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a UlnZalne
littéraire Numéro 86 Du 1- au 15 janvier 1970
3F

e
Ul a
bombardé

Blanchot fait table rase, Michaux


raconte ses rêves, Jünger chasse le coléoptère
SOMMAIRE

a LI: LIVlll: Maurice Blanchot Ventretien infini par Maurice Nadeau


DI: LA QUINZAINE
li ESSAIS Ernst Jünger Chas&es subtila par Gilles Lapouge
8 IlOMANS II:TllAIIGEBS John Updike Couples par Jean Wagner
Salvador Elizondo Farabeuf t
par Severo Sarduy
8 BOMANS rBAllçAIS Michel Bemard La Nue par Jean-Noël Vuamet
Le chevalier bùrnc par G. P.
8 POESIE Jacques Dupin L'embrasure par Serge Fauchereau
Jean.Pierre Burgart Failles
10 Luis Cermida lA. réalité et le désir par Albert Bensoussan
11 HISTOIRE André Billy /oubert énigmatique par Lionel Mirisch
LITTEBAIBE et da.iciew:
12 SCIENCE l''ICTION Fritz Leiber Le v~abond par Juliette Raabe
1& PSYCHOLOGIE Henri Michaux F CIÇOlU d'endormi, par Roger Dadoun
façOlU d'éveülé

18 EXPOSITIOIIS Chagall... avant 23 par Marcel Billot


1'7 Deux Italiens par Gérald Gassiot-Talabot
Le C.N.A.C. dans la rue par G. G.-T.
18 MYTHOLOGIES Walter F. Otto Dionysos, le mythe et le culte par Pierre Pachet
20 LETTBBS A Qui a bombardé Guernica ? par Brian Crozier
LA QU.IIIZAINB par Herbert R. Southworth
22 ETHNOLOG lE Lucien Bodard Le massacre des 1ndielU par Jean Duvignaud
23 1. Meunier et A.M. Savarin Le chant du Silbaco par André Akoun
24 HISTOIRE J. Delperrie de Bayac Hi&toire de la milice par Maurice Chavardès
LETTBB DB SUISSE L'artiste enropéen nO 1? par José Pierre
L'Opéra de Quat'sous par Gilles Sandier
2'7 CINEMA Détruire, dit-eUe par Jean-Marie Benoist
28 Table ronde à Beyrouth par Claude-Michel Cluny
rEUILLII:TOII w par Georges Perec

François Erval, Maurice Nadeau. Publicité littéraire : Crédits photographiques


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François Châtelet, p. 12 Magnum
Françoise Choay, Abonnements : p. 15 Jacqueline Hyde
Dominique Femandez, Marc Ferro, Un an : 58 F. vingt.trois numéros. Le Point cardinal
Gilles Lapouge, Bemard PÎJllaud, Six mois : 34 F. douze numéros. p. 16 D.R.
Gilbert Walusinaki. Etranger: D.R.
La Quinzaine Un an : 70 F. Six mois : 40 F. p. 17 D.R.
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2
LB LIV.B DB

Table rase
LA QUINZAIIiB

1
Maurice Blanchot et leur lumière particulière - que Blanchot précisément écrit : sa seule présence », parole que
L' Entretien infini comme c'est le rôle et le devoir « Dans le dialogue que nous Maurice Blanchot définit comme
Gallimard éd., 644 p. du critique - et qui sont en même considérons, c'est la pensée même « neutre, sans pouvoir, où se joue
temps tenus pour autant de points qui se joue en nous appelant à l'illimité de la pensée, sous la
où s'accrocher pour une pensée soutenir, en direction de l'incon- sauvegarde de l'oubli ». Plus sim-
N'est-il pas outrecuidant de qui, par eux et à travers eux, nu, l'illimité de ce jeu, lorsque plement encore, si c'est possible,
vouloir accompagner la pen· poursuit son chemin propre. penser, c'est, comme le voulut il faudrait admettre que, pour
sée de Maurice Blanchot alors Encore convient-il de signaler que Mallarmé, émettre un coup de s'effectuer, le « jeu» (dans les
qu'on n'est pas un profession- l'auteur ne semble pas lui avoir dés». L'objet de ce jeu? « Il différents sens du mot) de la pen-
nel du maniement des idées assigné de but précis et qu'il ne s'agit, dans ce mouvement, non sée a toujours besoin d'au moins
et qu'on ne saurait se flatter paraît pas vouloir parvenir à des pas de telles ou telles manières deux partenaires.
d'entrer dans les détours d'un conclusions qui figureraient le de voir et de concevoir, fussent- Et l'on voit, à propos de
des esprits les plus rigoureux terme d'une démonstration. C'est elles importantes, mais toujours Bataille précisément - mais aussi
mais aussi les plus subtils chemin faisant et comme en se de l'unique affirmation, la plus en partant d'Héraclite, de Sade,
d'aujourd'hui? Du moins la jouant (mais il s'agit d'un jeu étendue, la plus extrême, au point de Nietzsche, de Simone Weil, de
difficulté de lecture, à la diffé- rigoureux) que Maurice Blanchot qù'affirmée, elle devrait, épuisant Camus, de Robert Antelme, de
rence de celle qu'on éprouve abat un certain nombre de quilles
à propos d'ouvrages récem- philosophiques ou métaphysiques,
ment écrits par des penseurs ruine des concepts comme ceux de
moins discrets, ne tient-elle « tout », d'cc unité )), de « conti. Eorire, en oe sen.... suppo.e un ohangemeat
pas à un vocabulaire infran- nuité »), de c( discours )), dégonfle
chissable ou à de tortueuses nombre de métaphores qui nous radioal d'époque... et, par là, pane par llav.
préciosités d'écriture : Mau- servent de raison suffisante (toutes
rice Blanchot use d'une lan- celles qui se rapportent par exem- Dement du oommumsme...
gue transparente et si quel- ple à la « lumière )), la (c clarté »,
que affirmation nous paraît le désir d'cc éclaircir) une ques- Eorire devient alors une rnpoasabWtê ter-
d'abord obscure, c'est au tion ou un problème), tandis qu'il
ne nous reste plus grand'chose,
rible.
cœur, de la plus grande
clarté. vraiment, de ce à quoi l'auteur
semblait encore tenir dans l'Es-
pace littéraire ou le Livre à venir :
les notions d'« art )), de « littéra-
la pensée, la rapporter à une tout Raymond Roussel, du Surréalisme
Si nous comprenons difficile-
ture », de « chef·d'œuvre », voire
au,tre mesure, la mesure de ce - Maurice Blanchot Il redoubler»
ment du premier coup ce qu'il
dit, c'est à nous que nous devons d'« œuvre )) tout court, voire, plus qui ne se laisse pas atteindre, ni la parole de littérateurs, de pen-
radicalement encore, de « livre ».
penser ». seurs, de philosophes, d'écrivains
nous en prendre, à notre défaut
Plutôt que de nommer ce qui, tous, ont voulu excéder les
d'exercice, à notre manque d'ou- Comment parvient.il à faire ain- genre d'entretien « dialogue )J, limites de la littérature, de l'œu-
verture, à notre paresse. En tout si table rase, au point de penser Maurice Blanchot préfère l'appe- vre d'art, de la pensée. Non en
cas et serions-nous incapables de que la notion de cc nihilisme » ler « parole plurielle », qu'il défi· vue d'une vérité particulière qu'ils
nous élever au-dessus du plus bas appartenait à une heureuse épo- nit: c( recherche d'une affirma. auraient découverte et moins
niveau de compréhension que le que ? TI nous faut revenir à ce
courant entre l'auteur et nous
tion qui, bien qu'échappant à encore dans le but d'enrichir le
qu'il entend par cc entretien» et toute négation, n'unifie et ne se trésor culturel de l'humanité,
serait suffisamment fort et riche qui, avoué ou caché, formel ou
pour que s'en aillent à vau·l'eau
laisse pas unifier, toujours ren· mais plutôt comme si, sujets et
sous - entendu, n'a évidemment voyant à une différence toujours objets d'une expérience qui rui-
un certain nombre de certitudes rien de la dispute philosophique : plus tentée de différer ... » D'où nait radicalement l'expérience
jusqu'à présent ancrées en notre quand il s'agit de faire plier
esprit et qui n'étaient que fichaises il s'ensuit que les interlocuteurs commune, ils n'avaient été que
l'adversaire ou de l'utiliser - « disent 'la même chose, parlant les ll0rte-parole de ce qu'on
encombrantes. comme le fit assez bien Socrate dans la même direction, car ils appelle « inconnu» par incapa-
D'abord, pourquoi un tel titre? - pour l'accoucher d'une vérité ne discutent ni ne parlent de cité de le nommer, sans doute
Parce qu'il s'agit effectivement, à la lente gestation de laquelle sujets capables d'être abordés toujours inatteignable mais qui
sous maintes formes, d'un dia- nous avons assisté. Mais il n'est diversement, ils sont porteurs de se serait exprimé à travers eux
logue. Dialogue qui serait moins pas question davantage - cela la parole en vue de cette affir- et que Maurice Blanchot carac-
le compte rendu d'une conver· serait trop facile - de donner en mation unique qui excède toute térise au moins dans ses pouvoirs
sation véritable entre deux inter- soi la parole à l'avocat du dia· unité, ils ne s'opposent donc et d'évidement (de la réalité, des
locuteurs véritables qu'une esca- ble, ou d'objectiver une part de soi ne se distinguent en rien quant concepts, des notions philoso-
lade où il importe de bien assurer qui jouerait les compères, ou en- à ce qu'ils ont à dire, et pour- phiques, à travers une incessante
le pied droit après le gauche, et core de prendre l'écrivain (ou tant le redoublement de l'affir- mise en question de toute réalité,
ainsi de suite. Quant à la plus l'œuvre) pour un simple com- mation, sa réflexion, la différen- de tout concept, de toute notion)
grande partie de l'ouvrage, si elle parse. L'entretien n'existe qu'à cie toujours plus profondément, et comme si cet « inconnu» ne
est composée d'études que nous partir de l'existence de cc l'autre », mettant au jour la différence pouvait être autrement capté que
avons pu lire successivement en existence ressentie comme la plus cachée qui lui est propre et qui sous les espèces de l'Extériorité
revue depuis une dizaine d'années, grande étrangeté et comme l'étran- est son étrangeté toujours irrévé- et du Neutre.
mais groupées dans un certain geté la plus proche qu.and, pour lée... » Plus simplement peut- L'Extériorité et le Neutre ce
ordre et en vue d'une certaine Maurice Blanchot, cet « autre » être, nous dirions que des deux 80nt là les caractéristiques de
fin, on peut bien dire que l'auteur s'appelait par exemple Georges interlocuteurs l'un est toujours l'écriture en même temps que ce
y poursuit également un certain BataHIe et qu'entre eux, durant une « l'autre» pour celui qui parle qu'engendre (il faudrait dire auto-
« entretien » : avec des écrivains amitié de trente années, se poursui- et que cet « autre », répétant ce engendre) l'écriture par l'exer-
et des œuvres qui sont vivement vit cet « entretien infini ». que dit le premier, « parle dans cice désintéressé qu'on fait d'elle.
caractérisés dans leur originalité C'est à propps de Bataille cette présence de parole qui est Alors qu'on la croit au service de
~
La Quiuuine littéraire, du 1- GU 15 jan. 1970 3
ÉDITEURS

~B1aDehot

la parole (et qu'elle s'y place ment, d'évidement des réalités Seuil tratlons et 23 planches en couleurs,
quasi naturellement), parole qui nous restitue la série des grandes
apparemment les mieux assises, toiles du peintre exposées au Louvre.
n'est jamais autre qu'idéaliste ou de discontinuité et de rupture. Aux Editions du Seuil, Jean Cayrol
(voir les nO> 1 et 44 de La Quinzaine) Prix de la souscription: 640 F. Prix
moralisante, Blanchot la voit Elle ne crée rien et n'enrichit pero nous propose un nouveau roman inti- après souscription: 690 F.
comme le «jeu insensé» dont sonne. Au contraire elle décape, tulé Histoire d'une prairie et qui se A paraître: Michel·Ange l la Cha-
parlait Mallarmé, mais un « jeu » dissout, détruit. présente comme une féerie historique pelle Sixtine; Le Gréco.
qui n'est rien s'il n'est en même et cosmique, englobant à la fois le
Force qui nous invite à aller passé, le présent et l'avenir, depuis
temps ressenti comme une exi· la Genèse jusqu'à la guerre israélo- Cerele du BlbUophile
gence. Alors que nous la tenions toujours au-delà, en rompant tous
arabe et l'avènement de l'ère de
il n'y .a pas longtemps encore, et les cercles (et, ajoute Blanchot, l'informatique, la prairie faisant Ici Sous la direction de Pierre Sabbagh,
dans une idéologie héritée du cc le cercle de tous les cercles : la office de • lieu commun ., de miroir une nouv611e collection vient d'être
totalité des concepts qui fonde où vient se refléter le monde par le Inaugurée au Cercle du Bibliophile:
XIX· siècle, pour productrice de • Le Cercle de l'Explorateur ., qui
l 'histoire, se développe en elle et truchement d'un personnage hybride,
cc chefs-d'œuvre », d' cc œuvres» et sorte de cerveau électronique et télé- réunira les noms des explorateurs et
de « livres », à tout le moins dont elle est le développement »). commandé. écrivains de tous les temps et de
elle est une force « qui ne se Force qui s'en prend d'abord au tous les pays. Après Le Livre du
On pourra lire également, traduit devlsement du monde, de Marco Polo,
reporte qu'à elle-même », qui ne cc discours »: ce « discours dans du hongrois, Les Parents perdus, par et Voyages autour du monde, par le
se consacre qu'à elle-même et qui, lequel, si malheureux que nous Magdo Szabo, roman sur le conflit capitaine Cook, récemment parus,
croyons être, nous restons, nous des générations dans la Hongrie • Le Cercle de l'Explorateur. nous
« lentement libérée » en tant que contemporaine, déchirée entre ses
« force aléatoire d'absence », sans qui en disposons, confortablement proposera: Du zambèze au Tan-
traditions chrétiennes et le commu- ganyika (1858-1872), par Livlngstone-
appartenir à personne et comme installés ». Force qui en fait n'est nisme, marquée par ses compromis- Stanley; Voyage autour du monde,
sans identité, « dégage des possi. jamais maniée par un seul, mais sions avec le nazisme au cours de par Bougainville; Voyages en Perse,
qui devrait l'être au nom de tous, la Seconde Guerre mondiale et qui, par Jean-Baptiste Tavernier; Premiers
bilités» infinies. Force de néan. aux yeux de sa Jeunesse, s'est défi-
tisation? Ce serait lui conférer et anonymement, et qui, comme nitivement disqualifiée pendant la ré-
voyages au mont Blanc (1779-1796),
finale exigence, « suppose un par H.-B. de Saussure; Voyage autour
encore une sorte de positivité. volution de 1956; Le Soleil des Indé- du monde, par J.-F. La Pérouse:
«Entendue, déclare Blanchot, changement radical d'époque >l. pendances, par Amadou Kourouma, Voyages en France, par R. L. Steven-
Autrement dit : la cc fin de l'his. fresque savoureuse, entremêlée de son; Premier voyage autour du monde
dans sa rigueur énigmatique », contes et de dictons mallnhés, sur
elle apparaît plutôt comme « une toire» et l'avènement du commu· par Magellan, rédigé par le compa-
le petit peuple de la Côte-d'Ivoire, gnon de Magellan et l'un des rares
force anonyme, distraite, différée nisme, de ce communisme qui se que l'Indépendance de leur pays n'a rescapés de l'expédition, Antonio Pi-
et dispersée d'être en rapport par tiendra toujours au-delà du com· guère modifié dans leurs coutumes, gafetta; L'Homme à la conquête du
munisme. Dans ces conditions et leurs rites et les tribulations de leur P61e, par Paul-Emile Victor.
laquelle tout est mis en cause, et vie quotidienne; Je ne joue plus, par
d'abord l'idée de Dieu, du Moi, selon cette perspective, cc écrire »,
Mlroslav Karleja, long cri de révolte
du Sujet, puis de la Vérité et de déclare Maurice Blanchot, « devient
alors une responsabilité terrible ».
d'un des meilleurs écrivains yougo- Stook
l'Un, puis de la Vérité et de slaves contemporains contre un ordre
l'Œuvre ... » « Loin d'avoir pour C'est en effet cc exercer la violence social qui consacre la sottise et la Aux Editions Stock, où sera inaugu-
la plus grande » : celle qui cc trans- cruauté et contre les fondements rée au début de l'année 1970 une
but le Livre », elle se tient « hors mêmes de sa propre révolte; Les
gresse la Loi, toute loi et sa propre collection de romans français avec
discours, hors langage» et, du Troyens, par Jean-Pierre Faye, réseau Alcide ou la fuite au désert, par
Livre, cc marquerait pllttôt la loi ». de récits répercutés et reflétés entre Jean Orieux, auteur d'une biographie
trois noms de femmes et que • l'on de Voltaire parue en 1966 chez Flam-
fin ». Le mérite de Maurice Blanchot, peut aborder par n'importe quelle marion et qui fit couler beaucoup
Après cc la Parole plurielle» et la fascination qu'il exerce sur son entrée, lire littéralement et dans tous d'encre (voir le n° 10 de La Quin-
lecteur tiennent peut-être moins les sens. (collection • Change.). zalne), ainsi qu'une collection de
« l'Expérience.limite », Maurice
à la personnalité de l'auteur, à théâtre dont le premier titre sera
Blanchot intitule une des trois L'Absolu naturel, de G. Parlsé, on
grandes parties de son ouvrage pré- l'ensemble de qualités qui font de Albin Miohel annonce, dans la collection • Témoins
sicément : cc l'Absence de livre ». Il lui l'écrivain que nous connaissons, de notre temps ., une étude d'Edouard
y fait entrer, outre Novalis, Rim. qu'à cette bonne conductihilité Deux nouveaux titres dans la col- Benès, où l'ancien président de la
qu'il offre au passage de la pensée, lection • Lettre ouverte • d'Albin République tchécoslovaque raconte par
baud, Kafka, Artaud, René Char, Michel: Lettre ouverte à un malade le détail les fameuses • journées de
André Breton. Tous, peu ou prou, qu'à cette faculté de pousser la en colère, par Robert Soupault; Lettre Munich. qui devaient conduire à la
auraient selon lui tacitement sous. pensée qui s'empare de lui et dont ouverte aux hommes d'avenir, par Seconde Guerre mondiale: Munich.
crit à cette définition: cc Le [.-ivre : il s'empare jusqu'à lui faire excé- Jean Fourastié. Chez le même édi- Signalons également un roman bio-
der ses limites. Non par raisonne- teur, on annonce un nouveau roman graphique traduit de l'américain: Jack
passage d'un mouvement infini, d'Erskine Caldwell, Miss Marna almée, London, l'aventurier des mers, par
allant de l'écriture comme opé. ments, arguments, développements. dont l'action se situe dans une petite Irving Stone, où se trouve restituée
ration à l'écriture comme désœu- Mais par sauts et bonds dans l'es· ville du Sud et dont les protagonistes la vie mouvementée de l'auteur de
vrement; passage qui aussitôt sentiel et qui nous jettent au cœur sont des • outsiders. enfermés dans Croc-Blanc, de Martin Eden et de tant
d'une évidence jusqu'alors jamais leur solitude et leurs traditions érotico- d'autres romans célèbres.
empêche. Par le livre passe l'écri- mystiques et Indifférents à l'évolution
ture, mais le livre n'est pas ce à perçue. Cette démarche qui tient de la société américaine. Autre titre:
quoi elle se destine (sa destinée). également du jeu (par curiosité Les Témoins, par M. W. Waring, roman
Par le livre passe l'écriture qui de voir jusqu'où on peut aller), traduit de l'anglais, et où se trouve
L'entretien secret"
Il
relève d'un jeu plus grave et où évoquée la société russe pendant les
s'y accomplit tout en y disparais. bouleversements qui précédèrent la
sant; toutefois on n'écrit pas se risque l'essentiel: de ce que Révolution d'Octobre.
de Pierre Bourgeade
pour le livre. Le livre : ruse par généralement nous pensons, sen- sera pubUé dans notre
laquelle l'écriture va vers l'ab· tons, croyons. Conviés à une
sence de livre. » Ces longs détours gymnastique difficile nous n'y Robert Laffont prochain numéro.
de la pensée de Maurice Blanchot prendrons certes aucune graisse
ne sont pas inutiles en regard de culturelle, mais ce que nous pero Chez Laffont, dans la collection Ce sera l'avant-
• Les sommets de l'art • où nous
la leçon que nous autres, lec· dons, par lambeaux ou grands ont été présentées les peintures dernière renoontre de
teurs, pouvons en tirer : à savoir pans, n'était qu'un alourdissement noires de Goya à la Qulnta dei Sordo,
pataud que nous prenions pour de Jacques Thuillier et Jacques Foucart notre ami .veo un
qu'à l'encontre d'assez affligeantes
la richesse. nous proposent une étude approfondie auteur.
théories à la mode, l'écriture est de l'ensemble de l'œuvre de Ruben••
avant tout force de questionne- Maurice Nadeau L'ouvrage, qui comprend 131 lIIus-

4
ESSAI
La traversée
des apparences
Ernst Jünger En premier lieu, la sienne. consigne. Des deux réalités, celle-
Chasses subtiles L'éditeur français caractérise ci était la plus forte ».

