps, la fleure est heureuse si, pendant
cet instant, elle peut dévoiler les plus beaux pétales et libérer le parfum le plus
exquis dont elle est capable. »

La fille sembla avoir du mal à saisir le sens de ces paroles et acquiesça


simplement d'un petit soupir. Elle finit par sourire et dit : « Ça doit être vrai si tu
le dis, papa ! »

Ton sourire est plus beau que n'importe quelle fleur épanouie.

Il aurait dû le lui dire.

Riku regretta plus tard de ne pas l'avoir fait.

Les mots qu'il avait prononcés d'un ton si désinvolte, il s'en rendait
compte, s'avéraient presque prophétiques.

« Maintenant, petite demoiselle, dit-il, si vous vous levez de bonne heure


pour admirer les fleurs demain matin, vous feriez mieux d'aller au lit dès à
présent. »

« D'accord, papa, si je suis vraiment obligée... »

« Je vais me coucher aussi », dit la femme de Riku.

« D'accord, alors, bonne nuit, papa. »

124
Sa femme dit à Riku : « Bonne nuit, mon chéri, je vais vraiment me
coucher maintenant. »

« Bonne nuit », répondit Riku, profitant d'un dernier verre pour apaiser la
fatigue de la journée.

Ces mots furent les derniers que la famille partagea.

Un violent tremblement de terre frappa la ville avant l'aube.

La maison de Riku s'effondra en un amas de gravats.

Les deux êtres chers de Riku partirent pour cet autre monde lointain
avant d'avoir pu quitter leur profond sommeil et sans avoir eu la moindre
chance de lui dire : « Bonjour ».

Le soleil se leva sur une ville qui avait été détruite en un instant.

Parmi les décombres, les fleurs blanches que la fille de Riku aurait
tellement voulu voir, étaient en pleine éclosion.

Riku pensa déposer une fleur sur le corps froid de sa fille en guise
d'offrande, mais il y renonça.

Il ne pouvait se résoudre à cueillir une fleur.

Il prit conscience que personne, aucun être vivant sur cette terre, n'avait
le droit de s'emparer de la vie d'une fleur qui n'allait vivre qu'une seule et unique
journée.

Riku ne pourrait jamais dire à sa fille :

« Tu montes aux Cieux la première et tu m'y attends : je te rejoindrai


bientôt. »

Il ne ressentirait jamais plus la joie de retrouver ses êtres chers.

Vivre un millier d'années signifiait supporter la souffrance d'un millier


d'années de séparations.

Riku continua son long voyage.

Un nombre incalculable d'années et de mois passèrent : des années et des


mois durant lesquels plusieurs guerres et catastrophes naturelles ravagèrent la
planète. Les gens naquirent et moururent. Ils s’aimèrent et furent séparés de
ceux qu'ils aimaient. Nombreux sont les bonheurs et les peines. Les gens
125
s'affrontèrent et se disputèrent sans cesse, de même qu'ils s'aimèrent se
pardonnèrent. Ainsi était faite l'histoire, les larmes du passé devenaient peu à
peu des prières pour l'avenir.

Riku continua son long voyage.

Au bout d'un moment, il pensa de moins en moins à la femme et à la fille


avec qui il avait passé si peu de jours dans la ville portuaire. Cependant, il ne les
oublia jamais.

Riku continua son long voyage.

Et au fil de ses voyages, il s'arrêta de nouveau dans cette ville portuaire.

Tandis que la nuit devenait plus profonde, le grondement de la foule


s'intensifiait, mais maintenant qu'une lueur apparaît dans le ciel à l'est, sans
prévenir, le bruit fait place au silence.

Riku se tient debout sur la place centrale de la ville. Les fêtards, eux aussi,
s'y amassent peu à peu, jusqu'à ce que, presque avant qu'il ne s'en aperçoive, la
place pavée de pierres ne soit bondée.

Riku sent qu'on lui tape sur l'épaule.

« Je ne pensais pas vous voir ici ! », dit l'aubergiste.

