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ŒUVRES

*•'

D'ÉDOU\RD RICHER
S, N

TOME SECOND

SAINT-AMAND
A U librairie de LÀ NOUVELLE JÉRUSÂLEJt, cbei PORTE
i' PARIS , * *
M. MI NOT, me Monsieuf'he-Prince, SB. *
E. JCNG-TRETJTTEL, Libraire, rue de Lille, 19. j
;
'':-;,,-V. LONDRES
36, Blooaiborj Street, Çiford Street.
"' ' "
NEW CHURCH BOOK-ROOM, 346, Broadway.

1861. .
MÉLANGES.
SALNT-AMAND (CHER),—IMPIUMEUIE DE DESTENAÏ
Hue LaSoveue, 70, pl»ce Monl-Bond
ŒUVRES
D'EDOUARD RICHER

MÉLANGES
TOME SECOND.

SAINT-AMAJND (CHER)
A la Librairie do LA NOUVELLE JÉRUSALEM, chez Porle, libraire.
PARIS
M. MINOT, RUE MONSIEUR-LE-PRIXCE, 58.
E. J l ' X G - T K E C T T E L , L I B R A I R E , RUE DE L I L L E , 19 .

LONDRES
SWEDENBORG SOCIETT, 36, BLOOMSBCRT STREET, OXFORD STREET.

NEW-YORK
N E W rHl'RCII B O O K - R O O M , 346, B R O A D W A Y .

I KO I
ANALYSE
DU T R A I T É DE S W E D E N B O R G

INTITULÉ

DU CIEL ET DE SES MERVEILLES, ET DE L'ENFER

AVANT-PROPOS

Dans l'Ancienne Eglise, le Jugement dernier s'en-


tend de la fin du monde physique; dans la Nouvelle,
cet événement signifie simplement la fin d'une Église ,
et le commencement d'une autre; c'est seulement une
révolution morale, c'est une période de paix qui,suc-
cède à des temps de trouble. L'Écriture Sainte, dans
le sens véritable, ne traitant pas des choses de la terre,
mais de celles du Ciel, ne peut être prise dans le sens
de la lettre; c'est ce qu'exprimé Paul, en disant : La
lettre tue el l'esprit vivifie. Ainsi le nouveau Ciel et
la nouvelle Terre dont parle l'Apôtre Jean, en traitant
de la consommation du siècle (Apocalypse, Ch. XXI),
sont une nouvelle société céleste et une nouvelle réu-
nion d'hommes sur la terre liés par une religion plus
épurée. C'est une cité dans le sens réel du m o t ; c'est
cette cité qui est désignée également dans l'Apoca-
lypse sous le nom de Nouvelle Jérusalem. La venue
du Seigneur, à cette époque, annoncée par lui-même
j.
à OU CIEL ET DE SES M E R V E I L L E S .

— Mattli. XXIV. 29,30,31, — c'est sa présence dans


la nouvelle religion, mais une présence comme doit la
supposer tout homme raisonnable, c'est-à-dire que,
quoiqu'agissant et présent dans une réunion d'hommes
mortels, il ne pourra être perçu par les yeux du corps ;
car cette condition exigerait un changement total dans
la constitution humaine, et ce n'est pas de cette ma-
nière qu'agit l'Auteur des merveilles de la nature.
Ainsi, le soleil qui s'obscurcit, la lune qui ne donne
plus sa lueur, les étoiles qui tombent, tout cela a un
sens qui ne choque plus la raison.
Chaque chose dans l'univers physique tire son nom
et ses qualités du monde type, dont la nouvelle
Église révèle aujourd'hui les lois, mais dont l'ancienne
philosophie avait signalé l'existence. La suite de cet
ouvrage fera voir ce que c'est que les astres dont il
est ici fait mention. Il suffit d'avoir annoncé le juge-
ment dernier comme un événement moral, pour qu'on
juge qu'il a pu avoir lieu, sans qu'aucun bouleverse-
ment dans le monde visible l'ait accompagné. Le Sei-
gneur nous avertit que cette révélation, complément
nécessaire du Christianisme, doit arriver quand il n'y
aura plus ni foi ni amour sur la terre. Or, dans quel
temps y eut-il moins de religion que vers le milieu
du dernier siècle? Aussi Swedenborg fixe-t-il l'an-
née 1757 comme l'époque où l'Ancienne Église a
commencé à prendre fin dans le monde spirituel,
pour faire place à la Nouvelle qui de là descend sur
la terre. Le Seigneur, ayant chargé cet homme ex-
OU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 3

traordinaire de révéler le sens de sa Parole, a ouvert


les yeux de son esprit pendant un grand nombre
d'années; et c'est ainsi qu'il a pu décrire les mer-
veilles du Ciel et l'enfer d'après ce qu'il y a vu et
entendu, et. qu'il nous a instruits des secrets de la vie
future. Voilà l'Avènement du Seigneur, tel que le doit
entendre la saine raison. Toute autre interprétation
de l'Écriture est vaine, toute autre attente du juge-
ment dernier est illusoire. S'attendre que le monde
visible périra est une opinion indigne de la philoso-
phie; croire que les étoiles, plus grosses que la terre,
tomberont sur sa surface choque le bon sens le plus
commun ; dire que tous les hommes ressusciteront en
chair et en os, c'est faire preuve d'une ignorance
complète sur ce qui constitue la vie de l'homme après
la mort; parlerons-nous de la réunion de tous les
hommes dans la vallée de Josaphat? parlerons-nous
également de l'absurdité d'un dogme qui établit la
la renaissance d'un corps mortel dont tous les élé-
ments ont formé de nouvelles combinaisons dans le
grand laboratoire de la nature ?
Que ceux qui s'attendent au jugement dernier dans
des termes qu'ils n'osent interpréter, s'imaginent,
s'ils le veulent, voir descendre du ciel une ville ma-
térielle dont la hauteur est égale à la longueur; il est
plus digne de la raison éclairée de croire à une nou-
velle dispensation de la sagesse divine, et surtout
d'en retrouver les traces évidentes dans le nouveau
sens religieux et moral qui, sous nos yeux, modifie les
i Mi CIEL ET DE SES MERVEILLES.

sociétés Européennes et les colonies qu'elles ont éta-


blies dans le nouveau monde. Tout annonce à l'ob-
servateur impartial que l'ancienne société a péri,
qu'une nouvelle a pris sa place. Les partisans du
passé tâchent vainement de le rappeler. Tv'os institu-
tions vieillies ont un sceau de réprobation qui les fait
rejeter; elles ont été jugée.;. Une tendance marquée
vers l'unité civile, politique et religieuse se fait aper-
cevoir de tous côtés. Des mœurs, des institutions
nouvelles, une morale politique inconnue à nos pères,
tout cela indique à ne pas s'y méprendre une nouvelle
époque.
Des hommes lettrés qui ont attaqué la Nouvelle
Doctrine dans les pays où elle a pris naissance, je
veux dire eu Angleterre, ne lui reprochent que deux
choses : Les visions de celui qui l'a transmise, et l'ex-
plication qu'elle donne du jugement dernier. Ces
hommes ne peuvent croire à un mode de perception
qui, donnant à l'homme le sens même de l'ange, in-
terromprait la chaîne des êtres. Ils ne peuvent non
plus se persuader que le jugement dernier annoncé,
disent-ils, en termes si magnifiques par nos auteurs
canoniques et même par nos poètes, soit accompli.
On sait ce que vaut la première de ces objections.
Imaginer une chaîne des êtres, et la rompre ensuite,
est une chose pénible à l'esprit ; mais si cette chaîne
prétendue est une supposition, tous les arguments ti-
rés de là tombent d'eux-mêmes. L'ange n'est autre
chose que l'homme dégagé de son corps terrestre.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 5

C'est une interprétation forcée que de dire que l'ange


est un être à part créé entre l'homme et Dieu ; cette
interprétation n'a point pour elle le témoignage de la
science. Quant au second point, on sent que plus les
poètes ont accumulé de descriptions magnifiques en
parlant du jugement dernier, plus ils ont rendu son
accomplissement impossible; et s'autoriser de ces
descriptions pour rejeter ce qui n'y est pas con-
forme, ce n'est pas faire preuve de la justesse de son
esprit et de l'indépendance de sa pensée. S'imaginer
que le monde vieillira dans l'éternelle attente d'un
événement impossible dans le sens de la lettre, c'est
faire injure à la Divinité. La religion chrétienne n'est
qu'une attente de cet événement; si cette attente ne
devait jamais se réaliser, il s'ensuit que cette religion
n'aurait pas été faite pour nous. On dira qu'il s'est
fait bien attendre ; mais entre la venue du Messie et le
jugement dernier fait dans le monde spirituel, il ne
s'est écoulé que 1757 années; combien les Hébreux
n'ont-ils pas compté davantage depuis les patriarches
jusqu'au siècle d'Auguste? Et si le monde doit sub-
sister indéfiniment, que sont deux mille ou quatre
mille ans dans les phases de son existence ?

/. Le Seigneur est le Dieu du Ciel.

Dans la Nouvelle Église, on ne reconnaît qu'un


Dieu, celui même qui s'est fait homme sur cette terre,
et en qui sont réunis les trois Attributs de la trinité
4*.
6 I>U CIEL ET DE SES MERVEILLES.

chrétienne dont, par la plus déplorable erreur, ou


avait fait trois Personnes. Les membres de la Nouvelle
Église se distinguent de ceux des autres communions
chrétiennes, en ce qu'ils désignent toujours la Divi-
nité par le seul nom du Seigneur. Pour eux, c'est le
Dieu du Ciel, parce que lui seul est Dieu. Se figurer
un autre Dieu est impossible à la raison. Croire que
Dieu le Père ait eu un Fils engendré de toute éternité,
qui s'est sacrifié pour effacer les péchés des hommes,
est une chimère qui ne soutient pas l'examen. C'est
celte fable qui fournit tant d'arguments aux incré-
dules contre la religion chrétienne. Imaginer ce Dieu
le Père comme le seul Dieu, et son Fils comme un
homme simplement inspiré, ainsi que l'entendent les
Sociniens, c'est une difficulté non moins grande.
Rousseau a dit : Si la vie et la mort de Socrate sont
d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu.
Et l'on prétendrait que cet homme que l'on avoue si
supérieur aux autres hommes aurait eu la faiblesse de
leur ressembler, en voulant se faire passer à leurs
yeux pour le Fils de Dieu? Que lui, qui abhorre le
mensonge, aurait le premier porté atteinte à sa mo-
rale si pure? Que lui, qui nous prêche l'humilité, se
serait trouvé en contradiction manifeste avec ses su-
blimes leçons? Une telle supposition est impossible,
et il y a moins de difficultés à avouer Jésus-Christ
comme le vrai et l'unique Dieu, qu'à le considérer
comme homme.
Quant aux Déistes qui ne veulent d'autre Dieu du
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. i

Ciel qu'un être auquel ils n'osent donner de nom,


que leur esprit n'envisage sous aucune forme, on peut
dire que leur système ne repose sur rien de solide.
Leur vrai principe est le naturalisme, terme nouveau
dont se servent aujourd'hui plusieurs philosophes mo-
dernes pour désigner la religion naturelle qui des lè-
vres avoue un Dieu, niais qui du cœur ne reconnaît
intérieurement que la nature physique et les lois ma-
térielles. Clarke a démontré invinciblement que sitôt
que l'esprit humain était conduit à la connaissance
d'un Dieu, il était amené irrésistiblement à la religion
chrétienne, comme à la seule qui donnât une base à
cette opinion. A l'appui de la croyance que le Sei-
gneur est le Dieu du Ciel, — rozV Mattli. XI. 27. Jean,
XVI. o. XVII. 2 ; — Doctrine sublime qui ramène
ainsi à l'unité de croyance toutes les opinions, qui
rassemble dans un seul être toutes les perfections que
notre imagination ne savait auparavant à qui appli-
quer, qui enfin détruit toutes les superstitions dont
la religion chrétienne était souillée !

//. Le Divin du Seigneur fuit le Ciel.

Ce n'est pas le nombre des anges qui constitue le


Ciel à proprement parler, mais bien le Divin qui
en est l'âme, et dont les anges ne sont que les récep-
tacles. C'est ainsi que sur la terre ce ne sont pas les
corps qui constituent le monde, mais la vie qui les
moule et les modifie. Ainsi, tout se rattache à l'unité
8 DU CIEL ET DE SES MEBVEILLES.

dans le ciel comme sur la terre. Économie admirable


qui montre que là où n'est pas le Divin, il n'y a
rien qui ait vie en soi ! Les anges, comme nous faibles
mortels, sont des réceptacles, et d'autant plus heu-
reux, qu'ils mettent moins d'eux dans leurs sensa-
tions. Vivre en Dieu et par Dieu, c'est leur bonheur,
c'est le bonheur d'un fils qui repose sur le sein d'un
père, et jamais la philosophie n'a pu découvrir de fé-
licité comparable à cet abandon d'un cœur simple et
à cette confiance filiale. Ainsi rien n'existe par soi-
même, mais par un antérieur à soi. Tout dépend
d'une cause première, qui est la vie en soi ; tout sub-
siste par elle, parce que subsister, c'est exister per-
pétuellement. Hors de cette source unique, tout se
perd sans vie; les êtres qui s'en détachent, pour s'en
rapporter à eux seuls, sont comme les pierres d'une
voûte qui auraient la volonté de rompre le lien qui
les unit à la clef. Ils tombent dans leur propre sens,
et ne se relèvent plus. C'est l'enfer en l'homme. Le
Ciel consiste ainsi dans l'innocence qui reçoit la vie;
l'enfer, dans l'orgueil qui la rejette pour s'en rap-
porter à soi. Tout vient d'en haut, la vie, l'amour et
la sagesse. Ainsi, nul, même dans le Ciel, n'est sage,
prudent et vivant par soi, mais par communication
avec le principe de qui tout dérive. Ne donnez nulle
louange aux anges ; vous les feriez rougir comme
l'homme de bien sur la terre, en les félicitant d'une
chose dont le mérite ne leur appartient pas. Ils s'in-
digneraient de vos honneurs, parce que, comme la
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 9

modestie, ils ne croient pas en eux. Quel fondateur


de religion imagina un Ciel plus sublime et si bien
d'accord avec la raison ! Croire en soi, c'est être stu-
pide, parce qu'on n'admire que soi seul; c'est dérober
également ce qui n'appartient qu'à Dieu. Cette expli-
cation est totalement conforme à l'Écriture. — Voir
Jean, XV. 4, 7.

///. Le Dirin du Seigneur dans le Ciel est l'A-


mour envers lui et la charité à l'égard du pro-
chain.

Ce qui constitue le Ciel de la Nouvelle Église, ce


sont ainsi les deux préceptes fondamentaux de toute
religion et de toute morale. Ce qui fait le Ciel, c'est
l'Amour; et, en effet, ce sentiment est le seul quicon-
joigne les âmes en une, qui les consomme en l'unité,
comme dit l'Écriture. De là vient que tous les anges
ensemble sont comme un devant le Seigneur. C'est à
cette source de sublime que puisaient les auteurs des
livres divins, quand ils se sont servis de cette locution
que nos rhéteurs, ont justement admirée, sans en
soupçonner l'origine : Tout Israël se leva comme
un seul homme. Aimer le Seigneur, c'est aimer le
bien qui émane de Lui; aimer le bien, c'est le faire,
car l'action est la suite du désir. Aimer le prochain,
c'est aimer ce qui chez lui fait qu'il est le prochain,
c'est-à-dire, sa vérité et sa bonté.
10 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

IV. Le Ciel a été distingue en deux Royaumes.

On se sert ici de l'expression de Royaume, parce


que c'est ainsi que le Ciel est le plus souvent appelé.
11 y a le Royaume céleste formé des anges qui reçoi-
vent plus intérieurement l'amour divin, et le Royaume
spirituel composé de ceux qui le reçoivent à un moin-
dre degré. Les premiers le reçoivent dans leur vo-
lonté, et les seconds dans leur intelligence. Ainsi nous
distinguons nous-mêmes sur la terre par des expres-
sions à peu près synonymes le caractère d'affections
des personnes. Nous disons des uns, qu'ils ont tel
sentiment gravé dans le cœur, et des autres, qu'ils
ne l'ont que dans la tête. L'amour céleste, c'est l'a-
mour envers le Seigneur môme ; l'amour spirituel,
c'est la charité à l'égard du prochain. Le premier de
ces amours est un sentiment spontané d'adoration ; le
second est plutôt un acte réfléchi. L'un, comme un
instinct moral, est la vie même de l'homme; l'autre
est la suite de l'exercice de la mémoire et de la pen-
sée. Celui-là reçoit et agit; celui-ci reçoit et examine.
Il y a plus de l'homme dans le dernier; et c'est ce
qui établit la prééminence incontestable du premier,
où Dieu seul influe immédiatement. Ainsi les deux
sentiments qui font de l'homme un être double par-
tagent le Ciel en deux portions. Cette dualité doit se
trouver dans le Ciel, puisque le Ciel est formé de
l'homme. Un Ciel où l'on ne retrouverait rien de
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 11

l'homme pourrait être une œuvre admirable d'inven-


vention, ce ne serait pas l'ouvrage du Créateur.
L'autre vie, étant la continuation de celle-ci, doit
offrir les mêmes plans. L'homme ne recommence plus
la vie après la mort, il la continue; et la portion qui
succède doit être conforme à celle qui commence. En
juger autrement, ce serait se faire des idées fausses
de la Sagesse Divine; ce serait porter des préjugés
d'enfance, des erreurs d'éducation, ou des systèmes
de bibliothèque, dans le jugement des choses spiri-
tuelles.

V. Il y a trois deux.

Les vrais et les faux prophètes nous ont tous éga-


lement annoncé cette vérité. Il n'appartenait qu'à
Swedenborg de l'expliquer. Il y a trois degrés dans
l'homme, l'intime, le moyen et le dernier. Ces trois
degrés doivent nécessairement se trouver dans un
Ciel destiné pour l'homme. Aussi constituent-ils le
Ciel céleste, le Ciel spirituel et le Ciel naturel.
Chaque ange vit dans son Ciel comme dans son élé-
ment sans pouvoir en changer. C'est que le Ciel n'est
pas un lieu, mais un état; et que chacun ne se trouve
à l'aise qu'avec ceux qui sont dans un état de vie con-
forme au sien. Ainsi, l'ange d'un Ciel ne peut entrer
chez les anges d'un autre Ciel; ainsi, celui d'un Ciel
inférieur ne peut pas monter, et celui d'un Ciel supé-
rieur ne peut pas descendre. Celui qui monte est saisi
12 DU CIEL ET DE SES MEIU Elf.UiS.

d'une tristesse qui progressivement va jusqu'à la dou-


leur; il n'entend ni ne voit ceux qui sont dans ce
Ciel : celui qui descend perd sa sagesse et éprouve
une sorte de désespoir. Dans la société, ce phéno-
mène se renouvelle tous les jours; l'homme frivole au
milieu des sages les voit bien des yeux du corps, mais
non de ceux de l'âme; il les entend sans les com-
prendre. Le sage également se sent à l'étroit au mi-
lieu d'une société vaine et corrompue; le contact de
gens qui lui ressemblent si peu souille, pour ainsi
dire, son âme, et vivre au milieu d'eux serait en
quelque sorte un désespoir pour lui. Ainsi parvenir
au Ciel ou plutôt à un Ciel, ce n'est pas monter quel-
ques degrés, mais c'est épurer son âme, c'est la mettre
en rapport avec les âmes pures, aimantes, sublimes.
Ainsi les demeures des anges, comme celles des hom-
mes qui pensent, correspondent à la vie. C'est ce qu'à
si bien exprimé Milton traduit par Delille :

Le cœur de noire sort est arbitre éternel,


Fait dn ciel un enfer et de l'enfer un ciel.

Ces trois Cieux sont conjoints par l'influence immé-


diate émanée du Seigneur sur tous les Cieux, et par
l'influence médiate d'un Ciel sur un autre. Ainsi tout
se lie, et néanmoins tous les anneaux de la grande
chaîne sont différents. Dans le Ciel de la Nouvelle
Église, comme dans la nature, se trouvent à la fois
l'unité et la variété, a t t r i b u t s de la puissance unique
qui soutient et vivifie tout.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 13

VI. Dans chaque ange comme dans chaque homme


est un Degré Intime en qui le Divin influe pro-
chainement.

C'est là l'entrée du Seigneur dans l'ange et dans


l'homme, et le domicile qu'il s'est choisi .chez eux.
C'est par cet intime que l'homme se distingue de la
brute. C'est par lui que l'homme peut s'élever par la
raison jusqu'à Dieu; et, se conjoignant à Lui, vivre
dans l'Éternité. Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre,
tous nos moralistes, ont distingué en l'homme ce sens
moral qui est son attribut par excellence. C'est ce qui
faisait dire à l'auteur des Études de la Nature que
l'homme était un animal religieux.

VIL Les deux consistent en Sociétés innom-


brables.

La variété que nous trouvons dans la nature est


aussi dans le Ciel. Là, tous les degrés de vie forment
des associations diverses entre les hommes. Les dis-
tances dans le Ciel n'ont d'autre origine que la diffé-
rence des états intérieurs. Ainsi, ceux qui diffèrent
en pensée et en amour les uns des autres sont éloignés
selon que cette différence est plus ou moins grande.
La pensée sur la terre présente le même phéno-
mène. Par elle, l'homme s'entoure de tous les objets
absents qui lui sont chers, et s'isole des présents qui
14 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

lui sont importuns. Où trouver un plan plus simple


de la région spiritifêlle? Ali! puisque la simplicité est
la marque du vrai, le vrai sans aucun doute est là.
Dans le Ciel, ceux qui se ressemblent se joignent, et
leur union fait leur félicité. Ils se connaissent sans
s'être jamais vus. Dans le monde, la sympathie pro-
duit les mêmes effets. >~ous croyons presque toujours
reconnaître l'ami qui nous sera cher un jour, quoique
nous le voyions pour la première fois. Les anges
d'une même Société ont un visage semblable en géné-
ral, mais non en particulier; c'est chez eux l'air de
famille ou la physionomie du pays. Le visage étant la
forme représentative des affections, des affections
semblables y produisent un même visage. Là, la phy-
sionomie est réellement le miroir de l'âme ; l'hypo-
crisie est impossible : l'hypocrisie ne pourrait respi-
rer au milieu des anges. Sortir de sa Société, ce serait
sortir de sa vie; mais chaque ange communique avec
les autres, parce que là l'amour qui fait la vie est
communicatif par essence.

VIII. Chaque Société d'anges est ta forme du


Ciel ; chaque ange t'est également.

La bonté d'amour et de foi constituant le Ciel se


trouve ainsi dans chaque ange et dans chaque société.
Ainsi, partout c'est le Ciel, quoique avec des variétés
sans nombre. C'est ce qu'expriment ces paroles clés
prophètes : Les deux de* deux. Elle- ne désignent
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 15

pas, comme l'entendent quelques-uns, les Cieux con-


centriques des anciens astronomes, mais le Ciel spiri-
tuel avec toutes ses variétés. C'est ce qui est signifié
également par ces paroles du Seigneur : // y a plu-
sieurs demeures dans la maison de mon Père.—
Jean, XIV. 2. — Ainsi, le Ciel est un état, et selon
qu'un ange a le Ciel en lui, il reçoit le Ciel hors de
lui. Dans la Nouvelle Église, monter au Ciel, ce n'est
pas être introduit dans un lieu quelconque par l'in-
tercession de tel ou tel saint, mais c'est modifier son
âme d'une manière telle que le Ciel y soit : Le Royaume
de Dieu est en vous, disait notre Seigneur à ses dis-
ciples.

IX. L'universalité du Ciel représente un homme.

Ce qui constitue l'homme, ce ne sont point les or-


ganes physiques, mais les facultés dont ces organes
ne sont que les instruments. La volonté et l'intelli-
gence sont l'homme, et ces facultés mettent en action
toutes les parties du corps : c'est l'intérieur qui agit
sur l'extérieur; celui-ci a nécessairement la forme
que le principe lui donne; le principe étant d'origine
spirituelle tient sa forme à son tour du Ciel qui ainsi
représente un homme. Il représente l'homme dans
son universalité, dès lors qu'il le représente par par-
tie. Chaque partie d'un tout complet est comme ce
tout lui-même. Les plus petites parties représentent
les plus grandes, parce que ce qui organise influe
16 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

dans les moindres parties et les dispose semblables à


lui-même. C'est ce principe qui bien entendu fait
comprendre que l'homme est d'autant plus parfaite-
ment homme, qu'il tend à se rapprocher davantage
de son Divin Modèle. Dé là, la perfection dans les for-
mes dépend de la pureté dans les sentiments. De là
vient que dans les enfers les criminels apparaissent
sous des formes hideuses, parce qu'ils détruisent en
eux par des penchants déréglés la forme humaine.
Les Platoniciens avaient aperçu ce principe, quand ils
ont dit que le beau était toujours l'enveloppe du bon.
On conçoit assez facilement que si Dieu est homme,
l'ange qui est provenu de lui soit en forme humaine,
mais on a peine à se rendre à l'idée du Ciel entier
sous la même forme. Néanmoins le tout est toujours
conforme aux parties, et celles-ci le sont au tout.
L'unité n'a sa perfection que par l'union des parties
qui la composent quand elles sont toutes homogènes,
concordantes. C'est cette forme qui constitue l'unité
du Ciel, et qui fait qu'il est conduit par le Seigneur.
Le Ciel dans ses parties est dirigé par le Seigneur,
comme le corps humain dans les siennes est mû par
l'homme. On dit des chrétiens, qu'ils sont les membres
de telle Église; des savants, qu'ils sont les membres
de telle société ; ces expressions métaphysiques nous
aident à comprendre comment les anges sont égale-
ment membres du Ciel.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 17

X. Chaque Société dans le Ciel représente un


homme.

Ce qui se dit du général doit s'entendre également


des parties qui le constituent. Des milliards de gouttes
d'eau font la mer; ainsi la mer dans son universalité
est semblable à une goutte d'eau» De même, une mer
quelconque est semblable à la mer prise générale-
ment, parce que, comme elle, elle est composée des
mêmes parties. Nous concevons cela par le penchant
que nous avons sur la terre a. personnifier également
une société, une nation, une tribu. Ainsi nous nous
représentons la Grèce sous l'emblème d'une belle
femme chargée de chaînes; les arts ne vivent que de
ces images que nous nous habituons à ne regarder
que comme des fictions. Mais pourquoi l'espèce hu-
maine conserve-t-elle du goût pour ces fictions?
Pourquoi trouverions-nous beau ce qui n'existerait
pas? 11 y a un principe caché qui fait le beau dans les
arts, heureux celui qui sait le découvrir?

XI. Civique ange est dans une Forme humaine.

Ce principe est la suite des raisonnements émis ci-


dessus. Dans toute forme parfaite, la ressemblance
du tout est dans la partie, et la ressemblance de la
partie est dans le tout. L'ange et l'homme, en tant
que réceptacles, ne peuvent que réunir ce qui consti-
2*.
18 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

tue le Ciel, c'est-à-dire, la Forme humaine. C'est en


ce sens qu'il est dit dans l'Apocalypse que la mesure
de l'homme est celle de l'ange. Le peuple, les ar-
tistes qui travaillent pour lui, ne se figurent pas les
anges autrement que sous la forme humaine. Les pro-
phètes hébreux, les voyants de toutes les nations,
n'ont point aperçu les esprits sous une autre appa-
rence. Détruire ceci pour n'y rien substituer, ce n'est
pas être conséquent. C'est ce que font ceux qui s'i-
maginent que l'homme après la mort est un souffle.
Nier les visions est bientôt fait; mais que fera l'érudit
de tant de faits incontestables qui déposent en faveur
de cette opinion ?

XII. Dieu est Homme.

C'est pour cela que l'ange, que chaque Société cé-


leste, que le Ciel dans son entier représente un homme.
Que Dieu soit Homme, ceci est prouvé par l'Écriture,
par quelques philosophes anciens eux-mêmes. C'est
une aberration de l'intelligence que la croyance en
un Dieu invisible. Ce qui est incompréhensible, n'en-
trant pas dans la pensée, n'entre pas non plus dans la
foi ; et, de l'idée d'une divinité sans forme au natura-
lisme, il n'y a qu'un pas. Le culte ne peut être sincère
quand il s'adresse à un être dont on n'a aucune idée.
Aussi tous les cultes sont-ils établis sur l'idée d'un
Dieu sous forme humaine.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 19

XllL II y a une Correspondance entre le Ciel et


l'homme.

L'homme par la chute a perdu la connaissance des


correspondances. Les anciens, au contraire, occupés
des choses célestes, étaient instruits de ces choses par
la Science des Correspondances. Tout ce qui existe
dans la nature tire son être du monde spirituel : en
un mot, les deux mondes correspondent. Ainsi, dans
l'homme, le geste, qui est physique, correspond à l'in-
tention qui est morale ; c'est de là que le visage est le
miroir de l'âme. Ce qui est moral en l'homme, ou, en
d'autres termes, ce qui est spirituel, forme l'homme
interne; ce qui est physique, ou autrement ce qui est
naturel, constitue Vhomme externe. Ce dernier
existe par l'autre, comme le monde subsiste par le
Ciel. En un mot, le premier est la cause, le second
est l'effet.
Toutes les parties du Ciel, qui ont la forme humaine,
influent sur les parties correspondantes de l'homme
sur la terre. Sans cette action, l'homme ne subsiste-
rait pas; car sa vie est tirée du Ciel, et se développe
selon l'ordre du Ciel. Ainsi, par exemple, le royaume
céleste a son siège chez l'homme dans le cœur; le
royaume spirituel a le sien dans le poumon. Toutes
les parties du Ciel influent sur les parties semblables
de l'homme, et y correspondent. Dans la Parole,
écrite d'un bout à l'autre par correspondances, quand
2U DC CIEL ET DE SES MERVEILLES.

il est question des membres de l'homme, il faut en-


tendre les choses auxquelles ces membres correspon-
dent; par l'œil, l'intelligence; par la main, la puis-
sance; par les narines, la perception; par l'oreille,
l'obéissance. C'est ce qu'exprimé le langage commun
en disant d'un homme : II a Y œil pénétrant, ou bien
il a la vue courte; il a le nez fin; il a les bras longs;
et autres expressions triviales qui prennent toutes là
leur origine. L'homme pense par influence du monde
spirituel ; il n'est qu'un écho ; mais, ne se doutant pas
de cette influence, il affirme qu'il parle d'après lui
seul, quand il répète; et qu'il invente, quand il copie.
Notre corps n'est point construit par la nature, mais
par l'influence du monde spirituel et selon la forme
de ce monde. La nature ne revêt que le spirituel, et
en fixe seulement la Correspondance d'une manière
matérielle. La connaissance de cette vérité altérée
par les peuples qui sont venus après les très-anciens,
parait avoir donné naissance chez eux à l'astrologie
judiciaire.

XIV. La Nature physique est une Correspondance


du Ciel.

Non-seulement l'homme, mais les animaux, les


plantes, les minéraux, les météores, les productions
de la nature et celles de l'industrie humaine, sont des
Correspondances. Rien n'existe par soi-même, mais
par un antécédent. Le^ choses qui frappent nos re-
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 21

gards ont donc une origine. Elles ne sont sur la terre


que parce qu'elles sont dans le Ciel. Pour être sur la
terre sans avoir été auparavant dans le Ciel, il faudrait
qu'elles eussent tiré leur existence de la nature, ce
qui est contre les lois de l'ordre. On dira que les pro-
ductions de l'industrie humaine peuvent être des in-
ventions; mais l'homme n'est pas la vie, il en est le
réceptacle : il pense et agit d'après l'influence spiri-
tuelle. Ce qu'il voit dans sa pensée, il le copie seule-
ment et ne l'invente pas. D'où viendrait l'instinct si
sûr de la brute, si ce n'était pas du monde spirituel?
D'où viendrait un inonde disposé pour les usages, si-
non d'une Intelligence Supérieure? Les prodiges de
nos arts, les merveilles de l'instinct, tout cela a sa
source là-haut. Quelques grains de poussière détrem-
pés par la pluie, ou sèches par les rayons du soleil,
ne produisent pas la pensée, l'intention, la volonté,
ni même le mouvement. Il y a quelque chose de moral
au-delà de l'organe. Il y a de même dans la plante
quelque chose de moral au-delà de la forme : le peu-
ple le sent si bien qu'il découvre des emblèmes; qu'il
veut que les fleurs aient un langage. Aux yeux des
anciens tous les objets physiques étaient des types,
et leur emploi dans le culte avait une signification.
Mais le monde n'offre pas seulement une signification
purement intellectuelle ou poétique; elle serait sté-
rile. Le but du Créateur, ce sont les usages; et les
productions de la terre les manifestent en action. La
terre brute sert à porter et à nourrir tous les êtres ;
22 DU CIEL EX DE SES MERVEILLES.

les minéraux, à en combiner et fixer les éléments ; les


végétaux, à produire des fruits, du feu, les matériaux
de l'industrie. Enfin les animaux ont chacun leur em-
ploi sur ce grand théâtre destiné pour l'homme seul.

X V. Il y a un Soleil dans le Ciel.

Le Soleil du Ciel, c'est le Seigneur; la lumière,


c'est la divine vérité; et la chaleur, la divine bonté.
Le Seigneur parait dans le Ciel comme Soleil, parce
qu'il est le Divin Amour. Il brille dans le Ciel devant
les faces des anges en moyenne longitude (1). Aux
anges célestes il apparaît comme Soleil igné et enflam-
mé ; aux anges spirituels, en Lune d'un blanc éclatant.
Chez les prophètes, le Seigneur est fréquemment com-
paré au soleil et à la lune. Quand il s'est transfiguré
devant Pierre, Jacques et Jean, il est dit que son vi-
sage resplendissait comme le Soleil.—Matth. XVII.
2.—De là, la coutume des anciens de se tourner vers
l'orient dans les exercices du culte, rendant hommage
au Créateur dans l'image du soleil naturel qui est
tout à la fois la figure et l'intermédiaire du Soleil spi-
rituel. Les atmosphères spirituelles voilent la face du
Divin Soleil, comme les nuages cachent souvent le nô-
tre, afin de tempérer par degré l'ardeur de l'Amour
Divin. Comme le soleil matériel encore, il est le centre
commun des êtres.

(1 ) C'est-à-dire à -15°. ou au milieu de l'are qui joint le zénith à l'ho-


rizon, (^ote de l'Editeur.)
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 23

XVI. De la Lumière du Ciel.

La Lumière du Ciel excède de plusieurs degrés la


lumière du midi dans le monde : dans son essence, elle
est spirituelle, puisqu'elle émane du Soleil Divin dont
le feu est l'Amour Même. Cette Lumière est la vérité
qui éclaire l'âme; c'est celle dont parle Jean. C'est
d'elle qu'émané l'entendement de l'ange, c'est-à-dire,
sa vue intérieure. Cette Lumière varie selon le degré
d'intelligence et de sagesse de l'ange; homogène par
essence, elle n'est jamais néanmoins la même pour
tous. La vérité divine n'étant autre chose que la lu-
mière, c'est pour cela que le Seigneur se nomme lui-
même la Lumière du monde. —Jean, VIII. 22. XII.
3o, 36.— David dit que Jéhovah s'enveloppe de lu-
mière comme d'un vêtement. — PS. CIT. 2. — C'est
cette Lumière qui illumine la raison de l'homme; elle
est à l'entendement ce que la lumière naturelle est à
l'œil. On y arrive par degrés, comme dans l'enthou-
siasme; elle cause l'exaltation de l'esprit : elle dévoile
tout, et personne ne la craint plus que l'homme vi-
cieux. Les coupables qui gémissent eu enfer se voient
entre eux comme des hommes; mais la Lumière du
Ciel les fait paraître comme des monstres, c'est-à-dire,
dfins In forme de leur mal. Le langage ordinaire
ne donne-t-il pas à entendre que l'homme est difforme
selon le degré de sa méchanceté. C'est un monstre
d'ingratitude, dit-on. L'instinct moral ne peu! ne-
24 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

corder la beauté à ce qui est le mal; la régularité, à


ce qui est le désordre.

X Vil, La Chaleur du Ciel dans son essence est


l'Amour.

Ainsi, elle est également spirituelle; c'est la divine


bonté qui, comme la divine vérité, n'est jamais au
même degré chez tous. C'est le feu céleste qui em-
brase les cœurs; c'est le feu sacré qui les échauffe.
L'amour seul a le pouvoir de produire cet effet. C'est
la source de la vie.

X Vil. Dans le Ciel comme dans le monde, il y a


quatre Régions, déterminées par le Soleil spi-
rituel.

Dans le Ciel, ces régions se déterminent par l'O-


rient où paraît le Seigneur comme Soleil. C'est là
qu'est toute origine de vie. L'Orient est toujours en
face des anges, parce que c'est là que le Seigneur
naît, se lève en eux, et ils l'ont en face dans quelque
conversion de corps qu'ils soient. L'amour régnant
étant l'origine de tonte action, et leur pensée étant
sans cesse fixée sur leur centre, l'action suit la di-
rection de la pensée. C'est cette vérité qu'on exprime
quand on dit que les bons jouiront de la vue de Dieu,
et l'auront sans cesse devant leurs yeux. L'Orient et
l'Occident dans le Ciel correspondent à l'amour; le
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 2o

Midi et le Septentrion à la sagesse; l'Orient à l'amour


le plus vif, l'Occident à l'amour affaibli; le Midi à la
sagesse éclatante, le Septentrion à la sagesse obscur-
cie. Ces significations s'appliquent aussi au sens lit-
téral de la Parole.

XIX.Il y a des Changements d'étal chez les anges.

Leur amour et leur sagesse croissent et décrois-


sent par degrés imperceptibles. A l'éclat de l'intelli-
gence et à la joie du cœur succèdent chez eux quelque
chose d'obscur et de triste. Sur la terre, n'en est-il
pas ainsi de nos pensées et de nos affections? pour-
quoi s'étonner de cette conformité. N'est-ce pas elle
qui prouve que le Ciel de Swedenborg est le seul vrai.
Un Ciel immuable ennuirait par son bonheur même.
C'est bien mal connaître le cœur humain de croire
que pour lui le bonheur est dans l'uniformité. Tout
se succède dans la nature, et tout nous charme par
cette succession. Si ce n'était ici une révélation, ce
serait un trait de génie que d'avoir trouvé là la sourc
du bonheur angélique lui-même. Comme dans le Ciel
la présence des objets dépend de la pensée qui s'en
occupe, un Changement de pensées introduit la variété
et le mouvement qui sont la vie dans tout le Ciel. Ce
que l'imagination invente sur la terre se réalise dans
le Ciel. La baguette d'Armide n'a jamais eu de puis-
sance que là, et tout prouve que ces idées sur le Ciel
véritable, transmises par la Science des Correspon-
3.
12 (> DU CIEL ET DE SES M E R V E I L L E S .

dances, ont produit, quand cette science a été perdue,


les enchantements de la féerie. Chez, les anges, ces
Changements proviennent de ce qu'ils s'aiment encore,
et ne se détachent pas assez d'eux-mêmes. Ainsi chez
nous la pensée dominante éloignée ou rappelée tour à
tour produit tant de variations dans nos affections.
Leur tristesse est ainsi causée par le seul amour
d'eux-mêmes, et leur joie par leur entier détache-
ment. Demandez à nos moralistes s'il y a ici-bas pour
le cœur une autre source de volupté ou d'amertume ?

XX. Il n'y a pas de Temps dans le Ciel, mais des


États.

La succession des pensées des anges constitue le


Temps dans le Ciel, comme il le constitue sur la terre
dans les heures de félicité ou d'infortune, où, absor-
bés dans nos affections, nous ne remarquons aucun
mouvement extérieur. Aujourd'hui, pour eux, c'est
le moment même de la sensation indépendamment de
sa durée ; Hier, c'est le souvenir de la sensation qui
n'est plus; Demain, c'est la possibilité de celle qui
sera. Dans sou origine, le temps mesurable est-il
autre chose qu'un état '! court dans le plaisir, ne se
traîne-t-il pas lentement dans la peine? La pensée,
en un mot, lui échappe toujours.
nu CIEL ET DE SES MERVEILLES. 27

XXL II y a des Apparences et des Représenta-


tions dans te Ciel,

Si les anges ne sont pas des souffles, mais des


hommes, le monde qu'ils habitent ne peut être vide
d'objets. Les prophètes en ont vu, et ce qu'ils ont vu
existait aussi certainement pour eux que les objets de
ce monde-ci pour nous. Les objets vus dans la lu-
mière du Ciel avec les yeux de l'esprit sont nommés
Apparences, parce qu'ils varient selon les états inté-
rieurs des anges; Représentations, parce qu'ils cor-
respondent à ces mêmes intérieurs.

XXII. Les anges ont des Vêtements dans le Ciel.

Étant hommes, ils sont vêtus, mais leurs Vêtements


sont des correspondances. Un Vêtement n'est pas plus
difficile à s'imaginer qu'un arbre, un rocher, une
pierre précieuse. Que ce soit le Seigneur ou l'homme
qui les produisent, dès qu'on admet dans le Ciel l'exis-
tence de l'art, l'existence de l'objet modifié par cet
art n'est plus une chose inadmissible. Ces Vêtements
étant des correspondances varient selon les intelli-
gences. Sur la terre, ne réglons-nous pas les opinions
que nous nous formons des hommes sur leur mise ?
N'est-ce pas le Vêtement qui distingue les classes, les
conditions; qui fait supposer l'éducation, le bon ton,
la naissance? La morale a beau nous éclairer sur res
28 DU CÏEL ET DE SES MERVEILLES.

méprises, \e préjugé subsiste, et l'étiquette est con-


servée. C'est que cette opinion, comme tout le reste,
prend sa source-dans le monde des causes. Dans le
Ciel intime, les anges sont nus, parce que l'innocence
constitue ce Ciel, et qu'elle correspond à la nudité;
dans les arts, elle en est également le symbole. Dans
toutes les visions, les anges ont paru aux hommes
couverts de Vêtements. Ceux qui parurent au sépulcre
du Seigneur avaient des Vêlements blancs. Dans les
songes, les âmes des morts ont toujours apparu cou-
vertes de certains Vêtements. Les poètes se sont em-
parés de ces traditions. Voyez Shakespeare peignant,
l'ombre de Banco; lisez dans Racine le songe d'A-
tlialie.

XXIII. Les anges ont des Demeures et des


Habitations.

Les anges sont des hommes, comme le constatent


les apparitions des esprits sous forme humaine ; ils vi-
vent dans tin monde où il y a nécessairement quelque
chose. Un monde éthéréen sans objet ne peut entrer
dans la pensée. Parmi ces choses, pourquoi des Habi-
tations choqueraient-elles la pensée? Si l'homme ne
s'est rien donné, si l'art dont il est si fier lui vient du
Ciel, pourquoi la Providence Divine cesserait-elle de
donner là-haut comme ici ? pourquoi l'art dans son
principe cesserait-il d'agir?
DU CILL ET DE SES MERVEILLES. 29

XXIV. Il n'y a pas d'Espace dans le Ciel.

Au lieu de distances, il y a des progressions d'état.


Les ressemblances rapprochent les anges comme elles
rapprochent nos pensées dans ce monde; les dissem-
blances les éloignent les uns des autres. C'est ce qui
distingue un individu d'un autre individu, une Société
d'une autre Société, un Ciel d'un autre Ciel. (Voir
N° V.) Enfin, c'est par là que l'enfer est séparé du
Ciel. La pensée y opère la présence, l'aversion y pro-
duit l'éloignement. Comme sur la terre, on y voit
sans cesse ce qu'on aime ; on n'y voit plus ce qu'on
oublie. Le désir ou la tiédeur allongent ou raccour-
cissent la route. Tableaux charmants, qui seraient en-
core des merveilles de poésie, si ce n'était des concep-
tions de la philosophie la plus profonde ! Chez l'ange
l'affection pense, et la pensée voit; ainsi pour lui s'é-
vanouit toute idée d'Espace. La longueur, c'est Vêlât
de bonté; la largeur, Vêlât de vérité; la hauteur, la
différence de l'une ou de l'autre selon les degrés. La
bonté est l'être même de la chose, et la vérité, son
exister. On conçoit comment la géométrie justifie
cette assertion. La longueur d'un corps en est l'être,
mais l'être n'existe que dans la forme, et c'est la lar-
geur unie à la longueur qui produit cette forme. En
un mot, la longueur seule est l'indication de l'être,
la largeur unie à elle en est la manifestation. Lon-
gueur, largeur et hauteur dans l'Écriture ont la même
3*.
30 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

signification que dans le Ciel chrétien de Swedenborg.


C'est ce seul sens qui l'explique. Comment concevoir
sans lui que la Nouvelle Jérusalem, annoncée par l'A-
pôtre Jean, ait une longueur, une largeur et une hau-
teur égales. — Apocal. XXI. l(i.

XXV. Les Consociations et les Communications


s'établissent selon la forme du Ciel.

Toute pensée et toute affection s'étendent de tous


côtés dans le Ciel selon leur forme, et font Communi-
quer l'esprit avec les sociétés qui y sont. L'esprit ne
pense pas par lui-même, mais par Communication
avec les sociétés hors de lui. Ses pensées s'étendent
hors de lui, quoiqu'elles lui semblent intérieures; et,
sans qu'il s'en aperçoive, elles sont dans l'étendue du
monde spirituel. La vie cutanée du Ciel, recevant né-
cessairement la forme du Ciel, toute affection et toute
pensée influent par Communication selon cette forme.

XXVII. Le Ciel a été distingué en sociétés régies


par des formes de Gouvernement.

La société ne peut exister sans l'ordre, et celui-ci


sans Gouvernements. C'est au Ciel que les plus anciens
législateurs ont déclaré qu'ils avaient puisé l'idée des
lois. La littérature a accueilli ces déclarations comme
de charmantes allégories; la philosophie religieuse
les confirme aujourd'hui comme des réalités. Dans le
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 31

royaume céleste, le Gouvernement est appelé justice,


dans le royaume spirituel, jugement. Le premier, en
effet, a pour base la bonté; le second, la vérité.
Chacun y remplit son emploi, considérant que le
bonheur individuel est compris dans le bonheur géné-
ral. Les chefs sont ceux qui surpassent les autres dans
ces dispositions. Leur empire, c'est l'empressement
qu'ils mettent à servir les autres. Loin de se placer au
dessus des autres, ils mettent à la première place le
bien commun, et à la dernière le leur. Ils sont dans
la gloire, parce qu'ils n'y songent pas; ils ne se l'ap-
proprient pas. « Quiconque, dit le Seigneur, voudra
» être grand parmi vous, qu'il soit votre serviteur. »
— Matth. XX. 26.— La forme contraire existe dans
l'enfer. L'ambition, l'amour de soi-même y font les
rois. L'envie les observe, la terreur seule leur obéit.
'Ces Gouvernements du Ciel sont bien la satyre de ceux
de la terre. Quelle utopie a jamais valu ce Chapitre de
Swedenborg !

XXV'IL 11 y a un Culte dans le Ciel.

Si la vie morale continue dans l'autre monde, un


Culte y doit subsister, non point ee Culte de l'homme
qui prie pour demander, mais ce Culte qui est appuyé
sur l'unique besoin d'une communication entre Dieu
et l'homme. La volonté et l'intelligence de l'homme
ne sont point, après la mort, dans un élat fixe, mais
elles vont sans cesse se perfectionnant, et le Culte est
32 DU CIEL ET DE SES M E R V E I L L E S .

le seul moyen de perfection morale. Le Culte Divin ne


consiste pas en cérémonies, mais dans la vie procé-
dant de la doctrine; sans (iécorations dans le royaume
céleste, les temples sont plus ou moins magnifiques
dans le royaume spirituel : c'est que l'intelligence a
besoin de se créer des objets pour alimenter ses jouis-
sances, tandis que l'amour n'en a pas besoin. Les pré-
dicateurs sont tous également du royaume spirituel.
Il n'y a que la pensée qui disserte, l'amour jouit et
n'analyse rien. Dans toutes les prédications la vie est
regardée comme but, et jamais la foi seule. La base,
c'est la conviction du Divin Humain du Seigneur.

XXVIII. La Puissance est aux anges.

L'homme, n'ayant pas la Puissance par son corps


matériel seulement mais par l'intelligence et la vo-
lonté qui meuvent ce corps, conçoit que la Puissance
provient tout entière de ce monde d'où lui-même tient
l'exercice de ses facultés. L'homme ne peut rien par
lui-même, il peut tout par l'influence divine. L'ange
qui reçoit cette influence plus immédiatement encore
a donc plus de Puissance. Aussi voyons-nous dans le
Livre Saint des armées entières passer sous le glaive
de l'ange exterminateur. C'est de là que les auges sont
appelés Puissances.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 33

XXIX. Les anges entre eux ont un Langage.

Ce Langage est le seul parlé dans l'universalité des


Cieux; il ne s'apprend pas. Imprimé dans chacun, il
fine de l'affection même et de la pensée même. Le son
y correspond à l'amour; et les articulations, à la sa-
gesse. C'est une affection sonnante et une pensée par-
lante. Ainsi dans le monde le ton musical dénote l'af-
fection; et l'expression variée, la pensée.

XXX. Les anges Conversent mec l'homme.

Les anges Conversent avec l'homme, non pas dans


leur langue, mais dans celle de l'homme. La pensée
de l'homme cohérant avec sa mémoire, et le langage
provenant de l'une et de l'autre, il s'ensuit que l'ange,
entrant complètement dans la pensée de l'homme, s'u-
nit à lui et parle sa langue. Dans l'état actuel de
l'homme déchu, ce n'est pas avec les anges qu'il entre
en communication, comme les anciens, mais avec les
esprits du monde spirituel. Quand un esprit s'adjoint
par sa mémoire à l'homme, l'homme se rappelle dans
la suite ce que l'esprit lui a insinué, mais sans savoir
d'où lui est venue cette connaissance. Il trouve en lui
une réminiscence confuse d'une chose qu'il n'a jamais
entendue ni vue. De là, les anciens supposaient que
l'homme n'apprenait rien, mais ne faisait que se rap-
peler ce qu'il avait oublié. De là, ces idées cosmogo-
34 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

niques d'une vie de mille ans qui devait suivre celle-


ci. De là, l'assertion de ce philosophe qui prétendait
se rappeler avoir assisté au siège de Troie. Le souve-
nir des choses qu'ils n'avaient ni vues ni entendues
leur faisait ainsi conclure qu'ils retournaient à la vie,
après l'avoir auparavant parcourue. Les esprits qui
s'emparaient des sens physiques de l'homme pour
causer des obsessions n'existent plus aujourd'hui; ils
ont été précipités par le Seigneur dans les enfers.

X X X I . Il y a des Ecritures dans le Ciel.

Puisqu'il y a une parole, il y a une Écriture, soit à


la main, soit en caractères d'imprimerie. Ézéchiel
a vu également des Écritures dans le ciel.—-II. 9, 10.
— Jean y a vu un livre. — Apocalypse, V. 1.

XXXII. De la Sagesse des anges du Ciel.

Les anges étant clans la lumière du Ciel, qui dans


son essence est le Divin Vrai, sont ainsi dans la Sa-
gesse. Leurs pensées et leurs affections fiuenl selon la
forme céleste. Leur langage Hue de la pensée qui à
son tour fine de l'affection, en sorte que leur langage
est la pensée manifestée extérieurement par l'affection.
Tout ce qu'ils voient et perçoivent s'accorde avec leur
Sagesse, puisque ce sont des correspondances, et con-
séquemment les formes représentatives de la Sagesse.
Hors du temps et de l'espace, leurs pensées sont illi-
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. do

mitées et se plongent sans distraction dans les choses


spirituelles. Les inquiétudes de la vie ne pouvant les
atteindre laissent leur intelligence plus libre. Enfin,
le Ciel étant l'unité où tout est communication, cette
communion des intelligences fait que chacun y reçoit
ce qui est à tous, et que tous reçoivent ce qui est à
chacun. En une parole ils expriment ce que nous ne
pouvons rendre en mille. Leur foi n'est pas une
croyance aveugle, mais une perception claire. Les vé-
rités pour eux ne forment point une science de mé-
moire, mais une application à la vie. Ils vont toujours
se perfectionnant, mais c'est plus par l'ouie que par
la vue. Ce qu'ils entendent entre dans leur volonté et
devient vie; ce qu'ils voient entre dans leur mémoire
et devient science. C'est que l'ouïe correspond à l'o-
béissance qui appartient à la vie; et l'œil, à l'intelli-
gence dont le propre est la doctrine. Dans le discours
familier on dit aussi : Soyez dociles à mes leçons, à
mes discours, et non pas à mes gesles. La première
cause de cette Sagesse,c'est qu'étant sans amour d'eux-
mêmes ils sont plus disposés à recevoir la lumière di-
vine. La Sagesse aussi est leur aliment; pressés d'une
faim qu'ils ne peuvent assouvir, ils se jettent vers
elle, et, quoique toujours dans l'abondance, ils ne se
rassasient jamais.

XXXIII. De t'élal d'Innocence des anges.

C'est l'Innocence qui renferme tout le Ciel en


36 DU CIEL ET DE SES M E R V E I I U - S .

l'homme. Celle de l'enfant sur la terre en est l'image,


mais seulement l'image, car elle n'est qu'extérieure;
l'enfant, ne connaissant ni le bien ni le mal, ne pense
pas. Son âme n'a pas été formée. L'âme est la volonté
et l'intelligence, desquelles seules dépendent l'affec-
tion et la pensée. Il y a une Innocence qui appartient
à la sagesse, c'est de ne rien s'attribuer en propre,
de ne point vouloir être conduit par soi-même. Se
reposer ainsi sur la Providence, et lui tout attribuer,
est la véritable Innocence et la première condition de
la sagesse. Dans cette disposition, sans soins, sans in-
quiétude, on aime le vrai pour lui-même, le bien par
inclination; on se sépare de soi pour tout recevoir de
Celui qui seul peut tout donner. Ainsi l'Innocence fait
le Ciel. « Le royaume de Dieu, disait Jésus-Christ,
» est pour ceux qui ressemblent aux enfants. » —
Marc, X. 14.— C'est pour cela que le Seigneur, du-
quel provient toute innocence, est appelé dans l'É-
criture Agneau. L'enfer principalement est formé
d'une haine constante contre l'Innocence.

XXXIV. De la Paix du Ciel.

La Paix et l'innocence sont les deux intimes du


Ciel. Celle-ci constitue la boulé; celle-là, la béatitude
qui en résulte. Le bonheur, en effet, n'est autre chose
que la jouissance de ce qui est bien. Dans cette Paix
sont toutes les joies du Ciel. Elle se rapporte au Sei-
gneur comme à son principe ; aussi est-il appelé dans
nU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 37

l'Écriture Prince de paix; de là vient l'étymologïe


du mot sabbat. La paix du Ciel diffère selon l'inno-
cence de ceux qui l'habitent; car la paix et l'inno-
cence marchent d'un pas égal, comme le bien et le
bonheur qui en résulte. C'est ce qu'on voit dans le
monde chez les enfants, dont le bonheur est d'autant
plus vif, que leur innocence est plus complète. Il n'y
a pas de paix pour celui qui est dans le mal. L'amour
de soi et du monde ôte entièrement la paix par les
cupidités qui en sont la suite et qui troublent l'inté-
rieur de l'homme. De ce qui manque à l'homme pour
l'introduire dans le Ciel se déduit aisément ce qui
constitue l'enfer.

XXXV. Il y a conjonction du Ciel et de l'Enfer


avec l'homme, par le moyen des bons et den
mauvais Esprits.

En effet, le langage vulgaire dit lui-même que Dieu


conduit l'homme de bien, que l'Enfer dirige le mé-
chant. Les bons Esprits qui sont près de l'homme le
conjoignent au Ciel, les mauvais, à l'Enfer. Ces Es-
prits, tant bons que mauvais, entrent dans la pensée et
la mémoire de l'homme, se croyant dans leur mémoire
et leur pensée propres. Par eux l'homme est dans l'é-
quilibre et conséquemment dans sa liberté ; il ne peut
être dans un bien qui soit sa propriété, qu'autant
qu'il reçoit librement le bien et l'implante dans sa vo-
lonté. Les Esprits adjoints à l'homme ne sont pas tou-
38 DO CIEL ET DE SES MERVEILLES.

jours les mêmes; ils s'éloignent et sont remplacés par


d'autres, selon qu'il change lui-même dans ses affec-
tions; car ils sont toujours semblables à ce qu'il est
quant à son amour dominant. Néanmoins, l'influence
universelle dirige l'homme, selon les lois de l'ordre,
dans ses paroles et dans ses actions, sans que les Es-
prits y puissent rien; ceux-ci n'ont accès près de lui
que par la qualité de ses penchants bons ou mauvais.
Voilà ce qui fait que la Doctrine de la Nouvelle Église
ne peut se confondre avec les idées superstitieuses des
hommes sur les maléfices et les sortilèges. L'homme
ne reçoit cette influence qu'autant qu'elle concorde
avec ses penchants secrets ; si elle ne concorde pas, il
la rejette. Les Esprits n'inspirent point à l'homme la
pensée, mais seulement l'affection ; maître de sa pen-
sée, il a le choix ; il peut adopter ou rejeter. L'Écriture
atteste les consociations des Esprits avec l'homme ;
toute l'antiquité savante en fait foi. Sans ces consocia-
tions l'homme serait un anneau séparé de la grande
chaîne; ne recevant plus l'influence du Seigneur qui
est toujours médiate selon les lois de l'ordre, il tom-
berait mort. Avec la connaissance de ce mystère,
l'homme ne s'attribue plus le bien qu'il reporte au
Seigneur, il ne s'approprie plus le mal qu'il rejette.
Sans s'imputer le mal, il ne se fait pas non plus un
mérite de ses œuvres.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 39

XXX VI. Le Ciel est conjoint à l'homme par la


PAROLE.

Il y a une chaîne dont les anneaux remontent à un


principe. Ce qui serait hors d'elle ne serait pas; rien
ne subsiste que par un antérieur qui est le principe;
c'est lui qui est la cause dont les ultérieurs sont les
effets. L'homme est en consociation avec les anges;
il n'est en conjonction qu'avec le Seigneur, qui seul
fait le Ciel. L'homme, comme l'être où s'arrête l'in-
fluence divine, est la base de la création ; en lui est
le fondement du Ciel, puisque le genre humain est la
pépinière qui le peuple. Par la chute, l'homme a
rompu cette chaîne. Plongé dans l'amour de soi et du
monde, il ne servirait plus de base au Ciel s'il n'y
avait été pourvu par la Parole. Dans le sens de la
lettre, la Parole est dans les extrêmes comme l'hom-
me, et elle lui sert d'un moyen de communication
qu'il n'avait plus. Dans son sens spirituel, étant écrite
par correspondances, elle lie l'homme à l'ange, ou,
en d'autres termes, la terre au Ciel. Sans la Parole,
le genre humain, manquant d'une communication es-
sentielle à la vie, aurait péri. Le langage spirituel de
la Parole a été nécessaire pour qu'elle fût un lien
entre l'homme et l'ange. Les commentateurs ne nous
ont pas donné une si bonne raison du style allégo-
rique de la Bible. Pourquoi, en effet, une allégorie,
quand il faut parler clairement?
40 DU CIEL ET DE SES M E R V E I L L E S .

C'est par les hommes qui gardent la Parole que la


terre s'unit au Ciel. Ils sont le médium où s'arrêtent
les rayons du Soleil moral. Sous l'aspect du Seigneur,
ils sont comme un sent homme. Par cet homme, la
lumière est transmise aux antres, l'influence divine
est fixée, le genre humain conserve enfin le principe
rationnel.

XXX VII. Le Ciel et l'Enfer ont le genre humain


pour origine.

C'est une opinion, sans fondement dans l'Écriture,


que celle qui attribue la formation du Ciel et de l'En-
fer à une création première d'anges qui n'avaient pas
été hommes. Tous les habitants, tant du Ciel que de
la terre, proviennent du genre humain. Ceux qui sont
dans l'opinion fausse que l'homme ne va ni dans le
Ciel ni dans l'Enfer avant le jugement dernier ne peu-
vent croire, par conséquent, que le Ciel et l'Enfer ti-
rent leur origine du genre humain. L'intérieur de
l'homme est un ange dans son essence; il a, après la
mort, la même forme, la même intelligence. Dans
l'homme est le dernier degré des récipients de l'a-
mour divin et de la sagesse divine. Le dernier degré,
étant la base et le contenant des premiers, il y a dans
l'homme ce qui doit former l'ange, et ainsi le genre
humain est la pépinière du Ciel.
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 4l

XXXVIII. Hors de l'Église on peut être sauvé.

Le bon sens seul enseigne cette vérité. La Miséri-


corde du Seigneur n'est pas particulière, mais uni-
verselle. Nés hommes comme nous, ceux qui ne con-
naissent pas la Parole ont droit aux mêmes bienfaits,
s'ils pratiquent les mêmes préceptes. Le Ciel est dans
l'homme quand on conserve en soi le sentiment de la
Divinité, et qu'on est moral par amour de Dieu. Or,
cette condition se trouve chez les Gentils comme chez
les Chrétiens. Comme ceux-ci, les Gentils obéissent
à l'influence spirituelle; il leur manque seulement la
connaissance de la vérité, mais ils l'acquièrent dans
l'autre vie; déjà dans la bonté, ils arrivent par elle
à la vérité. Hors de l'Église point de salut est une
altération de ce principe : Sans le Seigneur il n'y a
point de salut.

XXXIX. Tous tes Enfants entrent dans le Ciel.

Le baptême ne donne ni le Ciel ni la foi ; c'est seule-


ment un signe que l'homme doit être régénéré. Quicon-
que meurt enfant est reçu par le Seigneur, élevé dans
le Ciel, et instruit des affections du bien et des connais-
sances du vrai, qui, dans leur complément, font l'ange.
Personne n'est né pour l'Enfer. L'amour divin dans
son essence attire tout à lui. Celui qui s'en éloigne libre-
ment est le seul qui descende en Enfer. Dans l'enfant,
i"2 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

la liberté n'est pas encore, et il ne peut être puni d'un


choix qu'il ne peut pas i'aire. L'enfant est également
enfant dans l'autre vie. Son ignorance est la même
que sur la terre; c'est que les perspectives de l'autre
monde ne sont pas de vaines décorations théâtrales
qu'on embrasse d'un coup d'œil, mais des états qui
dépendent des perfections croissantes de la sagesse et
de l'amour selon l'ordre divin.

XL. Des Sages et des Simples dans le Ciel,

Ce qui fait l'intelligence dans le Ciel, c'est l'amour


du vrai pour le vrai, sans aucun motif personnel qui
ne serait pas désintéressé. C'est la lumière du Ciel
même qui éclaire les anges. Ce qui fait la sagesse dans
le Ciel, c'est la bonté qui change la vérité en vie. La
sagesse et la bonté sont données dans le Ciel selon le
désir. C'est le désir qui est la mesure ; on reçoit plus, si
la mesure est grande; moins, si la mesure est petite.
Les simples sont ceux qui désirent moins la bonté et
la vérité. Ainsi, ils sont dans une moindre lumière
correspondante à un moindre amour; car on reçoit en
proportion de ce qu'on a d'amour. Il en est ainsi sur
la terre. Ce qu'on ne désire pas ardemment connaî-
tre, on ne l'apprend jamais; ce qu'on n'aime pas, on
ne se l'approprie pas. Aimer, c'est en même temps
vouloir, et ce qu'on ne veut pas, on ne le fait et on ne
le pratique jamais. La vraie intelligence est de se
rendre au sentiment qui, comme un instinct moral,
Dli CIEL ET DE SES MERVEILLES. 43

ne trompe jamais ; la fausse, c'est de s'en rapporter à


la raison seule, qui confirme et fait paraître vraisem-
blable tout ce qu'elle veut. C'est ce qui fait qu'on lit
dans l'Evangile : « Ces vérités ont été cachées aux in-
telligents et aux sages, et ont été révélées aux en-
fants. » — Matth. XI. 2o.—C'est ainsi que le doc-
teur anglais ne trouve pas la vérité chez les plus sa-
vants de l'Inde, et ne la rencontre que sous l'humble
toit du Paria. Ainsi, le moyen d'arriver ait vrai, c'est
de purifier son cœur. Aimer Dieu et le prochain, cher-
cher la vérité pour la vérité, tels sont les moyens
de devenir intelligent et sage.

XH. Des Riches et des Pauvret dans le Ciel.

L'Écriture mal interprétée a fait croire à tort que


les pauvres étaient reçus dans le Ciel à l'exclusion des
riches. Riche ou pauvre, tout homme est introduit
dans le Ciel, s'il mène la vie de la foi et de l'amour.
L'intérieur de l'homme est tout l'homme, ses actions
extérieures ne font point son affection, parce qu'elles
peuvent ne pas en provenir. Si le riche ne place pas
son cœur dans l'opulence, il peut être pauvre au milieu
des faux biens; si l'opulence est pour lui un moyen
de servir utilement son prochain, il accomplit la loi;
si, au contraire, il ne s'en sert que pour satisfaire ses
passions, il se ferme le Ciel. L'idole qu'il a caressée,
c'était lui-même. Il obtient ce qu'il a désiré, et sa so-
litude affreuse est le prix d'un amour désordonné de
44 DU CIEL ET DE SES MEBVEILLES.

soi-même. Ce n'est pas la pauvreté qui ouvre le Ciel


aux pauvres, mais la vie qu'ils ont menée dans cet
état. Chacun dans l'autre monde est suivi par sa vie.
Les riches dont parle l'Écriture sont ceux qui, étant
riches des connaissances célestes, pensent arriver au
Ciel par eux-mêmes. Les pauvres sont ceux qui,
étant dépourvus de ces connaissances, les désirent
néanmoins.

XLII. Il y a des Mariages dans le Ciel.

Le Ciel étant formé du genre humain, les anges


étant de l'un et de l'autre sexe, les deux sexes enfin
étant destinés l'un pour l'autre, ils s'unissent dans le
Ciel comme sur la terre. L'amour conjugal est un
amour inné. C'est à lui que se rattache la plus puis-
sante, la plus douce, la plus impérieuse des passions.
Dans le Ciel, cette passion de deux âmes n'en fait
qu'une, comme ici-bas lorsqu'elle est dégagée des
sens. A l'homme se rapporte l'entendement et par
conséquent la pensée ; à la femme, la volonté et par
conséquent l'affection. Ainsi, tous deux ne font qu'un
être par le juste accord des deux facultés. En effet,
les moralistes ont toujours attribué à l'homme ce qui
est du domaine de la rétlexion, et à la femme, ce
qui appartient au sentiment. L'un a toujours en plus
ce que l'autre possède en moins. C'est la théorie
de Bernardin de Saint-Pierre, qui prétend que toute
harmonie sur la terre est formée de l'union de deux
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 45

parties opposées. L'homme agit toujours par raison


quand la femme ne consulte que l'affection. L'être vi-
vant est toujours selon ce qui prédomine en lui. Dans
le Ciel, la femme pense par le mari, le mari veut par
la femme. Ainsi, ce qui est le propre de l'un devient,
par la plus douce des communications, le propre de
l'autre. C'est cette conjonction qui est l'essence même
de l'amour conjugal. Cet amour est le réceptacle de
l'influence céleste, parce que par lui s'opère le ma-
riage du bien et du vrai, seul principe des choses.
C'est par le vrai que se perfectionne l'intelligence de
l'homme, et c'est par le bien que se perfectionne la
volonté de la femme. Le vrai et le bien émanent direc-
tement de la sagesse et de l'amour divins, les deux
attributs qui constituent l'Essence Divine. L'amour
conjugal tire son existence du Seigneur même.
Ainsi, la philosophie de la Nouvelle Église donne
une origine sainte à cet amour sur les devoirs duquel
se fondent tant de devoirs, dont les perspectives de-
viennent le sujet des plus douces espérances, et qui,
ayant pour but la procréation du genre humain dont
l'accroissement du Ciel angélique est la suite, rattache
d'une manière sublime l'homme au Ciel. Bien diffé-
rente de cette philosophie légère qui de l'existence
d'un sentiment utile en conclut l'abus, ou de cette re-
ligion chagrine qui, sous prétexte de la crainte du li-
bertinage, défend ce qui est permis, la doctrine de
la Nouvelle Jérusalem anoblit ce que le matérialisme
avilissait, cl légitime ce que la superstition défendait.
4<j DU CIEL ET DE SES MEBVEILLES.

Ainsi, le mariage céleste consiste dans l'union du


bien et du vrai. C'est par suite de cette idée que le
Seigneur dans l'Écriture est l'époux, et l'Église l'é-
pouse. Unis ainsi, deux époux ne font pas deux, mais
un. C'est cet être uniqne qui pense toujours ce qu'il
veut, et qui veut ce qu'il pense. Aussi l'homme, dès
le commencement, fut-il créé mâle et femelle,—
Matth. XIX. 4; — c'est-à-dire qu'avant la chute les
hommes vivaient sur terre dans le pur amour conju-
gal. C'est cette vérité, reçue dans la Grèce par tradi-
tion, qui sans doute a donné lieu aux androgynes de
Platon.
Cet amour sublime naît dans l'âme; et, s'il descend
dans le corps, ce n'est point qu'en arrivant aux sens il
se souille, mais c'est que le corps étant au dernier de-
gré, ce qui tire sa cause de l'âme doit nécessairement,
dans le plan de la création, se terminer dans l'ef-
fet qui est le corps. Un amour platonique qui ne serait
que de l'âme serait une cause sans effet, c'est-à-dire,
un sentiment sans existence. L'amour des sens, réduit
à lui seul, serait un effet sans cause, c'est-à-dire, le
plus affreux libertinage, puisque ce serait la jouissance
de la matière séparée du spirituel dont elle tire sa vie.
Formé de deux sentiments, comme le Seigneur est
formé de deux attributs, l'amour conjugal a ainsi en
quelque sorte en lui l'effigie sacrée de la Divinité. Il a
le Ciel en lui, puisque le Ciel tire sa forme du Sei-
gneur : de là les jouissances innombrables dont il est
la source. La religion est la base de cette union di-
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 47

vine, et elle ne peut exister entre deux êtres de reli-


gion différente. Deux dissemblances, deux discor-
dances, ne peuvent former une âme. Les unions sur
la terre sont souvent de simples convenances ; voilà
pourquoi on y est si indulgent sur la religion des
époux. Le mariage céleste ne peut non plus concorder
avec la polygamie ; l'entendement ne peut se divi-
ser entre plusieurs volontés. L'empire de l'un des
époux sur l'autre détruit également le mariage cé-
leste; celui qui veut que sa volonté domine rend nulle
la volonté de l'autre; alors plus rien de mutuel entre
eux, par conséquent plus de ce charme intérieur qui
provient d'une communication réciproque. Il n'y a de
véritable amour que celui qui est libre.
Dans son essence, l'amour conjugal est un état
d'innocence, puisqu'il reçoit tout d'en haut et ne met
rien de soi dans le sentiment. Ainsi, tout est charme
pour lui comme pour l'enfance. On pourrait deman-
der pourquoi il existe dans le Ciel un sentiment sans
but, puisque le but réel de celui-ci est la procréation
du genre humain. Mais le Ciel, dans son universalité,
étant dirigé par le bien et par le vrai, il doit y avoir
des êtres qui en sont les réceptacles, et quand leur
union est la seule condition de cette réception, l'u-
nion doit avoir lieu. Pour y être mutuellement son
soi-même, il faut la réunion des deux. La sympathie,
.ce sentiment puissant qui ne consulte ni la fortune ni
les convenances, est le mobile secret de cet amour si
pur. Permis, consacré, commandé môme, c'est un
48 DU CIEL ET DE SES M E R V E I L L E S .

devoir. L'adultère qui lui est opposé est ainsi un


crime; et quiconque est dominé par l'amour de l'a-
dultère se ferme le Ciel. Le plaisir que la nature y a
attaché est sans doute aux yeux des libertins le même
que celui d'un amour légitime; mais celui-ci a un
but, le premier n'en a pas. L'adultère est un crime
contre l'ordre humain ; c'en est un également contre
l'ordre divin, puisque, détruisant dans l'homme l'ac-
cord qui doit régner entre les deux facultés qui for-
ment l'amour véritable et qui ont pour principes les
deux attributs divins, il chasse du cœur humain tout
ce qu'il y a de moral, de spirituel et de vie.

XLlll. Les Anges remplissent diverses Fonctions


dans le Ciel.

Le Ciel est un royaume d'usages : chacun par con-


séquent y a son emploi. Un Ciel sans existence et des
âmes sans formes seraient les seules choses qui pour-
raient faire douter de cette assertion. La vérité et la
bonté ne seraient que des abstractions, si elles ne ve-
naient pas en action. L'action est la seule chose qui
les manifeste et leur donne l'existence. A chaque
fonction est adjointe une dignité que l'Ange ne s'at-
tribue pas, mais qu'il attribue à l'usage. L'amour et
l'estime sont accordés aux personnes mêmes, mais
autant seulement qu'elles ne s'attribuent rien elles-
mêmes. C'est cette vérité qui guide le philosophe dans
l'appréciation des hommes; ;'i ses y e u x , la dignité
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 49

n'est qu'un accessoire, la moralité fait tout l'homme.


Il méprise le vice sur le trône, et respecte la vertu
sous la bure.
Quelles sont, dira-t-on, les fonctions des Anges?
Qu'ont-ils à faire là-haut? Ils y élèvent les enfants,
puisque l'enfant n'est qu'une faculté qui n'a pas en-
core reçu d'exercice. Ils font connaître la vérité aux
Esprits, puisque l'erreur subsiste encore au-delà du
tombeau. Ils assistent ceux qui meurent; ils s'insi-
nuent dans les affections des hommes sur la terre.
Ces Fonctions valent bien celles que les poètes et les
philosophes accordaient aux Anges quand ils les char-
geaient de conduire les globes dans leurs orbites, de
dispenser la lumière ou les ténèbres, de diriger le
vol de la foudre, et de calmer tour à tour ou d'exci-
ter les orages.

XLIV. De la Félicité céleste.-

L'homme, après la mort, entrant dans sa vie inté-


rieure, la félicité dont il est appelé à jouir doit être
également intérieure. Tel est l'amour de l'homme,
tel est le charme qu'il éprouve. L'amour du Seigneur
et du prochain est la source de tous les plaisirs de
l'âme. Dire le Ciel ou la joie céleste, c'est la même
chose, parce que l'Amour Divin, dont l'essence est de
se communiquer, fait le Ciel. Là, la félicité de tous
est de communiquer leur bonheur à chacun, et cha-
cun n'est heureux que du bonheur général. Prenez
50 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

l'opposé de ces plaisirs, vous arriverez aux amcfurs


de soi-même et du monde qui constituent l'Enfer. En
effet, l'amour de soi ne trouve de bonheur que pour
l'individu au détriment des autres; l'amour du monde
envie tout ce qui est à autrui : si ces amours jouis-
sent, c'est en détruisant les plaisirs des autres. Les
premiers sont communicatifs par essence, ceux-ci
sont solitaires. Ainsi, le Ciel n'est pas un lieu dans le-
quel on est introduit; l'Enfer n'est pas un lieu dans
lequel on est précipité; l'un et l'autre sont des états
où l'homme se trouve dans son plaisir dominant : cet
état est pour lui le seul dans lequel il puisse vivre.
Ce qui fait le bonheur d'une âme pure semble insup-
portable à une âme corrompue ; et, tandis que la pre-
mière trouve un Ciel en harmonie avec ses penchants,
l'autre descend librement dans un Enfer où elle trouve
ce qui sympathise avec elle. Le Ciel et l'Enfer pour
l'une et l'autre sont comme des éléments constitutifs
de leur être et conformes à leur organisation. Elles
ne peuvent pas plus s'en passer que l'être organisé
ne peut être privé de l'élément qui lui est propre. La
béatitude céleste se changerait en tourment pour le
méchant, comme l'air vif du dehors devient mortel au
poisson tiré du fond des eaux. Quand l'opposé agit
sur l'opposé, il y a nécessairement combat et an-
goisse.
La félicité céleste est active, parce qu'il n'y a pas
de vrai plaisir sans usages, et que le Ciel est le
royaume des usages. Une vie de repos serait un en-
DU CIEL ET DE SES MERVEILLES. 51

gourdissement insupportable. Le repos est une halte


dans la vie; mais il ne peut être un état continuel
sans dégénérer en ennui et en dégoût. Ainsi, le Ciel
et l'Enfer ne sont jamais semblables pour chacun.
Qu'on ne dise point que la suprême félicité ne peut
consister dans une affection qui nous arrache sans
cesse à nous-mêmes; les plaisirs du dévoûment,
même ici-bas, sont les plus vifs de tous. Quelle est
l'amante sincère qui ne pousse la passion jusqu'à pré-
férer le bonheur de son amant au sien ? Quelle est la
mère qui ne soit prête à endurer les horreurs de la
faim pour faire subsister ses enfants? Sans cette pas-
sion si douce, pourquoi l'amitié serait-elle établie sur
de mutuels sacrifices, et rendue plus pure par l'ad-
versité? Ainsi, la félicité céleste ne consiste ni dans
un hymne éternel, ni dans une élévation éternelle
dans laquelle on reçoit de serviles hommages ; née du
sanctuaire intime de l'âme, elle a un autre caractère ;
provenant de l'intérieur, elle découle par trois degrés
dans tout ce qui est à l'homme. Sentir seulement cet
état par la sphère d'amour d'un Ange suffit pour rem-
plir l'Esprit d'une douceur si ravissante qu'il tombe
dans le plus délicieux ravissement. Là, tout est vivant
et donnant la vie; chaque fibre y est une joie. Là, on
reste continuellement au printemps de la vie; la dé-
crépitude y retourne à la jeunesse ; la bonté s'y re-
vêt de sa forme, et ce qui est bon est beau en même
temps. Vieillir dans le Ciel, c'est y devenir progres-
sivement plus jeune et plus beau.
52 DU CIEL ET DE SES MERVEILLES.

XLV. De l'Immensité du Ciel

Le Ciel est immense, puisque le Seigneur est infini.


Quelle multitude de générations ont passé sur la
terre, et s'y sont rendues comme à leur centre? Les
générations répandues dans l'immensité des mondes
s'y rendent également. L'univers créé ne peut l'avoir
été sans un but ou une fin quelconque, et ce but ou
cette fin est le royaume céleste dans lequel la Divinité
habite avec ce qui est sorti d'elle.

XLVI. DU MONDE DES ESPRITS.

Le Monde des Esprits, intermédiaire entre le Ciel


et l'enfer, est le lieu où l'homme arrive d'abord, après
la mort, pour de là être élevé au Ciel ou précipité en
Enfer. C'est, pour parler plus strictement, Y état
moyen de l'homme; c'est l'état où il se trouve avant
que la volonté et l'intelligence, qui étaient séparées
sur la terre, soient dans une union parfaite. Quand le
bien et le vrai sont unis par ces deux facultés, l'homme
a le Ciel en soi ; mais il a l'Enfer, quand par elles il y
a union du mal et du faux. Cette union des deux fa-
cultés primordiales de l'homme ne peut s'opérer en
un clin d'œil. Tout dans le monde moral, comme dans
le monde physique, ne s'opère qu'avec temps, poids
et mesure. Il n'y a que l'impatience naturelle a l'es-
DU MONDE DES ESPRITS. 53

prit humain qui lui fasse entrevoir un univers méta-


physique dont les lois ont le caractère du caprice. On
ne peut habiter le Ciel ou l'Enfer avec une âme divi-
sée. Là, ce qu'on aime, on le pense, on le veut. Si
l'on est dans le bien, on est aussi dans le vrai; si l'on
reste dans le mal, on est par conséquent dans le faux.
Le temps nécessaire à cette union est ce qui détermine
la durée du séjour des Esprits dans ce Monde; ainsi
ce séjour varie selon les inclinations de chacun. Le
méchant y cherche ses pareils, et l'homme vertueux,
ceux qui sympathisent avec lui. Là, on se reconnaît,
on se lie d'amitié, ou l'on se sépare selon les affinités,
si l'on peut dire ainsi. Les mêmes amours joignent
les Esprits; des affections dissemblables les désunis-
sent, jusqu'à ce qu'ils soient arrivés à un état cons-
tant où il n'y a plus que les homogènes qui se con-
naissent. Ce Monde est intermédiaire entre les deux
autres. Il communique à l'Enfer par des cavernes sou-
terraines, et au Ciel par une voie. Nul n'aperçoit ces
cavernes ou ces voies que celui qui est préparé pour
les franchir. La voie du Ciel étant franchie, le chemin
se partage en une infinité d'autres. Le labyrinthe, que
les anciens prêtres d'Egypte avaient figuré dans la re-
présentation des mystères, paraît avoir été l'image de
ces chemins. Une odeur ou un souffle tour à tour
suave ou infecte s'exhale de ces chemins ou de ces ca-
vernes ; et chaque Esprit s'y précipite comme attiré
par ces émanations qui correspondent à ses inclina-
tions.
54 DU MONDE DES ESPRITS.

XLVll. Chaque homme est esprit quant à ses


intérieurs.