1 Traduit de l'allemand
par Henri PIard
Christian Bourgois éd., 456 p.
Chasses subtiles comme les Anti.
mémoires de Jünger. Grandilo-
quence en moins, un livre peut
en effet évoquer l'autre. Pris très
jeune à l'hameçon, Jünger n'a
Lors d'un voyage en Afrique,
plus récemment, Jünger est convié
à une chasse au gros gibier. Cette
idée le révulse tout à coup. Il
s'interroge. Est-ce donc l'âge qui
Les héros de ce livre n'ont qu'à suivre le fil invisible de ses lui donne la destruction en hor·
rien de célèbre. La drypta chasses pour débobiner toute son reur? II Désormais, les buffles
bleue et le Iymelyxon, la existence depuis le temps où son eux-mêmes ne m'attiraient plus ».
strangalia rouge et le ptynus père, pharmacien à Hanovre, Un tel déclin d'ardeur ne peut
ne sont pas de nos familiers. l'initiait à cette autre science déli- guère s'expliquer par l'âge, car
Il s'y ajoute que leur taille cate qu'est le jeu d'échecs, jus- on voit de vieux chasseurs enflam·
est très petite, un grain de qu'aux promenades qu'il accom- més d'une passion persistante, et
riz parfois, ce qui n'aide pas plit aujourd'hui, cinquante ans même, parmi eux, des ancêtres.
à les reconnaître et s'il faut plus tard, dans les forêts de Sig- On est bien obligé de songer à
les décrire, c'est le diable, car marigen. Entre ces deux bornes, une mutation, à ce que les astro·
un coléoptère, allez l'imaginer une série de figures se succèdent. logues appellent communément
si vous n'êtes pas vous-même Elles ne se concilient pas aisément II l'entrée dans une nouvelle mai·
un collectionneur. Ecrire alors car les profils de Jünger sont son ».
450 pages sur le sujet des déconcertants : l'écolier le plus De chasse en chasse, le visage de
vesperus, des saphryna et de nul de l'Allemagne est devenu Jünger se transforme. Il se modèle
leurs petits collègues s'appa- le plus grand écrivain de son de l'intérieur. Il scrute mainte-
rente à une gageure. pays. Le voyageur acharné est un nant la face cachée des choses. Ern3t Jünger
homme de bUreau et de médita. Il découvre que sa seule passion
tion. Le passionné d'archéologie est celle de la connais811nce. De
Jünger la soutient. Vous avez se pâme pour un vin sicilien ou sorte que ce livre n'évoque pas
beau ne pas distinguer une cicin- une bouillabaisse corse. L'ama- seulement les Antimémoires. Son
dèle d'un typhée, Jünger vous teur d'utopies est un poète incom- plus proche modèle devient bizar-
emporte parmi ces immenses peu- parable. Le philosophe de l'his- rement Mobv Dick.
plades d'insectes comme on décou- toire n'est à l'aise que dans le La balein~ blanche du capi. étroite du réel, mille facettes se
vre une Amazone. royaume de Gulliver des insectes. taine Achab est remplacée par dévoilent. Le monde se met à
Subtiles, ces chasses ne sont pas Enfin, et l'amhiguïté atteint ici les insectes de Lilliput. Le chan- scintiller. « Certaines subtilités,
frivoles. A décrire les « chinoi· son comble, le guerrier fasciné gement d'échelle est de peu de dit Jünger, ne me devinrent dis-
series» de corne, de jade et par le sang et les flammes, est signification. Les myriades d'in- cernables qu'après des dizaines
d'agathe, les carapaces d'or et de aussi un homme qui a traversé sa sectes détiennent le même secret d'années ».
charbon, les ailes de verre et la vie avec un filet à papillons. que l'introuvable baleine. Leur Cette passion est servie par un
fragilité des antennes, Jünger ne assemblage dans la mémoire com- langage admirable. Jünger, tout
Un mot sur ce sujet. Depuis
cède jamais au plaisir de la pose une immense et fantastique au long de son œuvre, nous a dit
Orages d'acier Jünger passe à rai.
prouesse littéraire. Son dessein mosaïque. Chaque prise comhle sa fascination pour le cristal, à
son pour un de ces romantiques
est plus orgueilleux. Il l'énonçait un vide du puzzle chatoyant, fra- la fois objet et principe forma·
de la violence que l'Allemagne a
déjà dans un livre ancien et gile et chimérique. Dans les entre- teur, à la fois surface et profon-
la triste manie de produire. Il
malheureusement introuvable, le croisements des espèces et des deur. Ainsi de cette écriture qui
est vrai que Jünger a chanté la
Cœur aventureux: « Lorsqu'on genres, dans les analogies de leurs semble nimhée de lumière: en
guerre. Il ne cache même pas que
observe un coin du réel, comme cornes et de celles du rhinocéros, relatant les apparences, ce style
dans les années 20, Hitler l'a
ici les guêpes, on acquiert en de leurs couleurs et des brillances révèle aussi les structures occul-
séduit. Mais, très vite, il s'en
même temps la connaissance d'au- de l'eau ou du ciel, dans la dis- tes qui organisent ces appa-
détourne, se retire dans sa tour
tres objets cachés, tel le chasseur tribution des dessins de leurs rences, exactement comme le
d'ivoire. Les carnages méthodi·
à l'affût ou le guerrier aux avant· carapaces, Jünger déchiffre des cristal donne à lire, au même
ques des guerres modernes lui
postes ». réseaux d'une fabuleuse finesse regard, le8 facettes qui le compo-
répugnent. Les guerres qui han-
dont les mailles recouvrent, selon sent et les géométries qui gou-
Cette phrase, écrite il y a tent cet homme de droite sont
lui, les mailles d'une autre réa- vernent l'ordre de ces facettes.
vingt.cinq ans, contient toutes celles des temps féodaux, non les
lité, cachée. «Le chasseur, conclut Jünger,
les Chasses subtiles. Et Jünger exterminations. Et il faut dire
devient à la longue subtil, à force
la précise anjourd'hui quand il davantage : Chasses subtiles nous Nous allons dans le monde en
de ne pas épargner sa peine,
décrit le collectionneur d'insectes: montre un homme sans cesse par- aveugles. Nous le considérons dis-
même dans la plus modeste des
« C'est en ce seul lieu qu'il a tagé entre le goût de la violence traitement et nos yeux n'utilisent
quêtes. Un souffle presque imma·
vu, dans la mer des apparences et celui de la méditation. A plu- pas leurs pouvoirs. Jünger, qui le
tériel, comme venu d'ailes d'éphé-
passa~ères, étinceler la vague sur sieurs reprises, la même scène sait, choisit de découper dans le
mères, a modelé son esprit. Quant
laquelle se brisait la lumière, et revient. Dans une tranchée de 14 réel une lamelle très étroite de
aux noms qu'il a chassés au bord
c'est justement là que s'ouvre la ou sur les routes de 40, la fureur manière que les trésors enfouis se
même de l'innommé, il est vrai
minuscule fenêtre par laquelle il du monde s'efface soudain, la révèlent. Le livre de l'infiniment
qu'il ne peut les emporter avec
perçoit la splendeur de l'univers ». guerre s'éloigne, pour la raison petit devient alors celui de la
iui. L'art va plus loin, de même
Voilà qui trace les limites de ce que « deux insectes noirs, luisants, richesse et de la profusion. Une
qu'une chanson dont les paroles
livre mystérieux: en fixant ses parés de leurs trois cornes» sur- seule famille du genre coléoptère,
sont oubliées VOliS obsède encore
appareils sur l'infiniment petit, gissent sous les yeux de Jünger. celle des Carabida.e, ne comprend
de sa mélodie. Puis, la mélodie
comme un astronome observe le l( En me penchant vers ce couple pas moins de 25.000 espèces. La
elle-mêm.e reste derrière VOltS ».
mouvement des constellations, menu, j'oubliais ma mission guer· chasse subtile est une chasse au
Jünger décrypte d'autres vérités. rière - le lieu, le temps et la snark. A force de fixer cette zone Gilles Lapouge

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 jWl1'ier 1970 5


ROMANS
:8TRANGERS

Best-seller
John Updike Et ce n'est pas un hasard : La Salvador Emondo
Couples Nouvelle Angleterre (considérée Farabeuf ou La Chronique

1
Trad. de l'américain comme province, non comme Etat) d'un Instant,
par Anne-Marie Soulac est le berceau du puritanisme. Sa· trad. de l'espagnol
Gallimard éd. 564 p. lem, de sinistre mémoire, est à par René L.·F. Durand
quelques kilomètres de l'Etat de Gallimard, éd. 190 p.
Pennsylvanie où est Updike (il vit
On pouvait attendre beau- d'ailleurs dans l'Etat de Nouvelle
coup de John Updike. Il appar- Angleterre). Couples est un roman C'est la photo du Leng Tch'e
tenait à cette cohorte de pe- puritain mis au goût du jour. Parce - le supplice chinois dit des
tits marquis en jabots de den- que nous vivons à une époque où Cent Morceaux - , prise en
telle qui, de la forteresse du un chat peut être non seulement 1905 à Pékin et publiée pour
New Yorker déversèrent sur appelé un chat mais décrit minu- la première fois dans le Traité
la littérature américaine des tieusement, le puritanisme d'au· de psychologie de G. Dumas,
paillettes toutes plus étince· jourd'hui est fidèle à sa vocation, qui inspire ce premier roman
lantes les unes que les autres. c'est·à·dire qu'il exprime l'obsession d'un jeune Mexicain, ou plutôt
Les femmes étaient sous cel· d'une chair qu'il méprise et détes- qui lui fournit son motif :
lophane et avaient la grâce te. Rien, dans les ébat amoureux, une œuvre, écrit Octavio Paz,
des héroïnes de Fitzgerald. n'exprime une quelconque joie ou • froide et étincelante comme
Cet univers sophistiqué - un quelconque épanouissement. un château de couteaux (un
qui atteignit son point culml· castillo de navajas) ...
nant avec le Centaure - Irrita L'amour n'est rien d'autre qu'une
bien des gens : cette belle servitude, un mal nécessaire. Rien
brute de Norman Malle r On connaît l'utilisation que fit
n'est moins érotique que Cou-
regretta par exemple que, ples. Et les nombreux détails ana- Georges Bataille de cette même
sous les volutes stylistiques, tomiques qui émaillent le récit n'ont photo dans les Larmes d'Eros.
le sexe n'affleurât point. Son On connaît moins son apparition
d'autre objet que de démystifier
Initiation était d'autant plus répétée ailleurs : dans un tableau
cette question sexuelle au premier
grande, que le talent d'Updike plan des préoccupations américai·
du peintre espagnol José Gutierrez
était évident. Solana, dans Marelle de Julio
nes. L'homme de Cœur de lièvre
Cortazar - au chapitre 14 : un
avec sa mysoginie de bon ton ne
Chinois, Wong, la porte toujours
peut que se révulser devant l'offen-
Mailer doit être content : pour sur lui et introduit une variante
sive du nu sur les scènes américai·
écrire son énorme roman Couples, Même si elle est ratée (et ambi· de lecture : l'objet de la torture
nes. Pour des raisons esthétiques
Updike, ayant abandonné ses jabots guë), l'intention satirique est évi· serait une femme _. D'une façon
certes, mais aussi pour des raisons
de dentelle dans les archives du dente : toute cette société, au fond morales. métaphorique, dans Cérémonie
New Yorker, a promu le sexe au très conformiste, sans la moindre d'un Corps, de Giancarlo Marmo-
rang de premier personnage. Il a culture, qui a de l'argent, qui est ri, et, finalement, dans Farabeuf.
fait craquer la cellophane et ses On pouvait attendre beaucoup de
la base de la société américaine - Le livre d'Elizondo n'est que
personnages s'avancent désormais, John Updike, disions·nous au début
c'est elle qui a mis, par exemple, la mise en spectacle de la photo.
dans le monde, avec, solidement de cette chronique. Son talent sem·
un Nixon au pouvoir et c'est d'elle Un amant sadique fait dépecer
collés à eux, les miasmes de leurs blait même suffisamment riche pour
dont parle le Président lorsqu'il se vivante sa maîtresse suivant la
vigoureuses et nombreuses activités. évoluer dans une direction incon-
dit soutenu par l'Amérique silen- méthode des Cent Morceaux, de-
Pour rester dans le domaine physio- nue, mais on n'imaginait pas qu'il
cieuse - cette société est, en vérité, vant un miroir, bien sûr, et par
logique, disons qu'Updike a viré pût aboutir à la plate tranche de vie
minée de l'intérieur parce qu'elle un « expert :t : la chose se passe
sa cuti... naturaliste. Des traces aériennes de
n'a plus qu'une préoccupation essen- à Paris, et son exécutant est le
Fitzgerald, il est passé sans transi.
tielle, jouir - et au sens le plus Docteur Farabeuf qui s'est illus-
tion au sillon laborieux de John
Couples, donc, nous raconte la animal du terme. tré, au cours de sa jeunesse, au
O'Hara. A croire qu'il a, entre
vie sexuelle de cinq ou six couples Grand Amphithéâtre de la Fa-
temps, suivi des cours dans une de
appartenant à la classe moyenne Cette dénonciation véhémente culté, par son adresse à amputer
ces écoles d'écrivains qui pullulent
d'une petite ville du Massachussets. est, en même temps très ambiguë. les memhres tuméfiés des cada·
aux Etats-Unis.
Un partenaire chasse l'autre et, au Elle ressemble fort à celle des vau- vres, et qui se présente aujour.
terme de ce gros roman, rien ne devillistes qui s'adressent, de maniè- d'hui très simplement, comme un
sera vraiment changé à la situation re bourgeoise, au public bourgeois, Certes, par moments, au hasard homme habillé de noir, une grosse
initiale. On n'aura rien appris sinon décochant quelques flèches qui ne d'un paragraphe, on retrouve Updi. valise à la main (ce sont ses ins-
que le sexe est l'obsession privilégiée remettent pas en cause la société, ke, mais on espérait plus qu'un truments de travail), la démarche
des époux et épouses américains. Les flèches qui recueillent de nombreux John O'Hara en mieux. On espérait lente. Son parcours, la nuit de la
scènes de couche.ries se succèdent et applaudissements. Il y a eu des pré. un univers personnel. Et on a beau cérémonie (séquence sur laquelle
leur accumulation ne va pas sans cédents qui, tous, ont obtenu un ne pas vouloir écraser la jeune litté· le récit, brisé, fait sans cesse re-
une certaine monotonie. Dans le succès public certain : citons Ren- rature américaine sous le poids de tour), est bref et bien du « quar·
flot des pages, on ne sait plus très dez-vous à Samarra de John O'Hara, ses aînés, on ne peut s'empêcher de tier :t - il reste très attaché à
bien qui a ou n'a pas tenté une Par l'amour possédé de James Could penser qu'à l'âge où Updike a écrit l'Ecole de Médecine - : il part
« expérience », qui est ou n'est pas Cozzens et même la Vie d'artiste Couples, Faulkner, Hemingway, de La Pergola, après y voir bu,
frustré, qui fut ou ne fut pas, à un de Mary Mc Carthy. Tous se dérou- Fitzgerald avaient publié leurs jusqu'à la dernière goutte, ner·
moment ou à un autre, un parte. lent dans ce Nord·Est des Etats- chefs-d'œuvre et que Thomas Wol- veusement, un petit verre de cal-
naire convoité ou consommé. D'ail· Unis, berceau des premiers immi· fe était bien près de sa mort. vados, tourne à droite, continue
leurs, tout ça, en fin de compte, n'a grants et siège aujourd'hui de la rue de l'Odéon et s'arrête, « par
pas très grande importance. haute puissance financière. Jean Wagner hasard :t, devant le numéro 3.

6
L'alnour à nlort
Au moment où Farabeuf fran· s'adressant aux personnages tour
chit le !!euil de l'immeuhle, la à tour), avertit l'amant que,
victime, assise au fond du cou· « pour ainsi dire », il « contient
loir, agite dans le creux de ses le sens de sa vie toute entière :t,
mains trois pièces de monnaie aussi bien.
qu'elle lai88e tomber sur une Un sens, en tout cas, à repérer
table avec un petit bruit métal· moins dans ce qui se voit que
lique... Quel est ce jeu ? A dans les systèmes de 8ignes qui
entendre le bruit que font les commandent la repré8entation.
trois pièces en tombant successi· A l'arrivée du Maître à l'étage,
vement, on peut « conjecturer tout est prêt pour la « réactiva·
qu'il s'agit de la méthode chi- tion :t de la photo. Mais on a coma
noise de divination au moyen pri8 que cette mi8e à mort, plu8
d'hexagrammes symboliques :t. qu'un « travail propre :t, doit
Mais le narrateur entend autre être la célébration d'un rituel :
cho!!e : c le bruit peut-être de autant dire à la foi8 une question
et une réponse : l'exposition d'une
énigme, le tracé d'un rébus, la ré-
pétition d'une formule incanta-
AVIS toire, qui eux·même8 surgis!!ent
comme la solution d'un autre pro-
Quand on lira blème posé en un lieu inconnu,
d'une interrogation demeurée pré-
chiffrée.
ee Une : inoises Une prémisse analogique sou-
tient effectivement toute la mille
de puehe à droite...; en acte de Farabeuf .: 8ur la photo
du Leng Tch'e les bourreaux se-
attaquez le bord raient disposés en un hexagone
qui se développe dans l'espace
Ilauohe du pied..., autour d'un centre constitué par
le supplicié ; or, cette disposition
poursuivez jsuqu'à renvoie à la représentation c équi.
voque » d'un idéogramme chinois
la faoe droite du qui se prononce lîri., qui est celui
du chiffre 8ix, mais dont les traits
membre... rappellent précisément le corps
d'un supplicié.
L'expérience de Farabeuf serait,
au plus exact, la dramatisation
pas traînants (les pages de Fara· d'un idéogramme, le retour à ce
beuf dans l'escalier ?) ou d'un qui est représenté par le tracé si·
objet qui glisse au-deS$us d'un gnifiant (ici, le supplicié) et qui
autre en produisant un son com- se trouve évacué au niveau du si·
me celui de pas traînants, écoutés gnifié (ne retenant ici, du sup-
à travers un mur :t ; peut-être plice, que le nombre, six, de8 8UP-
encore le glissement d'une plan. pliciant8), la rupture, donc, de la Exécutiop, en Chine en 1905
chette indicatrice sur une autre figure qui constitue tout 8igne
planche plus grande ; nous voici daus sa matérialité, l'explication renvoie qu'à lui-même, une invo- quelle réalité chaque lettre est-
alors renvoyés à l'oui-ja, cette du référent qui s'inscrit dans la cation privée de lIens. Elizondo, elle le hiéroglyphe, qu'est-ee qui
méthode divinatoire « tradition- trace et qui est plu8 accessible au contraire, veut repérer, mettre se cache ets'ab8ente derrière cha-
nellement considérée comme une pour un langage idéogrammatique. en évidence, la présence du 8igni. que .signe ? Voilà la question que
partie du patrimoine magique de La praxi8 méticuleuse du Maître fié, démontrer que tout 8ignifiant eemble poser Farabeuf.
la culture occidentale », et qui invertit et renvoie toute méta- n'e8t qu'un chiffre, un théâtre, Pour le lecteur français, trop
rappelle par un de ses éléments, phore à sa littéralité initiale. l'écriture d'une idée : un idéo- hahitué aux ( fre8que8 :t, aux
d'ailleurs, les hexagrammes : « à Une comparaison, dès lors, peut gramme. Une c 8eCOUS!!e :t du 8i· c: 8agas :t, au déferlement peycho-
chaque extrémité de la planche éclairer tout le projet. Dans sa gnifiant - dan8 ce cas-ci, le tracé logique du roman 8upposé c nou-
est gravé un mot significatif : le Cérémonie d'un corps (1), Mar. du liù - , une espèce de prise au veau :t mexicain, ce livre annon-
mot OUI à droite et le mot NON mori structurait un rituel sadique corp8 (2) de l'idéogramme, doit cera san8 doute une rupture. Rup-
à gauche... allusion à la dualité pris à son niveau 8ignifiant - les permettre le repérage d'Un sens ture qui explique l'ambiguïté, en
antinomique du monde qu'expri- gestes - , pour le démentir et :premier - en ce cas-ci, la torture. définitive, de la démarche: Faro-
ment les lignes continues et les créer une déception au niveau du Comment créer une phra8e, une beuf remonte du spectacle à la
lignes brisées, les yang et les yin signifié - la 80uffrance - . Son organi8ation de graphes 8ans 8UP- lettre, mais cherche dans la lettre
qui se combinent de soixante· écriture était celle d'une phra!!e port, un emblème 8ans 8ens, un le rever8 motivé d'un sens.
quatre laçons différentes pour sadique à vide, celle d'un faux rituel tladique san8 80uffrance ? SetJero Sarduy
nous donner la signification d'un idéogramme: derrière l'apparence Telle était la que8tion posée par
instant :te Un jeu, un instant dont (1) 1966, traduction aux Ed. du Seuil.
signifiante, il n'y a rien; elle n'est Cérémonie d'un corps. Qu'est-ce. (2) CoauDe on dit li: prendre à la
la voix narrative (détachée et qu'un pur tracé, un geste qui ne qui a donné lieu au graphe, de lettre lt.

La Quinzaine littéraire, du 1" ou 15 janvier 1970 7


ROMANS

Erotisme et satire
FRANÇAIS

rombre du geste, ou de récho du


1
Michel Bernard prétation des signes les plus incer· de se prêter à leur jeu.
La Nue pou1Joir... • la Nue est un rêve, tains, les plus mouvants - là où Que sont ces «corps· lan·
L'Or du Temps éd. où le rêveur même est inclus, se tout semhle symbole mais où rien, gages • (1), phantasmatiques ido-
rêve lui-même. v·raiment, n'est symbolisé. C'était les bercées dans le foyer noir des
aussi la démarche de la Négresse miroirs proliférants ? Ces quasi.
« La nue, elle, qu'elle étire ses Rêve « aberrant • qui, venu du muette (voyeurs voyants et voyeurs corps (ou quasi.incorporels) me·
écharpes dans le ciel blanc, ou feu, forme la Nue, puis opère, vus) : de l'auteur, du lecteur et nacent la page et la vie même,
qu'elle 1Jacille, écrasée de chaleur page après page, son retour au des personnages, on ne sait qui brûlent en se redoublant, en se
opaque, hésite encore à épouser feu - écriture nue et qui n'en épie qui - chacun se fait devin dédoublant. La nue est grosse
le songe célibataire : femme ou finit pas de se vêtir et de se dé- ou traducteur, jaloux : il s'agit d'orages. L'on soupçonne en un
nuée, dé1Joilée ou toutes 1Joiles, nuder, à elle·même attentive et à d'épier les signes auxquels la vé· éclair (c'est peut.être la profonde
elle échappe à elle·même comme sa propre consumation : «comme rité se trahit, incertaine vérité leçon du livre) que le corps peut.
au regard qui 1Joudrait la pié. une nonne se consume, perpétuel- d'un Eros Energumène toujours être n'est que décor - dessous, la
ger .... la Nue est le dixième lement attenti1Je ., la nue se fait déjà mis en fuite par les paroles fulgurance, le feu : « là où il n'y
roman·rêve de Michel Bernard, et se défait, pendant que se con- qui l'apprivoisent. Car la Nue a que décor, se dit· il, la vie peut-
peut.être le plus parfaitement rêvé fondent l'auteur, le lecteur et les échappe : la trouvant, je me perds elle se perpétuer ?
et écrit. Donnant sa parole aux personnages dans une même et ou je la perds - et, de même la La question n'est si vaine que
phantasmes (nus, nuées, nuages), anxieuse tentati1Je d'interpréta. vérité, le fin mot de l'histoire, son d'être mal posée, car la chair aussi
Michel Bernard est-il le poète des tion. fil qui n'est autre peut-être qu'un est décor et « l'esprit souffle où il
songes vécus ou de la vie fêvée, film. 1Jeut •. Corps : décor - espr&t :
on ne sait - « mais il en est ainsi L'art est ici semhlahle à celui Cinéma d'une épouvante, cela du feu ? Cette (implicite) question,
de la plupart qui se satisfont de des haruspices : mantique, inter· moins est sûr - même si l'épou. qui fait de Michel Bernard un
vante, la perte, l'errance, s'inti· émule des stoïciens, voire de Ba-
tulent ici sexe, érotisme, raffine· taille ou de Klossowski, s'abrite
ment. La Nue est un livre insépa. dans les interstices de la fiction,
rablement érotique et austère qui, au creux, au cœur de la Nue. On
s'il pose à l'angoisse tout son pro- demeure libre de ne considérer
blème, est aussi un extraordinaire le livre que comme une très belle
et pervers di1Jertissement. En ce œuvre de « littérature érotique .,
füm où la chair, les corps, sem· mais ce serait méconnaître ce que
hlent jouer le premier rôle, nous devient ou peut devenir cette lit-
ne saisi880ns de la scène « réelle • térature·là plus qu'aucune autre
que des doubles et leurs multiples. peut.être lorsqu'on la rend à la
Le livre est un jeu de miroirs sauvagerie de ses éléments.
artistement disposés en décor et lean-Noël Vuarnet
qui, ne reflétant rien que leur pro-
pre reflet, leur béante et femelle
vacuité, invoquent et suscitent (La1. LoKiq~
Expression utilisée par G. Deleuze
du .em) à propoe de
des corps qui seulement feignent KlOSIIOwski.