Alors que Riku lui sourit en silence, l'aubergiste semble quelque peu
embarrassé et dit :

« J'ai oublié de vous dire quelque chose tout à l'heure... »

« Oh... ? »

« Enfin, vous savez, le tremblement de terre a eu lieu il y a très longtemps.


Avant mon père et ma mère, avant même la génération de mes grands-parents.
Ça peut sembler étrange de ma part, mais je n'arrive pas à m'imaginer cette ville
en ruine. »

« Je vois ce que vous voulez dire. »

« Pourtant je pense vraiment qu'il peut y avoir des choses dans ce monde
dont on peut se souvenir même si on n'y a pas assisté réellement. Comme le
tremblement de terre : je ne l'ai pas oublié. Et je ne suis pas le seul. Il a beau
s'être produit il y a deux cents ans, personne dans cette ville ne l'a oublié. On
n'arrive pas { se l'imaginer, mais on n’arrive pas non plus { l'oublier. »
126
Au moment où Riku acquiesce de nouveau pour signifier à l'aubergiste
qu'il l'a compris, une mélodie grave résonne sur la place. C'est l'heure à laquelle
le tremblement de terre a détruit la ville.

Toutes les personnes rassemblées ici ferment les yeux, se tiennent la main
et se mettent à prier, l'aubergiste et Riku y compris.

Les visages souriants de sa femme et de sa fille défunte lui apparaissent.


Pourquoi sont-ils si beaux et si tristes, ces visages qui croyaient de tout cœur
qu'ils verraient le lendemain ?

La musique s'arrête.

Le soleil du matin s'élève au-dessus de l'horizon.

Et partout dans la ville, une multitude de fleurs blanches éclosent.

En deux cents ans, les fleurs blanches ont changé.

Les scientifiques ont avancé l'hypothèse que « le tremblement de terre a


pu modifier la nature du sol », mais personne n'en connaît la raison avec
certitude.

La vie des fleurs s'est rallongée.

Là où l'espace d'une journée suffisait pour les voir éclore et faner, elles
restent maintenant en fleur pendant trois ou quatre jours.

Humidifiées par la rosée du matin, baignées par la lumière du soleil, les


fleurs blanches s'évertuent à profiter de leur vie au maximum. Elles embellissent
la ville, comme si elles s'efforçaient de vivre la portion de vie qui avait été
arrachée à celles qui n'avaient jamais connues les « lendemains ».

Théo Gallois

127
Une histoire

Je ne vais pas commencer cette histoire par un « il était une fois »


parce que je crois que tu en as assez mais par une simple présentation. Ne
pense pas non plus que je vais te raconter toute mon histoire puisque cela
prendrait beaucoup de temps, donc la narration qui suit cette petite
introduction n’est qu’un résumé de ce qu’on peut qualifier une vie
singulière.

Bonjour, je m’appelle Tim. Jusqu’il y a un mois, j’étais une personne


normale comme tout le monde. Je travaillais comme comptable au centre
de Londres. Je n’avais pas une vie très luxueuse ni très aisée. Enfin, j’avais
une vie normale. La routine dirigeait ma vie : manger, travailler et dormir.

