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Jeanine Munyeshuli BarBé

le génocide des Bagogwe


note de lecture : Le massacre des Bagogwe, un prélude
au génocide des Tutsi, Rwanda (1990 - 1993),
Diogène Bideri, l’harmattan, 2009
Le génocide des Bagogwe est le plus souvent mentionné comme
anecdotique. Grâce au livre de Diogène Bideri, on en prend la
mesure. On comprend qu’en fait le génocide avait pleinement com-
mencé dès 1990, dès le début de l’intervention française. Faut-il rap-
peler que le camp de Bigogwe, principal camp d’entraînement fran-
çais au Rwanda, est au cœur de la zone génocidaire ?
« L’extermination de ce groupe humain marginal a été le coup d’es-
sai du génocide : c’était, en 1991, un “test en grandeur réelle”, une
mise au point des méthodes qui seront utilisées en 1994 », écrivait
Jean-Paul Gouteux.

Il y a environ un an, jour pour jour, Diogène Bideri1 me faisait parvenir


le bon à tirer de son ouvrage à paraître chez l’Harmattan. C’est avec beau-
coup d’émotion que j’aborde ce manuscrit en première lecture. Je l’ai,
depuis, intégralement relu deux fois. Et je n’ai eu de cesse de découvrir des
points précis sur lesquels ce petit ouvrage jette un éclairage inédit.

Les Bagogwe, dernière grande communauté tutsi


du nord du rwanda
2

Derrière ce récit, je lis d’abord le témoignage pudique d’un rescapé sur


l’extermination des siens. Diogène Bideri est un Mugogwe3, né à Busogo,
en commune de Mukingo. C’est à la mémoire des siens exterminés entre
1990 et 1993 que ce livre est dédié. Son ouvrage commence par un bref
retour en arrière historique.

La NuIt RwaNDaISE N°3 1


Les Bagogwe, nous explique Bideri, sont «desdescendantsdesTutsiquise
sontséparésduroyaumecentralauxXVII-XVIIIèmesiècles,restantàl’écartdela
hiérarchiepolitiqueétablieparlesautresTutsi»4. Se déplaçant avec leur bétail
le long de la crête Congo-Nil, ces pasteurs nomades auraient quitté les
hautes terres du Budaha – région de Kibuye – pour s’installer par petits
groupes vers le Nord du pays, aux pieds des volcans et à la lisière de la forêt
de Gishwati. Cette colline rocheuse entre Gisenyi et Ruhengeri, c’est la col-
line de Bigogwe, dite aussi ibere rya Bigogwe, la mamelle de Bigogwe. Il y a
là de grands pâturages et le climat est propice à l’élevage des bovins.
Pendant plus d’un siècle, volontairement coupés5 du pouvoir central du
pays, les Bagogwe préservent un mode de vie traditionnel très peu
influencé par la cour royale. À cette période de relative paix pré-coloniale,
succèdera l’occupation allemande et le joug belge, sous lesquels les coloni-
sateurs mèneront la vie dure aux Bagogwe. Ils sont alors dépossédés de leurs
pâturages pour créer le « Parc national albert »6 et dans ce qu’il leur reste
de terres, les voilà contraints à cultiver le pyrèthre7. avec l’instauration du
« umugogoro » l’administration coloniale exige des Bagogwe un approvi-
sionnement gratuit en lait et en viande de bœuf. C’est ainsi que les vastes
territoires du Bigogwe se réduiront comme peau de chagrin tandis que les
troupeaux de bovins sont décimés par nourrir les armées et l’administra-
tion coloniale.
Ce paisible peuple d’éleveurs, qui avait jadis les moyens de vivre en quasi
autarcie, est brisé et privé de ce qui a fait son essence8. Fin des années
19509, les Bagogwe sont devenus une peuplade marginalisée et considérée
comme arriérée. Dès 1963, comme tous les tutsi, les Bagogwe sont persé-
cutés, leurs maisons sont incendiées. Certains réussissent à s’enfuir vers le
Zaïre voisin avec leur bétail. une petite partie, demeurée au Rwanda, sur-
vit aux pogroms et va subir des humiliations encore plus cinglantes.
L’ouvrage de Bideri rend compte en détail du sort que la première
République de Kayibanda a réservé aux tutsi, les Bagogwe en tête10.
C’est à cette même époque que des familles de tutsi, venues du centre
et du Sud, se réfugient au Nord, dans la paroisse de Nyundo où elles seront
par la suite assassinées sur ordre du Président Kayibanda. Début 1973, peu
avant l’accession de Habyarimana au pouvoir, la situation est relativement
calme dans les provinces du Nord mais les tutsi persécutés dans le reste du
pays transitent par Ruhengeri et Gisenyi pour se réfugier à Goma dans l’Ex
Zaïre. C’est alors que des mesures sont prises pour mettre à contribution
les bourgmestres de ces régions.

