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DE LA REFORME AGRAIRE
AUX P HILIPPINES
Réforme agraire et développement économique
Louis FAUGERE
l.faugere@gmail.com
http://moncv.keljob.com/l.faugere_gmail.com
ISTOM
Ecole d’Ingénieur en Agro-Développement International
32, Boulevard du Port F.-95094 - Cergy-Pontoise Cedex
L ES NOUVEAUX ENJEUX DE
LA REFORME AGRAIRE AUX
P HILIPPINES
FAUGERE Louis
93ème Promotion
Stage effectué à Manille, Philippines
Du 25/06/06 au 25/12/06
Au sein de : Mission Economique de Manille
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RESUME
Les nouveaux enjeux de la réforme agraire aux Philippines
La réforme agraire instaurée aux Philippines depuis 1988 devait répondre à plusieurs problèmes
socioéconomiques dans le pays. Depuis l’époque féodale et la colonisation espagnole, la répartition de la
propriété foncière est déséquilibrée. Les élites ont la terre et par conséquent le pouvoir économique dans les
campagnes. Aux Philippines, le pouvoir économique mène au pouvoir politique, et les grands propriétaires
terriens contrôlent la vie législative. La réforme devait permettre de redistribuer les richesses et promouvoir
l’équité. Malheureusement, la réforme n’a toujours pas aboutie, et la situation n’est pas bien meilleure. 20
ans après l’instauration de la réforme agraire, il faut trouver de nouvelles réformes et mesures adaptées à
une situation nouvelle. Une politique orientée sur les marchés et l’agro-industrialisation des campagnes s’est
mise en œuvre depuis une dizaine d’années tranchant ainsi avec les ambitions premières de la réforme.
Aujourd’hui, le développement économique harmonieux de l’archipel doit passer par la prise en compte des
petits paysans mais tenir compte aussi d’une croissance durable dans le secteur agricole.
M OTS - CLEFS : P HILIPPINES , REFORME AGRAIRE , PROPRIETE FONCIERE , DEVELOPPEMENT DURABLE , ECONOMIE
RURALE , METAYAGE , REFORME FONCIERE , ELITES , PROPRIETAIRES TERRIENS , LIBERALISATION , SECTEUR
AGRICOLE , POLITIQUE .
The Philippine agrarian reform initiated in 1988 was meant to solve many socioeconomic issues in the
country. Since feudal times and Spanish colonization, land ownership distribution has been skewed. The
elites have the land and consequently the economic power in the countryside. In the Philippines, economic
power leads to political power, and the landlords have the legislative process under control. The reform was
intended to redistribute wealth redistribution and promote equity. Unfortunately, the reform has still not
been completed and the situation is not much better. 20 years after the beginning of the agrarian reform, it
is necessary to find new reforms and programs adapted to a new situation. A new market-oriented and agro-
industrialization policy has been implemented in the countryside for the past ten years thus far removed the
reform’s initial aims. Today, the harmonious economic development of the archipelago must consider the
smallholders as well as sustainable growth in the agricultural sector.
K EYWORDS : P HILIPPINES , AGRARIAN REFORM , LAND OWNERSHIP , SUSTAINABLE DEVELOPMENT , RURAL ECONOMY ,
SHARE TENANCY , LAND REFORM , ELITES , LANDLORD , LIBERALIZATION , AGRICULTURAL SECTOR , POLITICS .
La reforma agraria instaurada en Filipinas desde 1988 debía responder a varios problemas socioeconómicos
en el país. Desde la época feudal y la colonización española, la distribución de la propiedad de la tierra es
desequilibrada. Las élites tienen la tierra y por lo tanto el poder económico en el campo. En Filipinas, el
poder económico conduce al poder político y los latifundistas controlan el proceso legislativo. La reforma
debía permitir redistribuir las riquezas y promover la equidad. Desgraciadamente, la reforma todavía no ha
tenido éxito, y la situación está lejos de ser mejor. 20 años después de la instauración de la reforma agraria,
es necesario encontrar nuevas reformas y medidas adaptadas a una nueva situación. Una política orientada
hacia los mercados y la agro-industrialización del campo se aplicó desde una década lo que está a lejos de las
primeras ambiciones de la reforma. Hoy, el desarrollo económico armonioso del archipiélago debe pasar por
la consideración de los pequeños campesinos pero tener en cuenta también un crecimiento durable en el
sector agrícola.
P ALABRAS CLAVES : APARCERÍA , DESARROLLO DURABLE , ECONOMÍA RURAL , ÉLITES , F ILIPINAS , LATIFUNDISTAS ,
LIBERALIZACIÓN , POLÍTICA , PROPIEDAD DE LA TIERRA , REFORMA AGRARIA , REFORMA TERRITORIAL , SECTOR
AGRÍCOLA .
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REMERCIEMENTS
Je voudrais remercier Monsieur Franck Alby, et Monsieur Dominique Lebastard qui m’a permis
de faire ce stage à la Mission Economique de Manille. Je voudrais remercier mes collaboratrices
du secteur « Biens de Consommation et Agroalimentaire », Mesdemoiselles Clarizz Salumbides et
Nicole Trivino, qui m’ont accompagné durant ce stage ainsi que Madame Pamela Salazar avec qui
j’ai collaboré pour le secteur « Technologies de l'Information et de la Communication ». Je
voudrais remercier toute l’équipe de la Mission Economique et ceux qui m’ont permis de réaliser
ce mémoire : Monsieur Jean-François Sempere qui a été mon tuteur, et Monsieur David Camroux
qui m’a procuré une documentation précieuse.
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TABLE DES ABRÉVIATIONS
AFMA : Agriculture and Fisheries Modernization Act
BM : Banque Mondiale
CA : Compulsory Acquisition
Etc. : et cætera
Kg : Kilogramme
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LBP : Land Bank of the Philippines
M² : Mètre carré
N° : Numéro
PD : Presidential Decree
PO : People’s Organization
% : pour-cent
UE : Union Européenne
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TABLE DES MATIÈRES
Résumé..................................................................................................................................... 3
Remerciements ........................................................................................................................ 4
Table des abréviations ............................................................................................................ 5
Table des matières .................................................................................................................. 7
Introduction ............................................................................................................................. 8
1 La réforme agraire de 1988 à 2006 ............................................................................... 11
1.1 Quelles étaient les promesses ? ........................................................................................... 11
1.1.1 Rééquilibrer la répartition de la propriété foncière ....................................................... 11
1.1.2 Relever la situation du secteur agricole après Marcos .................................................. 15
1.1.3 Une ultime réponse : le Comprehensive Agrarian Reform Program............................. 20
1.2 Pourquoi ces promesses étaient intenables ? ..................................................................... 26
1.2.1 Le « faux départ » des propriétaires fonciers .................................................................. 26
1.2.2 Un bilan de la réforme agraire très mitigé et discutable .............................................. 28
1.2.3 Des blocages nombreux et persistants ............................................................................ 34
2 La réforme agraire remise en question ........................................................................ 39
2.1 Les grandes tendances et des hypothèses lourdes ............................................................. 39
2.1.1 Sur la voie du libéralisme, la réforme agraire a-t-elle une place ? ............................... 39
2.1.2 Un défaut de fonds se répercutant sur les orientations de la réforme ......................... 45
2.1.3 Des incertitudes fondamentales sur la réforme agraire aux Philippines ..................... 49
2.2 Les scénarios possibles d’une situation souhaitable .......................................................... 51
2.2.1 Les points essentiels et inévitables ................................................................................. 51
2.2.2 Vers l’accomplissement des objectifs initiaux ................................................................ 59
2.2.3 Vers un développement durable du secteur agricole ..................................................... 62
Conclusion ............................................................................................................................. 65
Bibliographie ......................................................................................................................... 67
Table des illustrations .......................................................................................................... 71
Tables des annexes................................................................................................................ 72
Annexe I ................................................................................................................................. 73
Annexe II ............................................................................................................................... 78
Annexe III .............................................................................................................................. 80
Résumé..................................................................................... Erreur ! Signet non défini.
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INTRODUCTION
La réforme foncière visant à modifier la nature des titres et des droits détenus sur l’espace foncier
a presque toujours été la pierre angulaire des administrations philippines ou plutôt nous l’ont-
elles fait croire. Depuis le président Quezon jusqu’à la présidente Arroyo, tous ont pris conscience
de la nécessité de revoir la tenure foncière en instaurant des réformes. Elles semblaient
préalables au bon développement économique du pays. En effet, la répartition de la propriété
foncière était alors totalement inégale et explique toujours aujourd’hui bien des maux de la
société philippine.
Pourquoi toutes ses réformes ont-elles échoué dans leur tentative de rééquilibrer la répartition de
la propriété foncière ? Au cours de l’histoire des Philippines, plusieurs réformes ont émergé et
toutes tentaient de défaire cet héritage colonial. Malheureusement, ces réformes n’ont jamais eu
l’ambition de prendre aux propriétaires les terres que l’on allait donner aux sans-terres. Elles
n’ont jamais essayé de donner les moyens nécessaires aux petits paysans pour leur
développement ou même leur subsistance. Elles avaient pour la plupart la volonté de contrôler les
revendications des populations paysannes à des fins politiques et de stabilité sociale.
L’environnement économique était favorable au maintien de l’organisation du secteur agricole tel
qu’il était avec une élite possédante contrôlant l’agriculture de rente. Cependant, la deuxième
moitié des années 70 marqua un changement de contexte économique et environnemental qui
devait amener un renouveau nécessaire dans un secteur agricole en crise. Il fallait assurer une
croissance durable du secteur agricole pour répondre aux besoins d’une population croissante.
Pour quelles raisons cette dernière tentative nourrissait tant d’espoir et qu’est ce qui l’a rendait si
spéciale ? La réforme agraire aux Philippines, actuellement connues sous le nom de
Comprehensive Agrarian Reform Program, a été instaurée dans un climat particulier. La chute du
président Marcos en 1986 a suscité de grandes espérances pour la société philippine, surtout
parmi les couches de la population les plus défavorisées. Après les années noires de la loi martiale
et la « People Power Revolt »1, les Philippines apparemment réunifiées étaient prêtes à réformer
la société existante et à engager un processus de démocratisation. C’était une opportunité de
redistribuer les cartes de la propriété du capital foncier et de lutter contre la pauvreté en milieu
rural au travers d’une réforme de la tenure foncière. La révolte de 1986 était l’occasion de
reconfigurer ce paysage de la détention du pouvoir dans la société. A l’époque, 90% de la surface
foncière était détenue par 10% de la population. La terre aux Philippines a toujours été la source
du pouvoir politique et économique des élites. La situation pour les paysans devenait
catastrophique puisque le type d’agriculture qui leur était imposé ne répondait pas à leur besoins
en termes d’emploi et de sécurité alimentaire.
Loi de réforme agraire (Comprehensive Agrarian Reform Law) permettait de mettre fin au
système féodal hérité de la colonisation. Mais elle a échoué pour différentes raisons. Alors que la
présidente Aquino jouissait d’une grande popularité et d’un incomparable pouvoir de décision, elle
se détourna de sa mission en laissant paradoxalement aux mains du Congrès le sort de ce
programme. Après de longues et tumultueuses négociations entre les propriétaires terriens et les
métayers, une réforme fut adoptée en 1988, favorable bien évidemment aux propriétaires terriens
qui siègent en majorité au Congrès. L’ambition politique qu’incarnait cette nouvelle réforme
disparue le jour même où elle fut instaurée. En laissant le Congrès rédiger cette loi, se fut le
1 Le Pouvoir du peuple 1 ou « EDSA 1 », du nom d’une grande artère de Manille où eurent lieu les
manifestations massives organisées contre la fraude sans précédent commise lors de l’élection
présidentielle de 1986 – évêques en chasuble, officiers en uniforme, stars du rock et du cinéma
tenant les premiers rôles, soutenus par les pauvres de Manille côtoyant les branchés des classes
moyennes –, est un symbole fort du changement politique en Asie.
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commencement d’une politique d’immobilisme défavorable à tout avancement vers le progrès. En
d’autres mots, elle laissait le champ libre aux propriétaires terriens afin de protéger leurs arrières
et de conserver leurs privilèges. Au terme des 10 ans impartis à la réforme, seulement 58% de
l’objectif d’acquisition et de distribution de la terre (Land Acquisition & Distribution) fut atteint.
Le président Ramos étendit alors le programme jusqu’en 2008, mais, le mal était déjà fait. Ainsi,
le résultat brandit avec fierté par l’administration Aquino de 80% de l’objectif d’acquisition et de
distribution de la terre à ce jour, nous pousse à nous interroger sur la réelle situation qui ne
corrobore pas la réalité dans les campagnes philippines.
Comment interpréter ce résultat qui ne juge déjà que d’une seule composante du programme ? Il
faut le commenter au regard des objectifs initiaux fixés par la loi instaurant la réforme agraire.
Ce chiffre cache bien des disparités et une hétérogénéité entre les 17 régions que comptent les
Philippines. On est aussi en droit de se demander si les résultats observés en termes de réduction
de la pauvreté peuvent être attribuables à la réforme et à son programme de support. La
réduction de la pauvreté n’est pas le seul indicateur, nous le verrons, mais, même concernant
l’amélioration des modes de faire-valoir du système foncier, on se rend compte que cet
accomplissement ne bouleverse pas vraiment l’ordre établi. De manière générale, que ce soit en
matière de justice social et agraire, de pauvreté ou de distribution de la propriété foncière, le
bilan est médiocre.
Beaucoup de blocages sont à l’origine de cette lenteur dans la mise en application de la réforme et
de cette situation insatisfaisante. En effet, la réforme s’est heurtée à bien des obstacles. Quels
sont ces blocages et ces raisons conjoncturelles, peut-être, qui ont jugulés cette réforme ? Ses
résultats laborieux et décevants peuvent être en partie expliqués par des raisons
socioéconomiques et politiques : la structure déséquilibrée de la propriété foncière, les élites
prédatrices contrôlant le pouvoir, la constitution des élites et leur influence sur la politique,
l’absence de volonté politique pour imposer la loi, les régimes spéciaux accordés aux puissants, la
réforme agraire prise à contre pied par le contexte économique et politique, la transformation de
l’économie vers le libéralisme, l’instabilité sociale et politique récurrente du pays, la faiblesse de
l’Etat, l’endettement, la soumission aux bailleurs…
Ces blocages multiples et ces grandes tendances sont à étudier et à reprendre un à un. Il nous
faut regarder si ces obstacles sont de nature à être modifier ou s’il faudra compter dessus pour
construire une nouvelle voie vers le progrès. Que faire avec les 20% restants et comment
réellement améliorer la situation plutôt que de l’entretenir ? En effet, la réforme agraire est à
remettre en cause étant donner ses résultats et après que son achèvement ait été reporté à
plusieurs reprises. Les 20% restant sont essentiellement des terres privées détenus par
l’oligarchie au pouvoir dont la redistribution est bloquée par des procédures plus ou moins légales.
Il serait intéressant de mettre en regard certains blocages et les grandes tendances dans les
actions menées récemment par les différents acteurs impliqués dans la réforme. Puis, il faudrait
pouvoir déterminer les avantages et les inconvénients de cette dynamique dans une perspective
de sortie de crise. Effectivement, l’une des grandes conditions est le financement de la réforme
agraire. Depuis quelques années, les budgets sont de plus en plus réduits. La volonté politique de
faire une réelle réforme agraire devrait d’abord s’afficher à la hauteur de son budget. Malgré cela,
il reste toujours des interrogations fondamentales sur les principes de la réforme agraire aux
Philippines et sur la manière dont elle a été mise en place. L’abolition du métayage, le contrôle de
l’Etat sur le marché du foncier et la parcellisation de la propriété sont-ils un bien pour le secteur
agricole et la réduction de la pauvreté dans ce pays ? A l’heure où le pays accueille à bras ouverts
le libéralisme économique, comment la réforme agraire peut-elle retrouver une place et une
identité ?
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Nous pouvons observer que la réforme agraire est perçue par beaucoup d’officiels comme un
fardeau à supporter dans les prochaines années. Comment transformer celui-ci en un avantage et
un point fort ? Quelles solutions pouvons-nous préconiser afin de sortir de cette crise du monde
rural ? Dès lors, nous pouvons nous poser la question des nouveaux enjeux de la réforme agraire.
Ces 20% d’échec doivent-ils être considérés comme un écueil freinant le développement, ou bien
alors une base sur laquelle nous pouvons élaborer un nouveau modèle de développement pour ce
pays émergeant ? Toutes ces interrogations amènent naturellement aussi à se poser la question
de l’utilité de la poursuite de la réforme agraire dans sa version actuelle. Grâce au constat établi
en premier lieu, nous pouvons donc dégager les grandes capacités sur lesquelles doit se dessiner
l’avenir de la réforme. Dans un deuxième temps, il serait approprié de proposer des mesures et
des scénarios alternatifs souhaitables pour relancer le secteur agricole et inclure le plus grand
nombre dans cette dynamique.
Le travail proposé est un travail plutôt universitaire et académique qui tente de décrire une
situation problématique et d’apporter des solutions. La réalisation de ce travail se situe à l’issue
d’un stage de fin d’études de 6 mois au sein de la Mission Economique de Manille. Le stage que
nous avons effectué à la Mission Economique de Manille nous a permis de connaître les grandes
filières agricoles aux Philippines et les opportunités d’affaires existantes dans certains secteurs,
ainsi que de pouvoir proposer un dossier informatif sur la situation de la réforme agraire. Il était
nécessaire de connaître cette situation pour la Mission Economique de Manille. Comprenant les
impacts que peut avoir la réforme sur d’éventuels investissements français dans le domaine
agroalimentaire, la Mission Economique peut aujourd’hui garantir la qualité des prestations
proposées de ce domaine. Notre expérience de stage ne s’étant pas déroulé sur le terrain de la
mise en application de la réforme ou des ses programmes satellites, nous ne pouvions pas faire
une analyse spécifique. Nous avons donc fait le choix de globaliser les connaissances que nous
avons pu acquérir sur la réforme agraire et le secteur agricole philippin. Ainsi donc, notre
problématique est ici tout autre que celle de la Mission Economique. Il s’agit de se demander
comment, avec les handicapes politiques et socioéconomiques qui sont les siens, les Philippines
seront-elles capables de concilier une réforme agraire réaliste et un développement économique
harmonieux ?
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1 LA REFORME AGRAIRE DE 1988 A 2006
1.1 Quelles étaient les promesses ?
1.1.1 Rééquilibrer la répartition de la propriété foncière
Les objectifs d’une réforme agraire sont d’apporter une amélioration quantitative et qualitative de
la production agricole et d’impulser une élévation du niveau de vie des producteurs agricoles.
Pour ce faire, un des moyens couramment utilisés est de redistribuer la terre et de modifier ainsi
les modes de tenure.
C’est cette distribution de la propriété foncière et les modes de faire-valoir2 qui posent problème
aux Philippines. Pour bien comprendre l’organisation administrative et foncière de l’archipel, il
nous faut remonter à la période coloniale. Quand Ferdinand Magellan débarque dans l’archipel en
1521, les Philippines – nommée ainsi en l’honneur du roi Philippe II – ne sont pas formellement
organisées en tant que colonie espagnole. Il faut attendre 1565 lorsque Philippe II nomma Miguel
Lopez de Legazpi premier Gouverneur-Général pour voir apparaître un début d’administration.
Une route de navigation commerciale est alors ouverte entre Acapulco et Manille. Philippe II
nomme à la tête des Philippines un gouverneur assisté d’un conseil de juges3 afin d’établir la
justice et de protéger le peuple contre les abus des fonctionnaires. Le gouvernement ainsi créé
était placé sous la juridiction administrative du vice-roi de Nouvelle-Espagne.
