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Régine Robin
Editions Stock
Imprimé en février 2003
524 pages
Auteur
Opinion
Le livre porte sur la relation qu’a notre société au passé et à la mémoire avec forcément de
longs passages historiques. La troisième partie est un peu trop «technique».
Dans le dernier chapitre intitulé Cybermigrances l’auteur s’envoie des courriers par
ordinateurs interposés…
L’auteur débute le livre sur un récit à propos son oncle, ancien militant communistes qui, ému,
se demande si ses heures de lutte n’ont pas été vaines et si elles ne sont pas vouées à l’oubli.
C’est ainsi que la mémoire commune doit les honorer, ils n’ont pas lutté pour rien, ces
militants ne méritent pas de disparaître de nos mémoires. Ces personnes se sont dévouées
corps et âme à la cause du malheureux, des «damnés de la terre», des ouvriers exploités et
misérables, des chômeurs atteints par les crises économiques et sociales en particulier celle de
1929. Des vies broyées, sacrifiées mais avec un horizon, un idéal.
Le passé vient en fait nous visiter en permanence, il fait la une des journaux et envahit notre
quotidien depuis une quinzaine d’années.
Le terme de «mémoire» recouvre aujourd’hui tant de chose qu’il faut y mettre de l’ordre pour
le saisir.
Il faut encore que les supports matériels de la mémoire résistent, car tout est fragile.
«Qu’elles soient temporaires!» avait été le mot d’ordre de Lénine et ce fut tout le contraire qui
fut fait, les statues du stalinisme sont de bronze et de granite.
La bobine de l’histoire est en permanence rembobinée, Jean Baudrillard dit à ce sujet que
«nous sommes en train d’effacer tout le XXème siècle.»
Première partie : Présences du passé
1. Répétitions
Le passé n’est pas libre, dans aucune société on ne le laisse à lui-même. Il est régi, géré,
conservé, expliqué, raconté, commémoré ou haï.
Peu importe qu’il soit célébré ou occulté, il reste un enjeu fondamental de présent. Pour ce
passé souvent lointain, plus ou moins imaginaire, on est prêt à de battre, à étriper son voisin
au nom de l’ancienneté de ses ancêtres.
Henry Rouso dans son livre «le syndrome de Vichy» distingue quatre phases de la libération à
nos jours :
- celle du deuil entre 1944-1955 au sens de l’affliction
- phase de refoulement avec l’établissement du mythe du «résistancialisme» selon lequel
tous les français étaient résistants
- phase du «retour du refoulé» le mythe vole en éclats
- stade de l’obsession dans laquelle il semble que nous soyons encore.
Parfois c’est la fiction qui invente le passé, l’Histoire rectifiant les apports légendaires,
d’autres fois, c’est l’Histoire qui construit le mythe.
L’Ouest est un des grands mythes, sinon le grand mythe de l’Amérique, des Etats-Unis. Il
hante la mémoire américaine.
L’histoire de l’Amérique, c’est l’histoire de la marche progressive des américains vers
l’Ouest, vers la terre, la domestication des richesses naturelles, la conquête des grands
espaces, la liberté et la démocratie.
Ce n’est pas seulement l’histoire de la conquête de l’Ouest, c’est aussi la légende, son aura
telle que les westerns nous ont habitués à la voir à l’imaginer.
3. La couleur de l’oubli
Amnistier → Les oublis systématiques sous forme de pardons ou d’amnisties sont une autre
façon de procéder à l’effacement du passé des sociétés.
Effacer → Le passé s’efface encore par les silences et les tabous qu’une société entretien.
Cette sorte d’amnésie n’a rien de légal ou de réglementaire, mais elle pèse sur l’ensemble du
tissu social. Un évènement a pu se produire sans témoin, sans reste, sans ruine, sans rien pour
révéler qu’il y a eu un évènement. Dans ce cas le silence n’est ni volontaire, ni involontaire, il
est, c’est tout. Mais on peut aussi décider de faire comme si l’évènement n’avait pas eu lieu.