2 La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe


En mars 1973, le travailcommence, les maisons des tutsi de Rwankeli
sont incendiées. Les paroisses avoisinantes de Busogo et autres lieux de
cultes deviennent des refuges pour les tutsi. Le 5 juillet 1973, Juvénal
Habyarimana, alors ministre de la Défense pendant la présidence de
Grégoire Kayibanda, prend le pouvoir par un coup d’état. Né dans la petite
commune de Karago, comme son épouse et bon nombre de dignitaires de
son régime, il est originaire de la région de Gisenyi. Géographiquement, le
Bigogwe est, pour ainsi dire, enclavé dans le fief de l’akazu11. C’est dans les
années 80 que naîtra le réseau, dit « réseau zéro », à l’origine du massacre
des Bagogwe.12
Les Bagogwe en tête de peLoton d’exécution des tutsi
Le cœur de l’ouvrage de Bideri, c’est la trame historique des massacres
des Bagogwe entre 1990 et 1993. Le lecteur parcourt horrifié, les unes après
les autres, la quasi totalité des communes du Nord-Est du Rwanda.
1er Octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais (FPR)13 attaque par le
Nord du pays. Les Bagogwe, déjà réduits au rang de sous-citoyens, ne se
doutent pas que leur extermination systématique et annoncée14 va commen-
cer. Le prétexte est tout trouvé pour mener à terme l’entreprise de répres-
sion des tutsi déjà bien entamée. La proximité géographique du Bigogwe
avec la région du Bushiru, d’où sont originaires les membres de l’akazu et
autour duquel sont situés de nombreux camps militaires, fait des Bagogwe
une cible idéale. Ils seront les premiers tutsi à être exterminés très métho-
diquement. Des incidents sont provoqués pour contribuer à l’ambiance
déjà délétère. une technique fréquemment utilisée sera celle de la lettre de
dénonciation anonyme que les enseignants hutu retrouvent dans les écoles.
Les Bagogwe seraient des suppôts du FPR, il faut les liquider.
La propagande anti tutsi est tellement efficace que le Bigogwe est qua-
drillé, il y a des barrières tous les deux kilomètres, les Bagogwe ne peuvent
même plus fuir le pays, ni même souvent quitter leur commune, ils atten-
dent leur tour, résignés. En 1992, la population des Bagogwe, estimée à
cent mille personnes dans un recensement de 1990, est à moitié décimée,
avant d’être complètement réduite à néant en 1994. Parmi les victimes,
dont le récit de la mise à mort est documenté dans cet ouvrage15, il faut citer
le nom d’augustin augusti – oncle de Bideri – mort fusillé dans les locaux
de sa commune natale de Mukingo. On retrouve de nombreux membres de
sa famille et des familles apparentées dans la fameuse liste rouge publiée dès
199016 et détaillée à la fin de l’ouvrage.

