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Publication réalisée sous la coordination d’Arnaud Stinès et Marianne Villiers

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Cet ouvrage a été réalisé avec le concours de la
direction régionale de la Jeunesse et des Sports
et la direction régionale des Affaires Culturelles de
Poitou-Charentes.

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Introduction Serge Szarzynski 6

1. L’objet jeu vidéo


- La typologie des jeux vidéo
Sébastien Genvo 10
- Le jeu vidéo et ses vertus éducatives
Éric Leguay 20

2. La posture du joueur
- Le corps dans le jeu vidéo
Mélanie Roustan 32
- Les mécanismes de l’addiction
Phuc Nguyen 40
- Le jeu vidéo est-il une drogue ?
Marc Valleur 48
- Le jeu vidéo : outil thérapeutique ?
François Lespinasse 60

3. Les jeux de demain Stéphane Natkin 76

Conclusion Arnaud Stinès 82


Lexique 86
Présentation des jeux vidéo cités 90
Bibliographie 94

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Serge Szarzynski est directeur régional et


départemental de la Jeunesse et des Sports de
Poitou-Charentes.

6
Logiciels de jeux sur ordinateur, consoles
de salon, jeux en ligne sur ordinateur ou sur
console, téléphones ou consoles portables,
l’univers des jeux vidéo est en pleine explosion.
Leur marché également, qui génère depuis
2006 un chiffre d’affaire plus important que
celui de l’industrie du cinéma. À titre d’exemple,
Nintendo a vendu 20  millions de consoles  DS*
en Europe à ce jour  ; le jeu massivement
multijoueur* World of Warcraft a franchi le cap
des 10  millions d’abonnés dans le monde  ; de
janvier à juillet 2007 le marché du jeu vidéo en
France a gagné 58 %1.
Près d’un foyer français sur deux est joueur avec
deux joueurs en moyenne par foyer. Et parmi
ces joueurs, 26 % ont moins de 14 ans et 32 %
entre 15 et 24 ans.

En quelques années le jeu vidéo est devenu un


loisir de masse dont la sophistication brouille
toujours davantage les frontières entre réalité
et univers numériques.

La plongée dans les mondes virtuels n’est


pas sans conséquences pour le joueur. Le
développement des jeux à caractère immersif –
qui continuent d’évoluer même si la console
ou l’ordinateur sont éteints, le passage par
l’avatar* un personnage créé par le joueur avec
lequel il participe au jeu –, le développement de
communautés virtuelles entraînent un nouveau
1
Source : Agence Française du Jeu Vidéo (AFJV)

7
rapport à l’écran et à la pratique du jeu vidéo.
Des idées reçues circulent, des inquiétudes
émergent, notamment chez les parents et les
autres éducateurs, autour du poids social de
la pratique du jeu vidéo chez les jeunes et des
comportements addictifs qu’elle peut générer.
Au contraire de ces représentations, le jeu vidéo
peut-il constituer un espace de construction
identitaire, un laboratoire des pulsions et des
passions ?

Loin de toute diabolisation, les Espaces


multimédia de Rurart et de l’espace Mendès
France organisaient en 2006, avec le soutien de
la DRDJS, une journée de colloque autour de ces
questions bien réelles sur les univers virtuels.

La direction régionale et départementale de


la Jeunesse et des Sports a souhaité que les
réponses concrètes et accessibles qu’elle avait
commencé à leur apporter puissent être diffusées
largement à travers une publication.

Pour approfondir et compléter les actes du


colloque, sept entretiens ont été menés avec
des universitaires (professeurs en sociologie,
en conception multimédia, en sciences de
l’information et de la communication), des
créateurs de jeux vidéo et des psychologues.

Typologie des jeux, vertus éducatives ou


thérapeutiques, pratique et addiction, cet
ouvrage qui s’adresse à tous les acteurs de
l’éducation partagée aborde ainsi avec une
grande simplicité toutes les facettes du jeu
vidéo.

Puisse-t-il leur donner des éléments de réponse


et puisse la réflexion faire son chemin à travers
cet outil de travail comme par le canal de toutes

8
les actions qui restent à mener ensemble sur
la question plus générale de l’éducation au
multimédia.

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Éric L

Si la diversité de l'offre concernant les jeux vidéo


augmente de jour en jour (supports, univers
fictionnels, modalités d'action, durée, nombre
de joueurs), le profil du joueur évolue lui aussi.
L'industrie du jeu vidéo tente de coller au plus près
des attentes de ses consommateurs et d’élargir son
public.  Sociabilité, amélioration des compétences,
esprit de compétition, éducation et découverte
culturelle sont ainsi valorisés. Mais certains types de
jeux, certaines pratiques peuvent peut-être conduire
les joueurs à perdre pied avec la réalité.

10
Sébastien Genvo est maître de conférences à
l’université de Limoges (IUT du Limousin) et membre
du Centre de recherche sémiotique, le CeReS. Avant
d’entreprendre un doctorat en sciences de l’information
et de la communication, obtenu en 2006 à l’université
Paul Verlaine – Metz, il a été game designer sur le jeu
XIII, édité par Ubisoft en 2003.

Qu’est-ce que le jeu vidéo ?

Premièrement, on peut définir le jeu comme étant


à la fois une activité, une action et une attitude
ludique adoptées par un utilisateur envers un
logiciel.

Deuxièmement, on peut également dire qu’un jeu


vidéo est un logiciel qui présente un caractère de
jouabilité. Il fait l’objet d’un design particulier qui
correspond aux représentations sociales du jeu
et qui suscite une attitude ludique chez le public
auquel il s’adresse. Ce « game design* » comprend
entre autre le système de règles, le graphisme,
l’interactivité. Les game designers doivent donner
un aspect jouable et amusant au logiciel, ce que
les joueurs appellent le « fun ».

Néanmoins, certains programmes comme Flight


simulator, qui est un simulateur de vol, peuvent
être vendus à la fois dans un cadre de loisir (en
tant que jeu vidéo) et dans un cadre professionnel
(en tant qu’entraînement militaire). À partir du
moment où le logiciel est utilisé dans le cadre d’un

11
loisir et que l’usager adopte une attitude ludique
envers celui-ci, on peut considérer qu’il s’agit d’un
jeu vidéo.

Selon quels critères est-il possible de réaliser


une typologie des jeux vidéo ?

La notion de genre est primordiale dans les jeux


vidéo. De leur conception à leur réception, ils
se pensent en termes de genre. Si on essaie de
faire un jeu innovant en se détachant des genres
existants et que le jeu rencontre le succès, il va
très facilement fonder un nouveau genre. Ainsi, on
a appelé « Doom like » les jeux basés sur le principe
de Doom avant de renommer cette catégorie
« FPS »*. Même les jeux présentant un caractère
innovant se retrouvent très vite catégorisés et
créent un nouveau genre.

La perpétuation d’un genre est très importante


dans le jeu vidéo car ils traduisent les modalités
d’action du joueur. Par exemple, l’intitulé du genre
« FPS » indique que l’action principale du joueur
va être de tirer. La particularité du jeu vidéo
est que l’on peut découvrir les règles en même
temps que l’on joue, car elles ne sont pas toutes
données à l’avance. Catégoriser certains jeux
par des modalités d’action permet de donner aux
joueurs des repères pour les aider à y jouer. Les
genres donnent des clés de compréhension de la
jouabilité, par exemple l’intitulé du genre « Beat
them all »* indique que le joueur doit vaincre tous
ses adversaires.

Les jeux vidéo étant soumis à des lois d’innovation,


les types d’action qu’on y rencontre sont sans
cesse mouvants et redéfinissent des genres de
jeux qui s’hybrident. C’est la raison pour laquelle
la typologie des jeux est difficilement réalisable.

Les genres donnent des précisions sur l’univers

12
fictionnel et les modalités d’action développés, ce
qui souligne la spécificité du médium vidéoludique.
Par exemple, les « Survival horror »*, sont des
jeux où le joueur doit survivre dans un univers
d’horreur. Il est dit premièrement que le joueur doit
survivre et que deuxièmement le jeu développe un
univers d’horreur. Aucun autre médium ne précise
ce double aspect.

La notion de genre est importante au niveau de


la réception du jeu. Le genre va servir d’étalon au
joueur pour qu’il puisse s’orienter en fonction de
ses goûts. Il y a des joueurs qui sont accros à un
type de jeu, comme au cinéma.

Mais le nombre de joueurs est également un critère


pour catégoriser le jeu. Par exemple l’intitulé du
genre « MMORPG »* signifie qu’il s’agit d’un jeu de
rôle où l’on joue avec des milliers d’autres joueurs
indiquant à l’acheteur le type d’expérience qu’il va
rencontrer. Il est très courant de préciser s’il s’agit
d’un jeu de rôle solo, multijoueurs (4 ou 5 joueurs)
ou massivement multijoueurs (jusqu’à des milliers
de joueurs).

Est-ce qu’on peut dire que le jeu vidéo offre à


la fois une pratique solitaire et une pratique
de masse ?

On peut considérer le jeu vidéo comme une pratique


de masse du fait de l’arrivée massive du matériel
informatique dans les foyers. Il est aujourd’hui une
des principales activités en tant qu’objet de grande
consommation du divertissement.

Plusieurs études ont montré qu’il existe toujours


une certaine forme de sociabilité autour du jeu
vidéo, même lorsqu’un joueur joue seul face à

13
son ordinateur. L’image de ce type de joueur
constitue une véritable image d’Épinal du jeu
vidéo. Dans les pratiques de masse, comme dans
les jeux multijoueurs, même si le joueur est seul
devant son écran l’aspect communautaire est très
présent à l’intérieur du jeu. Il y a tout un réseau de
sociabilité qui se crée.

J’ai été vice-président d’une association qui


organisait des lan party*.
Pendant ces rassemblements, les joueurs ne sont
pas tout le temps en train de jouer. L’événement,
organisé dans une optique de compétition,
implique une importante préparation développant
également une autre forme de socialisation. Ces
manifestations constituent un lieu de discussion
et de réflexion sur la pratique  : les joueurs se
demandent ce qu’est un bon jeu, une bonne partie
ou ce qui est fair-play, par exemple.
Il y a une culture vidéoludique spécifique qui se met
en place, notamment grâce à un langage commun,
qui permet aux joueurs de faire vivre leur pratique.
Vu de l’extérieur, cela peut-être rebutant, mais
cela fait partie de ces stratégies de vérification
d’appartenance propre à chaque groupe.

Qui joue à ces jeux ?

Le joueur de jeu vidéo a connu différentes évolutions.


À ses débuts, c’est à dire au début des années
70, le jeu vidéo était cantonné principalement aux
étudiants en informatique. Ce creuset socioculturel
a longtemps impacté sur la pratique du jeu vidéo.
Les études d’un auteur canadien, Stephen Kline,
ont montré qu’il y a eu, pendant longtemps, des
représentations dominantes de « masculinité
militarisée » dans le jeu vidéo, c’est-à-dire des
jeux reposant sur des représentations ayant trait
aux sports, à la guerre, au combat, à la conquête.
Cependant, il y a eu également des logiques
sous-jacentes qui allaient à l’encontre de ces

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représentations.
Dans l’évolution de l’industrie, il y a toujours
eu des rapports de force entre certains jeux qui
mettaient en scène ces représentations dominantes
masculines et d’autres qui proposaient des mondes
alternatifs, ce qui a permis un renouvellement du
jeu vidéo. Au milieu des années 80, Nintendo a
su imposer Super Mario Bros, qui faisait appel au
monde enfantin, allant à l’encontre des logiques
développées jusqu’alors.

Peut-on parler aujourd’hui d’une diver-


sification du public des jeux vidéo ?

Petit à petit, le public du jeu vidéo appelle à


être diversifié. Jusqu’à présent, les éditeurs se
positionnaient sur des marchés de niche qui
saturaient très rapidement vu l’économie globale
du jeu vidéo. Étant donné l’augmentation des
coûts de production, les concepteurs se sont rendu
compte qu’il fallait trouver des alternatives.

Cette volonté est assez évidente dans la stratégie


de communication de Nintendo. Elle est orientée
vers la diversification du public cible de Nintendo
qui était composé de joueurs invétérés. La Wii*
s’adresse aussi aux personnes âgées, aux femmes,
aux parents. Cette diversification est palpable
notamment par le type de périphérique qui est
mis en place (une manette très intuitive) et par
l’offre initiale de jeu (des jeux de sports populaires
intégrés à l’achat de la console). Ces genres de
jeux vidéo, qui ne sont pas propres au médium
informatique, vont pouvoir être pris en main par
des néophytes car ils reposent sur le mimétisme.
À Wiisport, le joueur manie la commande de jeu en
faisant les mêmes gestes qu’avec une raquette de
tennis, par exemple.

15
Très souvent, on entend dire dans les médias
que le jeu vidéo concerne également les femmes.
Cependant, il faut relativiser ce discours car très
peu d’études sociologiques ont été menées sur la
pratique des jeux vidéo. Celles qui relèvent des
industriels ne peuvent pas être objectives. Il faudrait
comparer sérieusement le public d’aujourd’hui
et celui d’il y a 10 ans, de même que le temps
consacré à la pratique hebdomadaire et le type de
pratique (entre amis, avec ses enfants, etc.).

Est-ce qu’un concepteur pense à un modèle


de joueur quand il conçoit un jeu ?

En ce qui concerne les jeux grand public, une


des règles les plus courantes appliquées par le
pôle éditorial est la définition d’un produit et d’un
public cible. Ensuite, il en confie la conception à un
studio de développement qui devra respecter ses
recommandations. Enfin, des études marketing
sont effectuées.

Quand le concepteur conçoit un niveau ou un


environnement, il a une idée de ce que le joueur
est susceptible de faire dans son jeu. Il y a toute
une grammaire d’expressions vidéoludiques qu’il
peut adapter à l’utilisateur pour ne pas le perdre,
le décevoir ou le désorienter. Il ne faut pas oublier
que l’utilisateur, c’est aussi un consommateur qui
a payé cher son produit !

Les industriels mènent-ils des recherches sur


la psychologie des joueurs ?

Effectivement, des études sur la psychologie des


joueurs sont menées. Les grandes entreprises
mettent en place des analyses de pratiques. Ces
« focus groups » sont des tests pratiqués au fur et
à mesure du développement du jeu. Par exemple,
Ubisoft soumet à un public test tout ce qui concerne

16
le paraludique : c’est-à-dire ce qui s’inscrit autour
de la commercialisation du jeu, comme l’illustration
de la couverture de la boîte du jeu. Ces logiques
commerciales relèvent du marketing d’entreprise.

Les recherches en sciences humaines commencent


à peine à être menées dans le jeu vidéo. Elles portent
entre autres sur le game design et cherchent à
comprendre la grammaire vidéoludique : la façon
dont le jeu réussit à impliquer certains types de
joueurs, les règles de conception qui font qu’un
concepteur véhicule certaines valeurs et idéologies
(consciemment ou non), ou encore le principe
d’interactivité.

Est-ce qu’une évolution technique en


particulier est responsable des comporte-
ments addictifs ?

Je ne me situe pas dans une mouvance d’analyse


psychologique du jeu, mais disons que tout bon
jeu a pour vocation d’impliquer son utilisateur
dans l’univers qu’il développe. Même les jeux
non informatiques, comme les Échecs, cherchent
à investir le joueur, c’est ce qui fait la qualité du
jeu.