Substituer → Le véritable oubli n’est peut-être pas le vide, mais le fait de mettre
immédiatement autre chose à la place d’un lieu autrefois habité, d’un ancien monument, d’un
ancien texte, d’un ancien nom. Ou encore de revenir en arrière en passant par-dessus un passé
récent, oblitéré au profit d’un plus ancien.
o Le sédiment de l’archive
Les archivistes de roman, comme personnages, sont investis d’énormes pouvoirs. L’espace
n’est jamais suffisant. Pourtant, ils travaillent dans des immeubles imposants, des universités,
des palais, des édifices labyrinthiques. Le danger principal est de s’y perdre.
4. Question de rythmes
Une terre sans peuple pour un peuple sans terre → Israël est un bon exemple de ce trajet de la
mémoire, deux images symboles séparées de plusieurs dizaines d’années : la première montre
la foule en liesse, qui assistait le 14 mai 1948 à la proclamation de l’Etat d’Israël ; la seconde
montre le petit Mohamed al-Doura, que son père tente désespérément de protéger d’une balle
israélienne qui va bientôt le tuer.
Une citoyenneté du souvenir → dès la fondation de l’Etat, le souvenir du génocide fait partie
de la symbolique nationale. L’évènement est inscrit dans la déclaration d’indépendance. Dès
le départ tout est fait pour qu’Israël affirme sa centralité, son monopole sur la mémoire du
génocide.
L’autorité sémantique des témoins → un épisode décisif est le procès d’Adolf Eichmann en
1962, Ben Gourion explique ce qu’il entend faire de ce procès «L’Etat juif est l’unique héritier
de six millions de juifs assassinés […] le seul procureur légitime pour ces millions de morts,
c’est Israël».
Une logique de l’aveuglement → Le projet sioniste voulait fonder une société homogène et
soudée mais la société israélienne est aujourd’hui constituée de plusieurs blocs : Il y a ceux
qui misent sur une société laïque et démocratique, moderne, pas trop «esclave de la mémoire»
et qui veulent faire la paix avec les palestiniens. Ils sont les grands perdants de l’évolution
actuelle. Il y a ceux, religieux pour la plupart, qui sont implantés dans les colonies et ne
veulent aucun compromis, qui mettent en avant la mémoire, la terre sacrée. Enfin il y a ceux
qui, n’étant ni d’un côté ni de l’autre, ne savent pas à quel saint se vouer. Ils voudraient la
paix, mais ne rien céder, et des frontières sûres surtout.
Les clivages communautaires n’ont pas disparu : les Ashkénazes contre les Séfarades, les
religieux, les non-religieux, les sionistes, les religions non-sionistes, les Arabes et les autres,
les Sabras (natifs d’Israël) contre les nouveaux immigrants …
Mais où y a-t’il une société constituée qui soit «en paix» avec son ou ses passés ? Où trouver
une société qui, consciemment ou inconsciemment, ne manipule, falsifie, reconfigure son
passé, n’occulte certains de ses épisodes.
Deux expositions américaines → Les Etats-Unis ne sont pas «capables» que les japonais de
faire face à certains épisodes de leur histoire. Il n’y a toujours pas moyen d’organiser une
exposition décente sur la bombe d’Hiroshima.
Amnésie française → On sait avec quelles difficultés la France a abordé la période de Vichy
et la guerre d’Algérie.
o Le retournement de la conjoncture
On utilisera le mot «négationnisme» pour désigner l’attitude de ceux qui nient l’existence des
chambres à gaz et la disparition des six millions de juifs durant la seconde guerre mondiale.
On appellera «relecture» ou «réinterprétation», le mouvement des nouvelles histoires, qui
reprennent la documentation déjà existante ou de nouvelles archives pour formuler de
nouvelles hypothèses et mettre en place de nouvelles interrogations.
Deuxième partie : Une mémoire menacée ; la Shoah
o S’interroger sur sa propre écriture. Quelle place aux autres, aux morts ?
Les monuments aux morts sont des supports exceptionnels, l’entrée des anonymes dans
l’histoire mais c’est l’historien qui va se mettre en scène et interpréter les documents.
o Postmémoires
Marianne Hirsh a proposé le terme de «postmémoire» pour désigner la spécificité de la
transmission des traumatismes de la guerre et du génocide chez les générations suivantes.
