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Bruno Boudiguet-Michel SitBon

l’anesthésie, ou
l’effet Péan
Dans le contexte de « l’affaire Péan-Kouchner », les débats se sont
singulièrement dégradés. La contradiction serait entre, d’un côté, la
négation des responsabilités françaises, avec Kouchner, et, de l’au-
tre, le négationnisme pur et simple, avec Péan. Même en lisant la
presse de gauche, on oscille aujourd’hui entre ces deux pôles,
coincé dans cette subtile entreprise de mystification. D’année en
année, la conscience recule. Plus on en sait, moins on veut savoir…
C’est curieux, mais c’est comme ça. Ainsi, le crime s’installe, dans
le malaise, mais de plus en plus profondément assumé. Plus per-
sonne n’ignore, quinze ans après, que la France s’est trouvée lour-
dement compromise dans le dernier génocide du XXème siècle.
Mais l’idée dominante, qui s’est imposée avec force, voudrait que
les torts soient « partagés » – suggérant qu’en conséquence, il n’y
ait plus de responsabilités à rechercher. C’est l’anésthésie générale
des consciences.

À Libération, François Sergent a plus de vingt-cinq ans de maison. Il est


devenu aujourd’hui un des responsables et éditorialistes de l’ex-quotidien
« gauchiste ». En réaction aux thèses claironnées par Péan, l’éditorialiste
pose une bonne question : « Comment peut-on faire cet ignoble procès aux
Tutsis d’avoir été les artisans de leur propre génocide en assassinant le président
hutu1 ? » Libération serait-il prêt à désavouer le juge Bruguière et Pierre Péan ?
Peut-être, mais il ne s’agit pas pour autant d’incriminer la France : « Rien ne
montre qu’elle fut complice du régime hutu génocidaire. » S’il le dit. Ce n’est pas
ce qu’on lit sur le site de « contre-information » Bakchich2 qui, par la voix
d’Arthur, a la nostalgie d’« une presse où les enquêteurs à la Péan sont de plus en
plus rares, car seul compte le dîner en ville avec les notables et les avocats3 ».

LA NuIt RwANdAISE N°3 1


Bakchich qu’on retrouve avec daniel Mermet de France Inter ou encore
Philippe Cohen, un compère de Pierre Péan et ancien rédacteur en chef de
Marianne, fin 2008, pour le « tribunal des condamnés d’avance », procès
théâtral de Bernard Kouchner où furent exposées les basses manœuvres de
l’aventurier de l’humanitaire à la française. de larges extraits seront diffu-
sés dans la fameuse émission Là-bas si j’y suis de daniel Mermet, où ce der-
nier invite Pierre Péan pour la sortie de son livre Le monde selon K., avec
Xavier Monnier, rédacteur en chef à Bakchich. Il ne sera pas question une
seconde, dans cette émission phare de la France militante, des manipula-
tions grossières du précédent livre de Péan, Noires fureurs, Blancs menteurs –
cette logorrhée négationniste antitutsie.
Mermet, à mille lieues de son courage d’antan, est hilare. L’ambiance est
triviale : « – J’ai appris que vous aviez votre bureau au fond du jardin ! – Oui, j’ai
ma cabane au fond du jardin » « Alors ce qui vous a motivé au départ, Pierre, c’est
votre bouquin et votre travail et votre aventure et votre chemin de croix précédent,
(rire gras de Mermet) qui était le Rwanda... » Xavier Monnier y va de sa petite
blague : « Ils sont tout un groupe. Dès qu’on parle du Rwanda, on est sûr de s’en
prendre plein la gueule ! (rires) » un très petit groupe, puisque pour la quasi-
totalité de la presse, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite, Péan est au
mieux un preux chevalier de l’investigation, au pire un pamphlétaire au ton
un peu outrancier mais bon bougre quand même.
On est dans la même situation que celle qui prévalait au moment où
Stephen Smith recevait le prix France télévision pour son pamphlet raciste
Négrologie. Ou encore celle où Pascal Bruckner écumait les plateaux télés
pour La tyrannie de la repentance. de soi-disant rebelles iconoclastes parfaite-
ment en phase avec une politique d’État. L’analyse superficielle des dossiers
permettant la mystification.
Autre soutien de Smith, daniel Schneidermann, animateur de l’émis-
sion Arrêt sur images, n’aime pas trop non plus rentrer dans les profondeurs
d’un dossier accablant pour le pouvoir. « On ne va pas rentrer dans les détails
déjà très techniques, mais j’invite les téléspectateurs à se reporter à votre livre »,
répond-il à Pierre Péan, après que celui-ci se soit auto-proclamé expert du
dossier rwandais. Il ne viendrait pas à Schneidermann l’idée de proposer
d’autres sources. L’émission Arrêt sur images, qui a une deuxième vie sur le
web, est censée décrypter l’actualité médiatique, sur un ton un peu sati-
rique. Alors il arrive à son animateur d’être taquin. Mais au fond, c’est un
gentil garçon : Pierre Péan défend-il la raison d’État dans le dossier de la
France au Rwanda ? Bien sûr que non, répond l’écrivain. L’animateur refor-
mule ensuite sa question : « Plaçons-nous dans un cas de figure abstrait, si vous

