Sunteți pe pagina 1din 38

Deuxième Partie

Tout au long de la première partie de cet exposé, nous nous


sommes efforcé de dresser un portrait psychologique du person-
nage à partir des données recueillies dans les soixante récits qui
constituent le Canon.
La mise en lumière des traits de caractère les plus saillants
évoqués de façon récurrente dans les textes nous ont permis de
considérer Sherlock Holmes non plus du point de vue profession-
nel – ce qui a fait sa renommée –, mais en tant qu’être humain,
c’est-à-dire sur le plan de sa personnalité. La confrontation de ces
traits, ainsi que la nature relationnelle établie avec autrui, avec les
critères définis par le DSM-IV1 nous a permis d’envisager une per-
sonnalité pathologique de type « borderline ».
Avant de revenir sur l’individualité complexe et torturée de
Sherlock Holmes pour tenter d’expliquer plus en détail l’élection
d’un tel diagnostic – en énumérant notamment les symptômes
ayant permis d’y parvenir – et fouiller plus en profondeur la plau-
sibilité d’une telle pathologie chez le sujet, peut-être serait-il néces-
saire, pour éclairer notre démonstration, de nous attarder, sans
trop nous appesantir cependant, sur les contenus théoriques des
textes définissant les différents troubles de la personnalité exis-
tants.
Aussi, cela fait, pourrons-nous, par la suite, en nous ap-
puyant sur la typologie de la personnalité borderline et sur les cri-
tères diagnostiques permettant de la suspecter, grâce à un regard
volontairement focalisé sur le côté obscur du personnage tu par le
Dr Watson – son ami, confident et thérapeute – nous prêter enfin,
dans une ultime partie, au jeu de l’extrapolation, lequel nous
conduira, cela va de soi, à laisser la porte ouverte à un imaginaire
spéculatif et jubilatoire dont le caractère discutable, avouons-le, ne
nous échappe pas...
1. Troubles de la PersonnaliTé : GénéraliTés2

définiTion & CriTères diaGnosTiques

Loin d’être l’expression de petits défauts ou travers obser-


vables chez tout un chacun, le trouble de la personnalité – quel
qu’il soit – nuit véritablement à l’adaptation de l’individu qui en
souffre. Ses critères diagnostiques généraux sont définis comme
suit :
Modalité durable de l’expérience vécue et des conduites qui dévie
notablement de ce qui est attendu dans la culture de l’individu.
Cette déviation se manifestant dans au moins deux des do-
maines suivants :
- la cognition3,
- l’affectivité (c’est-à-dire diversité, intensité, labilité et adéqua-
tion de la réponse émotionnelle),
- le fonctionnement interpersonnel,
- le contrôle des impulsions.
Ces modalités durables sont rigides et envahissent des situa-
tions personnelles et sociales très diverses.
Ce mode durable entraîne une souffrance cliniquement signi-
ficative ou une altération du fonctionnement social, professionnel
ou dans d’autres domaines importants.
Ce mode est stable et prolongé et ses premières manifestations
sont décelables au plus tard à l’adolescence ou au début de l’âge
adulte.
Cette modalité n’est pas mieux expliquée par les manifestations
ou les conséquences d’un autre trouble mental.
Ce mode durable n’est pas dû aux effets physiologiques directs
d’une substance (drogue) ou d’une affection médicale générale.

Compte tenu de la pluralité des facteurs à considérer (durabilité


des traits dans le temps, différences inter-culturelles, réponses à
des stress spécifiques, liens avec d’autres troubles mentaux,
consommation de substance) et du fait que ces facteurs ne soient
pas perçus par le sujet souffrant comme équivoques, le diagnostic
de trouble de la personnalité est difficile à poser.

Selon le DSM-IV4, il existe dix troubles de la personnalité ré-


partis en trois grands groupes (A, B et C), lesquels sont établis selon
des similarités descriptives :

- le groupe A comprenant :
la personnalité paranoïaque, caractérisée par une mé-
fiance soupçonneuse envers les autres dont les inten-
tions sont interprétées comme malveillantes ;

la personnalité schizoïde, caractérisée par un détache-


ment des relations sociales et une "froideur émotion-
nelle" ;

la personnalité schizotypique, caractérisée par des pro-


blèmes relationnels, par des distorsions en terme de
connaissances et perceptions et des conduites excen-
triques ;
- le groupe B comprenant :
la personnalité antisociale (ou psychopathie), caracté-
risée par un mépris et une transgression des droits d'au-
trui ;

la personnalité borderline (ou "état limite"), caractéri-


sée par un problème de gestion des émotions, de l’im-
pulsivité, des problèmes relationnels, de l’image de soi ;

la personnalité histrionique, caractérisée par une quête


exacerbée d'attention ;

la personnalité narcissique, caractérisée par des com-


portements grandioses, un besoin d'être admiré et un
manque d'empathie ;
- le groupe C comprenant :
la personnalité évitante, caractérisée par une inhibition
sociale, par des sentiments de ne pas être à la hauteur et
une hypersensibilité au jugement négatif d'autrui ;

la personnalité dépendante, caractérisée par un com-


portement soumis lié à un besoin excessif d'être pris en
charge ;

la personnalité obsessionnelle-compulsive est carac-


térisée par une préoccupation par l'ordre, la perfection
et le contrôle.
auxquelles il faut ajouter :

le trouble de la personnalité non-spécifiée, catégorie


prévue quand sont observés les critères généraux d’un
trouble de la personnalité, en même temps que des
traits spécifiques à plusieurs autres sans que soient
toutefois constatés complètement les critères d’aucun
trouble ;
la personnalité dépressive, mode envahissant de cog-
nitions et de comportements dépressifs (à distinguer
cependant des diagnostics de dépression) ;

la personnalité passive-agressive, mode envahissant


d’attitudes négativistes et de résistance passive aux de-
mandes de fournir une performance adéquate ;

la personnalité multiple (ou « trouble de l’identité dis-


sociative »), mode présentant une alternance de deux
états ou plus de personnalités distinctes prenant tour
à tour le contrôle du comportement de la personne,
avec une altération de la mémoire entre les différents
états de personnalité.
a noter : ces troubles de la personnalité, pour l’heure à
l’étude, ne sont pas reconnus en tant que tels par le DSM-IV.

en Guise d’illusTraTion…

De par sa méfiance soupçonneuse à l’égard des autres


quand il refuse de divulguer ses plans à l’avance (principale carac-
téristique de la personnalité paranoïaque) ; sa froideur émotionnelle
(trouble schizoïde), ses problèmes relationnels et ses conduites ex-
centriques (trouble schizotypique) ; à cause de son mépris et de ses
transgressions des droits d’autrui et notamment ceux de Watson
(trouble antisocial) ; parce qu’il met en scène le dénouement de ses
enquêtes pour tenter de focaliser l’attention sur sa personne (trouble
histrionique) tout en veillant par ses comportements grandioses à
susciter l’admiration de tous qu’un Dr Watson – préalablement dé-
signé par lui – relaye par le truchement de ses comptes rendus
(trouble narcissique) ; de par son inhibition sociale et les sentiments
dévalorisants qu’il éprouve à l’égard de lui-même lorsqu’il sombre
dans une de ses phases périodiques de neurasthénie (personnalité
évitante) ; par ce besoin d’un allié - à la fois témoin de ses actes et
accessoire de sa quête - à ses côtés dans ses enquêtes (personnalité
dépendante) ; à cause, enfin, de sa volonté de tout contrôler et d’ar-
chiver chaque élément ayant pris part dans l’une de ses affaires
(tendance obsessionnelle compulsive), Sherlock Holmes pourrait bien
être perçu comme une individualité « patchwork »intégrant à elle
seule l’ensemble de ses troubles, si l’on s’en tenait uniquement à
ces laconiques définitions des dix troubles de la personnalité ré-
pertoriés par le DSM-IV…
Certains troubles présentent, certes, des points d’intersection
avec d’autres – ce qui, nous l’avons dit, rend souvent difficile le
diagnostic –, mais quel que soit un individu donné présentant une
personnalité à structure déviante, il existe toujours un ensemble de
symptômes qui, amalgamés, du moins existant concomitamment,
permettent de définir le dit trouble. Ainsi, le DSM-IV répertorie-t-
il, pour chacun des troubles susmentionnés, un ensemble de cri-
tères diagnostiques définis comme autant de symptômes qui leur
correspond respectivement5 : s’ils présentent une stabilité dans le
temps et si, de part leur caractère rigide et envahissant, ils s’avèrent
une source de souffrance ou d’altération du fonctionnement, alors
- observés de façon synchronique chez un même individu et ce, à
un degré jugé excessif - ils autorisent le diagnostic du trouble en
question.
Pour illustrer notre propos, considérons la personnalité obses-
sionnelle-compulsive, laquelle est régulièrement évoquée par la
scène médiatique sous l’appellation de TOC6 et le plus souvent il-
lustrée par des témoignages d’individus obnubilés de façon mala-
dive par la propreté de leur corps et, par la même, de leur
environnement. Généralement, ces patients se croient contaminés
par d’invisibles agents pathogènes qu’ils combattent par des rituels
de nettoyage répétés, dont la durée - variable selon chacun
d’entre eux - empiète, quoi qu’il advienne, sur le déroulement
habituel d’une journée. Pour l’expert, ce trouble ne peut être
diagnostiqué que si au moins quatre des huit critères (4/8) ex-
posés ci-dessous7 sont décelés chez le patient :
préoccupation pour les détails, les règles, les inventaires, l’organisa-
tion ou les plans au point que le but initial d’une activité en est occulté ;
perfectionnisme qui entrave l’achèvement de tâches (p.ex. incapacité
d’achever un projet parce que des exigences personnelles trop strictes ne
sont pas remplies);
dévotion excessive pour le travail et la productivité avec exclusion des
loisirs et des amitiés (sans que cela soit expliqué par des impératifs écono-
miques évidents);
est trop consciencieux, scrupuleux et rigide sur des questions de mo-
rale, d’éthique ou de valeurs (sans que cela soit expliqué par une apparte-
nance religieuse ou culturelle) ;
incapacité de jeter des objets usés ou sans utilité même si ceux-ci n’ont
pas de valeur sentimentale ;
réticence à déléguer des tâches ou à travailler avec autrui à moins que
les autres se soumettent exactement à sa manière de faire les choses ;
se montre avare avec l’argent pour soi-même et les autres ; l’argent
est perçu comme quelque chose qui doit être thésaurisé en vue de catas-
trophes futures ;
se montre rigide et têtu.