Dans les années 90, l’apparition des jeux en ligne


massivement multijoueurs basés sur des univers
persistants* s’est accompagnée d’un nouveau
principe de paiement, celui de l’abonnement
mensuel.

Les éditeurs usent parfois de leurs techniques de


marketing pour impliquer des joueurs sur de longues
périodes. Du fait d’impératifs commerciaux, ils ont
tout intérêt à concevoir un univers assez long à
découvrir. De fait, ces jeux sans fin - les parties

17
ne sont pas délimitées dans le temps - peuvent
présenter un caractère implicatif fort. On peut
avoir l’impression que le joueur est déconnecté
d’une certaine forme de réalité.

Pour autant, je pense que les comportements


addictifs envers un logiciel sont davantage de
l’ordre de la pathologie que de la technologie
particulière du jeu vidéo. Je pense très sincèrement
qu’une addiction n’est pas liée au « produit » qui la
cristallise. Si elle ne portait pas sur la pratique du
jeu vidéo, elle s’attacherait à une autre. Ensuite, il
faut également aller voir du côté des logiques de
compensation sociale, où l’univers de jeu, malgré
ses monstres et créatures virtuels, peut être parfois
plus rassurant ou gratifiant que certaines réalités
quotidiennes.

Comment se positionnent les universitaires


face à la question de l’addiction  aux jeux
vidéo ?

Ce n’est pas que l’on n’a pas envie de prendre en


charge les questions de l’addiction mais jusqu’à
présent le jeu vidéo n’est abordé, la plupart du
temps, que sous l’angle psychologique.
C’est une pratique complexe qui aborde des
problèmes vastes concernant à la fois le net, les
médias et nos rapports au monde. Analyser un
objet uniquement sous une seule perspective
disciplinaire l’appauvrit et le réduit, sans en restituer
la complexité. Je milite donc résolument pour une
approche pluridisciplinaire du phénomène.

Est-ce que l’observatoire des Mondes


Numériques en Sciences-Humaines (OMNSH),
dont vous êtes membre, a des préconisations
particulières vis-à-vis de la question de
l’addiction ?

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L’idée que l’on puisse mettre des garde-fous ou des
messages d’information concernant les conduites
addictives doit être le fait des concepteurs, à un
niveau international. Il y a des législations qui
commencent à naître et les catégorisations relatives
aux jeux violents existent, mais cela n’empêchera
pas les concepteurs de détourner ou d’ignorer ces
recommandations.

Étant donné la configuration du marché des


jeux vidéo, il est plus raisonnable de passer par
la voie de l’éducation aux médias que d’essayer
d’imposer des formes de prévention dans une
industrie mondialisée dont les logiques sont parfois
difficiles à maîtriser. Il faut développer chez les
joueurs une vision critique pour leur permettre
d’analyser les jeux vidéo. L’éducation aux médias
est un des principaux chantiers pour répondre aux
problématiques de l’addiction et de la violence.

Comment voyez-vous ces outils d’éducation


aux médias ?

Il faut tout d’abord réussir à définir une terminologie


et un vocabulaire précis pour analyser le jeu
vidéo et comprendre le type de discours véhiculés,
la jouabilité, le gameplay*, les règles de narration,
l’interactivité etc.
On peut, par exemple, analyser un jeu par rapport
au but à atteindre et aux moyens pour l’accomplir :
aller délivrer une princesse en sautant sur des
champignons est différent que de la délivrer en
massacrant à la tronçonneuse ses adversaires !

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Éric L

20
Éric Leguay a été co-fondateur de la société Index+,
éditeur multimédia (Croisades, Le Louvre, Vikings,
Dracula, Le Sénat, Opération Teddy Bear, Mission
Soleil). Il est aujourd’hui consultant en gestion de
production numérique et expert en ingénierie de
formation. Il est également directeur adjoint du
master « Web éditorial » de l’université de Poitiers
et chargé de cours à Paris IV Sorbonne au master
« Conseil éditorial ». Il rédige actuellement un ouvrage
sur les apports positifs du jeu vidéo.

Comment définissez-vous les jeux ludo-


culturels ?

Les jeux ludo-culturels sont une proposition


d’apprentissage et de découverte d’un contenu à
finalité culturelle ou d’un savoir sur une œuvre,
un artiste, une période de l’histoire, avec les
progressions et les gimmicks du jeu. Le jeu
n’intervient souvent que comme un habillage ou un
prétexte permettant à l’utilisateur d’apprendre un
contenu spécifique expertisé, avec l’idée largement
répandue que l’on peut apprendre en s’amusant.
Plus généralement le ludo-culturel est intégré
dans le secteur du ludo-éducatif. Ce secteur fut le
phare du développement numérique français dans
les années 95 à 2000. Aujourd’hui complètement
disparu, il a migré vers le net mais est parfois
l’objet de nouvelles expériences créatives. La
gamme des produits Clever Kids  sur Nintendo
pour les enfants et évidemment la série des jeux

21
« d’entraînements cérébraux » sur consoles en sont
une parfaite illustration.

D’où vient le concept de jeu ludo-culturel ?

Le concept ludo-culturel apparaît en Europe à la


fin des années 80 où l’on a souvent attribué des
vertus éducatives aux technologies numériques,
contrairement aux américains et aux japonais qui
assument complètement leur industrie des loisirs
comme source de découverte.

Le ludo-culturel est un concept que les américains


nomment « edutainment » englobant à la fois les
jeux vidéo, les sites web et les programmes de
télévision, mais avec une approche différente. Par
exemple quand les ados jouent à Assassin’s Creed
(qui se déroule au temps des Croisades), il ne leur
vient pas à l’esprit qu’ils vont apprendre la vie au
temps des Croisades.
Le contenu historique est perçu comme un décor et
un prétexte permettant de susciter un fort intérêt
pour le sujet, ouvrant ainsi des perspectives vers
d’autres apprentissages.
L’ « edutainement » est la porte d’entrée qui permet
aux enfants de découvrir un sujet - les croisés,
les romains, les dinosaures, que sais-je encore -
pour ensuite dans une seconde étape permettre
un apprentissage plus approfondi. Cette démarche
est très différente de la nôtre lorsque nous avions
réalisé le jeu Croisades.

Pour nous, le ludo-culturel fut une méthode


d’apprentissage du savoir. Ainsi le jeu Croisades
devint rapidement un support de cours. Dans les
pays Anglo-Saxons, c’est une piste de découverte
et d’accès vers le savoir. Contrairement aux
européens, ils n’y collent pas de projection
éducative. Qu’importent donc les approximations,
c’est la curiosité et la séduction qui priment. Cela
leur réussit plutôt très bien.

22
Les européens ont tendance à culpabiliser à l’idée
de s’amuser dès que l’on touche à la culture.
L’invention du cinéma en est un bon exemple : les
frères Lumière n’avaient pas du tout eu l’intention
d’en faire un divertissement, mais c’est avec l’usage
qu’il a pris cette fonction. C’est le même principe
pour le ludo-culturel. Un sentiment de culpabilité
resurgit dès qu’est ajoutée une partie ludique à un
projet ayant des finalités culturelles.

Dans quel contexte économique et techno-


logique est apparu le ludo-culturel ?

Tout venait de l’idée que les futurs marchés


touchant l’éducation intégreraient les nouvelles
technologies. Les éditeurs d’un programme
d’apprentissage de langue peu attractif ont vite
rajouté une petite touche ludo-éducative. Les
grands musées parisiens pour attirer et séduire de
nouveaux visiteurs furent également séduits par
cette nouvelle forme de communication. À cette
époque, tous les grands éditeurs du ludo-culturel
venaient du monde éducatif ou muséographique et
non pas du jeu vidéo.

Historiquement en France, les premiers grands


éditeurs multimédias - comme Hatier, Flammarion,
Bordas, Hachette - avaient naturellement dans
leurs fonds de catalogue une logique éducative et
culturelle.

Parallèlement, l’apparition du ludo-culturel


correspondait dans les années 80, à un changement
de vision de l’école où il fallait intégrer des
moments ludiques pour casser le cadre rigide de
l’enseignement.

23
Quand ces éditeurs se sont aperçus que l’on pouvait
présenter le monde en s’amusant, ils ont tous
conçu des projets sous forme de petits logiciels.
Puis, quand les CD sont arrivés, il y a eu une forme
de « matérialité de marché ». Ce support leur a
permis de concevoir des produits leur permettant
de se positionner sur un nouveau créneau. C’est
à ce moment-là que sont apparus les jeux ludo-
éducatifs comme Rayman ou Adibou, mais aussi
la politique très dynamique mais dispendieuse
de la Réunion des Musées Nationaux (RMN) dans
la coproduction de titres comme Le Louvre ou
Versailles.

Comment l’industrie du jeu vidéo s’est-elle


emparée de ce créneau ?

L’industrie du jeu vidéo ne s’est pas emparée du


ludo-culturel, elle l’a même complètement ignoré.
La persistance de ce marché de niche est liée à
un hasard économique, celui de la constitution
des grands groupes de communication, plutôt
qu’à une véritable stratégie. Dans les années 95
à 2000, chacun était sur son créneau. Lorsque les
grands groupes multimédias se sont concentrés
- Vivendi Games avec les rachats des sociétés
Blizzard Entertainment, Sierra Entertainment,
Radical Entertainment, Massive Entertainment, ou
bien encore Ubisoft avec l’absorption de Redstorm
Entertainment, Blue Byte Software et The Learning
Company-, ils ont racheté un catalogue de titres
gigantesque dans lequel il y avait du jeu vidéo,
du ludo-éducatif et parfois du culturel.

À ma connaissance les seuls exemples d’éditeurs


uniquement spécialisés dans le ludo-culturel furent
Montparnasse Multimédia et Index+, à coté d’une
myriade de petits studios de création, le tout
largement co-financé par la RMN.

24
Ce qui est plus intéressant, c’est de regarder ce qui
s’est passé dans les foyers. Il y a eu une énorme
incompréhension quant à la mission de l’ordinateur
à la maison. Depuis les années Amstrad (80-90),
de nombreux parents ont acheté un ordinateur
pour former leurs enfants à l’informatique. Ils
imaginaient que cet outil allait les inscrire dans
la modernité. Mais pour les jeunes utilisateurs, la
première vocation de l’ordinateur fut le jeu.

C’est à ce moment qu’une incompréhension vis-


à-vis de la mission pédagogique de l’ordinateur
est apparue car la majorité des parents se sont
retrouvés dans une situation d’apprenants et les
enfants dans une situation d’enseignants. Il y a eu
un niveau de compétences relativement élevé dans
une tranche d’âge assez jeune. Pour se rassurer,
les parents se sont dits : « mon fils va apprendre à
lire, à écrire via des jeux ludo-éducatifs  ». Mais cela
correspond à 5  % de l’usage dans la réalité. Les
gamins ne sont pas stupides : est-ce que l’on peut
apprendre à conduire avec des petites voitures  ?
Eh bien non !

C’est la raison pour laquelle les jeux ludo-


culturels ne rencontrent qu’un faible succès ?

Si on produit un jeu ludo-culturel, il faut qu’il soit


d’aussi bonne qualité qu’un jeu vidéo classique qui
repose sur un univers graphique et un gameplay*.
Premièrement, il faut que le graphisme soit
excellent. Or, les éditeurs de jeux ludo-culturels
n’ont pas les mêmes moyens que les grands
éditeurs de jeux. Ils n’ont pas la même puissance
marketing car il n’y a pas la même diffusion. Leur
volume de vente ne couvrira jamais la dépense.
Il en ressort des jeux au graphisme désuet qui
plaisent moins aux enfants. Ces derniers les

25
comparent sans cesse aux autres jeux. L’exemple
du jeu Versailles de Cryo est frappant : ce jeu fut
plébiscité par les parents, offert par les grands
parents, violemment rejeté par le milieu culturel
et ignoré des enfants.

Ensuite, il y a le gameplay*, c’est-à-dire la


progression ludique. Or, ces éditeurs qui ne viennent
pas du jeu vidéo, ne connaissent pas les méthodes
de progression ludique. Soit ils appliquent ce qu’ils
ont vu du jeu vidéo, soit ils appliquent leur logique
pédagogique basée sur une progression linéaire.

C’est ainsi qu’a été conçu l’Émerillon qui fonctionne


linéairement sur un énoncé, une recherche et une
validation des connaissances. La majorité des
jeux ludo-culturels sont construits sur ce système
alors qu’un jeu vidéo ne fonctionne pas de cette
manière ! Dans le gameplay d’un jeu vidéo, le
joueur se confronte à quelqu’un d’autre, il y a un
score en permanence, il sait tout de suite qui il est
et où il est. La satisfaction est liée au changement
de niveau où l’on récompense le joueur en lui
donnant de nouveaux outils.

L’objectif de ces jeux ludo-culturels se


situe donc plus dans l’apprentissage d’un
contenu que dans celui d’un savoir-faire et de
compétences ?

La première cible visée de tels produits, ce sont


les parents. Alors qu’on aurait dû dire aux enfants
que ce programme était fait pour apprendre un
contenu spécifique, on leur a fait croire qu’ils
allaient apprendre en s’amusant. Les enfants ne
rechignent pas spécialement à apprendre, au
contraire. Ils peuvent même découvrir des choses
très sérieuses et très compliquées à partir du
moment où ils savent qu’ils sont là pour apprendre.
Mais ils ont aussi des périodes où ils ont envie
uniquement de jouer.

26
Ce malentendu a été très fort, tout autant que
celui des parents qui ont équipé leurs enfants
d’ordinateurs dans un but pédagogique et qui,
devant l’échec, ont développé une sorte de crainte.
Plutôt que de se remettre en question, ils se sont
dits que c’était l’ordinateur qui avait perverti leurs
enfants puisque ces derniers restaient devant
pendant des heures.

Si leur qualité de « jeu » reste limitée, les


logiciels ludo-culturels présentent-ils au
moins quelque vertu éducative ?

Il y a des jeux qui ont une mission pédagogique


forte comme Croisades, Viking ou Le Louvre.
L’objectif de ces jeux était de trouver dans le
contenu des mécanismes susceptibles de gratifier
le joueur. Quand on a réalisé Croisades, on avait
choisi un découpage assez simple  : on manipule
des objets à l’écran et on exécute une mission dont
la réponse se trouve dans la totalité du projet. Il
pouvait y avoir plusieurs niveaux de lecture : soit
le joueur consulte (vision linéaire qui apporte des
choses) soit il joue, soit les deux. La réponse à la
mission se faisait en fonction de la progression.

Cela a bien marché d’un point de vue pédagogique.


On a vu des professeurs l’utiliser en cours en isolant
quelques parties. Il y avait même la possibilité de
pouvoir imprimer des fiches. L’idée qui fonctionnait
bien, c’était de dire qu’il ne s’agissait pas d’un jeu –
même s’il faut le packager comme un jeu parce que
c’est vendeur  - et de créer des outils permettant
d’isoler un contenu, comme d’imprimer une fiche
ou de visionner toutes les scènes cinématiques* qui
constituaient la richesse de ce genre de produit.

27
Mais le problème, c’est que cela devenait du
matériel pédagogique et non un objet utilisé
spontanément par les enfants, ce qui aurait été à
mon avis la vraie mission du jeu ludo-culturel.

Plus largement, les jeux vidéo développent-


ils certaines compétences et aptitudes ?