1
Michel Bernard d'être aussi plat que les travers
Le Chevalier Blanc qu'on dénonce. M. Blanc et ses aco-
Christian Bourgois, éd. 344 p. lytes nous infligent d'interminables
conversations sur lesquelles ne sur·
nagent ni une idée, ni une trouvail-
Michel Bernard, qui écrivit na· le, ni un bonheur.
guère de beaux romans d'amour et Il y a belle lurette que la bêtise
de délire, s'attaque tout-à-eoup à la est l'une des mamelles de la littéra·
soeiété de consommation. Il présente ture française et il est vrai que Flau-
son récit comme un hommage à don bert a montré la voie. Mais il inno-
Quichotte, à Bouvard et à Pécu- vait et puis c'était Flaubert. Ses
chet. Ce soin est bien regrettable. deux imbéciles y gagnaient une ma·
A la lumière que distribuent ces jesté faustienne. Rien de tel chez les
grands noms, le récit de Michel épigones.
Bernard perd quelques couleurs. Ce qui aggrave le cas du chevalier
L'histoire est ordinaire. Elle dit blanc, c'est que les personnages
qu'un jeune homme s'appelle M. « chargés de l'intelligence » sont
Blanc et s'occupe de détergents. Il aussi déserts que le pauvre M. Blanc
villégiature en Espagne, fait l'érotis- lui-même. Les trois jeunes intellec·
me à une dame, subit les moqueries tuelles qui persécutent M. Blanc
de trois jeunes filles. Le récit n'est sont d'épouvantables bas-bleus. Il
pas trop mal fait, il lui arrive d'avoir suffit que ces pécores ouvrent la
du mQuvement. bouche pour qu'on ait envie de fer·
L'ennui est que le sujet contami- mer tous les livres, y compris celui·
André Masaon : Fem_ damnéa (1922) ne le livre. C'est l'inconvénient des ci.
satires : on est sans cesse menacé G.L.

8
PO'=SIB

Quête de la poesIe
# •

dites sont présentées avec sobriété :

1
Jacques Dupin au Mallarmé :
L'Embrasure
Gallimard, éd., 124 p. o ma parole en perte pure, L'étang dam la forêt, l'enfance
Ma parole semblable à la rétraction comme une branche immergée
d'une aile extrême sur la mer! tirée par surprise à la berge

1
Jean-Pierre Burgart
Failles et qui scintille à contre-jour.
Mercure de France, éd., 80 p. tandis que l'Henri de Régnier (0: Il
m'a suffi de ce petit roseau... Et Dans une admirable suite de pro-
j'ai, du souffle d'un roseau, Fait ses intitulées Moraines, Jacques Du-
chanter toute la forêt. ») finissait en pin expose, non un art poétique,
Celui qui lit un recueil de Saint-John Perse : mais un essai de définition de sa
poèmes ne peut parfois s'em- propre quête de la poésie. Ni mage,
pêcher de supputer dans quel Il a suffi que j'emporte ton souffle ni phare, le poète n'est qu'un hom-
sens Ira le recueil suivant. dans un roseau me; mais sa fonction est vitale :
Avant d'être partie d'une œu- Pour qu'une graine au désert
vra et d'une évolution mesu- éclatât sous mon talon. « Le poète n'est pas un homme
rable, un recueil de poèmes maim minuscule, mow indigent et
forme pourtant un tout récla- Vraisemblablement fortuites, ces moim absurde que les autres hom-
mant à chaque fois pour soi- rencontres n'en étaient pas moins si- mes. Mais sa violence, sa faiblesse et
même un regard neuf. Qu'on gnificatives. son incohérence ont pouvoir de Jacques Dupin
apprécie ou non ('Embrasure s'inverser dam l'opération poétique
de Jacques Dupin, Failles de En rappelant les limites d'un re- et, par un retournement fonc14men-
Jean-Pierre Burgart, on est cueil précédent, on ne craint pas de tal, qui le comume sam le grandir, Seule me touche l'indifférente
conscient d'un souci essen- diminuer un poète quand il produit de renouveler le pacte fragile qui simplkité du ciel, désert et lumi-
tiel d'agencement en livre, en ensuite l'Embrasure. Six ans entre maintient l'homme dam sa division, neU% dam tes yeux, • comme ail-
objet achevé. les deux recueils ne se sont pas et lui rend le monde habitable». leurs, au fond d'une solitude bleue
écoulés en vain, et ceux qui avaient que nul vent ne déchire. tremble
Jacques Dupin n'est pas un p0è- salué Gravir se trouvent avoir raison C'est là l'humilité d'un vrai poète une étoile.
te à se laisser prendre à l'inflation contre ceux (j'en étais) qui n'espé- face à son art.
littéraire. Il n'avait rien publié de- raient pas voir sortir Jacques Dupin Jean·Pierre Burgart n'est pas une Cette «solitude bleue», cette étoi-
puis six ans, mais comme ce ne sont des réminiscences. Il est un de nos voix nouvelle. Avant Failles, il avait le tremblante, cette fausse prose,
pas nécessairement les œuvres yolu- meilleurs poètes. Qu'on en juge : publié quatre ans plus tôt, aux mê- presque un quatrain (ciel - étoile,
mineuses qui en imposent le plus, mes éditions, Ombres. Il nous y pré- yeU% - bleue), nous ramènent à Paul
on ne l'oubliait pas pour autant. Les treuils, les cordes, les pou- sentait des rivières, des montagnes, Fort. Ailleurs, ce seront des allité-
Lorsque, en 1963, parut Gravir, le lies, - les volants et les leviers - les des forêts et des champs. Chez Bur· rations insistantes dans la pire tradi-
recueil reçut de la critique un ac- manettes, les trappes, les glissières - gart, comme chez Dupin, peu tion symboliste :
cueil chaleureux. la poussière et les aboiements • toute d'hommes: en dehors du poète, tout
On peut s'en étonner aujourd'hui la machinerie du théâtre mental se au plus un autre personnage, une Notre néant réciproque nous uni-
quand on relit cette œuvre fonda- met en marche, fonctionne à vide, femme, une seule. La prose légato ra, délivrés, à travers l'infini désolé
mentalement livresque. L'épithète fonctionne pour le vide, pour le di- du poète convenait à son propos : d'une nouvelle nuit.
mérite sans doute quelque explica- vertissement du vide...
tion. On appréciait dans Gravir un le m'enfonçais à la suite de l'été Au mieux, nous trouverions un
goût néo-classique pour la maxime lusqu'à ce que le fleuve en crue vers le cœur de la montagne en re- disciple attardé de Mallarmé (<< De
(<< Dam la connaissance du fleuve la sur lequel est flottant ce théâtre, montant le cours du torrent dans la son modèle évacué, ma parole ne
pile de pont l'emporte sur la bar- s'engouffre entre les colonnes et les pénombre forestière que remplissait rappelle que l'évanescence... J) ).
que»), pour la pointe même ( « 1gno- ors, et apporte un dénouement à une le silence; de l'alpage encore mon- Comme autrefois le premier Dupin
rez-moi passionnément »), et jus- vacance éternelle de drame. Tout ce taient selon le vent les tintement.s évoquait, mais combien plus discrè-
qu'à de discutables mots d'auteur qui roule entre mes tempes, de sé- des troupeaU%, les tendres mugisse- tement, l'impassibilité du ciel, Jean-
(II /'ai joué pour perdre et j'ai ga- cheresse et de cailloux, à les faire ments, l'appel d'un berger... Pierre Burgart va évoquer la vacui-
gné : je suis perdu»). On trouvait éclater, comme à travers un cirque le me suis confondu avec cette té, l'inanité, sonores ou non, ses tor-
agréable que l'auteur démarquât les de montagne qui amplifie son gron· obscure solitude. tures devant« la blancheur adorée»,
formules de René Char (<< La pesti- dement, et roule, et déferle contre « la blancheur suffocante» :
férée, les dieu% la possèdent de- vos genoU%... Se levait en nos mémoires - un
bout ») ou de Saint-John Perse (0: Il peu malgré nous, car ce discret ly- ...m'éprouvant obscur je devieR$
gouvernait la croissance ascétique L'originalité est atteinte d'emblée, risme requiert aisément la sympa- la pemée fragile et décisive de la lu-
des lances parmi lesquelles je nais· sans dêtonatiom adolescentes, les thie - le fameux « sentiment de la mière, son désir, son écho anticipé
sais »). Jacques Dupin ne procédait fulgurations sentencieuses ont laissé nature» de nos cours de rhétori- qui la profère en s'cunortisMmt.
pas aiilsi de propos délibéré; celui place à un art dont la violence, pour que. Burgart ne procédait pas à ...Ce qui s'énonce moi s'abolit
qui écrivait : «je n'ai plus la voÎ% être sous-jacente, est d'autant plus coup d'ellipses et d'épithètes percu- dam la noirceur sauvage dont je ne
sèche des adolescents qui guettent évidente. Ce n'est plus ici la pointe tantes, mais déroulait cette « prose suis que l'écume hasardeuse.
les détonatiom » était sans doute le finale mais le dénouement nécessai. propre » dont un poète du siècle der-
premier à s'y méprendre. C'était la re et inattendu; l'effet dramatique nier disait qu'elle était plus difficile Du poète qui avait écrit Ombres,
voix d'un écrivain adaptant sa voca- a gagné de la force à être très dis- à écrire que les vers. on n'attendait pas qu'il se regardât
tion au style des poètes les plus co- cret. Jacques Dupin s'est acheminé Le lecteur qu'Ombres avait rete- page après page. L'acte poétique -
tés du moment, et chez qui le Van vers plus de simplicité et si sa voix nu risque d'être déllOncerté par l'o- voyez Moraines - n'a pas lieu de-
Lerberghe (Il 0 ma parole - Qui a gagné en autorité, c'est que, juste- rientation nouvelle du poète dans vant la glace. Attendons le pro-
trouble à peine un peu - Dé tes ailes ment placéet elle n'a plus à hausser Failles. A la premiere page, il trou- chain recueil.
- L'air du silence bleu »...) tournait le ton. Des métaphores fortes et iné- ve: Serge Fauehereau

L. Quinzaine littéraire, du 1- au 15 janvier 191Q 9


Une
.
poesie
;
de l'exil
viré sa cuti. L'essence de ce pays Andalou qu'il invoque en 1934-35 :
est l'interdit.
Le poète, de par sa nature mê- parmi les fantômes transis
me, y est étranger. Comment ap- qui peuplent notre monde,
plaudir à l'esprit et réclamer des tu étais une vérité,
chaînes ? Comment aimer et les l'unique vérité que je cherche,
splendeurs baroques de Gongora et plus que vérité d'amour,
la fête « stupide et cruelle» des vérité de vie.
taureaux? Cernuda, répondant à
Son désir insensé bute contre
Larra qui fut peut-être le seul Espa-
l'étroite frontière de la réalité. Tou.
gnol lucide du siècle passé - mort
te son œuvre poétique, de 1924 à
en 1837 - , ose dire : « Ecrire en
1963, traduit ce conflit essentiel.
Espagne ce n'est pas pleurer, c'est
C'est pourquoi elle fut rassemblée
mourir ». Cet « Espagnol à contre-
et publiée sous le titre expressif
cœur» voit dans le meurtre de
« la réalité et le Désir ».
Federico l'amère vérité se faire
Cet amant de la vie, de la lumiè-
jour :
re et de la liberté connaît avec
V oüà pourquoi ils t'ont tué : l'exil de 1938 un autre cauchemar:
tu étais verdeur celui du Nord et de sa « vomissure
pour notre terre aride, d'ennui et de brouillard ». Il décou-
azur pour notre air ténébreux. vre, dans son errance anglo-saxonne,
«l'affreux monde pratique», l'affai-
Deux couleurs qui ne sont assu- rement écœurant des marchands et
rément pas celles de l'Espagne où des fourmis, l'ignoble idéal du ren-
Hemingway relevait les teintes de dement et du Capital. A la condam-
pus, sang et permanganate. Car les nation de l'Espagne s'ajoute dès lors
couleurs vivantes sont proscrites celle de la société de consomma·
dans ce pays morbide, cette terre tion que Goytisolo, dans sa préface,
en noir et sang. « L'histoire de mon rapproche abusivement, ce nous
pays lut écrite » - dit encore Cer· semble, de l'attitude d'un Unamuno
nuda - « par des ennemis acharnés méprisant le progrès et la techni-
de la vie ». Aussi est-il Espagnol « à que. Quel poète a jamais chanté les
la manière de ceux qui ne peuvent charmes indécents de Wall Street et
être autre chose ». les échauffements lubriques de la
Mais est-il Espagnol ce poète qui Bourse ? Qui dira l'insondable ver.
a lu Holderlîn, et peut-être Rilke, tige des supermarchés? Il n'en de.
qui se réclame de Becquer, ce ro- meure pas moins que cette frustra.
Luis Cernudo mantique allemand né par erreur en tion essentielle de son Désir, de man·
Espagne, qui reçoit le message de que à gagner sur le bonheur légiti-
Luis Cernuda : Vous ne m'aimez pas, je sais... Gide dans le pays le moins apte à me conduisent naturellement Cer-
La Realidad y el Deseo ...je suis, sans pays et sans peuple, tolérer pareille subversion, qui voue nuda à vanter la beauté du monde
La Réalité et le Désir- un écrivain bien étrange... à Verlaine et Rimbaud l'affectueuse primitif, du rivage idéal du rêve, à
Trad. par Robert Marrast Ai-je voulu qu'on se souvînt de admiration du disciple? Rien de quêter « le pur amour d'un dieu
et Aline Schulman moi? moins hispanique que ces Plaisirs adolescent », à fuir la terre, la vie,
Préface et choix interdits qu'il publie en 1931, et où les hommes, à soliloquer avec sa
de Juan Goytisolo Cette voix solitaire nous est pré- il exprime sa révolte contre le ma- solitude, cette « étreinte infinie», à
Coll. « Poésie du Monde entier » sentée pour la première fois en riage, la « piquette conjugale », la rechercher la fin de tout et même
Gallimard éd. 179 p. France dans un choix fort judi- famille (je-vous-hais !), la religion du langage, ultime rempart du désir
cieux de Juan Goytisolo, qui le fait des dieux crucifiés et sanguinolents, sur la réalité. L'aboutissement de
précéder d'une préface savante et les « lois puantes », la société, avec cete poésie de l'exil est désespoir,
Compagnon de la première tendre, pleine d'émotion fraternelle des accents de la rebellion surréa- amertume, retrait, oubli :
heure de Federico Garcia Lor· pour l'un des derniers poètes en- liste de Breton et de Crevel qu'il
cal, seul poète de la généra- fants du siècle. connut, peut-être, dans les années ...Si vous voulez
tion de 1927 qui ait joui d'une La poésie de Cernuda est essen- 1928-29 lors d'un séjour à Paris. que j'aime encore, rendez-moi
pleine et universelle popula- tiellement une poésie de l'exil. Bien Tout comme eux il sait que le le temps de l'amour.
rité, Luis Cernuda est mort à avant la débâcle et la ruine, sur ce poète est un boute-feu, car il « est
Mexico en 1963. Il avait re- « plateau brûlant dans ses hail- presque toujours un révolutionnaire La réalité est morte, mais le désir
noncé en 1938 à ses espéran- Ions» qu'est l'Espagne, cette Il im- qui, comme tous les hommes, man- subsiste : fièvre de v ie, passion de
ces espagnoles en même possible patrie », il se sent menacé que de liberté mais qui, à la diffé- feu, ardeur de l'impossible. Et la
temps qu'à ses fonctions à et banni. Il n'y rencontre que « cou- rence de ceux-ci, ne peut accepter beauté d'une langue - l'espagnol
l'Ambassade de Paris. De ronnes renversées », l( dieux cruci- cette privation et se heurte un nom- - pourtant maudite par le poète
France en Angleterre, des fiés », « tours d'épouvante» et bre incalculable de lois aux murs de loin de ses sources. Voix pétrie
Etats-Unis au Mexique, il a « barreaux menaçants ». Blason dé- sa prison ». Chez cet homme d'amour, fêlure, c'est à peine si
connu vingt-cinq années de doré de l'Espagne éternelle! Que « étrange » l'homosexualité devient, nous la découvrons après ce long
déracinement et de solitude, nous sommes loin des exaltations comme pour l'auteur des Nourritu- parcours de silence. Cernuda dis-
pour finir méconnu, oublié, puériles d'Unamuno, des vaines res' terrestres, le moyen du défi et de paru, son œuvre se dresse, s'adresse
mal aimé, lançant à ses com· gloires hispaniques d'Azorin! Ce la libération. Le symbole en est, à nous, singulièrement présente.
patriotes d'amères vérités : petit.fils de la génération de 98 a proche du gitan lorquien, ce jeune Albert Benssoussan

10
Un grand moraliste André Billy
de l'Académie Goncourt

André Billy Pourtant, du livre même d'André Reste une incontestable intelli-
,JOUBER1~

1 Joubert, énigmatique
et délicieux
Gallimard, éd. 234 p.
Billy, Joseph Joubert ne sort pas
grandi, ni sympathique. Il manque
par trop de chaleur, même s'il
fut bon (Je n'ai jamais appris à
parler mal, à injurier et à mau-
gence, et un style parfois précieux
mais incomparable, et qui du mo-
raliste fait un poète. Intelligence
et poésie, c'étaient, comme chez
Mallarmé ou chez Valéry, de gran.
ÉNIGMATIQUE ET DÊLlCIEUX

J'ai donné mes fleurs et mon des, d'indissociables alliées : Je


fruit : je ne suis plus qu'un tronc dire. - J'imite la colombe : sou- voudrais tirer tous mes effets du
retentissant; mais quiconque s'as· vent je jette un brin d'herbe à la sens des mots, comme vous les ti-
sied à mon ombre et m'entend fourmi qui se noie.) Il manque de rez de leur son... - Vous allez à
devient plus sage. Telle est la pre- passion, ce pour quoi André Billy la vérité par la poésie, et j'arrive
mière des Pensées de Joubert, dans lui dénie à juste titre l'épithète de à la poésie par la vérité. Il se
le recueil établi et. publié par Cha- romantique. Certes, il fut honnête, savait, sans vanité, un esprit su-
teaubriand. Qui vient maintenant courtois, discret (rien de lui n'a périeur : J'ai trop de cervelle pour
s'asseoir à l'ombre de Joubert ? été publié de son vivant), 11 de- ma tête; elle ne peut pas jouer
Il Y a, c'est vrai, une société des meura éloigné des affaires publi- à l'aise dans son étui. Mais, pour
Amis de Joubert, qui rassemble ques, le plus souvent dans sa mai· lui, être intelligent c'était un
des fidèles de qualité. Oui, le mo- son de Villeneuve-sur-Yonne, car moyen de sentir son âme, donc la
raliste contemporain de la Révo- 11 aimait la campagne. Mais, avec seule façon de vivre. Il se disait
lution et de l'Empire a encore des une parfaite bonne foi et même, une âme qui a rencontré par ha·
admirateurs, et André Billy les pourrait-on dire, avec une fot par- sard un corps, et qui s'en tire com-
cite dans l'ouvrage qu'il vient de faite, 11 fut étroitement conserva- me elle peut. C'était cette âme qui
faire panltre : Joubert, énigma-
tique et délicieux. Jadis ce fut teur sur les plans politique, social lui offrait, en même temps que le
l'abbé Pailhès, plus tard André et religieux. La Révolution lui avait recours à Dieu, l'espace intérieur
Beaunier ; ce sont aujourd'hui fait prendre définitivement en o~ seulement il pouvait se mouvoir: Mais énigmatique, certes, il le de-
Raymond Dumay, Maurice An- horreur à la ,fois le' désordre et la Dans mes habitations, je veux qu'ü meure, car on sait trop peu de
drieux, et aussi Gabriel Marcel, philosophie des luÏnières. Converti se mêle toujours beaucoup de ciel choses sur lui, et il semble d'ail·
Jean Guitton, André Monglond, après une jeunesse « libertine ., et peu de terre. Mon nid sera d'oi- leurs qu'André Billy l'ait raconté
Georges Poulet... Et André Billy il applaudit le Génie du Christia- seau, car mes pensées et mes pa- un peu vite, plus vite en tout cas
lui-même qui, d'abord réticent, nisme et Napoléon. Ami de Cha· roles ont des ailes. qu'il ne fit pour Goncourt ou
avoue-t-11, trouvant Joubert égoïste teaubriand, il fut aussi celui des Sainte-Beuve. Au fond, André Billy,
et paresseux, s'est laissé apprivoi- « officiels » Fontanes et Molé. A de si beaux accents, on sent s'efforçant de cerner Joubert en
ser. Après Diderot, Stendhal, Bal· bien que si Joubert était un mo- parlant de lui comme d'un ami, ne
Quant à ~a vie sentimentale, s'il
zac, Sainte-Beqve, Mérimée, les raliste, 11 était avant tout un poète, peut pas nous montrer une image,
Goncourt, dont 11 a naguère écrit fut paisiblement fidèle à la femme un écrivain. C'est apparemment ce car sans doute elle n'existe pas,
les ·biographies, 11 s'est donc pen- qu'il avait épousée, sans passion qui le rend cher à André Billy, qui mais les facettes plus ou moins
ché sur Joubert, et même il lui bien so.r, il fut tout aussi paisible- dans cette biographie écrite avec séduisantes d'un être ambigu, qui
donne la préférence, puisque c'est ment (André Billy cite nombre de vivacité et sensibilité a tenu sur ce témérairement se voulut angé-
avec lui qu'il efit souhaité passer ses lettres) l'ami tendre mais ré- point à lui rendre hommage. Déli- lique.
une journée, un mots ou une sai- servé de Pauline de Beaumont puis cieux, Joubert apparait rarement
son. de Louise de Vintimille. comme tel au long de ces pages. Lionel Mirtsch

