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Le politique dans un bidonville mexicain : les réseaux sociaux

dans la politisation, l’organisation politique et la formation


d’imaginaires politiques.

Étude comparée de trois ciudades perdidas de Mexico.

EHESS Paris
Mémoire présenté par Morgane Govoreanu
Directeur de mémoire : Marc Abélès
2006-2007
Photo : bibliothèque personnelle
Le politique dans un bidonville mexicain : les réseaux sociaux
dans la politisation, l’organisation politique et la formation
d’imaginaires politiques.

Étude comparée de trois ciudades perdidas de Mexico.


REMERCIEMENTS

Cette étude n‟aurait pu être réalisée sans l‟aide et le soutien de plusieurs Députés, en
particulier Salvador Ruiz Sánchez, qui m‟a permis d‟obtenir une entrevue avec les leaders
d‟un des quartiers d‟habitat précaire pris en compte dans ce mémoire. Il faut également
remercier chaleureusement le bureau de Tenencia de la Tierra qui m‟a ouvert ses portes et a
mis à ma disposition tous les moyens dont il disposait. Le Directeur, Esteban, a donné des
consignes pour que je puisse accéder à toutes les informations qui me seraient nécessaires. De
même, le Trésorier Municipal, Raúl Ángel Otero Díaz, a mis à mon service l‟une de ses
secrétaires afin qu‟elle m‟aide dans mes recherches sur les registres de cadastre municipaux.
Tous les moyens qu‟il a mis en œuvre, qu‟il s‟agisse du détachement de certains de ses
collaborateurs, le prêt des Codes de Finance fédéraux et nationaux, et les multiples
photocopies qui m‟ont été offertes, ont grandement facilité mon travail.

Les enseignants-chercheurs occupent une place à part dans cette étude. Leur constante
attention, leurs conseils réguliers et simplement leur présence et leur écoute, constituent la
trame de fond sur laquelle je me suis appuyée, à la fois pour construire l‟objet de cette
recherche, mais aussi pour résoudre des difficultés méthodologiques ou d‟appréhension du
terrain. Je dois remercier le CIESAS, qui m‟a accueillie et épaulée durant l‟enquête de terrain.
Mon tuteur à Mexico, Claudia Zamorano Villareal, a joué un rôle particulièrement important
par ses attentives lectures, ses corrections et ses conseils, qui ont été forts judicieux et très
utiles, en particulier pour me faire entrer dans certaines conceptions autochtones qui
demeuraient lointaines. Plusieurs enseignants-chercheurs de l‟EHESS m‟ont apporté leur aide
tout au long de cette année de Master et je leur en suis profondément reconnaissante. Il s‟agit
en particulier de Wiktor Stoczkowski et de Jean-Claude Penrad. Je remercie vivement Marc
Abélès et Gérard Collomb d‟avoir accepté de corriger mon mémoire de Master 2 et de faire
partie de mon jury.

Je souhaiterais remercier ma famille et mes proches, qui ont fait preuve de patience et
de générosité, en acceptant de lire et de relire mon travail. Je remercie particulièrement Adrien
Givaudan pour ses corrections. Je tiens à exprimer toute ma gratitude à la famille Loza
Mendéz qui m‟a reçue chez elle durant mon enquête de terrain.

Je ne pourrais terminer ces remerciements sans adresser ma reconnaissance à toutes les


personnes rencontrées sur le terrain. Chacun a contribué à cette recherche. Je ne peux pas tous
les citer et je ne veux pas en citer certains, tout en passant certains autres sous silence, alors
qu‟ils m‟ont tous accueillie, écoutée, aidée et ont accepté de parler de leur quotidien, de leur
rapport au politique et aux hommes politiques. Certains se sont intéressés à mon travail,
d‟autres m‟ont ouvert les portes de leur famille et de leur foyer. Je les remercie tous, pour
m‟avoir permis d‟entrer dans leur vie, malgré la précarité et la méfiance qui en découle. Un
grand merci pour cette expérience, pas toujours facile, mais très enrichissante.
Avertissement :

L‟EHESS de Paris n‟entend donner aucune approbation ni improbation dans les mémoires de
recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e).
SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................................................................................. 7
OBJECTIFS DE CETTE RECHERCHE ............................................................................................................................ 7
CONTEXTUALISATION HISTORIQUE DU SUJET ......................................................................................................... 12
SITUATION ACTUELLE DES BIDONVILLES DANS L‟ÉTAT DE MEXICO ....................................................................... 13
DEFINITION DE L‟OBJET .......................................................................................................................................... 14
DELIMITATION DE L‟OBJET ..................................................................................................................................... 15
ENCADREMENT JURIDIQUE DES COLONIAS PARACAIDISTAS DANS L‟ÉTAT DE MEXICO ............................................. 20
PROBLEMATIQUE ................................................................................................................................................... 23
HYPOTHESES.......................................................................................................................................................... 23
POSTURE EPISTEMOLOGIQUE .................................................................................................................................. 24
METHODOLOGIE..................................................................................................................................................... 24
AXES D‟ETUDE PROPOSES...................................................................................................................................... 28
I RESEAUX SOCIAUX ET POLITIQUE DANS TROIS CIUDADES PERDIDAS : ETUDE DE CAS .... 29
PROLEGOMENES METHODOLOGIQUES ................................................................................................................ 29
A- Les réseaux sociaux : matrice de la politisation ? ............................................................................. 29
1. Apprentissage politique et socialisation : étude comparée de trois processus distincts ......... 30
a. Définitions ............................................................................................................................... 30
b. Expériences socialisatrices et politisation à Reguilete, Cuesta et Potrerillo ...................... 33
2. Réseaux et participation politique : interrelations ? ................................................................ 45
a. Les réseaux amènent à la participation politique ................................................................ 45
b. La participation politique renforce les réseaux ........................................................................... 51
3. Les réseaux personnels urbains et le politique ........................................................................... 53
a. Les réseaux personnels urbains et le politique………………………………………………….53
b. De l’influence de l’habitat sur la structure sociopolitique et inversement : schémas des
réseaux d’habitation ............................................................................................................... 55
B- Les réseaux en action : des réseaux sociaux aux réseaux politiques ................................................. 60
1. Des réseaux sociaux et personnels… .......................................................................................... 60
a. Les réseaux et leur nature ...................................................................................................... 60
b. Les formes de parentés et de parentèles sanguines et symboliques .................................... 63
c. Pratiques et interactions entre les différents types de parentèle ........................................ 64
2. Aux réseaux politiques observés ................................................................................................. 68
a. Les pratiques clientélistes et le liderazgo (leadership) ......................................................... 68
b. Des réseaux dans les réseaux : jeux spéculaires et d’enchâssement au Potrerillo ............. 71
3. Les relations au pouvoir.............................................................................................................. 72
a. Le pouvoir : entre les sociabilités et le politique .................................................................. 73
b. Enjeux de pouvoir(s) .............................................................................................................. 74
C- Mythes du politique et réalités des réseaux encastrés........................................................................ 77
1. Encastrement et découplage des activités dans le relationnel .................................................. 77
2. La global-politique : un facteur explicatif ? .............................................................................. 79
3. L’importance de l’économie et la figure de l’entrepreneur biopolitique ................................ 80
a. La gestion sociale du risque et de l’incertitude politico-économique ................................. 80
b. Les figures de « l’entrepreneur biopolitique » à Reguilete, Cuesta et Potrerillo .............. 82
II LA COMMUNAUTE : DES RESEAUX SOCIAUX A LEUR DOUBLE POLITIQUE ........................... 83
A- Apparition de la communauté : influence des réseaux sociaux et du politique ? .............................. 83
1. De la communauté et de sa polymorphie ................................................................................... 84
2. Rôle de la communauté dans l’apprentissage politique ........................................................... 91
3. Communauté et participation politique : le rôle des imaginaires politiques .......................... 98
B- Le « paradoxe de la marginalité politique » des paracaidistas ....................................................... 102
1. Une marginalité sociale et économique ? ................................................................................. 103
2. La sur-participation politique des « paracaidistas » ............................................................... 108
3. Participation et manipulation ................................................................................................... 110
C- Communautés et individualités : l’altérité à Reguilete, Cuesta et Potrerillo................................... 113
1. Appartenances communautaires et rapports aux organisations politiques .......................... 113
2. Le « cosmopolitique » ou la place des imaginaires dans les relations entre communautés et
individualités .............................................................................................................................. 117
3. Trajectoires personnelles et identités collectives .................................................................... 124
III RECIPROCITE ET CONFIANCE : LES PROCESSUS DE L’ECHANGE ET LEUR IMPACT
POLITIQUE A POTRERILLO, REGUILETE ET CUESTA ...................................................................... 129
A- La confiance comme base de la réciprocité ..................................................................................... 129
1. La confiance : une ressource pour les réseaux sociaux et le politique .................................. 129
2. Confiance et réseaux d’échanges réciproques ......................................................................... 134
3. La mémoire des échanges.......................................................................................................... 142
B- Le politique comme lieu de réciprocité et de confiance ? ................................................................ 149
1. Dynamiques politiques des différents systèmes d’échanges réciproques dans les trois colonias
étudiées ....................................................................................................................................... 149
2. Mécanismes de la réciprocité et de la confiance dans le politique de chacune des colonias 154
3. Mythe et réalités du paradoxe de la confiance politique dans chacune des trois colonias
paracaidistas ............................................................................................................................... 160
C- Impacts sur le politique des systèmes d’échanges réciproques ........................................................ 163
1. Des modes de financement et des moyens matériels au sein des systèmes d’échanges
réciproques................................................................................................................................. 163
2. Une médiatisation réussie ? ...................................................................................................... 168
3. Idéologies et logiques des différents systèmes d’échanges réciproques : de l’urgentisme et de
la catastrophe quotidienne ........................................................................................................ 173
CONCLUSION.................................................................................................................................................. 179

ANNEXES.......................................................................................................................................................... 182
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE ................................................................................................................... 182
INTRODUCTION

Objectifs de cette recherche

L‟objectif de ce mémoire est d‟étudier les relations complexes et protéiformes qui lient
les réseaux sociaux et le politique, au sein de trois quartiers d‟habitat précaire de Mexico :
Cuesta, Potrerillo et Reguilete. Ce travail tend à déconstruire les a priori qui considèrent les
habitants de ces quartiers d‟habitat précaire comme des exclus des systèmes politique,
économique et social. La thèse sur laquelle se base tout ce travail est que les habitants de ces
quartiers s‟organisent socialement et politiquement, en reprenant des traits du système
politique national, tout en présentant des spécificités liées au mode de vie précaire qui les
caractérise. Cette étude en vient à envisager des traits propres au système politique mexicain,
intrinsèquement lié aux structures sociales et relationnelles, mais aussi de la société mexicaine
actuelle et des pratiques politiques qui s‟y rattachent.
Mexico a été choisie comme site de ce travail, d‟abord parce que le taux d‟urbanisation
de la ville a connu une croissance exponentielle ces dernières décennies1. La ville constitue de
ce fait un terrain de choix pour cette enquête. Ensuite, les principales études portant sur les
thèmes qui sont les miens (réseaux sociaux, politique, bidonvilles, quartiers d‟habitat précaire
à Mexico) datent des années 1970 ; de même, les bidonvilles et les quartiers d‟habitat précaire
de Mexico ont été longtemps considérés comme l‟illustration la plus flagrante de ce
phénomène socio-urbain. Enfin, je pourrais évoquer mon intérêt général pour l‟histoire et la
culture mexicaine millénaires, en particulier la confluence originale d‟influences culturelles
aussi variées que celles des Toltèques, des Mayas et des Incas d‟une part et des Européens, des
Asiatiques et des Nord-Américains d‟autre part, ainsi que mon engouement pour l‟évolution
de la société et du politique depuis la Révolution de 1910. Mais c‟est surtout un sentiment de
révolte qui est à l‟origine de ce travail. Révolte suscitée par les récupérations politiques des
luttes des habitants des quartiers d‟habitat précaire, par des leaders ou des caciques locaux
pour asseoir leur domination et tirer avantage de la situation. Alors que ces luttes sont
engagées pour la survie quotidienne d‟hommes, de femmes et d‟enfants. Les avantages
pécuniaires et matériels réalisés par certains leaders locaux ou encore par des députés et des
sénateurs, sur le compte des habitants de ces quartiers précaires, est une autre raison de cette
révolte. Cette étude est également un moyen de mettre au jour certains aspects du système
politique mexicain, qu‟il s‟agisse de la corruption multi-scalaire, de l‟employé municipal au
député ou au sénateur, ou encore des liens entre le politique et le narcotrafic. Le but de ce
travail est de dépasser cet engagement, pour replacer cet intérêt et cet engouement dans un
cadre scientifique. Il s‟agit donc d‟interroger les configurations observées et de construire le
sujet de cette étude.
Les questionnements qui servent de base à ce travail, concernent la teneur des relations
clientélistes à l‟œuvre dans ces quartiers. Ces relations lient par exemple les habitants d‟un
quartier d‟habitat précaire à leurs leaders ou bien ces deux types d‟acteurs avec des hommes
politiques régionaux ou nationaux. Il s‟agit d‟envisager les liens entre tous les acteurs
politiques qui interagissent directement ou indirectement avec les habitants des trois quartiers

1
Adler de Lomnitz (Larissa), Como sobreviven los marginados, Mexico, UNAM, 1985, p 32 ; INEGI (Instituto
Nacional de Estadisticas Geograficas e Informaticas : Institut National de Statistiques Géographiques et
Informatiques), Recensement de 2005, Cornelius (Wayne), op. cit., p 41. Ce dernier écrit par exemple que la
population d‟Ecatepec a plus que doublé entre 1960 et 1970 : “Ecatepec y Nezahuacoyñtl aumentaron sus
poblaciones a más del doble entre los censos de 1960 y 1970”
d‟habitat précaire et avec leurs leaders. L‟étude des réseaux sociaux en amont de
l‟organisation politique des habitants, permet de poser des questions de fond
pluridisciplinaires : l‟organisation en réseau des habitants de quartiers d‟habitat précaire
répondrait-elle à des carences des structures juridiques et économiques ou à leur inadéquation
face aux besoins des populations, condamnant notamment une partie de ces dernières à
travailler et à vivre dans l‟informalité voire dans l‟illégalité ? Dans quelle mesure, cette
approche par les réseaux permet-elle de définir des conceptions de l‟altérité2, c‟est-à-dire de
l‟Autre politique et social dans toute sa différence et sa ressemblance, propres aux habitants
des quartiers d‟habitat précaires étudiés ? Quelle est l‟alternative que permet d‟envisager cette
étude quant au « paradoxe de l‟encastrement » récurrent en anthropologie, alternant couplage
des contextes sociaux et découplages des individualités, des trajectoires personnelles ?
La posture à l‟œuvre dans ce texte est non seulement de considérer la validité
théorique des thèses de l‟encastrement des réseaux sociaux dans les autres domaines
d‟activités, mais également de les mettre à l‟œuvre, dans la forme et la construction de ce
mémoire. La perspective politique qui prévaut ici, permet d‟analyser certains rouages de
l‟organisation politique des habitants de chaque colonia (quartier), leurs pratiques et leurs
représentations du politique, ainsi que les imaginaires qui entourent le politique dans ces
quartiers d‟habitat précaire. Mais cela amène également à envisager d‟autres aspects de la vie
des habitants, depuis leur organisation domestique avec la gestion de l‟argent du ménage,
jusqu‟aux difficultés les plus banales de leur vie quotidienne, avec la poussière qui encombre
leurs maisons et qui parfois les désespère. Ceux ne sont pas seulement les micro-drames
quotidiens qui sont relatés ici. Il y a aussi les événements festifs, les petites joies et les
discussions partagées.
L‟approche en entonnoir adoptée ici conduit d‟abord à l‟analyse des réseaux sociaux
qui jouent sur le politique. Il s‟agit d‟envisager à la fois leur polymorphie, ainsi que les
mécanismes qui les lient au politique, puis de prendre en compte un élément constitutif de la
vie sociale autant que du politique, et qui les articulent entre eux : l‟existence ou non d‟une
communauté, et d‟un sentiment d‟appartenance à celle-ci. Cela permet d‟en arriver à deux
mécanismes fondamentaux qui se trouvent à la base du fonctionnement à la fois des réseaux
sociaux et du politique : la réciprocité et la confiance.
Ce mémoire se positionnant en anthropologie, l‟attention est portée principalement sur
les mécanismes qui lient les deux notions confrontées entre elles, celles de réseaux sociaux et
de politique, telles qu‟elles ont pu être observées dans les pratiques qu‟en font les habitants
des trois quartiers d‟habitat précaire pris en compte.
Pour comprendre la teneur de l‟organisation politique qui apparaît encastrée dans
l‟organisation sociale, trois axes principaux sont dégagés.

Tout d‟abord, il s‟agit d‟analyser la nature des liens qui unissent les réseaux sociaux et
le politique dans ces quartiers d‟habitat précaire, qu‟il est également possible de nommer
bidonvilles compte tenu de leurs caractéristiques architecturales et socioéconomiques. Avant
cela, il faut donner une définition préliminaire de chacun des termes en jeu. Les réseaux
sociaux sont ici considérés comme des « systèmes complexes de relations sociales dans
lesquels [les acteurs sociaux] prennent sens et auxquels ils donnent sens »3. Tandis que le

2
Augé (Marc), Le sens des autres. Actualité de l’anthropologie, Paris, Fayard, 1998 (rééd.), 199 p : voir la
définition donnée par l‟auteur et les différents critères qui l‟influencent, en particulier les critères spatiaux, pour
comprendre les difficultés posées par une enquête anthropologique dans des aires urbaines. Ce qui m‟intéresse
ici, ce sont les perceptions collectives et individuelles que des habitants peuvent avoir d‟autres habitants, de leurs
leaders ou d‟autres acteurs politiques
3
Mercklé (Pierre), La sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2004, p 4
politique, pris dans une perspective arendtienne, désigne ici à la fois les traits essentiels de la
politique et le lieu symbolique d‟exercice de la politique. Trois caractéristiques majeures du
politique se dégagent dans cette étude, à savoir la politisation, c‟est-à-dire la socialisation
politique, l‟organisation politique et la formation d‟imaginaires politiques. Les questions
posées sont alors de savoir si les réseaux sociaux constituent la matrice du politique dans
chacune des colonias (quartiers) prises en compte, puis de considérer les formes de
participation politique sur lesquelles débouchent les divers modes d‟apprentissage politique
mis en évidence. Il semble également important ici de voir l‟influence de l‟environnement
urbain sur le politique et les réseaux sociaux, propres à chacune des colonias étudiées. Cela
permet d‟amorcer le deuxième axe qui envisage les liens entre réseaux sociaux et réseaux
politiques, en particulier les différentes sortes de parentés en usage, les parentés sanguines et
symboliques, et leurs sous-catégories. Cela permet de comprendre les logiques de
fonctionnement de certains types de réseaux politiques, tels que le liderazgo (leadership) ou
les réseaux clientélistes, dont l‟héritage caciquiste fait partie. Le troisième axe met en question
l‟encastrement du politique dans les réseaux sociaux : le couplage et le découplage des
activités politiques dans les réseaux sociaux, seraient un moyen de pallier la précarité des
conditions de vie et les carences liées à l‟économie de survie qui caractérise ces quartiers.
Tout ce premier mouvement analysant les liens entre le politique et les réseaux sociaux
d‟habitants de Reguilete, de Cuesta et de Potrerillo, débouche sur la prise en compte d‟une
notion-clé qui articule les pratiques des deux notions précédentes, à savoir celle de
communauté.

Ensuite, l‟étude des liens entre réseaux sociaux et politique amène à considérer la
notion de « communauté », dans deux acceptions principales, à la fois politiques et sociales,
dégagées pour cette étude. Une hypothèse émise est qu‟en fonction de l‟existence d‟une
communauté, d‟un sentiment de communauté ou, au contraire, d‟une forte atomisation sociale
ou de déségrégation, le politique n‟aura pas la même teneur. La socialisation politique ne
passe pas par les mêmes canaux de socialisation, l‟apprentissage de normes et de valeurs, de
comportements et de pratiques, n‟a pas les mêmes fins, s‟il existe une « communauté » et un
« sentiment de communauté »4. L‟organisation politique et les imaginaires qui y sont rattachés
divergent également en fonction de l‟existence ou non d‟une communauté et d‟un sentiment
de communauté. La « communauté » est considérée ici dans un sens anthropologique large, se
référant à la fois à une entité où les individualités se fondent en une totalité5 et à un espace
commun dans lequel se définissent des corpus référentiels, des territorialités, des
comportements et des pratiques –en particulier linguistiques- qui affectent les perceptions de
soi et des autres6. Une définition semble plus adaptée aux « communautés » observées dans
les quartiers d‟habitat précaire de Mexico : la communauté correspondrait « à des formes
d‟organisation sociale à certains égards diverses […], [fondées] sur un usage commun des
ressources et du territoire »7. Le but étant de dégager des types de relations communautaires,
et non pas l‟existence de communautés, au sein des bidonvilles étudiés, rejetant ainsi une
4
Anderson (Benedict), Imagined Communities : Reflections on the Origin and Spread of Nationalism, Londres,
Verso, 1991 (rééd), 224 p : résultat d‟un processus subjectif par lequel un individu perçoit le fait d‟avoir quelque
chose en commun avec un groupe, avec un « être collectif »
5
Tonnies (Ferdinand), Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF,
1944, 247 p
6
Bellier (Irène), « De la communauté à l‟Union Européenne », Socio-Anthropologie, n°2, Communauté et/ou
Ensemble populationnel, Paris, CIRCLES, 1997, [En ligne], mis en ligne le 15 janvier 2003, version disponible à
l‟URL : http://socioanthropologie.revues.org/document35.htm, consulté le 21 mai 2007
7
Collomb (Gérard), « De la revendication à l‟entrée en politique (1984-2004) », Ethnies. Droits de l’homme et
peuples autochtones, Paris, Survival International, 2005, n°31-32
posture substantialiste. Cette analyse de la notion de « communauté » suscite plusieurs
interrogations dont celle-ci : peut-il exister un « sentiment de communauté » ou
d‟appartenance communautaire sans véritable « communalisation »8, c‟est-à-dire un ensemble
de relations sociales qui concourent à la mise en commun de ressources matérielles ou
informationnelles ? Ces questions laissent entrevoir un élément majeur de cette réflexion, à
savoir l‟importance des imaginaires politiques entourant l‟existence de communautés. La
formule énoncée par Benedict Anderson, « au-delà des villages primordiaux où le face-à-face
est la règle […], il n‟est de communautés qu‟imaginées »9, est ici mise en question. De même,
il s‟agit d‟envisager l‟importance de la représentation politique et de la mise en représentation
du pouvoir10. De même, la notion de « cosmo-technologie » 11 est utilisée afin d‟en voir les
incidences sur les imaginaires politiques au sein des populations des quartiers observés. Ainsi,
la palette des imaginaires politiques prise en compte ici s‟étend aussi bien aux cosmologies
qui sous-tendent des pratiques politiques telles que le clientélisme, comme aux imaginaires
spatiaux du politique. Cela amène à mettre en perspective la notion de communauté telle
qu‟elle est vécue dans les bidonvilles étudiés, avec celle de marginalité qui leur est souvent
13
associée12. L‟hypothèse émise est qu‟il existerait un « paradoxe de la marginalité politique » .
En effet, au-delà du fait que les habitants des trois colonias étudiées soient en marge –mais
pas en-dehors- des circuits économiques capitalistes à cause de leur faible capacité à
consommer, de leur basse capacité d‟investissement et de l‟insécurité économique, en
particulier salariales, qui affecte leurs conditions de vie, ils sont très intégrés politiquement.
Les observations menées montrent que les habitants des quartiers d‟habitat précaire sont plus
mobilisés et mobilisables que la majeure partie de la population, pour des manifestations, des
grèves, ou tous types d‟événements politiques, à la fois locaux comme régionaux et nationaux.
Et ce, plusieurs fois par mois. La définition de la marginalité est reprise de celle d‟Adams
pour qui « la marginalité se caractérise par la participation faible ou nulle d‟un groupe social
dans le processus de prise de décision qui les concerne »14. Plusieurs notions sont mises à
profit pour la compréhension du politique observé sur le terrain : au-delà de la marginalité
supposée des habitants, n‟y aurait-il pas au contraire une surpolitisation ? La participation
politique des habitants, souvent non perçue comme telle par eux mais plutôt comme un acte
nécessaire à leur survie et à la sécurité de leur logement15, ne serait-elle pas le fruit de
manipulations politiques et de récupérations par les leaders ou les caciques locaux ? La prise
en compte des leaders et des caciques locaux ouvre sur une nouvelle notion, celle d‟altérité :
quels sont les liens entre communauté et individualités au sein des trois quartiers pris en
compte ? Pour répondre à cette question, il s‟agit de considérer les rapports entre les habitants
et les divers types d‟organisations politiques qui les entourent, ces dernières constituant à la
fois des groupes d‟appartenance et des altérités politiques, pour ceux qui n‟en font pas partie
ou qui s‟y opposent, comme l‟Armée zapatiste de libération nationale (Ejercito Zapatista de

8
Weber (Max), Économie et société, Paris, Pocket, 1995, tome I, 410 p
9
Anderson (Benedict), op. cit., p 6 : «In fact, all communities larger than primordial villages of face-to-face
contact (and perhaps even these) are imagined»
10
Abélès (Marc), Anthropologie de l’État, Paris, Bibliothèque Payot, 2005 (rééd.), p 136 : « Le pouvoir et sa
représentation sont, pour l‟anthropologue, comme les deux faces d‟une même réalité »
11
Augé (Marc), Introduction, Pour quoi vivons-nous ?, Paris, Fayard, 205 p
12
Voir notamment la récurrence du terme et tous les corrélats associés aux ciudades perdidas (terme mexicain
pour bidonvilles), dans le mini-sondage réalisé par nos soins
13
Terme conceptualisé par nos soins pour les besoins de cette étude
14
Adler de Lomnitz (Larissa), Como sobreviven los marginados, México, FCE, 1985, p 195 : « la marginalidad
se caracteriza por la escasa o nula participación de un grupo social en el proceso de toma de decisiones que la
atañen »
15
Voir notamment les entretiens formels de doða Asunciñn et d‟Ernestina
Liberación Nacional) à laquelle appartiennent les leaders de Cuesta. Il est aussi question du
Parti de la Révolution Démocratique (Partido de la Revolución Democrática, PRD) dont fait
partie le leader de Reguilete, ou encore l‟association civile FOPODI, créée par les leaders de
Potrerillo. Par réflexivité, cela demande également de prendre en compte les rapports mutuels
entre les habitants, les organisations politiques et les instances administratives locales qui
interfèrent dans le quotidien des habitants. Une notion semble importante pour comprendre les
habitants des quartiers d‟habitat précaire, dans leurs comportements politiques, et
l‟articulation entre communauté et individualité : la « trajectoire individuelle »16, c‟est-à-dire
la prise en compte des multiplicités d‟appartenances, à la fois sociales et spatiales,
diachroniques et synchroniques, d‟un individu.
Après avoir considéré l‟importance du concept de communauté et des relations
communautaires sur le politique, ainsi que les réseaux sociaux qui y sont liés dans les trois
quartiers d‟habitat précaire étudiés, il s‟agit d‟envisager deux notions qui se trouvent au cœur
des systèmes d‟échanges à la fois sociaux et politiques : la réciprocité et la confiance.

Enfin, la réciprocité et la confiance articulent les réseaux et le politique, instaurant et


pérennisant des relations au sein d‟un réseau, à la fois social et politique. La première
hypothèse formulée est que la confiance constitue la base de la réciprocité des échanges. La
confiance est ici considérée comme un trait culturel incitant l‟engagement dans une relation et
son maintien, contenant à la fois la capacité et le désir d‟établir une relation d‟échange, la
volonté de remplir les conditions implicites nécessaires à cette relation et la familiarité
mutuelle suffisante pour servir de base à un rapprochement tout en réduisant les possibilités
de rejet17. Par ailleurs, une condition de base des systèmes d‟échanges est l‟inégalité de
ressources18. Ces deux notions s‟articulent également autour du concept de mémoire, central
pour le politique, étant nécessaire à l‟instauration d‟interactions longues et continues. Ces
éclairages conceptuels amènent ensuite à considérer les données ethnographiques récoltées sur
le terrain, en interrogeant les mécanismes de la réciprocité et de la confiance au sein du
politique dans chacun des trois quartiers d‟habitat précaire. Une des hypothèses émises
consiste à dire que l‟encadrement politique croissant des quartiers d‟habitat précaire ne
constitue pas un cadre plus contraignant mais, au contraire, qu‟il ouvre de nouvelles
possibilités d‟actions pour les habitants. Ainsi, une des qualités engendrées par l‟apprentissage
politique dans les quartiers d‟habitat précaire est le « savoir-communiquer », c‟est-à-dire à la
fois faire preuve de compétences relationnelles et sociales, mais aussi de facultés de
contourner et de pallier l‟asymétrie d‟information. Enfin, il s‟agit d‟interroger l‟impact
politique des systèmes d‟échange réciproques. Une hypothèse est que la morphologie des
systèmes d‟échanges influe sur les pratiques, les comportements politiques et les imaginaires
politiques. Il semble pertinent d‟analyser alors les modes de financement et les flux
économique entrants et sortants des quartiers d‟habitat précaire, afin de faire ressortir des
réseaux d‟influence. Les flux de financement ainsi que la médiatisation de certains membres
des réseaux, ou l‟image médiatique d‟un parti ou d‟une organisation, peut jouer sur la culture
politique du quartier, et par voie de conséquence sur les pratiques au sein des systèmes
d‟échanges réciproques. Ainsi, les relations notamment du EZLN avec les média ou les

16
en termes bourdieusiens : « choix personnels » effectués dans un contexte social défini avec un capital
économique, social et culturel déterminés mais qui les dépassent, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action,
Paris, Seuil, 1994, chapitre 3 « Pour une science des œuvres », extrait distribué dans le séminaire « Introduction
aux méthodes de la recherche », 2e année du diplôme de Sciences Po Toulouse
17
Adler de Lomnitz (Larissa), ibidem, p. 203
18
Koenig (Christian), Van Wijk (Gilles), « Alliances interentreprises : le rôle de la confiance », dans Noel
(Alain), Perspectives en management stratégique, Paris, Economica, 1992, tome I, 441 p
relations médiatiques des députés qui gèrent les relations avec les leaders de certains quartiers
d‟habitat précaire sont analysées.
Ces différents axes d‟étude permettent de vérifier sur le terrain la validité de certaines
notions et les conditions de leur effectivité. Mais au-delà de ces questions qui lient théorie et
empirie dans des retours réflexifs de l‟une à l‟autre, ces axes amènent à répondre à diverses
questions très concrètes : quelle est la définition autochtone du politique ? Comment les
demandes politiques des résidents trouvent-elles une expression ? Comment s‟expriment-
elles et quel est l‟espace d‟expression de ces demandes ?

Contextualisation historique du sujet

Mexico est considérée depuis les années 1970 comme un exemple paradigmatique, à
l‟instar du Caire, de l‟industrialisation galopante. Elle est ainsi parfois surnommée
« la pieuvre urbaine » ou « le monstre tentaculaire »19. L‟emblème des nécroses urbaines qui
entourent Mexico s‟illustre à travers les bidonvilles de Nezahualcóyotl, ville nouvelle fondée
en 1963, considérée jusque dans les années 1990 comme la décharge du monde. Les autorités
municipales et fédérales ont tenté d‟apporter des réponses à ces problèmes, par le biais de
politiques publiques d‟urbanisation et d‟aménagement territorial. Les rues de Neza sont
désormais goudronnées, des bâtiments en dur ont été construits, une législation encadre les
tianguis –marchés- et la rénovation voire la reconstruction de logements a été mise en
œuvre20.
Les bidonvilles, au sens initié en 1953 au Maroc pour désigner ces ensembles
d‟habitats de fortune construits à partir de bidons, connaissent leur équivalent contemporain
au Mexique, dans le terme de « ciudades perdidas » (littéralement : villes perdues).
L‟utilisation de ce terme polysémique y plurivoque, soulève un certain nombre de questions
sémantiques et sémiotiques que le contexte historique de ce concept peut en partie permettre
de résoudre. Le concept de « ciudades perdidas » revêt un sens différent selon l‟utilisation
disciplinaire du terme. En effet, il peut se référer à la fois à une notion architecturale ou
géographique, en différenciant des populations selon leur lieu de résidence ou le mode de
construction de leur habitation : « Dans le tiers-monde, les espaces périphériques sont parfois
des sites occupés par des bidonvilles. Ce sont des espaces défavorisés dont les habitations sont
construites à partir des matériaux de récupération »21. Le terme de « ciudades perdidas »
constitue également une notion socioéconomique, en renvoyant aux « quartiers des grandes
villes où vivent des populations à très faible niveau de vie »22. En anthropologie, le concept de
« ciudades perdidas » amène à étudier l‟ensemble des caractéristiques, c‟est-à-dire à la fois les
cosmologies et les imaginaires, les usages et les rites, ainsi que les pratiques quotidiennes de
populations qui appartiendraient à une « culture de la pauvreté »23.
L‟évolution historique du terme apporte quelques éclairages supplémentaires quant à
ses différents sens. En effet, le concept « ciudades perdidas », né dans les années 1940-1950
19
Monnet (Jérôme), La ville et son double. La parabole de Mexico, Paris, Nathan, 1993, 224 p
20
Voir le site de la municipalité retraçant toutes les politiques de réaménagement de la ville, à l‟URL :
http://www.neza.gob.mx/ (consultée le 20 janvier 2007). Notons que des bidonvilles se sont constitués dès les
années 1940 mais la ville ne fut reconnue comme tel qu‟en 1963
21
Lefebvre (Sylvain), « Aménagement et planification territoriale », Montréal, Université du Québec, 2000, notes
de cours (GEO 8291), citant le Dictionnaire de la Géographie, entrée « Bidonville »
22
Palomar de Miguel (Juan), Diccionario de México, México, Panorama Editorial, 1991, p 370: «ciudad perdida.
Méx. Barriada de las grandes ciudades en la que vive gente de muy bajo nivel social»
23
Adler de Lomnitz (Larissa), Como sobreviven los marginados, México, UNAM, 1985 (rééd.), p 22, reprenant
une notion fondée par Oscar Lewis
et qui se répand dans les années 1960, provient d‟un autre terme plus ancien : les « cinturones
de miseria » (ceintures de misère), en usage entre les années 1920 et 195024. Ces derniers
évoquent les ensembles d‟habitations de fortune qui entouraient les grandes villes mexicaines
de l‟époque. L‟apparition du terme « ciudades perdidas » dans les années 1950-1960, indique
la pérennisation de ces « cinturones de miseria » et leur expansion, jusqu‟à représenter des
villes presqu‟à part entière. Les municipalités de Nezahualcñyotl ou d‟Ecatepec, ainsi que
toute la zone sud de la ville de Mexico (correspondant aujourd‟hui à la délégation Coyoacán,
intégrée depuis au District Fédéral) ont été construites à partir de « ciudades perdidas » au
sens littéral du terme, c‟est-à-dire de villes disposant de fonctions administratives et offrant
certains services urbains (principalement la proximité de boutiques (tiendas) –épiceries en
particulier- ou bien quincailleries (ferreterías), d‟autorités régulatrices et gestionnaires). Mais
elles sont « perdues », au sens où elles ne disposent pas d‟infrastructures routières, électriques,
de gaz ou d‟eau potable, et que ces villes demeurent isolées et éloignées des circuits de
transports urbains. Depuis les années 1990, les autorités fédérales tentent de mettre un terme à
la triste réputation de la ville de Mexico. Ainsi, les « ciudades perdidas » au sens propre du
terme, ont quasiment disparu dans la ville, ne laissant voir que quelques îlots de misère dans
le District Fédéral et des colonias (quartiers) d‟habitations précaires dans l‟État de Mexico.
Conséquemment, le terme n‟est quasiment plus utilisé dans les travaux scientifiques.
Néanmoins, le terme de « ciudades perdidas » demeure prégnant dans les discours politiques
officiels mexicains et les discussions populaires. Que signifie cette pérennité du terme ? Les
ciudades perdidas, bidonvilles dans les années 1970, sont devenues des quartiers d‟habitat
précaire, c‟est-à-dire des lotissements ou des parcelles d‟habitations, faîtes à partir de
matériaux de récupération, au milieu de quartiers moins miséreux, souvent populaires, parfois
jouxtant des quartiers de classes moyennes, comme Indios Verdes près d‟Ecatepec, au nord de
la ville de Mexico. En tout cas, quelle que soit leur situation géographique, les ciudades
perdidas constituent des « espaces liminaires »25 ou des périphéries, c‟est-à-dire des espaces
relégués socioéconomiquement. Ce maillage de l‟habitat, entre quartiers d‟habitat précaire et
quartiers populaires ou de classes moyennes, influe sur les relations sociales et la constitution
des réseaux sociaux qui, eux-mêmes, rétroagissent sur lui.

Situation actuelle des bidonvilles dans l’État de Mexico

Les habitants de l‟État de Mexico sont confrontés à de nombreux problèmes


socioéconomiques et de logement. En effet, étant le troisième État du Mexique en termes
démographiques avec 14 millions 7495 personnes, et comprenant 3 100 599 habitations26,
selon le dernier recensement effectué en 2005 par l‟Institut d‟Études Statistiques,
Géographiques et Informatiques (INEGI) mexicain, il présente des déficits, tant en termes de
capacité de logement que de salubrité de logement. En effet, la croissance exponentielle de
certaines aires de l‟État de Mexico, en particulier des municipalités d‟Ecatepec et de
Nezahualcñyotl, est certainement l‟une des raisons des carences actuelles en logement salubre
dans tout l‟État et particulièrement dans ces deux municipalités. La croissance de l‟État est
relativement faible, d‟environ 1.19 % en moyenne entre 2000 et 2005 alors qu‟elle était de

24
Academia Mexicana, Índice de Mexicanismos, México, FCE, 2000, 696 p, entrée : “ciudad perdida”
25
Au sens premier du terme, employé notamment par Michel Agier dans son séminaire « Anthropologie urbaine,
ethnologie des espaces et situations liminaires » (séminaire EHESS, Paris, 2006-2007)
26
INEGI, “Viviendas particulares habitadas y promedio de ocupantes por entidad federativa”, II Conteo de
Población y Vivienda 2005, México, INEGI, 1995, version consultable en ligne (consultée le 23 mars 2006) à
l‟URL : http://www.inegi.gob.mx/est/contenidos/espanol/rutinas/ept.asp?t=mviv02&c=4238&e=15
2.66 entre 1995 et 2000. Cependant, les municipalités citées précédemment ont enregistré, les
décennies précédentes, des taux de croissance très supérieurs, bien qu‟elles ne présentent
désormais qu‟un taux de croissance démographique de 0.7 % pour Ecatepec ; le taux est
même négatif pour Nezahualcóyotl, dont le taux de croissance démographique actuel est,
selon le Gouvernement mexicain, de - 0.65 %27.
Concernant l‟état des logements, le recensement effectué en 2005 met en relief les
principaux matériaux utilisés, tant pour les murs, le toit que le sol des habitations de l‟État de
Mexico. Il en ressort ainsi que la plupart des habitations dans le Valle de Mexico comportent
des murs de ciment (plus de onze millions d‟habitations) sachant que le bois est très répandu
(presque sept millions)28. Concernant les logements des familles les plus démunies, moins de
cent milles familles (971 032) n‟ont pas accès aux infrastructures d‟eau potable, tandis que
cent vingt sept mille familles n‟auraient pas accès aux réseaux électriques. Mais il est possible
de présupposer que cette enquête ne donne que des chiffres en-dessous de la réalité, puisque
les ciudades perdidas ne sont que partiellement prises en compte (il s‟agit ici de vivienda et
non de hogar, le premier se référant à une habitation provisoire et le second à une habitation
définitive), les habitants n‟ayant pas de titres de propriété. Quant aux familles, les revenus
moyens dans l‟État de Mexico sont d‟environ huit mille dollars par an pour l‟année 2006. Le
nombre de personnes vivant sous le même toit est d‟environ 4.6 personnes à Mexico –la
moyenne nationale étant de 6 personnes par habitation.

Définition de l’objet

Les réseaux sociaux sont considérés ici comme un « fait social total »29, c‟est-à-dire un
fait où s‟exprime « l‟intensité des liens organiques entre phénomènes juridiques,
économiques, religieux ou symboliques ». Les réseaux touchent à la fois au politique – tant
dans l‟accès, l‟exercice et la légitimation du pouvoir que dans l‟organisation sociospatiale
d‟un groupe- l‟économique par la sollicitation du réseau comme ressource30, le religieux quant
à sa constitution et sa morphologie puis le social autour de la notion d‟échange. Les réseaux
concernent également, dans cette étude, le symbolique par les identités et les sentiments
d‟appartenance auxquels ils donnent lieu, notamment par les systèmes de parenté réels ou
symboliques. Dans cette perspective, la définition du réseau donnée par Ulf Hannerz31, est
reprise. Pour lui, cette notion « est tout à fait utile dès lors qu‟on s‟intéresse à des individus et
à l‟usage qu‟ils font de leurs rôles, plutôt qu‟à des rôles et à la manière dont ils investissent
des individus ; à des pratiques qui jouent des limites institutionnelles ou qui les traversent,
plutôt qu‟à des pratiques qui les confirment ». En effet, le réseau tel que le conçoit Ulf
Hannerz constitue une entité relationnelle formée de jeux de relations, où s‟articulent des
relations de parenté, des relations d‟amitié ou de simple connaissance : « L‟idée de réseaux

27
Instituto Nacional para el Federalismo y el Desarrollo Municipal, Enciclopedia de los Municipios de México,
México, Gobierno del Estado de México, 2005, entrée : “Nezahualcoñyotl”
28
INEGI, «Población en hogares y sus viviendas», II Conteo de Población y Vivienda 2005, México, INEGI,
2005, version consultable en ligne (consultée le 23 mars 2006) à l‟URL :
http://www.inegi.gob.mx/lib/olap/general_ver3/MDXQueryDatos.asp?#Regreso&c=7250
29
Mauss (Marcel), «Essai sur le don», Sociologie et Anthropologie, Paris, PUF, 1995, p 147 et p 274
30
Godelier (Maurice), L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984 : le terme de ressource étant pris ici dans son
acception large, à savoir à la fois biens et moyens matériels qu‟idéels ou relationnels
31
Hannerz (Ulf), « À quoi servent les réseaux sociaux ? », Explorer la ville : Éléments d’anthropologie urbaine,
Paris, Éditions de Minuit, 1983, 432 p, chapitre 5
sert pour autant en anthropologie, à extraire d‟un système plus ample et à visées analytiques,
des ensembles plus ou moins complexes de relations » 32.
Concrètement, il s‟agit de prendre en compte les configurations politiques, par
exemple des manifestations ou des groupements, des leaders syndicaux ou de quartier face à
ceux qu‟ils représentent et « face aux non-membres ou adhérents, par des facteurs qui
ordonnent la configuration relationnelle, tels que les systèmes de parenté et d‟alliance,
l‟affiliation partisane ou associative ou l‟appartenance à la technostructure locale », prenant le
réseau dans son acception synchronique et diachronique33. Je m‟intéresse plus
particulièrement aux réseaux personnels ou égocentrés, au sens où ils constitueraient la
« cristallisation momentanée d‟un parcours individuel temporalisé à l‟intérieur d‟un espace
social »34. Dans cette perspective, la notion de « carrière »35 est mobilisée, comme croisement
de l‟ordre social –espace d‟opportunités pour les individus- et la subjectivité des personnes,
autrement dit, la manière dont elles gèrent les opportunités offertes face à des contraintes
sociales plus ou moins fortes. Un autre élément en lien avec les réseaux est central pour cette
étude : celui d‟espace politique, c‟est-à-dire l‟espace de la représentation politique et l‟espace
de l‟action politique.
Il s‟agit alors de comprendre les différents processus par lesquels les réseaux sociaux
et personnels influent sur le politique, c‟est-à-dire la politisation au sens de socialisation
politique, la participation politique et la formation d‟imaginaires politiques- au sein de trois
quartiers d‟habitat précaire de Mexico. La définition préliminaire de la politique qui sous-tend
ce travail est alors : l‟ensemble des actions et des dispositifs qui organisent une société et
permettent « l‟agir-ensemble »36.

Délimitation de l’objet

Malgré mes projets d‟étudier différents quartiers (colonias) d‟habitat précaire de


Mexico, tels que Coyuya (nord de la délégation Iztacalco, dans le District Fédéral), Bordo
Xochiaca et Bombas (deux décharges publiques habitées de Nezahualcóyotl, aux
caractéristiques démographiques et socioéconomiques divergentes), ou encore Calzada de los
Gallos (près de la Carretera de Texcoco), cette étude se concentre finalement sur trois zones
de la municipalité d‟Ecatepec, située au nord du District Fédéral et appartenant à l‟État de
Mexico37.
Ce choix prend en compte les données pragmatiques de l‟exercice du Master, sans
pour autant délaisser l‟intérêt heuristique de la comparaison. En effet, l‟objet de cette étude se
décompose en trois colonias (quartiers) distinctes dont les caractéristiques géographiques,

32
Hannerz (Ulf), Exploración de la ciudad, México, FCE, 1993 (1e éd. 1986), p 197 : “La idea de las redes en la
antropología sirve, por lo tanto, para extraer, de un sistema más amplio y con propósitos analíticos, conjuntos
más o menos complejos de relaciones”
33
Abélès (Marc), Anthropologie de l’État, Paris, Bibliothèque Payot, 2005, p 149
34
Gribaudi (Maurizio) et alii, « Réseaux égocentrés et inscription sociales. Continuités et discontinuités dans les
formes de structuration de l‟espace parisien », Espaces, Temporalités, Stratifications. Exercices sur les réseaux
sociaux, Paris, Éditions de l‟École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1998, p 71-120
35
Hughes (Everett, C), Men and their Work, Glencoe, New Ed Edition, 1981 (rééd. 1958), 184 p
36
Arendt (Hannah), Condition de l’homme moderne, Paris, Pocket, 1992, p 261 ; également cité dans Abélès
(Marc), Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006, p 45, note de bas de page : « ce qui maintient la
cohésion des hommes après que le moment de l'action est passé (ce que nous appelons aujourd‟hui
« organisation ») et ce qu'en même temps ils préservent grâce à leur cohésion, c'est la puissance »
37
Pour la localisation géographique de la municipalité d‟Ecatepec, voir les différents plans présentés en annexe
II
historiques, politiques et socioéconomiques divergent, bien qu‟elles se situent toutes trois
dans la même municipalité.

État de la vivienda (logement) à Ecatepec de Morelos

Ecatepec représente la seconde municipalité la plus peuplée de l‟État de Mexico et la


plus dense quant au nombre d‟habitations qu‟elle contient, avec 442 451 viviendas en 200538.
Elle était la ville la plus peuplée de tout Mexico jusqu‟en 2006, mais elle vient d‟être
devancée par la municipalité d‟Iztapalapa. Ainsi, Ecatepec compte, en 2006, 1820 888
habitants39 et, pour cela, est la ville la plus peuplée de l‟État de Mexico. Parmi les habitants,
51.2 % sont des femmes tandis que 48.8 % sont des hommes. Ecatepec est l‟une des villes de
l‟État dont la densité de population et l‟extension territoriale, ont le plus augmenté depuis la
création de la municipalité. Huit villages, ou délégations, la composent, parmi lesquels
figurent San Pedro Xalostoc, Santa Clara Coatitla (appelé Santa Clara au fil de cette étude),
Santa Maria Tulpetlac et San Andrés de la Cañada Guadalupe Victoria, sont ceux dans
lesquels figurent le plus grand nombre d‟habitat précaire de toute la municipalité40. Les
dernières études menées sur le foncier à Ecatepec a révélé que 70 % des terrains d‟habitations
étaient irréguliers41.

Site et situation de Reguilete, Cuesta et Potrerillo

Sur un plan géographique, deux des trois colonias se trouvent rattachées à Santa Clara,
dans la périphérie sud d‟Ecatepec ; il s‟agit de Reguilete (litt. : girouette) et de Buena Vista –
l‟aire étudiée dans la seconde ne couvrant pas toute la colonia mais seulement une partie
appelée Cuesta (litt. : Côte). Ces deux colonias côtes à côtes se trouvent séparées par une axe
routier, l‟avenue Industrias. Elles se confrontent aux mêmes problèmes, à savoir qu‟elles font
partie de l‟aire de réserve de l‟autoroute Mexico-Pachuca –il s‟agit donc d‟une zone fédérale
de l‟État de Mexico- et que les habitations sont construites sur des terrains traversés par des
oléoducs de la compagnie Pemex –de Pétrole Mexicain- ainsi que par un aqueduc municipal.
Ces paramètres confèrent à la zone une haute dangerosité, bien que la raffinerie de
Azcapotzalco, acheminant le pétrole entre Mexico et Pachuca, ne soit plus en service. Par
ailleurs, le découpage administratif de la zone, superposant plusieurs instances de
responsabilités –la localité de Santa Clara, la municipalité d‟Ecatepec, l‟État fédéral de
Mexico et la responsabilité étatique de la République des États Unis du Mexique-
complexifient d‟autant plus la situation que les différents services se renvoient la
responsabilité et, donc, ne prennent aucune décision concernant ces predios (terrains). La
troisième, nommée Potrerillo (diminutif de potrero, litt. : herbage à chevaux), se trouve en
face de la place commerciale Plaza Ecatepec, à côté du centre-ville d‟Ecatepec, plus au nord
des deux précédentes. Il s‟agit d‟un terrain privé42.

38
Instituto Nacional de Estadística, Geografía e Informática (INEGI), II Conteo de Población y Vivienda 2005,
39
Le premier sondage Conteo de Poblacion y Vivienda mentionnait 1 688 258 habitants. Voir
http://www.inegi.gob.mx/est/contenidos/espanol/rutinas/ept.asp?t=mpob103&c=3850&e=15
40
Voir photos en annexe I
41
Chiffres publiés lors de la réunion intitulée « Pauvreté urbaine, villes soutenables » le 4 mai 2007 en présence
de représentants de l‟Organisation des Nations Unies, du Maire d‟Ecatepec José Luis Gutiérrez Cureño et des
responsables de divers services municipaux
42
Voir détails dans le II de cette étude
Brève présentation historique

D‟un point de vue historique, les trois quartiers présentent des spécificités, bien qu‟ils
soient tous trois des colonias paracaidistas, c‟est-à-dire des « emplacements d‟habitations
précaires »43. Reguilete est peuplée massivement à sa création entre 2001 et 2002 : après
l‟arrivée des fondateurs, soit environ six familles, dont quatre ont quitté les lieux depuis, s‟est
ensuivie l‟installation massive de cinquante-cinq habitations environ. Les huit autres ont été
construites plus récemment. Le site de la colonia a connu plusieurs phases de développement.
Étant à l‟origine une propriété privée, les propriétaires confient le terrain à Maria de la Luz
Soria Ramirez qui s‟installe dans la partie nord en 1976 et entretient tout le terrain.
Cependant, elle est vite dépassée par les déversements spontanés d‟ordures. Le terrain devient
une décharge spontanée, où les enfants du village de Santa Clara s‟émerveillent des déchets
qu‟ils s‟évertuent à collectionner44. L‟extrémité nord du terrain, en amont de la partie occupée
par la famille Soria Ramirez, est vendue et divisée entre trois propriétaires différents. Tandis
que la partie sud est occupée dès 2001 par les paracaidistas qui y construisent des habitations,
d‟abord de carton, puis de bois et depuis quelques mois, quelques habitations –environ six-
sont construites de tabique, de blockes et de morillos, ou sont en cours de construction. Au
nord-ouest, se trouve donc l‟entrepôt de sable d‟une cimenterie. Au nord-est, est installé un
site de tri de papiers et de cartons à ciel ouvert –en vue de le revente des matériaux à des
usines de recyclage. Au sud de la colonia Reguilete, se trouve la colonia El Gallito la Presa,
une autre colonia paracaidista plus aisée –les maisons étant de tabique (littéralement
« cloisons », par opposition à lámina, planches de bois, morceaux de carton) ou de morrillos
(moellons). Les « paracaidistas » de Reguilete (habitants de la colonia ne disposant pas de
titres de propriété pour les terrains qu‟ils occupent), arrivés pour la plupart en 2002,
proviennent pour la grande majeure partie de Santa Clara ou de La Palma, respectivement un
pueblo (village, appelé également délégation) et une colonia voisins. Les résidents
connaissent donc les lieux depuis leur enfance, y ayant joué et collecté des déchets, le terrain
qu‟ils occupent étant alors le lieu de prédilection de leurs aventures. La colonia compte
aujourd‟hui soixante-trois habitations (« casas ») et près de cent soixante huit résidents, dont
huit n‟y habitent pas de manière permanente, ayant une résidence principale dans les environs
(à Santa Clara, La Palma, Cerro Gordo ou San Andrés)45.
Quant à Cuesta, le site sur lequel se trouve le terrain, est bordé au nord par une usine
électrique, au sud par un terrain de football local. Elle s‟étend sur la quasi-totalité de l‟avenue
Industrias, comprise entre le pont de Palma (Puente de Palma) et le pont du Coq (Puente del
Gallo). Les 250 habitations se répartissent sur le pied et le flan d‟une colline46, les nouveaux
arrivants construisant sur des parcelles situées en amont des plus anciennes. Les premiers
habitants de Cuesta se sont installés vers 2001. La population est plus bigarrée, provenant
d‟endroits très différents, principalement de l‟État de Mexico ou du District Fédéral. Cuesta
s‟est peuplée de manière progressive et ordonnée depuis 2002, mais a été secouée par divers
affrontements physiques voire armés avec les autorités municipales et leurs représentants.
L‟histoire de Cuesta est plus mouvementée que celle de Reguilete, ayant subi plusieurs

43
Cornelius (Wayne), Los inmigrantes pobres en la ciudad de México y la política, México, Fondo de Cultura
Econñmica, 1980, p 16: “En México se llama « paracaidistas » a los moradores de los asentamientos precarios,
quizá porque aparecen de pronto sobre el terreno, «como caídos del cielo»” (Au Mexique, on appelle
«paracaidistas», les résidents d‟habitations précaires, peut-être parce qu‟ils apparaissent subitement sur le terrain,
«como tombés du ciel»)
44
Anecdotes recueillies auprès de plusieurs habitants qui corroborent ce fait de l‟histoire de la colonia
45
Selon le recensement effectué par nos soins les 4 et 5 avril 2007
46
Voir photos de la Cuesta en annexe I
attaques de la police montée et plusieurs tentatives d‟expulsion, dont la plus violente survint
lors d‟un incendie –criminel ou involontaire- du 25 mars 2005, alors qu‟une majeure partie
des habitants participait à une excursion de groupe, profitant des jours fériés de la Semaine
Sainte.
Quant à Potrerillo, la colonia est la plus ancienne des trois, existant depuis près de dix-
neuf ans. Elle a été peuplée progressivement, comptant jusqu‟à 400 familles, durant son
apogée, réparties dans près de trois cents habitations. Aujourd‟hui, elle ne compte plus que
cent cinquante à deux cents familles, réparties dans une centaine d‟habitations, suite à
différentes opérations d‟expulsions, présentées dans le paragraphe suivant.

Organisation politique des trois colonias

Sur le plan politique, Potrerillo est la colonia la mieux organisée, avec un leader, doña
Irma, aidée de sa fille Gina, identifiées et reconnues, tant par les habitants du quartier que par
les autorités locales, de la délégation et municipales. Elle possède une habitation dans la
colonia mais n‟y vit pas à temps complet. La colonia, fermée par un mur d‟enceinte, comporte
deux panneaux de quatre mètres sur deux, promouvant la régularisation du quartier47. La
colonia a subi une opération bulldozer en janvier, après de nombreuses années de lutte en
faveur de l‟amélioration des conditions de vie de la « communauté »48. L‟opération a abouti au
départ massif de nombreuses familles, après la destruction de leurs habitations respectives.
Actuellement, il y a une centaine d‟habitations correspondant à 150 ou deux cents familles –la
majeure partie nucléaires, les autres parents disposants de leur habitation propre- soit environ
400 personnes. La présence et l‟influence des leaders au sein de la colonia est moindre,
compte tenu des récentes annonces d‟expulsion, mais Cecilia, suppléante de doða Irma et
vivant au sein de la colonia, veille au bon fonctionnement de l‟organisation communautaire à
Potrerillo. Quant à Cuesta, la colonia est organisée politiquement par deux leaders, Chano et
Leti, tous deux appartenant au EZLN –Ejercito Zapatista de Liberación Nacional (Armée
Zapatiste de Libération Nationale). Chacun des leaders dispose d‟une résidence principale en-
dehors, mais proche, de la colonia, à Santa Clara. Ils sont connus et respectés de tous, comme
l‟attestent les salutations avec déférence dont ils sont l‟objet. La participation aux assemblées
collectives hebdomadaires est importante : malgré l‟absence d‟une partie des habitants à
chaque réunion, tous les habitants viennent de manière régulière aux assemblées et sont donc
au courant des activités des leaders et des décisions qui sont prises. La présence des leaders
est cohésive. Ils gèrent l‟organisation interne de la colonia, en attribuant un terrain aux
nouveaux résidents et en s‟occupant des soucis et des nécessités quotidiennes, comme le
nettoyage des allées ou la répartition de l‟eau. Ils décident notamment de la répartition des
tâches parmi les résidents. Ils organisent également de nombreux événements et
commémorations, en particulier l‟anniversaire de la création de la colonia chaque 16 avril, à
laquelle tous participent, les plus investis préparant le repas et tous mangeant ensemble et
dansant ensuite jusqu‟à l‟aube. Les leaders dirigent les réunions et incitent les habitants à
participer à des manifestations en faveur du EZLN ou de Frente del Peublo (Front du
Peuple)49. La colonia Reguilete, quant à elle, est la plus originale quant à son organisation
politique. En effet, les habitants disposent d‟un comité interne, composé d‟un président,
Sebastián Aguilar Guttiérrez, d‟une secrétaire, Ernestina Leywa, d‟une trésorière, Belvica
Leyna Valadez, et de deux suppléants (vocales, littéralement : membres), Marco Antonio et
47
Voir photos en annexe I
48
Terme autochtone employé par les habitants eux-mêmes
49
Il s‟agit d‟une organisation politique faisant partie d‟un réseau d‟organisations en relation avec le EZLN et
dont le représentant fédéral, Lucas Álvarez, est particulièrement apprécié par les leaders de Cuesta
Jaime Isla Meyes. La légitimité de ce comité est cependant fortement contestée au sein de la
colonia, elle-même divisée en factions. Le comité est très proche d‟un leader politique du
PRD –Partido de la Revolución Democrática (Parti de la Révolution Démocratique, parti de
gauche), Oscar Dominguez Guerrero. Celui-ci se considère comme le leader de la colonia,
bien qu‟il y soit fortement controversé, une partie des résidents rejetant son autorité,
l‟accusant de faire de la propagande politique partisane, plus que d‟aider la population. Les
habitants de la colonia présentent une forte désagrégation politique et sociale, avec des
affrontements et des antagonismes forts entre les partisans du comité, leurs opposants
frontaux, appelés dans cette étude les « Indépendants », et les « entre-deux », à la fois
intéressés par les réunions du licencié (lic.) Oscar et celles internes du Comité, vacillant entre
les deux groupes précédents. Les abstentionnismes, quant à eux, demeurent généralement en-
dehors des conflits politiques du quartier.

Situations socio-économiques respectives

Consécutivement à l‟histoire et à l‟organisation politique respective de chaque colonia,


la situation socioéconomique diffère de l‟une à l‟autre. Reguilete se compose principalement
d‟ouvriers non qualifiés travaillant dans des usines alentours, comme l‟usine de Tupperware
de Santa Clara ou dans des entreprises privées comme les vulcanizadoras (ateliers d‟entretien
des pneus de véhicules) de Santa Clara. Il y a trois épiceries dans la colonia, toutes tenues par
des femmes. On y trouve également certaines activités typiques des quartiers populaires de
Mexico : des maçons, des peintres en bâtiment et autres travailleurs du secteur de la
construction, quelques chauffeurs de taxis (taxistas) et de microbus (choferes de combis,
c‟est-à-dire de microbus), trois chauffeurs de vélos-taxis (bicitaxis) et un ébéniste. Les
femmes qui travaillent sont soit ouvrières (usine de Tupperware), soit domestiques. Dans la
colonia Cuesta, le panel socioprofessionnel est plus étendu, comptant un fonctionnaire du
District Fédéral, des vendeurs ambulants, mais également des ouvriers non qualifiés ou des
ouvriers en bâtiment (albañiles). La colonia compte deux épiceries et plusieurs casitas (lieux
de vente de drogues, en particulier marihuana, solvants, voire cocaïne lorsque le cours des
prix est bas). Au Potrerillo, de nombreux hommes sont chauffeurs de vélos-taxis (bicitaxistas)
et livreurs, travaillant avec une bicyclette ou un triporteur pour les livraisons. Les femmes se
dédient au foyer lorsqu‟elles ont des enfants en bas âge, ou bien elles travaillent comme
domestiques, employées de maison ou ouvrières non qualifiées dans des usines de production.
Il y a un taux de chômage élevé. Dans aucune de ces trois colonias, on ne retrouve les
activités typiques des bidonvilles et des quartiers les plus démunis, qu‟il s‟agisse des
chacharros (acheteurs de produits usagés –vêtements, bouteilles de plastique, verre, etc.- et
qui les revendent plus chers, jouant sur la localisation des produits afin de leur faire gagner de
la valeur ajoutée) ou des pepenadores (collecteurs et trieurs de déchets, travaillant soit à leur
compte en collectant les déchets sur la voie publique, circulant à pied ou dans un chariot tiré
par un cheval soit pour les gérants d‟une décharge municipale ou privée). Ces activités sont
visibles dans d‟autres quartiers tels que Bordo Xochiaca et Bombas à Nezahualcóyotl ou à
Coyuya, où vit une famille de pepenadores50. Concernant le niveau des indicateurs de
pauvreté51 de ces trois quartiers, tels que les taux de mortalité infantile ou d‟alphabétisation,
des tableaux effectués par nos soins se trouvent dans le premier chapitre de cette étude.

50
Des photos personnelles sont disponibles sur demande
51
Les indicateurs utilisés ici sont les outils généraux, définis dans les rapports respectifs de la Banque Mondiale
et du Programme des Nations Unies au Développement, publiés en 2000, et qu‟elles continuent à utiliser
Cette esquisse des trois colonias étudiées ici, demeure en suspens pour le moment et
sera approfondi dans le premier chapitre de ce travail. Il s‟agit maintenant de s‟intéresser au
contexte juridique du sujet.

Encadrement juridique des colonias paracaidistas dans l’État de Mexico

 Principaux textes de lois nationaux

Le chapitre 5 du Code Civil traite des « Biens Vacants ». L‟existence-même d‟un tel
chapitre souligne l‟importance au Mexique de l‟occupation illégale ou informelle de terrains
et de biens mobiliers et immobiliers privés et publics.

- Loi 5. 24 à l’art. 27 du Code Civil

L‟article 5.24 tend à définir le concept de vacance52, tandis que l‟article 5.25 stipule
que toute personne ayant la connaissance de l‟existence d‟un bien vacant doit en faire la
déclaration auprès du Ministère Public du lieu où les biens ont étés découverts53. L‟article
5.26 concerne l‟adjudication du bien vacant par l‟État54. Et l‟article 5.27 énonce les bénéfices
retirés par le demandeur, à savoir le quart de la valeur cadastrale du bien55.

- Loi 5. 128 du Code Civil

Cette loi définit le concept de possession :


« Est possesseur d‟un bien celui qui exerce un droit de fait sur lui. Possède un droit celui qui
en jouit »56.
Ainsi que l‟usufruit :
« La possession nécessaire de l‟usufruit doit être : I En tant que propriétaire II Pacifique III
Continue IV Publique »57
Cet article de loi concentre toutes les ambiguïtés d‟interprétation auxquelles donne lieu
le droit de la propriété à Mexico, ainsi que les difficultés d‟application du code de la propriété.
En effet, l‟article stipule que la possession aussi bien que la jouissance d‟un bien engendrent
la propriété de ce dernier. En cas de possession et de jouissance d‟un bien de manière
différenciée, c‟est-à-dire lorsque le possesseur et le jouisseur d‟un bien ne sont pas les mêmes
personnes, cela engendre des conflits juridiques, très courants au Mexique.

- Loi 5. 129 du Code Civil

Cette loi définit les concept de possession originaire et dérivée58, c‟est-à-dire la nue-
propriété et l‟usufruit.
52
“Son bienes vacantes los inmuebles que no tienen dueðo cierto y conocido”
53
“El que tenga conocimiento de la existencia de bienes vacante, hará la denuncia respectiva ante el Ministerio
Público del lugar en donde se ubiquen los bienes”
54
“Si el Ministerio Público, considera procedente la denuncia del bien vacante, lo informara a las autoridades
competentes del Poder Ejecutivo para que éstas ejerciten la acción que corresponda a fin de que se incorpore al
patrimonio del Estado”
55
“El denunciante recibirá la cuarta parte del valor del bien catastral”
56
“Es poseedor de un bien el que ejerce sobre él un poder de hecho. Posee un derecho el que lo goza”
57
“La posesiñn necesaria para usucapir debe ser: I En concepto de propietario II Pacifica III Continua IV
Publica”
- Loi 5. 130 du Code Civil

Celle loi concerne la restitution de la possession, en cas d‟expulsion59.

- Loi 5.131 du Code Civil

L‟article 131 traite de la « présence de la possession originaire », c‟est-à-dire de la nue-


propriété. Cet article paradoxal définit la nue-propriété par ce qu‟elle n‟est pas60 : « quand une
personne a en son pouvoir un bien par la situation de dépendance du propriétaire, et en retire
un profit en accomplissant les ordres et les instructions qu‟elle a reçu de lui, n‟est pas
considéré comme propriétaire ».

- Loi organique des tribunaux agraires du 9 juillet 199361

Cette loi, promulguée sous la présidence de Carlos Salinas de Gortari, crée les
tribunaux agraires, définis comme « les organes fédéraux dotés de la pleine juridiction et
autonomie pour édicter ses jugements, à ceux qui lui correspondent, selon les termes de la
fraction XIX de l‟article 27 de la constitution politique des États Unis Mexicains,
l‟administration de justice agraire sur tout le territoire national » (art. 1). Cette loi concerne
les colonias paracaidistas qui sont l‟objet de cette étude, parce que les tribunaux agraires sont
chargés de démêler les litiges liés à la possession et à l‟usage de la terre.

 Lois fédérales relatives à la propriété

- Article 107 du Code Financier de l’État de Mexico62

« Les personnes physiques et juridiques collectives qui sont propriétaires et


possesseurs de biens immeubles dans l‟État, son obligées de payer l‟impôt foncier »63.

- Article 108 du Code Financier de l’État de Mexico

« La base de l‟impôt foncier sera la valeur cadastrale déclarée par les propriétaires ou
les possesseurs de biens immeubles par le biais d‟une manifestation volontaire qu‟ils
présentent à la Trésorerie Municipale de la juridiction qui leur correspond et elle sera

58
“Cuando en virtud de un acto jurídico el propietario entrega a otro un bien, concediéndole el derecho de
retenerlo temporalmente en su poder en calidad de usufructuario, arrendatario, acreedor pignoraticio, depositario,
comodatario u otro título análogo, los dos son poseedores. El que lo posee a título de propietario tiene una
posesiñn originaria; el otro, una posesiñn derivada”
59
“En caso de despojo, el poseedor originario tiene derecho de que sea restituido el que tenia la posesiñn
derivada, y si éste no puede o no quiere recobrarla, aquel puede pedir la posesiñn para si mismo”
60
“Cuando una persona tiene en su poder un bien por una situaciñn de dependencia respecto del propietario, y la
retiene en provecho de éste en cumplimiento de las ordenes e instrucciones que de él ha recibido, no se le
considera poseedor”
61
Congrès des États Unis Mexicains, « Loi organique des tribunaux agraires », Mexico, D.O.F., 26 février 1992
62
Secretaria de Finanzas, Procuraduria fiscal, Prontuario de legislación financiera, Mexico, Gobierno del
Estado de Mexico, février 2006, 1020 p
63
“Están obligados al pago del impuesto predial las personas físicas y jurídicas colectivas que sean propietarias y
poseedoras de inmuebles en el Estado”
déterminée conformément aux tables de valeurs unitaires du sol, publiées dans le journal
officiel »64.

 Autorités concernées

Les autorités concernées par le traitement des colonias paracaidistas sont


essentiellement les quatre suivantes, par ordre décroissant d‟importance :

- Tenencia de la Tierra (Droit du Sol)

C‟est un service municipal rattaché à la municipalité d‟Ecatepec, qui traite les


demandes citoyennes concernant la propriété ou l‟usage de biens immobiliers, répartis en six
domaines différents qui constituent autant de sous-services : les règlements testamentaires, les
écritures, la topographie, le juridique, l‟aide au logement et la coordination.
Cependant, il faut noter que ce service d‟aide et d‟information aux citoyens ne
bénéficie que de très peu de moyens, ce qui limite l‟action de sous-services majeurs tels que
l‟aide au logement ou celle du service d‟information et de conseil65.

- La Municipalité (Gobierno Municipal)

Le Gouvernement municipal joue sur l‟organisation des colonias paracaidistas parce


que les fonctionnaires municipaux dessinent puis mettent en pratique les différentes politiques
de la ville, en particulier vis-à-vis des installations irrégulières qui constituent un problème de
grande ampleur à Ecatepec.

- Les Tribunaux agricoles (Tribunales Agrarios)

Les tribunaux agricoles peuvent être concernés par des litiges se rapportant à des
installations irrégulières, bien que ce ne soit pas le cas pour les trois colonias choisies pour
cette étude. En effet, ces tribunaux démêlent les litiges concernant la propriété et l‟usage de la
terre et des biens immeubles.

- Le Gouvernement Fédéral (Gobierno Federal)

Le Gouvernement Fédéral est un acteur à prendre en compte dans cette étude, dans le
cas de Reguilete et de Cuesta, bien qu‟il n‟ait normalement que peu de liens directs avec les
colonias. Il joue un rôle dans cette étude dans la mesure où les deux colonias citées, sont
situées dans la zone fédérale de réserve de l‟autoroute Pachuca-Mexico et que les différents
échelons administratifs, Municipalité, État Fédéral et Gouvernement étatique, se renvoient la
responsabilité de la résolution de la situation des habitants de ces colonias.

64
“La base del impuesto predial será el valor catastral declarado por los propietarios o poseedores de inmuebles
mediante manifestación que presenten ante la Tesorería Municipal de la jurisdicción que le corresponda y que
esté determinado conforme a las tablas de valores unitarios de suelo y construcciones publicadas en el periódico
oficial”
65
Détails fournis par le Responsable du Service d‟Aide au Logement, Antioco Garcia Garduðo
Problématique

L‟organisation en réseau des habitants de quartiers d‟habitat précaire répondrait à des


carences juridiques et économiques ou à une inadéquation du droit et des structures
économiques et financières aux besoins des populations, condamnant notamment une partie
de ces dernières à travailler et à vivre dans l‟informalité voire l‟illégalité.
Quelle est la nature des réseaux personnels des habitants des ciudades perdidas de
Mexico ? La constitution des réseaux personnels des habitants de ces quartiers est-elle
uniquement liée à la tradition caciquiste du Mexique ou bien le contexte actuel de
mondialisation et de métropolisation, à l‟œuvre à Mexico, transformerait la nature des réseaux
personnels ? Alors, y aurait-il des points communs entre les pratiques des habitants des
ciudades perdidas de Mexico et de banlieues issues de cultures différentes, celles de Paris
notamment, sous l‟impact de ces deux dynamiques ?
Dans quelle mesure, cette approche par les réseaux permet-elle de définir des
conceptions de l‟altérité66, c‟est-à-dire de l‟Autre politique et social dans toute sa différence et
sa ressemblance, des habitants des quartiers d‟habitat précaires de Mexico étudiés ?
L‟attention se porte plus particulièrement sur la perception que des habitants de ces colonias
détiennent individuellement d‟autres habitants, de leurs leaders et des fonctionnaires auxquels
ils sont confrontés. Quelle est l‟alternative que permet d‟envisager cette étude quant au
« paradoxe de l‟encastrement » récurrent en anthropologie, alternant couplage des contextes
sociaux et découplages des individualités, des trajectoires personnelles ?

Hypothèses

1/ Les pratiques clientélistes à l‟œuvre actuellement à Mexico seraient héritées du caciquisme.


Ces pratiques clientélistes existent notamment entre leaders syndicaux et membres du syndicat
qu‟ils représentent ou bien entre leaders politiques et votants, sous la forme d‟échanges de
services contre un vote67. Elles sont également visibles entre des « chefs » de quartiers et les
habitants dudit quartier, sous la forme d‟échanges d‟allégeances contre un soutien en faveur
du cacique local. Ces pratiques clientélistes appartenant à la culture politique traditionnelle du
Mexique connaît des transformations par l‟intervention d‟acteurs et de concepts supralocaux,
en particulier l‟influence d‟idéologies internationales véhiculée par les moyens de
communication de masse.

2/ Ces pratiques et les stratégies qu‟elles impliquent, souvent duales et ambivalentes, alliant
formel et informel, échanges de services et relations de pouvoir, amènent à considérer un
« esprit entrepreneurial » qui se baserait sur la multiplicité des appartenances sociales et
constituerait un moyen d‟inclure des populations socioéconomiquement marginalisées de
Mexico, en favorisant l‟hétérogénéité des ressources engagées. Cet esprit se développerait à la
fois de manière endogène et de manière exogène, favorisé par des associations locales de
solidarité ou des organisations extérieures à la localité. Les réseaux sociaux seraient alors une

66
Augé (Marc), Le sens des autres. Actualité de l’anthropologie, Paris, Fayard, 1998 (rééd.), 199 p : voir la
définition donnée par l‟auteur et les différents critères qui l‟influencent, en particulier les critères spatiaux, pour
comprendre les difficultés posées par une enquête anthropologique dans des aires urbaines
67
Roger (Antoine), « Comportement politique comparé », Toulouse, Sciences Po, 2005-2006, séminaire de
quatrième année du diplôme
ressource sociale visant à compenser l‟insécurité économique et juridique, à travers
l‟organisation d‟un système de sécurité coopératif et informel (Lomnitz, 1985)68.

3/ La multiplication des acteurs influant sur les formes politiques locales joue sur les
idiosyncrasies de la culture et des imaginaires politiques traditionnels, en particulier par
l‟intervention factuelle ou idéelle de nouveaux acteurs internationaux ou d‟idéologies
extranationales. Ces nouveaux acteurs et courants de pensée influençant les relations
clientélistes issues du caciquisme (Rouquié, 1986) dans les quartiers d‟habitat précaire de
Mexico, donneraient lieu à des « ambiances » (Réginensi, 1996), traditionnellement liées au
leader et à sa relation avec ceux qu‟il représente.

Posture épistémologique

- Cette étude se place dans une logique de « contextualisation » historique69 pour


analyser les divers héritages historiques, à la fois politiques, économiques et sociaux
qui influeraient sur les réseaux personnels, les modes relationnels et
communicationnels à l‟œuvre dans le politique. L‟accent est particulièrement mis sur
l‟héritage caciquiste dans les formes politiques contemporaines.
- Les « analyses de situation » sont prises dans une perspective gluckmanienne70 pour
étudier également les mises en relation éphémères, dans des situations momentanées
« d‟être-là »71. Par conséquent, le réseau, perpétuellement redéfini au cours de
l‟enquête, est conçu comme le point nodal qui confirme, reproduit ou transforme les
éléments-clé qui façonnent l‟espace des sociétés et non comme le microcosme du
privé.

Méthodologie

1/ Tout d‟abord, il s‟agit d‟examiner la filiation historique de formes caciquistes


traditionnelles aux pratiques clientélistes contemporaines, dans la perspective goffmanienne
d‟étude de la quotidienneté, pour en repérer les rythmes sociaux, en identifier les occurrences
et les repères spatiaux.
2/ Ensuite, ce travail se place dans une analyse relationnelle des sociabilités et des solidarités
qui se créent au sein des ciudades perdidas, tant entre les résidents, leurs leaders ou
représentants, mais aussi les possibles leaders extérieurs à la colonia.
3/ Enfin, il faut inscrire les deux premières perspectives au sein du processus actuel de
globalisation, pour faire émerger un paradigme de mobilité sociospatiale caractéristique du
monde contemporain.

Pour ce faire, différentes méthodes empruntées principalement à l‟anthropologie et à la


sociologie, sont mises en œuvre, qu‟il s‟agisse de méthodes quantitatives à travers des
sondages et des recensements ou bien qualitatives à travers des entretiens et des histoires de
vie. Le croisement de données subjectives telles que les histoires de vie ou les « histoires

68
Voir détails de la thèse de L. Adler de Lomnitz dans le chapitre I de cette étude
69
Bensa (Alban), La fin de l’exotisme : essai d’anthropologie critique, Paris, Anarchasis, 2006, 368 p
70
Gluckman (Max), Analysis of a Social Situation in Modern Zululand, 1940
71
Tarrius (Alain), « Intérêt et faisabilité de l‟approche des territoires des circulations transnationales », Colloque
« Circulations internationales », Toulouse, 17 et 18 mars 2005
orales » de plusieurs résidents des différentes colonias avec une base documentaire, est un
moyen de reconstruire l‟histoire locale de chaque quartier, faute de documents et d‟archives
exhaustives et complètes. Il faut noter ici qu‟à mesure que les résidents ont accepté et reconnu
ma présence, en s‟inspirant des méthodes de Wayne Cornélius72, j‟ai étendu mon rôle
d‟observateur participant jusqu‟à inclure la participation à des cérémonies familiales, comme
des anniversaires ou des rites religieux, l‟accompagnement à des sorties familiales ou
amicales (au tianguis –marché- et plus rarement dans des centres commerciaux), des réunions
avec les autorités municipales (juntas), la dactylographie de démarches administratives et
juridiques, jusqu‟à devenir la photographe attitrée de l‟une des trois colonias étudiées, lors de
célébrations ou d‟événements. Il a même surgi l‟idée de constituer un cahier retraçant les
conditions de vie et les efforts fournis par les résidents pour améliorer leurs conditions de vie,
en particulier pour les enfants. Ainsi, j‟ai été amenée à passer plusieurs semaines dans
chacune des colonias étudiées et j‟ai passé plusieurs nuits dans chacune d‟elles.

 Récolte des données

La récolte des données empiriques conjugue différentes méthodes, à la fois


scripturales, visuelles (photographie et vidéo) ou auditives (à l‟aide d‟un dictaphone). Après
avoir suivi plusieurs séminaires d‟anthropologie visuelle, je me propose ici d‟effectuer un
montage vidéo à partir des différentes données récoltées systématiquement, telles que les
entretiens, les réunions ou les actions politiques de chacune des colonias et les événements
collectifs de type festifs.
La photographie me semble en outre un bon moyen de dresser une typologie et de
présenter, dans une perspective descriptiviste, les différents rôles au sein des trois quartiers
ainsi que les personnages-clé. Elle peut parfois mettre en lumière certains éléments que le
cours de la situation ne permet pas d‟envisager.
Les données récoltées sont diverses : tout d‟abord, il y a des entretiens formels filmés
et des entretiens informels (certains filmés et d‟autres non, selon la situation), en particulier
d‟informateurs, de leaders ou de représentants reconnus dans chaque colonia, ainsi que
d‟agents publics tels que des députés ou des fonctionnaires en charge des dossiers respectifs
des trois colonias. Parmi les entretiens formels et informels, figurent l‟histoire de vie de
plusieurs résidents.

 Élaboration de l‟échantillon des enquêtés

Les soixante personnes interrogées pour cette enquête, sont des chefs de famille, dont
l‟âge est compris entre 18 et 65 ans et vivant dans l‟une des trois colonias paracaidistas de la
municipalité d‟Ecatepec, au nord de la ville de Mexico, étudiées ici. La plupart des personnes
interrogées sont des femmes, tant parce qu‟elles sont généralement plus attentives et
informées de l‟organisation politique du quartier, que parce que plusieurs familles sont
monoparentales, le chef de famille étant la plupart du temps la mère. Ainsi, le Comité
d‟organisation de Reguilete, par exemple, est majoritairement féminin, à l‟instar de l‟organe
de direction de Potrerillo, où les leaders et leurs suppléantes sont exclusivement féminines.
Notons ici que ce choix dénote des méthodes traditionnelles73 qui visent à interroger les
hommes, prétendument plus impliqués dans l‟organisation politique.

72
Cornélius (Wayne), « Sitios y métodos de la investigación », op. cit., p 23-26
73
Voir Cornelius (Wayne), Los inmigrantes pobres en la ciudad de México, 1980 ; Arterton, 1974, chap 7 et 12 ;
Stevens, 1975, p 298-299
 Étapes du travail de terrain

Pour analyser les pratiques politiques actuelles, des travaux de terrain ont été menés à
trois niveaux différents :
- La première étape a consisté au repérage des terrains qui seraient l‟objet de cette étude.
Il a donc fallu parcourir la ville, retourner dans les quartiers connus et se familiariser avec
d‟autres. La technique adoptée a été celle de « l‟observation flottante »74, afin d‟enregistrer
une grande diversité d‟informations, nécessaires à la formulation d‟interrogations. Les trois
colonias étudiées ici, ont été choisies sur des critères propres à cette enquête, tels que la
diversité et la complémentarité des situations, tout en gardant un dénominateur commun, à
savoir les modes de construction des habitations et les matériaux utilisés (soit des matériaux
de récupération : bois, cartons, bâches de plastique, tôles voire sporadiquement tabique).
Néanmoins, chacun des trois quartiers a requis des méthodes de récoltes des données et
d‟observation, ainsi qu‟un degré de participation, variables75. Pour se familiariser avec le
fonctionnement et l‟organisation politique des quartiers étudiés, plusieurs semaines ont été
nécessaires, afin d‟être acceptée par les habitants du quartier et d‟obtenir leur confiance,
notamment par des prises de contact, des discussions informelles et la récolte de données à
l‟écrit, principalement auprès des habitants, des leaders politiques qui les encadrent puis, au
fur à et à mesure, auprès des municipalités (fonctionnaires en charge de ces quartiers dans les
services de l‟urbanisme, les services de voirie et les services sociaux, ainsi qu‟à la Chambre
des Députés), ou encore auprès des chercheurs du centre de recherche auquel j‟étais rattachée
sur le terrain, à savoir le CIESAS (Centro de Investigación y Estudios Superiores en
Antropología Social).
Cela a permis d‟identifier d‟abord des personnages-clé du fonctionnement du quartier
(membres du Comité de quartier et des leaders de cette assemblée, leaders syndicaux –
personnages importants et influents en particulier pour la négociation auprès de la
municipalité pour la régularisation des titres de propriété, l‟installation ou la rénovation
d‟infrastructures, etc.). Ensuite, cette première série d‟enquêtes a fait apparaître certains
rouages des pratiques politiques ; mais surtout, cela a confirmé l‟hypothèse concernant la
prégnance de l‟héritage caciquiste dans les pratiques clientélistes actuelles et a dévoilé
certains de leurs mécanismes. Néanmoins, elle a infirmé l‟hypothèse de l‟importance
croissante d‟organisations non-gouvernementales et d‟associations caritatives dans ces
quartiers. Enfin, ces travaux préliminaires ont permis de tisser des liens et de créer une
proximité avec les habitants des quartiers et fut l‟occasion de mener une observation-
participante.
Surtout, cette première partie a confirmé, par l‟enquête de terrain, la définition
préliminaire et qui semblait a priori adéquate : le politique est « ce qui fait qu‟une société
forme un tout malgré la pluralité des structures –économiques, sociales, religieuses, etc.- qui
s‟y combinent, ce qui fait que ses membres vivent ensemble en dépit des conflits qui les
oppose, ce qui permet que des décisions y soient prises et coordonnées et qu‟elles engagent le
groupe comme tel »76.