La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe 3


Ces listes attestent à la fois du caractère planifié des massacres – elles ont
été préalablement fournies par des génocidaires avérés17– et du courage
inouï des responsables des journaux rwandais qui ont les premiers brisés
l’omerta sur ce génocide dès 199118. À titre de comparaison, si les Bagogwe
étaient des Européens, une bonne partie des personnes recensées porte-
raient le même nom de famille19. En préambule, Bideri l’historien et spécia-
liste du droit, affirmait déjà «Malconnue,sansdoute,auRwanda,l’ampleurdu
crimesurlesBagogwenes’estrévéléequeprogressivement.Ilfutungénocideordi-
naire puisqu’il n’eut pas de suite et que même aujourd’hui le monde n’en garde
qu’unvaguesouvenir.Laprésencedestroupesétrangères,l’attitudedestroupesfran-
çaisesenparticulier,aétédéterminantepourtesterquelegénocidedesTutsipou-
vaitêtreopérésansquelespuissancestutélairesduRwandan’interviennent.»20
une répétition généraLe du scénario de 1994
Dans la période 1990-1993, la chasse impitoyable au tutsi est menée
jusque dans les coins les plus reculés du Nord du Rwanda. Ces années
constituent une période charnière dans l’engagement de l’armée française
au Rwanda. C’est là que l’ouvrage de Bideri se recoupe avec tous les docu-
ments qui vont nier ou établir l’implication française dans le génocide des
tutsi du Rwanda.
Quelques exemples : En Octobre 1990, c’est sous le regard bienveillant
des para commandos de l’opération Noroît que les massacres de Kibilira (à
partir du 11 octobre) vont se dérouler. En janvier 1991, environ 1000
Bagogwe sont tués dans les préfectures de Ruhengeri et Gisenyi. Ces vic-
times innocentes n’ont aucun lien avec le FPR ! Cette même année, la
France accroît son aide financière et devient le premier bailleur de fonds du
Rwanda. Sur le plan de l’armement, la dépense explose littéralement :
armes à feu, lance-roquettes, mortiers, mitrailleuses, radars, mines anti per-
sonnelles sont exportés de France vers le Rwanda21.
La nuit du 22 au 23 janvier 1991, le raid du FPR sur la ville de
Ruhengeri22 dans le Nord marque une nouvelle étape dans l’intervention
militaire française au Rwanda. Le premier détachement d’assistance mili-
taire et d’instruction (DaMI) s’implante à Ruhengeri, en mars 1991, pour
renforcer l’opération Noroît. Le rapport de la commission d’enquête
Mucyo23 fait état de l’implication française dans le génocide lors des opéra-
tions lancées par ces dami.24 Durant cette période de nombreux témoi-
gnages attestent de l’implication française dans les camps militaires du
Nord où les militaires français forment les futurs miliciens Interahamwe. Le
rapport Mucyo relate les témoignages d’anciens miliciens formés dans les

4 La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe


camps de Bigogwe et de Mukamira. Le témoignage de Ntirenganya
abdumalk, chauffeur de taxi moto de Gisenyi en est une parfaite illustra-
tion. «Il a commencé par recevoir une formation paramilitaire dans le stade
Umugandadelavilledegisenyi.ensuite,ilaétéenvoyédanslecampBigogwe.Il
aeuluiaussipourinstructeurlecapitaine Bizumuremyietunmilitairefrançais
appeléFrancisco:“onnousaappriscommentrechercherl’ennemi,ilsnousdisaient
quel’ennemiestleTutsi.Ilsnousontdemandéderepérerl’ennemiafinquelorsque
laguerrecommenceraitl’onpuissel’identifier.” ».25
Sur la formation des miliciens, le rapport Mucyo récapitule ainsi : «des
militaires français, vraisemblablement, des éléments du daMI, ont participé dès
février1992audémarrageduprogrammede“défensecivile”quiavaitpourbutde
formerunemilicedecivilsdontl’undesobjectifsétaitdelesprépareràtuerlescivils
tutsi de leur localité. À la même époque, ils ont aussi commencé à former des
Interahamwe professionnels dont notamment les membres du groupe d’élite
“Turihose”.LaformationdesInterahamweaveclaparticipationactivedemilitaires
françaisaétésystématique,elles’esteffectuéedansl’ensembledescampsmilitaires
oùœuvraientlesélémentsdudaMI,etellesembleavoirétécontinuedudébutde
l’année1992jusqu’àlafindel’année1993,momentdudépartdestroupesfran-
çaisesduRwanda.»
a posteriori, il ne fait aucun doute que le génocide des tutsi commence
avec les massacres des Bagogwe de 1990 à 1993.
En février 2009, lors de la présentation du livre de Diogène Bideri à la
presse et à la classe politique rwandaises, la Commission Nationale de
Lutte contre le Génocide (CNLG) a pris acte de la démonstration que l’ou-
vrage établit. La décision de le rééditer avec comme titre «legénocidedes
Bagogwe» a été prise. Il sera traduit en Kinyarwanda et en anglais. Il a éga-
lement été décidé d’ériger une stèle à la mémoire des victimes Bagogwe
dans la région qu’ils habitaient.
Hommage postHume à La mémoire de Jean carBonare
Le 24 Janvier 1993, quiconque a vu le passage télévisé de Jean Carbonare
sur France 2 dans le journal de Bruno Masure s’en souvient ! Jean
Carbonare revenait d’une brève mission au Rwanda où il avait dirigé la
commission internationale d’enquête sur les violations des Droits de
l’homme au Rwanda (CIE). La CIE était diligentée par la FIDH, Human
Rightswatch et d’autres organisations de lutte pour les droits de l’homme
africaines. Ce rapport, même s’il est jugé tardif26, a été une référence de
taille pour l’ouvrage de Bideri.

