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COLLOQUE
JUNIOR
PPSM
II


De
l’être
humain
:
philosophie,
psychologie,
sociologie
morales

Cap
Hornu,
15‐17
décembre
2009

Organisation
:
Solange
Chavel
et
Anne
Le
Goff




Anthropologie
du
fair‐play.

Aux
fondements
de
l’éthique
sportive.

Pierre‐Laurent
Boulanger




Abstract
/
Résumé


What can sports tell me about me? What can sports tell us about man? Making the best of applied
ethics works about the notion of fair play (sportsmanship), this study lays the question in these terms:
what are the anthropological conceptions that can be inferred from the fair play ethics? The issue at stake
is on one hand to instruct a part of the egological question of self-trial through sports, and on the other
hand to try to take sports out of a certain rut of applied ethics, by moving back the reflection to the
question of human nature according to a decidedly non-deflationist perspective. The study explores
successively four tracks (grammar and typology of fair play, genealogy of fair play, hebertist polemics
against sports, hobbesian anthropology of conflict) to conclude by identifying four truths that can be
delivered about oneself during sports trial, on the condition of engaging oneself (non-delegability):
freedom, perfectibility, animality, sociability.


 Qu’est‐ce
que
le
sport
peut
m’apprendre
sur
moi
?
Qu’est‐ce
que
le
sport
a
à
nous
dire
sur
l’homme

?
Tirant
parti
des
travaux
d’éthique
appliquée
menée
sur
la
notion
de
fair‐play
en
sport,
cette
étude
repose

la
question
en
ces
termes
:
quelles
sont
les
conceptions
anthropologiques
inférables
de
l’éthique
du
fair‐
play
 ?
 L’enjeu
 est
 ce
 faisant
 d’une
 part
 d’instruire
 une
 partie
 de
 la
 question
 égologique
 de
 l’épreuve

sportive
de
soi,
et
d’autre
part
de
tenter
d’extraire
le
sport
d’une
certaine
ornière
de
l’éthique
appliquée,

en
 reportant
 la
 réflexion
 sur
 la
 question
 de
 la
 nature
 humaine
 selon
 une
 optique
 résolument
 non‐
déflationniste.
 L’étude
 envisage
 successivement
 quatre
 pistes
 (grammaire
 et
 typologie
 du
 fair‐play,

généalogie
du
fair‐play,
polémique
hébertiste
contre
le
sport,
anthropologie
hobbesienne
du
conflit),
pour

conclure
 en
 dégageant
 quatre
 vérités
 que
 peut
 délivrer
 sur
 soi‐même
 l’épreuve
 sportive,
 à
 condition
 de

s’engager
en
première
personne
(indélégabilité)
:
liberté,
perfectibilité,
animalité,
sociabilité.


Sommaire

Introduction...........................................................................................................................................................................1

1.
 Le
fair‐play
comme
norme,
comme
esprit,
et
comme
indice
d’une
nature
conflictuelle. ...........4

2.
 Grammaire
et
typologie
du
fair‐play
selon
le
degré
d’intériorisation.................................................6

3.
 Généalogie
du
fair‐play............................................................................................................................................9

4.
 Le
sport
contre
la
gymnastique
:
la
polémique
hébertiste .................................................................... 11

5.
 Le
sport
dresse‐t‐il
les
hommes
les
uns
contre
les
autres
?
Histoire
d’une
trahison. ............... 13

Conclusion ........................................................................................................................................................................... 16

Bibliographie...................................................................................................................................................................... 17

Introduction

Je
voudrais
commencer
en
posant
deux
questions.
Le
sport
a‐t‐il
quelque
chose
à

m’apprendre
sur
moi‐même
?
Autrement
dit
que
puis‐je
apprendre
de
moi
dans
le
sport

que
 je
 n’apprendrai
 ailleurs
 ?
 Seconde
 question
 :
 que
 nous
 enseigne
 le
 sport
 sur
 la

nature
 humaine
?
 Et,
 partant,
 quelles
 sont
 les
 conceptions
 anthropologiques
 qui

structurent
le
débat
naissant
dans
ce
domaine
d’éthique
appliquée
qu’est
la
philosophie

du
 sport
?
 La
 première
 question
 porte
 sur
 la
 connaissance
 de
 soi
 comme
 sujet
:
 sujet

métaphysique,
d’action,
individuel
ou
collectif.
C’est
la
question
qui
se
trouve
au
centre

de
 mon
 projet
 doctoral,
 l’hypothèse
 de
 ce
 projet
 étant
 que
 l’épreuve
 sportive
 serait

d’abord
 épreuve
 de
 soi1.
 Dans
 le
 sport,
 notre
 faculté
 d’agir
 se
 donne
 un
 type
 d’activité

dont
la
structure
est
bien
spécifique
:
elle
est
volontairement
choisie,
elle
fait
intervenir

la
 compétition
 avec
 autrui,
 elle
 est
 physiquement
 engagée,
 souvent
 douloureuse,
 elle

donne
lieu
à
un
bouillonnement
émotionnel,
la
plupart
du
temps
générateur
de
plaisir,

et,
 enfin,
 elle
 réfléchit
 de
 façon
 stylisée
 les
 contraintes
 usuelles
 ou
 quotidiennes
 du

champ
pratique
au
travers
des
règles
du
jeu.
C’est
notamment
ce
dernier
caractère
qui

intéresse
 mon
 travail,
 dans
 la
 mesure
 où
 il
 offre
 de
 quoi
 appuyer
 l’hypothèse
 d’une

réflexivité
installée
dans
l’agir
corporellement
engagé,
une
réflexivité
non‐intellectuelle,

procédure
 que
 l’on
 pourra
 peut‐être,
 sous
 réserves,
 nommer
 agito
 plutôt
 que
 “cogito

pré‐réflexif”
(cela
reste
encore
à
déterminer).

La
seconde
question
porte
sur
un
accès
à
soi,
à
titre
d’espèce,
ou
d’être
collectif
:

la
nature
humaine.
Ces
deux
questions
sont
distinctes,
quoiqu’elles
soient
articulées
:
1/

l’une
comme
l’autre
suppose
une
structure
réflexive,
un
accès
à
soi,
à
«
un
soi
»
qui
est

une
version
pratique
et
physiquement
engagée
de
soi,
2/
à
ce
stade
de
mes
recherches,

je
pars
de
l’hypothèse
que
la
résolution
de
la
première
passe
en
partie
par
la
résolution

de
la
seconde.
Pourquoi
?
À
ce
stade
de
mon
travail,
je
refuse
l’idée
d’une
étanchéité
des

compartiments
structurant
l’identité
individuelle,
influencé
sur
ce
point
par
ma
lecture

de
Bernard
Lahire2.
Les
croyances
sur
la
nature
de
l’homme
interfèrent
sur
les
façon
de

s’appréhender
soi‐même,
au
point
qu’il
y
a
lieu
d’éclater
cette
notion
de
soi
(travaux
de

Dorothée
 Legrand3)
autant
 que
 d’éclater
 la
 notion
 d’identité
 personnelle;
 de
 même,
 en

retour,
 les
 conceptions
 que
 nous
 nous
 fabriquons
 de
 l’homme
 sont
 incessamment

influencée
 par
 les
 différentes
 connaissances
 de
 soi
 que
 nous
 développons.
 
 Autrement

dit,
 lorsque
 je
 me
 pose
 la
 question
 «
qui
 suis‐je
?
»
 et
 que
 j’y
 trouve
 une
 réponse
 non



























































1
 En
 cela,
 le
 sport
 renouerait
 avec
 l’ascesis
 des
 Anciens,
 comme
 l’ont
 bien
 vu
 Denis
 MOREAU
 et
 Pascal


TARANTO
en
intitulant
leur
ouvrage
Activité
 physique
et
 exercices
 spirituels.
Essais
 de
philosophie
du
 sport,



Paris,
Vrin,
2008.
Signalons
également
le
collectif
dirigé
par
Claire
MARIN,
L’épreuve
de
soi
(Paris,
Armand

Colin,
2003),
qui
emprunte
à
Plotin
(Énnéades
I,
6,
9)
l’exhortation
liminaire
suivante
:
«
Reviens
en
toi‐
même
et
regarde
:
si
tu
ne
vois
pas
encore
la
beauté
en
toi,
fais
comme
le
sculpteur
d’une
statue
qui
doit

devenir
belle
;
il
enlève
une
partie,
il
gratte,
il
polit,
il
essuie
jusqu’à
ce
qu’il
dégage
de
belles
lignes
dans
le

marbre
 ;
 comme
 lui,
 enlève
 le
 superflu,
 redresse
 ce
 qui
 est
 oblique,
 nettoie
 ce
 qui
 est
 sombre
 pour
 le

rendre
brillant,
et
ne
cesse
pas
de
sculpter
ta
propre
statue.
»

2
 Bernard
 Lahire
 refuse
 la
 conception
 d’unicité
 du
 soi,
 mais
 il
 refuse
 également
 la
 position
 de


fragmentation
du
soi
(LAHIRE,
Bernard
[1998],
L’homme
pluriel.
Les
ressorts
de
l’action,
I,
1
«
L’unicité
du

soi
:
une
illusion
ordinaire
socialement
bien
fondée
»,
Paris,
Hachette,
page
30).

3
 Dorothée
Legrand
dégage
quatre
formes
étagées
et
imbriquées
de
soi
(le
soi‐organisme,
le
soi
sensori‐
moteur,
le
soi
cognitif,
le
soi
réflexif),
qui
lui
permettent
de
distinguer
trois
formes
de
participation
du
soi

à
 la
 constitution
 de
 soi
 (l'auto‐constitution,
 l'inter‐constitution
 et
 l'allélo‐constitution)
 ainsi
 que
 trois

formes
 d'accès
 à
 soi
 (en
 tant
 qu'unité
 sensori‐motrice,
 en
 tant
 que
 sujet
 cognitif,
 et
 en
 tant
 qu'objet

cognitif).
LEGRAND,
Dorothée
[2004],
Les
problèmes
de
la
constitution
de
soi,
Thèse
non
publiée,
Dirigée
par

Pierre
LIVET,
Université
de
Nice‐Provence.


 1

discursive
en
me
confrontant
à
l’épreuve
sportive,
il
est
probable
que
cette
façon
que
j’ai

de
répondre
à
la
question
est
largement
polluée
par
des
données
très
peu
intimes,
mais

bien
partagées
par
tout
homme,
et
qui
sont
liées
à
la
question
très
générale
«
qu’est‐ce

qu’un
 homme
?
 qu’est‐ce
 que
 l’humain
?
».
 Bien
 plus,
 je
 crois
 que
 l’acuité
 intellectuelle

autant
qu’émotionnelle
très
vive
de
la
question
«
qui
suis‐je
?
»
vient
du
fait
que
c’est
une

question
 à
 double
 fond
:
 nous
 savons
 confusément
 qu’en
 la
 posant,
 se
 pose
 aussi,
 à

l’horizon,
la
question
de
l’humain
«
en
général
».4
Ceci
est
la
première
justification
que
je

souhaite
apporter
à
la
question
philosophique
«
qu’est‐ce
que
le
sport
nous
apprend
sur

la
nature
humaine
».
5

La
 seconde
 justification
 concerne
 un
 enjeu
 qui
 est
 d’ordre
 spéculatif
 autant

qu’académique
 :
 jusqu’à
 aujourd’hui
 les
 rares
 réflexions
 philosophiques
 menées
 sur
 le

sport
prennent
avant
tout
la
forme
d’une
éthique
appliquée
aux
sports6.
Une
revue,
née

il
 y
 a
 trois
 ans
 à
 peine,
 est
 ainsi
 intitulée
 Philosophy
 and
 sport
 ethics.
 Or
 mon
 point
 de

vue,
c’est
qu’il
convient
d’engager
une
réflexion
de
philosophie
du
corps,
mais
surtout
de

philosophie
 de
 l’action
 et
 de
 métaphysique
 de
 la
 subjectivité,
 concernant
 le
 sport.
 À

partir
 de
 là,
 l’intérêt
 pour
 moi
 d’essayer
 de
 passer
 de
 la
 réflexion
 éthique
 sur
 le
 sport

aux
 fondements
 anthropologiques,
 c’est
 aussi
 donc
 d’un
 point
 de
 vue
 académique

chercher
 à
 sortir
 le
 sport
 d’une
 pure
 réflexion
 d’éthique
 appliquée,
 c’est
 passer
 de
 la

question
éthique
à
la
question
de
la
nature
de
celui
qui
agit.

