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DRACULA

d'après Bram Stoker

Patrick Bléron
Juillet - Août 2009

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PREMIÈRE PARTIE
SCÈNE 1 (Aubergiste, Jonathan, Vieille dame, paysans, paysannes, musiciens)

Auberge de la Couronne d'Or. Paysans et paysannes. Arrivée de musiciens. Danse. Arrivée de Jonathan
Harker, porteur d'un simple bagage. La musique cesse.L'aubergiste sert à boire à Jonathan.

AUBERGISTE Slibovitch... Alcool local... Très bon...

JONATHAN Merci mon brave. Est-il encore possible de se faire servir ? J'ai une faim d'ogre. Cinq
heures de diligence m'ont broyé les os, voyez-vous.

AUBERGISTE Poulet au poivre rouge, votre excellence. La spécialité de la maison.

JONATHAN Spécialité ? On m'en a proposé à chaque relais de poste. Enfin, allons-y pour un poulet
au poivre rouge... Et puis mettez une pinte de bière. Car ça vous pousse à boire, toute
cette volaille.

AUBERGISTE J'ai une excellente bière, vous ne serez pas déçu. Où donc vous rendez-vous comme
ça, votre excellence ? Ils sont bien rares les étrangers à croiser dans le pays.

JONATHAN J'ai rendez-vous au château du comte Dracula.

Toutes les conversations s'arrêtent brusquement. Les regards se tournent vers JH, certains apeurés.
Des gens se signent.

JONATHAN Eh bien... qu'est-ce que j'ai dit ?

AUBERGISTE Je vous amène votre repas. (Il se retire et une vieille dame se rapproche.)

VIEILLE DAME Devez-vous y aller ? Jeune homme, devez-vous vraiment y aller ?

JONATHAN C'est une affaire importante. Je reprends tout à l'heure une diligence qui me mènera
jusqu'au col de Borgo.

VIEILLE DAME Savez-vous quel jour nous sommes ?

JONATHAN Le 4 mai...

VIEILLE DAME Le 4 mai, je le sais. Mais savez-vous quel jour c'est aujourd'hui ?

JONATHAN Je ne vous suis pas.

VIEILLE DAME C'est la veille de la Saint-Georges. Ne savez-vous pas que cette nuit, quand la
cloche sonne minuit, tout le mal du monde sera maître du monde. Savez-vous où vous
allez et ce que vous allez rencontrer ?

JONATHAN Ecoutez, j'apprécie votre sollicitude, mais c'est un voyage d'affaires, rien de plus.

VIEILLE DAME Pour l'amour de votre mère !

Elle lui tend le crucifix qu'elle avait autour du cou, et comme il hésite à le prendre, elle lui
enfile. Les gens lèvent leur verre, il avale d'une seule rasade son verre de slibovitch.

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SCÈNE 2 (Mina, Emily, Harvey, Charles, Charlotte, directrice)

Une petite classe de quelques élèves.

MINA (Elle fait lire un passage de David Copperfield aux enfants) A vous, Emily.

EMILY "Je suis né à Blunderstone, dans le comté de Suffolk ou dans ces environs-là, comme on
dit. J'étais un enfant posthume. Lorsque mes yeux s'ouvrirent à la lumière de ce monde, mon
père avait fermé les siens depuis plus de six mois. Il y a pour moi, même à présent, quelque
chose d'étrange dans la pensée qu'il ne m'a jamais vu ; quelque chose de plus étrange encore
dans le lointain souvenir qui me reste des jours de mon enfance passée non loin de la pierre
blanche qui recouvrait son tombeau. Que de fois je me suis senti saisi alors d'une compassion
indénifi...indifi...

MINA Indéfinissable.

EMILY Indéfinissable... pour ce pauvre tombeau couché tout seul au milieu du cimetière, par une
nuit obscure, tandis qu'il faisait si chaud et si clair dans notre petit salon! il me semblait qu'il y
avait presque de la cruauté à le laisser là dehors, et à lui fermer si soigneusement notre porte."

Des livres tombent bruyamment.

MINA Que se passe-t-il, Harvey et Charles ?

HARVEY C'est lui qui cherche !

CHARLOTTE Depuis ce matin, miss Murray, ils n'arrêtent pas de se disputer !

HARVEY Toi, le cafard, la ferme !

MINA Ca suffit, Harvey, expliquez-vous !

HARVEY C'est Charles, il prétend que l'homme descend du singe !

MINA Quel rapport avec notre lecture de David Copperfield ?

CHARLES Aucune, miss Murray, mais depuis ce matin, Harvey me cherche noise parce que sa mère
lui a dit que ce n'était pas chrétien.

MINA Je vois, Charles, que vous avez eu connaissance des théories de l'évolution de ce M. Darwin.

CHARLES C'est passionnant, miss Murray, vous devriez lire son récit de voyage aux îles Galapagos !

MINA J'avoue que je n'ai jamais pris cette peine.

CHARLES Je vous prêterai le livre, miss Murray.

HARVEY C'est un livre du Diable ! Ce Darwin est une abomination ! Tu devrais avoir honte !

Entrée de la directrice de l'école.

DIRECTRICE Qu'est-ce que c'est que cette histoire de livre du diable ? On vous entend du couloir !
Que signifie ceci, miss Murray ?

MINA Rien de grave, Madame la Directrice, une simple querelle entre élèves au sujet de M.Darwin.

DIRECTRICE Darwin ? Vous faites lire du Darwin, maintenant ?

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MINA Pas du tout...

DIRECTRICE Vous passerez à mon bureau, tout à l'heure. Tenez, c'est un billet pour vous.

MINA Oh, une lettre de Lucy !

HARVEY Madame la Directrice, Charles dit que l'homme descend du singe !

DIRECTRICE Et vous, certainement du cochon ! Regardez votre cahier ! Un vrai torchon !

Rires des enfants. Petit cri de joie de Mina.

DIRECTRICE Eh bien, qu'est-ce qui vous prend encore ?

MINA Lucy m'invite à la rejoindre à Whitby, à l'hôtel de Crescent où elle séjourne avec sa mère. Elle
va bientôt se marier.

DIRECTRICE A propos, votre fiancé à vous, vous avez des nouvelles ?

MINA Non... aucune...

SCÈNE 3 (Jonathan, Dracula)

Arrivée à pied de Jonathan au château de Dracula. Dracula apparaît, porteur d'une lanterne.

DRACULA Bienvenue chez moi ! Entrez librement et de votre plein gré.(Jonathan s'avance. Dracula
se jette sur sa main). Entrez sans crainte, M. Harker ! Et laissez quelque chose de ce
bonheur que vous apportez.

JONATHAN Comte Dracula ?

DRACULA (S'inclinant respectueusement) Je suis Dracula, en effet. L'air de la nuit est bien froid et
vous avez certainement besoin de vous reposer, et de manger quelque chose (il prend le
bagage de JH, qui proteste). Non monsieur, vous êtes mon hôte. Il est tard et mes
domestiques dorment. Laissez-moi veiller à votre confort. Suivez-moi ( JH suit Dracula
dans les couloirs du château, jusqu'à la table servie).

DRACULA Je vous en prie, asseyez-vous et soupez à votre aise. Excusez-moi si je ne vous tiens pas
compagnie : j'ai déjà dîné et je n'ai plus faim.

JH tend la lettre scellée de Mr. Hawkins et se met à manger.

JONATHAN Poulet au poivre rouge ?

DRACULA Spécialité du château. Je vois que mon bon ami, Mr Hawkins, vous fait pleine confiance
pour traiter en son nom notre petite transaction immobilière.

JONATHAN Une attaque de goutte l'a contraint à rester à Exeter, alors que nous devions faire le
voyage ensemble. Mais je viens d'avoir mon examen, vous savez ! Vous n'auriez pas un
peu de bière ?

DRACULA De la bière ? Oui, mais à la cave, je suis désolé. Goûtez-moi ça.

JONATHAN Slibovitch ?

DRACULA (Il verse à boire) Non, Tokay...(Temps) C'est vous qui avez trouvé mon futur domaine.
Parlez moi de lui, je vous prie.

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JONATHAN Le domaine s'appelle Carfax. Vingt acres de terre entièrement entourés, comme vous le
souhaitiez, d'un solide mur de pierres. Un jardin fort sombre, il faudra couper les arbres
qui ont proliféré. Une sorte de chapelle est attenante à la maison, elle-même fort grande
et remontant à mon avis au Moyen Age. Tout ça demande à être un peu rafraîchi. Peu
de voisins, comme vous le souhaitiez encore, à part, je dois être honnête, un asile
d'aliénés de construction récente, mais je vous rassure, non visible du domaine.

DRACULA Rassurez-moi, c'est bien... Voilà qui est parfait.Une grande et vieille maison, c'est ce
qu'il me faut. Je descends moi-même d'une très ancienne famille et vivre dans une
maison moderne me tuerait. Mais si vous saviez comme je me languis de me retrouver
dans les rues encombrées de votre puissante Londres, dans ce tourbillon d'humanité
pressée et de partager tout ce qui en elle est vie, mort, métamorphose. Mais hélas, je ne
connais pour le moment votre langue qu'à travers les livres, et devant vous, mon ami,
j'aimerais la parler parfaitement.

JONATHAN Mais... monsieur le Comte, vous parlez couramment...

DRACULA Je vous remercie de ce jugement flatteur, mais je sais bien que je suis loin du compte,
aussi je compte bien sur vous pour me faire faire des progrès pendant votre séjour ici.

JONATHAN Mon séjour...

DRACULA Là-dessus, mon ami, je vous prie de m'excuser. L'aube est proche et vous devez avoir
sommeil. (Il sort)

JONATHAN La nuit de la Saint-Georges ! Quels couards, ces paysans ! Il est charmant cet homme-
là...Enfin...

SCÈNE 4 (Jonathan, Dracula)

JONATHAN (VOIX OFF) Je ne dormis que quelques heures, après m'être mis au lit, et, comprenant
que je n'en dormirai pas plus, je me levai. J'avais suspendu mon miroir de voyage près de la
fenêtre et commençai à me raser.

DRACULA (met la main sur l'épaule de JH qui sursaute). Bonjour, mon ami.

JONATHAN Bonjour, Monsieur le Comte... Excusez-moi, je ne vous avais pas vu venir... Pourtant...

Il s'aperçoit qu'un peu de sang coule sur sa joue, Dracula se jette sur sa gorge et, touchant le crucifix, recule.

DRACULA Prenez garde, prenez garde à ne pas vous couper. Dans cette région, une blessure est plus
importante que vous ne le croyez. Voici d'ailleurs le coupable de ce qui vient de se
produire : breloque trompeuse qui flatte la vanité humaine ! Vous n'en avez pas besoin !
(Il jette le miroir par la fenêtre et, allant pour sortir, s'arrête sur le seuil) Laissez-moi vous
donner un conseil, mon jeune ami, voire un avertissement, un avertissement
très sérieux. S'il vous advenait de quitter ces pièces, faites en sorte de ne pas vous
endormir où vous vous trouvez ! Le château est vieux, riche en souvenirs et celui qui
dort où il ne doit pas subira de terribles cauchemars.

