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La Parole En Chantier
Un film de Nicolas HABAS
France, 2007, 42 minutes
Synopsis:
Le documentaire rappelle les origines du cinéma, comme par exemple les Frères
Lumière, qui souhaitaient avant tout documenter un lieu. Ils avaient des bobines d’une
minute qu’ils laissaient défiler face à une situation donnée.
Ces films sont des séries de témoignages. Ce sont des liens directs qui portent
leur regard sur une réalité sociale difficile. Ce cinéma documentaire dit « social » est
apparu très tôt dans l’Histoire du 7ème Art. Ainsi en parlait Jean Vigo dès 1930 :
« (Le) cinéma social, c’est assurer le cinéma tout court d’un sujet qui provoque
l’intérêt; d’un sujet qui mange de la viande.
(Le) documentaire social (est le) point de rue documenté. (…) (Il) se distingue
du documentaire tout court et des actualités de la semaine par le point de vue qu’y
défend nettement l’auteur. Ce documentaire exige que l’on prenne position, car il met
les points sur les i. S’il n’engage pas un artiste, il engage du moins un homme. (…)
L’appareil de prise de vues sera braqué sur ce qui doit être considéré comme un
document, et qui sera interprété, au montage, en tant que document. »
Jean VIGO
Dans son film, Nicolas Habas répond tout à fait à l’analyse de Jean Vigo. Ainsi,
dès les premières secondes, il pose un cadre clair qui va appuyer et illustrer son
propos. Son film, didactique et pédagogique, est très accessible contrairement à bon
nombre de films documentaires beaucoup plus intellectualisants. Il suffit de regarder La
Parole En Chantier et être disponible pour vivre des émotions et se faire sa propre idée
sur le sujet.
2- Le prologue : cadre qui pose un propos
9. 10.
Ce plan rappelle la La femme se souvient de
promiscuité dans ces cités la rapidité avec laquelle
HLM : la campagne s’est
beaucoup d’appartements transformée en cité :
dans un minimum d’espace. aucune communication et
Les couleurs du mur aucune consultation pour
confirment une construction répondre aux mieux aux
dans les années 1970. habitants.
Après avoir surplombé le
quartier et en avoir eu une
vision d’ensemble (tant
historique par les
11. 12.
interventions des habitants
ème
que géographique grâce 3 personnage, toujours
aux différentes anonyme :
diapositives), le rythme on se rapproche de plus
s’accélère (rappel de en plus, tant de l’espace,
l’urbanisation) et la caméra que de l’actualité du
nous invite à rentrer quartier. Il parle
vraiment dans ce quartier désormais de la genèse
(légère contre-plongée). de la construction et plus
Le thème musical reprend, de l’histoire avant la
ponctué par des chants création de la cité.
d’oiseaux (Fait-il bon vivre
dans le quartier ?)
Le synopsis du film
s’affiche sur l’écran: les
acteurs sont les habitants
du quartier, aucune
personne étrangère au lieu
n’interviendra.
13. 14.
Voix off.
On découvre un autre côté
Voix off.
du quartier, on le cerne peu
Retour sur le
à peu, on en fait le tour,
cloisonnement de
mais avec une certaine
l’espace.
distance.
15. 16.
17. 18.
Est-ce un plan
d’ensemble sur la MJC
ère
1 identité affichée au bas du quartier ? Ce plan
de l’écran même si on ne d’ensemble peut le
connaît que son prénom : laisser supposer. Ainsi,
personnalité importante du cela confirmerait
quartier ? la MJC est-elle l’hypothèse sur
le centre névralgique de la l’importance de cette
cité? structure d’accueil social
et de culture.
19. 20.
On reconnaît la voix d’un
Une voix off de femme
homme qui s’est déjà
regrette le calme qui régnait
exprimé : le cadre se
dans le quartier.
précise toujours un peu
L’effervescence d’une zone
plus ; on va suivre
industrielle a modifié les
certains habitants plus
lieux. Ce changement
précisément (ce qui crée
radical a eu un impact
un effet d’attente).
néfaste sur un certain
A l’image, on devient peu
nombre de personnes.
à peu voyeur, on rentre
dans l’intimité des gens
en se rapprochant
toujours un peu plus.
21. 22.
Confirmation par l’image: Lien avec le plan
on va retrouver des précédent et l’intervention
personnages. de l’habitant : des
Discours : la politique de quartiers ont été modifiés,
l’habitat a changé mais ont été construits
radicalement dans les trop vite sans être
années 70 et beaucoup de réfléchis : saturation de
quartiers ont été modifiés. l’espace, manque de
lumière et de couleurs.
On retrouve une voix
déjà entendue.
23. 24.
Voix off familière : problème
d’entretien des HLM et
preuve par l’image.
L’espace est désormais
Suite de la visite et
complètement saturé, les
constat sur la façade du
balcons sont sales. Linge :
travail de réfection qu’il y
intimité des habitants. Nous
a à faire.
partageons les témoignages
des habitants sur leur
quotidien.