La
troisième
justification
porte
sur
l’objectif
d’obtenir
une
meilleure
définition
de
ce
que

nous
 appelons
 corps.
 En
 effet,
 lorsque
 je
 pose
 la
 question
 «
qu’est‐ce
 que
 le
 sport
 a
 à

nous
 apprendre
 sur
 nous‐mêmes
?
»,
 on
 peut
 deviner
 que
 la
 réponse
 va
 impliquer
 le

corps,
 et
 qu’il
 va
 donc
 falloir
 indiquer
 quelle
 place
 nous
 accordons
 au
 corps
 dans
 la

définition
 que
 nous
 donnons
 de
 l’humain.
 Or
 je
 crois
 que
 le
 détour
 anthropologique

étant
«
objectivant
»,
il
permet
de
court‐circuiter
le
risque
d’un
certain
enfermement
du

concept
 de
 «
corps
»
 dans
 l’espace
 privé
 des
 vécus
 du
 sujet
 (problématique
 de
 la

douleur,
 dans
 les
 Investigations
 philosophiques).
 Dans
 cette
 étude,
 l’objectif
 est
 de

contribuer
 à
 la
 (re)découverte
 naïve
 suivante
:
 c’est
 par
 le
 corps
 que
 nous
 sommes


























































4
 Schématiquement,
 la
 corrélation
 de
 trois
 faits
 chez
 Descartes,
 que
 sont
 1/
 la
 révolution
 philosophique


consistant
à
faire
usage
de
la
première
personne
dans
les
Méditations
Métaphysiques,
pour
accéder
à
une

vérité
 qui
 n’a
 pourtant
 rien
 de
 personnelle,
 mais
 concerne
 notre
 nature
 humaine
 d’être
 pensant
 2/
 le

résultat
extraordinaire
atteint
par
Descartes
par
la
procédure
spéculative
de
saisie
de
soi,
le
cogito,
et
3/
le

problème
considérable
de
l’amputation
corporelle
que
ce
résultat
nécessite,
cette
corrélation
me
pousse
à

croire
qu’il
y
a
lieu
de
tenter
d’installer
la
construction
de
la
subjectivité
sur
le
plan
de
l’action
corporelle
–

ce
qui
voudrait
dire
aussi
peut‐être,
méthodologiquement,
sous
la
forme
d’un
exercice
qui
serait
méditatif

quoique
 non
 discursif,
 une
 pratique
 corporelle
 réflexive,
 à
 même
 de
 produire
 un
 agito,
 ce
 qui
 viendrait

naturellement
poser
la
question
des
limites
discursives
de
la
philosophie
occidentale.
C’est
le
sens
de
mon

projet
de
recherche,
mené
depuis
la
rentrée
2009
à
l’UPO
sous
la
direction
de
Stéphane
Haber.

5
 Et
 j’adresse
 également
 cette
 remarque
 à
 Stéphane
 Haber,
 qui,
 en
 bon
 directeur
 de
 recherche,
 m’a
 fort


justement
posé
la
question
suivante
:
«
parler
du
fair‐play,
très
intéressant,
mais
quel
rapport
avec
la
thèse

en
cours
?
»
ce
qui
n’avait
pas
manqué
de
me
mettre
dans
l’embarras.

6
 C’est
 le
 cas
 aux
 Etats‐Unis
et
 au
 Royaume‐Uni.
 Quoique
 la
 littérature
 en
 philosophie
 du
 sport
 y
 soit


beaucoup
plus
abondante
qu’en
France,
elle
prend
très
majoritairement
la
forme
d’une
éthique
appliquée.

Les
très
rares
publications
françaises
sont
quant
à
elle
plus
éclectiques
:
Caillois
se
fait
anthropologue
du

jeu,
Ulmann
est
un
(excellent)
historien
des
doctrines
d’éducation
physique,
Yves
Vargas
voit
notamment

dans
le
sport
une
popularisation
réussie
de
l’idée
de
progrès
dont
ont
rêvé
les
philosophes
des
Lumières,

Paul
 Ducros
 tente
 une
 esthétique
 heideggérienne
 du
 geste,
 Isabelle
 Quéval
 interroge
 le
 rapport
 de

l’homme
à
sa
propre
nature
notamment
sous
l’angle
du
dopage,
Denis
Moreau
et
Pascal
Taranto
dirigent

un
ouvrage
qui
tâche
de
faire
le
tour
des
questions
philosophiques
sur
le
sport.
Consulter
la
bibliographie

pour
les
titres.



 2

humains.
 Nous
 allons
 donc
 être
 amenés
 à
 redéfinir
 ce
 que
 nous
 appelons
 “homme”,
 ce

que
nous
appelons
“corps”,
et
surtout
le
rôle
que
joue
le
corps
dans
le
fait
d’être
homme.

Mais
 il
 nous
 faut
 cependant
 nous
 armer
 dès
 maintenant
 d’une
 définition
 de
 travail
 du

concept
 de
 «
corps
».
 Le
 corps
 est
 un
 ensemble
 de
 propriétés
 étagées
 selon
 quatre

niveaux
:
1/
un
support
biologique
(muscles,
os,
nerfs,
cellules,
gènes),
2/
un
ensemble

d’activités
 fonctionnelles,
 d’aptitudes
 motrices
 et
 perceptives
 qui
 sont
 naturelles

(respirer,
battre
du
cœur,
courir,
sauter,
observer
un
objet,
le
saisir,
etc.)
3/
une
capacité

de
 perfectionner
 les
 aptitudes
 naturelles
 du
 niveau
 deux,
 doublée
 d’une
 capacité

d’inventer
 et
 de
 contracter
 de
 nouvelles
 aptitudes
 motrices
 et
 perceptives
 (courir

plusieurs
 heures,
 gravir
 des
 montagnes,
 peindre
 ou
 observer
 un
 tableau,
 rédiger
 un

texte,
manier
une
balle,
etc…
)
4/
l’ensemble
de
dispositions
et
d’aptitudes
motrices
et

perceptives
 acquises,
 grâce
 à
 la
 capacité
 du
 niveau
 trois
 (on
 peut
 appeler
 ce
 niveau

quatre
 “seconde
 nature”,
 ou
 histoire
 du
 corps),
 5/
 un
 ensemble
 de
 «
pulsions
»,
 d’une

nature
à
la
fois
somatique
et
psychique,
qui
est
problématique.


J’ajoute
 que
 la
 définition
 du
 sport
 que
 j’adopte
 ici
 est
 la
 suivante
:
 activité

physique,
 ludique,
 compétitive
 et
 institutionnelle.
 Chacun
 de
 ces
 caractères
 nourrit
 un

débat,
que
je
n’ai
pas
le
temps
de
reproduire
ici,
mais
j’exclus
de
mon
propos
aujourd’hui

par
 exemple
 :
 la
 danse
 et
 la
 corrida
 (non
 ludique),
 les
 échecs
 et
 la
 pétanque
 (non‐
physique),
 les
 arts
 du
 cirque
 et
 le
 sport‐santé
 (non
 compétitif)
 et
 surtout
 toute
 la

nébuleuse
 sportive
 (ce
 qui
 entoure
 et
 n’est
 pas
 le
 sport
 en
 première
 personne,
 engagé

physiquement).
 Je
 ne
 me
 restreints
 pas
 à
 certaines
 disciplines,
 mon
 propos
 concerne

tous
les
sports.

Dans
 la
 limite
 de
 cette
 courte
 intervention,
 je
 ne
 pourrai
 apporter
 qu’une

contribution
limitée
à
ces
questions.
Ma
stratégie,
c’est
d’avoir
pris
la
catégorie
éthique

de
 fair‐play
 comme
 camp
 de
 base,
 pour
 “documenter“
 la
 recherche
 de
 la
 nature
 de

l’homme
 au
 travers
 de
 celle
 du
 sportif.
 Mais
 qu’entendons‐nous
 au
 juste
 par

anthropologie
?
Pourquoi
aller
à
rebours
de
ces
démarches
déflationnistes
aujourd’hui
?

Et
quelles
bonnes
raisons
ont
pu
pousser
certains
auteurs
à
l’abandon
de
la
question
de

la
 nature
 humaine
?
 D’un
 côté
 on
 le
 problème
 du
 champ
 de
 bataille
 kantien,
 l’accord

semble
 impossible
 sur
 la
 nature
 humaine
 car
 c’est
 une
 notion
 passablement

«
métaphysique
»
 au
 sens
 critique
 de
 Schlick
 (on
 entreprend
 à
 tort
 de
 connaître

[Erkennen]
le
contenu
de
ce
que
l’on
ne
peut
qu’appréhender
[Kennen]7),
et
d’un
autre

côté
 les
 bénéfices
 spéculatifs
 d’une
 définition
 de
 la
 nature
 humaine
 sont
 ou
 bien
 très

faibles,
 ou
 au
 contraire
 négatifs,
 avec
 le
 danger
 de
 manipulation
 du
 concept
 de
 nature

humaine,
 derrière
 lequel
 chacun
 peut
 hypostasier
 ce
 qu’il
 souhaite
 (le
 mot
 “nature”

comme
une
sorte
de
cheval
de
troie
idéologique).

Cependant
 le
 risque,
 pour
 tous
 ceux
 qui
 refusent
 de
 faire
 de
 la
 métaphysique,

c’est
 évidemment
 que
 ce
 soit
 «
la
 métaphysique
 qui
 vous
 fasse
».
 C’est
 l’avertissement

que
 lance
 Hans
 Jonas
 lorsqu’il
 dit
:
 «
Descartes
 non
 lu
 nous
 détermine,
 que
 nous
 le

voulions
ou
non.
»8
Mais
il
est
possible
que
le
champ
de
bataille
philosophique
dans
le

cas
 de
 la
 notion
 de
 nature
 humaine
 soit
 à
 rapporter
 à
 une
 conflictualité
 de
 la
 nature

humaine
 elle‐même.
 L’homme
 verrait
 en
 lui‐même
 un
 champ
 de
 bataille,
 parce
 qu’il

serait
 ce
 champ
 de
 bataille.
 La
 structure
 que
 dévoilerait
 le
 sport,
 ce
 serait
 celle
 d’un


























































7
Schlick,
«
Le
vécu,
la
connaissance,
la
métaphysique
»
(1926),
in
Antonia
SOULEZ,
Manifeste
du
cercle
de


Vienne
et
autres
écrits,
PUF,
1989,
p.155‐179.

8
Cité
dans
le
Manuel
Philosophie
et
modernité,
Éditions
de
l’École
Polytechnique,
2009,
page
6.



 3

conflit
interne
permanent
de
forces
et
de
pulsions
–
tant
au
niveau
de
l’individu
que
de

la
 communauté.
 Nous
 reviendrons
 sur
 cette
 idée
 plus
 loin.
 Quel
 camp
 choisir
?
 Notre

présupposé
aujourd’hui
est
anti‐déflationniste,
l’idée
étant
qu’il
vaut
mieux
réfléchir
à
la

nature
 humaine,
 au
 risque
 de
 faire
 de
 la
 métaphysique,
 pour
 précisément
 éviter
 le

cheval
de
troie
idéologique.
Commençons
donc
à
nous
demander
ce
qu’est
le
fair‐play.


1. Le
 fair‐play
comme
 norme,
 comme
 esprit,
 et
 comme
 indice
 d’une
 nature

conflictuelle.

Le
 fair‐play
 désigne
 communément
 l’attitude
 d’un
 sportif
 ayant
 assez
 de
 self

control
 pour
 éviter
 la
 mesquinerie
 durant
 la
 partie,
 l’arrogance
 dans
 la
 victoire,
 et
 la

mauvaise
foi
ou
l’agressivité
dans
la
défaite.
À
partir
de
là,
le
fair­play
fonctionne
comme

une
 norme,
 qui
 quoiqu’assez
 vague,
 est
 invoquée
 dans
 le
 langage
 pour
 asseoir
 un

jugement
 :
 «
ce
 geste,
 ce
 joueur
 n’est
 pas
 très
 fair‐play.
»
 Mais
 quand
 nous
 disons
 cela,

que
 croyons‐nous
 qu’il
 manque
 à
 ce
 geste
?
 Nous
 croyons
 qu’il
 lui
 manque
 l’esprit
 de

fair‐play,
 et
 par
 cet
 esprit
 nous
 entendons
 la
 disposition
 intérieure
 spécifique
 que
 les

joueurs
 doivent
 adopter
 dans
 l’épreuve
 sportive,
 afin
 que
 celle‐ci
 puisse
 se
 dérouler

dans
 de
 bonnes
 conditions.
 L’idée
 est
 donc
 que
 le
 sport,
 pour
 avoir
 lieu,
 requiert
 des

règles,
 requiert
 des
 arbitres
 pour
 en
 contrôler
 l’application,
 et
 puis
 requiert
 une

troisième
 chose
 qui
 permet
 aux
 règles
 de
 fonctionner,
 à
 savoir
 le
 fair­play.
 C’est
 une

sorte
 de
 Constitution
 non
 écrite
 du
 sport,
 sans
 laquelle
 les
 règles
 instituant
 le
 jeu
 se

gripperaient
totalement.
Si
le
fair‐play
n’est
pas
écrit,
c’est
qu’il
ne
peut
être
écrit
il
est
la

condition
de
possibilité
des
règles
qui
n’est
précisément
pas
une
règle.
Bref
le
fair‐play

opère
 une
 sortie
 de
 l’éthique
 vers
 la
 naturalité
 des
 dispositions
 corporelles.
 Il
 vient

s’inscrire
 dans
 un
 «
arrière‐plan
 de
 dispositions
»
 (Searle9),
 il
 fait
 fond
 d’une
 nature

humaine
qu’il
façonne
en
retour.
Ainsi,
l’esprit
de
fair­play,
qui
est
en
réalité
un
esprit
de

jeu
autant
qu’un
bon
esprit,
est
une
condition
de
possibilité
du
sport.
Or
ceci
nous
fournit

un
 précieux
 renseignement
 sur
 ce
 qui
 se
 passe
 en
 l’homme
:
 la
 question
 «
pourquoi
 le

fair‐play
»
devient
:
contre
quelles
forces
profondes
a‐t‐on
eu
besoin
de
créer
une
norme

si
contraignante
?
Le
fair‐play
est
une
barrière
contre
quoi,
chez
l’homme
?