Certains jeux vidéo ont développé des systèmes


tels la simulation et les mondes persistants avec
lesquels le ludo-culturel ne peut pas rivaliser. Ces
jeux n’ont pas de mission pédagogique, le joueur
n’acquiert pas de contenus. Il est dans un espace
virtuel où il se déplace, il communique, il a des
missions à remplir comme dans World of Warcraft,
Zelda, ou encore Final Fantasy.

Certaines capacités sont développées à l’intérieur


des jeux vidéo, en particulier la concentration.

Il y a également la capacité à sortir de soi. Les


joueurs se projettent et vivent à travers leur
personnage grâce au don d’ubiquité  ; ils ont une
double personnalité. Les noms qu’ils donnent à leurs
avatars* et les pseudonymes sont très poétiques.
Ils développent un fabuleux pouvoir imaginatif.
Quand on leur parle de leur personnage, leurs yeux
s’éclairent. Je me dis que si certains enseignants
connaissaient la richesse développée par leurs
élèves dans ces mondes, ils seraient fascinés.

Ensuite, il y a le défi et l’esprit de compétition


permanent.

Le quatrième aspect est le fait de savoir se jauger


soi-même. Lorsqu’un enfant joue, il connaît ses
compétences, il sait gérer ses handicaps et il est
capable de réunir ses forces ou d’estimer ses
faiblesses pour résoudre une mission, tandis qu’en
classe il est incapable de dire dans quelle matière
il est doué !

28
La dernière capacité, qui n’est valable que pour
les jeux en ligne, est la communication. C’est la
capacité de monter des équipes et de les manager ;
on voit apparaître de vrais meneurs d’hommes.
Or, il se trouve que tous ces savoir-faire ne sont
ni identifiés ni visibles, alors qu’ils procurent aux
plus talentueux des capacités formidables pour le
monde de l’entreprise. Le problème est qu’il existe
encore cette chape de plomb de culpabilité terrible
sur les joueurs qui n’osent pas dire qu’ils jouent.
Ils n’ont pas conscience des compétences et des
qualités qu’ils développent. Tout cela constitue la
première zone d’apprentissage.

La guilde* est  la seconde zone d’apprentissage.


Les jeux vidéo s’appuient sur une vraie littérature,
une vraie histoire. Souvent les éditeurs de ces
guildes sont très instruits. Ce sont des référents
qui viennent de l’Heroic fantasy et que l’on retrouve
dans les grands succès que sont Le seigneur des
anneaux et Harry Potter. Les joueurs n’apprennent
pas des éléments historiques, mais des valeurs
morales comme l’effort, le respect, l’amitié.

La vision que se fait le grand public du ludo-


culturel est donc erronée ?

Le problème est que la mission pédagogique porte


sur de l’apprentissage concret comme les maths,
le français et non pas sur un éveil à une culture.
Certains joueurs ont des connaissances importantes
sur la chevalerie ou les samouraïs qu’ils trouvent
dans les mangas et dans les jeux vidéo, mais cette
ouverture d’esprit très large ne correspond pas à
la norme que les adultes et enseignants attendent
d’eux.

29
Le jeu vidéo en tant que loisir peut-il déve-
lopper l’esprit critique ?

En recourant à l’humour, le jeu vidéo peut parfois


être critique. La seule distanciation que l’on
rencontre se fait par la satire, mais ce n’est pas ce
qu’attend le joueur. Quand il y en a, c’est souvent
morbide : il faut faire exploser son partenaire, sa
voiture. C’est un pur défoulement. Ce qui est triste,
c’est que pour certains adolescents, le jeu vidéo est
le seul lieu de défoulement avec le skate et le VTT.
C’est normal qu’ils s’y engouffrent massivement.

Le jeu devient une fuite ?

C’est ce qui peut se passer chez certains no-life*


qui considèrent leur vie comme « pathétique ».
Ces accros consacrent leur vie à jouer, ce qui
entraîne une perte de repères et de lien social.
Le jeu vidéo devient alors un phénomène de fuite
où l’on tente de retrouver son âme d’enfant. Cela
concerne également les adultes rencontrant des
problèmes conjugaux ou professionnels. Mais je
pense que c’est un phénomène qui ne dure pas
dans le temps. J’ai rencontré des personnes qui
avaient beaucoup joué aux jeux vidéo et qui se
sont arrêtées spontanément après 25 ans et qui
considèrent souvent cette période de leur vie
comme négative.

Quelles sont les limites des jeux vidéo ?

Le sujet des jeux peut parfois être un peu


tendancieux, par exemple les jeux d’extrême
violence qui portent sur la deuxième guerre
mondiale. Certains jeux japonais, où le sexisme
peut être très présent, sont interdits en Europe. Il
existe des jeux pour les filles très violents envers les
garçons et vice-versa. La place de la femme est un
sujet un peu difficile dans les jeux vidéo. De toute

30
façon notre société vit une crise de positionnement
vis-à-vis de la femme. Où est la place de la
femme aujourd’hui  ? Dans les jeux vidéo, soit la
femme est absente soit c’est une sorte de déesse
évanescente, complètement inaccessible. Mais ce
n’est pas la faute des jeux vidéo, la télévision a
largement contribué à la diffusion de cette vision.

31
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Avec l’arrivée des consoles nouvelles générations et


de leurs divers périphériques, le corps entier se trouve
sollicité. Le renforcement de l’interactivité favorise-t-
il l’immersion du joueur dans le jeu  ? La répétition
d’actions difficiles exécutées avec toujours plus de
dextérité amène-t-elle à une pratique excessive ?
Les comportements addictifs répondent à des
mécanismes généraux. Les jeux vidéo génèrent-ils
un risque et des symptômes particuliers ?
Au-delà des idées reçues, une expérience menée en
1994 s’appuie sur les effets bénéfiques des jeux vidéo
dans un cadre thérapeutique.

32
Mélanie ROUSTAN est docteur en ethnologie
et sociologie de l’université Paris Descartes et
chercheur associé au Centre de recherche sur les
liens sociaux (Cerlis, CNRS/Paris Descartes).

La pratique du jeu vidéo a-t-elle un impact,


positif ou négatif, sur le corps du joueur ?

Dans une société qui valorise l’exercice physique,


et en particulier la pratique sportive, une activité
qui a lieu en intérieur, en position assise, ne
peut jouir d’emblée d’une bonne image. Le point
de vue médical, exemplaire du paradigme de
la santé, constitue le discours dominant sur le
corps, dans le monde occidental contemporain.
Il est intimement relié à la morale mais aussi à
l’esthétique  : l’injonction à l’entretien des corps
est forte et généralisée. Dans ce contexte, le jeu
vidéo se place en mauvaise posture – bien que ses
développements actuels vers l’accomplissement
de mouvements « en vraie grandeur », parfois
explicitement tournés vers l’entretien ou le
développement physique (cf. le stepping sur la
Wii*), le rapprochent des dispositifs technologiques
d’accroissement des performances du corps.

En outre, l’univers du jeu vidéo, et de la réalité


virtuelle en général, est associé à l’idée d’atrophie
des corps « de chair et d’os » au profit de prothèses
technologiques. Or, un imaginaire d’objet centré sur
l’idée d’une dématérialisation ne correspond pas

33
forcément à une disparition des objets matériels
et des compétences physiques requises pour les
faire fonctionner : pour le jeu vidéo, l’idée selon
laquelle l’objet aurait le « pouvoir » d’absorber son
usager dans un imaginaire virtuel est mise à mal
dès lors que se trouvent considérés les savoirs et
compétences techniques mobilisées, ne serait-ce
que pour mettre en marche la machine et faire
fonctionner un logiciel a minima (par exemple,
dans une simulation automobile, parvenir à faire
avancer son véhicule sans sortie de route…).
Ainsi, questions d’image et d’imaginaire mises
à part, la pratique du jeu vidéo constitue bel et
bien une activité qui engage le sujet tout entier
et requiert une forte expertise technique du
corps1. C’est par un engagement du corps actif et
extrêmement précis, notamment dans l’articulation
œil-main, que le joueur peut parvenir à obtenir des
sensations de « réalité virtuelle » (avoir l’impression
de rouler vite, se crisper dans les tournants, etc.).
C’est la difficulté technique, physique, de la plupart
des jeux vidéo, qui induit un temps long passé à la
pratique, sur le mode de l’entraînement.

Est-ce que les expériences vécues dans le jeu


vidéo peuvent être transposables dans notre
quotidien ?

Du point de vue des techniques du corps, l’usage


intensif de certains jeux vidéo, notamment
ceux dit « de simulation », peut constituer un
entraînement en vue d’une pratique appliquée à
un autre objet technologique dont la fonction n’est
pas le divertissement  : la conduite d’un avion
par exemple. C’est d’ailleurs une des branches
généalogiques du jeu vidéo : une partie est issue
de matériels développés par l’armée. La question
éthique intervient bien entendu ici, par exemple
autour de la question de l’apprentissage du tir.

D’un point de vue social, et contrairement à


nombre d’idées reçues, le jeu vidéo est également

34
source d’apprentissage et d’insertion2. D’abord, sa
pratique met à l’épreuve un espace social « d’essai
et d’erreur » au sein d’un territoire à la fois virtuel
et ludique. Ceci est particulièrement vrai pour les
jeux qui se jouent à plusieurs, notamment sur
internet. Il est possible d’y voir une source de
socialisation, au sens d’un apprentissage à la vie
en société et de l’insertion dans un réseau social.
Le fait que les échanges ne se fassent pas « en
face à face » ne saurait les disqualifier, au risque
d’éliminer de la sphère des échanges sociaux tous
les rapports à distance, des relations épistolaires
jusqu’aux conversations téléphoniques. Une
deuxième question peut émerger, celle de la nature
des mondes auxquels les joueurs se trouvent
socialisés  : trop belliqueux, trop capitalistes, pas
assez raffinés ? On se retrouve alors au sein d’un
débat beaucoup plus large et classique, sur la
qualité et l’orientation idéologique des produits
culturels proposés aux populations, mais aussi sur
l’« efficacité » de leur influence véritable sur leurs
publics.

Est-ce que l’immersion propre aux jeux vidéo


favorise une confusion entre réel et virtuel ?

La confusion entre le réel et le virtuel… Là aussi,


nous sommes dans le domaine de l’imaginaire,
presque du fantasme. Le développement de
nouvelles techniques ou technologies vient toujours
s’inscrire dans un système de représentations
qui lui préexiste, et auquel il s’intègre plus ou
moins bien. L’innovation, quelle qu’elle soit, tend
à cristalliser des peurs et des espoirs récurrents,
voire universels, au sein des communautés
humaines. De l’imprimerie à internet en passant
par la voie ferrée, les « nouvelles technologies » de
l’information et de la communication bouleversent

35
les vies quotidiennes et bousculent parfois les
organisations et les territoires sociaux, les rapports
de force entre les groupes. Le développement de
nouveaux objets et manières de faire entrent en
résonance avec les imaginaires relatifs au sens
et à l’évolution de l’humanité, alternativement
messianique ou apocalyptique (« sauver le monde »
/ « l’amener à sa perte »).
Le jeu vidéo n’échappe pas à cette règle, d’autant
qu’il fait l’objet (dans les médias, et parfois dans
les textes scientifiques) et promeut lui-même (en
tant qu’industrie) un discours centré sur l’idée
d’une « immersion » dans des mondes artificiels,
qui pourrait amener à une « confusion » entre réel
et virtuel, que cette dernière soit souhaitée ou
redoutée.

Le jeu vidéo présente-il un risque addictif


particulier  ? Certains jeux sont-ils plus
problématiques que d’autres ?

L’addiction, concept psychologique (au sens


large, incluant la psychiatrie et la psychanalyse),
apparaît comme une thématique récurrente,
voire dominante, au sein des discours sur le jeu
vidéo. Cela révèle une lecture psychologique du
phénomène. Il me semble que cette orientation
provient en premier lieu d’un effet d’observation :
les psychologues ont été les premiers à s’intéresser
« sérieusement » au jeu vidéo. Les sciences
sociales n’apparaissent que tardivement autour
de cet objet de recherche (le premier ouvrage
scientifique sur la question, en France, est celui
de Laurent Trémel paru en 20013). Si l’on accepte
de considérer le discours scientifique comme un
discours construit, deux facteurs peuvent éclairer
cette centration autour de l’addiction. D’une part,
la spécialisation partielle des psychologues sur
les pathologies mentales les amène à penser les
phénomènes en les considérant d’abord du point
de vue des problèmes qu’ils posent (les premiers

36
terrains de recherche sur les jeux vidéo ont été des
études de cas de patients en souffrance). D’autre
part, l’antériorité de leur arrivée sur ce champ de
recherche tend à structurer ce dernier autour de
leurs interrogations et de leurs concepts. S’ajoute
à cela une forme de « demande sociale », et plus
précisément médiatique, construite autour de
l’inquiétude propre à l’imaginaire apocalyptique
lié aux nouvelles technologies – ici catalysé par la
jeunesse des populations concernées. Il me semble
important de souligner ces éclairages contextuels
de la focalisation des discours sur le jeu vidéo
autour de l’addiction, avant même d’entamer la
discussion sur le fond.

L’anthropologie s’intéresse aux pratiques dans


leur globalité, en tant que techniques du corps et
expériences sensibles pour les individus, en tant
que réseaux d’actions au niveau microsocial, en
tant que phénomène culturel à une échelle encore
plus large4. La dimension pathologique, sans la
nier, apparaît alors comme marginale. Elle ne
concerne qu’une infime portion des millions de
joueurs à travers le monde : ceux qui se sentent
en souffrance et éprouvent le besoin de chercher
de l’aide, et ceux que d’autres, émetteurs d’un
discours d’autorité, considèrent comme étant dans
ce cas (y compris s’ils n’en ont pas conscience). La
menace de séquelles « physiques », après avoir été
envisagée, s’est concrétisée dans l’obligation d’une
mise en garde des industriels concernant les risques
d’épilepsie, à un niveau égal à celui de l’usage de
la télévision. Le spectre de pathologies mentales,
au premier rang desquelles l’addiction, demeure la
menace la plus « visible ». Comment comprendre
que la thématique de l’addiction prenne une telle
place au sein de l’appréhension de la pratique du
jeu vidéo ?

37
Elle procède pour moi d’un nouvel habillage d’une
forme ancienne de « mépris social », qui vise
depuis leur avènement il y a plus d’un siècle les
produits culturels « industriels ». Il y aurait comme
un déplacement du manque de légitimité culturelle
dont souffrent les jeux vidéo vers un manque de
légitimité « sanitaire » : derrière les craintes d’une
pratique néfaste pour la santé, physique ou mentale,
se cache le fantasme de la dégénérescence culturelle
associée au déclin des sociétés traditionnelles et
à l’industrialisation et à la marchandisation des
objets de la culture. L’argument de la santé rend
ainsi plus acceptable le discours de morale. De
plus, la thématique de l’addiction – et je parle ici
de sa vulgarisation – permet des déplacements de
stigmate de l’objet vers la pratique puis vers le
pratiquant, et réciproquement.
À y regarder de plus près, la lecture « pathologiste »
de la passion pour le jeu vidéo – caractérisée par la
thématique de l’addiction – disparaît à mesure que
l’objet gagne en légitimité culturelle et/ou que la
pratique gagne en légitimité sociale. Le fanatique
de violoncelle, à l’inverse de celui de jeu vidéo, ne
fait pas l’objet d’une stigmatisation. Quand tel ou
tel jeu vidéo devient une œuvre, même collective,
caractérisée par des auteurs, des savoir-faire,
parfois un genre, ses amateurs pénètrent peu
à peu la sphère de la culture « cultivée ». Autre
exemple, quand la pratique du jeu vidéo devient
un sport, a fortiori rémunérateur (les tournois et
championnats internationaux sont dotés de prix),
l’« accro » au jeu vidéo, se transforme lui-même
en professionnel, voire en champion, et cesse
d’être considéré comme un malade. Dans une
approche comparative, c’est une réflexion que je
développe au sein de mon ouvrage Sous l’emprise
des objets ? Culture matérielle et autonomie, paru
à L’Harmattan en 20075.

