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De
l’être
humain
:
philosophie,
psychologie,
sociologie
morales
Cap
Hornu,
15‐17
décembre
2009
Organisation
:
Solange
Chavel
et
Anne
Le
Goff
Anthropologie
du
fair‐play.
Aux
fondements
de
l’éthique
sportive.
Pierre‐Laurent
Boulanger
Abstract
/
Résumé
What can sports tell me about me? What can sports tell us about man? Making the best of applied
ethics works about the notion of fair play (sportsmanship), this study lays the question in these terms:
what are the anthropological conceptions that can be inferred from the fair play ethics? The issue at stake
is on one hand to instruct a part of the egological question of self-trial through sports, and on the other
hand to try to take sports out of a certain rut of applied ethics, by moving back the reflection to the
question of human nature according to a decidedly non-deflationist perspective. The study explores
successively four tracks (grammar and typology of fair play, genealogy of fair play, hebertist polemics
against sports, hobbesian anthropology of conflict) to conclude by identifying four truths that can be
delivered about oneself during sports trial, on the condition of engaging oneself (non-delegability):
freedom, perfectibility, animality, sociability.
Qu’est‐ce
que
le
sport
peut
m’apprendre
sur
moi
?
Qu’est‐ce
que
le
sport
a
à
nous
dire
sur
l’homme
?
Tirant
parti
des
travaux
d’éthique
appliquée
menée
sur
la
notion
de
fair‐play
en
sport,
cette
étude
repose
la
question
en
ces
termes
:
quelles
sont
les
conceptions
anthropologiques
inférables
de
l’éthique
du
fair‐
play
?
L’enjeu
est
ce
faisant
d’une
part
d’instruire
une
partie
de
la
question
égologique
de
l’épreuve
sportive
de
soi,
et
d’autre
part
de
tenter
d’extraire
le
sport
d’une
certaine
ornière
de
l’éthique
appliquée,
en
reportant
la
réflexion
sur
la
question
de
la
nature
humaine
selon
une
optique
résolument
non‐
déflationniste.
L’étude
envisage
successivement
quatre
pistes
(grammaire
et
typologie
du
fair‐play,
généalogie
du
fair‐play,
polémique
hébertiste
contre
le
sport,
anthropologie
hobbesienne
du
conflit),
pour
conclure
en
dégageant
quatre
vérités
que
peut
délivrer
sur
soi‐même
l’épreuve
sportive,
à
condition
de
s’engager
en
première
personne
(indélégabilité)
:
liberté,
perfectibilité,
animalité,
sociabilité.
Sommaire
Introduction...........................................................................................................................................................................1
1.
Le
fair‐play
comme
norme,
comme
esprit,
et
comme
indice
d’une
nature
conflictuelle. ...........4
2.
Grammaire
et
typologie
du
fair‐play
selon
le
degré
d’intériorisation.................................................6
3.
Généalogie
du
fair‐play............................................................................................................................................9
4.
Le
sport
contre
la
gymnastique
:
la
polémique
hébertiste .................................................................... 11
5.
Le
sport
dresse‐t‐il
les
hommes
les
uns
contre
les
autres
?
Histoire
d’une
trahison. ............... 13
Conclusion ........................................................................................................................................................................... 16
Bibliographie...................................................................................................................................................................... 17
Introduction
Je
voudrais
commencer
en
posant
deux
questions.
Le
sport
a‐t‐il
quelque
chose
à
m’apprendre
sur
moi‐même
?
Autrement
dit
que
puis‐je
apprendre
de
moi
dans
le
sport
que
je
n’apprendrai
ailleurs
?
Seconde
question
:
que
nous
enseigne
le
sport
sur
la
nature
humaine
?
Et,
partant,
quelles
sont
les
conceptions
anthropologiques
qui
structurent
le
débat
naissant
dans
ce
domaine
d’éthique
appliquée
qu’est
la
philosophie
du
sport
?
La
première
question
porte
sur
la
connaissance
de
soi
comme
sujet
:
sujet
métaphysique,
d’action,
individuel
ou
collectif.
C’est
la
question
qui
se
trouve
au
centre
de
mon
projet
doctoral,
l’hypothèse
de
ce
projet
étant
que
l’épreuve
sportive
serait
d’abord
épreuve
de
soi1.
Dans
le
sport,
notre
faculté
d’agir
se
donne
un
type
d’activité
dont
la
structure
est
bien
spécifique
:
elle
est
volontairement
choisie,
elle
fait
intervenir
la
compétition
avec
autrui,
elle
est
physiquement
engagée,
souvent
douloureuse,
elle
donne
lieu
à
un
bouillonnement
émotionnel,
la
plupart
du
temps
générateur
de
plaisir,
et,
enfin,
elle
réfléchit
de
façon
stylisée
les
contraintes
usuelles
ou
quotidiennes
du
champ
pratique
au
travers
des
règles
du
jeu.
C’est
notamment
ce
dernier
caractère
qui
intéresse
mon
travail,
dans
la
mesure
où
il
offre
de
quoi
appuyer
l’hypothèse
d’une
réflexivité
installée
dans
l’agir
corporellement
engagé,
une
réflexivité
non‐intellectuelle,
procédure
que
l’on
pourra
peut‐être,
sous
réserves,
nommer
agito
plutôt
que
“cogito
pré‐réflexif”
(cela
reste
encore
à
déterminer).
La
seconde
question
porte
sur
un
accès
à
soi,
à
titre
d’espèce,
ou
d’être
collectif
:
la
nature
humaine.
Ces
deux
questions
sont
distinctes,
quoiqu’elles
soient
articulées
:
1/
l’une
comme
l’autre
suppose
une
structure
réflexive,
un
accès
à
soi,
à
«
un
soi
»
qui
est
une
version
pratique
et
physiquement
engagée
de
soi,
2/
à
ce
stade
de
mes
recherches,
je
pars
de
l’hypothèse
que
la
résolution
de
la
première
passe
en
partie
par
la
résolution
de
la
seconde.
Pourquoi
?
À
ce
stade
de
mon
travail,
je
refuse
l’idée
d’une
étanchéité
des
compartiments
structurant
l’identité
individuelle,
influencé
sur
ce
point
par
ma
lecture
de
Bernard
Lahire2.
Les
croyances
sur
la
nature
de
l’homme
interfèrent
sur
les
façon
de
s’appréhender
soi‐même,
au
point
qu’il
y
a
lieu
d’éclater
cette
notion
de
soi
(travaux
de
Dorothée
Legrand3)
autant
que
d’éclater
la
notion
d’identité
personnelle;
de
même,
en
retour,
les
conceptions
que
nous
nous
fabriquons
de
l’homme
sont
incessamment
influencée
par
les
différentes
connaissances
de
soi
que
nous
développons.
Autrement
dit,
lorsque
je
me
pose
la
question
«
qui
suis‐je
?
»
et
que
j’y
trouve
une
réponse
non
1
En
cela,
le
sport
renouerait
avec
l’ascesis
des
Anciens,
comme
l’ont
bien
vu
Denis
MOREAU
et
Pascal
fragmentation
du
soi
(LAHIRE,
Bernard
[1998],
L’homme
pluriel.
Les
ressorts
de
l’action,
I,
1
«
L’unicité
du
soi
:
une
illusion
ordinaire
socialement
bien
fondée
»,
Paris,
Hachette,
page
30).
3
Dorothée
Legrand
dégage
quatre
formes
étagées
et
imbriquées
de
soi
(le
soi‐organisme,
le
soi
sensori‐
moteur,
le
soi
cognitif,
le
soi
réflexif),
qui
lui
permettent
de
distinguer
trois
formes
de
participation
du
soi
à
la
constitution
de
soi
(l'auto‐constitution,
l'inter‐constitution
et
l'allélo‐constitution)
ainsi
que
trois
formes
d'accès
à
soi
(en
tant
qu'unité
sensori‐motrice,
en
tant
que
sujet
cognitif,
et
en
tant
qu'objet
cognitif).
LEGRAND,
Dorothée
[2004],
Les
problèmes
de
la
constitution
de
soi,
Thèse
non
publiée,
Dirigée
par
Pierre
LIVET,
Université
de
Nice‐Provence.
1
discursive
en
me
confrontant
à
l’épreuve
sportive,
il
est
probable
que
cette
façon
que
j’ai
de
répondre
à
la
question
est
largement
polluée
par
des
données
très
peu
intimes,
mais
bien
partagées
par
tout
homme,
et
qui
sont
liées
à
la
question
très
générale
«
qu’est‐ce
qu’un
homme
?
qu’est‐ce
que
l’humain
?
».
Bien
plus,
je
crois
que
l’acuité
intellectuelle
autant
qu’émotionnelle
très
vive
de
la
question
«
qui
suis‐je
?
»
vient
du
fait
que
c’est
une
question
à
double
fond
:
nous
savons
confusément
qu’en
la
posant,
se
pose
aussi,
à
l’horizon,
la
question
de
l’humain
«
en
général
».4
Ceci
est
la
première
justification
que
je
souhaite
apporter
à
la
question
philosophique
«
qu’est‐ce
que
le
sport
nous
apprend
sur
la
nature
humaine
».
5
La
seconde
justification
concerne
un
enjeu
qui
est
d’ordre
spéculatif
autant
qu’académique
:
jusqu’à
aujourd’hui
les
rares
réflexions
philosophiques
menées
sur
le
sport
prennent
avant
tout
la
forme
d’une
éthique
appliquée
aux
sports6.
Une
revue,
née
il
y
a
trois
ans
à
peine,
est
ainsi
intitulée
Philosophy
and
sport
ethics.
Or
mon
point
de
vue,
c’est
qu’il
convient
d’engager
une
réflexion
de
philosophie
du
corps,
mais
surtout
de
philosophie
de
l’action
et
de
métaphysique
de
la
subjectivité,
concernant
le
sport.
À
partir
de
là,
l’intérêt
pour
moi
d’essayer
de
passer
de
la
réflexion
éthique
sur
le
sport
aux
fondements
anthropologiques,
c’est
aussi
donc
d’un
point
de
vue
académique
chercher
à
sortir
le
sport
d’une
pure
réflexion
d’éthique
appliquée,
c’est
passer
de
la
question
éthique
à
la
question
de
la
nature
de
celui
qui
agit.
La
troisième
justification
porte
sur
l’objectif
d’obtenir
une
meilleure
définition
de
ce
que
nous
appelons
corps.
En
effet,
lorsque
je
pose
la
question
«
qu’est‐ce
que
le
sport
a
à
nous
apprendre
sur
nous‐mêmes
?
»,
on
peut
deviner
que
la
réponse
va
impliquer
le
corps,
et
qu’il
va
donc
falloir
indiquer
quelle
place
nous
accordons
au
corps
dans
la
définition
que
nous
donnons
de
l’humain.
Or
je
crois
que
le
détour
anthropologique
étant
«
objectivant
»,
il
permet
de
court‐circuiter
le
risque
d’un
certain
enfermement
du
concept
de
«
corps
»
dans
l’espace
privé
des
vécus
du
sujet
(problématique
de
la
douleur,
dans
les
Investigations
philosophiques).
Dans
cette
étude,
l’objectif
est
de
contribuer
à
la
(re)découverte
naïve
suivante
:
c’est
par
le
corps
que
nous
sommes
4
Schématiquement,
la
corrélation
de
trois
faits
chez
Descartes,
que
sont
1/
la
révolution
philosophique
consistant
à
faire
usage
de
la
première
personne
dans
les
Méditations
Métaphysiques,
pour
accéder
à
une
vérité
qui
n’a
pourtant
rien
de
personnelle,
mais
concerne
notre
nature
humaine
d’être
pensant
2/
le
résultat
extraordinaire
atteint
par
Descartes
par
la
procédure
spéculative
de
saisie
de
soi,
le
cogito,
et
3/
le
problème
considérable
de
l’amputation
corporelle
que
ce
résultat
nécessite,
cette
corrélation
me
pousse
à
croire
qu’il
y
a
lieu
de
tenter
d’installer
la
construction
de
la
subjectivité
sur
le
plan
de
l’action
corporelle
–
ce
qui
voudrait
dire
aussi
peut‐être,
méthodologiquement,
sous
la
forme
d’un
exercice
qui
serait
méditatif
quoique
non
discursif,
une
pratique
corporelle
réflexive,
à
même
de
produire
un
agito,
ce
qui
viendrait
naturellement
poser
la
question
des
limites
discursives
de
la
philosophie
occidentale.