74
Pétonnet (Colette), « L‟observation flottante. Exemple d‟un cimetière parisien », L’Homme, Paris, EHESS,
1982, vol. 22, n°4, p 37-47
75
Voir détails Annexe V
76
Abélès (Marc), « Systèmes politiques ou dispositifs de pouvoir ? », Anthropologie de l’Etat, Paris, Payot, 2005
(réed.), 253 p, ch. 2 « L‟Etat en perspective »
- Ensuite, une deuxième étape consista en la lecture d‟articles et de livres non
accessibles depuis la France, ainsi que la consultation d‟archives et des registres de cadastres
–sachant que les registres de l‟État de Mexico ne recouvrent qu‟une faible partie du territoire
et, lorsqu‟ils existent, ils ne correspondent pas toujours aux découpages réels des terrains. Les
problèmes de découpages ont notamment concerné les terrains de Reguilete et de Cuesta, qui
figurent dans le cadastre comme inclus, sans délimitation propre, dans des terrains plus
larges, au sein de la zone de réserve de l‟autoroute Mexico-Pachuca. Quelques habitations
figurent sur les registres de cadastre et correspondent par exemple à Cuesta, à la première
habitation construite en ciment, avant l‟expropriation en vue de la construction de l‟autoroute.
La consultation des articles de journaux comprend les articles de 1960 à aujourd‟hui, en lien
avec nos thèmes (ciudades perdidas, asentamientos irregulares, colonias paracaidistas, etc.),
dans les principaux journaux de l‟époque, tel El Excelsior, ou contemporains comme La
Jornada. Cette lecture systématique a abouti à une ébauche d‟analyse de contenu.
Parallèlement, deux entretiens ont été réalisés. Il s‟agit de ceux de deux responsables du
service Tenencia de la Tierra (Propriété de la Terre) en charge de deux des trois colonias
précitées –Reguilete et Cuesta étant de propriété publique (propiedades sociales) et Potrerillo
une propriété privée- concomitamment à ceux d‟habitants des bidonvilles, selon le paradigme
méthodologique d‟Everett Hughes77. Ce même paradigme –qui consiste à étudier des carrières
socialement valorisées par des carrières dévalorisées- amène également à envisager les liens
entre ces quartiers d‟habitat précaire, aux revenus en-dessous de la moyenne nationale et
socialement dépréciés, et des quartiers aisés où certains habitants travaillent ou bien où les
représentants politiques, les leaders ou encore les députés, sont issus et où ils travaillent.
Cette seconde étape, suivant certaines éléments méthodologiques utilisés par Marc
Abélès dans une monographie politique78, a permis d‟apercevoir certains éléments de la
culture politique locale, notamment l‟importance de certains personnages qui n‟étaient pas
apparus, à première vue, comme faisant partie des référents-clé, comme doña Asunción à
Cuesta. Cela a donc mis en évidence certaines pratiques politiques des habitants de ces
quartiers, considérés comme des acteurs sociopolitiques.

- Enfin, la dernière étape consista à vérifier sur le terrain les hypothèses engendrées par
les deux étapes précédentes, dans une démarche réflexive. Certaines ont été réfutées tandis
que d‟autres ont été confirmées. Cette étape constitua un moment important dans le sens
donné à la rédaction du mémoire et à la révision des hypothèses émises.

En guise de conclusion à ces prolégomènes méthodologiques, il me semble important


de mentionner les difficultés rencontrées au début du travail de terrain. En effet, contrairement
à ce que mes lectures ont pu mentionner sur ce point79, j‟ai rencontré de nombreux rejets et
des refus de répondre à mes questionnaires, ainsi que de la méfiance quant à ma présence. De
nombreuses informations ont été occultées par les leaders des quartiers et parfois même par
les habitants, et ce, jusqu‟à la quasi-fin du travail de terrain. Les motifs de méfiance étaient
que les résidents me soupçonnaient d‟être envoyée par « San Cristóbal », soit la municipalité,

77
Hughes (Everett, C), «Dilemmas and contradiction of status», The American Journal of Sociology, Juillet
1994, p 353-359, vol. L, n°1
78
Abélès (Marc), « Pouvoir et représentation », ibidem, reprenant des travaux précédents : Jours tranquilles en
89. Ethnologie politique d’un département français, Paris, Odile Jacob, 1989, 352 p
79
Wayne Cornelius fait part, par exemple, de l‟accueil chaleureux dont il a été l‟objet : “Muchos parecían
sorprendidos y halagados de que una persona de «afuera» –en especial una de mayor status social – los buscara
como informantes y amigos” («Beaucoup semblaient surpris et qu‟une personne de l‟extérieur –en particulier
d‟un statut social plus élevé- les sollicitent comme informateurs et amis»)
afin de mener une enquête sur les us et coutumes des résidents en vue de les expulser plus
aisément. De même, certains craignaient que je sois chargée d‟enquêter sur les personnes
ayant des plaintes civiles déposées à leur encontre pour “asentamiento irregular”, c‟est-à-dire
« occupation frauduleuse d‟un terrain ou d‟une habitation ». Au bout de plusieurs jours
consécutifs de visites, certains habitants ont finalement accepté de répondre à nos questions à
Reguilete, mais ce n‟est que plusieurs semaines plus tard que j‟ai réalisé que j‟avais gagné la
confiance des résidents. Le degré de confiance accordé et sa rapidité dépend, selon mon
expérience, des problèmes internes à la colonia. Le cas le plus problématique a été celui de
Potrerillo où la situation est originale et complexe, le terrain étant de propriété privée ; j‟ai
réussi à obtenir des informations concernant la situation juridique et politique du terrain
durant le mois de mai, grâce à l‟intervention directe d‟un député connu des représentantes, des
leaders, qui m‟a recommandée auprès d‟elles. Concernant le Reguilete, je n‟ai appris qu‟à la
mi-avril soit plus d‟un mois après le début du travail de terrain, qu‟il y avait un comité
d‟organisation interne à la colonia, et non seulement les réunions du lic. Oscar. Et il m‟a fallu
plusieurs jours pour obtenir les informations concernant les membres de ce comité.
Néanmoins, à l‟instar des commentaires des anthropologues travaillant dans des quartiers
d‟habitat précaire de Mexico, j‟acquiesce avec eux que la formation universitaire suscite le
respect des habitants et une certaines déférence, malgré le fait qu‟ils soient plus âgés que moi
et que je me présente comme étudiante. Finalement, je me suis rendue compte qu‟une manière
adéquate d‟expliquer mon travail, était de dire que j‟effectuais mon “servicio social” (litt. : «
service social ») –stage non rémunéré de fin d‟études au Mexique qui constitue une forme de
reconnaissance de la part des étudiants envers le gouvernement national pour offrir des études
universitaires gratuites ou quasi-gratuites.

Axes d’étude proposés

Pour mener à bien ce projet, il s‟agit tout d‟abord d‟envisager les liens entre les
réseaux sociaux et le politique au sein de chacun des trois quartiers d‟habitat précaire pris en
compte dans cette étude. Cela conduit à l‟étude des processus observés d‟encastrement et de
découplage des réseaux dans le politique. Cette première étape amène ensuite à dégager un
trait majeur de la relation entre réseaux sociaux et politique : l‟existence ou non d‟une
communauté, et des sentiments d‟appartenance ou de rejet qu‟elle génère. Cette deuxième
étape met en exergue des jeux d‟enchâssement de réseaux politiques à l‟intérieur de réseaux
sociaux et inversement. Enfin, il s‟agit de dégager deux mécanismes fondamentaux qui se
renforcent mutuellement et qui sous-tendent la relation entre réseaux sociaux et politique, à
savoir la réciprocité et la confiance.
I Réseaux sociaux et politique dans trois ciudades perdidas : étude
de cas

L‟hypothèse émise ici est que les réseaux sociaux, c‟est-à-dire les sociabilités et les
solidarités, au sein des trois quartiers d‟habitat précaire comparés, constituent un facteur
jouant sur les pratiques politiques des habitants. L‟influence des réseaux sociaux dans le
politique expliquerait les pratiques clientélistes actuelles, considérées ici comme des
rémanences des systèmes politiques caciquistes, traditionnels au Mexique80.

Prolégomènes méthodologiques

Pour étudier les « réseaux personnels », ou égocentrés, des habitants, un questionnaire


a été élaboré. Celui-ci est inspiré de diverses sources81 et porte aussi bien sur les pratiques
politiques et économiques, que sur les représentations politiques, corporatistes, sociales et
culturelles, des habitants. Il combine des questions ou des procédés émanant tant du
questionnaire de l‟anthropologue Wayne Cornelius que de celui élaboré par Michel Grossetti
et Marie-Pierre Bès, tous deux sociologues des réseaux. Je ne prévois pas d‟effectuer les
calculs (densité des réseaux, isomorphisme, etc.) auxquels je m‟étais adonnée l‟an passé pour
le mémoire de maîtrise du diplôme de Sciences Po. La perspective anthropologique adoptée
ici s‟intéresse bien plus aux mécanismes qu‟aux résultats. Néanmoins, les questionnaires et les
représentations graphiques empruntées à la sociologie des réseaux semblent pertinents pour
illustrer la description d‟un réseau et ses possibles fonctionnements.
Le point focal de cette étude porte sur les processus relationnels en jeu dans le
politique –pris ici sous trois angles principaux : la politisation, au sens de socialisation
politique, la participation politique et la formation d‟imaginaires politiques- dans trois
quartiers d‟habitat précaire de Mexico.
Quelle est la nature de la relation entre réseaux sociaux et politique ? Quels en sont les
rouages et les facteurs ?

A- Les réseaux sociaux : matrice de la politisation ?

La définition préliminaire d‟un réseau social utilisée ici renvoie à un ensemble d‟unités
sociales qui entretiennent des relations les unes avec les autres, directement ou indirectement,
à travers des chaînes de longueurs variables. Ces unités sociales peuvent être des individus,
des groupes informels d‟individus, des organisations plus formelles comme des associations,
des entreprises, voire des pays82. Les réseaux sociaux sont envisagés ici comme un facteur
explicatif de la politisation des trois colonias paracaidistas prises en compte. La politisation,
fait de donner un caractère politique, est ainsi entendue dans une double acception, renvoyant

80
Rouquié (Alain), Amérique latine. Introduction à l’Extrême-Occident, Paris, Seuil, 1987, thèses reprises par
Bertrand (Michel), Marin (Richard), « Comprendre l‟Amérique latine aujourd‟hui », séminaire Sciences Po
Toulouse, année 2005-2006
81
Sources : Cornelius (Wayne), op. cit., 1980 ; Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., 1985
82
Mercklé (Pierre), Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2004, coll. « Repères », p. 7-8
à la fois à la socialisation politique –inculcation de normes et de valeurs politiques durables83-
et à l‟organisation politique –l‟organisation politique étant alors comprise comme l‟action
d‟organiser politiquement un groupe, quelles qu‟en soient les modalités.
La question est alors de déterminer la nature des liens entre réseaux sociaux et
politisation au sein de chacune des trois colonias, afin d‟en faire ressortir les mécanismes, tout
en y incluant une relation apparue centrale au fil du travail d‟enquête : la relation à l‟espace
urbain.

1. Apprentissage politique et socialisation : étude comparée de trois


processus distincts

a. Définitions

Cette étude a soulevé de nombreuses questions sémantiques, tant pour traduire le


terme de « ciudad perdida » que les divers termes renvoyant au quartier, le champ sémantique
du « quartier » étant plus développé dans la culture hispanique. En effet, les termes de
« barrio », « colonia », « barriada », « fraccionamiento », se traduisent tous par le terme de
quartier et coexistent dans l‟espace urbain au titre de valeurs culturelles, sociales et
symboliques84.
Dans ce cadre, j‟ai rencontré un double problème dans le choix des notions à étudier
ici : d‟une part, la question a été de savoir comment traduire le terme français de
« bidonville » ou de « quartier d‟habitat précaire », mais aussi de comprendre l‟usage fait des
termes autochtones. Le terme de « ciudad perdida » constitue la traduction contemporaine du
terme « bidonville ». Néanmoins, il est utilisé à la fois pour se référer aux bidonvilles, aux
quartiers d‟habitat précaire, voire aux quartiers populaires, incarnant à la fois des habitations
de lámina (litt. : planches par exemple de bois, morceaux notamment de cartons) –donc des
habitats précaires- ou de tabique (litt. : blocs, renvoyant ainsi aux briques ou aux moellons) –
donc des habitations construites en semi-dur- voire même des quartiers mêlant habitations de
láminas, de tabique ou de morillos (moellons) –habitations construites en dur. Le terme
« ciudad perdida » ne renvoie plus à une ville au premier sens du terme, les lieux pris en
compte ne disposant pas des services urbains et des pouvoirs administratifs caractéristiques
d‟une ville. Il renvoie généralement à un quartier ou à une rue composée d‟habitations
précaires ou de populations à très faibles revenus. Cependant, malgré le flou de ce terme,
celui-ci demeure prégnant dans les discours, en particulier les discours politiques et
discussions populaires. L‟imaginaire auquel il renvoie est quant à lui explicite : il renvoie à
des images d‟Épinal du folklore urbain mexicain, avec les étendues de terre battue, les villes
construites de maisons de bois, dans des quartiers ne disposant d‟aucunes infrastructures telles
que l‟eau et l‟électricité, ni de services urbains, comme le ramassage des déchets ménagers et
les transports urbains. Ainsi, j‟ai choisi de braver les normes scientifiques tacites qui amènent
les chercheurs à critiquer la plurivocité du terme –plus exactement la perte de références
spatiales matérielles et normatives- pour au contraire le faire mien, compte tenu de son

83
Percheron (Annick), La socialisation politique, Paris, Armand Collin, 1993, 226 p
84
Ibarra Ibarra (Xñchitl), Lñpez Moreno (Eduardo), “Diferentes formas de habitar el espacio urbano”,
Ciudades, México, RNIU, 1996, n°31 julio-sept., p 29-35
caractère autochtone et usuel, et du fait qu‟il renvoie à une réalité qui, malgré les discours
officiels, demeure vivace.
D‟autre par, le second dilemme sémantique sur lequel a débouché cette étude a été de
distinguer les différents termes renvoyant au quartier. En effet, les mexicanismes renvoyant au
quartier ainsi que leurs corrélats sont très nombreux. De plus, les usages courants des termes
tendent à les faire équivaloir. Les questions se portent sur la désignation de chacun de nos
trois quartiers comme un « barrio », une « colonia », une « barriada », un
« fraccionamiento », un « asentamiento irregular », une « unidad » ou un « cuartel ».

La unidad, le cuartel, le coto et le fraccionamiento

Les deux derniers termes sont facilement éliminables : la « unidad » (litt. : unité,
équivalant plutôt aux termes de résidence ou de cité) peut parfois renvoyer au quartier mais
elle est généralement utilisée pour désigner un ensemble d‟immeubles –le plus souvent
emmuré et dont les entrées sont surveillées et contrôlées- ou une résidence fermée, un « coto »
–c‟est-à-dire un lotissement d‟habitations dont l‟entrée est contrôlée et restreinte.
Tandis que le « cuartel » (cartel) est un terme désuet qui renvoie aux anciens
découpages qui composaient les villes sous l‟Ancien Régime85. Il a été question de savoir si
les trois ensembles étudiés correspondaient à une unidad ou un coto, compte tenu des murs
d‟enceinte –au Potrerillo- des cloisons de bois –à Cuesta- ou des grilles –à Reguilete- qui les
entourent respectivement. Cependant, l‟entrée de chaque ensemble n‟est ni contrôlée ni
restreinte. De plus, contrairement à la unidad ou au coto, il n‟y a pas de sélection
socioéconomique. Ainsi, on peut rencontrer, à Reguilete ou à Cuesta –pas ou plus à Potrerillo-
le patron d‟une entreprise en bâtiment ou un commerçant qui dispose d‟une résidence
principale dans les environs et qui profite de l‟invasion pour construire des habitations à très
bas prix et sans acheter le terrain, en vue de les louer ensuite. De même, des commerçants
achètent des terrains en vue de construire des échoppes, économisant ainsi le prix du terrain,
en vue d‟acquérir les titres de propriété ensuite. Néanmoins, les usages courants du terme de
unidad tendent à renvoyer à différents types d‟espaces fermés ou ouverts, même s‟il ne s‟agit
pas d‟immeubles mais d‟habitations particulières. Ce terme pourrait donc convenir pour
désigner chacun des trois ensembles, mais ce n‟est pas le terme utilisé par les résidents et il
véhicule malgré les usages actuels du terme, l‟idée de vastes habitations.
Un « fraccionamiento » (litt. : fractionnement) correspond à ces ensembles nés dans
les années 1940 et 1950, qui répondent à l‟exigence d‟une nouvelle rationalité et d‟un nouvel
ordre urbain : unité urbaine normée et régulée par les autorités locales, pouvant aussi bien
désigner des quartiers populaires, de classe moyenne ou aisés. Concrètement, il renvoie
généralement à des divisions effectuées par les propriétaires d‟un terrain, afin d‟en tirer de
meilleurs prix86. Comme l‟écrit Xochitl Ibarra Ibarra : « Ceux sont des quartiers solitaires, qui
perdent une grande partie des attributs fondamentaux des colonias résidentielles du début du
siècle, telles qu‟elles sont : la quasi-disparition des espaces publics et la réduction des aires
85
Moreno de Alba (José G.), Diferencias léxicas entre España y América, Madrid, MAPFRE, 1992, 291 p,
entrée “cuartel” : “según reza el diccionario, eran los distritos o érminos en que solían dividirse las ciudades [...].
Hasta esa fecha, venía aplicándose, en la ciudad de México, la tradicional división de ocho cuarteles mayores
divididos en treinta y dos menores” [« selon ce dictionnaire, les cartels étaients des districts ou des ermines qui
divisaient généralement les villes [...]. Jusqu‟à cette date, la division traditionnelle de huit cartels majeurs divisés
en trente deux mineurs s‟appliquaient à la ville de Mexico »]
86
Ibarra Ibarra (Xóchitl), López Moreno (Eduardo), « Diferentes formas de habitar el espacio urbano »,
Ciudades, México, RNIU, 1996, n°31 julio-sept., p 32 : le terme de « fraccionamiento » est né au début des
années 1920 à travers des politiques d‟urbanisation et a été répandu dans les années 1940-1950, par la Loi et le
Règlement de Fractionnement Urbain (Ley y Reglamento de Fraccionamiento Urbano)
habitables »87. Les fraccionamientos se caractérisent par l‟indifférenciation des espaces
dépourvus de références formelles et spatiales, résultant du simple parcellement des terrains
occupés, sans équipements publics. Ce terme semble éminemment pertinent pour désigner le
lieu d‟enquête à Reguilete : d‟une part, le quartier « paracaidista » –parachute, renvoyant à la
parcelle de terre occupée par les personnes n‟ayant pas de titres de propriété- est issu du
fractionnement d‟un vaste terrain. Ensuite, le terme se réfère à une situation contemporaine
particulière : « [bien que] ses propriétaires manifestent un désir patent de reproduire le modèle
des colonias, par exemple, par l‟uniformisation des façades, l‟alignements des devantures et,
surtout, par l‟usage de ce terme, afin d‟acquérir un statut et une valeur immobilière et sociale
qu‟en réalité ils ne possèdent pas […]. Il s‟agit donc, de « morceaux » de ville qui n‟ont pas
réussi à construire sa propre mémoire ni se conformer une âme particulière ». Cette hypothèse
est corroborée par le fait que les habitants de Reguilete emploient le terme de colonia88 alors
que ses habitants présentent de forts antagonismes tant personnels, idéels que de
comportement. De même, les photographies qui figurent dans l‟annexe I de cette étude
soulignent l‟alignement des devantures des habitations dans les trois colonias, qui présentent
un style architectural propre à chacune d‟elles, que les logements soient construits avec des
planches de bois comme à Cuesta et à Reguilete, ou de tabique et de moellons à Potrerillo.

La barriada, le barrio et la colonia

Le terme « barriada » renvoie quant à lui à un petit « barrio » qu‟il s‟agit de définir
maintenant, la différentiation se basant sur des critères spatiaux.
Ce terme a posé de nombreux problèmes, car il est utilisé tant pour désigner certains
quartiers vétustes du centre-ville, comme ceux de Tepito par exemple, que des quartiers
historiques. Comme l‟énoncent les auteurs, le « barrio » (litt. : quartier) constitue « un
élément de base de la structuration de la ville coloniale hispano-américaine, comme le résultat
d‟un mode de vie particulier et d‟une différentiation sociospatiale implicite à cette société. Un
élément qui –converti en concept- a eu ensuite, la force de transcender cette période et
constituer non seulement une unité de base de la croissance de la ville, mais encore l‟influence
d‟une pensée différente, en lien avec l‟urbain qui venait de l‟extérieur […]. Ce concept
représente non seulement une manière de désigner les objets et les espaces qui sont en liens,
mais aussi, et principalement, l‟imposition d‟un autre modèle de ville et de manière de la
concevoir et de l‟habiter »89. Le barrio constitue donc une « structure organique » et une
identité collective forte.
La « colonia », en revanche, ne présente pas la même importance culturelle, bien que
le terme date de 1861. J‟ai cependant opté pour ce terme car il est utilisé par les habitants des
trois colonias où cette enquête est menée. Son emploie semble révélateur, justement, de
l‟absence d‟une identité collective forte et cohésive. Comme le notent les auteurs, le terme de
colonia renvoie historiquement « à la subdivision du territoire en lots et à sa graduelle
urbanisation, créant ainsi des quartiers populaires qui se sont créés spontanément, par l‟auto-
construction, dans les zones périphériques ». Ces constructions sont généralement
frauduleuses, comme elles l‟ont été en particulier à Nezahualcñyotl et à Ecatepec90, où se
trouvent les trois terrains d‟enquête. On peut alors se demander avec ces auteurs s‟il n‟y aurait

87
Idem, p 32 : “Son barridas solitarias, que pierden gran parte de los atributos fundamentales de las colonias
residenciales de principios del siglo, como son: la casi desaparición de los espacios públicos y la reducción de las
áreas habitables”
88
Idem, p 32-33
89
Idem, p 29
90
Idem, p 31
pas une tradition à l‟invasion immobilière à Ecatepec. Pour poursuivre, les colonias
constituent un « tissu discontinu » qui « rompt pour la première fois et de manière abrupte la
forme quasi-circulaire de la ville », par « un processus d‟urbanisation mercantile de la ville et
de la promotion immobilière ». Elles se caractérisent par leur isolement par rapport au reste de
la ville, son homogénéité sociale, sa monofonctionnalité, les stratégies mercantiles visant à
augmenter la valeur du sol en particulier par la fermeture (exemple : grilles ou murs fermant
les trois lieux dans lesquels je travaille91) et l‟élitisme ; les colonias constituent donc des
« espaces-frontières » qui séparent les habitants d‟un quartier et ceux d‟un quartier voisin.
Cela s‟observe notamment à travers l‟animosité entre les habitants de Reguilete et ceux de la
Cuesta qui sont néanmoins voisins, se faisant face et se regardant en chiens de faïence. La
colonia correspond désormais à une catégorie technico-administrative visant à l‟élaboration et
l‟évaluation des normes de dotation de l‟équipement, jouissant d‟une acception neuve et
entièrement locale92. C‟est par exemple l‟unité administrative utilisée à Tenencia de la Tierra
et à la municipalité d‟Ecatepec pour traiter les cas des trois colonias paracaidistas.
Cet éclairage sémantique semble important d‟une part parce qu‟il constitue une
question à résoudre pour tout chercheur travaillant au Mexique. D‟autre part, reprenant une
thèse classique en anthropologie –en particulier en anthropologie urbaine- la forme de
l‟habitat, ici urbain, est à la fois influencée par le social et rétroagit sur lui, en particulier sur
les formes des réseaux sociaux et donc, par là, sur la socialisation politique des résidents des
trois colonias paracaidistas étudiées. Il s‟agit donc maintenant d‟envisager les expériences
socialisatrices observées et leur influence sur la participation politique des résidents.

b. Expériences socialisatrices et politisation à Reguilete, Cuesta et


Potrerillo

Il s‟agit ici d‟envisager les processus d‟apprentissage politique en lien avec les cercles
de socialisation qui les favorisent ou les refreinent, afin de comprendre l‟organisation
politique de chacune des trois colonias, avant d‟entrevoir un mécanisme majeur de la
politisation dans sa double acception : la transformation des nécessités en demandes
politiques. Quels sont les processus et les instances d‟apprentissage politique ?

Apprentissage politique et cercles de socialisation

La socialisation politique est ici comprise comme l‟inculcation de normes et de valeurs


politiques durables93. L‟enquête de terrain a mis en lumière que ces processus découlent de
deux types concomitants d‟expérience, à savoir celles vécues au sein des différents cercles
d‟appartenance des individus, ainsi que celles affrontées individuellement par les habitants
des bidonvilles.
D‟une part, l‟apprentissage collectif est transmis par les différentes instances de
socialisation qui sont, dans les quartiers étudiés, d‟abord le cercle familial, ensuite le
voisinage –ce terme paraît plus neutre que celui de « communauté » pour désigner à la fois les
habitants du quartier que le voisinage élargi aux colonias environnantes- enfin l‟ensemble des
expériences politiques et des acteurs politiques qui interfèrent avec les habitants.

91
Voir annexe I
92
Santa Maria (Francisco J.), Diccionario de Mejicanismos, México, Édition Porrua, 1992, p 274-275 (1231 p)
93
Roger (Antoine), Comportement politique comparé, Séminaire Sciences Po-Toulouse, année 2005-2006
L‟apprentissage politique apparaît alors comme le fruit d‟actions collectives, interprétées
individuellement. Il fonctionnerait sur la même base que la socialisation : « il peut exister
d‟importantes discontinuités dans les attitudes et les comportements politiques à travers le
cycle vital […] ; il y a de nombreuses possibilités de « nouveaux » apprentissages politiques
significatifs ou de réapprentissage entre les adultes »94. L‟apprentissage effectué au sein de la
colonia est à la fois de « socialisation primaire » pour les jeunes, comme de « socialisation
secondaire »95 pour les adultes, qui apprennent de nouvelles pratiques politiques. Ainsi, les
enfants nés dans les quartiers étudiés, apprennent de leurs parents à manœuvrer la situation et
se familiarisent avec les différents acteurs politiques et les procédures auxquels se confrontent
leurs parents et les autres habitants qu‟ils ont l‟occasion d‟observer. Par exemple, certains
adolescents vivant à Reguilete, accompagnent parfois un proche aux réunions d‟Oscar
Dominguez Guerrero. Mais plus généralement, les enfants sont présents lors des réunions du
comité qui se tiennent ponctuellement au croisement central de la colonia. À Cuesta, les
habitants venant massivement aux réunions hebdomadaires du dimanche matin, de nombreux
enfants y assistent également96. C‟est notamment le cas des enfants et des petits-enfants de
Leti ou du petit-fils d‟Asunciñn. Les processus d‟apprentissage sont multiples et ceux de la
politisation primaire ou secondaire se croisent et s‟entremêlent. En effet, tous les événements
de la collectivité peuvent revêtir un sens politique et être un vecteur d‟apprentissage. Par
exemple, dans la nuit du lundi 23 au mardi 24 avril 2007, un poteau électrique auto-construit
par les habitants de Reguilete, est tombé, à la suite de fortes rafales de vent. Je me trouvais sur
les lieux le mardi 24 au matin et j‟ai pu constater de la mise en pratique de l‟organisation dans
la colonia. Après le retour de Sebastián Aguilar Guttiérrez, Président du Comité de Reguilete,
une réunion a été organisée vers 20 heures afin d‟aborder ce problème et de le résoudre
rapidement, surtout que la saison des pluies s‟approchait à grands pas. Sebastián se rendit
chez Ernestina Leyua Valadez, la Secrétaire du Comité, dès son retour du travail, soit vers 19
heures, afin qu‟elle avertisse les habitants, de la tenue d‟une réunion . Elle fit donc le tour de
la colonia, avertissant les habitants qu‟elle connaissait ou qu‟elle appréciait. Une quarantaine
de minutes après, environ trente adultes se réunirent autour de Sebastián, secondé par
Ernestina, pour aborder divers points, dont le plus urgent était celui du poteau électrique qui
était tombé. Le poteau posait de nombreux problèmes de sécurité, outre le fait que de
nombreuses familles de la manzana 297 (une manzana correspond à la fois au pâté de maison
comme à l‟axe de circulation qui le borde, cela pourrait équivaloir ici à « chemin » compte
tenu de l‟absence de revêtement dans les rues de la colonia) étaient privées d‟électricité. Le
premier problème pratique est que le poteau empêchait les camions, les voitures et les combis
(microbus utilisés comme transports collectifs) d‟entrer et de sortir de la colonia, ce qui gênait
les habitants tant pour aller travailler que vaquer à leurs occupations. Ensuite, le poteau tirait
fortement sur les autres fils électriques toujours reliés entre eux et menaçait donc de les
endommager. Enfin, le dernier problème majeur est que le ciel était couvert, qu‟il menaçait de
pleuvoir ; il fallait donc résoudre ce problème promptement. Pour venir à bout du problème, il
a fallu demander à Octavo, mari de Sandra et l‟une des figures de proue des « Indépendants »
94
Cornelius (Wayne), op. cit., p 21-22 : “pueden existir importantes discontinuidades en las actitudes y
comportamiento político a través del ciclo vital [...] ; hay numerosas posibilidades de “nuevos” aprendizajes
políticos significativos o del reaprendizaje entre los adultos”
95
La « socialisation primaire » et la « socialisation secondaire » sont considérées ici dans le sens donné par
Annick Percheron, op. cit., de « fond de carte » sur lequel « les expériences de la socialisation secondaire tracent
les frontières » qui à la fois orientent et sont modifiées par les relations cognitives vécues à l‟âge adulte
96
Voir l‟annexe vidéo jointe à ce mémoire où figure des extraits des réunions hebdomadaires entre les leaders et
les habitants de Cuesta
97
Voir schéma de la colonia en annexe II : la manzana 2 correspond à la partie sud-ouest de la colonia
Reguilete ; elle a été découpée administrativement et enregistrée comme telle
de la colonia –c‟est-à-dire opposés au leader PRD, Oscar Dominguez Guerrero, et critique
vis-à-vis du Comité interne- de prêter main forte compte tenu de ses connaissances et de son
savoir-faire en électricité. Il y eut donc une réconciliation momentanée entre les membres du
comité, Octavo, les habitants en faveur d‟Octavo et les autres habitants présents lors de la
réunion. Par ailleurs, au cours du rassemblement, outre les enfants en bas âge présents et deux
adolescents, certains habitants ont appelé les jeunes de leur famille, afin qu‟ils viennent prêter
main forte pour creuser autour du poteau afin de l‟extraire de la terre, puis faire un nouveau
trou et l‟enterrer de nouveau mais de manière plus fiable. Vers 21 heures, l‟opération a débuté.
Cet exemple illustre le fait qu‟un événement quotidien devienne un objet politique –la
politique étant alors pris dans son sens premier d‟organisation des sociétés humaines. Il
montre également les processus d‟apprentissage politique au sein de la collectivité d‟habitants
de la colonia Reguilete. Les processus mis en pratique dans ce cas sont d‟abord la
collectivisation d‟un problème particulier à un groupe d‟habitant, en l‟occurrence ceux de la
manzana 2, à l‟ensemble des habitants –il doit y avoir au moins un tiers des foyers représentés
à une réunion pour que la décision soit valable. Le problème concernait alors le danger
d‟électrocution pour certains habitants de la manzana 2 et ceux de la 3e manzana pour les
difficultés de passage. Lors des réunions, le Président du Comité fait office de médiateur dans
les débats et d‟arbitre dans le décompte des voix. Ainsi, Sebastián a lancé la question
« Arrange-t-on le poteau maintenant ou attend-on demain matin ? », puis a géré le débat et
participé au décompte des voix. Ensuite, il s‟agit de la résolution collective d‟un problème, ce
qui a nécessité dans ce cas la solidarité entre les habitants et la transcendance de conflits
interpersonnels ou d‟opinion pour arranger la situation de la collectivité. Enfin, cet événement
d‟abord social puis politique, est également un moyen d‟apprentissage politique.
L‟enseignement est multi-niveau et pluripartite ; par exemple, il s‟est agi de faire profiter la
collectivité des savoirs-faires et des compétences personnelles : Octavo étant qualifié en
systèmes électriques, il a été chargé de vérifier l‟installation, Don Palemon qui a travaillé
longtemps dans le domaine de la construction a mis à disponibilité sa force physique pour
redresser le poteau avec l‟aide de Sebastián. Montse et sa mère ont vérifié le bon
fonctionnement du réseau électrique –leur maison faisant l‟angle de la rue principale et de la
manzana 3, sur la place centrale du Reguilete. Concernant le Potrerillo, l‟apprentissage
politique est différent, compte tenu du fait qu‟il n‟y a plus, depuis environ deux mois, de
réunions hebdomadaires, et que l‟on observe un certain délitement politique. Au début de
l‟enquête, des réunions étaient annoncées chaque vendredi soir vers 18 heures, puis organisées
le samedi matin vers 11 heures. Cela permet donc d‟esquisser un autre type d‟expérience
socialisatrice politiquement : les expériences individuelles.
D‟autre part, après l‟apprentissage politique à travers les cercles de socialisation, les
expériences individuelles sont un autre facteur de politisation dans les colonias paracaidistas.
Parmi ces expériences, l‟arrivée dans un bidonville est l‟une des plus significatives. Ainsi,
certains habitants, voire même des leaders actuels, ont commencé à s‟engager politiquement à
leur arrivée dans le quartier. C‟est notamment le cas de Leti, leader de la colonia Cuesta avec
Chano. En effet, durant son entretien, Leti, à la question « Pourquoi, selon vous, êtes-vous
leader ? », elle répondit : « je crois que les gens m‟ont vu me bouger tellement pour ma
maison, et j‟aidais déjà d‟autres, donc, ils ont dû penser que je pouvais les aider et réussir »98.
À la question suivante : « étiez-vous engagée politiquement avant d‟arriver à la Cuesta ? », sa
réponse fut négative. L‟expérience cognitive perçue par Leti lors de son arrivée à Cuesta, fut
si forte, qu‟elle n‟est pas seulement devenue une personne politiquement mobilisable, mais

98
Propos recueillis par nos soins le 8 avril 2007 : “pues, creo que la gente me vio moverme tanto por mi casa, y
ya echaba la mano a otros, entonces, pues pensaron que yo podía ayudarles y lograr”
cela lui a fait développer un acharnement et une motivation qui lui valent de représenter les
habitants du quartiers et de défendre leurs intérêts. Cela n‟est pas seulement valable pour les
leaders, mais cela l‟est également pour les habitants. Par exemple, Asunciñn99, cinquante-huit
ans, est une femme discrète, humble, toujours en arrière-plan ; elle ne parle jamais durant les
réunions sauf si on lui adresse la parole, elle refuse d‟aller voir seule des fonctionnaires100, et
elle a toujours un mot gentil pour son voisin. Durant son entretien, elle a confessé ne pas
aimer la politique : « je n‟aime pas la politique : c‟est quelque chose de complexe et de
difficile ; je n‟aime pas en parler »101. Néanmoins, elle assiste toujours aux réunions internes à
la colonia, participe à tous les événements organisés, tels les anniversaires du quartiers ou de
certains habitants, en particulier ceux des leaders. Il est apparu qu‟elle était bien plus qu‟un
simple adjoint pour les tâches pratiques. En effet, doña Asunción se rend également aux
réunions du vendredi, organisées par Lucas Alvarez, représentant du Front du Peuple (Frente
del Pueblo, FP), où elle est la représentante de Cuesta, parmi les représentants d‟autres
colonias. Ce qui est intéressant dans ce cas présent, outre l‟apprentissage même de pratiques
et de savoirs-faires politiques –d‟autant plus difficiles pour doða Asunciñn qu‟elle ne sait pas
lire ni écrire- c‟est qu‟Asunciñn constitue à première vue un acteur secondaire voire tertiaire
dans l‟organisation. Alors qu‟en réalité son rôle est central, car elle est d‟une part la
médiatrice entre les leaders qui viennent plusieurs fois par semaines et les habitants de la
Cuesta, d‟autre part elle assiste les leaders et effectue de nombreuses besognes, notamment
assurer le lien avec un groupement politique qui leur apporte du soutien –surtout moral mais
parfois matériel : le Front du Peuple. Un autre type d‟expérience individuelle qui favorise
l‟apprentissage politique, la politisation, est l‟appartenance à une association ou un groupe,
tant à l‟intérieur qu‟à l‟extérieur de la colonia. Il peut s‟agir de divers types de groupes, en
particulier religieux, dont l‟importance dans chacun des quartiers est flagrante (voir détails I.
B. 1.). L‟intérêt de l‟appartenance ou de l‟affiliation à une association, est l‟apprentissage de
processus de discussion et de collectivisation tant de savoirs que de compétences. Comme
l‟écrit Larissa Adler de Lomnitz : « L‟affiliation a des associations de niveau national ou local
[étendue ici à divers groupements pas qu‟à des associations légales ou formelles], permet
d‟inférer sur le grade de participation dans le processus de prise de décision […]. C‟est très
différent d‟appartenir à un groupe local politique ou économique, destiné à obtenir de
meilleures conditions pour les habitants du quartier, que d‟être affilié passivement au système
de sécurité sociale parce que c‟est un requis légal »102. L‟affiliation à une association exprime
un volonté participative qui est politiquement mobilisable, comme le montrent les études de
sociologie politique qui affirment que les membres d‟associations sont généralement plus
mobilisés politiquement que les non-membres. Ainsi, les associations favoriseraient la
propagation d‟une « culture civique »103 par le biais de l‟apprentissage « d‟attitudes
politiques », c‟est-à-dire à la fois de comportements objectifs et de cadres cognitifs d‟analyse.
Par exemple, le fait que plusieurs femmes, à Cuesta, se réunissent pour faire de la couture ou

99
Voir photo en annexe I
100
Entretien formel non filmé, réalisé le 12 mai 2007 : Voir sa réponse à la question 176 a.
101
Réponse à la question 175.a annexe IV (« En général, parlez-vous souvent de politique et d‟affaires publiques,
avec d‟autres personnes ? ») : « no me gusta la política ; es algo complejo y difícil y no me gusta hablar de eso »
102
Adler de Lomnitz (Larissa), op.cit, p 195 : “La membresía en asociaciones al nivel nacional y local permite
inferir el grado de participación en el proceso de toma de decisiones: si un grupo no se encuentra representado en
los organismos susceptibles de ejercer influencia local o nacional, su posibilidad efectiva de participar en dichas
decisiones es negligible [...]. Es muy distinto pertenecer a un grupo local político o económico, destinado a
obtener mejores condiciones para los pobladores de la barriada, que estar afiliado pasivamente al sistema de
seguridad social por razñn de un requisito legal”
103
Almond (Gabriel), Verba (Sydney), The Civic Culture : Political Attitudes And Democracy in Five Nations,
Stanford, Sage Publications, 1989, 432 p, voir en particulier l‟étude sur le Mexique
bien que certaines d‟entre elles soient très impliquées dans la vie du quartier, favorise leur
apprentissage de pratiques majeures en politique, telles que l‟expérience de la vie en
collectivité, l‟usage de la parole en groupe, la prise de décision, la transformation de volontés
ou de désirs en demandes politiques –au sens de publicisation et de mise en pratique
commune. Ainsi, les membres du club de couture font parties des personnes les plus actives
dans l‟organisation de la colonia. Au Reguilete, les membres d‟associations internes ou
externes sont peu nombreux. Cependant, il y a certains habitants, deux hommes et une femme,
qui font partie du groupe syndical de l‟entreprise où ils travaillent. La plupart des habitants
estiment que l‟appartenance à des syndicats ou à des organisations politiques leur porterait
préjudice dans leur travail, puisque « ça déplaît aux patrons » (no les gustan a los patrones).
Au Potrerillo, la vie est très engagée et tous les membres, s‟ils ne font pas partie
d‟associations externes, participaient au moins à la vie interne de la colonia, tant pour assister
aux réunions que participer aux activités nécessaires ou récréatives. Les leaders ont créé une
association civile pour défendre les droits des habitants sur le terrain : le FOPODI. Malgré le
délitement politique, suite au renoncement des leaders, les habitants demeurent cependant
mobilisés, en critiquant par exemple les leaders et en s‟opposant de plus en plus à eux. Cette
« culture politique » fortement ancrée à Potrerillo, semble être le fruit de deux dynamiques
concomitantes : l‟imposition par le haut, par les leaders ou des hommes politiques, d‟une
culture politique forte, puis l‟acculturation par la participation sur le terrain. Il faut cependant
noter que les derniers arrivants à Potrerillo, comme Veronica, arrivée en mars, n‟ont pas eu le
temps de s‟acculturer et sont faiblement socialisés dans la colonia, n‟ayant au mieux que des
relations de bon voisinage.
Quelles sont alors les formes organisationnelles qui découlent de ces processus
d‟apprentissage politique et de ces cultures politiques ?

L’organisation politique à Reguilete, à Cuesta et à Potrerillo

Il ne s‟agit pas ici de faire la présentation exhaustive des traits organisationnels du


politique de chacun des trois quartiers, mais de comparer les différentes formes d‟organisation
afin d‟en faire ressortir les spécificités. Quels sont donc les traits communs et les spécificités
de l‟organisation politique de chacune des trois colonias ?
Pour synthétiser les informations recueillies, elles sont présentées dans différents
tableaux qui sont explicités et analysés successivement. Ainsi, le premier tableau concentre
les principaux traits organisationnels du politique des trois quartiers étudiés.
Réunions hebdomadaires
ORGANISATION POLITIQUE
Réunions ponctuelles
4
Partage des informations

3 Comité interne

Gestion
collective/individuelle
2 Leaders vivant sur place

Réseaux politiques des


leaders
1
Réseaux sociaux des
leaders
Réseaux politiques des
habitants
0
Réseaux sociaux de
Reguilete Cuesta Potrerillo habitants

Tableau 1 : Organisation politique par colonia

Ce tableau présente les principales caractéristiques d‟organisation politique, selon leur


importance dans chaque colonia. Le trait majoritaire dans une colonia est fixé à 3 et le moins
important à 1, sachant que 0 équivaut à l‟inexistence du trait organisationnel. Il s‟agit donc
d‟une indice de comparaison. On se rend compte qu‟à Reguilete par exemple, l‟attribut le plus
solidement ancré est le « comité interne » –sachant que ce qui est pris en compte c‟est
l‟existence du comité qui n‟est pas remise en cause depuis sa création. Son efficacité n‟entre
pas en ligne de compte dans ce critère. Le comité interne est quant à lui défaillant à Potrerillo :
outre le fait que les leaders ne vivent et ne viennent plus dans la colonia, les réunions
hebdomadaires n‟y sont plus organisées. Les représentantes des leaders se justifient par le fait
que tous seront prochainement chassés du terrain. Cependant, le comité interne est tout de
même de niveau 1 car des adjoints des leaders continuent à prendre en charge les problèmes
quotidiens. Cela est d‟autant plus important à Potrerillo car l‟organisation est collective,
jusque dans les détails les plus quotidiens (toilettes communes à toute la collectivité, douches
partagées entre plusieurs foyers, etc.). Concernant les réunions hebdomadaires, celles-ci sont
très régulières à Cuesta, tandis qu‟elles sont moins fréquentes à Reguilete et que, bien qu‟elles
aient été très régulières à Potrerillo, elles n‟y ont plus lieu, ce qui vaut à la colonia un niveau
1. Quant à la présence des leaders, ne visitant pas le Potrerillo, le niveau 1 est attribué –elles le
faisaient il y a deux mois. Tandis que le niveau 2 qualifie la Cuesta, visitée régulièrement par
ses leaders, alors que le comité à Reguilete est en passation de pouvoir et que la légitimité
d‟Oscar Dominguez Guerrero, leader politique du PRD, est remise en cause. Les réseaux
politiques et sociaux ont, dans les trois colonias, une influence moyenne à faible : concernant
les réseaux politiques, ceux-ci sont faiblement efficaces à Reguilete où la population n‟avait
au départ de l‟enquête, aucun contact direct au sein de la municipalité, tout passant par Oscar.
Des réseaux sont en train de s‟établir entre les membres du comité, quelques habitants, et
plusieurs fonctionnaires du bureau municipal de Tenencia de la Tierra (litt. : Location de la
Terre, soit : Occupation du Sol). Les réseaux politiques et sociaux à Cuesta et à Potrerillo sont
assez efficaces, compte tenu du fort soutien politique dont bénéficient respectivement les
leaders des deux colonias, ainsi que les aides matérielles qu‟ils perçoivent. Les réseaux
politiques et sociaux des habitants, quant à eux, sont inopérants à Cuesta et à Potrerillo car les
habitants s‟en remettent totalement à leurs leaders pour toutes les demandes politiques
communes et individuelles. Cela est paradoxal à Potrerillo, où Irma et sa fille Gina, les
leaders, ne visitent plus les habitants. Néanmoins, Cecilia et Carmelita se chargent de faire
circuler les informations des leaders aux habitants et inversement, en réglant un maximum de
problèmes par elles-mêmes.
Les traits organisationnels de chacune des trois colonias, à la fois découlent et
conditionnent la culture politique propre à chacune d‟entre elles. Plus profondément, ces
spécificités reposent sur la condition sine qua non de la transformation des nécessités en
demandes politiques. Quels sont les mécanismes de cette transformation ? Sont-ils des
mécanismes identiques ou différenciés pour les trois colonias ?

Un mécanisme majeur : la transformation des nécessités en demandes politiques

La formulation de demandes auprès de représentants ou de leaders politiques, est la


base de toute organisation politique, prise au sens d‟organisation d‟une ou des sociétés. La
présentation de ces demandes, constitue le cœur du pacte tacite entre les populations et leurs
représentants politiques, ceux-ci étant chargés d‟étudier la validité et le bien-fondé de ces
demandes politiques, tant au niveau individuel que collectif. Ainsi, la présentation de
demandes d‟amélioration des services (petición de mejoras) dans une colonia, est une forme
de participation politique importante au Mexique, voire majeure dans les colonias
paracaidistas, bien qu‟elle ne soit que peu spectaculaire. Qu‟est-ce que la présentation de
demandes politiques ? Selon Wayne Cornelius, cela consiste en « l‟action collective ou
individuelle qui cherche à obtenir certains types de bénéfices du système politique en influant
sur les décisions des fonctionnaires et des élus en place »104. Que sont alors les demandes
politiques ? Quels sont les modes de conversion des nécessités en demandes politiques ? Dans
quelle mesure ces différents processus jouent-ils sur l‟organisation politique ?
Tout d‟abord, pour répondre à ces questions, il s‟agit de caractériser les demandes
politiques observées. La première caractéristique est qu‟elles « surgissent des nécessités dont
on considère que la satisfaction dépend de l‟action du gouvernement ; plusieurs individus ou
groupes la présentent alors comme des demandes spécifiques face au gouvernement »105.
L‟exemple le plus évident dans cette étude, est celui de la régularisation des titres de propriété
et l‟ouverture de droits à la propriété d‟un bien immobilier, après plus de dix ans d‟usufruit du
bien, comme cela est vu plus loin. Il y a également les demandes concernant l‟installation de
services municipaux. L‟intérêt pour les habitants est double : d‟une part, l‟obtention de
services municipaux leur permet d‟améliorer leurs conditions de vie, qu‟il s‟agisse
d‟infrastructures électriques, d‟eau courante, de gaz ou encore routières et de transports
collectifs ; d‟autre part, cela contribue à leur octroyer des droits (abrir derechos) sur les
terrains occupés, par la « Loi d‟ancienneté » présentée dans la partie suivante –loi concernant
l‟usufruit. Ainsi, les demandes politiques d‟une colonia paracaidista peuvent concerner
l‟ouverture d‟une ligne de transport collectif, généralement de bus (alors il s‟agit d‟une ruta),

104
Cornelius (Wayne), op. cit., p 182 : “acciñn colectiva o individual que busca obtener ciertos tipos de
beneficios del sistema político influyendo en las decisiones de los funcionarios del gobierno en el poder”
105
Cornelius (Wayne), op. cit., p 183
près du terrain où ils logent afin de se déplacer plus aisément. Les terrains sont généralement
excentrés, et éloignés tant des centres administratifs que des centres économiques, comme les
tianguis –marchés- dont les prix sont plus abordables pour les habitants que ceux des
supermarchés. La seconde caractéristique est que ces demandes politiques sont utilitaires et
non expressives : « la présentation de demandes comme forme de participation politique
[engendre le fait] qu‟un participant individuel (ou les leaders du groupe demandant auquel il
appartient) détermine le thème de ses relations avec les fonctionnaires ; le résultat de sa
participation sera, en toute sécurité, notoire et importante pour lui ; la relation entre sa
participation et les résultats obtenus est plus directe et visible qu‟en aucun autre mode
d‟activité politique. Pour les urbains pauvres de Mexico, la participation par la présentation de
demandes est la stratégie la plus directe et généralement la plus efficace pour influer sur les
décisions du gouvernement »106. La seconde caractéristique compile donc plusieurs traits :
l‟importance que revêt la demande pour l‟émetteur, en particulier pour une famille dans la
précarité, le choix par le demandeur du type de relation envers la municipalité puisqu‟il
instaure le contact –cela ne veut pas dire que le type de relation instauré n‟évolue pas avec le
temps. Enfin, c‟est le mode qui est perçu comme le plus efficace par les habitants des colonias
paracaidistas –que Wayne Cornelius élargit à tous les pauvres urbains vivant dans des
quartiers populaires. Cette importance des demandes politiques transparaît notamment dans
l‟importance des relations nouées avec des fonctionnaires des différents services municipaux.
Par exemple, à Reguilete, l‟importance des relations avec des fonctionnaires de Tenencia de la
Tierra est à l‟origine de la rupture entre les habitants et Oscar, leader politique du PRD, qui se
chargeait depuis plusieurs années des problèmes juridico-politiques des habitants. En effet,
c‟est suite à l‟absence du leader lors de plusieurs réunions organisées entre les habitants et
successivement deux fonctionnaires, qu‟Ernestina Leyua Valadez, Secrétaire du Comité
d‟organisation du Reguilete, fervente supportrice et fidèle adjointe du leader Oscar, a décidé
de ne plus se rendre à ses réunions. Elle estime qu‟il a manqué de respect envers les
fonctionnaires qui « nous tendent la main » (nos echen la mano). Après avoir vu les
caractéristiques des demandes politiques, il s‟agit de se demander quels en sont les facteurs
d‟apparition.
Ensuite, les demandes politiques proviennent de la conversion des nécessités en objet
politique. Quels sont les étapes107 observées des modes de conversion des nécessités en
demandes politiques ? La première consiste en la perception par l‟habitant individuel ou les
habitants comme groupe, des privations, des problèmes, comme des situations qui requièrent
une amélioration. Par exemple, les nécessités objectives qui posent problèmes dans les trois
colonias étudiées sont avant tout la régularisation des titres de propriété des terrains occupés.
Mais les habitants –généralement par leurs leaders- sont plus préoccupés par un type de
problème que par un autre. L‟électricité est la préoccupation principale à Reguilete : les
habitants reçoivent quasiment tous, exceptés ceux dont les habitations sont en construction, de
l‟électricité, par des branchements informels aux réseaux municipaux (estan colgados a la
luz : ils se connectent [illégalement] au réseau électrique). Cependant, les réseaux électriques
informels présentent de nombreux inconvénients, en particulier les dangers d‟électrocution par
temps de pluie, le fait qu‟ils ne soient pas calibrés et qu‟ils abîment les appareils électriques,

106
Idem, loc. cit.: “La presentaciñn de demandas como forma de participaciñn política [genera] que un
participante individual (o los lideres del grupo demandante al que pertenece) determina el tema de sus relaciones
con los funcionarios públicos, el resultado de su participación será con toda seguridad notorio e importante para
él; la relación entre su participación y los resultados es más directa y visible que en ningún otro modo de
actividad política. Para los pobres urbanos en México, la participación dentro del modo de presentación de
demandas es la estrategia más directa y con frecuencia la más eficaz para influir en las decisiones del gobierno”
107
Cornelius (Wayne), op. cit., p 185
ainsi que les pannes plus fréquentes qu‟ailleurs des systèmes électriques. Les habitants ont un
projet, depuis deux ans, d‟installer un compteur électrique commun avec la colonia El Gallito.
Ce projet est actuellement suspendu car les habitants de cette colonia n‟ont pas réussi à réunir
leur part du financement qui représentait plus de la moitié du prix d‟un compteur électrique (le
compteur était évalué à 60 000 pesos ; les habitants du Gallito prévoyaient de financer,
compte tenu de leur nombre, environ 40 000 pesos). Les habitants de la Cuesta se sont
organisés pour le réseau électrique qui ne marche pas si mal, mais c‟est le revêtement des rues
et des trottoirs, ainsi que la construction en dur d‟habitations qui les préoccupent. Ils
revendiquent régulièrement pour l‟enregistrement administratif de leurs habitations (la
lotification), comme cela fut fait à Reguilete, car cela constitue une prémisse nécessaire au
revêtement en béton des rues, à la construction de trottoirs et à la construction en dur
d‟habitations. Des sacs de ciment sont stockés dans les habitations, en particulier dans celle
des leaders –la seule habitation construite de moellons, puisqu‟elle appartenait à Roberto
Soberanes Hernandez, ancien leader politique du PRI qui s‟était approprié l‟ensemble du
terrain et avait revendu les parcelles aux habitants actuels. Mais l‟organisation de la colonia
étant contrôlée par les leaders et leurs réseaux politiques, les habitants attendent que ceux-ci
leur donnent l‟autorisation de construire en dur. Leti et Chano, les leaders, préfèrent construire
des habitations en dur, une fois les parcelles régularisées, car tous les habitants ne pourront
pas, dans le pire des cas, racheter une parcelle et construire une nouvelle fois en dur. Quant au
Potrerillo, le problème majeur est celui du drainage et de l‟approvisionnement en eau : les
camions de distribution d‟eau (pipas) refusent d‟entrer sur le terrain, alors que la municipalité
rejette la possibilité d‟installer des canaux de drainage des eaux usées car le terrain est une
propriété privée et que l‟installation de paracaidistas est informelle –le foyer de peuplement
n‟a pas fait l‟objet d‟une déclaration auprès des services de l‟urbanisme. Selon la
municipalité, l‟habitation informelle –et non illégale dans ce cas puisque les propriétaires du
terrain sont d‟accord- empêche l‟installation d‟infrastructures municipales. Il faudrait, de plus,
l‟accord écrit du propriétaire du terrain. Par ailleurs, les leaders des habitants du Potrerillo
sont affiliés au PRI, ce qui complique les relations avec la municipalité qui, depuis les
dernières élections, est un bastion du PRD. L‟étude de la perception par les habitants de leurs
nécessités objectives a mis en relief l‟une des découvertes des plus inattendues de cette étude :
les habitants, toutes colonias confondues, n‟accordent aucune importance à l‟idée d‟obtenir
une habitation meilleure et ce, même près du terrain qu‟ils occupent actuellement. Ils
préfèrent l‟habitation qu‟ils ont construite de leurs mains, bien qu‟elle soit informelle,
précaire, faîte de planches de bois, à une habitation –appartement, maison- en dur, sur un autre
terrain. Ainsi, les propositions de relogement effectuées par les différents services municipaux
(Tenencia de la Tierra, Tesoreria Municipal) ont toutes été rejetées. La seconde étape consiste
en la prise en compte par les habitants des nécessités qui peuvent être satisfaites par l‟action
publique. Cette étape correspond à la politisation des nécessités. Concrètement, cette étape
correspond à la décision des leaders de rendre publique une demande qui leur semble être du
ressort des fonctionnaires et des représentants politiques. Les exemples cités précédemment
constituent des nécessités politisables et politisées, imputées aux représentants politiques.
Parmi elles, il y a d‟abord la régularisation des titres de propriété, puis, dans l‟ordre énoncé
par les habitants des trois colonias confondues, l‟installation de canaux de drainage, le
revêtement des rues et la construction de trottoirs, ou encore l‟installation d‟un réseau
électrique formel, avec un transformateur –qui conditionne les droits d‟ouverture d‟un contrat
de vente d‟énergie, et favorise donc l‟ouverture de droits de propriété sur les parcelles
occupées. De nombreux facteurs influencent ces processus de politisation. Le premier est la
sélection effectuée par les habitants ou les leaders de ce qui peut être satisfait par les
puissances publiques, c‟est-à-dire les différentes instances administratives susceptibles
d‟intervenir dans le cas des colonias paracaidistas étudiées (voir I. B.). Un autre facteur est
l‟attribution des responsabilités des problèmes posés aux habitants. Ainsi, 12 % des personnes
interrogées pensent que leurs problèmes peuvent être résolus par les résidents. La plupart du
temps, les habitants estiment que le gouvernement (gobierno) peut les aider ; certains citent
parfois un fonctionnaire connu ou identifié. Une autre caractéristique est le caractère collectif
des demandes : cela souligne l‟importance attribuée à la collectivité par les habitants et le fait
que les problèmes individuels sont considérés par les habitants eux-mêmes comme des
demandes non présentables, ou du moins, moins efficaces que les demandes collectives. Mais
ce qui semble déterminant, c‟est également la disposition du système politique national envers
les demandes des paracaidistas, l‟encouragement politique à l‟effort personnel, et la
disposition du système à répondre à ces sollicitudes, ce qui conditionne en outre la
dépendance, affichée ou non, des habitants à l‟aide publique. Enfin, les potentiels demandeurs
doivent être capables de concevoir une stratégie ou un canal pour articuler ces nécessités
politisées. Par exemple, l‟un des canaux observés dans chacune des trois colonias est
l‟utilisation d‟intermédiaires, par les habitants, pour faire remonter leurs demandes auprès des
représentants politiques et des fonctionnaires. Le rôle des leaders des trois quartiers se base
sur ce pacte tacite de faire remonter –et aboutir- les demandes politisées des habitants. De
même, la création de relations avec des fonctionnaires des divers services administratifs
participe de cette dynamique d‟intermédiarité, qui semble rassurer les habitants et leur paraître
plus adéquate qu‟une intervention directe de leur part. Ainsi, durant les discussions formelles
et informelles, de nombreux habitants des trois colonias, ont affirmé qu‟ils préféraient passer
par d‟autres licenciés108. Par exemple, Ernestina Leyua Valadez, l‟une des informatrices à
Reguilete, affirma : « je préfère demander au licencié Javier de nous aider, parce que je ne
connais pas bien [les procédures] et s‟il nous soutient, ce sera plus facile »109. En effet, le
Directeur du service Tenencia de Tierra, Estéban Sánchez, est à la disposition des habitants
pour écouter leurs doléances et leurs requêtes, lors de séances publiques, les mardis et jeudis
de 9h à 15h, dans son bureau, à San Cristóbal, dans le centre-ville d‟Ecatepec. Il est entouré
d‟une équipe comprenant six services, avec au total environ une quarantaine de personnes.
Parmi ses adjoints techniques se trouve le lic. Javier, qui, lors de la visite d‟Ernestina,
représentant l‟ensemble des habitants de la colonia, le 10 avril 2007, lui a proposé de l‟aider à
effectuer des démarches. De même, il est rare que les habitants ou les leaders désignés pour se
rendre à une réunion avec des fonctionnaires ou des représentants politiques y aillent seuls.
Ernestina s‟est par exemple rendue à cette réunion avec sa sœur, qui habite aussi à Reguilete.
Ainsi, comme le remarque Wayne Cornelius : « Quasiment tous les contacts des [habitants]
avec des fonctionnaires sont effectués par des délégations de résidents de communautés
déterminées »110. Cet exemple introduit le dernier élément des demandes politiques : les
stratégies de présentation des demandes politiques et leur influence sur le système politique.
Enfin, en suivant ces modes de conversion des nécessités en demandes politiques, il
est possible de se demander sur quelles stratégies de présentation débouchent ces modes, ainsi
que leur poids sur le système politique. Il faut noter ici que les choix concernant les
représentants ou les médiateurs des demandes politiques des habitants, présentés dans le
paragraphe précédent, constituent un premier type de choix. Trois autres genres de tactiques se
dégagent des observations menées. Les premières accordent un rôle central aux partis

108
La licence est au Mexique le diplôme universitaire validant la plupart des cursus, tels que celui des avocats,
des juristes et de nombreux hommes politiques
109
Entretien formel filmé, réalisé le 14 avril 2007 : “prefiero pedir al licenciado Javier que nos ayude, porque no
conozco muy bien y si el nos apoya, será mas fácil”
110
Cornelius (Wayne), op. cit., p 195: “casi todos los contactos de los inmigrantes con funcionarios son hechos
por delegaciones de residentes de comunidades determinadas”
politiques, chargés d‟articuler les demandes politiques des habitants. Cette thèse classique en
sciences politiques111 se trouve confirmée par cette étude : comme le soulignent les précédents
exemples, l‟ancrage des leaders dans des partis politiques, est général. Ainsi, chaque colonia
étudiée se répartit selon le parti politique d‟attache des leaders. L‟organisation politique est
également influencée par l‟affiliation politique du ou des leaders (voir analyse de
l‟organisation politique selon le parti politique d‟attache des leaders, B. 2. a.). La condition
sine qua non d‟existence de ce premier type est le pluripartisme et la compétition entre les
différents partis. Cependant, l‟enquête a révélé que les processus utilisés par les habitants ou
leurs leaders consistent à se mettre en relation avec des fonctionnaires du même parti qu‟eux,
travaillant au sein des administrations qui interagissent avec eux, et non directement avec des
hommes politiques. Ce parti-pris en faveur des partis politique révèle une perception des lieux
d‟autorité et de décision dans le système politique mexicain : les fonctionnaires, et non les
hommes politiques, contrôlent l‟assignation des ressources, dont ils ont besoin pour satisfaire
les nécessités de la communauté. Cela éclaire d‟autant plus les contacts instaurés entre les
habitants de Reguilete et le Directeur de Tenencia de la Tierra, et jusqu‟au contact avec ses
adjoints techniques. Le second type de stratégies de présentation des demandes consiste en
une « politique de protestation », c‟est-à-dire la mise en pratique d‟un ensemble de moyens et
d‟actions cohérents en vue de s‟opposer ou d‟exprimer son opposition. Cela renvoie
notamment à des manifestations, des grèves, des événements médiatiques. Dans la pratique,
cette stratégie est utilisée pour s‟opposer à une situation jugée injuste. Les habitants de la
colonia Cuesta sont très fréquemment sollicités pour ce genre d‟actions ; durant le temps de
l‟enquête, de mars à mai 2007, le nombre moyen de sollicitations mises en pratique par les
habitants pour ce genre d‟événement est de l‟ordre de deux par mois. De manière générale,
c‟est un moyen moyennement voire faiblement utilisé au Mexique, car il est jugé moins
efficace ; il n‟a pas la préférence des habitants. En effet, les entretiens ont mis en exergue la
gêne qui entoure ce genre de procédés. À la question : « participez-vous régulièrement à des
événements politiques », la réponse est négative. De même, lorsqu‟il est demandé à un
habitant : « participez-vous à des mouvements de manifestation ou de protestation », la
réponse est généralement négative, suivie d‟une courte phrase telle que : « seulement aux
actions organisées par la colonia »112. Cela s‟explique par la préférence affichée pour les
marques de déférence envers l‟autorité, en vue d‟obtenir des faveurs. La faible affiliation à des
organisations politiques ou syndicales en est l‟illustration. Cette caractéristique est à rattacher
aux traditions politiques clientélistes du Mexique, telles qu‟elles sont explicitées dans la partie
suivante. Cela exprime également l‟acceptation par les habitants des règles du jeu politique.
Mais la perception de ces stratégies de protestation par les leaders de chaque colonia est
significative. Ainsi, la colonia Cuesta est la plus protestataire, alors que le Reguilete est plus
consensuel et le Potrerillo fonctionne par des réseau de relations officieux et officiels des
leaders avec des personnalités municipales influentes, tant des hommes politiques que des
élites économiques locales, voire nationales. C‟est un outil qui permet aux leaders de faire
pression sur les hommes politiques, dont la réputation peut être salie voire, pour certains,
fatalement touchée par des manifestations, mettant en cause les capacités de gestion et
d‟administration de l‟homme politique visé par le mouvement de protestation. C‟est ainsi que
fonctionnement notamment les leaders de la Cuesta, qui estiment que leurs actions permettent
de mettre la pression sur les représentants politiques et les obliger à accéder à leurs demandes
de régularisation des terrains. Si ces stratégies ne sont pas les plus communes, quelles sont
alors les modes de présentation des demandes politiques les plus utilisés dans les trois

111
Voir Almond (Gabriel), Verba (Sydney), op. cit, éd. cit.
112
Propos de doña Asunción, recueillis lors de son entretien réalisé le 12 mai 2007
colonias étudiées ? Les modes d‟actions courants sont généralement la coordination et la
communication directe et pacifiée avec des fonctionnaires, par le biais des canaux
bureaucratiques traditionnels. Concrètement, il s‟agit de la formation d‟un comité comme au
Reguilete, afin qu‟il y ait des personnes chargées d‟effectuer les démarches nécessaires et que
des demandes formelles de demandes d‟aide puissent être formulées. Les destinataires de ces
demandes formelles sont généralement de hauts fonctionnaires, tant de Tenencia de la Tierra,
que, la plupart du temps, le gouverneur de la municipalité d‟Ecatepec, José Luis Guttiérrez
Cureño113. Concernant l‟influence des demandes formulées par les habitants sur le système
politique, il est difficile de le séparer des jeux relationnels et des influences personnelles des
habitants et des leaders, avec le personnel administratif et politique. Cependant, dans le cas du
Reguilete, dont les réseaux de relations sont les plus faibles en termes de taille, d‟importance
et d‟efficacité, un extrait du dialogue introductif tenu qui a eu lieu avec Estéban Sánchez,
Directeur de Tenencia de la Tierra, laisse entrevoir le poids que peuvent avoir les demandes
émises par les habitants :
« Bonjour, je suis étudiante en anthropologie et je travaille au Reguilete. Les habitants
m‟ont dit qu‟au service de Tenencia de la Tierra de la Mairie, le lic. Estéban les aidait
– Je ne suis pas licencié, mais je suis Estéban
– Je m‟excuse de cette confusion. Que vous soyez licencié ou non, j‟espère que vous
êtes la personne qui peut m‟éclairer un peu sur la situation de la colonia
– Reguilete ?
– Si, exactement
– C‟est une situation difficile qui comporte une impossible sortie de délogement »114

Cet extrait montre l‟influence des demandes politiques émises par les habitants et les leaders
successifs du quartier, puisque le Directeur du service de Tenencia de la Tierra affirme que
l‟expulsion est la seule issue possible –compte tenu des dangers exposés en introduction tels
que la zone de réserve de l‟autoroute, la traversée d‟oléoducs et d‟un aqueduc, etc.- mais
qu‟elle est impossible, faisant alors une référence implicite aux actions menées depuis
plusieurs années en faveur de la régularisation des titres de propriété. L‟étude de l‟influence
de ces demandes sur le système politique, soulève plusieurs questions. Lorsque les demandes
actuelles, urgentes et directement liées aux préoccupations journalières des habitants, telles
que la régularisation des titres de propriété ou l‟accès aux services urbains, seront satisfaites,
doit-on prévoir que les demandes politiques se déplacent vers d‟autres champs économiques
et sociaux de plus grande importance, comme l‟inflation, le chômage ou les inégalités
socioéconomiques ? On peut également se demander si les demandes limitées aux nécessités
locales de petite échelle telle que la collectivité, diminuent lorsque les demandes de sécurité
de la propriété sont accordées.
Après avoir envisagé les expériences socialisatrices dans les trois colonias observées, à
travers notamment des processus d‟apprentissage politique et la formation des demandes
politiques, et mis en relief l‟importance des réseaux sociaux au sein du système politique, il
s‟agit de voir l‟influence des réseaux au sein de la participation politique. Quelles sont les
relations entre les réseaux et la participation politique ?

113
Informations obtenues lors de l‟entretien formel non filmé d‟Antioco Garcia Garduðo, Responsable du
service d‟Aide au logement (Apoyo a la vivienda) de Tenencia de la Tierra, réalisé le 15 mai 2007
114
« Buenos dias, soy estudiante en antropologia y trabajo en el Reguilete. Me dijeron que en Tenencia de la
Tierra, habia el licenciado Esteban quien les echaba la mano – No soy licenciado, pero soy Esteban – Perdon por
la confusion. Que Usted sea licenciado o o, quisiera que sea la persona quien me podria aclarar un poco sobre la
situación de la colonia – Reguilete? – Si, exactamente – Es una situación difícil con una imposible salida de
desalojo
2. Réseaux et participation politique : interrelations ?

Les réseaux sociaux sont pris dans le sens général proposé par Pierre Mercklé,
« d‟ensembles de relations entre personnes ou entre groupes sociaux »115. Au-delà de cette
définition des réseaux sociaux, il s‟agit ici d‟appréhender les réseaux personnels qui semblent
bien plus adaptés aux solidarités et aux sociabilités des habitants et des leaders de colonias
paracaidistas. Le réseau personnel d‟un ambulant est « l‟ensemble des relations qui leur
permette d‟accéder à différentes ressources (informations, argent, objets, protection…), mais
également l‟ensemble des liens qu‟ils tissent dans le milieu urbain »116. Comme les cas
présentés dans la sous-partie précédente l‟ont déjà annoncé, les réseaux sont intrinsèquement
liés au politique, en particulier au mécanisme fondamental de celui-ci, à savoir la participation
politique qui est comprise comme « un acte volontaire visant à influencer des élections ou des
prises de décisions politiques. Se prévaloir de son droit de vote, se présenter comme candidat,
tenter d‟influencer les grandes lignes d‟une politique ou chercher à obtenir des avantages de
quelqu‟un, dans un but très précis, sont autant d‟exemples de participation politique »117.
Ces définitions permettent d‟entrevoir des liens entre les deux notions, en particulier
l‟enjeu commun de la localisation et l‟accès à des ressources non accessibles en-dehors des
réseaux et des canaux politiques. Les relations sont alors complexes et mutuelles, les deux
notions se renforçant successivement l‟une et l‟autre. Quelle en est la nature ? Il faut voir
d‟abord en quoi les réseaux personnels induisent la participation politique, pour ensuite
envisager le renforcement de la participation par les réseaux, avant de voir un exemple concret
avec les habitants du Reguilete, qui représentent l‟archétype d‟une organisation politique
commençante, parce qu‟en cours de redéfinition. Comment les réseaux amènent-ils à la
participation politique ?

a. Les réseaux amènent à la participation politique

Les réseaux sont donc restreints aux réseaux personnels pour des raisons
pragmatiques, les réseaux personnels étant plus limités et plus facilement circonscriptibles que
les réseaux sociaux, ainsi que pour des intérêts heuristiques, afin d‟analyser par des réseaux
égocentrés, l‟expérience individuelle de l‟altérité à laquelle ils donnent lieu. Les réseaux
personnels favorisent la participation politique de plusieurs manières. Quels sont ces
processus d‟influence ?

Le commencement dans le paracaidisme

Le premier élément des mécanismes sociaux qui induisent la participation politique est
l‟arrivée dans une colonia paracaidista. Quels en sont les processus ?

115
Mercklé (Pierre), Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2004, p 3
116
Barnes in Réginensi (Caterine), «Commerce et Mobilités urbaines à l‟ère de la métropolisation », Colloque
Commerce et Mobilité, 11-13 juillet 2005, CEMCA, UAM-I, IUA, 29 p
117
Johnston (Richard), « Participation politique », dans James H. Marsh (coord.), L’Encyclopédie canadienne,
Montréal, La Fondation Historica du Canada, 2007, entrée « Participation politique »
Comme l‟a esquissé l‟exemple précédent concernant Leti, l‟arrivée sur un terrain de
paracaidistas peut être l‟événement déclencheur de la participation politique. Ce trait est lié
aux réseaux car les habitants arrivent généralement sur le terrain par le biais de leurs réseaux
personnels respectifs. Comme le montre le tableau ci-dessous, la majeure partie des habitants
interrogés (54 %, soit 33 personnes sur les 60 interrogées), toutes colonias confondues, ont
connu l‟existence du terrain par l‟intermédiaire d‟un membre de leur famille. 23 % d‟entre
eux ont connu l‟existence des habitations paracaidistas grâce à un proche ou un ami, alors
que 8 % des enquêtés , soit 5 personnes, ont trouvé le terrain de manière anonyme, au cours de
leur recherche de logement.

INSTALLATION DANS LA COLONIA

35
30 Par un membre de la
famille
25
Par un(e) proche ou
20
ami(e)
15
Recherche de logement
10
5 Autre ou Non répondu
0
1

Tableau 2 : Installation dans la colonia

Il faut noter ici l‟importance des personnes ayant souhaité ne pas répondre à cette question
voire au questionnaire, par méfiance. Les raisons sont multiples. Il peut s‟agir d‟une peur
concernant les plaintes déposées contre eux auprès du Palais de Justice d‟Ecatepec pour
« asentamiento ilegal », c‟est-à-dire occupation illégale d‟un terrain, pour lesquelles les
destinataires risquent la prison ferme, également à cause des menaces d‟expulsion qui pèsent
sur la collectivité, ou encore à cause de la peur du préjudice que pourrait entraîner la
divulgation de certaines informations. Comme l‟ont dit à plusieurs reprises des habitants des
diverses colonias visitées, « il ne faut pas nous porter préjudice, nous on ne vous fait rien. Si
on vous répond et qu‟il se passe quelque chose, on s‟en prendra à vous »118. Une autre raison
est cependant plus paradoxale mais intrinsèquement liée à mon sujet : le respect et la
reconnaissance pour la personne qui a permis l‟installation sur le terrain. Comme l‟a expliqué
Rebecca Ramirez Salvador, habitante de trente-deux ans du Reguilete : « Ce ne serait pas
correct de vous répondre, parce que la personne qui nous a autorisé à nous installer ici nous a
fait une faveur, et je lui suis reconnaissante pour cela. Je ne veux pas la trahir. Les autres font
ce qu‟ils veulent mais moi, je ne veux pas vous répondre, mademoiselle »119. Cela est
paradoxal lorsque la situation des paracaidistas et étudiée depuis les premiers arrivants. Le
cas de la famille Soria Ramirez est étudié plus loin, il n‟est donc qu‟esquissé ici. Maria de la
Luz Soria Ramirez vit sur le terrain du Reguilete depuis environ trente ans, entre l‟entrepôt de
sable et le terrain paracaidista. Les premiers arrivants se sont installés il y a cinq ou six ans (il

118
Propos tenus par Sandra, habitante du Reguilete
119
Propos recueillis le 15 avril 2007 : «No se vale contestarle a Usted, porque el que nos dio permiso instalarnos
nos hizo un favor y yo soy agradecida por eso. No lo quiero traicionar. Los demás hacen lo que quieren pero yo
no le quiero contestar, señorita»
y a un conflit sur la date d‟arrivée des paracaidistas, selon les acteurs à qui la question est
posée en fonction de leurs intérêts respectifs : la famille Soria Ramirez affirmant que cela fait
tout au plus trois ans, les paracaidistas disant que les premiers sont arrivés il y a six ans, alors
que Tenencia de la Tierra estime, sans date sûre que cela fait cinq ans), soit en 2001. Il
s‟agissait d‟environ quatre à cinq familles. Puis, la colonia s‟es peuplée massivement en une à
deux années, donc entre 2002 et 2003. Jusqu‟en 2005, Armando Macé gérait le terrain, étant
considéré comme le propriétaire du terrain. En effet, celui a morcelé le terrain et vendu la
majeure partie des parcelles actuelles –certaines ayant été construites par la suite- aux
habitants. Les parcelles étaient vendues à 5000 pesos pièce (soit environ 360 euros), pour en
moyenne un terrain d‟environ vingt mètres carrés. Les conditions requises étaient de payer la
moitié de la somme, soit 2500 pesos, avant, afin d‟obtenir l‟autorisation de s‟installer sur le
terrain, puis le reste de la somme plus tard. En pratique, toutes les personnes ayant dû payer le
terrain à Armando Macé –certaines y ayant réchappé grâce aux régimes de faveur propre au
caciquisme mexicain- ont affirmé avec énervement que le cacique était passé quinze jours
après leur arrivée, afin de réclamer le restant de la somme. Cela suscite l‟énervement des
interlocuteurs car, d‟une part, cela leur remémore la personne par la faute de qui est survenue
cette situation de paracaidisme, les habitants pensant acheter de bonne foi une parcelle de
terre et pouvoir construire leur habitation ; d‟autre part, la somme réclamée par Armando
Macé en si peu de temps est importante par rapport aux revenus actuels des habitants qui, pour
leur majeure partie, connaissaient une situation économique et financière encore plus dure à
leur arrivée, ce qui les avait obligé à se rabattre sur un terrain de terre battue et à construire
une habitation avec des lamines de bois et de tôle. Les vingt personnes interrogées au
Reguilete ont quasiment toutes eu dans leur entourage une personne leur conseillant de tenter
leur chance sur le terrain ou bien un membre de la famille qui connaissait M. Macé et qui
pouvait les recommander auprès de lui. Les exceptions sont certains habitants de Santa Clara,
le village-délégation auquel est rattaché la colonia, car ceux-ci connaissaient l‟existence du
terrain depuis leur enfance. Ils n‟ont pas eu besoin de contacts pour apprendre l‟existence d‟un
terrain où les parcelles étaient dîtes, au départ, « à bas prix », puis paracaidistas.
Concernant la Cuesta, la situation est similaire. En effet, Roberto Soberanes
Hernandez, ancien leader politique du PRI et qui a travaillé dans la municipalité d‟Ecatepec,
s‟était approprié le terrain qui compose la Cuesta. Il y a construit sa maison. Elle figure par
ailleurs sur le registre de cadastre de la parcelle120. Il y a cinq ans, après avoir été déchu de ses
fonctions politiques à la suite d‟élections qui lui ont été infructueuses, il a décidé de morceler
le terrain et de vendre les parcelles. Ce terrain, à l‟instar de celui du Reguilete est un terrain dit
« ejido », c‟est-à-dire un terrain qui, lors du texte de loi édicté en 1993 et mis en pratique en
1994, appelé « Ley de Gortari » ou « Ley ejidataria »121, a été approprié par la force publique.
Cette expropriation de terrains litigieux et nationalisation de terrain a engendré de nombreux
litiges concernant la propriété, surtout que ces terrains ont ensuite été progressivement vendus
à des propriétaires privés. Les tribunaux civils sont accablés de dépôts de plaintes concernant
la reconnaissance de la propriété d‟un usufruitier ou d‟un propriétaire sur un autre, ou sont
chargés de départager la propriété de différents propriétaires. Les ejidatarios traditionnels
(propriétaires avant l‟expropriation), sont ainsi généralement confrontés non pas à un mais à
plusieurs propriétaires. Dans le cas des colonias paracaidistas, il s‟agit de plusieurs centaines
d‟usufruitiers, prétendant à des droits de propriété. Au Potrerillo, la situation est originale et
bien plus complexe. Elle fait l‟objet d‟un descriptif précis dans la partie suivante, le terrain

120
Voir annexe IV
121
Voir pour de plus amples détails la partie suivant présentant le cadre juridique présentant les différents textes
interférant avec la situation des colonias paracaidistas
étant une propriété privée. Cela n‟empêche pas que les facteurs amenant au paracaidisme soit
les mêmes. Quels sont les mécanismes débouchant sur le paracaidisme ?
Les processus amenant au paracaidisme représentent un lien primordial entre les
réseaux personnels des habitants et la participation politique, car ils constituent la
convergence progressive d‟événements qui engendrent la perception cognitive d‟une situation
où la participation politique, auparavant écartée du champ d‟action des acteurs, devient
nécessaire. Le tableau ci-dessous indique, par ordre d‟importance, les types de raisons pour
lesquelles les personnes interrogées se sont installées sur un terrain d‟habitat précaire.

Raisons Détails
Economiques Amélioration de la situation économique générale : baisse des prix des loyers
Travail, profession
Familiales Proximité de membres de la famille
Membres de la famille avec de meilleures situations
Sociales accès à la propriété
Emploi de prestige social plus élevé
Matérielles acquisition de biens matériels facilitée
Autres opportunisme de jeunesse, problèmes familiaux, etc.
Tableau 3 : Principales raisons amenant à l’installation sur un terrain paracaidista

La raison la plus fréquemment citée est le montant des loyers, bien plus abordables que dans
tout autre logement. La deuxième est la rencontre d‟un travail dans la zone où se situe le
terrain. Ensuite, plus loin derrière, se trouvent des raisons familiales, comme la proximité de
membres de la famille, ce qui rejoint l‟importance des réseaux personnels, en particulier les
membres de la famille. Puis, une constellation de raisons telles que des membres de la famille
ayant de meilleures situations, un prestige social plus important, l‟acquisition plus aisée de
biens matériels, ou des problèmes familiaux (violences, agressions sexuelles, mésentente,
etc.).

RAISONS DE L'INSTALLATION PAR


COLONIA Prix loyers
12
Emploi
10
Prox. Famille
8
Fam. Meill. situation
6
accès propriété
4
Emploi prestige social
2
acquis° biens mat.
0
Reguilete Cuesta Potrerillo Autres/NSP

Tableau 4 : Principales raisons de l’installation par colonia

Le tableau ci-dessus reprend les différentes raisons d‟installation dans une colonia
paracaidista, en indiquant les raisons majeures par colonia. Les deux raisons qui sont les plus
fréquemment annoncées dans les trois colonias sont, d‟abord le prix des loyers (50 % des
personnes interrogées122), puis la découverte ou la recherche d‟un emploi (30 % des personnes
interrogées). Plus loin, plusieurs raisons obtiennent des scores équivalents : la proximité de
membres de la famille est la raison invoquée par 7,5 % des personnes interrogées ; il en est de
même pour l‟accès à la propriété (7,5 %), tandis que 5% de la population avance d‟autres
types de raisons. Parmi elles, se trouvent l‟opportunisme de jeunesse, c‟est-à-dire une
opportunité envisagée comme provisoire (généralement un travail ou un loisir) dans l‟État de
Mexico –pour ceux venant du District fédéral ou de province- ou à Santa Clara –pour ceux
issus d‟Ecatepec ou de la ville de Mexico- qui finalement a amené l‟habitant jusqu‟à la
colonia paracaidista. Certaines raisons ayant été relevées lors de discussions informelles
figurent dans le cadre précédent et non dans le tableau ci-dessus.
L‟entrée dans le paracaidisme est un événement social déclencheur de la participation
politique. Après avoir envisagé les différentes formes de ce facteur essentiel, il est question de
prendre en compte un autre élément social qui favorise la participation politique : l‟enjeu de
l‟accès aux ressources.