38
Notes

1 Mélanie Roustan, « Jeu vidéo », in Bernard Andrieu (dir.) Le


dictionnaire du corps en sciences humaines et sociales, Pa-
ris, Editions du CNRS, coll. « CNRS Dictionnaires », 2006.

2 Au discours sur les risques de « désocialisation » liée au


jeu vidéo, est venu s’opposer, au sein d’événements ou de
publications scientifiques, une variation autour de la notion
de «  socialisation  » [Laurent Tremel, «  De la diffusion des
connaissances dans les jeux de simulation. Analyse d’un es-
pace de socialisation  », Agora n°19, 2000  ; internet, jeu,
socialisation, journées d’étude, 5-6 décembre 2002, Paris,
Groupe des Ecoles de Télécommunications], et notamment
de « socialisation cognitive » [Jacques Perriault, « L’acquisi-
tion et la construction des connaissances par les jeux infor-
matisés », Réseaux n°67 : Les jeux vidéo, sept./oct. 1994,
pp. 57-70  ; Patricia Greenfield, «  Les jeux vidéo comme
instruments de socialisation cognitive », Réseaux n°67 : Les
jeux vidéo, sept./oct. 1994, pp. 33-56 ; « Du rôle des jeux
vidéo dans l’évolution des compétences cognitives… », Mé-
diaMorphoses n°3 : Qui a encore peur des jeux vidéo ? (dir.
Geneviève Jacquinot-Delaunay), 2001], de «  socialisation
sexuée » [Pascal Duret, Les jeunes et l’identité masculine,
Paris, PUF, coll. « sociologie d’aujourd’hui », 1999], de « so-
cialisation à l’image  » [Images & TIC. Eduquer à l’image
à l’heure du multimédia, journée d’études, 20 novembre
2002, Ministère de la Culture et de la Communication, Paris,
Forum des Images], de socialisation à l’informatique géné-
rale et aux métiers de l’informatique, voire au « monde de
demain » [Serge Tisseron, « Quand les jeux vidéo appren-
nent le monde de demain », MédiaMorphoses n°3, op. cit.].

3 Laurent Trémel, Jeux de rôles, jeux vidéo, multimé-


dia. Les faiseurs de monde, Paris, PUF, coll. «  Sociologie
d’aujourd’hui » ; cf. Mélanie Roustan, 2002, « Compte-ren-
du de lecture de l’ouvrage Jeux de rôles, jeux vidéo, multi-
média. Les faiseurs de monde de Laurent Trémel », Agora,
n°29, 2001.

4 Mélanie Roustan, « La pratique du jeu vidéo : expériences


de ″réalité virtuelle″  », Champs culturels n°18  : Virtualité,
art et culture, 2004.

5 Mélanie Roustan, Sous l’emprise des objets ? Culture ma-


térielle et autonomie, Paris, L’Harmattan, coll. «  Logiques
sociales », 2007.

39
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40
Phuc Nguyen est médecin addictologue au centre
hospitalier de Roanne.

Qu’est-ce que l’addiction ?

L’addiction est un terme initialement français qui a


été utilisé par les anglais et qui prend maintenant le
sens d’origine anglophone. Il peut être synonyme
de dépendance.

La dépendance n’est pas forcément quelque chose
de négatif dans la mesure où elle est inhérente à
la condition humaine. Chacun possède différents
pôles de dépendance (travail, amour, famille,
amis, loisirs) sur lesquels il réagit en fonction de
sa situation. Cet ensemble peut rendre dépendant
parce que l’individu aime cela et qu’il peut procurer
certaines sensations. Il arrive ainsi à avoir une vie
plus ou moins équilibrée.
Par opposition, dans la dépendance pathologique,
tous ces pôles se centrent à un moment autour
d’un comportement - comme le jeu, la boulimie,
l’achat compulsif - ou d’un produit psycho-actif
tel que l’alcool, la cigarette ou encore les produits
illicites. Par exemple, lorsque quelqu’un devient
dépendant à l’alcool, au fur et à mesure tout le
reste finit par s’estomper au profit de ce produit.
Une personne dépendante se caractérise par un
comportement répété et automatisé. On peut être
dépendant à quasiment tout : alimentation, travail,
sport, sexe etc.

41
On différencie trois pôles dans l’addiction : le pôle
médical (physique/somatique), le pôle social et le
pôle psychologique. Il y a certains types de produits
qui relèvent plutôt d’un pôle que d’un autre. Par
exemple, le pôle essentiel du tabac est le pôle
médical, car c’est le produit qui tue le plus comparé
à l’héroïne ou à l’alcool. Par contre, d’un point de
vue psychologique, il a peu de retentissement.
En ce qui concerne les jeux vidéo, la dépendance
porte plutôt sur le comportement que sur le
produit.

Quels sont les mécanismes généraux de


l’addiction (physique, chimique, psychologique) ?

Il y a une composante neuro-biochimique dans


toutes les addictions. Il existe des molécules
provoquant des réactions en chaîne qui viennent
stimuler certaines zones du plaisir se trouvant
dans le cerveau. L’endorphine provoque une
sensation de plaisir. Le manque de dopamine crée
un phénomène d’attente et sa libération procure
un sentiment de satisfaction et de soulagement.
L’héroïne, l’alcool et la nicotine sont des molécules
qui favorisent ce genre de réactions.

Le jeu vidéo n’entraîne pas d’interaction chimique


directe avec l’organisme. Néanmoins il y crée
une dépendance sensorielle et émotionnelle. Il
procure des émotions fortes comme le plaisir et
la frustration. C’est cette forme de « carotte et de
bâton » qui peut générer l’addiction. La frustration
va amener le joueur à rester devant le jeu jusqu’à
passer le cap suivant et être ainsi valorisé sur le
plan émotionnel.

Les stimuli sensoriels provoqués par le jeu vidéo


conduisent au fur et à mesure à des voies communes
responsables du phénomène de dépendance. C’est
ce phénomène de récompense et de plaisir que le
joueur cherche à stimuler indéfiniment parce qu’il

42
n’arrive plus à faire autrement.
Pourtant, il est évident que toutes les personnes
qui ont consommé de l’alcool ou de la nicotine ne
sont pas pour autant devenues dépendantes. On
ne peut pas uniquement résumer la dépendance à
sa dimension physiologique. Prenons l’exemple du
cannabis : moins de 5 % de fumeurs de cannabis
deviennent dépendants. C’est-à-dire qu’il y a 95 %
des fumeurs de cannabis qui sont soit dans la
gestion, soit dans l’excès mais qui, au moment où
leur consommation va dépasser un certain seuil,
seront capables de la réduire pour ne pas en subir
les conséquences.
Je pense que c’est le même phénomène pour
les jeux vidéo. Je suis intimement persuadé
que cette pratique va se développer à une
vitesse exponentielle et qu’il y aura toujours une
population qui n’arrivera pas à la maîtriser. Il y a
tout un background psychologique qui fait qu’à un
moment quelqu’un devient dépendant ou pas. Il
y a des terrains particuliers qui sont propices à
l’accoutumance puis à la dépendance. En ce qui
concerne les jeux vidéo, il n’y a pas eu suffisamment
d’études dans ce sens.

Quant à la dépendance à l’alcool, Claude Inger a


classé les alcoolo-dépendant en deux catégories :
ceux qui deviennent dépendants vers 40/50 ans et
ceux qui le deviennent vers 25/30 ans. Ces derniers
ont souvent des antécédents familiaux. Ils ont une
propension à la rébellion et à la transgression bien
avant l’adolescence. Ces personnes sont souvent à
la recherche de sensations fortes.

Dans cette population, on a retrouvé certains


points du chromosome qui pouvaient donner une
prédisposition à la dépendance de façon générale.
C’est pourquoi aujourd’hui, on commence à
parler de co-dépendance ou de comportements

43
addictifs. Les héroïnomanes sont aussi des gros
consommateurs d’alcool et de cigarettes. On peut
alors se dire qu’il y a un terrain particulier mais
pour l’instant, cela ne se vérifie que pour l’alcool.
En ce qui concerne les jeux vidéo, on n’a pas de
recul à cause du manque d’études.

Comment traiter l’addiction ?

À une époque, les traitements se centraient autour


du produit. Dans les années 20, le produit était
considéré comme malfaisant, au point qu’il y a eu
une prohibition de certaines drogues, ou de l’alcool
aux États-Unis. Or, on s’est rendu compte qu’il ne
fallait plus se centrer sur le produit mais sur la
personne. Face à quelqu’un qui est poly-dépendant,
on ne peut pas prendre en compte chaque produit
indépendamment. Il est en de même pour ce qui
est de l’addiction au jeu vidéo. Il faut s’interroger
sur ce qui fait que ce joueur a une consommation
aussi importante du jeu. À partir de là, on peut
remonter le fil pour essayer de trouver la source
de cet usage.

Un des premiers écueils du traitement de la


dépendance est le déni. Pourquoi et quelles
solutions existent ?

Le déni est un moyen de défense psychique qui


permet d’éviter une souffrance et une angoisse
trop importantes à accepter à une période définie.
C’est ainsi qu’une personne en déni n’acceptera
pas de voir la réalité telle qu’elle est. Personne
ne peut identifier à quel moment le déclic va se
produire. C’est très subjectif.
En tant que psychiatre, je retrace la vie du patient
(personnelle, sociale, professionnelle) pour établir
des connexions avec les changements qu’il y a eu
à un moment et qui ont pu être difficiles. Cette
discussion peut permettre au patient de comprendre

44
qu’entre son comportement et ce qui lui arrive, il y
a peut-être un rapport. Je dois créer un lien avec
mon patient pour qu’il se sente en confiance et
puisse aborder son problème addictif mais surtout
ce qu’il y a derrière. Il y a toujours quelque chose à
chercher derrière une addiction. Si on ne traite que
les symptômes, on ne peut pas avancer.

Qu’en est t-il du sevrage radical pour


quelqu’un qui est dans le déni ?

Je prends l’exemple de l’alcool car je suis persuadé


qu’il peut servir de modèle. La première chose
qu’une personne alcoolique arrivant aux urgences
et sevrée pendant une semaine va faire en sortant,
c’est de se ré-alcooliser car on n’aura pas observé
le temps de maturation autour de cette pratique.
Quelqu’un qui va se faire sevrer a besoin d’être
préparé à changer de vie et pratiquement à
changer d’identité. Une semaine de sevrage ne
peux pas suffire à quelqu’un qui a consommé de
l’alcool pendant des années pour s’abstenir et vivre
de manière plus équilibrée.
Il en est de même pour les jeux vidéo. L’individu se
rend compte qu’il est en manque, mais s’il pratique
le jeu vidéo de façon aussi importante, c’est parce
qu’il en a besoin ! Le manque ne suffit pas, à un
moment donné le besoin revient au galop. Quand
on oblige une personne à faire quelque chose
alors qu’elle ne se sent pas prête, elle ne persiste
pas dans le changement, surtout si c’est de façon
brutale.
Pour sortir d’une dépendance, le sujet doit
pouvoir faire la balance entre les bénéfices et les
inconvénients de cette pratique. S’il considère
que cela lui apporte plus que cela ne lui coûte,
on n’arrivera pas à le faire changer. C’est pour
cela qu’il faut impérativement une période de

45
maturation avant un sevrage. La personne doit se
rendre compte que ces inconvénients deviennent
tellement insupportables qu’elle décide d’arrêter
cette pratique. C’est un travail de très longue
haleine car même après plusieurs sevrages, des
personnes qui re-consommeront une seule fois
de l’alcool peuvent retrouver ce comportement
addictif. Le cerveau mémorise les produits et les
comportements. Dès lors que l’individu réenclenche
ce comportement addictif, il se retrouve dans
un circuit infernal. C’est vrai que c’est long et
fastidieux.

Comment mesurer la dépendance aux jeux


vidéo ?

Le nombre d’heures est un des éléments permettant


de mesurer la dépendance aux jeux vidéo puisqu’il
y a répétition mais il n’est pas suffisant et pas
forcément corrélé à la dépendance. Il faut savoir
si cette pratique à des répercussions sur le travail
ou la famille : on ne peut pas comparer la pratique
d’un père de famille de quatre enfants qui travaille
à celle d’un célibataire sans emploi. À partir du
moment où la personne se désocialise, il y a un
problème.

Quel est le rôle de l’entourage dans le cas de


l’addiction aux jeux vidéo ?

Avant de savoir si son enfant est dépendant, les


parents doivent essayer de savoir pourquoi il a
une pratique aussi intensive du jeu vidéo :  y prend
t-il du plaisir  ? Est-ce une pratique automatique ?
S’agit-il d’une échappatoire ? Quel est le problème
de cet enfant ? Est-il intéressé par le jeu vidéo ou
se réfugie t-il dans ce loisir parce que ça lui procure
un plaisir qu’il n’a pas ailleurs ? Le jeu vidéo peut
être un terrain pour que les parents et les enfants
se retrouvent. Encore faut-il que les parents soient

46
intéressés par les jeux vidéo. Il y a peut-être un
problème de génération. Il faut également savoir
si les enfants ont envie de laisser leurs parents
rentrer dans leur monde. On peut comprendre qu’ils
n’aient pas envie de laisser interférer les parents.
Cette relation est éminemment complexe. La
dimension éducative est primordiale. Pour autant,
cela n’empêche pas que des parents attentifs, qui
mettent en place un cadre éducatif intelligent,
aient des enfants qui se droguent. Il y a des choses
qui nous échappent encore.

Un enfant peut-il avoir raison quand il


demande de continuer à jouer ?

La gestion de la frustration est un véritable


problème de la pratique du jeu vidéo. Là encore,
la question du cadre familial est importante. Les
parents doivent mettre en place un temps clé
permettant à l’enfant de bien gérer son temps car
il est important de ne pas interrompre la partie qu’il
aura mis peut-être quatre heures à construire. Il ne
faut pas oublier que ce qu’il a réalisé est positif.

Un cinéphile peut passer plusieurs heures


chaque jour devant des films sans pour autant
être taxé d’addict – ou affectueusement.
En revanche, la même pratique massive,
quotidienne des jeux vidéo est sujette
à suspicion. D’où vient cet écart dans la
perception de ces pratiques ?

Pour beaucoup d’adultes, le jeu vidéo est un monde


inconnu. Tout ce qui est inconnu fait peur, et peut
faire fantasmer. On colle beaucoup plus facilement
des images négatives sur quelque chose que l’on
ne connaît pas.

p
47
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48
Marc Valleur est médecin psychiatre et chef de service
à l’hôpital Marmottan depuis 2000.

Comment définissez-vous l’addiction ?

L’addiction concerne des personnes qui veulent


réduire ou cesser une pratique, souvent socialement
hors norme, mais ne se sentent pas capables d’y
parvenir seules. C’est-à-dire qu’elles se rendent
compte que cette pratique constitue un problème,
qu’elle devient une cause de souffrance, sans pour
autant y mettre un terme seules, ce qui légitime
l’intervention d’un soignant. C’est à ce titre que
l’on peut recevoir des patients venant sur une
initiative personnelle.