La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe 5


Le rapport de la CIE, dit Bideri «montreminutieusementlesmécanismesdes
massacresetdécritlestechniquesutiliséesparlesauteursdemassacres.Ilidentifie
clairementlesresponsablesdesmassacres. surlaquestiondugénocide,lesrappor-
teursétaientexplicites:“L’horreurdelaréalitéobservéeparlacommissionestompe
enfindecomptel’importancedudébatjuridiquesurlaqualificationdegénocide.
de nombreux Tutsi, pour la seule raison qu’ils appartiennent à ce groupe, sont
morts,disparusougravementblessésoumutilés;ontétéprivésdeleursbiens;ont
dûfuirleurslieuxdevieetsontcontraintsdevivrecachés;lessurvivantsviventdans
la terreur”»27. Ce sont les conclusions de ce rapport qui déclenchent une
enquête de l’ONu dirigée Mr B.w. Ndiaye, rapporteur spécial. Sa mission
sur le terrain durera une semaine, du 8 au 17 avril 1993. Le rapporteur spé-
cial précise «lesvictimesdesattaques,desTutsidansl’écrasantemajoritédescas,
ontétédésignéscommecibleuniquementàcausedeleurappartenanceethnique,et
pouraucuneautreraisonobjective.»28
Pendant son séjour au Rwanda, Jean Carbonare a pu interviewer Janvier
afrika, un ancien membre de l’escadron de la mort alors en prison. Son
témoignage en dit long sur la nature des crimes qui se commettaient à l’en-
contre des tutsi. Carbonare transmet les témoignages filmés à Bruno
Delaye, le « Monsieur afrique » de l’élysée qui ne s’en émeut pas outre
mesure.
Souvenons-nous encore de l’interview de Jean Carbonare au Nouvel
Observateur du 4 août 1994. Il s’écrie : «J’aieudeuxgrandschocsdansmavie.
Lepremier,lorsquej’aidécouvert,enalgérie,qu’onavaitinstitutionnalisélator-
ture.etledeuxième,enjanvier1993,quandj’aivulesinstructeursfrançaisdans
les camps militaires de Bigogwe. c’est là qu’on amenait des civils par camions
entiers.Ilsétaienttorturésettués,puisenterrésdansunefossecommune.» Jean
Carbonare alerte la France en vain. Il avait les preuves irréfutables du géno-
cide des Bagogwe, et la suite lui a donné raison. En 1994, le génocide des
tutsi s’étend à tout le pays au vu et au su de la communauté internationale.

Plus de dix ans plus tard, dans son pavé raciste et négationniste29, Pierre
Péan se lance dans une entreprise de démolition du témoignage courageux
de Jean Carbonare.
arrêtons-nous un bref instant sur les deux chapitres que Pierre Péan
consacre à Jean Carbonare.
Du chapitre 7, intitulé « une étrange curée droit-de-l’hommiste contre
Habyarimana », relevons tout d’abord, page 127 : «enquelquequatorzejours,
Jean carbonare va “tout comprendre du Rwanda”.» Etrange procédé, pour
Pierre Péan l’enquêteur, que de ne point citer la source de sa citation !