ÉDITEURS
Le. Revues
Une rentrée littéraire très attendue, Tu trahiras sans vergogne, par Phi- Esprit (Décembre 1969). L'essentiel fut, on le sait, la femme de Benjamin
chez Fayard, celle de l'auteur de lippe Azzlz, document sur l'action dp. cette livraison est consacré à diIfé- Péret. Une nouvelle de Marcel Arland
Treblinka, Jean·François Steiner. Il de la Gestapo française et notam- renl~ exposés sur la société de consom- complète la série des textes. Les chro-
s'agit cette fois d'un conte • érotico- ment sur la bande Bony Lafont qui mation, avec plaidoieries et réquisitoires. niques sont consacrées à Michel Butor,
messianique. très violent, intitulé Les rendit si tristement célèbre la rue Il ne semble pas que cet ensemble renou- Roger Judrin, Jean-Claude Renard, Wil-
Métèques, ces derniers symbolisant Lauriston; Doriot, par Dieter Wolf, velle la question déjà abondamment liam Styron et Vieira da Silva.
les laissés pour compte de nos so- biographie traduite de l'allemand; Ces traitée depuis dix·huit mois. La littéra-
ciétés dans leur combat contre les princes du management, par Henri ture est représentée par des poèmes de Action poétique (no 41-42). Il faut
• bérets basques • ou partisans de Hartung, essai fort sèvère sur le Roman Brandstaetter, écrivain polonais croire que le groupe Tel Quel empêche
l'ordre établi, le tout entremêlé de patronat français, et Le P,rti de l'en- vivan,t en Israël. beaucoup de gens de dormir si l'on en
paraboles et de réminiscences bi- treprise, par Gabriel Banon et Daniel juge par les commentaires qu'il suscite.
bliques. Huguenin, qui se pré sen t e, au Les Temps modernes (Novembre 1969, Sur 168 pages de cette revue, no lui sont
contraire, comme une défense de nO 280). L'Algérie (un essai de descrip- consacrées. Hélas, en dehors d'un texte
Chez le même éditeur paraissent "entreprise privée française face à la tion), le Brésil (des documents précieux de Philippe Boyer, d'une réfutation tres
deux ouvrages qui ne manqueront pas politique des trusts; La Loi du retour, sur la guerre révolutionnaire), l'Italie, précise (et très technique) de Julia Kris·
de susciter un certain nombre de par Jacques Derogy qui, au terme le Mexique et la fin des passionnantes teva par Jacques Roubaud et Pierre Lus-
rapprochements puisqu'ils se rappor- d'une minutieuse enquête menée au- réflexions dt; Lucio Magri sur les évé· son, ce ne sont que bavardages sans
tent tous deux à la même période près des survivants, s'est efforcé nements de mai, tels sont les principaux grande portée. Et nous donnerons faci-
de notre passé récent: le troisième de reconstituer la véritable histoire pôles d'attraction de ce' numéro. lement tout le reste du numéro pour
volume des Mémoires de Jacques de • l'Exodus .; Amerlcan Foreign les deux poèmes de Yannis Ritsos, le
Duclos (voir le n° 59 de La Quin- Pollcy, par Henry A. Kissinger. où se grand poète grec actuellement déporté
zaine) qui porte comme sous-titre trouvent rassemblés trois essais de La Noutlelle Revue Française (Décem-
bre 1969, n O 204). Le dernier numéro par les colonels.
De la drôle de guerre à Stalingrad celui que l'on tient communément
et. dans la collection • Grands Do- pour l'éminence grise des trois der- de l'année 1969 s'ouvre par un texte
cuments Contemporains ., Debout, niers présidents américains en ce éblouissant de E.-M. Cioran sur Paul Les Cahiers du Chemin (no 7). Toute
partisans!, par Claude Angeli et Paul qui concerne la politique étrangère Valéry. La poésie est représentée par l'artillerie de choc de la collection de
Gillet, où se trouvent évoqués les des U.S,A.; Lénine vivant. un album la trop rare Edith Boissonnas et par Georges Lambrichs s'est donné rendez-
débuts de la Résistance dans les de photographies présenté par Lucien Pierre Garnier. Roger Caillois étudie le vous : J.·M. Le Clézio, Pierre Bourgeade.
milieux communistes. Autres titres: Rioux. monde pictural de Remedios Varo qui Michel Butor, Michel Deguy.

r. Quiœaiu.e littéraire, dg 1" _ 15 jcnM 1910 11


SCIENCE.

Héritage et conjecture
FICTION

Fritz Leiber nous décrit le comportement par

1 Le Vagabond
Coll. « Ailleurs et demain »
Laffont éd. 402 p.
flashes successifs tout au long du
roman. L'utilisation de ce procé-
dé « simultanéiste :t montre assez
que Leiber ne reste pas prisonnier
d'une construction stéréotypée,
« Aujourd'hui, la littérature vi- bien que subsiste, malgré tout,
vante, c'est la Science-Fic- une ligne romanesque, par l'in-
tion -, cette devise courageu- termédiaire de quelques pf"rson-
se préside au lancement de nages-héros auxquels le If".('teur
la collection « Ailleurs et De- est convié à s'intéresser plus vive-
main -. Jusqu'à présent, on le ment.
salt, la Science-Fiction n'a ja- Dans sa dernière partie, le Y 4-
mais atteint chez nous l'au- gabond introduit un second thè-
dience dont elle Jouit aux me qui se greffe sur le premier
U.S.A., en U.R.S.S., en Grande- et l'enrichit considérablement:
Bretagne, au Japon et dans par l'intermédiaire du Vageb'lnd,
bon nombre de pays du mon- les hommes entrent momentané-
de. ment en contact avec la réalité
de l'immense univers stellaire
dans lequel ils ne hasardent en-
En lançant sa nouvelle collec- core que des pas minuscules. Ce
tion, Robert Laffont tient le pari qu'ils découvrent alors des civi-
d'attirer non seulement les habi· lisations plus avancées que les nô-
tuels lecteurs du genre, mais aus· tres et qui s'égrènent dau l'espa-
si de lui gagner un public plus ce, ne fait que confirmer ce aODt
large, jusqu'à présent ignorant ou la catastrophe leur avait fait pren-
rebelle. Le succès de 2001, rOdys- dre conscience; la contradi<'tion
5ée de rE5pace (1), même s'il insoluble entre l'ordre et le dé-
s'appuyait sur un film, n'en était sordre dans toute société intelli-
pas moins encourageant. Un au- gente, le désir de sécurité et la
tre atout, et non des moindres, soif d'aventure, l'inertie et lfl dy-
est d'avoir confié la direction de namisme qui coexistent et Se heur-
la collection à quelqu'un qui con- tent au fond de nous et suscitent,
naît et aime véritahlement la au niveau des groupes, des affron-
Science-Fiction, puisque Gérard tements douloureux et exaltants
Klein, auteur lui·même de plu- à la fois. Cette réflexion appro-
sieurs romans et recueils de noue sur notre satellite naturel. bas· Stewart (3) à Seuls les Amants fondie, mais jamais didactique
velles, se démarque d'emblée des tion avancé de l'humanité, des 5urvivent de Dave Wallis (4), en sur le rôle de « l'événement :t
hahituels zélateurs du genre, qui, hommes et des femmes poursui. passant par Ravage de Barjavel catalyseur, sur l'organisation de
caprice ou mode, se penchent sou- vent leur destin individuel, l'ap- (5), le thème de la catastrophe a l'Etat, sur l'avenir de l'individu
dain sur lui d'un air protecteur proche d'une éclipse de lune atti- été largement utilisé par les ro- et des peuples, est, à coup sûr,
et légèrement méprisant. re vers le ciel l'attention des spé- manciers de Science-Fiction aux- d'une actualité frappante. De la
Tel qu'il se présente, étince- cialistes et des curieux. Alors ap- quels il a souvent donné l'occa- part d'un écrivain américain
lant de reflets géométriques sous paraît dans la nuit un ob.iet sphé- sion d'exprimer leur nos~algie déjà âgé et de grande diffuAion,
son étrange et luxueuse couver· rique et monstrueux qui fait écla· d'un monde primitif. Le grand elle révèle un courage et une lu-
ture métallisée, le Vagabond de ter dans l'obscurité ses mystérieu- intérêt du roman de Leiber est éidité remarquables, mais non
l'écrivain américain Fritz Leiber ses figures pourpres et orangé. de se servir de cette catastrophe point exceptionnels dans le do-
(2) mérite de prendre place sur A mesure que les minutes pas- pour une étude minutieuse de ses maine de la Science-Fiction.
les rayons de bibliothèques en- sent, les observateurs les plus répercussions sur tel ou tel grou- Littérature à idées, qui applique
core fermées à la Science-Fi~tion. perspicaces. devinent, sans pour pe humain ou individu. L'al'pari- le système de la conjecture à tous
. Mais qu'il n'y ait pas malenten- autant l'expliquer, qu'il s'agit d'u- tion du Vagabond dans notre deI les domaines de la connaissance,
du! Le Vagabond n'est pas un ne planète inconnue, grosse com- a beau marquer une coupure ir- pour l'intégrer à une structure
de ces romans qui frôle la SF me la terre, et dont la présence rémédiable dans l'histoire de romanesque, la SF est en même
sans l'avouer, ou cherche à s'en au voisinage de la lune risque l'humanité, les structures pré- temps l'héritière de l'utopie phi-
démarquer par quelque procédé d'avoir les conséquences 1eR plus existantes n'en continuent pas losophique et d'une tradition nar·
artificiel; il n'a pas besoin d'ali- funestes, du fait des nouvelles moins à fonctionner tant bien que rative qui l'apparente au roman
bi de cet ordre et son auteur, qui forces d'attraction qu'elle déve- mal et, dans leurs efforts pour d'aventure et suppose l'utilisa-
approche aujourd'hui de la soi- loppe autour de nous. Ainsi, en s'adapter et survivre, les indivi- tion de toute une gamme de sté-
xantaine, est un spécialiste clont quelques secondes, le devenir de dus emportent tout leur condi- réotypes.
la renommée dépasse le cadre des la terre et de l'humanité toute tionnement passé.
Etats-Unis. entière se trouve brutalement Déjà Walter Lewino défendait Juliette Raabe
Dès les premières pages, le ro- compromis et bientôt éclatent une idée voisine dans l'Heure (6).
man exprime un intérêt passionné les premiers cataclysmes, trem- Ici, elle est exploitée systémati- (1) Robert Laffont. (2) Leiher est
pour l'exploration de l'espace et blements de terre, éruptions vol- quement, dans une optique plus connu en France par un remarquable
pour les mystères imaginés ou caniques, tempêtes et marées gi- roman A l'aube du ténèbres, publié au
sociologique que psychologique, « Rayon Fantastique ,. et malheureuse-
imaginables qu'il recèle. Tandis gantesques. grâce au choix d'un échantillon ment épuisé. (3) Hachette. (4) Stock.
qu'aux quatre coins du morde et r
Certes, du Pont sur Abîme de de groupes témoins dont Leiber (5) Livre de Poche. (6) Eric Losfeld.

14
PSyeBOLOGI.
Petite onirologie
d'Henri Michaux
Henri Michaux imprulence, même ~oût profllNJ-
Façons d'endormi, teur, vil et voyou » ; «tendanœ,

1 façons d'éveillé
Le Point du Jour
Gallimard éd., 240 p.
écrit-il plus loin, à présenter les
événements même réjouissants de
façon plustôt avilissante, maligne
et dénigrante J); et ailleurs
« radoteur... paTeil à l'imbécile ».
La tendance actuelle étant lugements hienvenus, s'il s'agit de
aux explications tt profondes-, dégonfler un certain idéalisme
Michaux rappelle opportuné- nocturne, une mystique du rêve
ment qu'il y a, dans « l'espace comme détentenr de secrets, lieu
du dedans -, des plaines à d'un savoir primordial, aussi révé-
mesurer, des surfaces à par- lateur du passé humain - tant
courir. A ce type d'exploration l'individu que l'espèce - que
convenaient bien, semble-t-II, capahle de prononcer l'avenir.
les hallucinogènes, avec leur Mais c'est là pourfendre un adver-
aptitude à mettre en mouve- saire en réalité hien démuni. L'in-
ment des trains d'images et terprétation de Michaux paraît
de sensations. Le rêve suscite plutôt dirigée contre une théorie
chez Michaux plus de réti- du rêve qui ne peut être que
cence. d'inspiration freudienne, et qui
voit dans le rêve le lieu, non seu-
lement d'une activité symholique
Il y vient tard, singulièrement Henri MichaWl: : Peinture ci l'encre de Chine, 1967 étroitement liée à l'inconscient, le
tard pour un écrivain si soucieux nommant, l'actualisant, et dilfu-
de prospecter ses territoires inté- registres, dans cette douhle gamme se trouvait à la mer, une cr: mer sant dans toutes les formes réelles
rieurs. Serait-ce que la position de façons, continuité, ou parallé- devenue mauvaise, dangereuse » ; et imaginahles, mais encore d'une
est trop solidement occupée par lisme, et que Michaux retrouve dangereuse comme un fauve, sui. énergétique, d'une production et
la psychanalyse - ce qui ne man- dausl'endormi la tonalité majeure vant une équation familière : fé- d'une transformation mentales
que pas d'agacer Michaux, qui - affective, ou intellectuelle, ou lin = danger. Il y a aussi un autre enracinées dans une perception du
voit en Freud « un remarquable plastique, ou, plus glohalement rêve de Michaux richement fourni corps propre et qui alimentent la
analyste et interprétateur qui, encore, existentielle - de 1'éveillé. en lion: s'étant rêvé lui-même dynamique et la spécificité du
avec IUtuce, s'ingénia à prou- Michaux apporte à l'appui de lion, il voit confiuer dans cette sujet.
ver etc. » Parler d'« astuce » à pro- son interprétation des exemples image la forme qu'il avait perçue Michaux relève fort hien que
pos de Freud et de la Traumdeu· nomhreux, souvent suggestifs et dans le collage présentée par une les hommes sont semhlahles, et
tung - laquelle, soixante·dix ans savoureux, et sans nul doute femme-peintre, et le jugement de se comprennent profondément, en
après sa parution, n'a apparem- convaincants - au moins quant cette femme lui affirmant que ce qu'ils sont des dormeurs, des
ment guère perdu de son pouvoir au niveau d'interprétation adopté. c'était lui, Michaux, le lion. Juge- rêveurs. Mais il faut hien voir
d'analyse et d'interprétation et se Voici quelques modèles : ment favorahle qui se rencontrait aussi à quel point ce versant de la
révèle être autre chose qu'une merveilleusement avec la propre condition humaine est dévalué,
« astuce» - c'est avouer la pres- Il rêve qu'il est sous l'eau,
satisfaction de Michaux, heureux occulté, refoulé : le Dr Jekyll se
que irréductihle allergie qui suhmergé, avec sensation d'étouf·
d'avoir réussi une lithographie, pavane le jour, mais Mr. Hyde, la
sépare Michaux d'une psychana- fement, et cette eau semhle avoir
« après quinze ans» de timidité. nuit, avance en se cachant, se
lyse du rêve identifiée à une psy- comme signification essentielle,
Que Michaux se contente d'étahlir fond dans les ténèhres, tant qu'il
chologie des profondeurs. dans sa tonalité onirique vécue,
le réseau analogique, ou l'isotopie, peut. Ainsi, la moitié nocturne
ahsence d'air. La veille, Michaux
de toutes ces images félines, est Ile l'existence humaine manque à
Avec Façons d'endormi, façons assistait à la conférence d'un
une chose ; qu'il refuse, ou laisse l'homme : pareil à quelqu'un qui
d'éveillé, Michaux ne fouille donc psychiatre étranger : « ah, cet
entendre, qu'il est de peu d'inté- aurait deux jambes et se complai-
pas du côté des mécanismes oni- ennui!». S'ennuyer, étouffer. rait à vivre en unijamhiste. Pour
riques, des structures inconscien- manque d'air, donc plongée totale rêt de se pencher sur les méca.
nismes qui font surgir et s'orga- édifier le statut d'un homme
tes, de ce puissant « travail du dans l'eau : telle est la façon
niser ces images, c'est que tout vivant la plénitude de son être,
rêve », dont la théorie freudienne d'être qui se prolonge, en plus
autre chose, et sans doute le point d'un homme total, il importe
est parvenue à faire passer quel- réducteur, en plus littéral, de la
où l'onirologie de Michaux se d'étahlir - ou de rétahlir, s'il
ques échos, quelques hrihes dans veille au rêve. Autre rêve : plu-
révèle à courte vue, et, trop sou- est vrai que certaines sociétés
le savoir contemporain. Il s'agit sieurs lions allant de long en
vent, simplement tautologique. archaïques en connaissent la pra-
hien ici de « façons » d'être, per- large, c( comme nous faisons lors-
tique - les communications entre
çues, comme l'indique précisé. que nous sommes enfermés ». La L'efficacité en quelque sorte la veille et le rêve ; seul un savoir
ment le titre, dans leur dupli. veille, avait eu lieu une discus- pédagogique du petit livre de scientifique semhle capable d'ou-
cation : registre de l'endormi, du sion avec quelques chercheurs et Michaux - sans nul doute il vrir une telle possihilité. (1)
sommeil, du rêve, et registre de enseignants, chacun cherchant à appartient à chacun de faire pour
l'éveillé, de la veille, du jour. placer son mot et se heurtant à soi les analyses tIont Michaux offre Roger Dadoun.
Limitant sa prospection an do- l'ohstruction des autres; tels des l'exemple et la méthode - risque
1. Si la psychanalyse du rêve n'a pas
maine du suhconscient, Michaux lions en cage; et tel s'offre le d'être amoindrie, sinon annulée, fait de progrès notables depuis L'Inter·
se tient, en définitive, au plus rêve, avec sa suppression typique par les perspectives manifestement prétation MS Rêves de Freud, la physio-
près de la conscience, des parti- du terme de comparaison. Mi- péjoratives dans lesqUelles Mi. Iop du étata de sommeil, édition du
cularités du sujet individuel et de chaux rêve d'un jaguar endormi chaux perçoit et présente le. rêves. de ces dernières années, de Douvelles
ses préoccupations quotidiennes. « dans le chemin», « rendu inof- Selon Michaux, le rêve dénigre, et précieuses lumières. Cf. Neuroplaysïo.
Iop .des étata de sommeil. édition du
Il n'est nullement étonnant, dès fensif mais à condition de veil- avilit, rahaisse - en cela analogue Centre national de la Recherche Scien·
lors, qu'il y ait, entre .ces deux ler ». Dans la vie réelle, Michaux à l'argot: « même cynisme, même tüique, Paris 1965.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 janvier 1970


