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[10] ÉT A T DE LA QUESTION
Il n'y a qu'une question, sous divers angles de vue: l'introduction de l'euro. Texte
européen de base pour la période transitoire, le Règlement du Conseil (de l'D.E.) 974-
98 du 3 mai 1998 (cf. D. 98, L. 191, J.C.P, 98, 3, 20079). ..
B.G. - Quelques exemples seulement d'une production surabondante autour
de 1998 : ouvrages d'information, G. Milési, Le roman de l'euro, 1998; de polémique,
tantôt pour, P. Kauffmann, L'euro, 1997, tantôt contre la monnaie unique, J.-J. Rosa,
L'erreur européenne, 1998.
HISTOIRE
D. Cahen, L'usage privé de fE.C. V., 1985: Emerson et Huhne, L'écu, 1991 ; Beker~
man et Saint-Marc, L'écu, 1993. Une décision du ministre de l'Économie du
9 mars 1989 autorise les particuliers à se faire ouvrir des comptes bancaires en écus.
En fait, à l'échelle individuelle, les frais qui grèvent les opérations courantes en écus
restent dissuasifs. Ce sont les grandes entreprises qui s'intéressent à cette monnaie, où
elles croient voir une monnaie privée, échappant à l'emprise étatique, plus stable, par
conséquent. -Pourtant, l'écu n'est pas une monnaie purement privée, il dépend d'une
constellation de souverainetés monétaires, et le souverain national lui-même pourrait
agir unilatéralement sur elle en altérant sa propre unité. De fait, dès 1992, plusieurs
souverains ont agi, les uns, en dévaluant, un autre (1'Angleterre) en sortant du sys-
tème. des parités fixes. Au 1er juin 1992, l'écu était coté à Paris 6,90 F;
au 21 mars 1995, 6,44 F ; au 10 août 1998, 6,64 F.
b) L'écu de Maastricht. - Le traité .cite en bonne place parmi les objectifs de
l'U.E. l'établissement «à terme» d'une monnaie unique et il nomme celle-ci: la
monnaie unique, l'écu... (a. G. - 3 A ; et plus loin a. 109-1).·11 n'empêche que, les 15-
16 décembre 1995, le Conseil de' l'U.E. va débaptiser la monnaie unique et la
rebaptiser euro. A la demande de l'Allemagne. Pour quels motifs? Explication
vaseuse dans le Préambule (2) du Règlement 974. La similitude de nom avec l'écu-
panier pouvait nuire à l'image de la monnaie européenne auprès du public allemand,
car le panier, ayant embarqué des monnaies faibles, avait donné des signes
d'instabilité. Et puis, ein Ecu sonnait un peu comme eine Kuh, coïncidence fâcheuse.
A ceux qui soutinrent que, le traité étant changé, le référendum d'approbation était
caduc, on rétorqua que le changement ne touchait pas à la substance. Mais cette
réponse elle-même était superficielle: le nom monétaire est le support du nomina-
lisme, qui est un principe de droit; joint que, pour certains électeurs français, le mot
qui avait une signification historiquement rassurante, avait pu être la cause de la déci-
sion. L'U.E. n'en a pas moins passé outre, et même par un renversement de position,
elle a finalement admis que les obligations libellées en écu-panier seraient convertibles
en euros à parité.
c) L'euro monnaie unique. - C'est un sens plus fort que monnaie commune. Sous
un régime de monnaie commune (dont le désir a souvent été imputé aux gouverne-
ments anglais), l'euro et les monnaies nationales auraient concomitamment cours
légal. La pratique réserverait sans doute l'euro au commerce et surtout au commerce
international, tandis que, dans chaque pays, la monnaie nationale continuerait de
dominer les rapports de droit civil. Cette cohabitation est admise, il est vrai, pour la
période transitoire 1999-2002. Mais, à partir de 2002, l'euro aura le monopole du
cours légal, le franc sera aboli en tant qu'unité monétaire, et les billets ou pièces qui
le représentaient ne seront plus que des objets sans nature de monnaie. Il est vraisem-
blable, à en juger par ce qui s'est passé dans le cas des deux francs (cf. infra, n° 21),
que longtemps encore après 2002 des Français rédigeront des contrats, des testa-
ments en monnaie française. La sanction équitable devrait être non pas la nullité de
l'acte pour violation d'un ordre public (européen), mais la conversion de plein droit
des francs en euros au taux de conversion arrêté par le Conseil de l'U.E. (selon
l'a. 109 L.-4 du traité).
[12] Théorie de la monnaie 19
Dans le parcours haché qui mènera à la monnaie unique, chaque phase nouvelle
paraît s'enclencher sur la précédente par une nécessité irrécusable et, le terme atteint,
tout retour en arrière, dit-on, sera impossible - de sorte qu'à aucun moment les déci-
deurs n'ont eu, n'auront quoi que ce soit à décider. Plus exactement, la décision a été
prise une fois pour toutes dans le big-bang du référendum sur Maastricht. Après quoi
20 Droit civil [13]
HISTOIRE
paiements monétaires du XIIe au XVIIIe S., Festgabe Simonius, Bâle, 1955, p. 133 s. ;
Timbal, Les obligations contractuelles d'après la jurisprudence du Parlement (Xllf-
XIV s.), l, 1973, 335 s. ; Vilar, Or et monnaie dans l'histoire, 1978 ; M.-Thérèse Boyer-
Xamben, Monnaie privée et pouvoir des princes, 1986. Le rôle du droit romain a surtout
consisté à pourvoir le Moyen Age et les siècles postérieurs de textes antinomiques; les
plus fameux, cependant, à n'en pas douter, sont d'accent nominaliste (Dig. 46, 3, 94, 1,
où Papinien met en formule la fongibilité absolue de la monnaie: In pecunia non cor-
pora quis cogitat, sed quantitatern, et la loi Origo de Paul, Dig. 18, l, l, pr., affirmation
d'une théorie étatique). Le Moyen Age pratiqua une conception féodale de la
monnaie: comme tant d'autres attributs de la souveraineté, celui-ci fut patrimonialisé ;
le prince avait le droit de tirer profit de son domaine des monnaies, en fixant et, au
besoin, en changeant la valeur des espèces. Les mutations monétaires s'opéraient soit
par diminution du poids de métal précieux contenu dans les pièces en circulation (d'où
la légende de Philippe le Bel le roi faux-monnayeur, nous dirions aujourd'hui dévalua-
teur, et de Charles IX encore, v. le Discours 88 de Brantôme), soit par un procédé plus
intellectuel (le plus courant à partir du XVIe S.), l'augmentation du cours des monnaies
réelles (le louis, l'écu) exprimé en monnaie de compte (en livres; les obligations étant
libellées en livres, si un édit vient décider un matin que le louis d'or qui valait précé-
demment 20 livres en vaudra 24, tout se passe comme si la livre était dévaluée de 20 % ;
un créancier de 24000 livres recevra 1 000 louis d'or là où il aurait dû en recevoir
1 200). Le XVIe s. fut une période très active pour le droit monétaire (cf. Szlechter, La
monnaie en France au XVIe S., R.H.D., 1951, 500 et 1952, 80). Après un repos,
l'attention fut ramenée sur ces questions par le système de Law.