Critères diagnostiques pouvant avoir des troubles associés tels que des
troubles anxieux ou de l’humeur.

Ainsi, selon les référents susmentionnés, si un individu


donné présente au moins quatre de ces symptômes, sera-t-il sus-
ceptible de présenter une personnalité obsessionnelle-compulsive.
On proposera alors de pousser plus avant l’examen et par le biais
d’une psychothérapie adaptée, associée ou pas (selon le cas) à une
pharmacopée idoine, on pourra tenter de juguler cette personnalité
déviante en tentant de trouver l’origine probable d’un tel trouble.

susPiCion d’un Trouble de la PersonnaliTé


Chez sherloCk holmes

Si l’on consulte la littérature – foisonnante8 – consacrée à l’étude


du Canon holmesien, nombreux sont les auteurs qui ont souligné
le caractère à la fois narcissique et paranoïaque du détective, ainsi
que sa probable dépendance à un syndrome maniaco-dépressif.
Quelques-uns parmi eux – intrigués par certains traits appuyés de
sa personnalité – ont fait part de leurs inquiétudes quant à la santé
mentale de Sherlock Holmes, avec prudence cependant – le statut
de mythe du personnage ayant pour une grande part évincé son
côté obscur et le maître lui-même portée par une multitude d’ado-
rateurs9 n’acceptant pas d’être déchu.
Ainsi, Pierre Bannier10, le présentant comme un « héros sujet à
un mal de vivre caractérisé11 » qui nous dévoile « son profil de cyclo-
thymique* par cette alternance régulière de moments d’exaltation intense
et de mélancolie destructrice12 », s’interroge-t-il sur la complexité in-
trinsèque de son psychisme et sur les causes réelles de son enga-
gement aveugle, presque compulsif, dans la chasse aux criminels :
il « devait peut-être l’essentiel de sa personnalité, et notamment sa passion
pour le développement des sciences déductives à des déséquilibres psycho-
logiques revêtant une dimension pathologique13 ». Même si cet article –
à cause de sa brièveté sans doute – ne fait qu’effleurer le sujet,
Bannier a le mérite d’évoquer le « profil psychologique extrêmement
ambigu et contrasté14 » de cet homme dont les « prodiges intellec-
tuels15 » sont l’expression de son « combat personnel contre son mal
de vivre16 », lequel « par extraordinaire17 » en tant que « mode de fonc-
tionnement personnel rejoint l’intérêt général 18» ; et de poser des jalons
sur un diagnostic possible par la prise en compte de certains symp-
tômes : « le trouble psychiatrique holmésien est de plus aggravé par un
non-rapport au corps caractérisé. En effet, vivre pour la logique et la dé-
duction ne peuvent qu’amener un désintérêt de la vie matérielle (mépris
de la sensualité, de l’union homme-femme) jusqu’à outrepasser pratique-
ment l’instinct de conservation (Holmes n’hésite pas à négliger repas et
sommeil lorsqu’il est sur une piste). Ce positivisme exacerbé engendre
ainsi un refoulement des instincts et des sens. Holmes rejette le support
biologique qu’est son corps et s’élève à un autre niveau, celui de l’esprit.
Il rejoint indirectement l’ambiance puritaine environnante, puribonde et
moralisatrice par essence, même si ses motivations n’ont rien à voir19. »
Dans une autre étude sherlock holmes, enquête privé20,
Ronald Nossintchouk présente, pour sa part, le détective comme
un être affaibli par un déficit existentiel qui tente de dissimuler ses
tensions névrotiques tout en donnant libre cours à ses accès para-
noïaques, ses débordements tyranniques et ses tendances obses-
sionnelles. Ainsi Holmes est-il décrit comme un « égocentrique qui
souffre à l’évidence d’un complexe de supériorité (ou d’un complexe d’in-
fériorité surcompensé) [dont le] psychisme rigide et le rôle qu’on lui as-
signe l’entraînent à rompre avec le réel et à lui faire préférer un univers
mental recomposé à sa seule mesure 21» et qui « développe des tendances
schizoïdes (fortement teintées de paranoïa22), …[en] s’isol[ant] du reste
de l’humanité pour mieux parfaire son idéal intellectuel.23» Selon cet au-
teur qui affirme de plus que « son narcissisme maladif le rend obses-
sionnellement hostile24 et [que] son goût du pouvoir inconditionnel n’est
peut-être que l’aveu assez désespéré d’une faiblesse à laquelle la dyna-
mique même de sa virtuosité le condamne25 », « le bonheur d’être reconnu,
respecté, adulé » immuniserait le personnage « contre son propre sens
de la destruction – [grâce au perpétuel] affrontement d’un moi mortifère
à un moi grandiose26 » qui se joue sur la scène de son intimité psy-
chique ; et de conclure que : « le plus grand drame de ce héros – à la
nature tourmentée en proie à d’impressionnants troubles névrotiques27 –
est son impuissance à assumer son histoire personnelle28 ».
Egocentrisme, narcissisme maladif, tendances schizoïdes, pul-
sions tyrannicides et persécutrices alliées à des penchants d’auto-
destruction… autant de travers révélant une facette bien négative
de notre personnage ! Le détective anglais le plus réputé de toute
l’histoire du roman policier souffrirait-il donc de troubles psycho-
logiques insoupçonnés jusque-là, parce que considérés comme des
composantes de son excentricité ?
Comme nous avons tenté de le démontrer dans la première par-
tie, Watson – en dépit du rôle de faire-valoir qu’il veut nous
convaincre d’avoir joué au cours des quelques vingt années passées
aux côtés de Holmes – semble n’avoir jamais été dupe de sa souf-
france psychique dissimulée sous ses grands airs conquérants et sa
grandiloquence exacerbée. Certains de ses témoignages – bien
qu’autocensurés, secret professionnel oblige – nous laissent
accroire cela. Car sous le masque du naïf émerveillé et dévoué,
Watson occulte sa clairvoyance de médecin que nourrissent les
dernières avancées médicales d’où germeront les sciences à venir.
Souvenons-nous en effet qu’au moment où débute l’association des
deux hommes la psychiatrie moderne tend à s’imposer…
Si Watson se montre si dévoué et si prompt à répondre aux
demandes de Holmes, peut-être est-ce pour approcher au plus près
sa pathologie… En laissant s’exprimer les pulsions du détective,
en ne posant aucun frein peut-être veut-il provoquer la pleine
expression de sa personnalité afin de la cerner, pour ensuite tenter
de l’exorciser en appliquant les préceptes et traitements prônés par
les précurseurs dont il a lu les articles dans The Lancet ou The British
Medical Journal avant d’en étudier leurs traités. Nous avons déjà
souligné dans la partie précédente29, le caractère quasi éthologique
du premier portrait que dresse le Dr Watson dans une eTude en
rouGe, laquelle est, selon nous – d’autant que cette approche tend
à perdurer tout au long des narrations qui constituent le Canon –
significative du rôle véritable qu’il s’est assigné… Qui d’autre que
lui, en effet, aurait pu s’y atteler ? En dépit de ses sarcasmes et de
sa condescendance, Holmes n’avoue-t-il pas tacitement voir en
Watson le seul être capable de le comprendre et de l’aider à sur-
monter son malaise existentiel ?
Le fond narcissique demeure une constante dans la personna-
lité de Sherlock Holmes, mais si cet aspect s’avère, de prime abord,
l’un des plus visibles et des plus imposants, il en est d’autres plus
insidieux, parce que latents ceux-là, qui nous poussent à approfon-
dir notre analyse.

2. de la PersonnaliTé borderline en ParTiCulier…

L’étude des indices textuels exposée dans la première partie de


cet ouvrage nous a permis de mettre à jour certains comportements
et déviances du personnage qui, posés comme autant de symp-
tômes et confrontés au référent théorique qu’est le DSM-IV, nous
ont amenés à considérer la personnalité de notre sujet comme re-
levant d’une structure borderline. Qu’en est-il vraiment ?

desCriPTion du syndrome

Il existe différents types d’états borderline et nombreux sont


les analystes qui utilisent ce terme pour désigner des patients mon-
trant un certain nombre de caractères psychotiques sans qu’ils
soient ouvertement schizophrènes ou psychotiques.
La personnalité borderline est constituée de traits aussi bien
névrotiques que psychotiques ou déséquilibrés, voire pervers. Une
tendance anxieuse, extrêmement importante, liée à une angoisse
de séparation est aussi une constante de ce trouble : le sujet a peur
de perdre la personne à qui il est attaché et dont il dépend. A cela,
s’ajoutent un trouble de l’identité qui se traduit par une perception
de soi souvent mégalomaniaque, ou totalement dévalorisée – en-
traînant une psychorigidité marquée qui empêche l’autocritique
et engendre une fausseté du jugement liée aux interprétations –,
avec des risques suicidaires30 et des symptômes névrotiques de
type phobique, le tout accompagné de troubles du comportement
marqués par l’impulsivité, l’imprévisibilité associés à des ten-
dances alcooliques ou toxicomaniaques et des conduites addic-
tives31.
Le mode de relation est lui aussi caractéristique : il est dominé
par une affectivité intense, peu maîtrisable, qui explique des rela-
tions envahissantes, avides, de type anaclitique32, avec risque de
rupture ou de mise à distance. Ces difficultés relationnelles sont
parfois accentuées par un sentiment de persécution. De façon gé-
nérale, l'adaptation socio-professionnelle est médiocre en raison de
l'instabilité ; néanmoins, de grandes périodes de normalité peu-
vent émailler cette évolution. Les complications sont marquées par
des dépressions graves avec tentatives de suicide et auto-mutila-
tion. Parfois des épisodes délirants persécutoires peuvent appa-
raître.
Sur le plan thérapeutique : la prise en charge est difficile et
requière en général une équipe, en raison des risques d'anaclitisme,
l'hospitalisation pouvant même s’avérer nécessaire en cas de dé-
compensation.