Un enjeu commun : l’accès aux ressources

Les réseaux, tant les réseaux sociaux que personnels, visent à obtenir l‟accès à des
ressources et à tisser des liens dans le milieu urbain. Pour cela, les réseaux ont une incidence
directe sur la participation politique qui est un acte volontaire, visant à influencer une décision
politique en vue d‟obtenir quelque chose de quelqu‟un. Mais pour comprendre le lien entre les
deux notions autour de l‟accès aux ressources, il s‟agit de comprendre d‟abord quels sont les
modes de participation politique, pour envisager ensuite le type de ressources en jeu, enfin
l‟influence des mécanismes de participation sur l‟accès aux ressources.
Tout d‟abord, l‟enquête a révélé des processus politiques spécifiques aux colonias
paracaidistas. En effet, les habitants n‟utilisent que peu les moyens politiques habituels, en
particulier le vote ou l‟affiliation à des organisations politiques, mais par la prise en charge de
fonctions au sein de la collectivité. Le tableau ci-après reprend les différents modes de
participation politique, par ordre décroissant, le plus important au sein des colonias étudiées
étant la résolution des problèmes de la communauté, puis les relations avec des fonctionnaires,
jusqu‟à la participation à des campagnes politiques –en lien avec la

Modes de participation politique


Vote
Participation campagnes politiques
Relations fonctionnaires
Solutions des problèmes de la communauté
Tableau 5 : Modes de participation politique123

collectivité- et la participation électorale par le vote. Ces différentes formes donnent lieu à des
profils de participants différents : le solutionneur de problèmes, le demandeur –auprès des
fonctionnaires, le participant à des campagnes politiques et le spécialiste en votation ; aux
deux extrêmes se trouvent l‟activiste total et l‟abstentionniste total, étant des profils peu
nombreux dans les colonias étudiées. Les leaders eux-mêmes ne sont pas tous des activistes
totaux, bien que ce soit généralement le cas. Par exemple, Oscar Dominguez Guerrero, leader
PRD aidant les habitants du Reguilete, n‟est pas un activiste total dans le sens où l‟activité
principale à laquelle il dédit la majeure partie de son temps (cinq jours sur sept) est son métier

122
Les pourcentages sont arrondis à l‟unité ou au dixième près. Le pourcentage obtenu est en réalité de 49,8 %
123
Tableau inspiré de ceux élaborés par Nie (Gabriel) et Verba (Sydney), op. cit., chapitre 5
d‟avocat civil. Par ailleurs, durant le temps de l‟enquête, plusieurs événements ont été
organisés pour lesquels il avait sollicité la présence d‟habitants du Reguilete et auxquels il n‟a
pas participé, comme la manifestation commémorative, le 10 avril 2007 pour l‟anniversaire de
la mort d‟Emiliano Zapata, en faveur du zapatisme et en opposition au gouvernement actuel
de droite ou le mouvement général de grève du 2 mai 2000, qui immobilisa une grande partie
de la capitale. Concernant les relations avec les fonctionnaires, les exemples précédemment
cités soulignent l‟importance de certaines personnes au sein de la collectivité pour créer et
entretenir ces relations. Au Reguilete, Ernestina est la demandeuse représentant la collectivité.
Pour la Cuesta, il y a plusieurs femmes qui se répartissent les rôles : doña Asunción est
chargée d‟entamer et de maintenir les relations avec les fonctionnaires, tandis que doða Maria
est celle qui expose les demandes des habitants et récrimine, le cas échéant. Au Potrerillo, la
situation est plus complexe car il y a des intermédiaires entre les leaders et les habitants, doña
Margarita et doña Cecilia, qui font circuler les informations. Pour les relations avec les
fonctionnaires, les leaders ont le monopole. Concernant la participation à des campagnes
électorales, les habitants sont fréquemment sollicités par les leaders à la Cuesta surtout, au
Reguilete, et au Potrerillo, depuis environ deux mois, il n‟y a plus de sollicitations. La
participation est massive lorsqu‟il s‟agit de thématiques liées à la collectivité et seulement les
participants de la communauté se mobilisent lorsqu‟il s‟agit d‟événements nationaux.
Cependant, l‟influence du ou des leaders est ici majeure quant au pourcentage de participants
ou de non participants à ces événements. Enfin, le vote est une question problématique : lors
des entretiens, les personnes interrogées affirment voter régulièrement, mais sont
généralement incapables de citer d‟autres élections que les élections présidentielles. Ce qui est
sûr, c‟est que les habitants quasiment dans leur ensemble, dans les trois colonias, possèdent
leur carte d‟électeur car les leaders l‟exigent (Voir détails, B.). Après avoir vu les mécanismes
de la participation politique, il faut se demander quelle est la nature des ressources en jeu.
Ensuite, les réseaux et la participation politique présentent un enjeu majeur commun :
celui de l‟accès aux ressources. Quelles sont les ressources visées ? Les ressources les plus
importantes ont déjà été citées précédemment. Elles sont de deux ordres. Il s‟agit d‟une part,
par ordre d‟importance, de la sécurité du logement par l‟obtention des titres de propriété des
parcelles occupées, l‟instauration de réseaux électriques (les habitants étant tous connectés
frauduleusement, il leur importe d‟obtenir des réseaux légaux, avec contrats et factures), la
construction de canaux d‟eau courante et d‟évacuation des eaux usées, la construction en dur
de leur habitation, le revêtement des rues et la construction de trottoirs. D‟autre part,
l‟amélioration des conditions économiques ou la recherche d‟un travail, ainsi que les autres
facteurs amenant l‟installation des habitants sur un terrain paracaidista, constituent un second
type de ressources visées. Mais il y a également des ressources temporaires selon les périodes
de la vie politique. Par exemple, lors des élections municipales à Ecatepec, les différents
candidats proposent aux habitants des avantages matériels, en échange de leur soutien
électoral. Les candidats des grands partis, tels que le PRI, le PRD et le PAN, distribuent des
bons d‟achats gratuits pour des biens de première nécessité, en particulier pour des denrées
alimentaires, compte tenu des ressources offertes par le parti. Tandis que les candidats
indépendants ou de partis dont les soutiens électoraux sont plus réduits, proposent des aides
matérielles telles que des sacs de ciment en vue de construction en dur. Quel est l‟impact de
ces mécanismes sur l‟accès aux ressources des habitants ?
Enfin, l‟accès des habitants aux ressources est le point nodal autour duquel se tisse le
lien entre les réseaux personnels et la participation politique, étant leur enjeu commun. Quel
est l‟accès réel aux ressources dont bénéficient les habitants ? Les questionnaires ont permis
d‟élucider ce point, en demandant quels étaient les sources de satisfaction et d‟insatisfaction
des habitants avec les conditions de vie sur le terrain. En effet, à la question « Quels sont les
aspects de la vie dans la colonia qui vous semblent meilleures que dans d‟autres quartiers ? »,
les réponses les plus fréquentes sont : les meilleures conditions de vie (prix moins élevés), les
opportunités de travail, la proximité de parents proches et les activités récréatives (seulement
pour les habitants de la Cuesta). Tandis qu‟à la question contraire (« quels sont les aspects de
la vie dans la colonia qui vous semblent moins bonnes? »), les réponses sont généralement
avancées dans l‟ordre suivant : les problèmes d‟environnement ambiant (pollution, bruits,
saleté de la colonia et de l‟habitation), le coût de la vie, les difficultés d‟emploi, la criminalité
et la délinquance, les mauvaises relations de voisinage (surtout au Reguilete), l‟accès limité
aux services publics ou leur inadaptation. Finalement, malgré les longues listes de critiques
émises, la majeure partie des habitants interrogés (70 %) affirment être satisfaits par leur
choix de s‟installer dans le quartier. Quand on leur demande de s‟imaginer dans cinq ans, la
réponse la plus fréquente est proche de celle avancée par doña Asunción : « J‟espère que
j‟aurai enfin ma maison y que tout sera réglé. Le reste, ça n‟a pas d‟importance »124.
Cependant, les mécanismes qui semblent importants constituent des processus cognitifs : le
degré et les formes de participation politique d‟un habitant influent sur sa perception de sa
propre situation et celle de la collectivité dont il fait partie. Ainsi, les résultats selon les profils
de participation politique divergent les uns des autres. Les politiquement actifs sont
généralement plus politisés que la moyenne de la population nationale et ne sentent pas en
désavantage face à d‟autres secteurs de la société, tandis que les abstentionnistes totaux
montrent une plus grande sensibilité à leur position désavantageuse par rapport aux
participants. Les habitants politiquement actifs sont généralement disposés à accepter le point
de vue officiel du gouvernement qui prône que le Mexique est un pays qui offre d‟infinies
opportunités pour la mobilité, et ils se sentent investis d‟un rôle important dans l‟ordre social
présent et futur. De même, le sentiment de redistribution des richesses et des opportunités
dépend de la participation politique. Il est possible de se demander si la participation politique
n‟est pas également influencée par la perception –illusoire ou avérée- d‟une redistribution des
richesses.
Le premier trait des relations entre les réseaux et la participation politique, c‟est-à-dire
les réseaux favorisant la participation politique, vient d‟être étudié, tant dans sa nature que ses
mécanismes, puis ses résultats. Pour comprendre les liens entre ces deux notions, il faut voir
maintenant comment la participation politique renforce les réseaux.

b. La participation politique renforce les réseaux

La participation politique renforce les réseaux dans le sens où les expériences


politiques partagées avec des personnes, soit rapproche les personnes qui entrent désormais
dans leurs réseaux personnels respectifs, ou bien renforce la relation préexistante. Quelle est la
nature de ce renforcement ?
D‟une part, la participation politique renforce les relations entre les participants parce
que les éléments qui la structurent, constituent des éléments fomentant une force dans le lien
entre les personnes la partageant. Cela converge vers la théorie proposée par Mark S.
Granovetter concernant la « force des liens faibles »125. En effet, selon cette théorie, des

124
Extrait de l‟entretien, cité précédemment : « yo espero que ya tenga mi casa y que todo este arreglado. Lo
demás, no importa »
125
Thèse présentée dans un article (« The strength of weak ties ») publié en 1973 dans l’American Journal of
Sociology, puis dans sa thèse publiée en 1974 sous la direction de H. White à Harvard et intitulée Getting a job et
enfin dans un article publié en 1985 dans la même revue
relations lointaines, telles des relations professionnelles, peuvent avoir une importance bien
supérieure à des relations au départ fortes (relations amicales, familiales, etc.). Ainsi, il est
possible de voir le rapprochement de don Chano et de doña Leti, comme une illustration de
cette théorie. Les leaders actuels de la colonia Cuesta se sont rencontrés à Santa Clara au
cours de réunions organisées par des groupes du EZLN et de différents mouvements de
gauche. Chano a accepté d‟aider Leti dans la mission qui lui avait été donnée, par vote, de
lutter pour son logement ainsi que pour celui des autres habitants. Depuis leur trois années de
leadership, les relations professionnelles, ou plus exactement politiques, ont eu plus d‟impact
sur leurs modes de vie respectifs et sur la vie de la collectivité que la plupart des relations
dites « fortes » de leurs réseaux personnels respectifs, incluant les enfants de Leti, en
particulier ses deux filles qui pourtant participent activement aux événements organisées par
leur mère et l‟aident, en particulier lors des réunions hebdomadaires, en tenant les livres de
compte et la caisse de la collectivité. Cependant, cette théorie n‟est pas toujours valable et, au-
delà de cette « force » de certains « liens faibles », il semble plus pertinent de prendre en
compte les « colorations amicales »126 que peuvent adopter des relations politiques. C‟est dans
ce sens que la participation politique, par le côtoiement et l‟intensité des expériences
partagées, renforce les réseaux personnels des habitants participants politiquement. Il est
possible de noter que l‟abstentionnisme total, n‟est pas un « abstentionnisme hors-jeu » mais
un « abstentionnisme dans le jeu »127. En effet, les abstentionnistes, dont les groupes les plus
élargis se trouvent à Reguilete, sont intéressés par le politique dans la colonia ; il se tient
simplement à part des événements et ne participe pas directement par exemple par le vote, et
ce même lorsqu‟il s‟agit d‟un vote informel au sein de la colonia. Par exemple, Octavo, mari
de Sandra et habitant à Reguilete, est un porte-voix des « Indépendants » -qui rejettent le
leadership d‟Oscar Dominguez Guerrero. Il ne participe jamais directement aux prises de
décision en votant. Néanmoins, il assiste régulièrement aux réunions organisées par le comité
et se joint aux équipes lorsque la collectivité a besoin de ses compétences en réseaux
électriques. Il est donc un « abstentionniste dans le jeu ». Et la relation qu‟il entretien avec
plusieurs membres du comité, en particulier avec Ernestina et Sebastián, relation complexe et
conflictuelle, illustre ces relations formelles et faibles, pratiques, qui importent plus pour
l‟organisation politique de la colonia que d‟autres relations plus intenses et plus proches de
chacun des leaders. Quels sont alors les mécanismes de renforcement des réseaux par la
participation politique ?
D‟autre part, les mécanismes de ce renforcement des réseaux par la participation sont
de trois ordres principaux. Le premier type de processus concerne une personne inconnue ou
mal connue avec qui un habitant partage une expérience politique. Cette relation va adopter
une « force », au sens d‟intensité, si la personne joue un rôle particulier dans cette expérience
ou bien si se produit une interaction entre l‟habitant et la personne inconnue. Par exemple, la
rencontre fortuite et imprévue entre Ernestina et le lic. Javier au service de Tenencia de la
Tierra, alors qu‟Ernestina venait présenter une demande en faveur des autres habitants de
Reguilete, est à la fois le moyen de rencontrer une personne supplémentaire susceptible de les
aider, de justifier son rôle dans la collectivité et son efficacité, et d‟élargir le cercle de son
réseau personnel, le licencié et elle ayant échangé plusieurs appels téléphoniques et présentant
des affinités mutuelles facilitant le travail en commun. Le processus est le même lorsqu‟il
s‟agit d‟une personne mal connue vivant dans la même délégation voire la même colonia que
l‟habitant. Le deuxième processus concerne une personne bien identifiée et faisant déjà partie
126
Grossetti (Michel), « Communication électronique et réseaux sociaux », Flux, Juillet 1998, n° 29, p 5-13.
Article mis à disposition par M. Grossetti lors d‟une entrevue accordée le vendredi 10 février 2006
127
Muxel (Anne), « Les abstentionnistes : le premier parti européen », dans Perrineau (Pascal) (dir.), Le vote
européen 2004-2005. De l’élargissement au référendum français, Paris, Presses Sciences Po, 2005, p 45-76
du réseau personnel d‟un habitant. La participation politique peut permettre de rapprocher la
personne de l‟habitant, en dotant la relation d‟une « coloration amicale » ou d‟une « dose
émotionnelle » plus forte qu‟elle n‟en disposait auparavant. Cela peut se produire par exemple
quand un habitant répète régulièrement une expérience politique banale avec une personne de
son réseau avec laquelle il n‟avait que des relations pratiques, ou bien lorsque l‟habitant vit
une expérience politique très intense comme une manifestation avec ce membre de son réseau
et qu‟ils se trouvent ensembles confrontés à la police montée. C‟est par exemple le cas
d‟Ernestina qui effectue tous les déplacements avec sa sœur, Paola, depuis que celle-ci a
emménagé dans la colonia, il y a deux ans. Les deux sœurs ne se fréquentaient et, à vrai dire,
ne se connaissaient que peu, compte tenu du fait qu‟Ernestina a quitté la maison familiale
dans l‟Etat de Oaxaca lorsqu‟elle avait seize ans. À cette époque, deux de ses camarades et
elle avaient trouvé un emploi de couturière dans l‟entreprise familiale de l‟oncle de l‟une
d‟entre elles. Ernestina s‟était donc lancée dans l‟aventure et n‟était que peu, et pour de courts
séjours, retournée dans son village natal.
La participation politique et les réseaux personnels s‟autoalimentent mutuellement, les
réseaux favorisant la participation politique tant lorsqu‟elle est inexistante que lorsqu‟elle est
moindre, et la participation renforce les réseaux par le côtoiement et le partage d‟expériences
communes. Les deux phénomènes ont par ailleurs un enjeu commun : l‟accès aux ressources,
en particulier les services urbains. Cet enjeu amène à s‟interroger sur la pertinence de
l‟influence de l‟urbain sur le social pour cette étude.

3. Les réseaux urbains d’habitations : un facteur social et politique ?

Les réseaux personnels urbains sont ici définis comme les sociabilités propres à
l‟environnement et aux modes de vie urbains, tandis que les réseaux d‟habitations urbains
correspondent à l‟organisation spatiale des habitations au sein des colonias. L‟hypothèse
émise ici est que l‟urbanité influe sur la nature, la morphologie ainsi que sur la pratique et
l‟usage des réseaux personnels et d‟habitation.
Afin de vérifier cette hypothèse, un premier mouvement va s‟intéresser à la définition
et à la nature des réseaux d‟habitation urbains en lien avec le politique, tandis qu‟un second
mouvement va présenter l‟influence de l‟urbain sur le sociopolitique, en particulier sur les
formes d‟habitat et les usages familiaux qui en découlent, tout en détaillant les différents
schémas habitationnels urbains des unités familiales représentatives de chacune des trois
colonias étudiées.

a. Les réseaux personnels urbains et le politique

Les réseaux personnels observés dans les trois colonias prises en compte s‟ancrent
dans l‟urbanité, c‟est-à-dire le vivre-ensemble urbain128. Pointe déjà un lien fondamental entre
les réseaux personnels urbains et le politique : le vivre-ensemble. La politique étant une
composante du politique, elle représente les formes d‟organisation des collectivités humaines.
J‟adopte ici l‟idée de Laurent Barry, selon laquelle « les pratiques matrimoniales, les règles

128
Capron (Guénola), Monnet (Jérôme), « L‟Urbanité et les processus d‟identification », L’Urbanité dans les
Amériques. Les processus d’identification socio-spatiale, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2000, p 17
résidentielles, l‟architecture des habitations et les pratiques de visites (particulièrement dans
un contexte cérémoniel) font système »129. Plus largement, les configurations et la
morphologie des réseaux égocentrés et les relations à l‟espace, ici aux territoires, entretiennent
des relations mutuelles. Quels sont alors les éléments de la relation entre réseaux personnels
urbains et politique dans les trois bidonvilles mexicains observés ?
La première caractéristique qui semble pertinente pour cette étude, est que les réseaux
personnels urbains sont locaux. En effet, 63 % des personnes interrogées ont un réseau
essentiellement local, généralement sur Ecatepec voire la ville de Mexico. Plus précisément,
les réseaux sont même liés en partie à la colonia. Ainsi, pour les réseaux personnels sont en
moyenne composés de 17 personnes. Parmi elles, environ 5 personnes vivent dans la colonia
et sont voisines de l‟enquêté. L‟importance des colonias n‟est pas un fait étonnant ; comme
l‟écrit Lomnitz : « les colonias populaires représentent actuellement le type de résidence qui
augmentent le plus vite dans le District Fédéral. Certaines de ces colonias sont de classe
ouvrière, et d‟autres sont essentiellement marginales. Dans leur ensemble, elles représentent
entre 35 et 40% de la population du District Fédéral »130.
La seconde caractéristique est que les réseaux personnels urbains s‟organisent
généralement en fonction des rôles politiques. En effet, les leaders ayant une habitation dans
la colonia qu‟ils représentent, qu‟il s‟agisse de leur habitation principale ou non, se trouvent
généralement sur la place centrale, bien en vue ou dans un lieu très facile d‟accès, alors que
les terrains paracaidistas recèlent de recoins et de chemins difficiles d‟accès. C‟est
notamment le cas de la maison de Chano et de Leti à Cuesta, dont la maison se trouve à
l‟entrée de la colonia. Outre le fait qu‟elle soit la seule habitation en dur, elle est la seule à
compter un étage supplémentaire et elle est ornée de banderoles promouvant le EZLN. Au
Potrerillo, doða Irma et sa fille n‟y ont jamais habité. Cependant, l‟une de leurs adjointes,
Carmelita, vit dans une habitation toute proche du portail d‟entrée du terrain. Elle se charge
notamment de gérer les entrées et sorties de la colonia, en examinant scrupuleusement les
étrangers qui entrent pour la première fois sur le terrain. Ainsi, après deux visites aux
habitants en son absence, Carmelita a attendu jusqu‟à ce que j‟arrive, soit en fin de matinée,
pour m‟interroger et m‟interdire l‟entrée du terrain : « les inconnus n‟ont pas le droit d‟entrer
sur le terrain, mademoiselle, ceci est une propriété privée »131. Plus loin dans la conversation,
elle a ajouté : « non, non, vous ne pouvez pas prendre de photos, jeune fille, c‟est privé ici.
Pour prendre des photos, tu as besoin de l‟autorisation de la responsable. Avec sa signature, tu
peux prendre toutes les photos que tu veux et même parler avec les gens ». L‟organisation au
Reguilete est plus diffuse, moins concentrique, car les leaders se relaient tous les deux ans, à
la suite d‟un vote organisé dans la colonia.
Enfin, le dernier élément est l‟importance de l‟héritage urbain traditionnel dans
l‟organisation des réseaux personnels des colonias. Parmi les facteurs traditionnels
d‟organisation urbaine, on retrouve l‟industrialisation dans les années 1950 dont la trace est
encore visible à travers les grandes usines désaffectées ou réutilisées à d‟autres fin, mais
surtout la religion : « la religion joue un rôle fondamental dans la conformation structurale de
la ville ; et c‟est à partir des couvents et des paroisses, principalement, que se configurent les

129
Barry (Laurent), « Parenté et espace social », séminaire EHESS, année 2006-2007, présentation du séminaire
130
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 36 : “las colonias populares representan actualmente el tipo residencial
de más rápido crecimiento en el Distrito Federal. Algunas de estas colonias son de clase obrera y otras son
predominantemente de nivel marginado. En su conjunto, abarcan del 35% al 40% de la población del Distrito
Federal”
131
Doña Carmelita : “los desconocidos no tienen derecho a entrar, señorita, eso es una propiedad privada. Igual
no se puede sacar fotos... no, no se puede sacar fotos, mi hija, porque aquí es privado. Para sacar fotos, necesitas
el permiso de la encargada. Con su firma, puedes sacar todas las fotos que quieras e incluso platicar con la gente”
quartiers, en créant des lieux de rencontres quotidiennes et des espaces de socialisation des
activités du voisinage »132. Ainsi, dans chacune des trois colonias, on trouve au moins une
église et un autel (Reguilete), lorsqu‟il n‟y a pas deux autels (un à la Vierge de Guadalupe et
un autre au Christ, comme au Potrerillo), ou encore deux églises de confession différente
(l‟une étant catholique et l‟autre protestante à la Cuesta). Comme l‟écrit Lomitz : « ce sont des
points de repère et d‟articulation »133. L‟articulation est à la fois symbolique, entre le profane
et le sacré, sociale, entre les pratiquants et les non-pratiquants, et urbaine entre différents
points centraux de la colonia : « de cette manière se construisent peu à peu les points de
référence essentiels à l‟habitant »134. Ainsi, les églises et les autels constituent des repères
socio-spatiaux au sein de la communauté. Les habitants s‟y réfèrent tant pour désigner
l‟habitation d‟une famille, par exemple : « ceux sont ceux qui vivent derrière l‟église »
(colonia Cuesta) ou bien « c‟est la maison qui se trouve juste en face de l‟autel à la Vierge »
(Potrerillo).
Après avoir vu différents mécanismes qui lient les réseaux d‟habitation urbains au
politique, il est temps d‟envisager les schémas habitationnels types de chacune des trois
colonias étudiées pour en voir les points communs et les différences. Quels sont alors les liens
entre ces schémas et la structure sociopolitique ?

b. De l’influence de l’habitat sur la structure sociopolitique et


inversement : schémas des réseaux d’ habitation

Les tenants et aboutissants de ces relations entre les configurations et la morphologie


des réseaux égocentrés et les relations à l‟espace, ici l‟espace urbain de la colonia, sont
nombreux, dans ce genre de quartiers d‟habitation. Par exemple, la localisation, c‟est-à-dire
l‟implantation dans un lieu d‟un habitat ou d‟une activité géographique, est nécessaire pour
l‟instauration d‟une confiance (entre voisins, entre partenaires économiques) et de la mémoire
(d‟expériences communes, des transactions)135. Des concepts sont importants pour cette
réflexion, tels ceux de « stratégies » et de « compétences », pour comprendre l‟intérêt de
l‟organisation sociospatiale qui répond à des besoins quotidiens et plus lointains. Ces
concepts, exposés plus loin dans cette étude, constituent des éléments de lecture des schémas
habitationnels en usage dans les trois colonias étudiées actuellement.

132
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 30 : “la religiñn juega un papel fundamental en la conformaciñn
estructural de la ciudad, y es a partir de los conventos y parroquias, principalmente, que se configuran los barrios,
al crearse lugares de encuentro cotidiano y espacios de socializaciñn de las actividades del vecindario”
133
Ibidem, p 30
134
Ibid, p 30 : «De esa manera, se constituye poco a poco el punto de referencia esencial del poblador»
135
Geertz (Clifford), Le souk de Séfrou. Sur l’économie de bazar, Paris, Bouchene, 2003, 264 p
Schémas des réseaux d’habitations à Reguilete

WC Dou-
Pou- che
lailler

Lit TV

Chambre Salon

Compteur électrique

Lit

Salle à manger
Chambre Lavabo

Schéma 1. Habitation aisée

Ce schéma représente l‟habitation typique d‟une famille composée des deux parents et
de quatre à six enfants, deux pouvant dormir dans le salon, voire plus. Trois des enfants
dorment dans la chambre du fond, dans le même lit et se partagent la chambre, tandis que le
plus jeune des quatre dort dans le lit des parents jusqu‟à l‟âge de 8 ou 12 ans, selon les
familles, l‟éducation et la place dans chacune des chambres. Ce type d‟habitations est destiné
à une famille avec des revenus d‟au moins 6400 pesos au moins. C‟est donc un logement
spacieux destiné à une famille dont les revenus sont légèrement supérieurs à ceux de la
majorité. Par ailleurs, concernant les habitations disposant d‟une tienda (litt. : boutique, se
réfère ici à une petite épicerie intégrée dans l‟architecture de l‟habitation) qui ponctuent le
paysage de la colonia (voir photos annexe I), il est possible de rajouter à la chambre parentale,
en bas à gauche, une ouverture sur le mur, comme une fenêtre qui serait l‟ouverture destinée à
la boutique. La première remarque à faire ici est que les habitations n‟ont pas de fenêtres à
cause de la poussière qui, malgré le faible nombre d‟entrées, réussit tout de même à pénétrer
les habitations. Ensuite, une habitation telle que la précédente mesure environ entre 35 et 40
m². Enfin, les ustensiles et les appareils électroménagers dont disposent les habitants sont plus
nombreux que ceux dont disposent la majeure partie des habitants. Ainsi, dans ce premier type
d‟habitation, il est possible de trouver par exemple deux cuisinières à gaz.
Lit Lit D WC

Meuble
TV 
table

Schéma 2 : habitation courante

Ce deuxième type d‟habitation est plus commun. Il se destine aussi bien à une
personne ou un couple vivant seul, comme à une famille à faibles revenus, pouvant compter
jusqu‟à cinq enfants. La taille moyenne de ce type de logement est de 15 à 25m² selon la
situation familiale des personnes qui y vivent. On remarque que s‟il y a deux lits, un pour les
parents et les jeunes enfants en haut à droite, puis un pour les autres enfants à gauche sur le
schéma, il n‟y a pas de cloison de séparation. Un drap ou un tissu sépare l‟espace des parents
de celui des enfants.

Schémas des réseaux s’habitations à Cuesta

Lit D
Lit WC

 Cuisine
Salon P

Schéma 3. Habitation aisée

Le schéma ci-dessus représente une habitation aisée de la Cuesta pour une famille
moyenne, c‟est-à-dire composée de 5 à 6 personnes, dont les revenus sont légèrement
supérieurs à ceux des autres habitants. En effet, cette habitation présente des caractéristiques
dont tous ne bénéficient pas : chambre séparée par une fine cloison de plâtre, deux télévisions,
une cuisine séparée et plusieurs meubles. C‟est par exemple le type d‟habitation où vit
Asunción.
TV Buffet
Lit

Lit

Schéma 4 : Habitation courante

Dans le cas de la Cuesta, les logements sont plus grands et généralement mieux
aménagés, parfois les habitants ont un revêtement sur le sol (tapis, bâches de plastique), mais
les murs sont, comme au Reguilete, de planches de bois. Certaines maisons en construction au
Reguilete sont construites avec des moellons et des blocs de plâtre ou de ciment, mais elles ne
sont pas achevées. Le type de logement représenté ci-dessus correspond autant à un jeune
couple avec des enfants en bas âge qu‟à une famille comprenant jusqu‟à cinq enfants. On
remarque qu‟il y a une gazinière à l‟intérieur du logement mais qu‟il n‟y a ni douche ni
toilettes, ceux-ci étant partagés entre plusieurs habitations.

Schémas des réseaux d’habitations à Potrerillo

Lit

Schéma 5 : Habitation courante

Les habitations courantes ou modestes du Potrerillo sont généralement plus petites que
celles des deux autres colonias (environ 15m² contre 18 à 20m²). Elles ne comportent ni
douche ni toilettes puisque ceux-ci sont collectifs. Les locaux se trouvent à l‟entrée de la
colonia, contre le mur d‟enceinte. On remarque que les logements comprennent un lit, une
salle à manger, une gazinière et une télévision. Ils peuvent abriter aussi bien des personnes
seules, comme Chelito (surnom d‟une des plus anciennes habitantes de la colonia) que des
familles de 5 personnes comme celle de Veronica, avec ses filles et sa petite fille.
Lit Lit Local

Salon

Schéma 6 : Habitation aisée

Cette habitation aisée du Potrerillo est peu commune, même si les habitants ont
généralement des revenus supérieurs à ceux des autres colonias. Il faut remarquer que toutes
les habitations, même les plus modestes sont construites de tabique ou de moellons ; les
matériaux sont donc plus onéreux. En outre, la plupart des habitations observées sont plus
petites car la densité de peuplement du terrain était bien supérieurs en janvier, deux mois
avant le début de l‟enquête. Les signes d‟aisances de l‟habitation présentée ici sont multiples :
outre la superficie du logement (environ 40m²) et l‟existence de plusieurs pièces, le nombre de
meubles et d‟ustensiles électroménagers, il y a un local de rangement situé à l‟extérieur de la
maison. Il est particulièrement utile pour les chauffeurs de vélos-taxis, afin que le toit en toile
de leur taxi ne soit pas endommagé par des intempéries.

Concernant l‟adéquation entre l‟unité domestique et le schéma habitationnel, il est


possible de mettre en doute l‟hypothèse formulée par A. de Lomnitz : la forme la plus
adéquate à un quartier d‟habitat précaire serait l‟unité domestique de forme étendue et de toit
commun. Selon les observations réalisées, l‟unité domestique la plus répandue serait la
famille élargie et de toit commun. En effet, les familles étendues vivant ensemble dans une
colonia, ont chacune leur habitation, et relativement proches, lorsqu‟elles ne sont pas voisines
directes. Tandis que les familles vivant sous un toit commun sont généralement des familles
nucléaires ou familles monoparentales (bien plus fréquemment une mère et ses enfants) avec
les enfants de ses sœurs ou bien d‟une de ses filles, voire avec une ou plusieurs de ses filles et
ses petits-enfants. Parfois, certains amis ou enfants d‟amis de la famille peuvent y habiter. Il
s‟agit donc de famille élargies (soit famille étendue pouvant comporter d‟autres personnes non
apparentées, vivant sous l‟autorité d‟un chef de famille) et non étendues, c‟est-à-dire de
familles comportant plusieurs couples mariés apparentés placés sous l‟autorité d‟un chef de
famille ; les jeunes couples ne se mettant en ménage que lorsqu‟ils ont les moyens de
construire leur habitation, que les familles leur offre les conditions de pouvoir le faire, ou
bien la possibilité de loger dans une habitation inhabitée. Mais ces cas sont minoritaires, par
rapport à la famille nucléaire.
Les réseaux sociaux, plus précisément les réseaux personnels, apparaissent dans les
trois colonias prises en compte comme une matrice de la politisation, c‟est-à-dire de
l‟apprentissage politique et de la socialisation politique. C‟est ce qui a été montré à travers
l‟analyse de la nature et des mécanismes des différents processus d‟apprentissages, ces
derniers ayant été contextualisés dans l‟environnement urbain des trois quartiers. Il s‟agit
maintenant de voir les usages liés aux réseaux sociaux dans les trois colonias étudiées.
Quelles sont les pratiques entourant les réseaux sociaux et personnels à Reguilete, Cuesta et
Potrerillo, en lien avec l‟organisation politique respective de chacune ?

B- Les réseaux en action : des réseaux sociaux aux réseaux politiques

L‟étude des réseaux personnels d‟habitants de trois colonias paracaidistas de Mexico,


est un moyen de comprendre le lien entre les parentés (sanguines, élargies, symboliques) et les
sociabilités, dans leur rapport au politique, en particulier dans la gestion de l‟espace et des
territoires, comme les espaces communs au sein des colonias ou les habitations. Quelle est la
nature des réseaux observés ? Quels sont leurs liens avec le politique ? Quels sont alors les
jeux et les enjeux de pouvoir(s) qui en découlent ?

1. Des réseaux sociaux et personnels…

L‟hypothèse émise ici est que l‟influence des réseaux sociaux et personnels, c‟est-à-
dire égocentrés, dans le politique des trois colonias paracaidistas étudiées, varie en fonction
de la composition et de la morphologie des réseaux personnels des habitants et des leaders. Il
serait alors possible de distinguer des types de « cultures relationnelles » propres à chacune
des colonias.

a. Les réseaux et leur nature

Afin de vérifier la validité de l‟hypothèse précédente, les réseaux personnels et les


réseaux sociaux sont analysés indistinctement, sauf mention contraire. Quels sont les types de
réseaux rencontrés et quelles en sont les composantes ?
Le premier élément qu‟il faille analyser ici, concerne les composantes qui jouent sur la
morphologie des réseaux. Trois facteurs sont apparus majeurs durant l‟enquête : il s‟agit de
l‟économique, de la religion et des formes de parentèle. En effet, l‟économique est pris au
sens anthropologique premier d‟échange136, qu‟il s‟agisse d‟échanges de réciprocité ou
d‟échanges marchands. L‟échange peut concerner des biens comme des services. Ainsi, les
échanges les plus fréquemment observés entre les membres d‟un même réseau au sein d‟une
colonia, est « l‟échange de réciprocité »137, c‟est-à-dire l‟échange de faveurs et de présents qui
est conséquence et partie intégrante d‟une relation sociale. En effet, ces échanges semblent
être un moyen, pour les habitants, de lutter pour le maintien du niveau de vie auquel ils
aspirent. Le politique est intrinsèquement mêlé car les partis politiques s‟inscrivent dans cette
même logique en participant de ces « échanges de réciprocité », en offrant notamment des
bons d‟achat aux habitants ou des matériaux de construction, en période électorale. Ces
échanges, qui s‟inscrivent au sein de relations sociales, constituent un moyen de pallier les
carences du système socioéconomique mexicain. Ainsi, comme l‟écrit A. de Lomnitz : « une
strate importante de la société urbaine latino-américaine, la marginalité, assure sa survie par

136
Polanyi (Karl), « The economy as an instituted process », dans Trade and market in early empires, The Free
Press, NY, 1957, p 234-269
137
ibidem
l‟usage de la réciprocité »138. L‟échange de réciprocité, tel qu‟il est défini par Polanyi, peut
sembler paradoxal, dans les situations de précarité dans lesquelles se trouvent les habitants des
colonias paracaidistas étudiées ici. Néanmoins, il semble qu‟il s‟agit là d‟une stratégie
permettant au contraire aux habitants de surmonter des circonstances qui les feraient
succomber s‟ils étaient isolés. Par exemple, sans la formation d‟une collectivité, une
habitation de paracaidistas banale ne pourrait pas forcément se connecter au réseau électrique
municipal, cela nécessitant d‟une part des matériaux que tous ne peuvent ou ne savent pas se
procurer et, d‟autre part, des savoirs-faires et des connaissances que tous ne maîtrisent pas.
Cela est valable pour des infrastructures plus compliquées telles que l‟installation de l‟eau
courante et l‟évacuation des eaux usées. Ainsi, chaque colonia dispose d‟au moins un
« expert » en électricité et un en construction, afin que ceux-ci puissent résoudre les problèmes
posés à la colonia. Le deuxième facteur jouant un grand rôle sur les réseaux est la religion. En
effet, chaque quartier compte au moins une église et un autel dédié à un saint ou une sainte.
Les confessions représentées sont identiques dans les trois colonias : catholiques ou de
nouveaux mouvements religieux (NMR)139 issus du protestantisme. Ce qui importe ici est le
fait que les pratiques religieuses, dans chacune des colonias, influent sur la morphologie et la
connexité des réseaux des habitants. Le partage de croyances communes constitue un facteur
de cohésion sociale, tandis que la pratique religieuse fonctionne comme un vecteur de
socialisation et renforce les liens sociaux. Par exemple, les fidèles de chaque congrégation
religieuse échangent entre eux plus fréquemment qu‟avec les autres membres de la colonia.
L‟appartenance à une communauté religieuse peut avoir en outre des avantages matériels, tels
que l‟apport de denrées alimentaires supplémentaires, une écoute et un sentiment sécurisant
d‟appartenance, voire même, dans de rares cas, une aide matérielle ou pécuniaire pour la
réparation ou la construction d‟une habitation. Les groupes religieux sont animés par un prêtre
ou un pasteur extérieurs à la colonia. Dans le cas de la Cuesta, le prêtre de Santa Clara vient
célébrer l‟office chaque dimanche, tandis qu‟un pasteur se rend au temple qui se trouve au
centre de la colonia, environ deux fois par semaine (mercredi et dimanche). Au Reguilete, la
communauté chrétienne qui se rend au Temple dispose de divers services, tels que des heures
de permanence qui permettent aux fidèles qui le souhaitent, de discuter de leurs problèmes
avec un autre membre de la communauté ou avec le pasteur. De jeunes croyants de Santa
Clara viennent dispenser des enseignements religieux aux enfants des familles du Temple tous
les dimanches matin, dans une habitation réservée à cet effet et où sont entreposés des
pupitres, des sièges et un tableau noir ; cela permet aux parents, par ailleurs, de vaquer à leurs
occupations. Les fidèles d‟une congrégation vont avoir plus tendance à échanger et à
participer ensemble à des activités qu‟avec d‟autres habitants de la colonia. Cette tendance à
l‟endogamie est cependant à nuancer, car d‟abord, les organisateurs des cultes religieux
viennent de l‟extérieur, marquant une distance avec les habitants de la colonia tant par leurs
tenues vestimentaires plus ostentatoires ainsi que leurs voitures plus récentes et luxueuses.
Ensuite, les habitants, de par la répartition des tâches en fonction des compétences (par
exemple, concernant l‟électricité, l‟eau, etc.), sont obligés de se fréquenter un minimum, pour
le moins lorsqu‟il y a des intempéries qui endommages les infrastructures habitationnelles.
Enfin, les croyances et la religiosité sont vécues dans les colonias étudiées –et cela semble
généralisable à la culture nationale- sur un mode syncrétique qui fait qu‟un même habitant
peut se rendre le dimanche matin au culte catholique et le soir participer aux cérémonies
protestantes. Enfin, la dernière composante qui semble majeure dans la morphologie et les
138
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 26 : «un estrato importante de la sociedad urbana latinoamericana, la
marginalidad, asegura su supervivencia mediante el uso de la reciprocidad»
139
Voir des détails sur ce thème dans la revue Ethnologie française, Paris, PUF, 2000, n°4, octobre-décembre,
« Les nouveaux mouvements religieux »
usages des réseaux, sont les systèmes de parentèle. En effet, plusieurs systèmes de parentèle se
chevauchent et donnent forme aux réseaux. Cela étant présenté dans la sous-partie suivante, il
est préférable de passer directement au portrait des réseaux sociaux et personnels observés, et
d‟en analyser la nature. Cependant, il est possible de noter, à la suite de A. de Lomnitz, que
« les réseaux utilisent pleinement une des quelques ressources dont bénéficie le marginal : ses
ressources sociales »140.
Les réseaux sociaux sont majeurs dans l‟étude des trois colonias paracaidistas prises
en compte, car ils constituent la structure sociale qui garantit à la fois la subsistance
économique des populations et l‟organisation politique du quartier. Mon hypothèse est que ces
réseaux représentent un mécanisme qui supplée les carences socioéconomiques et
l‟inadéquation du droit national à la situation réelle des habitants. Les réseaux sociaux et
personnels remplacent le manque de sécurité socioéconomique par un type d‟aide mutuelle
basée sur la réciprocité141. Ce type d‟aide débouche sur un modèle relationnel spécifique : les
« réseaux d‟échange réciproque »142. La nature des réseaux sociaux et personnels qui semble
majeure pour cette étude est celle-ci, compte tenu de son importance dans l‟organisation
socioéconomique des habitants, leurs pratiques quotidiennes individuelles et collectives, ainsi
que dans l‟organisation politique de la colonia. En effet, ce type de réseaux se nourrit de
toutes les formes de sociabilités qui ont cours dans les colonias et qui ont été observées, telles
que les relations de parentèle (parentezco), de voisinage (vecindad), de compadrazgo
(relations amicales formalisées) ou le cuatisme143 . Deux éléments majeurs conditionnent la
réciprocité des échanges entre les membres d‟un réseau personnel au sein de l‟un des trois
quartiers étudiés : la proximité physique et la confiance. Plus la proximité physique est
grande, plus les interactions sociales sont nombreuses et plus il y a d‟opportunités d‟échange.
Les imprévus, les urgences et les successions d‟événements composent le quotidien des
habitants ; l‟aide mutuelle requiert donc une proximité physique, en vue d‟être viable et
efficace. La confiance est l‟objet du troisième chapitre de cette étude et, pour cela, ne va pas
être développée ici. Les réseaux d‟échange réciproque s‟organisent au sein de réseaux
généralement fondés sur plusieurs unités domestiques144 de type étendue et ayant des liens de
parenté, vivant comme voisins et se caractérisant pas un intense échange de biens et de
services. Par exemple, le réseau d‟échange réciproque d‟Ernestina Leyua Valadez, au
Reguilete, se compose principalement de trois unités domestiques composée par celle
d‟Ernestina avec ses filles et l‟une de ses petites-filles, celle de sa sœur Paola avec ses enfants,
dont l‟habitation se trouve en face de celle d‟Ernestina. Puis, il y a l‟unité domestique des
parents d‟Ernestina, où vivent ses deux parents et l‟une de ses plus jeunes sœurs.
L‟analyse des réseaux d‟échanges réciproques amène à analyser les formes qui les
composent, dont les principales sont les différentes formes de parentèle. Quelles sont les
formes de parentèles en usage dans chacune des trois colonias étudiées ?

140
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit, p 27
141
Ibidem, p 27
142
Terme élaboré par nos soins à partir d‟un terme proche utilisé par Larissa A. de Lomnitz : « red de
intercambio reciproco » (ibid, p.27)
143
Voir la définition et l‟explicitation de ces deux derniers termes dans la sous-partie suivante
144
Une « unité domestique » correspondent dans cette étude à la notion de « ménage » telle qu‟elle est définie par
l‟Institue National de Statiques et d‟Études Économiques (INSEE), c‟est-à-dire d‟unité d‟habitation et de
consommation
b. Les formes de parentés et de parentèles sanguines et symboliques

L‟un des principaux éléments constitutifs des réseaux sociaux des habitants de
Reguilete, Cuesta et Potrerillo, sont les réseaux de parentés. Quelles en sont les composantes ?
Et quelles sont les formes qui en découlent ?
Pour débuter, il s‟agit de rappeler ce qui est entendu par « parentés » et « parentèles »,
puis de distinguer les différentes formes observées. La « parenté » est comprise dans un sens
large de « rapports entre individus basés sur certaines formes d‟affinités ou sur une
ascendance commune »145 ; elle constitue donc l‟appartenance à un groupe, sans que le mode
d‟appartenance soit défini. Tandis qu‟une « parentèle », du latin parentela (ensemble des
parents) est un groupe de parenté se définissant à partir des relations d‟un individu avec
l‟ensemble de ses parents, issus de tous les lignages et non d‟un seul. L‟intérêt de distinguer
ces deux notions permet de jouer sur le caractère exocentré ou égocentré des réseaux sociaux
et personnels. En effet, la notion de parenté est convoquée lorsqu‟il s‟agit des réseaux sociaux
qui comportent une perspective exocentrée, tandis que la notion de parentèle est égocentrée et
se rapporte aux réseaux personnels. La parenté symbolique est quant à elle l‟attribution d‟un
caractère familial à une relation basée sur des rapports interindividuels où se pratiquent des
échanges soutenus et réguliers146. Quels sont les différentes composantes de ces deux types de
parenté, la parenté sanguine et symbolique, en pratique dans chacune des colonias étudiées ?
Ensuite, il s‟agit de distinguer les différentes composantes des parentés présentées. Au
sein de la parenté sanguine, on trouve principalement trois types d‟unités observées au sein de
chacune des colonias, qui, par ailleurs, se répartissent dans la trame urbaine de la colonia de
manière distincte. L‟élément majeur de la parenté sanguine est la famille nucléaire, c‟est-à-
dire le couple (généralement marié pour ceux dont l‟âge respectif de l‟homme et de la femme
dépassent les 35 ans, et non marié pour les plus jeunes) avec leurs enfants. C‟est la
composante centrale d‟une unité domestique. Dans la majeure partie des cas, une unité
domestique se compose d‟un couple et de leurs enfants. Je n‟ai pas rencontré de couple, marié
ou non, vivant avec d‟autres couples, mêmes lorsqu‟il s‟agit de descendants directs, bien que
ce soit fréquemment cité dans les publications concernant les quartiers d‟habitat précaire et les
colonias paracaidistas. En effet, un jeune homme et une jeune femme vivent chacun dans
leurs familles respectives jusqu‟à ce qu‟ils aient les moyens d‟obtenir leur habitation
commune, en-dehors du foyer parental. C‟est le cas notamment de Montse et Carlos, vivant
tous deux dans la colonia Reguilete, chacun dans la maison de leurs familles respectives, en
attendant que leur propre habitation soit réaménagée. Cela introduit le deuxième élément,
moins fréquent que le précédent mais qui demeure courant : la famille élargie. En effet, toutes
les familles accueillent à un moment donné un membre de leur famille, en particulier un frère
ou une sœur de l‟un des deux conjoints, ou bien un ou une amie, afin de l‟aider à s‟installer
sur le terrain, en attendant qu‟il ou elle ait son logement propre. Régulièrement, les familles
nucléaires accueillent un ou plusieurs enfants de l‟un des membres de leur famille, qu‟il
s‟agisse d‟ascendants, de descendants ou de collatéraux, lorsque ce dernier part aux États-Unis
–de mojado, c‟est-à-dire de manière illégale- ou dans un autre État de la République, tenter sa
chance et chercher un travail.
Concernant les formes de parenté symbolique, deux types de relations se détachent
particulièrement : le compadrazgo et le cuatisme. Ces formes relationnelles apparaissent
comme culturelles, étant répandues dans toute la culture nationale. Elles adoptent dans les
colonias paracaidistas un intérêt et une importance particuliers. Le compadrazgo est une

145
Ferréol (Gilles), Dictionnaire de sociologie, Paris, Armand Colin, 2002, p 152
146
Selim (Monique), « La famille interdite », L‟Homme et la société, Paris, ORSTOM, 1987, n°83, p 68-77
institution traditionnelle dans les quartiers urbains. Elle est particulièrement importante dans
les colonias étudiées car elle fait partie des mécanismes qui renforcent la solidarité sociale, en
particulier au sein des réseaux d‟échanges réciproques. Ainsi, comme l‟écrivent S. Mintz et E.
Wolf : le développement du compadrazgo s‟explique par son adaptabilité à toutes les classes
de situations et de structures sociales147. Le compadrazgo constitue une relation formalisée
entre des personnes connues. Elle est une véritable institution sociale qui possède des
« fonctions économiques et de mobilité sociales, et, de plus, joue un rôle magico-symbolique
de protection contre l‟agressivité latente entre les individus148. C‟est une relation essentielle
qui surpasse même celle de parrain et filleul. La relation se formalise lors d‟occasions sacro-
rituelles, par exemple en demandant à un compadre de devenir parrain de baptême ou de
confirmation, parfois dans des situations séculières comme l‟arrivée dans un nouvelle maison
et l‟obtention d‟un diplôme ou encore dans des occasions volontaires comme le
« compadrazgo de saints » (choix d‟un parrain pour la statue d‟un saint qui a été offerte ou
achetée par les habitants d‟une unité domestique). Dans la pratique, ces relations sont
difficiles à analyser. Concrètement, le compadrazgo sert à formaliser la relation avec une
personne influente par rapport à la famille qui sollicite le compadrazgo. Il sert à la fois à
rapprocher une personne influente, attiser sa générosité, et à éloigner les conflits ou les
tensions. Par exemple, le parrain d‟Ernestina était un voisin de sa famille lorsqu‟il vivait à
Oaxaca ; il entretenait alors des relations conflictuelles avec eux. La famille a décidé de lui
demander de devenir son parrain afin de rasséréner les relations. Le cuatisme, dérivé du terme
nahuatl cuatli (frère jumeau), quant à lui, marque originellement des relations typiquement
masculines, d‟amis proches et particuliers, qui partagent des expériences intimes et s‟aident
mutuellement, au-delà des activités récréatives qu‟organisent quotidiennement les « cuates »
entre eux. Il s‟agit d‟un système de normes, de valeurs, de comportements et de relations
sociales, constitutifs de la culture mexicaine. Cela comprend notamment les soirées de
beuveries entre « cuates » ou les aventures avec d‟autres femmes durant les sorties entre
hommes, sans que cela soit vécu de manière conflictuelle par l‟homme avec sa relation
maritale. Dans la pratique, ce terme connaît une évolution récente de grande ampleur: il peut
s‟étendre aux amitiés avec des femmes et désigne des amis de confiance et des confidents,
avec qui de nombreuses activités quotidiennes sont partagées. L‟extension aux amitiés
féminines n‟est valable que lorsqu‟il s‟agit d‟une ou de deux femmes dans un groupe plus
large d‟homme. Une femme peut alors parler de son groupe de « cuates » pour désigner son
groupe de copains.
La distinction et l‟analyse des différentes formes de parentés et de parentèles, entre
parentés et parentèles sanguines et symboliques, ainsi que les différentes sous-catégories qui
les composent, amènent à s‟interroger sur les différentes interactions et pratiques au sein des
réseaux auxquelles ces catégories donnent lieu. Quelles sont les pratiques et les interactions
entre les différents types de parentés ?

c. Pratiques et interactions entre les différents types de parentèle

Les carences socioéconomiques et l‟inadéquation du droit sont des conditions qui ont
favorisé les réseaux sociaux et personnels qui tentent d‟en pallier les carences. Le dynamisme
147
Mintz (Sydney, W.), Wolf (Eric R.), « An Analysis of Ritual Co-Parenthood (Compadrazgo) », Southwestern
Journal of Anthropology, 1950, vol 6, n°4, p 341-368
148
Forbes (Jean), El sistema de compadrazgo en Santa Maria Belén Atzitzimitlán, Tlaxcala, México, Univ.
Iberoamericana, 1971, thèse de master d‟anthropologie sociale
de ces derniers s‟observe notamment à travers les innovations sociales et les mexicanismes
qui apparaissent et renforcent les institutions sociales traditionnelles telles que le
compadrazgo et le cuatisme. On peut alors se demander comment interagissent ces différentes
composantes des réseaux et quelles en sont les conséquences sur le politique au sein des
collectivités des trois colonias observées.
Tout d‟abord, les interactions entre les différentes composantes sociales des réseaux, il
faut analyser le contenu des relations familiales pour comprendre les interactions avec les
autres composantes. Par exemple, les enquêtes menées ont révélé une relation maternelle entre
mère et enfants, contenant un très fort bagage émotionnel, à l‟instar d‟une relation entre une
femme et ses frères. Ainsi, les oncles maternels jouent un rôle important, surtout dans la
protection de la mère et des enfants. Différents auteurs estiment que cela provient du faible
contenu émotionnel de la relation entre époux, et que, de ce fait, la femme transfère le poids
de son émotivité sur ses enfants et ses frères149. Les observations ne permettent pas de
confirmer ou d‟infirmer cette hypothèse. Cependant, ce qui est apparu est que le contenu des
relations maritales est constitué d‟une série d‟interdictions et d‟obligations mutuelles, dont
celles envers la femme peut être de ne pas sortir le soir, de ne pas travailler ou alors dans la
colonia. Les types d‟unions matrimoniales sont généralement soit le mariage soit l‟union libre,
la seconde étant plus répandue parmi les jeunes couples de moins de 25 ans. Parmi les jeunes
couples rencontrés, aucun n‟était marié civilement ou religieusement, bien qu‟ils pouvaient se
nommer mutuellement « époux » ou « épouse » –cela pourrait se rattacher alors à de la parenté
symbolique. Les familles, à leur constitution, toutes colonias confondues, suivent un régime
néolocal, s‟installant dans une nouvelle habitation. Le lieu en lui-même peut être proche du
lieu d‟habitation de l‟une des deux familles. Dans les trois colonias envisagées, les époux ou
les conjoints proviennent généralement du même lieu. Pour la Cuesta et le Reguilete, la
majeure partie des couples proviennent de Santa Clara ou de ses environs, soit des alentours
des colonias. Lorsque les époux ne se sont pas connus au sein de la colonia, à l‟instar de
Montsé et Carlos au Reguilete, âgés respectivement de 15 et 16 ans, ils se sont rencontrés
dans les alentours. C‟est notamment le cas de Sebastián, 25 ans, conjoint de la plus jeune des
filles de Leti, leader à Cuesta, dont la fille est âgée de 22 ans. Ils se connaissent depuis leur
adolescence passée à Santa Clara où tous les deux habitaient avant de venir à la Cuesta. Cet
exemple marque cependant une exception car le régime est uxorilocal, car Sebastián est parti
vivre avec la famille de sa conjointe. Ils aspirent néanmoins à emménager dans quelques
années, dans leur habitation propre avec leur enfant, âgé de 2 ans.
Ensuite, il s‟agit d‟envisager les différentes pratiques liées aux formes de parentés et
de parentèles, dans les trois colonias étudiées. Trois éléments centraux interagissent, au-delà
des relations familiales qui constituent le pivot des réseaux sociaux et personnels. Le premier
élément est le compadrazgo, mécanisme social stratégique. La relation de compadres est
paradoxale au point de faire que des personnes qui se considèrent comme compadres et qui se
tutoient, se vouvoient lorsque la relation est formalisée. Mais j‟émets l‟hypothèse que cela
tient plus à la demande de protection qui est formulée dans la formalisation d‟une relation de
compadres. Il faut noter que le terme de « compadre » s‟étend aux relations amicales fortes et
de confiance, il s‟agit des « compas » dans le langage courant. Elle est le pendant horizontal
de la relation verticale de parrain à filleul. Le parrain ou le « compadre » joue
traditionnellement un rôle protecteur, mais on peut voir que cette pratique de protection se
perd au profit de relations amicales de proximité. De fait, les relations de compadrazgo sont
difficiles à étudier en tant que telles. En effet, lorsqu‟il est demandé aux enquêtés de répondre
à des questions sur leurs compadres, beaucoup refusent d‟en parler, considérant cela comme

149
Voir notamment Lomnitz, op. cit., p 104
un manque de respect envers le compadre, surtout lorsque l‟on prend en compte l‟importance
de l‟aide que peut apporter un compadre. Enquêter sur les groupes de cuates, est tâche encore
plus difficile, car cela est assimilé à de l‟intime. Alors, les enquêtés refusent d‟en parler, de
peur que des confidences ne leur échappent. Plusieurs réponses obtenues ont été comme la
suivante : « Mes cuates ? Je ne vois pas l‟intérêt de parler de ça ; non, c‟est vrai, je suis
désolé. Je ne veux pas en parler. C‟est personnel »150. Néanmoins, il est possible de
contourner ces refus frontaux en tendant l‟oreille : les cuates et les compadres sont
fréquemment évoqués dans les discussions quotidiennes. Les relations de compadrazgo sont
cependant importantes dans l‟étude des réseaux d‟échanges. En effet, elles sont vitales pour
l‟habitant et elles renforcent la cohésion des réseaux d‟échanges réciproques, et ce, quelque
soit le type de compadrazgo –traditionnel ou contemporain- en pratique. La difficulté à parler
des compadres, avec le fait que le modèle tel qu‟il est présenté traditionnellement et sa
pratique effective, montrent une certaine ambivalence quant aux valeurs de cette institution
qu‟est le compadrazgo. Il est possible de reprendre l‟hypothèse de Lomnitz selon laquelle
l‟importance du compadrazgo provient du fait que les habitants de colonias paracaidistas
souffrent d‟un manque de sécurités et de relations verticales, telles que celles entre parrains et
filleuls, se trouvant eux-mêmes sur la dernière marche de l‟échelle sociale. Pour cela, les
habitants se replieraient sur des relations sociales égalitaires, telles que le compadrazgo et le
cuatisme. L‟élément masculin demeure important, malgré l‟extension du terme aux amitiés
féminines, par la patrilinéarité. Ainsi, l‟époux choisit généralement les compadres de la
famille. Cependant, on peut émettre l‟hypothèse, à l‟encontre de celles lues fréquemment, que
les réseaux sociaux impliquent une relation sociale significative entre les époux. Le cuatisme,
quant à lui, incarne le degré d‟amitié. Ainsi, selon les modèles théoriques, il existe trois
niveaux dans les relations d‟amitié : les amis (amigos) qui correspond à des personnes
connues avec qui les rapports sont cordiaux et dits amicaux parce qu‟il s‟agit d‟un ami ou
d‟un proche d‟un des cuates, mais auprès desquels la confiance n‟est pas suffisante pour
demander un servie ou une faveur ; il y a les très amis (los más amigos) qui sont ceux vus
assez fréquemment et avec qui le degré de confiance est suffisant pour échanger de petits
services ou faveurs. Enfin, les cuates (los cuates) sont les amis pourvus d‟une relation
spéciale, fréquemment chargée d‟émotivité et qui peuvent arriver à représenter la relation
interpersonnelle la plus intense. Les relations de cuatisme se divisent en différentes fonctions
et types, selon le degré d‟intensité de cuatisme. On trouve notamment le cuate de sport, le
cuate de discussions, le cuate membre de la famille (cela peut être un cousin, un neveu). Par
exemple au Reguilete, David, 25 ans, chauffeur de vélos-taxis et époux de Martha, et
Sebastián, 26 ans, leader de la colonia, sont cuates : ils s‟apprécient mutuellement, discutent
régulièrement ensembles de sujets personnels, ils s‟aident mutuellement durant leur temps de
repos, en particulier pour la construction ou la rénovation de leurs logement respectifs. Mais
un élément central des relations de cuatisme sont les beuveries. En effet, l‟alcool joue un rôle
particulier dans la relation de cuatisme : se saouler est considéré comme une marque de
confiance et de libération des carcans de discussion habituels. Les observations menées auprès
de groupes de cuates ont révélé une certaine agressivité verbale voire physique entre les
membres, et ce, quelque soit la colonia d‟origine. Il semblerait que ce soit un moyen de
décharger une agressivité indifférenciée réprimée tout au long de la journée et des relations
sociales. Par exemple, Victor, 32 ans, du Reguilete, m‟a invitée à assister à une après-midi
chez lui avec ses cuates. Outre la violence des relations de cuatisme, le rôle de l‟alcool a
également été observé. L‟un des cuates de Victor a expliqué : « avoir des amis signifie avoir

150
Discussion informelle avec Victor, colonia Reguilete. Propos recueillis par nos soins le 14 avril 2007 : “mis
cuates ? no veo el interés de hablarle de eso, no la verdad, lo siento. No quiero hablar de eso. Es personal”
confiance en eux, se saouler avec eux et être très ouverts à leurs confidences »151. De même,
un autre habitant de la colonia, don Agustín m‟a confié : « je ne bois jamais, c‟est pour ça que
je n‟ai pas d‟amis ». Selon Lomnitz, « les relations de cantine son importantes d‟un point de
vue social car elles s‟étendent dans d‟autres directions : par exemple, une proposition de
compadrazgo surgit fréquemment lors d‟une beuverie entre cuates. D‟un point de vue
psychologique, le fait de boire ensemble implique de se dépouiller de toutes les réserves
mentales, c‟est-à-dire remettre au cuate les clés de tous les secrets de l‟âme. C‟est une haute
marque de confiance »152. Parmi les personnes interrogées dans les trois colonias étudiées,
toutes ont la plupart de leurs cuates vivant près de chez eux. Dans le tableau ci-dessous, outre

LES CUATES

15

10 Voisins
Parents
5 Dans la colonia
0
Reguilete Cuesta Potrerillo

Tableau 5 : Groupes de cuates

les résultats énoncés précédemment, il est intéressant de voir qu‟au Reguilete la plupart des
cuates des enquêtés sont des voisins, la majorité venant de Santa Clara, tandis que 5 des 20
personnes interrogées dans la colonia ont répondu qu‟elles avaient des cuates à l‟intérieur de
la colonia. Cependant, on remarque qu‟au-delà de la forte cohésion politique passée du
Potrerillo, les groupes de cuates sont essentiellement extérieurs à la colonia. Quant à la
Cuesta, le résultat obtenu est plus conforme aux observations de terrain, puisque les groupes
de cuates sont nombreux dans la colonia, ce qui corrobore l‟hypothèse de la solidarité accrue
des habitants de la colonia, par rapport aux deux autres quartiers étudiés. Quels sont alors les
rapports entre les différentes formes de parentés et les réseaux sociaux ?
Enfin, il s‟agit de voir les usages de ces formes de parentés au sein des réseaux
sociaux. Quelles en sont les mécanismes dans les trois colonias observées? Pour répondre à
cela, il faut reprendre les réseaux d‟échanges réciproques. En effet, les réseaux d‟échanges
réciproques, qui sont les plus communs dans les trois colonias étudiées, n‟ont pas la même
stabilité au Reguilete, à la Cuesta et au Potrerillo. On observe par exemple que les réseaux
d‟échanges au Reguilete sont plus faibles que dans les deux autres colonias, même si au
Potrerillo les relations de cuatisme sont les plus faibles. L‟hypothèse pour expliquer cela est
que justement, l‟apport de relations nouvelles au sein des réseaux d‟échanges du Potrerillo,
intensifie l‟échange entre les habitants, face à de nouveaux échangeurs potentiels extérieurs.
Quant à la Cuesta, les réseaux d‟échanges réciproques semblent être les plus stables. Le
cuatisme et le compadrazgo, ainsi que les relations de voisinages dans une moindre mesure –
celles-ci agissant plus lors de situations d‟urgence, constituent des mécanismes dynamiques

151
Propos tenus lors de l‟observation du groupe de cuates de Victor ; propos recueillis par nos soins le 22 avril
2007 : “tener amigos significa confiarse en los otros, emborracharse con ellos y ser muy abiertos en sus
confidencias”
152
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 190
d‟extension des réseaux d‟échanges, car les beuveries entre cuates ne garantissent pas des
relations de confiance et d‟échanges.
Les différentes composantes des réseaux sociaux et personnels, tant les parentés
sanguines et symboliques, s‟entremêlent dans la pratique des réseaux, par leurs interactions
mutuelles. L‟importance de tous les constituants est majeure au sein des réseaux d‟échanges
réciproques, qui, eux, se trouvent à la base du politique dans les colonias étudiées. Quels sont
alors les effets de ces réseaux sur le politique ?

2. … aux réseaux politiques observés

Le politique est intrinsèquement mêlé aux réseaux d‟échanges réciproques par de


nombreux mécanismes, dont l‟un des plus intéressants est l‟existence de réseaux politiques.
Les réseaux politiques sont des réseaux affinitaires entre leaders et hommes politiques.
Quelles sont les caractéristiques de ces réseaux ?

a. Les pratiques clientélistes et le liderazgo (leadership)

Le jeu politique actuel tel qu‟il a été observé dans les trois colonias étudiées, se base
sur deux caractéristiques majeures : les pratiques clientélistes et le liderazgo. Quelles sont les
mécanismes politiques auxquelles elles donnent lieu ?
La première de ces caractéristiques est le clientélisme des relations politiques. Le
clientélisme se compose de relations de clientèle, basées sur les échanges de faveurs
personnifiés entre des individus aux ressources inégales. Les réseaux politiques s‟alimentent
d‟une forme particulière de clientélisme : « le clientélisme d‟échanges sociaux »153, c‟est-à-
dire des transactions durables et modulables s‟inscrivant dans le temps, dont l‟objet est de
nature sociale. Ces échanges visent surtout l‟attribution d‟un emploi et ses modalités
d‟exercice, l‟attribution d‟aides matérielles ou bien le soutien politique en faveur d‟une cause,
ici la régularisation des titres de propriété des parcelles occupées. Le clientélisme est, au
Mexique, une pratique nationalement répandue, faisant partie de la « culture politique
nationale »154. Ainsi, les grands partis usent de pratiques clientélistes de manière officielle et
instituée. Par exemple, les habitants interrogés des trois colonias ont tous fait part des visites
d‟hommes politiques dans leur quartier, en période électorale. La majeure partie du temps, ils
offrent des bons d‟achat aux habitants (despensas) ou des matériaux de construction.
L‟hypothèse émise ici est que les pratiques clientélistes contemporaines proviennent du
caciquisme, forme politique traditionnelle au Mexique155. En effet, le caciquisme se définit
comme une variante de patronage politique, en favorisant le relations informelles, ni légales ni
illégales, entre cacique et client, pour un échange de faveurs et d‟usages discrétionnaires des
ressources publiques, avec un plus ou moins haut degré de corruption et de fraude156.
L‟exemple classique du cacique s‟illustre à travers le leader du Reguilete, Oscar Dominguez

153
Padioleau (Jean-Gustave), « Le clientélisme local dans la société postindustrielle. L‟exemple du Parti
communiste français », L’État au concret, Paris, PUF, 1982, p 205-222
154
Rémond (René) (dir.), Pour une histoire politique, Paris, Seuil, 1988, 399 p : « système de référence commun
aux dirigeants, aux élus, aux militants et aux électeurs, qui assure la pérennité des formations au-delà des aléas
conjoncturels »
155
Rouquié (Alain), Amérique Latine : Introduction à l’Extrême-Occident, Paris, Seuil,1987, 439 p
156
Varela Ortega (José), Los amigos politicos, Madrid, Marcial Pons, 2001, 565 p
Guerrero. En effet, celui-ci rend service aux habitants qui le consultent en général pour la
régularisation des titres de propriété des parcelles qu‟ils occupent ; moins souvent, il peut être
question de relations conflictuelles avec un propriétaire qui loue le terrain ou l‟habitation. Les
réunions filmées d‟Oscar Dominguez Guerrero soulignent l‟importance des colonias
paracaidistas à Ecatepec : tous les dimanches, il organise dans son cabinet de consultations
trois réunions successives d‟une heure en théorie, où se présentent respectivement les
habitants de San Andres, ceux de Cerro Gordo et ceux du Reguilete. Durant ces réunions, le
cacique détient le quasi-monopole de la parole : il présente pendant une demi-heure voire
quarante minutes l‟état de la politique de la semaine et les différents projets de marches ou de
manifestations qui vont avoir lieu les semaines suivantes. Le discours est préparé à l‟avance,
avec un ordre du jour. Il répète les mêmes faits à chacune des trois réunions. Lorsqu‟il reste du
temps, il demande aux habitants s‟ils ont des questions. En échange de son aide, et en cela
apparaît la caractéristique du caciquisme, il obtient leur vote et leur soutien en faveur de son
parti politique ; il espère également se présenter dans quelques années aux élections de Santa
Clara où il vit et organise ses réunions.
La seconde caractéristique du politique au sein des colonias étudiées est la prégnance
du liderazgo, capacité d‟un individu à mener ou conduire d‟autres individus ou organisations
dans le but d‟atteindre certains objectifs. Ce liderazgo s‟organise de différentes manières. En
effet, on remarque qu‟à la Cuesta par exemple, le liderazgo, de Chano en particulier, est
charismatique. Il s‟agit d‟un líder et non d‟un cacique car il n‟y a pas l‟échange réciproque que
suppose le caciquisme, ni l‟usage discrétionnaire de ressources publiques. Tandis qu‟Irma et
Gina, les leaders du Potrerillo, sont à la marge entre le líder et le cacique. En effet, Irma
dispose de cette capacité à mener ou conduite d‟autres individus ou organisations, comme le
prouve notamment sa direction du FOPODI, mais elle dispose également de ressources
publiques, qu‟il s‟agisse des ressources dispensées par les hommes politiques qu‟elle côtoie.
Cependant, elle ne peut en disposer librement elle-même. Donc, même si elle a en apparence
plus de relations et de poids qu‟un cacique local qui est souvent soumis à se hiérarchie, elle
jouant sur différents fronts politiques et nouant des relations avec des hommes politiques de
partis différents, elle est leader et pas cacique. Il faut mentionner une hypothèse qui me
semble intéressante : les réseaux sociaux maintiendraient le cacique ou le leader dans leur
fonction et leur pouvoir. Selon moi, cela est plus complexe. Les réseaux sociaux
favoriseraient le leader ou le cacique quand la dynamique de groupe et quand les « micro-
leaders » à l‟intérieur du groupe des habitants lui sont favorables. Dans le cas contraire, les
réseaux sociaux nuiraient au pouvoir et à l‟influence du leader sur la colonia. C‟est ce que j‟ai
observé à Reguilete avec Oscar Dominguez Guerrero. Au début de l‟enquête, il y avait déjà de
fortes scissions au sein de la colonia entre les Indépendants, rejetant le leadership d‟Oscar
Dominguez et prônant l‟existence d‟un comité interne plus fort, les partisans du leader
politique du PRD, puis les entre-deux, certains « abstentionnistes dans le jeu », d‟autres
indécis et enfin certains désintéressés. Les relations entre Oscar et les membres du comité se
sont progressivement détériorées parce qu‟Oscar ne s‟est pas présenté à plusieurs rendez-vous
successifs que lui avait proposé Javier, un technicien de Tenencia de la Tierra. Ernestina a
mal pris ces deux rends-vous manqués car elle craint que cela ne leur porte préjudice, alors
que Javier s‟est proposé de les aider. Depuis qu‟Ernestina a décidé de ne plus aller à ses
réunions hebdomadaires à la mi-avril, elle qui était sa plus fidèle auditrice du Reguilete, le
groupe d‟habitants du Reguilete s‟est peu à peu délité et, depuis le dimanche 6 mai et jusqu‟à
la fin mai, aucun habitant du Reguilete ne s‟est présenté, hormis Sebastián le Président de la
colonia, qui est venu ensuite à une occasion. Comme il était seul, les deux hommes se sont
mis à discuter. Cela montre bien comment les réseaux sociaux peuvent également détrôner le
cacique, dans cet exemple, s‟il n‟assure pas la sécurité et la protection aux habitants qui le
soutiennent politiquement.

ORGANISATION POLITIQUE SELON LE GROUPEMENT DU


LEADER

Organisation
3

Réunions: Parole et Prise de


2
décision
Leadership cohésif
1

0
PRD EZLN FOPODI

Tableau 6 : Organisation politique selon l’appartenance politique du leader

Le tableau précédent présente trois traits caractéristiques du leadership, en fonction du parti


politique d‟appartenance du leader. Les résultats sont classés par ordre d‟importance, en
comparant chaque colonia avec les autres, le résultat le plus fort étant 3 et le plus faible 1. Ces
résultats donnent des informations intéressantes qu‟il faut tout de même prendre avec
prudence, la personnalité des leaders jouant pour beaucoup sur le liderazgo. Le premier trait
nommé « Organisation » renvoie à l‟organisation des leaders, si l‟organisation de leur
mouvement est structurée, socialement et politiquement intégrée au système politique
municipal voire fédéral. Ainsi, le graphique fait apparaître que, malgré les piteux résultats
pour la régularisation des titres de propriété des habitants du Reguilete, l‟organisation est un
point fort d‟Oscar Dominguez Guerrero, compte tenu du fait qu‟il fasse partie de l‟un des
partis les plus puissants de l‟État de Mexico. Cependant, le Potrerillo est la colonia dont
l‟organisation surpasse les deux autres, grâce aux réseaux de relations politiques des leaders,
malgré leur désengagement face aux habitants. La Cuesta est celle dont l‟organisation
politique est la plus bancale, compte tenu du fait que, certes, les leaders appartiennent à une
organisation nationale de renommée internationale, l‟Armée Zapatiste de Libération Nationale
(EZLN), mais ils n‟ont que peu de relations au sein de la municipalité et bien qu‟ils militent
beaucoup et sont politiquement plus actifs que les autres leaders et habitants des deux autres
colonias, les mobilisations se dirigent pour beaucoup vers d‟autres causes. Par exemple, les
causes qui mobilisaient les leaders durant l‟enquête était la défense des vendeurs ambulants de
Tepito, quartier du centre historique du District Fédéral. Le second trait concerne la prise de
parole et de décisions lors des réunions. La colonia qui est à la traîne est alors le Reguilete, car
Oscar Dominguez Guerrero a quasiment le monopole de la parole et la majeure partie du
temps de ses monologues est destiné à faire ce qu‟il appelle « le portrait de la politique »
hebdomadaire (el retrato de la politica), ce quine touche pas les habitants. C‟est, par ailleurs,
l‟une des raisons du rejet de certains habitants de son leadership : la « propagande partisane ».
Comme l‟a expliqué David : « j‟aime pas ses réunions. J‟y vais plus car il nous prend pour des
imbéciles. Ce qu‟il raconte, on pourrait très bien le lire dans le journal ; ça m‟intéresse pas,
moi, et en plus il fait rien pour nous »157. Enfin, le troisième trait se réfère au caractère cohésif
du leadership. Sans surprise, cette fois-ci, aux vu de tous les éléments qui ont été amené tout
au long de cette étude, la colonia Cuesta est la plus cohésive tandis que le Reguilete, compte
tenu de toutes les dissensions politiques qui la composent est la plus fragmentaire, et le
Potrerillo se trouve au milieu compte tenu de la décohésion actuelle de certains habitants qui
commencent à critiquer les choix faits par les leaders, Irma et Gina.
Pour bien comprendre la situation du Potrerillo, il est question d‟analyser la situation
du terrain qui comporte un double intérêt heuristique : au-delà de la description
ethnographique, le cas du Potrerillo se compose de réseaux politiques, économiques et
mafieux, imbriqués dans les réseaux sociaux. Quels sont les jeux spéculaires et
d‟enchâssement au Potrerillo ?

b. Des réseaux dans les réseaux : jeux spéculaires et d’enchâssement


au Potrerillo

Les réseaux qui sous-tendent la situation des habitants du Potrerillo, sont multiples et
complexes. Pour comprendre la situation, il est nécessaire d‟expliciter la situation du terrain et
des habitants, afin d‟analyser l‟emboîtement des réseaux qui le sous-tendent.
La situation du terrain et des habitants du Potrerillo est complexe. En effet, d‟un point
de vue strictement juridique, la colonia n‟est pas paracaidista, puisque le terrain est une
propriété privée et que le propriétaire du terrain a conclu des accords avec les leaders.
Cependant, les habitants vivent comme des paracaidistas car les leaders les font bouger de
terrains en terrains. Pour entrer plus en avant dans cette situation, il faut voir l‟organigramme
des leaders du Potrerillo et de toute l‟organisation politique de la colonia. Irma Noyola est le
sommet de l‟organisation du Potrerillo. Elle est souvent secondée ou accompagnée par sa fille
Gina. Ne vivant pas au Reguilete, elle y a des suppléantes, des personnes dignes de confiance
qui la relayent et la secondent. Il s‟agit de Cecilia et de Carmelita. Cette dernière surveille les
entrées et sorties dans la colonia, fermée par un mur d‟enceinte et dont l‟unique entrée est un
portail métallique, fait à partir de matériaux de récupération. Elle se charge également des
petits problèmes quotidiens des habitants. Cecilia, quant à elle, s‟occupe des tâches
administratives : elle détient les registres des habitants, leurs noms et leurs nombres par
habitation, ainsi que les cotisations auxquelles ils ont participé et celles pour lesquelles ils
participent. Plusieurs personnes qui vivent près de la colonia y rendent régulièrement visite,
en moyenne une fois par mois, tant pour y apporter des vêtements et des denrées alimentaires,
comme Julia, habitant à quelques rues du terrain, ou bien pour prêter main forte aux leaders et
leur rendre des visites de courtoisie, comme le fait Socorro, dite « Coco », qui vit à deux cents
mètres du Potrerillo. Irma est une femme de presque 50 ans, avec beaucoup de caractère et de
poigne. Elle refuse catégoriquement de se faire photographier et filmer. Quels sont les réseaux
qu‟elle a tissés autour d‟elle et qui expliquent cette paradoxale situation ?
Pour démêler cette situation, il a fallu moi-même utiliser mes réseaux sociaux, créer
des contacts, afin de pouvoir obtenir des informations qui m‟étaient refusées par les leaders du
Potrerillo. C‟est avec l‟appui du Député du PRD, Salvador Ruiz Sánchez, et des membres de
son cabinet, que les informations nominatives ont pu être obtenues. Le terrain est donc privé,

157
Propos tenus le 22 avril 2007 par David, habitant du Reguilete : “no me gustan sus reuniones. Ya no voy
porque nos toma para idiotas. Lo que dice, se puede leer en el periódico ; a mi no me interesa y además el no
hace nada para nosotros”
appartenant à celui que les habitants appellent « el dueño de los hoteles » (le propriétaire des
hôtels), c‟est-à-dire à Jorge Torres Rodriguez, ancien Maire d‟Ecatepec entre 1997 et 2000,
appartenant au PRI, et propriétaire de plusieurs hôtels dans la commune. Irma a monté, il y a
quinze ans cette année, une association civile, le FOPODI, sur les conseils de leaders
politiques du PRI, dont elle n‟a pas voulu révélé le nom. Le terrain est habité depuis 15 ans
par certains habitants, ceux du début étant partis, sauf Chelito, femme de 58 ans, qui y vit
depuis douze ans. La plupart y sont depuis environ cinq à six ans, les plus récents, comme
Veronica, étant arrivés en mars 2007. Depuis quelques années, la municipalité étant de plus en
plus aux mains de leaders du PRD, les choix politiques se troublent un peu. Ainsi, Irma
affiche une grande déférence envers le Député Ruiz Sánchez, du PRD, parti au pouvoir
actuellement dans la municipalité depuis 2006. Les entretiens avec les habitants, dont les
noms ne seront pas révélés afin de préserver leur anonymat et éviter ainsi toute forme de
représailles, ont révélé que les leaders déplacent les habitants selon les intérêts et les projets
politiques. Le réseau politico-économique est le suivant : lorsqu‟un terrain public est identifié
comme sans propriétaire ou bien qu‟il n‟y a pas de document officiel attestant la propriété
d‟une ou plusieurs personnes ou entreprises, les fonctionnaires publics les plus proches de la
gouvernance municipale l‟ajoute à la liste périodiquement actualisée des terrains disponibles.
Lorsque le gouverneur d‟Ecatepec nécessite ou sollicite une faveur auprès d‟un homme plus
haut placé, il va lui proposer, entre autres, l‟acquisition gratuite, immédiate et sans démarches
administratives de sa part, un terrain disponible dans sa municipalité. Les anciens maires
disposent tous de leurs prés carrés. Les fonctionnaires municipaux peuvent même inclure dans
le cadeau une communauté de personnes habitant le terrain de manière précaire, sans aucun
risque de rébellion ni de problèmes politiques grâce à l‟intervention des leaders, et permet
d‟engranger des revenus réguliers. Au-delà de la population mobilisable et soumise
socioéconomiquement que représentent des paracaidistas, les propriétaires du terrain
reçoivent toutes les semaines de l‟argent provenant des droits perçus par les leaders et qu‟ils
lui reversent, tout en prélevant un pourcentage qui leur revient. Ou bien, les leaders des
paracaidistas font se déplacer les habitants sur des terrains appartenant à leurs contacts, qu‟il
s‟agisse de fonctionnaires ou de politiques, dont les terrains vacants pour le moment
recherchent soit une occasion de vente intéressante soit des fonds de financement pour un
projet immobilier. Lorsque le projet est élaboré, les paracaidistas sont chassés et un autre
terrain est proposé aux leaders. Une des habitantes du Potrerillo m‟a confié qu‟elle en avait
vraiment assez, car en 6 ans, c‟est la quatrième fois que les leaders la font déménager. Elle
m‟a confié que son mari et elle ont décidé de quitter le réseau lorsqu‟ils seront obligés de
quitter le Potrerillo, ce qui est normalement prévu pour le mois de septembre 2007.
Ce cas original par rapport aux situations des autres colonias introduit une thématique
importante : les relations de pouvoir.