Originellement, les Philippines furent divisées en encomiendas, grands fiefs qui allèrent aux
fidèles de la Couronne et à l’Eglise avec le droit pour ceux-ci de prélever l’impôt. A un niveau
hiérarchique inférieur furent créées des municipalités et des communes que les Espagnoles
attribuèrent le plus souvent aux chefs tribaux. Disposant d’une parcelle de l’autorité, ceux-ci
s’attachèrent à copier l’aristocratie espagnole en accaparant du même coup les vastes domaines
fonciers étant à l’origine des haciendas modernes.
En 1898, l’Espagne cède les Philippines aux Etats-Unis d’Amérique avec la signature du traité de
Paris. Sous la période coloniale américaine, la terre reste la principale source de richesse des
élites. Les américains installèrent une administration coloniale cooptant l’élite locale, favorisant
les exportations en augmentant la production et en conservant le système des haciendas. Les
Etats-Unis, ayant bien compris que le déséquilibre de la propriété foncière avait nourrit les
frustrations du peuple au cours de l’occupation espagnole, votent plusieurs lois. Sous la pression
des mécontentements de la population, ils établirent le système Torrens en 1902 qui annulent les
propriétés traditionnelles. Puis, par le Public Lands Act de 1903 et le Friar Lands Act,
l’administration américaine favorisa l’accès à la propriété foncière.
2 Le faire-valoir fait référence à la manière dont un domaine agricole est exploité. Le faire-valoir
est définit par le régime juridique qui règle les relations entre exploitant et propriétaire, et les
procédés culturaux de l'exploitation d'une ferme.
3 C’est la Real Audiencia
11
Carte d’Asie du Sud-eest
Carte 1
Les Philippines se trouvent à environ 800 km du continent asiatique, entre Taïwan au Nord et Bornéo au Sud.
Source : http://www.lib.utexas.edu/maps/middle_east_and_asia/southeast_asia_pol_2003.jpg
Ces lois accordaient un droit d’exploitation gratuit des domaines publics aux occupants de ces
terres moyennant leur achat. Mais, en réalité, le prix d’acquisition des lots fut bien trop élevé
pour le simple paysan. Ceux qui pouvaient se l’offrir furent les entreprises et les hommes
d’affaires. Les autorités coloniales voulaient vendre un maximum de terres le plus rapidement
possible sans se préoccuper plus que ça de la répartition foncière. En fin de compte, la situation
des paysans durant l’occupation américaine ressembla étrangement
étrangement à la situation sous le régime
coloniale espagnole des encomiendas. Pendant la période du Commonwealth, la création du
National Land Settlement Administration par le président Quezon dans les années 30 n’apporte
que peu de réalisations concrètes en matière de réforme de la propriété foncière. Il en résulte un
12
mécontentement grandissant parmi les masses paysannes. Le système parlementaire mise en
place alors était conçu pour faire respecter une stratification sociale déjà séculaire.
En 1946, les Philippines accèdent à leur Indépendance. Dans les années 50, la permanence et la
gravité de la situation amènent le président Magsaysay et le Congrès à prendre les premières
mesures d’urgence. L’Agricultural Tenancy Act en 1954, pour la protection des droits des ouvriers
et propriétaires agricoles, et le Land Reform Act en 1955, qui définit le droit de bail de terres
agricoles, sont votés. Ces mesures, ayant pour ambition de réguler les relations entre les
propriétaires et les métayers en interdisant l’usure et en limitant les tarifs de métayage, ont
d’abord bénéficié aux élites. Les propriétaires terriens, largement représentés au Congrès, font en
sorte de bloquer ou de détourner l’application de ces mesures. Manipulant les cadastres et les
titres de propriété – des concepts largement inconnus des petits exploitants – les propriétaires
s’accaparent des terres qui n’avaient pas été enregistrées jusque-là. Ces mesures se soldent par
un renforcement du pouvoir des grandes familles et par l’extension de leurs domaines,
notamment vers le Sud de Mindanao, et légitiment les procédures d’appropriation par les
puissants.
Parmi les lois les plus récentes qui ont essayé d’imposer une réforme agraire, on trouve
l’Agricultural Land Reform Code de 1963. L’administration Macapagal institue alors la réforme
foncière aux Philippines. Elle inclut l’abolition du métayage et veut canaliser le capital vers
l’industrie pour augmenter la productivité agricole. Elle stipule aussi le financement d’agences
travaillant avec le Land Authority ainsi créé et l’allocation de fonds nécessaires pour la réforme
agraire. Il faudra toutefois attendre le début des années 1970 pour que cette loi connaisse un
début d’application. Toutefois, l’une des principales « réussites » des politiques en matière de
réforme agraire à cette époque fut la mise à disposition d’environ 7 millions d’ha de nouvelles
terres.
Sous la présidence de Marcos, en particulier sous le régime de la loi martiale, l’ensemble des
Philippines est déclaré zone prioritaire pour la réforme agraire avec la création du Department of
Agrarian Reform (DAR) en 1971 qui devient Ministère de la Réforme Agraire en 1978. Le
Presidential Decree (PD) 27, signé en 1972, cherche à émanciper les métayers de leur
asservissement au sol. Toutefois, la réforme ne touche que les terres utilisées pour la culture du
riz et du maïs, et ne vise que les propriétés supérieures à 24 ha. En réalité, 60% des terres
destinées à la redistribution demeurent en possession des grands propriétaires fonciers qui en
transfèrent une partie à des proches et font planter cocotiers ou arbres fruitiers pour échapper à
la réforme. A proximité de Manille, les terres se transforment en zones industrielles. Ainsi, au
terme de l’ère Marcos, on constate que 36% de la surface cultivable demeurent aux mains de 2%
de la population et que 10% de la population détient les titres de propriété de 90% des sols.
13
Carte des Philippines
Carte 2
Les Philippines sont un archipel de 7 107 îles, avec une superficie totale
e de 300 000 km².
Source : https://www.cia.gov/library/publications/the-world
world-factbook/geos/rp.html
14
1.1.2 Relever la situation du secteur agricole après Marcos
Avant de déclarer la loi martial, Marcos proposa le Code of Agrarian Reform et le Agrarian
Reform Special Account Fund en 1971 qui créa le DAR et un fonds afin d’accélérer le processus de
réforme.
Après l’instauration de la loi martiale en 1972, il fit voter une série de mesures visant à soulager
les paysans de leur situation et obtenir leur plébiscite. Les paysans étaient considérer comme le
pilier de sa soi-disant « Nouvelle Société ». Marcos déclara alors l’ensemble des Philippines comme
zone prioritaire pour la réforme agraire grâce au PD 2. Celui-ci faisait intervenir toutes les
agences et les bureaux du gouvernement dans une totale coopération avec le DAR. Evidemment,
toutes ces manœuvres politiques servaient à contenir les revendications des masses paysannes
ainsi que l’insurrection communiste afin d’obtenir un soutien populaire pour sa dictature.
Rapidement, Marcos comme ses prédécesseurs fit des concessions aux grands propriétaires avec
le PD 27 qui limitait l’étendue de la réforme aux terres métayères de riz et de maïs. En 1976 avec
le PD 1066, les terres sucrières qui avaient été converties en terre rizicoles, de maïs, d’autres
grains, de coton, de fruits, de légumes, pour le bétail ou d’autres cultures décrites par le DAR sont
exemptées de la réforme.
Parallèlement à sa réforme foncière, Marcos entrepris une Révolution Verte4 avec le Masagana 99
de 1973. Ce programme devait transformer la structure de l’agriculture traditionnelle de
subsistance locale en modernisant les fermes de riz et de maïs en activités commerciales orientées
sur les marchés afin de rendre le pays autosuffisant en riz et en maïs. Comme toute révolution
verte, elle promouvait l’utilisation de variétés à haut rendement consommatrices de
phytosanitaires chimiques, de machines agricoles et de système d’irrigation. La Banque Mondiale
et la Banque Asiatique de Développement soutenaient ce programme et ouvrirent des lignes de
crédits aux Philippines à ces fins. L’utilisation de variétés de riz produites par l’International Rice
Research Institute (IRRI) – financée par des fonds privés des grandes firmes de l’agroalimentaire
et des phytosanitaires mondiales – était une condition d’accès aux crédits accordés aux petits
fermiers par ce programme gouvernemental. Les paysans pouvaient obtenir un crédit plafonné à
900PHP5/ha sans garanti ce qui est supérieur à ce que les usuriers prêtaient à l’époque
(~600PHP/ha). Les taux pratiqués par les quelques banques rurales qui voulaient bien prêtées
étaient de l’ordre de 16% avec une moyenne pour les usuriers de 50% (entre 30 et 100%). Les
engrais et les pesticides étaient donc subventionnés par l’Etat. Les paysans ne payaient plus que
2/3 du prix réel.
4 La révolution verte est une politique d’amélioration et d’intensification des agricultures par
l’utilisation de variétés à haut rendement, d’engrais minéraux et de produits phytosanitaires, de
la mécanisation et de l’irrigation, afin notamment d’éviter des famines causées par une forte
croissance démographique.
5 PHP : Philippine Pesos ; au 07/06/2007, 1 PHP = 0,02176 USD (United States Dollars)
15
Evolution de la production
roduction de riz en tonnes, 1971-1985
10 000 000
Production en tonnes 9 000 000
8 000 000
7 000 000
6 000 000
5 000 000
4 000 000
Rice, paddy
3 000 000
2 000 000
1 000 000
-
Année
Figure 1
Source : FAOSTAT
Evolution de la consommation
onsommation de fertilisants en tonnes,
tonne 1971-1985
400 000
350 000
Consommation en tonnes
300 000
250 000
200 000
150 000
Total Fertilizers
100 000
50 000
Année
Figure 2
Source : FAOSTAT
Cependant, la plupart des paysans philippins perdirent le contrôle sur l’utilisation de leurs
semences. Ils étaient forcés ded rentrer dans un processus de dépendance vis-à-vis vis des
industrielles du secteur agricole.
agricole. Les variétés cultivées nécessitaient l’utilisation de hauts
16
niveaux d’intrants car elles étaient plus vulnérables aux maladies et aux ravageurs des cultures.
L’utilisation d’intrants revenait beaucoup plus chers malgré les subventions aux fertilisants.
Beaucoup de fermiers s’endettèrent auprès des banques et des usuriers. En effet, la plupart des
paysans faisaient défauts vis-à-vis de leur banque. Ces banques venaient juste de pénétrer le
marché rural grâce aux avantages qui leur avaient été faits par la banque centrale. Les prêts
étaient donc mal maitrisés et les banques dans le même temps profitaient des taux faibles
accordés par la banque centrale pour se restructurer aux dépends des petits producteurs. Les
paysans excluent en quelque sorte du système conventionnel se retournèrent vers les usuriers qui
profitèrent alors d’un effet d’aubaine. Les paysans pris dans l’engrenage de l’appareil de
production entrèrent dans un cercle vicieux qui fini par les pénaliser gravement. Comme les
nouvelles technologies étaient plus chères les paysans avaient tendance à tout perdre lorsque les
conditions (climatiques, économiques, sociales) n’étaient pas favorables.
La stratégie des paysans fut alors de diversifier leur production afin de subvenir à leur besoins.
En effet, d’après une étude de l’IRRI6 (Vargas, et al., 1998) dans la région de Central Luzon,
malgré la hausse des rendements, le revenu réel des paysans en 1979 était de 60% du revenu
moyen de 1974. Entre 1976 et 1981, les coûts de la main d’œuvre augmentèrent de 207%, le prix
du pétrole de 260%, les prix des phytosanitaires de 126% et l’indice des prix de 76%. Les prix du
riz et du maïs crurent de 44% sur la même période. Les paysans étant averses au risque et ayant
perdu en terme de pouvoir d’achat, ils diminuèrent l’utilisation des intrants7 (IBON Foundation,
2006), et par là même la productivité des agricultures entre 1980 et 1983 (Figure 1, Figure 2,
Figure 3, Figure 4, & Figure 5). De plus, les paysans pour limiter leur perte décidèrent de réduire
l’utilisation de main d’œuvre et contribuèrent à un plus grand sous-emploi en milieu rural8
(Umehara, et al., 2004). Dans le même temps, le gouvernement stoppa les subventions sur les
phytosanitaires en 1981 ce qui produisit une augmentation de 20% du prix des engrais cette
année là. L’irrigation ralentit à cause d’un manque de crédit pour le programme national
d’irrigation et les taux d’intérêt des banques s’envolèrent.
La productivité du riz commença à ralentir. Après avoir cru de 6% par an entre 77 et 82, la
croissance du rendement subit une contraction de 4% en 1983. La Révolution Verte contribua
pour un temps plus aux exploitations de cultures de rente comme la canne à sucre qu’aux cultures
vivrières. Comme nous pouvons le voir, la croissance annuelle du rendement durant la même
période fut de 9.3% pour la canne à sucre c'est-à-dire 1.6 fois plus rapide que pour le riz. On
remarque aussi que les rendements se sont écroulés après l’arrêt des subventions des
phytosanitaires (Figure 3 & Figure 4).
6 Source : Agricultural development in Nueva Ecija: the case of Rajal Centro and Triala, ILEIA
Research Programme, 1998
7 Source : Neoliberal Subversion of Agrarian Reform, Asian-Pacific Research Network, IBON
Books, 2006
8 Source : Communities at the margins, Hiromitsu Umehara & Germelino M. Bautista, Ateneo de
17
Evolution du rendement
endement de la production de riz en kg/ha, 1977-1985
1985
3 000
2 500
Rendement en kg/ha
2 000
1 500
500
Année
Figure 3
Source : FAOSTAT
Evolution du rendement
endement de la production de canne
ca à sucre en kg/ha,
kg/ha 1977-
1985
100 000
90 000
80 000
Rendement en kg/ha
70 000
60 000
50 000
40 000
Sugar cane
30 000
20 000
10 000
-
Année
Figure 4
Source : FAOSTAT
18
Evolution des production
roductions de bananes, noix de coco et canne à sucre en
tonnes, 1971-1985
45 000 000
40 000 000
Production en tonnes
35 000 000
30 000 000
25 000 000
20 000 000 Bananas
15 000 000 Coconuts
10 000 000 Sugar cane
5 000 000
-
Année
Figure 5
Source : FAOSTAT
Evolution de l’occupation
ccupation des
d sols en milliers d’hectares, 1971-1985
18 000
16 000
14 000
Nombre de 1000ha
12 000
10 000 Arable land and
Permanent crops
8 000
Forest and woodland
6 000
4 000
Total area equipped
2 000 for irrigation
-
Année
Figure 6
Source : FAOSTAT
Le grand espoir que la Révolution Verte puisse un jour engager le pays sur la voie de la croissance
durable était retombé. En 1983, 90% des fermiers bénéficiaires
bénéficiaires du programme ont été forcé de le
19
quitter. Le secteur agricole qui avait cru de 5.8% par an pendant les années 70 avait ralenti
durant les années 80 avec une croissance de 2.4% par an. Aucunes nouvelles cultures de rente
n’avaient apparu, alors que la production de noix de coco, de sucre et de banane commençait à
diminuer (Figure 5).
Le déclin du secteur agricole pouvait être autant attribué à l’augmentation des coûts de
production pour les paysans avec l’utilisation d’intrants importés qu’à la détérioration de la
qualité des sols. Un manque d’irrigation et d’une lutte contre l’érosion adéquates et une
déforestation anarchique participèrent à la dégradation de l’environnement (Figure 6). Malgré
l’augmentation des rendements, l’activité agricole devenait de plus en plus risquée pour les
paysans.
Quand Marcos fut évincé par la People Power Revolt en 1986, sa réforme a été capable de
distribuer seulement 70 000ha à environ 17 000 bénéficiaires. 80% des terres distribuées ont été
des terres agricoles non privées comme les Settlements9 et les domaines publics. Ainsi, seulement
15 000ha de terres privées ont été distribués. Si l’on observe les modes de faire-valoir, l’action de
Marcos n’a pratiquement rien changé. La situation des sans-terres et des métayers est
sensiblement la même10 (IBON Foundation, 2006).
Cet impact malheureux de la Révolution Verte accompagna la chute des prix des matières
premières et la crise de la dette des années 80. Le coût de la Révolution Verte et des excentricités
du couple Marcos plongèrent le pays dans un endettement profond et une dépendance aux
Ajustement Structurels du FMI. A cela s’ajoute aussi la crise du sucre avec la disparition des
quotas à destination du marché américain et le début de l’ouverture des marchés à la concurrence
mondiale. Cependant – dans une moindre mesure comparée à ses voisins – la Révolution Verte
atteignit l’objectif fixé. La productivité de la terre et du travail dans le secteur rizicole s’apprécia.
Elle permit avec l’expansion des surfaces irriguées d’augmenter l’avantage comparatif des
Philippines dans le domaine du riz ce qui transforma le pays importateur net en pays
autosuffisant.
L’avènement de Corazon Aquino est alors le dernier espoir de changement pour des millions de
paysans pauvres qui veulent pouvoir posséder la terre qu’il travaille et d’être maître de leur
destin. Les enjeux de la réforme agraire sont posés. Il n’advient qu’à la nouvelle présidente
d’honorer tant d’espérances.
La réforme agraire de 1988 a été mise en place dans le but d’atteindre la justice sociale et agraire
dans les campagnes, ainsi que l’industrialisation en s’attaquant au problème épineux de la
répartition de la propriété foncière aux Philippines.
9 Les Settlements sont des zones sur lesquelles des fermiers ont été déplacé par des projets
d’infrastructure.
10 Source : Neoliberal Subversion of Agrarian Reform, Asian-Pacific Research Network, IBON
Books
20
Sa structure légale est révélée dans la Constitution de 1987. Elle reconnait le droit aux paysans
sans-terres d’accéder à la propriété de la terre qu’ils travaillent, et pour les propriétaires terriens
expropriés le droit à une juste compensation.
C’est ainsi que le Comprehensive Agrarian Reform Program (CARP) a été mis en place dans le
cadre de la Comprehensive Agrarian Reform Law, aussi appelée Republic Act 6657 promulguée le
10 juin 1988 par Corazon Aquino.
La réforme agraire est alors présentée comme provenant d’un intense et laborieux processus
démocratique. Le consensus qui au final mécontente aussi bien les propriétaires terriens que les
paysans est dénué de toute substance. Elle est pourtant la base sur laquelle le gouvernement
philippin va appuyer la transformation de l’économie rurale et le développement de l’agriculture
pour en faire un secteur moderne.
On pourrait décrire le processus menant aux buts de la manière suivante. Par la distribution et
l’acquisition de terres agricoles publiques et privées, les paysans ont accès à la propriété foncière
ainsi qu’au travail et au capital. Par l’apport de services de support et par l’adoption des nouvelles
technologies, les bénéficiaires du programme CARP, les Agrarian Reform Beneficiaries (ARB),
sont en capacité d’augmenter leur productivité, leur revenu ainsi que leur épargne et leur
investissement. Le taux de pauvreté diminue et les ARB impulsent l’agri-industrialisation des
campagnes philippines. L’implication des deux parties, paysans et propriétaires, est primordiale
dans la planification et l’exécution du CARP.
• la justice sociale (ou équité en termes d’accès à cette même justice), d’utilisation et de
contrôle de la terre ;
• l’augmentation de la productivité et des revenus ;
• et le développement des ARB en Presidential Agrarian Reform Council11.
21
transferts effectués par le DAR et le Departmentt of Environment and Natural Resources
Re (DENR).
En outre, le DENR a pour mission de dresser le cadastre pour la totalité des terres distribuées au
titre du CARP.
loin).
). Au total 8.2 millions d’hectares sont visés par cette distribution/acquisition du CARP ce qui
constitue aujourd’hui 77% de l’ensemble des terres arables et cultures
cultures permanentes de l’archipel
qui s’élève à 10.7 millions d’ha..
Photographie 1
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
12 Technique de crédit dans laquelle l’emprunteur, par une vente dont le prix représente
rep le
montant du prêt, transfère dès l’origine au prêteur la propriété d’un bien offert en garantie et
conserve ce bien à titre de locataire,
locataire, tout en l’achetant progressivement, en vertu d’une promesse
unilatérale de vente jointe au bail qui accompagne la vente initiale.