Selon une étude menée par le Dr Herbert Rosenfeld33 sur un


groupe de patients dit borderline, la présence de symptômes névro-
tiques associant de l’anxiété, une sexualité perverse polymorphe,
des traits de caractère pré-psychotique schizoïdes ou hypomaniaques,
des phobies d’impulsions, de la dépendance, des troubles du carac-
tère infantile et antisocial, ainsi que d’autres manifestations telles
que des phobies, des obsessions, des tendances dissociatives et para-
noïdes, est chose courante chez la majorité d’entre eux, le syndrome
se trouvant accentué par leur manque de tolérance à l’anxiété et
leur déficit de contrôle des pulsions. Cependant, il semble caracté-
ristique de tous les cas borderline que les angoisses d’apparence
psychotique34 soient soigneusement cachées dans des situations de
réalité externes, comme les sentiments paranoïdes. Cette étude
révèle, d’autre part – affirmation qui pourrait rejoindre notre
hypothèse émise dans la première partie de cet exposé35 –, que la
plupart de ces patients « ont souffert dans la première enfance d’un
traumatisme psychique pendant de longues périodes, parfois des années.
Ils n’ont pas seulement manqué de maternage dans la petite enfance, mais
ont eu à faire face à de longues séparations plus tard. (…) En dépit de la
force de leurs angoisses psychotiques, ils sentent qu’ils ont une force et
un sens naturel de la réalité car ils ont survécu. Ils ont souvent une in-
tense fierté narcissique de s’être gardés en vie presque tout seuls36 ».
Ainsi, leurs mécanismes de défense qui s’expriment par un clivage
des objets en bon et mauvais, une idéalisation primitive, des formes
précoces de projection – et, en particulier, une identification projective
–, le déni et une omnipotence de façade leur donnent-ils une appa-
rente stabilité et l’illusion d’une fausse santé mentale.

On peut résumer la somme d’informations concernant le syn-


drome qui nous occupe comme suit :
Le trouble de la personnalité borderline se caractérise par un pro-
blème sur le plan de la gestion des émotions (du point de vue de
leur intensité et de leur instabilité) qui se traduit par de l’anxiété,
une impulsivité, des sautes d'humeurs fréquentes, un sentiment
de vide et des comportements jugés parfois excentriques. La rela-
tion à autrui est aussi problématique. Le mode de pensée du bor-
derline l’amène à voir l’autre soit comme « tout bon », soit comme
« tout mauvais ». En fait, il perçoit l’autre comme il se perçoit : il
ne sait pas qui il est et a une image de lui instable, globalement né-
gative mais pouvant alterner avec une image très positive d’où son
humeur fluctuante, laquelle varie selon cette alternance. La souf-
france qu’il en éprouve est exacerbée au point de l’amener à avoir
des conduites auto-destructrices. Le risque de suicide étant avéré,
ce trouble revêt une réelle gravité nécessitant une prise en charge
psychothérapeutique. On notera pour finir qu’un des facteurs dé-
clenchant du trouble puise ses origines dans la petite enfance.
CriTères diaGnosTiques de la PersonnaliTé borderline

D’emblée, posons comme référent la définition du DSM-


IV, laquelle nous servira de support :

jPersonnalité borderiine (BorderIine Personality Disorder)

Mode général d'instabilité des relations interpersonnelles, de


l'image de soi et des affects avec une impulsivité marquée, qui apparaît
au début de l'âge adulte et est présent dans des contextes divers, comme
en témoignent au moins cinq des manifestations suivantes :
- Efforts effrénés pour éviter les abandons réels ou imaginés (NB.
Ne pas inclure les comportements suicidaires ou les auto-mutilations énu-
mérées dans le critère 5).
- Mode de relations interpersonnelles instables et intenses carac-
térisées par l'alternance entre les positions extrêmes d'idéalisation exces-
sive et de dévalorisation.
- Perturbation de l'identité: instabilité marquée et persistante de
l'image ou de la notion de soi.
- Impulsivité dans au moins deux domaines potentiellement dom-
mageables pour le sujet (p. ex.., dépenses, sexualité, toxicomanie, conduite
automobile dangereuse, crises de boulimie). NB. Ne pas inclure les
comportements suicidaires ou les auto-mutilations énumérées dans le
critère 5.
- Répétition de comportements, de gestes ou de menaces suici-
daires, ou d'automutilations.
- Instabilité affective due à une réactivité marquée de l'humeur (p.
ex., dysphorie épisodique intense, irritabilité ou anxiété durant habituel-
lement quelques heures et rarement plus de quelques jours).
- Sentiments chroniques de vide.
- Colères intenses et inappropriées ou difficulté à contrôler sa co-
lère (p. ex., fréquentes manifestations de mauvaise humeur, colère
constante ou bagarres répétées).
- Survenue transitoire dans des situations de stress d'une idéation
persécutoire ou de symptômes dissociatifs sévères.37
Troubles associés : symptômes d’allure psychotique (hal-
lucinations, distorsions,…), troubles de l’humeur, troubles
liés à la prise d’une substance et autres troubles de la per-
sonnalité.
diagnostic différentiel : ces symptômes peuvent être pré-
sents dans les autres types de troubles de la personnalité :
narcissique, histrionique, paranoïaque, schizotypique, anti-
sociale, dépendante.

sherloCk holmes, PersonnaliTé


à sTruCTure borderline ?

Nous nous proposons de confronter ces critères diagnos-


tiques définissant la personnalité borderline aux différents symp-
tômes observés chez notre sujet. Nous les considèrerons donc un à
un et tenterons de les illustrer par des attitudes et comportements
relevés dans le Canon pour parvenir à valider – ou invalider – notre
hypothèse de départ.

jeviter les abandons réels ou imaginaires…

Dès leur première rencontre, Holmes semble avoir jeté son


dévolu sur Watson. Le désœuvrement de ce médecin démobilisé
de l’armée des Indes pour cause de santé, réduit à la solitude et
dans une situation financière précaire, qu’un portrait peu flatteur
de lui fait par Stamford (il n’en est pas dupe) n’a pas arrêté, séduit
d’emblée le détective. Sa douloureuse oisiveté – qui lui rappelle
sans doute ces crises de cafard, lesquelles le laissent « plusieurs jours
de suite sans ouvrir la bouche38 » – et la sincérité de l’enthousiasme
qu’il lui exprime l’amènent à présager une salutaire complicité ;
peut-être même, voit-il déjà en cet homme une promesse de
rédemption, du moins un moyen de se décharger d’une part de
sa souffrance.
Même si la rencontre des deux hommes apparaît comme
fortuite, on ne peut s’empêcher de penser que Sherlock Holmes,
décrit par la suite comme un être alliant le calcul à l’omnipotence,
choisit Watson pour servir son dessein. Bien que rien dans le texte
ne nous dise que le détective a auditionné d’autres candidats à la
colocation qu’il propose, rien non plus ne le dément. Nous est donc
laissé toute latitude d’envisager une telle éventualité … Et si
Holmes avait élu Watson selon une fonction qu’il soit à même d’as-
surer, celle de renvoyer au détective une image sublimée de lui-
même capable de le rassurer et de chasser ses démons ?
La relation39 qui en découle est à la hauteur de ses attentes, et
va même au-delà : impressionné par ses talents d’investigateur,
Watson rédige et publie les comptes rendus d’enquêtes menées à
ses côtés. Les critiques acerbes que leur destine Holmes sont – ne
nous leurrons pas ! – autant de manifestations de reconnaissance
et de remerciements adressées à leur auteur à qui Holmes ne peut
décemment avouer le réconfort qu’il lui apporte. Il le fera pourtant,
mais seulement une fois Watson parti vivre aux côtés de son
épouse, comme pour lui signifier le prix inestimable qu’il attache
à leur amitié et le sentiment d’abandon40 qu’il éprouve depuis son
départ : « je ne suis plus du tout le même homme quand je ne suis pas
seul et que je peux me fier entièrement à quelqu’un41 », confession
qu’une autre, plus explicite sur son mal de vivre, viendra complé-
ter : « je vous assure que c’est énorme, pour moi, d’avoir quelqu’un à qui
parler librement, car mes propres pensées ne sont pas très agréables42 ».
Emotionnellement hypersensible, oscillant entre amour et
haine et gérant difficilement cette ambivalence qui le positionne
souvent sur la défensive (et ce, parfois, jusqu’à la paranoïa),
Holmes se voit admiré et soutenu comme jamais personne ne sem-
ble l’avoir fait auparavant (le refus de parler de sa famille est, en
ce sens, significatif). De ce don de soi que lui accorde Watson, aussi
affligé que lui mais pour des raisons bien différentes, naît un lien
que la plupart prendront pour une indéfectible amitié alors que
Holmes lui-même la conçoit comme la clé de voûte de son équilibre
mental, à la fois vitale et régénératrice.
Mais, engagé dans cette relation anaclitique avec ce compagnon
qui, tout à la fois, le comprend, le soutient et l’encourage, il se
dissimule derrière le masque d’une feinte autocratie, simulée pour
donner le change à la conscience aiguë qu’il a de sa dépendance et
pour se rassurer face à l’éventualité d’un futur désistement. Dans
cette optique, il ne peut qu’honnir tout événement susceptible
d’entraver leur relation et multiplier les coups d’éclat pour main-
tenir focalisée sur sa personne l’attention de Watson afin de l’em-
pêcher de trouver ailleurs d’autres amitiés. Aussi, son mariage avec
Mary Morstan à la fin du siGne des quaTre est-il un coup porté à
son intégrité morale… L’abandon redouté est bien là43, personnifié
par cette femme. Ne pouvant s’y opposer sans se découvrir, il
clame avec forfanterie qu’à lui, « il […] reste la cocaïne44 », envisa-
geant par là même sa régression à venir, laquelle le laissera dans
la plus grande solitude45.
Cependant, en dépit de la vie maritale de Watson, Holmes ne
lâchera pas prise. Si les premiers mois de cette union semblent plei-
nement occuper Watson46, celui-ci demeure pour Holmes – comme
il lui avouera lors de leur ultime enquête – « le seul point fixe d’une
époque changeante47 », c’est-à-dire l’unique personne en qui il ait
consenti à placer toute sa confiance. De ce fait, jusqu’à ce que se
dresse ce point de non-retour que sont les chutes de Reichenbach,
il n’aura de cesse d’enrôler Watson dans de nouvelles affaires, le
déliant de sa fonction d’époux pour le réinvestir du rôle qu’il lui
assigna initialement, se donnant ainsi l’illusion de n’avoir jamais
subi cette séparation. Malgré tout, celle-ci vécue comme une at-
teinte personnelle, le poussera à se perdre lui-même : en mettant
en scène sa propre mort lors d’un duel avec le funeste Moriarty,
mais surtout en entraînant avec lui le seul homme capable de
témoigner de son héroïsme et de son intégrité, il affirmera sa
supériorité – avec une force d’autant plus grande que l’acte sacri-
ficiel est contrefait – tout en générant chez son ami cette sensation
d’un manque douloureux, aussi lancinante que celle qu’il eut à
éprouver quand on le délaissa.
Puis, un jour d’avril 1894, réorchestrant la scène inaugurale de
leur amitié, Holmes investira à nouveau l’existence rangée de Wat-
son qui, sous le couperet de son récent veuvage, trouvera dans sa
proposition de cohabitation un moyen pour lui de faire face à son
deuil… Jusqu’à ce que l’histoire se répète à nouveau (Watson se
remariera quelques huit années plus tard48) et que – soit guéri de
son affection, soit convaincu de sa totale impuissance – il se retire
définitivement, loin des hommes et du trop plein d’émotions qu’ils
génèrent.