EXPOSITION

C agall••• avant 23
Le Grand·Palals retrouve ses Non dans le quelconque Auto-
fastes d'antan. Aux Salons de portrait (n° 1), mais avec Le
la Belle Epoque succèdent les petit salon (n° 2) où déjà la
Hommages, dans un cadre ré- couleur élabore cette espèce
nové, a u s s 1 somptueux que d'apesanteur qui témoigne d'une
Parly II. On a masqué la char· recherche spécifiquement pictu-
pente métallique, construit des rale et non pas poétique sous
• niveaux» reliés par des esca· prétexte que plus tard, elle fera
lators en panne, aménagé d'im· voler les vaches et enverra les
menses halls, cafeteria et autres amoureux en plein ciel. Un an
salles sans doute de confé· après, en 1909, Bella fait une
rences ou de projection car un entrée fracassante, les mains
éoriteau en Interdit l'entrée, sur les hanches (Ma fiancée aux
mais Il reste si peu de place gants noirs, n° 7) et Chagall
pour les tableaux qu'il faut peint la Russie paysanne, comme
installer des épis dans les salles Gontcharova et Malevitch.
qui leur sont attribuées. Bref,
on se demande ce qui passe
par la tête des gens qui s'oc- D•• kao•• d. fauvUm..,
cupent de ça, comme on se d. oubi.m..,
demanderait d'ailleurs ce qu'on d. dmu.1ta1l61......
va faire dans ce genre d'endroit
si, dans ces énormes bataclans
que sont les Hommages, la 101 Mais alors que ceux-ci ont
du genre n'Imposait en prélude recours à ce thème à travers
une vraie exposition de belle l'art populaire et le primitivisme
et bonne peinture. pour l'imprégner ensuite des
courants de la peinture occiden-
tale, Chagall l'en préserve et
Chqall
peint les gens qui l'entourent.
•'en la Ruai. D'emblée, à vlngt-deux ans, il a
rencontré son œuvre.
Chagall, c'est la Russie, c'est
Bella et à travers les courants On aperçoit bien, çà et là,
artistiques de ce prodigieux pre· quelques traces d'expression-
mler quart du siècle, la recher- nisme, de fauvisme, de cubisme,
che du langage qui les expri- de simultanéisme, etc. mais
mera. En quinze ans, tout sera Chagall : L'autoportrait au% sept doigtl, 1912·13
c'est tout simplement qu'entre
dit et à partir de 1924 Chagall 1910 et 1914, Chagall est à emmené à Paris le portrait de par la suite coupée en mor-
méritera bien l'hommage qui lui Paris et qu'il voit beaucoup de 1909 (l'Atelier, n° 9). Il l'épouse ceaux.
est rendu aujourd'hui. gens - même Marie Laurencin et la peint: en 1916 les Amou· On imagine sans peine que
Dès 1908, le peintre est là. (n° 45). Il vit à la Ruche, Cen- reux en gris (n° 49), en 1917 la Russie bolchevique n'est pas
drars dresse l'inventaire de son Bella au col blanc (n° 50), le celle de Chagall et qu'il ne peut
monde en un poème élastique Mariage (n° 54), la Proménade confondre, comme Malevitch, la
qui n'omet pas le Golgotha (n° 57). le Double Portrait au peinture et la Révolution. Sans
(n° 30) de 1912, lequel jouera verre de vin (n° 58) et, de nou- doute est-ce pout cette raison
par la suite de bien mauvais veau, c'est étourdissant. Mais qu'il se tourne alors vers le
tours à Chagall (La Résistance, 1917, c'est aussi l'année de la théâtre et dessine des décors
n° 103, L'Exode, n° 174). Apolli- Révolution et Chagall se re- où l'on entrevoit l'influence de
naire parle à son propos de sur- trouve, en 1918, commissaire son ami Lissitzky, jusqu'au jour
réalisme, parole prémonitoire des Beaux-Arts à Vitebsk. Il y où il quitte définitivement la
que deux belles toiles de 1915 fonde une Académie d'où Male- Russie.
(La Lampe, n° 48, et Fenêtre à la vitch le videra proprement un En 1923. Chagall s'installe à
campagne, n° 47) confirmeront an plus tard. Qu'a peint Chagall Paris et devient peintre de
de façon étrange et passagère. en 1918, en 1919? Mystère. l'Ecole de Paris. L'exposition
Durant ces quatre années, Cha- A-t-il repeint de couleurs écla- Chagall s'arrête là. Elle occupe
gall crée Chagall avec une tantes les façades de Vitebsk deux salles et tient soixante
éblouissante maîtrise: les cou- avec Malevitch? Ou seulement numéros au catalogue. Après,
leurs éclatent, tout s'envole, repris le motif de son aquarelle c'est l'hommage: cent cin-
têtes, attelages, vaches, mai- de 1917 En avant (n° 55) pour la quante toiles qui ressassent du·
sons, et les violons mènent la décoration de sa ville, lors du rant cinquante ans un vocabu-
danse. Mais pendant ce temps, premier anniversaire de la Révo- laire acquis en dix ans, un tas
à Moscou, ses anciens compa- lution célébré en 1919 ? S'il par· de pierres où Chagall se prend
gnons créent le rayonnisme, le ticipe aux événements, ce n'est pour un sculpteur roman. un lot
suprématisme... pas avec sa peinture et il fau- de vaisselle et, pour finir. une
dra attendre vingt ans pour que rot 0 n d e pénombreuse pour
En 1914, Chagall retourne en Chagall peigne. hélas en 1937 contemplation de vitraux, avec
Russie et la guerre l'y retient. (était-ce aussi une célébration?) musique, s'il vous plaît.
Chagall : Nu /lU peipae, 1911 Il retrouve Bella dont il avait cette Révolution (n° 82) qui fut Marc.1 Billot

1.
e s
La section de l'A.R.C., animée chesse de l'appareil critique a-t-
par Pierre Gaudibert, a fait de- elle gêné la libre vision des toi-
puis trois ans du Musée d'Art les? Cela paraît un paradoxe;
moderne de la ville de Paris, un c'est pourtant ce qui est arrivé.
des rares lieux d'animation et La brillante étude d'Althusser,
de confrontation dans la capi- par exemple, en faisant coïnci-
tale, où le rituel des rétrospec- der le travail de Cremonini avec
tives se trouve brisé par des le code structuraliste, a renou-
moyens d'approches divers: des velé la vision que l'on pouvait
rencontres placent le peintre en avoir de ce travail mals au prix,
contact - parfois brutal - avec peut-être, de certains abus d'In-
le publîc; tout un ensemble terprétation. En renversant le
d'activités (c i né m a, théâtre, couple artiste-œuvre, en débus-
danse, jazz, etc.) mettent en quant .Ia subjectivité. dans des
question le monopole pictural du thèmes qui demeurent essentiel·
musée; l'événement, on le verra lement oniriques, en insistant
par ailleurs avec fi Chœur pour sur les aspects anti-humanistes
six cœurs • de Jean Dupuy, est d'une peinture qui possède un
saisi dans son actualité. Avec fort climat dramatique et ne
des moyens dérisoires et des cesse de mettre l 'homme en
pouvoirs limités, Pierre Gaudi· condition - jusque dans son
bert et tous ceux qui, d'une part, absence et sa fuite fugitive -
soutiennent son action et qui, le philosophe, avec d'ailleurs le
Cremonini
d'autre part, collaborent avec consentement du peintre, effec-
lui, sont parvenus à donner à tue une • transposition •. De
notre musée municipal une toute façon, dans ses ambiguï- nini est autant une peinture de que des • rapports., il conçoit
place internationale. tés, ses obscurités (ou plutôt • signes • qu'une peinture de une imagerie de constantes mu-
Deux expositions, très amples dans sa précision maniaque et • rapports ., elle est' autant tations dont l'état final, fixé sur
et très bien conçues, confirment ses déroutantes clartés) la pein- coercitive qu'objective, e Il e la toile, n'est qu'un des avatars.
le • démarrage • d'une saison ture de Cremonini ne cesse de choisit ses points de vue, la De la même façon qu'il part très
qui avait débuté dans la grisaille nous solliciter et de nous poser nature et la forme des objets en-deçà de l'objet, il conçoit une
avec l'effondrement de la Bien· des problèmes. Parti d'un uni- qu'elle véhicule autant qu'elle peinture qui va très au-delà de
nale de Paris. Elles concernent, vers ni maniériste, ni expres- propose une relation' entre une l'œuvre achevée, en laissant au
par coïncidence ou volonté déli- sionniste, traumatisé en 1961 réalité donnée et des sujets. spectateur le soin de refaire le
bérée, deux Italiens bien connus par l'événement politique (la Adami, quant à lui, reconnaît chemin et d'aller encore plus
à Paris et dont les travaux se guerre d'Algérie), Cremonini a plus explicitement ses rapports loin. Adami peignait il y a quel-
sont imposés en quelques an- trouvé. depuis 1962, d'abord une avec la mémoire, avec le temps ques années des sortes de puz-
nées. Cremonini montrait, en mise en page, dont les implica- vécu d'une expérience humaine zles où il dressait la panoplie
décembre, une rétrospective de tions cinématographiques sont qui donne aux objets une signi- d'un fétichisme dont les carac-
son œuvre depui.s 1953 (vous évidentes, ensuite un vocabu- fication qui va très au-delà de tères n'ont pas disparu aujour-
avez jusqu'au 4 janvier pour la laire qui fait appel aux signes leur destination et de leur usage. d'huI. Mais un ordre est venu,
voir); Adami lui succède ce (les miroirs, les éléments du Peintre des • associations. plus structurant l'image, maîtrisant la
mois-ci avec des toiles récentes. mobilier, les fenêtres, et plus
récemment tout un jeu de pou-
~
Les contacts entre les mou-
vements français et italiens sont trelles qui viennent arrimer, par
à la fois étroits et assez mal leur orthogonalité, la matière
illustrés par le jeu des musées mouvante du tableau). Que sa
.et des galeries. Les échanges se définition de l'homme sans vi-
font plutôt au niveau des artis- sage soit, comme chez" Recal-
tes et des critiques. C'est pour- cati, • l'effet structural d'une
quoi ce doublet revêt une signi- absence. (Althusser), absence
fication particulière : il nous des rapports qui gouvernent
montre comment deux tempéra- dans ses personnages • leur
ments très différents ont résolu liberté vécue ., c'est une Inter-
certains problèmes de la figura- prétation intéressante, mais on
tion moderne. L'impressionnant peut lire cet anonymat en ter-
catalogue édité pour Cremonini mes de fatalité, d'Interchangea-
réunit le texte de Louis Althus- bilité des destins, c'est-à-dire
ser (considéré comme fonda- sur un mode moins politique que
mental), et qui a exercé une psychologique. Car Cremonini
influence évidente sur la propre est présent dans chacune de ses
vision du peintre sur son œu- toiles avec tout le particularisme
vre), des extraits de préfaces que peut entraîner une vision
de Jacques Brosse, Max Clarac venant tout droit d'un acquit
Sérou, Michel Butor, et une ana- culturel très localisable (le my-
lyse chronologique de Pierre the de la Renaissance) et débou-
Gaudibert particulièrement mi- chant dans un monde devenu
nutieuse et pertinente. La ri- absurde. La peinture de Cremo- Adami

La Quinzaine littéraire, du 1- cm 15 janf)ier 1970


~ Cremonjnj
Le C.N. A. C. dans la rue
sensibilité, qui éclate cependant
dans la couleur. Adami suit dans Le Centre National d'Art qu'auraient pu ê t r e l e s panneau, l'autre avec un tas
la toile un itinéraire intérieur, au Contemporain a voulu, cette Champs-Elysées ficelés par de briques. Un film nous mon-
cours duquel l'apparence se année, prendre possession de Christo : un assez sinistre tre que les passants ne s'en
trouve recomposée selon un pro- la rue. Organisées par Frank emballage au puissant pou- sont pas aperçus. Buren, in·
jet « révolutionnaire -. Popper, plusieurs manifesta- voir de dépaysement. L'expo- vité d'office et filmé en dou-
La comparaison de ces deux tion ont imposé le fait lumi- sition choisit ses exemples : blure hors de son consente-
expositions sera très intéres- no-cinétique : une sculpture Klein, Tinguely; Vostell est ment, s'est dégagé par voie
sante à faire : deux peintres, de Schoffer sur le terre-plein le plus convaincant. Ben, de justice posant un problème
Cremoninl et Adami, se définis- du musée d'Art moderne, un comme d'habitude, s'en tire juridique nouveau qui ter~
sent par rapport au monde en labyrinthe de Cruz-Diez au par une facétie sérieuse, mais jurisprudence.
partant d'un schéma non exempt carrefour Odéon et une réali- si ses cartons restent inac-
de maniérisme, pour arriver à sation de Lily Greenham à cessibles, il nous promet un A la galerie Sonnabend et
une plénitude qui soumet la Montreuil. Nous restons très acte véritablement construc- à l'Arc, Jean Dupuy, revenu
forme à une pensée teJlace : loin du projet de Kowalski qui tif : «Pendant cette exposi· pour quelques semaines de
"autobiographie s'épanouit chez devait illuminer le Châtelet. tion, je vais balayer trois fois New York, montre ses machi-
chacun d'eux en une expérience Ce sera pour plus tard. Au ma rue., La curieuse salle nes et organise un « chœur
qui fait éclater les limites étroi- siège du C.N.A.C., rue Berger, des « Attitudes - réunit Ray- pour six cœurs -,
tes du moi. on nous montre en projec- naud et Louw qui ont modifié
Gérald Gassiot·Talabot. tions et en photographies ce un même lieu, l'un avec un G. G.-T,
(1) Jusqu'au 4 Janvier 1970.

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Le dieu dém.ent
Walter F. Otto l'auteur. Goethe, Schelling, Hoe}- partis, frères ennemis plutôt C'est là que la démonstration
Dionysos, le mythe et le culte derlin, Schopenhauer, Nietzsche, qu'étrangers l'un à l'autre; et de W. Otto devient périlleuse :

1
Trad. de l'allemand entre autres, semblent avoir été comme Nietzsche, exécuté par le il ne tente rien moins que d'élu-
par Patrick Lévy frappés par lui, avoir vécu à son Professeur Wilamowitz, a v ait cider l'essence du dieu qui fut
Mercure de France éd. 251 p. contact autant sinon plus qu'Eu- longtemps gardé l'amitié du Pro- à la source d'innombrables mani-
ripide. On crédite traditionnelle- fesseur Rohde, de même Heideg- festations rituelles des Grecs, et
ment Nietzsche de la réhabilita- ger n'est pas ignoré par les clas- aussi, selon ses propres dires, de
tion du dionysisme; mais que sicistes allemands comme il l'est quelques-unes des plus grandes
On peut comprendre le~ raisons dire de cette phrase de Schelling, par les Français. œuvres de la pensée allemande.
.qui poussent à publier aujour- citée par Otto : c la folie se dé- Or, ni les Tragiques ni ces poè-
d'hui une traduction de l'ouvrage chirant elle-même... toujours de- Le postulat tes modernes n'ont abordé Diony-
cla88ique mais contesté de Walter meure le plus intime de toutes de base sos de front : leur travail a con-
Otto. D'abord parce que cet ou- choses, et, dominée seulement sisté à chercher la forme la plus
vrage important le mérite. S'u- par la lumière d'une plus haute appropriée, la plus apollinienne,
W. Otto n'était pas lui-même
tout parce que le c problème du intelligence et en quelque sorte à l'expre88ion de la grandeur du
très loin de Heidegger, avec qui
dionysiaque ~ est essentiel pour rédimée par eUe, est la force Dieu, et on peut dire que les plus
il voulut même travailler à une
nous depuis que la libération de authentique de la nature et de c dionysiaques ~ ont été ceux qui
nouvelle édition de la Volonté de
l'individu est à l'ordre du jour. toutes ses productions. ~ ? ont été p088édés par lui au point
puissance de Nietzsche. Cette pa-
Avec chaque effort pour décou- d'y renoncer. Mais alors que
renté se devine dans l'excellente
vrir le c ça ~ qui est au fond de Nietzsche, par exemple, n'attei-
traduction de Patrick Lévy, à qui
l'homme et pour définir une nou- gnit Ariane qu'au moment où il
Roelderlin, Niet.sohe F. Fédier a apporté son expérien-
velle morale, nous sommes prêts se séparait de lui-même dans la
enfono_ vivanu ce de traducteur de Heidegger.
à écouter tous ceux qui préten- folie, W. Otto croit saisir Diony-
dent à une connaissance plus ou
dan. la folie Le postulat de base de W. Otto sos par la seule force du concepL
est que l'expérience religieuse
moins directe de cet inconnu que
grecque, que nous connaissons
nous ne savons pas nommer, leur
Elle témoigne d'une préoccu- par les mythes et les rites, rend
témoignage fût-il vieux de plu-
sieurs millénaires. Comment com- pation constante de la poésie et compte d'un événement, la révé- Malaise
prendre autrement les reprÏ!es pé- de la philosophie allemandes au lation du divin à un peuple déter- dans la oivili. .tion
XIX" siècle, et exprime la convic- miné, et nous ne devons pas cher-
riodiques off-Broadway des Bac-
tion que l'artiste, dans ses mo- cher à réduire cet événement
chantes d'Euripide, pièce dont les
ments de plus grande tension, en- authentique en le considérant à Il y a plus inquiétant : en iro-
données sont à la base de l'étude
tre en contact avec une force travers notre conception de la pen- nisant sur les travaUx des psycho-
de Walter Otto? Et, en général,
obscure qui n'est pas, ou pas seu- sée c primitive~, mais au con- logues, des sociologues, des ethno-
la formidable résurgence de c dio-
lement, celle de son inconscienL traire à c élargir ~ nos pensées, logues, il s'interdit de voir la pré-
nysiaque ~ dont notre époque tout
Elle jaillit du monde lui-même. suivant le mot de Schelling, pour sence imminente de Dionysos dans
entière est paraît-il le théâtre?
Aussi le destin de Hoelderlin, nous mettre à son niveau. Dans la société allemande, présence dont
puis celui de Nietzsche, enfoncés le cas de Dionysos, ce parti-pris le symptôme est ce Il malaise dans
vivants dans la folie pendant de donne ici des résultats particuliè- la civilisation » dont parlait Freud
Dionpos longues années, est-il pour beau- rement heureux, à savoir nn por- en 1930, avec une autre lucidité. II
et l'Allemagne coup de penseurs allemands, com- trait solidement documenté du est difficile d'oublier à quel aveu-
me il l'était sans doute pour les dieu dément comme représentant glement ce parti-pris devait condui-
deux poètes, la preuve d'un lien de la démence du monde - et non re tant de savants allemands et Ot-
Il n'est pas besoin d'être grand profond entre l'esprit grec et l'es- comme personnification d'nne cri- to lui-même, comme si Dionysos se
clerc pour soupçonner un malen- prit allemand. se de démence collective dont on vengeait, en les conduisant à son
tendu. Malentendu qui ne date ne s'expliquerait pas l'origine - délire, de ceux qui ne l'adoraient
pas d'hier, qui remonte peut-être La science de l'antiquité (Alter- (comme dans la théorie de Roh- qu'en paroles. II faut relire le Dio-
au premier qui essaya de détermi- tums Wissenschaft) fut en Allema- de). Sa folie est l'impossible unité nysos de W. Otto, parce que le dieu
ner l'essence de Dionysos (Tiré- gne jusque récemment, le champ de la vie et de la mort, du eva- dément, qui nous échappe encore,
sias, dans la pièce d'Euripide) au d'une querelle lourde de consé- carme ~ et du c silence de mort ~, a laissé sa marque sur ce livre.
lieu de simplement reconnaître quences entre ceux qui voulaient de la souffrance et de la joie
sa puissance. Dionysos est ce qui comprendre la pensée, et surtout d'Ariane. Pierre Pachet
ne peut pas être connu, et à qui la religion, grecques à la lumière
il faut obéir lorsqu'il ordonne. de la pensée moderne et ceux qui
Beaucoup sont sans doute à l'heu- maintenaient qu'il fallait, suivant
re actuelle prêts à cette· obéis- le mot de Wilamowitz, c penser
sance, mais le renoncement à con-
naître le fond des choses s'accorde
grec au sujet de ce qui est grec ~.
Ce dernier groupe était à son La Quinzaine
tour divisé entre les Il philolo- li~raiN
peu au tempérament occidental.
gues ~, pour qui c penser grec »
Ce qui frappe, à la lecture du impliquait surtout une étude éru-
livre de Walter Otto, c'est qu'il
pose le problème non pas du sens
dite des sources, et les c philoso-
phes », résolus à puiser à la vraie
source, à c élire pour phares ~,
ABONNEZ-vous
absolu du dionysisme, mais du

abonnez-VOUS
suivant l'expression de W. Otto,
rapport privilégié que l'Allema- cr les grands esprits qui ont porté
gne entretient avec ce dieu, sur le monde le regard le plus
c nom sacré et symbole infini profond~. Néanmoins, le contact
pour nos plus grands esprits », dit n'était pas rompu entre ces deux

La Quinzaine littéraire, du 1" GU 15 janvier 1970 1.


LETTRES A LA

QUIJlZAINB
Qui a bombardé
L'article de M. Herbert South- occasion pour donner à vos lecteurs fait, il ne fait que confirmer l'évi.
worth : • Une défense de l'essentiel d'un des témoignages dence des archives allemandes et
Franco. (voir notre n° 83) à qui me sont parvenus après la pa- espagnoles. Prétendre, comme le
propos du livre de M. Brian rution de l'édition anglaise de ma fait Southworth, que l'absence de
Crozier (Franco, Mercure de biographie. certains documents allemands ex-
France). a suscité une lettre clut toute possibilité d'en arriver à
Ce témoignage, je le tiens de la vérité est un raisonnement so-
de la part de l'auteur. Nous la l'Air Vice-Marshal Sir ArchU>ald
publions ci-dessous. phistique. Parmi les documents
James, ancien député conservateur, retrouvés, deux en particulier
Notre coUaborateur répond à ancien attaché à l'Ambassade de
M. Crozier. dans une lettre (Tome III, numéros 249 et 251)
Grande-Bretagne à Madrid, dont manifestent un étonnement visible-
que nous publions également. l'intégrité ne saurait être contestée. ment sincère devant les accusations
J'ajoute que, dans l'occurrence, la lancées contre l'aviation de la lé-
Lettre de M. Crozier capacité technique de cet aviateur gion Condor. On voit mal pourquoi
distingu'; n'est pas moins impor- la diplomatie allemande afficherait
Je vous saurais gré de bien vou- tante que son honnêteté. cette ignorance dans des documents
loir publier cette mise au point Sir Archibald James a bien vou- de caractère secret. Au demeurant,
relative à la critique de ma biog:t;ll- lu enregistrer son témoignage sur on voit mal pourquoi l'aviation
phie de Franco parue dans votre bande. Pendant la guerre civile, il nazie aurait épargné le chêne sacré
revue le 16 novembre. visita l'Espagne plusieurs fois en et la mairie, même si ses moyens
compagnie d'autres parlementaires. techniques lui avaient permis
Que M. -Herbert Southworth, an- d'épargner un seul quartier de la
cien porte-parole du gouvernement Il se rendit à Guernica quelques
jours après la destruction partielle ville.
de la République espagnole et au-
teur du Mythe de ÙJ CroÏ&ade de de la ville et, sur les lieux, en fit De surcroît, Southworth trouve
Franco, n'éprouve aucuil plaisir à un examen minutieux. Voici quel- étrange que je n'aie pas demandé à
la lecture de mon livre, voilà qui ques extraits de l'enregistrement avions avaient survolé ÙJ ville et mes Il amis espagnols» de consul·
n'est guère étonnant. Ce n'est (ma traduction) : que des bombes avaient été lâchées. ter leurs archives sur ce point. En
d'ailleurs pas la première fois qu'il Je cherchai donc des cratères. Mon fait, j'ai pu examiner les textes
« .... Ayczm paué trois am et de-
s'exprime en ces termes. . examen des troia-quart3 de ÙJ vüle originaux que Luis Bolin avait ci-
mi d4ns le Flying Corps pendant ÙJ
détruite ne révéÙJ aucun dégât at- tés dans son livre de mémoires. fi
Il nie ma compétenc~ (que des première gUèrre mondiale, j'avais
tribuable à de& bombes. D'autre s'agissait de dépêches de campagne
historiens de la plus haute distinc- quelque conncrisMmce pour ce qui part, je parcourU3 ÙJ 'vüle deux o·u
est de l'aviation et des bombarde- du commandement nationaliSte,
tion, tels que le professeur Tre- trois fois et je découvris environ faisant état du fait que les forces
vor-Roper,. le professeur Seton- ment&, et je JXU$ai plwieur& bon-
une demi-douzaine de cratères de de Franco, en pénétrant dans Guer.
Watson et bièn d'autres reconnais- nes heures ·à examiner ÙJ dtuation
bombes à environ cent yard3 du pé- nica, avaient trouvé la ville dé·
sent). Je ne nie pas la sienne, .mais de 'très près. Ce que je consta-
rimètre, toU3 de bombes qui, dans truite par les RépubUcains.
je conteste sa bonne foi. tai, c'~t que les trois-quaTt$ de la
la première guerre auraient été des
ville avaient été &y&tématiquement A la lecture de ces dépêches, ain-
Il me reproche de ne pas avoir, bombes de vingt livres. La signifi-
brûlé& jU3qu'au sol, d4na ÙJ mesure si que des documents allemands,
jusqu'ici, publié la nouvelle éviden- cation des dégâts consiste en ceci :
où il est po$$ible de brûler ces soli- j'avais posé l'hypothèse de la non
ce que je possède au sujet de le quadrangle nord-ouest où &e trou·
des édifices espagnols. Les incen· responsabilité des nazis dans la des-
Guernica.· La raison de ce silence vaient ÙJ mairie, le chêne &acré et ÙJ
dies étaient complètement unifor- Q"uction de Guernica. Le témoi-
est purement technique. Cependant, cathédrale, était ab,olument intact.
mes. Un des rare& habitants qui gnage de Sir Archibald James, pos-
je voudrais profiter de la présente étaient resté& me décÙJra que des
Pa3 un &igne de dégât3 d'une espè-
ce ou d'une autre. Dans les' trois térieur à la parution de mon livre,
Gutres quadrangles (... ) ÙJ destruc- confirme cette hypothèse.
tion était complète et cawée par le l'~joute que je n'avais au départ
feu. »
pas le moindre préjugé favorable
aux nazis. Bien au contraire, je
M. maintiens intacte toute ma détesta·
L'aviateur
~ tion primitive du régime hitlérien,
qu'ut 'Sir Arohibald
Vill. IUpt. et des atrocités dont il fut responsa·
Daw ble. Mais force est de constater
En fait, l'aviateur qu'est Sir Ar- que, parmi ces atrocités, il semble
souscrit un abonnemelit
chibald James avait abouti à la déplacé d'y inclure Guernica. Une
conclusion que les dégâts constatés fois de plus, Southworth s'est mon-
0' d'un an 58 F l'Etranger 70 F
ne pouvaient pas, pour des raisons
o de six mois 34 F 1 Etranger 40 F bien évidentes, être attribués à
tré plus soucieux de préserver le
mythe dont il a lui-même une part
règlement joint par une attaque aérienne. Pour quicon- au moins de responsabilité, que de
o mand!lt postal 0 cheque postal que se souvient du niveau techni- la vérité historique.
o chèque bancaire que atteint par les àvions de 1936-
Renvoye2 ce~le carte i
1939, il est en effet inconcevable Le restant des arguments dont se
qu'un bombardement aérien, avec sert Sotithworth pour discréditer
des bombes explosives ou incen· ma biographie est à peu près du
La Quinzaine Uniralre diaires, peu importe, aurait pu lais- même ordre de sophisme, et je ne
43 rue du 'fempl':. Paria 4. ser un quart de la ville enttère- tiens pas à ajouter à la longueur
C.C.P. 15.551.53 Paris ment intact. déjà considérable de cette commu-
nication en les réfutant.
Ce témoignage me paraît absolu-
ment concluant en soi. Mais en Brian Crozier