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le voulez-bien une seconde, dans un cas de figure quasi philosophique à la Camus :
imaginons une autre affaire dans laquelle la France a tort et que la vérité n’est pas
la vérité officielle française, qu’est-ce qui est au dessus, c’est la vérité officielle fran-
çaise ou la vérité ? » un décrypteur des médias vous demande si vous êtes
honnête… Le même procédé est à l’œuvre dans la polémique liée à l’emploi
d’expressions aux relents antisémites typiques des années 30 sur Bernard
Kouchner. Schneidermann ne situe pas tant le problème dans l’emploi des
mots mais dans le fait de savoir si oui ou non Péan est au fond de lui-même
antisémite. Énervé, Péan quitte le plateau. L’animateur s’excuse : « Je ne pas
voulu le blesser en le titillant sur les mots qu’il emploie dans son livre »…
Au même moment, siné hebdo publie un article intitulé « Péan dans le
mille » de Frédéric Bonnot. Ce dernier appelle Pierre Péan à bomber le torse
face aux accusations dont il est l’objet : « il faut sauver le soldat Péan ». « Bien
sûr, la Terreur a de beaux restes et Péan se fera traiter de “révisionniste” à propos du
Rwanda. Mais l’on se gardera bien de discuter ou de réfuter ses thèses les plus scan-
daleuses. “Révisionnisme” suffit. Paul Kagame est gentil comme tout, Mitterrand
s’est fait le complice du génocide tutsi et l’avion de Juvénal habyarimana est tombé
tout seul. Voilà la vérité, circulez, il n’y a rien à comprendre. Ceux qui n’y connais-
sent rien, mais qui ont de la mémoire, et qui lisaient les articles de stephen smith
dans Le Monde, craignent soudain d’être qualifiés de “révisionnistes”. » Il est vrai
que Bonnot, du temps où il officiait sur France Inter, n’a jamais cessé d’ap-
porter son soutien à l’auteur du tristement célèbre Négrologie.
Ce Bonnot n’est pas très gentil. « Bien sûr, la Terreur a de beaux restes »…
Bonnot ne croit pas si bien dire. En Vendée comme au Rwanda, c’est en
effet la « terreur » jacobine qui a frappé. C’est bien au nom des mythes
révolutionnaires français qu’aura été mobilisé le « peuple » hutu pour
exterminer « l’aristocratie » tutsi. Mais non, pour Bonnot ce sont les cri-
tiques du génocide qui exerceraient ici une abominable terreur en dénon-
çant l’indignité d’un journaliste tel Péan qui ose prendre la défense du parti
génocidaire.
Péan est-il « révisionniste » ? « Révisionniste », c’est ainsi que se désignent
eux-mêmes les négationnistes pour soutenir la légitimité de leur entreprise.
Il n’est pas sûr que l’entreprise de Péan vaille mieux. Révisionniste, Péan ?
Non, pire : Péan est négationniste.
Oui, m’sieur Bonnot : Mitterrand s’est fait le complice du génocide tutsi.
Vous n’êtes pas au courant ? Lisez La Nuit rwandaise, vous en saurez plus.
Il n’est pas certain par contre que « Paul Kagame soit gentil comme tout », et
l’avion de Juvénal habyarimana n’est en effet pas « tombé tout seul ». Mais le
génocide des tutsi était l’œuvre de messieurs qu’on recevait à l’Élysée pen-