Combien de patients  l’addiction aux jeux


vidéo concerne-t-elle ?

L’addiction aux jeux vidéo n’est pas un problème


négligeable, mais pas non plus un raz de marée :
il y a entre cinquante et cent patients par an qui
viennent de manière régulière au centre et environ
le double pour les jeux d’argent. Les toxicomanes,
eux, se comptent en milliers.

Comment expliquez-vous que le centre


hospitalier Marmottan soit le seul à prendre

49
en charge l’addiction aux jeux vidéo ?

Le centre Marmottan a été le premier à prendre en


charge la question de l’addiction aux jeux vidéo car
il a également été l’un des premiers à s’intéresser
à l’addiction aux jeux d’argent, ainsi qu’aux autres
formes d’addictions. Lorsque des demandes se
sont manifestées, nous n’avons donc pas fermé la
porte aux jeux vidéo.
Mais cette situation est en train d’évoluer. De plus en
plus de chercheurs et de soignants se préoccupent
de l’addiction aux jeux vidéo. Cependant, je
regrette qu’il n’y ait pas plus de pédopsychiatres
qui s’y intéressent, car il ne faudrait pas qu’ils
soient coupés des jeunes, comme les parents l’ont
été à un certain moment.

Peut-on véritablement parler d’addiction aux


jeux vidéo ?

Il y a une addiction aux jeux vidéo, c’est


indéniable, mais il faut savoir que cela ne concerne
pas l’ensemble des jeux vidéo. Par contre, il y a
actuellement très peu d’études quantitatives fiables
pour mesurer l’ampleur du phénomène.

Je reçois des toxicomanes ainsi que des joueurs


pathologiques de jeux d’argent et de hasard. C’est
à partir de l’observation clinique des malades que
je me base. Au début, j’avais du mal à croire à la
réalité de l’addiction à internet ou au jeu vidéo.
Maintenant, de manière régulière, je vois arriver en
consultation des personnes qui sont dépendantes
aux jeux en réseau sur internet. Je n’ai pas vu et
peu entendu parler d’autres formes d’addiction
aux jeux vidéo.

Il y a presque un abus de langage à parler d’addiction


aux jeux vidéo parce que cela insinuerait qu’il y
a aussi des addictions aux jeux de consoles et
d’ordinateur alors que pour le moment, je ne vois

50
que des personnes qui s’accrochent aux jeux en
réseau sur internet, ce qui est quand même une
forme de jeu très particulière.

L’addiction porte plus sur la sociabilité développée


par ces jeux en ligne que sur le jeu vidéo en lui-
même. C’est un problème lié au fait de jouer avec
d’autres joueurs, ce qui développe des formes de
socialisation très complexes.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’abus ou de


dérapages avec d’autres formes de jeux, mais en
tout cas on ne les voit pas en consultation.

Est-ce que vous pensez que l’addiction aux


jeux vidéo est un problème de société, comme
le présentent les médias ?

Non, si je me réfère aux nombres de cas traités


chaque année. Statistiquement, je ne pense pas
que l’addiction aux jeux vidéo soit un problème
majeur ni dramatique. Mais c’est un vrai problème
qui doit être pris en compte, notamment parce que
cela arrive à des jeunes, à des moments importants
pour une carrière. Si ça ne dure qu’un an ou deux,
cela peut quand même faire des dégâts.

Quels sont les mécanismes vidéoludiques


qui peuvent favoriser l’addiction aux jeux
vidéo ?

Il faut être très prudent sur la définition des


facteurs d’addictivité. La simulation, le virtuel, les
écrans sont sûrement des facteurs importants,
mais ils existent aussi dans des jeux qui ne sont
pas considérés comme particulièrement addictifs.

p
51
Il y a un lien très fort entre ce pourquoi ils
s’accrochent et ce qui fait qu’ils ont trouvé ces jeux
captivants et intéressants, même si les raisons
pour lesquelles le joueur maintient une addiction
ne sont pas forcément les mêmes que celles pour
lesquelles il a choisi cet objet d’addiction. Ce sont
deux choses différentes mais généralement il y a
quand même un lien entre les deux.

Le premier facteur structurel de l’addiction aux


jeux vidéo est l’esprit de compétition. C’est une des
raisons pour lesquelles on a pu traiter des joueurs
qui avaient beaucoup de mal à contrôler des FPS*
(Jeux de tir en vue subjective), comme Doom ou
Counterstrike, même si ce n’est pas la catégorie
la plus représentée en consultation, les gens qui
s’accrochent à ces jeux sont des jeunes qui veulent
devenir les meilleurs. Même s’il s’agit de jeux a
priori peu addictifs, où les parties sont relativement
brèves, où l’on peut s’arrêter après quelques parties
sans trop de problèmes, la volonté d’être le meilleur
pousse certains à en faire une activité sportive et,
comme des sportifs de haut niveau, à s’entraîner
durant des heures avec le risque de dérapages ou
de dépendances qui peuvent exister dans le sport
également. L’affichage permanent des rankings*,
ces classements de joueurs, souligne l’importance
accordée au score. En fonction des résultats des
parties, le joueur régresse ou progresse. Si un
jeune se met à être obsédé par son classement et
que cela constitue un facteur de surinvestissement,
cette activité qui prend le pas sur les autres devient
alors problématique.

Mais un des genres de jeux auquel les joueurs


s’accrochent le plus, ce sont indéniablement
les MMORPG*, ces jeux d’aventure basés sur la
compétition, sur le fait qu’ils n’ont pas de fin et
qu’ils sont disponibles en permanence. Ce sont ces
fameux jeux persistants* en ligne qui génèrent le
plus de cas d’addiction.

52
Pour les MMORPG, un peu comme pour les FPS*,
les facteurs les plus addictifs vont être le sens de
la compétition, le besoin de progresser, l’illusion
de pouvoir croissant sur le monde. C’est ce qui
constitue à la fois l’intérêt et la limite de ces jeux.

Est-ce que la perte de repères spatio-


temporels engendrée par ces jeux est
problématique ?

La perte des repères est presque obligatoirement


liée au monde ludique lui-même. Le jeu doit se
situer dans un espace clairement séparé de la
réalité impliquant une relative perte des repères.
Le joueur ne peut pas à la fois jouer et être dans la
réalité. Par définition, on n’est pas responsable à
l’intérieur du jeu, on est responsable ludiquement
mais pas d’une autre manière, sinon on ne joue
plus.

Il y a un phénomène d’immersion qui est tout à fait


évident dans les jeux vidéo. Quand on est dedans,
il y a peu de choses de l’extérieur qui rappellent
que le temps passe.

Ce phénomène est probablement renforcé par


la complexité des niveaux de socialisation des
MMORPG*. Il y a une socialisation à l’intérieur
du jeu via ce qu’il se passe entre les avatars* (le
combat, l’aventure etc.). Quand on est dans le jeu,
il y a une sorte de théâtre de socialisation. C’est
ainsi que les Échecs peuvent être vécus comme
une guerre, un affrontement, une stratégie.

Il y a un autre niveau de socialisation, celui


développé dans les guildes*, toujours lié au jeu mais
différent puisque les joueurs parlent avec des gens
non pas en tant qu’avatar mais en tant que joueur.

53
Les joueurs peuvent également devenir amis, ce
qui constitue un troisième niveau de socialisation.
Ils vont pouvoir chater avec eux d’autres choses
que le jeu et même se rencontrer «en réel» comme
disent certains.

C’est la difficulté de séparer ces niveaux qui rend


cette immersion encore plus forte : le joueur a,
par moments, l’illusion de sortir du jeu, alors qu’il
est toujours dans un univers qui n’est pas celui de
la réalité sociale ordinaire. Le joueur peut croire
qu’il sort du jeu lorsqu’il sort du combat pour aller
discuter avec sa guilde* ou chater avec un autre
joueur alors qu’il se trouve toujours dans l’univers
du logiciel qu’il utilise et peut se demander s’il
joue encore ou pas. Il est dans une espèce de
monde global qui peut tenir lieu de socialisation et
relève d’un vrai problème d’engloutissement et de
difficulté à poser les repères.

Les communautés virtuelles favorisent-elles


un décrochage par rapport à la réalité ?

Pas réellement. Elles ne favorisent pas un


décrochage au sens où le craignent beaucoup
de parents  : la confusion entre le monde réel et
le monde virtuel. Ils ont peur que leurs enfants
prennent les passants pour des avatars ou qu’ils se
prennent pour leur avatar, mais on n’a jamais vu ça
en clinique. Même les psychotiques ne confondent
pas les univers.

Dans le jeu, on retrouve tous les côtés négatifs de


la vie : la compétition, la violence, les hiérarchies
et d’une manière encore plus caricaturale – les
joueurs choisissent leur race, leur profession, il y
a des classements permanents, avec beaucoup de
niveaux, des sous-niveaux.
On est dans un système de classement tellement
dur que se serait interdit dans la vraie vie  :
l’éducation nationale n’aurait jamais le droit de

54
faire ça, on ferait des procès aux profs !
La différence avec la vie, c’est que le jeu vidéo
est beaucoup plus juste. C’est là où il peut devenir
addictif car les résultats sont proportionnels aux
efforts, mais surtout au temps passé.

Est-ce que la dépendance est liée au fait


que le jeu vidéo soit basé sur un système de
gratification permanente du joueur ?

C’est la fonction normale du jeu. Il faut bien des


récompenses pour que cela soit amusant. Et par
ailleurs, on joue d’abord pour y faire ce qu’on
s’interdit de faire dans la vie réelle : c’est la fonction
cathartique du jeu. Il faut qu’il soit violent, qu’on
y meurt. Tout ce que l’on ne peut pas faire dans
la vie, on va pouvoir le faire dans le jeu. On va
mimer tout un théâtre pour expérimenter des rôles
de leader qu’on a du mal à tenir dans la réalité.

Il s’agit plus d’une addiction de «rassurement»


que d’une addiction de transgression et de prise
de risque. Le rassurement et la transgression
sont presque toujours présents dans toutes les
addictions. L’addiction aux jeux vidéo concerne le
premier volet car cette pratique est routinière. Le
fait que cela soit une habitude quotidienne rassure,
contrairement aux jeux d’argent et de hasard où la
prise de risque est active et réelle.

Est-ce qu’on peut dire que le jeu vidéo


constitue une fuite ?

La fuite est une des fonctions du jeu afin d’échapper


à la réalité. Le problème, c’est quand la fuite
devient l’essentiel de l’activité.

55
Aujourd’hui, quand on rentre chez soi, on se met
devant l’ordinateur avant d’entrer dans le monde
de la famille et de ses contraintes. On quitte un
monde de contraintes, qui est celui du travail ou de
l’école (représentation sociale, obligations) pour en
rejoindre un autre (la famille). Entre les deux, on a
ces types d’espaces qui constituent des moments
de respirations, des parenthèses. Les cafés ont
longtemps joué ce rôle. Le problème, c’est que
certaines personnes deviennent des piliers de bars.
C’est pareil pour l’ordinateur.

Existe-t-il des terrains pour les personnes


dépendantes ?

Comme dans toutes les addictions, il y a une


prédisposition individuelle, une personnalité
particulière à un moment particulier de son
histoire dans un contexte particulier. Pour le sujet
à ce moment de son histoire, certains objets vont
devenir plus addictifs que d’autres.
Il y a des facteurs de personnalité  : à l’heure
actuelle on voit plus souvent des jeunes introvertis,
des phobiques sociaux, qui ont du mal avec les
interactions dans la vie réelle et qui vont se réfugier
dans quelque chose de plus rassurant.

Il s’agit la plupart du temps de jeunes garçons pré-


adultes ou grands adolescents. Les joueurs que
l’on voit devenir dépendant sont souvent assez
timides, introvertis, très intelligents, exigeants
envers eux-mêmes et envers qui on est exigeant.
Ils sont dans un univers tourmenté et conflictuel
et ont un peu peur de se lancer dans la vie. Ils
trouvent qu’il y a trop de choses compliquées dans
la vie  : l’amour, le travail, des incertitudes dans
les relations interhumaines qui rendent la vie trop
angoissante.

En ce qui concerne le contexte, il s’agit très souvent


de familles monoparentales, tendues, désunies

56
ou bien très rigides où il y a des tensions non
dites : les parents portent toute l’attention sur les
résultats scolaires de l’enfant pour ne pas parler de
leurs problèmes.
Il y a aussi des moments de vie particuliers, par
exemple on voit des adultes de 30/40 ans qui
s’adonnent au jeu parce qu’ils traversent une
période de chômage, de rupture affective, de
dépression. Le jeu devient une sorte d’auto-
médicamentation anesthésique.

Quels sont les signes de la dépendance aux


jeux vidéo ?

Les signes sont indirects. Il n’y a pas de critères de


temps, même si on peut penser que si un joueur
dépasse 35  heures/semaine, cela peut devenir
problématique.
Le désinvestissement des activités - travail ou
loisirs, par exemple quand on ne veut plus voir
ses copains-, est un signal et c’est là qu’il faut
commencer à s’interroger. C’est de la désocialisation.
Cela commence par un loisir exclusif, cela peut être
une passion ou une période transitoire, mais c’est
un des signaux à prendre en compte.

Quelles peuvent être les conséquences


physiques d’une utilisation intense des jeux
vidéo ?

Les conséquences physiques, je ne sais pas, je


suis psychiatre ! Je ne crois pas qu’il y a d’énormes
problèmes sauf si une activité devient exclusive et
qu’elle se fait au détriment des autres. Cela devient
problématique si les joueurs arrêtent le sport, de
s’alimenter ou de dormir.

57
Quelles sont les solutions pour guérir de cette
addiction ?

Il ne faut pas dramatiser car ce sont des nouvelles


pratiques culturelles.
Il y a des équilibres qui vont se trouver. Les choses
seront moins problématiques quand les joueurs
excessifs d’aujourd’hui deviendront parents. On est
face à des addictions qui sont relativement labiles,
qui sont souvent des passages assez brefs.

Il y a aussi le fait que les codes de prévention


ne sont pas encore clairs. On n’a pas encore
l’équivalent de la prévention contre l’alcoolisme ou
le tabagisme. Tout ceci va s’intégrer au fur et à
mesure de la normalisation de ces pratiques.

Il y a une autre voie à explorer qui serait celle


de réfléchir aux moyens de rendre les jeux moins
addictifs. Par exemple, on pourrait imaginer que les
quêtes soient moins répétitives et plus originales,
que les personnages aient besoin de dormir
12  heures/jour sinon ils perdraient leur énergie.
On pourrait même imaginer des épreuves qui
consisteraient à rester enfermé dans une caverne,
ordinateur éteint pendant une semaine, sinon
on ne passe pas au niveau d’après. On pourrait
demander aux concepteurs d’intégrer aux jeux, de
manière structurelle, des éléments qui freineraient
les processus addictifs.

La vraie prévention passe par une culture et une


réflexion sur l’image, sur la fonction et sur la qualité
des jeux. Une véritable critique des jeux serait la
meilleure prévention.

Qu’est-ce que vous proposez aux personnes


qui viennent vous consulter ?

Des thérapies, comme pour toutes les addictions.