SCÈNE 5 (Dracula, Jonathan, Vampires 1, 2 et 3)

Après que Dracula est parti, JH se lance à sa recherche en l'appelant. Il erre dans le château, se cognant aux portes
fermées, enfin il pénètre dans une salle avec un grand fauteuil et une petite table. Il s'installe, sort son journal, regarde
une photo de Mina puis écrit. Il finit par s'endormir. Trois femmes vampires s'approchent.

VAMPIRE 1 Vas-y ! Tu seras la première ; nous te suivrons, mais tu as le droit de commencer.

VAMPIRE 2 Il est jeune et fort : il y aura des baisers pour toutes les trois. (Elle s'avance et se

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penche sur JH, Dracula surgit alors, la prend à la nuque et la rejette vers les autres).

DRACULA Comment osez-vous le toucher ? Comment osez-vous lever les yeux sur lui alors que je
vous l'avais interdit ? Arrière, cet homme m'appartient !

VAMPIRE 3 Vous n'avez jamais aimé et vous n'aimerez jamais !

DRACULA Si, moi aussi, je puis aimer. D'après les événements du passé - de votre passé - vous
devriez pourtant le savoir, vous autres ! Eh bien je vous promets que lorsque j'en aurai
terminé avec lui, vous pourrez l'embrasser comme bon vous semble. (Il regarde la
photo de Mina tombée du journal de JH).

SCÈNE 6 (Dracula, les 3 brigands)

Un chariot conduit par trois brigands se gare devant un porche. Les trois chargent des caisses sur le chariot.
Dracula sort, soulève un couvercle, prend un peu de terre entre ses doigts, la hume.

SCÈNE 7 (Jonathan, Vampires 1, 2 et 3)

JH aux prises avec les trois femmes vampires.

JONATHAN Comte Dracula !

VAMPIRE 3 Allons mon chéri, viens, n'aie pas peur, j'ai tellement envie de toi !

JONATHAN Créature du diable ! (Il sort son crucifix, elle recule horrifiée)

VAMPIRE 2 Ce n'est pas gentil comme façon de procéder (Arrivant par derrière et l'enlaçant). La
pauvre fille a horreur de tes bondieuseries.

JONATHAN Re... recule toi aussi !

VAMPIRE 1 Tu écris dans une langue bien étrange (elle brandit le journal de JH).

JONATHAN C'est de la sténographie ! Vous ne pouvez pas comprendre ! Laissez mon journal !
Comte Dracula !

VAMPIRE 1 Le comte est parti, mon chéri. Envolé, l'animal. Bon débarras ! Il nous a laissé seuls,
toi et nous.

JONATHAN Je dois partir, retrouver Mina !

VAMPIRE 2 Pourquoi en retrouver une seule quand tu en as trois sous la main ?

VAMPIRE 3 Viens avec nous, tu ne voudras plus jamais repartir...

JONATHAN Comte ! Comte ! (Il s'arrache à leur étreinte et fuit. Elles le poursuivent en riant).

SCÈNE 8
(Lucy, Mina, Mrs Westenra, John Seward, Quincey Morris, Arthur Holmwood, Margaret, autres servantes)

Hôtel de Crescent, à Whitby, sur la côte NE de l'Angleterre. Dans les jardins, longues tables recouvertes de
nappes blanches. Les servantes amènent gâteaux et boissons. Mrs Westenra dirige la manoeuvre.

LUCY Mina, ma chérie, c'est extraordinaire. Mes trois prétendants vont arriver ici, d'un moment à
l'autre. Je suis folle de joie... et terriblement excitée.

MINA Trois prétendants, et tu n'as pas encore choisi...

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LUCY Mais c'est horriblement difficile. Ils sont tous les trois si charmants, si courageux, si riches... et
tous de bonne famille. De toute façon, j'ai bien peur que ce soit ma mère qui choisisse pour moi.

MRS WESTENRA Quelle empotée, celle-là ! Le punch au milieu, voyons ! Et les corbeilles de fruits,
qu'est-ce que vous attendez ? Ces filles de province sont d'une nonchalance à ne pas croire ! Si mon
pauvre Edmond était encore de ce monde !

MINA Elle m'a l'air très en forme...

Elles rient. Une servante vient avertir MrsWestenra.

MRS WESTENRA Bonté divine ! Ces messieurs se pressent déjà à l'entrée ! Faites-les conduire
jusqu'ici, Margaret ! Lucy, Mina, rapprochez-vous et cessez vos messes basses ! (Elle aperçoit le
docteur Seward.) Docteur ! Docteur ! Par ici ! Oh, comme nous sommes heureuses de vous recevoir !

JOHN SEWARD Bonjour Madame, bonjour mesdemoiselles, tout le plaisir est pour moi.

LUCY Mina, permets-moi de te présenter l'excellent docteur John Seward. Il dirige à Londres un asile
d'aliénés et il a toujours de merveilleuses histoires de fous à raconter. John, mon ami, voici miss
Murray, ma très chère amie d'enfance, elle est belle n'est-ce pas ? mais ce n'est pas un coeur à prendre,
elle va se marier trèsprochainement avec un charmant Mr Harker.

MRS WESTENRA Lucy, qu'est-ce que vous pouvez être bavarde, ma pauvre fille !

MINA Bonjour, Dr Seward.

MRS WESTENRA Oh, mais voilà nos deux autres messieurs !

Arthur Holmwood, futur Lord Goldaming, et Quincey Morris, l'homme d'affaires américain arrivent ensemble.

QUINCEY MORRIS Après vous, my Lord !

ARTHUR HOLMWOOD Mais je n'en ferais rien mon cher. En tant qu'américain, vous êtes notre invité.

JOHN SEWARD Permettez-moi à mon tour, miss Mina, de vous présenter les deux compères que
voilà. Donc, à ma droite, Quincey Morris, originaire du lointain Texas,explorateur, aventurier,
entrepreneur, une des plus belles fortunes du Nouveau Monde !

QUINCEY MORRIS N'écoutez pas ce flatteur, charmante demoiselle. Moi, je parie mille dollars que
vous êtes l'amie de notre chère Lucy, elle nous a beaucoup parlé de vous, à tel point que nous
commencions à éprouver quelque jalousie...

MRS WESTENRA Mina, je vous présente Arthur Holmwood, futur Lord Godalming, son pauvre
père étant hélas bien malade...

LUCY Mère...

MRS WESTENRA Je ne dis hélas que la vérité. N'est-ce pas Arthur ?

ARTHUR HOLMWOOD Assurément, madame Westenra, mon père est mourant, il s'en va de la
poitrine, et c'est pourquoi je ne ferais que passer, je dois aller le rejoindre à son chevet.

QUINCEY MORRIS Allons, vous venez d'arriver. Ne boirons-nous pas un peu de punch ?

LUCY Venez, Quincey, je vais vous servir !

MRS WESTENRA Il y a des servantes pour cela, Lucy ! Margaret ! Et vous-même, abstenez-vous, ce
n'est pas d'une jeune fille de boire cet alcool !

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MINA Oh, pour une fois, Mrs Westenra, elle a l'air si heureuse !

MRS WESTENRA Margaret ! Ah, quelle gourde, celle-ci aussi ! Elle en a renversé sur le costume du Dr
Seward !

SCÈNE 9 (John Seward, Renfield, Hennessey )

Cellule de Renfield, asile de Carfax. Renfield joue avec un moineau en cage. Arrivent Patrick Hennessey et le Dr
Seward.

JOHN SEWARD Renfield, vous m'avez fait demander. Qu'est-ce qu'il vous faut encore ?

RENFIELD Mon bon docteur Seward, je voulais vous demander une faveur, une très grande
faveur. Vous ne me la refuserez pas, hein, vous ne pouvez pas me faire ça.

JOHN SEWARD Allons, dites...

RENFIELD Voilà, je voudrais un joli, gentil, charmant chaton, avec lequel je pourrais bien jouer,
et à qui je donnerais à manger... à manger... oh oui, à manger...

JOHN SEWARD Allons Renfield, vous avez commencé par attraper des mouches, puis vous vous
êtes spécialisé dans les araignées, que vous avez nourries avec vos mouches, puis vous avez attrapé
le moineau que voilà, que vous avez gavé de vos araignées. Je vous vois venir : allez-vous maintenant
sacrifier cet oiseau en le donnant en pâture à un chat ?

RENFIELD Un chaton, docteur... un petit chaton... Je vous en supplie... (Il se jette à genoux)

JOHN SEWARD C'est impossible, Renfield. Et je ne changerai pas d'avis.

RENFIELD Docteur ! (Il jette un regard mauvais puis va se ronger les ongles dans un coin.)

JOHN SEWARD Surveillez-le attentivement, Hennessey. Je m'attends à tout avec ce lascar.

SCÈNE 10 (Lucy, Mina, Mrs Swales)

Cimetière de Whitby. Lucy et Mina se promènent.

LUCY Toujours pas de lettre de Jonathan ?

MINA Non, rien. Je suis de plus en plus inquiète. Mr Hawkins essaie bien de me rassurer en me disant
que la messagerie est bien longue à venir de Transylvanie, mais je ne suis pas tranquille. Toi aussi
Lucy, tu m'as l'air soucieuse.

LUCY C'est ma mère. Je t'avais prévenue. Elle a fait son choix.

MINA Et alors, tu me disais ne pas savoir lequel choisir. Peut-être est-ce mieux ainsi.

LUCY C'est quand elle m'a annoncé son choix que j'ai compris que ce n'était pas le mien. Elle veut que
j'épouse Arthur.

MINA Le jeune lord ?

LUCY Oui, le jeune lord.

MINA Et toi, tu préfères le docteur...

LUCY Tu n'es pas folle ! Avec ces histoires de cinglés, j'en deviendrais maboule moi aussi...

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MINA Pourtant, tu disais... Mais alors, c'est l'américain...

LUCY Oh, c'est un ange, tu sais, et follement drôle ! (Elle s'assoit sur le banc)

MINA Regarde, d'ici on voit le phare de Kettleness. Il y a là-bas une bouée avec une cloche qui
tremble dans le mauvais temps. Selon une légende d'ici, on entend la cloche jusqu'en haute mer
lorsqu'un marin va disparaître dans les flots.

MRS SWALES Tout ça c'est de la foutaise ! Toutes ces histoires de fantômes, de revenants et tout le
sacrement ! C'est calembredaines, tout juste bon pour les vieilles qu'ont un courant d'air dans le
cerveau ! Tout ça, ç'a été inventé, ouais, par les pasteurs et les organisateurs de voyage ! Et ces gars-
là, ça leur suffit pas d''imprimer des choses pas vraies dans leurs journaux, faut encore qu'i les gravent
sur les tombes !
Regardez-les, toutes ces tombes, elles croulent, vous les voyez de travers et vous savez pourquoi ? A
cause de toutes les menteries écrites dessus ! "Ci-gît j'sais pas qui", "A la mémoire vénérée de..." alors
que dans plus de la moitié d'entre elles, y'a plus rien !

MINA Allons madame, vous ne parlez pas sérieusement ! Ces tombes ne sont tout de même pas vides !