Le corps, n'étant qu'un instrument, ne pense point


par lui-même; c'est l'âme ou l'esprit qui pense dans
le corps. Celui-ci est matière, pour que l'esprit puisse
agir par lui dans le monde matériel où il se trouve.
Un corps mu n'a pas le mouvement en lui. Il en est
ainsi de nos organes; supprimez la force vive qui les
met en action, ils tombent en poussière. Il est im-
possible de comprendre avec les matérialistes com-
ment ils ont la vie, si l'on ne suppose pas une source
de cette vie. Le corps est un sujet substantiel, sans le-
quel l'entendement et la volonté n'auraient pas de
siège; c'est pour cela que l'homme revit en forme
humaine. Que le spiritualisme vaporeux des philoso-
phes se figure une âme sans forme, à lui permis; mais
l'expérience le combat chaque jour. Que répondra-t-
il à ces arguments de Lucrèce reproduits par Swe-
denborg : Qu'est-ce qu'une vue sans œil, une ouïe
sans oreille? La vie des organes n'appartenant point
au corps, mais à l'esprit, doit rester à celui-ci, quand
il abandonne son corps matériel. La bête, vivant
comme nous, n'a point cependant les facultés qui ser-
vent de réceptacle aux facultés divines. Sa vie appar-
tient à la vie élémentaire, et la mort chez elle fait dis-
paraître l'individualité. L'homme, au contraire, s'u-
nissant à la source de la vie, ne peut périr (N° VI).
DU MONDE DES ESPRITS. oo

Enfin si l'homme ne renaît pas dans un corps spiri-


tuel, qu'ont donc vu tous ceux qui ont eu des visions?
L'état de vision est celui où le corps matériel, sus-
pendant certaines de ses fonctions, l'esprit, qui est
l'intérieur même de l'homme, voit par ses organes
spirituels. Dans cet état l'homme est vu des Esprits
comme esprit et non comme homme. Sur la terre
même, l'homme quant à son esprit est en société, à
son insu, avec les Esprits qu'il doit rejoindre un
jour. Il croit être dans le monde naturel, mais les Es-
prits le voient dans le leur.

XLVlll. Comment s'opèrent certaines visions.

L'homme se trouvant dans un état mitoyen entre


la veille et le sommeil, mais jouissant comme en pleine
veille de tous ses sens et de toutes ses facultés, se
trouve subitement ravi hors de son corps, alors il
voit, ce qui ne se trouve pas sous ses yeux matériels,
des bois, des fleuves, des maisons, des hommes. L'es-
prit le conduit ainsi de lieu en lieu, par des chemins
que l'homme ignore, dans un temps dont il n'a pas la
conscience. Ces états extraordinaires ont été ceux des
prophètes. Ils sont connus dans l'Église, dans l'his-
toire, dans certaines perceptions telles que le som-
nambulisme naturel ou magnétique. L'homme n'est
homme que par l'entendement et la volonté, et bien
que les actions de ces deux facultés soient extérieures,
elles ne sont pas moins intérieures.
56 DU MONDE DES ESPRITS.

XLIX, De la Mort de l'homme et de son


entrée dans l'autre vie.

L'homme meurt quand le corps cesse de remplir


les fonctions organiques correspondantes à la volonté
et à l'entendement qui viennent du monde spirituel. Il
meurt, mais il n'est pas anéanti : il laisse la partie
matérielle qui lui a été adjointe et se retire dans son
esprit et dans le monde d'où il a tiré sa vie. La mort
arrive quand les mouvements respiratoires du pou-
mon et les mouvements systoliques du cœur cessent;
ces deux mouvements sont les seuls liens qui retiennent
l'esprit dans le corps, parce que le premier correspond
à l'entendement et le second à la volonté qui font
tout l'homme. La mort n'arrive qu'à la cessation du
second, parce que l'amour d'où dérive la volonté est
l'homme même; alors l'homme se réveille et entre
dans la vie spirituelle. Swedenborg décrit cet état par
expérience.
Amené à un état d'insensibilité, la respiration cor-
porelle lui fut presqu'enlevée, celle de l'esprit restant
toujours. Des Anges du Royaume céleste se montrè-
rent à ses regards; deux étaient assis près de sa tête.
Ensuite, toute affection propre lui fut enlevée, mais
il lui restait toujours la pensée et la perception. Les
Esprits qui accompagnent l'homme pendant la vie s'é-
loignèrent de lui, le croyant mort. Alors une odeur
aromatique se fit sentir; cette odeur se manifeste ton-
DU MONDE DES ESPRITS. 37

jours quand les Anges assistent au trépas d'un homme,


et c'est elle qui chasse les Esprits pour le laisser en-
trer seul dans la vie éternelle. Les Anges communi-
quaient avec lui par la physionomie seule; alors il
éprouva comme une sorte d'arrachement des inté-
rieurs de l'âme : c'était la résurrection.
Ce récit est remarquable et peut être confirmé par
d'autres récits relégués jusqu'à présent dans les
poètes. Il n'est aucun d'eux qui n'ait parlé de cette
vapeur aromatique qui s'exhale du corps inanimé du
juste. Virgile la peint dans l'Enéide sortant du cada-
vre de Palinure. Millevoye, dans le tableau de la mort
d'Ophilie, s'exprime ainsi dans le poëme de Charle-
magne :
Et tout à coup le nocturne séjour
Sembla rempli d'une clarté bleuâtre,
Et d'un parfum d'innocence et d'amour.

Les Anges célestes n'abandonnent point l'homme


qui vient de sortir de ce monde pour ressusciter dans
l'autre; mais l'homme revenant à son amour domi-
nant s'éloigne d'eux, quand cet amour ne coïncide pas
avec celui de ses célestes conducteurs. Alors les Anges
du Royaume spirituel arrivent, lui donnent l'usage de
la lumière, car auparavant il pensait seulement; ils
l'instruisent des mystères de l'autre vie. Si ces ins-
tructions contrarient ses goûts, il s'éloigne d'eux. De
bons Esprits succèdent aux Anges; si cette société est
encore pour lui sans charmes, il passe dans une aur
08 DU MONDE DES ESPRITS.

tre; et, changeant toujours ainsi, il trouve des Esprits


conformes au sien avec lesquels il s'associe et mène la
vie qu'il menait dans le monde. En trois jours, toutes
ces opérations sont déjà consommées.

L. L'homme après la mort revit en parfaite


Forme humaine.

La forme de l'esprit de l'homme est une forme hu-


maine, et c'est cet Esprit qui est l'homme; c'est lui
qui moule la matière dont il est enveloppé, et qui lui
donne sa forme; c'est lui qui vit dans tous les orga-
nes : un organe dans lequel il ne serait pas serait sans
vie, et par conséquent sans forme. L'affection et la
pensée qui sont l'homme au moral donnent aussi
toute action au corps, et celui-ci dans ses détails a
toujours une forme propre à exécuter ces actions.
L'Esprit doit avoir la forme humaine, puisque cette
forme est celle du Ciel tant en particulier qu'en gé-
néral, et que la chose produite est toujours selon la
forme de l'agent qui produit. Le récipient est con-
forme à la chose reçue. On doute de ces assertions,
parce qu'elles détruisent les idées qu'on s'est formées,
et que la croyance sincère dépend toujours d'une vo-
lonté qui n'a pas déjà pris d'avance sa détermination.
La pensée n'est point une abstraction sans réalité.
Elle n'a de consistance que parce qu'elle est sub-
stance et forme comme son principe ; elle, ne se dis-
sipe donc pas à la mort comme un vain songe.
DU MONDE DES ESPBITS. 59

Ll. La forme est l'image de l'Affection.

En entrant dans l'autre vie, l'homme conserve la


physionomie qui le faisait reconnaître dans le monde,
parce qu'il est encore dans son extérieur; peu à peu
il entre dans ses intérieurs, et son visage, devenant
le miroir de ses affections, change comme elles; il
devient beau chez ceux qui sont dans les bonnes, et
difforme chez les méchants : sa physionomie y exprime
son amour. Ainsi, ses amis décédés, on les reconnaît
encore dans le Monde des Esprits; mais dans le Ciel et
dans l'Enfer, s'ils ne sont pas semblables à nous,
nous ne les reconnaissons plus (N° LVI.)

LU. L'homme, après la mort, est dans tous ses


Sens et dans toutes ses Facultés.

L'homme, après la mort, jouit de tous ses sens et


de toutes ses facultés. Il voit, entend, parle comme
auparavant. Ses goûts le suivent; il se livre aux mê-
mes études, aux mêmes exercices. Il retient tout ce
qu'il a entendu, vu, lu, appris et pensé. Ses facultés
et ses sens sont plus exquis, principalement la vue et
l'ouïe, qui appartiennent plus particulièrement à l'en-
tendement. Alors toutes les actions de la vie de l'homme
sortent par ordre de sa mémoire, et se reproduisent
au grand jour. Ainsi tout se manifeste après la mort.
Ce que vous aurez dit. it l'oreille dans les chambres,
60 DU MONDE DES ESPRITS.

sera prêché sur les toits des maisons. — Luc, XII.


3.— Cet examen, après la mort, se fait par les Anges
qui lisent les actions de l'homme sur toutes les parties
de son corps. En effet, la pensée et l'affection sont
inscrites dans le cerveau, et de là répandues dans les
nerfs dans toutes les parties du corps comme dans
leurs dernières fins. C'est pourquoi tel est l'homme
quant à la pensée et à l'affection, tel il est dans la to-
talité de sa vie. Tel est son amour, tel il est lui-même.
Par conséquent l'homme vertueux est son bien, l'hom-
me vicieux est sou mal. Le livre de l'homme dont
parle l'Écriture, ce livre où ses actions sont inscrites,
c'est lui-même. L'esprit tirant sa forme des actes de
la volonté, ce qu'il a pensé, senti et voulu une fois in-
térieurement ne s'efface plus de sa mémoire.

LUI. De la Mémoire de l'homme après (a mort.

L'homme a deux mémoires, l'intérieure et l'exté-


rieure. La première est spirituelle, et la seconde na-
turelle. Les objets inscrits clans la première ne s'effa-
cent jamais, parce qu'elle ne fait qu'un avec l'affection.
La seconde laisse reposer ce qu'elle a admis, parce que
ses souvenirs n'ont pas été des sensations. En dehors
de l'homme sur la terre, elle reste également en de-
hors dans le Ciel. Ce qu'on apprend sans l'avoir senti,
comme une langue, s'oublie; ce qu'on a appris parce
qu'on l'a pensé ou éprouvé, comme une passion, ne
sort jamais de la mémoire intérieure; c'est le sanc-
DU MONDE DES ESPRITS. 01

tuaire intime où l'homme habite avec lui-même. Ce


qui est devenu perception reste; ce qui a été appris,
sans que l'affection l'ait approprié à l'homme, s'é-
chappe sans qu'on le retrouve. Ces deux mémoires
sont bien connues : soyez certain que je ne vous ou-
blierai jamais, dit-on à quelqu'un, donnant ainsi l'af-
feolion pour garant du souvenir. L'identité du moi,
dit Rousseau, ne se conserve que par la mémoire.
Pour être le même après la mort, il faut donc que
l'homme se souvienne d'avoir été. En oubliant tout ce
qui n'est pas devenu acte de sa vie, l'homme ne cesse
pas d'être, puisqu'il n'oublie que ce qui a toujours
été en dehors de lui. Plus au contraire l'âme se dé-
pouille du sensible, plus elle prend possession d'elle-
même.

HV. L'homme est, après la mort, tel qu'a cic


sa Vie.

Le Ciel ne se donne pas par pure miséricorde ; mais


il résulte des actions et des œuvres de l'homme. Or,
l'action et l'œuvre sont dans la volonté avant de se
manifester extérieurement : c'est donc l'état de la vo-
lonté qui constitue le Ciel ou l'Enfer; car l'action en
elle-même pourrait n'être que le fruit de l'hypocrisie.
La volonté étant tout l'homme, la vie qui suit l'homme
dépend d'elle seule. L'amour dominant le suit après la
mort : l'homme reste éternellement dans cet amour,
puisque le changer, ce serait changer et éteindre la vie
6.
02 DU MONDE DES ESPRITS.

dont il est la source. Arrivé clansles intimes, l'homme y


reste, puisque pour en sortir, il faudrait qu'il pût des-
cendre dans les extrêmes, où l'éducation rationnelle
seulement est possible; monté de plusieurs degrés, il
ne peut plus se réformer. Ainsi, l'amour spirituel fait
le Ciel; l'amour de soi, l'Enfer. Le premier se ratta-
che à la vie et en prend les attributs et les formes; le
second se concentre en lui-même, et perd les formes
et les qualités humaines qu'il n'est pas en son pou-
voir de produire. La foi ne reste pas chez l'homme à
moins qu'elle ne soit en même temps amour. Une foi
sans amour est une pure spéculation d'esprit que
l'homme peut examiner ou rejeter; elle n'est pas lui,
par conséquent elle ne lui reste pas. La foi, ce n'est
pas croire seulement, c'est aimer aussi. Il ne reste
donc chez l'homme que l'amour en acte ; c'est-à-dire
l'œuvre et l'action.

LV ' . Les Plaisirs de la vie de chacun se changent


rèn la mort en choses correspondantes.

La science des correspondances peut seule ap-


prendre quels sont les plaisirs spirituels dans les-
quels se changent les plaisirs naturels de chacun après
la mort. Chaque chose sur la terre ayant son principe
dans le inonde spirituel, les pensées des hommes y
sont des réalités correspondantes. Ce qui tombe ici
seulement dans l'idée, se reproduit là sons les yeux.
Ainsi, la vérité y est la lumière même; l'erreur s'y
* DU MONDE DES ESPRITS. 63

montre comme les ténèbres. Le langage métaphori-


que confirme ceci : On dit d'un homme qu'il se perd
dans les brouillards. Ces ténèbres offusquent la vue
de l'homme spirituel; c'est pourquoi celui qui est
dans l'erreur y persiste, parce que celte erreur étant
la privation de la lumière, il ne peut plus se servir de
celle-ci pour redresser sa raison. Voilà ce qui fait
que les mauvais Esprits extravaguent. De là, tout
est pur, beau, harmonieux dans le Ciel; tout est re-
poussant et discordant dans l'Enfer.

LVI. Des trois États de l'homme après la mort.

Ceux qui ne sont pas complètement régénérés subis-


sent, après la mort, trois états successifs dans le Monde
des Esprits. Le premier est celui des extérieurs dans
lequel l'homme était sur la terre. L'autre vie étant
une continuation de celle-ci, et la mort un pas-
sage d'un lieu dans un autre, les premiers instants
de l'existence nouvelle doivent être conformes aux
derniers de la précédente; car dans tout ce qui tient
à l'ordre, il y a gradation, et la nature ne connaît
pas les secousses. Peu à peu néanmoins la vie inté-
rieure change cet état. Ce n'est pas parler et agir qui
fait l'action, c'est penser et vouloir. L'homme livré à
lui-même pense et veut par son bien ou par son mal,
et cherche alors ce qui sympathise avec lui ; il entre
dans les sentiers qui lui plaisent, et le penchant qu'il
manifeste à se diriger vers telle ou telle région mani-
04 DU MONDE DES ESPRITS.

festc son amour. Du premier état qui était pure-


ment extérieur, il passe en quelques jours ou en quel-
ques mois au second qui est intérieur. Cet état est la
vie de l'esprit; et, comme l'esprit, il reste éternelle-
ment. L'homme y tombe naturellement, comme il le
fait dans le monde, lorsque, retirant la pensée la plus
proche de la parole vers la pensée intérieure, il pense
librement et sans frein. C'est là seulement que l'homme
est soi; car penser librement par sa propre affection,
c'est ce qui constitue l'homme. Sa pensée et sa volonté
dans cet état font un, de telle sorte que la pensée
veut. Alors il fait le bien ou le mal, et se dirige né-
cessairement vers le Ciel ou vers l'Enfer. On tombe
dans l'Enfer sans aucun retard, puisque, n'ayant plus
alors une âme divisée, l'esprit est pleinement dans la
pensée et dans la volonté de son mal. Mais ceux qui
montent au Ciel subissent auparavant un état d'in-
struction qui est le troisième. Acquérir le Ciel suppose
une préparation. La bonté et la vérité supposent une
instruction particulière pour celui qui les veut con-
naître. On peut les connaître par science, mais les
identifier à la vie ne peut être fait que quand on est
pénétré des vérités divines qui en font la base. Nul
ne peut entrer au Ciel, s'il n'est dans le vrai en même
temps qu'il est dans le bien. La pensée spirituelle
n'existe pas sans le vrai, et que serait un Ciel où
l'homme ne penserait plus. Ce qu'il pratiquerait, il
ne le voudrait pas réellement, parce que vouloir sup-
pose qu'on connaît ce qu'on désire. Quelques-uns en-
DU MONDE DES ESPRITS. 65

trent en vastation, état dans lequel se trouvent ceux


qui, ayant mené une vie pure, se sont néanmoins con-
firmés dans l'erreur; cette erreur doit être extirpée.
Les enfants morts à la mamelle, les peuples morts
hors du christianisme sont tous instruits avant d'être
introduits dans le Ciel. Dans ces lieux d'instruction,
les connaissances ne sont point placées dans la mé-
moire, mais dans la vie, et cette vie est toujours con-
jointe à l'usage. La science n'est rien, si elle n'est
qu'un souvenir ; elle ne prend de réalité que par l'af-
fection, et d'application que par l'usage.

XV11. Nul ne monte au Ciel par Miséricorde


immédiate.

L'admission dans le Ciel n'est point accordée par


grâce divine. La Miséricorde Divine ne se retire d'au-
cun homme, elle est toujours près de nous; mais no-
tre salut dépend de nous seuls. La Miséricorde Divine
est ainsi assujettie à l'Ordre Divin. Pour entrer au
Ciel, il faut que l'homme aime la vie du Ciel. Si inté-
rieurement il aime le faux et le mal, la vie du bien et
du vrai ne peut lui convenir, et il s'en éloigne libre-
ment. La Miséricorde qui lui adjoindrait une vie con-
traire à sa nature anéantirait son être. Pour être ré-
ceptacle de la joie du Ciel, il faut disposer son inté-
rieur à la sentir et à l'aimer; sinon, loin de nous pa-
raître délicieuse, elle nous paraît tiède et insuppor-
table. La vie du Ciel ne peut sympathiser avec un
o*.
()<} UU MONDE DES ESPRITS.

amour opposé, puisque c'est l'amour qui constitue


l'homme. Quelques-uns croient qu'en entrant dans
l'autre vie, désabusés des erreurs de celle-ci, ils se
rendront à la vérité, en la voyant à découvert. Pré-
jugé d'enfance ! L'homme a la faculté de voir le vrai,
de le reconnaître même; mais si ses penchants l'en-
traînent ailleurs, il ne s'y rend pas ; il le voit comme
en dehors de lui ; il l'approuve sans s'y conformer,
comme un libertin rend justice à la chasteté sans la
pratiquer, et comme le fourbe approuve la sincérité
sans l'aimer. Tel est l'amour, telle est la vie. Chan-
ger l'amour de l'homme serait en faire un être diffé-
rent du premier. Il n'y a que la fable qui connaisse
ces métamorphoses; la philosophie et la religion ne
les connaissent point.

LVlll. Il n'est pan xi difficile qu'on le croit de


mener la rie qui conduit au Ciel.

La plupart des hommes sur la terre remplissent les


devoirs de la vie civile et morale, mais fort souvent
par intérêt, par respect Ijumain ; qu'à ce motif exté-
rieur qui nous attache au devoir, on substitue l'amour
qui aime le devoir pour lui-même indépendamment
de tout intérêt personnel, ou parviendra sûrement à
la vie céleste. Le devoir sera notre amour, et après la
mort l'homme obtient toujours ce qu'il désire et jouit
de ce qu'il aime. Tant que le devoir n'est qu'extérieur,
il n'est pas. Sans les liens forcés qui nous y attachent,
DU MONDE DES ESPRITS. 67

il est clair que nous secouerions ce joug incommode.


Nous nous en affranchissons intérieurement, tout en
paraissant nous y conformer ostensiblement. Ainsi,
après la mort, notre homme intérieur cesse de s'as-
treindre à des lois qu'il n'a pas aimées; au contraire,
si notre vie intérieure est dans un rapport intime avec
elles, nous possédons ce que nous avons aimé, ou, en
d'autres termes, comme le dit l'Écriture, nous mois-
sonnons ce que nous avons semé. La mort prend
l'homme au point où il est dans sa volonté et dans sa
pensée qui sont toutes les deux intérieures et indé-
pendantes des actes extérieurs qui les manifestent.
Ainsi, pour gagner le Ciel, l'homme doit se détacher
de lui-même et du monde; il s'unit au Ciel sans tra-
vail, et il éprouve la vérité de ces paroles du Sei-
gneur : « Mon joug est doux et mon fardeau est lé-
ger. » — Mat th. XI. 30.

DE L'ENFER.

L VI 11. Le S/ iyneur gouverne tes En fera.

L'Enfer cl le Ciel étant opposés, de leur action et


réaction résulte un équilibre dans lequel subsistent
toutes choses. Ainsi, celui qui gouverne le Ciel gou-
verne également les Enfers. Deux forces égales sont
nulles entre elles; si l'une des deux l'emporte, l'équi-
libre est rompu. Ainsi, si l'Enfer n'était maintenu par
68 DE L'ENFER.
le Seigneur, le faux et le mal qui en dérivent prévau-
draient contre le vrai et le bien émanés du Ciel ; mais
l'équilibre étant entre eux, le Seigneur les gouverne
comme s'il n'y avait entre eux aucune opposition. Sans
cet équilibre, la volonté de l'homme serait anéantie;
elle n'existe que par lui. (Voir N° LXV.) Sans cet
équilibre également, le Monde des Esprits ne serait
pas un état intermédiaire. Chaque société céleste est
opposée à une société infernale. Chaque bien a un
mal qui est son opposé ; chaque vérité a aussi une er-
reur qui est aussi son opposé. Des rapports des deux
résulte la connaissance réelle de la chose. Chaque so-
ciété angélique étant le Ciel en moindre forme, cha-
que société diabolique est un Enfer en moindre forme
également. Comme il y a trois Cieux, il y a aussi
trois Enfers. Ainsi, le bien dérivant du Ciel enchaîne
le mal émané de l'Enfer. Les noms de Diable et de
Satan sont des mots collectifs qui expriment les Esprits
de l'Enfer. Par Diable on entend les mauvais Génies,
et par Satan les mauvais Esprits : les uns et les au-
tres sonide race humaine, et ce prétendu Ange rebelle
chanté par Milton est une fiction provenant de la lec-
ture du sens littéral de la Parole.

Les Esprits se précipitent d'eux-mêmes dans


l'Enfer; le Seigneur n'y précipite personne.

L'amour ne rejette pas loin de lui ce qu'il a pro-


duit. S'il tourmentait ses enfants, le Seigneur agirait
DE L'ENFEB. 69
contre son essence. L'homme reçoit, par influence,
du Ciel le bien, et de l'Enfer le mal. S'il n'y avait
équilibre entre ces deux influences, l'homme n'aurait
aucun choix : entraîné malgré lui, sa liberté serait
vaine. C'est donc lui seul qui, recevant et accueillant
librement un mal qu'il pourrait rejeter, se précipite
en Enfer. L'autre vie étant, comme celle-ci, une vie
d'affection et de pensée, celui qui aime le mal dans
ce monde, l'aime dans l'autre, et ne peut souffrir
qu'on l'en sépare. La Miséricorde qui l'en priverait
lui ôterait la vie, puisque la vie est l'amour dominant.

LXI. Tous ceux qui sont dans l'Enfer sont dans


le mal et dans le faux émanés des amours de
soi-même et du monde.

L'intérieur se manifestant par l'extérieur du visage


et du corps, les volontés dépravées et les intelligences
corrompues de l'Enfer y font paraître les Esprits sous
des formes hideuses. A eux-mêmes ils paraissent
comme des hommes, mais à la lumière du Ciel on les
voit sous mille figures monstrueuses, selon les quali-
tés du mal et du faux qui sont en eux. C'est ainsi que,
sur la terre, tel homme s'admire, tandis que le sage
découvre les défauts qui le déparent. C'est ainsi que
l'ignorant se croit doué de l'esprit qui lui manque.
Les physionomies des réprouvés sont barbares et
cruelles sans apparence de vie ; aux uns elles sont
noires, aux autres enflammées; les uns sont couverts
70 DE L'ENFER.
d'ulcères, aux autres la face manque et l'on ne voit
qu'une masse velue ou osseuse, ou un monceau de
dents en désordre. Le Dante, avec toute son imagi-
nation, n'a pu créer des fantômes plus hideux. Le son
de leur voix est rauque, comme le poêle de Florence
suppose qu'est le bruit de la trompette infernale. La
lumière qui les éclaire est semblable à celle des char-
bons, et souvent à celle du souffre enflammé.
Les amours de soi-même et du monde sont les
sources de tous les vices et de toutes les faussetés in-
fernales. L'amour de soi consiste à ne vouloir du bien
qu'à soi seul et non aux autres; il n'aime que ce qui
contribue à son honneur ou à son intérêt. Il n'ac-
cueille les autres qu'autant qu'ils sont des instruments
utiles pour arriver à ses fins. Sa vie sort de lui et y
rentre; en conséquence, par lui l'homme se détache
de sa source, vit en son propre, et le propre de
l'homme par la chute n'est que mal. L'essence de l'a-
mour est de communiquer tout ce qui est à soi ; l'es-
sence de l'amour de soi est de tout concentrer en soi
seul. Le bien qu'il fait, il le gâte en se voyant lui-
même dans ce bien. L'amour de soi se place au centre,
et ne répand ses affections autour de soi qu'en raison
du degré où les autres s'en rapprochent. L'amour spi-
rituel, au contraire, prenant pour centre la Divinité se
répand comme elle universellement. La sphère de cet
amour est aussi vaste que celle de l'autre est rétrécie.
L'amour de soi est le lien qui unit entre eux les bri-
gands; ils s'aiment réciproquement, parce qu'ils se
DE L'ENFER. 71
sentent nécessaires; ils se baissent et se déchirent,
quand leurs intérêts ne sont plus les mêmes. Avec cet
amour, on ne peut aimer que par rapport à soi; aussi
le mépris, l'envie, la haine, la vengeance, la fourbe-
rie, la cruauté en dérivent-ils naturellement. Privé
d'affection, si l'homme, qui est dans cet amour, parle,
c'est de mémoire seulement. L'amour du monde en-
vie les richesses des autres, met tout son cœur dans
les trésors : ainsi, il retire l'homme du Ciel ; et où
l'homme a placé son cœur, dit l'Écriture, là aussi est
son trésor.

LXI1. Du Feu infernal et du Grincement des


dents dans le sens spirituel de l'Écriture.

L'amour dans son essence étant une chaleur, l'a-


mour divin est le feu céleste ; par conséquent l'amour
du mal est le feu infernal. La source de l'un et de
l'autre est dans le Soleil spirituel, de la lumière et de
la chaleur duquel l'homme est réceptacle. En tant que
réceptacle, l'homme dénature ainsi cet amour si pur
dans son origine. Un vase impur corrompt la liqueur
la plus douce. Il en est ainsi du méchant; il reçoit la
vie dans une volonté dépravée, et s'en sert ainsi contre
le Ciel môme. La même chaleur qui développe sur la
terre les fleurs de nos parterres, et en fait sortir des
parfums délicieux, fait exhaler des odeurs délétères
des immondices de nos villes. Le feu infernal est donc
le feu qui résulte d'un amour illicite. « Leur médian-
l"2 DE L E N F E R .

» ceté, dit Ésai'e, s'est allumée comme un feu. » —


IX. 17.— L'Apocalypse parle aussi de l'embrasement
de Babylone. C'est à cette explication qu'on doit éga-
lement rattacher ce qui est dit dans la plupart des
théogonies et des cosmogonies antiques de la fin de
l'univers qui doit arriver par un embrasement géné-
ral. L'Enfer, à la vue, paraît dans le monde spirituel
comme un vaste brasier, par suite également de la
correspondance. La chaleur qui s'en exhale excite les
cupidités, les haines, les faiblesses et les vertiges;
néanmoins ceux qui y sont plongés ne se sentent point
dans un tel brasier; ils sont échauffés par l'efferves-
cence de leurs passions, et les insensés ne savent pas
que cette chaleur désordonnée qui les consume est un
feu aussi insupportable que le feu matériel. Si la cha-
leur du Ciel influe dans ce séjour de tourments, la
chaleur infernale y est détruite aussitôt, et un froid
glacial s'insinue dans les membres des Esprits infer-
naux. Tel homme sur la terre que nous voyons brû-
lant d'une passion infâme, n'est-il pas également in-
sensible aux douces étreintes de l'amitié, aux chastes
embrassements de la vertu, et aux exhortations de la
sagesse? Ainsi, les Esprits infernaux sont froids,
parce que leur propre chaleur les quitte, quand celle
du Ciel les touche. La lumière céleste éteint alors la
leur, et l'obscurité dans laquelle ils se trouvent jette
le trouble dans leur esprit, en les privant de la vue.
Cela n'arrive que lorsque leur rage, poussée au-delà
des bornes, doit être réprimée. Alors les Enfers res-
pirent pour un moment.
DE L'ENFER. 73
Quels tourments plus affreux que ceux-là! L'amour
de soi produit l'envie, le dédain, la haine des autres.
Le tourment de leurs semblables est le plaisir des Es-
prits infernaux. Chacun ayant cette passion au fond
du cœur, ils s'élancent les uns sur les autres dans le
désir de vaincre ou de dominer. En vain on dirait
qu'une telle vie doit être en horreur à ceux qui y sont ;
c'est mal connaître la nature humaine que de croire
que la passion furieuse s'arrête. Une fois les bornes
de la vertu passées, l'amour aveugle franchit tout.
Les blessures de son cœur l'irritent au lieu de lui faire
lâcher prise. L'amour de soi est le désir de subju-
guer les autres; de là résultent des luttes, des com-
bats continuels; ainsi, une scène succède à une autre;
le cœur est sans repos, et leurs disputes sont en-
tendues par ceux qui sont hors des Enfers comme le
bruit d'un affreux grincement de dents. Les dents cor-
respondent aux dernières choses dans la nature, les
choses sensuelles. La Fable paraît avoir connu cette
vérité, en racontant que des dents du dragon tué par
Cadmus étaient sortis des hommes tout armés qui
s'entretuèrent les uns les autres.

LXlll. De la Malice, de* Esprits infernaux.

Les facultés de ]'homme-esprit dégagé des sens


l'emportant nécessairement sur celles de l'homme na-
turel, ses affections et ses pensées bonnes ou mauvaises
deviennent, avec elles, plus actives. Au Uni! la sagesse
7.
'4 DE L E N F E R .

de l'Ange l'emporte sur celle de l'homme, autant la


perversité de l'Esprit infernal l'emporte sur celle qu'il
aurait manifestée sur la terre. Sans frein, sans lois,
sans crainte du mal, il s'y livre tout entier. Débarrassé
de son extérieur, il montre son intérieur à nu sous sa
vraie forme. Sa perversité ne peut s'exprimer; au-
cune langue n'en peut donner l'idée.

LXII1. De l'apparence des Enfers.

Le Monde spirituel étant semblable au nôtre, le


trépas étant un passage d'une vie dans l'autre, les
Enfers ont des apparences; autrement, ils ne seraient
pas. Les Enfers sont fermés par des portes; on les
aperçoit sous les montagnes et sous les rochers comme
de sombres cavernes. Le jour y est enflammé. Quel-
ques Enfers paraissent comme des étangs et des ma-
rais; d'autres, comme des repaires de bêtes féroces.
Ici sont entassés comme des décombres de villes em-
brasées, au milieu desquels errent ça et là des Esprits
infernaux. Là ce sont de misérables huttes où habitent
l'envie el la discorde. En certains Enfers sont des lieux
de prostitution. D'épaisses forêts habitées par la peur
et le crime, des déserts sablonneux, sans vie, inter-
rompus d'espace en espace par des cabanes isolées,
sont les seules campagnes de ce séjour affreux. Les
Enfers sont distingués comme les Cieux en régions. A
l'occident sont les Esprits les plus pervers ; les gouf-
fres sont plus on moins horribles selon qu'ils sont
DE L'ENFER. 75
plus ou moins loin de l'orient. L'orient, peuplé au-
trefois d'athées par l'abus des lumières seulement,
est aujourd'hui désert. Le nombre des Enfers est en
raison du nombre des sociétés infernales ; le crime les
différencie.

LXV. De l'Équilibre entre le Ciel et l'Enfer.

Sans l'équilibre, rien n'existe, parce qu'il n'y a plus


d'action ni de réaction. Si une force prévalait, elle
régnerait seule; balancée par une autre, qui lui est
égale, elle laisse en repos le corps*sur lequel elle
agit, et ce repos est l'équilibre. L'équilibre est une
loi physique ; c'est aussi une loi morale. Au physique,
ce sont des forces qui agissent et réagissent ; au mo-
ral, ce sont des volontés. Ici l'équilibre change de
nom et s'appelle liberté. Le bien a une influence, le
mal en a une également. L'homme placé entre ces
deux influences est dans la liberté de rejeter l'une et
de se rendre à l'autre (N° LIX). L'Enfer est le sé-
jour du mal, le Ciel est le siège du bien ; il y a donc
équilibre entre eux, et dans cet équilibre est le Monde
des Esprits, de l'influence duquel l'homme reçoit toute
liberté. Sans cet équilibre, le monde moral ne pour-
rait exister; la force prépondérante anéantirait l'au-
tre. Il est impossible que le Ciel anéantisse l'Enfer,
puisqu'il renfermerait ainsi des êtres qui ne seraient
pas dans leur vie. L'Enfer ne pourrait non plus pré-
valoir sans anéantir la Divinité. Mais le Seigneur prend
T(i DE JL E N F E R .

en main la balance et en régularise les poids. Tantôt


il repousse le mal par sa présence, tantôt il ouvre de
nouveaux Enfers sous les anciens.

LXVl. L'homme est tenu dans sa liberté par


l'Equilibre entre le Ciel et l'Enfer.

Placé entre deux influences, l'homme, maître de


choisir entre elles, peut se réformer. Sans cette li-
berté, ce serait un automate : son crime n'étant pas
libre ne serait pas une action coupable; sa vertu étant
la suite d'une loi nécessaire ne serait pas non plus
un acte louable. Sa liberté le rend seul comptable de
ses penchants et de ses actions; avec elle son affection
est criminelle ou vertueuse. Ce qu'il ne fait pas libre-
ment, il ne le fait pas avec le consentement de son
âme ; ainsi il ne peut lui être imputé que ce qu'il a
fait avec une pleine liberté. Uni au Ciel et à l'Enfer
par le moyen du Monde des Esprits, il communique
avec les Anges et les Démons, et peut se rendre au bien
que les premiers lui suggèrent, ou au mal que les se-
conds lui conseillent. Rien n'est à nous que ce que
nous acquérons par l'exercice de notre liberté. Sans
elle, point de régénération ; car rien de ce qui se fait
par contrainte ne se conjoint à l'homme. De ce prin-
cipe découle celui qui pose en fait la liberté des cultes.
Se contraindre soi-même, voilà ce qui constitue le
culte ; être contraint ne produit qu'une farce politique.
DE L'ENFER. 77

LXV11. De l'Influence des Esprits.

L'homme reçoit toute affection et toute pensée du


Seigneur médiatement par les Esprits du Monde in-
termédiaire ; ces Esprits lui sont adjoints et le mettent
en rapport avec des sociétés analogues à son amour.
L'homme croit qu'il pense et aime par lui-même,
quand néanmoins c'est par influence. Tout ce qui
constitue la vie dépend de la source de la vie. Cette
influence ne peut être physique; elle est toute spiri-
tuelle comme la vie même. Elle découle de l'intérieur
de l'homme sur son extérieur, parce que c'est par
l'intérieur que l'homme est uni au Monde spirituel.
Elle agit sur la volonté, et par celle-ci sur l'enten-
dement, et jamais en sens inverse; car c'est le bien
seul qui donne la faculté de recevoir le vrai.

LX Vlll. Du Sentiment de l'immortalité de l'âme.

Une preuve que ce Sentiment appartient à la nature


humaine et devance la raison et l'éducation, c'est qu'il
se trouve chez les hommes les plus simples. Tous
croient qu'ils vivront après la mort; ils disent qu'a-
lors ils seront Esprits. Demandez-leur ce qu'ils en-
tendent par des Esprits, avant que la raison chez eux
ait fait de longs commentaires sur cette question, ils
répondront qu'un Esprit est un homme. La pensée
que l'Esprit est un souffle ne peut leur êlre inculquée
7*.
10 DE L E N F E R .

que par de longues explications; elle n'est doue pas


naturelle. Ce n'est pas elle qui s'offre la première; il
y a donc chez l'homme une prénolion de l'autre
Monde. Cette prénotion est universelle ; elle ne dé-
pend ni des lieux, ni des temps, ni de l'éducation; ce
n'est pas un préjugé né de la coutume du pays, puis-
que c'est une notion invariablement la même. Néan-
moins, tous les hommes voient mourir leurs proches
et leurs amis, et aucun ne les a vus sortir du tombeau.
Pourquoi un espoir si opiniâtre, s'il n'était pas pro-
duit par l'influence du Ciel? Pourquoi cette idée des
mânes sous forme humaine se trouverait-elle dans
l'homme au berceau, sans que personne ne la lui ait
inculquée? Pourquoi survit-elle à tous les raisonne-
ments qui ^ssaient de la combattre ? Loin de la nour-
rir par nos préjugés, nous la combattons sans cesse,
car tous nos préjugés sont contre elle ; on ridiculise
ceux qui y ajoutent foi; sous prétexte de les éclairer,
on tente de leur donner une opinion qu'on croit plus
raisonnable. Victorieuse de toutes les attaques diri-
gées contre elle, la prénotion de l'autre Monde re-
prend dans notre cœur la place d'où l'on s'imagine
l'avoir chassée. Elle se trouve dans notre poésie sous
mille images charmantes, sous mille expressions mé-
taphoriques. L'homme qui assure ne croire en rien a
peur néanmoins de mourir, et en examinant bien cette
peur, on s'aperçoit que ce n'est pas l'anéantissement
qu'il redoute, mais l'autre vie. L'homme qui parle
contre elle dépose pour elle dans chacune de ses ac-
DE L'ENFER. "9
lions : II cherche à laisser sa réputation en honneur
sur la terre; il attend un souvenir des amis qu'il va
quitter, s'imagine qu'on chérira sa mémoire, qu'il re-
vivra dans ses enfants; il tient à son nom; il se res-
pecte dans l'opinion qu'il désire donner de lui, et s'il
ne croyait être qu'une pensée sans siège, s'il croyait
que sa pensée n'est qu'une sécrétion du cerveau, il ne
tiendrait pas à ce qu'on élevât un tombeau, et qu'on
décernât des honneurs funèbres à la mémoire d'un
être imaginaire qui n'en peut plus jouir
ANALYSE
DE LA SAGESSE ANGÉLIQUE

SUR LE DIYIH AMOUR ET SUR L4 DIVISE SAGESSE

1. L'Amour est la Vie de l'homme. N° 108.

L'amour est la vie de l'homme, car la pensée, la


parole et l'action en l'homme dépendent des affec-
tions. Il s'échauffe de ses affections seules. C'est là sa
vie.

2. Dieu est la Source de ta vie, et l'homme en est


le récipient.

L'homme ne produit pà"s la vie, il la reçoit seule-


ment. La vie existe donc quelque part ailleurs qu'en
l'homme. Dieu en est la source et l'homme le réci-
pient; et puisque la vie et l'amour ne sont qu'une
chose, Dieu est l'Amour Même.
3. Dieu apparaît dans le Monde spirituel comme
Soleil, N° 29. La chaleur de ce Soleil produit l'a-
mour, sa lumière produit la sagesse. C'est là la source
véritable de toutes les affections et de toutes les pen-
DU DIVIN AMOUR ET DE LA DIVINE SAGESSE. 81

sées, N° 11 ; c'est là la lumière qui éclaire tout


homme qui vient dans ce monde, — Jean, I. 9. —
Ainsi, l'homme ne produit pas plus la vie que le dia-
mant ne produit la lumière; l'un et l'autre sont des
formes qui peuvent recevoir la vie et la lumière.
L'homme n'a pas la vie en soi, parce qu'il serait Dieu,
et que le Divin est individuel ; mais il est créé de sub-
stances tellement formées que le Divin peut être en
elles. Ainsi, le père ne donne pas la vie à son fils, il
ne lui donne que le premier élément qui la reçoit,
N°20.

4. L'amour de Dieu et du prochain fait que


l'homme est récipient de la vie divine.

L'homme et l'ange deviennent récipients de l'a-


mour et de la sagesse, selon leur amour envers le
Seigneur et à l'égard du prochain, par conséquent se-
lon qu'ils se détachent davantage d'eux-mêmes.

5. Dieu n'est pas dans l'Espace. N° 86.

On ne peut comprendre cette vérité par l'idée pu-


rement naturelle, parce que dans cette idée, formée
de choses qui sont dans le monde, il y a l'espace. On
ne peut dire que Dieu est partout, et en même temps
qu'il est dans l'espace; cela se dit seulement et se
conçoit par l'idée spirituelle. C'est cette vérité qui
paraît avoir été cachée dans cet axiome mystérieux :
82 DU DIVIN AMOUR

Partout, et nulle part. Partout, pour qui fait abs-


traction de l'espace; nulle part, pour celui qui se
traîne dans l'espace. Penser à Dieu par l'espace, c'est
penser à l'étendue de la nature, et tomber dans le
matérialisme, N0 26.

6. L'idée spirituelle est formée de l'État, et non


de la notion de l'Espace. Nos 26, 41, 4o, 98.

L'idée spirituelle ne tire rien de l'espace, mais tire


tout ce qui lui est propre de l'état. L'état se dit de
l'amour, de la vie, de la sagesse, en général du bien
et du vrai. Dans les affinités il y a rapprochement des
âmes, malgré l'espace qui les sépare; dans les dis-
semblances il y a éloignement, quoiqu'elles parais-
sent ensemble à la vue matérielle. On exprime ceci
dans le langage vulgaire quand on dit : Un tel est à
cent lieues de moi.

7. Dieu est l'Homme Même. N03 86, 87.

C'est de ce que Dieu est Homme, qu'il résulte que


les Anges et les Esprits émanés de lui sont des hommes
dans une forme parfaite. La Genèse, — I. 26, 27,—
atteste cette vérité, en disant que l'homme fut créé à
l'image et à la ressemblance de Dieu. Le Polythéisme
n'a point conçu d'autres Dieux que des Dieux à forme
humaine; l'idée populaire se représente Dieu sous
cette forme. Un Dieu sans forme, inventé par la phi-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 83

losophie, est une pensée qui ne peut tomber dans l'es-


prit. La philosophie a inventé cette divinité pour s'ex-
pliquer un Dieu créateur, invisible et présent partout.
Celui qui fait abstraction de l'espace n'a pas besoin
de cette fiction, et conçoit qu'un Dieu-Homme peut
avoir créé l'univers, et être sans cesse présent à son
ouvrage. L'idée juste de Dieu importe au salut, car
celui qui se confirme dans le faux, et rejette le vrai,
obtient ce qu'il a demandé, voit ce qu'il s'est figuré,
et son supplice ou son erreur est son ouvrage.

8. L'Être et ('Exister en Dieu sont un.

L'Exister est la manifestation de l'Être, et l'un


ne va jamais sans l'autre ; cependant on peut les dis-
tinguer l'un de l'autre par la pensée. En Dieu, l'Être
est l'amour, la sagesse est Y Exister, ou, l'un est
la bonté et l'autre la vérité dont Dieu est la source.
L'amour n'est possible que dans la sagesse, et la sa-
gesse n'esi possible que d'après l'amour, N° 16. Ainsi,
quand l'amour qui est l'Être est dans la sagesse, il
manifeste son Exister. En Dieu, l'Être est l'âme, et
l'Exister est le corps. L'âme ainsi ne peut exister sans
corps, et l'homme qui meurt revit nécessairement
dans un corps spirituel. (Voyez là-dessus Paul, Ép. I
aux Cor. Ch. XV.) L'Être n'existe que dans la forme;
s'il n'est pas dans la forme, il n'a pas de qualité, et
ce qui n'a pas de qualité n'est rien, N° 18.
84 I)U DIVIN A M O U R

9. Dieu est Infini.

Dieu est Infini, parce que les infinis sont en lui.


Ainsi, doué d'un corps humain, il en a tous les or-
ganes et tous les sens, chacun d'eux doué de la vie
qui lui est propre, et communiquant cette vie au Ciel
et à la terre. De là vient que le Ciel dans son tout et
dans ses parties a la forme humaine; de là vient que
tout sur la terre représente l'homme dans une sorte
d'image, N° 23. Les animaux doués d'organes pa-
reils aux nôtres, et tirant leur vie comme nous de
Dieu-Homme, paraissaient aux anciens comme des in-
terprètes muets des volontés divines. De là vient la
science qui cherchait l'avenir dans les entrailles des
victimes. C'est ce qui fait également que les anciens
appelaient l'homnle microcosme, c'est-à-dire, petit
monde. Ainsi, Dieu est le tout des Anges, des hommes
et de toutes les productions créées. C'est ainsi, et par
la vie émanée de lui qui trouve partout des organes
correspondants, que Dieu est présent partout, qu'il sait
tout, qu'il prévoit tout. Tous ces infinis ne sont qu'un,
quoique distincts, parce qu'ils sont les récipients de
la vie qui est une. Dieu est un dans son ouvrage,
comme l'homme se sent un dans, toutes les parties in-
nombrables de son corps. De cette vérité mal com-
prise était né le Panthéisme chez les anciens et le Spi-
nosisme die/ les modernes. Ces deux erreurs sont
déimites, sitôt qu'on fait attention que Dieu seul est
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 80

l'agent, que l'univers est le patient; que Dieu est la


vie, que l'univers en est le récipient; enfin, que Dieu
est la cause principale, et l'univers la cause instru-
mentale. Or, il est de la nature de la cause instru-
mentale de se sentir comme cause principale, parce
qu'elle se sent une avec elle, N° 22.

10. Il n'y a qu'un seul Dieu.

La raison de tous les hommes confirme cette vérité,


parce que tous les hommes reçoivent du Ciel la fa-
culté de penser ; c'est de là que toutes les vérités fon-
damentales sont universelles. S'il y avait plusieurs
dieux, ce serait comme s'il avait plusieurs têtes à un
corps, par conséquent plusieurs volontés; ce qui est
absurde.

H. L'universel de toutes choses, c'est l'amour et


la sagesse qui sont en Dieu dans leur essence.

L'universel de tout ce qui existe dans l'univers,


c'est l'amour et la sagesse ; l'un et l'autre réunis dans
Dieu y sont dans leur essence même, N° 3. Dieu
échauffe tous les êtres de son Amour et les éclaire de
sa Sagesse.
80 DU DIVIN AMOUR

12. Il y a en l'homme deux Facultés de vie, la


volonté et l'entendement. Nos 77 à 79, 107,109,
120 à 125.)

De ce que la Divine Essence même est amour et


sagesse, il résulte qu'il y a dans l'homme deux fa-
cultés de vie, la volonté et l'entendement. La volonté
est le réceptacle de l'Amour divin, l'entendement est
le réceptacle de la Sagesse divine. L'homme a la fa-
culté de renfermer en lui ces facultés, mais non la
puissance de les détruire. Si elles étaient détruites,
l'homme serait anéanti, ÏS"OS lo, 17.

13. Tout ce qui existe dans l'Univers se, rapporte,


au bien et au vrai.

Tout ce qui procède de l'Amour est appelé bien ;


tout ce qui procède de la Sagesse est appelé vrai.
Ainsi, de ce que l'Essence divine même est Amour et
Sagesse, il résulte que toutes choses dans l'univers se
rapportent au bien et au vrai.

14. Le Monde physique est uni au Monde spirituel


par correspondance. >?)S 30, 32, 33, -il, 113.

Tout, dans l'univers visible, correspond nécessai-


rement au monde spirituel. Ainsi, comme le monde
moral subsiste par l'Amour et la Sagesse, le monde
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 87

physique subsiste également par la chaleur et la lu-


mière. Le soleil physique correspond au soleil spiri-
tuel; sa chaleur correspond à l'amour, et sa lumière à
la sagesse. C'est ce qui fait qu'on dit généralement
que l'amour échauffe, que la sagesse éclaire. Les an-
ciens Chrétiens, qui paraissent avoir eu des notions
de la science des correspondances, ont institué les
principales fêtes de l'année conformément à cette
science. Ainsi, ils ont célébré la Nativité de Notre
Seigneur à Noël, époque du solstice d'hiver, où le
soleil commence pour ainsi dire à naître. Ils ont fêté
la Résurrection à Pâques, c'est-à-dire, à l'équinoxe
du printemps, moment où le soleil semble rajeunir
la nature. La descente du Saint-Esprit a été fixée à
la Pentecôte, époque voisine du solstice d'été, où le
soleil jouit alors de sa plus grande chaleur et de sa
plus grande lumière. En outre, le premier des signes
du printemps a été représenté par le bélier ou l'A-
gneau céleste; et cela, à une époque antérieure aux
faits historiques; car la sphère est si ancienne que
personne n'en a pu indiquer l'origine. Des hommes
trompés ont cru voir des réalités dans ce qui était seu-
lement correspondance, et ont conclu mal à propos
que tous les cultes, celui des Chrétiens principale-
ment, tiraient leur origine du Sabéisme.
88 DU DIVIN AMOUR

lo. Les Affections viennent du Divin Amour, et


les Pensées, de la Divine Sagesse.

L'homme tire toutes ses affections du Divin Amour,


toutes ses pensées de la Divine Sagesse, car tout dans
l'homme est affection et pensée ; ce sont les deux sour-
ces qui constituent sa vie, N 05 12, 17.

16. L'Amour et la Sagesse, quoique distincts en


Dieu, agissent comme un.

L'Amour et la Sagesse sont tellement unis en Dieu,


quoique distincts, que l'un appartient nécessairement
à l'autre et réciproquement, N° 87. Il en résulte que
la vie divine, formée de leur union, est une; car l'u-
nion réciproque fait l'unité. Cette union se trouve
également dans toute œuvre divine, d'où résulte sa
perpétuité et son éternité. L'Amour en Dieu ne peut
agir sans la Sagesse, et la Sagesse sans l'Amour; leurs
lois tiennent à leur union. Étant un, ils agissent
comme un. Dans l'Écriture, l'Amour divin est dési-
gné sous le nom de justice, et la Sagesse divine sous
celui Ao jugement,— PS. XXXVII. 6. CXIX. 7, 62.
Jérém. XXIII. 5. — Dans l'Évangile également, l'a-
pôtre Jean désigne l'Amour par la vie, et la Sagesse
par la lumière,—I. 4.—Et ailleurs, il désigne l'un
et l'autre par l'esprit et la vie,— VI. 63.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 89

17. L'homme a le pouvoir d'unir ou de séparer


ces deux Facultés.

Ce pouvoir appartient à l'homme par suite du libre


arbitre dont il a été doué. Il peut comprendre le vrai
et aimer le faux ; élever son esprit par la Sagesse jus-
qu'à voir le bien, et néanmoins préférer le mal. S'il
unit ces deux facultés, il retourne à sa destination
et devient l'image de Dieu ; s'il les divise, il s'éloigne
de Dieu pour retomber dans son propre, N°' 12,15.

18. Le Divin Amour et lu Divine Sagesse sont


Substance et Forme; point de sujet sans forme.
N° 69.

Rien d'immatériel n'existe sans sujet, et l'Amour


et la Sagesse sont eux-mêmes sujets. Ainsi le tact
dans l'homme n'existe pas sans un sujet qui est la
peau; le goût n'existe pas sans la langue, Y ouïe sans
l'oreille, Yodoral sans les narines, la vue sans l'œil.
La substance même et la forme de ces organes font
qu'ils sentent les choses qui leur sont appliquées,
mais leurs sens ne sont point dans les choses appli-
quées. Ainsi, il n'y a point de sensations sans sujet,
et de sujet sans forme. Les sens ne vont point aux
objets, mais les objets vont vers les organes et les af-
fectent. Le sens est ainsi l'affection du sujet même, et
n'est point séparé de lui. L'Amour et la Sagesse sont
90 DU DIVIN AMOUR

également dans un sujet avec cette seule différence


que ce sujet n'est pas accessible à la vue naturelle.
Ainsi, les pensées, les affections, dépendant de l'A-
mour et de la Sagesse, ne sont pas des choses abs-
traites, mais réelles. Il y a dans le cerveau d'innom-
brables substances dans lesquelles résident les sens
intérieurs qui se rapportent à l'entendement et à la
volonté. En un mot, les perceptions et les affections
sont des sujets mêmes qui n'envoient rien d'eux, mais
qui subissent, comme les organes du corps, des chan-
gements suivant les objets qui les affectent. Si l'A-
mour Divin et la Sagesse Divine n'étaient substance et
forme, ils ne seraient qu'un être de raison qui en soi
n'est rien. Dans le jargon ordinaire de la métaphy-
sique on ne parle de la Divinité que de cette manière,
aussi ne se fait-on entendre de personne, et ne se
comprend-on pas soi-même.

19. La Forme matérielle doit son origine à


l'Usage. N° 94.

Les formes matérielles en elles-mêmes ne sont pas


la vie, mais les contenants des usages par la vie.
Ainsi l'œil, qui est la forme, est doué de la vie pour
son usage particulier, l'oui'e en est douée pour le sien,
et ainsi des autres sens. L'Amour et la Sagesse, qui
sont la substance et la forme uniques, sont la source
unique de la vie. Tout ce qui existe dans la nature
leur doit son origine, et les usages des choses le prou-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 91

vent. Il n'y a, en effet, que l'Amour et la Sagesse qui


puissent disposer les choses en usages par ordre et
par série. En un mot, rien n'est substance et forme
en soi que Dieu. L'homme même n'est tel que par
Dieu.

20. L'Amour Divin* dont l'essence est de vivre


dans les autres, a créé l'Univers pour se le con-
joindre.

Le Divin Amour et la Divine Sagesse ne peuvent


exister que dans d'autres êtres créés par eux. Car le
propre de l'amour n'est pas de s'aimer, mais d'aimer
les autres. L'amour est communicatif par essence;
et son charme, c'est la conjonction réciproque. Cette
conjonction est sa vie, et plus cette conjonction est
réciproque^ plus la vie est délicieuse. Aimer, c'est
sentir en soi le plaisir d'autrui comme un plaisir per-
sonnel. S'aimer seul n'appartient qu'à l'égoïsme.
S'aimer dans les autres, et ne pas aimer les autres en
soi, est un amour égoïste qui se change ensuite en
haine ; car les autres ont aussi leur amour, et la haine
suit l'amour qui n'a pas de réciprocité. C'est ce qui
fait que les amitiés des méchants ne sont jamais dura-
bles. L'Amour Divin ne peut donc exister que dans
d'autres êtres qu'il aime et dont il est aimé, car c'est
le caractère de l'Amour, et le caractère d'une chose
provient toujours de son principe. Pour que Dieu
aime et soit aimé, il n'a pu créer des êtres divins, car
92 DU DIVIN AMOUR

il se serait aimé lui-même; il a créé des êtres qui


n'ont en eux rien de divin, mais qui peuvent recevoir
le divin par communication, N° 3.

21. L'Univers est l'image de Dieu.

C'est ce qu'ont démontré Nieuwentyt, Fénélon et


une foule d'autres écrivains qui ont prouvé l'existence
de Dieu par les merveilles de la nature. Tout dans
l'univers se rapporte à l'homme; il y a correspon-
dance entre les choses appartenant à l'homme et les
sujets des trois règnes de la nature. Cette correspon-
dance est surtout manifeste dans le monde spirituel.
Le Divin est varié dans son image, non qu'il soit autre-
ment dans un sujet que dans un autre, mais parce que
les sujets diffèrent tellement entre eux qu'aucun n'est
semblable. Ainsi la lumière du soleil tombe également
sur les corps et est réfléchie par eux d'une manière
différente, jN'° 28.

22. L'Univers a été créé de Dieu et par Dieu, et


non de rien. Nos 85, 92, 97.

Toutes les choses de l'univers étant des récipients


du -Divin Amour et de la Divine Sagesse de Dieu-
Homme, il en résulte que l'univers a été créé de Dieu
et par Dieu, et non de rien, N° 80. En effet, Dieu est
l'Être, et par l'Être existe ce qui est. Néanmoins au-
cun objet créé n'a l'Être en Soi, car il serait une con-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 93

tinuité de Dieu, ce qui est impossible. Tout est réci-


pient de Dieu non par continuité, mais par conti-
guïté. C'est par contiguïté que s'opère la conjonction.
Plus il y a réception du Divin Amour et de la Divine
Sagesse, plus il y a conjonction. La réception pro-
vient du libre arbitre qui s'applique la vérité et s'y
conforme. La conjonction des animaux, des végétaux
et des corps brutes avec Dieu s'opère au moyen des
degrés par les usages auxquels ils sont destinés. Ainsi
le Divin est en tout, et aucun être n'a le Divin en Soi.
L'univers, en effet, n'est pas Dieu, mais existe par
Dieu. Il en est l'image; il en réfléchit la Sagesse et
l'Amour, comme un miroir reproduit la figure de
l'homme sans avoir rien de l'homme. Le Divin est en
tout; et, en effet, il n'y a pas la plus petite plante qui
par sa semence ne tende à produire une autre plante,
et de là de nouvelles semences jusqu'à l'infini, en
sorte que la "mousse offre elle-même à nos yeux l'i-
mage de l'éternel et de l'infini. L'homme créé de la
terre comme les brutes a reçu une âme de vies, —
Gen. II. 7. — Ce qui prouve que le Divin n'est pas à
l'homme, mais lui est adjoint, N° 97.

23. Toutes les choses créées représentent l'homme


dans une sorte d'image. N° 98.
*
Les animaux doués comme l'homme de membres,
d'organes et de viscères manifestent des appétits et
des affections. Les végétaux ont comme lui leur hy-
9-4 DU DIVIN AMOUR

men, se perpétuent d'âge en âge, et sont créés pour


les usages. Enfin les minéraux ont une tendance à
produire des formes. Les formes des minéraux in-
diquent une tendance à l'usage ; c'est le dernier de-
gré, c'est la dernière chose qui procède du Divin dans
les êtres créés. Ainsi, tout monte par une chaîne non
interrompue depuis le minéral juqu'à l'homme. Le
minéral tend à végéter, le végétal à se vivifier, l'in-
secte tend à l'affection des animaux supérieurs- et
ceux-ci à la pensée qui n'appartient qu'à l'homme. Le
rapport commun de toutes choses est avec Dieu, et
leur rapport particulier avec l'homme. Tous les natu-
ralistes ont prouvé ceci, N° 95. Les sphères de tous
les êtres, dit Bernardin de Saint-Pierre, tom. I, pag.
178, se communiquent par des rayons qui semblent
réunir leurs extrémités.

24. Par le moyen de l'homme, la Création re-


tourne à son Auteur. Nos 55, 93.

Dans le règne minéral est le principe et la fin de


l'usage procédant de la vie. En effet, la fin de tout
usage est la tendance à produire, et le principe est la
force qui en résulte. Le règne végétal offre ses usages
au règne animal, puisqu'il le soutient et le vivifie. Les
animaux, à mesure qu'ils montent dans l'échelle des
êtres, deviennent usages les uns des autres. Tout se
termine à l'homme pour lequel ont été créés tous les
usages. Ainsi, par le moyen de l'homme, la création
ET.DE LA DIVINE SAGESSE. 9o

retourne à son Auteur; en effet, chaque chose, dans


l'univers, n'est récipient de la vie que d'un ou de deux
degrés; lui seul en est le récipient dans les trois de-
grés. Ainsi, l'ascension de tous les êtres créés est
vers Dieu. Leurs usages sont les récipients de la vie
provenant de Lui seul, et selon qu'ils sont plus ou
moins récipients de la vie, leurs formes deviennent
de plus en plus parfaites. Enfin, l'homme est le plus
parfait de tous, parce qu'il est la forme de la Sagesse
et de l'Amour, et ainsi l'image de Dieu.

2o. Quand t'Itomme n'agit pan avec Dieu, il réagit


contre, Lai. N° 81.

L'homme, réceptacle des trois degrés dans le monde


naturel, s'élève également par trois degrés dans le
monde spirituel, et chacun de ces degrés correspond
à un Ciel. Tout degré spirituel s'ouvre en l'homme
selon la réception du Divin Amour et de la Divine Sa-
gesse. Celui qui n'en reçoit rien reste dans le degré
naturel ; mais alors il réagit contre Dieu, car en toutes
choses il y a action et réaction. L'action appartient à
la vie seule et la réaction à la chose animée. La chose
animée réagit toujours quand elle n'agit pas avec son
principe, sans quoi elle cesserait de subsister. C'est
de là qu'on dit en physique une force d'inertie. Ne
pas se laisser aller au mouvement, c'est, en effet, lui
résister. Naturellement, et par son mal héréditaire,
l'homme réagit contre Dieu, parce qu'il s'approprie
96 DU DIVIN AMOUR

la vie. Ainsi, l'ascension dans les degrés spirituels


est un effort; c'est ce qui fait dire aux moralistes
que la vertu est un combat.

26. Le Divin remplit tous les espaces de l'univers


sans espace. Nos 6, 41.

Les espaces et les temps, dans le monde spirituel,


ne sont point fixes, comme dans le monde naturel;
mais ils varient selon l'état de la vie des anges. Dans
les idées de leurs pensées, ce sont des états de vie;
les états de l'amour se rapportent aux espaces, et les
états de sagesse aux temps. Tout ce qui existe corres-
pondant nécessairement à l'amour et à la sagesse, au
bien et au vrai, on doit trouver cette même corres-
pondance entre le temps et l'espace. L'homme naturel
pense d'après l'espace aux objets spirituels, parce que
les figures et les formes des objets saisis par sa vue
entrent évidemment dans les idées qu'il acquiert par
ce sens; ainsi, s'il n'élève pas ses idées au-dessus de
ses sensations, s'il raisonne uniquement d'après elles,
il tombe dans le naturalisme. La pensée de l'ange, au
contraire, n'a rien de commun avec la figure et la
forme, mais avec l'état de la chose par l'état de sa
vie. Il saisit les choses naturelles par leurs corres-
pondances. L'homme naturel peut comprendre ceci
également, mais on oublie ce qu'on n'a fait que com-
prendre, quand la volonté n'a pas été jointe à l'enten-
dement. L'habitude entraîne l'entendement, et quand
ET DE LA D I V I N E SAGESSE. i>~

c'esl la lumière naturelle qui nous guide, on rejette


comme un paradoxe ce qu'on avait adopté comme une
vraisemblance, N° 86.

27. Le Divin est dans tous les temps sans temps.

Le temps, comme l'espace, est le propre de la na-


ture, et rien de la nature ne s'applique au Divin. Le
temps se mesure ici-bas par le mouvement du Soleil;
dans le Monde spirituel, le Soleil est fixe, et les états
de la vie donnent seuls l'idée de la succession. Sur la
terre même, le temps n'est qu'une apparence; la dou-
leur le fait paraître long, le plaisir l'abrège. Le temps
fait un avec la pensée produite par l'affection. Quand
la pensée n'est pas jointe à l'affection, le temps ne
parait plus; c'est ce qui arrive dans le sommeil. Les
temps ou états progressifs pour les anges qui sont fi-
nis, ne le sont pas pour Dieu, parce qu'il est infini.
Ainsi, dans l'idée de l'éternité il ne peut entrer d'i-
dée du temps, sans quoi l'on pense à Dieu avec un
commencement, ce qui est absurde. La véritable idée
de l'éternité doit être dégagée de celle du temps pour
faire un avec l'idée de Dieu ; car Dieu est Dieu en Soi
et non pur Soi. S'il était Dieu par Soi, cette expres-
sion supposerait qu'il aurait commencé. L'éternité
est abstraite du temps, comme l'incréé est abstrait du
créé, l'infini du fini.
9N DU D I V I N AMOUfi

28. Le Divin est le même dans les plus grandes


' choses et dans les plus petites.

Le Divin paraît différent selon les sujets, mais ce


sont les sujets qui sont différents selon leurs degrés
de réception. Ce soleil, dont les rayons tombent sur
le diamant, est le même soleil qui luit sur la fange,
seulement il est différemment réfléchi par l'un et l'au-
tre, N° 21. Ainsi, l'homme sage reçoit plus pleinement
l'Amour Divin et la Sagesse Divine que l'insensé, et
l'ange que l'homme. Le Divin est autant dans un seul
ange que dans tout le Ciel, c'est ce qui fait que le
Ciel peut apparaître à la pensée comme un seul ange.
Il en est ainsi de toute l'Église; il en est ainsi de tout
un peuple. L'Écriture dit qu'Israël se leva comme un
seul homme. JSos Rhéteurs admirent cette phrase
sans découvrir l'origine de cette sublime expression.
Nous-mêmes, dans notre langage poétique, nous per-
sonnifions une nation, un pays, nous le représentons
comme un seul homme. Les métaphores n'ont pas une
autre source. Le Divin est aussi dans les plus grandes
et dans les plus petites choses inanimées, car il est
dans le bien de leur usage. Les choses inanimées ne
sont pas des formes de vie, mais des formes d'usage,
et chez elles la forme est variée selon la bonté de
l'usage. Il n'est pas possible d'admettre le grand et le
petit dans ce qui est abstrait de l'espace.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 99

29. Dieu apparaît comme Soleil duns le Mfôide


spirituel. Nos 3, 50, 88.

Le Monde spirituel et le Monde naturel ne commu-


niquent que parles correspondance*. Ainsi la chaleur
du monde naturel correspond à l'amour du monde spi-
rituel, la lumière correspond à la sagesse. Le Soleil
qui est la source de ces deux qualités correspond à
Dieu, de qui émanent les deux facultés. C'est ce qui fait
que les poètes ont tous dit du Soleil qu'il était l'image
de Dieu. Voyez là-dessus la belle apostrophe de Mil-
ton (Paradis perdu, Liv. IV). Dans le monde spirituel
l'Amour est aussi chaleur et la Sagesse est également
lumière. La chaleur et la lumière ne peuvent ainsi ti-
rer leur origine que d'un soleil ; il y a donc un autre
soleil dans le monde spirituel. C'est ce que l'Écri-
ture atteste, quand elle appelle Dieu Soleil de justice,
et qu'elle emploie d'autres expressions-semblables.
Ainsi, le bien et le vrai dans le Ciel procèdent de la
Chaleur Divine qui est Amour, et de la Lumière Divine
qui est Sagesse. Ce Soleil brille sans nuages devant les
Anges du Ciel, car chez eux il n'y a rien que de
vrai. Ce Soleil n'est pas Dieu même, mais il en est le
procédant. C'est ainsi que sur la terre les peintres
représentent une auréole lumineuse autour de Dieu,
N°88.
100 DU DIVIN AMOUR

30. De lu Différence du naturel cl du spirituel.


N° 14.

Dans le Ciel, la chaleur et la lumière spirituelles


sont senties comme chaleur et lumière, mais comme
chaleur et lumière vivantes, puisqu'elles procèdent de
Dieu qui est pur amour, tandis que la chaleur et la
lumière de notre monde ne procèdent que du soleil
qui est pur feu. Ces chaleurs et ces lumières ne diffè-
rent pas l'une de l'autre par leur degré de pureté,
mais par leur essence même. Notre monde, en effet,
ne diffère pas de l'autre comme le grossier diffère du
plus pur, mais bien comme le postérieur diffère de
l'antérieur, et la communication entre les choses qui
sont contiguè's l'une à l'autre et non pas continues,
ne peut nécessairement avoir lieu que par correspon-
dances. C'est ce qui fait que les habitants d'un monde
ne peuvent voir ceux de l'autre. Les yeux des anges
sont de la substance de leur monde, les yeux des
hommes de la substance du leur, et formés de cette
sorte pour recevoir une lumière conforme à leur sub-
stance. Ainsi, dire qu'il n'existe que ce qu'on voit et
ce qu'on palpe est une erreur grossière. L'homme
ne peut pénétrer dans le champ de la nature que par
les sens ; pour en sortir il faudrait que son essence fût
changée.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 101

31. La Chaleur et la Lumière de l'Ame humaine


sont d'essence spirituelle. Nos 32, 33.

L'homme trouve l'autre monde dans sa pensée, car


ce monde n'est pas dans l'espace. Ainsi les esprits
sont conjoints à l'affection et à la pensée de l'homme,
et l'homme ne pense pas autrement que par la lumière
du monde spirituel, et n'aime pas autrement si ce
n'est par la chaleur de ce monde. C'est ce que le lan-
gage commun exprime quand on dit : Telle vérité a
été mise en lumière. Tel sentiment a échauffé les
âmes. L'entendement et le cœur jouissent donc d'une
autre lumière et d'une autre chaleur que celle dont
jouissent la vue et le toucher.

32. Le Soleil spirituel vivifie les êtres spirituels.


N o s f4, 29, 33.

Le Soleil spirituel est le feu spirituel même et paraît


tel aux anges. Ce feu vivifie les êtres spirituels, comme
le soleil de notre monde vivifie les êtres naturels. Tout
ce qui procède l'un de l'autre correspond. Le soleil
physique, procédant de Dieu, en est aussi l'exacte
correspondance. Dans les écrits de Platon, cette cor-
respondance est rappelée à chaque phrase, et Ber-
nardin de Saint-Pierre, dans la mort de Socrate, en
a tiré parti d'une manière pleine de charmes.

9*.
102 DU D I V J N AMOUR

33. Le Soleil spirituel n'est point Dieu, mais le


premier procédant de Dieu.

La correspondance existe entre l'antérieur et le


postérieur, entre l'Être et le procédant. En efl'et, la
chaleur n'est pas dans l'amour même ; mais, au moyen
de l'amour, la chaleur pénètre dans la volonté, et de
là dans le corps. La lumière n'est pas non plus dans
la sagesse même; mais, au moyen de l'entendement,
la sagesse pénètre dans la pensée, et de là dans le
discours. Ainsi, la chaleur et la lumière sont des pro-
cédants, par conséquent des correspondances. Par la
même raison, le Soleil du Monde spirituel n'est point
Dieu, mais le premier procédant de Dieu.

3i. La Chaleur et la Lumière Divines, quoique


faisant un, ne sont pas reçues comme un par les
anges et par les /tommes. N 03 8, 16.

La chaleur et la lumière divines font un, comme


les facultés dont elles procèdent; car, par les corres-
pondances, les procédants font également un; mais
elles ne sont pas reçues comme un par les anges et
par les hommes. La lumière et la chaleur du soleil
naturel sont également un, et si elles ne sont pas un
sur la terre, c'est qu'elles sont renies autrement par
un corps que par un autre. Le corps qui reçoit les
divise, mais ce ne sont pas elles qui se séparent. La
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 103

lumière l'emporte sur la chaleur en hiver, et la cha-


leur sur la lumière en été, et cela parce que la terre
dans l'une et l'autre saison s*& présente différemment
dans l'écliptique. Ainsi, l'amour et la chaleur spiri-
tuelle dépendent du changement d'état des esprits,
comme l'amour et la chaleur naturelle dépendent du
mouvement de la terre. C'est l'affection qui change
les impressions spirituelles; c'est elle qui change éga-
lement sur la terre les impressions dans lesquelles il
entre quelque chose de moral.

35. Le Soleil spirituel est fixé à une hauteur


moyenne dans le Monde spirituel.

Dieu brille dans le Ciel, comme un Soleil, pour dis-


penser la lumière aux Esprits ; car dans le Ciel, comme
sur la terre, il n'y a pas de qualité sans objet, par
conséquent pas de lumière sans Soleil. Ce soleil paraît
constamment au-dessus de leur monde, à une hauteur
moyenne, entre le zénith et l'horizon, c'est-à-dire, à
quarante-cinq degrés. On trouve des traces de cette
assertion dans les cosraogonies antiques, quand on dit
qu'un printemps éternel régnait sur la terre dans
l'âge d'or, et que les hommes n'y ressentaient ni les
glaces de l'hiver ni les ardeurs de la canicule. De là
résulte aussi pour les Anges un printemps éternel.
C'est ce que dit également Fénélon. Ainsi, la lumière
et la chaleur pour eux sont dans un même degré, et
Dieu apparaît toujours devant eux. C'est ce qu'ont
104 DU DIVIN AMOUR

exprimé les poètes anciens quand ils ont peint l'homme


regardant le Ciel (voyez Ovide). Bernardin de Saint-
Pierre, en critiquant cette assertion comme une exa-
gération poétique, confirme plus pleinement ce qui
est exposé ici, en disant que le visage de l'homme est
fait de manière que dans sa position ordinaire il em-
brasse à la fois la moitié de l'hémisphère céleste et la
moitié de l'horizon visuel. Pour cela, son front est en
aspect du Ciel, à quarante-cinq degrés. La vue in-
terne de l'homme reçoit toute son influence de ce So-
leil ; c'est la lumière qui éclaire tout homme qui vient
en ce monde,— Jean, I. 9.

36. L'Erreur confirmée est seule coupable.

L'illusion est une apparence, l'illusion confirmée


est seule une fausseté. Tous les hommes disent que le
soleil se lève et se couche, sans être coupables d'un
mensonge. Celui qui confirme cette apparence est le
seul qui soit dans le faux. Ainsi, les faussetés de l'É-
glise reçues par les âmes simples ne sont pas impu-
tées à crime, elles ne le sont que chez celui qui les
confirme.

37. Les Distances dans le Monde spirituel sont des


Apparences.

La distance du Soleil spirituel n'est qu'une appa-


rence, puisqu'il n'est pas dans l'espace. Cette appa-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 105

rence dépend des degrés d'amour et de sagesse chez


les Esprits. Ils reçoivent la lumière et la chaleur selon
leur proximité ou leur éloignement de Dieu. Créa-
ture finie, l'Ange ne peut recevoir Dieu dans le pre-
mier degré de chaleur et de lumière, car il se con-
joindrait à lui, ce qui n'est pas possible. C'est ce
qu'exprimaient les anciens en disant qu'on ne pou-
vait approcher de Dieu sans en être consumé. Cette
différence de réception fait aussi que les Cieux parais-
sent distincts entre eux. Le suprême ou le troisième
paraît élevé au-dessus du second, et celui-ci au-dessus
du premier. L'apparence de distance est dans les su-
jets et non dans Dieu.

38. Le Seigneur Seul fait le Ciel.

Dieu habite dans le Ciel par sa chaleur et sa lu-


mière dans le Soleil spirituel, dont la dislance n'est
qu'une apparence par laquelle il se proportionne pour
ainsi dire à la faiblesse de ses créatures. Ainsi, le Sei-
gneur est dans tout le Ciel et fait le Ciel même. Car
l'Ange n'est Ange que par l'amour et la sagesse, et
celles-ci sont uniquement en Dieu. L'Ange n'est Ange
que par réception et non par son propre. Par son
propre, il serait dans le mal et dans le faux comme
l'homme, puisqu'il en provient. Par sa naissance, il
tient à ce propre; par la régénération qui en fait un
Ange, il l'écarté. Autant ce propre est écarté, autant
le Seigneur en prend la place. C'est ce que signifient
106 DU DIVIN AMOUlt

ces paroles du Seigneur : Qui aime sa vie la perdra, -


mais qui hait sa vie la conservera. Ainsi l'An'ge est
Ange par le Seigneur Seul, et non par lui-même. Il
en est ainsi de l'homme moral ; autant il met du sien
dans ses vertus, autant elles sont fausses, parce qu'elles
sont entachées d'orgueil ou d'égoïsme ; autant, au
contraire, il reçoit Dieu, autant sa vertu est désinté-
ressée. C'est ce qui donne lieu à cette maxime géné-
rale, qu'zV n'y a pas de vertu sans religion. Voilà
pourquoi Rousseau disait que sans la foi, il n'y avait
pas de vertu véritable, et que Bernardin de Saint-
Pierre a décrit ainsi la vertu : C'est un effort sur soi
dans l'intention de plaire à Dieu Seul.

39. L'homme est en Dieu, quand il ne s'attribue


rien.

Le Seigneur est dans l'Ange et l'Ange dans le Sei-


gneur; la conjonction est réciproque. L'Ange reçoit
la vie spirituelle de même que l'homme la vie physi-
que, comme si elle lui appartenait, comme si elle pro-
venait de lui. C'est par là que Dieu non-seulement est
reçu mais aussi retenu ; car on retient ce qui semble
soi-même. C'est ce qui fait que l'amour et la sagesse
ont un siège. S'ils n'avaient pas ce siège, ils n'affec-
tionneraient pas, et, par conséquent, se dissiperaient.
Ainsi, la réciprocité de la part de l'être animé est né-
cessaire pour qu'il y ait conjonction. Mais chaque
Ange est doué de liberté «t de rationalité ; par ces
ET DE tA DIVINE SAGESSE. 10"

facultés, il peut recevoir l'influence divine, se l'ap-


proprier ou s'y soustraire. Autant donc il s'arroge ce
qui lui est communiqué, autant la conjonction cesse;
car il croit que la Divine Essence est-en lui ; et, réduit
à lui seul, il est nécessairement dans le faux et dans
le mal, et il déchoit de son état angélique. L'Ange,
pas plus que l'homme, n'est la vie dans sa source ;
tous deux n'en sont que les récipients. La chute n'a
pas d'autre origine; nos vices n'ont pas d'autre ori-
gine non plus. Partout, c'est nous que nous voyons;
enflés par l'adulation, humiliés par la compassion,
nous haïssons celui qui nous plaint, nous aimons ce-
lui qui flatte notre amour-propre : économie admira-
ble, qui nous fait voir l'origine de nos fautes dans
notre orgueil, et qui nous fait trouver toute notre
force dans l'appui Divin. Où sont les moralistes qui
ont enseigné une doctrine plus lumineuse? Où sont
ceux qui ont mieux connu l'homme? Le langage ordi-
naire dit lui-même que l'amour-propre est aveugle.
La sublime philosophie exposée ici le démontre. C'est
des imperfections de l'homme qu'elle fait dériver les
attributs de Dieu ; et, sans doute, les anges peuvent
adresser à Dieu cette prière sublime usitée chez de
pauvres nègres, et rapportée par l'auteur des Etudes
de la Nature (tom. II, p. 79) : « 0 Éternel! aie pi-
» lié de moi, parce que je suis passager; ô Infini!
» parce que je ne suis qu'un néant; ô Fort! parce
» que je suis faible ; ô Source de la vie! parce que
» je touche à la mort ; ô Clairvoyant ! parce que/e
108 DU DIVIN AMOUR

» suis dans les ténèbres; ô Bienfaisant! parce que


» je suis pauvre; ô Tout-Puissant! parce que je ne
» peux rien. » C'est ainsi que s'expriment ces peu-
ples chez lesquels Swedenborg prétend, quelque part,
qu'on trouve les vrais sentiments religieux.

40. L'Orient, dans le Monde spirituel, est le point


fixe où paraît le Seigneur comme Soleil. N° 44.

Dans le Monde spirituel, l'Orient est où le Seigneur


apparaît comme Soleil, et de là sont fixées les autres pla-
ges_ou régions. Il y a des régions dans le monde spiri-
tuel, comme dans le monde naturel ; mais les premières
sont spirituelles comme leur Monde. Dans ce Monde,
comme dans le nôtre, il y a quatre régions : l'Orient,
l'Occident, le Midi et le Septentrion. Les régions de
notre Monde sont fixées par le Midi, car le Midi est
le même partout. Celles du Monde spirituel sont
fixées par l'Orient, car c'est là qu'apparaît constam-
ment le Soleil du Monde spirituel. Les demeures des
Anges et des Esprits établies selon ces régions sont
spirituelles aussi. A l'Orient, sont ceux qui sont dans
le degré supérieur de l'amour; ceux qui sont dans un
degré inférieur habitent à l'Occident. Le Midi déter-
mine le lieu de ceux qui sont dans le plus haut degré
de sagesse, et le Septentrion l'habitation de ceux qui
sont dans un moindre. C'est de là que par Orient,
dans l'Écriture, il est entendu le Seigneur lui-même.
C'est de là que dans la franc-maçonnerie, institution
ET DE LA DIVINE SAGESSE. '109

basée sur le Christianisme, comme tant d'autres, la


première loge est appelée le grand Orient. L'cpi-
thète de grand désigne visiblement ici un Orient dif-
férent de celui du monde. C'est aussi la raison pour
laquelle les anciens, qui étaient dans la science des
correspondances, se tournaient vers l'Orient pour
prier Dieu, et y tournaient leurs temples, pratique
qui s'est conservée jusqu'à ce jour. Enfin, quoique
sur la terre les régions se déterminent par le Midi,
nous disons nous-mêmes, dans le langage ordinaire,
orienter, pour exprimer la situation d'une chose par
rapport aux quatre points cardinaux. Il y a ici une
très-singulière anomalie entre l'étymologie et l'action
elle-même; car bien certainement on ne s'oriente pas
en cherchant d'abord l'Orient, mais le Nord ou le
Midi. Chez les anciens, les augures, en observant le
vol des oiseaux, se tournaient d'abord, comme dans
le monde spirituel, vers l'Orient. Il semble très-sin-
gulier qu'il y ait des régions dans le Ciel; qu'il y ait
un Soleil à l'Orient. Toutes ces choses paraissent avan-
cées gratuitement; mais Swedenborg observe sage-
ment qu'en traitant du Ciel, l'homme ne peut raison-
ner par analogie. La méthode usitée de passer du con-
nu à l'inconnu ne peut plus avoir lieu ici ; car les
choses, dans le monde spirituel, sont dans leur ori-
gine et non dans leurs effets. Entre les causes et les
effets il y a une barrière insurmontable. On descend
bien de celles-là à ceux-ci, mais on ne remonte pas
de ceux-ci à celles-là. En dévoilant les causes, on ne
10,
110 DU DIVIN AMOUR

peut que les présenter telles qu'elles sont, sans en


donner de raison à l'esprit. C'est l'extrême simplicité
de l'écrivain qui est ici le garant de sa véracité. Plus
ses données paraissent arbitraires, moins il y met du
sien. Il n'y a point d'influence du naturel sur le spi-
rituel ; c'est ce qui faisait dire à l'Apôtre Paul que
l'homme animal n'entend point ce qui vient de
l'esprit de Dieu. L'influence est du spirituel sur le
naturel; le premier est l'antérieur, le second est le
postérieur. Voilà pourquoi des effets qui sont posté-
rieurs on ne peut remonter par le raisonnement aux
causes qui sont antérieures. Notre science moderne
prétend le contraire; mais qu'en arrive-t-il? C'est
que les causes sont à jamais cachées pour elle, et
que, dans le désespoir de les jamais découvrir, elle
ne veut pas qu'on s'occupe des causes finales.

