FRANCE-MONDE
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES : AU LENDEMAIN DU SECOND TOUR, LEÇONS ET PERSPECTIVES
attu sur ses terres bor-
B delaises, Alain Juppé
a appliqué à la lettre
la consigne martelée
par François Fillon et démis-
sionné dès dimanche soir de
son poste de ministre. Com-
ment analyser sa défaite?
Nous avons interrogé Olivier
Ihl, directeur de l’IEP de Gre-
noble.
F Le cas d’Alain Juppé il-
lustre-t-il la difficulté d’opé-
rer un retour en politique ?
- Ce qui est sûr, c’est que la
condamnation est un obs-
tacle à un retour en politique,
pour des raisons morales.
Mais il y a des contre-
exemples, comme Patrick
Balkany ou Jacques Méde-
cin, qui, malgré leur condam-
“Comment voulez-vous
que j’aille ? ”
ifficile pour Alain Juppé d’inaugurer hier, comme si de rien
D n’était, le Salon Vinexpo à Bordeaux. C’est ainsi qu’au len-
demain de sa défaite, il a craqué. Entouré par une nuée de
journalistes venus plus pour lui que pour le Salon, le ministre
démissionnaire a eu la réplique cinglante. “Comment voulez-
vous que j’aille?” “Ce que vous voulez, c’est que j’aille très très
mal, c’est cela qui vous exciterait. On sent une délectation
amusante” a-t-il lancé, amer, à des journalistes. Et de lâcher:
“Si je pouvais crever, vous seriez contents”. “C’est la curée. Ils
veulent savoir si je vais mal” a-t-il ajouté devant son entou-
rage. Le visage fermé et l’air tendu, il n’a pas voulu s’étendre
plus: “J’ai dit ce que j’avais à dire hier soir (dimanche, ndlr), je
ne dirai rien de plus aujourd’hui”.
Comment les différents partis font face aux conséquences du scrutin
F Jean-Pierre Chevènement,
l’autre démissionnaire
“Je resterai présent” a déclaré Jean-Pierre Chevènement
depuis Belfort. PQR / Pascal LAINE
l n’y a pas qu’Alain Juppé
I qui démissionne après avoir
perdu ces élections législa-
tives. Dans un autre parti et
pour un autre mandat, Jean-
Pierre Chevènement a fait de
même hier. Il a ainsi remis hier
soir au préfet sa démission de
la mairie de Belfort qu’il diri-
geait depuis 1983.
“La confiance des électeurs
de la deuxième circonscrip-
tion du Territoire de Belfort
m’ayant fait défaut, j’ai remis
ce soir ma démission à Mon-
sieur le Préfet” a déclaré l’ex-
ministre. Dans son fief histo-
rique, il a été battu pour la
seconde fois. Il a toutefois
Questions autour du “cas Juppé”
nation, ont gardé l’estime de
leurs concitoyens. D’autres
éléments ont néanmoins
joué. Le souvenir du passage
d’Alain Juppé à Matignon,
qui a été une période très
houleuse pendant l’hiver 95,
son absence du terrain durant
sa période d’inéligibilité, ont
eu un poids non négligeable.
Le Québec enfin, l’a éloigné
de la vie bordelaise. Les
contacts avec les électeurs
ont été distendus. On n’ob-
tient pas sans coup férir le
pardon des électeurs.
“On n’obtient
pas sans coup férir
le pardon
des électeurs”
F Comment analyser la
réaction d’Alain Juppé,
lo rs qu ’ il s o upç on ne la
presse d’être excitée par son
malheur ?
- Cette agressivité témoigne
d’un sentiment bien compré-
hensible d’amertume. Cela
lui paraît probablement dis-
q tuation qui explique que le
ajouté qu’il resterait “pré-
sent” dans le Territoire de Bel-
fort dont il est natif sans don-
ner plus de précisions.
Au second tour de l’élection
législative dimanche, M. Che-
vènement n’a recueilli que
45,52% des suffrages, contre
54,48% pour l’UMP Michel
Zumkeller, qui lui avait ravi
son siège en 2002.
Le président d’honneur du
MRC (Mouvement républi-
cain et citoyen) avait déjà indi-
qué mardi dernier qu’il ne se-
rait pas candidat à sa
succession à la mairie de Bel-
fort en cas de défaite aux lé-
gislatives. q années va baisser de plus de
proportionné, injuste. Mais
s’en prendre à la presse est
excessif. Car il n’y a pas eu de
campagne médiatique parti-
culière dirigée contre lui. Il
s’agit vraisemblablement
d’un mouvement d’énerve-
ment passager. Alain Juppé
est capable de dignité, de
hauteur. Il se reprendra.
F Un ministre battu aux
élections doit-il obligatoire-
ment démissionner ?
- Nous sommes en présence
ici d’une jurisprudence pure-
ment “sarkozyenne”. Il n’y a
aucune obligation juridique.