MRS SWALES Rien, j'vous dis. Oh, y'en a ben quelques-unes, oui, des vraies, mais y'en a des tas qui
sont aussi vides que le crâne d'un pochard un samedi soir. Regardez celle-là, juste devant vous, lisez !

MINA Edouard Spencelagh, capitaine marchand, assassiné par les pirates au large de la cordillère
des Andes, à l'âge de 30 ans, en avril 1854.

MRS SWALES Qui l'a ramené ici, hein ? Assassiné près de la cordillère des Andes ! Et vous goberez
que son cadavre est ici ! Et y'en a des douzaines comme ça, tenez, lisons donc ces lignes-là !

LUCY A la mémoire vénérée de George Canon, mort dans l'espoir d'une glorieuse résurrection, le 27
juillet 1873, en tombant du haut des rochers à Kettleness. La tombe fut érigée par la mère
inconsolable en mémoire de son fils éternellement adoré. (Elle relève la tête) Vraiment, madame, je
ne vois vraiment rien de drôle à tout ceci (Mrs Swales ricane).

MRS SWALES C'est que vous n'avez pas connu la mère inconsolable, cette saloperie qui détestait son
fils infirme. Bossu qu'il était ! Mais lui, i la haïssait tellement sa vieille qu'il s'est suicidé pour être
certain qu'elle touche pas son assurance-vie. S'est décollé le sommet de la tête avec un bon coup de
mousquet ! Cui qui servait à ffrayer les corbeaux ! L'est tombé de haut sur les rochers !Et pour la
glorieuse résurrection, comme i disent, j'l'ai assez entendu soupirer qu'i voulait filer en enfer, vu
que la mère, une vraie rate de presbytère, elle filerait sûrement au paradis et qu'i voulait pas
pourrir où est-ce qu'elle était. (Elle frappe la pierre tombale à coups de canne).

LUCY Pourquoi nous avoir raconté tout cela ? J'aime ce banc et quand je m'y assois, je ne peux
presque plus le quitter. Et maintenant, je penserai toujours que je suis assise sur la tombe d'un
suicidé !

MRS SWALES Ca vous fera pas de mal, ma belle ! Et puis je suis certain que ce pauvre Georgie i
serait pas mal content d'avoir une jolie mamzelle sur les genoux !

SCÈNE 11 (John Seward, Hennessey)

Le Dr Seward parle en enregistrant sur son phonographe.

JOHN SEWARD R.M. Renfield. Tempérament sanguin. Immense force physique. Périodes de
dépression qui se terminent en idées fixes que je ne puis encore préciser. Je suppose que le
tempérament sanguin lui-même joint à une influence dépressive peut dégénérer en un déséquilibre
complet. Homme qui peut devenir dangereux, très dangereux. (On frappe) Oui.

HENNESSEY Docteur, c'est Renfield, il est très malade, il vient de vomir un tas de plumes...

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JOHN SEWARD Bon dieu, il a...

HENNESSEY Oui, je crois bien qu'il a boulotté le moineau, et tout cru encore, plumes et tout...

SCÈNE 12 (Mina, Mrs Swales, Garde-côte )

Cimetière de Whitby. Mrs Swales se dirige vers Mina qui regarde l'horizon.

MRS SWALES Je voulais vous dire quelque chose, mamzelle. (Mina lui prend la main) Je crois bien
que je vous ai choquées l'autre jour, avec toutes ces affreuses chose que je vous ai racontées.Nous les
anciens, on a déjà une patte dans la tombe et on n'aime pas penser à tout ça, et c'est pour ça que j'en
ai parlé à la rigolade, comme pur libérer mon coeur de ce qu'il a peur ! Mais je sais bien que mon
temps arrive, l'Ange de la Mort va sonner sa trompette rien que pour moi ! S'il venait claironner c'te
nuit, j'serais prête. Mais faut pas pleurer pour ça,mamzelle ! C'est quoi la mort ? La seule chose sur
laquelle on peut compter. Finalement, j'suis contente qu'elle vienne me chercher, ma jolie ! Et peut-
être qu'elle viendra pendant qu'on est en train, toutes les deux, de regarder ce joli paysage ! Peut-
être qu'elle est dans ce vent que la mer amène, avec en même temps ses détresses, ses naufrages, ses
douleurs amères ! Regardez ! Y'a dans ce vent, dans ce brouillard, quelque chose qui sonne, qui
goûte et qui sent comme la mort ! C'est dans l'air, j'vous dis. Je le sens arriver. Seigneur, faites que je
réponde joyeusement quand mon tour viendra ! (Elle s'en va)

GARDE-CÔTE Vous aussi, vous devriez rentrer, Mademoiselle, la tempête monte. (Il ajuste sa
longue-vue). Ah, je n'y comprends rien. C'est un bateau russe, je dirais, mais il manoeuvre comme un
maladroit ! Regardez ça : il est ballotté comme s'il n'y avait personne au gouvernail ! Je suis certain
qu'on va en entendre parler avant demain !

SCÈNE 13 (Renfield)

Cellule de Renfield. Bruit de la tempête. Eclairs.

RENFIELD Le Maître approche ! Le Maître approche !

SCÈNE 14 (Paul, Mary, Teddy, Jane, Jack)

Des enfants de Whitby se sont rassemblés.

PAUL Mon grand-père m'a dit que c'était une des plus grosses tempêtes qu'il ait jamais vues à
Whitby.Ma soeur avait tellement la frousse qu'elle est venue se fourrer sous mon lit !

MARY Et pourquoi tu es venu me rejoindre alors ?

PAUL Pour te rassurer, voyons.

TEDDY Jack a vu le bateau russe entrer dans le port.

JANE C'est vrai ? Allez raconte, Jack !

TEDDY Allez, te fais pas prier !

JACK J'étais dans une petite foule, près de la jetée orientale du port, et on applaudissait à chaque
bateau qui rentrait, éclairé par les rayons du phare d'East Cliff. Et puis il y a eu ce schooner russe.
Il avançait avec une vitesse incroyable. C'était l'heure de la marée haute, les vagues montaient si
haut qu'on pouvait presque distinguer le fond de la mer !

PAUL Tu en rajoutes pas un peu, là ?

JACK Si tu avais été là-bas avec moi, au lieu de te caler au fond d'un plumard, tu dirais pas que j'en
rajoute.(Petit rire de Mary)

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PAUL Oh, ça va !

JACK Le bateau russe - il s'appelait le Demeter - il est passé entre les deux jetées et là on a vu, grâce
au phare, un cadavre, lié au gouvernail, la tête pendante. Personne d'autre sur le pont. Le bateau a
continué sa course à travers le port et il est allé s'échouer dans un tas de sable et de gravier.

TEDDY Un vrai miracle qu'il soit arrivé jusque là, conduit qu'il était par un macchabée !

JACK C'est pas tout. Au moment même où il a touché le rivage, un chien immense a surgi de la cale
et s'est précipité à terre. Il a disparu vers la colline du cimetière.

JANE J'ai entendu dire qu'il n'y avait que du sable blanc dans le navire.

JACK Oui, et quelques grandes caisses remplies de terreau, destinées à un notaire de Whitby, Mr
Billington. Il est venu les prendre ce matin.

MARY C'est étrange, tout ça.

JACK J'aurais dû me foutre sous ton lit, moi aussi. Je n'arrête pas d'en faire des cauchemars.

SCÈNE 15 (Mina, Mrs Westenra, Lucy, Dracula, un ivrogne)

Mina en train d'écrire son journal.

MINA (VOIX OFF) Mr Hawkins m'a envoyé une lettre de Jonathan. Ce ne sont que quelques lignes
écrites au château de Dracula. Jonathan annonce son départ. Cela ne lui ressemble pas et j'en tire un
certain malaise. Et puis Lucy ! Elle est en excellente santé mais elle a recommencé à faire des crises de
somnambulisme.

MRS WESTENRA (Très énervée) Mina ! Mina, je vous en prie, Lucy n'est pas dans sa chambre. Je suis
affreusement inquiète.

MINA Ne vous en faites pas, madame, les somnambules ne se promènent pas sur les toits des
maisons. Je vais la chercher ! (Elle prend un châle.)

MRS WESTENRA Elle souffre de la même maladie que mon pauvre Edmond. Lui aussi se levait la
nuit, s'habilait et sortait si on ne l'en empêchait pas.

MINA Margaret, occupez-vous de Madame, s'il vous plaît !

Mina sort, arpente le terrain, voit au loin la silhouette blanche de Lucy, une ombre noire penchée sur elle.

MINA Lucy !(L'ombre se relève, Mina court pour rejoindre Lucy) Lucy ! Elle dort toujours ! Lucy !
(Elle l'entoure de son châle, qu'elle veut accrocher avec une épingle de sûreté, puis les met ses
chaussures car elle était nu-pieds) Allons, il faut revenir à l'hôtel ! (Elles se mettent en route, on entend
des pas, un rire, une chanson fredonnée. Elles se cachent. Un ivrogne passe. Elles repartent).

SCÈNE 16 (John Seward, Hennessey)

JOHN SEWARD (Au phonographe ) Je me sens las ce soir. Le moral n'est pas brillant. Je ne puis
m'empêcher de penser à Lucy et combien tout aurait été différent si... Si je ne m'endors pas tout de
suite, vivement le chloroforme, moderne Morphée, CHCl3 . Hum...je dois veiller à ne pas
devenir dépendant.

PH entre en trombe.

JOHN SEWARD Hennessey, vous pourriez frapper, nom de Dieu !

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HENNESSEY C'est Renfield ! Il s'est échappé !

JOHN SEWARD Echappé ? Quand ?

HENNESSEY Dix minutes à peine. Il a brisé une fenêtre. Un gardien l'a vu escalader le haut mur
qui sépare l'asile de la maison voisine.

JOHN SEWARD La vieille abbaye de Carfax. Vite, allons-y ! Renfield est trop dangereux pour être
laissé en liberté.

SCÈNE 17 (Renfield, John Seward, Hennessey, Simons, Hardy)

Renfield collé à la vieille porte en chêne de l'abbaye de Carfax.

RENFIELD Je suis là, Maître, humble et soumis à Tes prières, je suis Ton esclave ! Et Tu me
récompenseras, car je Te suis fidèle ! Voilà longtemps que je Te vénère, de loin ! A présent que Tu
T'approches, j'attends Tes ordres et je sais que Tu ne m'oublieras pa. N'est-ce pas, Maître !
Les hommes de l'asile (Seward, Hennessey, Simons, Hardy) tentent de le saisir, il se débat comme un tigre.
Ils lui passent une camisole de force et l'emmènent.

RENFIELD Maître, je serai patient ! Il vient... Il vient...

SCÈNE 18 (Lucy, Mina)

Cimetière de Whitby. Sur le banc de Mrs Swales.

LUCY Pauvre Mrs Swales ! Alors c'est vrai, Mina, on l' a retrouvée sur ce banc, la nuque brisée ?