Daguesseau (Considérations sur les monnaies, 1718) nous découvre très nettement la
pratique du droit monarchique en la matière. Ce n'est pas un témoin suspect: adver-
saire acharné de Law, il décrit avec complaisance les ruines que ne peut manquer de
semer toute manipulation monétaire (cf. Hubrecht, in Le chancelier Henri-François
d'Aguesseau, Limoges, 1953, p. 103 s.). Mais, sur le principe du droit positif, il est for-
mel: sauf une courte période (1577-1602), tous les Rois ont regardé les « stipulations
par livres imaginaires [qui permettaient de dévaluer les créances de sommes d'argent]
comme l'Arcanum imperii, le secret d'État, dont ils ont tous été également jaloux ».
L'explication est que l'État est le plus grand débiteur: « C'est sur ce principe que les
débiteurs ont gagné leur cause contre les créanciers par un usage qui tient lieu de loi. »
La même thèse se retrouve chez Pothier, notamment dans le passage (Prêts de consomp-
tion, nOS 36 s.) qui a inspiré ra. 1895, C.C.
Pendant la Révolution, la crise des assignats fit clairement sentir à l'opinion
publique, comme aux juristes, l'incidence des phénomènes monétaires sur les rapports
de droit privé. V. F. Crouzet, La grande inflation, la monnaie en France de Louis XVI à
Napoléon, 1993 (sévère pour la Révolution). Le retour à une monnaie forte suscita
(1. 15 germinal an IV et 5 messidor an V) une législation, techniquement très remar-
quable, de conversion des obligations. De toute cette expérience monétaire, le C.C. n'a
rien retenu, parce que l'on crut en 1804 - et avec raison - que la stabilité monétaire
était restaurée pour un long temps. Il y a plus qu'une coïncidence, il y a un rapport
causal entre la loi du 17 germinal an XI (qui définit le franc de germinal) et la codifica-
tion civile de l'an XII: il eût été vain de prétendre stabiliser les relations sociales dans
l'instabilité monétaire. L'existence de la loi de germinal explique que le C.C. ait pu se
30 Droit civil [18]
PHILOSOPHIE
oublié depuis 1971 : « Le véritable adversaire, le seul. .. cet argent qui tue, qui achète,
qui ruine, qui pourrit jusqu'à la conscience des hommes... » Plutôt qu'à travers le
temps, c'est à travers l'espace que la comparaison doit être menée. Le contraste est
celui de deux cultures, l'une nordique, l'autre latine - avec peut-être, par-derrière, le cli-
vage hérité du XVIe s. : là-bas les témérités d'une liberté sans confesseurs, ici la défiance
canonique à l'égard de l'usure et du trafic d'argent.
SOCIOLOGIE
Des valorismes automatiques et surtout semi-automatiques partiels (ex. pour les fer-
mages, notre a. L. 411-11 C. Ru. (nouveau]) peuvent fonctionner correctement. Un valo-
risme automatique général encourt des objections graves d'ordre pratique: la gêne résul-
tant de la nécessité d'un calcul avant chaque paiement est contraire au génie de la
monnaie, qui est fluidité, rapidité (allez greffer une indexation sur des comptes payables
à vue, sur des billets circulant de la main à la main). Mais surtout on peut s'interroger,
dans la théorie économique, sur la possibilité rationnelle du système, et s'il n'est pas
absolument indispensable qu'il y ait quelque part des créanciers nominalistes sacrifiés
pour que d'autres puissent jouir de leur valorisme. Fût-il théoriquement possible, le sys-
tème serait, du reste, humainement improbable, car, opérant parfaitement, il annihilerait
dans ses effets la dépréciation monétaire. Or, il est des circonstances extraordinaires
(guerre, crise économique profonde) où la dépréciation monétaire, comme moyen de
financer les dépenses de l'État, de soulager les débiteurs, etc., peut être commandée par
un intérêt vital de la nation. Celle-ci ne peut abdiquer d'avance le droit d'y recourir. Il
est vrai que les manipulations monétaires peuvent devenir, au service d'un gouvernement
faible ou malhonnête, un moyen de facilité. Mais, plutôt que de construire le droit civil
en considération d'un État décadent, ne vaudrait-il pas mieux faire effort pour empêcher
la décadence de l'État? D'autant que, sur ce fait des monnaies, les peuples ont,
d'ordinaire, les gouvernements que secrètement ils se souhaitent.
2° Valorisme contractuel. - Le créancier de somme d'argent court deux risques:
insolvabilité du débiteur et dépréciation de la monnaie. Le valorisme contractuel lui
permet de stipuler des clauses d'indexation qui sont des sûretés contre la dépréciation
monétaire. Critique essentielle: ces clauses tendent à créer une monnaie parallèle, une
monnaie privée, dont le souverain n'est plus maître. D'un point de vue économique, on
leur reproche d'avoir des effets inflationnistes. C'était, en temps de franc faible, la
fameuse course entre les salaires et les prix. Il convient d'observer, toutefois, que lors
même que les salaires ne seraient pas indexés contractuellement (par ex. dans les
conventions collectives), on n'empêchera jamais une indexation morale, de fait ou de
force, en réponse à la vie chère: il faut bien que le salarié vive. Le valorisme contrac-
tuel, en tout cas, est inégalitaire (il ne peut, d'ailleurs, fonctionner qu'à condition de
n'être pas général) : ce sont les malins qui prennent leurs sûretés. A malin, il est vrai,
malin et demi. Lorsque l'inflation s'accélère, tout gouvernement a la tentation d'en
accuser les indexations, et sans les interdire, il s'efforce de les neutraliser subreptice-
ment. En principe, les indices auxquels les clauses se réfèrent sont établis, à partir de
données objectives, par des organismes indépendants. Mais, indirectement, par le con-
trôle des prix, s'il subsiste, par des accords de modération, par une influence diffuse,
l'État a toujours un moyen de freiner le mécanisme. Et les gouvernements ont tellement
d'intérêt à ne pas attiser les revendications haussières qu'ils sont facilement soupçonnés
de tirer les indices vers le bas. Deux exemples de ces distorsions critiquées:
- L'indice des prix ou indice du coût de la vie. Cf. J.-P. Piriou, L'indice des prix,
1992 (ouvrage remarquable). L'indice officiel est établi par l'I.N.S.E.E. Tel que restruc-
turé en 1993, il a sa morale (il se refuse à intégrer le coût du tabac) ; son réalisme aussi: à
la différence d'indices étrangers, il prend en compte le facteur qualité (car une améliora-
tion du produit équivaut à une baisse de son prix). Mais non pas le facteur temps sous
ses aspects très divers: la durée de l'objet (le progrès d'un objet a souvent pour rançon la
rapidité de son usure), ni le temps requis pour l'obtenir (si 5 jours sur 7, il faut recourir à
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un plombier S.O.S., le prix moyen des réparations est sensiblement majoré). C'est de cet
indice que se servent les pouvoirs publics pour mesurer l'inflation (ce qui n'est pas tout à
fait la même chose, l'inflation se mesurant plus directement sur l'accroissement de la
masse monétaire). En 1972, la C.G.T. avait établi son propre indice, qu'elle s'efforçait de
pousser dans les négociations salariales; et comme il avait une contexture différente,
prenant davantage en compte certains besoins populaires, on ne s'étonnait pas qu'il fût
en avance sur celui de l'I.N.S.E.E. (25 % environ pour 1993). Il a maintenant disparu.