13 Farm-to market : route reliant la ferme au marché
22
le DAR peut concentrer ses efforts. Les interventions auprès des ARC se font dans le
développement des infrastructures, de la communauté et des institutions, dans la productivité
agricole et l’entreprise rurale, dans les services sociaux de base, et dans l’amélioration
l’amélioration des modes
de faire-valoir.
valoir. Avec cette stratégie d’intervention, le gouvernement philippin a gagné la confiance
des bailleurs de fonds internationaux car elle est logique, gérable en termes d’échelle,
participative et pertinente pour soulever des projets de développement.
Photographie 2
Les membres d’une ARC se réunissent afin d’élaborer leur stratégie de développement.
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
Depuis
uis 2003, le gouvernement a présenté un nouveau concept d’intervention qui est nommé
Agrarian Reform Zones (ARZ) qui se base sur la stratégie ARC. La nouveauté est le partenariat
imposé entre le DAR, les Local Government Units (LGU)14 et d’autres agences gouvernementales.
go
Les bureaux provinciaux du DAR encouragent les ARC à se regrouper et à former des ARZ avec
qui les LGU et les agences établissent des plans communs de développement. Cela permet une
concentration géographique des interventions pour un meilleur
meilleur impact régional. Le gouvernement
donne donc plus de pouvoirs et de moyens aux LGU pour agir efficacement. Cette stratégie ne se
substitue pas à celle des ARC mais cherche à inclure dans le programme d’intervention les zones
spéciales qui requièrent des compétences spécifiques comme les Settlements
ettlements, les Certificate of
Ancestral Domain Claims (domaines ancestraux) et les Integrated Social Forestry (ISF)15 étant
pour la plupart occupées par des groupes marginaux et des minorités ethniques.
ethniques
23
propriétaires et les métayers, notamment en ce qui concerne l’acquisition et l’évaluation des
terres.
Les avocats du DAR traitent trois types de cas. Ce sont les cas juridiques, quasi-juridiques et non-
juridiques. Les cas juridiques peuvent être civils ou pénaux et sont traités dans les cours
régulières. Les quasi-juridiques – incluant les expulsions, les occupations illégales, les ruptures
de contrat de cession bail – tombent dans la juridiction du conseil d'adjudication du DAR et de ses
arbitres, tandis que les cas non-juridiques issus de l'exécution de la loi de réforme agraire et lié à
la mise en application des règles et des règlements ainsi que les cas de manquement à la
discipline sont jugés par le DAR.
Chaque propriétaire a le droit de garder 5 ha, plus 3 ha par enfant d’au moins 15 ans étant
directement impliqué dans le travail de la terre ou la gestion de la ferme. Les propriétaires ont la
possibilité de choisir la zone qu’ils veulent conserver. Au cas où le secteur choisi est occupé par un
tenancier, celui-ci peut choisir de rester et obtenir un cession-bail, ou devenir bénéficiaire d’une
autre zone.
La limite d’octroi maximum est fixée à 3 ha par bénéficiaire. Il est à noter que les terres
distribuées au titre du CARP ne peuvent être transmises pendant 10 ans autrement que par droit
de succession directe, par rétrocession au gouvernement ou à la Land Bank of the Philippines
(LBP). Une exception est faite si les terres cessent d’être productives ou présentent une valeur à
être utilisées différemment considérablement plus importante. Au quel cas, le DAR procède à une
reconversion du terrain à des fins non-agricoles.
Au cours des dernières décennies les objectifs fixés par le CARP pour le DAR en 1988 ont évolué
de 4 293 453 en 1993 à 4 428 357 en 2003 en passant par 4 398 134 en 1998. Nous retiendrons les
dernières statistiques de 2003 (Tableau 1).
16C’est une concession faite aux terres détenues par des entreprises récemment établies
17Livelihood Improvement Program : un des programmes économiques les plus importants des
années 80 créé par Marcos qui consistait à promouvoir le développement économique local en
encourageant les gens à créer leur propre activité génératrice de revenus.
24
Objectifs de distribution fixés par agence et grandes catégories de terre
Surface en ha En %
Tableau 1
La part la plus importante à redistribuer est celle des PAL prises en charge par le DAR, puis
viennent les terres publiques A & D prises en charge par le DENR.
• Phase I : entre juin 1988 et juin 1992, 2.2 millions d’ha incluant les OLT, les VLT, les
VOS, les GFI et les KKK.
• Phase II : entre juin 1988 et juin 1992, 1.1 million d’ha incluant les domaines publics, les
fermes isolées et les terres agricoles privés de plus de 50 ha, et aussi les terres publiques
sous la juridiction du DENR (3.8 millions d’ha).
• Phase III : entre juin 1992 et juin 1998, 1 million d’ha comprenant les terres agricoles
privées entre 5 et 24 ha, et entre 24 et 50 ha.
• Phase IV : débutant en 1998 et correspond aux terres dites CFD.
La réalisation du CARP reste une question de conjoncture considérant qu’une portion
significative des terres soumises au programme sont des terres privées et difficiles à acquérir. Du
reste, l’acquisition de ces terres privées a été repoussée à la fin du planning obtenant ainsi un
délai de grâce.
25
Le DENR établit différents types de titres : le brevet gratuit d’exploitation si le lot de terres
concernées a déjà été utilisé par l’intéressé ou ses ascendants directs pendant au moins trente ans
et s’il a été régulièrement procédé au versement d’impôts locaux durant cette période ; le
homestead autrement dit un candidat peut prétendre jusqu’à 5 ha à condition qu’il ait cultivé 1/5
de ces terres pendant au moins un an. Ces terres peuvent également faire l’objet d’un rachat
ultérieur ; pour ce qui concerne les terres forestières, le DENR établit des titres non-héritables
d’intendance, qui garantissent des droits d’utilisation de 25 ans renouvelables. Le bénéficiaire
s’engage alors à planter des arbres sur au moins 20% de la surface allouée. Il doit également
fournir un plan individuel de développement soumis à l’approbation d’un comité composé entre
autres de membres du DENR et du LGU.
Il est stipulé dans la CARL que l’Etat doit reconnaître le droit aux fermiers, ouvriers agricoles,
propriétaires terriens ainsi qu’aux coopératives et autres organisations indépendantes de
fermiers de participer à la gestion du programme. Les People’s Organization ont donc été créés et
représentent les ARB et ARC dans les PARC, et à différent niveaux avec les Provincial Agrarian
Reform Coordinating Committees et les Barangay Agrarian Reform Council.
26
de force, en permettant les conversions de terres ou les rachats de terre en direct. Ils peuvent
aussi tout simplement et efficacement bloquer les budgets nécessaires pour la réforme.
Le DAR a été saturé par les tentatives des propriétaires fonciers de défier devant les tribunaux la
primauté du DAR sur les cas agraires. Aujourd’hui, le DAR a gagné suffisamment de victoires
devant la cour suprême pour affirmer sa supériorité juridictionnelle en matière agraire, mais
toutefois les procédures restent longues et souvent concernent de petites surfaces unitaires.
En effet, les procédures aboutissant en justice concernent peu de grandes surfaces. Ce qui laisse
entendre que les grands propriétaires terriens ont trouvé des possibilités d’alternatives à la
confrontation directe. Afin de conserver les grandes surfaces que nous ne voyons aujourd’hui
toujours pas redistribuées au sens premier de la réforme agraire de 1988, les propriétaires se sont
munis de mesures leur permettant de garder la main sur les rouages de la réforme.
Un autre, le Stock Distribution Option (SDO) permet aux bénéficiaires qualifiés le droit d’acheter
des parts dans la société équivalente à la valeur des terres qu’ils travaillent. Ainsi, ces derniers
ont accès aux dividendes de la société et autres avantages financiers ainsi qu’aux représentations
dans les comités administratifs. De même, le Commercial Farms Deferment (CFD) est un
arrangement avec les entreprises nouvellement installées qui leur permet d’éviter le LAD grâce à
un délai de grâce qui doivent leur permettre d’atteindre le retour sur leurs investissements. Ceci
dit, après ce délai, leur terre seront sujettes immédiatement à acquisition et à distribution.
D’une certaine manière, les exemptions et les exceptions à la réforme sont des moyens subtils de
se dérober à ses obligations. A l’origine, les exemptions au CARP ne concernaient que les terres
identifiées comme d’utilité publique pour la défense ou l’éducation et les terres réservées aux
forêts, lignes de partage des eaux, parcs et sanctuaires dans le texte originel de la loi. Cependant,
il y a eu des ajouts dans les exemptions et exclusions du CARP en incluant les fermes d’élevage et
avicoles, les fermes de crevettes et l’aquaculture, ainsi que les terres approuvées par le DAR pour
reconversion ce que nous étudierons plus en avant. Aussi, le système de SDO est en quelques
sortes une exemption puisque la terre n’est pas distribuée et reste aux mains des propriétaires.
De plus, les CFD sont temporairement exclus du programme puisque leur acquisition/distribution
ne débute qu’en 1998.
Le mode VLT est aussi un moyen d’échapper à la réforme puisque ce mode de distribution permet
aux propriétaires de négocier directement avec l’acheteur de leur choix les modalités de transfert.
Ainsi, ce mode leur permet de fragmenter leur propriété et de la distribuer comme bon leur
semble notamment à leurs proches. En effet selon le mode CA, l’Etat doit réquisitionner les terres
privées puis indemniser les propriétaires qui peuvent par la suite protester à chaque étape.
Comme ce mode utilisé auparavant était trop onéreux, que le processus pouvait être très long, et
que les résultats de redistribution étaient en 1988 pitoyables (58%), le gouvernement philippin
27
décida de promouvoir le type de transfert VLT. Il permet de revenir à un fonctionnement du
marché du foncier plus naturel, et on espère à de meilleurs résultats en termes de redistribution
puisque les propriétaires doivent être mieux disposés à effectuer le transfert.
Par la suite, la portée a été revue à la baisse par la CARP Scope Validation du DAR en 1992. Il a
été d’abord prévu de réduire la couverture à 7.2 millions d’ha puis après plusieurs études de
réévaluation, celle-ci a été revue à hauteur de 8.2 millions d’ha. Ainsi, on peut observer une baisse
de 2.1 millions d’ha par rapport à l’objectif initial. Cette diminution est due aux exceptions et
exemptions relevées durant la phase de mise en place du programme. Bien entendu en la faveur
des propriétaires fonciers, ces exemptions ont permis à de grandes surfaces d’être épargnées par
la réforme.
Ainsi grâce à toutes ces mesures qui ont permis la réduction de la portée d’origine de la réforme
agraire, la nouvelle formule engagée à partir du milieu des années 90 fait pâle figure face aux
ambitions établies en 1988. Peut-être est-ce un bien et que cela facilitera d’autant plus
l’achèvement et le succès de la réforme agraire ?
18Source : Government to Seek Five-Year Extension of Land Reform Program, Manila Bulletin,
June 6, 2006
28
1.2.2.1 La redistribution de la propriété sujette à discussion
Regardons ce qui a été accompli à ce jour en termes de distribution de la propriété. Le
gouvernement est fier en effet de présenter un résultat de 80% du total déjà distribué.
Tableau 2
Il est très difficile d’obtenir des chiffres détaillés et même en recoupant différentes sources les
chiffres sont difficilement analysables car très variables d’une année sur l’autre et d’une source à
l’autre. Les données recueillies ici sont compilées des données du DAR de 2006 et du DENR de
2004. Cependant, le total redistribué pour le DENR a récemment été rendu public par le Sénat
philippin. C’est pourquoi le détail présenté de ce total ne correspond pas et font référence aux
données du DENR de 2005.
Nous pouvons dire qu’aujourd’hui que 84% de l’objectif a été atteint pour le DAR et 78% pour le
DENR (Tableau 2). Le DENR possède un stock d’un peu plus de 600 000 ha à distribuer ce qui
correspond essentiellement à des terres publiques de types A &D. Le DAR possède un stock de
700 000 ha à distribuer mais ce résultat est nuancé par un dépassement d’objectif dans les terres
non-PAL. Par conséquent, 1 million d’ha de PAL reste réellement toujours à distribuer, et ce sont
ces fameuses terres privées si difficiles à acquérir et à redistribuer.
29
Bénéficiaire obtenant un titre de propriété
Photographie 3
L’attribution du titre de propriété est un moment très attendu pour les bénéficiaires de la réforme.
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
DAR 70 178 848 515 1 900 039 333 389 548 916 3 701 037
PAL 15 061 471 621 955 243 228 622 394 726 2 065 273
non-PAL 55 117 376 894 944 796 104 767 154 190 1 635 764
DENR - 1 099 741 857 284 352 336 627 706 2 937 067
public
- 533 273 360 699 131 301 270 286 1 295 559
land A&D
Total 70 178 1 948 256 2 757 323 685 725 1 176 622 6 638 104
Tableau 3
Grâce au Tableau 3,, nous pouvons voir encore que les chiffres officiels donnés
donné par le DENR sont
étranges puisque son total ne correspond pas d’une part avec celui du Sénat et d’autre part avec
celui du DENR lui-même. Les chiffres du DAR ne sont pas pour autant plus fiables. Les chiffres
30
officiels peuvent paraître curieux, ils ne reflètent pas la situation des sans-terres
terres dans l’archipel.
En effet, les
es méthodes de collecte de données du DAR sont critiquables19 (Africa, et al., 2005).
2005)
Premièrement, les accomplissements prennent en compte les titres enregistrés,
enregistrés mais qui n’ont pas
forcément été acquis par les métayers. Les titres sont acquis définitivement à la fin de
l’amortissement. Ce qui est un problème car une portion significative de métayers n’atteigne pas
cette échéance puisque
que subissant trop de pressions – qu’elles proviennent
nent des propriétaires ou du
marché – ils abandonnent l’exploitation. Les terres sont soient revendues informellement soient
laissées pour compte par leur propriétaire.
Carte 3
Source : http://philippines-archipelago.com/politics/administrative_map.html
archipelago.com/politics/administrative_map.html
Il y a aussi la double prise en compte des de titres de propriétés qui peuventt apparaitre au tant à
titre individuel que collectif. Il existe aussi toujours les propriétaires d’un titre qui ne sont pas
encore physiquement sur les terres à les exploiter, à cause de la résistance des ex-propriétaires
fonciers qui n’hésite pas à engager
engager des milices armés afin de maintenir à l’écart les métayers.
métayers Les
données comptabilisent aussi les titres qui ont été prématurément donné à des bénéficiaires,
bénéficiaires mais
31
qui par la suite ont été annuléss pour des défauts dans les dossiers d’attribution ou parce que les
terres attribuées étaient impropres
impropre à l’agriculture. Il y a aussi la comptabilisation des terres
distribuées et qui ont été par la suite convertie. Remarquons enfin que les chiffres
d’accomplissement officiels prennent en compte les années Marcos qui ui n’ont pas fait parties de la
nouvelle réforme, même si une des mesures qu’il avait entrepris avec le PD27 a été reprise par la
CARL.. Toutes ces incohérences et imprécisions n’ont fait l’objet d’aucunee rectification et les
statistiques ont tendances a gonflé
gonflé inexplicablement au regard de la situation dans les
campagnes.
Tableau 4
Toutefois, on
n a pu observer dans certains cas une amélioration des modes de faire-valoir.
faire Le
nombre de propriétaires/cultivateurs
/cultivateurs a augmenté de 15% en nombre (seulement 1% en surface) et
le nombre de métayages,es, de baux, et de propriétaires/non-cultivateurs
propriétaires cultivateurs ont diminué de 3% en
nombre (presque 7% en surface) entre 1991 et 200220 (National Statistics
tistics Office, 2004).
2004) Ce n’est
pas suffisant au regard des sommes colossales engagées pour la réussite de la réforme. Bien que
32
ces résultats aillent dans le bons sens, ils n’indiquent pas une réforme bien menée. Due à une très
forte résistance des propriétaires fonciers et à un environnement agricole qui a changé, il reste
beaucoup de sans-terres et ceux qui ont supposément une terre ont toujours la peur de se la voir
retirer.
Il existe trois fonds principaux qui ont financé des projets dans le cadre du PBD. Entre 1988 et
2000, le DAR-LBP Countryside Partnership Program a prêté 309 millions de PHP à 13 800 ARB.
Le CAP-PBD a financé 158 projets pour un montant total de 102 millions de PHP bénéficiant à
5 400 ARB. Et le DAR-ERAP Trust Fund lui depuis 1997 implanta 64 projets pour 450 millions de
PHP bénéficiant à 28 500 ARB. En ce qui concerne les infrastructures, 950 routes « de la ferme au
marché », 7 300 infrastructures de post-récolte, 570 systèmes d’irrigation et 350 ponts ont été
construit selon la stratégie ARC. Au total, le DAR a lancé environ 1 800 ARC à ce jour
correspondant à un total de près de 1 millions de paysans à travers le pays et sur environ 2.5
millions d’ha. En ce qui concerne le DENR, il a couvert 2.5 millions de bénéficiaires dont près de
60% a reçu une assistance étrangère. Le concept d’ARC a été reconnu pertinent – par différentes
études y compris celles de la FAO, de la Banque Mondiale21et du Bureau of Agrarian Reform
Beneficiaries Development – pour soulever des projets de développement sur fonds étrangers22
(Department of Agrarian Reform, 2006).
Selon Reyes23 (Reyes, 2002), la part des cultures à haute valeur ajoutée a augmentée dans les
exploitations des bénéficiaires de la réforme grâce aux relations commerciales établies avec les
entreprises agricoles et aux arrangements faits sur les baux entre les organisations d’exploitants
et ces mêmes entreprises agricoles. Cette tendance est à corréler avec la hausse des revenues chez
ces ARB. Celui-ci a doublé chez les ARB mais aussi chez les non-bénéficiaires du CARP. Entre
1990 et 2000, on remarque aussi que la part du revenu non-agricole a augmenté chez ces deux
catégories mais restent plus important chez les non-bénéficiaires (53%) que chez les ARB (37%).
Les ARB sont plus dépendants de l’agriculture que les populations qui n’ont pas participer au
programme de réforme. Les dépenses des foyers ARB et non-bénéficiaires ont toutes les deux plus
que doublé.
Il a été démontré qu’un mode de faire-valoir plus sûr et la sécurité de la propriété foncière
favorise la confiance et une plus grande volonté d’investir dans la ferme parmi les ARB. Les
études ont fait remarquer qu’il a une tendance à plus investir aussi dans l’éducation pour les
jeunes aussi bien chez les bénéficiaires de la réforme agraire que les autres paysans. Cependant,
la plupart des paysans se sont endettés pour acquérir leur terre et l’exploiter. Ils sont par
conséquent très vulnérables aux chocs. En comparaison avec les non-bénéficiaires, la probabilité
d’être pauvre diminue avec la durée de participation au programme de réforme. L’incidence de la
pauvreté est moins forte chez les ARB (45%) que chez les non-bénéficiaires (56%). La pauvreté est
33
principalement contenu dans l’île musulmane de Mindanao où l’incidence est la plus forte. La
région centrale de Luzon au nord des Philippines est celle où l’incidence est la plus faible. 38% des
ARB qui étaient pauvre en 1990 ne le sont plus en 2000. En ce qui concerne les autres paysans,
30% ne le sont plus en 2000. Il s’est creusé cependant un fossé de plus en plus important entre les
membres des ARC servis par le PBD et ceux qui n’ont pas été servis, et encore plus important
comparé à ceux qui sont exclus des programmes de support. Plus d’attention est nécessaire dans
ces zones qui sont exclus de la stratégie ARC car elles contiennent une quantité non négligeable
de bénéficiaires de la réforme qui n’est pas servie par ces services de support.
Plus globalement, les ARB sont plus optimistes et réalistes sur leurs situations économiques et
sociales que les autres exploitants. Grâce à la sécurité du mode de faire-valoir et à des titres de
propriété bien établi les ARB sont plus confiant en l’avenir. On observe aussi chez les membres
des ARC un meilleur comportement civique et plus de démocratie dans les processus gérant la
communauté.
