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Pascal KOEBERLE
Enseignant-Chercheur Doctorant (3ème année)
Université de Strasbourg
CESAG (EA 1347), Ecole de Management Strasbourg
Faculté de Sciences Economiques et de Gestion
1
Par exemple, leur rôle inclut la recherche des « moyens de réduire la dépendance de leur organisation vis-à-vis
des ressources de l’environnement ou [d’] augmenter celle des autres organisations vis-à-vis des ressources
rares » (Rouleau 2007, p.53 ; Pfeffer et Salancik 1978).
Deuxièmement, nous entendons construire une théorie générale. Tout en étant préoccupé avant tout
par une généralisation analytique (au sens de Yin 2003), nous souhaitons maximiser les chances
d’aboutir une compréhension recontextualisable dans un maximum d’organisations. A cette fin, nous
mobiliserons le concept de design organisationnel. Pour Galbraith (1977), ce concept pointe des
dimensions communes aux organisations, malgré leur hétérogénéité, ce qui assoit l’apport potentiel
des théoriciens des organisations. Par ailleurs, dans la définition qu’en donne cet auteur, le design
organisationnel inclut le concept de choix stratégique.
Troisièmement, la perspective des configurations (Mintzberg 1980) identifie, de par ses hypothèses,
un nombre limité de designs organisationnels « purs » – ou configurations (Mintzberg 1980), ou
idéaltypes (Weber 1949), ou gestalts (Miller 1981), ou archétypes (Miller et Friesen 1978 ; Miller et
Friesen 1980 ; Greenwood et Hinings 1993), ou architecture organisationnelle (Nadler et Tushman
1997), selon les auteurs. Elle rend intelligible la diversité mise en évidence par les approches
contingentes, tout en maintenant l’opposition à l’idée d’un one best way structurel. En cela, elle
renferme un référentiel théorique permettant de diagnostiquer une organisation, c’est-à-dire de juger,
de ranger les caractéristiques particulières de cette organisation sous des catégories conceptuelles
générales (Muglioni 1990). Elle favorise également la réflexion et les recommandations relatives au
contenu du projet de changement organisationnel approprié, compte tenu des contraintes en
provenance de l’environnement d’une part, et des ressources et connaissances disponibles d’autre part.
Dans la perspective configurationnelle, le changement organisationnel est une transformation
consistant au passage d’une configuration à une autre, selon un processus généralement qualifié de
quantique (le changement affecte beaucoup d’éléments simultanément) et de révolutionnaire (par
opposition à incrémental) (Miller 1982 ; Miller et Friesen 1982 ; Mintzberg et al. 1999).
C’est sur ce processus de transformation – et sur les conditions de son émergence, puis de son
avortement ou de son aboutissement – que nous tentons d’apporter un éclairage nouveau. A cet égard,
la controverse entre changement révolutionnaire et changement évolutionnaire/incrémental, entretient
l’une des grandes problématiques du management stratégique (Mintzberg et al. 1999). Ce travail
s’inscrit dans la mouvance de cette problématique générale.
Comment dépasser ce débat, sans invoquer la différence de choix de l’observateur entre une
perspective historique ou temporellement plus circonscrite (Weick et Quinn 1999, p.362) ? La piste
visant à appréhender le paradoxe action::structure nous semble, ici, prometteuse (Poole et Van de Ven
1989 ; Fairclough 2005). Comment peut-on marier une approche structurale de la stabilité, à une
approche évolutionnaire du changement ? Cela suppose de distinguer la structure (organization) du
processus organisant (organizing) (Weick 1979), puis d’en envisager les interactions ? Quel cadre
épistémo-méthodologique convient à cet effort ?
Nous organisons ce propos d’étape en trois parties. La première consulte le cadre théorique de la
recherche, autour des concepts de design organisationnel et de configuration/transformation. Dans une
seconde partie, nous synthétisons les traits fondamentaux du réalisme critique. Pour Fairclough
(2005), l’ontologie réaliste critique apparaît potentiellement plus prometteuse pour la recherche sur le
changement organisationnel, que ne l’est (ne le sont) le(s) constructivisme(s). Enfin, la troisième partie
aborde la question méthodologique. L’originalité réside dans la combinaison de deux techniques peu
rencontrées dans la littérature consultée : l’analyse critique de discours (Fairclough 2005) et l’analyse
thématique (à la manière suggérée par Boje 2001). Nous concluons le propos par un aperçu des
résultats attendus et des interprétations correspondantes.