- L'indice du coût de la construction. L'indice que l'I.N.S.E.E. publie au J. O. est le
seul auquel puissent se référer licitement les baux à usage d'habitation pour faire varier
le prix du loyer (1. 6 juill. 1989, a. 17 d; d. 19 oct. 1982). Mais il existe d'autres indices,
celui des professionnels du bâtiment (BT 01), celui de l'Académie d'Architecture. La
comparaison des tableaux (ex. Rev. des loyers, 99, 354-356) montre, sans surprendre,
qu'ils ont constamment et assez sensiblement dépassé l'indice officiel. L'indice précité
de l'Académie est le seul à faire apparaître en base 1 le coût de 1914, passé à 6081 en
décembre 1998. Même divisée par 100 pour éliminer le passage au franc nouveau,
l'augmentation est propre à expliquer les « crises du logement» au xx e s. (et la néces-
sité d'un logement plus ou moins subventionné par la collectivité).
3° Valorisme a posteriori ou valorisation. - Le principe étant le nominalisme, et
étant supposé qu'il n'y a pas eu de clauses d'indexation stipulées, ou qu'elles n'étaient
point valables, l'une des parties dans le rapport d'obligation (singulièrement le créan-
cier) peut subir un préjudice si le paiement porte sur le montant nominal de la créance
alors que.l'unité monétaire a été altérée; cette partie, victime de l'application du prin-
cipe nominaliste, aura droit à une compensation; et notamment, le créancier pourra
demander une valorisation (revalorisation) de sa créance dépréciée. Ce n'est pas la
même chose qu'un valorisme automatique. La valorisation n'est jamais garantie
d'avance; elle n'est qu'une faveur de la loi, dosée suivant les circonstances.
D'ordinaire, elle ne répare pas entièrement le préjudice causé par la dépréciation de la
monnaie, et elle ne le répare pas de la même manière pour les créanciers de toutes les
catégories. Elle peut tenir compte des besoins des créanciers, comme aussi des facultés
des débiteurs, ceux-ci pouvant se trouver appauvris de leur côté par les contrecoups de
la dépréciation. Une technique très savante de valorisation avait été mise en œuvre par
la législation allemande de 1924-1925 après la chute catastrophique du mark impérial
(cf. Kerlsonaïde, Influence de la stabilisation sur les contrats en France et en Allemagne,
Th. Paris, 1931). Au contraire, le reproche le plus grave que l'on peut faire au droit
monétaire français est d'avoir toujours négligé la valorisation - sous prétexte que les
dévaluations successives du franc n'étaient jamais des anéantissements.
On n'a commencé à valoriser qu'en 1949, et encore d'une manière très fragmen-
taire, puisqu'il ne s'est agi que des rentes viagères, considérées comme répondant à un
besoin quasi alimentaire (1. 25 mars et 2 août 1949, remaniée annuellement depuis 1971
(ex. 1. finances, 30 déc. 1998, a. 125)). Cf. Bergel, R. T., 73, 45. Ces lois successives sont
intéressantes en ce qu'elles apportent (bien que toujours avec retard et réticence) l'aveu,
par les responsables, de l'ampleur de la chute (ex. en 1999, il y a lieu d'ajouter 346,1 F
à une rente de 100 F constituée en 1964).
b) Conclusion. - L'inflation, à une dose estimée «convenable », est maintenant
intégrée au discours officiel. On se contente de surveiller le « différentiel d'inflation»
avec l'Allemagne (sans précision, du reste, sur les incertitudes des comparaisons trans-
[20] Théorie de la monnaie 35
1. - Le droit monétaire
a) Sur les caractères propres du droit monétaire, cf. Nomos, nomisma, Flexible
droit, 1998, 357. - Des définitions plus ou moins larges en ont été proposées: ex.
« l'ensemble des règles de droit dans lesquelles la monnaie intervient, soit comme objet
immédiat ou médiat, soit comme instrument ou ressort» ; ou encore « l'ensemble des
rapports de droit dans lesquels entre un élément monétaire» (donc un prix), de même
que l'on a défini le droit international (privé) comlne les rapports de droit où entre un
élément d'extranéité. Cependant, il est probable que les recherches sur le contenu du
droit monétaire en droit français seront bientôt périmées, refoulées par l'attention que
devrait susciter le droit monétaire en droit communautaire. Que la Communauté ait
compétence en matière monétaire, compétence exclusive, excluant totalement les droits
nationaux à partir de 2002, ce n'est guère discutable (cf. Libchaber, in Sousi et al., Les
aspects juridiques du passage à l'euro, Lyon, 1996, p. 1-11). Mais une question délicate
se pose, qui est interne à la Communauté: au sein de celle-ci, le droit monétaire ne
forme-t-il pas un îlot de droit autonome? Car, au lieu que, de droit commun, le pou-
voir d'édicter des règlements communautaires appartient à la Commission de l'U .E., la
Commission de Bruxelles (et au Conseil des ministres), la compétence pour réglementer
«le fait des monnaies» paraît bien avoir été réservée à la seule Commission de la
Banque centrale européenne, la Commission de Francfort.