Observons
comment
fonctionne
le
sport.
Le
sport
nous
place
dans
une
situation

de
 compétition,
 il
 nous
 met
 face
 à
 des
 adversaires.
 Par
 cette
 compétition
 il
 active

puissamment
 une
 pulsion
 d’agressivité,
 sous
 la
 forme
 du
 désir
 de
 gagner.
 Mais
 d’un

autre
 côté,
 le
 sport
 n’est
 précisément
 pas
 un
 combat,
 il
 n’est
 pas
 une
 lutte
 à
 mort.
 Le

sport
mime
le
combat,
c’est
une
activité
mimétique
en
un
sens
aristotélicien10
dit
Élias.


























































9
Searle
formule
la
thèse
de
l’Arrière‐plan
(Background)
de
la
façon
suivante
:
«
Toute
représentation,
que


ce
soit
dans
le
langage,
la
pensée,
ou
dans
l’expérience,
ne
parvient
à
représenter
seulement
si
l’on
dispose

d’un
 ensemble
 de
 capacités
 non‐représentationnelles.
»
 Et
 il
 ajoute
 quelques
 pages
 plus
 loin
:

«
L’intentionnalité
 tend
 à
 s’élever
 au
 niveau
 des
 aptitudes
 d’Arrière‐plan.
 Ainsi
 par
 exemple,
 le
 skieur

débutant
peut
avoir
besoin
d’une
intention
de
faire
porter
tout
son
poids
sur
le
ski
orienté
du
côté
de
la

pente,
un
skieur
moyen
possède
la
technique
qui
lui
permet
d’avoir
l’intention
«
tourner
à
gauche
»,
et
un

skieur
 réellement
 expérimenté
 peut
 simplement
 avoir
 l’intention
 «
 skier
 sur
 cette
 pente
 ».
 Dans
 une

course
 de
 ski,
 par
 exemple,
 les
 entraîneurs
 essaieront
 de
 créer
 un
 niveau
 d’intentionnalité
 qui
 est

essentiel
 pour
 gagner
 la
 course,
 mais
 cela
 présuppose
 un
 soubassement
 énorme
 de
 capacités
 d’Arrière‐
plan.
»
SEARLE
J.
R.,
La
redécouverte
de
l’esprit
(1992),
Paris,
Gallimard,
1995,
pages
238
et
262.

10
 ÉLIAS,
 Norbert
 [1986],
 Sport
 et
 civilisation,
 la
 violence
 maîtrisée,
 pages
 54‐59.
 La
 parenthèse
 sportive,


une
 sorte
 d’épochè
 sociale,
 offre
 aux
 individus
 la
 possibilité
 d’effectuer
 une
 libération
 contrôlée
 de
 leurs

émotions.
Comme
le
petit
enfant
«
que
son
père
jette
en
l’air
et
qui
retombe
en
toute
sécurité
dans
les
bras



 4

L’affrontement
est
réel,
mais
il
prend
place
au
sein
d’un
système
étroit
de
contention
de

la
 violence.
 Le
 sport
 place
 donc
 l’individu
 face
 à
 une
 sorte
 d’injonction

paradoxale
:
«
battez‐vous
 sans
 violence
».
 Et
 donc
 la
 révolution
 sportive
 qui
 a
 lieu,

d’après
Élias,
aux
tournants
des
XVIIIème
et
XIXème
siècles,
à
la
fois
sur
le
plan
politique

avec
le
parlementarisme,
et
sur
le
plan
des
mœurs,
avec
le
sport,
c’est
une
intériorisation

du
dispositif
de
censure
des
émotions,
au
profit
d’un
affrontement
où
je
ne
cherche
plus

à
 détruire
 physiquement
 mon
 adversaire.
 Le
 fair‐play
 est
 un
 lointain
 rappel
 de
 ce

principe.
Lorsque
Zidane
frappe
violemment
son
adversaire
de
la
tête,
devant
peut‐être

50
 millions
 de
 personnes,
 c’est
 brutalement
 sous
 nos
 yeux
 une
 régression

civilisationnelle
qui
a
lieu.
Élias
analyserait
ce
geste
comme
le
hooliganisme,
en
disant
:

les
 barrières
 internes
 d’auto‐censure
 de
 cet
 individu,
 pour
 des
 raisons
 éducatives
 et

sociales,
 n’étaient
 pas
 suffisamment
 fortes
 pour
 encaisser
 la
 pression
 émotionnelle

considérable
de
l’épreuve
sportive.
Notons
qu’Élias
remarque
incidemment
que,
si
tous

les
 joueurs
 étaient
 parfaitement
 fair‐play,
 cela
 donnerait
 une
 partie
 de
 football
 très

ennuyeuse,
sans
créativité,
avec
un
jeu
stéréotypé
et
répétitif.
L’esprit
de
fair
ne
doit
pas

étouffer
l’esprit
du
play
:
le
bon
esprit
doit
encadrer
sans
écraser
l’esprit
de
jeu.
Le
sport

est
donc
conflit
;
mais
parce
qu’il
exacerbe
et
met
en
spectacle
la
conflictualité
interne
de

l’homme.

C’est
est
un
terrain
d’affrontement
ritualisé
et
codifié,
dont
le
conflit
structurel
se

noue,
 au
 sein
 même
 de
 l’individu11,
 autour
 de
 la
 polarité
 entre
 d’un
 côté
 les
 pulsions

profondes,
 et
 de
 l’autre
 la
 nécessité
 sociale
 d’observer
 des
 règles
 et
 donc
 de
 contrôler

ses
 émotions.
 Le
 joueur
 est
 ainsi
 en
 permanence
 placé
 en
 position
 d’arbitrage
 ou
 de

dosage
 entre
 l’exigence
 du
 respect
 des
 règles
 et
 le
 désir
 de
 gagner.
 Cet
 arbitrage
 est

«
très
coûteux
en
énergie
psychique
».
Mais
on
comprend
dès
lors
que
ce
qui
se
passe
de

plus
 intéressant
 en
 sport
 n’est
 pas
 toujours
 ce
 que
 peuvent
 filmer
 les
 caméras.
 Ce
 qui

intéresse
le
sportif,
c’est
ce
qui
va
se
passer
dans
sa
tête
et
dans
son
corps.
JF
Balaudé

observe
 d’ailleurs
 que
 «
la
 démarche
 du
 pratiquant
 assidu
 l’attache
 à
 un
 sport
 pour
 ce

qu’il
y
trouve
intimement,
et
non
pour
ce
qu’on
lui
en
dit,
ou
ce
qu’on
lui
en
montre
»,
en

ajoutant
incidemment
:
«
les
sportifs
confirmés
ne
sont
d’ailleurs
pas
nécessairement
de

grands
spectateurs
de
sports
»12.
L’arène
sportive
est
donc
une
arène
intérieure.
C’est
à

l’intérieur
 de
 l’homme
 que
 le
 véritable
 combat
 a
 lieu,
 qu’une
 connaissance
 peut
 être



























































de
celui‐ci
peut
goûter
l’excitation
mimétique
du
danger
et
de
la
peur
[…],
les
spectateurs
d’un
match
de

football
 peuvent
 savourer
 l’excitation
 mimétique
 de
 la
 bataille
 qui
 se
 déroule
 sur
 le
 stade,
 puisqu’ils

savent
 qu’aucun
 mal
 ne
 sera
 fait
 aux
 joueurs
 ou
 à
 eux‐mêmes
»
 (page
 55).
 Élias
 examine
 pendant
 de

longues
 pages
 comment
 la
 libération
 contrôlée
 des
 émotions
 s’apparente
 à
 la
 purification
 (catharsis)

décrite
par
Aristote
dans
la
Poétique.

11
C’est
cette
intériorisation
des
procédures
de
censure
que
décrit
parfaitement
Norbert
Élias,
dans
Sport


et
civilisation,
la
violence
maîtrisée.
Pour
Élias
le
concept
clé
qui
permet
de
rendre
compte
de
l’apparition

du
 sport,
 pensé
 dans
 sa
 discontinuité
 avec
 les
 affrontements
 anciens,
 est
 celui
 de
 «
 libération
 contrôlée

des
 émotions
 ».
 Ce
 controlled
 decontrolling
 of
 emotions
 requiert
 deux
 conditions
:
 1/
 l’apparition
 et
 la

diffusion
d’activités
dont
le
caractère
mimétique
permet
le
relâchement
du
contrôle
ordinairement
exercé

sur
 les
 émotions,
 2/
 une
 intériorisation
 suffisamment
 forte
 et
 répandue
 des
 mécanismes
 de

l’autocontrainte.
 L’effet
 est
 le
 suivant
:
 les
 émotions
 peuvent
 se
 libérer
 sans
 toutefois
 que
 la
 société
 soit

mise
en
danger
par
un
retour
sauvage
de
la
violence.
Ce
phénomène
de
sportization
est
lié
au
“Processus

de
Civilisation”,
compris
comme
déplacement
du
mode
de
contention
des
affects
effectué
par
un
dispositif

intériorisé
de
censure,
et
non
plus
(ou
plus
seulement)
par
une
autorité
extérieure
qui
contraint
l’individu.

12
 BALAUDE,
 Jean‐François,
 «
Haute
 intensité.
 Une
 approche
 philosophique
 du
 cyclosport
»,
 in
 MOREAU
 &


TARANTO,
Activité
physique
et
exercices
spirituels.
Essais
de
philosophie
du
sport,
Paris,
Vrin,
2009.



 5

atteinte
 13.
 Faire
 du
 sport,
 c’est
 continuellement
 travailler
 à
 maintenir
 un
 équilibre

instable
entre
le
respect
de
la
règle
et
le
désir
d’atteindre
l’objectif
–
sachant
qu’il
peut
y

avoir
 trois
 types
 de
 règle
:
 1/
 la
 règle
 de
 fair‐play
 et
 de
 bienséance,
 2/
 la
 règle

institutionnelle,
 qui
 régit
 la
 discipline
 sportive,
 dont
 l’observance
 est
 contrôlée
 par
 la

figure
 de
 l’arbitre
 (distinction
:
 Jan
 Boxill
 et
 John
 Searle14),
 ou
 bien
 3/
 la
 règle

autoprescrite,
 qui
 est
 de
 nature
 stratégique,
 et
 dont
 l’observance
 est
 assurée
 par
 la

figure
 de
 l’entraîneur
 (en
 cyclisme
 «
éviter
 les
 
erreurs
 de
 braquet
 en
 anticipant
 le

changement
de
vitesse
»,
en
course
d’orientation
«
ne
pas
hurler
la
position
du
poste
à

ses
coéquipiers
»,
en
cyclisme
«
ne
jamais
laisser
partir
une
échappée
sans
y
placer
un

coureur
de
son
équipe
ou
de
son
club
»,
en
football
«
envoyer
les
ballons
sur
l’aile
où
la

défense
est
plus
faible
»,
en
nautisme
«
barrer
à
30
°
Est
encore
une
heure
sauf
si
le
vent

passe
 au‐delà
 des
 40
 nœuds
»,
 en
 marathon
 «
maintenir
 une
 allure
 à
 105%
 de
 la
 VMA

sur
les
deux
derniers
kilomètres
d’un
marathon
»,
etc.)

Sans
 cette
 troisième
 sorte
 de
 règle,
 que
 la
 philosophe
 Jan
 Boxill
 ne
 mentionne

pas,
 on
 ne
 peut
 comprendre
 la
 main
 du
 footballeur
 Thierry
 Henry
 par
 exemple.
 On

reproche
à
ce
dernier
un
manque
de
fair‐play,
considérant
que
le
seul
type
d’allégeance

éthique
 sous
 laquelle
 son
 action
 peut
 être
 comprise
 est
 celle
 du
 fair‐play.
 Cependant,

Henry
se
tient
sous
une
seconde
allégeance
éthique,
celle
qui
le
lie
à
son
entraineur,
et
à

ses
 coéquipiers.
 Dans
 le
 cadre
 de
 cette
 allégeance,
 faire
 une
 passe
 à
 l’adversaire,
 ou

marquer
 contre
 son
 camp
 est
 presque
 aussi
 grave
 –
 que
 de
 corriger
 une
 erreur

d’arbitrage
qui
avantage
l’équipe.


Ainsi
l’existence
 du
 fair‐play
 nous
 a
 montré
 que
 l’homme
 héberge
 une
 forte

conflictualité
interne,
que
nous
avons
analysée,
et
sur
laquelle
nous
ferons
retour
dans
la

dernière
partie.
Maintenant,
demandons‐nous
si
l’on
peut
considérer
tous
les
actes
non

fair‐play
 comme
 identiques
?
 Se
 doper,
 frapper
 l’adversaire,
 faire
 une
 main
 au
 football

relèvent‐t‐ils
de
la
même
catégorie
?


2. Grammaire
et
typologie
du
fair‐play
selon
le
degré
d’intériorisation

Dans
 cette
 seconde
 partie,
 on
 va
 simplement
 dégager
 des
 tendances
 de
 la
 nature

humaine
en
fixant
différents
degrés
d’acceptation
du
fair‐play
par
l’agent,
du
refus
total

à
 l’adhésion
 totale.
 Je
 signale
 deux
 autres
 principes
 de
 classement
typologique,
 que
 je

n’ai
 pas
 le
 temps
 de
 traiter
 ici
 :
 les
 fair‐play
 selon
 les
 disciplines
 sportives
 (sports

collectifs,
 et
 parmi
 eux
 sports
 de
 contact,
 sports
 individuels,
 sports
 de
 combat,

athlétisme),
 et
 les
 fair‐play
 selon
 le
 type
 d’axiologie
 sportive
 dans
 laquelle
 on
 se
 situe

(sport‐spectacle,
 sport
 de
 masse,
 sport‐santé,
 sport
 amateur
 ou
 professionnel
 etc.).
 La

méthode
 que
 l’on
 va
 employer
 va
 consister
 en
 une
 analyse
 empirique
 des
 usages

linguistiques
courants
de
la
notion
de
fair‐play.