3. Les relations au pouvoir

Les réseaux sociaux et personnels s‟articulent autour de la notion de pouvoir qui est la
base même du politique. Le pouvoir est à la fois un médian propre au fonctionnement tant des
réseaux sociaux que du politique, mais aussi une fin visée, ou une ressource à laquelle on
essaie d‟avoir accès. Le pouvoir est considéré, dans une perspective foucaldienne, comme un
insubstant, un jeu relationnel, étudié ici dans les relations entre les habitants, entre les
habitants et leurs leaders ou leurs caciques, ainsi qu‟entre ces différents acteurs et les
fonctionnaires des différentes administrations auxquelles ils peuvent avoir à faire. Quelles
sont alors les relations entre les sociabilités et le politique autour de cette notion de pouvoir ?
Quels sont les mécanismes de ces relations ? Enfin, quelles sont les relations des habitants aux
pouvoirs en place ?

a. Le pouvoir : entre les sociabilités et le politique

L‟enjeu de cette sous-partie est de déterminer les mécanismes de pouvoir communs


aux sociabilités et au politique : quels sont les processus du pouvoir communs aux réseaux
sociaux et au politique ?
Le pouvoir étant défini ici dans son acception foucaldienne de « capacité d‟un
individu A d‟agir sur un individu ou un groupe B », la définition comprenant l‟accès à cette
capacité d‟agir et l‟exercice de cette qualité158. Concrètement, il s‟agit de toutes les actions ou
décisions qui permettent à un habitant, à un leader ou à un homme politique, en lien avec
l‟une des colonias étudiées, d‟influencer les actions, décisions ou les comportements d‟autres
habitants, leaders ou bien hommes politiques. Lorsque la police montée, à la demande de la
municipalité, a tenté en vain d‟expulser les habitants, lors de l‟incendie qui a ravagé la Cuesta
en mars 2005, le rapport de force s‟est avéré être en faveur des habitants. En effet, c‟est à la
suite de cet incendie que la situation et la lutte des habitants s‟est fait connaître dans toute la
république, que certaines associations comme la Croix-Rouge, sont venues apporter de l‟aide
d‟urgence, en particulier des couvertures, aux habitants, et que la population a été fortement
soutenue. Lors d‟un discours tenu par le Sous-commandant Marcos en mai 2005, lors de son
passage à Mexico, il a souligné « le courage des habitants de la Cuesta »159. Le pouvoir est
l‟enjeu de la politique car, comme l‟écrit Marc Abélès, on se trouve dans le « champ de
forces » des « rapports de force » politiques, dans « la compétition pour acquérir cette capacité
d‟agir sur, la rencontre entre des pouvoirs qui s‟exercent simultanément ». Tandis que les
réseaux sociaux se basent également sur ces rapports de force, par exemple par le biais du
leadership et du caciquisme. Le politique au sens large défini dans cette étude, est donc
encastré dans les réseaux sociaux.
Un autre point commun de ces deux notions, articulées autour du pouvoir, est la mise
en représentation : « dans les démocraties modernes, le rapport de force est mis en spectacle
avec une certaine volupté »160, alors que les réseaux sociaux constituent l‟utilisation de la mise
en représentation de ces rapports de force. Les exemples en sont nombreux dans les trois
colonias. Les illustrations les plus courantes concernent la sollicitation par les leaders ou les
habitants d‟une des trois colonias, de l‟aide ou du soutien d‟un homme politique influant ou
reconnu. Par exemple, les sollicitations de la part de certains habitants du Reguilete, de l‟aide
d‟Oscar Dominguez Guerrero, dans l‟espoir de faire régulariser leurs titres de propriété des
parcelles de terrain occupées, participent de ces mécanismes de représentation et de mise en
représentation, qui jouent à la fois des réseaux sociaux et du politique. Ainsi, des habitants
ont pris connaissance des réunions hebdomadaires organisées par le leader politique, parce
que celui-ci a été l‟objet d‟une représentation sociale locale de son pouvoir. C‟est parce qu‟il
est reconnue localement comme un homme de pouvoir que des paracaidistas le consultent.
Inversement, la sollicitation de son soutien passe par une mise en scène politique d‟autant plus
importante au Mexique qu‟elle est culturelle : les rapports de loyauté, voire de vassalité. En

158
Abélès (Marc), Anthropologie de l’État, Paris, Payot, 2005, Chapitre 2
159
Discours tenu le 6 mai 2006 à San Cristobal, centre d‟Ecatepec de Morelos
160
Abélès (Marc), ibidem, p 88
demandant son aide, les habitants acceptent, de manière tacite, de lui apporter leur soutien
politique et électoral. Ainsi, Oscar Dominguez Guerrero ne leur demande pas s‟ils veulent ou
non leur carte d‟adhérent au PRD, mais il la leur fait faire et le leur remet. Un problème se
greffe à cette mise en représentation du pouvoir : « le pouvoir en représentation pourrait bien
nous masquer la représentation du pouvoir qui modèle le rapport de force »161. Dans nos trois
colonias, cela renvoie au pouvoir des leaders qui est conçu et accepté comme naturel, à
l‟instar des royautés africaines étudiées par Marc Abélès, alors qu‟il s‟agit d‟une construction
sociale. Cette qualité apparemment naturelle confère au leader une suprématie qui combine à
la fois force coercitive et sacré, son pouvoir apparaissant alors comme quelque chose
d‟inexplicable et d‟inné, de naturel. Par exemple, lors d'une discussion avec Irma, leader du
Potrerillo, à la question « pourquoi, selon vous, êtes-vous considérée par les habitants comme
une leader ? », sa réponse a été : « je ne sais pas, j‟ai une force et une volonté qui m‟ont fait
réussir et c‟est peut-être ce que les gens ont vu »162.
Après avoir analysé les deux mécanismes de pouvoir principaux qui relient les réseaux
sociaux au politique, il s‟agit d‟analyser les enjeux de pouvoir, c‟est-à-dire les différents
attributs de pouvoir en jeu dans les relations dans les réseaux sociaux en pratique dans le
politique. Quels sont ces enjeux ?

b. Enjeux de pouvoir(s)

Les enjeux de pouvoir et des pouvoirs sont ici pris dans le sens des principaux attributs
du pouvoir qui entrent en ligne de compte dans la relation entre les réseaux sociaux et
l‟organisation politique au Reguilete, à la Cuesta et au Potrerillo. Quels sont les enjeux de
pouvoir(s) ?
Le premier type d‟intérêt est matériel, il s‟agit de l‟allocation de ressources. En effet,
les réseaux sociaux comme la pratique politique visent à obtenir l‟accès à des ressources.
L‟une d‟entre elle est le pouvoir économique et pécuniaire. Comme le souligne le tableau

REVENUS MOYENS

16000
14000 Couple
12000 Homme
10000 Femme
8000 Leader
6000 Homme
4000 Femme
2000 Total
0
Reguilete Cuesta Potrerillo Total

Tableau 7 : Revenus moyens des habitants et des leaders par colonia

161
Abélès (Marc), op. cit, p 88
162
Propos recueillis lors d‟un entretien téléphonique réalisé le 8 mai 2007 : “no sé, tengo una fuerza y una
voluntad que me hicieron salir adelante, es quizás lo que la gente tomñ en cuenta”
suivant, il y a des disparités entre les revenus des habitants et des leaders des trois colonias
étudiées. Le tableau présente d‟une part, les revenus moyens des habitants (couple, puis pour
un habitant homme, une habitante femme) par mois, puis ceux des leaders, en distinguant
ceux d‟un leader homme et eux d‟un leader femme. Cette distinction par sexe permet de faire
ressortir de significatives disparités de revenus entre hommes et femmes au sein de chacune
des trois colonias. Par exemple, les revenus qui se détachent le plus de ceux des autres sont
ceux d‟Oscar Dominguez Guerrero, leader du Reguilete. Mais cela provient du fait qu‟il soit
avocat et travaille en tant que tel. Pour cela, ces revenus atteignent les 15000 pesos nets
(environ 1000 euros), alors que les revenus moyens des leaders des deux autres colonias ne
dépassent pas les 11750 pesos par mois. Les leaders dont les revenus sont les plus bas, sont
ceux de la Cuesta, avec des revenus d‟environ 8000 pesos par mois pour chacun d‟entre eux.
Cela est lié au fait qu‟aucun d‟entre eux n‟a un travail fixe, en-dehors de ses engagements
politiques. Chano perçoit une pension pour avoir été fonctionnaire dans le District Fédéral,
ainsi qu‟un loyer pour une maison qu‟il loue, tandis que Leti reçoit de l‟argent de la part de
ses enfants qui, tous vivent avec elle, soit deux filles et un fils, ainsi que de ses deux gendres.
Concernant les revenus par habitant, ceux-ci sont relativement proches, mais on remarque une
légère supériorité des revenus des habitants du Potrerillo. L‟hypothèse émise ici est que cela
dépend de la localisation de la force du travail : les habitants du Potrerillo profitent de la
proximité du centre-ville d‟Ecatepec qui fait augmenter les salaires pour le même travail, à
compétences et horaires égaux, alors que le Reguilete et la Cuesta sont plus excentrés,
jouxtant le village de Santa Clara. De plus, les chiffres tiennent compte des revenus des
personnes sans emploi ou sous-employées, plus nombreuses au Reguilete, ce qui contribue à
faire baisser la moyenne des revenus par habitant ou par couple dans chaque colonia. La
moyenne des revenus par couple, c‟est-à-dire l‟unité de base de la cellule domestique, est
comprise entre 6000 et 7750 pesos par mois. Les revenus pour un homme sont quasiment
identiques partout, car ils travaillent généralement sur les mêmes chantiers ou dans de grandes
fabriques où les salaires s‟équivalent. Un homme gagne généralement 4000 pesos par mois.
Notons ici que les salaires sont versés à la semaine ou à la quinzaine, le découpage mensuel
visant uniquement à aider le lecteur à se faire une idée concrète du niveau des salaires et du
niveau de vie des habitants des trois colonias envisagées. Un homme est généralement payé
par semaine, soit 1000 pesos, afin de pouvoir faire vivre quotidiennement sa famille. Les
disparités de revenus entre habitants concernent plus les femmes, dont les revenus au
Reguilete surtout, mais aussi dans une moindre mesure à la Cuesta, sont sensiblement
inférieurs à ceux des femmes du Potrerillo. Ces résultats s‟expliquent par le grand nombre de
femmes sans emploi ou femmes au foyer dans chacune de ces deux colonias. Les enjeux de
pouvoirs ne sont pas que pécuniaires. Quels sont les autres attributs de pouvoirs et
ressources en jeu ?
Les autres attributs en jeux sont de différentes natures. Ceux envisagés ici concernent
le pouvoir. En effet, le pouvoir des leaders contient divers attributs qui peuvent être
charismatiques, traditionnels ou bureaucratiques. Sans entrer plus en détail dans la si fameuse
théorie wébérienne des sources du pouvoir, il faut noter l‟importance du charisme dans la
constitution de réseaux sociaux et dans l‟obtention de responsabilités politiques et
médiatiques –le second étant très lié au premier, lorsqu‟il y a charisme à la base du pouvoir
politique. Ainsi, les thèses de «Psychologie de la Multitude », prônées notamment par LE
Bon, Taude ou Sighele, expliquent que les processus d‟influence d‟un leader sur les
populations qui le suivent, passent par deux phénomènes distincts que sont la suggestion
collective et l‟identification des masses en le leader qui représente alors le « super-moi », ce
qui génère toute une dynamique collective. Par exemple, le pouvoir charismatique de Chano
est flagrant et explique en grande partie la teneur cohésive du leadership exercé à la Cuesta.
En effet, son charisme, outre le physique impressionnant et l‟allure carrée du personnage, âgé
d‟une cinquantaine d‟année et marchant déjà avec une canne à la suite d‟un accident, provient
également des valeurs politiques qu‟il revendique. Le EZLN bénéficie au Mexique d‟un
véritable capital de sympathie au sein des populations, en particulier urbaines, et d‟autant plus
dans les quartiers d‟habitat précaire où les thèmes de « lutte sociale » et de « résistance
politique » sont majeurs. Se réclamant par ailleurs de ce mouvement révolutionnaire, il se
place dans la droite ligne de l‟héritage laissé en particulier par deux personnages-clé de la
cosmogonie politique mexicaine : Emiliano Zapata et Che Guevara.
Ces personnages sont présupposés suffisamment connus, même par des non
hispanophiles pour envisager maintenant les mécanismes et les pratiques relationnelles des
habitants avec les pouvoirs en place. Quels sont les processus relationnels à l‟œuvre ? Comme
cela a été démontré tout au long des paragraphes précédents, les relations des habitants des
colonias étudiées envers les fonctionnaires municipaux, et l‟autorité en général, sont marquées
par une profonde déférence. Il a été vu que les habitants préféraient notamment utiliser des
stratégies d‟établissement de relation et d‟humilité envers les fonctionnaires, comme leurs
patrons, que des techniques de protestation et de revendication. Cela expliquait notamment les
faibles taux d‟affiliation à des associations, en particulier politiques et syndicales, au sein du
Reguilete, de la Cuesta et du Potrerillo. Qu‟en est-il du côté des fonctionnaires ? Quels sont
les mécanismes relationnels qui lient les habitants et les pouvoirs en place ? Différents
services administratifs municipaux et organes politiques fédéraux ont été fréquentés pour les
besoins de l‟enquête, permettant ainsi de mettre en pratique le paradigme méthodologique
d‟Everett Hughes selon lequel l‟étude des catégories les plus marginales
socioéconomiquement de la population doit se faire en lien avec celle des plus intégrées. Il a
donc fallu se rendre au Registre de Cadastre (Registro catastral à la Tesoreria Municipal)
pour connaître les formes sous lesquelles étaient connues les trois terrains étudiés, à la Mairie
(Palacio de Gobernación de Municipio) pour avoir plus de renseignements sur les colonias et
les politiques urbaines municipales, au service de Tenencia de la Tierra pour rencontrer des
fonctionnaires traitant directement avec les habitants et les interroger, les trois services étant
situés à San Cristobal Ecatepec, puis à la Chambre des Députés afin de faire les entretiens de
plusieurs Députés qui passent dans les trois colonias qui sont l‟objet de cette étude. Il a même
été possible d‟accompagner une délégation d‟habitants du Reguilete, concrètement Ernestina
et sa sœur Paola, à une réunion organisée à Tenencia de la Tierra avec le Directeur du Service,
Estéban. Ces différents matériaux d‟enquête ont fait ressortir différents mécanismes
relationnels des fonctionnaires envers les habitants. Le premier de ces mécanismes consiste à
renvoyer la responsabilité administrative d‟une décision d‟un service à un autre, qu‟il s‟agisse
de la régularisation des titres de propriété ou de la fourniture d‟infrastructures sécurisant les
réseaux électriques. Par exemple, pour ce qui concerne l‟installation d‟un compteur électrique
dans la colonia Reguilete. Les représentants des habitants ont demandé à des fonctionnaires de
Tenencia de la Tierra, compte tenu de l‟importance du service pour l‟avancement de la
situation de la colonia et des moyens matériels dont il dispose, s‟il leur était possible d‟obtenir
l‟autorisation officielle voire une aide matérielle ou financière afin d‟installer un compteur
électrique permettant d‟obtenir une électricité plus sûre et de meilleur calibrage que
l‟électricité actuelle. Les techniciens de Tenencia de la Tierra ont débouté leur demande en
invoquant le fait que la colonia appartenait à la zone de réserve de l‟autoroute Mexico-
Pachuca et que, de ce fait, la demande était du ressort de l‟État de Mexico. Les habitants de la
Cuesta connaissent d‟autres cas de figure. Par exemple, ils organisent régulièrement des
manifestations et des protestations face à la Mairie d‟Ecatepec, à San Cristobal, pour dénoncer
leur situation tant juridique que quotidienne. Cependant, les réponses qui leurs sont
fréquemment données par les fonctionnaires municipaux est que la responsabilité leur
incombe à eux, les habitants, même s‟ils ont été les victimes d‟une escroquerie, pour
continuer à vivre en-dehors de la légalité sur un terrain paracaidista. Ce cas de figure
s‟apparente aux opérations « ceux qui prennent », décrites par Tom Wolf en 1960 : le travail
de « celui qui prend » dans une administration est de supporter l‟hostilité et l‟humiliation, tout
en faisant comprendre aux visiteurs qu‟il ne peut engager la responsabilité de ses supérieurs ni
celle de l‟administration dans son ensemble163. Il s‟agit donc d‟une stratégie de manipulation
des réseaux visant à limiter les contacts.
Les réseaux sociaux sont intrinsèquement liés à l‟organisation politique des colonias
étudiées, tant par les objectifs qu‟ils visent, comme l‟accès à des ressources spécifiques, que
leurs mécanismes de fonctionnement, tels que le recours au pouvoir et aux rapports de force
ou bien les opérations « ceux qui prennent ». Le politique est inséparable du social au
Reguilete, à Cuesta et à Potrerillo. Quelles sont alors les aspects de l‟encastrement du
politique dans les réseaux ?

C- Mythes du politique et réalités des réseaux encastrés

Les aspects d‟encastrement du politique dans les réseaux, et des réseaux politiques au
sein des réseaux sociaux, sont nombreux. L‟un des aspects déjà esquissé, concerne les réseaux
d‟échanges réciproques. Ces réseaux ont été envisagés dans leur dimension sociale. Il s‟agit
maintenant de voir, dans leurs dimensions économiques et politiques, les soubassements
sociaux qui les meuvent. Au-delà de cet exemple particulier, il s‟agit de se demander : quelle
est alors la spécificité de l‟encastrement et du découplage du politique et des réseaux, dans les
trois colonias paracaidistas étudiées à Mexico ? Cette question amène également à envisager
l‟encastrement des activités exercées dans ces quartiers, les activités tant professionnelles
comme celle des maçons qui travaillent à l‟intérieur de la colonia, que les activités
économiques en général par les petites épiceries qui s‟y trouvent, voire même les activités
récréatives ou culturelles, comme l‟organisation d‟événements ou de fêtes. L‟encastrement,
avec les différents systèmes de parentèle (symboliques ou matrimoniales) sont majeurs dans
l‟organisation de ces quartiers dont l‟organisation des activités dépend de réseaux familiaux
élargis voire symboliques. Du point de vue de la territorialité, ces théories permettent de
prendre en compte l‟importance des pratiques de l‟espace, des croyances et des
représentations qui y sont rattachées, en particulier tous les jeux autour de
l‟institutionnalisation d‟un quartier par l‟installation d‟infrastructures par ses habitants (eau,
gaz, électricité) et ceux sur la régularisation de ces colonias paracaidistas.

1. Encastrement et découplage des activités dans le relationnel

La première hypothèse est que l‟encastrement croissant des activités dans le relationnel
engendre la multiplication des cercles d‟appartenance et l‟hétérogénéité des réseaux, ainsi que
leur extension, ce qui amène ces derniers à accorder une place plus importante à
l‟individualité et à l‟action individuelle, par rapport à des réseaux homogènes ou à des cas de
faible différentiation sociale dans les cercles sociaux d‟appartenance. L‟impact du politique

163
Hannerz (Ulf), « A quoi servent les réseaux », Explorer la ville, Paris, Editions de Minuit, ch. 5
sur ces réseaux est justement la multiplication des cercles d‟appartenance et, donc, des
ressources engagées. Pour illustrer la multiplicité des appartenances et des ressources, le fait
que les habitants du Reguilete aient cherché l‟aide d‟Oscar Dominguez Guerrero, un avocat
appartenant à un parti politique, en l‟occurrence au PRD, et qu‟ils assistent chaque semaine à
ses réunions, constitue un nouveau cercle d‟appartenance et favorise l‟hétérogénéité des
réseaux. Cultiver parallèlement le lien amorcé avec Javier de Tenencia de la Tierra contribue
à diversifier les ressources sociales engagées dans l‟action politique en faveur de l‟obtention
de meilleures conditions de vie dans la colonia et la sécurité de la propriété.
Il en découle une deuxième idée-force pour cette étude : l‟ancrage territorial des
habitants, conçu de prime abord comme un facteur limitant l‟action politique et les marges de
manœuvre, apparait ici comme un dispositif permettant l‟accès à des ressources. Suivant la
logique précédente, la « multiterritorialité »164 et le jeu des acteurs sur les différents cadres
spatiaux qu‟ils fréquentent, offriraient des opportunités d‟action plus nombreuses que dans le
cas d‟appartenances territoriales uniques ou faiblement différenciées. Deux concepts semblent
alors importants : ceux de « trajectoire individuelle »165 et de carrière166 qui ajoute la
perception des acteurs de leur évolution. Ces concepts amènent à envisager les choix et les
décisions prises par les enquêtés, dans des configurations et des situations d‟incertitude. Ces
concepts permettent de lier à la fois l‟impact des réseaux, par exemple dans le choix de la
colonia par certains habitants parce qu‟ils y ont de la famille ou des proches, et l‟individualité
des acteurs, c‟est-à-dire la prise de décision en fonction de ce qui apparaît dans une situation
donnée, à un moment précis, le plus important, entre le risque, l‟incertitude et l‟objectif visé.
La tanda (litt. : le tour, renvoyant à un système d‟autofinancement) illustre l‟encastrement du
politique et de l‟économique dans les réseaux sociaux, tout en soulignant l‟individualité que
propose la multiplicité des cercles d‟appartenance. En effet, la tanda se compose
généralement d‟un groupe de quatre à cinq membres. Chaque membre s‟engage à verser
chaque semaine la même somme d‟argent. Au bout de quatre à cinq semaines, un participant
va recevoir la somme économisée afin de pouvoir l‟investir et la faire fructifier. Puis, les
participants vont de nouveau économiser quatre à cinq semaines et à nouveau le remettre à un
autre participant. Et le système va continuer ainsi jusqu‟à ce que tous les participants aient
reçu leur part. La tanda constitue un modèle d‟encastrement car les relations sociales, qui
exigent des relations longues de confiance et de sécurité, sont la base d‟un système
économique de financement, mais aussi de politique coopérative. En général, ce système
s‟adresse à des familles souhaitant agrandir leur habitation ou la rénover, à de jeunes couples
souhaitant s‟installer dans leur habitation propre, ou bien à des familles devant organiser une
cérémonie sacro-rituelle comme la fête des quinze ans d‟une de leurs filles (fiesta de
quinceañera), un baptême ou une confirmation.
Les pratiques de l‟échange au sein des réseaux sociaux favorisent la cohésion sociale
et instituent des formes d‟inclusions/exclusions au sein des réseaux, dont l‟encastrement des
activités conserve un caractère familial voire local très fort. Comment expliquer cet
encastrement croissant des activités ?

164
Chamboredon (Jean-Claude), « L‟appartenance territoriale comme principe de classement et
d‟identification », Identité locale, Identité professionnelle, Sociologie du Sud-est, Paris, Éditions ENS, 1985, p
61-82
165
Bourdieu (Pierre), Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, chapitre 3 « Pour une
science des œuvres », extrait distribué dans le séminaire « Introduction aux méthodes de la recherche », 2e année
du diplôme de Sciences Po Toulouse : « "choix personnels" effectués dans un contexte social défini avec un
capital économique, social et culturel déterminés mais qui les dépassent »
166
Hughes (Everett, C), Le regard sociologique. Essais choisis, Paris, Éditions de l‟EHESS, 1996, 344 p
2. La global-politique : un facteur explicatif ?

L‟hypothèse émise est que l‟économie de survie propre aux colonias paracaidistas, la
« survivance », engendre l‟encastrement des activités politiques dans les réseaux sociaux.
Cependant, l‟économie de survie trouve son pendant politique dans le « global-politique » tel
qu‟il est défini par Marc Abélès, c‟est-à-dire la nouvelle scène globale des relations politiques.
En quoi le global-politique influe-t-il sur l‟encastrement des réseaux sociaux ? Quels sont les
mécanismes du global-politique qui contribuent à encastrer économie de la survie et politique
dans les réseaux sociaux ?
L‟économie de la survie, est à la fois ce qui engendre l‟encastrement des activités dans
les réseaux sociaux, mais aussi un élément constitutif du global-politique. En effet, le global-
politique constitue la « conjugaison de modalités d‟actions qui se déploient à l'échelle de la
planète et nous projettent dans un régime d'anticipation »167. Ce régime d‟anticipation génère
une angoisse collective qui alimente la survivance, dont le pendant économique est
l‟économie de la survie. Cette économie renforce, en outre, l‟importance des réseaux sociaux
dans les trois colonias observées. Plusieurs exemples concrets ont été observés, notamment le
fait que, lorsqu‟une famille n‟a plus d‟argent pour terminer son mois, pas même pour les
denrées alimentaires, la mère de famille demande de l‟aide auprès de ses amies ou de ses
parents habitant la colonia. L‟aide demandée est généralement matérielle et non pécuniaire.
Cet exemple souligne l‟encastrement de l‟économique dans le social. Durant le temps de
l‟enquête, il n‟a pas été observée d‟aide financière entre habitants. De nombreux échanges de
faveurs et de services ont pu être notés, cependant aucune aide pécuniaire n‟a été aperçue,
bien que les entretiens aient révélé que certains habitants aient bénéficié d‟aide financière
provenant généralement d‟un ou de plusieurs membres de leur famille, dans un passé proche
ou lointain.
L‟encastrement des activités politiques dans les réseaux sociaux engendre un second
mécanisme qui est la prolifération de « lieux de gouvernance hybrides »168, c‟est-à-dire des
lieux de gouvernance169 où se mêlent des agents mandatés et des mandants principaux, au sein
des trois colonias envisagées. La gouvernance étant, quant à elle, l‟ensemble des procédures
octroyant un droit de regard sur les organismes par ceux qui les ont mandatés, elle se réfère
aux modes de gestion politiques des collectivités de chacune des trois colonias. Les exemples
de cette multiplication des « lieux de gouvernance hybrides » sont variés. Au Reguilete, la
gouvernance hybride se caractérise par la montée en puissance du comité d‟organisation
interne, réclamé de plus en plus fortement par une majorité d‟habitants afin d‟avoir une vision
d‟ensemble des démarches effectuées en faveur des diverses demandes politiques émises. La
gouvernance demeure hybride car le cacique local, Oscar Dominguez Guerrero, continue
d‟avoir de l‟influence sur certains membres de la communauté, et une certaine ascendance sur
les actions menées ou non par les habitants. Au Potrerillo, la gouvernance hybride s‟illustre à
travers la propagation croissante d‟informations sur la situation réelle du terrain. Ainsi, ce
n‟est que depuis janvier, lors de l‟opération bulldozer, qui a chassé plusieurs centaines de
familles, que les habitants ont exigé d‟obtenir plus d‟informations sur les plans réels des

167
Abélès (Marc), Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006, « Introduction »
168
Catel Duet (Aurélie), « Les groupes de sociétés comme lieux de gouvernance hybride », présenté dans le cadre
du séminaire EHESS de Zalio (Pierre-Paul), Activités économiques, mondes sociaux et territoires, année 2006-
2007
169
Le Galès (Patrick), Lascoumes (Pierre) (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po,
2004, 370 p
leaders et le futur de la colonia et des habitations. Depuis, les habitants ont appris qu‟ils
allaient tous être chassés du terrain d‟ici septembre car il y a un projet de construction
d‟immeubles orchestré par le propriétaire. Cependant, les leaders leur proposent un
relogement dans des habitations précaires à Xiconantla, village dans l‟État de Morelos, donc
hors de l‟État de Mexico.
Les exemples précédents d‟encastrement des activités dans les réseaux ont fait ressortir
le rôle majeur de l‟économie et de figures économiques et politiques telles que d‟anciens
maires d‟Ecatepec ou de grands investisseurs hôteliers dans les colonias étudiées. Quelles sont
alors les processus relationnels liant les grandes figures économiques et politiques rencontrées
sur le terrain ?

3. L’importance de l’économie et la figure de l’entrepreneur biopolitique

L‟hypothèse émise ici est que les réseaux sociaux constituent des « ressources
multiplexes » (par analogie aux relations multiplexes définies par Michel Grossetti), c‟est-à-
dire ayant trait aux principaux domaines de l‟économie, du politique et du culturel. Les
réseaux sont en outre perçus comme une ressource mobilisable : « la mobilisation d‟une
ressource est une séquence d‟action dans laquelle l‟un des créateurs mobilise ou reçoit une
ressource dont il ne dispose pas »170. Les principes des théories de l‟entrepreneur sont ici
convoqués car, bien qu‟ils soient économiques, ils ont un impact sur le politique par l‟analyse
des « engagements des personnes »171 sur des espaces, et une importance en anthropologie par
leur influence sur les modes de l‟échange et de la communication, par la notion d‟entrepreneur
politique, mais aussi parce qu‟ils jouent sur la constitution et la morphologie des réseaux
sociaux, voire sur la notion même de réseau, en élargissant les perspectives que lui concèdent
généralement la discipline. De même, les théories de l‟entrepreneur permettent d‟autant mieux
de comprendre les relations d‟encastrement des réseaux sociaux et des activités politiques,
qu‟elles sont utilisées en sciences politiques notamment pour comprendre les entrepreneurs
politiques. Ici, les aspects qui sont mobilisés pour analyser ces relations d‟échanges
réciproques se réfèrent d‟une part à la mobilisation des réseaux pour gérer l‟incertitude et
d‟autre part la construction d‟une figure de l‟entrepreneur. Quels sont donc les éléments
constitutifs de ces archétypes d‟encastrement que représentent les entrepreneurs
biopolitiques ?

a. La gestion sociale du risque et de l’incertitude politico-


économique

Le premier élément qu‟il faut reprendre est l‟économie de la survie qui est à la base du
global-politique, et l‟angoisse qu‟elle génère. Cette angoisse liée à la situation de précarité des
habitants dans les colonias paracaidistas envisagées, engendre des situations d‟incertitude où
la prise de décision est plus difficile. En effet, selon Ulrich Beck172, la prise de risque en vue

170
Grossetti (Michel), « La mobilisation des relations sociales dans les processus de création d‟entreprises.
Aperçus à partir d‟une enquête en cours », ibid, p 4
171
Zalio (Pierre-Paul), « Activités économiques, mondes sociaux et territoires », Séminaire EHESS, année 2006-
2007, feuillet d‟introduction et de présentation du séminaire
172
Beck (Ulrich), La Société du risque : Sur la voie d’une autre modernité, Paris, Flammarion, 522 p
de réaliser du profit nécessite un revenu minimum garanti pour les entrepreneurs –chaque
habitant étant ici assimilé à un entrepreneur, sous peine de se retrouver dans une situation
de « rupture biographique », c‟est-à-dire une situation d‟échec et de mise au ban de la société.
Mais ce serait sans compter avec les « effets de réseau », c‟est-à-dire l‟influence que peuvent
avoir les membres d‟un réseau sur un choix ou une décision à prendre. De même, les « effets
de réseaux » permettent de contrecarrer une thèse trop souvent reprise de la pauvreté des
habitants de colonias paracaidistas. Pour analyser ces « effets de réseaux », il faut analyser les
flux économiques et financiers qui convergent et partent de ces quartiers. Comme l‟a montré
Hernando de Soto173, les habitants de bidonvilles et de quartiers d‟habitat précaire constituent
une force économique, car ils accumulent, légalement ou non, des biens et des capitaux, ce
que la pratique a confirmé, notamment par la rencontre des chacharros (acheteurs de
matériaux usagés et d‟objets en vue de les revendre plus chers) et des pepenadores (récolteurs
de matières premières dans les bidonvilles et les poubelles domestiques, en vue de les
revendre). Mais ce sont surtout les matériaux de construction qui sont accumulés dans les
colonias paracaidistas et les planches de bois, afin de parer les dégâts causés par les
intempéries, surtout pendant la saison des pluies. Ainsi, selon ses données, leurs possessions
matérielles et financières s‟élèveraient à 14 trillions de dollars pour les bidonvilles du monde
entier. Pour ce qui est du Mexique, Winand von Petersdorff reprend une étude de marché de la
compagnie mexicaine Cemex, un leader mondial de la production de ciment, qui montre
qu‟alors que ses ventes auprès de gros clients chutaient de 50 %, celles réalisées auprès
d‟acteurs à faibles voire à très faibles revenus ne diminuaient que de 10 %. Comme il l‟écrit :
« La multinationale du ciment venait de découvrir un nouveau marché : les bidonvilles ». En
effet, les quartiers d‟habitat précaire du centre et les bidonvilles en marge des métropoles de
Mexico et de Guadalajara, abritant des millions de personnes dont les logements sont exigus
(une ou deux pièces ) pour des familles élargies comptant entre huit et dix personnes. Alors,
les habitants de ces maisonnées tentent constamment de les aménager. Pour cela, Cemex a
fondé un système de vente et de financement, incitant à la formation de petites communautés
d‟épargnants (trois personnes ouvrant un compte d‟épargne où elles s‟engagent à déposer un
peu d‟argent chaque semaine). Ainsi, pour un dollar épargné, ils en obtiennent quatre à crédit
pour acheter et stocker des matériaux de construction. De nombreuses entreprises du secteur
de la construction et des groupes bancaires ont ensuite emboîté le pas de l‟entreprise Cemex
qui fut l‟instigatrice de ce genre d‟initiative. Au sein des colonias étudiées, le programme
Cemex n‟a été que peu utilisé, seulement au Potrerillo, car le programme datant des années
1990, il était déjà clos lors de l‟installation des paracaidistas au Reguilete et à la Cuesta. Le
système de la tanda exposé précédemment est un système coopératif et interne à la colonia,
répandu. Il a permis en outre de monter le négoce de vélos-taxis de David, qui s‟est acheté son
vélo-taxi grâce à sa participation à une tanda, avec d‟autres membres de sa famille.
L‟intérêt de ces exemples est d‟envisager le panel de possibilités qui sont offertes aux
habitants de ces quartiers et les stratégies qu‟eux-mêmes développent pour accéder à certains
biens ou services qui sont hors de leur portée économique et permettent de pallier certaines
situations de forte incertitude, rejetant ainsi la thèse de la pauvreté absolue, qui est également
invalidée lorsque l‟on regarde les salaires qui ne sont pas les plus bas à l‟échelle nationale. De
plus, ces exemples donnent des illustrations des modes de construction possibles
d‟entrepreneurs au sein des colonias, et plus loi, d‟entrepreneurs politiques.

173
De Soto (Hernando), El misterio del capital. Por qué el capitalismo triunfa en occidente y fracasa en el resto
del mundo, Barcelone, Edición Península, 2001, 256 p
b. Les figures de « l’entrepreneur biopolitique » à Reguilete, Cuesta
et Potrerillo174

La figure la plus représentative de l‟encastrement des activités et des réseaux est celle
de « l‟entrepreneur biopolitique »175. Quelles en sont les éléments constitutifs et les procédés
d‟action dans les trois colonias étudiées ?
Pour comprendre cette figure de l‟entrepreneur biopolitique, il faut d‟abord envisager
celle de l‟entrepreneur politique, qui en constitue la première étape. Selon l‟auteur, la figure
de l‟entrepreneur politique correspond à une double figure. D‟une part, il s‟agit de l‟homme
politique, ici plutôt le leader syndical ou de quartier mais aussi les hommes politiques
nationaux ou régionaux, qui utilisent des savoirs-faires et des techniques entrepreneuriales
pour s‟atteler à leurs domaines de compétences. Irma et Gina, les leaders du Potrerillo,
illustrent pleinement cette situation : elles sont des entrepreneurs politiques puisque leur
activité principale, identifiée en fonction du temps consacré par semaine et par jour à celle-ci,
est politique. Néanmoins, les méthodes qu‟elles utilisent s‟apparentent à des méthodes
managériales d‟entreprise, notamment le fait qu‟elles gèrent les habitants de la colonia comme
des employé : en cas de restructuration –dans ce cas politique et non économique car la
décision provient de personnalités politiques qui les surplombent- elles proposent des sites de
relogement. De même, elles tirent leurs principaux revenus des tâches qu‟elles effectuent
auprès des cabinets politiques de divers candidats du parti politique du PRI (enquête et rapport
sur une colonia, organisation de manifestations et de plantons de grève, etc.). D‟autre part,
l‟entrepreneur politique est un acteur économique dont les activités sont liées au politique. Les
exemples sont nombreux à toutes les échelles de l‟organisation politique. Ainsi, certains
habitants exercent une activité économique qui influence l‟organisation politique de la
colonia. C‟est notamment le cas de Sebastián, président du Reguilete, dont la profession est
maçon-charpentier. Les raisons invoquées par les habitants interrogés sur l‟élection de
Sebastián comme président, sont d‟abord ses talents de médiateur, ensuite ses connaissances
manuelles en construction et en électricité, ensuite son jeune âge –26 ans- qui est perçu
comme un facteur positif qui lui confère plus de vigueur à la tâche (« Il est jeune, il a plus de
temps et d‟énergie pour s‟en occuper que nous »).
Le concept d‟entrepreneur biopolitique apparaît ici encore plus intéressant, car il est
décrit comme « un sujet qui organise l‟ensemble des conditions de reproduction de la vie et de
la société, et pas seulement l‟économie ». Ainsi, cette définition me permet à la fois de
rejoindre des considérations propres au « global-politique »176 où les revendications politiques
touchent à la « survivance ». Ces concepts semblent adaptés à l‟étude du Reguilete, de la
Cuesta et du Potrerillo, compte tenu des processus généraux d‟évolution des colonias. En
effet, les familles s‟installent sur les terrains après avoir rencontré le leader ou le frauduleux
propriétaire du terrain, y installent par leurs propres moyens des infrastructures minimales
(eau, électricité), puis au bout de plusieurs années, elles demandent la reconnaissance de leur
situation, c‟est-à-dire l‟accès à la propriété des parcelles de terrain qu‟elles occupent ainsi que
l‟amélioration de leurs infrastructures, comme l‟installation de canaux de drainage et
l‟aménagement de routes bétonnées. Ainsi, les populations revendiquent auprès de leurs
représentants politiques des moyens de survie, tels que des logements, des infrastructures

174
Negri (Toni), « L‟entrepreneur biopolitique », Exil, Paris, Mille et une nuits, 1998, 69 p, ch. I
175
Negri (Toni), ibidem
176
Abélès (Marc), « Vers le global-politique », Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006, ch 8 p 211-231
minimales (électricité, eau), et l‟accès aux biens de première nécessité, plus que des moyens
de « convivance ».
Cette dernière partie du premier chapitre de cette étude a mis en lumière les
mécanismes d‟encastrement des activités politiques dans les réseaux sociaux des habitants des
trois colonias paracaidistas étudiées : Reguilete, Potrerillo et Cuesta. Des duos notionnels ont
alors surgi dans l‟analyse, comme l‟économie de la survie et le global-politique, ainsi que de
grandes figures de l‟organisation politique, tels que les caciques locaux ou les leaders, pour
terminer sur celle de l‟entrepreneur biopolitique, illustration paradigmatique de cet
encastrement. Les réseaux d‟échanges réciproques ont été identifiés comme la base des
relations au sein des colonias paracaidistas prises en compte. Il a été vu que ces réseaux
réciproques renforcent la solidarité et la cohésion des habitants de chacune des colonias. Peut-
on alors penser l‟existence d‟une communauté au sein de chacune des trois colonias ?

II La communauté : des réseaux sociaux à leur double politique

Le politique à Reguilete, à Cuesta et à Potrerillo, s‟élabore en fonction des rapports


mouvants entre expériences individuelles –et familiales- et appréhension du collectif et des
appartenances. L‟une des appartenances majeures à l‟échelle des quartiers est celle de
« communauté ». Cette importance est apparue sur le terrain notamment par l‟emploi du
terme comunidad (communauté) par les habitants eux-mêmes pour désigner le voisinage de la
colonia. Le premier sens attribué à cette notion est celui, étymologique, du latin communitas,
c‟est-à-dire un groupe de personnes (« cum », litt. : avec) qui partage quelque chose
(« munus », litt. : charge, obligation, dette) en commun. Il peut s‟agir d‟un bien, d‟une
ressource ou au contraire d‟une obligation, d‟une dette. Cette dimension collective fait de la
communauté une notion centrale pour l‟analyse des pratiques politiques. L‟hypothèse émise
ici est que l‟existence ou l‟absence de communauté influe sur le politique, en particulier sur
les éléments relevés dans cette étude, à savoir la socialisation politique, les modes de
participation politique et les imaginaires politiques. Quelles sont alors les idiosyncrasies des
communautés observées sur le terrain ? Dans quelle mesure l‟existence ou l‟absence de
communauté dans une colonia influe-elle sur le politique ?

A- Apparition de la communauté : influence des réseaux sociaux et du


politique ?

Pour débuter cette réflexion, on peut reprendre une thèse de Larissa Adler de Lomnitz
qui soutient que les habitants de quartiers d‟habitat précaire survivent grâce à une organisation
sociale sui generis, où les réseaux d‟échanges réciproques de biens et de services compensent
la faible sécurité économique. Il est possible de s‟interroger sur les influences mutuelles entre
communauté, réseaux sociaux et politique dans une ciudad perdida : comment naît une
communauté dans un quartier d‟habitat précaire ? Dans quelle mesure les réseaux sociaux et
le politique agissent et rétroagissent sur une communauté ?
1. De la communauté et de sa polymorphie

Il est nécessaire de donner une définition de la notion de communauté telle qu‟elle est
employée ici et de dévoiler son caractère polymorphe. Cela est d‟autant plus important que
cette étude diverge par rapport aux études classiques. Ces dernières portent généralement sur
des migrants ruraux et leur intégration urbaine, alors que mon objet s‟intéresse aux habitants
de quartier d‟habitat précaire qui sont quasi-exclusivement d‟origines urbaines. La question
qui guide cette exploration sémantique consiste à se demander si une communauté, au sens de
groupe ayant en commun quelque chose ou le partageant, pourrait s‟étendre aussi bien au
rassemblement de tous les habitants d‟une colonia qui vivent par et pour elle, comme cela
peut être le cas à Cuesta, ou bien aux synergies de plusieurs réseaux sociaux qui engloberaient
une partie des habitants, comme à Reguilete. Comment alors concevoir la communauté
d‟habitants de Potrerillo, compte tenu des conflits et du délitement de la communauté
auparavant soudée ? La question est alors de révéler les prodigalités sémantiques et
sémiotiques de cette notion.
Tout d‟abord, il s‟agit de reprendre les différents types de critères qui pourraient
définir et caractériser les communautés d‟habitants. Parmi ceux-ci, on peut reprendre le critère
aristotélicien de « vie de village autarcique »177, c‟est-à-dire un groupe limité de personnes sur
un territoire donné. Cette définition n‟est pas exclusive mais elle est particulièrement pratique
ici pour circonscrire les groupes définis comme des communautés. Les colonias sont des
espaces clos, par des grillages (Reguilete), des palissades (Cuesta) ou des murs de ciment
(Potrerillo). Un deuxième critère apporté par Ferdinand Tönnies concerne le caractère
organique de la communauté178, par opposition au caractère volontaire de la société. Il s‟agit
ici de mettre en relief le fait que les habitants n‟aient pas choisi de vivre ensemble, mais que
cela leur soit imposé par leurs difficultés économiques et de logement, qu‟il n‟y ait pas de
pacte élaboré volontairement qui régisse leurs relations. Ainsi, ce critère permet de faire
ressortir le fait que la réunion des personnes qui s‟installent dans les colonias Cuesta et
Reguilete, n‟est pas un choix volontaire mais lié à leurs problèmes communs de logement. Il
n‟y a pas non plus de règles juridiques régissant les colonias, ceux sont des lois tacites. Le
troisième critère concerne la dimension subjective d‟existence ou non d‟un sentiment
d‟appartenance à la communauté179. Ce critère est particulièrement intéressant car il permet de
mettre en évidence des écarts de logiques entre les habitants des colonias, dont la moitié
affirme ne pas ressentir ce sentiment d‟appartenance180.

177
Aristote, Politique, Livre III, ch 9, 1280b 30 : « la cité n‟est pas une communauté de lieu, établie en vue de
s‟éviter les injustices mutuelles et de permettre les échanges », « elle est une communauté de vie heureuse »
(1280b 34), c‟est-à-dire « la fin de la cité, c‟est la vie heureuse » par « l‟œuvre de l‟amitié, car l‟amitié, c‟est le
choix réfléchi (prohairesis) de vivre ensemble » (1280b 38-40)
178
Tönnies (Ferdinand), Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF,
1977, 286 p
179
Weber (Max), Economie et société 2, Paris, Pocket, 2003, 410 p
180
Estimation réalisée par nos soins en fonction des réponses obtenues auprès des enquêtés. Les résultats sont
retranscrits dans le tableau 1
SENTIMENT D'APPARTENANCE A LA
COMMUNAUTE D'HABITANT

16
Sentiment
14
d'appartenance
12
Sentiment d'exclusion
10
8
Indifférent
6
4
NSP
2
0
Reguilete Cuesta Potrerillo

Tableau 8 : Sentiment d’appartenance à la communauté d’habitants

Le tableau qui précède montre qu‟à Reguilete et Potrerillo, moins de la moitié des
enquêtés affirment avoir un sentiment d‟appartenance à la communauté d‟habitants. Parmi les
facteurs d‟explication, il est possible de reprendre les axes réunis dans le tableau n°1, avec
entre autres la tenue régulière de réunions, l‟existence ou non d‟un comité interne, le partage
d‟informations pratiques et juridiques, ou encore la gestion collective ou individuelle de la
colonia. Pour reprendre, la définition utilisée ici pour la notion de « communauté », comprend
à la fois le caractère commun de choses et d‟intérêts entre un groupe de personnes, le partage
de valeurs communes ou encore des relations de solidarité. Ces trois caractéristiques, ajoutées
à celles reprises d‟Aristote, de Tönnies et de Weber, constituent les principales composantes
de la notion de communauté. Pour affiner ces critères, les analyses son recentrées autour de
deux pôles, soulignés par Jean-François Gossiaux, comme ceux autour desquels se
construisent en anthropologie l‟approche de la communauté. Il s‟agit d‟une part de la
dimension culturaliste d‟une communauté, c‟est-à-dire l‟étude des relations entre ses
membres ; d‟autre part, il s‟agit des dimensions institutionnelle et politique de la
communauté, prise dans une perspective historique. Il s‟agit donc de communautés
constituées géographiquement ou historiquement sur un terrain donné, et qui partagent une
culture ou une langue communes, voire les deux. Pour ce objet, deux axes de définition
semblent pertinents pour analyser les données de terrain récoltées et donner teneur au concept
de communauté appelée, dans ce cas, « communauté d‟habitants ». Le premier est qu‟il
s‟agisse d‟un groupe de personnes ayant des intérêts communs, et le second que les habitants
partagent un quotidien et vivent dans la proximité les uns des autres. Cela est à distinguer ici
d‟une minorité, bien que dans les trois cas choisis, les habitants de ciudades perdidas soient
minoritaires à l‟échelle de la municipalité laquelle leur terrain est rattaché. La minorité ne
comprend pas forcément la proximité géographique et le partage de pratiques et de traditions,
qui sont centrales dans la définition d‟une communauté. Selon les observations menées, les
communautés sont vécues différemment dans les trois colonias. Au-delà du degré de
sentiment d‟appartenance qui diverge d‟une colonia à l‟autre, il est possible de relever
plusieurs traits divergents et exposés dans le tableau ci-dessous.
EXISTENCE D'UNE COMMUNAUTE Passé commun

Espace territorialisé
20

Usage du terme
15
Intérêts communs
10
Partage de pratiques,
5 événements, etc.
Valeurs communes
0
Cuesta Reguilete Potrerillo Solidarité

Tableau 9 : Caractéristiques de l’existence d’une communauté par colonia

Ce tableau montre, sur le nombre d‟enquêtés de chaque colonia (20 personnes interrogées par
colonia), ceux qui sont d‟accord avec les termes proposés. D‟après ce graphique, la
communauté d‟habitants de Cuesta serait plus cohésive et harmonieuse que celles de
Reguilete et de Potrerillo. Dans ces deux dernières, le sentiment d‟appartenance serait moins
fort qu‟à Cuesta, comme en témoigne par exemple le faible usage qui est fait du terme
« communauté » (comunidad). Ces trois colonias créeraient des « ambiances »181 qui diffèrent
l‟une de l‟autre, en fonction de l‟existence ou non d‟une communauté et des modes de gestion
et d‟organisation de la communauté par les leaders et les habitants. Ainsi, une large majorité
des habitants de chaque colonia, reconnaît avoir un passé commun avec les autres habitants de
la même colonia. Parmi les points communs, il est possible de noter que plus de la moitié des
habitants de Cuesta et de Potrerillo, estime qu‟il y ait de la solidarité entre les habitants de sa
colonia. Alors qu‟à Reguilete, les habitants ne sont en majorité pas d‟accord avec le terme de
« solidarité » pour qualifier les relations entre les habitants. Les différences sont nombreuses
et graduelles. L‟une d‟entre elles concerne la perception d‟un espace territorialisé. Cette
expression renvoie au fait qu‟un espace géographique neutre, soit reconnu comme un espace
d‟habitation humaine, un espace construit et vécu. Cette expression est conçue ici comme le
fait que les habitants conçoivent l‟espace de la colonia dans son ensemble comme un espace
d‟habitation collectif, et pas que l‟espace de leur habitation personnelle. L‟on remarque que
les habitants de Cuesta perçoivent plus aisément l‟espace collectif de la colonia comme un
territoire, alors que les habitants de Reguilete, en majorité, ne considèrent pas l‟espace de la
colonia comme un espace territorialisé. Il faut noter ici que ce critère a posé problème lors des
enquêtes et a nécessité de plus amples explications que les autres. Il était alors généralement
demandé aux habitants s‟ils considéraient que l‟espace dans lequel ils vivaient était celui de la
colonia ou bien celui de leur habitation avec leur terrain. Concernant la perception d‟intérêts
communs, le graphique retrace les observations menées puisqu‟il présente les habitants de
Cuesta comme ayant conscience d‟une communauté d‟intérêts, alors que ceux de Reguilete et,
dans une moindre mesure ceux de Potrerillo, affichent une conscience plus faible d‟intérêts
communs. Après avoir vu les différents critères caractérisant la notion de communauté, en

181
Réginensi (Caterine), Vouloir la ville. Du business à la citoyenneté en Guyane française, Montpellier, Ed. de
l‟Esperou, École d‟Architecture, 1996, 158 p
fonction des différents terrains considérés, il est possible d‟envisager quelques facteurs
explicatifs de la formation de communautés, à partir des données du terrain.
Les données récoltées dans trois quartiers d‟habitat précaire concernant les conditions
de formation et de maintien d‟une communauté amènent à prendre en compte la thèse de
Larissa Adler de Lomnitz selon laquelle « le réseau d‟échanges réciproques constitue la
communauté effective du marginal urbain, dans les quartiers latino-américains.»182.
Concrètement, la communauté créée par ces réseaux de connaissances et d‟entraide, plus que
de solidarité, entre les habitants de chaque colonia, compense l‟insécurité économique et
constitue un système d‟assurance coopératif informel qui inclut, entre autres fonctions, de
loger et de nourrir les nouveaux arrivants dans la colonia, durant leur période d‟adaptation à la
ville ou au quartier environnant, ainsi que de soutenir les habitants, durant les périodes de
chômage notamment. Pour ma part, je n‟ai observé que des échanges de services mineurs. Par
exemple, le prêt de couverts ou d‟outillages, l‟offre de produits peu fréquents dans la colonia
(pain à Reguilete), l‟aide dans l‟organisation d‟événements familiaux (anniversaire de proches
comme celui de Lidia, enfant vivant à Reguilete) ou sacro-rituels (hommage à la Vierge
durant la Semaine Sainte à Cuesta), ou encore d‟événements festifs dans et pour les habitants
de la colonia (anniversaire de la création de la colonia paracaidista à Cuesta). Au-delà de
l‟aide matérielle, la communauté qui éclot du resserrement des membres des réseaux
représente un soutien émotionnel et moral pour l‟individu marginalisé : « elle centralise sa vie
culturelle, face à l‟absence virtuelle d‟autre type de participation organisée à l‟échelle locale
ou nationale […]. Bien qu‟elle utilise des relations sociales traditionnelles (la famille, le
compadrazgo, l‟amitié), elle n‟est pas un mélange de modalités économiques primitives et
caduques, mais elle constitue plutôt une réponse évolutive, pleinement vitale et valide, aux
conditions de vie extrêmes dans les zones marginalisées »183. Ce dernier trait a été
fréquemment constaté, même à Reguilete et à Potrerillo, où les conflits et les antagonismes
sont pourtant nombreux. Par exemple, lorsque Rebecca, une habitante de Cuesta, se désole de
la situation, qu‟elle se sent abattue, épuisée par les incessantes luttes, elle se rend chez dona
Asunciñn, qui la réconforte. Plusieurs fois, à Reguilete, j‟ai pu observer Ernestina qui, pour
éponger sa tristesse ou son désespoir, se rend chez ses parents ou sa sœur. Tous habitent dans
la même rue (manzana) qu‟elle. J‟ai moi-même été sujette de tristesse ou fait partie de
discussions chargées émotionnellement, dans ces colonias, en particulier à Reguilete et à
Cuesta. Par exemple, Julia, mère célibataire de trois enfants vivant à Cuesta, pleurait parce
que plusieurs membres très actifs dans l‟organisation et la défense de la colonia, lui
reprochaient de mal élever ses enfants. Les invectives s‟adressaient surtout au fait qu‟aucun de
ses enfants n‟allait à l‟école. Ses deux filles adolescentes (12 et 14 ans) lui faisaient croire
qu‟elles y allaient, en se préparant le matin jusqu‟à ce que leur mère parte au travail, puis
restaient à la maison. Tandis que le dernier restait chez une voisine car elle ne l‟avait pas
inscrit à l‟école, bien qu‟il ait huit ans. Ce dernier n‟était pas inscrit car Julia n‟avait pas l‟acte
de naissance de son fils, jamais déclaré à l‟état civil, et dont le père est parti. J‟ai alors été
chargée de me renseigner sur les démarches à accomplir et les documents nécessaires à la
constitution d‟un acte de naissance. Une fois que cela fût fait, j‟ai apporté les informations, le
dimanche suivant, à Julia. À la fin de l‟enquête, Ernie n‟était toujours pas inscrit à l‟école
mais son acte de naissance avait été demandé auprès des services municipaux. Cet exemple
montre, d‟une part, certains mécanismes de régulation de la colonia. Il faut noter que ces
mécanismes sont particulièrement forts à Cuesta, tandis qu‟ils n‟ont que peu d‟incidence à

182
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 11
183
Adler de Lomnitz (Larissa), ad. loc.
Reguilete et à Potrerillo, où le taux de scolarisation des enfants âgés de 6 à 15 ans, est plus
faible. Comment s‟organisent ces communautés ? Quels en sont les mécanismes ?
Enfin, le fonctionnement communautaire des colonias paracaidistas observées,
ressemble, selon moi, au modèle des communautés d‟itinérance184. Ces communautés se
baseraient sur des formes de circulation modernes, essentiellement urbaines, comme le prouve
le fait que quasiment tous les habitants des quartiers étudiés soient des migrants urbains et non
ruraux. Il faut ici distinguer l‟itinérance de deux de ses corrélats, que sont l‟errance et la
migration. L‟errance, du latin tardif erare (se mettre en route, aller, marcher) et iterare
(voyage), renvoie à un voyage sans but d‟arrivée, ni trajet préconçu. L‟errance pourrait
qualifier les mobilités effectuées par les paracaidistas, à la recherche d‟un logement, ayant
parcouru plusieurs habitations, plusieurs villes ou quartiers, et pouvant être déplacés d‟un
terrain paracaidista à un autre. Durant l‟enquête, le cas de Maria, 63 ans, habitante de Cerro
Gordo –municipalité d‟ Ecatepec, proche de Santa Clara- est apparu. Celle-ci vit depuis vingt
ans sur un terrain que lui avait confié son propriétaire. Mais le propriétaire ayant décédé, ses
héritiers ont décidé de l‟expulser. Pour cela, n‟ayant pas de moyens légaux clairs, compte tenu
des droits de propriété que confère l‟usufruit d‟un bien au-delà de dix ans, ils tentent de
l‟intimider. Par exemple, ils menacent de la mettre dehors et de l‟empêcher de rentrer chez
elle. Lorsqu‟ils ont sorti toutes ses affaires de l‟habitation de bois dans laquelle elle loge, le
leader Oscar Dominguez Guerrero, a décidé de la reloger ailleurs, faute de pouvoir trouver un
accord avec les propriétaires. En cela serait l‟errance, le fait de quitter un endroit, de se mettre
en marche, avant de connaître le point d‟arrivée. La migration, issue du latin migratio,
renvoie, quant à elle, au « passage d‟un lieu à un autre », ainsi que, dérivée du verbe migrare,
« changer de résidence ». Il s‟agit donc d‟un déplacement volontaire ou forcé de populations,
transférant leur lieu de résidence ou de sédentarité. Quelques habitants sont cependant issus de
la migration, à l‟instar d‟Ernestina, dont la famille est originaire de Guadalajala. Elle a quitté
sa région natale à l‟âge de 16 ans pour venir travailler à Mexico, où, après plusieurs
migrations internes, elle a fini par s‟installer à Reguilete. Le terme « migration » se distingue
du périple, du grec periplous, « navigation autour », et du circuit, du circuitus latin, où se
confondent point de départ et point d‟arrivée. Mais il faut déterminer les variables qui entrent
en compte pour ces définitions. Quand la variable temporelle prime, le transfert devient
séjour, ou tourisme s‟il s‟ancre dans des circulations. Si la circulation a pour modalité
temporelle le durable, elle donne lieu au nomadisme, c‟est-à-dire au mouvement sans fin, la
résidence relevant de l‟alternatif. Du nemein grec (qui fait paître), le nomadisme renvoie au
genre de vie185 des régions désertiques ou pastorales. Il constitue une « mise en itinérance
perpétuelle », à l‟encontre de l‟exploration, du pèlerinage ou du tourisme qui est une « mise en
itinérance provisoire »186. Le nomade se distingue très fortement du voyageur en ce que le
premier est chez lui dans la mobilité. Il n‟en sort pas, mais au contraire, y reste par et dans le
mouvement, à la différence du voyageur qui peut se demander « qu‟est-ce que je fais ici ? »
(traduction du titre d‟un ouvrage de Bruce Chatwin de 1989 : What I am doing here ?). Cette
définition du nomadisme permet de comprendre certaines mobilités, telles que celles des
habitants de Potrerillo, perpétuellement déplacés d‟un terrain à un autre par leurs leaders. Ce
qui est intéressant dans cas, est de remarquer, comme dans le nomadisme, la régularité des
circuits. En effet, les terrains sur lesquels sont envoyés les paracaidistas par leurs leaders,
Irma et Gina, se trouvent dans des zones proches de certains pôles bien localisés. Ainsi, il y a

184
Missaoui (Lamia), Les étrangers de l’intérieur. Filières, trafics et xénophobie, Paris, Payot, 2003 réed., 276p
185
Maine de Biran (Pierre), Nouvelles Considérations sur les Rapports du Physique et du Moral de l’Homme,
Paris, Ladrange, 1834, ouvrage posthume publié par M. Cousin
186
Urbain (Jean-Didier), « Des mobilités dans tous leurs états… », Journée d‟étude et de réflexion sur la
mobilité, CJB et la fondation Hassan II, Rabat, Maroc
toujours des terrains disponibles à Ecatepec (auparavant il y en a eu à Jardines de Morelos,
actuellement il y a celui du Potrerillo), un autre dans l‟État de Morelos (celui proposé cette
fois-ci se trouve à Xiconotla), enfin d‟autres se trouvent près de Zumpango. Néanmoins, la
notion qui finalement semble la plus difficile à définir est celle d‟itinérance. Celle-ci demeure
floue et semble peu intéresser les chercheurs, en-dehors des jeunes itinérants et ce, surtout au
Canada. L‟itinérance se caractérise par des circuits irréguliers sur lesquels les groupes
itinérants proposeraient des services. Les personnes sont alors mues par leur activité
professionnelle. En cela, les communautés d‟habitants de quartiers d‟habitat précaire se
rapprochent du modèle des communautés d‟itinérance, puisque, comme cela est souligné dans
le tableau n° 4, la recherche ou l‟obtention d‟un emploi constitue la raison d‟emménagement
dans la colonia paracaidista de 30% des personnes interrogées. C‟est notamment le cas de
Monica qui a quitté la délégation Iztapalapa, dans le centre-sud du District Fédéral, où elle
habitait avec ses parents, pour s‟installer à Reguilete, parce qu‟elle a trouvé un emploi
d‟ouvrière non qualifiée dans l‟usine Tupperware de Santa Clara. Mais au-delà de cette
catégorisation, l‟intérêt demeure dans la porosité de cette classification. En effet, les relations
communautaires qui unissent les habitants des colonias étudiées, peuvent cumuler et
entremêler ces différents modes communautaires (migratoires, errants, itinérants). Ainsi, les
« communautés d‟itinérance » multiples, polymorphes et structurellement composites, seraient
fondées, ici, sur une communauté d‟intérêts. Ce terme de « communautés d‟itinérance »
souligne la prise de conscience de l‟appartenance à une entité collective, à un groupe. Ces
communautés rejoignent ainsi la distinction hégélienne entre « classe en soi » et « pour soi ».
Les communautés que forment certains Ambulants leur permettraient de passer de groupe « en
soi » à groupe « pour soi », ayant conscience des intérêts communs et s‟organisant pour les
défendre. L‟itinérance serait alors liée à des déplacements fréquents dus soit à une activité
professionnelle amenant à changer de logement et de lieu d‟activité, soit à une domiciliation
non-fixe, soit à une activité régulière, avec ou sans logement fixe, faisant le tour de plusieurs
communes. Elle s‟adresserait aussi bien aux habitants de Potrerillo qui suivent les leaders sur
les différents terrains qu‟ils désignent qu‟à ceux de Reguilete qui s‟y installent quelques mois
ou quelques années, de manière transitoire, le temps de trouver mieux dans la région –ayant
généralement un emploi à Santa Clara ou à Ecatepec. En élargissant la notion, elle pourrait
convenir tant aux migrants intra-urbains, à l‟instar d‟Ernestina, qui ont habité et travaillé dans
des lieux différents de la ville de Mexico, avant d‟emménager à Reguilete ou dans l‟une des
trois colonias paracaidistas. Pour clore cette réflexion concernant la polymorphie des
communautés politiques d‟habitants des quartiers d‟habitat précaire étudiés, il semble
opportun de souligner un fait révélé par le terrain : l‟importance du rôle des femmes dans le
fonctionnement des communautés locales. Dans quelle mesure les femmes sont-elles un
moteur social et politique dans l‟organisation de la communauté ? Les femmes sont
majoritaires parmi les habitants actifs politiquement dans les trois quartiers. Cela se retrouve à
plusieurs niveaux. L‟un des exemples frappants est la surreprésentation féminine au sein de la
hiérarchie politique de chacune des colonias. Ainsi, comme en témoigne le tableau suivant,
72,5 % des leaders sont des femmes.
SEXE DES LEADERS

6
5

4
Hombres
3
Mujeres
2

1
0
1

Tableau 10 : Sexe des leaders des colonias paracaidistas

Il faut noter qu‟il y a généralement une certaine mixité, malgré la forte féminité de
l‟organisation politique des trois quartiers étudiés. Ainsi, le comité interne de Reguilete, à
majorité féminine, est cependant dirigé par un homme, Sebastián Aguilar Guttiérrez étant le
Président. De même, bien que l‟organisation des habitants de Cuesta soit essentiellement
gérée par des femmes, les deux leaders de la colonia sont doña Leti et don Chano. Ce dernier
est même la clé de voûte, puisque Leti ne prend aucune décision importante sans le consulter.
Il y a cependant une exception à cette mixité : l‟organisation des habitants de Potrerillo, dont
les leaders et tous leurs adjoints sont des femmes. Outre Irma et Gina, les leaders de la
colonia, les adjoints sont Cecilia, Carmelita et Chelito. Au-delà de ces exceptions, la
surreprésentation féminine se retrouve à tous les échelons de l„organisation politique des
colonias. Le tableau suivant met en relief la forte représentation féminine au sein des échelons
secondaires de l‟organisation politique des trois colonias.

SEXE DES ADJOINTS

9
8
7
6
5 Hommes
4 Femmes
3
2
1
0
1

Tableau 11 : Sexe des adjoints des leaders des colonias paracaidistas

Comme le montre le tableau 11, deux tiers des adjoints des leaders sont des femmes.
Ainsi, parmi les quatre hommes considérés comme adjoints, tous quartiers confondus, on
retrouve les deux membres du comité interne de Reguilete, Marco Antonio et Jaime Isla
Meyes, don Palemon également à colonia Reguilete, mais aussi Cristóbal à Cuesta, qui
seconde don Chano dans ses activités.
Après avoir vu les différentes formes communautaires de l‟organisation des habitants
des colonias paracaidistas étudiées, avec leurs caractéristiques principales, notamment le rôle
proéminent des femmes, il s‟agit de se demander dans quelle mesure l‟existence ou l‟absence
de communauté influe sur le politique.

2. Rôle de la communauté dans l’apprentissage politique

Pour envisager l‟influence de la communauté sur le politique à Cuesta, Reguilete et


Potrerillo, il s‟agit d‟envisager dans cette deuxième sous-partie, les relations mutuelles entre
communauté et apprentissage politique. L‟hypothèse soutenue ici est que les différentes
formes communautaires, prises en tant que configurations relationnelles187, influent sur
l‟apprentissage politique par deux facteurs majeurs. En jouant sur l‟accès et les modalités
d‟exercice du pouvoir politique, ainsi que sur les processus de légitimation politique, la
communauté influe sur l‟apprentissage du politique qui rétroagit sur elle.
Tout d‟abord, il s‟agit de voir le degré d‟influence de la communauté sur
l‟apprentissage politique, en particulier sur l‟accès, les modalités d‟exercice et de légitimation
du pouvoir politique. Pour débuter ce paragraphe, il semble opportun de faire part de
différents liens observés sur le terrain. L‟un des premiers vecteurs d‟influence de la
communauté sur l‟apprentissage politique est le rattachement à une famille politique188. En
effet, la famille politique des leaders de quartier constitue à la fois une altérité pour les
habitants, comme une alliée pour eux, tour à tour les aidant dans leurs démarches et
représentant l‟autorité politique et un maillon-clé dans la présentation de leurs demandes
politiques. Par exemple, il est possible de considérer le PRD, parti politique d‟affiliation
d‟Oscar, leader de Reguilete, comme un élément de la famille politique de gauche, compte
tenu tant des idéaux auxquels Oscar se réfère que les actions qu‟il mène au nom de ces
principes politiques. Par exemple, Oscar dit appartenir à la seule famille politique qui se
soucie réellement des intérêts de la populations, en portant une attention particulière à tous les
programmes sociaux. De même, il revendique solidarité et fraternité. C‟est au nom de ces
principes qu‟il affirme mettre à disposition son temps et son énergie à la défense des droits
des plus démunis. Outre les réunions hebdomadaires qui selon lui, représentent la mise en
pratique directe de ses idées et de ses valeurs politiques, il organise également d‟autres
événements en faveur de la solidarité, comme par exemple la distribution de pain biologique,
environ une fois par trimestre, afin de lutter à la fois contre le pouvoir monopolistique d‟une
grande firme agro-alimentaire (BIMBO) qui utilise des organismes génétiquement modifiés
dans la production de ses produits, de réduire les problèmes liés aux mauvaises habitudes
alimentaires –en particulier la consommation de produits riches en graisses comme peut l‟être
le pain de mie industriel de la marque BIMBO- et d‟aider des producteurs locaux. Le
rattachement au PRD influe sur l‟ethos politique189 des habitants de la colonia, c‟est-à-dire sur
les usages, les idées, les jugements et les comportements politiques des habitants. Cette
influence se retranscrit dans leurs attitudes politiques190, c‟est-à-dire leur propension à agir

187
Abélès (Marc), Anthropologie de l’État, Paris, Payot, 2005 p : voir dans « Légitimité et réseaux »
188
Lemieux (Vincent), Parenté et politique. L’Organisation sociale dans l’île d’Orléans, Québec, PUL,
1971, 250 p : une famille politique correspond à un groupe partageant d‟une part des relations étroites et intenses
et d‟autre part des pratiques et des comportements politiques ; le groupe partagerait in fine des valeurs, des
principes et des idées politiques
189
Banfield (Edward), The Moral Basis of a Backward Society, Glencoe, Free Press, 1967 (rééd.), p 123 :
« ensemble d‟usages, d‟idées, de termes de jugement et de comportements communs à un groupe qui l‟identifient
et le différencient d‟autres groupes »
190
Notion prise ici dans le sens employé par Gabriel A. Almond et Sidney Verba, explicitée en I. de cette étude
dans une situation donnée. Par exemple, le PRD se revendiquant d‟idéaux de gauche, on a pu
observer des formes coopératives plus affichées que dans les deux autres colonias. Ainsi, c‟est
lors de la réunion hebdomadaire du dimanche 8 avril 2007 qu‟Oscar a annoncé aux habitants
des colonias dont il s‟occupe, dont ceux de Reguilete, qu‟il y aurait une distribution gratuite
de pain, tous les troisièmes vendredis du mois –ce qui finalement a été modifié pour devenir
trimestriel. Il achète ce pain auprès d‟artisans-boulangers qui élaborent leurs produits sans
organismes génétiquement modifiés. Oscar juge par ailleurs les OGM nocifs pour la santé et
pour l‟environnement ; pour cela, il tente de sensibiliser à ce thème les habitants qui le
sollicitent. Ce souci pour la santé et l‟environnement est, au Mexique, caractéristique de partis
politiques de gauche. Les partis de droite estiment généralement que cela fait partie des
décisions et des choix de vie qui appartiennent à la sphère du privé191. D‟autres acteurs
influent sur les normes et les valeurs, les comportements et les attitudes politiques des
habitants et des leaders. Les partis politiques192 en font partie, comme le souligne l‟exemple
précédent. Ils fonctionnent selon les mêmes mécanismes. Une autre catégorie de facteurs qui
influencent les processus d‟apprentissage sont les systèmes politiques et les cultures
politiques. Ceux-ci constituent l‟arrière-plan d‟inculcation des normes et des valeurs, des
comportements et des usages, transmis par la socialisation politique et l‟apprentissage
politique. Un système politique est compris ici comme un ensemble d‟éléments
interdépendants193, fonctionnant sur un modèle d‟inputs/outputs194. Les inputs représentent les
sollicitations (pour l‟allocation de ressources fiscales, salariales, etc.) ou les soutiens
(obligation de payer des impôts) du système politique par l‟environnement social –pris ici
comme l‟ensemble des intérêts catégoriels et des organisations sociales, telles des
associations. Tandis que les outputs correspondent aux productions du système politique
dirigées vers l‟environnement social, à l‟instar des lois, des subventions ou, dans un autre
domaine, des discours. Les inputs et outputs qui lient les systèmes politiques et les
environnements sociaux, participent de l‟émergence de la communauté et de sa polymorphie,
car ils engendrent un regain ou un rejet du sentiment de communauté. Ainsi, les habitants des
quartiers d‟habitat précaires manifestent leur sentiment de communauté au sein de la colonia,
par exemple, en acceptant de payer des subsides aux leaders afin que ceux-ci puissent remplir
leurs fonctions et gérer l‟organisation du quartier. Donc, les formes et les mécanismes de
fonctionnement des systèmes politiques, en engendrant ou en empêchant le développement
d‟un sentiment de communauté, influent sur l‟apprentissage politique. Quels sont alors les
mécanismes d‟action et de rétroaction de la communauté sur l‟apprentissage politique ?
L‟hypothèse est que ces mécanismes sont essentiellement relationnels et diffèrent en
fonction de l‟existence ou non d‟une communauté au sein d‟une colonia, ainsi que du degré
de sentiment de communauté. Ce dernier se base in fine sur les réseaux sociaux, pris ici dans
leur dimension relationnelle et affinitaire. On observe des différences quant à l‟apprentissage
politique dans les trois colonias, comme cela a été montré (I. A). Il a été observé des
différences quant à la participation aux réunions internes à chaque quartier, ainsi qu‟au
déroulement de ces réunions. Les habitants de Cuesta participent massivement aux réunions
hebdomadaires, tandis que ceux de Reguilete sont très divisés quant aux réunions
hebdomadaires d‟Oscar, alors que le comité interne n‟organise des réunions dans la colonia,

191
Bertrand (Michel), Marin (Richard), « Comprendre l‟Amérique Latine aujourd‟hui », Toulouse, séminaire
Sciences Po, année 2005-2006
192
Lapalombara (Joseph), Weiner (Myron), Political parties and political development, Princeton, Princeton
University Press, 1966, 487 p : voir définition dans II. C. de cette étude
193
Crozier (Michel), Friedberg (Erhard), L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1992, 500 p
194
Easton (David), A Systems Analysis of Political Life, Chicago, University of Chicago Press, 1979 (rééd.),
508p
que ponctuellement. Tandis qu‟à Potrerillo, il n‟y a plus de réunion hebdomadaire. La tenue
de réunions et leur déroulement, le taux de participation et les modes de participation des
habitants à ces réunions, jouent sur les modes d‟apprentissage politique ainsi que sur
l‟inculcation même des normes et des valeurs, des comportements et des pratiques politiques.
Par exemple, on peut remarquer que les habitants de Cuesta sont les mieux informés quant à
leur situation, les leaders faisant le point très régulièrement sur les actions menées et leurs
résultats. Cependant, ce sont les habitants de Reguilete, dont le comité interne agit
directement, qui connaissent le mieux les différents moyens d‟actions et les instances
politiques et juridiques. De même, ce sont eux qui connaissent le mieux les textes juridiques
qui concernent leur situation. Cela s‟explique en partie par le fait qu‟ils effectuent eux-mêmes
les démarches, par exemple à Tenencia de la Tierra. Dans les autres colonias, certains
habitants ont une certaine maîtrise du système politique local et fédéral, ainsi que des moyens
d‟action. Mais ces connaissances et ces savoirs-faires, sont concentrés au sein d‟une oligarchie
composée des leaders, lorsqu‟ils habitent le quartier comme à Cuesta, et de leurs adjoints. Les
configurations relationnelles au sein des communautés qui influent sur l‟apprentissage
politique des habitants, se retrouvent au niveau des relations avec les fonctionnaires. Les
relations entre habitants des colonias et fonctionnaires, peuvent être conçues comme
l‟interpénétration entre deux univers distincts, pour reprendre la terminologie wormsienne195,
l‟univers des fonctionnaires et celui des habitants étant très différents d‟un point de vue
juridique et politique. Les premiers sont encadrés par le droit et exercent une activité publique
socialement valorisée, tandis que les seconds se trouvent en marges des cadres juridiques et
dont les activités et le mode de vie sont socialement dépréciés. Les premiers constituent un
maillon du système politique national, rouage central pour l‟application de décisions et de
politiques. Alors que les seconds, qui appartiennent à l‟environnement social sont considérés
comme marginaux, tant économiquement que socialement ; et, malgré leur forte mobilisation
politique, ils conservent l‟image de groupes marginaux politiquement et manipulés par leurs
leaders. Au-delà de ces stéréotypes, des relations s‟établissent par l‟intermédiaire de
personnages et d‟unités administratives ou sociales. Les personnages médiateurs sont par
exemple des licenciés de droit qui aident bénévolement et ponctuellement les habitants, à
l‟instar d‟Oscar à Santa Clara. Il peut également s‟agir d‟anciens hommes politiques
reconvertis à l‟humanitaire, dans des organisations d‟utilité publique comme la Croix-Rouge
par exemple, ou bien dans des associations à caractère social comme la Banque des Aliments
(Banco de Alimentos) de Mexico) qui visent à distribuer des denrées alimentaires aux enfants
défavorisés de la capitale mexicaine et de ses environs. Il y a d‟autres types d‟associations
caritatives à l‟image de l‟Association mexicaine de l‟Ordre de Malte, qui est constitué d‟un
réseau international de bienfaiteurs. Ces mécanismes relationnels qui jouent sur les formes
communautaires et, par là, sur l‟apprentissage politique, constituent des modes de légitimation
politique. Les réseaux sociaux font partie du patrimoine politique et conditionnent l‟éligibilité
et les conditions d‟éligibilité politiques. Ces dernières à la fois révèlent les normes et les
valeurs politiques d‟un groupe, mais elles agissent également sur les perceptions et les
conceptions du politique, dans le cadre d‟un apprentissage, tant primaire que secondaire. L‟un
des paradoxes est que ces mécanismes semblent demeurer valables mêmes pour ceux qui se
déclarent apolitiques et qui ne participent pas aux différents événements et n‟appartiennent
pas aux instances politiques de leur quartier. Par exemple, David, chauffeur d‟un vélo-taxi et
habitant de la colonia Reguilete, rejette toute appartenance politique. Il se réclame en-dehors
du politique : « moi, ça m‟intéresse pas la politique. C‟est pour ça que je vais pas aux réunions

195
Worms (Jean-Pierre), « Le préfet et ses notables », Sociologie du Travail, Paris, IRESCO, 1966, p 249-275,
vol.8, n°3, cité par Abélès (Marc), op. cit., 2005, 253 p
du licencié Oscar. Celui-là ne fait que de la propagande pour son parti. Je vois pas l‟utilité de
faire de la politique dans ses réunions. En plus, tout ce qu‟il nous dit est dans les journaux ;
ceux qui sont intéressés peuvent le lire »196. Or, l‟apolitisme semble emprunter les mêmes
canaux d‟apprentissage car, bien que les apolitiques ne participent pas politiquement, ils sont
témoins de gré ou de force de l‟organisation politique de leur colonia paracaidista. Ainsi, ils
apprennent, même sans y participer, diverses façons de gérer des situations collectives,
comment des décisions communes peuvent être prises. Ils n‟obtiennent pas forcément les
informations concernant les démarches à accomplir pour régulariser leur situation ni les
différents acteurs concernés. Néanmoins, leur apprentissage politique, certes passif et sous
couvert d‟apolitisme, existe bel et bien. Par ailleurs, ils peuvent avoir été politiquement actifs
ou simplement participants passifs, selon la catégorisation déjà établie (I.). Dans ce cas,
l‟hypothèse émise est que la mémoire des anciennes affiliations joue un rôle197. Concernant le
rôle de la communauté dans l‟apprentissage politique, le sentiment d‟appartenance à la
communauté d‟habitant d‟une colonia, dépend des réseaux sociaux . En effet, l‟hypothèse
émise par Marc Abélès selon laquelle les valeurs et les prises de parti dépendent en partie des
liens tissés, tout en rétroagissant sur eux. Cela éclaire certaines observations de terrain. Il est
possible de noter par exemple le fait que les deux filles de Leti, à Cuesta, sont toutes deux très
actives au sein de l‟organisation. Ainsi, la première de ses filles tient les livres de compte des
paiements des habitants. Elle effectue également les résumés des réunions hebdomadaires. Sa
seconde fille participe activement à l‟organisation des événements et assiste aux réunions. De
même, le compagnon de sa deuxième fille, Cristñbal, est l‟adjoint de Chano. Il faut noter une
exception : le fils de Leti, qui ne participe pas à la vie de la colonia et qui ne vient que
rarement. Pendant le temps de l‟enquête, soit trois mois, il n‟est pas venu à Cuesta. La notion
de patrimonialisme politique, prise ici comme transmission de génération en génération d‟un
patrimoine politique, c‟est-à-dire le legs de normes et de valeurs, d‟idéaux et d‟idéologies,
ainsi que des comportements, des attitudes et des usages, pourrait éclairer l‟engagement des
enfants de Leti. Quels sont les enjeux de ces mécanismes ?
Enfin, il s‟agit d‟envisager les enjeux de ces relations entre communauté et
apprentissage politique. Trois types d‟enjeux sont considérés ici. Le premier type correspond à
la légitimation du pouvoir politique. En effet, l‟apprentissage politique est vivement
encouragé dans chacune des colonias paracaidistas, par leurs leaders. L‟exemple des cartes
d‟électeur fournies par les leaders aux habitants est un exemple des incitations employées par
leaders. D‟autres méthodes consistent à la sensibilisation à l‟information politique, en
soulignant par exemple l‟intérêt de se mobiliser « afin de faire bouger les choses » (« para que
se muevan las cosas »). Ainsi, les leaders des trois colonias, tentent de mobiliser les habitants
par leurs discours, en soulignant l‟intérêt de s‟unir dans la lutte, afin de prouver le soutien
qu‟offrent les habitants à leurs leaders. Le but étant d‟éradiquer l‟idée centrale des habitants
abstentionnistes qui soutiennent que si les terrains des autres sont régularisés, le leur
également. C‟est ce que soutient notamment Victor : « Pourquoi est-ce qu‟on participerait, si
eux déjà le font et se chargent de la régularisation [des actes de propriété] ? S‟ils arrivent à
régulariser les leurs, tous seront régularisés ; donc ça sert à rien [d‟y aller]. En plus, pourquoi
être si nombreux et s‟ajouter au bazar ? »198. Ces stratégies des leaders pour mobiliser les

196
Propos recueillis par nos soins le 6 mai 2007: “a mi no me interesa la política. Por eso no voy en las reuniones
del lic. Oscar. Este hace pura propaganda para su partido. No tiene caso hablar de política en las reuniones.
Además, todo lo que nos dice esta en los periódicos. Y los que son interesados, lo pueden leer”
197
Voir III.A. pour la vérification de cette hypothèse
198
Propos tenus par Rebecca (nom d‟emprunt) et recueillis par nos soins le 15 avril 2007 : “Porqué
participaríamos, si ellos ya están y se encargan de la regularización? Si se regularizan unos, se regularizarán
todos, entonces no sirve de nada. Además a qué ser tantos y poner relajo?”
habitants de la colonia –ou des colonias- qu‟ils gèrent visent d‟une part à renforcer et à
sécuriser leurs assises politiques. Ils ont besoin de soutiens suffisamment importants en
termes numériques et visibles publiquement, pour exister comme leaders politiques. D‟autre
part, ces méthodes permettent de légitimer leur pouvoir politique, tant par le fait qu‟ils aient
des soutiens importants que par leur rôle de médiateurs entre les institutions et les politiques
d‟un côté, les habitants de l‟autre. Ils font ainsi remonter les demandes politiques des
habitants (détail des demandes, voir I.) aux institutions et aux administrations et descendre les
informations et les décisions de ces dernières aux habitants. Le deuxième type d‟enjeux
concerne l‟acquisition de compétences dans le domaine politique, voire dans d‟autres
domaines connexes. L‟hypothèse est que l‟acquisition de compétences rétroagit ensuite sur
l‟apprentissage et l‟organisation politiques. Les acteurs seraient mieux informés et auraient
une maîtrise accrue du fonctionnement politique, tant de leur colonia que du système politique
fédéral voire national, par une connaissance accrue des institutions et de leur mode de gestion.
L‟apprentissage tournerait autour de multiples compétences qui peuvent s‟ajouter,
s‟enchevêtrer ou au contraire se différencier. La première exposée dans cette étude est celle de
l‟intériorisation des systèmes politiques, comme cela a déjà été envisagé ; mais aussi des
systèmes économiques et sociaux. L‟apprentissage politique, qu‟il soit actif ou passif, charrie
des connaissances concernant les institutions et les démarches à accomplir dans différentes
situations. Par exemple, bien qu‟ils ne participent pas à l‟organisation politique de leur
colonia Roberto et sa femme, de Reguilete, s‟initient au droit pénal, à cause de la plainte
déposée contre Roberto pour « occupation illégale d‟un bien immobilier ». Cette situation leur
permet de se familiariser avec des règles de droit qu‟ils ne connaissent que vaguement voire
pas du tout pour certaines. De même, ils apprennent des formules juridiques pour la rédaction
de leurs documents, ainsi que les formes pour s‟adresser aux différents acteurs juridiques
qu‟ils rencontres, tels des avocats ou des juges. La deuxième qualité est celle du « savoir
communiquer », c‟est-à-dire faire preuve de capacités relationnelles et communicationnelles.
Cela leur est très utile lorsqu‟ils doivent récolter des informations ou demander de l‟aide
auprès de fonctionnaires ou de personnalités politiques. C‟est notamment le cas de Milagros,
adjointe de la leader de Cuesta, qui affirme qu‟avant d‟habiter à Cuesta, elle avait peur de
prendre la parole en public et de se défendre, parce qu‟elle ne savait pas « bien parler ».
Désormais, elle se place toujours en tête des manifestations et prend régulièrement la parole
lors des assemblées. Une autre compétence est celle du « savoir-circuler »199, c‟est-à-dire
l‟apprentissage de la mobilité inhérente à leur situation précaire, ne possédant pas de titre de
propriété. Cette compétence leur permet d‟entretenir des relations plus apaisées avec les
politiques et les fonctionnaires, que s‟ils n‟envisageaient aucunement de se déplacer.
L‟exemple paradigmatique de la nécessité d‟intérioriser cette qualité, est la situation des
habitants de Potrerillo. Ceux-ci, comme cela est exposé dans la première partie de cette étude,
sont ballotés d‟un terrain à un autre, en fonction des pactes conclus entre les leaders et les
propriétaires des terrains, ces derniers étant toujours privés. Il faut noter que certains terrains,
comme le Potrerillo, constituent, j‟en émets l‟hypothèse n‟ayant pas eu confirmation, des
terrains de réserve. Le Potrerillo est habité depuis dix-neuf ans par des paracaidistas, placés
sous la protection d‟Irma et, depuis quelques années, sous la protection conjointe de sa fille
Gina. C‟est certainement l‟une des plus anciennes bases de peuplement dont elles s‟occupent.
D‟autres terrains se trouvent à Jardines de Morelos et à Zumpango, dans l‟État de Morelos. Le
terrain du Potrerillo est vidé de ses habitants précaires, car son propriétaire a conclu des
accords en vue d‟une opération immobilière. Il n‟a donc plus besoin des paracaidistas pour

199
Tarrius (Alain), Les nouveaux cosmopolitismes. Mobilités, identités, territoires, Paris, Éditions de l‟Aube,
2000, p 8
obtenir une rente. D‟autres compétences sont nécessaires à la vie dans un quartier d‟habitat
précaire, et pas seulement à l‟apprentissage politique. Parmi celles-ci, il y a l‟autodiscipline,
majeure pour maintenir un emploi en dépit des heures de trajet pour ceux qui travaillent dans
le District Fédéral ou à l‟autre extrémité d‟Ecatepec. De même, la vie dans un bidonville exige
une gestion économique rigoureuse, faute d‟avoir une réserve d‟argent pour pouvoir faire face
à des imprévus qui peuvent paralyser la vie du quartier, comme l‟effondrement du pylône
électrique. Finalement, la réparation provisoire du pylône, le lendemain de sa chute, n‟a pas
nécessité d‟argent , mais l‟utilisation de matériaux et d‟outils qu‟il a fallu demander à diverses
personnes. Là apparaît une autre qualité : celle de la solidarité. La solidarité est une notion
plurivoque et protéiforme. Elle peut correspondre à la fois à un simple état de fait, c‟est-à-dire
au rapport existant entre des personnes qui, ayant une communauté d‟intérêts, sont liées les
unes aux autres. Ce serait par exemple le cas des habitants de Potrerillo. Elle peut également
être un rapport d‟interdépendance entre les choses et les personnes. Un autre aspect concerne
la dimension subjective de la solidarité : le sentiment d‟un devoir moral envers les autres
membres d‟un groupe. Ce dernier aspect contient donc à la fois une dimension identitaire et
d‟intérêt. L‟exemple de la chute du pylône électrique à Reguilete témoigne de la nécessaire
interdépendance entre les habitants. Malgré les conflits, la solidarité est forte parmi les
habitants de Reguilete. Ainsi, Octavio a aidé Sebastián, le Président du comité interne, et les
autres volontaires, à remettre le poteau électrique en place, bien qu‟il soit le porte-voix des
indépendants, c‟est-à-dire opposé aux leaders actuels. Lors de la réunion, il a suffit d‟un
regard de Sebastián envers Octavio, lorsque le Président du comité exposait le problème du
pylône aux habitants, pour qu‟Octavio propose son aide. Néanmoins, on peut noter
qu‟Octavio a ressenti la nécessité de réaffirmer sa position d‟indépendantiste. Ainsi, après
avoir proposé son aide, il a ajouté : « ça va rien changer, je suis pas d‟accord avec ce que vous
faites, mais vous savez que je peux vous aider avec l‟électricité »200. Le dernier type d‟enjeux
pris en compte ici est l‟engendrement de sociabilités particulières qui renforcent les réseaux
relationnels préexistants, en les encastrant dans des relations de compétence, créant ainsi des
« liens forts », caractéristiques des « communautés d‟itinérance ». Cette thèse des liens forts
vient en réponse à celle émise par Mark Granovetter201 qui estime que les liens faibles sont
plus efficaces dans les activités économiques et sociales, que les liens forts. Cette idée-force
est étendue, pour les besoins de cette étude, aux activités politiques. Les liens faibles sont
définis comme « une combinaison (probablement linéaire) de la quantité de temps, de
l‟intensité émotionnelle, de l‟intimité (confiance mutuelle) et des services réciproques qui
caractérisent un lien »202. Malgré l‟écart entre cette théorie et les observations de terrain, celle-
ci demeure une référence car elle envisage le rôle des relations sociales dans les activités : « le
lien social fort (ce qui ne signifie pas lien familial) est premier ; les compétences techniques
s‟acquièrent ensuite. Pour Granovetter, les liens faibles sont encastrés dans des relations
d‟abord constituées autour des compétences techniques acquises »203. Cela s‟illustre par de
multiples exemples, tel celui de Julio et de Carlos. Tous deux sont des habitants de Reguilete
et travaillent régulièrement ensemble dans le bâtiment. Lors de ma première visite à
Reguilete, le 18 mars 2007, ce sont les premières personnes rencontrées. Tous deux étaient en
train de construire une maison dans la manzana 1, près de l‟habitation de Carlos. Après m‟être

200
Propos recueillis par nos soins le 24 avril 2007: “no cambia nada, no estoy de acuerdo con lo que hacen, pero
saben que les puedo ayudar con la electricidad”
201
dans un article (« The strength of weak ties ») publié en 1973 dans l’American Journal of Sociology, puis dans
sa thèse publiée en 1974 sous la direction de H. White à Harvard et intitulée Getting a job et enfin dans un article
publié en 1985 dans la même revue.
202
Granovetter (Marc) dans Grossetti (Michel), « Réseaux sociaux et encastrement », ibid, p. 17
203
Tarrius (Alain), ad loc, p 12
présentée, je leur ai posé quelques questions concernant leur activité. Ils m‟ont appris qu‟ils
construisaient une maison pour une famille qui en possédait déjà plusieurs, en province
comme dans l‟État de Mexico. Quant au lien fort, la relation amicale fut évidemment un
préalable à leur collaboration professionnelle. Les liens forts se caractérisent, en outre, par des
relations horizontales et non verticales. Les liens forts de la vente ambulante s‟alimentent « de
recrutements, de cooptations latérales et peu souvent familiales. C‟est là un aspect essentiel de
son originalité »204. Les relations sont ainsi ancrées dans une reconnaissance mutuelle de pairs.
Le réseau de Sebastián, à Reguilete, se compose principalement de personnes de son âge, et
dont le profil socioéconomique est proche du sien. On retrouve entre autres, Victor, habitant
de Reguilete, à peine plus âgé que lui, qui travaille comme ouvrier en bâtiment, et qui vit seul,
comme Sebastián, dans une habitation à Reguilete. De même, parmi les membres du réseau de
Julia, à Cuesta, la grande majorité font partie de la même génération qu‟elle. Quasiment la
totalité des membres exerce une activité non qualifiée comme elle, d‟autres étant femme au
foyer, une autre étant épicière au sein de la colonia. Les liens amicaux s‟alimentent, selon
Michel Grossetti, des complémentarités de compétence, comme l‟illustrent les liens entre
Carlos et Julio. Leur relation amicale semble renforcée par leur collaboration professionnelle.
Comme l‟a raconté Carlos : « oui, on s‟entend bien […]. Comment on a commencé à
travailler ensemble ? Ben, on était déjà amis et puis on est voisin. Et un jour, Julio avait
besoin d‟un ouvrier pour un chantier et il m‟a demandé si je pouvais l‟aider. Donc, c‟est sûr
que j‟y ai été. J‟avais besoin d‟argent et lui cherchait un ouvrier. Comme il avait confiance en
moi, ben on a fait affaire »205. Cependant, il faut noter la spécificité des réseaux sociaux dans
les trois quartiers étudiés : contrairement aux remarques de Michel Grossetti, tous les réseaux
égocentrés des habitants sont constitués de relations familiales. Selon nos observations, les
personnes les plus proches sont des membres de la famille. Par exemple, les personnes qui
secondent doña Leti dans toutes ses activités quotidiennes, qui sont des pivots de son réseau
égocentré, sont essentiellement ses deux filles, qui l‟accompagnent dans la plupart de ses
déplacements, même si la première est enceinte et la seconde a un enfant en bas âge. Cela
s‟observe dans toutes les colonias. Le réseau d‟Ernestina à Reguilete est également
majoritairement composé de membres de sa famille. Parmi ces derniers, on retrouve sa sœur,
qui l‟accompagne dans de nombreuses démarches qu‟elle effectue pour améliorer la situation
des habitants de la colonia. Il y a également une autre sœur, qui habite chez ses parents, ainsi
que ses deux parents, qui constituent, pour Ernestina, un soutien moral et affectif.
L‟ancrage dans des pratiques associatives et l‟appartenance aux appareils de parti
constituent des pratiques communautaires influençant des modes d‟apprentissage politique et
jouent également sur le contenu de cet apprentissage. Les mécanismes d‟influence pris en
compte ici sont relationnels, et mettent en évidence le rôle des réseaux sociaux. Les enjeux
sont alors l‟acquisition de compétences et la légitimation de pouvoirs et de fonctions
politiques. Après avoir vu les liens entre communauté et apprentissage politique, on peut se
demander quelle est la nature des relations entre communauté et participation politique.