b) Il existe un Code des instruments monétaires et des médailles (d. 26 juin 1952,
D. 52, 1. 221). Mais il est loin d'être la synthèse du droit monétaire: c'est une compila-
tion des dispositions antérieures concernant la fabrication et la circulation des instru-
ments, ainsi que la répression pénale de leur contrefaçon (adaptée au N.C.P. par la
1. 92-1336 du 16 déc. 1992).
c) Compétence respective de la loi et du règlement. - L'a. 34 de la Constitution de
1958 inclut dans les matières législatives le régime d'émission de la monnaie. Si la for-
mule devait être restreinte, suivant sa lettre, au monopole d'émission, ou même à
l'autorisation d'émettre, en telle ou telle quantité, les divers types d'instruments moné-
taires, elle n'aurait pas grand intérêt à notre époque. Il serait plus rationnel, et plus
démocratique, d'entendre que, désormais, le droit monétaire dans sa t.otalité relève de
la loi: ainsi, la définition de runité monétaire, la détermination de sa parité, donc de sa
valeur~ et, en fait, sa dévaluation. Toute dévaluation ne se traduit-elle pas par un impôt
sur certaines formes de capital, un prélèvement empirique et, partant, inégalitaire? Or,
les impositions de toute nature sont du domaine de la loi. Mais la pratique n'est point
en ce sens. C'est par décret que le contrôle des changes fut rétabli en 1968, et c'est par
des avis de la Banque de France, qualifiés plus tard de décisions, que la valeur exté-
rieure du franc s'est trouvée périodiquement fixée (sur la nature de ces avis, simples cir-
36 Droit civil [21]
Le droit civil n'offre guère d'occasion pratique pour méditer sur l'unité monétaire
isolément considérée. Mais que l'unité se multiplie, il recouvre son intelligence: 100 000
F, c'est une somme d'argent, un actif (ou un passif) dans son patrimoine. Quand un
individu dit avoir 100000 F, cela peut signifier qu'il a dans un tiroir 200 billets de
500 F, ou un compte en banque, qui est une créance, d'un égal montant. On ne sait, et
peu importe en l'état. La somme d'argent existe indépendamment des instruments
monétaires dont elle fait l'addition, ou de la créance qui lui sert de véhicule dans le
commerce juridique. C'est, pour l'instant, une quantité, quanti/as (au sens de Papinien,
supra, n° 17). Il est des cas où son existence se détache très clairement: ainsi, lorsqu'un
testateur fait un legs particulier de somme d'argent à prélever sur l'actif successoral.
On prête, on dépose une somme d'argent: des obligations de somme d'argent vont
en naître, il est vrai que la quantitas préexistait. Mais d'un dépôt d'instruments monétai-
res sortira une obligation de somme d'argent (cf. Grua, Le dépôt de monnaie en banque,
D. 98, chr., 259 ; Qu'est-ce qu'un compte en banque ?, D. 99, chr. 255). Plus remarquable-
ment, on peut mettre une somme d'argent en gage, non pas des instruments monétaires,
mais par diverses combinaisons (cf. M. Cabrillac, Les sûretés conventionnelles sur
l'argent, Mélanges Derruppé, 1991, 333 ; Corn. 9 avr. 1996, D. 96, 399, n. Larroumet;
Corn. 3 juin 1997, 0.98, 61, J. C.P., 97,2,22891), la somme qu'ils représentent: le gage
38 Droit civil [22]
est, pourtant, un droit réel (cf. infra, n° 38). Dans la banale opération de virement, enfin,
la notion atteint l'extrême de son dépouillement: les créances et cessions de créances qui
en sont le support s'effacent, c'est une somme d'argent qui est transférée.
d'argent, avaient droit à une quote-part de l'immeuble grevé (ce qui ne resta pas sans
influence sur les lois allemandes de revalorisation, cf. supra, na 19 b 3°, où ces créan-
ciers bénéficièrent d'un traitement préférentiel). Mais il est d'autres fonds de couverture
(ex. réserves des compagnies d'assurances pour les assurés; actif social de la société
anonyme pour les obligataires) : la plus-value constatée dans ces fonds devrait justifier
la valorisation des créances dont ils sont le gage.
- L'idée que le créancier a mis une valeur réelle dans le patrimoine du débiteur (idée
utilisée couramment pour expliquer par ex. que le vendeur de meuble ait un privilège
contre l'insolvabilité de l'acheteur, a. 2102-40 ; cf. Marty-Raynaud-Jestaz, Sûretés,
na 435). Si l'argent du créancier a été employé à acquérir une valeur réelle, il serait ration-
nel et juste de reconnaître à ce créancier un privilège de droit monétaire sur la valeur
acquise. La subrogation réelle pourrait servir de base technique à la solution (cf. infra,
nOS 65, 114) ; la fonction de protection qu'elle exerce contre le risque d'insolvabilité serait
étendue au risque monétaire. La maxime fondatrice, res succedit loco pretii, a une signifi-
cation antimonétaire : elle substitue une valeur réelle à la créance de somme d'argent. Le
raisonnement est latent dans l'économie de la loi du 25 mars 1949 sur la révision des ren-
tes viagères entre particuliers (a. 2 bis, 3 ; ou à l'inverse, a. 2 et 4). On le retrouve sous
des textes tels que les a. 860, al. 2, 869, 1099-1, 1469 in fine, par lesquels le législateur
contemporain a ouvert les yeux sur la dépréciation monétaire, et sans remettre en ques-
tion le principe consensualiste qui veut que, dans la vente, l'origine des deniers soit sans
incidence sur le transfert de la propriété à l'acheteur (cf. infra, na 114), l'a néanmoins
corrigé en articulant les droits de celui qui a fourni l'argent sur la valeur du bien que son
argent a servi à acheter. Un arrêt rendu à propos de l'a. 869 (Civ. 1 18 janv. 1989, D. 89,
305, n. Morin, l.C.P., 90,2,21465, n. Vigneau, R. T., 89, 794, n. Patarin) est très signifi-
catif. Il décide que le texte a vocation à s'appliquer à un prêt aussi bien qu'à une dona-
tion, ce qui le conduit à reconnaître qu'il y a là une dérogation à l'a. 1895, al. l, c'est-à-
dire à une norme de nominalisme monétaire.
~ Monnaie scripturale
ait à se préoccuper de la qualité de la chose ou de ses défauts (même pas de ce défaut uni-
versel qu'est le vieillissement: la monnaie est imprescriptible; elle peut bien être démo-
nétisée, mais c'est par un effet de droit public) ; plus extraordinaire encore, fongibles
avec toutes autres choses, parce que pouvant, en dernière instance, les remplacer toutes.