jrelations interpersonnelles instables et intenses…

Préférant la solitude au commerce avec ses semblables,


Sherlock Holmes avoue n’« avoir jamais été un individu très socia-
ble49 ». Pourtant, il accepte le Dr Watson comme colocataire puis,
le temps aidant, comme « ami et biographe », trouvant chez lui sem-
ble-t-il une panacée au mal qui le ronge. La relation que les deux
hommes entretiennent est d’une intensité rare, fusionnelle par cer-
tains côtés, chacun d’entre eux donnant l’impression parfois d’être
la composante d’une seule et même entité. Mais si Watson s’avère
capable de prendre de la distance par rapport à l’amitié qui le lie à
Holmes – souvenons-nous que par deux fois au moins50, il se ma-
riera et quittera Baker Street –, Holmes, pour sa part, en demeura
prisonnier. S’entourant de subalternes aptes à servir son dessein –
qu’ils soient informateurs ou représentants de l’ordre – , il som-
brera dans les affres noirs de la dépression, attendant le moment
propice pour signifier à son complice le caractère fondamental de
l’amitié qu’il lui voue.
La réflexion proposée dans aPProChe des TraiTs de CaraCTère
les Plus saillanTs du PersonnaGe51 développe cette remarque de
Watson qui le décrit comme un individu « déficient sous le rapport
de la sympathie humaine52 » et qui n’envisage la relation à autrui que
comme servante de son dessein : soit utilitaire du point de vue pro-
fessionnel, soit comme baume à son angoisse existentielle ; quant
à l’étude, précédemment exposée, concernant la notion d’abandon
contre lequel le détective tente désespérément de se prémunir en
investissant Watson dans sa fonction d’incontournable allié, elle
vise à démontrer l’assujettissement du détective à celui à qui, en
dépit des apparences, il doit plus qu’il ne l’a jamais avoué et dont
l’engagement auprès de Mary Morstan signera sa régression, non
pas professionnelle – bien que sans biographe, il perde de sa pres-
tance – mais psychique.
La nature de la relation Holmes-Watson est, du point de vue
de Holmes, à ce point nécessaire à son équilibre mental que, jouant
sur la corde sensible, il n’aura de cesse de solliciter son ami, sans
en avoir l’air. Ainsi, dès mars 188953 – après quelques trois mois
d’isolement54 durant lesquels, selon le narrateur, il « altern[e] entre
la cocaïne et l’ambition55 » –, trouvera-t-il toujours un prétexte pour
amener Watson à accepter de partager à nouveau l’intimité de
Baker Street, manœuvre qui lui permettra de retrouver alors une
sérénité provisoire. Ses laconiques, mais péremptoires, télé-
grammes56 visant à réveiller cette excitation qu’ils partagèrent à
leur début ou ses visites rendues à des heures indues57 seront des
moyens détournés pour ramener Watson vers lui, avec peut-être
un espoir caché de le voir délaisser son épouse. Les affaires telles
un sCandale en bohême, l’emPloyé de l’aGenT de ChanGe ou
le TraiTé naval sont pour Holmes l’image d’un équilibre re-
trouvé, malheureusement provisoire, dont il saura se contenter
jusqu’à cette soirée de mai 1891, où sa solitude laissant prise à une
insurmontable crise de paranoïa, il entraînera son ami dans un pé-
riple qui signera sa fin, mais une fin grandiose orchestrée comme
un acte sacrificiel visant à l’anéantissement de celui qu’il conçoit
comme le mal absolu…
En confiant au lecteur l’impression générale « d’inhumanité58 »
qu’il ressent en présence de Holmes et en révélant « son aversion
pour les femmes, sa répugnance à se faire de nouveaux amis (…) [et] son
obstination à ne jamais parler des siens59 », Watson témoigne du
manque d’empathie de son ami à l’égard de ses congénères.
S’affichant comme le défenseur d’une cause à laquelle il voue son
existence au détriment de son intimité, il n’a que faire des relations
humaines si elles ne servent pas, de près ou de loin, l’objet de sa
quête. Voilà pourquoi, portant peu d’intérêt – pour ne pas ne pas
dire, aucun – au beau sexe, il semble s’être cloîtré dans une ascèse
volontaire…On peut cependant s’interroger : cette abstinence
sexuelle forcenée ne pourrait-elle pas occulter des pulsions
inédites ?
« Ce que vous faites n’a pas d’importance aux yeux du public. Ce qui
compte, c’est ce que vous lui faites croire ! … 60», telle serait donc la
philosophie de Sherlock Holmes qui, derrière le masque de l’im-
placable logicien, occulterait sa vraie nature. Ainsi, toutes ses atti-
tudes, ses actions, ses rapports à autrui résulteraient-ils de scenarii
mûrement réfléchis, visant à donner de lui-même une image à la
hauteur de ses aspirations capable de justifier de son degré de maî-
trise, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi sur le
plan humain. L’autocratie dont il fait montre à l’égard de Watson,
son égotisme, son pédantisme et cette suffisance qui nous le ren-
dent si souvent exécrable, ne seraient donc qu’une façade, et Wat-
son lui-même un exutoire à son mal-être. Dans cette optique, on
pourrait envisager que son côté casanier et antisocial pourrait être,
comme ses défauts énumérés ci-avant, autant de paravents dressés
pour mettre à couvert sa personnalité défaillante, autant de méca-
nismes de défense pour se garder du regard d’autrui par trop in-
quisiteur lequel, en le côtoyant, pourrait déceler en lui le trouble
psychique qui l’étreint ?
Conscient de son problème dont il pose les jalons en les mini-
misant dès sa rencontre avec Watson61, il s’avère incapable d’ex-
pliquer son mal et encore moins d’y remédier ; la mise en œuvre
de stratégies de camouflage en témoigne…