Visage connu et dernière
25. 26.
intervention dans ce
Dernier plan de la cité dans
prologue ; il pose le
ce prologue. On en a fait
problème du quartier :
le tour. On peut entendre
«aujourd’hui, on est en
les confessions des
train de nous dire, on va
habitants puisque l’on
vous rénover, on va
connaît désormais leur
réhabiliter, on va faire
environnement.
ceci on va faire cela, est-
ce qu'il faut y croire ? »
Titre du film sur thème
musical :
Le studio où sont venus se
confier les différents acteurs
de ce quartier est en fait
27. une cabane de chantier qui 28.
s’est fondue dans le
paysage avec les travaux
Le cinéaste nous laisse
de rénovation et
entrevoir un deuxième
réhabilitation en cours. Ce
volet qu’il réalisera peut-
chantier prépare l’avenir et
être à la fin des travaux
annonce des changements
pour faire un bilan de
majeurs.
cette opération de
L’accent sera porté ici sur
renouvellement urbain.
la parole, donnée à tous
ceux qui participent à cette
entreprise.
La Parole en Chantier fait-
elle également référence
aux concertations et
échanges parfois délicats
entre pouvoirs publics et
habitants ?
Ce prologue est très riche. Il nous renseigne sur le lieu dont nous avons fait peu
à peu le tour par l’alternance de diapositives/films sur le quartier et de témoignages
des habitants sur son histoire et les problèmes auxquels il doit faire face aujourd’hui.
Ces derniers semblent vouloir toutefois être gérés par les pouvoirs publics par une
réhabilitation des lieux.
Pourtant, la dernière intervention est assez pessimiste. Ce film va-t-il donner des
éléments de réponse aux questions posées?
Retrouver certains habitants nous aide à mieux les identifier et on attend leur
prochaine intervention. L’alternance des entretiens avec les plans du quartier donne
beaucoup de rythme à ce début de documentaire ; elle favorise également l’effet
d’attente.
Le prologue nous a fait découvrir plusieurs personnages qui, pour deux d’entre
eux, nous sont déjà familiers. Ils seront rejoints par bon nombre d’autres visages qui
forment une galerie de portraits multiculturelle.
3- Les portraits : une microsociété multiculturelle
Au sein d’un même quartier cohabite une foule de personnalités aux histoires et aux
parcours singuliers qui sont souvent radicalement différents.
Quoi qu’il en soit, au sein même du quartier, la plupart des habitants se soutiennent
malgré leurs grandes différences.
1. 2. 3. 4.
5. 6. 7. 8.
5.
Comme nous l’avons étudié dans la deuxième partie, le cinéaste nous invite à
assimiler le quartier de tous les côtés et sous tous les angles possibles pour avoir la
vision la plus objective possible avant d’écouter les témoignages de ceux qui
l’habitent.
Ainsi, il nous propose toutes les échelles de plan, et des plans en plongée, contre-
plongée, plein cadre etc… On remarque également un jeu sur l’ombre et la lumière
qui enferme encore plus les habitants dans un espace confiné et exigu.
b- Les balcons : espace clos tourné vers l’extérieur
1. 2. 3. 4.
5. 6. 7. 8.
Dégradation progressive visible des Quelques espaces verts au Nouvelle saturation de l’espace.
premier plan. (souffle d’air) Espace clos dans l’ombre.
bâtiments. Homme assis derrière barreaux
Des chants d’oiseaux succèdent Certains stores en plastique sont
Paradoxe : balcon, seul espace qui rappellent la prison
régulièrement à la musique tout fermés (de nouveau, isolement)
d’intimité de l’appartement mais (Isolement).
intimité totale difficile ; on voit tout au long du film, notamment sur Parabole rappelle la tendance à
de l’extérieur. les plans des balcons (légèreté) l’individualisme et au manque de
communication
9. 10. 11.
1. 2. 3. 4.
5.
Le film est ponctué de très courtes séquences qui montrent les acteurs du quartier évoluer dans leur
univers. Ces séquences se distinguent des diapositives (images fixes) des bâtiments.
Leur intimité est toutefois préservée puisqu’on n’entend jamais leur conversation.
Ainsi, nous retrouvons des enfants de différentes nationalités qui jouent ensemble, des jeunes devant un
mur avec des graffitis qui font penser à une appropriation des lieux par les habitants, des copines qui se
confient en souriant, des élèves allant à l’école ou une mère promenant ses enfants.
Ces séquences prouvent qu’une certaine sérénité doit régner dans ce quartier
malgré les difficultés. Cette hypothèse est renforcée par les propos de bon nombre des
témoins qui parlent de la nécessité d’espaces de rencontres dans le quartier comme les
cages d’escaliers (Clément), le supermarché ou la MJC( Steve).
Toutefois, tant ces espaces que les bâtiments doivent être entretenus pour préserver
la convivialité de la vie quotidienne dans la cité et l’équilibre des habitants.
d- Dégradation des lieux : une démolition inéluctable
1. 2.
Ces propos de Roland Castro, architecte urbaniste, reflètent bien l’état d’esprit
des habitants du quartier de Ma Campagne. L’attentisme des pouvoirs publics et
l’ORU radicale qu’ils mènent désormais entraîne une certaine morosité chez eux
voire une violence destructrice. En effet, ils vont jusqu’à incendier la MJC, le lieu
d’accueil qui était le lieu le plus investi de la cité.