Le
refus
de
la
norme
de
fair­play
:
le
foul­play15



























































13
 Cette
 idée
 ne
 peut
 manquer
 de
 rappeler
 la
 perspective
 augustinienne
:
 «
in
 te
 redo,
 in
 homine
 habitat


veritas
»
 [«
rentre
 en
 toi‐même,
 c’est
 en
 l’homme
 que
 réside
 la
 vérité
»]
 SAINT AUGUSTIN : De Vera
Religione, liv XXXIX.

14
BOXILL,
Jan
[2003],
“Introduction
:
The
Moral
Significance
of
Sport”,
in
Jan
Boxill
(dir.),
Sport
ethics
:
an


anthology,
Malden
MA,
Blackwell.

15
Pour
une
réflexion
sur
cette
catégorie,
voir
HARDAWAY,
Francine
[2003],
“Foul
play
:
Sports
metaphors
as


Public
Doublespeak”,
in
Jan
Boxill
(dir.)
[2003],
Sport
ethics
:
an
anthology,
Malden
MA,
Blackwell.



 6

Le
terme
français
fair‐play,
anglicisme
que
l’Académie
recommande
de
traduire
par
jeu

loyal
 ou
 franc
 jeu,
 et
 qui
 peut
 être
 à
 la
 fois
 nom
 et
 adjectif
 (premier
 usage
 en
 1849,

apparition
des
sports
en
France)
ne
se
traduit
pas
par
fair
play
en
anglais,
mais
plutôt

par
sportsmanship.
On
peut
traduire
sportsmanship
par
sportivité;
et
il
existe
d’ailleurs

une
 médaille
 olympique
 de
 la
 sportivité,
 qui
 récompense
 un
 geste
 fair‐play

exceptionnel16.
 On
 peut
 compter
 au
 moins
 quatre
 formes
 différents
 de
 rupture
 avec
 la

norme
de
fair‐play,
qui
sont
autant
de
façons
négatives
de
mieux
cerner
la
notion
de
fair‐
play
:


 1/
L’antijeu
est
une
faute
qui
n’est
pas
une
infraction
au
règlement,
mais
qui
rend

pourtant
 la
 partie
 impossible.
 C’est
 par
 exemple
 le
 refus
 de
 jouer,
 le
 refus
 de
 faire
 la

course
(comme
parfois
lors
du
Tour
de
France).
L’obstruction
volontaire
est
une
forme

d’antijeu
au
football.

2/
 le
 gamesmanship,
 par
 opposition
 au
 sportsmanship,
 est
 l’attitude
 gouvernée

par
le
slogan
«
to
play
for
the
game,
not
for
the
sport
»
(jouer
pour
le
score
et
non
pour
le

sport,
autrement
 «
pour
 la
 gagne
»,
 et
 non
pour
le
 plaisir).
Le
 gamesman
–
appelons‐le

“gagneur”
 –
 ne
 triche
 pas,
 il
 utilise
 des
 moyens
 douteux
 quoique
 techniquement

réglementaires
 et
 légaux,
 pour
 gagner17.
 Sachant
 qu’une
 victoire
 est
 un
 objet
 constitué

par
un
réglement,
le
gagneur
va
chercher
à
l’obtenir
«
à
tout
prix
»
quoique
sans
entrave

au
 règlement.
 Le
 geste
 de
 Zidane
 (09/07/2006),
 et
 le
 geste
 récent
 d’Henry

(18/11/2009)
sont
des
cas
d’entraves
au
fair‐play
qui
sont
distincts,
pourtant
ni
l’un
ni



























































16
La
médaille
de
la
Sportivité,
ou
médaille
Pierre‐de‐Coubertin,
est
décernée
par
le
Comité
international


olympique
pour
récompenser
le
fair‐play
d’un
athlète,
lors
des
Jeux
olympiques.
À
ce
jour
il
n’y
a
que
14

titulaires
de
cette
médaille,
mais
le
rythme
s’accélère
puisque
huit
ont
été
décernées
depuis
2000.
Le
CIO

cherche
à
en
faire
la
récompense
la
plus
estimable
qu'un
athlète
puisse
recevoir,
supérieure
à
la
médaille

d'or
 –
 mais
 sa
 très
 faible
 médiatisation
 limite
 considérablement
 ce
 statut.
 Cette
 politique
 récente
 de

“moralisation”
 ou
 de
 “whitewashing“
 du
 CIO
 s’illustre
 par
 exemple
 par
 l’organisation
 de
 l’exposition

«
Ange
 ou
 démon
?
 Le
 choix
 du
 fair‐play
»
 organisée
 au
 siège
 de
 Lausanne
 en
 2006.
 Cette
 médaille
 nous

donne
 l’occasion
 d’étudier
 un
 exemple
 historique
 de
 geste
 fair‐play
:
 le
 premier
 à
 recevoir
 cette

décoration
est
le
bobeur
italien
Eugenio
Monti.
Aux
Jeux
olympiques
d'hiver
de
1964
à
Innsbruck,
Monti

réalise
 le
 meilleur
 temps
 de
 la
 première
 manche
 mais
 apprenant
 que
 les
 bobeurs
 anglais
 (Tony
 Nash
 et

Robin
 Dixon)
 avaient
 cassé
 un
 écrou
 de
 leur
 engin,
 il
 leur
 donne
 le
 sien.
 Les
 Anglais
 remportent
 le
 titre

olympique,
Monti
termine
troisième
avec
son
coéquipier.
La
presse
transalpine
critique
alors
le
geste
de

Monti
auquel
il
répond
:
«
Nash
n'a
pas
gagné
parce
que
je
lui
ai
donné
un
écrou.
Il
a
gagné
parce
qu'il
a

effectué
la
course
la
plus
rapide.
»
Et
Monti
reproduira
exactement
le
même
geste
de
générosité
avec
les

Canadiens
 en
 bob
 à
 4.
 C’est
 d’autant
 plus
 méritoire
 que
 Monti,
 lors
 des
 championnats
 du
 Monde,
 a
 était

systématiquement
 médaillé
 d’or
 en
 bob
 à
 2
 pendant
 7
 années.
 Monti
 a
 donc
 sciemment
 permis
 à
 des

compétiteurs
de
lui
prendre
la
première
place
puisque
sans
écrous
ils
auraient
été
disqualifiés,
et
que
vu

son
excellent
niveau
il
aurait
probablement
gagné.

Citons
 un
 second
 cas,
 celui
 de
 Vanderlei
 de
 Lima,
 marathonien
 brésilien,
 rendu
 célèbre
 par
 une

mésaventure
rarissime
lors
des
Jeux
Olympiques
d’Athènes
en
2004.
À
mi‐parcours,
il
part
en
échappée,
et

devance
 le
 peloton
 des
 favoris
 de
 l’épreuve.
 Au
 35e
 kilomètre,
 il
 compte
 encore
 48
 secondes
 sur
 ses

poursuivants,
 ce
 qui
 donne
 une
 gamme
 de
 scénarios
 très
 ouverte,
 mais
 un
 spectateur
 l’agresse

délibérément,
le
ceinture
et
l’entraîne
dans
les
barrières.
Aidé
par
un
autre
spectateur
grec,
il
parvient
à

repartir
mais
il
est
déconcentré,
et
a
perdu
environ
20
secondes.
Il
est
ensuite
dépassé
par
l'italien
Stefano

Baldini
et
l'américain
Mebrahtom
Keflezighi
au
38e
kilomètre
mais
arrive
tout
de
même
à
conserver
la
3e

place
synonyme
de
médaille
de
bronze.
Vanderlei
de
Lima
a
saisi
le
Tribunal
Arbitral
du
Sport
(TAS),
qui

regrette
les
circonstances
malheureuses
et
lui
exprime
sa
sympathie,
mais
ne
peut
modifier
le
résultat.
On

peut
 considérer
 que
 le
 Comité
 international
 olympique
 lui
 a
 décerné
 la
 médaille
 de
 la
 sportivité
 à
 titre

consolatoire.

17
POTTER,
Stephen
[1947],
The
Theory
and
Practice
of
Gamesmanship.
Or
the
Art
of
Winning
Games
without


Actually
Cheating.



 7

l’autre
 ne
 relèvent
 du
 gamesmanship
:
 Henry
 a
 réellement
 triché
 sur
 le
 plan

réglementaire,
et
Zidane
a
commis
une
infraction
à
la
loi
(agression
physique).
Un
bon

exemple
de
gamesmanship
est,
en
US
Football,
la
technique
appelée
«
icing
the
kicker
»,

consistant,
pour
un
entraineur
à
demander
un
temps
mort
exactement
au
moment
où
un

joueur
 adverse
 est
 sur
 le
 point
 de
 faire
 un
 kick
 décisif,
 pour
 stresser
 ce
 dernier
 et
 lui

faire
perdre
ses
moyens.
C’est
un
procédé
mesquin,
mais
réglementaire.


3/
le
sensationnalisme,
la
volonté
d’épater
la
galerie,
voir
d’utiliser
la
pression
du

public
 en
 sa
 faveur
 pour
 l’emporter
 (ce
 pour
 quoi
 John
 McEnroe
 est
 resté
 célèbre
 par

exemple).
C’est
aussi
ce
que
dénonce
Francis
Wolff,
dans
sa
Philosophie
de
la
Corrida
(qui

n’est
pas
un
sport)
sous
le
nom
de
pathos.


4/
le
jeu
petit.
Quoiqu’être
fair‐play
c’est
être
beau
joueur,
je
ne
crois
pas
que
l’on

puisse
traduire
le
substantif
fair‐play
par
beau
jeu.
En
effet,
le
beau
jeu
s’oppose
au
jeu

petit,
qui
consiste
à
gagner
de
façon
mesquine,
sans
générosité,
sans
panache,
sans
prise

de
risque,
ni
créativité.
Au
rugby
par
exemple,
cela
consiste
à
pousser
l’autre
équipe
à
la

pénalité,
 et
 à
 gagner
 un
 matche
 entièrement
 au
 pied.
 Le
 gamesman
 est
 très
 proche
 du

petit
 joueur,
 mais
 le
 premier
 fait
 preuve
 d’une
 mesquinerie
 créative,
 inventant
 des

procédés
 douteux,
 tandis
 que
 le
 petit
 joueur
 est
 un
 mesquin
 passif.
 Citons
 comme

exemple
la
technique
du
catenaccio,
entièrement
basé
sur
la
défense
et
la
contre‐attaque

surprise
 ayant
 lieu
 derrière
 la
 défense
 adverse.
 En
 vélo,
 le
 jeu
 petit,
 c’est
 pour
 un

champion
 de
 rester
 sans
 cesse
 protégé
 derrière
 ses
 coéquipiers,
 à
 la
 tête
 du
 peloton,

sans
jamais
partir
en
échappée,
si
ce
n’est
aux
derniers
kilomètres.


Respect
du
fair­play


 a)
 Fair‐play
 pragmatique
:
 la
 norme
 est
 acceptée
 par
 l’agent
 à
 titre
 provisoire,

non
pour
sa
valeur
intrinsèque,
mais
simplement
parce
qu’elle
rend
possible
la
tenue
de

la
 partie.
 Un
 des
 problèmes
 en
 effet,
 de
 la
 notion
 de
 fair‐play,
 est
 que
 l’on
 ne
 peut
 pas

dire
 à
 la
 fois
 qu’elle
 est
 une
 condition
 de
 possibilité
 de
 la
 rencontre
 sportive,
 sans
 qui

elle
tourne
au
pugilat18,
et
à
la
fois
qu’elle
suppose
une
adhésion
de
conviction
de
la
part

des
 agents
!
 Car
 s’il
 faut
 accepter
 d’être
 fair‐play
 pour
 faire
 du
 sport,
 alors
 les
 agents

peuvent
 très
 bien
 choisir
 de
 faire
 du
 sport,
 tout
 en
 ne
 choisissant
 pas
 d’être
 fair‐play,

mais
en
l’acceptant
comme
une
contrainte
pénible
quoiqu’indispensable.
C’est
d’ailleurs

le
cas,
empiriquement,
d’un
grand
nombre
de
compétiteurs,
davantage
attiré
par
le
désir

de
la
gagne,
que
le
plaisir
du
beau
jeu.
Cependant,
le

problème
du
fair‐play
est
donc
que

s’il
demeure
strictement
pragmatique
(je
suis
fair‐play
parce
qu’il
le
faut,
parce
qu’il
le

faut
pour
pouvoir
être
un
player),
il
a
une
force
contraignante
élevée
(«
vous
refusez
le

fair‐play
?
alors
pas
de
sport
»)
mais
il
perd
toute
valeur
morale.
Pire,
il
risque
alors
de

favoriser
la
tartuferie,
l’hypocrisie.


 b)
 Fair‐play
 rationnel
légaliste
 :
 la
 norme
 est
 acceptée
 par
 l’agent
 pour
 des

raisons
de
calcul
rationnel,
et
des
considérations
politiques
:
on
ne
peut
vivre
ensemble

dans
une
société
où
il
y
a
de
la
triche,
de
la
tromperie,
de
l’abus.
Il
faut
donc
que
chacun

adopte
 extérieurement
 une
 attitude
 juste.
 Respecter,
 dans
 son
 comportement,
 le

principe
de
fair‐play
est
tenu
pour
un
devoir.
Le
problème
de
cette
position
est
qu’elle

nie
le
fait
que
le
fair‐play
ne
saurait
être
un
code,
un
appareil
de
normes
instituées,
mais


























































18
Il
y
a
des
exemples
célèbres
dans
l’histoire.
Citons
par
exemple
la
«
générale
»
déclenchée
par
l’équipe


de
 France
 de
 rugby,
 lors
 de
 la
 demi‐finale
 de
 1991
 contre
 l’Angleterre,
 en
 représailles
 au
 «
 plan
 anti‐
blanco
»
orchestrés
par
le
XV
de
la
Rose.