Quelle que soit la sophistication des réflexions et

58
des moyens techniques thérapeutiques, la relation
entre le patient et le thérapeute est le cœur du
traitement dans nos domaines. Dans le cas du
joueur c’est encore plus vrai car le seul fait de
parler avec quelqu’un de manière régulière change
le regard sur le jeu vidéo.
Jouer au jeu vidéo alors que l’on sait que l’on va
en parler dans cinq jours, ça donne une certaine
réflexivité. C’est le principe de la distanciation.
Parler de quelque chose et faire quelque chose,
c’est tout à fait différent. À partir de là, on a déjà
tout un champ de réflexion qui s’ouvre.

Est-ce que vous jouez au jeu vidéo ?

Non. J’ai été voir de quoi il s’agit, mais ces jeux


demandent trop de temps !

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François Lespinasse est psychologue-psychoclinicien,
il a travaillé à l’hôpital de jour « La Pomme bleue »
et travaille aujourd’hui à la cellule d’urgence médico-
psychologique Aquitaine et au service de psychiatrie
de l’enfant du Centre Hospitalier Charles Perrens, à
Bordeaux.

Un atelier thérapeutique « jeu vidéo » en


hôpital de jour pour jeunes enfants.

Histoire de l’atelier
En 1997, l’équipe de l’hôpital de jour a été
confrontée au phénomène des jeux vidéo lorsque
les enfants ont commencé à en parler dans les
ateliers thérapeutiques ou dans les réunions de
parole. Ce sont d’abord les enfants du « Mercredi »
qui ont apporté les premiers questionnements :
le mercredi, nous accueillons en effet des enfants
présentant des dysharmonies ou des névroses
graves, qui peuvent ainsi être soignés en hôpital de
jour tout en suivant une scolarité « normale ». Au
cours de la réunion de parole du matin, nous avons
vu apparaître de façon massive des thèmes issus
des jeux vidéo : certains, parmi les plus grands,
énonçaient leurs performances ou celles de leur
grande sœur ou de leur grand frère, en utilisant
les codes propres à la culture du jeu vidéo ; ainsi,
nous entendions un enfant expliquer à un copain :
« Moi, au monde 4, je saute sur le premier cactus,
et je prends la fleur magique pour éviter le dragon

61
rose ». D’autres, surtout les plus jeunes, étaient
tellement poussés par le besoin d’extérioriser leurs
émotions de jeu qu’ils n’avaient pas la capacité
d’expliquer qu’ils se référaient à un jeu vidéo, et
racontaient alors leur traversée du jeu comme s’ils
en avaient été eux-mêmes le héros, comme dans
une sorte de rêve électronique. Parallèlement,
les enfants psychotiques que nous recevons les
autres jours commençaient, pour ceux qui peuvent
s’exprimer, à dire qu’ils avaient déjà joué ou qu’ils
désiraient jouer avec les jeux vidéo. Les listes de
cadeaux à demander au Père Noël incluaient toutes
une console de jeu.

L’idée d’intégrer les jeux vidéo dans le dispositif


de soin a commencé de faire son chemin. Dans
un premier temps, la plupart des soignants ont
réagi négativement, et ceci d’une façon d’autant
plus vive que plusieurs d’entre eux devaient traiter
le même problème chez eux en tant que parents.
Sur proposition du médecin, et après de longues
discussions sur le bien fondé du projet, il fut décidé
de proposer à certains enfants du Mercredi pour
lesquels l’indication avait été mûrement réfléchie,
un atelier thérapeutique expérimental autour des
jeux vidéo, bientôt appelé « atelier Nintendo », du
nom de la console que nous avons achetée à cet
effet. Un infirmier accepta d’être le référent de cet
atelier.

Le cadre de l’atelier « jeu vidéo »


Les règles de cet atelier sont les suivantes :
1 - Les enfants ne peuvent utiliser la console que
dans des moments bien définis dans leur emploi
du temps, et en présence du soignant référent de
l’atelier. S’il est absent, l’atelier n’ouvre pas, pour
éviter que la console devienne pour les enfants
un jeu comme un autre auquel on peut accéder
librement ou avec un soignant de passage, comme

62
les vélos, la balançoire ou le ballon. Par contre, le
soignant référent de l’atelier s’est ainsi retrouvé
«enfermé» par plusieurs enfants dans le seul rôle
de spécialiste de la console de jeu, ce qui a posé
un problème à l’équipe de soins.

2 - Les enfants au nombre de trois ou quatre,


s’assoient en demi-cercle devant le téléviseur, puis
le soignant indique combien de temps on va jouer,
et qui va commencer. Un tour de rôle s’est ainsi
institué, et le soignant tient compte à la fois de la
prise de pouvoir d’un enfant, de l’inhibition d’un
autre, de la difficulté qu’il y aura à interrompre la
partie pour un troisième etc. Nous avons utilisé le
jeu Super Mario 2* dans un premier temps, puis
Super Mario 3. Nous ne connectons habituellement
qu’une seule manette de jeu, que les enfants
utilisent à tour de rôle.

3 - Il est « interdit » de se moquer des autres,


de leurs échecs, de leurs maladresses. Il est
«obligatoire» d’attendre son tour pour jouer.

4 - L’enfant qui a commencé la partie choisit, selon


les options du jeu, quel héros il «veut être» durant
cette partie, et ne cède sa place que lorsqu’il a
perdu toutes ses « vies ». Ce dernier point est délicat
à mettre en œuvre : en effet, ces jeux vidéo sont
tellement prenants qu’il est quasiment impossible
d’exiger d’un enfant, a fortiori s’il présente des
difficultés psychologiques, qu’il accepte de s’arrêter
sur la seule parole de l’animateur de l’atelier. Mais
par ailleurs, certains enfants sont si habiles qu’ils
reconquièrent des vies supplémentaires, et peuvent
ainsi progresser fort loin dans le jeu, et donc fort
longtemps, déclenchant ainsi des protestations des
autres participants frustrés de leur temps de jeu et

63
vexés par le score de l’autre. Le rôle du soignant
devient alors très délicat pour parvenir à conserver
à l’atelier son caractère contenant.

Il nous paraît souhaitable que le soignant soit


à l’aise avec les jeux vidéo, qu’il y prenne du
plaisir, mais aussi qu’il soit plus performant que
le meilleur des enfants. Concrètement, il est
nécessaire qu’il soit allé lui-même jusqu’au bout
du jeu : en effet, l’histoire de Mario est une sorte
de quête imaginaire vers une princesse qui se
dérobe toujours davantage, jusqu’à une fin assez
étonnante que tout « Nintendo-thérapeute » averti
se gardera bien de révéler afin que les enfants
puissent la découvrir par eux-mêmes.

L’atelier « jeu vidéo » avec les enfants


psychotiques
Après un temps de pratique avec les enfants du
Mercredi, nous avons tenté de proposer l’atelier
Nintendo à certains des enfants psychotiques
accueillis durant la semaine. L’expérience a montré
que les règles de fonctionnement que nous avions
précédemment élaborées restaient pertinentes
avec ces enfants. C’est donc sur la même base
que nous avons proposé l’atelier à cinq enfants
psychotiques âgés de 8 à 11 ans, quatre garçons
et une fille, tous scolarisés à temps partiel dans la
classe intégrée d’une école du quartier.
Dès le début de l’expérience, la demande des
enfants pour cet atelier nous a étonnée, et elle n’a
pas cessé depuis : ils se «bousculent» pour y aller
et manifestent une réelle déception si le soignant
référent de l’atelier est absent. Ils acceptent les
règles de passage dans l’ordre et de respect des
autres, et n’attaquent pas le cadre de l’atelier.
À notre grande surprise, les performances sont
largement supérieures à ce que nous pensions que
ces enfants pouvaient réaliser : ainsi, Pierrick, un

64
enfant de onze ans d’apparence inhibée, lent à
s’exprimer et nous faisant parfois craindre qu’il ne
se débilise, se révèle particulièrement performant
dans le cadre du jeu vidéo. L’atelier est donc
devenu, pour plusieurs enfants psychotiques, un
lieu de performance et de réhabilitation narcissique
qui les a autant étonnés que nous-mêmes.
Par ailleurs, plusieurs parents, qui avaient cédé
sans illusion à la demande d’achat d’une console,
ont découvert eux aussi les performances nouvelles
de leur enfant. «Nous sommes contents de lui
avoir acheté ce jeu vidéo, au moins il y joue», nous
disent les parents de Pierrick, faisant allusion à de
nombreux autres jouets qu’ils lui ont achetés et
avec lesquels l’enfant n’a jamais joué. Il est permis
de dire que le jeu vidéo, dans ce cas, a contribué à
la réparation narcissique des parents.

Cependant, certains enfants entrent dans le jeu


d’une façon tellement fusionnelle qu’ils semblent
littéralement possédés par la machine. Martial, 11
ans, cramponné à la manette de jeux, ne cesse
de s’agiter sur sa chaise ; il remue sans arrêt ses
bras et ses jambes dans des extensions clastiques,
en répétant une sorte de grognement-halètement
à chaque mouvement de Mario, le tout avec un
rictus de la bouche qui découvre ses dents.
Pourtant, (et une observation filmée le montre
bien), ce même enfant, en pleine « action » ou,
diront certains soignants, en pleine «possession»,
répond tranquillement à mes demandes d’identifier
tel trajet de Mario, ou de donner le nom de tel
dragon avec lequel son héros est en train de se
battre. Ce n’est qu’en étant trop insistant que
je l’entendrai me répondre : « Laisse-moi finir la
partie, je t’expliquerai tout à l’heure ». Force est
de constater qu’il est en apparence « hors de lui »,

65
mais qu’il peut à tout moment en dire quelque
chose de sensé. La machine serait-elle pour eux
une occasion de canaliser sous forme ludique
et d’expulser un trop plein d’angoisse ? Nous
manquons de recul pour analyser plus finement
ces comportements d’addiction au jeu vidéo. Par
ailleurs, il faut mentionner que ces états fusionnels
de l’enfant avec la machine, même s’ils restent
contenus dans le cadre de l’atelier, entraînent chez
certains soignants des réactions d’inquiétude voire
de désapprobation. Le nécessaire travail en équipe
de soins impose d’intégrer aussi de telles réactions
et de retravailler régulièrement le bien-fondé de
cette activité et la justification de son «label»
d’atelier.

Enfin, nous avons observé que l’atelier a été pour


plusieurs enfants psychotiques une source de
réflexion sur la place de l’adulte, celui qui sait, qui
connaît mieux les ressources du jeu et les recettes
pour gagner plus vite. Ils peuvent aussi observer
les préférences du soignant, et les commenter
dans une démarche d’identification.

Un premier bilan de l’atelier «jeu vidéo»


Nous n’avons pas encore analysé tous les
enseignements de cette expérience. Mais déjà,
une constatation s’impose : les enfants que nous
soignons accrochent très fortement à ce jeu. Deux
points plus précis semblent aussi se dégager de
leur observation :

1 - C’est l’acte de jouer, plus que la situation de


jeu, qui est source d’excitation. Le contenu du
scénario, l’histoire qui sous-tend le jeu, ne les
intéresse pas. Ils ne s’intéressent pas au mode
d’emploi, qui introduit au « il était une fois » de
l’histoire. Ils veulent agir tout de suite, et obtenir
les résultats immédiats (vies supplémentaires,

66
pouvoir magique etc.) Tout le travail du soignant
est de proposer à l’enfant de pouvoir en dire autre
chose que cet immédiat. […] La dimension groupale
de l’atelier prend ici tout son sens.

2 - Nous avons été étonnés par la capacité de ces


enfants à dialoguer sans problème avec la machine.
Nous savons que les enfants de la jeune génération
sont à l’aise avec les machines électroniques, mais
nous imaginions que les difficultés de schéma
corporel, de communication, de contrôle émotionnel
observées chez les enfants en traitement à
l’hôpital de jour se retrouveraient particulièrement
dans l’atelier « jeu vidéo » et conduiraient à un
maniement difficile de la console, à des réactions
d’anxiété, et à des résultats médiocres.
Ce n’est pas ce que nous avons observé. Pouvons-
nous en comprendre quelque chose ?

Logique numérique, intelligence sensori-


motrice et représentation
En essayant d’avancer dans quelques hypothèses, on
est frappé par l’opposition de deux dimensions :

- D’un côté, une génération d’enfants, et pour


ce qui nous concerne, des enfants handicapés
psychologiquement, qui naviguent avec aisance
dans la logique des jeux vidéo.

- De l’autre coté, des adultes, des parents, et,


en l’occurrence, des soignants qui, frappés à la
fois par l’aisance et l’excitation que manifestent
les enfants, ne parviennent qu’avec beaucoup de
difficultés à en élaborer une réflexion positive.
Nous proposons un double éclairage pour tenter

67
d’ouvrir une réflexion sur ce sujet : d’une part une
analyse de la logique « numérique » qui sous-tend
ces jeux, d’autre part un appel à des concepts de
Piaget autour des activités cognitives. […]

A - L’intelligence sensori-motrice
Pour Piaget, l’intelligence sensori-motrice est
« une intelligence qui se détermine en présence
de l’objet, de la situation, des personnes, et dont
l’instrument est la perception. Elle vise non pas à
la vérité, mais à la réussite. » (DOLLE J.M. - Pour
comprendre Jean Piaget, p. 83. Toulouse, Privat,
1991) N’est ce pas ce que nous observons lors de
l’action de jeu ? Nous y voyons une présentation
cyclique et rapide d’objets-situations que l’enfant,
dans la logique numérique de la console, doit
choisir immédiatement après les avoir identifiés,
dans une sorte de « sitôt perçu, sitôt appuyé », le
réflexe perceptif venant s’agir dans l’immédiateté
de la motricité du doigt.

B - L’activité de représentation
Expliquant la mise en place de ce qu’il appelle
la fonction sémiotique, Piaget nous dit que
« l’intelligence ne s’appuie plus seulement sur les
perceptions et les mouvements, mais sur un système
de concepts ou de schèmes mentaux. »(PIAGET
J. - La formation du symbole chez l’enfant, p.68.
Neuchâtel et Paris, Delachaux et Niestlé, 1946).
« L’enfant élabore des images qui lui permettent,
si l’on peut dire, de transporter le monde dans sa
tête. » (DOLLE J.M. - Pour comprendre Jean Piaget,
p.131.) C’est bien ce que nous pouvons observer,
soit dans le cadre de l’atelier chez les enfants qui
ne jouent pas, mais qui « conseillent » le joueur,
soit, surtout, en dehors de l’atelier lorsqu’ils
parlent entre eux de stratégies de jeu, voire
même lorsqu’ils associent à partir des aventures
du héros. Des enfants en traitement en hôpital de

68
jour peuvent donc se représenter des situations de
jeu. Ils peuvent aussi, à leur manière, échanger
avec d’autres enfants, y compris avec des enfants
« ordinaires », des éléments de cette culture
enfantine universelle du jeu vidéo.

Conclusion
Ce qui pose un problème dans notre effort de
compréhension, c’est le clivage entre les deux
activités que nous observons chez les enfants de
l’atelier Jeu Vidéo : le même enfant «possédé» de
façon quasi hallucinatoire par la console de jeu,
pourra, plusieurs heures après l’atelier, échanger
des stratégies de jeu avec un autre enfant.
Un éclairage nous est peut-être fourni si nous
interrogeons autour de nous les jeunes ou les adultes
non pathologiques qui utilisent les jeux vidéo dans
un but de loisir : ils évoquent d’une part le plaisir
de réaliser une performance, de battre son propre
record, et d’autre part l’apaisement paradoxal qui
consiste à « ne rien faire », à « s’occuper les mains
et l’esprit à rien d’autre ».