- Aspects de droit public. Le souverain monétaire retient un droit (les légistes du
Moyen Age féodal disaient: une propriété éminente) sur les instruments monétaires qu'il
émet, ce qui justifie son pouvoir de les démonétiser en leur retirant par décret le cours
légal (l. 8 août 1993, a. 5, al. 2). On lui reconnaît aussi un droit sur la masse monétaire en
tant que telle, qui est, entre les mains du public, masse fluctuante qui englobe même les
espèces faussées (a. R. 645-9 N.C.P., car elles concour~nt par l'apparence à grossir la cir-
culation). De son droit sur la masse monétaire résulte qu'il puisse agir sur elle par défla-
tion et surtout inflation, altérant ainsi la valeur de chaque instrument en particulier.
Ce droit du souverain est, pour lui, une source de profit, qui devrait avoir pour
contrepartie des obligations (obligations de droit public), il est vrai, de sanction incer-
taine : d'abord l'obligation d'assurer l'échange des instruments démonétisés contre des
instruments nouveaux à égalité de valeur et sans délai de forclusion autre qu'une pres-
cription raisonnable (dix ans, 1. 8 août 1993, a. 5, al. 2) ; ensuite, l'obligation de sup-
porter le risque de la fausse monnaie à l'égard des porteurs de bonne foi (d'autant que
la faute peut lui être reprochée de n'avoir pas su émettre des espèces infalsifiables; 1. 8
août 1993, a. 4, 5, l'émetteur doit veiller à la sécurité des systèmes de paiement, à la
bonne qualité de la circulation fiduciaire). Cependant, la crainte que les complices des
faux-monnayeurs ne prissent trop aisément le masque d'usagers de bonne foi a de tout
temps amené la législation à la solution contraire: non seulement le souverain ne
reprend pas la fausse monnaie, mais il punit, quoique d'une main légère, celui qui,
l'ayant reçue pour bonne, essaie après s'en être aperçu de la remettre en circulation
(a. 442-7, 442-8 N.C.P.) ; et pour être sûr que personne n'éprouvera de tentations, il
enjoint de ne pas la conserver par-devers soi (a. R. 645-9 N.C.P.). Une exception serait,
tout de même, justifiée dans le cas où il a créé une fausse sécurité en proclamant son
nouveau billet infalsifiable (ex. le Cézanne de 100 F en 1997).
2° C'est avant 1914 que fut élaboré, pour des billets qui en valaient la peine, un
régime juridique du billet de banque. Cf. J. Marchal et M. O. Piquet-Marchal, Essai sur la
nature et l'évolution du billet de banque, Rev. internat. d'histoire de la banque, 1979, et
Hommage R. Besnier, 1980, 201. - 1° Le billet est imprescriptible. Civ. 8 juill. 1867,
motifs, S. 67, 1, 317, dit qu'il ne peut y avoir de prescription là où l'obligation n'a pas de
point de départ ni d'échéance. Mais les billets continuent d'être datés, et cette date (de la
fabrication) pourrait servir de point de départ. Néanmoins, l'imprescriptibilité, qui
s'expliquerait mal si le billet de banque était, comme on l'avait jadis soutenu (Perroud,
Essai sur le billet de banque, Th. Lyon, 1901), un droit de créance du porteur contre
l'émetteur, est en harmonie avec l'idée qu'il est une monnaie valant par elle-même. Il est
vrai qu'en période de récession les économistes se prennent à penser que la prescriptibi-
lité aurait du bon comme moyen de lutter contre une thésaurisation jugée malfaisante:
quelques-uns ont préconisé une monnaie fondante qui serait une monnaie graduellement
prescriptible, mais la dépréciation lente de la monnaie joue empiriquement ce rôle. Si
nous en restons au droit positif, il nous apparaîtra que l'imprescriptibilité est un bon cri-
tère pour juger de ce qui est ou n'est pas monnaie privée. Ainsi, la 1. 3 janv. 1975 (modi-
fiant l'a. 73-1 de la loi sur le chèque) n'a pas été, comme les premières apparences le fai-
46 Droit civil [24]
saient craindre, jusqu'à autoriser les particuliers à battre monnaie en coupures de 100 F,
lorsqu'elle a imposé aux banques le paiement de ces petits chèques malgré le défaut de
provision: l'obligation du banquier cesse~ en effet, un mois après l'émission. _2° Le bil-
let ne peut être reconstitué s'il a été, par force majeure, soit totalement détruit, soit si gra-
vement mutilé qu'il n'a plus forme de monnaie: Civ. 8 juill. 1867, S. 67, 1, 290, O. 67, 1,
289 ; Civ. 12 mars 1869, O. 69, 1, 470. S'il s'agissait d'un droit de créance, l'a. 1348 auto-
riserait le créancier à suppléer par la preuve testimoniale au titre écrit. Mais il s'agit
d'une monnaie absolue, sa reconstitution n'est pas plus possible que celle d'une pièce
métallique. - 3° Le billet peut-il être l'objet d'une revendication en cas de perte ou de
vol? La législation sur les titres au porteur perdus ou volés lui est inapplicable (1. 8 août
1993, a. 4, in fine; cf. infra, n° 231), ce qui donne à croire qu'il est autre chose qu'un titre
au porteur incorporant un droit de créance contre l'émetteur, mais n'exclut pas a priori
la possibilité de le soumettre, comme un meuble corporel quelconque, au droit commun
des a. 2279-2280. L'a. 1238, al. 2, atteste que, pour une monnaie même absolue (car les
rédacteurs de ce texte avaient dû songer aux pièces métalliques), la revendication n'est
pas inconcevable. Encore faut-il que les billets puissent être identifiés. Jadis, quand on
craignait de les perdre ou de se les faire voler, on en relevait les numéros. C'est une pra-
tique à laquelle les prises d'otages ont rendu quelque actualité, car il y a là un moyen de
suivre les rançons à la trace. Il semble, cependant, que la revendication, du moins contre
un tiers porteur de bonne foi, soit àrejeter par principe: elle irait contre les exigences de
la circulation monétaire, plus fortes assurément que celles de la circulation commerciale
ou même boursière (cf. a. 935 C.S.S.).