204
Tarrius (Alain), ad loc, p 11
205
Propos recueillis par nos soins le 30 mars 2007 : « si, la llevamos bien […]. Como hemos empezado a trabajar
juntos? Pues, ya éramos amigos y somos vecinos. Y un día, Julio necesitaba un obrero para algún trabajo y me
pidió a mi si le podía echar la mano. Pues, claro que fui. Yo necesitaba dinero y el un obrero. Como me tenia
confianza, pues ya nos asociemos”
3. Communauté et participation politique : le rôle des imaginaires politiques

L‟hypothèse qui soutient le raisonnement de cette partie affirme que la communauté


influe sur la participation politique par le biais de normes et de valeurs, de comportements et
d‟usages, mais aussi par les imaginaires politiques contenus et véhiculés par cette
communauté.
Tout d‟abord, il s‟agit d‟envisager les imaginaires communautaires de chacune des
colonias, pour comprendre le lien entre ceux-ci et la participation politique. Les imaginaires
sont compris ici comme la constellation des diverses significations sociales de la notion de
communauté206. Ces imaginaires seraient institués d‟une part : le sens accordé à certaines
significations sociales peut sembler fixé et apparaître comme naturel. Ces imaginaires seraient
instituants d‟autre part : toujours s‟opèrent des glissements de sens au cœur des réseaux de
significations. L‟analyse de ces renvois de significations permet de saisir les mouvements des
imaginaires communautaires et, par conséquent, les transformations en cours quant à la
participation politique et le politique en général. Les imaginaires se différencient alors des
représentations prises ici comme un élément constitutif des processus de cognition. Ils se
composeraient de connaissances procédurales, c‟est-à-dire des règles d‟action, et de
connaissances déclaratives, soit des connaissances factuelles énoncées de manière
péremptoire207. Les imaginaires influents, alors, se trouvent à la base des perceptions et de la
mise en pratique de différents aspects de la notion de communauté. Cette dernière est
considérée ici, à la fois comme la constatation d‟intérêts communs à un groupe, la conscience
d‟intérêts partagés et le sentiment d‟appartenance à un groupe. Une dimension majeure de la
communauté apparaît ici et n‟a pas encore été traitée. Il s‟agit du rapport à l‟altérité. Comme
l‟écrit Roberto Esposito : « La communauté n‟est pas une propriété, un plein, un territoire à
défendre et à isoler de ceux qui n‟en font pas partie. Elle est un vide, une dette, un don à
l‟égard des autres et nous rappelle aussi, en même temps, à notre altérité constitutive d‟avec
nous-mêmes »208. Cette dimension relationnelle de la communauté imprime sa marque sur les
imaginaires politiques, qui associent, dès lors, toute action politique comme la mobilisation de
ressources humaines en vue d‟atteindre un objectif collectif. Par exemple, les relations nouées
par Ernestina avec Javier, technicien de Tenencia de la Tierra, constitue une ressource
relationnelle. Celui-ci s‟est en effet proposé pour aider les habitants de Reguilete, dans leur
tentative de régularisation des actes de propriétés de leurs terrains. Ce qui est intéressant est
que cette relation récente, nouée au cours de l‟enquête, a mis en péril une autre ressource
relationnelle des habitants : la relation avec l‟avocat Oscar Dominguez Guerrero. Oscar a été
discrédité par sa désinvolture face aux fonctionnaires de Tenencia de la Tierra. Par exemple, il
a annulé coup sur coup plusieurs rendez-vous, il n‟a pas averti de son absence à plusieurs
réunions organisées pour traiter le cas des habitants de Reguilete et il n‟a pas excusé ses
absences. Au contraire, il affiche un refus de dialoguer avec des fonctionnaires. En outre, cette
citation reprend en outre les différents sens de la notion latine de munus, à savoir une
obligation, une charge, un don, un vide ou une dette. Ce rappel étymologique permet
d‟étendre la notion de communauté, en soulignant son caractère pesant et obligatoire. En effet,
la communauté est une instance de socialisation et d‟intégration. Par conséquence, elle est

206
Corten (André), Côté (Anne-Elizabeth), « Violence des imaginaires et imaginaires de la violence », Groupe de
Recherche sur les Imaginaires Politiques en Amérique Latine, Québec, Colloque GRIPAL-ACFAS, 8 mai 2007 ;
informations disponibles en ligne à l‟URL : http://www.gripal.ca/content/view/140/93/
207
Fournier (Martine), « Comment savoir ? », Sciences Humaines, Paris, Éditions Sciences Humaines, 1999,
n°98, p 32, sub voce « Apprendre »
208
Esposito (Roberto), Communitas. Origine et destin de la communauté, Paris, PUF, 2000, 166 p
également un vecteur d‟exclusion. Cela s‟illustre notamment à travers le groupe
d‟indépendants à Reguilete, des quelques personnes qui ne se mêlent pas à la vie de la
communauté à Cuesta, comme le couple doyen du quartier, dont le mari est fonctionnaire dans
le District Fédéral. Le Potrerillo comptait quelques familles en retrait au début de l‟enquête.
Progressivement, compte tenu de la situation explosive, les oppositions se sont exprimées.
Ainsi, plusieurs de ces personnes critiques face à l‟organisation de la colonia, par les leaders,
m‟ont confié des éléments majeurs pour comprendre la situation des habitants et les modes
d‟organisation politique. Dans ces exemples, la communauté est perçue comme une pesante
obligation. La majeure partie des habitants ont continué à payer les cotisations aux leaders
jusqu‟à ce que les réunions ne soient plus organisées. À Cuesta, les habitants même les plus
récalcitrants payent de temps en temps la cotisation, à cause de la pression sociale qui pèse sur
eux, au nom d‟un devoir de communauté. Ainsi, certaines des personnes les plus actives
politiquement dans la colonia, à l‟instar de Lucero, n‟hésitent pas à les haranguer nommément
lors des réunions hebdomadaires pour leur réclamer leur participation. Un deuxième type
d‟image-clé pour la compréhension des imaginaires communautaires au sein de chacune des
trois colonias est lié aux espaces politiques. Ces imaginaires sont majeurs parce que, d‟une
part, ils ont trait à l‟espace de la représentation politique et, d‟autre part, ils constituent
l‟espace de l‟action politique. Comme l‟écrit Marc Abélès, ceux-ci sont importants car « le
politique modèle le territoire et en infléchit les contours » comme « la territorialisation du
politique dans nos sociétés » est majeure209. Parmi les imaginaires partagés par les habitants,
on retrouve une certaine méfiance à l‟égard de la politique et des hommes politiques. Celle-ci
est perçue comme un ensemble de jeux de verbiages. Cela explique notamment le fait que les
actions menées par les habitants ne soient pas perçues comme politiques. Les entretiens basés
sur le questionnaire élaboré par nos soins, révèlent ce rejet du politique. Comme cela a déjà
été explicité plusieurs fois, notons seulement qu‟à la question « participez-vous à des activités
politiques ? », nombreux sont ceux qui ont répondu ne pas faire de politique, ou bien ne pas
participer en-dehors de la communauté –ce qui voulait sous-entendre que ça n‟était pas
vraiment de la politique. Le contexte des bidonvilles imprime d‟autres spécificités aux
imaginaires politiques. Parmi ces particularités, on peut noter une double processus
performatif lié à la production d‟images des lieux, en l‟occurrence des ciudades perdidas, qui
occulte les enjeux réels des acteurs210. Le rôle performatif211 des images et leur manipulation,
en particulier l‟instrumentalisation de la peur engendrée par les images associées aux
bidonvilles, soulignent l‟importance des imaginaires dans le domaine de l‟aménagement de
l‟espace public et de la gestion politique de l‟espace urbain. Les images associées aux
quartiers d‟habitat précaire de Mexico, et, par conséquent, aux trois colonias paracaidistas
étudiées ici passent de la compassion dans les années 1990 (exemple : Reforma, 20 novembre
1993 : « Ils vivent un drame tous les ans »212), à l‟indifférence au milieu des années 1990 (peu
d‟occurrences), avant de susciter un regain d‟intérêt à la fin des années 1990 (voir le grand
nombre d‟occurrence des termes entre 1998 et 2000), puis à la dénonciation de la dangerosité
depuis les années 2000. Ces transformations contribuent à façonner les identités, mais cela est
détaillé plus loin (voir II. C). Quelles sont alors les conséquences de ces imaginaires
communautaires sur la participation politique ?

209
Abélès (Marc), op. cit., 2005, ch « Les systèmes politiques »
210
Agier (Michel), L’invention de la ville. Banlieues, towships, invasions et favelas, Paris, Archives
contemporaines, 1999, 176 p
211
Lévy (Jacques), Lussault (Michel), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin,
2003, p 704, sub voce « Performativité » : propriété de la parole d‟agir sur le monde et de le transformer
212
Titre original : « Viven un drama cada año », en référence aux inondations dont sont victimes les habitants des
ciudades perdidas lors de la saison des pluies, en particulier celles autour du lac de Texcoco
Ensuite, l‟hypothèse émise dans ce paragraphe est que des liens communautaires
faibles engendrent un apprentissage politique partiel et une participation collective
fragmentaire. C‟est ce que suggèrent nos observations de terrain. En effet, il a été constaté que
la participation politique en tant que telle, comme le vote lors d‟élections à différents
échelons, est faiblement pratiqué par les habitants de Reguilete. De même, le quasi-abandon
des habitants de Potrerillo par leurs leaders engendre un délitement des liens communautaires
qui, auparavant, semblent avoir été forts, selon les éléments biographiques de la colonia
rassemblés lors de l‟enquête de terrain. Les forts liens communautaires qui unissent la majeure
partie des habitants de Cuesta, confirment négativement cette hypothèse. La notion de
communauté à Cuesta revêt une importance plus grande que dans les autres quartiers étudiés.
Les habitants de cette dernière sont ceux qui utilisent plus fréquemment le terme et ils sont
également plus nombreux à l‟employer, comme le révèle le tableau n° 9. Ainsi, 60 % des
habitants de Cuesta interrogés affirment qu‟il existe une communauté d‟habitants au sein de la
colonia. Tandis que parmi les habitants de Reguilete, seulement 25 % d‟entre eux
reconnaissent l‟existence d‟une communauté, contre 35 % à Potrerillo. On remarque, grâce à
ces dernières données, que l‟existence passée d‟une communauté et de liens de solidarité,
constituent un facteur assez important du sentiment de communauté. Concernant l‟influence
des liens communautaires sur la participation politique, il est possible de se demander si les
types de liens sociaux influent sur les modes de participation et d‟engagement, et par
conséquent, sur la culture politique d‟une colonia. Ayant déjà vus plusieurs éléments de
réponse dans la première partie de cette étude et pour éviter de les répéter, une nouvelle
interrogation peut être envisagée ici. De faibles liens communautaires favorisent-ils
l‟émergence de caciques, c‟est-à-dire de leaders politiques autoritaires qui assureraient en
partie la sécurité physique des habitants de la colonia ? Cela pourrait se confirmer au vu des
situations respectives des habitants de Cuesta et de Potrerillo. Ceux-ci sont soumis à des
leaders qui incarnent l‟avatar contemporain des caciques traditionnels. C‟est notamment le cas
d‟Oscar Dominguez Guerrero, qui est décrit comme un cacique par certains des habitants de
Reguilete et dont l‟analyse est reprise dans cette étude (voir I. B). Le cas des leaders de
Potrerillo est plus complexe, compte tenu de l‟écheveau de domaines qui s‟entremêlent et de
la complexité de la situation des habitants, ainsi que du statut juridique de la colonia.
Nonobstant, les caractéristiques du politique à Cuesta semblent contredire cette hypothèse,
puisque les liens communautaires sont plus étroits que dans les deux autres quartiers, mais en
dépit de ce fort sentiment communautaires, les leaders remplissent les fonctions de caciques
locaux. Ce qui est intéressant dans le cas des caciques identifiés dans cette étude, est que tous
désignent d‟autres groupes ou d‟autres individus comme étant des caciques, alors même que
j‟ai évité soigneusement le thème dans mes entretiens avec eux, de peur d‟imposer mes
catégories d‟analyse. Mon but était alors de tenter de voir les données du terrain avec le moins
de présupposés possibles. Au-delà de cette infirmation, une hypothèse retrouvée à la fois dans
les travaux de Wayne Cornelius et dans ceux de Larissa A. de Lomnitz paraît correspondre
aux données observées sur le terrain. La solidarité au sein de chaque colonia, se renforce
lorsque surgissent des problèmes graves. Plus exactement, c‟est le dépassement de problèmes
communs graves qui densifie les relations. Les données récoltées à Reguilete durant les trois
mois de l‟enquête semblent confirmer cette idée. Les relations entre les habitants, ainsi que les
relations entre ces derniers et les membres du comité interne, se sont progressivement
améliorées entre mars et juin. On peut se demander si c‟est le quasi-consensus imposé de
facto par les jugements des comportements d‟Oscar, face aux fonctionnaires municipaux, par
les habitants, qui a permis de rapprocher les différentes factions politiques qui cohabitent dans
la colonia. De même, les espoirs placés dans l‟intercession de Javier, le technicien de
Tenencia de la Tierra qui a proposé son aide aux habitants de Reguilete, ont-ils un rôle
fédérateur ? Le technicien Javier constituerait un point de ralliement des différents groupes
politiques de Reguilete, puisqu‟il n‟a pas de liens avec Oscar Dominguez Guerrero qui a été
discrédité aux yeux des habitants de la colonia, en particulier des Indépendants. De même, il a
les faveurs des membres du comité interne qui lui accordent leur confiance, compte tenu de
son rôle au sein d‟une institution qui peut les aider à régulariser les titres de propriété des
terrains qu‟ils occupent. Enfin, les Entre-deux suivent le mouvement général, tandis que les
Indifférents demeurent en position d‟observation, attendant les premiers résultats pour se
prononcer.
Enfin, un paradoxe demeure en suspens : les logements précaires se maintiennent,
voire se développent, alors qu‟ils sont de plus en plus évincés des centres-villes et mal perçus
tant par les collectivités locales que par les populations, à cause de leur essor spontané dans le
paysage urbain et des images qui leurs sont associées213. J‟aimerais montrer ici que
l‟organisation en réseau et les appartenances communautaires, ainsi que les liens de
solidarités, des habitants de quartiers d‟habitat précaire répondraient à des carences juridiques
et économiques ou à une inadéquation du droit et des structures économiques et financières
aux besoins des populations, condamnant notamment une partie de ces dernières à travailler et
à vivre dans l‟informalité voire l‟illégalité. Comme cela a été exposé en introduction, les
municipalités et les gouverneurs du District Fédéral ont tenté de mettre fin à la triste
réputation qui collait à Mexico dans les années 1970, étant devenu l‟exemple paradigmatique
des mégapoles du Sud, contenant son lot de bidonvilles. Cette hypothèse a été fondée sur des
observations initiales qui tendent à montrer que les bidonvilles se maintiennent voire
s‟étendent. Cela va à l‟encontre des chiffres officiels. Mais l‟élaboration-même de ces chiffres
pose problème, compte tenu de la sous-évaluation du nombre d‟habitations précaires. Celles
prises en compte, notamment dans le recensement Vivencia y Poblacion de 2005, ne
comprennent que les logements précaires. Il s‟agit par exemple de colonias comme celle de
Coyuya, centre-sud du District Fédéral. Alors que les habitations les plus démunies à Mexico
et les colonias d‟habitat précaire les plus étendues sont généralement informelles voire
illégales, à l‟instar des trois étudiées ici. Les quartiers qui servent de base à cette étude
montrent l‟extension progressive de chacun d‟eux, même de Potrerillo, malgré la complexité
de la situation et les difficultés rencontrée. Ainsi, parmi les habitants passés et présents de
Potrerillo, la grande majeure partie proviennent d‟un autre terrain détenu par les leaders, Irma
et Gina. De même, la majeure partie des habitants qui a déjà quitté la colonia, s‟est rendue sur
un autre terrain proposé par les leaders. C‟est notamment le cas de la famille de Johanita,
rencontrée peu de temps avant son départ pour une habitation à Zumpango, dans l‟État de
Morelos, à la mi-avril. Mon informatrice particulière à Potrerillo, appelée Martha pour la
préserver de possibles représailles, a confié ses hésitations quant aux possibilités que lui
offraient les leaders de s‟installer sur un autre terrain à Xichonotla, dans l‟État de Morelos.
Néanmoins, sa famille et elle préfèrent se débrouiller par leurs propres moyens, compte tenu
des contraintes imposées par le leadership d‟Irma et de Gina, à savoir une grande mobilité et
une patente insécurité de logement, ainsi que l‟exposition à de la violence quotidienne.
L‟événement le plus violent cité par de nombreux enquêtés est l‟expulsion de janvier, décidée
par le propriétaire du terrain et organisée par Gina et Irma. En effet, après plusieurs mois
d‟avertissement, une opération bulldozer a été lancée. Ce terme devenu courant dans le
quotidien des habitants paracaidistas de tout l‟État de Mexico, désigne des pratiques
spécifiques d‟expulsion. Il s‟agit de la destruction de leurs logements par des grues et des
pelleteuses, soit par des « bulldozers ». sont venues détruire environ les deux tiers des

213
Voir graphique n°1 (page 120) concernant les perceptions des ciudades perdidas par un échantillon de la
population de l‟État de Mexico
habitations de la colonia. L‟opération a eu lieu en pleine journée, alors qu‟une grande partie
des habitants travaillaient ou étaient à l‟extérieur du quartier. Ceux qui se trouvaient à
Potrerillo ces jours-là, l‟opération ayant duré trois jours selon nos informateurs, décrivent des
scènes d‟une grande violence. Certaines familles ne voulaient pas quitter leur habitation et ne
supportaient pas l‟idée d‟être chassées, ainsi que de voir leur logement détruit. Plusieurs
d‟entre elles ont décidé de rester à l‟intérieur, malgré la présence des grues sur le terrain. Cela
n‟a pas démonté les leaders, puisque ces derniers ont commandé aux chauffeurs des grues de
charger quand même. Ainsi, des habitants ont fini par sortir en trombe de chez eux, alors que
leurs habitations respectives étaient en train de s‟effondrer sous les assauts des grues. Ceux
dont les maisons étaient en train d‟être détruites, criaient à l‟injustice et insultaient les
chauffeurs des grues. Le soir, lorsque la plupart des habitants est revenue, ceux dont les
logements étaient encore debout, pensaient être tranquilles. Cependant, l’opération bulldozer
a repris le lendemain. Au total, c‟est entre un tiers et la moitié des habitations de Potrerillo qui
ont été détruites, comme le relate une voisine de la colonia, sociologue : « ça doit faire
environ deux mois maintenant que des grues sont venues pour détruire les habitations. Mais
ce mouvement avait commencé il y a plusieurs années : des habitants avaient été chassés en
vue de l‟agrandissement de l‟autoroute, alors que ce projet n‟a finalement jamais vu le
jour »214.
Cette première sous-partie montre les liens entre l‟existence d‟une communauté et de
sa polymorphie, sur l‟apprentissage politique au sein de réseaux sociaux, à Cuesta, Potrerillo
et Reguilete. Cela a amené ensuite à prendre en compte l‟influence des liens communautaires
sur la participation politique. Enfin, une apparente contradiction vient d‟être analysée : celle
du maintien des colonias paracaidistas, malgré leur croissant encadrement juridique et
policier. L‟analyse des relations entre communauté et politique, en particulier l‟apprentissage
et la participation politiques, débouche sur la prise en compte du « paradoxe de la marginalité
politique ». En quoi consiste ce paradoxe ?

B- Le « paradoxe de la marginalité politique »215 des paracaidistas

Consécutivement aux analyses précédentes, en particulier le paradoxal maintien des


paracaidistas, malgré un encadrement juridique et policier croissant, apparaît un trait
important quant aux mécanismes du politique dans les colonias paracaidistas : l‟apparente
marginalité politique des habitants de ces quartiers. Cette fausse apparence est concentrée ici
dans la notion de « paradoxe de la marginalité politique ». Cette notion renvoie aux différents
sens du terme paradoxe, issu du grec paradoxos (litt. : contre la doxa, soit l‟opinion
commune). Cette notion est perçue ici dans deux perspectives, concentrant d‟une part le fait
qu‟elle constitue une opinion contraire à l‟opinion commune. D‟autre part, une opposition ou
des liens antinomiques entre les différents termes qui la composent. L‟hypothèse qui sous-
tend le raisonnement de cette sous-partie considère que l‟accroissement de l‟encadrement
juridique, esquissé dans la partie précédente, ne contraint pas les possibilités d‟action des
habitants. Au contraire, elle ouvre de nouveaux champs d‟action. Parmi ces derniers, le

214
Propos recueillis par nos soins, le 14 avril 2007 : “hace como dos meses ahora que excavadoras vinieron para
tirar las habitaciones. Pero eso había empezado hace anos, cuando gente había sido sacado por la ampliación de
la autopista mientras que este proyecto nunca fue llevado al cabo”
215
Terme conceptualisé par nos soins pour les besoins de cette étude
politique est un domaine d‟action majeur. En quoi consiste ce « paradoxe de la marginalité
politique » des paracaidistas ?

1. Une marginalité sociale et économique ?

L‟idée défendue ici est que les habitants des trois quartiers d‟habitat précaire étudiés
ici sont aux marges des systèmes économiques et sociaux, mais n‟en sont pas exclus. Qu‟est-
ce alors que la marginalité ? Les paracaidistas sont-ils des exclus ou bien des marginaux
socio-économiques ?
Pour avancer dans cette réflexion, il faut expliciter le sens dans lequel est prise ici la
notion de marginalité. La marginalité est parfois définie comme un « phénomène transculturel
propre à une étape transitoire du développement économique »216. Selon Adams, elle
correspond à des groupes sociaux exclus des sources de pouvoir, même lorsque l‟État prend
en charge leur survie biologique. Cette définition permet de prendre en compte des
populations considérées comme « restantes » dans les pays développés à économie de marché.
La marginalité est également une catégorie d‟analyse qualitative, considérée alors comme
l‟absence d‟un rôle économique articulé au système de production industriel, qu‟il s‟agit de
différencier de la pauvreté, concept quantitatif, qui implique une situation de faibles revenus.
Ainsi, la marginalité et la pauvreté ne sont pas forcément inclues dans une relation
métonymique. Un État peut mettre fin à la misère par l‟instauration de subsides minimaux
pour ses citoyens, ou du chômage par l‟intermédiaire de travaux d‟intérêt général. Alors que
ces politiques ne peuvent mettre fin à la marginalité, c‟est-à-dire aux secteurs et aux
populations que l‟économie n‟est pas capable d‟intégrer à ses schémas de production217. Mais
ces secteurs ne sont pas exclus des processus économiques et politiques formels et officiels ;
ils sont à leur marge. Pour cela, il est question de la marginalité des paracaidistas et non de
leur exclusion. Cela s‟explique notamment par « l‟énorme disparité » décrite par Carlos
Bazdresh : « quant à la participation à la production, les revenus, la consommation et les
décisions économiques. Cette disparité se manifeste non seulement dans la distribution de la
propriété et du revenu, très inclinée envers les strates supérieures. Mais aussi dans une
différence marquée entre ceux qui ont un emploi rémunéré qui leur permet un accès à un
niveau de vie relativement suffisant. Et ceux qui, au contraire, sont victimes du sous-emploi et
du chômage, et qui ne peuvent donc pas s‟intégrer à l‟économie et manquent par ailleurs du
minimum indispensable »218. Cette dernière définition prend en compte plusieurs traits
caractéristiques des trois colonias étudiées ici. En effet, chacune d‟entre elles compte une
majorité d‟habitants à faible niveau de vie (voir données en introduction). Les paracaidistas
souffrent également du chômage et du sous-emploi. Parmi les personnes rencontrées,
nombreuses sont celles qui expriment leurs difficultés à trouver un emploi ou à obtenir un
nombre suffisant d‟heure pour faire vivre leur famille. Ainsi, Margarita, habitante de
Reguilete se plaint de son travail : « non, je n‟aime pas, j‟avoue. Je suis très mal payée et je
n‟ai pas suffisamment de travail pour faire vivre ma famille »219.

216
Para (Rodrigo), «Marginalidad y subdesarrollo», Las migraciones internas, Bogota, R. Cardona Editorial
Andes, 1972, p 221-225, cité par Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 15
217
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 15
218
Bazdresh (Carlos), «La política económica», Plural, Mexico, juill. 1973, n°22, p 18
219
Propos recueillis par nos soins le 22 mars 2007 : “no, no me gusta, la verdad. Estoy muy mal pagada y no hay
bastante trabajo para mantener a mi familia”
Quels sont alors les processus de marginalisation observés ? Quels sont leurs liens
avec l‟existence ou non d‟une communauté dans chaque colonia étudiée ? Certains chercheurs
supposent que les marginaux s‟insèrent fonctionnellement dans le système capitaliste par le
concept marxien d‟armée de réserve salariale »220. Selon Stavenhagen, les marginaux
s‟insèreraient dans l‟économie urbaine dominante à travers des prestations de services
proposées principalement aux classes moyennes221. Pour Quijano, la marginalité correspond à
« le surplus de population des économies capitalistes dépendantes ». Alors, les marginaux
représentent, dans cette théorie, une charge sociale ou un symbole de retard de
développement. Mais, selon Adams, les groupes marginaux n‟apparaissent pas seulement dans
les économies dépendantes, mais aussi dans les métropoles des économies industrialisées à
économie de marché. Pour ce dernier, « la cause de la marginalisation doit être cherchée dans
tout le processus de développement industriel »222. Plusieurs processus semblent ici pertinents
pour tenter de comprendre la situation des habitants des colonias prises en compte. Le premier
concerne les modes de concentration de la modernisation dans les grandes villes, ce qui
contribue à marginaliser les activités artisanales traditionnelles. Par exemple, on remarque que
dans les trois quartiers, on retrouve des artisans. Ceux-ci confectionnent des meubles ou des
objets d‟intérieur en bois. Ces artisans apparaissent comme les plus en difficulté, à l‟instar de
la famille, appelée Tarascan, par les habitants de Potrerillo et par Roberto Lopez, le
mécanicien qui travaille à côté de la colonia, pour ses origines indiennes. La famille vit à
l‟extérieur du quartier, sous des bâches en plastiques, avec un coin chambre aménagé et isolé
par des bâches plastiques. Selon leurs propos, cela leur permet de rester à côté de leurs
meubles et d‟éviter les vols, de payer le déplacement ou le logement. De même, les artisans
plombiers ou mécaniciens, qui travaillent de manière indépendante ou pour le compte de
petites entreprises proches de leur colonia, sont touchés par la dévalorisation de leur activité et
la difficulté de trouver des moyens de subsistance. Les processus technologiques
engendreraient selon Lomnitz, « une complexification de l‟organisation de la production, une
spécialisation majeure de la structure politique et sociale, une majeure concentration du
pouvoir et plus de groupes exclus du processus de contrôle économique, politique et
social »223. Lomnitz conclut : « la marginalité serait l‟entropie sociale des systèmes de
l‟industrialisation accélérée ». Ainsi, l‟industrialisation, dont la vélocité s‟accroît à mesure que
les progrès technologiques avancent, engendrerait une dissipation sociale de population. Cette
dissipation –au sens employé en physique, c‟est-à-dire de perte- correspondrait à la
marginalité. La marginalité se réfèrerait alors à la désuétude de certaines activités et, par là, la
ségrégation des populations qui les exercent. Quels sont alors les liens entre communauté et
marginalité ? Selon ces définitions, les trois communautés étudiées seraient-elles marginales ?
L‟hypothèse émise ici est que chaque communauté vit aux franges sociales et économiques du
système économique et social national. Mais il existe également une gradation de la
marginalité socio-économique au sein du groupe des habitants de chaque colonia. Cette
marginalité serait liée à la faible capacité à consommer des habitants, à leur capacité inférieure
d‟investissement, l‟insécurité économique et en particulier salariale. Malgré cela, comme cela
a déjà a été montré (I), les marginaux économiques constituent une force économique et un
marché de plus en plus important pour différents secteurs, en particulier celui de la
construction. Cependant, comme le montre le tableau suivant, les revenus moyens par cellule

220
López ( J. Brando), « Migration and development », Mimeografiado, 1973, cité par Adler de Lomnitz
(Larissa), op. cit., p 15
221
Stavenhagen (Rodolfo), Comunicación verbal, 1973, cité par Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 15
222
Adams (Richard), p 154-155, cité par Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit, p 18
223
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 18
domestique est comprise entre 6000 et 7750 pesos par mois, soit entre 450 et 550 euros
environ.

REVENUS MOYENS

8000
7000
6000
5000 Couple
4000 Homme
3000 Femme
2000
1000
0
Reguilete Cuesta Potrerillo

Tableau 12 : Revenus moyens des habitants par colonia

Alors que le produit intérieur brut par habitant est de 9600 dollars. Le salaire minimum varie
selon le métier et la situation géographique. La Commission Nationale des Salaires Minimaux
(Comisión Nacional de Salarios Mínimos, CNSM) a fixé des salaires minimaux pour chaque
catégorie de métiers. Ceux-ci varient en fonction des divisions administratives. Ainsi, en
2003, le salaire minimum à Mexico était de 43 pesos et soixante-cinq centimes, soit moins de
quatre euros par jour. Les revenus mensuels moyens toutes colonias confondues est de 6875
pesos, soit environ 490 euros. Il est vrai que le salaire minimum est un seuil plancher, bien en-
deça des revenus des populations démunies, comme le prouve ce récapitulatif des salaires des
habitants des trois quartiers d‟habitat précaire étudiés ici. De même, les activités exercées,
comme ouvriers non qualifiés (comme Javier de Potrerillo) ou ouvriers en bâtiment (Carlos
par exemple à Reguilete) pour les hommes, ouvrières (Veronica, ouvrière à domicile vivant à
Potrerillo) ou domestiques (Margarita à Reguilete) pour les femmes, sont généralement des
activités manuelles dévaluées par le marché du travail. Certaines de ces activités dévaluées
sont parfois traditionnelles comme les charpentiers ou bien modernes comme les poseurs de
moquette. Le point commun de ces activités est l‟insécurité sociale et économique : tous les
travailleurs non qualifiés sont payés au contrat ou à la journée. Le fonctionnaire qui vit à
Cuesta est, quant à lui payé à la quinzaine, comme c‟est souvent le cas au Mexique. C‟est le
cas de Carlos et de Julio qui sont payés à la quinzaine par les patrons qui leur font construire
une maison à Reguilete. Certains des employés non qualifiés sont payés à la semaine, comme
l‟est Monica à l‟usine de Tupperware de Santa Clara. Il en est de même pour Chencho,
changeur de pneus (vulcanizador, c‟est-à-dire employé d‟une vulcanizadora224 : atelier
spécialisé dans la réparation et l‟entretien des pneus et des gentes) dans un garage de Santa
Clara. Concernant les causes de ces processus de marginalisation, il est possible de reprendre
la théorie d‟Oswaldo Sunkel225 qui explique qu‟elle trouve son origine dans la situation de

224
Le terme de vulcanizadora dérive du verbe vulcanizar (vulcaniser) qui correspond à une réaction chimique
qui consiste à incorporer du souffre au caoutchouc pour lui donner des propriétés particulières ; cela permet en
particulier de renforcer sa résistance. L‟étymologie révèle que le terme dériverait du nom du dieu latin Vulcain,
le dieu du feu
225
Sunkel (Oswaldo), El subdesarrollo latinoamericano y la teoría del desarrollo, Mexico, Siglo XXI, 1971, p
34-78
dépendance entre les économies régionales ou nationales, qui traverse les différentes étapes de
l‟industrialisation. Il évoque en particulier l‟essor simultané de l‟industrie minière et de
l‟agro-alimentaire en lien avec l‟entremêlement des secteurs primaire, secondaire et tertiaire.
De même, la dépendance s‟exprime selon lui à travers les inégalités croissantes entre les
métropoles et leurs marchés respectifs. Alors, les modèles de développement/sous-
développement et d‟intégration/marginalisation se chevauchent. Le sous-développement serait
alors un processus de marginalisation lié au développement rapide de centre primaires, face au
développement plus lent des économies dépendantes.
Quelles sont alors les caractéristiques de la marginalité socio-économique qui
affecterait les habitants des colonias paracaidistas étudiées ici? Parmi les caractéristiques
observées, l‟on trouve la faible voire nulle participation à des organisations sociales, ou d‟un
groupe social au processus de prise de décision qui lui correspond. Comme cela a déjà été
explicité par ailleurs, les habitants qui font partie d‟associations, appartiennent à des
associations de quartier, comme par exemple un club de couture ou de crochet, ou bien, dans
une moindre mesure, à des syndicats. Il faut noter l‟importance des groupements religieux au
sein des trois colonias étudiées, en particulier des mouvances catholiques, pentecôtistes,
protestantes, ou encore des Témoins de Jéhovah. Comme l‟écrit Lomnitz, « en-dehors du
réseau d‟échanges, les marginaux participent peu à des associations de tous types, qu‟elles
soient locales ou nationales » (p 195)226. De plus, les habitants « non seulement il leur
manquerait l‟accès au pouvoir de décision sur leur propre destin social et économique, mais
ils souffrent aussi d‟une pauvreté beaucoup plus intense »227. Une autre caractéristique
majeure, celle-ci entrevue, concerne les activités économiques : « l‟économie mexicaine a été
incapable de créer ces emplois, ce qui a été une des principales causes de la concentration
aiguë des revenus qui prévaut à Mexico ». Néanmoins, parmi les secteurs-clé d‟embauche,
« l‟industrie de la construction a pu absorber un contingent important de main d‟œuvre
marginalisée, parce qu‟elle constitue une source d‟emplois de basse qualification, mal
rémunérés, sans sécurité sociale, facilement substituables et avec des cycles de « boom » et de
chômage. Ainsi, dans les années 1960, 40% de la population salariale de Mexico occupait des
emplois de basse productivité. Dans les années 1970, 35 à 45 % de la force salariale était
sous-employée, tandis que le chômage concernait 25 à 30 %. D‟après les données récoltées
dans les trois colonias étudiées, environ 30 % des habitants se trouvent au chômage, tandis
que 36 % d‟entre eux s‟estiment en situation de sous-emploi.

226
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 195
227
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 19
LA QUALITE DE L'EMPLOI

12

10

8 emploi satisfaisant
6 sous-emploi

4 chômage

0
Cuesta Potrerillo Reguilete

Tableau 13 : La qualité de l’emploi à Reguilete, Potrerillo et Cuesta

On remarque des disparités entre les trois quartiers. Ainsi, les habitants de Reguilete sont les
plus sensibles au chômage (40 %), tandis que ceux de Potrerillo se disent en majorité en
situation de sous-emploi (45 %). Ceux de Cuesta sont ceux qui s‟estiment les plus satisfaits de
leur emploi, puisque 50 % d‟entre eux se déclarent satisfaits de leur emploi. Compte tenu de
la proximité des trois colonias entre elles, la diversité des résultats obtenus s‟expliquerait,
selon moi, en fonction de la perception de l‟emploi et de l‟efficacité des réseaux. Par exemple,
j‟émets l‟hypothèse que les habitants de Cuesta obtiendraient de meilleurs emplois, grâce à
leur « sentiment de communauté » qui tend à les rapprocher et à densifier leurs relations entre
eux et, par là, à échanger des services et des informations entre eux. Parmi les autres critères
en jeu dans les processus de marginalisation, il y a la qualité des systèmes d‟éducation. « La
pauvreté et le chômage génèrent un processus d‟accumulation transgénérationnelle, en vertu
du fait que les personnes exerçant des activités de très basse productivité, ne peuvent
alimenter leurs enfants de manière appropriée, ni leur dispenser l‟éducation appropriée, pour
qu‟ils puissent s‟incorporer à des activités à plus haute productivité que celles de leurs
parents »228. Consécutivement à toutes ces caractéristiques et ces mécanismes, il semble
opportun de reprendre un terme forgé par Adler de Lomnitz, « la marginalité de la
pauvreté »229, pour qualifier la pauvreté qui touche les habitants des trois colonias étudiées :
« leur rôle de consommateurs est limité par leur faible niveaux de revenus, et surtout par
l‟instabilité des sources d‟entrées ; on peut alors dire qu‟ils participent de manière marginale,
à l‟économie industrielle dominante ». La « marginalité de pauvreté » caractériserait ainsi leur
participation marginale aux circuits économiques capitalistes, à cause de leur faible capacité à
consommer, leur basse capacité d‟investissement, l‟insécurité économique et, en particulier,
l‟insécurité salariale.
La marginalité économique et sociale des habitants des trois colonias étudiées, passe
par différents mécanismes et comporte diverses caractéristiques. Quelle est la traduction de
cette marginalité socio-économique dans le domaine politique ?

228
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 21
229
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 19
2. La sur-participation politique des « paracaidistas »

L‟hypothèse émise ici est que la marginalité socio-économique est le pendant d‟une
sur-participation politique.
Il s‟agit d‟analyser, pour commencer, les données récoltées quant à la participation
politique lors du travail de terrain. La participation politique est prise ici dans une acception
restreinte, se référant au vote. Ainsi, une enquête menée en 2005 par une entreprise privée
dédiée aux études d‟opinions230, révèle que 33 % des Mexicains participent à des
manifestations, des meetings ou à des événements politiques. Tandis que 65 % des Mexicains
ne participent à aucun événement politique ; 2 % d‟entre eux n‟ont pas répondu. Ces données
nationales éclairent en partie les résultats obtenus dans les colonias étudiées. En effet, comme
cela a été entrevu, la très grande majorité des personnes interrogées ont une activité politique.
Il a justement été difficile durant la période de constitution de l‟échantillon d‟y inclure des
personnes abstentionnistes ou en retrait de l‟organisation politique de leur colonia. Le
problème était double. D‟une part, ces personnes ne voulait pas prendre part à cette enquête,
n‟en voyant pas l‟intérêt. D‟autre part, les sujets politiques attisent la méfiance de tous les
habitants et de ces derniers en particulier. L‟échantillon initial ne comportait en effet que des
personnes mobilisées politiquement, bien que cela soit à des degrés différents. Cela s‟explique
notamment par le fait que les personnes rencontrées en premier sont celles qui participent aux
réunions. Mais au fur et à mesure de mes visites dans les colonias, j‟ai rencontré de plus en
plus d‟habitants et j‟ai pu interroger des « abstentionnistes ». Donc sur l‟échantillon constitué
de 60 personnes, soit 20 personnes par quartier, il y a au moins un abstentionniste par colonia.
À Reguilete, ceux-ci sont plus nombreux, compte tenu des dissensions et des tensions qui
entourent l‟organisation de chaque quartier et qui découragent certains habitants. L‟évaluation
de la participation politique à Potrerillo est compliquée par les transformations en cours dans
le quartier et son démantèlement. Par ailleurs, comme cela a déjà été souligné (I. A.), les
critères pris en compte pour le calcul de la participation politique sur le terrain, posent
problème. L‟un des critères de base de la participation politique est le vote. Cependant, les
votes organisés dans chacune des colonias, se déroulent durant les réunions menées par les
leaders ou les comités internes. Les votes sont en outre faits à main levée. Cela exclut donc de
facto les personnes opposées aux leaders, les abstentionnistes et les « mobilisables passifs ».
Les critères pris en compte sont alors la participation aux réunions (très régulière, régulière,
ponctuelle, nulle), la participation à des événements politiques (manifestations, meetings,
grèves, etc.), la participation aux votes. Ces trois critères permettent en outre de dépasser la
réaction première des habitants qui tend à nier toute activité politique. La quasi-totalité d‟entre
eux répondent négativement à la question « participez-vous à des activités politiques ». Même
les personnes les plus impliquées dans la vie de leur colonia comme Asunción à Cuesta,
Cecilia à Potrerillo ou Palemon à Reguilete, ont répondu qu‟ils n‟en avaient pas, « hormis les
actions menées avec la colonia »231.
Quels sont les tenants et les aboutissants de cette surpolitisation des paracaidistas ?
Selon moi, c‟est la précarité et l‟insécurité économique et sociale auxquelles se confrontent
les habitants, qui engendrent leur grande mobilisation et leur participation politique. En effet,
c‟est à la fois la faiblesse de leurs revenus comme l‟informalité de l‟occupation de leurs
terrains qui engendrent de fortes revendications. La réponse fréquemment donnée à la
question concernant leur participation politique est en cela révélatrice. C‟est leur situation

230
Source : « Enquête nationale », IEAOM (Investigacion Estratégica y Analisis de Opinion y Mercado), 2005
231
Propos tenus par Asunción, lors de son entretien
dans la colonia qui explique que leur participation leur paraisse comme naturelle (« je ne
participe pas à des activités politiques, sauf celles de la colonia, mais c‟est pas vraiment de la
politique, ça »232). est perçue comme naturelle. On observe une gradation, selon les colonias,
de la participation politique, ainsi que des organisations diverses. Les habitants de Reguilete
sont mobilisés par Oscar Dominguez Guerrero, lors d‟événements organisés par le PRD. Par
exemple, lors de l‟anniversaire de la mort d‟Emilio Zapata, le 10 avril, des habitants des
différents quartiers suivis par Oscar ont suivi sa nièce et sa sœur à une marche. Cependant, les
conflits et les antagonismes au sein de la colonia font qu‟il n‟y a qu‟une poignée d‟habitants
qui se mobilise et suit le leader du PRD. La situation des habitants de Potrerillo est complexe
car les habitants ont très mobilisés durant plusieurs années, ayant suivi les conseils des leaders
et accepté de se déplacer de terrains en terrains. Mais depuis l‟opération bulldozer de janvier
2007, ils affichent de plus en plus de scepticisme face aux modes de gestion des leaders. Des
critiques fusent. La participation politique qui, auparavant devait être élevée, est désormais
très faible parmi les habitants. Subsistent les engagements des adjoints des leaders qui
demeurent actifs. Les habitants de la Cuesta sont les plus actifs politiquement ; nombreux sont
ceux qui participent à l‟organisation politique de la colonia. Ils sont très fréquemment
mobilisés par leurs leaders pour participer à des marches, des manifestations ou de nombreux
événements politiques. Par exemple, durant le temps d‟enquête, un événement a été organisé
en lien avec le Front du Peuple (FPP), en faveur des vendeurs ambulants de Tepito, un des
quartiers du centre-ville les plus anciens de la capitale. Durant cet événement, les habitants se
sont équipés de caddies et disposaient d‟un peu d‟argent distribué par le FPP, afin qu‟ils
puissent acheter auprès des vendeurs ambulants affiliés à l‟association. Les habitants avaient
des panneaux en faveur du maintien des postes ambulants sur le marché de Tepito. Cette
opération avait un but médiatique, puisque Lucas Alvarez, le leader du FPP, avait contacté les
média afin qu‟ils soient présents pour cet événement. Cet exemple montre différents tenants et
aboutissants de la sur-participation des habitants. Parmi ceux-ci, il y a la récupération
politique de revendications économiques et sociales. De même, les liens avec les média
complexifient la relation entre marginalisation socio-économique et surpolitisation des
habitants des colonias paracaidistas. Ceux-ci sont au cœur de cette relation puisque la
mobilisation des habitants est liée à des événements médiatisés. Durant le temps de l‟enquête,
les événements politiques pour lesquels les habitants étaient mobilisés, étaient des événements
médiatiques. Par exemple, il y eut la manifestation du 2 mai, qui prônait l‟amélioration des
conditions de travail et l‟augmentation des salaires, organisée par le PRD et à laquelle
participaient des habitants de Reguilete. Les habitants de la Cuesta ont été sollicités pour de
multiples événements. Le voyage annuel dans des communautés autonomes du Chiapas a été
organisé durant l‟enquête. Celui-ci a été prévu pour la semaine comprise entre le 20 et le 27
juillet.
Après avoir vu certains mécanismes de la surpolitisation des habitants des trois
colonias paracaidistas étudiées ici, en particulier la récupération politique de revendications
économiques et sociales, il est possible de s‟interroger maintenant sur les liens entre
participation politique et manipulation. Quelle est la nature de ces liens ?

232
Loco citae
3. Participation et manipulation

L‟hypothèse émise ici est que la récupération politique, par les leaders et les caciques
locaux, des revendications économiques et sociales des habitants des colonias paracaidistas,
s‟apparenterait à de la manipulation. Quel est le mouvement dialectique entre participation et
manipulation politique ?
La manipulation est prise ici dans un contexte interpersonnel. Elle correspond alors au
fait de modifier quelque chose de façon suspecte –l‟altérité jouant sur ce qui est jugé suspect
par l‟autre ou les autres- ou bien de manœuvrer des personnes dans le but de les tromper233.
Dans le domaine politique, la manipulation serait alors la modification d‟une chose, qui peut
tout aussi bien être un discours comme des pratiques ou des habitudes politiques, de façon
suspecte. Cette première partie de la définition pourrait tout aussi bien renvoyer à des
escroqueries politiques ou à de la corruption : les deux correspondent au fait de modifier
quelque chose de manière suspecte. Dans les colonias paracaidistas étudiées, la
manipulation, ainsi définie, représenterait les mensonges racontés par les leaders. Par
exemple, les habitants de Potrerillo ont trouvé suspect le revirement politique effectué par
Irma, leur leader, traditionnellement rattachée au PRI et qui se tourne de plus en plus vers le
PRD. Le second aspect de la définition correspondrait à deux types de manipulation
différents. D‟une part, il y aurait la tromperie et le mensonge entre deux intervenants, afin
d‟en tirer des avantages, ou alors la tromperie au sens de tentative d‟obtenir de quelqu‟un
d‟autre quelque chose ou un comportement. Cette définition apparaît la plus courante, d‟après
les observations menées. Par exemple, les discussions politique d‟Oscar Dominguez Guerrero,
leader autoproclamé de Reguilete, que celui-ci justifie comme étant un moment pédagogique,
où il apprend aux paracaidistas qui le consultent à analyser la politique actuel, est vilipendée
voire vitupérée par les habitants. Elle leur apparaît comme un de la propagande partisane aux
yeux des populations. Les propos des habitants de Reguilete qui sont en désaccord avec la
propagande d‟Oscar se plaignent, en effet, qu‟il essaie de « les manipuler ». La manipulation
est à distinguer de la domination. En effet, les habitants et leurs leaders pourraient être un
contre-pouvoir efficace, dans le cas de rapports de force ou de domination. Mais l‟artifice
ultime de la manipulation, tend à convaincre le manipulé qu‟il tient les rennes de la relation et
qu‟il est libre. De ce fait, a manipulation annihilerait toute capacité à se rebeller ; les causes
d‟une personne ou d‟un groupe manipulé, sont récupérées à d‟autres fins, soit par leurs
leaders, s‟ils ont une voix de sortie possible, sans courber l‟échine, soit par d‟autres hommes
politiques bien plus hauts placés dans la hiérarchie politique234. La manipulation pose un
problème récurrent en sciences politiques : où s‟arrêtent le discours de vulgarisation et où
commence celui du démagogue ? On peut se demander si Chano dresse un constat ou bien s‟il
tente de manipuler son auditoire, lorsqu‟il dit que tous les membres des partis politiques au
pouvoir sont corrompus et que le seul moyen de mettre fin aux inégalités politiques (irrespect
de certains droits, par exemple de logement), économiques (incarnées par le fait que les plus
pauvres économiquement soient les moins respectés à tous les autres niveaux) et sociales (par
exemple, la marginalité qui incarne les quartiers d‟habitat précaire dans les imaginaires
communs). Son discours pourrait n‟être que l‟enchaînement de constats plus ou moins
accablants de méfaits politiques. Néanmoins, ses propos amènent ensuite à la seule solution
qui peut remédier à la situation : la révolution et la lutte armée. Le discours apparaît
233
D‟Almeida (Fabrice), La manipulation, Paris, PUF, 128 p
234
Lenain (Pierre), La manipulation politique, Paris, Economica, 2001, 96 p
clairement comme partisan, mais aussi comme manipulateur, lorsqu‟il tente par de nombreux
recours rhétoriques et discursifs, de rallier les auditeurs à sa cause. Ce qui est intéressant avec
la manipulation, c‟est que celle-ci vise l‟acquisition d‟une autorité. Mais, la répétition des
artifices manipulateurs, la manipulation s‟estompe. Le prestige, le leadership et l‟autorité du
chef, s‟érodent.
Quels sont alors les liens entre manipulation et réseaux sociaux ? L‟hypothèse
soutenue ici est que la manipulation politique dans chacune des trois colonias paracaidistas
s‟effectuerait par l‟intermédiaire des réseaux sociaux. Le fonctionnement de la manipulation
par les réseaux sociaux, au sein de chaque colonia, serait analogue à celui qui avait cours sous
la féodalité européenne entre le Xe et le XIIIe siècle. Cela ne veut aucunement dire que les
liens entre manipulation et réseaux sociaux, serait une relation archaïque, mais au contraire,
elle serait majeure, comme le prouve la pérennité de ces pratiques féodales à travers des
configurations plus récentes, comme le caciquisme ou le clientélisme. Par exemple, les
hommages de fidélité, typiques au Moyen-âge, constituent un : « contrat militaire et politique
entre un supérieur en puissance, richesse et prestige, et un vassal qui attend protection et
entretien de son seigneur »235. Ce schéma relationnel correspond à celui des relations
clientélistes, héritées du caciquisme, déjà mises en évidence : les relations actuelles dans les
colonias paracaidistas, lient les leaders, appelés parfois représentants, et les habitants, en
assurant protection physique et revendication ou défense de droit sociaux et économiques des
habitants, en échange du soutien politique, principalement électoral, des leaders. Cependant,
comme le remarque Claude Rivière, ces relations sont avant tout des rapports de domination
qui, comme tel, peuvent être renversés. Alors que la manipulation politique est plus
insidieuse, dans le sens où les manipulateurs tendent d‟amoindrir les signes apparent de la
manipulation, pour faire passer leur domination pour naturelle : « La seigneurie héréditaire
exerce un pouvoir de justice, de prélèvement fiscal et de défense, sur les habitants d‟un
territoire qui traduisent leur fidélité en services, biens, corvées, tributs […]. L‟allégeance est
apparente jusqu‟à ce que quelqu‟une révolution décolonisatrice bouleverse les rapports de
domination, sans faire taire les acrimonies promptes à se décharger en massacres » 236. La
manipulation est alors clairement liée au pouvoir, à ses usages et aux manipulations dont il
peut être l‟objet. Dans les colonias paracaidistas, les mécanismes de manipulations peuvent
viser l‟élection, un candidat ayant recours à ces artifices dans le but de se faire élire. Les
mécanismes de la manipulation sont avant tout discursifs, en tentant de convaincre (première
partie de la définition), ou alors en mettant en scène des situations ou des configurations
artificielles présentées comme vraies. Par exemple, les élections des membres du comité
interne à Reguilete, vont bientôt avoir lieu. Octavo m‟a confié son souhait de se présenter. Il
est alors possible de se demander si ceux sont ses velléités politiques qui sont à l‟origine des
attaques qu‟il a pu mener à l‟encontre à des membres actuels du comité. La réussite de
stratégies manipulatrices reposeraient alors sur la capacité des manipulateurs à créer un
discours et à monter un projet cohérents. Néanmoins, il apparaît que les stratégies de
manipulation ne peuvent s‟extraire totalement des pratiques politiques habituelles et
ritualisées, comme peuvent l‟être l‟intervention des réseaux sociaux dans le fonctionnement
du politique. Ainsi, les positions d‟éligibilité se transmettent de longue date au sein réseaux,
car « les liens de parenté et les stratégies matrimoniales occupent une position particulière au
centre du dispositif ramifié et dépassent le strict cadre communal »237. Comme cela est vu plus
loin (III), la manipulation n‟est pas à sens unique, dans le sens où les habitants peuvent

235
Rivière (Claude), Introduction à l’anthropologie, Paris, Hachette, p 98
236
Rivière (Claude), ibidem, p 105
237
Abélès (Marc), op. cit., 2005, p 150
également construire des discours archétypaux, alarmants ou victimaires, par exemple, en
fonction des calculs d‟intérêts que font les habitants. Finalement, la manipulation s‟inscrit
dans des rapports de force : on peut se demander si la manipulation n‟est pas un moyen pour
un adversaire plus faible de prendre le dessus, en dépit de ses désavantages premiers. Dans ce
cadre conceptuel, le « pouvoir villageois » pourrait être assimilé au pouvoir des habitants,
tandis que le « pouvoir politique », c‟est-à-dire lié à un espace politique plus vaste, pourrait
être celui de la municipalité. Alors, le pouvoir résiduel correspondrait au pouvoir que
confèrent les réseaux sociaux et les configurations relationnelles à certains candidats. Ces
configurations seraient elles-mêmes issues de représentations politiques spécifiques. Quelles
sont-elles ?
La manipulation politique jouerait, par les réseaux sociaux, sur les représentations
politiques. Ainsi, « L‟observation d‟une entreprise partisane au niveau local passe par
conséquent par le repérage des principaux réseaux sociaux qui constituent le véritable milieu
social »238. Cette thèse comprend donc les dimensions synchroniques et diachroniques des
réseaux. Concrètement, les représentations politiques dans les colonias paracaidistas, prennent
en compte à la fois les affiliations politiques et associatives présentent, les réseaux
relationnels actuels, mais aussi les affiliations passées. Par exemple, le passé de Chano, au
sein de groupes armés zapatistes, lui confère une légitimité pour diriger la colonia, vécue et
pensée par les habitants comme une collectivité « en résistance ». Il faut noter que cette
représentation des habitants de Cuesta comme en résistance est certes le fait des habitants eux-
mêmes, en fonction des constructions cosmologiques auxquelles donnent lieu la vie en
commun, mais les leaders zapatistes participent de cette construction qui leur permet
d‟amplifier et de renforcer la renommée de leurs réseaux et de leur mouvement. Dans son
discours de mai 2005, Marcos félicitait la résistance et la ténacité dont ont fait preuve les
habitants. Ces dimensions amènent à remettre en cause la dimensions strictement locale des
réseaux, même lorsque ce sont les réseaux d‟échange réciproques qui sont considérés. La
territorialité du pouvoir aussi bien que celle des représentations et des imaginaires politiques,
est développée à plusieurs endroits de cette étude. Ce qui m‟intéresse ici c‟est de voir
comment se construisent ces réseaux d‟éligibilité : comment la configuration relationnelle,
telle que le système de parenté ou d‟alliances, mais encore, l‟affiliation partisane ou
associative jouent sur les réseaux sociaux, et, par là, sur les réseaux d‟éligibilité. L‟exemple
de la colonia Cuesta souline les convergences et les écarts entre l‟espace vécu et l‟espace
pensé par les habitants. Ainsi, alors que les habitants revendiquent l‟accès à la propriété des
terrains qu‟ils occupent, combat que les leaders de Cuesta disent en grande partie résolu grâce
aux soutiens politiques dont ils bénéficient, ils font l‟objet de plaintes déposées à leur
encontre et avouent la précarité de leur logement, malgré les discours rassurant des leaders.
L‟étude des mécanismes de la confiance et de la réciprocité, comme nœud
d‟articulation des réseaux sociaux et du politique dans les trois colonias paracaidistas
étudiées ici, faire ressortir le « paradoxe de la marginalité politique » des habitants. Ceux-ci
sont généralement perçus comme des individus marginaux, en-dehors des circuits politiques,
économiques et sociaux. Cependant, cette sous-partie s‟attèle à démontrer comment ces
habitants dont la propension à consommer est effectivement inférieure à celle de la majorité
de la population mexicain, sont en réalité plus mobilisables pour des événements ou des
causes politiques. Ils participent, par exemple, beaucoup plus fréquemment à des
manifestations ou des grèves. Cette mise en relief d‟un des préjugés concernant les
paracaidistas, amène à s‟interroger sur l‟influence de la notion de communauté, sur la
personnalité des habitants.

238
Sawicki (Frédéric), Les réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Paris, Belin, 1997, 340 p
C- Communautés et individualités : l’altérité à Reguilete, Cuesta et
Potrerillo

L‟analyse du « paradoxe de la marginalité » politique des paracaidistas, en particulier


celle des liens entre participation et manipulation politique, jette un éclairage différent sur les
relations entre communautés et individualités au sein des trois colonias prises en compte. Le
« paradoxe de la marginalité » se base sur la perception des habitants de quartiers d‟habitat
précaire par le reste de la population. Il introduit l‟importance de l‟altérité dans l‟identité des
habitants de chacune des colonias. L‟hypothèse est alors que la perceptions des Autres –c‟est-
à-dire des non paracaidistas – par ces derniers, soit l‟altérité économique et sociale que
représentent les habitants formels et légaux voire les propriétaires, joue sur les appartenances
communautaires des paracaidistas.
Il s‟agit dans un premier d‟étudier les rapports entre appartenances communautaires
des habitants de Cuesta, Reguilete et Potrerillo, aux organisations politiques pour comprendre
certaines variances dans les pratiques politiques et les liens à la communauté. Cela amène
dans un deuxième temps à considérer un autre élément central dans cette relation : le rôle des
imaginaires politiques. Enfin, il est question d‟envisager un mode d‟expression et de vécu des
individualités au sein des communautés de quartier : la trajectoire personnelle.

1. Appartenances communautaires et rapports aux organisations politiques

L‟équilibre entre les sentiments d‟appartenance communautaire et la place de


l‟individualité propre à la culture politique de chaque colonia engendrerait une variance des
rapports aux organisations politiques.
Tout d‟abord, il s‟agit d‟expliciter les termes en jeu dans cette hypothèse. La culture
politique est prise ici comme un ensemble de traditions, de valeurs et de stratégies, partagées
par un groupe et liées à la manière d‟exercer et de contrebalancer le pouvoir. Les facteurs
impliqués dans la définition choisie ici, sont à la fois d‟ordre politique, avec notamment le
contexte macro-politique en jeu, économiques, les différences de niveaux de vie influant sur
les panières de percevoir et de pratique la politique, ainsi que des facteurs culturels et sociaux
qui jouent également sur les perceptions et les pratiques politiques. Ainsi, selon ces critères, il
est possible de différencier la culture politique des habitants de Cuesta, de Potrerillo et de
Reguilete. Il est possible de distinguer une culture politique propre à chaque colonia, car le
quartier constitue une échelle de faible ampleur empiriquement maîtrisable. Comme l‟écrit
Claude Rivière, « le quartier apparaît comme un cadre de vie et comme un espace mental de
coexistence et de proxémie. On s‟aperçoit que souvent les formes de vie en ville sont fort
différentes d‟un quartier à l‟autre »239. La circonscription de l‟objet d‟étude à l‟échelle du
quartier, au-delà de l‟avantage pragmatique que cela confère, s‟ancre dans une volonté de
prendre en compte des terrains réduits qui sont plus facilement approfondis que des enquêtes
sur des terrains plus étendus. L‟intérêt est alors de bien cerner ces trois « petits » terrains –qui
posent néanmoins un grand nombre de problèmes et qui soulèvent des questions- pour les
comparer entre eux. L‟échelle de cette étude n‟est pas exactement celle du quartier c‟est celle
de la colonia, c‟est-à-dire une aire qui peut recouvrir celle du quartier comme être un échelon

239
Rivière (Claude), Introduction à l’anthropologie, Paris, Hachette, 1995, p 147
infra-quartier. Le quartier se définit comme un repère socio-spatial de l‟identité locale. Cette
identité peut être cohésive et engendrer un sentiment d‟appartenance, comme au contraire
favoriser le délitement social. Dans le cas présent, la colonia correspond effectivement à un
quartier dans le cas de Potrerillo car il s‟agit d‟une entité autonome blabla. Concernant
Reguilete et Cuesta, ces deux colonias font partie d‟un même quartier : celui de Buena Vista.
La Cuesta porte un nom pour des motifs topographiques, le terrain étant dénivelé. Ce nom sert
à désigner le lot d‟habitations paracaidistas qui dénotent des habitations en dur de Buena
Vista. De même, les habitants de Reguilete nomment leur terrain « colonia ». Cependant, les
registres de cadastres ne font part que d‟un seul quartier divisé en lots selon les propriétaires.
Les organisations politiques désignent ici, non les modes de gestion des groupes humains,
mais les différentes composantes appartenant au système politique et qui interagissent en son
sein, en fonction d‟intérêts catégoriels. Par exemple, les organisations politiques observées
dans les trois colonias paracaidistas étudiées ici, peuvent être des organisations à proprement
politiques, comme le sont les partis politiques représentés dans les colonias qu‟il s‟agisse du
PRD à Reguilete et du PRI à Potrerillo ; il y a également des associations politiques ou des
groupements politiques non constitués en partis, certains pour des raisons pragmatiques
comme l‟insuffisance des assises populaires pour se constituer en parti, et d‟autres pour des
facteurs idéologiques, rejetant les jeux de partis, avec leur manque de transparence, comme
cela peut être le cas du EZLN, dont le nom-même rejette l‟idée de parti politique pour se
constituer comme groupe armé. Mais il y a également un deuxième type d‟organisations à
vocation politique sans qu‟elles soient strictement politiques. Il s‟agit des associations. Dans
chacune des colonias, il y a des associations et des groupements, qu‟ils soient religieux
(catholiques, pentecôtistes, Témoins de Jéhovah), de loisirs (groupe couture ou crochet),
amicaux (sorties entre cuates, par exemple) et des groupes affinitaires. Les associations sont
en effet vecteurs de pratiques politiques, comme l‟apprentissage de la vie en collectivité,
l‟usage de la parole en groupe. Ces organisations politiques et sociales donnent corps à la
communauté. Quelles sont alors les relations entre communautés et individualités d‟une part
et organisations politiques d‟autre part ?
Les trois colonias présentent une relation à la communauté et des traits
communautaires différents, comme cela a déjà été envisagés (II. A.). Ainsi, les habitants de
Cuesta s‟organiseraient selon un schéma communautaires. La plupart d‟entre eux se déclare
comme appartenant à une communauté d‟habitants, au sens où ils vivent par et pour la défense
de la colonia. Celle-ci constitue leur espace de vie et l‟enjeu de leur mobilisation politique. En
même temps, elle leur attribue, par les luttes auxquelles elle donne lieu, la reconnaissance
sociale d‟une existence collective. Ils forment une communauté car les habitants expriment
leur conscience de partager des intérêts communs. Les habitants de Reguilete formeraient une
communauté au sens où ils partagent au moins un intérêt commun, à savoir l‟irrégularité de
l‟occupation de leur habitation. Consécutivement, ils ont un enjeu en commun : la
régularisation de leurs titres de propriété. Quant aux habitants de Potrerillo, ceux-ci
constituent une communauté en délitement, compte tenu de la forte cohésion des habitants par
le passée et l‟actuelle atomisation des relations dans la colonia. L‟action cohésive des leaders
qui géraient l‟organisation de la colonia et représentaient les habitants en vue de la
régularisation de leur situation, est désormais source de conflits. Certains habitants se
montrent toujours favorable à leur leadership tandis que d‟autres s‟expriment en ferme
opposition à leurs pratiques. Ces différentes perceptions et mises en pratique de la
communauté engendrent des conceptions divergentes de la place octroyée ou à octroyer à
l‟individualité et aux individualités, au sein de chaque colonia. Par exemple, lors d‟une
discussion avec Leti, leader de Cuesta, celle-ci m‟a dit que les habitants formaient « une
grande famille » : « on s‟occupe des enfants, on travaille avec les parents pour qu‟ils ne les
frappent pas, on fait pression sur les familles qui ont des enfants pour qu‟ils aillent tous à
l‟école. Enfin, on fait beaucoup de travail social »240. Dans cet exemple, il apparaît que la
communauté est l‟instance de gestion et d‟organisation de la vie de la colonia. Pour preuve, il
suffit d‟observer les événements internes. Par exemple, lors de l‟anniversaire de Cuesta, le 16
avril, tous les habitants y ont pris part, même les plus isolés. La communauté joue un rôle
primordial dans l‟organisation politique. Alors qu‟à Reguilete, les habitants sont plus
autonomes face à la collectivité. Ainsi, lors de mes premières rencontres avec les habitants de
la colonia, je leur demandais s‟ils organisaient des événements ensemble, qu‟ils soient relatifs
à la gestion de la colonia, à la vie quotidienne, ou bien des événements commémoratifs voire
festifs. Les réponses correspondaient à celle-ci : « non, il n‟y en a pas. Chacun vit de son côté.
C‟est à peine si l‟on se dit bonjour entre nous, parce que certains s‟entendent bien avec tout le
monde, alors que d‟autres ne s‟entendent avec quasiment personne »241. De même, les
dissensions sont acceptées et les groupes d‟idées antagoniques existent, alors qu‟à Cuesta par
exemple cela n‟est pas toléré par les leaders. À Potrerillo, les habitants formaient auparavant
une communauté assez cohésive, alors que les relations se délitent depuis plusieurs mois. La
place des individualités est en pleine redéfinition. Auparavant, les individualités étaient
complètement soumises à l‟intérêt collectif, comme le prouvent les changements successifs de
terrain ou l‟expulsion qui a eu lieu en janvier à Potrerillo et qui constitue le point de départ de
la déségrégation des relations sociales internes à la colonia. Le rapport aux organisations
politiques change en fonction de différents paramètres dont ceux cités précédemment. Il serait
alors question de « réseaux politiques » pour évoquer les relations entre les différents acteurs
en jeu, soit les habitants, leurs leaders, les caciques locaux, les hommes politiques, les partis
politiques et toutes les autres organisations politiques. Les réseaux politiques sont pris ici dans
un sens élargi et non plus au sens utilisé précédemment (I. B.). Ils constitueraient un
phénomène dynamique qui concentre « l‟ensemble des potentialités actualisables au gré des
situations concrètes »242. Ces dernières étant par exemple un vote ou la mise en pratique d‟une
décision politique, les réseaux politiques représentent par exemple un facteur d‟explication de
l‟éligibilité voire de l‟élection d‟une personne ou d‟un candidat comme leader ou bien la mise
en pratique d‟une décision au sein de la colonia. Il faut noter ici que les représentants ou les
Présidents de quartiers peuvent parfois être proposés par les habitants, sans que la personne
soit candidate. C‟est ce qui s‟est passé pour Sebastián, habitant de Reguilete, qui est devenu
Président du comité interne, parce qu‟une large majorité des habitants présents aux réunions
était favorable à sa présidence. Les réseaux politiques représentent également le « potentiel
actualisable par le regard des autres (en l‟absence d‟indices apparents, les habitants d‟une
commune [restreignons ici à un quartier] attribuent une appartenance à une
configuration) »243. Ces réseaux politiques sont les médiateurs des rapports aux organisations
politiques. Ils conditionnent les formes de cette relation. Quels sont les fonctionnements de
ces réseaux ? Quels en sont les rouages ?
Un mécanisme semble plus important que les autres dans le fonctionnement des
réseaux politiques, pour expliquer le rapport à l‟altérité des habitants des colonias
paracaidistas, face aux différents acteurs politiques qui interagissent avec eux : il s‟agit des

240
Propos recueillis par nos soins, le 23 mars 2007 : “cuidamos a los hijos, trabajamos con los padres para que
no golpeen a sus hijos, presionamos las familias con hijos para que todos vayan a la escuela. Pues, hacemos
mucho trabajo social”
241
Propos tenus par Julio et recueillis par nos soins le 26 mars 2007 : “no, no hay. Cada uno vive por su lado.
Apenas si nos saludamos entre nosotros. Porque hay unos que se la llevan con todos y otros que no se llevan casi
con nadie de aquí”
242
Abélès (Marc), op. cit., 2005, p 146
243
Abélès (Marc), ibidem, p 146
idéologies. La définition préliminaire de l‟idéologie utilisée ici la considère comme un
discours, retraçant un certain nombre d‟idées, de représentations du monde, un système de
pensée, qui se présente comme factuel et vrai, alors qu‟il n‟est qu‟une représentation
normative et subjective de la réalité. Les idéologies observées dans les colonias étudiées, sont
par exemple celle de la lutte armée et de la révolution à Cuesta. Les habitants des deux autres
colonias présentent de trop fortes dissensions pour qu‟un cadre idéologique propre au quartier
soit dégagé. Néanmoins, on peut voir l‟emprise idéologique du PRD sur une partie des
habitants de Reguilete, tandis que les habitants de Potrerillo sont dirigés par des leaders
affiliés au PRI. Ayant déjà présenté des valeurs et des principes du PRD, il semble opportun
ici d‟envisager le PRI. Ces appartenances idéologiques et ces affiliations politiques
concentrent des éléments traditionnels du système politique mexicain, qui se sont adaptés aux
formes politiques modernes. Ainsi, « on a trop tendance à la penser [la tradition] comme
immuable alors qu‟elle est fidélité idéologique à un passé, mais aussi adaptation pragmatique
à des circonstances nouvelles qu‟il faut bien régler, sans trahir ses attaches fondamentales »244.
L‟association civile créée par les leaders à Potrerillo concentre ces deux dynamiques, à la fois
de l‟affiliation traditionnelle à un parti, avec les relations caciquistes typique du système
politique mexicain, ainsi que l‟extension de pratiques clientélistes et d‟échanges économiques
ou sociaux avec des membres de partis parfois opposés au parti d‟attache. Cette logique
adoptée par Irma et Gina, constitue, alors, un exemple de ces logiques idéologiques à l‟œuvre
dans les colonias paracaidistas. Il serait possible pour nommer cette logique, de reprendre une
notion de Georges Balandier : le « traditionalisme formel », qui désigne par là le maintien des
formes politiques, que l‟on peut également nommer structures, dont le contenu change en
fonction des transformations sociétales. Ce traditionalisme formel semble dépeindre la
situation politique des habitants et des leaders de Potrerillo, qui conservent les mêmes types
de pratiques politiques, en les adaptant à un autre objet, dans ce cas au nouveau parti qui
domine la municipalité d‟Ecatepec, à savoir le PRD. Une autre forme discernée par Balandier
paraît révéler la prodigalité interprétative des données récoltées sur le terrain : le
traditionalisme de résistance. Il s‟agit ici de réactions de repli, de camouflage ou de refus, face
à des changements ou des innovations sociopolitiques. Ce traditionalisme de résistance
pourrait caractériser les modes relationnels maintenus par les membres du comité interne de
Reguilete, qui s‟ancrent dans des relations politiques traditionnelles, basées sur des échanges
clientélistes, avec des fonctionnaires et des caciques locaux. Ces relations s‟apparenteraient,
comme cela est envisagé dans le paragraphe précédent à des relations de néo-vassalité, compte
tenu de la sous-mission qui leur est imposée, notamment par les pressions sur les soutiens
électoraux. Cette pression est plus forte que dans d‟autres colonias, où les leaders peuvent
l‟amortir, voire la renverser en fonction des intérêts en jeu. Une dernière forme,
conceptualisée cette fois par Claude Rivière, semble être un prisme d‟analyse pertinent pour la
colonia Cuesta ; il s‟agit « d‟un pseudo-traditionalisme stratégique », qui a pour but de
« donner sens aux réalités nouvelles, de marquer une dissidence et d‟exprimer une
revendication »245. La situation politique à Cuesta s‟incarne dans ce concept, d‟abord parce que
les leaders, en particulier Chano, s‟ancrent dans une filiation politique dont ils revendiquent
l‟héritage. Cet héritage est avant tout révolutionnaire et lié aux révoltes armées. Ensuite, les
stratégies politiques jouent sur l‟ambivalence de leurs positions, à la fois révolutionnaires et
opposés aux jeux des partis, mais ils font grand usage des ressources médiatiques, pourtant
elles aussi tout aussi corrompues que les partis politiques. Enfin, les leaders sont revendicatifs

244
Rivière (Claude), op. cit., p 113
245
Rivière (Claude), loc. cit.
et réclament la reconnaissance de droits et l‟octroient d‟avantages matériels et pécuniaires qui
leur semblent dus.
Le rapport entre communauté et individualités au sein des trois colonias paracaidistas
envisagées, est saisi ici à travers l‟altérité que représentent les divers types d‟organisations
politiques pour les habitants. Cette altérité se base à la fois sur « l‟Autre proche » défini par
Marc Augé, les organisations fonctionnant grâce au soutien que leur apportent les
paracaidistas ; mais aussi sur la figure de l‟altérité radicale et exotique, dépeinte par Victor
Segalen, les organisations empruntant généralement des voies et des modes d‟actions qui
n‟ont pas la préférence des habitants, lorsqu‟ils agissent de manière individuelle, comme par
exemple les marches, les manifestations et les organisations syndicales. Ces rapports à
l‟altérité, qui sous-tendent l‟équilibre, propre à chaque colonia, entre communauté et
individualités, témoignent de représentations et d‟imaginaires politiques. Quels sont-ils ?

2. Le « cosmopolitique » 246 ou la place des imaginaires dans les relations


entre communautés et individualités

Il s‟agit ici de se demander quelle est la place qu‟occupent les imaginaires dans les
relations établies entre communautés et individualités. Dans quelle mesure les imaginaires
influencent-ils cette relation ?
Tout d‟abord, les imaginaires sont pris ici au sens « d‟imaginaires quotidiens », c‟est-
à-dire « l‟expérience humaine telle qu‟elle s‟exprime avant sa conceptualisation par la pensée
logique »247. Les imaginaires au pluriel découlent de l‟imaginaire au singulier. Ce dernier,
selon Gilbert Durand, correspond à « une faculté du possible »248 : « Finalement l‟imaginaire
n‟est rien d‟autre que ce trajet dans lequel la représentation de l‟objet se laisse assimiler et
modeler par les impératifs pulsionnels du sujet, et dans lequel réciproquement, comme l‟a
magistralement montré Piaget, les représentations subjectives s‟expliquent "par les
accommodations antérieures du sujet" au milieu objectif »249. Son étude équivaudrait à
prendre en compte le « trajet anthropologique », soit « l„incessant échange qui existe au niveau
de l‟imaginaire entre les pulsions subjectives et assimilatrices et les intimations objectives
émanant du milieu cosmique et social »250. Ces notions permettent d‟éclairer ce que l‟on
considère comme faisant partie des imaginaires. Il s‟agit des représentations d‟un objet, d‟une
personne, d‟une fonction, d‟une configuration, qui sont attribuées par une autre personne ou
un autre groupe, en fonction de divers paramètres tant liés à des processus psychologiques et
subjectifs, qu‟à des réactions biologiques ou mécaniques liées aux relations au milieu
environnant. Les imaginaires pris en compte ici correspondent par exemple à ceux que
partagent les habitants des colonias paracaidistas quant à la politique ou aux hommes
politiques. Cela est important car ces imaginaires agissent sur leur perception de la
246
Terme prégnant dans la philosophie kantienne pour se référer à la pluralité des appartenances politiques –
prises alors comme appartenances nationales- et des identités sociopolitiques, le concept est ici perçu comme le
lieu symbolique où fleurissent et s‟épanouissent les imaginaires politiques ; ce concept serait alors le pendant de
celui d‟anthropolitique forgé par Alain Touraine, qui plaide au contraire, en faveur d‟un retour à une politique à
l‟échelle humaine –ce qui, après exégèse de la pensée de l‟auteur, semble se rapprocher des caractéristiques de la
Sixième République –vote direct, politiques locales, etc.
247
Bachelard (Gaston)
248
Durand (Gilbert), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, p 17
249
Durant (Gilbert), op. cit., p 38
250
Durand (Gilbert), op. cit., p 38
communauté et donc, de l‟importance de l‟individualité. Il est également question des
imaginaires qui entourent les pratiques matérielles et celles de l‟argent, véhiculés par les
habitants. Par exemple, la méfiance exprimée à l‟encontre de la politique par les habitants
actifs politiquement (« la politique, c‟est une affaire de menteurs »251, « tout ce qu‟ils disent
[les hommes politiques], ça n‟est que de la propagande »252, « la politique c‟est pas utile, c‟est
vrai »253) révèle certaines images que les habitants détiennent de ceux qui l‟exercent. De
même, le déni de toute participation à des événements politiques révèle au-delà de la
méfiance, la peur et l‟incompréhension qu‟ils éprouvent face à ce domaine. Par exemple, les
habitants répètent fréquemment : « j‟aime pas la politique parce que j‟y comprends rien » ;
« les hommes politiques me font peur avec tous les scandales qui les entourent » ; « les
hommes politiques sont corrompus, ils se moquent des travailleurs en leur volant leur argent,
ils se moquent de nous »254. Un autre type d‟imaginaires qui jouent sur les représentations de
la communauté et de l‟individualité dans les colonias paracaidistas, comprend toutes les
différentes images qui entourent le terme de « communauté internationale ». Cette dernière a
un statut qui diffère en fonction des colonias et ne renvoie pas au même vécu. L‟exemple
paroxystique de cela s‟illustre à travers l‟antagonisme des interprétations de l‟objet
« communauté internationale » par les habitants de Cuesta et de Reguilete, qui sont pourtant
deux quartiers voisins. En effet, les habitants de la première considèrent la communauté
internationale comme un soutien dans leur lutte, par la reconnaissance accordée au EZLN
(Armée Zapatiste de Libération Nationale). C‟est par exemple ce qu‟à confié Chano, un leader
de la colonia, lors de son entretien préliminaire : « heureusement, on a la communauté
internationale avec nous. Les gens à l‟extérieur, savent ce qui se passe »255. Ils la considèrent
comme un adjuvant qui leur est utile pour faire pression sur les hommes politiques et les
institutions, quels qu‟en soient les échelons. Le recours aux média et les pressions
médiatiques exercées par les leaders sur les hommes politiques municipaux, est une preuve de
l‟importance de la communauté internationale (voir mécanismes médiatisation, III. C.). Tandis
que les seconds n‟ont qu‟une vague conception de la communauté internationale. Ainsi, alors
que les premiers savaient plus ou moins à quoi se référait le terme de « communauté
internationale » (« tous les pays du monde », « la population de tous les États du monde », «
les gouvernants et les populations de tous les pays »256), une grande part des habitants de
Reguilete ne savaient pas exactement à quoi celui-ci se référait. Les réponses à la question
« qu‟est-ce que la communauté internationale selon vous ? », étaient fréquemment les
suivantes : « je sais pas ce que c‟est », « J‟ai déjà entendu le terme quelque part, ils en parlent
à la télé, non ? ». J‟ai obtenu d‟autres types de réponses telles que : « la communauté
internationale ? Euh, je sais pas… attendez voir, c‟est peut-être un groupe de gens où y a plein
de nationalités différentes », « ce serait pas un accord entre de nombreux pays ? », ou « c‟est
encore un truc inventé par les hommes politiques pour gagner de l‟argent sur notre dos »257.