CADRE THEORIQUE : LE CONCEPT DE DESALIGNEMENT
Le design organisationnel
Le design organisationnel peut se définir comme le processus de décision visant à mettre en cohérence
la stratégie, la structure et les systèmes d’incitation de l’organisation (Galbraith 1977). La question de
l’adaptation de l’organisation à son environnement est incluse dans la composante stratégique. En
réaction à l’approche de l’école classique du design organisationnel, celle des Relations Humaines a
contribué à une meilleure action sur les systèmes d’incitation. La théorie comportementale de la firme
(Cyert et March 1963) d’une part, et le développement des TIC d’autre part, ont contribué à
l’amélioration de la connaissance relative à la coordination du travail. Enfin, la gestion des ressources
humaines n’est pas réductible à des mécanismes incitatifs. La figure 1 résume ces facettes du concept
de design organisationnel :
2
1) cinq parties organisationnelles fondamentales – le centre opérationnel, le sommet stratégique, la ligne
hiérarchique, la technostructure et les fonctions de support ; 2) cinq mécanismes de coordination – l’ajustement
mutuel, la supervision directe et la standardisation des processus de travail, des produits et des compétences ; 3)
neuf paramètres de design – la spécialisation du travail, la formalisation du comportement, la formation et
l’endoctrinement, le regroupement en unités, la taille des unités, les systèmes de planning et de contrôle, les
systèmes de liaison, la décentralisation verticale et la décentralisation horizontale ; 4) quatre facteurs de
contingence – l’âge et la taille de l’organisation, le système technique, l’environnement et le pouvoir.
nécessité s’estompe, les structures de légitimité sont effacées. Notre postulat est, ici, que ces structures
sont parfois plus apparentes dans les discours organisationnels, que dans d’autres éléments du réel 3 .
Ces structures et/ou ces discours sont-ils aussi simples à gommer ? Le décalage entre discours et autres
éléments du réel reste-t-il sous contrôle de ceux qui l’ont initié ? En fait, les transformations pourraient
s’expliquer par l’incidence du discours sur les autres éléments du réel. Une transformation aboutit,
peut-être, sous l’effet d’un discours émergent qui s’opérationnalise. Une excursion irrésolue peut
signifier l’existence d’une tension équilibrée entre deux discours contradictoires, donnant naissance à
des actions divergentes. Enfin, l’inertie peut correspondre aux situations où discours et autres éléments
du réel concordent. Ceci aboutit à notre question centrale : comment la possibilité d’un décalage
entre discours et autres éléments du réel rend-elle compte de la trajectoire suivie par une
organisation ?
Trois limites demeurent pour la construction d’une théorie qui étende notre connaissance des
organisations et du changement organisationnel.
Premièrement, les niveaux organisationnels et cognitifs sont encore insuffisants. L’action économique
est influencée par l’encastrement des organisations dans un contexte institutionnel (Granovetter 1985).
Greenwood et Hinings eux-mêmes insistent sur cette question laissée ouverte dans leur propre
recherche. Deuxièmement, la contribution de Greenwood et Hinings est limitée par sa concentration
sur le processus de changement, au détriment de son contenu. Si le contenu du niveau organisationnel
existe dans les travaux antérieurs (Galbraith et Mintzberg, notamment), celui du niveau cognitif reste à
préciser. Le modèle de Lam (2000) apporte une synthèse de ces trois niveaux (cognitif,
organisationnel, institutionnel) et leur associe un contenu. Nous résumons ce modèle, brièvement, ci-
dessous.