C’est
le
sens
de
mon
projet
de
recherche,
mené
depuis
la
rentrée
2009
à
l’UPO
sous
la
direction
de
Stéphane
Haber.
5
Et
j’adresse
également
cette
remarque
à
Stéphane
Haber,
qui,
en
bon
directeur
de
recherche,
m’a
fort
justement
posé
la
question
suivante
:
«
parler
du
fair‐play,
très
intéressant,
mais
quel
rapport
avec
la
thèse
en
cours
?
»
ce
qui
n’avait
pas
manqué
de
me
mettre
dans
l’embarras.
6
C’est
le
cas
aux
Etats‐Unis
et
au
Royaume‐Uni.
Quoique
la
littérature
en
philosophie
du
sport
y
soit
beaucoup
plus
abondante
qu’en
France,
elle
prend
très
majoritairement
la
forme
d’une
éthique
appliquée.
Les
très
rares
publications
françaises
sont
quant
à
elle
plus
éclectiques
:
Caillois
se
fait
anthropologue
du
jeu,
Ulmann
est
un
(excellent)
historien
des
doctrines
d’éducation
physique,
Yves
Vargas
voit
notamment
dans
le
sport
une
popularisation
réussie
de
l’idée
de
progrès
dont
ont
rêvé
les
philosophes
des
Lumières,
Paul
Ducros
tente
une
esthétique
heideggérienne
du
geste,
Isabelle
Quéval
interroge
le
rapport
de
l’homme
à
sa
propre
nature
notamment
sous
l’angle
du
dopage,
Denis
Moreau
et
Pascal
Taranto
dirigent
un
ouvrage
qui
tâche
de
faire
le
tour
des
questions
philosophiques
sur
le
sport.
Consulter
la
bibliographie
pour
les
titres.
2
humains.
Nous
allons
donc
être
amenés
à
redéfinir
ce
que
nous
appelons
“homme”,
ce
que
nous
appelons
“corps”,
et
surtout
le
rôle
que
joue
le
corps
dans
le
fait
d’être
homme.
Mais
il
nous
faut
cependant
nous
armer
dès
maintenant
d’une
définition
de
travail
du
concept
de
«
corps
».
Le
corps
est
un
ensemble
de
propriétés
étagées
selon
quatre
niveaux
:
1/
un
support
biologique
(muscles,
os,
nerfs,
cellules,
gènes),
2/
un
ensemble
d’activités
fonctionnelles,
d’aptitudes
motrices
et
perceptives
qui
sont
naturelles
(respirer,
battre
du
cœur,
courir,
sauter,
observer
un
objet,
le
saisir,
etc.)
3/
une
capacité
de
perfectionner
les
aptitudes
naturelles
du
niveau
deux,
doublée
d’une
capacité
d’inventer
et
de
contracter
de
nouvelles
aptitudes
motrices
et
perceptives
(courir
plusieurs
heures,
gravir
des
montagnes,
peindre
ou
observer
un
tableau,
rédiger
un
texte,
manier
une
balle,
etc…
)
4/
l’ensemble
de
dispositions
et
d’aptitudes
motrices
et
perceptives
acquises,
grâce
à
la
capacité
du
niveau
trois
(on
peut
appeler
ce
niveau
quatre
“seconde
nature”,
ou
histoire
du
corps),
5/
un
ensemble
de
«
pulsions
»,
d’une
nature
à
la
fois
somatique
et
psychique,
qui
est
problématique.
J’ajoute
que
la
définition
du
sport
que
j’adopte
ici
est
la
suivante
:
activité
physique,
ludique,
compétitive
et
institutionnelle.
Chacun
de
ces
caractères
nourrit
un
débat,
que
je
n’ai
pas
le
temps
de
reproduire
ici,
mais
j’exclus
de
mon
propos
aujourd’hui
par
exemple
:
la
danse
et
la
corrida
(non
ludique),
les
échecs
et
la
pétanque
(non‐
physique),
les
arts
du
cirque
et
le
sport‐santé
(non
compétitif)
et
surtout
toute
la
nébuleuse
sportive
(ce
qui
entoure
et
n’est
pas
le
sport
en
première
personne,
engagé
physiquement).
Je
ne
me
restreints
pas
à
certaines
disciplines,
mon
propos
concerne
tous
les
sports.
Dans
la
limite
de
cette
courte
intervention,
je
ne
pourrai
apporter
qu’une
contribution
limitée
à
ces
questions.
Ma
stratégie,
c’est
d’avoir
pris
la
catégorie
éthique
de
fair‐play
comme
camp
de
base,
pour
“documenter“
la
recherche
de
la
nature
de
l’homme
au
travers
de
celle
du
sportif.
Mais
qu’entendons‐nous
au
juste
par
anthropologie
?
Pourquoi
aller
à
rebours
de
ces
démarches
déflationnistes
aujourd’hui
?
Et
quelles
bonnes
raisons
ont
pu
pousser
certains
auteurs
à
l’abandon
de
la
question
de
la
nature
humaine
?
D’un
côté
on
le
problème
du
champ
de
bataille
kantien,
l’accord
semble
impossible
sur
la
nature
humaine
car
c’est
une
notion
passablement
«
métaphysique
»
au
sens
critique
de
Schlick
(on
entreprend
à
tort
de
connaître
[Erkennen]
le
contenu
de
ce
que
l’on
ne
peut
qu’appréhender
[Kennen]7),
et
d’un
autre
côté
les
bénéfices
spéculatifs
d’une
définition
de
la
nature
humaine
sont
ou
bien
très
faibles,
ou
au
contraire
négatifs,
avec
le
danger
de
manipulation
du
concept
de
nature
humaine,
derrière
lequel
chacun
peut
hypostasier
ce
qu’il
souhaite
(le
mot
“nature”
comme
une
sorte
de
cheval
de
troie
idéologique).
Cependant
le
risque,
pour
tous
ceux
qui
refusent
de
faire
de
la
métaphysique,
c’est
évidemment
que
ce
soit
«
la
métaphysique
qui
vous
fasse
».
C’est
l’avertissement
que
lance
Hans
Jonas
lorsqu’il
dit
:
«
Descartes
non
lu
nous
détermine,
que
nous
le
voulions
ou
non.
»8
Mais
il
est
possible
que
le
champ
de
bataille
philosophique
dans
le
cas
de
la
notion
de
nature
humaine
soit
à
rapporter
à
une
conflictualité
de
la
nature
humaine
elle‐même.
L’homme
verrait
en
lui‐même
un
champ
de
bataille,
parce
qu’il
serait
ce
champ
de
bataille.
La
structure
que
dévoilerait
le
sport,
ce
serait
celle
d’un
7
Schlick,
«
Le
vécu,
la
connaissance,
la
métaphysique
»
(1926),
in
Antonia
SOULEZ,
Manifeste
du
cercle
de
Vienne
et
autres
écrits,
PUF,
1989,
p.155‐179.
8
Cité
dans
le
Manuel
Philosophie
et
modernité,
Éditions
de
l’École
Polytechnique,
2009,
page
6.
3
conflit
interne
permanent
de
forces
et
de
pulsions
–
tant
au
niveau
de
l’individu
que
de
la
communauté.
Nous
reviendrons
sur
cette
idée
plus
loin.
Quel
camp
choisir
?
Notre
présupposé
aujourd’hui
est
anti‐déflationniste,
l’idée
étant
qu’il
vaut
mieux
réfléchir
à
la
nature
humaine,
au
risque
de
faire
de
la
métaphysique,
pour
précisément
éviter
le
cheval
de
troie
idéologique.
Commençons
donc
à
nous
demander
ce
qu’est
le
fair‐play.
1. Le
fair‐play
comme
norme,
comme
esprit,
et
comme
indice
d’une
nature
conflictuelle.
Le
fair‐play
désigne
communément
l’attitude
d’un
sportif
ayant
assez
de
self
control
pour
éviter
la
mesquinerie
durant
la
partie,
l’arrogance
dans
la
victoire,
et
la
mauvaise
foi
ou
l’agressivité
dans
la
défaite.
À
partir
de
là,
le
fairplay
fonctionne
comme
une
norme,
qui
quoiqu’assez
vague,
est
invoquée
dans
le
langage
pour
asseoir
un
jugement
:
«
ce
geste,
ce
joueur
n’est
pas
très
fair‐play.
»
Mais
quand
nous
disons
cela,
que
croyons‐nous
qu’il
manque
à
ce
geste
?
Nous
croyons
qu’il
lui
manque
l’esprit
de
fair‐play,
et
par
cet
esprit
nous
entendons
la
disposition
intérieure
spécifique
que
les
joueurs
doivent
adopter
dans
l’épreuve
sportive,
afin
que
celle‐ci
puisse
se
dérouler
dans
de
bonnes
conditions.
L’idée
est
donc
que
le
sport,
pour
avoir
lieu,
requiert
des
règles,
requiert
des
arbitres
pour
en
contrôler
l’application,
et
puis
requiert
une
troisième
chose
qui
permet
aux
règles
de
fonctionner,
à
savoir
le
fairplay.
C’est
une
sorte
de
Constitution
non
écrite
du
sport,
sans
laquelle
les
règles
instituant
le
jeu
se
gripperaient
totalement.
Si
le
fair‐play
n’est
pas
écrit,
c’est
qu’il
ne
peut
être
écrit
il
est
la
condition
de
possibilité
des
règles
qui
n’est
précisément
pas
une
règle.
Bref
le
fair‐play
opère
une
sortie
de
l’éthique
vers
la
naturalité
des
dispositions
corporelles.
Il
vient
s’inscrire
dans
un
«
arrière‐plan
de
dispositions
»
(Searle9),
il
fait
fond
d’une
nature
humaine
qu’il
façonne
en
retour.
Ainsi,
l’esprit
de
fairplay,
qui
est
en
réalité
un
esprit
de
jeu
autant
qu’un
bon
esprit,
est
une
condition
de
possibilité
du
sport.
Or
ceci
nous
fournit
un
précieux
renseignement
sur
ce
qui
se
passe
en
l’homme
:
la
question
«
pourquoi
le
fair‐play
»
devient
:
contre
quelles
forces
profondes
a‐t‐on
eu
besoin
de
créer
une
norme
si
contraignante
?
Le
fair‐play
est
une
barrière
contre
quoi,
chez
l’homme
?
Observons
comment
fonctionne
le
sport.
Le
sport
nous
place
dans
une
situation
de
compétition,
il
nous
met
face
à
des
adversaires.
Par
cette
compétition
il
active
puissamment
une
pulsion
d’agressivité,
sous
la
forme
du
désir
de
gagner.
Mais
d’un
autre
côté,
le
sport
n’est
précisément
pas
un
combat,
il
n’est
pas
une
lutte
à
mort.
Le
sport
mime
le
combat,
c’est
une
activité
mimétique
en
un
sens
aristotélicien10
dit
Élias.
9
Searle
formule
la
thèse
de
l’Arrière‐plan
(Background)
de
la
façon
suivante
:
«
Toute
représentation,
que
ce
soit
dans
le
langage,
la
pensée,
ou
dans
l’expérience,
ne
parvient
à
représenter
seulement
si
l’on
dispose
d’un
ensemble
de
capacités
non‐représentationnelles.