Si nous acceptons de dire que l’enfant psychotique


est en grande difficulté dans son activité de
représentation, nous pouvons peut-être faire
l’hypothèse que le jeu vidéo serait pour lui un
«passe-temps», au sens le plus littéral du terme,
c’est-à-dire une assurance de traverser le temps
en se protégeant autant de l’angoisse du vide que
de la peur de la pensée. Le jeu vidéo prendrait
place parmi ces jeux psychotiques répétitifs,
comme ces parties de balançoires ou ces tours
de vélos qui, s’ils ne sont pas accompagnés par
les soignants, semblent ne jamais devoir finir. La
console serait pour l’enfant psychotique une sorte

69
de balançoire psychique où il pourrait « s’oublier »
dans l’immédiateté des stimulations de l’écran et
de la réponse motrice de ses mains sur la manette
de jeu.

L’atelier « jeu vidéo » tente d’utiliser une situation


ludique qui, hors cadre, enfermerait encore
davantage l’enfant perturbé. Grâce au cadre
thérapeutique et à la parole contenante du soignant,
il permet à l’enfant de faire, autant qu’il peut le
supporter, l’expérience de la représentation, c’est-
à-dire de la pensée, et donc de la parole.

José Perez, Infirmier


François Lespinasse, Psychologue
Octobre 1994

Ce travail a été publié par la revue « Neuropsychiatrie


de l’enfance et de l’adolescence » Septembre-Octobre
1996 n°  9-10 p. 501-506 .
Un résumé en a été publié par la revue « Le journal
des psychologues » Décembre 96-Janvier 97 n° 143
p. 46-48.
Le texte est également disponible sur :
http://pagesperso-orange.fr/fr.lespinasse/ateljvid.html

Bibliographie :
1-Jean-Marie Dolle, Pour comprendre Jean Piaget.
Paris, Privat, coll. Pensée, 1985.

2-Jean Piaget, La formation du symbole chez


l’enfant, Delachaux et Niestlé, 1945.

70
D’après l’expérience décrite ci-dessus, est-
ce que l’on peut dire que c’est le cadre de
l’atelier thérapeutique qui importe plus que
le fait qu’il s’agisse du jeu vidéo ?

Tout à fait ! C’est le cas pour tous les autres ateliers


thérapeutiques que l’hôpital de jour met en place.
Il faut d’abord que les soignants définissent un
cadre très précis afin de savoir prendre en charge
les complications qui peuvent survenir pendant
l’atelier comme le repli sur soi, la crise d’agitation/
d’angoisse ou les débordements. Pour servir
au mieux l’enfant, il faut que le soignant puisse
l’exclure de l’atelier si cela s’avère nécessaire. Un
cadre cassé n’est plus contenant et peut devenir
nocif.

Dans le cadre de cet atelier, comment s’est


effectué le choix des enfants ?

Les indications sont très compliquées  : il faut


tout d’abord que le jeu présente un intérêt pour
l’enfant et puis il faut qu’il puisse accepter un tel
cadre (comme la frustration inévitable de devoir
passer la manette). Ce cadre est construit de façon
artisanale.

Le personnel soignant peut remettre en question


le bien fondé de l’atelier suivant l’évolution de
chaque enfant. C’est au soignant de l’atelier
d’indiquer s’il y a des contre-indications : si un
enfant est malheureux, s’il est incapable de tolérer

71
la frustration au point qu’il se retienne à l’extrême
de mordre les autres et qu’on l’exclue plusieurs
fois. Il faut que l’équipe soignante puisse dire s’il
se fait plus de mal que de bien pour décider de
l’arrêt ou de la poursuite de l’atelier. Il ne faut pas
provoquer l’enfant dans une frustration qu’il ne
peut pas tolérer à cet instant.

L’équipe soignante rencontre les parents à raison


d’une fois par mois ou plus. S’il y a un arrêt d’une
activité, on fait en sorte que les parents ne le
prennent pas pour une punition ou une régression.
Il faut savoir dire que l’on s’est trompé.

L’évolution de ces enfants est très mobile. Il peut


y avoir des moments de régression comme de
progression auxquels il faut s’adapter. Je ne peux
pas être plus précis. Ce n’est pas comme le passage
d’une classe à l’autre où il y a des prérequis. On se
base sur «la clinique au chevet du patient» qui est
une méthode qui s’adapte à l’évolution de chaque
enfant.

Est-ce que les réserves exprimées par


les soignants au début de l’aventure sont
levées ?

Complètement. Il faut remettre mon article


dans le contexte de l’époque. C’était en 1994.
Actuellement, n’importe quel jeune parent a déjà
joué aux jeux vidéo et donc ne risque pas de les
qualifier de dangereux alors qu’à l’époque, tout ce
qui était visualisé sur un écran de télé était suspect
surtout de la part des soignants prudents sur les
dérives qui peuvent exister. Au début, il y a eu
des réactions assez fortes car certains collègues
résistaient déjà chez eux face à une demande
réitérée de leurs propres enfants de jouer à la
console.

Aujourd’hui, je pense que ce serait une frustration

72
incompréhensible pour un enfant de ne pas pouvoir
jouer aux jeux vidéo. Par contre, il faut que les
parents soient présents, non pas pour contrôler,
mais pour commenter les jeux vidéo. Je trouve
que c’est terrible de laisser des jeunes avec le jeu
vidéo comme passe-temps et en particulier les
ados. Il faut que les parents donnent leurs points
de vue pour que les enfants puissent s’y référer.
Il faut un certain accompagnement autour de la
pratique du jeu. Ce n’est pas une goutte de sang
qui va traumatiser l’enfant mais c’est de l’avoir vue
sans commentaires, sans accompagnement.

J’ai assisté à une Lan Party*. J’ai trouvé que c’était


passionnant de voir des gamins qui essayaient
de coincer sympathiquement l’équipe adverse.
À condition que les adultes soient là, non pas
pour prétendre être meilleur que les jeunes mais
pour qu’ils s’expriment et donnent leurs points
de vue. Quels qu’ils soient. Même si nos parents
ont des points de vue différents, ils nous aident
à grandir. À mon époque, on se demandait si
ce n’était pas mauvais pour l’enfant de lire des
bandes dessinées. Vous vous imaginez poser cette
question aujourd’hui ?

Par contre, il faut que les parents interdisent aux


enfants les jeux vidéo pour adultes. Si les petits
sont initiés par les grands frères, il faut que les
parents fassent un peu de police familiale.

Justement, est-ce que les enfants, une fois de


retour chez eux, réclamaient la console ?

Oui, mais nous n’avons constaté que des choses


positives. Les parents se sont aperçus des
compétences développées par leurs enfants.
D’habitude, les parents d’enfants très atteints

73
psychologiquement perçoivent leur enfant comme
étant hors des normes et peu compétent. Mais avec
le jeu vidéo, il est plus compétent. En plus, il peut
échanger avec d’autres autour de ses performances.
La plupart de ces enfants sont scolarisés à temps
partiel. L’enfant peut dire à ses camarades qu’il
est peut-être bizarre mais qu’il sait jouer aux jeux
vidéo. Cette pratique est plutôt positive du point
de vue de l’image de soi. Les parents l’ont tout à
fait compris et n’ont pas eu de problème avec la
pratique du jeu vidéo à la maison.

Est-ce que les bénéfices tirés de la pratique


du jeu vidéo se ressentent au quotidien ?

C’est une question piège. Je vais faire une


métaphore : quand on prend plusieurs médicaments
on ne sait pas lequel a vraiment marché. Nous avons
appris que tous les ateliers sont importants, autant
celui sur le conte que celui sur le psychodrame,
sur l’eau ou sur la nourriture. On ne peut pas
savoir lequel de tous ces ateliers soigne le mieux.
D’ailleurs, ce n’est pas le propos. Ce que l’on sait,
c’est qu’après, ils transposent leurs performances
dans leurs échanges avec les autres.

Les jeux vidéo utilisés dans cet atelier ne


présentent pas de côtés négatifs. Par exemple, on
n’a pas vu d’enfant délirer par rapport au jeu vidéo,
confondre réalité et virtualité. La capacité de parler
des enfants est un aspect positif de l’atelier. On
a échafaudé l’hypothèse que le jeu vidéo est un
organisateur de pensée. Pour les enfants autistes,
le jeu vidéo permet d’organiser sa pensée à partir
d’une histoire, comme les contes : il y a un avant,
un après, des adjuvants et des opposants, un
monstre, une quête. Une autre des spécificités
du jeu vidéo est la traduction d’une pensée par le
geste. Il faut être assez vif pour faire le bon geste
au bon moment.

74
Est-ce que le jeu vidéo peut être un outil
thérapeutique ?

Certains soignants disent que le jeu vidéo est utilisé


de façon soignante dans un cadre thérapeutique
mais je ne veux pas être à l’origine d’une
généralisation et affirmation de cette hypothèse.
On constate que ça marche. On peut dire que c’est
une expérience qui dure. Le cadre a un peu évolué
mais cela reste une idée pertinente pour aider des
enfants en difficulté.

75
atkin
hane N
Stép

À l'heure de la multiplication des communautés


virtuelles, Stéphane Natkin, directeur de l’École
Nationale du Jeu et des Médias Interactifs Numériques
(ENJMIN), nous fait découvrir les jeux de demain. En
s'appuyant sur les nouveaux modes de communication
(wifi, gps, objets intelligents), ces jeux, qu'il appelle
« ubiquitaires », utilisent les objets du quotidien et
brouillent toujours plus la frontière entre réalité et
virtualité.

76
Stéphane Natkin est professeur titulaire de la chaire
systèmes multimédia au Concervatoire National des
Arts et Métiers (CNAM). Il est également directeur
de l’ENJMIN.

Pour vous, les jeux de demain seront


ubiquitaires. D’où vient cette notion ?

Cette notion n’a rien à voir avec le don d’ubiquité


au sens français du terme. La notion d’informatique
ubiquitaire* (ubiquitous computing) et de jeux
ubiquitaires est inspirée du roman Ubik de Philippe
K. Dick et a été conçue dans les fameux laboratoires
de Xerox à Palo Alto. Ubik est omniprésent et
omniscient tout comme l’informatique ubiquitaire,
ce réseau d’objets intelligents* qui vous observent,
sait toujours où vous êtes et réagit en s’adaptant à
vos besoins et à votre comportement.

Quelles sont les évolutions techniques qui


ont permis l’apparition de cette nouvelle
informatique ?

L’informatique ubiquitaire est née de la convergence


de trois technologies : les réseaux sans fil, la plate-
forme unifiée* et les objets intelligents*.
La plate-forme unifiée est la possibilité de faire
communiquer, au travers d’un internet généralisé,
des usagers disposant d’appareils variés comme les
téléphones, les PDA*, les ordinateurs. Les objets
intelligents sont quant à eux des objets du quotidien

77
comme les lapins Wifi, les ascenseurs surveillés,
les vêtements communiquant ou les canapés qui
s’adaptent à la forme de vos fesses.

Comment intervient l’informatique  ubiqui-


taire dans le jeu vidéo ?

Les premières applications de l’informatique


ubiquitaire sont apparues dans « les espaces
intelligents » urbains ou domestiques. À Singapour,
on a pu se promener dans la ville et voir tout à
coup un grand panneau publicitaire s’éclairer d’un
message qui vous est personnellement destiné
disant «je t’aime mon petit lapin» ou «rentre tout
de suite à la maison, la soupe est servie». À la
demande d’un ami, le système a localisé votre mobile
dans la ville et a envoyé le message au panneau
de publicité intelligent le plus proche. J’ai visité
au Japon une maison intelligente dont l’interface
est matérialisée dans chaque pièce par un petit
personnage de style manga. Lorsque vous sortez le
matin, ce petit personnage vous dit « Natkin San,
vous oubliez vos clefs ». L’informatique ubiquitaire
a, via ses caméras, surveillé tous les objets que
vous lui avez désignés et vérifie, via un capteur
magnétique, que vous avez dans votre sac à dos
vos lunettes, clefs…

Le jeu est une application privilégiée de


l’informatique ubiquitaire. Le jeu expérimente sans
arrêt de nouvelles interfaces comme l’Eye Toy* de
la Playstation (PS)*, le micro de la DS*, la Wiimote*
ou les faux instruments de Guitar Hero. Les jeux
pro-actifs* interviennent dans la vie du joueur à
tout instant et interagissent avec lui en tous lieux via
son mail ou son téléphone mobile. Il peut recevoir
des messages de son avatar*, des autres joueurs
et du moteur de jeu. Il peut rechercher des indices
pour faciliter ses quêtes dans les médias du monde
réel. Parallèlement, une station de radio ou de
télévision diffuse en continu des nouvelles sur l’état
de l’univers virtuel. Relié en permanence à l’univers

78
virtuel par toute une panoplie d’appareils, le joueur
peut interagir avec le monde du jeu en utilisant tous
les objets dont il dispose, du clavier de son mobile
aux oreilles de son lapin Wifi. Ce qui caractérise
ce type de jeu, ce sont les interactions entre le
joueur et l’univers virtuel qui ne se distinguent pas
formellement des interactions avec le monde réel
via les médias (radio, TV, web, journaux) et les
systèmes de télécommunications (téléphone, mail,
vidéoconférence…).

Quelles sont les conséquences scénaristiques


de ces jeux pro-actifs dans l’univers classique
des jeux vidéo ?

Les jeux pro-actifs ne se déroulent pas dans un


monde médiéval dont les rapports quotidiens avec le
monde actuel sont difficiles à argumenter, mais dans
une fiction contemporaine. Toutefois, l’imagination
est au pouvoir, et le joueur peut être le représentant
au XXIe siècle d’agents spatio-temporels, ce qui
justifie parfaitement les interactions.

Les jeux pro-actifs ont déjà été expérimentés sous


diverses formes. Un des premiers exemples est
Majestic. Ce jeu diffusé par Electronic Art en 2000
proposait de déjouer un complot visant la sécurité
des États-Unis, dans un univers très inspiré du
feuilleton X files. Les joueurs devaient s’abonner et
s’enregistrer via internet sur une base de données
qui lui fournit par mail, fax ou téléphone, des indices
pour leurs enquêtes. Ils doivent aussi mener leurs
investigations sur des sites web. Le jeu n’est pas
limité dans le temps, puisque reprenant les principes
des feuilletons, un nouvel épisode était proposé
chaque mois. En 2003, Ubisoft éditait In Memoriam
écrit par Éric Viennot et développé par Lexis
Numérique. Le principe est très voisin, l’enquête

79
porte sur la disparition de deux journalistes. Les
indices doivent être trouvés sur le web ou sont
employés sous forme des courriers électroniques.
Par contre, ce jeu a une fin.

Quel est l’apport de la téléphonie mobile aux


jeux ubiquitaires ?

En tant qu’appareil de communication multimédia


mobile, le téléphone va devenir le support privilégié
des jeux ubiquitaires. De nouvelles fonctions
comme la géolocalisation participent à ce devenir.
Par exemple, dans BotFighter développé par Alive
Mobile, le joueur participe à un rallye qui l’amène
à chercher des objets virtuels et combattre des
ennemis réels dans la «vraie» ville. Il dispose pour
cela d’un mobile géolocalisé doté d’une interface
bluetooth*. La recherche d’indice de l’énigme peut
être réalisée sur internet et via une émission de
télévision.

Est-ce que les nouveaux jeux induiront une


nouvelle relation avec les médias ?