Un jour, alors que je me trouvais { mon bureau m’occupant des


finances de Mrs. Smith, j’ai reçu une lettre. Il n’y avait pas d’autres choses
écrites dans la lettre à part mon adresse; pourtant on pouvait lire : urgent
sur le côté. Je l’ouvris et c’était comme les lettres qu’on envoie { la famille
de la victime lors d’un kidnappage et qui sont composés de mots de
différentes revues. Il y était dit que c’était nécessaire et très important que
j’aille { Salamanca, une ville espagnole: « Allez vite à Salamanca. C’est une
ville espagnole. C’est urgent » Mais aucune explication n’était donnée. Tu
comprendras que lorsque je l’ai reçu, j’ai cru que c’était seulement une
blague. Comment une lettre aussi mystérieuse pourrait-elle être vraie? Et
donc je l’ai jetée { la poubelle. Mais cela n’est pas le plus surprenant, c’est
ce qui se passa juste après l’avoir jetée: un flash m’aveugla et je me sentis
soudain envahi d’une sensation de bien être et de chaleur. Lorsque je
réussis { ouvrir mes yeux, je n’étais plus dans mon bureau, à Londres, ni
en Angleterre mais en Espagne, à Salamanca, on pouvait voir
l’université !!! Oh comme elle est magnifique, tant de détails…Soudain
cette vision disparut et je me suis à nouveau retrouvé à mon bureau, mon
triste et sale bureau. Que s’était-il passé ?? Pour le découvrir, je me suis
décidé à partir en Espagne, à la ville de ma vision, pour voir à nouveau
l’université.
128
Le 16 Juin, je pris un avion au fameux aéroport Heathrow. Pendant le
voyage, j’ai vu le film Spiderman, mais pourtant je n’ai pas pu voir la fin
puisque la lumière indiquant qu’il faut mettre la ceinture de sécurité s’est
allumée.

Une fois descendu de l’avion, je n’avais pas encore décidé ce que je


ferai, j’ai donc demandé { un taxi si Salamanca était loin. Il m’a répondu
que la ville ne se trouvait pas loin et il m’offrit { me conduire, en me
prévenant que cela prendrait 3 heures. J’ai accepté l’invitation. Juan, le
conducteur du taxi, était un homme très sympathique, il me parla de
beaucoup de choses puisqu’il avait appris l’anglais : il me raconta que sur
la façade de l’université se trouvait cachée une grenouille et que les
touristes passaient beaucoup de temps à la chercher.

Après trois heures de voyage, on arriva à Salamanca. Il me


recommanda quelques hôtels et restaurants, me souhaita une bonne visite
et disparut entre les rues du labyrinthique centre de la majestueuse ville.

J’ai trouvé le premier hôtel de la liste tout de suite et j’ai réservé une
chambre où j’ai déposé tous mes bagages et je suis sorti, décidé {
découvrir le mystère de cette lettre. A la réception je me suis surpris
puisque j’ai rencontré une des femmes qui voyageaient dans l’avion, on
parla et on finit par dîner ensemble, elle s’appelait Nina. Je ne suis donc
pas allé { l’université mais elle me proposa de m’y accompagner le jour
d’après…

Je me suis réveillé plus tôt que Nina qui était paisiblement endormie
{ coté de moi. On s’est habillé et on est parti voir la fameuse université.

Nous marchâmes le long des rues et lorsque nous arrivâmes un


groupe de japonais s’approcha et commença { prendre des photos. Ils sont
insupportables, n’est-ce pas ? Il y en a partout.

La façade était exactement comme dans mon rêve, j’avais la


sensation d’avoir vu une photo. J’ai attendu beaucoup de temps; comme
rien ne se passait, je me suis proposé de retrouver la grenouille cachée.

Après un quart d’heure de recherche, je l’ai enfin retrouvée et ZAS !!


Comme la première fois, un flash m’aveugla, sauf que cette fois lorsque
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j’ouvris les yeux je n’avais pas bougé et rien n’avait changé, les japonais
étaient toujours l{, le soleil aussi et personne ne paraissait s’être rendre
compte du flash. J’étais désespéré : que fallait-il que je fasse pour que
quelqu’un m’explique la lettre !!!!

J’ai passé le reste de la journée { me le demander mais sans trouver


de réponse, je ne sais même pas comment Nina ne s’est pas rendue
compte que j’étais absent pendant tout le reste de la visite de la ville.

Le soir, on est revenu { l’hôtel après avoir dîné, mais ne me


demandez pas ce qu’on a mangé puisque je ne me le rappelle pas, mais
aujourd’hui je suis directement allé dans ma chambre me coucher, j’avais
beaucoup de choses auxquelles penser.