»
Et
il
ajoute
quelques
pages
plus
loin
:
«
L’intentionnalité
tend
à
s’élever
au
niveau
des
aptitudes
d’Arrière‐plan.
Ainsi
par
exemple,
le
skieur
débutant
peut
avoir
besoin
d’une
intention
de
faire
porter
tout
son
poids
sur
le
ski
orienté
du
côté
de
la
pente,
un
skieur
moyen
possède
la
technique
qui
lui
permet
d’avoir
l’intention
«
tourner
à
gauche
»,
et
un
skieur
réellement
expérimenté
peut
simplement
avoir
l’intention
«
skier
sur
cette
pente
».
Dans
une
course
de
ski,
par
exemple,
les
entraîneurs
essaieront
de
créer
un
niveau
d’intentionnalité
qui
est
essentiel
pour
gagner
la
course,
mais
cela
présuppose
un
soubassement
énorme
de
capacités
d’Arrière‐
plan.
»
SEARLE
J.
R.,
La
redécouverte
de
l’esprit
(1992),
Paris,
Gallimard,
1995,
pages
238
et
262.
10
ÉLIAS,
Norbert
[1986],
Sport
et
civilisation,
la
violence
maîtrisée,
pages
54‐59.
La
parenthèse
sportive,
une
sorte
d’épochè
sociale,
offre
aux
individus
la
possibilité
d’effectuer
une
libération
contrôlée
de
leurs
émotions.
Comme
le
petit
enfant
«
que
son
père
jette
en
l’air
et
qui
retombe
en
toute
sécurité
dans
les
bras
4
L’affrontement
est
réel,
mais
il
prend
place
au
sein
d’un
système
étroit
de
contention
de
la
violence.
Le
sport
place
donc
l’individu
face
à
une
sorte
d’injonction
paradoxale
:
«
battez‐vous
sans
violence
».
Et
donc
la
révolution
sportive
qui
a
lieu,
d’après
Élias,
aux
tournants
des
XVIIIème
et
XIXème
siècles,
à
la
fois
sur
le
plan
politique
avec
le
parlementarisme,
et
sur
le
plan
des
mœurs,
avec
le
sport,
c’est
une
intériorisation
du
dispositif
de
censure
des
émotions,
au
profit
d’un
affrontement
où
je
ne
cherche
plus
à
détruire
physiquement
mon
adversaire.
Le
fair‐play
est
un
lointain
rappel
de
ce
principe.
Lorsque
Zidane
frappe
violemment
son
adversaire
de
la
tête,
devant
peut‐être
50
millions
de
personnes,
c’est
brutalement
sous
nos
yeux
une
régression
civilisationnelle
qui
a
lieu.
Élias
analyserait
ce
geste
comme
le
hooliganisme,
en
disant
:
les
barrières
internes
d’auto‐censure
de
cet
individu,
pour
des
raisons
éducatives
et
sociales,
n’étaient
pas
suffisamment
fortes
pour
encaisser
la
pression
émotionnelle
considérable
de
l’épreuve
sportive.
Notons
qu’Élias
remarque
incidemment
que,
si
tous
les
joueurs
étaient
parfaitement
fair‐play,
cela
donnerait
une
partie
de
football
très
ennuyeuse,
sans
créativité,
avec
un
jeu
stéréotypé
et
répétitif.
L’esprit
de
fair
ne
doit
pas
étouffer
l’esprit
du
play
:
le
bon
esprit
doit
encadrer
sans
écraser
l’esprit
de
jeu.
Le
sport
est
donc
conflit
;
mais
parce
qu’il
exacerbe
et
met
en
spectacle
la
conflictualité
interne
de
l’homme.
C’est
est
un
terrain
d’affrontement
ritualisé
et
codifié,
dont
le
conflit
structurel
se
noue,
au
sein
même
de
l’individu11,
autour
de
la
polarité
entre
d’un
côté
les
pulsions
profondes,
et
de
l’autre
la
nécessité
sociale
d’observer
des
règles
et
donc
de
contrôler
ses
émotions.
Le
joueur
est
ainsi
en
permanence
placé
en
position
d’arbitrage
ou
de
dosage
entre
l’exigence
du
respect
des
règles
et
le
désir
de
gagner.
Cet
arbitrage
est
«
très
coûteux
en
énergie
psychique
».
Mais
on
comprend
dès
lors
que
ce
qui
se
passe
de
plus
intéressant
en
sport
n’est
pas
toujours
ce
que
peuvent
filmer
les
caméras.
Ce
qui
intéresse
le
sportif,
c’est
ce
qui
va
se
passer
dans
sa
tête
et
dans
son
corps.
JF
Balaudé
observe
d’ailleurs
que
«
la
démarche
du
pratiquant
assidu
l’attache
à
un
sport
pour
ce
qu’il
y
trouve
intimement,
et
non
pour
ce
qu’on
lui
en
dit,
ou
ce
qu’on
lui
en
montre
»,
en
ajoutant
incidemment
:
«
les
sportifs
confirmés
ne
sont
d’ailleurs
pas
nécessairement
de
grands
spectateurs
de
sports
»12.
L’arène
sportive
est
donc
une
arène
intérieure.
C’est
à
l’intérieur
de
l’homme
que
le
véritable
combat
a
lieu,
qu’une
connaissance
peut
être
de
celui‐ci
peut
goûter
l’excitation
mimétique
du
danger
et
de
la
peur
[…],
les
spectateurs
d’un
match
de
football
peuvent
savourer
l’excitation
mimétique
de
la
bataille
qui
se
déroule
sur
le
stade,
puisqu’ils
savent
qu’aucun
mal
ne
sera
fait
aux
joueurs
ou
à
eux‐mêmes
»
(page
55).
Élias
examine
pendant
de
longues
pages
comment
la
libération
contrôlée
des
émotions
s’apparente
à
la
purification
(catharsis)
décrite
par
Aristote
dans
la
Poétique.
11
C’est
cette
intériorisation
des
procédures
de
censure
que
décrit
parfaitement
Norbert
Élias,
dans
Sport
et
civilisation,
la
violence
maîtrisée.
Pour
Élias
le
concept
clé
qui
permet
de
rendre
compte
de
l’apparition
du
sport,
pensé
dans
sa
discontinuité
avec
les
affrontements
anciens,
est
celui
de
«
libération
contrôlée
des
émotions
».
Ce
controlled
decontrolling
of
emotions
requiert
deux
conditions
:
1/
l’apparition
et
la
diffusion
d’activités
dont
le
caractère
mimétique
permet
le
relâchement
du
contrôle
ordinairement
exercé
sur
les
émotions,
2/
une
intériorisation
suffisamment
forte
et
répandue
des
mécanismes
de
l’autocontrainte.
L’effet
est
le
suivant
:
les
émotions
peuvent
se
libérer
sans
toutefois
que
la
société
soit
mise
en
danger
par
un
retour
sauvage
de
la
violence.
Ce
phénomène
de
sportization
est
lié
au
“Processus
de
Civilisation”,
compris
comme
déplacement
du
mode
de
contention
des
affects
effectué
par
un
dispositif
intériorisé
de
censure,
et
non
plus
(ou
plus
seulement)
par
une
autorité
extérieure
qui
contraint
l’individu.
12
BALAUDE,
Jean‐François,
«
Haute
intensité.
Une
approche
philosophique
du
cyclosport
»,
in
MOREAU
&
TARANTO, Activité physique et exercices spirituels. Essais de philosophie du sport, Paris, Vrin, 2009.
5
atteinte
13.
Faire
du
sport,
c’est
continuellement
travailler
à
maintenir
un
équilibre
instable
entre
le
respect
de
la
règle
et
le
désir
d’atteindre
l’objectif
–
sachant
qu’il
peut
y
avoir
trois
types
de
règle
:
1/
la
règle
de
fair‐play
et
de
bienséance,
2/
la
règle
institutionnelle,
qui
régit
la
discipline
sportive,
dont
l’observance
est
contrôlée
par
la
figure
de
l’arbitre
(distinction
:
Jan
Boxill
et
John
Searle14),
ou
bien
3/
la
règle
autoprescrite,
qui
est
de
nature
stratégique,
et
dont
l’observance
est
assurée
par
la
figure
de
l’entraîneur
(en
cyclisme
«
éviter
les
erreurs
de
braquet
en
anticipant
le
changement
de
vitesse
»,
en
course
d’orientation
«
ne
pas
hurler
la
position
du
poste
à
ses
coéquipiers
»,
en
cyclisme
«
ne
jamais
laisser
partir
une
échappée
sans
y
placer
un
coureur
de
son
équipe
ou
de
son
club
»,
en
football
«
envoyer
les
ballons
sur
l’aile
où
la
défense
est
plus
faible
»,
en
nautisme
«
barrer
à
30
°
Est
encore
une
heure
sauf
si
le
vent
passe
au‐delà
des
40
nœuds
»,
en
marathon
«
maintenir
une
allure
à
105%
de
la
VMA
sur
les
deux
derniers
kilomètres
d’un
marathon
»,
etc.)
Sans
cette
troisième
sorte
de
règle,
que
la
philosophe
Jan
Boxill
ne
mentionne
pas,
on
ne
peut
comprendre
la
main
du
footballeur
Thierry
Henry
par
exemple.
On
reproche
à
ce
dernier
un
manque
de
fair‐play,
considérant
que
le
seul
type
d’allégeance
éthique
sous
laquelle
son
action
peut
être
comprise
est
celle
du
fair‐play.
Cependant,
Henry
se
tient
sous
une
seconde
allégeance
éthique,
celle
qui
le
lie
à
son
entraineur,
et
à
ses
coéquipiers.
Dans
le
cadre
de
cette
allégeance,
faire
une
passe
à
l’adversaire,
ou
marquer
contre
son
camp
est
presque
aussi
grave
–
que
de
corriger
une
erreur
d’arbitrage
qui
avantage
l’équipe.
Ainsi
l’existence
du
fair‐play
nous
a
montré
que
l’homme
héberge
une
forte
conflictualité
interne,
que
nous
avons
analysée,
et
sur
laquelle
nous
ferons
retour
dans
la
dernière
partie.
Maintenant,
demandons‐nous
si
l’on
peut
considérer
tous
les
actes
non
fair‐play
comme
identiques
?
Se
doper,
frapper
l’adversaire,
faire
une
main
au
football
relèvent‐t‐ils
de
la
même
catégorie
?
2. Grammaire
et
typologie
du
fair‐play
selon
le
degré
d’intériorisation
Dans
cette
seconde
partie,
on
va
simplement
dégager
des
tendances
de
la
nature
humaine
en
fixant
différents
degrés
d’acceptation
du
fair‐play
par
l’agent,
du
refus
total
à
l’adhésion
totale.
Je
signale
deux
autres
principes
de
classement
typologique,
que
je
n’ai
pas
le
temps
de
traiter
ici
:
les
fair‐play
selon
les
disciplines
sportives
(sports
collectifs,
et
parmi
eux
sports
de
contact,
sports
individuels,
sports
de
combat,
athlétisme),
et
les
fair‐play
selon
le
type
d’axiologie
sportive
dans
laquelle
on
se
situe
(sport‐spectacle,
sport
de
masse,
sport‐santé,
sport
amateur
ou
professionnel
etc.).
La
méthode
que
l’on
va
employer
va
consister
en
une
analyse
empirique
des
usages
linguistiques
courants
de
la
notion
de
fair‐play.
Le
refus
de
la
norme
de
fairplay
:
le
foulplay15
13
Cette
idée
ne
peut
manquer
de
rappeler
la
perspective
augustinienne
:
«
in
te
redo,
in
homine
habitat
veritas
»
[«
rentre
en
toi‐même,
c’est
en
l’homme
que
réside
la
vérité
»]
SAINT AUGUSTIN : De Vera
Religione, liv XXXIX.