MINA Le médecin affirme qu'elle est tombée sur la pierre sous l'effet d'une peur violente. Le visage
montrait une telle expression de terreur que les témoins eux-mêmes en tremblaient. Pauvre vieille
amie ! Peut-être une seconde avant de mourir a-t-elle vu la Mort elle-même ?

LUCY Et toi aussi, Mina, tu veux nous quitter ?

MINA Je ne pars pas pour l'au-delà, Lucy, seulement à Budapest. J'ai enfin reçu des nouvelles de
Jonathan. Mon grand chéri a été malade, très malade, c'est pourquoi il ne m'écrivait pas. Dès demain,
je vais le rejoindre, le soigner, le ramener chez lui. Mes bagages sont bouclés, Lucy.

LUCY Qui me ramènera à l'hôtel quand je m'enfuirai la nuit ?

MINA Oh, ne parle pas de ça ! Tu m'as fait tellement peur que j'ai l'impression d'avoir rêvé tout ceci.
Et puis je t'ai blessée avec mon épingle de sûreté, je m'en veux terriblement.

LUCY Ce n'est rien, la blessure n'est pas si profonde.

MINA Oh, je vois bien qu'elle n'a pas encore disparu.

LUCY C'est l'affaire de quelques jours. Et ne t'inquiète pas davantage. Nous rentrons à Londres
demain matin. Mère m'a promis qu'elle m'enfermerait toutes les nuits. Et que Margaret dormirait
dans l'antichambre. (Soupir de lassitude) On va follement s'amuser ces jours prochains...

SCÈNE 19 (Debbie, Margaret, Susan, Helen)

Servantes dans les offices. Repassage, équeutage de haricots verts, transport de seaux d'eau...

MARGARET Je crois bien que je vais rendre mon tablier. Mademoiselle Lucy est en train de dépérir
et Madame me met ça sur le dos.

12
DEBBIE C'est vrai qu'elle a une mine horrible, et ça empire tous les jours.

HELEN Pourtant ils ont bien fait venir le docteur Seward, non ?

MARGARET Le docteur des fous ! Il est peut-être bon pour les tapés, mais pour le commun des mortels,
m'est avis qu'il vaut pas un clou !

SUSAN Il m'a dit à moi qu'il était clair qu'elle manquait de sang.

HELEN A toi qu'il a dit ça, le docteur ? Il t'aurait pas aussi pincé les fesses, par hasard ? (Elles rient)

DEBBIE Il a pas eu la Lucy, alors il essaye de se taper la bonne !

SUSAN Mauvaises langues ! C'est un homme d'exquises manières, pas comme vous !

MARGARET En tout cas, il a pas empêché Lucy de devenir plus blanche que ce linge ! Enfin, parait
qu'il a appelé un vieux collègue à lui, un étranger,un Flamand, un Van quèque chose...

SUSAN Van Helsing ! Professeur Abraham Van Helsing ! Il va venir d'Amsterdam !

HELEN Décidément elle sait tout celle-là ! Elle doit coller son oreille à toutes les portes !

SUSAN Parle pour toi, Helen, tu vas finir par attraper un lumbago à force de lorgner dans les trous
de serrure. Non, je le tiens encore du docteur Seward. J'ai assisté à une de ses conversations avec
Mrs Westenra.

DEBBIE Ouais, ben moi j'dis qu'i doit s'en passer dans les cagibis !

SUSAN C'est un spécialiste des maladies étranges.

MARGARET Arrête avec ton Flamand ! Moi aussi, j'ai mon petit secret à vous révéler !

DEBBIE Ah, Maggy, tu es un chou !

MARGARET La petite Mina s'est mariée ! A Budapest, avec son Jonathan !

HELEN C'est où, ça, le bout de la peste ?

MARGARET Il était dans un drôle d'état, semble-t-il. Enfin il est à peu près retapé et ils vont revenir
tous les deux en Angleterre. Même qu'il va s'associer avec son patron, Mr Hawkins, qui l'a à la
bonne. C'est pas comme moi, tiens ! (Mrs Westenra arrive dans son dos)

MRS WESTENRA C'est comme ça, Margaret, que vous avancez le repassage, à cancaner avec les
autres pintades ! Vraiment, vous me décevez de plus en plus, ma pauvre fille. Si je n'avais pas promis
à mon pauvre Edmond sur son lit de mort de vous garder à mon service !

SCÈNE 20 (Van Helsing, John Seward, Lucy, Arthur Holmwood, Margaret)

Chambre de Lucy. Van Helsing ausculte la jeune femme.

VAN HELSING Vous avez vu cette marque sur la gorge ? Il n'est pas de temps à perdre. Elle va
mourir exsangue. Je m'étonne que son coeur fonctionne encore. Il faut effectuer une transfusion
immédiatement. Vous ou moi ?

JOHN SEWARD Je suis plus jeune et plus fort, Professeur. Ce sera moi.

ARTHUR HOLMWOOD Mais enfin, Margaret, laissez-moi passer !

13
MARGARET C'est madame, elle m'a dit de ne laisser entrer personne.

VAN HELSING Sur mon ordre express. Qui êtes-vous ?

JOHN SEWARD Arthur Holmwood, futur Lord Godalming, Professeur.

VAN HELSING Ah, l'amoureux de notre chère demoiselle ! Elle va mal, très mal. Mais non, mon petit,
ne vous évanouissez pas comme ça ! (Arthur s'est laissé tomber sur une chaise)Vous allez l'aider. Vous
pouvez faire pour elle plus que tout être vivant.

ARTHUR HOLMWOOD Que puis-je faire ? Dites-le moi et j'obéirai ! Ma vie est à elle. Et je
donnerais jusqu'à la dernière goutte de sang pour...

VAN HELSING Je ne vous en demande pas tant, mon jeune ami, pas la dernière goutte de sang en
tout cas...

SCÈNE 21 (Renfield, Hennessey)

Cellule de Renfield. Renfield prend le sucre de son thé et le répand sur le bord de la fenêtre. Il
attrape une mouche, la mange. Le gardien entre pour reprendre la tasse de thé.
RENFIELD Oh chef ! Auriez-vous l'extrême gentillesse de m'apporter encore un peu de sucre ? Je
crois que cela me ferait du bien.

HENNESSEY A vous ou aux mouches ?

RENFIELD Oui, les mouches l'aiment aussi, et moi j'aime les mouches. C'est pour cela que je l'aime !

HENNESSEY Allez, tenez ! (Il lui laisse deux morceaux de sucre et sort. Renfield prend le sucre puis
soudain s'effondre)

RENFIELD C'est fini ! C'est fini ! Il m'a abandonné !

SCÈNE 22 (Lucy, Van Helsing, Debbie, Susan, John Seward)

Chambre de Lucy. Debbie et Susan, suivies par Van Helsing, apportent un gros bouquet de fleurs blanches.

SUSAN C'est pour vous, miss Lucy.

LUCY Pour moi...

VAN HELSING Oui, ma chère, pour vous... Mais non pour que vous les disposiez dans un vase !
C'est un médicament (Lucy fait la grimace). Non, non, ni décoction, ni tisane. Voilà, j'en accroche à
la fenêtre, j'en fais aussi un collier que je passe autour de votre joli cou et vous dormirez le mieux du
monde. Respirez-les ces fleurs ! Comme les fleurs de lotus, elles font oublier tous les tracas.

LUCY Monsieur le Professeur !(Elle repousse les fleurs en riant). Je crois que vous vous moquez de
moi ! Ces fleurs... ce sont des fleurs d'ail !

VAN HELSING Mademoiselle, je ne me moque jamais de personne ! Je sais ce que je fais, quoi que je
fasse ! (Il commence à frotter l'ail contre des éléments de la chambre).

JOHN SEWARD (il sniffe un flacon) Eh bien professeur, je sais que vous avez toujours de bonnes raisons
d'agir comme vous agissez, mais ceci me stupéfie. Heureusement qu'il n'est pas d'esprit sceptique
dans la pièce, sans quoi on dirait que vous préparez un exorcisme destiné à défaire quelque esprit
malin.

VAN HELSING Et qui sait ? (A Lucy) Prenez garde à ne pas déranger votre collier. Et puis cette
nuit, même si votre chambre sent le renfermé, n'ouvrez ni la fenêtre, ni la porte !

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LUCY Je vous le promets.

VAN HELSING Cette nuit, vous pourrez enfin dormir en paix. (A JS) Demain, à l'aube, appelez-moi.
Nous irons ensemble visiter la jolie demoiselle.

SCÈNE 23 (Fille de joie, Dracula, passants, enfants, projectionniste)

Londres nocturne. Policeman, carrioles, enfants en maraude, couples en promenade. Dracula au bras
d'une fille de joie s'installe pour une séance de cinématographe. Un petit film est projeté.

FILLE DE JOIE C'est drôle ! On dirait que t'as jamais vu de cinématographe. T'avais l'air mort de
trouille, mon biquet ! Excuse-moi de te dire ça !

DRACULA Ces ombres qui dansent sur la toile ! Cette illusion de vie !

FILLE DE JOIE T'es vraiment de la province, toi ! Et j'me demande bien de laquelle ! Allez, viens,
je vais t'apprendre quelques autres trucs de la grande ville ! T'as des ronds, j'espère ?

DRACULA De l'argent, tu veux dire ? Oui, beaucoup d'argent ! Je veux tout connaître, entends-
tu ? (Il la serre au poignet).

FILLE DE JOIE Oh là ! Doucement ! Mais c'est qu'il ferait mal, l'animal ! J'te préviens, je donne
pas dans le genre brutal. Moi, i m'faut de la douceur, de l'enrobé, du sucré. D' la gentillesse, quoi !

DRACULA Je suis navré (il lui baise la main).

FILLE DE JOIE Comme dans la haute ! Ben, tu vois, j'préfère !

SCÈNE 24 (Van Helsing, John Seward, Mrs Westenra, Margaret, Lucy)

Van Helsing et John Seward arrivent chez les Westenra.

MRS WESTENRA Ah, bonjour messieurs ! Vous serez heureux de savoir que Lucy va mieux. La
chère petite dort toujours. J'ai jeté un coup d'oeil dans sa chambre mais je ne suis pas entrée, de peur
de la déranger.

VAN HELSING Je crois bien avoir trouvé la cause du mal... et mon traitement agit.

MRS WESTENRA N'en prenez pas orgueil tout seul, professeur ! Si Lucy va mieux, c'est en partie
grâce à moi !

JOHN SEWARD Que voulez-vous dire, madame ?

MRS WESTENRA Eh bien, pendant la nuit, je me suis souciée de mon enfant et suis entrée dan sa
chambre. Elle dormait comme une marmotte. Mais la pièce sentait horriblement le renfermé. Il y
avait des fleurs nauséabondes partout et elle en avait même noué autour de son cou. Je me suis dit
que cette senteur trop lourde ne pouvait que nuire à cette pauvre Lucy. J'ai donc enlevé toutes ces
damnées fleurs et ouvert la fenêtre pour faire entrer l'air nocturne...

VAN HELSING Grand Dieu ! Qu'avez-vous fait ?! Vite, il faut aller la voir ! (Ils sortent)

MRS WESTENRA Comment, qu'est-ce que j'ai fait ? Mais mon devoir de mère, monsieur, mon
devoir de mère... Ne me regardez pas comme ça, Margaret ! (Plus bas) Qu'avez-vous fait des fleurs ?