jPerturbation de l’identité…

Le cas Sherlock Holmes est une belle illustration de cette


conception psychanalytique qui reconnaît la coexistence de deux
instances distinctes dans une même individualité : l’anima (le moi
profond et véritable) et la persona (le moi apparent), lesquelles cor-
respondent plus généralement aux notions de personne et de per-
sonnage. Et il l’est d’autant plus que son être est le théâtre de la lutte
incessante de ces deux principes antagonistes qui, chacun tour à
tour, tentent d’asseoir leur précellence pour donner de l’homme
qu’ils définissent l’image la plus valorisante. Pour le plus grand
bonheur des amateurs de mystère, l’implacable logicien s’impose
le plus souvent, mais le double torturé qui demeure tapi dans
l’ombre tend à vouloir lui aussi s’exprimer, se manifestant tel un
diable dans la boîte, lorsque l’instance dominante baisse sa garde.
Chez Holmes, le personnage social qu’il incarne dans sa
fonction de détective relègue ainsi le moi personnel à l’arrière-
plan et son intimité, purement mise de côté, est littéralement mu-
selée pour laisser à cette facette de son individualité la pleine
possibilité de s’épanouir au point parfois de mettre sa vie en péril.
Dans un paragraphe précédent intitulé sherloCk holmes… un
aDDICTé au Travail62, nous avons montré combien le détective était
assujetti à sa cause, définie comme une raison de vivre, et combien
celle-ci pouvait le mener, dans un total oubli de soi, à la négation
des exigences corporelles les plus élémentaires.
Il semblerait en fait que la fonction sociale joue ici le rôle
d’une compensation à des frustrations dans d’autres domaines. En
s’absorbant dans le personnage qui lui sert de refuge, Sherlock
Holmes parvient à échapper à l’angoisse existentielle que génère
son anima. Cependant, si cette attitude - somme toute courante chez
beaucoup d’entre nous -, apparaît comme un moyen de gestion des
angoisses qui le taraudent, elle est à ce point exacerbée qu’elle en
devient monomaniaque. En effet, par son engagement quasi ob-
sessionnel dans sa lutte contre le crime, que ses compétences re-
connues désignent comme un recours suprême lorsque toutes les
parties susceptibles d’œuvrer pour la justice se sont avérées im-
puissantes, il affiche sa volonté d’étouffer son anima sous le poids
décuplé de son identité sociale à laquelle il donne plus d’autorité
encore grâce à l’usage de subtils artifices.
La mise en scène, par exemple, fait partie de l’un d’entre eux
et pourrait témoigner, de par sa récurrence, de tendances histrio-
niques que le détective utilise comme des composantes nécessaires
à la pleine illustration de son art. Sa manière de taire ses avancées
dans une enquête pour le seul plaisir de présenter à un public
choisi la conclusion de ses investigations (on pense ici, notamment,
au dénouement du TraiTé naval63 où le document dérobé est res-
titué à son propriétaire au cours d’un déjeuner, dissimulé dans le
plat qui lui est destiné) montre combien cet homme, sous couvert
d’une assurance de façade, réclame la reconnaissance de ses pairs.
Selon Cooley, auteur de la théorie dite du « moi-miroir » (looking-
glass self), « le type de sentiments que l’individu a vis-à-vis de lui-même
est déterminé par l’attitude qu’il attribue à autrui vis-à-vis de lui… De
même que nous nous voyons dans un miroir et sommes intéressés à cette
image parce qu’elle est nôtre, satisfaits ou non selon qu’elle répond à nos
souhaits, de même, nous percevons en imagination dans l’esprit d’autrui
quelques pensées au sujet de notre apparence, de nos manières, de nos ca-
ractères, etc., et nous sommes affectés par cette image de façon variable64».
Sherlock Holmes, par ces jeux d’acteurs – qui incluent aussi son art
du déguisement dont sa maîtrise lui permet de tromper avec jubi-
lation son entourage (pour n’en citer qu’un exemple, nous nous re-
mémorerons sa prestation du vieux bibliophile dans la maison
vide65), nourrit son inclination exagérée à être considéré favora-
blement.
Le besoin d’être reconnu par autrui ou la « conscience de soi »
– telle que la nomme William James66, un de ses contemporains,
lequel affirme qu’à défaut de l’opinion réelle d’autrui, partielle-
ment inconnue, l’individu peut se contenter de l’opinion imaginée –,
semble être l’une des préoccupations essentielles de Sherlock
Holmes qui multiplie les manœuvres pour en recueillir les témoi-
gnages. Cette attitude met en évidence le peu de confiance qu’il
accorde à son propre discernement en la matière, mais aussi peut-
être la défiance qu’il éprouve à l’égard de Watson, son plus fidèle
promoteur. La faiblesse de son self-confidence67 allié à ce besoin
itératif d’être rassuré sur la validité du crédit que l’opinion géné-
rale lui octroie montre combien cet homme à du mal à cerner sa
propre identité. Qui est-il vraiment ? Ce détective omniscient au-
quel les plus noirs criminels londoniens n’osent pas se frotter ou
cette âme rongée par d’inavouables angoisses, parce que non-iden-
tifiées, que seuls l’immersion dans le travail et le recours à la
drogue permettent d’atténuer partiellement ? Son rejet d’une filia-
tion, sa façon de clamer son autodidactisme ou encore la revendi-
cation de sa singularité sont autant d’indices de sa volition d’exister
en dehors des limites imposées par son anima.
« L’identité personnelle est celle d’une histoire et elle se confond avec
l’historicité de la personnalité », écrit Jean-Claude Filloux68. Sherlock
Holmes, pour sa part, a choisi de tirer un trait sur son histoire pour
se recréer dans celle du détective que confortent les écrits du Dr
Watson, désigné à cette fin. En inaugurant cette profession unique
qui est la sienne et en lui donnant ses lettres de noblesse, il parvient
à devenir qui qu’il veut être en balayant celui qu’il est réellement.
En se redéfinissant de la sorte, il se donne alors un cadre de réfé-
rence qui nourrit son sentiment de sécurité puisque grâce à cela le
monde perd son caractère imprévisible et donc angoissant. Ainsi,
par la sublimation, ce « déplacement vers le mieux » qui est
l’expression même du transfert équilibrant, décharge-t-il son mal-
être sur un but ayant l’avantage d’être socialement approuvé, le-
quel présente une équivalence avec le but primitif dont on doute
qu’il ait véritablement connaissance.

jimpulsivité potentiellement dommageable…

Si Sherlock Holmes semble afficher un certain mépris à l’égard


de son entourage, allant parfois jusqu’à la transgression de ses
droits élémentaires, c’est parce que, tout entier voué à sa quête, il
se laisse submerger par elle, perdant ainsi de vue toute notion de
savoir vivre… Témoignant par là d’un déficit social et interperson-
nel marqué par des compétences réduites dans ses relations à au-
trui, il ne perçoit l’autre non pas comme un individu mais bien
comme un instrument susceptible de l’aider à mener sa quête à son
terme. Ainsi en est-il de Watson qui, lui, en plus de sa fonction
d’auxiliaire, endosse celle d’exutoire à son angoisse.
Sa conception des relations humaines, assujetties aux nécessités
que détermine la cause à laquelle il a chevillé son destin, est à
l’image de celle qu’il a de sa santé, laquelle rejoint celle qu’il a de
lui-même : « Je suis un cerveau… Le reste de mon individu n’est que
l’appendice de mon cerveau69 ». Ainsi, le corps doit-il lui aussi être
mis au service de l’esprit exalté, pour se conformer à cette identité
de surhomme que Holmes s’est construite, et cela parfois au détri-
ment des besoins corporels les plus essentiels – à se demander si
l’instinct de conservation n’est pas lui aussi défaillant chez cet
homme.
L’événement évoqué au début des ProPriéTaires de reiGaTe70
et celui, à peu de choses similaire, mentionné en ouverture de
l’avenTure du Pied du diable71, montrent comment Holmes, en-
gagé dans une affaire et, par conséquent, soumis à sa frénésie de
la quête, s’oublie littéralement au risque de se perdre. Séparés par
dix années environ, ces deux épisodes72 de la vie de notre héros at-
testent de l’indifférence qu’il manifeste à l’encontre de sa propre
existence organique… et pour cause, souvenons-nous de cette cita-
tion de Flaubert lancée comme un credo : « L’homme n’est rien ; c’est
l’œuvre qui est tout73 ».
Si ces circonstances, somme toute paroxystiques, portent la
marque d’une impulsivité potentiellement dommageable pour le sujet,
il est d’autres domaines dans lesquels Holmes met sa vie en dan-
ger... En témoignent ses conduites addictives.