20
Guernica?
quelconque bibliothèque générale neuf ans après, car jusqu'au 26 tablement conduit à la pOsition
Réponse de londonienne, feuilleter les compte- avril 1937, aucune ville comme exposée, où il se maintient debout,
M. Southworth rendus les débats des Communes, Guernica n'avait été détruite par aujourd'hui, pour défendre. seul,
s'arrêter à la date du 21 octobre des bombes incendiaires jetées la Luftwaffe nazie cOntre l'accu-
M. Brian Crozier conteste ma 1937, où James, alors simplement d'avions. sation d'avoir détruit la ville
critique de ses conclusions décou- lieutenant-colonel, raconta en 2) La compétence de James ouverte de Guernica, et d'avoir mi-
lant à la fois de sa biographie de grands détails, à ses collègues par· comme observateur fut fortement traillé les femmes et les enfants
Franco et d'autres déclarations p0s- lementaires, il y a trente-deux ans, mise en doute quand il insista, en fuite. Je dis II seul » car per-
térieures, en ce qui concerne la la même histoire que celle que M. tant à la Chambre des Communes sonne, ni en Espagne nationaliste
destruction de la ville basque de Crozier vient de nous « révéler ». que dans le Daily Telegraph, sur ni en Allemagne actuelle, ne vien-
Guernica le 26 avril 1937, durant Il peut aussi se rendre à Colindale, le fait d'avoir vu des éclats d'obus dra à sa rescousse.
la guerre civile d'Espagne. Dans le où le British Museum conserve ses d'artillerie à Guernica. Rien, ni
New Stateman du 26 janvier 1968, périodiques, chercher le numéro du dans la documentation nationaliste Le cheminement intellectuel de
M. Crozier annonça que, à la suite 19 février 1938 du journal conser· ni dans la républi<:.aine, ne montre M. Crozier est triste en tant que
de la publication de son livre en vateur londonien, Daily Telegraph, que Guernica fut bombardée par spectacle humain, mais il est lo-
Angleterre, une « nouvelle évi· où James répète le récit de sa visite artillerie. Ces documentations gique.
dence importante » était venue à à Guernica. Un shilling, deux peut apportent la preuve contraire.
lui et consolidait son postulat se- être, une photocopie, et Crozier est Pour soutenir sa réputation
3) Harcelé de questions, aux
lon lequel les Allemands n'avaient possesseur de l'équivalent de son d'historien, M. Crozier présente en
Communes, James admit qu'il
pas bombardé Guernica. Dans The enregistrement, ou de quelque cho- qualité d'aval, le professeur Seton·
avait vu à Guernica des traces de
Times du 9 juillet 1969 il disait se de mieux. Car, à mon sens, la Watson. Toujours pour l'informa-
bombes explosives et incendiaires.
avoir encore une nouvelle preuve mémoire de J mes était plus fidèle tion de M. Crozier, je suggère la
démontrant que « la destruction en 1938. 4) Dans un effort de mettre lecture de l'ouvrage de M. Seton-
massive » de Guernica était causée de l'ordre dans sa propre. confu- Watson, Britain and the Dictators.
par « le dynamitage ays;ématique Ainsi, en nous présentant cette sion, James écrivit dans le Daily Aux pages 380-381 de ce livre,
d'un quart de Guernica - et d'un « nouvelle preuv&- » aussi actuelle Tele$faph que « les défenseurs « le bombardement par les forces
quart seulement - par les Répu- qu'un journal vieux de trente et de la ville en retraite vers une insurgées » est qualifié « l'un des
blicains en retraite. une années, Crozier, involontaire- nouvelle ligne sur les hauteurs incidents les plus odieux de toute
ment, confirme ce que j'ai tou· à l-'ouest de Guernica, avaient foute la guerre. » « Pour ajouter l'in-
Il vient maintenant de révéler jours maintenu : ses recherches raison et tout droit militaire_ de sulte à l'injure », continue _Seton.
cette « nouvelle évidence ». C'est sur la guerre civile d'Espagne sont détruire la ville en l'abandon- Watson, « la progagande insurgée
une déclaration que lui a faite le très superficielles. Cette négligence nant. » Ici encore, je défie la capa- demanda à l'Europe de w;roire que
Vice-Maréchal de l'Air Sir Archi- est visible non seulement dans son cité de James comme observateur les « Rouges » basques avaient
bald James, et cette déclaration est ignorance des deux !déclarations militaire. Guernica avait été la détruit la ville pour empoisonner
enregistrée sur ruban magnétique. antérieures de James, mais dans proie des flammes depuis 60 heures l'opinion contre le général Franco.
Loin de moi l'intention de nier l'in- la façon d'analyser cette troisième quand' elle fut évacuée militaire- Heureusement, il y avait des té·
térêt extrême de cette déclaration. déclaration. Dans The Times cité ment le matin du 29 avril. moins oculaires étrangers et notam-
M. Crozier a agi correctement en se plus haut, Crozier écrivit que seu· 5) Autre détail pour M. Cra- ment le correspondant du Times
la procurant et en la publiant. Le lement un quart de Guernica fut zier: Dans le Daily Telegraph, pour démentir cette fabrication
fait de conserver cet enregistrement systématiquement détruit. Son James cita le témoignage d'un prê- impudente, et cependant il y a
doit peser lourd sur sa propre res- témoin James parle des « trois- tre qui était à Guernica lors de la encore des gens suffisamment jo-
ponsabilité devant l'Histoire, et quarts ». Dans sa lettre au Times destruction de la cité. Ce prêtre bards pour accepter l'histoire. »
pour la tranquilité de son esprit, Crozier attribue la destruction de lui dit : « Beaucoup d'a1'ions ont Ainsi, Seton·Watson qualifie de
j'espère que ce ruban magnétique la ville à la dynamite. Son témoin survoU ta vliie, en Ïaissaftt tomber « jobards » les personnes qui sou-
est bien enfermé dans un coffre- l'attribue au feu, et ne mentionne beaucoup de bombes; les routes tiennent les mêmes opinions que
fort de la Banque d'Angleterre. pas du tout la dynamite. De plus, étaient mitraillées par des avions, M. Crozier, sur la destruction de
Mais malgré de telles mesures de Crozier nous affirme dans sa lettre c'était le jour du marché et il y Guernica.
sécurité, M. Crozier doit passer des que James visita Guernica « quel. avait beaucoup de monde à Guer-
nuitl blanches dans la craÎl;1te que jours après la destruction partielif! nica... le total des morts fut d'envi- A ma connaissance, Seton-
ce document puisse être perdu ou (sic) de la ville ». En réalité, en ron cent. li Watson n'a jamais renié cette posi-
détruit. 1937, James déclare avoir visité tion. Comment alors, M. Crozie.r
Guernica en octobre de cette même De l'aveu du témoin du témoin ose-t·il même suggérer que ses
Eh bien, arrêtons-nous un ins- année, c'est-à-dire presque six mois de Crozier, presque 100 personnes conclusions sont garanties par
tant, et essayons d'imaginer ce qui après les événements. périrent - par le bombardement aé- Seton-Watson ?
pourrait arriver si cette bande ma- rien de Guernica. Ce délai doit
gnétique était perdue. Que pour- Je dois présenter prochainement, amener un soldat de la guerre froi- Herbert R. Southworth
rait faire alors M. Crozier? Ici, à l'Université de Paris, une thèse de aussi expérimenté que Crozier à
heureusement, et en dépit de ce qui traite de la destruction de réfléchir sur la nécessité de modi- P.5. : M. Czozier me qualifie « d'an-
qu'il appelle ma a: mauvaise foi», Guernica, et je ne veux pas aller cien porte-parole du gouvernement de la
fier sa stratégie et de trouver une République espagnole Ji. En fait, en 1938,
je peux lui ê~ de quelque secours. jusqu'au fond de ce sujet aujour. base plus solide que le ruban ma- j'ai abandonné mon emploi à la Biblio--
C'est du fond de mon cœur que je d'hui. Je désire garder quelques gnétique de James _pour renforcer thèque du Congrès à Washington, pour
lui apporterai cette aide. suprises pour Crozier. Entre temps, sa défense de la Lultwaffe nazie. travailler comme rédacteur et écrivain en
peut-être pourrait-il réfléchir sur faveur de la eaU8e de la République
les détails suivants : espagnole; et co jusqu'à la fin de la
Si cet enregistrem.ent disparais- L'engagement de M. Crozier guerre civile en 1939. Je luis fier d'avoir
sait, M. Crozier aurait la possibilité 1) James était un officier anglais comme soldat --- ou plutôt comme fait le peu que j'ai fait, mais co peu
de choisir entre deux solutions, ou d'aviation pendant la Première officier - (armé de sa plume) ne me confère certainement pas le rôle
d'adopter les deux à la fois. Il pour- Guerre mondiale. Rien de ce qu'il dans la guerre froide l'a conduit à « de porte-parole de la République espa-
gnole Ji. D'ailleurs, je doute qu'aucun
rait, en se promenant, al].er au Par· a vu à cette époque ne le préparait la défense de Franco et du fascis- non.Espagnol n'ait jamais eu une telle
lement à Londres, ou dans une à ce qu'il a vu à Guernica, dix- me espagnol. De là, il a été inéluc- position.

La QuiDuine littéraire, du 1" GU 15 janvier 1970 ~1


ETHNOLOGIE

Le massacre
Lucien Bodard : De longs et fréquents sejOurs

1
fiait elle-même afin de mieux Marquisiens, les sociétés nègres, les
Le massacre de& Indiens chez les Indiens de l'Amazone, détruire les groupes et les sociétés Indiens d'Amérique du Nord et
Gallimard éd., 487 p. Robert 1aulin rapporte la convic- humaines situés en dehors de son du Canada, les peuples amazoniens
tion que cet ethnocide est insépa- propre système de valeurs; comme occupent une place de choix, mais
Il Dire que la civilisation blan- rable de la pensée occidentale, tout si la pensée « occidentale » secre- seulement une place.
che est, pour les autres civilisations, masqué qu'il soit par les « valeurs tait en même temps des « anti- Du moins, la description que
l'univers, est dire que nous les humanistes », les normes de « pro- corps li lui permettant de garder nous propose L. Bodard prend-elle
entourons, les enserrons, nous po- grès » ou du « développement ». sa bonne conscience et d'exciper un aspect presque délirant. L'au-
sons face à eU% à un point tel que L'ethnologue et l'anthropologue de « valeurs humanitaires » tout teur est allé au Brésil, il s'est
nous avons, pour eux, humanisé eux-mêmes portent une responsa- en p,oursuivant le lent travail de enfoncé dans le « sertao li jusqu'au
l'univers, au détriment de leur bilité certaine dans cette destruc- destruction des sociétés diffé- milieu des terres où se confondent
propre hurnanlsation, et que leur tion par intégration : le passage rentes. l'eau, la boue, l'énorme proliféra-
alliance ou compatibilité avec le de la « sauvagerie sans règle » à La pensée de R. 1aulin tend, en tion végétale, les insectes, les rep-
monde est devenue alliance ou l'examen de « structures de règle- fait, à la critique radicale de l'an- tiles et les peuples nus que sont
comeatibilité avec notre civilisa· mentations complexes » ne témoi- thropologie, voire à sa destruction. les Indiens. L'image qu'il nous
tion. Cette compatibilité est pour gnerait point d'une approche plus De l'ethnocide qu'elle porterait en donne de la forêt est une des plus
nous significative de leur réduc- réaliste de la vie appelée « primi- elle-même « comme la nuée porte saisissantes qu'on puisse lire; c'est
tion à notre civilisation, la clé de tive » mais d'une mutation interne l'orage li, le livre de Lucien Bo- celle d'un visionnaire qui s'empare
voûte de leur comportement est de la civilisation blanche, muta- dard nous apporte une confirma- de détails rapidement aperçus.
aujourd'hui l'ethnocide que nous tion inconBCiente et hypocrite per- tion éclatante. et fantastique. Là, il est aisé de constater que
commeUons à leur égard li (1). mettant de procéder à une intégra- Certes, la destruction des In- l'élimination des Indiens est ins-
Ainsi l'anthropologue Robert 1aulin tion plus complète des « étran- diens d'Amérique du Sud est un crite dans la géographie même :
définit-il l'entrepri8e de destruc- gers ». aspect - un aspect seulement - hier, le caoutchouc, aujourd'hui
tion systématique inhérente à la Tout se passerait none comme de l'ethnocide perpétré par l'Occi- l'or et les diamants. Du monde
civiliaation « blanche ». si la pensée « blanche » se mysti- dent : entre les Australiens, les entier et pas seulement du Brésil
arrivent des aventuriers au pûfo.
let rapide, à la cruauté consom·
mée d'hommes seuls et menacés.
Ici, Bodard mêle le passé au pré-
sent dans une fresque fantastique,
obéissant aux lois d'une inflation
d'images et de mots qui déborde
le journalisme pour nous mener
aux confins d'une littérature épi.
qùe : les cadavres des milliers
d'Indiennes et d'Indiens trompés,
bafoués, torturés, massacrés se dé-
roulent comme une fresque depuis
les « bandeirantes li de la conquête
et les « seringueiros li du « boom »
sur le caoutchouc jusqu'aux tech·
niciens « gringos li au regard glacé.
Cela n'est pas sans rappeler 1&
grande évocation de Diego Rivera
du Palais national de Mexico...
En fait, Bodard relate très peu
de faits réellement vus. Entre l'éta·
blissement des frères Vilas Bou
chargés de sauver les Indiens, la
découverte de quelques postes per-
dus dans la forêt, la visite à des
gouverneurs déchus et quelques
bars de Brasilia, le support du re-
portage est mince. Mais pour avoir
traversé au Brésil des régions sem·
blables, je puis témoigner que le
« sertao » et l'immense Amazonie
sont d'abord l'univers du témoi·
gnage oral, que l'événement parait
s'y dérober, surtout dès qu'on le
cherche.
Mais déjà dans ses livres sur
l'Indochine, Bodard utilisait cette
technique du témoignage indireet
- ce que l'on pourrait appeler Je
« détour de Marlowe », du nom de
Ce récitant qui, dans les roD1IlDS
de Conrad authentifie un érine-
des Indiens
ment que l'écrivain n'affronte ja- J. Meunier et

1
mais directement, comme le lui A.·M. Savarin
avait appris Henry James. Le Mas- Le chant du Silbaco
sacre des Indiens pousse cette tech- Edition spéciale, 206 p.
nique jusqu'à l'exaspération: par·
fois la pléthore d'images dépasse
sOn but et l'Indien persécuté de- Le livre de Jacques Meunier
vient un fantôme. et A.-Marie Savarin, s'il fait écho
Cela étant, Bodard ouvre un à la grande presse qui, récemment
dossier : celui de la liquidation encore, a montré que le génocide
physique des Indiens d'Amazonie des Indiens n'avait pas cessé, ne
'lui, lentement repoussés de la saurait cependant être réduit à la
steppe vers la forêt, retrouve leurs dimension d'un reportage d'ac-
bourreaux dans l' « enfer vert ». Il tualité. Et s'il est nourri de réfé-
est singulier de constater que ce rences ethnologiques et de science
grand peuple multiple et divers des érudite, il ne saurait, non plus,
Indiens, d'Amérique semble avoir être défini en termes universi·
été l'enjeu de l'enrichissement du taires. « Journal de voyage ~,
continent, au siècle dernier pour aimerait-on dire, si le terme vou-
les U.S.A. et le Canada, aujour. lait bien désigner non seulement
d'hui pour les Amazoniens du Bré· le rapport d'événements et de pé·
sil. On dirait que cette nation doit régrinations mais aussi un ordre
mourir pour assurer la prospérité imaginaire et affectif.
des Blancs.
Qui donc porte la responsabilité Notre enfanoe et
de ce génocide ? Les gouverne· nos rêves
ments lointains et impuissants ?
Les hommes d'affaires yankee sou· Les auteurs ont beaucoup lu -
cieux de faire place nette pour sans aucune censure du goût ou de
exploiter paisiblement les riches· la convention - journaux d'explo-
ses du sol ? La situation même rateurs, travaux d'ethnologues, poè-
d'une immense région ou n'exi!!te mes, romans populaires, reportages
aycune autre loi que celle du plus de grands voyageurs, et ils sont al·
fort ? Assurément tout cela en· lés sur le terrain, à la rencontre de
semble. ces Indiens dont on sait bien qu'ils
Et cela ne suffit pas. Car Robert sont gens comme nous mais qui
Jaulin a raison : c'est la civilisa· sont aussi les citoyens d'une loin.
tion blanche qui porte la respon· taine patrie : celle de notre
sabilité de cette destruction dans la enfance et de nos rêves. Ce qu'ils
mesure où elle est devenue une ont vu nous est donné dans les
société d'accumulation de marchan· entrelacs du lyrisme, du comtat
dises et de production de la ri- et de la dénonciation, et qu'on
chesse. Une civilisation qui peut résumer ainsi : les Indiens
n'admet les différences examinées existent et ils meurent d'être
par les a,nthropologues que pour
indiens, incapables de se transfor·
se donner bonne conscience et
mer en civilisés, refusant les va· Indien Macou
poursuivre sa monstrueuse bouli·
leurs d'une société - la nôtre -
mie. Il serait peut-être nécessaire
qui ne sait leur offrir que l'exploi-
de procéder à une révision générale
tation économique, la dégradation
de nos rapports avec les autres
des mœurs et l'hébergement dans
civilisations - et même de nous
les bidonvilles. de la rationalité technique, les semble faire fi des règles de la
demander si la rationalité que nous
trouvons dans les « cultures sau- consolations des religions mono- rigueur et du concept. Deux rai·
vages » n'est pas un alibi ou un Une longue histoire théistes instituées en églises mili· sons plaideront devant eux en fa·
masque. C'est l' « autre » enfin tantes, les libérations de l'alcool. veur du livre : On assassine les
que nous cherchons à ab!lOrher, à La longue histoire du continent Notre civilisation affiche ses Indiens et il faut le dire vite car
digérer ou que nous détruisons par que le livre, sans la raconter res- prétentions à l'universalité mais le massacre, s'il ne cesse bientôt,
incapacité congénitale à admettre, suscite par une technique en « mo- est incapable de tolérer ce qui trouvera sa fin dans la dispari-
réellement, la différence. Fanon, saïque ~ où les textes cités, les n'est pas elle. Sourde à ce que tion des massacrés. Il faut aussi
déjà, voici plus de dix ans, avait analyses, les évocations, derrière dit ,« l'autre », elle transforme le dire « bien ~, c'est·à·dire de
pressenti cette mystification. un désordre apparent manifestent en cendre ce qui ne devient pas telle sorte que l'opinion publique
une finalité fermement maintenue, conforme à sa propre nature. Bien. l'entende. Le sérieux d'un livre
Jean Duvignaud est monotone et triste dans sa ré· tôt, la planète purifiée de ses qui parfois semble ne pas vouloir
pétition : génie de la destruction « sauvages », la rumination soli- être sérieux, c'est le sérieux non
d'un côté, génie de la survie de taire de la rationalité n'aura d'au- d'une thèse mais d'un acte moral,
(1) Rapport au 4< congrès interna- l'autre, et toujours défaite de tre ennemi qu'elle-même. d'un acte militant qui, la chose
tional : «Développement économique d!l l'Indien. Il p.n va ainsi depuis que Chercheurs et professeurs pro- est rare, a la grâce d'une chanson
l'Arctique et avenir des sociétés esqui-
maudes », Fondation française des études les chevaux et les hommes venus testeront - peut.être - contre de geste.
nordiques, Le Havre-Rouen, 1969. d'Europe ont apporté les bienfaits cette « Edition· Spéciale ~ qui .André .Akoun

