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condition humaine et de Dieu. L'histoire se déroule dans le cabinet du docteur Freud situé au 19
Berggasse à Vienne. On est le 22 avril 1938, l'Allemagne nazie a envahi l'Autriche, et Freud
discute avec sa fille Anna de la société de laquelle il compte s'exiler. Au cours de la soirée, Freud
reçoit la visite d'un nazi à la recherche d'un dénommé Walter Oberseit, un prétendu fou s'étant
enfui de l'asile. Ayant perdu patience devant l'attitude impudique du nazi cherchant à voler un
plus grand nombre de biens aux juifs, Anna assomme le nazi d'injures, geste qui condamne Anna
s'apprête à signer un document l'autorisant à quitter l'Autriche lorsqu'il reçoit la visite d'un
inconnu. Ce dernier est entré par la fenêtre du cabinet du docteur Freud et met en place, autour du
Alors que Freud essaie sans répit d'obtenir l'identité de cet inconnu, ce dernier présente l'allure
d'un orphelin de naissance sans identité, sans passé, et sans rêves. Ennuyé et frustré, Freud
demande à l'inconnu de lui raconter une histoire. À sa grande surprise, Freud constate que
l'inconnu connaît l'histoire de sa jeunesse dans les moindres détails. Embobiné, Freud s'obstine à
chercher l'identité de cet inconnu, lequel semble exempt de tout attribut humain (âge, vie, famille,
souvenirs,...) si ce n'est que d'un corps physique capable de communiquer avec Freud. Au fil de
leur conversation, l'inconnu se décrit comme présentant des attributs divins (incarnation, éternité,
omniprésence), chose que Freud, par son athéisme, peine à croire. Mais l'inconnu tente de
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convaincre Freud de l'impossibilité de ne croire en rien. Pour appuyer son argumentation,
l'inconnu se réfère entre autres aux écrits de Freud qui décrivent Dieu comme étant une
satisfaction hallucinatoire permettant aux hommes de se sentir protégés par un être supérieur qui
est l'équivalent du père pour l'enfant. Ainsi, l'inconnu veut persuader Freud de l'incontestabilité de
sa croyance en un être supérieur; Freud se trouve dans la position de l'enfant (il a perdu sa fille, il
est seul) qui croit en un père. Au cours de la soirée, l'inconnu renseigne Freud de la vérité de sa
situation. Par exemple, l'inconnu fait savoir à Freud que les allégations verbalisées par le nazi au
sujet d'Anna sont fausses. Qui plus est, l'inconnu est même en mesure de relater à Freud la
situation exacte dans laquelle se trouve Anna. Néanmoins, Freud peine à croire en l'existence de
Dieu dû au fait qu'il y a trop de souffrance dans le monde. Lorsqu'Anna est libérée des nazis et
rentre chez elle, elle retrouve son père, Freud, en train de somnoler. La visite de l'inconnu était
donc en quelque sorte un songe. Freud, qui a changé d'état d'esprit, soutient à sa fille que la visite
de l'inconnu lui a redonné de l'espoir. À la fin de la pièce, alors que Freud se remet à douter de
L'orgueil humain, s'il permet à bien des égards de donner à l'homme un élan de motivation dans
ses recherches scientifiques, peut s'avérer cependant nuisible lorsqu'il s'agit de partir à la
recherche du bonheur. Le bonheur, quant à lui, ne réside pas dans les faits observables du monde
matériel; une condition du bonheur est d'accepter les faits tels qu'ils se présentent à nous. La
recherche du bonheur ne doit donc pas passer par une volonté de trouver des indices du bonheur
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dans la vie réelle, mais elle doit passer par une volonté d'être heureux, indépendamment des
dans un état d'esprit désespéré; on a enlevé sa fille, les juifs se font purger, la société est plongée
dans un état calamiteux où la raison humaine semble avoir tourné à la déraison. Ainsi, lorsque
l'inconnu, prétendant être Dieu, tente de persuader Freud de croire en son existence, Freud refuse
car c'est son propre orgueil (« Je ne crois pas en Dieu parce que je serais trop heureux d'y
croire»1), avide de connaissances empiriques, qui le retient dans un état d'insensibilité. Or, à partir
recherche du bonheur passe par un effort de tolérance vis-à-vis de la réalité, qu'elle soit belle ou
miteuse.