MARGARET Sur le tas, au fond du jardin...(VH et JS reviennent)

VAN HELSING C'est hélas bien ce que je craignais !

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JOHN SEWARD Elle était encore plus pâle que l'autre jour.

VAN HELSING Allez hop ! (Il prend son sac et en sort les outils de transfusion).

JOHN SEWARD C'est à mon tour, professeur. (Il pose sa veste et remonte sa manche)

SCÈNE 25 (Crieur de journaux, journaliste, Thomas Bilder, sa femme)

CRIEUR DE JOURNAUX Pall Mall Gazette ! Pall Mall Gazette ! Loup en fuite ! L'aventure
périlleuse d'un de nos journalistes ! Interview d'un gardien du parc zoologique !

THOMAS BILDER Hé ben m'sieur, pouvez y aller, maintenant. (Il a fini son assiette). Toutes mes
excuses, j'aime pas parler du métier avant de manger. Allez-y avec vos questions. J'sais ben d'ailleurs
pourquoi vous êtes là : c'est à cause de ce loup en fuite.

JOURNALISTE Exactement. Je voulais votre point de vue là-dessus, Monsieur Bilder.

THOMAS BILDER Ah ouais,monseigneur ! Ben, v'là toute l'histoire. Ce loup, qui s'appelait Bersicker
était un des trois gris qui sont venus de Norvège, v'là ben quatre ans. Un loup bien élevé, c'était, qu'a
jamais donné d'ennuis à personne. Vous voyez, on peut pas plus se fier aux loups qu'aux femmes !

MRS BILDER Faites pas attention,m'sieur. L'a tellement fréquenté les animaux qu'il est lui-même
devenu une espèce de loup ! Mais il mord pas encore ben fort !

THOMAS BILDER Ben v'là,m'sieur. Je préparais hier chez les singes une litière pour un jeune
puma malade quand j'ai entendu quèque chose qu'allait pas. Mon Bersicker se démenait comme un
dingue. Y'avait qu'un homme dans les parages : un grand flandrin efflanqué. On a bavardé un peu et
les loups se sont calmés. Même qu'il a voulu les caresser et qu'ils se sont laissés faire. C'était à peine
croyable. Et puis il a soulevé son chapeau et il est parti. (Silence)

JOURNALISTE C'est tout ?

THOMAS BILDER Ben non, c'est pas tout, évidemment que c'est pas tout ! La nuit, les loups ont
recommencé la sarabande. A minuit, j'ai fait un tour et que j'sois pendu si j'me retrouve pas devant la
cage du vieux Bersicker, les barreaux tordus et cassés, et la cage vide !

JOURNALISTE Qu'est-ce qui va se passer maintenant, d'après vous ?

THOMAS BILDER Mon opinion, là v'là. Ce loup se cache quelque part. Le jardinier a juré qu'il
galopait vers le nord, plus vite qu'un cheval encore. Moi, j'le crois pas.Les loups c'est peut-être
surprenant dans les livres et, j'crois bien, quand ils sont en bande et qu'ils poursuivent un pauvre
type plus effrayé qu'eux. Mais dans le vie de tous les jours, Dieu m'bénisse, un loup c'est pas grand
chose, pas à moitié aussi intelligent et courageux qu'un bon chien. Et pas le quart plus hardi ! Cui-là,
il a pas été habitué à se battre pour la nourriture, même pas à la trouver tout seul. S'il peut pas se
dégotter de quoi bouffer, il choisira peut-être une boutique de boucher. Et s'il trouve pas et qu'une
nurse passe avec son p'tit soldat, ben j'serais pas tellement étonné qu'au recensement y aurait un
morveux de moins ! (Ils rigolent, lui et sa femme devant le journaliste consterné).

SCÈNE 26
(Debbie, Helen, John Seward, Van Helsing , Mrs Westenra, Lucy Arthur Holmwood, Quincey Morris)

Chez les Westenra. Debbie et Helen courent, affolées, dans tous les sens, appelant au secours. Van Helsing et
John Seward surgissent.

VAN HELSING Qu'est-ce qui se passe encore ?! (Il en attrape une, elle crie, il la gifle.)
Allons, racontez-moi !

HELEN Là-haut, Lucy... Un loup gris a sauté par la fenêtre... Mrs Westenra est tombée... Maggy...

16
JOHN SEWARD Laissez, professeur, vous n'en tirerez rien. Allons vite à l'étage ! (Ils se rendent à la
chambre) Madame Westenra est morte. Crise cardiaque sans doute.

Margaret sort de son évanouissement.

VAN HELSING Il n'y a plus rien à faire, John, il faut avertir son fiancé.

JOHN SEWARD J'ai reçu un télégramme ce matin, il doit arriver d'une minute à l'autre.

VAN HELSING Mein Gott ! (Il recule d'un pas) Regardez sa gorge !

JOHN SEWARD Les deux petites blessures ont disparu...

VAN HELSING Elle se meurt. Ce ne sera plus long. Mais croyez-moi, il y aura une terrible différence
si elle agonise en état de veille ou dans son sommeil !

Arthur arrive en compagnie de Quincey Morris.

JOHN SEWARD Il vous faut être courageux, mon ami.

ARTHUR HOLMWOOD Ne me dites pas que... (Il s'évanouit, et Quincey le rattrape dans ses bras)

QUINCEY MORRIS Arthur m'a demandé de l'aide. Mais si je comprends bien, il est hélas, trop tard.

JOHN SEWARD Hélas oui, Quincey.

LUCY Quincey, mon amour... Je suis si heureuse de vous voir...

VAN HELSING Elle n'a plus toute sa tête, il faut l'excuser.

Arthur, qui se relève, s'avance pour l'embrasser.

VAN HELSING Non, pas de baiser ! Tenez-lui la main, vous la réconforterez davantage.

LUCY Quincey, mon amour, je suis si heureuse que vous soyez venus. Embrassez-moi !

Van Helsing tire Arthur en arrière très vivement.

ARTHUR HOLMWOOD Mais enfin, qu'est-ce que...

VAN HELSING N'en faites rien, sur votre vie ! Pour votre âme immortelle et pour la sienne !

JOHN SEWARD C'est terminé.

QUINCEY MORRIS Pauvre Lucy ! Au moins elle est en paix, à présent, tout est fini peur elle.

VAN HELSING Malheureusement non : tout commence au contraire.

QUINCEY MORRIS Que voulez-vous dire par là ?

VAN HELSING Vous ne le saurez que trop tôt. Mais il n'y a rien à faire pour le moment. Rien que
d'attendre.

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DEUXIÈME PARTIE
SCÈNE 27 ( Trois enfants, Lucy)

Enfants des rues. Coups de sifflet. Ils se rejoignent dans l'ombre.

ENFANT 1 Alors, tu l'as vue ?

ENFANT 2 Non.

ENFANT 1 Et toi ?

ENFANT 3 Non plus.

ENFANT 2 C'est des menteries, tout ça. Elle existe pas cette "dame bien belle" !

ENFANT 1 Mon cousin l'a vue. Et c'est pas un menteur !

ENFANT 3 Alors, il s'est fait mordre, lui aussi ?

ENFANT 1 Non, mais un ami à lui, si. Ce qui est bizarre, c'est qu'il voudrait bien recommencer. On
dirait que ça lui a plu.

ENFANT 2 J'y crois pas, à toutes vos histoires de bonne femme.

ENFANT 3 Allez, on se tire, j'ai pas envie de moisir ici.

ENFANT 1 T'as les foies, hein ? J'te comprends, remarque. Allez, on ripe galoche.

ENFANT 2 Eh, attendez (il fouille désespérément ses poches), je crois bien que j'ai perdu mon couteau
dans les fourrés là-bas...

ENFANT 1 On se tire, on te dit !

ENFANT 2 Eh attendez ! Sales lâcheurs ! (Il reste seul. Revient vers les fourrés, pas rassuré).

LUCY C'est ça que tu cherches, mon petit ? (Elle lui tend le couteau).

ENFANT 2 Euh... oui.

LUCY Eh bien, tiens, prends...

Il prend le couteau mais Lucy ne le lâche pas. Il la suit comme hypnotisé. Ils disparaissent

SCÈNE 28 (Mina, Van Helsing, Susan)

A Exeter, chez Mina et Jonathan. Susan introduit Van Helsing.

SUSAN Le professeur Van Helsing, madame.

VAN HELSING Mrs Harker, sans doute ? (Mina répond d'un signe de tête) Ainsi, voilà Miss
Murray ? (Nouveau signe de tête). C'est elle, Mina Murray, que je suis venu voir, l'amie de cette
pauvre enfant, Lucy Westenra (Mina lui tend la main). J'ai lu vos lettres à Miss Lucy. Pardonnez-
moi, mais je devais bien commencer mes recherches quelque part, et je voyais personne que je puisse
interroger. Je sais à présent que vious étiez avec elle à Whitby. Dans une de ces lettres, vous faisiez
allusion à une scène de somnambulisme dans le cimetière...

18
MINA Je crois que je puis tout vous raconter en détail, professeur Van Helsing.

VAN HELSING Avez-vous une telle mémoire pour les détails ? C'est si rare chez les jeunes femmes.

MINA Ce n'est pas que j'ai une bonne mémoire, mais je note tout ce qui m'arrive. Je vais vous
montrer (elle lui tend son journal en sténo).

VAN HELSING Quelle femme étonnante ! (Il ouvre le journal, son visage se crispe puis il relève les
yeux) Hélas, je ne connais pas la sténographie !

MINA Pardonnez-moi, pour ne pas perdre de temps, j'ai tout retranscrit à la machine, à votre
intention (elle lui donne un autre document).

VAN HELSING Facétieuse avec ça... Je vous remercie infiniment ! Je le lirai dès aujourd'hui
dans le rapide qui me ramène à Londres.

MINA Si vous le permettez, j'aimerais que vous lisiez aussi ceci. C'est un autre journal, celui de mon
mari, qu'il a tenu tout au long de son voyage. Lisez et jugez.

VAN HELSING Comment va-t-il maintenant ?

MINA Il se remettait doucement de sa maladie, lorsque Mr Hawkins , son maître et associé, a rendu
l'âme à Dieu. C'est un deuil terrible pour lui. Nous devons aller à Londres pour l'enterrement.

VAN HELSING Je suis désolé pour vous. Profitez-en donc pour passer me voir à Londres, nous
reparlerons de vos journaux.

SUSAN A propos de journaux, voici ceux du jour.

VAN HELSING Ne vous ai-je pas déjà vue quelque part ?

MINA C'est Susan. Elle travaillait chez Mrs Westenra. Nous nous entendions bien, je l'ai prise à mon
service.

VAN HELSING Vous êtes dans une bonne maison, je crois (il jette un coup d'oeil aux journaux, se lève
brusquement). Mein Gott, mein Gott...Si tôt ? Si tôt ?

SCÈNE 29 (John Seward, Arthur Holmwood, Quincey Morris, Van Helsing)

Les trois prétendants sont réunis devant un thé.