jComportements, gestes
ou menaces suicidaires ou d’automutilations…

Si Sherlock Holmes est en proie à des pulsions suicidaires, il


sait le dissimuler. Dans l’ensemble du Canon, rien ne semble en
effet attester d’une telle tendance. Néanmoins, sous couvert de son
combat obstiné contre le crime qui, tout à la fois, sert de palliatif à
son angoisse existentielle et de mobile à certains agissements – que,
chez un autre, on jugerait plus qu’anormaux –, on devine la dualité
qu’occulte parfois l’incongruité.
La mise à jour de conduites addictives, sur lesquelles nous nous
sommes longuement arrêté dans la première partie de cet ouvrage,
peut laisser présager l’existence de telles pulsions qui, compte tenu
de l’attitude générale du personnage, donnent l’impression d’être
le point d’ancrage d’une incessante lutte intérieure. Celle-ci pour-
rait d’ailleurs donner leurs origines aux symptômes observés chez
notre sujet : la somme de tentatives visant à garder Watson à ses
côtés, la perturbation du mode de relation interpersonnel comme
celle de l’identité – le moi intime soumis à la pression de telles pul-
sions perdant alors tous ses repères –, l’impulsivité, l’instabilité af-
fective résultant du doute quant à l’identité personnelle et, enfin,
en période d’assujettissement extrême aux pulsions susnommées,
l’émergence d’une idéation persécutoire, voire de symptômes dis-
sociatifs… l’ensemble survenant comme autant de mécanismes de
défense instinctivement brandis – de façon « réflexe », pourrions-
nous dire –pour contrecarrer les assauts de la pulsion d’autodes-
truction…
L’inconscience dont Sherlock Holmes fait montre dans certaines
situations – et, pour n’en citer qu’une, on fera référence ici à l’ex-
périence de la lampe décrite dans l’avenTure du Pied du diable
à la suite de laquelle, sans l’intervention de Watson, il ne serait pas
sorti vivant, à moins qu’il ne versât dans la démence – peut en effet
susciter le doute : est-il si complètement obsédé par la résolution
de ses enquêtes criminelles au point de perdre le sens de la réalité
ou, profitant des circonstances d’une affaire, se met-il sciemment
en scène (reconnaissons-lui ses talents d’acteur) dans des situations
potentiellement dangereuses pour satisfaire ses pulsions suici-
daires ? Watson reste muet sur la question et s’acquitte, de bonne
grâce, du rôle de chaperon (de garde-fou, oserions-nous dire ?)
quand la situation l’impose.
Notons, tout de même, combien son engagement dans une
affaire – notamment lorsqu’il investit les lieux d’un crime – le
transfigure. Concernant la collecte des indices autour du corps
d’Enoch J. Drebber dans une eTude en rouGe, Watson relate ainsi
les procédures du détective : « Muni de ces deux instruments [un
mètre en ruban et une grosse loupe ronde], il trotta sans bruit dans
la pièce ; il s’arrêtait, il repartait ; de temps à autre, il s’agenouillait et,
même une fois, il se coucha à plat ventre. Il semblait avoir oublié notre
présence ; il monologuait sans cesse à mi-voix ; c’était un feu roulant inin-
terrompu d’exclamations, de murmures, de sifflements, et de petits cris
d’encouragement et d’espoir. Il me rappelait invinciblement un chien cou-
rant de bonne race et bien dressé, qui s’élance à droite puis à gauche à tra-
vers le hallier, et qui, dans son énervement, ne s’arrête de geindre que
lorsqu’il retrouve la trace74 » ; description significative à laquelle fait
écho celle qui suit, extraite du mysTère du val bosCombe :
« Quand il était sur une piste (…), Sherlock Holmes était transformé. Des
gens que ne l’auraient connu que sous les apparences paisibles du logicien
et du penseur de Baker Street l’auraient difficilement reconnu. Son visage
pouvait s’assombrir ou s’éclairer. Ses sourcils se résumaient à deux lignes
noires, sous lesquelles brillaient deux lueurs d’acier. (…) Ses narines sem-
blaient se dilater sous l’effet d’une passion animale pour la chasse ; son
esprit tout entier concentré sur l’affaire qui le préoccupait, au point
qu’une question ou une remarque ne soulevait en réponse qu’un grogne-
ment impatient.75 »
Les exemples de cette transfiguration – tant physique que psy-
chique – ne manquent pas dans le Canon ; ils révèlent, à notre sens,
la puissance cathartique que lui octroie sa Quête (et là, la majuscule
s’impose) laquelle revêt pour lui une dimension propitiatoire, dont
l’aboutissement doit lui permettre d’accéder à la rédemption. La
conception quasi mystique qu’il semble avoir de sa mission –
laquelle transparaît au travers de l’ascèse qu’il s’impose, alliée à
l’abnégation et aux sacrifices – pourrait tout aussi bien être un voile
jeté sur ses pulsions destructrices qui, outre sa propre personne,
peuvent – justifiés par des prétextes scientifiques – s’étendre à au-
trui ; gardons en mémoire le témoignage de Stamford : « il admi-
nistrerait à un ami une petite pincée de l’alcaloïde le plus récent, non pas,
bien entendu, par malveillance, mais simplement (…) pour connaître
exactement les effets du poison ! Soyons juste ; il en absorberait lui-même,
toujours dans l’intérêt de la science ! 76», conduite que Watson expé-
rimentera quelques quinze années plus tard dans la déjà nommée
avenTure du Pied du diable.
Ce que nous avons appelé « transfiguration » et qui, tout à la
fois, figure l’acte de soumission de Holmes à sa Quête et, par son
biais, la métaphore de son combat contre ses tendances mortifères,
trouvera sa pleine expression dans le dernier Problème, censé
clore définitivement les aventures du détective. Le duel qui l’op-
posera au Professeur Moriarty, après une fuite effrénée (sur la-
quelle nous ne manquerons pas de revenir), lui permettra de
rassasier les deux facettes de sa personnalité : tout en instaurant
l’idéal de justice que les agissements du Napoléon du Mal ne pou-
vaient autoriser, il satisfera aux pulsions suicidaires qui l’assaillent
en mettant en scène sa propre mort – une mort sublimée qui, non
seulement, ancrera dans l’esprit de son entourage l’image préfa-
briquée qu’il a toujours voulu qu’on ait de lui et qui, d’une certaine
façon, le portera vers une renaissance qu’un séjour au Tibet77, ber-
ceau d’immémoriales sagesses aux vertus exorcistes, rendra sans
doute plus recevable…

jinstabilité affective
due à une réactivité marquée de l’humeur…

Comme il l’avoue lui-même, Sherlock Holmes est l’esclave


d’une humeur fluctuante qui se traduit par l’alternance de périodes
d’ « énergie à toute épreuve78 » auxquelles succèdent, par réaction
peut-être à cette vitalité survoltée déployée jusqu’à épuisement,
des phases antithétiques de léthargie morose. Celles-ci, comme en
témoignera Watson à plusieurs reprises, se traduisent par un repli
sur soi, avec refus de toute interaction avec le monde extérieur, et
par un mutisme obstiné – le sujet donnant l’impression à qui l’ob-
serve qu’il est en proie à un état de prostration : « pendant de longues
journées, il restait étendu sur le canapé sans rien dire, sans remuer un
muscle, depuis le matin jusqu’au soir. alors son regard devenait si rêveur
et si vague…79 ».
Certains ont vu dans la description de ses retranchements, faisant
toujours suite à des épisodes de frénétique activité – frénétique,
parce que sous-tendue par une incoercible impulsivité (et rappe-
lons ici les deux noires dépressions, ou menaces d’y sombrer, aux-
quelles nous faisons allusion dans une rubrique précédente), la
possibilité de déceler sous ses attraits les symptômes d’un trouble
bi-polaire, aussi appelé cyclothymique ou maniaco-dépressif.
Caractérisée de façon générale par une alternance de nombreux
épisodes hypomaniaques et dépressifs – ce qui pourrait correspon-
dre aux états observés chez notre sujet –, cette maladie de l’humeur
considérée comme résultant d’un déterminisme génétique est à dis-
tinguer des dépressions névrotico-émotionnelles auxquelles on sup-
pose, pour leur part, une étiologie psychologique ce qui impliquerait,
selon l’ouvrage qui nous sert de référence80, une plus grande continuité
entre le trouble thymique et la personnalité de base et, surtout, une
évolution variable liée aux circonstances de la vie.
Si, comme nous l’envisageons, Holmes souffre d’abord d’un
trouble de la personnalité dont les ramifications s’étendent jusqu’à
la régulation de son humeur entre autres, il se pourrait que cette
succession alternée de phases hypomaniaques (qui se définissent
chez lui plus particulièrement par une augmentation de l’estime
de soi accompagnée selon le cas d’idées de grandeur, une réduc-
tion du besoin de sommeil, une plus grande communicabilité – no-
tamment lors du dénouement d’une affaire, quand des explications
s’imposent –, et un engagement excessif dans des activités agréa-
bles mais à potentiel élevé de conséquences dommageables) et
d’épisodes neurasthéniques relèverait plus de la dépression névro-
tico-émotionnelle que d’un véritable syndrome maniaco-dépressif.
Qu’importe, même si la pathogenèse de cette affection ne relève
pas de nos compétences, cette irrégularité d’humeur n’ayant pas
manqué de nous intriguer, était-il au moins nécessaire de soulever
la question…
Avouant subir, impuissant, le joug d’un syndrome thy-
mique, Sherlock Holmes donne aussi l’apparence de ne pas ressen-
tir l’éventail des émotions humaines. En dépit de l’amitié (dont on
a souligné la valeur qu’il lui accorde et les fonctions qu’elle revêt)
qui le lie à Watson, il ne lui exprime que peu de fois – et ce, toujours
avec une réserve affectée – de l’attachement.
un sCandale en bohême est en ce sens manifeste de son
affectation : « Il ne me prodigua pas d’effusions, rapporte Watson. Les
effusions n’étaient pas son fort. Mais il fut content, je crois, de me voir.
a peine me dit-il un mot. Toutefois son regard bienveillant m’indiqua un
fauteuil…81 » ; pourtant derrière les gestes contraints qu’il s’oblige
à avoir et le thème de la conversation sur lequel il s’engage (le
mariage82), on pressent la joie contenue d’un homme pour qui le
retour d’un autre laisse présager la reconquête d’un équilibre.
Ce manque d’empathie est une constante de la personnalité
du détective. Comme beaucoup de ses travers révélés jusque-là, il
pourrait bien être un de ces mécanismes de défense dressés pour
dissimuler une hyperémotivité qui, si elle était exposée, pourrait
trahir – aux yeux de celui dont le dessein est la maîtrise de tout et
en toutes circonstances – l’expression de sa propre faiblesse. Car,
Holmes n’est pas dénué d’émotions et ce masque d’indien Peau-
Rouge qu’il s’oblige à porter n’est pas sans faille : en atteste sa fai-
blesse dans les Trois Garrideb où, croyant Watson blessé, il laisse
transparaître l’effroi d’avoir perdu son ami : « je vis s’embuer les
yeux durs, et frémir les lèvres fermes83 »…
Ainsi, en est-il de Sherlock Holmes, un être dont l’apparence
soutenue par des talents d’acteur tente de dominer la vrai nature,
mais un être malgré tout qui, en dépit de l’usage d’une panoplie
d’artifices, ne parvient pas à faire taire cette angoisse qui sert de
fondation à sa personnalité…

jsentiments chroniques de vide…

Le jeu de la duplicité distillant bien souvent le doute et le


tourment, on comprend que Sherlock Holmes s’égare parfois, lais-
sant remonter à la surface le spectre de ses affres existentielles,
celles-là même que l’on aurait cru très loin de ses préoccupations
de détective. Aussi peut-on entendre ses plaintes qu’il scande
comme d’autres prient, comme pour exorciser ses douleurs en-
fouies trop longtemps tues ou ignorées : « … toute la vie n’est-elle
pas pathétique ? (…) Nous atteignons. Nous saisissons. Nous serrons les
doigts. Et que reste-t-il finalement dans nos mains ? Une ombre. Ou pis
qu’une ombre : la souffrance84 ». Trahissant à la fois la vacuité de la
vie terrestre et la petitesse de l’homme face à un destin qu’il ne
maîtrise pas malgré tout, elles sont les confessions d’un homme
qui, dépouillé de ses attraits socio-professionnels et rendu face à
lui-même, ne sait plus qui il est : « a quelle fin tend ce cercle de misère,
de violence et de peur ? Il doit bien tendre à une certaine fin, sinon notre
univers serait gouverné par le hasard, ce qui est impensable. Mais quelle
fin ? 85»
Résultant de sa nature en propre, mais aussi des troubles
thymiques dont il souffre, ces accès négatifs – auxquels Holmes
nous donne peu l’occasion d’assister – sont l’expression même de
sa personnalité qu’avec ses termes – « j’ai le cafard86 » – il avait tenté
de définir dès sa première rencontre avec Watson.
jColères intenses et inappropriées
ou difficulté à contrôler sa colère