 8

qu’il
relève
d’un
esprit,
comme
il
y
a
un
esprit
des
lois.
Il
existe
des
«
codes
de
fair‐play
»,

mais
 ils
 tombent
 dans
 la
 fameuse
 régression
 logique
 détectée
 par
 Wittgenstein

consistant
 à
 inventer
 d’autres
 règles
 pour
 apprendre
 à
 quelqu’un
 comment
 il
 doit

respecter
les
règles.
Le
fair‐play
n’est
justement
pas
une
règle,
il
est
ce
qui
n’est
pas
une

règle,
mais
qui
rend
possible
le
suivi
des
règles.
Il
est
donc
incohérent
de


 c)
Fair‐play
rationnel
légitimiste
:
Ce
qui
est
un
devoir,
ce
n’est
pas
seulement
de

respecter,
dans
son
comportement,
le
principe
de
fair‐play,
mais
c’est
d’y
adhérer
en
son

âme
et
conscience
comme
porteur
d’une
valeur
éducative
et
civilisatrice
profonde.

d)
Fair‐play
émotionnel
intime
:
c’est
celui
qui
permet
aux
grands
défenseurs
de

l’institution
sportive
(comme
Jean
Borotra19)
de
justifier
la
fameuse
«
beauté
du
sport
».

C’est
cet
esprit
de
fair‐play
qui
fait
par
exemple,
applaudir
sincèrement
un
sportif
devant

un
coup
brillant
joué
par
son
adversaire,
ou
dans
une
course.
Les
manifestations
de
cette

catégorie
 de
 fair‐play
 sont
 fort
 rares
:
 simplement
 parce
 que
 le
 sport
 ayant
 largement

une
 dimension
 psychologique
 et
 spéculative
 (au
 sens
 de
 confiance
 en
 soi
 et
 méfiance

vis‐à‐vis
 des
 partenaires),
 c’est
 évidemment
 
 Nous
 disons
 que
 le
 sport
 est
 beau
 dans

deux
cas
:
lorsqu’il
est
beau
techniquement,
physiquement,
stratégiquement,
et
d’autre

part
 lorsqu’il
 est
 beau
 moralement.
 Dans
 ce
 second
 cas,
 le
 fair‐play
 émotionnel
 intime

peut
donner
lieu
à
un
comportement
que
Pierre
Livet
appelle
«
surérogatoire
»,
c’est‐à‐
dire
 un
 «
comportement
 de
 bon
 samaritain
 par
 excès
»20.
 C’est
 d’un
 geste
 naïf
 de
 cette

nature
que
la
presse
transalpine
a
accusé
le
bobeur
Eugenio
Monti,
qui
reçut
la
médaille

de
la
sportivité
(voire
note
16).


3. Généalogie
du
fair‐play

Dans
 cette
 seconde
 piste
 d’analyse,
 on
 va
 chercher
 à
 dégager
 l’origine
 des
 valeurs

morales
 sédimentées
 dans
 le
 fair‐play,
 afin
 de
 resituer
 ces
 valeurs
 dans
 le
 contexte

historique
 et
 social
 qui
 les
 a
 rendus
 nécessaires
 (j’emploie
 généalogie
 dans
 son
 sens

nietzschéen).
 Je
 m’appuie
 pour
 les
 données
 empiriques
 sur
 l’Histoire
 des
 doctrines
 de

l’éducation
 physique,
 rédigé
 par
 Jacques
 Ulmann
 en
 1965
 et
 publié
 chez
 Vrin
 sous
 le

titre
 De
 la
 gymnastique
 aux
 sports
 modernes.
 La
 question
 est
 la
 suivante
:
 pourquoi

l’homme
 a‐t‐il
 eu
 besoin,
 à
 un
 moment
 donné,
 de
 mettre
 en
 place
 ce
 kit
 de
 valeurs

regroupés
 sous
 le
 terme
 fair‐play
?
 Le
 mot
 sport
 véhicule
 déjà
 lui‐même
 différentes

sédimentations
morales
liées
à
son
histoire
:

1/
Le
mot
desport
naît
au
XIIIème
siècle
en
France,
puis
est
transféré
aux
Anglais

au
 XIVème
(1306):
 le
 sport
 désigne
 alors
 des
 deux
 côtés
 de
 la
 manche
 les
 différents

moyens
de
passer
agréablement
le
temps
(conversation,
badinage,
aussi
bien
que
divers

jeux).
 Rabelais
 emploie
 le
 terme
 «
se
 desporter
»
 au
 sens
 «
se
 distraire
».
 Cependant,

«
desport
»
lui‐même
vient
du
latin
«
deportare
»
(emporter,
transporter),
qui
n’a
jamais

signifié
 l’amusement.
 Ce
 sont
 majoritairement
 les
 nobles
 qui
 s’adonnent
 aux
 desports,

puisqu’il
faut
jouir
du
temps
libre
pour
avoir
besoin
de
passe‐temps
–
cependant
il
y
a

une
forte
tradition
de
jeux
physiques
populaires,
comme
la
sioule
ou
le
jeu
de
mail21.



























































19
 «
Le
 sport
 est
 un
 remarquable
 moyen
 d’éducation.
etc..
 »
 Le
 monde
 du
 17‐18
 janvier
 1965,
 cité
 par


Ulmann,
De
la
gymnastique
aux
sports
modernes,
page
341.

20
LIVET,
Pierre
[2006],
Les
normes,
Paris,
Armand‐Colin,
page
17.

21
MERDRIGNAC,
Bernard
[2002],
Le
sport
au
Moyen
Âge,
Rennes,
Presses
universitaires
de
Rennes,
p.236.



 9


 2/
Le
sport
change
en
même
temps
qu’évolue
la
noblesse
anglaise
(aristocracy).

On
 assiste
 à
 la
 disparition
 progressive
 de
 la
 chevalerie,
 et
 à
 l’émergence
 de
 la
 classe

bourgeoise
(gentry),
dès
les
XVIIème
et
XVIIIème
siècles.
Un
nouvelle
figure
va
s’identifier

au
gentleman
:
le
sportsman.
C’est
à
ce
moment
que
commence
à
naître
le
«
fair
play
»22,

en
 tant
 que
 code
 de
 conduite.
 Qu’est‐ce,
 alors,
 qu’un
 geste
 fair‐play
?
 Il
 consiste
 à

accepter
 sans
 problème
 de
 rejouer
 un
 point
 litigieux,
 voire
 d’accorder
 ce
 point
 à

l’adversaire.
Il
faut
y
lire
le
désir
typiquement
aristocratique,
d’adopter
une
attitude
de

hauteur
 et
 de
 contrôle
 sévère
 des
 émotions
 (le
 self
 control)
 et
 surtout
 de
 leurs

manifestations
 sociales,
 appliquée
 à
 cette
 activité
 qu’est
 le
 sport,
 et
 qui
 présente
 un

risque
 élevé
 de
 favoriser
 l’emportement,
 la
 rage
 de
 vaincre,
 la
 peur
 de
 la
 défaite,
 la

honte.
 Le
 comportement
 fair‐play
 est
 donc
 né
 parmi
 l’aristocratie
 et
 a
 été
 adoptée
 par

elle,
 non
 pas
 pour
 sa
 valeur
 morale
 intrinsèque
 mais
 parce
 qu’il
 permet
 de
 «
garder
 la

face
»
dans
la
défaite
(édulcorée
par
l’indifférence
affectée),
et
d’accroître
la
noblesse
de

la
 victoire
 (obtenue
 sans
 avoir
 l’air
 de
 forcer).
 L’adoption
 de
 l’attitude
 corporelle
 du

sportsman
et
du
joueur
fair‐play
devient
un
excellent
moyen
d’exhiber
son
rang,
de
faire

valoir
 son
 origine
 sociale
 supérieure,
 d’une
 façon
 très
 raffinée
 car
 non
 discursive
 mais

habituelle
 et
 gestuelle
 23.
 Le
 fair‐play
 aristocratique
 est
 donc
 lui‐même
 une
 expression

très
 stylisée
 de
 l’agressivité,
 d’arrogance
 sociale,
 très
 différente
 du
 catéchisme
 non‐
violent
à
l’usage
des
masses
vers
lequel
il
évoluera
ensuite.



 3/
Thomas
Arnold
devient
Principal
de
la
public
school
de
Rugby
en
1828.
Il
n’a

laissé
aucun
texte,
lettre
ou
sermon,
au
grand
dam
de
Pierre
de
Coubertin,
qu’Arnold
a

beaucoup
impressionné
et
largement
inspiré,
de
son
propre
aveu.
On
ne
peut
donc
pas

documenter
textuellement
le
projet
moralisateur
d’Arnold.
Dans
ce
projet,
le
sport
n’est

pas
une
fin
en
soi,
c’est
un
pur
instrument
de
moralisation.
Mais
c’est
un
moyen
original

et
inattendu
:
au
lieu
de
faire
régner
ordre
et
discipline
en
réprimant
de
façon
verticale

par
des
supérieurs,
Thomas
Arnold
a
l’idée
de
faire
en
sorte
que
les
élèves
se
contrôlent

eux‐mêmes,
 tant
 individuellement
 que
 collectivement.
 C’est
 sur
 ce
 point
 que
 prend

racine
 une
 notion
 extrêmement
 importante
 du
 fair
 play
:
 le
 self
 government,
 sorte
 de

maîtrise
 de
 soi.
 Si
 vous
 souhaitez
 occuper
 ou
 distraire
 des
 enfants,
 plusieurs
 solutions

s’offrent
à
vous
:
faire
jouer
(cela
veut
dire
que
vous
êtes
l’arbitre
du
match
de
foot,
et

que
vous
rétribuez
et
sanctionnez,
de
façon
verticale
et
hiérarchique),
jouer
avec
(vous

restez
 présent
 pour
 contrôler
 les
 débordements,
 mais
 vous
 ne
 vous
 placez
 pas
 en

position
supérieure,
vous
laissez
le
jeu
se
dérouler),
et
enfin
donner
à
jouer
(vous
lancez

l’idée
 de
 jeu,
 fournissez
 le
 matériel
 ainsi
 que
 quelques
 règles
 basiques,
 puis
 vous
 vous

retirez
 pour
 laisser
 les
 enfants
 s’organiser
 eux‐mêmes).
 C’est
 peu
 ou
 prou
 l’esprit
 de

cette
dernière
option
qu’adopte
systématiquement
Arnold
pour
encadrer
les
jeunes
gens

de
 Rugby
 –
 l’arbitre
 étant
 très
 souvent
 nommé
 parmi
 les
 jeunes
 élèves,
 sauf
 pour
 des

rencontres
 importantes.
 Le
 principe,
 parfaitement
 analysé
 par
 Élias
 dans
 Sport
 et

civilisation,
est
celui
d’une
intériorisation
de
l’instance
de
contrôle24.



La
 trouvaille
 géniale
 d’Arnold,
 c’est
 d’avoir
 vu
 toute
 le
 profit
 qu’il
 y
 avait
 à
 tirer

d’associer
 le
 plaisir
 au
 respect
 de
 la
 règle.
 Arnold
 quitte
 la
 pédagogie
 de
 la
 sanction


























































22
On
écrit
en
français
«
fair‐play
»
depuis
1849,
et
en
anglais
«
fair
play
»
:
il
y
aurait
lieu
de
réserver
le


terme
 français
 à
 l’éthique
 du
 comportement
 sportif,
 et
 le
 terme
 anglais
 sans
 trait
 d’union
 à
 ce
 code
 de

conduite
bien
déterminé
que
se
donne
l’aristocratie
anglaise
dès
le
début
du
XVIIIème
siècle.

23
 C’est
 évidemment
 sur
 ce
 point
 que
 l’analyse
 conduite
 par
 Bourdieu
 sur
 le
 sport
 au
 travers
 de
 son


concept
d’habitus
sont
les
plus
pertinentes
(Bourdieu,
Pierre,
Qu’est‐ce
qu’être
sportif
?

24
ÉLIAS,
Norbert
[1986],
Sport
et
civilisation,
la
violence
maîtrisée,
page
123.



