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SOMMAIRE
Avant-propos 5
La forme a priori, 9
le bloc de marbre.
Le percement, 19
quelle forme pour le vide?
Le rapport plein-vide, 25
creuser quoi dans quoi?
Le cas de la plaque, 33
creusé bi-dimensionnel.
L’origine du creusé, 49
architecture creusée / architecture construite.
3
Le retour du creusé, 61
la filiation Kahnienne.
Autonomie du creusé, 77
monolithisme et monumentalité
Casa da Música, 94
creusé mais...
Bibliographie. 107
4
5
AVANT-PROPOS
«creuser, évider»,
Herzog et de Meuron,
Forum 2004, Barcelone.
Steven Holl,
Simmons Hall, MIT, Cambridge.
Cero 9,
Bibliothèque UIB, Palma de Majorque.
MVRDV,
BUURT NE9EN, Amsterdam.
7
Il s’agit d’observer ces projets qui nous sont contemporains, pour essayer
de définir des ressemblances et des différences du point de vue de leur
forme ou de leur mode de conception.
Lors de cette approche, que l’on pourrait presque qualifier de naïve, nous
tachons de nous poser des questions simples mais nécessaires ; sans
chercher à convoquer directement nos bribes de culture architecturale
savante.
Qu’est-ce que le «creusé»? pourrait être la question que nous nous posons
alors, confrontés à la première difficulté de l’ambivalence d’un terme qui
désigne à la fois le plein et son contraire le vide. Le plein est creusé pour
obtenir les vides, le vide est creusé dans le plein. Source de quelques
incompréhensions, ce paradoxe linguistique devait être prémonitoire de la
réciprocité entre les deux composantes.
9
La forme a priori,
le bloc de marbre.
L’autre possibilité est le choix arbitraire d’un volume connu qui sera lui-
même creusé. Faire le choix d’une forme simple, disait Kahn, c’est ne pas se
poser la question de la forme.
On choisit de manière plus ou moins arbitraire une forme déterminée :
cube, parallélépipède, barre, plaque rectangulaire… On utilise alors ce bloc
de marbre pur pour contenir le programme.
L’exemple le plus fameux et probablement fondateur, est le projet pour
la Bibliothèque de France de Rem Koolhaas. C’est un projet de bibliothèque
nationale, donc c’est pour le pays le lieu d’accumulation, le sanctuaire de
tous les écrits produits dans le pays. Il crée donc un volume simple, rationnel,
un cube, qu’il appelle « matière livre ». C’est la masse de toute la culture,
de toute la littérature produite en France. Toutefois cette bibliothèque doit
être accessible au plus grand nombre. Il faut donc des espaces publics. Pour
ce faire, il va évider à l’intérieur de la matière livre des volumes. C’est
vide programmatique qui évide le volume du bâtiment. La forme simple et
géométrique confère au bâtiment la monumentalité nécessaire pour ce genre
de programme.
Toutefois, la volonté monumentale n’est pas toujours recherchée via
l’utilisation d’une forme simple. Steven Holl pour le Simmons Hall à
Cambridge, Massachusetts crée une barre, forme la plus élémentaire pour du
logement (étudiant dans ce cas). Pourtant, confronté au programme qui lui
impose des espaces d’usage commun, il va creuser (à la manière d’un ver ou
12 LA FORME A PRIORI
La forme du bâtiment reste, à l’évidence, issue d’un non choix. C’est le cas
lorsqu’elle est induite par la forme de la parcelle ou même issue de la manière
dont on creuse. Pour autant, la forme simple l’est aussi, choisir un cube c’est
ne pas se poser la question de la forme.
La méthode de projet « creuser - évider » ne dépend qu’assez faiblement
du contexte. En effet, ce type de projet ne s’applique jusqu’ici que pour des
bâtiments suffisamment vastes et dans des conditions d’espace ouvert. On
assiste alors à une mise en retrait de l’architecte derrière une forme ou un
processus. Le seul choix apparent de celui-ci réside dans le choix même du
processus « creuser – évider » et non plus dans la forme à proprement dite du
bâtiment.