Nous voyons ici que l’impact de la réforme agraire sur la réduction de la pauvreté n’est pas franc.
Nous observons une amélioration de la situation économique des populations participant au
programme légèrement supérieure à celle des populations n’y faisant pas parti.
Cependant, les rapports du DAR montrent qu’en 2000, 1 500 procès juridiques et 4 680 quasi-
juridiques étaient en suspens. En moyenne, le DAR reçoit 35 000 plaintes par an et le Department
of Agrarian Reform Adjudication Board 25 000. Ce chiffre est en augmentation chaque année et
le manque de personnel adéquat entraine des retards dans la résolution des cas. De plus en plus
d’organisations paysans abandonnent la lutte et souvent laisse faire les grandes familles imposer
leurs lois dans les campagnes.
Ainsi, la situation des droits de l’Homme aux Philippines est inquiétante. Les assassinats sont
fréquents. L’utilisation de milices privées armées pour déloger les paysans des terres obtenues est
usuelle. De quotidiens affrontements ont lieu entre les petits fermiers et les propriétaires
fonciers. Du reste et à plusieurs reprises, le gouvernement n’a pas hésité à violemment réprimer
des manifestations pour l’application de la réforme agraire dans les campagnes. La situation reste
tendue malgré un certain statu quo qui se met en place. L’insurrection communiste militant pour
une réforme agraire totale et immédiate ainsi que les islamistes surfant aussi sur la vague sont
marginalisés malgré quelques confrontations avec l’armée.
34
l’agroalimentaire. Les Philippines est un importateur net de produits agricoles comme le blé, le
riz, et le lait et les produits laitiers. Dans l’ensemble, l’agriculture philippine est peu rentable.
Durant la colonisation, ces grandes familles se sont emparées du foncier et ont fait fortune avec
l’essor du commerce international des produits des cultures de rentes comme le sucre, l’abaca24 ou
le tabac. Les mestizos d’origine mixte espagnole-indigène ou, souvent chinoise-indigène ou
espagnole pour la plupart ne considèrent pas les Philippines comme leur vraie patrie mais
seulement comme la source de leur gigantesque fortune.
Dans la vie politique philippine, les maîtres mots sont famille et clientélisme. Des principes que
l’on retrouve dans le fonctionnement de ces grandes familles. La colonisation a permis
l’émergence de cette classe foncière possédante, comme en Amérique latine où dans les régions de
culture extensive. Les latifundistes ont créé des dynasties locales indépendantes du pouvoir
central et fondées sur un type de patrimoine familial. A ce niveau local, la politique est régie par
des règles de loyalisme de clans au sein desquels des patriarches omnipotents, chefs de guerre et
patrons d’entreprises font régner l’ordre et exerce un pouvoir transmis de génération en
génération.
Jusqu’à aujourd’hui, cette transmission n’a pas cessé. La diversification du capital foncier en
capital industriel achevée, l’économie capitaliste moderne a maintenue ces grandes familles dans
les sphères du pouvoir. La structure politique n’a pas produits ses propres élites et c’est bien
l’aristocratie agraire qui s’est attribuée le réel pouvoir. Tous ont bien compris que pour faire une
carrière politique, il fallait une base de pouvoir local économique et symbolique. Ainsi toute
réussite économique implique des connivences avec les détenteurs du pouvoir. Même lorsque l’on
n’a pas un accès direct aux rouages administratifs, les représentants de l’élite peuvent faire jouer
leurs liens de parenté étendue ou d’obligation mutuelle qui les unissent aux élus pour influencer
leurs décisions. Ainsi la boucle est bouclée. Grâce à cette influence, ces grandes familles peuvent
jouer sur les priorités politiques du pays. Les décisions prises favorisent leur emprise sur
l’économie et assurent en quelque sorte leur monopole politique.
Les propriétaires fonciers résistent plus que jamais à l’avancement du CARP et dans le meilleur
des cas manquent de coopération. Tous les moyens sont bons pour gêner le déroulement du
programme : non présentation des documents nécessaires, combats légaux du processus,
utilisation de leurs relations dans la hiérarchie, contournements de la loi par des moyens plus ou
moins légaux en divisant la propriété parmi les descendants ou convertissant les terres agricoles
à des fins industrielles par exemple. Il ne faut pas oublier que le propriétaire a le droit
d’intervenir à toutes les phases du transfert.
24 Espèce de bananier, appelée chanvre de manille, elle est cultivée pour sa fibre et utilisée pour
la fabrication des cordes
35
D’autre part, en l’absence de registre foncier autrement dit d’un état cadastral correct de la
propriété, le gouvernement est dans l’incapacité de prélever l’impôt foncier. Cela a des
conséquences sur le processus d’évaluation des terres en vue de la compensation. Tous ces
blocages provenant des propriétaires fonciers font retarder l’achèvement du CARP.
Les mécanismes des élections nationales et locales ont entretenu ce mode de fonctionnement
archaïque en lui superposant un processus très couteux de publicité, d’intimidation et de
tricheries. Le coût des élections est un moyen de reproduction du pouvoir et de son maintien au
sein de la même classe sociale. Ces élites contrôlent réellement l’économie des campagnes. Les
paysans doivent donc composer avec eux. Outre la propriété c’est aussi eux qui monopolisent les
apports technologiques, le crédit, la location de matériel et l’ensemble des infrastructures de
stockage, de transport, de transformation et de commercialisation de la production.
Une loi de 1993 règlemente les conversions de terres et détermine certaines zones où elles
peuvent avoir lieu. Officiellement, 42 000 ha ont été convertis entre 1979 et 2004,
particulièrement dans la région de Manille où de grands projets ont été entrepris par le
gouvernement. Le DAR comptabilise les conversions en deux catégories. Celles concernant des
terres supérieures à 50 ha et celles en dessous de ce chiffre. Il y a aussi le Department of Justice
qui peut décréter une conversion. Les conversions faites par le Department of Justice représentent
60% du total des conversions enregistrées et concernent des surfaces trois fois plus grandes que
celles que traite le DAR c'est-à-dire au dessus de 150 ha. Cependant, ces chiffres ne prennent pas
en compte les conversions illégales qui sont estimées à 160 000 ha entre 1988 et 1994 (Takigawa,
2004)25. Il est très difficile de suivre les conversions illégales. On notera qu’entre 1991 et 2002,
87 000 ha de riz palay et 300 000 ha de maïs ont disparu26 (National Statistics Office, 2004).
Ces conversions sont effectuées grâce aux relations qu’a la classe possédante avec les agences
gouvernementales. En 1993, un fermier protesta et demanda l’intervention du DAR alors que des
bulldozers étaient en train de raser 1 000 ha de terres irriguées. Le DAR ne pu rien faire face à
l’initiateur de cette conversion illégale qui était le fils de l’ancien gouverneur de la province de
Cavite au sud de Manille. Ce n’est pas un cas isolé et la source principale des violences dans la
région de Manille à cette époque était liée à la conversion de terres agricoles en zones
industrielles, en golfs ou en quartiers résidentiels. En outre, le DAR a reconnu que 5 000 ha avait
été convertis illégalement entre 1988 et 1994 dans cette même région. On remarque que dans
cette région de forte conversion, la surface agricole diminua alors qu’elle augmenta dans le reste
du pays entre 1971 et 1991. Cependant, le nombre de fermier augmenta ce qui provoqua un
parcellement et une réduction des surfaces par exploitation en dessous de la moyenne du pays.
Les conversions provoquent aussi des déplacements de personnes non moins sans une certaine
compensation financière. Beaucoup sont dépossédés du titre de propriété qu’ils avaient obtenu
25 Source : Land Conversion and Its Impacts on Rural Philippines : The Case of Cavite Province,
Tsutomu Takigawa, 2004
26 Source : 2002 Census of Agriculture, National Statistics Office, Manila, November 2004
36
grâce à la réforme. Ces populations doivent alors trouver un emploi sur les chantiers entrepris
sur les terres converties. Mais la plupart n’ont pas les compétences pour y participer et une fois la
compensation dépensée, ils recherchent à travailler comme ouvrier agricole ou sont absorbés par
le secteur informel. Pour certain, la solution est de migrer vers les hautes terres où ils
commencent à pratiquer une agriculture hasardeuse. Il en résulte une rapide dégradation de la
fertilité du sol et une grave érosion. Effectivement, la conversion de terres a pu indirectement
contribuer à la dégradation de l’environnement. Par exemple, dans le cas de la région de Laguna,
beaucoup de fermier n’ont pas retrouvé de travail sur les chantiers et les usines des terres
converties. Ils ont donc été contraints d’aller cultiver des terres marginales sans avoir aucune
connaissance pour le faire d’une manière durable comme le faisait les indigènes de la zone. Il en
résulte une déforestation des alentours et une réduction des étendus d’eau.
Les menaces qui pèsent sur l’environnement ne sont pas moins inquiétantes que les menaces sur
les populations migrantes. La libéralisation des marchés agricoles entraine un abandon relatif
des agricultures traditionnelles au profit de monoculture d’exportation. Leur développement dans
des enclaves spéciales créé une colonisation massive de bassins hydrographiques stratégiques
ainsi que l’épuisement des ressources en eau dans les zones auparavant irriguées pour la
riziculture. A long terme, la réduction des terres agricoles, la dégradation de l’environnement
avec de mauvaises pratiques culturales et une croissance démographique importante réduit la
sécurité alimentaire du pays.
Le fait que certaines terres soient toujours possédées collectivement, que les procédures
d’acquisition soient difficilement remplies par les bénéficiaires de la réforme, ainsi que l’échec de
la cession de titres de propriété en bonne et due forme ont fait naître un marché informel du
foncier, bien sûr illégal perturbant le marché formel quoi qu’administré.
Les paysans manquent de capital, de moyens pour lutter contre les ravageurs et les calamités,
d’accès au crédit et aux infrastructures, on l’a déjà évoqué, mais aussi manquent de systèmes
d’irrigation et d’un réseau routier efficace. Ainsi ces populations rurales se caractérisent par un
très faible niveau de mécanisation malgré la Révolution Verte puisque qu’elle n’était pas adaptée
à leurs stratégies. De plus les circuits de distribution déjà fragiles dans le pays sont peu
accessibles aux petits paysans. Les paysans se plaignent d’être passés d’une relation inégale à
une autre. Le manque d’accès au crédit, aux intrants, aux infrastructures de transport, de bord
champs, de stockage met en position de forces les collecteurs et la classe possédante qui en
profitent pour faire des prêts à des taux très élevés voir usuriers qu’ils prélèvent le plus souvent
sur la vente de la production. Les paysans se regroupent en coopératives pour obtenir des crédits
mais ne remboursent pas à cause du manque de revenu. Par ailleurs, certains arrangements de
SDO et de leaseback27 avec des haciendas entrainent des situations pires chez les ARC que chez
les autres paysans n’ayant pas bénéficiés des programmes de soutien. Ces arrangements
rétablissent la situation de domination des élites sur les petits fermiers.
27 Leaseback : Cession-bail
37
Du reste, certaines stratégies menées par les paysans vont à l’encontre de la philosophie de la
réforme. Certaines organisations mal gérées et non-représentatives détournent les biens et les
terrains nouvellement acquis afin de profiter à court terme de leur vente plutôt que de participer
au développement rural.
Seulement, 28% des ARB (572 000/2.05 millions) ont reçu les services du PBD à travers la
stratégie ARC. Les manques de moyens financiers et humains du DAR peuvent être mis en cause
dans cette insuffisance mais le processus implique aussi d’autres agences et ministères tels que le
National Economic Authority (NEDA), Department of Agriculture (DA), National Irrigation
Authority (NIA), LBP, DENR et le Department of Public Works and Highways (DPWH) qui ne
jouent pas pleinement leur rôle.
La situation actuelle de la réforme ressemble à un statu quo entre les organisations paysannes
militantes, les propriétaires fonciers, les élites politiques et le Department of Agrarian Reform. Le
sort de la réforme agraire est plus ou moins laissé au bon vouloir des bailleurs internationaux qui
implantent des projets de développement local selon la stratégie ARC. On observe un double
discours politique qui veut en même temps continuer la réforme comme elle est prévue et
contenter les élites. Il en résulte une situation dans les campagnes insatisfaisante qui amène à
réfléchir à une nouvelle vision et à une plus grande cohérence dans le développement du secteur
agricole philippin.
38
2 LA REFORME AGRAIRE REMISE EN QUESTION
2.1 Les grandes tendances et des hypothèses lourdes
Ce que nous pouvons dire c’est que la réforme agraire dans son implantation a fait face à
différents obstacles. Après avoir promis de mettre fin à cette délicate répartition de la propriété
foncière et au système de métayage, le gouvernement philippin pris des décisions qui peuvent
étonnées. D'abord, le libéralisme économique fut adopté comme politique et orientation
économique alors que la redistribution de la terre était loin d’être achevé. Puis, dans le même
temps le pays fit face à un déficit budgétaire et a du faire des choix dans l’allocation des
ressources. Assez surprenantes comparées au discours officiel voulant instaurer la réforme
agraire comme elle l’était prévue, ces mesures faisaient la part belle à l’oligarchie et aux grands
propriétaires. En effet, le gouvernement s’orienta vers une politique d’ouverture des marchés
favorisant une structure agroindustrielle de l’agriculture. Enfin, il reste toujours des
interrogations sur les fondements de la réforme agraire appliquée aux Philippines qui une fois
posées pourraient permettre d’élaborer des perspectives meilleures.
Aujourd’hui, cependant, le riz reste exempté de régimes tarifaires et les Philippines ont maintenu
des quotas d’importation jusqu’en 2004. Les régimes tarifaires ont été négociés de telle sorte qu’ils
soient plus élevés que les protections mises en place auparavant. Ainsi, les Philippines purent
augmenter leurs tarifs sur des produits d’importation susceptibles de se substituer aux
productions locales. Toutefois, depuis 2004 tous les tarifs sont appliqués selon les négociations du
Cycle de l’Uruguay c'est-à-dire moins de 5% à quelques exemptions près. Nonobstant, le pays
28 General Agreement on Tariffs and Trade, l’accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce, est un traité singé en 1947 harmonisant les politiques douanières entre les pays
signataires qui fondent l’OMC en 1994.
29 Groupe de pays agricoles qui défendent des positions ultralibérales au GATT (Argentine,
39
applique toujours des taxes élevées par exemple sur le maïs et le riz et d’autant plus élevées
quand les importations dépassent un certain seuil en quantité (Minimum Access Volume) afin de
protéger autant que faire se peut certaines
certaine filières agricoles.
Photographie 4
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
http://www.dar.g
Prenons le cas du riz et intéressons nous aux impacts des décisions des politiques de prix. Avec
l’intervention de la National Food Authority (NFA), le gouvernement augmente ses achats sur les
marchés extérieurs, ce qui fait baisser les prix sur le marché local en stabilisant les variations
saisonnières
res et géographiques. La NFA a le monopole sur les importations de riz et sur les
opérations sur le marché local. Le coût de cet interventionnisme est extrêmement couteux sans
pourtant obtenir
enir les effets de baisse sur les prix aux consommateurs et de hausse pour les
producteurs, autrement dit la stabilisation des des prix. De plus, l’utilisation de restrictions
restri
quantitatives favorise la recherche de rentes, réduise les revenus publics et implique
impliq un
important coût bureaucratique du à la corruption sur les licences d’importation et empire les
incertitudes sur les prix31 (David, 2003).
2003)
Dans un autre temps, des barrières aux importations sur certains produits que les Philippines
P
pouvaient produire localement avec un certain avantage comparatif ont été supprimé sous la
pression des USA. Durant la mise en place de la réforme agraire, il n’y avait plus assez de
réglementation pour protéger les nouveaux bénéficiaires de terres.ter Ils venaient d’acquérir leur
terre et s’étaient endettés pour ca. Ils étaient donc fragilisés et méritaient une certaine attention.
Cependant, ils doivent maintenant supporter l’assaut de produits importés et une politique
orientée sur le développement
développemen de l’agriculture agro-exportatrice
exportatrice et d’une implicite politique
favorisant les conversions des terres agricoles
agrico au profit des enclaves agroindustrielles
industrielles comme le
suggèrent l’Agriculture
Agriculture and Fisheries Modernization étudié plus loin.
40
Aussi, la globalisation des échanges eut des répercussions sur le secteur agricole et les
populations paysannes. Après l’abolition en 1974 des quotas à destination du marché américain,
les exportateurs philippins ont dû se confronter à la réalité des cours mondiaux. Les producteurs
de sucre par exemple avaient des accords particuliers avec les USA qui leur achetaient toute leur
production à des prix bien au dessus de celui du marché. Les producteurs de sucre ont alors
insisté sur le fait que cette ouverture pouvait rendre vulnérable et avoir des répercussions sur
l’économie dans son ensemble. Ainsi, une commission du sucre philippin (Philippine Sugar
Commission, Philsucom) et sa branche commerciale (National Sugar Trading Corporation,
Nasutra) furent créées, et alors monopolisèrent les achats et les ventes de sucre en consolidant
toutes leurs exportations afin d’obtenir un prix de marché optimum. La commission devait
pouvoir compenser les fluctuations du marché en accumulant les profits en période de hausse et
en subventionnant la production en cas de baisse. Une fédération des producteurs de noix de coco
(Philippine Coconut Producer’s Federation, Cocofed) fut aussi créée pendant cette période. Elle
prélevait une taxe à l’exportation qui devait en étant réinvesti dans la recherche et
développement permettre de développer la filière. Effets pervers, ces structures furent piratées
par les grandes familles possédantes. Elles détournèrent l’argent du sucre, et malgré la récession
mondiale des années 80 et la chute catastrophique des cours du sucre entre 84 et 85, les
détournements continuèrent provoquant des famines sans équivalent sur l’île sucrière de Négros.
En outre, la taxe sur la noix de coco servi aux rachats d’exploitations afin de les faire entrer dans
une seule et même compagnie verticalement intégrée (United Coconut Oil Mills, Unicom), dirigée
par Eduardo Cojuangco aujourd’hui propriétaire de San Miguel Corporation la plus grosse
entreprise agroalimentaire philippine. 80% de la capacité totale d’extraction d’huile de coco aux
Philippines était dirigé par Unicom qui usant de sa position de monopsone détourna les fonds
issus de la taxe. Les exportations philippines ainsi subventionnées servirent de prétexte au Brésil
pour imposer des tarifs douaniers à la coco philippine et à ses dérivés.
Le problème est que ce flou entre biens privés et biens publics a permis à une partie de
l’oligarchie de libéraliser l’économie tout en faisant subir le coup de leurs détournements aux
petits producteurs. Par ailleurs, cette libéralisation qui a eu des effets négatifs sur le secteur
agricole a permis aux Philippines de diversifier ses exportations sur les produits
agroalimentaires, les services et les nouvelles technologies, stoppant alors leur dépendance aux
exportations de sucre et de coco.
Ainsi, les Philippines ont su jonglées entre libéralisme et protectionnisme. Ce mouvement très
bien orchestré par les élites leur ont profité pour diversifier leur capital dans l’industrie et les
services, mais ont aggravé la situation du secteur agricole. Si la part de l’agriculture dans l’emploi
est passée de 50% à 38% en vingt ans ce n’est pas le résultat d’un processus économique vertueux.
Les paysans ont quitté les campagnes pour les villes car les salaires réels stagnaient et que la
productivité du secteur baissait du à un manque d’investissement et à la croissance
démographique de la population. Les salaires agricoles n’évoluant pas ces derniers ne
provoquèrent pas de pression à la hausse sur ceux des autres secteurs. L’exode rural ne provoqua
que le déplacement d’une main d’œuvre peu qualifiée pour les nouveaux secteurs en croissance
vers des emplois marginaux et à faible productivité. Enfin, il n’entraina aucune hausse de la
consommation32 (Auvray, et al., 2003).