Demander à un ministre qui
n’a pas obtenu l’onction élec-
torale de démissionner doit
être analysé dans le cadre de
l’opposition qui a régi les rap-
ports entre Nicolas Sarkozy et
Dominique de Villepin. Le
premier ministre, qui était
seulement un grand serviteur
de l’État, a souffert au plus
fort de la crise du CPE de ce
manque de légitimité popu-
laire. C’est dans ce cadre que
la ligne a été édictée. Elle a le
mérite d’être claire et d’être
suivie d’effets.
Propos recueillis
par Véronique JULLIARD
“Mauvaise nouvelle pour le gouvernement”…
S a défaite est “une mau- battu a été reçu hier à Mati- sormais prise en compte de
vaise nouvelle pour le gnon par François Fillon.
gouvernement”. Dès di- Officiellement, “le Premier lité du redécoupage reposait personnel d’Alain Juppé. Hu- Rappelons qu’il avait récupéré
manche soir Jean-François
Copé analysait ainsi la situa-
tion d’Alain Juppé. Car sa dé-
mission est lourde de consé-
quence pour l’équipe de
Nicolas Sarkozy. Alain Juppé
était en effet le numéro deux
du gouvernement, chargé du
très symbolique super-minis-
tère de l’Écologie et du Déve-
loppement durable. Une si-
F MoDem : le camp Bayrou très affaibli
ne petite poignée de dé-
U putés. C’est à cela que se
résume le MoDem après les
législatives. Très affaibli
François Bayrou va donc ten-
ter de faire vivre son nouveau
mouvement avec l’espoir de
se refaire une santé aux scru-
tins municipaux et cantonaux
de 2008.
Mais l’UDF-MoDem sort es-
soré des législatives avec
seulement trois députés plus
un apparenté: François Bay-
rou et Jean Lassalle, réélus
dans les Pyrénées-Atlan-
tiques, et deux nouveaux
élus, Thierry Benoit (Ille-et-
Vilaine) et Abdoulatifou Aly
(Mayotte). Conséquence di-
recte de ce petit nombre:
François Bayrou va se retrou-
ver sans groupe parlemen-
taire à l’Assemblée.
Des critiques s’élèvent par
F Front national : des caisses à renflouer
our certains, les lende-
P mains d’élections ont des
conséquences
très concrètes.
Le président du Front na-
tional, Jean-Marie Le Pen, a
ainsi lancé hier une “sous-
cription nationale SOS Front
national”, demandant aux
électeurs d’aider financière-
ment son parti pour faire face
à une dette de “plusieurs
millions d’euros”.
“La situation financière du
FN” après la déroute des lé-
gislatives “est très préoccu-
pante” a-t-il expliqué depuis
le siège de son parti à Saint-
Cloud. Et de lancer un “ap-
pel solennel” aux militants
mais aussi “aux citoyens
français conscients des
règles élémentaires de la dé-
mocratie”.
La subvention de l’État au
FN pour les cinq prochaines
Après son échec législatif, Alain Juppé n’est plus que maire de Bordeaux. Un mandat sur lequel il laisse
planer le doute depuis dimanche soir. Archives Le DL, AFP / Jean-Pierre MULLER
façon prioritaire. La crédibi- L conséquence pour l’avenir s a b i l i t é s nationales.
ministre a souhaité rencon-
trer Alain Juppé pour lui faire
part de son respect et de son
amitié”. Mais la crise est là
quand même. En composant
ce département ministériel
aux compétences incluant les
transports et la politique de
l’énergie, Nicolas Sarkozy et
François Fillon voulaient
marquer que la protection de
l’environnement serait dé-
ailleurs des rangs des séna-
teurs UDF. Jean Arthuis a es-
timé hier que la “stratégie
d’autonomie du centre a
montré ses limites”, et an-
noncé une réunion pour ce
soir visant à clarifier la posi-
tion du groupe sénatorial
“vis-à-vis du gouvernement
et de François Bayrou”.
Le leader centriste se re-
trouve donc confronté à une
nouvelle traversée du désert
malgré son score de 18,57% à
la présidentielle, et l’intérêt
suscité par le MoDem, qui re-
vendique 78 000 demandes
d’adhésion. Des bons points
qu’il faudra concrétiser avec
des “assises” prévues à la
rentrée pour fixer les orienta-
tions du parti, censé rompre
avec l’image de l’UDF trop
ancrée à droite. q et cantonales.
la moitié, en raison de son
faible résultat au premier
tour des législatives.
Le parti va aussi avoir à
rembourser plusieurs mil-
lions d’euros de dettes accu-
mulées par les candidats qui
n’ont pas passé la barre des
5% au premier tour.
En revanche, Jean-Marie
Le Pen a minimisé l’impact
politique des deux échecs du
FN à la présidentielle et aux
législatives, estimant que “la
banalisation des idées” fron-
tistes était en réalité “un
gage pour l’avenir” du parti.