14
BOXILL,
Jan
[2003],
“Introduction
:
The
Moral
Significance
of
Sport”,
in
Jan
Boxill
(dir.),
Sport
ethics
:
an
anthology,
Malden
MA,
Blackwell.
15
Pour
une
réflexion
sur
cette
catégorie,
voir
HARDAWAY,
Francine
[2003],
“Foul
play
:
Sports
metaphors
as
Public Doublespeak”, in Jan Boxill (dir.) [2003], Sport ethics : an anthology, Malden MA, Blackwell.
6
Le
terme
français
fair‐play,
anglicisme
que
l’Académie
recommande
de
traduire
par
jeu
loyal
ou
franc
jeu,
et
qui
peut
être
à
la
fois
nom
et
adjectif
(premier
usage
en
1849,
apparition
des
sports
en
France)
ne
se
traduit
pas
par
fair
play
en
anglais,
mais
plutôt
par
sportsmanship.
On
peut
traduire
sportsmanship
par
sportivité;
et
il
existe
d’ailleurs
une
médaille
olympique
de
la
sportivité,
qui
récompense
un
geste
fair‐play
exceptionnel16.
On
peut
compter
au
moins
quatre
formes
différents
de
rupture
avec
la
norme
de
fair‐play,
qui
sont
autant
de
façons
négatives
de
mieux
cerner
la
notion
de
fair‐
play
:
1/
L’antijeu
est
une
faute
qui
n’est
pas
une
infraction
au
règlement,
mais
qui
rend
pourtant
la
partie
impossible.
C’est
par
exemple
le
refus
de
jouer,
le
refus
de
faire
la
course
(comme
parfois
lors
du
Tour
de
France).
L’obstruction
volontaire
est
une
forme
d’antijeu
au
football.
2/
le
gamesmanship,
par
opposition
au
sportsmanship,
est
l’attitude
gouvernée
par
le
slogan
«
to
play
for
the
game,
not
for
the
sport
»
(jouer
pour
le
score
et
non
pour
le
sport,
autrement
«
pour
la
gagne
»,
et
non
pour
le
plaisir).
Le
gamesman
–
appelons‐le
“gagneur”
–
ne
triche
pas,
il
utilise
des
moyens
douteux
quoique
techniquement
réglementaires
et
légaux,
pour
gagner17.
Sachant
qu’une
victoire
est
un
objet
constitué
par
un
réglement,
le
gagneur
va
chercher
à
l’obtenir
«
à
tout
prix
»
quoique
sans
entrave
au
règlement.
Le
geste
de
Zidane
(09/07/2006),
et
le
geste
récent
d’Henry
(18/11/2009)
sont
des
cas
d’entraves
au
fair‐play
qui
sont
distincts,
pourtant
ni
l’un
ni
16
La
médaille
de
la
Sportivité,
ou
médaille
Pierre‐de‐Coubertin,
est
décernée
par
le
Comité
international
olympique
pour
récompenser
le
fair‐play
d’un
athlète,
lors
des
Jeux
olympiques.
À
ce
jour
il
n’y
a
que
14
titulaires
de
cette
médaille,
mais
le
rythme
s’accélère
puisque
huit
ont
été
décernées
depuis
2000.
Le
CIO
cherche
à
en
faire
la
récompense
la
plus
estimable
qu'un
athlète
puisse
recevoir,
supérieure
à
la
médaille
d'or
–
mais
sa
très
faible
médiatisation
limite
considérablement
ce
statut.
Cette
politique
récente
de
“moralisation”
ou
de
“whitewashing“
du
CIO
s’illustre
par
exemple
par
l’organisation
de
l’exposition
«
Ange
ou
démon
?
Le
choix
du
fair‐play
»
organisée
au
siège
de
Lausanne
en
2006.
Cette
médaille
nous
donne
l’occasion
d’étudier
un
exemple
historique
de
geste
fair‐play
:
le
premier
à
recevoir
cette
décoration
est
le
bobeur
italien
Eugenio
Monti.
Aux
Jeux
olympiques
d'hiver
de
1964
à
Innsbruck,
Monti
réalise
le
meilleur
temps
de
la
première
manche
mais
apprenant
que
les
bobeurs
anglais
(Tony
Nash
et
Robin
Dixon)
avaient
cassé
un
écrou
de
leur
engin,
il
leur
donne
le
sien.
Les
Anglais
remportent
le
titre
olympique,
Monti
termine
troisième
avec
son
coéquipier.
La
presse
transalpine
critique
alors
le
geste
de
Monti
auquel
il
répond
:
«
Nash
n'a
pas
gagné
parce
que
je
lui
ai
donné
un
écrou.
Il
a
gagné
parce
qu'il
a
effectué
la
course
la
plus
rapide.
»
Et
Monti
reproduira
exactement
le
même
geste
de
générosité
avec
les
Canadiens
en
bob
à
4.
C’est
d’autant
plus
méritoire
que
Monti,
lors
des
championnats
du
Monde,
a
était
systématiquement
médaillé
d’or
en
bob
à
2
pendant
7
années.
Monti
a
donc
sciemment
permis
à
des
compétiteurs
de
lui
prendre
la
première
place
puisque
sans
écrous
ils
auraient
été
disqualifiés,
et
que
vu
son
excellent
niveau
il
aurait
probablement
gagné.
Citons
un
second
cas,
celui
de
Vanderlei
de
Lima,
marathonien
brésilien,
rendu
célèbre
par
une
mésaventure
rarissime
lors
des
Jeux
Olympiques
d’Athènes
en
2004.
À
mi‐parcours,
il
part
en
échappée,
et
devance
le
peloton
des
favoris
de
l’épreuve.
Au
35e
kilomètre,
il
compte
encore
48
secondes
sur
ses
poursuivants,
ce
qui
donne
une
gamme
de
scénarios
très
ouverte,
mais
un
spectateur
l’agresse
délibérément,
le
ceinture
et
l’entraîne
dans
les
barrières.
Aidé
par
un
autre
spectateur
grec,
il
parvient
à
repartir
mais
il
est
déconcentré,
et
a
perdu
environ
20
secondes.
Il
est
ensuite
dépassé
par
l'italien
Stefano
Baldini
et
l'américain
Mebrahtom
Keflezighi
au
38e
kilomètre
mais
arrive
tout
de
même
à
conserver
la
3e
place
synonyme
de
médaille
de
bronze.
Vanderlei
de
Lima
a
saisi
le
Tribunal
Arbitral
du
Sport
(TAS),
qui
regrette
les
circonstances
malheureuses
et
lui
exprime
sa
sympathie,
mais
ne
peut
modifier
le
résultat.
On
peut
considérer
que
le
Comité
international
olympique
lui
a
décerné
la
médaille
de
la
sportivité
à
titre
consolatoire.
17
POTTER,
Stephen
[1947],
The
Theory
and
Practice
of
Gamesmanship.
Or
the
Art
of
Winning
Games
without
Actually Cheating.
7
l’autre
ne
relèvent
du
gamesmanship
:
Henry
a
réellement
triché
sur
le
plan
réglementaire,
et
Zidane
a
commis
une
infraction
à
la
loi
(agression
physique).
Un
bon
exemple
de
gamesmanship
est,
en
US
Football,
la
technique
appelée
«
icing
the
kicker
»,
consistant,
pour
un
entraineur
à
demander
un
temps
mort
exactement
au
moment
où
un
joueur
adverse
est
sur
le
point
de
faire
un
kick
décisif,
pour
stresser
ce
dernier
et
lui
faire
perdre
ses
moyens.
C’est
un
procédé
mesquin,
mais
réglementaire.
3/
le
sensationnalisme,
la
volonté
d’épater
la
galerie,
voir
d’utiliser
la
pression
du
public
en
sa
faveur
pour
l’emporter
(ce
pour
quoi
John
McEnroe
est
resté
célèbre
par
exemple).
C’est
aussi
ce
que
dénonce
Francis
Wolff,
dans
sa
Philosophie
de
la
Corrida
(qui
n’est
pas
un
sport)
sous
le
nom
de
pathos.
4/
le
jeu
petit.
Quoiqu’être
fair‐play
c’est
être
beau
joueur,
je
ne
crois
pas
que
l’on
puisse
traduire
le
substantif
fair‐play
par
beau
jeu.
En
effet,
le
beau
jeu
s’oppose
au
jeu
petit,
qui
consiste
à
gagner
de
façon
mesquine,
sans
générosité,
sans
panache,
sans
prise
de
risque,
ni
créativité.
Au
rugby
par
exemple,
cela
consiste
à
pousser
l’autre
équipe
à
la
pénalité,
et
à
gagner
un
matche
entièrement
au
pied.
Le
gamesman
est
très
proche
du
petit
joueur,
mais
le
premier
fait
preuve
d’une
mesquinerie
créative,
inventant
des
procédés
douteux,
tandis
que
le
petit
joueur
est
un
mesquin
passif.
Citons
comme
exemple
la
technique
du
catenaccio,
entièrement
basé
sur
la
défense
et
la
contre‐attaque
surprise
ayant
lieu
derrière
la
défense
adverse.
En
vélo,
le
jeu
petit,
c’est
pour
un
champion
de
rester
sans
cesse
protégé
derrière
ses
coéquipiers,
à
la
tête
du
peloton,
sans
jamais
partir
en
échappée,
si
ce
n’est
aux
derniers
kilomètres.
Respect
du
fairplay
a)
Fair‐play
pragmatique
:
la
norme
est
acceptée
par
l’agent
à
titre
provisoire,
non
pour
sa
valeur
intrinsèque,
mais
simplement
parce
qu’elle
rend
possible
la
tenue
de
la
partie.
Un
des
problèmes
en
effet,
de
la
notion
de
fair‐play,
est
que
l’on
ne
peut
pas
dire
à
la
fois
qu’elle
est
une
condition
de
possibilité
de
la
rencontre
sportive,
sans
qui
elle
tourne
au
pugilat18,
et
à
la
fois
qu’elle
suppose
une
adhésion
de
conviction
de
la
part
des
agents
!
Car
s’il
faut
accepter
d’être
fair‐play
pour
faire
du
sport,
alors
les
agents
peuvent
très
bien
choisir
de
faire
du
sport,
tout
en
ne
choisissant
pas
d’être
fair‐play,
mais
en
l’acceptant
comme
une
contrainte
pénible
quoiqu’indispensable.
C’est
d’ailleurs
le
cas,
empiriquement,
d’un
grand
nombre
de
compétiteurs,
davantage
attiré
par
le
désir
de
la
gagne,
que
le
plaisir
du
beau
jeu.
Cependant,
le
problème
du
fair‐play
est
donc
que
s’il
demeure
strictement
pragmatique
(je
suis
fair‐play
parce
qu’il
le
faut,
parce
qu’il
le
faut
pour
pouvoir
être
un
player),
il
a
une
force
contraignante
élevée
(«
vous
refusez
le
fair‐play
?
alors
pas
de
sport
»)
mais
il
perd
toute
valeur
morale.
Pire,
il
risque
alors
de
favoriser
la
tartuferie,
l’hypocrisie.
b)
Fair‐play
rationnel
légaliste
:
la
norme
est
acceptée
par
l’agent
pour
des
raisons
de
calcul
rationnel,
et
des
considérations
politiques
:
on
ne
peut
vivre
ensemble
dans
une
société
où
il
y
a
de
la
triche,
de
la
tromperie,
de
l’abus.
Il
faut
donc
que
chacun
adopte
extérieurement
une
attitude
juste.
Respecter,
dans
son
comportement,
le
principe
de
fair‐play
est
tenu
pour
un
devoir.