Troisièmement, un discours est une façon de représenter certaines parties ou certains aspects du
monde (Fairclough 2005, p.925). Les schémas interprétatifs, envisagés par Greenwood et Hinings,
sont des discours. Ainsi, ces auteurs établissent le contraste entre organization et organizing (Weick
1979), comme un contraste entre structure (design organisationnel) et discours (schémas
interprétatifs). Fairclough (2005, p.918) adresse cette même critique à Mumby et Stohl (1991) et à
Mumby et Clair (1997). Ce contraste entretien une confusion, dans la mesure où les structures ont
elles-mêmes un caractère partiellement linguistique. Ce sera l’objet de la seconde partie.
Le modèle de Lam : les trois niveaux d’analyse et leur contenu
Lam (2000) ancre sa réflexion dans le constat de l’importance prise par le concept de connaissance
tacite dans la littérature sur l’apprentissage organisationnel et l’innovation. Pour elle, la connaissance
du lien entre connaissance tacite et apprentissage organisationnel est pénalisée par l’absence d’un
cadre conceptuel intégrant le micro-niveau des activités d’apprentissage avec les formes
organisationnelles (designs idéaltypiques) d’une part, et avec le macro-niveau institutionnel d’autre
part. Elle identifie deux dimensions significatives à chacun de ces niveaux cognitif, organisationnel et
institutionnel. Le croisement de ces deux dimensions définit le contenu des éléments du design attaché
à chaque niveau d’analyse. Les figures 2, 3 et 4 résument ces dimensions et ces contenus
respectivement pour les niveaux cognitif, organisationnel et institutionnel.
3
Nous laissons pour le moment de côté les questions épistémologiques soulevées ici. Le réalisme critique permet
d’y répondre.
Figure 2 - Niveau cognitif : types de connaissances
La figure 8 représente ce même modèle, en insistant davantage sur les pôles constitutifs des deux
dimensions de chaque niveau.
Une des critiques principales que l’on peut adresser à ce modèle, est la réduction des niveaux à
(seulement) deux dimensions. Par exemple, la description du niveau organisationnel faite par
Mintzberg, peut sembler infiniment plus complexe que ce que Lam et Lewkowicz en retiennent
explicitement dans le modèle. A nouveau, « les théories sont nécessairement abstraites et admettent
moins du réel qu’elles n’en omettent » (Dosi et Marengo 2007). Cependant, Weick (2004) estime que
les théoriciens ont fait du design organisationnel un concept peu maniable. Plus les prédictions
échouent, plus nous ajoutons des variables à nos modèles : « The problem is, we don’t drop any of the
variables that have been accumulated » (Weick 2004, p.39).
Le modèle de Lam (étendu) nous semble d’une complexité suffisante du fait de sa construction multi-
niveaux. Notre question est, plutôt, de savoir comment cette construction améliore la compréhension
du mécanisme de transformation de l’organisation.
Figure 8 - Les quatre designs organisationnels idéaltypiques, selon des continuums d’hybridation
Le concept de désalignement
Chaque idéaltype correspond à un alignement cohérent des niveaux du design organisationnel, sur l’un
des quatre quadrants du modèle de Lam. Pour expliquer la transformation (ou l’inertie), l’idée de
découplage/re-couplage de Greenwood et Hinings (1988) peut être étendue à l’ensemble des niveaux.
Le découplage – ou désalignement – d’un niveau amorce une dynamique. Le contenu multi-niveaux
du modèle de Lam, fournit les thèmes permettant le diagnostic de ce désalignement (voir la section
méthodologique).
Comment noté précédemment, Greenwood et Hinings entretiennent une confusion en établissant un
contraste entre structure (design organisationnel) et discours (schémas interprétatifs). Les structures –
comme les connaissances 4 , les institutions et les stratégies – ont un caractère partiellement linguistique
(et, donc, partiellement non-linguistique) (Fairclough 2005). Dans la mesure où ces considérations ne
sont pas neutres vis-à-vis du diagnostic du désalignement, il est nécessaire d’expliciter le cadre onto-
épistémologique qui sous-tend cette discussion.
4
Une interprétation (ou un discours) peut avoir, pour référent, une connaissance (Fleetwood 2005).
5
Cette section reprend, notamment, les développements de Fairclough (2005) et Fleetwood (2005).
6
Le post-modernisme est une branche extrême du constructivisme. Dans cette branche, le réel n’existe pas
indépendamment de notre connaissance à son propos. En ceci, elle est clairement positionnée ontologiquement.