251
Propos tenus par Chano, à Cuesta, et recueillis par nos soins le 23 mars 2007 : « la política es asunto de
mentirosos»
252
Propos tenus par Margarita et recueillis par nos soins le 19 mars 2007 : « todo lo que dicen los políticos es
pura propaganda »
253
Propos tenus par Veronica et recueillis par nos soins le 30 mars 2007 : «la política no sirve, la verdad»
254
Propos recueillis par nos soins lors d‟un rassemblement à la colonia Cuesta, le 8 avril 2007 : «A mi no me
gusta la política porque no entiendo nada» ; «los políticos me dan miedo con todos los escándalos que tienen» ;
«los políticos son corruptos, se burlan de la gente que trabaja robándole el dinero ; nos ven la cara»
255
Propos tenus par Chano et recueillis par nos soins le 23 mars 2007
256
Propos récoltés à différents moments de l‟enquête et classés en fonction de leur occurrence. Il faut noter ici
que ceux sont généralement les leaders et leurs proches, ou encore les habitants actifs politiquement qui ont une
idée précise du terme, alors que certains habitants ont répondu qu‟ils ne savaient pas.
257
Propos récoltés à différents moments de l‟enquête auprès des habitants de Reguilete.
Ces réponses soulignent différents aspects du terme. D‟une part, il y a le caractère médiatique
de la communauté internationale : le terme, lorsqu‟il est connu des habitants, l‟est par la
télévision ou les journaux. C‟est un terme abstrait qui ne trouve pas de représentations
concrètes dans le quotidien des habitants de Reguilete. D‟autre part, la notion demeure pour
certains des habitants, inconnue. Elle ouvre alors la porte à l‟association d‟idées. Ainsi, elle
constituerait pour un groupe de gens de nationalités diverses, un accord économique, ou un
outil politicien entendu ici dans un sens péjoratif d‟exploitation économique. Cela souligne
bien les différents aspects auxquels elle renverrait, à savoir une communication entre des
nations différentes ou des nationalités, liée à des transactions économiques. Cette
communauté serait en outre gérée comme les colonias, puisqu‟elles auraient des dirigeants qui
s‟enrichiraient à travers elle. La communauté internationale258 est donc souvent amalgamée
avec l‟opinion internationale259. Ces images qui entourent le terme de « communauté
internationale » révèlent certaines conceptions et perceptions de la notion de communauté,
dans un sens plus général et permet d‟en cerner certains contours, au sein de la relation entre
communauté et individualité. Quels sont les tenants et aboutissants de cette relation ?
Un des aspects majeurs de l‟équilibre entre communauté et individualité tient au lien
entre appartenances sociales –celles-ci pouvant être revendiquées ou au contraire rejetées et
niées- et territoires. La multiplicité des appartenances sociales engendrerait une singularisation
des individus qui se retranscrirait sur le plan territorial260. En effet, le territoire, à la différence
de l‟espace par exemple, est une aire vécue, construite. Il serait plus exactement un « espace
de pratiques sociales »261, c‟est-à-dire un espace construit par les sentiments d‟appartenance,
les pratiques, les perceptions et les représentations des acteurs262. Les images liées au territoire
et aux territoires, sont importantes pour les habitants des colonias paracaidistas car leur
espace de vie constitue l‟enjeu premier de leurs préoccupations. Les espoirs distillés par la
rénovation de certains quartiers d‟Ecatepec donnent d‟autant plus de courage aux habitants
pour réclamer la mise en place de services municipaux (mejoras) et la régularisation de leurs
logements263. Au-delà de tous les rêves, les fantasmes et les envies conditionnées par la
régularisation des titres de propriétés, les territoires constituent une autre source d‟imaginaires
car ils constituent un contexte socialisateur. Comme le montre Xochitl Ibarra Ibarra, les
perceptions des espaces –le terme générique employé par l‟auteur est réduit ici à l‟espace
construit et vécu, soit le territoire-, les images qui sont mises en relation avec un espace,
jouent sur les manières de se l‟approprier et de le construire. Selon elle, les analyses
discursives permettent de mettre en relief certaines images et, en s‟intéressant aux
mécanismes des mises en relation, aux imaginaires264. Ainsi, les termes employés révèleraient
« la manière selon laquelle les habitants s‟approprient l‟espace (réellement et
symboliquement) et construisent leurs relations sociales quotidiennes »265. Concernant les

258
Prise ici au sens de famille d‟Etats ayant les mêmes objectifs géopolitiques et géostratégiques –même si la
réalité est plus cacophonique que ce que les organisations internationales laissent apparaître
259
Terme compris ici comme
260
Forsé (Michel), « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d‟un modèle individualiste et
structural », Deroche-Gurcel (Lilyane), Watier (Patrick), La sociologie de Georg Simmel (1908). Éléments
actuels de modélisation sociale, Paris, PUF, 2002, 281 p
261
Roncayolo (Marcel), La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 1990, 278 p
262
Roncayolo (Marcel), Lévy (Jacques), Mongin (Olivier) et alii, De la ville et du citadin, Paris, Parenthèses,
2003, 127 p
263
Voir le site web de la municipalité pour de plus amples détails concernant les récentes rénovations effectuées
264
Voir en particulier l‟analyse sémantique effectuée dans I. A. 1. de cette étude
265
López Moreno (Eduardo), Ibarra Ibarra (Xóchitl), art. cit., 1996, p 31 : «la manera en que los habitantes se
apropian del espacio (real y simbólicamente) y construyen sus relaciones sociales cotidianas»
imaginaires liés au spatial, il est possible de se référer aux résultats obtenus au mini-
sondage266 retranscrit dans le graphique suivant.

Violence, IMAGINAIRES DES "CIUDADES PERDIDAS"


Insécurité
Paradoxes

Archaïsmes Nécessité,
Tristesse Nécessité, Utilité
Angoisse Utilité
Pauvreté Pauvreté
Mal logement
Marginalité
Illégalité
Violence, Insécurité
Angoisse
Archaïsmes
Illégalité Paradoxes
Marginalité Mal logement
Tristesse

Graphique 1 : Imaginaires des « ciudades perdidas » selon un échantillon de


population

Ce graphique présente les réponse à la question : « quels sont les mots que vous accoleriez au
terme "ciudades perdidas"267 ? ». Il met en relief le nombre d‟occurrence pour différents
champs sémantiques associés aux « ciudades perdidas » par la population mexicaine. Par
exemple, le champ de la pauvreté est le plus développé car l‟on y compte quatorze références,
telles que « misère », « cinturones de miseria » (litt. : ceintures de misère ; voir l‟historique et
l‟importance de ce terme en I. A. 1.), « humilité », « faim », « nécessiteux », « barrio bajo »
(quartiers bas), « colonias populares » (quartiers populaires), « manque », alors que le terme
de pauvreté est lui-même cité plusieurs fois. Le tableau suivant retrace les différents termes
obtenus pour chaque catégorie identifiée dans le graphique précédent.

266
Mini-sondage effectué par nos soins auprès de 60 personnes, dont quatre ont souhaité ne pas répondre
concernant les imaginaires qui entourent les ciudades perdidas. Il a été réalisé sur la place du Zócalo de Mexico
et à San Cristobal Ecatepec, soit le centre-ville d‟Ecatepec
267
Il était adjoint une précision afin d‟éviter une confusion lors de la première mouture du mini-sondage.
Certaines personnes interrogées se référaient en effet aux cités mayas ou incas, que les archéologues n‟arrivent
pas à retrouver. Les réponses obtenues au premier mini-sondage ne sont pas prises en compte ; il y eut par
exemple : « oubliées », « aventurières », « mystérieuses ». La mention qui suivait la question du mini-sondage
était alors : « Par "ciudades perdidas", l‟on entend quartiers d‟habitat précaire, avec des habitations faîtes de
matériaux de récupération, et non les cités mayas ou incas disparues ».
Catégorie sémantique Termes obtenus
Nécessité, utilité Nécessaires, utiles
Pauvreté Pauvres (x4), miséreuses, « cinturones de
miseria » (x2), précarité, humbles (x2), faim,
bas quartiers, quartiers populaires, luttes
sociales
Mal logement Mal logement (mal vivencia), promiscuité,
mauvaise qualité, habitations à la pièce
(cantones de a varo), maisons en carton
(casuchas), décadentes, laides, saleté,
accumulées (amontonadas), négligées
(descuidadas)
Marginalité Marginalité (x3), « cinturones marginales »,
sans services, désincorporées, exilées
(desterradas), distinctes du reste de la ville,
mises de côté (de l‟infrastructure urbaine : des
services comme des loisirs, etc.)
Illégalité Illégalité, délinquance, prostitution, crime,
drogue, clandestines
Violence, Insécurité Violence, violences, violences familiales,
insécurité (x2), danger, instabilité familiale,
vagabondage, maladie,
Angoisse Désorganisées
Archaïsmes Archaïques (rezagadas), analphabètes
Paradoxes Paradoxales, fictives, référence au film Sin
City de Robert Rodriguez et Frank Miller ou
le livre Alicia en el pais de las quesadillas de
Jannette Hamui Abadi, conte de fées
Tristesse Tristes, malheur

Tableau 14 : Contenu des catégories sémantiques du mini-sondage

L‟intérêt de ce tableau est d‟avoir mis en avant certains aspects qui avaient échappé à
l‟analyse ou qui n‟auraient pas été abordés spontanément. Parmi ceux-ci, on retrouve par
exemple les champs sémantiques de la tristesse ou de l‟angoisse. La situation des
paracaidistas est angoissante et peut, chez certains, engendrer de la tristesse. Ce qui est mis
en perspective ici est plutôt le lien entre l‟angoisse suscitée par l‟occupation illégale
(Reguilete, Cuesta) ou informelle (Potrerillo) des terrains, et l‟engagement politique. L‟une
des hypothèses de cette recherche est que l‟inadéquation des structures juridiques et
socioéconomiques amènent les habitants des quartiers d‟habitat précaire à vivre et à travailler
dans l‟informalité voire l‟illégalité. Ceux sont ces deux dernières, l‟informalité et l‟illégalité,
qui seraient à l‟origine de l‟angoisse des paracaidistas et qui pourraient amener certains
habitants à s‟engager politiquement. Une autre catégorie qui semble majeure pour comprendre
la schizophrénie de la situation politique des habitants, est celle de la séparation, appelée ici
« marginalité ». La marginalité évoquée par les personnes interrogées est généralement
économique (elles seraient éloignées des bassins d‟emplois, des centres de distribution des
biens et des services), sociale (loin des foyers de culture et d‟instruction), géographique
(« mise à l‟écart de toute l‟infrastructure urbaine »268 : isolées des circuits de transports et des
voies de communication), et, dans une moindre mesure, politique (loin des grands enjeux
politiques nationaux, désorganisées, manipulables). Comme le montre ce dernier exemple, la
marginalité supposée des paracaidistas est très liées aux infrastructures, qu‟elles soient
urbaines, routières ou de communication. On peut alors s‟interroger sur le rôle des
technologies, en particulier la place de l‟internet ou de l‟informatique, tant dans les
imaginaires des habitants de Cuesta, Potrerillo et Reguilete, que dans les imaginaires qui
entourent les ciudades perdidas –prises ici à la fois dans le sens de bidonville comme de
quartier d‟habitat précaire.
Un dernier axe qui à la fois entoure les ciudades perdidas et peuple ceux de leurs
habitants est celui de l‟accès aux technologies, en particulier de communication. Parmi les
idées émises antérieurement au travail de terrain, résidait celle de la pertinence du concept de
« cosmo-technologies »269, pour mettre en relief l‟impact des représentations technologiques
sur les modes de vie des habitants des quartiers d‟habitat précaire. Cette hypothèse provenait
d‟observations menées lors de précédentes enquêtes dans ces quartiers270, il est apparu que la
plupart des habitants possédait une télévision, les plus amples en ayant plusieurs. Les enfants
possèdent souvent une radio que frères et sœurs se partagent. Ces éléments ont été vérifiés et
approfondis sur le terrain qui constitue l‟objet de cette étude, comme le montre le tableau
suivant, où sont recensés le nombre d‟appareils en fonctionnement par habitation.

PLACE DES TECHNOLOGIES

350
300 Radio

250 Télévision
200
Téléphone portable
150
100 ordinateur
50
Accès internet dans
0 l'habitation
Cuesta Potrerillo Reguilete

Tableau 15 : Technologies de la communication par habitation


Ainsi, l‟on remarque que les téléphones portables sont très courants dans chaque
colonia. Il y a en moyenne deux téléphones portables par habitation. Ceux sont les parents qui
les utilisent, soit le père et la mère, ou alors l‟aîné des enfants. Par exemple, chez Ernestina,
famille monoparentale vivant à Reguilete, il y a effectivement deux téléphones portables,
qu‟utilisent Ernestina et sa fille aînée, qui est en recherche d‟emploi et qui s‟occupe de ses
frères et sœurs. Il y a également des foyers où il n‟y a qu‟un seul téléphone portable, comme

268
Propos tenus par Alvaro, 29 ans, professeur d‟histoire à l‟ENAH (Ecole Nationale d‟Anthropologie et
d‟Histoire) : "son apartadas de toda la infraestructura urbana o como diría Marx de la superestructura: de todos
los servicios, de los transporte, de las vías de comunicación, de los centros de abastecimientos y distribución de
bienes, centros de trabajo, de recreación, de cultura, etc."
269
Augé (Marc), Introduction, Pour quoi vivons-nous ?, Paris, Fayard, 205 p
270
Précédente recherche effectuée à Mexico entre janvier et juillet 2005 inclus, dans le cadre de l‟année de
mobilité de Sciences Po, en collaboration avec le Centre d‟Etudes Mexicaines et Centre-Américaines de Mexico
pour un stage pré-recherche
chez Mariana, à Potrerillo. Élevant seule ses deux jeunes enfants, respectivement six et huit
ans, elle n‟a qu‟un seul portable, afin de pouvoir être jointe par ses employeurs ou ses
proches. Il y a également des foyers dont les membres utilisent plus de deux téléphones
portables par habitation, comme par exemple chez Leti, leader à Cuesta, qui dispose d‟un
portable, tandis que ses deux filles et ses deux gendres, qui habitent tous avec elle, en utilisent
également. Durant la préparation de ce travail de terrain, un élément majeur pour les réseaux
sociaux avait été repris d‟observations effectuées dans le cadre d‟autres travaux, à savoir le
symbolique que pouvait conférer le fait de détenir une télévision, sur ceux qui n‟en disposent
pas. Celui ou celle qui possède une télé est dénommé ainsi, c‟est « celui ou celle qui a une
télé » (el que tiene la tele)271. Bien que cette idée soit en partie démentie par la banalisation de
la télévision dans les colonias paracaidistas, la télévision n‟en demeure pas moins un objet
d‟interactions quotidiennes, les programmes télévisuels faisant partie des discussions. Même
s‟il y a, sauf exception, au moins une télévision par habitation, des voisins ou plus
généralement des membres de parentèles communes, s‟invitent mutuellement à voir ensemble
une émission ou un programme télévisuel chez les uns ou chez les autres. C‟est par exemple
le cas de la famille Leyua. Ernestina, avec ses enfants, ainsi que sa sœur avec les siens,
peuvent aller regarder la télévision chez leurs parents, bien que chacune d‟entre elles dispose
d‟une télévision. Le véritable enjeu actuel est l‟installation de l‟informatique. Il est alors
possible de reprendre une hypothèse émise lors de la préparation de la recherche, à savoir que
la possession d‟un ordinateur en état de fonctionnement, jouerait sur les interactions
quotidiennes des habitants de Cuesta, Potrerillo et Reguilete, et dessinerait des hiérarchies
parmi eux. Comme le montre le tableau précédent, très peu de personnes disposent d‟un
ordinateur : sur les quatre cent six habitations recensées, seulement quatre disposent d‟un
ordinateur. Il est possible de se demander si le pouvoir symbolique272 que confèrerait la
possession d‟un ordinateur, au-delà des imaginaires liés à la communication virtuelle –fictive
ici puisque personne n‟a accès à internet- ne serait pas lié à la loi de rareté valable sur le
marché des biens et services marchands. Ainsi, plus un bien est rare, plus il est cher sur le
marché. Alors, l‟on pourrait supposer que plus un bien est rare dans chacune des trois colonias
étudiées, plus il est désiré, et donc, plus il confère de pouvoir symbolique à ses possesseurs.
Cependant, il faut bien distinguer ici la possession d‟un ordinateur et celle d‟une connexion
internet. En effet, personne, toutes colonias confondues, ne dispose d‟une connexion.
Néanmoins, cela ne veut pas dire que personne ne se connecte et que personne ne sait surfer
sur internet. Ainsi, parmi les personnes interrogées, peu savaient se servir d‟internet ou ne
s‟en servait que ponctuellement, moins d‟une fois par trimestre. Cependant, en discutant avec
des jeunes de chaque colonia, il est apparu qu‟ils connaissaient tous au moins deux cybercafés
près de chez eux et qu‟ils s‟y rendaient fréquemment, au moins une fois tous les quinze jours.
Cela a amené à ajouter un mini-sondage auprès des jeunes, compris entre 15 et 25 ans, dans
chaque colonia, concernant leur rapport à l‟internet273. Cela a fait ressortir que sur les 30
jeunes interrogés, environ un tiers (9 des jeunes interrogés) d‟entre eux se rendait dans un café
internet au moins une fois par semaine, tandis que plus de la moitié s‟y rendait une fois tous

271
Il faut noter ici que cette idée est tirée de plusieurs observations menées lors d‟un chantier humanitaire au
Costa Rica en juillet 2003 puis lors d‟un stage au Mexique entre janvier et juillet 2005
272
Pris ici dans une perspective bourdieusienne, à savoir l‟imposition d‟une vision normative d‟une situation,
d‟une chose ou d‟un objet ; Bourdieu (Pierre), « La représentation politique », Langage et pouvoir symbolique,
Paris, Seuil, 2001, 423 p
273
Ce mini-sondage a été mené auprès de dix jeunes dans chaque colonia. L‟échantillon a été constitué de
manière aléatoire, au gré des rencontres. Je reconnais l‟étroitesse de l‟échantillon qui, par ailleurs, n‟est pas
représentatif de la population, comprise entre 15 et 25 ans. Les résultats obtenus sont donc à manier avec
précaution
les quinze jours (17). Quelques-uns ne s‟y rendent que ponctuellement, environ une fois par
mois ou tous les deux mois (4), bien qu‟ils connaissent, à l‟instar des autres, au moins deux
cybercafés près de chez eux. Cette dernière donnée souligne le fait que, bien que certains ne
fassent qu‟un usage réduit du réseau internet, ils sont sensibles à ces technologies et sont
capables, en conséquence, de citer des lieux où ils peuvent y avoir accès. Une autre dimension
serait à approfondir ici, il s‟agit des imaginaires liés à l‟argent. Ainsi, les images et les
pratiques de l‟argent sont liées aux relations et aux mises en relation sociales. Il constitue un
« objet social »274 qui « véhicule des dimensions morales et éthiques », incarne des
« transmissions » et représente des « chaînes de don et de contre-don ». En effet, il serait un
intermédiaire privilégié des relations d‟entraide et de solidarité, l‟enjeu d‟honneurs dans
toutes les activités (celui qui gagne bien sa vie est reconnu professionnellement), malgré les
trahisons et les désaveux de voisinage (petites jalousies, ragots de quartier). Mais il manque
de nombreuses informations sur ce thème, ayant observé des échanges de biens matériels et de
services non pécuniaires.
Une esquisse de quelques paradigmes qui structurent les imaginaires des habitants des
colonias paracaidistas étudiées ici, permet d‟envisager certains traits cosmologiques de la
pensée des habitants qui rejaillit dans leur organisation politique. Ces traits permettent
également de comprendre comment des comportements et des attitudes politiques collectives
s‟individualisent et comment est vécue cette individualité. Quels sont les mécanismes de
conciliation de la communauté et de l‟individualité dans les trois quartiers étudiés ?

3. Trajectoires personnelles et identités collectives

L‟hypothèse émise ici est que l‟hétérogénéité des réseaux sociaux des habitants des
colonias paracaidistas étudiées, favorise leur individualisation au sein de l‟organisation
politique de leur quartier en leur permettant de se forger une trajectoire personnelle.
Pour commencer, il faut expliciter ce que l‟on entend par « trajectoire personnelle ».
Une trajectoire peut être définie comme un ensemble de parcours dans divers cadres
institutionnels et différents champs de l‟espace social, qui sont eux-mêmes en perpétuel
changement. Ces divers cadres et champs sont constitués de rapports sociaux, de relations,
entre groupes comme entre personnes. La « trajectoire personnelle »275 se base alors sur une
multiplicité d‟appartenances, à la fois sociales et spatiales, diachroniques et synchroniques.
Les multiples appartenances font apparaître des « relations ponctuelles » et des « relations
durables »276 au sein des pratiques politiques clientélistes des habitants des colonias
paracaidistas et de leurs leaders. Ceux sont ces nœuds relationnels tissés personnellement, en
fonction de différents paramètres tels que l‟affinité, l‟intérêt ou le hasard, qui constituent la
trajectoire personnelle. C‟est la trajectoire propre à chaque famille, en général propre à la
mère de famille ou à celle du père, qui explique l‟installation dans la colonia paracaidista.
Comme cela a déjà été développé précédemment (I. A., voir en particulier les tableaux n° 2, 3
et 4), les réseaux personnels jouent un grand rôle dans l‟emménagement dans un quartier

274
Lazuech (Gilles), Rimbert (Franck), Initiation à la science économique : Théories, enjeux, débats, Paris,
Vuibert 2004, 217 p
275
en termes bourdieusiens : « choix personnels » effectués dans un contexte social défini avec un capital
économique, social et culturel déterminés mais qui les dépassent, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action,
1994, Paris, Seuil, chapitre 3 « Pour une science des œuvres », extrait distribué dans le séminaire « Introduction
aux méthodes de la recherche », 2e année du diplôme de Sciences Po Toulouse
276
Padioleau (Jean-Jacques), L’Etat au concret, Paris, PUF, 1982, 222p
d‟habitat précaire, qu‟il s‟agisse de découvrir le quartier, de décider d‟y habiter car y vivent
déjà plusieurs membres de la famille ou des proches, ou encore la rencontre des leaders afin
d‟obtenir l‟autorisation de s‟y installer. Les exemples nombreux ont déjà été explicités dans la
première partie de cette étude, donc ils ne seront pas repris. D‟autres éléments sont à
expliciter ici. Ainsi, prendre en compte la trajectoire, réclame, en politique, de différencier
comportements et attitudes politiques. En effet, les premiers disposent d‟une dimension
collective, étant définis comme la palette des pratiques résultant de niveaux d‟implication
politiques inégaux, en lien avec l‟environnement social et les cercles sociaux d‟appartenance.
Tandis que les secondes sont plus individuelles, prenant en compte les dispositions mentales à
l‟origine des comportements politiques277. Pour analyser l‟importance des individualités au
sein des communautés de chaque colonia, deux éléments paraissent pertinent. Le premier
réside dans l‟incorporation des modes de vie dans des habitations précaires, dans le sens où ils
se vivraient et se représenteraient corporellement, à travers des attitudes corporelles, des
vêtements. Les habitants joueraient sur leur apparence, selon l‟intérêt qu‟ils peuvent tirer
d‟une situation mais aussi en fonction de leur vécu et de leurs représentations personnelles de
leur situation précaire. Par exemple, le soin apporté à l‟apparence de leur habitat et à la
décoration, tant intérieure qu‟extérieure, illustre le vécu de la précarité du logement des
habitants. Il est possible de comparer la décoration intérieure de l‟habitation de Monica, jeune
femme de 28 ans vivant à Reguilete, et celle de l‟habitation de David, également à Reguilete.
Ainsi, les photos (voir annexe I) montrent le soin qu‟apporte la femme de David à leur
intérieur, avec les pièces de tissus roses et bleus, cloués aux murs, pour colorer la pièce. Par
ailleurs, comme elle l‟a expliqué : « c‟est important pour moi de tenir mon intérieur, je suis
une mère de famille et même si on a pas les titres de propriété, je veux une vie normale, pour
moi et ma famille. Et puis, ces draps, ça évite de voir que les murs sont en bois. On plus
l‟impression d‟avoir une maison normale comme ça »278. Il y a également plusieurs cadres qui
ornent les murs de l‟habitation ; il s‟agit de photos familiales et de dessins d‟ornement. Tandis
que Monica vit dans une habitation dans laquelle elle n‟a pas fait d‟aménagement. La bâche
plastique grise qui recouvre un mur de la pièce tend à boucher la fuite d‟eau qu‟il y a dans le
mur qu‟elle recouvre. Il n‟y a aucun article de décoration, rien sur les murs ni sur le sol ou au
plafond, hormis un tissu fleuri sur la porte d‟entrée de l‟habitation. La pièce ne contient qu‟un
lit et une chaise. Elle range ses vêtements sur la chaise et ses différents objets sont disposés
sur le sol en terre battue, sous son lit279. Le deuxième élément pertinent pour analyser
l‟individualisation est celui des pratiques personnelles et des effets d‟affichage, où règnent
également la différenciation. Les parlures, expressions caractéristiques d‟un langage
socialement déterminé, sont l‟un des vecteurs de l‟originalité de Palemon par exemple à
Reguilete. Palemon marque une grande distance entre les autres habitants et lui, tant dans ses
modes vestimentaires, portant toujours une chemise, et des chaussures de ville, très soigné et
propre, que dans ses attitudes politiques et ses parlures. Palemon emploie un vocabulaire
courant voire soutenu, selon les occasions. Il se décrit comme une personne vivant aisément et
ayant beaucoup de succès dans tous les domaines, professionnels et familiaux. Il dit
fréquemment qu‟il gagne bien sa vie et qu‟il ne connaît aucun problème d‟argent. Et que la
construction d‟une maison à Reguilete est un moyen pour lui d‟investir dans l‟immobilier à
moindres coûts. Cela se retranscrit dans ses attitudes politiques. Ainsi, lorsqu‟il a appris

277
Abric (Jean-Claude), Pratiques et représentations, Paris, PUF, 1994, 251 p
278
Propos recueillis par nos soins le 4 avril 2007: “es importante para mi de mantener mi casa, soy una madre y
aunque no tenemos los títulos de propiedad, quiero una vida normal para mi y mi familia. Además, estas sábanas
evitan recordarse todos los días que las paredes son de madera. Tenemos mas la impresión de tener una casa
normal así”
279
Voir photo annexe I
qu‟une plainte avait été déposée contre lui en janvier 2007, pour occupation illégale d‟un
terrain, il a joint un fonctionnaire qui faisait partie de son réseau social, pour lui demander de
bien vouloir annuler la procédure lancée contre lui. Le fonctionnaire a accepté contre 50 000
pesos (soit environ 3500 à 4000 euros) pour que la plainte déposée contre lui par la
municipalité, soit retirée. Cependant, il s‟est aperçu que, malgré son paiement, la plainte
n‟avait pas été retirée. Palemon est le seul de toute la colonia Reguilete à agir de la sorte,
c‟est-à-dire en graissant la pate des fonctionnaires. Cependant, tous les habitants tentent, dans
la mesure de leurs capacités, de faire jouer leurs réseaux sociaux, afin d‟améliorer leur
situation. Après avoir envisager certains types d‟attitudes personnelles et de trajectoires
personnelles, il faut se demander comment celles-ci s‟articulent aux identités collectives des
colonias.
L‟identité collective est considérée ici comme « le produit d‟une transaction effectuée
entre un groupe social et un individu »280. Il a été montré dans la deuxième partie de cette
étude que la notion de communauté pouvait éclairer certains aspects de la vie collective des
habitants dans chacune des trois colonias étudiées. Cependant, l‟existence d‟une communauté,
dans sa définition objective, n‟implique pas forcément l‟existence d‟une identité collective
propre à la colonia. L‟appartenance constatée ou revendiquée à un quartier d‟habitat précaire
semble freiner l‟appartenance à un groupe valorisé socialement. Cette appartenance paraît
même renforcer la domination subie. Alors, les réseaux sociaux constitueraient un moyen de
générer des sentiments d‟appartenance –à la société globale comme à des groupes locaux ou
autres- grâce à la constitution de liens clientélistes et caciquistes, qui permettent
l‟identification aux modèles de comportement socialement légitimes. Parmi ces réseaux de
sociabilité et les cercles d‟appartenances, les groupes religieux constituent des instances
d‟appartenance valorisées socialement et dotées d‟une image positive281. Cela explique en
partie leur importance dans les colonias paracaidistas. Mais au-delà d‟une identité collective
qui est difficile de mettre en exergue, compte tenu des dissensions et des conflits internes à
chaque quartier –exception faite de Cuesta-, il est possible de se demander si les mécanismes
de fonctionnement au sein des colonias, ne serait pas le respect, plus qu‟un sentiment
d‟appartenance communautaire. Comme l‟écrit Dominique Vidal à propos d‟un quartier
pauvre de Recife : « La faiblesse du sentiment d‟appartenance à un ensemble commun
n‟empêche cependant pas une indéniable civilité de régner à Brasilia Teimosa. Avec la plus
forte densité enregistrée à Recife (plus de 330 habitations par hectare dans des habitations qui
n‟ont le plus souvent pas d‟étage), les conflits de voisinage ne sont bien sûr pas rares. Mais,
hormis quelques différends sanglants liés le plus souvent à la jalousie et à l‟alcool qui ont
ponctué son histoire, force est de constater qu‟on y vit somme toute en bonne intelligence.
C‟est encore la notion de respect qui permet, me semble-t-il, de rendre compte de la logique
qui règle les relations ordinaires sur la péninsule. Respecter un individu consiste à ne pas
souligner son infériorité –quelles que soient les différences de statut, de revenu ou
d‟instruction-, et à le tenir dans un rapport social où l‟on lui témoigne sa "considération" en
valorisant les aspects de son identité qui lui sont le plus favorable : "un père de famille
responsable", "une maitresse de maison dévouée", "un travailleur", "un voisin serviable", "un
ami sincère", "un gars poli" »282. Ainsi, le respect serait une logique de cohabitation au sein
des quartiers d‟habitat précaire. Les termes valorisant les aspects de l‟identité des autres ont
été relevés dans chaque colonia. Par exemple, Sebastián, le Président du comité interne de

280
Becker (Howard), Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métaillé, 1985, p 33
281
Vidal (Dominique), « Vulnérabilité et rapport à l‟espace. Être pauvre et citadin à Recife », Cahiers des
Amériques Latines, Paris, IHEAL, 2000, n°35, p 2
282
Vidal (Dominique), art. cit., p 8
Reguilete, est considéré comme un « bon gars », « un gars tranquille »283, pour sa discrétion et
ses qualités de médiateur. Asunción, à Cuesta, est appelée « grand-mère » (« abuela »), pour la
générosité et la sagesse qui lui sont reconnues. Carlos, à Reguilete, c‟est le « gentil garçon »,
pour sa simplicité. L‟affirmation des individualités marque une limite aux identités
collectives. L‟un des mécanismes qui semble alors pertinent est celui du respect mutuel, qui
permet à la fois de faire cohabiter appartenances collectives et affirmation des individualités.
Quels sont alors les liens observés entre hétérogénéité du monde social et individualisation
d‟une part et trajectoires personnelles et appartenances communautaires d‟autre part, dans
l‟organisation politique de chaque colonia ?
L‟hypothèse est que l‟hétérogénéité croissante des réseaux sociaux engendre une
individualisation croissante. Comme l‟écrit Georg Simmel, « l‟individualité de l‟être et de
l‟action croît proportionnellement à l‟extension du milieu social de l‟individu »284. Ainsi, il est
possible de suivre la thèse soutenue par Pierre-Paul Zalio selon laquelle, à l‟encontre des
présupposés socialisateurs, la densité du social favorise l‟action individuelle, par un jeu sur les
différentes appartenances sociales et sur les cadrages sociaux. Cela revient à approfondir
l‟idée du réseau comme ressource en soulignant que l‟hétérogénéité des réseaux perçus ici
comme ressources engendre la singularité des logiques adoptées par les habitants pour vivre
au quotidien et tenter de remédier à leur situation. Du point de vue temporel, cela amène à
considérer les effets d‟irréversibilité, c‟est-à-dire la réduction des possibilités à mesure que le
temps passe285. La prise en compte de la trajectoire personnelle est mise en perspective avec
les milieux sociaux et professionnels d‟appartenance, en appuyant sur l‟originalité –qui se
rapproche du concept « d‟esprit créatif » de l‟École de Chicago- mais en délaissant deux
aspects majeurs : celui de la progression et du croisement entre l‟ordre social et la subjectivité
des personnes ou des agents économiques. La posture adoptée par Everett Hughes286 est en
cela porteuse, puisqu‟il définit le croisement entre l‟ordre social et la subjectivité des
personnes comme la manière dont les personnes saisissent ou envisagent les opportunités
offertes par l‟ordre social. Il y ajoute une dimension qui apporte un sens nouveau à la
définition de la trajectoire personnelle287 : celle du sens attribué par les acteurs eux-mêmes à
leur progression. Alors, au lieu d‟attribuer rétrospectivement une certaine cohérence illusoire,
il s‟agit au contraire de montrer en quoi un habitant saisit une opportunité ou change de
situation lorsqu‟une brèche s‟ouvre, une occasion se présente, c‟est-à-dire lorsque les mondes
sociaux se recomposent et se réorganisent et lorsque les régularités et les calendriers sociaux
se désynchronisent. Par exemple, le fait que des personnes aient décidé de s‟installer dans une
colonia paracaidista à un moment de leur vie, montre comment les habitants de ces quartiers
ont décidé de jouer leur va-tout, en risquant la sécurité même de leur famille –sécurité
matérielle du logement et sociale de la marginalisation ou du mépris social- parce qu‟ils se
retrouvent dans une situation désespérée où le paracaidisme leur paraît être la seule solution
tenable. Et cela, malgré les drames qui ponctuent le quotidien des paracaidistas. Cette
difficile situation, initialement économique et matérielle, va toucher toutes les dimensions de
la vie des habitants et de leur famille. Par exemple, une discussion avec Ernestina, un
283
“un buen chavo”, “un chavo tranquilo”
284
Forsé (Michel), « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d‟un modèle individualiste et
structural », dans Deroche-Gurcel (Lilyane), Watier (Patrick), La sociologie de Georg Simmel (1908). Éléments
actuels de modélisation sociale, Paris, PUF, 2002, 281 p
285
Brose (Hans-Georg), « Vitesse et irréversibilité : aspects d‟une nouvelle schématisation du temps dans les
organisations du système économique », Social Science Information. Sur les sciences sociales, 2000, n°39-9, p
421-438
286
Hughes (Everett), Le regard sociologique. Essais choisis, Paris, Éditions de l‟EHESS, 1996, 344 p
287
Everett Hughes développe sa théorie pour les mondes professionnels, en définissant le concept de carrière.
J‟adapte donc la définition du concept de carrière à celui de « trajectoire personnelle »
dimanche après-midi à Reguilete, m‟a particulièrement frappé : « J‟en ai marre, Morgane, de
cette poussière. Elle ne s‟enlève pas. Tu peux prendre plusieurs douches par jour, mais elle ne
s‟en va pas. Tu te rends compte, il y a de la poussière partout dans la maison. J‟arrête pas de
balayer et de passer la serpillère, mais elle revient aussitôt. Je suis fatiguée de cette situation.
Je ne peux rien faire contre la poussière. Même quand je cuisine, il y en a. Tu te rends
compte, Morgane, mes enfants mangent de la poussière. Il y en a partout, et elle s‟infiltre
jusque dans ta peau »288. Cet exemple montre bien à quel point le choix de s‟installer dans une
colonia paracaidista comporte de multiples conséquences sur tous les plans. Un simple
élément tel que l‟absence de revêtement sur le sol ou le fait que les rues ne soient pas
goudronnées, rajoute au poids quotidien de l‟insécurité et de la précarité. Mais lorsque
Ernestina dit qu‟elle est fatiguée, cela semble renvoyer, plus profondément, à l‟épuisement
qu‟elle éprouve face à sa situation de paracaidista. Cela est d‟autant plus vrai qu‟Ernestina,
trésorière du comité interne de la colonia, est la plus active en faveur de la régularisation des
titres de propriété. C‟est elle qui effectue la quasi-totalité des démarches et elle est toujours
présente lors de réunions, qu‟il s‟agisse de rencontres avec des fonctionnaires municipaux de
la Mairie ou de Tenencia de la Tierra, ou encore avec des personnalités politiques. La notion
de trajectoire personnelle permet en outre de mettre en évidence un parallèle entre les types de
relations nouées entre les habitants paracaidistas et celles des « less boundaries careers »289.
En effet, les habitants nouent des relations entre eux, qu‟il s‟agisse de relations de type
cuatisme et compadrazgo (voir I. B), ou des relations qui se renforcent entre membres d‟une
même famille, qui se seraient peu fréquentés. Ces liens sont, comme cela a été vu, à la fois des
liens personnels et professionnels. Ils permettent d‟enrichir les connaissances et les
informations détenues par chacun, ainsi que d‟aligner les méthodes et les pratiques de chacun.
Cependant, l‟expérience du paracaidisme n‟est que partiellement comprise si on ne la replace
pas dans le contexte de trajectoires personnelles. Mais l‟intérêt de cette notion réside dans son
ambiguïté, comme l‟écrivait Erving Goffman290. Ainsi, le choix effectué par Monica de
s‟installer, loin de sa famille qui habite dans le District Fédéral, sa fille étant avec ses parents,
dans une colonia paracaidista de Santa Clara, résulte à la fois de son analyse personnelle mais
aussi des possibilités proposées par son environnement. Monica a défini sa situation à Santa
Clara, au sud d‟Ecatepec, comme lui étant plus favorable par rapport à d‟autres villes de l‟État
de Mexico, ou même de délégations de la municipalité d‟Ecatepec, comme Cerro Gordo à
Ecatepec ou Indios Verdes, une colonia au nord du District Fédéral.
L‟existence objective ou subjective d‟une communauté d‟habitants, c‟est-à-dire de la
constatation d‟intérêts communs à la conscience et à la reconnaissance de cette communauté
d‟intérêts, est le nœud autour duquel s‟articulent réseaux sociaux et réseaux politiques. La
communauté est un contexte socialisateur qui, de ce fait, renforce l‟apprentissage politique et
la participation politique. Mais elle peut également être source de rejet de la part de certains,
lorsque les normes participatives et valeurs ne sont pas partagées. En-deça de cette forme
d‟organisation sociopolitique, deux notions semblent fonder les réseaux, sociaux et politiques,
à leur base : la réciprocité et la confiance.

288
Propos tenus par Ernestina, le 26 mai 2007 : “Soy harta, Morgane, de este polvo. No se te quita. Puedes tomar
varias duchas de dia, pero no se va. Te das cuenta, hay polvo por todos lados de la casa. No dejo de trapear pero
regresa de inmediato. Estoy cansada de esta situación. No puedo hacer nada contra al polvo. Hasta cuando
cocino, hay polvo. Te das cuenta, Morgane, mis hijos comen polvo. Esta por todos lados y se infiltra hasta en tu
piel”
289
Arthur (Michael, B), Rousseau (Denise, M), The boundaryless career : A new employment principle for a new
organizational era, New York, Oxford university Press, 1996, 408 p
290
Goffman (Erving), « II. La carrière morale du malade mental », Asiles. Études sur la condition sociale des
malades mentaux et autres reclus, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968 (éd. anglaise de 1961), 452 p
III Réciprocité et confiance : les processus de l’échange et leur
impact politique à Potrerillo, Reguilete et Cuesta

Les réseaux sociaux prennent forme et existent par des échanges entre des personnes
ou des groupes. Ces échanges peuvent être informationnels par l‟échange de données sur un
fait, une situation ou une personne, relationnels par l‟introduction d‟une personne, matériels
par la circulation d‟objets entre des membres d‟un réseau, ou encore pécuniaires par des flux
monétaires ou financiers. Pour que ces échanges aient lieu, deux ingrédients sont nécessaires.
Il s‟agit d‟une part de la réciprocité et d‟autre part de la confiance. Toutes deux sont
intrinsèquement liées l‟une à l‟autre et mutuellement nécessaires, immanentes aux réseaux
sociaux et personnels. Plus exactement, la réciprocité est la composante nécessaire et aux
fondements de l‟existence de réseaux sociaux et personnels. Tandis que la confiance est un
élément majeur, en particulier dans les situations de précarité. Quelles sont les relations
mutuelles entre réciprocité et confiance ? Comment ces relations influent-elles sur le
politique ?
Il s‟agit alors de voir d‟abord en quoi la confiance constitue la base de la réciprocité,
pour comprendre un des piliers de l‟organisation politique clientéliste des habitants des
colonias paracaidistas étudiées ici. Cela amène à envisager ensuite le politique comme lieu de
réciprocité et de confiance. Enfin, il sera possible d‟étudier l‟impact politique des systèmes
d‟échange réciproques.

A- La confiance comme base de la réciprocité

La confiance constituerait une ressource pour les habitants des trois colonias
paracaidistas étudiées ici. Elle serait le support du fonctionnement des réseaux sociaux –en
reconnaissant qu‟elle puisse être à des degrés divers en fonction des transactions effectuées et
des partenaires- et de l‟organisation politique. Son rôle serait d‟autant plus clair au sein des
réseaux d‟échanges réciproques, à l‟intérieur des réseaux égocentrés qui peuvent contenir des
individus peu fréquentés ou qui sont éloignés géographiquement. L‟hypothèse de cette sous-
partie est que les réseaux sociaux et personnels reposent, pour fonctionner, donc pour qu‟il y
aient des échanges réciproques entre leurs membres, sur des degrés de confiance. La confiance
serait-elle, dans une conception chosiste, appropriable et transférable d‟une personne à une
autre ou bien constitue-elle un trait culturel qui repose sur divers éléments qui varient au cours
du temps, dont l‟un des plus importants pour les réseaux serait la mémoire ?

1. La confiance : une ressource pour les réseaux sociaux et le politique

Pour débuter cette réflexion, il faut expliciter les sens dans lesquels sont conçus ici le
concept de confiance et les liens perçus entre celle-ci, les réseaux sociaux et le politique.
L‟une des hypothèses émises ici est que la confiance est certes nécessaire à l‟échange mais
elle comporte en elle, les germes du conflit et de la domination.
L‟étymologie du terme « confiance » devrait donner une idée de sa prodigalité
sémantique. Ainsi, le concept provient du latin fides, qui signifie foi, confiance, loyauté. Un
trait est commun aux trois axes : leur caractère interpersonnel, qui est primordial pour cette
étude. La confiance, rattachée à la foi, n‟aurait d‟autre raison qu‟elle-même. Elle serait de
l‟ordre de l‟irrationnel et, pour cela, elle contiendrait également crainte (par contingence,
selon Spinoza) et angoisse (du vide ou face à l‟inconnu, pour Heidegger). Tandis
qu‟accouplée à la loyauté, la confiance est considérée ici comme fidélité, toujours dans une
perspective intersubjective. C‟est dans ce cadre que la confiance apparaît comme la base de
toute transaction, de tout échange. Il faut ajouter à ces éléments choisis de définition, un
aspect supplémentaire : la confiance est prise ici dans sa dimension culturelle. Il s‟agit alors de
comprendre comment les habitants accordent leur confiance plus que de savoir à qui ils
l‟accordent. La confiance est ici étudiée à travers trois éléments distincts291 :
- la capacité et le désir d‟établir une relation d‟échange réciproque, comme par
exemple la réciprocité d‟un bien prêté ou d‟un service rendu par une autre personne qui, par
là, si elle n‟est pas déjà membre du réseau personnel, peut le devenir. Ce désir peut être le
fruit d‟affinités relationnelles comme dans le cuatisme, de calculs d‟intérêts à l‟image du
compadrazgo, ou encore de la nécessité ou de l‟urgence, dans le cadre de relations de
voisinage
- la volonté de remplir les obligations implicites à ce type de relation, en
particulier celle de réciprocité dans le cas d‟un réseau social ou personnel standard, ou alors
l‟échange de confidences dans le cas de relations cuatistes. Si Victor veut par exemple
maintenir ses relations avec ses cuates, il doit participer à des sorties hebdomadaires, en
particulier dans les cantines et les bars
- la familiarité mutuelle suffisante pour servir de base à un rapprochement, avec
la probabilité de ne pas être rejeté. C‟est par exemple le cas lorsque des voisins se côtoient
régulièrement et se rendent mutuellement des services. Il arrive un moment où la
quotidienneté des rapports laisse présager si la familiarité qui s‟est instaurée leur permet de se
rapprocher et la probabilité de ne pas être rejeté. La relation entre Ernestina et Margarita, soit
entre la bru et la belle-mère, toutes deux voisines, illustre justement une distance sociale et un
déficit d‟affinités qui fait que la relation apparaît clairement aux deux protagonistes comme
distante, avec d‟impossibles prospectives de rapprochement.
Ainsi, un des concepts en jeu dans la confiance telle qu‟elle est observée dans les
quartiers d‟habitat précaire, est la distance sociale formelle292, c‟est-à-dire la proximité ou
l‟éloignement à la fois sociospatial, comme peut l‟illustrer le contre-exemple qu‟incarne la
relation entre Ernestina et sa belle-mère. Cependant, la confiance sert à découvrir, au-delà de
la distance sociale formelle, les relations sociales qui prédominent dans l‟environnement
immédiat des habitants. Par exemple, Carlos, habitant de Reguilete, est plus proche de Julio,
de Reguilete, que de sa famille qui vit en province, près d‟Acapulco. Un oncle qui a vécu à
Reguilete lui rend visite régulièrement, environ une fois par mois. Cet oncle qui dispose
encore d‟une petite habitation (20m²) l‟a même prêtée à Monica, l‟amie de Carlos. La relation
de confiance semble plus importante entre des personnes de même statut social et qui se
placent dans un rapport d‟égalité : « la personne qui offre une faveur ou un cadeau proclame
sa supériorité par ce geste ; l‟autre, en lui rendant l‟équivalent ou une valeur supérieure, cette
faveur ou ce cadeau, invalide la prétention de supériorité et en même temps invite la répétition
de transactions similaires. Cela constitue la base d‟une relation de réciprocité symétrique,
caractéristique de l‟égalité entre pairs, égalité qui n‟est en aucune manière statique et qui peut

291
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 28
292
Sahlins (Marshall), « On the sociology of primitive Exchange », dans Banton (Michael), The relevance of
models for social anthropology, Londres, Tavistock, 1968, p 150
impliquer des conflits »293. Cette idée reprend les thèses anthropologiques concernant le don et
l‟échange. La relation qui s‟institue par le don ou l‟échange sont des relations, bien
qu‟égalitaires à la base, qui s‟inscrivent dans des rapports de force et de pouvoir
interindividuelles ou entre groupes. Celui qui donne ou qui propose un bien prend l‟ascendant
sur l‟autre, qu‟il s‟agisse d‟un individu ou d‟un groupe. Alors, l‟autre, pour ne pas perdre son
honneur, doit rendre le bien ou le service rendu, dans une quantité ou pour une valeur au
moins égale à celle perçue. Ce processus amène alors à une différenciation des sources de
pouvoir : « En produisant de l‟inégalité, le résultat est une différenciation du pouvoir : ceux
qui avant ont été égaux deviennent désormais dépendants l‟un de l‟autre »294. En effet, l‟une
des conditions de base pour établir une relation de confiance dans l‟un des quartiers étudiés
est l‟égalité de carences entre les contractants de la relation. C‟est par exemple parce que Julio
avait besoin d‟un ouvrier sur un chantier de construction et que Carlos avait sa force de travail
à offrir, qu‟ils ont travaillé ensemble. Ils se connaissaient comme voisins et savaient plus ou
moins ce qu‟ils faisaient respectivement. Sur plusieurs des chantiers où Julio travaillait, un
ouvrier supplémentaire aurait été bienvenu. Julio savait que Carlos n‟avait pas de chantier
prévu. Alors, il lui a proposé de travailler avec lui sur un chantier. C‟est comme ça qu‟a
débuté leur collaboration. Depuis, ils ont fait de nombreux chantiers ensembles et construisent
actuellement une maison à Reguilete pour une propriétaire terrienne qui dispose déjà de
plusieurs résidences. La confiance est donc nécessaire au bon fonctionnement des réseaux
sociaux et personnels au sein des quartiers d‟habitat précaire de Mexico. Mais elle constitue
également une ressource mobilisable par les habitants et les leaders politiques. En quoi la
confiance serait-elle une ressource ?
L‟hypothèse de ce paragraphe est que la confiance serait un « dispositif de
médiation »295, car elle représente un mécanisme essentiel de l‟échange au sein des réseaux
sociaux et de l‟organisation politique. Il n‟y a pas d‟échange si les deux contractants n‟ont
aucune confiance mutuelle. Dans le cas présent, il s‟agit à la fois d‟accorder sa confiance à
quelqu‟un et de la recevoir afin de pouvoir effectuer des échanges et initier ou maintenir des
relations au sein des réseaux sociaux. Par exemple, accorder sa confiance permet à un
individu de faire rentrer un nouveau membre dans son réseau égocentré, et lorsque s‟ajoute le
fait de recevoir la confiance de quelqu‟un, alors il y a échange, même s‟il y a des modulations
sur les degrés de confiance accordés et reçus, en fonction des personnes, des types d‟échanges
et des types de relation. Par exemple, une relation de compadrazgo n‟implique pas forcément
la confiance entre le compadre et la famille ou le groupe qui le sollicite. C‟est également par
la démonstration de marques de confiance qu‟un individu peut devenir un cuate, dans le cadre
de relations amicales. Par la confiance, les réseaux égocentrés eux-mêmes peuvent être
considérés comme une ressource multiplexe, par analogie aux « relations multiplexes »
décrites par Michel Grossetti notamment, à cause de leur influence sur de nombreuses
sphères, tant économiques, politiques et sociales, que spatiales voire même
psychosociologiques. Une ressource est définie comme un moyen mis à profit, en vue de
réaliser une action ou d‟atteindre un objectif. La mobilisation d‟une ressource, en l‟occurrence
293
Adler de Lomnitz (Larissa), loc. cit : “La persona que ofrece un favor o un regalo proclama su superioridad a
través de este hecho; el otro, al devolverle en forma equivalente o con creces este favor o regalo, invalida esta
pretensión de superioridad y al mismo tiempo invita la repetición de transacciones similares. Esto constituye la
base de una relación de reciprocidad simétrica, característica de la igualdad entre pares, igualdad que de ninguna
manera es estática y que puede implicar conflictos”
294
Adler de Lomnitz (Larissa), loc. cit. : “Al producirse la desigualdad, el resultado es una diferenciación de
poder: quienes antes fueron iguales pasan ahora a depender uno del otro”
295
Terme adapté à partir d‟une notion forgée par Michel Grossetti, terme inauguré lors de l‟entrevue qu‟il nous
accordé pour désigner le lieu de vente, par analogie aux « dispositifs de médiation » qu‟il explicite dans plusieurs
des articles référencés dans la bibliographie
la confiance, est un ensemble d‟actions par lequel un individu mobilise ou reçoit une
ressource dont il ne dispose pas296. Les réseaux égocentrés sont, pour les habitants, à la fois
une ressource économique, puisque, ils trouvent des emplois et obtiennent des aides ou des
avantages matériels grâce aux membres de leur réseau respectifs. Comme cela a déjà été
analysé, une large proportion des habitants de chacune des colonias, a découvert le terrain
grâce à un membre de leur réseau personnel ; certains se sont installés sur le terrain, car des
membres de leur famille, ou des gens très proches d‟eux y habitaient. C‟est également une
ressource sociale car il permet d‟obtenir des bénéfices sociaux, qu‟il s‟agisse de relations avec
des fonctionnaires ou des hommes politiques qui pourraient les aider à régulariser leurs
logements. C‟est également une ressource politique parce que les réseaux sociaux peuvent
aider à débloquer des situations politiques, par l‟intermédiaire de personnes-clé. C‟est
également une ressource psychologique car les réseaux constituent un « soutien moral et
psychologique » aux habitants des quartiers d‟habitat précaire297. Par exemple, dans un
moment de désespoir comme celui d‟Ernestina, décrit précédemment, les membres de son
réseau social, en particulier ceux qui vivent à Reguilete, à savoir sa sœur, ses parents et ses
enfants, peuvent lui être d‟un grand secours, pour la réconforter et lui redonner courage. La
confiance est donc un « dispositif de médiation », c‟est-à-dire tous les procédés qui permettent
d‟atteindre une ressource dont on ne dispose pas sans passer par des relations. La confiance
est un dispositif de médiation car elle fait partie des procédés qui conditionnent l‟échange au
sein des réseaux sociaux. La confiance se place au-delà de la communication, qui « intervient
dans la création ou le maintien des relations sociales » 298. Elle est ce par quoi une relation se
renforce, un lien suffisamment fort pour que l‟échange ait lieu. Et, dans le cas des colonias
paracaidistas, elle est le mécanisme de pérennité des relations au sein d‟un réseau. La
confiance est perçue ici comme à la fois un ressort et une ressource affinitaire. Un ressort,
dans le sens où elle n‟est pas toujours contrôlés, comme le révèlent les propos de Sebastián :
« je sais que Victor a des problèmes de drogue, je sais qu‟il a fait des âneries, et assez grandes,
mais j‟ai confiance en lui, je sais que si j‟ai besoin de lui, il sera là ; en plus, il ne m‟a jamais
rien fait à moi. Peut-être que je me fais des illusions tout seul, mais j‟ai beaucoup confiance en
lui »299. Mais c‟est aussi une ressource, pour le raisons invoquées précédemment dans ce
paragraphe.
Un élément semble important pour susciter et maintenir la confiance entre les
contractants d‟échanges : la localisation des échanges et des relations au sein des réseaux
sociaux et personnels. La localisation est d‟une part un vecteur de communications, donc elle
permet la création de potentiels échanges et donc, de l‟extension d‟un réseau égocentré. Le
concept de lieu300 serait donc important dans le cadre d‟échanges au sein de réseaux
relationnels, car il renvoie à la notion d‟altérité, nécessaire à la confiance et à la réciprocité
tant dans les réseaux sociaux que dans le politique. Il se différencie du « territoire », espace
construit et vécu, ainsi que de la « place », c‟est-à-dire un espace générateur d‟identification

296
Grossetti (Michel), «La mobilisation des relations sociales dans les processus de création d‟entreprises.
Aperçus à partir d‟une enquête en cours », ibid, p 4
297
Adler de Lomnitz (Larissa), op.cit., p 28
298
Grossetti (Michel), « Communication électronique et réseaux sociaux », ibid, p 1
299
Propos récoltés par nos soins le 24 avril 2007 : “yo sé que Victor tiene problemas de drogas, yo sé que hizo
tonterías, y bastante grandes, pero tengo confianza en el, sé que si lo necesito estará, además a mi nunca me hizo
nada. Quizás me engaðo solo pero si le tengo mucha confianza”
300
Lévy (Jacques), Lussault (Michel), « Lieu‟3 », Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
Paris, Belin, 2003, entrée « Lieu » : espace construit où deux aspects sont privilégiés, les « interactions contact »
d‟une part et les « relations distantes » avec d‟autres espaces d‟autre part. « Le noyau central du concept de lieu
au sein de la connaissance de l‟espace des sociétés porterait plutôt sur la coprésence, c‟est-à-dire aussi sur la
cospatialité poussée jusqu‟au bout ». Le lieu est donc l‟espace de la communication et de l‟altérité
pouvant donc engendrer des phénomènes ségrégatifs. Le lieu de vie est le pendant de l‟espace,
surtout lorsqu‟il est public, donc lorsqu‟il s‟agit d‟un « endroit ouvert à tout le monde, sans
heure d‟ouverture ni de fermeture » où « toutes les composantes de la société locale se
rencontrent ». L‟espace est donc général, tandis que le lieu est spécifique, en-dehors de
données temporelles. Néanmoins, le concept de lieu pose un problème : l‟une de ses
caractéristiques est l‟absence de limites nettes. On peut délimiter une gare, de ses voies à son
parvis, mais le lieu de vie des paracaidistas, mouvant et changeant, sans limites nettes ni
fixes, est flou. C‟est également vrai au niveau infra-colonia, où la distinction entre l‟espace
public et l‟espace privé est difficile : le lieu de vie (privée) peut être public en fonction des
activités et des occasions. Ainsi, durant l‟enquête de terrain, des épiceries ont été découvertes
à l‟intérieur même des habitations et ne font pas partie du recensement effectué. Par exemple,
Asunción, à Cuesta, vend des bonbons, du lait, de l‟alcool (bières principalement) et du pain
ou des biscuits en sachets. Mais elle n‟a pas de devanture commerciale à l‟image celle des
autres épiceries301. Dans la colonia Potrerillo, d‟autres épiceries de la sorte ont été trouvées.
Ce qui est surprenant, c‟est que rien à l‟extérieur comme à l‟intérieur, ne laisse présumer du
commerce, hormis les quantités importantes de certains produits, comme les cartons de
bouteilles de bières chez Asunciñn. Ainsi, le lieu de vente ou d‟activité (comme par exemple
pour les couturières qui travaillent à domicile) n‟est tel que durant le travail des habitants,
sinon il redevient lieu de vie privée. Je ne me suis aperçue de l‟existence de ces commerces
que parce que j‟ai assisté à des achats, lorsque je faisais l‟entretien d‟Asunciñn. Cela m‟a
permis de découvrir une autre manière d‟exercer la vente de proximité dans les colonias
étudiées. De même, cela a mis en lumière le rapport complexe entre espace public et espace
privé, espace collectif et espace individuel, à Cuesta, Potrerillo et Reguilete. Le lieu de vie
constitue une ressource de médiation, au sens vu précédemment, c‟est-à-dire l‟ensemble des
procédés permettant d‟atteindre une ressource –c‟est-à-dire un bien ou un service- dont on ne
dispose pas sans passer par des relations. Le lieu est une ressource de médiation car il met en
contact, il fait se rencontrer habitants, leaders, fonctionnaires et hommes politiques. Il amène
la communication, sous toutes ses formes, celles-ci intéressant les réseaux sociaux et
personnels car elle « intervient dans la création ou le maintien des relations sociales »302. Le
lieu est, de même, l‟aboutissement de sollicitations du réseau relationnel puisque, pour
l‟obtenir, les habitants ont souvent recours à leur réseau personnel. Ainsi, à l‟instar des liens
forts décrits précédemment (I. C.), il y aurait des « lieux forts »303 où le grand nombre
d‟événements et le quotidien y feraient lieu et leur donneraient de l‟importance. En ce sens,
les colonias paracaidistas de Reguilete et de Cuesta seraient des lieux forts et expliqueraient
la forte concentration d‟habitants. Ce seraient les micro-drames quotidiens qui ponctuent les
journées des habitants, la proximité d‟usines qui embauchent des habitants et d‟une
délégation, avec tous les centres que cela suppose (marchés, églises, services), même si le
pouvoir administratif se trouve à San Cristobal. Néanmoins, ce serait alors peut-être dans les
lieux faibles que les colonias paracaidistas seraient majeures, dans leur capacité à « faire
lieu », créant ainsi les événements qui y ont lieu. Ce serait par exemple la colonia Potrerillo,
isolée, qui illustrerait les lieux faibles : la colonia se situe le long d‟un axe routier très
fréquenté, près d‟un échangeur autoroutier. Il y a donc d‟importants flux automobiles. Il y a
des passages automobiles, non de piétons, compte tenu de l‟éloignements de centres –qu‟il
s‟agisse de centres administratifs, politiques, économiques ou sociaux- hormis un centre
commercial, la Plaza Ecatepec. Cependant, cette place n‟est quasiment pas fréquentée par des

301
Voir photos en annexe I
302
Grossetti (Michel), « Communication électronique et réseaux sociaux », ibid, p 1
303
Lévy (Jacques), Lassault (Michel), ad loc
piétons, au vu de son éloignement, sauf des habitants des maisons qui se trouvent de l‟autre
côté du pont piétonnier304. Potrerillo fait lieu pour ses habitants, alors qu‟il n‟y a rien à cet
endroit, hormis quelques maisons réparties sur une rue, une petite boutique à l‟angle de cette
rue et une école primaire, prévue initialement pour les enfants de Potrerillo. La colonia fait
lieu, en rassemblant des personnes et des familles. Les lieux faibles expliquent en quoi les
lieux constituent une « ressource » : « le lieu fait ressource parce que les acteurs lui font jouer
un rôle ». Ainsi, la « ressource de médiation » est ce qui permet d‟atteindre un objet ou une
personne, une situation ou une configuration, un bien ou un service, dont on ne dispose pas
spontanément. Le lieu fait ressource lorsqu‟il rassemble des personnes et qu‟il dispose, au
moins à proximité, de services et d‟infrastructures. Ainsi, l‟on remarque que Potrerillo, qui est
la colonia la plus isolée, est le lieu faible qui, finalement, fait le plus lieu. Il y a peu
d‟habitations autour, peu de commerces de proximité, les marchés les plus proches sont assez
éloignés, mais le quartier dispose d‟infrastructures urbaines très proches : des arrêts de bus
sont proches de l‟entrée de la colonia, un centre commercial accessible à pieds grâce au pont
qui surplombe l‟avenue Insurgentes.
La confiance est donc un mécanisme central dans les relations sociales au sein des
réseaux égocentrés des habitants des colonias paracaidistas étudiées ici ; elle est également au
cœur des relations clientélistes qui se basent sur l‟échange tacite ou explicite d‟un vote ou
d‟un soutien en faveur du cacique ou du leader local, en échange de leur aide en vue de la
régularisation des titres de propriété. La confiance est également centrale dans les échanges
qui cimentent les réseaux personnels et présente un versant économique au sein des réseaux
d‟échanges réciproques.

2. Confiance et réseaux d’échanges réciproques

Il est possible de se demander si la confiance au sein des réseaux sociaux n‟est pas
d‟autant plus importante dans les colonias paracaidistas, compte tenu de la précarité de leurs
conditions de vie. Alors, pour tenter de comprendre l‟influence de la confiance sur les réseaux
d‟échanges réciproques (voir définition I. C.), il faut s‟interroger : qu‟apporte la confiance aux
réseaux d‟échanges réciproques ?
La première idée envisagée ici est que la confiance, lorsqu‟elle est accordée à un
membre d‟un réseau d‟échanges réciproques, renforce les liens avec ce membre. En effet, le
réseau d‟échanges réciproques constitue une chaîne de relations basées sur les échanges de
petits services et de prêts de biens entre des habitants de la colonia. Comme cela avait été
noté, plus les habitants sont proches l‟un de l‟autre, plus il y a de chances pour qu‟ils fassent
partie du même réseau d‟échanges réciproques. C‟est ce que prouvent par exemple la
proximité entre Cecilia à Potrerillo et Veronica : les deux vivent l‟une à côté de l‟autre, dans
des habitations mitoyennes. Comme Veronica l‟a expliqué : « oui, ça nous arrive de nous
prêter des trucs, de se prêter du sel ou de la farine quand on en a besoin »305. Il est possible
d‟ajouter un niveau supplémentaire : plus il y a d‟échanges entre des membres d‟un réseau,
plus il y a de chances pour que la confiance s‟installe ; cela est d‟autant plus fort lorsque ces
personnes sont voisines. C‟est par exemple le cas entre David et Sebastián à Reguilete, dont
les logements sont voisins. David vit avec sa femme et leurs enfants, tandis que Sebastián vit
seul ou avec son amie. Les deux partagent des vues différentes quant aux modes

304
Voir photos du site et de la situation de Potrerillo
305
Propos recueillis par nos soins, le 4 avril 2007
d‟organisation politique de la colonia. David est opposé aux réunions d‟Oscar Dominguez
Guerrero, leader politique du PRD, et prône le renforcement du rôle du comité interne.
Cependant, il assiste aux réunions ponctuelles du comité interne sans y participer ; il est un
« Indépendant » passif selon la typologie déjà établie306. Tandis que Sebastián, Président du
comité interne, est un participant actif et en faveur du leader Oscar. Malgré ces oppositions
tranchées entre les deux hommes, ils entretiennent de bonnes relations de voisinage. Ils
s‟entraident au quotidien, par exemple lorsque l‟un d‟entre eux a besoin d‟aide pour effectuer
des travaux chez lui. Les conjointes sont également un facteur de rapprochement : elles
sollicitent mutuellement des services, comme par exemple le prêts d‟ustensiles de cuisine, de
denrées alimentaires d‟appoint (un ou deux œufs lorsqu‟il vient à en manquer, du sucre ou de
la farine par exemple). Elles discutent régulièrement, échangent des astuces culinaires et des
recettes. Elles échangent certaines confidences, mais apparemment, elles ne demanderaient
que peu conseil l‟une à l‟autre. Les relations entre les deux familles sont donc régulières,
basées sur des échanges réciproques de biens et de services. La proximité géographique
semble être un facteur déterminant dans la relation d‟échanges réciproques. Par la suite, la
confiance peut s‟instaurer. Les mécanismes d‟accord de la confiance entre des personnes
appartenant à un réseau d‟échanges réciproques sont complexes. Il semble, d‟après les
entretiens, que le bon déroulement des échanges entre des membres du réseau soit une
condition majeure. L‟échange de propos cordiaux et de courtois durant les échanges de biens
et de services est également lié à l‟instauration de relations de confiance. Ainsi, comme
l‟explique Teresa, habitante de Cuesta : « depuis mon arrivée ici, Clara a toujours été très
aimable. On s‟entend bien : on se prête des trucs pour la cuisine ou pour le foyer, et on parle
beaucoup. Comment a commencé la relation ? Bon, tu sais comment ça se passe, quand tu a
des voisins, que tu en vois qui semblent sympathiques, tu oses leur demander un service, et
puis tu vois comment ils réagissent. Et avec Clara, disons qu‟à mesure qu‟on faisait
connaissance, on s‟est découvert beaucoup de choses en commun. Et on s‟entend très bien. On
est voisines et bonnes amies maintenant »307. Les jugements mutuels positifs et la
reconnaissance de qualités sont d‟autres facteurs. C‟est ce que met en lumière les propos de
don Chelito à Potrerillo, concernant Cecilia : « C‟est une femme courageuse. Elle a sa famille,
mais elle s‟occupe aussi de la colonia, depuis que Gina ne vient plus ici »308. Un hypothèse
envisageable est que la confiance est certes un minimum nécessaire à la construction d‟un
réseau d‟échanges réciproques au sein d‟un quartier d‟habitat précaire : on ne va pas par
exemple prêter le seul tournevis que l‟on ait ou une grande casserole très utile s‟il n‟y a pas
l‟assurance de les récupérer ensuite. Il s‟agirait alors d‟une confiance dans le bénéfice du
doute. Néanmoins, lorsqu‟elle est accordée dans le cadre d‟échanges quotidiens, alors elle
intensifie les relations au sein d‟un réseau d‟échanges réciproques. La confiance rend donc
effectifs les réseaux d‟échanges réciproques qui constituent le cercle d‟appartenance de
référence des habitants de colonias paracaidistas et centralisent l‟organisation des habitants
en l‟absence –virtuelle ou effective- d‟autres types de participation politique dans le quartier :
« les réseaux offrent un appui émotionnel et moral à l‟individu, et centralisent sa vie
culturelle, face à l‟absence virtuelle de tout autre type de participation organisée à l‟échelle de

306
Voir annexe I
307
Propos recueillis par nos soins le 14 avril 2007: “Desde mi llegada aquí, siempre Clara fue muy amable. La
llevamos bien : nos prestamos cosas para la cocina, para el hogar y platicamos mucho. Como empezo la relacion?
Pues ya sabes, cuando tienes vecinos, que ves a unos simpaticos, te atreves a pedirles un favor, y ves como
reaccionan. Y con Clara, digamos que a medida que ibamos conociendonos, nos descubrimos muchas cosas en
comun. Y la llevamos muy bien. Somos vecinas y buenas amigas ahora”
308
Propos tenus par Chelito, le 28 mai 2007 : “es una mujer muy valiente. Tiene su familia, pero se encarga
tambien de la colonia, ahora que Gina ya no viene aquí”
la ville ou de la nation »309. Après avoir vu les enjeux relationnels de la confiance au sein des
réseaux d‟échanges réciproque, il est possible de formuler la question suivante : quels sont les
mécanismes par lesquels la confiance améliore les réseaux d‟échanges réciproques ?
La confiance densifierait les relations au sein des réseaux d‟échanges réciproques, ce
qui les rendrait plus efficaces, grâce à l‟acquisition de compétences310 liées à la parole et au
sentiment d‟appartenance. En effet, la confiance renforcerait le « savoir-communiquer » au
sein des réseaux d‟échanges réciproques. Ce savoir est double : il tient à la fois aux
compétences relationnelles et sociales, mais aussi aux facultés de contourner et de pallier
l‟asymétrie de l‟information. L‟un des thèmes majeur pour les observations menées auprès des
habitants concerne l‟asymétrie de l‟information et le développement de stratégies pour
acquérir des données concernant la régularisation de leur situation, tout en distillant certaines
informations et en en dissimulant d‟autres. Dans les trois colonias, des modes opératoires
différents ont été observés tant pour la récolte que pour la transmission d‟informations. Par
exemple, l‟un des grands problèmes pour les habitants de Reguilete concerne la publicisation
des informations concernant les démarches effectuées pour la colonia par le comité interne ou
le leader Oscar. Les discussions avec les principaux « Indépendants » de Reguilete, il faudrait
instituer des réunions régulières dans la colonia et informer tous les habitants, et pas
seulement les proches des membres du comité, de la situation et des démarches accomplies.
De même, des habitants se plaignent de ne pas être informés des réunions ponctuelles lorsque
celles-ci sont organisées. Clifford Geertz dégage alors deux procédures majeures311 de
contournement de l‟asymétrie d‟information : le clientélisme (clientelism), qui semble majeur
tant dans les pratiques politiques que dans les modes relationnels, qu‟il analyse comme la
tentative de trouver des partenaires pour effectuer des échanges, à travers des relations
durables, spécifiques et personnelles ; la seconde est le marchandage (bargaining), c‟est-à-
dire la recherche de compromis pour l‟échange avec un partenaire. Ainsi, comme le montre
Geertz, les vendeurs du bazar de Séfrou résolvent le problème de l‟asymétrie d‟information en
se fiant au marchandage et à la réputation. Cette théorie rappelle également celle de George
Akerlof dans « The Market for Lemons » 312 que l‟asymétrie d‟information engendre une
« sélection adversaire », c‟est-à-dire des comportements opportunistes précontractuels et post-
contractuels. Ces comportements s‟illustrent dans les stratégies de rapprochement ou
d‟éloignement des habitants entre eux. Par exemple, bien que Margarita critique virulemment
Ernestina, sa belle-fille, toutes deux habitantes à Reguilete, elle ne demeure pas moins polie et
aimable envers elle, en la saluant et en échangeant des paroles et, à l‟occasion, de menus
services. Par exemple, elle peut l‟aider à organiser un fête d‟anniversaire pour l‟une de ses
filles. Le rôle des deux femmes est surtout politique, en menant toutes les deux des actions en
vue de régulariser les titres de propriété des terrains. Cependant, il faut noter ici que les
échanges entre Margarita et Ernestina sont moins courants qu‟entre d‟autres membres du
même réseau, comme par exemple la sœur d‟Ernestina qui vit en face de cette dernière ou
encore ses parents qui vivent dans une habitation qui jouxte celle de Margarita. Ainsi, bien
qu‟elles occupent des logements côtes à côtes, Margarita et Ernestina n‟ont pas des échanges

309
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 28 : “Además, las redes otorgan un apoyo emocional y moral al
individuo marginado, y centralizan su vida cultural, frente a la virtual ausencia de cualquier otro tipo de
participaciñn organizada en la vida de la ciudad o de la naciñn”
310
Tarrius (Alain), art. cit. (exemplaire remis avant sa parution)
311
Geertz (Clifford), « Suq : the bazaar economy in Sefru », dans Geertz (Clifford) et alii., Meaning and Order in
Moroccan Society : Three Essays in Cultural Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1979, p 123-
314
312
Akerlof (Georges), “The Market of Lemons: Quality Uncertainty and The Market Mechanism”, The Quarterly
Journal of Economics, n°84, vol. 3, 1970, p 488
aussi réguliers et des relations aussi denses que celles d‟autres voisins, comme celles de David
et Sebastián par exemple. La confiance permet d‟établir un lien direct entre politique et réseau
d‟échanges réciproques dans chacun des quartiers étudiés. Au niveau politique à l‟intérieur de
chacune des colonias, la confiance est un élément important à plusieurs niveaux. Elle est
évidemment majeure pour les relations entre leaders politiques locaux et habitants
paracaidistas. Comme le montre le tableau suivant, de notables différences séparent les
habitants de chacune des colonias. Les habitants de Cuesta affichent, dans leur grande
majorité (65 %), une pleine confiance en leurs leaders politiques, qui sont Leti et Chano. Il est
possible de se demander si la pleine confiance accordée par les habitants à leurs leaders est
effective ou bien si elle résulte d‟un effet d‟affichage des habitants. Certains pourraient
craindre d‟afficher leur opposition ou leurs doute, de peur d‟être ostracisés de la communauté
et de devenir les bouc-émissaires des habitants de la colonia. Ceux de Reguilete affichent une
confiance limitée en leurs leaders : 60 % d‟entre eux estiment avoir une confiance limitée
dans les actions menées par leurs leaders pour régulariser leur situation et dans leur manière
de gérer la colonia. Cinq des vingt personnes interrogées à Reguilete avoue éprouver une
certaine méfiance, tandis que trois d‟entre elles disent être pleinement méfiants à l‟égard de
leurs leaders.

CONFIANCE DES HABITANTS EN LEURS LEADERS

14
12
10 Pleine confiance
8 Confiance limitée
6 Certaine méfiance
4 Pleine méfiance
2
0
Cuesta Reguilete Potrerillo

Tableau 16 : Confiance des habitants en leurs leaders politiques

Les habitants de Potrerillo affirment à 55 % être totalement méfiants envers leurs


leaders. Cette position s‟explique par la situation de crise que traversent actuellement les
habitants et le climat de peur qui plane sur la colonia. Au-delà de l‟angoisse que suscite le
paracaidisme, comme par exemple l‟incertitude du logement et de se voir chaque jour chassé
de son habitation, les habitants de Potrerillo savent qu‟il leur faudra partir d‟ici à la fin du
mois d‟août 2007, car le propriétaire du terrain a décidé d‟y construire un complexe hôtelier.
Parmi ceux interrogés, certains expriment un sentiment de trahison et d‟injustice : « les leader
nous ont menti, ils nous trimballent d‟un terrain à l‟autre en nous disant tout le temps qu‟on
va pouvoir rester, mais c‟est toujours la même chose : il y a un moment où on doit partir,
parce que les propriétaires changent d‟avis »313. D‟après les explications obtenues, la

313
Propos recueillis par nos soins le 22 mai 2007. L‟informateur n‟a pas souhaité que son identité soit révélée,
alors nous l‟appellerons Josue : «los lideres nos han mentido, siempre nos mueven de un terreno a otro
diciendonos que nos vamos a quedar, pero siempre es lo mismo : hay un momento en que nos tenemos que ir,
porque los dueños cambian de punto de vista» «somos nosotros que no tenemos nada que pagamos los platos
rotos»
confiance accordées aux leaders –par exemple dans le cas du Reguilete, le leader PRD et ceux
du comité interne sont indifférenciés- est limitée à cause de leur inefficacité pour solutionner
les problèmes de la colonia. Ainsi, le degré de confiance accordé par les habitants proviendrait
de la « connaissance pratique », c‟est-à-dire une connaissance des acteurs qui se traduit dans
leurs actions314. Cela se rapprocherait alors du concept de « knowlegeability » tel qu‟il est
défini par Giddens : les habitants « ont une connaissance remarquable des conditions et des
conséquences de ce qu‟ils font dans leur vie de tous les jours »315. Tous les habitants
rencontrés (100%) connaissent l‟existence de Tenencia de la Tierra et du service cadastral de
la municipalité.

CONNAISSANCE DES MECANISMES POLITIQUES

70
Connaissance Ten. de la
60 Tierra
50 Allégeances politiques
40
Fonctionnaires
30
20 Corruption
10
0 NSP
Habitants enquêtés

Tableau 17 : Connaissez-vous ces mécanismes politiques ?

Ils savent que des leaders politiques peuvent les aider, s‟ils acceptent de leur apporter
leur soutien –c‟est ce qui est appelé « allégeances politiques » dans le tableau 17. C‟est pour
cela par exemple que les leaders de Potrerillo, longtemps affiliés au PRI, ont commencé à
entamer des discussions avec des leaders du PRD afin d‟obtenir plus d‟avantages, compte
tenu de la présidence de la municipalité, placée sous l‟égide du parti PRD. De même, ils
savent que la corruption serait un bon moyen de faire avancer leur situation ainsi que
l‟entretien de relations avec des fonctionnaires. Néanmoins, ce n‟est pas parce qu‟ils
connaissent ces modalités d‟action politique qu‟ils les estiment tous aussi pertinents pour
améliorer leur situation. Dans le tableau suivant, les modalités de régularisation qui leur
semblent les plus efficaces sont d‟une part la corruption : 97 % des personnes interrogées
estiment que s‟ils corrompaient des fonctionnaires ou des hommes politiques, leur situation se
régulariserait et ce, plus rapidement que par la voie légale.