1. 2. 3. 4.
5. 6. 7. 8.
La construction de ces tours répondait aussi à une politique de l’habitat très précise
à cette période. Elle était décidée et orchestrée pas l’Etat. Ni les communes, ni les
départements n’avaient alors leur mot à dire, alors qu’ils sont de fait plus proches de
leurs concitoyens. Ainsi, comme le rappelle une habitante dans le prologue, les tours
ont été construites sans concertation et avec une rapidité extraordinaire ; les plans de
ces immeubles n’ont pas été assez réfléchis car faits dans l’urgence, ce qui a entraîné
de nombreux désagréments pour la population qui a souffert de ces défauts de
construction.
En outre, ces cités n’ont pas été entretenues et aujourd’hui apparaissent des
fissures qui rendent certains immeubles dangereux.
Un aspect positif de ce regroupement dans les quartiers est sans doute la solidarité
et la chaleur humaine mentionnée de nombreuses fois par les témoins dans ce film.
Elle rappelle aussi une époque, où l’entraide et la vie en société étaient pour tous une
priorité. On vit aujourd’hui une époque où l’individu prime sur la communauté. Certains
le regrettent, mais ne voient pas d’issue.
Apparaissent également dans ce film les problèmes liés à l’urbanisation et à la
ghettoïsation des quartiers populaires. Ainsi sont mentionnées les questions liées aux
incivilités et destructions croissantes qui naissent parfois de l’inactivité et du manque
d’offre culturelle ou/et professionnelle. Certains déplorent les abus des forces de l’ordre
(délit de faciès, manque de respect etc…), d’autres les trouvent trop laxistes. Ici
encore, l’îlot Jean Moulin est le miroir de la société française dans les banlieues
aujourd’hui.
Il présente aussi la mosaïque étrangère et pluriculturelle qui vit dans ces cités. Les
statistiques de 1999 et de 2004 montrent qu’il y a plus de chômeurs, de non-diplômés,
de jeunes de moins de 25 ans et d’étrangers à Ma Campagne que dans les autres
quartiers angoumoisins. Plus de la moitié des ménages ne sont pas imposés sur le
revenu (le revenu moyen des habitants du quartier est un tiers inférieur à celui de
l’ensemble des habitants de la ville d’Angoulême). Enfin, on remarque qu’il y a
beaucoup plus de familles monoparentales regroupées dans ce secteur.
Contrairement aux années 1970, ce sont aujourd’hui les élus locaux qui ont la
responsabilité de l’habitat. Ils privilégient le dialogue et la concertation avec les
habitants des quartiers. Dans le film, les élus parlent de la nécessité d’une cohésion
sociale et la reconstruction de la citoyenneté. Ils ont besoin d’un échange avec les
habitants de la cité pour répondre le plus possible à leurs attentes. Toutefois, les
critères établis pour savoir qui restera sur les lieux sont définis par les pouvoirs publics
qui hiérarchisent les priorités. Tous les habitants n’obtiendront pas satisfaction. La
communication n’est pas toujours facile et elle est caractérisée entre autres par le
montage alterné.
6- Un montage qui sert le propos
Hormis ce que nous avons déjà étudié (personnages, lieux etc…), d’autres
aspects du montage servent le propos du cinéaste.
- Les cartons :
Les questions incrustées sur l’image permettent de dégager des thématiques et
retrouver certains personnages. Ces personnages récurrents dévoilent
progressivement leur identité et leur personnalité. On attend toujours leur retour. Ils
sont assimilés à des héros de fiction.
Parallèlement, de nouveaux visages apparaissent régulièrement pour créer un
autre effet d’attente et renforcer le rythme.
La musique utilisée pour accompagner les cartons crée également une attente.
- Une alternance :
Comme nous l’avons vu, Nicolas Habas alterne entre les plans dans la cabane
exiguë aménagée en studio qui recueille les témoignages des acteurs (interventions
toujours très courtes pour donner du rythme et donner la parole à tous) et des
diapositives du quartier (vues sur l’extérieur qui permettent de respirer pour mieux
appréhender toutes les interventions, chants d’oiseaux sur bon nombre de
diapositives qui donnent un ton optimiste).
Les habitants du quartier forment un tout et font face aux élus qui prennent les
décisions sur l’avenir de leur univers. En effet, le documentariste insère toujours des
diapositives entre les interventions des uns et des autres. On peut certes assimiler
ce choix à un jeu de questions et/ou préoccupations // réponses et/ou solutions
envisagées, mais il renforce la réalité de deux mondes parallèles qui n’évoluent pas
dans les mêmes sphères. Pourtant ils agissent tous sur le quartier, alors ils ont tous
droit à la parole. Il n’y a par contre aucune intervention d’un être étranger au lieu.
Les trois films traitent d’un aspect de l’urbanisation. Ainsi on peut imaginer des
passerelles pour les analyser en parallèle.
Une dégradation progressive des bâtiments intimement liée au malaise des habitants