Les ombres → dans les années quatre-vingt-dix à Berlin, Shimon Attie projette sur les murs
des maisons en décrépitude dans l’ancien quartier juif de Berlin des photos d’anciens
habitants. Les gens du quartier ont été choqués par ces apparitions. Selon l’auteur, ils ne
l’auraient pas été par un monument au bout de la rue que personne n’aurait remarqué, ce qui
rend insupportables ces projections c’est leur aspect spectral.
L’effet d’archive → l’idée d’archive est fondamentale aujourd’hui, on a même parlé d’un
«fétichisme» de l’archive. Ce pourrait bien être, à l’inverse de l’effet escompté, une
machinerie d’oubli à travers l’acte d’emprisonner la mémoire et de la fixer.
Père et fils → l’écrivain prend l’exemple de Art Spiegelman, fils de survivant d’Auschwitz,
qui raconte l’histoire de son père à travers une bande-dessinée Maus.
Suite à une dépression, il réalise grâce à une psychanalyse que la relation qu’il entretient avec
l’Holocauste n’est pas la sienne mais celle de son père et qu’il doit trouver son propre mode
de connexion avec l’Holocauste.
Parmi les éléments qui peuvent bloquer l’émergence d’une mémoire critique, en premier lieu,
le «pédagogisme» se traduit par une volonté effrénée de transmettre, sans trop savoir ce que
l’on veut transmettre. C e qui se transmet à l’insu des gens, c’est le traumatisme, l’absence du
travail de deuil.
Troisième partie : Du mémoriel au virtuel
1. Mémoire et média
o La lettre et la photo
«écrire des lettres, c’est se mettre à nu devant les fantômes» → Nietzsche écrit alors qu’il est
malade : «nos outils d’écriture influent sur nos idées.»
Régine Robin mets en opposition deux exemples ; dans le film Lost Highway de David Lynch,
le héros dit : «Je n’aime pas les caméras vidéos. J’aime me souvenir de choses de la façon
dont on s’en souvient» contrairement à l’idée avancée dans le film Sans soleil de Chris
Marter : «Je me souviens des images que j’ai filmé. Je me demande comment font les gens
pour se souvenir si ils n’enregistrent pas, comment a fait l’humanité pour se souvenir…»
Internet nous plonge dans l’immatérialité du support, éphémère, soixante-dix pourcent des
pages sur le Web ont une durée de vie inférieure à quatre mois.
Immense espace, vertige de l’infini ou tout finit par se perdre, s’oublier, s’inexisté.
Une logique de l’instant éliminerait de notre horizon le passé et le futur, donc la mémoire.
Nous vivons sous l’emprise de l’immédiateté, de l’éphémère.
Le virtuel a tendance à abolir l’espace et le temps. Le numérique serait le royaume de la
falsification des données, tout serait manipulable, on ne pourrait plus différencier les images
«réelles» des images de synthèse.
Les artistes du stockage → l’auteur cite l’exemple de Georges Perec souhaite tout conserver
en particulier les lieux de son enfance qui disparaissent sous de nouvelles constructions. Il fait
la description de ces lieux, après être en possession de 288 textes issus de cette expérience il
dit : «Je saurais alors si elle en valait la peine : ce que j’en attends, en effet, n’est rien d’autre
que la trace d’un triple vieillissement ; celui des lieux même, celui de mes souvenirs, et celui
de mon écriture.»
Saturations patrimoniales → après 1968 toute pratique à peine obsolète est «empaillée»,
Régine Robin cite en exemple le prix des morceaux du mur de Berlin à sa destruction.
3. Vers une mémoire hypertexte
o Nouveaux espaces d’écriture
Selon Jean Clément l’hypertexte est un ensemble constitué de «documents» non hiérarchisés
reliés entre eux par des «liens» que le lecteur peut activer et permettent un accès rapide à
chacun des éléments constitutifs de l’ensemble.
L’hypertexte demande de nouvelles compétences à la fois de la part du lecteur, qui doit
pouvoir «naviguer» à travers les éléments de l’ensemble, et de la part de l’écrivain, qui doit
organiser le réseau complexe des liens potentiels, des chemins à prendre ou à laisser dans
l’œuvre ainsi constituée.