16 FORUM 2004, HERZOG & DE MEURON, 2000-2004
17
19
Le percement,
quelle forme pour le vide?
Par exemple, Sejima lorsqu’elle réalise deux projets de plaques, utilise des
percements radicalement différents. Pour le learning center de Lausanne, les
patios sont tous plus ou moins circulaires, donc d’une forme en opposition
manifeste avec la plaque rectangulaire. Tandis que pour EDA apartments à
Yokohama, la forme des patios est d’une géométrie complexe et relativement
indescriptible. Leur seule raison d’être de la sorte semble être le besoin de
paraître en opposition totale avec la forme du bâtiment.
Mais les trous ne sont pas seulement différents de la masse qui les abritent,
ils peuvent aussi être tous différents les uns des autres. Chaque vide est
indépendants non seulement du plein mais aussi des autres vides, sauf lorsque
deux vides s’interpenetrent -mais ils n’en forment alors plus qu’un.
Le rapport plein/vide,
creuser quoi dans quoi?
Le cas de la plaque,
creusé bi-dimensionnel.
Herzog & de Meuron, Forum 2004, détails de la rencontre des percements avec le bord de la plaque
Kazuyo Sejima & Ryue Nishizawa, EDA Apartments comme plaque percée
CREUSÉ BI-DIMENSIONNEL 41
John Soane. Dans ce cas la, il semble difficile de parler d’architecture creusée.
Pourtant, à bien y regarder c’est un îlot entier et à l’intérieur, s’agglomèrent
des pièces construites et des cours. Il s’apparenterait presque à une plaque
percée. Historiquement, on sait bien que les préoccupations de Soane sont loin
de celles qui nous occupent ici, d’autant plus que sa construction fut longue
et que le projet n’a pas été conçu en une seule fois. Toutefois, le résultat,
une accumulation de pièces, vides ou pleines, est très semblable au projet de
Sejima.
Cette ressemblance signifierait-elle que des immeubles à patios, un îlot
haussmannien ou encore la banque d’Angleterre sont des plaques percées ?
Même si leurs ressemblances sont grandes, il semble que non. Ils sont créés
selon des modalités qui appartiennent à la composition, c’est-à-dire au mode
de conception traditionnel de l’Architecture. La plaque percée est, elle, issue
d’un processus, c’est-à-dire la mise en retrait de l’architecte derrière une règle,
celle de l’opération, qui induit un certain nombre de choix de projet.
L’origine du creusé,
architecture creusée / architecture construite.
Pour élaborer ce qui doit être une théorie de l’Architecture, quelle qu’elle
soit, les architectes ont toujours convoqué l’idée de Nature ou fait référence à
l’origine de l’Architecture, son niveau le plus simple, son degré 1.
Il est convenu d’opposer généralement la thèse de l’abbé Laugier, sa
« cabane primitive », qui met en avant l’origine structurelle de l’Architecture,
et l’exemple de la « Karibische Hütte » que cite Gottfried Semper pour voir
dans le tissage, c’est à dire l’enveloppe, le fondement de toute Architecture.
Mais cette origine qui a toujours été recherchée, c’est l’origine de
l’Architecture construite, celle qui se fait par addition de matière, par
l’empilement ou l’assemblage. Est-ce la seule?
La «Cabane Primitive»
in Essai sur l’Architecture, Marc-Antoine Laugier, 1755
La «Karibische Hütte»
in Die Vier Elemente der Baukunst, Gottfried Semper, 1878
ARCHITECTURE CREUSÉE/CONSTRUITE 51
Mais les abris naturels n’ont pas disparu pour autant. Au contraire le
maniement de l’outil a permis tout aussi instinctivement de les aménager.
Le geste primaire de creuser remplace ici ceux tout aussi primaire d’empiler
ou de tresser. C’est alors une autre origine pour une autre Architecture,
l’Architecture creusée!