41. La Différence des régions, dans le monde spi-


rituel dépend de la Différence de réception d'a-
mour et de sagesse. N os 14, 26.

On a vu, Nos 34 et 37, que le Seigneur est le même


partout, mais qu'il n'est pas reçu partout dans un
même degré. Cette différence de réception qui fait la
distance du Soleil spirituel, fait aussi la distinction
des régions de ce monde. Ces régions ne sont en effet
que des réceptions différentes d'amour et de sagesse,
de chaleur et de lumière. Ceci se conçoit pleinement
quand on a admis que les espaces dans le Ciel sont
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 111

des états. Aussi l'ange change-t-il de région selon


que l'amour croît ou décroît chez lui. Ainsi, ce n'est
pas le Seigneur qui fixe les régions, c'est l'ange lui-
même qui fixe sa région, c'est-à-dire, sa demeure,
comme son sort lui-même, d'après sa réception. Il
change de région comme l'homme naturel en change
lui-même par la pensée. Les voyages de la pensée ne
sont en effet eux-mêmes que des excursions dans le
monde spirituel. Ces excursions sont volontaires; si
elles ne l'étaient pas, l'homme serait gêné dans sa li-
berté. Il en est ainsi de l'ange ; s'il était fixé par Dieu
dans l'amour et dans la sagesse, il n'aurait pas le mé-
rite de les avoir désirés et cherchés. Système admira-
ble qui fait que l'Être éternel est fidèle à ses plans,
et que la Sagesse qui préside à l'économie de ce monde
est aussi celle qui dirige le gouvernement de l'antre.

42. Tout est par paire dans le corps humain.

Pour que la sagesse et l'amour fassent un chez


l'homme et chez l'ange, tout est par paires dans toutes
les parties du corps; toutes les parties droites se rap-
portent à l'amour d'où procède la sagesse; toutes les
parties gauches à la sagesse d'où procède l'amour.
Ainsi, il ne fait pas une action sans que l'accord du
bien et du vrai ne s'y trouve. Ainsi, les œuvres mani-
festent ce qu'il est.
112 DU D I V I N A M O t ' R

43. L'homme est l'Arbitre de son sort.^° 17.

Le Seigneur donne donc à tous les moyens d'ar-


river à Lui, et n'accorde pas le Ciel, comme il lui
plaît, à celui-ci, et ne le refuse pas à celui-là. Il est
le même chez l'un comme chez l'autre, mais l'un le
reçoit différemment que l'autre. La différence n'est
point son ouvrage, elle dépend des récipients, et ce
sont ceux-ci qui sont les arbitres de leur sort.

44. L'Auge a toujours l'Orient en aspect. N° 40.

Les Anges tournent continuellement leurs faces


vers le Seigneur comme Soleil, et pour cela ne peu-
vent regarder qu'à l'Orient. Quelle que soit leur po-
sition, ils ont le Soleil spirituel en aspect de leurs
corps. En effet, par la pensée, qui est une vue spiri-
tuelle, vers quelque région du monde qu'on soit tour-
né, on peut avoir un même objet présent à la vue.

4o. L'Ange connaît sa demeure, quelque part


qu'il aille. N° 6.

Il l'a connaît, comme l'homme connaît la sienne dans


le monde. Si l'homme se trompe dans cette recherche,
s'il est obligé d'avoir recours à des instruments pour
se guider, c'est qu'il raisonne d'après l'espace. L'ani-
mal qui agit sans cette connaissance ne se trompe ja-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 113

mais. La frégate retrouve à deux cents lieues en mer


le nid d'où elle est partie ; l'hirondelle revient le prin-
temps à la fenêtre du vieux manoir qu'elle avait quit-
tée l'automne précédent; la caille voyageuse arrive à
Malte le même jour de chaque année, et ce jour est
si bien fixé qu'il est marqué sur les calendriers du
pays. Ceci prouve qu'il en est ainsi dans le monde
spirituel; car aucun effet n'existe sans cause, et les
effets que nous observons sur la terre ont nécessaire-
ment leurs causes dans le Ciel.

46. L'Ange est en parfaite fonne humaine. N° 115.

Les Anges sont doués de tous les organes de l'hom-


me, tant des membres que des viscères; et, en effet,
sans ces parties, la forme humaine ne serait rien ; ce
serait une image sans vie. Les intérieurs de leur es-
prit font un avec les intérieurs de leur corps ; et
quand ceux-ci, qui dirigent nécessairement les exté-
rieurs, sont tournés vers le Seigneur, le corps s'y
tourne également.

47. Chacun se tourne du côté où le porte son


amour dominant.

Il y a deux amours principaux opposés entre eux :


l'amour envers le Seigneur et l'amour de soi-même. Il
est donc évident que, puisque ceux qui sont dans l'a-
mour du Seigneur se tournent vers Lui, ceux qui sont
10*.
114 DU DIVIN AMOUK

dans l'amour opposé se tournent en arrière. Les pre-


miers veulent être conduits par le Seigneur, et ils re-
cherchent sa présence; les seconds veulent dominer
par eux-mêmes, et ils ne désirent voir qu'eux. Ainsi,
chaque Ange, comme chaque Esprit, se tourne vers
son amour dominant, parce que l'amour est la vie de
chacun, N0 1. Dans le Monde des Esprits, ceux qui
sont dans cet amour d'eux-mêmes portent leurs yeux
vers l'Occident de ce monde, et ont par conséquent
l'Orient h leur dos. Ces Esprits sont naturels-sen-
suels, et aveuglés par leur propre amour ils se croient
seuls sages, et pour ainsi dire seuls vivants.

48. Des Chemins dans le Monde spirituel.

Dans le Monde spirituel, apparaissent des che-


mins qui conduisent au Ciel et à l'Enfer. Chaque
Esprit entre dans le chemin qui le conduit vers ses
semblables en amour, et n'en voit point d'autres.

49. Le Saint-Esprit est la Chaleur et la Lumière


procédant du Soleil spirituel.

De ce que le Seigneur apparaît dans le Ciel comme


Soleil, et qu'il procède de Lui une chaleur et une lu-
mière, le Saint-Esprit qui est cette chaleur et cette
lumière est appelé le Divin Procédant; c'est lui qui,
er effet, embrase et éclaire.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 115

50. Dieu a créé l'Univers au moyen du Soleil


spirituel. Nos 29, 88.

Le Divin Amour et la Divine Sagesse qui a créé


l'Univers, l'a créé au moyen du Soleil spirituel, qui
est son premier procédant. En effet, ce Soleil est le
premier être de la création. Tout subsiste par lui, par
conséquent tout a existé par lui ; car la subsistance
est une perpétuelle existence. Ce qui échappe à son
existence périt. Dans le Soleil spirituel est la fin de
toutes choses ; dans le Monde spirituel sont les causes,
dans le nôtre les effets.

51. De la Création de l'Univers.

La Création ne peut pas être comprise de celui qui


ne fait pas abstraction du temps et de l'espace. En
effet, c'est hors du temps et de l'espace seulement
que le plus grand et le plus petit ne diffèrent en rien.
La création de l'univers entier est donc comme celle
d'une partie de l'univers, et la diversité des choses
provient de ce que les infinis sont en Dieu et les indé-
finis dans le Soleil spirituel. Ces indéfinis sont dans
l'univers créé comme dans une image; de là, la va-
riété des choses; de là vient qu'aucune n'est sembla-
ble à l'autre.
116 DU DIVIN AMOUE

82. La Création ne peut être attribuée au soleil


de notre monde.

C'est au Soleil spirituel, et non au soleil de notre


monde que la création doit être attribuée; car celui-
ci n'est que pur feu, et par conséquent mort, tandis
que l'autre est vivant. Ce qui est mort n'agit point
de soi-même, mais est mû par un mouvement com-
muniqué; lui attribuer la création, ce serait attribuer
le travail de l'ouvrier à son instrument. Le soleil de
notre monde n'est pas par lui-même, mais par la force
vive du Soleil spirituel. Si cette force lui était ôtée, il
périrait. Le culte du soleil est donc le dernier qu'on
puisse rendre à Dieu, car c'est un culte mort. C'est
pourquoi il est désigné dans l'Écriture sous le nom
d''abomination. Le soleil et les terres qu'il éclaire en-
veloppent des choses spirituelles dans lesquelles seu-
lement est la vie. S'il n'en était pas ainsi, la terre se-
rait frappée de stérilité. Si la nature est vivante, c'est
par l'action du Monde spirituel.

53. L'espace et le temps appartiennent à la na-


ture, parce que la création y subsiste en son
repos. N° 91.

Tout ce qui est animé de la vie spirituelle ne con-


naît que des changements d'état, selon les affections
et les pensées, comme dans le monde spirituel où il
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 117

n'y a ni temps ni espace ; mais ce qui de soi-même est


mort, et par conséquent immuable et fixe, est néces-
sairement dans le temps et dans l'espace. C'est pour-
quoi il y a dans la nature des espaces; c'est là son
propre. Chez elle, en effet, la création finit et subsiste
en son repos. Mais ce repos peut être appelé mort,
puisqu'il n'est pas modifié par les états de vie. Pour
la nature, les temps sont constants, parce qu'elle ne
subit pas de changements d'états nouveaux de vie, mais
seulement des variations régulières qui sont aussi des
morts. Ainsi, l'homme qui s'identifie avec la nature et
se confirme pour elle est mort spirituellement.

oi. La Nature a été créée pour être la base et le


contenant du Monde spirituel.

Le monde naturel et le monde spirituel sont abso-


lument semblables, considérés extérieurement; l'in-
térieur seul les différencie. Il y a donc deux Soleils,
l'un duquel procèdent toutes les choses spirituelles,
et l'autre duquel procèdent toutes les choses natu-
relles. L'un est mort, l'autre est vivant, et nécessai-
rement celui-là tire son origine de celui-ci. Le so-
leil mort a été créé pour que dans la nature maté-
rielle tout fut fixé, réglé et constant. Ainsi, la na-
ture est la base et le contenant du Monde spirituel,
et il doit être pourvu à ce que chez elle existent
les choses qui doivent être perpétuelles et durables.
Ainsi, la nature n'est pas la vie, elle en est le récipient.
118 DU DIVIN AMOUR

Elle ne la dispense pas, elle est fécondée par elle. Le


mort n'agit pas sur le vivant, la force morte sur la
force vive, le naturel sur le spirituel, les objets exté-
rieurs sur l'âme. Une telle influence serait contre
l'ordre. L'influence est nécessairement spirituelle et
non pas naturelle. Ce mot porte avec lui-même sa si-
gnification.

5o. Les choses créées montent jusqu'à l'homme,


et depuis l'homme jusqu'à Dieu.

Il n'est pas d'effet sans cause. Ce monde, qui est


effet, a nécessairement une cause, et cette cause doit
se retrouver dans tous les objets de la création, puis-
qu'ils partent d'un même principe qui est un. Une
cause sans effet n'existerait pas non plus; car elle ne
serait pas terminée. Elle est terminée dans l'effet,
c'est là ce qui en est la fin. Pour qu'une chose soit, il
faut donc qu'elle ait en elle la fin, la cause et l'effet.
Dans ce dernier donc on trouve nécessairement les
deux autres : c'est pourquoi l'effet est appelé fin der-
nière; la cause, fin moyenne; et la fin, fin première.
La fin de la création est qu'il y ait conjonction du
Créateur avec la chose créée. Ainsi, les choses créées
montent jusqu'à l'homme, et depuis l'homme jusqu'à
Dieu. La philosophie a démontré elle-même cette
chaîne des êtres, mais elle s'est arrêtée à l'homme,
ne concevant pas comment celui-ci pouvait s'élever à
son Auteur. Swedenborg, sans imaginer des êtres in-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 119

termédiaires entre Dieu et l'homme, puisque les an-


ges selon lui ont tous été des hommes, nous apprend
que les hommes peuvent être élevés jusqu'à leur source,
Nos 24, 25.

56. Le Monde spirituel contient des atmosphères,


des eaux et des terres, et tout ce qu'on voit sur
la terre.

Le monde naturel et le monde spirituel étant sem-


blables, il y a dans ce dernier, comme dans le pre-
mier, des atmosphères, des eaux et des terres, avec
cette seule différence qu'elles sont spirituelles, comme
ce monde lui-même. Ces choses doivent exister, parce
que ce sont les choses communes au moyen desquelles
existent les choses particulières. Elles sont spirituelles,
parce qu'elles tirent leur origine du Soleil spirituel,
et que chaque chose est conforme à son origine. Les
atmosphères spirituelles tempèrent le feu du Soleil,
et rendent sa chaleur égale à l'amour des Anges et des
Esprits. Les atmosphères naturelles en soi sont mortes
comme leur soleil. Les atmosphères spirituelles con-
tiennent en elles le feu divin et la lumière divine. Sans
une atmosphère spirituelle les Anges ne respireraient
pas, ne penseraient pas, ne vivraient pas; ces choses
ne sont possibles qu'au moyen d'une atmosphère plus
pure que la nôtre. Enfin, les corps des Anges sont
plongés dans une atmosphère spirituelle; car sans la
compression exercée par cette atmosphère, les parties
1:20 DU DIVIN AMOUR

de leur corps se sépareraient ies unes des autres. Les


eaux et les terres sont modifiées, comme dans ce
monde, au moyen de ces atmosphères. Les atmos-
phères sont les forcée actives, les eaux les forces
moyennes, et les terres les forces passives par les-
quelles existent tous les effets. La théorie des gaz peut
confirmer ces aperçus.

57. Ily a trois deux distingués suivant les Degrts.


N° 66.

H y a des degrés de l'amour et de la sagesse, de la


chaleur et de la lumière, et conséquemment des at-
mosphères. Les degrés d'amour et de sagesse distin-
tinguent le Ciel en trois Cieux. Les Anges du premier
ou du second Ciel ne peuvent monter vers ceux du
troisième, et s'il leur est accordé d'y monter, ils ne
voient ni les Anges de ce Ciel, ni rien de ce Ciel. La
raison de ceci est que l'amour et la sagesse de ces
derniers Anges surpassent la perception de ceux-là.
La fable semble avoir conservé ces traditions en sup-
posant que les dieux inférieurs ne pouvaient deviner
les dieux supérieurs : Minerve cachée sous les traits
de Mentor ne pouvait être devinée de la nymphe Ca-
lypso. L'amour et la sagesse étant forme et substance,
quand l'amour et la sagesse d'un ange sont impercep-
tibles à un autre, sa forme l'est également. Ce qui
confirme les degrés, c'est la différence des facultés
morales chez les hommes eux-mêmes ; c'est ce qui a
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 121

fait dire aux philosophes du dernier siècle qu'il y avait


moins loin de la brute à tel homme que de cet homme
à un autre. Ce qui est supérieur est incompréhensible
à ce qui est inférieur, parce que chaque degré de la
vie a en soi sa lumière qu'il ne peut changer. Ainsi,
l'animal avec sa lumière naturelle ne comprend pas
l'homme, et l'homme avec Ja science ne comprend
pas l'Ange. L'amour et la sagesse des Anges, vus et
sentis par eux comme chaleur et lumière, surpassent
infiniment la chaleur et la lumière du soleil du monde
à son midi. Les atmosphères offrent des degrés analo-
gues à ceux de la lumière et de la chaleur. L'Ange
des Cieux inférieurs ne peut respirer sitôt qu'il entre
dans la région des Anges supérieurs.

38. De la Science des Degrés.— II y a des Degrés


discrets et des Degrés continus.

La Science des degrés est fa seule clef qui ouvre les


mystères. Sans elle, en effet, tous les sujets paraissent
simples, comme ils le sont à la vue; et les intérieurs
qui ne se manifestent pas par elle ne peuvent être
connus que par les degrés. Les degrés sont de deux
genres : les uns de hauteur ou degrés discrets, les
autres de largeur ou degrés continus.

oO. Des Degrés de hauteur ou Degrés discrets.

Les degrés de hauteur ou degrés discrets sont ceux


11.
1 22 DU DIVIN AMOL'R
qui vont de l'antérieur au postérieur, de la cause à
l'effet. Ainsi l'extérieur va vers l'intérieur, et celui-ci
vers l'intime par degrés discrets. On nomme ainsi ces
degrés, parce qu'il est clair que chacune des choses
qu'ils concernent existe par soi. Ainsi, l'antérieur ou
l'intime existe par soi; l'intérieur ou le postérieur
existe par soi; enfin, l'extérieur ou le dernier existe
également par soi, mais néanmoins pris ensemble ils
font un.

60. Des Degrés de largeur ou Degrés continus.

Les degrés de largeur ou degrés continus sont


ceux qui vont par décroissement, comme du plus
rare au plus dense, du chaud au froid, de la lumière
à l'ombre. Ils sont ainsi nommés parce qu'ils crois-
sent continuellement. Ces degrés sont les distinctions
d'une même chose. Ainsi, la sagesse des Anges d'un
même Ciel croît ou décroît à mesure qu'ils s'appro-
chent ou qu'ils s'éloignent du centre.

61. La Connaissance de toutes choses est dans la


Science des Degrés.

Ces degrés donnent la connaissance de la différence


des Cieux, de la lumière et de la chaleur Divines, des
atmosphères, des eaux et des terres spirituelles. Par
eux on distingue les facultés de l'homme de celles de
la bête, la différence du spirituel au naturel. L'erreur
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 123

générale est de remonter des effets aux causes par


continuité, tandis que la cause étant antérieure et
l'effet postérieur, on ne peut raisonner sur ces ma-
tières que par les degrés discrets.

62. La Conjonction du tout provient des rapports


dés Degrés discrets.

Les degrés discrets ne peuvent tomber sous les sens


comme les degrés continus, et n'étant pas connus,
ce sont ceux-là qui demandent à être étudiés de pré-
férence. Tout ce qui existe, existe par ces degrés;
car d'une chose en provient une autre, et de celle-ci
une troisième qui est un composé. Ainsi, dans le corps
humain, le composé appelé muscle provient de la réu-
nion de fibres motrices, et celles-ci de l'assemblage
de fibrilles. Ainsi, ces degrés, quoique discrets ou sé-
parés, sont homogènes. Chaque degré est séparé d'un
autre par son enveloppe propre. Tous les degrés en-
semble sont séparés par une enveloppe commune, qui
communique avec les intérieurs et les intimes : de là
vient la conjonction et l'action unanime du tout.

63. Le premier Degré est tout entier dans les


suivants.

Il résulte de là que le premier degré est tout dans


toutes les parties des degrés suivants, puisque c'est
lui qui les a produits. Ainsi, il est le principal, et rè-
124 DU DIVIN AMOUR

gne uniquement dans les autres. C'est ainsi que la fin


se trouve également dans la cause et l'effet. Ainsi,
l'homme est tout entier dans son amour et dans ses
œuvres. Dans le mouvement est l'effort, et l'effort est
dans l'intention. L'intention qui est le premier degré
est donc toute dans les degrés suivants. Ainsi, Dieu
est dans toutes les choses de l'univers, bien qu'il soit
hors de l'univers.

64. La perfection monte avec les degrés.

Les degrés de hauteur sont ainsi appelés parce


qu'ils montent et descendent. Toutes les perfections
montent avec et selon ces degrés ; la perfection de la
vie, qui est celle de l'amour et de la sagesse; la per-
fection des forces, qui est celle des choses qui agis-
sent par la vie; et la perfection des formes, qui est
celle des substances inorganiques. Plus, en effet, on
pénètre dans l'intérieur des choses, plus on y dé-
couvre de merveilles. Ce sont ces degrés qui font que
le Ciel, quoique formant un tout, est varié. C'est ce
qui fait que Jésus-Christ disait qu'il y avait plusieurs
demeures dans ta maison de son Père; c'est ce qui
fait que le Ciel n'est pas un lieu que l'on voie d'un
coup d'œil, mais un état de vie qui devient accessible
à mesure qu'on s'élève vers lui. S'il suffisait, pour
être reçu dans le Ciel, d'y entrer comme dans un lieu,
on ne reconnaîtrait plus dans ce Ciel la puissance
créatrice qui a pour caractères l'infini et l'éternel;
1
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 125

On y voit ce qu'on dcsiro, comme s'il n'oxietait


pas autre chose. Si on se perfectionne, d'autres deux
s'ouvrent aux regards, et cette sensation est si natu-
relle qu'il semble encore qu'il n'y ait pas autre chose,
tant chaque degré paraît exister seul et séparément
des autres ! Sur la terre nous voyons la même chose.
L'horizon qui s'ouvre devant les yeux de l'enfant lui
semble la terre entière ; dans chaque science on se fait
son horizon moral au-delà duquel rien ne paraît exis-
ter ; si on s'avance d'un degré, on s'imagine toujours
être au sommet. On choisit ses amis, ses sociétés dans
un degré d'amour ou d'intelligence analogue au sien ;
on ne s'imagine pas ensuite qu'il puisse exister autre
chose que les objets dont on s'y occupe.

65. Rapport dans lequel sont les Degrés de


l'un et de l'autre genre.

Les degrés de largeur sont en rapport simple,


parce qu'ils vont du plus simple au plus composé;
mais les degrés de hauteur sont en rapport triple,
parce qu'ils vont en trois séries : le bas, le milieu et
le haut, ou l'effet, la cause et la fin. Dans les degrés
de largeur, la perfection est au centre ; dans les degrés
de hauteur elle est au sommet. Dans le premier cas,
en effet, plus une chose est proche du centre, et moins
elle est voilée de substances composées. Dans le se-
cond, plus une chose est élevée, plus elle est proche
du Soleil spirituel, et moins elle est souillée de ma-
il*.
120
r DU DIVIN AMOUR

tières terrestres. C'est pour cela que les choses anté-


rieures sont plus parfaites que les postérieures.

66. De l'Ordre successif.

Dans l'ordre successif, le degré suprême fait le


plus élevé, et le premier le plus bas. Le premier Ciel,
ainsi, est comme le premier degré d'une échelle, le
second en est le moyen, et le troisième en est le plus
haut.

67. De l'Ordre simultané.

Dans l'ordre simultané, les choses suprêmes sont


dans l'intime ou le centre, les inférieures au demi-
rayon, et les plus basses à la circonférence. Ainsi,
dans cet ordre le suprême devient l'intime, et le plus
bas devient l'extrême.
68. Dans les dernières choses, les degrés discrets
sont dans l'ordre simultané, parce que ces dernières
choses sont un tout. Les parties les plus parfaites en
sont l'intime, et leur composé en fait l'extrême,
N° 59.

69. Les Degrés s'appliquent égalemen t aux choses,


morales.

La doctrine des degrés s'applique aussi bien aux


choses morales qu'aux autres. En effet, dans les choses
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 127

morales sont également trois choses, la fin, la cause


et l'effet, et ces trois choses sont entre elles selon les
degrés de hauteur. En second lieu, les choses morales
et spirituelles sont vraiment substance et forme,
comme le principe d'où elles dérivent, ÎNT° 18. L'a-
mour et la sagesse n'existent point hors d'un sujet; il
en est de même de la volonté et de l'entendement;
abstraites de leurs sujets, elles ne seraient plus que
des êtres de raison.

70. Le dernier Degré est le contenant et la base


des deux Degrés précédents. Nos 54, 81.

En effet, en prenant l'homme pour exemple, il est


clair que chez lui l'intention est dans le premier de-
gré, le mouvement dans le second, et l'effet dans le
troisième. Dans tout effet, on retrouve à la fois le
mouvement qui l'a produit et l'intention qui l'a voulu;
c'est pourquoi l'action est la volonté manifestée.
Partout l'effet est le contenant et la base des causes
et des fins. L'effet n'est autre chose que la fin dans
son dernier degré, d'où il résulte nécessairement
que ce dernier degré contient tout. Dans l'univers
créé, l'amour est la fin, car c'est lui qui se propose
le but; la sagesse est la cause, car c'est par elle que
l'amour agit; l'usage est l'effet, car c'est par lui que
la sagesse et l'amour sont rendus visibles en un ou-
vrage extérieur. Cet ouvrage contient donc réellement
les deux degrés précédents. Swedenborg dit qu'il ne
128 DU DIVIN AMOUR

sait pas si quelqu'un jusqu'ici a eu connaissance de


ces degrés. Il paraît néanmoins que Pytliagore les
avait devinés ou reçus par tradition. Au rapport de
Plutarque (OEuvr. morales, tom. II, pag. 271), ce
philosophe disait que le temps est la sphère du der-
nier Ciel qui contient tout. On ne pouvait pas dire
en termes plus formels que la nature (dont le temps
est le propre, comme nous l'avons vu N° 27) est le con-
tenant et la base des Cieux, N° 54. En nous arrêtant
sur ce principe lumineux, nous découvrons une sem-
blable série dans l'action. L'action résulte de la pensée
et celle-ci de l'affection. D'abord on aime par affec-
tion, on arrête sa pensée sur ce qu'on aime, et enfin
par l'action on l'exécute. Akenside, en décrivant la
création, prête à Dieu même cette série d'opérations :
« Dès le premier des jours, il fixa sur ces objets
» son amour divin et son admiration, jusqu'à ce
» que, dans le temps prescrit, son sourire plein de
» vie donnât l'être à ce qu'il avait aimé et admiré. »
La charité de même appartient à l'amour, la foi à
la sagesse, et la bonne œuvre qui en résulte les ren-
ferme et les contient toutes deux. Ainsi, il n'y a pas
un objet dans l'univers qui ne manifeste la sagesse di-
vine et l'amour divin, pas un mouvement dans l'homme
qui ne démontre son affection et sa pensée. L'âme
perce tout ce qui est extérieur, parce qu'elle y est
vraiment contenue; ainsi, les œuvres de l'homme ma-
nifestent toute sa vie; et chacun étant jugé sur ses ac-
tions est vraiment jugé d'après tout ce qui est de lui.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 129

L'action est ce qui fixe la vie, c'est elle qui la rend


sensible. Une vie sans action serait idéale ; ce serait
comme une religion sans bonnes œuvres, ou comme
un univers sans usages.

11. Les degrés de hauteur dans leur dernier sont


dans la plénitude et dans la puissance. N° 84.

C'est ce qui résulte de ce qu'on vient de dire; car


c'est dans leur dernier terme qu'ils sont dans l'effet,
et l'effet est la plénitude des causes. L'effort seul ne
produit rien, pour agir il lui faut une force; l'effort
et la force réunis n'agissent que par le mouvement.
Ainsi, l'effort descend tout entier dans les forces et
celles-ci dans le mouvement; le mouvement étant le
dernier degré de l'effort en est en même temps la
puissance manifestée. Il n'y a nulle puissance dans
aucune de ces trois choses séparées, mais leur puis-
sance est toute dans celle des trois qui réunit les deux
autres. Dans l'homme, la volonté détermine l'effort,
les fibres motrices les forces, et l'action du corps le
mouvement. Dans celui-ci donc résident les deux au-
tres. C'est ainsi qu'un geste manifeste ce qui se passe
dans la volonté ; c'est ainsi que la physionomie est le
miroir de l'âme. Les parties de l'homme qui détermi-
nent le?puissances sont principalement les bras et les
mains. C'est pour cela que le bras a été chez les an-
ciens l'emblème de la force. C'est pour cette raison
aussi que le philosophe Anaxagore disait que l'homme
130 DU DIVIN AMOUR

devait sa prééminence à ses mains seules. Cette asser-


tion, dont se prévalent tous les matérialistes, ne leur
fournit aucune arme dans une doctrine qui établit des
degrés dans l'homme, comme dans tout l'univers, et
qui prouve que les premiers degrés sont en plénitude
dans le dernier. Ainsi, la main de l'homme n'est un
instrument si parfait que parce que c'est par cet ins-
trument qu'il manifeste des affections et des pensées
supérieures à celles des autres animaux. De là vient
encore que les anciens attachaient une telle idée de
puissance à l'imposition des mains. L'affection se ma-
nifeste aussi par le serrement des mains. On met la
main sur son cœur pour attester la vérité. Un geste
de la main accompagne l'expression d'un sentiment
et l'affirme en quelque sorte. Enfin une main de jus-
tice a été le symbole de la puissance. De là est né
l'art de la Chiromancie, c'est-à-dire, l'idée supersti-
tieuse de découvrir les inclinations de l'homme par
l'inspection des signes de la main.

72. La Parole Divine dans sa lettre est dans la


plénitude.—Le Seigneur dans son Humanitc est
dam sa puissance.

Du précédent principe bien compris résulte ;l'ex-


plication de deux mystères. Le premier est que l'É-
criture Sainte, dans le sens de la lettre, est dans sa
plénitude et dans sa puissance : de là le respect una-
nime pour la Bible; de là l'usage de faire jurer les té-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 131

moins sur ce livre. Le second mystère est que le Sei-


gneur pour sauver l'homme a eu besoin de revêtir son
humanité première d'une humanité prise dans le
monde. Par elle il a exercé la Puissance Divine dans
le dernier degré et ainsi dans sa plénitude. Cette puis-
sance est désignée allégoriquement dans ces termes :
// est assis à la droite de Dieu. Chaque homme est
son bien et son vrai ; ainsi dans l'Écriture, le Seigneur
est lui-même comme Vrai Divin. C'est ce que lesÉvan-
gélistes appellent le Verbe : et Verbum caro fac-
tum est, dit l'Apôtre Jean, le Verbe s'est fait chair;
et en se faisant chair, il est devenu Vrai Divin, aussi
bien dans les dernières choses que dans les premières.
Avant l'incarnation, son influence sur les hommes
avait lieu médiatement par le moyen des Anges; de-
puis l'incarnation, cette influence est immédiate; c'est
pourquoi l'Église Chrétienne s'adresse au Seigneur
seul. Le Soleil du Ciel angélique, depuis l'incarna-
tion, a brillé d'une splendeur plus vive qu'auparavant.
C'est ce qui est signifié par Ésai'e,—XXX. 23 à 26.
— Le dernier degré n'a pu entrer dans le Seigneur
que par une nature semblable à la nôtre : son État
d'humiliation, où Dupuis a vu le soleil au solstice d'hi-
ver, est celui où le Soleil spirituel se voile, pour
ainsi dire, jusque dans les dernières parties de la na-
ture. Son État de glorification, où Dupuis a vu le so-
leil du printemps et de l'été, est celui où le Seigneur
s'est dépouillé de l'humanité prise dans le sein de sa
mère pour se revêtir du Divin. Si l'on ne sait pas ce
132 DO DIVIN AMOUR

que c'est que le Soleil spirituel, on n'entend rien aux


cosmogonies ou aux poésies antiques. On prend les
premières pour une preuve de Sabéisme, et les autres
pour de simples allégories.

73. En toutes choses se trouvent les Degrés de


l'un et de l'autre genre. N° 6\.

Il en est ainsi, parce qu'en toutes choses sont la


chaleur et la lumière divines partagées elles-mêmes se-
lon ces degrés. Ce qui serait sans degré serait sans
principe intérieur, et conséquerament sans vie, sans
substance et sans forme. Ces degrés sont également
dans les plus grandes et dans les plus petites choses,
parce que le Seigneur est le même dans un atome que
dans un monde, dans une mousse que dans un chêne.
La diversité des choses créées provient de ces degrés.
En effet, les grandes choses sont composées des peti-
tes ; celles qui sont moindres variant nécessairement de
degré entre elles, il s'ensuit qu'aucune n'est parfaite-
ment semblable à l'autre. La perfection de l'univers
résulte aussi de la ressemblance des choses générales
et particulières. De là la tendance qu'elles ont à se con-
joindre pour l'usage, N° oi. Enfin, nous arrivons à
l'Univers que nous allons maintenant mieux com-
prendre.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. J33

74. Les trois Degrés discrets peuvent successive-


ment s'ouvrir en l'homme. N° 7o.

Les trois degrés de hauteur sont infinis et incréés


dans le Seigneur, mais créés et finis dans l'homme.
La simple exposition de ce principe le prouve suffi-
samment. L'homme est le ciel en sa plus petite forme,
et en lui peuvent s'ouvrir successivement les degrés
qui constituent les trois deux. Ces degrés sont : Le
degré céleste qui est le degré de l'amour, le degré spi-
rituel qui est le degré de la sagesse, et le degré natu-
rel qui est celui des usages. Les trois degrés discrets
ou de hauteur sont dans chaque homme dès sa nais-
sance, et selon qu'ils s'ouvrent, l'homme est dans le
Seigneur, et le Seigneur est dans l'homme.

75. Chaque Degré discret s'étend seulement par


continuité.

Cela résulte de ce que les degrés de l'un et de


l'autre genre se trouvent dans tous les objets. L'hom-
me, à sa naissance, vient dans le degré naturel, et ce
degré s'étend par continuité jusqu'au rationnel; mais
quelqu'étendue que soit alors sa raison, ce n'est point
par elle qu'il s'élève au second degré, qui est le spi-
rituel, il n'y arrive que par l'amour à l'égard du pro-
chain. Tout amour suppose un combat : alors l'homme
combattant l'amour de soi se détache de lui-même,
12.
13i DU DIVIN AMOUIl

et monte au-dessus de sa nature. Ce degré s'étend


par continuité, devient bienfaisance, amour de la pa-
trie, dévouaient; mais le degré céleste ne s'ouvre
que par l'amour envers le Seigneur. Cet amour rap-
porte tout à Dieu. A sa mort, l'homme vient dans le
degré qui s'est ouvert pour lui dans le monde. Ainsi,
il y a un esprit naturel, un esprit spirituel et un es-
prit céleste. C'est ce que le langage ordinaire exprime
quand on dit que tel homme a un cœur nouveau ; on
ne dit point une raison nouvelle, car celle-ci ne
change point l'homme : elle ne s'élève pas, elle s'é-
tend seulement davantage. C'est ce qui fait que l'É-
criture dit qu'iV n'y a que l'Esprit de Dieu qui
comprenne ce qui est de Dieu. Les choses du Ciel
dépendant de ces degrés sont ainsi ineftables à la rai-
son naturelle qui est dans le dernier. Cette élévation
de l'esprit humain est attestée par tous les témoigna-
ges. « Entre le Créateur et la créature, dit Yirey, il
;> s'opère une transfusion indéfinissable. Ce n'est,
» ajoute-t-il, et ceci est très-remarquable, ni par la
» raison, ni par la volonté que le génie s'ouvre, mais
» il faut qu'il se sente ému. (Art de perfectionner
l'homme, tom. II, pag. 378). La vocation excède la
» raison, celle-ci ne peut pas nous la donner. (Ibid.)
» C'est principalement au cœur qu'elle s'adresse; la
» science, l'intelligence s'augmentent par le travail et
» l'étude, mais la vocation est infuse en nous. (Id.)
» II est certain que le cœur est aiguillonné par des
» mouvements surnaturels en quelques occasions.
» (Id.) »
ET DE LA DIVINE SAGESSE 135

76. L'homme a en lui deux facultés qui le distin-


guent de la brute:La rationalité et la liberté.

Il y a deux facultés qui distinguent l'homme de la


bête : La rationalité par laquelle il discerne le bien
du mal, et elle réside dans l'entendement; la liberté
par laquelle il peut faire le bien et le mal, et la vo-
lonté en est le siège. Ce sont elles qui constituent tout
l'homme. C'est par elles que le Seigneur est dans
l'homme. C'est ce qui constitue l'immortalité de l'âme.
Selon que l'homme se sert de ces facultés pour ouvrir
les degrés supérieurs, il se rapproche de Dieu. Selon
qu'il s'en sert pour rester dans le degré naturel, il
reste dans l'éloignement de Dieu, N° 125.

77. L'Entendement de l'homme peut monter;


mais, sans chaleur, sa Volonté reste. Nos 12,
117 à 121.

La lumière spirituelle influe par les trois degrés en


l'homme, mais la chaleur spirituelle n'y influe qu'au-
tant que l'homme fuit les maux comme péchés. En
effet, l'homme comprend par l'entendement, et celui-
ci peut être séparé de la volonté dans laquelle réside
la chaleur de l'amour. Sans aimer une chose, on peut
y donner son attention et la comprendre ; mais sans
vertus, on ne peut aimer ce qu'enseigne la religion,
ni être échauffé de sa chaleur. Ainsi, l'entendement
136 DU n i V I X A M O L R

monte, et la volonté reste sans la chaleur spirituelle.


Ainsi, l'entendement a beau monter dans la lumière,
il n'emporte pas la volonté avec lui; il ne fait que lui
montrer la voie. La volonté, au contraire, qui est
tout l'homme, emporte l'entendement avec elle ; celui-
ci a beau être élevé, il revient bientôt à ce que l'homme
préfère. L'homme voit la vérité, mais il ne la retient
pas quand elle ne concorde pas avec ses penchants.
Quand on est dans le mal par goût, on ne tarde pas h
tomber dans le faux, parce que l'entendement ne
cherche que ce qui flatte la volonté. Ainsi, l'homme
ne peut se maintenir dans la lumière spirituelle, à
moins qu'il ne soit en même temps dans la chaleur :
tout ce qui ne concorde pas avec son enthousiasme
lui paraît froid. Quand l'homme est dans l'amour du
mal, il est nécessairement dans une affection opposée
à la religion, et celle-ci ne lui semble qu'un tissu de fa-
bles. C'est cette vérité qu'exprimé le Seigneur en di-
sant : « Nettoyez d'abord les intérieurs du vase. » Mnlc de
Staël s'exprime ainsi : « Purifiez votre âme, et l'ange
» des nobles pensées ne dédaignera pas d'y apparaî-
» tre. » Si on y faisait attention, l'on verrait que nous
sommes portés à croire, ou éloignés de la foi, dans le
monde, selon que nos penchants nous maîtrisent, ou
que nous en sommes les maîtres. Quelle plus sublime
philosophie que celle qui explique comment l'équili-
se rompt ou se rétablit dans l'homme, à mesure qu'il
y a union ou désaccord entre les deux facultés qui
sont chez lui le siège de l'amour divin et de la sagesse
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 137

divine! Après avoir fait une bonne action, comme


l'homme sensible est près de croire! Combien, au
contraire, celui qui croit déjà est-il tenté de rejeter
tout, quand les passions haineuses s'emparent de son
cœur !... A quelque degré que monte la sagesse, tôt
ou tard elle retombera dans son amour. Si vous êtes
dans le mal, vous ne croyez pas à la religion ; si vous
êtes dans le bien, vous sentez le besoin d'y croire.

78. C'est peu' l'élévation de l'Entendement que


l'homme se régénère. Nos 120, 123.

C'est par la faculté qu'a l'entendement de s'élever


dans la lumière du Ciel que l'homme peut se réformer
et se régénérer, voir ce qui lui manque, et y diriger
sa vie. C'est là sa rationalité ; c'est par elle qu'il pense
et exprime sa pensée. C'est le privilège qu'il a eu au-
dessus de la bête, N° 76.

79. Si les Degrés supérieurs ne s'ouvrent pas,


l'homme reste naturel et sensuel. Nos 122, 124

Puisque les degrés s'ouvrent successivement en


l'homme, les deux premiers degrés peuvent ne pas
s'ouvrir, et alors il reste dans le degré naturel qui
s'est ouvert d'abord. Pour que ces deux degrés s'ou-
vrent, l'homme doit mener une vie spirituelle et cé-
leste. L'homme est naturel, quand il ignore qu'il y a
des préceptes divins, ou quand, les connaissant, il ne
12*,
138 DU DIVIN AMOUR

les applique pas à sa vie. Il est sensuel, quand il les


méprise ou les renie. Alors il ne peut élever sa pensée
au-dessus des sens et reste au plus bas de l'échelle.
La volonté et l'entendement constituent l'homme.
Ainsi, l'homme naturel vit de cœur et de pensée avec
la nature; l'homme spirituel avec le Ciel. Le premier
se sert des choses naturelles pour elles-mêmes, le se-
cond s'en sert pour tout rapporter au Seigneur. Le
premier est dans les effets, le second dans les causes.
Ainsi, sitôt que l'homme entrevoit le spirituel dans la
nature, le degré spirituel s'ouvre en lui; ce qui arrive
lorsque, lassé de donner son cœur aux choses qui
passent, il ne désire plus que celles qui sont immor-
telles. Pascal a peint cet état avec énergie dans un
fragment sur la conversion du pécheur. C'est alors
que l'homme est vraiment homme : son corps suit la
terre, mais son âme suit les deux. Par celle-ci il
communique avec les Anges, tandis qu'au moyen de
l'autre il reste avec les hommes qu'il instruit, soulage
et fortifie. Alors le Seigneur vit en lui. Son esprit est
rempli de mille délices dans lesquelles il vient après
la mort. Il ne sait pas qu'il habite déjà le Ciel ; la di-
vine vérité l'éclairé comme une lumière ordinaire, et
l'amour divin l'échauffé comme une affection terrestre.
Chez ceux qui ne sont ni dans le véritaltle amour ni
dans la vraie sagesse, mais qui vivent moralement et
convenablement, le degré spirituel s'ouvre en partie.
L'amour seul et la sagesse seule ne l'ouvrent pas plus
que la chaleur et la lumière solaire, séparées l'une de
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 139

l'autre, ne font végéter les plantes. Savoir qu'il y a


un Dieu, une Rédemption, une Charité et une Foi,
sans chercher à s'en instruire, fait que le degré spiri-
tuel ne s'ouvre point. En effet, la charité est la fin, la
foi est la cause, les bonnes œuvres sont les effets;
mais celles-ci ne sont vivifiées par la charité que
quand elle-même est éclairée par la foi. Le degré spi-
rituel est fermé chez ceux qui sont dans les maux, et
qui confirment par les faussetés leur vie déréglée. Le
mal et le faux chassent ce qu'il y a de divin dans
l'homme, parce que le mal et le bien sont hétérogè-
nes; c'est pourquoi l'Écriture dit qu'on ne peut ser-
vir deux maîtres à la fois. Ce degré est fermé chez
tous ceux qui sont dans l'amour de soi et du monde.
Une fois fermé, ce degré repousse la lumière du Ciel,
car chaque chose animée admet ce qui lui est analo-
gue, et rejette le reste. A ceux-là, la religion est
odieuse. La bête n'a que le degré naturel; c'est ce
qui la distingue de l'homme : l'homme sensuel n'a au-
dessus d'elle que l'avantage de comprendre le vrai,
s'il le veut. L'abus de ces facultés, appelées rationa-
lité et liberté, le met au-dessous des bêtes, parce que
par cet abus il dégrade sa nature.

80. Le Degré qui s'om-re pleinement à la mort


peut s'ouvrir par l'assoupissement des sensations
du corps.

L'esprit naturel peut être élevé dans la lumière du


140 MJ DIVIN AMOUK

Ciel, et traduire en langage naturel les sensations an-


géliques, penser avec les Anges par l'influence de
ceux-ci. L'homme ne vient pleinement dans la sagesse
angélique qu'à la mort, mais il parvient quelquefois
jusqu'à elle par l'assoupissement des sensations du
corps. Tous les philosophes anciens confirment cette
vérité, aperçue par la physiologie. Le somnambulisme
la démontre aussi. Il résulte de là que tel a été
l'homme dans le monde, tel il est dans le Ciel ; car la
pensée spirituelle est substance et forme. Il y a un
corps spirituel aussi bien qu'un corps animal, comme
le dit l'apôtre Paul. Cette élévation, au reste, ne peut
avoir lieu chez les enfants du premier âge, chez les
fous, etc. La vie chez ceux-là n'a point les derniers
termes où elle opère ses dernières actions. Ceci est
expliqué plus haut.

81. Si les Degrés supérieurs s'ouvrent, l'esprit


naturel agit avec eux; s'ils ne s'ouvrent pas, il
agit contre eux. N° 2o.

L'esprit naturel, étant l'enveloppe des degrés supé-


rieurs, est réagissant. Deux principes, précédemment
posés, confirment cette assertion ; à savoir : Le der-
nier degré étant l'enveloppe des supérieurs, les ren-
ferme en puissance, N° 70. Celui qui n'agit pas par la
vie, agit contre elle, N° 2o. Un corps qui n'agit pas,
ne peut rester sans réagir ; la philosophie acquiesce
à ce principe. C'est là ce qui fait le combat entre
LT DE LA DIVINE SAGESSE 141

l'homme spirituel et l'homme naturel. « Je trouve en


» moi deux hommes, » disait Racine, mettant en vers
un passage de l'apôtre Paul. De là suit que si l'esprit
spirituel est fermé, l'esprit naturel agit sans lui, et
n'en reçoit rien ; son amour dominant l'empêche d'ad-
mettre un amour contraire, et s'il en fait parade, c'est
seulement extérieurement ; le mal est son plaisir :
« Là où est votre cœur, dit l'Écriture, là aussi est
» votre trésor. » II se confirme dans le mal par le
faux; et, dans cet état, il est perdu sans remède. Le
mal et le faux confirmés ne peuvent être extirpés que
par la pénitence ; et, après la mort, elle n'est plus pos-
sible. Mais quand l'esprit spirituel est ouvert, l'esprit
naturel lui obéit, se laisse guider par lui ; et comme
la cause est tout entière dans l'effet, la vie spirituelle
de l'homme est alors tout entière dans sa vie exté-
rieure; alors la réaction n'a plus lieu ; à sa place est
substituée la vie réelle, la seule que l'homme aurait
^connue sans la chute, et à laquelle il est mort par
suite de l'héritage que lui transmettent ses parents.
C'est ce changement de vie qui s'appelle Réformation
et Régénération.

82. L'origine du mal vient de l'abus des facultés


propres à l'homme, la rationalité et la liberté.
Le mal passe du père dans les enfants.

De tout temps, les philosophes ont cherché l'origine


du mal, et ont imaginé mille hypothèses plus ridicules
142 DU DIVIN AMOUR

les unes que les autres. L'attribuer à l'homme, c'est


la seule manière de satisfaire la raison et la religion.
En effet, de tous les êtres de la nature, l'homme est
le seul qui soit doué d'un principe spirituel. Puisque
le mal ne vient pas de Dieu, dont l'essence est l'amour,
il ne peut venir que du seul être qui soit doué d'un
principe spirituel ; car la matière n'a aucune volonté
dès lors qu'elle est matière; par conséquent, le mal
ne peut lui être attribué. Rousseau avait entrevu ces
vérités, quand il s'écriait avec tant d'éloquence :
« Homme ! ne cherche plus l'auteur du mal ; cet au-
» leur, c'est toi-même. Si l'homme est actif et libre,
» il agit de lui-même; tout ce qu'il fait librement
» n'entre point dans le système ordonné de la Provi-
» dence, et ne peut lui être imputé. » Écoutons à pré-
sent Swedenborg : « L'homme méchant jouit, comme
l'homme bon, de ces deux facultés, parce que l'enten-
dement de tout homme peut s'élever dans la lumière
divine, tout homme à le pouvoir de penser au bien,
et la liberté de ne pas le faire. Il aime le mal, mais il
peut y résister : voilà sa liberté. » Rousseau l'expli-
que absolument dans les mêmes termes. Tout le monde -
peut, mais tout le monde ne veut pas. L'homme mé-
chant abuse de ces facultés pour se confirmer dans le
mal et dans le faux, et l'homme bon s'en sert pour se
confirmer dans le bien et dans le vrai. La raison de
ceci, c'est que l'un et l'autre retiennent leur intelli-
gence dans les plaisirs de leur amour, afin que cet
amour ne s'éteigne pas, et trouve au contraire dans
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 143

l'esprit de nouveaux,aliments. On confirme de cette


manière ce qu'on veut, ce qu'on aime. Le propre
amour, l'intérêt, trafiquent ainsi de la rationalité,
tandis qu'il n'y a que l'amour véritable qui s'en serve
convenablement. Les sophismes de l'orgueil, les men-
songes de l'avarice n'ont pas une autre origine. Les
maux et les faussetés, confirmés chez l'homme, de-
viennent les propres de sa vie. Ce qui est confirmé
reste, et ce qui reste écarte toute autre chose : l'en-
tendement ne s'arrête pas ailleurs, la volonté ne dé-
sire pas d'autre bien; par conséquent tout l'homme
est là. Il porte avec lui l'enfer; il le constitue lui-
même. Il fait passer cet héritage funeste à ses enfants,
parce que l'âme vient du père : « Fils de mon âme ! »
disent les Orientaux à leurs enfants. Le corps seul
vient de la mère. La semence du mâle est telle qu'est
le mâle : c'est la forme de son amour qui devient ré-
ceptacle de l'âme chez le fils. L'amour de chacun est
semblable à l'individu même, et tend continuellement
à venir en la forme humaine. Ainsi, le mal hérédi-
taire passe du père chez le fils. De là le proverbe si
connu : Tel père, tel fils. De là cette ressemblance
des races, des familles, des nations; ressemblance que
la philosophie ne peut expliquer autrement. Ainsi,
par sa naissance, l'homme n'est que mal. Tous les
maux et toutes les faussetés résident dans l'esprit na-
turel, parce que lui seul est l'image du monde. L'es-
prit spirituel est l'image du Ciel, et le mal ne peut
séjourner dans le Ciel. ( Voir l'hymne célèbre du phi-
\ 44 DU DIVIN AMOUR
losophe Cléanthe, qui attribue missi le mal à l'homme
seul.)

83. Le diable est l'amour dominant, quand cet


amour est mauvais.

Les maux et les faussetés sont en toute opposition


contre les biens et les vérités, car l'esprit naturel est
la forme et l'image de l'enfer. Cette forme suppose
une substance comme sujet, ainsi que nous l'avons vu.
Ainsi, le diable est un être, puisqu'il n'y a pas de su-
jet sans forme, de forme sans substance, et d'être sans
existence. La perception commune ne se figure pas le
diable autrement que comme un être, seulement elle
applique à un seul ce qui appartient à plusieurs. Le
diable est l'amour dominant, quand cet amour se rap-
porte au mal,' et la troupe des diables dont parle l'É-
criture sont les affections qui constituent cet amour
chez l'individu et les pensées qui le confirment. La
forme suit l'état de l'âme, et chacun change de forme
en changeant d'état. Ainsi, chaque homme qui est
dans le mal est l'enfer dans une petite forme, car toute
forme spirituelle est semblable à elle-même dans les
plus grandes et dans les plus petites choses. En nous
disant : Supposez qu'il n'y ait d'autre enfer que les cri-
mes, les vices, les passions déréglées, les philosophes
ne savent pas combien ils fournissent d'arguments en
faveur de Swedendorg. Ces crimes, ces vices sont
substance et forme, voilà tout ce que prétend de plus
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 145

Swedenborg, et il démontre pleinement cette vérité,


N" 18. L'esprit naturel peut monter parjes biens et
par les vérités par trois degrés ; mais quand il est dans
le mal et dans le faux, il descend également par trois
degrés. Alors son amour dominant est dans le suprê-
me, la pensée du faux qui flatte cet amour est dans l'in-
termédiaire, et l'action qui en résulte dans le dernier.
Ces trois degrés sont opposés à ceux de l'esprit spi-
rituel et leur correspondent. Ainsi, il y a trois Cieux
et trois Enfers opposés par leur amour. De là vient que
les biens et les vérités du Ciel se changent en maux et
en faussetés dans les Enfers. L'influence est la même,
mais la forme qui la reçoit la change ; de là vient que
la forme du mal et du faux reçoit, selon son état, et
par conséquent selon sa conformation, le bien et le
vrai, et les dénature. C'est ainsi qu'un vase impur cor-
rompt la liqueur bienfaisante qu'il reçoit. Ainsi, l'es-
prit naturel est en toute opposition contre l'esprit spi-
rituel ; cela est évident, puisque le premier fait l'En-
fer et le second le Ciel. Rien n'appartient à l'être que
ce qu'il s'assimile par son amour. L'amour du mal re-
jette le bien, et l'amour du bien rejette le mal. L'un et
l'autre, en eflet, se nourrit de ce qui est analogue ù
sa substance. L'homme n a t u r e l , en descendant vers
l'Enfer, de vivant qu'il était, devient mort. C'est dans
ce sens aussi que l'Écriture parle de ceux qui sont en
Enfer, quoique dans le monde. Elle les appelle des
morts. Les Pythagoriciens, par exclusion aux autres
hommes, se nommaient aussi des vivants.
13.
146 DU DIVIN AMOUR

84. L'Action est l'entendement et la volonté ma-


nifestés.

Tout ce qui appartient aux trois degrés de l'esprit


naturel est renfermé dans les œuvres qui résultent
des actions du corps. En effet, les œuvres résultent
toutes de la volonté et de l'entendement. L'action est
l'entendement et la volonté manifestés, car l'action
est le dernier degré qui contient les deux autres.
Nos 70, 71. Ainsi, il n'y a rien qui n'ait un but dans
l'action; et si on ne remonte pas de suite aux causes
déterminantes, c'est parce que chaque degré est sé-
paré d'un autre degré, et ne parait qu'exister seul et
s'étendre seulement par continuité. Ainsi, l'œuvre du
corps qui, considérée extérieurement, paraît simple
et nue, renferme réellement la volonté et l'entende-
ment. C'est ainsi que l'âme se moule dans le corps.
« Un sot, dit une femme célèbre, ne prend jamais son
» chapeau de la même manière qu'un homme d'es-
» prit. » C'est que, dans ce mouvement, si peu impor-
tant qu'il soit, il y a de l'âme. Chex le premier il y a
la défiance qui le rend gauche, et chez l'autre l'assu-
rance qui donne l'adresse et la grâce. Il y a des gens
assez clairvoyants pour juger un homme d'après sa
mise, sa tournure, son allure, ses gestes, le son de sa
voix. Il y a autre chose que de la mémoire dans le
langage d'un homme, autre chose que de la science
dans le choix dos mots. Les Anges jugent les hommes
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 147

par leurs paroles et par leurs actions. De là vient que


l'Écriture dit que chacun sera jugé selon ses œu-
vres, et rendra compte de ses paroles.

85. Comment a été créé l'Univers.

Le Seigneur a créé de Lui-Même et non de rien


l'univers et tout ce qu'il renferme, N° 22. Jacob
Boëhme a démontré ce point de doctrine. Il est impos-
sible, en effet, que de rien il soit fait quelque chose,
car rien n'est rien, et de ce qui n'est pas faire ce qui
est, cela implique contradiction. Toutes choses ont été
créées d'une Substance qui est Substance en soi, car
elle est l'Être même par qui peuvent exister toutes les
choses qui sont; et comme Dieu seul est la Substance
en soi, et conséquemment l'Être même, il s'ensuit
qu'il ne faut pas aller chercher ailleurs l'existence
des choses. Néanmoins, l'univers créé n'est pas Dieu ;
l'intime de la nature n'est pas Dieu, car la nature est
dans le temps et dans l'espace, et Dieu est hors Su
temps et de l'espace, quoique dans le temps et l'espace.
86. En songeant à Dieu comme Homme d'après l'i-
dée du temps et de l'espace, on ne peut comprendre
comment il aurait pu créer l'univers et rester présent
à son ouvrage. C'est cette difficulté qui rend scepti-
ques la plupart des hommes, et leur fait nier surtout
la Divinité du Seigneur. Comment, disent-ils, pendant
qu'il habitait la Palestine, avait-il conscience de ce
qui se passait dans les autres parties de la terre, et
•1-48 DU ni VIN AMOUR
sur les mondes innombrables qui roulent au-dessus
de nos têtes? Comment aurait-il pu créer l'univers
d'espace en espace, et se rendre d'un lieu à un autre,
puisque le vol de la lumière lui-même n'a pu depuis six
mille ans faire encore paraître certains astres à nos
yeux ? Ces difficultés s'évanouissent pour celui qui
pense à Dieu sans espace. Or, cette notion n'est pas
difficile à acquérir. L'esprit n'est pas dans l'espace,
puisqu'il perçoit le spirituel sans espace. La pensée qui
est dans le monde peut être au même instant présente
à tous les espaces. Tel est l'état des Esprits et des An-
ges, et par conséquent celui du Seigneur. L'intime de
la nature est continu, mais Dieu ne l'est pas, parce
qu'il n'est pas dans l'espace, N° 5. (Voir la Palino-
die d'Orphée, où Dieu est considéré comme Homme.)
87. Dieu n'eût pu créer l'univers, s'il n'eût été
Homme, car il est le Bien et le Vrai, l'Amour et la
Sagesse dans leur source; et aucun être sur la terre,
excepté l'homme, ne présente ces attributs. Ces qua-
lités n'existent pas séparées de l'homme : l'homme
est leur sujet; hors de lui, elles ne sont plus. L'A-
mour et la Sagesse ne peuvent exister que dans une
forme, N° 18. La Genèse dit que l'homme a été créé
à l'image de Dieu. De ce que Dieu est Homme, il s'en-
suit que les Anges ont également cette forme; et le
Ciel, dans son entier, est dans la forme de toutes les
parties de l'homme. C'est sans doute cet arcane qui,
mal interprété, a donné naissance à l'astrologie ju-
diciaire. Les attributs divers, hors de la forme lui-
ET DE LA DIVINE SAGESSE 149

maine, sent de purs êtres de raison. ( Voir l'Exorde


du poëme d'Aratus, cité par l'apôtre Paul.)
88. Le Seigneur a produit Lui-Même le Soleil spi-
rituel, par lequel toutes choses ont été créées. Il y a
dans le Ciel une sphère d'affections et de pensées ré-
sultant de ces affections. Cette sphère entoure chaque
Ange et manifeste sa présence. Cette sphère ambiante
n'est pas l'Ange même, mais elle est composée de
toutes les parties de son corps, duquel ces substances
émanent comme un fleuve. Ces substances contiguës
à son corps sont mises en mouvement par le cœur et
le poumon. Autour de Dieu est une semblable sphère,
qui est le Soleil spirituel, N° 29. Ces sphères donnent
l'origine du magnétisme ; car l'homme comme l'ange
est doué, de cette sphère. Chaque objet est environné
de quelque chose d'analogue à ce qui est intérieure-
ment en lui ; de là vient qu'on magnétise les arbres
et même les terres. Le monde naturel, dit Sweden-
borg , qui prédisait ainsi le magnétisme avant qu'il
fût connu, tire ceci du monde spirituel, et le monde
spirituel du. Divin. Ces sphères ne sont pas plus
l'homme et l'Ange que l'univers n'est Dieu. Elles font
un avec l'Ange et avec l'homme, parce qu'elles s'ac-
cordent; et elles s'accordent, parce qu'elles sont ti-
rées des formes de leur corps, qui ont été les formes
de leur vie.
150 DU DIVIN AMOUR

89. L'Usage est le contenant de l'Amour et de lu


Sagesse, et l'Atmosphère est ce qui le mani-
feste.

La troisième chose qui procède du Seigneur, après


l'amour et la sagesse, est l'usage. En eii'et, l'amour a
l'usage pour fin, et c'est ce qu'il tend toujours à pro-
duire. Qu'est-ce qu'aimer, si ce n'est aimer quelque
chose ; cet objet aimé est donc l'usage. C'est donc l'u-
sage qui est le contenant de l'amour et de la sagesse;
et il en est le contenant, parée qu'il est au dernier
degré qui est l'ensemble et la base des degrés anté-
rieurs. C'est de Dieu comme homme que tous les
usages tirent leur origine, et c'est vers lui qu'ils
tendent; c'est pourquoi l'univers est l'image de Dieu.
Il n'y a d'usage que ce qui provient de Dieu; ce qui
provient de l'homme n'est pas. L'atmosphère est ce
par quoi Dieu se manifeste dans l'usage, comme il
manifeste son amour par la chaleur, et sa sagesse par
la lumière. En effet, l'atmosphère est le contenant de
la chaleur et de la lumière. Sans l'atmosphère elles
se répandraient dans le néant; il leur faut un conte-
nant. Ici apparaît la théorie des physiciens de nos
jours qui veulent trouver l'origine de toutes choses
dans la matière gazeuse. L'atmosphère participant de
l'essence de l'Être d'où elle provient, est la nourrice
de toutes les choses créées, et en produit toutes les
variétés. En pensant à Dieu sans espace, il résulte
ET DE LA DIVINE SAGESSE. loi

que rien ne vit que par Lui, que rien n'a de mouve-
ment que par la vie reçue de Lui, et que rien n'existe
que par le Soleil procédant de Lui. C'est ce que di-
sait autrefois l'apôtre Paul, — Act. XVII. 28, — tra-
duit par Voltaire :

Tout se meut, tout respire et tout existe en Dieu.

90. Les Substances terrestres tirent leur origine


des Atmosphères gui procèdent du Soleil spi-
rituel.

Les atmosphères, au nombre de trois dans les deux


mondes, se terminent dans leurs extrémités en subs-
tances, telles qu'elles sont sur la terre. C'est absolu-
ment l'hypothèse de Laplace, qui a prétendu (Système
du monde, tom. II) que la terre et les planètes s'é-
taient formées par la condensation des couches ga-
zeuses de l'atmosphère solaire. La chimie de nos jours
a démontré la possibilité de réduire les corps solides
à l'état gazeux. Chladni a pensé d'après cette théorie
que les aérolithes s'étaient ainsi formés dans l'atmo-
sphère terrestre. La minéralogie connaît certaines
substances formées de gaz. Haûy signale des produits
dans les laves des volcans, postérieurement à l'époque
où celles-ci ont coulé. Ainsi, voilà Swedenborg d'ac-
cord avec toutes les lumières de la science moderne.
Les atmosphères, dit-il, décroissant progressivement,
sont de plus en plus comprimées et dépourvues d'ac-
152 DU DIVIN' AMOUR

tivité, en sorte qu'elles se terminent en substances


matérielles dans leurs extrémités. Les intermédiaires,
existant entre tous les êtres et tous les corps, démon-
treni que le soleil de la nature ne peut produire toutes
choses au moyen de son atmosphère, sans une chose
préexistante; celle-ci est le Soleil spirituel qui émane
de Dieu-Homme.

91. L'état matériel est celui où l'activité s'arrête.


N° 53.

Les substances matérielles provenant des atmo-


sphères retiennent de celles-ci une disposition et une
tendance à produire des usages. Tout ce qui existe
tire de là son origine et sa progression, passant ainsi
de l'état le plus pur à l'état matériel où tout finit et
s'arrête.
92. Ces matières existent par le Divin, mais n'ont
rien de lui. Elles sont la fin des atmosphères, comme
le froid est le dernier terme de la chaleur, l'ombre le
dernier terme de la lumière, l'inertie le dernier terme
de l'activité; cependant elles ont conservé par conti-
nuation de la substance du Soleil spirituel ce que le
Divin y a mis, N° 80.

93. Les Usages sont la fin de la Création. N"s 24,


5o.

En effet, que signifierait un univers qui ne serait


Eï DE LA DIVINE SAGESSE. 153

propre à rien ? Gomment l'Amour divin et h Sagesse


divine pourraient-ils produire quelque chose qui ne
les manifesterait pas? Pourquoi une création sans une
intention, et par conséquent un univers sans visages?
Sans doute, l'homme se trompe dans la recherche des
usages. Il voit- des causes finales où il n'y en a pas;
mais l'abus d'une chose en prouve l'existence; et si le
savant se trompe à la recherche d'une cause, c'est
qu'il sait qu'elle doit exister. L'œil n'a-t-il pas été
créé pour voir, l'oreille pour entendre? Personne ne
nie cela. (Voir là-dessus Rousseau, Bernardin de
Saint-Pierre, Pluchc, etc., etc., Fénélon surtout et
Cicéron.)
94. Les substances matérielles ont une tendance à
produire des formes. En effet, ces substances sont
les extrémités des atmosphères procédant du Soleil
spirituel comme source de tout usage. Contenues en
liaison par les atmosphères avec lesquelles elles s'ac-
cordent dans leur état fixe, elles retiennent les qua-
lités de leur principe et produisent des formes d'u-
sage, N° 19. Elles ne les produisent pas ainsi d'elles-
mêmes, mais par une communication à laquelle les at-
mosphères qui leur sont analogues servent d'inter-
médiaires. De là vient que la semence, qui en soi est
morte, n'est pas plutôt mise en communication avec
l'atmosphère qui la vivifie et qui lui est analogue,
qu'elle produit une forme d'usage. La vie d'origine
spirituelle qui influe en elle lui fait tirer de la ma-
tière inerte une forme qui pousse et croit. La plante
loi DU DIVIN AMOUR

devenue forme sert au règne animal, et celui-ci est


subordonné aux besoins de l'homme : admirable éco-
nomie par laquelle, en effet, la création retourne à
son Auteur ! Ainsi, la terre a dû commencer à se cou-
vrir de semences. Sa première tendance n'a pu être
autre. L'observateur naturaliste ne peut concevoir
autrement l'origine de la nature. Le roc nu se couvre
d'abord de lichens dont les détritus donnent naissance
à la mousse; la mousse forme le premier humus qui
sert de support aux graminées; celles-ci voient naître
parmi elles des plantes plus vigoureuses, au milieu
desquelles s'élèvent bientôt des arbrisseaux, puis en-
fin des arbres. La première semence suppose, sans
doute, un commencement; mais les atmosphères dont
parle Swedenborg expliquent à la fois la génération
spontanée et celle qui suit les lois de la reproduction.

9o. L'Image de la Création est dans toutes les


formes.

Dans toutes les formes, il y a quelque image de la


création. Les formes minérales, soit qu'on les consi-
dère dans les premières molécules dont se forment les
cristaux, soit qu'on examine la variété infinie de ces
cristaux eux-mêmes, soit enfin qu'on les étudie à l'é-
tat d'agrégats on de roches, représentent la création
en image, en ce que, mises en action par les atmo-
sphères, elles produisent d'elles-mêmes des usages
dans leurs formes. L'état actuel de la science miné-
ET DE LA DIVINE SAGESSE.

ralogique prouve cette assertion. Haiïy ne s'exprime-


rait pas autrement, en parlant des trois sortes de
formes de minéraux que signale ici Swedenborg. Les
végétaux présentent l'image de la création, en ce que,
procédant de semences, ils en produisent de nouvelles
jusqu'à l'infini, et que ces semences, qui sont les fruits,
sont en même temps les usages. La chaleur et la lu-
mière physiques ouvrent seulement" les semences ;
mais la vie qui s'y introduit ne vient pas d'elles, car
la lumière et la chaleur physiques ne sont point intel-
ligentes. C'est donc le Soleil spirituel qui agit; c'est
lui seul qui grave dans les choses inertes l'image de
la création ; et afin que cette image devienne un usage
fixe et durable, il l'identifie à la matière. Le règne
animal offre cette image non moins sensible, puisqu'il
produit des êtres qui en produisent de nouveaux. C'est
ce qui fait la ressemblance exacte des deux règnes.
C'est de là que vient dans la poésie la comparaison si
fréquente des passions animales et des états de la
plante, N° 23.

96. L'Image de la Création est dans l'homme.

En effet, en lui l'amour et la sagesse tendent à l'u-


sage, la charité et la foi aux œuvres, la volonté et
l'entendement à l'action. En lui les dernières choses
reviennent aux premières; car les œuvres provenant
de la charité et de la foi, ou de l'amour et de la sa-
gesse, ont pour fin les qualités mêmes qui les ont
156 DU DIVIN AMOUR

produites. En lui, par l'acte matériel, le plaisir de


l'amour dominant qui en a été le principe reflue jus-
qu'à cet amour, comme l'univers qui est l'acte maté-
riel du Seigneur retourne à lui. La jouissance de
l'œuvre môme est l'usage.

97. Dans toutes les Formes de l'usage est gravée


l'image de l'infini et de l'éternel. N" 22.

Une seule plante tend à couvrir l'espace entier du


globe, et si sa reproduction n'était pas plus arrêtée
dans le temps que dans l'espace, elle tendrait à cou-
vrir tous les globes jusqu'à l'infini. Cette tendance
n'a jamais cessé et ne cessera jamais. La matière
n'offre ainsi le sceau de l'infini et de l'éternel que
parce qu'elle provient de ce qui est infini et éternel.
Les variétés des formes en sont encore une image.
Rien ne se ressemble; deux brins d'herbe qui parais-
sent semblables ont quelque chose qui les différencie.
Il n'y a pas deux physionomies exactement semblables,
ni deux esprits pareils. L'éducation tend à les rendre
égaux et à effacer en eux leur nature première, mais
M'110 de Staël a démontré combien ici l'éducation avait
tort.
98. Toutes choses représentent l'homme dans une
sorte d'image. Cetic vérité, qui atteste que Dieu est
Homme, X" 23, avait été aperçue par les anciens, qui,
instruits par la science des correspondances, appe-
laient l'homme microcosme. Le monde snirituel oifrc
ET DE LA. DIVINE SAGESSE. lo~

les mêmes choses que le monde naturel, et ces choses


paraissent autour de l'Ange selon le désir ou l'affec-
tion, comme s'il les créait. Tout change quand son
intérieur change; tout revient quand son affection re-
vient. Les substances de son monde ne sont pas fixes,
mais spirituelles. Il n'y a de fixe que ce qui se rap-
porte au temps et à l'espace ; hors de là, rien n'existe
que ce qui se rapporte à l'affection et à la pensée.
Ainsi, l'homme-ange voit son image dans tout ce qui
l'environne. Tout, en effet, correspond aux états de
son âme : l'univers est sa pensée rendue sensible : à
la source de la vie, il ne crée pas avec la matière,
mais avec les essences spirituelles qui donnent la vie
à la matière. L'architecte qui voit l'édifice dans sa
pensée le crée; le manœuvre qui bâtit d'après les
idées de l'architecte rend sa pensée sensible, mais ne
la crée pas. Si toutes ces choses paraissent autour de
l'homme-ange, il est évident qu'elles tiennent leur
existence du Seigneur seul, et que c'est par commu-
nication que l'Ange reçoit la puissance de les évoquer.
Récipient de la puissance créatrice, il l'exerce.

99. Chaque chose n'est Usage que dans le degré


où elle se rapporte à l'homme, et par l'homme
au Seigneur.

En effet, s'il y avait d'autres usages que ceux-là,


la création n'aurait pas.un but unique, une destination
unique. La créalion ne retourne à son Auteur que
\ 58 DU DIVIN AMOUR

par les usages remontant à Lui par l'homme; et c'est


seulement par là qu'il y a conjonction. La fin de la
création, en effet, est la formation du Ciel angélique.
Le genre humain est ainsi la pépinière du Ciel; tout
se rapporte donc à l'homme. Les usages corporels
sont tout ce qui sert à la nourriture, au vêtement, à
l'habitation de l'homme et à sa conservation. Bien des
choses sont superflues, mais le superflu ne détruit pas
l'usage; au contraire, il le confirme. Il en est ainsi de
l'abus : l'abus ne prescrit pas contre une chose, il en
établit l'existence. C'est ce que le proverbe vulgaire
exprime si bien quand il dit : // ne faut pas vivre
pour manger, mais manger pour vivre. Les usages
rationnels sont les sciences et les études : l'histoire
qui apprend aux peuples et aux rois à profiter des
fautes de leurs ancêtres ; la littérature qui fait aimer
le vrai ; la poésie qui exalte en l'homme l'admiration
et l'amour; l'histoire naturelle qui nous fait voir par-
tout la main de Dieu. Les usages spirituels sont les
choses de la religion. Les usages corporels soutien-
nent la vie physique, les usages rationnels perfection-
nent la vie morale, et les usages spirituels la vie reli-
gieuse qui est la véritable et le but des deux autres.
En effet, la conjonction n'a lieu que par elle. L'homme
ne peut être spirituel, s'il n'est rationnel auparavant;
et il ne peut devenir rationnel, si son corps n'est dans
un état de santé. Ces usages sont chez l'homme en
usufruit; ce sont des dons gratuits pour l'Ange. La
création de toutes ces choses est instantanée pour
l'Ange: pour nous, elle est graduelle.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 159

100. La Gloire n'appartient qu'à Dieu.

Qu'on ne croie pas que le Seigneur ait besoin de


ces usages. Il ne demande pas pour lui notre encens,
nos vœux, la gloire que nous dispensons. Ce n'est pas
pour lui qu'il veut qu'il y ait conjonction, mais pour
nous. Son essence est l'amour, et l'amour n'aime pas
les autres pour soi, mais pour eux-mêmes. La mère
ne couvre pas son fils, ne le réchauffe pas dans son
sein pour elle, mais pour lui. En adorant Dieu, en lui
attribuant toute gloire, l'homme se détache de lui-
même, et alors le divin influe en lui. Pour recevoir
Dieu, il faut une abnégation complète de soi, une âme
simple, comme l'a si bien remarqué Bernardin de
Saint-Pierre. Tout le culte prend là son origine. En
s'humiliant devant le Seigneur, l'homme s'attendrit,
son cœur s'ouvre, ses genoux fléchissent, et aussitôt
de ses lèvres tremblantes s'échappe sa prière qui l'u-
nit à son Auteur. Ainsi, le culte est dans la pratique
des préceptes, et par conséquent dans les usages qui
rapportent tout à lui.

101. Les mauvais Usages sont nés avec l'Enfer.


Nos 103, 104.

Les mauvais usages n'ont point été créés par le Sei-


gneur, mais ils sont nés avec l'Enfer. En effet, de la
Miséricorde et de l'Amour même, il ne peut naître
1 60 DU DIVIN AMOUR

que le bien. Si le mal existe, comme on n'en peut


douter, il faut l'expliquer ou par des défauts inhérents
à une matière rebelle à son maître, ce qui est absurde,
car la matière est passive, ou par un système dans le-
quel le bien général est tiré de quelques maux parti-
culiers, ce qui taxe Dieu d'impuissance : il n'y a donc
qu'un principe spirituel mauvais qui puisse produire
le mal. Ainsi, tout ce qui nuit à l'homme est mauvais
usage, quelqu'effort que fasse la philosophie pour nous
persuader que tout est utile et à sa place dans le
champ si vaste de la création. Anéantissez une seule
classe parmi les végétaux ou les animaux, nous dit-
elle', cette destruction amènera peut-être celle du
genre entier, et par la liaison des genres entre eux,
celle des deux genres supérieurs. Ainsi, d'après ce
raisonnement, l'Angleterre aurait eu tort d'anéantir
les loups chez elle; cependant depuis qu'ils en sont
disparus, on ne voit pas que les choses en aient été
plus mal. Il semble étrange, et presque superstitieux
dans notre siècle, d'attribuer le mal à l'Enfer; nous
attachons à ce mot des idées si basses, si puériles,
qu'on ne peut presque plus l'employer sans se com-
promettre. Mais ici ce mot est de la langue philoso-
phique. S'il y a un amour bon, il y en a un mauvais;
quelqu'idée qu'on se fasse de celui-ci, c'est lui qui est
l'Enfer. Rien n'existe dans ce monde qui n'ait sa cause
et son origine dans l'autre. Ce qu'il y a de bon vient
ainsi du Seigneur, et le mal, de l'Enfer. Tout ce qu'il
y a de mal sur la terre en provient, parce qu'il est
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 161

impossible de concevoir le mal se produisant tout


seul; et s'il est produit par quelque principe, c'est
nécessairement par celui-là, car le spirituel seul influe
sur le naturel.

102. Le Mal n'est pas produit par la matière.

11 y a une influence perpétuelle du monde spirituel


sur le monde naturel ; celui-ci ne montre que les effets
dont les causes sont dans l'autre. La nature ne pro-
duit rien d'elle-même, parce qu'elle est passive, et
qu'il n'est pas de l'essence de ce qui est passif d'agir
par soi-même. Ce qui est passif n'est mis en mouve-
ment que par une cause active, et la nature ne pro-
duit pas plus les corps et les êtres que nous voyons
que l'instrument ne produit par lui-même des effets
quelconques. L'ouvrier met l'instrument en mouve-
ment quand il veut opérer ces effets. Il en est ainsi du
Seigneur à l'égard de la nature. Que Newton me
montre, s'écrie Rousseau, la main qui a lancé les pla-
nètes dans la tangente de leurs orbites. Ainsi, c'est le
monde spirituel qui manifeste à nos yeux les mer-
veilles dont nous sommes témoins. C'est lui qui donne
la forme et unit cette forme aux substances maté-
rielles qui la rendent constante et fixe. Ce monde spi-
rituel procède du Soleil où est le Seigneur et qui s'é-
tend jusqu'aux extrêmes de la nature. Tout prend vie
par ce monde, et tout la conserve par lui.

l/i*.
162 DU DIVIN AMOCll

103. Le Malpliysique est la forme d'une Affection


spirituelle à laquelle il correspond.

Ainsi, l'influence de l'Enfer produit les choses nui-


sibles, dans les lieux qui leur correspondent. Cette
influence ne paraît pas avoir besoin des germes pour
produire. Elle produit spontanément quand dans un
lieu se trouvent les exhalaisons propres à cette pro-
duction. Une fois éclos, les animaux se propagent par
les moyens ordinaires, parce que tout animal naît avec
tous ses viscères, et par conséquent avec les organes
de la génération au moyen desquels il se propage,
parce qu'en tout principe de vie, soit bon, soit mau-
vais, est l'image de l'éternel et de l'infini, N° 97.
Ainsi, toute chose nuisible tire son origine immédiate
de l'influence des Enfers. Pluche a lourdement plai-
santé ceux qui croient à la génération spontanée;
mais Buftbn a donné d'assez solides raisons d'y croire.
Des naturalistes, profonds observateurs, ont été amè-
nes à la même opinion d'après l'expérience. De ce
qu'une chose liait de l'esprit, il en résulte nécessaire-
ment qu'il y a conjonction entre les deux mondes. Le
monde spirituel est conligu à celui-ci. Le Ciel est
chez les bons, l'Enfer est dans le cœur des méchants.
Ce monde n'est pas dans l'espace, mais il est où sont
les affections. Quand une affection infernale rencontre
son homogène sur la terre, elle lui donne sa vie; et
le spirituel une fois en être, a une tendance constante
ET DE LA DIVINE SAGESSE 163

à se revêtir d'un corps. Ainsi, une affection spiri-


tuelle est vie, et paraît dans l'autre monde sous une
forme qui lui correspond ; cette forme, soit animale,
soit végétale, se conserve tant que dure l'affection qui
Fa produite. Si celte affection cesse, l'objet disparaît,
parce qu'il n'a plus le principe de vie qui était en lui.
L'affection d'un Ange, par exemple, paraît hors de
lui comme un être; et si cet être était uni aux sub-
stances matérielles tirées de la terre, sa vie serait
fixée, et il la propagerait dans d'autres. Ainsi, la na-
ture ne sert qu'à fixer par des substances matérielles
la vie et la forme émanées du monde spirituel.

104. Le Mal physique est une conséquence du libre


arbitre de l'homme.

Le dernier degré spirituel séparé de son principe


opère ainsi les mauvais usages de l'Enfer. Ceci est la
conséquence naturelle de ce qu'on vient de lire. Ainsi,
l'Enfer n'est point en lui-même dans les animaux et
les végétaux nuisibles. Ceux-ci ne sont pas actifs
par eux-mêmes; ils sont simplement les substances
matérielles par lesquelles s'est fixée l'affection des
Esprits infernaux. Ainsi s'expliquent les choses mau-
dites sur une terre où tout atteste la bonté et la sa-
gesse de son Auteur. Le Seigneur ne produit rien que
de bon, mais l'homme a la puissance de changer le
bien en mal. Demander maintenant pourquoi le Sei-
gneur permet le mal, c'est demander pourquoi il a fait
164 DU DIVIN AMOUR

l'homme libre. Il ne pouvait empêcher le mal sans at-


tenter à cette liberté, par conséquent sans détruire
son ouvrage; et c'est dans ce sens seulement qu'on
peut dire avec les Optimistes qu'un petit mal a été
permis pour un grand bien. C'est encore une vérité
qu'a fort bien aperçue Rousseau.

105. La Brute est dans le dernier degré discret.


N° 79.

Les deux formes qui existent sur la terre, la forme


animale et la forme végétale, tirent leur origine du
Soleil du monde spirituel ; d'où il suit que ces formes
existent également dans le monde spirituel : la nature
ne leur donne que leur état fixe au moyen des sub-
stances qui sont en elle. Tous les animaux sont dans
le dernier degré discret, qui est le naturel ; mais ils
sont en même temps dans les divers degrés continus
de ce degré discret : de là vient la progression chez
eux des plus parfaits aux moindres. Tous néanmoins,
qu'ils soient dans la lumière ou dans l'ombre de ce
degré, n'en peuvent sortir pour s'élever à un degré
supérieur ; car cette faculté n'appartient qu'à l'homme.
C'est pourquoi la brute ne peut regarder autre part
que vers la terre, vers la pâture qu'elle y trouve, et
vers ses semblables pour la propagation. Leur âme,
c'est leur appétit et leur affection ; c'est là ce qu'ils
tirent du spirituel, comme le végétal en tire ce qui le
rend propre aux usages. ( Voir, sur l'âme des bêtes,
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 165

un très-beau morceau d'éloquence dans l'Emile et


dans les Études de la Nature.)

106. Il y a deux Mondes, et il y a influence du


monde spirituel sur le naturel.