Source : Elites et développement aux Philippines : un pari perdu?, Auvray, Galand Jr, Jimenez-
32
41
majoritaire au Congrès les place dans la meilleure des positions pour bloquer tout transfert de
qualité. Cette situation politique a une très grande conséquence sur l’efficacité de la réforme. La
Banque Mondiale a reconnu que la réforme ainsi entreprise par le gouvernement philippin
restera contentieuse, chère et administrativement complexe si rien ne change. Ainsi, dans son
rapport de 1997 « Philippines : Promoting Equitable Rural Growth »33 (World Bank, 1997), la BM
recommande pour en terminer avec la réforme une stratégie de transfert orientée par le marché
pour les terres privées.
Ainsi, il devient le premier mode de transfert – par exemple en 2006, 34% de la LAD a été
accompli à travers le mode de transfert VLT et 22% pour le VOS, et seulement 8% pour le mode
CA – et commence à redonner au marché du foncier un fonctionnement non administré c'est-à-
dire que l’Etat utilise très peu le mode permettant l’expropriation (Compulsory Acquisition). Cela
se fait non moins sans inquiétude. En effet, les propriétaires sont alors en position de force pour
déterminer les termes du contrat de vente ou de cession-bail et peuvent abuser les fermiers. Les
anciens propriétaires peuvent aussi mettre à peu près n’importe qui comme nouveaux
bénéficiaires car le suivi du DAR est inexistant. Les contrôles sont rares et, en outre, les
propriétaires terriens ont de nombreuses relations parmi les membres du DAR. Ainsi, ils peuvent
sans crainte redistribuer leurs terres à leurs enfants même s’ils sont mineurs ou ne travaillent
pas sur l’exploitation. Ils peuvent aussi inscrire la vente au nom d’une personne qui n’est pas au
courant et peuvent ainsi toujours posséder leur terre de facto. Puis, enfin ils peuvent s’arranger
tout en menaçant les petits producteurs pour qu’ils ne puissent réclamer quoi que se soit.
N’oublions pas que les propriétaires terriens sont très puissant et influant politiquement et
économique ce qui fait peur aux petits métayers qui n’osent rien faire. Par ailleurs, les audits
menés au DAR sont peu fiables et ne rendent pas compte de ces pratiques bien connues sur le
terrain34 (Borras, 2005). Le transfert VLT permet à l’Etat de se décharger de son rôle de meneur
d’une réforme agraire distributive et d’équité. Il peut ainsi faire augmenter les chiffres officiels
d’accomplissement de la LAD.
33 Source : Philippines: Promoting Equitable Rural Growth, World Bank, January 1997,
Washington DC: Agriculture and Environment Operations Division, Country Department 1, East
Asia Pacific Region, unpublished.
34 Source : Can redistributive reform be achieved via market-oriented Voluntary Land Transfer
42
bénéficiaire s’engage à travailler pour la multinationale. Entre 2000 et 2002, 20 000 ha ont été
« redistribué » de cette manière alors que 67 ha ont été redistribué selon le mode CA entre 1988 et
2001 dans cette province de Cotabato (Carte 4). De la même manière, les grands propriétaires
terriens acceptent plus facilement de redistribuer leur terre à la condition permise par le mode
VLT que les bénéficiaires s’engagent par contrat à travailler pour l’entreprise agricole.
D’une manière générale, ce mode transfert VLT permet plus aux grands propriétaires d’acquérir
de nouvelles terres et de les distribuer à leur proches et amis que de réellement engager une
redistribution de la propriété aux petits paysans. Ainsi sous ce type de transfert se cache en fait
les progrès des récents résultats d’accomplissement du LAD, qui sera certainement achevé
principalement sous ce mode.
Afin d’améliorer l’accès au crédit pour les bénéficiaires de la réforme agraire et de limiter les
dépenses publiques dans ce domaine, le gouvernement supprima l’interdiction selon laquelle les
nouveaux propriétaires pendant une période de dix ans ne pouvaient pas transférer, vendre ou
hypothéquer la terre nouvellement acquise. Ainsi, les propriétaires peuvent utiliser la terre
comme garanti à un crédit. Par conséquent, avec un meilleur accès au crédit, les paysans en
théorie peuvent augmenter leur productivité et investir dans leur exploitation afin de dynamiser
l’économie rurale. C’est vrai que le marché du crédit est défaillant en zone rurale et mériterait d’y
être développé. Cependant, la levée de cette restriction est dangereuse car elle protégeait les
bénéficiaires à l’origine. Aujourd’hui ces bénéficiaires peuvent faire faillite et perdre leur terre
mise ainsi en garantie. En effet, la plupart des paysans sont endettés et financièrement fragiles.
Ils seraient dans l’incapacité de racheter leur terre. Ils sont près de 30% à ne pas savoir s’ils
peuvent assurer le payement de leur annuité et s’ils empruntent c’est en majorité pour des biens
de consommation et peu pour investir dans leur exploitation. De plus, les investisseurs privés
dont les banques préfèrent investir dans des entreprises commerciales et les agro-industries, et
ne prennent pas le risque de s’engager dans des agricultures familiales (de Guzman, et al.,
2004).35
Pendant cette ouverture à la mondialisation des échanges, le gouvernement s’est alors axé sur la
stratégie ARC en détournant quelque peu son principe de méthode participative. En effet, Ramos
greffa sur cette stratégie le principe de Key Production Approach. Il permet selon l’avantage
comparatif de chaque zone de déterminer quelles cultures spécifiques étaient les plus profitables
pour les producteurs. C’est ainsi qu’à partir du milieu des années 90, sur 5 millions d’ha de riz et
de maïs, 1.9 millions seront conservés et 3.1 millions seront convertis en productions
d’exportation avantageuses comme le bétail, l’aviculture et d’autres cultures commerciales. De
plus avec l’extension de la réforme à partir de 1998, l’Administrative Order 9 qui encourage les
fermiers à souscrire des contrats privilégiés avec des agro-industries renforce encore les pouvoirs
des propriétaires fonciers afin de dicter la conduite des exploitations agricoles.
35 Source : Agrarian Reform: The Promise and the Reality, de Guzman, Garrido & Manahan, 2004
43
Infrastructure de post-récolte
post
Photographie 5
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
http://www.dar.gov.ph/galle
Avec le « Plan 747 » d’Arroyo, les propriétaires terriens sont maintenus et renforcés dans leur rôle
de seuls capables d’aménager le territoire avec le concept de « land stewardship ». Ils sont
capables de gérer les grands espaces et de diriger les productions agricoles vers des productions
de rentes spécifiques. Entre 1996 et 2002, le DAR a comptabilisé près de 1 100 contrats privilégiés
entre les membres des ARC et quelques 400 agroindustriels. Ces contrats lient l’exploitant
l à
l’entreprise agro-transformatrice
transformatrice qui généralement dicte les quantités, la qualité et les prix,
assure les moyens technologiques de productions et de logistique, et peut refuser les
marchandises si elles ne sont pas conformes.
44
Néanmoins, est-ce compatible avec une réforme agraire non achevée et l’état socioéconomique
préexistant dans les campagnes. Il faut rappeler qu’en 1998 date à laquelle une réorientation de
la politique de réforme agraire s’opéra, seulement 58% de l’objectif d’acquisition/distribution avait
été accompli selon les chiffres officiels. Seulement 5 ans après avoir instauré la stratégie ARC et
les projets de renforcement des capacités des petits paysans, nous sommes déjà passés à l’étape
suivante sans avoir terminé la précédente.
En effet, ce discours de promotion d’un secteur agricole industrialisé contraste avec la situation
des campagnes philippines où se trouve 70% de la pauvreté du pays. Récemment, la voie du
libéralisme économique a ouvert des perspectives pour le secteur mais aussi pour les petits
producteurs oubliés. Le gouvernement a lancé le Agriculture and Fisheries Modernization Act qui
doit permettre de faire rattraper le retard des agricultures familiales par une mécanisation
ambitieuse du secteur. Cependant cette ouverture profite à ceux qui ont les capacités de se
confronter à la concurrence. Encore une fois n’est-il pas trop hâtif de vouloir totalement
transformer un secteur agricole où la majorité de la population n’a d’une part pas encore obtenu
la terre qui leur a été promise ni les moyens de la mettre en valeur, et d’autre part qui n’est pas
dans la même stratégie de développement économique avec une agriculture familiale de
subsistance dominante.
Bien que la présidente Arroyo soit fière de présenter la réforme comme l’une de ses priorités, elle
agit en fait d’une manière toute autre. Dans les faits, 34% des fonds demandés pour
l’accomplissement du LAD en 2001 ont été par exemple supprimés. Ce qui signifie pour cette
année 2001 que le programme pouvait couvrir 75 000 ha au lieu de l’objectif déjà très réduit de
100 000 ha par an. La présidente n’a pas montré de volonté pour suspendre ces suppressions de
budget pour le LAD37. En effet, en 2002 c’est la moitié des fonds qui ont été suspendu pour le
LAD, et en 2003 seulement 1/15 du budget a été alloué permettant au DAR d’acquérir
péniblement 20 000 ha sur les 120 000 qui été prévu cette année. En ce qui concerne l’ensemble
du CARP c'est-à-dire le LAD, le PBD et le financement des agences d’implantation, l’ARF est
réduit chaque année. Pour la période 2003-2008, le CARP a besoin de 151 milliards de PHP.
Même avec les 100 millions autorisé par la loi et un fonds complémentaire annoncé de 86
36 USD : United States Dollars ; au 07/06/2007, 1 USD = 45,96 PHP (Philippine Pesos)
37 Gloria Macapagal-Arroyo arrive au pouvoir en janvier 2001
45
milliards, le financement du programme ferait défaut selon de Guzman de près de 140 milliards
de PHP38 (de Guzman, et al., 2004).
Par ailleurs, certains craignent que l’ARF soit détourné de sa mission initiale et soit utilisé pour
financer le développement de 2 millions d’ha de terres industrielles ne bénéficiant pas aux ARB
qui figurent dans l’objectif premier du Medium Term Philippine Development Plan 2004-2010.
S’il le gouvernement n’est pas capable de fournir les fonds nécessaires à l’achèvement de la
reforme telle qu’elle est prévue, alors elle s’éternisera davantage en provoquant des effets
secondaires désastreux sur l’investissement rural, la diversification et la croissance du secteur
agricole. En effet, le Congrès où l’élite possédante domine n’est pas enclin à voter des budgets
supplémentaires pour cette réforme qui leur est bien sûr défavorable. D’ailleurs, elle perturbe
déjà l’évolution naturelle du marché du foncier. Effectivement, la réforme est en place depuis trop
longtemps et on voit apparaitre des dysfonctionnements.
La prohibition des transferts fonciers en dehors du CARP et la lenteur avec laquelle elle
s’applique empêche le marché du foncier de fonctionner efficacement et décourage les
investissements à long terme dans l’agriculture. Les prix du foncier se sont écroulés limitant ces
mêmes investissements et en augmentant ses coûts. Ainsi, les conversions plus ou moins légales
de terrains à des fins non agricoles afin d’échapper à la réforme sont devenues le moyen de
pouvoir vendre plus facilement des terres. Bien que la réforme ait des effets bénéfiques sur les
ARB, Deininger suggère que le coût sur l’économie du disfonctionnement volontaire du marché du
foncier du aux restrictions sur la propriété foncière est probablement plus élevé que les bénéfices
directs de la réforme agraire. De plus, le gouvernement s’appuie aujourd’hui sur ce manque de
fonds pour promouvoir le mode de transfert VLT car l’Etat n’a à mettre aucun fonds pour que le
transfert se fasse comme nous l’avons vu plus haut.
Comme nous l’avons dit, la stratégie ARC a été reconnue par les bailleurs comme étant le moyen
le plus pertinent pour implanter des projets d’assistance à la réforme agraire. Depuis 1997, 14
milliards de PHP ont été utilisé dans l’achèvement de deux projets sur fonds étranger. Un total
de 17 milliards de PHP a été débloqué pour financer 4 projets en cours. Le JBIC compte pour 40%
du total des coûts de ces projets avenir complété par la BM pour 34% et l’ADB pour 23%.
Les financements étrangers financent aussi directement les plantations commerciales comme à
Central Mindanao où l’UE finance 13 plantations d’hévéa pour un total de 550 ha. Au-delà de la
stratégie ARC, les bailleurs financent aussi des projets de développement des marchés ruraux.
Depuis 1996, la BM finance pour l’agriculture et ses programmes relatifs à l’agriculture un
montant de 840 millions d’USD.
Ainsi, la loi de réforme agraire ne permet de financer que 25% du PBD c'est-à-dire la construction
de route, de ponts, d’infrastructures d’irrigation etc. Les 75% restant proviennent des bailleurs
internationaux et de la communauté internationale. Cela nous a été confirmé par un ex-
responsable du Department of Agriculture lors d’un entretien où il nous expliquait comment le
38 Source : Agrarian Reform: The Promise and the Reality, de Guzman, Garrido & Manahan, 2004
46
gouvernement se déchargeait des financements pour la réforme agraire et laissait la place aux
bailleurs internationaux en ce qui concerne le PBD.
De 1988 à décembre 2006, les Philippines ont vu naître 56 projets financés par assistance d’aide
internationale dont le montant total s’élève à 54 milliards PHP. On peut citer parmi les bailleurs
la Banque Asiatique de Développement (BAD), l’Union Européenne (UE), le Fonds International
pour le Développement Agricole (FIDA), le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD), et la Banque Mondiale (BM) ; et en tant que bailleurs de fonds bilatéraux les
gouvernements de la Belgique, du Canada, de l'Italie, du Japon, de la Suède, de l’Australie et des
Etats-Unis.
Après l’entrée des Philippines à l’OMC en 1995, les secteurs de l’agriculture et de la pêche ont
appréhendé avec beaucoup de crainte les effets négatifs de libéralisation à venir. Le
gouvernement a mis alors en place le Agricultural Competitiveness Enhancement Fund pour
accompagner le Tariffication Act formalisant l’entrée du pays à l’OMC. Dans une optique de
libéralisation des marchés, le Tariffication Act abroge les lois qui interdisaient l’importation
d’oignons, de pommes de terre, d’ails, de choux et de café ainsi que celle qui centralisait
l’importation du bœuf. Elle a également annulé deux lois dont les agriculteurs avaient obtenu la
promulgation après des années de lutte. La Magna Carta for Small Farmers et le Seed Industry
Development Act interdisaient l’importation de produits et de semences agricoles lorsque la
production nationale était suffisante. Le Plan de Développement du secteur agricole à moyen
terme de 1993 à 1998 a introduit de nouveaux principes dérivant de la notion de zones pilotes,
selon lesquels les cultures bien cotées sur le marché destinées à l’exportation étaient privilégiées
par rapport aux cultures vivrières de base destinées à la consommation intérieure. Dans le même
temps, le Gouvernement soutenait la création d’enclaves industrielles et de projets de
développement pour attirer les investisseurs étrangers.
En 1997, le gouvernement met en place l’Agriculture and Fisheries Modernization Act (AFMA)
dont le but est de moderniser ces secteurs afin de régler le problème de la sécurité alimentaire et
d’accélérer la marche vers l’industrialisation. Il s’agit de « revitaliser la productivité pour
dynamiser l’offre, rendre plus efficientes les ressources employées et construire d’ingénieux
partenariats entre le gouvernement et le secteur privé » selon le Department of Agriculture.
47
Membres
bres d’une coopérative en réunion
Photographie 6
Les paysans s’organisent en coopérative afin de mieux servir leurs intérêts économiques.
Source : http://www.dar.gov.ph/gallery_dar.html
Selon cette loi, le fonds doit fournir 20 milliards de PHP la première de son implantation en 1999
et 17 milliards de PHP par an pour les 6 années suivantes. Enfin, la création d’1 millions
d’emplois dans le secteur agricole fut promise par la nouvelle présidente Gloria Macapagal-
Arroyo.. En réalité, la moyenne annuelle de l’allocation de fonds est de 13 milliards de PHP entre
2001 et 2005. En 2005, par exemple, 3 milliards de PHP ont été prêtés prêté par des bailleurs
internationaux pour l’implantation de projets sous l’AFMA soit 32% du total alloué pour les
projets cette année.
48
haute valeur ajoutée à l’export. En 2000, un peu plus d’un million d’hectares ont été identifiés par
le DA et les LGU pour l’établissement de projets.
L’allocation des fonds et des ressources se fait par le haut et dépend du bon vouloir des membres
du Congrès qui se concentrent donc sur les zones où le potentiel d’industrialisation est le plus
élevé. Il faut souligner aussi que les SAFDZ n’ont été finalisés qu’en 2001 soit 4 ans après la
signature de l’AFMA. On constate que, dans la plupart des productions comme celle du riz, la
croissance de la production n’a pas été considérable. Entre 1999 et 2004, la croissance des
rendements de riz (3.6%) est surtout due aux campagnes pour l’utilisation de semences hybrides.
De plus, le programme n’a pas su faire ralentir la croissance des importations de riz. De 1993 à
2004 les importations de riz ont cru deux fois plus vite que la production.
En effet, il y a 30 ans les spécialistes trouvaient que le métayage était un contrat injuste. Le
métayer devait reverser 60% de sa production au propriétaire en échange du droit qui lui
permettait de cultiver la terre. Depuis, plusieurs études ont montrées que la prohibition du
métayage avait abouti à une mauvaise allocation des ressources. Les arguments théoriques
suggèrent que dans les circonstances d’une applicabilité parfaite de l'utilisation du facteur
travail, le niveau optimal du rendement à l’hectare est le même qu’elle que soit le type de contrat.
Bien sûr ce qui est difficile c’est le suivi nécessaire au propriétaire pour donner les bonnes
indications à ces métayers afin d’optimiser leur travail. Dans une agriculture plus familiale,
l’applicabilité parfaite du facteur travail est plus facilement atteint. Mais même dans de telles
conditions, le métayage peut encore être vu comme une forme de contrat efficace due aux
imperfections des marchés. Par exemple, puisqu’il n’y a pas de marchés de l'assurance en cas de
perte de la récolte pour les paysans, le métayage permet un partage des risques entre les paysans
et le propriétaire. Il a été montré que quand les métayers sont averses au risque le métayage est
un choix de contrat efficace. L’aversion au risque est une des caractéristiques majeures des
populations concernées par la réforme agraire.
Enfin, les tentatives de comparaison entre la productivité des deux formes de contrat montrent
qu’à taille égale les exploitations ont sensiblement le même rendement39 (Fuwa, 2000). Le
passage du métayage à la propriété privée n’a eut donc aucun effet bénéfique sur l’efficacité de
l’utilisation du facteur travail mais a plutôt eut un effet négatif sur l’équité puisque le marché de
l’assurance est défaillant.
39Source : Politics and Economics of Land Reform in the Philippines: a survey, Nobuhiko Fuwa,
2000
49
2.1.3.2 Taille des exploitations agricoles et productivité de la terre
La redistribution de la terre sous-entend une parcellisation de l’espace des grandes propriétés en
petites fermes. Si l’on divisait les grandes exploitations où il existe des économies d’échelles
significatives, on perdrait en compétitivité sur les produits agricoles d’exportation.
Les économies d’échelle existent à plusieurs niveaux dans une exploitation agricole : intrants,
matériels, capacités managériales, transformation et commercialisation, accès au crédit et gestion
des risques, choix d’occupation des sols. Les choix à haute intensité capitalistique mènent donc à
des économies d’échelle, particulièrement dans les cultures d’exportation. Les petites
exploitations elles peuvent pallier ce manque de capacités en louant le matériel à plusieurs ou
avec des contrats particuliers qui les lient à de plus grosses structures.
Une des limites pour les grandes exploitations est le fait qu’elles doivent embaucher de la main
d’œuvre alors que les petites exploitations familiales ne le font pas. Or, les ouvriers agricoles ainsi
embauchés ont tendance à ne pas travailler efficacement alors que dans l’exploitation familiale
toute la famille est entièrement investie au travail. Cela engendre un coup de supervision et
d’organisation du travail dans les grosses exploitations qui est cher. Cette limite couplée à celle
d’un accès au crédit réduit dans les campagnes peuvent mener à observer une relation inverse
entre la taille de l’exploitation et sa productivité autrement dit à des déséconomies d’échelle.