Eric-Emmanuel Schmitt pose un regard assez critique sur l'être humain. Dès la quatrième scène
du Visiteur, l'être humain est perçu par l'inconnu comme un être qui ne pose pas assez de
questions (« Je vous préférais lorsque vous posiez des questions. »2) et qui limite son champ
effet, Freud s'efforce de ne formuler que deux hypothèses pouvant expliquer l'apparition de
l'inconnu dans son bureau (« Écoutez, je peux faire deux hypothèses pour expliquer votre
irruption ici »3). Or, Eric-Emmanuel Schmitt a certainement voulu montrer que cette attitude de
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l'homme à ne se satisfaire que dans des explications rationnelles l'éconduit lorsqu'il est confronté
à des situations de détresse laissant peu de place à l'empirisme. À la scène 6, alors que le nazi
s'apprête à pénétrer dans le bureau de Freud, l'inconnu propose à ce dernier d'improviser à l'aide
d'une photo, solution peu scientifique. Emberlificoté et ne maîtrisant pas la situation, Freud
réalise qu'il ne peut se débrouiller seul (« Cette photo? Mais pour quoi faire? Que voulez-vous
que je lui dise? Restez avec moi!»4), fait qui illustre un paradoxe de la condition humaine :
l'homme est autant sûr de lui qu'il est esclave de sa propre existence. Lorsqu'il connaît une
réponse, il se prend pour un roi. Lorsqu'il ignore la solution à un problème existentiel, il est aussi
vulnérable qu'un enfant et demande de l'aide à n'importe qui, même à un inconnu. Mais l'homme
est suffisamment borné pour, une fois avoir retrouvé son état de quiétude, continuer à mépriser la
croyance irrationnelle car « c'est l'esprit qu'elle anesthésie »5. Ce complexe humain n'est pas sans
écueil, car sa volonté d'ériger la vérité en dogme aux dépens du bonheur («Le contentement n'est
pas l'indice du vrai. »6) le conduit parfois à sa perte (« Voilà ce que vous ferez, les grands de ce
siècle : vous expliquerez l'homme par l'homme, et la vie par la vie. Que restera-t-il de l'homme?
Un fou dans sa cellule, jouant une partie d'échecs entre son inconscient et sa conscience! »7).
L'être humain ne peut donc pas toujours se suffire à lui-même. Il a besoin d'un espoir, d'un souffle
4 Ibid, p. 171
5 Ibid, p. 180
6 Ibid, p. 181
7 Ibid, p. 190
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IV) La place de Dieu
Si la raison humaine, seule, ne peut suffire à combler le confort existentiel humain, Dieu sert de
comlément. Toutefois, le Dieu décrit dans Le Visiteur n'est pas un Dieu transcendant devant
lequel l'homme doit se prosterner. Le Dieu ébauché par Eric-Emmanuel Schmitt joue plutôt le
rôle d'un interlocuteur, d'un confident de l'homme. Le Dieu auquel Freud est confronté est avant
tout unique (« Moi, je suis le seul de mon espèce »8) mais pouvant prédire l'avenir d'un homme
(« Si je réponds à votre question, vous seriez capable de mourir ce jour-là, uniquement par
complaisance. Je me sentirais coupable. »9). Par ailleurs, Dieu s'incarne dans un corps humain ,
sans toutefois connaître l'être humain sous tous ses aspects(« Comme c'est étrange; vous décrivez
ce que je ressens moi-même chaque fois que je m'incarne. Je n'aurais jamais pensé qu'il pût en
être de même pour vous, les hommes. »10). Dieu sert de confident à l'homme car il est en mesure
de le renseigner au sujet d'informations qu'il ignore (« Elle est à la Gestapo, hôtel Métropole. Elle