Le tableau de l'univers créé atteste que la nature


ne produit rien, mais que tout est produit par l'in-
fluence du monde spirituel. ÎXieuwenlil, Bernardin de
Saint-Pierre, M. de Châteaubriant ont prouvé ceci;
Pluche également. Le Soleil, dit-on, par sa chaleur
produit tout; tout le monde le dit, mais peu de gens
se confirment dans cette opinion, et il n'y a de cou-
pable qu'une opinion confirmée, N° 36. En admettant
le Soleil spirituel et l'influence qui en procède; en ad-
mettant l'existence du monde spirituel et sa présence
chez l'homme, on ne peut plus rien attribuer à la na-
ture. En effet, cette théorie seule explique confinent
le Divin produit tout, sans être dans l'espace; com-
ment il permet le mal, sans que le mal lui puisse être
attribué. Ainsi, la nature n'a point une puissance vi-
tale qui lui ait été communiquée dès la création. Le
Seigneur opère dans chacune des choses de la nature,
ce qui se prouve par les merveilles qu'elle nous offre.
Chaque végétal se perpétue de lui-même, comme si la
semence avait la connaissance de l'ordre qu'elle doit
suivre pour se renouveler. Le soleil qui est pur feu
peut-il avoir cette connaissance, ce plan arrêté? Com-
ment une force aveugle répandue dans la nature et
166 DU DIVIN AMOUR

mise en jeu par la chaleur et la lumière produirait-


elle quelque chose qui attestât l'intelligence la plus
parfaite? Ceci est absurde, et l'éloquent auteur de la
profession de foi du Vicaire Savoyard l'a pleinement
prouvé. Quel autre que le Seigneur même pourrait
produire ces merveilles et les disposer en usage ? Qui
a disposé les organes des animaux pour la reproduc-
tion de leur espèce? Qui a donné au poulet renfermé
dans sa coque tout ce qui lui est nécessaire jusqu'à sa
sortie ? Faites au naturaliste toutes les questions du
Livre de Job, et il n'y répondra qu'en se jetant dans
d'inintelligibles abstractions, ou en concluant comme
l'ignorance que tout ce qu'on ne voit pas n'est rien.
Mais la vue de l'œil est-elle donc si sûre d'elle ? Par
la même raison, elle pouvait nier les satellites de Ju-
piter avant la découverte du télescope. Elle pouvait
nier aussi l'existence des animalcules microscopiques.
Si nos instruments perfectionnés lui ont donné un tel
démenti, comment peut-elle dire qu'il n'existe que ce
qu'elle voit? Jugeons de bonne foi d'abord, nous ne
tarderons pas ensuite à être éclairés. Chacun peut se
confirmer pour Dieu, s'il le veut, par le spectacle de
la nature. Qui a donné à l'oiseau l'instinct de con-
naître les aliments, de discerner ses ennemis, de pré-
voir la saison avant qu'elle arrive, de retrouver au
printemps suivant la demeure qu'il a quittée l'automne
de l'année précédente?
Qui développera ce nid qu'avec tant d'art,
Au même ordre toujours architecte fidèle,
A l'aide de son bec maçonne l'hirondelle?
(RICIKE le fils.)
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 167

Qui lui a appris le moment de l'accouplement, le


temps qu'elle doit couver? Qui lui inspire les soins
de la maternité, soins qu'elle oublie sitôt que sa pro-
géniture est en état elle-même de perpétuer sa race?
Ce n'est pas la chaleur du soleil qui inspire ces affec-
tions, mais l'amour divin seul reçu dans les extrêmes
de la nature. Qui a appris à cette chenille à filer sa
soie, à se renfermer pour attendre un autre état,
image de l'homme destiné à ramper un moment sur
la terre pour s'élever ensuite dans le Ciel? Pythagore,
comme Swedenborg, a vu dans cette métamorphose
non pas seulement l'emblème, mais la représentation
de l'immortalité. C'est cette pensée que M. de Lamar-
tine a rendue en vers dans la Mort de Socrale.
Par quelle puissance inconnue enfin le Soleil inspi-
rerait-il aux abeilles l'instinct sublime qui les réunit
en société, qui leur fait connaître un gouvernement?
Si l'on admet l'influence spirituelle, tout s'explique;
mais parler d'une influence de la nature sur la nature,
c'est substituer l'inconnu au connu, l'absurde au rai-
sonnable. Penser qu'il sorte quelque chose de moral
ou de spirituel de la matière qui n'a rien, c'est une
chose impossible à l'homme de bonne foi. Comment la
nature aurait-elle l'usage pour fin, et disposerait-elle
les choses en usages et en séries? Comment ce qui
n'est rien produirait-il la sagesse? Ce n'est pas du
côté de l'incrédule que se trouve ici la vraisemblance.
168 DU DIVIN AMOUB

107. L'Homme a été créé à l'image et à la res-


semblance de Dieu.

La volonté est chez l'homme le réceptacle de l'a-


mour divin et l'entendement le réceptacle de la sa-
gesse divine; c'est ainsi qu'il a été créé à l'image et
à la ressemblance de Dieu,—Genèse, I. 26 : — image,
quand il reçoit la divine sagesse, parce que l'amour,
qui est l'être de la vie se manifeste par la sagesse;
ressemblance, quand il reçoit le divin amour, parce
qu'alors il vit de la source de la vie même. L'amour
brille par là sur la face des Anges, et la sagesse dans
leur beauté; car la beauté chez eux est la forme de
l'amour. L'homme n'est ainsi l'image et la ressem-
blance de Dieu que quand Dieu fait sa vie par l'interne.
C'est là seulement que l'homme la puise, Nos 1, 12
et suivants.

108. La Raison n'a que des vraisemblances.

L'amour Divin étant la vie de l'homme, pour que


le Seigneur entre en l'homme, il est nécessaire qu'il
ait créé deux réceptacles pour les deux qualités qui
forment son essence. Or, c'est par l'amour et la sa-
gesse que toute vie est dans l'homme. De quelque
manière qu'où considère l'homme, il n'est homme que
par là. Cette dualité est attestée par l'Écriture et par
la philosophie. « Je ne fais pas le bien que j'aime, dit
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 169

» Racine,'et je fais le mal que je hais. » La commune


perception établit cette vérité, parce que c'est un fait
de la conscience ; la raison l'embrouille, parce qu'elle
ne fait qu'un avec les sens, et qu'il n'y a de faits
réels que ceux du sentiment; ceux de la raison sont
variables et paradoxals, N° 26. La raison se con-
firme par des vraisemblances, et la conscience par le
sentiment. C'est celle-ci qui est la plus sûre. (De
l'Allemagne, par Mme de Staël.)

109. La Volonté et l'Entendement sont les prin-


cipes de la vie dans l'homme. N° 12.

La vie n'est pas une chose volatile qu'on ne puisse


soumettre à l'entendement, elle est en Dieu qui est
amour et sagesse; et cette vie est chez les êtres dans
le degré où ils la reçoivent, comme la lumière solaire
est également chez les corps dans le degré où ils la
reçoivent. Si l'amour abandonne l'homme, il ne se
meut plus; si la sagesse lui est ôtée, il ne pense plus.
Ce sont donc là les deux seules et uniques sources de
sa vie. Toutes les jouissances dérivées des affections et
des passions proviennent de l'amour ; tous les plaisirs
produits par la réflexion, la pensée, la mémoire, sont
les dérivatifs de la sagesse. L'action, qui est le résul-
tat de l'affection et de la pensée, appartient également
à l'amour et à la sagesse. En un mot, soit par leur
réunion, soit par la prépondérance de l'une sur l'au-
tre, ces deux facultés constituent l'homme. L'homme
15,
170 DU DIVIN AMOUR

physiqne est également dans leur dépendance. L'a-


mour et la pensée voient par l'œil, écoutent par l'o-
reille, flairent par l'odorat. La matière n'a pas la fa-
culté de pefcevoir. Gela n'appartient qu'à quelque
chose qui tient de la viex; et commela vie dans son es-
sence est amour et sagesse, ce sont les dérivations de
ces facultés qui donnent à l'homme physique lui-même
toutes ses jouissances. Le bras s'étend pour saisir ce
que l'Être recherche. Ainsi, sans l'Entendement,
siège des pensées, et sans la Volonté, siège des affec-
tions, l'homme n'est pas. EH effet, il veut seulement
ce qu'il aime et ne veut pas ce qu'il n'aime pas.

ilO. La Volonté et l'Entendement résident dans


les cerveaux et passent de là dans le reste du
corps. N° 128.

La volonté et l'entendement, qui sont les principes


de la vie, résident dans les cerveaux, et par ceux-ci
dans tout le reste du corps. La raison, le sentiment
même, indiquent que la vie est dans le cerveau.
L'homme porte la main involontairement à son front,
quand il médite, comme pour retirer en lui la pensée.
Dans la formation du fœtus dans la matrice, le cer-
veau est formé le premier, et la tête est sensiblement
plus volumineuse que tout le corps; dans les blessures
du cerveau, la pensée sans siège extravague; tous les
sens du corps sont dans la face, et communiquent au
cerveau par les fibres d'où ils tirent leur vie; de là
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 171

vient que les affections se peignent sur la figure, les


pensées dans les yeux qui étineellent, et que la physio-
nomie est le miroir de l'âme. L'anatomie démontre
que toutes les fibres descendent du cerveau dans le
corps; aucune ne remonte du corps dans le cerveau.
L'origine de la vie est donc où est l'origine des fibres.
Que prétend de plus la physiologie? Ainsi, les divers
systèmes établis pour expliquer le siège de l'âme sont
seulement des vraisemblances tirées d'une raison in-
certaine qui a le privilège de rendre tout vraisem-
blable, N° 108.

111. Le tout et chaque partie reçoit la vie telle


qu'elle est dans les Principes.

Telle est la vie dans ses principes, telle elle est dans
le tout et dans chaque partie. En effet, comme on vient
de le dire, les principes de la vie n'étant pas ailleurs
qu'où sont les commencements des fibres, celles-ci
n'existant pas par elles-mêmes, il s'ensuit qu'elles
communiquent partout la sensation qu'elles ont reçue.
La substance corticale du cerveau est composée d'un
nombre infini de glandules qui sont les têtes des fi-
brilles dont est formée la substance médullaire. Ainsi,
celle-ci reçoit de celle-là les principes de la vie, et la
communique aux nerfs formés des faisceaux de ces fi-
brilles, et ce sont ces nerfs qui donnent le mouvement
à tout le reste. Ainsi, telle est la vie dans ses premiers
éléments, telle elle est dans les parties qui en dérivent.
17"2 DU DIVIN AMOUR

112. L'Amour dominant fait l'homme moral et


l'homme physique.

Tel est l'amour, telle est la sagesse, et de là tel est


l'homme. En effet, chacun est son amour, et la sa-
gesse n'est que la forme de cet amour. Il ne reste ja-
mais de l'entendement de l'homme que ce qui s'ac.-
corde avec son amour. C'est de là qu'on ne retient
pas les choses qu'on a écoutées avec insouciance, et
qu'on n'oublie jamais, au contraire, les bienfaits et
les insultes auxquels on a été sensible. L'amour est
l'homme même, et c'est d'après les qualités de cet
amour qu'est distribué le Ciel. Chacun y vient dans
une société correspondante à son amour dominant. Si
le Ciel était partagé selon l'entendement, il serait sans
vie. Non-seulement l'homme moral est tel qu'est son
amour dominant, mais cette loi s'applique aussi à
l'homme physique. Il n'y a pas de vie sans sujet, et le
sujet participe toujours de la qualité de la vie. Chacun
est la forme de son propre amour, le corps n'est que
l'extrême de l'esprit; ils font un et non deux. Admi-
rable économie qui explique tant de choses que notre
science incomplète n'a jamais même soupçonnées!

113. La Volonté et l'Entendement correspondent


au cœur et au poumon. Nos 14, 30.

. 11 y a une correspondance de la volonté avec le


ET DE LA WVISE SAGESSE. 173

cœur et de l'entendement avec le poumon. Ces deux


organes étant la source de la vie dans l'homme, ils
sont au corps ce que les deux facultés que nous venons
de nommer sont à l'esprit. Ces deux facultés, pour
agir, demandent un sujet; ce qui est vie a besoin de
ce qui est substance pour se manifester : ces sujets
sont le cœur et le poumon avec lesquels elles corres-
pondent. C'est par la correspondance que se fait la
conjonction du spirituel et du naturel ; car le premier
n'est pas quelque chose de plus pur que le second,
mais quelque chose d'un degré plus élevé, et ce qui
est ainsi séparé n'agit que par correspondance. La pa-
role n'est pas une pensée plus pure, mais la corres-
pondance de la pensée, et ainsi la pensée manifestée,
ou, pour mieux dire, la pensée descendue du degré
spirituel dans le naturel. L'action n'est pas non plus
une affection plus pure, mais c'est l'affection rendue
sensible. L'homme parle par la pensée, il agit par son
affection ; mais qu'il remonte aux sources de la pen-
sée et de l'affection, il ne peut les découvrir que dans
un autre ordre de choses que le naturel, c'est-à-dire,
dans un degré plus élevé.
11 est clair que l'affection et la p'ensée sont spiri-
tuelles, tandis que la parole et l'action sont natU"
relles. Le lien qui unit le spirituel au naturel n'est pas
dans celui-ci. On ne peut l'y découvrir que par la cor-
respondance ; c'est pourquoi les métaphysiciens n'ont
jamais cherché à découvrir par l'étude de l'homme
physique le mystère par lequel la volonté inorale se
15*.
174 DU DIVIN AMOUR

change en action physique. Tout ce qui appartient à


l'esprit dépendant de la volonté et de l'entendement,
tout ce qui appartient au corps dépendant du cœur
et du poumon, il y a correspondance nécessaire entre
les deux organes et les deux facultés. Ce mélange d'a-
natomie et de métaphysique peut sembler bizarre. La
Harpe fait le même reproche à Platon ; mais ce n'est
pas au goût des écoles à blâmer ou à approuver de
telles choses. Le goût dédaigneux des écoles s'est mon-
tré plus d'une fois très-complaisant pour les notions
les plus ridicules, tandis qu'il a été très-sévère pour
les vérités les plus sublimes. C'est à la philosophie à
prononcer ici. Qu'elle explique comment le corps hu-
main se meut, et je ne parlerai plus de correspon-
dance.
Que de choses nous adoptons quand nous en voyons
les effets ! La cause des choses ne peut même se prou-
ver autrement. On ne prouve pas Dieu par lui-même,
mais par ses ouvrages. De même le rapport dont on
parle ici se prouve par les effets. Ce n'est pas ici
comme siège de l'âme qu'on présente le poumon et le
cœur, mais comme les moteurs les plus puissants sur
lesquels elle agit. Le poumon s'élève et s'abaisse avec
la pensée; l'intelligence a comme un besoin obscur
de respirer pleinement. Le cœur palpite suivant les
affections de l'amour ; on met la main sur son cœur
pour attester les serments faits & l'objet aimé. En
présence d'un ciel magnifique, l'homme respire plus
librement, comme pour mettre en rapport l'organe
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 175

physique avec l'admiration qui le transporte. On dit


vulgairement le souffle divin pour l'intelligence divine.
Les mouvements des passions se rapportent au cœur,
et, par le moyen de celui-ci, aux artères dont le pouls
bat du même mouvement. La joie en précipite les
battements, la tristesse les ralentit. De là vient que le
cœur est partout considéré comme le siège de l'a-
mour. Le mot lui-même passe dans la langue comme
synonyme de cette passion. Il y a concorde entre ce
qui bat d'un mouvement synchronique, discorde dans
ce qui diffère en ton et en action. La Parole divine
écrite par correspondance s'exprime ainsi. Les anciens
qui avaient connaissance des correspondances s'ex-
primaient de la même manière ; et nous, par tradition,
et par suite de l'influence commune, nous parlons
comme eux. L'amour correspond à la chaleur, et
celle-ci par conséquent a son siège dans l'organe cor-
respondant à l'amour. C'est lui qui vivifie le sang et
l'échauffé. De là vient que chez certaines personnes
le corps s'échauffe d'une affection forte.
L'amour étant la vie de l'homme, le cœur en étant
l'organe, le sang qui sort de ce dernier les entretient
l'un et l'autre. De là vient que le sang est appelé
l'âme de l'homme, —Genèse, IX. 4. — De là vient
que les poètes (Virgile et autres) disent que l'âme s'é-
chappe avec le sang. Dans le monde spirituel, il y a
des couleurs comme dans celui-ci : Le rouge y corres-
pond à l'amour, et le blanc à la sagesse. L'un tire son
origine de la chaleur du Soleil spirituel, et l'autre de
176 DU DIVIN AMOUR

sa lumière. Le sang est rouge par cette raison, et non


pas par le fer que l'analyse y découvre. Les principes
chimiques les plus déliés ne peuvent en rien remonter
au spirituel, et quelque substance matérielle que ce
soit n'a rien en soi que le privilège de servir à la vie.
Les mêmes rapports se montrent entre le poumon et
l'entendement. On retient son souffle pour prêter son
attention, on ne respire pas d'aise. Le son de voix
emprunte son éclat, son harmonie du degré où s'élève
l'intelligence. C'est ce qui fait qu'on déclame avec
force quand on veut toucher; on parle doucement
quand on veut se faire comprendre, avec douceur
quand on veut attendrir. Le Seigneur souffla sur ses
disciples et leur dit : « Recevez le Saint-Esprit. » —
Jean, XX. 22.—Jéhovah souffla dans les narines d'A-
dam une âme de vies.— Genèse, II. 7.—Les narines,
communiquant au poumon, correspondent également
à la perception. On dit qu'un homme intelligent à le
nez tin. Le renard, le plus rusé des animaux dans la
fable, doit cette prééminence à son odorat. On dit
d'un sot qu'il n'y voit pas plus loin que son nez. De là
vient encore la synonymie des mots esprit et souffle;
c'est pour cela qu'on dit rendre l'esprit pour rendre
le dernier souffle. De là vient encore l'idée populaire
qui se fait de l'âme d'un homme l'idée d'un souffle
aérien. Comme il y a deux organes de la vie dans
l'homme, il y en a deux sièges dans la tête. Le cer-
velet est celui de la volonté, et le cerveau celui de
l'entendement. C'est de là enfin que tout est par paires
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 177

dans le corps humain, et que les parties simples sont


néanmoins partagées en droite et gauche. Tout s'y
rapporte au bien et au vrai, et cette conjonction n'a
lieu que lorsque les parties doubles agissent en-
semble.

114. Les objets immatériels communiquent par


l'intermédiaire des choses physiques.

L'homme peut respirer par lui-même, mais il ne


peut pas par lui-même hâter les battements de son
cœur; de même il ne peut pas aimer par lui ; il a seu-
lement le pouvoir de penser. Ainsi, les objets imma-
tériels communiquent avec nous par l'intermédiaire
des choses physiques. Êtres faibles et bornés, nous
ne pouvons voir notre essence en elle-même; mais
par l'inspection des effets, nous pouvons remonter
aux causes; et comme nous voyons Dieu dans l'uni-
vers, nous pouvons voir l'âme dans ses organes.

Ho. L'Ame de l'homme après ta mort est en par-


faite forme humaine.

L'âme de l'homme est son esprit; cet esprit est


tout l'homme, dont le corps est l'externe par lequel
l'âme agit dans le monde. Ce que nous venons de dire
fait voir d'où vient la fausse idée que l'âme de l'homme
est un souffle. Mais l'esprit est homme, homme doué
de tous les organes qui sont le siège de la vie; car la
178 DU DIVIN AMOUK

vie sans organes n'affecterait pas. C'est l'âme qui di-


rige l'œil pour voir, l'oreille pour entendre, la langue
pour parler, la main pour opérer. Privée de ces or-
ganes, la vie serait sans sujet, et par conséquent elle
se dissiperait. Le corps est un habit qui ne peut se
tenir tout seul sans que quelque chose d'animé n'entre
dans ses formes. Toutes les parties du corps tirent
leur vie des principes; et telle est la vie dans les prin-
cipes, telle elle est dans les composés. C'est dans cette
forme que vient l'homme après la mort; car il y a,
dit l'apôtre Paul, l'homme naturel et l'homme spiri-
tuel. Que l'homme spirituel est homme, cette vérité
est attestée par ceux qui ont eu des visions; car, dans
ees visions, ils ont vu des hommes et non des souffles.
Sur la réalité des visions, consultez la Bible, la phy-
siologie, la philosophie; écoutez les témoignages des
somnambules, rappelez-vous seulement vos songes.
Qu'y avez-vous v u ? des hommes, des choses en for-
mes substantielles. Le corps matériel n'a été joint au
corps spirituel qu'afm que l'homme dans le degré na-
turel eût quelque chose d'analogue à lui, car il n'y a
que les homogènes qui se touchent. Son corps était
la substance par laquelle étaient fixées et rendues ca-
pables de se reproduire les substances spirituelles.
Le corps spirituel est homme, parce que Dieu, dont
il tire sa vie, est Homme, N° 7. La mort arrive
chez l'individu, lorsque la correspondance cesse entre
l'homme spirituel et l'homme naturel ; la cessation
de la correspondance entraîne celle de la conjonction.
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 179

Quand le poumon et le cœur cessent leurs fonctions,


l'homme spirituel quitte sa dépouille sur laquelle il ne
peut plus agir. Le corps est un instrument brisé dont
l'artiste alors ne peut plus se servir. Il reste de l'homme
l'entendement et la volonté qui sont lui tout entier,
et qui continuent d'exister dans un autre monde; car
la substance périssable n'entraîne pas avec elle l'ané-
antissement de la force vive. La cause ne cesse pas
avec l'eflet. Toute vie a une origine : la vie du Ciel est
tout entière dans les deux mouvements cardiaque et
pulmonaire, qui lui sont communiqués par le Dieu-
Homme, dans lequel la vie est dans un sujet ; ees
mouvements existent chez l'homme, parce qu'ils sont
auparavant dans le Giel. Une chaîne ne dépend pas
plus exactement de son anneau que l'homme ne dé-
pend du Ciel, et le Ciel du Seigneur. (Sur la forme
humaine de l'âme après la mort, voir surtout l'ou-
vrage intitulé : Théorie de t'avenir, 2 vol. in-8°.)

116. L'homme n'a pas ta vie en lui, mais doit agir


comme de lui-même.

Pour que l'homme soit réceptacle du Seigneur, il


est nécessaire que la vie paraisse comme appartenant
à 1 homme; en conséquence, tout le bien de l'amour
et tout le vrai de la sagesse viennent du Seigneur
seul, il n'en vient rien de l'homme. Ainsi, la vie vient
de Dieu, mais semble appartenir à l'homme par l'ap-
parence, parce qu'il faut pour qu'il y ait conjonction
180 DU DIVIN AMOUR

que l'être animé regarde comme à soi la vie qui lui


est communiquée; c'est ainsi qu'il la conserve. De là
vient que l'intérêt personnel est le principe conser-
vateur de l'existence. La vertu consiste ainsi à attri-
buer à un autre tout ce que l'on sent comme à soi. Le
dévouement en est la base, tandis que l'égoï'sme est le
résultat nécessaire du raisonnement qui attribue tout
à soi seul, sans remonter à son origine. Croire en soi,
comme en quelque chose de vivant et agissant par
soi-même, est le délire de l'orgueil et en môme temps
de l'égoi'sme. Croire qu'on n'a rien à soi en propre,
pas même sa propre vie, est la sagesse chrétienne et
la morale stoi'que tout ensemble. L'athée se débat
avec la mort, et défend sa vie comme s'il en était la
source; c'est qu'il n'a pas l'intelligence de savoir que
la chose animée n'est qu'un récipient. L'homme ver-
tueux, au contraire, abandonne sa vie à celui de qui
il la tient, certain que son sort est dans les mains du
Seigneur; et que, s'il s'endort sur l'oreiller de l'a-
mour et de la sagesse, il ne peut périr, puisque la vie
dans ses cléments n'est que là.

117. La Volonté et l'Entendement, quoique dis-


tincts, doivent faire un dans l'homme. Nos 77,

L'Amour et la Sagesse dans le Seigneur sont un,


quoique distincts, N° 16. Il en est ainsi de la volonté
et de l'entendement dans l'homme. Ils sont deux,
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 181

mais ils doivent se réunir dans chaque opération de


l'esprit. C'est par leur réunion que s'opère le mariage
du bien et du vrai. S'ils n'agissaient pas ensemble,
l'homme serait détruit : aussi arrive-t-il que l'un em-
porte toujours l'autre avec lui. L'entendement a la
faculté de s'élever dans la lumière, et ainsi de voir le
vrai et d'y conformer sa volonté. Si celle-ci se rend,
le mariage du bien et du vrai a lieu; si, au contraire,
elle ne se rend pas, l'entendement, lassé d'une spécu-
lation inutile, redescend avec elle dans des amours
impurs. Toute sa force d'intelligence est employée à
excuser, légitimer, favoriser ces amours, et le mariage
du mal et du faux s'ensuit nécessairement.

118. L'Amour de soi et l'Amour du monde font


l'Enfer en l'homme.

Il résulte de ce qui précède que si l'homme élève


son entendement et sa volonté jusqu'à l'amour du
Seigneur et du prochain, il entre dans la béatitude
éternelle ; mais si sa volonté reste dans l'amour de soi
et du monde, l'entendement a beau voir le vrai, dès que
l'homme ne l'aime pas en même temps, il l'abandonne.
Alors, pour trouver des motifs de se confirmer dans
son amour dominant, il taxe de fables les vérités qu'il
voyait auparavant dans la lumière, et qui lui sont de-
venues importunes. Il se complaît dans ses erreurs,
marchande avec une conscience qui les excuse, et dès
lors l'Enfer est en lui. Le Ciel et l'Enfer n'ont pas une
10.
182 DU DIVIN AMOUR

autre origine : c'est celle que leur donne Jésus-Christ;


c'est celle qu'ont entrevue tous les moralistes. Si l'a-
mour de soi et l'amour du monde ne paraissent pas
si affreux aux gens qui ne réfléchissent pas, c'est que
l'un et l'autre, dans leur principe, sont légitimes. Il
faut s'aimer, parce qu'il est nécessaire, pour que la
vie s'entretienne chez l'individu, qu'il aime son corps;
il faut aimer le monde, parce que ce n'est que par lui
que nous pouvons rendre notre vie profitable et utile
aux autres; mais celui qui, en soignant son corps, le
fait par sensualité, s'aime seul; celui qui, en aimant
le monde, l'aime par rapport à la gloire et à l'argent
qui lui en reviennent, s'aime seul encore; et c'est
ainsi que ce qui est permis dégénère insensiblement
en ce qui ne l'est pas. Il est ordonné à l'homme de se
nourrir pour que sa santé se soutienne; mais celui
qui rejetterait une vie austère dont sa santé s'accom-
moderait, sous prétexte qu'il n'est pas nécessaire de
combattre ses penchants, pourrait, en y cédant trop
facilement, s'aimer lui-même. L'homme de lettres
qui publie un livre pour instruire le genre humain,
paraîtra aimer le monde d'un amour légitime; mais si
en secret il n'a d'autre but, en publiant son livre, que
de se faire un nom, que d'arriver à la fortune et aux
honneurs, alors ce n'est plus l'amour du genre Im-
main, la passion de la vérité qui le guident, c'est l'a-
mour de soi, amour d'autant plus hideux, que le pré-
texte en paraît plus honorable. Tels sont ces hommes
dont une basse jalousie empoisonne les jours, qui per-
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 183

sévèrent dans leur mensonge par vanité, et qui vou-


draient au prix de leur sang étouffer la vérité nais-
sante trouvée par d'autres : tant il est vrai que ce
n'est pas la vérité qu'ils cherchent pour elle-même,
mais qu'ils ne la désirent que pour s'en servir de
marchepied !
Quand on s'aime seul, on est dans le mal par deux
raisons : La première, c'est que l'homme par la chute
est venu dans le mal, et que la tache héréditaire passe
du père aux enfants; la seconde, c'est qu'il n'y a
qu'une vraie source de vie qui produise le bien et le
vrai ; et que quand on ne vit pas avec elle d'un mou-
vement commun, on tombe nécessairement et infailli-
blement dans le mal et dans le faux. Ainsi, le bien
apparent peut être un mal réel, suivant le motif qui
nous y porte. Sur la terre, l'homme peut être dans le
bien apparent et dans le mal intérieur, parce qu'il
peut diviser les deux facultés qui sont en lui ; après la
mort, cela n'est plus possible, et les deux facultés
agissent de concert, tout en bien ou tout en mal.

119. De l'Amour procède l'Entendement, N° 77.

L'amour étant la vie de l'homme, la vie tendant à


la forme humaine comme le principe d'où elle découle,
et l'amour ne pouvant opérer seul, il est clair qu'il
ne peut rien faire que par une union avec l'entende-
ment. Le mariage de l'amour et de la sagesse est ainsi
nécessaire pour chaque chose, comme celui du cœur
184 DU DIVIN' AMOL'R

et du poumon. En effet, le cœur, qui est l'organe de


vie, peut être dit, comme l'amour, la vie de l'homme.
Il tend à la forme comme lui, puisqu'il donne l'exis-
tence à tout, au moyen des artères et des veines ; il
ne peut rien faire sans le poumon, puisque l'Être ne
vit que quand il respire, c'est-à-dire, quand le sang-
dû cœur passe dans le poumon. Ces rapports peuvent
sembler des jeux d'esprit; mais les rapports de cor-
respondance ne peuvent pas être autrement exposés,
puisque étant d'un degré au-dessus du naturel, la
raison qui est dans celui-ci ne peut s'en rendre
compte. L'amour s'unit h la sagesse, comme le cœur
s'unit au poumon, en toute opération. La volonté pré-
cède l'entendement dans l'enfant, comme la formation
du cœur dans le fœtus précède celle du poumon. De
leur conjonction résultent toutes les fonctions vitales,
comme de l'union des deux facultés correspondantes
résultent toutes les opérations morales. Toutes et cha-
cune des parties du corps sont mises en mouvement
par l'action respiratoire du poumon ; le même effet est
produit par le battement du cœur. L'union étant opé-
rée, l'homme éprouve d'abord le désir de savoir. De
là vient que la curiosité est la première et la plus ac-
tive passion de l'enfance ; c'est de la direction de cette
faculté que dépend toute la vie de l'homme. De l'af-
fection de savoir provient plus tard l'affection du
vrai. Qu'on montre la vérité à l'homme avant l'âge
où les passions le ramènent au moi humain, il s'y
rend de suite. De là vient que les sciences dans leurs
ET DE LA DIVINE SAGESSE. 185

commencements font toutes des enthousiastes ; l'hom-


me alors s'y présente avec une admiration désinté-
ressée. Quand les passions s'en mêlent, quand l'a-
mour-propre, l'intérêt, la vanité, y sont pour quel-
que chose, le charme est détruit. Quand, au contraire,
l'affection du vrai continue, l'homme s'élève au désir
de comprendre ce vrai, de connaître la raison des
choses; chez lui il n'y a plus simple affection, mais
perception ; celle-ci n'arrive que chez l'homme qui a
déjà reçu l'affection. Enfin, à l'affection de savoir le
vrai succède celle de le comprendre, et en dernier
lieu celle de le voir. La première est une simple affec-
tion, la seconde est une perception, et la troisième est
une pensée. Cette pensée est une vue interne de la
sagesse qui est l'exercice complet de l'entendement.
C'est par ces trois conjonctions que l'amour est dans
sa vie active. L'amour sans entendement est aveugle;
une affection, en effet, n'«st rien sans pensée, et la
pensée est la lumière par laquelle l'amour voit. Ainsi,
toute puissance du bien est par le vrai. Le bien est
dans le vrai et agit par lui. Ainsi, l'amour introduit
l'entendement dans toutes les choses qui sont de ]a
vie pour s'éclairer par lui ; il ne fait rien qu'en con-
jonction avec lui ; car une action sans entendement se-
rait une action machinale. Ainsi, quoique l'amour et
l'entendement soient deux, ils agissent néanmoins com-
me un. L'amour forme l'entendement dans ses affec-
tions, il le fait descendre vers lui, et l'entendement,
au contraire, ne peut élever l'amour vers sa région.
in*.
186 DO DIVIN AMOUR
*

La science elle-même n'appartient pas à l'entende-


ment, mais à l'amour par le moyen de l'entendement.
L'entendement sans amour est mort, comme la lu-
mière du soleil sans la chaleur. L'intelligence n'est
pas vivante en soi, elle ne l'est que par son union
avec l'amour. Ainsi, personne n'est jugé d'après ce
qu'il pense, mais d'après ce qu'il aime et ce qu'il fait.
Le vrai n'est autre chose que la forme de l'affection
qui naît de l'amour. De là vient que la forme humaine
est la forme de l'affection de l'amour; de là vient que
le vrai en général est la forme, et que le bien en est
l'usage. Voilà pourquoi on trouve beau ce qu'on ai-
me; la beauté est ainsi la forme animée par l'amour.
Un entendement sans affection serait comme une res-
piration sans le cœur. En un mot, de l'amour procède
l'entendement.

120. L'Entendement peut, par l'Amour ou la


Volonté, s'élever dans la lumière du Ciel. N° 77.

Par la puissance que lui donne l'amour, l'entende-


ment peut s'élever dans la lumière du Ciel. C'est là
la rationalité de l'homme, qui le distingue de la bête.
L'article précédent confirme pleinement cette vérité.

121. L'Amour peut, par l'Entendement ou la


Sagesse, s'élever dans le Ciel. N° 77.

L'amour peut aussi s'élever, s'il aime la sagesse;


ET DE LA DIVINE SAGESSE. 187

s'il ne l'aiine pas, il ne s'élève pas réellement; dans


sa sagesse, il a toujours quelque motif d'honneur ou
d'intérêt. Si, au contraire, l'amour aime la sagesse et
par conséquent la vérité pour elle-même et non pour
s'en faire honneur, l'homme dans ce détachement de
soi s'élève au Ciel même. Cela ne peut venir qu'en
fuyant les maux comme péchés. En effet, l'amour
étant chaleur dans son essence, on ne s'échauffe jamais
des choses qu'on n'aime pas. On a beau discourir sur
la vertu et la religion, ces paroles ne sont rien. Ce
sont comme les rayons du soleil privés de chaleur :
alors la lumière se joue en vain sur les fleurs ; celles-
ci se fanent bientôt, se glacent, et la nature a perdu
ce qui lui donnait la vie. Telle est l'hypocrisie ; le
printemps est dans ses traits, l'hiver est dans son
cœur; elle parle de la vie comme si elle l'éprouvait,
et les sources en sont taries chez elle.

122. L'Amour et la Sagesse doivent s'élever con-


jointement. N° 79.

Si l'amour ne s'élève pas, il fait descendre la sa-


gesse de sou élévation et la force de se conjoindre à
lui. Tôt ou tard on se lasse de ces excursions dans un
monde qui n'est pas celui dans lequel on se complaît;
on y reste extérieurement, si on en retire de l'honneur
ou du gain; mais s'il ne lui en revient rien, l'homme
jette le masque. Ce qu'il voyait, il ne l'aperçoit plus;
il se moque de sa crédulité passée; et, après avoir
188 DU DIVIN AMOUR

banni la conscience, il soutient qu'il n'y en a pas,


parce qu'en effet il ne sent plus la sienne. Ainsi, ce
n'est pas la sagesse qui fait l'homme, mais la vie con-
forme à cette sagesse.

123. Quand il y a Conjonction de l'Amour mec


la Sagesse, le premier s'épure par la. seconde.
N° 78.

Quand l'amour et la sagesse sont joints, le premier


s'épure par la seconde. L'homme naît dans le mal et
n'aime naturellement que lui et le monde; il n'y a
donc que la sagesse qui puisse lui persuader de com-
battre ses penchants et de vivre d'une autre vie que
de celle à laquelle il paraît destiné. Ce n'est que par
l'entendement qu'il se lave de ses souillures, qu'il de-
vient spirituel et céleste. L'amour, pratiquant les vé-
rités qu'il comprend, est nécessairement élevé.

124. Quand il n'y a pas Conjonction de l'Amour


avec la Sagesse, le premier se souille par la se-
conde. N°79.

Si l'amour et la sagesse ne sont pas joints, le pre-


mier se souille par la seconde. En efl'et, l'entende-
ment fournit alors à la volonté des excuses pour per-
sévérer dans le mal, des prétextes pour l'absoudre.
La sagesse est alors l'esclave du vice ; et rien n'est
plus profondément vicieux que l'homme qui raisonne
ET DE- LA DIVINE SAGESSE. 189

avec ses vices. C'est alors que l'amour devient natu-


rel, sensuel et corporel. C'est le degré où l'on voit
arriver tous les hommes qui traitent de niaiseries les
choses morales, qui se font gloire d'être désen-
chantés.

125. // reste à l'homme, dans tout état, la Ratio-


nalité et la Liberté. N° 76.

La rationalité lui fait connaître et comprendre les


moyens d'arriver au bien ; la liberté les lui fait choi-
sir. Ainsi, il ne faut pas penser que les vérités de l'É-
glise soient au-dessus de l'entendement : s'il en était
ainsi, la rationalité n'y ayant point de prise, les choses
de l'Église ne seraient plus des choses de la nature
humaine. Il ne faut pas croire non plus que l'homme
ne puisse faire le bien par soi ; si cela était, il n'y au-
rait pas en lui de liberté, et par conséquent il ne pou-
rait s'approprier ni le bien, ni le mal. Cependant ces
deux facultés sont au Seigneur dans l'homme, et
l'homme ne doit pas se les attribuer. Il doit croire
qu'il pense le vrai et fait le bien, non par lui, mais
comme TW lui.

126. L'Amour du Seigneur et du prochain fait le


Ciel en l'homme.

L'amour spirituel et céleste consiste à aimer Dieu


el le prochain. Aimer le prochain, c'est aimer les
190 DU DIVIN AMOCR

usages : aimer Dieu, c'est aimer à pratiquer les usa-


ges. C'est ainsi, en effet, que l'homme se détache de
son propre et dans le bien qu'il produit ne voit pas
son intérêt ou sa gloire personnelle, mais l'intérêt gé-
néral et la gloire de Dieu. C'est alors agir dans l'.ordre
divin et aller au Ciel; c'est alors que l'humanité de-
vient une passion douce et entraînante, qu'on trouve
du charme dans le dévoûment, qu'on se sent heureux
du bonheur qu'on a procuré aux autres. La vertu n'est
ni si austère, ni si difficile à pratiquer, puisque toutes
les jouissances solitaires sont pleines d'amertume, et
qu'on n'a besoin que de se souvenir du bien qu'on a
fait pour être porté à en faire encore. Barthélémy,
dans le Voyage d'Anacharsis, ne trouve qu'un
moyen d'être heureux, c'est dans la passion si douée
de l'humanité.

127. La Charité est l'Amour spirituel, la Foi est


la Sagesse spirituelle.

L'amour céleste a Dieu pour objet, l'amour spiri-


tuel le prochain. Le premier est l'amour du bien, le
second l'amour du vrai. Le premier ne parle pas des
vérités pour les étudier, mais il les pratique; le second
les pratique, après les avoir reconnues pour telles.
C'est de ceux qui sont dans l'amour céleste que le
Seigneur a dit : « Tout votre discours sera oui, oui;
» non, non. » — Matth. V. 37;— leur foi n'est pas de
croire ce qu'on ne comprend pas, mais de faire le
ET DE LA DIVINE SAGESSE 191

bien ; ceux-là sont dans le cardiaque du Ciel. Les au-


tres, qui en représentent le pulmonaire, ne savent
pas non plus ce que c'est que la foi. Ce mot chez eux
est synonyme de vérité, et ils disent que la vérité se
voit, par conséquent qu'il est superflu de dire qu'il
faut croire ce qu'on voit. La charité est l'amour spi-
rituel, la foi la vérité spirituelle.

128. Le Cerveau est le premier formé dans


l'homme à l'instant de sa conception.

L'homme, à l'instant de sa conception, n'est point


dans sa perfection. Il n'offre qu'une image du cerveau
avec une face sur le devant sans développement. Ce
cerveau est partagé en deux lits dont l'un est le siège
de l'amour et l'autre celui de la sagesse. L'intérieur
est dans la forme du Ciel, et l'extérieur en opposition
à cette forme. La première reçoit l'amour divin et la
sagesse divine, la seconde l'amour infernal et la folie
infernale. Ce canevas de l'homme, étant ainsi le ré-
ceptacle de tout ce qui constitue l'essence divine, a
une tendance continuelle à prendre la forme humaine
qu'il revêt insensiblement.
ESQUISSE
DU GRAND OUVRAGE D'EDOUARD RICHER
DO>^T:E

PAR L'AUTEUR LUI-MÊME DANS DEUX LETTRES

Au commencement de 1839, M. de Tollenare nous adres-


sait ces deux lettres avec la note suivante :
« Éd. Richer traça rapidement en 1827, dans deux lettres
adressées à M. Thomine, un tableau de la doctrine de Swe-
denborg, qu'il commençait déjà à élayer de nombreuses
preuves. Je fis copier ces lettres et en donnai lecture à Paris
dans un petit comité d'amis, parmi lesquels se trouvaient
MM. Bernard, de Bissy, OEgger, Brunel, etc. M. Bernard fit
quelques remarques encourageantes sur ce manuscrit. Je
remis le tout à Richer, qui a développé, dans son grand Ou-
vrage théosophique, ce qui n'avait clé qu'esquissé dans ces
Icltres. »
Dans sa livraison de février 1839, la REVUE La Nouvelle
Jérusalem donna la première de ces lettres, dans laquelle
nicher démontre, par un rapide exposé de quelques théories
de Swedenborg, que ce n'est qu'en s'appuyant sur elles,
qu'on peut réfuter victorieusement Dupuis, dont les recher-
ches scientifiques en faveur de l'athéisme ont fait tant de
bruit au commencement de ce siècle.
Nous reproduisons cette lettre, avec les \otcs qui s'y trou-
vent, et les Remarques du capitaine Bernard.
PREMIÈRE LETTRE A M. THOMINE. 193

La seconde Lettre de nicher, qui contient plus spéciale-


ment l'Esquisse de son grand Ouvrage, est publiée pour la
première fois.

Première Lettre d'Éd. Richer à M. Thomine,


président de la société académique de Nantes.

Le Tertre, le 2 avril 1827.


Vous paraissiez désirer savoir ce que c'est que la
Nouvelle Église, et quel rapport elle peut avoir avec
VOrigine des cultes, l'ouvrage le plus matérialiste
qui ait jamais été écrit. Cette Nouvelle Église est celle
de Swedenborg (a), qui, enfouie dans les bibliothè-
ques pendant un demi-siècle, en sort aujourd'hui
pour prendre consistance dans le monde (l>). Elle
n'était que dans le pays des abstractions il y a trente
ans; aujourd'hui elle prend corps. On la trouve ré-
pandue en Suède, en Danemarck, en Russie, en Prus-

(a) Si l'Auteur dit ici que la Nouvelle Église est celle de Sweden-
borg; si, plus loin, il emploie les expressions principes de Sweden-
borg, doctrine de Swedenborg; s'il qualifie le nouveau Prophète de
fondateur de religion, c'est, sans aucun doute, parce qu'il craignait
d'effaroucber l'esprit philosophique de l'époque ; car il savait très-
bien que Swedenborg n'a 616, comme il le dit lui-même, qu'un sim-
ple instrument de la Divinité, et que les principes, la doctrine et la
fondation de la Nouvelle Église appartiennent au Seigneur seul.
(Note du Red. de la REVUE.)

(b) C'est par un effet providentiel, prédit dans l'Apocalypse, chap.


XII. 5, G, que la Nouvelle Doctrine s'est propagée dans le silence, avant
d'apparaître au grand jour. <\ote du Red. de, la REVIT..)
17.
194 PREMIÈBE LETTRE

se, et principalement en Angleterre et aux États-


Unis. Dans ces deux derniers pays, elle a des tem-
ples, des journaux savants qui la propagent. Tous les
écrits du Fondateur, et ils se montent à plus de cent
volumes, ont été traduits à grands frais dans la lan-
gue vulgaire, et mis à la portée de toutes les bourses
et de toutes les intelligences. En 1788, la ville de
Manchester comptait déjà un grand nombre de disci-
ples; et un journal intitulé New Jérusalem Maga-
zine était consacré à propager les principes de la
doctrine de Swedenborg. Actuellement, il existe aux
États-Unis un recueil périodique d'un haut intérêt
qui a pour titre New Jérusalem Repository, et qui,
comme le précédent, est destiné à l'instruction philo-
sophique et religieuse de ceux qui adoptent les prin-
cipes de Swedenborg. Il se publie aussi à Londres,
dans le but de propager la nouvelle doctrine, un re-
cueil qui passe pour le journal de philosophie le plus
profond qui ait encore été imprimé en Europe : c'est
Vlntellectual Repository for thé neiv church. D'a-
près ce journal, plusieurs villes en Angleterre ont
aujourd'hui des temples, des ministres, et comptent
de nombreux disciples.
Le mot de Nouvelle Église ne signifie pas précisé-
ment ici une communion religieuse séparée des autres
par des points de controverse; il signifie l'ensemble
de toutes les doctrines religieuses appuyées sur la Bi-
ble et les raisonnements de philosophie les plus plau-
sibles. Rien n'y est donné à la foi aveugle; tout y est
A M. THOMINE. 195

présenté à l'intelligence éclairée. Personne n'y est


contraint dans sa croyance. La liberté en est le prin-
cipe, comme elle est celui de tous les sentiments de
l'homme. Un sentiment qui n'est plus libre n'est plus
un sentiment ; c'est une opinion hypocrite ou une
farce politique. L'homme qui est enchaîné dans ses
opinions religieuses n'est plus un homme, mais un
automate mu par des ressorts; son culte n'est plus
un hommage, mais un calcul diclé par l'intérêt, un
trafic dont la fourberie est la base. En un mot, la
Nouvelle Église a ici la même signification que le mot
de péché dans Platon. Il est de la langue philosophi-
que, parce que rien n'est moral dans l'homme, qui ne
provienne de la conscience; et l'acte de la conscience
dans ses rapports avec Dieu est ce qui fait l'Église,
de même que la faute ou le crime de l'homme, dans
les mêmes rapports, est ce qui constitue le péché.
Mais cette Nouvelle Église, quelle est-elle? que
prétend-elle? de quelle année date-t-elle? Je vais ré-
pondre avec ordre à toutes ces questions, afin que
vous saisissiez les rapports qu'elle peut avoir avec
Dupuis. Sans ces explications, vous ne comprendriez
rien à mes travaux ; et, ne sachant comment je passe
de l'ouvrage d'un athée à un fondateur de religion,
vous me croiriez errant, sans guide, sans méthode et
sans but, dans le monde intellectuel; vous diriez,
comme les autres, que je me comprends tout seul (c),
(c) Lorsque les amis de Richer le virent abandonner la littérature
proprement dite, dans laquelle il avait obtenu de si brillants succès,
196 PREMIÈRE LETTRE

faute de connaître la carte du pays que je parcours.


La Nouvelle Église établie par Swedenborg prétend
être la Nouvelle Jérusalem, annoncée par l'apôtre
Jean, dans l'Apocalypse. Je sais la défaveur attachée
aux Commentateurs de l'Apocalypse ; et Newton et
Bossuet ne sauvent personne par leur exemple du ri-
pour ne s'occuper que de matières religieuses, ils le plaignirent, et lui
" tc'moignèrent même des craintes pour la gloire qu'il s'était acquise.
Telle est en général la manière de voir des hommes du monde; mais lui,
qui n'aspirait qu'à répandre la vérité, fit bon marché de sa gloire per-
sonnelle, et persista jusqu'à son dernier moment à développer la doc-
trine qu'il avait embrassée. L'instant n'est pas éloigné, où ceux qui
avaient manifesté des craintes pour sa gloire reconnaîtront leur erreur.
L'un d'eux, aujourd'hui haut placé, s'exprimait ainsi, il y a quelques
mois, eu écrivant à l'un des meilleurs amis de Richer • « N'admirez-
» vous pas, mon ami, que je retrouve ici (à l'étranger) la semence de
» l'esprit de ce pauvre poiHe solitaire de Noirmoutier, et comment Dieu
j> ménage toujours quelque part une terre prête à recevoir la graine em-
n portée par les vents. En Bretagne, à peine si nous sommes sept ou huit
» à avoir senti la puissance de ce vigoureux et noble esprit, et voilà que
» sa parole germe ici, et bien autrement sans doute en Angleterre et en
» Suède, où la Nouvelle Jérusalem a des milliers de disciples. /( vit
» précisément par cette partie de ses travaux qui, chez nous, est tom-
n liée le plus vite en stérilité ; et il a atteint au-delà des mers, et loin de
» sa terre natale, des milliers d'âmes auxquelles, à part l'erreur ou la vé-
» rite du dogme et de la forme, il fait aimer le fonds de toutes choses,
» Dieu et l'humanité. » Si le littérateur distingué qui a tracé ces lignes,
et que nous ne pouvons nommer faute d'autorisation, avait connaissance
de ce qui se passe en France depuis quelques années, en ce qui concerne
la Nouvelle Doctrine, il saurait que la graine que Piicher a répandue n'a
nullement, c/ie* nous, été emportée par les vents, que seulement elle est
restée plus longtemps en terre avant de germer, et que les fruits qu'elle
produira seront beaucoup plus utiles que les fleurs éphémères qui résul-
tent de travaux littéraires, quelques brillantes qu'elles puissent être.
f.Yofe du Red. île la REVUE.)
A M. THOM1NE. 107

dicule attaché aux recherches concernant ce Livre obs-


cur et inintelligible. Mais de deux choses l'une, ou
l'Apocalypse est une niaiserie d'un bout à l'autre, ou
ce Livre, comme toute l'Écriture, a un sens allégori-
que dans lequel il doit être examiné. Il n'est guère
concevable que l'Apocalypse ne soit qu'une niaiserie.
L'apôtre Jean, dans son Évangile et dans ses Épi-
ires, a fait preuve de bon sens, même de génie (d),
comment les aurait-il perdus tout à coup en écrivant
son Apocalypse? Comment ce livre, qui aurait ainsi
déshonoré son auteur, aurait-il été conservé précieu-
sement par tant d'hommes doctes qui ont succédé aux
chrétiens ignorants de la primitive Église? Comment
les Communions chrétiennes séparées de la Commu-
nion romaine l'auraient-elles conservé? Comment un
Newton, un Bossuet auraient-ils pensé qu'il valût la
peine d'occuper leurs veilles? Comment, enfin, les
antagonistes du Christianisme le traiteraient-ils eux-
mêmes avec respect, en donnant à entendre qu'il y a
dans ce livre autre chose que ce que la lettre y sup-
pose? C'est ce qu'a fait Dupuis, quand il a consacré
un volume entier de son grand ouvrage à l'expliquer.
Cette tendance de tous les hommes qui pensent à
expliquer ce Livre prouve assez qu'il a un autre sens
que le littéral. C'est ce sens que Swedenborg nous
révèle.
(d) C'est sans doute encore par ménagement pour l'esprit du siècle,
que l'Auteur parle ici de l'apôtre Jean, comme on parlerait d'un littéra-
teur. 'A'o/c du Red. île la REVUE.)
17*.
19J PREMIÈRE LETTRE

II est dit dans l'Apocalypse que la fin du monde (e)


arrivera après tels et tels événements; que le juge-
ment dernier aura lieu de telle et telle manière.
Swedenborg prétend avoir été témoin de ces évé-
nements : il assure que le jugement dernier a eu lieu
en 1757; qu'il l'a vu, et que depuis ce moment, la
Nouvelle Jérusalem est descendue sur la terre. C'est
de là que ses disciples datent d'une ère qu'ils ajoutent
à l'ère vulgaire. Ainsi, l'année 1827 est pour eux la
dix-huit cent vingt-septième, comme pour nous, mais
elle est aussi la soixante-dixième de l'existence de la
Nouvelle Église (f). Cette date est déjà usitée dans
plusieurs ouvrages composés par des disciples; ils
l'emploient dans leurs lettres.
Vous me demanderez comment il se fait qu'un
homme ait l'audace de dire qu'il a été témoin du ju-
gement dernier, et comment il y a d'autres hommes
assez ineptes pour le croire. La réponse à cette ques-
tion demanderait de longs développements. D'abord,
l'action de voir est-elle limitée à la vue externe de
l'œil? C'est ce que ne pensent pas plusieurs médecins
et écrivains philosophes. Le magnétisme animal, le
somnambulisme ont fait découvrir des modes acci-
dentels de perception qui ne rentrent pas dans les
modes ordinaires. Le comte de Rœdern a démontré
(e) Voir à la suite de cette lettre la 2 e Remarque du capitaine Bernard.
(f) La nouvelle ère partantde 1757, l'année 1827 n'était pas la 70»,
mais bien la 71e; ainsi, nous sommes maintenant (1839) dans la 83e
année de la Nouvelle Église. fXote du Ré<! <k la REVUE.)
A M. THOMINE. 199

cela avec toute la clarté désirable. Des physiologistes


qui n'ont jamais entendu parler de Swedenborg ont
observé des maladies dans lesquelles le malade voit,
quoique la pupille de l'œil soit paralysée. Dire qu'on
ne voit pas, si ce n'est de la manière ordinaire, c'est
donner un démenti à tous les peuples qui ont eu leurs
prophètes; il y a bien des recherches à faire, avant
de trancher ceci d'un trait de plume. En second lieu,
c'est résoudre d'un mot une question qui embarrasse
beaucoup les philosophes et les médecins. De grands
personnages ont cru à la possibilité des visions : l'his-
toire littéraire en cite des millions. Voyez là-dessus
principalement le livre de Cicéron sur la Divination.
Jonhson, dans son Voyage aux Iles Hébrides, parle
aussi beaucoup de cette manière de voir que les An-
glais appellent une seconde vue. Cet ouvrage est cu-
rieux à lire pour l'homme sans prévention. On sait
que chez tous les peuples les prophètes étaient appe-
lés Voyants. La philosophie enfin établit avec le bon
sens qu'il y a un autre monde que celui-ci, et la cri-
tique prouve qu'il n'est pas impossible à l'homme d'y
porter sa vue.
Swedenborg ne mérite donc pas plus de reproches
que tel ou tel voyant que nous respectons d'ailleurs ;
et la qualification de visionnaire ne prévient contre
lui que celui qui ne fait aucun usage de l'indépen-
dance de la raison.
Mais qu'il ait vu le jugement dernier, me direz-
vous, voilà vraiment ce qui est incompréhensible.
2l/0 PREMltRE LETTRE

Examinons cette assertion avant de prononcer. Le


jugement dernier, selon la lettre, doit arriver à la fin
du monde (g); mais la philosophie et le bon sens di-
sent que le monde a été et sera toujours, C'est là une
de ces vérités que la philosophie enseigne, que le
Christianisme vulgaire proscrit, et qui cause une lutte
interminable entre eux. Puisque le monde ne peut fi-
nir, puisque tous les hommes ne peuvent ressusciter
en chair et en os, et se rassembler tous dans la vallée
de Josaphat, il est clair que si jamais l'Écriture Sainte
a été écrite dans un style allégorique, c'est dans cette
occasion. Le jugement dernier est un jugement sans
doute, mais un jugement moral ; c'est la fin d'une pé-
riode et le commencement d'une autre. Le Règne de
Dieu, dit J.-C., ne vient point mec éclat; on ne
dira point : 11 est ùi; ou : II est là; mais il est dès
à présent dans votre cœur. Voilà ce que c'est que le
jugement dernier selon la Nouvelle Église. C'est la fin
des scandales que donnait l'Église romaine dans le
XVIIIe siècle, et la cessation des sophismes qui obs-
curcissaient alors toutes les intelligences. J.-C. dit
que le jugement dernier arrivera quand il n'y aura
plus de foi dans'le monde. Croyez-vous qu'en 1757
il y eût beaucoup de foi ? Croyez-vous que ces abbés
de cour, àont Babet la Bouquetière nous offre l'é-
légant modèle, fussent des gens bien pénétrés du sen-
timent religieux ? Croyez-vous que les encyclopédistes,
qui travaillaient alors à leur grand ouvrage, fussent
ly\ Voir à la suite de cette lettre lo 2 e remarque du capitaine Bernard.
A M. THOMINE. 201

des gens bien pieux? Il y a donc eu réellement un


grand changement moral depuis les dernières années
du XVIIIe siècle jusqu'à nous. Les disciples de la Nou-
velle Église disent que ce changement est opéré par
la fin d'une période et le commencement d'une autre.
Ils disent que si la Bible s'imprime dans toutes les
langues et à des millions d'exemplaires; que si l'on
s'apitoie sur le sort des nègres, des malades, des pri-
sonniers; que si les missionnaires protestants vont se
faire égorger pour civiliser le monde, on doit tout
cela à un nouvel esprit religieux qui modifie la société
sans que celle-ci s'en aperçoive. Ils prétendent que
c'est à cette cause qu'il faut attribuer cet esprit de li-
berté qui tend à affranchir les peuplés du jourg de
l'arbitraire, esprit qui, contenu dans de justes bornes,
entraîne les rois eux-mêmes; mais qui, contrarié im-
prudemment, cause ces maladies sociales que nous
observons avec dégoût sur plusieurs points du globe.
Il est de fait que tout le monde s'aperçoit d'un chan-
gement total. On aurait ri, il y a trente ans, de l'éta-
blissement d'une société comme celle de la Morale
Chrétienne. Le nom seul l'aurait décréditée, et ac-
tuellement beaucoup de philosophes se font honneur
d'en être. Le vieux monde s'écroule de toutes parts
sur ses fondements mal affermis; un nouveau paraît,
se consolide insensiblement. Des gens offusqués par
les vapeurs de leur petit entourage pourraient dire
que les jésuites, les missions, la sainte-alliance, toutes
les hypocrisies dont nous sommes témoins, donnent
202 PREMIÈRE LETTRE

un démenti au jugement dernier ; mais toutes ces fae-


' lions que nous croyons si importantes sont des mou-
vements sans vie. Ils partent de la politique dont les
mouvements, n'ayant rien de commun avec ceux du
cœur humain, ne durent pas. Ils appartiennent à une
très-petite partie du corps social ; ils s'étendent sur
une fraction du globe, et si le inonde est entraîné
réellement par un grand mouvement, on peut dire
que ces petits troubles-là sont des remous partiels de
chaque côté du fleuve.
Vous me direz que si Swedenborg a vu le jugement
dernier, il a vu néanmoins quelque chose. Il a vu cela,
comme tout le reste, dans l'autre monde. Cette diffi-
culté rentre dans les objections dont les visions pour-
raient être susceptibles. H faut, pour lui dire qu'il a
menti, prouver qu'il n'existe pas un monde autre que
celui que nous voyons, et qu'il n'est pas possible de
voir autre chose que les objets sensibles. C'est cette
difficulté qu'un ignorant croit détruire en levant les
épaules, et qu'un homme sage considère sous toutes
ses faces avant de prononcer. L'existence d'un autre
monde est gravée dans tous les cœurs par le senti-
ment, est prouvée à tous les esprits par le raisonne-
ment, est invoquée par tous les hypocrites et les char-
latans. Ceci n'est pas une preuve médiocre; car l'hy-
pocrisie et le charlatanisme ne peuvent faire fortune
qu'en imitant réellement ce qui est. Il n'y a point
d'hypocrisie pour les erreurs : on n'a d'intérêt à fein-
dre une chose que quand elle est reçue partout. Or,
A M. THOMINE. 203

le mot d'existence comporte avec lui certaines idées


qui font croire que l'autre monde n'est pas sans vie.
Que serait un autre monde, s'il n'y avait pas en
même temps la vie qui modifie celui-ci? Dans ce
monde-là, il y a des événements ; quand bien même
ces événements ne seraient que des successions de
sentiments, ces sentiments appartiennent à des êtres;
car encore, que serait l'existence, si elle n'était pas
reçue différemment par l'un et par l'autre? Cette
existence serait sans individualité, et ainsi périrait
l'ouvrage de la sagesse divine. L'individualité se ma-
nifeste nécessairement sous une forme; sans cela,
elle serait encore insaisissable. Ainsi, l'autre monde
a des êtres et des formes; ces êtres sont les hommes
qui ont disparu de ce globe l'un après l'autre, et que
le vulgaire appelle des esprits, les prêtres des anges,
les philosophes des âmes. Ces hommes-esprits appa-
raissent sous forme humaine. Ils parlent, conversent
entre eux; ils aiment, ils haïssent. A ces mots d'âme
sous forme corporelle, l'esprit se trouble, on craint
de se fourvoyer, et on jette le livre.
Cette ressource est celle des esprits faibles ; tâ-
chons de ne pas en agir ainsi, parce que l'idée-mère
de la philosophie de Swedenborg s'évanouirait pour
nous; et comme l'homme porte presque toujours des
jugements sans appel, chaque fois qu'elle s'offrirait à
notre mémoire, nous la qualifierions d'extravagante,
uniquement parce que nous l'aurions fait une pre-
mière fois. Si votre cheval a peur et fait un saut, vous
204 PREMIÈRE LETTRE

le ramenez prudemment devant l'objet de sa peur; si


vous passiez outre, toute l'éducation de votre monture
serait manquée : il faut en agir ainsi avec l'intelli-
gence.
L'âme, disent les disciples de la Nouvelle Église,
est substance et forme; car il n'y a pas de sujet sans
forme et d'affection sans sujet. Si l'âme était un gaz,
encore faudrait-il que ce gaz se présentât à notre es-
prit sous quelque apparence pour en conclure qu'il
existe. Recevoir une affection suppose un centre quel-
conque; si ce centre n'existait pas, les affections se-
raient sans siège; la vie émanée de Dieu ne trouverait
aucun point qui la reçût; elle tomberait dans lç néant,
ce qui est contradictoire avec l'idée que nous nous
faisons de la puissance divine. La vie émanée de Dieu
ne peut pas plus manquer de récipients que la clarté
du soleil ne peut manquer de corps qui la réfléchis-
sent. Ces récipients sont les hommes qui ressuscitent
avec tous les organes auxquels les facultés morales
sont intimement attachées. Ces organes constituent
l'homme-esprit, dont la fausse idée a donné lieu à la
résurrection en chair et en os des théologiens. C'est
aussi cette vérité qui, en se dénaturant chez le peu-
ple, a enfanté les contes de revenants.
L'existence de l'âme sous forme humaine n'est point
du tout de l'invention de Swedenborg. On la retrouve
dans la première Épitre de l'apôtre Paul aux Corin-
thiens. Dans le verset 44 du chapitre lo, on lit ce
passage remarquable : L'homme est semé corps ani-
A M. THOMINE. 20o

mat, il ressuscitera corps spirituel. Celui qui a des


visions ne voit pas les âmes comme des souffles; ja-
mais personne qui a aimé vivement et qui regrette
l'objet aimé ne se l'est représenté comme de l'air am-
biant; la douleur qui est un instinct de l'âme le lui a
toujours représenté sous ses traits véritables. Se fi-
gurer l'homme immortel comme une vapeur aérienne
appartient moins au sentiment qu'à notre intelligence
qui, craignant de se tromper en croyant trop, aime
mieux croire moins. Jamais mourant ne s'est imaginé
vivre comme un miasme, et n'a tendu vers le Ciel des
yeux suppliants pour se survivre de cette manière.
Nous nous reverrons un jour, se disent deux amis qui
se quittent. Avant que la raison ait fait un commen-
taire de ces paroles, interrogez le sentiment, deman-
dez-lui le sens qu'il y attache. Où serait le bonheur,
et en quoi consisterait la jouissance ou la peine d'un
gaz? Nous croyons tous à l'autre monde, mais nous
parlons tous comme si nous n'y croyions pas, de peur
d'être taxés de faiblesse.
Voilà ce que disent les disciples de Swedenborg
pour démontrer la vérité de ses assertions. Il est juste
d'ajouter que ce que l'apôtre suédois révèle ici comme
vérité religieuse a été enseigné de tout temps comme
vérité philosophique. Les Pythagoriciens qui croyaient
aux esprits disaient, au rapport de l'auteur A'Ana-
charsis, que beaucoup d'événements, consignés dans
les cosmogonies, n'étaient pas des événements de ce
monde, mais de l'autre. Ils prétendaient s u r t o u t que
is.
-206 P R E M I È R E LETTRE

la guerre des Titans était un épisode détaché de ces


archives célestes. (Anach, ch. 64.) Si vous êtes cu-
rieux de lire là-dessus d'autres que Swedenborg,
consultez les dialogues de dom Calmet sur les appa-
ritions, Cicéron sur la dicination, Psellus enfin qui
commence son traité De dœmonibus par ces paroles :
Natura dfcmonum non est absque corpore', sed ha-
bel corpus; voyez aussi l'ouvrage et les inductions
physiologiques de M. Kératry, où il parle des formes
substantielles, et l'ouvrage intitulé : Études de la
Théorie de l'Avenir. 2 vol. in-8°.
Quoi qu'il en soit, il y a, dit Swedenborg, un autre
monde, et des êtres qui l'habitent; voilà le point ca-
pital et celui où il faut en venir avant d'arriver à Du-
puis. Il y a un autre monde, dit le peuple, mais où
est-il? et, ne le voyant pas, il en doute. Observez que
cette question vulgaire ne détruit pas plus la religion
nouvelle que toute autre. Appliquez-la à tous les cul-
tes, et il n'y en a pas un qui puisse montrer son
monde. Le Catholicisme croit à des saints invisibles,
le Protestantisme à un paradis et à un enfer comme
le nôtre, la philosophie la plus sceptique a un lieu de
récompense ou de peine. Quand Swedenborg donne
les plans de la région intellectuelle, il ne faut pas en
conclure qu'elle n'existe pas ; ce serait aller contre le
témoignage unanime de tous les peuples et de tous les
grands hommes. Dire qu'il se trompe dans les détails
de ces plans-là est une assertion qui demanderait une
discussion critique dont ce n'est pas ici le lieu.
A M. THOMINE. 207

Ainsi, il existe un autre inonde; et ce monde,


ajoute Swedenborg, est le type de celui-ci. C'est le
inonde archétype des anciens. Vous reconnaissez là
ce monde où Platon supposait les exemplaires des
choses. Tout ce qu'il y a eu de philosophes depuis le
commencement du monde a eu recours à ce monde-
modèle pour s'expliquer celui-ci. Tout ce qui est ici-
bas, dit Hermès Trismégiste, est semblable à ce qu'il
y a là-haut. Les Pythagoriciens disaient que l'Intelli-
gence Suprême réglait ses opérations sur les types
éternels des choses, qui étaient pour elle ce qu'un
modèle est pour un artiste. Heraclite d'Éphèse, cité
par Barthélémy, ne voyait de consistance que dans les
idées,, et ces idées n'étaient pas à ses yeux des abs-
tractions de l'esprit, mais des êtres réels. Enfin, le
monde intelligible a été aux yeux de tous les penseurs
la base du matériel. Voilà précisément pourquoi il ne
se voit pas; c'est parce qu'il est hors du temps et de
l'espace, qui n'appartiennent qu'à la nature. Les
meilleurs esprits de nos jours démontrent ceci victo-
rieusement, et les anciens le donnaient à deviner dans
cet adage célèbre qui a passé dans toutes les associa-
tions mystérieuses : Partout et nulle part ; partout,
en effet, pour celui qui le cherche des yeux de l'intel-
ligence ; nulle part, pour celui qui veut le voir avec
les yeux du corps.
Voilà notre monde établi, monde pareil à celui-ci :
aussi Swedenborg dit-il que la Divinité dans l'autre
monde éclaire les esprits comme un Soleil. Voilà le
i(J8 P R E M I È R E LETTRE

Soleil mystique dont parle l'Écriture, soleil dont le


nôtre n'est que l'image. Ce soleil n'est pas de l'inven-
tion de Swedenborg. Virgile, qui peint l'Elysée et
les enfers comme des séjours pareils aux demeures
terrestres, dit positivement qu'ils ont leur soleil :

Solemque suuin, sua sidéra nûrunt.


iENÉIDE, lir. 6, v. 640.)

11 peint les ombres comme Swedenborg peint les es-


prits, c'est-à-dire, conservant dans l'autre vie les goûts
qu'ils avaient sur terre, goûts qui font leur supplice
ou leur bonheur. De là il résulte que l'enfer et le ciel,
dans Virgile, comme dans Swedenborg, ne sont pas
des lieux, mais des ftats; il y a encore de la vie, et
cette vie selon ses états est susceptible de bonheur ou
d'infortune : il en est ainsi sur la terre; et, pour citer
encore un poêle,

Ce ne sont pas les lieux, c'est son cœur qu'on habite.


(DELILLE.)

Je cite Virgile pour faire comprendre Swedenborg, et


ce n'est pas sans raison. Au rapport de \Varburton,
Virgile, dans le 6e livre de l'Enéide, a enseigné les
vérités qui faisaient le sujet des mystères d'Eleusis ca-
chés au vulgaire. Selon Barthélémy, les mystères
d'Eleusis étaient destinés à donner aux initiés une
juste idée de l'état de l'homme après sa mort. Ils of-
fraient ainsi les plans de la région spirituelle; ainsi,
A M. THOMINE. 209

la conformité que nous observons entre Swedenborg


et Virgile est une preuve en faveur des témoignages
du premier. Je vous ferai observer en passant que les
anciens ne cachaient ces vérités au peuple que dans la
persuasion où ils étaient que le peuple en rirait, sitôt
qu'il en aurait connaissance. Ce n'est que cela, dit le
peuple, quand on lui démontre clairement une chose ;
et, après cette exclamation, la chose pour lui est ju-
gée. Si les mystères des anciens prêtres d'Egypte,
ceux d'Eleusis ou autres, avaient été connus du peu-
ple, il les aurait traités comme il traitera sans doute
aujourd'hui la religion nouvelle (h). Ce monde, type
du monde matériel, en est ainsi le modèle parfait.
Tout ce qui apparaît ici-bas est une représentation de
ce qui existe dans le monde spirituel. C'est là que sont
les causes dont les effets sont sur la terre. S'il était
possible qu'il parût un être ou un corps qui n'eût pas
son principe là-haut, cet être ou ce corps existerait
par lui-même, ce qui est impossible; la matière ne
peut exister toute seule; elle est passive. Si un corps
avait en lui un principe d'existence, il serait Dieu
même, puisque c'est là ce seul principe. S'il existait
sans comporter de liaison avec le monde d'où découle
la vie, ce serait un effet sans cause; ce qui est une
absurdité.
Puisque tout ce qui paraît sous nos yeux est une
représentation, il s'ensuit queiiotre monde, comme
l'ont dit les poètes, est une image, et qu'il est lié à
(/() Voir, i la suite, la première remari|ue du capitaine Bernard.
38*.
210 P R E M I È R E LETTRE

l'autre par Correspondance. La terre avec tout ce


qu'elle renferme n'est autre chose que le inonde spi-
rituel revêtu de la matière inerte par laquelle il s'est
rendu visible. C'est l'idée de l'apôtre Paul, Le monde
extérieur est si bien la vie manifestée, qu'il est im-
possible d'y rien voir qui ne porte en soi le sceau de
l'éternel et de l'infini. La simple fleur des champs
porte avec elle la graine qui la perpétue, et par la-
quelle non-seulement elle est immortelle quant à l'es-
pèce, mais encore par laquelle elle tendrait en peu de
siècles à couvrir la surface de la terre entière. Le
monde spirituel est dans celui-ci, comme l'âme hu-
maine est cachée dans le corps. Au moyen des or-
ganes corporels, l'homme rend sa pensée visible; les
gestes et les mouvements sont de vraies Correspon-
dances de ce qui se passe dans son intérieur. Dans
toutes les choses de la nature physique, il y a la même
cause spirituelle. Rien ne se meut que ce ne soit par
une volonté; or, la matière ne veut pas, elle exécute
ce que la vie lui fait faire.
Les anciens étaient dans la Science des Correspon-
dances, et cette Science chez eux était la principale.
Partout où nous voyons des effets, ils remontaient aux
causes : de là suit que chez eux les sciences paraissent
avoir été plus perfectionnées que chez nous. Bailly a
soupçonné cette vérité, quand il a dit que l'Astronomie
des Indiens et des Égyptiens n'offrait que les débris
d'une Science, qui paraissait avoir été portée anté-
rieurement jusqu'à la perfection. Il a donné de nom-
A M. THOMINE. 211
s
h reuses preuves de cette assertion dans les l" livres
de son Histoire de l'Astronomie, et dans ses Let-
tres sur l'Atlantide. Swedenborg prouve ce que ce
savant n'avait fait qu'entrevoir. 11 démontre que les
Hiéroglyphes qui nous restent des Égyptiens ne peu-
vent se comprendre qu'à l'aide des Correspondances.
Il prouve que l'Écriture Sainte, d'un bout à l'autre,
est écrite par des Correspondances; que tous les peu-
ples avaient un culte dont le langage est encore celui
des Correspondances. Ainsi, s'ils adoraient le soleil,
c'était le Soleil spirituel, dont je vous ai parlé plus
haut; s'ils rendaient des hommages aux éléments, aux
animaux mêmes, c'était par suite des idées qu'ils at-
tachaient à tout ce qui existe, idées que la seuleScience
des Correspondances pouvait leur fournir. La Mytho-
logie grecque elle-même, si absurde prise à la lettre,
devient, au moyen des Correspondances, un livre phi-
losophique dont la lecture est on ne peut plus atta-
chante. J'ai maintenant la Mythologie Universelle
de Noël, et vous ne sauriez croire combien les Cor-
respondances en rendent la lecture agréable. Enfin,
les Correspondances, voilà la clé de tout ce qui nous
reste des anciens. Les successeurs de ces hommes qui
étaient en possession de la Science des sciences, ont
dégénéré insensiblement au point de prendre pour
réalité ce qui était symbole. Ils ont oublié l'Être Créa-
teur pour adorer son image. Ce qui leur est resté des
anciens cultes leur a paru naturellement exprimer le
culte de la nature. Ils sont devenus matérialistes,
PREMIÈRE LETTRE

athées même. Ils ont eu sous les yeux les monuments


et les traditions de leurs ancêtres sans les compren-
dre; et l'espèce humaine, à l'exception de quelques
sages qui ont paru de loin en loin, s'est dégradée au
point de ne plus connaître les rapports qui la liaient
au monde des causes. La philosophie démontre cette
assertion, en prouvant la chute de l'homme, racontée
allégoriquement dans Moi'se, et présentée rapidement
dans l'écrit que je vous ai envoyé sous le titre de Mot
de l'énigme (i). Il est clair, comme je vous l'ai fait
voir, que l'homme, tombé par la chute dans la prison
des sens, ne croit plus qu'à leur témoignage.
Dupuis, auquel nous arrivons enfin, est un homme
on ne peut plus savant ; mais athée et matérialiste par
principe, et se faisant gloire de l'être, il ne trouve
dans tous les cultes que le culte des objets physiques,
et n'y veut pas voir autre chose. Ses sens ne lui ont
jamais fait voir autre chose; comment ne se rendrait-
il pas à ce témoignage? Ainsi, il prouve que le soleil
est l'unique dieu de tous les peuples. Sous le nom
d'Hercule, il accomplit douze travaux, c'est-à-dire
qu'il parcourt les douze signes du zodiaque, idée que
Roucher a rendue dans une invocation au soleil :
Te voilà donc, héros, dont la valeur terrasse
Les monstres qu'en son cours le Zodiaque embrasse.

Le Dieu des Chrétiens lui-même n'est autre chose,


à ses yeux, que le soleil. Il naît à Noël comme le so-
i» Brochure in-8" do il pages. Pari», 1826. par Éd. Richcr.
A M. THOMINE. 213

leil qui, arrivé au solstice d'hiver, recommence un


nouveau cours. Guidés par une étoile, trois Rois ma-
ges viennent l'adorer, comme les trois étoiles du bau-
drier d'Orion, appelées encore aujourd'hui les trois
Rois, précèdent le Soleil. Dans ce moment-là, monte
à l'Orient la constellation de la Vierge, que les sphè-
res persiques représentent avec un enfant à la ma-
melle; au Zénith parait la nébuleuse du Cancer, ap-
pelée la Crèche, et près d'elle de petites étoiles ap-
pelées les Anes. N'est-ce pas là ce qu'on raconte de
la naissance du Christ? Voulez-vous des rapports plus
prononcés? Il a douze apôtres, comme le soleil en-
fante douze mois : sous les traits de VAgneau pascal,
il vient au printemps effacer les péchés du monde,
comme le Bélier, le premier signe du Zodiaque, vient
au même moment signaler le triomphe du Soleil sur
l'hiver, de la lumière sur les ténèbres. Les prêtres
qui desservent ses autels révèrent surtout l'image du
Soleil dans le Très-Saint-Sacrement; leur tonsure
en imite la forme; sur le tabernacle, ils peignent un
Triangle, constellation printanière, qui s'élève en
même temps et au-dessus du Bélier. Les mêmes prin-
cipes expliquent toute l'Écriture. Quand l'apôtre Jean
dit que le Yerbe est le principe de la lumière, et que
cette lumière est la véritable qui éclaire tout homme
venant au monde,—I. 9,— Dupuis y voit, bien enten-
du, la lumière solaire. L'Apocalypse elle-même ne ré-
siste pas à cette interprétation. La Nouvelle Jérusa-
lem dont il y est parlé est bien le ciel, puisqu'elle a
211 PREMIÈRE LETTRE

douze portes, comme le Zodiaque a douze signes : on


y voit un chandelier à sept branches, image frappante
des sept planètes connues des anciens. Les quatre
animaux mystérieux, qui servent d'attributs aux qua-
tre Évangélistes, ne sont autre chose que les quatre
constellations qui se trouvent aux colures des équi-
noxes et des solstices, à savoir, le Lion, le Taureau,
l'Aigle et le Verseau. Le récit de Moi'se n'est autre
chose également qu'une allégorie astronomique. La
chute de l'homme, le serpent, et la défaite de Satan,
tout cela n'est autre chose que les aspects du ciel.
Les douze enfants de Jacob sont si bien aussi, eux, les
douze signes du Zodiaque, que ce patriarche désigne
chacun d'eux par des épithètes qui s'appliquaient aux
seules constellations zodiacales. Ainsi, le Verseau, le
premier des signes en montant, sert d'enseigne à Ru-
ben, premier fils de Jacob, que son père compare à
l'eau qui s'écoule. Le Lion est peint sur le pavillon de
Juda, fort comme un lion. Éphraïm que Moïse assi-
mile au bœuf, — Dent. XXXIII. 17, — a pour en-
seigne le Taureau; Dan, le Scorpion ou le Vautour,
qui en est le paranatellon, c'est-à-dire, le signe cor-
respondant, etc., — Genèse, XLIX. — Les autres en-
fants de Jacob portent des noms que l'Astrologie
seule employait alors. Ainsi, le Sagittaire était con-
sacré à la chasse, et Benjamin qu'il représente est
appelé par son père chasseur ; Zabulon signifie habi-
tant des bords de la mer, et le Capricorne, qui lui est
affecté selon les astrologues, était fils de Neptune.
A M . THOMINE.