Cependant, il a été montré que la redistribution de la terre permet d’élargir la diète des
bénéficiaires et d’améliorer leur santé (Fuwa, 2000)40. Particulièrement pour les fermiers se
trouvant au bas de l’échelle sociale et qui n’ont aucun bien, la redistribution de la terre est un
moyen de réduire la malnutrition et l’extrême pauvreté.
40Source : Politics and Economics of Land Reform in the Philippines: a survey, Nobuhiko Fuwa,
2000
50
Etant entendu que les principaux objectifs de cette réforme soient la répartition des richesses et
l’amélioration de la productivité parmi les populations rurales,, le moyen le plus efficace e
d’atteindre les objectifs doit être la redistribution plutôt que la régulation du mode de tenure
foncière. Nous avons exposé que la redistribution de la terre n’agit pas sur les rendements sauf
pour le cas des plantations. Autrement dit, la relation
relation entre la taille de l’exploitation et la
productivité n’est pas établie avec certitude aux Philippines. Sans dénigrer le fait qu’il existe des
économies d’échelle dans certaines grosses exploitations,
exploitations, il existe aussi un seuil où l’on voit
apparaître des déséconomies
éséconomies d’échelles. Du reste, la redistribution de la terre ne réduisant pas les
rendements,, nous pouvons dire qu’elle a un impact bénéfique parmi les plus pauvres en ce qui
concerne la santé et la réduction de la pauvreté.
Photographie 7
Les vallées de cette province sont sculptées de rizières souvent appelées « 8ème merveille du monde ».
51
obsolètes et contournés par les propriétaires terriens. Ill nous faut présenter les points positifs et
les mécanismes efficaces que l’on a pu dégager de près de 20 années d’expérience aux Philippines.
Enfin, nous introduirons
uirons la construction de scénarios et présenterons le scénario tendanciel.
Comme nous l’avons vu, les es orientations économiques prises dans les années 90 ont eut des
répercussions sur les populations rurales et les bénéficiaires de la réforme agraire.
agr Les réformes
libérales sur l’agriculture et les mesures axées sur le marché extérieur ont malmené la population
rurale. Malgré la réforme agraire et en partie à cause de celle-ci,
celle ci, les paysans ont directement ou
indirectement été poussés à quitter les campagnes. Beaucoup ont donc abandonné leur
exploitation pour occuper des emplois en zone urbaine. Il y a eut une accélération de l’exode rural
à partir du début des années 80. En 1960, 70% de la population totale était rurale. En 2003, 61%
de la population on totale est urbaine (Figure 7). Malheureusement, les emplois créés en zone
urbaine ne correspondent pas aux qualifications de cette population rurale et agricole. Cet exode
n’est pour l’instant peu bénéfique car il dirige ces populations vers des emplois marginaux et peu
productifs.
80
Population rurale en % de la
70
60
population totale
50
40
30
Population rurale
20
10
0
1960
1964
1968
1972
1976
1980
1984
1988
1992
1996
2000
Année
Figure 7
Cependant, 36% de la population active travaille encore dans le secteur agricole bien qu’il ne
contribue de nos jours que pour 14% au PIB. L’essentielle de la pauvreté se trouve en zone rurale
et la croissance démographique bien que récemment maîtrisée – elle est passée de 2.32% en 1996
à 1.76% en 2007 – a fait que les campagnes ne se sont pas vraiment dépeuplées.
dépeuplé Il reste encore
52
beaucoup de paysans luttant pour leur subsistance en marge des grandes installations
industrielles et autres haciendas. Soit ces populations en difficulté travaillent comme ouvriers
agricoles pour le compte des entreprises du secteur agricole, soit ils continuent à reproduire une
agriculture familiale peinant à subvenir à leurs besoins. Effectivement, ces populations pauvres
et rurales bien qu’elles obtiennent des terres de la réforme agraire sont bien trop peu protégées et
aidées en tout cas pour leur grande majorité. Les produits importés les assaillent et il manque
toujours beaucoup d’infrastructures. L’importance des transferts de fonds des expatriés philippins
joue un rôle important dans la stabilisation des campagnes et limite l’incidence de la pauvreté. Ils
représentent en 2006 11% du PIB soit 13 milliards d’USD (Asian Development Bank, 2007)41.
Bien que le pays ait fait de grands efforts pour réduire sa dette extérieure, il fait face à un
important déficit public à hauteur de 65% du PIB et en aggravation. L’endettement de l’Etat le
pousse donc à faire des choix dans l’orientation des financements. Manifestement, la tendance est
à l’appui à l’industrialisation et au secteur tertiaire. Des facilités d’investissement ont été votées
pour les entrepreneurs étrangers dans le secteur des services. L’AFMA manifeste la volonté du
gouvernement d’aboutir à une agriculture nationale orientée sur les marchés, mécanisée et agro-
transformatrice. La difficulté de prélever l’impôt est grande et ainsi alourdie le solde. La Taxe sur
la Valeur Ajoutée a été introduite récemment. Du reste, les matières premières agricoles en sont
exempté tant dis que les produits transformés le sont fortement. La taxe foncière qui devait
financer en partie la réforme agraire est aussi quasiment non prélevé due au fait qu’il n’existe pas
de réel état cadastral. Il est ainsi difficile de déterminer le montant des impôts, aussi face aux
conflits avec les propriétaires le gouvernement laisse faire. De plus, depuis la réforme agraire le
prix du foncier s’est écroulé et les propriétaires ne veulent plus vendre. Les tentatives de
redistribution de la propriété foncière, les restrictions sur les transferts de terres et l’interdiction
du métayage ont provoqué des distorsions sur les marchés du foncier et du travail, et ont diminué
la valeur de la terre à la vente ou comme garanti pour obtenir un crédit.
En voulant conserver leurs avantages les élites et les grands propriétaires tout en voulant
poursuivre une réforme agraire ont induit un contexte économique désavantageux non seulement
pour les petits producteurs mais aussi pour les grandes exploitations. Il existe un manque de
protections contre les produits importés et une vulnérabilité des petits fermiers face aux
latifundistes. D’un autre côté, l’environnement économique ne pousse pas les plus grandes
exploitations à investir et à améliorer leur productivité. A part dans certaines productions
d’exportations, les investissements productifs nécessaires ne sont pas faits notamment dans
l’industrie sucrière. La main d’œuvre est pléthorique et des accords commerciaux avec les USA
persistent protégeant les producteurs de la concurrence étrangère. Le secteur agricole reste peu
dynamique avec une croissance moyenne de 2.5% dans les années 90 (Umehara, et al., 2004) et en
modeste amélioration ces dernières années.
Malgré la faible productivité des agricultures, la promotion des semences à haut rendement su
maintenir et diminuer la sous-alimentation dans le pays. De 1994 à 2004, taux de prévalence de
la sous-alimentation a perdu 10 points (Figure 8).
53
Evolution du taux
aux de prévalence de la sous-alimentation,
sous 1989-2004
2004
35
% dans la population totale 30
25
20
15
Prévalence de la
10 sous-alimentation
alimentation
dans la population
5
totale (%)
0
1989-1991
1990-1992
1991-1993
1992-1994
1993-1995
1994-1996
1995-1997
1996-1998
1997-1999
1998-2000
1999-2001
2000-2002
2001-2003
2002-2004
Année
Figure 8
Source : FAOSTAT
Evolution de la production
roduction de maïs et de riz en tonnes, 1986-2005
16 000 000
14 000 000
Production en tonnes
12 000 000
10 000 000
8 000 000
2 000 000
Année
Figure 9
Source : FAOSTAT
54
L’augmentation des productions végétales a permis d’augmenter les productions animales
animale (Figure
9 & Figure 10).. Les dix dernières années ont été marquées par un accroissement des productions
dues principalement la banalisation des variétés à haut rendement même si celles-ci celles sont
inférieuress au reste de la zone. Ainsi, les Philippines restent en queue de peloton des pays d’Asie
du sud-est
est derrière la Chine, l'Indonésie, la Thaïlande et le Vietnam (Dy, 2001)42.
Evolution de la production
roduction de viande de bœuf et de poulet en tonnes,
tonnes 1986-
2005
700 000
600 000
Production en tonnes
500 000
400 000
300 000
Viande bovine
200 000 Volaille
100 000
-
1986
1988
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
Année
Figure 10
Source : FAOSTAT
Les progrès réalisés par le secteur agricoles ces dernières années sont bien maigres et ne peuvent
pas être justifiés par une réforme agraire bien menée qui aurait perturbé le secteur.
s Bien qu’elle
l’ait fait tout de même, il semble plutôt que le secteur agricole
icole est pris entre deux feux, l’un
l
voulant aller vers l’industrialisation du secteur, l’autre voulant redistribuer
redistribue les richesses. En
outre, la globalisation de l’économie a favorisé l’accès à des biens importés moins chers pour les
populations rurales, mais les a cependant pénalisés
pénalisé en tant que producteurs.
55
ainsi négocier le transfert de leur terre. Ces mêmes propriétaires ont ainsi la possibilité de céder
leur terre à ceux qu’ils ont décidé et par manque de contrôle peuvent de la sorte choisir les
membres de leur famille ou s’arranger avec de soit disant demandeurs pour conserver leur
privilèges.
Objectif en ha 43 Réalisation en %*
CA 1 505 363 16
* : Calcul établi à partir des derniers résultats détaillés par mode de transfert de la redistribution
Tableau 5
Pour simplifier, il existe de rares métayers qui ont obtenus une terre grâce à la reforme. Mais, les
moyens satellites nécessaires et complémentaires de l’action sont insuffisants, et la majorité n’a
pas accès au PBD. La libéralisation du secteur entrainant une fragilisation de leur système de
production, ils doivent soit quitter l’exploitation soit conclurent des contrats avec de plus grandes
structures. Les grandes structures sont bien entendu l’ex-propriétaire ou des entreprises
agroalimentaires internationales. Mais attention, la situation n’est pas aussi simple. L’archipel
comptant plus de 1 700 îles contient 17 régions elles-mêmes divisées en province qui rendent
l’appréciation de la situation complexe (Carte 4). Chaque région et province possède ses typicités
en matière agricole et de situation agraire. L’île de Mindanao par exemple doit ses résultats en
matière d’accomplissement de la LAD grâce aux arrangements tripartites effectués entre les
propriétaires, les métayers et les entreprises multinationales. Dans les Western Visayas, les
retards accusés par cette région sont essentiellement liés à la nature des productions qui y sont
cultivés. Ces îles sucrières abritent de grandes familles très puissantes qui ont les moyens soit de
contourner les obligations avec des arrangements type SDO soit bloquer les procédures
d’acquisition/distribution grâce à leur connexion avec le pouvoir que se soit au Congrès ou au sein
du DAR, et même engager des milices privées pour repousser les métayers hors de leurs terres.
Le cas de l’Hacienda Luisita qui a été largement médiatisé illustre parfaitement les mécanismes
de contournement et la mauvaise volonté du gouvernement. Depuis plusieurs générations la
43 Source: The Ramos Legacy in Agrarian Reform: A Transition Report, Garilao, 1997
56
famille Cojuangco exploite près de 10 000 ha à Tarlac au nord de Manille. La présidente actuelle
qui fait partie de cette grande famille avait été très vivement critiquée quand on a été annoncé
que son patrimoine foncier avait été divisé de toute urgence en actions avant que la CARL soit
appliquée. Au moins 3 290 ha de l’Hacienda ont été convertis en terrains industriels ou
commerciaux. Aujourd’hui, l’Hacienda est intacte malgré les revendications de ses 7 000 ouvriers
agricoles qui voulaient au titre de la réforme accéder à la propriété.
Pour conclure, il reste une quantité importante de terres privées qui ne seront pas redistribuées
par le mode de transfert Compulsory Acquisition tout simplement par manque de fonds de la part
de l’Etat. Par ailleurs, la résistance des propriétaires fonciers est un point qui reste
problématique. Néanmoins, dans de récentes déclarations, le DAR a promis la désignation d’une
force composée de policiers et de soldats afin de protéger les bénéficiaires dans leur installation
sur leurs nouvelles terres et de désarmer les milices privées engagées par les latifundistes. Ces
derniers auront tout de même toujours autant de pouvoir politique pour perturber la réforme et
les contestations sur l’évaluation des terres resteront en augmentation.
Le DAR est l’organe central et l’instrument de la réforme agraire. C’est lui qui planifie et organise
la réforme sur le territoire. Bien que les services du DAR qui est responsable de la partie la plus
problématique du LAD soient centralisés, il existe les Local Government Units. Ces services
décentralisés de l’appareil d’Etat se retrouve dans chaque région où ils possèdent leurs propres
structures. Ainsi, les décisions sont prises sur le terrain et la compréhension des situations
complexes comme les conflits ou l’appui à l’organisation des communautés bénéficiaires est plus
efficace.
Tout seul, le DAR est incapable d’achever la réforme agraire. La collaboration qu’il entretien avec
les autres agences gouvernementales et les O.N.G. est essentielle à la réalisation du CARP. Les
organisations paysannes sont aussi indispensables à l’image des ARC qui sont la base de toute
intervention dans les zones qui bénéficient du PBD. Par exemple, l’approche communautaire et
un mode de production reposant sur la famille plutôt que sur le salariat ont été retenue comme
adéquate dans certaine zone où la riziculture est majoritaire. Grâce aux consultations entre les
différents partenaires, des projets de développement et les services de support sont pertinemment
mis en œuvre. Cette synergie est l’un des seuls moyens de contrebalancer le pouvoir des
propriétaires fonciers.
57
La réforme agraire reste un moyen de redistribuer les richesses et de réduire la pauvreté dans les
campagnes. Tous les experts s’accordent à dire que la redistribution de la terre est un moyen
d’améliorer la vie de millions de personnes. Il est bon de voir que le gouvernement malgré sa
timidité à vouloir imposer la réforme est conscient de l’impact que possède le CARP sur la
réduction de la pauvreté et l’établissement d’une certaine équité dans le milieu rural. La réforme
permet de mobiliser les paysans et de leur transmettre un savoir-faire technique. Nous savons
que les bénéficiaires de la réforme sont vulnérables aux risques, particulièrement aux risques
climatiques et aux fluctuations du marché mondial. La possession de la terre ne suffit pas à
réduire ces risques. Diversifier les sources de revenus des bénéficiaires et garantir une certaine
rente pour les plus pauvres sont nécessaires. C’est ce que le PBD cherche à atteindre aux travers
des projets de développement complémentaires à la réforme qui permettent d’augmenter ainsi le
capital humain et la capacité de production des ARB. Une étude menée dans les provinces de
Central Luzon et Western Visayas a révélé une différence de 250 USD entre les revenus annuels
de ceux qui avait été intégrés à la réforme et ceux qui n’en avait pas bénéficié. Les nouveaux
propriétaires gagneraient ainsi trois fois plus que les métayers (Deininger, et al., 1999)44.
Aujourd’hui une chose est sûre, avec les expériences de réforme agraire que nous avons pu
observer à travers le monde, nous savons qu’il n’y pas de modèle type de réforme agraire mais que
l’un des paramètres du succès est la rapidité avec laquelle elle est réalisée. En Asie, 3 à 5 ans ont
suffis a achevé une réforme agraire avec succès au Japon, en Corée du Sud ou à Taïwan, mais
néanmoins avec une certaine autorité de la part du régime. Avec le temps, le soutien des
différents partenaires s’essouffle et la dynamique se perd en laissant la possibilité à une
résistance de la part des grands propriétaires de s’organiser. Il est donc important d’aller vite et
d’une manière ferme dans la mise en place des nouvelles mesures.
Ici, nous allons vous présenter le scénario tendanciel c'est-à-dire l’option qui consiste à ne rien
entreprendre et perpétuer les mêmes politiques. A la fin de l’année 2008, le LAD devra avoir été
totalement accompli. Une des certitudes c’est qu’il ne le sera pas. D’autre part, le gouvernement
ne s’est pas prononcé officiellement sur la prolongation du CARP après 2008. La réforme
rencontre une grande résistance législative et les arguments pour stopper la réforme en 2008 se
font entendre tels que le manque de fonds pour réaliser l’acquisition des grands domaines privés
compris dans le CARP. Cependant, dans cette optique l’objectif est de continuer à promouvoir
l’équité et l’augmentation des productivités.
44 Source : Agrarian Reform in the Philippines: Past impact and Futures Challenges, Deininger, et
al., 1999
58
Ainsi, le scénario que l’on pourrait appeler « témoin » est décris comme ceci. L’Etat poursuit sa
politique se focalisant sur la promotion de l’équité en redistribuant les terres comme il a été prévu
par la LAD jusqu’en 2008. L’abolition du métayage est maintenue. On continue à vouloir changer
la tenure foncière en imposant le cession-bail. On s’attache à résoudre les conflits en matière
agraire en appliquant la justice dans les campagnes. Le programme de réforme agraire est
soutenu par l’apport de services de support se concentrant sur la diffusion d’un savoir-faire
technique et la construction d’infrastructures par les agences gouvernementales engagées dans la
réforme. Les services de support seront toujours financés en grande majorité par des fonds
étrangers puisque les budgets de l’Etat resteront limités.
Cependant, avec les continuelles restrictions budgétaires, cet objectif devra encore être repoussé.
Aujourd’hui, le budget est insuffisant pour redistribuer l’objectif de 100 000 ha par an. Basé sur le
budget requis pour 2003-2008, le CARP a besoin de 151 milliards de PHP pour son
accomplissement. Avec l’apport des 100 millions de PHP permis par la loi et un fonds de
compensation de 86 milliards, il resterait toujours un manque de 137 milliards de PHP selon de
Guzman & al.. Entre 1988 et 2004, le DAR a dépensé 110 milliards de PHP pour la mise en place
du CARP soit près de 32 000 PHP par ha. Avec un peu plus de un million d’ha encore à
redistribuer, la DAR a besoin de 40 milliards de PHP pour accomplir la réforme. Etant donné la
réduction des budgets pour la réforme, avec ce scénario il est manifestement improbable que la
DAR obtienne les fonds suffisants et il est aléatoire de garantir une échéance en 2012 pour la fin
de la réforme.
Pour finir, ce scénario mènera forcément au mécontentement de la population dans les zones
rurales puisque le gouvernement sera incapable de tenir ces promesses. Une grande lassitude
déjà palpable aujourd’hui se développera chez les différents partenaires. Le gouvernement
cherchera à se déresponsabiliser en invoquant sa dépendance aux pressions de ces bailleurs et ses
obligations. Ce processus conduira aussi à la paralysie du DAR qui se retrouvera dans une
impasse incapable de pouvoir agir.
59
et rapide dans la résolution des conflits en matière agraire. Dans le même temps, les autres
priorités telles que l’apport de services de support sont reléguées à un second niveau jusqu’à ce
que le LAD soit terminé. Moins le DAR sera perturbé par d’autres considérations plus celui-ci
ainsi que le DENR pourront se concentrer sur la réalisation de cette tâche stratégique qu’est
l’accomplissement du LAD.
Aujourd’hui, les composantes du LAD que sont la redistribution des terres métayères de riz et de
maïs au travers des Operation Land Transfer (OLT), des terres possédées par les institutions
financières gouvernementales (GFI), les offres volontaires à la vente (VOS), les transferts
volontaires de terres (VLT), les Settlements, et les domaines publics et possédés par l’Etat ont été
soit terminées, soit le sont quasiment, ou ont dépassé leur objectif. La seule composante qui n’a
pas atteint son objectif et qui aura un impact significatif sur la redistribution de terres agricoles
privées est le Compulsory Acquisition (CA). En effet, ce mode de transfert par expropriation n’a
accompli que 16% de son contrat (Tableau 5). Les terres restantes à distribuer sous ce mode sont
à 90% situées dans 15 provinces : Negros Occidental, Camarines Sur, Iloilo, Lanao del Sur,
Negros Oriental, Albay, Camarines Norte, Bulacan, Cotabato, Batangas, Lanao del Norte, Leyte,
Capiz, Oriental Mindoro, et Masbate (Carte 4). En effet, la redistribution des terres par
expropriation n’a pas été faite dans les îles sucrières ou les plantations de noix de coco où sont
pourtant concentrés les plus pauvres des pauvres.