Le
problème
de
cette
position
est
qu’elle
nie
le
fait
que
le
fair‐play
ne
saurait
être
un
code,
un
appareil
de
normes
instituées,
mais
18
Il
y
a
des
exemples
célèbres
dans
l’histoire.
Citons
par
exemple
la
«
générale
»
déclenchée
par
l’équipe
de
France
de
rugby,
lors
de
la
demi‐finale
de
1991
contre
l’Angleterre,
en
représailles
au
«
plan
anti‐
blanco
»
orchestrés
par
le
XV
de
la
Rose.
8
qu’il
relève
d’un
esprit,
comme
il
y
a
un
esprit
des
lois.
Il
existe
des
«
codes
de
fair‐play
»,
mais
ils
tombent
dans
la
fameuse
régression
logique
détectée
par
Wittgenstein
consistant
à
inventer
d’autres
règles
pour
apprendre
à
quelqu’un
comment
il
doit
respecter
les
règles.
Le
fair‐play
n’est
justement
pas
une
règle,
il
est
ce
qui
n’est
pas
une
règle,
mais
qui
rend
possible
le
suivi
des
règles.
Il
est
donc
incohérent
de
c)
Fair‐play
rationnel
légitimiste
:
Ce
qui
est
un
devoir,
ce
n’est
pas
seulement
de
respecter,
dans
son
comportement,
le
principe
de
fair‐play,
mais
c’est
d’y
adhérer
en
son
âme
et
conscience
comme
porteur
d’une
valeur
éducative
et
civilisatrice
profonde.
d)
Fair‐play
émotionnel
intime
:
c’est
celui
qui
permet
aux
grands
défenseurs
de
l’institution
sportive
(comme
Jean
Borotra19)
de
justifier
la
fameuse
«
beauté
du
sport
».
C’est
cet
esprit
de
fair‐play
qui
fait
par
exemple,
applaudir
sincèrement
un
sportif
devant
un
coup
brillant
joué
par
son
adversaire,
ou
dans
une
course.
Les
manifestations
de
cette
catégorie
de
fair‐play
sont
fort
rares
:
simplement
parce
que
le
sport
ayant
largement
une
dimension
psychologique
et
spéculative
(au
sens
de
confiance
en
soi
et
méfiance
vis‐à‐vis
des
partenaires),
c’est
évidemment
Nous
disons
que
le
sport
est
beau
dans
deux
cas
:
lorsqu’il
est
beau
techniquement,
physiquement,
stratégiquement,
et
d’autre
part
lorsqu’il
est
beau
moralement.
Dans
ce
second
cas,
le
fair‐play
émotionnel
intime
peut
donner
lieu
à
un
comportement
que
Pierre
Livet
appelle
«
surérogatoire
»,
c’est‐à‐
dire
un
«
comportement
de
bon
samaritain
par
excès
»20.
C’est
d’un
geste
naïf
de
cette
nature
que
la
presse
transalpine
a
accusé
le
bobeur
Eugenio
Monti,
qui
reçut
la
médaille
de
la
sportivité
(voire
note
16).
3. Généalogie
du
fair‐play
Dans
cette
seconde
piste
d’analyse,
on
va
chercher
à
dégager
l’origine
des
valeurs
morales
sédimentées
dans
le
fair‐play,
afin
de
resituer
ces
valeurs
dans
le
contexte
historique
et
social
qui
les
a
rendus
nécessaires
(j’emploie
généalogie
dans
son
sens
nietzschéen).
Je
m’appuie
pour
les
données
empiriques
sur
l’Histoire
des
doctrines
de
l’éducation
physique,
rédigé
par
Jacques
Ulmann
en
1965
et
publié
chez
Vrin
sous
le
titre
De
la
gymnastique
aux
sports
modernes.
La
question
est
la
suivante
:
pourquoi
l’homme
a‐t‐il
eu
besoin,
à
un
moment
donné,
de
mettre
en
place
ce
kit
de
valeurs
regroupés
sous
le
terme
fair‐play
?
Le
mot
sport
véhicule
déjà
lui‐même
différentes
sédimentations
morales
liées
à
son
histoire
:
1/
Le
mot
desport
naît
au
XIIIème
siècle
en
France,
puis
est
transféré
aux
Anglais
au
XIVème
(1306):
le
sport
désigne
alors
des
deux
côtés
de
la
manche
les
différents
moyens
de
passer
agréablement
le
temps
(conversation,
badinage,
aussi
bien
que
divers
jeux).
Rabelais
emploie
le
terme
«
se
desporter
»
au
sens
«
se
distraire
».
Cependant,
«
desport
»
lui‐même
vient
du
latin
«
deportare
»
(emporter,
transporter),
qui
n’a
jamais
signifié
l’amusement.
Ce
sont
majoritairement
les
nobles
qui
s’adonnent
aux
desports,
puisqu’il
faut
jouir
du
temps
libre
pour
avoir
besoin
de
passe‐temps
–
cependant
il
y
a
une
forte
tradition
de
jeux
physiques
populaires,
comme
la
sioule
ou
le
jeu
de
mail21.
19
«
Le
sport
est
un
remarquable
moyen
d’éducation.
etc..
»
Le
monde
du
17‐18
janvier
1965,
cité
par
Ulmann,
De
la
gymnastique
aux
sports
modernes,
page
341.
20
LIVET,
Pierre
[2006],
Les
normes,
Paris,
Armand‐Colin,
page
17.
21
MERDRIGNAC,
Bernard
[2002],
Le
sport
au
Moyen
Âge,
Rennes,
Presses
universitaires
de
Rennes,
p.236.
9
2/
Le
sport
change
en
même
temps
qu’évolue
la
noblesse
anglaise
(aristocracy).
On
assiste
à
la
disparition
progressive
de
la
chevalerie,
et
à
l’émergence
de
la
classe
bourgeoise
(gentry),
dès
les
XVIIème
et
XVIIIème
siècles.
Un
nouvelle
figure
va
s’identifier
au
gentleman
:
le
sportsman.
C’est
à
ce
moment
que
commence
à
naître
le
«
fair
play
»22,
en
tant
que
code
de
conduite.
Qu’est‐ce,
alors,
qu’un
geste
fair‐play
?
Il
consiste
à
accepter
sans
problème
de
rejouer
un
point
litigieux,
voire
d’accorder
ce
point
à
l’adversaire.
Il
faut
y
lire
le
désir
typiquement
aristocratique,
d’adopter
une
attitude
de
hauteur
et
de
contrôle
sévère
des
émotions
(le
self
control)
et
surtout
de
leurs
manifestations
sociales,
appliquée
à
cette
activité
qu’est
le
sport,
et
qui
présente
un
risque
élevé
de
favoriser
l’emportement,
la
rage
de
vaincre,
la
peur
de
la
défaite,
la
honte.
Le
comportement
fair‐play
est
donc
né
parmi
l’aristocratie
et
a
été
adoptée
par
elle,
non
pas
pour
sa
valeur
morale
intrinsèque
mais
parce
qu’il
permet
de
«
garder
la
face
»
dans
la
défaite
(édulcorée
par
l’indifférence
affectée),
et
d’accroître
la
noblesse
de
la
victoire
(obtenue
sans
avoir
l’air
de
forcer).
L’adoption
de
l’attitude
corporelle
du
sportsman
et
du
joueur
fair‐play
devient
un
excellent
moyen
d’exhiber
son
rang,
de
faire
valoir
son
origine
sociale
supérieure,
d’une
façon
très
raffinée
car
non
discursive
mais
habituelle
et
gestuelle
23.
Le
fair‐play
aristocratique
est
donc
lui‐même
une
expression
très
stylisée
de
l’agressivité,
d’arrogance
sociale,
très
différente
du
catéchisme
non‐
violent
à
l’usage
des
masses
vers
lequel
il
évoluera
ensuite.
3/
Thomas
Arnold
devient
Principal
de
la
public
school
de
Rugby
en
1828.
Il
n’a
laissé
aucun
texte,
lettre
ou
sermon,
au
grand
dam
de
Pierre
de
Coubertin,
qu’Arnold
a
beaucoup
impressionné
et
largement
inspiré,
de
son
propre
aveu.
On
ne
peut
donc
pas
documenter
textuellement
le
projet
moralisateur
d’Arnold.
Dans
ce
projet,
le
sport
n’est
pas
une
fin
en
soi,
c’est
un
pur
instrument
de
moralisation.
Mais
c’est
un
moyen
original
et
inattendu
:
au
lieu
de
faire
régner
ordre
et
discipline
en
réprimant
de
façon
verticale
par
des
supérieurs,
Thomas
Arnold
a
l’idée
de
faire
en
sorte
que
les
élèves
se
contrôlent
eux‐mêmes,
tant
individuellement
que
collectivement.
C’est
sur
ce
point
que
prend
racine
une
notion
extrêmement
importante
du
fair
play
:
le
self
government,
sorte
de
maîtrise
de
soi.
Si
vous
souhaitez
occuper
ou
distraire
des
enfants,
plusieurs
solutions
s’offrent
à
vous
:
faire
jouer
(cela
veut
dire
que
vous
êtes
l’arbitre
du
match
de
foot,
et
que
vous
rétribuez
et
sanctionnez,
de
façon
verticale
et
hiérarchique),
jouer
avec
(vous
restez
présent
pour
contrôler
les
débordements,
mais
vous
ne
vous
placez
pas
en
position
supérieure,
vous
laissez
le
jeu
se
dérouler),
et
enfin
donner
à
jouer
(vous
lancez
l’idée
de
jeu,
fournissez
le
matériel
ainsi
que
quelques
règles
basiques,
puis
vous
vous
retirez
pour
laisser
les
enfants
s’organiser
eux‐mêmes).
C’est
peu
ou
prou
l’esprit
de
cette
dernière
option
qu’adopte
systématiquement
Arnold
pour
encadrer
les
jeunes
gens
de
Rugby
–
l’arbitre
étant
très
souvent
nommé
parmi
les
jeunes
élèves,
sauf
pour
des
rencontres
importantes.
Le
principe,
parfaitement
analysé
par
Élias
dans
Sport
et
civilisation,
est
celui
d’une
intériorisation
de
l’instance
de
contrôle24.
La
trouvaille
géniale
d’Arnold,
c’est
d’avoir
vu
toute
le
profit
qu’il
y
avait
à
tirer
d’associer
le
plaisir
au
respect
de
la
règle.
Arnold
quitte
la
pédagogie
de
la
sanction
22
On
écrit
en
français
«
fair‐play
»
depuis
1849,
et
en
anglais
«
fair
play
»
:
il
y
aurait
lieu
de
réserver
le
terme
français
à
l’éthique
du
comportement
sportif,
et
le
terme
anglais
sans
trait
d’union
à
ce
code
de
conduite
bien
déterminé
que
se
donne
l’aristocratie
anglaise
dès
le
début
du
XVIIIème
siècle.
23
C’est
évidemment
sur
ce
point
que
l’analyse
conduite
par
Bourdieu
sur
le
sport
au
travers
de
son
concept
d’habitus
sont
les
plus
pertinentes
(Bourdieu,
Pierre,
Qu’est‐ce
qu’être
sportif
?
24
ÉLIAS,
Norbert
[1986],
Sport
et
civilisation,
la
violence
maîtrisée,
page
123.
10
comme
celle
de
la
récompense,
puisqu’il
fait
en
sorte
que
le
suivi
de
la
règle,
dans
son
déroulement
même,
s’accompagne
d’un
plaisir
immédiat.
Ce
faisant
il
a
réussi
le
tour
de
force
de
faire
aimer
le
suivi
de
la
règle,
puisque
le
suivi
d’une
règle
constitutive
est
une
condition
nécessaire
à
l’existence
du
jeu
sportif,
donc
au
plaisir
de
jouer.
