Documente Academic
Documente Profesional
Documente Cultură
question de commentaire:
Dans Harmonie du soir , vous étudierez plus particulièrement la notion d'ambiguïté.
Avec Harmonie du soir le lecteur désormais plus familier de « Spleen et idéal » se trouve
dans la seconde moitié de cette section, la moitié la plus sombre et la plus ambiguë.
Le titre d' Harmonie du soir se présente apparemment comme la seconde moitié d'un
diptyque sur l'écoulement du temps qui aurait commencé avec l'aube spirituelle. L'effet d'écho
antithétique est net et permet à Baudelaire de développer le motif du clair-obscur et de fait, à
l'échelle du poème les notions de contraste et de mélange sont cruciales. L'ambiguïté est au cœur de
ce poème à la forme inhabituelle mais aux thématiques bien connues.
Nous étudierons la notion d'ambiguïté en montrant d'abord que ce poème est à la fois unique
dans « Spleen et Idéal », isolé et parfaitement inclus dans un tout cohérent; nous montrerons ensuite
qu'il y a ambiguïté dans l'énonciation et la destination de ce poème; nous montrerons enfin que ce
poème est à la fois ouvert et fermé tant dans la forme que dans la thématique.
Ce poème à la fois long (suite de quatrains) et court (constitué d'une seule pièce à la
différence des Phares par exemple et par ailleurs sans doublon homonyme dans le recueil comme
pour les spleen ) est aussi ambivalent dans sa composition. La forme du pantoum crée une
impression d'ouverture-clôture, de poème à la fois haché et ample.
Le poème est constitué d'une suite de quatre quatrains dont on s'aperçoit vite qu'elle relève
du pantoum, forme fixe (c'est-à-dire codifiée) orientale fondée sur le croisement des rimes (ce que
Baudelaire ne fait pas, en préférant un système de rimes embrassées) ainsi que sur la reprise d'un
vers sur deux d'un quatrain à reverser au quatrain suivant. L'effet produit est à la fois un effet de
redondance musicale (Baudelaire crée des promesses de refrains) en préservant notamment la rime
initiale en « -oir » tout au long du poème (du titre au dernier mot). La reprise d'un vers sur deux
interrompt le discours descriptif tout en allongeant le poème, car chaque vers répétant un vers
précédemment cité incite à relire, à reprendre sa lecture de plus haut. Le poème est à la fois
redondant et continu, répétitif et variable. On pourra donc parler de chronologie double du poème: à
la fois répétitif et inventif, cyclique et linéaire puisque de vers en vers c'est à un poème toujours
partiellement renouvelé qu'a affaire le lecteur.
Ce pantoum est à la fois conforme (dans le principe de reprise) à ce que doit être cette forme
fixe et pas tout à fait fixe (puisque Baudelaire ne respecte pas le jeu des rimes préconisé; aux rimes
croisées qui accentuent l'effet de confusion il préfère en effet le rassurant système de rimes
embrassées qui clôt le poème sur lui-même). Le poème semble par ce jeu de quatrains montés en
série vouloir dépasser les limites traditionnelles et vouloir sortir de lui-même, et cependant il reste
cantonné à lui-même par l'effet de clôture que ménage la rime embrassée maintenue sur deux sons
pour l'intégralité des seize vers du poème! La cohérence stricte que le poète maintient dans ce
poème moins centrifuge qu'il n'y paraît de prime abord trouve sa confirmation dans la thématique:
le temps est l'enjeu de ce poème, le temps inexorable et obsessionnel qui figure et dans le titre
(« soir »), et dans le vers liminaire (« temps ») et dans le vers final (« souvenir »).
Dans Harmonie du soir, Baudelaire fait particulièrement jouer un principe qui vaut
pour l'ensemble de l'œuvre :l'ambiguïté, l'ambivalence, l'alliance des contraires. Le poème singulier
n'est pas isolé, le poème intime est aussi universel, le poème exotique est aussi personnel, et enfin le
poème dissident, qui ne respecte pas tout à fait la forme, est aussi très strict et dense.
Baudelaire a fait de la contradiction un pilier de son esthétique, et le lecteur attentif pouvait s'y
attendre dès le titre du poème; les connotations s'y opposent,s'y confrontent pour s'y confondre
puisqu'à la connotation positive de l'« harmonie » se mêle la connotation mélancolique et sombre du
« soir ». Le titre du poème est un reflet, un exemple parfait à petite échelle de ce qu'est la section à
plus large échelle (« Spleen et Idéal »), elle-même exemple impeccable de ce qu'est le recueil tout
entier (Fleurs du mal): un écartèlement entre le pire et le meilleur qui ensemble définissent pour
Baudelaire le destin humain.