6 La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe


Carbonare en sait suffisamment pour qualifier les exactions en cours, et le
moins que l’on puisse dire c’est que le rapport de la CIE est très détaillé.
Péan ne s’en prend pourtant pas au rapporteur spécial de l’ONu dont la
mission sur le terrain est plus courte et dont les conclusions convergent
avec celles de la CIE. Péan passe également sous silence les dénonciations
courageuses des associations rwandaises30 des droits de l’homme.
Page 127 toujours : «enrevanchelarecherchedefossescommunesetdechar-
niersserévèletrèsdécevante,malgréletravaildel’équipe.Lalecturedurapportde
celle-ci,trèsfactuel,estàcetégardbienplusinstructivequelerapportprincipal.ont
ététrouvés:unsquelettedanslagrotten°2surlesitedeBigogwe,maisriensurles
sitesdescinqautresgrottesvisitées;riendansleshuitgrottesdusitedeKareba;rien
surlesdeuxfossessituéesderrièrelamaisoncommunaledeKinigi(…)».
Le procédé qui consiste à s’appesantir sur le contenu des grottes est
d’une malhonnêteté inouïe qui consiste à faire croire au lecteur que les
grottes sont les seuls charniers de ce site. Hélas, sur le site de Bigogwe, par
trois fois, le rapport de la CIE est cité par Bideri dans le chapitre «lecamp
militaireabattoirdeBigogwe»31. Ce sont les enquêteurs dirigés par Carbonare
qui ont découvert la fosse commune de Kanzenze. Ce charnier se situe dans
le Bigogwe même !
Page 127 encore : «Rien sur le site des cinq autres grottes visitées.» Sur ce
point précis, l’ouvrage de Bideri apporte des informations supplémentaires.
Dans le camp militaire de Mukamira, le charnier des grottes Nyaruhonga
fut découvert après 1994 grâce aux témoignages de Hutu qui avaient parti-
cipé aux massacres des Bagogwe.32 Le désespoir était tel dans ce camp de
Mukamira, que les Bagogwe qui n’avaient pas d’autre option que d’atten-
dre résignés leur exécution prochaine, avaient parfois le courage de se pen-
dre. Le récit du suicide du dénommé Segikeri est tout simplement glaçant33.
Il s’est tout de même trouvé quelques cyniques pour stigmatiser la propen-
sion au suicide des Bagogwe !

Du chapitre 8 intitulé «LesfablesdeJeancarbonare,présidentdesurvie»,


plusieurs affirmations de Pierre Péan peuvent être balayées mais retenons-
en une en particulier.
Il s’agit des propos de l’ancien ministre de la défense James Gasana que
Pierre Péan fait siens lorsqu’il affirme, à la page 155 : «Iln’yavaitpasde
FrançaisinstallésaucentrecommandodeBigogwe.»
Dans l’ouvrage de Bideri, pages 91 à 94, le chapitre entier «Lessoldats
françaisdanslescampsmilitairesdeMukamiraetBigogwe» est un démenti cin-
glant à cette affirmation. Ces trois pages sont largement documentées par

La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe 7


le rapport de la Mission d’information parlementaire sur le Rwanda
(MIPR) présidée par Paul Quilès.
Citons notamment : «Les premiers éléments du daMI s’installèrent le 29
mars1991àl’universitédenyakinamaprèsdeRuhengeri. “L’instructions’effectue
danslescampssuivants:lescampsdebaseàMukamira(…);lecentrecommando
deBigogwe.”»34
Citons encore le témoignage de Jean-Bosco Habimana, chef
Interahamwe et ex-caporal des FaR, enregistré par Georges Kapler : «Làoù
j’étaisdansleBigogwe,lesFrançaisnousavaientformésennousdisantquec’était
pourallercombattrel’ennemietleseulennemiétaitleTutsi.Jusqu’aumomentoù
nousavonstuélesBagogwequihabitaientdanslecoin.c’étaitdesTutsi,ilsontété
tuésaprèsl’arrivéedesFrançais,quin’ontstrictementpasréagialorsquec’étaiteux
quinousavaientapprisàfaireautantdemal.»35
Citons enfin le témoignage du général à la retraite Jean Varret dans son
audition devant la MIPR. Le général était le chef de la Mission militaire de
coopération d’octobre 1990 à avril 1993. Il affirme que «lamissiond’instruc-
teurssedéroulaitendehorsdelavilledansdeuxcamps.Lesinstructeursvivaient
danscescampsaveclesjeunesofficiersetlesjeunesrecrues.»36 Pierre Péan aurait
pu se donner la peine de consulter le rapport de la MIPR pour puiser les
informations sur la présence militaire française dans ce camp, à la source si
je puis dire !
Jean Carbonare s’est éteint avant d’avoir eu connaissance de l’ouvrage de
Bideri. Ils ne se connaissaient même pas. Je me plais à imaginer que ce livre
lui aurait apporté quelque baume au cœur face aux propos intentionnelle-
ment blessants de Pierre Péan.
Ceci dit, ils jettent davantage le discrédit sur Pierre Péan lui-même que
sur qui que ce soit d’autre. L’armée française elle-même ne tire aucune
gloire d’être si lamentablement défendue !