 10

comme
celle
de
la
récompense,
puisqu’il
fait
en
sorte
que
le
suivi
de
la
règle,
dans
son

déroulement
même,
s’accompagne
d’un
plaisir
immédiat.
Ce
faisant
il
a
réussi
le
tour
de

force
de
faire
aimer
le
suivi
de
la
règle,
puisque
le
suivi
d’une
règle
constitutive
est
une

condition
 nécessaire
 à
 l’existence
 du
 jeu
 sportif,
 donc
 au
 plaisir
 de
 jouer.
 Le
 rôle
 que

joue
le
foot
dans
la
plupart
des
cours
de
récréation,
c’est
qu’il
s’agit
d’un
jeu,
inspiré
par

un
 sport,
 qui
 non
 seulement
 mobilise
 et
 canalise
 redoutablement
 efficacement
 les

pulsions
 primaires
 des
 enfants,
 qui
 en
 tirent
 un
 plaisir
 direct
 –
 au
 plus
 grand
 bénéfice

des
adultes
qui
les
encadrent
–
mais
qui
surtout
leur
fait
sentir
que
sans
le
respect
des

règles,
ce
plaisir
est
impossible.
Si
les
gens
commencent
à
faire
des
mains,
à
frapper
les

joueurs,
alors
plus
de
jeu
possible

Le
principe
de
base
de
la
gestion
des
enfants
dans
un
centre
de
vacances,
c’est
de
faire

un
 maximum
 de
 choses
 sous
 la
 forme
 du
 jeu.
 Ce
 recours
 très
 puissant
 peut
 mobiliser

deux
 ressorts.
 Soit
 l’imagination
:
 c’est
 le
 cas
 toutes
 les
 fois
 où
 vous
 installez
 l’action

dans
 un
 paradigme
 fictif
:
 faire
 la
 vaisselle
 devient
 une
 mission
 spéciale,
 le
 ranger
 du

grenier
 devient
 une
 exploration
 historique,
 etc…).
 Soit
 la
 compétition,
 qui
 n’a
 pas

toujours
bonne
presse
auprès
des
directeurs
de
centre
de
vacances,
car
elle
rappelle
les

exigences
de
performance
de
l’école,
de
la
société,
de
l’entreprise
(cf
ERHENBERG,
Le
culte

de
 la
 performance).
 Chronométrez
 un
 enfant
 pour
 qu’il
 range
 sa
 chambre,
 faites
 une

course
 avec
 lui
 pour
 aller
 jusqu’à
 l’École,
 il
 trouvera
 tout
 de
 suite
 cela
 beaucoup
 plus

intéressant.
Pour
Thomas
Arnold,
il
fallait
inventer
quelque
chose
qui
favorise
le
respect

de
 la
 règle,
 et
 surtout
 mieux
 que
 cela
 l’amour
 du
 respect
 de
 la
 règle
 (forme
 maximale

d’intériorisation
de
la
règle),
clef
de
la
véritable
moralité.
Il
existait
déjà
des
formes
de

passe‐temps
 plus
 ou
 moins
 violents,
 par
 lesquels
 les
 jeunes
 gens
 se
 mesuraient
 entre

eux.
 Arnold
 en
 codifiant
 et
 édulcorant
 ces
 jeux
 (réussite
 suprême,
 la
 codification
 elle‐
même
 lui
 échappa
 en
 partie,
 et
 fut
 assurée
 par
 les
 élèves,
 réunis
 dans
 un
 café
 pour
 le

soccer
 Rugby)
 de
 façon
 à
 créer
 un
 exutoire
 inoffensif
 de
 l’agressivité,
 a
 contribué
 à

l’invention
des
sports
comme
jeu
éducatif.
Cependant,
le
modèle
éducatif
des
sports,
qui

n’a
 pas
 été
 promu
 que
 par
 Arnold,
 va
 essuyer
 de
 lourdes
 critiques
 en
 France.
 On
 lui

reproche
notamment
d’être
l’aiguillon
et
non
le
frein
de
l’agressivité.
Nous
envisagerons

la
critique
que
lui
adresse
la
doctrine
hébertiste.


4. Le
sport
contre
la
gymnastique
:
la
polémique
hébertiste

L’arrivée
 des
 sports
 est
 vécue
 comme
 une
 catastrophe
 éducative
 par
 les
 tenants
 de
 la

gymnastique,
 en
 particulier
 de
 Hébert,
 qui
 écrit
 un
 libre
 intitulé
 Le
 sport
 contre

l’éducation
 physique,
 et
 propose
 contre
 le
 sport
 de
 revenir
 à
 la
 «
méthode
 naturelle
».

Cela
 consiste
 à
 reproduire
 les
 procédés
 naturels
 de
 l’éducation
 du
 corps.
 Si
 l’on
 se


souvient
 de
 notre
 définition
 du
 corps
 à
 quatre
 étages,
 le
 but
 de
 Hébert
 est
 finalement

d’éduquer
 l’homme
 en
 son
 corps
 uniquement
 par
 le
 développement
 de
 ses
 aptitudes

naturelles,
celles
du
niveau
deux,
avec
un
double
principe
de
limitation
:
1/
il
n’est
pas

question
d’inventer
des
gestes
non‐naturels,
2/
il
n’est
pas
question
de
pousser
le
corps

au‐delà
 de
 la
 «
modération
»,
 dit‐il,
 cette
 «
modération
»
 dont
 les
 jeunes
 gens
 sont

dépourvus25.
Cette
pédagogie
est
inspirée
de
l’Émile,
de
Rousseau,
et
de
son
«
institution



























































25
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
“Introduction”
:
«
On
ne
trouve
pas
insensé


de
rassembler
des
jeunes
gens
et
de
les
lancer
à
corps
perdu
dans
le
sport
outrancier
sans
leur
assurer
ou

leur
donner
les
moyens
de
réfréner
leurs
élans
quand
ils
deviennent
immodérés.
La
jeunesse
possède
en

effet
 d’instinct
 le
 courage,
 mais
 elle
 est
 dénuée
 de
 modération.
 Elle
 tend
 à
 abuser
 de
 tout,
 et
 c’est
 pour

cette
raison
que
parents
et
maîtres
doivent
tant
prodiguer
des
conseils
de
prudence.
»




 11

selon
 la
 nature
».
 On
 utilise
 huit
 exercices
 naturels
 :
 la
 marche,
 la
 course,
 le
 saut,
 le

grimpé,
le
levé,
la
défense
naturelle,
la
natation,
le
lancé.
Le
maître
de
gymnastique
est

d’une
importance
centrale
:
c’est
lui
qui
conduit
l’entraînement,
qui
guide
et
commande

les
gestes
à
exécuter.
On
est
donc
très
loin
de
l’activité
d’autorégulation
par
le
jeu,
par
le

«
donner
à
jouer
»
recherché
par
Thomas
Arnold
dans
les
public
schools.
Mais
c’est
que

Hébert
 reproche
 essentiellement
 au
 sport
 d’aiguiser
 en
 l’homme
 son
 agressivité,
 alors

qu’Arnold
choisit
de
l’utiliser
sous
une
version
que
l’on
peut
appeler
sublimée
au
sens

freudien.
26


 Hébert
rédige
une
liste
des
griefs
qu’il
adresse
au
sport
:
il
dénonce
les
dangers
de

l’émulation
 comme
 procédé
 pégagogique,
 qui
 pousse
 à
 l’agressivité,
 il
 met
 en
 garde

contre
 la
 monomanie,
 l’ultra‐spécialisation
 (alors
 que
 le
 gymnaste
 est
 complet27),
 
 la

mise
 à
 l’écart
 des
 plus
 faibles28,
 le
 développement
 de
 gestes
 conventionnels
 plutôt

qu’utilitaires,
il
critique
l’individualisme
du
sport29
alors
qu’«
en
éducation
physique
on

recherche
avant
tout
des
résultats
collectifs
»30,
et
le
fait
que
le
sport
fabrique
des
bêtes

et
 non
 des
 hommes
(retrouvant
 en
 cela
 ses
 origines,
 d’après
 lui,
 puisque
 le
 sport
 est

d’abord
 apparu
 comme
 courses
 de
 chevaux,
 ou
 turf
 31).
 Pour
 finir,
 le
 sport
 est
 une

mauvaise
préparation
des
hommes
à
la
guerre,
les
sportifs
sont
spécialisés,
égoïstes
et

fragiles,
alors
que
la
gymnastique
prépare
des
hommes
dévoués,
altruistes,
complets
et

robustes
 32.
 Il
 anticipe
 la
 mondialisation
 du
 virus
 sportif,
 lorsqu’il
 dit
 «
Le
 mal
 sportif

n’est
pas
spécial
à
la
France,
il
envahit
le
monde
entier.
»


Je
 vais
 schématiser.
 Vous
 avez
 huit
 ans,
 vous
 êtes
 en
 CE2,
 votre
 instituteur

organise
 une
 séance
 de
 montée
 à
 la
 corde.
 Ce
 faisant,
 votre
 instituteur
 choisit
 le
 camp

d’Hébert
 en
 considérant
 par
 son
 choix
 éducatif,
 que
 l’humanité
 qu’il
 a
 pour
 métier
 de

développer
en
vous,
est
d’abord
une
humanité
du
contrôle
du
corps
par
la
raison,
plutôt

qu’une
humanité
du
développement
du
corps,
voire
du
développement
de
la
raison
par

le
corps.
Ainsi,
l’anthropologie
spécifique
du
fair‐play,
par
rapport
à
l’anthropologie
de
la

gymnastique
 ou
 des
 courants
 d’éducation
 physique33,
 consiste
 à
 assumer
 que
 la


























































26
Catherine
KINTZLER
dans
son
blog
«
La
choule
»
voit
dans
le
rugby,
sport
réputé
violent,
une
sublimation


réussie
 de
 la
 violence
 collective,
 le
 comparant
 au
 football
 où
 toute
 violence
 est
 réprimée,
 et
 y
 voit
 un

indice
 dans
 le
 fait
 que
 les
 débordements
 violents
 parmi
 les
 spectateurs
 (hooliganisme)
 constituent
 un

problème
 grave
 au
 football,
 mais
 nullement
 au
 rugby.
 Elle
 compare
 cette
 sublimation
 de
 la
 violence

collective
 barbare
 du
 rugby,
 à
 la
 sublimation
 des
 cris
 et
 hurlements
 sauvages
 dans
 l’opéra,
 empruntant

cette
analyse
à
Michel
POIZAT,
L’opéra
ou
le
cri
de
l’ange,
Paris,
Métailié,
2001.

27
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,


page
35
:
«
L’éducation
physique
vise
à
généraliser
la
valeur
des
aptitudes
dans
tous
les
genres
d’exercices

utilitaires
indispensables,
sans
exception.
Le
sport,
au
contraire,
pousse
à
la
spécialisation,
parfois
dans
un

seul
genre
d’exercice.
»

28
Op.
cit.,
page
36.

29
Op.
cit.,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,
page
51
:
«
Dans
le
sport
exclusif,
l’individualisme
est


exalté
par
l’idée
d’arriver
le
premier
ou
d’être
le
plus
fort
».

30
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,


page
54.

31
 Op.
 cit.,
 page
 56
:
 «
On
 dirait
 que
 le
 sport
 tel
 qu’il
 est
 devenu
 sent
 ses
 origines.
 […]
 Les
 courses
 de


chevaux
sont
le
prototype
du
sport
dévié
du
but
initial
et
en
même
temps
dévoyé
vers
le
spectacle
et
le

jeu.
»

32
Op.
cit.,
page
57


33
 Encore
 aujourd’hui,
 le
 titre
 des
 enseignants
 du
 secondaire
 porte
 héritage
 de
 cette
 polémique
 qui


s’exprima
chez
Hébert
entre
éducation
physique
et
sport,
puisque
l’Éducation
Nationale
forme
et
emploie

des
 Professeurs
 d’Éducation
 physique
 et
 sportive.
 L’éducation
 physique
 est
 donc
 quelque
 chose
 de

différente
quoiqu’éventuellement
complémentaire,
de
l’éducation
sportive
ou
du
sport.



 12

corporéité
soit
un
terrain
de
développement
de
l’humain
ayant
en
lui‐même
sa
propre

valeur,
et
non
pas
comme
un
lieu
d’entraînement
de
la
volonté.
Ainsi,
quoique
de
l’aveu

d’un
grand
nombre
de
sportifs
(notamment
ceux
que
Jean‐François
Balaudé
appelle
les

«
sportifs
 de
 haute
 intensité
»)
 on
 puisse
 dire
 que
 «
le
 sport
 est
 chose
 mentale
»
 (pour

paraphraser
 Léonard
 de
 Vinci),
 la
 spécificité
 du
 type
 d’anthropologie
 que
 véhicule

l’éthique
 des
 sports
 (par
 opposition
 à
 la
 gymnastique
 hébertiste
 ou
 au
 Turnen

allemand),
est
qu’elle
prétend
développer
le
corps
pour
développer
l’humain,
et
non
pas

développer
le
corps
pour
muscler
l’âme,
ou
exercer
la
volonté.
Cette
position
est
celle
de

Sigmund
Loland,
dans
son
ouvrage
central
Fair
play
in
sports
[Je
traduis]
:

Ce livre voudrait examiner le sport comme un terrain possible de l’épanouissement de
l’homme. Plus précisément, il suggère une ré-articulation de l’idéal classique des
compétitions sportives, l’idéal de fair play, et prétend que la réalisation de cet idéal peut
rendre de telles compétitions justifiable moralement voire importante sur le plan de
l’existence humaine.