BRuNO BOudIguEt-MIChEL SItBON, L’ANesThésIe... • LA NuIt RwANdAISE N°3 3


dant le génocide – et que l’Élysée approvisionnait en armes au même
moment. Ça, ce sont des faits m’sieur Bonnot, pas des phrases. Oui,
François Mitterrand s’est fait le complice du génocide tutsi – et ce n’est pas
en colportant des contre-vérités à ce sujet que Pierre Péan ou siné hebdo y
changeront quelque chose.
Mais, il faut comprendre Bonnot : avant de lire Péan, il lisait les articles
de Stephen Smith dans Le Monde. Ceux-ci étaient finement tricotés dans l’es-
poir de tromper le lectorat distingué du Monde. Bonnot ne se souvient peut-
être pas de comment Smith a baladé ses lecteurs, pendant les mois précé-
dant la commémoration du dixième anniversaire du génocide [voir dans ce
numéro À propos de l’attentat], à la recherche d’une boîte noire supposée
démontrer que les auteurs du génocide seraient ceux qui l’ont combattu… Il
aura oublié peut-être qu’en fin de compte cette « boîte noire » ne contenait
rien ? La farce journalistique aura quand même suffi pour accréditer la
thèse rigolote de l’auto-génocide dans l’esprit d’un Bonnot. C’était le but.
de même, si Bonnot a lu Péan, peut-être aura-t-il remarqué que sa thèse
– identique à celle de Smith – repose cette fois non sur une « boîte noire »,
mais sur le travail du juge Bruguière qui, lui, se fondait exclusivement sur
des « témoignages ». Bonnot s’est-il avisé que tous les « témoins » principaux
enrôlés par le juge français se sont tous rétractés ? Pas plus que Smith hier,
Péan ne se sent obligé de réviser ses fiches. Car le « négationnisme » n’est
pas une science, c’est une idéologie.
Védrine superstar
Jean-Pierre Elkabbach, chantre de la droite et du journalisme de cour,
appelle par son prénom hubert Védrine. Il est en admiration devant
hubert. Il n’est pas le seul puisque depuis ces derniers mois, l’ex-majordome
et analyste de Mitterrand court un exceptionnel marathon médiatique.
Véritable gourou des relations internationales, « si consensuel 1
qu’[il] réussit à
être le seul ministre de Jospin dont Chirac a exigé la nomination », il est sollicité
par tous les micros à la moindre crise diplomatique. Jusqu’à faire des appa-
ritions très remarquées dans des organes de presse classés plutôt à gauche.
Le site Rue89, où l’on trouve les nombreuses contributions de david
Servenay, et même de notre collaborateur Benjamin Sehene, peut être
considéré comme un des rares médias équitables dans le traitement de la
question rwandaise. On pouvait d’autant plus regretter que, recevant
hubert Védrine, début janvier, son rédacteur en chef Pierre haski fasse le
choix de censurer à cette occasion des lecteurs exprimant leur indignation