La Justice en question
Le troisième mérite de l’ouvrage de Diogène Bideri est de pointer du
doigt quelques acteurs majeurs du génocide des Bagogwe qui demeurent
impunis. Citons le cas de Pierre tegera, l’un de ceux sur qui pèsent de très
fortes présomptions de culpabilité dans la réalisation du génocide des
Bagogwe. Il est originaire de Kibilira, en préfecture de Gisenyi, où il a dirigé
le Programme National d’amélioration de la Pomme de terre (PNaP). Ce
brave Mr Patate – c’est son surnom rwandais, Kirayi – était membre des
escadrons de la mort et président d’honneur des Interahamwe de Kibilira.
La justice rwandaise37 le poursuit pour crime contre l’humanité, pour exter-

8 La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe


mination et, alternativement assassinat. Pierre tegera résiderait actuelle-
ment à Nice.
En Septembre 2008, l’OFPRa (Office français de protection des réfugiés
et apatrides) a débouté son recours en vue de l’obtention du statut de réfu-
gié, considérant qu’il y a des raisons sérieuses de penser qu’il a commis un
crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité.
Les rescapés Bagogwe ont dénoncé d’autres bourreaux, Rwandais et
Français38, dont les noms restent à porter devant la justice. Grâce à cette his-
toriographie, ils disposent enfin d’un témoignage solide. C’est le vœu
qu’émet Diogène Bideri dans la conclusion de son ouvrage.
En kinyarwanda, cette monographie pourrait tenir en une phrase :
«ntabapfira gushira hasigara iminsi yose uzabara inkuru.» autrement dit,
aucune tentative d’extermination n’est jamais totalement aboutie, il sub-
siste toujours un rescapé pour en témoigner. En plus d’être un témoignage
personnel, l’ouvrage de Bideri participe à la mémoire collective du géno-
cide des tutsi du Rwanda. Ce crime d’état – commis avec la complicité très
directe des militaires français présents sur le terrain des opérations – a com-
mencé dès 1990, à l’encontre des populations Bagogwe et s’est poursuivi,
ininterrompu jusqu’à l’apocalypse de 1994.

notes
1. Diogène Bideri travaille actuellement au Rwanda (au sein de la Commission de la Lutte
contre le Génocide, au ministère de la Justice et comme professeur de droit à l’université).
Il a créé la Fondation Ntarama, pour la mémoire et l’histoire. Il est titulaire de nombreuses
distinctions académiques dont un doctorat en Droit international public de l’université de
Strasbourg.
2. au Nord du Rwanda, les seules populations tutsi sont les Bagogwe et les Bahima qui
habitaient la région du Mutara. Ils seront également exterminés dès 1990.
3. Le préfixe “umu” ou “mu” - gogwe signe le singulier alors que le “aba” ou “ba” - gogwe
signe le pluriel.
4. Diogène Bideri, LemassacredesBagogwe,unpréludeaugénocidedesTutsi,Rwanda(1990-
1993), page 26.
5. S’abritant derrière les forêts, les Bagogwe tentent ainsi de se protéger des seigneurs de
guerre qui sévissent à la fin du règne – parsemé de conflits - du roi Ndahiro Cyamatare
(1477-1511).
6. actuel Parc National des Virunga, créé en 1925 à l’initiative du naturaliste américain Carl
akeley. Ce parc sera élargi en 1929, rognant sur l’espace vital des êtres humains.
Habyarimana réutilisera l’argument de la préservation de la nature (Parc de l’akagera) pour
interdire aux tutsi exilés de retourner au Rwanda.
7. C’est l’administrateur belge qui introduisit dans les années 30, la culture des fleurs de