Il n’est pas de colères explicites, à ce point intenses et inap-


propriées, décrites dans le Canon… sans doute à cause (ou grâce à)
la discrétion du Dr Watson dont les comptes rendus, il faut le rap-
peler, visent non pas à nous décrire les mœurs de son ami, mais
bien ses méthodes de précurseur en matière d’investigation poli-
cière. Cependant, quand on connaît la nature duelle du détective
et ses dons de dissimulateur, on ne manque pas de s’interroger,
une fois encore, sur la portée véritable de certaines de ses conduites
ou actions.
Deux d’entre elles, en particulier, nous ont interpellé, même si
le texte a vaguement tenté de les justifier. La première concerne le
fait que Holmes, alors qu’il occupe une fonction mal spécifiée à
l’hôpital St-Bartholomew’s, « bat dans les salles de dissection les cada-
vres à coup de canne87 ». Le ton que l’on pressent outré qu’adopte
Stamford pour en informer Watson semble témoigner du caractère
à la fois sacrilège et exagéré de cette pratique – et d’ajouter : « je
l’ai vu, de mes yeux vu », comme s’il confiait avoir assisté à un évé-
nement inconcevable. Derrière cette déclaration qui sonne comme
une mise en garde, on perçoit l’homme qui, tout en voulant prêter
assistance à son ancien collègue, se dégage des responsabilités qui
pourraient lui incomber si la cohabitation dont il s’est fait l’entre-
metteur tournait mal. Que cache donc cette pratique qui, bien que
peu coutumière, trouve une explication médico-légale – il s’agit en
effet de vérifier si l’on peut faire des bleus aux corps post-mortem ?
Stamford qui donne de Holmes un portrait peu avenant, bien qu’il
salue par ailleurs ses qualités scientifiques, aurait-il perçu chez cet
homme un inquiétant, voire dangereux, côté ? Et si battre les
cadavres était une façon détournée de décharger une colère sourde
enfouie au tréfonds de son être…
La seconde attitude de Holmes qui a retenu notre attention
concerne l’entraînement au pistolet qu’il pratique en chambre88, en
dépit du fait que Watson soutienne – par écrit, du moins – que c’est
là plutôt un « passe-temps de plein air 89». Le décrivant comme « en
proie à une humeur bizarre* », le narrateur nous le dépeint assis « dans
un fauteuil avec son instrument à double détente, une centaine de car-
touches, [et entreprenant] de dessiner sur le mur un patriotique V.R.
(Victoria Regina) en poings grêlés90 ». N’est-ce pas là une activité pour
le moins dangereuse et tout à fait incongrue lorsqu’elle est menée
dans un salon ? Même si derrière les mots de Watson, on détecte
une pointe d’humour (anglais, bien sûr) quant à la formulation de
la remarque notamment, on peut se demander comment celui qui
s’était présenté comme étant « antibruit parce que [ses] nerfs sont
ébranlés91 » a pu endurer un tel supplice – sans parler de Mrs
Hudson qui, même s’il est dit qu’il l’a réglée « princièrement92 », dut
à subir « le pire des locataires de Londres93 » pendant près de vingt
ans. Mais d’autres questions demeurent : comment Holmes lui-
même a-t-il pu aboutir à une telle extrémité ? Et qu’elle était la vé-
ritable nature de cette « humeur bizarre » ?
Le caractère agressif de ces deux conduites susmentionnées
pourraient bien révéler un point d’origine commun : cette colère
irrépressible et incompréhensible née des replis de son être – re-
lique dépositaire des souffrances anciennes et refoulées –, trouvant
là à s’exprimer de façon dérivée …
Ces agissements jugés symptomatiques ne doivent cependant
pas nous laisser passer outre les continuelles attaques que Sherlock
Holmes, sous forme de brimades et de sarcasmes, destine à
Watson. En dépit de cet aveu – « En dehors de vous, je n’ai pas d’ami (…).
Et je n’encourage pas les curieux94 » (avec de telles attitudes, on s’en
serait douter) –, le détective se montre des plus odieux avec celui
à il doit beaucoup. Nous mettrons cela sur le compte de sa patho-
logie en citant ce que nous enseignent les dernières études traitant
du trouble de la personnalité qui nous occupe. Ainsi, existerait-il
deux catégories de borderline, chaque patient appartenant plus ou
moins à l’une d’entre elles ou oscillant entre les deux :
· ceux dits « extériorisant » qui utilisent la colère dirigée vers les
autres pour apaiser leur rage intérieure et calmer ainsi leur
souffrance ;
· ceux dits « intériorisant » (ou borderline silencieux) qui, pour
leur part, s’auto-infligent cette colère en la dirigeant vers eux-
même et rendant, par là-même, invisible pour leur entourage
le poids de leur souffrance.
On soulignera que les premiers réservent généralement leurs
crises aux personnes qu’ils jugent importantes et agissent le reste
du temps tout à fait normalement, trompant de ce fait ceux qu’ils
côtoient, grâce au mensonge et au déni, lesquels sont souvent per-
çus comme de la manipulation.
Holmes, s’il semble plutôt « extériorisant » – eu égard les exem-
ples de conduites sur lesquelles nous venons d’asseoir notre
démonstration –, est aussi, à certains égards, notamment lorsqu’il
sombre dans ce qu’il appelle nonchalamment le « cafard 95 » ou
lorsqu’il donne libre cours à ses pulsions autodestructrices, « inté-
riorisant ». Encore une façon de se démarquer et d’affirmer son
unicité ?