Lorsque je me suis réveillé comme toujours je me suis douché et je


me suis habillé, je suis descendu à la cafeteria et j’ai pris le petit déjeuner
avec Nina.

Dans la rue, on sentait qu’il allait faire un beau jour. Le soleil perçait
entre les rues et les gens paraissaient contents, même les oiseaux
chantaient. Je me dirigeai vers la cathédrale lorsqu’un groupe d’Italiens
croisa mon chemin et je fus surpris car...je comprenais ce qu’ils disaient, je
fus surpris, pourquoi comprenais-je l’italien ? Ne serait-ce pas une
illusion ? Mais mes soupçons furent confirmés lorsqu’un autre groupe
passa et que je compris ce qu’ils disaient en russe ! C’était bizarre, il faut
l’admettre mais je continuai quand même { marcher en me demandant ce
que cela pouvait être. Je suis sur que tu te doute que quelque chose
d’étrange s’est passé puisque je n’arrête pas de faire des insinuations. Bon
je vais vous expliquer ce qui s’est passé. Je suppose que vous avez tous vu
le film de Spiderman ; vous savez lorsque Peter revient après s’être fait
piquer par l’araignée et que lorsqu’il se réveille il a des capacités
surhumaines, c’est { peu près la même chose qui s’est passé dans mon cas
sauf qu’au lieu d’être des changements physiques, ce qui s’est produit a été
des changements mentaux. Ces changements mentaux, on pourrait les
qualifier d’élargissement de mémoire : { partir du jour où j’ai regardé la
grenouille, je peux me rappeler mes vies, comment dire, antérieures.

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Je sais que Thémistocle était en fait le héros de la bataille de
Marathon et pas seulement de celle de Salamine et que Miltiade n’était pas
le héros de cette bataille puisqu’il a volé la gloire à Thémistocle.

Je sais que l’Atlantide se cache sous l’eau de la mer Morte.

Je sais que les jardins de Babylone, une des sept merveilles du


monde ancien n’ont jamais existé.

Et je sais beaucoup d’autres choses.

Pour résumer, je peux me rappeler chaque odeur, chaque image,


chaque petit détail que mon âme a senti, vu, observé pendant toute son
existence, pendant ses plus de 900 vies d’existence !

En regardant Nina, une lumière s’alluma dans mon cerveau. Je me


rendis tout à coup compte que Nina me rappelait quelqu’un, quelqu’un
que j’avais connu il y a des milliers d’années : Néfertari, la reine d’Egypte !

En la regardant, elle a compris que je la regardais bizarrement et me


dit :

- Tu t’es enfin rappelé.

Sauf qu’elle était en train de parler égyptien et moi je le comprenais.

- Ohlalala ! T’as vu l’heure qu’il est ? Bon, chérie, c’est l’heure de


dormir.

- Non, un peu plus, s’il te plait.

- Oh non je te raconte la fin de l’histoire demain, elle est trop longue


pour pouvoir la finir maintenant. Si tu ne comprends pas un mot dis-le-
moi et je te l’explique. Ok ?

- Oui c’est bon j’ai tout compris

- C’est bien. Bonne nuit.

- Bonne nuit, papa.

Jose Lorenzo
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UNE ILLUSION D’HOMME
Bizarre… certaines heures passent si vite et d’autres si lentement. Je ne
ressens rien, c’est étrange… On a tous imaginé ce que l’on ressentirait et ferait
dans cette situation. Quelle est notre stupeur lorsque l’on vit enfin ces instants
et que l’on ne ressent rien et ne fait rien. Rien. De toute façon, que faire dans ce
lieu sinistre et glacial à part réfléchir sur sa vie ? La mienne je l’ai ratée. Mais
qu’est ce que le mot raté veut dire ? Tout est relatif ! Allons bon, voilà que je me
mets { faire de la philosophie, moi qui l’ai toujours trouvée inutile et stupide.