La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe 9


pyrèthre destinées à l’exportation. Il choisit les régions d’altitude du Nord et du Nord-Est.
Les champs de lave de la région des Volcans constituent un riche terreau. Les fleurs de pyrè-
thre du Rwanda ont la particularité de présenter l’un des taux les plus élevés en pyréthrine,
ce puissant insecticide naturel. L’usine SOPyRwa se trouve toujours à Ruhengeri.
8. Il faudrait des bibliothèques entières pour dire le rapport à la vache qu’entretenaient les
Bagogwe et les tutsi en général. La vache est au cœur du lien sociétal et de la cosmogonie
rwandaise.
9. En 1957, le futur président de la première République du Rwanda, Grégoire Kayibanda
publie le “Manifeste des Bahutu”, un texte fondateur de sa politique ethniste. Peu après naît
le Parmehutu, parti politique basé sur la même idéologie. En 1962, soutenu par l’adminis-
tration coloniale et l’Eglise catholique, Kayibanda accède au pouvoir. La discrimination des
tutsi devient légale et leur persécution une pratique courante et encouragée. Le but est de
les pousser en dehors du Rwanda afin de laisser le pays aux seuls Hutu. C’est le début d’une
vague d’exils de tutsi vers les pays limitrophes que sont le Burundi, l’ex-Zaïre et l’Ouganda.
10. Diogène Bideri, op.cité, pages 37-40.
11. L’akazu, littéralement petite maison, regroupe des membres de l’élite militaire et civile prin-
cipalement issus des communes Karago et Giciye. C’est le noyau du pouvoir occulte qui contrôle
le pays. On y retrouve un grand nombre de membres de la famille du couple présidentiel.
12. Diogène Bideri, op.cité, pages 45-56. On trouve la genèse du réseau Zéro selon la termi-
nologie de Christophe Mpfizi ancien directeur de l’organisme d’Etat qui contrôle l’informa-
tion (ORINFOR) qui a rédigé un rapport relatant le plan d’extermination des Bagogwe dans
les années 90.
13. Le FPR est à l’époque un mouvement constitué en grande partie de tutsi en exil.
14. Diogène Bideri, op.cit., page 11. La citation de Hassan Ngeze de la revue extrémiste
Kangura, du 24 sptembre 1991, est des plus éloquentes: «cesditsBagogweouFalacha(…)ont
cependantintérêtàseconvertiràunevieciviliséedesautresRwandais(…)avantqu’ilnesoittroptard
poureux.a90%,ilsontétérepérés(…).Le31octobrec’estlafêtedeRwigema,mortcommelesmorts,
tandisquelelendemainc’estlaToussaint.aeuxdechoisirleurtour…»
15. Ibid., pages 77-81.
16. Ibid., pages 52 : “Lesresponsablesavaientdresséunelistedepersonnesàrechercheretàarrêter,
notamment gasahane, Kaderevu, Kabango, segahwege, Rudatinya, Bukumba, Biniga, sabini,
Mutanguha,ndayambaje,gihoza,Karyango,Bahiza,Bernard,Kabandaetngango.al’issuedela
réunionde1990lesTutsidontlesnomsfiguraientsurlalisteontétéarrêtéspuisrelâchés.Laguerre
areprisen1991etils’esttenuuneseconderéunionàl’issuedelaquellelesmêmespersonnesontété
arrêtéesettuées.”
17. Citons ici Juvénal Kajelijeli, ancien bourgmestre de Mukingo dont un compte-rendu
d’audience au tPIR a permis de recenser environ 80 familles (soit plus de mille personnes)
exterminées dans des conditions effroyables. Cf. tPIR compte-rendu de l’audience du 5
décembre 2001, p. 27 (Procès Kajelijeli). Ce document est une des sources les plus fréquem-
ment citées dans l’ouvrage. au tPIR, Kajelijeli a été condamné à la peine maximale qui a
été commuée en appel à une peine de 45 ans d’emprisonnement. Les détails de son incul-
pation sont consultables sur de nombreux sites, notamment http://www.trial-
ch.org/fr/trial-watch/profil/db/facts/juvenal_kajelijeli_25.html.
18. Diogène Bideri, op. cité, page 125, note de bas de page. Il s’agit des journaux Rwanda
Rushya N°10 Kanama, août 1991 et Le tribun du peuple N° 6, Septembre 1991.
19. Il me vient à l’esprit un souvenir de vacances aux Baléares. au moment de l’appel à l’en-
trée du bateau, seuls les touristes ne portent pas le nom de Marì ou une variante Marì-Marì.
L’idée ici, est que la population Bagogwe est constituée de familles apparentées soit par un