On
 peut
 adresser
 trois
 critiques
 à
 Hébert,
 deux
 internes,
 l’autre
 externe
:
 1/
 La

Hébert
est
fluctuant
sur
l’objet
de
sa
critique
:
le
sport
en
général
ou
bien
«
une
forme

dévoyée
»,
 «
le
 sport
 tel
 qu’il
 est
 conçu
 et
 pratiqué
 actuellement
»34.
 2/
 Avec
 son

obsession
de
l’ordre
de
la
nature,
il
se
pourrait
que
Hébert
soit
finalement
un
homme
de

l’Antiquité
égaré
au
XXème
siècle35,
relevant
de
ce
que
Isabelle
Quéval
appelle
la
logique

de
 l’accomplissement,
 indexé
 sur
 un
 cosmos
 aristotélicien,
 par
 opposition
 au
 culte
 du

dépassement
 de
 soi,
 dans
 le
 sport
 contemporain.
 Or
 il
 ne
 peut
 pas
 appliquer
 ces

catégories
 à
 un
 phénomène
 spécifiquement
 moderne,
 qui
 lui
 échappe,
 qu’il
 souhaite

contenir
sans
succès,
et
tombe
donc
dans
la
contradiction.
En
effet,
d’un
côté
il
prétend

avoir
recours
à
une
méthode
«
naturelle
»;
et
d’un
autre
côté
il
a
constamment
besoin
de

forcer
cette
nature,
si
besoin
dans
la
douleur.
3/
La
gymnastique
est
une
activité
pénible

et
 sérieuse,
 mais
 elle
 est
 surtout
 hétéronome,
 et
 elle
 est
 de
 fait
 rarement
 prisée
 des

enfants,
tandis
qu’ils
jouent
spontanément
au
football,
où
ils
apprennent
en
autonomie

la
 gestion
 des
 règles.
 Le
 modèle
 d’Hébert
 a
 eu
 un
 immense
 succès…
 sous
 le
 régime
 de

Vichy,
 retour
 de
 l’ordre
 moral,
 et
 on
 en
 trouve
 encore
 des
 traces
 importantes
 sous
 la

IVème
 et
 Vème
 République.
 Cependant,
 nous
 retiendrons
 de
 la
 critique
 de
 Hébert
 une

question,
 centrale
 pour
 notre
 propos
:
 le
 sport
 aiguise‐t‐il
 les
 penchants
 agressifs
 de

l’homme
?
Le
sport
éduque‐t‐il
ou
bien
entretient‐il
une
nature
humaine
belliqueuse
?


5. Le
 sport
 dresse‐t‐il
 les
 hommes
 les
 uns
 contre
 les
 autres
?
 Histoire
 d’une

trahison.

C’est
 la
 question
 de
 savoir
 si
 le
 sport
 excite
 ou
 inhibe
 la
 défiance
 de
 tous
 contre
 tous

dont
 parle
 Hobbes
 (Léviathan
 4)
?
 Élias
 répond
 à
 cette
 question.
 Il
 y
 a
 clairement
 une

anthropologie
 du
 sportif
 et
 du
 spectateur
 de
 sport
 à
 chercher
 chez
 Élias.
 La
 différence

fondamentale
qui
sépare
Brohm
de
Élias,
c’est
que
Brohm
regarde
devant
lui
ou
dans
sa

tête,
alors
que
Élias
regarde
derrière
lui.
Il
y
a
en
effet
deux
optiques,
soit
l’on
considère

que
 le
 sport
 est
 un
 moyen
 trouvé
 par
 le
 processus
 de
 civilisation
 pour
 juguler
 la

violence,
 soit
 au
 contraire
 on
 considère
 que
 le
 sport
 est
 une
 résurgence
 et
 un
 foyer

encore
 non
 éteint
 de
 la
 violence
 qui
 caractérisait
 les
 barbares
 que
 nous
 avons
 tous

comme
aïeux.
La
mise
en
place
d’une
éthique
du
fair‐play
dans
le
sport
exprime‐t‐elle
le


























































34
Op.
cit.,
page
33.

35
Il
se
réclame
d’ailleurs
explicitement
du
grec
Philostrate,
dont
il
vante
toute
l’actualité,
dans
son
constat


de
décadence
de
la
race
en
général
et
des
athlètes
en
particulier
(Op.
cit.,
page
30).



 13

triomphe
 en
 l’homme
 de
 l’être
 de
 culture
 sur
 l’être
 animal,
 ou
 au
 contraire
 le
 sport

constitue‐t‐il
 une
 zone
 où
 l’être
 de
 culture
 régresse
 à
 un
 stade
 animal
?
 /
 Lorsque
 je

regarde
 une
 match
 de
 boxe,
 que
 vois‐je
?
 Est‐ce
 que
 je
 vois
 le
 sang,
 la
 douleur,

l’éclatement
d’un
foie
ou
d’une
oreille,
les
corps
meurtris
?
Est‐ce
que
je
vois
deux
bêtes

qui
se
livrent
un
combat
mortel
?
Ou
bien
est‐ce
que
je
vois
au
contraire
le
sport
“boxe”,

c’est‐à‐dire
 un
 sport
 à
 juges,
 comme
 le
 patinage
 ou
 la
 gymnastique,
 gagné
 non
 pas

d’abord
par
ko,
mais
au
titre
d’une
victoire
aux
points
(écrit
avec
un
“t”
et
non
un
“g”),

sanctionnant
une
série
d’
“assauts”36
?
/
Lorsque
je
vois
un
stade
entier
vibrer
lors
d’un

but,
dans
une
communion
émotionnelle
surpuissante
et
océanique,
que
vois‐je
?
Est‐ce

que
 je
 vois
 les
 jeux
 du
 cirque,
 condamnés
 par
 Sénèque
 37,
 est‐ce
 que
 je
 vois
 le
 chœur

tragique,
 lui‐même
 ancêtre
 des
 cortèges
 de
 Dionysos
 d’après
 Nietzsche,
 est‐ce
 que
 je

vois
une
version
légale
et
dégénérée
de
la
cruauté
sacrificielle
des
foules
?
Ou
bien
est‐ce

que
je
vois
au
contraire
l’assomption
collective
du
sentiment
civilisateur
de
philia,
assez

manifeste
lors
des
scènes
de
liesse
populaire
que
déclenche
la
victoire
d’une
nation
dans

des
matches
de
coupe
du
monde
?

À
 partir
 de
 là,
 ce
 qu’il
 est
 intéressant
 d’analyser
 dans
 le
 sport,
 c’est
 l’histoire

d’une
trahison.
Histoire
d’une
trahison
qui
n’est
pas
une
histoire,
précisément,
mais
qui

est
plutôt
une
tragédie,
au
sens
où
tout
est
déjà
présent
dès
le
départ
pour
que
tout
se

passe
 mal.
 Le
 sport
 est
 essentiellement
 [en
 un
 sens
 fort
 de
 l’adverbe
 essentiellement]

voué
 à
 se
 mentir
 à
 lui‐même
:
 il
 naît
 comme
 jeu,
 comme
 loisir
 libre,
 avec
 l’invocation

d’un
 ethos
 idéal
 aristocratique,
 parce
 que
 précisément
 il
 expose
 au
 risque
 permanent

des
comportements
réels
très
peu
aristocratiques.

Une
 des
 données
 fondamentales
 du
 jeu
 est
 la
 dimension
 de
 faire‐semblant

(mimicry),
explique
Caillois38.
C’est
la
mimèsis
déjà
évoqué
de
Norbert
Élias.
Lorsque
je

tape
quelqu’un,
1/
j’ai
une
pulsion
agressive,
2/
j’accomplis
ma
pulsion
agressive,
3/
si

mon
 coup
 est
 suffisamment
 fort,
 et
 qu’il
 atteint
 sa
 cible,
 il
 produit
 l’effet
 escompté
:
 je

provoque
la
douleur
de
l’autre.
Lorsque
je
fais
semblant
de
taper
quelqu’un,
la
troisième

étape
saute
c’est‐à‐dire
que
l’on
fait
volontairement
en
sorte
que
le
coup
n’atteigne
pas

sa
cible.
Mais
les
deux
composantes
précédentes
demeurent
présentes
:
j’ai
une
pulsion

agressive,
 je
 mets
 cette
 pulsion
 à
 exécution.
 Ainsi
 la
 faire
 semblant
 permet
 une

satisfaction
 émotionnelle
 intacte,
 sans
 dommage
 causé
 à
 l’autre
 –
 et
 donc,
 du
 point
 de

vue
de
l’individu
qui
fait
semblant,
sans
risque
de
représailles.

Cependant,
l’exécution
de
la
pulsion
agressive
a
un
effet
de
renforcement.
Il
peut

contribuer
à
rendre
cette
pulsion
plus
forte,
et
plus
vivace.
Plus
on
a
mal,
plus
on
crie,

plus
 on
 attise
 sa
 propre
 douleur,
 etc.
 Ou
 bien
:
 plus
 on
 est
 joyeux
 de
 voir
 son
 équipe

gagner,
 plus
 on
 hurle,
 plus
 on
 attise
 cette
 joie,
 dopée
 par
 les
 cris
 des
 autres.
 Ainsi,
 le

«
faire‐semblant
»
 est
 un
 moyen
 commode
 d’attiser
 et
 d’aiguiser
 les
 émotions
 jusqu’à

l’incandescence,
sans
toutefois
donner
lieu
à
toutes
les
conséquences
peu
souhaitables

dont
 s’accompagne
 en
 général
 l’assouvissement
 réel
 (représailles,
 punitions,
 guerre
 de

tous
contre
tous,
etc..).



























































36
 Pour
 une
 analyse
 de
 la
 distinction
 essentielle
 en
 boxe
 française
 entre
 “assaut”
 et
 “combat”,
 voir
 notre


mémoire
de
Master
2
:
L’épreuve
de
soi
dans
le
sport,
Merleau­Ponty,
Searle,
Bourdieu,
dirigé
par
J.
Benoist,

Panthéon‐Sorbonne,
2008,
pages
19‐20.

37
SENEQUE,
Lettres,
7
et
95.

38
Les
quatre
schèmes
qui
structure
cet
invariant
anthropologique
qu’est
le
jeu
sont
les
suivants
:
ilinx
(le


vertige),
alêa
(le
hasard),
mimicry
(le
faire
semblant),
agôn
(le
combat).
CAILLOIS,
Des
jeux
et
des
hommes.



 14


 Pour
 autant,
 le
 mécanisme
 du
 faire‐semblant
 peut
 s’avérer
 extrêmement

dangereux.
 En
 effet
 si
 le
 faire‐semblant
 occasionne
 un
 échauffement
 émotionnel,
 il

faudra
 en
 conséquence
 une
 augmentation
 proportionnelle
 de
 l’autocontrôle
 des

émotions.
Plus
haute
est
l’émotion,
plus
haute
est
le
plaisir,
mais
plus
haut
aussi
est
le

risque
 que
 les
 barrières
 psychologiques
 internes
 du
 sujet
 soient
 débordées.
 Or
 les

émotions
collectives
sont
extrêmement
fortes
par
le
mécanisme
décrit
:
1/
renforcement

interne,
 2/
 de
 la
 foule.
 À
 quoi
 s’ajoute
 un
 troisième
 facteur
 aggravant.
 En
 effet
 étant

donné
que
la
pulsion
agressive,
dans
le
faire‐semblant,
n’est
pas
directement
limité
par

les
représailles
ou
les
réactions
de
sa
cible,
comme
c’est
le
cas
dans
l’assouvissement
réel

de
la
pulsion,
le
risque
est
plus
grand
que
l’échauffement
émotionnel
atteigne
un
degré

très
 élevé,
 qui
 donnera
 lieu
 à
 des
 conséquences
 tragiques,
 si
 les
 barrières
 de

l’autocontrôle
interne
cèdent.
C’est
précisément
ici
qu’intervient
l’éthique
du
fair‐play
:

pour
 forger
 des
 mécanismes
 d’autocontrôle
 suffisamment
 robustes
 pour
 résister
 aux

coups
 pulsionnels
 que
 déclenche
 toute
 activité
 sportive.
 Ainsi
 l’homme
 vient
 en

permanence
 s’exposer
 dans
 le
 sport
 à
 ses
 démons
 internes
 et
 jouer
 au
 passage
 sa

cohésion
 et
 son
 identité
 –
 d’individu
 ou
 de
 communauté
 –
 c’est
 la
 thèse
 de
 «
l’épreuve

sportive
de
soi
».

Cela
 nous
 amène
 à
 une
 position
 sur
 une
 question
 très
 importante
:
 le
 sport

contient
 dès
 son
 origine
 tous
 les
 ingrédients
 pour
 provoquer
 une
 décadence
 vers
 le

sport‐spectacle,
 le
 sport
 professionnel,
 le
 sport
 nocif,
 le
 sport
business,
 le
 sport
 opium

du
peuple
et
aliénation
des
masses,
le
dopage,
etc.
En
effet
le
sport
est
travaillé
par
des

contraires,
comme
l’a
très
bien
analysé
Robert
Damien,
dans
le
cas
du
rugby
:
«
le
rugby,

écrit‐il,
 requiert
 l’alliance
 des
 contraires
»
 39.
 Mais
 cela
 n’a
 rien
 d’un
 accident
 de

parcours.
 Ce
 n’est
 pas
 une
 sorte
 d’imperfection,
 ou
 de
 défaut
 survenu
 après
 coup.

Lorsque
 je
 dis
 «
le
 sport
 est
 travaillé
 par
 des
 contraires
»,
 je
 ne
 veux
 pas
 dire
 que
 ces

contraires
 sont
 historiques
;
 ces
 contraires
 relèvent
 de
 la
 structure
 profonde
 du

phénomène
sportif.