Détruisez maintenant tout cet échafaudage autre-


ment que par la théorie des Correspondances et la
vraie philosophie spiritualiste, et vous n'y parvien-
drez jamais. La philosophie nous dit que l'univers n'a
pu être adoré primitivement par l'homme jouissant
de toutes les facultés, parce que le culte suppose un
élan de l'âme, et que l'âme ne se prend à rien de ce
qui est matériel. Elle démontre que le soleil n'est pas
l'unique diea de l'univers, parce que l'ordre et l'har-
monie du monde supposent une intelligence et une
volonté, et qu'il est difficile de les imaginer dans le
soleil. De deux choses l'une, ou le monde spirituel
est une abstraction sans fondement, et Dupuis a in-
vinciblement raison ; ou le monde spirituel existe, et
Dupuis est réfuté phrase par phrase, sans qu'il reste
autre chose de son livre que les preuves historiques.
Tous ses raisonnements matérialistes sont faux; ce-
pendant on ne peut douter de ses preuves histori-
ques : il prouve bien le culte de la nature : il a été
universel; mais c'est parce qu'alors on avait perdu la
Science des Correspondances. Les premiers hommes
avaient peint les images des êtres et des corps physi-
ques dans leurs temples, parce qu'ils savaient que la
matière n'est que l'enveloppe du spirituel, et que ces
images portaient avec elles leur signification. Leurs
successeurs n'ayant aucune idée de ces significations,
sachant que leurs ancêtres s'étaient prosternés devant
ces images, les ont prises pour des dieux, et les ont
adorées tout de bon. Il en serait ainsi dans notre Eu-
216 PREMIÈB£ LETTRE

rope moderne, si une nouvelle migration de barbares


s'emparait de nos contrées. Nos statues de saints de-
viendraient, à leurs yeux, des fétiches qui ne rappel-
leraient rien. Ils adoreraient du bois et du fer; et
quelque sophiste, pour légitimer ensuite leur culte,
dirait : « Votre religion est la plus belle et la plus
» philosophique de toutes; vous ne vous cassez pas la
w tète d'abstractions métaphysiques; vous n'avez pas
» la puérilité d'aller chercher dans le Ciel des hom-
» mes qui intercèdent pour vous auprès du grand
» Être; vous l'adorez vous-même dans ses dons les
» plus utiles : le bois qui vous échauffe et fait cuire
» vos aliments, le fer qui ouvre pour vous le sein de
» la terre, et vous arme contre vos ennemis. » Dupuis
raisonne absolument comme cela.
Vous voyez à présent, j'espère, le rapport qu'il a
avec Swedenborg. Il accumule douze volumes de
preuves historiques qu'on ne peut contester, mais
qu'on explique à l'aide des Correspondances. Il en
déduit des principes erronés que l'on combat à l'aide
de la philosophie spiritualiste. Il interprète la nature
comme un homme qui jugerait un livre dont la pre-
mière page est déchirée. Vous pouvez maintenant ap-
précier les prétentions des partisans de Dupuis et
celles des adeptes de Swedenborg. Dupuis a fait beau-
coup de bruit en son temps. M. de Laplace, le pre-
mier de nos astronomes, a adopté, dans l'exposition
du Système du monde, les conclusions de cet auteur.
Yolnev a mis ses découvertes à la portée de tout le
A M. THOMINE. 217

monde, dans l'ouvrage célèbre des Ruines. L'acadé-


mie celtique a travaillé longtemps sur les données de
ce savant. Tous les travaux des antiquaires ont eu
pour but pendant plusieurs années de chercher des
rapports symboliques entre les sphères el les monu-
ments qui nous restent des anciens. A présent encore,
ces savants ne sont pas tout à fait désabusés de ce
système.
Les disciples de la Nouvelle Église, comme vous le
voyez clairement à présent, ne sont point du tout ef-
frayés des conséquences que l'érudition peut tirer de
semblables découvertes. Personne, disent-ils, n'est
capable de réfuter Dupuis, si ce n'est nous autres. 11
ne peut être combattu que par une hypothèse qui,
en détruisant la sienne, en adopte néanmoins toutes
les conséquences; or, il n'y a que notre doctrine qui
présente cet avantage. En résumé, ils se bornent à ce
dilemme :
« Ou il n'existe pas d'autre monde que celui-ci,
» et Dupuis a raison ; ou il y a un autre monde, et
» Swedenborg seul a raison, parce qu'il n'y a que lui
» qui applique à ce monde-là les faits incontestables
» recueillis par Dupuis. »
Vous avez actuellement les pièces du procès; c'est
à vous de juger. Je vous ai présenté la religion nou-
velle telle que ses partisans la présentent eux-mêmes.
Je vous ai esquissé le système de Dupuis tel qu'il est
exposé par ses enthousiastes. Si vous désirez de pkis
amples informations, je vous renvoie à un article du
19.
218 P R E M I È R E LETTRE

Lycée armoricain, in litulé les Soirées de Stockholm,


et à un autre qui a pour titre le Dragon. A l'aide
des détails dans lesquels je viens d'entrer, vous les
lire/ couramment.
Au reste, ma manière de voir ici ne fait rien à la
chose. Qu'un écrivain critique, qu'il blâme ce qui a
un principe vital, ce principe n'en continue pas moins.
Or, la Religion Nouvelle est dans ce cas-là : ce n'est
plus un tliéosophisme de cabinet, c'est une religion
positive. Inaperçue dans son origine, comme le Chris-
tianisme lui-même, la voilà déjà toute grande. Qu'on
l'injurie, qu'on la méprise, cela ne l'empêche pas d'ê-
tre. Elle a à présent la consistance d'un culte. Si les
réformés n'avaient pas attaché l'existence civile à leur
religion, on n'y verrait sans doute qu'une rêverie ex-
travagante. La Nouvelle Jérusalem est dans le cas de
la Réforme. Les disciples, au reste, ne se prévalent
pas beaucoup de cette existence. Ils ne prétendent
qu'au culte de l'âme, et ce culte est de nature à être
secret; sitôt qu'il devient public, il est bien vite en-
taché d'hypocrisie ou de fanatisme (j). 11 y a, disent
les disciples de la Nouvelle Jérusalem, une grande
ressemblance entre les hommes d'aujourd'hui et les
Juifs d'autrefois. Sous Tibère, les Juifs attendaient
le Messie, mais comme un Roi de ce monde : l'Eu-
rope chrétienne attend le jugement dernier el la
Nouvelle Jérusalem comme des choses qui doivent
être conformes à la lettre. La Nouvelle Jérusalem,
<ji Voir, p.ige 22-2, la troisième remarque iiu capitaine Bernard.
A M. ÏHOM1NE. 219

dans l'économie de la sagesse divine, ne doit pas plus


être une ville qui descendra du Ciel, que Jésus-Christ
ne devait être un Roi entouré de ses gardes. Les Juifs
ont méconnu le Messie, parce que les idées sensuelles
les offusquaient; les Européens, plongés dans la ma-
tière, doivent méconnaître la Nouvelle Religion.
En deux mots, voici la substance de ma lettre. Les
raisonnements de Swedenborg paraissent incontesta-
bles, parce qu'ils servent à prouver un monde que
tout nous annonce. Les faits dont il s'étaie sont de
nature à être fournis à la critique, parce que ce sont
des visions qui lui sont personnelles. Les raisonne-
ments de Dupiiis sont évidemment faux, parce qu'il
raisonne sur un, livre dont le premier feuillet lui man-
que ; et néanmoins les faits qu'il accumule, tirés des
feuillets de ce livre, sont pour la plupart incontesta-
bles. Tous les deux, quoique si différents dans leur
but, se prêtent un mutuel appui. Le livre de l'athée
sert de pièces justificatives au livre du théosophe.

Remarques du capitaine Bernard sur la i re Lettre.


d'Ed. Ricker à M. Thomme.

1™ Remarque.—Je lis dans la Ve lettre ces mots :


« Si les mystères des anciens prêtres d'Egypte, ceux
» d'Eleusis ou autres, avaient été connus du peuple,
» il les aurait traités comme il traitera sans doute au-
» jourd'hui la religion nouvelle; ce n'est que cela, dit
» le peuple, etc. »
REMARQUES

II est à croire gué si les mystères ont été cachés


au peuple, et gué si les savants et les philosophes eux-
mêmes n'ont obtenu l'initiation qu'après de longues
et pénibles épreuves, c'est parce gué les prêtres Égyp-
tiens, héritiers et possesseurs d'une révélation primi-
tive, plus ou moins altérée, connaissaient la chute de
l'homme, et étaient persuadés que, dans l'état de dé-
gradation où il était tombé sous le rapport de l'enten-
dement et de la volonté, il serait dangereux de com-
muniquer, sans préparation, à la multitude ou aux
individus mus par la seule curiosité, certaines vérités
dont il eût été possible d'abuser, puisque l'homme
peut comprendre le vrai sans aimer encore le bien.
Il y a aussi danger de profanation dans la communi-
cation des vérités religieuses à l'homme encore sous
le joug des passions, non disposé à travailler sérieuse-
ment à sa Régénération, ou susceptible de rétrogra-
der, après avoir, comme dit l'Écriture, mis la main
à la charrue. Peut-être n'est-ce donc pas seulement
pour éviter la dérision du peuple sur les anciens mys-
tères que le sacerdoce les lui voila si soigneusement.
Maintenant qu'il s'agit d'une doctrine qui s'identi-
fie avec le Christianisme, puisqu'elle n'en est vérita-
blement que la doctrine explicative et complémen-
taire, on peut, ce me semble, espérer que le peuple
la goûtera, dès qu'il sera mis à même de recevoir la
véritable instruction religieuse dont il est privé de-
puis des siècles. La religion chrétienne seule donne
dans leur ensemble, avec une admirable simplicité,
DU CAPITAINE BERNARD. 2:21

les moyens principaux de Régénération offerts au


peuple comme aux savants, et ce sont bien souvent
les simples qui en ont le mieux profité. La doctrine
théologique de Swedenborg sera bien consolante pour
le peuple qu'elle affranchira de vaines et minutieuses
pratiques par lesquelles on prétendait lui faire ache-
ter le salut, en le soumettant servilement à la domi-
nation humaine. Le peuple croit déjà une multitude
de choses enseignées et prouvées dans cette doctrine ;
il est, en général, moins éloigné du merveilleux que
les philosophes; il est vrai qu'un nombre prodigieux
d'anciens et de modernes ont été gratifiés de ce titre,
sans qu'ils l'eussent mérité. Aimer un seul Dieu créa-
teur et sauveur, aimer son prochain pour l'amour de
lui ; fuir le mal, pratiquer le bien ; croire à la résur-
rection immédiate, à la félicité éternelle pour les
bons, à des peines pour le méchant qui, dès ici-bas,
fait son malheur en méconnaissant la voix de son Dieu,
et en se livrant à des passions criminelles; puiser dans
la prière à Celui qui s'est appelé notre Père les secours
qui nous sont journellement nécessaires; tout atten-
dre de sa bonté, de sa miséricorde; s'abandonner
avec confiance entière à sa Divine Providence, qui
veille à tout...; ces principes évangéliques seront, je
crois, compris par le peuple, et les fruits qu'il recueil-
lera de leur pratique, lui feront de plus en plus recou-
vrer la dignité primitive de l'homme, que la sagesse
et la vérité gardent elles-mêmes, lorsque ses affec-
tions sont pures.
19'.
222 REMABQUES
e
2 Remarque. — Dans un autre passage, il est dit
que le Christianisme vulgaire, appuyé sur la lettre,
attend la fin du monde, en opposition, en cela, avec
la science et la philosophie. Cette phrase dont je viens
d'indiquer seulement le sens, ne l'ayant pas sous les
yeux en ce moment, m'a rappelé que dans tous les
passages de l'Écriture, traduits en français par la fin
du monde, le latin porte consummatio sœcu(if ce
qui est essentiellement différent, et autorise les disci-
ples de la Nouvelle Jérusalem à soutenir qu'il n'est
pas parlé de la fin du monde, même dans le sens lit-
téral de la Parole.
3e Remarque.—Je lis dans la même lettre (p. 218) :
« Les disciples ne prétendent qu'au culte de l'âme, et
» ce culte est de nature à être secret ; dès qu'il de-
» vient extérieur (1) (ce mot, qui est dans la copie,
» n'est peut-être pas précisément celui de l'original), il
» est bien vite entaché d'hypocrisie ou de fanatisme. »
Ne pourrait-on pas induire du passage ci-dessus,
que la Nouvelle Église n'aura pas de culte? Cependant
l'auteur ne le pense pas ainsi, puisqu'il cite diverses
contrées où est déjà établi le culte évangélique des
disciples de la Nouvelle Jérusalem. De bonnes prédi-
cations semblent aujourd'hui bien nécessaires. Le sa-
cerdoce, qui représente le Royaume céleste du Sei-
gneur ou le Divin Amour, entre de nécessité dans la
constitution des sociétés humaines; il doit, dit Swe-
denborg, conduire les hommes au bien de la vie, et
(1) Dans l'original, il y a public.
DU CAPITAINE SËRKARD. 223
par là au Seigneur, sans s'attribuer personnellement
aucun mérite, aucune supériorité -, aucun honneur.
Le Baptême et la Sainte Cène, sacrements institués
par le Divin Maître, devront être administrés par des
prêtres, ayant la vocation d'exercer de telles fonc-
tions; et ils béniront aussi les mariages, sans renon-
cer pour eux-mêmes à devenir époux et pères.
Il est certain, toutefois, que le culte extérieur n'est
rien sans le culte intérieur, et que celui-ci consiste
dans h justice et la charité, dans l'adoration en es-
prit et en vérité.

Seconde Lettre d'Éd. Richer à M. Thomine.

Je vais reproduire ici la seconde partie de mon tra-


vail, avec plus de détails que je ne vous en avais don-
nés dans une de mes lettres précédentes, mais sans
en indiquer les Sections et les Subdivisions que vous
supposerez aisément. Vous me pardonnerez la lon-
gueur de ma lettre en raison de l'importance du sujet.
Swedenborg n'est connu en France que de nom;
je ne connais que deux auteurs qui en aient parlé,
M1"" de Staël dans VAllemagne, et M. Deleuze dans
son ouvrage sur le Magnétisme animal. Ce que dit
Mme de Staël prouve qu'elle n'avait jugé Swedenborg
que par oui-dire, puisqu'elle le confond avec les sor-
ciers qui ont la réputation d'évoquer les esprits.
SECONDE LETTRE

Quant à l'article de M. Deleuze, il est d'un homme


qui n'avait pas ouvert un seul ouvrage de notre Au-
teur.
Le premier témoignage que j'invoque en faveur de
Swedenborg est celui de toute l'Écriture Sainte, livre
inexplicable, si on le lit sans en avoir la clé, livre de
disputes interminables, si on le juge d'après ce qu'en
ont écrit les commentateurs. A l'aide de la Science
des Correspondances, Swedenborg l'explique d'un
bout à l'autre si clairement qu'il n'est pas possible de
croire que tant de clarté soit le fruit d'un système.
Fabre d'Olivet, Saint-Martin l'expliquent bien aussi à
leur façon, mais Swedenborg a l'avantage d'y appli-
quer sa doctrine entière. Le Soleil spirituel dont il
nous parle est cité à chaque page de la Bible. Le
Royaume de Jésus-Christ, qui n'est pas de ce monde,
est en tout conforme au Ciel de Swedenborg. Une pa-
reille conformité serait déjà assez surprenante, quand
elle ne serait que le fruit du travail d'un érudit, mais
quand on songe que celui qui l'interprète atteste avec
serment qu'il a tout reçu du Seigneur seul, on s'ar-
rête et on réfléchit.
Il est certain qu'il faut une clé pour lire l'Écriture,
Swedenborg nous dit pourquoi il en faut une, et quelle
est cette clé ; personne n'a le môme avantage. La
chute montre pourquoi il faut une clé, sans que cette
circonstance milite en faveur des incrédules. L'Écri-
ture contenant des choses qui concernent la Vie, si-
tôt qu'on y arrive, on touche à la région vivante. De
A M. THOMIKE. 22S

là l'attrait qu'elle offre aux âmes ardentes; de là la


multitude de commentaires auxquels elle a donné lieu.
Il ne faut pas s'étayer de ce grand nombre de com-
mentateurs pour dire que leur recherche est vaine;
mais il faut, au contraire, conclure de leurs efforts in-
fructueux l'importance de cette recherche. On à tout
l'air en France d'un songe creux, quand on cite ou
qu'on interprète la Bible; mais ce préjugé provient
d'une opinion égarée, et ne détruit nullement le mé-
rite ou l'importance d'un pareil livre. Si ce livre, qui
a occupé tant de têtes savantes, est une preuve en fa-
veur de Swedenborg, on né détruit pas cette preuve,
en la rejetant sans examen ; elle existe, qu'on la dé-
daigne ou non. Si elle ne trouve pas de lecteurs dans
un moment, elle attend comme la nature qu'une géné-
ration passe; et elle peut attendre, parce qu'elle a le
temps pour elle. Un petit esprit pourrait craindre en
adoptant Swedenborg d'après l'Écriture, de n'adopter
qu'un hérésiarque; je ne parle pas dans mon livre
aux esprits de cette trempe, mais aux hommes qui
examinent ; et il est difficile de croire que l'erreur soit
de ce côté-là. L'Église romaine s'étaie d'une parole de
Jésus-Christ pour lier et délier dans le Ciel. Il est
difficile de croire que ce pouvoir appartienne au sacer-
doce même. Borgia revêtu de la tiare n'en est pas
moins un monstre, et je ne sais pas trop comment il
peut se faire que ce monstre ouvre ou ferme le Ciel.
C'est au cœur de l'homme qu'est donné tout pou-
voir. Celui-là n'avait pas de cœur, ou du moins son
SECONDE LETTRE

cœur était pourri. Il ne lui restait que l'habit, et la


soie et la laine n'ont aucune vie spirituelle. Les saints
que de pareils hommes ont placé en paradis, les
dîmes qu'ils ont instituées, les fêtes qu'ils ont éta-
blies, les indulgences qu'ils ont vendues, voilà ce qu'il
faudrait respecter; et pour eux il y a hérésie, sitôt
que vous n'êtes pas leur dupe. Aux yeux d'un homme
qui pense, une pareille qualification est peu de chose.
L'hérésie véritable consisterait à rejeter quelque chose
du Livre Sacré, et Swedenborg au contraire en con-
firme tous les Versets. Il ne veut pas de saints, parce
que ce sont les hommes qui les font, et qu'il n'y a que
Dieu qui sonde les cœurs. Il ne veut pas d'hiérarchie
ecclésiastique, parce que c'est l'orgueil qui l'a inven-
tée. Il veut le mariage des prêtres, parce que les Apô-
tres avaient des femmes, et que la décision d'un con-
cile postérieur à la primitive Église n'est pas un arrêt
de la nature. 11 ne veut pas que la foi seule nous sauve,
parce que la foi n'est rien sans la charité, comme l'en-
tendement sans la volonté, ces deux facultés primor-
diales étant le principe de ces deux vertus chré-
tiennes. Enfin, il n'attend pas le jugement dernier ni
la résurrection du corps, parce que le monde ne peut
finir, parce que les étoiles plus grosses que la terre
ne peuvent tomber sur sa surface, parce que des corps
dévorés par des requins, consumés par le feu ou la
chaux vive ne peuvent renaître. Sa résurrection, c'est
l'immortalité de l'âme; son jugement dernier, c'est
un jugement dans le Ciel. La Jérusalem céleste n'est
A M. TIIOMINE. 227

pas une cité de bois ou de pierre, comme celle des


Catholiques-Romains superstitieux, mais une réunion
de Chrétiens, une Cité enfin dans l'acception vraie du
mot. Le bon sens reçoit son jugement dernier, l'É-
criture le confirme par ces paroles expresses de Jésus-
Christ : « De deux hommes qui seront dans un même
» champ, l'un sera pris et l'autre sera laissé. » —
Luc, XVII. 34.
Les anciens Orientaux viennent à leur tour rendre
témoignage aux principes et aux révélations de Swe-
denborg. Confucius fonda, comme lui, sa morale sur
la distinction de la volonté et de l'entendement. Zo-
roastre conseille comme lui de commencer par le bien
pour arriver au vrai, ou en d'autres termes, d'éclai-
rer l'intelligence par l'amour. Le Zend-avesta elle
livre philosophique des Chinois deviennent deux preu-
ves irrécusables. A celles-là j'en joins une troisième
plus remarquable encore, je veux dire le Pimandre
et VAsclepius attribués à Hermès Trismégiste. Ici,
mille conformités qui ne sont point l'ouvrage du ha-
sard. Chacun des ouvrages de Swedenborg pourrait,
en effet, être précédé d'une épigraphe tirée de l'Her-
mès. Deus ignis alque spiritus, dit le Pimandre,
hominem sibi similem procreavit. Où trouver ail-
leurs que dans Swedenborg et l'Écriture ce Dieu tout
à la fois feu et esprit qui a créé Vhomme semblable
à lui? Sensus corporel partes animœ facli, n'est-ce
pas le corps spirituel dont parle Paul, et les formes
substantielles de Swedenborg? Je transcrirais tout
228 SECONDE LETTRE

l'Hermès, si je voulais signaler les passages concor-


dants. Je m'arrête seulement, à ces deux-ci, parce que
c'est le Dieu soli-forme, et c'est l'âme à forme hu-
maine, qu'on a le plus de peine à adopter en lisant
Swedenborg. Quelques érudits veulent que les livres
d'Hermès soient apocryphes. La Harpe les attribue,
dans son cours de littérature, à quelque platonicien
de l'école d'Alexandrie. Un Index Bibliographique
placé à la suite de mon livre éclaircira la chose. Du-
puis, tome V, page 612, dit que les Syriens ont en-
core aujourd'hui des entretiens d'Hermès avec Ta-
tien, son disciple, écrits en langue babylonienne. Il
est difficile de croire à la traduction d'un livre grec
en babylonien. Dupuis cite Hermès à l'occasion de ce
que dit celui-ci d'un Dieu soli-forme. Je le demande
à présent, peut-on de bonne foi considérer comme
un partisan du culte de la nature un auteur qui s'ex-
prime ainsi dans le Chapitre 5 du Pimandre .•« Ordo
fieri a deformitale nequit... et quum statuqm et
imaginem absque fabro et pictore fieri nullus asse-
rere audeat, miram mundi hujiis constitutionem
sine conditore constiluisse putabimus... Cave, ô fili
mi, Tati, ne unquam arlificem prives artifice. »
Fénélon se serait-il expliqué autrement? Sur le soleil
spirituel vous pouvez consulter en outre Beausobre,
Augustin, Clément d'Alexandrie, Plotin, Origène,
Cicéron enfin sur, la nature des Dieux, Ch. 12. Si
quelque chose a été adopté et cru universellement au-
trefois, c'est ce point-là.
f
A M. THOMINE. 229

Après ces auteurs placés en première ligne, je des-


cends à des siècles postérieurs, et d'Hermès je viens
à Pythagore. Ce philosophe, qui croyait, comme le
nôtre, à la divination, a expliqué,— voir un passage
de Plutarque,— la théorie des degrés telle qu'elle est
exposée dans Swedenborg. Dans l'ordre chronologi-
que, Pythagore sera suivi de Platon. Les ouvrages de
ce dernier sont littéralement des commentaires poé-
tiques de la doctrine de la Nouvelle Église. Vous en
pouvez juger par ce passage de la république de Pla-
ton, traduction de Barthélémy, Voyage d'Anacharsis,
tome IV, page 432 : « II existe deux mondes, l'un vi-
sible, l'autre idéal. Le premier, formé sur le mo-
dèle de l'autre, est celui que nous habitons. C'est
là que tout étant sujet à la génération et à la cor-
ruption, tout change et s'écoule sans cesse. C'est là
qu'on ne voit que des images et des portions fugi-
tives de l'être. Le second renferme les essences et les
exemplaires de tous les objets visibles, et ces essences
sont de véritables êtres, puisqu'elles sont immuables.
Deux rois, dont l'un est le ministre et l'esclave de
l'autre, répandent leurs clartés dans ces deux mon-
des. Du haut des airs, le soleil fait éclore et perpétue
les objets qu'il rend visibles à nos yeux; du lieu le
plus élevé du monde intellectuel, le bien suprême
produit et conserve les essences qu'il rend visibles à
nos âmes. Le soleil nous éclaire par sa lumière, le
bien suprême par sa vérité; et comme nos yeux ont
une perception distincte lorsqu'ils se fixent sur des
230
f
corps où tombe la lumière du jour, de même notre
âme acquiert une vraie science, lorsqu'elle considère
des êtres où la vérité se réfléchit. » Rapproche/ main-
tenant de ce morceau les simples titres des Chapitres
de l'un des Écrits les plus courts de Swedenborg, je
veux dire, le Traité dû Commerce de l'Ame et du
Corps; en voici quelques-uns : « II y a deux Mondes,
le Monde spirituel où sont les Esprits et les Anges, et
le Monde naturel où sont les hommes (Cli. 1). Le
Monde spirituel a existé et subsiste d'après son soleil,
et le Monde naturel d'après le sien (Ch. 2). Le soleil
du Monde spirituel est le pur amour; sa chaleur dans
son essence est l'amour, et sa lumière est la sagesse
(Ch. 3 et 4). » Vous me disiez dans l'une de vos let-
tres qu'il était impossible de se mêler de philosophie
sans avoir lu Platon; ajoute/, donc maintenant sans
avoir également étudié Swedenborg. Platon a puisé
chez les Orientaux une science, celle des Correspon-
dances, que révèle aujourd'hui Swedenborg. Voilà
pourquoi il y a conformité entre eux. 11 n'y a pas jus-
qu'aux défauts de Platon, ou du moins ce qu'on ap-
pelle ainsi, qu'on ne trouve dans les écrits du nouvel
Apôtre. Au dire des rhéteurs, Platon gâte ses ouvra-
ges par d'insignifiants détails d'anaîomie. Ces détails
font la substance des livres de Swedenborg, qui, adop-
tant les formes substantielles, trouve nécessairement
l'organe partout où il signale le sentiment.
Xénophon, Plutarque, Cieéro:;, Sénèque, Marc-
Aurèle sont confrontés tour à tour avec Swedenborg,
A M. THOMINE. 231

et de cette confrontation résultera cette vérité évi-


dente : Que tout ce qui nous est resté de vrai de la
philosophie spiritualiste des anciens, nous le retrou-
vons chez le Prophète de la Nouvelle Jérusalem.
Avant d'en finir avec l'antiquité, j'essaierai un rap-
prochement de la théologie de Swedenborg avec celle
des Brames et celle des anciens Celtes conservée jus-
qu'au VIIIe siècle dans la Mythologie Ossianique. Celle-
ci, j'espère, est la religion des âmes corporelles. Ces
Bardes qui voyaient les âmes de leurs pères chas-
sant dans les nuages croyaient au moins à des âmes
sous forme humaine. On serait un peu embarrassé
des sangliers et des biches fantastiques qu'ils tuent
avec des flèches de vapeur, et cela rappelle assez bien
ces vers du Virgile travesti de Scarron :

C'était l'ombre d'un cocher


Qui de l'ombre d'une brosse
Frottait l'ombre d'un carrosse.

Mais après avoir lu ma dernière lettre, vous n'en


êtes plus à vous laisser arrêter par ces difficultés.
Quant aux Brames, on est étonné de retrouver chez
eux les hautes vérités philosophiques consignées dans
les écrits de Swedenborg. Celui-ci prouve qu'il n'y a
ni temps ni espace pour l'Esprit. Le suprême Es-
prit, dit l'un des Védas (Asiatic annual Réguler,
1801), est éloigné de nous et cependant près de
nous. L'âme sainte, dit-il ailleurs, prend une for-
me éclatante sous un corps non palpable. Dans une
SECONDE LETTRE

prière, on trouve ces paroles remarquables : « O


toi, qui donnes la subsistance nu inonde, mon-
tre-nous l'image du véritable soleil, qui se voile
maintenant sous la figure d'une lumière dorée.
Aux écrivains eosmogoniques, il est juste de joindre
les poètes, et je finis ma première partie par Hésiode,
Homère et Virgile. Je vous ai dit précédemment com-
ment l'Elysée de ce dernier offrait tant de ressem-
blance avec le Ciel chrétien de Swedenborg. Dan?, cet
Elysée, Virgile a représenté les mystères spiritualistes
d'Eleusis, venus en Grèce, comme la philosophie de
Platon, de l'Asie, et attribués aux plus anciens Orien-
taux, qui étaient dans la connaissance des Correspon-
dances. Dans cette revue des auteurs, je ne vous cite
point ceux qui nous ont laissé des ouvrages incom-
plets; je passe sous silence une foule de monuments
de l'antiquité, qui, pour n'être que des fragments,
ne sont pas moins précieux à recueillir. C'est ainsi
que le Songe de Scipion occupe une grande place
dans mon examen comparatif. C'est ainsi encore que
je cite et compare en entier avec Swedenborg la Pa-
linodie d'Orphée qui se trouve dans tous les livres,
M Hymne célèbre attribuée au philosophe Cléanthe,
et VExorde du poème astronomique d'Aratus, dont
deux vers cités par Paul sont très-étranges dans la
bouche d'un païen. Cette revue n'est pas un étalage
inutile d'érudition, elle est indispensable pour com-
prendre Swedenborg; car pour lui, il ne cite per-
sonne, i! expose ses principes, et laisse au lecteur
A M. THOMiNE. 233

instruit à en tirer les conséquences et à en faire des


applications. C'est ce qu'il n'a pas fait lui-même qu'il
faut faire. Ma première partie, comme vous l'avez vu,
renferme l'exposition de ses principes, non une expo-
sition simple, qui ne serait qu'une copie ou un extrait,
mais une exposition raisonnée, discutée et examinée,
ce qui fait un ouvrage de philosophie. Ma seconde
partie offre à l'appui de ces principes les témoignages
qu'il a oublié ou dédaigné de recueillir; ainsi toutes
deux se prêtent un appui mutuel.
Je continue à vous indiquer mes auteurs, et après
avoir exhumé tout ce qui nous est resté de la philo-
sophie païenne, antérieure au Christianisme, j'arrive
aux pères de l'Église, qui n'étaient pas des écrivains
à dédaigner. Clément d'Alexandrie, Justin, Augustin,
me présentent une telle concordance, qu'elle est ad-
mirable. Ce dernier surtout est une mine inépuisable.
Voyez ce qu'il dit dans ses Confessions (Ch. 10,
Liv. VII), de cette lumière qui n'a rien de commun
avec la lumière visible. Lisez ce qu'il dit sur la ma-
nière dont l'esprit humain a passé, par la chute, du
système intellectuel au matériel. C'est le Platon de
l'Église naissante, et voilà pourquoi il a tant de rap-
port avec l'instituteur de la dernière Église. Je trouve
à la même époque un livre curieux, c'est celui de Ter-
tullien, sur l'âme. Nos gens à courte vue que scanda-
lise tant le spiritualisme substantiel de Swedenborg,
et qui s'imaginent que tout cela est de l'invention de
l'écrivain, seraient bien surpris de retrouver toutes
20*.
S>34 SECONDE LETTRE

ces idées-là dans Tertullien. Ce qui n'a pas de figure,


dit-il, n'est rien. Ce qui s'offre à l'esprit sans aucune
image lui échappe aussitôt. L'âme ressemble, ajoute-
t-il, au corps, parce que ce qui est animé offre néces-
sairement l'empreinte de principe qui anime. Ainsi,
l'âme qui est tout entière dans tout le corps est égale-
ment la même sans lui. Celui-ci n'est qu'un vêtement
qui a pris la forme de son moule. S'il n'y avait pas de
formes spirituelles, ajoute-t-il, comment y aurait-il
des sentiments? comment concevoir la joie sans l'ex-
pression de la physionomie?
Tertuliicn ne se borne pas à ces réflexions philoso-
phiques; il étaie, comme Swedenborg, ces raisonne-
ments par des visions, non des visions qui lui soient
personnelles, mais des visions dont il a recueilli les
circonstances de la bouche de témoins-non suspects;
il procéda là à peu près comme Cicéron dans son
livre sur la Divination. Il cite en témoignage l'une
de ses sœurs. Nos philosophes du dernier siècle
ont accordé beaucoup de génie à Tertullien, mais ce
Livre les a choqués Ions, comme cela devait être.
Néanmoins, par une bizarrerie inexplicable, ils ont
cite de lui un mot fameux, répété dans toutes les Rhé-
thoriqucs comme un exemple du sublime; ce mot,
c'est celui-ci : L'âme en mourant emporte avec soi
tout i'hoinme. Tous voyez clairement dans quelle
philosophie ce mot a été trouvé. Voyez maintenant
comment les hommes sont conséquents! ils admirent
im mot qui les frappe, et ils rejettent la philosophie
qui seule a pu inspirer ce mot-là.
A M. THOM1NE. 235

Avant d'entrer dans les siècles de ténèbres, qui ont


été les premiers siècles du Christianisme chez nous,
je m'arrête sur les philosophes de l'école d'Alexandrie.
Cette école remarquable a un caractère à elle, et je ne
trouve pas que nos philosophes aient assez remarqué
l'influence qu'elle a eu sur l'esprit humain. Porphyre,
Jamblique, Plotin, Psellus, Proclus, une foule de gé-
nies rares, instruits à l'École Platonicienne, nous ai-
dent à débrouiller des passages fort embarrassants
dans Swedenborg. Par exemple, ce n'est pas assez
d'adopter avec lui des formes dans l'autre monde, il
faut encore admettre des formes en rapport avec le
bien et le mal qui se trouvent dans les êtres. Le beau
chez lui, comme chez Platon, est la forme nécessaire
du bon ; la laideur conséquemment suit le vice.
Ce n'est pas assez des auteurs, il faut suivre l'es-
prit humain en même temps dans sa marche. Après
m'êfre arrêté avec les philosophes de l'école d'Alexan-
drie, je converse avec les hérétiques de l'Église nais-
sante. Une grande vérité résulte de l'examen que je
fais des erreurs de Socin, de Pelage, d'Anus, de Mâ-
nes et autres; c'est qu'aucune de ces hérésies ne sub-
siste après la lecture des écrits de Swedenborg; il
est clair que cette boussole, qui guide aujourd'hui le
monde, l'eût sauvé; dès lors c'est faute de lumière
que l'esprit humain s'est égaré. Cette partie, comme
vous le concevez par ce que je vous ai dit plus haut
de la manière dont Swedenborg considère la Trinité
et V'Humanité Divine, est susceptible de jeter un
230 SECONDE LETTRE

jour toul nouveau sur les sectes modernes. L'autorité


multiplie les sectes en défendant de penser. L'esprit
humain, obéissant à cet indomptable besoin de liberté
qui constitue son essence, se redresse comme l'arc
sous la main qui le courbe, et vous voyez toujours les
anciennes hérésies, ou du moins ce qu'on qualifie
ainsi, reparaître, parce qu'on cherche toujours à ar-
rêter l'essor de la pensée au lieu de l'éclairer. C'est
ce qui est défendu que l'homme préfère, parce que
c'est là qu'il exerce pleinement sa liberté.
Aussitôt donc que l'Église romaine eut défendu ou
permis une chose, tout de suite l'esprit humain, pour
ne pas être muselé, se jeta à l'écart, jusques dans nos
temps modernes; nous avons vu les Catholiques reve-
nir sur les principes d'une religion mal comprise dans
le Concile de Trente; la Formule de Concorde des
Protestants, signée à Francfort dans le dernier siècle,
a le même vice. Ce n'est point à dater de tel jour, de
telle heure, que l'esprit humain pensera de telle ou
telle manière. Les canons de l'Église, comme les lois
de la chambre des députés, sont des choses que de
nouveaux conciles et de nouvelles chambres peuvent
casser. Vous dites aux hommes que vous leur ouvrez
ou fermez la porte du Ciel, que la foi les justifie; les
penseurs disent que c'est un dogme absurde. Tous
brûle/ ces penseurs hardis, mais des cendres de leur
bûcher il naît de nouveaux champions. Sous Louis XIV
même, nous voyons les Jansénistes de Port-Royal dé-
fendre un sentiment condamné tant de fois, et le
A M. THOMINE. 237

poète Boileau, dans l'Épître à Renaudot, met en vers


pleins de sens les vérités enseignées par Jansénius,
et reproduites aujourd'hui par Swedenborg.
Après les hérésiarques sont venus les barbares du
nord, qui.n'avaient ni religion, ni philosophie; leur
mythologie a été examinée avec les fables des Celtes ;
ainsi nous n'avons rien à prendre là. Les Arabes élè-
vent un nouvel empire sur les ruines de l'ancien. Leur
Coran offre un plan bizarre de l'autre monde, mais
dans sa bizarrerie même il est fondé sur des faits in-
contestables. L'échafaudage de l'édifice était solide,
sans quoi Mahomet en eût été écrasé. Les ornements
seuls sont de lui, et ces détails sont de peu de consé-
quence. Mahomet nous donne des preuves incontes-
tables de la réalité des visions : c'est tout ce- qu'il
nous en faut. Les historiens et les philosophes mo-
dernes le représentent comme un imposteur ; c'est
une grande erreur. Mahomet n'était pas un fourbe,
mais un homme abusé, et l'abus d'une chose en
prouve l'existence.
Après les Arabes, nous retournons en Europe, où
nous trouvons les Scholastiques, grands partisans et
défenseurs obstinés des formes substantielles, la base,
comme vous savez, de la doctrine nouvelle. On croit
juger les Scholastiques en répétant ces phrases banales
d'écrivains superficiels qui n'ont rien lu des auteurs
qu'ils condamnent. Je reviens, et assez longuement,
sur ces auteurs qui, selon moi, ne sont pas du tout
jugés. Saint Thomas d'Aquin, Abeilard, saint Ber-
23K SECONDE LETTRE

nard, une foule d'auteurs, toujours cités et jamais lus,


reparaîtront dans mon plan, avec les détails que me
permettra la dimension du cadre. On verra qu'il n'y
a pas une perle cachée dans le fumier du moyen âge
qui ne puisse reparaître un jour avec éclat.. On verra
qu'il ne se trouve pas une vérité, consignée dans ces
écrits qu'on dédaigne, qui ne trouve sa place. Cette
belle pensée de saint Bernard, par exemple, qu'il n'y
a point d'amour oisif, que l'amour ne se nourrit que
par des œuvres, n'est-elle pas le résumé de tout ce
qu'enseigne Swedenborg sur les Usages? Les Mysti-
ques de ce temps-là, à la tête desquels paraît Thomas
a Kernpis, prodige de lumière dans un siècle d'igno-
rance, m'offrent des rapports précieux sur la manière
dont l'auteur de VImitation. (1) et Swedenborg par-
lent de l'Amour Divin. L'amour, dit Swedenborg, est
la vie de l'homme; et ce principe qu'il développe,
l'auteur de l'Imitation le rappelle en deux mots :
« Je suis proprement où est ma pensée, et ma pensée
est d'ordinaire où est ce que j'aime. » Qu'importent
les lieux, les distances, les heures, ce n'est ni le
temps ni l'espace qui font la vie spirituelle. Par es-
sence, l'homme est comme Dieu; cela rappelle cette
belle pensée de Porphyre, si souvent traduite dans les
imitations : Anima tandem Deo similiter in corpore
vero ubique est simul et nusquam. (Porph. De oc-
('(isionibus.)
(1) L'Imitation de J.-C. est attribuée, comme on le sait, par les
uns à Gerson, et par les autres à Thomas a Kempis. iNot. de l'Ed.l
A M. THOMINE. 2H9

Charron, dans son livre de la Sagesse, Montaigne,


dans ses Essais, me fournissent de nombreuses cita-
tions. Plus Charron paraît hardi aux yeux d'un doc-
teur de Sorbonne, plus il entre dans le sens de la
Nouvelle Église; plus Montaigne doute de ce qui n'est
pas la vérité, plus il contribue à la mettre dans son
jour. Les Réformés, Luther, Calvin, Mélanchton, en
s'éloignant de-l'Église, me présentent des considéra-
tions sur la nécessité d'une réforme qui complète la
leur. Enfin, avant d'entrer dans nos temps tout à fait
modernes, je termine cette revue des siècles antérieurs
par une comparaison détaillée des \isions de sainte
Thérèse et de celles de Swedenborg. Même moyen
pour arriver au vrai, même doctrine morale, enfin
même perception intellectuelle. Le Chûteau de l'âme
de sainte Thérèse offre des similitudes frappantes avec
les ouvrages de l'Apôtre suédois. Tous les deux sont
de bonne foi, ou ils se donnent la main pour mentir :
cette dernière supposition est assez incroyable. La re-
ligieuse espagnole, en sortant de communier, allait-
elle écrire pour tromperie monde? Swedenborg, de
la même main qui venait de secourir l'indigent, allait-
il copier les fables d'une nonne pour induire en erreur
les hommes de, désir, plus à plaindre encore que l'in-
digent. Une telle supposition est impossible. Il ne
reste donc qu'à chercher comment il se fait que sainte
Thérèse et Swedenborg aient prêché l'une et l'autre
l'anéantissement du moi humain comme la base de
toute philosophie et de toute morale; qu'ils aient en-
240 SECONDE LETTRE

seigné les mômes voies pour arriver au b u t ; qu'ils


aient joui de la vue de l'autre monde sous les mêmes
aspects, de la présence divine sous la même forme.
J'entre dans nos siècles modernes; et je vais aller
plus vite dans mon indication, parce que là tous les
grands noms nous sont plus familiers. Vous avouerez
qu'il est assez inconséquent de jeter les ouvrages de
Swedenborg avec dédain sans les avoir lus, après
avoir parcouru la liste des auteurs qui le confirment.
Ce qu'il en reste à produire me semble propre à en-
traîner le suffrage de celui qui n'a aucune raison pour
ne pas admettre, ou à embarrasser très-fortement
celui qui a pris d'avance le parti de tout rejeter.
Je commence cette nouvelle section par Descartes,
le père de la doctrine philosophique sur Vinfluence
spirituelle. Pascal, qui prouve la chute, vient en-
suite. Dans les papiers de cet homme célèbre s'est
trouvé le récit d'une vision inexplicable à tout le
monde, excepté à celui qui connaît les écrits de Swe-
denborg. Pascal y confirme les idées de Swedenborg
sur 1''Humanité Dirine, et celles de sainte Thérèse
que partage aussi l'Apôtre suédois, et qui sont indi-
quées dans le Chemin de la Perfection, l'un des ou-
vrages les plus remarquables de cette femme éton-
nante. Condorcet appelle !e papier dont il est ici
question une amulette, mais cette amulette est pleine
de la vraie philosophie. Voyez-la dans l'édition des
Pensées de Pascal, donnée par Renouard, 2 v. in-lS,
an 5812. Mallebranche, q u i , comme Swedenborg,
A II. TIIOM1NE. 241

voyait tout en Dieu, et qui rapporte aussi les facultés


de l'homme aux deux primordiales, l'entendement et
la volonté, devient l'objet d'un long parallèle. Féné-
lon, le plus éloquent des mystiques, prouve toute la
théologie nouvelle dans son livre de la Nécessité
d'aimer Dieu, ouvrage qui peut fournir de nom-
breuses applications à la doctrine de la Nouvelle
Église. Il y a quelque chose de très-remarquable sur
Fénélon, c'est la ressemblance de son Elysée dans le
Télémaque avec ce que rapporte l'auteur du Traite
du Ciel et de l'Enfer. Au rapport de M. Villemahi
(Mélanges, t. 2. Notice sur Fénélon), l'Elysée décrit
par Fénélou dans le Télémaque est la production la
plus philosophique et a la fois la plus gracieuse de
l'esprit humain. Il est assez curieux de trouver une
identité parfaite entre le véritable Ciel vu par Swe-
denborg et l'Elysée créé par Fénélon. Il est intéres-
sant de voir cet homme, qui vient de lutter de philo-
sophie avec Descartes, Pascal et Mallebranche, lutter
actuellement de poésie et de grâce avec le génie le
plus aimable du siècle de Louis XIV. Voyez comment
l'un et l'autre prouve qu'il n'y a pas de vertu sans
religion. Toutes les fois, dit Swedenborg, que l'homme
fait le bien pour un autre motif que celui de la reli-
gion, il se précipite dans le mal, parce qu'il se regarde
dans les biens qu'il fait; il fixe son image dans ces
biens, et non l'image de la divinité (du Ciel et de
i'En fer, Isos 555 à 558). Télémaque de son côté est
étonné de trouver clans le Tartare un homme qui pas-
2l.
242 SECONDE LETTRE

sait pour avoir pratiqué la vertu sur la terre. « Tu as


» été vertueux, lui disaient les trois juges, mais tu as
» rapporté toute ta vertu à toi-même, et non aux
» dieux qui te l'avaient donnée; car tu voulais jouir
» du fruit de ta propre vertu et te renfermer en toi-
» même; tu as été ta divinité, les dieux te livreront
» à toi-même, puisque tu as voulu être à toi et non
» à eux. Cherche donc maintenant, si tu le peux,
» ta consolation dans ton propre cœur. » Dans la
peinture de l'Elysée, même conformité de tableau;
dans l'un et l'autre ciel, les âvnes des justes vivent
dans un corps spirituel, habitent dans un inonde
plein d'objets, goûtent les mêmes délices. Vous me
direz que Fénélon ne pouvait peindre autrement le
Ciel en poëte qu'en le matérialisant. Je prends acte
de ceci en faveur de Swedenborg, car si notre imagi-
nation, alors qu'elle offre le plus de sagesse, de pro-
fondeur el de puissance, ne p«ut rien trouver qui n'ait
une forme, pourquoi voudrail-on qu'elle nous trompât
aussi, elle? La faculté qui sait le mieux inventer ne
trouve rien que ce qui est pour peindre ce qui doit
être, et vous voudriez inférer de là qu'elle se trompe !
Qu'avez-vous donc à mettre à la place de ce qu'elle
offre? Rien, absolument rien; et depuis quand un ar-
gument négatif 1'emporte-t-il sur un argument posi-
tif? Fénélon ne nous parait ici si sublime que parce
que nous sentons un accord secret entre ce qu'il peint
si bien et ce que notre cœur nous, révèle.
Bossuet lui-même donne ici, sans s'en douter, la
A M. THOM1NË. 213

main à son rival pour appuyer un Auteur qu'il eût


combattu de son vivant. Nul n'a mieux prouvé la vé-
rité de la religion chrétienne, et c'est la base d'où il
faut partir pour asseoir l'édifice de la Nouvelle Jéru-
salem. Dans un passage sur la Trinité (chose remar-
quable), Bossuet, croyant ne faire qu'une comparai-
son, l'explique comme Swedenborg. Enfin, les mora-
listes de cette époque, La Bruyère, Nicole, La Roche-
foucault, me fournissent des preuves, chacun à leur
façon; par exemple, plus La Rochefoucault prouve
que l'homme rapporte tout à soi, mieux il confirme
ce que dit notre Auteur de l'homme naturel avant la
Réformation et la Régénération, les seuls fonde-
ments de la religion.
Du siècle de la littérature classique, je passe à celui
de la philosophie, c'est-à-dire, au XVIII0. Deux hom-
mes surtout y paraissent en première ligne, Voltaire
et Rousseau. Voltaire se faisant un jeu de tout dé-
truire, s'amusant à exprimer des sentiments qu'il
n'éprouvait pas; mais ramené à la vérité sur la fin de
sa carrière et réfutant les sophistes qu'il avait fait
naître; les réfutant, dis-je, dans ses Discours mo-
raux, son poëme de la Loi naturelle, et celui du Dé-
sastre de Lisbonne; c'est là seulement qu'on trouve
l'accent inimitable de la vérité; et ces cris, que la
conscience troublée arrache à un grand homme, sont
tous des sentiments éloquents, qui rendent avec autant
de concision que de noblesse les principes de la Nou-
velle Église. Rousseau, toute sa vie, n'a été qu'un rf-
214 SECosnt LETTRE
veiir. Saint-Martin l'appelle un prophète de l'ordre
moral, et en effet, jamais il ne s'est réveillé de ses
rêves qui le plongeaient dans l'idéal. Nul n'a creusé
plus avant dans la constitution de l'homme spirituel,
et toutes ses pensées sur ce sujet sont encore des con-
cordances. Les pourceaux d'Épicure, les matérialistes
et athées de ce siècle, ne sont que des gens superficiels
dont le témoignage n'est d'aucune valeur. Leibnitz
les accusait avec raison de rabaisser la métaphysique;
et, en effet, est-ce Boulanger, bien moins savant que
Dupuis, qui peut, avec sa légère érudition, renverser
la doctrine nouvelle? Est-ce le matérialiste Heivétius,
moins bon logicien que Condillac, qui niera l'influence
spirituelle? Nul n'a la vue plus courte qu'un matéria-
liste, mais Heivétius surtout l'avait plus bornée qu'un
autre. L'intelligence, selon lui, dépend de l'organe;
j'aimerais autant dire que c'est l'argile qui, se mou-
lant seule sous les doigts du potier, lui donne de l'es-
prit. Aristots avait eu le bon sens de réfuter ce so-
phisme avancé alors par Anaxagore. L'homme, dit ce
s^rand philosophe, n'est pas le plus intelligent des
animaux parce qu'il a une main, mais il a une main
parce qu'il est le plus intelligent des animaux. A une
intelligence parfaite il faut un instrument parfait.
(Arist. Traité des Animaux, liv. IV, ch. 10.)
Les théosophes ne sont pas oubliés dans ma revue
du siècle et des auteurs. Jacob Bœlime, Murait, Saint-
Martin, offrent à l'appui de nos principes des démons-
trations victorieuses, bien qu'ils semblent n'élre pas
A M. THOM1NE. 245

toujours d'accord. Ainsi, par exemple, Saint-Martin


fortifie par tous ses ouvrages ceux de Swedenborg, et
le passage de l'Homme de désir, dans lequel il les
critique peut se réfuter très-facilement. Il lui repro-
che deux griefs : Le premier, de ne donner à l'esprit
aucune raison des principes qu'il avance; le second,
de ne prouver les faits par aucune confirmation. Si
l'ouvrage que j'entreprends ici est bon, la critique de
Saint-Martin tombe, car je ferai ce que Swedenborg
n'a pas dû faire. Tout, en effet, est destiné à prouver
ses principes par la logique et à les confirmer par les
témoignages les moins suspects. Un ouvrage publié
depuis peu, les Soirées de Saint-Pétersbourg, bien
que partant d'un ultramontain, me présentent des ar-
guments fournis par la théosophie, et les réflexions
du sénateur russe que met en scène M. de Maistre,
ressemblent beaucoup à la plupart de celles de l'écri-
vain suédois. Je termine le siècle par un examen cri-
tique des écrits des sensualistes. Je remonte à Bacon
pour arriver plus sûrement à Locke, et de celui-ci je
descends jusqu'à Condillac, le chef des écoles des
idéologues, le plus en vogue de nos jours. Swedenborg
matérialise en quelque sorte le monde intellectuel en
prouvant que la pensée n'existe pas sans organes, et
l'âme sans sujet. Ce principe une fois admis, la paix
est faite entre tous les penseurs, car les sensualistes
disent et prétendent la même chose.
Avant d'en venir aux contemporains, je jette un
coup d'œil sur la philosophie-et la littérature élran-
21*.
246 SECONDE LETTRE

gère. En Allemagne, je trouve Leibnitz, dont les mo-


nades, combattues par Condillac, ne peuvent s'expli-
quer qu'à l'aide de notre doctrine. Kant, Jacobi, Fich-
te, et tous ces philosophes mis en français par An-
cillon, viennent tour à tour; Kant surtout est ici d'un
secours merveilleux. En prouvant mathématiquement,
pour ainsi dire, que Dieu et l'âme humaine ne peu-
vent être compris, sentis, crus même, qu'en les con-
sidérant hors du temps et de l'espace, le philosophe de
Kœnigsberg déblaie la route de la vérité des erreurs
qui l'encombrent, et laisse le champ libre à Sweden-
borg. Les poètes de la même nation, si bien analysés
par Mrae de Staël, Goethe, Klopstock, Schiller, m'of-
frent des expressions poétiques et pittoresques qui
semblent le langage réel de la nouvelle philosophie.
En Angleterre, je trouve parmi les métaphysiciens
l'illustre Clarke, défenseur des doctriness spiritua-
listes, et l'un des auteurs qui ont le mieux prouvé la
vérité de la religion chrétienne. Les poètes de ce
pays, entre autres Covvper, qui est le Bernardin de
Saint-Pierre des poètes, et Akenside, qui en est le
Platon. Les beaux vers de celui-ci, dans le poème des
Plaisirs de l'imagination, ne sont autre chose que
les principes métaphysiques de la Nouvelle Jérusalem
traduits dans la langue poétique. J'en ai recueilli
quelques-uns qui font frappants de ressemblance Je
cite le poème de Pope sur l'Homme, pour en com-
parer les principes avec les nôtres, et pour prendre
note des aveux «ue lui arrache la vérité. On a beau-
A M. THOMINE. 247

coup ri en France de l'idée de Berkley, qui prouvait


l'impossibilité de l'existence de la matière; je reviens
sur le livre de l'évèque de Cloyne, pour l'absoudre
du ridicule dont il est encore entaché. Nous ne con-
naissons des corps que les qualités sensibles; or, les
qualités sensibles ne peuvent résider dans la matière,
puisque ce sont des affections d'une substance spiri-
tuelle. Ainsi, les exagérations même du spiritualisme,
réduites c^ leur vrai sens, servent la cause des adeptes
de Swedenborg.
Je commence ma revue des contemporains par Ber-
nardin de Saint-Pierre, le peintre le plus gracieux et
l'apologiste le plus aimable de la Providence; M me de
Staël poursuit, comme Swedenborg, l'égoi'sme sous
tous les masques, et prêche avec passion l'autre
monde que celui-ci fait voir tranquillement. Byron et
Châteaubriant, par quelques éclairs de génie, prou-
vent la vérité d'une doctrine dont les découvertes ne
sont dues qu'au génie. Malgré son incrédulité, Byron
croit à quelque chose de spirituel dans la nature;
c'est là l'essentiel. Malgré ses déclamations de rhéto-
rique monacale, Châteaubriant s'élève quand il est
seul à une grande hauteur. Dans un de ses clans, il
découvre la chute, en trouve la raison philosophique,
et donne ce morceau-là comme absolument neuf. S'il
avait lu Swedenborg, il aurait vu tous ses arguments
reproduits. Benjamin Constant, dans son ouvrage sur
la Religion, s'appesantit sur un développement reli-
gieux, sur une révélation complémentaire qu'annon-
248 SECONDE LETTRE
me
çait aussi M de Staël, et que nous offre à présent la
Nouvelle Jérusalem. M. de Kératry, dans ses Induc-
tions physiologiques, insiste sur la réalité des formes
substantielles. M. Cousin, tout en traduisant Platon,
pense par lui-même et met au jour les matériaux les
plus solides du nouvel édifice. M. de Gérando, dans
son Perfectionnement inoral, se place, pour ainsi
dire, à l'avant-garde qui va au-devant des idées nou-
velles. Le Globe tourne autour d'elle en éclaireur; la
Revue protestante s'éloigne un peu des idées circon-
scrites d'une secte pour prouver la nécessité du Chris-
tianisme universel. Enfin, M. Vinet, dans un éloquent
ouvrage en faveur de la Liberté des cultes, appelle à
haute voix les hommes à cette liberté de la conscience
si nécessaire pour faire une place aux nouveaux dog-
mes de la Nouvelle Église. En Angleterre, les hommes
les plus recommandables sont tous des champions de
la cause religieuse. M. Wilberforce écrit un livre sur
le Christianisme des gens du monde; M. Erskine
en rédige un très-profond sur la foi ; tous les journaux
de ce pays sont religieux. Je vous ai cité Vlntellec-
tiifil Reposilory for thé Ncw-Churh, positivement
destiné à répandre la nouvelle doctrine. J'aurais dû
vous parler de ces missions qui se répandent dans les
deux inondes, qui parcourent toutes les mers, sans
que la politique les fasse naître, comme l'a très-bien
observé M. de Tollenare dans son dernier voyage.
Vous auriez pu voir, dans ce concours de toutes les
volontés vers un but unique, quelque chose digne
A M. THOMISE. 249

d'occuper vos réflexions. Si une nouvelle ère n'a pas


commencé, tant de mouvements sont en pure perte;
avec une nouvelle ère, au contraire, ce sont des pré-
paratifs pour se mettre au niveau, ou des oscillations
qu'occasionné le déplacement déjà opéré.
Ce n'est pas assez du témoignage des hommes, je
viens dans ma dernière section à celui des sciences
et à l'examen de quelques institutions. Les grands
hommes sont sans doute les titres de l'espèce hu-
maine, mais ils peuvent se tromper; et ces ouvrages,
qui sont le fruit du travail de plusieurs, ne sont pas
sujets à la même erreur. Un nom célèbre en éclipse
cent mille qui le sont moins ; mais c'est quelquefois
de la réunion d'hommes sans nom que naissent les
choses durables. L'erreur s'accrédite au moyen d'un
grand nom ; elle ne peut subsister dans les sciences
qui sont le champ commun de tous les hommes. Enfin,
s'il arrivait que ce témoignage unanime des grands
hommes en faveur de l'un d'eux me trompât, il n'y
aurait d'autre moyen de m'assurer de la vérité, que
de recourir aux sciences mêmes qui en sont les dépôts.
Ce dernier examen complète le premier et en est la
preuve. Les sciences ont marché depuis Swedenborg;
une épreuve fatale à tons les auteurs, c'est de mettre
au bas de leurs livres la date de l'année dans laquelle
l'ouvrage est livré au public. Si l'auteur est contre-
dit par les découvertes nouvelles bien constatées, il
est clair que ce n'était qu'un imposteur. Si, au con-
traire, il parle des sciences, comme on en parle en-
250 SECONDE LETTRL

core après lui, l'épreuve n'est pas douteuse; il est


dans le chemin de la vérit£. Dans la Physique géné-
rale je retrouve les principales idées de notre Auteur.
Quelque chose de très original, c'est qu'il explique,
dans la Sagesse Angélique sur le Divin Amour et
sur la Divine Sagesse, la formation du monde abso-
lument de la manière dont elle est présentée dans
l'Exposition du systfme du monde de M. de Lapla-
ce. Les idées de Buffon sur la Génération se trouvent
dans les écrits de Swedenborg. Il est d'accord avec
Bonnet sur cette échelle des êtres que la raison seule
aperçoit, et que le précepteur d'Alexandre avait si-
gnalée jadis. La tendance des minéraux à prendre une
forme est indiquée dans les écrits publiés en Suède
en 1758; n'est-il pas singulier de voir là en germe la
cristallographie telle que l'a consignée Rome de Lisle,
et démontrée ensuite avec tant d'exactitude par le pro-
fesseur Haùy? Mesmer n'a fait que reproduire une
science connue parfaitement et indiquée par Sweden-
borg, les sphères d'action des êtres et des corps; en-
lin toute la théorie du magnétisme animal et du
somnambulisme (voyez Sag. Ang. sur le Divin
Amour, N° 25"), se découvre parfaitement dans ce
qu'il rapporte de la création du monde et des atmos-
phères du monde spirituel. En médecine, science dans
laquelle il était très-versé, tous ses aperçus sont con-
firmés par la médecine des anémistes. La médecine
moderne s'appuie comme lui sur cette grande vérité,
que le système nutritif ne sert dans toute la vie de
A M. THOMINK. 451

l'individu qu'à l'entretien du système nerveux, et ce-


lui-ci au développement du principe intelligent.
(Voyez là-dessus le discours éloquent prononcé par
M. Fouré en 1818, à l'école de médecine de Nantes,
pag. 22, in-4°.) Chez Swedenborg, le naturel qui est
la base ne sert également qu'au rationnel, et celui-ci
a pour but le spirituel.
De l'examen de ces sciences je passe à celle qui a
fait le sujet de ma dernière lettre, je veux dire,
l'hiéro-astronomie, dont Dupuis a fait un abus si dé-
plorable. Comme j'ai tâché de vous le faire voir, cette
science qui conduit la plupart de nos érudits au Sa-
béisme, interprétée à l'aide de la théorie des Corres-
pondances, s'accorde avec la doctrine de la Nouvelle
Église. J'ai fait voir ceci, je pense, assez clairement
dans un long article sur le Dragon, imprimé dans le
Lycée armoricain. Cette preuve se réduit à ces deux
lignes : La sphère, telle que nous l'avons reçue et
adoptée, est l'ouvrage des Orientaux ; mais c'est un
ouvrage si prodigieusement ancien que les Grecs eux-
mêmes n'ont pu en indiquer l'inventeur. Elle existait,
telle que nous l'avons, dans le temps fabuleux de
l'histoire grecque; elle remonte ainsi aux premières
époques de la société. Or, Swedenborg nous dit (et
Bailly confirme cette assertion) que les peuples d'alors
avaient des sciences plus perfectionnées que les nô-
tres. Tandis i;ue nous en sommes encore aux effets,
ils étaient dans les Correspondances. Le ^eul monu-
ment qui nous soit resté d'eux, la sphère céleste, doit
ioi SECONDE LETTRE
\

oiî'rir des traces de ces sciences. Ouvrage inintelligi-


ble, si on ne l'explique pas d'après ces sciences; avec
elles, au contraire, c'est un monument dont chaque
partie a une importance significative. J'ai travaillé sur
cette matière pendant plusieurs années et avec l'en-
tière conviction que l'ouvrage de Dupuis détruisait,
tous les cultes; et maintenant je crois sincèrement du
plus profond de mon cœur qu'il n'y a que la doctrine
de Swedenborg qui combatte celle de Dupuis. Il s'agit
entre elles deux de rien moins que d'une guerre à
mort. En effet, ou Dupuis a raison, et il n'y a d'autre
Dieu que la matière, d'autre principe spirituel que le
principe vital; ou Swedenborg dit vrai, et la matière
n'a pas d'existence proprement dite, c'est un monte
que Vesprit façonne à son gré, et qui prend la forme
que veut lui donner celui-ci, comme le vêtement prend
la forme de celui qui le porte. La plupart des minis-
tres des diverses sectes chrétiennes parlent avec mé-
pris de Swedenborg, qu'ils ne connaissent pas; ils ne
se doutent guère que c'est dans les écrits de ce vision-
naire qu'on trouve les seules armes qui peuvent ren-
dre invulnérables les champions de la vérité; aucun
d'eux ne pourrait détruire un seul des arguments de
Dupuis; ils ont un bon moyen de le combattre, c'est
de ne pas ouvrir le livre. L'autruche fait comme eux,
quand, pour éviter le chasseur, elle cache so Lête der-
rière un arbre; mais si elle ne voit rien, elle est vue,
et le chasseur ''a perce d'un trait mortel. Ceux qui ne
veulent rien voir non plus sont percés aussi de toutes
A M. THOM1NE. 233

paris au défaut de leur.cuirasse, ce soûl des cadavres


ambulants, et il n'y a qu'eux qui ne sachent pas qu'ils
sont morts.
De ces témoignages je passe à ceux qui résultent
de l'étude de la fable. Ici encore nous voyons l'ou-
vrage des anciens Orientaux initiés dans les Corres-
pondances, ouvrage dont les Grecs et les Romains ne
nous ont conservé que la lettre. La théorie des au-
gures, inexplicable à Cicéron lui-même, qui disait
que deux augures ne pouvaient se regarder sans rire;
les sacrifices d'animaux, qui ont révolté la philosophie
vulgaire, tout cela se saisit, se comprend avec Swe-
denborg. Le vol des oiseaux, par exemple, avait une
signification réelle. Les oiseaux étaient la forme des
pensées; ce qui a une forme ne l'a point au hasard ;
ce qui a une forme a une signification, car ce qui ne
signifierait rien n'existerait pas; les pensées, revêtues
de la forme des habitants des airs, variaient dans leur
signification, selon les points du ciel où elles étaient
aperçues. L'augure se plaçait le visage tourné vers
l'orient pour figurer la position de l'homme-esprit à
l'égard de l'orient spirituel, d'où lui vient toute illus-
tration. Ceci aurait besoin de très-loncs développe-
ments; mais ce que je vous ai exposé précédemment
sur la Création doit suffire pour vous le faire com-
prendre. Quant aux sacrifices d'animaux, vous sentez
que la signification des choses se saisit encore mieux
par l'inspection des organes, foyers du sentiment et
correspondants à la vie. La vie n'existe pas sans for-
22.
SECONDE LETTRE

me. La forme universelle tient par quelque point à la


Forme Première d'où tout émane. C'est ainsi que les
naturalistes ont vu l'image de l'homme descendre de
classe en classe jusqu'à la pierre. Les mammifères
les plus voisins de lui ont tous ses organes; les oi-
seaux n'ont que ceux des sens principaux; le poisson,
le reptile descendent insensiblement en perdant quel-
que chose de la nature-type ; mais toujours en perdant
quelque chose, on la retrouve encore dans le dernier
anneau; la pierre brute, en effet, a encore une ombre
de vie, puisqu'elle cristallise; la forme, la dernière
ébauche de la vie et le supplément de l'organe, se
montre encore chez elle et devient ce qui la caracté-
rise. Je sens que je me laisse aller à des digressions
inutiles, parce que vous n'êtes pas de ceux auxquels
il faut tout dire. Je reviens donc à mon sujet. Une foule
de détails dans la mythologie prouve que Swedenborg
n'a rien inventé de tout ce qu'il rapporte. Saint-Mar-
tin lui reproche de ne pas donner de raison de ses
principes; par conséquent, ajoute-t-il, on peut croire
qu'ils sont supposés. Si Swedenborg avait donné la
raison de tout, ce n'eût plus été un auteur inspiré,
sûr de ce qu'il avance, mais un auteur bel esprit qui
aurait agencé avec art quelques systèmes. Il est très-
aisé de donner un air de vraisemblance aux opinions
même les plus ridicules, et j'ai tâché de le faire voir
dans les Cosmopolites. Swedenborg dit, entre autres
choses, que les cheveux signifient le vrai dans les ex-
trêmes. Vous savez que tout ayant une signification,
A M. THOM1NE.

que les principes de chaque chose étant le bien et le


vrai, que tout descendant et remontant par trois de-
grés, les cheveux, comme tout le reste, doivent signi-
fier quelque chose, qu'ils doivent se rapporter au bien
ou au vrai, et qu'ils doivent être dans l'un des trois
degrés. Pourquoi maintenant signifient-ils le vrai
dans tes extrêmes? la raison cherchera en vain à
s'expliquer cette assertion, elle ne pourra en venir à
bout. Swedenborg lui-même s'étendrait là-dessus en
longs commentaires, on ne le croirait pas davantage ;
on dirait qu'avec de l'esprit on vient à bout de tout
rendre vraisemblable, et on admirerait son esprit.
J'ouvre la fable, l'ouvrage des peuples qui, comme
lui, étaient dans la connaissance des Correspondan-
ces; j'y lis que les Furies, qui étaient dans le mal, et
par conséquent dans le faux, étaient coiffées de ser-
pents au lieu de cheveux. Qu'on dise maintenant que
Swedenborg a inventé ! Une correspondance de ce
genre entre gens qui raisonnent n'est pas une petite
preuve. Ne me dites point que ceci est un hasard qui
ne prouve rien ; ici la fable entre dans des détails qui
ne laissent plus de doutes. La plus belle des Gorgones,
Méduse, après avoir profané avec Neptune le temple
de Minerve, vit sa belle chevelure changée en ser-
pents. L'allégorie est frappante. La beauté, après
avoir abandonné la sagesse, vit chez elle le vrai
changé en faux. La sagesse, depuis ce temps, porta
cette image sur son égide pour inspirer l'horreur du
vice. Les anciens attachaient aux cheveux des idées
25f> SECONDE LETTRE

qui confirment ceci. On les consacrait aux dieux


comme ce qu'on avait de plus cher. Plus on était
élevé dans l'échelle des dieux, plus les cheveux
étaient beaux. Ceux d'Apollon n'étaient pas le moin-
dre ornement de sa belle tête; ceux des Satyres, au
contraire, imitaient le poil des bêtes.
Enfin, je prouve Swedenborg par la théorie géné-
rale des beaux-arts. Musique, peinture, sculpture,
tout a son principe là-haut; si ce que dit celui qui a
vu le Ciel et l'Enfer est conforme aux vrais principes,
il faut qu'il ait fait de prodigieux efforts d'esprit pour
se rencontrer si bien et toujours avec la vérité. La
poésie à la suite des beaux-arts offre ses concordan-
ces. Tous les poètes, tant anciens que modernes, dans
leurs plus beaux moments, ont reçu l'esprit, comme
les prophètes ont exprimé la vérité aperçue par in-
tuition, car l'homme n'invente rien. L'enthousiasme,
en effet, c'est Dieu en nous, comme l'exprime l'éty-
mologie du mot. Le style métaphorique est presque
toujours la traduction de quelques-unes de ces per-
ceptions spirituelles confiées à la mémoire des hom-
mes; voilà pourquoi le langage poétique exprime en-
core aujourd'hui ce qui a été exprimé jadis. Je ne
saurais vous peindre le plaisir que j'ai à lire, à com-
parer les visions de Swedenborg et les tableaux de
nos poètes : quand M. de Lamartine, parlant à l'om-
bre de son amante, s'écrie :
Ta pure et louchante beauté
DSII" les deux mêmes t'a suivie,
A M. THOM1NE. 257

Tes yeux où s'éteignait la vie


Rayonnent d'immortalité ;
Du zéphir l'amoureuse haleine
Soulève encor tes bldndf cheveux,
Sur ton sein leurs flots onduleux
Retombent en tresses d'ébène.
L'ombre de ce voile incertain
Adoucit encor ton image,
Comme l'aube qui se dégage
Des derniers voiles du matin.

Je ne vois rien là qui ne soit conforme à Swedenborg.


Si je réfléchis ensuite que le plaisir de la poésie tient
à une certaine disposition du vrai, qu'une poésie sans
vérité et sans vraisemblance fatigue au lieu de plaire,
je vais si loin dans mes réflexions, que je transcris les
images du poète comme pièces justificatives des récits
du philosophe.
Du langage des dieux je descends, dans un autre
Chapitre bien intéressant, à celui du peuple; et je tire
des preuves des préjugés, croyances et locutions po-
pulaires. Le peuple a reçu les Correspondances par
tradition, et sans les connaître il les a sans cesse à la
bouche. Dans ses préjugés, il attribue la vie et l'in-
tention à ce qui est mort; dans ses délassements, il
cherche à pénétrer la signification des choses ; il donne
aux fleurs un langage, aux couleurs des emblèmes. La
matière à ses yeux n'a point de vie. Plus sensible que
nous à l'influence spirituelle qui anime tout, il la re-
çoit et parle d'après elle. C'est elle qui lui dit que
l'organe physique dans l'homme n'est pas façonné sans
22*.
258 SECONDE LETTRE

raison de telle ou telle manière, qu'il exprime quelque


chose, qu'il est le siège nécessaire de telle affection.
Ainsi il dit une for le télé pour une vaste intelligence,
un bon cœur pour un amour véritable. Ce Chapitre
immense dans ses développements, est susceptible de
jeter un jour tout nouveau sur une matière fort mal
traitée.
Swedenborg a été prouvé ainsi par tout ce qui peut
offrir des preuves de quelque genre que ce soit.
Dans les derniers Chapitres, je vais au devant des
objections qui pourraient être faites. Depuis Spinosa
jusqu'à Pigault-Lebrun, depuis Lucrèce jusqu'à d'Hol-
bach, il n'y a pas un incrédule qui ne soit réfuté com-
plètement par notre Auteur. Tous les arguments en
faveur de l'athéisme et du matérialisme sont victorieu-
sement réfutés par une Science qui considère Dieu,
l'homme et l'univers sous des rapports qui avaient
échappé à tout le monde. Tous les épilogueurs de la
Bible qui s'attachent à la lettre sont également com-
battus par le seul livre qui, donnant la signification
des Correspondances, rétablit ce livre dans son vrai
sens. Tout ce que dit Voltaire en plaisantant ne s'ap-
plique nullement à la Bible expliquée par Swedenborg;
ce que Rousseau objecte au Catholicisme ne s'applique
en aucune manière non plus à ce Christianisme uni-
versel qu'on nous offre aujourd'hui, et qui est exposé
dans des rapports moins circonscrits et d'une manière
plus large.
l T n Chapitre historique suit celui-ci ; c'est un aperçu
A M. THOMINE. 259

rapide des erreurs et des progrès de l'esprit humain.


Ce Chapitre sera une espèce de discours sur Vhistoire
universelle, dans lequel je considérerai les événe-
ments pour peu de choses, et les croyances et opi-
nions pour tout, parce que ce sont nécessairement
celles-ci qui amènent ceux-là. La doctrine de Swe-
denborg étant ma boussole, je montrerai là comment
la société a pris l'allure rétrograde d'une écrevisse,
toutes les fois qu'elle a perdu cette boussole, et com-
ment elle a été eu avant chaque fois qu'elle en a fait
usage directement ou indirectement. Vous concevez
le plan de ce Chapitre sans que je m'y arrête davan-
tage. Les auteurs ordinaires, ceux qui s'attachent aux
faits, ne saisissent jamais dans les événements que ce
que les passions ont produit. Les passions peuvent
abuser d'une chose, mais c'est la chose qu'il faut voir.
Aux yeux des petites gens, la révolution française n'a
été qu'une révolte, pour un sage elle a été l'expres-
sion non équivoque de l'esprit humain sortant de sa
minorité.

Remarques du Capitaine Bernard sur la 2e Lettre


d'Éd. Richer à M. Thomine.

Il m'a semblé que dans le second Chapitre de l'Ex-


position de la Doctrine de la Nouvelle Église, intitulé :
Du Monde spirituel, l'auteur évitait de parler du
lieu ou de Y étal intermédiaire entre le Ciel et l'Enfer,
260 REMARQUES

dont Swedenborg nous t'ait une description si détail-


lée, lieu qui est, comme il s'exprime, le rendez-vous
général de tous les hommes qui passent de ce monde
dans l'autre. Le Prophète suédois en excepte cepen-
dant ceux qui, régénérés dès cette vie, tout à fait
purifiés du mal, ont uni la vérité à la bonté : ces
hommes-anges, encore en bien petit nombre sur la
terre, ne font que traverser le Monde des Esprits et
sont immédiatement admis dans les sociétés célestes,
selon les affinités d'amour et de foi. De même aussi
les méchants, les impies qui ont confirmé en eux le
mal et le faux ne séjournent point dans le Monde in-
termédiaire que les Catholiques-Romains ont appelé
purgatoire, et sont entraînés par leur amour domi-
nant dans les sociétés infernales. Mais il est évident
que la grande majorité des hommes qui meurent se
trouvent dans un état moyen, mélangé, qui, d'après
les lois irréfragables de l'ordre, nécessite une prépa-
ration. Les uns sont dans le bien sans connaître le
vrai, les autres se servent des vérités qu'ils connais-
sent comme de moyens pour satisfaire leur orgueil ou
leur amour du inonde. Les premiers seront instruits
avec facilité dans le Monde des Esprits sur les vérités
qui concordent avec le bien qui est en eux; ils sont
ainsi préparés [tour le Ciel, où ce bien et ces vérités
auront un accroissement progressif pendant l'éternité,
accroissement qui a lieu aussi dans leur félicité. Ceux,
au contraire, dont l'amour dominant est mauvais,
perdront même la connaissance des vérités dont ils
DU C A P I T A I N E B E R N A R D . 201

ont abusé dans ce monde, sans les mettre en pratique.


Là, où aucune hypocrisie ne pourra subsister, l'exté-
rieur ou la forme devient l'expression vivante de l'in-
térieur : là se vérifieront ces préceptes de l'Écriture :
« Qui fait le mal, liait la lumière. » — « 11 sera donné
» à celui qui a déjà,... mais pour celui qui n'a pas, on
» lui ôtera même ce qu'il a. » Le mal attire le faux,
s'unit avec lui, et ce mariage funeste étant consommé,
l'état infernal est complet. Les vérités de la foi, quoi-
que toujours plus ou moins altérées par le méchant,
ne peuvent être portées par lui dans les sociétés in-
fernales.
Je n'oublie point que la lettre à M. Thomine, dont
il est ici mention, ne contient qu'une rapide analyse
d'un long et précieux ouvrage, où sans doute ce que
nous dit Swedenborg du Monde des Esprits sera
exposé avec tout l'ensemble nécessaire et un talent
que j'admire, tout en le rapportant à l'inspiration,
qui est aujourd'hui celle du théosophe, après avoir
été celle du poète.
L'Église réformée nie absolument l'existence d'un
lieu intermédiaire, et l'Église catholique-romaine
n'a plus que des notions tout à fait erronées sur celui
qui existe entre le Ciel et l'enfer. La révélation de
Swedenborg termine cette controverse et satisfait à la
fois le cœur et l'intelligence.
Il m'est venu à l'idée qu'il pourrait être utile de
parler, dans l'Exposition de la Doctrine de la Nouvelle
Eglise, de l'Amour Conjugal, qui joue un rôle si im-
"2()2 REMARQUES

portant dans les écrits de notre Swedenborg. Nous


devons tous former de rrais mariages, soit sur la
terre, soit dans les Cieux : c'est par l'amour conjugal
que s'accroît à perpétuité le Ciel. Le bon et le vrai
ont été séparés par la chute, le grand but de la Pro-
vidence est de les réunir; le vrai mariage représente
l'Église, etc., etc. Enfin, Swedenborg nous annonce
que le véritable amour conjugal, encore si peu connu,
va renaître sur la terre, et que ces saintes unions con-
tribueront beaucoup à l'établissement de la Nouvelle
Église et au bonheur des habitants du globe. Je sou-
mets ces brèves considérations à l'Auteur de la lettre
qu'a bien voulu nous communiquer M. de Tollenare,
pressentant tout l'intérêt que prendraient à leur con-
tenu des amis de la Nouvelle Dispeusation,
Si, par aucun motif grave, le nombre des Chapitres
de l'Exposition de la Doctrine de la Nouvelle Eglise
n'est invariablement fixé à cinq, l'Amour Conjugal,
considéré sous le rapport moral et religieux, dans le
temps et l'éternité, pourrait offrir le sujet d'un sixième
Chapitre.
Il est un autre point de vue sous lequel il me semble
aussi qu'il serait utile de présenter la Doctrine de la
Nouvelle Église avec quelques développements. Je
veux parler de la Théologie positice, telle qu'elle est
exposée dans le grand ouvrage intitulé : La Vraie
Religion Chrétienne contenant ta Théologie uni-
verselle de la Nouvelle Église. La théosophie et la
vraie philosophie des ouvrages de Swedenborg cou-
DU CAPITAINE BERNARD. 21)3

viendront surtout aux hommes très-éclairés, préparcs


par beaucoup d'autres bonnes lectures. Elles affran-
chiront par la suite le genre humain de ses incertitu-
des et de ses erreurs, et le moment où cette Doctrine
sera appréciée des bons esprits semble se rapprocher
chaque jour. L'exposer et la démontrer est donc un
service immense à rendre à la société : mais n'est-il
pas aussi bien nécessaire d'exposer à tous ce que c'est
que le vrai Christianisme, quels en sont les dogmes
constitutifs, et quelles sont les erreurs qu'on leur a
substituées? L'homme est déchu; de là l'origine de
ses erreurs, de ses maux, de ses vains systèmes et de
la dégradation de ses facultés. Dans cet état de cho-
ses, ce qui presse le plus pour lui, n'est-ce pas de
pouvoir connaître les moyens de Régénération que
le Créateur des êtres, devenu leur Rédempteur, est
venu mettre à leur portée? « Si vous ne naissez de
» nouveau, dit l'Écriture, vous ne pouvez entrer dans
» le Royaume de Dieu. » — Jean, III. — « Unum est
» necesnarium, dit encore la Parole de Vérité, quœ-
» rite Regmim Dei, omniaque adjicientur vobis.n
Que resterait-il à apprendre à l'homme qui, par la
pratique des préceptes de l'Évangile éternel, recou-
vrerait l'usage des facultés primitives, et recevrait les
dons de l'Esprit Saint, comme tous les Chrétiens les de-
vraient recevoir? Rien, sans doute, du moins sous le
rapport le plus essentiel.
L'analyse de la théologie de Swedenborg serait si
bien étayée dans l'Ouvrage précieux de M. Richer,
264 R E M A R Q U E S DU C A P I T A I N E B E R N A R D .

qu'il serait à souhaiter qu'il entrât dans, son plan de


l'y comprendre. Les doctrines enseignées par les
Églises existantes sous le nom de Christianisme sont
tellement éloignées de la vérité chrétienne, que la foi
peut être considérée comme abolie dans ces Églises,
et par elles encore dans une grande partie du monde.
Du moins, si elle commence à se ranimer, ce n'est
que depuis la grande révolution spirituelle de 1757,
qui réagit sur la terre pour en changer la face. « II
» n'y a plus de charité, dit le nouvel Apôtre, donc il
» n'y a plus de foi; » et citant l'Écriture, il ajoute :
« C'est aujourd'hui l'abomination de la désolation
» prédite par le prophète Daniel; et si ces temps n'é-
» taient abrégés, nul homme n« serait sauvé. » Or, le
remède à de tels maux ne se pouvait trouver que dans
un second Avènement du Rédempteur Tout-Puissant
de la race humaine, dans son apparition comme Di-
vine Vérité unie à la Divine Bonté, dans la révélation
du sens spirituel du Verbe, pour éclairer tous les es-
prits et régénérer tous les cœurs. Cet Avènement,
cette Révélation, cette Dispensation nouvelle sont an-
noncés prophétiquement d'un bout à l'autre de la Bi-
ble, cette infaillible autorité. Faisons-le connaître à
nos contemporains, exposons-leur les moyens de bon-
heur et de salut, les éléments de prospérité sociale
que, par la Miséricorde du Dieu Sauveur, leur a ré-
vélé son'serviteur Emmanuel Swedenborg. Ceci pour-
rait faire un septième Chapitre.
LES RELIGIONS ANCIENNES
RAMENÉES A L'UNITÉ.

Consensus omnium populorum probat


Deum esse. (CicÉRON.)

NOTE DE M. DE TOLLEKARE.

Ce manuscrit d'Edouard Richer est l'esquisse d'un Ouvrage


qu'il se proposait d'ajouter à la Nouvelle Jérusalem.
La lecture de l'Ouvrage deCreutzer (la Symbolique) en fat
l'occasion.
Les grandes connaissances astronomiques d'Éd. Ilicher, et
sa théorie de la sphère considérée comme le livre où les peu-
ples primitifs inscrivirent leurs pensées sur Dieu, l'homme
et la nature, l'auraient mis à même de pousser ses démons-
trations bien plus loin que ne l'a fait l'écrivain allemand.
Un jour, et avec la Doctrine de la Nouvelle Jérusalem, j'es-
saierai peut-être de revêtir ce magnifique squelette de quel-
ques chairs (1).

PLAN DE L'OUVRAGE.