Le
rôle
que
joue
le
foot
dans
la
plupart
des
cours
de
récréation,
c’est
qu’il
s’agit
d’un
jeu,
inspiré
par
un
sport,
qui
non
seulement
mobilise
et
canalise
redoutablement
efficacement
les
pulsions
primaires
des
enfants,
qui
en
tirent
un
plaisir
direct
–
au
plus
grand
bénéfice
des
adultes
qui
les
encadrent
–
mais
qui
surtout
leur
fait
sentir
que
sans
le
respect
des
règles,
ce
plaisir
est
impossible.
Si
les
gens
commencent
à
faire
des
mains,
à
frapper
les
joueurs,
alors
plus
de
jeu
possible
Le
principe
de
base
de
la
gestion
des
enfants
dans
un
centre
de
vacances,
c’est
de
faire
un
maximum
de
choses
sous
la
forme
du
jeu.
Ce
recours
très
puissant
peut
mobiliser
deux
ressorts.
Soit
l’imagination
:
c’est
le
cas
toutes
les
fois
où
vous
installez
l’action
dans
un
paradigme
fictif
:
faire
la
vaisselle
devient
une
mission
spéciale,
le
ranger
du
grenier
devient
une
exploration
historique,
etc…).
Soit
la
compétition,
qui
n’a
pas
toujours
bonne
presse
auprès
des
directeurs
de
centre
de
vacances,
car
elle
rappelle
les
exigences
de
performance
de
l’école,
de
la
société,
de
l’entreprise
(cf
ERHENBERG,
Le
culte
de
la
performance).
Chronométrez
un
enfant
pour
qu’il
range
sa
chambre,
faites
une
course
avec
lui
pour
aller
jusqu’à
l’École,
il
trouvera
tout
de
suite
cela
beaucoup
plus
intéressant.
Pour
Thomas
Arnold,
il
fallait
inventer
quelque
chose
qui
favorise
le
respect
de
la
règle,
et
surtout
mieux
que
cela
l’amour
du
respect
de
la
règle
(forme
maximale
d’intériorisation
de
la
règle),
clef
de
la
véritable
moralité.
Il
existait
déjà
des
formes
de
passe‐temps
plus
ou
moins
violents,
par
lesquels
les
jeunes
gens
se
mesuraient
entre
eux.
Arnold
en
codifiant
et
édulcorant
ces
jeux
(réussite
suprême,
la
codification
elle‐
même
lui
échappa
en
partie,
et
fut
assurée
par
les
élèves,
réunis
dans
un
café
pour
le
soccer
Rugby)
de
façon
à
créer
un
exutoire
inoffensif
de
l’agressivité,
a
contribué
à
l’invention
des
sports
comme
jeu
éducatif.
Cependant,
le
modèle
éducatif
des
sports,
qui
n’a
pas
été
promu
que
par
Arnold,
va
essuyer
de
lourdes
critiques
en
France.
On
lui
reproche
notamment
d’être
l’aiguillon
et
non
le
frein
de
l’agressivité.
Nous
envisagerons
la
critique
que
lui
adresse
la
doctrine
hébertiste.
4. Le
sport
contre
la
gymnastique
:
la
polémique
hébertiste
L’arrivée
des
sports
est
vécue
comme
une
catastrophe
éducative
par
les
tenants
de
la
gymnastique,
en
particulier
de
Hébert,
qui
écrit
un
libre
intitulé
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
et
propose
contre
le
sport
de
revenir
à
la
«
méthode
naturelle
».
Cela
consiste
à
reproduire
les
procédés
naturels
de
l’éducation
du
corps.
Si
l’on
se
souvient
de
notre
définition
du
corps
à
quatre
étages,
le
but
de
Hébert
est
finalement
d’éduquer
l’homme
en
son
corps
uniquement
par
le
développement
de
ses
aptitudes
naturelles,
celles
du
niveau
deux,
avec
un
double
principe
de
limitation
:
1/
il
n’est
pas
question
d’inventer
des
gestes
non‐naturels,
2/
il
n’est
pas
question
de
pousser
le
corps
au‐delà
de
la
«
modération
»,
dit‐il,
cette
«
modération
»
dont
les
jeunes
gens
sont
dépourvus25.
Cette
pédagogie
est
inspirée
de
l’Émile,
de
Rousseau,
et
de
son
«
institution
25
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
“Introduction”
:
«
On
ne
trouve
pas
insensé
de
rassembler
des
jeunes
gens
et
de
les
lancer
à
corps
perdu
dans
le
sport
outrancier
sans
leur
assurer
ou
leur
donner
les
moyens
de
réfréner
leurs
élans
quand
ils
deviennent
immodérés.
La
jeunesse
possède
en
effet
d’instinct
le
courage,
mais
elle
est
dénuée
de
modération.
Elle
tend
à
abuser
de
tout,
et
c’est
pour
cette
raison
que
parents
et
maîtres
doivent
tant
prodiguer
des
conseils
de
prudence.
»
11
selon
la
nature
».
On
utilise
huit
exercices
naturels
:
la
marche,
la
course,
le
saut,
le
grimpé,
le
levé,
la
défense
naturelle,
la
natation,
le
lancé.
Le
maître
de
gymnastique
est
d’une
importance
centrale
:
c’est
lui
qui
conduit
l’entraînement,
qui
guide
et
commande
les
gestes
à
exécuter.
On
est
donc
très
loin
de
l’activité
d’autorégulation
par
le
jeu,
par
le
«
donner
à
jouer
»
recherché
par
Thomas
Arnold
dans
les
public
schools.
Mais
c’est
que
Hébert
reproche
essentiellement
au
sport
d’aiguiser
en
l’homme
son
agressivité,
alors
qu’Arnold
choisit
de
l’utiliser
sous
une
version
que
l’on
peut
appeler
sublimée
au
sens
freudien.
26
Hébert
rédige
une
liste
des
griefs
qu’il
adresse
au
sport
:
il
dénonce
les
dangers
de
l’émulation
comme
procédé
pégagogique,
qui
pousse
à
l’agressivité,
il
met
en
garde
contre
la
monomanie,
l’ultra‐spécialisation
(alors
que
le
gymnaste
est
complet27),
la
mise
à
l’écart
des
plus
faibles28,
le
développement
de
gestes
conventionnels
plutôt
qu’utilitaires,
il
critique
l’individualisme
du
sport29
alors
qu’«
en
éducation
physique
on
recherche
avant
tout
des
résultats
collectifs
»30,
et
le
fait
que
le
sport
fabrique
des
bêtes
et
non
des
hommes
(retrouvant
en
cela
ses
origines,
d’après
lui,
puisque
le
sport
est
d’abord
apparu
comme
courses
de
chevaux,
ou
turf
31).
Pour
finir,
le
sport
est
une
mauvaise
préparation
des
hommes
à
la
guerre,
les
sportifs
sont
spécialisés,
égoïstes
et
fragiles,
alors
que
la
gymnastique
prépare
des
hommes
dévoués,
altruistes,
complets
et
robustes
32.
Il
anticipe
la
mondialisation
du
virus
sportif,
lorsqu’il
dit
«
Le
mal
sportif
n’est
pas
spécial
à
la
France,
il
envahit
le
monde
entier.
»
Je
vais
schématiser.
Vous
avez
huit
ans,
vous
êtes
en
CE2,
votre
instituteur
organise
une
séance
de
montée
à
la
corde.
Ce
faisant,
votre
instituteur
choisit
le
camp
d’Hébert
en
considérant
par
son
choix
éducatif,
que
l’humanité
qu’il
a
pour
métier
de
développer
en
vous,
est
d’abord
une
humanité
du
contrôle
du
corps
par
la
raison,
plutôt
qu’une
humanité
du
développement
du
corps,
voire
du
développement
de
la
raison
par
le
corps.
Ainsi,
l’anthropologie
spécifique
du
fair‐play,
par
rapport
à
l’anthropologie
de
la
gymnastique
ou
des
courants
d’éducation
physique33,
consiste
à
assumer
que
la
26
Catherine
KINTZLER
dans
son
blog
«
La
choule
»
voit
dans
le
rugby,
sport
réputé
violent,
une
sublimation
réussie
de
la
violence
collective,
le
comparant
au
football
où
toute
violence
est
réprimée,
et
y
voit
un
indice
dans
le
fait
que
les
débordements
violents
parmi
les
spectateurs
(hooliganisme)
constituent
un
problème
grave
au
football,
mais
nullement
au
rugby.
Elle
compare
cette
sublimation
de
la
violence
collective
barbare
du
rugby,
à
la
sublimation
des
cris
et
hurlements
sauvages
dans
l’opéra,
empruntant
cette
analyse
à
Michel
POIZAT,
L’opéra
ou
le
cri
de
l’ange,
Paris,
Métailié,
2001.
27
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,
page
35
:
«
L’éducation
physique
vise
à
généraliser
la
valeur
des
aptitudes
dans
tous
les
genres
d’exercices
utilitaires
indispensables,
sans
exception.
Le
sport,
au
contraire,
pousse
à
la
spécialisation,
parfois
dans
un
seul
genre
d’exercice.
»
28
Op.
cit.,
page
36.
29
Op.
cit.,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,
page
51
:
«
Dans
le
sport
exclusif,
l’individualisme
est
exalté
par
l’idée
d’arriver
le
premier
ou
d’être
le
plus
fort
».
30
HEBERT,
Georges
[1925],
Le
sport
contre
l’éducation
physique,
chapitre
IV
“Les
dangers
moraux
du
sport”,
page
54.
31
Op.
cit.,
page
56
:
«
On
dirait
que
le
sport
tel
qu’il
est
devenu
sent
ses
origines.
[…]
Les
courses
de
chevaux
sont
le
prototype
du
sport
dévié
du
but
initial
et
en
même
temps
dévoyé
vers
le
spectacle
et
le
jeu.
»
32
Op.
cit.,
page
57
33
Encore
aujourd’hui,
le
titre
des
enseignants
du
secondaire
porte
héritage
de
cette
polémique
qui
s’exprima
chez
Hébert
entre
éducation
physique
et
sport,
puisque
l’Éducation
Nationale
forme
et
emploie
des
Professeurs
d’Éducation
physique
et
sportive.
L’éducation
physique
est
donc
quelque
chose
de
différente
quoiqu’éventuellement
complémentaire,
de
l’éducation
sportive
ou
du
sport.
12
corporéité
soit
un
terrain
de
développement
de
l’humain
ayant
en
lui‐même
sa
propre
valeur,
et
non
pas
comme
un
lieu
d’entraînement
de
la
volonté.
Ainsi,
quoique
de
l’aveu
d’un
grand
nombre
de
sportifs
(notamment
ceux
que
Jean‐François
Balaudé
appelle
les
«
sportifs
de
haute
intensité
»)
on
puisse
dire
que
«
le
sport
est
chose
mentale
»
(pour
paraphraser
Léonard
de
Vinci),
la
spécificité
du
type
d’anthropologie
que
véhicule
l’éthique
des
sports
(par
opposition
à
la
gymnastique
hébertiste
ou
au
Turnen
allemand),
est
qu’elle
prétend
développer
le
corps
pour
développer
l’humain,
et
non
pas
développer
le
corps
pour
muscler
l’âme,
ou
exercer
la
volonté.
Cette
position
est
celle
de
Sigmund
Loland,
dans
son
ouvrage
central
Fair
play
in
sports
[Je
traduis]
:
Ce livre voudrait examiner le sport comme un terrain possible de l’épanouissement de
l’homme. Plus précisément, il suggère une ré-articulation de l’idéal classique des
compétitions sportives, l’idéal de fair play, et prétend que la réalisation de cet idéal peut
rendre de telles compétitions justifiable moralement voire importante sur le plan de
l’existence humaine.
On
peut
adresser
trois
critiques
à
Hébert,
deux
internes,
l’autre
externe
:
1/
La
Hébert
est
fluctuant
sur
l’objet
de
sa
critique
:
le
sport
en
général
ou
bien
«
une
forme
dévoyée
»,
«
le
sport
tel
qu’il
est
conçu
et
pratiqué
actuellement
»34.