La Quinzaine littéraire, du 1" cm 15 janvier 1970


BI8TOI• •

La Milice

1
Jacques Delperrie de Bayac Au dé but de l'hiver 1942,
Hi5toÏTe de la Milice Joseph Beuys participe, avec
Fayard éd. 686 pages. son « stuka» (bombardier en
piqué Ju 87) à une mission de
On peut s'étonner que, vingt- bombardement en Crimée. La
cinq ans après l'effondrement de neige se colle sur les vitres
la milice française, aucun ouvrage de l'appareil, empêchant le
de fond n'ait été consacré à cette pilote d'apercevoir les avions
unité supplétive que commanda de ses camarades. Alors qu'il
Joseph Darnand et dont le chef revient vers l'ouest, mission
légal fut Pierre Laval. Des infor- accomplie, le « stuka » est
mations fragmentaires, disparates touché par hasard : son alti-
ou partisanes peuvent être glanées mètre déréglé, il pique du nez
dans un certain nombre de livres et son moteur, tournant à
qui traitent des années quarante plein régime, s'enfonce dans
à quarante-cinq. Les rassembler, le sol à toute vitesse.
les confronter, faire le tri ne suffi·
rait pas à reconstituer l'histoire
de la Milice. C'est un commando de Tatars
On saura donc gré à Jacques qui déterrera J 0 sep h Beuys,
De1perrie de Bayac - auteur d'une enfoui parmi les débris de mé-
remarquable étude sur Lu Bri8a- tal de son appareil... Sans doute
LA Milice au Vél' d'Hiv'
des internatioruala - d'avoir fon- est-ce un autre homme qui nait
dé son ouvrage sur des documents gne d'être un officier» ; que, trans- gnole) a abouti à la Milice - poli- de cette expérience-éclair de la
en grande partie inédits et sur des fuge de la S.F.I.O., Marcel Déat ee et armée parallèle - qui prit mort et de la résurrection dont
témoignages recueillis par lui au- était « un excité à froid JI. pour emblème le gamma, représen- Joseph Beuys conserve sur lui
près de plusieurs de ceux qui fu- Que ces ratés fussent parfois des tation zodiacale du bélier, symbole le permanent symbole : ce gilet
rent non lMlulement des témoins exaltés, qu'ils aient découvert, par de force et de renouveau, 0: car le d'aviateur de la Luftwaffe dont
privilégiés, mais parfois les acteurs . le li miracle» de la défaite, un cli- monde entre au printemps sous le il ne se sépare pas plus que de
mêmes de la « guerre coloniale .» mat propice à leur besoin de revan- signe du bélier JI. son sempiternel chapeau de feu-
que, sur le sol de France, quelques che dans les milieux qui, en 1940, Cete dose de puérilité ordinaire- tre. Mais quel est donc ce per-
Français, aux côtés deà Allemands n'avaient pas encore admis la Ré- ment présente dans les liturgies fas- sonnage aux yeux clairs jusqu'à
et avec l'appui officiel du gouver- volution de 1789, l'Hi5toire de la cistes et nazies, Darnand n'en fut la transparence, au visage éma-
nement de Vichy, livrèrent aux Milice le démontre à merveille. pas exempt, qui, le jour de la séan-
cié d'ascète (la peau cireuse,
autres Français.. Elle démontre aussi, à l'aide de ce inaugurale de la Milice fran- pre s que translucide, comme
Pour commencer : une analf!e preuves accablantes pour les deux çaise (31 janvier 1943), félicita la- pour laisser apercevoir le sque-
freudienne de la li collaboration» parties, jusqu'où la Milice, approu- val pour la «blessure glorieuse» lette, ou la flamme intérieure),
(sur laquelle reposent la concep- vée par Pétain, s'est confondue avec qu'il «portait dans sa chair ». auquel de Kunstmuseum de
tion, l'organisation et l'esprit de la les sursauts et les spasmes d'un Avec humour, dans le style fami· Bâle, "un des musées les moins
Milice). Passant de la défaite mili- «régime honni et condamné JI, lier et percutant qui est une des frivoles d'Europe. consacre en
taire à un sentiment de culpabilité mais qui refusa de se démettre, qualités de son ouvrage, Jacques ce moment une importante expo-
générale, les premiers partisans de compromis par sa collaboration avec Delperrie de Bayac rappelle que la sition rétrospective (1).
l'allégeance à Hitler admirent et l'occupant, et li contraint, pour du- glorieuse blessure (dont l'auteur
finirent par souhaiter l'humiliation rer. de se compromettre chaque était Collette) permit à Laval, « qui
sous les coups d'un vainqueur bru- jour davantage. » C'est un truisme n'avait jamais figuré sur aucun Certains le tiennent d'ores et
tal, viril, sans scrupules. On peut de dire que, sans Vichy, la Milice champ de bataille », d'être reconnu déjà pour l'artiste européen nu-
affirmer que, dès 1940, la collabo- n'aurait pas existé; ce n'en est li pour brave par un brave à bre- méro un, et pas seulement en
ration «emprunta à l'inversion plus un de voir ses racines dans la vet et à batterie de cuisine JI. Allemagne et en Suisse : même
IMlxuelle ses modes JI. Appliqué à Cagoule et même dans l'Action La modération dont l'auteur ne à Paris, où cependant on n'a
des· hommes qui se comportèrent en française : les tueurs de la Milice se départ pas dans ses jugements jamais rien vu de lui, Il com-
combattants et exposèrent souvent ont pris au sérieux les appels de sur les hommes et les faits ne l'em- mence à avoir des disciples et
leur vie, cela peut paraître étrange ; Maurras au li couteau de cuisine» pêche point de faire justice, avec il a bouleversé Bob Morris, l'un
en réalité, conscienunent ou incons- et à la suppression des li métè- une heureuse véhémence, de la thè- des leaders du Minimal Art amé-
ciemment, les miliciens en vinrent ques », des marxistes et des Juits se du CI: double jeu » de Vichy. thè- ricain. Et ce qu'jJ fait, à quoi cela
à lMl frapper eux-mêmes en frappant (assassinats de Jean Zay, du père de se précisément ruinée par l'exis- ressemble-t-jJ? Justement, cela
le corps de la patrie... Roger Stéphane,· de Mandel...). tence de la Milice : si Pétain avait ne ressemble à rien. en tout cas
Rien d'étonnant si les princi- Sans rien omettre des dissen- secrètement joué contre l'occupant, à rien de ce que, jusqu'à ce
paux responsables de la Milice fu- sions entre les chefs, Jacques Del- aurait·illaissé CI: sa » Milice torturer jour, on nous a donné pour de
rent des aigris, des solitaires, des perrie de Bayac montre la conti- et abattre les patriotes ? En conclu- l'art. (Ce «nous» concerne, il
frigides ou des mous. D'une saisis- nuité et l'unité d'un mouvement sion, les abominations de celle-ci convient d'y insister, le seul
sante série de li portraits» brossés qui, né de la Légion des combat- dénonçant l'abjection de celui-là, public parisien qui, en dépit des
par Jacques Delperrie de Bayac, tants et du Service d'ordre légion- li on chercherait vainement clam efforts des galeries i1eana Son-
on retiendra que Laval fut un ins- naire, s'est affirmé paradoxalement l'hi5toÏTe de la France quelque équi- nabend et Yvon Lambert, n'a pas
table, un ambitieux sans vigueur, contre la Légion des volontaires valent au régime de Vichy» dont eu encore la possibilité d'être
curieusement attiré par la crapule ; français (de Doriot, Déat et Bu- l'incompétence avérée (rarement confronté à une manifestation
que Damand, intellectuellement card, rivaux de Damand) et, faute .tant de médiocrité se trouva à la d'ensemble de ce que l'on
peu doué, dépourvu d'imagination, de pouvoir s'avouer comme une tête de l'Etat) «n'est pas une ex- nomme diversement l'art concep.-
débordait de ressentiment contre Phalange française (réplique trop cuse ab801utoire ». tuel, l'antiforme, l'.rte povera,
l'armée qui ne l'avait pas jugé « di- choquante de la Phalange espa- Maurice Chavarclè8 etc.) .
L'artiste européen n° 1 ?
Il Y a des amoncellements de artistes ne lui apparaissant que pas d'abord dans l'homme ., me
feuilles de feutre, des morceaux comme une partie de ses de- paraît néamoins mieux fait pour
de fer rouillés ou des fragments voirs à l'égard de ses élèves de combler cette insatisfaction-là
de caisses sur le sol et aussi l'Académie) , il débouche sur des que la revendication sociale et
toute une série de vitrines où, préoccupations de caractère ma- économique de type marxiste.
sans la moindre étiquette ni gique ou mystique. Son vocabulaire, volontiers obs-
notice, s'accumulent des épaves cur, se plaît d'ailleurs aux for-
étranges et banales telles que mules pour initiés comme Erd·
rats morts, christs en chocolat, telephon (téléphone de terre),
Symphonie .ibérieD.D.e Eurasienstab (bâton d'Eurasie),
abeilles engluées dans leur cire,
tissus maculés, morceaux de Leberverbot (interdiction du
Par exemple, son happening foie), Fettraum (pièce remplie
graisse ... On dirait d'une exposi-
intitulé Symphonie sibérienne de graisse). Mais il n'ignore pas
tion impromptue des résultats
(1966) t 0 ur n e autour de la l'humour, comme le prouvent
de fouilles par des archéologues
" division de la croix • entre ses pièces de théâtre en deux
qui auraient brusquement mis à
Rome et Byzance et semble sug- secondes, sa Partition de chou-
jour les vestiges, assez peu p,r-
gérer comme remède une diffi- croute (Manger partition!) ou
lants du reste, d'une civilisation cile mal'che vers l'Est afin de
absolument inconnue jusque-là. telle Recommandation: « Si l'on
réconcilier les qeux moitiés de s'est coupé, ce n'est pas au
Ou encore la présentation des la croix. On ne peut s'empêcher
seules traces recueillies au len- doigt que l'on doit mettre un
de songer alors à Novalis et à pansement, mais au couteau...
demain d'une catastrophe où son texte Europe ou la Chré·
aurait disparu tout un groupe Enfin, i1.y a l'étonnante présence
tlenté (1799) : CI Il y aura du de ses œuvres, aussi peu" lit-
humain : le naufrage du Titanic sang sur l'Europe (...) tant que
ou, pourquoi pas, Auschwitz? Il téraires • qu'il est permis et qui
ne sera pOint célébré, en guise doivent à l'exceptionnelle con-
n'est pas encore exclu que Jo- de Fêtes de la Paix, un immense
seph Beuys apparaisse en effet J~ph Beur. centration psychique dont elles
repas d'amour sur les ruines procèdent (de 19S5·à 19S9 Beuys
comme l'archéologue de notre fumantes des champs de bataille
présent et il n'est jamais agréa- a " expérimenté. quatre années
ans en effet que Joseph Beuys avec des larmes chaleureuses.•
ble pour un être vivant de s'ima- durant la maladie, ses pouvoirs
a fondé à Düsseldorf, où Il est Ce rêve de communion univer-
giner en quelque sorte comme et les moyens de s'en prému-
professeur à l'Académie des selle, qui termine par exemple
un témoignage archéologique en nir) leur force étonnante.
Beaux-Arts (en A Il e m a g n e une longue action respiratoire
sur sis... D'ailleurs, sans la comme aux U.S.A., contraire- de Beuys sur les paroles sui-
guerre, Beuys aurait été natu- ment à ce qui se passe en vantes : ft Pensez à to.us ceux Une qualité
raliste ou spécialiste en zoolo- France, les artistes d'avant- qui respirent en même temps supplémen~e
gie. garde obtiennent très facilement dans le monde • échappe au
des postes de professeurs), le vague et à la niaiserie grâce à En outre, le fait de s'accom·
D.S.P. (Parti des Etudiants Alle- un objet comme La bêche en plir dans des matériaux dépour-
Les procédés de la mands), lequel groupe aujour- commun, munie de deux man- vus de toute rareté et de tout
naturalisation d'hui environ une centaine de ches, ce qui en réduit l'utUisa- prestige leur confère une qua-
membres. tion pratique mais en accroît la lité supplémentaire de généra·
L'expérience dont j'ai fait état Mais de quel "programme· signification symbolique! Celui lité, on pourrait presque dire de
l'a en somme porté à réserver s'agit-il? En 1964, Joseph Beuys qui affirmait que Le silence de popularité. (Par exemple, une
à l'espèce humaine et à ses propose que l'on hausse de cinq Duchamp est surestimé, à partir chose aussi simple qù'un piano
diverses activités, les procédés centimètres le mur de Berlin : du moment où il pense que à queue emballé et cousu dans
de la naturalisation. Mais on se les proportions en seront meil- ft l'époque des églises touchant du feutre gris vous laisse assez
tromperait fort en limitant l'art leures, assure-toi\. Un mur, en à sa fin, le collectif forcé ne sidéré. Pourquoi? Ah! diable,
de Beuys à cet aspect figé et tant que tel, est très beau si les pOuvant résoudre le problème si je le savais ...). Mais voici en-
mnémonique. Au contraire, la proportions sont justes.. En social, l'individu seul porte toute core Novalis: «Quand je donne
plupart de ses œuvres s'insè- somme il n'y a que deux moyens responsabilité., n'a peut-être au vulgaire un sens sublime, à
rent dans une trajectoire sym- d'annuler l'existence d4 mur : pas tort de vouloir mettre en l'habituel un aspect mystérieux,
bolique, dans le mouvement ou bien en faire un objet esthé- action des symboles visuels ... au connu la dignité de l'inconnu,
d'une pensée continue aux pri- tique (et alors sa signification au fini un reflet infini, alors j'en
ses avec les matériaux de notre douloureuse disparaît), ou bien fais du romantique... • Joseph
décor quotidien: non seulement " fonder sur l'auto-éducation une Beuys, ce serait donc notre WiI·
elles suggèrent ou créent un meilleure morale dans 11espèce Des formules pour initiés
liam Blake? C'est ce que con-
environnement, mais leur signi- humaine, (pour) que tous les testent certains, qui vont disant
fication s'est souvent révélée à murs disparaissent -. C'est évi- C'est là, bien entendu, agir que notre Blake c'est un autre
l'occasion d'un" happening - de demment pour la seconde solu- davantage au niveau mystique artiste allemand de génie, Frie-
Beuys, de ce que l'on pourrait tion que milite Beuys, dont toute qu'au niveau politique propre- drich Schrôder-Sonnenstern, en-
appeler une parabole agie. Car l'activité créatrice prend ainsi ment dit. Nous savons du reste fermé depuis deux ans dans un
il n'existe pas pour lui de divorce un sens moral très appuyé (ne que la cloison entre ces deux hôpital psychiatrique de· Berlin
entre l'action et l'art. Bien que serait-ce qu'à ce seul titre, il niveaux est loin d'être étanche et qui a juré de se doon.er la
ses œuvres se situent aux anti- s'inscrit en faux contre l'esthé- et aussi qu'une certaine insatis- mort si, pour les fêtes de Noël
podes du " réalisme socialiste» tisme creux du Minimal Art et faction mystique cherche, chez on ne lui rendait pas la liberté...
et autres pitreries propagandis- d'une bonne partie des bateleurs nos contemporains, à se satis-
tes, il déclare : «J'essaye dans du lumino-cinétisme!). Mais, au- faire comme elle peut. Joseph José Pierre
mon art d'exprimer mon pro- delà de ces ambitions morales Beuys, pour qui la révolution
gramme politique.. Il Y a deux et pédagogiques (former des n'est rien CI si elle ne se passe (1) JWIqU'au 4 janvier 1970.

La Quinzaine littéraire, du 1- au 15 janvier 1970


TBÉATRB

1Jn propos dés~orcé

1
Brecht et Kurt Weill pauvre qui veut faire riche, c'est Brecht que des signes dont Il la bouffe vient d'abord, enlulte
L'Opéra de Ouat'sous tout un univers social et moral, joue pour désigner les grandes la morale... De quoi vit l'hom-
Théâtre de l'Est Parisien (TEP) - celui de la petite bourgeoi- et petites manœuvres d'un me ? De sans cesse torturer,
sie de Weimar ruinée par le ca- autre monde de truands et de dépouiller, déchirer, égorger et
pital - qui se décompose du flics, celui de la bourgeoisie pe- dévorer l'homme »,
• L'Opéra de Ouat'sous, écrit même coup : la fausseté des tite et grande : la société ca-
Bernard Dort, ouvre sur le vide; rites, la mascarade des bonnes pitaliste. Il faut d'ailleurs re·
il donne le vertige du vide -, manières, la comédie des res- marquer que le truand et le po-
pectabi 1ités et des beaux senti- licier qui est son double et son
A double fond
Nous qui ne connaissons de
l'œuvre que les deux versions ments. Tout craque, tout se ami (Genet, toujours ...) entre-
cinématographiques de Pabst, dépiaute, tout fout le camp : tiennent, comme Puntila et
le vide, là aussi, se creuse sous Matti, et comme c'est souvent Mais tout cela est dit par le
l'allemande et la française, tou- truchement d'une forme com-
tes deux désavouées par Brecht plexe : celle d'un opéra qui
et qui par un méchant caprice dénonce à chaque instant la
du sort n'avons pu voir ni la mythologie bourgeoise de l'opé-
mise en scène du « Berliner ra : les « songs - sont là pour
Ensemble - ni celle de Strehler, faire chavirer, pour disloquer
nous ne pouvons que rêver cette vieille forme en ruines.
d'une représentation de l'œu'# Tout doit donc être toujours à
vre qui donnerait ce vertige du double fond : attitude, ges-
vide. Ce n'est pas te spectacle tes, actes, paroles, romances,
du T.E.P., pour propre qu'il soit, chorals, tout doit comporter à
qui pourra combler nos imagi- chaque instant sa propre paro-
nations. Nous avons vu sur la die, sa figure critique, faute de
scène, très correctement mis quoi on savoure les délices
en place, un opéra au charme d'une opérette baroque. Tout
seulement un peu insolite, un doit garder une subtile faus-
opéra des gueux, parfois sati- seté, un décalage constant, une
rique et grinçant puisque le distance critique. D'où la diffi-
texte le comporte, mais d'une culté pour la mise en scène et
consommation toujours agréa- el jeu des ,acteurs. Rétoré et ses
ble, avec ses airs connus. Nous comédiens qui nous avaient don-
n'avons jamais vu cette étrange né un remarquable Lorenzacclo,
machine, sorte d'opéra sur n'y sont pas parvenus, pour la
l'opéra, ce spectacle de provo- bonne raison qu'un tel jeu exige
cation que Brecht a conçu pour une discipline d'acteur qui n'est
laisser le spectateur bourgeois pas pratiquée en France, cel1e
le cul dans le vide, pris au piège dont nous avons eu l'exemple
d'un spectacle qui ridiculise ses avec tes comédiens de « t'Open
propres goûts, - ses goûts de
Theater -.
bourgeois amateur d'opéra -
dans le même moment qu'il les
comble. La représentation du
T.E.P. joue l'œuvre au premier Un IQle trop rêalUte
degré, elle joue l'opéra avec ses
charmes et ses grincements, et H eût fallu sans d 0 u t e
son folklore. Il n'est que de voir rester plus près du jeu de ma-
se pâmer d'aise « les imbéciles rionnettes Inspiré de ce théâtre
de la bourgeoisie - (c'est un les pas; c'est un univers miné le cas chez Brecht, une étrange expressionniste dont Brecht est
mot de Baudelaire) qui, à cha- qui se dévoile sur la scène. liaison, dont il ne serait pas encore très proche en 1928. Le
que pièce de Brecht jouée avec Dans L'Opéra de Ouat'sous inintéressant de scruter les style trop réaliste des décors
la dureté nécessaire, poussent les choses sont peu différen- troubles profondeurs; mais ceci et du jeu des acteurs (même
des cris d'orfraie qu'on viole, tes; mais elle sont moins évi- est une autre histoire. Bref, celui de Pierre Santini qui, dans
pour comprendre que le spec- dentes, et les prestiges du faux c'est la comédie sinistre du le rôle de Brown, s'essaie à ce
tacle du T.E.P. ne répond pas opéra risquent de masquer ce monde bourgeois qui s'installe jeu distancié que la mise en
précisément au propos qui fut qu'il a pour mission de dévoi- sur la scène. La morale est scène aurait dû imposer par-
celui du Brecht : il est désa- ler. Dans cette œuvre pleine d'ailleurs tirée en termes tout), sans compter la mala-
morté. de chausse-trapes, de pièges clairs: « Qu'est-ce qu'un passe- dresse dans l'exécution de cer-
et de sapes, tout sonne savam- partout comparé à une action tains « songs - (ceux des fem-
ment faux, de cette même faus- de société anonyme? Qu'est-ce mes surtout), empêche que ne
Le luxe du pauvre seté baroque par quoi Genet que le cambriolage d'une ban- s'établisse sur la scène, à tra-
irréalise et rend au néant un que comparé à la fondation vers un grand jeu rusé, cet uni-
univers d'apparences. Mackie- d'une banque ? Qu'est-ce que vers décomposé où un cpéra
Dans La noce chez tes petits le-Surineur, Brown le policier tuer un homme compare au fait se révèle carcasse, du même
bourgeois, à mesure que se en chef, et Peachum l'exploi- de le faire travailler pour un mouvement que la société d'ar·
déglinguent tables et chaises, teur des mendiants, les trois salaire ? -. Et Brecht, à la fin gent révèle son sinistre gui-
tous ces meubles bricolés par figures mythologiques des Mys- de chaque acte, se tourne vers gnol.
le jeune époux, tout ce luxe du tères de Londres, ne sont pour le public: « Beaux messieurs.." Gilles Sandier
CINBMA