Evidemment, sa diffusion est sans commune mesure avec celle de
l’Architecture construite, elle est assujettie à l’exploitation de conditions
propices, existence de cavités naturelles, de roches ou de sols suffisamment
tendres pour être creusés. Elle fut beaucoup dérivée de mines, de carrières
ou d’hypogées funéraires. Au point qu’on l’a souvent considéré comme
anecdotique, une curiosité...
Pourtant jusqu’à nos jours cette liberté n’a pas ou peu été exploitée par
l’Architecture creusée savante. Probablement dépourvus face à toutes les
possibilités offertes et à l’absence d’un langage existant, les architectes se
sont réfugiés dans l’utilisation devenue purement décorative du langage de
la construction. A Pétra, en Jordanie, on a recréé un temple entier dans une
falaise, dans un seul bloc de pierre. Les linteaux, les architraves ne portent
rien, ils n’ont pas de fonctions constructives. Ils ne sont qu’une transposition
littérale d’une architecture construite vers une architecture creusée. Mais les
exemples sont légions. Ainsi, le même Mario Mainetti écrit : « Dans la région
italienne des Pouilles, on trouve des voûtes décorées avec de nervures ou des
poutres monolithiques sans aucune fonction statique. Le même se passe avec
les coupoles et les piliers de Cappadoce. Les hypogées funéraires étrusques ont
été cavés à l’image des maisons, avec toit à deux pans, fenêtres et sièges »2.
Le retour du creusé,
la filiation Kahnienne.
Ces deux là, pourtant, ne creusent pas la même chose. Il existe en fait
dans ce bâtiment et certains bâtiments creusés contemporains (ceux dont les
creusements sont des espaces programmés à part entière), une transformation,
une simplification et presque une inversion de la problématique kahnienne
originale. Celle-ci, radicalisée et manichéenne, ne contient plus que deux
entrées, plein et vide.
Kahn, crée une pièce, et dans la masse qu’est la structure (disons le mur
64 LE RETOUR DU CREUSÉ
pour être plus simple), il évide les espaces servants. Koolhaas, lui, crée une
masse (celle, totale, du bâtiment) contenant indifféremment structure et
espaces servants, et creuse dedans les pièces. Il existe un glissement de ce qui
est creusé (la masse creusée), mur ou bâtiment, qui aboutit à un renversement
de ce qui est creusé (le vide creusé), espaces servants ou pièces.
Là où Kahn voyait dans le creusé un moyen de concevoir une pièce
idéale en intégrant à sa fabrication, structure et services, Koolhaas, envisage
plutôt le creusé comme un moyen pour se débarrasser de toutes contraintes
en les rejetant à l’extérieur de la pièce et ainsi de concevoir des espaces qui
n’auraient pu être imaginés comme des formes construites. Objectifs à la fois
voisins et opposés.
Si les deux cherchent à libérer la pièce, Kahn le fait en composant -la
pièce, le mur, les espaces servants- alors que Koolhaas travaille en suivant
une opération.
OMA - Rem Koolhaas, patent for «Strategy of the Void II» (building)
LA FILIATION KAHNIENNE 65
Il existe un grand pas entre ce qu’a fait Kahn et ce qu’a fait Koolhaas. Ils
ne creusent pas de la même manière, ni vraiment avec les mêmes objectifs,
pourtant on ne peut pas faire l’économie d’un rapprochement entre certains
de leurs travaux. Creuser reste pour les deux un outil programmatique
d’une efficacité rare et qui permet de magnifier un programme noble en lui
assujettissant un programme servant.
66 TRÈS GRANDE BIBLIOTHÈQUE, OMA - REM KOOLHAAS, 1989
67
69
Booléen et TGB,
creuser ou soustraire?
1. In Content, OMA / Rem Koolhaas / &&& Simon Brown, Jon Link, éditons Taschen
CREUSER OU SOUSTRAIRE? 71
2. Du nom du mathématicien anglais Georges Boole (1815-1864) qui développa une nouvelle forme de logique pour
traduire des idées en équation. Pour cela, il crée une algèbre binaire, qui n’accepte que deux valeurs numériques : le
0 et le 1, qui sont traitées par des fonctions logiques de base OU, ET, OU EXCLUSIF, NON. Celles-ci sont encore
aujourd’hui à la base de tout système informatique.