2/
Avec
son
obsession
de
l’ordre
de
la
nature,
il
se
pourrait
que
Hébert
soit
finalement
un
homme
de
l’Antiquité
égaré
au
XXème
siècle35,
relevant
de
ce
que
Isabelle
Quéval
appelle
la
logique
de
l’accomplissement,
indexé
sur
un
cosmos
aristotélicien,
par
opposition
au
culte
du
dépassement
de
soi,
dans
le
sport
contemporain.
Or
il
ne
peut
pas
appliquer
ces
catégories
à
un
phénomène
spécifiquement
moderne,
qui
lui
échappe,
qu’il
souhaite
contenir
sans
succès,
et
tombe
donc
dans
la
contradiction.
En
effet,
d’un
côté
il
prétend
avoir
recours
à
une
méthode
«
naturelle
»;
et
d’un
autre
côté
il
a
constamment
besoin
de
forcer
cette
nature,
si
besoin
dans
la
douleur.
3/
La
gymnastique
est
une
activité
pénible
et
sérieuse,
mais
elle
est
surtout
hétéronome,
et
elle
est
de
fait
rarement
prisée
des
enfants,
tandis
qu’ils
jouent
spontanément
au
football,
où
ils
apprennent
en
autonomie
la
gestion
des
règles.
Le
modèle
d’Hébert
a
eu
un
immense
succès…
sous
le
régime
de
Vichy,
retour
de
l’ordre
moral,
et
on
en
trouve
encore
des
traces
importantes
sous
la
IVème
et
Vème
République.
Cependant,
nous
retiendrons
de
la
critique
de
Hébert
une
question,
centrale
pour
notre
propos
:
le
sport
aiguise‐t‐il
les
penchants
agressifs
de
l’homme
?
Le
sport
éduque‐t‐il
ou
bien
entretient‐il
une
nature
humaine
belliqueuse
?
5. Le
sport
dresse‐t‐il
les
hommes
les
uns
contre
les
autres
?
Histoire
d’une
trahison.
C’est
la
question
de
savoir
si
le
sport
excite
ou
inhibe
la
défiance
de
tous
contre
tous
dont
parle
Hobbes
(Léviathan
4)
?
Élias
répond
à
cette
question.
Il
y
a
clairement
une
anthropologie
du
sportif
et
du
spectateur
de
sport
à
chercher
chez
Élias.
La
différence
fondamentale
qui
sépare
Brohm
de
Élias,
c’est
que
Brohm
regarde
devant
lui
ou
dans
sa
tête,
alors
que
Élias
regarde
derrière
lui.
Il
y
a
en
effet
deux
optiques,
soit
l’on
considère
que
le
sport
est
un
moyen
trouvé
par
le
processus
de
civilisation
pour
juguler
la
violence,
soit
au
contraire
on
considère
que
le
sport
est
une
résurgence
et
un
foyer
encore
non
éteint
de
la
violence
qui
caractérisait
les
barbares
que
nous
avons
tous
comme
aïeux.
La
mise
en
place
d’une
éthique
du
fair‐play
dans
le
sport
exprime‐t‐elle
le
34
Op.
cit.,
page
33.
35
Il
se
réclame
d’ailleurs
explicitement
du
grec
Philostrate,
dont
il
vante
toute
l’actualité,
dans
son
constat
de décadence de la race en général et des athlètes en particulier (Op. cit., page 30).
13
triomphe
en
l’homme
de
l’être
de
culture
sur
l’être
animal,
ou
au
contraire
le
sport
constitue‐t‐il
une
zone
où
l’être
de
culture
régresse
à
un
stade
animal
?
/
Lorsque
je
regarde
une
match
de
boxe,
que
vois‐je
?
Est‐ce
que
je
vois
le
sang,
la
douleur,
l’éclatement
d’un
foie
ou
d’une
oreille,
les
corps
meurtris
?
Est‐ce
que
je
vois
deux
bêtes
qui
se
livrent
un
combat
mortel
?
Ou
bien
est‐ce
que
je
vois
au
contraire
le
sport
“boxe”,
c’est‐à‐dire
un
sport
à
juges,
comme
le
patinage
ou
la
gymnastique,
gagné
non
pas
d’abord
par
ko,
mais
au
titre
d’une
victoire
aux
points
(écrit
avec
un
“t”
et
non
un
“g”),
sanctionnant
une
série
d’
“assauts”36
?
/
Lorsque
je
vois
un
stade
entier
vibrer
lors
d’un
but,
dans
une
communion
émotionnelle
surpuissante
et
océanique,
que
vois‐je
?
Est‐ce
que
je
vois
les
jeux
du
cirque,
condamnés
par
Sénèque
37,
est‐ce
que
je
vois
le
chœur
tragique,
lui‐même
ancêtre
des
cortèges
de
Dionysos
d’après
Nietzsche,
est‐ce
que
je
vois
une
version
légale
et
dégénérée
de
la
cruauté
sacrificielle
des
foules
?
Ou
bien
est‐ce
que
je
vois
au
contraire
l’assomption
collective
du
sentiment
civilisateur
de
philia,
assez
manifeste
lors
des
scènes
de
liesse
populaire
que
déclenche
la
victoire
d’une
nation
dans
des
matches
de
coupe
du
monde
?
À
partir
de
là,
ce
qu’il
est
intéressant
d’analyser
dans
le
sport,
c’est
l’histoire
d’une
trahison.
Histoire
d’une
trahison
qui
n’est
pas
une
histoire,
précisément,
mais
qui
est
plutôt
une
tragédie,
au
sens
où
tout
est
déjà
présent
dès
le
départ
pour
que
tout
se
passe
mal.
Le
sport
est
essentiellement
[en
un
sens
fort
de
l’adverbe
essentiellement]
voué
à
se
mentir
à
lui‐même
:
il
naît
comme
jeu,
comme
loisir
libre,
avec
l’invocation
d’un
ethos
idéal
aristocratique,
parce
que
précisément
il
expose
au
risque
permanent
des
comportements
réels
très
peu
aristocratiques.
Une
des
données
fondamentales
du
jeu
est
la
dimension
de
faire‐semblant
(mimicry),
explique
Caillois38.
C’est
la
mimèsis
déjà
évoqué
de
Norbert
Élias.
Lorsque
je
tape
quelqu’un,
1/
j’ai
une
pulsion
agressive,
2/
j’accomplis
ma
pulsion
agressive,
3/
si
mon
coup
est
suffisamment
fort,
et
qu’il
atteint
sa
cible,
il
produit
l’effet
escompté
:
je
provoque
la
douleur
de
l’autre.
Lorsque
je
fais
semblant
de
taper
quelqu’un,
la
troisième
étape
saute
c’est‐à‐dire
que
l’on
fait
volontairement
en
sorte
que
le
coup
n’atteigne
pas
sa
cible.
Mais
les
deux
composantes
précédentes
demeurent
présentes
:
j’ai
une
pulsion
agressive,
je
mets
cette
pulsion
à
exécution.
Ainsi
la
faire
semblant
permet
une
satisfaction
émotionnelle
intacte,
sans
dommage
causé
à
l’autre
–
et
donc,
du
point
de
vue
de
l’individu
qui
fait
semblant,
sans
risque
de
représailles.
Cependant,
l’exécution
de
la
pulsion
agressive
a
un
effet
de
renforcement.
Il
peut
contribuer
à
rendre
cette
pulsion
plus
forte,
et
plus
vivace.
Plus
on
a
mal,
plus
on
crie,
plus
on
attise
sa
propre
douleur,
etc.
Ou
bien
:
plus
on
est
joyeux
de
voir
son
équipe
gagner,
plus
on
hurle,
plus
on
attise
cette
joie,
dopée
par
les
cris
des
autres.
Ainsi,
le
«
faire‐semblant
»
est
un
moyen
commode
d’attiser
et
d’aiguiser
les
émotions
jusqu’à
l’incandescence,
sans
toutefois
donner
lieu
à
toutes
les
conséquences
peu
souhaitables
dont
s’accompagne
en
général
l’assouvissement
réel
(représailles,
punitions,
guerre
de
tous
contre
tous,
etc..).
36
Pour
une
analyse
de
la
distinction
essentielle
en
boxe
française
entre
“assaut”
et
“combat”,
voir
notre
mémoire
de
Master
2
:
L’épreuve
de
soi
dans
le
sport,
MerleauPonty,
Searle,
Bourdieu,
dirigé
par
J.
Benoist,
Panthéon‐Sorbonne,
2008,
pages
19‐20.
37
SENEQUE,
Lettres,
7
et
95.
38
Les
quatre
schèmes
qui
structure
cet
invariant
anthropologique
qu’est
le
jeu
sont
les
suivants
:
ilinx
(le
vertige), alêa (le hasard), mimicry (le faire semblant), agôn (le combat). CAILLOIS, Des jeux et des hommes.
14
Pour
autant,
le
mécanisme
du
faire‐semblant
peut
s’avérer
extrêmement
dangereux.
En
effet
si
le
faire‐semblant
occasionne
un
échauffement
émotionnel,
il
faudra
en
conséquence
une
augmentation
proportionnelle
de
l’autocontrôle
des
émotions.
Plus
haute
est
l’émotion,
plus
haute
est
le
plaisir,
mais
plus
haut
aussi
est
le
risque
que
les
barrières
psychologiques
internes
du
sujet
soient
débordées.
Or
les
émotions
collectives
sont
extrêmement
fortes
par
le
mécanisme
décrit
:
1/
renforcement
interne,
2/
de
la
foule.
À
quoi
s’ajoute
un
troisième
facteur
aggravant.
En
effet
étant
donné
que
la
pulsion
agressive,
dans
le
faire‐semblant,
n’est
pas
directement
limité
par
les
représailles
ou
les
réactions
de
sa
cible,
comme
c’est
le
cas
dans
l’assouvissement
réel
de
la
pulsion,
le
risque
est
plus
grand
que
l’échauffement
émotionnel
atteigne
un
degré
très
élevé,
qui
donnera
lieu
à
des
conséquences
tragiques,
si
les
barrières
de
l’autocontrôle
interne
cèdent.
C’est
précisément
ici
qu’intervient
l’éthique
du
fair‐play
:
pour
forger
des
mécanismes
d’autocontrôle
suffisamment
robustes
pour
résister
aux
coups
pulsionnels
que
déclenche
toute
activité
sportive.
Ainsi
l’homme
vient
en
permanence
s’exposer
dans
le
sport
à
ses
démons
internes
et
jouer
au
passage
sa
cohésion
et
son
identité
–
d’individu
ou
de
communauté
–
c’est
la
thèse
de
«
l’épreuve
sportive
de
soi
».
Cela
nous
amène
à
une
position
sur
une
question
très
importante
:
le
sport
contient
dès
son
origine
tous
les
ingrédients
pour
provoquer
une
décadence
vers
le
sport‐spectacle,
le
sport
professionnel,
le
sport
nocif,
le
sport
business,
le
sport
opium
du
peuple
et
aliénation
des
masses,
le
dopage,
etc.
En
effet
le
sport
est
travaillé
par
des
contraires,
comme
l’a
très
bien
analysé
Robert
Damien,
dans
le
cas
du
rugby
:
«
le
rugby,
écrit‐il,
requiert
l’alliance
des
contraires
»
39.
Mais
cela
n’a
rien
d’un
accident
de
parcours.
Ce
n’est
pas
une
sorte
d’imperfection,
ou
de
défaut
survenu
après
coup.
Lorsque
je
dis
«
le
sport
est
travaillé
par
des
contraires
»,
je
ne
veux
pas
dire
que
ces
contraires
sont
historiques
;
ces
contraires
relèvent
de
la
structure
profonde
du
phénomène
sportif.