J’ai toujours voulu faire quelque chose d’important. D’important oui, mais
quoi ? Je ne voulais pas mener une vie médiocre, comme les autres à travailler
toute ma vie dés l’âge de 15 ans jusqu’{ 65 ans pour mourir { 73 ans et que mon
existence soit oubliée, privée de sens par sa banalité. Non, moi je voulais
marquer mon temps ; qu’importe le moyen mais lorsque l’on prononcerait mon
nom, tous se souviendraient de qui je suis, de qui j’étais…

Je n’ai jamais suivi d’autre idéal, ni eu aucun lien avec personne. Solitaire
et impitoyable. Telle était ma réputation. « Le fou» voil{ comment on m’a
appelé. Mais pourquoi chercher absolument une explication ? Après tout, les
Dieu m’ont fait ainsi ! M et Mme Dieu morts en 44 au Havre sous les
bombardements américains. J’ai passé mon enfance dans une famille d’accueil.
D’aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours eu l’impression de rêver ma vie
comme si j’allais bientôt me réveiller. Quelle est cette réalité dont j’entends
parler autour de moi ? Quelle garantie ai-je d’avoir vraiment vécu tous ces
« souvenirs » ? Ne suis-je pas le jouet d’un créateur tout-puissant qui aurait
introduit dans mon cerveau vierge de bébé le film de ma vie ? Une mémoire
artificielle en quelque sorte, une illusion… Ce qu’il me fallait alors c’était un acte
fort, marquant, bien ancré dans le présent, un acte suffisamment « anormal »
pour pouvoir affirmer le reste de ma vie : J’y étais ! Ce fut le jour où j’abattais
Polo le chien de ma famille d’accueil d’une décharge de chevrotines, { bout
portant… Je venais d’avoir 15 ans. Mais je n’ai pas réussi { déchirer ce voile
d’illusion, je ne l’ai qu’effleuré. Après tout, je ne sais même pas si ce voile existe
vraiment. Cette illusion n’est peut-être qu’une autre illusion. Toujours est-il que
je me suis enfui, loin, très loin de cette maison d’adoption. Je voulais briser tout
lien avec mon passé et j’ai, sans le savoir, pénétré dans ma vie d’adulte.

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J’ai quitté la région rapidement grâce { l’auto-stop. Curieusement mes
« parents » n’avaient pas donné l’alerte, on ne me recherchait pas, je n’ai jamais
compris pourquoi. Mais j’ai essayé de « m’intégrer» comme on dit, après avoir
été placé dans un centre pour enfants fugueurs. Ils ne m’ont posé que très peu
de questions. Je leur ai raconté que l’on me battait et que si je rentrais ils me
tueraient. Ils n’ont jamais rien su de moi. Un an plus tard je m’enfuyais bien
décidé à me prendre en main.

Par la suite j’ai voulu être le seul maître de mon destin ; j’ai voulu faire les
choses les plus anormales possible. J’ai donc décidé de voler : au départ des
petits vols à main armée, puis je suis passé à plus grande échelle. Un soir de juin,
j’ai braqué un casino. Le jackpot ! J’étais riche { en mourir. La suite de ma vie n’a
jamais été qu’une course après l’image que je voulais donner de moi-même. J’ai
menti, triché, volé, abusé… J’ai donné une image totalement différente de ce que
j’étais. M’abusant moi-même, je me suis perdu dans mes rêves et mes illusions.
J’y croyais tellement. ! C’était beau ! J’étais bien habillé, roulait belle voiture,
parlait haut. J’avais du succès ! J’avais ma vie bien en main et les autres pliaient
devant moi. J’étais une illusion. Mais au fond de moi-même, j’avais l’impression
que ce destin n’était pas vraiment mon choix, que ce choix ne faisait partie que
de ce voile. Cette fois, j’ai décidé de le déchirer ; comme le chien n’avait pas
suffi, il me fallait quelque chose de plus fort, de plus anormal. J’ai tué un parfait
inconnu rencontré par hasard dans la rue, mais ce voile était encore là, bien
présent. Il y eut bien sûr des témoins pour me dénoncer. J’ai été condamné et
délaissé de tous mes « amis ». Je me rends compte finalement que ma vie n’a
jamais eu de sens ; elle n’a servi { rien. Je suis incarcéré dans un asile
pénitentiaire de haute sécurité ; heureusement ma « folie » a été prise en
compte sinon j‘aurais été exécuté { l’heure qu’il est.