Et
 c’est
 sur
 ce
 point
 que
 le
 sport
 est
 profondément
 un
 jeu40.
 L’homme
 vient
 s’y

exposer,
dans
l’arène,
à
ses
passions
individuelles
et
collectives
les
plus
violentes.
Mais

ce
qui
rehausse
la
valeur
de
ce
geste,
c’est
qu’il
est
délibéré,
accompli
gratuitement.
Le

sport
est
une
sorte
de
gigantesque
laboratoire
éthique
à
ciel
ouvert
–
avec
des
dangers

bien
réels41.
Cela
veut
dire
que
ce
que
l’on
appelle
«
les
dérives
du
sport
»
ne
sont
en
rien

des
 dérives,
 et
 je
 suis
 sur
 ce
 point
 parfaitement
 d’accord
 avec
 la
 théorie
 critique
 que

développe
Jean‐Marie
Brohm
depuis
plusieurs
décennies.
Cette
critique
repose
sur
l’idée

centrale
 que
 les
 phénomènes
 appelés
 “dérives”
 (dopage,
 violences,
 hooliganismes,

manipulation
et
aliénation
des
masses,
etc.)
n’en
sont
pas,
mais
relèvent
de
l’essence
du

sport.
Je
suis
entièrement
d’accord
avec
Brohm
sur
ce
point,
et
c’est
ce
qui
me
sépare
d’à

peu
près
tous
les
théoriciens
optimistes
ou
naïfs
du
sport.
Maintenant,
ma
position
est

que
ces
dérives
sont
un
des
deux
possibles,
une
des
deux
issues
du
sport,
comme
il
y
a

toujours
 deux
 issues
 dans
 un
 jeu.
 Quelle
 nature
 humaine
 est‐ce
 que
 ces
 remarques



























































39
 R.
 Damien,
 «
Deux
 ou
 trois
 choses
 que
 je
 sais
 à
 propos
 du
 rugby
»,
 in
 D.
 MOREAU
 et
 P.
 TARANTO
 (dir.),


Activité
physique
et
exercices
spirituels.
Essais
de
philosophie
du
sport
(2008).

40
“Profondément
un
jeu”,
puisqu’il
met
en
branle
les
ressorts
pulsionnels
et
conflictuels
qui
structurent
la


nature
humaine.

41
 Pensons
 par
 exemple
 au
 drame
 du
 Heysel,
 survenu
 le
 29
 mai
 1985
 à
 Bruxelles,
 dû
 au
 hooliganisme


(Match
Liverpool‐Juventus).
Suite
à
des
rixes
et
des
mouvements
de
foules,
des
grilles
de
séparation
et
un

muret
s'effondrèrent
sous
la
pression
et
le
poids
de
supporters,
faisant
39
morts
et
plus
de
600
blessés.



 15

dessinent
?
Le
sport
exacerbe
nos
conflits
internes,
il
les
extériorise,
mais
enfin
aussi
il
les

exorcise.
 Il
 y
 a
 donc
 possibilité
 du
 gain,
 du
 progrès.
 En
 effet
 tout
 se
 passe
 comme
 si

l’individu
 –
 de
 même
 que
 la
 communauté
 entière
 –
 tirait
 un
 gain,
 un
 bénéfice
 en
 se

confrontant
en
toute
liberté,
de
façon
ludique
et
gratuite,
au
propre
combat
des
forces

internes
(pulsionnelles
chez
l’individu,
politique
et
sociale
dans
la
communauté)
qui
le

tiraillent
et
le
structurent.


Conclusion

Je
 crois
 que
 l’on
 peut
 conclure
 en
 disant
 qu’il
 n’y
 a
 de
 fair‐play
 que
 pour
 un
 être

associant
quatre
caractères
:
un
être
pulsionnel,
libre,
susceptible
de
progrès,
et
vivant

en
 société.
 Ainsi,
 pour
 venir
 indexer
 la
 question
 anthropologique
 sur
 la
 question
 de

l’épreuve
sportive
de
soi,
qui
était
mon
point
de
départ,
on
aboutit
à
quatre
découvertes

personnelles
correspondantes.


• «
Je
 suis
 libre
»,
 je
 peux
 commander
 à
 mon
 corps
 de
 faire
 ce
 qu’il
 semble
 pourtant

refuser
 de
 faire
 par
 la
 douleur
 et
 l’inertie,
 je
 peux
 l’engager
 dans
 une
 activité
 fort

pénible
sans
aucun
intérêt
vital
comme
le
sport,
et
me
soumettre
à
la
règle
que
je
me

suis
prescrite,
que
cette
règle
soit
constitutive,
de
fair‐play,
ou
stratégique.
[Emprunt

à
l’anthropologie
kantienne
?]

• «
Je
suis
perfectible
 42
»,
je
peux
changer,
et
il
m’incombe
de
favoriser
et
d’orienter
ce

changement
:
 je
 peux
 modifier
 profondément,
 quoiqu’au
 prix
 d’un
 effort
 lourd,

certains
aspects
déterminés
de
mon
être
physique
et
moral,
selon
une
forme
que
je

choisis
 souverainement.
 Je
 peux
 donc
 acquérir
 une
 seconde
 nature
;
 mais
 sans

exercice,
la
seconde
nature
se
délite
et
disparaît
;
ce
qui
veut
dire
que
je
ne
suis
ce

que
 je
 suis
 que
 tant
 que
 j’agis,
 que
 je
 m’exerce,
 et
 que
 je
 transforme
 mon
 état.43

L’homme,
 individu
 et
 espèce,
 est
 un
 être
 qui
 a
 une
 histoire
 s’il
 prend
 en
 charge
 sa

perfectibilité.
[Emprunt
à
l’anthropologie
rousseauiste
et
aristotélicienne
?]

• «
Je
 suis
 un
 animal
 corporel
 »,
 exposé
 à
 douleur,
 la
 blessure
 et
 la
 mort,
 et
 siège

d’émotions
 et
 de
 pulsions
 primaires
 –
 j’ai
 en
 moi
 deux
 forces
 extrêmement

puissantes
 et
 profondes,
 une
 pulsion
 de
 plaisir
 qui
 s’exprime
 dans
 le
 jeu,
 et
 une

pulsion
d’agression
et
de
domination
qui
s’exprime
dans
la
compétition
–,
et
en
cela

je
 sens
 ma
 communauté
 profonde
 avec
 la
 nature
 qui
 m’environne.
 [Emprunt
 à

l’anthropologie
de
Norbert
Élias
?].

• «
Je
 vis
 au
 sein
 d’une
 communauté
 de
 partenaires
 et
 de
 rivaux
»,
 je
 veux
 gagner,
 les

autres
aussi,
les
deux
sont
impossibles,
par
conséquent
j’adresse
un
défi
permanent
à

mes
 semblables,
 sans
 défiance
 sur
 leur
 volonté
 de
 me
 détruire
 physiquement,
 avec

une
 confiance
 relative
 et
 vigilante
 en
 l’esprit
 de
 fair­play,
 mais
 avec
 une
 méfiance

permanente
 vis‐à‐vis
 de
 leurs
 intentions
 stratégiques
 régulières
;
 ce
 faisant
 je
 me

mesure
à
mes
adversaires
:
et
donc
i)
j’apprends
à
connaître
autrui,
qui

en
retour
ii)



























































42
 Rousseau
 définit
 la
 perfectibilité
 comme
 la
 «
faculté
 qui,
 à
 l’aide
 des
 circonstances
 développe

successivement
 toutes
 les
 autres,
 et
 réside
 parmi
 nous
 tant
 dans
 l’espèce,
 que
 dans
 l’individu,
 au
 lieu

qu’un
animal
est,
au
bout
de
quelques
mois,
ce
qu’il
sera
toute
sa
vie,
et
son
espèce,
au
bout
de
mille
ans,

ce
 qu’elle
 était
 la
 première
 année
 de
 ces
 mille
 ans.
»
 ROUSSEAU,
 Discours
 sur
 l’inégalité,
 Ière
 partie,
 OC
 III,

Paris,
Gallimard,
Éditions
de
la
Pléïade,
1959,
page
142.

43
 Emprunt
 au
 vocabulaire
 d’Aristote
 dans
 De
 la
 génération
 et
 de
 la
 corruption,
 I,
 4,
 Traduction
 Tricot,


Paris,
Vrin.



 16

permet
 et
 médiatise
 un
 accès
 à
 moi‐même
 [Emprunt
 à
 l’anthropologie
 de
 Hobbes

revue
par
Norbert
Élias
?]


Ces
réponses
sont
très
banales,
elles
vous
déçoivent
sans
doute
–
tant
que
l’on
n’ajoute

pas
 deux
 précisions
 essentielles,
 avant
 de
 clore
 le
 propos
:
 l’une
 portant
 sur
 la

conflictualité,
 l’autre
 sur
 l’indélégabilité.
 Premier
 point
:
 il
 convient
 de
 remarquer
 en

effet
 que
 ces
 quatre
 qualités
 sont
 gouvernées
 par
 une
 structure
 commune,
 celle
 de
 la

conflictualité,
au
sens
où
leur
mode
de
réalisation
prend
la
forme
dialectique
d’un
conflit.

On
se
demande
souvent
:
le
sport
est‐il
quelque
chose
de
douloureux
ou
d’agréable
?
En

réalité,
 si
 le
 sport
 génère
 de
 douleur
 et
 destruction,
 c’est
 lors
 de
 la
 phase
 d’opposition

frontale
 des
 deux
 premiers
 moments
;
 et
 si
 le
 sport
 génère
 plaisir,
 satisfaction
 et

confiance
 en
 soi,
 c’est
 lors
 du
 fameux
 «
dépassement
 de
 soi
»,
 lorsqu’une
 issue
 est

trouvée
 dans
 l’augmentation
 des
 aptitudes.
 Cette
 conflictualité
 anthropologique,
 que

révèle
et
exacerbe
le
sport,
est
donc
sans
doute
aussi
destructrice
que
constructrice.

Second
point
:
ce
qui
fait
la
valeur
de
ces
réponses
n’est
pas
leur
contenu
spéculatif,
ces

réponses
 sont
 pauvres
 tant
 que
 l’on
 demeure
 «
dans
 l’élément
 pensée
»,
 comme
 dit

Hegel.
 L’originalité
 de
 ces
 réponses,
 c’est
 leur
 mode
 d’accès,
 de
 donation
 ou
 faudrait‐il

dire
 de
 conquête.
 Ce
 mode
 s’appelle
 l’épreuve
 sportive,
 au
 premier
 sens
 du
 dispositif

institutionnalisé
de
mesure
objective
de
la
performance,
et
au
second
sens
d’une
forme

d’accès
 proprioceptif
 au
 vécu
 subjectif,
 au
 contenu
 des
 qualia.
 Or
 l’épreuve
 sportive

relève
 de
 cette
 catégorie
 pratique
 qu’est
 l’indélégabilité
 (vous
 ne
 pouvez
 demander
 à

quelqu’un
de
faire
du
sport
pour
vous,
ce
n’est
pas
délégable,
vous
devez
le
faire
vous‐
même
 en
 première
 personne44)
 et
 la
notion
 de
 fair‐play
 elle‐même
suppose
 une
 forme

d’engagement
 en
 première
 personne
 à
 suivre
 la
 règle.
 Le
 fair‐play
 désigne
 en
 effet
 cet

engagement,
 aussi
 ferme
 qu’un
 contrat,
 de
 résister
 aux
 tentations
 de
 triche,
 de

combattre
son
désir
de
vaincre
à
tout
prix,
et
de
résister
à
sa
pulsion
d’agressivité.
Faire

du
 sport
 est
 donc
 une
 action
 indélégable
 à
 deux
 titres
:
 au
 plan
 physique
 (épreuve
 de

soi)
comme
au
plan
moral
(fair‐play).
À
partir
de
là,
vous
comprenez
que
je
ne
peux
faire

pour
vous
l’épreuve
de
ces
quatre
vérités
(«
je
suis
libre,
perfectible,
animal,
et
social
»),

il
manquera
toujours
l’essentiel
si
je
vous
présente
cela
comme
un
résultat
de
pensée.
Il

convient
donc
simplement
de
se
taire
et
de
faire
du
sport.



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Paris, Gallimard, coll. folio, 1995, t. II, p. 501-561.

























































44
Est
indélégable
toute
action
qui
doit
être
réalisé
en
première
personne,
autrement
dit
qui
perd
tout
son


sens
toutes
les
fois
où
l’on
essaie
de
la
faire
faire
par
quelqu’un.
Je
suis
en
train
de
mener
une
réflexion

pour
ma
thèse
sur
la
grammaire
des
actions
indélégables.
J’ai
trouvé
chez
Kierkegaard
l’idée
que
l’épreuve

d’exister
n’est
pas
délégable.
Puis
je
me
suis
aperçu
en
rédigeant
cet
article
que
le
terme
d’indélégabilité,

quoiqu’il
 ne
 soit
 pas
 mentionnés
 dans
 les
 différents
 dictionnaires,
 existait
 déjà
 sous
 un
 sens
 juridique

précis
:
 il
 signifie
 peu
 ou
 prou
 la
 non‐transferabilité
 d’une
 compétence
 ou
 d’une
 responsabilité
 d’une

personne
physique
ou
morale
à
une
autre.



 17

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 18

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 19


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