b) La monnaie scripturale. - V. Y. Chaput et M.-O. Schôdermeier, Effets de com-
merce, chèques et instruments de paiement, 1998; J. Oevèze et Ph. Petel, Instruments de
paiement et de crédit, 1999; J. Oupichot et O., Guével, Effets de commerce et chèques,
1996 ; Gavalda et Stoufflet, Effets de commerce, chèques, cartes de paiement et de crédit,
1998 ; M. Jeantin et P. Le Cannu, Instruments de paiement et de crédit, 1999; Putman,
Moyens de paiement et de crédit, 1995; Ripert, Roblot, M. Germain et P. Oelebecque,
Traité de droit commercial, t. 2, 1996; Krimmer, La carte de paiement en France, Rev.
internationale de droit économique, 1994 (2),217. On se laisse aisément entraîner à traiter
le chèque et le virement comme des monnaies, tant que l'on considère tout ce qui les
sépare des cessions de créance du droit civil ou même des effets de commerce, lettre de
change et billet à ordre. Cf. J.-L. Rives-Lange, Études H. Cabrillac, 1968, 405 ; Gavalda,
J. C.P., 78, 2, 18806 (par ce rapprochement avec la monnaie peut s'expliquer, notam-
ment, la jurisprudence qui a admis le don manuel par chèque ou virement; cf. infra, n°
239, g). Mais, quand on les compare au billet de banque, on voit trop ce qui leur fait
défaut en instantanéité et fluidité pour devenir des monnaies au sens plein du terme.
Outre le phénomène de psychologie sociale qui est inséparable de la pratique du chèque:
non pas le chèque sans provision, mais la fréquence (française) des chèques sans provi-
sion, devant laquelle en 1992 la répression pénale a baissé les bras, se déchargeant sur les
banques. C'est le vice caché de la monnaie scripturale. - Les cartes de crédit ont fait
rebondir la recherche dans une autre direction: v. M. Cabrillac, Monétique et droit de
paiement, Aspects du droit privé en fin du xxe S. (Études M. de Juglart) ;'1986, 83 S. ; Vas-
seur, Le paiement électronique, aspects juridiques, J. C.P., 85, 1,2206, où il est lumineu-
sement démontré que la monnaie électronique n'est qu'une monnaie scripturale - pas
tout à fait monnaie - gérée électr<?niquement ; D. Martin, Analyse juridique du règlement
[25] Théorie de la monnaie 47
la monnaie, moyen de paiement, préside à la circulation des biens et des services. Mais
il est aussi présent dans l'évaluation: l'homme pourrait se contenter de classer les cho-
ses suivant ses préférences intuitives s'il vivait en autarcie: c'est à l'égard des autres
qu'il lui faut un étalon. Et que dire de l'appropriation? Le trésor de l'avare n'a de sens
que par la convoitise des autres.
~ Cours légal
sens du cours légal est alors que le créancier de 100 F est obligé
d'accepter un billet de 100 F en paiement pour 100 F et non pas seule-
ment pour 50 F. Le cours légal contribue ainsi à l'application pratique
du principe nominaliste: le créancier ne peut prétendre recevoir plus
d'unités monétaires sous prétexte que l'unité monétaire s'est dépréciée
depuis la naissance de l'obligation.
Le cours légal trouve une sanction civil dans la procédure des offres
réelles et de la consignation (v. t. IV, n° 329) : le débiteur consignera,
après avoir fait des offres réelles, les instruments lTIonétaires refusés par
le créancier, et il sera libéré. Cette sanction civile, comme la sanction
pénale de l'a. R. 642-3 précité, a surtout une vertu comminatoire.
Le Règlement 974 n'annonce pas (cf. a. 12) quelles seront les sanc-
tions du cours légal de l'euro.
1. IV, n° 285), elle a affirmé que les juges avaient le pouvoir et même le
devoir d'indexer les rentes viagères allouées aux victimes. Parallèlement,
la loi, en 1972 et 1975 (a. 208, al. 2, 276-1, al. 2), a légitimé l'indexation
judiciaire des pensions alimentaires. On remarquera, toutefois, que,
dans ces différents cas, il s'agit moins d'obligations monétaires que de
dettes de valeur (cf. 1. IV, n° 12) : le débiteur doitfaire vivre le créancier,
ce qui donne à l'obligation un contenu naturellement variable.
Ce sont les indexations par excellence, celles qui mettent le plus clai-
rement en relief les limites du principe nominaliste, le caractère d'intérêt
privé (de simple protection du débiteur) qui a été finalement attribué par
la jurisprudence à ce principe. La pratique de l'indexation convention-
nelle s'était considérablement développée après la seconde guerre mon-
diale et les vagues de dépréciation qui s'en étaient suivies: aussi avait-
elle donné naissance à toute une technique de rédaction et
d'interprétation, au travers de laquelle la notion s'était beaucoup
affinée. Pour s'en tenir à une définition sommaire, on peut dire que les
clauses d'indexation sont des modalités de l'obligation de somme
d'argent qui tendent à en faire varier le montant de plein droit en fonc-
tion des variations de certains indices, c'est-à-dire en fonction des varia-
tions, statistiquement constatées, qui pourront affecter, dans l'avenir, le
prix de certains biens ou services. Si, par ex., la statistique révèle que le
prix de la viande de bœuf (français), retenue pour indice, est passé de 100
à 200 entre la naissance et l'échéance de la dette, ce qui laisse supposer
que l'unité monétaire s'est dépréciée de moitié par rapport à cette caté-
gorie de biens, le débiteur ne pourra se libérer qu'en transférant au
créancier une quantité double d'instruments monétaires.
Toutes les conventions qui prévoient une variation de l'obligation
de somme d'argent ne sont pas, pour autant, des clauses d'indexations.
Ce qui caractérise celles-ci, c'est leur automatisme: au départ, il est
besoin de la volonté contractuelle pour les mettre en place, mais, par la
suite, pour leur fonctionnement, cette volonté n'est plus nécessaire (cf.
dans le vieil a. 1291, al. 2, l'automatisme de la compensation, lorsque le
prix des prestations « est réglé par les ~ercuriales »). C'est la statistique
(étymologiquement, un mécanisme d'Etat) qui détermine les variations
des indices, en enregistrant des prix sur lesquels les contractants n'ont
pas d'action perceptible. Supposons, différemment, qu'il ait été
convenu, dans un bail commercial, que le loyer variera à proportion du
chiffre d'affaires, il y a participation à l'entreprise, non pas clause
52 Droit civil [29]
tif. Ce qui fut fait par l'ordonnance du 4 février 1959 (dont l'a. 14 a
été imbriqué dans l'a. 79 d'une o. 30 déc. 1958). A la vérité, créant au
même moment une nouvelle monnaie, un franc régénéré après regon-
flement, ils auraient pu penser qu'il y avait là une promesse de stabilité
qui rendait inutiles pour un siècle au moins les clauses d'échelle
mobile. Mais sans doute ne nourrissaient-ils pas eux-mêmes trop
d'illusions. Le fait est qu'après dissipation des brumes matinales on vit
réapparaître la hideuse inflation. Du coup l'indexation conventionnelle
n'eut pas le temps de s'assoupir. Mais elle dut s'accommoder du cadre
de l'ordonnance. Tout n'est pas permis.