Aujourd’hui je suis seul face { moi-même. Qui suis-je finalement ? Du


vent, du vide…. Une illusion d’homme qui aurait aimé être aimé tout
simplement…

Augustin Fennebresque

133
Le Voyage dans le Temps

J’avais jamais aimé me réveiller, mais je me rappelle que ce matin-là


c’était plus dur que d’habitude. J’avais mal de partout, comme si on
m’avait injecté avec du goudron, et chacun de mes mouvements était
ralenti et lourd. Ma tête était enflée et la lumière entrant par la fenêtre à
ma gauche paraissait beaucoup trop lumineuse, irréelle presque. Je
m’appuyai sur mes coudes pour me relever lentement, et compris tout de
suite que je n’étais plus dans ma chambre, dans mon lit, où j’étais censée
l’être.

J’étais dans une chambre immense, étrange, qui sentait le bois et


l’herbe ; allongée dans un lit somptueux { baldaquins recouvert de draps
rouges et dorés. Je me tournai vers la gauche mais il n’y avait pas de réveil
sur la table de nuit, seulement un vieux livre recouvert de poussière, qui
moisissait un peu sur les bords. Je sautai du lit, terrifiée, et tomba parterre
sur un parquet glacial orné d’un tapis orange et bleu. Je ne comprenais
plus où j’étais, ni pourquoi j’y étais, et un courant d’air venu de la porte
entrouverte me donnait des frissons. Je me relevai et fis un tour de la salle,
regardant de gauche à droite, de haut en bas, essayant de me rappeler de
ce que j’avais fait hier soir qui aurait pu me faire retrouver ici. Rien ne me
vint { l’esprit. La décoration était antique, ringarde, le verre de la fenêtre
fermée était cassé et les murs étaient recouverts de tableaux datant de le
Renaissance de jeunes femmes en train de coudre et de scènes de chasse.

A mon avis la personne qui vivait ici devait être vieille (si pas déjà
morte) et je me décidai à la trouver pour essayer de comprendre ce que je
faisais l{. Je scrutai la pièce une dernière fois mais ce fut en vain : il n’y
avait aucun téléphone, aucun ordinateur, aucune technologie. Je
m’avançai vers le placard mais n’y trouva que de grandes robes de bal et
quelques vieilles pièces d’argent dont on voyait même plus le dessin.

Le couloir et les escaliers étaient exactement pareils : vieux, en bois ;


et chacun de mes pas résonnait { travers la maison. Et c’est l{ que je me
dis que peut-être j’étais remontée dans le temps, même si cela me
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paraissait impossible ; car ne je trouvais pas d’explication logique { cette
situation. Arrivée en bas des escaliers je me trouvai face à face à un miroir
et ce fut l’horreur : j’étais habillée en femme de chambre du 17éme siècle,
mes habits normaux ayant disparus, et je poussai un cri désespéré.

Je sentis que j’avais faim, et me dit que j’arriverais { mieux réfléchir


l’estomac plein. La salle { ma droite était gigantesque ; remplie de tables et
de fauteuils luxueux et au centre se trouvait le chandelier le plus grand
que j’ai jamais vu de ma vie. C’était une salle { manger comme dans le
château de Versailles, et je la fouillai de haut en bas mais je ne trouvai
toujours pas de moyen de communication avec le monde extérieur.

J’abandonnai ma recherche et m’assis sur une des chaises


recouvertes de soie. Je vis une pomme sur la petite table en bois qui se
trouvait à ma droite et mordis dedans. J’étais retournée dans le passé,
comme femme de chambre d’un château abandonné. Ce n’étais pas
exactement ce que j’avais envisagé pour après le BAC…

Tout { coup j’entendis des pas de chevaux qui s’arrêtaient devant le


palais. Je fis tomber ma pomme { moitié mangée et d’un petit coup de
pied l’envoya sous le canapé. Je rajustai ma robe qui partait dans tous les
sens et essaya de me recoiffer.