Il a enfin rappelé qu’il n’avait
pas l’intention de se retirer:
“Je ne suis pas de ceux qui
embarquent dans les canots
de sauvetage pendant la
tempête, mais de ceux qui
montent sur la passerelle
pour prendre leurs responsa-
bilités”. q “souscription nationale SOS Front
... et pour lui-même
a défaite est lourde de tive de reconquête de respon-
en grande partie sur la per-
sonnalité du ministre choisi
pour piloter ce nouveau mas-
todonte: M. Juppé, un ancien
Premier ministre, poids lourd
politique et expert de l’action
gouvernementale nationale
comme internationale. D’où
la difficulté pour trouver un
remplaçant... q doute demain]. La mairie de
François Bayrou vise désormais
les prochaines municipales
AFP / Jacques DEMARTHON
Jean-Marie Le Pen a lancé une
national”. AFP / Olivier LABAN-MATTEI
REPÈRES
DES AVIS
SUR SA DÉMISSION
n Selon Eric Besson,
secrétaire d’État chargé de la
Prospective et de l’Évaluation
des politiques publiques, “la
règle” de démission d’un
ministre non élu aux
législatives n’est “pas
mécanique”. “Nicolas Sarkozy
est capable de transgression
sur un certain nombre de
sujets : il peut le faire sur ce
point” a-t-il expliqué.
En revanche, pour Roselyne
Bachelot, “très triste” de la
défaite d’Alain Juppé, sa
démission est acquise et “il
sera remplacé”. La ministre de
la Santé a rendu hommage au
ministre de l’Écologie sortant,
“un homme politique majeur
de notre pays”.
Plus surprenant, la socialiste
Michèle Delaunay, qui a battu
Alain Juppé, a estimé hier qu’il
ne fallait pas confondre les
scrutins : “Il faut savoir perdre
comme il faut savoir gagner, et
cela pour moi ne remet pas en
question son poste ministériel”
a-t-elle déclaré.
gues Martin, son premier ad-
joint à Bordeaux, l’a exhorté à
le fauteuil de maire au retour
de son exil canadien, en rem-
“rester maire” de la capitale portant l’élection municipale
de l’Aquitaine. Mais l’ancien avec 56,24% des suffrages dès
Premier ministre a laissé pla- le premier tour, mais avec
ner le doute dimanche soir, af- 55,18% d’abstention. En res-
firmant qu’il réunirait “dans tant ancré dans le bordelais,
les prochains jours [son] Alain Juppé pourrait tenter
équipe municipale” [sans désormais de retrouver son
mandat de président de la
Bordeaux reste son seul man- Communauté urbaine de Bor-
dat après son éphémère tenta- deaux en 2008. q
F Le PC relève la tête
onné pour mort, le PCF se
D sent pousser des ailes
après son bon résultat aux lé-
gislatives. Mais ce succès ne
gomme pas sa débâcle à la
présidentielle et la nécessaire
rénovation d’un parti vieilli et
en déclin.
Après la défaite du 22 avril,
où Marie-George Buffet avait
obtenu 1,93%, l’enjeu aux lé-
gislatives pour le PCF était le
maintien d’un groupe au Par-
lement et il devrait y parvenir.
Les Verts ont ainsi proposé de Objectif pour Marie-George
faire groupe commun. Toute- Buffet : le Congrès extraordinaire
fois cela ne gomme pas de fin d’année. PQR / Carol AMAR
l’échec. “Le PCF résiste mieux
aux législatives car il a été un évité tout triomphalisme et af-
parti très important, très enra-
ciné et il ne disparaîtra pas du
jour au lendemain. Mais c’est
firmé dès dimanche la néces-
sité d’un “débat populaire”.
Elle veut l’entamer le 22 juin
depuis 1981 qu’il connaît un lors d’un Conseil national du
lent déclin” a réagi hier Marc parti préparatif au Congrès
Lazare, historien du PCF. Ma- extraordinaire prévu en fin
rie-George Buffet a d’ailleurs d’année. q
F La proposition des Verts
L es Verts ont réussi à faire
élire les quatre candidats
qu’ils présentaient au second
tour des législatives. “Tout le
monde passe, 100 % de nos
candidats au second tour ont
été élus, on est le seul parti
dans cette situation”, exultait
dimanche soir Cécile Duflot, la
secrétaire nationale. Les heu-
reux élus sont Martine Billard
et Yves Cochet à Paris, Noël
Mamère en Gironde, ainsi que
François de Rugy en Loire-
Atlantique. Reste qu’à quatre,
difficile de peser à l’Assem-
blée. D’où la proposition de
Noël Mamère. Le maire de
Bègles s’est dit favorable à la
constitution d’un groupe par-
lementaire commun avec le
Parti communiste, pour avoir Noël Mamère souhaite faire
un groupe autonome. Les “groupe commun” avec les
communistes seraient prêts à communistes. Ceux-ci pourraient
répondre favorablement à être sensibles à l’idée.
cette proposition. q AFP / Pierre ANDRIEU