La prise en passant
Marguerite Duras, présen- gnlflant, geste dans la progres- sont des « écrivains différés -, catégorie de la folle : le mot
tant son film Détruire, dit- sion bien scandée duquel s'ac- dont le livre est toujours à ve- folie, comme Alione, qui hésite
elle au London Film Festival complit une quête orphique nir. Il n'y a pas non plus de sur le point de céder à cette
où il a été très applaudi, a ratée, la faillie libération de personnages, les vrais person- altérité dans le parc, font par·
eu ce mot, qui semble de la presque Eurydice Elizabeth nages, ceux à qui il arrive quel- tie encore de l'aliénation : il
prime abord contredire le Alione née Villeneuve, person- que chose, sont les relations faut choisir entre ces deux for-
titre : « Je dédie ce film à nage fragile et diffracté que son entre les personnages : redou- mes de l'Autre: ou bien accep-
la Jeunesse du monde -. mari bourgeois viendra disputer blement spéculaire de type la- ter la chance de cette altérité
au trio du parc: Max Thor, Alis- canien entre Elizabeth Alione et qui subvertit nos catégories lit·
Quelle destruction s'opère, sa sa presque image spéculaire, Alissa; ambiguïté de Stein, qui téraires critiques, notre code
et débouchant sur quoi, dans et Stein. dit tout sans qu'on puisse par- en général, ou bien comme ce
un tel film minutieusement Ier de lui, qui n'est autre que mari bourgeois égaré à la fin
calculé, rigoureux comme le Désir dans son rapport au du film, Orphée ridicule (Da-
une fugue de" Bach, et sur-
UDe série de jeua
signifiant, il agit tout, mais il niel Gélin), rester dans l'alié-
tout lisible comme un livre ? est aussi l'immobilité mortelle nation.
Car ce n'est pas de voir, ni Cheminement orphique raté, de la pierre (Stein). Et son
d'entendre qu'il s'agit, mais délibérément : la destruction nom, son attitude dans le parc, Tel est l'enjeu, telles sont les
bien de lire, si lire veut bien du thème s'opère par l'écono- seront en rapport avec cette questions du film: on comprend
dire cette relation d'écoute mie très calculée d'une série forêt Interdite et refoulée par alors pourquoi Marguerite Du.
active et agissante qui asso- de décalages, de jeux : le jeu ceux qui en ont peur, l'incons- ras dédie son film à la jeunesse
cie le spectateur à la pro- de ,Marguerite Duras consiste, cient. du monde : elle volt dans cette
duction du film. si J'ose dire, à mettre du Jeu jeunesse qui fait des révolu-
dans les signes établis, à les Relations entre les personna- tions la chance de trouver la
montrer comme lézardés là où ges qui ne sont pas de véri- libération des aliénations, et de
La destruction est jeu : don- on les croyait pleins, séparés tables dialogues, la"voix est tou- faire accéder cette altérité pro-
nes renouvelées des éléments d'avec eux-mêmes là où l'on jours un peu off, décalée, étran- mise et impossible encore à
qui se combinent, des réseaux croyait tenir des entités bien ge (ailleurs, comme Alione, nommer. « Nous sommes tous
de relations qui se tissent entre homogènes. Alissa, est du côté de l'altérité des Juifs allemands -, dira
les quatre personnages habi- Ce jeu de la destruction, de de l'Autre), et qui passent aussi Stein, avec le clin d'œil de ri-
tant ensemble cette unité de la déconstruction, est subver- très subtilement par ce réseau gueur.
lieu qu'est l'hôtel-penslon-parc ~if. Faisons le bilan de ce qu'il de lettres que les personnages
où le besoin de repos les a réu- inquiète; par le jeu spirallque s'écrivent, banales et hiérati- Tout cela est donc riche;
nis, cernés par la mystérieuse de son décalage : le concept ques, qui ne parviennent jamais mais les thèmes évoqués, les
et Interdite forêt (la hylè) ; jeu d'une œuvre d'abord, cinéma- au destinataire, ou dont le texte destructions proposées, nous
des noms propres qui se répon- tographique ou littéraire, com- se modifie de lui-même : les conduisent à poser une ques-
dent comme des miroirs brisés, me plénitude, fermeture sur soi psychanalystes auront reconnu tion à ce film : ne s'agit-il pas
des entrelacs dissymétriques du d'un sens : le château, le parc, la lettre, l'inscription du désir d'un exercice d'école, d'un com-
signifiant avec lui-même (Max le trio plus un, les initiales des par opposition à la parole, à la pendium de tous les enjeux fa-
Thor, Alione, Alissa, la diffrac- personnages (M, A), tout cela voix et à l'œuvre. miliers de la critique fraflçalse
tion du nom propre, comme sur fait- repasser devant n 0 u s contemporaine, badigeonnés en
une pierre, vient rebondir ou l'Année Dernière à Marienbad hâte (comme par les jardiniers
s'écraser, sur le nom de Stein, Des destruotioDs d'Alice (encore) qui peignaient
de Resnais-Robbe-Grillet, sym- sUooe••iV8S ".
personnage supplémentaire, in· bole de l'œuvre symphonique les roses blanches en rouge
justifié, dur, « je m'appelle qu'il faut détruire : Détruire, avant l'arrivée de la Reine de
Stein, je suis Juif -, et parce dit-elle; dans sa discontinuité Ces destructions successives Cœur). aux couleurs de la der-
que Juif, personnage à la fois scripturale est à la continuité (le sujet, l'œuvre, l'histoire, Je nière révolution en date : entre
dedans et dehors, nœud de ren- mélodique de l'Année Dernière caractère) qui se résumeraient les orages désirés que la tran-
contre où se mêlent les fils d'un ce que Boulez de Pli selon Pli en une seule, la mise en ques- quille Alissa annonce: « il faut
autre jeu, celui que Marguerite est à Stravinski, ce que René tion du propre : nom propre, tout détruire -, (et Stein de ré-
Duras fait jouer à ce film avec Char est à Saint-John Perse : sens propre, propriété des cho- péter : « Détruire, dit-elle -) et
ses autres textes, Le Ravisse- de l'écriture disloquée rigou- ses et de la femme, identité à le jeu de l'écriture qu'a inventé
ment de LoI. V. Stein, Alissa, reusement, disséminée, oppo- soi, etc.,. ces destructions mê- notre décennie, n'y a-t-il place
etc.) . sée à de la tonalité. nent-elles à la folie ? Folie, on que pour l'alternative entre
le sait, est absence d'œuvre : cette articulation-là, et l'incom-
Jeu ç!e cartes que jouent en- L'œuvre est donc mise en mais ce mot signifie-t-il encore patibilité totale? Entre un laca-
semble ces personnages qui ne question, l'auteur aussi, c'est-à- quelque chose de là où Margue- nisme qui nous révèle que
savent pas la règle et qui ce- dire aussi ie sujet, dans tous rite Duras nous parle ? « nous sommes tous des Juifs
pendant imperturbables coupent les sens de : personnage, écri- allemands - et l'alternative
avec de l'atout, prennent les vain, matière de J'œuvre : écla- L'œuvre est différée, mais sommairement manlchéiste et
plis, comptent, perdent des par- tement du regard et de l'acte elle est a,-tre dans son avenir bigote : bourgeois/révolution-
ties... S'agit-il d'un rêve, dont d'écrire: « Max Thor décrit ce révolutionnaire : Alione, Alissa, naire, n'y aurait-il pas un peu
la « paralogique - rigoureuse que Stein regarde -. Stein parle ces" noms « propres - nous par- de place pour le jeu plus multi-
rappellerait les sophismes sen- de Max Thor à la troisième per- Ient d'une étrangeté, d'une dimensionnel des formes de
tencieux du chapelier fou et sonne, en présence de celui-ci. altérité par rapport à laquelle l'Autre avec les formes du
du lièvrE> de Mars dans Alice, Qui est Stein ? « Je ne peux notre monde prétendu propre Même, que l'on nommait na-
(Alissa), au pays des Merveil· parler de Stein -, mais « Stein est peut-être folie à dénoncer : guère l'ironie ? Ce film me
les? Il s'agira bien d'un oni- dit tout -. Physiquement Max la plongée possible, mais inter· pousse à en douter un peu.
risme, mais au sens freudien Thor ressemble parfois à Mar- dite, dans la forêt de l'incons-
des rapports du désir et du si· guerite Duras elle-même. Tous cient relativise à jamais cette Jean-Marie Benoist

La Quinzaine littéraire, du 1- GU 15 janvier 1970


Table ronde
Beyrouth... La Vit Table Ronde velles d'expression, est condam· crois, qu'on puisse absolument Karakouz tunisien.
du cinéma et de la télévision né à disparaftre (et ce serait généraliser une proposition
consacrée, sous l'égide de une sorte de libération) ; pour aussi rigoureuse, sa part de vé· Mals ce qui sépare plus net·
l'UNESCO, aux arts des pays d'autres, il est riche de la mé- rité est telle, d'emblée, que le tement encore les arts tradition-
arabes et asiatiques, se tient moire des peuples, il est le ter- principe d'un rejet des valeurs nels des formes d'expression
dans une capitale que le couvre· reau idéal où fortifier un art traditionnelles (donc, du fol- nouvelles, c'est, pour reprendre
feu rend étonnamment silen- authentique... klore), se trouve posé avec une un autre schéma d'Enrico Fulchl-
cieuse pour tous ceux qui con- évidente gravité. gnoni, qu'en Occident le specta-
naissent sa bruyante vitalité. Il y a, pour Enrico Fulchigno- cle peut s'appuyer sur une so-
.La première chose nécessaire ni, une dIfférence de nature Les formes traditionnelles de ciété technologiquement très
était de se débarrasser de cri· essentielle, entre le spectacle spectacle, si elles n'évoluent puissante, et qu'il s'est libéré
tères d'appréciation exclusive- occidental et celui de l'Orient où pas - extrêmement élaborées, de ses traditions - encore qu'il
ment occidentaux ; la seconde toute représentation reste char- elles peuvent être à l'abri des y ait des traditions culturelles
était d'éviter le piège du fol· gée d'un ensemble de signes, censeurs et véhiculer une satire difficiles à oublier notamment
klore, de ne pas s'acharner à de données, infiniment plus ri- politique comme en Indonésie, au théâtre - ; et qu'en Orient,
vouloir tracer des frontières. Ce che. Alors que nos spectacles ou rester une sorte de • théâtre ou tout pays du tiers-monde, la
n'est pas encore cette fols se seraient appauvris de tout ce de doléances ., comme cette proposition est renversée. Il
qu'on sera parvenu à le définir, qui s'est trouvé porté, par la représentation annuelle devant apparaft que l'évolution des
mals ce qui est révélateur de forme de nos civilisations et nos le souverain du Maroc, gardent moyens d'expression reste dé-
son Importance, c'est blel) la structures sociales, au temple parfois le prestige et la beauté pendante des facteurs écono-
séparation des points de vue à ou dans les églises, le forum ou d'un art à sa perfection (le N6 miques. En Jordanie, ce sont
son propos : pour certains, le les assemblées, l'Orient aurait japonais), ou la popularité que les danses et les cérémonies
folklore, lié à des spectacles conservé à la représentation le justifient la verdeur et la liberté populaires qui sont devenues le
figés ou pesant comme une con- privilège d'être le lieu et le lan· de son inspiration au niveau du véhicule d'une prise de cons·
trainte sur les tentatives nou- gage d'une totalité. Sans, je divertissement, qui est celui du cience politique. Dans le même

FEUILLETON
- L'étude du journal de bord et des documents portuaires éta-
blis chaque fols que le Lysandre faisait escale, et le recoupement
de divers renseignements météorologiques et radiogonlométriques,
nous ont permis, par la suite, de reconstituer d'une manière à
peu près satisfaisante les circonstances du naufrage. La dernière
escale du Lysandre avait été Port Stanley, aux Falkland; de là,
le yacht avait gagné le détroit de Le Maire, avait doublé le cap
Horn, puis, au lieu de continuer vers le Pacifique, était remonté
dans la baie de Nassau et, par la passe très étroite qui sépare
les îles Hoste et Navarin, avait rejoint le canal de Beagle presque
en face d'Ushuaia. Le 7 mai, à midi, Hugh Barton, comme chaque
jour, fait le point et note sur le journal de bord sa position:
quelque chose comme 550 et quelque de latitude sud et 71 0 de
longitude ouest, c'est-à-dire à peu près au début de la pénin-
sule de Brecknock, la portion la plus occidentale de la Terre de
Feu proprement dite, entre les îles O'Brien et Londonberry, au
large des derniers contreforts de la cordillière de Darwin, c'est-
à-dire à moins de 100 milles marins du lieu du naufrage.

Le lendemain, exceptionnellement, la position n'est pas relevée


ou, en tout cas, ce qui revient au même, n'est pas notée sur le
journal de bord. Le 9, à 3 heures du matin, un baleinier norvégien
en chasse dans la mer de Weddell et un radio amateur de l'île
Tristan da Cunha captent un appel S.O.S. du Lysandre, mais ne
parviennent pas à entrer en communication avec lui. L'appel nous
est transmis moins de deux heures plus tard, mais déjà le yacht
est muet et c'est en vain que nos stations de Punta Arenas et
par Georges Perec du cap de l'Ermite tentent d'établir un contact. Il ressort du
rapport établi par les secouristes chiliens que l'appel de détresse
précéda de très peu, quelques minutes, peut·être même quelques
dizaines de secondes seulement, la catastrophe. Les fixations des
canots de sauvetage n'étaient pas déverrouillées, trois des cinq
cadavres n'étaient même pas habillés, aucun n'avait eu le temps
de mettre une bouée individuelle. La violence du choc dut être
terrible. Angus Pilgrim fut littéralement écrasé contre la paroi
de sa cabine; Hugh Barton eut la tête fracassée par la chute
du grand mât, Zeppo fut déchiqueté par le rocher et Felipe déca·
pité par un filin d'acier. Mais la mort la plus horrible fut celle
Résumé des chapitres précédents. - Alors que Gaspard Wlnck- de Caecilia; elle ne mourut pas sur le coup, comme les autres,
1er commence à comprendre ce que lui veut Otto Apfelstahl, mais, les reins brisés par une malle qui, insuffisamment arrimée,
celui-ci lui précise peu à peu l'histoire de son homonyme. avait été arrachée de son logement lors de la collision, elle tenta,
,
a Beyrouth
temps, Il semble que le théâtre New York : mals une réalité qui de km de pellicule du film égyp- soit stéréotypé, pas une scène
soit en voie de disparition au ne peut être importée. Dans le tien - ou libanais - , en tue- qui sonne faux, pas un effet qui
Pakistan ... Liban déchiré, le dernier jour de mouches. soit appuyé. Un rythme ample
Pourtant, si le folklore a pu ces travaux qui étaient des La Terre est un film construit et superbe emporte des scènes
devenir cette mémoire des peu- échanges, nous en avons eu la avec une remarquable rigueur, avec un lyrisme qui rappelle ce-
ples qu'il est encore chez beau- plus éclatante illustration. et une liberté magnifique d'écri- lui du cinéma russe de la grande
coup d'entre eux, c'est parce Et nous découvrions un vrai ture. Il s'agit de la révolte d'un époque (Dovjenko, justement),
qu'il était le dit et la geste d'une cinéma arabe, dont les racines village, privé d'eau par un fonc- alors que la violence se traduit
pérennité, d'une volonté de du- étaient vraies et fortes : la tionnaire richissime de la fin du par une utilisation de plans
rer. Un conquérant a toujours Terre (qui ne porte pas fortui- règne de Farouk, pour pouvoir brefs, coupés sec, qui laissent
tenté de détruire les traditions tement le titre de l'un des aménager une route d'accès à en mémoire autant d'impacts.,
du vaincu. Si les traditions de- grands films de Dovjenko), l'une de ses propriétés. (Imagi- Une fresque, mais aussi un
meurent vivantes, c'est qu'il y a œuvre magistrale, qui mêle vio- nerait-on aujourd'h~i eh France hymne de couleurs et de beau-
refus de disparaître. De même, lence et tendresse, humour et quelqu'un d'assez influent pour té. Il faut que ce film soit vu (2).
un art nouveau ne naît pas dans révolte, le sang et la lumière. faire passer une autoroute à tra- Claude Michel Cluny
l'imitation: rien n'est plus dan· A partir d'un roman d'El Cher- vers le Bois de Boulogne plutôt
gereux pour le jeune théâtre (1) kaoui, Youssef Chahine a cons- que sous ses fenêtres? Impos-
1. Ainsi un metteur en scène maro-
ou le jeune cinéma du tiers- truit une fresque mouvante qui sible, bien sûr). Il n'empêche cain, Tayeb Sakkirl, recherche-t-i1 un
monde que les exemples et les est à la fois le plus bel hommage que les sbires de Farouk matent « espace scénique » pour le théâtre
modes occidentaux. L'avant- qu'on ait jamais rendu au fellah les villageois, pendant que les arabe, rejetant la formule de nos salles
garde est un jeu de vieille so- du Nil, et une date dans l'his- troupes britanniques essaient de à l'Italienne.
ciété riche. Ce qui doit inspirer toire du cinéma arabe, un grand mater ce qui au Caire finira 2. le cinéma des pays du tiers-monde
souffre de problèmes de distribution
le cinéma ou le théâtre du tiers- titre parmi les grands films du quand même par être une révo- qu'il n'est pas aisé de résoudre. Pro-
monde, ce n'est pas ce qui nous monde. Rien ici de ce miel qui a lution. blèmes évoqués déjà lors du Festival
amuse six mois à Paris ou à si souvent changé les milliers Pas. un seul personnage qui de Carthage, en 1968

pendant plusieurs heures sans doute, d'atteindre, puis d'ouvrir - Si, dit-il enfin, rompant un silence qui devenait de plus
la porte de sa cabine; lorsque les sauveteurs chiliens la décou- en plus pesant, si l'on considère la vitesse moyenne du Sylvandre
vrirent, son cœur avait à peine cessé de battre et ses ongles en et sa position telle qu'elle fut relevée et notée le 7 mai à midi, on
sang avaient profondément entaillé la porte de chêne. s'aperçoit que le 9, à 3 heures du matin, le yacht aurait dû être
- Et son fils? beaucoup plus loin vers l'ouest. Si, par ailleurs, on admet que seul
- Sa cabine était voisine de celle de Caecilia. Tout y gisait un bouleversement extrême, un ·affolement général, presque une
pêle-mêle, ses vêtements, ses jouets. Mais il n'y était pas. panique, peut empêcher un commandant de bord d'accomplir cette
- Il était peut-être tombé à la mer. formalité élémentaire mais indispensable à la sécurité qu'est
- C'est extrêmement peu probable. Il aurait fallu qu'il soit un relevé de position, on est amené, nécessairement, à une
sur le pont et il n'avait aucune raison d'y être. conclusion unique. La voyez-vous?
- Mais s'il y avait été quand même? - Je crois fa voir, mais je ne suis pas sûr qu'erre soit
- A 3 heures du matin! Qu'aurait-il fait sur le pont? unique.
- Quelqu'un, Hugh Barton par exemple, s'est peut-être dit - Que voulez-vous dire?
que le spectacle de la tempête aurait un effet décisif sur l'enfant... - Ils ont fait demi-tour pour partir à sa recherche; cela peut
Mais Otto Apfelstahl secoua la tête. vouloir dire que Gaspard s'était enfui, je ne dis pas le contraire,
- Non, dit-il, ce n'est pas possible. Même s'il avait été pré- mais il se peut aussi qU'ils l'aient abandonné et qu'ensuite ils
cipité à la mer, la mer l'aurait fracassé sur le récif et nous aurions s'en soient repentis.
retrouvé une trace, un iridice, quelque chose de lui, du sang, une - Est-ce que cela change quelque chose?
mèche de ses cheveux, un bonnet, une chaussure, n'importe quoi. - Je ne sais pas.
Non, nous avons cherché, nos hommes-grenouilles ont plongé Il y eut, à nouveau, un long silence.
jusqu'à l'épuisement, nous avons fouillé chaque anfractuosité du - Comment avez-vous retrouvé ma trace? demandai-je.
rocher. En vain. - J'étais un peu fasciné par cette catastrophe, par la per-
sonnalité des victimes, par le mystère qui semblait entourer la
Je demeurai silencieux. Il me semblait qu'Otto Apfelstahl, à disparition de l'enfant, Escale après escale, j'ai reconstitué l'his-
cet endroit de son discours, attendait de moi une réponse, ou toire de ce voyage, j'ai contacté les familles, les amis, j'ai eu
tout au moins un signe quelconque, fût-il d'indifférence, ou d'hos- accès aux lettres qu'ils avaient reçues. Il y a trois mois, profitant
tilité. Mais je ne trouvais rien à dire. Il se taisait, lui aussi; il d'un déplacement à Genève, j'ai pu rencontrer l'ancien secrétaire
ne me regardait même pas. On entendait quelque part un accor- de Caecilia; c'est lui qui vous remit vos papiers d'identité; il
déon. J'eus la vision furtive d'un bouge à matelots, dans un port m'apprit votre existence, il me raconta votre histoire. Vous étiez
presque polaire, et trois marins emmitouflés dans de gros cache- beaucoup plus facile à retrouver que l'autre. Il n'y a que vingt-
nez bleus, buvant du viandox, soufflant entre leurs doigts. Je cinq consulats helvétiques dans toute l'Allemagne...
fouillai mes poches à la recherche d'une cigarette. - Et plus de mille îlots dans la Terre de Feu, ajoutai~jè
- Votre paquet est sur la .table, dit, tranquillement, Otto comme pour moi-même.
Apfelstahl. - Plus de mille, oui. La plupart sont inaccessibles; inhabités,
Je pris une cigarette. Sa main m'offrit un briquet allumé. Je inhabitables. Et les garde-côtes argentins et chiliens ont inlas-
murmurai un remerciement à peine audible. sablement fouillé les autres.
Nous restâmes ainsi silencieux pendant peut-être cinq minutes. Je me tus. Un bref· instant, j'eus envie de demander à Otto
J'aspirai de temps à autre une longue bouffée, acre et sèche, de Apfelstahl s'il croyait que j'aurais plus de chance que les· garde-
ma cigarette. Lui paraissait perdu dans la contemplation de son côtes. Mais c'était une question, bien sOr, à laquelle désormais
briquet qu'il tournait et retournait en tous sens. Puis il se gratta je pouvais seul répondre.
deux ou trois fois la gorge. fA suIvre.)
La Quinzaine littéraire, du 1" au 15 janvier 1970 39
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KALIDASA: La Naissance de Kumara
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LIE TSEU: Le vrai classique du vide parfait Contes d'Ise
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LIEOU NGO: L'Odyssée de Lao Ts'an Traduction du vietnamien par Xuân-Phuc et Xuân-Viêt
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NGUYÊN-DU: Vaste recueil de légendes merveilleuses
LAO TSEU: Tao t6 king Traduit du vietnamien par Nguyên-Tran-Huan
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L'oeuvre complète de Tchouang-tseu
Traduction, préface et notes de Liou Kia-hway

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