jidéation persécutoire ou symptômes dissociatifs sévères

Les auteurs qui se sont penchés sur la psychologie de notre


personnage ont souligné de façon récurrente, outre son narcis-
sisme, une tendance marquée à la paranoïa. Si cet aspect de sa per-
sonnalité se pressent plus qu’il ne se révèle tout au long des récits
qui composent le Canon, il montre cependant sa pleine expression
dans le dernier Problème qui, pour l’occasion, s’apparente à la
description d’un épisode d’idéation persécutoire.
Rappelons les faits : un soir d’avril 1891, à une heure très tar-
dive, Sherlock Holmes se présente en homme traqué chez son ami
Watson. Ayant passé les semaines précédentes à enquêter dans le
milieu de la pègre londonienne et y ayant découvert qu’un seul
homme – le sinistre Professeur Moriarty – régentait la faune inter-
lope qui la compose, il a été la cible de plusieurs attentats manqués,
fort heureusement. La confrontation avec les sbires de celui qu’il
nomme le Napoléon du Crime n’ayant pas abouti pas à l’arresta-
tion de cet homme de l’ombre, il est parvenu à mettre en place avec
le concours de Scotland Yard un stratagème mûrement réfléchi par
ses soins afin d’annihiler l’ensemble des représentants du « plus
habile syndicat criminel d’Europe96 » et, par dessus tout, à en anéantir
la tête pensante. Mais, selon ses dires, pour que cette manœuvre
réussisse, il est nécessaire qu’il quitte l’Angleterre et c’est dans
l’espoir de voir Watson accepter de l’accompagner sur le continent,
qu’il lui rend visite.
Sous cette apparence de maîtrise qu’on lui connaît, Sherlock
Holmes s’exhibe comme le cerveau d’une opération policière de
grande envergure qu’il décrit comme le point culminant de sa car-
rière, mais aussi comme son aboutissement. Cependant, derrière
cet exposé dicté par le souci de préserver une réputation, la peur –
bien qu’avouée d’emblée97, mais aussitôt minimisée grâce à l’un de
ces aphorismes dont il a le secret : « ce n’est pas être courageux, c’est
être stupide que de refuser de croire au danger quand il vous menace de
près98 » – exsude sous chacun de ses mots et de ses agissements :
en témoignent le fait de fermer les volets99 et celui de demander la
permission à son hôte de quitter la maison en escaladant le mur de
son jardin100.
Le récit de Holmes, habile manipulateur, se trame comme un
écran de fumée jeté devant les yeux de son interlocuteur visant,
une fois de plus, à préserver l’image valorisante du grand détective
à laquelle les lecteurs des vingt-cinq enquêtes antérieures au
dernier Problème101 ont été accoutumés et à occulter la terreur se-
crète qui l’étreint – « le danger fait partie de mon métier102» revendi-
quera-t-il en rapportant son tête-à-tête avec Moriarty.
Mais malgré cette subtile diversion, la peur reste palpable tout
au long du récit ; plus encore, elle sert de support à l’expression
même de l’individualité du personnage qui, à cet instant de sa bio-
graphie, se dévoile complètement : le chasseur devenu proie
s’affiche dans toute sa faiblesse – celle-là même qu’il a tenté
d’étouffer par le biais de son engagement professionnel forcené –
et laisse tomber le masque. A l’orée d’un délire paranoïaque me-
naçant de le faire sombrer dans une déraison que sa facette obscure
avait laissé augurer, il avoue (par sa volonté de voir à ses côtés
l’unique être capable par sa seule présence, à la fois rassurante et
bienveillante – presque maternelle – de lui rendre son intégrité psy-
chique) son désir d’en finir avec cette duplicité qui le définit en tant
qu’humain, mais contre laquelle il semble n’avoir plus la force de
combattre. Parce que justement ce délire s’avère trop imposant
et/ou parce qu’il se nourrit de son “métissage” avec d’autres trou-
bles qui composent son être, la déroute s’impose comme la seule
alternative possible à sa peur dévorante qui, transcendée par la né-
cessité de préserver sa réputation, donne à sa quête une dimension
sacrée que viendra consacrer l’extermination de Moriarty – incar-
nation du Mal absolu et cristallisation de toutes les obsessions du
justicier.
Ainsi, le grand Sherlock Holmes, le recours suprême, celui-là
même qui a résolu plus de mille affaires dont certaines au profit
de grandes familles régnantes d’Europe, en se frottant parfois aux
pires des malfaiteurs, choisit-il la fuite – une fuite effrénée à travers
la France qui l’acculera au bord des chutes de Reichenbach – plutôt
que de faire front, comme il l’a toujours fait. Cela ne lui ressemble
en rien… Comment est-ce donc possible ? Aurait-il perdu cette as-
surance que lui octroyait sa fougue professionnelle ou serait-il à ce
point désemparé par l’épreuve à venir qu’il pressent vouée à
l’échec ? La prescience qu’une confrontation directe avec Moriarty
– dont, soulignons-le, le seul nom annonce de funestes présages
(MORIARTY étant, à une lettre près, l’anagramme de MORTUARY qui
signifie morgue) – mettrait un point final à sa carrière ferait-elle
enfin surgir du tréfonds de son être un instinct de conservation
qu’on croyait inexistant ? Ce mal-être si fortement ancré en lui – et
parvenu à terme – aurait-il eu raison de toutes ses défenses dres-
sées pour s’en préserver, au point de laisser prise au délire et place
à l’expression débridée de son angoisse ?
Bien des questions subsistent encore, convergeant toutes par
les réponses qu’elles engendrent vers une validation de la thèse de
l’idéation persécutoire. On ne peut cependant pas faire fi de Mo-
riarty, car s’interroger sur la nature de son personnage, c’est aussi
s’interroger sur les motivations véritables de cette fuite. Décrit par
le détective comme un adversaire à sa hauteur, sur le plan intellec-
tuel du moins103, le professeur Moriarty n’apparaît dans le Canon
qu’à deux reprises : dans la vallée de la Peur (en janvier 1891104)
et dans le dernier Problème (en avril de la même année). Mais
sa présence physique n’est jamais attestée par le Dr Watson qui, à
aucun moment de son association avec le détective, n’est person-
nellement confronté à lui. Il n’en a en effet connaissance de sa per-
sonnalité et de ses forfaits qu’au travers des paroles rapportées de
son ami, lequel lui dévoile les agissements du Napoléon du crime
en ne manquant jamais de souligner le caractère insoupçonnable
du personnage : « Cet homme règne sur Londres et personne n’a jamais
entendu parler de lui. C’est ce qui le met au pinacle dans l’histoire du
crime !105 » La confiance aveugle que Watson fait à son compagnon
l’empêche de mettre en doute ses assertions ; pourtant, au regard
du profil psychologique auquel nous avons abouti, on peut se de-
mander si Moriarty – le double de Holmes dans le Mal, son portrait
inversé en quelque sorte106 – n’est pas à la fois la concrétion vir-
tuelle d’un fantasme nourrie par le désir de se mesurer enfin à un
égal, une illusion mythomaniaque permettant de donner corps à
un délire de persécution, mais aussi un artifice nécessaire à la mise
en scène de sa propre mort, conçue comme un moyen de remédier
à la colonisation de l’ego par ce côté obscur qui tend par trop à
étendre son emprise sur l’ensemble de sa personnalité et à ancrer,
dans l’esprit populaire – grâce à Watson qui s’en porte caution –,
une image de soi définitivement grandiose.
Le professeur Moriarty est-il le produit de l’imagination déli-
rante de Sherlock Holmes ou est-il vraiment cet infâme criminel
dont l’extermination méritât le sacrifice du « meilleur et [du] plus
sage des hommes107 » ? Le lecteur saura trancher la question, à moins
qu’il ne préfère laisser le doute persister… Quelle que soit la ré-
ponse à cette interrogation, il ne pourra néanmoins nier que Sher-
lock Holmes dans ce récit du dernier Problème n’est pas
lui-même, que ses agissements vont à l’encontre de tous les pré-
ceptes édictés par son éthique et que l’éventualité pour que le Pro-
fesseur Moriarty soit le produit hallucinatoire né d’une crise aiguë
de paranoïa, c’est-à-dire une chimère holmesienne créée par le psy-
chisme pour justifier une pulsion suicidaire que les circonstances
et le témoignage de Watson transmueront en acte sacrificiel en dépit
de son non-accomplissement est, somme toute, assez tentante.
Quant à l’émergence de symptômes dissociatifs sévères, jamais
évoqués dans le Canon – sauf peut-être, de façon détournée, à
travers le don du travestissement que Holmes maîtrise au point de
duper, avec une jubilation à peine contenue, son entourage le plus
proche –, nous nous permettons de les taire ici pour mieux les abor-
der dans l’ultime partie de cette étude.
L’énumération des symptômes accompagnés de leur illustra-
tion laisse peu de doute sur la nature du trouble de la personnalité
dont semble souffrir Sherlock Holmes. Les génies, quel que soient
les domaines dans lesquels ils excellent, sont souvent des êtres ina-
daptés au monde qui les entoure et qui, pour donner l’illusion aux
autres comme à eux-mêmes d’y avoir leur place, doivent s’accom-
moder d’exutoires susceptibles de combler leurs carences tant so-
ciales qu’émotionnelles. Pour notre détective, c’est l’acharnement
professionnel visant à une reconnaissance unanime qui fait figure
d’efficace subterfuge.
Au regard de cette étude, et parce que les critères diagnostiques
posés en référence s’avèrent, dans leur majorité, effectivement pré-
sents chez notre personnage, celui-ci se définirait donc comme une
personnalité à structure borderline dont est conscient – sans pouvoir
la nommer – le Dr Watson, lequel focalise toute l’attention du lec-
teur sur les méthodes d’investigation de son ami, pour justement
détourner son regard de son intimité.
Ces non-dits qui émaillent l’œuvre écrite par Watson, laquelle
est à considérer comme « ouverte » dans le sens où l’entend Um-
berto Eco108, et sa volonté affichée de n’exposer au lecteur que le
profil glorieux de son compagnon – en taisant, s’il en est, sa face
inavouable – ont fait naître nos soupçons et nous ont orienté, mal-
gré tout, vers l’existence probable d’un autre Sherlock Holmes dont
la nature véritable, si elle était divulguée, aurait pu nuire à la no-
toriété qu’on lui connaît.

ConséquenCes d’une Telle PaTholoGie ?

L’instabilité – qu’elle soit émotionnelle, relationnelle ou


comportementale – et l’impulsivité sont deux constantes du trouble
borderline. Présentes chez Holmes sous des aspects protéiformes,
mais habilement dissimulées sous couvert d’une excentricité défi-
nie, par les soins du narrateur, comme le pendant de son talent,
elles demeurent néanmoins jugulées grâce au soutien de Watson
qui, sans en mesurer véritablement la portée, assume le rôle d’un
facteur régulateur.
Ainsi accompagné, Sherlock Holmes – fort de cette assis-
tance que lui prête Watson par son fervent engagement à ses côtés
– parvient-il à résister à ses pulsions. On peut se demander quelles
seraient les réactions de cet homme une fois dépourvu de cette
solide amitié.
Outre l’ensemble des symptômes exposés ci-avant, la
pathologie borderline est susceptible d’afficher d’autres sinistres
aspects : elle peut notamment engendrer des conduites bien plus
menaçantes que ne le sont déjà les tentatives de suicide ou d’auto-
mutilations auxquelles peut céder le sujet. Dans le cas par exemple
d’une exposition à un stress vécu comme ingérable, il arrive que
surviennent, comme le mentionne le dernier critère diagnostique
posé en référence par le DSM-IV, une idéation persécutoire ou des
symptômes dissociatifs sévères. Ceux-ci, dans les pires extrémités,
peuvent se traduire par un passage à l’acte lequel, s’exprimant
alors par un comportement antisocial violent, pouvant aboutir en
dernière expression à l’explosion d’un sadisme sexuel jusque-là re-
foulé, peut s’apparenter à ceux observables chez les personnalités
antisociales, c’est-à-dire les psychopathes.
Bien sûr – et parce que Watson, toujours lui, se porte garant
de l’intégrité de son ami – le Canon ne nous donne pas d’assister à
de tels épisodes (bien que, soulignons-le, le recours au cambriolage
observé par trois fois109 s’inscrive parmi les conduites antisociales).
Mais notons que notre censeur ne partagera pas toujours l’intimité
du détective pour tempérer ses pulsions secrètes : dès la fin de l’an-
née 1887, son mariage avec Mary Morstan l’éloignera de Baker
Street et de son étrange locataire qui, rendu à une existence dénuée
de témoins et en proie à un état d’esprit fluctuant entre cocaïne et
ambition110, se verra octroyer toute licence de céder à ses démons.
Et si Sherlock Holmes, réduit à lui-même, avait alors laissé
sa véritable nature dominer son être… Et si, pour d’obscures rai-
sons…
Mais cessons-là ces supputations, elles feront l’objet de la
dernière partie de cet ouvrage dont les conclusions purement spé-
culatives ne pourront être attestées par aucune des données cano-
niques…

S-ar putea să vă placă și