3. in S,M,L,XL, OMA / Rem Koolhaas / Bruce Mau, éditions Monacelli Press
72 BOOLEEN ET TGB
Si les exemples de technologies cités ici n’étaient pas forcément connus par
Koolhaas en 1989 au moment du concours pour la Très Grande Bibliothèque,
on ne peut regarder ce projet aujourd’hui sans notre langage d’aujourd’hui.
Son augmentation par de nouvelles expressions -donc de nouvelles idées- liées
à l’évolution des moyens de conception et passées dans le langage courant,
extruder, pixel, booléen, influe à la fois sur la lecture des projets passés et sur
la conception des projets à venir.
Autonomie du creusé,
monolithisme et monumentalité
Finalement, bien que les espaces nobles soient bien plus spécifiques et
signifiants que la masse générique, ceux-ci ne restent que des vides pris dans
une masse, une seule pièce continue qui submerge tout. Les éléments les
plus importants du bâtiment ne sont qu’une absence de bâtiment. Ainsi les
bâtiments creusés peuvent se constituer d’éléments singuliers tous différents,
sans aucune articulation des uns avec les autres, disposés de n’importe quelle
manière. Ils n’en restent pas moins cohérents pour autant. Le bâtiment a une
forme globale unitaire, il a une vraie gestalt, c’est à dire que l’apparence d’un
tout prédomine sur la perception d’une somme de parties.
1. in Architecture du réel, Architecture contemporaine en France, Eric Lapierre, Claire Chevrier, Emmanuel Pinard,
Paola Salerno, éditions du Moniteur
88 UNE ARCHITECTURE IDENTIFIABLE
Casa da Música,
creusé mais...
BIBLIOGRAPHIE
LIVRES
S,M,L,XL,
OMA / Rem Koolhaas / Bruce Mau,
éditions Monacelli Press.
Content,
OMA / Rem Koolhaas / &&& Simon Brown, Jon Link,
éditons Taschen.
Mutations,
Rem Koolhaas Harvard, Project on the city, Stefano Boeri, Multiplicity, Stanford
Kwinter, Nadia Tazi, Hans Ulrich Obrist,
éditions ACTAR, arc en rêve centre d’architecture.
Ornement et crime,
Adolf Loos,
éditions Rivages Poche / Petite Bibliothèque.
108
Silence et lumière,
Louis I. Kahn,
éditions du Linteau.
REVUES
Matières,
numéro 7 2004,
Institut d’architecture et de la ville de l’Ecole polytechnique fédérale de
Lausanne,
Laboratoire de théorie et d’histoire LTH.
Domus,
numéro 866,
janvier 2004.
El Croquis,
numéro 53,
OMA / Rem Koolhaas 1987-1992.
El Croquis,
numéro 108,
Steven Holl 1998-2002.
110
El Croquis,
numéro 109/110,
Herzog et de Meuron 1988-2002.
El Croquis,
numéro 111,
MVRDV 1997-2002.
El Croquis,
numéro 118,
Cero 9 / Abalos et Herreros / No.mad.
El Croquis
numéro 121/122,
SANAA Kazuyo Sejima / Ryue Nishizawa 1998-2004.
SITES INTERNET
http://perso.wanadoo.fr/erato/horspress/archeo.htm
http://hades.troglodyte.free.fr/index.htm
www.casadamusica.com
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AUTRES CREDITS
Casa da Música,
Brochure d’information,
édition Casa da Música | Porto 2001, S.A. / 2003
Photographies :
Casa da Música : Garcie de Navailles, Franck Courari, Magali Lenoir,
Novembre 2004.
Forum 2004 : Marie Ferrari, Février 2005.
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2 Théorie et projet
sous la supervision de Jacques Lucan et Éric Lapierre
École d’architecture
de la ville & des territoires