L’importance de ce type de jeu se dévoilera au fur


et à mesure qu’ils se rapprocheront des médias
classiques et sortiront du domaine du jeu vidéo, au
sens actuel du terme. On peut imaginer une page
spéciale ou un magazine télévisé qui rapporte les
actualités du monde virtuel et pourquoi pas VCNN,
virtual CNN, une chaîne consacrée uniquement
aux fausses guerres auxquelles tout le monde
peut participer par mobile interposé. La mise en
spectacle de l’actualité, telle qu’elle est pratiquée
actuellement, facilite cette transition. L’intégration
entre les différents modes de production
audiovisuelle va également dans ce sens.
D’ici moins de cinq ans, le développement des
infrastructures de télécommunication dotera la
majorité des foyers des pays occidentaux et du
Sud-est asiatique de réseaux haut-débit et sans

80
fil, véhiculant un mixte de téléphone, télévision
et internet. Les utilisateurs seront mûrs pour
un nouveau type de média, les producteurs et
créateurs aussi.

Est-ce que la confusion entre monde virtuel et


monde réel sera renforcée ?

Elle va être de plus en plus renforcée mais rappelons


qu’elle a déjà une longue histoire. Orson Welles
signait en 1937 une des plus célèbres émissions de
radio qui annonçait le débarquement des martiens
sur le territoire américain, provoquant une
panique monstre. Les jeux pro-actifs constituent
le grand retour de la Guerre des Mondes à l’heure
d’internet.
Le triomphe de l’informatique ubiquitaire est
annoncé par le film Minority report, tiré lui aussi
d’un roman de Philippe K.  Dick, où l’on voit Tom
Cruise manipuler « à la main » des documents
électroniques sur un écran dématérialisé. À ce
moment-là, il n’y existera plus de différence entre
les interfaces qui nous lient aux objets et aux
mondes virtuels et ceux que nous employons dans
la vie réelle.

Quels sont les risques de ces nouveaux jeux ?

Le risque d’instrumentalisation au sein de ces jeux


pro-actifs est assez élevé. Un jeu est basé sur un
mécanisme psychologique qui est d’autant plus
efficace que le joueur se sent l’auteur de ce qu’il
observe et en est récompensé. C’est donc a priori
un mécanisme de propagande et d’intoxication très
efficace. Le meilleur moyen de s’en protéger est de
former à cet univers, des créateurs et des critiques
qui connaîtront l’envers du décor.

81
tinès
ud S
Arna

Arnaud Stinès est directeur de Rurart : espace d’art


contemporain, espace multimédia, réseau régional
d’action culturelle.

82
Inexorablement, le jeu vidéo pèse chaque jour
davantage sur son époque.
Il a su sortir du public d’initiés férus d’informatique
de ses débuts pour élargir son spectre et toucher
les enfants et les jeunes adultes. Après les
trentenaires nostalgiques de leur adolescence, le
public féminin et les seniors sont désormais dans
le viseur de l’industrie vidéoludique.

Le jeu vidéo est devenu en quelques années le


principal loisir des jeunes, devant la lecture et, plus
étonnant, devant le cinéma. Il ne s’agit pas de s’en
féliciter ni de s’en désoler. Simplement, on ne peut
pas l’ignorer ni même considérer cette évolution
comme un événement marginal.
Son essor a généré un chiffre d’affaire considérable.
Signe de sa puissance industrielle et commerciale,
ses titres phares s’affichent en 4 par 3 sur les
panneaux publicitaires des ensembles urbains. De
loisir ludique, le jeu vidéo est devenu phénomène
de société dont l’influence se mesure au bruit
médiatique qu’il génère et aux questions qu’il
véhicule.

Devant l’ampleur d’un changement majeur des


pratiques de loisir des jeunes, les parents et les
éducateurs s’interrogent d’autant plus qu’ils
maîtrisent souvent mal les enjeux et les codes de
ces nouvelles pratiques. Si on imagine aisément
parents, enfants et grands-parents converser
autour d’un film – parce qu’ils partagent une culture
commune à défaut de goûts communs –, le même
échange autour d’un jeu vidéo reste aujourd’hui
une vue de l’esprit.

83
Souvent l’inconnu effraie. Le jeu vidéo ne déroge
pas à la règle et les questions légitimes se mêlent
aux idées reçues. On s’inquiète de la violence, de
l’isolement social généré, du risque d’addiction.
On stigmatise les valeurs véhiculées. On voit se
rapprocher la prophétie de Paul Virilio, pour qui
tout progrès technique contient en lui son propre
accident : un accident global, la fin de la culture au
profit de la société du divertissement ; un accident
local : le jeu vidéo entraîne l’addiction, c’est aussi
inexorable que son avènement.

Le lecteur a pu percevoir au fil des pages du


présent ouvrage que cette vision apocalyptique
est très éloignée de la réalité d’un médium et
de comportements beaucoup plus sages que les
fantasmes qu’ils véhiculent. Nous avons recueilli
les expériences d’addictologues, de psychiatres,
de chercheurs, d’enseignants qui, chacun dans
leur champ d’investigation, ont tenu des discours
très mesurés. Si l’addiction existe, elle reste
extrêmement marginale eu égard au nombre de
pratiquants. Elle ne concernerait qu’un type de jeu
bien particulier et non l’ensemble des pratiques
devant un écran. Aucun des interlocuteurs
rencontrés n’a tenu de discours alarmiste, qu’il
fût un spécialiste de l’addiction ou qu’il consacrât
son temps à la recherche dans le domaine du jeu
vidéo.

Pourtant, nous avons ressenti un réel malaise ou


un début d’agacement chez certains à l’évocation
de ces questions  : ils préféraient les éviter.
Craignaient-ils un diagnostic critique mettant
en lumière les ravages des jeux vidéo chez les
jeunes ? Le monde du jeu vidéo semble préférer et
réfuter l’existence des interrogations qui peuvent
se poser que de s’y confronter. Sans doute est-ce
dû à la jeunesse du médium, à la faible quantité
de ressources théoriques, à la porosité entre
chercheurs, industriels et joueurs.

84
Nier les questions plutôt qu’en chercher les
réponses contribue maladroitement à nourrir les
présupposés, entretenir les rumeurs, susciter
les inquiétudes. Si le jeu vidéo est un colosse
économique, il reste fragile sur ses bases
théoriques. Sans doute aura-t-il besoin de grandir
encore avant de verser dans l’âge adulte et de
gagner sa légitimité.

85
Avatar : incarnation du joueur sur l’écran

Beat Them All : jeux d’action dont le moteur


ludique est l’habilité au combat à main nue et à
l’arme blanche.

Bluetooth : technologie de communication


sans fil qui permet de faire communiquer entre
eux différents appareils dans un rayon de 10
mètres.

Boss : monstre particulièrement dangereux qu’il


faut vaincre pour terminer un niveau de jeu.

DS : console de jeu portative développée par


Nintendo, sortie en 2005.

Eye toy : webcam de la Playstation 2.

FPS (First Person Shooter), littéralement


Jeu de tir en vue subjective : jeu d’action dont
le moteur ludique est l’habilité au tir d’armes
diverses, l’image du joueur étant une simulation
de ce que voit le personnage qu’il commande.

Guilde : regroupement de joueurs dans les jeux


en ligne.

86
Gameplay : c’est le nom que l’on donne au
principe d’un jeu vidéo. C’est à la fois son
concept et ses règles.

Game design : étape de conception d’un jeu


définissant l’univers virtuel, le but et les règles
du jeu.

Hardcore gamer : joueur assidu, spécialiste. On


l’oppose au Casual gamer, joueur occasionnel.

Informatique ubiquitaire : améliore


l’utilisation de l’informatique en donnant accès
via l’environnement physique à un réseau
d’ordinateurs, invisible à l’utilisateur mais
conscient et dépendant du contexte.

Jeux proactifs : jeux qui interviennent de


façon non sollicitée dans la vie d’un joueur, par
exemple en lui envoyant des courriels ou en
l’appelant au téléphone.

Lan Party (Lan area network) : jeu en réseau


local.

MMORPG (massively multiplayer online


role playing game), littéralement Jeux de rôle
en ligne massivement multijoueurs : jeux se
jouant à un très grand nombre de joueurs (de
quelques dizaines à quelques milliers), dans un
univers virtuel très vaste et persistant.

87
No-life : personne passant plus de dix heures
par jour dans un monde virtuel.

Objets intelligents : objets communiquants


qui peuvent s’interconnecter afin de diffuser
partout et en continu tous types d’informations.

PDA (Personal Digital Assistant) : un


assistant personnel ou ordinateur de poche est
un appareil numérique portable.

Plate-forme unifiée : réunion de l’ensemble


des outils numériques (téléphone, PDA,
ordinateur, console).

Playstation : console de salon développée par


Sony, sortie en 1995 au Japon.

Ranking : score d’un joueur.

Scène cinématique : extrait vidéo qui survient


lors d’un moment particulier du jeu. Elle sert
généralement à faire avancer la narration, le
scénario, ou bien à mettre l’accent sur un point
précis de l’histoire. Constituée généralement
de scènes aux prises de vues travaillées, ce
qui la rapproche du cinéma, d’où le nom de
cinématique.

Survival horror : type de jeu vidéo où le joueur


doit survivre en milieu hostile. Les ennemis
sont souvent des morts-vivants ou des êtres
surnaturels et terrifiants.

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Univers persistant : jeu ou monde synthétique
en ligne qui évolue sans cesse.

Wii : cinquième console de jeu de salon fabriquée


par Nintendo. Elle a comme particularité d’utiliser
un système capable de détecter la position,
l’orientation et les mouvements de la manette
dans l’espace.

Wiimote : télécommande de la Wii.

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Age of empire : jeu de stratégie en temps
réel qui se déroule pendant l’antiquité créé par
Microsoft et Ensemble Studios en 1997.

BotFighter : jeu géo-localisé.

Counterstrike : FPS où des terroristes


affrontent des anti-terroristes.

Croisades : jeu d’aventure ludo-éducatif sorti


en 1999 par le développeur Index + et l’éditeur
Wanadoo Édition.

Doom, littéralement destin funeste ou


damnation : FPS développé et édité par id
Software en 1993.

Final fantasy : série de jeux vidéo de rôle (RPG)


produite par Square Enix en 1987 au Japon sur
la console NES avec le jeu Final Fantasy I.

Flight simulator : a été créé en 1982 par


Bruce Artwick, et édité par subLOGIC. Il simule
le pilotage d’un avion.

GTA (Grand Theft Auto), qui signifie Vol


Qualifié d’Automobile : une série de jeux vidéo
édités par Rockstar Games et développés par
Rockstar North, des divisions de l’éditeur
américain Take-Two.

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L’émerillon, Enquête à la cour d’Aliénor
d’Aquitaine : jeu d’aventure historique ludo-
éducatif sorti en septembre 2005 par l’éditeur
Némopolis.

Le Louvre : l’ultime malédiction : jeux


d’aventure ludo-éducatif développé par Microïds/
Index + et édité par Wanadoo Edition en 2000.

Majestic : jeu d’aventure en ligne avec des


évènements dans la vie réelle (coups de
téléphone, fax, etc.) développé par Electronic
Arts, sorti en 2001.

Mario Bros : jeu vidéo développé par Nintendo


dont la première version, qui est sortie en 1983
sur borne d’arcade, met en scène un personnage
devant délivrer une princesse.

In Memoriam : jeu vidéo d’aventure et


d’investigation français d’un genre nouveau
mêlant énigmes, séquences vidéo, enquêtes
et indices disséminés sur internet. Créé par
Eric Viennot et développé par le studio français
Lexis Numérique, il a été édité par Ubisoft en
octobre 2003.

Second Life (SL) : est un univers virtuel en


3D sorti en 2003 et développé par Linden Lab.
Il permet à l’utilisateur de vivre une sorte de
seconde vie. La majeure partie du monde virtuel
est créée par les résidents eux-mêmes. L’univers

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se démarque également par son économie : les
résidents peuvent créer et vendre leurs créations
(vêtements, immobilier). Les échanges se font
en dollars Linden, une monnaie virtuelle qui peut
être échangée contre de la monnaie réelle.
Second Life n’est pas un jeu stricto sensu mais
un espace d’échanges (donc de jeu aussi si
les utilisateurs le désirent), visant à être aussi
varié que la vie réelle. C’est un forum internet
où s’expriment les engagements sociaux et
politiques de manière libre et internationale ; les
débats, expositions, conférences, formations,
recrutements, concerts, mariages sont des
événements courants sur Second Life.

Sim city : jeu vidéo de gestion développé par


Maxis en 1989. Imaginé par Will Wright, le
concept de jeu consiste à gérer une ville entière.
Le jeu compte parmi les précurseurs du genre et
constitue le premier épisode de la série.

Vikings : jeu d’aventure ludo-éducatif qui se


déroule aux temps des Vikings, sorti sur PC en
1998 édité par MC2 France et développé par
France Télécom Multimédia.

La légende de Zelda : série de jeux d’aventure


se déroulant dans un univers médiéval fantastique
développé par Nintendo depuis 1986.

World of Warcraft (WoW) : MMORPG


développé par la société Blizzard Entertainment.
Les abréviations WoW, wow ou WOW sont
communément admises pour le désigner. Le jeu
se déroule dans l’univers Warcraft, un univers
médiéval-fantastique introduit par Warcraft :

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Orcs & Humans sorti en 1994, ainsi que par le
jeu de rôle papier Warcraft RPG.

93
Ouvrages
Frank Beau (dir.), Cultures d’univers, les
jeux vidéo et la société numérique, collection
Innovation, FYP éditions, 2007.

Mélanie Roustan et Jean-Baptiste Clais,  Les


jeux vidéo, c’est physique ! Réalité virtuelle
et engagement du corps dans la pratique
vidéoludique , in Roustan Mélanie (dir.), La
pratique du jeu vidéo : réalité ou virtualité ?,
Paris, L’Harmattan, coll. « Dossiers Sciences
Humaines et Sociales », série « Consommations
& Sociétés », 2003.

Philippe K. Dick, Ubik, 1969.

Sébastien Genvo (dir.), Le game design de jeux


vidéo, approches de l’expression vidéoludique,
Paris, L’Harmattan, 2006.

Stéphane Natkin, Jeux vidéo et médias du


XXIe siècle, Quels modèles pour les nouveaux
loisirs numériques ?, Vuibert, 2004.

Michael Stora, Les écrans ça rend accro…,


collection, Ça reste à prouver, Hachette
Littératures, 2007.

D.W Winnicott, Jeu et réalité, L’espace


potentiel, Folio essais, 2002.

94
Articles
François Lespinasse et José Perez, Un
atelier thérapeutique « jeu vidéo » en hôpital
de jour pour jeunes enfants, Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence, Septembre-
Octobre 1996 n° 9-10 p.501-506.

Bertrand Saez, La question du corps dans les


usages d’internet et des jeux vidéo, deuxième
workshop de Marsouin, déc. 2003, ENST
Bretagne, Brest.

Serge Tisseron, Jeux vidéo, la triple rupture,


www.carnetpsy.com

Sites internet
www.fing.org
www.riam.org
www.psyapsy.org
www.gamers-assembly.net
www.ecrans.fr
http://fr.wikipedia.org
www.carnetpsy.com
www.afjv.com
www.ludologique.com
www.omnsh.org
www.mondespersistants.com
www.rurart.org

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Dépôt légal mai 2008

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