trat, soit avec l'activité de l'une (ou l'autre) des parties. Cette relation
laisse présumer, en effet, que la hausse de l'indice bénéficiera d'ailleurs
au débiteur ou qu'elle rééquilibrera une perte que le créancier aura
d'ailleurs supportée. Par référence à l'objet, entre deux particuliers, la
promesse de vendre une maison pourra être indexée sur le prix de la
pierre. Par référence à son activité (professionnelle, commerciale,
pourra-t-on dire le plus souvent), le fabricant pourra indexer le prix
des produits sur celui de la matière première. L'existence de la relation
directe est une question de fait. D'où une casuistique des juges du
fond. Dans le prêt d'argent, l'objet du contrat ne pouvait être entendu
que comme sa cause: la destination des deniers prêtés (ex. un emprunt
en vue d'acheter une maison est indexable sur le coût de la construc-
tion). La loi a établi une présomption de relation directe entre ce coût
et toutes les «conventions relatives à un immeuble bâti» (formule
vague; 1. 2 juill. 1970, incluse dans l'o. 4 févr. 1959), et pour les
chiffres, elle a conféré privilège, sinon exclusivité, à l'indice de
l'I.N.S.E.E., institution d'Etat dont la modération est connue.
b) Inefficacité de l'indexation. - Les clauses interdites, étant con-
traires à l'ordre public, sont frappées de nullité absolue. D'avoir été
appliquées en fait pendant un certain temps, ne leur vaudrait pas
confirmation.
Mais même licite, l'indexation peut être paralysée par un incident de
parcours: si par ex. l'indice choisi cesse d'être publié. Il arrive, cepen-
dant, que les tribunaux, en pareil cas, substituent à l'indice disparu
l'indice disponible le plus analogue (cf. a. 1157). Une loi (99-546) du
17 juill. 1998, a. 24, al. 2, a conféré compétence à des arrêtés ministériels
pour procéder d'autorité à une substitution çie cette sorte, quand elle est
rendue nécessaire par l'introduction de l'euro (c'est à la marge de la
correction constitutionnelle). Il ne paraît pas, en revanche, que les juges
aient jamais admis une partie à critiquer l'adéquation de l'indice choisi
à la réalité des prix. Il est pourtant excessif de prêter à des statistiques,
même officielles, la même présomption irréfragable de vérité que le
cours légal imprime à la monnaie.
~ L'indexation conventionnelle
dans le système de l'euro
Pour y voir plus clair, il est bon de se placer par anticipation dans
la période qui connaîtra la monnaie unique de plein exercice : à partir
de 2002.
[30] Théorie de la monnaie 55
[31] 2 1 LA MONNAIE
COMME INSTR UMENT D'ÉVALUATION
N'ont été retenues que des questions relatives à l'indexation. Elles ont été très acti-
ves jusqu'en 1990; et elles continuent à offrir un modèle de construction juridique,
même si l'euro jette sur leur avenir une ombre, elle-même incertaine.
POLITIQUE JURISPRUDENTIELLE
droit de payer aliud pro alio (une monnaie par trop altérée est aliud) ; le contrat avait
perdu son «fondement» (sa cause) ; et puis, il y avait la bonne foi, l'imprévision. La
théorie de l'imprévision, en thèse générale, est repoussée par les tribunaux français de
l'ordre judiciaire (v. 1. IV, n° 144, et l'arrêt fondamental en la matière, Civ. 6 mars
1876, S. 76, 1, 161, est même relatif à l'imprévision monétaire). Mais, sous cette
réserve, on observe que les outils qui avaient suffi à la jurisprudence allemande pour
organiser une valorisation judiciaire étaient déjà à la disposition des juges français: la
bonne foi et le respect de la volonté réelle des parties (a. 1134 et 1156), le changement
d'objet, la disparition de la cause, et on pouvait y ajouter peut-être l'abus du droit (un
débiteur qui, nanti lui-même des valeurs réelles et capable de payer intégralement,
s'acquitte du seul montant nominal, n'abuse-t-il pas du droit que lui a donné le prin-
cipe nominaliste ?). Pour se servir de ces moyens juridiques, il a manqué à nos tribu-
naux seulement un peu de hardiesse, et pour les y encourager, une dépréciation plus
accélérée du franc. On pourrait encore imaginer d'autres correctifs à la dépréciation
monétaire en se plaçant du côté du débiteur, qu'elle enrichit: l'obliger à restituer cet
enrichissement sans cause (cf. t. IV, n° 307 ; mais l'enrichissement n'a-t-il pas une cause
juridique dans le principe nominaliste lui-même? V. cep. Trib. Civ. Gap, 5 mai 1922,
motifs, D. 23, 2, 17, note critique Rouast) ; le déclarer tenu d'une obligation naturelle,
de sorte que, s'il valorise spontanément, il ne puisse plus revenir sur le supplément ainsi
payé (v. t. IV, n° 8).
PRATIQUE EXTRAJUDICIAIRE
l'ensemble), conclut à l'abrogation des ordonnances, leurs freins s'étant révélés désor-
donnés et impuissants; L. Boyer, Du nominalisme monétaire à la justice contractuelle,
Mélanges Marty, 1978, 87 ; Boccara, l.C.P., 78, 1, 2905 ; J. Honorat, Études Flour,
1979, 251. Avec le ralentissement de l'inflation depuis 1990 (le franc fort de Bérégo-
voy), le contentieux s'est visiblement raréfié, d'autant qu'un seuil est couramment sti-
pulé, en deçà duquel le mécanisme ne se déclenche pas.
Il est probable que, sous le régime de l'euro, l'indexation ne retrouvera pas (en tout
cas, pas tout de suite) sa vogue française. Une première raison en est que l'influence
nationale la plus forte qui s'exercera sur la pratique monétaire sera, sans doute, celle de
l'Allemagne. Or - en contraste avec le droit anglais, très favorable par libéralisme éco-
nomique aux stipulations indexées, voire directement libellées en monnaies étrangères
(mais justement l'Angleterre est en dehors de l'euro) - le droit allemand a toujours été
plutôt hostile à ce type de clauses, sans les prohiber complètement, se contentant par-
fois de les soumettre à une autorisation de la Bundesbank (cf. Pédamon, Le contrat en
droit allelnand, 1993, p. 126). C'est la conclusion à laquelle paraît aboutir une étude
approfondie, G. Gruber, L'euro et les clauses d'indexation, D. 99, chr. 258. Aux argu-
ments juridiques, certains ajoutent une raison de fait: que la parfaite stabilité des prix
attendue de la monnaie unique rendra inutiles toutes les combinaisons de garantie.