314
Giddens (Anthony), op. cit.,1986, p 163
315
Giddens (Anthony), op. cit., p 163
PERTINENCE DES MODALITES DE REGULARISATION

70
60
Fonctionnaires
50
Allégeances politiques
40
Ten. de la Tierra
30
Corruption
20
NSP
10
0
Habitants

Tableau 18 : Quels sont les moyens qui vous semblent les plus pertinents pour
régulariser votre situation ?316

D‟autre part, des relations clientélistes avec des hommes politiques, nommées
« allégeances politiques » dans le tableau, pourraient également les aider à régulariser leur
situation, selon 76% d‟entre eux. Le maintien de relations avec des fonctionnaires semble être
un bon moyen de régulariser leur situation pour 71% des personnes interrogées, tandis que
l‟efficacité de Tenencia de la Tierra n‟est reconnue que par 38 des personnes interrogées, soit
63% des enquêtés. La confiance apparaît donc comme un facteur relationnel des réseaux
d‟échanges réciproques, dont les modalités influent sur l‟organisation interne des colonias
paracaidistas étudiées ici. La confiance est un vecteur d‟apprentissage de certaines
compétences, en particulier oratoires. A-t-elle également un lien avec les sentiments
d‟appartenance ?
L‟hypothèse émise ici est que la confiance accordée par une personne appartenant à un
réseau d‟échanges réciproques à un autre ou plusieurs autres membres de ce même réseau,
influe sur le sentiment d‟appartenance à ce réseau et, plus largement, à une communauté au
sein du quartier d‟habitation. Par exemple, Asunciñn, Julia et Maria sont des mères de famille
vivant à Cuesta. Toutes les trois ont confiance les unes en les autres et soutiennent leurs
leaders moralement et concrètement, en participant aux marches qu‟ils organisent et aux
manifestations. De même, les trois femmes sont très engagées dans la vie de la colonia : elles
participent très régulièrement aux réunions organisées par doña Leti et don Chano, elles leur
prêtent main forte pour la préparation d‟activités dans leur quartier. Par exemple, elles sont
chargées de récolter l‟argent nécessaire à toute action, vérifier qui paye et ne paye pas son
quota, surveiller que les mensualités ou les paiements à la quinzaine soient bien effectués.
Ainsi, elles circulent de maison en maison, avec un cahier qui reprend tous les paiements
effectués par famille. Elles font toutes trois partie du même réseau d‟échanges réciproques,
ainsi qu‟avec Leti, qui n‟habite pas tout le temps dans la colonia et dont les échanges sont
donc moins réguliers. Elles habitent toutes dans le premier tiers des habitations du quartier en
entrant. Elles ne sont pas toutes les trois des voisines directes, nonobstant leurs bonnes
relations et la confiance mutuelle qu‟elles se portent font qu‟elles préfèrent se demander des
services entre elles plutôt qu‟à leurs voisins directs. Par exemple, Asunciñn envoie son petit-

316
Ce tableau est élaboré à partir de la question posée dans son titre. Les 60 personnes interrogées devaient
répondre par « oui », par « non » ou par « je ne sais pas » aux différents moyens proposés
fils demander un service à Julia ou à Maria, comme lui prêter un œuf ou un récipient qui lui
feraient défaut. Ainsi, il est possible de reprendre la thèse défendue par Lomnitz selon laquelle
« le réseau d‟échanges réciproques constitue la communauté effective »317 des habitants d‟une
colonia paracaidista. Cependant, le fait que les réseaux d‟échanges soient la base de la
communauté à Cuesta, à Potrerillo et à Reguilete n‟est pas sans conséquence. La communauté
reposerait donc sur des flux concrets entre certaines personnes de la colonia, ces dernières
pouvant comporter plusieurs réseaux d‟échanges distincts et qui ne se recoupent pas. La
communauté ne repose donc pas sur des valeurs communément partagées ni sur un sentiment
d‟appartenance communautaire. Pour qu‟il y ait sentiment d‟appartenance à une communauté
d‟habitat –communauté de facto-, il faut, selon Louis Wirth, « une forte identité collective et
un système normatif autonome à grand pouvoir intégrateur »318. C‟est ce qui différencierait les
trois colonias et expliquerait les résultats disparates obtenus au cours de l‟enquête entre
chacune d‟elles. En effet, les habitants de la colonia Cuesta disposent d‟un code de conduite et
de règles de fonctionnement clairement définies. Ces règles ne sont pas écrites, mais elles sont
énoncées par les leaders. Leur acceptation conditionne le droit d‟emménager dans la colonia :
« On accepte tout le monde. Mais pour avoir le droit de s‟installer ici, les gens doivent
prouver qu‟ils sont réellement dans une situation désespérée. Mais ils doivent être honnêtes et
accepter de se soumettre au règlement qu‟on a fixé […]. Par exemple, il s‟agit pour un père de
famille de respecter sa femme et ses enfants, de ne pas les frapper, ou d‟envoyer à l‟école les
plus petits. Pareil, on fait attention aux trafics de drogue dans la colonia. On sait qu‟il y en a et
on le surveille, surtout que les gens d‟ici n‟en prennent pas »319. Concernant le contenu du
règlement de la vie dans la colonia, les points de vue divergent. Selon les leaders, il s‟agit de
« respecter la vie en communauté » (respetar la vida de la comunidad), comme par exemple
participer aux réunions et prendre part aux actions menées, même si les « représentants », qui,
je le rappelle, n‟apprécient guère le terme de leaders et encore moins celui de caciques,
soulignent le fait qu‟il n‟y ait aucune obligation à participer et aucune sanction en cas
d‟abstention et d‟absentéisme. Pour les habitants, le tableau suivant reprend les principales
règles énoncées par les habitants.
Principales règles de vie
Respecter les autres habitants
Respecter les leaders
Participer aux réunions dominicales
S‟entraider
Payer son dû
Bien traiter sa famille
Lutter pour la régularisation

Tableau 19 : Principales règles de vie dans la colonia Cuesta selon les habitants

317
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 28 : il faut noter ici que la thèse de l‟auteur porte sur les marginaux
urbains, alors que cette étude démonte le concept de marginalité qui, pris dans un sens littéral, oblitère certains
aspects de la vie des habitants des colonias paracaidistas que l‟auteur inclut dans sa recherche. Sa théorie est ici
adaptée aux habitants de quartiers d‟habitat précaire et en particulier à ceux de colonias paracaidistas
318
Wirth (Louis), Le ghetto, Grenoble, Éditions du champ urbain, 1980 (1928), 309 p
319
Propos tenus par Chano et recueillis par nos soins le 23 mars 2007 : “Aceptamos a todos. Pero para tener el
derecho de instalarse aqui, la gente tiene que demostrar que estan realmente en una situación desesperada. Sin
embargo, tienen que ser honestos y aceptar de someterse al reglamento que hemos hecho [...]. Por ejemplo, se
trata para un padre de familia de respetar a su mujer y a sus hijos, de no golpearles, o de mandar a los chiquitos a
la escuela. Igual, ponemos atención a los traficos de drogas en la colonia. Sabemos que se venden aquí y lo
vigilamos, sobretodo que la gente de aquí no tome de eso”
Dans les deux autres colonias, le leadership n‟est pas aussi cohésif et les habitants ne
disposent pas d‟un règlement transmis oralement ou par écrit. Les habitants de Reguilete
cohabitent par petits groupes. Tous les habitants ne se saluent pas, à la différence de ceux de
Cuesta. La règle de vie est celle du respect, telle qu‟elle est décrite précédemment (III. A. 2.).
Il n‟y a pas de règles de vie, même tacites, propres à la colonia. S‟il y a des règles, ceux sont
celles de la cohabitation et des règles de bon voisinage. Des conflits peuvent éclater et ils
éclatent parfois, entre les habitants partisans du comité interne de la colonia, les
« Indépendants » et les « entre-deux ». Les habitants de Potrerillo, quant à eux, se retrouvent
dans des structures de leadership, avec des adjointes (Cecilia et Carmelita) et des leaders (Irma
et Gina, mère et fille), même si ces dernières ne se rendent quasiment plus dans le quartier.
Les adjointes assurent la surveillance des entrées et des sorties de la colonia, ainsi que son
fonctionnement quotidien et le règlement des problèmes ou des litiges entre les habitants.
Mais les règles de vie, telles que la participation aux réunions internes hebdomadaires ou la
participation à des marches et des manifestations, ne sont plus qu‟une coquille vide depuis
qu‟il n‟y a plus de réunions organisées dans la colonia. L‟ordre social actuel dans le quartier
est en chamboulement, depuis que les habitants se rendent compte que les menaces
d‟expulsion qui pèsent sur eux sont mises à exécution depuis janvier 2007, avec l‟opération
bulldozer, et que l‟échéance fixée à septembre 2007 est bien réelle. Ces différences posent
problème quant aux mécanismes de fonctionnement de l‟ordre social dans chacune des
colonias. Ce qui est sûr, c‟est que celui-ci n‟est pas basé sur l‟ethnicité, l‟âge, le sexe et le lieu
de résidence320. Il faut chercher ailleurs les formes de différenciation sur lesquelles se basent
les réseaux d‟échanges réciproques, qui sont perçus ici à la fois comme des structures
économiques, par les échanges qu‟ils structurent, ainsi que le cadre d‟un rapport à l‟espace
local. Les formes de différenciation seraient, selon moi, basées sur des perceptions différentes
du paracaidisme ainsi que des solutions proposées. Les formes de différenciation seraient
donc politiques. Cela justifie doublement ce sujet et éclaire la coexistence entre différents
réseaux d‟échanges réciproques dans chacune des colonias. L‟on remarque justement que les
réseaux d‟échanges réciproques sont certes, avant tout basés sur la proximité géographique,
car les voisins sont les premiers à pouvoir réagir en cas d‟urgence. Néanmoins, les clivages
politiques321 constituent un autre facteur de différenciation. Comme cela a été envisagé, cela
est le cas à Reguilete, où les réseaux d‟échanges réciproques, sont avant tout basés sur les
clivages politiques, plus forts que dans les autres colonias étudiées. Ainsi, Octavio, mari de
Sandra et porte-voix des « Indépendants » de Reguilete, ne fait pas parti des réseaux
d‟échanges réciproques des membres du comité interne, en particulier de Sebastián et
d‟Ernestina. De même, bien que Margarita et Ernestina peuvent être amenées à s‟entraider ou
s‟échanger des services, leurs relations sont plus lointaines qu‟avec d‟autres membres de leur
réseau d‟échanges réciproques. Cette distance s‟explique à la fois par des facteurs relationnels
propres aux deux femmes, on peut supposer des différences de caractère et de personnalité, le
fait qu‟elles soient belle-mère et belle-fille, mais aussi par la teneur même des relations de
voisinages. Comme le rappelle Dominique Vidal, les relations de voisinage comportent
souvent des conflits et des disputes. Mais, selon Ulf Hannerz, « deux individus sont voisins
s‟ils […] prennent conscience de leur présence réciproque et répétée dans l‟espace public
environnant et, par conséquent, du rapport spécifique à cet espace »322. Selon cette idée,
certaines personnes qui vivent dans des habitations proches l‟une de l‟autre ne se saluent pas
320
Suttles (Gérald), cité par Vidal (Dominique), art. cit., p 7
321
Roger (Antoine), « Comportement politique comparé », séminaire Sciences Po, année 2005-2006 : traduction
politique d‟un antagonisme social inscrit dans la longue durée
322
Hannerz (Ulf), op. cit., 1983 (1980), p 324
ni n‟échangent de paroles, parce qu‟ils ne se considèrent pas voisins. C‟est le cas des
personnes dont les horaires sont décalés et qui sont peu aperçus dans la colonia où ils résident.
Victor, par exemple, qui habite à Reguilete, est peu connu dans le quartier. Il n‟y a que peu
d‟habitants qui le connaissent comme Sebastián par exemple. Certaines familles ne le
connaissent pas, comme celle de Jobita. Cela s‟explique notamment par le fait que « les
rapports de voisinage correspondent à des relations qui ne demandent que peu de coordination
avec autrui et par là-même peu de négociation »323. Les relations de voisinages correspondent,
selon ces caractéristiques, à des relations basiques au sein d‟un réseau d‟échanges réciproques.
Ces faibles coordination et négociation sont en partie liées à l‟échange de services entre des
membres d‟un réseau, sans qu‟il y ait forcément confiance, ni investissement émotionnel ou
affectif dans la relation entre ces membres.
La réciprocité et la confiance sont influencées par différents facteurs au sein des
réseaux d‟échanges réciproque. La première est constitutive du réseau, car celui-ci se base
pour fonctionner sur les échanges réciproques. Tandis que la seconde permet d‟initier ou de
renforcer des relations entre des membres d‟un même réseau d‟échanges réciproques. Ainsi, la
confiance se base sur la réciprocité, comme la réciprocité s‟initie sur la base d‟une confiance
accordée à celui avec lequel l‟échange est effectué. Comment la confiance et la réciprocité
s‟instaurent-elles ? Quel est le mécanisme qui lie ces deux notions, après avoir dégagé ceux de
leur fonctionnement réciproque ?

3. La mémoire des échanges

La mémoire est-elle ce qui fonde les réseaux d‟échanges réciproques et qui permet
l‟instauration de relations de confiance ? Les mécanismes de la confiance et de la réciprocité
ont-ils alors besoin de la mémoire de situations ou d‟actions passées, pour fonctionner ?
La mémoire est prise ici comme un ensemble de souvenirs partagés par des individus
appartenant à un groupe social donné à un moment précis. Cette définition soulève des
questions, lorsque la mémoire est mise en lien avec les réseaux d‟échanges réciproques. En
effet, les réseaux d‟échanges réciproques exigent un minimum de stabilité pour fonctionner,
mais ils n‟en demeurent pas moins mouvants, en fonction des configurations relationnelles
entre des membres d‟un réseau, des rencontres –une personne nouvellement connue va
inspirer confiance et l‟échange progressif et régulier de services peut déboucher sur
l‟intégration du nouveau venu dans le réseau- et des conjonctures politiques, économiques et
sociales, qui peuvent influer sur la régularité des échanges et la densité des relations –en
particulier sur la confiance accordée ou non- au sein d‟un réseau. L‟ancrage territorial des
réseaux suit les schémas relationnels, ainsi il est multi-localisé. La multiterritorialité qui a déjà
été analysée précédemment, constitue un défi pour la pérennisation des réseaux d‟échanges
réciproques, car les relations sont distendues et ne jouent pas toutes sur le critère de base, à
savoir la proximité géographique. C‟est un défi car les réseaux, pour fonctionner, ont besoin
d‟échanges réguliers. On remarque que les personnes éloignées géographiquement de la
colonia où habitent les membres d‟un réseau d‟échanges réciproques, sont généralement
membres du réseau personnel de l‟un d‟eux et entretiennent des relations denses. C‟est
également le cas de personnages importants dans la vie quotidienne de la colonia, comme
peuvent l‟être les prêtres ou les pasteurs qui viennent célébrer le culte dans le quartier

323
Hannerz (Ulf), dans Bidart (Claire), « Sociabilités : quelques variables », Revue française de Sociologie,
Paris, 1988, XXIX, p 621-648
paracaidista, ou des catéchistes qui ne vivent pas sur place. Les émissaires religieux font
souvent partie d‟au moins un réseau d‟échanges réciproques au sein d‟une colonia
paracaidista et parfois plusieurs.

Emissaire religieux considéré Réseaux d’appartenance au sein


d’une colonia
David, pasteur pentecôtiste à Reguilete Multi-appartenances

Jorge, prêtre catholique à Santa Clara et Appartenance unique


célébrant à Cuesta

Potrerillo : plus de prêtre depuis plusieurs


mois

Tableau 20 : Religion et réseaux d’échanges réciproques

Comme le montre ce tableau, le pasteur pentecôtiste qui officie à la colonia Reguilete


se situe à la charnière de plusieurs réseaux, à la fois celui des membres du comité qui se
rendent à l‟office, comme Ernestina, mais aussi de Sandra, femme du porte-voix des
Indépendants, ainsi que de nombreux habitants considérés comme entre-deux, à l‟exemple de
Martha, ou d‟abstentionnistes comme Julio. Le pasteur appartient ici à plusieurs réseaux
d‟échanges réciproques. Tandis qu‟à Cuesta, le prêtre catholique appartient au réseau
d‟échanges réciproques le plus étendu dans la colonia et dont font notamment partie les
leaders et les participants politiques actifs. Les émissaires religieux sont en effet fréquemment
sollicités par les habitants ou les leaders pour intervenir dans l‟organisation du quartier, en
donnant par exemple leur point de vue, ou pour participer à des événements. Lors de la fête
anniversaire de la colonia Cuesta, une délégation d‟habitants, sur consigne de Leti, est allée
demander au prêtre catholique de célébrer une messe le jour de la fête, le samedi 14 avril
2007. Ainsi, bien que n‟habitant pas dans les colonias paracaidistas, les personnels religieux
qui y officient font souvent partie d‟un réseau, de par les échanges de biens et de services
qu‟ils effectuent avec les habitants. Ces réseaux relationnels jouent sur la construction des
territoires. Cette double construction, à la fois sociale et spatiale, se base sur la sédimentation
d‟expériences partagées qui deviennent des souvenirs, entre des membres d‟un groupe ou de
plusieurs groupes. La mémoire constitue également une ressource multiplexe, au sens où elle
est à la fois un intermédiaire et un enjeu des réseaux relationnels au sein des colonias
paracaidistas étudiées. Elle est un moyen utilisé par les réseaux pour les raisons évoquées
précédemment, comme par exemple la nécessité de partager des expériences qui deviennent
des souvenirs, pour donner une coloration affective à des relations de voisinage ou de
proximité. La mémoire est plus particulièrement un enjeu pour les habitants de quartiers
d‟habitat précaire car ceux-ci doivent justifier leur existence comme entité commune depuis
suffisamment d‟années pour qu‟ils puissent obtenir l‟ouverture de droits de prétention à la
propriété sur les terrains occupés. En cela, la mémoire est importante, dans le sens où les
habitants ont besoin, pour justifier leurs demandes, de se constituer un passé collectif,
composé d‟expériences partagées. Mais elle est également cause de litiges entre les habitants.
La remémoration de la construction de Reguilete est un problème qui oppose les habitants de
la colonia à Maria de la Luz Soria Ramirez, qui vit depuis plus de trente ans sur le terrain qui
jouxte celui des habitations paracaidistas. En effet, selon Maria de la Luz, les paracaidistas
n‟ont pas commencé à s‟installer il y a six ans, comme ils l‟affirment, mais il y a entre trois et
quatre ans. Les photos dont dispose la famille Soria Ramirez (voir annexe) le prouverait,
puisque l‟on y voit des champs à l‟endroit même où les paracaidistas sont installés
maintenant. Néanmoins, un problème d‟interprétation se pose, en l‟absence de marqueurs
temporels et que les enfants de Maria de la Luz paraissent bien plus jeunes sur les photos que
celle-ci m‟a remises. L‟une des difficultés que pose la mémoire ou la remémoration de faits
passés, est l‟interprétation rétrospective qui est faite de ces faits. Mais cette idée demeure
valable pour tout récit rétrospectif, comme les histoires de vie, où par exemple les acteurs
injecte de la cohérence dans des choix faits sur le moment de manière impulsive ou
irrationnelle. Quelle est alors la spécificité du rôle de la mémoire dans les réseaux sociaux et
l‟organisation politique dans les colonias paracaidistas ?
La mémoire jouerait un rôle majeur dans la conclusion d‟échanges entre des habitants
des colonias paracaidistas. Cela touche donc à la fois les réseaux d‟échanges réciproques
comme les réseaux sociaux, mais aussi le politique dont les pratiques clientélistes qui ont été
mises en relief, sont également basées sur des échanges de services contre protection et
sécurité. Les échanges se concluent dans des cadres spatiaux-temporels et sociaux déterminés.
Un échange, pour être conclu, nécessite une localisation pour le moment précis de l‟échange.
Le lieu de l‟échange peut changer pour un deuxième échange entre des contractants
identiques. Néanmoins, cela n‟est pas le plus courant et souvent, si le lieu change des formes
ritualisées d‟échanges se perpétuent. Par exemple, les échanges sur lesquels se basent les
réseaux d‟échanges réciproques, occupent généralement les mêmes lieux et se déroulent selon
les mêmes étapes : s‟il s‟agit d‟une demande concernant un service standard, à un membre du
réseau en qui la confiance est grande, alors la mère de famille –puisque ceux sont les femmes
qui ont surtout été observées durant cette enquête car elles sont plus présentes et plus
nombreuses que les hommes dans les colonias- envoie l‟un de ses enfants, ou un neveu
qu‟elle garde, demander ce service ou cette faveur. S‟il s‟agit d‟un service plus important ou
que la personne à qui la mère de famille veut demander un service, est rencontrée, elle peut le
lui demander directement. Ernestina, à Reguilete, envoie notamment son neveu demander à sa
mère de lui prêter un œuf. Leti, à Cuesta, demande à une fille de Julia d‟appeler sa mère pour
que cette dernière l‟aide à transporter une bombonne de gaz, en prévision d‟un fête dans la
colonia. Au-delà de la nécessaire localisation des échanges, il a été démontré que les réseaux
sociaux et personnels, plus que les réseaux d‟échanges réciproques il est vrai, sont
mutiterritoriaux. Cela soulève des interrogations quant à la composition des réseaux. En effet,
s‟ils sont multiterritoriaux, cela signifie que des relations sont nouées avec des personnes qui
habitent des quartiers différents : la multiterritorialité « libère des contraintes techniques de
déplacement et multiplie volontairement des repères territoriaux dissociés »324. Ainsi, pour les
habitants, plus les réseaux s‟élargissent ou se diversifient, plus « espaces fréquentés et espaces
d‟enracinement des identités locales deviennent multiples »325. La multiterritorialité des
réseaux permettrait alors de reconstruire les différents niveaux d‟appartenance des habitants et
d‟envisager la multiplicité des identités326. Ainsi, le succès des tentatives d‟invocation des
réseaux sociaux pour résorber l‟informalité ou l‟illégalité des paracaidistas –différenciant
ainsi la situation des habitants de Potrerillo d‟une part et ceux de Cuesta et Reguilete d‟autre
part- tient dans l‟hétérogénéité des réseaux convoqués, la pluralité des niveaux d‟interaction et
des temporalités, ainsi que dans les jeux sur les hiérarchies territoriales. La réussite de la

324
Lefebvre (Alain), « Territoires et territorialités en mouvement », Revue Sud-Ouest Européen, La médiation
culturelle du territoire : l’exemple de trois festivals en milieu rural, Toulouse, Éditions du Mirail, 2000, n° 8
325
Lefebvre (Alain), ibidem
326
Chamboredon Jean-Claude), Mathy (Jean-Philippe), Méjean (Anne), Weber (Florence), « L‟appartenance
territoriale comme principe de classement et d‟identification », Sociologie du Sud-Est, 41-44, 1984-85, p 61-82
régularisation jouerait sur deux logiques qui peuvent paraître antagoniques mais qui sont ici
perçues comme complémentaires : le jeu traditionnel de relations clientélistes d‟une part, avec
l‟échange de services contre la sécurité et la protection, d‟autre part l‟hétérogénéisation et la
pluralisation des mondes sociaux accélérées et amplifiées par les modes de communication
modernes327 ; ces dynamiques modèlent les identités individuelles et leurs confèrent des
facettes différentes. Ainsi, Sebastián est perçu dans la colonia Reguilete comme un Président
du comité interne qui fait preuve de diplomatie et constitue un bon arbitre lors de prises de
décisions, alors qu‟il est perçu par exemple à Tenencia de la Tierra comme une personne
effacée, puisqu‟il ne prend la parole que lorsque des fonctionnaires ou des habitants le
prennent à partie ou l‟interrogent. Irma et Gina sont considérées par de nombreux habitants de
la colonia Potrerillo comme des femmes dures et intransigeantes, alors qu‟au niveau politique
elles sont perçues comme des femmes très humaines et fortes. C‟est par exemple ce que m‟a
confié le député Salvador Ruiz Sánchez : « Irma et Gina sont des femmes bien, elles bougent
beaucoup pour leurs gens. En plus, elles sont malignes : elles jouent sur leurs affiliations
politiques au PRI et maintenant elles se rapprochent de nous, du PRD, parce qu‟on dirige la
mairie d‟Ecatepec »328. L‟influence de l‟hétérogénéité et de la pluralité des appartenances
sociales sur les identités, rejaillit sur la territorialité des réseaux sociaux et d‟échanges
réciproques. Une hypothèse envisageable est que les jeux sur la contextualisation des
demandes politiques des habitants joue sur leurs chances d‟aboutir. En effet, la présentation de
leurs demandes aurait plus de poids dans certains contextes, par exemple avec l‟appui de
députés ou de personnalités politiques ou de fonctionnaires, que sans. En d‟autres termes,
c‟est le recours à des dispositifs sociaux-spatiaux, comme l‟instauration de relations
clientélistes avec fonctionnaires par exemple, dans les processus de recontextualisation des
demandes politiques, par la présentation des demandes dans des configurations politiques
différentes, comme par exemple après le lancement d‟une politique de régularisation des
terrains paracaidistas, confère des chances supplémentaires aux habitants de voir leurs
demandes aboutir par la valeur différenciée accordée à leurs demandes329. Les habitants
apparaissent donc comme des acteurs politiques traditionnels, héritiers de la tradition
caciquiste ; néanmoins, ils innovent quant aux stratégies qu‟ils utilisent, en faisant
communiquer des univers différents. Ainsi, les habitants s‟ancrent à la fois dans le local par
leur espace de vie et l‟espace principal des réseaux d‟échanges réciproques dans lesquels ils
s‟inscrivent, tout en participant de mouvements nationaux par le biais des partis politiques qui
les encadrent qui sont tous nationaux. Ces mouvements scalaires se retranscrivent dans les
événements auxquels ils participent. Ceux-ci peuvent se cantonner aux revendications de
régularisation de leur colonia, comme s‟étendre à des mouvements nationaux. Par exemple,
j‟ai eu l‟occasion d‟assister au déplacement d‟une délégation d‟habitants à Tenencia de la
Tierra et à la municipalité, à San Cristobal, qui visait à récolter des informations concernant la
régularisation des titres de propriété des habitants de Reguilete. Mais j‟ai également eu
l‟opportunité de suivre des groupes d‟habitants de diverses colonias, en particulier Cerro
Gordo et Reguilete, mobilisés par le leader Oscar, du PRD, à diverses occasions comme lors
327
Les modes de communication sont pris ici non seulement comme les moyens techniques modernes de
communication à l‟exemple de la téléphonie mobile ou de l‟internet, mais encore comme les pratiques de
communication et les manières de s‟adresser à l‟autre et aux autres qui résultent des avancées technologiques et
qui transforment les manières culturelles de communiquer. Voir notamment sur le thème Augé (Marc), Pour quoi
vivons-nous, op. cit.
328
Propos recueillis par nos soins le 29 mai 2007 : “Irma y Gina son buenas mujeres, se muevan mucho para su
gente. Además, son astutas : juegan con sus afiliaciones politicas al PRI y ahora se acercan de nosotros al PRD
porque hemos ganado las ultimas elecciones municipales”
329
Sciardet (Hervé), Les Marchands de l‟aube. Ethnographie et théorie du commerce aux puces de Saint-Ouen,
Paris, Economica, 2003, 217 p
de la commémoration de la mort de Zapata, le 10 avril, ou de la manifestation en faveur de
l‟amélioration de la condition salariale le 2 mai. Ainsi, le 10 avril, les habitants réunis étaient
censés se joindre à un cortège mais finalement le mouvement a été annulé, faute de
coordination entre les différents leaders locaux. Oscar ne s‟était pas renseigné et les habitants
se sont rendus sur le lieu de rendez-vous. Ils ont attendu environ une heure sur place, jusqu‟à
ce que la nièce d‟Oscar appelle son oncle, absent ce jour-là, pour savoir pourquoi il n‟y avait
pas la manifestation commémorative annoncée. Le 2 mai, la manifestation a bel et bien eu
lieu. Les habitants des diverses colonias mobilisés par le leader, s‟y sont rendus, Ilary, la nièce
du leader, avait emporté un porte-voix et avant de partir, les habitants avaient préparé des
banderoles, et des panneaux, au bureau du leader. Ainsi, le politique dans les colonias
paracaidistas procède par des logiques à la fois de captation de flux d‟information et
d‟échange de services à l‟échelle locale, c‟est-à-dire sur « le cadrage de la circulation des
clients et sur les agencements symbolico-matériels qui fabriquent l‟engagement dans la
relation d‟échange »330.
Cette analyse des relations entre mémoire et échanges a posé des difficultés
ethnographiques. C‟est le travail de terrain qui a révélé l‟importance de la mémoire et de
l‟appréhension de celle-ci pour cette étude. La mémoire peut être définie de manière
préliminaire comme l‟ensemble des souvenirs partagés par des individus appartenant à un
groupe donné à un moment précis331. Les problèmes méthodologiques posés par
l‟appréhension de cette notion sont de plusieurs types. Tout d‟abord, il y a la distance entre
l‟interprétation de ce que sont la mémoire et ses manifestations collectives, comme les
commémorations, par les enquêtés et par l‟étudiant. En effet, le travail de terrain m‟a fait
réalisé de ma vision égocentrée de la mémoire, des manières de l‟exercer publiquement, et de
commémorer collectivement des faits ou des situations, voire des personnages appartenant au
passé. Ainsi, le compte-rendu effectué après mon travail de terrain le 14 avril 2007, jour de la
fête d‟anniversaire de la colonia Cuesta, révèle cet écart : « J‟ai des impressions
contradictoires à la fin de cette journée qui fût cependant très instructive. Je voulais imposer
un caractère plus solennel à la fête d‟anniversaire de la colonia, alors que les commémorations
ont ici un caractère plus festif. En effet, j‟ai demandé environ cinq fois tout au long de la
journée quand aurait lieu le discours des leaders. Les réponses étaient évasives. La plupart ont
été du genre «ça arrive un peu plus tard», ou «il faut attendre, ça va venir». Finalement, je n‟ai
compris que le soir, après le départ de Lucas Alvarez, qu‟il n‟y aurait pas de discours. J‟étais
complètement déroutée. Mais j‟ai réalisé que j‟étais la seule à attendre un discours reprenant
les grandes étapes de l‟histoire de Cuesta. Il n‟y avait que moi pour jouer les rabat-joies avec
un discours. Les gens étaient tous là pour faire la fête ensemble. De fait, tous y ont participé
ou sont au moins passés déjeuner ou dîner. C‟est ce qui semblait importer aujourd‟hui : être
tous ensemble et faire la fête, passer un bon moment, avec la famille, les amis, les voisins, et
oublier les tracas quotidiens »332. Ensuite, un autre problème est de distinguer les enjeux

330
Trompette (Pascale), « Une économie de la captation. Les dynamiques concurrentielles au sein du secteur
funéraire », Revue Française de Sociologie, 46-2, 2005, p 233-264
331
Albert (Jean-Pierre), Lacoue-Labarthe (Isabelle), Oeser (Alexandra), « Les processus créateurs de discours
légitimes sur le passé et les mécanismes de transmission et réception de ces mémoires », Colloque LaSSP,
LISST, CAS, MSH-Toulouse, Toulouse, 22-23 mai 2007
332
Extrait du journal de terrain rédigé à la main en espagnol : “Tengo impresiones muy contradictorias al final de
este día, pero fue muy instructivo. Yo quería imponer un carácter más solemne a la fiesta de cumpleaños de la
colonia, mientras que las comemoraciones tienen aquí un carácter más festivo. Pedí entonces como cinco veces
en todo el día cuando habria un discurso de los lideres. Las respuestas eran evasivas. La mayor parte eran como
«eso llega un poco más tarde», o «hay que esperar, esto va a llegar». Finalmente, entendí sólo al fin de la tarde,
en la noche, después de la ida de Lucas Alvarez, que no habria discurso. Yo era totalemente predida. Sin
embargo, me di cuenta que era la sola a esperar un discurso sobre las grandes étapas de la historia de Cuesta. Yo
politiques, propres à chaque colonia, de la mémoire et de son usage propre à chaque quartier.
Par exemple, il apparaît que les habitants de Reguilete tentent de se constituer une histoire
collective et de s‟enraciner dans un passé suffisamment lointain pour justifier la régularisation
qu‟ils réclament des actes de propriété des terrains qu‟ils occupent. Tandis que les habitants
de Potrerillo ont de fait un passé commun compris, entre quinze et dix-huit ans pour les plus
anciens. Ils n‟ont pas besoin de recréer un passé collectif ou de le réécrire, en vue de la
régularisation, puisque les terrains où ils s‟installent sont de propriété privée. Les leaders
n‟invoquent ce passé que pour mettre en relief leur travail et leurs efforts pour faire vivre et
gérer une « communauté », le terme est alors repris par les leaders, en vue d‟obtenir des aides
des partis politiques auxquels Irma et Gina, les leaders, s‟adressent. Les aides visées sont
souvent soit pécuniaires soit matérielles, avec des bons d‟achat alimentaires, des prêts à la
construction à des tarifs avantageux ou encore des dons de denrées non périssables. Le succès
des stratégies employées par les leaders transparaît dans les matériaux de construction des
habitations, les maisons étant faîtes soit de tabique soit de moellons, ainsi que dans la forme
des habitations, qui disposent d‟un local pour ranger des affaires personnelles (meubles
hérités, cadeaux précieux) ou professionnelles (triporteurs, vélos, outils). Ce qui pose alors
problème est de voir, selon Emmanuel Terray, « ce qui est advenu décide donc de ce qui sera
exhumé ou au contraire abandonné aux ténèbres de l‟oubli »333. Ainsi, les appartenances
politiques au sein d‟une colonia paracaidista, ne sont pas seulement le fruit d‟un conjoncture
politique, elles sont liées à une configuration particulière. Les affiliations politiques dépendent
du regard des autres, car « les membres d‟une société locale sont comme dépositaires d‟une
mémoire qui restitue des affiliations en partie estompées »334. L‟altérité et la relation à l‟autre
sont donc centrales dans le choix d‟appartenances politiques, mais la mémoire d‟affiliations
passées est également majeure dans les choix présents. La mémoire est alors le support d‟une
opération mémorielle et de transmission335. Il faut néanmoins se préserver des dérives propres
aux analyses rétrospectives que décrit Éric Hobsbawm, à savoir la « projection dans le passé
des désirs du temps présent »336. Dans le cas de cette étude, les difficultés ethnographiques
concernent donc l‟établissement d‟anachronismes relationnels, en attribuant à une personne
une filiation politique erronée ou en créant de la cohérence dans des affiliations politiques qui
peuvent n‟être le fruit que de décisions impulsives. Cette difficulté se retrouve dans le cas de
l‟apolitisme dans les colonias prises en compte. Cela peut sembler paradoxal mais les
mécanismes demeurent valables, selon les observations menées, même pour ceux qui se
déclarent apolitiques, qui ne participent pas aux différents événements et n‟appartiennent pas
aux instances politiques de leur quartier. Par exemple, David, chauffeur d‟un vélo-taxi et
habitant à Reguilete, rejette toute appartenance politique. Il se réclame en-dehors du
politique : « moi, ça m‟intéresse pas la politique. C‟est pour ça que je vais pas aux réunions du
licencié Oscar. Celui-là ne fait que de la propagande pour son parti. Je vois pas l‟utilité de
faire de la politique dans ses réunions. En plus, tout ce qu‟il nous dit est dans les journaux ;

era la sola en hablar mal de un discurso. Toda la gente estaba aquí para festejar juntos. De hecho, todos
participaron o vinieron a comer o a cenar. Es lo que me parecio lo mas importante hoy : estar juntos y festejar,
pasar un buen momento con la familia y los amigos y los vecinos y olvidar los problemas cotidianos”
333
Terray (Emmanuel), «L‟histoire et les possibles» Le Genre humain, fév. 2000, n°35, p. 182
334
Abélès (Marc), op. cit., 2005, p 146
335
Boursier (Jean-Yves), « La mémoire comme trace des possibles », Socio-Anthropologie, Traces, 2002, [En
ligne], mis en ligne le 15 mai 2004. URL : http://socioanthropologie.revues.org/document145.html. Consulté le
13 mai 2007
336
Hobsbawm (Eric), « La responsabilité de l‟historien », Diogène, oct.-déc. 1994, n° 168, n° spécial
ceux qui sont intéressés peuvent le lire »337. Or, l‟apolitisme semble emprunter les mêmes
canaux d‟affiliation politique car, bien que les apolitiques ne participent pas politiquement, ils
sont témoins de gré ou de force de l‟organisation politique de leur colonia paracaidista et se
positionnent en fonction de configurations actuelles héritées de positionnements passés qui
restent en mémoire. Ainsi, les apolitiques connaissent les affiliations passées des leaders qui
les dirigent. Par exemple à Potrerillo, tous savent que les leader Irma et Gina étaient affiliées
au PRI qui a dirigé de manière monopartite le pays pendant plus de soixante-dix ans. Cela ne
posait pas de problème aux habitants car ceux-ci comprenaient que cette affiliation leur
permettait de retirer plus d‟avantages de la situation que s‟ils étaient affiliés à d‟autres partis
politiques. Le changement d‟affiliation, consécutif à la victoire aux élections municipales d‟un
représentant du PRD, n‟a pas suscité de vives polémiques, pour les motifs pragmatiques qui
viennent d‟être énoncés. Néanmoins, les élus du PRD, affirment que les sympathies politiques
des leaders de Potrerillo sont naturellement tournées vers le PRI, compte tenu de la
convergence de certaines idées-forces entre l‟association des leaders et le parti conservateur.
Ce qui est intéressant à Reguilete, c‟est qu‟une grande partie de la population est de tendance
abstentionniste passive. Sebastián Guttiérrez Aguilar a été choisi pour son impartialité et sa
neutralité politique, ainsi que pour ses talents de médiateur. Avant d‟être élu, certes il se
renseignait sur la situation de la colonia, sur les avancées des dossiers de régularisation, mais
il ne participait pas aussi systématiquement aux réunions internes du comité interne et surtout,
il ne se rendait pas aux réunions d‟Oscar, à Santa Clara. Puis, les problèmes ont commencé à
s‟aggraver, avec des inondations dans la colonia, des problèmes d‟électricité car le réseau
électrique n‟était pas sécurisé, faute d‟infrastructures (compteurs, générateur en cas de panne
ou de défaillance, transformateur pour assurer la stabilité du voltage du courant qui arrive
dans les habitations afin d‟éviter les accidents domestiques et pour ne pas endommager les
appareils électroménagers). La question que l‟on peut se poser est de savoir si les habitants
n‟ont pas choisi Sebastián comme Président, justement en souvenir de cet abstentionnisme
passé et de sa passivité, dans lesquelles la majeure partie des habitants peut se projeter. Les
choix politiques seraient alors effectués sur le mode du non-dit et il y aurait un partage tacite
de souvenirs d‟affiliations anciennes qui demeurent vivaces. Sous les rivalités de personnes,
les oppositions de caractères, entre des personnes dirigistes, puis d‟autres plus conciliatrices,
se trouvent des antagonismes plus ancien et plus profonds d‟idéologies, comme l‟opposition
entre Sebastián, discret, bon médiateur et abstentionniste jusqu‟à ce que les problèmes de la
colonia s‟aggravent, et Octavio, plus vindicatif et autoritaire quant aux voies à suivre.
Pour conclure cette première sous-partie concernant la place de la confiance et de la
réciprocité au sein des réseaux sociaux et du politique à Cuesta, Potrerillo et Reguilete, les
contradictions relevées et les errements dans l‟interprétation m‟ont beaucoup appris sur les
modes d‟enquête ethnographique. Cela a également permis de faire ressortir certains concepts
qui me semblent importants pour comprendre le politique dans les quartiers paracaidistas, à
savoir le rôle de la mémoire et de la commémoration, cette dernière étant vécue et orchestrée
de manière festive et non solennelle, à l‟encontre de mes attentes. La confiance a besoin de la
mémoire, celle des échanges, des relations nouées, pour être accordée d‟une personne ou d‟un
groupe à une autre personne ou bien à un autre groupe. Cette confiance est une ressource à la
fois pour les réseaux sociaux et personnels car elle densifie les relations entre les membres du
réseau, mais aussi une ressource politique car les leaders demandent aux habitants de la
confiance. Le pacte tacite conclu entre les habitants et leurs leaders dans le cadre de relations

337
Propos recueillis par nos soins le 2 mai 2007 : “a mi no me interesa la política. Por eso no voy en las
reuniones del lic. Oscar. Este hace pura propaganda para su partido. No tiene caso hablar de política en las
reuniones. Además, todo lo que nos dice esta en los periñdicos. Y los que son interesados, lo pueden leer”
clientélistes, à savoir le soutien politique contre la protection et la sécurité, se base sur la
confiance, pour le moins du respect du pacte, sans quoi celui-ci serait caduque, si les habitants
et les leaders ne pensent pas que l‟autre partie respecte le pacte. Peut-on alors considérer le
politique comme lieu d‟exercice de la réciprocité et de la confiance ?

B- Le politique comme lieu de réciprocité et de confiance ?

La sous-partie précédente a exploré les formes de confiance observées au sein des


réseaux sociaux et personnels dans les colonias paracaidistas étudiées. Cela a permis de
mettre en exergue des nœuds d‟articulation entre les réseaux sociaux et le politique, autour de
la confiance qui peut s‟instaurer au sein d‟une relation d‟échanges. Il s‟agit maintenant
d‟expliciter les points communs décelés. L‟hypothèse émise ici est que le politique, pris ici
dans le sens arendtien de lieu de la politique, donc de l‟organisation d‟une société, constitue le
lieu où s‟exercent la réciprocité et la confiance, à l‟œuvre dans les colonias paracaidistas, à
travers les réseaux sociaux et personnels.
Il s‟agit d‟une part d‟analyser les dynamiques politiques des différents systèmes
d‟échanges réciproques observées à Cuesta, Potrerillo et Reguilete, pour tenter de comprendre
ensuite les mécanismes qui sous-tendent ces données, avant d‟envisager les ambiances qui se
dégagent de l‟organisation sociopolitique338 de chaque colonia.

1. Dynamiques politiques des différents systèmes d’échanges réciproques


dans les trois colonias étudiées

Les réseaux d‟échanges réciproques peuvent être analysés comme des systèmes
d‟échanges réciproques, c‟est-à-dire une structure cohérente qui facilite les flux de biens, de
services et d‟information, entre les membres d‟un réseau. Cette définition préliminaire met en
relief des liens entre l‟organisation sociale et les formes politiques dans les colonias étudiées.
Les systèmes d‟échanges réciproques rassembleraient les différents réseaux dans une colonia
et leur étude permettrait de faire ressortir des connexions qui n‟ont pas encore été envisagées.
Les réseaux d‟échanges réciproques constituent l‟un des éléments majeurs des systèmes. Les
réseaux sont ici considérés à la fois dans leur dimension sociale, mais ce qui fait la
particularité de ces réseaux par rapport aux réseaux sociaux ou personnels, est leur plus
grande densité économique que sociale. Ils font partie, pour Larissa Adler de Lomnitz, d‟une
économie informelle, parallèle à l‟économie de marché, qui se caractérise par l‟utilisation des
ressources sociales et qui opère l‟échange réciproque entre des personnes d‟égal statut339.
L‟échange est alors pris dans sa dimension économique, il se rapproche alors de la notion de
transaction, c‟est-à-dire une « négociation » économique basé sur un ou plusieurs échanges.
Cette notion de transaction réinjecte la dimension sociale de l‟échange, lorsqu‟il est question
de « transaction sociale »340, c‟est-à-dire un processus de négociations complexes, plus ou
moins formelles où les enjeux s‟enchevêtrent et, en fonction d‟un état de forces et de
338
La notion d‟organisation sociopolitique est prise ici comme les formes organisationnelles communes aux
relations sociales et aux relations de pouvoir dans un groupe donné
339
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 11
340
Blanc (Maurice), Mormont (Marc), Rémy (Jean), Storrie (Tom), Vie quotidienne et démocratie. Pour une
sociologie de la transaction sociale, Paris, L‟Harmattan, 1994, 320 p
rationalités en présence ainsi que d‟un environnement sociétal, débouche sur un compromis
pratique, mais un compromis sans véritable compromission dans la mesure où il est construit
par le jeu des acteurs en présence341. Ainsi, les systèmes d‟échanges réciproques de chacune
des colonias concentre les différents réseaux d‟échanges réciproques. Par exemple, à
Reguilete, le système d‟échanges réciproques regroupe à la fois les réseaux d‟échanges des
partisans d‟Oscar, le leader PRD, ceux des Indépendants, ceux des entre-deux et ceux des
abstentionnistes. Les différents réseaux comptabilisés ont été regroupés dans le tableau
suivant.

Nom du réseau Tendance politique Nombre de membres


Réseau de Sebastián Pro-Oscar 8
Réseau d‟Ernestina Pro-Oscar 9
Réseau d‟Octavio Indépendant 6
Réseau de Margarita Entre-deux 7
Réseau de Paola Abstentionniste 10

Tableau 21 : Réseaux d’échanges réciproques à Reguilete

Les données qui figurent dans ce tableau sont cependant à manier avec précaution. En
effet, ce tableau permet de présenter clairement les principaux réseaux d‟échanges réciproques
observés dans la colonia. Néanmoins, il faut noter que les membres présentés dans le tableau
représentent en réalité une unité d‟habitation, puisque, bien souvent, une seul des deux
parents, appartient à un réseau d‟échanges réciproques. Chacun dans une habitation a son
réseau relationnel, aussi bien les hommes que les femmes, les enfants que les adultes.
Néanmoins, celui ou celle qui appartient à un réseau d‟échanges réciproques est une personne
un minimum présente dans la colonia, pour être aussi intégrée et pour pouvoir effectuer des
échanges. Par ailleurs, les membres interrogés pour constituer l‟échantillon sont
principalement des femmes, compte tenu de leur surreprésentation numéraire dans les
colonias, et de leur rôle prépondérant dans l‟organisation de celles-ci. Il y a des exceptions,
comme c‟est le cas avec Sebastián ou Octavio. Pour le premier, cela ne pose pas de problème
dans la mesure où il vit généralement seul dans son habitation ; compte tenu des disputes
régulières et des séparations répétées avec sa compagne qui ne lui rend visite qu‟environ une
fois par semaine. Quant à Octavio, la prise en compte de sa personne et non de Sandra, sa
femme, est plus litigieuse, car certes Octavio se considère comme le porte-voix des
Indépendants, mais Sandra n‟en demeure pas moins très intégrée dans la colonia et fait partie
du même réseau que le réseau éponyme de son mari. Par ailleurs, les réseaux personnels ne
sont pas pris en compte ici car la localisation de ces réseaux est bien plus vaste et leurs
ramifications plus complexes. De même, les relations cuatistes et de compadrazgo ne figurent
pas telles quelles dans le tableau. Ce tableau fait ressortir une donnée qui était passée
inaperçue lors de l‟enquête de terrain, à savoir l‟importance de Paola dans le réseau
d‟échanges réciproques éponyme. Cela lui confère donc une place de choix au sein du système
d‟échanges réciproques du quartier et redessine l‟organigramme de la colonia. Son rôle est
important au quotidien, parce qu‟elle aide et se fait régulièrement aider par ses voisins. Elle
est en interactions constantes avec une grande partie des habitants. Le réseau d‟échanges
réciproques dont elle fait partie est le plus étendu de la colonia. Quelles sont alors les
caractéristiques des différents systèmes d‟échanges réciproques propre à chaque quartier ?

341
Ledrut (Raymond) , L’espace en question ou le nouveau monde urbain, Paris, Anthropos, 1976, 361 p
Les systèmes d‟échanges réciproques sont constitués des réseaux d‟échanges
réciproques et fonctionnent sur le même schéma que le politique : le trait commun entre les
trois colonias sont les pratiques clientélistes qui lient les habitants paracaidistas, les leaders et
les hommes politiques sur toute la hiérarchie du parti ou du groupement politique auquel
appartiennent les leaders de chaque colonia. Les systèmes d‟échanges réciproques constituent
la connexion entre l‟organisation sociale locale, par le jeu des réseaux relationnels sur lesquels
ils fonctionnent, l‟organisation politique qu‟ils justifient et contribuent à dessiner en fonction
de l‟importance numérique et de l‟efficacité d‟un réseau d‟échanges par rapport aux autres
dans une colonia. Même la citadinité342 est concernée par les systèmes d‟échanges
réciproques, car ceux-ci peuvent « servir à faciliter l‟adaptation à l‟environnement urbain »343.
En effet, les réseaux d‟échanges réciproques constituent des ressources concrètes, matérielles
ou informationnelles, et rapides, particulièrement utiles en cas d‟urgence. Ils sont également
un socle relationnel sur lequel les habitants peuvent s‟appuyer en cas de besoin, lorsque le
moral est en berne par exemple. Ces systèmes diffèrent d‟une colonia à une autre, en fonction
de divers critères. Par exemple, les systèmes d‟échanges réciproques peuvent varier selon le
nombre de réseaux qui les composent : plus il y a de réseaux, plus le système est complexe.
Mais le grand nombre de réseaux joue également sur la localisation des membres des réseaux.
Comme cela a été souligné précédemment, plus un réseau est étendu, plus les territoires du
réseau sont disparates et éloignés. Cela rejaillit alors sur les espaces du système d‟échange
réciproque : plus il y a de réseaux dans un système, plus la territorialité du système est
étendue. Concrètement, cela signifie que l‟espace du système d‟échanges réciproques est
certes cantonné au quartier, car le système représente une sorte de système économique local,
soit le système économique de la colonia. Cependant, la multiplicité des réseaux met en
relation le territoire de la colonia, avec d‟autres territoires. Par exemple, le fait que le prêtre
catholique de Santa Clara fasse parti du principal réseau d‟échanges réciproques de Cuesta,
met en relation le territoire de la colonia avec celui du diocèse de Santa Clara. Un autre
facteur qui entre en ligne de compte est celui de la densité des relations que les systèmes
d‟échanges réciproques abritent. La densité des relations représente le type de relation qui lie
deux membre d‟un réseau d‟échanges réciproques. La densité peut être calculée à l‟aide de
formules mathématiques forgées par des sociologues des réseaux. Mais la posture adoptée ici
n‟exige pas les calculs et se focalise plus sur les processus et les mécanismes qui varient d‟un
système d‟échanges réciproques à un autre. De même, il est possible de reprendre des
mécanismes de densification des relations déjà développés, comme le cuatisme et le
compadrazgo. La confiance est un autre de ces mécanismes. Ces mécanismes donnent une
coloration émotionnelle et affective à des relations qui pourraient n‟être que des relations de
voisinage, donc sans engagement et avec une densité émotionnelle et affective bien moindre.
La densité des relations varie par exemple entre des relations d‟échanges réciproques standard,
comme cela peut être le cas entre Ernestina et Margarita, sa belle-mère. En effet, les deux
femmes ne s‟apprécient guère et leur antipathie mutuelle a éclaté au grand jour après le départ
aux États-Unis de mojado344, c‟est-à-dire de clandestin, du fils de Margarita. Elles
n‟entretiennent désormais que des relations basées sur la nécessité, celle-ci étant d‟autant plus
fortes qu‟elles sont voisines directes. Un dernier facteur relevé est la variation entre les
différentes pratiques politiques, en lien avec la nature des réseaux, qui donnent corps aux
systèmes d‟échanges réciproques. Ainsi, le fait que les habitants de Cuesta expriment un plus

342
Capron (Guénola), Monnet (Jérôme) (dir.), L’Urbanité dans les Amériques. Les processus d’identification
socio-spatiale, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2000, 220 p
343
Cornélius (Wayne), cité par Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 27
grand sentiment d‟appartenance communautaire que ceux des deux autres colonias, que ceux
de Reguilete soient nettement divisés entre eux ou que les habitants de Potrerillo s‟opposent
de plus en plus à l‟organisation de leurs leaders. Quelles sont alors les spécificités de chaque
système d‟échanges réciproques observés ?
Pour répondre à cette question, il semble opportun de traiter successivement chaque
système et d‟en voir les caractéristiques. L‟hypothèse soutenue ici est que le système
d‟échanges réciproques, ayant comme unité de base les réseaux sociaux considérés ici comme
des faits totaux, permet d‟envisager tous les aspects de la vie de la colonia, à savoir le
politique, l‟économique et le social. Cela se retrouve dans les graphiques suivant qui recensent
les caractéristiques de chaque système d‟échanges réciproques.

Système d'échanges réciproques de Reguilete

10%

25% Nombre de membres


Densité relationnelle
Cohésion politique
65%

Graphique 2 : Système d’échanges réciproques de Reguilete

Ce premier graphique met en image les éléments constitutifs du système d‟échanges


réciproques, observé à Reguilete. Les données prises en compte sont alors les cinq réseaux
déjà exposés dans un tableau précédent, les quinze personnes ayant des relations denses sur la
quarantaine de membres du réseau –les membres du réseau représentent ici des unités
domestiques. La cohésion politique prend ici en compte le nombre de membres du réseau qui
appartiennent à l‟organisation politique formelle, c‟est-à-dire dans le cas de Reguilete au
comité interne. Dans les réseaux pris en compte, six personnes ont été comptabilisées comme
faisant partie du comité et de l‟organisation. L‟élaboration de ce graphique a révélé une
donnée intéressante : l‟importance de la densité relationnelle sur le système. D‟après l‟enquête
de terrain, il y a peu de relations denses dans la colonia, compte tenu des dissensions
idéologiques et des conflits de personnes. Néanmoins, lorsqu‟une relation est dense, sa densité
est élevée : rien n‟oblige le rapprochement de deux personnes au sein de la colonia. Les
conflits de voisinage et les aléas de les micro-drames quotidiens qui se jouent dans le quartier
opposent régulièrement des habitants à d‟autres. Néanmoins, au-delà de ces conflits, des
solidarités se créent et des rapprochements s‟effectuent. Les processus de rapprochement ne
vont être repris ici, sachant que les facteurs sont multiples, à la fois liés au cognitif, à
l‟émotionnel, à l‟interaction entre des personnes et à la perception mutuelle, à l‟instar des
processus de confiance déjà explicités dans un paragraphe précédent. Ce qui est souligné ici,
c‟est plutôt le fait qu‟il y ait des relations qui se densifient et que, lorsque ces relations denses
s‟instaurent entre des membres du système d‟échanges réciproques de Reguilete, elles
deviennent des relations très denses, compte tenu du caractère mécanique345 de ce
rapprochement. La comparaison avec le graphique suivant montre quelques différences

Système d'échanges réciproques de Cuesta

13%

15% Nombre réseaux


Densité relationnelle
Cohésion politique
72%

Graphique 3 : Système d’échanges réciproques de Cuesta

entre les deux systèmes d‟échanges réciproques. Les trois graphiques soulignent à peu près le
même modèle : le nombre de membres dans le réseau est majoritaire, vient ensuite la densité
relationnelle puis la cohésion politique. Par rapport au précédent système, celui de Cuesta
coïncide quant à la proportion de membres du réseau et de la densité relationnelle.
Néanmoins, l‟organisation politique apparaît plus cohésive qu‟à Reguilete. En effet, parmi les
membres des réseaux pris en compte pour l‟élaboration de ce graphique, 33 d‟entre eux font
partie de l‟organisation politique de la colonia, soit comme leader, soit comme adjoint ou
alors comme supporter ou main d‟œuvre. Un point semble paradoxal : la densité relationnelle
des connexions au sein du système, est proportionnellement moins importante qu‟à Reguilete.
Cela s‟explique peut-être par le fait que les habitants se sentent obligés d‟entretenir des
échanges entre eux et de soutenir leurs leaders, tant du fait des demandes des leaders que du
contrôle social interne au quartier. Il en résulterait alors des relations choisies moins librement
qu‟à Reguilete. Ces relations seraient donc moins denses car elles ne seraient pas liées à une
confiance accordée mutuellement entre deux membres mais à une nécessaire entente mutuelle.
Il serait possible d‟y voir des similitudes avec des liens organiques, par oppositions aux
relations mécaniques mises en lumière concernant les relations entretenues par les habitants
de Reguilete. Les liens organiques, appelés « solidarité organique » par Emile Durkheim,
correspondent à la nécessaire solidarité entre les différents membres d‟une société dont les
activités sont complémentaires. La complémentarité est perçue ici comme celle des savoirs-
faires et des tâches attribuées au sein de la colonia, plus que celle des activités
professionnelles, compte tenu de leur similitude, malgré la diversité des catégories
socioprofessionnelles rencontrée à Cuesta, par rapport aux deux autres quartiers d‟habitat
précaire étudiés. Quant à Potrerillo, le schéma diverge sensiblement par rapport aux autres,
compte tenu de la décohésion politique actuelle.

345
Grawitz (Madeleine), Leca (Jean) (dir.), Traité de science politique, tome IV : Les Politiques publiques, Paris,
PUF, 1985 : Notion prise ici dans son acception durkheimienne, à savoir type de relations basées sur la proximité
géographique, des relations égalitaires et des activités faiblement différenciées
Système d'échanges réciproques de Potrerillo

6%

27% Nombre réseaux


Densité relationnelle
Cohésion politique
67%

Graphique 4 : Système d’échanges réciproques de Potrerillo

Ce graphique montre clairement la différence quant à la cohésion politique à Potrerillo, par


rapport aux deux autres quartiers. La cohésion politique joue d‟abord un rôle sur la réciprocité
des échanges au sein d‟un réseau. Par exemple, le fait que la cohésion politique maintenue par
les leaders, soit forte à Cuesta, explique l‟étendue du système d‟échanges réciproques qui
regroupe une bien plus grande proportion d‟unités domestiques que dans les autres colonias.
En effet, le système d‟échanges réciproques de Cuesta regroupe 75% des unités domestiques
(environ 150 sur les 250 recensées), alors qu‟à Reguilete par exemple le système ne regroupe
que 64% des unités domestiques de la colonia. La prise en compte des unités domestiques à
Potrerillo, pose problème, au vu des changements actuels et des départs d‟habitants de la
colonia. Par ailleurs, les habitudes d‟habitation et de cohabitation diffèrent par rapport à celles
à Cuesta et à Reguilete, compte tenu de l‟ancienneté du peuplement du quartier, deux fois et
demie à trois fois environ plus ancien à Potrerillo. La cohésion politique joue également sur
les liens entre les différents réseaux d‟échanges réciproques. L‟hypothèse est que plus
l‟organisation politique est cohésive dans une colonia, plus le système d‟échanges réciproques
est étendu et les échanges réguliers. Ainsi, les habitants engagés dans des réseaux d‟échanges
à Cuesta sont plus nombreux que ceux à Reguilete ou à Potrerillo. De même, les échanges à
Potrerillo sont très réguliers entre leurs membres, car les habitants se fréquentent pour certains
d‟entre eux depuis plus de dix ans. dans un système d‟échanges réciproques. Cependant,
malgré l‟installation relativement récente des habitants à Reguilete, leurs échanges sont très
réguliers, en particulier entre des membres qui entretiennent des relations denses. Cela
s‟explique, selon Adler de Lomnitz, par les épreuves surmontées communément par les
habitants.
Quels sont alors les mécanismes de réciprocité et de confiance qui sous-tendent le
politique, à travers les systèmes d‟échanges réciproques dans chacune des colonias ?

2. Mécanismes de la réciprocité et de la confiance dans le politique de


chacune des colonias

L‟hypothèse soutenue ici est que les structures politiques à l‟œuvre dans chacune des
trois colonias, de l‟organisation clientéliste au leadership ou au caciquisme, jouent sur les
réseaux sociaux et les modes d‟échanges à l‟intérieur de la colonia. Ces derniers rétroagissent
sur le politique, par le biais des ressources sociales d‟organisation politique, comme les
parentés, le voisinage, le compadrazgo ou le cuatisme, en intégrant au politique une idéologie
d‟aide mutuelle, propre aux situations de précarité urbaine.
Il s‟agit d‟abord de voir en quoi le politique peut être considéré comme le lieu
d‟épanouissement des réseaux sociaux à Cuesta, Potrerillo et Reguilete. L‟emploi de la notion
de politique, au masculin, est emprunté ici à Hannah Arendt, qui considère la notion comme le
lieu de réalisation de la politique et la politique selon ce qu‟elle devrait être, dans une
perspective idéaliste346. Le concept est employé dans cette étude dans un sens différent, à
savoir non pas l‟idéel de la politique, mais les symboliques qui entourent la politique, les
imaginaires et les représentations auxquels elle donne lieu. De la définition préliminaire du
politique qui était considéré dans cette étude selon trois aspects principaux, la socialisation
politique, l‟organisation politique et les imaginaires politiques, il faut maintenant s‟intéresser
à la spatialité de cette notion et se demander en quoi elle peut être considérée comme un lieu
pour les mécanismes socio-économiques de l‟échange dans les trois quartiers d‟habitat
précaire pris en compte ici. Pour avancer, il faut rappeler les deux versants considérés des
réseaux sociaux, à savoir le fait qu‟ils fassent partie de l‟économie informelle parallèle à
l‟économie de marché ; mais c‟est également une ressource sociale dans le sens où ce système
économique local, incarné par les systèmes d‟échanges réciproques propres à chaque colonia,
utilise des ressources relationnelles pour fonctionner. Ces ressources relationnelles sont certes
traditionnelles, comme la famille, les différentes formes d‟amitiés comme le cuatisme, de
parenté (sanguines, symboliques par exemple) ou le compadrazgo, mais elles constituent en
même temps une réponse évolutive, nécessaire et valable, aux conditions de vie dans les
quartiers d‟habitat précaire347. Les formes relationnelles évoquées s‟encastrent et se retrouvent
également dans la structuration de l‟organisation politique, basée sur des relations
clientélistes, héritières du caciquisme en pleine apogée au XIXe siècle. Par exemple, des liens
ont déjà été soulignés entre les différentes formes de gouvernement des colonias
paracaidistas étudiées, à savoir la distinction majeure entre leadership et caciquisme. Les
« représentants » des habitants de Cuesta, Leti et Chano, dirigent le quartier à la manière de
caciques : ils disent assurer l‟ordre et la sécurité internes à la colonia (« nous avons dû
beaucoup travailler dans la colonia, pour établir l‟ordre et régler les problèmes de drogue et de
violence. C‟est pas parfait, mais y a plein de progrès »348), ainsi que la sécurité externe de la
colonia, en faisant des démarches auprès des instances municipales et fédérales, en vue de
régulariser les titres de propriété des habitants. Par ailleurs, les vœux d‟ordre et de sécurité
sont concrétisés dans la colonia par l‟existence d‟une milice armée, dirigée par Chano, assisté
de Cristobal, gendre de Leti. Cette milice se compose uniquement d‟hommes qui effectuent
des rondes dans et autour de la colonia. La plupart du temps, la milice n‟assure la surveillance
que la nuit, les miliciens se relayant à différents créneaux horaires et en fonction des jours de
la semaine, puisque le jour, les femmes au foyer, les personnes sans emploi, les personnes
âgées et les enfants sont dans la colonia et peuvent ameuter les habitants en cas de danger.
Cette milice rassemble environ une trentaine d‟hommes, âgés entre 15 et 55 ans. Différentes
tâches leurs sont assignées en fonction des capacités et des savoirs-faires propres à chacun.
Les miliciens possèdent tous une arme à feu. Lorsqu‟ils effectuent des rondes, ils la portent
sur eux. Certains comme Chano ou Cristñbal la portent en permanence. Il s‟agit de petits
calibres, comme des revolvers et des pistolets à chargement automatiques. Des fusils ont
346
Arendt (Hannah), Qu’est-ce que la politique ?, Paris, Seuil, 2001, 220 p
347
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 11
348
Propos tenus par Chano, le 23 mars 2007 : “hemos trabajado mucho en la colonia, para establecer el orden y
poner un fin a los problemas de droga y de violencia. No es perfecto, pero hay muchos progresos”
également été aperçus. Mais ils ne sont apparemment sollicités qu‟en cas de nécessité. En cas
de danger ou lors de périodes de conflit avec la police ou avec d‟autres factions politiques, les
miliciens effectuent des rondes toute la journée et toute la nuit et des armes sont distribuées
aux habitants qui ne peuvent pas ou n‟ont pas réussi à s‟en procurer par leurs propres moyens.
Le politique est alors perçu comme un lieu de sécurité. C‟est en effet l‟organisation politique
de la colonia, l‟organisation politique étant prise ici comme modes de gestion et
d‟organisation de la vie d‟un groupe donné, qui prend également en charge la sécurité des
habitants. Le politique est également un lieu d‟adaptation et d‟apprentissage. Les
apprentissages au sein des colonias ont déjà été analysés (I.), mais il est intéressant également
de voir comment le politique permet de s‟adapter à l‟environnement urbain349. C‟est par
exemple ce que mettent en évidence les propos tenus par Ernestina :
« Avant d‟arriver ici, j‟avais jamais imaginé ce qu‟il y avait à faire pour obtenir les
titres de propriété d‟un terrain. La vie à Reguilete m‟a appris comment procéder.
- Comme quoi ?
- Je ne sais pas, comme ouvrir des droits d‟accès à la propriété en payant pour des
services d‟amélioration, ou que c‟est l‟IMEBIS qui mesure les terrains et qui ensuite
va donner les écritures des actes »350.
Le politique, tel qu‟il est vécu et mis en pratique dans les colonias paracaidistas
observées, constitue également un moyen de s‟adapter à d‟autres types de spatialités. La
condition de paracaidista inclut la mobilité dans le champ des possibles, puisqu‟il y a
toujours la possibilité que les paracaidistas n‟aient pas gain de cause, donc qu‟ils
n‟obtiennent pas les titres de propriété des terrains qu‟ils occupent, et qu‟ils en soient même
expulsés. Cette mobilité affecte tous les aspects de la vie dans la colonia, en justifiant le
caractère précaire de leurs modes de vie, qui n‟est pas que précaire à cause des matériaux de
construction des habitations, mais également à cause de l‟insécurité de logement qui les
afflige ou de la nécessaire mobilité dont ils doivent faire preuve. Ils doivent également être
capables de jouer sur les territorialités administratives, comme c‟est le cas à Reguilete et à
Cuesta dont les terrains sont situés à la fois dans la délégation de Santa Clara mais aussi dans
la zone fédérale de réserve de l‟autoroute Mexico-Pachuca. Pour faire avancer leurs demandes
de régularisation et améliorer leurs conditions de vie, par l‟installation de l‟électricité ou de
l‟eau courante par exemple, ils doivent également savoir jouer sur leurs appartenances
associatives et leurs affiliations politiques, comme peuvent le faire les leaders de la colonia
Potrerillo. Irma et Gina, traditionnellement rattachées au PRI, se rapprochent du PRD, depuis
les dernières élections municipales qui ont conférées la gouvernance d‟Ecatepec à un membre
du PRD. Alors, il est alors possible de se demander si les modes de vie des habitants des
colonias paracaidistas se rapprochent des « boundaryless careers »351. Les « carrières sans
frontières »352 se définissent comme des « chemins occupationnels qui ne se limitent pas à
certaines organisations spécifiques mais qui grandissent à travers le développement de
compétences basées sur des projets concrets, à l‟intérieur d‟un réseau de firmes » 353. Ce

349
Adler de Lomnitz (Larissa), op. cit., p 27
350
Propos tenus par Ernestina, le 14 avril 2007 : “Antes de llegar aquí, nunca imagine todo lo que había que
hacer para conseguir los títulos de propiedad para un terreno. La vida en Reguilete me enseno como proceder. -
Como qué? - No sé, como abrir derechos por pagos de mejoras o que es el IMEBIS que mide los terrenos y que
después va a dar las escrituras”
351
Saxenian (AnnaLee), « Beyond Boundaries : open labor markets and learning in Silicon Valley », dans Arthur
(Micheal, B), Rousseau (Denise, M) (dir.), The Boundaryless Career : A New Employment Principle for a New
Organizationel Era, New York, Oxford University Press, 1996, p 23-39
352
Traduction usuelle de l‟anglais « boundaryless careers »
353
Arthur (Micheal, B), Rousseau (Denise, M), « Introduction: The Boundaryless Career as a New Employment
Principle », ibidem, p 3-21 : « occupational paths that are not bounded within specific organizations but grow
modèle professionnel présente des trajectoires qui traversent les frontières
organisationnelles354. Ce modèle se base sur la capacité des « carrières sans frontières » à
accroître les connaissances et les savoirs-faires individuels et collectifs, par le jeu sur les
frontières organisationnelles et la mobilité. C‟est dans ce sens que le paracaidisme se
rapprocherait de ce modèle. Néanmoins, on peut se demander si le paracaidisme, à l‟instar des
« carrières sans frontières », donne lieu à une reproduction intergénérationnelle du
paracaidisme. C‟est un point à approfondir pour des recherches ultérieures, manquant de
recul, les colonias existant depuis cinq à six ans pour celles de Reguilete et Cuesta, et entre
quinze et dix-huit ans pour celles de Potrerillo. Néanmoins, certains cas de transmission
intergénérationnelle ont été observés dans chacune des colonias. Par exemple, à Reguilete,
David a repris l‟habitation construite par ses parents et y habite avec Martha et leurs enfants.
Les leaders eux-mêmes peuvent transmettre de manière intergénérationnelle leur habitation.
C‟est par exemple le cas d‟Irma qui a transmis son habitation à Gina, sa fille, à Potrerillo. On
peut alors se demander si ces transmissions intergénérationnelles ne correspondraient pas à
des logiques de patrimonialisation, même si cela peut paradoxal compte tenu de la précarité
du logement lui-même.
Considérer le politique comme un lieu permet de mettre un relief un élément important
de toute l‟organisation sociopolitique au sein des trois colonias paracaidistas, à savoir le
paradoxe des relations à l‟argent. L‟hypothèse est que les réseaux d‟échanges réciproques
utilisent toutes les ressources offertes par les institutions traditionnelles pour se renforcer.
Parmi les institutions traditionnelles, se trouvent notamment les modes d‟organisation
politique traditionnels comme le clientélisme, le leadership ou le caciquisme. Celles-ci jouent
sur les réseaux sociaux et les modes d‟échanges à l‟intérieur de la colonia. Ces derniers
rétroagissent sur le politique, par le biais des ressources sociales d‟organisation politique,
comme les parentés, le voisinage, le compadrazgo ou le cuatisme, en intégrant au politique
une idéologie d‟aide mutuelle, propre aux situations de précarité urbaine. Il s‟agit ici d‟étudier
les logiques économiques dans lesquelles s‟inscrivent les habitants des quartiers d‟habitat
précaire. Pour cela, il est nécessaire de faire tomber plusieurs préjugés tenaces concernant les
relations à l‟argent et aux institutions des habitants. Le premier est celui formulé de diverses
manières selon les auteurs, qui pourrait correspondre à la « méconnaissance volontaire des
déterminismes économiques »355 des habitants. Bien au contraire de ce que certains auteurs
tentent de montrer, les paracaidistas ont un savoir très étendu des déterminismes
économiques et politiques. Loin d‟une méconnaissance, il y a aurait une connaissance et celle-
ci devient une « connaissance pratique » telle qu‟elle est définie par Giddens, à savoir une
connaissance des acteurs qui se traduit dans leurs actions. Cette connaissance pratique se
retranscrit en termes de compétences, « knowledgeability » : les acteurs sociaux « ont une
connaissance remarquable des conditions et des conséquences de ce qu‟ils font dans leur vie
de tous les jours »356. Tous les habitants rencontrés connaissent l‟existence de Tenencia de la
Tierra et que cette instance peut les informer sur les démarches à effectuer en vue de la
régularisation des titres de propriété. Par exemple, même Julio et Carlos, qui sont des

through project-based competency development across firms in an industry network. The rapid expansion of
these processese has far outstripped our understanding of them and their influence on the structure ans process of
careers, with a few notable exceptions »
354
Arthur (Micheal, B), Rousseau (Denise, M), ibidem : «the most consistent theme in the book explores how
project-oriented careers enhance competency by spanning organizational boundaries»
355
Sélic (Jean-Pierre), « Le commerce déclassé : réflexions sur la structure du champ professionnel du petit
commerce », 2005, Rethymnon (Crêtes), Ecole doctorale, Université d‟été de l‟ESSE (Pour un espace européen
des sciences sociales européen), p. 3
356
Giddens (Anthony), op. cit., p 163
exemples paradigmatiques des abstentionnistes passifs, connaissent l‟existence de Tenencia
de la Tierra. Concernant les rouages économiques, toutes les colonias bénéficient d‟avantages
matériels, en particulier lors de campagnes électorales, comme des bons d‟achat ou des
paniers de denrées alimentaires, distribués par les différents partis en campagne. Même les
groupes politiques qui s‟affirment opposés au fonctionnement des pratiques clientélistes du
système politique mexicain y participent. Par exemple, l‟armée zapatiste (EZLN) distribue
également des bons d‟achat dans la colonia Cuesta, qui soutient le mouvement. Une autre
question concernant les relations à l‟argent des habitants de quartiers d‟habitat précaire,
consiste à se demander si le réseau est sollicité en cas de difficulté ou de nécessité
économique. D‟après les observations menées, les habitants demandent difficilement des
aides financières à des membres de leur réseau d‟échanges réciproques au sein de la colonia.
En revanche, il semblent qu‟ils sollicitent plus facilement des aides financières auprès de
membres de leurs réseaux personnels, en particulier des membres de leur famille. D‟après les
enquêtes réalisées par nos soins auprès d‟un échantillon d‟habitants toutes colonias
confondues, 78 % d‟entre eux disposent de relations potentiellement mobilisables pour leur
apporter une aide financière, alors que les 22 % restants affirment ne pouvoir demander à
personne parmi leurs relations, une aide financière, même exceptionnelle et urgente. Une des
dimensions de la relation à l‟argent qui semble importante pour cette étude concerne la valeur
de l‟argent et de son utilisation357. Le paracaidisme constitue un mode de vie qui permet à la
fois d‟économiser le montant d‟un loyer, même s‟il y a dans la plupart des colonias un
paiement régulier à effectuer auprès des leaders ou que les habitants achètent le terrain, car les
sommes payées sont grandement inférieures à celles que les habitants paieraient dans
l‟économie formelle. Par ailleurs, il paraît important que les membres les plus proches du
réseau partagent une vision commune du rapport à l‟argent , afin d‟assurer une cohérence et
une stabilité tant matérielle qu‟affective. La relation de Leti et de Chano est en cela
exemplaire. Ils sont tous deux propriétaires d‟une résidence principale à l‟extérieur de la
colonia, dans les environs de Santa Clara. Ils ont tous deux exercé une activité professionnelle
qui leur a permis d‟économiser de l‟argent pour leur permettre d‟acheter leur maison
respective. Depuis leur arrivée dans la colonia et donc depuis leur rencontre, Leti a abandonné
son activité professionnelle afin de se consacrer aux luttes sociales, ce qu‟avait déjà fait
Chano depuis plusieurs années. Depuis qu‟ils exercent ensemble le leadership de la colonia, la
gestion des ressources constitue un point d‟entente central qui rallie les deux leaders « ce qui
est bien, c‟est qu‟on est d‟accord sur les manières d‟utiliser l‟argent et comment diriger la
colonia, pas les habitants parce qu‟on est maîtres de personnes, et ça je la reprends tout le
temps, à Leti, là-dessus, mais la colonia, le quotidien »358. La relation à l‟argent est d‟autant
plus importante que le paracaidisme implique une certaine capacité d‟autogestion
économique. C‟est ce que soulignent les systèmes d‟échanges réciproques. L‟autogestion
locale face aux modes de vie précaires au sein des colonias paracaidistas engendre une
collectivisation et l‟instauration d‟une dynamique d‟aide mutuelle.
Enfin, considérer le politique comme un lieu symbolique de la politique, prise ici
comme l‟organisation politique, permet d‟envisager les ambiances de chaque colonia.
L‟hypothèse est que les ambiances dépendent des leaders qui gèrent le quartier. Un trait
commun aux ambiances des trois colonias est la violence qui y règne. Cette violence des
rapports a été ressentie et vécue durant l‟enquête de terrain. Par exemple, lors d‟une réunion
hebdomadaire au bureau d‟Oscar Dominguez Guerrero à Santa Clara, en mai 2007, un homme
357
Lazuerch (Gilles), op. cit.
358
Propos tenus par Chano, le 14 avril 2007: “lo bueno es que estamos de acuerdo con los modos de usar el
dinero y como dirigir la colonia, no los habitantes porque no somos los dueños de nadie, la corrijo todo el tiempo
en eso, sino la colonia, lo cotidiano”
a attrapé la caméra qui sert de support visuel à ce travail, en criant qu‟il ne fallait pas filmer,
qu‟il n‟était pas d‟accord. J‟ai été fort surprise de sa réaction car cela faisait déjà plusieurs
mois que je me rendais tous les dimanches aux réunions du leader du PRD. Il est vrai que cet
habitant n‟était jamais venu auparavant. J‟ai éteins ma caméra et rangé mon matériel. D‟autres
participants sont intervenus afin de me défendre et Oscar a expliqué que je venais depuis
plusieurs mois et que mon travail était scolaire ; il n‟y aurait donc aucune conséquence
juridique ou policière pour les habitants. Au-delà de la violence physique, il existe d‟autres
formes de violence. La violence symbolique a déjà été évoquée précédemment. Une autre
forme de violence doit être soulignée ici car elle articule le politique et les réseaux sociaux. Il
s‟agit de la « violence mimétique »359. Selon René Girard, la violence mimétique est
intrinsèque aux échanges. En effet, les désirs humains engendrent leur rivalité. Cette dernière
génère elle-même un cycle de violence, dont le paroxysme débouche sur une unanimité contre
une victime unique et non pertinente. Il s‟agit du bouc-émissaire, dont l‟exclusion ou
l‟élimination réconcilie, pour un temps, la communauté humaine. Un tel processus se retrouve
dans la violence collective relatée dans de très nombreux mythes et rites qui consistaient à
sacrifier à la naissance l‟un des enfants jumeaux, ou les deux, pour enrayer à la base le cycle
de violence mimétique. Par exemple, il y aurait dans chaque colonia un bouc-émissaire. Il
peut être question d‟une individu comme d‟un groupe. Par exemple, au début de l‟enquête à
Reguilete, Sebastián et Ernestina étaient considérés comme les responsables des problèmes de
la colonia. C‟est ce qu‟explique Ernestina lors d‟une discussion : j‟aimerais partir de la
colonia, parce que les gens ne voient rien changer et pensent que Sebastián et moi sommes
responsables. Ile demandent où est l‟argent qu‟on a mis sept mois à économiser. Et ils pensent
qu‟on a gardé l‟argent pour nous »360. Ernestina et Sebastián étaient donc à ce moment-là
comme les boucs-émissaires des problèmes de la colonia. Concrètement, il leur est reproché le
faut que malgré les efforts des habitants qui ont tous payés ce qui leur était demandé, afin
d‟installer un transformateur électrique pour la colonia, celui-ci ne soit pas installé. Ainsi,
selon cette théorie, la violence serait liée à la conformisation qui surgit à travers les échanges.
Ceux-ci nécessitent en effet une accord entre les parties sur la valeur accordée aux biens à
échanger, parfois une monnaie d‟échange. Mais les échanges entre des groupes ou des
personnes aux pratiques et aux arrière-plans individuels et collectifs différents, peut faire
naître une uniformisation des désirs, originellement différents. Dans la continuité de l‟analyse
girardienne, on peut se demander si le politique ne donnerait pas lieu à une violence
mimétique dans les trois colonias étudiées, compte tenu des relations clientélistes qui
structurent le système politique mexicain. Mais les relations clientélistes introduisent un
élément supplémentaire, à savoir la hiérarchisation des membres des réseaux d‟échanges
réciproques. Alors que la violence mimétique semble au contraire être un phénomène propre à
des relations égalitaires.
Les mécanismes de la réciprocité et de la confiance dans le politique de chacune des
colonias, sont liés à deux facteurs principaux : les structures clientélistes du politique dans les
trois quartiers étudiés, ainsi qu‟aux relations d‟échanges réciproques. La combinaison de ces
deux dynamiques, sous l‟égide de leaders ou de caciques locaux, donne lieu à des ambiances
propres à chaque colonia. Ces ambiances sont porteuses d‟imaginaires qui leurs sont propres.
Quels sont alors les mythes et les réalités de la confiance politique dans chacune des
colonias ?

359
Girard (René), La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, 534 p
360
Propos tenus par Ernestina le 14 avril 2007 : “quisiera irme de la colonia, porque la gente no ve nada cambiar
y piensa que Sebastián y yo somos responsables. Piden adonde esta el dinero que pusimos siete meses para
juntar. Y piensan que nos quedamos con el”
3. Mythe et réalités du paradoxe de la confiance politique dans chacune des
trois colonias paracaidistas

Après avoir vu les mécanismes de la confiance et de la réciprocité au sein du politique


de chacune des colonias, il est alors possible de mettre en question la confiance politique.
Cela part du constat du discrédit général qui accable le politique et ceux qui l‟exercent. En
quoi consiste le paradoxe de la confiance politique dans chacune des colonias étudiées ?
Tout d‟abord, il s‟agit de se demander si la confiance en le politique est une expression
antithétique ou non. En effet, comme l‟ont montré les questionnaires réalisés, les habitants
témoignent d‟une méfiance à l‟égard de la politique, prise ici au sens de manière de gérer et
d‟organiser un groupe (voir III. A. 2.). Ainsi, les principaux termes utilisés pour qualifier la
politique par les paracaidistas sont en cela révélateurs.

PERCEPTIONS DU POLITIQUE

45
40 Corrompue
35 Riches
30 Propagandiste
25
Pouvoir
20
15 Difficile
10 argent
5 Narcotraffic
0 NSP
Habitants

Tableau 22 : Perceptions du politique par les habitants

Le tableau précédent montre les perceptions du politique, toutes colonias confondue :


ce qui représente le plus le politique, selon les paracaidistas, est, par ordre d‟importance, la
corruption qui y règne, les enjeux de pouvoir, le fait que cela soit quelque chose de difficile
qui ne soit pas à leur portée. Le lien avec le narcotrafic est également déterminant selon les
habitants. Ces réponses pourraient laisser penser que les habitants des quartiers d‟habitat
précaires ne croient pas en le politique. Peut-être est-ce le cas. Mais s‟ils ne croient pas en
quelque chose, il s‟agit de la politique, c‟est-à-dire la manière d‟organiser un groupe sur un
territoire, en particulier la politique nationale ou fédérale. Le local se détache de cette
perception puisque soit les actions menées par les leaders ou les représentants et pour la
colonia, ne sont pas considérées comme politiques, soit le niveau local ne fait pas partie des
instances décrédibilisées (voir tableau 16 : confiance des habitants en leurs leaders locaux).
Néanmoins, il faut noter ici que l‟échelon politique qui attise la confiance des habitants est
celui de la colonia. Même les représentants politiques de Santa Clara ou d‟Ecatepec ne leur
inspire pas confiance. Cela s‟explique notamment par les litiges qui opposent la municipalité
aux habitants des quartiers d‟habitat précaire étudiés. La municipalité tente de trouver des
solutions de relogement des paracaidistas, en particulier ceux de Reguilete et de Cuesta. Mais
les propositions se heurtent à une ferme opposition des habitants, qui estiment que les
solutions proposées ne sont pas adaptées à leurs besoins. Ainsi, la formule employée par
Estéban, Directeur de Tenencia de la Tierra, relate bien la situation actuelle, à savoir « une
situation difficile avec une impossible solution de délogement ». On peut se demander si la
confiance politique, entendue ici dans le double sens de confiance accordée aux hommes
politiques mais aussi comme confiance accordée par les hommes politiques, est vivace à
Cuesta, Reguilete et Potrerillo, ou bien si cela ne constituerait pas un oxymore. La confiance
accordée par les habitants aux hommes politiques se décante en plusieurs segments, en
fonction de la proximité des échelons politiques pris en compte. Ainsi, plus les échelons
politiques sont proches, plus ils inspirent confiance aux populations. On peut se demander si
cela est lié à la visibilité des politiques mises en œuvre et à la possibilité de vérifier par soi-
même de l‟efficacité des politique mises en œuvre.
Le mythe du paradoxe de la confiance politique serait que la politique censée être
soutenue par les habitants, ne serait-ce que pour légitimer son action, se heurte à de la
méfiance de leur part. Cependant, cet apparent paradoxe se résout lorsque les différents
niveaux de localisation et de régionalisation du politique sont pris en compte, car cela fait
apparaître une grande confiance des habitants en leurs leaders locaux. Il s‟agit maintenant
d‟analyser les données recueillies par colonia, concernant les réalités du vécu du mythe du
paradoxe de la confiance politique. La série de tableaux suivants présente, par colonia, les
réponses à la question : « en qui auriez-vous le plus confiance afin de résoudre les problèmes
d‟accès aux titres de propriété des terrains que vous occupez, parmi la liste suivante ? ».

En qui avez-vous le plus


confiance pour l'accès aux titres
de propriété ?

8
6 Oscar
4 Comité interne
2 Fonctionnaires
0
Habitants
Reguilete

Tableau 23 : Confiance accordée par les habitants de Reguilete pour l’accès à la


propriété

Le tableau met en lumière le fait que les habitants de Reguilete aient plus confiance en
leur comité interne pour régulariser les titres de propriété, plutôt qu‟en toute autre instance.
Les résultats soulignent en outre le discrédit jeté sur Oscar, leader PRD, à la fin de cette
enquête. Les résultats sont serrés entre le comité interne, les fonctionnaires et les habitants,
certains habitants ayant plus foi en le comité, d‟autres croient plus en les fonctionnaires
municipaux et d‟autres en leurs propres capacités à régler la situation. Concernant la gestion
interne de la colonia, les habitants affirment à 35 % qu‟ils sont les plus à-mêmes de décider de
ce qui est bon pour eux . Un leader extérieur à la colonia, qu‟il s‟agisse d‟un homme
politique, d‟un juriste, du Président d‟une association, ne peut pas, selon eux, comprendre
leur situation et les aider de la meilleure manière possible. Ces résultats diffèrent de ceux
récoltés à Cuesta, où les leaders internes obtiennent le plus de suffrages : 65 % des habitants
estiment en effet que leurs leaders sont les mieux placés pour obtenir la régularisation des
titres de propriété des terrains qu‟ils occupent.

En qui avez-vous confiance pour


l'accès à la propriété ?

15
EZLN
10
Leaders internes
5
Fonctionnaires
0 Habitants
Cuesta

Tableau 24 : Confiance accordée par les habitants de Cuesta pour l’accès à la


propriété

Ce graphique souligne également la méfiance qu‟inspirent les fonctionnaires aux


habitants de la colonia Cuesta. Cela provient peut-être des oppositions violentes avec des
membres de l‟ordre public. Pour ce qui concerne l‟organisation du quartier, la majorité des
enquêtés estime que leurs leaders font également un très bon travail et qu‟ils sont donc les
plus aptes à gérer l‟organisation des habitants de la colonia. Les habitants de Potrerillo, enfin,
présentent un schéma différent, comme le met en évidence le tableau ci-dessous.

En qui avez-vous confiance pour l'accès à la


propriété ?

15
Parti politique
10
Leaders
5
Fonctionnaires
0 Habitants
Potrerillo

Tableau 25 : Confiance accordée par les habitants de Cuesta pour l’accès à la


propriété

Les habitants de Potrerillo se considèrent comme les plus aptes à parvenir à la


propriété. C‟est ce que révèle Martha, une habitante de la colonia : « Moi, ça y est, je fais plus
confiance aux leaders. Ils nous ont tous fait bouger d‟un terrain à un autre, en nous disant des
mensonges. Ça fait des années qu‟on les suit et on a toujours pas de maison. Maintenant, on
s‟en va parce qu‟on veut avoir une maison et on veut de l‟espace pour notre famille »361.
Ainsi, l‟accès à la propriété ne leur semble envisageable désormais que par eux-mêmes. Il faut
noter que la seconde réponse à la question posée est l‟affiliation à un parti politique. Ainsi,
361
Propos tenus par Martha, le 21 mai 2007 : “Yo ya no tengo confianza en los lideres. Nos hicieron mover a
todos de un terreno a otro diciéndonos mentiras. Hace anos que los seguimos y no tenemos casa. Ahora, ya nos
vamos porque queremos tener una casa y tener espacio para nuestra familia”
certains habitants de Potrerillo estiment que le rattachement à un parti politique, en particulier
le PRD, puis ensuite le PRI, leur permettrait de voir leurs requêtes de régularisation aboutir.
Ce qui rassemble les colonias, au-delà des divergences évoquées, sont les critiques que les
habitants et les leaders adressent aux habitants d‟autres colonias paracaidistas. Cela est
particulièrement vrai entre les habitants de Cuesta et ceux de Potrerillo. Ainsi, Rosa, une
habitante de Reguilete s‟est un jour exclamée : « tu vas à Cuesta ? Mais tu sais ce que font les
leaders là-bas ? Ils obligent les gens à payer toutes les semaines pour le terrain. En plus, ils ont
plein d‟obligations »362.
Envisager le politique comme un lieu de réciprocité et de confiance car s‟y
épanouissent les systèmes d‟échanges réciproques, amène à considérer la spatialité du
politique. C‟est ce qui a introduit l‟analyse de la multiterritorialité des réseaux d‟échanges
réciproques et, par là, du politique. Du territorial, il a été question de la densité des réseaux
d‟échange, la confiance étant un mode de densification des relations. L‟étude des mécanismes
qui visent à accorder sa confiance au sein d‟une relation d‟échanges, a débouché sur l‟étude
des images préconçues et des réalités concernant la confiance politique, à Cuesta, Potrerillo et
à Reguilete. Il est alors possible de se demander : quel est l‟impact sur le politique des
systèmes d‟échanges réciproques ?