JOHN SEWARD J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle. Mina et Jonathan Harker sont de retour
en Angleterre. Le jeune homme semble avoir été terriblement marqué par son voyage. Mais nous ne
savons pas au juste ce qui s'est passé.

QUINCEY MORRIS Je suppose que c'était la bonne nouvelle. Alors, la mauvaise ?

JOHN SEWARD Leur patron et associé, Mr Hawkins, est mort subitement. Il a légué à Jonathan toute
sa fortune.

QUINCEY MORRIS Alors c'est une bonne nouvelle (il rit, mais comme personne ne le suit, il s'arrête
aussitôt). Bad joke, O.K.

JOHN SEWARD Mr Hawkins a demandé à être inhumé à Londres, dans le tombeau de ses ancêtres.

Arrive Van Helsing, avec des journaux qu'il jette sur la table.

JOHN SEWARD Eh bien, Professeur, que se passe-t-il ?

19
VAN HELSING Ecoutez ça Messieurs ! "Mystère à Hampstead ! Des enfants disparaissent dans la
lande et ne sont retrouvés que le lendemain matin, avec des traces de morsures sur la gorge. Tous
auraient suivi, selon leurs dires, "une dame bien belle".

QUINCEY MORRIS Voilà qui rappelle cette pauvre Lucy !

ARTHUR HOLMWOOD Ces gamins n'auraient-ils pas été mordus par la même créature qui a
blessé Lucy ?

VAN HELSING C'est ce que vous pensez ?

ARTHUR HOLMWOOD Ma foi... oui.

VAN HELSING Eh bien vous vous trompez ! Je voudrais qu'il en fût ainsi, mais non. C'est bien,
bien plus grave !

JOHN SEWARD Au nom du ciel, que voulez-vous dire ?

VAN HELSING Ces blessures... ces morsures... elles ont été infligées par miss Lucy elle-même !

QUINCEY MORRIS (Tapant du poing sur la table). Avez-vous perdu la raison, professeur ?

ARTHUR HOLMWOOD C'est insensé ! C'est monstrueux ! Vous n'êtes qu'un vieux fou !

VAN HELSING Je le voudrais bien. La folie ne serait rien comparée à une vérité comme celle-ci. Mais
cette nuit,hélas, je vous prouverai ce que j'ai dit - pour autant que vous osiez m'accompagner.

SCÈNE 30 (Smolett, Snelling, Renfield, Hennessey, Simons, Hardy)

Devant l'asile de Carfax. Smolett et Snelling, deux ouvriers, chargent des caisses sur une charrette.

SMOLETT Bon Dieu, quelle soif... Et pas un pub dans les environs.

SNELLING Ce que ça peut être lourd, ce chargement-là ! Heureusement qu'il fallait pas prendre
toutes les caisses !

SMOLETT Cette baraque, c'est la plus dégueu que je suis jamais entré dedans. On n'y est pas allés depuis
cent ans, je dirais ! De la poussière, y'en a si épais à certains endroits que tu pourrais y roupiller sans
te faire mal aux os !

SNELLING C'te vieille chapelle, ça dépassait tout. Pour un tas de pièces, j'y resterais pas après qu'il
est noir !

Renfield surgit.

RENFIELD Voleurs ! Assassins ! Je vous empêcherai, moi ! (Il se jette sur eux)

SMOLETT Mais il est cinglé, celui-là !

SNELLING Fous-nous la paix !

Ils se battent. Coups de sifflets. Les gardiens arrivent.

HENNESSEY Renfield ! Arrêtez-ça tout de suite, ou c'est la camisole !

SMOLETT Je l'avais dit : c'est un cinglé ! Mais il est fort comme un turc ! (Ils le maîtrisent très
difficilement).

20
HENNESSEY Renfield, ça suffit !

RENFIELD Je les aurai tous ! Ils ne me voleront pas ! Ils ne me tueront pas à petits coups ! Je me
battrai pour mon Maître !

HARDY Aïe ! Il m'a cassé un doigt, ce sauvage !

HENNESSEY Emmenez-le ! Pour lui, c'est deux semaines de camisole !

SMOLETT C'est comme ça que vous les surveillez, vos cocos ? Et bien,bravo !

SNELLING On va demander des dommages et intérêts, croyez-moi !

HENNESSEY Allons, messieurs, il y a toujours moyen de s'entendre (il leur glisse un souverain dans la
main).

SMOLETT C'est pas faux...

SNELLING Faut bien avoir pitié de vous, obligé de vivre dans une cage à fauves comme celle-là...

SMOLETT Si on n'avait pas tant peiné à transbahuter ces foutues caisses, on te lui aurait mis une
bonne trempe à votre vilain merle !

SNELLING C'est la soif aussi ! Rien à lamper,dans le secteur !

HENNESSEY La soif aussi, ça peut s'arranger...

SCÈNE 31 (Van Helsing, Arthur Holmwood, Quincey Morris, John Seward, Lucy, un enfant)

Cimetière. Caveau des Westenra. Van Helsing, porteur d'un sac à cricket, et les trois autres se faufilent dans la
crypte, éclairés par une chandelle.

ARTHUR HOLMWOOD Qu'allez-vous faire ?

VAN HELSING Ouvrir le cercueil, afin de vous convaincre.

ARTHUR HOLMWOOD Mais... c'est une profanation !

VAN HELSING My Lord, nous n'avons pas le choix. (Il soulève le couvercle).

QUINCEY MORRIS Le cercueil est vide !

VAN HELSING Etes-vous satisfaits, à présent, messieurs ?

QUINCEY MORRIS Cela ne prouve qu'une seule chose !

VAN HELSING Laquelle, ami texan ?

QUINCEY MORRIS Qu'elle n'est pas dans le cercueil.

VAN HELSING Merveilleusement logique ! Mais alors, comment... comment expliquez-vous qu'elle
ne s'y trouve pas ?

JOHN SEWARD Un violeur de sépulture, peut-être ?

ARTHUR HOLMWOOD Peut-être que l'entreprise de pompes funèbres elle-même l'a volée ?

VAN HELSING Très crédible ! Fort bien, il vous faut d'autres preuves... Venez avec moi.

21
(Ils sortent alors que minuit sonne).

VAN HELSING Vous allez faire le guet ici, pendant que j'irai de l'autre côté.

QUINCEY MORRIS Qu'est-ce qu'on guette ? Qu'est-ce qu'on attend ?

VAN HELSING Je ne vous dis rien de plus. Ouvrez l'oeil et à tout à l'heure.

ARTHUR HOLMWOOD Je vous le répéte : il est complètement givré, ce Flamand !

JOHN SEWARD Chut, Arthur ! Regardez là-bas !


Une forme blanche se découpe sur l'obscurité. Van Helsing revient avec un jeune enfant.

VAN HELSING Satisfait, à présent ?

ARTHUR HOLMWOOD Non pas !

VAN HELSING Vous ne voyez pas cet enfant ?

ARTHUR HOLMWOOD C'est un enfant, en effet. Mais qui l'a amené ici ? Est-il blessé ?

QUINCEY MORRIS Nous allons bien voir. ( Il craque une allumette et JS examine la gorge de
l'enfant).

JOHN SEWARD Pas de traces...

VAN HELSING Nous sommes arrivés à temps, Dieu soit loué.

ARTHUR HOLMWOOD C'est une sinistre plaisanterie !

Lucy apparaît alors. VH brandit sa lanterne.

LUCY Venez, Quincey mon chéri ! Laissez les autres et venez avec moi ! Venez que nous reposions
l'un près de l'autre. Venez mon époux, venez !

Quincey est comme envoûté. Il ouvre les bras. VH s'interpose avec un crucifix. Lucy recule, comme brûlée, puis
fuit vers la tombe.

VAN HELSING Allons, venez mes amis.Nous ne pouvons plus rien faire avant demain.

SCÈNE 32 (Jonathan, Mina, Renfield, Simons, Hardy)

Deux gardiens de l'asile portent les bagages des Harker.

JONATHAN Quelle drôle d'idée il a eu, ton professeur Van Helsing, de nous donner rendez-vous
dans un asile d'aliénés, c'est d'un morbide !

MINA Allons, chéri, c'est ici que travaille le docteur John Seward, avec qui il mène l'enquête sur
cette affaire.

JONATHAN C'est étrange, il me semble reconnaître les lieux.

MINA Jonathan...

JONATHAN A côté, on dirait les ruines d'une abbaye.

HARDY L'abbaye de Carfax, monsieur.

22
JONATHAN Carfax ! Mon Dieu, c'est la demeure que j'ai vendue au Comte ! C'est bien ce que je
pensais, je suis déjà venu ici ! C'est sinistre !

MINA Allons chéri, ces messieurs nous attendent.

On aperçoit Renfield qui guette à une fenêtre.

SCÈNE 33 (Lucy, Van Helsing, Arthur Holmwood, Quincey Morris, John Seward)

Tombeau de Lucy. VH ouvre le cercueil, Lucy repose à l'intérieur.

JOHN SEWARD Est-ce vraiment le corps de Lucy ou un démon a-t-il pris sa forme ?

VAN HELSING C'est bien son corps, sans l'être en même temps ! Mais ayez un peu de patience, et
vous la verrez telle qu'elle était - et telle qu'elle est toujours restée ! (Il extrait méthodiquement les
objets de son sac et les dispose autour de lui : fer à souder, lampe à gaz, instruments divers, pieu de bois,
marteau lourd.)

ARTHUR HOLMWOOD Qu'allez-vous faire, professeur ?

VAN HELSING Le vieux fou va envoyer Lucy parmi les étoiles, la délivrer d'un destin horrible, et
pour cela lui couper la tête et lui enfoncer ce pieu dans le coeur .

ARTHUR HOLMWOOD Euh, il faut que j'aille au chevet de mon père...

VAN HELSING Il va mourir encore longtemps, celui-là ?... Restez-ici. Et vous, Quincey, vous allez
m'aider. Posez cette winchester, qui n'est d'aucune utilité ici, et prenez ce pieu, vous allez le tenir
pendant que je frapperai.

QUINCEY MORRIS Pourquoi moi ?

VAN HELSING C'est vous qu'elle voulait embrasser, non ? Si elle l'avait fait, si je ne l'en avais pas
empêché, vous seriez devenu vous aussi un non-mort, un nosferatu, qui subit la malédiction de
l'immortalité, en faisant des autres sa proie.

Quincey s'exécute. On entend le bruit du pieu traversant les chairs. Feu d'artifice rouge.

SCÈNE 34 (Van Helsing, John Seward, Arthur Holmwood, Quincey Morris)

Quincey Morris, winchester à la main, inspecte les alentours de l'asile. Bureau de John Seward.