La porte s’ouvrit et j’entendis une voix d’homme. « Tout le monde


est près ? »

Prise de panique, je fonçai vers la première porte que je vis et me


cacha { l’intérieur de la petite salle. Il n’y avait que des piles et des piles
d’habits, et je m’enfonçai de plus en plus en arrière car j’entendais
l’homme qui se dirigeait vers moi.

Soudainement je trébuchai sur quelque chose et tomba en arrière.


Ma robe volait dans tous les sens et je ne voyais plus rien à cause de mes
cheveux. Je les poussai hors de mon visage et pris l’objet qui m’avait fait
tomber dans les mains : c’était une chaise en bois normale, avec écrit en
grosses lettres sur le dos « scénariste ».

Alors l{ j’étais vraiment perdue.

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La porte s’ouvrit et mon regard terrifié fut rencontré avec le regard
confus d’un homme qui portait des jeans, des converses, un T-shirt noir, et
qui poussait un petit chariot portant un ordinateur d’où sortait des sons
d’animaux.

« Qu’est ce que tu fais l{ toi ? » Me demanda-t-il d’un air perplexe.

Je ne répondais pas, et il hocha de la tête d’un air frustré et rajusta


son casque où était attaché un petit micro.

« Bon, j’ai trouvé la troisième. Elle était cachée dans le placard {


déguisements, à mon avis il va falloir la remaquiller avant de pouvoir
tourner la scène, elle { l’air vraiment bizarre l{. »

Il me tendit la main et je la lui pris, confuse. Il me tira debout et me


poussa en avant, vers une porte où était écrit « Exit » qui se trouvait
derrière un rideau en soie.

« Allez, dépêche, ce film va pas se tourner tout seul. »

Megan Shephard

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Ont participé :
Adrien BLOCH Le soir du Solstice d'Hiver
James DENMAN L'illusion incroyable
Samuel DENTON-THOMPSON Mémoire - Bonheur ou Malheur
Katarzyna DOMAGALA Fausses Mémoires
Alexandre FELICIO Ce Sacré Skyzo
Augustin FENNEBRESQUE Une Illusion d'homme
Antoine FERREIRA En fait, c'était la fin
Theo GALLOIS Le Temps des Fleurs
Quentin GERARD-COESTER Illusions Successives
Elise GUIGNARD Par la fenêtre
Matthew HAUGHTON L'Importance de L'Œil
Manon KNOERTZER L'Opportunité du Crépuscule
Maya LANG L'Illusion de l'aventure
Maïlys LEMAITRE Ce n'est qu'un nouveau départ
Lewis LOCKWOOD La fin du Rêve
José LORENZO VALMASEDA Une Histoire
Mégane ODIN Quand la réalité n'est qu'une illusion
Martine PALMA L'Œil Révélateur
Louise PIGNET La Maison de Poupées
Rica PINTO Le désert de la fin
Peter SCHINDLER L'Invisible à l'œil
Charlotte SCLAPARI L'Œil Traître
Megan SHEPHARD Le Voyage dans le Temps
Timo SIEBERT La Fin du Monde
Emilie TAROUILLY La Grotte du Dragon
Angelica Kiyomi Dian TISSEYRE Confession: au-delà mes yeux le voient
Soukaïna Marina TROUILLER Compte à Rebours
Mélanie VANNIER Illusion d'une présence passagère
Pauline VASKOU Quand j'avais 13 ans, mon père est mort
Derhen VILLIERS-MORIAME Spéculations crépusculaires
Xavier VOL Quatorze Printemps
Wenda ZHOU Mémoires Effacées

Illustrations :

Couverture : Martine Palma,

4ème de Couverture : Manon Knoertzer

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