Mais c'est une promesse plus qu'un argument. Les dépenses publiques de l'U.E. peu-
vent un jour échapper à la maîtrise de la Banque centrale européenne, déterminant
ainsi des phénomènes d'inflation; et le dollar, qui y échappe par nature, pourra par
son dynamisme devenir plus attractif que l'euro.
b) Limites de validité de l'indexation.
1° Clauses à référence monétaire. Laissons de côté les contrats internationaux, ceux
qui donnent lieu à des mouvements de flux et reflux de fonds par-dessus les frontières
(selon le critère de la jurisprudence Matter, du nom d'un avocat général de l'époque, D.
31, 1, 5) ou plus largement ceux qui sont destinés à financer des opérations du com-
merce international (ce serait le critère moderne; cf. Civ. 1 13 mai 1985, Bull., n° 146) :
la validité n'y est pas contestée. A l'opposé, dans l'ordre interne, auquel nous nous
limitons, il y a toujours eu contestation. Et même à l'heure actuelle, où l'économie de
marché paraît triomphante, ses appels à la liberté sont refoulés par une nostalgie de la
défense du franc. D'où des oscillations en jurisprudence. Pour l'or: validité d'une
clause valeur-or, dans un contrat purement interne (Civ. 1 4 déc. 1962, D. 63, 698, n.
Pédamon, l.C.P., 63, 2, 13033, n. Esmein), mais nullité d'une indexation sur la valeur
des pièces d'or (Civ. 2 22 oct. 1970, l.C.P., 71,2, 16636 bis). Pour les devises étrangères,
auxquelles la pratique s'intéresse davantage, un arrêt (Civ.' 10 mai 1966, D. 66,497, n.
Malaurie, l.C.P., 66, 2, 14871, n. J.-Ph. Lévy; cf. Corn. 30 avr. 1969, D. 69,
Somm. 98) avait paru consacrer une combinaison qui permettait d'échapper à la nul-
lité, en utilisant la distinction entre monnaie de compte et monnaie de paiement (v.
supra, n° 10): il n'était pas interdit de stipuler directement en monnaie étrangère
pourvu que le paiement effectif fût prévu exclusivement en monnaie française. Mais,
vingt ans après avoir ouvert cette issue, la Cour de cassation l'a refermée par deux
arrêts très nets, Civ. l 12 janv. 1988, D. 89,80, n. Malaurie, R.T., 88,740, n. J. Mestre,
et Civ.' Il oct. 1989, D. 90,167, n. E. S. de La Marnierre, l.C.P., 90,2,21393, n.
J .-Ph. Lévy: la combinaison imaginée n'est qu'une indexation déguisée; portant sur
des indices illicites parce que monétaires, elle est entachée de nullité. L'arrêt de ] 988
[36] Théorie de la n10nnaie 63
destination des deniers prêtés, sans se contenter de l'affirmation des parties (cf. trib. Le
Mans, 1er mars 1983, J.C.P., 83,2,19991). Mais, par la suite, Civ. ' 27 oct. 1981, Bull.,
n° 311, n'a pas renouvelé cette exigence.
mobile. Mais ils dévoilent aussi l'infériorité congénitale de cette monnaie de substitu-
tion : nécessitant pour fonctionner un recours fréquent au juge, elle manque de la flui-
dité, de la liquidité qui fait la force de la monnaie véritable.
2° Inefficacité d'indices licites. Les difficultés de l'échelle mobile surgissent souvent
en cours de contrat. II arrive que l'indice qu'avaient choisi les contractants cesse d'être
publié (ex. Civ. ' 22 mai 1967, l.C.P., 67, 2, 15214). C'est, en somme, un cas
d'imprévision (cf. 1. IV, n° 144). On est tenté de conclure à l'impossibilité d'exécution,
qui est une cause d'extinction des obligations (arg. a. 1302; cf. 1. IV, n° 4). Mais, rai-
sonnant dans une conception plus monétaire, on se dira que, pour une obligation de
somme d'argent, il ne peut jamais se produire une impossibilité d'exécution, tout au
plus la nécessité d'une conversion de monnaie à monnaie. C'est en ce sens que se pro-
noncent ici les arrêts: l'indice devenu impossible est converti dans le plus proche indice
possible. Ainsi, après la suppression du S.M.I.G., Civ. 3 6 mars 1974, D. 74, 249, n.
Voulet, a transformé une échelle S.M.I.G., non pas en échelle S.M.I.C., mais en échelle
«minimum garanti », jugée plus voisine de ce qu'avaient voulu les intéressés (cf. Corn.
25 févr. 1963, l.C.P., 63,2, 13231 ; Civ. 3 2 mai 1972, Bull., n° 268). Il faut, en effet, que
l'indice de substitution puisse se recommander d'une interprétation probable des volon-
tés contractuelles (Corn. 30 juin 1980, et Civ. 1 9 nov. 1981, R.T., 82,142 et 601, n. Cha-
bas). Une question ne semble pas avoir été soulevée en jurisprudence: une partie pour-
rait-elle, après un certain temps d'exécution, contester l'indice accepté par elle, sous
prétexte qu'il ne fonctionne plus correctement? Il n'est pas rare, en effet, qu'un indice,
à la longue, perde de son mordant par un relâchement des méthodes, ou qu'il soit
soupçonné d'être manipulé par le pouvoir ou par des groupes de pression (cf. les deux
exemples cités supra, n° 19, a, 2°). En s'inspirant d'une analogie privatiste, l'institut qui
élabore et publie des indices se laisserait aisément comparer à l'arbitre, arbitrator, qui,
dans un contrat tel que la vente (a. 1592), peut être chargé de fixer le prix (cf. 1. IV, n°
55). Or, il est de principe que le prix fixé par l'arbitrator est définitif et que les contrac-
tants ne peuvent le critiquer (Corn. 12 nov. 1962, D. 63, Somm. 63). On réserve, toute-
fois, les cas d'erreur, de dol ou de violence, ce qui rouvre une faculté de critique qui ne
serait pas absolument intransposable à l'hypothèse des indexations. Mais, si l'on voit
dans l'échelle mobile une monnaie de substitution, elle doit, comme toute monnaie, être
irrécusable.