La distinction du réalisme critique avec le positivisme, quant à elle, porte moins sur l’ontologie que sur
l’épistémologie.
distinctions notables : entre différents modes de réalité d’une part, et entre différentes strates de
réalités d’autre part.
Modes de réalité
Pour les réalistes critiques, une entité est dite réelle si elle a une efficacité causale, c’est-à-dire si elle
produit un effet sur le comportement 7 (Fleetwood 2005) : « si beaucoup de choses sont réelles, elles le
sont selon différentes manières ou modes » (p.199). Pour cet auteurs, les entités peuvent être réelles 1)
matériellement, 2) idéellement, 3) artefactuellement ou (et) 4) socialement.
Pour notre propos, nous retenons la distinction, plus grossière, entre discours et autres éléments du
réel. Confondre les deux reviendrait à assimiler les représentations et leurs référents (p.216). Pourtant,
des acteurs peuvent tenir un discours qui ne correspond pas à certains éléments extra-discursifs du
réel, en particulier dans le cadre politisé des structures et des processus de travail, par exemple s’ils y
voient une opportunité relative à leurs intérêts.
Un premier type de désalignement possible, parmi les éléments du design organisationnel, est donc
celui entre discours et autres éléments du réel.
L’intérêt des managers peut être d’utiliser cette possibilité comme levier de changement. Une question
qui se pose est celle de savoir s’il faut communiquer sur le changement avant d’agir, ou s’il est
préférable d’agir d’abord. Autrement dit, faut-il créer un désalignement par le discours, ou par les
autres éléments du réel, comme attitude de conduite du changement ?
Une ontologie stratifiée
Un débat ontologique de fond oppose une conception de l’organisation comme système formel de
règles et de rapports d’autorité – organization – et comme processus organisant associé à l’idée
d’ « organizational becoming » (Tsoukas et Chia 2002) – organizing (Weick 1979). Pour le réalisme
critique, organization et organizing, ou plus généralement structures et actions/processus, ne doivent
pas être vues comme des alternatives entre lesquelles il faut choisir. La communication,
l’interaction,… organisent, produisent des effets organisationnels, et peuvent contribuer à la
transformation de l’organisation. Mais ces processus sont soumis à des conditions de possibilités qui
résident en partie dans les structures organisationnelles (Fairclough 2005, p.918).
A la manière de Ranson et al. (1980), le réalisme critique propose d’examiner la relation entre les
structures sociales, les pratiques, les identités, les ordres de discours et les organisations pré-
construites d’un côté, et les processus, les actions, les événements et les textes de l’autre.
Les structures ont un caractère partiellement discursif, appelé « ordre de discours » : une configuration
de discours relativement stabilisée et durable. Parallèlement, les « textes » sont les éléments discursifs
des événements. Ainsi, la distinction entre discours et autres éléments du réel ne doit pas être
confondue avec celle entre structures et événements/processus (Fairclough 2005).
Cette distinction entre structure et action/événements correspond à une stratification temporelle du réel
(Fleetwood 2005, pp.203-205). L’action est continue, ininterrompue. Le point de départ d’une analyse
d’un phénomène cyclique (tel que notre approche de la transformation) est toujours arbitraire : « nous
devons faire irruption dans le cycle à un certain point et imposer un point de départ analytique »
(p.203). A ce point, les interactions sociales sont régies (contraintes et rendues possibles) par des
7
Ainsi, peu importe de savoir si Dieu est ou non réel : l’idée de Dieu est aussi réelle que le mont Everest, parce
qu’elle influence les actions humaines (Fleetwood 2005).
structures pré-construites. Ces dernières sont à la fois ontologiquement réelles (au sens où elles ont un
effet sur le comportement) et socialement construites (au sens où elles dépendent de l’action humaine
pour leur existence). Elles se transforment au gré de variations dans l’action (et les textes) dont
l’amplitude est délimitée par les structures (dont l’ordre de discours) (Fairclough 2005, p.924).