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à propos du rôle de l’ancien Secrétaire général de l’Élysée dans le génocide
de 1994. Alors que certaines questions, sur d’autres sujets, sont rapportées
directement à hubert Védrine, celle sur le Rwanda est posée par Pierre
haski lui-même et est totalement vidée de son contenu : « hubert Védrine,
pourquoi est-ce si difficile de réformer la politique africaine de la France ? » L’ancien
locataire du Quai d’Orsay récite alors sa théorie sur l’action de la France en
Afrique. Ainsi, le sujet du génocide au Rwanda est évité au profit de consi-
dérations générales.
À Bakchich, comme chez Elkabbach, on considère hubert Védrine –
l’autre grand avocat de la mémoire de Mitterrand – comme un « grand
expert5 ». Le 16 novembre dernier, sur France info, pour l’émission « Parlons
net », le journaliste de Bakchich, Xavier Monnier, salue « l’auguste hubert
Védrine, un socialiste malin. C’est rare ! »
Vient alors l’inévitable petite question sur les relations France-Afrique.
Mettant à part les grands lacs, hubert Védrine défend le bilan de la Vème
République : « tous les grands drames ont eu lieu en dehors de l’Afrique francophone » :
hubert Védrine - d’abord sur le diagnostic, c’est vrai qu’il y a eu un
certain nombre de conflits qui demeurent en Afrique, qui sont graves,
il y a eu depuis les indépendances, depuis les années 60, c’est horri-
ble, il y a eu quinzaine de grands conflits qui ont fait chacun un, deux,
trois millions de morts, dont le conflit de l’Est du Congo, Rwanda et
compagnie... Et puis la zone du Kivu à l’heure actuelle. Là, d’ailleurs,
je dis au passage qu’on a beaucoup tapé sur la politique française en
Afrique, la politique classique disons, de de gaulle à Chirac en pas-
sant par Mitterrand mais mis à part les problèmes terribles de la zone
dont vous parlez, hérités de la colonisation belge, tous les grands
drames ont eu lieu en dehors de l’Afrique francophone, alors c’est
tout un autre débat, ça serait une polémique d’ailleurs, mais je pense
que par des moyens un peu primitifs, un peu contestables, pas assez
modernes, mais la France avait maintenu de façon un peu autoritaire
une sorte de stabilité tant bien que mal.
À ce moment précis, les quatre journalistes auraient dû bondir. Et rebon-
dir notamment sur le fait que M. le ministre se défausse sur les Belges pour
ne pas avoir à répondre sur la politique française au Rwanda. La politique
du génocide. Xavier Monnier tente bien une timide percée, mais sans rap-
port avec le génocide des tutsi :
Xavier Monnier - Il y a eu l’épisode du Biafra, c’était pas l’Afrique
francophone, mais c’était pas...
hubert Védrine - Si, c’était au Nigeria, c’était une tentative de séces-
sion au sein du Nigeria.

BRuNO BOudIguEt-MIChEL SItBON, L’ANesThésIe... • LA NuIt RwANdAISE N°3 5


XM - La France là-dedans n’avait pas été brillante...
Pierre haski (presque inaudible) - Avec participation française...
hV - Oui, mais dans la zone où les dirigeants africains, enfin, j’aurais
pas dû lancer ça va être trop long mais...
XM - Oui... (rire de XM)
hV - dans la zone où les dirigeants africains à l’indépendance, comme
houphouët-Boigny avait dit, on fait pas d’armée parce que sinon on
va se battre entre nous et c’est vous, Français, qui nous débarrassez de
ce problème, un peu comme les Européens avec l’OtAN, donc vous
nous débarrassez de ce problème, c’est vous qui faîtes la défense, vous
mettez les bases, comme ça on va se consacrer au développement éco-
nomique, dans la zone française francophone où ils ont joué cette
carte, il y a eu, à tout prendre, moins de drames horribles que ceux
qu’on pourrait énumérer, de l’Éthiopie à l’Ouganda, le Mozambique,
le Soudan, etc.
XM - Oui, je suis d’accord avec vous, j’avais envie de pinailler...
Petit chipotage sur un conflit françafricain responsable de deux millions
de morts. Le néocolonialisme français en Afrique est légitimé par hubert
Védrine, sans que les journalistes présents y trouvent à redire. dans une
ambiance obséquieuse, aucun débat sur le rôle de la France dans le dernier
génocide du 20ème siècle. Védrine insiste sur le rôle stabilisateur de l’ar-
mée française en Afrique. Mais c’est l’argument utilisé par Védrine pour
sanctifier la politique de l’Élysée au Rwanda ! L’ancien adjoint de
Mitterrand a toujours justifié la politique criminelle française en expli-
quant très calmement et tout simplement que si on avait fait tomber un
domino, les autres auraient suivi et c’en serait fini de l’influence française
en Afrique : « à défaut, l’engagement de la France ne vaudrait plus rien aux yeux
de l’ensemble des états de la région (…) [C’était] une question de crédibilité par rap-
port à tous ces pays d’Afrique6 ». La politique extérieure de la France est encore
un sanctuaire où la différence de ton et d’analyse entre Le Figaro, France
Info, Bakchich et Rue89 est quasiment inexistante.
En août 2008, c’est Le Monde diplomatique qui offre une tribune à hubert
Védrine, « Renouveler le leadership américain », en forme de note de lec-
ture du dernier ouvrage de Fareed Zakaria7 , un « centriste influent », en sym-
biose avec les idées de l’ancien ministre. Où comment rappeler des évi-
dences (la politique de georges Bush est un échec) en enrobant son dis-
cours de « géopolitique » (cette discipline froidement monstrueuse qui légi-
time les stratégies de la puissance). dans la tradition gaulliste, Védrine en