Se concentrer sur la redistribution des terres de ces 15 provinces aura un sérieux impact sur
l’accomplissement de la LAD puisque se sont principalement ces terres qui restent non
redistribuées. De plus, l’impact sur la réduction de la pauvreté et la promotion de l’équité se fera
beaucoup plus palpable et immédiat. Les recours pour les propriétaires se limiteront à la
contestation de la compensation. Pour palier ceci, une grande redéfinition du système est
nécessaire afin d’imposer efficacement la réforme.
Il faudra inévitablement une restructuration complète du système avec un large soutien politique
et financier de la part de l’exécutif et des organes législatifs. Ce scénario a besoin de profonds
changements dans l’organisation des agences impliquées dans la réforme. Il doit permettre une
résolution des problèmes et une exécution des actions rapide et efficace. Une réorientation des
financements doit être faite en faveur du LAD et réduire les financements au PBD pour un
temps. Les financements au PBD pourront reprendre une fois le LAD achevé.
Après l’achèvement du LAD, une réorganisation des structures participantes à la réforme devrait
être de nouveau faite pour se focaliser sur l’apport des services de support. Comme un plus grand
nombre de bénéficiaires sera concerné par la réforme, les bénéficiaires non touchés par le PBD
seront par conséquent plus nombreux. Il se pose alors le problème suivant. Beaucoup de
bénéficiaires ne seront peut-être pas capable d’exploiter leur nouvelle terre durablement.
Tout de même, une des raisons qui pourrait faire pencher en la faveur de ce scénario est le bon
compromis entre une efficacité « sociale », autrement dit la distribution de 100% des terres, et une
efficacité « économique » c'est-à-dire une allocation efficace des ressources. Par contre, nous
sommes bien conscients que cette option représente bien une utilisation efficace des ressources
mais pas une utilisation efficiente puisque de gros moyens seront à mettre en œuvre, et beaucoup
de choses doivent être bousculées.
60
Carte administrative des Philippines par province et par région
Carte 4
Source : http://en.wikipedia.org/wiki/Image:Ph_regions_and_provinces2.png
ns_and_provinces2.png
61
Pour récapituler, le DAR doit se concentrer premièrement sur les terres qui n’ont pas été
redistribuées sous le mode de l’expropriation et qui aurait dues l’être. Il faut améliorer la
coordination et renforcer la convergence dans les activités et les procédures des diverses agences
vers la réussite de la LAD. Il faut créer une agence de supervision de l’état cadastral qui pourra
établir celui-ci clairement et de manière exhaustive. Il faut améliorer les contrats de cession-bail
pour qu’il reste en la faveur des ARB. Il faut mettre en place un système efficace qui rendrait
compte des avancements de la redistribution afin de suivre l’évolution des résultats par province.
Il faut accélérer les procédures judicaires de résolution des conflits en matière agraire pour les
titres de propriété soient établi rapidement.
Une fois le LAD accompli, il faut concentrer les services de support là où les ARC sont les plus
nombreux et où l’implantation de projets de développement est la plus favorable. Il faut revoir
l’organisation et la structure des agences gouvernementales au regard d’une meilleure délivrance
des services de support afin d’améliorer son opérationnalité et de rendre le secteur agricole
attractif aux investissements. Il faut amender la loi et permettre à celle-ci d’allouer plus de
budget à la réforme agraire et d’étendre la durée jusqu’en 2012 au moins puisqu’elle s’arrête en
2008 à l’heure actuelle. Il faudrait imposer une taxe foncière et développer d’autres taxes pour
pouvoir financer la réforme.
Ce scénario s’inscrit dans une situation où la LAD actuel a été achevé ou, plus
vraisemblablement, a été abandonné après 2008 à cause de la trop grande difficulté à redistribuer
des terres sous le mode Compulsory Acquisition. On observe l’émergence d’un nouveau paradigme
en rupture avec la réforme agraire présente caractérisé par l’apport de services de support
intégré, planifié et concentré sur l’entreprenariat et la communauté.
Cette situation est envisagée dans le Medium Term Philippines Development Plan45 et le Ten-
Point Agenda46 de la présidente Gloria Macapagal-Arroyo. Cette tendance se retrouve largement
dans l’inspiration des mesures prises pour le secteur agricole avec l’AFMA par exemple. Ce plan
prévoit la promotion d’une agriculture moderne, de l’agro-industrialisation des campagnes et de
l’ouverture vers les marchés afin d’atteindre la sécurité alimentaire et la stabilité économique
dans les zones rurales. Cette approche répond efficacement à la mondialisation et à la
libéralisation du secteur engagée avec l’OMC. C’est sur des zones identifiées que les services de
support pourront se greffer et impulser une croissance agricole durable. L’un des enjeux est de
créer de nouveaux emplois aussi bien dans les zones rurales que dans les zones périurbaines
occupées par les industries afin de répondre à un exode rural pernicieux.
Cette politique déjà mise en œuvre rencontrera une forte résistance des partisans d’une réforme
agraire traditionnelle ainsi que des bénéficiaires originaux de la réforme. Si le LAD est
abandonné beaucoup dénonceront la tentative du pouvoir de s’affranchir de la CARL qui est
pourtant inscrit dans la Constitution des Philippines depuis 1987. D’un autre coté, les
économistes et les investisseurs potentiels dans le secteur agricole se réjouiront de cette
modernisation et de cette ouverture du secteur agricole philippin. La question que l’on doit se
poser s’énonce de la manière suivante : est-ce que le partage égalitaire de la propriété foncière est
45 Source : http://www.neda.gov.ph/ads/mtpdp/MTPDP2004-2010/PDF/MTPDP2004-2010.html
46 Source : http://www.news.ops.gov.ph/pgma_10point-agenda.htm
62
plus important que la sécurisation des droits sur l’utilisation des terres pour une croissance
agricole durable ?
Nous pouvons mettre en avant la nécessité première de développer un cadre légal strict
permettant de développer les zones rurales harmonieusement et de redistribuer le reste des
terres privées afin de contenter les populations à qui on avait promis une terre. En l’occurrence,
cette redistribution pourrait se faire selon un mode où l’Etat aurait un rôle de contrôle actif plutôt
que le rôle couteux d’expropriateur. Le phénomène que l’on observe sur l’île de Mindanao est très
intéressant. Un troisième parti intervient entre le bénéficiaire et le propriétaire. Ainsi, une
entreprise agricole peut alors payer les mensualités dues au propriétaire à la place du
bénéficiaire. En échange, le bénéficiaire, une fois les termes du contrat établi, doit travailler avec
l’entreprise agricole. Ce mécanisme répond alors à deux contraintes que sont la volonté d’agro-
industrialiser les campagnes et contenter les personnes à qui on a promis une terre. Cependant,
on se rend bien compte qu’il peut y avoir très rapidement des abus et c’est pourquoi l’Etat doit
présenter un cadre légal permettant de contrôler ce mécanisme.
D’autres mesures doivent être prises pour réglementer cette franche orientation vers l’agro-
industrie. D’expérience, nous savons que l’une des grandes réussites du PBD d’aujourd’hui est
qu’il a permit de renforcer le capital social et les capacités organisationnelles des communautés
des bénéficiaires et de structurer la société civile dans les campagnes. Les partenariats entre les
LGU, les O.N.G. et le secteur privé pour la délivrance de ces services de support aux ARC –
incluant des services sociaux de bases, des formations commerciales, sur la santé, l’éducation et
d’approvisionnement en eau potable – ont rencontré un véritable succès bien qu’ils n’aient couvert
qu’une petite portion des bénéficiaires. Il faut maintenir ces processus vertueux.
Dans ce scénario, on ne fait plus la distinction entre bénéficiaires de la réforme et les autres
paysans en ce qui concerne la couverture des services complémentaires. Nous passons du CARP à
un développement rural global. Bien sûr, il existe des catégories de population plus vulnérables
que d’autres qui restent à cibler et avec qui le gouvernement doit travailler spécifiquement en
particulier les plus pauvres ou les personnes dans certaines zones marginalisées. Dès lors, les
statuts du DAR sont à revoir puisque d’autres agences gouvernementales seront parfois mieux
adaptées afin de répondre plus efficacement à certaines situations. Le DAR pourrait donc avoir
un rôle spécifique consistant à apporter un soutien au renforcement du capital social des petits
paysans. La décentralisation des LGU est une chose qu’il faut aussi développer pour proposer à
chaque niveau que ce soit municipal ou provincial des services de support adaptés à la zone et aux
populations considérées.
Pour conclure, nous préconisons que certaines actions devront être menées afin de garantir la
réalisation de ce scénario. Il faut réorganiser les cours de justice en milieu rural et leur apporter
un important soutien financier et humain afin de pouvoir régler toutes les tentatives d’abus et les
problèmes de cette mutation. Il faut légiférer et réglementer afin d’apporter par la loi les réponses
à cette évolution. Il faut faire appliquer les lois en embauchant massivement du personnel
judicaire. Considérant le fait que le prix du foncier se soit écroulé et que le secteur bancaire soit
défaillant en zone rurale – celui-ci ne prenant quasiment jamais en compte les terres comme
garanti à un crédit – il faut absolument maintenir l’interdiction de toutes transactions pour les
nouveaux bénéficiaires de terres avant les dix ans. Etant donné l’énorme montant dépensé pour
la LAD, les bénéficiaires doivent garder la terre que l’on leur a donné afin qu’ils puissent
bénéficier des services de support nouvellement proposés. Le prix du foncier devrait réaugmenter
avec les investissements. Les priorités en termes de développement rural doivent être
consciencieusement prises et de manière holistique. Il faut promouvoir l’investissement dans le
secteur agricole et donner les moyens aux nouveaux propriétaires de pouvoir investir grâce à des
63
programmes de micro-finance par exemple. Il faut aménager un organe de contrôle permettant,
en faisant appel à celui-ci, de vérifier le respect de tous les types de contractualisation qu’il soit
SDO, cession-bail et autres arrangements commerciaux. Aucun abus ne devra être manifesté sous
peine de graves sanctions pour les abuseurs. Il faut bancariser et monétariser les zones rurales en
incluant les petits paysans dans une démarche de satisfaction des marchés. Et bien sûr, il faut
développer les marchés et leur accès grâce à des programmes d’infrastructure et de formations
prenant en compte l’économie des populations locales.
64
CONCLUSION
Récapitulons les points qui ont guidé notre réflexion et synthétisons nos résultats incarnés par
nos scénarios. Nous ouvrirons enfin notre réflexion à des considérations plus générales sur le
développement économique aux Philippines.
En 1987, la réforme agraire aux Philippines nourrissait de grands espoirs pour les populations
métayères des campagnes. Les richesses se trouvaient dans les mains de quelques uns à l’image
de la répartition de la propriété foncière. La Comprehensive Agrarian Reform Law ouvrait des
perspectives de développement et de prospérité pour le secteur agricole en crise à cette époque. La
réduction de la pauvreté, l’augmentation des productivités et le rétablissement de la justice dans
le monde rural étaient les priorités. Mais voilà que 20 années après l’instauration de la loi de
réforme agraire, le bilan est très mitigé et contestable. Les lenteurs avec laquelle la réforme s’est
appliquées à permis aux propriétaires fonciers de s’organiser pour lutter contre la division de
leurs terres. La redistribution en elle-même est discutable. La situation de terrain contraste avec
les chiffres présentés par le gouvernement. Les services de support au programme de réforme
agraire concernent une part trop faible des bénéficiaires de cette même réforme. Enfin, les cours
de justice sont débordées par les incessantes tentatives des propriétaires à vouloir déstabiliser et
contester la mise place de la réforme. Beaucoup de blocages économiques, sociaux et politiques se
sont dressés contre la réforme et perturbent son fonctionnement de nos jours.
La remise en cause de cette réforme agraire est nécessaire. Il faut trouver une solution pour sortir
de la crise où elle se trouve et répondre aux nouvelles attentes du secteur agricole et de ses actifs.
Après l’étude des grandes tendances et des hypothèses lourdes sur le futur, nous avons établi
deux scénarios.
Le premier scénario tente de répondre aux objectifs initiaux de la réforme agraire de 1988.
Autrement dit, ce scénario, en prenant en compte les tendances actuelles, liste les principes et les
mesures à entreprendre pour atteindre 100% de la redistribution des terres promises à la réforme
Ce premier axe est donc l’accomplissement total du Land Acquisition and Distribution compte
tenu de son impact intrinsèque sur la répartition des richesses. En effet, l’essentiel du stock de
terres agricoles à redistribuer sont privées et contenues dans 15 provinces de l’archipel philippin.
En se concentrant sur ces quinze provinces, l’impact sera immédiat sur la réparation des
richesses. Puis, dans un second temps, il veut apporter les services nécessaires au renforcement
des capacités des nouveaux propriétaires afin d’engager le secteur agricole dans une croissance
durable. L’effort effectué en premier lieu devra être réitérer dans ce deuxième axe afin de
65
dispenser des services de support efficaces répondant aux problèmes rencontrés par les
bénéficiaires. La réduction de la pauvreté à long terme est ici prise comme objectif. Ce scénario
bouleverse bien des choses et a besoin d’être appliqué avec volonté et détermination. Toutefois, il
est cependant relativement peu envisageable qu’un réel changement s’opère au plus haut niveau
pour relancer et achever la réforme de cette manière.
Le dernier scénario quant à lui tente de concilier les attentes des bénéficiaires de la réforme
passée et les prises de position libérales du gouvernement. Il est évident que des impératifs
économiques pour le secteur agricole doivent être suivis. En effet, la croissance du secteur agricole
est toujours restée molle ces vingt dernières années, et elle a besoin d’être stimulée. La
dynamique entreprise par le gouvernement est l’agro-industrialisation. Ce scenario allie donc une
orientation sur l’agro-industrie et l’approche communautaire qui a fait ces preuves lors de
l’expérience précédente. Etablir des stratégies de développement par communauté a été une des
grandes réussites du programme jusqu’ici entrepris. Le scénario cherche donc à cultiver ces
succès tout en orientant le secteur agricole vers la modernisation. Chaque zone pourra élaborer de
façon pertinente son développement. Du reste, l’harmonisation de ces stratégies est nécessaire et
c’est pourquoi le rôle des partenaires sera redéfini de manière à organiser efficacement ce
nouveau programme. D’autre part, d’autres formes de redistribution de la terre peuvent être
étudiées. Afin de permettre aux sans-terres d’accéder à la propriété ou à la prospérité
économique, des modes de contractualisation innovants ont été pensés. Cependant l’Etat doit
garder un rôle de contrôle strict et ferme afin de prévenir tout abus au travers de la loi ou
d’organes de réglementation.
Ces deux scénarios nous semblent souhaitables même si nous avons une préférence pour le
deuxième scénario qui est semble-t-il le plus faisable. Dans cette optique, une des choses
primordiales pour le développement économique est l’investissement. Le gouvernement compte
beaucoup sur les investisseurs étrangers pour investir dans le secteur agricole. Mais, la fuite de
plusieurs millions de personnes à l’étranger et l’absence d’une classe moyenne ne sont-elles pas
symptomatiques du malaise économique philippin et de l’incapacité des philippins à investir eux-
mêmes de manière productive ? N’y a-t-il pas de moyens innovants de développer une capacité
d’investissement intérieure ?
66
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70
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Tableaux
Tableau 1 .............................................................................................................................................. 25
Tableau 2 .............................................................................................................................................. 29
Tableau 3 .............................................................................................................................................. 30
Tableau 4 .............................................................................................................................................. 32
Tableau 5 .............................................................................................................................................. 56
Figures
Figure 1 ................................................................................................................................................. 16
Figure 2 ................................................................................................................................................. 16
Figure 3 ................................................................................................................................................. 18
Figure 4 ................................................................................................................................................. 18
Figure 5 ................................................................................................................................................. 19
Figure 6 ................................................................................................................................................. 19
Figure 7 ................................................................................................................................................. 52
Figure 8 ................................................................................................................................................. 54
Figure 9 ................................................................................................................................................. 54
Figure 10 ............................................................................................................................................... 55
Cartes
Carte 1 .................................................................................................................................................. 12
Carte 2 .................................................................................................................................................. 14
Carte 3 .................................................................................................................................................. 31
Carte 4 .................................................................................................................................................. 61
Photographies
Photographie 1 ..................................................................................................................................... 22
Photographie 2 ..................................................................................................................................... 23
Photographie 3 ..................................................................................................................................... 30
Photographie 4 ..................................................................................................................................... 40
Photographie 5 ..................................................................................................................................... 44
Photographie 6 ..................................................................................................................................... 48
Photographie 7 ..................................................................................................................................... 51
71
TABLES DES ANNEXES
Annexe I : Les Philippines d’un coup d’Etat à l’autre par David Camroux……………………….….73
72
ANNEXE I
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/06/CAMROUX/13534
diplomatique.fr/2006/06/CAMROUX/13534
JUIN 2006 - Pages 22 et 23
Par décret présidentiel, Mme Gloria Macapagal Arroyo, présidente des Philippines, déclarait
l’état d’urgence, le 24 février 2006. Officiellement,
Officiellement, pour déjouer la menace d’un coup d’Etat
fomenté par des « activistes de gauche et des aventuriers militaires de droite ». Le
gouvernement affirmait avoir découvert que des officiers mécontents préparaient un putsch,
répondant au nom de code d’« Oplan Hackle », prévu pour le week-end end suivant, lors de
manifestations de protestation contre la présidente auxquelles devaient se joindre des militaires.
Six parlementaires de gauche menacés d’arrestation se retranchaient alors dans l’enceinte du
Congrès, et les autorités dressaient une liste de militants accusés de rébellion, dont le dirigeant
en exil du Parti communiste des Philippines, M. José Maria Sison, et le responsable du Front
démocratique national, M. Luis Jalandoni.
Première colonie en Asie à déclarer son indépendance, en 1898, l’éphémère Ire République des
Philippines fut vite écrasée, avec brutalité d’abord, avec « bienveillance » ensuite (les fusils, puis
les élections), par la colonisation américaine, qui dura jusqu’à ce que le pays p obtienne son
73
autonomie en 1935, puis son indépendance en 1946. Tout juste remis de la destruction
provoquée par l’occupation japonaise (de 1941 à 1946), d’un soulèvement intérieur – la rébellion
des Huks (1) – et de la mort de Ramón Magsaysay, président nationaliste de 1953 à 1957, les
Philippins sont devenus de simples pions dans le jeu de la guerre froide en Asie. A la tête d’un
pays qui abritait les bases militaires américaines les plus importantes à l’étranger (jusqu’à leur
fermeture en 2000), des présidents incompétents et corrompus bénéficièrent d’un soutien
considérable des Etats-Unis (2) (lire « Dix ans d’instabilité »).
Au-delà des facteurs géopolitiques et des vicissitudes liées aux comportements des personnes,
plusieurs éléments caractérisent la politique philippine. En premier lieu son caractère
oligarchique (3). Dans l’espace actuellement défini comme l’Asie du Sud-Est, les Philippines sont
la seule entité à ne posséder aucune structure politique dépassant le niveau du barangay, le
village d’avant la colonisation. C’est également le pays où l’impact des colonisateurs – les
Espagnols, puis, à partir de 1898, les Américains – a été le plus fort. Ainsi, les « hommes de
prouesse » du village, comme ils ont été décrits par les premiers anthropologues, sont devenus
les caciques de l’ère espagnole, puis les chefs locaux de la période coloniale américaine comme de
la période actuelle. Il serait toutefois erroné de penser que le fonctionnement de la politique
philippine serait déterminé par quelque « localisme » primitif, car les structures progressivement
mises en place par les Espagnols, et surtout par les Américains, en ont influencé l’évolution.