VAN HELSING Mes amis, nous avons accompli un premier pas dans notre longue tâche, sans doute le
pas qui nous était le plus pénible. J'avais demandé à mon ami Arminius, de l'université de Budapest,
de me faire un compte rendu sur la personnalité de Dracula. Je l'ai reçu récemment. Notre ennemi
doit être le voïvode Dracula qui a combattu contre les Turcs au XVème siècle. C'était un homme
supérieurement intelligent et rusé. Cette créature pervertie ne peut demeurer que dans la terre
sacrée de ses ancêtres, c'est pourquoi il a fait venir ces cinquante caisses à Whitby, pour qu'elles
soient livrées ensuite à Carfax. Il continuera son existence aussi longtemps qu'il pourra se gorger de
sang humain. Grâce au sang, il rajeunit, reprend des forces, les décuple, comme un homme qui aurait
découvert la fontaine de jouvence. Il ne consomme rien d'autre. Ses pouvoirs, qui ne cessent qu'au
commencement du jour, sont terrifiants : il a la force de vingt hommes, il peut se transformer en loup
ou en chauve-souris, il peut créer le brouillard et dans les rayons de lune il arrive sous forme de
grains de poussière. Il peut varier de taille et aucun obstacle ne peut l'arrêter. Enfin, il peut voir dans
le noir. (Coups de feu, bruits de verre brisé.)

QUINCEY MORRIS Excusez-moi (il entre, winchester fumante à la main). J'ai vu une grande
chauve-souris noire se poser sur le rebord de la fenêtre et j'ai voulu l'abattre.

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VAN HELSING Je vous ai déjà dit de laisser tomber ces armes à feu. L'avez-vous touchée ?

QUINCEY MORRIS Je ne crois pas, car elle s'est envolée en direction des bois.

VAN HELSING Reprenons. Avec le docteur Seward, nous avons échafaudé un plan de campagne. A
vous, John.

JOHN SEWARD Nous devons retrouver la moindre de ces caisses, et stériliser la terre de telle sorte
que Dracula ne puisse plus y trouver la moindre sécurité. En ce qui vous concerne, Madame Mina, à
partir de ce soir, vous ne vous occuperez plus de rien jusqu'à ce que tout soit rentré dans l'ordre.
Lorsque nous partirons cette nuit, ne nous posez pas de questions. Vous êtes trop chère à notre coeur
pour prendre de trop grands risques.

ARTHUR HOLMWOOD Allons immédiatement jeter un coup d'oeil dans cette maison !

JONATHAN Allez vous coucher, Mina, et priez pour nous.

MINA Comme si une femme pouvait dormir quand tous ceux qu'elle aime sont en danger ! J'aimerais
de vous une faveur, Docteur Seward, je désirerais voir votre patient, Mr Renfield, dont vous m'avez
parlé hier.

JOHN SEWARD Cet homme est dangereux...

JONATHAN Mina, ce n'est guère raisonnable...

MINA Docteur, je vous en prie...

JOHN SEWARD Bon. Mais le gardien-chef, Mr Hennessey, vous escortera. Soyez tout de même
prudente.

SCÈNE 35 (Renfield, Hennessey, Mina)

Cellule de Renfield.

HENNESSEY Renfield, une dame demande à vous voir.

RENFIELD Une dame...Fort bien. Qu'elle entre. Mais laissez-moi une minute, le temps que je
mette un peu d'ordre. (Il avale les mouches et les araignées qu'il avait dans ses boîtes). Introduisez la dame !

Mina entre et lui tend la main.

MINA Bonsoir, Mr Renfield.

RENFIELD Vous n'êtes pas la fille que le docteur voulait épouser, n'est-ce pas ? C'est impossible,
elle est morte !

MINA Certainement pas, mais je suis son amie. Je suis Mina Harker.

RENFIELD Et que faites-vous ici ?

MINA Mon mari et moi rendons visite au docteur Seward.

RENFIELD Alors dites-lui de me laisser sortir. Je sais que je suis un homme un peu étrange et je ne
m'étonne plus que mes amis en aient conçu de la crainte et aient insisté pour me placer en
surveillance. Je m'imaginais que la vie était une entité positive et infinie et qu'en consommant une
multitude d'êtres vivants, même le plus bas sur l'échelle de la création, il serait possible de prolonger
indéfiniment l'existence. J'ai même attenté à une vie humaine car je voulais accroître ma puissance
en consommant le principe vital contenu dans le sang. Les Ecritures ne disent-elles pas que le sang

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est la vie ? Oui, je sais tout cela, mais aujourd'hui je désire partir, tout de suite, sans sursis si
possible. Le temps presse.

MINA Je regrette, le docteur a dû s'absenter. Je lui parlerai dès son retour.

HENNESSEY Ne comptez pas trop là-dessus, Renfield !

RENFIELD Permettez-moi d'insister ! Je vous implore ici, sans honte, non pour des raisons
personnelles, mais pour la sécurité d'autres personnes. Je n'ai pas la liberté de vous dévoiler toutes
mes raisons, mais vous devez me croire. Oh Madame, si vous pouviez lire dans mon coeur !

HENNESSEY Venez Madame, il commence à s'exciter !

Ils veulent se retirer. Renfield se précipite, se jette à genoux.

RENFIELD Je vous en supplie, dites au docteur de m'envoyer où il veut, qu'on me passe une
camisole de force, des menottes aux jambes mais faites-moi sortir d'ici et sauvez mon âme !

HENNESSEY Mettez-vous au lit et essayez de vous calmer ! Allons-y madame ! (Il la pousse)

MINA Je parlerai au docteur dès qu'il reviendra, je vous le promets !

SCÈNE 36 ( Susan, Debbie, Helen, Margaret)

A la sortie d'une filature.

MARGARET Eh...mais c'est ...

DEBBIE Susan !

SUSAN Debbie ! Helen ! Maggy ! Comme je suis contente de vous revoir !

HELEN Comment t'as su pour nous ?

SUSAN On s'écrit de temps en temps avec Maggy.

DEBBIE Quelle cachottière celle-là !

SUSAN Et c'est comme ça que j'ai su que vous aviez retrouvé une place dans cette filature.

DEBBIE Personne voulait nous reprendre, vu ce qui s'était passé, comme si on avait peur de nous.

HELEN Le travail est dur, tu sais. T'as eu de la chance d'être reprise par Miss Mina.

SUSAN Je le sais. Je suis passée par là à l'âge de quatorze ans, et c'était dans les mines. Mais laissez-
moi vous offrir un thé quelque part.

MARGARET D'accord, mais raconte-nous donc comment ça se passe avec le Professeur.

DEBBIE Le Flamand ! Il est fondu, celui-là !

SUSAN Non, il sait ce qu'il fait. Mon maître est allé avec lui et ses amis dans une ancienne abbaye, à
la recherche des caisses de terre que le comte Dracula y avait fait venir.

HELEN Comment tu sais tout ça, toi ?

SUSAN Je ne devrais pas le dire. Vous tiendrez votre langue ? Je lis en cachette le journal de Monsieur.
Il y raconte tout ce qu'il fait.

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HELEN Oh la garce !

SUSAN Eh bien ils n'ont retrouvé que vingt-neuf caisses sur cinquante. Ils savent maintenant que le
comte a acheté d'autres maisons à Londres pour disperser ssa cargaison et ils mènent l'enquête.
Toutes les nuits ou presque, ils partent en expédition.

MARGARET Et Miss Mina les accompagne ?

SUSAN Penses-tu ! Elle reste seule dans cet affreux asile où nous séjournons. Elle l'a amère, je crois,
d'être tenue à l'écart. Je lui trouve même mauvaise mine ces temps-ci.

DEBBIE C'est bien les hommes, ça. Bon, tu le payes ton thé, oui ou non ?

SCÈNE 37 (Mina, Dracula)

Chambre de Mina. Elle rédige son journal.

MINA (VOIX OFF)


Je ne parviens pas à dormir, tout me paraît une horrible tragédie, qui avance sans trêve vers un but bien
fixé. La moindre de nos actions, même celles accomplies avec les meilleures volontés, semble avoir eu
des conséquences déplorables. Si je n'étais pas allée à Whitby, peut-être que la pauvre Lucy serait
encore avec nous ?

Une ombre s'allonge au-dessus de la table. Mina s'affaisse. Dracula pénètre dans la pièce.Il tourne les pages du
journal puis prend Mina dans ses bras et la dépose sur le lit.Elle s'éveille.

MINA C'est vous ?

DRACULA Chut ! Je sais combien vous êtes triste. Pendant des années, votre Jonathan ne vous a
rien caché, et voici qu'aujourd'hui, après tout ce que vous avez fait pour lui, il garde un silence
obstiné sur ses activités. Oh ! Il croit vous protéger en vous laissant ici ! Ce n'est pas un méchant
homme, mais c'est un imbécile !

MINA Ne dites pas cela de Jonathan...

DRACULA Il avait une photographie de vous dans son journal. Quand je l'ai vue, cela a précipité
ma décision de venir en Angleterre.

MINA Ne dites pas que c'est à cause de moi que vous êtes venu !

DRACULA Ma décision était prise depuis longtemps, mais j'ai su alors qu'il était temps pour moi de
partir.

MINA Vous avez tué Mina, vous êtes un monstre !

DRACULA Est-il un monstre celui qui rêve d'une éternelle jeunesse ? Est-il un monstre celui qui ose
défier la mort ? Cette jeunesse, c'est vous qui me la redonnez, ma chère amie. Cette jeunesse, c'est
avec vous que je veux la partager. Je veux que vous soyez mienne... (il se penche sur elle)

SCÈNE 38 (Snelling, Jonathan, aubergiste)

Au pub. Snelling boit et c'est Jonathan qui arrose.

SNELLING Oui, deux expéditions que j'y ai fait, avec mon pote Smolett, entre Carfax et
Piccadilly. Chaque fois neuf grandes caisses bien lourdes, avec une petite voiture de location.

JONATHAN Vous vous souvenez du numéro de la maison ?

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SNELLING Ben, m'sieur le baron, le numéro, j'le sais plus. Mais j'sais encore que c'était à quelques
portes d'une grande église blanche.

JONATHAN Les deux maisons étaient vides de tout occupant. Comment y êtes-vous entrés ?

SNELLING Le vieux jeton qui nous avait engagés. Il nous a aidés à porter ces caisses dans la
camion. Ben, m'sieur le baron, c'était ben le gars le plus terrible que j'ai jamais vu, et pourtant
c'était un vieux débris d'apparence, un de ces croulants que vous croiriez pas qu'ils pourraient faire
tomber une ombre ! Ces caisses, i te les empoignaient comme si c'étaient des paquets de thé, alors que
nous on transpiraient comme des boeufs !

JONATHAN Et dans la maison de Piccadily ?

SNELLING Il était là aussi le vioque ! Nous a encore aidés à les transporter ces foutues caisses, dans
le hall. Terrible le hall ! Plein de poussière ! Un boulot bien assoiffant, j'vous l'dis, monsieur le
baron, et je comprends pas encore comment j'suis pas crevé de soif ! (Jonathan fait signe à
l'aubergiste de remettre ça)

JONATHAN Alors le numéro de la maison, vraiment pas ?

SNELLING Non m'sieur. J'ai pas la mémoire des chiffes. Ca rentre pas (il se cogne la tête).

JONATHAN Et votre ami... Smolett, c'est ça ?