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appelle à « un monde multipolaire », feignant d’ignorer combien ce mythe
sert à camoufler, aujourd’hui comme hier, une entente par le haut à
l’échelle mondiale. Or, c’est bien cette connivence universelle – où chacun
a son pré carré –, à l’inverse de la prétendue multiplicité des acteurs évo-
quée par Védrine, qui aura permis que soit entrepris un génocide, en 1994,
au Rwanda.
Politis a préféré, quant à lui, faire des louanges du « rapport sur la mon-
dialisation », commandé par Sarkozy à l’ex-ministre socialiste. Le rapport de
Védrine a, paraît-il, déplu au président. Car denis Sieffert, éditorialiste de
Politis, nous explique qu’il s’agit là d’un « brûlot », le « discours de raison »
« d’un homme de gauche » qui est « une critique en règle contre la nouvelle politique
étrangère de la France » que « les socialistes feraient mieux d’entendre »8. Le rap-
port est une critique convenue du néo-impérialisme américain (dans la
lignée d’un henri guaino, l’autre bras droit de Nicolas Sarkozy), agrémen-
tée de trucs et astuces pour faire perdurer la Françafrique.
un des correspondants régionaux de Politis, Cris Even, va prendre à
témoin la rédaction de Politis : « Celui qui dit non à sarkozy est-il dédouané de
toutes les infamies commises, qui lui ont permis d’être remarqué par notre rugbyman
miniature ? Y compris sa coresponsabilité dans un génocide, avec Balladur, “l’ami”
de sarko ? (…) est-ce que l’opposition à l’atlantisme sarko-bushien et la défense prio-
ritaire du peuple palestinien excuse tous les autres crimes ? Nous, qui défendons éga-
lement l’Afrique noire martyrisée, savions déjà que la responsabilité de la France
dans le génocide rwandais avait pour misérable justification la défense de la franco-
phonie contre l’ennemi anglo-saxon9 ! »
Au fond, pour Politis, le plus important scandale français des soixante
dernières années n’a eu droit qu’à une attention en pointillés. Quelques tri-
bunes en quinze ans auront suffi. Mais la suite va nous montrer un Politis
nouveau. Enfin, pas forcément dans le bon sens. Bernard Langlois a décidé
de livrer le fond de sa pensée : « Un lecteur apparemment atteint de psittacisme10
et se prenant pour le regretté Verschave, sans en avoir ni la hauteur de vue ni les
méthodes – pugnaces mais toujours empreintes de respect envers ses interlocuteurs –,
nous bombarde ces temps-ci dans nos boîtes personnelles de messages électroniques »,
se plaint Langlois, avant de se justifier : « Je pense, personnellement, qu’il y a
des complicités françaises (droite comme gauche) qui se sont traduites par le soutien
au hutu Power, clairement responsable des massacres ; et j’ai signé à l’époque la
pétition demandant que la justice ait à connaître de ces complicités. » Mais voilà
qu’il ajoute, contresignant éhontément Péan : « On sait qu’il y a par ailleurs
des accusations assez précises portées envers Kagame et le camp tutsi (notamment