A la fin du XIXe siècle, une élite indigène avait déjà fait son apparition, essentiellement
composée de mestizos, familles aux origines ethniques – espagnole, chinoise et malaise –
métissées. Composée principalement de propriétaires terriens, elle imposa son pouvoir
économique, avec l’essor du commerce international et le développement des plantations. Les
Etats-Unis, qui cherchaient à faire de leur unique colonie un exemple de démocratie en cooptant
l’élite locale, veillèrent à ce que ce poids économique s’accompagne d’un pouvoir politique
relativement fort.
Tandis que l’oligarchie des propriétaires terriens joue encore un rôle disproportionné dans la vie
institutionnelle, de nouveaux groupes dynastiques sont apparus, liés à des activités dans
l’industrie ou dans les services. En outre, le suffrage universel et les élections nationales ont
entraîné une différenciation entre les hommes politiques élus localement (maires, membres du
Congrès, gouverneurs) et ceux qui le sont sur une liste nationale – les sénateurs et, surtout, les
présidents. Issus de familles bien établies et/ou disposant d’une base de pouvoir locale, la
plupart des candidats à la présidence ont utilisé le Sénat comme tremplin. Cependant, depuis la
fin de la dictature de Ferdinand Marcos (1986) et à l’âge de l’hypermédiatisation, la nécessité de
trouver un électorat national favorise de plus en plus... les vedettes de cinéma et les personnalités
de la télévision. Sur les vingt-quatre sénateurs élus en 2001, par exemple, six étaient d’anciens
acteurs, présentateurs de télévision ou sportifs reconnus au niveau national.
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niveau national et bien introduits auprès des médias.
Deuxième caractéristique, la profonde religiosité de la société, qui s’exprime dans les références
morales du discours politique et le rôle unique joué par l’Eglise catholique. Celui-ci ne manque
pas d’ambiguïté. Le primat des Philippines, le cardinal Jamie Sin, et la Conférence des évêques
encouragèrent le départ de Marcos en 1986 et de M. Joseph Estrada en 2001. En aidant
l’organisme indépendant de contrôle des élections, le National Movement for Free Elections
(Namfel), et en incitant les fidèles à voter, l’Eglise a grandement contribué à légitimer le
processus démocratique. Cette approche a néanmoins ses limites. Avant tout concentrée, d’une
manière presque liturgique, sur les « rites » démocratiques, c’est-à-dire les élections, la
hiérarchie catholique s’est beaucoup moins souciée des résultats. Comme le notait récemment
Eva-Lotta Hedman (6), il faut considérer l’Eglise en tant que partie du bloc dominant au pouvoir,
tout comme l’élite oligarchique évoquée plus haut. En insistant sur l’importance du processus
électoral dans une société largement inégalitaire, la hiérarchie catholique perpétue
involontairement un système dans lequel les privilèges de l’élite sont à la fois fermement établis
et défendus avec véhémence.
Troisième facteur essentiel de la vie politique, l’interventionnisme des forces armées. Si celles-ci
n’ont jamais joué de rôle dirigeant, le corps des officiers est devenu une force politique majeure
en vertu de son pouvoir de faiseur de rois, identique à celui de l’Eglise. La politisation de l’armée
s’est accélérée après la proclamation de la loi martiale par Marcos en 1972. Pour maintenir son
régime « kleptocrate », il s’est assuré de son soutien en accordant des privilèges et en nommant
des membres de sa famille et autres acolytes dans la hiérarchie militaire. Sa chute fut toutefois
précipitée par la défection, pour le camp de Mme Corazon Aquino, de son ministre de la défense
d’alors, M. Juan Enrile, et de son chef d’état-major adjoint, le général Fidel Ramos. Une fois la
démocratie rétablie, en 1986, Mme Aquino puis le général Ramos se retrouvèrent tributaires des
chefs de l’armée.
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depuis 2001, quatre-vingt-trois concernaient des dirigeants et membres de deux partis politiques
de gauche, dont Bayan Muna ; environ soixante-dix, des paysans et dirigeants paysans impliqués
dans des conflits portant sur les terres et le travail agricole ; dix-huit, des syndicalistes et
ouvriers ; vingt-six, des prisonniers politiques musulmans non armés ; et vingt-quatre, des
journalistes et défenseurs des droits humains, dont des avocats et des membres du clergé (9).
Le pays détient également le record des enlèvements en Asie : quarante-quatre cas ont été
signalés à la police en 2005, ce qui ne représente que la partie émergée de l’iceberg puisque la
plupart des familles sino-philippines ne signalent pas les kidnappings. Le trafic d’enfants fait
entre soixante mille et cent mille victimes par an (10). Il ne s’agit pas seulement d’activités
criminelles ordinaires, mais aussi de l’intervention de milices privées et d’escadrons de la mort
fonctionnant avec l’approbation de l’armée et de la police, quand ce n’est pas en collusion directe
avec ces forces. Les crimes sont dénoncés et les coupables désignés par une presse courageuse et
par les organisations non gouvernementales (ONG). Pourtant, peu d’entre eux font l’objet d’une
arrestation et encore moins d’une condamnation.
Une certaine tolérance vis-à-vis de la violence dans la vie politique explique, au moins en partie,
que vingt personnes aient pu trouver la mort alors qu’elles faisaient campagne pendant les
élections de 2004. Autre élément inquiétant, la criminalisation de la politique. Le mouvement
séparatiste musulman Abu Sayyaf, à Mindanao, semble chercher par-dessus tout à s’autofinancer
par les enlèvements et les rançons. Et pour la NAP, le prélèvement d’un impôt révolutionnaire
semble être devenu une fin en soi.
Quatrième élément de la vie politique, l’affirmation des classes moyennes, ce que l’on peut
considérer comme un facteur primordial. La mobilisation de ces catégories a effectivement joué
un rôle-clé dans les mouvements Pouvoir du peuple 1 et 2 (lire « Dix ans d’instabilité »). De plus,
ces salariés, indépendants du clientélisme, forment le riche tissu des activités de la société civile.
En fait, ce pays offre un exemple frappant des conséquences des flux mondiaux sur une économie
nationale. Le manque de débouchés intérieurs incite de plus en plus de Philippins à « voter avec
leurs pieds » et à quitter leur pays pour trouver du travail ailleurs. Avec ses dix millions de
ressortissants à l’étranger, le pays figure au troisième rang mondial pour l’émigration, après le
Mexique et l’Inde. Une étude de la Banque de développement asiatique estimait en 2003 que les
Philippins vivant à l’étranger renvoyaient quelque 7,6 milliards de dollars, soit 10,5 % du produit
intérieur brut philippin et l’équivalent de 20 % des exportations (11).
Ces versements des travailleurs philippins vivant à l’étranger (Overseas Filipino Workers, OFW)
ont manifestement des effets bénéfiques ; ils ont notamment permis au pays de se relever de la
crise économique asiatique de 1997 et représentent 45 % de ses réserves financières
internationales. Cet argent a également entraîné un essor de la consommation intérieure.
Mais, d’un point de vue sociologique, ce phénomène a aussi des coûts : familles monoparentales,
syndrome de dépendance dans certaines communautés rurales, tendance à consommer des biens
clinquants plutôt qu’à investir dans des activités productives. Autre conséquence, une pénurie
chronique d’infirmières en raison de l’exode vers des emplois nettement mieux rémunérés aux
Etats-Unis, en Europe et dans certaines régions d’Asie, comme le Japon. Un exemple entre
autres.
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million sept cent mille d’entre eux se sont inscrits lors des élections de 2004, le nombre des
votants étant encore inférieur (12).
D’une façon plus générale, le « cas philippin » soulève deux questions graves. La première
concerne le rôle que peuvent jouer les médias et les organisations de la « société civile », en
veillant au respect de la justice sociale. Si la presse est l’une des plus libres et des plus
courageuses en Asie, ses révélations sur la corruption et autres comportements délinquants de
l’élite n’ont pas entraîné l’arrestation des coupables, ni l’ouverture de poursuites contre eux, ni
surtout leur bannissement de la scène politique. Mais la question fondamentale est de savoir si la
démocratie politique est viable si elle n’est pas accompagnée d’un certain niveau de démocratie
économique. Dans un pays où de 40 % à 50 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté, la
liberté et la fraternité peuvent-elles exister sans un minimum d’égalité ?
(1) rébellion contre l’occupation puis contre les grands propriétaires terriens.
(2) Pour une vue d’ensemble sur le rôle des Etats-Unis, lire Amy Blitz, The Contested State : American Foreign
Policy and Regime Change in the Philippines, Rowman & Littlefield, Lanham (Maryland), 2000.
(3) Deux ouvrages parus récemment donnent une vision contrastée mais complémentaire : Eva-Lotta E.
Hedman et John T. Sidel, Philippine Politics and Society in the Twentieth Century, Routledge, Londres, 2000 ;
Patricio N. Abinales et Donna J. Amoroso, State and Society in the Philippines, Rowman & Littlefield, Lanham,
2005.
(4) John T. Sidel, Capital, Coercion, and Crime : Bossism in the Philippines, Stanford University Press
(Californie), 1999.
(5) Sheila S. Coronel, The Rulemakers : How the Wealthy and Well-Born Dominate Congress, Centre philippin
du journalisme d’investigation, Quezon, 2004.
(6) Eva-Lotta E. Hedman, In the Name of Civil Society : From Free Election Movements to People Power in the
Philippines, University of Hawaii Press, Honolulu, 2006. Le deuxième chapitre donne un aperçu de l’élite
dirigeante.
(8) Lire Katharine L. Wiegele, Investing in Miracles : El Shaddai and the Transformation of Popular Catholicism in
the Philippines, University of Hawaii Press, Honolulu, 2005.
(9) James Petras et Robin Eastman-Abaya, « Philippines : the killing fields of Asia », Counterpunch Petrolia
(Californie), 17 mars 2006, www.counterpunch.org/petras03172006.html
(10) The Nation, Bangkok, 17 mars 2006 ; International Herald Tribune, 9-10 avril 2005.
(11) Asian Development Bank, « Enhancing the efficiency of overseas workers remittances », Manille, 2003
(www.adb.org/Documents). Avec les versements officieux, ce dernier pourcentage passerait à 30 %.
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ANNEXE II
http://www.monde-diplomatique.fr/2006/06/CAMROUX/13535
diplomatique.fr/2006/06/CAMROUX/13535
JUIN 2006 - Page 22
PHILIPPINES
Dix ans d’instabilité
Par DAVID CAMROUX
Chercheur associé
ocié au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), directeur du programme Asie-Europe
Asie à l’Institut
d’études politiques.
Le départ du dictateur fut avant tout provoqué par des manifestations massives organisées
contre la fraude sans précédent commise lors de l’élection présidentielle de 1986, qui vola la
victoire à son adversaire, Mme Corazon (« Cory ») Aquino, veuve du sénateur Benigno Aquino,
leader de l’opposition assassiné en 1983. Le Pouvoir du peuple 1 (People Power 1), ou « EDSA
1 », du nom d’une grande artère de Manille où eurent lieu les rassemblements de masse –
évêques en chasuble, officiers en uniforme,
uniforme, stars du rock et du cinéma tenant les premiers rôles,
soutenus par la masa,, les pauvres de Manille, côtoyant les branchés des classes moyennes –,
devint un symbole fort du changement politique en Asie.
La présidence de Mme Aquino, de 1986 à 1992, qui bénéficiabénéficia initialement d’un soutien populaire
écrasant, s’avéra décevante. Si une nouvelle Constitution fut rédigée afin d’éviter certains excès
du précédent régime, d’autres espoirs de réforme, surtout d’une réforme agraire qui s’imposait
impérativement, partirent
rtirent en fumée. Placée sous la menace constante de coups d’Etat militaires
par un corps d’officiers politisé sous Marcos, et redevable à l’Eglise catholique de sa légitimité, la
présidente Aquino n’eut qu’un seul et unique objectif : consolider la démocratie atie électorale, même
s’il fallait pour cela en revenir à la pratique de la loi martiale chère à la politique oligarchique.
La présidence de Mme Aquino ouvrit tout de même la voie à une transmission pacifique du
pouvoir à son successeur. Celui-ci,
Celui M. Fidel Ramos, permit à l’économie de commencer à
rattraper celles de ses voisins grâce à des réformes intérieures et à des mesures d’ouverture. Il
consentit également quelques efforts timides en faveur d’une réforme agraire, signa un accord de
paix avec les séparatistes
ratistes musulmans de Mindanao, et mit en œuvre un programme de planning
familial pour faire face à une démographie galopante.
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Sa pratique de la corruption et des abus de pouvoir – il recevait notamment de grosses sommes
provenant de jeux d’argent illégaux –, sa façon curieuse de gouverner avec des compagnons de
beuverie dans son « cabinet de minuit », les faveurs accordées à des amis de l’époque de Marcos
finirent par enclencher une tentative de destitution. Lorsque ses partisans la bloquèrent au
Sénat, une alliance entre les milieux d’affaires et l’Eglise catholique mena à une réédition du
mouvement de protestation des classes moyennes, connue sous le nom de Pouvoir du peuple 2,
ou « EDSA 2 ».
Les procédés employés pour tenter de déloger M. Estrada étaient douteux du point de vue
constitutionnel, mais, une fois que le chef des forces armées et celui de la police eurent annoncé
que le président n’avait plus leur soutien, la Cour suprême nomma la vice-présidente Gloria
Macapagal Arroyo pour le remplacer. Ex-sénatrice et fille d’un ancien président, munie d’un
doctorat en économie obtenu aux Etats-Unis et, comme Mme Aquino, animée d’une piété
déclarée, Mme Arroyo semblait pouvoir garantir un retour rassurant à la normalité. Après
l’étrange épisode Estrada, la politique consistait une fois encore à protéger les droits acquis.
Toutefois, les partisans de M. Estrada dans les bidonvilles et dans sa province natale, se sentant
floués, tentèrent, quelques mois après « EDSA 2 », de marcher sur le palais présidentiel. La
manifestation, connue sous le nom de « EDSA 3 », fut violemment réprimée, mais le
mécontentement provoqué par l’usurpation du pouvoir continua à couver. Une fois encore, ce
mécontentement fut récupéré : l’épouse de M. Estrada, Luisa, et son fils, José, également une
ancienne vedette de cinéma, furent élus au Sénat.
Mme Arroyo fit donc ses débuts de présidente non élue en terrain instable, tributaire des mêmes
forces que Mme Aquino, et plus qu’elle encore. Pour ne pas s’aliéner l’Eglise, elle fit passer à la
trappe le programme de planning familial et acheta la tranquillité des hauts gradés de l’armée en
leur accordant des promotions et des postes lucratifs dans le gouvernement ou le secteur privé.
Ayant reçu des « instructions divines », et malgré sa promesse, elle brigua un nouveau mandat
présidentiel de six ans et fut élue. Son adversaire, Fernando Poe Jr, contesta immédiatement
cette victoire en affirmant que les 3 % de voix d’écart entre les deux candidats étaient le résultat
d’une fraude, et tenta, en vain, une procédure de destitution contre la présidente. Si Mme Arroyo
n’a pas été accusée elle-même de corruption, son époux Mike s’est enfui en exil pour éviter les
procédures judiciaires. Qui plus est, certains des anciens défenseurs de la présidente ont appelé à
sa démission après la découverte de l’enregistrement d’une conversation qu’elle a eue avec le
responsable de la commission électorale le soir des élections.
Sa situation de fragilité l’a poussée non seulement à proclamer l’état d’urgence, mais aussi à
proposer un changement de Constitution pour transformer le régime présidentiel actuel, où le
pouvoir législatif est assuré par un congrès bicaméral, en régime parlementaire avec un congrès à
une seule chambre. Ce projet, communément surnommé « cha cha » (pour charter change,
changement de charte), a été vivement critiqué, notamment parce qu’il prévoit provisoirement de
prolonger de trois ans le mandat des dirigeants politiques en place (1). Pour certains, il
renforcerait les fiefs locaux ; d’autres lui reprochent de menacer leurs privilèges. D’aucuns y
voient aussi le moyen pour Mme Arroyo de se caler dans la fonction de premier ministre et de
contourner ainsi la limite d’un mandat unique imposée à la présidence. Beaucoup doutent que ce
projet puisse s’attaquer aux causes profondes de l’instabilité : l’autoritarisme et l’absence de
partis politiques structurés indépendants et organisés sur la base d’un programme.
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ANNEXE III
Dignité et universalité
Une des nos premières recherches sur le sujet de notre mémoire se porta sur la question de la
dignité humaine et du respect des droits fondamentaux pour les populations sans-terres ou
métayères. La notion de dignité est un des fondements de l’entreprise philosophique occidentale
car elle est au cœur des réflexions sur l’éthique et la morale.
Pour Platon et Aristote, c'est l'intelligence qui fonde la dignité humaine. Au Moyen Âge, Saint
Thomas d'Aquin insistera plutôt sur la liberté, sans toutefois contester les Grecs. À l'époque
moderne, Emmanuel Kant ira encore plus loin en fondant la dignité sur la valeur absolue des
personnes. Selon Georg Wilhelm Friedrich Hegel, sans reconnaissance de la part d'autrui, cette
dignité perdrait son sens et c'est ce qui explique que ce désir de reconnaissance puisse aller
jusqu'à l'exposition à la mort. La reconnaissance de la dignité d'autrui concerne la personne au
sens le plus profond c'est-à-dire la personne au-delà des contingences particulières qui la
caractérisent. Cette idée d’universalité est présenté par Emmanuel Levinas qui fait naître la
conscience morale par une injonction irrépressible : « Le sens de l'humain est donné par la
conscience morale, par cette exigence de nous-mêmes à l'égard de nous-mêmes qui nous fait
pressentir qu'en causant injustement du tort à autrui, c'est immédiatement à nous-mêmes que
nous faisons du tort. » Enfin, André Gide définissait la dignité humaine comme une sorte de
respect de soi-même et d'autrui, ou encore selon Paul Ricœur, cette « exigence plus vieille que
toute formulation philosophique » tient à ce que « quelque chose est dû à l'être humain du seul
fait qu'il est humain »47
Au sortir de la deuxième guerre mondiale, cette notion de dignité apparait dans la déclaration
universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948. Il était urgent de trouver un processus
juridique pour préserver la dignité après les atrocités de la guerre avec la dégradation,
l’assujettissement et la discrimination envers d’autres hommes. Il convient de rappeler que les
droits de l’homme sont conçus comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les
nations, ou des prérogatives fondamentales de la personne humaine qui transcendent la diversité
des cultures. Ce sont des droits qui correspondent à l’être humain en vertu de sa seule condition
humaine. Tous les êtres humains ont donc « des droits égaux et inaliénables », car tous
participent à la « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine »48. C’est ce qu’on
appelle l’universalité des droits de l’homme. Cette universalité est une caractéristique essentielle
des droits fondamentaux de la personne. Comme le souligne Hector Gros Espiell : « les droits de
l’homme sont universels ou ils ne sont pas »49.
La notion de dignité humaine fait donc référence à une qualité inséparablement liée à l’être même
de l’homme, ce qui explique qu’elle soit la même pour tous et qu’elle n’admette pas de degrés. De
ce point de vue purement occidentalocentrique, se voulant universel, on peut dire qu’au nom de la
dignité humaine et du respect des droits fondamentaux humains la redistribution de la propriété
foncière est justifiée. Il valide le droit de chacun de posséder la terre qu’il cultive pour vivre ou
tout du moins une juste rémunération de ce travail.
47 Source : Paul Ricœur, « Pour l’être humain du seul fait qu’il est humain », Les enjeux des droits
de l’homme, Paris, Larousse, 1988, p. 236.
48 Cf. Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (Préambule et article premier) ; Pacte
international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (Préambule) ; Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 (Préambule).
49 Source : Héctor Gros Espiell, « Droits de l'homme et droits de l'humanité », René-Jean Dupuy.
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