Un second type de désalignement possible est donc celui entre structures et événements. Une approche
par l’analyse critique de discours au sens de Fairclough (2005) – une version de l’analyse de discours
basée sur l’apport de l’ontologie réaliste critique – réduit cette distinction à l’étude du désalignement
(ou au contraire de l’alignement) entre ordre de discours et textes (alternatifs ou non).
Ici, l’intérêt des managers peut être d’empêcher l’émergence de textes (et, surtout, leur sélection pour
être incorporés dans les stratégies des acteurs) alternatifs, jugés dommageables pour l’organisation
s’ils venaient à s’opérationnaliser. Inversement, ils peuvent chercher à encourager tout désalignement
opportun, par leur contribution à la mise en actes des textes.
Les managers peuvent également faire face à des interprétations gênantes ou non, mais peu fondées
(textes alternatifs). Si elles gênent, la distinction entre discours et autres éléments du réel est
intéressante pour diagnostiquer le manque de fondement de ces textes : les limites à l’interprétation
sont souvent établies par la matérialité des référents (Fairclough 2005, p.201). Si elles ne gênent pas,
la distinction entre ordre de discours et textes peut être utilisée pour donner, selon les besoins, des sens
différents aux mêmes réalités : une certaine ambivalence peut servir à la formation d’alliances de
circonstance, entre acteurs dont les intérêts par ailleurs sont parfois profondément contradictoires.
Les implications méthodologiques des cadres théorique et épistémologique sont discutées dans la
troisième partie. L’ensemble encourage l’examen empirique du comment ces deux types de
désalignement contribuent, éventuellement en se combinant, à la transformation de l’organisation.
IMPLICATIONS METHODOLOGIQUES
Recherche synchronique
La stratification temporelle du réel n’implique pas, à notre avis, une recherche diachronique
(contrairement à l’affirmation de Greenwood et Hinings (1988)). Cette approche est bien entendu
intéressante (parce que complémentaire) pour des travaux futurs, mais elle est incompatible avec nos
échéances institutionnelles.
Cette stratification laisse la place pour une étude synchronique. Dans leurs discours, les acteurs
peuvent évoquer des processus et des événements marquant de leur quotidien (textes). Certains
événements peuvent les surprendre, ce qu’ils peuvent exprimer et expliquer. Ces événements peuvent
leur paraître en contradiction avec les structures, les pratiques, l’ordre de discours et les identités
préexistants. En termes méthodologiques, l’implication est d’amener les interlocuteurs à produire des
narrations relatives aux structures et processus organisationnels.
Dans l’introduction d’un numéro spécial de l’Academy of Management Review, Boje, Oswick et Ford
(2004) encouragent les travaux intégrant différentes approches « language-based ». Notre stratégie de
recherche combine une analyse narrative (ci-dessous) et une analyse critique de discours (voir plus
haut).
Une narration se définit comme la représentation d’une histoire (Porter Abbott 2008, p.237). Elle
renferme deux éléments : l’histoire et le discours narratif (l’interprétation sur laquelle se fonde la
représentation). L’histoire est un événement ou une série d’événements ; le discours narratif est le
scénario particulier imposé à l’histoire par le narrateur. En d’autres termes, la narration est la
représentation qui a l’histoire pour référent.
Nous devons amener nos interlocuteurs à raconter l’histoire de leur organisation (à l’origine de ses
structures), et plus spécifiquement les aspects de l’histoire liés aux éléments du design organisationnel.
Des entrevues semi-directives s’imposent, et par conséquent l’identification de thèmes à aborder. Ces
thèmes sont fournis par les dimensions du modèle de Lam étendu. En somme, parmi les méthodes
d’analyse narrative, l’analyse thématique apparaît particulièrement appropriée à notre recherche.
Analyse thématique
Pour Boje (2001, p.1), l’histoire est antenarrative : elle est antérieure à la narration. Cet auteur établit,
sur cette base, la distinction entre narrations et antenarrations. Cela suppose qu’une antenarration se
compose d’une histoire et d’un discours antenarratif. Nous proposons de définir un discours
antenarratif comme un discours dont le sens n’est pas stabilisé.
A notre avis, la distinction entre discours narratif et antenarratif est identique à celle entre ordre de
discours et textes. L’ordre de discours suppose l’existence d’un scénario dominant qui a stabilisé le
sens des discours passés ; à l’inverse, les textes émergent du flux des événements et, de ce fait, ne sont
pas organisés selon un scénario.