est dans un couloir, elle attend. »11) uniquement lorsque l'homme se trouve dans une situation
difficile (« Je ne suis visible que pour toi, ce soir. »12). Une théodicée a également sa place dans
Dieu dans un même cadre de pensée. L'explication suggérée dans la pièce est d'ordre étiologique;
plutôt que d'essayer de trouver des explications au mal existentiel ambiant, Le Visiteur énonce
essentiellement la cause principale du malheur humain : la liberté octroyée par Dieu à l'espèce
humaine (« J'ai fait l'homme libre. Libre pour le bien comme pour mal, sinon la liberté n'est
8 Ibid, p. 155
9 Ibid, p. 158
10 Ibid, p. 159
11 Ibid, p. 168
12 Ibid, p. 171
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rien. »13). En cette voie, Dieu aurait laissé à l'homme la liberté de gérer son monde comme bon lui
semble. En plus de lui avoir accordé la liberté, Dieu affirme être dans l'incapacité de corriger les
Ainsi, Dieu occupe une place mitoyenne entre l'humanité et l'omnipotence. Dieu a créé l'homme
libre par amour et se tient proche des affaires humaines. Il voit tout, partout, et n'importe quand.
Cependant, son omnipotence est limitée puisqu'il ne peut changer l'ordre des choses. Il sert de
confident à l'homme lorsque celui-ci est prêt à l'écouter (« Vous ne pouviez rien pour moi mais
vous avez été une oreille. Merci. »15) et prend la forme que l'homme se fait de lui (« Personne ne
me voit, chacun projette sur moi l'image qui lui convient, ou qui l'obsède »16).
Tel que conceptualisé dans Le Visiteur, Dieu serait donc variable d'un individu à l'autre et serait
Très facile à lire, cette pièce a un souffle, une âme, une vérité. À la fois concis et dense, le théâtre
d'Éric-Emmanuel Schmitt anime des réflexions autour des questions récurrentes, mais pourtant si
essentielles à la compréhension de la condition humaine aujourd'hui. Alors que nous vivons dans
une époque où les institutions religieuses perdent beaucoup de popularité et de pouvoir, il est
d'autant plus pertinent, aujourd'hui, d'interroger nos valeurs religieuses. Après tout, la religion
doit-elle être subordonnée à une institution? Les nombreux dogmes édictés par l'église catholique
13 Ibid, p. 200
14 Ibid, p. 201
15 Ibid, p. 213
16 Ibid, p. 212
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ne sont-ils pas sur la voie de la décadence? Combien de personnes au Québec vont à l'église tous
les jours? D'autre part, la croyance doit-elle être légitimée par l'église?
Je crois que Le Visiteur met le doigt sur ces questions religieuses. S'il est vrai qu'il est possible de
n'appartenir à aucune religion, l'athéisme absolu est quant à lui plus difficile à concevoir. Comme
l'a très bien illustré Sigmund Freud dans Le Visiteur, on peut être athée de l'extérieur (ne pas aller
à l'église, ne pas respecter les restrictions alimentaires de sa religion, etc.) mais moins facilement
de l'intérieur. En effet, lorsque l'homme est en proie à une solitude étouffante dans une société à
tempérament chaotique (Allemagne nazie), il n'a parfois d'autres choix que de se mettre à l'écoute
de Dieu, c'est-à-dire à l'écoute d'une partie de sa psyché qui est toujours calme. Après tout, le but
de l'homme n'est-il pas la recherche d'un équilibre intérieur? Et Dieu étant une substance toujours
en équilibre, l'homme y voit sa consolation. Et je pense que Le Visiteur a très bien su montrer
cela.