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celles du juge Bruguière, reprises dans le livre de Péan). Cela pour dire que les choses
sont rarement simples. Incontestable qu’il y a eu génocide, mais le FPR de Kagame
a sa part de responsabilités (...)11. » Les « accusations précises » de Bruguière et
Péan... Cette énormité est contredite en catastrophe la semaine suivante
par Sieffert,12 sans citer Langlois : cette version « contestée (…) a le double
avantage de tenir le FPR Tutsi13 pour responsable en partie du génocide dont les
Tutsis ont été victimes et de gommer toute préméditation. »
Cette polémique illustre au moins deux choses : l’action citoyenne, l’in-
terpellation des journalistes aux yeux fermés plus ou moins volontairement
est une urgence. Car, signe des temps, le traitement par les médias estam-
pillés de gauche comme de droite face à l’implication française dans le
génocide s’est nettement dégradé, étant déjà à un niveau très bas. Admettre
qu’un crime absolu ait pu être commis par l’État français et/ou couvert par
les plus hauts responsables du pays venant d’un très large spectre politique
risque aussi de remettre en question le système médiatique, structurelle-
ment défaillant face au génocide.
Pierre Péan et hubert Védrine, les gardiens de la mémoire de François
Mitterrand, sont en première ligne pour défendre aussi bien l’honneur de
l’armée française que les intérêts du parti génocidaire. Leur succès relatif
dans les médias de droite comme de gauche confirme la situation qui pré-
valait il y a quinze ans au temps du génocide. L’esprit critique est bien peu
aiguisé quand il s’agit de regarder cette face obscure de la politique de
l’État. Ce qui est affligeant, c’est qu’une telle situation puisse perdurer par-
delà le génocide. Ce ne serait donc pas par hasard ou du fait de la méchan-
ceté particulière de certains acteurs, que la guerre totale a pu prendre place
au Rwanda sans que la moindre critique ne s’exprime en France. On com-
prend maintenant que lorsque Jean Carbonare parlait à la télé, ce n’est pas
seulement Bruno Masure qui l’écoutait poliment – mais des millions de
téléspectateurs avec lui. Lorsque, le 18 mai, Libération faisait sa une et un
dossier de huit pages – ! – pour dénoncer les responsabilités françaises,
l’indifférence n’était pas moindre. Quinze ans plus tard, alors que le crime
est amplement connu, il suffit qu’un Péan ou un Védrine racontent des his-
toires pour qu’on applaudisse consensuellement. Confirmant l’adage qui
voudrait qu’on ne sache que ce qu’on veut bien savoir.

8 LA NuIt RwANdAISE N°3 • BRuNO BOudIguEt-MIChEL SItBON, L’ANesThésIe...


notes

1. 19 novembre 2008.
2. Son actuel rédacteur en chef, Nicolas Beau, avait déjà pu défendre Pierre Péan dans le
Canard enchaîné, lors d’une polémique entre Péan et RFI. Lire « hutus, tutsis et RFI », Le
Canard enchaîné, 7 décembre 2005.
3. Bakchich, « Quand Val poignarde denis Robert et Siné dans le dos », 16 juillet 2008. un
commentaire cocasse, tant on sait la fréquentation assidue des hautes sphères par Péan. Ce
dernier est par exemple l’auteur d’un très tendre livre d’entretien avec Jacques Chirac en
2007.
4. L’expansion, 1er mai 2004.
5. 30 mars 2008.
6. Le Journal du mardi, n°245, 06.12.2005.
7. Fareed Zakaria , the Post-American world, w. w. Norton, New York, 288 pages, 2008.
8. Editorial de denis Sieffert, Politis, 13 septembre 2007.
9. Courrier des lecteurs, Politis n°970, 4 octobre 2007.
10. « Le terme psittacisme a pour origine latine psittacus, qui signifie perroquet. Il est employé pour
qualifier la répétition mécanique d’expressions, phrases ou formules par un sujet, qui ne les comprend
pas nécessairement. » Source : dicopsy.com/psittacisme.htm
11. Bernard Langlois, Du Kouchnérisme, Politis, 18 décembre 2008.
12. Politis N°1032, du 24 décembre 2008.
13. « FPR Tutsi », « camp tutsi » : c’est le langage d’un Bernard debré, qui accrédite l’idée du
conflit interethnique et ôte toute pensée politique au FPR, qui a toujours refusé l’ethnicisa-
tion du conflit.

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