10 La NuIt RwaNDaISE N°3 • JEaNINE MuNyESHuLIu BaRBé, Le génocIde des Bagogwe


ancêtre commun soit par le biais des mariages, soit les deux. une façon courtoise de se pré-
senter entre tutsi, est de décliner son arbre généalogique et il n’est pas rare que deux per-
sonnes aux noms bien distincts se retrouvent apparentées.
20. Ibid., page 23.
21. La France était le principal fournisseur d’armes et d’équipements militaires au Rwanda.
Voir : Mel McNulty « French arms, war and genocide in Rwanda », Crime, Law & Social
Change, pages 105-129, n°33, 2000.
22. Diogène Bideri, op. cité, pages 91-94 lire le chapitre « Les soldats français dans les camps
militaires de Mukamira et de Bigogwe »
23. Il s’agit de la commission rwandaise chargée de rassembler les éléments de preuves mon-
trant l’implication de l’état français dans la préparation et l’exécution du génocide des
tutsi, on la désigne communément du nom de son président, commission Mucyo. au
moment où Bideri remet son manuscrit à son éditeur, le rapport Mucyo n’a pas encore été
publié.
24.Les conclusions du rapport de la Commission Mucyo pages 46 à 51 sont particulière-
ment accablantes sur la participation française directe dans les combats.
25. Rapport Mucyo, page 61
26. Diogène Bideri, op. cité, pages 99-103, “une enquête internationale tardive”. Il est à
noter que les enquêteurs internationaux débarquent en janvier1993, alors que depuis deux
ans les populations Bagogwe se font exterminer de façon continue. Dans la presse belge
pourtant, dès 1991, le journal L’instant, dans son édition du 20 juin, dénonçait les massa-
cres. 27. Ibid., page 101.
28. Ibid., page 102. a l’instar de la CIE, les conclusions convergentes du Rapporteur spécial
de l’ONu ne déclencheront aucune poursuite pénale.
29. Pierre Péan, Noires fureurs, blancs menteurs, Editions Fayard, 2005.
30. Citons en particulier l’association Kanyarwanda fondée par le physicien mugogwe Fidèle
Kanyabugoyi. Dans une publication de Janvier 1991, il établit une liste exhaustive des vic-
times Bagogwe et qualifie le premier, les massacres des Bagogwe de Ruhengeri et Gisenyi de
génocide. Kanyabugoyi sera 31. Diogène Bideri, op. cité, pages 83 -88
32. Ibid., page 53 .
33. Ibid., page 69 “Ilya,danslavie,dessituationspiresquelamort.Lamortpeutmêmesembler
unelibération.Quiconnaîtledramedecethommequis’estpenduaumomentoùlestueursvenaient
l’exécuter? Qui le sait? se suicider, à ce moment-là, était une issue pour échapper aux atrocités.
L’espoirdesurvieétaitnul.Faceàunemortcertaineetcruelle,certainsBagogwepréféraientsepen-
dreplutôtquedeselaisserdécouperàlamachette” Le récit du suicide de Segikeri se poursuit sur
cette page. En 1994 également, de nombreux tutsi ont “choisi” cette fin là.
34. Ibid., page 92. Note de bas de page, MIPR, tome I (pages 146-148).
35. ibidem
36. Diogène Bideri, op. cité, page 93.
37. Ibid., page 54.
38. Ibid., page 124. Bien avant les conclusions de la commission Mucyo et sans citer de nom,
Bideri conclut : “Laprésencedesinstructeursfrançaisapparaîtcommeunappuimoraletmatériel
aurégimerwandais.LacomplicitéentreledaMIetlestueursdevraitêtreétablie.certainsinstruc-
teursfrançaisauraientassistéauxtorturesetauxmassacresdesBagogwe.Ilfaudraitidentifierlesper-
sonnesimpliquéesparticulièrementdanscesactes.celles-cipourraientêtrepoursuiviesenvertududroit
internationalhumanitaire.” Il y a des dispositions spéciales sur l’imprescriptibilité des crimes
contre l’humanité.

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