SNELLING Ah ben, trop tard, il est mort, il s'est noyé dans la Tamise. Trop bu sans doute. Pauvre
gars, c'était un bon copain (il se signe).

SCÈNE 39 (Renfield, Van Helsing, Hennessey, John Seward, Quincey Morris, Arthur Holmwood )

Coups de sifflet. Cellule de Renfield. Hennessey et Seward autour du corps blessé de Renfield. Quincey, Arthur
et VH arrivent.

VAN HELSING Mein gott ! Qu'est-il arrivé ?

JOHN SEWARD Le brandy dans mon bureau... Vite !

RENFIELD Vite, docteur, vite, je meurs. je sens que mes minutes sont comptées. Il est venu...
chaque soir, il est venu... Chaque soir... chaque nuit, il vient... et Madame Mina, son sang déserte
toutes ses veines...

VAN HELSING Mina ! Je comprends ! Coment avons-nous pu avoir le cerveau si épais ! (Quincey
revient avec verre et brandy)

RENFIELD Cette nuit, il est entré ici sur mes supplications. J'ai voulu ensuite l'empêcher de sortir,
mais ses yeux ont brûlé en moi, il m'a jeté au sol avec une force surhumaine et il a disparu dans une
sorte de brouillard rouge.

VAN HELSING La chambre de Mina est juste au-dessus, n'est-ce pas ?

JOHN SEWARD Oui, professeur, vous croyez...

VAN HELSING Je ne crois pas, j'en suis sûr ! (Il se précipite au-dehors, suivi par les autres).

SCÈNE 40 (Van Helsing, Hennessey, John Seward, Quincey Morris, Arthur Holmwood, Jonathan,
Mina, Dracula)

Chambre de Mina.Van Helsing et les autres pénètrent au moment où Mina lèche la poitrine ensanglantée de
Dracula. Les quatre dégainent en choeur le crucifix. Dracula hurle puis disparaît dans un brouillard. Quincey et Arthur

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le poursuivent.
VAN HELSING Ne craignez plus rien, ma chère ! Nous sommes ici, et tant que ceci (il montre le
crucifix) sera près de vous, nul démon ne pourra vous approcher.

Jonathan débarque à son tour.

JONATHAN Au nom du Ciel, que signifie ceci ? Docteur Seward ? Professeur Van Helsing ? Que
faites-vous dans la chambre de ma femme ?

MINA Impure ! Impure ! (désignant Jonathan) Je ne pourrais plus le toucher, ni l'embrasser ! Quelle
horreur ! (A Jonathan) Etre à présent ta pire ennemie ! Celle que tu dois craindre la plus au monde !

JONATHAN Sottises, Mina ! (il la prend dans ses bras)

Quincey et Arthur reviennent.

ARTHUR HOLMWOOD Nous ne l'avons trouvé nulle part, mais il est passé dans votre bureau :
tous les manuscrits des journaux sont en fumée, et il a détruit aussi les cylindres de votre
phonographe.

QUINCEY MORRIS Et Renfield est mort...

MINA Renfield ! Je vais me tuer !

VAN HELSING Non ! Vous devez vivre ! Votre propre mort ferait de vous l'un de ces non-morts
que nous combattons. Vous devez lutter, vous forcer à vivre, même s'il vous semble que la mort vous
serait un indescriptible bienfait !

JOHN SEWARD Nous disposons de cette journée pour découvrir ses repaires et les détruire.

JONATHAN Il a acheté une maison à Piccadilly. C'est là-bas qu'il faut aller !

ARTHUR HOLMWOOD Et comment entrerons-nous dans cette maison ?

JONATHAN De n'importe quelle manière... En forçant la porte, s'il le faut !

QUINCEY MORRIS Alors au nom de Dieu, partons dans l'instant. Le comte peut arriver à Piccadilly
plus tôt que nous le pensons.

VAN HELSING Mais non.

QUINCEY MORRIS Et pourquoi ?

VAN HELSING Oubliez-vous qu'il a festoyé cette nuit et qu'il dormira tard demain ? Oh pardon
madame Mina !
SCÈNE 41 (Dracula, les trois brigands, enfants)

Les trois brigands apprêtent la carriole portant le dernier cercueil. Des enfants portent des flambeaux. Dracula
regarde la photo de Mina.

DRACULA O femme! femme! femme! créature faible et décevante!... nul animal créé ne peut
manquer à son instinct: le tien est-il donc de tromper?... Vous, comme les autres, vous exercez votre
intelligence contre moi ! Vous aidez ces hommes à me donner la chasse et à contrecarrer mes
projets ! La nuit est noire en diable, et me voilà contraint de m'enfuir, moi qui ai commandé des
nations, combattu à leur tête, lutté pour les défendre, des siècles avant qu'ils fussent nés ! Mais
vous, vous qu'ils adorent tous, vous êtes à présent la chair de ma chair, sang de mon sang, race de ma
race, ma source de vie, ma compagne dans un proche avenir. Vous connaîtrez votre revanche !
Personne ne pourra vous refuser ce dont vous aurez besoin. Quand mon esprit vous ordonnera de

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venir, vous devrez traverser terres et mers pour m'obéir. Mais je n'aurai même pas besoin car je sais
qu'ils me poursuivront et que vous les suivrez, mais là-bas, ce sera leur perte, car là-bas c'est ma
terre.
Oui, ils ont fini par trouver mes repaires et je dois revenir dans mon pays. Oh les honnêtes
gens ! Eux, les vertueux, que n'ont-ils pas bafoué pour me nuire ? Violation de sépulture, profanation
de cadavres, effraction de domicile, corruption de fonctionnaires, subornation de témoins, la liste est
longue de leurs forfaits. Mais ils ont de la fortune, de l'entregent, et rien, je le sais, ne les arrêtera sur
la route qui conduit jusqu'au château du comte Dracula.
Mes enfants, ce sang qu'ils me reprochent, il ne se passera pas vingt ans qu'il coulera à flots
dans les vertes campagnes de vos pays ! Ce sang qui me nourrit et que je dois quérir laborieusement
chaque nuit en usant de toute ma ruse, vous le donnerez en abondance, joyeusement, sans lésiner, et
pour vous remercier,on gravera vos noms sur des stèles. Cherchera-t-on les vampires, responsables
de tout ce carnage ?
Allons, la nuit avance, la marée nous attend. Ecoutez-les,écoutez-les mes autres enfants, les
enfants de la nuit. (Hurlement des loups, il se glisse dans le cercueil et la charrette part)

SCÈNE 42 (Van Helsing, John Seward, Mina, Jonathan)

Bureau de John Seward. Mina sous hypnose.

VAN HELSING Où êtes-vous ?

MINA Je ne sais pas, le sommeil n'a aucun endroit qu'il puisse appeler sien.

JOHN SEWARD Ne vous effrayez pas, Jonathan. Mina est sous hypnose, c'est elle-même qui l'a
suggéré au professeur.

JONATHAN Mais pourquoi ? Dans quel but ?

JOHN SEWARD Pour le meilleur et pour le pire, l'esprit de Mina est relié à celui de Dracula. Nous
espérons ainsi apprendre certaines choses sur lui.

VAN HELSING Où êtes-vous à présent ?

MINA Je ne sais pas, tout est si étrange pour moi.

VAN HELSING Que voyez-vous ?

MINA Je ne vois rien. Il fait sombre.

VAN HELSING Qu'entendez-vous ?

MINA Le clapotis de l'eau. De petites vagues. Je peux les entendre claquer au-dehors.

VAN HELSING Vous êtes donc sur un bateau ?

MINA Oui ! Oui !

VAN HELSING Entendez-vous autre chose ?

MINA Des hommes piétinent le pont, au-dessus. Une chaîne grince et il y a un claquement sonore
quand le linguet cogne le cabestan. Je suis tranquille... oh si tranquille ! C'est comme si j'étais
monté !

JOHN SEWARD Ce bateau doit lever l'ancre, d'après ce que décrit Mina. Vite, il n'y a pas de temps à
perdre ! Il faut aller au port. Jonathan, allez chercher les autres !

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SCÈNE 43 (Manipulateurs du théâtre d 'ombres)

Théâtre d'ombres. Le récit de Mina (en voix off) est représenté sur la toile par des silhouettes.

MINA (VOIX OFF) Nous sommes arrivés trop tard : une embarcation était partie avec la marée
haute, à destination de la Mer Noire : Le Tzarine Catherine. Nous avons décidé de nous rendre par
l'Orient Express, à Varna, où le bateau doit accoster. Auparavant, j'ai fait promettre à tous que si
j'étais transformée au point de devenir dangereuse pour tous, ils devaient me tuer, puis aussitôt me
percer d'un pieu et me couper la tête. Mais à Varna, nous avons attendu en vain, Dracula a déjoué
nos plans en lisant dans mon esprit, et le Tzarine Catherine a jeté l'ancre à Galatz, que nous avons
rejoint au plus vite par le train le 30 octobre. Le professeur Van Helsing, par une nouvelle séance
d'hypnose, m'a permis de savoir que le Comte remontait la Bistritza. Nous nous sommes alors séparés
en trois groupes : Arthur - Lord Godalming maintenant que son père est mort -, remonte le fleuve
avec Jonathan à bord d'une vedette de location. Quincey et le docteur Seward suivent la rive avec
des chevaux, au cas où le navire de Dracula voudrait aborder. Enfin, le professeur et moi-même
nous rendons directement au château de Dracula, par le col de Borgo. J'ai peur, de plus en plus peur,
je sais que je me transforme et le professeur le sait aussi.

SCÈNE 44
(Mina, Van Helsing, les trois brigands, Arthur Holmwood, Quincey Morris, John Seward, Jonathan )
Mina allume un feu de bois, VH la rejoint.

VAN HELSING Voilà, les chevaux sont nourris et à l'abri. (Il offre à manger à Mina qui refuse d'un
signe de tête). Il faut reprendre des forces (elle le regarde fixement et sourit ; il se détourne puis
soudainement trace un cercle autour d'elle et émiette une hostie)

Attaque de la charrette de Dracula, conduite par les trois brigands. Anéantissement de Dracula. Mort
de Quncey Morris.

SCÈNE 45 (Paysans, paysannes, Susan, Margaret, Debbie, Helen)

JONATHAN (VOIX OFF) Voilà sept ans que nous avons franchi les flammes et le bonheur que nous
connaissons à présent vaut bien les souffrances endurées. Joie supplémentaire pour Mina et pour moi
: notre enfant est né le jour anniversaire de la mort de Quincey Morris. Nous lui avons donné tous
les prénoms des héros de notre petit groupe - avec, bien sûr, Quincey en premier. Cette année, nous
avons fait un voyage en Transylvanie. Nous avons parcouru à nouveau ces régions liées pour nous à
ces infernaux souvenirs et nous avons eu peine à croire que tout ce que nous avions vécu ait pu
appartenir à la réalité.

Auberge de la couronne d'Or. Danse et musique du début. Premiers saluts.

Susan appelle les autres servantes.

SUSAN L'enfant a fait sa première dent ! Quincey, ô mon Quincey !

MARGARET Oh, c'est une canine ! Comme elle est belle !

Musique. Seconds saluts.

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