Et
c’est
sur
ce
point
que
le
sport
est
profondément
un
jeu40.
L’homme
vient
s’y
exposer,
dans
l’arène,
à
ses
passions
individuelles
et
collectives
les
plus
violentes.
Mais
ce
qui
rehausse
la
valeur
de
ce
geste,
c’est
qu’il
est
délibéré,
accompli
gratuitement.
Le
sport
est
une
sorte
de
gigantesque
laboratoire
éthique
à
ciel
ouvert
–
avec
des
dangers
bien
réels41.
Cela
veut
dire
que
ce
que
l’on
appelle
«
les
dérives
du
sport
»
ne
sont
en
rien
des
dérives,
et
je
suis
sur
ce
point
parfaitement
d’accord
avec
la
théorie
critique
que
développe
Jean‐Marie
Brohm
depuis
plusieurs
décennies.
Cette
critique
repose
sur
l’idée
centrale
que
les
phénomènes
appelés
“dérives”
(dopage,
violences,
hooliganismes,
manipulation
et
aliénation
des
masses,
etc.)
n’en
sont
pas,
mais
relèvent
de
l’essence
du
sport.
Je
suis
entièrement
d’accord
avec
Brohm
sur
ce
point,
et
c’est
ce
qui
me
sépare
d’à
peu
près
tous
les
théoriciens
optimistes
ou
naïfs
du
sport.
Maintenant,
ma
position
est
que
ces
dérives
sont
un
des
deux
possibles,
une
des
deux
issues
du
sport,
comme
il
y
a
toujours
deux
issues
dans
un
jeu.
Quelle
nature
humaine
est‐ce
que
ces
remarques
39
R.
Damien,
«
Deux
ou
trois
choses
que
je
sais
à
propos
du
rugby
»,
in
D.
MOREAU
et
P.
TARANTO
(dir.),
Activité
physique
et
exercices
spirituels.
Essais
de
philosophie
du
sport
(2008).
40
“Profondément
un
jeu”,
puisqu’il
met
en
branle
les
ressorts
pulsionnels
et
conflictuels
qui
structurent
la
nature
humaine.
41
Pensons
par
exemple
au
drame
du
Heysel,
survenu
le
29
mai
1985
à
Bruxelles,
dû
au
hooliganisme
(Match
Liverpool‐Juventus).
Suite
à
des
rixes
et
des
mouvements
de
foules,
des
grilles
de
séparation
et
un
muret
s'effondrèrent
sous
la
pression
et
le
poids
de
supporters,
faisant
39
morts
et
plus
de
600
blessés.
15
dessinent
?
Le
sport
exacerbe
nos
conflits
internes,
il
les
extériorise,
mais
enfin
aussi
il
les
exorcise.
Il
y
a
donc
possibilité
du
gain,
du
progrès.
En
effet
tout
se
passe
comme
si
l’individu
–
de
même
que
la
communauté
entière
–
tirait
un
gain,
un
bénéfice
en
se
confrontant
en
toute
liberté,
de
façon
ludique
et
gratuite,
au
propre
combat
des
forces
internes
(pulsionnelles
chez
l’individu,
politique
et
sociale
dans
la
communauté)
qui
le
tiraillent
et
le
structurent.
Conclusion
Je
crois
que
l’on
peut
conclure
en
disant
qu’il
n’y
a
de
fair‐play
que
pour
un
être
associant
quatre
caractères
:
un
être
pulsionnel,
libre,
susceptible
de
progrès,
et
vivant
en
société.
Ainsi,
pour
venir
indexer
la
question
anthropologique
sur
la
question
de
l’épreuve
sportive
de
soi,
qui
était
mon
point
de
départ,
on
aboutit
à
quatre
découvertes
personnelles
correspondantes.
• «
Je
suis
libre
»,
je
peux
commander
à
mon
corps
de
faire
ce
qu’il
semble
pourtant
refuser
de
faire
par
la
douleur
et
l’inertie,
je
peux
l’engager
dans
une
activité
fort
pénible
sans
aucun
intérêt
vital
comme
le
sport,
et
me
soumettre
à
la
règle
que
je
me
suis
prescrite,
que
cette
règle
soit
constitutive,
de
fair‐play,
ou
stratégique.
[Emprunt
à
l’anthropologie
kantienne
?]
• «
Je
suis
perfectible
42
»,
je
peux
changer,
et
il
m’incombe
de
favoriser
et
d’orienter
ce
changement
:
je
peux
modifier
profondément,
quoiqu’au
prix
d’un
effort
lourd,
certains
aspects
déterminés
de
mon
être
physique
et
moral,
selon
une
forme
que
je
choisis
souverainement.
Je
peux
donc
acquérir
une
seconde
nature
;
mais
sans
exercice,
la
seconde
nature
se
délite
et
disparaît
;
ce
qui
veut
dire
que
je
ne
suis
ce
que
je
suis
que
tant
que
j’agis,
que
je
m’exerce,
et
que
je
transforme
mon
état.43
L’homme,
individu
et
espèce,
est
un
être
qui
a
une
histoire
s’il
prend
en
charge
sa
perfectibilité.
[Emprunt
à
l’anthropologie
rousseauiste
et
aristotélicienne
?]
• «
Je
suis
un
animal
corporel
»,
exposé
à
douleur,
la
blessure
et
la
mort,
et
siège
d’émotions
et
de
pulsions
primaires
–
j’ai
en
moi
deux
forces
extrêmement
puissantes
et
profondes,
une
pulsion
de
plaisir
qui
s’exprime
dans
le
jeu,
et
une
pulsion
d’agression
et
de
domination
qui
s’exprime
dans
la
compétition
–,
et
en
cela
je
sens
ma
communauté
profonde
avec
la
nature
qui
m’environne.
[Emprunt
à
l’anthropologie
de
Norbert
Élias
?].
• «
Je
vis
au
sein
d’une
communauté
de
partenaires
et
de
rivaux
»,
je
veux
gagner,
les
autres
aussi,
les
deux
sont
impossibles,
par
conséquent
j’adresse
un
défi
permanent
à
mes
semblables,
sans
défiance
sur
leur
volonté
de
me
détruire
physiquement,
avec
une
confiance
relative
et
vigilante
en
l’esprit
de
fairplay,
mais
avec
une
méfiance
permanente
vis‐à‐vis
de
leurs
intentions
stratégiques
régulières
;
ce
faisant
je
me
mesure
à
mes
adversaires
:
et
donc
i)
j’apprends
à
connaître
autrui,
qui
en
retour
ii)
42
Rousseau
définit
la
perfectibilité
comme
la
«
faculté
qui,
à
l’aide
des
circonstances
développe
successivement
toutes
les
autres,
et
réside
parmi
nous
tant
dans
l’espèce,
que
dans
l’individu,
au
lieu
qu’un
animal
est,
au
bout
de
quelques
mois,
ce
qu’il
sera
toute
sa
vie,
et
son
espèce,
au
bout
de
mille
ans,
ce
qu’elle
était
la
première
année
de
ces
mille
ans.
»
ROUSSEAU,
Discours
sur
l’inégalité,
Ière
partie,
OC
III,
Paris,
Gallimard,
Éditions
de
la
Pléïade,
1959,
page
142.
43
Emprunt
au
vocabulaire
d’Aristote
dans
De
la
génération
et
de
la
corruption,
I,
4,
Traduction
Tricot,
Paris, Vrin.
16
permet
et
médiatise
un
accès
à
moi‐même
[Emprunt
à
l’anthropologie
de
Hobbes
revue
par
Norbert
Élias
?]
Ces
réponses
sont
très
banales,
elles
vous
déçoivent
sans
doute
–
tant
que
l’on
n’ajoute
pas
deux
précisions
essentielles,
avant
de
clore
le
propos
:
l’une
portant
sur
la
conflictualité,
l’autre
sur
l’indélégabilité.
Premier
point
:
il
convient
de
remarquer
en
effet
que
ces
quatre
qualités
sont
gouvernées
par
une
structure
commune,
celle
de
la
conflictualité,
au
sens
où
leur
mode
de
réalisation
prend
la
forme
dialectique
d’un
conflit.
On
se
demande
souvent
:
le
sport
est‐il
quelque
chose
de
douloureux
ou
d’agréable
?
En
réalité,
si
le
sport
génère
de
douleur
et
destruction,
c’est
lors
de
la
phase
d’opposition
frontale
des
deux
premiers
moments
;
et
si
le
sport
génère
plaisir,
satisfaction
et
confiance
en
soi,
c’est
lors
du
fameux
«
dépassement
de
soi
»,
lorsqu’une
issue
est
trouvée
dans
l’augmentation
des
aptitudes.
Cette
conflictualité
anthropologique,
que
révèle
et
exacerbe
le
sport,
est
donc
sans
doute
aussi
destructrice
que
constructrice.
Second
point
:
ce
qui
fait
la
valeur
de
ces
réponses
n’est
pas
leur
contenu
spéculatif,
ces
réponses
sont
pauvres
tant
que
l’on
demeure
«
dans
l’élément
pensée
»,
comme
dit
Hegel.
L’originalité
de
ces
réponses,
c’est
leur
mode
d’accès,
de
donation
ou
faudrait‐il
dire
de
conquête.
Ce
mode
s’appelle
l’épreuve
sportive,
au
premier
sens
du
dispositif
institutionnalisé
de
mesure
objective
de
la
performance,
et
au
second
sens
d’une
forme
d’accès
proprioceptif
au
vécu
subjectif,
au
contenu
des
qualia.
Or
l’épreuve
sportive
relève
de
cette
catégorie
pratique
qu’est
l’indélégabilité
(vous
ne
pouvez
demander
à
quelqu’un
de
faire
du
sport
pour
vous,
ce
n’est
pas
délégable,
vous
devez
le
faire
vous‐
même
en
première
personne44)
et
la
notion
de
fair‐play
elle‐même
suppose
une
forme
d’engagement
en
première
personne
à
suivre
la
règle.
Le
fair‐play
désigne
en
effet
cet
engagement,
aussi
ferme
qu’un
contrat,
de
résister
aux
tentations
de
triche,
de
combattre
son
désir
de
vaincre
à
tout
prix,
et
de
résister
à
sa
pulsion
d’agressivité.
Faire
du
sport
est
donc
une
action
indélégable
à
deux
titres
:
au
plan
physique
(épreuve
de
soi)
comme
au
plan
moral
(fair‐play).
À
partir
de
là,
vous
comprenez
que
je
ne
peux
faire
pour
vous
l’épreuve
de
ces
quatre
vérités
(«
je
suis
libre,
perfectible,
animal,
et
social
»),
il
manquera
toujours
l’essentiel
si
je
vous
présente
cela
comme
un
résultat
de
pensée.
Il
convient
donc
simplement
de
se
taire
et
de
faire
du
sport.
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44
Est
indélégable
toute
action
qui
doit
être
réalisé
en
première
personne,
autrement
dit
qui
perd
tout
son
sens
toutes
les
fois
où
l’on
essaie
de
la
faire
faire
par
quelqu’un.
Je
suis
en
train
de
mener
une
réflexion
pour
ma
thèse
sur
la
grammaire
des
actions
indélégables.
J’ai
trouvé
chez
Kierkegaard
l’idée
que
l’épreuve
d’exister
n’est
pas
délégable.
Puis
je
me
suis
aperçu
en
rédigeant
cet
article
que
le
terme
d’indélégabilité,
quoiqu’il
ne
soit
pas
mentionnés
dans
les
différents
dictionnaires,
existait
déjà
sous
un
sens
juridique
précis
:
il
signifie
peu
ou
prou
la
non‐transferabilité
d’une
compétence
ou
d’une
responsabilité
d’une
personne
physique
ou
morale
à
une
autre.
17
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19