I. L'homme s'est écarté de Dieu (toutes les reli-


gions le prouvent, la philosophie l'atteste, la morale
(t) M. de Tollcnare est entre* dans le monde spirituel, sans que nous
sachions s'il a mis ce projet à exécution. (Note de l'Ed.}
93.
-2(i(j f.ES RELIGIONS A N C I E N N E S

en fait foi). Cet éloignement de Dieu est la cluite de


l'homme (de l'humanité). Celte chute est entrée dans
tous les symboles; elle est le dogme universel; c'est
le péché originel de la religion catholique-romaine.
IL Cette chute a consisté en ce que l'homme, créé
avec l'amour de soi (l'amour individuel) pour moyen,
comme le seul mobile propre à le conduire à l'amour
collectif (l'amour universel), a fait de cet amour de
soi l'amour exclusif, l'amour dominant. Il en est ré-
sulté qu'il s'est séparé de Dieu, qui est l'Amour Même,
l'Amour Universel. L'égoïsme a donc été le péché
originel; il est devenu péché actuel, parce que les in-
clinations des pères passent aux enfants, et que l'hu-
manité, déchue de sa voie dans les premiers temps,
n'a pu transmettre à l'humanité qui l'a suivie que les
penchants qui ont constitué sa nature.
III. Ainsi la chute de l'homme primitif devait lais-
ser à jamais l'homme des temps postérieurs dans les
ténèbres absolues de l'esprit et du cœur; il n'y a d'a-
mour légitime qu'en Dieu et avec Dieu. L'homme sé-
paré de Dieu a reçu l'amour qui est la vie commune
de toute la création; niais l'ayant replié sur lui seul,
au lieu de lui permettre de s'étendre selon sa nature,
il n'a plus connu qu'un amour illégitime, et ses des-
cendants par les lois de transmission (lois générales
cliex tous les êtres organiques) n'ont dû et n'ont pu
connaître par eux-mêmes d'autre amour. Un Libéra-
teur a été promis en conséquence à la race humaine
déchue. Il éiaii de l'essence de l ' A m o u r Suprême de
RAMENÉES A L'UNIÏK. 2(>7

ne pas laisser l'homme impartait. L'Ordre devait un


jour faire cesser le désordre. La promesse d'un Libéra-
teur est un fait cosmogonique sur lequel a reposé la
religion de tous les peuples chrétiens. La réalisation de
cette promesse est un second fait qui constitue toutes
les mythologies payennes. Enfin, l'attente de ce Libé-
rateur est un troisième fait qui caractérise encore au-
jourd'hui le seul peuple chez qui se trouve la négation
de la réalisation du Personnage Divin. Il est aisé de
voir que les peuples n'ont pu attendre qu'un Dieu
pour leur délivrance. En etfet, les lois immuables de
transmission ne permettaient pas aux générations
abâtardies de se rétablir seules. L'homme ne pouvant
s'élever à Dieu, Dieu a dû descendre jusqu'à l'homme.
IV. Un Messie, voilà donc le fait unique de la
croyance de tous les peuples. Promis, donné ou atten-
du, il est F unique centre des hommages respectueux
des mortels. Nous allons le voir figuré dans toutes les
Religions de l'antiquité, qui seront ainsi ramenées à
l'unité.
V. Partout nous voyons des Incarnations du Prin-
cipe Suprême, soit que les peuples égarés prennent
le soleil pour ce principe, soit qu'ils transportent
chez des héros mortels le rôle de la Rédemption Di-
vine. Par là sont détruits les trois systèmes princi-
paux des mythologistes : Le premier, que les agents
physiques de la nature ont seuls été déifiés; le second,
qu'il n'y a d'autres dieux que les hommes illustres
dont les peuples ont fait l'apothéose; le troisième,
268 LES RELIGIONS ANCIENNES

enfin, que toute religion a commencé par le fétichis-


me. Chez nous, la nature extérieure est prise pour un
symbole ; les apothéoses de l'histoire, pour le fait al-
téré du Messianisme primitif; enfin, l'âge d'or est mis
en tête des cosmogonies au lieu de l'état de barbarie
que supposent les philosophes.
VI. Toutes ces religions nous parlent du soleil et
des astres, et on serait tenté de croire que le Sabéisme
en était le principe, s'il n'était aisé de démontrer que
la nature extérieure a été simplement un symbole.
Ceci se démontre : 1° par le bon sens; ce n'est pas le
soleil qui change les cœurs, et la religion n'a son siège
que là. Par le langage des premiers peuples, qui est
tout symbolique, et qui a toujours exprimé autre
chose que ce que le sens littéral fait supposer. Par les
sensations mêmes de ceux qui ont fondé toutes les re-
ligions; tous ayant été des extatiques, n'ont pu voir
les sentiments moraux sans leur donner des formes,
et n'ont pu créer dans l'extase d'autres formes que
celles que les sens leur avaient fait connaître à l'état
de veille. Ainsi, il résulte de là que les images du Sa-
béisme n'ont été que des hiéroglyphes. Brahmâ, Zo-
roastre, Hermès, ont tous été des prophètes.
VII. Les nations de l'antiquité nous parlent toutes
de leurs dieux comme de héros libérateurs qui sont
venus sur la terre livrer des combats naturels. Il est
aisé de voir que, par suite du génie allégorique des
anciens, ces combats naturels figurent des combats
moraux; et, en effet, se détacher des suggestions de
RAMENÉES A t'UNITÉ. 269

l'égoïsme pour ne sentir que l'amour divin, suppose


chez l'homme naturel de rudes combats. De là les
épreuves qu'on faisait subir aux initiés. Ainsi, tous
les dompteurs de monstres, dieux ou héros, ne sont
que le Dieu des armées de l'Écriture Sainte. Toutes
les histoires, où ces faits sont relaies, ne sont autre
chose que la notion défigurée d'un Messie.
VIII. On demande comment il se fait que l'histoire
du Messie, venu seulement il y a 1833 ans (1), ait
servi de base à des traditions qui ont 4000 ans d'an-
tiquité. A cela je demanderai comment il se fait que
l'histoire de ce Messie ait été écrite par Ésaïe 7 à 800
ans avant l'événement. Ésai'e, dira-t-on, était un ex-
tatique. Tels ont été aussi les fondateurs de tous les
cultes. Dès la chute, la Rédemption a été promise et
annoncée. Les extatiques l'ont enseignée par des sym-
boles, et les symboles chez les peuples trompés ont
été pris pour des réalités.
IX. Ces prémisses étant établies, et n'ayant pas
besoin d'être prouvées pour ceux qui ont lu l'Ou-
vrage auquel celui-ci fait suite (2), nous allons im-
médiatement passer ù l'examen des faits principaux
qui constituent les Religions de l'Inde, de l'Egypte,
de l'Asie-Mineure, de la Grèce et de l'Italie.
m

(1) Cette date indique l'année oii ce plan de l'Ouvrage a été com-
posé. (Note de l'Éd.)
(2) C'est le grand ouvrage de Richer édité après son décès par sou
,imi M. de Tolleiiare, auquel il en avait remis le manuscrit.
(Noie de VÉd.}
23*.
^70 LES RELIGIONS ANCIENNES

OBJECTIONS.

1° Est-il vrai que l'homme soit réellement déchu?


2" Est-il vrai qu'un Libérateur Céleste lui ait été
promis chez toutes les nations?
3° Est-il vrai que l'homme d'aujourd'hui naisse
dans le mal, parce que l'humanité jadis y est tombée ?
Les penchants et les vices sont-ils réellement hérédi-
taires?
4° Est-ce assez du récit obscur de Moi'se pour en
déduire la chute considérée philosophiquement? Est-
ce assez de la condamnation du serpent dont la tête
sera écrasée, pour en déduire la promesse d'un Mes-
sie?
5° Si le Messie a été ligure chez tous les peuples,
qui dira qu'il ne l'a pas été également chez les Hé-
breux ?
6° Si le rôle de Messie est une fable chez tous les
peuples, pourquoi n'en serait-il pas une également
chez les Hébreux ?
7. Si le Messie des Hébreux, venu après les autres,
offre tant de points de ressemblance avec ses devan-
ciers, n'est-ce pas parce que sa vie aura été écrite
d'après la vie des autres, parce que ses historiens au-
ront été des plagiaires ?
RAMENÉES A L'UNITÉ. 271

INDICATION DES RÉPONSES.

1° II est vrai que l'homme a toujours été considéré


dans les Cosmogonies comme déchu. Ce fait a été uni-
versellement cru vrai. C'est maintenant à la raison
éclairée à dire s'il l'est, et la raison répond assez bien
par l'affirmative.
2° II est vrai que toutes les nations ont adoré un
Libérateur; ce culte n'a pu venir chez elles que d'une
attente antérieure; or, l'on n'attend que ce qui est
promis, ou, autrement, ce qui est dans l'ordre des
choses.
3° La question de l'hérédité des vices a ses parti-
sans. La philosophie nous apprend que c'est l'éduca-
tion seule qui crée l'homme. Mme Necker de Saussure,
dans son livre sur l'Éducation, trouve dans tous les
enfants une inclination visible au moi. Sans réforme,
cette inclination ferait des enfants des êtres insocia-
bles, en guerre les uns avec les autres. En voilà assez
pour croire que cette aptitude à l'égoïsme, qui est le
mal, a eu un commencement.
4° Si Moïse est un extatique, son récit est un sym-
bole, et l'obscurité de ses paroles appartient à la lan-
gue hiéroglyphique. On ne doit rien en conclure con-
tre le dogme. Pour affirmer celui-ci, il suffit du té-
moignage de la raison. C'est elle qui parle ici, et le
symbole l'appuie à la manière des symboles. Moïse
n'a pu parler autrement; c'eût été pour lui parler
une langue étrangère.
272 LES RELIGIONS ANCIENNES

J)° Le récit n'a pu être simplement figuré sur toute


la terre, parce qu'il faut que les intimes se réalisent
dans les extrêmes tôt ou tard; parce qu'il faut que la
Suprême Sagesse accorde ce qu'elle a promis; or,
c'est promettre que de faire naître l'attente d'un bien.
Or, quel est le peuple qui donne des preuves histori-
ques de la réalisation de l'événement '! Aucun autre
que le peuple Hébreu. Chez tous les autres, le Messie
remonte aux temps fabuleux; chez lui, le Messie re-
monte aux temps historiques et à l'époque la plus re-
marquable de l'histoire. L'érudition retrouve des fa-
bles dans tous les dieux du paganisme, et les éléments
de l'histoire dans Celui des Chrétiens.
6° La réponse est au N° précédent.
7° Les écrivains juifs, qui nous ont transmis la vie
et les actions de Jésus-Christ, n'étaient pas des éru-
dits, mais des gens simples. Ils ne font d'allusion à
d'autres livres qu'à ceux des prophètes juifs. Ils se
cantonnent dans leur nation, sans rien connaître du
reste de l'univers.

CONCLUSION.

Il résulte de tous ces rapprochements que la notion


d'un Messie est une notion universelle; il résulte
qu'avant de s'inquiéter s'il y a eu un Messie indien,
perse, égyptien ou juif, s'il y a eu un Messie-homme
philosophe, législateur et prophète, on doit considé-
rer la crovance à un Messie comme la base d'une doc-
RAMENÉES A L'UNITÉ. 273

trine morale universelle; on doit reconnaître dans le


Messianisme un grand symbole, unique, invariable.
Partout le Messie est le Fils par excellence, le Dieu
chargé de compléter l'œuvre Divine, celui qui doit,
en se régénérant lui-même, régénérer l'homme dé-
chu ; partout c'est la Parole créatrice incorporée à la
matière; en un mot, la résolution du multiple dans
l'unité, le retour & Dieu, la destruction du moi, l'ab-
sorption de tout amour individuel dans l'amour uni-
versel. Ce symbole est d'une vérité incontestable. Le
Personnage dans lequel le symbole s'est réalisé a-t-il
existé? Ceci est une question purement historique.
1° II a dû exister, parce que tout symbole repose sur
un fait. 2° La légende juive qui nous donne la vie du
Christ ne peut être un mensonge, tant à cause de sa
nouveauté que par les preuves historiques sur les-
quelles elle s'étaie.

SYMBOLES.

Les premiers fondateurs des religions consignaient


leurs dogmes dans des représentations figurées; l'An-
tiquité tout entière nous l'atteste. (Creutzer.— Intro-
duction.)
Ainsi, dans la haute Antiquité, toute religion, tout
culte, toute instruction morale ou philosophique, se
produisait sous la forme de symbole et d'emblème.
(Id. Id.)
Ceux qui parlent des choses divines au moyen de
274 LES RELIGIONS ANCIENNES

signes sensibles s'expriment en symboles et en mythes


on en figures. Cette exposition des choses divines par
la voie djes symboles est Orphique, et propre en géné-
ral aux auteurs des Théomyties. (Proclu* in Théol.
Platon, I. 4, 9.)

L'INDE.

L'Inde passe à juste titre pour le berceau de l'es-


pèce humaine et le théâtre de la civilisation primitive.
Ce pays est le seul qui ait conservé intacte la religion
de ses premiers ancêtres. C'est d'elle que sont venus
les génies, les dieux et toute la mythologie primitive.
Celte religion se perd dans la nuit de l'antiquité. Son
histoire nous manque. Bien avant les recherches des
modernes, les historiens de l'antiquité nous avaient
appris que le dogme de la chute était celui sur lequel
reposait toute la religion de l'Inde. Le Brachmane
vers lequel Alexandre-le-Grand avait envoyé le philo-
sophe Onésicrite , lui rapporta que primitivement
l'homme vivait au sein de l'innocence, que sa faute
occasionna un changement dans sa condition pre-
mière, et que Jupiter, pour punir son ingratitude, le
condamna à la douleur; que le repentir de l'homme
ayant touché le dieu de compassion, celui-ci le réta-
blit dans son état primitif, et que par le laps du temps
et le train ordinaire des choses, l'ancienne confusion
paraissait renaître; en conséquence de cette idée, les
Indiens furent conduits à celle d'une régénération
R A M E N É E S A I/UNITÉ.

opérée successivement par les incarnations de leurs


divinités. Celles de Vichnou surtout sont très-nom-
breuses; mais la religion indienne n'en reconnaît que
trois principales, celle de Brahmà, celle de Sivâ et
celle de Vichnou; c'est ce qui constitue la Trimourti,
c'est-à-dire, la trinité indienne. Le Dieu suprême se
révéla d'abord comme Bralnnà ou Créateur, puis
comme Vichnou, Conservateur et Sauveur, puis enfin
comme Sivà, le Rénovateur, le Dieu d'ici-bas par ex-
cellence. La Trinité Chrétienne retrouve ici,ses élé-
ments; la Divinité s'est révélée également comme
Créatrice, Rédemptrice et Agissante; sous d'autres
termes, elle s'est fait connaître comme Père, comme
Fils et comme Esprit Saint. A y bien regarder, ces
trois personnes sont identiques dans la Trimourti de
l'Inde. Les rapports de Père et de Fils sont exactement
ceux qui existent entre Brahmà et Vichnou ; quant à
la personne de Sivà, si l'on refusait de reconnaître en
elle l'Esprit Saint, à cause du rôle que lui fait jouer la
mythologie indienne, il faudrait se souvenir que ce
rôle est un symbole d'un bout à l'antre, et que l'es-
prit peut être pris en bonne comme on mauvaise part.
Les emblèmes affectés à ces trois êtres confirment en-
core cette assertion. La terre, symbole de l'Eglise ou
de l'humanité liée à Dieu, est ali'ectée à Brahmà; l'eau
ou la vérité à Vichnou, enfin le feu ou l'amour, soit
bon, soit mauvais, à Sivà. La Trimourti dans son es-
sence, dit M. Mùller, n'est qu'une triple révélation de
Brahm, l'unité absolue s'émanant successivement sous
276 LES RELIGIONS ANCIENNES

trois aspects divers, en trois forces distinctes, en trois


personnes parfaitement égales, identiques au fond, et
qui différent seulement dans leur action et dans leur
développement extérieur.
La morale des Hindous se déduit tout entière du
dogme de la chute. L'orgueil, disent-ils, est la cause
du mal, d'où il suit que l'abnégation de soi est un de-
voir imposé à tout homme. De là vient chez les Brah-
manes l'oubli de toute individualité, le renoncement
complet au moi ; de là vient cette vie contemplative
dans laquelle l'homme se dépouille de ce qu'il a d'hu-
main pour s'élever à Dieu. C'est la déification ou l'u-
nification des philosophes grecs. On voit ici l'abus
d'un principe fécond en vertus sublimes; ce principe,
mal compris, anéantit toute action, tout sentiment,
absorbe dans une contemplation stérile toutes les
forces de l'âme et toutes les puissances de la pensée.

Bralimâ.

La plus ancienne religion de l'Inde, celle même qui


se confond avec l'origine des choses, est celle qui fut
révélée par Brahmà, le créateur du monde; et de lui
elle se nomme Brahmaïsme. Brahmà est la première
personne de la trinité hindoue, Dieu le Père, qui s'in-
carne le premier pour venir annoncer la vérité aux
hommes. Une tradition le fait naître d'une vierge,
restée vierge après l'enfantement miraculeux. Ce Dieu
l'ait chair, véritable Verbe incarné, n'était pas cepen-
HAMIiNÉES A 1,'lLMTK. 277

dant le Dieu suprême; il communiqua aux hommes la


loi qu'il tenait à son tour de l'Éternel. Voici comment
Creutzer (Liv. I, Ch. 4) caractérise Brahmâ : « Une
idée principale domine toute la cosmogonie des Iu-
dous : C'est que le Créateur, pour accomplir son œu-
vre, a dû s'émaner lui-même en corps et en esprit
dans toutes les créatures. Ainsi, le monde entier est
la forme de Dieu, comme Dieu est l'esprit qui
anime le monde. Tons les êtres créés, les animaux,
les hommes, sont les parties de ce corps gigantesque
qui embrasse tout. D'un côté, il puise à la source pure
de la suprême intelligence d'où il dériva; de l'autre,
il participe aux souillures et à l'impureté de la matière
dans laquelle il descend et s'incorpore. Ainsi, Brahmâ
estle Dieu-monde; il est aussi Y/tomme-Dieu, le type
dirin de l'homme qui est lapins excellente de toutes
les formes, ou plutôt le monde et l'homme, images l'in
de l'autre, sont également l'image de Dieu. » Qui ne
reconnaît ici les idées de la Nouvelle Jérusalem sui-
te divinité considérée comme créatrice et réparatrice?
Ce que l'auteur allemand ajoute est plus frappant en-
core : un chrétien ne pourrait parler en termes plus
formels de Jésus-Christ. « Ainsi, dit-il, l'histoire de
Brahmâ, c'est l'histoire de l'homme, de sa chute el
de ses longues erreurs, de ses transmigrations expia-
toires et de son retour d é f i n i t i f dans le sein du Très-
Haut. Toute la morale des Hindous vient se réfléchir
en lui comme dans un miroir fidèle. » Selon une tra-
dition qui offre des rapports non moins frappants,
24.
278 f,ES RELIGIONS A N C I E N N E S

Brahmà existe dans les Brahmanes; ceux-ci sont ho-


norés en sa place, car il habite en eux. Amara-
Simha lui donne entre autres épilhètes celle d'âme
du monde; il l'appelle la matrice des êtres, le père,
le générateur, le plus ancien des dieux.

Vie/mou.

Quand le Brahmai'sme se fut altéré par les dogmes


du Sivai'sme ou du culte de la nature, la divinité s'iu-
carna une autre fois dans la personne de Vichnou, la
seconde personne de la trinité. En lui le Créateur,
s'émanant des profondeurs de l'infini, prit un corps
mortel, entra en contact avec la matière pour sauver
le monde. A la fin de l'âge présent, disent les Indiens,
viendra une nouvelle incarnation de Vichnou; il pa-
raîtra monté sur un coursier blanc avec un glaive res-
plendissant pour mettre fin aux crimes Je la terre.
Alors recommencera une nouvelle création ; alors
s'ouvrira un nouvel âge de pureté et d'innocence.
N'avons-nous pas là l'Évangile et l'Apocalypse? Ces
incarnations ne représentent-elles pas à la lettre les
révélations successives qui jusqu'ici ont porté le re-
mède où était le mal, qui ont rétabli la religion quand
celle-ci s'altérait? Voici les propres paroles de Vich-
nou à ce sujet : « Bien que de ma nature je ne sois
point sujet à naître ou à mourir, bien que je domine
toute la création, cependant je commande à ma pro-
pre nature et me rends visible par mon pouvoir; et
RAMENÉES A L'UMTÉ. 279

autant de fois que dans le monde la vertu s'affaiblit,


le vice et l'injustice s'insurgent, autant de fois je me
fais voir, et j'apparais ainsi d'âge en âge pour sauver
les justes, détruire les méchants et raffermir la vertu
ébranlée. » L'on voit par ces paroles, ajoute l'un des
plus savants interprètes de cette mythologie, que le
but de ces manifestations de la divinité sous des for-
mes humaines est un but essentiellement moral. C'é-
tait à Vichnou, dit Creutzer, c'était au dieu média-
teur et sauveur par excellence qu'il appartenait sur-
tout de jouer ces rôles divers de puissance et d'a-
mour, de force et de bonté tout à la fois. Aussi, quand
les Hindous parlent-d'incarnations, s'agit-il toujours
des siennes. La légende renferme une doctrine émi-
nemment morale : Vichnou, conservateur du monde,
Dieu bon et miséricordieux, ne se borne pas à veiller
d'en haut sur l'ouvrage de Brahmâ, il faut de plus
que dans ces grandes crises où la terre, en péril, de-
mande un sauveur, Vichnou, pour combattre le mal,
pour s'impliquer aux choses mortelles, devienne mor-
tel lui-même; il accepte un corps, il s'incarne, naît,
agit en personne; ainsi, fils de l'Éternel et sa seconde
révélation, lien visible du monde avec son invisible
Auteur, il porte dans ses incarnations le caractère
d'un médiateur divin qui se dévoue pour le salut de
ses créatures. (Liv. I, Cli. 3.) Si ce n'est pas ici l'i-
mage et le rôle du Christ, il n'y a plus de rapproche-
ment possible.
"280 LES RELIGIONS ANCIKNMiS

lia ma.

Viclinou ayant résolu de prendre une septième


l'ois naissance au sein d'une mortelle, vint au monde
dans la cité d'Ayodhyà, et eut le nom de Rama, c'est-
à-dire, le beau. Toute la vie de Rama est employée à
combattre les géants impies et cruels qui désolaient
les bois et les déserts. Comme triomphateur, il est
représenté armé de la massue. Son long règne ter-
mina l'âge d'argent et ramena sur la terre tous les
biens, toutes les vertus de l'âge d'or. Guerrier sage
et vaillant, il devint sur le trône un sage législateur.
Les prophètes hébreux n'ont pas parlé en d'autres
termes de la mission du Christ et de l'empire qu'il a
fondé sur la terre.

Cric/ma.

Sous ce n o m , Viclinou se révéla aux mortels avec


toute sa gloire et toute sa puissance. La mythologie
indienne le fait naître à minuit, le fait vivre au milieu
des bergers comme l'Apollon des Grecs, et triompher
du terrible serpent Calixa. Une tradition remarqua-
ble le fait périr sur un bois fatal (un arbre), où il fut
cloué d'un coup de flèche, et du haut duquel il prédit
les maux qui allaient fondre sur la terre. Toute sa
carrière, du reste, fut employée soit dans les combats,
soit, dans les enseignements. On le représente portant
RAMENÉES A L'UNITÉ. 281

sur son front le signe sacré du soleil, l'œil qui voit


tout. Souvent, radieux enfant, il repose sur le sein
auguste de sa mère, qui lui présente la mamelle.
Quelquefois c'est un sage dans l'attitude de la ré-
flexion ou s'entretenant avec ses disciples; c'est le
meilleur des hommes. D'autres fois, c'est Vichnou
lui-même, réunissant tous les attributs de la divinité
suprême.
Les rapports entre Crichna et le Messie sont trop
évidents pour s'y arrêter. Aussi ont-ils été sentis par
la plupart des érudits, et Creutzer ne craint-il pas
d'affirmer que rien de plus naturel que de rapprocher
la légende de Crichna de celle du Christ. Outre l'a-
nalogie des noms, nous trouvons ici celle des circon-
stances. Comme le Christ, Crichna descend sur la
terre pour la sauver; et, par un sacrifice dont lui seul
est capable, ïl se soumet à toutes les faiblesses, à tou-
tes les misères de l'humanité, à une mort cruelle mê-
me ; il se fait pasteur, guerrier et prophète, pour
laisser aux hommes en les quittant un modèle de
l'homme.
Mais il n'en est pas moins le Dieu par excellence,
le représentant de l'Être invisible duquel il a reçu sa
mission, puissant et juste comme lui, répandant ses
grâces sur ses ennemis mêmes, et n'exigeant de ses
adorateurs que la foi et l'amour, qu'un rude en es-
prit.el en vérité, gué le désir de lui être unis, le
mépris de la terre et l'abnégation d'eux-mêmes.
(Liv. I, Ch. 3.)
284 LES R E L I G I O N S A N C I E N N E S

Bouddha.

Bouddha est le dernier des grands symboles de la


religion hindoue. Comme le Messie, il semble appar-
tenir à la fois aux époques cosmogoniques et aux temps
historiques. Il a des rapports tels avec l'antique my-
thologie indienne, qu'on dirait que c'est un être fic-
tif. D'un autre côté, son incarnation clairement tra-
cée, les détails de sa légende précis et uniformes, son
rôle de réformateur bien constaté, le font considérer
comme l'auteur d'une révolution religieuse dont.tous
les caractères appartiennent aux temps historiques.
Enfin un rapport plus singulier existe entre les deux
personnages. Le Messie est né chez les Hébreux chez
lesquels il n'est plus adoré; Bouddha, né parmi les
Hindous, ne jouit d'aucun culte dans l'Inde. Les Brah-
manes conservent pour sa doctrine une haine violente,
comme les rabbins éprouvent une répugnance invin-
cible pour tout ce qui porte le nom de Christianisme ;
la doctrine du Christ est reçue unanimement dans
'otites les contrées de l'Europe où sont répandus les
Juifs sans patrie, et qui seuls s'obstinent à mécon-
naître la religion générale; en Orient, nous voyons la
religion de Bouddha envelopper le sud, l'ouest et le
nord de l'Hindoustan ; ce pays seul la repousse de son
sein.
Les Brahmanes l'ont de Bouddha la neuvième incar-
nation de V i c h n o u . el le placent immédiatement après
RAMENÉES A L'UNITÉ. 283

Criclma. 11 descendit du séjour céleste dans le sein


de Mahamaya, épouse d'un roi de la caste des Brah-
manes. Sa mère, qui l'avait conçu sans souillure, le
mit an monde sans douleur. Parvenu à la fleur de la
jeunesse, il s'échappe dans lé désert, s'ordonne prê-
tre; et, entouré de ses disciples, se livre à une vie
austère. Ses pénitences terminées, il déclare à ses dis-
ciples que le temps est venu de porter au monde le
flambeau de la vraie croyance ; il se rend à B.énarès,
la cité sainte par excellence; sa doctrine de salut
commence alors à se répandre. Avant sa mort, il an-
nonce à sa doctrine une durée déterminée, prédit à
ses disciples de violentes persécutions, indique une
terre étrangère comme le lieu d'où la vraie croyance
devait sortir pour faire le tour du monde, enfin fait
la promesse d'un nouvel homme-Dieu qui devait pa-
raître longtemps après lui. Quant à lui, il alla se réu-
nir à la divine essence, et fut adoré chez les mortels
comme Bouddha, c'est-à-dire, comme sage inspiré ou
prophète, ou Dieu même. Quelques variantes de c«tte
légende nous le montrent ayant à ses côtés deux dis-
ciples favoris; on lui donne l'épithète de Soleil. D'an-
ciens monuments trouvés dans l'Inde le décorent de
tous les noms donnés à Vichnou et à Grichna; il y
est appelé le Dieu de miséricorde, le dispensateur du
salut. Ses images nous le font voir souvent allaité par
sa mère, qui le tient sur ses genoux ; une auréole ceint
la tète de l'enfant aussi bien que celle de la mère.
Celle-ci, enfin, avec Brahm et son fils Bouddha, cons-
l i l n e la religion d i t e le Bouddhisme.
284 LES RELIGIONS ANCIENNES

Dans l'Inde comme dans la Judée, le Messie et Boud-


dha sont nés de Dieu et d'une vierge; l'un et l'autre
sont le Fils par excellence, le démiurge chargé de dé-
velopper la création première, le régénérateur, le
Verbe ou la Parole descendue dans la matière, le
moyen on le médiateur par lequel s'opère le salut.

LA PERSE.

La même chaîne de montagnes qui vit naître la re-


ligion de l'Inde a vraisemblablement été le berceau
de celle de la Perse. La première s'est étendue à
l'orient, et la seconde à l'occident. Quelques person-
nes ont vu le simple culte de la nature dans la religion
des anciens Perses; mais il est aisé de voir que les
objets matériels étaient chez ces peuples autant de
symboles. Un érudit anglais, Payne Knight, a sur-
nommé les Perses les Puritains du paganisme; et, en
effet, dit le traducteur français de Creutzer, il serait
diflicile de trouver dans toute l'antiquité, si ce n'est
chex, les Hébreux, rien qui fui comparable à la simpli-
cité aussi sévère que sublime de la religion fondée sur
le Zend-Avesta. Le Sabéisme y est tellement idéalisé,
le culte des éléments si épuré, tous les objets de l'a-
doration si rigoureusement subordonnés à l'idée d'un
Être bon, Auteur et Sauveur du monde, qu'on ne
saurait guère taxer de polythéisme les auteurs de cette
doctrine. A plus forte raison, doivent-ils être consi-
dérés comme étrangers ;'i toule idolâtrie. Le t'eu sacré
UAMESÉES A I/CN1TK.

qu'ils invoquaient, pour citer cet exemple, n'était


pour eux qu'un emblème de la Volonté ou de la Parole
Divine qui a créé l'univers.

Mithras.

Mithras est le divin modèle de tout Perse; c'est


Dieu même se produisant sous un aspect humain. Son
essence est la lumière; et le but de toute la religion
des Perses est de rendre l'homme semblable à la lu-
mière, de dissiper en lui les ténèbres par des purifi-
cations continuelles. Mais ce Mithras dont l'existence
nous est attestée par Plutarque, et qui tient le milieu
entre Oromaze et Arimane, entre le bon et le mauvais
principe, et qui pour cela était appelé Médiateur,
ce Mithras, dis-je, n'est pas le seul dieu des Perses :
au rapport d'Hérodote, ces peuples adoraient une
puissante divinité femelle du nom de Mithra. Ces
deux assertions également respectables ont embar-
rassé les érudits. Creutzer, réunissant les deux noms,
a fait de Mithras-Mithra une divinité mâle et femelle.
Ces deux noms ont une étymologie commune et signi-
fient également l'amour et le soleil ; il est à croire que
les anciens, personnifiant deux attributs du média-
teur, les ont déifiés : en effet, le Messie est tout à la fois
l'amour suprême et le soleil des intelligences. C'est
en personnifiant cette faculté divine que tous les peu-
ples de l'antiquité ont eu leur grande déesse, les Chal-
déens leur l'ranie, les Grecs leur Vénus; c'est encore
28*1 LES RELIGIONS ANCIENNES

en oubliant le symbole pour s'en tenir à la lettre ((lie


le culte de la déesse de l'amour a été environné d'un
cortège de voluptés qui le déshonorait. Les initiés,
pour rétablir la religion primitive, se détournant de
la divinité qu'on prétendait honorer par de mons-
trueux hommages, adoraient la Yénus-Uranie ou la
chaste Diane. Isolant toujours de cette manière l'a-
mour divin de l'acte accompli par le médiateur, ils
firent de celui-ci le fils de la déesse.
Quoi qu'il en soit, Mithras se confond chez les Per-
ses avec le soleil ; mais c'est un dieu incarné, car il
ramène les âmes à Dieu en suivant la carrière du so-
leil à travers le zodiaque. Sa fête se célébrait comme
celle du Christ à l'équinoxe du printemps; le jour de
sa naissance tombait au VIIIe des calendes de janvier
ou au 2o décembre ; aussi ce jour dans les calendriers
romains était-il dit : Naturalis solis invicli.
Dans la doctrine de Zoroastre, le monde, tel qu'il
fut produit du sein de l'Éternel, était lumière. Celte
lumière s'obscurcit. Alors vint l'opposition, la lutte
de la lumière et des ténèbres, du bien et du mal. Ce
combat doit se terminer dans l'amour et par sa mé-
diation. Cet amour, ce médiateur, c'est Mithras : voilà
le dogme chrétien sur le Messie. Mithras, dit la doc-
trine, est le bon; il est l'amour, et l'amour est son
nom. Dans son rapport avec Oromaze et Arimane, il
est le feu d'amour; dans la nature, le protecteur et
le purificateur du soleil; vis-à-vis de l'homme, le ré-
parateur : sous tous les points de vue, il est média-
RAMENÉES A L'UNITÉ. 287

leur. C'est lui qui proclame le Verbe ou la Parole Di-


vine, et il réside en ceux qui la publient, dans les
saints prophètes. L'œuvre de l'amour s'accomplit dans
la plénitude des temps, dans la grande année du
monde, formée de douze mille années solaires. Il
s'accomplit à l'équinoxe du printemps sur la ligne
qui sépare en deux moitiés égales la lumière et les té-
nèbres (emblèmes visibles du bien et du mal). Tous
les ans, à l'équinoxe du printemps, Mithras, génie du
soleil, immole en honneur de l'Eternel le taureau zo-
diacal. C'est un sacrifice offert par le soleil vainqueur.
(Le sacrifice matériel est visiblement l'emblème d'un
autre tout moral.) (Creutzer, Liv. II, Ch. S.)
Le calendrier était un symbole auquel les Mages
rattachaient tout le rituel du service sacré. (Id.
Ch. 3.)
Le principal commandement de la loi divine con-
sistait à se tenir continuellement en garde et prêt au
combat. Semblable à Oromaze luttant victorieusement
contre Arimane, le Perse doit combattre sans cesse
les œuvres de ténèbres. (Id. Id.)
Nous savons que Mithras était appelé le dieu Tri-
ple. (Denis-l'Aréopagite, Épit. VII.)
Les Romains disaient que Mithras était né d'une
pierre. (Noël).—La pierre est l'emblème de la vérité.

L'EGYPTE.

En examinai) 1 l'accord merveilleux qui se trouve


-28N I.ES RELIGIONS ANC1EÎJ1NES

entre la religion égyptienne et les phénomènes astro-


nomiques, on serait tenté de croire avec Chémeron et
Dupilis que ces peuples n'ont jamais eu d'autre culte
que celui des astres, qu'ils n'ont reconnu d'autre
monde que le monde visible, d'autre existence que
l'existence matérielle; mais les Néo-Platoniciens, à la
tête desquels se place ici Jamblique, ont toujours con-
sidéré l'univers comme un symbole. Pour Clicmeron,
Kneph n'était autre chose que l'assemblage et l'aggré-
gat des éléments subtils destinés à former les corps;
pour Jamblique, au contraire, c'était l'intelligence,
créatrice suprême de toutes choses. Aux yeux du pre-
mier, Phtha était le feu matériel; aux yeux du second,
c'était l'esprit démiurgiqne.
Le traducteur français de Creutzer, dans une ex-
cellente note sur l'astronomie égyptienne, dit qu'en
général les astronomes et les géomètres ont été peu
attentifs au génie des nations anciennnes et aux té-
moignages, et qu'un moyen plus sûr que les expé-
riences physiques et astronomiques pour expliquer
ces étranges symboles, c'est de les considérer sous le
point de vue moral et intellectuel qui domine évidem-
ment en eux.
Quelques savants n'ayant pas assez étudié l'ancienne
religion égyptienne ont cru la soumettre, comme celle
des Grecs, au système d'Kvhémcre. Ils ont confondu,
dit le savant traducteur de Creutzer, le grand prin-
cipe de la doctrine égyptienne, l'émanation, qui im-
plique nécessairement l'incarnation, avec les principes
RAMENÉES A 1/UNITÉ. 289

fort différents de la religion des Grecs. Chez les Kgyp-


tiens, la divinité descendait jusqu'à l'homme; chez
les Grecs, au contraire, l'homme pouvait s'élever jus-
qu'à la divinité. Le culte hellénique se fondait sur l'a-
pothéose , directement opposée à l'incarnation qui
est générale dans toutes les religions de l'orient. Les
Grecs ne pouvaient se faire à l'idée d'un Dieu aban-
donnant les célestes demeures pour venir sur la terre
souffrir et mourir. D'après la croyance populaire de
la Grèce, il n'y avait qu'un homme ou un demi-dieu
qui pût endurer la destinée humaine. Mais dans les
augustes doctrines de l'orient et de l'Egypte, on fu-
rent déposés en r/nclc/ite sorte les premiers germes
du Christianisme, le dieu, poussé par un inépuisable
amour, se manifeste sous les dehors de l'homme : il
devient le Sauveur de son peuple, et pour accomplir
sa mission tout entière, il se dévoue à la mort.

Le Messie, en tant qu'uni à la malière, es! consi-


déré comme inférieur au principe suprême d'où il tire
son origine; cette infériorité constitue entre eux les
relations de père et de fils. C'est donc le fils de la di-
vinité qui représente le Messie; c'est ce que nous
voyons en Egypte, où Horus, (ils d'Osiris, nous re-
présente la personne du Réparateur. Il triomphe de
Typhon, le génie du mal, comme l'Apollon des Grecs
du serpent P y t h o n . La ressemblance entre ces deux
290 LES RELIGIONS ANCIENNES

personnages a paru telle aux anciens, qu'ils appelaient


souvent le dieu de l'Egypte Horus-Apollon.

LA PHÉNICIE.

Nous n'avons que des fragments de la religion phé-


nicienne, et nous sommes loin de la posséder dans sa
pureté. Tout ce que nous a conservé Sanchoniaton
présente une telle identité avec la Genèse, que Grotius
a trouvé dans cet étonnant rapport des raisons de
croire à l'authenticité du récit mosaïque, tandis que
d'autres ont vu dans celui-ci un plagiat de traditions
antérieures.
Dans la cosmogonie phénicienne, la Parole divine
elle-même, gravée en caractères célestes, révélée à la
caste sacerdotale par des dieux inférieurs, a été com-
muniquée par celle-là au reste des humains. C'est le
Verbe saint de l'Écriture : c'est une incarnation gra-
duelle de la loi.

Adonix.

L'Adonis des Phéniciens, dans les principales cir-


constances de sa légende, représente, comme l'Osiris
de l'Egypte, le Libérateur mis à mort et ressuscité.
Les femmes de la Phénicie pleuraient, dans une fête
annuelle, la mort et la résurrection d'Adonis, appelée
Thammuz par Ézéchiel. Le mot Adonis lui-même est
une preuve de l'identité des deux personnages tirée
RAMENÉES A L'UNITÉ. 201

du mot Adonaï souvent employé dans l'Écriture; il


signifie le Seigneur. La fête célébrée en son honneur,
.placée d'abord au solstice d'été, le fut ensuite comme
la Pâque des Chrétiens à l'équinoxe du printemps.
Cette fête avait deux parties, l'une consacrée à la dou-
leur, l'autre à la joie. Dans les jours de deuil répon-
dant à la dernière semaine du carême on pleurait la
disparition du dieu ; dans les jours d'allégresse, ré-
pondant aux fêtes de Pàque, on solennisait son re-
tour.

Atys.

Le mythe d'Alys est analogue à celui d'Adonis. Sur


les montagnes de la Phrygie comme sur les rivages
de la Phénicie nous trouvons le même culte, sinon
dans la forme, du moins pour le fond. Les Phrygiens
se regardaient comme le plus ancien peuple de la
terre, et quoique les Grecs aient rabaissé cette généa-
logie, du moins ne peut-on s'empêcher d'accorder au
culte phrygien une haute antiquité. Là, nous voyons
également Atys perdu et retrouvé. La fête consacrée
au souvenir de cet événement se célébrait également
à l'équinoxe de printemps. Deux jours <i« deuil pré-
cédaient le jour de joie. Dans celui-ci on célébrait par
des chants et des danses le dieu retrouvé, ce dieu dont
le corps, au rapport de Pausanias, jouissait du privi-
lège d'une éternelle incorruptibilité. Les prêtres phry-
giens honoraient principalement leur Dieu en se fai-
LES RELIGIONS ANCIENNES

sant eunuques. Creutzer attribue l'origine de la cas-


tration à une idée toute physique. Voyant dans Atys
une incarnation du soleil matériel, il croit que l'u-
sage de la castration figure la végétation arrêtée par
l'hiver. Cette superstition si répandue dans l'anti-
quité, de même que celle qui exigeait la virginité chez
les femmes et le célibat chez les hommes, ne serait-
elle pas plutôt la suite d'une idée morale? Les pre-
miers hommes sachant que l'acte de la génération
matérielle ne devait produire que des hommes dé-
chus, honoraient le dieu qui devait naître d'un dieu
en s'abstenant de l'acte par lequel se propageait la
race tombée. La mutilation volontaire des prêtres
d'Atys aurait, ainsi que le mythe des amazones, une
origine religieuse. Celles-ci auraient honoré à l'avance
la vierge qui devait enfanter; ceux-là, en se mettant
hors d'état de procréer la race contemporaine, célé-
braient le dieu qui, sans le secours d'un père mortel,
venait détruire le péché transmis par les lois de la
génération.
De toutes les cérémonies des Phrygiens, dit Ma-
crobe, celle dont on peut plus particulièrement con-
clure qu'elles se rapportent au soleil, c'est que d'a-
près le^ rites de ce peuple, lorsque l'astre du jour se
dispose à revenir vers eux, et que le deuil simulé a
cessé, la joie renaît, et l'on célèbre la fête des Hilaries
le huit des calendes d'avril, parce qu'à cette époque
le soleil assure au jour l'empire sur la nuit.
RAMENÉES A L'UNITÉ. 293

/amis.

Dans la haute doctrine des Étrusques, Janus s'i-


dentifiait avec Jupiter. Son origine, suivant Creutzer,
paraît remonter jusqu'à l'Inde : c'est une incarnation
comme celle de Vichnou, mais dont l'idée fondamen-
tale a été altérée par un mélange d'éléments égyptiens
et phéniciens. Il était aisé de voir dans ce dieu le
principe suprême personnifié, ce qui faisait dire à
Ovide, dans le Livre des Fastes, que la Grèce n'avait
aucun dieu qu'elle pût opposer à Janus. Suivant la
doctrine étrusque, en effet, il est appelé le Ciel; il
est en même temps l'année personnifiée, et le principe
qui a figuré l'année n'a pu être que le soleil qui en
détermine les phases. Aussi le premier mois, depuis
Numa, fut-il appelé Janvier, Cette fête romaine, fixée
au solstice d'hiver, rappelle nécessairement celle que
les Chrétiens ont placée à la même époque en célébrant
la naissance de Jésus-Christ. Dans le plus ancien des
symboles, dans le Zodiaque, nous trouvons à la fois
la mère du Messie et le Messie lui-même; il n'est pas
inutile de remarquer qu'une des étoiles de la vierge
céleste porte le nom de Janus (voyez Dupuis). Ainsi
la constellation, qui par son passage au méridien in-
diquait le renouvellement de l'année, est affectée aux
deux personnages, ce qui porte à croire justement
que les deux ne font qu'un. Mais les rapports vont
toujours se multipliant. Janus lient la clef symboli-
2U-1 LliS UtLiGlONS ANCIENMiS

que, et les lecteurs de l'Apocalypse savent que le


Messie est le seul qui tient la clef de David; Jauus est
également appelé le guide des âmes, et l'ouvrage mys-
tique que nous venons de citer, s'il ne donne ce titre
au Messie, lui eu attribue les fonctions. Janus est dit
le Soleil, et tous les lecteurs de l'Écriture connais-
sent le Soleil de justice; il est médiateur entre les
mortels et les immortels, et les Chrétiens ne connais-
sent d'autre moyen de salut que la médiation de Jésus-
Clirist. C'est ce dernier attribut de Janus, selon de
savants érudits, qui a fait représenter ce dieu avec un
double visage tourné tout ensemble vers le ciel et vers
la terre. De même que dans le Christianisme, Dieu le
père a sous son empire l'éternité, et le h'is seulement
sous le sien le commencement et la fin de la rédemp-
tion, de même quelques-uns, séparant Janus de Jupi-
ter, faisaient de celui-ci l'ordonnateur suprême et de
celui-là le régulateur d'un temps précis. Enfin, comme
la.dislinction de père et de fils s'évanouit dans la mé-
taphysique transcendante de la religion, toute dis-
tinction entre Jupiter et Janus disparaissait également
dans la haute doctrine étrusque, au rapport de Creut-
xer. Ce dieu, dit le même auteur, était et s'appelait
Se père, et les prêtres sabins dans leurs cantiques
l'invoquaient comme le dieu des dieux. C'est de lui
que les patriciens ont tiré leur nom. En Étrurie
comme dans l'Inde, ce dieu, par la suite des temps,
est devenu, dans des relations altérées, le chef d'une
dvnasiie de rois; devenu monarque, il a élevé des
RAMENÉES A 1,'UNITÉ. 295

villes; transformé en héros, il a consacré des sanc-


tuaires. La Bible appelle souvent le vrai Dieu le Dieu
des combats; Janus était invoqué dans la guerre; en
ouvrant la porte de son temple, l'intrépide Romain
donnait le signal des combats. Comme le Rédempteur
qui est venu apporter la guerre, comme le Seigneur
de l'Apocalypse qui est peint sous les traits d'un
guerrier, Janus était le combattant par excellence.
Buttmann, considérant également Janus comme le
dieu du soleil, y retrouve le nom oriental de la divi-
nité Jah, Jao, Jov, d'où sont tirés les noms de Jupi-
ter et de Jéhovah, et Jao, Jaon, le nom mystérieux
de Bacchus, autre symbole de l'astre du jour.

Apollon.

Apollon, reconnu généralement dans la mythologie


grecque pour une incarnation du Soleil, nous semble
appartenir à cette théogonie orientale qui, des bords
de la mer Noire, est descendue dans l'Asie-Mineure,
à Éphèse, et de là à Délos, où l'opinion commune
place la naissance du fils de Latone. L'antiquité le fait
fils de Jupiter, c'est-à-dire, du Dieu suprême et de
Latone, la déesse cachée. Cette origine mystérieuse
indique un rapport entre le Messie dont la naissance
également devait être marquée d'un sceau mystique.
Chez quelques-uns, Latone est la nuit primitive, de
laquelle naquirent toutes choses, mais avant tout l'a-
m o u r , comme le disent Parménide et Hésiode. La
29t> LES RELIGIONS ANCIENNES

nuit première, mère de l'amour, était appelée en


Egypte Athur, et elle avait pour attribut la souris. Il
est digne de remarque que chez les Grecs l'aveugle
musaraigne était consacré à Latone. Le fils de Jupi-
ter remporte sa première victoire sur le serpent Py-
thon, et le Messie triompha du mauvais principe fi-
guré sous les traits d'un serpent. Apollon, descendu
du ciel et réduit à la condition mortelle, se fit pas-
teur; le Dieu fait homme est fréquemment désigné
sous l'emblème d'un berger qui conduit ses brebis.
Ainsi, le Messie comme Apollon se rapproche de la
nature humaine; l'un et l'autre, quittant l'Olympe,
triomphent de leur ennemi en guerriers redoutables,
ou vont, pasteurs pacifiques, faire paître leurs trou-
peaux; l'un et l'autre enfin paraissent tour à tour
élevés et humiliés, caractère distinctif de la divinité
qui s'est abaissée jusqu'à l'homme pour triompher des
passions mortelles et élever l'homme jusqu'à elle.

Persée.

Les aventures de Persée nous retracent des sym-


boles dont l'origine évidemment orientale nous dé-
montre que les fables héroïques de la Grèce ne sont
autre chose que des traditions appartenant à la révé-
lation primitive. Comme le Mithras des Perses, Per-
sée n'est qu'une incarnation du soleil.
Dans la fameuse porte de Mycènes, ville fondée par
Persée, on a retrouvé, en effet, certains symboles de
RAMENÉES A L'UNITÉ. 29"

ce dieu perse. 11 vient purger la terre des monstres


qui la souillent, comme le Messie en combattant les
vices engendrés par nos passions délivre également la
nature humaine. Comme celui-ci encore Persée doit
sa naissance à une vierge. Une tour d'airain renferme
Danaë inaccessible à tous les mortels, Jupiter changé
en pluie d'or pénètre dans son sein et la rend mère
de Persée; comme le Messie, ou plutôt comme la lu-
mière qui, au rapport de saint Jean, a lui dans les té-
nèbres, Persée s'élance de la cour du roi des ténèbres,
Polydecte, et, sous la-protection de Minerve (emblème
de la sagesse ou de la vérité que le Messie apportait avec
lui), il va dans l'occident combattre les impures Gor-
gones; puis, revenant vers l'orient, il délivre Andro-
mède, emblème de la nature humaine. Ici le mythe est
frappant; il y a ici des indices réels de purification :
l'occident est le séjour des ombres; c'est là que s'ac-
complissent les œuvres de ténèbres que combat le Ré-
dempteur avant de faire lever sur l'humanité l'orient
mystique, symbole de l'amour divin. Persée est re-
présenté armé d'une épée, et c'est ainsi que l'auteur
de l'Apocalypse nous fait voir le Messie. Dans la sphè-
re, le bélier ou l'agneau placé à l'équinoxe du prin-
temps sert de symbole au Messie qui commence la
nouvelle année, le nouveau temps, celui de la régéné-
ration morale, comme l'astre du jour commence alors
aussi celui de la régénération matérielle. Au-dessus
de ce signe on a figuré Persée, et comme l'agneau il
ouvre la nouvelle année. Le caractère moral que pré-
298 LES RELIGIONS ANCIENNES

sente la vie de Persée se conserve même quand le


dieu n'est plus qu'un héros dont la vie se mêle à l'his-
toire humaine. C'est ainsi que la tradition veut qu'il
ait mis à mort le sensuel et voluptueux Sardanapale.

Hercule.

Comme le Mithras des Perses, Hercule est une in-


carnation du soleil. Fils de Jupiter-Ammon, il brûle
de contempler son divin père, et celui-ci lui apparaît
sous les traits du bélier céleste, le premier signe
du Zodiaque. Chaque incarnation de la divinité, dit
Creutzer (Relig. de l'antiquité, Liv. IV, Ch. 5), veut
représenter en elle-même le grand Dieu dont elle a
reçu la naissance, et finit par se confondre avec lui.
L'incarnation du Messie ne présente pas une autre
idée : c'est un fils de la divinité, comme les dieux de la
fable, qui s'absorbe dans son Père, le Dieu Suprême,
comme dans sa source. Hercule est distingué de son
père dans la mythologie égyptienne, et dans l'une des
écoles orphiques nous le voyons tellement identifié
avec ce père, qu'il devient lui-même l'être éternel et
incréé; nouvean rapport avec le Christ, distingué
d'abord de Jéhovah, et réunissant ensuite en lui seul
la plénitude de la divinité. L'île de Thasos honorait
dans Hercule un libérateur, et sur les monnaies elle
lui décernait le titre de Sauveur. Partout l'idée de la
délivrance, dit Creutzer, s'associe au culte des dieux.
•C'est ainsi que le héros d'Athènes, Thésée, était, au
RAMENÉES A L'UNITÉ. 299

rapport de Plutarque, la consolation des esclaves et


l'appui des faibles. Comme le Messie devait éprouver
nos faiblesses pour nous apprendre à les combattre,
de même Hercule, dont le nom, suivant Hermann,
signifie la vertu personnifiée, est admis aux tentations
qui doivent la faire triompher. Xénophon nous a con-
servé une charmante allégorie dans laquelle ce dieu
est placé entre les deux routes de la vertu et de la
volupté. Hercule descend aux enfers, et ce sont les
expressions dont le symbole populaire des Chrétiens
se sert en parlant du Messie. Le fils de Jupiter osa
combattre Hadès, le sombre empire lui-même per-
sonnifié dans son chef; le Rédempteur attaqua les en-
fers. Hercule attaqua la mort elle-même, comme
s'exprime Eurypide; saint Jean nous dit que devant
le Juge l'enfer et la mort furent jetés dans l'étang de
feu et de soufre. Hercule est tombé dans l'esclavage;
Si l'Écriture nous peint le Christ triomphant, elle
nous peint aussi le Christ humilié. Hercule abolit par-
tout les sacrifices humains, et substitua un culte pur
à un culte de sang; celui qui a établi le grand sacri-
fice de l'homme, et qui s'est offert comme la première
victime, a également fait cesser les sacrifices sanglants.
Enfin, Hercule meurt comme le Sauveur, mais comme
celui-ci il meurt pour renaître plus glorieux. Les
Égyptiens le représentaient tenant en main le phénix,
pour marquer que, comme cet oiseau, la fin de la vie
était pour lui le moment d'une nouvelle naissance.
Comme le phénix, Hercule meurt au sein des flammes
300 LES RELIGIONS ANCIENNES.

qui consument tout ce qu'il a de mortel, circonstance


qui conduit sans aucun doute à l'idée morale de pu-
rification. Enfin, dit Creutzer, la flamme ne consume
dans Hercule sur le mont OEta que les éléments ter-
restres qu'il tenait de sa mère mortelle, le principe
céleste qu'il avait reçu de son père prit son essor vers
l'Olympe. La fable nous indique par là, ajoute le
même écrivain, que les natures d'un certain ordre
n'ont de mortel que le corps, et que leur essence vient
de Dieu; idée à la hauteur de laquelle l'Orient était
sûrement déjà parvenu dans ses divinités incarnées.
Ici le rapport avec le Christ est trop frappant pour
n'être pas saisi. Tous les dieux incarnés de l'antiquité
nous apparaissent ainsi comme le Christ émanés d'une
puissance supérieure, et retournant à la source d'où
ils sont sortis.
SUR

LA DIVINE PROVIDENCE

PLAN DE L'OUVRAGE.

Les choses naturelles et temporelles qui regardent


l'homme et la société sont dirigées par l'amour divin
et par la sagesse divine : c'est ce qu'on appelle le gou-
vernement de la Providence.
Il semble à l'homme que ces choses sont amenées
par la prudence ou par la folie humaine; mais c'est
une illusion. Dieu permet que cette illusion subsiste,
afin de ménager notre libre arbitre.
Le gouvernement de la divine Providence laisse
subsister le mal, par: égard pour ce même libre arbi-
tre; en effet, il faut que nous puissions réussir dans
nos projets, sans quoi nous dirions que les dés sont
pipés. La liberté de l'homme serait détruite par cette
croyance superstitieuse. On ne peut être sauvé par
contrainte. Nul n'est contraint au bien. Si on est
contraint à quelque chose qu'on ne veut pas, on in-
cline toujours vers ce qu'on veut. Mais Dieu tire sans
cesse le bien du mal ; il se sert des passions des mé-
chants pour leur faire produire des choses dont la
26.
'60-2 SUB LA DIVINE PROVIDENCE.

société entière profite. Il faut aussi que le mal existe;


en effet, il ne peut être éloigné, à moins qu'il ne soit
connu, et il ne peut être connu, s'il ne paraît pas.
Créé par l'homme, le mal ne devait pas exister dans
la vie dévouée qui unissait l'homme à Dieu; il doit
être conservé du moment où l'homme lui a donné
. naissance, afin que l'homme, le connaissant, puisse
le fuir.
Le gouvernement de la divine Providence a pour
but final, non ce qui passe et qui se détruit, mais ce
qui est immortel et indestructible; ainsi c'est le salut
de l'homme, ou en d'autres termes la conjonction de
la créature au créateur, qui en est le but.
La raison éclairée reconnaît le doigt de Dieu, tant
dans la trame de la vie individuelle, que dans la suc-
cession de la vie des nations ; mais elle ne le reconnaît
qu'après l'événement. Personne ne voit Dieu en face,
mot profond qui explique toute la théorie de la divine
Providence. Si l'homme voyait Dieu présent dans les
actes de la vie, son impatience lui ferait mettre ses
désirs à la place de la sagesse divine. C'est ce qui est
arrivé aux fous qui se croyaient appelés à être les té-
moins de quelque époque providentielle. Si l'ignorant
voyait cette marche, il la troublerait en y mêlant son
action propre, comme si l'homme avait la disposition
de son estomac. Si le méchant, enfin, la voyait, il
nierait Dieu; en effet, la colère lui ferait méconnaître
une action qui serait nécessairement en opposition
avec ses goûts et ses penchants.
SUR LA DIVINE PROVIDENCE. 303

L'erreur la plus commune, c'est de croire que la


Providence est universelle, mais que Dieu dérogerait
à sa dignité si cette Providence était particulière.

Eh ! qui du sommet d'un coteau,


_ Voyant le Nil au loin rouler ses eaux pompeuses,
Détournerait les yeux de ce riche tableau
Et de ces eaux majestueuses
Pour entendre à ses pieds murmurer un ruisseau?
(DELILLE.)

Le même poète a dit, en parlant de Dieu :

Absent de cet atome, et présent dans les Cieux,


Voit-il, daigne-t-il voir s'il existe une terre ? etc.

C'est là un sophisme insoutenable. Les choses gé-


nérales ne sont formées que des particulières. Au mo-
ral, chaque intelligence réagit sur toutes, comme au
physique chaque molécule agit sur la masse du monde.
La pesanteur universelle explique par correspondance
comment ce Dieu qui gouverne l'ensemble entre aussi
dans les détails : Tous les cheveux de votre tête, dit-
il, sont comptés, c'est-à-dire, toutes vos pensées ap-
partiennent à une vaste unité où chaque partie agit
sur le tout, comme le tout agit sur chaque partie. Il
n'y a qu'une source unique de vie, comme dit saint
Paul : c'est en Dieu que nous avons l'être.
Ce qui nous empêche surtout de reconnaître l'ac-
tion de la divine Providence, c'est que, changeant la
signification des termes, nous appelons des bénédic-
304 SUR LA DIVINE PROVIDENCE.

lions divines ce qui en soi n'est que chimère. Ce qui


nous semble grand et important n'est pas tel aux
yeux de, Dieu. Quand nous voulons voir la trace divine
dans les choses de la vie, nous nous .trompons tou-
jours. Dieu donne à celui qui le cherche le bien et le
vrai absolus, et non pas ces biens relatifs et ces véri-
tés conventionnelles qui sont pour nous l'unique chose
qui existe.
Dieu, dit Clarke, fait toujours nécessairement ce
qui est le plus convenable au bien de l'univers en gé-
néral. De l'amour suprême il ne peut sortir que le
bien pur, de la sagesse éternelle que la vérité sans
mélange, l'amour ne pouvant exister sans aimer, la
sagesse ne pouvant être sans se manifester; il est de
tonte justice que celui qui a tout créé pour lui con-
serve encore tout pour lui. C'est en ce sens que la
conservation est une perpétuelle création.
La lumière de la nature ne sert point à connaître
le gouvernement de la Providence, parce que cette lu-
mière n'est autre chose que les rapports de notre en-
tendement avec nos passions. Celles-ci nous conseil-
lent le mal, et par elles nous ne voyons plus que
le faux. C'est une conséquence rigoureuse et néces-
saire.
L'action de la Providence est invisible, afin que
l'homme ne soit pas contraint de croire d'après les
choses visibles. Il croirait alors sans être réformé, et
sa croyance ne serait pas le fruit de son libre amour:
Oui, c'est un Dieu caché, que le Dieu qu'il faut croire.
SUR LA DIVINE PROVIDENCE. 305

Et s'il ne l'était pas, c'en serait fait du salut de


l'homme.

RÉSUMÉ.

1° La Providence permet le mal pour l'équilibre,


source de la liberté de l'homme.
2° Elle permet à l'homme d'agir librement selon
la raison ; sans cela, l'homme ne serait pas réfor-
mable.
3° Les moyens externes de réformation ne sont pas
employés par elle. Il faut que l'homme se réforme
seul, ou plutôt comme s'il le faisait seul.
4° L'homme ne peut rien éprouver de l'opération
divine, autrement sa réformation ne serait pas son
ouvrage. Ainsi la Providence agit en lui, et il croit
agir par lui-même : elle se cache, et il la sent comme
sa vie propre.
5° Dieu n'instruit l'homme qu'autant que celui-ci
persévérera dans la vérité. 'Dieu le laisse dans l'er-
reur pour prévenir la profanation.
6° Les maux sont permis pour un bien plus grand
qui nous échappe. Le mal permis a pour fin le salut.
7° La Providence change le mal en bien ; en lais-
sant l'homme agir dans son amour dominant, elle fait
de celui-ci un être libre et non un automate; elle va,
après lui, tirer parti de ce qu'il a fait, mais elle ne le
pousse pas à faire.
UN FAIT DE LA GÉOGRAPHIE ANCIENNE.

La théorie qui vient de nous aider à découvrir un


sens nouveau dans les traditions fabuleuses de l'anti-
quité nous apprend à rectifier l'histoire de la géo-
graphie primitive. L'érudition moderne cherche en
vain à trouver une patrie à la plupart des traditions
mystérieuses du monde ancien ; elle ne sait pas que
ses travaux seront toujours sans résultat, et que les
contrées mystérieuses coloriées par le pinceau des
plus anciens voyageurs ne sont autre chose que les
états divers du cœur humain, soit dans cette vie, soit
dans l'autre.
Dès l'instant où l'homme, rentrant dans le moi, se
sépara de son Auteur, il emporta avec lui le souvenir
de son bonheur passé et la promesse d'une félicité
future. L'âge d'or perdu se trouva dans toutes les
traditions; toutes également conservèrent l'espoir de
voir se réaliser un jour l'âge d'or promis. L'homme
porte son impatience naturelle dans les choses mêmes
que la Providence amène lentement sur la route du
temps. Il crut qu'aussitôt après sa chute, son réta-
blissement allait suivre. Sa courte vie fut pour lui la
mesure des dispensations divines. Il n'y a pas un siè-
cle qui n'ait attendu le Réparateur promis à la terre,
il n'y a pas une génération qui ne se soit crue appelée
UN FAIT DE LA GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 307

à voir renaître les jours heureux dont avait été privée


la génération précédente, comme dans nos temps mo-
dernes il n'y a pas un siècle qui ne se soit cru appelé
à être spectateur de la fin du monde. Chaque poëte
s'écria, comme le flatteur d'Auguste, que les beaux
jours d'Astrée allaient de nouveau consoler la terre.
On croyait voir le siècle de Saturne et de Rhée à cha-
que époque de l'histoire.
Cette erreur, qu'on trouve reproduite dans toutes
les phases de la durée, exerça le même empire sur
toutes les portions de l'espace, à mesure qu'elles vin-
rent successivement à la connaissance de l'homme.
L'âge d'or pour lui, c'est-à-dire, le temps qui avait
précédé la chute, s'était écoulé dans un jardin de dé-
lices, dans un lieu véritable. Une portion privilégiée
de la terre avait vu le bonheur de la race humaine; il
était évident que l'âge d'or en se renouvelant devait
pareillement s'écouler dans une portion semblable du
monde. La géographie avait donné la description de
l'Éden primitif; il était clair que les premières décou-
vertes devaient conduire l'homme crédule au second
Éden si solennellement promis à sa race, et que la
géographie devait en décrire les merveilles. A mesure
que l'homme avança de siècle en siècle sur la route
du temps, il dut voir l'âge d'or reparaître à chaque
événement de quelque importance ; de même, à me-
sure qu'il s'éloigna du sol natal, lieu d'infortune et
d'exil, il crut voir dans chaque terre nouvelle le sé-
jour ([ne devait habiter l'humanité rendue à sa desti-
308 UN FAIT

nation primitive. C'est cette erreur que nous trouvons,


en effet, dans toute la géographie ancienne, et qui en
est pour ainsi dire le trait distinctif. Partout les voya-
geurs racontèrent qu'aux extrémités de leur course ils
avaient vu des îles fortunées, un peuple de génies,
un lieu de bonheur et de paix. A mesure que l'univers
fut plus c o n n u , les régions mystérieuses furent dé-
pouillées du prestige qui les rendait vénérables; mais
le merveilleux ne disparut pas pour cela; il alla faire
briller les reflets de la tradition sacrée sur des pays
plus éloignés. L'illusion religieuse ne cessa pas de
couvrir de son vernis poétique quelque plage du glo-
be, jusqu'à l'instant où les progrès de la navigation,
en faisant connaître la demeure entière de l'homme,
ne lui laissèrent plus l'espérance d'y retrouver la
terre fortunée qu'il avait dotée des jouissances de
l'âge d'or.
Les éléments de la géographie des Grecs se trou-
vent dans les poèmes d'Homère. Le respect légitime
dont la postérité a payé le génie de ce grand homme
s'est étendu jusques sur sa géographie; plusieurs sa-
vants modernes en ont discuté l'exactitude, sans oser
se permettre d'y voir presque partout un tableau allé-
gorique. Le poète de Smyrne est exact sur les lieux
mêmes qui l'ont vu naître; il décrit les rivages de
Troie avec la précision d'un témoin oculaire; mais
pour lui comme pour tous ceux qui l'ont suivi, les ré-
gions éloignées sont des pays de féerie et de merveil-
les, ei il esi impossible d'en mettre !e^ descriptions
DE LA. GÉOGRAPHIE ANCIENNE. 309

d'aucun avec les observations de la science. Si celle-ci


donc ne se résout pas à voir dans les traditions du
poète l'esprit que nous signalons ici, toute la géogra-
phie ancienne sera pour elle une énigme inexplicable.
Reconnaissez, disait le judicieux Érastothènes, qu'Ho-
mère a conté des fables sur les pays visités par Ulysse,
ou allez nous retrouver Éole avec le sac dans lequel
tous les vents étaient renfermés.
Le chantre de l'Odyssée place Corcyre au bout du
monde civilisé, à l'extrémité de la mer immense; l'I-
talie et la Sicile sont, pour ainsi dire, à ses yeux les
termes où s'arrête le monde réel et où commence l'u-
nivers fabuleux. A prendre du détroit qui sépare ces
deux contrées, tout est pays de merveilles dans le ré-
cit d'Homère ; il n'y a plus rien là h chercher pour le
géographe. Presque à côté de la Sicile, c'est-à-dire,
à une journée de distance, commence pour lui l'océan
dans lequel le poëte dépeint le pays fortuné qu'il
nomme Elysium, pays où l'on ne connaît, dit-il, ni
les tempêtes, ni l'hiver, où murmure toujours un
doux zéphir, où les élus de Jupiter, arrachés au sort
commun des mortels, goûtent une félicité éternelle.
Plus de deux siècles après Homère, lorsque Colœus
de Samos eut procuré quelques notions sur les Ligu-
res, on ne voulait point, dit l'auteur du Précis de la
Géographie universelle, revenir du voisinage de l'E-
lysée sans avoir visité des peuples bénis du Ciel,
doués d'une stature élevée, ornés de toutes les vertus,
et qui dans ces heureuses contrées de l'occident
310 UX FAIT

voyaient leur vie se prolonger jusqu'à mille ans. Le


nectar des fleurs, dit l'auteur des Argonauliqiics,
était leur nourriture et la rosée du ciel leur boisson.
Bientôt on fit succéder à l'Elysée d'Homère plusieurs
îles fortunées qui se maintinrent longtemps dans l'his-
toire de la géographie; enfin, Platon changea ces îles
en une seule, et son Atlantide réunit sur elle les fic-
tions accumulées sur tant d'autres.
Hésiode plaçait dans le nord les monts Rypliéens,
demeure du vent Borée. Au-delà de ces monts, disait-
il, vivent les Hyperboréens, que cette position met à
l'abri des vents du nord. OUe nation merveilleuse se
présente chez lui avec le cortège de fables dont on
avait entouré celles de l'occident. Pindare peint ces
peuples chéris d'Apollon qui passent toute leur vie en
danses et en festins, exempts de maladie et de vieil-
lesse. Enfin, d'autres, confondant à la fois les mer-
veilles du nord et celles de l'occident, donnent le nom
d'Iles Hyperboréennes aux îles enchantées où les Hes-
pérides gardaient les pommes d'or, et que toute l'an-
tiquité place au couchant, non loin des îles fortunées.
Le mystère continua toujours à envelopper cette par-
tie du inonde. Sophocle plaçait en conséquence le jar-
din de Phébns près des sources de la nuit, c'est-à-
dire, du côté où le soleil se couche.
Le progrès croissant des lumières faisant mieux
connaître la partie de l'occident qui termine les riva-
ges de la Méditerranée, on assigna aux traditions
mystérieuses pour patrie les côtes de l'Armorique.
DE LA GEOGRAPHIE ANCIENNE. 311

Ce pays étant mieux connu à son tour, le pays de fée-


rie, selon Hécatée, devint la Grande-Bretagne qui
fournissait alors, selon lui, deux moissons chaque an-
née. L'ile d'Albion, dans un temps plus rapproché,
ne pouvant plus être l'asile des fables, Pline et Pom-
ponius Mêla transportèrent les Hyperboréeus aux ex-
trémités septentrionales de la terre, et leur donnèrent
un pays très-chaud et très-agréable, où la vie se pas-
sait au sein de la paix, do l'innocence et de toutes les
vertus, sans que la guerre et la maladie les troublas-
sent jamais. Et se douterait-on jamais de la manière
dont le grave Tacite explique ce phénomène? Homère
avait dit que le soleil, disparaissant à l'occident,
passait pendant la nuit par l'océan septentrional pour
retourner à l'orient; l'historien le plus philosophe de
l'antiquité, adoptant cette explication, dit que la douce
température du pays des Ilyperboréens provient de
la proximité du soleil dans ces parages. Cet écrivain,
qui a si bien connu le cœur humain et si peu la struc-
ture du monde, ajoute que dans les extrémités de la
Germanie on croyait entendre le bruit que faisait le
char du soleil en se plongeant dans la mer, et qu'on
distinguait les rayons de sa tête, qu'on y voyait même
apparaître les autres dieux. Ici l'histoire ne parle plus
que comme la fable; revenons à la fable qui du moins
à travers son voile diaphane pourra laisser paraître
pour nous la vérité.
L'occident et le nord étant parcourus, il fallut aux
fables une patrie nouvelle. Alors on se rejeta vers le
312 UN FAIT

midi, et l'impénétrable Afrique devint le théâtre des


traditions les plus mystérieuses. Les Éthiopiens, chez
différents auteurs, héritèrent des vertus des Hyper-
boréens. Sur les rivages de ce continent, inconnu alors
aux Européens, Évhémère, au rapport de Diodore de
Sicile, découvrit l'ile de Panchaïe, où le phénix venait
déposer sur l'autel du soleil son nid, qui était en mê-
me temps sa tombe et son berceau. Les Égyptiens
donnaient le nom d'îles fortunées à ces cantons ferti-
les semés dans les désers de la Lybie, et qu'on nomma
depuis oasis. Ces oasis devinrent de nouveaux jardins
des Hespérides. La fable, chassée de son ancien asile,
choisit là sa demeure, jusqu'au moment où la dé-
couverte de l'Amérique, en agrandissant l'univers,
donna à l'homme crédule l'espoir de retrouver le sé-
jour des bienheureux dans cette terre nouvelle. Le
pays d'Eldorado fut supposé par les Espagnols au
centre de la Guyane, et cherché par le malheureux
Yalter-Raleigh sur les rivages de la Virginie.
Un fait du cœur humain nous apprend ici à redres-
ser les erreurs de la géographie primitive, et nous
affranchit des scrupules de l'érudition, qui cherche
encore aujourd'hui à appliquer au monde réel des
récits qui ne concernent que le monde métaphysique.
Nous ne dirons point avec Horace aux hommes fati-
gués des guerres civiles de voguer loin des rivages
de l'Etrurie, et de chercher dans l'océan ces lies bien-
heureuses où les mortels n'ont point encore introduit
leurs vices. Ce rivage que Jupiter, selon le porte ro-
DE LA GÉOGRAPHIE A N C I E N N E . 313

main, réserve aux hommes vertueux, n'est antre chose


que cet état de paix indépendant des temps et des
lieux, et que la régénération seule nous fait connaître.
C'est ainsi que la vraie religion, bien mieux que la
poésie, nous instruit des vérités matérielles elles-mê-
mes, en plaçant sans cesse sous nos yeux l'unique vé-
rité morale; c'est ainsi qu'elle efface de nos cartes les
régions imaginaires, en nous apprenant qu'il n'y a
point sur la terre de séjour exclusif du bonheur, et
que le cœur de l'homme en peut devenir à notre gré
la seule patrie.
Ainsi, tontes ces régions de féerie et de mystères
que les anciens ont toujours supposées aux limites de
la terre habitable, et dont on a reculé les bornes à
mesure que l'univers a été mieux connu, ne sont autre
chose que cette région immatérielle que la saine phi-
losophie cherche seulement hors du temps et de l'es-
pace ; et, pour citer un poète plus raisonnable dans
cette circonstance que le flatteur de Mécène, nous di-
rons avec Pindare : « Ce n'est ni à pied, ni à bord
d'un vaisseau que vous trouverez le pays des Hvper-
boréens, aux festins desquels Persée s'assit; fie ce
peuple heureux qui, au bruit des harpes, aux chants
des vierges qui marchent en procession, se couronne
de lauriers pour célébrer la fête d'Apollon, etc. »
SUR LA VOLONTÉ ET L'ENTENDEMENT.

La philosophie de tout temps a partagé l'homme en


deux facultés principales, la volonté et l'entendement.
Par la première, l'homme veut; par la seconde, il
connaît ce qu'il désire. Sous d'autres noms, ce sont
en définitive l'amour qui est la suite nécessaire du
vouloir, la raison qui est l'exercice de l'entendement.
Pour aimer une chose, il faut la désirer et la vouloir;
pour exercer sa raison, il faut comprendre et connaî-
tre. Ainsi sont déterminés dans leurs premiers et leurs
plus simples éléments l'amour et la raison dont nous
venons de signaler les attributions. A la volonté se
rattachent toutes les affections qui émeuvent, de l'en-
tendement dérivent toutes les pensées qui éclairent;
celui-ci, qui examine et réfléchit, ne s'adresse qu'aux
idées; celle-là, qui veut et aime, ne concerne que les
passions. Comme l'homme doit tout à la fois raison-
ner et sentir, le rapport exact de ces deux facultés
est pour lui l'élat de perfection. Il faut qu'il soit
échauffé par l'une dans la même proportion qu'il est
éclairé par l'autre. Si cela n'arrive pas, si la volonté,
source de l'amour, prédomine seule, l'âme de l'hom-
me est un feu qui se consume sans jeter de lumière;
si l'entendement chez lui l'emporte d'une manière ab-
solue sur l'affection, son esprit esl une lumière sté-
SUR LA VOLONTÉ ET L'ENTENDEMENT. 315

rile qui se répand sans chaleur. L'entendement est


ainsi le guide intérieur de l'amour; il le conduit dans
la voie, le ramène s'il s'égare, le réprime s'il s'em-
porte au-delà des bornes de la modération. Mainte-
nir l'équilibre entre ces deux facultés est tout le se-
cret de la sagesse; laisser l'une prédominer aux dé-
pens de l'autre est la source de toutes les folies. Celui
qui, étouffant en lui tous les sentiments, ne vivrait
que pour la pensée, deviendrait pour ainsi dire fou
de raison; celui qui se laisserait aller à toutes les
émotions du cœur sans écouter l'intelligence tombe-
rait dans les excès les plus funestes. Dans les âmes
bien réglées, l'amour obéit à cette voix secrète qui les
avertit de la direction qu'elles doivent donner à leurs
penchants; chez les autres, l'amour refuse de l'enten-
dre, il méprise des avertissements qui le contrarient,
et peu à peu agissant sans raison il s'affranchit d'une
tutelle incommode. Il arrive alors que l'entendement
éconduit se lasse et ne se fait plus entendre. Bientôt
oubliant le rôle inutile de censeur, il se laisse subju-
guer par cet amour qu'il était chargé de diriger.
Alors s'accomplit dans le cœur de l'homme l'union
d'une volonté déréglée et d'une intelligence souillée.
Cet esprit qui était le régulateur de l'homme ver-
tueux, changeant de rôle, se fait l'apologiste du vice.
La lumière dont il est toujours le réceptacle ne lui
sert plus qu'à excuser avec art des passions coupa-
bles. Défenseur-né de la vérité, il se constitue le
champion de l'erreur. De là résulte cette vérité fé-
SLR LA VOLONTÉ

coude qui ne doit jamais être perdue de vue : C'est


q u i u i emeiidement faux est toujours la suite d'un
amour dépravé, comme une intelligence vraie est la
compagne d'une affection pure. Quand on est dans
l'amour légitime, la main sur la conscience, on ne
peut dire que la vérité; quand on est entraîné par
une passion défendue, on n'en a jamais fini de faire
valoir les subterfuges de l'entendement. En étudiant
ainsi l'homme, nous l'expliquons sans mystère; et,
bien que plusieurs de nos observations semblent s'é-
carter de notre thèse, nous ne devons pas négliger
de les produire, car c'est par les applications diverses
d'une chose qu'on parvient à la mieux connaître;
c'est en s'écartant à droite et à gauche de la voie
commune qu'on s'assure de l'étendue et de la confi-
guration d'un terrain. Nous allons examiner à l'aide
de ces prémisses quelques phénomènes observés par
tous les philosophes, et dont la plupart sont restés
sans explication certaine.
L'accord ou la lutte des deux facultés principales
qui nous constituent rend compte des contrariétés
apparentes qui se trouvent en l'homme, et qui ont
tant embarrassé les moralistes. Nous voyons ici pour-
quoi l'on dit vulgairement qu'un bon cœur est fort
souvent associé à une mauvaise tête; dans la rigueur
du langage philosophique, cela signifie simplement
que les meilleures inspirations de la volonté sont gâ-
tées par les suggestions d'un entendement auquel on
a lâché les rênes. L'on dit vulgairement aussi dans le
ET L'ENTENDEMENT. 317
monde que l'imagination croît aux dépens du juge-
ment; cela signifie simplement que chez certains hom-
mes une volonté irréfléchie et vagabonde se fortifie
aux dépens de la raison; plus, en effet, elle donne
carrière à son indépendance, plus elle se sépare de
l'entendement qui aurait pu seul la rectifier. On donne
dans ce cas à la volonté le nom d'imagination, parce
que ce n'est, en effet, que la faculté de créer autant
de fantômes qu'on a de désirs. L'illusion est inévita-
ble dans cet état.
Les philosophes ont remarqué dans tous les temps
que l'innocence et la simplicité du cœur étaient les seu-
les conditions requises pour arriver à la vérité. Con-
sultons la double constitution de l'homme, et ce phé-
nomène pour nous ne sera plus un mystère : Quand
le cœur est pur, en effet, l'entendement qui n'a rien
à déguiser ni à excuser dans l'homme dégagé de tout
intérêt personnel se rend sans difficulté à la lumière
de l'évidence. Les moralistes ont observé également
que les méchants n'ont point de conscience : En effet,
la conscience est cet état de malaise produit par la
lutte qui existe entre l'une de nos facultés qui veut le
mal, et l'autre qui nous porte vers le bien; quand
toutes deux sont d'accord, il n'y a plus de combat, et
l'homme est dans le mal sans scrupule. Chez le mé-
chant, l'amour est un désir effréné; l'entendement,
aveuglé par les ténèbres du cœur, ne devient plus
qu'un officieux avocat occupé seulement des moyens
de satisfaire et de flatter ce désir. Dans ce cas, la vo-
27*.
318 SUR LA VOLONTÉ ET L'ENTENDEMENT.

lonté pervertit l'intelligence, comme un vase impur


corrompt la liqueur qu'il renferme.
Après ces remarques essentielles, nous arrivons à
une conclusion que voici : L'amour de soi réduit à lui
seul est aveugle ; la raison porte devant lui la lumière.
La passion nous pousse à nous satisfaire; la réflexion
nous apprend à renfermer nos désirs dans des limites
nécessaires; c'est celle qui met un frein salutaire à
nos liassions, et porte devant elle le flambeau qui leur
fait voir la route du bonheur et de la sagesse. Ainsi,
quand l'homme s'abandonne aux penchants que lui
inspire l'amour de soi-même, sans s'assujettir aux
restrictions qu'y oppose l'intelligence éclairée, l'équi-
libre est détruit, et la chose qui était permise dans
son principe devient illégitime par l'abus que nous
en faisons. L'amour de soi a beau être la loi première
de la nature, nous voyons qu'il nous trompe, et qu'il
peut devenir coupable dans ses résultats toutes les
fois qu'il se soustrait aux conseils de la raison.

S i K LTNIO.N DE L'IDÉAL ET DU REEL.

f.e réel a tout dit aux hommes de l'époque précé-


dente; !e caractère des hommes supérieurs de l'épo-
que présente est de réconcilier le réel avec l'idéal.
Quand on veut s'en tenir à la nature matérielle toute
SUR L'UNION DE L'IDÉAL HT DU RÉEL. 31s»
seule, ou n'est pas longtemps à s'apercevoir qu'elle
a en elle quelque chose de vivant, de spontané, qui
nous fait croire à l'esprit; en nous élevant davantage,
l'esprit, auparavant caché, devient à nos yeux le prin-
cipe de toute existence matérielle, car la matière ne
s'organise pas toute seule. De cette manière, on par-
vient à considérer la nature sous sa vraie signification,
c'est-à-dire, comme l'enveloppe de la vie, comme la
forme de la pensée qui l'a produite.
De cette considération naît pour nous la connais-
sance de l'ensemble des choses, je veux dire l'union
entre le spirituel et le naturel, le dernier devenant à
nos yeux l'expression du premier. Soumise à cette
science, la révélation se fonde sur des faits réels. Ce
n'est plus un hiéroglyphe bizarre et arbitraire, c'est
le spirituel descendu dans le naturel et s'enveloppant
de formes sensibles. La religion devient sous ce point
de vue l'union du sensible et de l'invisible, et chez
elle le sensible lui-même ou l'extérieur étant la saillie
de l'intérieur offre quelque chose d'infiniment pins
élevé et plus vrai que l'étroite réalité de l'ancienne
philosophie.
Chez les hommes qui ont ainsi uni le réel d'où sor-
tent les effets à l'idéal qui renferme tontes les causes,
la science s'est spiritualisée tout entière. La philoso-
phie platonicienne s'est jointe sans efforts à la philo-
sophie d'Aristote ; la mysticité religieuse elle-même
a eu quelque chose de sensible. Par eux, le monde
physique esl s a n c t i f i é , la religion descend dans \f
320 SUR L'UNION DE L'IDÉAL ET DU RÉEL.
réel, toutes les sciences deviennent des démonstra-
tions religieuses, toutes les religions se convertissent
en preuves savantes; la matière, mieux interrogée,
fait croire à l'invisible; l'invisible, mieux compris,
trouve des témoignages dans le naturel. Ce que le
dédain des modernes rejetait comme des superstitions
ou des songes prend place parmi des faits très-con-
nus des anciens.

SUR L'HOMME-ESPRIT.