Dans le cadre d’une analyse thématique, Boje (2001) propose d’étudier l’interaction entre narrations et
antenarrations (p.127). C’est ce que nous avons également envisagé. Adaptant légèrement Boje, la
figure 9 décrit le principe d’une analyse thématique associant narration et antenarration. Cette figure
est une matrice pour le traitement des données. Chaque donnée (pertinente à la recherche) correspond
plus ou moins bien à un design idéaltypique.
L’analyse thématique peut être déductive (les thèmes, dits etic, sont issus de la littérature) ou inductive
(les thèmes, dits emic émergent de l’analyse des données collectées). Nous adoptons la position de la
grounded theory (Glaser et Strauss 1967) consistant en une circularité entre catégories etic et emic,
entre déduction et induction, destinée à mettre progressivement ces catégories en correspondance. La
notion de circularité (Boje 2001) signifie que la distinction etic/emic est analytique : l’emic devient
etic, qui redevient emic, par un processus d’appropriations successives par les chercheurs et les
praticiens. Boje suggère que l’analyse thématique examine cette circularité. Ce faisant, le traitement
des catégories emic nous est apparu complexe : leur correspondance éventuelle à un idéaltype – fait de
catégories etic dans la mesure où les configurations retenues par Lam (2000) et Lewkowicz (2006)
sont des typologies et non de taxonomies – n’est pas toujours immédiatement perceptible par le
chercheur, mais nécessite parfois des interprétations au moment du diagnostic.
L’idée de circularité est implicite dans la notion d’interchangeabilité des indicateurs (Glaser et Strauss
1967, p.49) : une liste indicative de thèmes peut (doit) être constituée sur la base d’une anticipation par
le chercheur, aboutissant à une consolidation des catégories idéaltypiques, lesquelles seront alimentées
ensuite par les observations faites. En somme, le tableau 1 fournit une liste non exhaustive
d’indicateurs mobilisables à l’occasion des entrevues (détaillant les thèmes compris dans le modèle de
Lam dont certains sont repris dans les exemples de la figure 9).
La compréhension de la transformation de l’organisation implique l’analyse (critique) des discours
antenarratifs qui ne correspondent pas à un idéaltype unique mais qui, au contraire, chevauchent
différents idéaltypes. Comme nous l’avons proposé plus haut, ce désalignement (ici, entre ordre de
discours et textes) amorce une dynamique.
Figure 9 - Exemples de thèmes narratifs (adapté de Boje 2001, p.124)
Tableau 1 - Liste d'indicateurs permettant d'appréhender le design organisationnel selon les niveaux du modèle de
Lam étendu (Source : Koeberlé et Lewkowicz, non publié)
CONCLUSION
Résultats attendus
L’analyse thématique des six organisations révèle des situations nuancées d’alignement et de
désalignement (de différents types). Il est intéressant de noter que les deux types de désalignement
s’observent à la fois dans la polyphonie et dans la monophonie.
Par ailleurs, les six organisations sont différenciées selon la dynamique qui les caractérise (allant de
l’inertie à la transformation aboutie).
Interprétations
La différence de dynamique s’explique par le type de désalignement caractérisant l’organisation. Nous
proposons, ainsi, une compréhension de la transformation organisationnelle à travers la nature du
désalignement.
Implications managériales
De façon contre-intuitive, il semble préférable d’agir d’abord, puis de communiquer sur le changement
dans un second temps, selon une attitude d’essai/erreur. En cas de communication préalable, celle-ci
doit rester circonscrite à des acteurs partageant la vision qui fonde le projet de changement.
Communiquer au stade de l’essai, c’est prendre le risque de devoir reconnaître une erreur, le cas
échéant, aux dépens de l’autorité.
Par ailleurs, le diagnostic que nous proposons révèle les changements émergents. Plus le diagnostic est
précoce, plus le pronostic (par exemple, relatif à la réversibilité d’un processus dommageable pour
l’organisation) est optimiste, et plus la thérapeutique – préventive, curative ou palliative – s’allège.
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