C- Impacts sur le politique des systèmes d’échanges réciproques

Les systèmes d‟échanges réciproques concentrent à la fois l‟organisation


socioéconomique d‟une colonia, en rassemblant les différents réseaux d‟échanges réciproques
qui y sont en activité, mais aussi les logiques et les idéologies qui sous-tendent le
fonctionnement de ces réseaux. Ainsi, un trait sous-jacent des systèmes d‟échanges
réciproques observés dans les trois colonias paracaidistas étudiées ici, est l‟idéologie d‟aide
mutuelle qui préside aux réseaux d‟échanges réciproques dans la colonia.
L‟hypothèse soutenue ici est que les leaders politiques usent de stratégies médiatiques
au sein des systèmes d‟échanges réciproques afin d‟obtenir des sources de financement. Les
logiques et les discours qu‟ils mettent en place sont ceux de l‟urgentisme et du
catastrophisme.
Il s‟agit non seulement de voir les mécanismes de financement des actions politiques
menées dans et pour les colonias paracaidistas, par leurs leaders ou les habitants eux-mêmes.
Mais il est également question d‟envisager les stratégies médiatiques que les leaders utilisent
afin d‟obtenir ces moyens de financement et les conséquences que ces stratégies peuvent
avoir. Cela amène enfin à faire ressortir deux logiques à la fois discursives et pragmatiques,
réutilisées par les leaders pour en tirer avantage, à savoir l‟urgentisme et le catastrophisme.

1. Des modes de financement et des moyens matériels au sein des systèmes


d’échanges réciproques

Certains éléments des modes de financement du politique dans chacune des trois
colonias ont été aperçus. Ils sont rassemblés ici et mis en lien les uns avec les autres pour

362
Propos tenus par Rosa, le 14 avril 2007 : “tu vas a Cuesta? Pero sabes lo que hacen allá los lideres? Obligan a
la gente a pagar una cuota semanal para los terrenos. Ademâs, la gente tiene obligaciones”
tenter d‟en déceler les dynamiques. Quelles sont les voies de circulation des moyens de
financement à Cuesta, Potrerillo et Reguilete ?
Tout d‟abord, les flux financiers permettent d‟envisager les liens entre les habitants de
chaque colonia paracaidista et d‟autres acteurs sociopolitiques. L‟hypothèse est que l‟étude
des flux financiers qui entrent et sortent de la colonia rend concrets les rapports de force au
sein des réseaux sociaux et politiques dont font partie les habitants de chaque colonia. Pour
vérifier la validité de cette hypothèse, les flux financiers entrant et sortant de chaque quartier
d‟habitat précaire ont été représentés dans le schéma suivant.

Assemblée Nationale Sénat


(Cámara de diputados) (Senado)

Santa Clara 3 4
(Delegación de Santa
1 2
Clara)

5 6

Colonia 14
Autofinancement de
7 Ressources
la colonia (collectes,
perso. des hab
actions, etc.)

Rés. personnels 8 13 Réseaux de


des leaders parenté des hab.
10
11 12
9
Municipalité d‟Ecatepec Office de gestion de la Propriété des
(Municipio de Ecatepec) Terres d‟Ecatepec
(Tenencia de la Tierra)

Schéma 1 : Représentation des flux entre une colonia paracadista moyenne et les
autres acteurs sociaux et politiques appartenant aux réseaux

Légende : Importance des flux

1 Soutien électoral 8 Ressources sociales, matérielles et fin.

2 Bons d‟achats, paniers alimentaires 9 Population, soutien électoral

3 Soutien électoral 10 Propriété, contraintes juridiques

4 Bons d‟achats, paniers alimentaires 11 Informations

5 Réseau social 12 Aide (constitution dossier), info


6 Population, consommateurs 13 Ressource fin., morale, sociale

7 Ressources mat., fin. et sociales 14 Appui fin., patrimonial, info

Le schéma précédent montre les flux typiques qui entrent et sortent d‟une colonia
paracaidista. Il est construit en fonction de l‟importance des échanges, ou des flux qui
circulent entre les différents acteurs. Ces derniers sont eux-mêmes représentés en fonction de
leur importance pour la colonia. Cette importance peut être liée soit à leur vie quotidienne,
avec par exemple le rôle des réseaux personnels des habitants pour survivre et faire vivre leur
famille, ou alors pour la régularisation de leurs titres de propriété. Ce schéma colle
parfaitement aux mouvements entrants et sortants de Cuesta. En effet, les leaders du quartiers
sont en liens avec plusieurs Députés, dont celui rencontré, Salvador Ruiz Sánchez, ainsi
qu‟avec plusieurs Sénateurs. Ceux-ci font parvenir aux leaders des bons d‟achats pour la
construction ou des denrées alimentaires, ainsi que des paniers alimentaires. En échange, ces
derniers leur apportent soit leur soutien politique, en particulier électoral ou lors d‟événements
politiques, lorsqu‟il s‟agit de partis politiques amis de leur propre parti ou mouvement
d‟affiliation. Ou bien les leaders peuvent leur apporter leur aide ponctuelle lors d‟une
manifestation, d‟une grève ou d‟un événement politique. Concernant les interactions avec la
municipalité, les flux se basent essentiellement sur des ressources relationnelles ou sociales.
Par exemple, le prêtre Jorge qui célèbre la messe à Cuesta tous les dimanches fait partie des
ressources sociales fournie par Santa Clara aux habitants. Les habitants apportent à la
municipalité des préoccupations économiques, sociales, sanitaires, voire des litiges avec l‟État
fédéral, mais aussi un pouvoir d‟achat et la présence de la colonia paracaidista renforce la
densité de population. D‟autres acteurs jouent un rôle important, comme les réseaux
personnels des leaders ainsi que ceux des habitants. Les premiers constituent une ressource
avant tout sociale, en mettant en contact les leaders avec des hommes politiques ou des
fonctionnaires qui peuvent accéder à certaines de leurs demandes. Les seconds constituent un
appui moral et émotionnel pour les habitants, ainsi qu‟une ressource sociale, en permettant
également de tisser des relations avec des personnes qui peuvent les aider. Les réseaux
personnels des habitants peuvent également être ressource financière : lorsque les habitants
ont besoin d‟une somme d‟argent, ils se tournent plus facile vers un membre de leur famille
plus que vers des banques ou des sociétés de crédit. Ce schéma demeure valable pour la
colonia Potrerillo, bien que la désolidarisation actuelle des leaders envers les habitants
perturbe les structures politiques internes. Néanmoins, l‟enquête de terrain a montré les liens
des leaders, Irma et Gina, avec des députés. Ainsi, lors de ma rencontre avec le député
Salvador Ruiz Sánchez, celui-ci m‟a dit connaître les leaders de Potrerillo et beaucoup les
estimer, compte tenu des relations qu‟elles avaient su se faire pour obtenir des avantages et
des aides pour les habitants de la colonia. Les leaders de Potrerillo paraissent même avoir bien
plus de relations dans les réseaux politiques, que les leaders de Cuesta. Cela se justifie tant par
les preuves récoltées de manière fortuite sur le terrain (le fait que tous les hommes politiques
rencontrés les connaissent), que par les expériences vécues par les habitants et qu‟ils ont bien
voulu relater. Il faut noter ici que les leaders ont des relations politiques, qu‟elles sont connues
des représentants politiques de différents partis qui jouent dans la vie politique locale
d‟Ecatepec. Cependant, l‟existence de Potrerillo est inconnue des services de voirie,
d‟urbanisation et des registres cadastraux. Par exemple, le terrain où se trouve le Potrerillo
n‟apparait pas sur les registres de cadastre comme un terrain habité, mais comme un terrain
privé en friche363. Le cas des habitants de Reguilete est le plus éloigné du modèle car ceux-ci,

363
Voir plan cadastral en annexe
au contraire du cas précédent, n‟ont pas de relations avec des hommes politiques mais
quelques contacts récents avec des fonctionnaires. En effet, faute d‟une forte cohésion au sein
de la colonia et en l‟absence d‟un véritable leadership qui leur soit propre, les habitants n‟ont
pas de contacts avec des représentants politiques, hormis Oscar, membre local du PRD. Mais
celui-ci ne mène pas de carrière à proprement parler politique. Il est avocat, spécialisé dans le
droit civil, et rattaché au PRD. Il est régulièrement amené à plaider pour des clients ayant la
même étiquette politique que lui. Les habitants de la colonia ont tisser de récents liens avec
différents fonctionnaires municipaux rattachés à la municipalité, comme Javier, ou à Tenencia
de la Tierra, à l‟instar d‟Esteban. L‟organisation politique de la colonia diffère alors de celle
des deux autres, car les habitants ne reçoivent pas systématiquement des bons d‟achats lors
des campagnes électorales, comme cela peut avoir lieu dans les autres quartiers. De même, les
habitants ne bénéficient pas de soutiens politiques qui pourraient pourtant s‟avérer utile tant
pour favoriser la régularisation de leur situation que pour avoir accès à des services améliorant
leurs conditions de vie. Quels sont alors les mécanismes de financement du politique dans
chacune des trois colonias paracaidistas ?
Les modes de financement dans chacune des trois colonias semble suivre le chemin
suivant. D‟abord, les habitants s‟organisent entre eux, sans l‟aide d‟un leader, afin de pouvoir
réagir aux problèmes et aux incidents quotidiens, comme par exemple les inondations durant
la saison des pluies et les risques d‟hydrocution qui s‟y greffent. Ils s‟entraident, en général,
en mettant leurs compétences et savoirs-faires au service de la collectivité, ou en prêtant des
outils qui sont utiles à un moment donné pour régler un problème au sein de la colonia. Deux
cas de figure se présentent ensuite : soit le quartier se dote de leaders, qu‟ils soient élus ou
bien qu‟ils soient autoproclamés, soit il s‟organise de manière collective pour organiser la vie
quotidienne et parer les éventuelles difficultés. Les habitants de Cuesta ont procédé selon le
premier cas de figure. En effet, la colonia était déjà fondée comme paracaidista depuis
plusieurs mois, presqu‟un an, lorsque les habitants ont décidé d‟élire Leti et Chano comme
leaders et porte-voix de leurs revendications. Tandis que ceux de Reguilete ont plutôt
constitué un comité interne, qui est certes critiqué, mais dont l‟existence et la légitimité ne
sont pas mises en cause. Le leadership d‟Oscar, autoproclamé leader, est source de vives
polémiques au sein de la colonia et l‟influence qu‟il pouvait avoir sur certains habitants s‟est
progressivement délitée durant le temps de l‟enquête, jusqu‟à être discrédité, même aux yeux
de ses plus fervents supporters. La mise en place d‟un leadership ou d‟une organisation
engendre la recherche de fonds de financement et la structuration des revenus dédiés à
l‟organisation de la colonia. Divers modes de financement interne ont été observés. Par
exemple, les habitants de Cuesta doivent payer une petite somme toutes les semaines. Cela
sert à payer certains matériaux mis en commun, l‟entretien de la maison commune –la seule
maison construite en dur dans toute la colonia- ou encore certains frais concernant les
démarches effectuées par les leaders. En outre, lorsqu‟il y a des événements politiques
particuliers, comme une manifestation, une marche ou une grève, les habitants mobilisés
doivent payer leurs déplacements t les frais annexes qui peuvent s‟y greffer. Et l‟ensemble des
habitants est sollicité afin de constituer un pécule utilisé pour faire des pancartes ou acheter
les matériaux nécessaires à leur participation, comme des pancartes lors de manifestations ou
de la nourriture lors d‟événements festifs. Les habitants de Reguilete ne payent qu‟en fonction
des besoins urgents et ponctuels de la colonia. Les habitants se sont mobilisés pour l‟achat
d‟un transformateur afin de sécuriser les installations électriques du quartier. La mobilisation
a été suffisamment générale pour collecter la somme nécessaire à savoir 40 000 pesos. Ceux
qui se rendaient aux réunions d‟Oscar, le dimanche après-midi, devaient également payer une
somme pour les conseils dispensés par l‟avocat. Les habitants de Potrerillo suivaient
également ce modèle jusqu‟à ce que les réunions hebdomadaires ne soient plus tenues par les
leaders. Cependant, Cecilia assure toujours la surveillance de la colonia et dispose d‟un cahier
de compte, comme Leti pour les habitants de Cuesta, afin de pouvoir mobiliser les habitants
lors d‟incident ou d‟urgence. Enfin, lorsque le leadership ou l‟organisation interne sont au
point, il y a généralement des relations qui se nouent avec des représentants politiques qui
permettent aux habitants de recevoir des aides matérielles. C‟est ce qui s‟est passé à Cuesta.
Ces relations se nouent en fonction des affiliations politiques et des amitiés politiques d‟une
part, puis des relations interpersonnelles et des amitiés tissées. Ainsi, les aides sont venues au
début d‟associations ou de groupements politiques proches du EZLN, comme le Front du
peuple par exemple. Au fur et à mesure que la colonia a affirmé son existence et a fait preuve
de résistance face aux pressions exercées par la municipalité pour expulser les habitants, les
leaders ont été médiatisés et ils ont commencé à nouer des amitiés politiques plus diversifiées
que ce qu‟elles étaient à l‟origine. L‟amitié entre Chano, le leader de Cuesta appartenant au
EZLN, et le Député Salvador Ruiz Sánchez, représentant du PRD, en est un exemple, comme
le soulignent les propos de Chano concernant Salvador : « Appelle-le, il est bien lui, vraiment.
L‟autre est pas intéressant, alors que lui, quand il dit quelque chose, il le fait. En plus il est
déjà venu nous voir plusieurs fois ici. Il se bouge pour nous »364. Quelles sont alors les
idéologies qui sous-tendent ces flux économiques ?
L‟hypothèse soutenue ici est que les flux financiers sous-tendent les idéologies et
permettre de mettre au jour des relations entre des éléments idéologiques qui n‟apparaissent
pas dans l‟analyse. Les liens économiques mis en exergue précédemment témoignent par
exemple de l‟idéologie d‟aide mutuelle qui règne parmi les habitants des colonias
paracaidistas étudiées. L‟hypothèse émise ici diffère des hypothèses habituelles sur le sujet,
résumée par Matthieu Caulier : « les flux financiers structurent les idéologies »365. La
perspective adoptée ici tend plutôt à voir, à travers les systèmes d‟échanges réciproques d‟une
colonia, et la spatialité des réseaux à la fois personnels et politiques, des habitants comme des
leaders, de comprendre les rapports de force, les logiques et les idéologies qui dominent le
fonctionnement des réseaux et de l‟organisation politique de chaque quartier. L‟une des
logiques du financement de la vie quotidienne dans le paracaidisme, outre l‟importance des
réseaux sociaux et personnels, est le rôle des « dispositifs de médiation » : « nous considérons
comme dispositif de médiation tout ce qui permet un échange sans passer par des chaînes de
relations personnelles »366. Ainsi, les lieux de manifestations où se rendent les habitants des
trois colonias, le politique considéré alors comme le lieu symbolique d‟exercice de la
politique, ou encore le lieu de vie des habitants, constituent des dispositifs de médiation, et ce
à double titre. D‟une part, ces lieux constituent des ressources qui ne sont pas relationnelles –
même si souvent les habitants sont arriver sur le terrain paracaidista par une personne de leur
entourage. D‟autre part, ils représentent des dispositifs de médiation car ils permettent de
mettre en relation des personnes et favorisent ainsi l‟échange entre ces personnes. Par
exemple, à la question « si vous aviez besoin d‟une importante somme d‟argent, que feriez-
vous –demanderiez-vous à une connaissance de vous la prêter, iriez-vous demander un crédit
à la banque, ou feriez-vous autre chose ? », la réponse la plus fréquemment obtenue est la
débrouillardise, seulement ensuite vient la demande à un proche, la plupart du temps à un
membre de la famille. La débrouillardise apparaît ici comme un dispositif de médiation, qu‟il
s‟agisse de trouver un autre travail, en plus du travail principal, d‟utiliser les économies

364
Propos tenus par Chano, le 27 mai 2007 : “Llámale a este, él esta bien, de verdad. El otro no es interesante,
mientras que él cuando dice algo cumple. Además ya vino aqui varias veces para vernos. Se mueve para
nosotros”
365
Caulier (Matthieu), « Démarche de construction d‟un travail de thèse », dans Hours (Bernard),
« Anthropologie de la globalisation », séminaire EHESS, Paris, année 2006-2007
366
Grossetti (Michel), ibid, p 6
réalisées ou l‟argent investi dans une tanda. Les flux financiers jouent également un autre
rôle : ils renforcent les réseaux, les étendent ou les initient. Comme le constate Michel
Grossetti dans une étude qu‟il a menée sur « la mobilisation des relations sociales dans les
processus de création d‟entreprises », environ 20 % des sollicitations du réseau s‟effectuent
par le biais d‟un financement. Il ajoute même : « le mode d‟accès ne semble pas avoir d‟effet
sur l‟efficience de la ressource, mais celles qui sont mobilisées par l‟intermédiaire de relations
sont plus durables (deux tiers d‟entre elles sont toujours actives au moment de l‟enquête,
contre un tiers seulement de celles qui sont obtenues par un autre moyen). Cela s‟explique en
particulier par l‟importance des relations dans les recrutements et des dispositifs de médiation
dans les financements (qui sont souvent ponctuels) »367. Dans les colonias paracaidistas
prises en compte, le financement joue effectivement un grand rôle dans le système d‟échanges
réciproque de chacune d‟entre elles, donc dans les réseaux d‟échanges réciproques. Les
réseaux politiques et personnels des leaders sont en particuliers mis à contribution afin de
trouver des aides matérielles et économiques. Les relations des leaders de Potrerillo avec des
représentants politiques appartenant à des partis politiques opposés est en cela exemplaire. La
recherche de fonds et d‟aides matérielles et pécuniaires est à l‟origine des relations tissées par
les leaders, par exemple avec Salvador, Député PRD, qu‟elles ont spontanément sollicité, afin
de lui proposer de leur donner un coup de pouce avec des aides pour les habitants de leur
colonia, en échange de leur soutien politique et électoral.
Les mécanismes de financement à l‟œuvre dans les trois colonias paracaidistas
étudiées, soulignent à la fois la primauté des réseaux sociaux dans le financement comme
l‟existence d‟autres recours, en particulier l‟autofinancement des habitants, en cas d‟urgence
ou de coup dur. Les logiques de recherche de moyens économiques supplémentaires, à
l‟extérieur de la colonia, soit par leaders s‟il y en a soit par les habitants eux-mêmes, jouent
sur les effets d‟affichage et d‟annonce. Les média semblent alors jouer un grand rôle dans ces
mécanismes de financement. Quel est le rôle joué par les média dans la situation des
paracaidistas ?

2. Une médiatisation réussie ?

Les leaders ou les représentants de chacune des colonias utiliseraient des stratégies
médiatiques, afin de tirer des avantages matériels et économiques, sociaux ou encore comme
moyen de pression afin de voir certaines de leurs requêtes aboutir.
Il s‟agit de voir d‟abord les liens entre flux économiques et financiers d‟une part et les
flux médiatiques et d‟information d‟autre part. La médiatisation serait utilisée par les leaders à
la fois pour des enjeux matériels, économiques, sociaux ou pour inscrire les colonias
paracaidistas dans des rapports de force, mais aussi pour justifier leur action et leur pouvoir à
l‟intérieur des colonias. Comme cela est entraperçu dans la sous-partie précédente, les leaders
de Cuesta ont commencé à recevoir des aides et des soutiens matériels et économiques, après
la médiatisation de leur situation et de leurs revendications. Cette médiatisation a été d‟autant
plus forte lorsque la colonia a été dévastée par un incendie, en pleine Semaine Sainte. En
effet, les incendies ont été suivis d‟affrontements violents avec les forces de police qui
voulaient profiter de la situation pour expulser les personnes de la colonia, car ils occupent
illégalement un terrain communal et fédéral. Mais l‟événement a été relayé par les média
locaux et même nationaux. C‟est à partir de cet événement que les leaders ont commencé à

367
Grossetti (Michel), ibid, p 6
recevoir des encouragements, des messages de soutien, tant de particuliers que de
mouvements collectifs, puis de représentants politiques. Lors de l‟incendie, la Croix-Rouge
était également venue apporter son aide en fournissant des couvertures et des denrées
alimentaires aux habitants. La médiatisation de l‟événement a beaucoup aidé Chano a nouer
des relations avec d‟autres organisations politiques. Cela est d‟autant plus vrai que le Sous-
commandant Marcos a lui-même félicité les habitants de la colonia Cuesta pour le courage
dont ils avaient fait preuve, en opposant une vive résistance aux forces de l‟ordre, durant
l‟incendie, alors que leurs maisons étaient détruites et qu‟ils mettaient leurs vie en danger368.
Les stratégies médiatiques des leaders de Potrerillo sont différentes, voire quasi-antagoniques.
En effet, les leaders ne sont pas connus des média, ni même des fonctionnaires municipaux.
Pourtant, Irma et Gina sont très connues dans le milieu politique local, à Ecatepec, mais aussi
fédéral, grâce à leurs contacts à la Chambre des Députés et au Sénat. Ces apparentes
contradictions s‟expliquent par le fait qu‟à l‟inverse des leaders de Cuesta, Irma et Gina,
préfèrent rencontrer officieusement les représentants politiques et conclure des accords avec
eux, plutôt que de faire pression sur eux par l‟intermédiaire des média. Ainsi, comme cela a eu
lieu avec Salvador, Député PRD, elles prennent l‟initiative de contacter un homme politique
concerné de près ou de loin par la situation des habitants de Potrerillo, pour lui proposer de le
soutenir politiquement et lors de suffrages électoraux, si celui-ci accepte de les aider
matériellement et économiquement. Les habitants de Reguilete, quant à eux, se distinguent
des deux cas de figure précédents, car ils n‟ont visiblement pas de stratégie médiatique
précise. Ce qui est sûr c‟est qu‟ils craignent d‟être arrêtés à cause des plaintes qui ont été
déposées contre eux par le Ministère public, pour occupation illégale d‟un terrain ou d‟un bien
immobilier. Ces craintes attisent leur méfiances face aux inconnus et aux étrangers qui ne
vivent pas dans la colonia, qu‟ils soupçonnent fréquemment d‟être des émissaires de la
municipalité qui voudrait enquêter sur eux, afin de les expulser ensuite plus facilement.
L‟absence de stratégies médiatiques proviendrait peut-être de l‟absence d‟un leadership
cohésif et soutenu au sein du quartier de Reguilete.
Les stratégies médiatiques mises en exergue précédemment exigent une construction
discursive qui soit opérationnelle. Le but étant d‟obtenir des aides et des dons, la rhétorique
employée par les leaders et les représentants de colonias paracaidistas, est une rhétorique
victimaire. Quelles sont les caractéristiques de cette rhétorique de la victimisation des
habitants des quartiers d‟habitat précaire ? Cette construction discursive et idéologique
renvoie à des jeux sur les perceptions de l‟Autre. Plus exactement, les leaders jouent sur les
perceptions que peuvent avoir les hommes politiques et les fonctionnaires, des habitants de
quartiers d‟habitat précaire. Cela leur permet de construire la figure exotique369 d‟une victime
–victime de la pauvreté et victime du chômage par exemple. Pour comprendre les fondements
de cette rhétorique victimaire, l‟étymologie peut donner quelques possibilités d‟interprétation
qui seraient pertinentes ici. La racine latine victima renvoie à l‟animal offert en sacrifice lors
des cérémonies religieuses et sacramentelles. Plus communément, il s‟agit d‟une personne ou
d‟un groupe qui subit l‟hostilité d‟une autre personne ou d‟un autre groupe, de ses propres
agissements ou des événements. Selon Benjamin Mendelsohn, il s‟agit de « toute personne
atteinte par les diverses formes d‟action humaine –y compris accidents, guerres et délits- ainsi
que les calamités naturelles »370. Mais la définition du terme est très vaste. Dans le domaine
juridique, la victime est alors définie en fonction du préjudice subi : une victime n‟existe que
si l‟existence d‟un préjudice est clairement prouvée. Selon les résolutions de l‟ONU, la
368
Discours prononcé par le Sous-commandant Marcos, le 5 mai 2006 à Mexico, sources journalistiques
369
Segalen (Victor), Essai sur l’exotisme : une esthétique du divers, Paris, Librairie générale française,1999,
184p
370
Capeller (Wanda), « victimisation », dans Ferréol (Gilles), op. cit, 2003, p 342
victime est, dans le droit international, celle à laquelle on doit avoir accès et dont on doit
s‟occuper dans l‟urgence. Sa survie biologique est primordiale. Ainsi, la résolution adoptée le
24 novembre 1988 par l‟ONU invite les États à favoriser l‟accès au victimes de catastrophes.
Cette résolution marque la naissance d‟un droit des victimes et contribue à élargir le champ de
définition de la notion. Le discours victimaire qui tend à nier les possibilités de sortie d‟une
crise ou d‟une catastrophe par des populations, s‟enrichit de tous les moyens de
communication actuels et en joue, pour faire étalage de l‟état de misère et de dénuement de
certaines populations. Mais le concept de victime se base également sur les ressorts
économiques, comme le souligne l‟expression de « marché victimaire »371. Celle-ci renvoie à
la confrontation « entre des producteurs calibrés, compétitif », et des masses « centrifugées »
du seul fait de leur éducation, de leurs croyances religieuses, de leur origine ethnique,
déclarées improductives et inaptes à une saine exploitation dans l‟économie de marché. Le
concept de victime se base sur « la force conjuratoire des images du malheur des autres » qui
est transmise par les média. La rhétorique de la victimisation des habitants de colonias
paracaidistas est visible lors des manifestations ou de mouvements de protestation, organisés
par exemple devant la Mairie à San Cristóbal, dans le centre-ville d‟Ecatepec. Pendant ces
mouvements, généralement observés par des journalistes et parfois même filmés, les leaders
scandent les visions qu‟ils visent à construire, à savoir celle d‟un paracaidista victime de la
société et de ses dysfonctionnements. Le récit de Chano en donne une idée : « Quel dommage
que tu ne sois pas venue avec nous mercredi, à la Mairie d‟Ecatepec, à San Cristñbal, dans le
centre-ville d‟Ecatepec, ça t‟aurait plu. Il y avait des policiers, des représentants de la
municipalité et puis nous. On avait nos pancartes et on scandait les slogans qu‟on avait
préparés. Quand les journalistes nous ont demandé d‟expliquer notre action, je leur ai dit
qu‟on luttait pour les pauvres travailleurs exploités qui vivent ici à Santa Clara dans des
habitations en bois sur des terrains qu‟ils ont acheté avec tout l‟argent qu‟ils avaient, et qu‟on
veut aujourd‟hui expulser de chez eux, alors qu‟ils ont travaillé pendant des années pour payer
leur terrain et que ça fait des années qu‟ils vivent ici, et qu‟on refuse de leur reconnaître des
droits à la propriété »372. La rhétorique victimaire se base sur des constats qui se veulent
alarmants. Sa construction se base sur deux archétypes propres à l‟Amérique Latine, à savoir
les « surnuméraires » et les « invisibles ». Les premiers sont définis par Robert Castel, dans un
article intitulé « La gestion des surnuméraires »373. Il y écrit ceci : « si l‟on se place maintenant
dans la problématique de l‟intégration sociale, il n‟est pas seulement question de procurer un
emploi à tous, mais aussi un statut »374. Les « invisibles », quant à eux, sont définis comme :
« les invisibles dans les sociétés latino-américaines [sont] ceux qui ne font pas partie des
sociétés civiles, simplement parce qu‟ils n‟ont pas d‟identité, de projet, d‟organisation sociale
et de forme de lutte pour affirmer, défendre, pour conquérir des droits et la reconnaissance

371
Hours (Bernard), L’idéologie humanitaire ou le spectacle de l’altérité perdue, Paris, L‟Harmattan, 1998, p
162
372
Propos tenus par Chano, le 28 mai 2007 : “qué lastima que no viniste con nosotros el miércoles a la
gobernación en San Cristóbal, te habrá gustado mucho. Estabamos nosotros, habian unos representantes del
Municipio y policias. Teniamos nuestros carteles y gritabamos los esloganes que habiamos preparado. Cuando
los periodistas nos pidieron explicar nuestra acción, les dije que luchabamos para los pobres trabajadores
explotados que viven aquí en Santa Clara en casas de madera en terrenos que compraron con todo el dinero que
tenia y que ahora, les quieren sacar su casa. Mientras que trabajaron para pagarse su terreno y hace anos que
viven aquí y no les quieren reconocer los derechos de propiedad”
373
Castel (Robert), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Folio, 1999 (rééd.), 813 p
374
Caputo (Dante) (dir.), op. cit., p 120 : “Ahora bien, si uno se ubica en la problemática de la integraciñn
social, no se trata sñlo de procurar ocupaciñn a todos, sino también un estatuto”
publique. Ceux sont ceux qui sont politiquement destitués de tout pouvoir réel »375. La
rhétorique victimaire mises en œuvre par les leaders, joue sur des visions misérabilistes de
l‟altérité, comme le montre l‟utilisation des termes de « surnuméraires » et « d‟invisibles ». La
conception morale à l‟œuvre, tend à lier pauvreté et moralité, dans une perspective judéo-
chrétienne : il faut leur offrir de meilleures conditions de vie pour résoudre leurs problèmes,
qu‟il s‟agisse de la malnutrition, de la mortalité infantile, ou de la violence. Mais les enjeux de
cette rhétorique sont lourds, puisqu‟elle infantilise les habitants des quartiers d‟habitat
précaire, par le fait-même de leurs leaders ou de leurs représentants. Concrètement, elle
engendre une régression du politique dans ces colonias : elle « réduit progressivement à la
régulation des ressources, à l‟ajustement aux contraintes économiques et non plus à la
formulation de choix »376. Par exemple, les habitants ne sont pas consultés par leur
représentants quant à l‟affiliation politique à un parti ou au rapprochement avec d‟autres
mouvements politiques. Alors que leur affiliation se concrétise par l‟obtention d‟une carte de
membre et leur obligation d‟aller voter en faveur du représentant du parti ou du mouvement
en question. Les revirements des attaches politiques des colonias paracaidistas sont pratiqués
par les leaders, sans avertir ni consulter les populations, qui peuvent parfois le vivre comme
un principe axiomatique imposé par le haut. C‟est ce que font apparaître les propos de Rosa à
Potrerillo : « quand on est arrivé ici, Irma faisait partie du PRI. C‟est normal pour nous car
c‟est le parti le plus puissant. Mais maintenant, les choses changent, sans même nous en
parler. Je sais qu‟elles ont des contacts avec le PRD. C‟est pas elle qui nous en a parlée, on
s‟en est rendu compte quand quelqu‟un du parti est venu nous voir, pour savoir comment on
vivait. C‟est après qu‟on leur a demandé pourquoi le PRD venait. Elle nous a dit qu‟ils
pouvaient nous aider, mais bon, je sais pas moi, c‟est bizarre tout ça, je suis sûre qu‟il y a des
trucs louches là-dessous »377. Ainsi, les leaders construisent un soliloque autocentré, afin de
parvenir à leurs objectifs, qu‟il s‟agisse de l‟obtention d‟aides matérielles et pécuniaires pour
la colonia qu‟ils représentent, ou de la constitution d‟un réseau de relations qui leur
permettent de justifier leur rôle de leader et d‟accroître leur influence politique. Quelles sont
les conséquences et l‟impact de ces stratégies de médiatisation sur le politique, c‟est-à-dire à
la fois l‟organisation politique mais aussi les représentations que s‟en font les habitants, à
l‟intérieur de chacune des colonias ?
Les stratégies de médiatisation ont des effets sur deux plans majeurs, à savoir sur le
plan interne, dans le politique dans chacun des quartiers, mais aussi sur le plan externe en
jouant sur les représentations des colonias paracaidistas que peuvent en avoir les hommes
politiques, par les constructions que véhiculent les média. Sur le plan externe, les stratégies
médiatiques mises en place, jouent sur les rapports qu‟entretiennent les leaders et par là les
habitants d‟une colonia, avec les autres acteurs politiques qui interagissent avec eux. En
fonction des stratégies, la nature de ces rapports change. Par exemple, les leaders de Potrerillo,
qui jouent sur des relations officieuses avec des représentants politiques et une discrétion
médiatique, entretiennent des rapports plutôt bons avec les hommes politiques, même si les
rapports ne sont pas forcément le fruit d‟amitiés interpersonnelles, mais plutôt le résultat de
375
idem, op. cit., p 126 : “Los invisibles en las sociedades latinoamericanas [son] aquellos que no forman parte
de las sociedades civiles, simplemente porque no tienen identidad, proyecto, organización social y forma de
lucha para afirmarse, defenderse, para conquistar derechos y reconocimiento público. Son los políticamente
destituidos de todo poder real”
376
Hours (Bernard), op. cit., p 163
377
Propos tenus le 27 mai 2007 : “Cuando lleguemos aquí, Irma pertenecía al PRI. Nos parecía normal porque es
el partido lo más potente. Pero ahora esta cambiando, sin ni siquiera hablarnos de eso. Yo sé que tienen contactos
con el PRD. No es ella quien nos platico, sino que nos demos cuenta cuando alguien del partido vino, para saber
como vivíamos. Sólo después le pedimos porque el PRD venía. Nos dijo que podían ayudarnos, pero no sé, me
hace raro todo eso, soy segura que hay cosas turbias por abajo del agua”
négociations entre des intérêts convergents ou complémentaires. C‟est notamment le cas des
relations qu‟entretiennent Irma et Gina avec José Luis Guttiérrez Cureðo, le Maire
d‟Ecatepec, appartenant au PRD : les deux s‟appuient sur des objectifs compilables, le Maire
visant à faire reconnaître son pouvoir politique et ses qualités de maire, tandis qu‟Irma et sa
fille tentent d‟obtenir des aides matérielles et financières. Leurs relations dans les milieux
politico-financiers leur permettent également de rencontrer les propriétaires de terrains laissés
en friche ou dans l‟attente de projets immobiliers ; ce qui leur est utile pour constituer d‟autres
foyers de peuplement paracaidistas, donc de percevoir des revenus hebdomadaires
supplémentaires, et de renforcer leur légitimité politique, liée au soutien qui leur est accordé
par les habitants des quartiers d‟habitat précaire qu‟elles gèrent. Les avantages sont mutuels
du côté des propriétaires terriens, car ceux-ci dans l‟attente d‟opérations immobilières,
perçoivent également une part des sommes récoltées par Irma et Gina. Les rapports sont de
toute autre nature entre les représentants de Cuesta et les hommes politiques des principaux
partis, qu‟il s‟agisse du PAN, élu lors des dernières élections présidentielles en 2006, du PRI
ou du PRD, à la Mairie d‟Ecatepec. En effet, Chano utilise les média pour exercer des
pressions sur les personnalités politiques, en vilipendant leurs actions. Les rapports sont donc
tendus et parfois même houleux, en particulier avec la municipalité qui a tenté à de
nombreuses reprises de les expulser du terrain. Sur le plan interne, les effets des stratégies
médiatiques influent d‟une part sur les relations entre les habitants ou les différents groupes
d‟habitants. Ainsi, les stratégies médiatiques d‟Oscar visent à s‟opposer de manière frontale
aux instances municipales, en particulier à l‟administration de Tenencia de la Tierra, même si
la municipalité a la même couleur politique que lui. Il critique de manière virulente les actions
municipales, voire même certains personnalités locales. Il mène par exemple des actions sur le
parvis de la municipalité, pour dénoncer l‟inaction des fonctionnaires face à la situation des
paracaidistas. Cette opposition frontale est source de conflits, tant entre les habitants et les
différents services municipaux, qu‟entre les habitants eux-mêmes, partagés sur les positions à
adopter. Cette stratégie permet d‟abord à Oscar de se positionner politiquement et de mettre
en scène son influence et sa légitimité, en déployant l‟étendue de son soutien politique et
électoral, en convoquant pour ses actions, des habitants des différentes colonias dont il
s‟occupe, qu‟il s‟agisse de Reguilete ou de Cerro Gordo par exemple. Il est également
possible de dégager d‟autres types de conséquence de ces stratégies médiatiques pour les
habitants. On peut avoir à travers ces stratégies, un aspect à la fois contraignant pour les
habitants, ces stratégies étant généralement fixées et orchestrées par les leaders et pas
forcément en accord avec les idées et les amitiés politiques des habitants. Mais cela est
également un facteur habilitant, dans le sens où ces stratégies d‟abord initient les habitants aux
jeux médiatiques, aux rapports de force qui en découlent ; ensuite, elles leur ouvrent de
nouveaux champs d‟action, qu‟ils sont susceptibles ensuite de développer et d‟utiliser pour
défendre ou faire valoir leurs propres intérêts. C‟est ce double aspect qui est condensé dans la
notion de « dualité du structurel »378 : « les propriétés structurelles des systèmes sociaux sont à
la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les agents qui font partie de
ces systèmes […], le structurel est toujours à la fois contraignant et habilitant ». Par exemple,
il est possible de remarquer que les habitants de Reguilete développent également des
stratégies médiatiques, en choisissant de s‟éloigner peu à peu des affiliations politiques qu‟ils
estiment être nuisibles à la défense de leurs intérêts, dans le cas présent le leadership d‟Oscar.
Ils préfèrent, pour ceux qui ont exprimé une opinion sur le sujet lors de l‟enquête, tisser des
relations d‟allégeance avec des fonctionnaires municipaux qui peuvent les aider. C‟est ce que
font Ernestina et sa sœur en maintenant des liens avec Javier et Esteban, deux fonctionnaires

378
Giddens (Anthony), op. cit., 1986
travaillant respectivement à la Mairie et à Tenencia de la Tierra. Cette stratégie qui se
rapproche de celle mise en place par les leaders de Potrerillo, est en opposition avec la
stratégie conflictuelle et de pression médiatique d‟Oscar. On peut se demander si ce n‟est pas
justement en réaction aux méthodes d‟Oscar, jugées inefficaces, que les habitants ont décidé
d‟adopter des stratégies inverses. Cette stratégie est habilitante dans le sens où elle amène les
habitants à se familiariser avec les pratiques politiques locales et fédérales, tout en leur
conférant des connaissances quant aux instances susceptibles de les aider, tant pour régulariser
les titres de propriété que pour améliorer leurs conditions de vie. Mais elle est également
contraignante dans le sens où elle les prive de soutiens politiques, faute d‟être connus par les
représentants politiques influents, en particulier des députés ou des sénateurs, qui semblent
pourtant très attirés par ce genre de relations qui leur permettent à la fois de faire valoir la
qualité et la somme de leur travail social, mais aussi pour s‟assurer une légitimité populaire.
Cette dualité qui, selon Giddens, caractérise le monde social, donne lieu, selon lui, dans le
domaine politique à la « dialectique du contrôle »379, c‟est-à-dire au renversement des rapports
de domination par les dominés. Cette dialectique reprend la dialectique hégélienne du maître
et de l‟esclave, en la transposant au niveau collectif. C‟est par exemple en mobilisant les
ressources médiatiques à leur portée que les leaders des colonias paracaidistas réussissent à
obtenir des aides et des avantages de la part d‟hommes politiques ou de partis politiques, quel
que soit le type de stratégies adoptées.
La médiatisation joue un rôle important dans le politique des quartiers d‟habitat
précaire étudiés, le politique étant alors considéré comme l‟organisation et les pratiques, les
imaginaires et les représentations politiques à l‟intérieur comme à l‟extérieur de chaque
colonia. Comme cela vient d‟être envisagé, les stratégies médiatiques employées par les
leaders de Cuesta, Potrerillo et Reguilete, comme celles des autres acteurs politiques, en
particulier les Députés, les Sénateurs et les élus locaux, sont très liées aux politiques de
financement et aux intérêts qu‟ils peuvent tirer des relations mutuelles et des échanges qu‟ils
effectuent entre eux. Quelles sont les logiques qui sous-tendent les dynamiques inhérentes aux
systèmes d‟échanges réciproques dans chacune des colonias et expliquent les stratégies
médiatiques des acteurs politiques concernés par le paracaidisme ?

3. Idéologies et logiques des différents systèmes d’échanges réciproques : de


l’urgentisme et de la catastrophe quotidienne

Les systèmes d‟échanges réciproques fonctionnent sur la base d‟échanges,


principalement économiques et matériels à l‟intérieur de la colonia, relationnels et
informationnels entre l‟extérieur et l‟intérieur de la colonia. Ces échanges sont amplifiés,
modifiés, et les partenaires des échanges diversifiés, en fonction des stratégies médiatiques
employées par les acteurs politiques qui interagissent avec les paracaidistas. Ces dynamiques
relationnelles, économiques et médiatiques des systèmes d‟échanges réciproques, révèlent la
cosmologie des habitants des colonias étudiées. Pour vérifier cette idée, il s‟agit d‟envisager
les principes ontologiques de cette cosmologie, pour faire ressortir leur cadre étiologique,
avant d‟en arriver à la visée sotériologique de cette pensée.
Tout d‟abord, les principes ontologiques qui organisent la cosmologie politique des
habitants de chacun des trois quartiers d‟habitat précaire, se basent sur la victimisation des
habitants. Cette victimisation, comme cela a déjà été envisagé, repose sur la construction

379
Giddens (Anthony), op. cit., 1987, p 304
d‟une figure de soi, exotique et archétypale. Les propos tenus par Chano et retranscris dans la
sous-partie précédente, montrent bien la victimisation des habitants. Cette mise en scène de la
figure du paracaidista, par des leaders qui ne sont pas forcément eux-mêmes dans la précarité,
joue sur des conceptions économiques et politiques, puisque les habitants seraient des
victimes des systèmes socioéconomiques et politiques. Comme le dit Chano, ils
représenteraient de « pauvres travailleurs exploités », faisant référence ici à la domination des
habitants sur le marché du travail et dans le système économique, et qui ne bénéficieraient pas
de la reconnaissance de droits juridiques. Ils seraient également des victimes sur le marché du
logement, puisqu‟ils n‟ont pas accès à la propriété. Cette domination apparaît d‟autant plus
clairement que les habitants de Cuesta ont, pour la plupart, acheté leur terrain plusieurs
milliers de pesos. Cet exemple permet d‟introduire le deuxième principe ontologique de la
cosmologie des habitants et qui repose sur le premier, à savoir le principe d‟inégalité. Ces
inégalités380 sont d‟abord matérielles, avec la précarité des conditions de vie qui touchent les
habitants. Les inégalités concernent par exemple l‟accès à l‟électroménager. Aucun des
habitants qui vivent dans les trois colonias paracaidistas ne possède de machine à laver, ni de
réfrigérateur. Les inégalités sont également économiques, les habitants ayant certes des
revenus dans la moyenne nationale, mais étant particulièrement touchés par le chômage et la
sous-activité. Les inégalités sont également sociales, les habitants des colonias paracaidistas
étant considérés comme des marginaux (voir données II. C.). Les inégalités sont également
juridiques, les habitants ayant l‟impression que certains de leurs droits soient bafoués. Par
exemple, ils se plaignent d‟être plus souvent victimes de procédures juridiques que la plupart
des gens. C‟est ce qu‟exprime Rebecca, habitante de Reguilete : « mon Mari a une plainte
déposée à son encontre, c‟est injuste. On veut seulement avoir un endroit pour vivre. Et puis il
y en a tellement qui occupent des endroits qui ne sont pas les leurs, alors pourquoi c‟est nous
qu‟ils poursuivent ? C‟est toujours nous, les pauvres, qui payons les pots cassés, parce qu‟on
a pas les moyens de nous défendre »381. Ils estiment également être victimes d‟inégalités
politiques, en ne se sentant pas représentés politiquement et en estimant que leurs requêtes ne
sont pas relayées et n‟aboutissent pas. Par exemple, une certaine part des habitants ne se sent
pas représentée par les hommes politiques.

SENTIMENT DE REPRESENTATION POLITIQUE

12
Représentation locale
10
Non-représentation
8
locale
6 Représentation nationale
4
Non-représentation
2 nationale
0 NSP
Cuesta Potrerillo Reguilete

Tableau 26 : Sentiment de représentation politique par colonia

380
Les données exactes concernant les inégalités sont présentées dans différents tableaux qui figurent notamment
dans les parties I. et II. de cette étude
381
Propos récoltés par nos soins le 15 avril 2007 : “mi marido tiene una orden levantada, es injusto. Sólo
queremos tener un lugar para vivir. Y hay muchos que ocupan lugares que no son los suyos, entonces porque nos
culpan y nos persiguen a nosotros? Somos siempre nosotros, los pobres, quien pagamos los platos rotos porque
no podemos defendernos”
Ainsi, le tableau précédent montre un déficit du sentiment de représentation politique au
niveau national, en particulier à Reguilete. Par ordre décroissant, la représentation nationale
est déficitaire à Reguilete, à Cuesta et à Potrerillo. Cependant, la représentation locale est
vivace, en particulier à Cuesta et à Reguilete. Les habitants de Potrerillo affichent, quant à
eux, un sentiment de représentation locale inférieur à celui des autres colonias. Ce tableau
montre cependant une forte propension de personnes qui n‟ont pas voulu ou n‟ont pas su
répondre à la question posée. Le troisième principe ontologique de la cosmologie des
habitants est le nécessaire interventionnisme étatique contre le libéralisme. En effet, ce
principe découle des deux autres : face au constat des inégalités et de la victimisation qui
toucheraient les habitants des quartiers d‟habitat précaire, l‟interventionnisme de l‟État est un
principe constitutif de cette cosmologie. Cela transparaît par exemple dans les revendications
des habitants de Cuesta, durant leurs manifestations, qui réclament une intervention de la
municipalité afin de leur octroyer les titres de propriété des terrains qu‟ils occupent, car ils
s‟estiment victimes d‟une fraude qui leur porte préjudice et les empêche désormais d‟accéder
à la propriété, ayant investi toutes leurs économies dans l‟achat du terrain qu‟ils occupent. Ces
principes ontologiques de la cosmologie des habitants des colonias paracaidistas s‟inscrivent
dans un cadre étiologique. Quel est ce cadre étiologique ?
La cosmologie des habitants des quartiers d‟habitat précaire s‟inscrit dans l‟étiologie
de l‟aide mutuelle. Cette étiologie est plus qu‟un axiome puisqu‟elle contient une dimension
pratique. Cette dimension pratique se vit quotidiennement dans les colonias paracaidistas à
travers les réseaux d‟échanges réciproques. Ceux-ci sont en effet basés sur l‟échange de biens
et de services réguliers entre voisins, comme cela est analysé tout au long de cette étude. Mais
ce cadre étiologique n‟est pas seulement valable pour les quartiers d‟habitat précaire, il
constitue également une grille de lecture des rapports sociaux. Ainsi, cela explique le fait que
les leaders et les représentants des colonias paracaidistas revendiquent une intervention
étatique. Cette idéologie de l‟aide mutuelle s‟ancre dans deux logiques qui se trouvent en
amont, à savoir l‟urgentisme et les catastrophes quotidiennes. Ces logiques l‟urgence382 et des
catastrophes quotidiennes est un facteur d‟explication de cette étiologie d‟aide mutuelle. Les
habitants perçoivent en effet leur vie quotidienne sur le mode des micro-drames réguliers et à
répétition. Il s‟agit alors pour eux de s‟habiter à une logique de l‟incident. Mais cela suscite de
nombreuses questions : comment s‟habituer à l‟inhabituel et à l‟imprévisible ? Peut-on
s‟accoutumer de jure comme de facto au fait que puisse surgir à tout moment une
catastrophe ? Et comment gérer leur accumulation ? Ces micro-drames quotidiens sont par
exemple l‟effondrement d‟un piquet de bois, à Reguilete, où était accroché un câble électrique
qui alimentait toute une partie des manzanas deux et trois. L‟effondrement des toits des
habitations ou encore les fuites à l‟intérieur des habitations durant la saison des pluies,
constituent des catastrophes qui peuvent se répéter tous les jours si les averses journalières
sont violentes. De même, de nombreux habitants dans toutes les colonias se sont plaints de la
mauvaise qualité du courant électrique qui endommage régulièrement leurs équipements
électroménagers, composés d‟au moins une radio pour les plus humbles, mais la plupart du
temps d‟une télévision et d‟un blender (liquadora). Ce cadre étiologique se base sur des
perceptions et des visions de l‟autre et de l‟altérité. Ces visions de l‟altérité opposent des
victimes, les paracaidistas, aux hommes politiques, en particulier nationaux, dont le pouvoir
est perçu comme flou et suspect. Les leaders politiques locaux sont les médiateurs de ces
visions de l‟autre, que certains d‟entre eux médiatisent. Par exemple, Oscar, leader
autoproclamé de Reguilete et membre du PRD, critique régulièrement la politique menée par

382
Hours (Bernard), op. cit.,1998
Andrés Manuel Lñpez Obrador, lorsqu‟il était Maire de Mexico : « oui, il a commis des
erreurs lors de l‟élection présidentielle »383. Cette critique de l‟ancien Secrétaire du parti
auquel il appartient, permet à Oscar de s‟exclure de la figure de l‟homme politique dont
l‟influence et le pouvoir sont diabolisés. En même temps, cela permet à Oscar de prendre de la
distance face à ce que les habitants paracaidistas, qui constituent le soutien politique et
électoral principal d‟Oscar, pourraient considérer comme des égarements ou des erreurs
politiques. La figure construite est celle de « l‟Autre proche »384, c‟est-à-dire la recherche de
l‟identité et de l‟altérité. Ce premier point vise à densifier la notion d‟altérité et la figure de
l‟Autre présentée précédemment. En effet, la difficulté de l‟approche de l‟altérité est de la
saisir dans toute sa différence et sa ressemblance, sans en diminuer ni exacerber les
caractéristiques, en fonctions d‟intérêts ou d‟effets perlocutoires. Ces déformations sont
exactement ce sur quoi jouent les leaders des colonias paracaidistas, en exacerbant ou en
déformant certains traits caractéristiques. Le rapport à l‟autre se place dans une dialectique
complexe qui, d‟une part, établit que l‟identité nécessite l‟altérité pour se saisir et vice-versa ;
d‟autre part, l‟Autre le plus lointain ne susciterait pas d‟intérêt si on n‟y décelait pas certains
traits communs tandis que le « même » a des traits de l‟autre et constitue une altérité pour
l‟identité. Alors, la dialectique peut être dépassée par le fait que l‟altérité cohabite dans
l‟altérité, tel le « Je est un autre » rimbaldien, et que l‟inverse est tout aussi vrai, comme
l‟illustre le propos flaubertien : « Madame Bovary, c‟est moi ». Mais ces processus idéels
sont, dans la pratique, sujets de multiples biais, et se transforment en des recherches
d‟exotisme et des projections de schèmes sociaux et culturels. La quête d‟exotisme constitue
la recherche de ce qui appartient ou provient de l‟étranger, ou bien des caractéristiques qui
diffèrent de l‟habituel. L‟exotique présente « un caractère sexuel (image de la nudité), moral
(le pauvre lointain à secourir, le mythe du bon sauvage) ou esthétique (printemps éternel des
îles fortunées, pureté de la sculpture nègre, [etc.] »385. Il joue donc sur la fascination exercée
par l‟autre. Mais cette fascination exercée par la distance perçue envers l‟autre contribue à le
marginaliser et à renforcer la relation d‟altérité386. Ce renforcement de l‟altérité peur mener à
l‟ethnocentrisme lorsque les normes de son groupe culturel d‟appartenance servent à juger
autrui. Cela conduit notamment au rejet de la différence ou à sa minimisation, voire à la
dévalorisation ou à l‟hostilité envers des groupes ou des individus dont les normes diffèrent.
Le problème transparaît dans toute sa dimension dans les propos des leaders, en fonction de
leur usage des pronoms personnels. Ainsi, ils emploient parfois la première personne du
pluriel pour évoquer les habitants paracaidistas, en s‟incluant alors parmi eux. D‟autres fois,
ils établissent une distance par l‟emploi de la troisième personne du pluriel. L‟emploi des
pronoms varie également en fonction des leaders. Chano, par exemple, s‟inclut
systématiquement dans les situations qu‟il relate des habitants de Cuesta. Tandis qu‟Oscar, au
contraire, ne s‟inclut jamais parmi les habitants. Durant ses réunions par exemple, Oscar ne
s‟inclut pas dans les situations des paracaidistas, mais au contraire il se place dans une
position supérieure. Lors des discussions avec le leader, celui-ci a toujours marqué une grande
distance entre sa situation privilégiée, par rapport à celle des habitants des quartiers d‟habitat
précaire. Ce cadre étiologique d‟aide mutuelle constitue également un moyen, pour les
hommes politiques et les leaders, d‟évacuer la culpabilité sociale de ceux qui dominent les

383
Propos tenus par Oscar et recueillis par nos soins le 22 avril 2007: « si, hizo errores durante las elecciones
presidenciales »
384
Augé (Marc), Le sens des autres. Actualité de l’anthropologie, op. cit., p 65
385
Canet (Raphaël), «Exotisme», dans Ferréol (Gilles), op. cit., p 133, sub verbo « Exotisme »
386
Baril (Gérald), «Repenser l‟altérité», Altérités. Revue des doctorants en anthropologie du Québec,
Québec,Presses Universitaires de Québec, 1996, vol.1, n°1
inégalités sociales. Il s‟agirait de dépenser « la part maudite »387 à travers l‟aide dispensée par
les hommes politiques et les leaders politiques locaux, aux habitants des colonias
paracaidistas. Cela serait un moyen pour eux de se donner bonne conscience et d‟évacuer la
culpabilité de vivre dans l‟opulence, alors qu‟ils côtoient des personnes qui vivent dans des
conditions de vie précaire. Ce cadre étiologique donne lieu à une définition du pouvoir comme
un processus interpersonnel. Ainsi, le pouvoir constituerait un potentiel actualisable à travers
la relation aux autres et par le regard des autres388. Ainsi, selon Talcott Parsons, « le pouvoir
est la capacité d‟obtenir que les unités appartenant à un système d‟organisation collective
s‟acquittent de leurs obligations lorsque celles-ci sont légitimées par leur apport aux buts
collectifs et lorsque, en cas de refus, il y a possibilité de recourir à des sanctions négatives à
l‟égard des récalcitrants ». Cette définition du pouvoir, inhérente à la cosmologie des habitants
des colonias paracaidistas, explique les rapports entre les habitants, pris comme des entités
collectives, et les différentes instances politiques qui interagissent avec les différentes
collectivités d‟habitat précaire.
Enfin, après avoir envisagé les principes ontologiques, puis le cadre étiologique de la
cosmologie des habitants des colonias paracaidistas, il s‟agit maintenant de considérer la
visée sotériologique de cette cosmologie. La visée sotériologique de cette cosmologie est la
reconnaissance d‟un rôle sociopolitique à part entière. Cette visée sotériologique découle des
principes ontologiques mis en relief, à savoir une rhétorique victimaire et des inégalités
polymorphes, qui amènent à un cadre étiologique fondé sur une idéologie d‟aide mutuelle.
Cette sotériologie vise en premier lieu l‟accès à la propriété. En effet, la première visée de
cette pensée décrite précédemment, est de rétablir au moins une inégalité majeure mise en
évidence, à savoir l‟inégal accès au logement. C‟est l‟inégalité majeure qui affecte les
paracaidistas qui explique le cadre étiologique annoncé, de recherche de pouvoir et
d‟influence politiques, en assurant la source d‟insécurité majeure des habitants : l‟accès à la
propriété des parcelles de terrain qu‟ils occupent. Cette visée sotériologique dérive de
dynamiques idéologiques qui se trouvent en-deça du cadre étiologique analysé dans le
paragraphe précédent. Quels sont ces soubassements idéologiques ? Le concept d‟idéologie
est ici considéré dans une perspective large : « Certaines croyances, valables au sein d‟un
environnement donné, peuvent être tenues pour vraies même si, la plupart du temps, elles ne
sont pas démontrables. Lorsqu‟elles prennent un caractère normatif, elles donnent naissance à
des valeurs. Dès l‟instant où celles-ci s‟ouvrent au sacré et à la transcendance, on se réfère à la
religion. En revanche, si « visions du monde » s‟inscrivent dans un cadre profane et ont trait à
l‟organisation ou au devenir des sociétés, on a affaire à une idéologie »389. Cette définition,
au-delà de la distinction avec ses corrélats, permet d‟envisager une définition de l‟idéologie
qui souligne les écarts de logiques au sein même d‟une idéologie et le caractère axiomatique
de leurs principes. Pour cette étude, l‟intérêt est d‟analyser les écarts entre les revendications
idéologiques proclamées et leurs logiques de facto, en gardant comme toile de fond le rapport
à l‟altérité qui s‟inscrit dans la logique d‟aide mutuelle. Plusieurs outils conceptuels leur
permettent de développer et de justifier leur projet sotériologique. Le premier est l‟idéologie
d‟aide mutuelle : pour pouvoir aider les autres, il faut avoir soi-même de l‟influence. Il s‟agit
d‟une idéologie car il ne s‟agit pas seulement d‟une théorie liées à des pratiques, mais c‟est
une vision du monde, qui demande un acte de foi, et qui a trait à l‟organisation et au devenir
des sociétés, transcendant ainsi l‟échelle locale. Pour justifier cette aide mutuelle, il faut
construire la figure d‟une victime sans défense : au nom de droits reconnus comme universels

387
Bataille (Georges), La part maudite, Paris, Editions de Minuit, 231 p
388
Abélès (Marc), op. cit., 2005, p 146
389
Ferréol (Gilles), op. cit., p 160, sub verbo « Idéologie »
et comme une valeur moralement bonne, il faut protéger les victimes. Ainsi, « Dans ce va-et-
vient entre des ersatz de réalité et des scénarios si bien réglés qu‟ils deviennent des fictions,
l‟homme blessé ou affamé, cet autre que moi, s‟est évaporé pour devenir une créature
idéologique, la victime, comme naguère les ouvriers devaient devenir des prolétaires dans
d‟autres scénarios idéologiques »390. Cette citation montre comment le discours victimaire
accolé aux habitants des quartiers d‟habitat précaire, représentés dans des visions tronquées de
l‟altérité, les réifiant et les instrumentalisant, par le biais de formules médiatiques
conventionnelles. La médiatisation, déjà envisagée, constitue un intermédiaire privilégié de
cette rhétorique idéologique. Les paracaidistas jouent donc un rôle particulier dans cette
articulation entre réseaux sociaux et politique, car ils identifient et créent des écarts, entre les
différentes figures qu‟ils contribuent à construire, par la sollicitation de leurs réseaux, qui
apparaissent comme des ressources, comme cela est analysé précédemment dans une autre
perspective. Alors, l‟importance des réseaux multiterritorialisés, amène à considérer les
analyses configurationnelles, c‟est-à-dire l‟étude des lieux d‟émergence du social, lieu à la
fois territorialisé et symbolique, de l‟entremêlement des activités politiques, des mondes
sociaux et des territoires, à travers des configurations, c‟est-à-dire les types de relations à
l‟intérieur des réseaux. Les dimensions spatiales et symboliques sont particulièrement
importantes ici, car en partant du territorial, on peut analyser les intrications politiques et
sociales : « l‟ensemble des représentations collectives d‟une étendue spatiale, réelle ou
imaginaire, qui se fondent sur une topographie physique, spécifiée par des éléments
institutionnels »391. La multiterritorialité contient des projections des acteurs, qui spécifient
leurs appartenances sociales et politiques, en s‟y référant dans leurs activités professionnelles
ou personnelles. Mais ces projections permettent d‟observer parfois un décalage entre les
différents territoires, leurs frontières territoriales administratives (limites des lieux de vente,
non-renouvellement d‟une concession, interdiction de s‟installer) et la multiterritorialité vécue
des acteurs.
L‟impact politique des systèmes d‟échanges réciproques, est à l‟image de ces
systèmes, c‟est-à-dire complexes et protéiformes. Complexes, car les chaînons de causalité et
la multiplicité des conséquences ne sont pas toujours facilement identifiés. Les conséquences
sur le politique sont protéiformes, car elles peuvent être à la fois liées à l‟économique en
affectant par exemple les ressources économiques de la colonia ou sociales en jouant sur la
taille et la densité des réseaux sociaux.

390
Hours (Bernard), op. cit., p 165
391
Zalio (Pierre-Paul), ibidem
CONCLUSION

Pour répondre aux questions posées en introduction, il semble que les réseaux sociaux
soient un moyen de pallier les carences juridiques et économiques, dues à l‟inadéquation du
droit et des structures économiques et financières aux besoins des populations vivant dans la
précarité, condamnant une partie de ces dernières à travailler et à vivre dans l‟informalité
voire l‟illégalité. Ces réseaux ont été envisagés à travers trois prismes principaux. Le premier,
relatif à leurs mécanismes, consistait à explorer l‟encastrement des réseaux sociaux dans le
politique de Cuesta, Reguilete et Potrerillo. La récolte de données relatives à l‟encastrement
du politique dans les réseaux sociaux des habitants des trois colonias paracaidistas, a mis en
lumière un paradoxe relatif à la participation politique des habitants de ces quartiers : jugés
marginaux par la majeure partie de la population, à cause de leur situation socio-économique,
il n‟en demeure pas moins que les habitants sont plus mobilisés politiquement que la moyenne
nationale. Pour comprendre ce paradoxe, il faut avancer dans l‟analyse de l‟organisation
politique de chaque colonia. L‟objet du deuxième mouvement de cette étude, porte sur une
notion qui permet de comprendre un autre aspect des relations entre réseaux sociaux et
politique dans ces quartiers : celle de communauté. Le deuxième prisme consistait en
l‟analyse de la notion de communauté comme contexte structurant le politique. Ainsi,
l‟existence d‟une communauté d‟habitants, au-delà d‟une de fait collectivité, ou son absence,
ainsi que la reconnaissance d‟un sentiment d‟appartenance à cette communauté, joue sur les
idiosyncrasies du politique à Cuesta, Potrerillo et Reguilete. Cette approche par le concept de
communauté, a permis de répondre à une des questions posées concernant l‟altérité perçue et
construite par les habitants et leurs leaders, concernant les acteurs sociaux et politiques, qui
interagissent avec eux. En outre, il est apparu que l‟existence ou non d‟une communauté et
d‟un sentiment communautaire, influent sur la nature et les formes des imaginaires politiques
propres à chaque colonia. Le troisième mouvement de cette étude, tend à envisager deux
mécanismes fondamentaux qui se trouvent à la base de l‟articulation entre réseaux sociaux et
politique, et qui donnent également corps à la communauté ou au type de collectivité existante
et reconnue par les habitants. Ces deux mécanismes sont la confiance et la réciprocité. Ils se
trouvent au cœur des dynamiques précédentes, car la confiance articule à la fois les échanges,
étant une condition nécessaire à toute transaction, et le politique, pris alors comme un échange
entre des habitants offrant leur soutien électoral et un leader politique qui leur assure son aide
pour la régularisation des titres de propriété et pour la sécurité.
Cette étude a permis de vérifier trois hypothèses majeures. La première concerne les
pratiques clientélistes mises en évidence dans les trois colonias paracaidistas étudiées.
L‟idée-force soutenue ici est que ces pratiques sont héritées d‟une forme politique
traditionnelle au Mexique, à savoir le caciquisme c‟est-à-dire la domination d‟un cacique local
sur un territoire, où il assure la sécurité des populations qui y vivent, en échange de leur
allégeance. Les pratiques clientélistes observées, concernent particulièrement les leaders
politiques de chacune des colonias, car ceux-ci assurent la sécurité et leur soutien aux
habitants en échange de leur appui électoral. La deuxième hypothèse envisagée concerne un
trait politique nouveau, à savoir l‟esprit entrepreneurial des habitants des quartiers d‟habitat
précaire. Cet esprit constituerait une adaptation aux structures économiques et politiques
actuelles, en prenant des risques pour assurer sa survie voire faire de menues économies, par
le biais de la tanda –système d‟épargne coopératif traditionnel dont les mécanismes se sont
adaptés aux changements sociaux- par exemple, tout en constituant un filet de sécurité grâce à
son réseau personnel de relations. Les réseaux sociaux seraient alors une ressource sociale
visant à compenser l‟insécurité économique et juridique, à travers l‟organisation d‟un système
de sécurité coopératif et informel (Lomnitz, 1985)392. La dernière hypothèse soutenue ici est
que les imaginaires politiques sont en cours de transformation, sous le poids grandissant des
moyens de communication globalisés. Ainsi, les « ambiances » (Réginensi, 1996)
traditionnellement rattachées aux leaders locaux, seraient de plus en plus influencées par
l‟opinion publique internationale, comme le soulignent les stratégies grandissantes de
médiatisation des leaders.
Au-delà de l‟intérêt intellectuel de la rédaction de ce mémoire, cette étude a été
l‟occasion de mettre en pratique des outils méthodologiques comme la photographie ou la
vidéo par exemple. Cela m‟a confrontée à de véritables difficultés d‟appréhension d‟un terrain
ethnographique, avec le rejet et la méfiance des enquêtés à mon égard, compte tenu de
l‟informalité voire de l‟illégalité de leurs activités et de leurs modes de vie. Il me semble que
ces obstacles à mon intégration m‟ont beaucoup appris, en particulier pour me faire accepter
au sein des colonias. Les conditions de vie précaire durant ces trois mois, que je n‟ai pourtant
pas passé entièrement à Cuesta, à Potrerillo et à Reguilete, ayant de la famille à Mexico où je
pouvais loger, m‟ont permis de pénétrer la rigueur du quotidien. C‟est peut-être cette rigueur
qui a renforcé les relations nouées avec certains habitants. Je me suis retrouvée plusieurs fois
à dormir dans l‟une ou l‟autre des familles où je menais des entretiens, parce qu‟il était déjà
trop tard pour rentrer chez moi. Alors, des discussions à bâtons rompus ont pris place, autour
d‟un thé ou d‟une tisane. Des moments gais, comme les noces d‟argent des parents
d‟Ernestina, mais aussi des moments tristes, lorsque, par exemple, Asunciñn m‟a raconté sa
vie. Cet exercice a permis d‟approfondir certains thèmes propres au politique dans des
quartiers d‟habitats précaires de Mexico, déjà envisagés durant mon cursus universitaire,
comme cela a ouvert de nouveaux champs d‟analyse du politique dans ces quartiers. Ce fut
l‟occasion de poser certaines questions et d‟en chercher les réponses. Au lieu de rassasier ma
curiosité concernant le politique dans les quartiers d‟habitat précaires de Mexico, ce mémoire
l‟a attisée, et m‟a donné de nouvelles idées pour mon projet de doctorat.

392
Voir détails de la thèse de L. Adler de Lomnitz dans le chapitre I de notre étude
ANNEXES

I- Typologie

II- Cartes d‟Ecatepec de Morelos

III- Plans et registres de cadastre

IV- Schémas des colonias

V- Modes de récolte des données et d‟observation

V- Questionnaires des entretiens

VI- Montage Vidéo


ANNEXE I

TYPOLOGIE
I- Schémas urbains et habitat

Ce premier axe de la typologie tend à montrer d‟abord les ramifications du schéma urbain dans chaque
colonia, mais aussi de présenter les différentes formes de l‟habitat. Cette visualisation met en lumière des
spécificités organisationnelles et des styles ou des formes de construction qui sont propres à chacune.

A- La colonia Cuesta

Entrée de la colonia Cuesta : la maison des leaders Entrée de la colonia, photographiée depuis le
est visible au fond à gauche, avec des panneaux et terrain de football :
des dessins en faveur du EZLN. Derrière les enfants Une des épiceries de la colonia donne sur la rue (en
apparaissent des bidons pour stocker l‟eau potable. bas à gauche) et on aperçoit l‟habitation en
Une habitation est visible. moellons des leaders, avec des pancartes en faveur
du EZLN.
L‟épicerie fait l‟angle avec l‟avenue Industrias (à
gauche) et la rue montante à droite laisse entrevoir
les habitation récemment construites ou en
construction

Le terrain communal de football face à l‟entrée Dépôt d‟ordure spontanée derrière la colonia, au
principale de la colonia bord de l‟avenue Industrias
Habitations à Cuesta (vues depuis l‟avenue) : les Extrémité nord de la colonia (fond de la colonia,
deux étages de construction sont visibles, les plus l‟entrée étant du côté du terrain de foot municipal,
récentes construites ou en construction sont donnant donc sur le centre-ville de Santa Clara) :
construites en hauteur, visibles en arrière-plan avenue Industrias séparant à gauche Cuesta et à
droite Reguilete

Habitations à Cuesta vues de l‟avenue Industrias

Un passage entre plusieurs habitations

Rue principale traversant toute la colonia (église en haut à droite)

Place principale Place principale Parvis du temple pentecôtiste, sur la place


Un pesero (petit autobus privé)

Épicerie

B- La colonia Potrerillo

Site et situation : vue sur l‟avenue et l‟échangeur Vue sur le mur d‟enceinte de la colonia et
autoroutier l‟autoroute (au fond)

Famille indienne qui vend des meubles devant la colonia

Établi d‟un mécanicien, face à l‟entrée de la colonia


(en haut) et portail d‟entrée (à droite)

Portail d‟entrée
Maisons en tabique Autel de dévotion à la Guadalupe

Habitations clôturés par des palissades Taxis et combis (microbus) : une des activités-clé
des colonias paracaidistas

Grues appartenant à l‟association civile de la colonia

C- La colonia Reguilete

Av. Industrias devant la colonia Reguilete (en haut)


et portail d‟entrée (à droite)
Entreprise de tri des cartons et papiers à ciel ouvert, au nord de la colonia

Vue sur la Manzana 3, depuis la place centrale Place centrale et Manzana 2 (au fond à droite)

Une maison de Reguilete, avec un débarras Habitation, vue de l‟extérieur

Clôtures de terrains
Jardin emménagé dans la colonia Dernière habitation de la colonia, avant le terrain de
la famille Soria Ramirez
(on remarque le tanque, cube plastique d‟un mètre
sur un mètre cinquante, en blanc sur la photo, qui
sert à accumuler l‟eau potable)

Manzana 1, habitation typique Habitation entourée de grillage (pour les chiens)

Habitation de Monica (au centre), vue de l‟extérieur

Manzana 1
Manzana 2, habitations
abandonnées ou transformées
en débarras Manzana 3, de la place centrale au terrain de la
famille Soria Ramirez

Pasteur de l‟église pentecôtiste, faisant des travaux devant le temple


pentecôtiste (à gauche) et enfants jouant devant le temple (en bas)

Une épicerie de la colonia

La série de photographies suivante a été reproduite à partir des photographies de la famille Soria
Ramirez. Elle montre le terrain avant l‟installation des paracaidistas, et ce, à différentes époques. On remarque
par exemple sur les premières que les filles de Maria de la Luz étaient petites et qu‟elles sont plus grandes dans
les suivantes.
II- Quelques habitants de chaque colonia

Il était prévu de placer ici des photographies des leaders de chaque colonia et de leurs adjoints.
Cependant, ceux-ci ont, dans leur grande majorité, refusé de paraître dans cette étude, compte tenu des problèmes
auxquels ils sont confrontés. Alors, j‟ai choisi de présenter certains habitants évoqués dans cette étude et qui ont
accepté d‟y paraître.

A- La colonia Cuesta

Asunción et son petit-fils, dans son salon


Une petite fille (9 ans) devant une décharge Petite-fille (7 ans) dans l‟épicerie
spontanée

Petit garçon courant dans l‟allée principale

B- La colonia Potrerillo

Yatzin, avec son fils Chelito, adjointe des leaders, se rendant chez
Cecilia

Une mère de famille en pleine vente de meubles


C- La colonia Reguilete

Ernestina, faisant sa vaisselle avec une voisine terrain qui jouxte son habitation
Andrea, sœur d‟Ernestina, avec son fils, sur le

Habitation de David et Martha, héritée des parents


de celui-ci, et ils leur rendent visitent tous les Une fille de la famille Soria Ramirez avec ses filles
dimanches de l‟intérieur

Monica, dans l‟entrée de son habitation (à gauche) et à l‟intérieur (à droite)


Des enfants réunis autour du nouveau jouet de l‟une
des leurs Helena et sa cousine, famille Soria Ramirez

III- Organisations et acteurs en lien avec le paracaidisme

Mairie d‟Ecatepec
Propagande en faveur des démarches de
régularisation immobilière

Chambre des Députés, cour intérieure (à gauche) et bâtiment, avec entrée principale (à droite)
Tenencia de la Tierra, dans le centre-ville d‟Ecatepec Cour de Justice, District fédéral
ANNEXE II

CARTES D’ECATEPEC DE MORELOS

195
196
197
198
ANNEXE III

PLANS ET REGISTRES DE CADASTRE

I- SITUATION DES COLONIAS CUESTA ET REGUILETE


II- SITUATION DE LA COLONIA POTRERILLO

199
ANNEXE IV

SCHEMAS DES COLONIAS

I- COLONIA REGUILETE
II- COLONIA CUESTA
III- COLONIA POTRERILLO

200
ANNEXE V

ENTRETIENS

Voir questionnaires et entretiens filmés dans le CD-Rom ci-joint

201
ANNEXE VI

MONTAGE VIDEO

Voir CD-Rom ci-joint en quatrième de couverture

202
BIBLIOGRAPHIE INDICATIVE
Norme Iso 690

Ouvrages transversaux

Abélès (Marc), Politique de la survie, Paris, Flammarion, 2006, 241 p


Abélès (Marc), Anthropologie de l’Etat, Paris, Bibliothèque Payot, 2005 (rééd.), 253 p
Adler de Lomnitz (Larissa), Como sobreviven los marginados, México, UNAM, 1985, 225 p
Agier (Michel), L’invention de la ville. Banlieues, townships, invasions et favelas, Paris,
Archives contemporaines, 1999, 176 p
Alonso (Jorge), Los movimientos sociales en el Valle de México, México, CIESAS, 1986, 415
p, vol. 1
Alonso (Jorge), Los movimientos sociales en el Valle de México, México, CIESAS, 1986, 552
p, vol. 2
Cornelius (Wayne), Los inmigrantes pobres en la ciudad de México y la política, México,
1980 (1975 en anglais), 351p
De Soto (Hernando), El misterio del capital. Por qué el capitalismo triunfa en occidente y
fracasa en el resto del mundo, 2000
Durand (Gilbert), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992, 536 p
Godelier (Maurice), L’idéel et le matériel, Paris, Fayard, 1984, 348 p
Lévy (Jacques), Lussault (Michel), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés,
Paris, Belin, 2003, 1034 p
Morisset (Lucie K.), Noppen (Luc), Identités urbaines, Québec, Nota Bene, 2003, 400 p
Roubaud (François), L’économie informelle au Mexique : de la sphère domestique à la
dynamique macro-économique, Paris, Repères, 1994, 456 p
Vidal (Dominique), « Vulnérabilité et rapport à l‟espace. Être pauvre et citadin à Recife »,
Cahiers des Amériques Latines, Paris, IHEAL, 2000, n°35, p 91-108

Analyses en termes de réseaux

Abélès (Marc), Les nouveaux riches. Un ethnologue dans la Silicon Valley, Paris, Odile
Jacob, 2002, 278 p
Forse (Michel), « Les réseaux sociaux chez Simmel : les fondements d‟un modèle
individualiste et structural », Deroche-Gurcel (Lilyane), Watier (Patrick), La sociologie de
Georg Simmel (1908). Éléments actuels de modélisation sociale, Paris, PUF, 2002, 281 p
Granovetter (Mark), « The strength of weak ties », American Journal of Sociology, 1973, vol
78, issue 6, p 1360-1380
Gribaudi (Maurizio) et alii, Espaces, Temporalités, Stratifications. Exercices sur les réseaux
sociaux, Paris, Éditions de l‟École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1998, 346 p
Grossetti (Michel), « Communication électronique et réseaux sociaux », Flux, n°29, Juillet
1998, p 5-13
Grossetti (Michel), « La mobilisation des relations sociales dans les processus de création
d‟entreprises. Aperçus à partir d‟une enquête en cours », Sociologie pratique, avril 2006
(exemplaire remis par l‟auteur avant sa parution)
Hannerz (Ulf), « À quoi servent les réseaux sociaux ? », Explorer la ville : Éléments
d’anthropologie urbaine, Paris, Éditions de Minuit, 1983, 432 p, chapitre 5
Hannerz (Ulf), Exploración de la ciudad, México, FCE, 1993 (réed.), 386 p

203
Mercklé (Pierre), Sociologie des réseaux sociaux, Paris, La Découverte, 2004, 121 p
Polanyi (Karl), La grande transformation, Paris, Gallimard, 1983, 419 p
Réginensi (Caterine), « Commerce et mobilités urbaines à l‟ère de la métropolisation »,
Mexico, CEMCA, UAM-I, UIA, 11-13 juillet 2005, 30 p
Tarrius (Alain), « Intérêt et faisabilité de l‟approche des territoires des circulations
transnationales », Colloque « Circulations internationales », Toulouse, 17 et 18 mars 2005393
Tarrius (Alain), Les nouveaux cosmopolitismes. Mobilités, identités, territoires, Paris, éditions
de l‟Aube, 2000, 265 p

Bidonvilles et quartiers d’habitat précaire

 Encyclopédies

Academia Mexicana, Índice de Mexicanismos, Mexico, FCE, 2000, 696 p


Moreno de Alba (José G.), Diferencias léxicas entre España y América, Madrid, MAPFRE,
1992, 291 p
Palomar de Miguel (Juan), Diccionario de México, México, 1991, Panorama Editorial, 4 v.
XII, 1852 p

 Ouvrages et articles

Adler de Lomnitz (Larissa), « Supervivencia en una barriada de la ciudad de México »,


Demografía y Economía, México, Colmex, 1973, vol. VII, n°1 (19), p 58-85
López Moreno (Eduardo), Ibarra Ibarra (Xóchitl), «Diferentes formas de habitar el espacio
urbano», CIUDADES 31, México, RNIU, julio-sept. 1996, p 29-35
Missaoui (Lamia), Les étrangers de l’intérieur. Filières, trafics et xénophobie, 2003, Paris,
Payot, 274 p
Montano (Jorge), Los pobres de la ciudad en los asentamientos espontáneos, poder y política,
Mexico, Siglo XXI, 1985, 224 p
Pétonnet (Colette), Espaces habités. Ethnologie des banlieues, Paris, Galilée, 1982, 277p
Tarrius (Alain), Les fourmis d’Europe. Migrants riches, migrants pauvres et nouvelles villes
internationales, 1992, Paris, L‟Harmattan, 207 p
Wacquant (Loïc), Parias urbains. Ghetto, banlieues, État, Paris, La Découverte , 2006, 336 p

Mexico

 Encyclopédies et dictionnaires

Cosío Villegas (Daniel) (coord.), Historia General de México, México, Colmex, 1987, 764 p,
vol. 1
Cosío Villegas (Daniel) (coord.), Historia Moderna de México, México, Hermes, 1973-1984,
164 p
Flores Rangel (Juan José), Historia de México, México, Thomson, 2005, 744 p

393
Remis par son auteur avant la parution dans le compte-rendu du colloque

204
López Gallo (Manuel), Economía y política en la historia de México, México DF., Grijalbo,
1967, 609 p
Pérez Montfort (Ricardo), Estampas de Nacionalismo Popular Mexicano, México, CIESAS,
2003 (1ere éd. 1994), 237 p
Rogelio Alvarez (Jose), Enciclopedia de México, México, Instituto de la Enciclopedia de
México, 1977, 12 vol.
Tena Ramírez (Felipe), Leyes fundamentales de México 1808-1999, México, Editorial Porrúa,
1999, 1175 p

 Ouvrages

Bataillon (Claude), Panabiere (Louis), Mexico aujourd’hui : la plus grande ville du monde,
Paris, Publisud, 1988, 245 p
Monnet (Jérôme), La ville et son double. La parabole de Mexico, Paris, Nathan, 1993, 224 p
Montano (Jorge) (coord.), Formas del estado moderno, Mexico, UAM, 1973, 324 p

Politique (citoyenneté, communauté, caciquisme)

Banfield (Edward), The Moral Basis of a Backward Society, Glencoe, Free Press, 1967
(rééd.), 192 p
CNRS, Genèses, mars 2006, n°62. Voir en particulier les articles de Stéphane Michonneau et
de Juan Pro Ruiz
Collomb (Gérard), « De la revendication à l‟entrée en politique (1984-2004) », Ethnies. Droits
de l’homme et peuples autochtones, Paris, Survival International, 2005, n°31-32
Collomb (Gérard), « La construction de la nation en Guyane française », dans « Anthropologie
Politique », Séminaire EHESS, années 2006-2007
Crozier (Michel), Friedberg (Erhard), L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1992, 500 p
Padioleau (Jean-Gustave), L’Etat au concret, Paris, PUF, 1982, 222p
Reginensi (Catherine), Vouloir la ville. Du business à la citoyenneté en Guyane française,
Montpellier, Ed. de l‟Esperou, École d‟Architecture, 1996, 158 p
Reginensi (Caterine), « Le développement urbain durable à l‟épreuve des pratiques et des
politiques urbaines à Rio de Janeiro (Brésil) », Toulouse, Ecole d‟Architecture de Toulouse
GRECO, 2004, 12 p
Rouquié (Alain), Introduction à l’Extrême-Occident, Paris, Seuil, 1998 (rééd.), 484 p
Sahlins (Marshall), « On the sociology of primitive Exchange », dans Banton (Michael), The
relevance of models for social anthropology, Londres, Tavistock, 1968, p 139-186
Tönnies (Ferdinand), Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie
pure, Paris, PUF, 1977, 286 p

Matériaux ethnographiques et méthodologiques

Agier (Michel), « Formes de travail et identités : recherches d‟une perspective


anthropologique », Cahier des Sciences Humaines, 1987
Béaud (Stéphane), « L‟usage de l‟entretien en sciences sociales », Politix, 35, troisième
trimestre, Paris, 1996, p. 226-257, extrait distribué lors du séminaire d‟initiation aux méthodes
de la recherche, deuxième année du diplôme de Sciences Po Toulouse
Bensa (Alban), La fin de l’exotisme : essai d’anthropologie critique, Paris, Anarchasis, 2006

205
Conseil National des Transports, Une voirie pour tous. Sécurité et cohabitation au-delà des
conflits d’usage, 9 novembre 2004, Paris, Conseil Général des Ponts et Chaussées, 2 tomes
Douglass (Sara), Beyond the Hanging wall, 1995
Durkheim (Emile), « Règles relatives à l‟observation des faits sociaux », Les règles de la
méthode sociologique, 1988 (reéd. Flammarion)
Fassin (Didier), « L‟expérience des villes. Des périphéries de Dakar et de Quito aux banlieues
de Paris », Enquête. Anthropologie. Histoire. Sociologie., Paris, 1996, n° 4, p 71-92
Lewis (Oscar), Los hijos de Sanchez, México, FCE, 1964, 548 p

206

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