La notion de l'homme-esprit est tellement natu-


relle, que c'est celle qui s'est offerte la première à la
pensée des philosophes qui ont essayé de porter les
lumières de l'entendement sur le dogme obscur de la
résurrection des corps. Voici comment s'exprime
Leibnitz à cet égard : « II faut savoir que tout ce qui
» a été uni autrefois au corps, n'appartient pas à son
» essence; car il est certain que notre corps est sans
» cesse pénétré de parties qu'il reçoit et qu'il perd,
» et s'il fallait nous rendre tout ce qui a été à nous,
» nous serions mille fois plus grands que nous ne
» sommes. Ainsi, on pourrait dire qu'il y a dans cha-
» que corps une certaine fleur de substance... qui se
» conserve au milieu de tous les changements qui ar-
» rivent, et subsiste dans l'état où chacun l'a obtenue
SUR L'HOMME-ESPIUT. 321
» en naissant, sans être augmentée par les aliments
» ou diminuée par la transpiration, resserrée dans les
» enfants, étendue dans les adultes par une masse
» plus considérable de matière ajoutée et variable. Sa
» valeur dépend, non de sa niasse, mais de son effl-
» cace. » (Système de Théologie.) Traduisons ce
dernier mot par le mot vie, nous verrons que le corps
a en lui un principe de vie invisible qui le constitue
réellement ce qu'il est, indépendamment de la matière
qui l'enveloppe. Clarke ne s'exprime pas d'une ma-
nière bien différente : « Les chaînes originales (Sta-
» mina originalinj qui contiennent toutes les parties
» solides et tous les vaisseaux du corps humain, sans
» en excepter même les nerfs et les fibres les plus
» minces, composent le fond, l'essentiel du corps, et
» sont en effet le corps entier de l'homme. On peut
» dire en outre que toute la matière externe qui entre
» dans le corps par la voie des aliments ne fait pas, à
» proprement parler, partie du corps humain. Et de
» là suit que les stamina originalia peuvent très-bien
» demeurer les mêmes, pendant que toute la matière
» externe, qui ne sert qu'à grossir le corps, est dans
» un écoulement perpétuel. » Des réflexions de Clarke
il résulte que le corps est formé selon un type inté-
rieur et déterminé, que les aliments n'accroissent pas
au-delà de sa grandeur propre. Le même auteur
ajoute que notre corps mortel est comme la dépouille
de quelque principe caché qui devra se manifester au
jour de la résurrection dans sa forme, de la même
SUR L'HOMME-ESPRIT.
manière à peu près que chaque grain de blé renferme
un principe séminal insensible dans lequel sont conte-
nus et son épi et les feuilles futures. Cette comparai-
son est la même que celle dont s'est servi saint Paul,
et elle est de toute justesse, si, au lieu de la manifes-
tation visible que prend l'épi après la décomposition
du grain dans la terre, on admet pour l'homme une
manifestation invisible.

DES ÉCRITS DE SWEDENBORG.

Le caractère principal des écrits de Swedenborg,


ce qui est la garantie la plus solide de la véracité de
l'auteur, c'est précisément cette absence presque to-
tale de forme littéraire. Plus il est simple en quelque
sorte, plus il fait voir en lui l'auteur qui ne corrige
pas, qui ne lime pas ses écrits, et qui est sous le char-
me de cette impression première qu'on peut regarder
comme l'impression première, celle qui a précédé les
règles de l'art. Souvent il oublie qu'il parle à des
hommes qui n'ont pas comme lui la vue ouverte dans
le monde spirituel, et il donne son expérience indivi-
duelle en qualité de visionnaire comme une preuve
irrécusable de ses opinions philosophiques ou mo-
rales.
Dans l'ouvrage tout rationnel sur la Divine Pro-
DES ÉCRITS DE SWEDENBORG. 323

vidence, on trouve un exemple frappant de cette ma-


nière d'écrire. « Écrivez deux livres, dit-il à l'homme
» purement naturel, remplissez-les d'arguments plau-
» sibles, l'un pour la propre prudence, l'autre pour
» la nature; remettez-les entre les mains d'un ange.
» Je sais qu'il écrira au-dessous ce peu de mots :
» Toutes ces choses sont des apparences et des illu-
» sions. » Assurément il n'est pas au pouvoir de tout
le monde de faire l'épreuve indiquée ici. Si un philo-
sophe écrivait un livre dans ce goût-là, nous ne se-
rions pas longtemps à reléguer dans le mépris et le
livre et l'auteur. Si nous n'en agissons pas de cette
manière avec Swedenborg, c'est que son titre princi-
pal à la confiance est précisément cette négligence
de formes consacrées, cet oubli de soi-même et du
lecteur. Le caractère de ses écrits est en rapport
exact avec ce qu'on doit attendre d'un visionnaire;
s'il s'accommodait au goût délicat de notre époque,
ce serait peut-être un philosophe admirable, mais à
coup sûr ce ne serait plus un auteur inspiré; maître
de son sujet, il provoquerait et modifierait l'influence
qui le ferait écrire; il ne la recevrait pas pure et sans
mélange.
Qu'on ne nous oppose donc pas sérieusement tels
ou tels passages des écrits de Swedenborg comme non
conformes à la raison et au bon sens. Nous ne don-
nons point ces passages pour les sentences d'un mo-
raliste, travaillant à tête reposée dans le silence du
cabinet et au milieu de ses livres; nous les donnons
3"24 DES ÉCfilTS

comme les sensations d'un visionnaire. Si les détails


qu'on nous allègue sont choquants et incompréhensi-
bles, souvenons-nous que c'est là précisément le ca-
ractère des songes. Moins la raison commune trouve
là d'aliments certains, plus la nature vague et irré-
gulière de l'impression extatique se décèle. Ce qui
choque l'homme ordinaire dans ces détails est préci-
sément ce qui rassure l'homme supérieur; celui-ci ne
s'efl'raie pas des choses étranges de la vision, il veut
au contraire les voir retracer par celui dont le titre
principal à ses yeux est d'être visionnaire. Il sait bien
qu'il n'expliquera pas le merveilleux de la religion
avec des systèmes tant bien imaginés qu'ils soient; il
a espérance, au contraire, de le voir se dissiper et se
changer en une vérité d'un ordre particulier, en de-
venant d'abord sensation. Il établit avec raison que
les auteurs des cosmogonie* ont rêvé avec Sweden-
borg; il veut donc que, pour preuve de la vérité de
son explication hiéroglyphique, Swedenborg rêve
comme ses devanciers, il sort une sagesse profonde
des allégories mythologiques et des formes mons-
trueuses que consacrent les religions de tous les peu-
ples. Il peut résulter une philosophie supérieure des
tableaux vivants et des scènes bizarres offerts par
l'extatique qui nous a donné les doctrines sublimes
de la Nouvelle Jérusalem.
Bien des gens refuseront de se rendre aux visions
et aux asseriions morales de Swedenborg, s'ils ne
voient dans la vie de cet homme exliviordir-aire des
DE SWEDENBORG. 325

preuves d'une mission spéciale. La vérité ne doit pas,


pour s'établir, chercher à flatter toutes les supersti-
tions. Qu'importé l'opinion que se feront de Sweden-
borg des personnes d'un esprit aussi rétréci? Pour
l'homme qui raisonne, la mission de notre auteur, la
mission d'annoncer la vérité à ceux qui savent l'ac-
cueillir, est dans les sensations extatiques qu'il a
éprouvées, et plus ces sensations rentrent dans le do-
maine de la réalité, plus elles offrent de garantie.
Dieu ne punit, avons-nous dit, et ne récompense per-
sonne; l'homme s'approche ou s'éloigne de lui, et
par ces rapports il se constitue réceptacle du bien ou
du mal, de la vérité ou de l'erreur. Il en est ainsi de
Swedenborg; il s'est approché de Dieu par la vue
prophétique, cette vue qui a été chez lui le fruit de
la pureté de la vie. Ainsi, transporté dans le monde
type, dans l'empire des réalités, il n'a pu apercevoir
et par conséquent annoncer aux homoies que ces
choses de l'ordre surnaturel que la crédule supersti-
tion appelle des marques de mission. Chaque chose
sur la terre est amenée en son temps. Quand la reli-
gion a dû être ramenée à sa pureté primitive, il a dû
se trouver en même temps des esprits disposés pour
la recevoir, la comprendre et la publier. Personne ne
l'a aperçue, dit-on, que Swedenborg; sans doute,
parce que tous ses contemporains, éblouis de leurs
misères et rassasiés des fruits de l'orgueil ou du sor-
dide égoïsme, ont regardé ailleurs; lui seul s'est dis-
posé en réceptacle docile, lui seul s'est tourné vers le
98.
326 DES ÉCRITS DE SWEDENBORG.

foyer inextinguible de la lumière, lui seul l'a aper-


çue, et à lui seul par conséquent il a été permis de
dire aux hommes égarés :

Éveillez-vous! voilà le jour.


(LAMARTINE).

Il est un élu aux yeux du peuple; à ceux du sage,


c'est un homme qui s'est approché de Dieu.

SUR LE DOGME DE L'AUTORITÉ.

Je ne vois dans la nature aucun moyen de justifier


le dogme de l'autorité en matière religieuse. La na-
ture veut que nous soyons libres dans notre for inté-
rieur; et la foi aveugle qui, sans oser penser, se sou-
met à l'entendement d'autrui, détruit dans l'homme
ce qu'il y a de plus précieux, le libre arbitre. Si on
invoque à présent le Livre Saint pour justifier ce dog-
me absurde, il est aisé de remarquer qu'il y a ici pé-
tition de principe. En effet, vous voulez que je croie
à l'Écriture interprétée par l'autorité; prouvez-moi
donc auparavant que ce moyen d'enseignement est
conforme à la nature; si je prétends qu'il y est con-
traire, vous ne pouvez vous étayer de l'Écriture qui
attend elle-même le suffrage de la raison éclairée
SUR LE DOGME DE L'AUTORITÉ. 327

pour se faire recevoir. L'homme qui s'en rapporte à


sa raison nie l'autorité et proclame le libre examen ;
prouvez-lui donc que sa raison doit se soumettre à
l'autorité, et alors il lira le livre que vous interprétez
selon l'autorité, autrement il y aurait folie à lui de
vous écouter.
M. de Donald, critiquant ceux qui refusent de se
soumettre au joug de l'autorité, a dit d'eux : « Ils se
» plaignent de ne pas croire, parce qu'ils voudraient
» imaginer. » Ce prétendu trait d'esprit annonce
que ceux qui se plaignent de ne pas croire par ordon-
nance sentent, en effet, chez eux quelque chose d'in-
actif dans leurs facultés. Ils ne veulent pas imagi-
ner, mais ils veulent penser même en croyant, et les
murmures de leur esprit loin d'attaquer la Sagesse
Suprême la justifient au contraire. Croire sans faire
usage de notre entendement, c'est lui résister, et les
inquiets murmures d'un esprit qui ne peut se sou-
mettre à une foi aveugle dépose contre la religion
imprudente qui exige de l'homme le plus inutile des
sacrifices.

CE QU'IL FAUT FAIRE POUR CROIRE.

Seigneur ! combien de fois ne me suis-je pas écrié


aussi, moi, que la vérité vienne, et je la reconnaîtrai
328 cii QU'IL FAUT FAIKE
tout de suite. Je ne puis pas me donner la foi; je ne
puis pas, pour être croyant, faire violence à mon en-
tendement! Et, tranquille après ces sophismes, je ne
cherchais plus à acquérir une foi que je regardais
comme la soumission aveugle d'une âme faible; je mô
complaisais dans mon incrédulité; je t'avais dit or-
gueilleusement de t'approcher, et, ne t'ayant pas vu,
j'en concluais qne tu n'étais pas. Pardonne, ô mon
Dieu ! ces blasphèmes de l'ignorance. Tu m'as donné
un moyen infaillible d'acquérir la foi, de la sentir, de
ne plus la perdre sans remords. Quand j'ai fait le
bien, je sens que le plaisir de la bienfaisance fait de
moi le croyant le plus vivement pénétré de ton amour.
Quand j'ai fait le mal, j'éprouve au contraire que je
suis sans foi.
Avec quelles délices mon cœur, plein de la joie
pure que laisse après elle une bonne action, accepte
les avertissements de la vérité ! C'est alors que l'es-
pérance pour l'homme n'est pas dans le lointain; elle
est près de lui, elle éclaire tous ses pas, en même
temps qu'elle colore de mille reflets éblouissants les
perspectives de la vie. Pour lui, le tombeau disparaît,
le jour est au-delà, et ses regards sont tournés vers
la lumière. Quelles ténèbres, au contraire, ne jettent
pas sur le cœur les mauvaises actions ! Après les avoir
commises, la nature se rétrécit à nos yeux; la vérité
nous importune, nous la renvoyons avec humeur, et
nous restons sans lumière.
Seigneur! tes lois sublimes sont fondées sur ce que
POUR CROIRE. 329

l'expérience intime apprend à tous les hommes. Il n'y


a qu'à s'étudier sincèrement pour reconnaître la vé-
rité de ce que tu nous enseignes. Ah ! soyons bons,
et nous aurons la foi. Si nous nous plaignons de ne
pas la posséder aujourd'hui, c'est qu'il y a dans notre
cœur des motifs secrets qui nous empêchent de cher-
cher la lumière. Il y a dans notre cœur des ombres
où nous cachons nos affections déréglées, et nous nous
plaignons ensuite de ne pas voir à travers ces nuages.
La foi est la compagne du bien, l'erreur est celle du
mal. Ce n'est pas en restant dans le mal au fond de
l'âme qu'on aura la foi; il faut, pour l'acquérir, se
débarrasser d'abord du mal.
Seigneur! aide-nous dans cette lutte; apprends-
nous à nous détacher assez de nous-mêmes, pour n'a-
voir d'autre objet que le bien universel, ce bien qui
sort de toi et qui se répand sur tous les hommes.
Quand nous sentirons nos entrailles émues par le seul
sentiment de cet amour, ah ! c'est alors que nous ne
demanderons plus comment s'acquiert la foi. Com-
ment douter de Dieu, quand on le sent, quand la vie
divine a passé dans la nôtre ! Cœurs sans foi, consul-
tez-vous, vous verrez toujours que vous êtes sans
amour. Commencez par acquérir la chaleur qui vous
manque, votre entendement trouvera aussitôt la lu-
mière qui accompagne nécessairement cette chaleur.

28*.
DE LA DIRECTION ACTUELLE DE L'ESPRIT
PHILOSOPHIQUE EN EUROPE.

Pour profiter en philosophie, il ne


peut y avoir intervalle d'amendement,
tii pause et cessation aucune; parée
que la nature, étant en un perpétuel
mouvement, veut toujours qu'on la
pousse en la meilleure part, autrement
elle se laisse emporter comme en ba-
lance en la pire.
(PLUTABQUE. Traduction d'Amyot.)

Les sociétés savantes établies dans les départements


tâchent de se tenir constamment au niveau des pro-
grès faits en Europe depuis quelques années dans les
sciences physiques et naturelles; mais jusqu'ici la phi-
losophie n'a été l'objet d'aucun examen critique. Néan-
moins, les progrès faits récemment dans les sciences
intellectuelles sont propres à frapper tout homme qui
réfléchit ; ces sciences s'appliquent à la morale, à la
politique, à la religion même, à tout ce qui fait la di-
gnité de l'homme individuel, à tout ce qui contribue
à établir la société sur une base fixe et durable ; et si
une découverte inattendue dans les arts industriels
peut amener une révolution dans les intérêts politi-
ques et commerciaux des nations, une idée nouvelle
dans la morale ou dans le droit public des peuples les
DIRECTION DE L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE. 33l

conduit plus infailliblement encore à un ordre nou-


veau. Une mesure de douane n'eût pas produit l'indé-
pendance des États-Unis, si les esprits n'avaient été
préparés depuis longtemps à secouer le joug de la
métropole. On peut dire que les révolutions politiques
sont en germe dans la philosophie bonne ou mauvaise
des nations, comme les actions de l'homme individuel
sont en germe dans sa pensée.
D'où vient donc cette indifférence pour des matiè-
res si importantes? Je crois en découvrir plusieurs
raisons : 1° Les feuilles provinciales, comme les aca-
démies, habituées à recevoir leur impulsion de la ca-
pitale, n'osent parler avant elle d'une révolution mo-
rale à laquelle celle-ci n'a point encore pris part.
2° Ces matières étant du ressort de l'éducation sco-
lastique sont abandonnées à la routine de ceux qui en
font profession. 3° II y a une espèce de pudeur qui
empêche les hommes à talent de parler de choses qui
tiennent si immédiatement à la politique ou à la reli-
gion. Dans le blâme, comme dans la louange, on au-
rait l'air d'épouser un parti. On craint de passer pour
hypocrite en approuvant ce que le grand nombre
adopte et ce que la force publique protège ; on a peur
de se donner le petit ridicule de novateur ou d'esprit
fort en frondant ce que le monde admire. 4° Enfin,
dans le petit nombre de ceux qui pourraient en par-
ler avec connaissance de cause se trouvent des hom-
mes dont les fonctions font suspecter la bonne foi.
On a peine À se persuader que celui qui est payé pour
332 DIRECTION

professer une opinion la soutienne par conviction ; on


est tenté de répéter ce proverbe familier de l'homme
qui a le mieux connu le cœur Immain : Vous êtes
orfèvre, monsieur Josse; et on se dit tacitement
qu'il n'y a pas plus de vérité et de bonne foi dans
l'examen d'une opinion politique fait par un fonc-
tionnaire à gages, qu'il ne peut y en avoir dans la
critique du romantisme par le professeur de belles-
lettres d'un collège approuvé par l'université.
Pour l'homme qui n'interroge que sa conscience,
ces pelites entraves disparaissent; et quand, dans le
silence du cabinet, on ne demande que la vérité, il
est rare qu'on ne la découvre pas. La disposition de
l'âme est tout dans la recherche de la vérité ; elle ap-
paraît presque toujours dans l'âme qui s'est mise en
état de la recevoir. Elle s'entoure de systèmes, elle
se déguise par des subterfuges chez celui qui écrit
avec l'envie de critiquer ou avec la disposition de tout
approuver. La docilité de la servitude, comme l'em-
portement de l'indignation en sont également éloi-
gnés; et de même que pour l'aimer il faut avoir une
conscience qui n'ait rien de factice, pour la faire ai-
mer il ne faut l'associer à aucune opinion étrangère,
à aucune considération d'intérêt ou de fortune. La
vérité n'a de consistance que quand elle est dans le
cœur. Parler de philosophie, suppose qu'on sait la
pratiquer.
De toutes les branches de philosophie, celle qui est
la plus importante, parce qu'elle explique toutes les
DE L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE. 333
autres, c'est la métaphysique. La première page de
chaque science, de chaque art, est nécessairement
une page de métaphysique. Cette science précède tout
ce qui est raisonnement, comme le raisonnement pré-
cède tout ce qui est action. Elle a ses mystères comme
la nature, comme la religion, comme tout ce qui est
vivant a les siens. Ceux qui la calomnient, parce
qu'elle est mystérieuse, ne connaissent ni la nature ex-
térieure, ni le cœur humain, où tout est également
mystérieux et inexplicable. La métaphysique, tant
calomniée dans le siècle dernier par le vague et l'obs-
curité de ses résultats, est néanmoins la science qui a
conduit l'esprit humain le plus loin depuis les der-
nières années du siècle passé et le commencement de
celui-ci. On peut dire môme que la législation et la
morale, c'est-à-dire, les sciences qui intéressent le
plus vivement l'homme privé et l'homme public, n'o»t
été qae les coiaséqBenees de cette métaphysique supé-
rieure qtfi, en pénétrant dans Famé humaine, y trouve
à la fois le secret de son origine et les rapports (fui la
lient à Dieu et à la société.
La réformation a amené avec elle l'esprit d'examen.
Quand le seizième siècle eut affranchi l'Europe da
joug de l'ignorance, les peuples du midi se créèrent
une littérature nouvelle; les nations septentrionales,
au contraire, séparées de la cour de Rome, élevèrent
uôe philosophie inconnue sur les ruines de la scolas-
tique.
DES GUÉRISONS
OPÉRÉES

PAR M m e DE S A I N T - A M O U R .

Sin melius quid habes, arcesse, Tel im-


periumfer. (HORAT. Ep. V.Lib.I.)

Nantes vient d'être témoin d'un événement remar-


quable, mais fort diversement jugé. Des malades de
tout âge, de tout sexe, viennent de recouvrer leur
guérison par un moyen inusité jusqu'à présent, la
Prière. Les cures auraient dû avoir pour témoins des
physiologistes éclairés, des métaphysiciens attentifs,
des théologiens tolérants; elles se sont opérées en
présence d'une foule excitée par la malveillance de
quelques médecins trop jaloux de leur art, par la
mauvaise foi de gens frivoles et moqueurs, enfin par
l'ignorance de plusieurs personnes qui ont craint de
voir compromettre une foi religieuse trop exclusive.
Les faits constatés et recueillis tiennent, par leur ex-
plication, à une théorie élevée que peu d'observateurs
sont capables de comprendre et de suivre dans toute
son étendue; par leurs effets, au contraire, ils étaient
de nature à avoir pour juges tous les spectateurs de
quelque condition et de quelque classe que ce soit.
DES GUÉRISONS OPÉBÉES PAR Mme DE ST-AMOUR 335

Indépendamment de toute coterie, quand les choses


de haute science tombent ainsi dans le domaine de la
conversation populaire, du commérage, en un mot, le
discrédit les attend infailliblement. L'homme du peu-
ple se récuse pour telle ou telle connaissance qui exige
du temps et de l'étude, mais il se croit très-capable
d'apprécier et de comprendre telle autre pour la-
quelle il lui semble qu'il n'y ait besoin que de ses
yeux et de son bon sens. Il s'agit donc de revenir sur
le jugement précipité porté par une foule qui, dans
cette circonstance, n'était pas compétente; il s'agit
de replacer la question sous son vrai jour, de resti-
tuer à la science, à l'examen attentif, ce qui n'a été
interprété que par l'ignorance et la frivolité ; il s'agit,
enfin, de substituer le témoignage de la conscience
impartiale aux dénégations de l'esprit de système, et
les raisonnements de la bonne foi aux décisions tran-
chantes de la moquerie.
Le 8 septembre 1828, on apprend à Nantes qu'une
femme, arrivée de Paris récemment, a guéri des ma-
lades par la prière. A cette nouvelle, toute la popu-
lation est en mouvement. Les uns se croient revenus
aux temps des apôtres, les autres s'imaginent voir se
réaliser ces prodiges qui tiennent plus à un art in-
connu qu'à la religion, et que le peuple est toujours
prêt à supposer chez celui qui le soulage de ses maux.
Les malades guéris excitent l'enthousiasme de ceux
qui attendent leur tour à venir. Un paralytique qui
laisse ses deux béquilles chez M""1 de Saint-Amour,
336 DES GUÉRISONS

va se prosterner au pied de la Croix de Saint-Simi-


lien, et s'écrie avec toute l'effusion de la reconnais-
sance : Elle guérit tout ! Un enfant, soutenu ou plutôt
porté par sa bonne, s'en retourne seul à la maison
escorté d'une foule qui admire un tel prodige.
Les voyageurs s'arrêtent dans la rue qu'habité
JVF'e de Saint-Amour, on s'interroge mutuellement,
les attroupements se grossissent, cette rue n'est plus
assez large pour laisser un libre passage aux voitures.
Le malade, arrivé dès six heures du matin, attend
inutilement son tour jusqu'à la nuit; plusieurs cou-
chent sur le seuil de la porte. Quelques-uns, déses-
pérant d'approcher de M"'e de Saint-Amour qu'ils
qualifient de Sainte, restent cloués sur son passage
pour avoir le bonheur d'être touchés par elle. Ils ré-
pètent que le froissement seul de sa robe les guérira.
Dans sa bonne foi naïve, le peuple va jusqu'à dire
que c'est la Sainte Vierge déguisée.
Pendant trois jours l'enthousiasme va croissant.
De tous les côtés arrivent des malades émerveillés des
récits qu'on leur a faits. Il en vient de Tours, de Sau-
inur, de Rocliefort, un assez grand nombre d'Angers,
de Rennes et autres villes voisines. Maine-et-Loire,
la Vendée, le Morbihan sont déjà informés de cette
nouvelle et envoient de nombreuses députations; il
n'y a pas, pour ainsi dire, un bourg du département
de la Loire-Inférieure qui n'expédie quelque infirme
au chef-lieu. Pour échapper à la multitude qui en-
vahit ses appartements, M me de Saint-Amour accepte
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 337

les invitations qui lui sont faites dans d'autres quar-


tiers de la ville; mais là, comme chez elle, la foule
abonde. Partout se pressent sur son passage des ma-
lades, des curieux, des gens qui implorent d'elle la
faveur d'une audience.
Chez elle, ne pouvant congédier la foule qui s'ob-
stinait à passer la nuit dans l'attente, on l'avait vue de
sa fenêtre étendre les mains sur les malades agenouil-
lés et appeler sur eux la bénédiction du Ciel ; dans sa
route, ne pouvant toucher également tous ceux qui
se présentent, de la portière de sa voiture elle opère
ses cures, tandis qu'elle est entraînée rapidement. Les
portes, les rues qui avoisinent la maison qu'elle choi-
sit sont assiégées. Quatre factionnaires à chaque porte
ne peuvent contenir le peuple. Pendant un moment
tous les fiacres sont mis à contribution. Dans toute la
ville, on ne s'entretient que de M me de Saint-Amour.
Un grand nombre d'artisans suspendent leurs tra-
vaux. Il n'y a pas un cercle où l'on parle d'autre
chose. A la Bourse, à l'Académie, dans les salons,"
comme dans les cabarets, tout le monde s'occupe de
ces guérisons, dont jusqu'alors on n'avait vu le récit
que dans les livres.
A un si grand triomphe succède bientôt une défa-
veur qui dégénère en une sorte de persécution. Le
peuple est aussi irréfléchi dans son admiration qu'il
est injuste dans son dénigrement. On répète que les
malades qu'a touchés Mme de Saint-Amour sont tous
retombés dans leur premier état ou dans un état pire.
29.
338 DES GUÉRISONS

L'esprit du peuple se monte, comme si les cures qu'il


en attendait ne répondaient pas à l'idée exagérée qu'il
s'en était faite. On se rappelle ces badauds qui sif-
flaient une éclipse de soleil parce que le phénomène
ne s'était pas passé comme ils l'auraient voulu.
Les guérisons dont il était question ici tenaient à
un certain ordre ; et sans aucune idée de cet ordre,
le peuple de Nantes montrait une égale injustice dans
sa critique. Un des journaux de cette ville écrivit que
le public avait été dupe d'une véritable mystification ;
comme si une faible femme pouvait avoir la pensée
de mystifier toute une population, et cela au nom de
Jésus-Christ, qu'elle invoquait avec larmes, au nom
de toutes les vertus qu'elle ne cessait de recomman-
der! L'absurdité d'une telle accusation était évidente,
une autre circonstance la rendait impossible : M me de
Saint-Amour accordait ses soins aux malades sans
rien exiger d'eux; elle ne vendait ni ses prières ni ses
exhortations ; et une œuvre gratuite, inspirée par
l'amour désintéressé du bien, n'est jamais ni une
mystification ni un charlatanisme.
La même feuille affirma que M'ne de Saint-Amour,
à laquelle dès lors on donnait publiquement le nom
de sorcière, était la fille d'un modeste horloger de
cette ville; et voilà les cures niées, parce qu'on les
croit opérées par l'une de nos compatriotes ! il y avait
dans cet article du journal plusieurs inconvenances ;
on ne les remarqua pas, et l'article fit fortune. D'a-
bord ce surnom de sorcière était une preuve de mau-
OPÉRÉES PAR M nie DE SAINT-AMOUR. 339

vaise foi. L'auteur de l'article ne croyait pas sans


doute aux sorciers, et appliquer ce nom ridicule à
une femme, c'était manquer à la politesse. L'accuser
de changer son nom et de donner le change sur sa
famille et sa naissance, supposait qu'on s'était donné
la peine de s'en assurer; on ne l'avait pas fait, et la
légèreté de l'écrivain était coupable. En troisième
lieu, enfin, il n'appartient à personne de décréditer
les hommes sous prétexte qu'ils sont d'une condition
modeste ; ce droit qu'usurpé l'orgueil impertinent
d'une classe qui se dit supérieure aux autres, ne de-
vait pas être exercé par un journal qui porte pour ti-
tre l'Ami de la Charte, et qui prend l'obligation,
par ce titre même, de respecter toutes les classes.
Ces critiques et mille autres inepties plus fortes
encore, devinrent le sujet de chansons, de cantiques,
de complaintes sans goût, sans art et sans esprit, qui
servirent, pendant plusieurs jours, d'aliments à la
populace ignorante. Les mauvais plaisants, qui se
trouvent partout où il n'y a plus à juger, augmen-
tèrent le nombre des incrédules par leurs railleries.
On rougissait presque de défendre une personne
qui avait attiré sur elle le ridicule. On savait qu'on
passerait pour un esprit fort en niant tout, et pour
un homme superstitieux en adoptant des miracles,
que tant de cerveaux ne pouvaient concevoir.
Parmi les gens instruits, les uns, pour avoir plutôt
fait, nièrent complètement ; les autres, ayant au moins
le bon esprit de ne pas croire à la sorcellerie, se re-
340 DES GUÉRISONS

jetèrent sur des banalités : ils attribuèrent ce qui leur


fut rapporté à la puissance de l'imagination ou à l'ac-
tion du magnétisme. Je dis ce qui leur fut rapporté,
car de tous les adversaires que compte Mme de Saint-
Amour dans la classe instruite, chose remarquable,
il n'y eut pas un témoin. On aurait dit que la défiance
de soi-même avait frappé les meilleurs esprits, qu'ils
n'osaient voir de peur de ne pouvoir s'expliquer ce
qu'ils auraient vu, et de se trouver dans la nécessité
de l'expliquer franchement et clairement aux autres.
J'ai entendu des gens, très-estimables d'ailleurs, se
faire des opinions de toute espèce sur des effets que
non-seulement ils n'avaient pas vus, mais même qu'ils
refusaient de voir. On peut faire la guerre aux idées
sans qu'il en résulte de grands reproches pour l'a-
gresseur, mais se liguer contre les faits, c'est une
tactique vraiment inconcevable.
Ce n'était pas assez de nier les faits et de torturer
les explications scientifiques ; un zèle mal entendu
s'empara bientôt des superstitieux et des faibles. On
répandit le bruit que M mc de Saint-Amour cherchait
à éloigner ses malades des pratiques du culte. J'en
appelle ici à tous ceux qui ont approché d'elle. Ils
n'ont jamais entendu autre chose que ces paroles :
« Croyez-vous en Dieu ? Pensez-vous que le Dieu qui
» a créé le ciel et la terre ait la puissance de vous
» guérir? Avez-vous confiance en lui? » Jamais elle
ne s'est permis de dire : « Croyez en moi. Quittez vos
» opinions. » Elle n'a jamais demandé à ses malades
OPÉRÉES PAR Mme DE SAWT-AMOUR. 341

de quelle religion ils étaient. Elle les a tous laissé li-


bres de faire dire des messes, de promettre des neu-
vaines. Plusieurs fois je lui ai entendu dire combien
elle aimerait qu'un Juif, un Turc se présentassent
devant elle. Je ne craindrais pas, ajoutait-elle, d'in-
voquer en leur faveur la puissance de ce Dieu qui a
fait lever son soleil sur les méchants aussi bien que
sur les bons, qui fait pleuvoir sur les champs des
hommes injustes aussi bien que sur ceux des justes.
La religion que professe Mme de Saint-Amour inspira
des défiances qui ne tardèrent pas à devenir des ca-
lomnies. On écrivit d'elle à Noirmoutier que le bruit
public à Nantes l'accusait de ne croire ni à Jésus-
Christ, ni à l'Évangile ; et il se trouva des personnes
qui ajoutèrent foi à ces extravagances.
On rapporta qu'une assemblée d'ecclésiastiques,
convoquée chez M811 l'évêque de Nantes, avait délibéré
sur cet important événement. On dut demander au
curé de Saint-Similien, dans la paroisse duquel était
descendue M me de Saint-Amour, s'il avait donné à
cette dame le pouvoir de faire des miracles; et, sur
sa réponse négative, on rédigea une espèce de pro-
testation dans laquelle il fut décidé que les guérisons
opérées sous les yeux de tant de spectateurs n'avaient
pu l'être au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ. On
aurait bien pu demander au clergé quel était l'agent
qu'employait M™0 de Saint-Amour; il aurait répondu
sans doute que cela ne le regardait pas, que c'était
du ressort des académies ou de la médecine. Malgré
29*.
342 DES GUÉRISONS

ces décisions, quelques respectables qu'elles soient


d'ailleurs, les affaires humaines n'en vont pas moins
leur train. Les moines de Saint-Etienne, sur la foi
des Psaumes, avaient dit à Colomb que le Nouveau
Monde n'existait pas, et peu de temps après l'Améri-
que fut découverte. L'inquisition avait forcé Galilée
de se rétracter, et le pur si move du vieillard de Flo-
rence reçut depuis des confirmations que l'Église,
suivant la marche forcée du siècle, a elle-même con-
sacrées. Enfin, l'émétique, l'inoculation, la vaccine,
l'enseignement mutuel, ont cent fois donné des dé-
mentis formels aux proscriptions dont ils avaient été
l'objet.
Les répugnances de certains ecclésiastiques ont pu
aussi n'être pas très-réfléchies. Un d'eux disait à un
malade que si Dieu accordait à quelqu'un le pouvoir
d'opérer de tels miracles, ce devrait être à un homme
de son ordre plutôt qu'à une simple femme. L'histoire
répondrait fort bien à cela. Mais saint Paul, dont
l'autorité n'est pas suspecte, après avoir désigné les
dons qui sont de l'apanage du sacerdoce, indique
ceux qui peuvent appartenir aux autres hommes, et
le don de guérir les maladies est parmi ceux-là. (Voyez
la 1" Épître aux Corinthiens, Chap. XII, Versets 28
à 31.)
Les savants, les ecclésiastiques ligués contre une
femme, cette femme désavouée, des libéraux qui ne
la comprenaient pas, des royalistes qui s'en effrayaient,
c'en était plus qu'il ne fallait pour agiter les esprits.
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUB. 343

J.-J. Rousseau conseillait à son élève d'oser confes-


ser Dieu chez les philosophes, de prêcher l'humanité
aux intolérants. Ce milieu entre deux extrêmes, qui
paraissait à ce grand écrivain la place naturelle du
juste, est celle où les circonstances portaient Mmc de
Saint-Amour à son insu. Je l'ai vue dans ces moments
où le peuple monté contre elle mêlait des murmures
injurieux à des plaisanteries indécentes, toujours cal-
me, toujours gaie; rien n'altérait la paix de son âme.
Elle a demandé les chansons qui la ridiculisaient, et
les aurait volontiers chantées pour s'égayer. De la
fenêtre de M. de Tollenare, elle a entendu les sifflets
du peuple qui se pressait autour de la voiture amenée
pour la reconduire, et ses amis étaient plus peines
qu'elle de cette indécente comédie.
Dans l'histoire de cette persécution, la tâche de
l'écrivain est très-aisée à remplir. Il n'y a, en effet,
que des erreurs à relever. Parmi les assertions ridi-
cules répandues par la malveillance, je citerai celle-
ci. Si Mme de Saint-Amour, disait-on, a le pouvoir
qu'elle s'attribue, que ne se transporte-t-elle dans les
salles de l'Hôtel-Dieu? Et précisément depuis son ar-
rivée, Mmo de Saint-Amour n'a cessé de demander
Cette permission. Il ne m'appartient d'accuser per-
sonne, mais je puis affirmer un fait dont j'ai l'entière
certitude. Un malade d'un de nos hospices montait
en voiture pour aller se faire guérir comme tout le
monde; un ordre formel s'oppose à sa sortie. M mc de
Saint-Amour demandait un local public où elle se se-
344 DES GUÉRISONS

rait transportée tous les jours pour guérir les pau-


vres; les salles de la mairie sont ouvertes à des musi-
ciens, à des littérateurs, à des savants; elles ont été
fermées à une femme qui ne cherchait qu'à ysexercer
la bienfaisance. L'administration municipale ne crut
pas devoir la protéger ouvertement; mais il est de la
justice de dire qu'elle eut le mérite de ne pas exécuter
non plus les mesures de rigueur que l'on avait pro-
voquées contre elle. Partout les personnes qui avaient
montré le plus d'empressement à voir Mme de Saint-
Amour , craignant alors le blâme ou le ridicule,
niaient leur enthousiasme passé, se défendaient même
du sentiment qu'elle leur avait inspiré, comme d'un
crime. Une dame de charité de Saint-Clément, qui
lui avait prodigué les plus vives caresses, répéta en-
suite avec assez peu de ménagements que c'était une
sorcière. Elle aurait dû se souvenir que la bienfai-
sance n'est jamais inspirée par le démon, et qu'on
avait dit de Jésus-Christ lui-même qu'il était possédé
par Béelzébub.
De nombreuses lettres d'invitation dans les maisons
les plus respectables étaient suivies promptement d'au-
tant de lettres d'excuse, où le prétexte supposé d'un
voyage à la campagne servait à cacher de lâches dé-
sertions. Des béquilles, restées dans la chambre de
Mme de Saint-Amour, étaient redemandées, et elle
rendait ce qu'elle appelait ses joujoux à des infirmes
qui n'en avaient pas eu besoin d'abord, mais que l'on
portail à les réclamer, disait-on, par précaution. Les
OPÉRÉES PAR Mni« DE SAINT-AMOUR. 345

artisans eux-mêmes faisaient les esprits forts, et re-


jetaient leur crédulité sur l'amour maternel, ou sur
tout autre sentiment qui leur avait fait implorer pour
d'autres ce qu'ils auraient rougi de demander pour
eux-mêmes.
Tel qui tremble en voyant une salière renversée ou
en comptant treize convives à table, niait alors avec
assurance l'impossibilité d'une action dont ses faibles
lumières ne pouvaient lui faire apercevoir la cause.
Cette mission toute désintéressée se fit remarquer par
des défections assez plaisantes. Un des plus ardents
preneurs de Mme de Saint-Amour, qui dans les pre-
miers jours s'était cru fort honoré de lui servir de ca-
valier, parce que son amour propre y trouvait son
compte, se retira d'elle ensuite, en disant à son voi-
f sin qu'il ne pouvait se décider à faire le sacrifice de
sa raison. — Le sacrifice serait bien faible, répond
celui-ci, qui resta du petit nombre de ceux que la
foule n'a pu entraîner. Une chanson fit justice de ce
déserteur.
Les grands de ce monde se présentent avec un cor-
tège brillant, tout le monde les entoure, les fête ; mais
qu'en retire-t-on fort souvent? Des motifs de s'enor-
gueillir d'un coup d'œil, des compliments fades, des
honneurs enviés et peu durables. Mme de Saint-Amour
a presque commencé de la même manière ; elle a été
soudain abandonnée, parce qu'elle exigeait l'humilité,
la patience, et ces combats intérieurs qui sont des
vertus. Elle a éprouvé la même chose que ceux qui
346 DES GUÉRISONS

ont couru la même carrière ; les apôtres, les martyrs,


n'ont-ils pas expié leur charité au milieu des tour-
ments? Dans notre siècle indifférent, on ne met plus
en croix, on n'étend plus sur des chevalets, on ne
brûle plus personne ; mais on rit de ce rire qui déjoue
d'un mot une vie entière de bienfaisance; on siffle ce
qu'on ne veut pas entendre, on tue enfin par des
chansons ce qu'on ne peut anéantir par la force.
M me de Saint-Amour nous récitait dans ces moments
des versets du chapitre Xe de l'Évangile de saint Mat-
thieu qui trouvaient dans cette circonstance une ap-
plication directe : « Donnez-vous de garde des hom-
» mes, car ils vous feront comparaître dans leurs as-
» semblées, et ils vous feront fouetter dans leurs sy-
» nagogues; et vous serez présentés aux gouverneurs
» et aux rois pour leur servir de témoignage aussi
» bien qu'aux nations, et vous serez hai's de tous les
» hommes à cause de mon nom. Mais celui-là sera
» sauvé qui persévérera jusqu'à la fin. »
Après tant d'accusations sans fondement, de dé-
clamations vagues, le témoignage de quelqu'un qui
n'a pas quitté Mme de Saint-Amour depuis ses pre-
mières cures, et qui a eu avec elle des relations jour-
nalières, est peut-être nécessaire. C'est en cette qua-
lité que je prends la plume. Je connaissais M me de
Saint-Amour avant son arrivée à Nantes, par la cor-
respondance qu'elle entretenait avec une personne de
cette ville, et parce que depuis plusieurs années j'a-
vais étudié la doctrine religieuse qu'elle professe. Je
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 34"

savais ce qu'elle se proposait de faire ici, et cepen-


dant, soit doute, soit indifférence, je ne me pressais
pas de lui rendre visite. Un seul mur séparait ma
maison de celle où elle était descendue d'abord, mais
qu'elle ne tarda pas de quitter. Elle y était depuis le
2 septembre, et ce ne fut que le 5 au soir que je m'y
rendis, accompagné de M. de Tollenare, qui avait
connu cette dame à Paris, chez M. J.-Jacques Ber-
nard, notre compatriote et notre ami commun. M. de
Tollenare pensait, comme moi, que les guérisons par
la prière offraient une sorte de phénomène moral qui,
soit sous le rapport religieux, soit sous le rapport
scientifique, n'était pas indigne d'attirer notre atten-
tion. Disposés à l'examen, nous allions pour consta-
ter les faits, en discuter les causes.
Si c'était un pur charlatanisme, nous étions réso-
lus à le déclarer en conscience, pour avertir du dan-
ger ceux qui auraient été plus crédules. Si, au con-
traire, c'était la vérité, nous allions pour lui rendre
témoignage, pour lui prêter l'appui de nos faibles lu-
mières. C'est une grande jouissance que celle d'ap-
puyer la vérité de'toute la conviction de sa conscience,
de la répandre, si on est disposé à l'accueillir, de la
publier hautement si elle est méconnue et outragée !
Nous aurions pu, comme tant d'autres, lever les épau-
les, et faire un demi-tour sur le talon ; mais si on
avait toujours procédé de cette manière, je ne sais pas
si le genre humain se serait jamais éclairé. Plus la
matière est délicate, plus il y a du courage à l'abor-
348 CES GUÉIUSONS
der avec franchise. La bonne foi exige qu'on voie,
qu'on étudie, avant de prononcer, et cette condition,
qu'on ne remplit pas toujours en morale, est de ri-
gueur en fait de science. Les médecins Allemands ont
nommé une commission pour assister aux cures célè-
bres du prince de Hohenlohé ; les magnétiseurs de
Paris se sont empressés d'interroger M me de Saint-
Amour; nous pensions qu'on en aurait agi de la même
manière à Nantes, et tout en nous récusant comme
savants, nous pensions que nous pouvions être là à
notre place, tout comme d'autres, en qualité d'ob-
servateurs.
La curiosité, le désir de m'instruire m'avaient con-
duit chez Mnie de Saint-Amour; j'en sortis avec un
étonnement qui n'était pas néanmoins de la convic-
tion. On me parla bien de deux ou trois cures, mais
je n'avais rien vu, et je suis du nombre de ceux qui
veulent que la logique des sens se joigne à celle de la
raison. Quel que soit aussi le degré de confiance que
nous inspire la conversation d'un étranger, notre at-
tention n'est pas encore'en repos si notre curiosité
n'est satisfaite. Nous voulons savoir ce qu'il est,
d'où il vient, quelles sont ses liaisons, ses études an-
térieures; ces détails sont nécessaires à notre imagi-
nation inquiète. Nous savons bien que la morale d'É-
pitecte dans un cachot est aussi pure que celle de
Marc-Aurèle sur le trône, mais nous avons tous le
faible d'associer les circonstances extérieures de la
vie aux sentiments moraux de l'homme. Nous voulons
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR.

connaître la source de ces sentiments et nous assurer


s'ils sont d'accord avec la pratique. Voici ce qui ré-
sulta des informations que je pris pendant les pre-
miers jours sur Mme de Saint-Amour.
Anne-Françoise-Jeanne-Elisabeth de Fremery,
née à La Haye, le 11 novembre 1786, d'un avocat du
roi en Hollande, perdit son père dès l'âge de six mois.
Sa mère se remaria en secondes noces avec le baron
de Plunkett, colonel des gardes de la Porte, mort à
Paris, en 1815. Mlle de Fremery accompagna son
beau-père dans l'émigration; elle l'a suivi à l'armée
de Condé, a habité avec lui Coblentz où se tenait la
cour, et a accompagné les princes en Angleterre. En
1809, elle fut mariée à M. Renaud de Saint-Amour,
aujourd'hui major du 18e régiment de chasseurs à
cheval en garnison à Schelestat, département du Bas-
Rhin. Plusieurs personnes de Nantes ont parfaitement
connu M. de Saint-Amour. Cet officier supérieur a
commandé l'île d'Aix sous les ordres du général Des-
pinois, et le château d'Angers sous ceux du général
Matis. La famille de M me de Saint-Amour jouit d'une
grande considération en Hollande. Son oncle, le gé-
néral Dury, a commandé pendant vingt ans la ville de
La Haye, tant sous le stathoudérat que sous le règne
de Louis Bonaparte. Son cousin, M. Van-Mann, est
aujourd'hui ministre de la justice dans le royaume
des Pays-Bas.
Le 1er octobre 1826, Mme de Saint-Amour quitta
la ville d'Arras, où son mari était en garnison, pour
30.
350 DES CUÉR1SOKS

venir à Paris surveiller l'éducation de son fils. M. J.-


J. Bernard, que j'ai cité plus haut, se trouvait alors
dans la capitale avec son régiment. Il avait eu occa-
sion, dès l'année 1821, de voir M. de Saint-Amour à
Bayonne. Cet officier lui procura la connaissance de
sa femme, en le chargeant d'une lettre pour elle.
Prévenu alors de l'arrivée de cette dame, M. Bernard
s'empressa de lui rendre visite. On a beaucoup parlé
à Nantes des opinions religieuses de M. Bernard; on
les a jugées, comme tant d'autres choses, avec trop
de précipitation. Ces opinions, qui ont décidé en
quelque sorte de la vocation de Mmo de Saint-Amour,
demandent à être exposées franchement.
Comme tous les jeunes gens de notre époque,
M. Bernard avait oublié, dans le tumulte du monde
et dans la licence de la vie militaire, les principes re-
ligieux du culte de ses pères. Le matérialisme irré-
fléchi de la plupart des jeunes gens de ce temps-là
était son opinion. Les phénomènes si étranges du ma-
gnétisme animal le ramenèrent au spiritualisme. Il
ne put se persuader que les modes de perception que
développe le somnambulisme fussent du domaine de
la physique proprement dite. H n'y a ni fluide, ni
agent matériel quelconque qui puisse expliquer les
phénomènes de la seconde vue. Cette action de l'âme
hors du temps et de l'espace lui fit croire à un prin-
cipe différent de la matière, et le spiritualisme, au-
quel il revint d'abord, le conduisit promptement au
déisme, et de là, par une pente naturelle, au Chris-
tianisme.
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 351

La charte permet tous lés cultes, la raison les


avoue tous, parce que sans doute Dieu les considère
tous comme des moyens divers d'arriver à lui; celui
qu'adopta M. Bernard est donc aussi raisonnable que
tel autre que ce soit, et ne mérite aucunement les
sarcasmes dont il fut accueilli dans cette ville. Si on
connaît l'arbre par le fruit, aucune religion sans
doute n'en produit de plus incontestables que celle-
là. M. Bernard ne s'est fait connaître que par des
œuvres de bienfaisance. Il emporta avec lui les re-
grets, l'estime profonde de tout son régiment. Un de
ses amis, M. de l'Aubépin, me disait que le respect
qu'on avait pour lui était tel, que s'il entrait dans
une chambre où se tenaient des discours qui auraient
pu offenser ses principes, on changeait aussitôt la
conversation. Après s'être longtemps occupé de la lec-
ture de Jacob Bœhme, de Saint-Martin et des autres
théosophes, M. Bernard avait fini par adopter inva-
riablerâent comme religion la Nouvelle Jérusalem
annoncée par saint Jean dans l'Apocalypse et expli-
quée par le Suédois Swedenborg. Il professait ce nou-
veau culte, quand Mmc de Saint-Amour le vit à Paris,
en 1826.
L'Ami de la Charte de Nantes, qui a cité M. Ber-
nard et sa religion de Swedenborg, a dit de cette
doctrine qu'elle était tombée dans l'oubli et le mé-
pris. Cette assertion est inexacte, et la religion de
M. Bernard et de Mmc de Saint-Amour entrant dans
l'explication des effets contestés, il est nécessaire d'y
arrêter un moment l'attention du lecteur.
352 DES GUÉRISONS

Comme philosophie, la doctrine de Swedenborg a


toujours joui dans le nord d'une très-grande estime.
Basée sur la morale la plus pure, sur la science la
plus rigoureuse, ceux qui l'ont considérée simplement
comme système ont rendu justice à l'élévation des
principes de son auteur, à la fécondité de son imagi-
nation. En Allemagne même, plusieurs ne font pas
difficulté de le placer parmi les poêles plus encore
que parmi les théologiens.
Swedenborg était un homme d'une vie honorable,
un savant très-recommandable, et très-versé dans
les sciences exactes. Il connaissait plusieurs langues
anciennes et modernes. Il n'a cité la Bible, qu'il a
expliquée, que dans les textes originaux. Sa doctrine
joue maintenant un grand rôle, depuis les découvertes
de la Société Asiatique de Calcutta et les savantes in-
vestigations des Orientalistes de l'Allemagne. Bailly
avait signalé l'existence d'un peuple antédiluvien,
possesseur éclairé des sciences et des arts, dont les
Égyptiens et les Grecs n'ont recueilli que des débris.
C'est dans l'Inde que nos savants ont cru retrouver
ce peuple. Il se trouve indiqué dans les écrits de Swe-
denborg, qui annonce une très-ancienne Église anté-
rieure à tous les temps historiques.
Ainsi, cette doctrine religieuse marche de pair
avec les recherches les plus hardies de la science, et
elle fournit à l'Europe éclairée des renseignements
on ne peut plus précieux sur les cosmogonies et théo-
gonies antiques. Platon, chez les Grecs, a parlé le
OPÉRÉES PAU Mme DE SAINT-AMOCR. 353

premier d'un inonde archétype, modèle de celui-ci.


Plusieurs érudits ont pensé que l'idée de ce monde
était une importation étrangère, que c'était une tra-
dition orientale retrouvée en Grèce. Swedenborg
donne les plans de ce monde type, et la philosophie
antique de l'Asie se retrouve ainsi dans ses écrits à
côté des riantes et majestueuses conceptions de Pla-
ton. La science qui conduit dans le dédale de cette
érudition est appelée la Science des Correspondan-
ces, et c'est avec elle seulement qu'on pourra dé-
truire le système de Dupuis, qui a tant démoralisé en
France la classe instruite, et que les ecclésiastiques
les plus savants, tant catholiques que protestants,
n'ont pu combattre avec avantage,
Comme religion, la doctrine de Swedenborg est
déjà répandue en Suède, en Prusse, dans les Pays-
Bas, en Suisse. La Société exégétique de Stockholm
est tout entière formée des disciples de cette nouvelle
Église. En Angleterre, 44 villes comptent déjà des
temples. Il y en avait 72 aux États-Unis en 1821.
Des journaux savants, en assez grand nombre, pro-
pagent cette doctrine tant en Europe qu'au Nouveau
Monde. Des écrits très-remarquables la développent.
On cite principalement à Londres ceux deHindmarsh,
et plus récemment ceux de M. Noble. Un professeur
de langues orientales à l'université d'Upsal y consacre
en ce moment de longues et laborieuses recherches.
Il existe à Londres des sociétés de Swedenborgistes
qui envoient de toutes parts des missionnaires de leur
co*.
384 DES GUÉRISONS

religion ; des maisons d'éducation y sont dirigées par


eux. Tout annonce qu'avant peu d'années cette nou-
velle Église sera très-répandue. J'ai en ma possession
plusieurs cahiers d'un recueil scientifique consacré à
sa propagation. Ce recueil qui a pour titre : Intel-
lectual Repository for thé Neiv Church, et qui
s'imprime à Londres tous les trois mois, est rédigé
par les savants et les littérateurs les plus distingués
de la capitale de l'Angleterre. Les sciences physiques
y sont traitées avec une grande hauteur de vues; des
philologues éclairés y mettent à contribution toutes
les langues anciennes et même des langues orientales
à peine connues en France. Ce n'est pas simplement
comme savants que les Swedenborgistes prennent
consistance dans le inonde, c'est encore par leur for-
tune. Le désir de pénétrer dans l'intérieur de l'Afri-
que, où Swedenborg leur annonce l'existence de chré-
tiens de la nouvelle Église, les a portés à contribuer
plus que personne à ces sociétés africaines établies
dans le but d'abolir la traite des nègres. Le célèbre
Sparrmann a voyagé sur leurs indications. Leur cré-
dit enfin a été tel, qu'ils ont engagé le gouvernement
britannique à fonder la dispendieuse colonie de Sierra-
Leone.
Telle est la doctrine qu'on nous représente comme
tombée dans le mépris et l'oubli. Pour être oublié, il
faut être connu auparavant; et ce n'est que depuis
fort peu de temps que les ouvrages volumineux de
Swedenborg sont traduits dans nos langues modernes
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 35o

et trouvent des lecteurs en France; la traduction de


Moët de Versailles a été aussitôt interrompue que
commencée. Personne n'y parle de Swedenborg avec
connaissance de cause. La biographie universelle de
Michaud puise les renseignements qu'elle donne dans
une encyclopédie allemande, très-fautive, publiée à
Leipsick en 1822. Cette encyclopédie s'est étayée
elle-même d'un numéro inexact du New Jérusalem
Magazine de 1790.
Le parti de l'opposition à Nantes s'est étrange-
ment trompé. Il insulte la doctrine de Swedenborg,
et le seul reproche fait ailleurs à cette doctrine, c'est
d'être essentiellement libérale. Un chansonnier a bien
dit que Mme de Saint-Amour était du parti des Jésui-
tes, il n'est pas étonnant qu'on prenne Swedenborg
pour un des frères de Mont-Rouge. Les principes du
Contrat social, ce qu'il y a de meilleur dans les
Droits de l'Homme, les concessions de la Charte
dans ce que celle-ci a de plus favorable à la liberté
publique, tout cela est consigné d'une manière non
équivoque dans les écrits de Swedenborg. Ses disci-
ples surveillent ce grand mouvement politique qui
agite aujourd'hui les deux mondes, pour le faire tour-
ner au profit d'une religion dont le caractère est d'ê-
tre essentiellement universelle. C'est, disent-ils, le
culte du libéralisme bien entendu ; c'est la croyance
naturelle de tous les hommes qui pensent, et la seule
qui, n'ayant rien à craindre des investigations des
sciences, est destinée à marcher de front avec elles
3o6 DES GUÉRISONS

et de suivre les progrès des lumières. Ils la croient,


enfin, destinée à régner sur le« deux mondes affran-
chis du double joug de l'autocratie civile et ecclésias-
tique.
Quoi qu'il en soit, la doctrine de Swedenborg pa-
rut aux yeux de M. Bernard la plus convenable à l'é-
tat présent des lumières : c'était à ses yeux la religion
du XIXe siècle. Dans toutes les villes où il a séjourné,
à Nantes, à Bayonne, à Tarbes, à Blois, à Besançon,
il a formé des disciples. En Espagne même, plusieurs
membres distingués du clergé se sont rendus à ses
exhortations. On se souvient de l'abjuration de catho-
licisme qu'a faite récemment M. OEgger. Professeur
distingué de philosophie et l'un des grands-vicaires
de Notre-Dame à Paris, M. OEgger est un de ceux
qui se sont rendus à l'éloquence de M. Bernard ; il
compte aujourd'hui parmi les membres les plus zélés
de la nouvelle Église. Tout se travestit aux yeux du
peuple. On accuse ici M. Bernard d'une foule de pra-
tiques extravagantes que je ne chercherai pas à rele-
ver. Critiquer les absurdités, c'est ennuyer son lec-
teur sans profit.
M me de Saint-Amour ne pouvait trouver personne
plus capable de lui faire connaître Swedenborg.
M. Bernard lui fit partager sa conviction profonde.
La lecture de l'Évangile développa en elle une nou-
velle vie. Tout changea à ses yeux. La prière fut tout
à la fois pour elle un besoin et une habitude. Les let-
tres spirituelles de Fénélon devinrent sa lecture favo-
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 357

rite. Le 23 février 1828, elle perdit M. Bernard. Ce


coup lui fut plus sensible qu'à qui que ce soit. Elle
lui devait ce qu'elle avait de plus cher au monde,
puisqu'elle lui devait une religion sincère, et profon-
dément gravée dans son cœur. Sa piété redoubla pour
ainsi dire dans l'isolement.
Toute sa vie, elle n'avait eu qu'un plaisir, ou plu-
tôt qu'une passion, celle de soigner et de consoler les
malades. Tout à coup elle lit dans l'Évangile que Dieu
accorda à ses disciples le don de guérison, que tout
ce que nous demanderons avec foi, avec instance,
nous l'obtiendrons. Elle implore alors avec ardeur ce
don précieux qui la rendra si utile à ses semblables.
Rien n'est accordé à ses instances. Elle s'imagine
aussitôt qu'elle n'a pas fait une abnégation complète
d'elle-même, elle se reproche le plaisir de sa charité,
elle croit que dans ses prières il y a encore de l'a-
mour de soi caché sous l'amour du prochain ; alors
elle se résigne à la volonté de Dieu, elle se résout à
n'être rien, et dès ce moment, plus humble et plus
soumise encore, elle reprend un nouvel être.
De jour en jour, un feu nouveau la ranime ; enfin,
le 14 mai 1828, elle guérit des enfants fiévreux;
quelques autres cures suivirent celle-là. Sûre alors
de posséder ce don qu'elle avait tant imploré, l'idée
lui est inspirée d'en faire jouir la ville de Nantes qu'a
habité si longtemps celui qui avait jeté dans son âme
les premières émotions d'une religion si vive; elle
croit que Nantes est destinée à devenir le berceau de
358 DES GUÉBISONS

la nouvelle Église. Dans cette persuasion, elle arrive


parmi nous. Voilà ce qui a amené les événements dont
nous avons été témoins. Beaucoup de gens blâmeront
ce qu'ils appelleront une superstition du cœur, et
trouveront qu'il y a des motifs de voyage plus graves ;
il y en a peu qui soient aussi pardonnables, car il n'y
en a pas de plus purs et de plus désintéressés.
Mme de Saint-Amour, que le lecteur est sans doute
curieux de connaître pour elle-même après avoir
parcouru les détails que je viens de donner, est une
femme petite, très-vive, dont la physionomie présente
une singulière mobilité d'expression. Elle parle avec
feu ; ses improvisations sont le fruit de sa vivacité :
elle ne calcule pas ses sentiments, elle les communi-
que. Sa confiance en Dieu est telle, qu'elle ne peut
se persuader qu'il lui soit possible de rien dire qui la
compromette ou qui ait besoin de restriction.
A ces manières que donne l'habitude de la bonne
société, elle joint cette gaîté douce qui est le fruit
d'une conscience sans reproche. Avec le physique dé-
licat de la femme, elle possède quelque chose de cette
vigueur d'inspiration qui n'appartient qu'à l'homme.
Les commérages de société la mettent mal à l'aise;
la conversation sérieuse est son élément, et elle ne se
montre bien ce qu'elle est qu'avec les personnes qui
ont de l'exaltation dans l'âme. Vous ne lui surprenez
aucun doute, aucune irrésolution dans ce qui a rap-
port à sa mission. Quand on l'interroge sur sa foi,
elle répond par ces paroles de l'Évangile dans les-
OPÉRÉES PAR Mrae DE SAINT-AMOCR. 359

quelles Jésus-Christ annonce que ceux qui auront la


foi feront les mêmes choses que lui. Eh bien! ajoule-
t-elle, je somme le Seigneur de remplir ses pro-
messes.
Avec une foi aussi vive que celle des apôtres, elle
ne doute pas le moins du monde d'opérer les mêmes
miracles. Indépendamment du don de guérison qu'elle
possède, sous le simple rapport de la société, c'est
l'une des femmes avec lesquelles on peut causer le
plus longtemps et avec le plus de plaisir. Ses exhor-
tations seules ont opéré devant moi des cures mora-
les. Jamais je n'ai entendu parler de Dieu, de l'im-
mortalité de l'âme, de l'efficacité de la prière, à per-
sonne, d'une manière aussi poétique. Elle ne dit pas,
comme nous, l'autre vie, car pour elle, comme pour
Saint-Martin, il n'y en a qu'une. Son commerce avec
l'autre monde a commencé sur la terre. Tout à ses
yeux est dirigé par la divine Providence, et cette in-
tervention perpétuelle de la Divinité jusque dans les
plu's petites choses, cette intervention que la philoso-
phie cherche à démontrer, est pour elle un sentiment
qui la rend heureuse. VHomme de Désir, les Psau-
mes, les Évangiles, surtout celui de saint Jean,
voilà quelles sont ses lectures habituelles.
Une telle conviction, une vie dévouée à de telles
œuvres, offrent un spectacle moral bien extraordi-
naire dans notre siècle indifférent.
Le jour de ma première visite, je me surprenais à
me demander comment l'homme pouvait se soutenir
360 DES GUÉRISONS

dans cette exaltation. L'humilité sincère, l'abnégation


totale de soi-même, m'expliquaient seules ce phéno-
mène. Quand l'homme est tout entier avec Dieu, ce
n'est plus sa volonté qui le dirige, c'est le principe
même qui lui a donné la vie. L'amour divin prend
alors dans l'âme du simple le caractère du génie ; il
se montre à la fois naïf comme un enfant, et sublime
comme un grand homme. Un de nos penseurs disait,
après avoir causé avec Mme de Saint-Amour, qu'il y
avait des anomalies singulières dans l'espèce humaine ;
l'expression n'était pas exacte : un tel caractère est
tracé d'après des lois bien dignes de notre admiration.
Toute en Dieu, pour ainsi dire, M me de Saint-
Amour ne prend sur elle la responsabilité d'aucune
de ses actions. Émue jusqu'aux larmes près de son
malade, elle reste comme étrangère à son ouvrage
après que le malade est sorti. Elle écoute le récit de
ses propres cures, elle prête une oreille attentive à
ce qu'on raconte d'elle, parce qu'elle l'a déjà oublié.
D'autres fois, c'est elle-même qui raconte, et à sa
volubilité, au soin qu'elle a de remarquer les moin-
dres circonstances, vous diriez quelqu'un tout étonné
de ce qu'il vient de faire et qui n'y est pas habitué :
c'est qu'en effet on ne s'habitue pas à de telles choses.
Toute surprise de ce qu'elle avait produit, je l'ai en-
tendue souvent se demander comment il était possible
qu'elle eût ce don merveilleux.
Avec cette bonhomie enfantine qui raconte ses suc-
cès sans les déguiser, elle montre dans l'intimité une
OPÉBÉES PAR M"1' DE S A I K T - A M O U B . 36i

sorte de crainte, comme si elle avait peur d'arrêter


sa pensée sur elle-même. Elle ne se comprend pas :
elle a la conscience de son action puissante, mais elle
ne peut en déduire la raison ; elle en jouit, comme
tous les hommes jouissent de la vie : nous la recevons
d'en haut, mais nous ne l'expliquons pas. L'orgueil
tiendrait d'autres éveillés toute la nuit, par le souve-
nir de tant de guérisons surprenantes; elle dort tran-
quillement, parce'qu'elle ne se regarde que comme un
instrument passif entre les mains de la divine Provi-
dence, et qu'elle n'en attribue qu'à celle-ci toute la
gloire. Impossible de la flatter par l'amour-propre.
Si elle s'y sentait accessible, elle verrait qu'elle rentre
dans le moi humain, et un prompt retour sur elle-
même lui ferait abandonner sur-le-champ une jouis-
sance que les autres conservent si volontiers.
C'est peu de s'entretenir avec M me de Saint-Amour,
il faut la voir avec ses malades pour en concevoir une
juste idée. Ce spectacle m'a laissé «ne impression que
je n'oublierai de ma vie. Dans la conversation, Mme de
Saint-Amour attache ; mais dans les actes de son mi-
nistère, car c'en est un, elle subjugue. Sa physiono-
mie, mobile d'ordinaire, prend plus de gravité. Avant
qu'elle ait parlé, on se sent ému, et ses paroles comme
ses gestes viennent ensuite traduire, pour ainsi dire,
les sentiments qu'on avait dans l'âme et qu'on ne s'ex-
pliquait pas. On se sent comme dans une atmosphère
que la prière vient d'épurer. Le cœur bat, et cepen-
dant on le sent battre sans crainte. On retient, pour
oî.
362 D1LS GUÉRISONS

ainsi dire, son haleine afin d'être plus attentif, et


néanmoins on craindrait de sortir pour respirer plus
librement.
Le malade cherche à deviner son sort dans les yeux
de celle qui lui impose les mains en silence; la con-
fiance croissant à mesure que le mieux se fait sentir,
sa physionomie inquiète prend quelque chose de cal-
me; l'étonnement, la reconnaissance se lisent dans les
traits de l'infirme guéri ; l'inflexion de sa voix change,
le spectateur se sent attendri, et il ne résiste plus à
l'impression qui s'empare àe lui, quand il entend la
prière reconnaissante que M me de Saint-Amour adresse
alors à Dieu.
Jamais on n'a mis plus d'âme, plus d'émotion dans
une prière. La mère qui revoit l'enfant qu'elle avait
cru mort n'offre pas au Ciel des vœux plus sincères
et une physionomie plus entraînante. Figurez-vous la
femme que le délire de l'amour maternel précipitait
aux pieds du lion qui allait dévorer son fils; telle est
souvent Mme de Saint-Amour. Sa pose, les larmes que
la pitié lui fait répandre, tout fait tressaillir le spec-
tateur le plus insensible. Je verrais cela se passer sur
la scène que je serais néanmoins agité. Combien la ré-
flexion ne devait-elle pas accroître cette impression ?
Ce n'était point ici l'illusion du théâtre; c'était le
Dieu de vérité invoqué sincèrement, c'étaient les in-
firmités humaines dans toute leur réalité, et au lieu
d'un acteur payé pour feindre des sentiments qu'il
n'éprouve pas, c'était une femme qui se dévouait par
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 363

religion à soulager ses frères, une femme dont toutes


les paroles respiraient l'amour de Dieu et du pro-
chain, et qui, refusant avec dignité les offrandes de
la reconnaissance, répétait à ses malades ces paroles
de l'Évangile : Vous l'avez reçu gratuitement,
donnez-le gratuitement.
La conviction qui provient de l'émotion morale est
fort bonne, mais elle n'est pas toujours suffisante. 11
entre de l'enthousiasme dans ce que le cœur nous ins-
pire, et il faut de l'examen dans ce qu'on veut sou-
mettre au raisonnement. En conséquence, je pris le
parti d'assister au plus grand nombre des cures que
se proposait de faire Mme de Saint-Amour.
J'ai vu une femme qui avait perdu l'usage de la vue
la recouvrer subitement, et me désigner une personne
éloignée de la fenêtre de quelques centaines de pas.
Dans les jours de la persécution suscitée contre Mme de
Saint-Amour, cette femme alla conjurer le commis-
saire de police de son quartier de laisser tranquille la
bonne dame qui l'avait guérie.
J'ai entendu des hydropiques affirmer eux-mêmes
qu'ils avaient recouvré leur guérison. Un jeune gar-
çon de Grand-Champ, qu'un médecin de cette ville
tâchait de guérir depuis longtemps d'une paralysie,
au moyen de l'électricité, s'écria tout à coup qu'il
était guéri ; et, venu en charrette au lieu des séances,
il alla à pied se faire voir dans la ville. Des hernies
ont disparu subitement. Une demoiselle sur laquelle
la médecine avait épuisé tout son art, a éprouvé aus-
3G4 DES GUER1SONS

sitôt un mieux qui s'est soutenu, et qu'une cabale a


nié malgré la déclaration de la malade elle-même.
Une foule de spectateurs ont vu, le 11 septembre,
une femme de Tours, privée de l'usage des jambes et
portée chez M me de Saint-Amour; elle retourna à pied
du haut de la rue de Bel-Air jusqu'au Port-Commu-
neau.
Cent personnes ont vu comme moi ces faits. Elles
ont vu M mc de Saint-Amonr panser les plaies les plus
dégoûtanles, toucher des scrophuleux, des galeux,
sans témoigner de répugnance. Elles l'ont vue, dans
l'effusion de sa reconnaissance envers Dieu, se jeter
dans les bras des gens les plus malpropres et attaqués
des maladies les plus contagieuses. Il me semble qu'une
telle conduite était propre à attirer des égards, sinon
des éloges à son auteur.
Un degré de superstition de plus, un parti aurait
pris sa défense ; un peu moins de prudence, une fac-
tion l'aurait avouée : mais comme elle a marché seule,
sans esprit de corps, entre toutes les corporations,
elle a été désavouée par elles. Tel est, on le sait bien,
ie sort qui attend la vérité dans tous les temps; il
faut qu'elle fasse des concessions pour être reçue : on
marchande avec elle, comme on le fait avec la con-
science, et l'homme qui trouve celle-ci importune, ne
peut manquer, par conséquent, de répudier celle-là.
Il ne m'est pas permis de publier les noms que
j'ai recueillis. Ceux des malades que les coteries ont
gagnés nieraient mon témoignage, comme ils ont nié
OPÉRÉES PAB Mme DE SAINT-AMOUR. 363

le bien qu'ils ont éprouvé; les autres, en butte à des


persécutions, à des plaisanteries, ont des raisons de
se taire. Les preuves vivantes, si l'on peut ainsi par-
ler, ont été récusées, comment ne combattrait-on
pas les preuves écrites? Il suffirait d'un simple dé-
menti que j'aurais à cet égard pour donner le change
au public et lui faire croire que le reste est démenti
aussi. Je m'en tiens donc à la simple réfutation des
critiques et à l'exposé des causes auxquelles il faut
rapporter les faits. C'est la tâche unique que je me
suis proposée.
Quand un homme qui n'a pas perdu tout à fait la
tête ajoute foi à des prodiges que l'enfant du peuple
le plus ignare réfute d'un sourire, ou doit nécessai-
rement penser qu'il y a dans la croyance de cet
homme quelque chose qui échappe au bon sens ordi-
naire de la multitude. Quand il ne craint pas de si-
gner un écrit dans lequel il atteste avoir vu les effets
qu'il signale, il me semble qu'une telle assurance est
propre à exiger quelque attention de la part de celui
qui s'érige en juge.
Les noms de baptême et de famille, les adresses des
malades guéris par les apôtres ne sont pas venus à
notre connaissance, et néanmoins, les faits seuls, at-
testés par la génération contemporaine, ont été suffi-
sants pour établir la croyance au nom de laquelle se
faisaient ces miracles. Les faits parlent aujourd'hui
de la même manière : personne ne les nie, seulement
on essaye de les décréditer par mille explications. On
3l*.
366 DIS GUÉR1SOJNS

veul se rendre plausible ce qui paraît si merveilleux,


on veul détruire ce qui a eu un instant de vogue. Ma
tâche est donc de combattre ces critiques, afin de
mettre la vérité dans tout son jour.
Pour en venir à la première attaque, on a crié d'a-
bord au compérage; mais le compérage a un but; et
quel est celui qu'on se proposait ici? De guérir des
intirmes, de soulager l'humanité souffrante : voilà, en
effet, ce qui vaut bien la peine d'acheter des compè-
res ! Et où les prend-on, ces compères? Dans la mul-
titude elle-même. Pendant quinr/e jours, plus de trente
malades ont passé journellement sous mes yeux : s'il
faut acheter tous ces témoins pour en faire des com-
pères, il y a fort à faire; si l'on croit que le secret
sera gardé par tant de gens, l'on se trompe en vérité
d'une manière bien naïve. Parmi ces compères, qu'on
en cite un seul !
J'ai pris la plume avec l'intention de recueillir les
fa ils et de rédiger le procès-verbal d'un événement
qu'on ne pourra plus retrouver bientôt que dans les
dépositions contradictoires du peuple; et, à ce titre,
je devais plus que personne me délier du compérage.
,lc ne croirai jamais que quatre cents malades se soient
entendus avec M mc de Saint-Amour pour me tromper.
J'ai proposé à cette dame une promenade à la campa-
gne. Dans le bourg de Sucé, au château de la Gache-
rie, je lui ai amené des malades simples, de bonne
foi, et qui certainement n'étaient pas dans le secret
de ce prétendu compérage. Cette supposition tombe
OPÉRÉES PAR M»'» DE SAINT-AMOUR. 367

d'elle-même, et je passe à une autre. Les malades ap-


puieront ce que j'affirme. Quelle créance v e u t - o n ,
en effet, que la critique ait près d'eux, quand on leur
dit qu'ils ont vendu leur conscience?
Il y a eu des effets sans compérage. Qui a produit
ces effets? Je ne fais pas l'injure au lecteur de lui sup-
poser assez peu de lumières pour croire au sortilège,
et le simple énoncé du mot en est une réfutation suf-
fisante.
Le peuple affirme que les malades guéris par M"10 de
Saint-Amour retombent ensuite plus mal. Je m'arrê-
terai tout à l'heure sur ces rechutes, je me contente
seulement de remarquer que l'objection populaire que
je note ici n'est pas plus'raisonnable que la précédente.
En effet, la puissance malfaisante attribuée à un être
quelconque n'est pas moins miraculeuse que celle qui
leur rend la santé. Cette puissance est celle du diable;
je suis bien sûr que nos détracteurs ne croient pas
plus au -diable qu'aux sorciers. Les médecins préten-
draient inutilement que le malade a reçu une impres-
sion qui a pu lui être funeste, ou que, se croyant
guéri, il a commis des imprudences, toujours résulte-
t-il de ces accusations que l'état du malade a été mo-
difié du manière quelconque, et cette modification,
de quelque nom qu'on la désigne, résulte du fait
même qui la critique.
Les objections vont se multiplier sous ma plume.
Le peuple tend toujours a remplacer le vraisemblable
par l'absurde; à une cause plausible il substitue ton-
368 DES GUËRISONS

jours une cause occulte. Les uns ont dit que Mme de
Saint-Amour possédait une bague électrique dont la
vertu guérissait les maladies. Pourquoi ne fait-elle
pas connaître cette bague enchantée? Nos médecins
seraient de jolies femmes qui guériraient toutes nos
infirmités en approchant seulement leur doigt de nos
lèvres. Cette bague aurait fait fortune dans le moyen
âge; Mélusine, Alsine et Morgane avaient moins de
droit à l'admiration de nos bons aïeux.
D'autres ont dit qu'elle répandait sur les plaies
une poudre propre à les cicatriser. Voilà-certaine-
ment un moyen qui n'était pas à dédaigner. En di-
vulguant généreusement cette découverte, que de
services on aurait rendus à l'humanité ! Notre civili-
sation qui a tant perfectionné les moyens de détruire,
n'a rien trouvé de plus admirable. Un concert de
louanges aurait dû accueillir l'heureux possesseur de
cette poudre. Que dis-je ! les pharmaciens inquiets
auraient dû au contraire élever des réclamations.
Tout le monde s'est tu. Les honnêtes gens ont senti
que le temps ferait justice de ces contes. Mais les sa-
vants de profession s'éloignant, le peuple sans guide
était livré aux contes les plus absurdes.
On avait vu M"ie de Saint-Amour sur le balcon de
M. de Tollenare, parcourant les dessins d'un jeu mo-
derne; on répéta que tout son savoir-faire consistait
à tirer les cartes. Une muette, disait-on, avait parlé.
Pour expliquer ce miracle, on supposa M mo de Saint-
Amour ventriloque. Ainsi il lui fallait une qualité
OPÉRÉES PAU M me DE SA1N1-AMOUI!. 3(59

pour chaque maladie, et on en faisait un être tout à


fait extraordinaire pour ne pas la voir telle qu'elle
est. Le conte de la muette courut, sans qu'on fit at-
tention qu'il aurait fallu, dans ce cas-ci, que le mé-
decin ventriloque fît sortir de sa poitrine les sons,
tandis que les lèvres de la malade auraient paru les
articuler. Que de niaiserie, et que de peines pour
ôter à l'erreur son ridicule ! On ne viendrait jamais à
bout de compter ces puérilités. La folie, la supersti-
tion et la mauvaise foi prennent mille formes : la vé-
rité n'en a qu'une. Quand on ajoute foi à de telles fa-
daises, on a bien mauvaise grâce à accuser les autres
de superstition.
Venons donc aux véritables objections, aux seules
objections sérieuses faites contre les cures de M me de
Saint-Amour; les voici :
1° Ces guérisons, pour la plus grande partie, n'ont
pas eu de succès durable. Les malades sont retombés
dans leur premier état peu d'heures ou peu de jours
après.
2° L'imagination a une grande part dans ces cu-
res. On a tous les jours sous les yeux des exemples
aussi frappants de guérisons opérées par l'imagina-
tion seule. Un paralytique voit le feu prendre à sa
maison ; il saute à bas du lit, et court sans s'aperce-
voir de son mal.
3° M me de Saint-Amour accompagne ses prières
de gestes qui font penser avec raison qu'elle ne fait
autre chose qu'employer le magnétisme.
370 DliS GUÉR1SONS

Toutes les explications dont on se sert pour rendre


moins surprenantes les cures de M me de Saint-Amour
rentrent sous ces trois chefs d'accusation. Dès le pre-
mier instant, je les ai examinées avec le désir de les
trouver suffisantes pour opérer ma conviction. La vé-
rité m'est plus chère que quoique ce soit au monde,
et si l'une de ces trois sortes d'objections avaient sa-
tisfait complètement mon esprit, je m'y serais arrêté
aussi, moi. Quand on a vu les effets et étudié la doc-
trine qui les explique, on a acquis le droit d'être exi-
geant, surtout quand celui qui prétend vous instruire
n'a rien vu et rien étudié. J'ai interrogé ceux qui
s'appuyaient sur ces objections, mais je me suis con-
vaincu qu'en fait de système personne ne veut aban-
donner ses idées. On se fait un cercle dont on ne
sort pas. Chacun cherche à attirer à soi celui qui est
d'un avis contraire. Au lieu d'un échange de senti-
ments, on s'entête des siens seulement. On met de
l'opiniâtreté dans la discussion, parce qu'on a com-
mencé par y mettre de l'amour-propre; on s'aigrit,
et on se sépare sans s'être éclairé. Tous les défenseurs
de M'"e de Saint-Amour ont trouvé, comme moi, des
agresseurs à qui la vérité était moins chère que leur
opinion. Il est donc nécessaire de consigner ici une
protestation qu'on n'a pas voulu entendre.
J'en viens au premier point. Si les malades sont
retombés, c'est qu'ils ont d'abord été mieux. En em-
ployant le mot retomber, les accusateurs de M me de
Saint-Amour s'accusent eux-mêmes : ce mot porte
OPÉRÉES PAR M me DE SAINT-AMOUR. 371

avec lui leur condamnation. On ne dit pas d'un ma-


lade qui est resté dans le même état qu'il est retombé.
De l'accusation même résulte l'aveu d'un mieux pro-
duit. Que ce mieux ait bientôt disparu, toujours est-
il vrai qu'il s'est manifesté; maintenant, qu'on se
l'explique. L'effet a été produit, c'est tout ce que je
veux établir. L'explication d'un effet, quelle que soit
sa durée, me semble mériter la peine d'un examen
attentif, et ce ne sont pas les brocards du peuple qui
convainquent : c'est le cas de dire que les injures ne
sont pas des raisons. En sortant des mains de Mmc de
Saint-Amour, le malade a pu retomber par son im-
prudence, par l'abus qu'il aura fait de ses forces, par
la fausse idée enfin qu'il était invulnérable. Il n'était
néanmoins pas plus à l'abri d'une rechute qu'en sor-
tant des mains du médecin. On fait honneur au mé-
decin de ses succès : personne ne songe à lui impu-
ter les imprudences du malade.
Mais, dira-t-on, ce n'est pas un ou deux malades
qui sont retombés, c'est la presque totalité; et il y a
dans ces rechutes générales quelque chose qu'on ne
peut attribuer qu'à ce moyen inusité de guérison. —
Je souscris, si l'on veut, à cette accusation. J'admet-
trais même que de tous ceux qui ont été guéris il n'y
en a pas un qui ne soit retombé : je prétends, malgré
cela, que la cause de M m " de Saint-Amour n'en est
pas plus mauvaise. M mc de Saint-Amour, en effet, a
procure à ses malades leur guérison comme l'effet de
leur foi. Avec la cause, l'effet était produit; où la
372 DES GDÉRISONS

cause n'était plus, il n'y avait plus d'effet. Cette foi a


paru bien ridicule à certaines personnes; mais avant
de la condamner, il était de toute justice de l'admet-
tre, sinon comme vérité, du moins comme hypothèse;
c'est cette hypothèse-là, en effet, qui justifie M mc de
S a i n t - A m o u r . Quand on juge quelqu'un en con-
science, on ne peut exiger de lui que ce qu'il promet.
On ne doit le combattre que sur le terrain où il se
place.
Vous aviez la foi, ou, si le mot vous effraie, vous
aviex la confiance au moment où le désir ardent de
votre guérison vous a fait chercher le médecin ; ce
médecin vous guérit par cette foi même, il vous a
averti que votre état futur dépendrait de ce degré de
foi : de quoi donc vous plaignez-vous, si, n'ayant
plus confiance en ses avertissements, vous retombez
dans vos infirmités ! Vous jetez loin de vous le remède
qni vous a guéri et qu'on vous avait recommandé de
garder soigneusement, il est clair que le mal dont
vous vous plaignez est la suite de votre imprudence.
On a dit que cette foi, qui choque tant d'oreilles,
était une pure cscobarderie; car, d'après les parti-
sans de M mp de Saint-Amour, s'il y avait du mieux
chez un malade frappé par l'imagination, c'est qu'il
avait de la foi ; si rien n'était produit sur nu autre,
c'est que la foi manquait; enfin, si le mieux dispa-
raissait chez un troisième, c'est que sa foi disparais-
sait aussi. Ces critiques tranchantes peuvent sembler
spirituelles: elles ne sont qu'injustes. En effet, ce
OPÉRÉES PAR Mmc DE SAINT-AMOUR. 373

n'est pas assez de détruire, il faut édifier. Or, que


met-on à la place de cette foi tant décriée? Rien ab-
solument, si ce n'est une imagination qu'on ne peut
définir, et un magnétisme qu'on ne connaît pas. J'exa-
minerai tout à l'heure ces deux moyens curatifs, je
m'arrête un instant sur ce mot foi, sur lequel tout le
monde a pris le change.
Avant de plaisanter sur les mots, il faut les définir,
et personne n'a pris celui-ci dans son acception véri-
table. La foi qu'exigeait M"10 de Saint-Amour n'est
pas cette croyance stérile séparée de la volonté, et
que l'homme place dans son entendement comme un
simple fait de mémoire; cette foi est une opinion qui
peut ne pas emporter une conviction profonde avec
elle. Celle dont il s'agit est au contraire une puis-
sance. Elle entre dans la vie de l'homme, elle fait
partie de lui-même, elle le subjugue. Notre convic-
tion est toujours produite par notre amour dominant
qui fait que nous cherchons à nous identifier avec ce
que nous croyons. Une opinion vaine, qui ne nous
agite pas asse/ pour que nous essayions de nous l'ap-
proprier, est une chose pour laquelle nous ne faisons
qu'un léger effort de mémoire. On sent la différence
qu'il y a entre cette opinion qui nous est indifférai le
et cette croyance que notre amour chérit par dessus
(ont. C'est celte croyance seule qui est la foi; ainsi
tout homme a sa foi, qui s'identiîie avec ses désirs
habituels, qui fait partie de lui-même, comme étant
ce qu'il a de plus cher. Un homme sans foi serait en
32.
;-t"-4 1>ES GUÉRISONS

même temps sans amour quelconque, par conséquent


sans passions, sans désirs : ce serait un automate.
Quand toutes les facultés de l'âme sont réunies
dans un môme foyer, au moyen d'une foi vive,
l'homme sent plus énergiquement l'existence. Toutes
les forces de son âme se rassemblent dans un point :
tous ses désirs se réunissent dans un même désir, et
tel est son amour dominant, tel il est lui-même. On
ne comprend pas toujours cet empire absolu d'une
faculté morale, parce qu'on ne se fait pas une juste
idée de l'homme.
Swedenborg, d'après Aristote, voit en nous deux
facultés qui constituent tout notre être : l'une est l'en-
tendement, l'autre la volonté. A la première se ratta-
chent nos pensées, à la seconde nos affections. La foi
est la réunion de l'entendement et de la volonté sur
un seul objet, îl est clair que si la pensée s'exerce
seule sur cet objet, sans que l'affection y soit aussi,
l'homme entier ne s'attache pas à cet objet; il le con-
sidère, mais il ne marche pas avec lui d'un mouve-
ment commun. Si, au contraire, il y a accord avec la
pensée qui considère et l'affection qui aime, l'homme
s'attache à ce qu'il poursuit, et en fait l'aliment de
sa vie.
Cette foi qui fait vivre n'est pas encore celle qui
guérit; cette dernière vient de plus haut.
Une volonté meut l'univers. Chez tous les hommes
qui pensent, cette vérité est incontestable. Cette vo-
lonté trouve un réceptacle dans l'âme humaine, se-
OPÉRÉES PAR M"le DE SAINT-AMOUR. 37o

conde vérité sur laquelle sont d'accord tous nos livres.


L'homme est créé à l'image de Dieu, dit la Genèse.
Quand, par une humilité profonde, une abnégation
totale de nous-mêmes, nous laissons Dieu agir en
nous, la vie divine opère en notre âme, nous agissons
par elle. Tous les germes contiennent les propriétés
de leur principe ; Dieu étant le principe de l'homme,
celui-ci est susceptible de recevoir toutes les vertus
et toutes les vérités divines. La condition nécessaire
pour cela est l'anéantissement du moi; tous les phi-
losophes sont d'accord là-dess.us. C'est cette idée que
développe avec tant de charmes l'auteur de la Chau-
mière indienne. C'est elle qu'ont aperçue les génies
de tous les siècles, quand ils ont fait de la simplicité
du cœur la condition requise pour être éclairé d'en
haut. Quand l'homme est retranché en lui-même,
abandonné à lui seul, il n'est plus rien; quand, au
contraire, par le sublime dévoûment de son être, il
n'attend rien de lui, il reçoit tout. Plus l'homme
anéantit sa volonté, dit Virey, plus il est mû par l'Être
éternel. Saint-Martin commence l'une de ses sublimes
prières par ces mots : « Ote-moi ma volonté, Sei-
» gneur, ôte-moi ma volonté; car si'je peux un seul
» instant suspendre ma volonté devant toi, les tor-
» rents de ta vie et de la lumière entreront en moi
» avec impétuosité. »
L'Écriture, qui renferme tant de secrets profonds,
nous dit aussi les mêmes choses de celui qui a la foi,
et cette foi est celle seulement dont il s'agit ici. Avec
37() DES GLÉRiSONS

elle, ce n'est plus l'homme qui seul, qui respire, qui


parle, c'est en quelque sorte Dieu même qui sent, qui
respire, qui parle en lui. Cet état est celui de l'en-
thousiasme religieux parvenu à son comble. Quand
on en est là, rien ne paraît impossible. Si le doute,
l'incertitude apportent des obstacles à cette action di-
vine, la foi s'éteint. En effet, l'intelligence troublée
paralyse alors, pour ainsi dire, les affections domi-
nantes de la volonté. Si nos prétendus esprits forts
ne peuvent s'expliquer comment cette puissance mo-
rale produit un effet physique, je leur demanderai, à
mon tour, comment ils attribuent des faits matériels à
l'imagination, puissance morale comme la foi! J'exa-
minerai tout à l'heure cette faculté, à laquelle ils at-
tribuent tant de choses qu'ils refusent d'accorder à la
foi.
Les hommes religieux n'ont pas besoin de tant de
métaphysique; l'Évangile leur dit clairement qu'avec
la foi on peut tout. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit à ses
disciples que s'ils avaient la foi en lui, ils feraient les
mûmes choses que lui, et même de plus grandes.
Quand les apôtres furent interrogés sur le bien qu'ils
avaient fait à un homme perclus, ils répondirent :
C'est par le Nom de Notre Seigneur Jésus-Christ.
M"10 de Saint-Amour répond aujourd'hui de la même
manière, et dans son opinion, Jésus-Christ est à ses
yeux le même Dieu que celui dont nous expliquions
tout à l'heure les rapports avec l'âme humaine. Aux
yeux d'un chrétien, il n'y en a pas d'autres; et aux
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 37"

yeux d'un disciple de la Nouvelle Jérusalem sur-


tout, Jésus-Christ est non-seulement le Dieu qui a
éclairé les hommes par la lumière de son Évangile,
mais c'est encore celui qÊ leur a dicté sa loi du som-
met du mont Sinaï. Les deux Testaments convergent
en lui seul. 11 réunit en lui la Trinité, doTit les trois
personnes sont simplement trois attributs.
Plusieurs doutent si les faits des apôtres, auxquels
ils sont disposés à ajouter foi, sont réellement de na-
ture à être reproduits de nos jours. Je ne suis pas as-
sez initié dans les secrets de la divinité pour savoir si
elle a voulu borner sa puissance à tel temps et la lais-
ser oisive dans tel autre. Il n'y a point là-dessus d'au-
torité philosophique ou religieuse dont la décision soit
sans réplique. D'autres se demandent pourquoi une
femme serait douée de ces dons. Je ne sais pas non
plus jusqu'à quel point la différence des sexes influe
sur la diversité des dons qu'il plaît à Dieu de répan-
dre sur les hommes. Les femmes réputées incapables
chez nous de tels ou tels emplois, peuvent fort bien
sembler à Dieu propre à les remplir tous. Quelques-
uns disent qu'ils croient parfaitement en Dieu, mais
qu'ils se refusent à croire nécessaire pour cela l'in-
termédiaire d'une femme. Il a bien fallu, dans des
siècles antérieurs, l'intermédiaire des apôtres; ainsi
cette difficulté rentre dans celle de la différence des
sexes.
L'Évangile nous instruit de l'efficacité de la prière
faite non-seulement par l'individu isolé, mais aussi
32*.
;ST8 DES GUÉRISONS

par plusieurs, il y a une communauté de sentiments


dans la patrie de l'intelligence qui en redouble la
force. Quand vous serez plusieurs assemblés en mon
nom, dit Jésus-Chris!, je serai au milieu de vous.
L'homme par une prière fervente a le pouvoir de
communiquer avec Dieu : quand un autre s'unit à lui
par la même prière, ils sont tous deux en présence
du même Dieu, et la philosophie la plus sceptique
ne peut nier alors ce qui peut se passer dans ce com-
merce ineffable de la créature avec son Auteur. Le
monde immatériel est une unité dont nous faisons
tous partie. Voilà pourquoi, pour arriver à cette
unité, nous avons besoin les uns des autres. La cha-
rité est le chemin de cette unité, et la prière est la
condition pour y arriver.
Il ne reste plus qu'un scrupule à vaincre chez les
hommes religieux, c'est qu'une Swedenborgiste opère
des miracles, dont jusqu'ici on n'avait cru capables
que les ministres de la religion romaine. Ce n'est plus
qu'une dispute de culte à culte. La théorie philoso-
phique plane au-dessus de tout cela. Le Catholicisme
condamne la Nouvelle Jérusalem comme secte, comme
hérésie. Celle-ci, à son tour, décline la juridiction du
Catholicisme, qu'elle regarde comme une religion
devenue loute extérieure d'intérieure qu'elle devait
ioujours être. Elle le considère, en un mot, comme
un culte dont le temps est fini. A elle seule elle appli-
que ces paroles de l'Écriture : Un temps viendra
oit il n'y filtra i/u'un pasteur et (ni'un troupeau.
OPÉRÉES PAR Mme DE S A I N T - A M O U R . 379

Celte unité, vers laquelle tendent toutes les nations,


et que M. de Maistre voyait s'accomplir au profit du
Catholicisme, la Nouvelle Jérusalem, qui accepte tous
les hommes et qui n'eu condamne aucun, la réclame
pour elle seule.
En vain le clergé dira au peuple de se garder des
faiseurs de miracles et des faux prophètes ; l'Écriture
qui annonce ces faux prophètes, indique aussi les
moyens de les distinguer : c'est par le fruit, dit-elle,
qu'on connaît l'arbre, et il est difficile de croire
qu'on soit possédé du diable en guérissant gratuite-
ment les malades au nom de Jésus-Christ, en prêchant
sincèrement l'humilité, la charité, et en pratiquant
toutes les vertus enseignées dans l'Évangile.
Actuellement que nous avons assez fait entendre
quelle était la foi que Mme de Saint-Amour exigeait
de son malade, nous pouvons reprendre la discussion
où nous l'avons laissée.
Quel est le malade qui affirmera en conscience
qu'il est resté dans les dispositions que le désir de sa
guérison lui avait inspirées d'abord? Ce serait être
un peu exigeant sans doute, de demander qu'il fui
resté, sans distraction, sous le charme de l'impressien
qu'il avait reçue; mais quel est du moins celui qui n'a
pas eu la faiblesse de douter, quel est celui qui n'a
pas éprouvé quelque incertitude? Où est celui qui a
eu le courage de résister à la plaisanterie? Je ne sais,
mais je crois que le nombre en est bien petit. En phy-
sique, les opposés réagissent l'un sur l'autre; l'elfeI
380 DES GDÉRISONS

d'une liqueur neutralise l'action d'une autre liqueur;


pourquoi ne veut-on pas ici que l'opération morale
d'une faculté ait pu être détruite par une opération
contraire? La critique devait s'exercer sur la condi-
tion exigée par M'nc de Saint-Amour, puisque, vraie
ou fausse, c'est elle seule que cette dame donnait
comme nécessaire. Les faits n'étaient que les consé-
quences de son opinion, si tant est que le terme' soit
exact, et c'est par conséquent cette opinion qu'il fal-
lait soumettre à l'examen. On a ri, on a plaisanté,
personne ne s'est douté qu'il y eût une explication à
chercher et une science à étudier. On s'est attaché à
compter les cures, à faire le triage des réussites et
des non-succès. Les cures complètes ou incomplètes
n'étaient que les suites d'une action morale incontes-
table; c'est à la théorie philosophique qu'il fallait de-
mander la raison de cette action.
Combien de gens ont confondu l'ardent désir d'être
débarrassés de leurs maux avec l'intime conviction
de la possibilité de cette union de Dieu et de l'homme,
et qui par conséquent n'avaient pas la foi! Combien
d'autres venaient avec distraction implorer des se-
cours sur lesquels ils ne comptaient pas ! La plupart,
hésitant ou rougissant de prier, laissaient leur âme
inactive et n'éprouvaient rien; ou, si une étincelle de
la vie morale jetait quelque lueur dans leur cœur, ils
la laissaient s'éteindre, et retournaient bientôt dans
le môme état qu'auparavant. M mr de Saint-Amour ré-
pétait à tous ces paroles de l'Ecriture : Allez, et
OPÉHËES PAR M"!C DE SALYf-AMOUK. 381

qu'il vous soil fuit selon votre foi. Ce n'est pas


moi, ajoutait-elle, qui vous guéris; c'est Dieu seul, et
votre état dépendra de vos relations avec lui. N'était-
il pas évident que la cure étant morale, le malade
irait de mieux en mieux, à mesure que son état moral
continuerait à s'améliorer, tandis que le soulagement
qu'il avait éprouvé cesserait, si la cause qui l'avait
produit cessait elle-même.
J'ai été témoin, chez M. Tliomine, d'un effet sur-
prenant. Une femme, demeurant à l'Ermitage, avait
le poing fermé depuis trente-huit ans. J'ai vu cette
femme ouvrir sa main sans.difficulté, sans douleur.
De son propre aveu, elle s'en est servie pendant quel-
ques jours; aujourd'hui cette main s'est refermée. La
non-réussite est aussi étonnante certainement que la
cure. Il n'y a qu'une explication pour toutes les deux.
M. Tliomine, témoin, comme moi et bien d'autres, de
ce fait, le citait à un médecin qui a attaqué publi-
quement M mc de Saint-Amour : « Vous avez cru voir
s'ouvrir cette main, lui dit le docteur, vous avez été
dans l'illusion. » Nouveau fait à expliquer. Comment
dix personnes éprouveront-elles à la fois une illusion
telle, qu'elles voient toutes s'ouvrir une main restée
fermée? Que ferez-vous ensuite de la déclaration for-
melle de la malade qui affirme s'être servi de sa main?
Quand on est rendu à dire à des témoins oculaires
qu'ils ont été dans l'illusion, je crois que ce n'est pas
le moyen de les détacher de la cause qu'ils soutien-
nent. Pour l'illusion de l'imagination, passe encore,
382 DES GUÉRISONS

si l'on veut; mais l'illusion des yeux, et surtout dans


ce cas-ci, en vérité, c'est un peu fort !
La prière fervente, la reconnaissance profonde du
malade mettaient son âme dans une disposition telle,
que celle-ci agissait aussitôt sur le corps; mais avec
une disposition opposée devait infailliblement repa-
raître l'état précédent. Comment à présent ne pas
être étonné qu'un grand nombre de malades soient
retombés? ces sortes de cures, aussi solennelles qu'un
acte religieux, devaient, comme lui, se passer dans la
retraite et le silence. Jésus-Christ recommandait le
silence aux malades qu'il guérissait. Affranchi du tu-
multe et des distractions de la société, le malade aurait
vu se continuer sa cure sous les yeux d'une famille
reconnaissante. Loin de là, il allait essuyer les ques-
tions d'une foule peu disposée à nourrir les senti-
ments qui l'avaient agité ; quelques amis prudents
auraient dû seuls pénétrer dans sa solitude; au lieu
de ces visites, sa demeure était envahie par des cu-
rieux, des faiseurs de bons mots, qui se riaient de
lui et lui contestaient le bien qu'il disait éprouver.
Si quelque médecin devait être introduit près de lui,
ce ne pouvait être qu'un observateur discret, et non
un ennemi de ces guérisons, un homme qui, s'étant
fait d'avance des raisonnements contraires, effrayait
le malade des suites que pouvait avoir pour sa santé
la secousse que son imagination, disait-il, venait de
recevoir. Enfin, il aurait fallu près de lui un ministre
du Dieu de paix, tolérant comme son maître, et non
OPÉRÉES PAR M mc DE SAINT-AMOUR. 383

l'un de ces ecclésiastiques peu éclairés, comme il s'en


est trouvé, qui forçaient l'infirme à mentir à ses sen-
sations, à abjurer le témoignage irrécusable de sa
conscience.
Quels sont ceux qui ont évité tous ces scandales? Il
n'y en a pas un. Un genre de cure aussi remarquable
demandait des précautions sans nombre pour être
conduit à bien. Loin d'avoir eu ces précautions, on
les a combattues de mille manières. Si un médecin,
après nous avoir guéri, nous prescrit un régime,
n'est-il pas vrai que nous attribuerons nos rechutes
aux infractions faites h ses ordonnances. Une cure
morale exigeait de même un régime moral; que peut-
on conclure contre la cure, si le régime qui devait la
terminer n'a pas été suivi? On ne s'imagine pas jus-
qu'où le trouble et la confusion ont été portés. Par
la nouveauté même de la cure, le malade guéri avait
à combattre sa propre incertitude. Il aurait fallu lui
aider à croire, au contraire on détruisait sa confiance.
En vain l'homme a éprouvé des effets incontestables,
quand tout le inonde lui répète qu'il a été dupe, il
est tenté de croire qu'il s'est trompé : il craint pres-
que d'entrer en superstition vis-à-vis de lui-même,
en restant seul de son avis. Que sera-ce donc, s'il est
assailli de gens qui lui font craindre une rechute, ou
la perte entière de son âme?
Après quinze jours d'une cure radicale, on soute-
nait à une femme guérie d'une fistule lacrymale, que
son mal n'avait pas disparu. Cette femme avait beau
384 DES Gl'ÉRISONS

affirmer le contraire, on voulait à toute force lui per-


suader qu'elle était dans l'illusion. Une lionne dame
guérie de ses infirmités écrivait de.la campagne à sa
famille qu'elle tremblait en voyant s'opérer sa guéri-
son ; elle ajoutait qu'elle aimerait mieux rester souf-
frante toute sa vie, que d'éprouver un soulagement
passager au prix de la perte de son âme. Voilà où la
superstition conduit les hommes !
Tout ce qui est amené devant le tribunal du peuple
subit la même condamnation. Il insulte toujours ce
qu'il ne comprend pas. Prêt à s'humilier devant ceux
qui l'oppriment, il devient insolent devant ceux qui
lui foui du bien. Quand il encensait des dieux ridicu-
les, il a demandé la mort du fils de Sophronisque qui
lui annonçait le culte épuré de la raison. Il décrédite
les plus belles choses quand il essaie de les soutenir.
Les principes incontestables qui ont amené la révolu-
tion française ont servi à ses passions désordonnées,
à ses goûts impurs et dépravés. Les mots qui rappel-
lent les idées les plus nobles, eu passant par sa bou-
che, deviennent des termes de réprobation. Ce qu'il
a l'ait ici était semblable à tout ce qu'il a fait ailleurs :
ce n'est donc pas l'événement qu'il est appelé à juger
en dernier ressort. Les non-succès ne sont nullement
surprenants. La théorie qui rend compte des guéri-
sons explique aussi ceux-ci, et si quelque chose doit
étonner, c'est qu'ils n'ont pas été plus nombreux.
Les adversaires de M mc de Saint-Amour se placent
dans une position où, ne pouvant nier le mieux, ils
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 385

n'ont cependant pas le droit de lui imputer les re-


chutes. La théorie qui explique la cure montre la
non-réussite comme très-vraisemblable; la science,
au contraire, qui fait une objection des rechutes, ne
peut expliquer l'amélioration première.
Je ne parle pas des cas où M™6 de Saint-Amour a
échoué complètement. Ces cas ont été fort rares;
mais, sans chercher à en diminuer le nombre, a-t-on
bien vu auparavant si le malade était attaqué d'une
infirmité telle qu'il fût possible d'y remédier? La
prière ne remplace pas l'organe qui manque; et, avant
de faire de ce cas un sujet d'accusation, il fallait s'ê-
tre bien assuré de ce qu'on pouvait obtenir par elle.
Dans l'effervescence du moment, c'est ce qu'on a né-
gligé de faire. Le peuple a dit d'abord : Voilà une
femme qui opère des miracles; il n'est pas venu un
médecin demander de quel genre étaient ces miracles.
On les a voulus de telle et telle manière, sans s'assu-
rer si c'étaient là les conditions selon lesquelles on
promettait d'opérer des guérisons. C'est se placer, il
faut l'avouer, sur un terrain très-commode. Vous
faites les conditions de la cure, et vous la blâmez en-
suite parce qu'elle n'a pas été faite selon ces condi-
tions de votre invention.
Il y a des gens qui arrangent tout dans leur tête
dans un certain ordre; si vous dérangez ensuite cet
ordre-là, ils ne manquent pas de dire que c'est vous
qui déraisonnez. La recherche impartiale de la vérité
demande quelques concessions de notre part. Ce n'est
33.
38U i;i.s r.i
pas assez que l'orgueil nous persuade que nous avons
ce qu'il faut pour être juges, il faut remplir les con-
ditions exigées pour l'être réellement. Que penser
d'un Aristarque qui, d'après le titre d'un livre, s'en
ferait une idée qu'il critiquerait après cela? Ali ! mal-
heureux, lui dirait-on, ouvre le livre, lis-le attenti-
vement, et il te sera ensuite permis d'en parler.
Je n'ai cité que des médecins et des ecclésiastiques
parmi ceux qui se sont montrés aussi ardents antago-
nistes de Mme de Saint-Amour. Il s'est trouvé encore
une autre classe d'adversaires, ce sont ceux qui l'ont
accusée A'illuminisme. Ce mot que tant de personnes
emploient sans le définir et sans y attacher d'idée pré-
cise, faisait peur au peuple. En général, les fantômes
sont plus redoutables que les êtres réels, et l'illumi-
nisme a tous les caractères d'un fantôme, parce que
tout le monde en parle et que personne ne le connaît.
Demandez hardiment à l'ennemi le plus déclaré des
illuminés ce qu'il entend par là, il balbutiera quelques
mots et restera court. Les hommes les plus éclairés
eux-mêmes ont à peine lu quelques écrits de M"e Bou-
rignon, de Pascalis, de d'Eckhartshausen, de Murait,
de Saint-Martin, et ces écrits ne sont pas de ces livres
qui se jugent dans une minute. Ce qui décrédite les
illuminés, c'est qu'ils n'ont pas pour eux le grand
nombre, et qu'il n'y a rien qui donne plus de sécurité
aux faibles que de se voir dans une route suivie par
la masse.
Si c'est comme lectrice de quelque profond théo-
OPÉRÉES PAR M1"" DE SAINT-AMOUR. 387

sophe que M"lc de Saint-Amour encourt le reproche


d'illuminisme, je changerais volontiers le reproche en
louange. Si j'avais quelque crédit dans une académie,
je crois que je m'emploierais même pour lui en faire
ouvrir les portes. En vérité, il y a autant de mérite
pour une femme à lire les Erreurs et la Vérité, ou
Its Quarante Questions de Jacob Bœhme, qu'à tra-
duire Newton, comme l'a fait Mrae Duchâtelet. Mais
qu'on se rassurev 3ïmc de Saint-Amour ne lit pas ces
ouvrages abstraits; elle prie et soigne ses malades,
voilà toute sa vie. Si quelqu'un entend par illuminés,
avec le pauvre abbé Barruel, les conspirateurs et les
régicides, je puis affirmer en toute conscience qu'il
n'y a pas matière au procès.
Parmi d'autres causes de discrédit, je dois égale-
ment faire remarquer l'ignorance de ceux même qui
avaient, aux yeux du peuple, toute la capacité requise
pour prononcer en dernier ressort. L'un des hommes
les plus instruits de cette ville me dit, après avoir en-
tendu Mroe de Saint-Amour : « Si elle avait avec la
» Divinité le commerce qu'elle prétend avoir, elle se
» serait bien vite aperçue que je n'ajoutais pas foi à
» ses guérisons. » Mais de ce que M me de Saint-Amour
disait avoir reçu du Ciel le don de guérir, s'cnsuit-il
que Dieu lui ait donné celui de lire au fond des cœurs.
Non, sans doute; c'est un droit qu'il s'est réservé lui
seul. Ces deux prérogatives sont bien distinctes, mais
on les confond pour avoir meilleur marché de celle
qu'où ne veut pas reconnaître.
388 DES GUÉIUSONS

Un autre se proposait, pour la convaincre d'im-


posture, de lui demander la guérison d'une maladie
qu'il n'avait pas. Ici il y a encore la supposition fausse
d'un don miraculeux que ne s'attribuait pas M mc de
Saint-Amour. Elle prie sans doute, mais elle ne rai-
sonne ni sur la cause ni sur l'effet de sa prière. Le
malade prie avec elle, et il est accorde à celui-ci ce
qu'il demande, selon qu'il a plus ou moins de con-
fiance en Dieu. Dans l'épreuve qu'on voulait faire, on
s'adressait a la Divinité même et non à l'instrument
dont elle se sert.
En général, on n'a pas compris le genre de cures
que voulait et pouvait opérer M mc de Saint-Amour.
Le peuple devient exigeant à mesure que son admira-
tion est satisfaite. On voulait qu'un paralytique en
descendant l'escalier fût plus ingambe que jamais, ou
qu'un homme à qui il manquait un bras le recouvrât
aussitôt. Une telle puissance eût dépassé les bornes
de celles que Dieu paraît avoir confiées à l'homme.
•La guérison n'est pas une création : c'eût été créer,
en effet, que de produire de tels prodiges.
M me de Saint-Amour rendait la santé aux infirmes,
mais avec les conditions voulues pour que la santé se
maintint. Dans un corps décrépit ou détruit avant
l'âge, il n'y avait pas de cure possible. Chez une per-
sonne tourmentée de quelque affection morale qui
apportait un obstacle à l'action de la prière, la cure
échouait aussi-roù l'organe manquait, elle ne pouvait
rien opérer. Où le désordre existait, elle ramenait
OPÉBÉIS PAB Mmc DE SA1NT-AMOIJR. 389

l'ordre; mais elle ne créait pas un ordre nouveau.


Enfin, à la cure physique des infirmités humaines elle
substituait cette cure morale bien connue des gens
éclairés, et bien attestée dans l'histoire des peuples.
Si on avait fait, d'abord cette réflexion, peut-être
tant de gens Mie se seraient-ils pas déclarés contre
elle. Ils auraient avoué franchement cette espèce de
cure. Il n'y aurait plus eu à discuter, entre eux et
elle, que l'intervention divine. Comme tout ce qui est
moral a sa source là-haut, peut-être amenés dans la
sphère de l'immatériel, les antagonistes et les défen-
seurs auraient-ils fait un sincère traité de paix. Mais
voilà comment vont les choses de ce inonde. Quand
l'événement arrive, on ne s'entend pas, faute de se
communiquer. L'événement s'éloigne de nous, la ré-
flexion vient; l'historien prend la plume, on se re-
trouve avec lui; mais ce qu'il raconte est déjà passé;
mais le passé est irrévocable; et c'est toujours quand
il n'est plus temps qu'on rend justice à ceux qu'on a
calomniés.
J'arrive naturellement à ce qu'on veut bien appeler
la seconde objection. L'imagination, en eifet, n'est ici
une objection que parce qu'on ne s'entend pas sur le
mot.
Si ce mot avait été d'abord bien défini, il n'y au-
rait pas eu matière à discuter. Je ne sache pas qu'au-
cun philosophe ait tracé une ligne de démarcation
exacte entre l'imagination et telle autre de nos facul-
tés. Chez nos sensualistes du dernier siècle, elle est
390 DliS GUÉR1SO.NS

confondue presque partout avec la mémoire, et n'é-


tait, comme on sait, que le simple pouvoir de rappe-
ler une sensation passée. Si c'est cette imagination-là
qu'appellent à leur secours les antagonistes de MQie de
Saint-Amour, ils la trouveront bientôt insuffisante.
La puissance qui nous fait percevoir orne sensation
non encore éprouvée n'est pas celle qui rappelle sim-
plement la sensation disparue.
Il n'y a pas un physiologiste de bonne foi qui n'ob-
jecte à la superficielle métaphysique de Condillac et
d'Helvétius des faits qui la détruisent. L'imagination,
telle que la conçoivent ces idéologues, est trop cir-
conscrite, trop calculée pour embrasser les phéno-
mènes de l'action spontanée de la plus active de nos
facultés. Un médecin des plus éclairés de cette ville,
M. Fourré, a donné un démenti formel et bien élo-
quent à cette science incomplète, dans un discours
prononcé à l'école de médecine de Nantes, en 1818.
C'est ainsi que quand un médecin n'est pas d'accord
avec le spiritualisme, c'est faute de s'être assez élevé.
La médecine, la première et la plus utile des sciences
physiques, était toujours jointe autrefois à la plus
haute philosophie.
Le peuple entend par imagination quelque chose
de vague, d'obscur, d'indéfinissable, qui entre dans
le cerveau je ne sais comment, et qui de là flue dans
le corps au moyen de la volonté, je ne sais comment
encore. Quand il dit qu'une chose est imaginaire, il
entend dire par là que cette chose n'existe pas, et j'a-
OPÉRÉES PAB M'"0 DE SAINT-AMOUR. 391

voue ne rien comprendre absolument à ce quelque


chose qui, n'existant pas, produit néanmoins un effet
réel.
L'imagination, considérée comme elle le doit être,
est une faculté ayant, comme les autres, son cercle
d'action. Tout effet physique est le résultat d'une
cause morale. Je ne sors pas de cet axiome incontes-
table. Ce qui nous donne l'être est toujours, en der-
nière analyse, une cause immatérielle. Dans tout acte
vital se trouvent l'agent et le patient, l'actif et le pas-
sif. Notre corps se meut, parce qu'une puissance mo-
rale, la volonté, le dirige.
Dans les actes du corps qui ne sont pas soumis à la
volonté, quelque chose d'immatériel apparaît encore,
c'est la vie; la vie qui ne s'engendre pas de la ren-
contre fortuite de quelques molécules matérielles,
mais qui descend de là-haut ici-bas; la vie qui"n'est
pas produite par la forme des organes, mais qui varie
selon les réceptacles. Les rayons du soleil sonl homo-
gènes de leur nature, mais ils tombent autrement sur
un corps que sur un autre ; la vie est ainsi. Ce n'est
pas, comme le disait Anaxagore, et plus tard Helvé-
tius, parce que l'homme a une main qu'il est devenu
le roi des animaux ; mais la main lui a été donnée,
comme l'observe Aristote, parce que la Providence
le destinait a régner sur la nature. L'intelligence
n'est point résultée de l'organe, seulement une intel-
ligence parfaite demandait un organe parfait.
Dire que l'imagination produit tel ou tel effet, c'est
392 DES GUÉfilSONS

avouer qu'il y a en nous une faculté immatérielle qui


modifie le corps; cet aveu me suffit : je n'en veux pas
davantage pour expliquer tous les eiïets produits par
M mc de Saint-Amour. Ses antagonistes et ses défen-
seurs jusque-là marclient sur le même terrain. Si
les premiers veulent actuellement attaciier au mot.
d'imagination une idée qui atténue celle que j'attribue
à cette puissance immatérielle, je suis en droit de leur
demander de définir les termes. Quand le mot pris
dans son acception la plus générale signifie l'action
morale de l'âme sur le corps, j'y souscris: mais si
l'on veut lui faire exprimer une autre idée, je dois
discuter ce point de philosophie.
L'imagination qui agit chez les malades n'est pas
sans doute cette faculté brillante chantée par Aken-
side et Delille. Le moribond n'éprouve pas un mieux
physique, parce qu'il a donné l'essor à sa verve dés-
ordonnée; il est mieux, parce que son moral est dans
une assiette différente. La cause morale a produit né-
cessairement l'effet physique, et nous ne pouvons
rien concevoir qui n'ait sa raison dans la sphère de
l'immatériel. M mc de Saint-Amour ne prétend pas
produire autre chose: seulement, la puissance mo-
rale qu'elle met en j e u , elle l'appelle foi. Vous lui
donnez le nom d'imagination ; à vous permis de déna-
turer les termes. Vous appelez prestige, autre mot
non défini, le moyen qu'elle emploie pour agir sur le
moral; elle donne à ce moyen le nom plus juste de
prière, voilà t o u t e la différence.
OPÉRÉES PAU M'ne DE SA1NT-AMOUB. 3iKi

Mais, diront les agresseurs, nous ne contestons pas


l'influence du moral sur le physique, nous employons
le mot imagination comme un mot convenu, et pour
avoir plutôt fini; nous ne chicanons pas sur les ter-
mes. M me de Saint-Amour agit sur les esprits faibles,
et mille autres agiraient comme elle. — Voilà ce que
je nie. Il y a une influence certaine d'âme à âme : les
phénomènes de la fascination en histoire naturelle,
ceux du magnétisme démontrent invinciblement cette
action de la volonté sur la volonté. Un grand capi-
taine électrise ses soldats par un mot, par un geste,
mais il n'y a pas d'exemple d'un ascendant de la vo-
lonté tel qu'il ait pu opérer les guérisons que nous
avons vues.
L'âme agit sur l'âme sans doute, mais son action
est limitée à de certains phénomènes, et les effets que
nous avons signalés annoncent plus que la simple ac-
tion d'une âme réduite à elle seule. Cette âme, qui en
a ému tant d'autres, était douée dans ce moment d'une
puissance bien extraordinaire, il faut en convenir!
J'aurai beau chercher à frapper l'imagination d'une
personne qui a perdu la vue, je suis bien sur qu'elle
ne verra pas plus clair pour cela. Mon âme n'est point
en contact avec cette puissance immatérielle qui donne
la vie et qui la retire, qui envoie la maladie et la gué-
rison.
On dira que les malades arrivent chez M mc de Saint-
Amour l'esprit frappé d'avance, et qu'ils sont ainsi
disposés à recevoir toutes les impressions. Fort bien ;
3U-4 niis GUÉRISONS
mais comment cette conviction s'est-elle établie? Par
des effets antérieurs; et, de proche en proche, nous
remontons jusqu'aux premiers infirmes, pour lesquels
le prestige de la réputation était nul. Voilà donc des
gens guéris sans que la prévention ait aidé à la cure.
En voici d'autres à présent; ce sont les enfants, les
insensés et mille autres personnes qui n'offraient
qu'une volonté passive à l'action puissante de la
prière. Une forte passion, une émotion subite sus-
pendront en moi peut-être un mal local; l'influence
d'une personne qui nie tiendra sous !e charme d'une
conversation animée pourra faire que je sentirai la
douleur s'affaiblir; mais aucun effort de mon imagi-
nation ou de l'imagination d'autrui ne raffermira les
membres d'un paralytique ou d'un boiteux.
Les partisans des effets obtenus par l'imagination
emploient ce terme d'une manière très-inexacte, et
cette confusion dans les termes en produit nécessai-
rement une dans les idées. L'exemple tant cité du pa-
ralytique en est la preuve. Ce n'est pas, à proprement
parler, l'imagination que nous trouvons chez le para-
lytique qui voit le feu prendre à sa maison ; le senti-
ment puissant qui l'agite alors est la crainte, et la
crainte portée à son comble. Elle donne au corps une
secousse telle, que celui-ci se sent une force qu'il
n'avait pas auparavant ; le malade marche alors parce
que le moral subjugue le physique. S'il était possible
qu'il se soutint à ce degré d'exaltation mentale, il est
évident qu'il ne se sentirait pins de son infirmité. La
OPÉKKtS TAR M'"e DE SAlNÏ-AMOOfi. 395

cause étant continuelle, l'effet serait constant; mais


avec le danger la crainte passe, et le malade reprend
ses maux en retombant dans l'état ordinaire.
On voit clairement que cette cause n'était autre
chose qu'une impression morale assez forte pour
l'emporter sur toutes les autres et maîtriser les orga-
nes. C'est également une impression morale qui est
produite par l'effet de la prière : tant qu'elle est do-
minante, le mal est écarté. Tous les effets qu'on cite
rentrent dans la même explication : c'est toujours la
force momentanée de l'âme agissant sur le corps
qu'elle modifie. Tous ces exemples sont autant de
preuves incontestables de l'influence du moral sur le
physique. La prière est le plus puissant des leviers
moraux ; il n'est pas surprenant qu'elle produise les
effets matériels que nous avons énoncés.
On cite aussi, pour preuve du pouvoir de l'imagi-
nation, la personne qu'un violent mal de dents con-
duit chez le dentiste. A la vue de l'instrument fatal,
le mal se dissipe. Ici, comme dans le cas précédent,
je ne vois autre chose que l'effet de la peur; or, la
peur est quelque chose de très-réel, bien qu'elle ne
tombe pas sous les sens. L'immatériel, sous quelque
nom qu'il se présente, est tout aussi réel que les or-
ganes physiques. La constitution organique de l'hom-
me démontre son existence; car je ne crois pas qu'on
parvienne à prouver que l'homme se meuve tout seul,
et soit la cause et la raison de sa propre vie. Celle-ci
se rend dans les organes destinés à la recevoir, mais
396 DES GUÉRISONS

tel arrangement et telle combinaison des organes ne


la produisent pas.
Trouvez-moi, au reste, une personne dont la vue
excite chez les malades le même effet que l'instrument
du dentiste, ou une impression égale à celle qui ré-
sulte du t'eu qui prend à une maison ! Vous avouerez
que cette personne est douée d'une puissance morale
bien extraordinaire! Un seul fait de ce genre, c'en
serait assez pour illustrer sa vie entière, et nous en
avons vu de semblables se répéter pendant un mois.
Il y a moins de difficulté à avouer qu'une puissance
supérieure agit en elle, que de supposer qu'elle pos-
sède, je ne sais comment, cette puissance qui n'a pas
d'explication dans la constitution humaine : je croirais
tomber dans la superstition en la lui accordant. Celle
que je lui suppose est du moins d'accord avec une
théorie qui me la rend vraisemblable.
On dira que c'est du spiritualisme que cette manière
d'expliquer l'influence de l'imagination et de la priè-
re. Je l'avoue avec candeur, je ne connais pas, en ef-
fet, d'autre moyen de me rendre compte de l'homme
et de ses facultés. Je ne suis pas encore venu à bout
de me persuader que la matière aille toute seule. Je
crois, et en cela je suis d'accord avec la science mo-
derne elle-même, je crois qu'il existe une sorte de
médecine spirituelle et morale dont les effets sont in-
contestables. Chez les Égyptiens, cette science était
unie au sacerdoce, et les plus grands génies de l'an-
tiquité croyaient que la pureté de l'âme, l'élévation
OPÉRÉES PAR Mme DE S A I N T - A M O U R . -Î97

des pensées étaient les conditions requises pour la


guérison des maux. L'un des beaux morceaux d'élo-
quité est l'hymne que Gallien adressait à la divinité.
Parmi nos médecins les plus connus, M. Virey a
traité de cette sorte de science avec détails, et ce n'est
pas le lieu d'en discourir. Je ferai seulement remar-
quer que nos meilleurs physiciens conviennent tous
aujourd'hui que la perception transmise par les nerfs
sensitifs est un fait primitif, insaisissable et en dehors
de toute expérience physique. Placée, comme la vo-
lonté, hors des limites de l'observation matérielle, la
perception n'est plus pour eux un phénomène ner-
veux; ce n'est, par conséquent, ni l'irritabilité, ni la
sensibilité, ni la contractililé.
Chassé du sanctuaire de la physiologie, le matéria-
lisme n'a plus d'asile dans les simples ouvrages phi-
losophiques. La direction du siècle est changée, le
sensualisme a disparu, non pas parce qu'il est de mode
de se dire religieux quand les gouvernants ont des
raisons de se montrer tels, mais parce que les meil-
leurs esprits ont reconnu son insuffisance. Le maté-
rialisme avoué dans le dernier siècle par la haute so-
ciété et repoussé par le clergé seul, ne se trouve au-
jourd'hui que dans les classes peu éclairées.
La pierre qui tombe dans l'eau p r o d u i t , par sa
chute, un ébranlement qui se communique au loin ;
des cercles concentriques annoncent par leurs ondu-
lations qu'il y a eu une secousse; mais, au milieu
même de ces cercles, on cherche en vain, quelque
39K DES GUÉRISONS

lemps après, la cause du mouvement; tout est devenu


tranquille. A entendre les attaques dirigées à Nantes
contre le spiritualisme, il paraît que nous sommes
encore au milieu des ondulations produites par ce
mouvement central qui a cessé depuis longtemps pour
la classe instruite.
On veut que M me de Saint-Amour fasse cause com-
mune avec le spiritualisme, j'y consens, et je regarde
dès lors le procès comme entièrement terminé. Le
spiritualisme qui est la base nécessaire de toute reli-
gion, de toute morale, voilà aux yeux des détracteurs
de M"10 de Saint-Amour ce qui l'accuse et la ridicu-
lise. Je prétends que c'est ce qui la défend et la rend
respectable. Les noms les plus augustes de tous les
siècles, les grands hommes de tous ies pays, voilà ce
qu'on a la maladresse de compromettre eu accusant
M me de Saint-Amour de spiritualisme. Croirait-on,
si l'on n'en avait la preuve écrite, que le spiritualis-
me, dont on fait ici un reproche si absurde, entre
dans les sales couplets avec lesquels on a amusé le
peuple!... M. Charles Durand, qui a eu occasion de
voir M""1 de Saint-Amour, m'a assuré qu'après avoir
prononcé ce mot dans l'une de ses séances littéraires,
il reçut le lendemain plusieurs lettres dans lesquelles
on lui disait de se rétracter : voilà un trait caracté-
ristique.
La plupart de ceux qui plaisantent sur le spiritua-
lisme sont dans cette ville du côté de l'opposition ;
mais ils se méprennent complètement sur le but du
OPÉRÉES PAR Mnl<! DE S A I N T - A M O U R . 3[)D

parti niéine qu'ils soutiennent; le libéralisme n'avoue


pas le matérialisme; loin de là, tous les jours il lui
donne des démentis formels. Ce n'est pas en niant
Dieu, et en désavouant la noblesse de son être, qu'on
est digne d'invoquer la liberté. Tous ceux qui ont eu
à la bouche ce mot sacré mais tant prostitué, ont été
en même temps les plus stricts observateurs de la re-
ligion. Washington et Franklin, qui marchent à la
tête des champions de la plus belle des causes, désa-
voueraient hautement les maladroits qui la compro-
mettent. La liberté, si elle n'est pas sanctionnée par
l'idée d'un Dieu et de l'autre vie, n'est que de la li-
cence. C'est le secret désir de s'affranchir de tous les.
jougs, pour être exempt de tous les devoirs; c'est le
code de l'immoralité tel que le conçoit la lie du peu-
ple; c'est à la fois le libertinage qui amolit l'âme et
la science qui dessèche le cœur.
Les partisans de l'autorité n'aiment pas non plus
le spiritualisme, qui donne de l'énergie à la con-
science et détruit l'empire de la routine et des préju-
gés. S'il est accueilli et prôné, c'est précisément par
les talents les plus brillants du parti de l'opposition.
MM. Benjamin Constant, Kératry, Daru, de Barante,
de Broglie, ces éloquents défenseurs des libertés pu-
bliques, sont en même temps les plus intrépides sou-
tiens de la cause du spiritualisme. C'est lui qu'ensei-
gnait M. Royer-Collard à l'école normale, quand,
suivant les traces de Reid et de Dugald-Stewart, il a
le premier en France attaqué l'école de Condillac,
400 DES GUÉRJSONS

C'est lui que démontre aujourd'hui 31. Cousin. 31. De-


gerando, dans l'histoire de la philosophie, ne trouve
pas une autre science, depuis les siècles héroïques
jusqu'à nous.
C'est en l'invoquant avec franchise que 31. Droz
mérite d'être couronné par l'Académie Française.
3131. Guizot et Yillemain lui rendent journellement
hommage dans leurs leçons si instructives à la fois et
si pleines d'esprit. Le Globe en proclame ouvertement
les principes. Enfin, la Société de la Morale Chré-
tienne, cette Société qui se fait gloire d'avouer un
nom dont rougiraient bien des libéraux de Nantes,
est formée en totalité de spiritualistes éclairés qui
sont en même temps les écrivains, les hommes d'État
et les savants les plus recommandâmes du parti li-
béral.
Je ne connais donc pas de moyen plus assuré de
mettre 3Ime de Saint-Amour hors de toute atteinte
que de lui faire faire cause commune avec le spiritua-
lisme. Mrac de Krudner, qui a parlé comme elle de
religion, mais qui n'y a pas joint comme elle les œu-
vres charitables que nous avons tant admirées, M me de
Krudner, dis-je, n'a recueilli partout sur son passage
que les égards dûs à son sexe et à ses intentions. Ses
erreurs ont été respectées. Les hommes les plus éclai-
rés de la capitale se sont fait honneur d'avoir quel-
ques rapports avec elle. A Nantes, bien certainement,
elle n'eut reçu que des outrages; on n'aurait rien
voulu entendre, ou n'aurait rien examiné; sa religion
OPÉRÉES PAR M me DE SAINT-AMOUR. 401

toute libérale eût été pour nos libéraux du jésuitisme.


Voilà comment on prend le change chez nous, et
comment on se met en colère contre les mots, faute
d'être assez instruits des choses.
Il est temps d'en venir au magnétisme. Je dois l'a-
vouer avec franchise, si nous sommes restés en ar-
rière ici à l'égard du spiritualisme, nous le sommes
bien davantage dans le magnétisme. Rejetée du plus
grand nombre, malgré son évidence, cette science
n'est considérée que comme une science physique. Il
y a cela même de très-remarquable. Avant l'arrivée
à Nantes de M me de Saint-Amour, tout le monde niait
le magnétisme; voilà maintenant des effets, il faut les
expliquer : on invoque alors, on tire de l'oubli ce
magnétisme auquel on ne croyait pas. Comment pren-
dre en défaut des adversaires qui ne sont déjà plus
aujourd'hui sur le terrain où ils vous défiaient hier?
Nos savants veulent palper le fluide magnétique;
ils veulent calculer ses effets comme ceux du calori-
que, de l'électricité, du galvanisme; et parce que né-
cessairement on échoue dans cette investigation phy-
sique d'une chose immatérielle, on la nie. On maté-
rialise ce qui dépend de la plus mystérieuse des fa-
cultés, la volonté. On n'en est pas encore rendu à
savoir qu'une chose existe, dès lors que les effets en
sont constatés, mais que cette chose néanmoins peut
rester inaccessible, à l'expérience et au calcul.
Ce manque de preuves n'infirme pas l'existence des
choses : pour croire au mouvement, il n'est pas be-
3i*.
402 DES GUERISCCSS

soin de s'en expliquer la théorie; il n'y a, comme ce


philosophe de l'antiquité, qu'à marcher soi-même.
Pour croire à l'action de la volonté sur un autre, il
n'est pas besoin de se rendre claire et positive l'union
mystérieuse de notre volonté et de nos organes, et
les rapports encore ignorés qu'elle peut avoir de
l'homme sur l'homme. Il est croyable que nous ne
parviendrons jamais à découvrir ce mystère; il sufiit
de constater le fait.
Je ne sais pas comment.il arrive que ma main obéit
à ma volonté, mais je le sais, parce que je le sens. 11
en est de même du magnétisme : il ne faut pas cher-
cher à se l'expliquer avant d'y croire, mais il faut le
voir d'abord pour le reconnaître ensuite. Si la théorie
dont je me sers est imparfaite, je dois la rejeter et
non pas nier la chose qu'elle a infructueusement tenté
de m'expliquer. La théorie nous manque pour beau-
coup de choses que nous sommes néanmoins forcés
d'avouer. Le premier pas fait en philosophie nous fait
appeler à nous les explications et les systèmes ; le der-
nier nous débarrasse de ces moyens conventionnels,
pour nous rendre plus disposés à l'évidence. Le pre-
mier pas est la négation entêtée de l'inexplicable, le
dernier en est souvonl l'aveu.
Je ne donnerai pas ici une théorie du magnétisme
pour combattre celle dont on s'étaye dans la critique
faite des guérisons de M Ilie de Saiut-Amonr. J'ai ha-
sardé sur ce sujet, dans le 2 e volume du Lycée Ar-
moricain, quelques réflexions qui me paraissent eu-
OPÉRÉES PAR M me DE SAINT-AMOUR. 403

core sans réplique, et auxquelles je renvoie le lecteur.


S'il fallait la théorie de chaque science invoquée dans
le procès intenté à M me de Saint-Amour, ce ne serait
pas assez de plusieurs volumes. Je n'ai qu'un fait à
détruire. On dit que M'ne de Saint-Amour a magné-
tisé ses malades; je puis affirmer que j'ai été présent
à la plupart des cures, et, qu'à l'exception de M. de
Laubépin, je n'ai pas aperçu de magnétiseur, soit
parmi les malades, soit parmi les témoins.
Cette imputation absurde a pu résulter d'une sup-
position toute gratuite. M. Bernard, a-t-on dit,
magnétisait ; M'ne de Saint-Amour aura appris de
lui cet art qu'elle pratique aujourd'hui. Dans ce
cas, on lui aurait enseigné quelque chose qu'igno-
fent encore tous nos docteurs. Je lui ai ménagé un
entretien avec M. Lamaignière, l'un des hommes de
notre ville les plus instruits dans ce genre de connais-
sances, et il a été forcé de reconnaître ici quelque
chose de plus puissant que le magnétisme. Je me
sers de ses propres expressions : ce quelque chose de
plus puissant que le magnétisme, qu'est-ce que c'est,
si ce n'est ce que nous avons reconnu tout à l'heure
de plus puissant aussi que l'imagination. Il n'en faut
pas davantage : ce qui est au-delà de la sphère des
effets connus ne leur appartient plus.
J'invoque ici le témoignage des gens sensés : exis-
te-t-il un magnétisme capable d'opérer les effets dont
nous avons été témoins. -Jusqu'à ce que quelqu'un
opère par le magnétisme ce qu'a obtenu M me de Saint-
40 i DES GUÉRISONS

Amour, je suis en droit de récuser cette science.


Après s'être mis en rapport avec un malade, un
magnétiseur, au bout de deux ans, produira peut-
être une cure. Mais quel est l'Hercule qui ne succom-
berait pas à la fatigue d'en faire quarante dans un seul
jour? Pour s'expliquer ce prodige, on a profité d'une
circonstance que je ne dois pas oublier. Après de lon-
gues fatigues de corps et d'esprit, M me de Saint-
Amour fut contrainte, à la fin de la première semai-
ne, de prendre du repos pendant le jour. C'en fut
assez pour accréditer le bruit qu'après la guérison
de chaque maladie, elle était si épuisée par la perte
du fluide magnétique, qu'elle était forcée de se jeter
sur un lit. Les jours précédents, elle aurait donc été
obligée de recourir à ce moyen tous les quarts
d'heure! Quelle ineptie!
Cette indisposition donna lieu également à de ridi-
cules plaisanteries. Si elle est malade, disait-on, que
ne se guérit-elle elle-même? Comme si l'exercice pro-
longé de sou active charité ne lui ôtait pas le repos
nécessaire à sa santé. Ainsi, dans ce qui eût dû lui
attirer de l'intérêt, on trouvait un motif d'insulte.
Les cures qu'opéré le magnétisme sont souvent
produites par les remèdes qu'indiquant les somnam-
bules eux-mêmes. Quel est le malade qui, dans ce cas-
ci, a recouvré la guérison par ce moyen? Il faut tâ-
tonner dans les indications si souvent inexactes des
somnambules pour arriver au remède qui chassera le
mal. Ici il u'v a eu aucune incertitude dans les cures
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 40b

produites. Une foule de maladies, qui résistent bien


évidemment au magnétisme, ont cédé à la prière.
Quel est le magnétiseur qui, après dix ans de ten-
tatives, fera marcher un paralytique? Et, ce phéno-
mène, nous l'avons vu produit en moins de dix mi-
nutes. Quelle est la puissance magnétique capable de
faire tomber un épileptique, et de lui arrêter sa crise
à l'instant même? C'est ce qu'ont vu plusieurs fois
un assez grand nombre de témoins. Je citerai, comme
non suspect à cet égard, M. Marquer, officier de santé
à Sucé, qui a vu tomber dans cet état un épileptique,
que lui-même avait choisi et fait entrer chez lui.
Un médecin de mes amis, qui se défie avec raison
du magnétisme, m'écrit récemment de Paris qu'il a
vu des cures extraordinaires opérées par la prière.
Le magnétisme, tel que nous le connaissons, est
incapable de produire ces effets. Qu'on charge un
magnétiseur des cures que nous avons citées, et on
verra si cela lui sera possible.
On insiste, on prétend que des découvertes nou-
velles dans cette science ont mis Mme de Saint-Amour
à même de produire de tels prodiges. Voilà au moins
un point de gagné; ce n'est plus de la sorcellerie
dont il est question, c'est une découverte scientifique;
et, sous ce rapport, au moins, elle mérite notre at-
tention et notre respect. Une vache vient de mettre
bas, dans la commune de Couëron, trois veaux à la
fois : le préfet de la Loire-Inférieure écrit à la société
académique de Nantes pour la prier de constater ce
-10».) DES GUÉRISONS

l'ait. Personne n'a demandé à cette société de nom-


mer une commission pour examiner les cures, bien
autrement importantes, de M me de Saint-Amour, et
le magnétisme inconnu dont elle se sert; loin de là,
une défaveur qu'elle ne méritait pas l'attendait à no-
tre savant aréopage. Un académicien, assez peu ga-
lant, a déclaré même que si on tentait de la présenter
à la société, il se placerait devant la porte pour lui en
interdire l'entrée. La science, en vérité, est bien peu
polie chez nous ! On ne se compromet pas pour don-
ner la main aux clames, et quand on est sur de son
savoir, on ne craint pas le ridicule attaché au nom
de sorcière. La science superficielle a peur de la mo-
querie; la science véritable l'affronte, parce qu'elle
est sûre d'en triompher.
Ce n'est pas assez de supposer un magnétisme in-
connu jusqu'à présent, il faut le prouver. Or, je ne
connais aucun ouvrage qui en fasse mention. Com-
ment se fait-il qu'un public qui ne savait ce que c'é-
tait que le magnétisme, il y a deux jours, se trouve
maintenant assez habile pour y faire des découvertes
si inattendues? M. Deleuze devrait bien s'emparer
de ce fait, et l'ajouter comme appendice à son livre,
à la place de la notice assez inexacte qu'il nous a don-
née sur les théosophes.
Ce magnétisme, qui fait gagner tant de temps,
puisqu'il opère en un instant ce que l'ancienne
science ne produisait qu'après des années, cet ex-
trait, cet abrégé de magnétisme a sans doute des lois
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 407

particulières : qu'on nous les fasse donc connaître.


Quand on nie une chose sous prétexte que l'explica-
tion en est vague et obscure, on se met dans l'obli-
gation de ne dire soi-même que des choses très-clai-
res; or, je ne vois ici qu'un agent impossible, créé
exprès pour expliquer d'une manière confuse ce que
la prière expliquerait si bien.
On a donné même un nom à ce magnétisme : c'est
le magnétisme libre. On dit que le capitaine Bernard
possédait des manuscrits sur cette science; que son
frère, M. Bernard des Essarts, premier adjoint à la
mairie de Nantes, en était dépositaire; et que ces
manuscrits traitant de la science magnétique, telle
qu'elle est cultivée dans le Nord, renfermait tous les
secrets de M mc de Saint-Amour. M. Bernard des Es-
sarts a confié ces pièces à M. de Tollenare, qui n'y a
•trouvé que ce que tout le monde connaît. Parmi ces
papiers se trouve un écrit important sur le magné-
tisme religieux, peu connu en France, et qui mérite
bien de l'être. Cet écrit est trop raisonnable pour
supposer au magnétisme la puissance des guérisons
que nous avons vues. J'en possède depuis longtemps
une copie que je communiquerai bien volontiers à
ceux qui seraient curieux d'en prendre lecture.
Quelques-uns ont prétendu que M"" de Saint-Amour
pouvait être à l'état de somnambulisme dans le mo-
ment de ses cures. Les magnétiseurs qui se trouvent
dans cet état, et qui jouissent de la double vue, ont,
dit-on, une puissance décuple de celle des aulres. Je
408 DES GUÉHISONS

le veux bien ; mais cette puissance décuple n'est pas


suffisante encore. Y a-t-il eu, avant M mc de Saint-
Amour, un autre magnétiseur qui en ait fait autant?
Je ne le crois pas; et comme elle serait la première,
je craindrais fort que ce fût encore là un cas imaginé
exprès pour elle.
Une autre réflexion détruit tout à fait cette suppo-
sition. M me de Saint-Amour est dans cet état à son
insu ou avec pleine connaissance de cause. Si c'est
sans le savoir, les témoins le savent bien, et on ne
me persuadera jamais que j'avais sous les yeux une
somnambule <\ double vue, répondant à mes questions
comme une personne éveillée. La féerie n'aurait rien
imaginé de plus merveilleux. Ce sommeil d'un mois
est bien plus inconcevable que celui d'Épiménide : la
Belle au bois donnant est une fiction moins agréa-
ble; car il faut encore expliquer le sommeil ordinaire
qui venait interrompre tous les jours ce sommeil
magnétique, et indiquer la différence des songes de la
nuit de ceux du jour : ce serait une double vie. La
tête du métaphysicien le plus habile tournerait pour
expliquer ces sensations.
Si M me de Saint-Amour entrait dans cet état de
somnambulisme à certains moments, elle le savait,
et alors elle est bien coupable de nous avoir trompés.
La vérité est une condition requise pour magnétiser,
et M me de Saint-Amour nous assure qu'elle a pour le
magnétisme une répugnance extrême ; que depuis
qu'elle se livre exclusivement à la religion, elle l'a
OPÉRÉES PAR Mme DE SAINT-AMOUR. 409

tout à fait abandonné pour prier. Cette déclaration


formelle me semble suffisante. Je ne croirai jamais
que les prières ferventes que je l'entendais adresser à
Dieu, que les larmes sincères que je lui voyais répan-
dre, fussent autant de moyens de nous tromper. On
peut, sans inconvénient, jouer la petite comédie dans
les petites choses, mais appeler Dieu à témoin, mais
tromper les hommes dans ce qu'ils ont de plus cher,
insulter l'humanité dans la personne des infirmes,
c'est un genre de scélératesse dont je la garantis in-
capable. Tout crime a un but, et quel serait le motif
de celui-ci ? Elle a tout refusé, les offrandes de la re-
connaissance, les remercîments du pauvre et les élo-
ges de l'amitié.
Les gestes de M me de Saint-Amour ont donné lieu
de croire, aux observateurs superficiels, qu'elle em-
ployait le magnétisme. Il peut y avoir dans ces gestes
quelque chose que l'habitude et l'instinct du moment
inspiraient; dans tous les cas, je ne sais pourquoi
M me de Saint-Amour se serait abstenue de toucher ses
malades, dans la crainte de donner lieu à une sem-
blable imputation. Les cures opérées par tous ceux
qui ont reçu du Ciel le don de guérison ont toujours
été accompagnées de l'imposition des mains.
La doctrine religieuse même que professe M mc de
Saint-Amour, celle de Swedenborg, rend raison des
gestes. (Voyez la Sagesse angélique sur l'Amour
Divin et la Divine Sagesse, 3e partie, traitant de
la science des degrés.) Mais parmi ses détracteurs, il
410 DES GUÉRISONS

n'y avait pas dix personnes en état de discourir avec


connaissance de cause sur le magnétisme; et, bien
certainement il n'y en avait pas une seule qui connût
la doctrine religieuse qu'elle professe, et qui, aux
yeux du témoin instruit, légitimait toutes ses actions
et toutes ses prières.
Le magnétisme, réduit à son principe unique, ré-
side dans l'action de la volonté sur une autre volonté.
Que l'agent de cette puissance soit un fluide vital ou
non, toujours est-il qu'elle est. Maintenant, où cette
volonté puise-t-elle la force nécessaire pour agir? Ail-
leurs sans doute.
La matière ne s'est rien donné; elle a tout reçu,
et l'homme est le récipient et non la source de toute
puissance immatérielle. C'est donc du monde spirituel
que viennent toutes les forces et toutes les puissances
possibles. Ce monde est l'intermédiaire entre l'homme
et Dieu. Mélangé encore comme celui-ci, puisque tout
n'y est pas encore épuré, le magnétiseur y trouve le
vrai comme le faux. Le crime comme la vertu y a ses
analogues; de là l'incertitude des cures magnétiques.
C'est dans un degré plus haut que l'active prière
opère ses miracles. Dépouillé de lui-même, l'homme
reçoit la vertu d'en haut avec tous ses dons. Les cho-
ses que séparent les degrés sont d'une nature si étran-
gère les unes aux autres, qu'elles ne différent pas du
plus au moins, mais comme l'antérieur diffère du
postérieur, la cause de l'effet. Voilà comment les dis-
ciples de Swedenborg entendent les dons accordés à
la prière.
OPÉRÉES PAR M me BE SAINT-AMOUB. 411

Cette digression et surtout cette phrase sur la


science difficile des degrés seront inintelligibles pour
ceux qui ne professent pas la même doctrine qu'eux.
Les critiques néanmoins n'ont pas à s'en plaindre. Ils
blâment des effets dont une doctrine particulière donne
la théorie; ils sont dans la nécessité de l'étudier au-
paravant. Si on avait voulu chansonner M. Margat,
qui a fait, il y a peu de temps, une ascension dans
cette ville, les chansonniers ne se seraient-ils pas mis
dans l'obligation d'écouter les détails techniques que
leur aurait donnés le physicien chargé de la défense
de cet aéronaute ?
La prière, voilà, aux yeux de la religion, de la phi-
losophie, du bon sens, la seule explication des guéri-
sons opérées par Mme de Saint-Amour. Rendues inin-
telligibles par les altérations qu'elles ont subies en
passant de bouche en bouche, la crédulité des uns, la
malveillance des autres Jes ont présentées comme des
choses impossibles. S'il y eût eu un mot au-dessus de
celui de miracle, on le leur aurait appliqué pour avoir
le droit de les nier avec plus d'apparence de justice.
Ces cures sont des actes d'un ordre particulier que
la philosophie religieuse avoue. Ce ne sont pas des
miracles tels qu'on les conçoit, mais des faits à l'ap-
pui d'une science particulière de l'homme considéré
dans ses rapports avec la Divinité. Ils sortent du cours
ordinaire des choses, si l'on veut, mais ils rentrent
dans un ordre connu qui s'est manifesté à certaines
époques, selon certaines circonstances, et qu'il est
4 1 "2 DES GUÉRISONS OPÉRÉES PAR M1"" DE ST-AMOUR.

toujours au pouvoir de la nature humaine de repro-


duire. Aux yeux des hommes religieux, l'Évangile est
la promesse authentique de ces effets.
Je renvoie ceux qui douteront de l'efficacité de la
prière aux ouvrages écrits sur cette matière. Les li-
vres saints nous disent que tout est possible à celui
qui prie avec ardeur. Fénélon et Saint-Martin nous
offrent la démonstration la plus éloquente de cette
vérité. M. de Maistre dit assez heureusement de la
prière que c'est la dynamique confiée à l'homme.
Ceux qui nieront la possibilité des cures n'auront
pas seulement la théorie à combattre, ils auront à
nier aussi les guérisons opérées dans d'autres lieux
et dans d'autres siècles. C'est une affaire de critique
historique dont je ne me charge pas. J'ai voulu seu-
lement répondre aux attaques dont M me de Saint-
Amour a été l'objet, et traiter sous son point de vue
véritable une question que l'impatience du moment
et l'agitation des esprits avaient déplacée.
TABLE.

, Pages.
ANALYSE du Traité de Swedenborg intitulé : Du Ciel et
de ses Merveilles, et de l'Enfer. — Avant-Propos . 1
I. Le Seigneur est le Dieu du Ciel 5
II. Le Divin du Seigneur fait le Ciel 7
III. Le Divin du Seigneur dans le Ciel est l'Amour
envers lui et la charité à l'égard du prochain . . 9
IV. Le Ciel a été distingué en deux Royaumes . . . 10
V. Il y a trois Cieux 11
VI. Dans chaque ange comme dans chaque homme
est un degré intime en qui te Divin influe prochai-
nement 13
VII. Les Cieux consistent en Sociétés innombrables. 13
VIII. Chaque Société d'anges est la forme du Ciel ;
chaque ange l'est également 14
IX. L'universalité du Ciel représente un homme . . 15
X. Chaque Société dans le Ciel représente un homme 17
XI. Chaque ange est dans une Forme humaine . . 17
XII. Dieu est Homme 18
XIII. £1 y a une Correspondance entre le Ciel et
l'homme - 19
XIV. La Nature physique est une Correspondance
du Ciel 20
XV. Il y a un Soleil dans le Ciel 22
XVI. De la Lumière du Ciel 23
XVII. La Chaleur du Ciel d«ns son essence est l'A-
mour 24
U4 TABLE.
Pages.
XVHI. Dans le Ciel comme dans le inonde, il y a
quatre Régions, déterminées par le Soleil spirituel 1h
XIX. Il y a des Changements d'état chez les anges . 25
XX. Il n'y a pas de Temps dans le Ciel, mais des
États 26
XXI. 11 y a des Apparences et des Représentations
dans le Ciel 27
XXII. Les anges ont des Vêtements dans le Ciel . . 27
XXIII. Les anges ont des Demeures et des Habita-
tions 28
XXIV. Il n'y a pas d'Espace dans le Ciel 29
XXV. Les Consocialions et les Communications s'é-
tablissent selon la forme du Ciel 30
XXVI. Le Ciel a été distingué en sociétés régies par
des formes de Gouvernement 30
XXVII. Il y a un Culte dans le Ciel 31
XXVIII. La Puissance est aux anges 32
XXIX. Les anges entre eux ont un Langage . . . . 33
XXX. Les anges Conversent avec l'homme 33
XXXI. Il y a des Écritures dans le Ciel 34
XXXII. De la Sagesse des anges du Ciel 3/i
XXXIII. De l'état d'Innocence des anges 35
XXXIV. De la Paix du Ciel 36
XXXV. il y a conjonction du Ciel et de l'Enfer avec
l'homme, par le moyen des bons et des mauvais
esprits. . . . • 37
XXXVI. Le Ciel est conjoint à l'homme par la PA-
ROLE 39
XXXVII. Le Ciel et l'Enfer ont le genre humain
pour origine io
XXXVIII. Hors de l'Église on peut être sauvé . . . il
XXXIX. Tous les Enfants entrent dans le Ciel . . . 61
XL. Des Sages et des Simples dans le Ciel 42
XLF. Ocs niches ri des Pauvres dans le Ciel. . . . l\"
TABLE. 410
Pages.
XL1I. Il y a des Mariages dans le Ciel 44
XLIII. Les Anges remplissent diverses Fonctions dans
le Ciel 48
XLIV. De la Félicité céleste 49
XLV. De l'Immensité du Ciel 52

XLVI. DU MONDE DES ESPRITS 52


XLVII. Chaque homme est esprit quant à ses inté-
rieurs 54
XLVIII. Comment s'opèrent certaines visions . . . 55
XLIX. De la Mort de l'homme et de son entrée dans
l'autre vie 56
L. L'homme, après la mort, revit en parfaite Forme
humaine 58
LI. La forme est l'image de l'Affection 59
LU. L'homme, après la mort, est dans tous ses Sens
et dans toutes ses Facultés 59
LUI. De la Mémoire de l'homme après la mort. . 60
LIV. L'homme est, après la mort, tel qu'a été sa Vie 61
LV. Les plaisirs de la vie de chacun se changent,
après la mort, en choses correspondantes . . . . 62
LVI. Des trois Étals de l'homme après la m o r t . . . 63
LVII. Nul ne monte an Ciel par Miséricorde immé-
diate 65
T/VIII. Il n'est pas si difficile qu'on le croit de mener
la vie qui conduit au Ciel 66

MX. DE L'ENFER.—Le Seigneur gouverne les Enfers 67


IX. Les Esprits se précipitent d'eux-mêmes dans
l'Enfer; le Seigneur n'y précipite personne . . . 68
LXI. Tous ceux qui sont dans l'Enfer sont dans le
mal et dans le faux émanés des amours de soi et
du monde 69
LXII. Du Feu infernal et du Grincement des dénis
dans le sens spirituel de l'Écrilure 71
416 TABLE.
Pages.
LX1II. De la Malice des Esprits infernaux 73
LXIV, De l'Apparence des Enfers 74
LXV. De l'Équilibre entre le Ciel et l ' E n f e r . . . . 75
IAV[. L'homme est tenu dans sa liberté par l'Équi-
libre entre le Ciel et l'Enfer 76
LXVII. De l'Influence des Esprits 77
LXVIII. Du Sentiment de l'immortalité de l'âme . . 77

ANALYSE du Traité de la Sagesse anyélique sur le


Divin Amour et sur la Divine Sagesse 80
I. L'Amour est la Vie de l'homme. N° 108 80
2 et 3. Dieu est la Source de la vie, et l'homme en est
le récipient 80
II. L'Amour de Dieu et du prochain fait que l'homme
est récipient de la vie divine 81
5. Dieu n'est pas dans l'Espace. N° 86 • 81
6. L'idée spirituelle est formée de l'État, et non de
la notion de l'Espace. N" 26, 41, 45, 98 . . . . 82
7. Dieu est l'Homme Même. N°' 86,87 82
8. L'Être et l'Exister en Dieu sont un 83
9. Dieu est infini 84
10. 11 n'y a qu'un seul Dieu 85
11. L'universel de toutes choses, c'est l'amour et la
sagesse qui sont en Dieu dans leur essence . . . 85
12. Il y a en l'homme deux Facultés de vie, la vo-
lonté et l'entendement. Kos 77 à 79,107,109,120
à 125 86
13. Tout ce qui existe dans l'Univers se rapporte au
bien et au vrai 86
l/i. Le Monde physique est uni au Monde spirituel
par correspondance. N os 30, 32, 33, 41,113 . . . 86
15. Les Affections viennent du Divin Amour, et les
Pensées, de la Divine Sasesse 88
TABLE. 417
Pages.
16. L'Amour et la Sagesse, quoique distincts en
Dieu, agissent comme un 88
17. L'homme a le pouvoir d'unir ou de séparer ces
deux Facultés 89
18. Le Divin Amour et la Divine Sagesse sont Sub-
stance et Forme; point de sujet sans forme.
1X° 69 • 89
19. La Forme matérielle doit son origine à l'Usage.
N" 94 90
20. L'Amour Divin, dont l'essence est de vivre dans
les autres, a créé l'Univers pour se le conjoindre . 91
21. L'Univers est l'image de Dieu 92
22. L'Univers a été créé de Dieu et par Dieu, et non
de rien. N os 85, 92, 97 92
23. Toutes les choses créées représentent l'homme
dans une sorte d'image. N" 98 93
1k. Par le moyen de l'homme, la Création retourne
à son Auteur, y 55, 93 94
25. Quand l'homme n'agit pas avec Dieu, il réagit
contre Lui. N° 81 95
26. Le Divin remplit tous les espaces de l'univers
sans espace. Pi" 6, 41 96
27. Le Divin est dans tous les temps sans temps . . 97
28. Le Divin est le même dans les plus grandes cho-
ses et dans les plus petites 98
29. Dieu apparaît comme Soleil dans le Monde spi-
rituel. N°' 3, 50, 88 99
30. De la Différence du naturel et du spirituel. N° 14. 100
31. La Chaleur et la Lumière de l'Ame humaine sont
d'essence spirituelle. N°' 32, 33 101
32. Le Soleil spirituel vivifie les êtres spirituels.
N 0> 14, 29, 33 101
33. Le Soleil spirituel n'est point Dieu, mais le pre-
mier procédant de Dieu 102
418 TABLE.
Pages.
34. La Chaleur et la Lumière Divines., quoique fai-
sant un, ne sont pas reçues comme un par les an-
ges et par les hommes. N" 8,16 102
35. Le Soleil spirituel est fixé à une hauteur
moyenne dans le Monde spirituel 103
36. L'Erreur confirmée est seule coupable 104
37. Les Distances dans le Monde spirituel sont des
Apparences 104
38. Le Seigneur Seul fait le Ciel 105
39. L'homme est en Dieu, quand il ne s'attribue rien 106
40. L'Orient, dans le Monde spirituel, est le point
fixe où paraît le Seigneur comme Soleil. N* 44 . . 108
41. La Différence des régions, dans le Monde spiri-
tuel, dépend de la Différence de réception d'amour
et de sagesse. N" 14, 26 110
42. Tout est par paire dans le corps humain. . . . 111
43. L'homme est l'Arbitre de son sort. N" 17 ... 112
44. L'Ange a toujours l'Orient en aspecl. :N° 40. . . 112
45. L'Ange connaît sa demeure, quelque part qu'il
aille. i\°6 112
46. L'Ange est en parfaite forme humaine. IN10115. 113
47. Chacun se tourne du côlé où le porte son amour
dominant 113
48. Des Chemins dans le Monde spirituel 114
49. Le Saint-Esprit est la Chaleur et la Lumière pro-
cédant du Soleil spirituel 114
50. Dieu a créé l'Univers au moyen du Soleil spiri-
tuel. V 29, 88 115
51. De la Création de runivers 115
52. La Création ne peut être attribuée au soleil de
notre monde 110
53. L'espace et le temps appartiennent à la nature,
parce que la création y subsiste en son repos.
\° 91 11(5
TABLE. 419
Pages.
54. La Nature a été créée pour être la base et le
contenant du Monde spirituel 117
55. Les choses créées montent jusqu'à l'homme, et
depuis l'homme jusqu'à Dieu 118
56. Le Monde spirituel contient des atmosphères,
des eaux, des terres, et tout ce qu'on voit sur la
terre 119
57. Il y a trois Cieux distingués suivant les Degrés.
N" 66 • 120
58. De la Science des Degrés.—II y a des Degrés dis-
crets et des Degrés continus 121
59. Des Degrés de hauteur ou Degrés discrets. . . 121
60. Des Degrés de largeur ou Degrés continus . . . 122
CI. La Connaissance de toutes choses est dans la
Science des Degrés 122
62. La Conjonction du tout provient des rapports des
Degrés discrets 123
63. Le 1" Degré est tout en lier dans les suivants . . 123
6/1. La perfection monte avec les degrés 124
65. Rapport dans lequel sont les Degrés de l'un et
de l'autre genre 125
66. De l'Ordre successif 126
67 et 68. De l'Ordre simultané 126
69. Les Degrés s'appliquent également aux choses
morales 127
70. Le dernier Degré est le contenant et la base des
deux Degrés précédents. N" 5lt, 81 127
71. Les Degrés de hauteur dans leur dernier sont
dans la plénitude et dans la puissance. N" 84. . . 129
72. La Parole Divine, dans sa lettre, est dans la plé-
nitude. — Le Seigneur dans son Humanité est
dans sa puissance 130
71!. En toutes choses se trouvent les Degrés de l'un
cl de l'autre genre. N" 61 132
420 TA1U.E.
Pagp*.
74. Les trois Degrés discrets peuvent successivement
s'ouvrir en l'homme. N" 75 133
75. Chaque Degré discret s'étend seulement par con-
tinuité 133
76. L'homme a en lui deux facultés qui le distin-
guent de la brute : La rationalité et la liberté . . 135
77. L'Entendement de l'homme peut m o n t e r ; mais,
sans chaleur, sa Volonté reste. K" 12, 117 à 121 . 135
78. C'est par l'élévation de l ' E n t e n d e m e n t que
l'homme se régénère. N"' 120,123 137
79. Si les Degrés supérieurs ne s'ouvrent pas,
l'homme reste naturel et sensuel. IV" 122, 124 . 137
80. Le Degré qui s'ouvre pleinement à la mort peut
s'ouvrir par l'assoupissement des sensations du
corps 139
81. Si les Degrés supérieurs s'ouvrent, l'esprit natu-
rel agit avec eux ; s'ils ne s'ouvrent pas, il agit
contre eux. N° 25 140
89. L'origine du mal vient de l'abus des facultés pro-
pres à l'homme, la rationalité et la liberté. Le
mal passe du père dans les enfants 141
83. Le diable est l'amour d o m i n a n t , q u a n d cet
amour est mauvais 144
84. L'Action est l'entendement et la volonté mani-
festés 146
85 a 88. Comment a été créé l'Univers 147
89. L'Usage est le contenant de l'Amour et de la Sa-
gesse, et l'Atmosphère est ce qui le manifeste . . 150
90. Les Substances terreslres t i r e n t leur origine des
Atmosphères qui procèdent du Soleil s p i r i t u e l . . 151
91 et 92. L'état matériel est celui où l'activité s'ar-
rête. N° 53 152
93 et 94. Les Usages sont la fin de la Création, N'CI 24,
55 152
TABLE. 421
Pages.
95. L'Image de la Création est dans toutes les formes 154
96. L'Image de la Création est dans l'homme . . . 155
97 el 98. Dans toutes les Formes de l'usage est gravée
l'image de l'infini et de l'éternel, N° 22 156
99. Chaque chose n'est Usage que dans le degré où
elle se rapporte à l'homme, et par l'homme au
Seigneur 157
100. La Gloire n'appartient qu'à Dieu 159
101 Les mauvais Usages so.ut nés avec l'Enfer.
iV 103,104 159
102. Le Mal n'est pas produit par la matière . . . 161
103. Le Mal physique est la forme d'une Affection
spirituelle à laquelle il correspond 162
lO/i. Le Mal physique est une conséquence du libre
arbitre de l'homme 163
105. La Brute est dans le dernier degré discret. N° 79 164
106. Il y a deux Mondes, et il y a influence du
monde spirituel sur le naturel 165
107. L'Homme a élé créé à l'image et à la ressem-
blance de Dieu 168
108. La Raison n'a que des vraisemblances . . . . 168
109. La Volonté et l'Entendement sont les principes
de la vie dans l'homme. IN" 12 169
110. La Volonté et l'Entendement résident dans les
cerveaux, et passent de là dans le reste du corps.
!N0128 170
111. Le tout et chaque partie reçoit la vie telle qu'elle
est dans les Principes 171
112. L'Amour dominant fait l'homme moral et
l'homme physique 172
113. La Volonté et l'Entendement correspondent au
cœur et au poumon. N 01 16, 30 172
114. Les objets immatériels communiquent par l'in-
termédiaire des choses physiques 177
30.
22 TABLE.
Pages.
115. L'Ame de l'homme, après la morl, esl en par-
faile forme humaine 177
116. L'homme n'a pas là vie en lui, mais doit agir
comme de lui-même 179
117. La Volonté et l'Entendement, quoique distincts,
doivent faire un dans l'homme. N'" 77, 78. . . . 180
118. L'Amour de soi et l'Amour du monde font l'En-
fer en l'homme 181
119. De l'Amour procède l'Entendement. N° 77 . . 183
120. L'Entendement peut, par l'Amour ou la Vo-
lonté, s'élever dans la lumière du Ciel. N° 77. . . 186
121. L'Amour peut, par l'Entendement ou la Sa-
gesse, s'élever dans le Ciel. N" 77 186
122. L'Amour et la Sagesse doivent s'élever conjoin-
tement. N° 79 187
123. Quand il y a Conjonction de l'Amour avec la
Sagesse, le premier s'épure par la seconde. N* 78. 188
12/i. Quand il n'y a pas Conjonction de l'Amour
avec la Sagesse, le premier se souille par la se-
conde. N° 79 188
125. Il reste à l'homme, dans tout état, la Rationalité
et la Liberté. N° 76. 189
126. L'Amour du Seigneur et du prochain fait le
Ciel en l'homme 189
127. La Charité est l'Amour spirituel, la Foi est la
Sagesse spirituelle 190
128. Le Cerveau est le premier formé dans l'homme
à l'instant de sa conception 191

ESQUISSE du grand Ouvrage d'Edouard nicher, donnée


par l'Auteur lui-même dans deux lettres 192
Première Leltre d'Edouard Richer à M. Thominc, pré-
sident de la société académique de N'anles . . . 193
TABLE. 423
Pagei.
Remarques du capitaine Bernard sur la première
Lettre d'Edouard Richer à M. Thomine . . . . 219
Seconde Lettre d'Edouard Richer à M. Thomine . . 223
Remarques du capitaine Bernard sur la deuxième
Lettre d'Edouard Richer à M. Thomine . . . . 259

LES RELIGIONS ANCIENNES ramenées à l'unité. . . 265


Note de M. de Tollenare 265
Plan de l'Ouvrage 265
Objections 270
Indication des réponses 271
Conclusion 272
Symboles 273
L'Inde 274
Brahmâ 276
Vichnou 278
Rama 280
Crichna 280
Bouddha 282
La Perse 284
Milhras 285
L'Egypte 287
Horus 289
La Phénicie 290
Adonis 290
Atys (Phrygie) 291
Janus (Étrurie) 293
Apollon (Mythologie grecque) 295
Persée 296
Hercule 298

Sur la DIVINE PROVIDENCE 301


Plan de l'Ouvrage 301
nésumé , 305
424 TABLE.
Pages.
Un Fait de la Géographie ancienne 306
Sur la Volonté el PEntendement 314
Sur l'union de l'Idéal et du Réel 318
Sur l'IJomme-Esprit 320
Des Écrits de Swedenborg 322
Sur le Dogme de l'Autorité 326
Ce qu'il faut faire pour Croire 327
De la Direction actuelle de l'Esprit philosophique en
Europe 330
Des Guérisons opérées par M"'e de Saint-Amour. . . . 334

ERRATA.

l'âge 112., lig. 19, il t'a connaît, lisez : il la cannait.


— 149, — 15, doué, de celle sphère, ôtez la virgule.
— 228, — 23, artificem, lisez : artificium.
— 322j — 16, celle impression première, lisez : celte
impression populaire.

ERRATA DU l" VOLUME.


Page 11, lig. 25, s'éclairer, lisez : l'cclaircr.
V

\
'• ,

SAINT-AMAND (CHER). —IMPRIMERIE DE DESTENAY


Bue Lafayette, 70, place Mont-Bond

\
»

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